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Full text of "Essai de philosophie classique"

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Si 


ESSAI 


DE 


PHILOSOPHIE    CLASSIQUE 


ESSAI 


PHILOSOPHIE 

CLASSIQUE 


A'on  nooa  ttd  aott. 


PARIS 
CHARLES  DELAGRAVE,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

58,    RUK     DES     ËCOLBS,     58 

1876 

Toiia  drniis   r^Eervès. 


APPROBATIO!!  DE    MONSIIGNSCR   L'EVÊQCE  DE  MARSEILLE 


Imprimatur 

MasKÏlliae  dio  2-2*    Septembri.s  1876 

RICARD,    vie,   gên 


Indiquons  d'abord  le  sens  de  notre  titre.  La  philosophie 
que  nous  appelons  classique  est  celle  qui  recueille  les  vérités 
universellement  reconnues  de  tout  temps,  ainsi  que  les  véri- 
tés démontrées  définitivement  dans  le  cours  des  âges,  et  dont 
l'ensemble  forme  un  tout  parfaitement  un. 

La  philosophie,  dit-on,  n'est  pas  une  science:  elle  n'a 
rien  de  fixe,  rien  de  définitivement  acquis  ;  chaque  jour  lui 
apporte,  avec  un  nouveau  philosophe,  une  nouvelle  théorie 
qui  remet  en  question  tout  ce  qu'on  avait  cru  démontré  jus- 
que là.  Tandis  que  dans  toutes  les  autres  sciences  il  y  a  un 
fonds  solidement  établi,  qui  va  s'agrandissant  tous  les  jours 
par  les  découvertes  du  moment,  mais  qui  ne  perd  rien  de  ce 
qui  lui  est  acquis,  la  philosophie  est  toujours  à  fedre  et  recom- 
mence chaque  jour  une  série  de  systèmes  contradictoires 
dont  aucun  ne  peut  parvenir  à  se  faire  admettre  définitive- 
ment. C'est  dire  que  toutes  les  sciences  ont  un  fonds  classi- 
que et  que  la  philosophie  n'en  a  pas.    . 

C'est  justement  le  contraire  que  nouis  prétendons  démon- 
trer dans  ce  livre,  et  c'est  pour  cela  que  nous  l'appelons 
philosophie  classique. 

Mieux  que  toute  autre  science,  la  philosopliie  possède  uu 


4294bl 


VIII  PRÉFACE 

ensemble  de  théories  par&itement  établies,  rigoureusement 
démontrées,  acceptées  de  tout  temps  et  partout,  incontesta- 
bles et  généralement  incontestées,  si  ce  n'est  de  la  part  de 
quelques  individualités.  Sauf  les  mathématiques,  aucune 
autre  science  ne  pourrait  montrer  un  ensemble  aussi  com- 
plet, aussi  universellement  admis.  Sans  doute,  il  y  reste 
des  terrains  à  explorer,  et  les  efforts  de  chaque  jour  décou- 
vrent des  vérités  jusqu'alors  inconnues  ;  mais  ces  vérités  ne 
nous  forcent  jamais  à  abandonner  celles  que  nous  avions 
admises  auparavant .  Au  contraire  la  pierre  de  touche  de. 
toute  doctrine  philosophique  nouvelle,  c'est  précisément 
cette  comparaison  que  Ton  en  &it  avec  les  doctrines  ancien- 
nes, n  ne  suffit  pas  qu'elle  concorde  pour  la  déclarer  vraie  : 
il  &ut  encore  la  démontrer  ;  triais  elle  est  fausse  dès  qu'elle 
répugne  à  une  vérité  universellement  admise  déjà .  Telle  est 
la  philosophie  classique.  Il  en  est  autrement  des  sciences 
physiques,  où  une  observation  plus  complète,  une  expé- 
rience plus  délicate  renverse  les  lois  même  que  tout  le  monde 
avait  reconnues  pour  démontrées. 

Par  ce  caractère  d'universalité,  comme  aussi  parce  qu'elle 
n'a  pas  de  meilleurs  gardiens  que  l'Eglise,  la  philosophie 
classique  pourrait  être  appelée  catholique^  et  sans  doute  plu- 
sieurs de  nos  lecteurs  auraient  préféré  ce  titre.  Mais  ce  terme 
n'eût  pas  exprimé  notre  pensée.  Sans  doute  la  philosophie 
catholique  est  et  doit  être  la  même  que  la  philosophie  clas- 
sique ;  mais,  si  on  l'appelle  catholique  parce  qu'elle  est  la 
philosophie  de  l'Eglise,  on  semble  la  restreindre  ;  on  semble 
exclure  les  auteurs  non  catholiques  (et  ils  sont  nombreux) 
qui  ont  admis  et  enseigné  les  mêmes  doctrines.  Nous  pre- 
nons la  vérité  là  où  elle  est  :  chez  les  païens,  comme  chez 
les  juifs  ;  chez  les  rationalistes,  comme  chez  les  chrétiens  ; 


PRÉFACE  IX 

chez  les  protestants,  comme  chez  les  catholiques  :  c'est  pour 
cela  que  nous  ne  disons  pas  philosophie  catholique.  Cepen- 
dant la  philosophie  classique  est  essentiellement  catholique; 
car,  ne  pouvant  enseigner  l'erreur,  elle  ne  peut  rien  ensei- 
gner  qui  ne  s'accorde  avec  la  foi  catholique. 

La  philosophie  classique  disons-nous  ne  peut  pas  ensei- 
gner Terreur.  En  efFet,  elle  est  classique  précisément  en  ce 
que  l'ensemble  de  sa  doctrine  est  pleinement  démontré  et 
universellement  reconnu  pour  certain.  Quelle  autre  garantie 
voudrait-on  pour  De  pas  errer? 

Et  que  l'on  ne  nous  accuse  pas  de  tomber  ici  dans  l'erreur 
de  Lamennais  et  de  faire  dépendre  la  certitude  du  consente- 
ment universel.  Non^  nous  ne  disons  pas  que  la  raison  isolée 
ne  possède  aucune    certitude,   mais  au  contraire  qu'une 
vérité  contrôlée  par  toutes  les  certitudes  individuelles  a  reçu 
la  plus  parfaite  consécration  que  puisse  lui  donner  l'intelli- 
gence  humaine.  Quelque  partisan  que  l'on  soit  de  la  force 
de  la  raison  individuelle,  on  ne  l'est  pas  plus  que  nous. 
Nous  croyons  qu'un  seul  homme  peut  avoir  raison  contre 
des  milliers  sur  toute  question,  et  môme  contre  le  genre 
humain  sur  une  question  physique  ;  mais  nous  ne  pensons 
pas  que  Ton  ose  soutenir  qu'une  théorie  puisse  être  vraie 
lorsqu'elle  va  à  l'encontre  de  la  certitude  du  genre  humain. 
Aussi,  une  théorie  ne  devient  vraiment  classique  que 
lorsqu'elle  a  été  ainsi  contrôlée  et  acceptée  par  l'ensemble 
des  philosophes  classiques,  c'est-à-dire  par  l'ensemble  des 
philosophes  qui  ne  rejettent  aucune  des  doctrines  univer- 
sellement admises  comme  certaines  ;  mais  jusque  là  elle  peut 
se  produire,  présenter  sos  preuves,  se  donner  pour  certaine 
et  prétendre  à  entrer  dans  la  philosophie  classique,  pourvu 
qu'elle  n'en  contredise  pas  les  données. 


X  PREFACE 

Outre  ce  caractère  d'unÎTersalité,  la  philosophie  classi- 
que porte  encore  un  caractère  de  tradition.  Les  grandes 
vérités  qu'elle  enseigne  li'ont  pas  été  découvertes  par  la 
réflexion  :  on  les  trouve  au  berceau  du  genre  humain.  Et 
loin  de  lui  ôter  son  caractère  scientifique,  cette  condition 
lui  donne  une  force  de  plus.  Elle  roule  en  effet  sur  des 
(luestions  dont  la  solution  est  nécessaire  au  genre  humain, 
et  que  les  premiers  hommes  ne  pouvaient  pas  ignorer.  De 
plus,  la  philosophie  classique,  même  dans  les  détails  qu'y 
ajoute  le  travail  de  Tesprit  humain  de  siècle  en  siècle,  se 
transmet  de  génération  en  génération,  développée  mais 
intacte.  Faudrait-il  donc  Tiippeler /rarfi7eonnc//e  .^  Non:  il 
est  de  Tessenc?  de  la  philosophie  classique  de  se  dévelop- 
per, de  s'accroître  chaque  jour  de  quelque  vérité  nouvel- 
lement connue.  Elle  n'est  donc  pas  purement  traditionnelle. 
Et  d'ailleurs,  nous  ne  suivons  pa.?  la  doctrine  des  traditiona- 
listes^ que  l'Eglise  a  condamnés  en  1840,  prenant  ainsi, 
contre  le  zèle  mal  entendu  de  ses  propre  amis,  la  défense  de 
la  raison  méconnue,  efle  que  l'on  accuse  de  vouloir  étouffer 
la  raison. 

Nous  ne  disons  pas  ncm  i)lus  philosophie  scolastique,  c(uoi- 
(jue  le  sens  soit  étymologiquement  le  même  ;  car  ce  terme 
a  pris  un  sens  plus  restreint  et  désigne  seulement  une  épo- 
<iue,  une  phase  de  la  philosophie  classique. 

Enfin  le  lecteur  qui  verra  le  cas  que  nous  faisons  de  tous 
les  systèmes,  et  le  soin  avec  lequel  nous  exposons  toutes  les 
erreurs,  pour  mieux  faire  distinguer  la  vérité,  pourra  croire, 
peut-être,  que  nous  revenons  à  ïéclectisme  de  Cousin.  Non, 
encore:  la  philosophie  classique  n'est  pas  éclectique.  Sans 
doute,  il  y  a  du  vrai  dans  tous  les  syst'une.s  ;  nous  disons 
même  que  toute  erreur  (|ui  vient  contredire  une  vérité  clas- 


PRÉFACK  XI 

sique  a  pour  origine  une  autre  vérité  nouvellement  aperçue 
dans  la  première,  mais  mal  vue  et  prise  trop  absolument, 
ou  mal  exprimée  ;  nous  sommes  d*avis  que  les  systèmes  les 
plus  erronés  sont,  dans  la  pensée  de  leur  auteur,  plus  près 
de  la  vérité,  que  dans  leurs  paroles  et  surtout,  que  dans  les 
sens  que  nous  leur  prétons.  Mais  nous  ne  dirons  pas  pour 
cela,  avec  Cousin,  que  pour  avoir  le  vrai  il  suffit  de  réunir 
les  affirmations  fournies  par  tous  les  systèmes  et  d'en  retran- 
cher les  négations.  Cette  épreuve  de  comparaison  ne  saurait 
constituer  un  critérium  de  vérité.  Le  critérium  de  la  philo- 
sophie classique,  c'est  la  raison  de  chacun  et  la  raison  de 
tous  :  la  raison  et  non  pas  Topinion  née  de  Fimagination* 
Avec  cette  règle,  nous  montrons  que  les  systèmes  ne  sont 
qu'une  vue  incomplète  de  la  vérité  ;  mais  nous  jugeons  leS 
systèmes  par  la  vérité  et  non  la  vérité  pai:  les  systèmes. 

Notre  premier  but  est  donc  de  montrer  à  tous  ceux  qui  la 
dédaignent,  que  la  philosophie  est  une  science,  au  môme 
titre  et  à  meilleur  titre  que  les  autres,  et  c'est  l'ensemble 
des  données  certaines  de  cette  science  que  nous  avons  voulu 
exposer.  Mais  cette  exposition  ainsi  conçue  n'existait  pas; 
les  matériaux  en  étaient  épars  dans  des  milliers  d'ouvrages: 
if  fallait  les  réunir;  il  fallait  surtout  les  présenter  dans  leur 
vrai  sens  ;  il  fallait  montrer,  l'histoire  en  main,  que  C(îs 
doctrines  sont  vraiment  classiques.  En  tout  cela  nous  avons* 
pu  nous  tromper  quelques  fois  :  nous  avons  pu  surtout  ôtrc 
incomplet  :  c'est  pour  cela  que  notre  travail  porte  le  titr^ 
fX  essai . 

A  côté  de  ce  but,  nous  en  avions  un  second,  et  c'est  même 
celui-ci  qui  a  été  ^occasion  de  notre  travail.  Obligé  par 
n<itre  charge  de  diriger  nos  élèves  dans  la  recherche  de  la 
vérité,  nous  avons  voulu  trouver    la  solution   de  bien  des 


XU  PRÉPAGE 

questions  qui,  dans  la  philosophie  claBsique,  étaient  encore 
à  l'état  de  problèmes,  et  nos  recherches  personnelles  nouS 
ont  fait  découvrir  des  théories  nouvelles  qui  nous  paraissent 
certaines  et  destinées  à  devenir  classiques.  Bien  des  fois 
môme,  après  les  avoir  trouvées,  nous  nous  sommes  aperçu 
que  nos  théories  étaient  au  moins  en  germe  dans  des  ouvra- 
ges très  estimés,  là  où  nous  ne  les  avions  pas  aperçues  tout 
d'abord.  Ce  sont  ces  théories  nouvelles  que  nous  avons  voulu 
faire  connaître  et  introduire  dans  le  domaine  de  la  philoso- 
phie classique,  dont,  selon  notre  conviction,  elles  ne  s'écar- 
tent pas. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  doit  faire  comprendre 
au  lecteur  en  quel  sens  nous  disons  de  notre  œuvre:  Aon 
novaaednovè.  Le  fonds  de  vérité  reste  le  môme,  mais  le 
point  de  vue  est  nouveau  et  souvent  les  arguments  que  nous 
en  apportons  ou  les  explications  que  nous  en  donnons  nous 
appartiennent  en  propre  et  constituent,  croyons-nous,  un 
progrès . 

Non  offrons  cet  écrit  à  nos  élèves  d'abord  et  ensuite  à 
tous  les  jeunes  gens  qui  étudient  la  philosophie,  et  dans  ce  sens 
encore  notre  livre  est  une  philosophie  classique.  C'est  pour 
cela  que  nous  y  donnons  bien  des  détails,  qui  seraient  inu- 
tiles, si  nous  n'avions  d'autre  but  que  celui  que  nous  avons 
«xposé  d'abord.  Nous  avons  voulu  pour  cela  être  assez  com- 
plet, en  restant  assez  bref,  n'offrir  que  des  doctrines  sûres 
et  réfuter  toutes  celles  que  les  élèves  peuvent  plus  facile- 
ment rencontrer  et  qui  pourraient  les  tromper. 

Quelques  lecteurs  attendent  sans  doute  que  nous  indi- 
quions ici  les  questions  sur  lesquelles  nous  avons  des  vues 
nouvelles.  Il  nous  serait  dijficile  d'en  donner  la  liste,  car  elles 
sont  nombreuses  et  répandues  partout,  dans  l'ouvrage.  Nous 


PRÉFACE  Xm 

indiquerons  cependant  les  plus  importantes.  En  logique  :  la 
théorie  des  idées,  la  nature  de  la  pensée,  la  science  du  lan- 
gage, la  théorie  du  raisonnement  et  surtout  de  Tinduction, 
enfin  la  certitude  et  l'évidence,  où  nous  croyons  avoir  résolu 
le  problème  de  Kant  et  de  tous  les  sceptiques,  sur  le  passage 
du  subjectif  à  l'objectif.  En  métaphysique  :  Tidée  générale 
de  cette  science  et  par  là-même  tout  ce  qu'elle  renferme.  En 
psychologie:  la  nature  des  facultés;  la  théorie  de  la  raison, 
dans  laquelle  nous  croyons  avoir,  en  exposant  la  vérité, 
montré  l'origine  des  doctrines  de  Platon,  d'Aristote  et  de 
Malebranche,  et  leur  accord  ;  la  théorie  des  habitudes,  où 
revenant  à  une  doctrine, aujourd'hui  oubliée,  de  S.  Thomas, 
nous  avons  pu  changer  la  face  de  la  psychologie,  et  particu- 
lièrement expliquer  d'une  manière  que  nous  croyons  plus 
vraie  toutes  les  opérations  intellectuelles.  En  théodicèe,  nous 
croyons  avoir  résolu  la  difficulté  sur  la  preuve  métaphysique 
de  l'existence  de  Dieu.  En  morale,  nous  pensons  avoir  pré- 
cisé l'origine  du  droit  et  du  devoir  et  donné  à  la  politique  sa 
véritable  base.  Si  neuves  que  soient  ces  solutions,  elles  n'of- 
frent cependant  rien  de  contraire  aux  doctrines  enseignées 
jusqu'ici  par  la  philosophie  classique. 

C'e«t  ce  que  nous  avons  voulu  démontrer  dans  Vhistoire 
de  la  philosophie,  en  même  temps  que  nous  y  démontrons 
l'existence  perpétuelle  d'une  philosophie  classique,  que 
nous  y  limitons  l'indépendance  excessive  de  la  raison,  en 
faisant  voir  que  la  vraie  philosophie  a  ses  racines  dans  la 
tradition,  et  que  nous  redressons,  chemin  faisant,  bien  des 
opinions  fausses  sur  différents  auteurs. 

Maintenant  que  nous  avons  dit  ce  que  l'on  pourra  trouver 
de  bon  dans  notre  livre,  rendons  à  chacun  ce  qui  lui  appar- 

m 

tient . 


XIV  l'RK  K  A(   V 

9 
\ 

Il  est  naturel  qu'en  écrivant  un  résumé  de  la  philosophio 
classique,  nous  ayons  pris  nos  doctrines  partout  où  elles 
se  trouvaient.  Donc,  sauf  les  théories  qui  nous  appartien- 
nent en  propre  et  dont  nous  venons  de  signaler  les  plus 
saillantes  nous  avons  pris  tout  le  reste  dans  les  auteurs 
classiques,  et  il  ne  nous  reste  en  cela  que  le  mérite  ou  le 
défaut  de  Texposition.  Toutefois  nous  avons  peu  emprunté 
aux  contemporains.  Il  n'est  qu'un  seul  auteur  vivant  dont 
nous  ayons  conscience  de  nous  Otre  approprié  les  théories, 
en  les  complétant  à  notre  manière  ;  c'est  M.  Gourju,  dont  le 
Cours  de  philosophie  nous  a  fourni  bien  des  idées  et  surtout 
des  points  de  vue  excellents .  Nous  en  conseillons  volontiers 
la  lecture  :  c'est  un  petit  livre  dont  le  mérite  est  de  beau- 
coup au-dessus  de  la  grandeur  de  son  format. 

Pour  l'histoire  de  la  philosophie  nous  avons  consulté  lej? 
ouvrages  originaux  toutes  les  fois  que   nous  l'avons  pu  ; 
nous  avons  compulsé  toutes  les  histoires  de  la  philosophie, 
grandes  et  petites  ;  mais  le  plus  souvent  nous  avons  suivi 
pas  à  pas,  comme  plus  clair,  plus  précis  ou  plus  complet,  le 
Dictionnaire  des  sciences  philosophiques  de  M.   Franck,  â*" 
édition,  1875 — 1876.  C'est  à  notre  grand  regret  que  nous, 
de  l'avons    plus    d'une   fois    contredit;    car,    en  dehors 
ces  erreurs  de  détail,    et  du  reproche  que  l'on  a  fait  jus- 
tement à  cette  dernière  édition  de  n'être  pas  assez  au  cou- 
rant de  la  science,  pour  certains  articles,  nous  faisons  le  plus 
grand  cas  de  cet  ouvrage . 


ERRATA 

Bien  des  fautes  ont  échappé  h  la  vigilance  des  correcteurs, 
mais  elles  sont  généralement  de  nature  h  être  corrigées  en  lisant. 
Nous  n'indiquerons  que  celles  qui  pourraient  amener  quelque 
confusion. 

Paf/e  85,  figne  24,  lisez  :  Affxrmatio  et  negatio  cjnsdem 
de  eoflem,  siib  eodem  respect n. 

Page  113,  ligne    8,  effacez  :  (2*  régie  :  L^^??/*  etc. 

F^age  114,  ligne  12,  a^joutez  à  la  lin  :  E  I  0. 


Page  2:20,  ligne  30,  lisez 

Page  289,  ligne  32,  lisez 

Page  292,  ligne  21,  lisez 

Page  301,  ligne    4,  lisez 

Page  355,  ligne    7,  lisez 

Page  387,  ligne  29,  lisez 

Prt^e  391,  ligne    3,  lisez 

Pa^e  443,  ligne  35,  lisez 

Pa^e  448,  ligne  32,  lisez 

Po;^^  453,  ligne  18,  lisez 


qui  seules  sont  de  nature... 
entre  ces  organes  et  TAme. 
Tabîme  que  nous  ouvre. . . . 
que  leur  doctrine  est  celle... 
30;  Origine  nécessaire. 
au  VI''  siôcle  après  .I.-C. 
guis  enim  hœc, 

(6«  siôcle). 

L'âme  est  un  nombre  ; 

Page  605,  â  la  /?>?,  ajoutez  ;  de  la  Providence,  et  Ques- 
tions naturelles. 

Page  666,  ligne  16,  lisez  :  Jean  Ruysbroeck. 

Page  724,  ligne  33,  lisez  :  d'un  amour  ardent  pour.... 

Page  741,  ligne  16,  lisez  :  né  en  1639,  à  Dourdan,  ou  plus 
prabablement  à  Paris,  selon  la  découverte  qu'en  a  faite,  en  1855, 
M.  Jal. 

Page  783,  ligne  29,  lisez  :  2"  le  moi  détermine  le  nonrmoi. 

Ajoutons  encore  quelques  explications  sur  certains  mots  que  Ton 
pourrait  prendre  dans  un  sens  faux . 

!<►,  page  1.  Quand  nous  disons.  «  C'est  cette  connaissanc 
qui  met  l'homme  au  dessus  des  autres  créatures  »,  il  est 
évident  que  nous  voulons  dire  :  au  dessus  des  créatures 
privées  de  connaissance^  et  non  :  au  dessus  de  toute  autre 
créature  que  l'homme. 


XVI  BXPL  ICÀTION'S 

29  page  186 .  Quand  nous  disons  :  a  Si  donc  nous  voyons  se 
produire  un  acte  mauvais  en  dehoi*s  des  lois  physiques  >,  nous 
n'entendons  pas  :  en  dehors  des  causes  physiques,  mais  :  en 
dehors  du  cours  régulier  do  l'action  naturelle  des  causes  physiques 
et  en  dehors  de  l'emploi  que  les  hommes  peuvent  en  faire  ;  car  nous  ' 
n'entendons  pas  dire  que  les  démons  puissent  déroger  aux  lois  phy- 
siques. Notre  pensée  est  qu'un  fait  qui  suppose  une  cause  intelli- 
gente et  qui  ne  peut  être  produit  ni  par  les  hommes  puisqu'il  est  au 
dessus  de  leurs  moyens,  ni  par  Dieu  puisqu'il  est  mauvais,  mani- 
feste l'action  et  par  suite  l'existence  des  démons. 

3^  page  19d.  Lorsque  nous  disons  :  «  La  raison  suffisante  ne 
peut  manquer  de  ressortir  à  tout  son  effet  »,  Il  ne  faudrait  pas 
ajouter  :  or  la  raison  suffisante  du  monde,  c'est  Dieu  ;  donc  le 
monde  est  étemel  et  infini,  comme  Dieu  ;  car  la  raison  suffisante 
du  monde,  c'est  d'une  part  Vaction  libre  de  Dieu  et  d'autre  part 
comme  terme  de  son  action  une  essence  finie  à  réaliser.  Et  ainsi 
comprise,  la  raison  suffisante  du  monde  ressort  à  tout  son  effet, 
car,  infinie  du  côté  de  l'agent,  elle  est  essentiellement  finie  dans 
son  terme. 

40  page  232.  «  Le  fait  qu'on  appelle  extase  est  un  fait  de  sensi- 
bilité ».  Non  pas  que  l'extase  ne  puisse  avoir  pour  objet  une  con- 
naissance ;  mais  en  ce  que,  dans  ce  x^as  môme,  c'est  V attrait 
produit  sur  l'Ame  par  cette  connaissance  qui  la  fait  s'oublier. 

5®  page  336.  «  Dieu  suit  un  ordre  qu'il  a  tracé  lui-même  ;  mais 
c'est  lui  seul  qui  exécute  ce  plan.  »  Non  pas  pourtant  en  excluant 
l'action  des  causes  secondes,  qu'il  dirige.  Tocgours  est-il  qu'une 
loi  ne  produit  rien,  sans  un  agent  qui  s'y  conforme,  et  que  les  for- 
ces physiques  naturelles  n'étant  pas  intelligentes  ne  suivent  leurs 
lois  que  parce  que  Dieu  les  mène  dans  ce  sens . 

6*paged65et  ailleurs  quand  nous  taxons  d'erreur  cette  propo- 
sition :  a  Dieu  ne  veut  pas  certaines  actions  parce  qu'elles  sont 
a  bonnes  ;  mais  elles  sont  bonnes  parce  que  Dieu  les  veut  »,  c'est 
parce  que,  pour  nous,  cette  proposition  signifie  que  la  bonté  ou  la 
maliced'un  acte  sont  toujours  déterminées  par  la  volonté  positive 
de  Dieu  ;  ce  que  nous  ne  saurions  admettre  puisque  nous  concevons 
des  lois  moTsàes  né  cessai  reSf  et  que  nous  les  concevons  commodes 
lois,  sans  avoir  besoin  de  consulter  la  volonté  positive  de  Dieu.  Ces 
lois.  Dieu  les  veut  nécessairement,  et  il  les  veut  parce  qu'il  est  bon 
qu'il  les  veuille. 


INTRODUCTIOIV 


L'homme ,  créé  pal*  Dieu ,  puiir  êti'c  le  roi  de  la  Création,  a  rt^cu 
de  son  Auteur  les  moyens  d'arriver  à  la  connai«sance  do  ce  qui  Ten- 
toure,  de  se  connaître  lui-même,  et  de  s'élever  à  la  connaissance  de 
celui  qui  est  par  essence,  et  qui  donne  l'être  û  tout  ce  qui  existe 
en  dehors  de  lui.  C'est  cette  connaissance  qui  met  Thomme  au  des- 
sus des  autres  créatures  et  lui  permet  de  s'en  servir  pour  se  diriger 
librement  vers  sa  fin:  la  connaissance  du  vrai,  l'amour  du  beau,  la 
pi*atique  du  bien. 

Mais  l'homme  ne  naît  pas  dans  cet  état  de  perfection  ;  au  con- 
traire :  il  entre  dans  la  vie  ne  connaissant  rien  de  ce  qu'il  va  y  ren- 
contrer, ne  se  connaissant  pas  lui-même;  il  est  dans  la  plus  com- 
plète ignorance  ;  mais  les  objets  qui  frappent  ses  sens  font  éprouver 
k  son  Ame  des  sensations  diverses  qui  sollicitent  son  activité;  il 
réagit  spontanément  contre  ces  impressions  et  dès  lors  il  se  sent 
vivre. 

11  apprend  ainsi  à  distinguer  ses  différentes  impressions;  il  re- 
cherehe  les  unes  et  s'éloigne  des  autres.  Bientôt  il  distingue  les 
objets  qui  sont  la  cause  de  ces  impressions,  et,  son  imagination  le« 
reproduisant  devant  son  esprit,  il  sait  les  rechereher  quand  ils  sont 
absents.  Il  pense,  il  connaît,  il  juge,  il  aime  ou  déteste  les  différents 
objets  connus  de  ses  sensations  et  de  ses  sentiments,  et  Tattrait  du 
plaisir  autant  que  les  besoins  de  la  vie  le  pousse  vers  Tétude.  Il 
veut  connaître  les  objets  pour  en  jouir;  il  acquiert  la  science  de  ce 
tiui  se  passe  autour  de  lui  et  de  ce  qu'il  peut  faire  lui-même,  et,  ne 


2  IN  TRODlflTION 

pouvant  par  lui-nuuue  tout  étudier,  il  demande  aux  aiiti'os  liDinines 
la  communication  de  ce  qu'ils  savent. 

Voilà  la  raison  et  le  mobile  de  Télude. 

Mais  si  la  connaissance  des  objets  (|ui  lui  sont  inférieurs  inté- 
resse r homme  à  un  si  haut  degré,  doit-il  rester  indift'éreut  à  la  con- 
naissance de  lui-même?  S'il  titiuve  tant  de  sujets  d'admiï*ation  dans 
des  phénomènes  passagers,  qui  se  produisent  sons  ses  veux,  ou  sans 
lui,  ou  par  lui,  combien  doit  lui  pamître  idus  admirable  celui  qui  a 
créé  toutes  ces  choses,  et  qui  Ta  ci-éé  lui-même?  Car  qulpourmii  ù 
la  vue  d'une œuviv  aussi  merveilleuse  ne  passe  dire:  Si  lesœuvivs 
sont  si  belles,  quelle  doit  étixî  rintelligen(e,  quelle  doit  être  la  puis- 
sance de  l'ouvrier?  Aussi,  l'homme  qui  admire  les  harmonies  inef- 
fables des  êtres  de  la  nature,  qui  ne  le  connaissent  pas,  veut  se  con- 
naître lui-même,  qui  les  connaît;  il  veut  surtout  en  connaître  l'Au- 
teur* Et  ce  désir  entraîne  l'homme  vei's  la  plus  sublime  de  toutes 
les  sciences,  vers  la  philosophie. 

Mais  au  seuil  même  de  cette  étude,  un  obstacle  l'arrête. 

Qaand  il  a  voulu  coiuiaître  les  cor[)s,  il  n'a  eu  qu'à  les  observer 
attentivement,  car  ses  sens  ks  lui  manifestaient  ;  mais  comment 
fera-t-il  pour  étudier  en  lui-même  ce  queh^ue  chose  d'insaisissable 
qui  dit  :  moi  ;  son  àme  qui  ne  se  voit  ni  ne  se  touche?  Comment 
fera-t-il  pour  étudier  le  Créateur  dont  il  voit  bien  les  œuvres, 
mais  qu'il  no  voit  pas  lui-même. 

C'est  cette  condition  de  Thomm.^,  vis-à-vis  des  études  philoso- 
phiques, qui  jeta  dans  l'erreur  les  premiers  philosophes.  Thaïes, 
Pythagore,  et  leurs  disciples.  Ne  voyant  pas  la  cause  de  l'Uni vei*s 
et  ne  sachant  comment  la  découvrir,  ils  la  supposèrent  et  s'égai'ê- 
rent  pendant  deux  siècles  dans  des  hypothèses  conti'adictoires. 

Leur  insuccès  rendit  plus  circonspects  ceux  qui  vinrent  après 
eux.  Socrate  se  contenta  de  ramener  la  philosophie  à  Tétude  de 
rhomme«  Ses  disciples,  Platon,  Aristote,  Epicure  et  Zenon,  quoi- 
que prenant  des  routes  opposées ,  comprirent  que  la  philosophie  a 
besoin  d'une  méthode  et  ils  essayèrent  de  tracer  les  lois  de  la  con- 
naissance en  général.  Aristote  l'éussit  mieux  que  les  autres  dans 
cette  voie,  et  sa'logique,  quoique  incomplète,  est  restée,  non  pas  inat- 
taquée, mais  inattaquable. 

Toutefois,  dans  l'application,  on  s«  trompa  encore  bien  des  fois, 


INTRODUCTION  îi 

dans  les  siècles  suivant»,  et  bien  des  fois  encore  l'instniment  de  la 
philosopliie  fut  remis  on  cause. 

Quant  à  nous,  éclairifs  par  les  efforts  et  même  par  les  en^eurs  de 
ceux  qui  nous  ont  piH>cédés  dans  la  voie  que  nous  entreprenons  de 
parcourir,  nous  distinguei-ons  plus  facilement  les  vrais  sentiers. 

Aussi,  avant  d*aborder  la  science  des  esprits,  nous  allons  jeter  un 
i*i4>ide  coup  d'œil  sur  la  science  on  p:énéi*al  ;  nous  la  prendrons  k 
son  germe  ;  nous  la  verrous  se  développer  et  s'étendre  ù  tous  ksi 
objets  qu'elle  peut  atteindre.  Nous  pourrons  ainsi  en  examiner  les 
bases  et,  quand  nous  en  aurons  reconnu  la  solidité,  nous  pourt*ons 
avancer  avec  une  sécurité  pax*faite. 

Ce  travail  nous  permettra  de  nous  faire  une  idée  exacte  de  la 
phiiosopliie,  car  nous  verrons  la  place  qu'elle  o^^cuiie  parmi  Ioîj 
.sciences. 

De  ridée  nette  et  précise  de  la  philosophie ,  nous  tirerons  la 
division  la  plus  nalui'elle  de  cotte  science  et  le  plan  de  notre 
ouvraire. 


1.  DR  LA  SCIENCE  EN  GÉNÉRAL 


1.  Idée  première  de  la  science. —  La  Science  selon  la  pre- 
mière idée  que  ce  mot  offre  h  notre  esprit,  est  le  dernier  dévelop- 
pement de  ce  que  nous  appelons  en  général  la  connaissQnce. 

2.  Connaiseaiiee.  —  Toutes  les  fois  que  nous  sommes  infor- 
més d*un  objet  quelconque,  de  ses  qualités,  ou  simplement  de  son 
existence,  nous  disons  que  nous  connaissons  cet  ol^et,  ses  qualités 
ou  son  existence. 

'S.  ConnaissMuee  actuelle.  —  Tant  que  dure  Tinformation 
d'un  objet,  la  connaissance  est  actuelle. 

Mais  quand  cette  information  a  cessé,  il  nous  reste  souvent  Le 
pouvoir  de  le  faire  reveu|i%  et  dans  ce  cas,  lors  même  que  nous  ne 
pensons  pas  à  cet  objet,  on  peut  dire  encore  que  nous  le  connaissons  : 
e^est  la  connaissance  habituelle. 


4  INlRODUCnO.N 

4.  Connaiftsanee  habituelle.  —  La  connaisisanee  esi  liabi- 
tiU3lle,  môme  au  moment  où  nous  ne  pensons  pas  &  un  objet,  quand 
nous  avons  le  pouvoir  de  nous  en  informer,  sans  le  secours  de 
l'objet. 

C*est  là  le  sens  le  plus  ordinaire  du  mot  connaissance. 

5.  Coanaissaiice  proprement  dite.  —  On  appelle  propre- 
ment connaissance  une  disposition  (ou  habitude)  par  laquelle  nous 
pouvons  de  nous -mêmes  nous  informer  d'un  objet  sans  qu'il  soit 
présent. 

Ex.:  Patd  confiait  la  géométne.  Je  ne  dis  pas  par  là  qu'il 
y  pense,  mais  qu'il  peut  de  lui  môme  y  penser. 

0.  Objets  de  la  connaissance.  —  Tout  ce  qui  est  et  tout  ce 
qui  peut  être  est  l'objet  de  la  connaissance.  Mais  : 

7.  Objets  divers.—  Nous  ne  connaissons  directement  que 
ce  qui  se  manifeste  à  nous,  et  même  que  les  manifestations  elles- 
mêmes. 

Nous  voyons  :  rouge,  noir,  blanc,  etc.;  grand,  petit,  long, 
carré,  etc.  ;  mobile,  immobile,  etc.  ;  nous  touchons  :  dur,  mou, 
solide,  liquide,  chaud,  froid,  grand,  petit,  etc.  Ce  sont  là  des 
'  manifestations. 

8.  Phénomènes. —  On  appelle  phétiornênes  toutes  les  mani- 
festations des  êtres.  Les  phénomènes  sont  les  seuls  objets  dii'ects? 
de  notice  connaissance. 

9.  Objets  indirects.—  Tandis  que  nous  ne  i)ercevons  que  des 
phénomènes,  notre  esprit  se  porte  de  lui-même  et  nécessairement 
sur  les  êtres  que  ces  phénomènes  nous  manifestent. 

Quand  nous  voyons  roxK^ge,  noir  ou  blanc  nous  pensons  aussitôt 
à  quelque  chose  de  roug'e,  quelque  chose  de  noir,  quelque  chose  de 
blanc. 

Ce  quelque  chose  c'est  Tétine  manifesté  par  les  phénomènes. 

10.  Substance. —  On  donne  le  nom  de  substance  à  l'être  qui 
nous  est  manifesté  par  les  phénomènes. 

Elle  est  l'objet  indirect  de  notre  connaissance ,  c'est  à  elle  que 
nous  attribuons  tous  les  phénomènes. 
Nouft  disons  :  c'est  blanc,  c'est  dur-,  c'est  mou,  c'est  chaud,  ew. 


INTRODUCTION  O 

Le  pronom  ce  signifie  cet  être  ou  cette  substance, 

11.  Rapports. —  En  réfléchissant  aux  objets  que  nous  connais* 
sons  nous  comprenons  bientôt ,  que  si  tel  objet  se  monti^  à  nous 
rouge,  tandis  qu*un  autre  se  montre  blanc,  il  j  a  là  deux  actions 
différentes  de  ces  objets  sur  nous,  et  par  suite  deux  rapports  diffé- 
rents avec  nous.  Nous  disons  alors  que  les  substances  qui  se  mon- 
trent à  nous  avec  des  phénomènes  différents  sont  avec  nous  dans 
des  rapports  différents. 

12.  Propriétés. —  Mais  si  les  substances  'sont  avec  nous  dans 
des  rapports  différents,  tandis  que  nous  ne  changeons  pas,  c'est 
qu'elles  différent  entre  elles  ;  si  elles  agissent  différemment  sur 
nous,  c'est  qu'elles  peuvent  agir  ainsi,  c'est  qu'elles  ont  des  pro- 
priétés différentes. 

Dès  loi*s  nous  concevons  dans  les  substances  ces  propriétés  qui 
diffèrent  entre  elles  comme  leurs  phénomènes.  ' 

13.  Résumé. —  Ainsi  les  substances  ont  de^  propriétés  diffé- 
rentes qui  les  mettent  avec  nous  dans  des  rapport*  différents,  ce  qui 
fait  qu'elles  agissent  sur  nous  diveraement,  et  ces  actions  diver- 
ses sur  nous  sont  des  phénomènes  différents  qui  nous  les  font  cwz- 
n^tre  et  distinguer.  * 

Donc  le  premier  degré  de  la  connaissance  est  la  perception  d'un 
phénomène. 

Le  second  degi*é  qui  accompagne  nécessairement  pour  nous  le 
premier,  c'est  la  conception  de  l'être  ou  substance  que  ce  phénomè- 
ne nous  manifeste. 

Le  troisième  degré  est  la  conception  des  propiîétés  diverses  des 
substances,  comme  cause  de  leurs  différents  rapports  avec  nous,  et 
par  suite  la  distinction  des  différents  êtres. 

—  Arrivés  à  ce  point  nous  pouvons  conclui'e  que  les  phénomènes 
des  substances  sont  différents,  que  leurs  propriétés  sont  différentes. 
Mais  rien  ne  nous  dit  si  les  substances  diffèrent  en  elles-mêmes. 

14.  Connaissance  certaine  ou  incertaine. —  La  connais- 
.sance  d'un  objet  est  certaine  quand  nous  savons  que  l'objet  ne  peut 
Otre  auti-ement  que  nous  ne  le  connaisson??.  Quand  cotte  condition 
manque,  la  connaT?isnnf*e  est  inceHnine. 


0  INTRODUCTION 

S*il  s'agissait  seulement  de  la  connaissance  actuelle,  cette  condi- 
tion serait  facile  à  idéaliser,  car  l'objet  qui  est  tel  actuellement,  ne 
peut  pas  en  même  temps  ôtre  autœment. 

Mais  la  connaissance  étant  surtout  la  connais.<aurv  habituelle, 
elle  ne  peut  (*ti«e  cei-taine  que  loi-sque  Tobjot  en  est  invanable. 

En  effet,  je  ne  puis  pas  d'ivc  que  je  connais  connue  i-ougo,  un  objet 
qui.  peut  Hve  rouge  aujouiHl*hui  et  blanc  demain. 

15.  Objets  de  la  conaaissance  certaine. —  i^a  connaisi>aQcc 
certaine  ne  peut.iK)i'ter_(iue  sur  des  objets  invariables. 

Or,  les  phêiiouif^nes  des  (Hres  ne  sont  pas  toujoui's  les  mêmes  ; 
leurs  propriétés  varient  donc  avec  eux  ;  leurs  rapports  avec  nous 
et  entre  eux  ne  sont  donc  pas  toiyoui-s  les  mêmes. 

Quel  peut  donc  être  l'objet  de  la  connaissance  certaine. 

10.  Lois. —  Si  les  phénomènes  des  êtres  varient  avecleui^  pro- 
priétés et  leurs  i'ap[K)i'ts  mutuels,  il  v  a  quebiuc  chose  qui  ne  chan- 
ge pas. 

Ce  qui  ne  change  pas  c'est  la  règle  de  la  pi\xlnction  des  phéno- 
mènes. 

La  règle  des  phénomènes  consiste  en  ce  que,  les  mêmes  pi'oprié- 
tés  ne  |>euvent  produii^;  que  le  même  phénomène,  et  ivci  pleine- 
ment que  le  même  phénomène  est  toujours  pi-oduit  par  les  mêmes 
propriétés. 

Cette  règle  des  phénomènes  constitue  une  loi  univei'selle,  qui 
se  siilnlivise  en  autant  de  lois  parficulièivs  qu'il  v  a  de  cninbinai- 
stons  possibles  entre  toutes  les  difïéiientes  propriétés. 

Et  ces  lois  paiiiculièros  sont  aussi  invariables  (jue  la  loi  univer- 
selle. 

Ainsi,  tandis  que  la  loi  univei'selle  dit  :  fe  ytiême  concours  de 
propriétés  ne  'jïeut  produire  que  le  me  tue  phénomène;  une  loi 
pai*ticulièi«  dit:  tel  concours  de  propriétés  ne  peut  produire  que 
tel  phénomène. 

IjCS  lois  sont  donc  Tohtjet  de  la  connaissance  certaine. 

17.  Science. —  Nous  avons  dit  que  la  science  est  le  dernier  d'-^ 
veloppement  de  la  connaissance.  La  connaissance  certaine  est  plus 
parfaite  que  la  connaissance  inceHaine.  D'ailleurs,  les  lois  des 
êtres  sont  ce  que  nous  pouvons  connaître  de  plus  profond  dans  les 


I 


INTRODUCTION  7 

êtres:  car  la  substance  nous  échappe.  Donc: 
La  Science  est  la  connaissance  des  lois  des  êti'es. 
Toutefois,  il  y  a  deux  maniôi'es  de  connaître  les  lois  des  ôtres. 

V  parle  t^^moignage d'uu  auti*oqui  lésa  étudiées  et décourertes, 
et  qui  se  contente  de  les  affirmer. 

2"  par  sa  propre  recherche  et  en  se  rendant  compte  de  la  l'aison 
j>our  laquelle  on  affirme  telle  loi. 

La  première  manière  n'est  pas  précisément  la  science;  si  elle  est 
unie  h  une  disposition  pi'atique  on  l'appelle  un  art. 

La  seconde  est  plus  parfaite  :  c'est  donc  à  elle  que  convient  le 
nom  de  science. 

Donc  : 

L\  SCIENCK  K^T  LA  CONNAISSANCK  RAISONNÊK  DKS  LOIS  DES 
tTREîS. 


2.  DIVISION  DE  LA  SClEiNCK 

18.  Etendue  de  la  science. —  La  Science  en  général  s'étend 
â  tout  ce  qui  est  et  k  tout  ce  qui  peut  être  ;  aux  lois  des  phénomè- 
nes et  m-^me  aux  substances  des  choses.  Mais  cette  science  univei*^ 
îfelle  n'appartient  qu'à  Dieu. 

11).  Science  divine. —  Dieu,' tel  que  nous  le  montre  la  philo- 
sophie, d'acroiYl  avec  la  foi  catholique,  connaît  tout,  même  la 
substance  doit,  choses,  et  cela  de  la  science  la  plus  certaine.  Il  y  a 
plus:  sa  science  est  la  loi  même  des  êtres;  elle  détermine  leurs  lois, 
tandis  que  ce  sont  les  lois  qui  déterminent  notre  science. 

20.  Science  humaine. —  La  science  humaine  est  nét^essaire- 
#iient  três-ljornée  :  elle  ne  s'étendra  jamais  î\  la  série  indéfinie  de 
toutes  les  lois  passibles  de  tous  les  êtres  possibles  ;  elle  n'atteindra, 
jamais  la  substance  réelle  des  choses. 

La  science  humaine  no  consiste  jamais  dans  la  vue  directe  des 
(îhoses,  mais  dans  une  simple  conception  de  ce  qu'elles  sont.  Nous 
savons  ^jrtre  telle  chose  est  ainsi  ;  que  telle  loi  régit  tel  phénomène  ; 
qué*  nous  existons  ;  que  Dieu  existe  et  qu'il  est  tout-puissant, 


8  INTRODUCTION 

éternel ,  immuable ,  infini  ;  mais  nous  ne  pouvons  voir  la  choëe 
en  elle-même  dans  sa  substance,  ni  uoti'e  ôti*e  propice,  ni  Yéire 
de  Dieu. 

En  deux  mots  :  notre  science  est  abstraite  y  celle  de  Dieu  est 
concrète  ;  ce  qui  veut  dire  que  nous  concevons  les  manières  d'éti-e 
des  choses  avec  leurs  lois ,  tandis  que  Dieu  |)énôtre  dans  le  pl'u.s 
intime  de  Tétre  des  choses. 

Cette  distinction  entre  la  science  divine  et  lu  science  humaine 
en  amène  une  autre. 

21.  Science  naturelle  à  rhonune. —  Lu  science  humaino 
telle  que  nous  venons  de  la  décrire  est  conforme  à  notre  nature,  et 
notre  nature  s'oppose  à  ce  que,  par  nos  prepres  forces  nous  nous 
élevions  plus  haut. 

Mais  puisque  nous  passons  en  revue  toutes  les  sciences ,  nous  ne 
pouvons  omettre  une  science  qui  d'après  la  doctrine  catholique  est 
donnée  à  Thomme  par  Dieu. 

Sans  entrer  dans  l'examen  de  l'existenco  de  cette  science,  ce  qui 
n'est  pas  du  domaine  dii'ect  de  la  philosoj^hio,  constatons  que  l'E- 
glise catholique  enseigne  que  Dieu  communique  à  l'homme  sa  pre- 
pre  science. 

22.  Science  surnatureUe.  —  La  science  di\  ine  communiquée 
a  rhommc  pi^r  le  moyen  que  l'Eglise  catholique  appelle  la  Foi  est 
une  science  surnaturelle  ;  ce  qui  veut  dire  qu'elle  est  au-<Iess»s  d*' 
la  science  possible  d'une  créature  quelconque. 

23.  Théologie.—  La  Foi  ou  science  surnaturelle  unie  à  laplii- 
losophie  qui  eu  tire  des  conclusions,  a  formé  la  Théologie,  laquelle 
n*est  par  conséquent  pas  iine  science  humaine,  mais  une  science 
divine  dans  son  principe  et  humaine  dans  ses  développements.  Elle 
est  donc  au-dessus  de  toutes  les  sciences  humaines,  autant  que  la 
science  de  Dieu  surpasse  la  science  des  hommes. 

24.  Possibilité  de  la  science  surnaturelle. —  S'il  ne  nous 
appartient  pas  de  constater  ici  l'existence  de  la  science  surnaturelle 
dans  l'homme^  constatons  au  moins  qu'elle  ne  répugne  pas  il  la 
raison:  ^ar  rien  n'empêche  que  r>ie?i  instruise  l'homme  quand  et 


INTRODUCTION  9 

comme  il  lui  plait.  11  peut  donc  Tavoir  instruit  de  quelque  chose 
qui  surpasse  la  science  naturelle  à  Thomme. 

25.  Influence  de  la  sciencb  surnaturelle  sur  la  science 
naturelle.. —  Le  philosophe  de  bonne  foi,  qui  étudie  Thistoii^e 
de  la  pensée  et  de  la  science  dans  les  âges  qui  nous  ont  précédés, 
est  obligé  de  reconnaître  un  fait  incontesta»ble  :  c'est  que  la  vraie 
science  humaine  n*a  commencé  à  produire  ses  fruits  dans  le  genre 
humatH  que  depuis  rétablissement  du  Christianisme,  et  que  Ton 
ne  peut  attribuer  qu'à  l'influence  de  la  foi  et  de  la  théologie,  la 
ûxité  d'un  certain  nombre  d^  doctrines  philosophiques,  qui  sont 
aiyourd'hui  regardées  comme  certaines  par  tous  les  philosophes  de 
bon  aloi.  Avant  la  diffusion  des  doctrines  catholiques,  les  hommes 
les  plus  illustres ,  les  plus  profonds  penseurs ,  ont  pei'pétuellement 
flotté  entre  Taffirmation  et  la  négation  des  vérités  qui  nous  parais- 
sent aigourd'hui  les  plus  incontestables. 


:].  CLASSIFICATION  DES  SCIENCES  HUMAINES 


26.  Objet  des  sciences  humaines. —  Les  sciences  humai- 
nes ont  pour  objet  les  lois  des  êtres,  et  par  suite  tous  les  êtres. 

On  peut  donc  classer  les  sciences  selon  les  différentes  classes 
d'êtres,  et  selon  les  diverses  lois  que  la  science  y  considère. 

27.  Corps  et  esprits.  —  Les  éivcU  que  nous  connaissons  se 
rangent  dans  deux  grandes  classes  :  les  corps  et  les  esprits. 

Nous  appelons  corps  les  êtres  qui  ont  une  étendue,  et  par  s^ite 
occupent  un  espace. 

Nous  appelons  esprits  les  êtres  qui,  n'ayant  pas  d'étendue,  sont 
capables  de  penser. 

28.  Science  des  corps  et  science  des  esprits. —  La  première 
division  à  établir  dans  les  sciences  est  donc  :  Sciences  des  corps 
et  sciences  des  esprits.  On  a  doiyié  aux  premières  le  nom  de  science? 
rosmolo^iques,  et  aux  secondes  le  nom  de  sciences  nooîogiques. 


10  INTRODUCTION 

29.  BubdivisioB  des  sciences  eosmologiqoes,  ou  sciences 
des  corps. —  lies  sciences  qui  ont  pour  objet  les  coq)»  se  divi.«ent 
en  quatre  classes. 

t^.  Sciences  mathématiques. —  l**  Les  sciences  mathémati- 
ques ont  pour  objet  les  propriétés  communes  à  tous  les  corps,  telles 
que  l'étendue,  le  nombre  et  le  mouvement,  mais  elles  considèrent 
ces  propriétés  d'une  manière  abstraite,  c'est-fl-dire,  en  dehors  de 
tout  corps  quelconque. 

.*n.  Sciences  naturelles. —  2*'  Les  sciences  naturelles  ont 
pour  objet  la  constitution  natuiH3lle  des  corps,  et  les  distinctions  qui 
en  résultent. 

.*^3.  Sciences  physiques.  —  3^  Les  sciences  physiques*  ont  pour 
objet  les  modifications  des  corps. 

.'^'i.  Sciences  médicales. —  4^  Les  sciences  médicales  ont  })our 
objet  les  peilurbation^  qui  peuvent  survenir  dans  Torganisat ion  des 
corps  que  Ton  appelle  org^anisés,  et  les  moyens  de  remédier  à  ces 
pei'turbations. 

34.  Subdivision  des  quatre  classes.  —  Clhacune  de  ces 
quatre  classes  comprend  plusieurs  oi^dres  de  sciences  que  nous  dé- 
taillerons plus  loin  clans  un  tableau  synoptique. 

35.  Division  des  sciences  noologiques  ou  sciences  des 
esprits.  —  Les  sciences  noologiques  sont  d*aIjord  générales  ou 
spéciales  selon  qu'elles  s'occupent  de  tous  les  esprits  et  de  leurs  rap- 
ports essentiels,  ou  seulement  de  certains  rapports  entre  les  hommes. 

«¥>.  Sciences  noologiques  générales.  —  Les  sciences  qui 
ont  pour  objet  tous  les  esprits  et  leurs  rapports  essentiels  sont  com- 
prises sous  le  nom  de  Philosophie. 

37.  Sciences  noologiques  spéciales. —  Les  sciences  qui 
ont  pour  objet  certains  rapports  entre  les'  Ames  humaines  forment 
treis  classes. 

38.  Sciences  dialegmatiques  —  1°  Les  sciences  dialegma- 
tiques,  qui  ont  pour  objet  les  moyens  de  communication  entre  les 
Âmes  humaines. 


INTRODUCTION  11 

30.  Sciences  historiques.  —  2^  Les  soiencos  historirjncs,  qui 
ont  pour  objet  les  faits  moi*aux  les  plus  importants  qui  se  sont  pro- 
duits parmi  les  hommes. 

40.  Sciences  sociales. —  ti^  Les  sciences  sociales,  <|iii  ont 
pour  ol)j«t  les  relations  sociales  des  hommes. 

41.  Subdivision  des  sciences  noologiques. —  Nous  in- 
diquei^ons  les  su Ixii vissions  de  ces  quatre  elasFcs  de  sciences  dans  le 
tableau  synoptique  qui  suit. 


x 


TABLEAU    SYNOPTIQUE   DE  L 


MATIlÉMATIQfES,    qui    ont    ))our  ob} 
I      l'ahstraclion  des  propriélés  a 
1      tous  les  corps. 


lN'ATUnE[,LES,  qui  ool  pour  objet  la  coa 


(  CosmologiqiMS  ,       tilution  naturelle  des  corps 
I      (jui  ont  pourob-/ 

jet    les  lois    ilcs\ 

'^«'■P»-  PHYSIQUES,  qui  ont  pour  objet  les  n 

llcalions  t'es  corps. 


\\ 


e 


I  MÉDICALES,  qui  ont  pour  objet  les  pi 
lurbalions  dos  corps  organisés.  Eli 
étudient  : 


i  ont  pour  objet  tous  les  esprits  et  lei 
rapports  csscnliels 

UIALEGM.^TIQUES,  qui  ont  pour  oli 
les  moyens  de  communication  entre 
flmes  humaines. 

ImSTORlQl/ES,  qui  ont  pour  objet 
faite  moraux  les  plus  importants  qui 
sont  produits  parmi  les  hommes. 


jelc 

lams  rap-  \ 

ports  en- 
tre les 

Ames  hu-l 

malnes.  f  SOCIALES,  qui  ont  pour  objet  les    re- 
lions sociales  des  homnu's. 


UsStFtCATION    DES    SCIENCES    HUMAINES 


r 


^  nombre Arithmétique  et  Algèbre. 

Rendue Géométrie. 

imouvement Mécaniq%u. 

m  trois  appliqués    dans  TUni- 

;  '^'^ Astrofiomie. 

IDrps  inorganiques Minéralogie,  Géologie  et  Géogra- 

phie  physique. 
j  végétaux  Botanique. 
organisés | 

I  animaux  Zoologie. 
ne  changent  pas  la  nature 

«*^  *^orps Physique. 

changent     la     nature    des 

forps Chimie. 

propriétés    médicales    des 

«^«'ps Physique  médicale. 

conservation  de  la  santé fiygihne. 

causes  et  les  distinctions  des 

maladies Nosologie. 

traitement  des  maladies Médecine  pratiqua. 

PHILOSOPHIE. 

festation  des  pen- 1  correcte .    Grammaire 

•ées \  élé -jante.  Littérature  et  Rhétorique. 

festation  des  sentiments...  Esthétique. 
mission  des  connaissances.  Pédagogie. 

faits  eax-mômes Histoire. 

temps .'.   Chronologie. 

lieux  des  faits Géographie  politique. 

ons     entre    les    membres 

d*ane  même  société. . .  : Législation. 

ÉBiinistration    des    biens    pu- 

f  blics Economie  politique. 

Hense  de  la  société Science  militaire, 

étions   entre  les  divers  peu- 
ples et  théorie  du  pouvoir, . .  Politique. 


\  j« 


14  INTRODITTION 

Nous  n'avons  pas  fait  entrer  dans  ce  tableau  la  Théologie,  parce 
que  ce  n'est  pas  une  science  pui'ement  humaine,  mais  une  science 
tout  ù  la  fois  divine  et  humaine.  Ce  qui  justifie  à  son  ôjrard  cette 
parole  que  le  moyen  Age  a  prononcée  et  que  les  modernes  ontsiamô- 
l'ement  blAmc^e  :  PhilosojMa  ancilla  Iheologiœ,  Rien  n'est  plus 
vrai;  car  la  philosophie,  qui,  comme  nous  le  verrons  bientét,  est  la 
plus  sublime  des  sciences  humaines,  ouvre  la  porte  à  la  théologie  et 
lui  fournit  sans  cesse  ses  matériaux  pour  tii'erdes  principes  de  la 
foi,  les  conclusions  <|ui  constituent  la  théologie. 


On  nous  pormetlra  d'ohsorver  ici ,  au  sujet  dps  sciences  en  général, 
(|uc  cortaincs  idées  qu'eUes  supposent  n'ont  pas  reçu  de  nom ,  ce  qui 
mot  souvent  dans  l'pnd)arras  quand  on  veut  en  parler. 

l'ar  exemple  ce  qu'on  appelle  la  géométrie ,  n'est  pas  pi-écisement  la 
frience  de  l'étendue,  mais  plutùt  un  ensend>lc  de  lofs  que  l'on  connaît 
(|uand  on  connaît  la  géométrie,  quand  on  a  la  science  de  la  géométrie. 
l'iH  eftet  on  étudie  la  géométrie,  on  n'étudie  pas  la  science  de  l'éten- 
due ;  mais  on  étudie  la  géométrie  pour  arriver  à  pos.séder  la  science 
fie  l'étendue. 

iJonc  i)our  éti-e  pr^îci.s  et  logique  on  ne  devrait  pas  détinir  la  géomé- 
trie, /a  ."iricvicc  de  retendue,  ni  l'arithmétique,  7a  ^c/e/ice  des  nom- 
bres ,  etc  ;  on  devrait  remplacer  le  mot  science  par  l'Idée  de  en^emUe 
(leA  loi».  Mais  c'est  trop  long  :  c'est  pour  cela  qu'on  ne  le  fait  pas. 

Nous  proposons  donc  d'appeler  nom  te  cet  ensemble  de  lois  qui  fait  l'ob- 
jet de  toute  Fcience,  et  que  les  latins  appelaient  ratio  :  mot  que  la 
langue  française  ne  peut  pas  traduire.  Noua  aurions  ainsi  la  nomie  de 
rétendue,  la  nomie  des  nombi'es,  la  nomie  des  mots,  la  nomie  des  sons,  etc. 

On  appellerait  ensuite  logie,  la  connaissance  raisonnée  d'une  nomie  qiiel- 
conque, et  pi'a.r/e la  connaissance  non  raisonnée  mais  pratique  de  celte 
mAme  nomie.  Nous  aurions  «ilors  en  peu  de  mots,  par  exemple  : 

La  mu.sique  est  la  nomie  des  sons. 

La  science  musicale  est  la  lo^ie  des  sons. 

L'art  musical  est  la  praxie  des  «ions. 

On  dirait  de  même  pour  tous  les  arts  et  pour  toutes  les  sciences. 


PHILOSOPHIE  CLASSIQUE 


GÉNÉRALITÉS 


I.  —  OBJET  DE  LA  PHILOSOPHIE 


J.  •D'après  la  classification  qui  précède,  la  philosophie  a  pour 
objet  les  lois  de  tous  les  esprits. 

Mais  l'objet  de  cette  science  n'a  pas  toiyoure  été  le  même. 

2.  Temps  primitifii  de  cette  science. —  Les  premiei*s  hom- 
mes qui  se  sont  occupés  des  questions  que  ti^aite  aujourd'hui  la 
philosophie  s'appelèrent  otxpot.  sages,  et  le  but  de  leurs  recherche^ 
ét^iit,  selon  eux,  la  science  universelle  qu'ils  appelaient  o-oçia,  sa- 
gesse. 

Pythagore  fut,  dit-on,  le  premier  qui  se  mettant  à  la  poursuite  <'e 
cette  science  universelle  se  contenta  de  s'appeler  ©iAo<JO'fo;,  phi- 
losophe, c'est-à-dire,  amateur  de  la  sagesse. 

3.  Temps  de  Socrate.  —  Socratc,  avec  son  grand  principe 
v*/â>6i  o-sauTOv,  connais-toi  toi-même,  réduisit  presque  la  philoso- 
phie ih  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  la  morale. 

*  4.  Les  disciples  de  Socrate. —  Ses  disciples,  sans  négliger 
la  pai*tie  morale,  s'adonnèrent  davantage  aux  questions  théoriques. 
Platon,  Aristote,  Epicure  et  Zenon,  faisaient  entrer  dans  la  philo- 
sophie, une  théorie  delà  connaissance,  une  théorie  du  monde,  une 


16.  CE.NKHALITKS 

théorie  de  Dieu  ,  une  théorie  de  ÏAme  humaine.  C'était ,  d*uue  ma- 
niôre  générale,  ]a  science  universelle,  et  ils  appelaient  la  philosophie 
la  science  des  principes,  ou  des  causes,  ou  des  idées,  c'est-ft-dire  des 
essences  des  choses. 

5.  Rome  et  le  moyen  âge.  —  Pendant  la  République  romaine 
et  TËmpii'e  et  au  moyen  Age,  la  philosophie  eut  toujours  le 
môme  objet  qu'au  temps  de  Platon  et  d'Aristote;  on  y  faisait  entrer 
une  certaine  connaissance  générale  du  monde  physique  :  c'était  tou- 
jours la  science  des  principes.  La  philosophie  n'était  autre  chose 
que  la  science  en  général. 

6.  Temps  modernes.  —  Depuis  Bacon  et  Descartes,  les  sciences 
physiques  ayant  pris  u-n  plus  grand  essor,  on  les  sépara  de  la  phi- 
losophie et,  h  mesure  que  chaque  science  pi'cnait  son  objet  déter- 
miné, la  philosophie  fut  restreinte  à  l'étude  des  esprits. 

7.  Objet  précis  de  le  philosophie  moderne.  —  Mais  lu 

philosophie  étant  une  science  purement  humaine,  qui  ne  s'appuie 
pas  comme  la  théologie  sur  la  révélation,  ne  connaît  que  deux  soi^ 
tes  d'esprits:  l'âme  humaine  et  Dieu. 

La  philosophie  a  donc  pour  objet  Vdme  et  Dieu ,  tels  qiCih  nou^ 
sont  connus  par  nos  ressotirces  naturelles  ;  ce  qui  la  distingue  de 
la  théologie ,  qui  étudie  l'Ame  et  Dieu ,  d'api*ôs  les  données  de  la  rêvé* 
lation  divine ,  et  ajoute  h  cet  objet  l'étude  des  anges  que  nous  ne 
connaissons  que  par  la  révélation. 

Cependant  la  philosophie  n*a  pas  entièrement  abandonné  l'étude 
des  principes  des  choses,  car  ce  n'est  quepareux  qu'elle  peut  attein- 
dre son  objet  propre.  C'est  ainsi  que  la  philosophie  étend  encore  son 
domaine  sur  toutes  les  sciences,  dont  elle  examine  les  bases,  discute 
les  méthodes  et  prépare  le  développement  en  guidant  l'esprit  humain 
dans  toutes  ses  i^echei'ches.  Par  h\ ,  elle  justifie  le  titre  qu'on  lui  a 
donné  de  science  des  sciences. 


II.—  DÉFINITION  DE  LA  PHILOSOPHIE 


8.  Fondements  de  cette  définition.  —  On  définit  une  science 
et  on  la  distingue  de  t^ute  autre  par  la  désignation  de  «on  objet . 


DKFINITION     DK     I.A     P  Hll.OSOlMl  IK  17 

Ji'objet  de  la  philosophie  ayant  varié  avoc  le  temps,  la  définition 
(le  cette  science  a  dû  varier  aussi. 


9.  Définitions  diTerses.  —  Elle  a  i^eou  les  définitions  sui- 
vantes : 

Son  nom  d'abord,  ©tXootxpCa,  <iui  signifie  l'echei'clie  do  la  sa- 
f^esse  :  Studium  sapieniiœ  ; 

Twv  apyôiv  hzLfJTr^^Y-''\    science  des  principes  (Aristotk). 

Renim  divinar'uni  atque  humanarum ,  causarumque  quibus 
PΠ res  continenMir  scientia;  la  science  des  choses  divines  et 
humaines,  et  de  leurs  causes  (Cicëron). 

Scientia  ex  primis  pnncipiis  deducta  (Saint-Thomas). 

La  connaissance  de  la  vérité  par  les  premières  causes 
(DeScartes). 

La  raison  des  choses  (Laromiguiëre). 

La  science  de  Thomme  intellectuel  et  moral  dans  ses  rapports^  vec 
Dieu  et  avec  le  monde  (Jouffroy). 

La  science  de  Dieu ,  de  Thomme  et  de  la  société  (de  Bonald). 

La  science  de  la  pensée. 

La  science  de  la  raison. 

Toutes  ces  définitions  ressortent  de  Tobjet  que  chaque  philosophe 
avait  en  vue ,  et  elles  sont  toutes  vraies  dans  le  sens  de  leur  auteur , 
bien  que  quelques-unes  soient  trop  vagues  ou  trop  vastes  et  que 
d'autres  renferment'  des  termes  inutiles. 

10.  Notre  définition.  —  Pour  nous,  ayant  en  vue  l'objet  de  la 
philosophie  tel  que  nous  Tavods  déterminé  plus  haut  et  voulant  dis- 
tinguer cette  science  de  la  théologie  qui  a  presque  le  même  objet , 
nous  définirons  la  philosophie  :  La  science  naturelle  de  L'ame 
ET  de  dieu. 

Science',  c'est-à-dire  connaissance  raisonnée  des  lois  de  tel  ou  tel 
être. 

NùturellCj  c'estrà-dire  acquise  par  les  moyens  qui  sont  du  res- 
sort de  la  nature  humaine  et  non  par  la  révélation. 

IL  Observation  comparative  sur  les  divers  moyens  de 
connaitre  Tâme  et  Dieu.—  Remarquons  à  ce  sigetque  l'homme 
a  plusieurs  moyens  d'arriver  à  la  connaissance  de  son  Ame  et  de 
Dieu. 

♦2 


IS  (iKNKKAI.lTKS 

1".  Le  bon  wna^  \\}x\  n'est  autre  que  la  rai^on  saut»  étude,  est 
uno  sort(^  de  lumière  intérieure  naturelle  ot  innée,  par  laquelle  nous 
jugeons  facilement  des  vérités  qu'il  nous  impnrtc.de  connaître,  dès 
qu'elles  nous  sont  présentées.  Le  bon  sens  est  un  juge  infail  ilile  sur 
les  vérités  qui  sont  de  son  ressort,  mais  comme  il  no  découvre  pas 
par  lui-même  ces  vérités,  il  suppose  l'éducation .  Par  le  bon  sens, 
aidé  de  l'éducation,  tout  homme  a  une  reliai  ne  connaissance  do 
son  âme  et  de  Dieu. 

2°  La  foi  à  la  révélation  faite  par  Dieu  aitm  genre  humain, 
et  dont  V Eglise  catholique  se  déclare  la  dépositaire,  La  foi  en- 
seigne sur  J)ieu  et  sur  l'âme  toutes  les  vérités  qu'il  importe  à 
l'homme  de  connaître  ;  les  unes  sont  du  ressort  de  notre  connaissance 
naturelle,  les  autres  surpassent  tous  nos  moyens  et  sont  une  faible 
participation  à  la  science  divine.  D'ailleurs,  non  seulement  par  les 
vérités  qu'elle  enseigne,  mais  encore  par  la  nature  de  la  connais- 
sance qu'elle  donne  la  foi  est  une  connaissance  surnaturelle. 

3**.  La  philosophie,  qui  est  la  raison  réfléchie.  Elle  se  rend 
compte  des  vérités  admises  par  le  bon  sens  et  même  de  quelques 
unes  des  vérités  qu'enseigne  la  foi,  et  de  plus  elle  découvre  des  véri- 
tés qui  ne  sont  pas  explicitement  exprimées  dans  le  bon  sens,  ni 
dans  la  foi.  Du  l'esté,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  la  philosophie 
est  une  connaissance  naturelle ,  abstraite ,  et  entièrement  différente 
de  la  foi,  môme  quand  elle  s'exerce  sur  les  mômes  vérités. 

4'».  La  théologie,  qui  n'est  autre  chose  que  l'union  de  la  foi  et  de 
la  philosophie  s'exerçant  ensemble  sur  le  môme  objet.  Elle  emprunta 
à  la  foi  toutes  les  vérités  enseignées  par  la  révélation,  et ,  au  moven 
des  vérités  conquises  par  la  philosophie,  elle  arrive  par  le  raisonne- 
ment à  une  connaissance  de  Dieu  et  de  l'âme  que  la  philosophie 
seule  ne  pourrait  jamais  atteindre,  et  que  la  foi  seule  n'enseigne  pas 
d'une  manière  explicite. 

Le  bon  sens  est  pour  tous  les  hommes  ;  la  foi  seule  est  pour  les 
chrétiens  qui  ne  peuvent  se  livrer  à  l'étude  ;  la  philosophie  est 
pour  tous  les  hommes  qui  peuvent  étudier  ;  la  théologie  est  le  pri- 
vilège des  chrétiens  intelligents  et  instruits. 


' 


10 

ni.—  UTILITÉ,  IMPORTANCE,  NÉCESSITÉ  DE  LA 

PHILOSOPHIE 


12.  Emploi  d«8  mots  m  utile ,  important,  néeessaire  ».  — 

Les  mots  vtile  et  important  ne  se  disent  que  des  instruments 
ou  moyens  d'acquérir  un  bien,  ou  d'arriver  à  notre  fin. 

Le  mot  nécessaire  se  dit  de  la  fin  aussi  bien  que  des  moyens  de 
Tatteindre. 

13.  Sens  du  mot  a  utile  ». —  Un  moyen  est  simplement  utile 
quand  il  nous  conduit  à  notre  fin,  et  que  nous  pourrions  faeilement 
atteindre  cette  fin  par  d'autres  moyens. 

14.  Sens  du  mot  a  important  »•  — -  Un  moyen  est  important 

quand  il  sert  à  atteindre  la  fin,  et  que  Ton  courrait  risque  de  ne  pas 
ratteindre  sans  ce  moyen. 

15.  Sens  du  mot  «  nécessaire  ».— Un  moyen  est  nécessaire 
quand  il  est  indispensable  pour  atteindre  la  fin. 

16.  Fin  de  l'homme  et  de  la  société.  —  Régler  sagement 
sa  conduite ,  vivre  en  homme ,  développer  ses  facultés  et  atteindre 
autant  que  possible  son  dernier  développement,  sa  perfection  et 
son  bonheur,  c'est  la  fin  de  Thomme  ici-bas  et  de  la  société. 

17.  Moyen  d'atteindre  cette  fin.  —  Or,  pour  régler  sage- 
ment leur  conduite,  pour  se  perfectionner  et  arriver  au  bonheur, 
les  hommes  et  les  sociétés  ont  besoin  d'une  certaine  connaissance  de 
Dieu  et  de  l'âme. 

18.  Utilité  de  la  philosophie  pour  tous  les  hommes  • — 

Pour  le  plus  grand  nombre  des  hommes,  c'est  assez  de  cette  con- 
naissance élémentaire  et  générale  qu'ils  trouvent  dans  le  bon  sens, 
ou  qu'ils  puisent  dans  la  foi.  Une  connaissance  plus  profonde  semit 
un  bien,  mais  ils  peuvent  s'en  passer  sans  dommage.  La  philosophie 
leur  est  donc  simplement  utile. 

19.  Importance  de  la  philosophie  pour  les  hommes- 
instruits  d'ailleurs.  — -  Les  hommes  versés  dans  les  sciences  du 
monde  corporel,  ont  besoin,^ pour  équilibrer  leurs  faattltés,  d*avoir 


.sur  Dieu  et  sur  l'âuie  une  eonuaissance  distiucte  et  i-aisouuée  sau^' 
laquelle  ils  courraient  risque  de  s'égai-er.  Pour  eux  donc  la  philo- 
phie  est  importante. 

C'est  faute  d'être  sufilsamment  versés  dans  la  philosophie,  que  bieu 
des  hommes  éminents  et  qui  ont  un  grand  nom  dans  les  sciences,  ont 
donn6  et  donnent  encore  le  scandale  du  nxatérialisme  le  plus  grossier,  et 
veulent  expliquer  l'homme  sans  Ame  cl  le  monde  sans  Dieu.  Nous  ne 
citerons  aucun  nom,  parce  que  nous  ne  faisons  pas  ici  de  l'histoire.  Fie- 
trissonsles  doctrines,  sans  blesser  les  personnes. 

20.  Nécessité  de  la  philosophie  pour  la  société.  —  Enfin 
la  société  a  Ijesoin  que  ceux  qui  la  dirigent  ou  lui  impriment  par 
leurs  travaux  une  certaine  direction ,  possèdent  une  connaissance 
profonde  do  la  nature  de  l'homme  et  de  tous  ses  devoirs.  Donc, 
pour  la  société,  la  philosophie  est  nécessaire. 

21.  Résumé.  —  Ainsi,  la  philosophie,  utile  à  tous  les  hommes 
est  importante  pour  plusieui^  et  nécessaire  à  la  société. 

22.  L'importance  de  la  philosophie  ressort  en  outre  de  ses  ap- 
ports avec  les  autres  sciences. 


lY.  —  RAPPORTS  DE  LA  PHILOSOPHIE  AVEC  LES 

AUTRES  SCIENCES 


1'.  RAPPORTS   GÉNÉRAUX 


23.  Supériorité  de  U  philosophie.  —  La  philosophie  est 
supérieui'e  A  toutes  les  autres  sciences  par  son  objet  ;  car  Dieu  et 
Tâme  humaine  sont  au-dessus  de  tous  les  autres  objets  que  Ion  peut 
connaître. 

24.  Domaine  universel  de  la  philosophie.  —  La  science 
on  général  est  un.  fait  de  V&me  ;  c'est  donc  à  la  science  de  Tâme 
qu'il  appartient  de  rendre  raison  de  la  science  en  général. 

Aussi  la  philosophie  étudie  la  nature  et  les  sources  de  la  science , 
elle  vérifie  ainsi  les  bases  sur  lesquelles  reposent  toutes  les  sciences  ; 


RAPPORTS    âVBC  les  AUTRES   SCIENCES  21 

discute  les  méthodes  qui  leur  conviennent  et  par  là  en  assure  lef; 
progrès.  Si  bien  que  les  considérations  que  Ton  fait  sur  les  prin- 
cipes ,  la  méthode  et  les  rapports  de  chacune  des  sciences  s'appellent 
la  philosophie  de  cette  science.  C'est  dans  ce  sens  que  Ton  a  écrit 
ou  essayé  d'écrire  la  philosophie  des  arts,  la  philosophie  des  lan- 
gues, etc. 

Si  maintenant  nous  passons  en  revue  le  tableau  des  sciences,  nous 
verrons  ce  que  fait  la  philosophie  pour  chacune  d'elles. 

2^  RAPPORTS    SPÉCIAUX 

25.  Rapport  de  la  philosophie  avec  les  sciences  noolo- 
giques.  —  Toutes  les  sciences  noologiques  reposent  évidemment 
sur  la  philosophie,  puisqu'elles  ne  sont  que  l'étude  de  certains  faits 
de  l'âme. 

Les  sciences  dialegmatiques  en  particulier,  la  philologie,  la  gram- 
maire, la  logique  du  langage,  la  littérature,  l'esthétique  et  surtout 
la  pédagogie,  quel  secours  ne  tirent-elles  pas  de  la  connaissance  de 
l'âme  et  même  de  la  connaissance  de  Dieu?  Elles  y  puisent  des  no- 
tions sur  la  nature,  la  portée  intellectuelle  et  morale  et  les  lois  :  du 
langage,  qui  doit  être  l'expression  de  la  pensée;  des  sentiments , 
lesquels,  pour  faire  l'objet  de  l'esthétique,  doivent  être  non-seule- 
ment conformes  à  la  nature  de  l'âme,  mais  encore  et  surtout  aux  lois 
de  la  morale,  et  qui  doivent  reproduire  le  beau  dont  l'idéal  le  plus 
élevé  est  en  Dieu.  Et  comment  diriger  la  transmission  des  connais- 
sances, sans  connaître  l'âme  qui  les  transmet  et  les  reçoit,  sans  con- 
naître Dieu,  dont  il^aut  avant  tout  transmettre  la  connaissance? 

Les  sciences  historiques ,  qui  consistent  à  discerner  et  â  juger  les 
faits  importants  des  hommes;  qui  en  étudient  les  causes  et  les 
résultats  :  comment  pourraient-elles  se  développer  sans  une  con- 
naissance" profonde  de  l'intelligence  et  de  la  liberté  de  l'homme,  des 
lois  qui  régissent  sa  volonté  libre ,  et  de  ses  rapports  avec  Dieu. 

Les  sciences  sociales,  plus  encore  que  les  autres  supposent  une 
connaissance  raisonnée  de  l'homme  intellectuel  et  moral,  fonde- 
ment de  la  société. 

26.  Rapport  de  la  philosophie  avec  les  sciences  oos- 
molofl^ques.  —  Les  sciences  qui  s'occupent   des  corps  ont  un 


22  OENKRALITKS 

i*apport  moins  dii'ect  avec  la  philosophie,  mais  elles  ne  laissent  pas 
que  d'avoir  besoin  de  la  connaissance  de  Tâme  et  de  Dieu,  non- 
seulement  pour  raisonner  leurs  principes  et  déterminer  leurs 
méthodes,  mais  encore  pour  analyser  et  raisonner  quelques-uns  de 
leurs  objets. 

Les  sciences  mathématiques  ont  fait  un  pas  immense  depuis 
rintroduction  de  Tidée  de  Tinfini,  qu'elles  ont  prise  dans  la  science 
de  Dieu.  Notons  en  passant  que  le  mathématicien  a  besoin  de  ne 
pas  confondre  Tinfini  réel  qui  est  Dieu  avec  TinAni  mathématique 
qui  n'estque  Tindéftni. 

Les  sciences  naturelles,  surtout  la  zoologie,  gagnent  k  être  étu- 
diées dans  l'homme,  où  la  vie  physique  est  en  mpport  avec  Tâmo 
raisonnable  qui  l'anime. 

Les  sciences  physiques  ne  tiixnit  nen  do  la  science  de  Tâme  et  de 
Dieu,  pour  leur  propre  développement,  mais  celui  qui  s'y  livre  en 
a  besoin  pour  se  gainier  d'attribuer  à  la  matière  ce  qui  vient  do 
Dieu  ou  de  l'Âme. 

Enfin  les  sciences  médicales  seraient  incomplètes  si  celui  qui  s'y 
exerce  ne  tenait  nul  compte  de  la  natui'e  intellectuelle  et  morale  do 
l'homme  dont  il  veut  guérir  le  corps. 

27.  Résumé.  —  Ainsi  la  philosophie  est  supérieure  à  toutes 
les  autres  sciences  par  la  noblesse  de  son  objet  ;  eUe  les  domine  et 
les  dirige  toutes  parce  qu'elle  rend  compte  de  la  science  en  général  ; 
elle  fait  mieux  connaître  les  objets  des  sciences  noologiques  spé- 
ciales ;  et  enfin,  sans  avoir  une  influence  aussi  directe  sur  les 
sciences  cosmologiques,  elle  en  éclaircit  quelques  objets  et  tient  le 
savant  en  garde  contre  le  matérialisme,  fruit  oi*dinaire  d'une  étude 
qui  ne  s'exerce  que  sur  les  corps. 

V.  —  METHODE  A  SUIVRE  EN  PHILOSOPHIE 


2S,  De  la  méthode  en  généraL  —  Nous  aurons  à  pai*ler 
longuement  de  la  méthode,  dans  le  traité  de  logique,  mais  nous 
devons  ici  en  donner  une  idée  suffisante  pour  les  considérations  qui 
vont  suivre. 


MÉTHODE   A    SUIVRE  EN   PHILOSOPHIE  23 

On  donne  le  nom  de  méthode  à  tout  ordre  d'opérations  que  l'on 
suit  pour  atteindre  un  but.  On  le  dit  plus  particulièrement  de 
Tordre  des  opérations  qui  servent  à  créer  une  science  ou  à  la 
transmettre. 

La  vraie  méthode,  dans  toute  science,  comme  nous  le  vendons 
plus  loin,  c'est  V ordre  logique  des  connaissances.  Ce  qui  signifie 
(|uo  toutes  nos  connaissances  doivent  éti^  acquises  selon  Tordre  des 
i^apports  qui  existent  entre  notre  Intel ligencre  et  les  objets  à  connai- 
i  ro. 

Malheureusement  il  n'en  est  pas  toujoui*s  ainsi  ;  et  souvent  on 
jî'est  égaré  et  on  s'égare  encore,  dans  les  sciences,  faute  de  suivre 
cet  ordre. 

29.  De  la  méthode  en  philosophie.  —  Il  faut  pour  étudier 
l'Ame  et  Dieu  une  méthode ,  comme  il  en  faut  une  pour  toutes  les 
autres  sciences.  Et  même  ,  ici ,  la  méthode  est  d'autant  plus  néces- 
saire que  Tobjet  de  la  science  est  hoi»s  de  la  portée  do  nos  sens  et  par 
suite  plus  difficile  ù  observer. 

30.  méthodes  suivies  jusqu'à  ce  jour.  —  On  n'a  pas  tou- 
jours suivi  la  même  méthode  dans  les  études  philosophiques.  On 
\ïeui  résumer  en  quatre  toutes  celles  que  Ton  a  employées. 

31.  Méthode  d'hypothèse. —  Les  premiers  grecs  qui  ont  fait 
de  la  philosophie,  se  posaient  des  questions  et  supposaient  une  solu- 
tion  qui  leur  paraissait  expliquer  le  fait.  C'est  Thypothôse ,  qui  est 
moins  une  méthode  que  l'absence  de  inéthode.  • 

32.  Méthode  d'autorité.  —  Après  Soci*ato,  Thypothése  l'égna 
encore  bien  des  fois,  mais  on  y  substitua  l'autorité  du  maître.  Auroç 
ec57i,  disaient  les  disciples  de  Socrate,  de  Platon,  d'Epicure  ou  de 
Zenon  et  suiiout  d'Aristoto.  Magister  dixit,  disait-on  encore  sou- 
vent au  moyen-Age,  en  parlant  de  ce  dernier. 

:i3.  Méthode  de  raison  pure  ou  de  déduction.—  Les  phi- 
losophes scolastiques,  suivant  en  cela  leur  maître  Aristote,  lii-eut  un 
usage  fréquent  de  la  méthode  de  raison  pure,  qui  consiste  À  déduii^e 
routes  ses  doctrines  de  quelques  principes  de  raison  ,  comme  on  fa  il 
encore  aiyuurd'hui  en  mathématiques. 

:i4.  Méthode  d'ohserration  et  d'induction.—  Bacon,  Des- 


24  GÉNÉRALITÉS 

cartes  et  en  dernier  lieu  Reid ,  philosophe  écossais  du  18°^*  siècle  , 
ont  mis  en  honneur  la  méthode  d'observation  et  d*induction ,  qui 
consiste  à  observer  les  phénomènes  d'un  objet  pour  en  induire  les 
lois.  La  méthode  de  Reid  qui  consiste  à  commencer  la  philosophie 
par  Tétude  de  Tàme  et  k  étudier  celle-ci  par  les  phénomènes  qui  s*y 
produisent,  est  connue  sous  le  nom  de  méthode  psychologique. 

35.  Scepticisme  et  mysticisme.  —  Quelques  auteurs  font 
entrer  dans  les  méthodes  philosophiques  le  scepticisme  et  le  mysti- 
cisme. Ce  sont  là  des  systèmes  plutôt  que  des  méthodes.  Le  scepti- 
cisme qui  consiste  à  n'admettre  rien  comme  certain ,  ne  peut  se 
donner  comme  une  méthode  puisqu'il  ne  prétend  pas  mener  à  la 
science  mais  au  doute. 

Le  mysticisme,  qui  consiste  à  rejeter  tous  les  moyens  naturels  de 
connaître  pour  s'abandonner  à  l'inspiration,  n'est  pas  plus  que  l'hy- 
pothèse un  moyen  d'arriver  à  la  science.  D'ailleurs,  on  ne  pourrait 
jamais  le  considérer  comme  une  méthode  philosophique,  puisque  en 
aucune  manière  il  ne  peut  conduire  à  une  connaissance  raisonnée. 

Il  n'y  a  donc  que  quatre  méthodes. 

36.  Vraie  méthode  philosophique. —  La  vraie  méthode, 
avons-nous  dit,  c'est  l'ordre  logique  des  connaissances. Or,  en  philo- 
sophie le  rapport  entre  l'intelligence  et  son  objet  n'est  pas  toiyoui-s 
le  môme.  La  nature  de  l'Ame,  qui  ne  se  voit  pas,  ne  peut  être  connue 
que  par  induction  de  ses  facultés';  les  facultés  s'induisent  elles-mê- 
mes des  phénomènes  de  l'âme  qui  ne  sont  connus  que  par  l'observa- 
tion. En  logique ,  le  fait  de  la  certitude  est  aussi  du  domaine  do 
l'observation,  mais  les  rapports  abstraits  des  idées  ,  des  jugements 
et  des  raisonnements ,  ainsi  que  les  théories  de  la  métaphysique , 
sont  du  domaine  de  la  raison. 

Enfin  le  vrai  philosophe  accepte  comme  une  preuve  de  vérité  et 
un  motif  de  certitude  le  consentement  unanime  du  genre  humain  sur 
un  fait  important. 

Donc,  la  vraie  méthode  philosophique  n'est  pas  exclusive.  Elle 
emploie  selon  les  vérités  qu'elle  veut  connaître ,  l'autorité ,  la  raison 
et  l'observation  ;  mais  elle  rejette  toujours  l'hypothèse. 

Ces  treis  moyens  différents ,  qui  mèneraient  à  l'erreur  ou  à  une 
connaissance  de  hasard  si  on  les  employait  séparément ,  avec  exclu- 


MÈTHODK  A   SUIVRE  EN   PHILOSOPHIE  25 

sioii,  sont  tous  les  trois  valables,  quand  ils  sont  logiques,  c'est-à- 
dire,  quand  le  rapport  entre  l'objet  et  notre  intelligence  exige  qu'on 
les  emploie. 


VI.  —  DIVISION  DE  LA  PHILOSOPHIE 


37.  Divisions  anciennes.  —  La  division  de  la  philosophie  a 
varié  nécessairement  comme  son  objet.  Car  la  division  d'une  science 
n'est  que  la  division  de  son  objet,  et  de  môme  qu'on  distingue  les 
différentes  sciences  par  leurs  objets,  on  distingue  les  différentes 
branches  d'une  môme  science  par  les  divisions  de  son  objet. 

38.  De  Thaïes  à  Socrate.  —  De  Thaïes  à  Socrate,  la  philoso- 
phie était  une  sorte  de  science  univeréelle  ;  mais,  de  fait,  elle  ne 
s'exerça  guère  que  sur  une  seule  question,  l'origine  du  monde. 
Aussi  on  ne  trouve  pas,  dans  les  doctrines  qui  nous  restent  de  cett;e 
époque,  une  division  de  la  philosophie. 

39.  De  Socrate  à  la  fin  de  l'époque  grecque.  —  Les  disci- 
ples de  Socrate,  en  faisant  de  la  philosophie  la  science  des  principes, 
s'occupèrent  spécialement  des  principes  de  la  connaissance  de  Dieu, 
du  monde  et  de  l'homme  en  particulier,  et  signalèrent  ainsi  implici- 
tement une  division  de  la  philosophie.  Mais  c'est  dans  les  travaux 
d' Aristote  surtout  que  l'on  peut  entrevoir  la  division  de  la  philoso- 
phie à  cette  époque. 

Aristote  détermina  successivement  les  principes  nécessaires  de  la 
connaissance ,  auxquels  il  donna  le  nom  de  logique;  les  principes  des 
êtres  réels ,  qu'il  appela  physique^  les  principes  nécessaires  des 
êtres  abstraits  ou  la  niétaphysiqne ;  les  principes  nécessaires  du 
bien  dans  les  actes  humains  ou  la  morale;  les  principes  nécessaires 
de  la  quantité  ou  les  mathématiques, 

•10.  Division  du  moyen  âge.  —Au  moyen  Âge ,  depuis  Tépoque 
lie  saint  Thomax  d'Aquin ,  la  philosophie  est  à  peu  de  chose  près  colle 


26  CiKNÉRALlTKîS 

d'Aristote.  C'est  encoi'e  la  science  des  principes  et  on  la  divise  selon 
les  divisions  naturelles  de  l'être  en  général.  , 

On  y  voit  : 

La  logique,  science  do  Tétre  de  raison  qui  est  le  vrai. 

La  physique  y  science  de  Yéive  réel  concret ,  c'est-à-dire  existant. 

Elle  comprend  :  la  cosmologie ,  science  du  monde  et  V anthropo- 
logie, science  de  Thomme. 

La  métaphysique,  science  de  l'être  abstrait,  c'est-à-dire  loi  que 
nous  le  concevons  nécessairement. 

Elle  comprend  :  V ontologie ,  science  de  Tétre  abstrait ,  en  géné- 
ral ,  la  thëodicêe ,  science  de  Tétre  intini ,  connu  par  les  principes 
abstraits ,  et  la  cosmologie  métaphysique ,  science  du  monde ,  dans 
ses  principes  nécessaires. 

La  morrt/^ ,  science  de  Tétine  moral  ou  du  bien. 


41.  Diyisîon  des  modernes. —  Depuis  Descartes  la  philoso- 
phie n'a  plus  été  que  la  science  des  esprits  ot  on  la  divisait  ainsi  jus- 
qu'à la  fin  du  siècle  dei*nier. 

Logique,  art  de  penser. 

Métaphysique ,  science  des  êtres  suprasensibles ,  Dieu  et  Tàme. 
Morale,  science  du  devoir. 

42.  Dmsion  contemporaine. —  L'école  écossaise  fondée  par 
Thomas  Reid,  au  dix-huitième  siècle ,  lit  prévaloir  Fétude  de  la  psy- 
chologie et  la  méthode  que  Ton  a  appelée  psychologique.  Dès  lors  la 
logique  ne  fut  plus  qu'un  complément  de  la  psychologie  et  la  méta- 
physique disparut.  De  là  la  division  adoptée  par  l'université  depuis 
1832. 

Psychologie ,  science  de  l'àme. 
Logique ,  science  des  lois  de  la  pensée. 
Morale ,  science  des  lois  de  la  volonté. 
Théodicée,  science  de  Dieu. 

Quant  à  nous ,  voici  notre  division  avec  les  misons  qui  nous  la 
font  adopter. 

43.  Division  de  notre  cours  de  philosophie.-^  La  philoso- 
phie est  atj^iourd'b"i  la  science  de  l'Ame  et  de  Dieu,  de  là  ses  deux 


DIVISION  DE  LA   PHILOSOPHIE  Ti 

branches  principales .-  la  psychologie  et  la  théodicée.  De  plus,  pour 
compléter  Tétude  des  rapports  entre  les  esprits,  la  morale ,  qui  est 
la  science  des  lois  du  bien  dans  les  actes  libres. 

Mais  la  nature  de  cette  étude  exige ,  pour  n'y  pas  errer,  qu  on  ne 
Tentreprenne  qu'après  s'être  rendu  compte  des  lois  de  Ir  science  en 
général  et  de  toute  connaissance,  et  des  lois  nécessaires  des  êtres  que 
nous  trouvons  dans  notre  propra  raison ,  en  dehors  de  toute  observa- 
tion, et  sans  lesquelles  Tobservation  ne  conduirait  jamais  à  la 
science.  Nous  plaçons  donc  en  premièi'e  ligne  et  comme  fondements 
de  la  philosophie  :  la  logique  et  la  métaphysique. 

Enfin ,  après  avoir  parcouru  toutes  les  branches  de  la  philosophie 
et  nous  être  fait  une  théorie  certaine ,  nous  parcourons  les  différents 
systèmes  philosophiques  à  travers  lesquels  Thomme  a  pu  s'élever  à 
la  vraie  philosophie.  C'est  l'histoire  de  la  philosophie. 

44.  Objection  et  réponse.  —  On  a  prétendu  depuis  quelques 
années  et  contrairement  à  la  pratique  de  tous  les  siècles  pi-écédents, 
que  la  logique  n'est  qu'un  complément  de  la  psychologie  et  qu'on  ne 
doit  l'étudier  qu'après  ;  parce  que ,  dit-on ,  avant  d'étudier  les  lois 
d'une  faculté  de  l'âme,  il  faut  étudier  les  facultés  de  l'Ame  cUes- 
mêmes.  Nous  répondons  que  la  logique  n'est  pas  la  science  de  Tintel^ 
ligence  mais  bien  la  science  de  la  pensée ,  et  que  pour  étudier  les  lois 
de  la  pensée  il  suffit  de  penser.  D'ailleurs  >  pour  étudier  la  science  de 
l'âme ,  il  faut  faire  usage  de  la  logique.  —  La  psychologie  est  une 
science  qui  no  peut  être  certaine  qu'en  s'appuyant  sur  l'observation 
et  sur  une  observation  bien  faite  ;  elle  suppose  donc  la  connaissance 
des  lois  de  l'observation  qui  font  partie  de  la  logique.  Au  contraire , 
la  logique  et  la  métaphysique  qui  l'enferment  les  principes  de  toutes 
les  sciences  d'observation ,  ne  supposent  elles-mêmes  que  l'étude  de 
nos  propres  conceptions  et  de  leurs  rapports  nécessaires ,  choses  que 
nous  trouvons  dans  notre  seule  pensée. 

Voici  donc,  sous  forme  de  tableau  synoptique,  la  division  que 
nous  adoptons  pour  ce  cours  : 


28  GENERALITES 


DIVISION  OC  NOTRE  COURS  DE    PHILOSOPHIE 


Généralités,  Objet,  Définition,  Importance,  Méthode  et  Di- 
vision de  la  philosophie. 

Logique,  science  de  la  vérité  de  la  pensée. 

lCétaphy8iq[ae,  science  des  lois    nécessaires  do  l'être, 
considéré  dans  nos  conceptions. 

Psychologie,  science  de  l'âme. 

Théodicée,  science  naturelle  de  Dieu. 

Morale,  science  des  lois  nécessaires  du  bien  dans  les 
actes  humains. 

EKstoire  de  la  philosophie,    scieneo    des    développe- 
ments successifs  des  doctrines  philosophiques. 


LOGIQUE 


GÉNÉRALITÉS 


I.  —  OBJET  DE  LA  LOGIQUE 


1.  Ûrigine  dtt  mot»  —  Le  mot  logique  vient  du  grec  Xoyixiv, 
formé  lui-mâme  de  Xiyo;,  lequel  a  la  môme  racine  que  Xkr^  et 
loquor, 

"    Dire,  parler^  penser;  discours,  raison:  voilà  le  fond  d'idées  ren- 
fermées dans  le  mot  logique. 

2.  Objet  ancien  de  le  logique.  —  Pour  Aristote ,  la  logique 
a  pour  objet  le  discours  intérieur  que  Thomme  se  parle  à  lui-môme , 
et  surtout  le  lien  qui  en  unit  les  divers  éléments. 

C'est  ce  que  le  moyen  âge  appelait  :  ens  rattonts  dïrectivum  ope- 
rationum  intellecttts.  Selon  ce  point  de  vue  on  pourrait,  avec  plu- 
sieurs auteurs  modernes ,  définir  la  logique  :  la  science  des  lois  de 
la  pensée. 

3.  Objet  moderne  de  la  logique.  —  Pour  tous  les  modernes , 
la  logique  a  pour  objet  les  lois  de  la  pensée  en  tant  qu'elle  doit  être 
vraie.  C'estrà-dire  que  la  logique  étudie  et  détermine  les  conditions 
auxquelles  la  pensée  est  vraie.  La  logique  a  donc  pour  objet  propre 
les  lois  de  la  vérité  de  la  pensée. 

C'est  dans  ce  sens  que  les  solitaires  de  Port-Royal  ont  défini  la  lo- 
gique, l'art  de  penser;  c'est  dans  ce  sens  encore  que,  depuis  près 

d'un  siècle,  on  a  fait  entrer  dans  la  logique  la  question  de  la  certi- 
tude. 


:\i)  LOfiigi'K 

4.  Objet  de  1«  logique  selon  nous.  —  Pour  nous  conformer 
au  point  de  vue  moderne ,  qui  d'ailleurs  nous  paraît  le  plus  rationnel, 
nous  considérerons  la  logique  comme  ajant  pour  objet  les  lois  de  la 
vérité  de  la  pensée. 

Nous  devrons  donc  y  étudier  les  lois  de  la  pensée,  non  pas  en  tant 
qu'elle  est  une  modification  de  Tftme ,  ce  qui  est  du  ressort  de  la  psy- 
chologie ,  mais  en  tant  qu'elle  est  la  conception  de  ce  qui  est.  On 
exprime  cette  idée  en  disant  que* la  vérité  est  l'objet  formel  de  la  lo- 
gique, tandis  que  la  pensée  en  est  l'objet  matériel. 


II.  —  DÉFINITION  DE  LA  LOGIQUE 


5.  Diverses  définitions.  — On  a  déûni  la  logique  de  différent 
tes  manières,  non  pas  selon  les  différents  objets  qu'on  lui  supposait  : 
car  l'objet  de  cette  science  n'a  presque  pas  varié  ;  mais  selon  le  plus 
ou  moins  de  sagacité  que  Ton  a  su  mettre  à  donner  une  définition. 

Ratio  disserendi  (Cicéron). 

Scientia   e7itis  rationis    directivi    operationum    intelleetus 

(SCOLASTIQUE). 

Ai*t  de  penser  (Port-Royal). 

Ai*t  de  bien  conduire  sa  raison  dans  la  connaissance  des  choses  , 
tant  pour  s'instruire  soi-même  que  pour  instruire  les  autres.  (Port- 
Royal). 

Règles  pnur  la  direction  de  l'esprit  (Descartes). 

Règles  de  l'entendement  (Bacon). 

Science  J.'S  lois  de  la  pensée  et  de  l'usage  légitime  de  l'entende- 
ment (Kant). 

Science  des  lois  de  la  pensée  (Plusieurs  contemporains). 

Etude  des  formes  abstraites  de  la  pensée  et  du  raisonnement 
(Bénard). 

6.  Notre  définition.  —  Pour  nous ,  considérant  que  le  but  que 
l'on  se  propose  en  logique  est  de  déterminer  les  conditions  auxquelles 
une  pensée  est  vraie,  nous  définirons  la  logique  : 

La  science  de  la  vérité  de  la  pensée. 


7.  Remarque.  —  Observons  à  ce  propos  que  la  pensée  a  d'autres 
lois  que  celles  dont  s'oQcupe  la  logique.  Elle  a  d'abord  comme  tout 
être  ses  lois  métaphysiques ,  sans  lesquelles  elle  ne  serait  pas  la  pen- 
sée ;  elle  a  de  plus  ses  lois  physiques  ou  psychologiques ,  sans  les- 
quelles elles  n'existerait  pas;  elle  a  ses  lois  logiques,  sans  les- 
quelles elle  ne  serait  pas  vraie  ^nfin  ,  elle  a  ses  lois  morales ,  sans 
lesquelles  elle  ne  serait  pas  bonne.  Nous  aurons  h  revenir  sur  ces 
distinctions. 


ni.  —  IMPORTANCE  DE  LA  LOGIQUE 


8.  Lo^que  naturelle.  —  Tout  homme  possède  une  somme  de 
principes,  d'après  lesquels  il  juge  de  la  vérité  ou  de  Terreur  d'une 
pensée,  sans  avoir  l^esoin  de  raisonner  ni  d'apprendre  ces  principes. 
C'est  la  logique  naturelle.  Mais  ces  principes  naturels,  qui  servent 
dans  les  cas  simples,  sont  insuffisants  dans  les  cas  complexes,  où 
l'erreur  et  la  vérité  sont  moins  faciles  à  discerner. 

6.  Logique  artificielle.  —  Aussi  il  est  important  de  compléter 
la  logique  naturelle  par  une  étude  raisonnée  des  conditions  aux- 
quelles une  pensée  est  vraie.  C'est  la  logique  artificielle. 

10.  Importance  de  la  logique  artificielle.  —  La  science  de 
la  logique  est  donc  la  seule  garantie  contre  Terreur  ;  elle  est  donc 
de  la  plus  haute  importance,  puisque  sans  elle  on  court  sans  cesse 
risque  de  se  tromper,  et  on  ne  peut  jamais  être  assuré  de  posséder 
la  vérité,  si  ce  n*est  dans  les  choses  les  plus  simples. 


IV.  —  DE  LA  MÉTHODE  QUI  CONVIENT  A  LA  LOGIQUE 


11.  But  à  atteindre.  —  Ce  que  Ton  veut  obtenir  par  la  logique 
c'est  de  savoir  distinguer  une  pensée  vmie  d'une  pensée  fausse. 

12/  Rapport  entre  Tàme  et  ce  but  —  Or,  dans  certains  cas, 
TAme  voit  naturellement  et  sans  effort  la  vérité  ou  la  fausseté  d*une 


pensée,  et  dans  d  autres  elle  ne  peut  voir  cette  di^^tinotion  qu'en  se 
servant  de  certaines  règles  de  vcritiî. 

13.  InafiliCé  de  la  mé&ode  d'obserratioii.  —  Ce  n*est  pas 
par  Tobservation  de  ses  pensées  que  V&me  peut  induire  les  lois  de  la 
vérité  d'une  pensée,  puisque  ses  pensées  peuvent  être  fausses,  et 
qu'elle  n'a,  dans  certains  cas,  d'autre  moven  que  ces  mômes  lois 
pour  s'assurer  de  la  A'érité  de  ses  i)ensêes.  Si  donc  nous  n'avions 
que  l'observation  pour  découvrir  ces  lois  comme  dans  les  sciences 
physiques,  nous  resterions  toujours  dans  le  doute. 

14.  Utilité  et  snffiseiice  de  la  métfiode  de  raisoii  pure. 

—  Heureusement  nous  trouvons  dans  nous-mêmes  les  lois  de  la  vérité 
d'une  pensée  ;sans  quoi  la  logique  serait  impossible.  C'est  d'ailleurs 
ce  que  nous  constaterons  dans  le  cours  de  ce  traité.  Nous  suivrons 
donc  en  logique  la  méthode  de  raison  pure,  seule  capable  de  nous 
découvrir  les  lois  selon  lesquelles  une  pensée  est  certainement  vraie. 
Cependant,  chemin  faisant,  nous  constaterons,  par  des  fait«  univer- 
sels, que  les  conditions  de  la  vérité  de  la  pensée  se  trouvent,  en  effet, 
Idéalisées  dans  les  pensées  que  nous  tenons  pour  vraies. 

V.  —  DIVISION  DE  LA  LOGIOIE 


m 

15.  DiTisioiis  eneienaes.  —  Depuis  Aristote  jusqu'à  Port- 
Rojal,  on  a  à  peu  près  to^jours  divisé  la  logique  lûnsi  : 

1®  Des  tennes,  qui  sont  les  expressions  des  idées  ; 
2^  Des  propositions,  qui  sont  les  expressions  des  jugements  ; 
â^  Des  arçumeMSy  et  en  particulier  du  syllogisme^  comme 
expression  du  raisonnement. 

16.  DivieioB  de  PoH-&oyal.—  Le  livre  de  Port-Rojal,  VAri 
de  penser  y  divise  ainsi  la  logique  : 

1^  De  l'opération  de  concevoir,  ou  des  idées,  où  il  est  question 
des  termes  ; 

2®  De  l'opération  déjuger,  où  il  est  question  des  propositions  ; 

3^  De  Topération  de  raisonner,  où  il  est  question  du  syllogisme 
et  de  ses  diverses  espèces  : 

A^  De  l'opération  d'ordonner,  ou  de  la  méthode. 


bIViSlON   DK   LA    LOGIQUE  83 

17.  Divisions  contempor«iiies.  — Les  philosophes  coiitempo- 
l'ains  ont  adopté  une  multitude  de  divisions  différentes ,  qui  s'écar- 
tent assez  des  précédentes.  Tous  font  entrer  dans  la  logique  la  ques- 
tion de  la  certitude  et  celle  du  langage. 

18.  Notre  division.  —  Quant  à  nous ,  tout  eu  gardant  le  point  de 
vue  spécial  de  la  vérité  sous  lequel  nous  voulons  étudier  les  lois  de  la 
pensée ,  nous  passerons  en  revue  toutes  les  relations  de  la  pensée  pour 
en  déterminer  toutes  les  lois. 

Or ,  la  pensée  est  en  relation  : 
1^  Avec  elle-même,  ou  avec  d'autres  pensées. 
2^  Avec  celui  qui  pense ,  qui  en  est  le  siyet. 
3^  Avec  ce  à  quoi  Ton  pense ,  c'est-à-dire  l'objet. 
4^  Avec  celui  h  qui  on  veut  la  communiquer,  que  l'on  peut  appe- 
ler le  terme. 

De  là ,  quatre  branches  dans  la  logique  : 

1*^  Logique  abstraite,  science  de  la  vérité  de  la  pensée,  considé- 
rée dans  ses  rapports  avec  elle-même  et  avec  les  autres  pensées ,  et , 
par  conséquent ,  abstraite  ; 

2**  Logique  subjective,  science  de  la  vérité  de  la  pensée,  dans 
ses  rapports  avec  le  siyet  pensant; 

^  3®  Logique  objective ,  science  de  la  vérité  de  la  pensée ,  dans  ses 
rapports  avec  son  objet; 

4®  Logique  démonstrative ,  science  de  la  vérité  de  la  pensée, 
dans  ses  rapports  avec  celui  à  qui  on  la  communique. 

Telle  est  la  division  naturelle  qu'une  étude  attentive  découvre 
dans  la  logique.  De  ces  quatre  branches,  la  première  était  presque 
seule  traitée  dans  les  logiques  anciennes  et  dans  celles  du  moyen  âge; 
elle  est  la  plus  négligée  aujourd'hui  ;  la  deuxième  et  la  troisième 
sont  traitées  sous  un  seul  point  de  vue  par  les  modernes ,  dans  les 
questions  sur  la  certitude  ;  la  quatrième ,  dont  on  disait  quelque  chose 
dans  les  dialectiques  anciennes,  est  entièrement  oubliée  dans  les 
traités  des  auteurs  modernes  et  contemporains. 


3 


34  LOGiguK 

YI.  —  DE  LA  VÉRITÉ 


19.  Objet  formel  de  la  logique.  •—  Nous  avons  dit  plus  haut 
que  l'objet  formol  de  la  logique  c'est  la  vérité  de  la  pensée.  En  effet  : 

On  peut  voir,  dans  la  pensée,  sa  nature  comme  modification  de 
Tâme  et  les  conditions  de  son  existence  dans  l'ûme  ;  à  ce  point  de 
vue  la  pensée  est  l'objet  de  la  psychologie. 

On  peut  y  voir  encore  les  relations  essentielles  et  nécessaires  des 
diverses  conceptions  qui  constituent  les  pensées  ;  c'est  Tobjet  de  la 
métaphysique. 

On  peut  y  voir  les  relatioiis  do  la  pensée  avec  le  bien  ou  le  mal  ; 
c'est  l'objet  de  la  morale. 

Enfin  on  peut  y  voir  les  conditions  auxquelles  une  pensée  est 
vraie  ;  c'est  l'objet  de  la  logique. 

C'est  pour  remplir  ce  but  que  la  logique  étudie  :  1**  la  vérité  abs- 
traite d'une  pensée  seule  ou  d'une  pensée  par  rapport  aune  autre  ; 
car  une  pensée  peut  être  vraie  parce  qu'une  autre  est  vraie  :  c'est  la 
vérité  connexe  ;  2''  les  conditions  auxquelles  le  sujet  qui  pense  est 
certain  de  la  vérité  de  sa  pensée  ;  3°  les  conditions  auxquelles  la 
pensée  est  la  conception  exacte  de  l'objet  que  l'on  a  en  vue  ;  4**  les 
conditions  auxquelles  la  pensée  se  tmnsmet  à  un  autre  avec  la 
même  vérité  qu'elle  a  dans  celui  qui  la  transmet. 

20.  Etude  préalable   de  l'objet  formel  de  la  logique.  — 

Avant  donc  d'entrer  dans  les  détails  des  lois  logiques  de  la  pensée, 
nous  ferons  une  étude  préalable  de  la  Vérité,  sur  laquelle  nous  devons 
avoir  sans  cesse  les  yeux  fixés  dans  ce  Traité. 

21 .  De  la  Térité.  —  Le  mot  vrai^  dans  son  sens  premier,  s'appli- 
que exclusivement  à  la  pensée.  Il  n'y  a  que  la  pensée  qui  puisse 
être  vraie  ou  non.  On  dit  qu'une  pensée  est- vraie  quand  elle  est  la 
conception  exacte  de  l'objet  que  l'on  a  en  vue.  On  peut  donc  définir 
la  vérité  :  la  conformité  de  la  ^pensée  avec  son  objet. 

Par  extension,  cependant,  on  appelle  le  vrai  l'objet  môme  de  la 
pensée,  et  dans  ce  sens  on  dit  :  La  vérité  c'est  ce  qui  est.  TVrt- 
tas  est  id  quod  est. 

22.  Sens  plus  précis  du  mot  vérité.  ^  Mais  il  est  à  remar- 


DE   LA   VKRITl^:  35 

quer  qu'une  pensée  ne  peut  ôtre  conforme  ou  non  conforme  à  un 
objet  qu'à  la  condition  que  celui  qui  pense  ait  en  vue  un  objet  dé- 
terminé. Car,  sans  cette  intention  du  sujet  pensant;  la  pensée  est 
nécessairement  conforme  à  Tobjet  dentelle  est  la  conception,  et,  dès 
lors,  elle  ne  peut  être  ni  vraie  ni  fausse. 

Par  exemple  si  je  pense  à  un  immense  palais,  uniquement  cons- 
truit en  cristal  fondu ,  et  que  je  n'applique  cette  pensée  à  aucun 
palais  déterminé,  ma  pensée,  purement  abstraite,  ne  peut  être  ni 
vraie  ni  fausse.  Mais,  si  dans  cette  pensée,  j'ai  l'intention  de  con- 
cevoir tel  palais  déterminé,  où  il  y  a  en  effet  beaucoup  de  cristal, 
mais  qui  n'est  pas  entièrement  construit  de  cette  matière,  ma  pen- 
sée est  fausse. 

Donc  la  pensée  n'est  vraie  ou  fausse  que  par  rapport  à  son  objet 
intentionnel,  qui  en  est  l'objet  logique,  et  non  quant  à  son  objet 
essentiel ,  qu'on  pourrait  appeler  l'objet  métaphysique  de  la  pensée. 

Cela  dit  nous  pouvons  donner  la  définition  exacte  de  la  vérité. 

23.  Définition  précise  de  la  vérité. —  La  vérité  est  la 

CONFORMITÉ   DE   LA   PENSÉE  AVEC    SON  OBJET   INTENTIONNEL. 

Donc ,  pour  qu'une  pensée  puisse  être  vraie  ou  fausse ,  il  faut  et 
il  suffît  qu'elle  ait  un  objet  intentionnel  ;  mais  la  pensée  purement 
Ubstraite,  c'est-à-dire,  hors  de  son  sujet  et  de  son  objet  intentionnel, 
n'est  ni  vraie  ni  fausse: 

24.  De  la  fausseté  et  de  Terreur,  opposé  de  la  vérité. — 

L'opposé  de  la  vérité,  c'est  la  fausseté.  Il  suffit  pour  qu'une  pensée 
soit  fausse ,  qu'elle  ne  soit  pas  entièrement  conforme  à  son  objet  in- 
tentionneL  Mais  il  faut  autre  chose  pour  qu'il  y  ait  erreur.  Si  celui 
qui  pense  affirme  en  lui-même  une  pensée  vraie,  il  fait  un  jugement 
vrai  ;  mais  s'il  affirme  une  pensée  fausse,  il  fait  un  jugement  faux  ; 
il  est  dans  l'erreur.  Le  mensonge  est  l'affirmation  extérieure  d'une 
pensée  que  Ton  sait  être  fausse  :  il  n'y  a  donc  pas  de  mensonge 
possible  dans  le  jugement. 

25.  Observation  importante. —  La  vérité  des  pensées  est 
absolue  ou  relative.  Absolue,  quand  on  considère  une  pensée  seule; 
relative,  en  tant  qu'une  pensée  peut  ôtre  vraie,  pour  nous,  par  sa 
connexion  avec  une  autre  pensée  que  nous  connaissons  vraie.  Les 
logiques  anciennes  ne  s'occupaient  que  de  la  vérité  relative  des 


pensées,  et  oégligeftient  la  vérité  absolue.  C'est  pour  cela  et  dans  ce 
sens  que  l'on  dit  encore:  c'ett  faux,  mais  c'ett  logique.  Mais  les 
modernes  en  'faisant  entrer  dans  In  logique  la  question  de  la  certi- 
tude, et  en  traitant  la  méthode  comme  ils  l'ont  fait,  oat  introdait 
dans  la  logique  l'étude  de  la  vérité  absolue  des  pensées.  Voilà  com- 
ment la  logiqne  qni  n'était  pour  les  anciens  que  la  science  de  la 
déduction  est  devenue  la  science  de  la  vérité  de  la  pensée,  de  la  vé- 
rité absolue  aussi  bien  que  de  la  vérité  relative. 


37 


LOGIQUE  ABSTRAITE 


26,  Définition.—-  La  logique  abstraite  est  la  science  de  la  vé» 
rite  de  la  pensée  dans  ses  rapports  avec  elle-môme. 

27. —  Division. —  Nous  y  étudierons  en  trois  chapitres  : 
1*  La  pensée  en  elle-même  ; 
2^  L'expression  de  la  pensée ,  qui  est  le  langage  ; 
3^  Les  relations  entre  les  diverses  pensées. 
Dans  toutes  ces  parties,  comme  dans  toute  la  logique,  nous 
cherchons  toujours  les  lois  de  la  vérité  de  la  pensée. 

Chapitre  P' 

LA  PENSÉE  EN  ELLE-MÊME 


28.  Subdivision.  —  Pour  bien  connaître  la  pensée  en  elle- 
même,  il  faut  en  connaître  la  nature,  les  éléments  constitutifs  et 
Tunion  de  ces  éléments.  Donc  trois  articles  : 

1**  Nature  de  la  pensée  ; 
2^  Ses  éléments  constitutifs  ; 
3f*  Union  de  ses  éléments. 

Article  1" 
NATURE  DB  LA  PINSÉB 

29.  Ce  qoe  c'est  que  la  pensée.—  pn  donne  le  nom  général 
de  pensée  à  tons  les  phénomènes  de  Tâme  qui  concourent  à  former 
la  connaissance.  Mais^tandis  que  la  connaissance  est  habituelle,  la 
pensée  est  toujours  actuelle. 

30.  Idée  plus  précise  de  la  pensée. —  Selon  Texpression 
énergique  du  langage  vulgaire,  l'âme  qui  pense  est  informée  de  ce 
qui  se  passe  au  dedans  ou  au  dehors  d'elle.  La  pensée  est  donc  une 
information  d^  Tâme.  Expression  figurée  pour  dire  que,  par  la 


38  LOOIQfE  ABSTRAITE 

pensée ,  Tàme  prend  en  quelque  sorte  la  forme  de  l'objet  auquel  elle 
pense  ;  ce  qu'il  ne  faut  pas  entendre  d'une  manière  matérielle  et  se 
figurer  Tàme  comme  une  cire  molle. 

31.  Différentes  formes  de  la  pensée. —  Cette  information  de 
Tâme  qui  constitue  la  pensée,  se  fait  de  différentes  manières,  selon 
les  diverses  actions  de  Tobjet  sur  Tâme  et  de  l'âme  sur  sa  pensée. 

32.  Perception. —  Quand  l'information  de  Tâme  vient  de lob- 
jet  lui-même,  réellement  existant,  la  pensée  est  une  2^C7'ception. 
On  peut  définir  la  perception  :  V information  donyiée  actuelle^ 
ment  à  Vâme  par  un  objet  réel,  La  perception  est  nécessairement 
actuelle,  ^puisqu'elle  n'a  lieu  que  tant  que  l'objet  agit  sur  Tâme. 

33.  Conception.  —  Mais  l'àme  ne  reçoit  pas  sa  pensée  tout 
entière  de  l'objet  qu'elle  perçoit  ;  elle  y  ajoute  quelque  chose  qui 
vient  d'elle-même,  et  souvent,  en  dehors  de  l'action  de  l'objet , 
l'âme  se  donne  à  elle-même  une  information.  Ce  qui,  dans  la  pensée, 
vient  ainsi  de  l'âme  prend  le  nom  de  conception ,  et  ce  nom  dé- 
signe aussi  l'information  même  de  l'âme,  abstraction  faite  de  l'ac- 
tion de  l'objet.  Nous  définirons  donc  la  conception  :  V information 
considérée  en  elle-même 

La  conception  peut  être  actuelle  ou  habituelle.  Actuelle,  dans  le 
fait  même  de  la  pensée  ;  habituelle ,  quand  oh  considère  l'âme  toute 
prête  à  concevoir  tel  objet  de  telle  manièi*e. 

34.  Jugement.  —  Mais  l'âme ,  ainsi  informée  d'un  objet ,  soit  par 
perception ,  soit  par  conception ,  demeure  rarement  indifférente  à  sa 
pensée.  Elle  j  adhère,  elle  l'accepte  comme  une  information  venue 
de  la  réalité ,  elle  l'affirme  ;  ou  bien  elle  s'en  éloigne ,  elle  la  rejette, 
elle  la  nie ,  comme  une  information  qui  ne  vient  pas  de  la  idéalité. 
Cette  affirmation  ou  cette  négation,  qui  n'est  que  l'affirmation  de  la 
pensée  contradictoire,  s'appelle  jugement.  Nous  définissons  le  juge- 
ment :  V adhésion  de  Vdme  à  sa  pensée. 

Le  jugement  peut  être  actuel  ou  habituel.  Il  est  habituel  tant 
qu'on  est  dans  la  disposition  déjuger  de  la  même  manière,  actuel 
au  moment  ou  l'on  juge.   . 

35.  Hypothèse. — Quelquefois  l'âme  n'accepte  sa  pensée  que  con- 
ditionnellement ,  pour  rechercher  les  pensées  qu'elle  devrait  aussi 


NATURE  DE  LA   PENSÉE  39 

accepter,  si  elle  acceptait  celle-là.  Cet  acte  de  Tàme  c'est  Thypo- 
thôse.  L'hypothèse  est  V adhésion  provisoire  de  l'âme  à  sa  pensée, 

36.  Conséquences.  —  Les  pensées  qui  sont  tellement  liées  à  une 
autre  pensée,  que  Tânie  se  voit  obligée  à  les  admettre,  si  elle  admet 
la  première ,  sont  des  conséquences. 

Les  conséquences  sont  des  pe^isées  auxquelles  Vâme  adhère  fië^ 
cessaireynent  dès  quelle  a  adhéré  à  leurs  j)rincipes.  On  appelle 
principes  les  pensées  qui  tme  fois  admises  font  admettre  leurs 
conséquences. 

37.  Raisonnement  —  L'affirmation  de  ce  rapport  qui  Ho  les 
conséquences  à  une  autre  pensée,  s'appelle  raisonnement ,  quand 
l'âme  n'affirme  ce  rapport  que  parce  qu'elle  le  voit.  Le  raisonnement 
est  donc  icn  jugement  par  lequel  Vâme  affirma  quhe  telle  pensée 
est  la  conséquence  de  telle  autre,    * 

Le  raisonnement  peut  être  actuel  ou  habituel  aussi  bien  que  le  ju- 
gement. Et  c'est  cette  habitude  de  concevoir,  déjuger  et  de  raison- 
ner, qui  constitue  la  connaissance  et  la  science. 

38.  Recherche  de  la   nature   exacte   de  la  pensée.  «- 

Nous  venons  de  constater  tous  les  phénomènes  de  l'Ame  qui  sont 
compris  dans  le  nom  général  de  pensée.  Pour  définir  exactement  la 
pensée,  il  nous  faut  donc  définir  le  fait  qui  se  retrouve  dans  chacun 
de  ces  phénomènes.  Ce  fait,  commun  à  toutes  les  espèces  de  pensée , 
doit  être  et  le  plus  simple  et  le  plus  intime.  Le  plus  simple ,  pour  se 
retrouver  partout;  le  plus  intime,  pour  être  bien  le  fait  de  l'âme 
que  nous  cherchons.  Or,  ce  fait  le  plus  simple  et  le  plus  intime, 
parmi  les  opérations  de  la  pensée ,  c'est  l'information  môme  de  l'âme, 
séparée  de  l'action  de  l'objet,  c'est  la  co7iception.  Elle  se  retrouve 
partout ,  môme  dans  la  perception ,  qui  la  précède ,  mais  qui ,  sans 
elle,  serait  incomplète. 

39.  Son  objet. —  Déplus,  pour  bien  distinguer  de  toutes  les  au- 
ti'es  cette  opération  qui  fait  le  fond  de  ioute  pensée ,  il  faut  en  con- 
naître l'objet.  Eh  bien  !  l'objet  commun  de  la  perception,  de  la  concep- 
tion ,  du  jugement,  etc.,  c'est  un  fait.  L'âme  ne  perçoit,  ne  conçoit 
ni  n'affirme  jamais  une  substance  seule ,  ni  une  modification  seule, 
niais  toujours  une  substance  modifiôc  de  telle  manière.  Et  c'est  là  ce 
qu'on  appelle  un  fait.  Donc  : 


40  LOGIQUE  ABSTRAITE 

40.  Définition  de  la  pensée. —  La  pensée  est  la  conception 

d'un  fait. 

Article  2* 

ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  LA  PENSÉE 

11.  Ce  qu'île  doivent  être  —  Puisque  la  pensée  est  la  concep- 
tion d'un  fait,  les  éléments  de  la  pensée  doivent  être  la  conception 
des  éléments  du  fait. 

42.  Elément  du  fait  —  Tout  fait  consiste  dans  un  être  modifié 
de  telle  maniéi»e.  Tout  fait  suppose  donc  : 

1^  Un  éti*e  ou  substance  qui  est  modifié  ; 

2^  Une  modiâcation  qui  informe  la  substance  ; 

S**  L'existence  de  cette  modification  dans  cette  substance  ; 

4*  Des  circonstances  qui  varient  sans  changer  le  fait. 

L'être  ou  substance  qui  reçoit  la  modification  s'appelle  le  sujet 
du  fait;  la  modification  elle-même  constitue  la  nature  du  fait  ; 
l'existence  de  la  modification  dans  la  substance  constitue  l'existence 
du  fait . 

43.  Eléments  essentiels  —  Tout  fait  a  donc  trois  éléments  es- 
sentiels et  inséparables  : 

Le  siget  du  fait  ; 
La  nature  du  fait  ; 
L'existence  du  fait. 

44.  Elément  accessoires  —  Les  e<rco;ï«^<ïnoe«  du  fait,  parce 
qu'elles  peuvent  varier  sans  changer  le  fait,  n'en  sont  que  des  élé^ 
ment  s  accessoires, 

45.  Détermination  des  éléments  de  la  pensée  —  I^es  élé- 
ments de  la  pensée  sont  donc  ceux-ci  : 

ÉLÊXffiNTs  essentiels  :  conception  du  sujet,  de  la  nature  et  de 
l'existence  du  fait;  éléments  accessoires  :  conception  des  cir- 
constances du  fait. 

46.  Nature  précise  de-  ces  éléments.  —  La  pensée  n'est 
claire  et  distincte  qu'à  la  condition  que  Tâme  possède  déjà  la  con- 
ception habituelle  des  divers  éléments  de  ce  fait.  Donc  la  pensée 
claire  et  distincte  suppose  antérieurement  la  conception  habituelle 
(le  chacun  de  ses  éléments. 

Or  la  conception  habituelle  d'un  objet  quelconque  c'est  ce  qu'on 


ÉLÉMENTS  DE  LA   PENSÉE  41 

appelle  une  idée.  Donc ,  les  éléments  de  la  pensée  qui ,  au  moment  de 
la  pensée,  sont  la  conception  actuelle  des  éléments  de  ce  fait,  suppo- 
sent la  conception  habituelle  ou  l'idée  de  chacun  de  ces  éléments. 
Nous  allons  donc  parler  des  idées. 

DES  IDÉES 

%  1.— DÉFINITION  DIS   IDÉBS 

47.  Sens  Tulgaire  du  mot  <c  idée  ».  —  Ce  qu*on  entend  com- 
munément par  idée  ,  c'est  une  certaine  manière  de  voir  un  objet 
quelconque.  On  dit  :  c'est  mon  idée,  c'est  l'idée  qtùej'en  m /c'est- 
à-dire  :  c'est  ma  manière  de  voir  tel  objet.  Et  quand  on  dit  simple- 
ment :  l'idée  de  telle  chose ,  on  entend  par  là  la  vraie  manière  de 
la  concevoir.  Et  par  cette  manière  de  voir  on  n'entend  pas  seulement 
une  conception  actuelle,  mais,  au  contraire,  une  conception  habi- 
tuelle. 

48.  Etjmologie  du  mot  ce  îdéex).  —  Le  mot  2  e^^^  vient  du  grec 
é{8oc,  forme  spécifique,  espèce,  dérivé  de  e(Sov,  j'ai  vu.  C'est  donc 
comme  la  forme  vue  d'nn  objet  ;  mais  on  ne  l'entend  que  de  la  forme 
vue  par  Tàme  intelligente.  L'étymologie  indique  donc  aussi  une  ma- 
nière de  concevoir. 

L'Art  de  penser  (Logique  de  Port-Royal)  remarque  avec  raison  qu'il  ne 
faut  pas  confondre  l'idée  avec  l'image  intérieure  que  nous  nons  formons 
de  l'objet  de  cette  idée.  Il  est  vrai  que  nous  joignons  à  toutes  nos  con- 
ceptions une  image  plus  ou  moins  approchante  de  l'objet  conçu.  Ainsi> 
quand  je  pense  à  un  triangle»  je  m'imagine  une  figure  de  trois  côtés.  Je 
puis  très-bien  imaginer  ainsi  une  figure  de  quatre,  de  cinq  ou  de  six  côtés. 
Mais  si  je  conçois  un  polygone  de  mille  côtés,  l'image  que  je  m'en  fais 
n'est  nullement  exacte  et  ne  diffère  pas  de  celle  que  je  me  formerais  d'une 
figure  de  deux  mille,  cinq  mille,  dix  mille  côtés.  Ici  l'image  n'a  rien  de 
précis,  mais  l'idée  n'en  est  pas  moins  claire  et  distincte.  Donc  concevoir 
est  autre  chose  qu'imaginer,  et  nous  pouvons  très  bien  avoir  des  idées 
des  choses  qui  n'ont  pas  d'image.  C'est  ainsi  que  nous  concevons  très 
distinctement  Dieu  et  nofre  àme,  sans  pouvoir  les  imaginer. 

49.  Définitions  diverses  de  l'idée  —  On  a  défini  diversement  les 
idées,  selon  le  point  de  vue  auquel  on  s'est  placé.  Et  d'abord  on  les 
a  considérées  sous  quatre  points  de  vue. 

!•  Sens  objectif  complet.  On  a  fait  de  l'idée  l'objet  de  la  pen- 
sée, et  dans  ce  sens  on  a  appelé  idée  tout  objet  auquel  on  peut 
\>enser; 


42 


LOGIQUE  ABSTRAITE 


2**  Sens  objectif  incomplet.  Ou  bien  seulement  ce  qui  fait  qu'un 
objet  est  de  telle  espèce  :  les  essences  des  choses  ; 

3*^  Sens  subjectif  actuel.  On  a  fait  aussi  do  Tidée  toute  infor- 
mation que  Tâine  reçoit  d'un  objet  quelconque.  Et  on  a  appelé  idée 
la  conception  actuelle  d'un  objet  ; 

4**  Sens  subjectif  habituel .  Ou  bien  encore  on  a  appelô  idée  la 
conception  habituelle  d'un  objet. 

Dans  chacun  de  ces  points  de  vue,  l'auteur,  qui  a  donné  une  défi- 
nition, l'a  fait  avec  plus  ou  moins  de  sagacité,  et  de  là  sont  sorties 
une  multitude  de  définitions,  dont  voici  les  principales  : 

TABLEAU  DES  DIVERSES  DÉFINITIONS  DES  IDÉES 


Sens  objectif 


incomplet. 


Sens  subjectif 


complet.       Locke.  Tout   obiet  qui  occupe 

l'esiirit  lorsqu'il  pense. 
Platon  Archétypes  des  choses, 

existant  en  Dieu. 
t'ÉNKLON.  Vérités  universelles  abs- 

traites. 
Mallebrancue.  Essences  des  choses  vues 

en  Dieu. 
Kant.  Catégories  de  l'entende- 

ment. 
HEGEL.  Amalgame  du  fini  et  de 

rinfini. 
/  Les  SC0LA8TIQUES  Mera  reprœsentaiio 

objccti  in  mente. 
Forme    de   chacune   de 

nos  pensées. 
Toute  conception  d'une 

cliose. 
Toute  manière  d'être  de 
rame  dont  elle  a    la 
conscience  et  le  senti- 
ment. 
Formes  de  l'intelligence. 
Manières  d'être  de  l'es- 
/  prît. 

[  Les  scol astiques  Mera  aperceptio  tn en- 
Us. 
Kant.  Formes  de  l'intelligence, 

l  habituel.    (  <jOURJU.  Manières  d'être  de  Tes- 

prit. 
Plusieurs  auteurs  Connaissance  dans  sa 

forme  la  plus  simple. 
Balmès.  Habitudes  intellectuelles. 


actuel. 


Descartes. 

Arnauld 

Bonnet. 


IvANT. 
GOURJU. 


DES  IDËES  43 

50.  Importance  de  la  question.  —  Nous  vendons  dans  les  dé-i 
veloppements  de  la  logique  que  les  idées  servent  de  base  au  juge- 
ment et  au  raisonnement,  et  pai*  suite  &  la  science,  à  toute  connais- 
sance et  à  toute  pensée.  Si  donc  nous  devons  tracer  les  lois  de  la 
pensée,  il  importe,  pour  ne  pas  risquer  de  nous  égarer,  de  bien  sa- 
voir à  quoi  nous  en  tenir  sur  les  idées.  D*ailleurs,  nous  aurons 
l'occasion  de  montrer  que  toutes  les  erreurs  ne  sont  et  ne  peuvent 
ôtre  que  dans  les  idées,  et  qu'étant  donné  un  homme  qui  n'aurait 
que  des  idées  vraies,  tous  ses  jugements,  tous  ses  raisonnements, 
£€1,  méthode  et  sa  science  seraient  vrais  aussi. 

51.  Recherche  de  la  vraie  définition  des  idées.  —  La  vraie 
définition  d'un  mot  doit  répondre,  non  aux  mots  employés  par  tel  ou 
tel  auteur,  mais  à  l'objet  que  tout  le  monfle  désigne  par  ce  mot.  Or, 
qu'est-ce  que  tout  le  monde  désigne  par  le  mot  tdde  ?  Ce  n'est  pas 
un  objet  que  Ton  connaît,  mais  une  connaissance  d'un  ol»!^^;  <^ 
n'est  pas  non  plus  l'acte  par  lequel  on  connaît  cet  objet,  mais  la  ma- 
nière dont  on  connaît  ou  conçoit  cet  objet  ;  c'est  une  conception,  et 
une  conception,  non  pas  actuelle,  mais  habituelle. 

En  effet,  quand  je  dis  :  Un  tel  a  Vidée  du  triangle,  je  ne  dis 
pas  qu'il  pense  actuellement  au  triangle,  mais  qu'il  connaît  la 
chose  que  Ton  appelle  un  triangle  ;  et  cette  connaissance  n'est  au- 
tre chose  qu'une  conception  habituelle  de  la  figure  que  tout  le 
monde  appelle  triangle,'  et  de  l'essence  de  cette  figure. 

52.  Définition  de  l'idée.  —  L'idée  d'un  objet  est  la  conception 
habituelle  de  cet  objet.  Les  idées  sont  donc  des  conceptions  habi- 
tuelles, ou,  comme  les  définit  Balmès,  des  habitudes  intellec- 
tuelles. 

Cette  derniôi^e  définition,  identique  à  la  première  dans  le  fond,  a 
pourtant  cette  différence  avec  la  première  qu'elle  définit  l'idée  sous 
un  point  de  vue  psychologique,  tandis  que  la  première  n'en  donné 
que  le  point  de  vue  logique. 

Une  habitude,  dans  Je  sens  latin  du  mot  hahitus  {modus  se  hahendi), 
est  une  disposition  déterminée  k  un  acte.  Une  habitude  intellectuelle  est 
donc  une  disposition  à  comprendi'C  ou  à  concevoir  de  telle  manière.  Une 
conception  habituelle  est  ce  même  fait  de  concevoir,  non  pas  en  acte, 
mais  à  l'état  de  disposition  déterminée. 


44  LOGIQUE  ABSTRAITE 

«S.-PIOPIllTiS  IIS   IBtiS 

53.  Sens  de  ce  mot.  —  On  appelle  propriété  d*un  être  nu  carac- 
tère constant  qui  sert  à  le  distinguer  des  autres  et  qui  consiste  dans  le 
pouvoir  qu'il  a  d*agir  de  telle  manière,  et  de  produire  par  là  tel  phéno- 
mène. Or,  il  y  a  dans  les  idée't  des  caractères  constants  par  lesquels 
elles  se  manifestent  et  peuvent  être  distinguées  :  ce  sont  là  les  pro- 
priétés des  idées. 

54.  Propriétés  cominmie»  des  idées.  —  Toutes  lés  idées  sont 
pour  Tesprit  la  représentation  d'un  objet  ;  elles  en  tiennent  lieu,  et  nous 
ne  connaissons  les  objets  que  selon  Tidée  que  nous  en  avons.  Telle 
est  la  propriété  commune  à  toutes  les  idées,  à  on  point  de  vue  géné- 
ral. Mais  cette  propriété  qu'ont  tontes  les  idées  d'être  la  représen- 
tation d*un  objet  se  subdivise  encore. 

55.  Propriété  métapliysi^e  —  Toute  idée  étan^  la  conception 
d*un  objet,  l'eprésente  essentiellement  cet  objet.  C'est  pourquoi  on  dit 
que  cet  objet  est  Tobjet  essentiel  ou  métaphysique  de  Tidée.  Ainsi 
la  propriété  métaphysique  de  chaque  idée,  c'est  qu'elle  exprime 
nécessairement  son*  objet  essentiel. 

56.  Propriété  logique.  —  Mais  outre  son  objet  essentiel,  dont 
elle  est  la  conception ,  l'idée  représente  à  notre  esprit  un  objet  tn/en- 
tionnel  (n*  22).  C'est  par  là  seulement  que  l'idée  est  vraie  ou 
fausse.  C'est  là  sa  propriété  logique  la  plus  importante. 

57.  Propriété  physique.  —  Les  idées  sont  pour  notre  àme  une 
source  d'activité,  elles  la  mettent  en  mouvement,  et  comme  c'est  là 
une  action  physique  ou  psychologique  qu'elles  produisent  sur  l'&me, 
le  pouvoir  d'agir  ainsi  est  une  propriété  physique  des  idées. 

58.  Propriété  morale.  —  Enfin  les  idées  ont  encore  la  pro- 
priété d'entraîner  (quoique  sans  la  forcer)  notre  liberté  à  se  détermi- 
ner en  leur  faveur:  pour  le  bien  si  elles  sont  bonnes ,  pour  le  mal  si 
elles  sont  mauvaises  ;  c'est  là  une  propriété  morale. 

59.  Propriété  spéciale.  —  Les  idées  se  distiguent  par  leurs 
oljets,  et  selon  les  différentes  classes  d'objets  qu'elles  repré- 
sentent, elles  ont  aussi  des  propriétés  différentes. 

60.  Idées  métaphysiques.  —  Les  idées  qui  n'ont  pour  objet- 
qu'une  simple  conception  prise  dans  l'ordre  des  lois  essentielles  des 
êtres ,  sont  des  idées  métaphysiques . 


DES    IDÉE8  45 

61 .  Idées  logiques.  —  Les  idées  qui  ont  pour  objet  une  concep- 
tion prise  dans  Tordre  de  la  vérité  de  la  pensée,  sont  des  idées  logi" 
ques, 

62.  Idées  physiques.  —  Les  idées  qui  ont  pour  objet  un  être 
réel  sont  des  idées  pht/siques. 

63.  Idées  morales —  Les  idées  qui  ont  pour  objet  une  concep- 
tion prise  dans  Tordre  de  la  bonté  des  actes  humains ,  sont  des  idées 
morales. 

64.  Propriétés  particulières.  -^  Enfin  chaque  idée  en  particu- 
lierreprésente  son  objet  particulier,  distinct  de  tout  autre.  C'est  là  sa 
propriété  particulière,  car  c'est  précisément  par  là  qu'elle  se  distin- 
gue de  toute  autre  idée. 

65.  Diverses  propriétés  logiques  des  idées.  — -  Outre  la 
propriété  logique  première,  dont  nous  avons  parlé,  par  laquelle 

•  chaque  idée  représente  un  objet  intentionnel ,  dont  elle  est  censée 
être  la  conception ,  on  peut  encore,  en  considémnt  les  idées  sous  di- 

.  verses  faces ,  y  voir  d'autres  propriétés  logiques  qui  en  découlent 
et  qui  sont  :  La  vérité  ou  la  fausseté ,  l'identité  ou  la  non^iderir 
tité  avec  une  autre^  Vanalogie^  l'opposition,  la  dépendance^  et 
enfin  l'extension  et  la  compréhension» 

Q^,  Vérité  et  fausseté  des  idées.  —  Toute  idée  est  vraie 
ou  fausse ,  au  point  de  vue  logique.  Elle  est  vraie ,  si  elle  est  la 
conceptiou  exacte  de  son  objet  intentionnel,  fausse^  dans  le  cas  con- 
traire. 

67.  Identité  et  non -identité.  —  Deux  idées  peuvent  ctre 
identiques  ou  non-identiques,  selon  qu'elles  représentent  exactement 
le  môme  objet  ou  non.  Cette  identité  peut  être  logique  ou  métaphy- 
sique. Deux  idées  métaphjsiquement  identiques  ne  peuvent  être 
que  la  môme  idée.  Par  exemple  :  trois  fois  quatre^  et  dev^  fois  six. 
Deux  idées  logiquement  identiques  sont  celles  qui ,  sans  représenter 
toi^jours  le  môme  objet  essentiel,  font  pourtant  concevoir  le  môme 
objet  intentionnel,  ou  du  moins  expriment  deux  objets  qui  n'ont 
qu'une  seule  existence. 

De  telle  sorte  que  si  Tune  est  vraie  l'autre  Test  aussi  nécessaire- 
ment. Par  exemple  :  le  mouvement  et  la  force  qui  en  est  la  cause. 

68.  Analogie.  -*  Il    y  a   analogie  entre  deux  idées  quand 


40  I.OCflQUE   ABSTRAITE 

elles  ont  quelques  éléments  identiques.  Par  exemple  :  parler  et 
chanter.  Il  faut  dire  ici  qu'une  idée  j)eut  avoir  plusieurs  éléments 
et  être  ainsi  composée  des  idées  de  ces  éléments.  Celle  qui  n'a 
qu'un  élément  est  simple. 

69.  Opposition.  —  Il  y  a  opposition  entre  deux  idées 
quand  l'une  représente  la  négation  de  l'objet  de  l'autre.  Par  exem- 
ple :  parler  et  se  taire, 

70.  Dépendance.  —  Une  idée  dépend  d'une  autre  quand 
elle  renferme  cette  autre ,  comme  un  de  ses  éléments.  Par  exemple  : 
ridée  de  triangle  dépend  de  l'idée  d'angle  et  de  l'idée  de  ligne. 

71.  Extension.  —  Toute  idée  a  son  extension,  qui 
consiste  dans  l'ensemble  des  individus  dont  elle  est  la  conception. 
Exemple  :  l'idée  checal  s'étend  à  tous  les  chevaux  et  à  chacun  des 
chevaux  qui  ont  été,  qui  sont  et  qui  seront  ou  qui  pourraient  être. 
Elle  peut  ainsi  s'étendre  à  tout  un  genre  d'être,  à  une  espèce,  à 
quelques  individus  indéterminés  ou  h  un  seul.  L'extension  de  l'idée 
est  ainsi  générique,  spécifique  ou  individuelle.  L'extension 
d'une  idée  est  universelle,  quand  on  lui  fait  exprimer  intentionnelle- 
ment tous  les  individus  dont  elle  est  la  conception,  eX.  particulière  y 
quand  on  lui  en  fait  exprimer  quelques-uns  seulement.  Par  exem- 
ple :  si  je  dis  :  les  chevaux,  pour  désigner  tous  les  chevîiux,  l'idée 
est  prise  dans  toute  son  extension;  mais  si,  en  disant  :  les  chevaux, 
je  teux  indiquer  seulement  quelques  chevaux ,  l'idée  n'est  pas  pri- 
se dans  toute  son  extension ,  et  elle  devient  particulière. 

72.  Compréhension. —  Toute  idée  a  sa  compréhension  qui 
consiste  dans  l'ensemble  des  éléments  qui  la  composent.  Par  exem- 
ple :  l'idée  de  lient agone  renferme  tous  les  éléments  de  l'idée  polj- 
gone  (plan  terminé  par  plusieurs  lignes  formant  autant  d'angles) 
et  de  plus  l'idée  que  ces  angles  et  ces  lignes  sont  au  nombre  de  cinq. 
L'idée  simple  qui  n'a  qu'un  élément  a  la  plus  petite  compréhension 
possible.  Par  exemple  :  l'idée  d'être.  Les  idées  composées  ont  plus 
ou  moins  de  compréhension,  selon  que  l'une  ajoute  des  éléments 
aux  éléments  des  autres.  Ainsi ,  l'idée  pentagone  ajoute  à  l'idée  jîo- 
Iggone  ;Yidée  cheval  ajoute  à  l'idée  animaL  Donc  Vidée  pentago- 
ne a  plus  de  compréhension  que  l'idée  polygone ^  l'idée  cheval  en 
a  plus  que  l'idée  animal. 


DES   IDÉES  47 

L*extension  d*une  idée  est  en  sens  inverse  de  sa  compréhension. 
Plus  la  compréhension  augmente,  plus  Fextension  diminue.  Ainsi 
ridée  polygone  a  plus  d'extension  que  Vidée  pentagone  ;  Fidée  ani- 
mal a  plus  d'extension  que  Tidée  cheval. 

73.  Résumé  et  ohsenration.  —  Les  idées  ont  des 
propriétés  communes,  qui  sont  métaphysiques,  logiques,  physiques 
ou  morales,  et  des  propriétés  spéciales,  selon  qu'elles  sont  elles-mê- 
mes métaphysiques,  logiques,  physiques  ou  morales.  Ces  propriétés 
logiques  des  idées,  les  seules  que  nous  devions  étudier  ici,  sont  abso- 
lues ou  i^elati ves ,  communes  ou  spéciales.  La  vérité  et  la  fausseté , 
l'extension  et  la  compréhension  sont  des  propriétés  absolues.  L'iden- 
tité ,  l'analogie ,  l'opposition  et  la  dépendance  sont  des  propriétés  re- 
latives. La  vérité,  l'identité,  l'analogie,  l'opposition,  la  dépendan- 
ce, sont  des  propriétés  particulières.  La  compréhension  et  l'exten- 
sion sont  des  propriétés  communes  à  toutes  les  idées. 

De  toutes  ces  propriétés ,  les  plus  importantes  à  observer  dans  la 
logique  abstraite  sont  l'extension  et  la  compréhension.  Aussi  les 
logiciens  se  sont  occupés  des  moyens  de  déterminer  l'extension  et 
la  compréhension  d'une  idée.  Ces  moyens  sont  la  définition  et  la 
division. 

g  t.  -  MdTEKS  POUR  HTIRNINia  L'EXTIKSION  ET  U  CÛlPRiBUSItN  BIS  IDÉES 

74.  De  la  définition.  —  On  appelle  définition  la  détermina- 
tion de  la  compréhension  d'une  idée. 

On  a  l'habitude  de  distinguer  en  philosophie,  les  définitions  de  noms 
(clefinitio  iiominis)  et  les  définitions  de  choses  {definitio  rei). 

Pï^r  définition  du  nom  on  entend  ce  que  fait  un  auteur  ou  un  orateur 
qui,  pour  ôter  tout  sujet  de  contradiction  au  sujet  du  sens  d'un  mot, 
dit:  j'entends  ce  mot  dans  tel  sens.  Pour  Cicéron  (Académiques  II,  li- 
vre i.)»  la  définition  du  nom,  verhi  explicatio  n'est  autre  chose  que 
l'étymologie,  et  c'est  dans  ce  sens  que  les  théologiens  et  tous  les  philo- 
sophes qui  ont  écrit  en  latin  entendent  la  défmitio  nominis.  La  défini- 
tion de  la  chose  au  contraire  prétend  faire  connaître  la  chose  telle 
qu'elle  est.  Et  dans  cette  sorte  de  définition  on  distingue  encore  la  défi- 
nition descriptive  et  la  définition  proprement  dite.  La  première  décrit 
la  chose  par  tous  ses  caractères  apparents,  comme  font  les  orateurs  ou 
les  poètes;  la  deuxième  indique  Vessence  de  la  chose  définie  (l'essence. 


48  L0.G1QUE    ABSTRAITK 

c'est-à-dire,  ce  sans  quoi  ia  chose  ne  serait  pas  ce  qu'elle  est).  Mais  U 
nous  semble  qu'en  philosophie,  et  dans  les  recherches  scientifiques,  il  n'y 
a  ni  définitions  de  mots  ni  définitions  de  choses,  mais  seulement  des 
définitions  d'idées.  Ceux  même  qui  prétendent  définir  une  chose,  ne  dé- 
finissent que  l'idée  qu'ils  en  ont.  Et  quand  on  définît  un  mot  on  définit 
encore  l'idée  que  l'on  veut  exprimer  par  ce  mot.  En  sorte  qu'une  défini- 
tion, mise  en  rapport  avec  la  chose  qu'elle  semble  définir,  peut  être 
fausse  à  deux  points  de  vue:  1«  lorsqu'elle  n'exprime  pas  exactement 
l'idée  de  celui  qui  a  fait  la  définition  2«  torque  cette  idée  même  n'est 
pas  la  conception  exacte  de  la  chose  qu'il  a  l'intention  de  concevoir. 

—  La  définition,  disons-nous,  est  ia  détermination  de  la  compréhen- 
sion d'une  idée.  Elle  fait  connaître  les  éléments  qui  concourent  à  for- 
.  mer  une  idée;  elle  précise  ces  éléments,  non  pas  en  les  désignant  tous 
ce  qui  serait  trop  long,  mais  en  iudiquant  une  autre  idée  qui  les  renfer- 
me presque  tous,  et  dont  les  éléments  sont  connus  ou  censés  connus,  et 
ajoutant  à  cette  idée  une  autre  idée,  qui  est  précisément  l'élément  qu^ 
faut  ajouter  à  la  première  idée  pour  avoir  celle  que  l'on  définit. 

Soit,  par  exemple,  cette  définition  :  Le  carré  est  un  rectangle  dont 
les  côtés  sont  égaux.  L'idée  définie  est  l'idée  du  carré.  La  définition  : 
rectangle  à  cotés  égaux,  renferme  deux  idées  dont  ia  première  (rectan- 
gle) embrasse  tous  les  éléments  du  carré,  moins  un,  et  la  deuxième  (à  cotés 
égaux)  vient  compléter  l'ensemble  de  ces  éléments  et  donner  celui  qii| 
manque.  Or  l'idée  rectangle  est  supposée  connue  pour  tcn  quadrilatère 
à  angles  droits.  Ici,  à  son  tour  le  quadrilatère  est  censé  connu  pour 
t/ue  figure  plane  de  quatre  côtés.  La  figure  plane  est  censée  connue 
comme  une  portion  déterminée  d'un  plan,  et  les  côtés  comme  des 
lignes  droites  qui  déterminent  une  portion  de  plan.  Enfin  le  plan 
est  connu  comme  une  surface  indéfinie  telle  qu'une  ligne  droite  me- 
née dans  tous  les  sens  a  toujoui's  tous  ses  points  dans  'la  surface 
même.  Telle  est  la  compréhension  de  l'idée  du  cari*é,  et  c'est  ainsi 
qu'elle  est  déterminée  par  la  définition, 

75.  Qualités  de  la  définition. —  La  définition  doit  être  claire 
et  brève.  Elle  doit  exposer  toute  l'idée  et  rien  que  cette  idée. 

76.  Clarté.  —  Pour  être  claire,  une  définition  ne  doit  renfermer 
que  des  mots  connus. 

77.  Brièveté.  —  Pour  être  brève,  la  définition  doit  renfermer 
autant  que  possible  deux  idées  seulement  :  1^  Fidée  du  genre  dont 
fait  partie  Tespêce  que  Ton  veut  définir:  2«  l'idée  du  caractère  qnî 


■ 

I 


DBS  IDÉES  49 

distingue  cette  espèce  de  toutes  celles  du  môme  genre.  Definiiio 
constet  génère  proœimo  et  dtfferentid  spedficâ. 

Ce  n'est  pas  le  lieu  d'expliquer  ici  ce  que  l'on  entend  par  genre  et  ea- 
péce,  nous  aurons  à  en  parler  ailleurs.  Mais  il  est  bon  de  préciser  les 
mots  genre  prochain  et  différence  spécifique. 

Soit,  en  histoire  naturelle,  le  règne  animal,  dont  le  premier  embran- 
chement  est  celui  des  vertébrés,  dans  lequel  la  première  cUisse  est 
celle  des  mammifères.  Prenons  un  ordre  bien  connu  de  cette  classe, 
celui  des  ruminants^  et  dans  cet  ordre,  le  genre  mouton. 

Dans  cette  série,  animal  est  le  genre  supérieur  (genus  supremum)  ; 
vertébré,  mammifère,  ruminant  sont  des  genres  inférieurs  et  mouton 
le  genre  infime  (genus  infimum).  Or  de  chacun  de  ces  genres,  je  puis, 
selon  les  principes  de  la  définition,  faire  une  espèce,  au  point  de  vue  lo- 
gique, et  alors  le  genre  immédiatement  supérieur  à  celui  que  j'aurai 
choisi  sera  son  genre  prochain  (genus  proximum)  .Ainsi  ruminant  est 
le  genre  prochain  de  l'espèce  mouton,  comme  m,ammifère  sera  le 
genre  prochain  de  l'espèce  ruminant  Et  si  je  dis  :  les  run^ioants  sont 
des  mammifères  qui  m&chent  une  seconde  fois  leur  nourriture,  après 
l'avoir  avalée,  en  un  mot  qui  ruminent  ;  cette  dernière  idée  sera  la  dif- 
férence spécifique  des  ruminants  par  rapport  aux  autres  espèces  de 
mammifères. 

Les  scholastiques,  pour  faciliter  les  définitions  avaient  dressé  un  com- 
mencement de  tableau  quils  appelaient  l'arbre  des  genres.  Le  voici  : 


Possibile  Bziflieiui 

SubstantU  AooidMis 

Spiritus  CSorpus 

ViTena  Non  vivens 

Animal  Planta 

Hationale  Irrationale 

On  voit  facilement,  dans  ce  tableau,  le  genus  supremum  les  gênera 
inferiora,  et  les  gênera  inflma, 

4 


50  LOGIQUE  ABSTRAITE 

On  y  voît  aq^si  les  ge^iera  proxima  et  mônie  les  lUfferentiœ  speci" 
flcœ. 

Soit,  par  exemple:  homo  est  animal  rationale.  On  voit  facilement 
que  dans  eeîie  défifïitîon  de  Miomme,  a7nmal  est  le  genre  prochain,  et 
7*ationale,  la  différence  spécifique. 

78.  Exactitude. —  Pour  être  exacte,  la  définition  doit  exposer 
toute  ridée  et  rien  que  cette  idée.  Elle  remplit  cette  condition  quand 
on  peut  la  renverser,  c'est-à-dire  quand  on  peut  faire  de  Tattribut 
le  siget,  et  du  siyet  Tattribut,  de  la  proposition  qui  définit.  Sit  défi- 
ni tio  convertibilis, 

79.  De  la  dÎTÎsîon.  —  On  appelle  division  la  détermination 
de  rextension  d'une  idée.  Elle  expose  les  diflTérêntes  espèces  renfer- 
mées dans  un  genre  ou  les  variétés  d*ûne  même  espèce. 

A  proprement  parler,  déterminer  l'extension  d'une  idée  ce  serait  dési- 
gner tous  les  individus  qui  sont  conçus  dans  cette  même  idée  ;  mais, 
comme  une  pareille  détermination  est  impossible,  la  division  s'arrête  t 
lindicatlon  des  espèces  que  renferme  le  genre  qu'il  faut  diviser. 

Par  exemple  dans  l'arbre  des  genres  que  nous  avons  exposé  ci  dessus 
(72)  :  le  genre  rirens  se  divise  en  animal  et  planta, 

80.  Qualités  de  la  division.  —  La  division  d'une  idée  doit 
être  complète  et  distincte. 

81.  Complète.  —  La  division  doit  embrasser  toute  Textension 
dt;  ridée  divisée. 

82.  Distincte,  -r-  Les  différentes  espèces  comprises  dans  une 
même  idée  doivent  être  détéfpminées  par  des  caractères  distincts , 
qui  empêchent  de  les  confondre,  et  une  partie  ne  doit  pas  entrer  dans 
Tautre. 

83.  Points  de  vue  de  {a  division.  —-  On  peut  faire  plusieurs 
divisions  d*une  môme  idée ,  selon  qu'on  se  place  &  différents  points 
de  vue.  Par  exeomlo:  .  ^ 

Un  livre  peut  être: 

Ancien  ou  moderne  y  quant  à  Ijépoque  ou  on  Ta  écrit;  in  folio  ^ 
in  quarto  y  2n-8°,  etCj  quant  à  son  format  -,  sérieux  ou  léger  y  quant 
aux  pensées  qu'il  renferme  \vtil£^ou  inutile^  pour  telle  ou  telle  per^ 
sonne;  français ^  laUn^  grec,  etc. y  quant  &  la  langue  en 
laquelle  il  est  écrit  ;  broché  ou  relié  etc.,  etc.,  [selon  mille 
au{res  points  de  vue. 


VHH    IDÉES  51 

Il  ea  est  de  môme  des  idéed  de  tout  ûifQ  qiiidedai^u0«i      .  J 

84.  De  la  clâdsification.  —  Comme  la  clarié  et  la  dis- 
tiaction  des  idées  sont  de  la  plus  haute  importance,  et  que  le  seul 
moyen  d'avoir  des  idées  claires  et  distinctes,  c'est  d'en  conhaKre 
parfaitement  la  compréhension  et  Textensien ,  on  conçoit  comlbidn  il 
serait  utile  de  pouvoir  détei*min^  facilement,  et  par  un  mot,  Ivoom. 
préhension  et  Textension  de  chacune  de  nos  idées.  Or  c'est  à  èe  bût 
que  tendent  les  classifications. 

A  cet  effet  un  grand  nombre  d'idées  étant  données  on  les  fait  en- 
trer dans  différents  groupes,  que  Ton  nomme  par  exemple  espèces  ; 
plusieurs  espèces  entrent  dans  un  genre  et  plusieurs  genres  forment 
une  famille  ou  une  classe.  En  sorte  que,  lorsque  la  plassi^^tion  est 
ainsi  faite,  un  seul  mot,  désignant  tel  gence  ou. telle  ft^oille,  pv?t9 
avec  lui  sa  compréhension  et  bodl  extension,  poui?  celui  qoi'OçiimSà 
la  place  qu'occupe  cette  idée  dans  la  ol^ssfâÇdiJtiQiiL.        .  .>..j  .  *- 

On  peut  donc  définir  la  classification  ;  La  détermination  coordp^^ 
née  de  l'extension  et  de  la  compréhension  de  toutes  les  idées  cofït* 
prises  dan?  l'extension  d'une  seule. 

85.  Tableau  de  classification .  .--'  Quand  la  claasiâoi^ 
tioa  est  faite,  on  Texposû^  en  cQiiutten[çaDt4ittr  ridée  kDp3ti9^néra;le, 
dont  on  donne  la  division,  et  on  montre  ensnitela  snbdivkion  de  châf 
cune  de  ces  divisions,  et  ainsi  de  suite ,  jusqu'aux  espèces  lopins 
restreintes.  C'est  ainsi  que  l'on  distingue  les  êtres  eorp(»«laen  trois 
règnes,  et  le  règne  animal,  par  exemple,  en  quatre  embranche* 
menta; les  embranchements  se  divisent  en  classée^  lesclasEtes  en 
sous-classes  et  en  ordres,  les  ordres  en  genres  et  les  genres  en  e»*- 
pêces,  dans  lesquelles  on  distingue  encore  les  variëtëa,,  avant 
d'arriver  aux  hidividus. 

86.  Oréatioii  de  la  classificati<m.  —  Pour  créer  une  elasêi^ 
fication,  on  prend  au  contraire  d'abord  les  individus  pour  led  grouper 
en  espèces  distinctes,  on  groupe  ensuite  ensemble  les  espèces  d'un 
môme  genre,  les  genres  d'un  môme  ordre,  les  ordres  d'uae  môme 
classe,  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  l'idée  générale  qui  les  renfénne» 
toutes. 

87.  Difféventes-^^èees  ds.  olaaaifif|afioB»-^iX)aAtin^e 
d^abord  les  classifications  naturelles  et  les  classifications  artifloiellest^ 


52  LOGIQUE   ABSTRAITE 

88.  OlusifiMtioa's  naturelles.  —  Quand  on  classe  des  ob> 
jets  selon  leurs  différences  et  leurs  ressemblances  les  plus  importan- 
tes,  et  4u*on  en  fait  ainsi  ressortir  les  rapports  essentiels,  on  dit 
que  la  classification  est  naturelle. 

On  peut  citer  comme  exemples  de  classifications  naturelles  :  C3lle  des 
plantes  par  Juasieu,  celle  des  animaux  d'après  les  travaux  des  modernes 
et  surtout  de  Cuvier.  Jussieu,  en  prenant,  pour  batse  de  classification,  la 
plus  importante  des  diversités  qu'offrent  les  graines  des  plantes,  a 
trouvé  une  distinction  qui  persiste  jusque  dans  les  feuilles  de  ces  mêmes 
plantes  ;  et  dans  la  distinction  des  familles,  il  a  si  bien  trouvé  l'ordre 
naturel»  que  vingt  mille  espèces  qu'il  ne  connaissait  pas  ont  pu  venir  se 
placer  dans  son  cadre,  sans  y  rien  déranger. 

Observons  Ici  que,  dans  les  classifications  naturelles,  les  espèces  doi- 
vent se  distinguer  par  des  caractères  constants.  Les  diversités  qui  ne 
sont  qu'accidentelles  ne  constituent  que  des  variétés. 

89.  OlassificatioBS  artifiGielles.  —  Quand  on  classe  des  ob- 
jets selon  tel  et  tel  rapport  accidentel,  pour  la  seule  commodité  de 
Tétude ,  on  dit  que  la  classification  est  artificieUe. 

La  classification  des  mots  par  ordre  alphabétique  dans  les  dic- 
tionnaires est  artificielle. 

90.  Qualités  logiques  des  dassifirations.  —  Une  classifica- 
tion  artificielle  est  facilement  vraie,  et  elle  est  plus  ou  moins  bonne 
selon  qu'elle  facilite  plus  ou  mcàns  une  étude  ;  c*est  lÀ  son  unique  but. 
Mais  une  classification  naturelle  n'est  parfaite  que  lorsqu'elle  met 
en  relief  tous  les  rapports  essentiels  des  objets  classés.  On  com- 
prend qu'une  telle  classification  est  au  moins  difiicile^  si  elle  n'est 
pas  radicalement  impossible.  Car,  outre  qu'elle  suppose  une  connais- 
sanoe  parfaite  des  objets  que  l'on  veut  classer,  les  moyens  que  nous 
avons  pour  exposer  une  classification  sont  impuissants  à  reproduire 
k  la  fois  tous  les  rapports  qui  existent  entre  une  multitude  d'objets. 
Car  un  objet  qui,  à  un  point  de  vue,  se  trouve  très-éloigné  d*un  au- 
tre peut  en  être  três-rapproché,  à  un  autre  point  de  vue.  Aussi, 
bien  qu'il  n'existe  aucune  classification  vraiment  naturelle,  on 
donne  ce  nom  &  certaines  classifications  qui  se  rapprochent  plus  ou 
moins  de  cette  perfection. 

91.  Travail  da  logieien  sur  les  idées.  «*»  L'homme 
qui  veut^  dans  toutes  ses  pensées  suivre  les  lois  de  la  vérité ,  doit 


DBS   IDÉES  58 

avant  tout  former  ses  idées  de  manière  à  les  rendre  eameêêSp  diê^ 
tinctes,  certaines,  I^our  cela  il  emploie,  sur  les  idées  en  général  et 
sur  chacune  de  ses  idées  en  particulier,  les  moyens  que  noos  Tenons 
d'indiquer:  Définition,  division,  classification. 

Définir  et  diviser  une  idée,  à  mesure  qu*on  doit  s*en  servir,  est  un 
travail  indispensable,  mais  qui  ne  peut  se  faire  que  peu  à  peu. 

Classer  toutes  ses  idées  selon  tous  leurs  rapports  est  un  travail 
au  dessus  des  forces  humaines.  Mais  ce  que  Ton  peut  faire  et  ce  qui 
fournit  h,  la  logique  une  base  excellente  c*est  de  classer  les  idées  À 
des  points  de  vue  logique. 

92.  Différentes  dassificAtions  des  idées.  —  Il  j  a  dans  les 
idées  mille  points  de  vue  sous  lesquels  on  conçoit  qu'elles  pourraient 
se  classer,  et  chacun  d^  ces  points  de  vue  fournirait  une  classifica- 
tion différente.  Les  principaux  points  de  vue  des  idée  sont  :  leur  ob* 
Jet,  leur  sujet,  leitif  nature ,  leur  origine,  leur  expression ,  leur 
filiation^  leur  époque ,  etc. 

Nous  donnerons  plus  loin  un  commencement  de  classification  des 
idées  logiques  seulement,  au  point  de  vue  de  leur  objet;  mais  il 
nous  faut  d'abord  exposer  quelques  distinctions  logiques  que  Ton 
fait  sur  toutes  les  idées  en  général ,  à  difEârents  pràats  de  vue. 

§4.-aUiLITtS  DISIDllS. 

93.  Qualités  logiques  des  idéss.^  Nous  appdons  qualités 
logiques  des  idées  certains  caractères  qu'elles  peuvent  avoir  et  qui 
importent  à  leur  vérité. 

Ces  différentes  qualités  des  idées  se  distinguent  toutes  par  grou- 
pes de  deux  qualités  opposées  qui  ne  sont  que  la  présence  ou 
l'absence  d'une  même  propriété  logique. 

Ces  qualités  sont  intrinsèques  si  elles  sont  dans  Tidée  considérée 
en  elle-même,  extrinsèques  si. elles  n'affectent  l'idée  que  par  rap- 
poi*t  à  son  objet  ou  son  origine. 

94.  Qualités   intrinsèques.  —  Une   idée,   en  elle*  métne, 
peut  être  claire  ou  obscure,  distincte  ou  confuse^  simple  ou 

composée,  absolue  ou  relative. 

95.  Idée  claire  ou  obscure.  —  Une  idée  est  claire  quand 
elle  est  suffisamment  formée  pour  montrer  son  objet  dans  tout  son 
jour  ;  elle  est  obscure,  dans  le  cas  contraire. 


54  LOOIQUB  'ABSTRAITS 

06.  Uém  dislÙMto  ou  oonftue.  «—  Une  idée  est  distincte 
qjBLdMd  ells  nous  fait  disoernef  son  objet  de  tout  autre  ;  elle  est  con- 
ftise,  dans  le  cas  eontraire. 

97.  Idée  simple  ou  eomposée.  —  Une  idée  est  simple  quand 
elle  n'a  qu'un  seul  élément;  elle  est  composée  quand  elle  en  a 
plusieurs  t[ui  sont  tout  autant  d'idées  simples.  Pour  nous  il  j  a 
bien  des  idées  qui  sont  simples  parce  que  nous  ne  savons 
pas  les  décomposer,  mais  dans  la  réalité  il  n'j  a  qu'une  seule  idée 
simple  :  c'est  l'idée  d'être  ;  elle  entre  dans  toutes  les  autres  idées. 

98*  Idée  absolue,  ou  relatÎTe  —  Une  idée  est  absolue  quand 
elle.Rô  fait  concevoir  que  son  seul  objet;  elle  est  relative,  quand 
elle  fftit  concevoir  nécessairement  un  autre  objet  corrélatif  au  sien. 
Père  est  une  idée  relative,  qui  fait  concevofr  le  père  et  le  fils.  Père 
et.  fils  sont  des  idées  cori*élatives. 

On  prend  aussi  dans  un  autre  sens  les  mots  idée  absolue  et  ide'e 
rfiltitive.  On  appelle  alors  absolue  l'idée  d'un  objet  que  l'on  conçoit 
QB  dehors.de  toute  hypothèse,  ei  relative  celle  dont  Tobjet  n'est 
vrai  ou  possible  que  dans  telle  condition. 

99.  QttttUlés  ezlriiisèques.  —  Les  qualités  extrinsèques 
des  idées  se  rappoi*tent  au  sqjet ,  à  l'objet  ou  à  l'origine  des  idées. 

100.  QualHés  subjectives,  —  Considérée  par  rapport  à 
soin  siyet,  une  idée  est  personnelle  ou  impersonnelle ,  explici-- 
te  ou  implicite, 

101 .  Idée  personnelle  ou  impersonnelle.  —  Une  idée  est  per- 
sonnelle quand  elle  ne  se  trouve  que  chez  tel  ou  tel  homme ,  elle  est 
impersonnelle  quand  elle  se  trouve  chez  tous  les  hommes.  Les  idées, 
d'être,  de  substances,  de  modifications,  de  vrai,  de  beau,  de  bien 
sont  des  idées  impersonnelles. 

Iffip  Idée  explicite  ou  implicite,  —  Une  idée  se  trouve  ex- 
pliciteo^ent  chez  quelqu'un ,  quand  il  la  possède  telle  qu'elle  est  en 
elle-même  ;  elle  est  implicite  quand  sans  la  posséder  elle-même ,  le 
sujet  en  possède  \\ne  autre  qui  la  renfern^e, 

103.  QueUtée  objectives.  —  Considérée  par  rapport  à  son 
objet,  une  idée  peut  être  :  vraie  ou  farnse,  positive  ou  négative  y 


DBS  IDÉES  55 

concrète  ou  abstraite,  umver^lleoiLpartiûuHêrer  né^HBaire ou 
contigente, 

104.  Idée  vraie  ou  fausse.  —  Une  idée  est  vraie,  quand 
elle  est  la  conception  exacte  dô  hoh  objert  iriteAtfon'nel  ;  elle  est 
fausse  dans  le  cas  contraire. 

105.  Idée  positive  ou  négative.  —  Une  idé^  est  positive, 
quand  elle  est  la  conception  d'un  objet  qui  exista  ou  est  censé  exister; 
elle  est  négative,  quand  elle  fait  concevoir  son  ol^et  comme  n'exis- 
tant pas. 

106.  Idée  concrète  ou  abstraite.  —  Une  idée  est  concrète, 

quand  elle  est  la  conception  d'un  objet  réel  existant  en  lui-même  ; 
par  exemple  :  une  montagne  ;  elle  est  abstraite,  quand  son  objet 
n'existe  pas  séparément  tel  que  l'idée  le  présente  ;  par  exemple  :  la 
hauteur  d'une  montagne. 

107.  Idée  universelle  ou  particulière.  —  Une  idée  est  uni- 
verselle, quand  elle  est  la  conception  de  toute  une  classe  d'êtres  ;  par 
exemple:  le  lion;  elle  est  particulière;  quand  elle  n'a  pour  objet 
que  quelques-uns  de  ces  êtres  ;  par  exemple  :  quelques  lions. 

Il  faut  remarquer  ici  que  toute  idée  commune  à  plusieurs  êtres 
peut  être  prise  universellement  ou  particulièrement,  selon  qu'on  j 
fait  entrer,  tous  les  êtres  dont  elle  est  la  conception ,  on  seulement 
quelques-uns  ;  par  exemple  :  l'idée  Uon,  dans  les  deux  exemples  ci- 
dessus. 

108.  Idée  nécessaire  ou  contingente.  —  Une  idée  est  né- 
cessaire, quand  elle  est  la  conception  d'un  oîyjef  qui  hè  peut  pas 
ne  pas  être  ;  'par  exemple  :  Dieu  ;  elle  est  contigente,  quand  son  ob- 
jet pourrait  ne  pas  être  ;  par  exemple  :  les  hommes. 

109.  Qualités  originelles  des  idées.  *—  Considérée  dans  son 
origine,  une  idée  est  innée  ou  acq^uzse,  et  l'idée  acquise  e^t  h  son 
tour  raisonnée  ou  empirique. 

110.  Idée  innée  ou  acq[uise.  —  Une  idée  est  innée,  quand 
)*habitude  qui  la  constitue  est  dans  lliofiûme  depuis  sa  naidsancô  ; 
elle  est  acquise  quand  cette  même  habitude  a  été  formée  par  4e  trsr 
vail  de  la  pensée. 


56  LOGIQUE   ABSTRAITE 

111.  lééê  raitoaaée  ou  «aipirîqii*.  —  Une  idée  est  rai- 
Sonnée,  quand  elle  a  été  acquise  par  une  étude  raisonnée  ;  elle  est 
empirique  quand  elle  a  été  acquise  par  la  seule  expérience. 

112.  OorrélatiOB  im  ces  différentes  qaalitée.  ~  Parmi 
les  diverses  qualités  des  idées ,  il  y  en  a  qui  sont  tellement  corré- 
latives que  Tune  suppose  Tautre.  Ainsi  : 

Toute  idée  nécessaire  est  aussi  impersonnelle  est  innée  et  ré- 
ciproquement. Toute  idée  contingente  est  aussi  personnelle  et 
acquise  et  réciproquement. 

Pour  mieux  comprendre  cela  il  nous  faut  étudier  spécialement 
rorigine  des  idées. 

^6.- ORIGIHI  DIS   IDllS 

113.  Place  de  cette  question.  —  L'origine  des  idées  regarde 
la  logique  subjective  et  la  psychologie,  plutôt  que  la  logique  abs- 
traite. Nous  la  traiterons  donc  brièvement  ici. 

114.  Orif  ine  en  général.  —  L'origine  d'un  être  c'est  son  pas- 
sage du  néant  à  l'existence. 

Ainsi,  demander  l'origine  des  idées,  c'est  demander  comment  et 
par  quelles  causes  elles  ont  passé  du  néant  à  l'existence. 

115.  Moyen  d'étudier  l'origine  des  idées.  —  Comme  nous 
ne  pouvons  saisir  ce  passage  au  moment  où  il  se  fait  en  nous, 
il  ne  nous  reste  qu'A  considérer  les  caractères  actuels  de  nos  idées 
pour  y  découvrir  les  traces  de  leur  origine.  Si,  dans  les  caractères 
actuels  de  nos  idées,  nous  pouvons  découvrir  la  cause  qui  les  a 
produites,  nous  aurons  trouvé  l'origine  des  idées. 

116.  Causes  possibles  de  nos  idées.  —  Sachant  que  les 
idées  ne  sont  que  des  conceptions  de  différents  objets,  nous  pouvons 
affirmer  qu'elles  ne  peuvent  avoir  pour  cause  que  les  objets  eux- 
mêmes  ou  notre  Ame.  Et  encore  si  notre  Ame  en  forme  quelques- 
unes  elle  ne  peut  les  former  qu'en  combinant  celles  qu'elle  a  ac- 
quises par  les  otjets,  ou  en  suivant  une  disposition  naturelle.  Donc 
en  résumé,  les  idées  ne  peuvent  avoir  que  deux  causes:  V  expérien- 
ce des  objets  ou  notre  propre  nature  ainsi  disposée. 

117.  Careetères  de  nos  idées  relatifs  à  leur  cause  possi- 
ble. —  Si  nos  idées  sont  produites,  les  unes  par  notre  nature,  les 
autres  par  l'expérience  des  olgets,  elles  doivent  porter  respective- 


DBS   IDEES  57 

ment  ces  deux  caractères.  Les  unes,  naturelles,  doivent  se  trou- 
ver chez  tous  les  hommes  ;  les  autres,  acquises  par  Texpérience,  ne 
doivent  se  trouver  que  chez  ceux  qui  les  ont  acquises.  Or  il  en  est 
précisément  ainsi. 

118.  Caractère  personnel  des  idées  contingentes.  —  De 

toutes  les  idées  contingentes  aucune  ne  se  tmuve  chez  tous  les 
hommes  que  celles  qui  sont  en  effet  expérimentées  par  tous,  les 
hommes.  Comme  les  idées  de  nombre,  d'étendue,  de  mouvement  et 
par  suite ,  de  temps  et  d'espace. 

Quelques-uns  de  nos  lecteurs  s'étonneront  peut-être  de  nous  voir  mettre 
parmi  les  idées  contingentes  les  idées  de  temps  et  d'espace,  que  tous 
les  auteurs  contemporains  mettent  au  nombre  des  idées  nécessaires. 
Nous  nous  expliquerons  sur  ce  point  dans  la  métaphysique;  mais  dès 
à  présent  n6us  protestons  contre  la  doctrine  qui  affirme  que  l'espace  est 
réel,  immualtle,  éternel,  inflnit.  li  ne  resterait  plus  qu'à  ajouter  :  c'est 
Dieu  ! 

110.  Caractère  impersonnel  des  idées  nécessaires.  — 

Au  contraire,  il  n'est  aucun  homme  qui  ne  possède  les  idées  néces- 
saires, au  moins  celles  qui  sont  les  principes  des  autres.  Tout 
homme  possède  les  idées,  d'être,  d'existence,  de  substance,  de 
vrai,  de  beau ,  de  bien ,  de  droit,  et  de  devoir  ;  c'est  là  le  fond  mé-; 
me  de  touta  connaissance ,  et  ce  sont  des  idées  dont  pei*8onne  n'a 
jamais  vu  les  objets.  Donc  nous  pouvons  conclure. 

120.  Origine  des  idées.  —  Les  idées  contingentes,  qui  sont 
en  même  temps  personnelles,  et  dont  la  cause  est  évidemment  la 
perception  des  phénomènes  des  êtres,  sont  acquises. 

Les  idées  nécessaires,  qui  sont  en  mémo  temps  impersonnelles, 
qui  se  retrouvent  chez  tous  les  hommes,  sans  qu'aucun  d'eux  en  • 
ait  jamais  perçu  les  objets,  sont  évidemment  causées  en  nous  par 
notre  nature  ;  elles  nous  sont  donc  données  avec  la  nature  ;  elles 
sont  donc  innées.  • 

Encore  une  (ois,  il  ne  faut  pas  oublier  que  nous  parlons  ici  des  habi- 
tudes et  non  des  actes  de  pensée»  auxquels  on  donne  quelquefois  le  nom 
d'idées.  La  disposition  à  concevoir  Tôtro  ou  la  substance  peut  être  innée, 
l'acte  même  par  lequel  on  les  conçoit  ne  l'est  certainement  pas.  C'est 
celte  disposition  à  concevoir,  cette  conception  hubiluelle,  que  nous  a[>i)e- 


58  LOGIQUE  ABSTRAITE 

Ions  idée,  et  c'est  sealement  dans  ce  sens  que  nous  disons  que  les  idées 
nécessaires  sont  innées. 


ft  6.  —    BE8  IDÉIS  DA5S  LIURS  RAPPORTS  iTK  U  PMSil. 

121.  Fonctions  des  idées  dans  la  pensée.  —  Chaque  idée 
comme  élément  d'une  pensée  remplit  dans  cette  pensée  la  fonction 
d'exprimer  un  des  éléments  du  fait.  Ainsi  une  idée  peut  être  siget, 
verbe,  attribut  ou  complément  dans  la  pensée. 

122.  Idée  sujet.  —  L'idée  qui  représenta  le  siyet  du  fait  est 
le  siget  de  la  pensée. 

123.  Idée  verbe.  —  L'idée  qui  exprime  l'existence  du  fait  est 
le  verbe  de  la  pensée. 

124.  Idée  attribut.  —  L'idée  qui  exprime  la  nature  du  fait  est 
dans  la  pensée,  l'attribut  du  sujet. 

125.  Idée  complément.  —  Les  idées  qui  expriment  les  diver- 
ses circonstances  du  fait  sont  les  compléments  de  la  pensée. 

126.  Glassification  des  idées  par  rapport  à  la  pensée.  — 

On  pourrait  vouloir  classer  les  idées  selon  leurs  fonctions  dans  la 
pensée.  Mais  pour  classer  les  idées  de  sujet,  il  faudrait  classer  tous 
les  êtres  et  toutes  leurs  modifications  possibles. 

L'idée  de  l'existence  du  fait  est  toujours  la  môme,  paa*  consé- 
quent elle  ne  peut  pas  donner  lieu  à  une  classification.  Cependant 
on  y  remarque  plusieura  pi*opriétés,  dont  les  principales  sont  le 
temps  et  le  mode, 

•  Il  ne  reste  plus  que  les  attributs  ou  idées  des  natures  des  faits. 
Aristote  a  entrepris  de  les  classer,  et  bien  que  sa  classification  soit 
depuis  longtemps  abandonnée ,  nous  allons  la  donner  ici ,  pour  mon- 
trer avec  quelle  sagacité  il  avait  su  analyser  les  idées. 

127.  Catégories  d' Aristote.  •—  Aristote  se  demande  :  Que 
peut-on  dire  d'un  être  quelconque?  c'est-à-dire:  Quels  sont  les 
attributs  possibles  d'un  sujet?  Et  il  distingue  dix  sortes  d'attributs 
qu'il  appelle  catégories^  xaTriyopiai  (en  latin  :  prœdicamenta,  atr- 
tributs).   Ces  catégories  sont  : 


DE6  IDÉES 

!<»  la  substance, 

substantïa. 

ouo-Ca. 

2«  la  quantité, 

quantitas, 

TO  Tçoorov. 

3**  la  relation. 

relatio. 

•ïtpoc  t£. 

4®  la  qualité, 

qualitas, 

TO  7rot6y. 

5°  Taction, 

actio, 

lîoieïv. 

6®  la  passion,^ 

passiOy 

irio^eiv. 

7«  le  lieu, . 

ubi. 

TTOÎi. 

8°  le  temps, 

quando, 

TCOTS. 

9^  la  situation, 

situs. 

xeîaôai. 

10»  l'avoir, 

hahituSj  habere^ 

eyetv. 

60 


Les  scholastiques  avaient  ranémonisé  ces  catégories,  dans  les 
deux  vers  suivants,  par  des  exemples. 

Arbor  sex  servos  ardore  réfrigérât  uaios; 
Ruri  croê  stabo  ;  sed  tuiiicatua  ero. 

Aristote  a  donné  les  principales  subdivisions  de  ces  catégories  ; 
nous  n'en  parlerons  pas. 

125.  Catégorèmes  de  Porphyre.  —  Un  commentateur  d'A- 
ristote ,  Porphyre ,  se  demanda  à  .quels  points  de  vue  on  peut  attri- 
buer à  un  être  une  de  ces  catégories ,  et  il  indiqua  cinq  points  de 
vue  qu'il  appela  catégorèmes ,  yL%Tr\'^o^i\^9.'zoi  (en  latin  :  prœdi- 
eame7itaUa)y  c'est-à-dire  modes  d'attribution.  Ces  points  de  vue 
sont  : 

V*  Le  genre ,  dont  le  sujet  a  les  propriétés  (genus)  ; 

2**  L* espèce,  dont  le  sujet  fait  partie  (species)\ 

3**  La  différence  qui  distingue  son  espèce  de  toutes  les  autres 
du  môme  genre  (differentia)  ; 

4®  Le  propre,  ou  les  caractères  constants  du  si^jet  (propriufn)  ;  * 

5°  L'accident ,  ou  les  caractères  variables  du  su^ei  (accidens). 

Ces  catégorèmes  s'appelaient  au  moyen  âge  universalia  entis , 
ou  les  cinq  universaux. 

Ajoutons  ici,  à  litre  d'érudition,  les  catégories  imaginées  par  les 
auteurs  qui  ont  précédé  ou  qui  n'ont  pas  voulu  suivre  Aristote. 

Gatégrories  de  Pythagore.—  1»  Le  fini  et  l'infini  ;  2«  le  pair  et 
l'impair  3»  Tunité  et  la  pluralité  ;  i*»  le  droit  et  le  gauche  ;  5°  le  mâle 
et  la  femelle  ;  G»  le  repos  et  le  mouvement  ;  7<»  le  droit  et  le  courbe  ; 
8o  la  lumière  et  les  ténèbres .;  9°  le  bien  et  le  mal  ;  10«  le  carré  et  les 
ligures  irrégulières. 


60  LOGIQUE   ABSTRAITE 

Catégories  des  Stoïciens.—  1°  substance  ;  2»  ([ualité  ;  3»  mode  ; 
4°  relation. 
Catégories  de  Platon  : 

SnJ*.'*1anre. 

Monde  iiitHli[^ibk>      (    Mouremcnt . 

Itlentitè. 

Différence. 

Suhiitanre. 

Relation. 
Monde  spn^ibie  \     Quaniîtè, 

Qualité, 

Mouvement. 


\ 


Catégories  de  Descartes.—»  L'absolu  et  le  relatif. 

Catégories  de  Port-RoyaL—  Dans  la  logique  de  Port-Ko\*al, 
Arnaud,  après  avoir  exposé  les  catégories  d'Aristote,  les  critique  et  y 
oppose  les  sept  suivantes  : 

Men^,  men;ivra,quies,  mot  us ,  positura,  figura 
Sunî,  cum  materia,  cunctarum  e.rordia  rerum. 

Catégories  de  Kant.-—  Kant  appelle  eatégories  les  diverses  fonnes 
que  notre  ànie  donne  à  ses  idées  : 

1      ESPACE.  <>$  diTfrses  catfftms  rtc«iicit 

de  la  «BsiMlité.    j      tj,j^„,^  1«  jipawrts  : 

i  Individualité Sinfftdiet'. 

QUAMiTÉ .    j  Pluralité Pluriel. 

\  L'nivei*salité i' ni  ver  sel. 

à  Aflirniation Afprmatif. 

I  I     «irAi.iTÊ.      I  Négation Négatif. 

ï  I  1  f  Limitation Déterminatif. 

'  Subsistance  et  inhé- 

tfc  I  «ikBdescBt.  '  I     rence Catégorique, 

'     RtLATioN.    'causalité  et  déi>en- 


*  i  I  I     dance Hypothétique, 

^  l  I  (communauté Dit^jonctif, 


ri 


*  Possibilité  et  impos- 

I     sibilité Problématique. 

MODALITÉ.    <  Être  et  non  être Asseriorique . 

j  Nécessité  et  contin- 
\      rronoo 


ence Xpoi/ictiquc, 


irUTiiyft.         [      l'MTE 


DES    IDKES  61 

Catégories  de  Cousin  : 

I    Infini 
Fini 
Relation  de  Vun  à  l'autre 

129.  Remarque.  —  Nous  ferons  remarquer  que  l'expression  si 
vulgaire  :  répondez  catégoriquement^  vient  de  l'usage  des  caté- 
gories d'Aristote,  et  signifie  :  Quand  je  vous  interroge  sur  une 
catégorie,  ne  ine  répondez  jyas  sur  une  autre.  Par  exemple  :  Si  je 
vous  demande  :  Quel  est  cet  animal  ?  (catég.  de  la  substance),  ne 
me  répondez  pas  :  //  est  gris,  (catégorie  de  la  qualité),  ou  :  Il 
wmre/re  (catégorie  de  l'action)  ou  bien  :  //  vient  d'Afrique  (catég. 
du  lieu). 

De  là  encore  l'expression  :  jugement  catégorique ^  dont  se  ser- 
vent les  logiciens,  et  que  nous  aurons  à  expliquer  plus  loin  ;  dans 
ce  second  sens,  répondez  catégoriquement  signifie  répondez 
par  oui  ou  par  non,  sans  condition  ni  alternative. 

130.  Conclusion.  —  Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  sur  les 
idées  est  pour  enseigner  à  les  analyser,  pour  les  rendre  plus  distinc- 
tes ;  car  de  la  distinction  des  idées  dépend  la  distinction  des  pen- 
sées, et  rien  n'est  plus  contraire  à  la  logique  que  la  confusion  des 
pensées.  Aussi  nous  conclurons  par  cette  loi. 

In  loi  de  la  logique  abstraite.  —  Que  toutes  les  idées  soient 
distinctes.  Et  pour  cela  :  qu'elles  soient  bien  définies  et  bien 
divisées. 

Observation  sur  cette  loi.  1^  Les  idées  purement  abstraites,  ([iil 
n'ont  pas  d'objet  intentionnel,  sont  facilement  distinctes,  et  ne  sont  ni 
vraies  ni  fausses.  En  effet,  comme  elles  ne  sont  que  de  pures  conceptions, 
elles  n'ont  pas  d'autres  lois  que  notre  propre  conception,  et  nous  ne  pou- 
vons pas  les  voir  autrement  ({ue  nous  ne  les  concevons.  Ex.  Toutes  les  idées 
de  nombre  et  de  ligures  mathématiques;  les  idées  de  la  métaphysique,  à 
part  l'idée  d*étre. 

2«  Les  idées  générales,  qui  sont  toujours  censées  représenter  les  caractè- 
res communs  à  une  classe  d'être,  peuvent  n'être  pas  assez  distinctes  et 
surtout  elles  peuvent  n'être  pas  vraies;  parce  que,  outre  la  conception, 
elles  exigent  une  perception  exacte.  Ex.  Les  idées  des  corps,  des  plantes, 
des  animaux,  des  esprits  et  de  toutes  les  modifications  de  ces  diverses 
classes  d'êtres. 


(>2  I.OCfIQUB   AIJSTRAITE 

\io  Kafin  les  {(fées  particulières  sont  souvent  confuses  et  plus  sou^^ent 
fausses,  parce  qu'elles  doivent  presque  tout  tenir  de  la  perception  et 
qu'elles  supposent  une  observation  que  nous  faisons  rarement.  Ëx.  JLes 
idées  que  nous  avons  de  chaque  être  individuel  (jue  nous  connaissons 
dans  son  individu.  En  eflfet  nous  nous  arrêtons  le  plus  souvent  à  quelques 
caractères  individuels  qui  nous  suffisent  pour  le  distinguer,  et,  quand  les 
autres  nous  seraient  nécessaires  pour  former  siircet  être  un  jugement, 
nous  les  supposons. 

Article  3« 
UNION  DBS  ÉLÉMENTS  DE  LA  PENSÉE. 

131.  But  général  de  la  question.  —  Nous  devons  dans  cet  ar- 
ticle étudier  comment  les  idées  s'unissent  pour  former  une  pensée, 
et  quelles  sont  les  différentes  pensées  qui  résultent  de  cette  union. 
£ty  comme  il  convient  pour  en  avoir  une  connaissance  complète, 
nous  étudierons  ensuite  les  propriétés  logiques  des  pensées. 

132.  Dmaion  de  cet  article.  —  Donc  trois  paragraphes: 
V  Union  des  éléments  de  la  pensée  ; 

2*  Différentes  formes  de  la  pensée  ; 
3®  Propriétés  des  pensées. 

g  1.  -  UNION  m  ÉLiMIXTS  Dl  U  PL\Sll. 

133.  Les  éléments  d'une  pensée.  —  Les  éléments  d*nne 
pensée  sont  les  idées  que  nous  avons  des  éléments  du  fait,  dont  la 
conception  est  une  pensée.  Comme  il  j  a  dans  tout  fait,  un  svQet, 
une  nature  et  Texistence  de  ce  fait,  il  faut  pour  former  une  pensée 
ti*ois  idées  au  moins,  dont  Tune  est  la  conception  du  si^get  du  fait, 
une  autre  est  la  conception  de  la  nature  de  ce  fait,  et  une  troisième 
est  la  conception  de  Texistence  de  ce  fait. 

Nous  avons  déjà  dit  que  ces  trois  idées  essentielles  de  la  pensée ^ 
prennent  les  noms  de  sujet  y  attribut  et  verbe, 

134.  Multiplicité  des  idées  de  sujet  et  d'attribut.  —  Tout 
être  quelconque  pouvant  être  le  sujet  d'un  fait,  et  toute  modifica- 
tion pouvant  en  être  la  nature,  il  en  résulte  que  les  idées  de  si^jet 
et  les  idées  d'attribut  sont  très-nombreuses.  Toute  idée  de  substan- 
ce réelle  ou  abstraite  peut  être  siyet  d'une  pensée  ;  toute  idée  de 
modification  peut  être  attribut. 


UNION  DES  ÉLÉMENTS  DE  LA  PENSÉE         03 

135.  Unité  de  Tidée  d'existence  dû  fait.  —  Au  contraire 
ridée  de  l'existence  du  fait  est  toujours  elle-même ,  nonobstant  les 
modes  et  les  temps  divers  sous  lesquels  on  peut  la  concevoir.  C'est 
toujours  ridée  d'être ,  la  plus  simple  possible. 

136.  Lien  de  la  pensée.  —  Deux  idées  entièrement  diJQféren- 
tes  et  n'ayant  par  elles-mêmes  aucun  rapport  sont  cependant  unies 
dans  la  pensée  au  point  de  ne  faire  plus  qu'une  seule  et  unique  con- 
ception. Il  y  a  donc  un  lien  entre  le  sujet  et  Fattribut  de  la  pensée. 
Ce  lien,  tocgours  le  môme,  ne  peut  être  que  Tidée  d'existence  du  fait, 
toujours  la  môme  dans  toute  pensée. 

137.  Connexion  du  sujet  et  de  l'attribut.  —  Ainsi  dans 
toute  pensée  il  y  a  entre  le  sujet  et  l'attribut  une  connexion  logique, 
qui  fait  de  Tun  et  de  l'autre  une  seule  pensée.  Cette  connexion, 
exprimée  par  le  verbe,  n'est  autre  chose  que  l'indentité  logique  du 
sujet  et  de  l'attribut. 

138.  Identité  logique.  —  L'identité  logique  (67)  du  sujet  et  de 
l'attribut  d'une  même  pensée  consiste  en  ce  que  les  objets  de  ces 
deux  idées  n'ont,  dans  le  fait,  qu'une  seule  et  même  existence.  Le 
siget  et  l'attribut  sont  donc  logiquement  identiques,  en  ce  sens  que 
l'existence  de  l'un  c'est  l'existence  de  l'autre,  et  par  conséquent  la 
vérité  de  l'une  des  idées  c'est  la  vérité  de  l'autre.  Ces  deux  idées, 
séparées  par  eUes-mémes,  n'ont  plus  dans  la  pensée  qu'un  seul 
objet  intentionnel.  Quand  je  dis,  par  exemple  :  rhomme  est  mortel^ 
le  mortel  dont  il  est  ici  question  c'est  l'homme,  et  l'homme  est  le 
mortel  dont  je  parle.  En  sorte  que  les  idées  homme  et  mortel,  qui 
sont  très-différentes  en  elles-mêmes,  deviennent  logiquement  iden- 
tiques dans  la  pensée  :  l'homme  est  mortel. 

139.  Extension  et  compréhension  du  sujet  et  de  l'attri- 
but. —  Il  faut  observer  qu'une  idée  en  devenant  sujet  ou  attribut 
ne  garde  pas  toigours  l'extension  et  la  compréhension  qu'elle  a  par 
elle-même. 

1°  L'idée  qui  est  siget,  peut  l'être  dans  toute  son  extension  ou 
dans  une  partie  seulement  de  son  extension,  selon  l'étendue  du  fait 
conçu.  L'extension  du  siget  est  universelle  ou  particulière  (107). 

2^  L'idée  qui  est  siû^t  d'un  fait  quelconque,  l'est  toigours  dans 


01  LOOIQI'K   ABSTRAITK 

rensemble  de  sa  eompréheusion,  mais  non  dans  chacun  de  ses  élé- 
ments. Ainsi  ce  qu*on  dit  de  rhomnie  ne  se  dit  pas  pour  cela  de 
tous  les  animaux  et  de  tons  les  ôtres  intelligents. 

3*  L'idée  qui  est  attribut  dans  une  pensée  affirmative  ne  l'est 
jamais  dans  toute  son  extension,  à  moins  ({ue  Fattributy  ne  soit 
la  définition  du  sujet.  Au  contraire,  le  même  attribut  est  toiyours 
pris  dans  toute  sa  compréhension. 

Exemple  :  Les  hommes  sont  mortels.  L'idée  de  mortel  s'étend 

non  seulement  à  tous  les  hommes,  mais  encore  à  tous  les  êtres 

vivants,  et  dans  cette  proposition  il  ne  s'étend  qu'aux  hommes. 

Tandis  que  dans  la  même  proposition  on  affirme  des  hommes  tout 

ce  qui  est  compris  dans  l'idée  de  mortel, 

4^  L'idée  qui  est  attribut  dans  une  pensée  négative.  Test  tou- 
jours dans  toute  son  extension  et  jamais  dans  toute  sa  compré- 
hension. 

Exemple  :  2>  monde  n'est  pas  éterneL  Dans  cette  proposition, 
le  siget  monde  est  exclus  de  tout  l'ensemble  des  êtres  qui  sont  ou 
peuvent  être  appelés  éternels.  Tandis  que  l'on  n'exclut  pas  du 
monde  ni  l'idée  d'eVre,  ni  l'idée  de  virant  qui  sont  comprises  dans 
l'idée  d'éterneL 

140.  GoBsé^pottce  de  ees  damiers  fidts.  —  C'est  ainsi  que 
dans  toute  pensée  il  j  a  une  identité  véritable  entre  le  siget  et  l'at- 
tribut. Car  l'attribut  que  l'on  affirme  d'un  siget ,  n'a  jamais  d'autre 
extension  que  celle  du  siget.  Ex  :  Si  je  dis  :  Le  brochet  est  un  pois- 
son ;  l'attribut  poissofi  n'est  pas  ici  l'idée  de  tous  les  poissons,  mais 
seulement  des  poissons  qu'on  appelle  brochets.  En  sorte  qu'il  y  a 
identité  logique  entre  les  deux  idées. 

Au  contraire  l'attribut  que  l'on  nie  d'un  siyet  est  toi^ours  conçu 
dans  toute  son  extension.  En  soite  que  si  je  dis  :  L'ècrerisse  u'est 
pas  «*»|>oiwoi*:  je  nie  qu'il  v  ait  identité  logique  entre  une  éerevis- 
se  et  un  poisson  quelconque. 

De  plus,  dans  la  pensée  affirmative,  j'affirme  l'identité  logique 
entre  certains  éléments  de  l'idée  brochet  et  tous  les  éléments  de  l'i- 
dée poisson.  Cette  dernière  est  prise  dans  toute  sa  compréh^isioD. 

Tandis  que,  dans  la  pensée  négative  Je  nie  l'identité  logique  en- 
tre les  éléments  de  l'idée  éererisse  et  certains  éléments  de  l'idée 


UNION  DES  ÉLÉMENTS  DE  LA  PENSÉE         (>5 

poîssofi.  Cette  dernière  n*est  pas  prise  dans  toute  sa  compréhension. 

Ainsi  dans  tous  les  cas  il  y  a  identité  complète  entre  les  exten- 
sions et  les  compréhensions  que  Ton  déclai*e  identiques. 

141.  Union  des  éléments  de  la  pensée.  -^  Donc,  en  demie- 
re  analyse,  toute  pensée  est  formée  de  deux  idées  dont  on  ne  consi- 
dère que  ce  qu'elles  ont  d'identique ,  et  qui  s'unissent  dans  une  troi- 
sième idée,  ridée  de  leur  identité.  Cette  identité  est  purement  lo- 
gique ;  car,  si  on  comparait  les  deux  idées  dans  tout  ce  qu'elles 
renferment ,  elles  ne  semient  pas  identiques  ;  elles  ne  le  sont  que 
dans  les  éléments  que  celui  qui  pense  a  en  vue. 

Il  y  a  pourtant  un  cas  où  le  sujet  et  l'attribut  d'une  pensée  sont  lo- 
giquement et  métaphysiquement  identiques  :  c'est  dans  la  définition. 

Ainsi  s'unissent  les  éléments  de  la  pensée.  C'est  d'ailleui*s  la 
conception  exacte  de  ce  qui  constitue  le  fait,  objet  de  la  pensée. 
Dans  le  fait  aussi^  deux  éléments ,  la  substance  et  la  modification , 
s'unissent  dans  une  même  existence,  pour  ne  former  qu'un  seul 
tout,  qui  est  le  fait.  C'est  une  identité  réelle  dont  l'identité  logique 
n'est  que  la  conception. 

2e  loi  de  la  logique  abstraite.  —  Dans  toute  pensée,  l'attri- 
but est  logiquement  identique  au  sujet  ;  c'est-à-dire  que  le  sujet  et 
l'attribut  sont  la  conception  d'un  seul  et  même  être,  d'aborct  dans 
sa  substance  et  ensuite  dans  sa  modification. 

.     ^  2.  —  DlFlâRINTIS  VORMIS  DB  LA  PENSil. 

142.  Conception.  —  La  forme  la  plus  simple  de  la  pensée  c'est 
la  conception  d'un  fait.  On  nomme  conception  l'information  de 
Tâme  considérée  en  elle-même,  en  dehors  du  fait  qui  a  pu  la  faire 
naître.  La  conception  suppose  une  perception,  on  présente  ou  anté- 
rieure ;  mais  on  peut  très  bien  faire  abstraction  de  cette  perception 
et  ne  considérer  que  l'information  de  l'Âme  en  elle-même,  en  dehors 
de  l'action  du  fait  qui  la  produit,  et  en  dehors  de  toute  action  de 
TAme  sur  son  information:  c*est  la  conception.  D'ailleurs  la  per- 
ception n'est  pas  la  perception  d'un  fait^  mais  seulement  d'une 
modification,  A  cette  perception  l'àme  ajoute  la  substance  et 
l'existence  qui  sont,  non  pas  perçues,  mais  conçues.  Le  fait  n'est 

5 


oc  LOGIQUK   ABSTRAITE 

donc  jamais  perçu  ;  il  est  conçu.  Donc  la  forme  la  plus  simple  de  la 
pensée  c*est  la  conception. 

143.  Jugement.  —  Le  jugement  est  Vadhèsion  de  TAme  à  sa 
conception.  Cette  adhésion  8*appelle  aussi  affirmation.  Mais  ce 
dernier  mot  désigne  plutôt  la  parole  intérieure  ou  extérieure,  par 
laquelle  Y  Ame  exprime  son  adhésion,  que  cette  adhésion  elle-même, 
qui  constitue  proprement  ce  qu'on  appelle  le  jugement. 

Le  jugement  est-il  un  acte  purement  intellectuel,  ou  bien  est-il 
en  outre  volontaire?  Les  auteurs  sont  partagés.  D'ailleurs  c'est  une 
question  qui  i^egainle  la  psychologie.  Is'ous  la  traiterons  en  son 
lieu. 

La  simple  conception  peut  être  vraie  ou  fausse,  sans  rien  chan- 
ger &  la  connaissance  de  Tàme  :  concevoir  n'est  pas  encore  connaî- 
tre. La  connaissance  ne  commence  qu'avec  le  jugement  ;  mais 
aussi  :  avec  le  jugement  peut  commencer  V  erreur  - 

144.  Hypothèse. —  Quelquefois  l'âme,  sans  adhérer  absolument 
à  sa  pensée,  y  donne  une  sorte  d'adhésion  momentanée  et  condi- 
tionnelle pour  en  étudier  les  conséquences.  Adhérer  ainsi  à  sa  pen- 
aée,  c'est  supposer  le  fait  qui  en  est  l'objet,  et  cette  quasi-adhé- 
sion s'appelle  hypothèse,  L*h;ypothése  est  une  adhésion  provisoire 
de  l'Âme  à  sa  pensée. 

145.  Conséquences. —  Les  conséquences,  qui  sont  des  pensées 
tellement  identiques  à  une  autre  qu'elles  sont  nécessairement  vraies 
ou  fausses  avec  elle,  peuvent  être  liées  à  une  hypothèse  ou  à  un 
jugement;  l'Ame,  qui  les  voit  comme  conséquences,  y  adhère  comme 
elle  a  adhéré  à  la  pensée  d'où  elles  découlent  :  elles  sont  donc  aussi 
des  jugements  ou  des  hypothèses.  Mais  il  est  à  remarquer  que  les 
conséquences  ne  sont  pas  conséquences  parce  que  l'Ame  y  adhè)*e 
mais  bien  en  elles-mêmes,  et  par  leur  relation  logique  avec  les 
principes  dont  elles  sont  les  conséquences.  La  conséquence  n'est 
donc  pas  une  quatrième  forme  de  la  pensée. 

146.  Résumé.  —  11  n*y  a  donc  que  trois  formes  dans  la  pen- 
sée: la  conception  simple,  le  jugement  et  l'hypothèse. 

Cependant  de  la  réunion  de  ces  deux  dernières  formes,  naît  une 
quatrièn^  forme  de  pensée  qui  est  le  jugement  probqàle.  C'est  une 


UNION   DES   ÉLÉMENTS   DK   LA   PENSÉE  67 

adhésion  incomplète  de  Tâme,  qui  n'a  pas  de  motifs  suffisants  pour 
affirmer  une  pensée  et  qui  pourtant  se  sent  portée  à  Taffirmer. 

g  s.  -  PROPRIÉTÉS  DIS  P1HSÉI8. 

147.  Fondements  de  ces  propriétés.  —  Les  pensées  diffè- 
rent entre  elles  comme  leura  éléments. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  leui*s  propriétés  physi- 
ques ou  métaphysiques,  qui  sont  aussi  nombreuses  que  les  natures 
des  sujets  et  des  attributs.  Nous  ne  parlerons  que  des  propriétés 
logiques,  qui  sont  fondées  sur  : 

1^'.  Les  propriétés  logiques  du  si\jet  du  fait. 

2*.  Les  propriétés  logiques  de  la  nature  du  fait,  ou  attribut. 

o**.  Les  propriétés  logiques  de  l'existence  du  fait,  ou  du  verbe. 

4".  Les  propriétés  logiques  des  circonstances  du  fait. 

148.  Propriétés  du  sujet.  Jugement  particulier  ou  uni- 
Tcrsel.  —  Quand  le  sujet  de  la  pensée  est  pris  dans  toute  Texten- 
sion  de  son  idée,  il  est  universel  et  par  suite  la  pensée  est  univer- 
selle. Si  au  contmire  Tidée  n*est  sujet  du  fait  que  dans  une  partie 
de  son  extension,  la  pensée  est  particulière.  C'est  ainsi  qu^on  dis- 
tingue les  jugements  particuliers  et  les  jugements  universels. 

Ex.  Quelques  hommes  vivent  longtemps,  Jug.  particulier. 
Tous  les  hommes  sont  mortels,  Jug.  universel. 

149.  Propriétés  de  l'attribut.  Jugement  analytique  ou 
synthétique.  —  Quand  l'idée  qui  est  attribut  est  renfermée  dans 
la  compréhension  de  Tidée  du  sujet,  il  suffit  d'analyser  le  sujet 
pour  découvrir  et  affirmer  l'attribut.  Alors  le  jugement  est  ana- 
lytique. Dans  le  cas  contraire  le  jugement  est  synthétique. 

Ex.  Le  triangle  a  trois  angles.  Jug.  analytique. 

Les  planètes  sont  des  corps  opaques.  Jug.  synthétique. 

150.  Propriétés  tirées  de  Fezistence  du  fait.  —  Les  pro- 
priétés de  l'existence  du  fait  sont  le  temps  et  le  mode. 

Aussi  cette  propriété  du  fait,  n*est  pas  une  propriété  de  la  pensée. 
Le  temps  d'un  fait  est  présent,  passé  ou  futur  ;  mais  la  pensée, 
n'en  est  pas  moins  présente. 

Quand  au  modo  d'existence  du  fait,  il  e«t  tout  entier  dans  la  pen- 


08  ^  I.OGIQUK   ABSTRAITE 

sée.  En  lui-mOme,  un  fait  ne  peut  être  que  réel  et  positif.  Mais 
dans  la  pensée,  nous  pouvons,  ayant  en  vue  un  fait  d*une  existence 
réelle,  le  considérer  comme  positif,  ou  comme  négatif,  et  par  suite 
Taffirmer  ou  le  nier.  De  plus  nous  pouvons  concevoir  un  fait  et  le 
supposer  existant. 

Dos  lors  Texistence  du  fait  dans  la  i)ensée  est  réelle  ou  hypo- 
thétique. 

151.  Pensée  réelle  ou  hypothétique. —  Les  deux  modes  logi* 
ques  de  l'existence  du  fait  donnent  naissance  à  la  pensée  réelle  et  à 
rhjpothôse. 

152.  Jugement  catégorique.  —  L'affirmation  ou  la  négation 
d'une  pensée  en  tant  que  réelle,  constitue  le  jugement  catégorie 
que. 

Ex,  La  terre  est  ronde.  —  Le  monde  n'est  ^ms  éternel. 

153.  Jugements  non  catégoriques.  —  En  combinant  en- 
semble Texistence  réelle  et  l'existence  hypothétique  d'un  fait,  l'es- 
prit conçoit  deux  autres  sortes  d'existences  logiques  d'un  fait. 
C'est  l'existence  conditionnelle  et  l'existence  alternative. 

154.  Jugement  conditionnel.  —  La.  pensée  qui  a  pour  objet 
un  fait  dont  l'existence  dépend  de  l'existence  d'un  autre  fait,  con- 
çu comme  une  hypothèse,  est  une  pensée  conditionnelle;  et  l'affir- 
mation de  cette  pensée  sous  cette  forme  est  un  jugem.ent  condi- 
tionnel. Ex  :  Si  les  hommes  connaissaient  Dieu ^  ils  V aimeraient. 

155.  Jugement  alternatif.  —  Le  jugement  alternatif  au 
contraire,  porte  sur  deux  faits  dont  l'un  existe  si  l'autre  n'existe 
pas.  On  l'appelle  plus  souvent,  quoiqu'avec  moins  de  raison,  jw^cs 
m^ent  disjonctif.  Ex  :  Un  être  est  simple  ou  composé. 

156.  Jugement  afBrmatif  ou  négatif.  —  Enfin,  la  pensée 
peut  avoir  pour  objet  un  fait  comme  existant,  ou  un  fait  comme 
n'existant  pas ,  et  l'adhésion  de  l'âme  à  ces  deux  pensées  constitue 
le  jugement  affirmatif  et  le  jiigement  négatif. 

157.  Jugements  circonstanciés  que  distinguent  les  pro- 
priétés tirées  des  circonstances  du  fait.  -^  Le  jugement  peut 


UNION  DES  ÉLÉMENTS  DE  LA  PENSÉE         69 

porter  spécialement  sur  quelqu'une  des  ciixjonstances  du  fait,  qui 
sont:  la  manière  dont  il  se  produit,  la  cause  pîir  laquelle  il  est 
produit,  le  motif,  l'instrument,  le  temps,  le  lieu,  la  durée  du  fait. 
D'où  il  résulte  des  jugements  modiflcatifs,  causatifs^  des  juge- 
ments sïir  le  motif,  ririsfriiment,  le  teynps^  le  lieu,  la  durée  du 
fmt.  Tous  ces  jugements  sont  compris  sous  le  nom  de  jugements 
circonstanciés . 

Ex.  :  jug.  modificatif.  Les  choses  so7it  en  Dieu  comme  dans 

leur  ^principe. 
jug.  causatif.  Les  choses  sont  jicir  la  volonté  de  Dieu. 
jug.  sur  le  motif.  Tout  acte  libre  est  fait  pour  une  fin, 
jug.  sur  l'instrument.  Nous  percevons  les  couleurs  par 

les  yeux. 
jug.  sur  le  temps.  Socrate  est  mort  l'an  400  avant  J.^C. 
jug.  sur  le  lieu.  Platon  voyagea  en  Egypte. 
jug.  sur  la  durée.  Lotiis  XIV  a  régné  72  ans, 

158.  Propriétés  relatives  des  pensées.  —  Toutes  les  pro- 
priétés que  nous  venons  de  distinguer  dans  les  pensées  sont  des  pro" 
priétés  absolues  ;  c'est-à-dire,  qu'elles  se  trouvent  dans  une  pensée 
considérée  seule.  Mais,  quand  on  compare  ensemble  deux  pensées,  on 
trouve  souvent  qu'elles  ont  des  propriétés  qui  naissent  de  leurs  l'ap- 
poiHs.  Ce  sont  des  propriétés  relatives.  Nous  en  parlerons  dans  le 
chapitre  troisième. 

159.  Importance  de  toutas  ces  distinctions.  —  Le  logi- 
cien, qui  veut  connaître  les  lois  de  la  vérité  d'une  pensée,  a  besoin 
de  faire  dans  la  pensée  toutes  ces  distinctions,  afin  de  s'en  servir 
pour  vérifier,  dans  tous  les  cas,  la  conformité  d'une  pensée  avec 
son  objet  intentionnel  ;  car  la  moindre  différence ,  entre  le  fait  in. 
tentionnel  et  la  pensée,  rend  la  pensée  fausse. 

Cette  distinction  des  conditions  ou  propriétés  logiques  des  pensées 
est  surtout  nécessaii'e  dans  le  jugement;  car  l'aflirmation  d'une 
pensée  qui  n'est  pas  en  tout  conforme  h  son  olrjet  intentionnel  est 
une  erreur. 

160.  Résumé.  —  La  pensée  peut  être  une  simple  conception, 
une  hypothèse  ou  un  jugement,  et  ce  dernier  peut  être  certain  ou 


70  -  Ï.OGIQUE  ABSTRAITE 

probable^  selon  que  Tadhésion  de  TÂme  à  sa  pensée  est  absolue  ou 
inêlée  d'héntatton.  Si  Thésitation  est  telle  queTâme  suspende  son 
adhésion  jusqu'à  plus  ample  information,  c  est  le  doute. 

Les  pensées  ont  des  propriétés  qui  leur  viennent  de  leurs  élé- 
ments et  qui  en  modifient  la  valeur  logique.  Par  là  on  distingue  : 
les  jugements  particuliers  et  les  jugements  universels;  les  juge- 
ments analytiques  et  les  jugements  synthétiques;  les  jugements 
catégoriques,  les  jugements  conditionnels  et  les  jugements  alter- 
natifs ;  les  jugements  affirmatifs  et  les  jugements  négatifs  ;  enfin  les 
jugements  circonstanciés. 

3^  loi  de  la  logique  abstraite.  —  Ne  pas  confondi'e  le  ju- 
-  gement  avec  la  simple  conception  ou  avec  riiypothôsc. 

Ne  pas  confondre  les  diverses  propriétés  des  pensées  et  surtout 
des  jugements. 

161.  Propriété  logique  nécessaire  à  tout  jugement.  La 
▼érité  —  [D'après  tout  ce  qui  précède,  un  jugement  est  l'affirma- 
tion d'un  fait,  par  Taffirmation  d'une  pensée.  Parla  mémo  tout  ju- 
gement est  destiné  à  constituer  la  connaissance  d'une  réalité.  Si  d<mc 
il  affirme  ce  qui  n'est  pas,  il  est  diftbrmo;  c'est  un  monstre  logi- 
que,  qu'on  appelle  Verreur. 

162.  Conditions  de  la  vérité  d'un  jugement.  —  J^e  juge- 
ment qui  est  l'affirmation  d'une  pensée,  n'est  une  eri'eur  qu'autant 
que  la  pensée  qu'il  affirme  est  fausse.  Or  la  pensée  se  compose 
d'idées,  qui  sont  vraies  ou  fausses  selon  leur  rapport  avec  leur  objet 
intentionnel.  Donc,  pour  qu'une  pensée  soit  vraie,  et  par  suite  pour 
qu'un  jugement  soit  vrai,  il  faut  et  il  suffit  que  la  pensée  ne  renfer- 
me que  des  idées  vraies.  A  cette  condition  en  effet,  la  pensée  est  la 
conception  exacte  du  fait  intentionnel;  elle  est  vraie  et  le  jugement 
aussi. 

163.  Observation  importante  et  preuve  de  ce  qui  précède. 

—  Le  jugement  ne  fait  que  constater  et  affirmer  l'identité  logique 
de  deux  idées  (138),  et  par  là  il  affirme  un  fait.  Donc  pour  que  le 
jugement  soit  faux,  il  est  nécessaire: 

Ou  1®  que  les  éléments  du  fait  ne  soient  pas  tels  qu'on  les  conçoit 
dans  ces  deux  idées. 


UNION  DES  ÉLÉMENTS  DE  LA  PENSÉE  7J 

Ou  2^  que  les  deux  idées  ne  soient  pas  logiquement  identiques. 

Or,  comme  rien  n'est  plus  visible  qu'une  identité,  il  n'est  pas 
possible  que  Tàme  affirme  Tidentité  de  deux  idées  qui  ne  sont  pas 
identiques.  Donc,  quand  Tâme  prononce  un  jugement  erroné,  ce  ne 
peut  être  que  parce  que  les  idées  qu'elle  a  des  éléments  de  ce  fait 
sont  fausses.  Donc: 

4^  loi  de  la  logique  abstraite. —=  Tout  jugement  doit  être 
vrai,  et  pour  cela  il  faut  et  il  suffit  qu'il  ne  l'enferme  que  des  idées 
vraies. 

Scholie.  —  On  accuse  souvent  les  hommes  de  manquer  de  juge- 
ment ;  c'est  à  tort.  Le  jugement  en  lui-môme  est  infaillible  chez  tous 
les  hommes.  Quand  un  homme  se  trompe  c'est  que  ses  idées  sont 
fausses. 

Observation.  —  D'après  ce  que  nous  avons  observé  sur  la  distinction 
et  la  vérité  des  idées,  (127,  observation)  nous  pouvons  dire  ici  que  : 

1»   Les  jugements  purement  abstraits  sont  presque   nécessairement 
vrais,  car  il   est  diftleile  que  les  idées  qui  les  composent  soient  fausses. 
Aussi  les  mathématiciens  ne  disputent  guère  que  de  méthode,  et  tous 
.affirment  les  mêmes  vérités  générales. 

2o  Les  jugements  universels  sur  les  propriétés  et  les  lois  des  différentes 
classes  d'êtres  réels,  ne  peuvent  être  vrais  qu'après  des  observations  suf- 
Ûsante^:.  Voilà  pourquoi  une  loi  que  l'on  s'était  trop  hâté  de  formuler 
dans  les  sciences  naturelles  se  trouve  souvent  condamnée  par  des  obser- 
vations plus  complètes. 

3p  Les  jugements  individuels  que  nous  formons  sur  les  hommes,  sont 
plus  ([ue  tous  les  autres  sujets  à  erreur  ;  parce  qu'il  est  difficile  que  nous 
ayons  d'un  homme  une  idée  parfaitement  vraie. 

—  Il  est  difficile  d'avoir  sur  tout  ce  que  nous  coniiaissons  des  idées 
complètes,  mais,  tant  que  nous  ne  concevons  et  n'affirmons  d'un  être  que 
des  éléments  qu'il  renferme  en  effet,  quand  même  nous  ne  connais- 
sions pas  tout  ce  quil  est,  notre  idée  est  incomplète,  mais  elle  n'est  pas 
fausse.  Kt  c'est  là  l'important.  L'homme  ne  peut  atteindre  la  science  uni- 
verselle ;  mais  il  doit  savoir,  dans  ses  jugements,  n'affirmer  que  ce  qu'il 
connaît  en  effet,  sans  aller  au  delà.  C'est  en  ce  sens  qu'il  faut  entendre 
cette  loi  essentielle  de  la  logique  :  tout  jugement  doit  être  vrai. 


!■*■■ 


72  LOGIQUE  ÂBSTKAITE 

Chapitre  II 

EXPRESSION  DE  LA  PENSÉE. 


164.  Dmaion  de  ce  chapitre. —  Au  sujet  de  Texpression  de 

la  pensée  nous  nous  dejUanderons  d*aboi\l  si  elle  est.  nécessaire, 

2*  en  quoi  elle  consiste,  3°  quelles  en  sont  les  lois.  De  là  trois 

articles  : 

1°  Importance  et  nécessité  de  l'expression  de  la  i>ensée. 

2**  Natui^e  de  cette  expression  :  Langage. 

3^  Lois  du  langage. 

Article  !•' 
IMPORTANCE  ET  l^ÊGESSITÉ  DE  L'EXPRESSION  DE  LA  PEKSÊE. 

165.  Condhions  de  Texereice  de  la  pensée. —  La  i)ensée, 
avons-nous  dit,  est  une  information  de  Tàme.  Il  lui  faut  donc  une 
forme  quelconque.  Et  cette  forme  doit  être  en  rapport  avec  les  con- 
ditions où  se  trouve  notre  âme  elle-même.  Or  c'est  un  fait  d'expé- 
rience que  nous  ne  concevons  qu'à  l'aide  de  formes  sensibles.  Aussi 
nous  pouvons  concevoir  à  la  rigueur  une  idée  sensible,  sans  l'expri- 
mer, mais  pour  les  idées  abstraites  il  nous  faut  quelque  chose  qui 
leur  donne  un  corps.  De  plus  pour  faii*e  revivre  en  nous  une  pensée 
que  nous  avons  eue,  il  nous  faut  un  objet  sensible  dont  la  perception 
ramène  cette  première  pensée,  et  surtout,  pour  communiquer  nos 
pensées  à  d'autres,  comment  pourrions-nous  le  faire,  sans  des  raovens 
sensibles  ? 

166.  Nécessité  de  Texpressioii  de  la  pensée.  —  Donc,  soit 
pour  faire  naître  en  nous  la  pensée,  soit  pour  la  faire  revivre,  soit 
surtout  pour  la  communiquer,  il  nous  faut  un  mo;v'en  sensible  qui 
soit  l'expression  de  la  pensée. 

167.  Importance  de  Texpression  de  la  pensée,  même 
pour  les  idées  sensibles.  -^  Quand  ro1>jet  d'une  idée  est  sensi- 


EXPRESSION  DE  LA   PENSÉE  73 

ble,  il  est  facile  de  compi*endi*e  que  nous  pourrions,  en  le  voyant,  en 
acquérir  Fidée  sans  Texpriraer  ;  mais  cette  idée  ne  pourrait  être  que 
ridée  de  cet  objet*lJi,  et  non  de  tous  les  objets  semblables.  Or  c*est 
surtout  cette  conception  de  l'espèce  d'un  objet,  que  nous  voulons. 
Il  est  donc  impoi*tant,  même  pour  les  idées  sensibles,  que  nous  ayons 
une  expression,  afin  de  les  généraliser.  Donc: 

168.  Conelusion.  —  L'exercice  de  la  pensée,  sous  toutes  ses 
formes,  exige  un  moyen  sensible  pour  l'exprimer. 

5*  loi  de  la  logique  abstraite.  —  L'expression  de  la  pensée 
est  nécessaire  à  l'exercice  de  la  pensée. 

Article  2* 
NATURE  DE  L'EXPRESSION  DE  LA  PENSÉE.  —  LANGAGE. 

169.  État  de  la  question.  —  Nous  n'avons  pas  à  rechercher 
ici  quel  est  le  meilleur  moyen  que  nous  pourrions  avoir  pour  expri- 
mer notre  pensée.  Nous  devons  constater  seulement  que  ce  moyen 
existe  et  qu'on  Tappelle  le  langage.  Et  d'ailleurs,  en  l'examinant  on 
le  trouve  si  bien  approprié  à  sa  fin,  que  nous  ne  saurions  jamais 
imaginer  quelque  chose  de  plus  parfait. 

170.  Division  de  cet  article.  —  Nous  avons  donc  à  étudier  le 
langage  en  général  et  ses  diiférentes  formes,  les  instruments  qu'il 
emploie  et  enfin  son  origine.  Nous  devons  en  voir  les  lois  dans 
l'article  suivant. 

§  1.  -  DO  UNGifiR  R  Dl  SIS  DlFTlRISTES  MUS. 

171.  Du  langage  en  général.  —  On  donne  le  nom  de  langage 
à  tout  ce  qui  exprime  une  pensée.  Mais,  quand  on  dit  simplement  : 
le  langage  y  on  veut  désigner  un  système  de  signes  sensibles  dont 
les  différentes  combinaisons  régulières  peuvent  exprimer  toutes  les 
pensées  des  hommes.  On  peut  donc  définir  le  langage  :  Veœpreasion 
de  la  pensée.  Ces  deux  mots,  ainsi  pris  absolument,  disent  tout. 

172.  Différentes  formes  du  langage.  —  On  distingue  le 
l€ii%gage  d'ojcHon  ou  des  gestes,  le  langage  parlé  et  le  langage 
écrit. 


74  LOGIQUE  ABSTRAITE 

173.  Laagaf  e  d'action.  —  Le  langage  d'action  exprime  les 
pensées  par  des  mouvements  du  corps  qui  s'adressent  aux  yeux 
principalement,  quelquefois  au  tact,  et  même  à  l'ouïe,  mais  par  des 
cris  inarticulés.  Le  langage  d'action  \)e\ii  ôtre  naturel  ou  artificiel. 

174.  Langage  parlé.  —  Le  langage  parlé  s'adresse  uniquement 
à  l'ouïe  et  se  fait  par  la  parole,  système  de  sons  articulés,  dont 
nous  devons  traiter  plus  loin.  Il  est  toujoure  artificiel,  mais  toiyours 
1)asé  sur  la  nature,  au  moins  dans  ses  principes. 

175.  Langage  écrit.  —  Le  langage  écrit  est  un  système  de 
signes  graphiques,  qui  s'adressent  aux  yeux,  et  dont  les  combinai- 
sons artificielles  expriment  les  pensées. 

176.  DÎTcrses  espèces  de  langage  écrit.  —  Le  langage 
écrit  est  idéographique*  ou  phonétique. 

117 .  Ecriture  idéographique.  —  Dans  IVcriture  idéographi- 
que, les  signes  représentent  directement  les  idées  et  indirectement 
la  parole  qui  les  exprime.  Telle  était  en  partie  l'écriture  hiérogly- 
phique des  Egyptiens,  telle  est  encore  celle  des  Chinois.  Les  signes 
que  nous  employons  pour  l'arithmétique  sont  aussi  idéographiques. 

178.  Ecriture  phonétique.  -»  Dans  l'écriture  phonétii^ue,  les 
signes  représentent  directement  la  parole  et,  par  elle,  la  pensée. 
L'écriture  phonétique  est  de  deux  sortes  :  syllahique  ou  alpha- 
bétique. 

179.  Ecriture  syllahique.  —  Dans  l'écriture  syllabique.  cha- 
que signe  représente  une  émission  de  voix. 

180.  Ecriture  alphahétique.  —  Dans  l'écinture  alphabétique 
chaque  signe  représente  seulement  un  des  éléments  d'une  émission 
de  voix. 

181.  Laissant  de  côté  le  langage  d'action,  qui  seul  est  ti'ès-im- 
parfait,  nous  nous  occuperons  seulement  du  langage  parlé  et  du 
langage  écrit  alphabétique ,  qui  nous  sont  familiers  et  qui  se  com- 
plètent Tun  l'antre.  Leurs  instruments  sont  la  parole  et  l'écnture. 


LANGAGE  '  76 

182.  De  la  parole.  —  La  parole  est  un  système  de  sons  aHicu- 
lés  émis  par  la  voix  humaine  et  destinés  à  exprimer  les  pensées. 
Les  sons  articulés,  qui  sont  des  émissions  de  voix  distinctes,  se  com- 
posent eux-mêmes  de  sons  et  d'articulations  ;  les  combinaisons  de 
ces  sons  articulés  forment  les  mois  ;  les  combinaisons  de  mots  fort 
ment  les  propositions  et  les  phrases.  Toutes  ces  combinaisons  sont 
déterminées  par  Tusage ,  mais  cet  usage  est  presque  toujours  trés- 
logique. 

183.  De  récriture  alphabétique.  —  L'écriture  alphabétique 
est  un  système  de  signes  graphiques  appelés  lettres^  (dout  les  com- 
binaisons expriment  directement  la  parole  et,  par  elle,  la  pensée) 
dont  les  unes ,  appelées  voyelles ,  représentent  les  sons ,  et  les  au- 
tres, appelées  consonnes ,  représentent  les  articulations.  Les  com- 
binaisons des  voyelles  et  des  consonnes  foraient  d'abord  les  syllcu- 
hesy  qui  sont  les  signes  des  sons  articulés  ou  émissions  de  voix.  Les 
combinaisons  de  syllabes  forment  les  mots,  et  les  combinaisons  de 
mots  forment  les  propositions  et  les  phrases, 

184.  Expression  des  idées  et  des  pensées  par  le  langa- 
ge. —  Ainsi  l'expression  parlée  ou  écrite  d'une  idée  s'appelle 
mot  ;  l'expression  parlée  ou  écrite  d'une  pensée  s'appelle  proposi^ 
tfon  ou  phrase, 

185.  Multiplicité  de  la  parole  et  de  l'écriture.  —  Chaque 
peuple  a  son  système  particulier  de  parole  et  d'écriture  pour  expri- 
mer ses  pensées.  Ce  sont  ces  divers  systèmes  de  parole  qui  consti- 
tuent les  diverees  langues  ou  idiomes. 

186.  Division  des  langues.  —  Les  langues  qui  ont  été  oii  sont 
encore  parlées  dans  le  monde  sont  innombrables.  On  y  distingue  la 
langue  primitive,  entièrement  perdue,  et  les  langues  dérivées. 
Parmi  les  langues  dérivées,  celles  qui  en  ont  engendré  d'autres 
sont  appelées  langues-mères. 

Les  langues  que  Ton  ne  parle  plus  vulgairement  sont  appelées 
langues  mortes,  et  celles  que  Ton  parle  aujourd'hui,  langues  vi^ 
vantes.  Parmi  toutes  ces  langues,  on  distingue  encore:  les  langues 
analytiques,  dans  lesquelles  on  exprime  les  idées  complexes  par 
plusieurs  mots,  d'un  sens  général,  et  qui  se  précisent  par  leur  union  ; 


76  LOOIQUK  ABSTRAITE 

et  les  langues  synthétiques^  dans  lesquelles  un  seul  mot  exprime  une 
idée  complexe  et  se  modifie  pour  exprimer  les  idées  accessoires  qui 
viennent  s'ajouter  à  l'idée  principale. 

%l.  0EI6IHI  DULARSiGI. 

187.  Double  sens  de  la  question.  —  On  peut  demander  à 
ce  sujet,  1^  comment  le  langage  est  entré,  de  fait,  dans  le  genre 
humain,  2^  comment  il  aurait  pu  y  entrer.  En  deux  mots  :  origine 
de  fait,  origine  possible. 


188.  Ori^ne  de  fait. —  Il  est  constaté,  par  l'histoire,  que  les 
hommes  ont  toujours  parlé  :  donc  ils  n'ont  pas  inventé  le  langage. 

189.  Origine  possible. —  On  ne  conçoit  pas  comment  des 
hommes  qui  n'auraient  pas  parlé  auraient  pu  :  I""  imaginer  la  par 
rôle  pour  exprimer  leurs  pensées,  2®  convenir  d'un  système  de 
parole  qui  leur  fût  commun  ;  sans  quoi  le  langage  eût  été  inutile. 

Ainsi  on  ne  conçoit  pas  que  les  hommes  eussent  pu  inventer  le 
langage. 

190.  Origine  de  T écriture  alphabétique.  —  L'écriture 
alphabétique  est  basée  sur  une  analyse  de  la  parole  que  nous  ne 
pouvons  faire  nous-mêmes,  que  par  les  lettres  de  l'alphabet.  Il  paraît 
donc  peu  probable  que  l'homme  ait  inventé  l'écriture  alphabétique , 
bien  que  les  monuments  primitifs  ne  permettent  pas  d'affirmer  qu'on 
ait  écrit  ainsi  avant  le  Déluge .  Cependant  bien  des  auteurs  ont  cru 
trouver  dans  les  hiéroglyphes  des  Egyptiens  le  moyen  de  transition 
qui  aurait  servi  à  découvrir  peu  à  peu  l'écriture  alphabétique. 
Malheureusement  cette  écriture  qui  était  certainement  en  plein 
usage  du  temps  des  Ptolémées,  et  qui  n'offre  pas  de  monument  dont 
on  puisse  garantir  la  haute  antiquité,  pourrait  bien  n'être  qu'une 
cryptographie  inventée  après  l'écriture  alphabétique.  C'est  là  une 
question  de  fait  qui  ne  nous  paraît  pas  encore  vidée,  malgré  les 
nombreux  travaux  modernes  ou  contemporains  sur  cette  question. 


I.ANGAGK  77 

Article  3« 
LOIS    DU   LANGAGE 

191.  Définition.  —  Les  lois  du  langage,  sont  les  règles  des  re- 
lations des  mots  avec  les  pensées,  c*est-à-dire,  les  rôgles  de  la  signi- 
fication des  mots. 

192.  Triple  signification  des  mots.  —  Chaque  mot  a,  dans 
chaque  proposition,  trois  sens. 

1®  Le  sens  terminologique,  par  lequel  il  exprime  telle  ou  telle 
idée,  en  elle-même. 

2®  Le  sens  grammatical,  par  lequel  il  exprime  les  modifications 
de  cette  idée. 

3*  Le  sens  logique,  par  lequel  il  présente  cette  même  idée 
comme  un  des  éléments  de  la  pensée. 

193.  Trois  sortes  de  lois  du  langage.  —  Le  langage  a  donc 
trois  sortes  de  lois  :  les  lois  terminologiques;  les  lois  grammaticales 
et  les  lois  logiques. 

194»  Division  de  la  science  du  langage.  —  La  science  du 
langage  comprend  donc  trois  branches  :  la  Terminologie,  la  Gi^m- 
maire  et  la  Logique  du  langage. 

On  apprend  la  terminologie  par  TusEige  et  en  s'aidant  quelquefois 
des  dictionnaires  ;  la  grammaire  et  la  logique  du  langage  dans  des 
livres  spéciaux.  Nous  n'en  dirons  que  ce  qui  importe  le  plus  à  noti'e 
objet. 

gl.  TIR1IX9LI6II. 

195.  Définition.  —  La  terminologie  est  la  science  des  termes 
en  tant  qu'ils  expriment  une  idée. 

Le  mot  terminologie  est  mal  formé,  au  point  de  vue  philologique, 
puisqu'il  est  formé  d'un  mot  latin  et  d'un  mot  grec  ;  mais  il  est  admis,  et 
le  mot  lexicologie,  qui  devrait  le  remplacer,  a  été  employé  déjà  dans  un 
autre  sens. 

196.  Termes.  —  On  appelle  terme  toute  combinaison  de  mots 


78  LOGIQUE   ABSTRAITE 

qui  exprime  une  idée.  On  distingue  les  termes  simples,  ordinaire- 
ment formés  d'un  seul  mot,  avec  ou  sans  article,  et  qui  n'expriment 
qu'une  seule  idée;  Exemple:  Socrate;  Athènes;  la  Grèce;  les 
termes  composés,  qui  présentent  plusieurs  idées  sous  un  même  point 
de  vue  ;  César  et  Pompée  ;  le  Sétiat  et  le  Peuple  ;  et  les  termes 
complexes,  qui  expriment  plusieurs  idées  dont  les  unes  complètent 
les  autres,  Exemple  :  Le  peuple  romain .  Un  terme  complexe  peut 
avoir  un  très  grand  nombre  de  mots:  Exemple:  Celui  qui  rê^ 
gne  dans  les  cie^ix  et  de  qui  relèvent  tous  les  empires,  d  qui 
seul  appartient  la  gloire,  la  majesté,  V indépendance, 

197.  Propriétés  des  termes.  —  Comme  les  termes  expriment 
les  idées,  ils  en  ont  toutes  les  propriétés.  Ils  sont  vrais  ou  faux  : 
identiques  ou  non  identiques  ;  analogues,  opposés,  dépendants-;  clairs 
ou  obscurs  ;  distincts  ou  confus  ;  absolus  ou  i^elatifs  ;  explicites  ou 
implicites  ;  positifs  ou  négatifs  ;  concrets  ou  abstraits  ;  universels  ou 
particuliers.  Ils  ont  tous,  comme  les  idées,  une  extension  et  une 
compréhension,  qu'il  importe  de  déterminer  par  la  définition  et  la 
division  ;  car  définir  les  termes  c'est  définir  les  idées . 

198.  Sens  des  termes.  —  Le  sens  des  termes  est  l'objet 
principal  de  la  terminologie.  Employer  toujours  pour  exprimer  une 
idée  le  terme  qui  lui  convient  c'est  observer  ce  qu'on  appelle  la 
propriété  des  terynes,  c'est-à-dire,  employer  toujoui*s  le  terme 
propre.  Mais  il  faut  distinguer  dans  les  termes  trois  sortes  de  sens: 
\q  sens  propre  le  sens  figuré  et  le  sens  combiné.  Le  sens  propre 
d'un  mot  est  le  rapport  direct  entre  ce  mot  et  l'idée  qu'il  exprime. 
Le  sens  figuré  est  un  sens  indirect  que  l'on  donne  à  un  mot,  à  rai- 
son d'un  rapport  entre  l'objet  de  son  sens  propre  et  celui  du  sens  fi- 
guré. Le  sens  combiné  est  le  sens  donné  à  un  mot  par  son  union  il 
un  autre  mot.  Le  môme  mot  a  quelquefois  plusieurs  sens  propres 
et  plusieurs  sens  figurés.  Quant  au  sens  combiné,  on  comprend  que 
chaque  combinaison  de  plusieurs  mots  peut  former  un  nouveau  sens 
combiné. 

Par  exemple,  le  mot  table  a  d'abord  plusieurs  sens  propres  :  table 
à  manger,  table  à  jouer,  table  à  écrire,  table  d'un  livre. 

On  dit  au  figuré  :  là  table  et  le  logement^  et  dans  un  sens  combiné  : 


LANGAGE  79 

faire  table  rase.  Ici  chacun  des  mots  employés  a  changé  de  sens  en 
entrant  dans  la  combinaison. 

Le  sens  des  mots  est  déterminé  par  l'usage,  mais  il  ne  faut  jamais 
que  l'usage  contredise  l'étjmologie  ;  si  ce  n  est  par  ironie,  par  anti- 
phrase ou  par  euphémisme.  C'est  ainsi  que  la  Bible  dit  :  benedicere 
DeOf  pour  maledicere..,,  et  que  dans  presque  toutes  les  langues,  le 
môme  mot  signifie  sacré  et  maudit, 

199.  Sens  intentionnel  des  termes.  —  On  peut  par  intention 
employer  le  même  terme  dans  des  sens  différents,  surtout  les 
noms. 

Et  d'abord  on  peut  donner  à  un  terme  un  sens  formel  ou  un  sens 
matériel.  Le  sens  est  formel  quand  le  mot  désigne  un  être  au  point 
de  vue  de  l'idée  môme  qu'il  exprime  :  Ex  :  Un  soldat  doit  mourir 
à  son  poste.  Le  sens  est  matériel,  quand  le  mot  désigne  l'ôtre  au- 
quel cette  idée  convient  à  un  autre  point  de  vue  ;  Ex  :  Ce  soldat 
wVi  trompé. 

On  peut  encore  employer  un  terme  dans  un  sens  distributif  o\x 
dans  un  sens  collectif.  Le  sens  est  distributif  quand  le  mot  dési- 
•gne  tous  et  chacun  des  ôtres  que  Ton  a  en  vue  ;  Ex  :  Ces  soldats  ont 
passé  la  rivière  ;  il  est  collectif  qvLOJid  le  mot  les  désigne  tous  en- 
semble mais  non  chacun  en  particulier.  Ex  :  Ces  soldats  ont  pris  la 
ville  d'assaut. 

Enfin  on  emploie  les  termes  dans  un  sens  divisé  ou  dans  un  sens 
composé.  Le  sens  est  divisé,  quand  l'attribut  ne  convient  au  sujet 
qu'autant  qu'il  n'est  plus  dans  l'état  où  le  suppose  le  terme  par  le- 
quel on  le  désigne.  Ex:  Celui  qui  dort  peut  veiller  (  quand  il  ne 
dormira  plus  ) .  Les  aveugles  voient,  les  bottei^  marchetit  (ceux 
qui  étaient  aveugles  ne  le  sont  plus  quand  ils  voient,  et  ceux  qui 
étaient  boiteux,  ne  le  sont  plus  quand  ils  marchent  droit).  Le 
sens  est  composé,  quand  l'attribut  s'applique  au  sujet  gardant  la 
qualité  que  lui  suppose  le  terme  qui  le  désigne.  Ex  :  Les  avares 
n'entreront  pas  dans  le  royaume  des  deux  (s'ils  demeurent  ava- 
res, mais  non  s'ils  cessent  de  l'être). 

Les  termes  prennent  aussi  un  sens  intentionel  qu'ils  ne  renfer- 
ment pas  en  eux-mêmes,  soit  par  l'usage,  soit  par  le  ton  de  la  voix, 
la  tenue  du  corps  et  du  visage,  soit  enfin  par  la  forme  de  la 
phrase* 


80  I.OGIQUK    ABSTRAITE 

200.  Importance  logique  de  la  diatinotion  dea  iermea,  de 
leura  propriétéa  et  de  leura  aignificationa.  —  Nos  idées 
et  nos  peasées  reposent  presque  entièrement  sur  des  mots.  Il  s^ensuit 
que  la  confusion  des  mots  amène  la  confusion  des  idées  et  des  pensées. 
Aussi  n'est-il  pas  rare  de  voir  les  hommes  qui  veulent  tromper  leurs 
semblables  abuser  des  différents  sens  d'un  même  mot.  Souvent  aassi 
on  se  trompe  soi-même  faute  de  bien  faire  toutes  ces  distinctions 
avant  de  faire  un  raisonnement. 

6®  loi  de  la  logique  abatraite.  Loi  terminologique.  —  Que 

les  termes  soient  Texpression  exacte  des  idées. 

S  2.  LIGiaCI  DD  LiNGAOl. 

201.  Définition.  —  La  logique  du  langage  est  la  science  des 
lois  de  la  proposition.  Ces  lois  règlent  par  là  même  tous  les  mots  qui 
la  constituent. 

202.  Propoaition.  —  Une  proposition  est  Texpression  d'une 
pensée,  et  par  suite,  l'expression  d'un  fait. 

L'usage  s'est  introduit  et  généralisé  de  définir  la  proposition  :  Ve^cpres- 
sion  d'un  jugement.  Ce  sont  les  logiciens  qui  ont  donné  cette  définition 
et  ils  l'ont  donnée  au  point  de  vue  du  syllogisme.  Or,  comme  nous  le. 
verrons  plus  loin,xe  que,  dans  le  syllogisme,  on  appelle /^/'opost^t on  est 
toujours  renonciation  d'un  jugement,  et  ce  jugement  est  catégorique 
conditionnel  ou  disjonctif.  Leur  définition  était  donc  exacte.  Mais,  quand 
les  grammairiens,  traitant  de  l'analyse  logique,  parlent  de  la  proposition, 
ils  entendent  tout  autre  chose.  En  effet,  là  où  le  logicien,  dans  un  juge- 
ment conditionnel,  ou  dans  un  jugement  disjonctif,  ne  voit  qu'une  seule 
proposition,  le  grammairien  en  voit  deux,  et  aucune  de  ces  deux  propor- 
tions n'est  l'énonciation  complète  d'un  jugement.  De  plus,  le  grammai- 
rien reconnaît  des  propositions  subjonctives,  impératives,  optatives;  plu- 
sieurs même  comptent  des  propositions  infinitives;  et  cependant  toutes 
ces  formes  de  la  pensée  n'expriment  pas  un  jugement.  C'est  pourquoi, 
considérant  que  le  mot  proposition  a  changé  de  destination  et  désigne 
aujourd'hui  autre  chose,  nous  avons  changé  aussi  la  définition  reçue,  et 
nous  définissons  ce  que  tout  le  monde  entend  aujourd'hui  par  le  mot  pro- 
PpsitiOn. 


LANGAGE  81 

203.  Éléments  de  la  proposition.  —  Les  élémonts  de  la  pro- 
position sont  Foxpi-ession  des  éléments  de  la  pensée  (45).  On  les 
appelle:  sujet,  verbe,  attribut  et  compléments.  Ces  éléments  sont 
censés  être  l'expression  des  éléments  du  fait:  sujet,  existence,  na- 
ture et  circonstances  du  fait  :  (43) . 

204.  Union  de  ces  éléments.  —  Les  éléments  de  la  proposi- 
tion s*uniâS6nt  comme  les  éléments  de  la  pensée  (141).  Le  verle 
exprime  Tidentité  logii^uc  du  sujet  et  de  Tattribut  dans  les  circons- 
tances exprimées  par  les  compléments. 

205.  Propriétés  des  propositions.  —  La  proposition  expri- 
me toutes  les  conditions  logiques  de  la  pensée  :  la  simple  conception 
Y  hypothèse,  \e  jugement  ou  le  doute. 

Elle  exprime  encore  toutes  les  propriétés  des  pensées.  L*extension 
2yarticuliêre  ou  universelle  du  sujet  ;  c'est  ce  (^ue  les  scolastiques 
appelaient:  Quantitas  propositionis.  Le' rapport  analytique  ou 
synthétique  de  l'attribut  au  sujet  ;  TafErmation  catégorique,  con^ 
ditionnelle  ou  alternative  de  la  pensée,  c'est-ù-dire,  l'identité 
catégorique  y  conditionnelle  ou  alternative  de  l'attribut  et  du  sujet  ; 
Vaffirmation  ou  la  négation  du  fait,  c'est-à-dire  Videntité  ou  la 
no7i-4dentité  du  sujet  et  de  l'attribut.  C'est  ce  que  les  scolastiques 
appelaient:  Qualitas  propositionis,  Doli\  dérivent  les  différentes 
formes  des  pi*opositions. 

200.  Distinction  des  propositions.  —  Comme  pour  les' 
pensées,  on  distingue  :  les  propositions  particulières  et  les  proposi- 
tions universelles  ;  les  propositions  analytiques  et  les  propositions 
synthétiques  ;  les  propositions  catégoriques,  conditionnelles  ou  al- 
ternatives ;  les  propositions  affirmatives  et  les  propositions  négati- 
ves. 

De  même  que  les  termes,  les  propositions  peuvent  être  simples, 
composées  ou  comjylexes^  dans  les  mômes  conditions. 

Simples,  quand  elles  ne  renferment  que  leurs  trois  termes  essen- 
tiels et  que  chacun  de  ces  trois  termes  est  simple.  Exemple:  Le 
jugement  est  une  affirmation. 

Composées^  quand  l'un  des  termes  au  moins  est  composé.  Exem- 
ple :  Le  jugement  et  Vhypothèse  sont  des  affirmations. 

Complexes,  quand  l'un  des  termes  au  moins  est  complexe,  ou 

6' 


82  LOGIQUK    AnSTUAITK 

quand  la  proposition  renferme  des  éléments  accessoires.  Exemples  : 
L'hypothèse  est  une  affirmation  jirovisoire,  —  Dans  le  dou- 
te, r affirmation  7i*est  que  dans  Ips  mots, 

La  proposition  est  complexe  aussi,  quand  elle  i*enfermo  d'autres 
propositions,  qui  lui  servent  de  sujet,  ou  d'attribut,  ou  de  complé- 
ment. Exemple:  L'affirmation  dont  on  se  sert  pour  exprimer  le 
doute  n'est  pas  dans  la  pensée,  si  ce  n'est  pour  affermer  le  doute 
lui-même. 

Il  faut  observer  que  dans  les  propositions  complexes  Tafllrma- 
tion  ou  la  négation  peuvent  iwrter  précisément  sur  l'idée  qui  i-end 
la  proposition  complexe . 

7«  loi  de  la  logique  abstraite.  Loi  des  propositions.  — 

Que  la  proposition  soit  l'expression  exacte  de  la  pensée. 

g  s.  —  GRINXAIRK 

207.  Définition.  —  La  grammaii-e  est  la  science  des  modifica- 
tions des  mots. 

Ici  encore  nous  abandonnons  la  défmition  couimunément  re«^«e,  que 
nous  trouvons  fausse.  Kn  eflet  :  Pour  parler  et  écrire  correcteinenl  uue 
langue,  il  faut  d'abord  savoir  par  quel  mot  de  cette  langue,  on  désigne 
les  choses  que  l'on  veut  nommer,  les  qualités  que  Ton  désîre  attribuer  à 
ces  choses,  et  les  actions  dont  ces  choses  peuvent  être  le  sujet  ou  l'objet. 
Or  c'est  ce  que  la  grammaire  n'enseigne  pas  et  ne  saurait  enseigner. 
C'est  là  le  domaine  de  la  terminologie,  beaucoup  plus  importante  et 
plus  longue  à  apprendre  que  la  grammaire  d'une  langue.  La  grammaire 
telle  qu'elle  est,  non  pas  définie,  mais  conçue  par  tous,  donne  les  régies 
d'après  lesquelles  on  modifie  les  mots  d'une  langue,  et  l'usage  que  l'on 
doit  faire  de  ces  modifications. 

Quant  à  la  question,  si  souvent  débattue,  de  savoir  si  la  grammaire 
est  un  art  ou  une  science,  nous  la  tranchons  ici,  pour  le  point  de  vue  au- 
quel nous  nous  plaçons  ;  car  si  la  grammaire  de  telle  langue  est  un  art 
pour  l'enfant  qui  l'étudié,  et  qui  ne  la  raisonne  pas,  la  grammaire  géné- 
rale, la  seule  que  nous  traitions  ici,  est  une  science  pour  nous  qui  vou- 
lons la  raisonner. 

Nous  aimerions  mieux  dire  :  La  grammaire  est  la  nomie  des  modifi- 
cations des  mots.  Ciiapun  pourrait  ensuite  s'en  faire  un  art  ou  uue  scien- 
ce, selon  la  manière  dont  il  l'étudierait  ;  mais  le  mot  nomie  que  nous 
avons  proposé  (Introduction,  p.  14.)  est  trop  nouveau  pour  que  nous 
osions  l'employer  ainsi,  sans  faire  aucune  remarque. 


LANOAGIS  83 

208.  Modifications  des  mots.  —  Toutes  les  nuances  de  sens 
que  peut  offrir  un  môme  mot,  tout  en  exprimant  toigours  la  même 
idée,  constituent  les  modifications  des  mots. 

209.  Division  des  modifications  des  mots.  —  On  modifie 
les  mots  de  deux  manières  :  par  des  flexions  et  par  des  combinai- 
sons modificatives. 

210.  Flexions.  —  Les  fiexions  sont  les  différentes  formes  que 
l'on  donne  à  un  même  mot,  par  le  changement  de  certaines  lettres. 
Les  diverses  fiexions  d'un  môme  mot  ne  différent  souvent  que  par 
la  terminaison  du  mot  ;  mais  on  trouve  dans  toutes  les  langues 
assez  de  mots  dont  certaines  fiexions  se  font  par  le  changement  de 
quelques  lettres,  soit  du  milieu,  soit  du  commencement  du  mot,  ponr 
qu'on  ne  remplace  psbs,  comme  la  plupart  des  grammairiens,  le  moi 
fleœions  par  le  mot  terminaisons.  Dans  toutes  les  fiexions  d*un 
même  mot,  une  partie  reste  la  môme,  c^est  le  radical.  Le  radical 
exprime  l'idée,  les  fiexions  diverses  en  expriment  les  modifica- 
tions. 

211  Combinaisons  modificatÎTes. —- Les  combinaisons  mo- 
dificatives sont  des  combinaisons  de  mots  dont  les  uns  modifient  les 
autres. 

212  Division  de  la  grammaire.  —  D'après  ce  qui  précède,  la 
grammaire  doit  constater  deux  sortes  de  lois. 

1^  les  lois  de  formation  des  fiexions  d'un  môme  mot  et  des  combi- 
naisons modificatives. 

2^  les  lois  de  l'emploi  de  ces  mômes  fiexions  et  combinaisons  mo- 
dificatives. 

La  première  partie  n'a  pas  reçu  de  nom  adopté  communément. 
Quelques-uns  l'ont  appelée,  très -improprement,  lexicologie  ou 
leociologie,  d'autres,  moins  improprement  Caœilogie  ;  la  plupart 
ne  Tont  pas  nommée.  Nous  proposons  le  mot  clinologie^  qui,  si- 
gnifiant science  des  fiexions,  en  indique  parfaitement  la  nature  et 
l'objet.  La  seconde  partie  s'appelle  syntaxe,  mot  qui  signifie  ordre 
d'ensemble.  Cette  partie  enseigne  en  effet  les  lois  selon  lesquelles  on 
doit  mettre  ensemble  les  diverses  fiexions  des  mots. 

213.  Clinologie.  —  Pour  déterminer  les  diverses  flexions  que 
peuvent  prendre  les  mots,  la  grammaire  classe  les  mots  selon  leurs 


84  LOGIQUE  ABSTRAITE 

fonctions  grammaticales,  et  par  là  elle  met  ensemble  tous  les  mote 
qui  prennent  des  flexions  de  môme  nature,  et  met  à  part  les  mots  in- 
variables. 

On  connaît  les  dix  espèces  de  mots  reconnus  par  presque  tons 
Jes  grammairiens.  Mais  ce  qu*on  ne  connaît  pas,  c'est  la  raison  de 
cette  classification. 

Nous  allons  la  donner  en  tableau  : 


SUBSTANTIFS. 


TABLEAU    DE    LA    CLASSIFICATION    DES    MOTS 

Appellatifs ...  Noms. 

Supplétifs Pronoms. 

}  SlGMIICATin^  (  Dislinctifs....  Adjectifs. 

ides BObstaatlf s , I  Effectifs Verbes. 
(Effect.etdist.  Participes. 
des  modiflcatlfs Adverbes. 

0\  /  I  pour  les  rendre  substantifs ..  Articles. 

•^  f  AWILIAIRB.  J  ***  ^^^ 1     *      "        ®       modiflcatifs  Prépositions . 

des  propositions Conjotictions. 

i  IxaiMATIIS.. Interjections. 

Tel  est  Tordre  logique  de  la  classification  des  mots  ;  les  grammai- 
res en  suivent  un  autre  qui  facilite  renseignement,  et  qui,  à  son 
tour,  est  Tordre  logique  de  Tenseignement.  Nous  verrons  en  effet  que 
Tordre  logique  de  la  création  d'une  science  n'est  pas  toujours  celai 
de  Tenseignement  de  cette  science. 

214.  Syntaxe.  —  Aprôs  avoir  donné  les  lois  de  la  formation  des 
flexions  des  mots,  la  grammaire  indique  les  lois  de  l'emploi  de  ces 
mêmes  flexions.  C'est  la  sjmtaxe.  La  sjntaxe  prend  ses  principes 
dans  la  logique  du  langage  ;  mais  les  applications  aux  diverses  lan- 
gues n'en  sont  pas  les  mêmes,  et  elles  sont  déterminées  par  Tusa^. 

215.  Importance  de  la  grammaire  pour  le  logicien.  — 

La  science  grammaticale  et  en  général  la  science  du  langage  sont 
nécessaires  au  logicien  ;  car,  en  déterminant  le  sens  des  mo;ts  et  des 
propositions,  elles  rendent  les  pensées  distinctes.  L'ignorance  des 
lois  du  langage  amènerait  nécessairement  la  confusion,  cause  de 
beaucoup  d'erreurs. 

8«  Loi  de  la  logique  abstraite.  —  L'expression  de  la  pensée, 
pour  être  exacte,  doit  être  conforme  aux  lois  du  langage. 
Nous  nous  étions  proposé  d'abord  de  traiter  assez  longuement   les 


RELATIONS    DBS    PEN8ËB8  85 

lois  du  langage  et  en  particulier  la  grammaire  générale,  mais  pour  ne 
pas  trop  augmenter  le  volume,  nous  avons  renvoyé  à  un  ouvrage  spé- 
cial les  nombreuses  vues  nouvelles  que  nous  avons  sur  cette  matière. 

m 

Chapitre   III 

RELATIONS  ENTRE  LES  PENSÉES 


216.  Des  différentes  relations  des  pensées  entre  elles.  — 

Deux  pensées  peuvent  être  :  analogues,  opposées,  converse»,  équi- 
valentes, ou  connexes. 

217.  Analo§pie.  —  Deux  pensées  sont  analogues,  quand  elles 
ont  quelques  éléments  communs  ;  c'est-à-dire,  quand  les  faits  qu'el- 
les expriment  ont  quelques  éléments  identiques.  L'analogie  est  une 
source  féconde  de  développements  dans  la  pensée.  Elle  donne  À  la 
conversation  cette  variété  sans  soubresauts,  qui  en  fait  le  principal 
charme.  Si  on  en  use  bien,  elle  peut  être,  pour  les  sciences,  un  fil 
conducteur  trôs-utile.  Nous  en  verrons  plus  loin  la  valeur  lo- 
gique. 

218.  Opposition.  —  Deux  pensées  sont  opposées,  quand  l'une 
renferme  la  négation  du  fait  que  l'autre  affirme.  Il  y  a  deux  gortes 
d'opposition  :  la  contradiction  et  la  contrariété. 

Deux  pensées  sont  contradictoires,  quand  l'une  nie  simplement 
ce  que  l'autre  affirme  :  Je  suis  très^heureucc  ;  Je  ne  suis  pas  très~ 
heureux,  —  Quelqu'un  vient  ;  Personne  ne  vient.  L'une  afiir- 
me  ctjautre  nie  le  môme  attribut  du  même  sujet,  sous  le  même  point 
de  vue.  Affirmatio  ejusdem  de  eodem,  sub  eodem  respect u. 

Deux  pensées  sont  contraires  quand  l'une  nie  plus  que  l'autre 
n'affirme,  ou  aflîrme  plus  que  l'autre  ne  nie.  Je  suis  très-heu^ 
reua;  ;  Je  suis  très-malheureux.  —  Plusieurs  personnes  sont 
venues  /  Personne  n'est  venu, 

219.  Conversion.  —  Deux  propositions  sont  converses,  quand 
le  sujet  de  l'une  est  l'attribut  de  l'autre,  et  que  l'attribut  de  la  pre- 
mière est  sujet  de  la  seconde.  Ex  :  Dieu  est  V Infini  ;  V Infini  est 

Dieu, 

Pour  qu'une  définition  soit  lx)nne  il  faut  qu'on  puisse  ainsi  la  con- 


S6  LOGIQUE    ABSTRAITE 

veitir,  en  trausposant  le  siyet  et  l'attribut,  sans  en  changer  la  Te- 
nté. 

m 

220.  EquÎTalence.  —  Deux  pi*opo.sitions  9ont  équivalentes 
quand,  sans  éti-es  formées  des  mêmes  tenues,  elles  expriment  abso- 
lument le  même  fait.  Ex.  //  est  mort  ;  Il  a  cesse  de  vivre. 

221.  Connexion.  —  Il  v  a  connexion  lojrique  enti-e  deux  pi'o- 
positions,  quand  elles  sont  nécessairement  vraies  ou  fausses  en  même 
tempe.  E.i\  :  Voilà  une  maison  ;  on  Va  construite. 

222.  Importance  de  ces  distinctions.  —  Toutes  ces  distinc- 
tions de  relations  entre  deux  pi*opositions  sont  destinées  k  faciliter 
la  recherche  de  la  vérité.  En  eflet  :  Lanalogie  n*établit  pas  la 
vérité  mais  elle  y  mène  ;  V opposition  entre  deux  pi*opositions  éta- 
blit: 1**  que,  si  Tune  des  deux  est  vraie,  l'autre  est  nécessairement 
fausse  ;  2*  que,  de  plus,  entre  deux  propositions  contradictoires,  si 
Tune  est  fausse,  l'autre  est  nécessairement  vraie;  la  conversion 
sert  à  vérifier  les  définitions  ;  rêqui valence,  comvùBhi connexion ^ 
établit  que  les  deux  proi)ositions  sont  nécessairement  ou  toutes  deux 
vraies,  ou  toutes  deux  fausses. 

La  plus  importante  de  ces  relations  c'est  la  connexion  logique,  et 
c'est  de  celle-là  que  nous  allons  nous  occuper  plus  s^iéoialement  dans 
ce  chapitre. 

223.  Division  du  chapitre.  —  Nous  en  étudierons  d'abord  la 
nature  et  les  fondements  ;  nous  en  verrons  ensuite  la  manifestation, 
et  Tadhésion  que  Tàme  donne  nécessairement  à  cette  connexion  :  dou- 
ble opération  qui  s'appelle  raisonnement;  nous  étudierons  alors 
l'expression  du  raisonnement,  qui  prend,  dans  sa  forme  la  plus 
simple  et  la  plus  complote,  le  nom  de  syllogisme  ;  enfin  nous  verrons 
la  connexion  complexe  d'un  grand  nombre  de  pensées,  que  Ton 
appelle  méthode. 

Donc  quatre  articles  : 

V*  Connexion  simple  des  i>ensées;  sa  nature  et  ses  fondements. 
2^  Manifestation  et  affirmation  de  cette  connexion,  ou  raisonne- 
ment. 
3^  Expi^ession  du  raisonnement,  ou  syllogisme. 
4*  Connexion  complexe  des  i>ensées,  ou  méth^ide. 


CONNEXION  DES   PENSÉES     •  87 

Arttcle  .V 
SATURE  ET  FONDEMENTS  DE  LA  CONNEXION  DES  PENSÉES 

224.  Idée  première  de  la  connexion  des  pensées.  —  Ce 

qu*il  y  a  de  plus  apparent  dans  la  connexion  de  deux  pensées  c'est 
une  sorte  de  lien  logique,  par  lequel  deux  pensées  connexes  sont  tou- 
tes deux  vraies  ou  toutes  deux  fausses,  en  sorte  que  :  affirmer  Tune 
c'est  affirmer  l'autre;  nier  l'une  c'est  nier  l'autre. 

225.  Recherche  de  la  nature  de  cette  connexion,  —  Mais 
d'où  peut  venir  et  en  quoi  peut  consister  ce  liea  nécessaire  ?  Ce  lien 
tout  le  monde  Taperçoit,  tout  le  monde  l'affirme,  quand  deux  pensées 
connexes  sont  données  ;  et  poui'tant  aucun  philosophe  n'en  a  encore 
fait  voir  la  nature.  Nous  l'avons  donc  cherchée,  et  voici  le  résultat  de 
notre  étude. 

226.  Fondements  de  la  connexion  des  pensées.  —  Toutes 
les  fois  que  deux  pensées  sont  connexes  sans  être  équivalentes,  il  y  a 
entre  elles  un  des  trois  rapports  suivants  : 

1"  Rapport  mutuel  entre  la  cause  et  son  effet. 

2®'  Rapport  mutuel  entre  la  loi  et  le  phénomène  qu'elle  régit. 

3<*  Rapport  mutuel  entre  Tespôce  et  l'individu  qui  en  fait  partie. 

Ces  trois  ordres  de  rappoils  mutuels  ont-ils  quelque  chose  de  com- 
mun ?  Constituent-ils  au  fond  un  môme  ordre  de  rapports,  pour  que 
nous  agissions  toujours  envers  eux  de  la  même  manière,  dans  nos 
affirmations  ? 

227.  Unité  de  ces  trois  fondements.  —  Ces  trois  ordres  de 
rapports  se  confondent  en  effet  en  un  seul,  quand  on  les  considère  au 
point  de  vue  logique.  En  voici  la  démonstration. 

228.  Rapport  mutuel  entre  la  cause  et  son  effet.  — 

Que  faut-il  entendre  par  cause  et  par  effet  ?  Pour  tout  le  monde, 
-/a  cause  c'est  ce  qui  produit,  et  Veffet  c'est  ce  qui  est  produit. 
Mais  dans  ces  mots,  ce  qui  produit^  faut-il  voir  Ja  suljstance  de 
l'être  qui  produit  ?  Evidemment  non.  La  substance  par  elle-même 
ne  produit  pas.  C'est  donc  l'action  de  cette  substance  qui  est  cause. 
Et  par  effet  fautril  entendre  la  substance  avec. la  modification 


88  LOOIQUB  ABSTRAITE 

qu*elle  reçoit  de  9a  cause?  Evidemment  non  encore.  La  pubstauce 
de  Tôtre  dans  lequel  on  produit  une  modification  n*e$t  pas  Teifet 
delà  cause  qui  la  modifie.  Par  exemple  :  Un  ouvrier,  un  sculp- 
teur fait  une  statue.  Est-ce  l'ouvrier  qui  est  cause  ?  Non,  c'est 
son  action.  Est-ce  la  statue  qui  est  l'effet  ?  Non,  c'est  la  modifica- 
tion que  reçoit  le  marbre.  Mais  le  marbre  n'est  pas  l'effet  de  l'ac- 
tion de  l'ouvrier:  Il  y  a  plus  encore. 

L'action  qui  produit  un  effet,  n'est  appelée  crtî*^^  que  parce  qu'el- 
le produit  un  effet  ;  elle  n'est  cause  que  de  cet  effet.  De  son  côté 
la  modification  qui  est  produite  n'est  appelée  effet  que  parce 
qu'elle  est  produite  par  une  cause.  En  sorte  que  être  cause  c'est 
produire  un  effet  (proditcere),  et  être  effet  c'est  être  produit  par 
une  cause  {produci).  En  d'autres  termes  et  plus  brièvement:  la  c««- 
se  c'est  \e  produire,  et  Y  effet  c'est  le  être  produit.  L'un  est  actif  et 
l'autre  est  passif.  De  ces  deux  termes  il  est  évident  que  l'un  ne  peut 
ni  exister  ni  môme  être  conçu  sans  l'autre  :  qu'est-ce  que  leproduire 
sans  le  être  produit,  et  qu'est-ce  que  le  e7r<?7)rorfMî/ sans  le  produi- 
re ?  Les  termes  ainsi  entendus,  il  est  évident  qu'il  n'y  a  pas  d'effet 
sans  cause,  ni  de  cause  sans  effet. 

Mais  un  autre  principe  certain,  que  Ton  oublie  c'est  la  coexisten- 
ce nécessairement  simultanée  de  la  cause  et  de  l'effet.  Le  produi- 
re  commence-t-il  avant  le  être  produit  et  finit-il  avant  ?  Non  le 
être  produit  commence  et  finit  avec  le  produire.  En  effet  dès  que 
le  produire  cesse,  on  peut  voir  encore  le  avoir  êtê  produit,  {prodi^ 
ctum  esxe),  muis  nonle  être  j^roduit,  (produci).  Donc  la  caiisc 
commence  et  finit  avec  son  effet  et  réciproquement.  Donc  l'existence 
de  l'un  c'est  l'existence  de  l'autre. 

La  cause  et  l'effet  sont  donc  logiquement  identiques,  et  affirmer 
l'un  de  ces  deux  termes  c'est  affirmer  l'autre. 

Voilà  le  fondement  de  la  connexion  logique  entre  deux  jugements 
dont  l'un  affirme  la  cause  et  l'autre  l'effet.  Ce  fondement,  qui  est  le 
rapport  entre  la  cause  et  l'effet,  est  une  identité  logique. 

m 

229.  Objection  et  réponse.  —  On  dira  que,  selon  le  sens  vul- 
gaire des  mots,  l'effet  subsiste  après  sa  cause,  et  que,  môme  dans  le 
sens  pbilosopbique  de  ces  mots,  le  résultat  d'une  action,  qui  n'êt-ait 
d'abord  que  le  êtreprodtUt,  subsiste,  quand  l'action,  le  produire^  a 


CONNEXION  DES   PENSÉES  89 

cessé.  Ainsi  la  fonne  donnée  au  marbre  par  i*action  de  l'ouvrier 
demeure  la  môme  quand  il  a  cessé  d'agir.  Nous  répondons  : 

Dans  Tordre  physique,  c'est-à-dire,  dans  Tordre  des  réalités,  un 
eifet  n'est  jamais  produit  par  une  seule  cause.  Et  si  un  effet  sub- 
siste après  que  l'action  qui  le  produisait  a  cessé,  c'est  parce  que 
d'autres  causes  naturelles  et  permanentes  continuent  à  agir  pour  le 
maintenir,  et  que  Tactiorf  qui  finit  cède  sa  place  à  une  nouvelle  ac- 
tion des  causes  naturelles. 

Par  exemple  :  Le  sculpteur  prend  une  pièce  de  marbre  pour  en 
faire  une  statue.  L'ouvrier  taille  le  marbre  et  le  marbre  est  taillé, 
voilà  une  cause  et  un  effet.  Mais  le  marbre  laissé  debout  par  l'ou- 
vrier reste  immobile,  par  Teffet  des  forces  naturelles  d'attraction 
qui  en  retiennent  les  molécules.  D'un  autre  côté  les  éclats  de  mar- 
bre détachés  par  le  ciseau,  ayant  changé  de  lieu,  sont  placés  sous 
une  nouvelle  action  de  cette  môme  attraction.  Ainsi  Tact  ion  natu- 
relle et  permanente  des  corps,  ayant  pris  une  nouvelle  direction  par 
suite  de  Taction  de  l'ouvrier,  maintient  le  marbre  dans  Tétat  ou 
rouvrier  Ta  laissé.  En  sorte  que,  quand  le  marbre  était  actuelle- 
ment taillé,  c'était  Teffet  de  Taction  de  l'ouvrier,  et  cet  effet  a  com- 
mencé et  fini  avec  sa  cause  ;  mais  que  maintenant  le  marbre  con- 
serve la  forme  de  statue,  c'est  Teffet  do  Taction  naturelle  et  perma- 
nente des  forces  de  la  nature,  et  cet  effet  commence  avec  sa  cause, 
pour  finir  avec  elle. 

Mais  si  un  produit  quelconque  était  Teffet  total  d'une  seule  action, 
et  si  cette  action  ne  pouvait  ôtre  remplac«>e  par  aucune  autre,  ce 
produit  cesserait  d'tHre  en  même  temps  que  Taction  cesserait. 
Nous  verrons,  en  métaphysique  et  en  théodicée,  qu'il  en  est  ainsi  de 
toute  créature  vis-à-vis  de  Dieu  :  car  Taction  de  Dieu  est  la  cause 
totale  et  seule  possible  de  tout  ce  qui  est  créé. 

230.  Rapport  mutuel  entre  la  loi  et  le  phénomène 
qu'elle  régit. —  On  entend  par  jihênomênc  toute  manifestation 
d'une  modification  dans  un  être;  et,  par  extension,  on  donne  aussi 
ce  nom  à  la]modification  elle-même,  telle  qu'elle  se  manifeste.  C'est 
de  ce  dernier  sens  qu'il  s'agit  ici.  La  loiy  c'est  la  régie  d'un  phé- 
nomène, c'est  Tordi-e  dans  lequel  il  se  produit.  Mais  qu'est-ce 
que  Toi^dre  d'une  modification,  sans  cette  modification?  et  qu'est-ce 
qu'une  modification,  sans  Tordre  dans   lequel  elle  est  produite? 


90  LOGIQUE  ABSTRAITE 

Ou  lo  voit  :  il  n'y  a  d'auti^e  différence  entre  la  loi  et  le  phé- 
nomène, sinon  qu*un  phénomène  est  une  modification  faite  dans 
tel  oiHire,  et  que  la  loi  est  la  conception  fj^énèi*ale  de  ce 
même  ordi^  commun  à  toutes  les  modifications  semblables.  Ainsi 
la  loi  est  lordi^e  de  toute  la  série  indéfinie  des  phénomènes  semblables, 
et  cet  ordre  se  rétrouve  tout  entier  et  identique  dans  chacun  des 
phénomènes  de  cette  ^rie. 

Donc  la  loi  ne  peut  exister  sans  que  les  phénomènes,  dont  elle 
est  Toivlro  essentiel,  se  produisent  dans  ce  même  ordre;  et  le  phéno- 
mène ne  peut  exister  autrement  qu'avec  son  oixlre  essentiel,  qui  est 

sa  loi. 
Il  y  a  donc  encore  identité  logique  entre  la  loi  et  le  phénomène 

qu'elle  régit;  et  afiirmer  l'un  de  ces  deux  ternies  c'est  atfirmer 

l'autre. 

231.  Rapport  mutuel  entre  l'espèce  et  ses  indmdus.  — 

Quand  plu6ieui*s  individus  ont  le  même  ensemble  de  camctères 
essentiels,  on  dit  qu'ils  sont  de  la  même  espèce.  Donc  ce  qu  on 
appelle  espèce  c'est  l'ensemble  des  c^mctèresessentieW une  collec- 
tion d'individus.  Mais  comment  un  individu  peut-il  existersaus  ses 
caractères  essentiels?  comment  peut-il  appartenir  à  une  espèce  sans 
avoir  les  caractèi*es  qui  constituent  cette  espèce?  Ici  donc encoi'e  il  y 
a  identité  logique  entre  l'espèce  et  les  caixictèi^es  essentiels  d'un 
individu  de  cette  espèce. 

Donc  encore,  affirmer  un  caractère  d'une  espèce  c'est  affirmer 
un  caractèi*e  essentiel  d'un  individu  quelconque  de  cette  espèce,  et 
affirmer  un  caïuctère  essentiel  d'un  individu  c'est  affirmer  un  des 
caractères  de  son  aspèce. 

Donc,  si,  de  deux  jugements,  l'un  affirme  un  caractère  d'une 
espèce  et  l'auti^e  affirme  le  même  caractèro  comme  essentiel  à 
un  des  individus  de  cette  espèce,  les  deux  jugements  sont  logique- 
ment identiques. 

232.  Nature  de  la  connexion  logique  des  pensées.  —  La 

connexion  logique  des  pensées  n'est  donc  pas  auti'e  chose  que  leur 
identité  logique. 

L'identité  logique  de  deux  pensées  consiste  en  ce  que  les  deux 
faits  dont  elles  sont  la  conception  n'oiU  r/ii*un€  seule  eu  mv me  exis- 
tence. 


CONNEXION  DES   PENSÉES  91 

L'existence  de  la  cause  G*est  Texlstence  de  Teffet. 

L^exîstence  appliquée  de  la  loi  c*est  Texisteuce  de  Tordi^e  essen- 
tiel du  phénomèue. 

L'existence  de  Tespôce  c'est  Texistence  des  caractères  essentiels 
de  Tindividu. 

233.  Identité  log^ique  de  ces  trois  ordres  d'identité  logi- 
ifue.  —  Ces  trois  fondements  de  la  connexion  logique  des  pensées , 
non- seulement  ne  sont  rien  autre  chose  que  des  rappoi*ts  d'identité 
logique,  mais  encore  ils  sont  logiquement  identiques  entre  eux.  En 
effet  : 

La  même  cause  ne  peut  suivre  dans  son  opération  que  le  môme 
ordre,  et  ne  peut  donner  h  son  effet  que  les^  mômes  caractères. 
Donc  la  même  cause  agit  selon  la  môme  loi  et  produit  la  môme 
espèce  d'ôtre  ;  d'un  autre  côté,  l'efl'et  produit  par  cette  môme  cause 
ne  peut  ôtre  que  le  même,  présenter  le  môme  ordre  dayis  ses  plié- 
nomènes  et  les  mômes  caractères  essentiels.  En  d'autres  termes 
Vexistence  de  la  môme  ca^iis*^  c'est  l'existence  de  la  môme  loi,  de 
la  môme  espèce^  du  môme  effet,  du  même  ordre  de  phénomènes, 
des  mômes  caractères  essentiels  de  l'eflet  pi*oduit. 

Donc  ces  six  termes,  ces  six  éléments  de  faits  et  de  pensées,  qui 
sont  métaphysiqueraent  et  physiquement  différents,  sont  logique- 
ment identiques  :  ils  n'ont  qu'une  seule  et  môme  existence  et  affii*- 
mar  l'un  c'est  affirmer  tous  les  auti^es. 

23-i.  Conclusion.  —  Voilà  donc  le  fondement  inéhraulable  de 
la  connexion  logique  des  pensées  ;  voilà  pourquoi  si  irouvent  nous 
affirmons  une  pensée  uniquement  parce  que  nous  en  avons  affirmé 
une  autre  ;  voilà  le  lien  entre  les  principes  et  les  conséquences. 

Nous  affirmons  la  conséquence  d*un  principe,  en  vertu  de  l'affir- 
mation du  principe,  parce  que  la  conséquence  est  logiquement  iden- 
tique au  principe,  parce  que  l'existence  du  fait  qui  est  un  principe 
est  l'existence  du  fait  qui  en  est  app3lé  la  conséciuence.  Dans  tout 
cela  nous  ne  faisons  qu'affirmer  une  identité. 

Mais  pour  affirmer  cette  identité,  il  faut  la  voir  ;  c'est  cette  ma- 
nifestation que  nous  allons  exposer  dans  l'article  suivant  : 

9^  loi  de  la  logique  abstraite.  —  Deux  pensées  sont  logique- 
ment connexes   quand  elles  sont  logiquement  identiques,  c'est-à- 


92  LOOIQIIE  ÀB8TRAITB 

dire^  quand  les  deux  faits  qu'elles  expriment  n*ont  qu*une  seule  et 
même  existence.  Alors  ces  deux  pensées  sont  toutes  les  deux 
vraies  ou  toutes  les  deux  fausses. 

Articlb  2« 

HAKIPESTATION  ET  ÀVFIEMATI01  DE  LA  mUim  L06IQIB  DES  r&(SÉES  — 

RAISOXKEMENT 

235.  Nature  du  raisonnement.  —  Quand  nous  voyons  Tiden- 
tité  logique  de  deux  pensées,  et  que  nous  affirmons  cette  identité 
parce  que  nous  la  voyons,  nous  faisons  un  raisonnement.  Le  rai- 
sonnement est  donc  tni  jugement  complexe  qui  affirme  l'identité 
logique  de  deux  jugements  simples,  comme  le  jugement  simple  affir- 
me l'identité  logique  do  deux  idées. 

Mais,  pour  mettre  en  évidence  cette  identité  logique  de  deux  i>en- 
sées,  nous  nous  servons  le  plus  souvent  d'une  troisième  pensée  ;  et 
c'est  surtout  cotte  manifestation,  cette  constatation  de  la  connexion 
de  deux  pensées  que  l'on  appelle  raisonnement.  On  se  s/srt  souvent 
d'un  plus  grand  nombre  de. pensées  pour  arriver  d'un  principe  à 
une  conclusioti;  mais  alors  il  est  facile  do  voir  qu'il  y  a  plusieui's 
raisonnements  liés  les  uns  aux  autres. 

236.  Eléments  du  raisonnement.  —  Ainsi  le  raisonnement 
se  compose  essentiellement  de  trois  propositions:  le  principe,  la 
moyenne  et  la  conclusion. 

237.  Principe,  On  appelle  principe  d'un  raisonnement  une  i)en- 
sée  que  l'on  admet  comme  vraie,  ou  que  l'on  donne  comme  une 
hypothèse,  et  d'où  Ton  veut  tirer  une  conclusion. 

238.  Conclusion,  ou  conséquence.  —  On  appelle  conclusion 
ou  conséquence  d'un  raisonnement  une  pensée  dont  on  voit  la  véri- 
té dans  sa  connexion  logique  avec  la  pensée  qui  sert  de  principe. 

L'ancienne  langfue  philosophique  appelait  t  conséquence  i»  (coJisequon- 
iiam)  la  connexion  logique  qui  e:?isle  entre  le  principe  et  la  conclusion, 
et  elle  nommait  «  conséquent  »  (cojiîiequen^)  la  conclusion  elle-même 
que  nous  appelons  a  conséquence  ».  £)lle  avait  raison  contre  la  langue 
moderne,  au  point  do  vue  philosophiriue;  maisi|  ne  nous  est  pas  possi- 
ble de  changer  le  sens  des  mots  :  co  serait  jeter  lu  confusion  dans  les 
idées. 


.     RAISONNEMENT  93 

Si  le  principe  est  certainement  vrai,  la  conclusion  qui  Ini  est  logi- 
quement identique  est  vraie  aussi  ;  si  le  principe  n'est  qu'une  hypo- 
thèse, la  conclusion  n'a  comme  lui  qu'une  vérité  hypothétique.  Mais 
le  raisonnement  montre  l'identité  logique  d'une  conclusion  hypothé- 
tique avec  son  principe- hypothèse,  pour  affirmer  que,  si  l'hypothèse 
principe  se  réalise,  la  conclusion  se  réalisera  aussi,  puisqu'elle  lui 
est  logiquement  identique. 

239.  Moyenne.  —  La  pensée  moyenne  d'un  raisonnement  est 
celle  qui  met  en  évidence  l'identité  logique  du  principe  avec  la  con- 
clusion. 

La  proposition  moyenne  n'est  pas  de  l'essence  du  raisonnement  en 
tant  que  jugement  ou  affirmation  de  Videntité  de  detMo  juge- 
ments ;  mais  elle  est  de  l'essence  du  raisonnement  comme  manifes- 
tation de  cette  identité. 

240.  Union    des   éléments    du  raisonnement.    —   En 

sorte  que  les  éléments  essentiels  du  raisonnement  qui  sont  le 
principe  et  la  conclusion,  s'unissent  dans  leur  identité  logique, 
que  le  raisonnement  affirme.  C'est,  pour  nous  servir  d'une  compa- 
raison mathématique,  le  jugement  à  sa  deuxième  puissance. 
Comme  le  jugement  affirme  l'identité  logique  de^deux  idées,  con- 
ception certaine  de  deux  êtres  unis  (}ans  une  môme  existence  ;  de 
môme  le  raisonnement  affirme  Fidentité  logique  de  deux  jugements, 
conception  certaiqp  de  deux  faits  unis  dans  la  môme  existence. 

Cette  vérité  simple  mais  féconde,  déjà  si  solidement  ét»hlie  par 
tout  ce  qui  précède,  sera  plus  manifeste  encore,  si  c'est  possible, 
après  l'examen  des  différentes  espèces  de  raisonnement. 

241.  Différentes  espèces  de  raisonnement.  —  Nous  distin- 
guerons tout  d'abord  les  raisonnements  en  deux  grandes  classes  : 
les  raisonnements  certains,  qui  sont  basés  sur  l'ideutité  logique  des 
pensées  ;  et  les  raisonnements  probables,  basés  sur  l'analogie  des 
pensées.  Examinons  d'abord  ces  derniers. 

242.  Raisonnements  probables.  —  De  môme  qu'un  juge- 
ment qui  porte  sur  un  seul  fait  peut  n'être  que  probable,  le  raison- 
nement qui  n'est  qu'un  jugement  sur  l'identité  de  deux  faits  peut 
n'ôtr^que  probable  aussi  ;  c'est  quand  nous  voyons,  non  l'identité, 
mais  l'analogie  des  deux  faits. 


94  LOGIQUE  ABSTRAITE 

243%  Analogie.  —  L'analogie,  qui  ii*est  (317)  que  l'identité 
partielle  de  deux  pensées,  est  le  fondement  des  raisonnements  pi'o- 
bables.  En  effet,  la  vue  de  quelques  éléments  identiques  dans  deux 
faits  dont  on  ne  connaît  pas  les  autres  éléments,  fait  supposer 
l'identité  des  autres  éléments.  C'est  le  premier  fruit  de  Tanalogie, 
c'est  rhjpothèse.  La  vue  d'un  plus  grand  nombre  d'éléments  iden- 
tiques amôme  une  affirmation  xn^obahle  de  leur  identité,  et  cette 
probabilité  est  d'autant  plus  grande  que  les  éléments  identiques 
s^t  plus  nombreux  et  plus  importants.  Mais,  tant  que  l'identité 
complète  n'est  pas  constatée,  on  ne  sort  pas  de  la  probabilité,  on 
n'est  pas  dans  le  raisonnement  certain. 

244»  Utilité  pratique  de  l'analogie.  —  En  pratique,  le  raison- 
nement probable  et  le  jugement  probable,  fondés  sur  l'analogie, 
sont  très-utiles  ;  car  souvent  on  n'a  pas  les  moyens  de  constater 
une  identité  complète,  et  il  faut  a^ir.  De  plus  l'analogie,  dans  les 
sciences,  en  faisant  concevoir  des  b jpothôses  que  Ton  vérifie  ensui- 
te, est  souvent  un  excellent  fil  conducteur,  pour  arriver  à  la 
découverte  des  causes  des  lois  et  des  espèces.  Mais,  seule,  elle  ne 
donne  jamais  la  certitude. 

245.  Raisonnements  certains.  —  Les  raisonnements  cer- 
tains sont  tous  basés  sur  l'identité,  comme  nous  l'avons  déjà  établi 
et  comme  nous  allons  le  vérifier.  On  en  distingue  trois  sortes: 
V identité,  la  déduction  et  Vijiduction, 

246.  4dentité.  —  On  appelle  raisonnement  par  identité,  ou  sim- 
plement identité,  un  raisonnement  dans  lequel  le  principe  et  la  con- 
clusion sout  métaphysiquement  identiques.  A  plus  forte  [raison,  ils 
le  sont  aussi  logiquement. 

Ex.  :  3  et  4  égalent  5  et  2;  car  ces  deux  sommes  égalent  cha- 
cune le  nombre  7.  —  //  est  mort  :  donc  il  ne  vit  plus. 

Cette  sorte  de  raisonnement,  où  il  n'entre  {[ue  des  pensées  équiva- 
lentes, ne  sert  guère  qu'en  mathématiques  ou  dans  l'exposition  d'une 
doctrine  nouvelle,  où  il  est  nécessaire  souvent  de  se  répéter  sous 
différentes  formes. 

247.  Déduction.  —  La  déduction  est  un  raisonnement  dans  le- 
quel la  conclusion  est  un  cas  particulier  du  principe.  D'où  il  suit 


UAISONNEMKNT  95 

que  si  Ton  afBrme  le  principe  on  affirme  par  là-méme  la  conclu- 
sion. 

Cette  sorte  de  raisonnement  pose  comme  principe  nne  cause,  une 
lot,  une  espace,  et  en  conclut  Ve/fet  de  cette  causèy  l'ordre  du 
phénomène  régi  par  cette  loi,  les  caractères  essentiels  de  Vindi^ 
vidu  de  cette  espt^ce'. 

Voici  un  exemple  de  chacun  de  ces  trois  cas. 

P  //  est  mort  hier;do7ic:  vous  ne  l'avez  pas  vu  aujourd'hui. 
En  niant  la  cause  je  nie  Teffet.  Ou  bien  encore  :  Vous  êtes  entre 
moi  et  la  lumière  ;  donc  :  vous  m'empêchez  de  la  voir.  En  affir- 
mant la  cause  j'affirme  l'effet. 

2**  La  lumière  du  soleil  met  neuf  minutes  potir  arriver  Jus- 
qu'à nous  ;  donc  :  quand  nous  croyons  la  voir  en  un  j^oiîit,  il  y 
a  neuf  ininutes  qu'il  n'y  est  phis, 

3°  Les  moutons  sont  des  rutninants  ;  donc:  ce  mouton  est  un 
ruminant, 

La  déduction  n*a  que  ces  trois  cas  possibles. 

Mais  nous  avons  montré  plus  haut  que  la  cause  et  Teffet,  la  loi  et 
le  phénomène,  Tespôce  et  l'individu  dans  ses  caractères  essentiels 
sont  logiquement  identiques.  Donc  :  la  déduction  n'est  jamais  qu'u- 
ne identité  logique. 

Et  d'ailleurs,  si,  ayant  affirmé  dans  le  principe  les  caractères  spé- 
cifiques de  toute  une  classe  d'individus,  ou  la  loi  de  toute  une  classe 
de  phénomènes,  ou  la  cause  de  toute  une  classe  d'effets,  je  n'affirme 
dans  la  conclusion  que  les  caractères  spécifiques  d'un  seul  de  ces  in- 
dividus,  ou  l'ordre  d'un  seul  de  ces  phénomènes,  ou  un  seul  de 
ces  effets  ;  c'est  que  je  n'ai  pas  à  m'occuper  des  autres.  Mais  avec 
le  même  principe  je  pourrais  affirmer  tout  aussi  bien  la  série  indéfi- 
nie des  effets,  des  phénomènes  ou  des  individus  ;  et  cette  série  in- 
définie est  bien  identique  à  la  généralité  affirmée  dans  le  principe. 
Donc  encore  : 

Dans  la  déduction,  la  conclusion  est  logiquement  identique  au 
principe,  et  ce  raisonnement  n'a  pas  d'autre  fondement  que  l'identité 
logique  de  deux  jugements. 

^8.  Indtitstiofi.  -^  On  définit  soavent  l'induction  QR  raisonne- 


96  LOGIQUE   ABSTRAITE 

ment  qui  a  pour  principe  une  proposition  particuliôi'e  d'où  Ton  con- 
clut à  une  proposition  générale. 

Cela  est  vrai  dans  la  forme  ;  tuais  s'il  en  était  ainsi  dans  le  fond, 
l'induction  serait  tout  simplement  une  absurdité.  Qu'est-ce  donc 
que  l'induction? 

L'induction  est  l'inverse  do  la  déduction.  C'est  un  raisonnement 
dans  lequel  le  principe  est  un  cas  particulier  de  la  conclusion.  Elle 
pose  en  principe  V  effet  y  l'ordre  essentiel  du  2ihènomène,  les  ca- 
ractères essentiels  de  l'individu^  et  elle  en  conclut  la  cause,  la  loi, 
l'espèce. 

Voici  un  exemple  de  chacun  de  ces  trois  cas  : 

!•  Ce  fer  s'est  dilaté  sous  l'action  unique  du  feu;  donc:  le 
feu  dilate  le  fer.  En  affirmant  l'effet  j'affirme  la  cause. 

2*  Ces  trois  corps  de  pesanteur  spécifique  très  iiufgale  sont 
tombés,  dans  le  vide,  avec  la  même  vitesse  ;  donc  tous  les  corps, 
quelle  que  soit  leur  pesanteur  spécifique,  tombent,  dans  le  vide, 
avec  la  même  vitesse, 

3'  Ces  moutons  ont,  non  par  accident,  mais  par  nature,  les 
pieds  fourchus  ;  donc  :  tous  les  moutons  ont  les  pieds  fourchus. 

L'induction  n'a  pas  d'autre  cas  possible. 

Mais,  encore  une  fois,  nous  avons  établi  qu'il  j  a  identité  logique 
entre  l'effet  et  sa  cause,  entre  l'ordre  essentiel  d'un  phénomène 
et  sa  loi,  entre  les  caractères  essentiels  d'un  individu  et  les  ca- 
ractères de  son  espèce.  Donc  :  l'induction  n'est  qu'une  identité  lo- 
gique. 

Et  qu'on  veuille  prendre  la  peine  d'analyser  les  exemples  que 
nous  avons  cités,  semblables  en  cela  à  tous  les  exemples  possibles 
et  on  y  verra,  que  :  1*»  En  affirmant  un  effet  particulier,  nous 
l'avions  considéré  dans  sa  nature  même,  et  que  par  là  il  représentait 
la  série  indéfinie  des  effets  semblables,  d'où  nous  avons  conclu  à  la 
cause  générale  de  tous  ces  effets .  2?  En  affirmant  Tordre  de  quelques 
cas  particuliers  d'un  phénomène  nous  avons  pris  ces  cas  particuliers 
dans  des  conditions  telles  qu'ils  représentaient  la  série^  indéfinie  des 
phénomènes  semblables,  d'où  nous  avons  conclu  à  la  loi  générale  de 
tous.  3°  En  affirmant  un  caractère  de  quelques  individus,  nous 
l'avons  considéré  comme  un  caractère  essentiel,  ayant  pour  cause 


RAISONNKME.NT  97 

et  ponr  loi  la  nature  même  de  ces  individus  ;  d'où  il  est  clair  que 
ces  individus  représentaient  la  série  indéfinie  des  individus  sembla* 
blés,  identique  à  Tespéce  affirmée  dans  la  conclusion.     ' 

Donc,  encore,  Tinduct ion  n'est  que  l'identité  logique  de  deux  juge- 
ments. 

249.  Résumé.  —  Ainsi  le  raisonnement,  sous  ses  trois  for- 
mes :  identité,  déduction  y  iiiductioriy  n'est  que  la  constatation 

DE  l/lDENTITÉ  LOGIQUE  DE  DEUX  JUGEMENTS. 

250.  Réponse  critique.  —  Et  qu'on  ne  dise  pas  que,  s'il  en 
est  ainsi,  le  misonnement  est  inutile.  Le  raisonnement  est  aux  ju* 
gements  et  aux  faits  ce  que  le  jugement  est  aux  idées  et  aux  objets 
des  idées.  Comme  le  jugement  affirme  l'identité  logique  de  deux 
idées  ou  l'union  de  deux  réalités  dans  une  môme  existence,  le  rai- 
sonnement affirme  l'identité  logique  de  deux  jugements  et  l'union 
de  deux  faits  dans  une  seule  existence.  Et  sans  cette  faculté  de 
juger  de  cette  identité,  comment  connaîtrions-nous  les  causes,  les 
lois  et  les  espèces  que  nous  ne  percevons  pas?  Admirons  plutôt 
l'œuvre  de  Dieu  dans  l'intelligence  humaine.  Car,  avant  les  théories 
des  philosophes  sur  le  raisonnement,  et  malgré  les  attaques  incroya- 
bles dont  la  déduction  et  l'induction  ont  tour-à-tour  été  l'objet,  de 
la  part  d'hommes  souvent  admirés  comme  de  grands  génies  philoso- 
phiques, l'humanité  n'a  pas  cessé  de  faire  chaque  jour  des  induc- 
tions et  des  déductions,  sans  avoir  le  moindre  doute  sur  la  valeur 
des  conséquences. 

251.  Note  historique.  —  Les  anciens  n'avaient  pas  analysé 
rinduction,  et  la  plupart  ne  songèrent  pas  même  qu'ils  en  faisaient 
fréquemment  usage.  Au  contraire  ils  avaient  disséqué  la  déduction 
et  semblaient  enseigner  qu'elle  était  le  seul  Instrument  de  la  science. 
François  Bacon  et  Condillac  attaquèrent  au  contraire  la  déduction, 
disant  qu'elle  ne  sert  qu'à  apprendre  ce  que  l'on  sait  déjà,  et  ils 
exaltèrent  l'induction  outre  mesure,  lui  donnant  tout  le  mérite  des 
découvertes.  A  leur  tour  les  partisans  de  la  scolastique,  et  de  nos 
jours  encore  Joseph  de  Maistre,  ont  répondu  aux  ennemis  de  la  dé- 
duction, mais  ils  ont  trop  méconnu  l'induction.  Plusieurs  auteurs 
contemporains,  entre  autres  Gratrj,  ont  écrit  pour  la  réhabiliter, 
mais  ils  n'ont  pas  su  la  montrer  dans  son  vrai  jour,  et  il  en  est  resté 


98  LOGIQUE   ABSTRAITE 

que  Tinduction,  employée  exclusivement  dang  les  sciences  phjsi- 
siques  naturelles  et  médicales,  est  confondue  avec  Tanalogie,  dans 
beaucoup  de  livres  de  philosophie  de  noti'e  siècle. 

10^  loi  de  la  logique  abstraite.  —  Le  raisonnement  basé 
surFanalogie  ne  donne  qu'une  conclusion  probable.  Le  raisonne- 
ment certain  est  la  constatation  de  T identité  logique  de  deux  juge- 
ments. 

Remarque.  De  la  vérité  dans  le  raisonnement.  —  Le  rai- 
sonnement, ji'étant  que  la  constatation  de  Tidcntité  de  deux  juge- 
ments, il  suffit,  pour  qu'il  soit  vrai,  que  les  deux  jugements  soient 
en  effet  identiques,  et  il  n'est  pas  nécessaire  que  les  deux  jugements 
soient  vrais.  Pour  Aristote  et  pour  la  scolastique  la  logique  n'a- 
vait pas  d'autre  objet  que  cette  vérité  relative  et  connexe  de  deux 
jugements.  De  là  l'expression  si  fréquente  :  «  C'est  faux,  mais  c'est 
logique,  »  par  laquelle  on  veut  dire  que  tel  raisonnement  est  logique 
et  vrai,  en  ce  sens  que  les  deux  jugements  sont  identiques,  mais  que 
le  principe  étant  faux^  la  conclusion  l'est  aussi. 

C'est  dans  le  môme  sens  qu'on  a  dit  aussi  :  «  Il  y  a  une  logique 
de  l'erreur.  » 

C'est  ce  qui  montre  très  bien  combien  il  importe  que  la  logique 
ne  s'occupe  pas  seulement  de  la  connexion  des  pensées,  de  leur  vé- 
rité relative,  mais  aussi  de  la  vérité  absolue  de  chaque  pensée,  et 
des  moyens  de  s'assurer  de  cette  vérité  absolue,  comme  aussi  de  la 
marche  à  suivre  pour  ne  jamais  accepter  comme  vraie  une  pensée 
fausse. 

Article  4« 
EXPRESSION    DU   RAISOSNEMENT 

252.  Divisioà  de  cet  article.  —  Nous  uvons  à  parler  du  syllo- 
gisme en  général  et  des  dififérentes  espèces  de  syllogisme.  Nous  le 
ferons  en  deux  paragraphes. 

5  1.-  DD  STLLOaiBIS  ES  fiiSiBiL 

253.  Sens  du  mo4.  —  Les  Grecs  appelaient  Xo^i^jx^c  ou 
<jvXX(>Ytor|jL6ç  le  raisonnement.  Nous  en  avons  fait  le  mot  syllogis^ 
me.  Ce  nom  désigne  le  raisonnement  exprimé  sous  une  forme  ana- 
lytique, qui  en  montre  clairement  la  solidité  ou  la  faiblesse. 


RAISONNEMENT  91) 

251.  Éléments  du  syllogisme.  —  Le  sjUogisme  se  compose 
de  trois  propositions,  (Voyez  N*>  202)  qui,  abstraction  faite  du 
verbe,  ne  renferment  que  trois  termes,  employés  chacun  dans  deux 
des  trois  propositions.  Ces  trois  termes  sont  tels  que  le  second  est 
renfermé  dans  Fextension  du  premier  et  le  troisième  dans  celle  du 
second.  Aussi  on  les  a  distingués  par  les  noms  de  grand  terme 
(major  termmtts)^  moyen  terme  (médius  terminus),  petit  terme 
(minor  terminurs).  Exemple:  sensible,  grand  terme;  animal ^ 
moyen  terme  ;  cheval,  petit  terme. 

Syllogisme  :      Tout  animal  est  sensible; 

Or  le  cheval  est  un  animal  : 
Donc  le  cheval  est  sensible.  • 

Des  trois  propositions  du  syllogisme,  les  deux  premières,  qui  sont 
censées  connues  comme  vraies,  ou  qui  sont  admises  par  hypothèse, 
s'appellent.jpr^mme^  ;  la  troisième,  qui  exprime  le  fait  dont  on  veut 
démontrer  la  vérité,  s'appelle  conclusion. 

Celle  des  deux  prémisses  qui  renferme  le  grand  terme  s'appelle 
majeure.  Celle  qui  renferme  le  petit  terme  s'appelle  mineure. 
Toutes  les  deux  renferment  en  outre  le  moyen  terme.  La  conclusion 
renferme  le  petit  terme  et  le  grand. 

255.  Rapport  du  syllogisme  avec  le  raisonnement.' —  Le 

raisonnement  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut  constate  Tidentité 
logique  de  deux  jugements.  Le  syllogisme  est  bien  l'expression 
exacte  du  raisonnement;  car  il  met  en  évidence  cette  identité  et 
Taffirme.  En  effet  la  mineure  montre  que  la  conclusion  est  logique- 
ment identique  à  la  majeure,  et  la  conclusion  est  donnée  conmie  telle, 
La  majeure  exprime  donc  un  premier  jugement,  connu  comme 
vrai,  ou  supposé  tel;  la  conclusion  est  un  second  jugement  qui  est 
vrai  au  même  titre  que  le  premier,  parce  qu'il  lui  est  logiquement 
identique  ;  le  raisonnement  consiste  à  constater  cette  identité,  et 
c'est  la  mineure  qui  le  fait. 

256.  Lois  ou  règles  du  syllogisme.  —  Les  scholastiques 
après  Aristote  avaient  longuement  détaillé  toutes  les  conditions 
dans  lesquelles  un  syllogisme  est  ou  n'est  pas  l'expression  exacte 
d'an  raisonnement  vrai.  Leur  travail  était  une  analyse  abstraite 
que  l'on  pourrait  appeler  à  juste  titre  l'algèbre  du  raisonnement. 


100  LOGIQUK    ABSTI^AITE 

Mais  ces  nombrauses  formules  daus  lesquelles  ou  avait  prévu  dV 
vance  tous  les  cas  possibles,  ne  pouvaient  ôtre  un  secours  qu'à  la 
condition  d'être  très  familières  à  celui  qui  voulait  s'en  servir: 
moins  bien  possédées,  elles  deviennent  un  embarras. 

Nous  les  donnerons  cependant  avec  quelques  détails  à  la  fin  de  cei 
article. 

Arnauld  de  Port-Royal,  Euler  et  d'autres  après  eux  ont  essajé 
de  donner  dans  une  seule  loi  toutes  les  conditions  d'un  bon  syllogis- 
me. Les  voici  : 

Arnauld.  La  conclusion  doit  être  renfermée  da^is  la  majeure, 
et  la  mineure  doit  m^ontrer  qu'elle  y  est  7'en fermée. 

Euler.  Tout  d^  qui  est  dans  le  contenu  est  aussi  dans  le  con- 
tenant ;  tout  ce  qui  est  hors  du  contenant  est  aussi  hors  du  con- 
t&nu, 

GouRJU.  Que  le  petit  terme  soit  renfermé  dans  le  moyen  et  le 
moyen  dans  le  grand. 

Ces  diverses  formules  sont,  chacune  à  leur  point  de  vue,  la  loi 
essentielle  du   syllogisme  ;  mais  on   peut   dire  qu'elles    laissent, 
l'homme  à  ses  seules  ressources  logiques  naturelles,  et  de  plus  nous 
verrons  plus  tard  qu'elles  sont  trop  restreintes. 

Nous  es'saierons  à  notre  tour  de  donner  la  loi  unique  du  syllogis- 
me en  nous  appuyant  sur  notre  théorie  du  raisonement. 

Loi  unique.  —  Le  syllogisme  doit  ôtre  la  constatation  de 
l'identité  logique  des  trois  termes  d'un  raisonnement,  à  rai- 
son de  l'identité  des  deux  termes  extrêmes  avec  le  moyen. 

En  sorte  que  la  valeur  du  syllogisme  résulte  de  ce  grand  princi- 
pe de  raison  : 

Quœ  sunt  eadem  uni  tertio,  sunt  eadem  inter  se. 

Et  ce  principe  dont  notre  esprit  ne  peut  douter,  n'est  lui-môme  si 

incontestable  que  parce  que  notre  raison  le  traduit  nécessairement 
par  cet  autre  : 

Ce  qui  est  est. 

m 

257.  En  quoi  cette  loi  unique  est  préférable  aux  autres.  -— 

Notre  loi  unique  du  syllogisme,  sous  une  forme  aussi  abstraite  que 
celles  qui  l'avaient  précédée,  donne  cependant  les  moyens  de  véri- 
fier jusqu'en  ses  racines  la  valeur  d'un  raisonnement,  tandis  que 


ItAISONNEMENT  ,  101 

toutes  les  lois  que  l'on  avait  données  jusqu'ici,  disant  très  bien  ce 
que  doit  être  un  syllogisme,  ne  donnaient  pas  les  moyens  d*en  re- 
connaître la  vérité.  La  loi  de  l'identité  au  contraire  permet  de  vé- 
rifier : 

P  la  vérité  de  chacune  des  deux  prémisses,  en  y  constatant 
ridentité  logique  de  l'attribut  et  du  siyet,  par  la  constatation  de  l'i- 
dentité logique  des  trois  termes. 

2**  la  vérité  de  la  conclusion,  comme  logiquement  identique  à  la 
majeure  ;  ce  qui  ressort  encore  de  l'identité  logi(iuc  des  trois  termes. 

Nous  alious  exposer  sous  une  foriu3  ul^ébriqiie  toutes  nos  théories 
sur  la  pensée  ot  sur  le  syllo.T^isms  ;  non  pas  que  nous  voulions  démon- 
li-er  par  les  niithéniatiques  les  procédés  de  la  raison,  ni  que  nous  vou- 
lions contlrmsr  ainsi  les  th';3:-le.s  que  nou^  avons  déjà  démontrées  ; 
mais  pour  le?  prj^'îuter  souiuae  fornn  mitérielle  et  les  rappeler  en  les 
résumant. 

L'idée.  —  Toute  idés  a  son  extension  et  sa  compréhension  ;  et,  roin- 
me  la  compréhension  de  l'idée  se  trouve  tout  entière  dans  chacun  des 
individus  auxquels  elle  s'étend,  on  peut  dire  que  la  compréhension  de 
l'idée  est  répétée  autant  de  foiscpTil  y  a  d'individus  dans  son  extension 
En  sorte  ([ue  to.i'e  vVtn  est  en  ([ucîque  sorte  le  produit  de  sa  compré- 
hension multipliée  par  son  extension.  Nous  pouvons  donc,  désignant 
pare  l'extension  et  pirr  la  compréhension,  représenter  toute  idée  par 
ht  formule  :  ec. 

L'extension  d'une  idée  a  trois  degrés,  qui  sont  comme  ses  trois  puis- 
sances. 1"  degré  :  l'extension  individuelle,  ({uand  l'idée  ne  comprend  qu'un 
individu;  ceserae,hi  1"  puissance  de  l'extension;  2"  degré:  l'extension 
spécifique,  quand  l'idée  comprend  tous  les  individus  d'une  espèce  ;  ce  se- 
ra e**,  la  '2'  puissance  de  l'exlcnsîon  ;  [i"  degré:  l'extension  générique, 
c(uand  l'idée  embrasse  tous  les  individus  de  son  genre;  ce  sera  e*',  la  3' 
puissance  de  l'extension. 

La  compréhension  d'une  idée  a  aussi  trois  degrés,  qui  grandissent  en 
sens  invei*se.  ('/est  d'abord,  an  1""  degré  Incompréhension  commune  à 
tous  les  individus  d'un  genre;  c'est  la  compréhension  générique,  la  jïIus 
petite,  dans  cette  idée;  ce  sera  r,  la  1"  puissance  de  la  compréhension. 
Il  faut  ajouter  quelque  chose  h  la  compréhension  du  genre ,  pour  av.-.ir 
la  compréhension  de  l'espèce ,  c'est  donc  le  2"  degré  ;  ce  sera  c* ,  la  2' 
puissance  de  la  compréhension.  Kulin  il  faut  encore  ajouter  ([uelque 
chose  à  la  compréhension  de  l'espèce  pour  avoir  celle  d'un  individu  ; 
c'est  donc  le  3'  degré;  ce  sera  c-**,   la  3*  puissani^e  de  la  compréheïision. 


102  LOGIQUE  ABSTRAITE 

Nous  avons  donc  : 

i  générique  :  e* 
spécifique  :  e* 
individuelle  :  e 

i  générique  :       c 


Compréhension  {  spécifique  : 


r 


f  individuelle  :  c^ 

Nous  aurons  donc,  selon  la  formule  ec  : 

idée  générique  :  6^c  ;  par  exemple  ;  le  poisson 
idée  spécifique  :  e*c*  ;  «  le  brocfiet 

idée  individuelle  :  ec^  ;         «  ce  brochet 

La  proposition.  —  La  pensée,  avons-nous  dit,  (141)  conçoit  Tidenli- 
té  logique  du  sujet  et  de  l'attribut  ;  non  pas  qu'absolument  parlant,  le 
sujet  et  l'attribut  soient  identiques  en  eux-mêmes  ;  mais  en  ce  que  la 
pensée  ne  prend  de  chacun  d'eux  que  ce  qu'ils  ont  d'identique,  réduisant 
ainsi  l'extension  de  l'attribut  k  celle  du  sujet,  et  la  compréhension  du 
sujet  à  celle  de  l'attribut. 

Quand  je  dis  par  exemple*,  le  brochet  est  u7i  poisson,  je  dis:  ék!* 
=  logiquement  e^c.  Et  en  effet  :  le  brochet,  e*c',  abstraction  faite  de  ce 
qui  le  fait  brochet,  devient  e*c ,  et  égale  le  poisson  e^c,  qui  de.vient, 
abstraction  faite  de  tous  les  poissons  qui  sont  en  dehors  de  l'espèce 
brochet,  e'c.    C'est  dire: 

e*c'    _    <^c     . 

c      ~      e     '"~ 

Nous  aurions  de  même,  pour  la  pensée  :  ce  brochet  est  un  poisson  : 
ec*  ss  logiquement  c'c. 

ec*  e^c 

Car:  —r-    =    —r    ==    ^^ 

c'  e*  X 

toujours  en  réduisant  la  compréhension  du  sujet  à  celle  de  l'attribut  et 

l'extension  de  l'attribut  à  celle  du  sujet. 

Cette  réduction  logique  des  extensions  et  des  compréhensions  du  sujet 

et  de  l'attribut  à  une  identité  complète,  avait  été  aperçue  en  partie  par 

Aristote  et  par  les  scolastiques,  qui  posaient  ainsi  les  lois  de  l'extension 

et  de  la  co.mpréhension  de  Tattribut  d'une  proposition. 

1"  Loi  :  L'attribut  d'une  proposition   afiirmatîve  n'est  jamais    pris 

e*c 

dans  toute  son  extension.  C'est  bien  ,  réduction  de  l'extension  de 

e 

l'attribut  à  celle  du  sujet. 
2"*  Loi  :  L'attribut  d'une  proposition  afilrmative  est  toujours  pris  se- 


RAISONNEMENT  103 

Ion  tonte  sa  compréhension.  C'est  —  ,  où  la  compréhension  reste  ce 
qu'elle  est. 

Mais  ce  qu'Aristote  ot  les  scolastiques  n'avaient  pas  vu  c'est  la  réduc- 
tion de  la  compréhension  du  sujet  à  celle  de  l'attribut;  ce  qui  établit 
entre  eux,  après  ce  procédé  logique,  une  parfaite  identité. 

Ainsi,  aux  lois  de  l'attribut,  les  scolastiques  auraient  pu  ajouter  les  lois 
suivantes,  pour  le  sujet  : 

a.  Le  sujet  d'une  proposition  (affirmative  ou  négative)  est  pris  selon 
l'extension  déterminée  par  sa  forme  grammaticale  ou  par  le  contexte. 

C'est  où  l'extension  e*  reste  ce  qu'elle  cfet. 

c 

b.  Le  sujet  d'une  proposition  (affirmative  ou  négative)  n'est  jamais 

e*c' 
pris  selon  toute  sa  compréhension.  C'est  encore  —  où  la  compréhen- 
sion c*  est  réduite  à  c. 

Dans  les  propositions  négatives  on  ne  peut  pas  faire  la  même  observa- 
tion  d'identité,  après  réduction  des  extensions  et  des  compréhensions  ;  car 
la  proposition  négative  indique  précisément  que  les  extensions  et  les 
compréhensions  du  sujet  et  de  l'attribut  ne  sont  pas  de  même  nature.  Par 
exemple,  si  je  dis  :  Vccrevisse  n'est  pas  un  poisson,  j'exclus  précisé- 
ment l'idée  écrevisse  de  l'extension  et  de  la  compréhension  de  l'idée  pois- 
son ;  c'est  comme  si  je  posais  :  l'écrevis^e  =«  e*c*aî:  le  poisson  =  é^cy 
j'aurais  beau  iaire  les  réductions,  en  divisant  parc  le  premier  terme,  et 
par  e  le  second  :  j'aurais  toujours  la  difTérence  de  x  et  de  y. 

Toutefois,  les  scolastiques  avaient  remarqué  que,  dans  les  propositions 
négatives,  la  non-identité  du  sujet  et  de  l'attribut,  qui  est  absolue  pour 
l'extension,  ne  l'est  pas  pour  la  compréhension.  Ainsi,  en  disant  :  l'êcre- 
visse  n'est  pas  un  poissoji,  je  dis  bien  que  l'écrevisse  n'est  identique  à 
aucun  des  individus  du  genre  poisson,  mais  je  ne  dis  pas  qu'elle  n  a 
rien  de  ce  qui  constitue  le  poisson,  rien  de  ce  qui  compose  la  compré. 
hension  de  l'idée  poisson. 

Aussi  aux  deux  lois  des  propositions  affirmatives  que  nous  avons  don- 
nées ci-dessus,  ils  ajoutaient  pour  les  propositions  négatives  les  lois 
suivantes  : 

3"*  Loi  :  L'attribut  d'une  proposition  négative  est  toujours  pris  dans 
toute  son  extension  ;  c'est-à-dire  qu'il  est  exclus  du  sujet  dans  toute  son 
extension. 

A**  Loi  :  L'attribut  d'une  proposition  négative  n'est  jamais  pris  selon 
toute  sa  compréhension,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  exclus  du  sujet  que  pour 
la  totalité  des  éléments  qu'il  renferme,  mais  non  pour  chacun  de  ces  élé- 


104  LOGIQUE   ABSTRAITE 

ments.  Si  je  dis,  par  exemple  :  un  cercle  n'est  pas  un  carré,  je  ae  nie 
pas  que  Tua  et  l'autre  ne  soient  une  surface  plane  détenninée. 

Après  cela  on  ne  demandera  pas  que  nous  exposions  avec  des  formules 
algébriques  les  lois  des  propositions  négatives,  car  il  s'agit  ici  non  plus 
d'identité,  mais  de  non-identité.  Et  on  ne  pourrait  pas,  pour  arriver  à  for- 
muler une  identité,  dire:  Vécrevisse  e^t  un  non-poisson,  car  bien  qu'on 
puisse  selon  la  1"  règle  ramener  l'extension  Au'  Jioyi-poisson  à  celle  de 
Vécrevisse,  la  compréhension  de  l'attribut  non-poisson,  qui  doit  rester 
entière  dans  une  proposition  affirmative  renfermerait  bien  autre  chose 
que  la  compréhension  du  sujet  ccrevtsse  ;  ainsi,  il  n'y  aurait  pas  identi- 
té. 

Le  syllogisme.  —  bl  maintenant  nous  analysons  avec  les  mêmes  for- 
mules les  trois  propositions  d'un  syllogisme  nous  aurons  : 

Ceci  est  un  brochet  ;  ec*  *=»  e*c' 

Or  le  brochet  est  un  poisson  :  f?V;*  ««   é^c 

Donc  ceci  est  U7i  poisson.  er*   =*  eV 

L'identité  logique  des  termes  dans  chacune  de  ces  propositions  est 
facile  à  vérifier,  si  Ton  réduit  les  compréhensions  des  sujets  à  celles  des 
attributs  et  les  extensions  des  attributs  à  celles  des  sujets.  Car  l'on 
aura  : 

!'•  prop.  — ^  .  c'est-à-dire  ec*,  »  — -  ,  c'est-à-dii-e  «a*. 

c  e 

2-*  prop.         —  ,  c'est-à-dire  e*c,  «  —  ,  c'est-à-dire  eV. 
r  e 

ec^  .    ,.  é^c 

3"»  prop.        —j-  ,  c'est-a-cUre  ev,  «  —5-  •  c'est-à-dire  ec. 

Par  où  il  est  visible  que  ces  trois  propositions  sont  vraies.  En  sorte 
que  la  vérité  de  la  conclusion  se  vérifie  en  elle-même.  Mais  elle  se  véri- 
fie aussi  en  ce  que  ec*  et  e^c  étant  tous  les  deux  égaux  à  ékt\  d'après 
les  prémisses,  il  est  évident,  comme  la  conclusion  l'affirme,  que  ec^  et  e^ 
sont  égaux  entre  eux. 

Mais  on  peut  remarquer  en  outre,  dans  cette  analyse  de  la  proposition, 
ce  que  devient  l'objet  de  la  pensée. 

La  1"  proposition:  Ceci  est  un  brochet,  ec*=  e'c',  se  réduit  à  ec*, et 
ne  laisse  plus  dans  l'esprit  que  l'idée  d'un  individu  avec  une  comprè- 
hensîon  spécifique:  ce  qui  est  Je  sens  exact  de  la  proposition. 


KAIîSONNEMKNT  lUo 

La  2*  Le  Irocfiet  e»t  un  poisson  y  e*c*  ««  e*c,  se  réduit  à  «V,  et  ne  laisse 
dans  l'esprit  que  Tidéc  d'une  espèce  avec  une  compréhension  généri- 
que: ce  qui  est  encore  le  sens  de  la  proposition. 

La  3«  enfin  :  Ceci  est  un  poisson,  ec*  =  e^c,  se  réduit  à  ec  et  ne  laisse 
dans  l'esprit  que  l'idée  |d'un  individu  avec  une  compréhension  généri- 
que: ce  qui  est  bien  In  sens  de  la  proposition,  et  exactement  ce  que  Ton 
voulait  conclure  par  le  syllogisme. 

Ainsi  les  procédés  logiques  du  jugement  et  du  raisonnement  sont  par- 
faitement justes  et  ne  procèdent  que  par  identités. 

Ainsi  encore  l'unique  règle  du  syllogisme  est  l'identité  logique  de  ses 
trois  termes. 

Ce  sont  ces  deux  vérités  que  nous  voulions  mettre  ici  dans  un  jour 
plus  complet.  Nous  croyons  avoir  atteint  ce  but,  pour  ceux  qui  auront 
bien  suivi  notre  comparaison  algébrique. 

258.  Le  syllogisme  est  l'expression  de  rinduction  et  de  la 
déduction.  —  Jusqu'ici  le  syllogisme  n*aété  considéré  que  comme 
l'expression  de  la  déduction:  Nous  allons  montrer  qu'il  est  aussi 
l'expression  de  l'Induction,  en  les  concevant  l'une  et  l'autre  comme 
nous  venons  de  les  concevoir. 

Voici  d'abord  une  induction  sous  sa  forme  vulgaire  :  Ce  feu  a 
dilaté  ce  fer  :  doue  le  feu^  dilate  le  fer,  La  première  proposi- 
tion exprime  un  l'ait  particulier  que  Ton  a  observé,  et  la  conclu- 
sion exprime  unevérito  générale,  que  l'on  n'a  pas  pu  observer  et 
personne  n'en  nie  la  valeur  logique.  C'est  bien  une  induction. 

Majeure.  Ce  fen  a  dilaté  ce  fer. 

Mineure.  Or  ce  feu  est  inde^itique  à  tons  les  feux  et  ce  fer 

identique  à  tous  les  fers, 

Conclusion.  Donc  le  feu,  en  général,  dilate  le  fer  y  en  général. 

Où  l'on  voit  que  la  conclusion  de  l'induction  est  aussi  identique 
à  la  majeure  que  dans  la  déduction.  On  y  voit  aussi  comment  le 
syllogisme  met  en  relief  l'identité  qui  fait  la  force  de  l'induction. 
Dans  l'exemple,  las  trois  termes  sont  :  dilatation^  grand  terme  ;  ce 
/V>-  et  ce  feu  moyen  terme:  le  fer  et  le  fe^%  petit  tenue.  Le  petit 
t^rme  semble  avoir  pins  d'extension  ([wo  )c  nioyon,  en  V(^alit<^  ils 
sont   idontiqjuofi. 


106 


LOGIQUE  ABSTRAITE 


Mettons  maintenant  en  regard 
trois  exemples  dlnduction. 

DiDUCTIOK 
1«  rtfPMt  de  eMse  à  efet 

C'est  la  pesanteur  de  l'air  qui  fait 
monter  les  liquides  dans  les  corps 
de  pompes. 

Or,  cette  pesanteur  de  Tair  doit 
agir  jusqu*à  ce  que  le  poids  du  li- 
quide lui  fasse  équilibre,  par  sa  hau- 
teur. 

Donc  les  liquides  doivent^s*élever 
dans  les  corps  de  pomi^es,  d'au- 
tant moins  haut  quils  sont  plus 
pesants. 

S»  rtwort  te  la  loi  aa  ^héatm^. 

Dans  le  \1de,  tous  les  corps  tom- 
bent avec  la  même  vitesse. 

Or,  ces  deux  corps,  de  pesanteur 
spécifique  très  inégale,  sont,  quant 
à  leur  chute,  identiques  à  tous  les 
corps. 

Donc  ces  deux  corps,  de  pesan- 
teur spécifique  très  inégale,  tom- 
beront, dans  le  vide,  avec  la  môme 
\iiesse. 

3«  rapport  de  l'espèce  aaz  IndiTldas. 

Les  moutons  ont  les  pieds  four- 
chus. 

Or,  par  leurs  caractères  essen- 
tiel s>  ces  moutons  ressemblent  à 
tous  les  moutons. 

Donc  ces  moutons  ont  les  pieds 
fourchus. 


trois  exemples  de  dédaction  et 

ISOUCTIOf 
l""  rapport  d*etet  à  cause. 

Les  liquides  s'élèvent,  dans  les 
corps  de  pompes,  d'autant  moins 
haut  qu'ils  sont  plus  pesants. 

Or.  c'est  là  l'effet*  du  poids  d'un 
corps,  qui  les  presse  jusqu'à  équi- 
libre, et  ce  corps  ne  peut  être  que 
rair. 

Donc,  c'est  la  pesanteur  de  Vhït 
qui  fait  monter  les  liquides  dans 
les  corps  de  pompes. 

V  rapport  da  phènonèBe  i  la  M. 

Ces  deux  corps  de  pesanteurs 
spécifi([ues  très  inégales  sont  tom- 
bés, dans  le  vide,  avec  la  même 
me  vitesse. 

Or,  tous  les  corps,  pour  ce  qui 
fait  varier  leur  chute,  sont  identi- 
ques à  ces  deux  corps. 

Donc,  dans  le  vide,  tous  les  corps 
tombent  avec  la  même  \itesse. 

30  rapport  des  indlTldns  à  l'espèce. 

Ces  moutons  ont^  par  caractère 
essentiel,  les  pieds  fourchus. 

Or,  par  leurs  caractères  essen- 
tiels tous  les  moutons  ressemblent 
à  ces  moutons. 

Donc  les  moutons  ont  les  pieds 
fourchus. 


n  ne  faudrait  pas  conclure  de  ces  exemples  corrélatifs  que  l'on  poisse 
toujours,  à  volonté,  raisonner  par  déduction  ou  par  induction.  Au  con- 
traire, la  marche  du  raisonnement  est  nécessitée  par  le  rapport  entre  le 
principe  connu  et  la  conséquence  à  conclure. 


RAISONNEMENT  107 

Utilit6  et  embarras  du  syUogiame.  —  Le  syllogisme  est  une 
analyse  du  raisonnement  ;  il  sert  donc  puissamment  à  en  vérifier  la  valeur 
logique,  parce  qu'il  en  met  au  jour  tous  les  éléments.  C'est  donc  un 
excellent  exercice  que  d'analyser  ainsi  un  grand  nombre  de  raisonne- 
ments et  de  les  mettre  en  syllogismes. 

Mais,  dans  la  pratique  de  l'a  science,  il  serait  toujours  trop  long  et 
souvent  impossible  de  réduire  en  syllogisme  un  raisonnement,  surtout 
une  induction,  parfaitement  acceptable  dans  sa  forme  usuelle. 

En  voici  un  exemple: 

Si  Ton  me  dit:  La  lumière  du  soleil  met  neuf  minutes  pour  arrù- 
ver  jusqu'à  nous;  je  n'hésiterai  pas  à  conclure,  sans  crainte  d'erreur: 
Donc,  quand  nous  croyons  voir  le  soleil  en  un  point,  il  y  a  neuf 
minutes  qu'il  n*y  est  plus. 

L'identité  logique  de  ces  deux  propositions  est  pour  moi  incontestable^ 
sans  autre  milieu;  et  cependant,  si  je  voulais  employer  la  forme  syllogis- 
tique  pour  mettre  en  évidence  cette  identité,  voici  le  circuit  qu'il  me 
faudrait  prendre  : 

Tout  effet  est  simultané  à  sa  cause. 

Or,  la  lumière  du  soleil  est  une ffet  dont  la  cause  est  la  présence  du 
soleil. 

Donc  la  production  de  la  lumière  du  soleil  est  simultanée  à  la  pré' 
sencc  du  soleil  en  un  point. 

Mais  la  manifestation  de  cette  lumière  n'a  Iteu,  pour  nous,  que  neuf 
minutes  après  qu'elle  est  partie. 

Donc  la  lum^ière  du  soleil  ne  se  manifeste  à  nous  que  neuf  mit\utes 
après  qu'elle  a  été  produite. 

Or,  toute  manifestation  delumière  nous  fait  voir  l'objet  qui  la  pro- 
jette, au  point  d'où  cet  objet  nous  envoie  sa  lumière  en  ligne  droite. 

Donc  le  soleil  nous  apparaît  au  point  d'où  il  nous  a  envoyé  sa  lu- 
mière neuf  minutes  auparavant. 

Or,  le  soleil  change  continuellement  de  place  par  rapporta  nous. 

Donc  quand  le  soleil  nous  apparaît  en  un  point,  il  y  a  neuf  minu 
tes  qu'il  n'y  est  plus. 

L'intelligence  n'a  pas  besoin  de  celte  longue  analyse  pour  voir  l'iden^ 
tîté  logique  qui  existe  entre  un  principe  et  une  conséquence,  et  la  raison 
conclut  plus  rapidement  que  l'analyse  et  supplée  toutes  les  moyennes, 
sans  trop  s'en  rendre  compte. 

Mais  il  faut  prendre  garde  que,  dans  ce  passage  rapide  d'un  principe  à 
une  conséquence,  par  des  moyennes  que  l'on  n'examine  pas,  il  y  a  une 
fréciuente  source  d'erreurs.  Tandis  que  dans  un   raisonnement  préscn- 


lus  LOGIQUE    AB5JTRAITK 

té  sous  la  iuniie  analytique  du  syllogisme,  il  n'est  pas  possible  de  couce- 
voir  une  Identité  qui  n'existe  pas. 

C'est  surtout  dans  l'induction  que  l'erreur  est  facile;  car,  bien  que  les 
Diénies  effets  soient  toujours  produits  par  les  mêmes  causes,  le  moindre 
détail  omis  dans  un  effet  peut  lui  faire  supposer  une  tout  autre  cause  que 
celle  quf  l'a  produit.  Par  exemple  :  un  homme  a  été  assassîc\é  :  c'est  un 
effet  ;  mais  que  de  traces  caractéristiques  ne  faut-il  pas  observer,  pour 
pouvoir  dire  sûrement  c'est  un  tel  qui  est  l'auteur  de  ce  meurtre? 

Cette  chance  d'erreur  n'existe  pas  dans  la  déduction,  On  ne  peut  se 
tromper  que  sur  la  conception  d'un  fait  réel  comme  cas  particulier  d'un 
principe  plus  général. 

Aussi  les  sciences  mathématiques  et  la  métaphysique  sont  exemptes 
d'erreur,  parce  qu'elles  ne  concluent  pas  à  des  faits  réels,  mais  toujours 
à  des  conceptions  abstraites,  qui  sont  essenti(;llement  ce  qu'elles  sont 
dans  notre  intelligence. 

259.  Conclusion.  —  Il  résulte  de  cet  examen  que  : 
Le  syllogisme  est  rexpression  analytique  du  raisonnement  sous 
toutes  ses  formes  :  identité,  déduction,  induction.  Cette  conclu- 
sion est  d'ailleurs  conforme  à  celle  que  nous  avons  donnée  sur  les 
trois  formes  du  raisonnement,  qui  toutes  se  réduisent  à  ridentité. 

10®  loi  de  la  logique  abstraite.  Loi  du  syllogisme.  —  Le 

syllogisme  est  Texpression  analytique  du  raisonnement  ;  il  mon- 
tre ridentité  logique  des  deux  termes  extrêmes,  par  Tidentité  logi- 
que de  chacun  d'eux  avec  le  terme  moyen. 


APPENDICE  AU  g   J 
RÈGLES    DU  SYLLOOISMC  D'APRÈS    ARISTOTE.  ET  LES  SCOLASTiaUES 

Aristote,  qui  le  premier  a  donné  l'analyse  du  raisonnement  et  du  syl- 
logisme, qui  en  est  l'expression,  avait  poussé  très-loin  les  détails  de  cette 
étude.  Les  scolastîques  renchérirent  encore  sur  lui.  Voici  le  résultat  de 
leurs  travaux.  Tout  ce  qui  est  observation  logique  appartient  à  Aristote; 
tout  ce  qui  est  moyen  mécaniciue,  appartient  aux  scolastîques. 

Règles  essentielles  du  syllogisme.  —  Partant  de  l'essence  même 
du  syllogisme,  qui  consiste  en  ce  que:  Le  grand  et  le  petit  ternie  sont 
identiqiteê  evfre  evx,  parce  qu'ils  sont  identiques  au  moyen,  Aristote 
formule  bnît  régies,  d'après  lesquelles  on  peut  vérifier  la  valeur  d'uu 


HAISUXNKMKNT  109 

syllogisme.  Voici  ces  huit  règles,  telles  que  les  scolastlques  les  ont  for- 
mulées en  vers  latins  : 

t.  Terminus  esta  trijilex :  incdixis,  majorque,  minorque; 

2.  Laiivs  h  une  qnani  prœmt'ssœ  concîusio  non  vult. 

3.  AiU  semel  aut  iteruin  médius  generaliter  esio, 
\.  Sequaquam  médium  capiat  conclusio  fas  est. 

5.  Amhœ  affirmantes  nequeunt  generare  negantem. 

6.  Vtraque  i^i  prannissa  neget  ^nil  inde  sequeiur. 

7.  Nil  sequitur  geminis  ex particularihus  unquam. 

8.  Pejorem  sequitur  semper  conclusio  partetn. 

De  ces  huit  règles,  les  quatre  premières  s'occupent  de  la  composition  ' 
(lu  syllogisme,  du  noml)re  et  de  la  place  des  trois  termes  et  de  leur  ex- 
tension ;  les  quatre  autres  visent  la  qualité  et  la  quantité  (205)  des  propo- 
sitions. 

Kn  voici  la  traduction  raisonnée. 

t.  Il  /aut  trois  termes  au  syllogisme,  ni  plu.s,  ni  moins.  (S'il  y  en  avait 
quatre  on  ne  pourrait  pas  comparer  les  deux  extrêmes  au  moyen). 

2.  lies  deux  termes  extrêmes  ne  doivent  pas  avoir  plus  d'extension  dans 
la  conclusion  que  dans  les  prémisses.  (Sans  cela  il  n'y  aurait  pas  identité) 

3.  Le  moyen  doit  être,  au  moins  une  fois,  pris  dans  toute  son  exten- 
sion. (Sans  cela  on  pourrait  comparer  le  grand  terme  avec  un  moyen,  et 
le  petit  avec  un  autre). 

4.  Le  moyen  ne  doit  pas  entrer  dans  la  conclusion.  (Sans  doute,  pui.s- 
(fu'il  n'est  qu'un  terme  de  comparaison  entre  les  deux  extrêmes). 

5.  Deux  prémisses  aflirmatives  ne  peuvent  donner  une  conclusion  né- 
erative.  (En  effet,  l'affirmation  de  l'identité  de  chacun  des  extrêmes  au 
moyen,  ne  peut  être  une  raison  pour  nier  l'identité  des  deux  extrêmes 
entre  eux. 

6.  De  deux  prémisses  négatives  on  ne  peut  rien  conclure.  (La  négation 
de  l'identité  de  chacun  des  extrêmes  avec  le  moyen,  ne  ^eut  être  une  rai- 
son ni  d'affirmer,  ni  de  nier  l'identité  des  extrêmes  entre  eux.) 

7.  De  deux  prémisses  particulières  on  ne  peut  rien  conclure.  (Sans  dou- 
te, car  les  deux  termes  de  la  conclusion  pourraient  ne  pas  désigner  les 
mêmes  êtres  que  les  termes  des  prémisses.) 

8.  La  conclusion  est  négative  ou  particulière  si  l'une  des  prémisses  est 
négative  ou  particulièi'e.  (En  effet,  comment  affirmer  du  tout,  dans  la 
conclusion,  ce  que  les  prémisses  n'affirment  que  d'une  partie?  ou 
comment  affirmer  une  identité  que  les  prémisses  nient  t) 

Formes  aooidentellas  du  syllogisme.  —  Un  syllogisme  peut  prés 


110  LOGIQUE  ABSTRAITE 

senter  des  formes  tr^variées  qui  viennent  :  t*  de  la  qualité  et  de  la 
quantité  des  proposilions,  2^  des  fonctions  logiques  que  le  tenue  moyen 
peut  remplir  dans  chacune  des  prémisscs:  comme  sujet  ou  comme  at- 
tribut. Les  combinaisons  fournies  par  ces  deux  sources  de  variétés  don- 
nent les  modes  et  les  figures  du  syllogisme. 

Modes  du  syllogisnie.  —  En  combinant  la  qualité  et  la  quantité 
des  propositions,  on  trouve  qu'il  y  en  a  de  quatre  sortes  ; 

!•  proposition  universelle  afllrmative  ; 
2*         »  universelle  négative  ; 

3»         »  particulière  affirmative; 

4*         »  particulière  négative. 

Or,  chaque  syllogisme  renferme  trois  propositions,  et  chacune  de  ces 
propositions  pouvant  avoir  Tune  de  ces  quatre  formes,  il  en  résulte  61  for- 
mes du  syllogisme  que  Ton  appelle  modes. 

Pour  présenter  plus  facilement  à  l'esprit  et  à  Tœil  ces  G&  combinaisons, 
les  scolastiques  imaginèrent  de  représenter  les  quatre  formes  des  propo- 
sitions par  les  quatre  voyelles:  A,  Ë,  I,  O.  Le  sens  de  chacune  de  ces 
voyelles  était  mnéniouisé  dans  les  deux  vers  suivants: 

Asserit  A ,  negat  E  ;  vevum  generalitef"  ambo  ; 
Asseritl,  negat  O;  seclparticulariter  ambo. 
Donc  :    A ,  universelle  affirmative  ; 
E,  universelle  négative  ; 
I,  particulière  affirmative; 
O»  particulière  négative. 
Voici  le  tableau  complet  des  64  modes  : 


1 

A  A  A 

17 

E  A  A 

33 

I  A  A 

49 

O  A  A 

2 

A  AK 

18 

£  AE 

34 

I  A  E 

50 

0  AB 

3 

A  AI 

19 

Ë  AI 

35 

I  A  I 

51 

0  A  I 

4 

A  A  0 

20 

E  A  0 

36 

I  A  0 

52 

0  AO 

5 

A  Ë  A 

-    21 

E  E  A 

37 

I  Ë  A 

53 

0  E  A 

6 

A  E  Ë 

22 

E  E  Ë 

38 

I  Ë  Ë 

51 

0  E  £ 

7 

A  E  I 

23 

E  E  I 

39 

I  Ë   1 

55 

0  E  I 

8 

A  E  0 

24 

Ë  E  0 

40 

I  Ë  0 

56 

OE  0 

9 

A  I  A 

25 

E  I  A 

41 

I  I  A 

57 

0  I  A 

10 

A  I  E 

26 

E  I  E 

42 

I  I  Ë 

58 

0  I  E 

11 

A  I   I 

27 

E  I  I 

43 

I  I   1 

59 

0  I  I 

12 

A  I  0 

28 

E  I  0 

44 

I  I  0 

60 

010 

13 

AO  A 

29 

E  Q  A 

45 

I  0  A 

61 

0  0  A 

14 

AO  Ë 

30 

E  0  E 

46 

I  0  E 

62 

OOE 

15 

AOI 

31 

EOI 

47 

I  0  I 

63 

00  I 

16 

A  00 

32 

E  00 

48 

I  00 

61 

000 

RAISONNEMENT  111 

Maïs  l'essence  même  du  syllogisme  s'oppose  à  ce  que  la  plupart  de  ces 
combinaisons  soient  employées. 

De  ces  6i  modes,  54  mettraient  les  propositions  dans  des  conditions 
où  il  ne  pourrait  y  avoir  un  syllogisme.  Il  ne  reste  donc  que  dix  modes 
concluants. 

En  efTet,  appliquons  les  régies  données  plus  haut  t  chacune  des  com- 
binaisons de  ce  tableau.  Nous  trouverons  que  : 

!•  La  6*  régie,  Uiraque  si  prœmiêsa  neget....,  exclut  toutes  les  combi- 
naisons qui  commencent  par  E  E,  E  O,  0  B,  0  0:  (21-24,  29-32 
53-56,  61-64).  Donc  16  modes  exclus. 

2*  La  ?•  règle,  Nil  sequiiur  geminia  ex  pariicuIaribu6..„texc\vA  tous 
les  II,  10,  0  1,  0  0:  (4l-4i,  45-48,  57-60),  et  encore  une  fois  (6^ 
64)  Donc  encore  12  modes  exclus. 

3®  La  8'  règle,  Pejovem  sequiiur  «emjperco?icZit5io^ar^e»i..,.,  exclut 
d'un  côté  tous  les  modes  terminés  par  A  ou  par  I,  dont  l'une  des  pré- 
misses est  E  ou  0:  (17,  19.  2i,  ^m,  25.  27,  29,  3i;  49,  51,  53,  ^,  57, 
5P,  6i,  ÔS;  5,  7,  13,  15,  37,  39,  45,  47).  24  modes  dont  12  étaient  déjA 
exclus;  d'un  autre  côté  tous  les  modes  terminés  par  A  ou  par  E,  dont 
une  des 'prémisses  est  I  ou  0:  (33,  34,  37,  38.  4/,  42,  45,  46,  49,  50,  53* 
54,  57,  58,  61,  52;  9,  10,  13,  14,  S5,  26,  29,  à?),  24  modes  dont  16  étaient 
déjà  exclus.  Donc,  en  somme,  encore  20  modes  exclus  par  cette  règle. 

Â9  La  5«  règle,  Ambœ  affirmantes  nequeunt  generare  neganiem. 
exclut  tous  les  modes  terminés  par  E  ou  par  O,  dont  les  prémisses  sont 
A  A,  AI,  I  A  ou  II  (2,  4,  W,  12,  34,  36,  42,  44)*  8  modes  dont  4 
étaient  déjà  exclus.  Donc  encore  4  modes  exclus. 

5<>  On  exclut  encore  la  forme  8,  A  E  0,  parce  que  les  deux  prémisses 
étant  universelles,  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  conclure  particulièrement. 

60  On  exclut  enfin  la  forme  40  I  E  0 ,  parce  que  dans  la  proposition  I 
le  sujet  et  l'attribut  sont  tous  les  deux  particuliers  (nous  avons  dit  plus 
haut  pourquoi)  ;  donc  le  grand  terme  y  serait  pris  particulièrement;  tandis 
que  dans  la  conclusion  0 ,  dont  le  grand  terme  est  nécessairement  l'at- 
tribut, il  serait  pris  universellement,  parce  que  cette  proposition  est  néga- 
tive. Donc: 

16    modes  exclus  par  la  6*  règle; 
12       »  »       par  la  7*     »  ^ 

20       »  »       par  la  8*     » 

4       »  »       par  la  5*     » 

2       9  >       par  des  considérations  particulières; 


en  tout  :    54    modes  inacceptables. 


ll'J  LOOigLK    .ittSlRAlTK 

Il  ne  reslc  doue  quo   10  modes  qui   peuvent  donner   un  syîloRÎsnw* 
ronchiant.  Ce  sont  : 


1 

A  A  A 

18 

E  A  E 

:\ 

A  A  I 

20 

E  A  0 

0 

A  K  E 

28 

E   I  0 

II 

A   I    I 

:i5 

I  A  I 

16 

A  0  0 

52 

0  A  0 

MaU  ce  n'est  pas  tout.  Un  syllogisme  doit  nécessairement  être  fonm^ 
selon  une  des  quatre  figures  qu'il  peut  prendre,  et  dans  chacune  de  ces 
figures  un  certain  nombre  de  ces  dix  modes  ne  sont  plus  valables. 

Fig^oras  du  syllogisme.  Le  moyen  terme  entre  dans  chacune  des 
deux  prémisses,  et  dans  chacune  d'elles  il  i}eut  être  sujet  ou  attribut.  O 
qui  donne  les  quatre  combinaisons  que  l'on  appelle  figures  du  syîîogi:sine. 

/•  flgitro. —  Le  moyen  terme  ost  sujet  de  la  majeure,  et  attribut  de  la 

mineure. 
2*  figure.*^  Le  moyen  terme  est  attribut  de  la  majeure  et  de  la  mineure. 

5'  figure.^  Le  moyen  terme  est  .sujet  de  la  majeure  et  de  la  mineure. 
à*  figure.  —  Le  moyen  terme  est  attribut  de  la  majeure  et  sujol  de  la 
mineure. 
C'est  ce  que  les  scolastlques  avaient  mnémonisii  dans  le  vers  suivant  : 

m 

Sub-praî,  Utm  prse-prœ,  tnm  sub-sub,  denique  pra;-sub. 

La  syllabe  8i«6est  mise  pour  subjeclum,  (sujet);  la  .syllabe  jaro»,  pour 
prœdicatinn  (attribut). 

Si  chacun  des  dix  modes  concluants,  pouvait  faire  un  syllogisme 
valable,  dans  chacune  de  ces  quatre  figures,  il  y  aurait  en  tout  40  modes 
de  syllogismes. 

Mais,  comme,  selon  la  qualité  des  propositions,  l'attribut  a  une  exten- 
sion déterminée,  il  est  facile  de  déterminer  d'avance  quels  seront  les 
modes  qui  seuls  pourront  conclure  dans  chaque  figure. 

Rappelons  d'abord  les  lois  de  l'extension  de  l'attribut  dans  une  pro- 
position. 

l"^  loi  :  L'attribut  d'une  proposition  affirmative  est  toujours  parti- 
culier: il  n'a  pas  toute  son  extension. 

3*  loi  ;  L'attribut  ^*une  proposition  négative  est  toujours  universel  :  il 
a  toute  son  extension. 

Or,  en  vérifiant  les  conditions  d'extension  de  chaque  terme  du  syllogis- 
me pour  chacun  des  dix  modes  concluants,  on  trouve  ce  qui  suit  : 

1"  FIGURE  :  sub^prœ.  Il  faut  exclure  de  cette  figure: 

1®    A  A  I    At    E  A  O,    parce  que  le  petit  terme,  qui  doit  être,  dan j« 


RAISONNEMENT  113 

cette  figure,  sujet  de  la  mineure,  serait  universel  dans  les  prémisses» 
comme  sujet  de  A,  et  particulier  dans  la  conclusion  comme  sujet  de  0. 
(2«  règle  ;  Latins  hune  quam  prœmissœ  conclusio  non  vult 

2o  A  E  E,  A  0  0,  parce  que  le  grand  terme,  qui,  dans  cette  figure 
est  attribut  de  la  majeure,  serait  particulier  dans  les  prémisses,  comme 
attribut  de  A,  et  universel  dans  la  conclusion,  comme  attribut  de  E  ou 
de  O.  (2*  règle:  Latius  hune.) 

3«  I  A  I,  parce  que  le  moyen  terme  y  serait  deux  fois  particulier, 
comme  sujet  d'une  particulière  dans  la  majeure,  et  attribut  d'une  afilr- 
mative  dans  la  mineure,  (S*  règle:  Aut  semel  aut  iterum....) 

Cette  figure  ne  fournit  donc  qlie  quatre  modes  concluants  ;  ce  sont 
A  A  Afc  Ail,  E  A  E,  E  I  0,  que  les  scolatiques  avaient  mnémo- 
nisés  dans  les  mots  : 

Barbara,  celarent,  darii,  ferio. 

plaçant  au  premier  rang  les  deux  conclusions  universelles. 

2"  FIGURE.  ProB'prœ,  Cette  figure  rend  impossibles  : 

i^  A  A  A,  Ail,  A  A  I,  I  A  I,  parce  qu'aucune  des  prémisses 
n'étant  négative,  le  moyen  terme,  qui  est  deux  fois  attribut,  serait 
deux  fois  particulier.   (3«  règle.  Aut  semel  aut  iterum,,..) 

2»  CAO,  parce  que  le  grand  terme  y  serait  particulier  dans  la 
majeure,  comme  sujet  de  0,  et  universel  dans  la  conclusion,  comme 
attribut  de  la  négative    0.  (2«  règle.  Latius  hune.,..) 

3o  E  A  0,  parce  que  le  petit  terme  étant  universel  dans  la  mi- 
neure, comme  sujet  de|A,  ne  doit  pas  être  particulier  dans  la  con- 
clusion comme  sujet  de  0. 

Cette  figure  fournit  donc  quatre  modes  :  E  A  E,  A  £  £•  £  I  0, 
A  0  0,    ainsi  mnémonisés: 

Cesare,  camest^^es,  festino,  haroco. 

3*  PIQURE  :  Svh-sub,  Cette  figure  )rend  impossibles  : 

1*  A  E  E,  A  0  0,  parce  que  le  grand  terme  y  serait  particulier 
dans  la  majeure,  comme  attribut  d'une  affirmative,  A,  et  universel 
dans  Jfla  conclusion,  comme  attribut  d'une  négative,  E  ou  0.  (2* 
règle.  Latius  hune,...) 

2«  A  A  A,  E  A  E,  parce  que  le  petit  terme  y  serait  particulier 
dans  la  mineure,  comme  attribut  d'une  affirmative,  et  universel  dans  la 
conclusion,  comme  sujet  d'une  universelle  Ë.  2*  règle  :  Latius  hune.) 

Cette  figure  fournit  donc  six  modes  :AAI«AIIt  IAI,fiA  0» 
E  I  0»    O  A  O,    ainsi  mnémonlséi: 

8 


114  LOGIQUE  ABSTRAITE 

Darapti,  datisi^  disaniis,  felapton,  ferison,  bocardo. 

4"  PIQURE  :  Prœ-sub.  Cette  figure  ne  permet  pas: 

!•  Ail,  A  0  0,  parce  que  le  moyen  terme  y  serait  deux  fois  par- 
ticulier (3*  règle),  comme  attribut  d'une  affirmative  dans  la  majeure 
A,    et  sujet  d'une  particulière  dans  les  mineures    I    et    (). 

2"  A  A  A,  Ë  A  E,  parce  que  le  petit  terme,  attribut  d'une  mineure 
affirmative.  A,  y  serait  particulier,  tandis  que  sujet  d'une  universelle, 
A    ou    E,    il  ceraît  universel  dans  la  conclusion  (2*  règle.) 

3*  0  A  (),  parce  que  le  grand  terme,  sujet  de  la  majeure  particu- 
lière 0,  y  serait  particulier,  tandis  qu'il  serait  universel  dans  la  con- 
clusion, comme  attribut  de  la  négative    O.  (2"  règle,) 

Cette  figure  fournit  donc  cinq  modes  :  A  A  I,   1  A  1,  A  E  K,    E  A  0 

Barbari,  dibatis,  calenies,  fespamo,  fresisom. 

Mais  Aristote  avait  laissé  de  côté  cette  figure  comme  inutile^  puis- 
qu'elle n'est  que  le  renversement  de  la  première»  et  après  que  Galiea 
l'eut  introduite,  les  scolastiques  en  considérèrent  les  cinq  modes  comme 
des  renversements  de  la  première  figure,  et  ils  les  mnémonlsèrent 
ainsi,  en  renversant  les  prémisses  : 

Darali,  dabitts,  celantes,  fapesmo,  frtsesom. 

Dès  lors,  ne  comptant  plus  que  trois  figures,  ils  donnèrent  à  la  pre- 
mière quatre  modes  directs  et  cinq  modes  indirects,  et  mnémonlsèrent 
les  19  modes  concluants  dans  ces  quatres  vers. 

Barbara^  celarent,  darii,  ferio,  —  bardlipton. 
Celantes,  dahitis,  fapesmo,  finsesomorum, 
—  Cesare,  camesires,  festino,  baroco,  —  darapti^ 
FelaptoTif  disamis,  datisi,  bocardo,  ferison. 

Inutile  de  dire  que  ces  vers  ne  signifient  rien  :  ils  sont  destinés  uni- 
quement k  permettre  à  la  mémoire  de  retenir  des  groupes  de  voyelles, 
et  ces  groupes  de  voyelles  représentent  des  modes  de  syllogismes. 

Le  choix  même  des  consonnes,  dans  ces  mots  mnémoniques,  n'est  pas 
inditrérent.  Les  noms  de  tous  les  modes  commencent  par  fl.  G,  D  ou  F. 
Or  tous  les  modes  des  trois  dernières  figures  dont  lea  noms  commen- 
cent par  B  peuvent  se  mettre  sous  la  forme  Barbara  ;  les  modes  dont 
les  mots  commencent  par  C  peuvent  se  mettre  sous  la  forme  Celarent  ; 
les  modes  dont  les  noms  commencent  par  D  peuvent  se  convertir  en 
Darii;  les  modes  dont  les  noms  commencent  par  F  peuvent  se  conve- 
tlr  en  Fetno, 


RAISONNEMENT  115 

Résumé  et  classement  des  modes.  —  Il  y  a  donc  en  tout  19  mo- 
des concluants,  savoir  : 

5  universels  et  14  particuliers, 
ou  :               7  affirmatifs  et  12  négatifs, 
ou  encore:    l  en  A,  4en  E.  6enl,  8enO. 

Ou  bien  :       9  do  la  !•  figure  dont  5  inverses,  pris  de  la  i\ 

4  de  la  2-  figure  et  6  de  la  3"  figure 
Ou  enfin,       3  qui  ne  concluent  qu'en  une  seule  figure  : 

A  A  A,    A  G  G,    GAG; 

6  qui  concluent  en  deux  : 

E  A  E,    A  II,    A  E  B,    A  A  I,    E  A  0,    I  A  I  ; 

1  qui  conclut  dans  les  quatre  :    E  I  G. 
Mais  les  seuls  modes  vraiment  utiles  sont  les  quatre  modes  directs  de 
la  1"  figure.  On  peut  toujours  ramener  un  syllogisme  à  cette  forme;  et 
ces  quatre  modes  suffisent  a  tous  les  raisonnements,  puisqu'ils  concluent 
dans  les  deux  qtiantitéa  de  chacune  des  qualités  (A  E  I  G). 

I  uni>^rselle     1  ^f  «^f  ^*^«'  «"    ^  :    Barbara.      . 

Conclusion                          '  ''^«^''^^'^'  ®"  ^  '  ^^^^^'»^- 

I        ^.    ,..       I  affirmative,  en  I  :  Darii. 

\  particulière  ...  r^  t?    - 

I  négative,  en  G  :  Fei^o, 

C'est  dans  la  Logique  de  Port-Hoyal  que  nous  avons  puisé  presque 
en  entier  cette  exposition  des  théories  scolastiques  du  syllogisme. 

Nous  avons  donné  cette  théorie  en  détail,  pour  montrer  jusqu'où  ces 
hommes  que  l'on  traite  aujourd'hui  de  barbares,  ces  siècles  que  l'on 
appelle  siècles  des  ténèbres,  portaient  la  profondeur  de  leurs  analyses  et 
de  leurs  généralisations,  et  comment  ils  savaient,  d'un  côté  assouplir 
leur  intelligence  pour  lui  faire  démêler  facilement  l'erreur,  et  d'un  au- 
tre côté  l'afifermir  d'une  manière  inébranlable  dans  les  vérités  démon- 
trées. 

8  2  DB  DvriRiiins  roue  du  sillkhsii. 

260.  Sources  de  ces  différentes  formes.  —  En  retranchant 
au  syllogisme  une  proposition,  ou  en  y  ajoutant  d'autres  proposi- 
tions qui  le  modifient,  on  obtient  d'autres  formes  de  syllogisme. 

261.  Enthymème.  —  L'enthymôme  est  un  syllogisme  dont  o& 
n  retranché  une  des  prémisses.  C'est  le  raisonnement  dans  sa  for- 
me naturelle. 

Ex.  Enthymème  déductif  :  Elle  est  mère:  elle  pardonnera. 

»         identique.  Je  foi  pu  conserver: Je  pouvais 

donc  te  perdre, 
»        inductif.  La  fumée  monte  ;  elle  esi  donc  plus 

légère  que  l'air. 


]10  LOGIQUE   ABSTRAITE 

Plusieurs  auteurs  et  notamment  Josopîi  de  Maîstre  ont  confondu  Tin- 
duction  avec  Tenthymème.  Ils  ont  cru  que  llnduction  est  un  raisonne- 
ment dont  la  majeure  est  sous-entcndue  ;  et  cette  majeure  ils  la  supposent 
diversement.  Quelques-uns,  surtout  les  contemporains,  croient  que  li 
majeure  d'un  raisonnement  inductif  est  toujours  celle-ci:  Les  loi. ^  de 
Vunivers  8ont  stables  et  constantes.  Prenant  ensuite  un  phénomène 
observé  dans  l'ordre  physique,  ils  l'affirment  sous  forme,  de  mineure, 
et  concluent  qu'il  se  reproduira  toujours  de  môme. 

Mais  telle  n'est  pas  l'induction.  Son  rôle  ne  consiste  pas  à  affirmer 
l'avenir.  Dans  cet  ordre  on  ne  peut  s'appuyer  que  sur  des  raisons  d'ana- 
logie, et  quand  on  dit  ce  qui  se  fera  demain,  on  ne  peut  le  dire  qu'avec 
une  très-grande  probabilité,  ou  avec  ce  qu'on  appclb,  un  peu  impropre- 
ment, comme  nous  le  verrons  plus  loin,  la  certitude  morale. 

Linduction  conclut  d'un  fait  passé  ou  présent  à  une  loi  passée  ou 
présente  mais  non  à  des  faits  futurs.  Au  contraire,  c'est  par  une  déduc- 
tion probable  que  l'on  conclut  ces  faits  futurs,  de  la  loi  actuelle  démon- 
trée par  induction. 

C'est  pour  mieux  faire  ressortir  cette  distinction  entre  l'enthyméme  et 
l'induction  que  nous  avons  donné  de  cet  argument  trois  exemples,  pris 
dans  les  trois  formes  du  raisonnement. 

Le  premier  est  une  déduction  ;  il  conclut  de  la  cause  à  l'effet  :  U 
qualité  de  mère  est  une  cause  de  pardon  envers  son  fils  ;  elle  ne  peut 
manquer  d'avoir  son  effet.  Cependant  comme  la  cause  resta  libre,  la 
conclusion  n'a  qu'une  certitude  morale. 

Le  second  exemple  est  une  identité  ;  il  conclut  d'un  effet  à  un  autre 
effet  de  la  môme  cause  :  celui  qui  peut  sauver  son  semblable,  en  lui  ten- 
dant la  main,  peut  par  là-mème  le  perdre  en  ne  la  lui  tendant  pas. 

Le  troisième  exemple  est  une  induction  ;  il  conclut  de  l'effet  à  la  cause: 
la  cause  qui  fait  monter  la  fumée,  c'est  précisément  qu'elle  est  plus  légère 
•que  l'air. 

Cependant,  il  faut  dire  que  si  l'on  ajoute  à  chacun  de  ces  trois  exem- 
ples d'enthymème  une  majeure,  on  obtient  trois  syllogismes  qui  sont  tous 
les  trois  déductifs.  Par  exemple,  si  je  dis  : 

Tout  ce  qui  8*élève  clans  Vairsans  se  mouvoir  est  plus  léger  que  Vair; 

Or  la  fumée  s'élève  dans  Vair  sans  se  m^ouvoir  elle-même  : 

Donc  la  fumée  est  plus  légère  que  Vair. 

n  est  évident  que  la  conclusion  est  une  déduction;  car  elle  n'est 
qu'un  cas  particulier  de  la  majeure. 

262.  Epichérèxne.  —  En  ajoutant  aux  deux  prémisses  d'un 
syllogisme,  ou  à  l'une  des  deux,  une  proposition  qui  en  montre  la 
TÔrité,  on  forme  Vépich^rf^me* 


RAISONNEMENT  117 

Ex.  Ce  qui  est  étemel  est  infini. 

Or  le  monde  n'est  pas  infini,  puisqu'on  peut  le  mesurer 

au  moins  en  partie. 
Donc  le  monde  n'est  pas  éternel, 

263.  Prosyllogisme.  —  En  prenant  pour  majeure,  d'un  se- 
cond syllogisme  la  conclusion  d'un  premier,  on  fait  un  prosyllo- 
gisme. 

Ex.  :  La  production  d'une  chose  en  engendre  la  propriété. 

Or  Dieu  nous  a  prodtUts  en  nous  créant. 

Donc  nous  sommes  la  propriété  de  Dieu, 

Or  la  propriété  dépend  du  propriétaire. 

Donc  nous  dépendons  de  Dieu. 

Le  mot  <c  prosyllogisme  »  a  d'abord  désigné  seulement  le  premier 
syllogisme  qui,  exprimé  ou  sous-entendu,  démontre  la  majeure  du 
second.  Aujourd'hui  ce  mot  désigne  les  deux  syllogismes  pris  en- 
semble. Le  premier  sens  est  seul  conforme  à  Tétymologie. 

264.  Sorite.  —  Si  on  enchaîne  plusieurs  syllogismes  sans  ex* 
primer  les  conclusions,  remplaçant  ainsi  chaque  mineure  par  une 
autre,  pour  n'avoir  qu'une  conclusion,  on  fait  un  sorite, 

Ex.  :  Celui  qui  accepte  un  duel  se  met  dans  le  cas  de  tuer 
son  semblable  ou  de  se  faire  tuer  par  lui. 

Celui  qui  se  met  dans  ce  cas  accepte  un  homicide  volontaire. 

Celui  qui  accepte  un  homicide  volontaire  est  coupable  d'ho^ 
niicide. 

Donc  celui  qui  accepte  un  duel  est  coupable  d'homicide, 

2C5.  Syllogisme  conditionnel.  —  Quand  ^a  majeure  d'un 
syllogisme  est  un  jugement  conditionnel;  le  syllogisme- est  condi- 
tionnel. Dans  ce  cas  la  mitieure  afRrme  la  condition,  et  la  conclusion 
afiirme  le  conditionné  ;  ou  bien  la  mineure  nie  le  conditionné,  et  alors 
la  conclusion  nie  la  condition. 

Exemple  :  Si  la  loi  morale  existe  nous  devons  la  suivre. 

Or  la  loi  morale  existe. 

Donc  nous  devons  la  suivre. 

Autre  Exemple  :  S'il  y  avait  de  Veau  à  la  surface  de  la  lune, 
710US  y  verrions  des  nuages, 

Or^  nous  ne  voyons  pas  de  nuages  autour  de  la  lune.. 

Donc  la  lune  n'a  pas  d'eau.. 


118  LOGIQUE  ABSTRAITE 


266.  Syllogisme  disjonotif.  Le  BjllogismQ  est  disjonctif  quand 
la  msgeure  est  un  jugement  disjonctif  (alternatif).  Dans  ce  cas,  si 
la  mineure  affirme  une  des  alternatives,  la  conclusion  nie  Tautre  et 
réciproquement. 

Exemple  :  //  faut  croire  quelque  chose  ou  se  résigner  à  n€ 
rien  savoir. 

Or  vous  voulez  ne  rien  croire. 

Donc  vous  voulez  ne  rien  savoir. 

Nota.  Par  opposition  à  ces  deux  dernières  formes  du  syllogisme, 
le  syllogisme  dont  la  majeure  est  un  jugement  catégorique,  s^appelle 
syllogisme  catégorique. 

267.  Conclusion  conditionnelle.  —  Quand  la  majeure  du 
syllogisme  est  disjonctive  et  que  la  mineure  est  une  hypothèse,  la 
conclusion  est  conditionnelle.  Dans  ce  cas,  la  conjonction  donc  se 
met  avant  la  mineure. 

Exemple  :  //  faut  croire  quelque  chose  ou  ne  rien  savoir. 
Donc,  si  vous  ne  voulez  rien  croire. 
Vous  voulez  ne  rien  savoir. 

268.  Dilemme,  —  Le  dilemme  est  une  combinaison  d*une  ma- 
jeure disjonctive  et  de  deux  conclusions  conditionnelles,  mais  de 
telle  sorte  que  les  deux  conclusions  conditionnelles  donnent  le  même 
résultat.  *- 

Exemple  :  On  méprise  Dieu  ou  sciemment  ou  par  ignorance. 

Si  c'est  par  ignorance,  on  est  coupable  d'ignorer  Dieu. 

Si  c'est  sciemment,  on  est  coupable  de  méjpris. 

Dans  les  deux  cas  on  est  Coupable. 

Autre  exemple  :  Celui  qui  blasphème  croit  en  Dieu  ou  n'y  croit 
pas. 

'S*il  croit  en  Dieu,  il  est  fou  d'insulter  un  être  qu'il  croit 
^  infiniment  puissant,  et  qui  peut  le  punir. 

S'il  ne  croit  pas  en  Dieu,  il  est  fou  d'insulter  un  être  qu'il 
croit  ne  pas  exister. 

Dans  les  deiuv  cas  il  est  fou. 

Article  4* 
OONNKXION  OOMPLEXE  DES  PENSÉES.  —  MÉTHODE. 

269.  Nature  de  la  connexion  complexe  des  pensées. — 

Quand  il  y  a  connexion,  non  plus  entre  deux  pensées,  comme  dans 


MÉTHODE  119 

le  raisonnement,  mais  entre  un  grand  nombre  de  pensées  et  de 
raisonnements,  c'est  la  connexion  complexe,  c'est  Tordre  logique, 
c'est  la  méthode. 

Cet  ordre  logique  n*est  autre  chose  qu*une  vaste  identité  logique 
qui  en  réunit  plusieurs  autreif. 

Mais  on  peut  distinguer  Tordre  logique  des  réalités  et  Tordre 
logique  des  connaissances.  C'est  ce  dernier  surtout  qu'on  appelle 
méthode. 

Par  ordre  des  connaissances  11  ne  faut  pas  entendre  ici  la  disposi- 
tion successive  des  vérités  qui  font  partie  d'une  même  science;  de  telle 
sorte  que  l'une  doive  être  étudiée  avant  l'autre.  Kn  ce  sens  les  connais- 
sances n'offrent  pas  toujours  un  ordre  logique,  ;  car  toutes  les  vérités 
qu'elles  comprennent  ne  dépendent  pas  toutes  les  unes  des  autres,  d'une 
manière  aussi  incommutahle. 

Cet  ordre  n'est  autre  chose  qu'un  enchaînement  d'identités  logiques. 
Prenons  pour  exemple  les  mathématiques.  Le  nombre,  objet  de  l'arith- 
métique, a  pourpoint  de  départ  l'unité,  qui  s'ajoute  à  elle-même  autant 
de  fois  que  l'on  veut,  pour  former  tous  les  autres  nombres,  ou  qui  se 
divise  indéfiniment  en  autant  de  parties  qu'il  y  a  de  nombres  possibles. 
L'Idée  même  du  nombre  est  ridée  d'une  identité.  C'est  quelque  chose 
d'identique  à  l'unité  répétée  autant  de  fois.  L'addition  est  identique  à 
la  formation  du  nombre.  La  multiplication  est  une  addition  abrégée, 
et  donne  un  résultat  identique  à  celui  que  produirait  l'addition  dans 
les  mêmes  données.  Par  exemple  :  6  fois  7  est  le  nombre  7  ajouté 
5  fois  à  lui-même  ;  ou  le  nombre  7  répété  6  fois.  Le  quotient  de  la 
division  est  Identique  a  l'un  des  facteurs  du  dividende,  et  l'autre  est 
représenté  par  le  diviseur.  Renversez  l'opération  et  vous  avez  une 
multiplication  dont  tous  les  nombres  sont  respectivement  identiques. 
Après  cela  les  opérations  les  plus  complexes  de  l'arithmétique  ne 
sont-  que  des  combinaisons  des  quatre  opérations  fondamenta- 
les et  on  n'y  constate  jamais  que.  des  identités.  L'algèbre  donne  dans 
une  seule  équation,  ou  dans  une  seule  solution  de  problème,  la  formule 
générale  de  tous  les  problèmes  d'arithmétique  dont  le  point  de  vue  est 
le  môme.  C'est  une  identité  de  plusieurs  identités,  et  toutes  les  formu- 
les algébriques,  se  formant  par  identité  aussi,  l'algèbre  elle-même  n'est 
qu'un  enchaînement  d'identités.  Il  serait  facile  de  poursuivre  cette  ana- 
lyse à  travers  les,  théorèmes  et  les  problèmes  de  la  géométrie,  dont 
l'objet,  l'étendue,  se  mesure  par  le  nombre,  c'est-â-dire  encore,  par  son 
identité  avec  un  nombre  de  fois  une  unité  d'étendue.  On  atteindrait 
ainsi  la  mécanique,  dans  laquelle  toujours  par  des  identités  enchaînées, 


120  LOGIQUE    ABSTRAITE 

on  mesure  le  mouvement  par  des  rdations  de  dui^  et  d'étendue,  de 
temps  et  d'espace,  qui  ne  sont  que  d'autres  formes  de  l'étendue  et  qui 
toutes  sidentiflent  pour  nous  avec  le  nombre  qui  les  mesure.  Tel  est 
l'ordre  logique  des  mathématiques.  La  méthode  consiste  à  suivre  cet 
ordre. 

270.  Définition  de  la  méthode.  —  La  méthode  est  donc  Tordre 
logique  des  connaissances. 

On  peut  distinguer  dans  les  connaissances  : 

1^  l'ordre  logique  d'acquisition; 

2®  l'ordre  logique  de  conservation; 

3^  l'ordre  logique  de  transmission. 

Le  mot  a  méthode»  a  surtout  le  premier  sens,  selon  son  et  jmologîc 
(|Aetot,  68ic,  route  entre  deux);  mais  ce  sens  n'exclut  pas  les 
deux  autres. 

271.  Ordre  naturel  et  ordre  artificiel. —  L'ordre,  qui  n*e8t 
que  la  disposition  de  plusieurs  choses  dans  l'unité,  peut  être  naturel 
on  artificiel,  même  dans  les  connaissances:  naturel,  quand  il  est 
conforme  à  l'ordre  des  réalités  ;  artificiel,  quand  il  est  le  fruit  de 
notre  conception  et  qu'il  n'existe  que  dans  notre  pensée. 

272.  Une  seule  méthode  pour  chaque  ordre  de  connais- 
sances. -—  Puisque  la  méthode  est  l'ordre  logique^  elle  est  Tor- 
dre vrai,  l'ordre  conforme  k  la  réalité  des  choses  :  elle  ne  peut 
donc  pas  être  un  ordre  artificiel.  Mais  la  nature  ne  met  dans  les 
êtres  qu'un  seul  ordre  :  il  n'y  a  donc  qu'un  seul  ordre  logique  ;  il 
n'y  a  qu'une  seule  méthode  pour  chaque  ordre  de  connaissances. 

Il  faut  entendre  cette  conclusion,  non  pas  de  renseignement  d'une 
science,  que  l'on  possède  déjà,  et  de  l'ordre  dans  lequel  on  disposera 
les  dlfiërentes  vérités  qui  la  composent  ;  mais  seulement  de  la  création 
d'une  science,  de  la  découverte  des  vérités  qui  en  sont  l'objet,  et  des 
opérations  intellectuelles  par  lesquelles  il  faut  arriver  à  ces  vérités. 

En  eflet  on  appelle  communément  méthode  :  les  procédés  industriels 
que  l'on  emploie  pour  faire  un  travail  ;  la  nature  et  l'ordre  des  exerci- 
ces que  l'on  fait  suivre  à  im  élève  pour  lui  Inculquer  un  art,  etc.  Ce 
sont  là  des  méthodes,  si  Ton  veut  ;  car  ce  sont  des  routes  entre  deux  ; 
mais  elles  n'ont  rien  de  commun  avec  la  méthode  dont  il  est  question 
ici.  Celles-là  sont  multiples  et  facultatives  pour  un  même  objet  ;  celle- 
ci  est  unique  et  nécessaire  pour  la  création  de  chaque  science. 


MÉTHODE  121 

En  effet,  les  sciences  sont  des  connaissances  raisonnées.  On  ne  les 
crée  et  même  on  ne  les  acquiert  qu'en  se  rendant  compte  des  vérités  que 
l'on  y  affinne.  Il  faut,  dans  une  science,  connaître  le  pourquoi  de  cha- 
cune des  affirmations.  Or  le  pourquoi  ne  s'obtient  que  par  le  raisonne- 
ment et  tout  raisonnement  est  la  constatation  d'une  identité.  Mais  on  ne 
peut  constater  une  identité  que  là  où  elle  existe.  Il  faut  donc  suivre  les 
identités  qui  sont  dans  les  choses^  par  leur  nature  même  ;  il  faut  suivre 
Tenchalnement  de  ces  identités  ;  il  faut  en  suivre  l'ordre,  et  c'est  par- 
ce que  cet  ordre  e.st  unique,  qu'il  n'y  a,  pour  chaque  science,  qu'une 
seule  méthode. 

273.  Dmsion  de  Farticle. —  Nous  avons  à  dire  sur  la  méthode  : 
1<*  les  différentes  formes  qu'elle  peut  revêtir; 

2®  les  instruments  qu'elle  emploie  ; 

3**  les  différentes  méthodes  des  différents  ordres  de  sciences. 

g  1  —  D1TERSI8  FUanS  DB  U  lÉTHODE. 

274.  Sources  de  ces  diverses  formes.  —  La  méthode  étant 
l'ordre  logique  des  connaissances,  ses  différentes  formes  ne  peu- 
vent venir  que  des  différentes  l'elations  logiques  que  nous  avons 
avec  les  objets.  Or  ces  relations  se  résument  en  deux. 

Tantôt  nous  connaissons  un  objet  complexe  et  nous  voulons  en . 
connaître  les  éléments.  Il  nous  faut  donc  aller  du  composé  au  sim- 
ple, du  particulier  au  général  ;  c'est  ia  voie  de  Tanaljse.  L'ordre 
logique  de  cette  voie  c'est  la  méthode  analytique. 

Tantôt  nous  connaissons  un  certain  nombre  d'éléments  et  nous 
voulons  connaître  le  résultat  de  leur  union.  Il  nous  faut  donc  aller 
du  simple  au  composé.  C'est  la  voie  delà  synthèse.  L'ordre  logique 
de  cette  voie  c'est  la  méthode  synthétique. 

Il  y  a  donc  deux  méthodes. 

275.  Méthode  analytique.  —  La  méthode  analytique  est 
l'ordre  logique  des  connaissances  parcouru  en  allant  du  composé 
au  simple  et,  par  conséquent,  du  particulier  au  général,  de  l'effet  à 
la  cause,  du  phénomène  à  la  loi,  de  l'individu  à  l'espèce. 

276.  Méthode  synthétique.  —  La  méthode  synthétique  est 
l'ordre  logique  des  connaissances  parcouru  en  allant  du  simple  au 
composé  et,  par  conséquent,  du  général  au  particulier,  de  la  cause 
à  l'effet,  de  la  loi  au  phénomène,  de  l'espèce  à  l'individu. 


122  LOGIQUE  ABSTRAITE 

Quand  on  Ht,  dans  les  auteurs  modernes,  les  mots  aruUyse  et  syn- 
ifièsCt  on  est  tout  surpris  de  voir  combien  Ils  semblent  se  contredire 
dans  les  sens  divers  qu'ils  donnent  à  ces  deux  mots. 

C'est  que  ces  deux  mots  sont  employés  dans  les  sciences  pour  dési- 
.gner  des  procédés  spéciaux  dans  lesquels  on  a  quelquefois  de  la  peine 
à  reconnaître  les  deux  marches  de  Tintelligence  que  nous  venons  de 
décrire. 

Newton  dit:  {Optique,  liv.  III,  9.  31)  «  La  méthode  analytique  con- 
«  siste  à  recueillir  des  expériences,  observer  des  phénomènes,  et  de  là 
«  conclure,  par  ihduclion,  des  vérités  générales.  Methoclus  anaïytica 
«  est  expérimenta  capeve,  phœnoinena  observare,  indeque  coni'lusic" 
«  nés  générales  inductione  inferre.  La  méthode  synthétique  pose  en 
«  principes  les  causes  c[ue  l'on  a  cherchées  et  constatées,  explique  par 
a  ces  causes  mêmes  les  phénomènes  qui  en  dérivent,  et  donne  les 
a  preuves  de  ses  explications.  Synthetica  est  causas  investigatas  et 
«  coviprobatas  affirmare  pro  principiis,  earumque  ope  explicare 
«  phœnomena  ex  iisde^n  orta,  istasque  explicationes  comprobare.  » 
Jusque  là  nous  avons  exactement  les  deux  méthodes  que  nous  avons 
décrites.  L'analyse  va  de  Teffet  à  la  cause  ;  la  synthèse,  de  la  cause  à 
l'effet. 

Mais  dans  les  mathématiques  il  n'y  a  pas  précisément  des  causes  et 
des  effets,  si  ce  n'est  en  mécanique,  bien  que  l'on  puisse  considérer  la 
répétition  de  l'unité  comme  cause  d'un  nombre,  ou,  par  exemple,  le 
rayon,  comme  cause  de  la  circonférence  et  par  suite  du  cercle. 

Cependant  on  s'est  aperçu  que  Ton  pouvait,  en  mathématiques,  par- 
tir des  éléments  pour  conclure  au  résultat  de  leur  union,  ou,  en  sens 
inverse,  partir  de  la  combinaison  pour  conclure  aux  éléments.  On  a  vu 
dans  ces  deux  marches  une  composition  et  une  décomposition  et  on  les 
a  appelées:  synthèse  et  analyse.  Jusque  là  encore,  rien  que  de  très  con- 
forme à  la  théorie  que  nous  avons  donnée  :  l'analyse  procède  du  com- 
posé au  simple  ;  la  synthèse,  du  simple  au  composé. 

Mais  dans  un  problème  à  résoudre,  les  éléments  fournis  par  la  donnée 
sont  connus,  tandis  que  leur  combinaison  est  inconnue.  Et  comme  la 
solution  du  problème  peut  se  présenter  en  deux  sens,  soit  en  ana- 
lysant la  combinaison  que  l'on  suppose  réalisée,  soit  en  faisant  la  syn- 
thèse des  éléments  connus,  on  en  est  venu  à  cette  formule  générale, 
donnée  par  Viète  :  «  L'analyse  suppose  l'inconnu  comme  connu  et  le  dé- 
«  montre  par  ses  conséquences  à  des  vérités  connues  ;  au  contraire  la 
a  synthèse  pose  en  principe  le  connu  et,  par  voie  de  conséquence,  dé- 
«  termine  l'inconnu.  Analysisest  adsumptio  quœsiii  tanquani conces- 
a  si  per  consequentia  ad  verum  concessum;  ut  contra,  syntltesis^ 


MÉTHODE  123 

a  oflsumptio  concessi  per  consequentia  ad  quœsiti  flnetn  et  compre- 
«  hensionem,  »  Avec  cette  nouvelle  définition,  l'analyse  et  la  synthèse 
se  trouvant  tantôt  conformes  aux  deux  méthodes  de  la  logique,  tantôt 
en  contradiction  avec  elles.  Car  il  peut  arriver  que  Tinconnu  soit  préci- 
sément la  cause,  la  loi  ou  les  éléments. 

277.  Comparaison  entre  ces  deux  méthodes.  —  D*après 
leur  déûnition  môme^  ces  deux  méthodes  ne  sont  qu'un  seul  et  môme 
ordre  logique  des  connaissances,  basé  sur  Tordre  essentiel  de  leurs 
objets,  et  que  l'esprit  doit  parcourir  tantôt  dans  un  sens  tantôt  dans 
l'autre,  selon  le  point  où  il  se  trouve  et  celui  où  il  veut  arriver. 
C'est  donc  avec  beaucoup  de  raison  qu'on  a  comparé  la  méthode  ft 
une  voie.  C'est  en  effet  une  voie  de  connaissance,  qui  met  en  com- 
munication deux  termes.  Cette  voie  doit  être  parcourue,  dans  un 
sens  ou  dans  l'autre,  depuis  le  point  de  départ  jusqu'au  point  d'ar- 
rivée ;  et  il  n'y  en  a  pas  d'autre.  Donc  l'esprit  n'est  pas  libre  de 
choisir  indifféremment  une  méthode  ou  une  autre;  pas  môme  do 
choisir  entre  la  méthode  analytique  et  la  méthode  synthétique.  Il 
n'y  a  donc  pas  à  discuter  sur  leur  valeur.  Dans  chacun  des  cas,  il 
n'y  en  a  qu'une  des  deux  qui  mène  au  but  ;  Tautre  en  éloigne. 

278.  Réflexion  sur  les  diverses  méthodes  suivies  en  phi- 
losophie.—  La  méthode  d'hypothèse  n'est  pas  une  méthode,  par- 
ce qu'elle  n'est  pas  un  ordre  logique.  L'analogie  qui  est  la  source 
de  l'hypothèse  ne  peut  pas  conduire  logiquement  des  causes  aux 
effets,  ni  des  effets  aux  causes  ;  la  relation  logique  entre  ces  deux 
termes  étant  Tidentité. 

La  méthode  d'çiutorité  peut,  dans  certains  cas,  être  parfaitement 
logique  :  c'est  lorsqu'il  s'agit  d'acquérir  la  connaissance  de  ceiv 
tains  faits  que  d'autres  ont  observés  et  que  l'on  ne  peut  observer 
soi-même.  Mais  elle  n'est  jamais  un  ordre  logique  complet  ;  car 
elle  ne  mène  qu'aux  faits  et  non  aux  lois,  ni  aux  causes  de  ces  faits. 
Ce  n'est  donc  qu'un  commencement  de  méthode  :  inutile,  pour  les  faits 
que  l'on  peut  observer  observer  soi-même  ;  fausse,  quand  la  doctri- 
ne du  maître  est  fausse  ;  mais  logique  et  indispensable,  pour  les  faits 
que  l'on  ne  peut  observer  soi-même  et  qu'un  autre  a  observés  exac- 
tement. Elle  est  analytique  ou  synthétique  au  gré  du  maître. 

La  méthode  de  raison  pure  et  de  déduction  n'est  logique  que  pour 
les  sciences  abstraites,  où  les  principes  sont  de  simples  conceptions 


124  LOOIQUE  ABSTRAITE 

et  les  développements  des  identités.  Elle  est  nécessairement  syn- 
thétique dans  son  ensemble,  quoique  analytique  dans  quelques 
détails. 

La  méthode  d'observation  et  d'induction,  qui  n'est  autre  chose 
que  la  méthode  analytique,  est  la  seule  logique  pour  remonter  des 
faits  à  leurs  lois  et  à  leurs  causes.  Mais*elle  serait  parfaitement 
déplacée  pour  les  cas  où  il  faut  descendre  des  caufees  aux  effets  ou 
des  lois  aux  phénomènes. 

Donc  nous  pouvonsaffirmer  encore,  et  avec  une  entière  certitude, 
que  la  vraie  méthode  en  général  n'est  pas  exclusive  :  elle  suit  l'or- 
dre logique  des  connaissances  dans  un  sens  ou  dans  un  autre,  selon 
le  rapport  entre  le  point  de  départ  et  le  point  d'arrivée  ;  elle  ne  se 
contente  jamais  de  l'analogie  et  de  l'hypothèse  ;  elle  sait  employer 
à  propos  la  déduction  ou  l'induction  et  même  l'autorité. 

279.  Les  deux  formes  de  la  méthode  se  complètent  et  se 
▼érifient  mutuellement.  —  Quand,  partant  d'un  fait  complexe, 
on  a  fait  l'analyse,  pour  en  découvrir  les  éléments,  on  fait  la  syn- 
thèse, pour  vérifier  que  le  résultat  de  leur  union  est  bien  le  fait  que 
l'on  a  analysé,  et  que  Ton  n'a  rien  oublié  dans  l'analyse.  Récipro- 
quement on  vérifie  l'exactitude  de  la  synthèse  par  l'analyse  de  ses 
résultats.  11  est  à  remarquer  de  plus  que  l'homme  ne  fait  une 
analyse  ou  une  synthèse  qu'à  la  condition  de  les  avoir  entrevues 
d'avance  avec  tous  leurs  résultats. 

§.  8.  —  mmnm  de  li  métdode 

280.  Ce  que  sont  en  général  ces  instruments.  —  Nous 
appelons  instruments  de  la  méthode  les  différentes  opérations  in- 
tellectuelles qu'exige  chacune  des  deux  méthodes. 

281.  Instruments  de  l'analyse.  —  La  méthode  analytique, 
qui  remonte  des  faits  à  leurs  causes  et  h  leurs  lois,  doit:  1* 
observer  les  faits  pour  les  percevoir  tels  qu'ils  sont.  2**  quand 
l'observation  des  faits  naturels  ne  suffit  pas  pour  en  mettre  au 
jour  les  cai'actères  essentiels,  il  faut  avoir  recours  à  l'expérimen- 
talion,  qui  consiste  à  faire  successivement  reproduire  le  même 
fait,  en  dehors  du  concours  de  ses  différents  éléments.  On  fait 
ainsi   Vecccltisioii  des  éléments  (pii  ne  sont  pas  nécessaires  k  la 


MÉTHODE  125 

production  du  fait.  Si  la  production  du  fait  ne  dépend  pas  de 
nous,  il  faut  attendre  que  le  fait  se  reproduise  en  dehors  de  telle, 
puis  de  telle  autre  circonstance.  Cette  exclusion,  naturelle  ou 
artificielle,  met  à  découvert  les  éléments  essentiels  du  fait.  S^  La 
connaissance  des  éléments  essentiels,  dans  lesquels  se  trouvent 
nécessairement  et  Tordre  du  phénomène  et  la  nature  de  reflet, 
permet  de  remonter  par  Vinduetton  à  Tespôce,  à  la  loi  ou  à  la 
cause.  4°  Si  l'analyse  a  été  faite  sur  un  grand  nombre  d'objets,  on 
Tachôve  pai»  la  classification,  qui  permet  de  vérifier  l'analyse 
par  la  synthèse. 

La  classification  ainsi  bas^e  sur  une  analyse  exacte  de  tous 
les  objets  d'une  même  idée  est  toujours  naturelle. 

En  résumé  les  instruments  de  l'analyse  sont  : 

1®  l'observation; 

2**  l'expérimentation  avec  l'exclusion  artificielle  ou  naturelle  ; 

3^  l'induction; 

4<*  la  classification  ; 

EXEMPLE  d'analyse  :  Suivous,  dans  un  fait  h  analyser  les 
quatre  opérations  à  faire  : 

1<»  observation.  Plusieurs  corps  tombent  avec  des  vitesses  dif- 
férentes :  ils  sont  de  différents  volumes. 

2^  eœpérimentaiion.  Changeons  les  volumes  de  ces  corps.  Les 
corps  de  môme  nature  tombent  toujours* avec  la  môme  vites- 
se, quoique  avec  diiférents  volumes. 

Réduisons  tous  ces  corps  au  môme  volume  :  môme  différence 
dans  les  chutes. 

Pesons-les. 

Ceux  qui  à  môme  volume  pèsent^  davantage  tombent  plus 
vite. 

3®  induction  Donc  la  vitesse  de  la  chute  est  un  effet  qui  a  pour 
cause  le  poids  spécifique  des  corps  et  non  le  volume. 

4®  classification.  Le  poids  de  l'or  est  à  celui  de  l'argent  comme 
19  est  à  10.  Leur  vitesse  de  chute  est  dans  le  môme  rapport. 
Le  poids  de  l'or  est  à  celui  du  fer  comme  19  est  à  7.  Leur 
vitesse  de  chute  est  dans  le  môme  rapport,  etc,  etc. 


126  LOGIQUE  ABSTRAITE 

282.  Instruments  de  la  synthèse.  —  La  méthode  synthéti- 
que qui  descend  des  causes  à  leurs  effets^  des  lois  aux  phénomènes, 
des  espèces  aux  individus,  et,  en  un  mot,  des  éléments  aux  résul- 
tats de  leur  unioh,  doit  1<*  commencer  par  une  idée  exacte  de  ces 
mômes  éléments,  qui  sont  des  conceptions  nécessaires  de  la  i*aison, 
ou  des  idées  acquises  scientifiquement,  2*'  les  définir  avec  la  plus 
scrupuleuse  exactitude,  3**  diviser  les  idées  générales  en  les 
unissant  successivement  aux  idées  de  leurs  différences  spécifiques, 
4°  conclure  par  la  déduction  aux  caractères  essentiels  des  faits  qui 
sont  les  résultats  de  ces  unions.  En  présence  de  ces  faits  on  n*a 
qu'à  remonter  en-  sens  contraire  pour  vérifier,  par  l'analyse, 
l'exactitude  de  la  synthèse. 

En  résumé  les  instruments  de  la  synthôsi  sont  : 

1®  les  idées  générales  de  plusieurs  éléments  ; 

2^  la  définition  de  ces  idées  ; 

3*  la  division  do  ces  mômes  idées  qui  les  combine  ensemble; 

4®  la  déduction  qui  constate  les  résultats  de  ces  unions. 

EXEMPLE  DE  SYNTHÈSE.  Suivous  de  môme  les  quatre  opérations 

1**  Conceptions  premières  :  Idées  de  :  ligne  droite,  angle,  angle 
droit,  triangle,  triangle  rectangle,  hypoténuse,  parallélo- 
gramme, carré,  base,  hauteur,  surface,  égalité. 

2^  Définitions,  Donnons  des  définitions  précises  de  toutes  ces 
idées. 

3®  Division  ou  combinaison.  Combinons  1°  les  idées  de  ligne 
droite,  angle,  triangle,  égalité  ;  2^  les  idées  de  base,  hauteur, 
surface,  triangle,  parallélogramme,  égalité  ;  3*  les  idées  de 
triangle  rectangle,  hypoténuse,  carré  de  chacun  des  côtés, 
égalité,  plus  application  des  combinaisons  du  1**  et  du  2**. 

4®  Déduction,  Nous  trouverons  :  1°  Deux  triangles  sont  égaux, 
quand  ils  ont  un  angle  égal  compris  entre  deux  côtés  égaux. 
2^  La  surface  d'un  triangle  est  la  moitié  de  celle  d'unparallé. 
logramme  de  môme  base  et  de  même  hauteur  ;  3^  Le  carré 
de  l'hypoténuse  est  la  somme  des  carrés  des  deux  autres 
côtés. 

12^  loi  de  la  logique  abstraite.  Loi  de  la  méthode.  —  La 

méthode  n^est  que  Tordre  logique  des  connaissances.  Il  faut  suivre 


MÉTHODE  127 

cet  ordre  dans  le  sens  de  la  relation  logique  qui  existe  entre  la  con- 
naissance d'où  l'on  part  et  colle  que  Ton  veut  atteindre  {Générait^ 
tés:  28) 

g  t.  -  MlTilODSS  Â  IIPLOISR  DiNS  LIS  DIFFiRKNTS  ORDUS  Dl  SdENGES. 

283.  Principe  général  de  cette  question.  —  Nous  pouvons 
conclure  de  ce  qui  ppécôde  que  : 

1<*  Toutes  les  fois  qu'une  loi  ne  nous  est  connue  que  par  les  phé- 
nomènes qu'elle  régit,  la  recherche  de  cette  loi  doit  se  faire  par 
l'analyse. 

2^  Si,  au  contraire,  la  loi  générale  est  connue  d'ahord  et  que  les 
applications  particulières  ne  nous  soient  connues  que  par  cette  loi, 
il  faut  procéder  par  la  synthèse. 

284.  Application  de  ce  principe.  —  Or  les  seules  lois  que 
nous  connaissions  avant  les  faits  qu'elles  régissent  sont  le^  lois 
nécessaires  :  nous  les  concevons  comme  devant  être  nécessairement, 
et  cela  avant  toute  observation. 

Au  contraire  les  lois  contingentes  ne  nous  sont  connues  que  par 
les  phénomènes  qu'elles  régissent  :  car,  d'un  coté,  leur  contingence 
nous  empêche  de  les  affirmer  par  la  raison,  et,  d'un  autre  côté 
l'expérience  ne  nous  les  fournit  pas  immédiatement. 

Donc  toutes  les  sciences  dont  les  lois  sont  nécessaires  sont  des 
sciences  de  déduction  qu'il  faut  étudier  parla  méthode  synthétique. 

Au  contraire,  toutes  les  sciences  dont  les  lois  sont  contingentes 
sont  des  sciences  d'induction  qu'il  faut  étudier  par  la  méthode 
analytique. 

285.  Application  spéciale  de  ces  principes.  —  Ainsi  les 
mathématiques  pures,  parmi  les  sciences  des  corps;  et,  dans  les 
sciences  des  esprits,  la  logique,  la  métaphysique,  la  morale  et,  sauf 
le  point  de  départ,  la  théodicée,  ainsi  que  toutes  les  sciences  spé- 
ciales qui  dérivent  de  celles-là,  doivent  être  étudiées  par  la  méthode 
synthétique,  parce  que  leurs  lois  sont  nécessaires. 

On  sera  peut-être  tenté  d'objecter  à  ce  que  nous  disons  ici  :  que  les 
sciences  mathématiques  procèdent  tout  à  la  fois  par  analyse  et  par 
synthèse. 

£d  effet,  on  résout  un  problème  par  deux  méthodes  distinctes,  dont 
l'une  s'appelle  l'analyse  et  l'autre  la  synthèse.  Mais  il  s'agit  ici  de  la 


128  LOGIQUE  AnSTRAITK 

création  des  sciences  mathématiques  et  non  de  la  solution  des  problè- 
mes. , 

On  objectera  encore  que  la  création  des  mathématiques  trauscendaD- 
tes  se  lait  par  l'analyse.  Nous  disons  alors,  comme  nous  Tavons  remai^ 
que  au  n»  276,  que  le  mot  analyse  a  changé  de  sens. 

Enfln  ajoutons  que  nous  parlons  ici  de  méthode  dans  les  sciences,  à 
un  point  de  vue  entièrement  logique,  c'est-A-dire  au  point  de  vue  de 
leur  vérité,  et,  par  conséquent,  de  leur  certitude.  Or,  quelle  que  soil  la 
marche  que  Ton  suit,  pour  découvrir  un  théorème,  ou  pour  résoudre  un 
problème  mathématique,  il  est  facile  de  constater  que  la  certitude  que 
donne  à  Tinconnue  la  démonstration  ou  la  solution,  vient  de  la  certitu- 
de  des  éléments  de  cette  inconnue,  et,  par  conséquent,  ïl/dst  toujours 
vrai  de  dire  que  la  science  mathématique  s'acquiert  par  la  synthèse 

Ces  considérations  montrent  une  fois  de  plus  que  la  méthode  dont 
nous  traitons  ici  n'est  pas  cet  ensemble  de  procédés  que  Ton  emploie 
dans  les  arts  ou  dans  les  sciences  pour  obtenir  tel  résultat  cherché, 
mais  bien  Tordre  logique  des  connaissances,  l'ordre  des  identités  logi- 
ques qui  existent  entre  nos  connaissances  et  qui  nous  rendent  certains 
de  la  vérité  des  unes  par  la  vérité  des  autres. 

Les  sciences  naturelles,  physiques  et  médicales,  parmi  les  sciences 
des  corps,  et,  dans  les  sciences  des  esprits,  la  psychologie  et  les 
sciences  spéciales  qui  en  dérivent  doivent  être  étudiées  par  la  mé- 
thode analytique. 

Ainsi,  dans  le  cas  que  nous  avons  présenté  sous  un  double  peint  de 
vue  à  la  page  106  ,  comme  exemple  de  déduction  et  d'induction,  lors- 
que Pascal  faisait  ses  expériences  sur  le  vide,  il  se  posa  la  question  ainsi  : 

IIypothàse.  C'est  la  pesanteur  de  l'air  qui  fait  monter  les  liquides 
dans  les  pompes. 

Conséquences.  S'il  en  est  ainsi  les  liquides  plus  lourds  doivent  s'éle- 
ver moins  haut,  et  de  plus,  sur  une  haute  montagne,  les  mêmes  lii^ni- 
des  doivent  s'élever  moins  haut  que  dans  la  plaine. 

Il  fit  les  expériences  nécessaires  et,  les  conséquences  se  trouvant  toutes 
réalisées,  il  en  conclut  que  son  hypothèse  était  Texpression  de  la  vérité. 

D'après  le  point  de  vue  moderne,  il  procédait  par  synthèse»  puisqu'il 
raisonnait  de  la  cause  à  ses  effets. 

Cependant,  si  nous  tenons  compte  des  sources  de  la  certitude,  nous 
verrons  que  son  hypothèse,  qui  exprime  la  cause,  tire  son  évidence  de 
l'évidence  de  ses  effets,  et  que,  par  conséquent,  la  nouvelle  vérité  acqui- 
se à  la  science,  étant  une  cause  démontrée  par  ses  effets,  a  été  acquise 
par  l'analyse,  bien  que  le  raisonnement  fut  présenté  sous  une  forme 
synthétique. 


MÉTHODK  120 

La  philosophie  doit  donc  employer  tour-à-tour  les  deux  métho- 
des, dans  les  difftjrentcs  branches  qui  la  composent.  Et  mémo, 
dans  chacune  de  ces  branches,  les  deux,  méthodes  trouvent,  plus 
ou  moins,  des  objets  de  leur  domaine. 

1  S'' loi  delà  logique  abstraite.  Loi  de  Tapplication  ds 
la  méthode. —  La  connaissance  des  sciences  dont  Jes  lois  sont 
contingentes  s'acquiert  par  l'analyse  ;  la  connaissanco  des  sciences 
dont  les  lois  sont  nt^cessaires  s'acquiert  par  la  s yntiiôse. 

Remarque. —  Les  lois,  conlingen les  régissent  des  phénomène.^  con- 
tingents comme  elles;  les  lois  nécessaires  régissent  des  faits  uéces- 
saires. 

Par  exemple,  les  faits  que  Ton  déduit  mathématiquement,  des  lois 
nécessaires  des  sciences  mathématiques,  ne  sont  pas  les  faits  réels  et 
contingents  que  l'on  veut  atteindre  et  calcider  ;  mais  bien  les  mêmes 
faits  considérés  d'une  manière  abstraite  et  par  hypothèse.  Ainsi,  le 
marchan«i  qui  dit:  a  Je  vous  vends  7  mètres  de  drap,  k  12  francs  le 
mètre:  c'est  donc  8i  francs  que  vous  me  devez  v,  ne  conclut  pas  mathé- 
matiquement à  cette  dette  réelle  de  8i  francs.  Il  tire  des  lois 
nécessaires  des  mathématiques  une  vérité  particulière  aussi  nécessaire 
que  sa  loi  ;  c'est  que  12,  multiplié  par  7,  égale  84.  C'est  nécessaire,  mais 
c'est  abstrait.  Le  drap  et  sa  mesure  et  le  prix  du  mètre  sont  des  choses 
contingentes^  qui  n'appartiennent  ea  rien  au.^  matliématiques. 

Au  contraire,  les  lois  que  l'on  induit  des  ph/îuomènes  contingents  sont 
constantes,  mais  elles  ne  sont  pas  nécessaires. 

En  sorte  que  l'analyse  part  du  contingent  et  conclut  au  contingent, 
tandis  que  la  synthèse  part  du  nécessaire  et  conclut  au  nécessaire. 

C'est  pour  cela  que  la  philosophie  s'est  exercée  plus  tôt  et  plus  lon- 
guement et  avec  plus  de  profondeur  sur  les  éléments  et  les  applications 
de  la  méthode  synthétique,  que  sur  les  opérations  de  la  méthode  analy- 
tique. 

C'est  pour  cela  encore  que  les  sciences  synthéticiues  satisfont  mieux 
la  raison^  et  donnent  une  certitude  plus  prompte,  plus  facile  et  plus 
inébranlable  que  les  sciences  analytiques;  si  bien  que  les  mathémati- 
ques portent,  par  privilège,  le  titre  de  «  Sciences  exactes.  » 

Cependant,  il  est  un  cas  où  l'iinalyse  conclut  du  contingent  au  néces- 
saire, c'est  lorsqu'elle  conclut  de  l'exislencc  d'un  effet  contingent  réel, 
quel  qu'il  soit,  ù  l'existence  d'une  caure  premiire,  réelle  aussi  et  néces- 
saire. 


130  LOGIQUE  ABSTRAITE 

Uonc^  si  la  synthèse  a  pour  elle  l'avantafçe  de  Texactitude  et  d'une 
certitude  plus  inébranlable,  il  faut  reconnaître  qu'elle  ne  conclut  qu'à 
des  vérités  abstraites.  L'analyse,  au  contraire,  est  la  seule  méthode  qui 
nous  mène  à  la  connaissance  du  réel  et  surtout  de  l'être  le  plus  réel, 
de  rinllni.  Mais  il  faut  ajouter  que  l'analyse  n'alteiiit  ce  haut  degrré,  cette 
conclusion  supérieure  à  toutes  les  autres  qu'au  moment  où  elle  saisit  k 
grand  principe  de  la  déduction:  l'idée  d'élre;  et  ce  grand  principe, 
l'analyse  ne  le  fournit  pas;  il  est  le  fond  même  de  la  raison. 


LOGIQUE  SUBJECTIVE 


286.  Définition.  —  La  logique  subjective  est  la  science  de  la 
vérité  de  la  pensée  dans  ses  rapports  avec  le  siget  pensant. 

287.  Relations  de  la  pensée  avec  le  sujet  qui  pense.  —  La 

pensée  a  d*abord  avec  le  siyet  qui  pense  une  relation  essentielle  ou 
métaphysique,  sans  laquelle  elle  ne  serait  pas  la  pensée  de  ce  sujet  ; 
c'est  qu'elle  lui  est  connue.  Cette  relation  s'appelle  conscience  de  la 
pensée.  Viennent  ensuite  les  relations  logiques  ou  relations  de 
vérité  par  lesquelles  celui  qui  pense  adhère  diversement  à  sa  pennée 
et  la  tient  plus  |ou  moins  pour  vraie.  Ces  relations  logiques  sont  : 
le  doute,  Thypothôse,  la  probabilité  et  la  certitude.  Ces  diverses 
i^elationa  logiques  doivent  avoir  diverses  causes,  il  faut  donc  les 
étudier. 

288h  Division  de  la  logique  subjective.  —  Nous  diviserons 
donc  la  logique  subjective  en  trois  chapitres. 

1**  Relation  subjective  essentielle:  conscience  de  la  pensée, 

2**  Relations  subjectives  logiques  :  doute,  hypothèse,  probabilité*, 
certitude. 

3<»  Source  de  ces  diverses  relations  logiques. 

Chapitre  I" 

RELATION    SUBJECTIVE  ESSENTIELLE 

(Conscience  de  la  Pensée) 


289.  Définition.  —  Quiconque  pense  sait  qu'il  pense  et  sait  ce 
qu'il  pense.  C'est  ce  fait  [qu'on  appelle  conscience  de  la  pensée.  Ce 
fait  est  entièrement  subjectif  ;  c'est-à-dire,  qu'il  se  passe  tout 
entier  dans  le  sujet  et  ne  dépend  en  rien  de  l'objet  de  la  pensée. 

290.  Nécessité  de  cette  relation.  —  Il  est  évident  qu'une 
pensée  qui  n'est  pas  connue  de  celui  qui  pense  n'est  pas  une  pensée.  Il 


132  LOGIQUE   SUBJECTTVK 

n'y  a  donc  pas  de  pensée  sans  conscience  de  la  pensée.  Cest  pour- 
quoi nous  appelons  la  conscience  de  la  pensée  :  relation  essou- 
tielle. 

201.  Nature  de  cette  relation  dans  la  réalité.  —  Mais([uel- 
que  essentielle  que  soit  cette  relation,  considérée  d'une  manière 
abstraite,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  dés  qu'elle  existe  elle  par- 
ticipe à  l'imperfection  de  tous  les  êtres  créés.  Ainsi  la  con.scienee 
de  la  pensée,  dans  son  existence  réelle,  peut  avoir  des  défauts.  Elle 
peut  n'être  pas  assez  claire  ou  pas  assez  distincte.  Par  exemple  : 
dans  le  rôve,  on  pense,  sans  avoir  une  conscience  bien  distincte,  ui 
bien  claire,  de  sa  pensée.  Et  les  mômes  défauts  subsistent  quelq ne- 
fois  dans  l'état  de  veille,  par  suite  de  la  distraction,  de  Fabsti'ac- 
tion,  de  la  précipitation,  de  la  préoccuimtion  ou  de  Texclusion. 

292.  Qualités  de  la  conscience  de  la  pensée.  —  Il  est  donc 
nécessaire  que  la  conscience  de  la  pensée  soit  claire  et  dish')irtt\ 

293.  Clarté.  —  La  conscience  de  la  pensée  est  claire  quand 
celui  qui  pense  a  conscience  et  de  lui-môme  (de  son  état  présent, 
du  lieu  où  il  est)  et  des  sources  de  sa  pensée,  de  manière  à  pouvoir 
se  rendre  compte  si  la  pensée  lui  vient  de  lui-même  ou  du  dehors. 

294.  Distinction.  —  La  conscience  de  la  pensée  est  distincte 
quand  celui  qui  pense  voit  l'objet  essentiel  de  sa  pensée  dfe  manière 
à  ne  confondre  cette  pensée  avec  aucune  autre,  qui  n'aurait  pas 
exactement  le  môme  objet. 

Voici  donc  les  lois  de  ce  premier  chapitre  : 

1"^  loi  théorique  ;  Que  la  conscience  de  la  pensée  soit  claire  et 
distincte. 

1«  loi  pratique!  Observer  attentivement  sa  pensée,  sans  dis- 
traction, ni  abstraction,  ni  précipitation,  ni  préoccupation,  ni 
exclusion. 

En  parlant  ainsi  de  la  conscience  de  la  pensée,  nous  n'entendons  pas 
trancher  la  question  soulevée  par  Lelbnltz.  sur  le  fait  d'un  grand  nom- 
bre de  pensées,  ou  de  perceptions,  qui  selon  lui,  seraient  en  nous,  sans 
'<!fue  nous  en  eussions  conscience. 

Sans  partager  entièrement  son  avis,  et  surtout  sans  admettre  toutes 
les   théories  qui,  dans  le  système  de  Leibnîtz,  se  rattachent  à  celle-ci 


CONSCIENCE    DE    LA    PENSÉE  133 

nous  croyons  que  l'âme  humaine  éprouve  en  effet  beaucoup  de  percep- 
tions inco^sciçntes,  ou  to^t  au  moins  d'une  conscience  trèS'^confuse. 

Hais,  considérant  la  conscience  de  la  pensée  au  point  de  vue  logique» 
nous  disons  que,  non  seulement  elle  est  nécessaire  à  la  connaissance, 
mais  encore  qu'elle  doit  être  claire  et  distincte.  Si  elle  n'est  pas  claire, 
si  celui  qui  pense  ne  voit  pas  distinctement  et  son  état  présent  et  les 
causes  présentes  de  sa  pensée,  il  prendra  pour  des  perceptions  les  fan- 
tômes do  son  ir^agination,  et,  croyant  voir  des  réalités,  il  les  affirmera 
commes  telles.  Si  la  conscience  de  sa  pensée  n'est  pas  distincte,  s'il 
confond  sa  pensée  avec  une  autre,  il  devra  nécessairement  voir  et  affir- 
mer une  fausse  identité,  et  juger  et  raisonner  faussement.  Ces  deux 
sortes  d'erreur  se  trouvent  en  même  temps  dans  le  rêve,  quand  on 
croît  voir  une  personne  qui  n'est  pas  présente,  et  qu'on  lui  voit  faire 
des  actions  qu'elle  ne  fait  jamais  et  qu'on  ne  penserait  pas  d'elle  dans 
l'état  de  veille. 

Elles  se  retrouvent  dans  la  folie  d'un  homme  qui  s'attaque  au  pre- 
mier passant,  croyant  avoir  alTaire  à  celui  qu'il  appelle  son  ennemi. 

Elles  se  retrouvent  dans  l'ivresse,  lorsqu'on  parle  plus  qu'on  ne  vou- 
drait, et  que  l'on  dit  des  choses  que  l'on  garderait  pour  soi  dans  toute 
autre  circonstance. 

Elles  se  retrouvent  enfin  dans  la  distraction  ou  dans  la  préoccupa- 
tion, quand  on  mêle  à  sa  conversation  des  paroles  qui  n'y  ont  aucun 
rapport  ;  quand  on  cesse  d'écouter  et  de  répondre  pour  suivre  une  pen- 
sée intérieure  ;  quand  on  mêle  à  une  action  parfaitement  convenable 
aux  circonstances,  une  autre  action  qui  ne  se  trouve  pas  à  sa  place. 

Chapitre    II . 

RELATIONS  LOGIQUES  DE  LA  PENSEE  AVEC  SON  SUJET 

(Doute,  hypotlièse,  probabilité,  certitude.) 


295.  i*<md«meiit  de  ces  relations.  —  L'homme  qui  pense 
ne  peut  rester  longtemps  indifférent  à  sa  pensée  ;  il  veut  y  voir  la 
conception  d'une  réalité  ;  il  donne  ainsi  à  sa  pensée  an  objet  inten- 
tioanel  et  il  accepte  ou  rejette  sa  pensée  comme  expression  vraie  ou 
fausse  de  cet  ol^et  de  son  intention.  C'est  là  le  fondement  des  rela- 
tions logiques  entre  le  sujet  pensant  et  sa  pensée. 

296.  Doute.  —  Quand  le  sujet  pensant  ne  voit  pas  si  sa  pensée 
est  ou  n'est  pas  la  conception  exacte  de  son  objet  intentionnel,  il 


134  LOGIQUE   SUBJECTIVE 

suspend  son  adh(^sion;  il  s'abstient  déjuger:  c'est  le  doute.  liC 
doute  est  donc  la  suspension  de  V adhésion  de  Vâme  à  sa  pen- 
sée. 

207.  Hypothèse.  —  Quelquefois  le  siget  pensant  ayant  une 
pensée  sans  objet  intentionnel,  a  besoin  de  la  considérer  un  moment 
comme  si  elle  en  avait  un  ;  ou  bien  ayant  un  objet  intentionnel  qu'il 
ne  connaît  pas,  il  a  besoin  de  le  considérer  un  moment  comme  étant 
conçu  par  telle  pensée  qui  se  présente  à  son  esprit.  Dans  les  deux 
cas,  il  donne  à  sa  pensée  une  adhésion  provisoire  :  c'est  l'hypothèse. 
Disons  donc  que  Vhypothèse  est  l'adhésion  provisoire  de  l'dme 
à  sa  pensée, 

298.  Probabilité.  —  Quand  le  sujet  pensant  voit  dans  sa 
pensée  des  motifs  de  la  considérer  comme  vraie,  quoique  ces  motifs 
lui  paraissent  insuffisants,  il  hésite  à  adhérer  à  sa  pensée  ;  mais 
souvent  il  agit  comme  s'il  y  adhérait  entièrement  :  il  dit  alors  que 
sa  pensée  est  probablement  vraie.  Il  forme  un  jugement  probable. 
C'est  ce  jugement  probable  qui  est  une  adhésion  hésitante  de 
Vâme  d  sa  pensée.  Quand  au  mot  probabilité  il  désigne  plutôt  la 
même  relation  logique  prise  du  côté  de  la  pensée.  C'est  précisément 
la  qualité  de  la  pensée  qui  produit  dans  Tàmo  le  jugement  pro- 
bable. 

299.  Certitude.  —  Enfin  le  sujet  pensant  qui  voit  sa  pensée 
comme  étant  l'expression  exacte  de  son  objet  intentionnel  y  adhère 
sans  restriction.  C'est  la  certitude  ou  le  jugement  certain.  Nous 
définirons  donc  la  certitude  :  l'adhésion  absolue  de  Vd^ne  d  sa 
pensée. 

Observons  ici  que  le  jugement  conditionnel  et  le  jugement  alter- 
natif sont,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  (153),  des  combinai- 
sons de  l'hypothèse  et  de  la  certitude,  et  que,  par  conséquent,  ils  ne 
sont  pas  une  adhésion  absolue.  Le  jugement  conditionnel  est  une 
adhésion  conditionnelle,  c'est-à-dire,  destinée  à  devenir  absolue  si 
la  condition  se  réalise  ;  le  jugement  alternatif  est  une  adhésion  al- 
ternative, c'est-à-dire,  destinée  à  devenir  absolue  pour  l'un  quelcon- 
que dos  deux  termes  par  l'exclusion  de  l'autre. 

Cette  dernière  relation  logique  appelée  certitude  étant  la  plus 
importante  de  toutes,  nous  nous  y  arrêterons  plus  longtemps. 


CERTITUDE  135 

300.  Nature  de  la  certitude.  —  La  certitude  est  un  fait 
subjectif;  c^est  un  acte  de  Tâme,  mais  un  acte  nécessaire.  L'Âme 
qui  adhère  ainsi  à  sa  pensée  le  fait  parce  qu'elle  ne  peut  faire  au- 
trement. On  peut  s'abstenir  de  manifester  un  jugement,  mais  on 
ne  peut  s'abstenir  de  juger  quand  on  a  les  motifs  de  le  faire. 

Pour  détourner  une  Ame  de  son  jugement  il  faut  changer  ses 
idées  et  lui  faire  voir  son  objet  intentionnel  autrement  qu'elle  ne  le 
voit.  Ce  sont  là  des  vérités  d'expérience  dont  nous  voyons  d'ailleurs 
assez  facilement  les  lois  métaphysiques. 

En  effet:  Tàme,  considérée  comme  être  intelligent,  est  faite  pour 
connaître,  et  vis-à-vis  de  la  connaissance  qui  est  en  partie  sa  fin,  elle 
doit  se  conduire  comme  toute  substance  matérielle  se  conduit  à  l'égard 
d'une  autre  pour  laquelle  elle  a  une  affinité.  Dès  qu'elle  la  trouve  à 
sa  portée,  elle  se  combine  avec  elle.  Ainsi  l'àme  destinée  à  connaître, 
et  active  d'ailleurs,  recherche  la  connaissance,  et,  dès  qu'elle  la  trouve, 
elle  s'y  attache,  elle  s'identifie  en  quelque  sorte  avec  elle. 

Mais>  connaître,  ce  n'est  ni  douter,  ni  supposer,  ni  croire  sur  des 
motifs  probables  ou  opiner  ;  c'est  savoir,  c'est  juger  avec  certitude, 
c'est  être  informé  certainement  du  vrai. 

Ainsi  l'àme  qui  adhère  à  sa  pensée,  parce  qu'elle  la  voit  conforme  à 
son  objet  intentionnel,  l'àme  qui  juge,  qui  affirme  avec  certitude,  ne 
fait  que  répondre  à  un  besoin,  qu'exercer  sa  puissance,  que  tendre  vers 
sa  fin,  et  cela  d'une  tendance  aussi  irrésistible  que  celle  de  la  pierre 
qui  tombe  vers  le  centre  de  la  terre,  ou  de  l'oxygène  de  l'eau  qui  se 
combine  au  fer  et  produit  la  rouille. 

301.  Existence  de  la  certitude.  —  Il  paraîtrait  ridicule  de 
poser  cette  question  s'il  ne  s'était  rencontré  des  hommes  assez  in- 
sensés pour  nier  la  certitude,  en  théorie,  tandis  qu'ils  en  faisaient 
usage  comme  tout  le  monde. 

On  appelle  sceptiques  les  hommes  qui  prétendent  qu'il  n'y  a 
rien  de  certain,  et  scejiticisme  leur  système.  Les  sophistes  Grecs 
furent  les  premiers  qui  osèrent  présenter  cette  théorie  ;  Pyrrhon, 
fut  plus  tard  le  fondateur  de  l'école  sceptique,  et  ses  disciples  ont 
poussé  le  ridicule  jusqu'à  prétendre  démontrer ^  c'est-à-dire  nous 
donner  la  certitvde,  que  la  certitvde  n'existe  pas. 

Mais  que  valent  leurs  dénégations  contre  le  cri  unanime  de  la 
conscience  du  genre  humain  ?  Il  faut  plaindre  les  hommes  qui  per- 
dent à  ce  point  l'usage  de  la  raison  ;  mais  il  ne  faut  pas  entre- 
prendre de  les  réfuter. 


13C)  LOGIQUE   SUBJECTIVE 

La  (eVtitudo  ne  se  dcraontre  pas  ;  car  démoutrer  un  fait  c'est 
supposer  (^u'il  y  a  des  faits  certains,  c'est-à-dire,  que  \pi  certitude 
existe. 

Et  par  quoi  déi;iontrerait-on  la  certitude?'  Sans  doute  par  des 
faits  certains,  c'est-à-dirs,  par  la  certitude  elle-même.  Et  si  nous 
ne  savions  pas  qui^nci  nous  sommes  certains,  par  quoi  pourrions-nous 
être  rendus  certains  que  nous  sommes  certains? 

D'ailleurs,  si  la  certitude  ne  se  démontre  pas,  il  faut  reconnaî- 
tre aussi  qu'elle  n'a  pas  besoin  d'être  démontrée.  On  ne  fait  une  dé- 
monstration que  pour  rendre  certain  celui  qui  ne  l'est  pas;  mais 
celui  qui  est  certain,  quel  besoin  a-t-il  de  démonstration? 

La  cci'titude  est  un  fait  réel;  il  existe  ;  la  conscience  individuelle 
l'atteste  aussi  bien  que  là  conscience  universelle.  Et  malgré  tous 
les  efforts  des  sceptiques  pour  étayer  leur  système,  nous  ne  cro^'ons 
pas  qu'aucun  d'eux  ait  réellement  douté  de  son  existence,  de  ses 
joies  ou  de  ses  douleurs,  pas  même  de  l'existence  des  corps  qu'il 
voyait  et  touchait.  C'est  de  peur  d'admettre  toutes  es  conséquences 
morales  qu'une  saine  philosophie  a  toiyours  su  tirer  des  lois  qui 
régissent  le  monde,  que  quelques  hommes  en  sont  venus  h  nier  la 
certitude  des  faits  même  les  plus  incontestables,  qui  auraient  pu 
servir  de  principes.  Et  c'est  leur  faire  trop  d'honneur  que  de  paraître 
douter  un  moment  avec  eux  pour  leur  démontrer  ce  qu'ils  savent 
aussi  bien  que  nous. 

D'ailleuis  celui  qui  nie  la  certitude  ne  peut  pas  parler  sans  affir- 
mer par  là  môme  sa  pensée;  et  l'exposition  même  de  sa  doctrine 
en  étant  la  réfutation,  il  ne  peut  que  se  condamner  au  silence. 

On  compte  deux-  systèmes  prétendus  philosophiques  qui  nient  aî>- 
fîolument  l'existence  de  la  certitude.  Ces  deux  systèmes  sont  le 
scepticisme  et  le  prohahiUsme,  On  en  compte  une  multitude  d'au- 
tres qui  n'admettent  la  certitude  que  dans  certaines  conditions  et 
comme  provenant  d'une  seule  source,  et  qui  nient  toutes  les  autivs. 
Ces  derniers  s^^stèmes  sont  nés  de  la  recherche  du  ontcrium  de  fa 

cerlitvde,  I^e  mot  critérium  (de  xpivw,  je  juge)  désigne  une  marquo 
infaillible  pour  reconnaître  Texistence  d'un  fait  caché  ;  ici  il  signi- 
fie donc  la  marque  ^infailli])le  de  l'existence  de  la  certitude.  Or 
c'est  en  cherchant  cette  marque  que  l'on  a  successivement  affirmé 
comme  unique^source  de  certitude,  les  sens,  la  conscienco,  la  rai- 
son, le  raisonnement,  le  sens  commun,  révidenCe,  etc. 


CERTITUDE  137 

Nous  (ioun'ions  répondre  simplomeut  que  U  mai'^iia  de  la  carti- 
tilde  c'est  la  certitude  elle-njùme,  et  que,  quand  oa  est  ceii*taiQ,  on 
ne  demande  pas  la  prouve  que  Ton  est  ceii:aiQ.  Nous  pourrions  ré- 
pondre au  probahilisme  comme  nous  avons  répondu  au  scapticii'me  ; 
mais  à  cause  de  Timportance  historique  de  ces  divew  By&ièttie^ 
nous  les  traiterons  tous  séparément.  Seulement  nous  renverrons 
cette  question  à  la  logique  objective,  parce  que  nous  aurons  alors 
les  moyens  de  répondre  d'une  manière  plus  péremptoire. 

2®  loi  th^oriquç;  loi  des  relations  subjectiveslofîqiies  de  la 
pensée  :  Le  doute^  rhjpothiîse,  la  probabilité  et  la  cei*titude  sont  de? 
relations  diverses  de  râmo  avec  sa  pensée,  et  elles  doivent  avoir 
des  causas  diverses. 

2®  loi  pratique  :  Ne  pas  passer  sans  motif  de  l'une  à  Tautre 
(les  relations  logiques  de  Tàme  avec  sa  pensée. 

Chapitre  III 

SOURCES  DES  DIVERSES  RELATIONS  LOGIQUES 

du  sujet  pensant  avec  sa  pensée. 


302.  Sources  de  la  pensée  elle -môme.  —  Le  fait  de  la 
pens ^e  a  nôcessail^ement  une  cause,  et  les  différentes  pensées  ont 
difioreutes  causes.  Mais  quelque  multiples  que  soient  ces  cause» 
on  peut  les  rêduii*e  i\  deux. 

La  pensée  est  produite  ou  par  l'objet  mémo  que  Ion  a  on  vue 
ou  par  VCiniQ  elle-même. 

L'objet  suscite  la  pensée  dans  l'àme  qui  le  perçoit  ;  l'Ame  se 
donne  à  elle-même  des  pensées  en  combinant  les  idées  qu'elle  a. 
Ur  l'objet  no  peut,  par  lui-mémo,  fournir  à  l'àme  une  concep" 
tion  autre  que  celle  de  lui-même.  Donc  la  pensJ^e  qui  a  pour  caus  ) 
unique  son  objet  intentionnel  est  nécessairement  vraie;  tandi*^ 
que  la  pensée  qui  vient  do  l'Ame  ne  peut  être  que  par  hasard  con- 
foniie  à  son  ol)jet  intentionnel. 

Nous  pouvons  donc  distinguer  comme  sources  de  la  pensée  k^ 
sources  objectives  et  les  sources  subjectives , 


138  LOGIQUE  SUBJECTIVE 

303.  Sources  objeotiTes.  —  Les  sources  de  la  pensée  sont 
objectives  quand  celle-ci  ne  renferme  que  ce  qui  est  perçu  dans 
Tobjet  par  les  sens  ou  par  la  conscience,  unis  aux  conceptions 
nécessaires  de  la  raison.  Dans  tous  ces  cas  la  pensée  vient  toate 
de  l'objet,  et  elle  est  nécessairement  vraie. 

304.  Sources  subjectives.  —  Les  sources  de  la  pensée  sont 
subjectives  en  totalité  ou  en  partie,  quand  elle  est  fonnée  par 
Timagination  qui  combine  les  éléments  des  pensées  antérieures  de 
TAme,  ou  quand  Timagination  y  entre  pour  quelque  chose.  Dans 
tous  ces  cas  la  pensée  telle  qu'elle  est  vient  du  sujet  pensant,  et 
elle  est  probablement  fausse. 

305.  Sources  du  doute,  de  Thypothèse  et  de  la  probabi- 
lité. —  Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  pensée  qui  a  pour  cau- 
se l'imagination  en  tout  ou  en  partie,  ne  peut  logiquement  faire 
naître  à  son  égard,  dans  celui  qui  pense,  que  le  doute,  Thypothèse 
ou  tout  au  plus  la  probabilité,  mais  jamais  la  certitude. 

300.  Sources  de  la  certitude.  —  Au  contraire  la  pensée  dans 
laquelle  l'imagination  n'est  pour  rien,  et  qui  a  pour  source  unique 
son  objet  intentionnel,  si  elle  se  manifeste  au  sujet  pensant  avec 
cette  origine,  ne  peut  faire  naître  en  lui  que  la  certitude.  Or  il  est 
naturel  que  celui  qui  pense  et  qui  a  une  conscience  claire  et  distinc- 
te de  sa  pensée  sache  s'il  a  ajouté  à  sa  pensée  quelque  chose  de  sa 
propre  imagination,  ou  non.  Donc  la  pensée  se  manifeste  avec  ses 
sources,  et  celle  dont  toutes  les  sources  sont  objectives  engendi*e 
nécessairement  la  certitude. 

307.  Fausse  certitude.  —  La  conclusion  inattaquable  que 
nous  venons  de  déduire  de  la  nature  même  de  la  pensée,  justifie  en 
principe  l'infaillibilité  du  jugement,  quand  il  est  logique,  et  établit 
les  fondements  même  de  la  certitude.  Mais  cette  infaillibilité  du 
jugement  n'empêche  pas  qu'on  en  use  mal  quelquefois,  et  qu'il  n'y 
ait  souvent  en  pratique  une  fausse  certitude. .  Voici  comment. 
L'obscurité  ou  la  confusion  de  la  conscience  de  la  pensée,  les 
défauts  qui  lui  sont  contraires  et  surtout  la  précipitation  et  l'exclu-* 
sion,  qui  a  souvent  pour  cause  les  préjugés  ou  les  affections  du 
cœur,  font  souvent  passer  inaperçue  la  part  que  l'imagination  a 
prise  dans  une  pensée,  d'ailleurs  toute  objective  dans  ses  sources  ; 


SOURCES   DE  LA  CERTITUDE  139 

plus  souvent  encore  une  bonne  partie  des  éléments  d'une  pensc^e 
viennent  d'un  témoignage  faux,  lequel  est  encore  en  dernière  analyse 
le  fruit  de  Timagination,  et  cela  sans  qu'on  s'en  doute.  Alora  la 

0 

pensée  ne  se  présente  qu'avec  des  sources  objectives,  et  pourtant  elle 
est  fausse;  caries  sources  subjectives  sont  cachéeç. 

Cette  seule  observation  suffit  pour  expliquer  toutes  les  erreura 
et  pour  les  prévenir  toutes,  si  on  ne  l'oublie  jamais. 

308.  Différents  noms  que  prend  la  certitude  selon  ses 
différentes  sources.  —  Considérée  dans  son  essence,  la  certitude 
est  une;  elle  n'admet  pas  de  degré;  elle  existe  ou  n'existe  pas: 
l'adhésion  de  l'âme  est  absolue. 

Cependant  on  est  convenu  de  considérer  comme  différentes  espè- 
ces de  certitude,  selon  qu'elle  vient  de  sources  différentes.  On  dis- 
tingue: la  certitude  métaphysique,  la  certitude  logique,  la  certitude 
physique  et  la  certitude  morale. 

309.  Certitude  métaphysique.  —  La  certitude  est  métaphy- 
sique dans  les  conceptions  nécessaires  de  la  raison.  Elle  n'est  pas 
X)lus  cei'taine  que  les  autres,  mais  elle  est  plus  inébranlable. 

11  est  presque  impossible  de  la  fausser,  parce  que  dans  cet  ordre 
d'idées  l'objet  intentionnel  de  la  pensée  est  le  môme  que  l'objet 
essentiel . 

310.  Certitude  logique.  —  La  certitude  est  logique  quand 
elle  a  pour  objet  une  identité  logique.  • 

Elle  est  infaillible  en  elle-môme  ;  mais  elle  ne  va  jamais  seule, 
et  elle  rentre  dans  la  certitude  métaphysique  ou  dans  la  certitude 
physique  selon  que  les  idées  qu'elle  voit  comme  identiques  sont 
nécessaires  ou  contingentes. 

311.  Certitude  physique.  —  La  certitude  est  physique  quand 
elle  a  pour  objet  un  objet  que  l'Ame  perçoit,  ou  par  elle-même  ou 
par  ses  sens.  Elle  se  subdivise  en  certitude  de  conscience  et 
certittùde  des  sens.  La  plupart  des  auteurs  modernes  réservent 
pour  cette  dernière  seulement  le  nom  de  certitude  physique. 

Obsen'ons  ici  que  toutes  les  fois  que  nous  divisons  un  objet  en  mèta- 
pliysique,  logique,  physique  et  moral,  nous  prenons  le  mot  physique 
dans  le  sens  où  Tout  pris  Aristote,  Platon,  la  scolastique,  en  un  mot 
^oute  la  philosophie  classique.  Le  sens  de  ce  mot  a  été  restreint  dans  le 
10»  siècle. 


140  LOGIQUE  SUBJECTIVE 

La  certitude  ph3'sique  est  de  sa  nature  aussi  infaillible  que  les 
précédentes  ;  mais  elle  peut  facilement  être  fausse  :  elle  exige 
donc  une  gmnde  circonspection. 

312.  Certitude  aiorale.  —  La  certitude  est  morale  quand  son 
objet  n'est  perçu,  qu'à  travers  les  effets  d'un  acte  libre.  Tout  ce 
que  nous  connaissons  par  le  témoignage  des  hommes,  et  tous  les 
jugements  que  nous  poilons  sur  les  hommes,  en  voyant  leurs  actes, 
entrent  dans  cet  ordre  de  certitude.  Et  pai^ce  que  cet  ordre  de  cer- 
titude est  plus  facile  à  fausser,  le  mot  do  certitude  morale  est  deve- 
nu, pour  plusieurs,  synonyme  de  probabilité  très-giande.  C'est  pour 
cela  que  plusieurs  auteui*s  rappellent  certitude  de  témoignage^ 
pour  ne  pas  la  confondi'^  avec  ce  qu'on  appelle  aiyourd'hui  certi- 
tude morale;  quand  on  dit  par  exemple:  Teth  suis  moralement 
eertain, 

3*  loi  théorique.  —  La  certitude  est  engendrée  logiquement 
par  la  pensée  dont  les  sources  sont  purement  objectives  ;  les  souroes 
subjectives  engendrent  le  d»ute,  Thypothôse  ou  la  probabilité. 

S''  loi  pratique.  —  11  faut,  avant  de  formuler  un  jugement, 
observer  avec  soin  et  constater  toutes  les  sources  de  sa  pensée, 
afin  de  ne  pas  tenir  pour  certaine  une  pensée  qui,  directement  ou 
indirectement  tient  quelque  chose  de  l'imagination. 


L 


LOGIOUfi  OBJECTIVE 


313.  Définition.  —  La  logique  objective  est  la  science  de  la 
vérité  de  la  pensée  dans  ses  rapports  avec  son  objet. 

314.  Rapports  de  la  pensée  avec  son  objet.  —  Nous  avons 
vu  bien  souvent  déjà  que  la  pensée  a  un  double  objet:  l'un  essentiel 
ou  métaphysique,  par  lequel  elle  se  distingue  do  toute  autre  pensée; 
l'autre  iiitentionnel  ou  logique,  qui  est  le  fait  même  que  le  sujet  a 
en  vue,  et  dont  il  veut  que  sa  pensée  soit  la  conception. 

Le  rapport  de  la  pensée  avec  son  objet  essentiel  ne  peut  être  que 
l'identité  logique:  la  pensée  est  toujours  et  nécessairement  la  con- 
ception de  son  objet  essentiel. 

Mais  le  rapport  de  la  pensée  avec  son  objet  intentionnel,  peut  ne 
pas  être  Tidentité,  quoique  la  pensée  n'ait  pas  d'autre  but.  Ce 
rapport  peut  donc  être  Tidentité  ou  la  non-ldfentité  logique.  De  là 
la  distinction  entre  la  vérité  et  la  fausseté  ;  et,  si  le  jugement  inter- 
vient, la  vérité  ou  Terreur. 

Ce  double  rapport  de  la  pensée  avec  son  objet  logique  nous  est 
assez  connu,  (23.104.161),  pour  que  nous  nous  dispensions  d'en  ex- 
poser ici  la  nature. 

315.  Division.  —  Il  ne  nous  reste  donc  qu'à  étudier  les  sources 
de  la  vérité  et  de  Terreur  et  la  manifestation  de  la  vérité  d'uue 
pensée.  Nous  le  ferons  en  deux  chapitres.  ^ 

Chapitre  P' 

SOURCES  DE  LA  VÉRITÉ  ET  DE  L'ERREUR 


dlô.  Principe  de  cette  question.  —  La  cause  et  l'effet  sont 
logiquement  identiques.  Si  donc  la  pensée  a  pour  cause  son  objet 
intentionnel,  elle  lui  sera  nécessairement  identique  ;  elle  en  sera  la 
conception  :  elle  sera  vi*aie.  Si  au  contraire  la  pensée  est  produite 
par  une  autre  cause  que  par  son  objet  intentionnel,  ee  ne  poun*a 
être  que  par  hasard  qu'elle  sera  vraie. 


y 


142  LOGIQUE     OBJECTIVE 

Ici  revient  nécessairement  la  distinction  des  soui*ces  objectives 
et  (les  sources  subjectives  de  la  pensée.  Les  premières  amènent 
logiquement  une  pensée  vraie,  les  deuxièmes  amènent  logiquement 
une  pensée  fausse. 

Le  principe  ainsi  posé,  il  est  facile  de  conclure. 

317.  Sources  de  la  yérité.  —  Les  sources  de  la  vérité  sont 
donc  la  perception  exacte  de  Tobjet  intentionnel  de  la  pensée. 

Cette  perception  exacte  se  fait  par  différents  moyens  selon  Ib 
nature  de  Tobjet.  La  distinction  de  ces  différents  moyens  et  leur 
application  aux  différents  objets  est  une  question  psychologique. 
Nous  la  traiterons  en  son  lieu.  Disons  seulement  que  nous  percevons: 

1°  par  les  sens,  les  faits  corporels  qui  sont  à  notre  portée  ; 
2**  j>ar  la  conscience,  les  faits  de  notre  âme  ; 
3**  par  le  témoignage  des  autres,  les  faits  qui  sont  à  leurport^ 
Et  qui  ne  sont  pas  à  la  nôtre; 
et  que  nous  concevons  nécessairement  ; 
4**  par  la  raison^  les  causes  et  les  lois  des  faits  et,  en  général 

tous  les  éléments  nécessaires  des  choses. 
Dans  tous  ces  cas  la  perception  «era  exacte  si  Ton  emploie  à  pro- 
pos ces  divers  moyens,  en  se  confonnant  aux  lois  logiques  des  diffé- 
rentes opérations  que  cette  perception  exige  et  que  nous  avons 
indiquées  dans  la  méthode. 

318.  Sourees  de  Terreur.  —  L'erreur  ne  peut  venir  que  des 
sources  subjectives  de  la  pensée,  cachées  &  TÂme  qui  juge,  par  la 
précipit^ion,  les  préjugés,  les  affections  du  cœur,  et  enfin  et  surtout 
par  les  témoignages  faux.  Cette  vérité  est  suffisamment  démontrée 
par  tout  ce  qui  précède. 

Dans  une  observation  trop  rapide  d'un  fait,  par  les  sens  ou  par  la 
conscience,  Timagination  complète  la  perception  à  sa  manière,  sans 
qu'on  y  prenne  garde  ;  les  préjugés  et  les  affections  du  cœur  guident 
souvent  l'imagination  dans  son  travail,  et  empochent  Tintelligenee 
de  s'apercevoir  de  son  intervention  ;  dans  le  raisonnement  môme  les 
faits  que  Ton  compare,  défigurés  par  l'imagination,  paraissent 
logiquement  identiques,  et  on  fait  alors  ce  qu'on  appelle  un  para- 
logisme, quand  on  est  de  bonne  foi,  ou  un  sophisme,  quand  le 
raisonnement  faux  est  fait  avec  intention  ;  .pour  les  faits  connus  par 


SOURCES   DE   l/ ERREUR  148 

le  témoignage  des  autres,  Terreur  ou  la  mauvaise  foi  des  témoins 
peut  les  présenter  autrement  qu*ils  ne  sont,  sans  qu'on  s'en  aper- 
çoive. Ce  sont  là  tout  autant  de  sources  d'erreur.  L'âme  ne  voyant 
de  toutes  ces  pensées  que  les  sources  objectives,  j  adhère  nécessai- 
rement, les  tient  pour  vraies,  les  afBrme  ;  ot  c'est  en  cela  qu'elle 
se  trompe;  car  les  pensées  qu'elle  juge  vraies  sont  fausses. 

319.  Observation  sur  les  différentes  classifications  des 
erreurs.  —  Devons-nous  après  cela  nous  arrêter  à  classer  les  er- 
i^eurs,  comme  Ton  fait  tant  d'autres  avant  nous  ?  Nous  ne  le 
croyons  pas  nécessaire.  Ces  classifications,  toujours  incomplètes, 
ne  sont  guère*  que  des  subdivisions  de  quelques-unes  des  causes 
d'erreur  que  nous  venons  d'indiquer. 

Bacon,  qui  s'y  est  arrêté  longuement,  les  ramène  toutes  à  (juatre 
sortes  de  préjugés,  qu'il  appelle  des  idoles. 

Idola  tribus,  préjugés  du  genre  humain. 

Idola  specus,  préjugés  individuels. 

Idola  theatri,  préjugés  d'école  et  de  système. 

Idola  fon\  préjugés  sociaux  venant  surtout  des  abus  du  lan- 
gage. 

Les  scolastiques  avaient  aussi  distingué  différentes  sources  de 

sophismes  ou  de  paralogismes. 

Ignoratio  elenchi,  l'oubli  de  la  question. 

Petitio  principiiy  alléguer  comme  preuve  le  fait  môme  qu'il 
s'agit  de  démontrer. 

Non  causa  pro  causa  prendre  pour  cause  ce  qui  ne  l'est  pas. 

C'est  le  sophisme  que  Ton  exprime  encore  ainsi  :  hocpost  hoc  ; 
ergo  pr opter  hoc, 

Enumeratio  imperfecta,  faille  une  induction  sur  des  données 
incomplètes. 

Fallacia  accidentis,  prendre  pour  élément  essentiel  ce  qui  n'est 
qu'accidentel. 

Fallacia  cômpositionis  et  divisionis,  passer  du  sens  composé 
au  sens  divisé  et  réciproquement. 

Transitus  a  relativo  ad  absolutum^  conclure  du  relatif  à  l'ab- 
solu. 

Cette  dernière  sorte  de  sophisme  s'appelle  aussi  :  transitus  a 
ilicto  sectmdum  quid  ad  dictum  simpliciter. 


141  LOGIQUE    OBJECTIVE 

Transitas  de  génère  ad  genus\  conclure  d'un  genre  ce  qui  ap- 
partient à  un  autre. 

Circulits  vitiosK^f  démontrer  successivement  deux  faits  Tim 
par  l'autre. 

Arnauld  de  Poi-t-Rôjal  ajoute  à  l'exp  >sition  d^à  très-longue  àe$ 
différents  sopliismes  classés  par  les  scolastiques  Tex position  de 
plnsieura  autres  sources  de  sophismos  :  l*amoar-propne,  Tintérùt, 
les  passions,  les  qualités  et  les  défauts  des  objets  mêmes. 

En  voici  le  résumé: 

Sojihismes  d* amour  propre ^  d* intérêt  et  de  passion'. 

1"  Juger. des  choses  par  ce  qu'elles  sont  à  notre  jégard. 

2*^  Changer  de  jugement  en  cliangeant  de  passion. 

3*»  Poser  en  principe  que  Ton  a  raison. 

4°  Poser  en  principe  que  Ton  est  un  habile  homme. 

5*  Traiter  d'opiniAtre  celui  <iui  est  d'un  autre  sentiment. 

0"  L'esprit  de  dispute,  ou  le  besoin  de  contredire. 

7°  L'habitude  de  tout  louer. 

« 

8«  L'esprit  de  parti. 

9^  Défendre  une  opinion  parce  qu'on  Ta  émise. 

Sophismes  qui  naissent  des  objets  mrûirs. 

\^  Le  mélange  de  bien  et  de  mal  que  renferment  les  objets. 

2**  Le  charme  de  l'éloquence. 

3**  Juger  des  intentions  par  une  concordance  d'opinions. 

4*»  Fausse  induction  tirée  d'un  trop  petit  nombre  de  faits. 

5°  Juger  des  intentions  par  le  résultat. 

G°  Juger  sur  une  autorité  insuffisante:  c'est  le  sophisme  d'atfto- 
rite. 

7*  Juger  du  fond  d'une  doctrine  par  la  manière  dont  elle  est 
exposée. 

8®  Juger  des  opinions  des  autres  par  leur  condition. 

9**  Juger  des  opinions  des  autres  par  leur  caractèi*e. 

Il  n'est  peut-être  pas  sans  utilité  de  considérer  en  détail  ces  dif- 
férentes sources  d'erreur,  mais  nous  croyons  avoir  été  plus  camplol 
et  tout  aussi  utile  dans  notre  courte  exposition,  qui  i^uit  les  sour* 
ces  de  Terreur  ft  quatre  chefs  :  la  précipitation,  les  préjtigt-îi,   les 


SOURCES    DE  l'erreur     ']      v-j  145 

passions  et  les  témoignages  faux.  Rappelons  d*ailletirK  encore  une 
fois  que  ces  quatre  sources  se  résument  dans  une  seule  :  la  part  que 
prend  l'imagination  dans  la  formation  des  pensées.  Que  la  pensée 
soit  produite  uniquement  parlobjet  et  il  n'y  a  pas  d'ecreur  possible. 

1«  loi  théorique.  —  La  pensée  qui  n'a  pas  d'autre  source  que 
son  objet  intentionnel  est  nécessairement  vraie  ;  la  pensée  qui  vient 
en  tout  ou  en  partie  de  l'imagination  est  logiquement  fausse. 

1"  loi  pratique.  —  Observer  avec  soin  les  sources  de  ses  pen- 
sées pour  n'accepter  que  les  sources  objectives  ;  se  défier  de  la  pré- 
cipitation, des  préjugés,  des  passions  et  des  témoignages  faux,  qui 
font  entrer  l'imagination  dans  la  formation  des  pensées. 

Chapitre  II 

MANIFESTATION  DE  LA  VÉRITÉ  D'UNE  PENSÉE 

Evidence 


320.  Principe  de  la  question.  —  La  ^nsée  est  vraie  néces- 
sairement, quand  elle  n'a  d'autre  source  que  son  objet  intentionnel. 
Elle  sera  "donc  manifestement  vraie  quand  sa  source,  purement 
objective,  sera  manifeste.  Or  cette  condition  est  réalisée  quand  la 
pensée  n'a  d'autre  cause  que  la  manifestation  de  son  objet  intention- 
nel &  TÂme. 

321.  Evidence.  —  On  appelle  évidence  la  manifestation  in- 
dubitable de  la  vérité  d'une  pensée.  Cette  manifestation  a  lieu 
quand,  l'objet  intentionnel  de  la  pensée  est  itianifesté  h  l'Ame,  et  que 
cette  manifestation  est  l'unique  source  de  la  pensée. 

L'évidence  est  une  relation  objective,  puisqu'elle  est  la  manifes- 
tation de  l'identité  logique  de  la  pensée  avec  son  objet.  Mais 
Tévidence  produit  nécessairement  la  certitude  qui  est  une  relation 
subjective.  Ainsi  il  y  a  entre  l'évidence  de  l'objet  et  la  certitude 
du  siget  relation  de  cause  à  effet.  On  peut  donc  oonclure  logique- 
ment de  l'une  &  l'autre  ;  car,  d'après  le  principe  tant  de  fois  cons- 
taté, Tune  ne  peut  pas  exister  sans  l'autre^ 

Voilà  la  réponse  à  la  fameuse  distinction  du  sut^jeotif  et  de 

l'objectif,  par  laquelle  les  sceptiques  de  tous  les  temps  ont  prétendu 

ébranler  la  certitude,  et  dont  Kant  n'a  pas  su  sortir. 

10 


146  »  LOGIQUE   OBJECTIVE 

322.  Divisioii  dt  TéTidence.  —  On  distingue  l'évideiK^ 
comme  la  certitude  en  quatre  espèces,  selon  ses  quatre  sources. 

L'évidence  peut  ôtre  métaphysique,  logique,  physique  ou  mora- 
le, comme  la  certitude  et  aux  mômes  conditions. 

323.  ETi4once  métaphysique.  —  L*évidence  métaphysique, 
est  la  nécessité  manifeste  d'une  conception.  Elle  est  perçue  directe- 
ment par  la  raison,  qui  la  voit  dans  ce  principe  universel  :  Ce  qui 
est  est;  ce  qui  n'est  pas  n'est  pas. 

Une  pensée  est  métaphysiquement  évidente,  quand  elle  se  montre 
clairement  comme  nécessaire,  comme  ne  pouvant  pas  être  conçue 
autrement,  dans  quelque  hypothèse  que  Ton  se  place. 

De  cet  ordre  sont  toutes  les  idées  nécessaires,  les  vérités  premiè- 
res, les  premiers  principes,  les  axiomes.  On  y  compte  d'abord  le 
grand  principe  de  raison  d'Aristote: 

Nt?iïl  pot  est  esse  simul  et  non  esse. 

«  Ce  qui  est  ne  peut  pas  ne  pas  être  en  môme  temps.  » 

On  y  trouve  encore  les  principes  que  la  philosophie  classique  a 
formulés  plus  tard,  mais  que  le  genre  humain  a  toigours  employés  : 

Nihil  est  sine  ratione  sufficienti^  principe  plus  général  que  celu^ 
que  nous  exprimons  ainsi  :  «  Il  n'y  a  pas  d'effet  sans  cause.  » 

Jnter  duo  contradictoria  non  datur  médium.  Ce  qui  revient 
à  dire  :  a  II  n'y  a  pas  de  milieu  entre  être  et  n'être  pas.  » 

Quœ  sunt  eadem  uni  tertio  sunt  eadem  inter  se,  principe  plus 
général  que  la  traduction  que  nous  avons  adoptée  en  français: 
«  Deux  quantités  égales  à  une  troisième  sont  égales  entre  elles.  » 

324.  EvideBce  logique.  —  L'évidence  logique  est  l'ideatité 
logique  de  deux  pensées  qui  se  manifeste  à  l'Ame.  Elle  est  perçue 
aussi  par  la  raison,  qui  voit  facilement  lorsque  deux  faits  n^ont 
qu'une  seule  existence,  et  qui  affirme  alorsque  les  deux  pensées  ou 
les  deux  propositions,  qui  expriment  ces  deux  faits,  sont  vraies  en 
môme  temps  ou  fausses  en  môme  temps. 

Une  pensée  est  logiquement  évidente  lorsqu'elle  est  logiquement 
identique  &  une  autre  pensée  évidente  d'ailleurs.  Toute  conséquence 
logiquement  déduite  d'un  principe  qui  est  lui-môme  évidemment 
vrai  est  évidente. 

325.  EvkUuce  physique.  •—  L'évidence  physique  est  la 


KVTDENCK  147 

festation  d^ni  objet  réel  h  Vàme^  Elle  ^t  perçue  par  la  conscience 
ou.  par  les  sens.  Aussi  on  peut  la  diviser  en  deux:  évidence  de 
conscietfce  et  évidence  sensible.  Les  auteurs  modernes  ayant  res- 
treint le  mot  pht/siqtie  aux  êtres  matériels,  aux  modifications  des 
cort>s,  ne  donnent  pas  le  nom  d'évidence  physique  à  l'évidence  de 
conscience  ;  ils  réservent  ce  nom  pour  la  seule  évidence  des  sens. 

Une  pensée  est  physiquement  évidente,  quand  l'âme,  percevant  en 
elle-même  une  modification,  ou  se  sentant  modifiée  au  moyen  de  ses 
sens  par  un  corps  extérieur,  voit  clairement  que  la  pensée  qu'elle  a 
a  pour  cause  son  objet  réellement  existant.  Quand  je  vois  et  je 
touche  un  corps,  je  suis  physiquement  certain  de  ce  que  je  vois  et 
je  touche  dans  ce  corps  ;  quand  je  pense  ou  quand  je  veux,  je  suis 
physiquement  certain  que  je  pense  ou  que  je  veux. 

326.  Evidence  morale.  —  L'évidence  morale  est  la  manifes- 
tation d'un  objet  réel  au  moyeu  d'un  acte  libre  ;  soit  que  cet  objet  réel 
soit  lui-môme  un  acte  libre,  soit  que  l'objet  étant  purement  un  fait 
physique,  la  connaissance  ne  nous  en  soit  donnée  que  par  un  acte 
libre,  comme  par  le  témoignage  d'un  autre. 

Il  faut  donc  pour  qu'il  y  ait^évidence  morale,  que  l'àme  voie  clai- 
rement quQ  la  liberté  de  l'acte  n'en  a  pas  faussé  la  manifestation. 
Cette  condition  seule  constitue  l'évidence  morale  ;  le  reste  la  fait 
rentrer  dans  Tévidence  physique. 

Ainsi  tout  ce  que  nous  apprenons  par  le  témoignage  des  autres, 
ou  tout  ce  que  nous  jugeons  de  leurs  sentiments  par  ce  qu'ils  en 
montrent  au  dehors,  a  besoin  d'une  double  évidence.  D'abord  l'évi- 
dence physique  de  la  réalité  du  témoignage  donné  ou  des  marques 
de  tel  sentiment,  ensuite  l'évidence  morale  que  ces  hommes  n'ont 
pas  libi*ement  faussé  leur  témoignage  ou  les  marques  extérieures 
de  leurs  sentiments. 

827.  Du  témoignage  des  hommes.  —  Le  témoignage  des 

"hommes  est  le  principal  fait  dont  la  vérité  se  fonde  sur  l'évidence 

morale,  et  ce  fait  se  présente  si  souvent  dans  la  vie  et  embrasse 

taot  de  vérités  importantes  qu'il  nous  convient  de  l'étudieo*  à  part 

et  avec  un  peu  plus  de  détails. 

Et  d'abord  distinguons  deux  cas  :  1^  le  fait  qui  nous  est  attesté 
par  des  hommes  est  pour  eux  d'une  évidence  purement  physique  ; 
Us   l'ont  perçu  par  leurs  propres  seûs,  ou  en  eux-mêmes  par  leur 


148  LOGIQUE  OBJECTIVE 

conscience.  C*€ist  alors  le  téfnoignage  proprement  dit.  S^  Le  fait 
qui  nous  est  attesté  est,  pour  ceux  qui  Tattestent^  d'une  évidence  lo- 
gique ou  morale.  C'est  un  fait,  c'est  une  loi,  qu'il  a  fallu  con- 
clure, par  déduction  ou  par  induction,  soit  de  principes  métaphysi- 
ques, soit  de  faits  physiques  observés,  soit  des  marques  sensibles 
d'un  sentiment  ;  c'est  peut-être  encore  un  témoignage  qu'il  a  fallu 
examiner  et  que  l'on  nous  donne  comme  méritant  notre  confiance  : 
dans  tous  ces  cas,  il  y  a  plus  que  le  témoignage  :  c'est  F  autorité. 

On  confond  souvent  ces  deux  mots  et  on  dit  même  :  Vautorité  du 
témoignagey  pour  dire  :  la  confiance  que  mérite  le  témoignage. 

328.  Valeur  logique  du  témoignage.  —  Que  le  témoignage 
des  hommes  puisse  porter  avec  lui  l'évidence  et  engendrer  la  certi- 
tude, nous  n'avons  pas  besoin  de  le  démontrer.  A  priori,  c'est-Â-dire 
en  considérant  seulement  la  nature  des  choses,  il  est  évident  qn*un 
autre  homme  peut  avoir  vu  un  fait,  aussi  exactement  que  nous 
l'aurions  vu  nous-mêmes,  et  nous  l'exprimer  ensuite,  par  la  parole, 
aussi  exactement  que  nous  nous  l'exprimerions  à  nous-mêmes,  par 
la  pensée.  Nier  cela  ce  serait  nier  les  sens  et  la  pensée,  ou  la 
parole.  Donc,  a  priori,  le  témoignage  peut  être  évidemment  vrai. 
A  posteriori^  c'est-à-dii*e,  en  concluant  des  faits  à  leur  possibilité 
selon  cet  adage:  ah  actu  ad  posse  valet  consecutio^  on  voit  aassi 
que  le  témoignage  porte  avec  lui  l'évidence  et  qu'il  engendre  la 
certitude.  Car  :  je  n'ai  jamais  vu  Pékin  ;  je  ne  puis  avoir  tu  César, 
ni  Alexandre;  et  cependant  U  m'est  impossible  de  douter  de 
l'existence  actuelle  de  Pékin,  en  Chine,  ni  de  l'existence  de  César 
à  Rome,  ou  d'Alexandre  en  Grèce  et  en  Asie.  Et  quelle  immense 
énumération  faudrait-il  faire  pour  désigner  seulement  les  faits  que 
nous  croyons  sur  le  témoignage  d'autrui,  sans  qu'il  se  soit  jamaii 
élevé  dans  notre  âme  aucun  doute?  Donc,  a  posteriori  anssî  le 
témoignage  peut  être  évidemment  vrai. 

11  reste  k  savoir  quand  le  témoignage  porte  avec  lui  cette  valeur 
logique. 

339.  Qualités  ou  conditions  du  témoignage.  —  Si  Ton  peut 

constater  facilement  que  le  témoignage  est  souvent  vrai,  il  n^est 
pas  difficile  de  voir  qu'il  peut  aussi  être  faux  et  que  de  fait  il  est 
souvent  faux.  II  est  donc  nécessaire  de  connaître  les  conditions 
auxquelles  le  témoignage  sera  infailliblement  vrai. 


ÉVIDENCE  149 

Ces  conditions  ou  qualités  sont  de  trois  ordres.  Elles  tiennent 
1*  aux  faits  attestés  par  les  témoins,  2^  aux  témoins  eox-mdmes^ 
3^  aux  témoignages. 

1*»  QuALrràs  des  faits.  Les  faits  attestés  par  témoins  doivent 
être  de  nature  à  comporter  ce  genre  de  preuve.  Ils  doivent  compor- 
ter une  évidence  physique  (325,  327).  Ils  doivent  être  de  nature  à 
être  observés  et  perçus  par  les  sens  on  par  la  conscience. 

Quelques  auteurs  ajoutent  qu'ils  doivent  être  possibles  ou  vrai- 
semblables. Il  est  évident  que  Ton  n'écouterait  pas  un  témoin  qui 
rapporterait,  comme  l'ayant  vu,  un  fait  absolument,  métaphyst- 
qtêemetUj  impossible.  Mais,  à  part  ce  cas,  il  faut  se  méfier  beaucoup 
du  prétendu  impossible  et  invraisemblable.  Ce  qui  paratt  impossible 
à  un  ignorant  est  souvent  très-facile  pour  celui  qui  sait  comment 
s'y  prendre,  et  surtout  ce  qui  est  imposible  aux  hommes  est  souvent 
possible  à  Dieu.  Si  donc  on  se  basait  sur  cette  prétendue  impossir 
bilité  pour  rejeter  un  fait  attesté  par  un  témoin  sérieux,  on  aurait 
tort  :  et  on  est  toigours  mal  venu  &  dire  :  c'est  impossible^  à  quel- 
qu'un qui  vous  dît:  je  l'ai  vu, 

2*  Qualités  des  témoins.  Toutes  les  qualités  que  l'on  peut  exi- 
ger d'un  témoin  peuvent  se  résumer  en  une  seule  :  qu'il  ne  soit 
pas  trompé. 

Mais  à  quelle  marque  peut-on  reconnaître  qu'il  n'est  pastrompé  ? 
Il  est  évident  que  si  le  témoin  est  capable  d'observer  le  fait  dont  il 
témoigne,  et  s'il  l'a  en  effet  suffisamment  observé,  il  y  a  lieu  de 
croire  qu'il  ne  se  trompe  pas.  Et  si  un  grand  nombre  de  témoins  car- 
pables  observent  tous  le  fait  par  eux-mêmes,  on  peut  mieux  encore 
être  certain  qu'ils  ne  se  trompent  pas. 

Ainsi  les  qualités  des  témoins  sont:  I^  qu'ils  soient  capables 
2^  qu'ils  aient  vu  eux-mêmes  le  fait. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'on  ne  doive  pas  croire  un  témoin  que 
affirme  sur  le  témoignage  d'un  autre;  mais  dans  ce  cas  il  faut  le 
juger,  non  plus  comme  témoin,  mais  comme  capable  d'apprécier  la 
valeur  du  témoignage  qu'il  cite,  et  il  est  alors,  non  un  témoin 
mais  une  autorité. 

3"  Qualités  du  témoignage.  On  peut  encore  i*ésumer  les  quali- 
tés du  témoignage  en  une  seule  :  qu'il  ne  soit  pas  trompeur. 

Pour  cela  il  faut  d'abord  qu'il  soit  sérieux,  qu'il  soit  donné  dans 
des  termes  clairs  et  précis,  enfin  qu'il  soit  donné  de  bonne  foi. 


150  LOGIQUE    OBJECTIVE 

Cette  dernière  condition  se  vériâe  par  Texamen  des  qualités 
morales  do  témoin,  et  de  ses  intérêts.  Car  si  le  témoin  est  ami  de  la 
vérité  et  s'il  n'a  au2un  intérêt  k  tromper,  il  parlera  de  bonne  foi. 
Alors  s'il  s'exprime  en  termes  clairs  et  précis  et  s'il  parle  sérieuse- 
ment, son  témoignage  ne  sera  pas  trompeur. 

C'est  surtout  pour  le  témoignage  que  la  multiplicité  est  d'un 
grand  poids  pour  produire  l'évidence  et  engendrer  la  certitude.  Car 
si  un  grand  nombre  d'hommes  dont  les  intérêts  sont  divers,  donnent 
sans  s'être  entendus  un  môme  témoignage,  on  peut  être  certain 
qu'ils  ne  trompent  pas. 

—  En  résumé,  il  faut  et  il  suffit  pour  la  certitude  des  faits  affir- 
més par  le  ^émoigna^e:  qtie  les  témoins  ne  soient  m  trompés  pu 
trompeurs. 

330.  De  rautorité.  —  Ce  mot  autonté  désigne  ici  raffîrmsL 
tion  d'un  fait  dont  on  n'a  qu'une  évidence  logique  ou  morale  ;  (322) 
il  désigne  encore  la  personne  qui  affirme  dans  ces  conditions,  et  en. 
fin  la  croyance  que  mérite  cette  sorte  d'affirmation.  Ces  trois  sens 
sont  entièrement  connexes  :  il  est  inutile  de  les  étudier  à  part. 

L'autorité  est  donc  basée  sur  une  double  évidence  morale  ;  d'a- 
bord, que  l'affirmation  est  sincôi^e,  ensuite,  que  le  témoignage  que 
l'on  rapporte  était  sincère  et  vrai  ;  ou  sur  une  évidence  logique, 
quand  il  s'agit  d'une  conclusion  que  l'autorité  a  dû  tirer  d'un  prin- 
cipe. 

Les  qualités  de  l'autorité  sont,  comme  pour  le  témoignage,  que 
celui  qui  affirme  ne  soit  ni  trompé  ni  trompeur.  Mais  ici,  plus  que 
dans  le  premier  cas,  il  importe  de  s'assurer  de  la  capacité  du  té- 
moin. Tout  homme  peut  se  rendre  compte  d'un  fait  sensible,  mais 
tous  ne  sont  pas  capables  dt;  créer  une  doctrine,  et  ce  sont  surtout 
les  doctrines,  les  théories,  qni  sont  du  domaine  de  l'autorité. 

Dans  les  questions  de  doctrine,  ce  sont  surtout  les  hommes  spé- 
ciaux  qui  font  autorité  :  eux  seuls  offrent  en  général  les  garanties 
suffisantes  do  capacité.  Encore  ne  faut-il  pas  donner  sa  confiance 
au  hasard  à  tout  homme  qui  se  dit  spécial. 

331.  De  l'histoire.  —  L'histoire  s'appuje  à  la  fois  sur  le  té- 
moignage et  sur  l'autorité.  L'écrivain  qui  raconte  les  faits  qu'il  a 
vus  est  un  simple  témoin  dans  la  narration  de  ces  faits  ;  il  a  1  evi- 


ÉVIDENCE  151 

denoe  physiqae  de  oe  qu'il  raconte  ;  mais  dés  qu'il  en  apprécie  len 
causes  et  les  conséquences,  il  devient  une  autorité  et  il  a  besoin 
d^une  autre  capacité  que  lorsqu'il  raconte.  L'historien  qui  écrit  d'à- 
prés  les  témoignages  qu'il  a  recueillis,  d'après  les  ouvrages  de  ses 
devanciers,  d'après  les  monuments,  les  médailles,  les  incriptions 
anciennes  qu*il  lui  faut  interpréter,  n*a  plus  pour  lui-même  qu'une 
évidence  morale  ou  logique  de  ce  qu'il  raconte,  et  pour  faire  auto- 
rité, pour  mériter  créance,  il  a  besoin,  outre  la  sincérité  que  l'on  a 
droit  d  exiger  de  tout  témoin,  d'une  capacité  exti*émement  étendue 
et  variée.  Aussi  ne  doit  on  pas  egouter  foi  aveuglément  à  tout  his- 
torien. 

Mais  quand  un  fait  est  acquis  à  Fhistoire,  c'est>-à<<iire,  quand  il 
est  admis  par  uh  grand  nombre  d'historiens  qui  Tout  examiné  sé- 
rieusement et  avec  toute  la  capacité,  l'impartialité  et  la  sincérité 
nécessaire,  il  n'est  plus  temps  de  le  révoquer  en  doute. 

332.  Du  «oepticisma,  —  Exposons  maintenant  plus  en  détail 
les  systèmes  qui  nient  en  tout  ou  en  partie  la  certitude.  Et  d'abord 
parlons  du  scepticisme. 

Les  sceptiques  (de  axéirro|xat,  j'examine)  professent  qu'il  n'y  a 
rien  de  certain,  mais  tous  ne  professent  pas  le  même  doute,  et 
n'ont  pas  lés  mêmes  motifs  de  douter.  Aussi  le  scepticisme  a  pré- 
senté des  formes  assez  diverses  dans  les  différentes  époques  de  la 
philosophie . 

Démocrite  d'Abdère,  découragé  dans  sa  recherche  de  la  science 
qu'il  demande  à  la  seule  expérience  des  sens,  s'écrie  :  que  la  science 
est  inaccessible  et  qtie  la  vérité  est  cachée  au  fond  d'un  puits, 

Zenon  d'Elée,  s'isolant  dans  les  abstractions  de  la  raison  pure,  ne 
voit  que  l'unité,  il  nie  le  mouvement  qui  ne  peut  exister  qu'avec  le 
multiple,  et  ânit  par  nier  l'unité  elle-même. 

Gorgias  de  Léontium,  fier  de  son  art  de  parler,  croit  avoir  une 
réponse  à  tout,  et  se  fait  fort  de  soutenir  à  volonté  le  pour  et  le 
contré.  Les  autres  sophistes  le  suivent  dans  son  orgueil  et  poussent 
encore  plus  loin  son  doute. 

Pyrrhon  d'Elis,  ne  voyant  dans  les  doctrines  de  ses  prédéces- 
seurs que  leurs  contradictions,  en  conclut  qu'il  n'y  a  rien  de  certain 
et  déclare  que  la  sagesse  consiste  k  douter  de  tout. 

Arcésilas  et  Sextus  Empiricus,  •venus  long-temps  aprtV  lui,  sui- 


152  LOGIQUK    OBJECTIVE 

virent  ftes  doctrine,  par  antipathie  pour,  les  affirmations  des 
dogmatiques. 

A  la  fin  du  moyen  âge^  Montaigne,  qui  ne  voyait  et  n*aimaitque 
lui-môme^  fuyant  tout  souci  de  devoir,  incline  au^si  vers  le  doute, 
par  une  sorte  d'indifférence  pour  la  certitude  philosophique. 

Le  chef  de  la  philosophie  moderne,  Descartes,  croyant  vaincre  à 
jamais  le  scepticisme,  s*eiforça  d*appuyer  la  certitude  sur  une  base 
inéhranlahle,  mais  il  eut  le  tort  de  paraître  douter  un  moment  avec 
les  sceptiques,  et  surtout  il  eut  le  tort  de  ne  pas  admettre  à  priori 
la  certitude  des  sens.  Car  plusieurs  de  ses  disciples,  mécontents  de 
la  démonstration  qu'il  essaye  d'en  donner,  nièrent  l'existence  des 
corps»  et  quelques-uns  même  furent  absolument' sceptiques.  Ce  fut 
ie  i*é8ulta.t  naturel  d'une  philosophie  basée  sur  la  eonseience  isolée 
des  sens. 

Bayle,  mu  par  le  désir  de  convaincre  la  raison  d'impuissance, 
entassa  les  difficultés  et  les  laissa  sans  réponse. 

David  Hume,  en  n'observant  que  par  les  sens,  oublia  la  cons- 
cience et  la  raison  et  nia  bientôt  la  certitude  des  vérités  mathéma- 
tiques. Il  nia  môme  l'idée  de  cause,  et  le  rapport  de  la  cause  à 
l'effet,  disant  que  nous  voyons  bien  des  faits  qui  se  succèdent,  mais 
nullement  un  rapport  de  causalité  entre  eux. 

Kant,  au  contraire,  en  s'isolant  dans  sa  propre  conscience  et 
dans  l'examen  de  la  raison,  ne  trouva  pas  le  moyen  d'affirmer,  en 
vertu  de  la  seule  faculté  de  connaître,  roxistonce  des  corps,  ni 
aucune  réalité  extérieure  k  l'âme.  Il  avait  pourtant  entrepris  sa 
Critique  de  la  raison  pure,  dans  le  but  de  ruiner  pour  toiyoure  le 
scepticisme.  Use  réfugia,  il  est  vrai,  dans  la  raison  pratique,  qui, 
en  commendant  le  devoir  en  affirme  par  là-môme  l'objet  ;  mais  il 
n'en  a  pas  moins  sai)é  les  fondements  de  toute  connaissance. 

Tels  sont  les  noms  les  plus  illustres  que  l'on  rencoirtre  dans 
l'histoire  du  scepticisme,  et  les  différentes  formes  et  causes  de 
cette  aberration  de  Tesprit  humain. 

333.  Motifs  de  doute  des  sceptiques.  —  Le  scepticisme  ou 
doute  universel  répugne  à  la  raison  ;  parce  que  l'homme  voit  facile- 
ment l'évidence  des  faits  et  se  trouve  naturellement  dans  la  certi- 
tude. Aussi  la  philosophie  classique  a  toi;gours  été  dogmatique»  et 
le  scepticisme  n'a  jamais  été  qu!un  système  personnel,  soutenu  |>ar 


SCEPTICISME  '163 

quelques  individualités.  C'est  pour  cela  que  les  sceptiques  de  tous 
les  temps  ont  senti  le  besoin  d  exposer  les  prétendues  raisons  de 
leur  doute-:  ils  comprenaient  qu'ils  allaient  contre  la  conscience  du 
genre  humain. 

Pjrrhon  donnait  de  8on  doute  dix  motif^  qu'i^  appelait 
Séxa  Tp6i:oi  les  dix  changements,  ou  oéxa  t^tcoi  ^ico^fi^  .les  dix 
motifs  de  suspension  du  jugement^  ce  que  l'on  transcrit  en  fran- 
çais par  :  les  dix  raisons  d'époqtie.  Ces  dix  motifs  se  résument 
dans:  les  contradictions  enti^e  les  jugements  des  homtnes  ;  les 
altérations  et  les  changements  que  subissent  les  choses,    • 

Le  médecin  Agrippa,  qui  vivait  400  ans  plus  tard,  ne  donnait 
que  cinq  motifs,  et  il  offrait  plus  de  variété.  Ces  cinq  motifs 
étaient  :  P  la  discordance  des  opiniofiSj  2^  la  nécessité  d'une 
preuve  de  la  preuve,  3**  le  caractère  relatif  de  nos  perceptions,^ 
4®  le  besoin  des  hypothèses,  5®  le  cercle  vicieux  de  toute 
preuve^ 

Kant  a  mis  -en  lumière  ce  grand  motif  de  doute  plus  ou  moins 
allégué  par  tous  les  sceptiques  :  la  distinction  entre  la  perception 
subjective  et  la  réalité  objective.  Mais  il  se  montre  original 
quand,  séparant  la  raison  de  Texpérience,  il  refuse  à  la  première  la 
faculté  d'affirmer  autre  chose  que  la  possibilité,  et  à  la  seconde  la 
faculté  d'affirmer  autre  chose  qu'elle-même  dans  son  si^et. 

Pour  répondre  à  ces  prétendus  motifs  de  doute,  il  suffit  de  re- 
marquer :  1°  que  les  jugemenis  des  hommes  sur  un  même  objet  ne 
sont  pas  si  différents  qu'on  veut  bien  le  dire,  et  que  tous  trouvent 
par  exemple,  le  suci-e  doux  et  l'aloès  amer  :  2^  que  les  changements 
que  subissent  les  choses  n'empêchent  pas  de  les'voir  telles  qu'elles 
sont  au  moment  où  on  les  considère,  et  que  d'ailleurs  la  certitude 
scientifique  ne  porte  pas  sur  les  choses  variables  :  3®  que,  quand 
on  donne  une  preuve,  on  la  donne  telle  qu'on  n*ait  pas  besoin  de 
prouver  qu'elle  prouve. 

Enfin  pour  détruire  encore  une  fois  les  arguments  de  Kant  nous 
dirons  : 

1^  La  raison^  il  est  vrai,  n'affirme  pas  ce  qui  est  ;  mais  elle  af. 
firme  IHmpossibilité,  la  possibilité  ou  la  nécessité. 

2^  L'expérience  seule  ne  saurait  affirmer  l'existence  réelle  de 
l'objet  de  la  perception. 


154  LOGIQUE  OBJECTIVE 

Maig  la  raison  affirme  qu'il  n'j  a  pas  d'effet  sans  eaase,  et  l'ex- 
périence affirme  l'existence  d'an  grand  nombre  de  perceptions. 
Donc  elles  ont  une  cause.  Donc  les  objets  que  nous  perccTons  exis- 
tent. 

334.  Du  probabilisme.  —  Quand  le  scepticisme  eut  exercé 
ses  ravages  dans  la  philosophie  grecque,  quelques  hommes,  amis  des 
sublimes  théories  de  Platon,  voulurent  c>tre  toiyours  ses  disciples» 
quoique  leur  foi  en  la  philosophie  fut  un  peu  ébi*anlée.  C^est  alors 
que  Carnéade,  fondateur  de  la  nouvelle  Académie  déclara  que  la 
vérité  est  inaccessible  et  que  nous  ne  pouvons  connaître  que  le 
vrai  semblable.  Tel  est  le  probabilisme. 

Cicéron,  qui  se  disait  Académicien,  et  qui  souvent  affirme  sans 
hésiter,  penche  pourtant  plus  d'une  fois  vers  cette  théorie,  et 
môme  en  quelques  endroits  de  ses  écrits,  l'accepte  comn^e  le  prin- 
cipe logique  de  son  école. 

Cette  eiTeur,  moins  effrayante  que  le  scepticisme,  serait  tout 
aussi  nuisible,  si  on  l'adoptait,  car  elle  mènerait*  à  Tindifférence 
morale.  Mais  on  la  détruit  par  les  mômes  raisons  qui  détruisent  le 
scepticisme . 

D'ailleurs  la  certitude  est  un  fait  incontestable,  qui  s'impose  de 
lui-môme  k  notre  âme  et  qui  repose  sur  un  autre  fait  non  moins 
puissant  :  l'évidence.  Et  une  fois  la  certitude  admise,  il  n'v  a,  dam» 
notre  âme,  pas  plus  de  place  pour  le  probabilisme  que  pour  le 
scepticisme. 

335.  Critérium  de  la  certitude.  —  La  certitude  existe  :  nous 
Tavons  établi^  pap  les  faits  mômes,  que  constate  la  conscience  du 
genre  humain,  (301)  et  par  la  nature  de  la  pensée,  qui  doit  néces- 
sairement, dans  certains  cas  déterminés,  être  Texpi-ession  exacte 
d'un  fait  réel  (303,  316) . 

Mais  à  quel  signe  reconnaîti'e  la  ceiîiiude  légitime  et  comment 
la  distinguer  de  celle  qui  ne  Test  pas  ?  de  la  fausse  cei*titude  ?  Car 
il  y  a  une  fausse  certitude  (307). 

S'il  répugne  à  la  natui'e  humaine  de  ne  rien  affirmer  et  d'hésiter 
sans  cesse  dans  un  doute  universel  (300,  301)>  il  lui  convient 
cependant  parfaitement  de  savoir  douter  à  propos  et  de  ne  pas 
affirmer  sans  raison.  Il  est  donc  tout'-à-rfait  logique  de  déterminer 
le  canict^^i'e  disiinctif  de  la  vraie  coi'titude  et  d'indiquer  la  marque 


CRITERIUM  DE  LA   CERTITUDE  155 

infaillible  À  laquelle  on  peut  reconnaître,  sans  crainte  d*erreur, 
que  la  pensée  est  Texpression  exacte  du  fait  réel  auquel  la  pensée 
se  l'apporte  intentionnellement.  Cette  marque  infaillible  de  la 
vérité  de  la  pensée  est  précisément  ce  qu'on  appelle  le  critérium 
de  la  certitude. 

Pour  faire  connaître  ce  critérium^  nous  n'avons  qu'à  rappeler 
les  principes  exposés  plus  haut  (303,  306^  316;  320)  :  «  La  pensée 
qui  a  pour  cause  son  objet  intentionnel  est  nécessairement  vraie,  » 
La  pensie  se  manifeste  à  l'Ame  avec  ses  sources,  et  quand  il  est 
manifeste  que  les  sources  de  la  pensée  sont  toutes  objectivés,  la 
vérité  de  la  pensée  est  évidente,  et  cette  évidence  engendre  la 
certitude  ». 

Ainsi  le  criteriutn  de  la  certitude  c'est  Vdvidence,  C'est  l'objet 
de  la  pensée  qui  se  manifeste  à  l'àme,  et  qui  se  manifeste  coname 
cause  de  la  pensée.  Aloi*s  il  y  a  entre  la  pensée  et  son  objet  inten- 
tionnel un  rapport  d'effet  i\  cause  ;  ce  rapport  est  manifeste,  et 
par  suite  il  est  manifeste  aussi  que  la  pensée  est  logiquement 
identique  à  son  objet  :  cette  manifestation  qui  est^  l'évidence  de 
Tobjet  produit  la  certitude  dans  le  sujet,  et  la  certitude  est 
inattaquable. 

336.  Différentes  théories  sur  le  critérium  de  la  certitude. 

—  Les  auteurs  qui  ont  voulu  tour-à-tour  combattre  le  scepticisme 
n'ont  pas  tous  reconnu  le  môme  critérium  de  certitude. 

Soci*ate,  qui  combattit  pendant  quarante  ans  les  sophistes,  n'a 
pas  pris  la  peine  d'attaquer  directement  leur  scepticisme,  mais  ou 
peut  voir  dans  sa  manière  de  discuter  qu'il  reconnaissait  l'evideuce 
comme  le  critérium  de  la  certitude. 

Platon  suit  le  même  procédé,  et  quand  il  s'agit  d'établir  sa  théo- 
rîe  des  idées,  il  ne  donne  aucune  raison  des  cai*actôre6  d'immuta- 
bilité qu'il  leur  reconnaît,  sinon  que  Tâme  les  voit  ainsi. 

Aristote,  qui  raisoune  avec  tant  de  pi'ofondeur,  de  solidité  et  de 
méthode,  suppose  simplement  la  certitude  comme  uu  fait  qu'il  ne 
discute  pas;  il  oublie  ou  dédaigne  les  sceptiques,  et,  quand  il  pose 
comme  point  de  départ  les  giunds  principes  de  raison,  quand  il  en 
déduit  de  si  nombi*euses  conséquences,  quand,  d'un  autre  côté,  il 
observe,  minutieusement  pour  son  temps,  les  plantes  et  les  ani- 
maux, et  qu'il  en  décrit  les  lois,  il  ne  donne  pas  d'autre  raison  de 


156  LOGIQUE  ABSTRAITS 

la  certitade  de  ses  principes  on  de  ses  conséqaenoes  que  la  me 
qu'il  en  a.  C'est  encore  réridence. 

Durant  tout  le  mojen-Age,  on  ne  s'aperçoit  pas  que  le  seeptiett- 
me  ait  porté  grand  ombrage  à  la  Scolastique,  et  les  philoeophes  de 
cette  époque  n'ont  pas  reconnu  le  besoin  de  déterminer  nn  critériam 
de  certitude. 

Il  faut  arriver  j  usqu'à  Descartes  pour  trouver  le  doute  traité  avec 
tant  de  respect.  C'est  pour  asseoir  la  certitude  sur  des  bases 
inébranlables,  que  cepbilosophe  imagina  le  doute  méthodique, 
et  posa  comme  première  règle  de  sa  Méthode  de  n'admettre  pour 
certaines  que  les  vérités  évidentes.  Son  critérium  de  certitude  est 
donc  en  principe  celui  que  nous  venons  d'adopter.  Mais,  dans 
l'application,  il  n'en  fit  pas  tout  l'usage  qu'il  pouvait  en  faire  ; 
car,  après  avoir  affirmé  sur  l'évidence  :  Je  pense  :  donc  f  existe,  il 
aurait  pu  et  dû  ajouter:  Je  sens  les  impressions  faites  sur  mon 
corps  :  Donc  mon  corps  existe^  et  ensuite  :  Les  autres  corps  me 
causent  des  impressions:  donc  ils  existent. 

Au  lieu  d'aller  jusque  là,  il  s'arrêta  h  la  premier  de  ces  éviden- 
ce5,  et  eut  recours  à  la  véracité  de  Dieu  pour  démontrer  TexisteDce 
des  corps.  Il  réduisit  donc  lui-même,  sans  nécessité,  son  crité- 
rium de  certitude,  et  sembla  dire  que  la  certitude  ne  s'étend  pas  au 
delà  des  faits  de  conscience.  C'est  ce  que  conclurent  quelques-uns 
de  ses  disciples. 

Comme  les  épicuriens  anciens,  les  sensualités  modernes,  et  a  leur 
tête  Locke  et  Condillac,  n*admettent  pas  d*autre  certitude  que  oeile 
qui  nous  est  fournie  par  les  sens, 

Kant,  après  avoir,  par  cette  sorte  de  doute  méthodique  que  Ton 
a  appelé  le  Criticisme,  battu  en  brèche  toutes  les  données  des  sens 
ou  de  la  raison  théorique,  ne  trouve  pas  d'autre  source  de  certitude 
que  les  postulats  de  la  raison  pratique,  qui  affirme  impUdtement 
ce  qu'elle  commande  de  respecter,  et  tous  les  éléments  du  devoir. 

La  majeure  partie  des  philosophes  de  notre  tempe  s*en  tenait, 
comme  acgourd'hui  encore,  au  critérium  de  Descartes,  ou  mieux  à 
Tévidence  dans  toutes  ses  sources  et  sous  toutes  ses  formes,  lorsque 
l'abbé  de  Lamennais  vint  attaquer  la  valeur  de  la  certitude  indivi- 
duelle, et  posa  comme  critérium  unique  le  sens^ommun^  oo  le 
consentement  unanime  du  genre  humain. 


CRITERIUM    DE    LA    CER'tITUDK  157 

Toutes  ces  théories  exclusives,  qui  restreignent  le  domaine  de  la 
certitude,  sont  comme  des  branche  du  scepticisme,  et  y  conduisent 
infailliblement,  si  on  vient  à  les  embrasser.  Car  il  est  vi*ai  de  dire 
avec  Rojer-Gollard :  «  On  ne  fait  pas  au  scepticisme  sa  part; 
quand  il  pénètre  dans  Tentendement,  il  Tenvahit  tout  entier.  » 

2^  loi  théorique.  Quand  Tobjet  de  la  pensée  est  évident,  la  pen. 
sée  est  manifestement  vraie  et  le  jugement  certain. 

2^  loi  pratique.  N'affirmer  une  pensée  comme  certaine  que 
quand  Tobjet  en  est  évident,  c'est-à-dire  quand  la  vérité  de  la  pen- 
sée est  manifeste. 


LOGIQUE    DÉMONSTRATIVE 


337.  DéfiaitioB.  —  La  logique  démonstrative  est  ia  science  de 

la  communication  des  pensées. 

338.  Division.  —  Nous  étudierons  d^&bord  cette  communication 
en  elle-même,  puis  son  action  sur  celui  qui  la  reçoit  et  enfin  les 
conditions  de  son  action.  De  là  trois  chapitres. 

Chapitre  !•' 

DE  U  COMMUNICATION  DES  PENSÉES,  EN  ELLE-MÊME 


339.  Sa  nature.  «•  La  pensée  est  un  fait  de  Tâme,  c^est  une 
modification  de  Tâme,  et  comme  telle  elle  ne  peut  passer  d^une  àme 
dans  une  autre.  La  communication  des  pensées  n'est  donc  pas  une 
transmission.  Elle  n'est  pas  non  plus  une  création,  ni  le  résultat 
d'une  action  directe  d'une  Ame  sur  une  autre,  comme  l'action  de 
nos  mains  sur  un  corps  plastique  que  nous  façonnons.  Pour  com- 
muniquer une  pensée  à  une  âme  il  faut  la  faire  naître  dans  cette 
Âme.  Et,  les  mêmes  effets  devant  être  produits  par  les  mêmes  cau- 
ses, il  faut  pour  faire  naître  une  pensée  chez  un  autre,  lui  en  mani- 
fester l'objet.  Ainsi  la  communication  de  la  pensée  ne  peut  être  que 
la  manifestation  de  l'objet  de  cette  pensée. 

340.  Eléments  de  cette  communication.  —  La  pensée  que 
l'on  communique  doit  d'abord  exister  chez  celui  qui  la  communique, 
et  elle  doit  j  exister  claire,  distincte  et  exacte,  pour  qu'il  puisse  la 
communiquer  ayec  les  mêmes  qualités.  Il  faut  ensuite  prendre  un 
moyen  pour  manifester  l'objet  de  la  pensée,  et  ce  moyen  c'est  Tex- 
pression  de  la  pensée.  Cette  expression  a  besoin  aussi  d'être  claire, 
distincte  et  exacte.  Elle  se  fait  ordinairement  par  le  langage  :  elle 
doit  encore  en  suivre  toutes  les  lois.  Enfin  il  faut  ^ue  celui  à  qui  on 
veut  communiquer  sa  pensée  en  perçoive  l'expression.  ' 

U  n'est  pas  rare  de  voir  des  hommes  qui  cherchent  à  commun!- 


COMMUNKATION     1>ES      PENS-KES  15V» 

quer  des  pensées  qu'ils  n*ont  pas  ;  plas  souvent  on  exprime  mal  les 
pensées  que  l'on  a  ;  et  enfin  très-souvent  Texpression  n'est  pas  com- 
prise de  celui  qui  Técoute.  Dans  tous  ces  cas,  la  communication  n  a 
pas  lieu. 

341.  Résultats  de  runîon  de  ces  trois  élémsiits. —  Quand 
Texpression  exacte  d'une  pensée  que  Ton  possède  est  comprise  de 
celui  qui  Técoute,  il  se  forme  en  lui  une  pensée  identique  &  celle  que 
Ton  a  soi-même.  La  pensée  est  communiquée.  Mais  ce  n'est  pas 
tout. 

La  pensée  ainsi  communiquée  naît  dans  cette  seconde  Ame  avec 
toutes  ses  relations  logiques.  Elle  doit  logiquement  y  engendrer  le 
doute,  rhjpothèse,  la  probabilité  ou  la  certitude,  selon  qu'elle  se 
maniftôte  dans  les  conditions  de  ces  différentes  relations  logiques* 
C'est  en  effet  ce  que  veutThomme  qui  parle,  non  en  imposteur  mais 
en  homme.  Et  ce  résultat  doit  logiquement  se  produire,  toutes  les 
fois  que'  Tobjet  est  manifesté  tel  qu'il  est  connu  de  celui  qui  commu- 
nique sa  pensée:  car  les  mêmes  causes  produisent  les  mêmes  effets. 

Il  arrive  souvent  que  les  termes  dont  on  se  sert  pour  exprimer  sa 
pensée  ont  pour  celui  qui  écoute  un  autre  sens  que  pour  celui  qui 
parle.  Dans  ce  cas  Texpression,  même  la  plus  exacte,  ne  communi- 
que pas  la  même  pensée. 

Plus  souvent  encore  il  arrive  que  les  préjugés  ou  les  passions  de 
celui  qui  parle  et  de  celui  qui  écoute,  faussent  la  pensée  exprimée 
et  la  font  rejeter  de  ce  dernier,  tandis  que  le  premier  y  adhère  et 
l'affirme.  En  dehors  des  préjugés  et  des  passions,  le  défaut  d'atten- 
tion ou  d'aptitude^  l'insuffisance  des  connaissances  préalables,  dans 
celui  qui  écoute,  peuvent  produire  et  produisent  souvent  le  même 
effet.  Mais  dans  tous  ces  cas  on  peut  dire  que  l'expression  de  la 
pensée  n'en  manifeste  pas  l'objet. 

1'*  loi  fliéorique.  Communiquer  une  pensée  c'est  en  mani. 
fester  l'objet.  Cette  manifestation  engendre  dans  celui  qui  écoute  la 
même  pensée  avec  les  mêmes  relations  logiques  :  doute,  hypothèse, 
probabilité  ou  certitude. 

l^*  loi  prattqas.  Quand  on  veut  communiqHer  une.  pensée 
il  faut  en  manifester  l'objet  ;  et  pour  cela  il  faut  l'exprimer  exao* 
tement,  et  de  manière  qu'elle  soit  exactement  perçue  par  celui  qui 
rentcnd. 


Chapitre  II 

ACTION  DE  U  COMMUNICÂTIOM  DES  PENSÉES 


312.  AetàoB  propre*  —  Par  son  activa  propre,  la  parole  en 
manifestant  Tobjet  de  la  pensée  fait  naitre,  en  celui  qai  Tentend 
avec  les  dispositions  logiques  qu*elle  suppose,  une  pensée  semblable, 
avec  sa  valeur  loirique  :  doute,  hypothèse,  probabilité,  certitude. 

343.  Actioa  aecideatelle.  —  Mais  la  parole  produit  encore 
d*atttres  effets  qui  dépendent  des  conditions  logiques  de  celui  qui 
Tentend. 

1^  Si  celui  qui  entend  la  parole  connaît  déjà  cette  pensée,  elle  ne 
fait  que  réveiller  en  lui  et  mettre  en  acte  un  jug^^nent  habituel. 

2^  S*il  ne  la  connaît  pas,  la  parole  fait  faire  à  son  intelligence  un 
acte  nouveau  et  la  développe. 

3<*  S'il  la  comuCît  imparfaitement,  la  parole  peut  reetiâer  son 
jugement. 

4^  S*il  la  connaît  mieux,  elle  peut  produire  en  lui  un  change- 
ment funeste,  qui  le  fait  passer  de  la  vérité  à  Terreur. 

5^  S*il  est  capable  de  Tapprofondir,  elle  lui  lonmit  un  moyen  de 
produire  plusieurs  autres  pensées  nouvelles.  €*est  ainsi  que  Ten- 
fant  devient  peu  à  peu  capable  de  penser  par  lui-m^ne. 

Ainsi  la  parole  vraie  instruit,  rectifie  les  pensées,  développe  les 
facnhés  intellectuelles  ;  mais  la  parole  fausse  est  une  aorte  d*em- 
poisonnement  intellectuel  qui  blesse  à  mort  Tintelligence,  par  le 
moyen  destiné  à  la  nourrir.  Enseigner  Terreur  est  donc  toigours  un 
crime,  surtout  si  on  Tenaeigne  sciemment;  mais  c*est  un  foWait 
inqualifiable  que  d'enseigner  sciemment  Terrenrà  un  enfant,  qai,  à 
raison  de  Tétat  encore  imparfait  de  son  intelligence,  ne  peut  que 
recevoir  comme  certain  tout  ce  qui  lui  est  donné  pour  tel. 

2*  loi  Ikéorifae.  La  parole  vraie  instruit,  rectifie  les  erreurs  et 
développe  Tintelligenoe  ;  la  parole  fausse  la  tue. 

S*  loijpratiqae.  On  ne  doit  parier  que  pour  elprimer  des  pensées 
vraies;  c'est  toujours  un  erime  de  mentir;  c^est  causer  un  domaïa- 
ge  que  d'enseigner  rerreur,  même  de  bonne  foi. 


Chapitre  III 

CONDITIONS  DE  L'ACTION  DE  U  PAROLE 


344.  Division  de  ôes  conditions.  —  L^action  de  la  parole  sur 
celui  qui  Tentend  varie  avec  les  dispositions  et  les  facultés  de  celui 
qui  enseigne  et  de  celui  qui  est  enseigné. 

345.  Conditions  de  l'enseignant.  —  L^enseignement  pour 
être  fructueux  suppose  dans  celui  qui  enseigne  :  la  science,  le  talent 
d'exposition,  l'art  d'attirer  l'attention  et  de  gagner  les  cœurs. 

346.  Science.  —  La  science  de  celui  qui  enseigne  doit  être  une 
connaissance  raisonnée,  profonde,  claire,  et  vraie  de  ce  qu'il  ensei- 
gne. Car  le  maître  enseigne  rarement  tout  ce  qu'il  sait,  et  jamais 
plus  qu'il  ne  sait. 

347.  Talent  d'exposition.  —  Le  maitx^e  a  besoin  de  savoir 
exposer  ées  connaissances^ comme  il  les  possède,  et  de  plus,  confor- 
mément aux  dispositions  préalables  de  son  élève.  Son  exposition 
doit  être  faite  avec  méthode.  Il  n'est  pas  toujours  nécessaire  que 
cette  méthode  soit  identique  à  la  méthode  de  création  de  la  science, 
mais  elle  doit  être  toujours  Tordre  logique  de  Tenseigement  de  cette 
science.  L'expérience  démontre  que  la  synthèse  est  plus  à  la  portée 
des  enfants  que  l'analyse.  Ce  n'est  qu'après  avoir  acquis  un  certain 
développement  d'intelligence  qu'ils  peuvent  suivre  utilement  cette 
dernière  marche,  et  c'est  pour  cela  que  l'enseignement  traditionnel 
a  consacré  Tusage  de  commencer  l'instruction  par  l'étude  des  lan- 
gues, qui  sans  exiger  d'eux  la  perfection  des  facultés  analytiques 
les  développe  sans  efforts. 

348.  Art  d'attirer  F  attention  et  de  gagner  les  cœurs.  •>— 

L'attention  de  l'élève  à  l'exposition  d'une  doctrine  et  Tabsence 
d'opposition  de  ses  passions  sont  logiquement  nécessaires  pour  qu'il 
puisse  la  percevoir  avec  vérité.  Or  l'élève  fournira  plus  ou  moins 
ces  deux  conditions  selon  que  le  maître  saura  plus  ou  moins  les 
faire  naître  en  lui. 

349.  Conditions  de  l'enseigné.  Le  disciple  de  son  côté  a  be- 
soin d'apporter  à  l'enseignement  du  maître  des  facultés  et  des  dis- 
positions logiquement  nécessaires. 


162  LOGIQUE  DÉMONSTRATIVE 

350.  Intelligence.  La  première  condition  du  disciple  est  nue 
intelligence  suffisamment  ouverte.  Ce  qu*on  appelle^  en  ce  sens  in- 
telligence c'est  la  faculté  d'informer  son  Âme  d'un  fait  perçn,  soit 
en  lui-môme>  soit  exprimé  par  la  parole.  C'est,  en  dernière  analy- 
se, la  faculté  de  faire  les  abstractions  qu'exige  une  pensée.  Donc 
plus  les  abstractions  qui  constituent  une  pensée  sont  nombreuses 
et  diverses,  plus  elle  exige  d'intelligence. 

351.  Connaissances  préalables.  —  L'expression  d'une  p^H 
sôe  suppose  toigours  dans  celui  qui  l'entend  certaines  connaissance! 
préalables  :  idées,  jugements,  raisonnements,  méthode  et  suriont 
langage.  Ce  sont  tout  autant  d'habitudes  ou  dispositions  de  l'int^ 
gence,  sans  lesquelles  rame  de  l'élève  ne  saurait  saisir  Texpressioa 
de  la  pensée  du  maître. 

352.  Attention.  —  L'expression .  de  la  pensée  du  maiti>e  ne 
peut  pénétrer  dans  l'Ame  de  l'élève  et  y  produire  une  pensée  sem- 
blable qu'à  la  condition  que  celui-ci  y  donne  une  attention  conve- 
nable et  suffisamment  soutenue. 

353.  Dispositions  du  cœur.  —  Enfin  l'amour  du  vrai,  do 
beau  et  du  bien,  et  surtout  la  bonne  foi,  dans  l'élève,  sont  encùte 
des  conditions  sans  lesquelles  l'expression  de  la  pensée  ne  fendt 
naître  en  lui  qu'un  jugement  erroné. 

3®  loi  théorique.  La  communication  des  pensées  ne  produit  ses 
fruits  qu'à  la  condition  de  rencontrer  :  dans  celui  qui  parle  :  scien- 
ce, talent  d'exposition  et  art  d'attirer  l'attention  et  de  gagner  les 
cœurs  ;  dans  celui  qui  écoute  :  intelligence,  connaissances  préala- 
bles, attention  et  dispositions  du  cœur. 

3«  loi  pratique.  Quand  on  veut  communiquer  des  pensées  on 
doit  remplir  ces  conditions. 


MÉTAPHYSIQUE 


gMralités 


I.  —  FONDEMENTS  DE  U  METAPHYSIQUE 


1.  Double  connaissance  :  a  priori  a  posteriori. —  Nous 
avons  reconnu,  en  logique,  que  nos  connaissances  ont  une  double 
origine.  Les  idées  que  nousavonssoninécessairesou  contingentes,  in. 
nées  ou  acquises.  Il  est  donc  des  vérités  que  nous  connaissons  avant 
de  les  avoir  expérimentées  ;  elles  constituent  ce  qu'on  appelle  la 
connaissance  a  priori.  Il  est  d'autres  vérités  que  nous  ne  pouvons 
afSnner  qu^aprôs  en  avoir  constaté  l'existence  réelle,  par  la  percep- 
tion.; c'est  la  connaissance  a  posteriori. 

Ces  deux  connaissances  sont-elles  également  certaines? 

2.  Certitude  de  ces  deux  connaissances.  —  L'une  et 
l'autre  manière  de  connaître  est  une  information  de  l'Âme.  Cette 
information  doit  avoir  une  cause.  Or  nous  avons  vu  en  logique, 
qa*une  information  ne  peut  être  fournie  que  par  son  objet,  à  moins 
que  l'âme  ne  la  possède  naturellement  ;  auquel  cas  la  cause  en  est 
dans  la  cause  de  l'Ame  elle-même,  et  cette  cause  doit  renfermer 
l'objet  de  l'information. 

Ainsi  on  peut  dire  en  un  seul  mot  que  toute  information  est 
produite  par  son  objet. 

Donc,  les  idées  premières  qui  sont  le  point  de  départ  de  la  con- 
naissance a  priori  expriment  des  réalités  aussi  bien  que  les  idées 
acquises  par  l'expérience. 

Mais,  dans  le  travail  de  la  pensée,  nous  ne  nous  en  tenons  paa 
aux  idées  premières.  De  môme  que  nous  combinons  souvent  nos 
idées  acquises,  et  que  nous  nous  créons  ainsi  des  idées  nouvelles 


164  MÉTAPHYSIQUE 

dont  nous  n'avons  jamais  vu  la  réalité,  dans  l'ensemble;  de  môme, 
nous  combinons  nos  idées  premières  a  priori,  et  nous  nous  créons 
ainsi  des  idées  nouvelles  dont  Tensemble  ne  nous  est  pas  fourni  par 
ces  dispositions  innées  qui  sont  nos  idées  nécessaires. 

Or,  comme  les  combinaisons  que  nous  faisons  de  nos  idées  acqui- 
ses n'offrent  plus  de  certitude,  mais  seulement  des  hypothèses,  de 
môme,  les  combinaisons  que  nous  faisons  de  nos  connaissances 
premières  a  priori  peuvent  ne  pas  exprimer  la  réalité  et  ne  sont 
que  des  hypothèses. 

3.  Objet  premier  de  la  connaissance  a  priori.  —  Toutes 
nos  idées  nécessaires,  qup  l'on  appelle  aussi  idées  rationnelles, 
se  résument  en  dernière  analyse  dans  l'idée  à' être. 

Seule  l'idée  d'être  se  présente  à  nous  comme  une  aflSrmation,  et 
d'ailleurs  comme  il  n'est  pas  possible  de  la  réduire  pour  en  chercha 
l'origine  dans  une  autre  idée  plus  simple,  qui  serait  avant  elle,Hl 
faut  qu'elle  exprime  une  réalité  ;  car  sans  cela  elle  n'aurait  pas 
de  cause.  L'idée  d'être,  en  général,  est  donc  une  idée  réelle,  affir- 
mative, et  elle  est  la  première  de  nos  connaissances  a  priori. 

A  côté  de  cette  idée  première,  nous  en  voyons  plusieurs  autres 
que  l'on  ne  peut  pas  réduire  non  plus,  ou  du  moins  que  l'on  ne 
peut  pas  réduire  entièrement.  Ces  idées  sont:  l'idefiiité , daxis 
laquelle  nous  voyons  le  nécessaire;  la  convenance,  dans  laquelle 
nous  voyons  le  possible;  et  enfin  la  contradiction^  dans  laquelle 
nous  voyons  l'impossible. 

L'impossible  ne  peut  pas  être  ;  la  possibilité  n'affîrme  rien  sans 
l'expérience,  et  ne  donne  par  conséquent  pas  de  connaissance  pro- 
prement dite.  Il  ne  nous  reste  donc,  comme  fondement  de  nos 
connaissances  a  priori,  que  la  nécessite,  à  côtéde  l'idée  d'être. 

C'est  donc  le  nécessaire  qui  seul  peut  nous  servir  à  former 
une  science  a  priori. 

Mais  il  y  a  plusieurs  nécessaires. 

4.  Nécessaire  absolu.  —  Si,  partant  de  l'idée  de  Véire  en 
général,  que  nous  connaissons  à  priori,  nous  voyons  avec  éviden- 
ce qu'il  a  nécessairement  telle  ou  telle  qualité,  nous  apercevons  le 
nécessaire  absolu.  L'ôtre  quel  qu'il  soit,  et  en  quelque  condition 
qu'il  se  trouve  et  par  conséquent  en  dehors  de  toute  hypothèse 


FONDEMENTS  DS  LÀ  MÉTAPHYSIQUE        105 

a  nécessairement  ces  qualités  que  nous  appelons  alors  ses  attri- 
buts. C'est  ce  que  signifie  le  mot  absolu, 

5.  Nécessaire  relatif.  —  Si,  au  contraire,  nous  voyons  avec 
évidence  que  telle  qualité  doit  être  nécessairement  dans  iéï  être 
mais  seulement  parce  qu'il  est  tel,  ou  dans  telle  condition,  c'est  • 
le  nécessaire  relatif. 

6.  Nécessaire  réel.  —  Si  l'être  dans  lequel  nous  voyons  un 
attribut,  une  qualité  nécessaire,  est  un  être  réel,  le  nécessaire  que 
nous  affirmons  en  lui  est  réel  aussi. 

7.  Nécessaire  hypothétique.  —  Si  l'être  dans  lequel  nous 
voyons  une  qualité  néccessaire  est  une  simple  conception,  dont 
nous  n'avons  pas  vérifié  la  réalité,  en  un  mot  si  c'est  une  hypo- 
thèse, le  nécessaire  que  nous  y  voyons  est  un  nécessaire  hypo- 
thétique. 

è.  Nécessaire  concret.  —  Le  fait  nécessaire,  tel  qu'il  est 
en  lui-même,  porte  sa  nécessité  avec  lui.  Cette  nécessité  ne  fait 
qu'un  avec  le  fait  lui-môme  ;  elle  en  est  inséparable  ;  elle  lui  est 
concrète.  Et  quand  nous  disons  :  oc  la  nécessité  de  ce  fait  )>,  nous 
faisons  une  abstraction.  Ce  fait  a  sa  raison  d'être  dans  ses  élé- 
ments; et  une  fois  ses  éléments  posés,  il  ne  peut  pas  ne  pas  être. 
Tracez  trois  lignes  droites,  qui  se  coupent  deux  par  deux  :  vous 
aurez  nécessairement  un  triangle.  Cette  nécessité  existe  d'une 
manière  concrète  avec  les  trois  lignes  qui  se  coupent.  C'est  là  le 
nécessaire  concret. 

9.  Nécessaire  abstrait.  —  Mais  nous,  qui  ne  voyons  pas 
l'être  en  lui-même,  ni  le  fait  en  lui-même,  nous  ne  voyons  pas 
non  plus  le  fait  nécessaire,  mais  seulement  la  nécessité  du  fait. 
C'est  une  vue  abstraite  du  nécessaire  ;  c'est  le  nécessaire  abstrait. 
Pour  voir  la  nécessité  d'un  fait,  nous  avons  besoin  de  considérer 
ce  fait  en  dehors  de  son  existence  réelle,  et  seulement  dans  notre 
conception.  Ainsi,  dans  notre  conception,  la  diagonale  du  carré 
est  à  l'un  de  ses  côtés  comme  la  racine  carrée  de  2  est  &  le 
C'est  nécessaire;  mais  c'est  abstrait.  Dans  la  réalité,  on  peut 
dire  que  nous  n'avons  jamais  vu  une  diagonale  qui  remplit  exac- 
tement ces  conditions  ;  et  d'ailleurs  l'eussions-nous  vue;  oe  n'est 
pas  cette  vue  réelle  qui  nous  l'aurait  montrée  comme  nécessaire. 


160  MÉTAPHTBIQUB 

10.  Notre  tuo  du  aéeessaire.  —  Nons  connaissoiis  dose 
le  nécessaire  ;  mais  d*abord  nous  ne  le  voyons  pas  concret.  !>• 
plus,  comme  ce  n'est  qu*&  priori  que  nons  vojons  le  nécessaire,  si 
nous  pouvons  voir  le  nécessaire  absolu,  ce  ne  peut  être  que  Téire 
en  général  ;  car  la  vue  des  êtres  particuliers  ne  nous  est  pas  don- 
née à  priori.  Enfin  et  pour  la  même  raison,  si  nons  vojons  le 
nécessaire  réel,  ce  ne  peut  être  aussi  que  pour  Fêtre  en  générai, 
car,  à  priori,  les  êtres  particuliers  ne  nous  sont  connus  que  par 
hypothèse  ;  nous  ne  pouvons  donc  j  voir  le  nécessaire  que  d'une 
manière  hypothétique. 

11.  Nos  connaisseoces  â  priori.  —  Les  connaissances  que 
nous  trouvons  dans  notre  propre  fonds,  en  dehors  de  rexpérien. 
ce  (  mais  non  avant  toute  expérience^  comme  nous  le  verrons  en 
psychologie  )  se  l'ésument  donc  ainsi  :  1^  L*idée  abstraite  et  génér 
raie,  mais  affirmative  et  certaine  de  l'être.  2^  Le  nécessaire, 
absolu  et  réel,  mais  abstrait,  de  l'être  en  général.  3^  Le  néces- 
saire^ toujours  abstrait,  et  déplus  relatif  et  hypothétique  de  tous 
les  êtres  que  nous  concevons  à  priori.  Telles  sont  les  connais- 
sances dont  Tensemble  constitue  la  métaphysique. 

12.  Application  des  oonnaiesances  a  priori  aux  êtres 
connus  par  Texpérience.  —  Mais  si  la  connaissance  a  priori 
livrée  à  elle-même,  ne  voit  que  le  nécessaire  abstrait^  relatif  et 
hypothétique,  il  est  vrai  d'ajouter  que  cette  nécessité  est  réelle 
et  concrète  dans  les  êtres  où  se  vérifie  Fhypothèse,  et  que  nous 
pouvons  affirmer  comme  existant  certainement  dans  les  êtres 
tout  ce  que  nous  voyons  de  nécessaire  dans  nos  conceptions, 
dès  que  Texpérience  nous  a  fait  constater  dans  ces  êtres  les 
éléments  de  nos  conceptions.  Ainsi  :  tout  ce  que  nous  concevons 
comme  nécesssaire  dans  Têtre  en  général,  doit  se  trouver  et  se 
trouve  en  effet  nécessairement  dans  tous  les  êtres  réels  ;  ce  que 
nous  concevons  comme  nécessaire  dans  tel  être,  conçu  tel  par 
hypothèse,  se  trouve  nécessairement  dans  tout  être  réel  qui  est 
en  effet  dans  les  conditions  de  Thypothèse.  Telle  est  la  valeur, 
l'utilité  et  Timportance  des  connaissances  à  priori. 

Ainsi  :  sachant  d'une  connaissance  nécessaire,  mais  abstraite  et 
hypothétique^  que  tout  effet  suppose  une  cause,  que  toute  modifi- 
cation suppose  une  substance,  nous  affirmons  eans  crainte  d'erreur: 


FONDEMENTS  DE  LA  MÉTAPHYSIQUE  107 

que  tel  effet  réel  a  une  cause  réelle,  et  souvent  nous  déterminons 
cette  cause  ;  que  telle  substance  est  là  parce  que  nous  en  voyons 
les  modifications  ;  enfin  qu'il  existe  une  cause  première,  un  être 
nécessaire,  parce  que  nous  voyons  des  êtres  contingenta. 
Tels  sont  les  fruits  de  la  métaphysique. 

II.  ■-  OBJET  ET  DÉFINITION  DE  LA  MÉTAPHYSIQUE 


13.  Objet  de  la  métaphysique.  —  La  connaissance  a  priori 
qui  prend  le  nom  de  métaphysique,  livrée  à  elle-même,  et  privée  du 
concours  de  l'expérience^  a  pour  domaine  exclusif  le  nécessaire  abs- 
trait relatif  et  hypothétique.  Quand  elle  raisonne  sur  l'être  en 
général,  elle  ne  le  voit  que  dans  une  abstraction  et  tout  ce  qu'elle 
y  conclut  est  abstrait,  et  si  elle  s'élève  à  l'étude  de  l'être  parfait, 
de  l'être  nécessaire  qui  est  Dieu,  elle  a  besoin  du  secours  de  l'expé- 
rience pour  l'afiirmer  comme  réel.  C'est  ce  que  nous  verrons  mieux 
dans  le  cours  de  ee  traité,  et  surtout  dans  la  Théodicée. 

14.  Variations  de  l'objet  de  la  métaphysique.  —  La  pre- 
mière fois  que  le  mot  m^taphysiqvs  a  été  employé,  c'est  dans  les 
•ouvrages  d'Aristote.  Après  avoir  écrit  les  six  livres  qui  composent 
sa  logique,  et  qu'il  considérait  comme  l'instrument  de  la  science, 

puisqu'il  l'appelait  opyavov,  Aristote  écrivit  douze  livres  sur  la 
philosophie  première,  sur  la  science  des  principes.  On  raconte 
qu'Andronicus  de  Rhodes  qui  publia  les  œuvres  d'Aristote,  ayant 
trouvé  ces  douze  livres  sans  titre,  et  les  ayant  placés  après  ceux 
qui  traitent  de  la  physique,  les  fit  précéder  de  ce  titre  :  Tûv  \kvzk 
Ta  çuauà  ptêXta  SwSexa,  comme  pour  dire  :  Douze  livres  de  théo- 
ries qui  viennent  après  la  physique.  On  peut  admettre  aussi,  en 
supposant  la  vérité  de  cette  narration,  qu'Andronicus  voulait  dire  : 
Douze  livres  sur  des  matières  qui  dépassent  la  physique.  On  pense 
que  c'est  de  là  que  nous  avons  tiré  le  mot  métaphysique» 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  origine  du  mot,  Aristote  dans  ces  douze 
livres  fait  des  considérations  ajîn  on  sur  la  science  et  sur  les  êtres  ; 
il  étudie  surtout  les  principes  des  êtres,  et  en  indique  quatre: 


168  MÉTAPHYSIQUE 

TeFseiice,  la  matière,  la  cause  motrice  et  la  fin.  C*est  ce  qo'oai 
appelle  en  d'autres  termes  :  la  cause  formelle,  la  cause  matéiielk, 
la  cause  efficiente  et  la  cause  finale. 

Avant  lui,  Platon  avait  traité  plusieurs  de  ces  questions,  mais  il 
ne  les  avait  pas  rangées  en  corps  de  doctrine. 

Pendant  le  règne  de  la  Scolastique,  la  métaphysique  commença 
à  prendre  une  place  importante  dans  la  philosophie.  On  y  traitait 
d'ahord  de  l'être  en  général,  puis  de  Dieu,  de  l'âme,  et  enfio  de 
quelques  considérations  a  priori  sur  le  monde. 

Descartes,  sous  le  titre  de  méditations  sur  la  philosophie  pre^ 
mière,  que  Ton  peut  appeler  méditations  métaphysiques,  fait  entre: 
sa  théorie  du  doute  méthodique  et  des  premières  connaissances  cer- 
taines. 

Après  lui,  le  mot  métaphysique  prit  dans  TEcole  un  sens  noo- 
veau  et  désigna  la  connaissance  rationnelle  de  l'Ame  et  de  Dieu. 

Au  18'  siècle,  l'école  de  CondiUac  désigna  sous  le  nom  de  méta- 
physique les  théories  de  Torigine  des  idées. 

Aujourd'hui  ce  mot  change  de  sens  presque  avec  chaque  auteor 
et  on  a  imprimé  dans  notre  siècle  des  traités  de  mét^hysique  qui 
s'occupent  respectivement  de  chacun  des  objets  que  l'on  a  donnés  k 
cette  science  dans  le  cours  des  Ages, 

15.  Définition  de  la  métaphysique.  —  Quant  à  nous,  consi- 
dérant :  qu'il  faut  &  la  philosophie  une  branche  qui  traite  de$ 
connaissances  a  priori  et  en  montre  les  développements  ;  que  cet 
ordre  des  connaissances  a  toujours  été  appelé  métaphysique,  tout^ 
les  fois  qu'on  Ta  traité;  et  enfin  que  toutes  les  autres  questions  que 
l'on  a  tour-à-tour  fait  entrer  dans  la  métaphysique  sont  traitées  dans 
les  autres  branches  de  la  philosophie  :  nous  appelerons  métaphy- 
sique la  science  qui  se  fait  a  priori,  sur  les  données  de  la  raison,  en 
dehors  de  l'expérience,  et  avec  le  seul  secours  du  raisonnement,  et 
nous  dirons,  pour  la  définir  : 

La  métaphysique  est  la  science  des  lois  nécessaires  des 

ETivES  • 

Le  sens  de  chacun  des  mots  de  cette  définition  sç  trouve  expli- 
qué et  déterminé  par  les  considérations  qui  précèdent. 


III.— IMPORTANCE  ET  NÉCESSITÉ  DE  U  MÉTAPHYSIQUE 


16.  Double  loi  de  notre  ooiuiaiMMioe.  —  Nous  avons  tu 
plusieurs  fois  déj&que  nos  connaissances  sont  en  partie  nécessaires, 
en  partie  contingentes.  L'expé^rience  nous  fournit  par  des  observa- 
tions répétées  la  connaissance  des  modifications  des  êtres  réels  que 
nous  pouvons  observer  ;  mais  elle  ne  nous  dit  rien  de  leurs  substan- 
ces ni  de  léUrs  causes,  ni  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  caché  à  nos  sens 
dans  les  êtres  contingents,  encore  moins  de  ce  qui  est  au  delà  du 
contingent.  Seule  la  connaissance  a  priori  nous  fait  connaître  le 
nécessaire. 

17.  InsaflBsance  de  Texpérieiice,  pour  la  science. —  L'ex- 
périence seule  ne  nous  fait  voir  que  le  particulier  variable,  et,  par 
suite,  incertain.  L'expérience  seule  ne  peut  donc  pas  engendrer  la 
science  ;  car  la  science  ne  peut  avoir  pour  objet  que  l'universel,  le 
constant,  le  certain.  Pour  connaître  d'une  manière  certaine  l'uni- 
versel, le  constant,  il  faut  donc  s'aider  de  la  connaissance  a  priori^ 
qui  nous  fait  voir  le  nécessaire.  Nous  avons  vu  qu'il  y  a  des 
sciences  de  déduction,  où  les  conséquences  se  tirent  des  principes, 
par  une  vue  nécessaire.  Mais  ces  principes,  il  faut  les  connaître.  Il 
faut  donc  les  étudier  a  priori.  Bien  plus  les  sciences  d'observation 
et  d'induction  elles-mêmes,  ne  se  développent  pas  sans  le  secours  de 
certaines  notions  que  nous  ne  voyons  qu'à  priori,  et  sans  lesquelles 
nous  ne  pourrions  jamais  nous  élever  des  effets  aux  causes,  des 
phénomènes  aux  lois*. 

18.  Nécessité  d'une  science  a  priori.  —  Il  est  donc  non 
seulement  de  la  plus  haute  importance,  mais  encore  d'une  nécessité 
indispensable  d'étudier  préalablement  nos  connaissances  à  priori, 
pour  nous  en  servir  à  propos  dans  toutes  les  autres  sciences.  C'est 
dire  que  la  métaphysique  est  l'instrument  nécessaire  de  toutes  les 
sciences. 


IV.  —  MÉTHODE  ET  DIVISION  DE  U  HÉTÂPHTSIQUB 


19.  Méthode  à  suivre.  —  Il  résulte  de  tout  ce  qui  précède 
que  la  métaphysique  est  une  science  de  déduction.  C'est  donc  par 
la  méthode  synthétique  qu'elle  doit  procéder. 

Poser  comme  point  de  départ  la  première  de  nos  idées  néces- 
saires ;  y  joindre  successivement  toutes  les  autres  idées  qui  en 
découlent,  et  reconnaître  comme  acquis  à  la  métaphysique  tout  ce 
que  nous  pourrons  y  démontrer.  Telle  est  la  méthode  à  suivre. 

20.  Dmeion.  —  Ou  divise  le  plus  souvent  la  métaphysique  en 
générale  et  spéciale.  La  première  appelée  aussi  Ontologie^  com- 
prend tout  ce  que  nous  voyons  nécessairement  dans  l'être  en 
général.  La  deuxième  comprend  le  plus  souvent  la  Théodicée  ou 
science  de  Dieu,  la  Psychologie  rationnelle  et  la  Cosmologie  méta- 
physique. 

Nous  rejetterons  la  Théodicée  et  la  Psychologie  dans  des  traités 
à  part,  où  nous  étudierons  l'âme  par  la  méthode  analytique  et  Dieu 
par  le  doubleemploi:  de  l'induction,  pourétablir  sonexistence,  etde 
la  déduction,  pour  reconnaître  ses  attributs. 

La  Cosmologie  métaphysique  aurait  trop  peu  d'étendue  pour  en 
faire  un  traité  à  part^  et  d'ailleurs  elle  entre  naturellement  dans 
l'Ontologie.  Notre  métaphysique  se  bornera  donc  à  l'Ontologie  que 
nous  diviserons  cependant  en  générale  et  spéciale. 

Dans  la  première  partie  nous  traiterons  de  l'être  en  général  ; 
dans  la  deuxième  des  différents  êtres  au  point  de  vue  ontologique, 
c'est-à-dire,  de  l'être  nécessaire  et  de  l'être  contingent. 


PREMIÈRE  PARTIE  DE  LA  MÉTAPHYSIQUE 


ONTOLOGIE  GÉNÉRALE 


21.  Définition.  —  L'ontologie  (ovto<;,  Xi^oc)  est  la  science 
nécessaire  de  l'être. 

L'Ontologie  générale  considère  Tôtre  en  général. 

22.  DiTÎsion.  —  Nous  traiterons  en  cinq  chapitres  :  1^  Tétre  en 
général,  2^  les  différents  degrés  de  l'être,  3*  les  propriétés  méta- 
physiques de  Têtre,  4®  les  relations  des  êtres,  5*»  les  lois  des  êtres. 


Chapitre  !•' 


y       ■ 


DE  L'STRE  EN  GENERAL 


23.  Idée  de  Fètre.  —  Nous  avons  l'idée  de  Têtre.  Dire  ce  que 
c'est  que  l'objet  de  cette  idée,  nous  ne  saurions  le  faire.  Cette  idée 
est  la  plus  simple  de  toutes  :  il  n*est  donc  pas  possible  de  la  définir. 
Expliquer  ce  que  nous  entendons  par  être  n'est  pas  plus  facile. 
Nous  parlons  de  l'être  toutes  les  fois  que  nous  parlons  ;  nous 
voyons,  nous  touchons,  nous  sentons  l'être  ;  nous  pensons,  nous 
aimons,  nous  voulons  l'être.  Dans  toute  proposition,  le  siget  désigne 
un  être  ;  l'attribut  désigne  une  manière  d'être  du  sujet  :  c'est  en- 
core  l'être;  le  verbe  exprime  l'existence  du  fait,  l'être  du  fait  tout 
entier,  l'être  du  siget  dans  l'attribut  et  de  l'attribut  dans  le  si\jet. 
Le  verbe  exprime,  sous  sa  forme  la* plus  générale,  cette  idée  de 
l'être  que  nous  appliquons  à  tout,  dans  laquelle  nous  concevons 
tout.  Il  j  a  plus  :  nous  sommes  tellement  pénétrés  de  l'idée  de 
l'être,  que  nous  nommons,  comme  nous  nommerions  un  être,  le  non* 
être  lui-même,  le  néant.  Ce  n'est  pas  &  dire  que  nous  ne  les  distin- 


172  MÉTAPHYSIQUE 

galons  ^as.  Mais  la  pensée,  la  parole,  sont  si  bien  faites  pour  Yètre 
que,  pour  nommer  et  môme  pour  concevoir  la  négation  de  Fêtpe, 
nous  sommes  dans  la  nécessité  de  lui  prêter  la  forme  de  Yéire. 
Nous  verrons  en  psychologie,  la  raison  de  cette  condition  de  notre 
intelligence. 

Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  ici,  avec  les  scolastiques  que  le  terme 
être  n'est  pas  xinivoque  (univocus,  O|au>vu[i.0;>  à  tous  les  êtres;  mais 
qu'il  leur  est  seulement  équivoque,  {œquivocus*  Tcapuvuuo^)-  C'est-à-dire 
que  nous  désignons  par  le  même  mo  ,  tout  ce  qui  est,  tout  ce  qui 
existe,  sans  vouloir  faire  entendre  par  là  que  leur  être,  soit  le  même.  Car 
nous  verrons  plus  loin  que  l'être  de  l'accident  n'est  pas  le  même  que 
l'être  de  la  substance,  et  que  l'être  de  la  substance  contingente,  de  l'être 
contingent,  n'est  pas  l'être  de  l'être  nécessaire. 

^'est  dans  ce  sens  et  pour  mieux  faire  ressortir  la  non-identité 
de  l'être  nécessaire  et  des  êtres  contingentS|  que  Gioberti  posa  comme 
formule  première  de  toute  connaissance,  de  toutes  nos  idées,  ce  juge- 
ment primitif,  qu'il  croit  pouvoir  déclarer  intuitif  et  premier  connu: 
«  L'être  crée  les  existences  {VEnie  créa  le  esistenze)  ».  Il  reproche  à 
Descartes  surtout  d'avoir  confondu  l'être  et  l'existence,  et  d'avoir  em- 
ployé plusieurs  fois,  dans  le  même  sens  les  deux  mots  à  la  fois  :  «  je 
suis  ou  j'existe  ».  Nous  n'entendons  ici  ni  admettre  ni  rejeter  les  idées 
de  Gioberti,  mais  nous  voulons  faire  remarquer  l'importance  qu'il  atta* 
che  à  bien  distinguer  la  diversité  de  Têtre,  diversité  telle  que,  conmiB 
l'avaient  très-bien  vu  les  scolastiques,  l'être  nécessaire  ne  constitue 
pas  un  même  genre  avec  les  êtres  contingents. 

—  Nous  distinguons  très-bien  l'être  substance,  l'être  modification  et 
l'être  verbe.  Mais  dans  l'idée  de  l'être  en  général   ces  trois  formes  se 
trouvent  confondues,  et  c'est  précisément  sous  cette  conception  com- 
mune à  l'être  sujet  et  à  l'être  verbe  que  nous    voulons  considérer  ici 
ridée  d'être.  Or  il  est  à  remarquer  que  la  langue  française  se  prête  plus 
facilement  que  d'autres  à  cette  conception  ;  car  elle  exprime  par  le  même 
mot  ce  double  ou  triple  point  de  vue  de  l'être,  au  lieu  que  dans  les 
autres  langues  il  y  a  souvent  un  mot  pour  le  substantif  et  un  mot  pour 
le  verbe.  En  latin,  dans  la  langue  philosophique  moderne,  on  dit  :  ens 
et  esse  ;  on  disait,  en  grec  :  t6  ov  et  eîvai  :  en  italien,  on  dit  :  ente  e^ 
essere  ;  en  espagnl,  on  dit  :   ser  pour  les  deux,  mais  en  revanche,  on 
distingue,  par  les  mots  ser  et  estar,  l'existence  essentielle  et  l'existence 
accidentelle  ;  en  anglais,  on  dit  :  being  ou  entity  eito  be;  en  allemand 
ou  wesen,  pour  les  deux  sens. 


DE  l'Être  en  général  173 

24.  Prineipes  de  l'être.  -  On  peut  toiyours  faire  sur  un  être 
les  quatre  questions  suivantes  :  Comment  ?  de  quoi  ?  par  quoi  ?  pour 
quoi  est-il  ?  C'est  précisément  ainsi  qu'Aristote  résolvait  la  ques- 
tion en  réduisant  les  principes  des  êtres  à  quatre  :  la  cause  for- 
melle, la  cause  matérielle,  la  ca>ise  efficiente  et  la  cause  finale. 

Ces  quatres  questions  que  l'on  peut  faire  sur  chaque  être  pris  en 
particulier,  on  peut  bien  les  faire  sur  l'être  en  général,  mais  les 
réponses  sont  alors  nécessairement  générales,  et  de  plus  eUes  se 
réduisent  à  trois. 

Le  comment  ?  la  forme,  de  l'être  en  général,  c'est  de  qu'on 
appelle  l'essence  de  l'ôtre. 

Le  de  quoi?  la  matière  de  l'ôtre  en  général,  n'est  plus  la  matiè- 
re et  s'appelle  les  éléments  de  l'être. 

Le  ^T  quoi  i  et  le  poxvr  quoi  i  de  l'être  en  général  se  résument 
dans  ce  qu  on  appelle  la  raison  suffisante  de  l'être. 

Essence,  éléments  et  raison  suffisante  sont  donc  les  trois  nrii.r.i. 
pes  de  l'ôtre  en  général.  ^ 

25.  Essence.  —  Le  mot  essence  est  formé  du  verbe  latin  esàe 
comme  patience  est  formé  de  pati  et  comme  différence  et  con 
naissance  sont  formés  des  verbes  français  différer  et  connaître 

Ainsx,  comme  la  patience  de  quelqu'un  est  le  pâtir  de  ce  quel 
qu'un,  la  forme  et  la  mesure  de  son  souffrir,  comme  la  connais 
sance  est  le  connaître,  la  forme  et  la  mesure  de  ce  connaître  ainsi 
lesseDoe  d'un  être  estl'^^re,  le  esse,  decetôtre,  la  forme  et  la  m«„ 
re  de  son  esse,  "*wu 

L'essence  de  l'ôtre  c'est  ce  en  quoi  il  consiste.  Mais  le  mot  essence 
désigne  cette  forme  de  l'êti^.  ce  quod  quid  est,  comme  d^ 
les  scolastiques,  dans  un  sens  si  absolu,  que  cet  être  ne  peut  être 
conçu  avec  une  autre  essence,  à  moins  qu'U  ne  cesse  d'ôt^  ce  qu'il 
e^t  Changer  l'essence  d'un  être  ce  semt  changer  l'être  lui-même 
C  e^à-dxre  que,  dans  l'essence  d'un  être,  nous  concevons  ZZ 
tout  ce  qu'il  est.  mais  ce  sans  quoi  U  ne  serait  plus  le  môme 
L  essence  est  donc  nécessaire  à  chaque  être,  et  eUe  lui  est'prepre 
C  est  par  son  essence  que  chaque  être  se  distingue  de  tout  a^re' 
comme  disUnction  première.  Ainsi  :  le  triangle  Vparllt' 
une  figure  de  trois  angles;  un  cerole  est.  ^J e^nllZZS. 
plwie  limitée  par  une  circonférence.  sanace 


174  MÉTAPHYSIQUE 

26.  Essence  abstraite  et  essence  concrète.  —  Quand  nous 
concevons  l'essence  d'un  être  c'est  toujours  Tessence  abstraite  : 
d*abord  parce  que^  pour  concevoir  Tessence,  nous  sommes  obligés  de 
faire  abstraction  de  ce  qui  Tindividualise,  et  qu'ainsi  nous  ne 
voyons  Tessence  d'un  être  que  sous  une  forme  de  genre  ou  d'espôce  : 
ensuite  et  surtout  parce  que  notre  connaissance  ne  porte  jamais  sur 
Tôtre  intime  des  choses,  mais  seulement  sur  ce  qtte  elles  sont,  ou 
qt^  elles  sont  ainsi. 

Cependant,  nous  comprenons  trôs-bien  que,  dans  Tétre  lui-même, 
Tessencû  est  quelque  chose  qui  ne  fait  qu'un  avec  lui,  qui  est  sa 
réalité  et  la  forme  de  cette  réalité  ;  c*est  ce  que  nous  appelons  Tes- 
sence  concrète,  sans  pouvoir  pénétrer  plus  avant. 

27.  Essence  avant  Fétre  et  essence  dans  Fétre.  —  L'es- 
sence, sous  sa  conception  abstraite  nous  apparaît  comme  une  forme 
immuable  et  éternelle,  qui  par  conséquent  précède  l'être,  toutes  les 
fois  que  cette  essence  n'est  pas  l'être  pur  et  simple.  C'est  ainsi  que 
nous  concevons  l'essence  avant  l'être.  Mais  dès  que  l'être  existe, 
cette  même  essence  se  trouve  réalisée  en  lui  :  c'^st  alors  l'essence 
dans  l'être. 

L'essence  dans  l'être  est  une  réalité  ;  l'essence  avant  l'être  est 
une  pure  possibilité^  au  moins  pour  toute  autre  essence  que  celle  de 
l'être  absolu. 

28.  Déterminations  de  Fessence.  —  Il  résulte  de  la  notion 
même  de  l'essence  que  tout  être  a  son  essence  déterminée.  Ce  qni 
détermine  une  essence  est  ou  positif  ou  négatif.  En  effet  une  essence 
est  ce  qu'elle  est,  et  se  distingue  de  toute  autre,  par  ce  'qu'elle  con* 
tient  et  par  les  limites  de  ce  qu'elle  contient.  Ainsi  : 

Les  déterminations  de  l'essence  sont  positives  ou  négatives. 

Tout  ce  qu'U  y  a  de  réalités  dans  un  être  constitue  les  détermi- 
nations positives  de  son  essence. 

Les  limites  des  réalités  d'un  être  sont  les  déterminations  néga- 
tives de  son  essence. 

Ainsi,  dans  l'essence  du  cercle,  les  déterminations  positives  sont 
la  surface  plane,  et  les  déterminations  négatives  sont  la  circonfé- 
rence qui  limite  cette  surfa^^e  ;  quoique  l'on  puisse  trouver  déjà 
bien  des  limites  dans  l'idée  de  surface  plane.  Les  termes  qui  com- 


DE    L*ÊTRE   EN   GÉNÉRAL  175 

posent  les  langues  humaines  ne  sont  pas  toigours  de  nature  à 
mettre  exactement  à  part  les  réalités  et  les  limites  d*une  essence  ; 
mais  il  n*en  est  pas  moins  vrai  que  toute  essence  est  ainsi  déter* 
minée. 

29.  Développement  de  ressenee.  —  Quand  nous  détermi- 
nons Tessence  d*un  être,  nous  ne  faisons  pas  entrer  dans  ses  déter- 
minations tout  ce  que  nous  pouvons  concevoir  de  cet  être,  ni  tout 
ce  qu*il  a  et  tout  ce  qull  est.  Au  contraire  nous  considérons  comme 
essence  de  Tôtre  ce  sans  quoi  il  nous  serait  impossible  de  le  conce- 
voir tel  qu'il  est. 

Il  nous  reste  donc  la  possibilité  de  détailler  ensuite  davantage 
la  notion  de  cet  être,  et  c'est  ce  que  nous  appelons  le  développement 
de  Tessence.  Ce  développement  n'est  donc  autre  chose  que  le  déve- 
loppement de  la  connaissance  que  nous  prenons  de  cet  être. 

Nous  arrivons  à  ce  développement  par  deux  principes  : 

1^  L'essence  suppose  en  elle  tout  ce  qui  lui  est  logiquement 
identique,  tout  ce  qui  lui  est  nécessairement  lié. 

2^  L'essence,  qui  répugne  à  tout  ce  qui  lui  est  opposé,  peut 
admettre  en  elle  tout  ce  qui  n'est  pas  la  négation  de  ce  qu'elle 
renferme. 

Par  ces  deux  principes  nous  arrivons  à  un  double  développement 
de  l'essence  :  le  premier  d'une  manière  nécessaire  et  à  priori;  le 
second,  par  simple  possibilité,  à  priori,,  ou  par  l'expérience,  à 
posteriori. 

Par  le  premier  principe  nous  déduisons  de  l'essence  les  attributs; 
par  le  second  nous  concevons  dans  cette  essence  les  modes  qu'elle 
peut  avoir,  et  nous  observons  l'être  pour  les  j  découvrir. 

30.  Attributs.  ~-  Tout  ce  qui  est  logiquement  identique  à  une 
essence,  tout  ce  qui  est  nécessairement  compris  dans  une  essence 
donnée  doit  se  trouver  uni  à  cette  essence.  C'est  là  ce  que  nous 
appelons  les  attributs. 

Les  attributs  d'un  être  sont  des  caractères  que  nous  concluons 
nécessairement  de  son  essence. 

C'est  ainsi  qu'en  géométrie  nous  concluons  toutes  les  propriétés 
des  triangles  de  l'essence  môme  du  triangle.  C'est  ainsi  que  la  tri- 
gonométrie tout  entière  est  déduite  de  Tessence  du  cercla  et  des 


176  MÉTAPHYSIQUE 

lignes  que  l'on  peut  y  tracer.  C'est  ainsi  enfin  qu'en  Théodicée  nous 
affirmerons  nécessairement,  en  partant  de  son  essence,  tous  les 
attributs  de  Dieu. 

Comme  les  déterminations  de  Tessence,  les  attributs  peuvent 
être  positîfs  ou  négatifs.  Les  attributs  de  Tôtre  absolu  sont  tous 
positifs,  mais  les  attributs  des  ôtres  contingents  et  limités  sont 
plutôt  négatifs  que  positifs.  Car  étant  donné  une  essence  limitée,  il 
nous  est  plus  facile  de  voir  nécessairement  ce  qu'elle  ne  peut  pas 
avoir  que  ce  qu'elle  doit  avoir. 

31  Modes.  —  Tous  les  caractères  que  possède  un  être,  mais 
qui  ne  lui  sont  pas  nécessaires,  sont  appelés  modes.  Les  modes 
sont  un  développement  de  Tessence,  en  ce  sens  qu'ils  ne  peuvent 
exister  dans  un  être  qu'autant  qu'ils  conviennent  à  sou  essence. 

Comme  ils  ne  sont  pas  nécessaires,  ils  ne  peuvent  être  connus  à 
priori  ;  il  faut  les  observer  dans  l'être  réel,  pour  pouvoir  les  affir- 
mer. 

On  distingue  les  modes  constants  et  les  modes  variables.  Les  pre- 
miers persistent  dans  l'être  et  on  les  j  trouve  toujours;  les  autres 
n'y  sont  que  dans  certaines  conditions  et  n'y  demeurent  pas. 

Les  modes  constants  sont  communs  ou  propres.  C'est  ainsi  que 
nos  corps  se  renouvellent  sans  cesse  par  la  nutrition  et  gardent 
cependant,  toujours  et  tout  â  la  fois,  la  forme  commune  des  corps 
humains,  et  la  forme  particulière  qui  distingue  tel  homme  de  tel 
autre. 

32.  Nature.  —  L'ensemble  de  l'essence,  des  attributs  et  des 
modes  constants  d'un  être  constitue  ce  qu'on  appelle  la  nature  de 
cet  être. 

On  peut  ainsi  distinguer  la  nature  commune  et  la  nature  propre. 
Mais  il  est  à  remarquer  que  le  mot  nature  se  dit  ordinairement  do 
la  nature  commune,  et  qu'en  ce  sens  elle  n'enferme,  avec  l'essence 
et  les  attributs,  que  les  modes  constants  communs. 

Ainsi  la  nature  de  l'homme,  embrasse  avec  l'Âme  raisonnable  et 
le  corps  animé ^  qui  sont  son  essence,  et  avec  lesfaèultôs  physiques 
et  morales  qui  sont  ses  attributs  les  formes  communes  du  corps 
humain,  mais  non  pas  telle  nuance  particulière  telle  disposition 
propre  dans  les  formes  des  corps.  Cependant   on  dit  très-bien  en 


DE  l'ètrb  en  Général  1T7 

parlant  du  tempérament,  ou  des  formes  propres  d'on  homme  : 
((  c'est  sa  nature  )>.  Il  s'agit  alors  de  la  nature  propre  de  cet 
homme  et  non  de  la  nature  commune  à  tous  les  hommes. 

Ainsi  à  la  question  a  quid  id  est  f  qu*est  ce  que  cela  ?  x^  on  répond 
d'abord  par  la  détermination  de  Tessence  de  cet  être.  Mais  la  ré- 
ponse complète  doit  se  faire  par  la  détermination  de  sa  nature. 
C'est  toujours  le  comment  ?  dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et  le 
comment  dans  son  sens  le  plus  large  et  le  plus  étendu. 

33.  Eléments.  —  Après  la  question  quidl  quoi  ?  ou  comment? 
on  peut  faire  sur  un  être  la  question  ex  quihus  ?  de  quoi  ?  On  répond 
alors  par  la  désignation  de  la  matière  qui  a  servi  à  former  cet  être. 
Mais  tous  les  êtres  ne  sont  pas  faits  d'une  matière  préalablement 
existante.  Aussi  à  la  question  de  quoi  ^  il  y  a  une  réponse  plus 
générale  qui  est  la  désignation  des  éléments  de  l'être. 

Les  éléments  peuvent  préexister  ou  ne  pas  préexister  &  l'être, 
mais  il  sont  toujours  conçus  comme  préalables  à  cet  être.  Ils  pré- 
cèdent l'être  d'une  priorité  de  raison,  quand  ils  ne  le  précèdent  paa 
d'une  priorité  d'existence.  Ils  sont  ce  qu'ils  sont  avant  que  l'être 
dont  ils  sont  les  éléments  soit  ce  qu'il  est,  au  moins  par  concep- 
tion. 

Un  être  peut  n'avoir  qu'un  seul  élément  ;  dans  ce  cas,  l'être  est 
s  i  mple  et  son  élément,  c'est  lui-môme.  Un  être  peut  avoir  plusieurs 
éléments,  et  alors  il  est  composé  ou  complexe.  Ses  éléments  sont 
alors  d'autres  êtres  que  lui-même  quoique  souvent  ils  soient  insé- 
parables :  car  souvent  les  éléments  d'un  être  ne  peuvent  être  con- 
çus que  par  une  abstraction  et  ne  pourraient  exister  séparés.  C'est 
précisément  ce  qui  distingue  le  complexe  du  composé.  Dans  l'être 
composé,  les  éléments  sont  séparaliles  et  s'ajoutent  les  uns  aux 
autres  ;  dans  l'être  complexe,  les  éléments  sont  inséparables  et  les 
uns  sont  les  modiâcations  des  autres. 

Dans  le  sens  absolu  du  mot  «  simple  »,  il  n'y  a  que  l'être  absolu, 
qui  est  Dieu,  qui  soit  simple.  Tous  les  autres  êtres  sont  composés  ou 
complexes.  C'est  pour  cela  que  l'on  emploie  ordinairement  le  mot 
«  simple  »  par  opposition  au  mot  «  composé  ».  En  sorte  que  l'on 
appelle  simple  un  être  complexe  qui  n'est  pas  en  môme  temps  com- 
posé.  En  ce  sens  l'âme  est  un  être  simple,  quoique  complexe,  car 

12 


178  MÉTAPHYSIQUE 

elle  n*6St  pas  composée.  Les  corps  an  contraire  sont  tout  à  la  fois 
composés  et  complexes. 

On  peut  Yoir,  après  ce  qui  précède,  qu^il  est  difficile  de  donner,  des 
éléments,  une  définition  qui  corresponde  à  l'idée  que  nous  avons  en 
vue  ici.  En  effet,  dans  le  sens  ordinaire  du  mot,  on  ne  parle  des  élé- 
ments d'un  être,  que  lorsqu'un  être  en  a  plusieurs,  et  même  lors- 
qu'il est  composé.  Mais,  lorsque,  en  disant  a  les  éléments  des  êtres  », 
nous  avons  en  vue,  avec  les  composants  d'un  être  composé,  non  seu- 
lement les  êtres  abstraits  qui  s'unissent  pour  former  un  être  com- 
plexe, mais  encore  ce  quelque  chose  d'unique  et  d'indivisible  qui 
constitue  l'être  simple,  il  n'est  plus  possible  de  donner  cette  défi- 
nition. 

Si  donc  nous  voulons  donner  une  définition  qui  corresponde  à 
cette  idée  que  nous  voulons  définir,  et  telle  que  nous  la  conce- 
vons, nous  serons  obligé  de  nous  tenir  dans  le  vague,  de  nous  servir 
d'un  pronom  et  de  dire  : 

Les  éléments  sont  ce  dont  un  ôtre.est  formé,  ou  constitué,  Nous 
dirions  mieux  en  latin  :  Elementa  vocamus  entis  ea  ex  quihus 
est. 

34.  Substance  et  modification.  —  L'idée  d'être  complexe,  et, 
par  conséquent,  l'idée  d'être  modifié,  fait  naître  les  idées  de  *tt^«- 
tance  et  de  modifications.  Car,  si,  dans  un  ^tre  complexe,  il  j  a 
des  éléments  qui  en  modifient  d'autres,  il  y  a  des  éléments  qui 
sont  les  modifications  des  autres.  II  y  a  donc  des  éléments  qui  sont 
modifiés  :  ce  sont  ceux  que  nous  appelons  la  substance  ;  il  y  en  a 
d'autres-  qui  modifient  cette  substance  :  ce  sont  ceux  que  nous 
appelons  les  modifications. 

Ainsi  nous  distinguons  deux  modes  d'être  :  l'être  substance,  qui 
est  en  lui-même  ce  qu'il  est  ;  et  l'être  modification,  qui  e&t  dans  un 
autre,  qui  est  la  modification  d'un  autre  être. 

C'est  ce  que  les  scolastiques  distinguaient  par  les  mots  su^stan-- 
tia  et  accidens. 

Le  mode  d'être  de  la  substance  était  appelé  subsistentia. 

On  définissait  la  substance  :  Ens  per  se  subststens,  ou  Ens  in 
se  :  l'accident  ;  Ens  in  alio. 

Remarque  logique.  —  Aristote  et  les  scolastiques  disaient  que  la 
substance  est  cognoscible  per  se,  au  lieu  que  l'accident  ne  peut  être 


DE    l'être  en  aÉNÉRAL  179 

connu  qu'avec  la  substance  et  en  quelque  sorte  par  la  substance.  Ils 
n'entendaient  pas  par  là  que  nous  connaissions  en  effet  la  substance 
avant  les  accidents  et  sans  les  accidents,  ni  que  nous  connaissions  les 
accidents  par  la  substance  ;  ils  parlaient  seulement  d'une  cognoscibilité 
rationnelle  et  métaphysique.  C'est-à-dire,  que  la  substance  étant  avant 
les  accidents  d'une  priorité  de  raison,  puisque  les  accidents  ne  sont 
que  quelque  chose  de  la  substance,  il  s'ensuit  qu'elle  est  rationnelle- 
ment i!objet  de  la  connaissance  avant  les  accidents. 

£n  fait  nous  percevons  d'abord  les  accidents,  et  c'est  par  leur  per- 
ception que  nous  concevons  et  affirmons  la  substance  qu'ils  modifient. 
Mais  il  reste  parfaitement  vrai  de  dire  que  la  substance  est  le  premier 
connu,  puisque,  sans  la  percevoir,  nous  l'affirmons  à  la  vue  des  accidents 
que  nous  percevons,  et  que  c'est  par  une  idée  innée  que  nous  la  conce- 
vons. {Logique,  119, 120). 

35.  Raison  suflBsante.  L'essence  d'un  ôtre,  en  elle-niéme,  ou 
plutôt  dans  son  abstraction,  même  avec  tout  le  développement 
d'attributs  et  de  modes  dont  elle  est  capable,  n'est  pas  encore  l'ôti^, 
tant  qu'elle  n'est  pas  réalisée. 

Or  pour  qu'une  essence  soit  Réalisée,  soit  mise  en  acte  {in  aetu)^ 
il  faut  une  puissance,  une  force  capable  de  la  réaliser  :  c'est  ce 
qn'on  appelle  la  cause  efficiente.  Il  faut  plus  encore,  il  faut  que 
cette  force  agisse  pour  la  réaliser,  il  faut  donc  que  cette  force  soit 
déterminée  à  agir.  Or  pour  déterminer  cette  force  à  agir,  il  faut 
quelque  chose  qui  la  détermine  :  c'est  ce  qu'on  appelle  la  catise 
finale. 

Or  si  nous  considérons  la  cause  efficiente,  dans  l'acte  môme  de  sa 

détermination  par  la  cause  finale,  dans  l'acte  même  par  lequel  elle 

réalise  cette  essence,  nous  j  verrons  toute  la  raison  d'être  de  cette 

essence  réalisée.  Nous  l'appelerons  donc  la  raison  suffisante.  C'est 

Leibnitz  qui  le  premier  a  employé  ce  mot,  dans  un  sens  légèrement 

différent  de  celui  que  nous  adoptons  ici  et  que  nous  venons    de 

déterminer. 

La  raison  suffisante  d'un  être  est  donc  comme  la  source  de  cet 

être.  Elle  est  appelée  suffisante,  parce  qu'elle  suffit  à  expliquer 

l'existence  de  cet  être,  ou  mieux,  parce  qu'elle  suffit  à  faire  exister 

cet  être. 

La  raison  suffisante  embrasse  tout  à  la  fois  la  cause  efficiente  et 

la  cause  finale  de  l'être,  avec  cette  différence  pourtant,  que,  dans 


180  MÉTAPHYSIQUE 

le  langage  de  la  philosophie  classique,  la  caase  est  tonjoars  an  être 
distinct  de  son  effet  ;  tandis  que  la  raison  suffisante  peut  être  im- 
manante  dans  Tôtre  dont  elle  explique  l'existence  ;  elle  peut  être  cet 
être  môme. 

Rien  n'est  sans  une  raison  suffisante.  Nihil  est  sine  ratione 
sufficienti.  C'est  un  principe  absolu  et  affirmé  directement  par  la 
raison,  qui  le  voit  dans  cet  autre  principe  :  ce  qui  est  est,  ou, 
mieux  encore,  dans  l'idée  d'être.  Car  dire  d'un  être  qu'il  n^a  pas 
de  raison  d'être,  dans  le  sens  absolu  du  mot,  c'est  dire  qu'il  n'est 
pas.  Si  donc  il  est,  il  est  par  une  raison  suffisante  de  son  être. 

36.  Haison  suffisante  intrinsèque  ou  extrinsèque.  —  La 

raison  suffisante  d'un  être  peut  se  trouver  dans  cet  être  lui-même 
ou  en  dehors  de  lui.  Elle  est  donc  intrinsèque  ou  extrinsèque. 
C'est  la  raison  suffisante  extrinsèque  que  l'on  appelle  cause. 

L'être  qui  a  sa  raison  suffisante  en  lui-même  est  à  lui-même  sa 
raison  suffisante  ;  il  existe  par  lui-même  :  il  est  a  se. 

L'être  qui  a  sa  raison  suffisante  dans  un  autre  être  a  une  cause, 
et  il  n'existe  que  par  cette  cause  ;  il  est  ab  alio. 

De  là  encore  deux  modes  d'être  :  l'être  a  se  et  l'être  ah  alto. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  cette  distinction  ne  porte  que  sur 
l'origine  de  ces  deux  modes  d'être.  En  portant  sur  leur  origine,  elle 
porte  sur  tout  leur  être,  et  être  ah  alio  n'est  jamais  le  même  mode 
d'être  que  être  a  se.  L'être  a  se  est  l'être  proprement  dit,  qui  se 
suffit  à  lui-même,  qui  est  par  ce  qu'il  est  ;  l'être  ab  alio  n'est  qu'un 
être  perpétuellement  emprunté,  perpétuellement  reçu  et  qui  ne 
subsiste  qu'autant  que  dure  sa  cause,  qu'autant  que  sa  cause  le 
fait  être. 

C'est  cette  distinction  profonde,  cette  différence  essentielle  dans  l'être, 
que  Gioberti  voulait  faire  ressortir  et  ne  pas  laisser  oublier,  quand  il  a 
essayé  de  poser  comme  formule  première  :  «  L'être  crée  les  existences  t. 
Malheureusement  le  reste  de  son  système  n'est  pas  aussi  vrai  que  cette 
distinction  et  de  plus  cette  distinction  elle-même,  n'est  pas  précisément 
le  premier  connu,  le  premier  jugement,  comme  il  l'aurait  voulu.  De  pins 
cette  distinction  profonde  n'était  pas  dans  le  langage  de  la  philosophie 
classique  :  les  mots  être  et  eœiêtence  se  distinguaient  déjà  à  un  autre 
point  de  vue,  comme  nous  le  verrons  bientôt,  et  il  n*a  pas  réussi  à  faire 
passer  son  sens. 


DB<}RËS  d'être  ou  ENTITÉ  DE  L^ÈTRE  181 

Si  maintenant  nous  comparons  ces  deux  modes  d'être,  a  se  et  àb 
aHOf  avec  les  deux  que  nous  avons  constatés  précédemment,  subs- 
tance et  accident,  nous  trouvons  que  Tôtre  a  se  ne  peut  être  que 
substance  ;  car  Taccldent,  qui  n*est  que  Tétre  d'un  autre,  ens  in 
alto,  ne  saurait  renfermer  en  lui  la  raison  suffisante  de  son  exis- 
tence. Mais  on  conçoit  que  Têtre  ab  alio  soit  ou  substance  ou  acci- 
dent, car  l'être  qui  reçoit  Texistence  peut  la  recevoir  en  lui-môme 
ou  dans  un  autre. 

Chapitre  2"»' 

DEGRÉS  D'ÊTRE  OU  ENTITÉ  DE  L'ÊTRE 


38.  Entité.  —  Tout  ce  que  nous  appelons  être  ne  participe  pas 
au  même  degré  à  Têtre.  On  appelle  entité  les  divers  degrés  de 
participation  &  l'être. 

39.  Dmsîon  de  Fentité.  -^  Il  y  a  des  [êtres  ^qui  ne  sont  que 
de  nom«  et  parce  que  nous  les  considérons  comme  pouvant  être  ; 
il  j  en  a  qui  sont  réellement;  il  j  en  a  qui  non  seulement  sont  réels, 
mais  qui  pr<:)duisent  encore  d'autres  réalités.  De  là  la  première 
division  de  Tentitô. 

L'entité  d'un  être  est  de  trois  sortes  :  la  possibilité^  l'existence 
et  l'acte. 

Les  mélanges  de  ces  trois  entités  en  produisent  d'autres  encore 
que  nous  examinerons  aussi. 

40.  Possibilité. —  Déânir  la  possibilité  en  général  est  presque 
aussiimpossible  que  de  définir  l'être.  Quand  nous  aurons  dit  :  a  Tôtre 
possible  c'est  ce  qui  peut  être»,  aurons-nous  donné  une  défini- 
tion? Non.  Aurons-nous  même  éclairci  l'idée  d*être  possible,  en 
en  disant  :  c'est  tout  ce  qui  peut-être  ?  Pas  davantage.  Car  l'idée 
exprimée  par  le  verbe  peut  est  précisément  celle  qu'il  s'agirait 
d'expliquer  ou  de  définir  dans  l'idée  du  possible,  et  nous  ne 
pouvons    que   la  rendre  par  un  mot  équivalent. 

Mais  cette  définition  n'est  pas  nécessaire.  Nous  avons  l'idée  dû 
possible  aussi  bien  que  l'idée  de  l'être.  Et  quand  nous  voyons  un  être 
qui  commence  à  exister  nous  concevons  nécessairement  qu'avant 
d'exister  il  était  possible. 


182  MÉTAPRTSIQUB 

La  possibilité  est-elle  an  degré  de  l'être?  Pas  précisément  ;piii8 
que  ce  qui  est  possible  n*est  pas.  Mais  c'est  comme  nne  conditioe 
indispensable  à  l'être  qui  n'est  pas  toujours,  k  l'être  qui  commence. 
C'est  en  ce  sens  seulement  que  Ton  place  la  possibilité  parmi  les 
degrés  de  l'être. 

L'opposé  de  la  possibilité  c'est  Timpossibilité.  Et,  comme  Tim- 
possible  ne  sera  jamais,  tandis  que  le  possible  sera  ou  ne  sera  pas  ; 
iljr  a  une  grande  différence  entre  le  possible  et  l'impossible,  et  on 
peut  dire  que  le  possible,  quoique  n'existant  pas,  est  plus  près  de 
l'être  que  Timpossible.  Donc  encore,  à  ce  point  de  vue,  on  peat  con- 
sidérer la  possibilité  comme  un  degré  de  l'être. 

41.  Distinctions  de  la  possibilité.  —  On  distingue  1^:  la 
possibilité  interne  et  la  possibilité  externe. 

La  possibilité  interne  n'est  autre  chose  qu'une  relation  de  conve- 
nance entre  les  divers  éléments  d'une  essence  conçue.  Cette  relation 
nous  la  concevons  d'une  manière  abstraite  et  a  priori.  Mais  elle  est 
fondée  sur  l'essence  même  et  la  nature  des  éléments  que  nous  sup- 
posons entrer  dans  un  être.  Cette  relation  de  convenance  est  réelle 
entre  les  éléments'de  l'être  réel  ;  elle  j  est  de  plus  nécessaire,  d'une 
nécessité  relative  :  c'est  pour  cela  que  nous  la  concevons  a  priori. 

Ainsi,  toute  combinaison  d'éléments  qui  n'enferme  pas  de  cou* 
tradiction,  constitue  une  essence  possible,  et  devient  par  la-même 
un  êti*e  possible. 

La  possibilité  externe  est,  comme  le  mot  le  dit,  hors  de  l'être 
possible.  C'est  une  force  capable  de  réaliser  l'essence  qui  constitue 
l'être  possible. 

On  distingue  2f*  :  la  possibilité  métaphysique,  physique,  logique  et 
morale. 

Chacune  de  ces  quatre  possibilités  est  une  relation  de  convenance 
entre  les  éléments  d'une  essence,  ou  l'essence  elle-même,  et  les  lois 
métaphysiques,  physiques,  logiques  et  morales. 

Un  être  est  possible  métaphysiquement,  quand  les  lois  nécessai- 
res de  l'être  ne  s'opposent  pas  à  sa  réalisation  ;  c'est-à-dire,  quand 
il  n'y  a  pas  de  contradiction  entre  les  éléments  de  son  essence.  C'est 
la  même  chose  que  la  possibilité  interne, 

La  possibilité  métaphysique  est  la  mesure  exacte  de  la  possilÂlité 


DEGRÉS  d'ÈTRB  OU  ENTITÉ  DE  L'ÊTRE  183 

externe  absolue,  qui  se  trouve  en  Dieu.  C'est  la  mesure  de  la  puis- 
sance de  Dieu. 

L*impossibiIité  métaphysique  qui  apparaît  au  premier  abord 
comme  une  limite  à  la  puissance  de  Dieu,  n*est  pas  une  limite  de 
puissance  ;  car  ce  qui  est  métaphysiquement  impossible  n'est  pas 
un  être,  et  par  suite  ne  peut  être  Tobjet  d*aucune  puissance.  Par 
exemple  :  un  cercle  carré. 

Un  être  est  possible  physiquement,  quand  les  lois  physiques,  les 
lois  naturelles  des  êtres  réels,  corps  et  Âmes,  ne  s'opposent  pas  & 
sa  réalisation. 

La  possibilité  physique  est  la  mesure  de  la  puissance  des 
êtres  créés. 

Un  être  est  possible  logiquement  ou  moralement,  quand  les  lois 
logiques  ou  morales  ne  s'opposent  pas  à  sa  réalisation .  L*être  qui  ne 
saurait  être  dans  Terreur,  ni  mentir,  ni  mal  faire,  est  incapable  de 
produire  ce  qui  est  logiquement  ou  moralement  impossible.  Mais 
rhomme,  sujet  à  l'erreur  et  au  mal,  s*écarte  souvent  des  lois  de  ces 
«  deux  ordres  de  possibilité. 

L*acte  illogique  ou  immoral  est  métaphysiquement  impossible 
pour  l'être  parfait,  tandis  qu'il  est  quelquefois^  physiquement  et 
toujours  métaphysiquement  possible  pour  un  être  imparfait.  C'est 
ainsi  que  la  possibilité  métaphysique  est  la  mesure  de  la  puis- 
sance de  Dieu,  et  que  la  possibilité  physique  est  la  mesure -de  la 
puissance  des  êtres  créés. 

42.  EzUtenco.  —  Le  second  degré  de  l'être  c'est  l'existence', 
au  sens  que  nous  avons  exposé  plus  haut;  car  au  sens  réel,  l'exis- 
tence est  le  premier  degré. 

L'existence  est  la  réalisation  de  l'être  possible.  C'est  là  le  sens 
propre  du  mot.  Car  le  mot  est  destiné  surtout  &  désigner  l'état  de 
Têtre  réel  par  opposition  à  Tétat  de  Têtre  possible.  Il  semble  donc 
que  ce  mot  ne  devrait  s*appliquer  qu'aux  êtres  qui  ont  passé  de  la 
possibilité  à  la  réalité.  Cependant  on  dit  :  Dieu  existe.  Or  Dieu  n'a 
jamais  été  possible,  et  il  n'a  pas  passé  de  la  possibilité  à  la  réalité. 
Il  est.  Mais  d'abord  cette  parole  est  née  de  la  négation  de  Dieu  ou 
au  moins  du  doute  ;  car  ceux  qui  doutent  conçoivent  Dieu  comme 
possible,  et  quand  on  leur  démontre  qu'il  est,  il  semble  qu'on  les 


184  MÉTAPHTSIQUB 

fait  passer  de  la  coniiaissance  de  Dieu  possible  à  la  oonnaissanoe  de 
Dieu  existant. 

D*ailleurs  le  mot  existence  n*est  pas  toi^ours  employé  avec  cette 
rigueur  métaphysique,  et  le  plus  souvent  il  désigne  simplement  Fétie 
réel.  En  ce  sens,  exister  c'est  être.  L'existence  est  plus  que  la  possi- 
bilité et  n'est  pas  encore  l'acte. 

Cependant  les  scolastiques  appelaient  ce  degré  d'être  «  l'acte 
premier  «  (actus  primus)  et  ils  appelaient  l'acte  «  acte  second  > 
(actus  secundus). 

Tout  être  existe  par  lui-même  ou  par  un  autre.  De  là  la  distînc» 
tion  de  l'existence  a  se  ou  ab  alio. 

L'être  qui  existe  par  lui-même,  a  dans  son  essence  même  la  raîscn 
suffisante  de  son  existence.  C*estdire  qu'il  est  de  son  essence  d'exis- 
ter. C'est  dire  qu'il  existe  nécessairement.  Au  contraire  l'ôire  qui 
n'existe  pas  par  lui-même^  doit  attendre  d'um  autre  son  existence  : 
il  pourrait  donc  ne  pas  exister  :  il  est  contingent.  De  là  encore  la 
distinction  de  Vexistence  nécessaire  et  de  l'existence  contingente; 
ou  mieux  de  Têtre  nécessaire  et  de  Texistence  continj;ente.  Cette 
distinction  correspond  exactement  à  la  première  et  ne  [s'en  distin- 
gue que  par  le  point  de  vue.  L'être  a  se  est  nécessaire  ;  l'être  ab 
alio  est  contingent. 

De  plus,  la  distinction  que  nous  avons  faite  plus  haut  (34)  de  la 
substance  et  de  la  modification  nous  fait  distinguer  deux  autres 
modes  d'existence  ;  l'existence  substantive  et  l'existence  acciden- 
telle. 

Cette  distinction  ne  tombe  que  sur  l'existence  contingente,  car  il 
est  impossible  que  l'existence  nécessaire  ne  soit  qu'accidentelle.  Ce 
qui  existe  nécessairement  et  par  la  force  de  son  essence  ne  saurait 
éti^  une  simple* modification. 

L'existence  a  donc  trois  modes  : 

Existence  i   à  se  on  nécessaire. 

r   ab  alio  ou  contingente,  l   substantive. 

)   accidentelle. 

43.  Acte.  —  L'acte  est  le  plus  haut  degré  de  l'être.  Il  consiste 
dans  l'opération.  Il  suppose  l'existence  et  la  renferme.  C'est  l'acte 
second  des  scolastiques. 


DBORÉs  d'ètrb  ou  bntité  db  l'êtrb  185 

Considéré  dans  sa  nature,  Tacte  est  physique,  logique  ou  moral, 
Physique,  il  produit  une  réalité,  un  être  physique;  logique  il  pro- 
duit un  être  logique,  la  Vérité;  moral,  il  produit  un  être  moral,  le 
bien. 

Considéré  dans  son  mode  d'être,  Tacte  est  substantif  et  néces- 
saire, ou  bien  accidentel  et  contingent. 

Nous  aurons  Toccasion  de  démontrer  plus  loin  que  l'acte  subsis- 
tant et  nécessaire  n'appartient  qu'à  Dieu,  dont  l'existence  même 
est  un  acte  subsistant  et  nécessaire,  et  que  Saint  Thomas  appelle 
pour  cette  raison  acte  pur.  aDeus  est  actus  ^n^.»  L'acte  accî- 
d^tel  et  contingent  appartient  aux  êtres  créés.  Il  n^t  pas  la 
substance  de  ces  êtres  et  il  n'est  pas  nécessaire,  car  ces^êtres  n'agis- 
sent pas  toigours  de  la  même  manière.  Il  n'est  donc  qu'une  modiâ- 
cation  contingente  de  leur  substance. 

44 .  Mélange  des  trois  degrés.  —  L'existence  unie  à  la  pos' 
sibtlité  d'une  autre  existence  modifiée  constitue  la  passivité ^  ou 
la  possibilité  d'être  changé  :  c'est  la  puissance  passive.  C'est  la 
matière  d'une  œuvre  quelconque. 

L'existence' unie  à  la  possibilité  de  l'acte  constitue  le  pouvoir 
ou  la  puissance  active.  C'est  le  pouvoir  d'agir.  Le  pouvoir  d'agir 
forcément,  tel  qu'il  se  trouve  dans  tous  les  corps,  s'appelle  pro- 
priété.  Le  pouvoir  d'agir  par  une  détermination  intérieure,  tel 
qu'il  se  trouve  dans  les  animaux^  a  reçu  le  nom  de  fonction,  et  ce 
même  pouvoir,  libre,  tel  qu'il  est  dans  l'homme,  s'appelle  faculté. 
Et,  quand  lafaculté  a  reçu  une  disposition  qui  détermine  d'avance 
la  manière  dont  elle  fera  son  acte,  si  elle  le  fait,  ce  développement 
de  la  faculté  s'appelle  habitude^ 

L'existence  unie  à  un  a^te  accidentel  qui  la  mène-  à  une  autre 
existence  constitue  la  tendance  ou  le  mouvement.  Le  terme  du 
mouvement  s'appelle  fin.  Le  mouvement  est  physique^  logique  ou 
moral. 


45.  AppUcation  de  .'ces  principes]  abstraits  aux  êtres 
réels.  —  Tous  les  principes  que  nous  venons  d'exposer  sont  des 
lois  nécessaires  de  l'être  en  général,  et  elles  sont  toutes  la  consé- 
quence nécessaire  de  la  notion  même  de  l'être  telle  que  nous  la  con» 
cevons  tous  nécessairement.  Ainsi  les  lois  métaphysiques,  bien  que 


186  MÉTAPHYSIQUE 

connues  par  noas  sous  une  forme  abstraite,  régissent,  nooa  en 
sommes  absolument  certains,  les  êtres  réels.  Aussi  nous  pouTons 
déduire  les  corollaires  suivants. 

1*'  COROLLAIRE. —  Tout  être  réel  a  une  essence  déterminée  (28). 
Les  déterminations  de  l'essence  d'un  être  ne  peuvent  être  toutes 
négatives  :  ce  serait  le  néant.  Elles  peuvent  être  en  partie  positi- 
ves, en  partie  négatives  :  l'être  est  alors  limité.  Enûn  elles  peuvent 
être  toutes  positives,  et  alors  l'être,  n'ayant  pas  de  limites,  est  in- 
uni. 

2*  COROLLAIRE.  —  Tout  être  réel  qui  a  telle  essence  déterminée 
possède  en  même  temps  tous  les  attributs  de  cette  esaenoe.  (30). 
Mais  il  peut  n'avoir  par  tous  les  modes  de  sa  nature  (31,  32)  ;  dans 
ce  cas  c'est  un  monstre  ou  un  prodige. 

3*  COROLLAIRE.  —  La  nature  d'un  être  réel  est  variable  dans 
ses  modes,  absolument  parlant  ;  bien  que  ces  modes  soient  constants, 
en  réalité.  Le  miracle  est  un  changement  dans  les  modes  cons- 
tants éCun  être.  Le  changement  des  autres  m^des  dépend  des 
hommes;  le  changement  des  attributs  est  impossible  même,  à 
Dieu. 

4«  COROLLAIRE.  —  Une  modification  réelle  ne  peut  exister  sans 
la  substance  dont  elle  est  la  modification.  Mais  bien  que  telle  mo- 
dification se  produise  constamment  dans  telle  substance  par  Taction 
de  telle  autre  substance,  rien  n'empêche  qu'elle  n'y  soit  produite 
extraordinairement  par  l'action  immédiate  du  Créateur. 

5*  COROLLAIRE.  —  Tout  être  réel  a  sa  raison  suffisante  ou  en  lui- 
même  ou  dans  un  autre  être  (36). 

6*  COROLLAIRE.  —  Touto  concoption  métaphjsiquement  impos- 
sible est  absolument  irréalisable,  môme  par  une  puissance  infinie. 
Ce  qui  est  physiquement  impossible,  est  possible  à  celui  dont  les 
forces  surpassent  celles  de  la  nature.  Quand  un  être  est  physique- 
ment possible,  mais  logiquementfou  moralement  impossible,  il  peut 
être  réalisé  par  un  être  imparfait  comme  l'homme,  mais  il  ne  peut 
l'être  par  un  être  parfait  tel  que  nous  concevons  Dieu.  Si  donc 
nous  voyons  se  produire  un  acte  mauvais  en  dehors  des  lois  physi- 
ques, nous  devons  conclure,  qu'il  n'est  produit  ni  par  la  nature,  ni 
par  les  hommes,  ni  par  Dieu.  La  constatation  de  pareils  faits  doit 
sufilre  au  vrai  philosophe  pour  affirmer,  en  dehors  de  la  révéla 
tion,  l'action,  et  par  conséquent  l'existence  des  démons. 


PROPRIÉTÉS  DE  L'ÉTRB  187 

7*  COROLLAIRE.  —  Tout  être  réel  ne  peut  exister  que  par  lui- 
môme  ou  par  un  autre.  Il  est  donc  ou  a  se  on  ab  alto.  De  plus  : 
Texistence  d'un  seul  être  €U>  alio  suppose  Texistence  d'un  ôtre  a 
se.  —  En  sortant  des  limites  de  la  métaphysique  nons  pourrions 
dire  :  Or  il  existe  des  êtres  ah  alio,  donc  il  existe  un  être  a  se. 

8*  COROLLAIRE.  —  Tout  être  réel  qui  n'existe  pas  par  lui-môme, 
est  contingent  :  il  pourrait  ne  pas  exister.  Au  contraire,  l'être  ase^ 
s'il  existe,  existe  nécessairement.  Nous  disons  s'il  existe,  pour  ne 
pas  sortir  de  la  métaphysique.  Mais,  le  moindre  retour  sur  nous- 
mêmes,  la  moindre  considération  prise  dans  l'ordre  réel,  nous 
empêche  de  douter  de  son  existence. 

Nous  pourrions  dés  à  présent  déduire  des  mêmes  principes  tous 
les  attributs  de  l'être  nécessaire,  mais,  nous  réservons  ces  considéra- 
tions poofï*  un  chapitre  spécial. 

Chapitre  3« 

PROPRIÉTÉS  DE  L'ÊTRE 


46.  Définition.  -—  On  appelle propnV^^  tout  caractère  constant. 
Ces  caractères  constants  dont  il  est  question  ici  se  confondent  donc 
ou  avec  les  attributs  ou  avec  les  modes  des  êtres. 


47.  Dirision.  —  On  distingue  les  propriétés  métaphysiques,  qui 
sont  nécessaires  et  se  confondent  avec  les  attributs  ;  les  propriétés 
physiques,  qui  sont  constante  sans  être  nécessaires  et  se  confon- 
dent avec  les  modes  constants  ;  enfin,  les  propriétés,  logiques  et  les 
propriétés  morales  qui  sont  déterminées  nécessairement,  comme  les 
les  propriétés  métaphysiques,  mais,  qui  ne  s'imposent  pas  comme 
eUes  :  ce  qui  rend  possible  l'erreur  et  le  mal. 

Nous  n'avons  à  parler  ici  que  des  propriétés  métaphysiques, 

48.  Propriétés  métaphysiques  de  l'être  en  général,  — 

Les  propriétés  métaphysiques,  appelées  aussi  transcendantes  sont, 
dans  l'être  en  général  :  l'unité,  la  vérité,  la  heauté,  la  honte. 

49.  Unité.  —  L'unité  de  l'être  con£>iste  en  ce  qu'il  ne  peut  se 
diviser  en  plusieurs  êtres  semblahles  &  lui.  Tout  être  possède  essen* 
tiellement  cette  unité. 


188  MÉTÀPHTSIQUB. 

Mais,  cette  unité  elle-même  eet  de  différents  ordres.  Elle  est 
absolue  quand  Tétre  est  absolument  simple  ;  métaphysique,  dans 
Tétre  abstrait  dont  les  éléments  essentiels  sont  essentiellem^it 
inséparables  ;  physique,  quand  l'être  est  un  composé  d'élém^its 
semblables  qui  ne  forment  qu'un  seul  tout  réel  ;  logique,  qaand 
plusieurs  éléments  unis  par  un  lien  logique  ne  forment  qu'un  tout 
logique  ;  morale,  quand  plusieurs  êtres  unis  par  un  lien  moral,  ne 
forment  qu'un  tout  moral.  —  Mais  de  quelque  nature  que  soit 
cette  unité  elle  n'en  est  pas  moins  pour  Tetra  une  propriété  méta- 
physique parce  qu'elle  lui  est  essentielle. 

On  distingue  encore  l'unité  exclusive  ou  Vunicité^  qui  consiste 
en  ce  que  un  être  est  seul  de  son  espèce.  Cette  sorte  d'unité  peut 
être  nécessaire  ou  contingrate.  Elle  est  nécessaire  en  Dieu,  parce 
qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  deux  infinis  ;  elle  est  contingente  dans  le 
soleil,  la  lune,  tel  ou  tel  objet  d*art,  qui  se  trouve  de  fait  seul  de 
sa  nature. 

50.  Des  trois  autres  propriétés  i  Térité,  beauté,  bonté.  — 

Les  trois  autres  propriétés  métaphysiques  de  l'être,  que  nous  appe- 
lons la  vérité,  la  beauté,  la  bonté,  ne  sont  qu'une  seule  et  môme 
chose  dans  l'être,  et  ne  se  distinguent  que  par  rapport  à  notre  âme. 
EUes  ne  sont  rien  autre  chose  que  la  perfection  de  l'être  dans  sa 
nature.  La  perfection  d'un  être  consiste  dans  le  complet  dével(^ 
pement  de  son  essence,  ou  dans  sa  conformité  avec  son  principe 
formel.  Le  principe  formel  d'un  être  c'est  le  modèle  sur  lequel  il 
est  formé.  C'est  ce  que  Platon  appelait  les  archétypes  des  choses, 
les  idées  subsistantes  en  Dieu . 

Vérité.  —  L'être,  parfait  dans  sa  nature,  est  vrai  pour  celui 
qui  le  connaît  :  la  connaissance  de  l'être  tel  qu'il  est  c'est  la  con- 
naissance du  vrai.  C'est  en  ce  sens  que  l'on  dit:  Veritas  est  id 
qtu)d  est.  La  vérité  c'est  ce  qui  est,  en  tant  qu'objet  de  notre  con- 
naissance. 

Beauté.  —  L'être  parfait  dans  sa  nature,  est  beau  pour 
celui  qui  se  plait  dans  la  vue  de  cette  perfection.  En  effet  c'est  la 
satisfaction  que  nous  éprouvons  à  contempler  un  être  parfait  qui 
nous  le  fait  appeler  beau.  Le  beau  c'est  ce  qui  attire  notre  Ame  : 
c'est  la  perfection  de  l'être. 


PROPRIÉTÉ    DE    d'être  189 

Bonté.  —  L'être  parfait  dans  sa  nature  est  bon  en  ce  sens  qu'  il 
est  l'objet  de  notre  volonté.  C'est  parce  que  l'être  parfait  mérite 
d'être  voulu  que  nous  l'appelons  bon. 

C'est  ainsi  que  la  vérité,  la  beauté,  la  bonté  se  confondent  avec 
la  perfection  de  1  être. 

Cette  perfection  peut  être  absolue  ou  relative.  Elle  est  absolue 
dans  l'être  infini,  qui  possède  tout  l'être  et  par  là  toutes  les  per- 
fections ;  elle  est  relative  dans  les  êtres  finis,  qui  ont  toute  la  per- 
fection que  comporte  leur  nature. 

Le  beau  qui  est  l'objet  de  l'art  n'est  pas  le  beau  relatif,  mais 
ane  sorte  de  refiet  du  beau  absolu.  Notre  idéal  du  beau  tend  sans 
cesse  vers  le  beau  absolu  sans  l'atteindre  jamais. 

52.  Imperfection,  défaute,  fausseté,  laideur,  maliee.  Les 

limites  que  suppose  un  être  dans  son  essence,  ne  sont  pas  une  imper- 
fection ;mais  les  limites  qui  sont  contraires  au  développement  com- 
plet de  son  essence  constituent  dans  l'être  l'imperfection  ou  les  dé 
fauts.  L'être  n'est  plus  alors  conforme  &  son  [principe  formel.  Et 
dés  lors  il  est  faux,  laid  et  mauvais. 

53.  Nature  de  la  perfection  et  de  l'imperfection.  —  La 

perfection  peut  être  métaphysique,  physique,  logique  ou  morale, 
selon  que  l'on  prend  datis  un  être  son  essence^  sa  réalisation 
physique,  ses  relations  logiques  ou  ses  relations  morales.  Mais 
l'imperfection  ne  peut  être  que  physique,  logique  ou  morale^ 
parce  que  l'essence  ne  peut  pas  n^être  pas  conforme  à  son  principe 
formel.  C'est  donc  à  tort  que  quelques  auteurs  ont  parlé  de  fat^ 
de  laid  ou  de  mal  métaphysique.  Ces  expressions  ne  sont  autre 
chose  que  des  non-sens,  aussi  inconcevables  que  celles  de  cercle 
carré  ou  de  triangle  à  trois  angles  droits.  Ces  auteurs  appellent 
mal  métaphysique  les  limites  essentielles  d'un  être  :  comme 
l'absence  de  la  vue  dans  la  pierre.  Nous  accordons  que  c'est  là  une 
imperfection  relative,' par  comparaison  avec  l'être  infini.  Mais  on 
ne  peut  appeler  cela  un  mal.  Et  de  plus,  pour  garder  la  corréle^ 
tlon  avecles  autres  expressions  :  mal  physique,  mal  moral,  il  fau- 
drait que  le  mal  métaphysiqae  fat  l'oppoôtion  aux  lois  métaphysi* 
ques.  Or,  elles  sont  nécessaires  et  rien  ne  saurait  les  enfreindre. 
Donc  ces  imp^ections  relatives  sout  métaphysi<lUemeDt  bonnes, 
dans  l'essence  où  elles   sont. 


Chapitre  4* 

REUTIONS  DES  ÊTRES 


54.  Ce  qu'on  entend  par  relation.  — L'idée  de  relation  n'ajaat 
pas  de  genre  supérieur,  il  est  impossible  d*en  donner  une  définition. 
En  effet,  après  la  conception  deTôtre,  celle  du  rapport  ou  de  la  rela- 
tion entre  deux  êtres  est  la  plus  simple.  Dès  que  nous  concevons 
deux  êtres  nous  concevons  entre  eux  la  possibilité  de  plusieurs  rap- 
ports ou  relations,  pris  de  différents  points  de  vue.  La  relation  entre 
deux  êtres  n'est  aucun  de  ces  deux  êti*es  ;  elle  n'est  pourtant  rien 
sans  ces  deux  êtres  ;  elle  n'est  dans  aucun  des  deux  ;  elle  est  ce  que 
chacun  des  deux  est  pour  l'autre,  C*est  le  Tcpo;  ri  (ad  quid)  an 
TTpéc  tI  {quid  ad)    d'Aristote. 

55.  Dmsion  des  relations.  —  Deux  êtres  étant  donnés  nous 
pouvons  voir  entre  eux  une  multitude  de  relations,  qui  se  classent 
toutes  de  deux  en  deux.  Identité  ou  non  identité,  coexistence  ou  non- 
ooexistence,  dépendance  ou  indépendence,  égalité  ou  inégalité,  simi* 
titude  ou  différence,  action  mutuelle  ou  non.  Ainsi  conçues  les  rela- 
tions sont  innombmbles. 

Nous  nous  contenterons  de  les  classer  en  quatre  ordres  qu'il  est 
important  de  distinguer  parce  qu'ils  sont  le  fondement  des  quatre 
ordres  de  lois.  On  distingue  donc  : 

Les  relations  métaphysiques,  fondées  sur  l'essence  des  êtres. 
'  Les  relations  physiques,  fondées  sur  la  nature  réelle  des  êtres. 

Les  relations  logiques,  fondées  sur  la  nature  des  connaissances. 

lies  relations  morales,  fondées  sur  la  nature  des  actes  libres. 

Les  relations  métaphysiques,  parce  qu'elles  sont  fondées  sur 
l'essence  même  des  êtres,  ne  peuvent  être  que  nécessaires,  comme 
leur  fondement.  Ex  :  Relation  du  rayon  d  la  circonférence,  ou 
des  lignes  trigonométriques  entre  elles. 

Les  relations  physiques,  quoique  fondées  sur  la  nature  des  choses 
sont  toutes  contingentes  ;  mais  dans  leur  contingence  les  unes  sont 
constantes,  comme  la  nature  des  choses  qui  est  alors  leur  unique 
fondement;  les  autres  sont  variables  comme  les  causes  qui  les  éta- 
blissent. Ex  ;  Pour  les  premières  :  Action  du  fer  sur  lehois^  (m 


RELATIONS  DBS  ÊTRES  191 

d'un  acide  sur  une  base;  pour  les  secondes  :  percement  effectif 
d'un  morceau  de  bois  par  tm  morceau  de  fer,  ou  formation 
effective  d'un  sel  par  un  acide  et  une  base. 

Les  relations  logiques,  fondées  sur  la  nature  abstraite  de  la  con- 
naissance, et  par  conséquent  sur  quelque  chose  de  nécessaire,  sont 
nécessaires  dans  leur  conception  ou  dans  leur  raison  d'être,  mais 
elles  sont  contingentes  et  variables  dans  leur  réalisation  par  tel 
ou  tel  homme,  qui  peut  do  fait  s'en  écarter  dans  ses  pensées. 

Les  relations  morales,  sont  dans  les  mômes  conditions  que  les 
relations  logiques,  elles  sont  conçues  nécessairement  et  elles  sont 
nécessaires  dans  leur  raison  d'être,  fondée  sur  la  nature  abstraite 
des  actes  libres  ;  mais  elles  sont  contingentes  et  variables  dans  leur 
réalisation  par  tel  ou  tel  homme  qui  peut  s*en  écarter  dans  ses 
actes. 

N.ous  dirons  .quelques  mots  des  principales  relations  métaphysi- 
ques. 

56.  Principales  relations  métaphysiques.  —  Deux  essen- 
ces étant  données,  nous  voyons  nécessairement  entre  elles. 

1^  Une  relation  d'identité  ou  de  non-identité. 
2^  Une  relation  de  dépendance  ou  de  non-dépendance. 
3**  Une  relation  de  connexion  ou  de  non-connexion. 
4°  Une  relation  de  génération  ou  de  non-génération. 

57.  Relation  d'identité.  —  Deux  étrés  sont  nécessairement 
identiques  ou  non-identi(iues.  L'identité  paraît  être  la  plus  simple 
des  relations.  L'identité  consiste  on  ce  que  deux  êtres  sont  un  seul 
et  môme  être.  Mais  l'identité  a  plusieurs  points  do  vue  et  se  sub- 
divise en  plusieurs  ordres. 

L'identité  métaphysique,  c'est  l'identité  d'essence  ;  l'identité 
physique,  c'est  l'identité  de  nature  :  on  pourrait  aussi  y  faire  entrer 
l'identité  numérique,  ou  identité  d'individu  ;  l'identité  logique,  c'est 
l'identité  de  vérité  et  par  conséquent  l'identité  d'existence  ;  l'iden- 
tité morale,  c'est  l'identité  de  bonté,  ou  l'identité  de  conformité  à 
la  loi  morale. 

La  non-identité  laisse  encore  la  place  à  des  identités  imparfaites 
telles  que  l'analogie^  la  ressemblance,  Végalité, 

L'identité,  comme  nous  l'avons  vu,  est  le  fondement  de  la 
logique  ;  elle  est  encore  le  fondement  des  mathématiques. 


\ 


192  METAPHYSIQUE 

Cette  relation  est  d'ailleurs  d'une  conception  facile  et  nécessaire  : 
il  est  impossible  de  la  confondre  avec  la  non-identité.  Hegel  dérai- 
sonnait complètement  le  jour  où  il  a  affirmé  l'identité  de  Tiden- 
tique  et  du  non-identique. 

58.  Relation  de  dépendance.  —  Toute  essence  qui  est  for- 
mée de  plusieurs  éléments  dépend  métaphyslquement  de  chacun  de 
se^  éléments.  Telle  est  la  relation  de  dépendance  entre  deux 
essences  dont  Tune  est  un  élément  de  Tautre. 

Le  relation  de  dépendance  est  physique,  dans  les  êtres  réels 
formés  de  plusieurs  éléments,  entre  Tôtre  complet  et  les  éléments 
dont  il  se  compose,  mais  non  avec  ces  mômes  éléments  en  dehors 
do  lui. 

La  dépendance  est  logique,  dans  les  idées,  entre  une  idée  complexe 
et  ses  éléments.  Enfin  la  dépendance  est  morale,  entre  un  acte  libre 
et  sa  loi,  qui  en  forme  l'élément  moral. 

Ainsi  :  le  cercle  dépend  de  son  rayon  ;  la  pierre,  des  molécu- 
les qui  la  composent  ;  l'idée  de  parallèle,  de  Vidée  de  ligne  ;  les 
actes  du  serviteur,  des  ordres  de  son  maître» 

59.  Relation  de  connexion.  —  La  connexion  entre  deux  êtres 
consiste  en  ce  qu'ils  sont,  à  un  point  de  vue,  inséparables. 

La  connexion  aussi  est  métaphysique  entre  les  éléments  d'une 
même  essence  ;  physique  entre  les  éléments  d'un  être  réel  composé; 
logique  entre  deux  connaissances  qui  n'ont  qu'une  même  vérité, 
c*est-à-dire,  entre  deux  connaissances  portant  sur  deux  objets  qu^ 
n'ont  qu'une  mêmO'  existence  ;  morale  entre  un  acte  libre  et  ses 
éléments  moraux,  ou  entre ^eux  actes  libres  dont  l'un  est  la  loi  de 
l'autre. 

Deux  objets  métaphysiquement  connexes  ne  peuvent  pas  même 
être  conçus  l'un  sans  Tauti-e. 

Deux  objets  métaphysiquement  connexes  peuvent  être  conçus,  et 
môme  pourraient  exister  l'un  sans  l'autre  ;  mais,  de  fait,  ils  ne  se 
séparent  que  par  la  destruction  du  tout.  Il  y  a  même  des  connexions 
physiques  qu'il  n'est  nullement  en  notre  pouvoir  de  détruire  ;  par 
exemple  que  le  feu  brûle  le  bois,  s'il  est  mis  en  contact  ;  ou  que  le 
fer  taille  la  pierre,  si  on  l'en  frappe,  etc. 

Deux  pensées  logiquement  connexes  peuvent  exister  séparément, 


RELATIONS   DES   ÊTRES  193 

mais  ne  peuvent  être  vraids  séparément.  Celui  qui  en  sépare  la 
vérité  est  dans  Terreur. 

Deux  actes  libres  morateftiêni  oonne^tètf  peuvent  exister  sépa- 
rément, mais  on  n'en  peut  séparer  la  moralité.  Celui  qui  les  sépare 
fait  mal.  Son  acte  est  mauvais. 

60.  Relation  de.génératioii.  —  Tout  éti*equi  tient  son  exis- 
tence d'un  autre^  est  avec  lui  dans  un  i*apport  qu'on  peut  appeler 
en  général  génération.  Celui-ci  est  cat^e,  celui-là  est  effet.  La 
génération  ou  production  est  active  dans  la  cause,  passive  dans 
Teffet.  Et  même  pour  être  parfaitement  exact  il  faut  dire  que  la 
catise  n'est  que  la  production  active,  le  prodmre^  et  l'effet  la 
production  passive^  le  être  produite 

La  cause  et  l'effet  sont  môtaphjsiquement,  physiquement  et 
logiquement  connexes. 

Ils  le  sont  de  plus  moralement,  en  ce  sens  que  la  cause  et  l'effet 
ont  nécessairement  la  môme  moralité,  et  même  en  ce  sens  que  qui 
veut  l'un  veut  Tautre. 

Mais  l'idée  de  cause  et  d'effet  offre  quelque  chose  de  plus  aux 
considérations  métaphysiques. 

Tout  être  suppose  un  principe,  une  raison  suffisante  de  son  être. 

L'existence  d'un  être  quelconque  suppose  donc  l'existence  de  sa 
raison  suffisante,  ou  en  lui-môme  ou  dans  un  autre  être  :  intrinsèque 
ou  extrinsèque.  Ce  qui  revient  à  dire  que  teut  être  existe  ou  par 
lui-même  ou  par  un  autre. 

On  donne  le  nom  de  ca\Me  à  la  raison  suffisante  extrinsèque. 

Donc  teut  être  qui  n'a  pas  en  lui-même  la  raison  de  son  existence 
est  un  effet  et  a  une  cause. 

M«kîs  si  cette  cause  est  elle-même  un  effet  elle  supposera  une 
autre  cause,  et  ainsi  de  suite. 

Arrivons*teut  d'abord  au  premier  de  la  série.  Si  la  première 
cause  n^existe  pas  par  elle-même,  elle  n'existe  pas,  car  nous  suppo- 
sons qu'elle  n'a  pas  de  cause.  Et  dès  lors  rien  n'existe  par  elle. 

Bobo  l'existence  d'un  seul  effet,  nonnseulement  suppose  une 
cause,  mais  môme  suppose  une  cause  première,  qui  n'est  pas  Yeftèi 
d'une  autre  cause,  qui  existe  par  elle-même,  qui  a  toujours  existé. 


13 


Chapitre  5* 

LOIS  DES  ÊTRES 


01.  Définition.  — Nous  avons  eu  déjà  bien  souvent  l'occasion 
de  parler  des  lois,  et  nous  avons  défini  celles  que  nous  avions  en  vue; 
mais  il  importe  ici  de  les  étudier  plus  à  fond  et  d'en  donner  une  défi- 
nition plus  générale  et  plus  exacte. 

L*idée  de  loi  est  pour  tout  le  monde  Tidée  d'une  r(?^Z^,  l'idée  d'un 
principe  formel,  c'est-à-dire,  d'un  modèle  auquel  tel  ou  tel  être 
doit  se  conformer  et  sans  lequel  il  ne  serait  pas  ce  qu'il  doit  être. 
'  -  Le  principe  formel  est  aussi  nécessaire  à  un  ôtre  que  sa  cause  effi- 
ciente ;  sans  lui  il  ne  saurait  ôtre  ni  cela  ni  autre  chose,  et  il  n« 
sera  telle  ou  telle  chose  que  par  son  principe  formel.  C'est  bien  là 
le  fond  de  l'idée  de  loi. 

De  plus,  Montesquieu  a  défini  la  loi  tout  rapport  nécessaire. 
Il  a  entrevu  mais  incomplètement  la  vérité,  et  transposant  le  sujet 
et  l'attribut  il  a  dit  rapport  nécessaire  là  ou  il  voyait  la  nécessité 
d'un  rapport.  En  effet  si  toutes  les  lois  étaient  nécessaires,  comme 
semble  le  dire  Montesquieu,  la  loi  serait  bien  la  w^^ctf55ï7^  d*un  rap^ 
port  entre  deux  êtres.  Car  tout  ce  que  nous  appelons  loi  régit,  non 
pas  un  être,  mais  une  relation  entre  plusieurs,  et  cette  relation 
devient  ou  nécessaire  ou  forcée  ou  obligatoire,  par  la  nature  de 
la  loi. 

Il  résulte  de  cet  examen  que  la  loi  est  un  principe  formel  une 
règle  qui  régit  une  relation. 

Nous  pouvons  donc  définir  la  loi  :  La  règle  des  relations. 

Lorsqu'on  parlant  des  sciences  nous  avons  défini  la  loi  la  règle 
des  phénomènes,  nous  n'avons  donné  qu'une  partie  de  Ijjdéfinitipn 
générale  ;  car  les  phénomènes  sont  des  relations  et  les  seules  relations 
que  nous  eussions  en  vue  en  ce  moment, 

62.  Division  des  lois.  —  Cette  définition  générale  et  exacte 
nous  permettra  de  montrer  dans  tout  son  jour  la  divisiou  des  loi 
que  nous  avons  déjà  exposée  brièvement  ailleurs. 

Les  relations  peuvent-ôtre  métaphysiques,  physiques,  logiques 
ou  morales  (55)  « 


LOIS  DES  ÊTRBS  185 

Les  lois  qni  les  régissent  soat  avec  elles  métaphysiques,  ph  jsiques^ 
logiques  ou  morales. 

Et  ces  différents  qualificatifs  conviennent,  non  seulement  aux 
relations  que  les  lois  régissent,  mais  encore  k  la  nature  de  leur 
action  sur  les  objets  qu'elles  régissent.  En  effet. 

■ 

63.  Nature  diverse  des  lois.  Le  principe  formel  d*un  être 
8*impose  diversement  à  lui  selon  la  nature  de  cet  être,  et  c*est  jus- 
tement ce  qui  existe  dans  les  différents  ordres  de  lois. 

64.  Lois  métaphysiques. — Les  relations  métaphysiques  sont 
des  relations  d*eâsence  à  essence,  aussi  les  essences  mêmes  des  cho- 
ses sont  les  principes  formels  de  leurs  relations  métaphysiques.  Ils 
sont  donc  nécessaires,  et  s'imposent  nécessairement  aux  relations 
qu'ils  régissent.  Voilà  pourquoi  les  lois  métaphysiques  sont  des  lois 
nécessaires. 

Elles  sont  nécessaires  en  deux  sens  : 

1"*  Ces  lois  ne  peuvent  pas  ne  pas  être  ; 

2^  Les  relations  qu'elles  régissent  ne  peuvent  échapper  à  leur 
direction.  C'est  la  double  nécessité  renfermée  dans  les  mots  lois 
métaphysiqti^s. 

65.  Lois  physiques.  — Les  relations  physiques  sont  des  rela- 
tions de  nature  ;  le  principe  foimel  de  la  nature  des  êtres  réels  est 
en  même  temps  le  principe  formel  de  leurs  relations  physiques.  Il 
n'est  donc  pas  plus  nécessaire  que  l'existence  des  êtres  réels  ;  mais, 
dès  que  ces  êtres  sont,  ils  sont  conformes  à  leur  principe  formel,  et 
leurs  relations  naturelles  sont  réglées  par  ce  même  principe.  Les 
lois  physiques  ne  sont  donc  pas  nécessaires  en  aucun  sens,  mais, 
elles  dirigent  forcément  les  i*elations  physiques.  C'est  le  sens  des 
mots  :  lois' physiques. 

Nous  ne  pouvons  nous  y  soustraire,  mais,  celui  qui  les  a  libre* 
ment  déterminées  en  nous  créant,  peut  les  changer  ou  y  contrevenir 
quelquefois. 

Qld»  Lois  logiques. —  Les  relations  logiques  sont  des  relations  de 
vérité;  dès  lors  le  principe  formel  de  la  vérité  d'une  connaissance 
est  aussi  le  principe  formel  de  ces  relations.  La  connaissance  peut 
ne  pas  exister,  mais,  elle  ne  peut  exister  qu'à  la  condition  d'être 


190  MÉTAPHYSIQUE 

vraie  :  la  pensée  qui  n'est  pas  vraie  n'est  pas  une  connaissance. 
Ainsi  les  lois  logiques  s'imposent  métaphjsiquement  ou  nécessaire- 
ment h  la  connaissance,  mais  non  à  la  pensée  de  celui  qui  veut 
connaître.  Il  est  pourtant  facile  de  voir  que  la  pensée  fausse  est 
un  contre-sens,  et  que  la  possibilité  de  se  soustraire  aux  lois  logique 
est  une  imperfection  relative.  Tel  est  le  sens  des  mots  lois  logiqties. 

07.  Lois  morales.  —  Las  relations  morales  sont  des  relations 
libres.  Au  point  de  vue  moral,  leur  principe  formel  est  le  bien,  tan- 
dis qu'au  point  de  vue  physique  leur  principe  formel  est  la  pensée 
librement  choisie  par  leur  auteur.  Le  bien  s'impose  essentiellement 
à  la  bonté  des  actes  libres,  mais  non  à  leur  production,  précisément 
parce  qu'ils  sont  libres.  Il  dépend  de  celui  qui  agit  librement  de 
conformer  ses  actes  au  bien,  autant  qu'il  le  connaît  et  que  physi- 
quement il  le  peut.  Mais,  s'il  est  physiquement  libre  d'agir  diver- 
sement, la  règle  du  bien  veut  qn'il  agisse  de  telle  manière.  Il  fait 
mal  s'il  s'en  écarte.  Et  on  sent  que  la  possibilité  de  faire  mal  est 
une  imperfection  relative.  Tel  est  le  sens  du  mot  loi  morale. 


L 


DBUXIÊMB  PARTIE  DE  LA  MÉTAPHYSIQUE 


ONTOLOGIE  SPÉCIALE 


68.  Objet  et  divisioD.  —  Il  nous  reste  à  parler  des  différents 
êtres  que  la  métaphysique  distingue  et  de  ce  qu'elle  reconnaît  do 
nécessaire  en  eux.  Or,  la  première  distinction  métaphysique  des 
êtres  est  celle-ci  :  Être  nécessaire,  être  contingent.  Nous  les  étudie- 
rons en  deux  chapitres. 

Chapitre  I" 

DE  L'ÊTRE  NÉCESSAIRE 


69.  Essence  de  l'être  nécessaire.  —  Si  nous  prenons  \}o\xv 
point  de  départ  dans  l'étude  de  l'être  nécessaire,  sa  nécessité,  son 
essence  consistera  en  ce  qu  il  ne  peut  pas  ne  pas  être.  Si  nous  pre- 
nons pour  point  de  départ  son  asséité,  comme  on  dit  dans  l'École, 
c'est-è-dire,  ce  fait,  qu'il  existe  par  lui-môme,  son  essence  sei*a 
qu'il  existe  par  lui-môme,  Si  nous  partons  au  contraire  de  l'idée  de 
l'étendue  de  son  être,  son  essence  sera  qu'il  est  infini.  Il  ne  fau- 
drait pas  entendre  ici  par  ce  mot  «  étendue  »  quelque  chose  do 
matériel  ;  ce  mpt  signifie  seulement  que  l'être  infini  comprend  tout 
l'être,  que  tout  est  positif  en  lui,  sans  aucune  limite. 

Il  importe  peu  d'ailleurs  de  partir  de  Tune  ou  de  l'autre  de  ces 
données,  puisque  nous  sommes  en  pure  métaphysique  et  que  nous 
partons  d'une  conception,  et  que  de  plus,  étant  donné  l'un  quelcon- 
que de  ses  attributs,  on  découvre  nécessaiiement  tous  les  autres. 

Mais,  puisqu'il  faut  faire  un  choix,  et  que  nous  sommes  libres  de 
prendre  le  point  de  départ  que  nous  voudrons,  nous  considérerons 
comme  point  de  départ  et  comme  essence  de  l'être  nécessaire,  que 
tout  le  monde  conçoit  et  que  tout  le  monde  appelle  Dieu,  l'idée  pre- 


108  MâTÀPHTBIQUB 

miérequi  nous  le  fait  concevoir,  et  qui  est  plus  capable  de  nous  eon. 
vaincre  de  son  existence.  Cette  idée  première,  c*e8tqa*il  existe  par 
lui-môme,  c'est  qu*il  est  a  se. 

L'essence  de  Tétre  qui  existe  par  lui-même  consiste  en  ce  qu'il 
renferme  en  lui,  dans  son  essence,  la  raison  suffisante  de  son  exis- 
tence. 

70.  Attributs  de  Tétre  néeeeeaire.  —  Etant  donné  un  être  qui 
existe  par  lui-même,  nous  sommes  forcés  de  reconnaître  qu*il  existe 
nécessairement,  qu'il  est  infini  dans  son  essence  et  dans  tous  ees 
attributs,  qu'il  est  absolument  simple,  étemel,  inmiuable,  unique, 
omniscient,  touirpuissant,  etc. 

C'est  ce  que  nous  allons  démontrer  en  autant  de  propositions. 

l' proposition.  L'être  qui  existe  par  lui-même  est  nécbs- 
BAIRE.  —  En  effet,  puisque  par  hypothèse  il  a  dans  son  essence  la 
raison  suffisante  de  son  existence,  son  existence  est  essentielle,  et 
par  conséqi\ent  nécessaire,  comme  tout  ce  qui  est  essentiel. 

2»  provosition.  L'être  qui  existe  par  lui-même  est  infini. 
En  effet  son  -essence  qui  est  le  principe  de  son  existence  est  par  là 
même  le  principe  de  tout  ce  qu*il  est.  Il  est  donc  par  essence  tout 
ce  qu'il  est.  Il  ne  peut  donc  lui  manquer  que  ce  qui  est  essentielle- 
ment impossible.  Or  toutes  les  réalités  sans  limites  sont  possibles 
dans  un  même  être  ;  car  les  réalités  ne  sont  en  contradiclâon  que 
par  leurs  limites.  Donc  l'être  qui  existe  par  lui-même  a  toutes  les 
réalités  sans  limites.  Il  est  infini. 

On  peut  aussi  arriver  plus  directement  à  la'même  conclusion,  en 
considérant  la  nécessité  ou  l'asséité  de  l'être  nécessaire  comme 
un  attribut,  et  en  chercliant  Tessence  de  Têtre  qui  a  cet  attribut. 
En  effet  : 

Quelle  est  l'essence  de  Têtre  ase^  L'être  qui  existe  par  lui-même, 
existe  par  sa  propre  essence;  il  a  dans  son  essence  la  raison  suffi- 
sante de  son  existence  :  donc  il  existe  essentiellement.  Mais  dire 
d'un  être  qu'il  existe  essentiellement,  c'est  dire  qu'il  est  de  son 
essence  d'être.  Et  comme  rien  n'est  plus  vaste  que  l'être,  Fôtre 
même  est  son  essence.  Mais  l'être  ainsi  conçu  sans  déterminations 
c'est  l'être  sans  restriction,  c'est  l'être  absolu,  c'est  l'être  sans  li- 
mites,  c'est  l'être  infini.  Donc  l'essence  de  l'être  a  se  c'est  l'infini. 


DE  l'êtee  Nécessaire  109 

L'idée  de  l'infini  c'est  l'idée  de  l'être  absolu,  de  l'être  qui  est  tout 
être,  sans  limite.  U  n'est  pas  mesuré  par  le  temps  ni  par  l'espace;  il 
n'est  pas  aujourd'hui  ou  demain:  il  est;  il  n'est,  pas  ici  ou  là  :  il  est. 
Il  ne  peut  être  conçu  ni  plus  grand  ni  plus  petit  :  il  est.  On  ne  peut  rien 
lui  retrancher;  on  ne  peut  rien  lui  ajouter:  il  est  infini. 

Quand  nous  disons  qu'il  a  toutes  les  réalités,  nous  n'entendons  pas 
par  là,  qu'il  est  la  somme  de  tout  ce  qui  est,  ni  même  de  toxrt  ce  qui 
peut  être;  il  n'est  pas  une  somme.  Il  est  tout  réel  ;  il' est  tout  être;  son 
être  n'est  aucunement  limité  ;  il  est,  absolument  parlant.  Telle  est  l'idée 
de  l'infini. 

3*  proposition  réciproqtie.  L'être  infini  existe  nécessaire- 
ment. Car  s*il  a  toutes  les  perfections  il  ne  peut  manquer  de  celle 
de  Texlstence.  D'ailleurs  être  est  l'essence  môme  de  lïnfini. 

4*  proposition.  Tout  attribut  de  l'être  infini  est  infini.  Si 
eu  effet  un  seul  de  ses  attributs  était  fini,  Tétre  serait  limité  dans 
cet  attribut  et  ne  serait  plus  infini. 

D'ailleurs  la  raison  sufiîsante  de  chacun  des  attributs  c'est  l'es- 
sence. Donc  ici  la  raison  suffisante  est  infinie.  Or  la  raison  suffi- 
sante ne  peut  manquer  de  ressortir  à  tout  son  effet.  Donc  une 
essence  infinie  ne  peut  donner  que  des  attributs  infinis. 

Corollaire.  Un  seul  attribut  fini  dans  un  être  démontre  que 
l'être  qui  le  possède  n'est  pas  infini. 

5«  proposition.  Un  seul  attribut  infini  démontre  une 
bssence  infinie.  Car  les  attributs  sont  des  caractères  qui  ont- pour 
raison  suffisante  l'essence  de  Tôtre.  Or  un  être  ne  peut  être  plus 
grand  que  sa  raison  suffisante,  autrement  il  y  aurait  en  lui  quelque 
chose  qui  n'aurait  pas  de  raison  suffisante. 

Corollaire.  L'être  éternel  est  infini. 

Lemme.  L'être  a  se  est  nécessaire;  l'être  nécessaire  est  étemel, 
Tôtre  étemel  est  infini. 

On  remarquera  que  cette  seconde  démonstration  de  l'essence  in- 
finie de  l'être  a  se  est  idépendante  des  deux  premières  et  peut  les 
remplacer,  si  on  trouvait  les  premières  obscures. 

6*  proposition.  L'être  infini  est  absolument  simple.  S'il 
était  composé  de  plusieurs  éléments  on  pourrait  le  concevoir  plus 
grand  ou  plus  petit,  augmenté  ou  diminué  par  l'addition  ou  par  le 
retranchement  d'un  élément. 


200  MÉTAPHYSIQUE 

Corollaires.  Un  nombre  infini  est  impossible;  car  tout  nom- 
bre a  pour  élément  Tunité. 

L*étendue  réelle  ne  peut  pas  être  infinie;  car  elle  suppose  an  être 
composé  de  plusieurs  éléments. 

La  durée  réelle  des  êtres  ne  peut  pas  être  infinioi  si  elle  est 
suooemtve;  autrement  le  nombre  de  ses  successions  serait  infini,  et 
le  même  être  qui  durerait  infiniment  comprendrait  dans  une  darde 
unique  un  nombre  infini  d'années,  un  nombre  infini  de  mois,  on 
nombre  infini  d*heures,  un  nombre  infini  de  minutes,  etc. 

L'espace  sans  limite  n'est  pas  un  être:  ce  ne  peut  être  qa*un  pur 
ttéani. 

Le  temps  conçu  aussi  sans  limites,  en  dehors  des  êtres  qui 
durent,  ne  peut  être  aussi  qu'un  pur  néant. 

L'éternité  qui  est  sans  limite  n'est  pas  une  durée  sucoeaaive. 
L'être  étemel  n'éprouve  pas  de  successions,  il  possède  simultané- 
ment toute  son  éternité.  C'est  pourquoi  Saint  Thomas,  après  Boêce, 
définit  l'éternité  :  Interminabiliê  vitœ  tota  simul,  et  perfects^ 
poêêestio. 

7*  proposition.  L'être  infini  est  imuuable.  Car  il  ne  pourrait 
changer  qu'en  cessant  d'être  infinie  Pour  changer  il  faut  perdre  on 
acquérir  quelque  chose. 

Conou^AiRB.  Ce  qui  change  n'est  pas  infini. 

8*  Propoêitton»  Il  nb  peut  v  avoir  deux  infinis.  Il  y  a  con- 
tradiction à  dire  qu'un  êtrea  toutes  les  réalités  et  qu'un  autre  les  a 
aussi  ;  ou  que  deux  êtres  sont  chacun  l'être  absolu.  Et  d'ailleurs  Ice 
attributs  de  Tun  limiteraient  nécessairement  les  attributs  de  Tautr^, 
et  aucun  des  deux  ne  serait  infini. 

^  Proposition,  L'être  infini  connaît  tout.  AutsnNneai  il 
serait  limité  dans  cet  attribut. 

l(f  Propoiition  L'être  infïni  est  tout-puissant.  Autrement 
il  serait  limité  dans  cet  attribut. 

Enfin  Têtre  infini,  étant  l'être  même  dans  toute  sa  perfection,  est 
parfait  de  la  perfection  la  plus  absolue.  II  est  la  vérité  absolue,  la 
beauté  parfaite  et  la  bonté  sans  défaut.  Il  n'y  a  en  lui  ni  erreur  ni 
mal. 

L'être  infini  ne  peut  être  conçu  comme  simplement  possible;  car 


DE  L*ÊTRB  MÉCB88AIRB  201 

8*il  n^efxistait  pas  il  serait  impossible.  Bien  plus  on  ne  peut  ocmee  voir 
en  lui  aucune  espèce  de  puissance  ni  de  faculté;  car,  s*il  pouvait 
faire  demain  ce  qu*il  ne  fait  pas  aujourd*hui.  il  ne  serait  pas  im- 
muable. Il  est  donc  tout  acte,  sans  mélange  de  puissance,  il  agit 
essentiellement  ;  il  agit  infiniment,  il  agit  éternellement  ;  il  est 
l'acte  infini  subsistant  ;  ou,  comme  dit  Saint-Thomas,  il  est  acte 
par.  Et  mieux  encore,  comme  il  s'est  défini  lui-même  :  il  est,  dans 
toute  la  force  du  mot.  Ego  sum  qui  sum«^  Qih  est  misît  nie  ad 
vos. 

11  est  temps  de  comparer  Tinfini  des  mathématiciens  avec  Tinfini  réel 
et  de  répondre  à  cette  double  question. 

1*  L'infini  des  mathématiciens  est- il  llnfini  réel,  i*étre  absolu  1  eRt-il 
DleaY 

2*  Linflni  des  mathématiciens  est-il  autre  chose  que  Hndéfini  ? 

Il  nous  semble  que  poser  la  première  question  c'est  la  résoudre  néga- 
tivement. Nous  ne  pensons  pas  qu'un  homme  sensé  ait  jamais  pu  croire 
tin  instant  qu'un  nombre,  fut-il  même  infini,  qu'une  étendue  fut-elle  In- 
finie, puisse  être  l'être  absolu,  Tètre  parfait,  l'être  qui  existe  par  lui- 
même,  de  qui  tous  les  autres  êtres  tirent  leur  existence.  D'ailleurs  les 
mathématiciens  posent  plusieurs  infinis.  Ils  distinguent  l'infiniment 
grand  et  llnfiniment  petit,  et  dans  chacun  de  ces  deux  ordres  Ils  trou  - 
vent  un  grand  nombre  d*infinis  parfaitements  distincts.  Ils  trouvent 
même  des  infinis  qui  sont  doubles  trîples  d'autres  infinis^  etc.  Ce  sont 
là  tout  autant  de  propriétés  qui  répugnent  à  l'Infini  réel,  qui  est  l'être 
parfait. 

Mais  les  Infinis  mathématiques  sont-Us  de  vrais  Infinis?  Non. 

La  définition  même  de  l'infini  mathématique,  nous  montre  bien  qull 
n'est  pas  véritablement  Infini.  L'infini  mathématique  est  une  quantité 
plus  grande  ou  plus  petite  que  toute  quantité  assignable.  11  est  évident 
que  cette  notion  dépasse  de  beaucoup  celle  du  géomètre  qui  suppose, 
pour  la  démonstration  d'un  théorème,  une  ligne  indéfinie,  c'est-à-dire 
une  ligne  indéterminée  dont  11  prendra  tout  ce  dont  il  aura  besoin,  mais 
dont  il  ne  prendra  qu'une  quantité  finie.  Mais  estK)n  véritablement 
sorti  de  la  nature  de  l'Indéfini,  quand  on  dit:  «une  quantité  plus  grande 
que  toute  quantité  assignable  »  f  Non,  Dans  l'indéfini  on  pose  une  quan- 
tité qui  par  définition  même  sera  toujours  plus  grande  que  la  quantité 
dont  on  aura  besoin.  Dans  la  notion  de  l'infini  mathématique  on  pose 
une  quantité  qui  est  par  définition,  plus  grande  que  toute  quantité  que 
l'on  pourrait  assigner.  En  sorte  que  l'on  peut  négliger  comme  nulle  la 
diflérence  eotre  le  terme  infini  de  la  progression  et  la  limite  où  elle  tend. 


S02  MftTAPHYSXQUE 

Car  l'infini  mathématique  a  une  limite.  Il  est  conçu  par  une  progres- 
sion et  la  progression  a  une  limite.  Ce  qui  montre  une  fois  de  plus  que 
ce  n'est  pas  un  véritable  infini» 

Donnons  quelques  exemples. 

!•  La  progression  indéfinie  ;  1/2  -f  1/4  +  J/8  +  1/16  +  ....  est  trfle 
qu'elle  va  se  rapprochant  sans  cesse  de  l'unité  sans  pouvoir  jamais 
l'atteindre.  Mais  sa  limite  naturelle  est  l'unité;  et  on  dit  que  la  somme 
de  la  série  infinie  de  ses  termes  égale  1 .  C'est-à-dire  que  quand  on  aura 
poussé  la  progression  à  un  nombre  de  termes  plus  grand  que  toute 
quantité  assignable,  la  différence  entre  la  somme  de  ses  termes  et 
l'unité  sera  plus  petite  que  toute  quantité  assignable,  et  pourra  être 
considérée  comme  nulle. 

2*  Dans  la  recherche^  du  rapport  du  diamètre  à  la  circonférence,  on 
suppose  deux  polygones,  l'un  inscrit  et  l'autre  circonscrit  au  même 
cercle.  Il  est  facile  de  voir  qu'en  augmentant  sans  cesse  le  nombre  des 
côtés  de  chacun  de  ces  polygones,  leurs  périmètres  vont  se  rapprochant 
toujours  et  tendent  à  se  confondre.  Or,  ils  ne  peuvent  se  confondre 
absolument  qu'en  se  confondant  avec  la  circonférence.  Mais  comme  un 
polygone  d'un  nombre  fini  de  côtés  n'est  jamais  une  circonférence,  on 
dit  qu'en  portant  ces  mêmes  polygones  à  un  nombre  infini  de  côtés  ils 
se  confondront  avec  la  circonférence.  C'est-à  dire,  encore,  que  la  diiTé- 
rence  pourra  être  considérée  comme  nulle.  Car  le  nombre  infini  de  côtés 
d'un  polygone  n'est  pas  plus  concevable  que  le  nombre  infini  des  termes 
d'une  progression  de  nombres. 

3*  Portez  à  rinfiai  la  progression  :  I,  2,  3,  4,  5,  etc,  puis  la  progression 
i,  3,  5,  7,  9,  etc.  Comparez  ensuite  les  nombres  des  termes  de  chacune 
des  progressions.  Voici  les  questions  qui  se  présentent.  Le  nombre  des 
termes  sera-t-il  le  même  ?  Alors  le  dernier  terme  de  la  deuxième  pro- 
gression sera  le  double  du  dernier  terme  de  la  première.  Ou  bien  les 
deux  derniers  termes  seront-ils  égaux  ?  Alors  le  nombre  des  ternies  de 
la  première  sera  le  double  de  celui  des  termes  de  la  deuxième.  Cepen- 
dant, par  hypothèse,  ces  deux  nombres  sont  infinis.  Mais  si  Tune  des 
deux  progressions  a  un  nombre  de  termes  double  par  rapport  à  Tautre 
pourquoi  ne  pas  pousser  celle-ci  jusqu'à  un  nombre  égal?  Et  si  les 
nombres  de  termes  étant  égaux  le  dernier  terme  de  l'une  est  double  du 
dernier  terme  de  l'autre,  pourquoi  ne  pas  pousser  celle-ci  jusqu'à  ce  que 
son  dernier  terme  atteigne  la  première  1  Si  on  le  fait,  la  première  ques- 
tion revient,  et  ainsi  de  suite.  Mais,  dit-on,  les  deux  progressions  sont 
poussées  jusqu'à  l'infini,  il  n'y  a  donc  plus  rien  à  ajouter.  Par  définition 
il  n'y  a  plus  rien  à  ajouter  et  par  l'essence  même  des  deux  progressions 
l'une  est  double  de  l'autre.  Qu'est-ce  donc  que  le  nombre  infini  î  Pou- 


DE  l'être  contingent  203 

vez-vous  concevoir  un  point  où  le  nombre  des  termes  sera  le  même 
pour  les  deux  progrressions  et  où  en  même  temps  le  dernier  terme  sera 
le  même  pour  les  deux?  N'est-ce  pas  là  un  cercle  carré? 

On  le  voit,  l'idée  de  la  quantité  infinie  n'est  pas  une  idée  déterminée. 
Elle  n'est  pas  identique  à  elle-même  dans  toutes  les  conditions;  elle  ne 
permet  pas  à  la  raison  de  voir  qu'elle  doit  s'arrêter  et  qu'il  n'y  a  plus 
rien  à  ajouter.  C'est-à-dire,  qu'elle  est  en  effet  l'idée  de  l'indéfini  portée 
au  delà  des  limites  de  l'expérience  finie.  Si  on  cherche  quelque  chose  de 
plus  on  ne  trouvera  que  l'absurde  :  un  infini  qui  n'est  pas  infini. 


Chapitre  2* 

DE  L'ÊTRE  GONTINOEm* 


71.  Son  essence.  —  L*étre  contingent  est  celui  qui  peut  ne  pas 
être,  et,  s'il  peut  ne  pas  être,  c'est  parce  qu'il  n'existe  paa  par  lui- 
môme. 

72.  Attribafs  (métaphysiques)  de  l'être  eontingent. —  Pour 
avoir  les  attributs,  c'est-à-dire  les  caractères  nécessaires  de  l'être 
contingent,  il  suffit  de  prendre  négativement  toutes  les  propositions 

qui  affirment  les  attributs  de  l'être  nécessaire. 

L'être  qui  n'existe  pas  par  lui-même  n'est  pas  nécessaire,  c'est 
dire  qu'il  est  contingent;  il  est  fini  ;  il  a  un  commencement  ;  il  peut 
changer,  non  dans  son  essence,  ni  dans  ses  attributs,  mais  dans  seS 
modes;  le  nombre  des  ôtrescontihgents  possibles  est  indéfini  ;  l'être 
contingent  peut  n'avoir  aucune  connaissance,  mais  il  ne  peut 
tout  connaître  ;  sa  puissance  est  nécessairement  limitée  ;  il  ne  peut 
avoir  la  perfection  absolue  ;  il  peut  très-bien  ne  pas  exister  et 
n'être  que  possible  ;  s'il  existe  il  peut  n'être  pas  en  acte  de  telle  ou 
telle  chose  qu'il  a  la  puissance  on  la  faculté  de  faire,  et  en  tout  cas 
son  acte  est  toigours  uni  à  la  puissance  défaire  au^re chose  ou  de 
ne  pas  agir. 

En  dernière  analyse  et  en  résumé,  l'être  de  l'être  contingent  est 
un  être  précaire,  qu'il  tient  d'un  autre,  qui  ne  subsiste  que  par 
l'action  de  cet  autre  et  qu'il  peut  perdre  à  chaque  instant.  Car 


204  MÉTAPHYSIQUE 

Teffet  est  simultané  ft  sa  cause^  etTétre  contingeDtest  totalement 
Teffet  de  Taetion  de  Tétre  nécessaire.  Si  donc  cette  action  oeœait, 
l'être  contingent  n^existerait  plus. 

73.  Dislmctioii  des  êtres  contingents .  —  L*être  contingent 
peut  être  simple  ou  composé,  substance  ou  accident.  Nous  prenons 
ces  notions  des  êti^s  réels. 

74.  Attributs  de  l'être  simple.  —  L*être  simple  est  sans 
étendue  ;  il  n'occupe  pas  un  lieu  ;  il  est  dans  le  temps,  mais  le 
temps  ne  lui  est  peut-être  pas  essentiel  ;  enfin,  il  peut  être  doué 
d'intelligence  et  de  liberté.  Toutes  ces  notions  sont  prises  des  êtres 
réels  et  se  trouvent  d'accord  avec  la  nature  de  Têtre  simple. 

75.  Attributs  de  l'être  composé.  —  L'être  composé  est  natu- 
rellement étendu,  bien  que  peut-être  l'étendue  ne  lui  soit  pas  essen- 
tielle ;  en  tous  cas,  son  étendue  n'est  certainement  pas  déterminée 
par  son  essence  ;  il  occupe  un  lieu  ;  il  est  dans  le  temps,  et  le  lien 
et  le  temps  paraissent  lui  être  essentiels  ;  il  ne  saurait  être  doué 
d'intelligence  ni  de  liberté,  car  la  pensée  et  la  liberté  ne  peuveat 
être  l'acte  de  pinsiears  éléments.  C*est  ce  que  nous  démontrerons 
en  psychologie,  quoique  la  démonstration  soit  métaphjsiqae. 

76.  Attributs  de  la  substance.  —  La  substance  est  Têtre 
proprement  dit  ;  elle  est  en  elle-même,  et  elle  demeure  tandis  que 
ses  modifications  changent  ;  elle  est  le  sujet  des  accidents  ou  modi- 
fications ;  c*e$t  elle  qui  possède  les  propriétés  ou  les  facultés  et  qni 
agit.  Elle  peut  d*ailleurs  être  simple  ou  composée. 

77.  Attribtots  des  accidents.  —  Les  accidents  ou  modifica- 
tions des  substances  ne  sont  rien  en  eux-mêmes,  ils  n'existent  que 
dans  les  substances  ;  ils  varient  très-facilement,  au  moiBs'qoelques- 
uns,  sous  Taotion  des  autres  substances,  ou  par  l'action  de  la  sabr 
tance  même  qulls  modifient  ;  ils  donnent  souvent  des  propriétés 
aux  substanoes  qu'ils  ttKïdifient,  mais  ils  n'agissent  pas  eux-^nêmes. 

78.  Relations  des  êtres  contingents.  —  Les  relations  des 
êtres  contingents  sont  innombrables,  mais  il  nous  faut  en  consi- 
dérer particuiiêrement  trois  qui  s(mt  communes  à  tous  et  qui  sont  : 
lé  temps,  Vespaçt  et  le  moupentent. 


DE  l'être  contingent  205 

79.  Le  temps.  —  Le  temps  n'est  pas  une  substance,  car  rien 
de  ce  que  nous  en  connaissons  en  nous  le  fait  concevoir  comme  tel. 
Les  substances  l'occupent  sans  qu'il  disparaisse  ;  il  est  le  même  au 
même  instant  dans  tous  les  lieux  et  en  dehors  des  lieux.  Nous  le 
mesurons  et  nous  ne  lui  trouvons  qu'une  seule  dimension  :  la  durée; 
sans  que  pour  cela  il  cesse  de  s'étendre  à  tous  les  lieux. 

Il  n'est  donc  qu'une  durée  ;  mais  la  durée  de  quoi  ?  Il  n'est  pas 
la  durée  de  tel  ou  tel  être  en  particulier  ;  il  n'est  pas  sa  durée  à  lui- 
môme,  car  alors  il  serait  une  substance.  N'est-il  donc  qu'une  durée 
abstraite  ?  Non,  car  nous  le  mesurons  de  tel  instant  &  tel  instant 
comme  une  durée  l'éelle.  Il  est  donc  la  durée  des  choses  qui  durent, 
c'est-à-dire  des  être  contingents.  Mais  encore,  en  quoi  consiste  cette 
durée  ?  Sans  affirmer  absolument  ce  qu'il  est,  gardons-nous  d'affir- 
mer autre  chose  que  ce  que  nous  en  connaissons.  ,0r  nous  n'en 
connaissons  que  la  longueur,  et  nous  ne  voyons  pas  autre  chose  en 
lui.  Et  cette  longueur  ne  nous  est  connue  que  par  la  succession  des 
faits.  Disons  donc  qu'il  n'est  que  la  relation  de  succession  des 
faits, 

Mais^  outre  le  temps  des  choses  qui  sont  et  qui  durent  nous  con- 
cevons encore,  en  dehors  de  tout  être,  le  temps  sans  limite.  Qu'estrce 
que  ce  temps  ?  Il  n'est  plus  la  relation  de  succession  des  faits,' car 
nous  le  concevons  en  dehors  de  tout  fait  et  de  toute  relation.  Par 
la  ppnsée,  ôtons  tous  les  faits  qui  se  succèdent  nous  concevons 
encore  le  temps  dans  lequel  ils  pourraient  se  succéder.  Ce  temps 
est-il  réel  ?  est-il  infini?  Non.  Nous  le  concevons  comme  la  possibi- 
lité de  faire  succéder  des  faits  ;  ce  n'est  donc  qu^une  pure  possibili- 
té, qui  en  elle-même  n'est  que  le  néant.  Inutile  d'ajouter  qu'il 
n'est  pas  infini,  car  le  néant,  quoique  sans,  limite,  ne  peut  être 
appelé  «  infini.  )i^  * 

80.  L'espace.  —  L'espace  n'est  pas  une  substance.  Ce  n'est 
pas  un  esprit  :  personne  n'en  doute  ;  ce  n'est  pas  un  corps,  puis* 
qu'au  contraire  il  faut  de  l'espace,  c'est-à-dire,  l'absence  de  tout 
corps  pour  placer  un  corps.  Nous  le  mesurons  en  partie  et  nous  lui 
trouvons  trois  dimensions.  Il  est  le  même  dans  tous  les  temps. 
Nous  en  concevons  une  partie  déterminée  par  l'ensemble  des  corps 
et  occupé  par  eux;  mais  nous  concevons  au  delà  nn  espace  sans 
limite  dans  lequel  on  pourrait  placer  des  corps  indéfiniment. 


L 


/ 


206  MÉTiLPHTSIQUB 

L'espace  déterminé  par  les  corps  est  naturellement  fini  et  il  nom 
apparaît  comme  une  simple  relation  de  simultanéité  des  corps^ 

L'espace  non  occupé  par  des  corps  n'est  que  la  possibilité  d'en 
mettre,  et  comme  possibilité  il  est  indéfini.  Mais,nous  le  conceTOBS 
actuellement  sans  limite,  sans  attendre  les  corps  qui  pourraieit 
l'occuper,  et  nous  concevons  que  les  nouveaux  corps  le  détennioe- 
raient  mais  ne  le  créeraient  pas.  Cet  espace  ainsi  conçu  sans  limite 
n  est  pas  d'une  autre  nature  que  celui  que  les  corps  déterminent  : 
il  n'est  donc  pas  une  substance.  Mais,  il  n'est  pas  non  plus  an  aoei- 
dent,  puisqu'il  n'y  a  pas  de  substance  là  où  nous  le  concevons.  Doue 
c'est  un  pur  néant.  Et,  de  fait,  que  faut-il  pour  pouvoir  placer 
un  corps  ?  Il  faut  qu'il  n'y  ait  rien  là  où  on  veut  le  mettre.  Il  est 
donc  inutile  de  supposer  quelque  chose  de  réel  pour  recevoir  les 
corps.  Il  ne  faut  donc  pas  dire  qu'il  est  infini.  Car  le  néant  n'est  pas 
infini,  et  comme  possibilité,  il  ne  peut  être  qu'indéfini. 

On  a  donc  tort  de  dire  que  les  idées  d'espace  et  de  temps  soient 
des  idées  nécessaires.  Car  une  idée  nécessaire  est  l'idée  d'un  éii^ 
et  quoique  nous  parlions  tous  du  néant,  nous  n'en  avons  pas  une 
idée.  Cependant  l'idée  de  l'espace  est  une  idée  très-claire  ;  mais 
eulement  comme  possibilité  de  placer  des  corps,  et  cette  idée  est 
indéfinie.  Au  delà  nous  ne  Concevons  plus  rien  ;  et  s'il  nons  est 
impossible  de  concevoir  l'espace  fini,  il  nous  est  impossible  ansâ 
de^le  concevoir  infini,  (page  200,  Corollaires,) 

81.  Le  mouTement.  —  Le  mouvement  est  un  changement  de 
relation  locale,  correspondant  à  un  temps  donné.  Pendant  le  mo»> 
vement  le  corps  occupe  successivement  tous  les  points  de  req[iaee 
compris  entre  son  point  de  départ  et  son  point  d'arrivée,  et  c'est 
cette  «W(?cw«  on  de  relations  locales  d'um^orps,  produite  conjoin- 
tement avec  la  sriccession  de  ses  relations  de  temps^  qae  Ton 
appelle  mouvement.  Le  corps  est  en  mouvement  tant  que  chaque 
instant  de  la  durée  du  temps  le  trouve  à  un  point  de  l'espace  diffè- 
rent de  celui  de  l'instant  précédent. 

82.  Confirmation  de  cette  triple  théorie.  —  Supposons  que 
la  durée  comprise  entre  chacun  des  faits  successifs  auxquels  nous 
assistons  vienne  à  être  réduite  de  moitié,  ou  des  9[10,  des  99[100 
etc.  ou  augmentée  respectivement  jusqu'à  être  10  fois  100    fois 


DE  l'être  contingent  207 

1000  fois  plus  grande  ;  qui  de  nous  s'apercevra  du  changement  ? 
Supposons  une  modification  semblable  dans  l'étendue  de  tous  les 
corps  et  dans  l'espace  qui  les  sépare  ;  nul  de  nous  n*en  aura  connais- 
sance. Supposons  un  changement  semblable  dans  les  lieux  et  les 
temps  et  dans  les  mouvements  :  nous  croirons  que  tous  les  mouve- 
ments sont  les  mêmes.  Donc  ces  trois  choses  :  le  temps,  l'espace,  le 
mouvement,  ne  sont  que  des  relations  mesurées  les  unes  par  les 
autres  ;  et,  comme  la  seule  idée  que  nous  ayons  de  ces  trois  choses 
c'est  leur  mesure,  il  s'en  suit  que  nous  n'en  connaissons  que  la 
mesure  réciproque,  et  n'avons  pas  le  droit  d*en  affirmer  autre  chose. 

83.  L'étendue.  —  Un  autre  attribut,  ou  du  moins  un  caractère 
constant  des  corps,  que  nous  ne  connaissons  que  sous  forme  de  re- 
lation c'est  retendue.  L'étendue  appelle  Tespace,  comme  l'espace 
appelle  Tétendue.  Nous  mesurons  une  étendue  quelconque  par  une 
autre  étendue,  et  tout  ce  que  nous  voyons  dans  l'étendue  c'est 
qu'elle  se  mesure.  Mais  encore  une  fois  supposons  que  les  étendues 
relatives  de  tous  les  corps  fussent  proportionnellement  diminuées 
jusqu'à  Tinôniment  petit,  nous  ne  pourrions  pas  nous  douter  du 
changement.  Donc  Tétendue  aussi  n'est  qu'une  relation,  ou  du 
moins  nous  n'avons  pas  le  droit  d'en  affirmer  autre  chose. 

84.  La  résistance  ou  Fimpénétrabilité.  —  Nous  ne  connais- 
sons l'étendue  d'un  corps  que  par  l'étendue  de  sa  résistance  ou  de 
son  impénétrabilité,  et  nous  attribuons  au  corps  lui-même  ou  à  la 
substance  du  corps  cette  étendue  que  nous  devrions  nous  contenter 
d'attribuer  à  sa  résistance.  Si  donc  la  substance  du  corps  avait  une 
étendue  moindre  que  sa  résistance,  nous  n'en  saurions  rien,  et  si 
môme  la  substance  d'un  corps  était  simple  et  sa  résistance  étendue, 
nous  le  croirions  étendu  tout  de  môme.  C'est  donc  sans  motif  suffi- 
sant que  nous  affirmons  l'étendue  des  corps,  elle  pourrait  n'exister 
que  dans  leur  résistance. 

Cependant  un  fait  constant  nous  autorise  à  juger  que  la  subs- 
tance d'un  corps  n'est  pas,  comme  l'ont  cru  certains  auteurs,  une 
seule  et  unique  substance  simple  exerçant  sa  résistance  dans  une 
certaine  étendue.  Non,  car  en  divisant  un  corps  en  quelque  point 
que  ce  soit  de  lui-môme,  il  offre  partout  la  même  résistance  Et  ce 
;  fait  nous  autorise  à  conduire  que  tout  corps  est  un  composé  d'élé- 


208-  mAtaphysiouk 

ments  dont  la  dimension,  s'ils  ea  ont  iine,  est  plus  petite  que  toutes 
celles  que  nous  pouvons  observer  physiquement.  Car  si  larésistaaee 
demeure  avec  une  étendue  proportionnelle  dans  une  partie  quel- 
conque d'un  oorps,  c  est  évidemment  que  cette  petite  portion  du 
corps  contient  une  substance  qui  résiste,  autrement  la  résistaBoe 
serait  un  effet  sans  cause.  Donc  la  substanee  d'un  corps  qui  se 
divise  est  un  composé  de  substances,  et  de  plus  la  résistance  de  ces 
substances  n'a  qu'une  étendue  inappréciable  k  nos  sens. 

85.  Dmsibtiité  de  la  matière.  —  Arrivés  à  ce  point,  il  nous 
reste  à  demander  :  1^  si  le  nombre  de  ces  substances  élémentaires 
qui  composent  un  corps  est  déterminé  ;  2^  si  ces  éléaie&ts  ont  une 
étendue  ou  si  ce  sont  des  substances  simples  sans  étendue.  Poar 
répondre  à  la  première  question,  nous  observerons  que  les  éléments 
qui  (omposent  les  corps  existent  réellement;  et  que  par  conséquent 
ils  ne  peuvent  pas  être  en  nombre  indéfini,  parce  qme  Tindéfim  n'est 
que  possible;  ni  en  nombre  infini,  parce  que  le  nombre  infini  est 
impossible.  Ils  sont  donc  en  nombre  déterminé. 

La  question  ainsi  posée,  et  nécessairement  résolue,  montre  Fer. 
reur  de  Descartes  qui  supposait  la  matière  divisible  indéfiniment, 
ou  &  l'infini,  comme  il  disait.  En  effet  l'étendue  abstraite  est  divi- 
sible indéfiniment  par  la  pensée  ;  mais  les  éléments  composants 
d'un  corps  ne  sauraient  être  qu'en  nombre  déterminé. 

Pour  la  deuxième  question,  nous  observerons  d'abord  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  que  comme  nous  ne  percevons  Fétendae  qae 
de  la  résistance  des  corps  et  non  de  leur  substance,  rien  ne  nous 
autorise  à  dire  ni  à  supposer  que  la  substance  des  corps  soit  éten- 
due. Nous  ajouterons  à  cela  que  si  les  éléments  {H^emiers  des  cor]^ 
ont  une  étendue  ils  sont  encore  divisibles  et  que  dès  lors  ils  ne  sont 
pas  les  éléments  premiers  et  composants,  mais  ils  seraient  eux-4nô- 
mes  des  composés.  Il  ne  reste  donc  qu'une  condition,  d'accord  avec 
l'expérience  et  une  légitime  induction,  c'est  que  les  éléments  pi^ 
miers  et  composants  dés  corps  sont  des  substances  simples,  san^ 
étendue. 

86,  Théories  diverses  sur  la  matière.-^  La  question  de  la 
nature,  de  la  matière,  de  la  composition  des  corps  et,  par  suite,  de 
Iqut  diviftibilité  a  occupé  plus  ou  moins  toutes  les  écoles  de 
sopbie. 


DE  l'être  contingent  209 

L'Ecole  Ionique  se  partage  à  ce  siyet  en  deux  sens.  Les  uns, 
appelés  dynamistes,  conçoivent  une  substance  unique,  d'une  éten- 
due infinie,  douée  d'une  force  intime,  et  qui,  se  transformant  sans 
cesse,  produit  tous  les  phénomènes  du  monde,  ou  bien  plusieurs 
substances  douées  d'une  force  propice  et  produisant  les  mômes  effets. 
Les  autres  appelés  mécanistes,  conçoivent  un  nombre  infini  de 
corps  infiniment  petits,  qui  n'ayant  aucune  force  par  eux-mêmes, 
sont  mis  en  mouvement  par  une  force  étrangère,  et  pi*oduisent  les 
différents  êtres,  par  les  combinaisons  de  leurs  mouvements  et  par 
leurs  agrégations  diverses. 

L'Ecole  de  Pjthagore  ne  voit  dans  la  matière  que  des  nombres 
rangés  harmoniquement,  et  la  réalité  du  corps  semble  disparaître 
sous  cette  conception  abstraite  de  Tordre. 

L*Bcole  atomistique  développe  la  doctrine  mécanique  et  suppose 
une  infinité  d*atomes,  doués  de  propriétés  essentielles  diverses,  et 
animés  d'un  mouvement  étemel  dans  le  vide  infini.  Ces  atomes, 
sont  étendus  mais  indivisibles. 

Platon  ((ui  conçoit  le  monde  comme  disposé  par  Dieu  d'après  le 
modèle  des  idées,  suppose  une  matière  préexistante  ;  mais,  comme 
il  sent  bien  que  le  premier  principe  des  choses  doit  être  un,  il  dimi- 
nue autant  qu'il  le  peut  l'importance  de  la  niatière  et  en  fait  tantôt 
un  simple  devenir^  tantôt  une  illusion  et  un  .pur  néant. 

Aristote,  quoique  n'admettant  pas  en  principe  la  théorie  des  idées 
de  Platon,  son  maître,  conçoit  cependant  la  spécification  de  chaque 
être  comme  quelque  chose  déplus  important  que  ce  qui  le  fait  tel 
ou  tel  individu.  Il  distingue  donc  dans  tout  corps  :  la  forme,  prin- 
cipe de  toute  son  activité,  de  toute  son  opération  et  même  de  son 
existence  réelle,  principe  de  sa  spécification; et  la  matière,  simple 
passivité,  simple  capacité  de  recevoir  telle  ou  telle  forme,  et  ne  pou- 
vant exister,  encore  moins  agir,  par  elle-même,  mais  individuali- 
sant la  forme  et  existant  avec  elle  pour  constituer  tel  corps.  Pour 
Ini  l'étendue  n'est  qu*un  accident  du  corps. 

Epicure  reprend  la  théorie  des  atomistiques  et  en  particulier  de 
Démocrite,  et  développe  la  conception  des  atomes,  qu'il  s'efforce 
de  montrer  comme  étemels  et  impérissables,  immuables  dans 
Leurs  propriétés,  animés  d'un  mouvement  étemel  et  nécessaire,  se 
rencontrant  par  hasard,  ou  par  une  certaine  spontanéité,  mais 

14 


210  MÉTAPHYSIQUE 

s'agrégeant  ou  ne  s'agrégoant  pas,  ft  rQ^ison  de  leurs  propdétés. 
Pour  Zenon,  chef  des  stoïciens,  le  monde  n*est  qa*niie  machine 
mise  en  mouvement  par  la  pensée,  sorte  de  feu  intelUgeiity  qui  est 
essentiellement  actif,  et  produit  par  nécessité  les  évolutions  qui 
font  naître  et  mourir  les  différents  êtres.  La  pensée,  ou  raisoo,  oa 
force,  est  active,  et  pénétre  et  tend,  comme  cause  nécessaire,  laxna- 
tiôre  passive.  Mais  on  ne  sait  ce  qu'est  cette  matière 

Les  Scolastiques  gardèrent  religieusement  la  doctrine  d'Âfistota, 
et,  comme  lui,  ils  distinguent  la  forme  et  la  matière^  sans  now 
dire  mieux  comment  ils  concevaient  cette  pore  passivité,  cette 
simple  possibilité  de  recevoir  des  formes. 

Descartes  distingue  deux  substances  :  Tesprit  et  la  matière.  L'es- 
sence de  l'esprit,  c*est  la  pensée,  active  et  libre  ;  l'esseDce  de  la 
matière,  c'est  l'étendue,  passive  et  inerte.  Avec  cette  notion  de  la 
matière,  il  devait,  comme  il  l*a  fait,  la  concevoir  divisible  indé- 
finiment. 

Leibnitz  pose  en  principe  une  infinité  de  substances  simples,  ot 
mieux  de  forces,  toutes  actives  et  spontanées,  qu*il  appelle  moiui- 
des,  dont  les  unes  ont  des  perceptions  claires  :  ce  sont  les  Ames;  les 
autres  n'ont  que  des  perceptions  confuses  :  ce  sont  les  éléments  des 
corps.  Toutes  d'ailleurs  éprouvent  des  modifications  paiement  in- 
ternes et  prédéterminées  d'une  manière  qui  s'harmonise  paifoits* 
ment  avec  les  modifications  des  autres. 

Boscowich  partant  de  la  théorie  de  Leibnitz  s'efforça  d'exidi^i 
comment  un  groupe  d'éléments  sans  étendae  peut  former  nu 
étendu.  Il  attribue  ce  résultat  à  une  double  force.  Les  monadei, 
ont,  selon  lui,  une  force  d'attraction  qui  les  rapproche  jasqa*ft  ce 
que  leur  force  de  répulsion  les  empêche  de  se  rapprocher  davan- 
tage. Ainsi  s'explique  l'étendue  des  corps. 

De  nos  jours  quelques  auteurs,  entre  autres  M'  l'abbé  Fatee. 
ont  essayé  de  donner  une  autre  explication  de  Tétendne,  toot  en 
gardant  pour  point  de  départ  la  simplicité  ou  la  non^^tendne  de 
chacun  des  éléments  des  corps.  C'est  la  théorie  da  dj/n€»ni4me. 
Selon  cette  théorie,  les  éléments  des  corps  sont  aussi  des  îosccm 
sans  étendue,  ce  sont  des  points,  mais  des  points  réels  et  réeifltanlSL 
Gela  suffit,  selon  M' Fabre,  pour  qu'ils  ne  se  compénètrent  pua  ^ 
ne  se  confondent  pas,  et  pour  que,  en  se  touchant,  ils  eonstitiieal 
cependant  une  étendue^ 


DB   t-ÊTtllE  CÔlkTIN'aBNT      .  211 

Il  est  difficile  dé  se  prononcer  nettement  sur  ttne  pareille  ques- 
tion, mais  nous  croyons  pouvoir  donner  comme  certaines  et 
comme  acquises  ft  la  philosophie  classique,  les  propositions  sui- 
vantes : 

1^  Un  corps  est  composé  de  plusieurs  éléments. 

3®  Ces  éléments  sont  des  isubstances. 

2f*  Ces  substances  sont  douées  d'une  activité  physique,  qni^  opé- 
rant différents  phénomènes,  s'appelle  attraction  moléculaire^  affi- 
nité ûhifiùque^  impénétrabilité. 

4^  Ces  substances  sont  sans  étendue,  et  en  nombre  fini. 

.  b^  L'étendue  des  corps  résulte  de  Tagrégation  de  ces  subtances 
simples. 

kpT^  ces  données  qui  nous  paraissent  certaines,  peut-on  aller 
plus  loin  et  expliquer  le  mode  d'union  des  éléments  siniples  ?  Aucun 
des  systèmes  exposés  ci-dessus  ne  nous  paraît  plausible.  ' 

Toutefois,  après  ce  que  nous  avons  dit  et  démontré,  deux  systè- 
mes seulement  sont  debout.  L'explication  de  Boscowich  et  celle  de 
Monsieur  l'abbé  Fabre. 

Or  nous  ne  voyons  pas  le  moyen  de  déterminer  l'étendue  formée 
par  deux  points  qui  se  touchent.  On  peut  bien  concevoir  qu'un 
point  sans  étendue  ait  deux  faces,  dans  le  sens  d'une  même  ligne 
droite,  et  par  suite  autant  de  faces  que  l'on  voudra,  dans  tous  les 
sens  ;  mais  entre  ces  deux  faces,  d'après  l'hypothèse,  il  n'y  a  pas 
d'étendue. 

Si  donc  je  place  un  nouvel  élément  de  chaque  côté  du  premier, 
de  manière  &  ce  qu'ils  le  touchent  tous  les  deux,  il  n'y  aura  aucune 
distance  entre  ces  deux  éléments  et  par  suite  aucune  étendue  for- 
mée par  les  trois. 

Nous  préférerions  donc  l'autre  théorie  qui  suppose  un  vide  entre 
les  éléments  et  explique  ce  vide  par  la  résistance.  On  dira  que 
cette  force  de  répulsion  a  besoin  d'un  milieu  qui  la  transmette.  On 
peut  répondre  que  ce  milieu,  c'est  la  force  elle-même,  conçue  comme- 
agissant  en  dehors  d'elle-même  &  une  distance  minime.  Quoi  qu'il 
en  soit,  nous  ne  donnons  pas  cette  théorie  comme  classique,  mais 
simplement  coname  une  explication  qui  nous  paraît  préférable  aux 
antres. 

La  plus  récente  théorie  physique  de  la  chaleur  ;  celle  qui  expli- 


212  MÉTAPHYSIQUE 

que  la  chaleur,  la  lumière  et  réiectricité,  par  le  mouveinent  molécu- 
laire, pourrait  aussi,  fournir  une  autre  explication  de  Fét^idse 
formée  par  Tagrégation  des  éléments  des  corps.  D'après  cette  théo- 
rie, la  chaleur  est  une  vibration  minime  de  toutes  les  molécules  d*ca 
corps  :  on  pourrait  peut-être  dire  de  tous  les  éléments.  Ainsi,  dasi 
un  corps  plus  chaud,  les  éléments  se  tiennent,  comme  lésuh&t 
dernier  de  leurs  vibrations,  à  des  distances  plus  grandes  qoe  da» 
ce  même  corps  moins  chaud.  C'est  ainsi  que  la  chaleur  dilate  ki 
corps.  Mais  comme  il  y  a  toigours  dans  tout  corps  un  certain  degié 
de  chaleur,  et  que  le  froid  absolu  n'existe  pas  dans  la  nature,  il 
s'ensuit  que  dans  tout  corps  les  molécules  sont  en  vibration  pei^ 
tuelle  et  par  suite  se  tiennent  toigours  &  distance.  Quand  un  ooip8 
solide  est  dilaté  par  la  chaleur,  son  étendue  est  augmentée  ;  ce  n'est 
que  parce  que  les  vibrations  de  ses  molécules  sont  plus  amples  ;  et 
cependant  il  fait  à  nos  sens  la  même  impression  d'étendue  contUie 
que  lorsqu'il  est  moins  chaud.  Ce  qui  confirme  parfaitement  oetta 
dernière  explication  de  l'étendue. 


PSYCHOLOGIE 


gMriutSs 


1.  Objet.  —  Ea  percevant  des  modiûcations  nous  en  affirmons 
le  sujet  que  nous  ne  voyons  pas.  De  mémey  en  percevant  nos  pro- 
pres modifications  nous  nous  affirmons  nous-mômes  nous  disons 
moi.  Dans  oe  moi  qui  est  l'homme,  nous  percevons  d'abord  le 
corps,  mais  certaines  modifications  plus  intimes  nous  forcent  à 
oonclure  que  ce  qui  dit:  moiy  est  un  être  distinct  du  corps,  invisible 
mais  actif,  et  en  cela  plus  parfait  que  le  corps  qui  n'est  que  passif. 
C'est  ce  moi  invisible  que  nous  appelons  Vdme,  et  c*est  l'Ame  qui 
«t  l'objet  de  la  science  appelée  Psychologie. 

D'autres  sciences  s'occupent  de  l'homme,  mais  elles  le  consid^ 
Tent  à  un  autre  point  de  vue.  L'anatomie  étudie  la  structure  du 
corps  ;  la  physiologie  étudie  le  corps  en  tant  qu'il  est  vivant  et  en 
examine  les  fonctions  vitales  ;  la  médecine  en  général  l'étudié  dans 
les  maladies  et  dans  les  moyens  de  lui  rendre  ou  de  lui  conserver 
la  santé  ;  les  sciences  noologiques  étudient  telle  ou  telle  opération 
àe  l'Ame  ;  la  psychologie  seule  étudie  l'Ame  toute  entière  dans  sa 
nature,  dans  ses  facultés  et  dans  toutes  ses  opérations  en  général. 

2.  DéfinitioD.  «-  La  psychologie  bst  la  science  db  l'ame. 

3.  Méthode.  —  L'Ame  est  un  ôtre  réel,  et  les  lois  que  Ton 
Techerche  en  psychologie %ont  les  lois  de  l'Ame  en  tant  qu'être  réel. 
Ces  lois  sont  donc  des  lois  physiques  qui  ne  sont  pas  nécessaires 
eu  eUe»-mémes  ;  et  que  pour  cela  nous  ne  pourrions  découvrir  & 
priori  ;  de  plus  ces  lois  sont  forcément  observées  dans  les  phénomé- 


214  PSYCHOLOaiB 

nés  naturels  de  VAme  :  nious  pourrons  donc  les  induire  de  la  Bâton 
de  ces  phénomènes.  La  méthode  de  la  psychologie  est  doncla  méthode 
d'observation  et  d'induction  ou  la  méthode  analytique. 

4.  InBtmmeiit  de  e%¥m  étud«.  —  Maii^  pouvons-nous  obser- 
ver les  phénomènes  de  l'Ame  ?  Oui,  et  nous  le  pouvons  mieax  qœ 
pour  les  phénomènes  des  corpsL  Nous  avons  pour  icela  un  instru- 
ment plus  immédiat  que  pour  les  corps.  Cet  instrument  c^est  la 
Conscience.  Nous  avons  conscience  de  nos  modifications,  dods 
savons,  nous  percevons  immédiatement  ce  qui  se  passe  en  nous,  et 
cette  perception  immédiate  est  au  ,moins  aussi  certaine  que  la 
perception  des  phénomènes  des  corps,  qui  suppose  deux  instru- 
ments :  la  perception  des  sens  et  la  conscience  de  cette  perception. 
Donc.  Tobservation  des  phénomènes  de  TAme  est  plus  immédiate  et 
au  moins  aussi  certaine  querobservation  des  phénomènes  des  corps. 

5.  Pmsion.  —  La  méthode  de  la  psychologie  nous  indique  la 
marche  que  nous  avons  à  suivre  dans  cette  étude.  11  nous  faut  d'a- 
bord observer  les  phénomènes  de  l'Âme,  qui  sont  toutes  les  modifi- 
cations qu^elle  éprouve  et  dont  nous  avons  conscience  ;  Texistence 
de  ces  modifications,  qui  sont  des  faits  de  Tâme,  nous  autoriserai 
conclure  que  Tâme  a  la  faculté  de  les  produire,  et  par  conséquent 
la  distinction  des  phénomènes  nous  fournira  la  distinction  des  hr. 
cultes  de  l'âme  ;  et  enfin  la  nature  des  facultés  de  l'Ame,  qui  soot 
les  caractères  essentiels  de  TAme  elle-même,  nous  permettra  de 
conclure  A  sa  nature,  que  nous  trouverons  difi'érente  de  la  nature 
du  corps, 

Donc  trois  chapitres  :  1*»  Faits  ou  phénomènes  de  TAme  ;  2*  Fa- 
cultés de  l'Ame  ;  3*  Nature  de  TAme. 

Chapitre  !•' 

FAITS  OU  PHÉNOMÈNES  DE  L'AME 


6.  Principe  de  cette,  étude.  —  Les  faits  qui  se  produiseiit 

en  nous  apparaissent  mêlés,  soit  qu'ils  viennent  de  TAme,  soitqn*ik 
viennent  du  corps,  soit  qu'ils  soient  par  l'un  et  l'autre  à  la  fois;  mais 


FAITS  on    PHÉNOMÈNES  DE    L'aMB  215 

la  conscience  qui  nous  dit  que  ces  faits  sont  les  nôtres,  nous  avertit 
I    on  même  temps  qu'ils  sont  de  Tâme,  qu'ils  viennent  de  Tâme,  quand 
ils  en  viennent.  En  sorte  qu'en  percevant  un  fait  qui  se  passe-en 
nous,  nouff  en  percevons  le  BtQei  et  la  cause. 

7.  Triple  sujet  de  nos  modifications.  —  Parmi  les  modifi- 
cations que  nous  éprouvons,  les  unes  sont  des  modifications  du 
corps  seul,  d'autres  sont  des  modifications  du  corps  et  de  Tftme, 
l'un  par  l'autre,  et  les  autres  des  modifications  de  l'âme  seule. 

8.  Faits 'ou  modifications  du  corps  seul.  —  Les  faits  qui 
se  produisent  dans  le  corps  seulement,  sans  que  nous  en  ayons 
conscience,  comme  la  jcirculation  du  sang,  la  nutrition  et  le  déve- 
loppement du  corps,  ne  sont  pas  du  domaine  de  la  psychologie. 

9.  Faits  ou  modifications  du  corps  et  de  l'âme.  —  Les 

faits  de  cette  nature  se  groupent  en  deux  séries  bien  distinctes.  Les 
ans  vont  du  corps  &  l'Âme  et  s'appellent  impressions  ;  les  autres 
vont  de  l'Ame  au  corps  et  s'appellent  mouvements.  Dans  les  uns  et 
dans  les  autres  il  faut  distinguer  l'élément  corporel  et  l'élément 
spirituel. 

10.  Élément  corporel  des  impressions  et  des  mouye- 
ments.  —  Dans  chacun  de  ces  deux  ordres  de  faits  il  se  produit 
en  sens  inverse,  dans  le  corps,  trois  modifications  connexes. 

Dans  les  impressions  il  y  a:  1^  impression  sur  l'organe  corporel, 
2*  transmission  le  long  des  nerfs,  3^  impression  sur  le  cerveau. 

Dans  les  mouvements  :  1®  mouvement  dans  le  cerveau  2^  transmis- 
sion le  long  des  nerfs,  3^  mouvements  dans  l'organe  corporel. 

11.  ÉSlément  spirituel  des  impressions  et  des  mouve- 
ments. —  Dans  les  impressions,  l'Âme  est  passive  et  reçoit,  nous 
ne  savons  comment,  le  contre-coup  de  l'impression  faite  sur  le 
cerveau. 

Dans  les  mouvements,  l'Âme  est  active  et  c'est  elle  qui  imprimé 
au  cerveau  le  mouvement  que  les  nerfs  doivent  communiquer  aux 
organes. 

D'ailleurs,  en  quoi  consiste  pour  l'Âme  l'impression  reçue  ou  le 
mouvement  donné?  c'est  ce  que  tout  le  monde  sent,  mais  ce  que 
personne  ne  saurait  dire.  ' 

De  même  que  nous  ne  savons  guère  comment  s'établit  cette 


2\ô  PSYCHOLOGIE 

communication  intime  entre  l'Ame  et  le  corps.  Noas  reviendrons 
sur  cette  question  à  la  un  de  la  psychologie. 

12  Double  nature  des  impressions.  —  Les  impressions  qas 

notre  corps  reçoit  des  corps  extérieurs  ou  de  ses  propres  modifica- 
tions se  transmettent  à  r&me,  comme  nous  venons  de  le  dire,  et  j 
produisent  deux  effets  bien  distincts. 

La  môme  impression  informe  Tftme  de  la  modification  présente 
de  son  corps  et,  en  môme  temps,  lui  fait  éprouver  une  attraction 
ou  une  répulsion.  Par  une  môme  impression  reçue  de  son  corps^ 
Tâme  perçoit  ce  qui  se  passe  dans  son  corps  et  elle  en  éprouve  du 
plaisir  ou  de  la  douleur.  Ces  deux  phénomènes  prennent  les  noms 
de  perception  et  de  sensation. 

Impressions,  perceptions,  sensations  :  ce  sont  là  des  mots  que  Ton  a 
souvent  confondus  en  philosophie.  Les  anciens  ne  distinguaient  ni  dans 
les  mots  ni  dans  Tidée  les  perceptions  et  les  sensations.  Les  modernes  distin. 
guent  généralement  ces  deux  faits,  et  placent  le  premier  dans  l'ordre  de 
la  connaissance,  le  second  dans  l'ordre  de  la  sensibilité  ;  mais  ils  con- 
fondent souvent  les  sensations  avec  les  impressions,  et  considèrent  les 
sensations  comme  la  cause  des  perceptions. 

Il  est  vrai  que  souvent  la  sensation  précède  la  perception  ;  il  est  vrai 
aussi  que  bien  des  fois,  c'est  le  plaisir  que  nous  a  procuré  un  objet,  ou  la 
douleur  que  nous  avons  ressentie  à  son  approche,  qui  nous  entraîne  à 
l'étudier  pour  le  mieux  connaître  ;  mais  tout  cela  ne  fait  pas  que  la 
sensation,  considérée  comme  plaisir  ou  douleur,  soit  la  cause  de  la  pez^ 
ceptlon.  Et  si  l'on  dit  que  la  sensation  n'est  pas  le  plaisir  ou  la  dou- 
leur, mais  qu'elle  est  accompagnée  de  plaisir  ou  de  douleur,  on  sort  du 
langage  reçu,  et  on  emploie  deux  mots  pour  un  ;  car  dans  ce  sens  le 
mot  a  sensation  >  est  tout-à-falt  Téqulvalent  du  mot  c  impression  ». 

C'est  pourquoi,  nous  conformant  au  langage  vulgaire  nous  appelons 
sensation  le  plaisir  lui-même  ou  la  douleur  ;  perception  rinformatioo 
reçue  par  l'Âme,  le  premier  fait  de  connaissance  ;  et  impression  le  fait 
général,  la  modification,  soit  du  corps,  soit  de  l'&me,  qui  informe  rame 
et  en  môme  temps  l'attire  ou  la  repousse,  lui  plaît  ou  lui  déplaît 

13.  Sensations.  —  On  appelle  sensation  l'attraction  ou  la 
répulsion  que  fait  éprouver  à  TAme  l'impression  reçue  par  le  corps. 
L'attraction  se  traduit  dans  le  langage  vulgaire  par  le  moiplaisir 
et  la  répulsion  par  le  mot  douleur.  Toute  sensation  est  un  plaisir 
ou  une  doulenr. 


FAITS  on  PHÉNOMÈNBB  DB  L'AMB  217 

On  s'est  demandé  8*U  y  a  des  sensations  indlflérentes.  Nous  ne  tran- 
cherons pas  la  question  ;  car  nous  concevons  des  Impressions  faites  sur 
le  corps  qui  ne  font  éprouver  à  l'àme  ni  plaisir  ni  douleur  ;  mais  ces 
impressions  indifTérentes  ne  sont  pas  des  sensations,  selon  le  sens  que 
nous  donnons  à  ce  mot.  C'est  en  ce  sens  que  nous  pouvons  dire  :  toute 
sensation  est  un  plaisir  ou  une  douleur.  Et  c'est  pour  exprimer  autant 
que  possible  la  nature  du  plaisir  et  de  la  douleur  que  nous  nous  ser- 
vons des  mots  Attraction  et  Répulsion.  £n  efifet  l'àme  est  passive  dans 
la  sensation,  et  le  plaisir  ou  la  àouleur  ne  sont  pas  un  acte  de  sa  part. 
D'un  autre  côté,  dans  le  plaisir,  l'àme  se  sent  appelée  et  entraînée  en 
quelque  sorte  à  vouloir  ce  qui  lui  fait  plaisir,  tandis  que  dans  la  dou- 
leur elle  éprouve  queljiue  chose  qui  l'engage  à  fuir  son  impression  et 
l'objet  qui  la  cause.  Ainsi  l'attraction  que  nous  considérons  comme 
l'essence  même  de  la  sensation  est  une  attraction  morale.  Elle  est  pro- 
duite physiquement;  elle  agit  physiquement  aussi  sur  l'àme;  mais  cette 
action  n'entraîne  pas  l'àme  forcément  ;  elle  la  laisse  libre. 

14.  Pereeptions.  —  La  perception  est  l'information  que 
l'âme  reçoit  des  modifications  qu'elle  éprouve  actuellement.  Comme 
cette  information  peat  arriver  à  Tâme  soit  d'une  modification  qui 
s'opère  en  elle,  soit  d'une  modification  de  son  corps,  la  perception 
est  interne  on  externe.  Il  ne  s'agit  ici  que  de  la  dernière,  puisque 
nous  parlons  des  faits  qui  ont  pour  siget  Tàme  et  le  corps.  La 
perceptiofi  externe  est  l'information  que  Tàme  reçoit  des  impres- 
sions de  son  corps. 

Comme  les  anciens  ne  distinguaient  pas  les  perceptions  des  sensations, 
ils  appelaient  at^di^mc  ou  sensuLB,  l'un  et  l'autre  de  ces  deux  phé- 
nomènes, et  c'est  de  là  que  vient  le  mot  <  sens  »  par  lequel  nous  dési- 
gnons encore  la  faculté  multiple  que  nous  avons  de  percevoir  les  phé- 
nomènes des  corps  par  cinq  organes  distincts. 

Mais  la  difiérence  entre  les  sensations  et  les  perceptions  est  essen- 
tielle et  apparaît  clairement  dans  les  deux  définitions  que  nous  venons 
de  donner  de  ces  deux  sortes  de  faits.  Elle  apparaîtra  mieux  quand 
nous  parlerons  des  facultés  d    l'àme. 

Les  perceptions  elles-mêmes  sont  de  diflTérentes  natures,  selon  les 
objets  perçus  :  couleur,  son,  odeur,  saveur»  résistance  et  chaleur  ;  elles 
prennent  différents  noms,  selon  les  organes  qui  leur  servent  d'instru- 
ments :  vision,  audition,  olfaction,  dégustation,  toucher. 

15.  Double  nature  des  mouTemenf  ■•  •—  Les  mouvements 
du  corps  qui  viennent  de  l'âme,  et  dont  l'âme  a  conscience,  sont 


218  PSTCHOLO0IE 

instinctifs  oa  volontaires.  Instinctifs  ils  ne  sont  connas  de  VAme 
qu'après  qu'ils  ont  été  produits;  volontaires  ils  sont  connus  d'avance 
et  môme  ne  sont  produits  que  parce  qu'ils  sont  connus.  Les  premiers 
ne  sont  dirigés  que  par  les  lois  physiques,  au  moins  dans  leur  pro- 
duction immédiate;  les  seconds  sont  en  même  temps  régis  par  des 
loiamoraies^  auxquelles  ils  doivent  éice  conformes. 

Les  mouvements  instinctifs  sont  le  résultat  d'nne  impression  qui 
affloflie  r&iBe  et  qui  vient  ou  de  la  sensation  ou  de  la  perception  on 
méfine  d'une  opération  purement  spirituelle. 

n  serait  trop  long  d'énumérer  seulement  les  diflTérentes  espèces 
de  mouvements  instinctifs  ou  volontaires.  Ils  sont  d'ailleurs  à  peu 
prôô  les  mômes  dans  les  deux  ordres.  Cependant,  dans  les  mouve- 
ments instinctifs,  il  semble  quelquefois  que  le  corps  obéisse  mieux 
à  l'Ame,  car  il  prend  alors  des  modifications  qu'on  ne  pourrait  lui 
faire  prendre  volontairement. 

Quant  aux  mouvements  physiologiques  dont  l'âme  n'a  pas  con- 
science, qu'ils  viennent  ou  non  de  l'Ame,  selon  les  différentes  opi- 
nions à  ce  sujet,  nous  n'avons  pas  à  nous  en  occuper  ici.  Nous  avons 
cependant  constaté,  non  par  l'observation  seule,  mais  par  induction, 
la  transmission  des  impressions  au  cerveau  et  l'impression  du  cer- 
veau, ainsi  que  les  mouvements  du  cerveau  et  leur  transmission  le 
long  des  nerfs,  quoique  ce  soient  des  mouvements  physiologiques 
et  inconscients. 

16.  Fait»  ou  modifioations  de  l'àme  seule.  —  Lee  faits  de 
cet  ordre  sont  innombrablesydans  leurs  espèces,  mais  on  les  ramène 
facilement,  et  par  un  court  examen,  à  trois  grandes  classes,  dans 
lesquelles  ils  se  groupent  tous,  et  prennent  les  dénominations 
communes  de  sentir,  connaître,  agir,  ou  de  sentiments ^  connais- 
sances, actes, 

17.  Faits  désignés  en  conuaun  par  le  net«  SoMtir  »,  os 
sentinienÉs; 

Tous:  les  €aits  de  cette  classe  se  manifestent  par  une  attraction 
ou  une  réf^ulsion  de  l'âtoe.  C'est  là  leur  caractère  distinctif  et 
peuirétre  leur  essence. 

On  déstinçoe  dans  oetta  ring»  :  jouir  et  sonftiri  aimer  et^  haïr; 
désira*  eteraiadre. 


FAITS  OC  PHÈNOMANBS   DE  l'aMB  2lO- 

Jouir  et  Souffrir,  Ces  mots  désignent  Tattraotion  et  la  répuMon 
d^r&mepour  son.étatactaejjiy  quelle  qu*en  soit  la  cause.  Â  la 
jouissance  se  rattachent  la  délectation,  le  plaisir,  la  gaieté,  la 
Joie,  le  contentement,  VaUégresse,  la  satisfaction,  la  paico,  le 
bonheur.  A  la  souffrance  se  rattachent  ;  la  douleur,  la  peine^ 
Idktristessef  Vennm,  le  trotthle,  le  malheur, 

Aiif  BR  BT  HàïR»  Ces  mots  désignent  Tattraction  et  la  répulsion  à» 
Tâ^piiepoupun  objet  connu, qui  pent  être  l'Ame  elle-même.  A  l'amour 
aetVdXisucbani:  lts,s^mpathie,  l'affection,  le  chérir,  VanUtié,  la 
tendresse.  A.  la  haine  se  rattachent  :  l'antipathie,  Ihdétestaiion, 
Yexécration. 

Désxrerjbx  Craindre.  Ces-mots  dé6igneBtl'«UFaetiontmlâ;réptil- 
8i£>n  de  l'âme  pour  un  objet»  ou  pour  son  état»  à  venir.  Au  désir  se> 
rattachent  :  l'aspiration,  l'espoir,  le  regret t  A  la  crainte  se 
rsiittaçhent.  :  la  peur,  l'effroi^  l'horreur,  l'anœiété. 

Toutes  ces  modifications  de  l'Ame  prennent  le  nom  commun  de 
sentiment  et  ont  pour  caractère  générique  Ta^^rac^ion  on  la  répuU 
sion.  C'est  pour  cela  que  l'on  dit  souvent  que  tous  les .  sentiments 
se.résument  dansl'amour.  Car  la  hainq  d'un  oljet  n'eist  que  Famour 
de  son.  contraire. 

Ces  sentiments  prennent  quelquefois  des  noms  particuliers  qui 
en  précisent  l'objet  ou  le  degré. 

On  oon$oit<en  effet  que,  si  le  sentiment  est  une  attraction  de 
l'Ame^  il  a  un  objet  et  il  comporte  des  degrés  d'intensité  différents. 

Aiissi  quand  l'intensité  d'un  sentiment  est  telle  qu'il  enchaîne 
TApae  malgré  sa  raison,  qui  lui  dicte  le  contraire,  le  sentiment  prend 
le  nom  àepassifon.  Ce  qui  veut  dire  que  l'Ame  est  passive  d'une 
attraction,  lorsqu'elle  devrait;  être  active  et  se  mouvoir  elle-même, 
selon  sa  conscience  et  avec, liberté. 

réduifmmt  tQHS  les^  sontimei^  à  ramoor,  quelques  auteurs  les  ont 
classée,  aii^.  P  amour. de  soi,  2^  amour  de.ses  semblaMes-jS^  amour 
dej)î^i|.  Si  ;cefi;troîs  sortes  d^amour  ne  constituent  pas  tons/  lés 
sentjup^^ts^  on  peut  dn*e  an  moins  qu'ils  sont  des  principes  de  tous 
les    Sk\xJLveSé  Ce». trois  amours  sont  logiquement  et  momlement 

conim^^  m%isrhoamen'estpas  tot^ours  logique  ni  tot^'ours  moral. 


220  P8TCHOLOOIB 

Aussi,  il  n*est  pas  rare  de  voir  des  hommes  qui  croient  s'aimer 
eux-méme,  sans  aimer  Dieu  ni  leur  semblables,  et  beaucoup  qui 
prétendent  aimer  leurs  semblables,  quand  ils  détestent  Dieu. 
D 'ailleurs,  la  plupart  des  hommes  aiment  Dieu  d'un  amour 
naturel  sans  le  connaître.  Car  il  n'y  a  que  les  monstres  qui  hBSs- 
sent  le  vrai,  le  beau  et  le  bien  :  or  le  vrai,  le  beau  et  le  bien  c'est 
Dieu  ;  non  pas  que  nous  disions,  avec  un  auteur  contemporain,  dont 
le  nom  et  les  écrits  ont  trop  fait  de  bruit,  que  Dieu  soit  la  catégorie 
de  l'idéal,  mais  nous  disons  avec  tous  les  vrais  philosophes,  que 
le  vrai,  le  beau  et  le  bien  parfaits,  tels  que  nous  les  concevons 
tous,  n*ont  de  réalité  qu*en  Dieu. 

18.  Faits  désignés  en  commun  par  le  mot  ce  connaitre  » 
ou  connaissances.  Les  faits  de  cette  classe  ont  pour  fond  com- 
mun Vtnformation  de  l'âme  par  un  objet.  En  quoi  consiste  physi- 
quement cette  information,  c'est  ce  que  nous  ne  saurions  dire; 
mais  tous  nous  constatons  le  fait  en  nous-mêmes  ;  tous  nous  connais- 
sons des  objets  et  nous  savons  distinguer  la  connaissance  du  senti, 
ment  ou  de  l'action. 

Nous  avons  suffisamment  analysé  en  logique  les  faits  de  connais- 
sance, et  nous  aurons  h  les  étudier  plus  profondément  avec  les 
facultés  de  l'Âme  :  nous  ne  ferons  que  les  énumérer  ici  dans  Tordre 
naturel.  Ces  faits  sont  : 

Lsk  perception  interne  ou  conscience ^  aidée  de  l'attention, 
laquelle  décompose  les  perceptions  en  les  séparant, et  ÎQVLmiiV  absti^ac 
tion^  ou  bien  les  réunit  en  se  portant  sur  plusieurs  objets  par  la 
comparaison^  et  produit  la  généralisation.  Le  résultat  de  ce 
travail  fournit  la  conception  ou  le  concevoir,  dont  les  analogues 
sont  :  imaginer,  inventer,  composer.  A  la  conception  vient  aus- 
sitôt se  joindre  V adhésion  de  Tàme  :  ou  suspendue,^  dans  le  doiUe 
et  la  défiance  ;  ou  provisoire,  dans  Vhypothèse  ou  le  stipposer, 
dont  les  analogues  sont  :  entrevoir^  deviner^  augurer,;  ou  enfin 
absolue,  dans  le  jugement,  fait  dont  les  analogues  sont  :  affirmer^ 
être  convaincu,  comprendre  j  discerner,  distinguer;  puis  le  juge» 
ment  portant,  non  sur  un  fait  isolé,  mais  sur  l'identité  logique  de 
deux  jugements  constitue  le  raisonnement,  fait  qui  embrasse  ceux 
de  conclure,  induire,  déduire.  Tous  ces  faits,  en  se  produisant 


FAITS   OU  PHÉNOMÈNES   DBL'AME  221 

dans  r&me  y  laissent  une  trace  d^eux-mômes,  une  sorte  de  pli,  qui 
en  appelle  la  reproduction,  et  comme,  dans  leur  première  pitMluc^ 
tion,  ils  étaient  accompagnés  de  la  conscience  de  leur  existence 
dans  Tàme,  ils  se  produisent  avec  cette  môme  conscience  de  leur 
existence  antérieure  :  c'est  le  souvenir ^  qui  a  pour  synonjme  se 
rappeler  et  dont  la  privation  s'appelle  oublier.  Les  dispositions  de 
l'Âme,  les  habitudes  intellectuelles,  par  lesquelles  elle  est  toute 
prête  &  se  souvenir  de  telle  ou  telle  conception  antérieure^  consti- 
tuent les  idées  acquises,  dans  lesquelles  entrent  toujours  pour  une 
part  les  idées  innées,  dispositions  intellectuelles  qui  nous  sont 
fournies  par  notre  propre  nature.  Tout  cela  réuni  ensemble  et  passé 
à  l'état  d'habitude,  c'est-à-dire,  pouvant  se  produire  facilement  au 
gré  de  l'âme,  constitue  le  fait  de  savoir^  qui  est  proprement  la 
connaissance  et  dont  la  négation  s'appelle  ignorer. 

Tels  sont  les  faits  de  l'Âme  qui  se  résument  dans  le  mot  connaître. 
Quand  ils  se  produisent  en  nous,  nous  en  avons  conscience  :  nous 
pouvons  donc  les  observer  ;  et  c'est  cette  observation  qui  nous  en 
montre  la  génération  mutuelle,  telle  que  nous  venons  de  la  décrire. 
'Si  la  nature  intime  de  ces  faits  nous  échappe,  nous  en  savons 
assez  pour  les  distinguer  les  uns  des  autres  et  pour  constater  les 
facultés  qu'ils  supposent  dans  l'Ame.  C'est  ce  que  nous  ferons  dans 
le  chapitre  suivant,  où  nous  aurons  l'occasion  de  revoir  chacun  de 
ces  faits  et  de  les  soumettre  à  un  plus  long  examen. 

19.  Faits  désignés  en  commun  par  la  mot  «  agir  », 
Ott  aotas.  —  Le  caractère  distinctif  de  ces  faits,  c'est  que  l'Ame  y 
est  cause.  Bans  les  sensations  et  les  sentiments,  l'Ame  est  passive  ; 
elle  éprouve  une  attraction  dont  eUe  n'est  pas  la  cause.  Dans  les 
faits  de  connaissance  elle  est  passive  aussi  ;  elle  est  informée  par 
un  objet.  Il  est  vrai  que  l'àme  est  en  un  sens  cause  de  son  infor- 
mation, lorsqu'elle  fait  attention  ;  il  est  vrai  aussi  qu'elle  est  acti-^ 
ve  encore  lorsqu'elle  juge,  lorsqu'elle  adhère  à  sa  pensée  ;  mais 
tout  cela  ne  fait  pas  que  le  fait  de  connaissance,  considéré  en  lui^ 
même,  l'information  de  l'Ame,  soit  un  acte,  de  sa  part.  L'acte  se 
distingue  donc  essentiellement  de  la  connaissance  et  du  senti- 
ment, en  ce  que  l'Ame  y  est  cause. 

L'Ame  agit  sur  elle-même,  sur  son  corps,  et,  par  son  corps,  sur 
les  oorps  extérieurs. 


222  PSYCHOLOGIE 

Les  aetes  sont  on  spontané^^  ou  instinctifs,  on  Volontaires,  oa 
enfin  libres.  Mais  ces  conditions  des  actes  de  l'Ame  ne  s*excliient 
pas  matueilement,  an  contraire:  Tacte  instinctif  est  en  même 
temps  spontané  ;  Tacte  volontaire  est  toi^ours  spontané,  et  3  peat 
ôtre  et  il  est  soavent,  *en  même  temps,  instinctif;  Tacte  libre  est 
toQJoars  volontaire,  et  par  suite  il  est  tonjonrs  spontané  et  petit 
être  instinctif. 

L'acte  de  Tâme  est  spontané,  en  ce  sens  qu'il  vient  de  Tâme 
elle-même,  sans  qu'aucune  forée  étrangère  le  lui  fasse  produire. 
Cette  spontanéité  de  l'acte  n*exclut  cependant  pas  Taction  de  Tètre 
nécessaire  ft  laquelle  ne  peut  se  soustraire  aucun  ôtre  contingent. 
C'est  ainsi  que  les  Latins  disaient  :  sponte  stui  hoc  fecit. 

L'acte  de  l'âme  est  instinctif,  lorsque  Tâme  en  le  produisant 
est  dirigée  par  une  disposition  préalable,  une  habitude,  qui  déter- 
mine la  forme  de  son  acte,  quoiqu'elle  le  fasse  spontanément.  Si 
cette  disposition  est  innée^  c'est  Vinstinct  proprement  dit  ;  si  la 
disposition  est  acquise,  c'est  Vhabitude  acquise.  On  pourrait  donc 
distinguer  l'acte  instinctif  de  Tacte  habituel,  ou  mieux  encore  appe 
1er  l'un  et  l'autre  acte  hahitttel,  car  l'instinct  est  une  habitude  in- 
&ée;  tiotais  l'usage  a  prévalu  de  dire  ce  acte  instinctif  ».  SI  l'ftme 
•i;git  ainsi,  eaus  avoir  une  conscience  daire  et  distincte  de  son  actet 
l'acte  est  purement  instinctif. 

L'acte  de  l'Âme  est  volontaire,  lorsque  l'âme  en  le  faisant  sait 
ce  qu'elle  fait  et  dirige  elle^nôme  actuellement  son actoi  d'après  sa 
connaissance.  Si  elle  agit  ainsi  sans  disposition  préalaUe^  l'acte 
est  purement  volontaire  ;  si  elle  suit  en  agissant  la  détermination 
d'une  habitude  innée  ou  acquise,  l'acte  est  tout  à  la  fois  insHncHf 
et  volontaire. 

Si  l'âme  veut  un  acte  et  le  produit  cependant  par  une  nécessité 
de  sa  nature,  son  acte  est  volontaire  et  nécessaire.  C'est  ainsi 
que  nous  voulons  tous,  de  toutes  les  forces  de  notre  âme^  et  avec 
une  véritable  volonté  notre  propre  bonheur  absolu,  et  que  cepen- 
dant il  ne  nous  est  pas  possible  de  ne  pas  le  vouloir.  Nous  exami- 
nerons ailleurs  cette  question  avec  plus  d'étendue. 

Enfin  l'acte  de  l'âme  est  libre^  quand  elle  le  veut  par  son  propre 
choix*  L'acte  libre  est  le  développement  complet  de  toutes  les 
forces  de  l'âme.  Il  suppose  la  connaissance  ;  car  l'âme  ne  eauraii 


FAITS  OU  PHéNOMÂNES  DE  l'aMB  223 

choisir  son  acte  sans  le  connaitre;  il  suppose  l'activité  et  Tactivité 
la  plus  parfaite,  Tacte  spontané  de  Tâme  qui  agit  d'elle-même  sans 
être  paâsiye  d'une  force  étrangère  :  l'Ame  y^est  réellement  cause; 
il  ne  suppose  pas  toujours  mais  il  admet  très-bien  la  sensa/tion  et  le 
sentiment^  qui  attirent  l'Âme  vers  l'acte,  sans  la  forcer;  il  admet 
aussi  l'instinct  ou  l'habitude  acquise  ;  car  on  agit  encore  librement 
en  exerçant  un  arti  que  l'on  ne  peut  exercer  qu'avec  l'habitude. 

D'abord,  par  la  connaissance^  Tàme  est  informée  de  l'acte  à  faire 
et  de  la  faculté  c[u'elle  a  de  le  faire  ou  de  s'abstenir,  ^n  moment 
elle  retient  son  acte  et  le  juge  :  c'est  la  délibération,  dani  laquelle 
r&me  se  possède  et  sent  qu^elle  est  maîtresse  d'elie-méme,  où  du 
moins  de  soncMîte.  Puis,  tout  d*nn  coup,  et  saus  qu'on  puisse  y  voir 
aucune  autre  cause  que  Tàme  elle-même,  elle  choisit,  elle  se 
résout,  elle  se  détermine,  elle  veut  et  elle  veut  librement,  et  son 
vouloir  est  accompagné  du  faire,  qui  comprend  tous  les  actes  de 
l'Ame  et  toutes  les  actions  du  corps. 

Voilà  en  résumé  et  dans  tous  ses  éléments  le  fait  qu'on  appelle 
agir. 

20.  Résumé  et  relations.4ea  trois  ordres  de  faits  de  l'Ame 

Tous  les  faits  de  l'Ame  se  résument  donc  dans  les  mots  sentir, 
connaître,  agir. 

L'âme  sent  avant  de  connaître  s'il  s'agit  des  sensations,  qui  lui 
viennent  du  corps  ;  mais  elle  n'éprouve  des  sentiments  qu'après 
avoir  connu.  Elle  n'a  conscience  d'elle-même  et  de  ce  qui  se  passe 
en  elle  qu'autant  qu'il  s'y  passe  quelque  chose.  Les  premièfres 
modifications  qu'elle  éprouve  lui  viennent  du  corp^.  Elle  commence 
donc  par  les  sensations  et  elle  y  répond  par  l'action  instinotive; 
viennent  ensuite  les  perceptions  sensibles,  puis  la  connaissance 
des  objets  ;  dans  ces  objets  connus  l'Ame  se  plait  :  c'est  le  senU* 
ment  ;  enfin  elle  dirige  sa  pensée  sur  ces  objets,  elle  les  recherche 
ou  les  poursuit,  par  V instinct  d'abord,  par  la  volonté  ensuite  et 
par  les  mouvements  du  corps  :  c'est  Ya^te  et  Va/ition. 

SENSATIONS,  ACTIONS  INSTINCTIVES,  PERCEPTIONS  SENSIBLES, 
CONNAISSANCES,  SENTIMENTS,    et  ACTIONS   VOLONTAIRES  :  t^lc  OSt 

donc  la  relation  des  différents  faits  de  l'Ame  dans  leur  génération, 
et  l'ordre  dans  lequel  ils  se  succèdent. 


224  MÉTAPHYSIQUB 

Et  tous  ces  faits  sont  accompagnés  de  la  conscience  de  leur  exis- 
tence ;  et  la  conscience  qui  les  atteste,  les  atteste  au  môme  si^et 
et  comme  se  produisant  dans  le  môme  stget.  C*est  ainsi  que  TAme 
a  conscience  d'elle-môme  et  de  son  identité,  au  milieu  de  la  variéié 
des  faits  qui  la  modifient. 

TABUtAU    nttUHANT    LKt    FAIT8   M  UAM 

SENTIR I   ^^  ^^^^  ^^^®  ^^''  Sensations. 

-  I   par  rame  seule:        Sentiments. 

FAITS  I 

CONNAÎTRE.  |    ^  ^'^^  ^  ^^  ^^*      ^^^^^1*^10^3  SBNSI  BLES 

^^     1  )  par  l'àme  seule  :        Connaissances. 

AGIR l  p»r  rime  et  le  eorps:  Actions. 

*  (  par  Tàme  seule  :        Actes. 

CÛAPITRE  2« 

FACULTÉS  DE  L'ÂME 


21 .  Principe  de  la  question. —  Tout  fait  qui  se  produit  dans 
le  temps  était  possible  avant  sa  production.  Et  si  ce  fait  se  produit 
dans  un  sujet  préexistant,  la  possibilité  du  fait  était  auparavant 
dans  ce  suget. 

Cette  sorte  de  possibilité  s'appelle  j}ut&fane6  ou  pouvoir. 

Donc  tout  être  qui  éprouve  dans  le  temps  une  modification  avait 
auparavant  l2i,puiss(mce  d'éprouver  cette  modification. 

Si  cette  modification  est  purement  passive  de  la  part  du  s^jet, 
elle  suppose  une  puissance  passive,  que  Ton  appelle  passivité  et, 
dans  certains  ordres,  capacités 

Si  cette  modification  est  active,  elle  peut  l'ôtre  k  différents  titres, 
et  la  puissance  d'agir  diffôre  comme  son  acte  et  prend  différents 

noms. 

L*aote  qui  ne  consiste  que  dans  l'action  mutuelle  des  corps  inertes 
est  purement  physique,  et  la  puisf>ance  de  le  produire  s'appelle 
propriété. 

L'acte  qui  consiste  dans  un  développement  vital  est  phjsiologi- 


FACULTÉS  DE    l'AMB  235 


{ 


qae.  et  k^puissance  de  le  prodpre  a  reçu  ches  plusiears  auteurs  le 
nifvOiiQ  fonction^ 

L|ac^  qui  consiste  dans  t^ne  détermination  libre  est  moral,  et  la 
pi^i^aiftpe  de  Iç  produire  s'appeUe /oet^zif^, 

Çependfint^  pjq*  extension,  on  donne  le  nom  de  facultés  aux  pui&- 
8%{ices.  par  lesquelles  un  ôtre,  d'ailleurs  libre,  produit  certains  actes 
non,Ub||es,  ou  niôme  éprouve  des  modifications  passives,  qù^^Ue 
peut  se  procurer  librement. 

On  donne  aussi  quelquefois  ce  nom  aux  puissances  par  lesquelles 
les  animaux  font  par  inâtinct  certains  actes  que  nous  faisons  libre* 
ment». 

Dans  ce  sens  général,  nous  pouvons  donc  poser  ce  principe  :  Les 
actes  de  Tdme  supposent  là  faculté  dé  lés  produire,  ' 

!$2,  QfUinitioii  de  la  faoulté- —  Une  facultéest  donc,  en  princi- 
pe, le  pouvoir  d'agir  librement  ;  mais,  pour  notre  àme,  ce'  mot 
désigne  tout  pouvoir  d'éprouver  des  modifications. 

23.  Détermination  ou  distinction  des  facultés  de  l'âme. —^ 

Les  '  diàS^rènts  pHénomônês  dé  Tàme  supposent  en  elle  différentes 
facultés,  et  autant  de  facultés  qu'il  y  a  en  elle  de  natures  différentes 
dans  ses  pl^énpmôi^es.  Or  les  faitç  dç  l'âme  se  distjiqguent  en  troi# 
clauses,  de  natures  di^érentes  *.  Sentir,  connaître  et  agir.  De 
ces  trois  faits,  l'un  ne  saurait  se  confondre  avec  les  autres. 

Dans  le  premier,  Tàiiie  éprouvé  une  attraction  ou  une  répul- 
sion ;  dans  lé  second,  elle  est  informée  d*un  objet  ;  dans  le  troisiè- 
me, eQé  est  eaui^  d'un  effet. 

Ces  trois  faits  sont  donc  de  nature  différente  et  supposent  dans 

r^etrojiftfs^l^. 

léf^m^  a  <|one  troi/3^fa^ul^9  :  1^  sensibilité,  ou  faculté  d^  sentir  ; 
l'if^çW99f^!^  ou  faculté  de  coanaître  ;  V/activité  ou  faculté,  d'afgir, 

n  n'est  aucune  question  sur  laq*jelie  la  philosophie  classique  ait  plus 
vaif&  <iue  sûr  tatiàtyse  de  l'àttie.' 
.  Userait  ttop  lon^  d'exposer  ici  tous  les  systèmes  qui  ont  été  successive- 

meni  àdmip^  dans  le  eotus  des  âges,  pour  distlmpuer  dans  PameMdif- 
.féren^  fQci4té8  que  supposent  ses  opérations. 

Platon  ne  nous  a  pas  donné  directement  son  analyse  de  l'âme  ;  mal9 
l'on  peut  voir»  en  compulsant  ses  divers  écrits»  qu'il  considéi:alt  d'abord 

15 


226  *  PSYCHOLOGIE 

l'àme  comme  une  force  se  mouvant  elle-même,  iuto  laûrb  xivoùv  : 
c'est  l'activité.  Puis,  sans  distinguer  le  fait  de  sentir  de  celui 
de  connaître,  il  faisait  remplir  ce  double  rôle  à  trois  facultés  :  la 
raison,  Xoyoc,  qui  est  pour  lui  la  faculté  des  idées  et  de  l'amour  de 
l'idéal  ;  le  cœur,  ou  quelque  chose  d'analogue,  OTipi^,qui  est  la  fa- 
culté des  notions  et  de  l'amour  mélangé  ;  le  concupiscible,  Tb  èsciOu- 
[jLYITUciv,  qui  est  la  faculté  des  sensations,  c'est-à-dire,  des  pereqH 
tiens  sensibles  et  des  appétits  sensuels. 

Selon  Aristote  l'àme  est  nutritive,  sensitive,  motrice  appétitive  et 
rationnelle.  On  a  prétendu  à  raison  de  cela  qu'il  distinguait  cinq  âmes. 
Mais  Aristote  s'en  explique  assez  nettement,  quand  il  dit  que  1  àme  est 
une  forme,  evreXéyeia,  la  forme  substantielle  du  corps. 

Les  scolastîques  après  avoir  distingué  avec  Aristote  :  l'àme  nutriti^e^ 
l'àme  sensitive  et  l'àme  rationnelle,  non  pas  pour  en  faire  trois  âmes, 
comme  on  l*a  prétendu,  mais  bien  en  a£Birmant  clairement  que  la  même 
àme,  simple,  forme  du  corps  (forma  corporis),  remplit  tout  à  la  fois 
les  fonctions  végétatives,  animales  et  rationnelles,  distinguent  dans 
les  sens  et  dans  la  raison  une  double  opération  appréhensive  et  appé-' 
titive,  en  sorte  que  pour  eux  les  facultés  de  l'àme  sont  :  les  sens^  la 
raison,  l'appétit  sensitif,  et  Vappétit  rationnel.  Ces  théories  ne  sont 
que  le  commentaire  d' Aristote. 

Bossuet,  fidèle  témoin  de  la  philosophie  classique  de  son  ten^»,  met- 
tant à  part  les  sens  et  l'appétit  sensitif,  distingue  dans  l'àme  aïeule  : 
V entendement,  la  mémoire  et  la  volonté. 

Enfin,  Victor  Cousin  a  donné  le  premier,  comme  il  le  revendique, 
l'analyse,  qui  est  devenue  classique  et  que  nous  avons  acceptée  et  dé- 
montrée, et  d'après  laquelle  on  distingue  les  facultés  de  l'àme  en  a^nat- 
bilité,  intelligence  et  activité, 

—  Ces  trois  facultés  ne  s'exercent  pas  séparément  dans  Tâmo; 
elles  ne  sont  pas  quelque  chose  de  distinot  de  l'âme  ;  elles  ne  sont 
que  Tàme  elle-même  pouvant  sentir,  oonnftître  et  agir.  L'âne 
éprouve  une  sensation,  elle  la  connaît,  et  elle  s'y  livre  oa  la  re- 
pousse, instinctivement  ou  librement,  mais  toigoors  par  sa  propre 
activité.  L'âme  perçoit  un  objet,  elle  le  connaît,  elle  éprouve  pour 
cet  objet  un  sentiment,  attraction  ou  répulsion,  et  enfin  ^e  m 
porte  vers  cet  objet  ou  s^en  éloigne,  non  pas  toi^joors  conformé- 
ment à  son  sentiment,  mais  par  une  détermination  libre.  Ainsi  l'âme 
exerce  simultanément  ses  trois  facultés. 


FACULTÉS   DE    l'aME  237 

24.  Conditions  générales  des  fSucultés  de  TAne.  —  Par 

leur  nature  même,  les  facultés  de  l'Âme,  ont  toutes  TAme  pour 
siget  ;  elles  sont  des  puissances  de  Tàme,  puisque  c'est  TÂme  qui 
peut  sentir,  connaître  ou  agir.  Mais  comme  dans  chacun  de  ces 
faits,  le  corps  entre  souvent  pour  quelque  chose,  les  mômes  faits 
supposent,  outre  les  facultés  de  l'âme,  certaines  fonctions  et  cer- 
tains organes,  dans  le  corps,  qui  lui  servent  d'instruments  pour 
ces  différents  faits. 

Aussi  le  corps  possède  les  organes  de  la  sensibilité,  les  organes 
de  Yintelligence  et  les  organes  de  V activité ^  ou  mieux  les  organes 
des  sensations,  les  organes  des  perceptions  sensibles  et  les  orga- 
nes des  actions. 

Nous  parlerons  de  ces  différents  organes  en  parlant  de  chaque 
faculté  en  particulier. 

Une  autre  condition  commune  à  toutes  les  facultés  de  l'Âme  et 
dont  nous  devons  parler  dès  à  présent,  c'est  que  TÂme,  pouvant  par 
la  même  faculté  faire  plusieurs  actes  différents  et  les  faire  de  plu- 
sieurs manières,  la  répétition  des  mêmes  actes,  produits  de  la 
même  manière,  lui  laisse  une  disposition  à  les  reproduire  de  la 
même  manière.  Cette  disposition  constitue  VhabittMie.  Elle  se  for- 
me dans  l'Âme  aussi  bien  que  dans  les  organes  du  corps,  par  la 
répétition  des  actes,  en  bien  ou  en  mal,  mais  elle  est  la  condition 
indispensable  de  toute  perfection  dans  les  actes,  à  quelque  faculté 
qu'ils  appartiennent. 

25.  Des  habitudes.  —  Ce  mot  qui  dans  le  sens  vulgaire  désigne 
la  répétition  ordinaire  des  mêmes  actes,  et  qui  dans  les  ouvrages 
modernes  de  philosophie,  ne  désigne  que  la  disposition  acquise  par 
la  répétition  des  mêmes  actes,  avait  dans  les  philosophies  plus 
anciennes  une  signification  plus  étendue.  C'est  ce  que  désignait  ce 
dernier  sens  que  nous  allons  étudier. 

Le  mot  Habitude,  en  latin  habitus  ou  habittulo,  a  le  jsens  de 
modtis  se  habendi.  C'est  la  manière  dont  un  être,  doué  d'ailleurs 
d'une  faculté,  se  trouve  disposé  aux  actes  de  cette  faculté.  En  sorte 
que  l'Âme  qui  par  une  seule  de  ses  facultés  peut  faire  plusieurs  actes 
et  les  faire  de  plusieurs  manières,  se  trouve  disposée  par  chaque 
habitude  à  faire  tel  acte  de  telle  manière.  ** 


228  PSYCHOLOOIB 

26.  DMnitioii  de  l'habitude.  —  L'habitude  est  Udispositioa 

d'une  faculté  a  faire  tel  acte  de  telle  manière. 

Cette  définition,confonneà  Fétymologieet  aa  sensphiloM^faiqi» 
du  mot  chez  les  anciens,  n'impliqae  pas  Vidée  de  répétition  des  ado. 
L'habitude  peut  venir  d'une  autre  cause.  En  effet  : 

27.  Division  des  habitudes.  —  On  distingue  les  habitudes 
naturelles  ou  innées,  les  habitudes  infuses  et  les  habitudes 
acquises. 

Tous  les  hommes  ont  naturellement  les  mêmes  facultés^  niais 
tous  ne  naissent  pas  avec  les  mômes  dispositions  à  sW  servir.  Les 
uns  en  usent  naturellement  avec  plus  de  perfection  que  d'autres. 

Cette  difféi^ence  native,  dans  des  actes  de  môme  espèce,  ne  vient 
pas  de  la  différence  des  facultés  ;  elle  vient  donc  de  certaines  dis- 
positions naturelles.  De  plus  il  y  a  des  actes  qui  appartiennent  & 
certaines  facultés  et  que  nous  faisons  tous  de  la  même  manière,  bien 
que  la  faculté,  par  elle-même,  permette  de  les  faire  différemment. 
Nous  avons  donc  pour  ces  actes  une  habitude  naturelle  commone  à 
iouB.  Les  halntîides  naturelles  sont  donc  communes  h  tous  ou 
propres  à  chacun. 

Les  instincts  des  animaux  sont  des  habitudes  naturelles,  ooniMih 
nés  &  tous  les  animaux  d*une  môme  egpôce. 

L'observation  permet  de  constater  que  bien  souvent  un  homme 
qui  jusque  là  n'avait  aucune  disposition  &  faire  tel  ou  tel  acte,  trouve 
tout  à  coup  en  lui  cette  disposition  qui  le  lui  fait  faire  parfaitement, 
sans  qu'il  Tait  jamais  fait  jusque  là.  Cette  habitude  li  est  donc  ni 
naturelle  ni  acquise  par  la  répétition  des  actes:  elle  est  infuse:  Si  on 
en  cherche  la  cause,  on  verra  de  suite  qu'elle  ne  peut  venir  que  de 
l'action  invisible  d')in  être  supérieur,  et  d'ailleurs  un  examen 
approfondi  permet  de  constater  qu'elle  vient  de  Dieu.  La  théologie 
distingue  beaucoup  d'habitudes  infuses  de  l'ordre  surnaturel  ;  mais 
la  philosophie,  si  elle  s'en  occupait  pourrait  en  constater  un  plus 
grand  nombre  de  l'ordre  naturel.  Le  génie,  qui  est  une  disposition  à 
inventer,  à  voir  ce  que  personne  n*a  vu,  ou  à  faire  ce  que  personne 
n'a  fait,  lie  s'acquiert  pas  par  la  répétition  des  actes;  il  n'est  pas 
non  plus  naturel,  car  il  n'est  pas  commun  ft  tous  :  il  est  donc  infus. 
C'est  une  inspiration  qui  se  manifeste  tout  à  coup,  et  qui  sourënt 
n'est  que  pour  un  temps  ou  môme  pour  un  seul  acte. 


FACULTÉS   DB  L'AMB  229 

'Bfiân  lorsciQ'apeéf  avoir  répété  plusieiirs  fois  un  même  acte, 
.  ayec  tous  les  efforts  nécessaires  pour  le  perfectionner,  on  se  trouve 
disposé  à  le  faire  parfaitement,  sans  effort  et  toujours,  c'est  une 
habitude  acquit»  par  la  répétition  des  actes. 

28.  Conditions  dans  lesquelles  une  habitude  est  néces- 
saire. Si  une  faculté  ne  pouvait  faire  qu'un  seul  acte  et  d'une 
seule  maaiôre,  ou  s'en  abstenir,  comme,  par  exemple,  la  paupière 
des  yeux,  qui  ne  peut  que  s'ouvrir  ou  se  fermer,  elle  n'aurait  pas 
besoin  d'habitude. 

,  Mais  quand  une  f^x^ulté  consiste  dans  le  pouvoir  de  faire  plu- 
sieurs actes  différents^  atteignant  différents  objets  et  les  atteignant 
de  différentes  manières, comme  la  main,  qui  est  propre  à  tant  d'actes 
,  divers,  faits  avec  plus  ou  moins  de  perfection,  une  habitude  est 
nécessaire  pour  chaque  acte  et  pour  chaque  manière  de  le  faire, 
si  on  veut  pouvoir  faire  cet  acte,  de  telle  manière,  avec  facilité  et 
à  son  gré. 

C'est  ainsi  que  les  facultés  de  l'âme  se  développent  et  se  perfec- 
tionnent par  les  habitudes.  Et  il  en  est  de  même  de  toutes  les  fonc- 
tions des  organes  du  corps.  L'homme  naît  avec  toutes  ses  facultés, 
mais  il  ne  parvient  que  peu  à  peu  à  les  exercer  toutes,  &  mesure 
que  les  habitudes  lui  perniettent  de  faire  tout  ce  qu'il  peut. 

D'où  nous  pouvons  conclure  cette  loi  générale  :  'Téut  acte  pro- 
duit facilement  et  toujours  de  la  môme  manière,  par  une  faculté 
qui  peut  le  produire  autrement,  suppose  une  habitude.  Ainsi  toutes 
les  connaissances,  tous  les  arts  libéraux  ou  manuels,  la  parole,  la 
marche  môme  supposent  pour  chaque  acte  et  pour  la  manière  dont 
nous  le  faisons  une  habitude  acquise. 

De  plus  tout  phénomène  qui  se  produit  d'une  manière  constante 
dans  une  Ame,  et  qui  s'j  produit  en  dehors  des  causes  extérieures 
seules  qui  sont  de  nature  &  l'y  produire,  n'est  plus  explicable  par  une 
faculté.  En  effet,  la  faculté  est  une  pure  possibilité,  et  pour  s'exer- 
eer,  elle  suppose  la  présence  de  son  objet.  La  main,  par  exemple,  a 
la  faculté  de  saisir;  mais  elle  ne  saurait  saisir  le  rien.  Ainsi,  la 
y,  sensibiKté-es^  )^  faculté  d'étr^  attiré  ;  mais  d'être  attiré  par  quelque 
•  ebose;  l'inteUigencees^la  faculté  d'être  informé;  mais  d'ôtre  in- 
iformé.  paç  «qufilqne  chose.  Lors  donc  que  l'âme  est  inforn^ée  d'un 


230  PSYCHOLOGIE 

objet  absent,  aucune  faculté  ne  saurait  expliquer  ce  fait.  La  rai- 
son suffisante  de  ce  fait  ne  peut  plus  être  la  faculté  d'être  inf<»iDé, 
elle  est  nécessairement  dans  une  information  préalable. 

Donc  le  souvenir  n*est  pas  le  fruit  d*une  faculté  spéciale^  mais 
bien  le  résultat  d'une  ou  de  plusieurs  informations  précédentes»  qui 
ont  laissé  dans  TAme  une  sorte  de  pli,  une  disposition  à  la  même 
information.  Disons  mieux,  le  souvenir  est  le  fruit  des  informations 
précédentes  qui  sont  restées  dans  Tâme  à  l'état  d^habitude.  Donc  le 
souvenir  suppose  une  habitude.  Ainsi,  dans  un  sens  plus  général, 
tout  phénomène  constant  et  déterminé  qui  se  produit  dans  notre 
Ame  sans  le  concours  de  ses  pauses  naturelles  est  le  fruit  d'une 
habitude.  Nous  pourrions  conclure  de  là  que  les  conceptions  néces- 
saires, qui  se  produisent  de  la  même  manière  chez  les  hommes, 
sans  qu'aucun  de  nous  en  ait  jamais  perçu  Fobjet^  sont  le  fruit 
d'une  habitude  naturelle  et  innée.  C'est  ce  que  nous  démontrerons 
plus  loin. 

29.  Formation  des  habitudes  acquises.  Pour  expliquer  la 
formation  des  habitudes  acquises,  dans  TAme  et  dans  le  corps,  on 
n'a  qu*à  voir  ce  qui  se  passe  dans  une  étoffe  que  l'on  plie.  Quand 
on  défait  cette  étoffe  on  y  remarque  une  tendance  à  reprendre  le 
même  pli,  et  cette  tendance  est  d'autant  plus  grande,  que  le  pli  a 
été  donné  plus'souvent  et  que  l'impression  a  été  plus  profonde.  Il 
se  passe  dans  l'Ame  et  dans  le  corps  quelque  chose  d'analogue. 

Chaque  acte  que  nous  faisons  laisse  dans  TAme  ou  dans  l'organe 
qui  lui  a  servi  d'instrument  quelque  chose  de  la  direction  qu'il  leur 
a  donnée,  et,  si  le  même  acte  se  répète  plusieurs  fois,  la  direction 
imprimée  est  telle  que  l'acte  se  reproduit  souvent  spontanément  ou 
plutôt  instinctivement.  C'est  ainsi  que  se  forment  les  caractères,  et 
les  tempéraments,  les  connaissances  de  toutes  sortes,  les  vertus  et 
les  vices.  De  là  vient  l'expression  âgurée  qui  nous  fait  dire  dans 
un  sens  moral  :  prendre  un  bon  pli;  prendre  un  mauvais pU, 

Dans  l'étude  particulière  de  chacune  des  facultés,  nous  en  étu- 
dierons  les  différentes  habitudes. 

30.  Conditions  particulières  de  chaque  faculté.   Nous 

allons  maintenant  parler  de  chaque  faculté  de  l'Ame  en  particulier. 
L'importance  de  cette  matière  nous  oblige  , jt  la  diviser  en  trois 
articles. 


{ 


Article  I" 
SENSIBILITÉ 


31.  Définitioii.  La  sensibilité  est  la  faculté  de  sentir.  Le  fait 
de  sentir,  étant  double^  suppose  une  double  faculté.  En  effet,  nous 
avons  distingué  les  sensations  et  les  sentiments. 

32.  Sensations  et  sentiments.  Ces  deux  ordres  de  faitâ  se 
ressemblent  P  en  ce  qu'ils  sont  une  attraction  ou  une  répulsion  de 
l'Ame,  un  plaisir  ou  une  peine,  2^  en  ce  qu'ils  sont  des  modiûca- 
tions  dans  lesquelles  l'âme  est  passive,  et  non  active,  3®  en  ce 
qu'ils  sont  plus  ou  moins  la  source  du  bonbeur  et  du  malheur. 
Mais,  ils  diffèrent  entre  eux  k  trois  autres  points  de  vue.  1**  Les 
sentiments  se  produisent  dans  l'Âme  seule,  les  sensations  ont  pouj* 
siget  l'âme  et  le  corps^  et  la  modification  de  l'âme  j  [est  produite 
par  une  modification  du  corps;  2^  Les  sentiments  supposent  leur 
objet  connu,  les  sensations  se  produisent  avant  la  connaissance  de 
l'objet  qui  en  est  la  cause  ;  S^  l'objet  cause  du  sentiment  est  toigours 
intellectael;  l'objet  cause  de  la  sensation  est  tocgours  corporel.  En 
effet  la  seule  connaissance^de  la  beauté  d'un  objet  nous  le  fait  aimer, 
et  la  connaissance  de  sa  laideur  nous  le  fait  haïr;  au  lieu  qu'il 
faut  le  contact  d'un  corps  pour  procurer  une  sensation. 

33.  Division  de  la  sensibilité.  11  y  a  donc  deux  sortes  de 
sensibilité.  La  sensibilité  corporelle,  appelée  sensibilité  physiqv^^ 
et  la  sensibilité  intellectueUe  appelée  sensibilité  morale.  Nous 
allons  les  étudier  séparément  après  avoir  dit  quelques  mots  de  la 
nature  et  des  conditions  de  la  sensibilité  en  général. 

34.  Natnre  de  la  sensibilité.  La  sensibilité,  par  elle-même, 
n'est  pas  une  faculté,  elle  n'est  qu'une  puissance  passive  ;  car  elle 
n'est  que  la  possibilité  d'éprouver  une  attraction  ou  une  répulsion. 
Dans  les  faits  que  nous  appelons  sentir,  ce  n'est  pas  l'âme  qui  se 
porte  vers  un  objet  ou  s'en  éloigne,  ce  serait  là  un  acte,  un  fait  de 
l'activité  ;  mais  elle  est  attirée  ou  repoussée  par  l'objet  ;  c'est  un 
fait  où  l'âme  est  passive. 

Mais  si  l'on  considère  que  l'âme,  par  son  activité,  peut  se  mettre 


232  PSYCUOLOGIB 

d'elle-même  en  contact  avec  les  corps  qui  lui  procurent  telle  oi 
telle  sensation,  ou  s'en  éloigner,  et  que,  si  elle  ne  se  donne  pase»* 
tièrement  les  pensées  qui  lui  procurent  tel  ou  tel  sentiment,  du 
moins  elle  peut  souvent  les  faire  naître  par  différentes  perceptions, 
qu'elle  se  procure,  on  verra  que,  si  TAme  n'est  pas  active  dans  la 
sensation  ou  dans  le  sentiment,  elle  peut  du  moins  produire  la  cause 
de  la  sensation  ou  du  sentiment.  Et  dès  lors  on  peut  donner  à  la 
sensibilité  le  nom  de  faculté. 

35.  Oonditioae  de  la  seneiMfité.  Les  eonditions  dans  les- 
quelles 8*exerce  la  sensibilité  ne  sont  pas  les  mômès  poar  les  deux 
espèces  de  sensibilité.  Nous  en  parlerons  donc  séparément^  en  par- 
lant de  chacune  d'elles. 

Mais  nous  devons  dire  ici  pour  la  sensibilité  en  général  que 
l""  Elle s'émonsse  au  lieu  de  s*aviverpar  Téxercice.  On  sent  mbins 
vivement  ce  que  Ton  sent  plus  souvent.  C'est  la  source  de  l'ennui, 
de  l'inconstance  et  de  ce  dégoût  général  de  l'âme  que  Ton  exprime 
par  les  mots:  être  blasé.  2^  De  plus  la  sensibilité  est  destinée  k  en- 
traîner l'Ame  à  se  porter  vers  un  olyet  ou  à  s'en  éloigner  ;  mais 
cette  attraction  fui  s'exerce  sur  l'Âme  par  la  sensibilité  ne  déter- 
mine pas  forcément  la  volonté.  Celle-ci  reste  libre  ordinaireitMAt. 

Cependant  on  constate  que  dans  certains  cas  la  sensation  on  le 
sentiment  enchaînent  Tintelligence  sur  un  objet,  et  l'empêchent  de 
voir  autre  chose,  ou  bien  ils  bouleversent  les  fonctions  oi^iâmqiiiBs, 
an  point  que  la  pensée  et  la  liberté  en  sont  gênées  et  quelquefois 
entièrement  paralysées.  C'est  peut-être  la  cause  la  plus  ordinaire  de 
la  folie.  Et  les  moments  passagers  de  folie  de  ce  genre  ne  sont  pas 
rares  dans  la  vie  d'un  homme. 

On  peut  se  disposer  à  prévenir  ces  désordres  en  résistant  aux 
„  attraits  de  la  sensibilité,  et  ne  s'j  livrant  que  conformément  A  la 
raison. 

Le  fait  qu'on  appelle  l'extase  est  un  fait  de  sensibilité»  dans 

lequel  l'Ame  est  tenue  sous  l'attrait  d'un,  sentiment  ou  même  d'une 

,  sentt^tion,  et  no  sent  plus  ni  ne  percoi^  jplus  autre  chose.;  par  suite 

elle  semble  s'oublier  elle-même,  et  devient  incapable  de  tout  acte 

libre.  , 

3^  Tout  fait  de  sensibilité,  toute  attraction  de  l'Ame»  affaiblit  les 
effets  d'une  autre  attraction  contraire,  qui  se  produit  sur  elle  en 


! 


BBNSÎBILXtÀ  PHtSIQUE  t88 

même  teinps,  dt  de  plus  paralyse  plus  ôu  moins  oa  excite  qh  aote 
d^ntelligence  ou  de  volonté,  selon  qu'elle  j  est  contiiait*ô  ou  Con- 
forme. 
j  De  là  les  luttes  ou  les  faiblesses  et  les  écarts  de  rfntdHg^ncé  et 

de  la  volonté,  pour  Un'  très^^grand  nombre  dé  cas. 

4"  Mais,  à  leur  tour,  les  faits  de  sensibilité  sont  afibibli^  par  les 
faits  coAtràii^  de  llirtelligence  et  de  la  volonté.  Comme  dans  Une 
attention  très-vive^  qui  devient  ce  qu'on  appelle  rabstraHion,  où 
l'on  ne  sent  plus  les  impressions  extérieures.  Et  même  cet  allRsiiblis- 
sèment  est  tel  que  Texercice  bien  dirigé  peut  faire  acquérir  à  1-âûie 
l'habitude  8e  mépriser  tel  ou  tel  sentiment,  telle  ou  telle  sensation, 
Ibui  point  dé  ne  les  éprouver  presque  plus. 

Ces  sortes  d*habituâes  donnent  &  T&me  les  caractères  qu'on 
appelle  :  fermeté,  constance,  courage,  énergie.  Et,  si  on  a  pris  soin 
de  ne  se  livrer  qu'aux  attractions  qui  sont  bonnes,  on  possède  Tha- 
Mtnde  de  n'aimer  que  ce  qui  est  vraiment  beau  et  digne  d'amour. 

Au  'contraire  l'habitude  de  se  livrer  toigours  à  toutes  les  attrac- 
tions qui  se  présentent,  et  de  se  laisser  dominer  par  elles,  consti- 
tué les  caractères  mous,  inconstants,  timides  et  faibles.  Et  quand 
les  attractions  que  Ton  subit  souvent  sont  mauvaises,  l'habitude 
de  n'y  livrer  ooùstitue  la  dégradation  morale  et  rend  capable  de 
toutes  les  ignominies. 


il.-  lIVSTIlLITi    riTSIIIII 

' '36/ âiMIlliiâoii.'--- Là  Sensibilité    physique    est    la  '  fheulté 
d'éprouver  des  sensations. 

Dans  la  sensation  l'Ame  sent  et  ce  qu'elle  éprouve  est  causé 
par'  une  impression  sur  les  organes  du  corps.  L'âme  ne  peut  dono 
éprdilver  dés  sensations  qu^autani  qu'elle  a  dans  son  corps  des  or- 
'  g:ahes'  impressionnables  dont  l'impression  lui  est  transmise. 

37.  lîlémêiDits  de  U  àérîisitimté  bttyiitqae.  —  La  Sensibi- 
lité ^tiysiquè  suppose  donc  un  do^lblééïéînent,  l*un^îrKuel'ou 
"psychologique  et  l'autre  corpdrel. 


284  P8TCH0L00JB 

'  L'élément  corporel  lui-môme  est  double  aussi.  Car,  en  vain  les 
organes  fieraient  impressionnés,  si  cette  impression  ne  se  isn^i»- 
mettait  pas  à  TAme:  la  sensation  ne  se  produirait  pas.  La  sensilô- 
lité  phjsiqne  suppose  donc  dans  le  corps:  l**  des  oi^anes  extérienrs 
capables  de  recevoir  une  impression:  c'est  l'élément  purement  phy- 
sique; 2^,  quelque  chose  qui  transmet  les  impressions  à  un  organe 
plus  intime  où  TÂme  en  éprouve  les  effets  :  c'est  Télément  physio- 
logique. Ce  dernier  élément  n*exisle  que  dans  un  corps  vivant, 
tandis  que  Télément  purement  physique  demeure  après  la  moit, 
tant  que  Torgane  n*est  pas  détruit. 

38.  Elément  physique  ou  organes  ejctemes  de  I«  «easar 
tion.  —  Les  organes  externes  de  la  sensation  sont  les  yenx^les 
oreilles,  le  nez,  la  bouche  et  principalement  toute  la  snrfaœ  du 
corps  et  môme  dans  certain  cas  tous  les  organes  intérieurs  du  corps. 
Chacun  de  ces  divers  organes  est  impressionné  par  différents  ob- 
jets qui  lui  sont  propres^  et  en  reçoit  une  impression  particulière. 

Les  yeux  né  sont  faits  que  pour  i*ecevoir  l'impression  de  la  lu- 
mière, qui  n'affecte  aucun  autre  organe. 

Les  oreilles  sont  faites  pour  recevoir  Timpression  des  vibrations 
de  l'air,  qui  n'affectent  aucun  autre  organe. 

Le  nez  reçoit  l'impression  des  parfums  qui  s'échappent  des  objets; 
les  parfums  n'affectent  aucun  autre  organe. 

La  bouche  comme  organe  de  la  sensation  reçoit  l'impression  des 
saveurs  du  corps  ;  ces  saveurs  n'affectent  aucun  autre  organe. 

Enûn  toute  la  surface  du  corps,  môme  dans  les  organes  déQk 
nommés,  reçoit  l'impression  de  la  résistance  et  de  la  chaleur  d^ 
objets,  et  par  suite  de  toute  espèce  de  déchirement  quelconque  ou 
de  tiraillement.  L'intérieur  du  corps  ne  reçoit  guère  que  ces  deux 
dernières  impressions. 

$9.  Elément  physiologique.  —  A  chaque  organe  et  &  tous 
les  points  de  la  surface  du  corps  viennent  aboutir  les  extrémités  du 
système  nerveux,  qui  se  compose  du  cerveau  uni  à  la  moâle  épi- 
nière  et  d'un  très-grand  nombre  de  nerfs  qui  vont  se  ramifiant  jus- 
qu'aux extrémités  du  corps.  Il  y  a  des  nerfs  spéciaux,  pour  chacun 
desorganes.  Les  nerfs  et  le  système  cérébro-spinal  ne  sont  pas  en- 
core l'élément  physiologique,  mais  ils  en  sont  les  organes.  Quand 


SENSIBILITÉ  PHYSIQUE  235 

l'organe  externe  est  impressionné  il  se  passe  dans  les  nerfs  quelque 
chose  d'analogue  à  un  courant  électrique,  qui  transmet  au  système 
cérébro-spinal  une  impression  corrélative  à  l'impression  reçue  par 
l'organe.  C'est  cette  transmission  qui  constitue  l'élément  physicy- 
logique  de  la  sensation,  et  la  puissance  passive  que  possèdent  les 
nerfs  de  transmettre  l'impression  constitue  l'élément  physiologique 
de  la  sensibilité  physique.  Cette  puissance  ne  réside  que  dans  les 
corps  vivants,  et  la  moindre  perturbation  dans  le  corps  suffit  sou- 
vent pour  en  suspendre  l'exercice  du  pour  la  détruire  entièrement 
Aussi  il  n'est  pas  rare  de  voir  des  hommes  privés  de  la  faculté 
d'éprouver  telle  ou  telle  sensation  dont  l'organe  est  pourtant  intact  : 
c'est  la  faculté  physiologique  qui  manque. 

Malgré  les  progrès  incontestables  de  la  physiologie  dans  ces  derniers 
temps,  on  n'est  pas  encore  parvenu  a  établir  d*une  manière  certaine  le 
mode  de  transmission  de  l'impression,  de  l'organe  au  cerveau. 

Les  anciens  qui  ont  essayé  d'expliquer  Taction  des  corps  sur  Torgane 
de  la  vue,  par  une  émission  perpétuelle  de  petites  particules  des  corps, 
n'Ont  pas  même  cherché  à  aller  plus  l(^n  que  l'organe  dans  cette  impres- 
sion, et  ceux  qui  admettaient,  avec  Aristote,  que  l'àme,  étant  la  forme 
substantielle  du  corps,  est  tout  entière  dans  chacune  de  ses  parties,  sup- 
posaient naturellement  que  l'âme  reçoit  l'impression  dans  l'organe 
même. 

Plus  tard  on  admit  entre  l'âme  et  le  corps  un  certain  intermédiaire, 
qui  s  appelait  l'esprit  (spiritus),  et  qui  recevant  les  impressions  du  corps 
lés  transmettait  â  l'âme. 

Les  Cartésiens  qui  voyaient  déjà  que  l'impression  se  communique  des 
organes  au  cerveau,  par  le  moyen  des  nerfs,  supposèrent  dans  les  nerfs 
une  substance  très  substile  qu'ils  appelèrent  les  esprits  animanœ 

Après  les  découvertes  modernes  des  effets  de  rélectricité,  les  esprits 
animaux  devinrent  le  fluide  nerveux,  le  fluide  vital.  C'était  toujours 
au  fond,  sous    des  noms  différents,  la  même  explication. 

Aujourd'hui,  selon  l'opinion  la  plus  répandue  il  n*y  aurait  aucun  fluide 
dansies  nerfs,  mais  ceux-ci  agiraient  mécaniiquement,  pour  transmet- 
tre au  cerveau  les  vibrations  reçues  par  les  organes;  car  il  est  à  peu- 
ples avéré  que  toutes  les  impressions  organiques  sont  des  vibrations. 

Notis  ne  voyons  pas.  pour  le  moment,  de  raisons  suffisantes,  pour 
adopter  oomme  expression  de  la  vérité  aucune  de  ces  opinions. 

40.  Elément  psychologique,  ou  sensibilité  physique  de 
l'àme.  —  L'impression  sur  les  organes  et  la  transmission  de  cette 


236  PSYCHOLOOIB 

-  impression  au  cerveau  n'est  pas  encore  la  sensation.  Poar  qn*îl  j 
ait  sensation  il  faut  que  Tâme  éprouve  quelque  chose  de  riiiipT«9* 
aion  qui  se  fait  sur  le  cerveau .  C'est  dans  l'Ame  que  se  produit  k 
sensation  ;  jusque  là  il  n'y  a  qu'impression.  Donc  il  j  a  dans  FAme 
une  puissance  passive  qui  lui  permet  de  sentir,  d'éprouver  une  sai- 
sation^  agréable  ou  pénible,  quand  le  cerveau  est  impressionné. 
Cette  puissance  passive  que  nous  avons  appelée,  avec  tout  le 
mondOi  faculté,  en  donnant  les  raisons  de  cette  appellation,,  est  le 

•  principal  élément  de  la  sensibilité  physique,  ou  plutôt  c^est  la  ^e»- 
sibilité physique  elle-même,  dont  les  organes,  les  nerfs,  le  sys- 
tème cérébro-spinal,  et  la  communication  d'impressions  qui  se  fait 
des  uns  aux  autres,  ne  sont  que  les  instruments . 

Ainsi  la  sensibilité  physique  est  bien  une  faculté  de  Fâme,  mais 
une  faculté  qui  n'est  complète  qu'en  tant  qu'elle  est  servie  par  on 
eorps  vivant.  Dans  ces  conditions,  l'Âme  est  capable  d'éprouvé 
des  sensations,  c'est-à-dire,  des  attractions  ou  des  répulsions  .cau- 

--^sées  directement  par  les  difTérentes  impressions  que  son  corps 

>  Fe^it  des  autres  corps  ou  de  lui-même. 

41.  Objets  de  la  sensibilité  pbysique.  —  Les  auteurs  qui 
n'ont  vu  dans  la  sensation  qu'une  impression^  ou  bien  un  plaisir 
'  -Qifiititib peine ^  dont  ils  ne  se  sont  pas  rendu  compte,  ont  cru  que  la 
sensibilité  n'a  paéd^olget.  Mais  si  le  plaisir  est  une  eOtraetian^  et 
la  peine  une  répulsion^  la  sensation  a  un  objet.  Cet  objet  e*eit 
ia^hoirà  Vers  laqa^le  l'Ame  est  attirée,  ou  loin  de  laqo^le  dile  est 
^pôUBSée.  Examirions  donc  l'objet  de  la  sensibilité  physique. 

L'objet  immédiat  de  la  sensibilité  physique,  c'est  sans  doute 
l'état  du  cerveau,  mais  l'âme  ne  s'y  arrête  pas  et  va  droit  à  l'or- 
gane qui  souffre  une  impression  quelconque;  et,  comme  la  modi- 
âoation  éprouvée  par  le  cerveau  n'est  qu'une  sorte  de.  messager, 
l'Ame  ne  fait  aiteiAtioft  qu'à  l'impression  de  l'organe  et  n'a  pas 

•  inêBie^onscienoe  du  reste.  C'est  par  l'obs^vation  et  l'indoctioii 
que  l'on  apaoonaaitre^ce  qui  s'j  passe;  Aussi  on  peut-  dire  que 
rofajeik'deila^^ensatienr,  c'est  l'impreBsion  reçue  par  les  <tf)gamB. 

De  eet'éfij^  p¥«ml^  i*  Ame  passe  presque  «uflsiiôt  A  l'objet. ex- 
tévieulv^^a  ^  CMse  de  l'impressioi^  et  pai?  suite  de  la  sensation  ; 
'  mais  e'esilà'iin phénomène  de  connaissance  et  non  desonsation. 


SENSIBILITÉ  PHYSIQUE  237 

Il  est  môme  probable  que  l'attention  que  l'âme  donne  à  Toi^ane 
affecté,  comme  objet  de  sa  sensation,  est  aussi  un  phénomène  de 
connaissance,  et  que  la  sensibilité  ne  va  pas  jusque  là  ;  mais  ce  n'est 
pas  ainsi  que  nous  l'apprécions  tout  d*abord.  Nous  croyons  sentir 
la  lésion  d*un  organe  et  non  pas  seulement  connaître  par  la  sensar 
tion  que  tel  organe  est  lésé.  S'il  n'^en  est  pas  ainsi,  on  peut  expliquer 
cette  erreur  commune  par  l'unité  de  l'Âme  et  par  la  simultanéité 
d'opération  de  ses  facultés. 

42;  But  data,  sensibilité  piifsi^itte*  —  L'Ame  éprouve  un^ 
attraction  ou  une  répulsion  pour  tel  ou  tel  état  de  son  corps,  a^Q 
qu'elle  fasse  plus  facilement  et  surtout  pour  qu'elle,  n'omette  pas 
certaixis  actes  qui  sont  nécessaires  h  la  conservation  de  son  qorps. 
Sans  les  douleurs  de  la  faim  et  les  plaisirs  du  goût,  l'homme,  s'il 
devait  manger  seulement  par  raison,  s'en  abstiendrait  assez 
souvent  et  assez  longtemps  pour  mourir  d'inanition*  Il  en  est  de 
même  .de  toutes  les  autres  espèces  de  besoins,  et  des  sensations  qui 
s'jr  rattachent. 

Il  n'en  faudrait  cependant  pas  conclure,  avec  les  philosophes, 
matérialistes  que  Thomme  doit  se  laisser  conduire  entièrement  par 
ses  sensations. 

La  sensibilité  physique  n'est  pas  la  seule  faculté  de  l'âme,  et  les 
sensations  ne  sont  pas  ses  seuls  moniteurs.  Au  contraire,,  c'est  la 
plus  inûme  des  facultés,  et,  si  l'homme  n'en  avait  pas  d'autre,  il 
ne  serait  en  rien  au  dessus  de  la  brute.  Donc  quand  les  attraits  de 
la  sensation  sont  en  contradiction  avec  les  invitations  des  autres 
facultés,  l'âme  ne  doit  plus  s'en  tenir  &  la  8ensii,tlon  pour  diriger 
ses  actes.  L'intérêt  môme  du  corps  nous  en  fait  souvent  un  devoir. 
Les  maladies  et  la  mort  sont  souvent  les^saitos^  d'uneitix^  grande 
complaisance  pour  les  attraits  de  la  sensation^ 

43.  Développement  de  la    eeneibilité    phjeiqu^.  —  La 

sensibilité  physique  est  celle  d'entre  toutes  les  facultés  qui  entre  la 
prenuôre  en  e;x:ercice.  Elle  n'exige  aucune  préparation,  aucune 
prédisposition  naturelle  ni  acquise  ;  au  contraire  l'exercice  l'émousse 
an  lieu  de  la  développer.  L^attraction  qu'éprouve  T&me  poux;  teUe  ou, 
telle  impression  de  sea  organes,  n*est  pas  moîndi-e  la  première  fois, 
qu'après  plusieurs,  répétitions  de  la  même  i^pressLou  ;  aaconjbn^i^^ 


238  PSYCHOLOGIE 

Cependant  il  se  produit  dans  la  sensibilité  phjsiqae  une  sorte  de 
développement  qui  lui  est  propre  et  qui  ne  se  rencontre  pas  dans 
les  autres  facultés. 

Les  sensations  répétées  à  peu  de  distance  semblent  s'sgouter  ks 
unes  aux  autres,  en  sorte  que,  bien  que  Tattraction  on  la  répulsioo 
soit  moins  puissante  k  mesure  qu'elle  se  répète^  FÀme  finit  bientôt 
par  se  fatiguer  d'y  résister  et  elle  cède.  C*est  ainsi  que  la  sensation 
remporte  souvent  sur  la  raison  et  sur  la  volonté  libre,  qui  sont 
cependant  des  facultés  bien  autrement  puissantes  que  la  sensi- 
bilité. 

Mais  si  les  mêmes  sensations  se  répètent  k  d'assez  longs  inter- 
valles pour  qu'elles  ne  joignent  pas  leur  action,  l'Ame  qui  y  a  râsisté 
finit  bientôt  par  ne  plus  les  éprouver,  quoique  la  môme  impresaioii 
organique  se  reproduise. 

C'est  cette  double  condition'  des  sensations  qui  rend  possible 
l'acquisition  de  certaines  habitudes  relatives  h  la  sensibilité. 

43.  Habitudes  de  la  sensibilité  pbjsique. —  Quoique  tons 
les  hommes  possèdent  la  môme  faculté  de  sentir,  et  généralement 
les  mêmes  organes  et  les  mêmes  conditions  physiologiques,  oo 
constate  cependant  des  différences  marquées  entre  les  effets  sensi- 
bles qu'ils  éprouvent  des  mômes  causes.  Ce  qui  plait  beauooap  à 
l'un,  plait  moins  ou  môme  répugne  à  l'autre.  La  faculté  étant  la 
même,  cette  différence  ne  peut  venir  que  des  habitudes. 

Parmi  ces  habitudes,  les  unes  sont  naturelles,  les  autres  acqui- 
ses. Il  est  certain  qu'il  j  en  a  aussi  d'infuses,  mais  cet  examea 
nous  mènerait  trop  loin. 

44.  Habitudes  naturelles.  Les  habitudes  naturelles  de  la 
sensibilité  physique  peuvent  venir  d'une  disposition  naturelle  des 
organes,  ou  d'une  disposition  naturelle  de  l'élément  physiologi- 
que, ou  d'une  disposition  naturelle  de  l'âme.  Les  unes  sont  com- 
munes à  tous  les  hommes,  comme  la  faim,  la  soif,  le  sommeU  et 
les  autres  appétits  ou  besoins  du  corps  ;  les  autres  sont  propres  à 
chaque  individu  et  portent  le  nom  commun  de  tempéraments.  Os 
les  appelle  aussi  quelquefois  instincts  ou  inclinations.  Mais  il  est 
bon  de  réserver  le  nom  d'inclinations  pour  les  habitudes  natnrd- 
les  de  la  sensibilité  morale,  et  le  nom  d'instincts  pour  certaines 


SENSIBILITÉ  MORALE  239 

habitudes  naturelles  de  sensibilité  physique  des  animaux.  Les 
différents  tempéraments  des  hommes  sont  la  source  des  différentes 
sensations  qu'ils  éprouvent  sous  l'impression  des  mômes  causes. 

Les  tempéraments  sont  bons  ou  mauvais  selon  les  effets  qu*ils 
produisent.  On  répète  souvent  que  les  tempéraments  ne  se  chan- 
gent pas.  C'est  une  erreur.  On  peut  les  améliorer  ;  et  il  faut  le  faire 
autant  qu'on  le  peut,  sur  soi-même  et  sur  ceux  qu'on  élève. 

45.  Habitudes  aequises.  —  Les  habitudes  acquises  de  la 
sensibilité  physique  sont  de  deux  sortes.  Les  unes  sont  négatives  et 
appartiennent  en  propre  à  la  sensibilité,  les  autres  sont  positives  et 
tiennent  plus  à  la  volonté.  Les  premières  sont  un  affaiblissement  do 
la  faculté  de  sentir,  pour  telle  ou  telle  sensation.  Cet  affaiblisse- 
ment se  produit  sans  volonté  et  presque  sans  conscience,  par  Ja 
seule  répétition  des  sensations.  Il  se  produit  aussi  sous  Teffort  de 
la  volonté  qui  a  résisté  plusieurs  fois  à  l'influence  d'une  même 
sensation.  La  seconde  espèce  de  ces  habitudes  n*estque  la  disposi- 
tion constante  à  céder  à  telle  sensation  ou  à  toute  sensation  quel- 
conque. Ces  habitudes  sont  souvent  le  fruit  d'une  volonté  faible  qui 
a  souvent  cédé  à  l'influence  des  sensations. 

Les  habitudes  de  la  première  espèce  ne  sont  mauvaises  que 
quand  elle  nous  privent  de  quelques  sensations.utiles,  et  produisent 
en  général  ou  en  particulier  ce  qu'on  appelle  l'insensibilité.  Les 
habitudes  de  la  seconde  espèce  au  contraire  sont  presque  tocgours 
mauvaises  et  nuisibles;  elles  ne  sont  bonnes  que  quand  elles  déve- 
loppent en  nous  une  sensibilité  utile,  comme  par  exemple  la  sen- 
sibilité musicale,  phonique,  mimique,  etc. 

^8.  -SINSIBILITllOIlLI 


4Ô.  DéfinitioB.  -^  La  sensibilité  morale  est  la  faculté  d'éprou- 
ver des  sentiments. 

Le  sentiment  est  une  attraction  ou  une  répulsion  de  l'âme  pour 
un  objet  connu.  Ce  qui  attire  Tàme  vers  un  objet  c'est  la  perfection, 
ce  qui  la  repousse  c'est  TiiAperfection  de  cet  objet  La  perfection, 
prend  alors  le  nom  de  beazUé  et  l'imperfisotion,  le  nom  de  laideur. 


240  P9YCHpi.paiB^ 

Aiii8iiaci«^V3equLa^t  sur  l'Ame  daos  le  sentixodut  n'est  plu, 
oonotma  dans  la  s^asi^Uoa^  ane  jnodificatioa  du  corps  ;  c'est  mie  xb(h 
diflcation  de  l'Ame»  c'est  une  connaissance^ 

47.  BAments  de  la  sensibilité  morals.  —  Le  corps  n'a 

donc  pas  une  action  directe  sur  le  sentiment,  comme  sur  la  sonsir 
tion  ;  la  sensibilité  morale  n'a  donc  pas  d'élément  corporel.  ^^ 
est  toute  entière  dans  l'Ame. 

Lasenaibitité.moraJie  es(t  une  puissance  pi^ivç  4e  l'Am^  nisis 
dont  re;i:erci(9e  est  en  grande  partie  soiis  la  direction  de,  ractirité. 

En  effet  la  connaissance  d'un  objet  comme  parfait  ou  imparfait 
Kgii  phyHquementmv  TAme  et  y  produit  tel  ou  tel  sentin^ent,  (^m 
l'Ame  ne  saurait  éviter,  dèçquelaconnaissance  existe.  Maisildépend 
souyent  de  l'Ame  de  connaître  un  objet  ou  de  ne  pas  le  connaître 
et  souvent,  il  dépent  d'elle  aussi  de  le  connaître  comme  beau  oo 
comme  laid.  Si  cette  connaissance  est  exacte  le;  sentiment  le  a&n> 
aussi  ;  mais  l'erreur  dans  la  connaissance  ne  peut  produire  qu'as 
sentiment  faux. 

I|  est  donc  nécessaire  jde  distinguer  "Un  double  élément  dans  la 
sensibilité  morale,  1^  la  sensibilité  elle-méiD^e,  puissance  passire 
d'attraction  ou  de  répulsion,  2^1aconnaissfaicejqui  e^  ici  rélémeot 
actif  du  sentiment^  et  qui  peut  être  vraie  ou  fausse 

«  • 

48.  Objets  de  la  sensibilité  morale.  ^-  Ce  qui  attire  l'Ane 
ou  la  repousse  dans  le  sentiment  c'est  l'objet  connu  :  tout  ol^et 
connu  peut  donc  être  rx)bjet  de  la  sensibilité  morale.  Mais  il  est  & 
remarquer  que  ce  qui  dans  un  objet  attire  l'Ame  vers  lui,  e'eit  la 
beauté  connue  de  cet  objet.  Il  est  donc  vrai  de  dire  qae  Follet 
universel  de  la  sensibilité  morale,c'est  le  6^au,pour  les  attracUons» 
et  le  laid^  pour  les  répulsions.  Bt  selon  que  les  êtres  connus  se 
montrent  beaux  ou  laids,  l'Ame  les  aime  ou  les  fttit  ;  elle  est 
attirée  ou  repotistée. 

On  peut  donc  distinguer  autant  d'espèces  d'objets,  du.  saatiip^^ 
que  l'on  peut  distinguer  d'espèces  de  beau  ou  de  UûdL  On  dîitin* 
fue  d'abord  le  beau  physique,  bgique  ou  moral,  selon  qae  la  po^ 
feetion  d'un  être  appartient  A  Tun  de  ces  trois  ordres.  Qjiant  aa 
beau  métaphysique  qui  est  nécessaire  (  Métajph.  50)  ou  peut  diit 
qu'il  est  la  régie  des  trois  autres.   On  TappeUe  le  beau  i 


SENSIBILITÉ    MORALE  241 

C'est  par  coinpai*aison  à  ce  beau  idéal,  dont  les  caractères  sont  na- 
turellement empreints  dans  la  connaissanoe  de  rhomme.  que  nous 
jugeons  du  beau  dans  les  trois  autres  ordres. 


49.  Relations  des  sentiments  entre  eux.  —  On  peut  recon- 
naître entre  les  sentiments  les  différentes  relations  possibles  entre 
les  différents  êtres  :  relations  d'identité,  d'analogie,  de  dépendance, 
de  génération,  de  connexion,  et  enfin  de  perfection. 

Les  sentiments  sont  plus  ou  moins  semblables  ou  analogues  entre 
eux,  selon  la  nature  de  leurs  objets  ;  ils  peuvent  éti^e  composés  les 
uns  des  autres  ;  ils  s'engendrent  les  uns  les  autres;  ils  sont  quelque- 
fois nécessairement,  ou  logiquement,  ou  physiquement,  ou  morale- 
ment unis^  quand  ils  ont  la  même  cause  :  et  enfin  ils  sont  plus  ou 
moins  parfaits,  d'abord  selon  l'ordre  auquel  appartient  leur  objet, 
et  ensuite  selon  la  perfection  de  leurs  objets  dans  un  même  ordre. 

Ainsi  l'amour  du  beau  idéal,  est  le  plus  parfait  de  tous,  après 
l'amour  du  beau  réel  parfait,  qui  est  Dieu  ;  l'amour  du  beau  moral 
et  l'amour  du  beau  logique  l'emportent  sur.  l'amour  du  beau  phy- 
sique, parce  que  ces  différents  ordres  de  beau  sont  plus  parfaits. 
De  même,  dans  l'ordre  physique,  par  exemple,  le  beau  naturel 
l'emporte  sur  le  beaji  artificiel,  et  parmi  les  productions  des  arts, 
les  unes  l'emportent  sur  les  autres  en  beauté,  et  l'amour  que  l'on  en 
a  est  d'autant  plus  parfait  que  l'objet  est  plus  réellement  beau. 

50.  But  de  la  sensibilité  morale.  —  L'âme  éprouve  une 
attraction  pour  tout  ce  qui  est  parfait,  afin  qu'elle  le  recherche,  et 
qu'en  se  portant  vers  ces  objets  elle  se  perfectionne  elle-même.  La 
sensibilité  morale  a  donc  pour  but  le  perfectionnement  de  l'dme. 
Elle  a  pour  but  de  lui  rendre  plus  faciles  ses  devoirs,  qui  tous  doi- 
vent la  perfectionner. 

Mais  il  faut  avouer  que  la  sensibilité  obtient  souvent  un  résul- 
tat contraire.  Les  hommes  éprouvent  souvent  de  l'attrait  pour  ce 
qui  est  imparfait,  laid  et  mauvais,  et  de  la  répulsion  pour  ce  qui 
est  beau  et  bon.  Cette  contradiction  apparente  vient  de  l'erreur. 
Les  objets  n'attirent  l'âme,  qu'en  tant  qu'ils  lui  paraissent  beaux; 
et  cette  apparence  est  souvent  fausse;  l'âme  est  souvent  dans 
l'erreur.  De  là  les  sentiments  faux. 


16 


242  PSYCHOLOGIE 

51.  Développement  de  la  sensibilité  morale.  —  La  sen- 
sibilité morale  n'entre  en  exercice  qu'après  rintelligence,  puisque 
c'est  la  connaissance  qui  produit  dans  Tâme  l'attraction  appelée 
sentiment.  Et  de  plus  le  développement  de  la  connaissance  sert 
en  un  sens  au  développement  de  la  sensibilité  ;  car  rattraction  que 
l'âme  éprouve  de  la  part  d'un  objet  est  d'autant  plus  grande  qu'elle 
le  voit  plus  parfait.  Voilà  comment  il  y  a  des  sentiments  qui  se 
fortifient  par  Texercice  et  d'autres  qui  s'afifaibllssent  à  mesufe 
qu'on  les  éprouve  plus  souvent.  Le  sentiment  que  l'on  a  pour  nu 
objet  s'émousse  peu  à  peu,  si  l'on  ne  découvre  pas  dans  cet  objet 
de  quoi  le  raviver  ;  à  plus  forte  raison  si  la  connaissance  que  Ton 
en  acquiert  le  montre  moins  beau  ou  moins  laid  qu'il  n'avait  para 
tout  d'abord. 

Les  sentiments  exercent  sur  les  autres  facultés  de  l'âme  et  par- 
ticulièrement sur  l'activité  une  action  analogue  à  celle  des  sensa- 
tions, mais  plus  puissante.  La  volonté  est  pourtant  libre  d'j  résis- 
ter. Elle  y  résiste  plus  ou  moins  et  c'est  de  là  que  viennent  ks 
habitudes  acquises  de  la  sensibilité  morale. 

52.  Habitudes  de'la  sensibilité  morale.  —  Bien  que  k 
faculté  d'éprouver  des  sentiments  soit  la  môme  pour  tous,  on 
constate  cependant  que  tous  n'ont  pas  les  mêmes  sentiments  pour 
les  mêmes  objets.  La  principale  source  de  ces  différences  vient  sans 
doute  de  la  différence  des  connaissances  que  nous  avons  d'an 
même  objet.  Mais  on  constate  aussi,  que  lors  même  qu'un  objet  se 
montre  à  deux  hommes  avec  le  même  degré  de  beauté,  ils  n'éproo- 
vent  pas  tous  deux  pour  cet  objet  le  même  sentiment.  La  cause  de 
cette  différence  est  alors  dans  les  habitudes  de  la  sensibilité  morale. 

Ces  habitudes  sont  naturelles,  infuses  ou  acquises. 

Naturelles,  elles  sont  ou  communes  à  tous,  comme  Tam^ur  du 
beau  en  général,  que  personne  n'a  vu,  et  que  tous  nous  conceTODS, 
d'une  certaine  manière  ;  ou  propres,  comme  les  inclinations  pour 
tel  ou  tel  ordre  de  beauté,  qui  se  manifestent  subitement^  à  la 
première  vue  d'un  objet,  ou  les  inclinations  à  la  colère,  à  la  pa» 
tience,  à  la  générosité,  etc.  L'ensemble  de  ces  inclinations  naturelles 

semble    venir  du  tempérament  et  s'appelle  le  caractère  d'un 
homme. 


SENSIBILITÉ  MORALB  243 

Les  habitudes  infuses  de  la  sensibilité  morale  sont^bien  connues 
des  théologiens,  dans  Tordre  surnaturel  ;  mais  la  philosophie  a 
négligé  jusqu'à'ce  jour  celles  qui  sont  de  l'ordre  naturel. 

On  peut  cependant  constater  les  unes  et  les  autres.  Il  n'est  pas 
rare  de  voir  un  homme,  jusque  là  adonné  au  vice  et  plein  de 
mauvais  sentiments  habituels^  se  trouver  tout  d'un  coup  trans- 
formé, et  n'aimer  plus  que  ce  qui  est  bien,  dès  qu'il  a  voulu  deve- 
nir religieux.  Et  dans  un.  autre  ordre,  on  voit  aussi  une  certaine 
direction  de  sentiments,  par  exemple,  la  passion  de  l'art,  de  la 
science,  etc,  se  manifester  tout  d'un  coup,  et  persévérer  chez  un 
homme  qui  n'avait  eu  jusque  là  que  des  sentiments  contraires. 

Enfin  Tàme  en  cédant  souvent  à  un  sentiment,  ou  en  y  résistant 
toigours,  avec  ou  sans  réflexion,  librement  ou  spontanément 
acquiert  des  habitudes  de  sentiments,  par  lesquelles  elle  se  trouve 
disposée  à  avoir  tel  ou  tel  sentiment  plutôt  que  tel  autre.  Ce  sont 
là  les  habitudes  acquises  de  la  sensibilité  morale.  Ces  habitudes 
sonttrôs-nombreuses.  Onles  appelle  inclinations  qvl  penchants. 
On  les  divise  d'après  leurs  objets.  Elles  sont  toutes  comprises  dans 
Tamourde  soi,  l'amour  de  ses  semblables  et  l'amour  de  Dieu.  Dans 
Tamonr  de  soi  on  trouve  :  Tamour  propre,  Torgueil,  la  vanité,  la 
suffisance,  Tégoïsme,  etc,  etc.  Dans  l'amour  de  ses  semblables  ;  la 
générosité,  la  miséricorde,  la  piété,  ]a  clémence,  etc,  avec  leurs 
contraires  :  l'esprit  de  vengeaDce,  la  cruauté,  etc.  Dans  l'amour  de 
Dieu  :  la  piété,  la  religion,  la  charité  et  enfin  le  mobile  de  toutes 
les  vertus. 

53.  Le  goût.  —  Quand  les  habitudes  du  sentiment  ont  pour 
objet  le  beau  idéal  dans  les  œuvi*es  d'art  on  les  appelle  le  goût.  Ces 
sortes  de  sentiments,  qui  ont  leur  principe  dans  l'amour  abstrait  de 
Dieu,  sont  tout  à  la  fois  un  amour  de  soi,  un  amour  de  ses  seinbla- 
blés  et  un  amour  de  Dieu,  dans  leurs  résultats.  Le  goût  est 
l'amour  habituel  du  beau  idéal.  Cette  habitude  est  en  partie  innée 
en  partie  acquise.  Elle  se  développe  et  se  perfectionne  avec  Tidée 
du  beau,  qui  va  sans  cesse  grandissant  à  mesure  que  nous  voyons 
des  objets  qui  dépassent  ou  atteignent  seulement  notre  idéal  pré  • 
cèdent. 

56.  Les  passions.  —  Quand  l'habitude  d'un  sentiment  quel- 
conque est  assez  puissante  pour  faire  une  certaine  violence  à  la 


244  PSYCHOLOGIE 

volonté^  on  rappelle  pa^^/on.  Les  passions  se  distingaeni  aussi 
par  leurs  objets.  Les  principales  sont  :  l'orgueil,  Tambition,  Tara- 
rice. 

Les  habitudes  de  sensations,  quand  elles  sont  violentes,  prenait 
aussi  le  nom  de  passion  ;  c'est  ainsi  que  Ton  dit  :  la  passion  delà 
volupté,  ou  la  passion  de  Tivrogneri/B. 

Quelquefois  aussi  on  donne  le  nom  de  passion  à  un  sentiment 
passager  mais  violent.  Dans  ce  sens,  la  joie  et  la  tristesse, 
l'amour  et  la  haine,  le  désir  et  la  crainte,  la  colère,  sont  les  prin- 
cipales passions. 

La  distinction  classique  des  passions,  d'après  Aristote,  saint 
Thomas  et  Bossuet  est  celle-ci  :  l'amour  et  la  haine  y  le  désir  ei  h 
fuite,  là,  joie  et  la  tristesse,  qui  tiennent  à  ce  que  ces  aatenrs 
appellent  la  puissance  concupiscible  de  l'Ame;  fespérance  et  le 
désespoir,  la  crainte  et  l'audace  et  enfin  la  colère,  qui  tiennent  à 
la  puissance  qu'ils  appellent  irascible.  Mais  ici  le  mot  «  passion  » 
n'a  pas  exactement  le  sens  moderne  ;  il  signifie  plutôt  les  diverses 
formes  des  puissances  passives  de  l'âme,  selon  leurs  différents 
objets. 

56.  Conséquences  des  sentiments.  —  Comme  le  sentiment 

porte  sur  un  objet  connu,  il  n'est  pas  nécessaire  que  l'objet  soit 
présent  pour  que  l'âme  l'éprouve.  t)ès  lors  le  sentiment  d'amour  on 
de  plaisir  que  l'âme  éprouverait  en  présence  de  l'objet,  s^appelle 
désir,  quand  l'objet  est  absent.  Quand  le  désir  est  violent,  il  prend 
le  nom  de  besoin  et  constitue  une  passion  très-violento.  Mais  cette 
passion  s'apaise  en  se  transformant  en  amour,  en  joie  ou  en  plaisir, 
dès  que  l'âme  entre  en  possession  de  l'objet.  Souvent  même  ÎI  se 
produit  une  sorte  de  réaction  ;  car  Fobjet  possédé  n'est  pas  toujours 
tel  qu'on  le  connaissait  ;  l'âme  se  rassasie  d'en  jouir  et  bientôt 
môme  elle" éprouve  du  dégoiXi..  Le  dégoût  n'est  pas  une  répulsion: 
c'est  plutôt  l'absence  d'attraction. 

Mais  quand  l'objet  possède  réellement  tout  ce  que  Tâme  y  avait 
vu^  quand  la  possession  de  l'objet  ne  fait  pas  cesser  ni  diminuer 
l'attraction  qu'il  exerce  sur  l'âme,  alors  la  possession  de  Tobjet 
produit  la  satis faction ^  qui  atteignant  son  dernier  terme  8*appei1e 
le  ^on^^ur. 


SENSIBILITÂ  MORALE  245 

57,  Du  bonheur.  —  Le  bonheur  est  la  satisfaction  absolue  de 
Y  Ame.  Il  suppose  un  objet  qui  exerce  sur  elle  une  attraction  abso- 
lue et  complète  ;  il  suppose  que  cet  objet  est  possédé  et  que  sa 
possession  ne  diminue  en  rien  Fattraction  que  Tâme  en  éprouve. 
Alors  il  n'y  a  ni  rassasiement  ni  dégoût  ;  il  n'y  a  pas  non  plus  le 
besoin  ni  le  désir,  qui,  appelant  Vùme  ailleurs  que  là  où  elle  est, 
Tempéchent  de  jouir  de  ce  qu'elle  possède.  Ainsi  le  bonheur  ren* 
ferme  la  paix,  la  joie  et  l'amour,  sans  m^nge  de  sentiment  con- 
traire. C'est  la  satisfaction  absolue 

58.  Source  du  bonheur.  —  Puisque  le  bonheur  consiste  dans 
une  attraction  de  l'âme,  il  faut  que  la  cause  du  bonheur  soit  un 
objet  qui  l'attire  absolument  et  dont  la  possession  ne  la  rassasie 
jamais.  Cet  objet  ne  peut-être  que  le  beau  absolu,,  la  réalité 
subsistante  de  ce  beau  idéal,  source  de  tous  nos  sentiments.  Pour 
être  heureuse,  l'âme  a  donc  besoin  de  posséder  ce  beau  absolu,  qui 
sera  le  vrai  absolu  pour  son  intelligence,  le  bien  absolu  pour  sa 
volonté  ;  qui  rendra  parfait  le  développement  de  toutes  ses  facultés, 
en  leur  faisant  produire  tout  ce  qu'elles  peuvent  produire  d'acte. 
Cet  objet  ne  peut  être  que  Dieu  :  l'âme  ne  sera  donc  heureuse  que 
par  la  possession  de  Dieu. 

Mais  outre  ce  bonheur  absolu,  l'âme  peut  posséder  une  plus  ou 
moins  grande  somme  de  bonheur,  d'un  bonheur  relatif.  Or  ce 
bonheur  ne  peut  être  d'une  autre  nature  que  le  bonheur  absolu  ;  il 
doit  donc  encore  avoir  pour  objet  une  certaine  somme  de  vrai,  de 
beau  et  de  bien,  qui  développe  également  les  facultés  de  l'âme. 
Les  richesses,  les  honneurs,  la  puissance,  les  plaisirs  ,  ne  sauraient 
tenir  longtemps  l'âme  sous  leurs  attraits  sans  la  rassasier,  parce 
qu'ils  donnent  moins  qu'ils  ne  promettent,  et  surtout  ils  ne 
sauraient  tenir  l'âme  âlabri  des  désirs  d'autres  objets,  parce  qu'ils 
ne  sont  pasles  plus  beaux.  Ainsi,  lors  môme  qu'il  s'agit  d'un  bonheur 
temporel,  la  source  n'en  peut  être  que  dans  le  développement  ré- 
gulier des  facultés  de  l'âme,  dans  la  possession  relative  du  vrai,  du 
beau  et  du  bien,  et  cette  possession  ne  peut  exister  que  par  une 
certaine  possession  de  Dieu,  qui  est  le  vrai,  le  beau  et  le  bien  réel 
et  absolu,  qui  donne  à  toutes  nos  facultés  leur  entier  développe- 
ment, qui  seul  met  un  juste  équilibre  dans  les  opérations  de  nos 
facultés  en  nous  faisant  pratiquer  toutes  les  vertus,  qui  seul  donne 
la  vraie  joie  à  l'âme  et  remplit  notre  cœur  sans  jamais  le  rassasier. 


246  PSTCHOLOOIB 

59.  Du  mailieiir.  —  Le  malheur  qui  est  le  contraire  du 
bonheur  doit  être  la  privation  de  ce  qui  constitue  le  bonheur.  Il  est 
donc  absolu,  quand  TAme  n'a  ni  paix,  ni  joie»  ni  amour,  ni  même 
Tespérance  de  les  posséder.  C'est  la  répulsion  absolue  et  uni  ver&ellef 
sans  attraction  pour  rien.  11  n'j  reste  pas  môme  le  désir  ;  car  le 
désir  est  une  attraction.  Mais  il  y  reste  le  besoin  inné  de  l'Ame 
pour  les  attractions  qu'elle  n'éprouve  pas.  C'est  le  désordre  complet, 
la  tristesse  perpétuelle,^a  haine  absolue.  Le  malheur  relatif,  qui 
laisse  subsister  une  certaine  somme  de  joie  ou  d'amour,  ou  ao  moins 
de  désir  et  d'espérance,  est  la  conséquence  d'un  développement 
irrégulier  des  facultés,  où  Tobjet  du  sentiment  n*est  pas  le  beaa, 
parce  qu*il  n'est  pas  le  vrai,  ou  parce  qu'il  n'est  pas  le  bien.  Ce  beao 
apparent  attire  l'Âme  tant  qu'elle  ne  le  possède  pas,  et  elle  souffre 
de  ne  pas  l'avoir  ;  et  quand  elle  l'a,  elle  souffre  encore,  parce  qu'il 
ne  la  satisfait  pas,  et  lui  fait  désirer  autre  chose  en  ne  lai  donnant 
que  le  dégoût. 

Article  2"*' 
INTELLl&ENOB 


60.  Définition.  —  L'intelligence  est  la  faculté  de  connaître. 
C'est  le  pouvoir  que  l'Âme  possède  d'être  informée  d'un  objet  quel* 
conque. 

61.  Nature  de  l'intelligence.  —  Par  elle-même,  Tintelligen- 
ce  est,  comme  la  sensibilité,  une  puissance  passive,  puisqu'elle 
n'est  pas  la  possibilité  d'agir,  mais  la  possibilité  d'être  informé. 
Cependant,  bien  mieux  que  la  sensibilité,  l'intelligence  mérite  le 
nom  de  faculté,  en  ce  que  l'âme^  grâce  aux  premières  connaissan- 
ces, qui  se  forment  en  elle,  sans  qu'elle  les  cherche,  peut  employer 
son  activité  et  l'emploie  en  effet,  à  se  procurer  de  nouvelles 
connaissances . 

Ainsi  rintelligence  est  une  puissance  passive  que  l'Ame  emploie, 
à  son  gré,  par  son  activité,  de  telle  sorte  que  les  connaissances  de 
l'Ame  sont  presque  toutes  volontaires. 


INTELLIGENCE  247 

C'est  encore  parce  que  Tintelligence  est  au  service  de  Tactivité, 
que  Tâme  peut  concentrer  sa  pensée  sur  un  seul  objet,  ou  la  répan- 
dre sur  plusieurs  à  la  fois.  L'âme  se  renferme  ainsi  dans  une  infor- 
mation unique,  ou  s*entour^e  de  plusieurs  à  la  fois. 

C'est  ce  double  mode  d'opération  séparé  ou  associé,  qui  engen- 
dre toutes  les  différentes  opérations  intellectuelles  de  Târae. 

62.  Conditions  de  F  intelligence.  —  La  pensée  est  l'exercice 
de  l'intelligence.  Mais  la  pensée  est  une  information  de  l'âpie  par 
un  objet.  Elle  suppose  donc  un  objet  qui  agit  sur  Tâme.  Si  donc 
l'objet  de  la  pensée  est  une  modiûcation  de  Tâme,  l'information  se 
fait  immédiatement  et  sûrement.  Si  au  contraire  l'objet  est  un  corps, 
il  ne  peut  informer  l'âiîie  que  par  les  effets  qu'il  produit  dans  le 
corps  auquel  l'âme  est  unie.  Alors  Tâme  est  informée  des  modifica- 
tions de  son  corps,  et  par  là-môme  de  l'action  et  des  propriétés  de 
l'objet  qui  a  causé  ces  modiâcations. 

Cependant,  il  arrive  souvent  que  l'âme,  ayant  été  informée  an- 
térieurement d'un  objet,  se  retrouve  dans  cette  môme  information, 
sans  que  l'objet  agisse  présentement,  ni  sur  elle,  ni  sur  son  corps. 
L'âme  pense  ainsi  à  un  objet  absent,  elle  le  revoit  tel  qu'elle  l'a  vu. 
Cette  information  est  alors  Teffet  d'une  disposition  laissée  dans  l'âme 
par  l'action  antérieure  de  Tobjet  ;  disposition  par  laquelle  la  môme 
information  se  reproduit  spontanément,  ou  sous  l'influence  d'un 
autre  objet,  dont  l'action  sur  l'âme  est  analogue.  Cette  disposition 
n'est  autre  chose  que  ce  que  nous  avons  appelé  précédemment  une 
habitude  (28). 

63.  Habitudes  intellectuelles.  —  11  y  a  donc  dans  Fâme  des 
habitudes  intellectuelles,  comme  il  y  a  des  habitudes  de  sensibilité. 
Pour  dire  en  quoi  elles  consistent,  il  faudrait  savoir  en  quoi  consis- 
te ce  phénomène  que  nous  appelons  information  de  l'âme  ;  pour  cela 
il  faudrait  savoir  ce  qu*est  l'âme  elle-même,  Tont  ce  que  nous 
pouvons  en  dire  c'est  qu'elles  sont  une  prédisposition  â  telle  ou  telle 
information,  et  que  grâce  à  elles  la  môme  information  se  reproduit 
dans  l'âme,  sous  Tinfluence  d'un  objet  semblable  ou  analogue,  et 
môme  spontanément. 

Mais  si  nous  ne  savons  pas  ce  que  sont  les  habitudes  dans  leur 
nature  réelle,  nous  savons  très  bien  de  quelle  importa,nce  elles  sont 


248  PSYCHOLOOIB 

pour  la  pensée.  Les  habitudes  intellectuelles  sont  dans  leur  ensem- 
ble^ chez  un  homme,  ce  que  nous  appelons  les  connaissances  de  œt 
homme  ;  ce  sont  ses  idées,  ses  jugements  habituels  ;  elles  sont  tout 
ce  qu'il  possède  de  vérités  et  d'erreurs  ;  elles  sont,  en  un  mot,  le 
développement  de  Tintelligence. 

64.  Développemnt  de  F  intelligence.  —  Le  développement 
d'une  intelligence  ne  consiste  pas  dans  un  accroissement  de  la 
faculté.  La  faculté  proprement  dite  ne  se  développe  pas.  La  possi- 
bilité de  recevoir  une  information  quelconque,  n'est  pas  suscepti- 
ble d'accroissement,  ni  de  diminution.  Donc  le  développement  de 
Tintelligence  ne  peut  consister  que  dans  une  certaine  facilité  on 
promptitude  h  i^cevoir  un  plus  ou  moins  grand  nombre  d'informa- 
tions. Or  ce  sont  les  habitudes  intellectuelles  qui  donnent  cette 
facilité  et  cette  promptitude. 

Le  développement  de  l'intelligence  se  produit  encore  dans  un 
autre  sens  par  les  habitudes.  Une  multitude  d'objets  capables 
d'informer  l'âme,  n'étant  que  des  relations  d'autres  objets  ne  peu  vent 
être  saisis  par  [l'âme  et  l'informer,  qu'autant  qu'elle  est  déjà 
informée  de  ces  mômes  objets  entre  lesquels  existent  les  relations. 
C'est  ainsi  qu'un  certain  nombre  de  connaissances  préalables  en 
rend  possible,  beaucoup  d'autres,  impossibles  sans  les  premières- 
En  ce  sens  encore  les  habitudes  intellectuelles  développent  l'intelli- 
gence. 

65.  Des  degrés  de  l'intelligence.  —  Tous  les  hommes  ont 
Tintelligence,  mais  tous  ne  l'ont  pas  au  môme  degré,  en  ce  sens  que 
tous  ne  sont  pas  aptes  à  saisir  avec  la  môme  facilité  ni  avec  la 
môme  perfection  une  pensée.  L'intelligence  est  plus  ou  moins 
ouverte,  plus  ou  moins  prompte,  plus  ou  moins  profonde,  selon  que 
l'âme  reçoit  plus  ou  moins  facilement  ou  pi\)mptenâent  une  informa- 
tion, et  selon  que  cette  information  embrasse  plus  ou  moins  com- 
plètement les  éléments  intimes  d'un  objet.  En  d'autres  termes,  une 
intelligence  est  d'autant  plus  parfaite  qu'elle  comprend  mieux  les 
objets. 

Or,  comprendre,  c'est  ôtre  informé  d'un  objet  et  de  tout  ce  qu'il 
est.  11  est  évident  que  la  compréhension  absolue  nous  est  impossi- 
ble puisque  nous  ne  percevons  pasles  substances.  Notre compréhen- 


INTELLI0BNCB  249 

sion  est  parement  abstraite  ;  noas  ne  voyons  les  éléments  des  choses 
que  d'une  manière  abstraite.  Donc,  pour  nous,  comprendre  an 
objet,  c'est  faire  toutes  les  abstractions  nécessaires  pour  en  conce- 
voir tous  les  éléments.  Une  intelligence  humaine  est  donc  d'autant 
plus  parfaite  qu'elle  fait  plus  promptement,  plus  sûrement  et  plus 
entièrement,  les  abstractions  nécessaires  pour  concevoir  les  éléments 
d'un  objet. 

Les  degrés  de  Tintelligence  consistent  donc  dans  le  plus  ou  moins 
de  facilité  d'abstraction. 

Cette  facilité  est  évidemment  augmentée  par  les  habitudes 
intellectuelles  acquises. 

'Mais  ce  n'est  pas  tout.  On  peut  constater  qu'avec  la  même 
expérience,  deux  hommes  n'ont  pas  le  même  degré  d*intelligence  ; 
et  cette  différence  se  voit  môme  dans  la  plus  tendre  enfance.  11  y  a 
donc  des  degrés  d'inteUigenoe  qui  sont  innés. 

Ces  degrés  sont-ils  dans  la  faculté  elle-même?  Non.  L'informa- 
bilité  de  l'âme  est  toiyonrs  l'informabilité.  Mais  une  âme  peat  être 
naturellement  disposée  à  telle  ou  telle  information,  ou  même  mieux 
disposée  qu'une  autre  à  tonte  information.  Ce  sont  là  des  habitu- 
des innées.  Ces  habitudes  semblent  reposer  le  plus  souvent  sur  le 
tempérament,  qui  est  comme  l'habitude  naturelle  du  corps  en 
général,  et  qui,  par  làmême.rend  les  organes  plus  ou  moins  délicats 
et  la  transmission  des  impressions  plus  ou  moins  vive  et  facile. 
Mais  ces  mêmes  habitudes  peuvent  reposer  aussi  sur  Yé.me  elle- 
même. 

Donc  les  divers  degrés  de  Tintelligence  ne  sont  que  des  habitudes 
intellectuelles  innées  ou  acquises,  ou  même  infuses  ;  car  il  est  des 
intelligences  primitivement  bornées  qui  s'ouvrent  tout  d'un  coup. 

60.  Eléments  de  l'intelligence.  —  Les  objets  qui  peuvent 
informer  l'âme  intelligente  sont  de  deux  natures  bien  distinctes . 
Les  uns  sont  des  corps  ou  des  faits  corporels,  les  autres,  des  faits 
qui  se  produisent  dans  l'âme  elle-même.  L'information  ne  peut 
atteindre  l'âme  de  la  même  manière  dans  les  deux  cas.  Les  faits 
qui  se  passent  en  elle-même,  qui  sont  ses  propres  modifications 
Fâme  les  saisit  immédiatement  ;  ils  ne  peuvent  se  produire  sans 
qu'elle  en  soit  informée.  Mais  pour  les  faits  qui  se  passent  dans 
spn  corps  ou  dans  les  autres  corps,  il  faut,  pour  qu'elle  en  soit 


tSO  PSYCHOLOGIE 

informée,  qu'elle  puisse  ôtre  informée  par  quelque  moyen  de  ce 
qui  se  passe  dans  son  corps.  De  là  un  double  élément  dans  rintelli- 
gence:  Tun  puremant  spirituel,  qui  s'appelle  la  con^cfence  ;  Tautre 
relatif  au  corps  et  que  Ton  appelle  les  sens,  parce  qu'il  se  subdivise 
encore,  selon  les  organes  qui  lui  servent  d'instruments  et  la  nature 
des  informations  que  l'Ame  reçoit  par  chacun  de  ces  différents 
organes. 

Les  éléments  de  Tintelligence  sont  donc  : 

P  la  conscience,  ou  sens  intime,  ou  intelligence  des  faits  internes 
de  l'Ame, 

2^  les  sens,  ou  sens  externes,  ou  intelligence  des  faits  externes. 

Les  perceptions  obtenues  par  ces  deux  moyens  s'appellent  dans 
leur  ensemble  :  l'expérience. 

67.  Insuffisance  de  ces  deux  éléments  pour  expliquer 
toutes  nos  oonnaissancest  —  Par  cette  double  intelligence 
interne  et  externe,  TAme  est  informée  de  ses  propres  modifications 
et  des  modifications  que  les  corps  externes  font  subir  à  son  corps. 
On  conçoit  donc  très-bien  comment  l'intelligence  ainsi  constitaée 
est  pour  nous  la  faculté  de  percevoir  les  modifications  de  notre  àme 
et  celles  de  notre  corps.  Et  l'on  conçoit  très-bien  que  l'Ame  ne 
perçoive  par  ces  deux  moyens  que  des  modifications.  En  effet  :  la 
perception  est  une  information  causée  par  son  objet  ;  si  donc  elle 
a  pour  cause  une  modification  soit  de  l'Ame  soit  du  corps,  elle  ne 
peut  avoir  pour  objet  qu^une  modification.  A  la  rigueur  on  pourrait 
concevoir  que  l'Ame'  fût  informée  de  sa  substance  par  sa  substan- 
ce même,  puisqu'ici  le  siget  et  l'objet  ne  font  qu'un.  Mais  pour  les 
objets  corporels,  il  est  évident  qu'ils  né  peuvent  informer  l'Ame 
qu'en  modifiant  son  cQrps,  et  par  suite  ils  ne  peuvent  l'informer 
que  de  cette  môme  modification.  Donc  l'expérience  ne  nous  fournit 
que  des  modifications.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  partie  de  ce  qne 
nous  connaissons.  En  percevant  ses  propres  modifications,  l'Ame 
s'affirme  elle-même;  en  percevant  les  modifications  de  son 
corps,  l'Ame  afiirme  et  son  corps  et  ses  organes  et  les  corps 
qui  agissent  sur  ces  mômes  organes .  L'Ame  perçoit  ses  propres 
modifications  et  les  modifications  de  son  corps  comme  des  effets 
dont  la  cause  est  en  elle  môme  ou  dans  les  corps  extérieurs,  et 
aussitôt  elle  affirme  cette  cause.   Elle  éprouve  dans  son  corps 


I 


INTELLIGENCE  S51 

Timpression  d'nne  résistance  diversement  modifiée,  étendue  et 
colorée,  ayant  telle  ou  telle  figure,  et  elle  affirme  aussitôt  une  subs- 
tance qui  résiste  avec  telle  étendue,  telle  couleur,  telle  figure. 
Cette  affirmation  tous  les  hommes  la  font  d6  la  môme  manière.  Et 
pourtant  nous  savons  tous  que  cette  substance,  cette  cause  que 
nous  affirmons,  n*a  aucune  communication  directe  avec  notre  Âme. 

Il  j  a  plus.  Les  modifications  qu'éprouve  notre  Ame  ne  font  que 
passer  ;  il  en  est  de  même  de  celles  du  corps.  Les  causes  qui  les 
produisent  ne  sont  pas  toujours  présentes  :  bien  plus  nous  les 
voyons  périr  successivement.  Elles  sont  aujourd'hui,  elles  n'étaient 
pas  hier  ;  elles  ne  seront  plus  demain.  Tout  ce  qui  nous  {entoure, 
tout  ce  qui  agit  sur  nous  change  et  disparaît  comme  nos  modi- 
fications :  en  un  mot  tout  est  contingent.  Nous  mômes,  malgré  la 
connaissance  intime  que  nous  avons  de  notre  substance  permanente, 
de  notre  identité,  nous  passons  aussi .  Et  pourtant  nous  affirmons 
le  nécessaire,  nous  le  distinguons  du  contingent  ;  et  nos  affilrmations 
ne  sont  jaioais  aussi  inébranlables  que  quand  elles  portent  sur  la 
nécessité. 

Tout  est  borné,  limité,  fini,  en  nous  et  autour  de  nous  et  nous 
affirmons  Tinfini. 

Nous  percevons  bien  des  effets  sans  arriver  jamais  à  en  connaî- 
tre jia  cause,  et  nous  affirmons  cependant  d'une  manière  absolue, 
qu'il  n'y  a  pas  d'effet  sans  cause.  En  un  mot  nous  ne  voyons  quç 
Tôtre  contingent  et  relatif  et  nous  affirmons  l'être  nécessaire  et 
absolu. 

La  conscience  et  les  sens,  double  élément  de  l'intelligence,  sont 
bien  insuffisants  à  expliquer  toutes  ces  affirmations. 

Que  conclure?  Faut-il  rejeter  ces  affirmations  comme  dépourvues 
de  fondement  ?  Nous  voudrions^  le  faire  que  nous  ne  le  pourrions 
pas.  Il  vaut  mieux  en  chercher  la  cause  ailleurs  que  dans  la  con- 
science et  les  sens. 

Ô8.  Raeherohe  du  principe  de  nos  eonnaiseanoes  dont 
robjet  est  le  nécessaire  et  l'absolu.  —  L'unanimité  de  ces 
affirmations  de  l'absolu,  la  nécessité  irrésistible  avec  laquelle 
nous  faisons  ces  affirmations  et  dont  la  cause  ne  se  trouve  pas 
dans  les  perceptions  des  sens  ni  dans  celles  de  la  conscience,  nous 


252  PSYCHOLOGIE 

oblige  à  conclure  que  notre  Ame  possède  en  elle-même  un  prin- 
cipe qui  lui  fait  faire  ces  affirmations.  Ce  principe,  tous  ceux  qui 
l'admettent  rappellent,  la  raison.  Et  si  quelques  philosophes, 
égarés  par  une  fausse  analyse  de  l'âme  et  de  ses  opérations,  n'ont 
pas  reconnu  ce  principe,  la  saine  philosophie,  d'accord  avec  le  bon- 
sens  de  tous  les  siècles,  a  toujours  dit  que  l'intelligence  est  doaée 
de  raison  ;  et  tous  en  disant  cela  avaient  en  vue  ce  principe 
intérieur  par  lequel  nous  connaissons  et  affirmons  le  nécessaire, 
l'absolu,  l'inâni. 

En  effet  nous  disons  que  l'homme  raisonnSy  quand  il  conclut 
nécesscUrement  d'un  principe  à  une  conséquence  ;  nous  disons  an 
contraire  qu'un  homme  n'est  pas  raisonnable ,  quand  il  n'admet  pas 
ce  que  tout  le  monde  affirme  comme  nécessairement  vrai,  on 
nécessairement  juste.  On  dit  encore  qu'un  homme  voit  la,  raison 
des  choses  quand  il  voit  les  effets  dans  leurs  causes,  quand  il 
affirme  les  causes  par  leurs  effets  et  les  effets  par  leurs  causes, 
comme  nécesairement  connexes. 

4» 

69.  La  raison.  —  Disons  donc  avec  tous  les  hommes  de  bon- 
sens  que  l'intelligence  humaine,  ou  mieux  que  l'âme  humaine 
intelligente,  est  douée  de  raison^  et  que  la  raison  est  un  principe 
intérieur  par  lequel  l'âme  qui  perçoit  le  contingent  affirme  le 
nécessaire. 

On  remarquera  que  nous  ne  donnons  pas  à  la  raison  le  nom  de 
faculté.  C'est  qu'en  -effet,  ce  nom  ne  lui  est  donné  qu'impropre- 
ment et  ne  lui  convient  pas.  Si  la  raison  était  pour  l'âme  la  faculté 
d'être  informée  de  ce  qu'il  y  a  de  nécessaire  dans  les  choses,  il 
faudrait  que  ce  nécessaire  vint  directement  agir  sur  l'âme,  ou  bien 
produisit  sur  le  corps  quelque  modification  spéciale  :  or  nous  avons 
déjà  constaté  que  rien  de  cela  ne  se  produit.  Tout  ce  que  notre  âme 
éprouve  de  la  part  d'un  objet  quelconque  est  contingent. 

Mais  nous  constatons  aussi  que  l'âme  ne  saurait  percevoir  une 
modiffcation  contingente,  sans  affirmer  infailliblement  et  nécessai- 
rement une  substance  qui  en  est  la  cause  ou  le  siget  ;  elle  ne 
saurait  percevoir  un  effet,  sans  affirmer  nécessairement  que  cet 
effet  à  une  cause  ;  elle  ne  saurait  aiiirmer  l'existence  actuelle  d'un 
seul  être,  sans  affirmer  aussi  que  cette  existence  contingente  et 


INTELLIGENCE  253 

temporelle  suppose  un  être  nécessaire  et  éternel  ;  elle  ne  saurait 
affirmer  le  fini,  sans  affirmer  en  môme  temps  Tinâni. 

Cette  conception  nécessaire  et  irrésistible  de  Tàme,  à  Toccasion 
d'une  perception  contingenta,  ne  pou  vaut  être  le  fruit  d*une  faculté, 
est  donc  le  fruit  d'une  disposition  naturelle.  Cette  disposition  dst 
commune  à  tous  les  hommes  ;  rien  ne  la  leur  donne  dans  la  vie  et 
tous  la  possèdent  ;  elle  est  donc  innée  à  l'âme  ;  elle  est  de  plus 
naturelle,  car  sans  elle  l'intelligence  humaine  ne  serait  pas  ce  qu'elle 
est.  Donc  employons  les  termes  philosophiques  que  nous  avons 
justifiés  plus  haut  (  25,  26,  27,  )  et  disons  :  La  Raison  est  une 

HABITUDE  naturelle  DE  L'iNTELLIGENCB,  QUI  LUI  FAIT    CONCEVOIR 
LE  NÉCESSAIRE  A  LA  VUE    DU    CONTINGENT.    C'cst    UUe    disposition 

imprimée  à  notre  Âme,  c'est  l'information  habituelle  du  Créateur 
qui  est  lui-même  l'être  nécessaire,  éternel,  absolu. 

Pour  dire  toute  notre  pensée  sur  la  nature  de  la  raison,  bous 
aurions  &  ajouter  encore  quelque  chose,  mais  nous  ne  pourrons  le 
faire  avec  brièveté  qu'après  avoir  exposé  la  nature  des  idées. 

70.  Résumé  des  éléments  de  l'intelligence. —  Ainsi  l'intel- 
ligence, qui  est  pour  l'âme  la  faculté  d'être  informée  d'un  objet, 
prend  le  nom  de  sens^  quand  elle  s'exerce  par  les  organes  du  corps 
sur  des  objets  corporels  ;  elle  s'appelle  conscience^'  qmuad  elle 
s'exerce  dans  l'Ame  seule  sur  des  objets  internes  qui  sont  les  modifi- 
cations de  l'Ame  elle-même  ;  enfin  on  lui  donne  le  nom  de  raison^ 
ou  on  dit  qu'elle  est  douée  de  raison,  en  ce  qu'elle  est  disposée  par 
une  habitude  naturelle  à  concevoir  le  nécessaire  &  la  vue  du  contin- 
gent. 

En  s'exerçant  sous  cette  triple  forme,  l'intelligence  devient  la 
source  d'un  grand  nombre  de  faits  de  connaissance,  dont  la  nature 
difiére,  quoique  leur  fond  commun  soit  tot^jours  l'information  de 
l'Ame.  Puisque  ces  faits  se  produisent  dans  l'Ame,  c'est  que  l'Ame 
en  est  capable.  Aussi  on  distingue  généralement  autant  de  sous^ 
facultés  intellectuelles  qu'il  j  a  d'espèces  d'opérations  de  con- 
naissances. Nous  allons  les  passer  en  revue  pour  mieux  connaître 
l'intelligence  et  nous  assurer  qu'elle  suffit  à  toutes  ces  opérations 
sans  exiger  d'autres  éléments  que  ceux  que  nous  y  avons  reconnus. 

Si,  comme  nous  l'avons  vu  j^lus  haut,  les  philosophes  ont  adopté  un 
grand  nombre  de  systèmes  dans  la  distinction  de*  facultés  de  rame,  11 


254  PSTCHOLOQIB 

est  naturel,  qu'ils  aient  varié  bien  davantage  dans  l'analyse  des  nom- 
breuses opérations  de  Tàmaet  des  pouvoirs  que  supposent  ces  opéra- 
tions. Ces  divergences  se  mintfdsteat  surtout  dans  la  distinction  de  ce 
qu'on  est  convenu  d'appeler  les  facultés  intellectuelles. 

il  serait  beaucoup  trop  long  de  donner  ici,  mime  en  résumé,  les  dif- 
férentes distinctions  adoptées  par  las  différents  auteurs,  et  d*ailleurs 
nous  n'y  voyons  aucun  intérêt  pour  le  lecteur.  Nous  ne  ferons  que 
quelques  observations  générales. 

Tous  s'accordent  à  distinguer  dans  l'àme  autant  de  facultés  ou  au 
moins  de  sous-facultés  Intellectuelles  qu'il  y  a  d'opérations  diverses 
dans  l'ordre  de  la  connaissance.  Nous  espérons  démontrer  que  la  seule 
faculté  de  l'iatelUgence,  formée  des  trois  éléments  que  nous  y  avons 
reconnus,  aidée  des  habitudes  acquises,  ainsi  que  de  Tact! vite,  suffit  à 
expliquer  toutes  les  formes  de  la  pansée,  sans  qu'il  soit  besoin  d^dmet- 
tre  aucune  faculté  nouvelle. 

Quand  nous  aurons  exposé  en  entier  notre  doctrine,  nous  pourrons 
alors  donner*  d'une  manière  plus  concise  et  plus  claire  en  même  temps, 
les  systèmes  les  plus  saillants,  parmi  ceux  que  les  différentes  écoles 
ont  adoptés. 

Notre  théorie  se  démontre  d'elle-même  ;  et  nous  la  donnons,  non  pas 
comme  un  système  hypothétique,  mais  bien  comme  l'expression  de  la 
vérité  ;  mais  elle  ne  pourra  que  gagner  à  être  comparée  aux  syslè» 
mes  précédents  qui  ont  tous  le  caractère  de  l'hypothèse  et  souvent  de 
l'hypothèse  gratuite.  Telle  qu'elle  est,  notre  théorie  .n'est  certidnement 
pas  classique,  mais  nous  sommes  sur  un  terrain  où  la  philosophie 
classique  n'a  rien  d'arrêté,  et  on  pourra  s'assurer  d'ailleurs  qu'en  faisant 
faire  un  pas  en  avant  aux  doctrines  classiques,  nous  ne  sortons  pas 
de  leurs  principes,  pas  plus  qu'ailleurs  nous  n'en  sommes  sortis, 
quand  nous  avons  poussé  nos  examens  plus  profondément,  et  qu'il  en 
a  surgi   des  théories  plus  complètes  ou  plus  certaines. 

ETUDE  DES  POUVOIRS 

aUK  tUPPOSCNT  CHACUN  Dit  FAITS  INTCLLECTUCU 


SI.  -Dl  Li  PIKCirTIOl 

71.  Définition.  —  Lo,  perception  est  Tinformation  de  l'Ame 
produite  actuellement  par  l'action  d'un  objet.  On  l'appelle  aussi 
Isivue  de  l'âme  :  mais  ce  mot  rappelle  trop  la  vue  par  les  yeux  du 
eorps,  et  de  plus  il  désigne  aussi  quelqiiefois  la  conception. 


INTBLLia£NCE  255 

72.  Sa  plaee  dans  les  fait»  intelleetaeU.  -*  La  perception 
est  la  première  des  opérations  do  Tintelligence.  L'Ame  ne  recevrait 
jamais  aucune  information  si  elle  n'était  d'abord  informée  par  un 
objet  qui  agit  sur  elle.  Toutes  les  conceptions  que  Tâme  se  donne  ft 
elle-même  ne  sauraient  se  produire  qu'à  l'aide  des  perceptions 
antérieures.  C'est  ce  qui  montre  que  l'âme  ne  se  crée  pas  des 
conceptions,  et  que  par  conséquent  ses  perceptions  ont  une  cause 
rielle. 

73.  Son  exactitude.  —  Puisque  la  perception  ne  peut  se  pro- 
duire que  par  l'action  d'un  ol]get  réel,  qui  informe  l'Ame,  cette  in- 
formation, qui  est  l'effet  de  cette  cause^  ne  peut  qu'être  identique  à 
l'action  de  cet  objet.  Donc  la  perception  est  logiquement  exacte. 

74.  Double  forme  de  la  perception.  —  La  perception, 
nous  l'avons  dit  déjà  plusieurs  fois,  a  deux  formes.  Elle  est  interne 
ou  externe  ;  elle  a  pour  olyet  et  pour  cause,  les  modifications  de 
l'Ame  et  les  modifications  du  corps,  et  par  suite  les  corps  extérieurs. 

Les  différentes  modifications  de  l'Ame  produisent  en  elle  des  in. 
formations  nécessairement  différentes,  et  TAme  ne  peut  que  les 
distinguer. 

Les  différentes  modifications  du  corps  transmettent  &  l'Ame  des 
modifications  différentes  et  elles  portent  avec  elles  les  caractères 
de  leur  origine  corporelle .  C'est  par  là  que  l'Ame  les  distingue  des 
modifications  internes.  Il  y  a  plus,  chaque  modification  du  corps, 
portant  avec  elle  les  caractères  de  son  origine,  l'Ame  perçoit  en 
môme  temps  et  la  modification  et  l'organe,  par  lequel  elle  lui  est 
arrivée,  et  le  corps  extérieur,  qui  a  causé  dans  son  corps  cette  modi- 
fication. 

Cette  perception  externe  accompagne  nécessairement  toute  sen- 
sation, c'est  ce  qui  a  fait  que  bien  des  philosophes  les  ont  confon- 
dues. Mais  pour  nous  qui  appelons  sensation  l'attraction  ou  la  ré- 
pulsion de  l'Ame  causée  par  une  impression  corporelle,  et  percep- 
tion,  l'information  que  l'Ame  reçoit  d'une  impression  corporelle, 
nous  ne  saurions  les  confondre,  alors  même  qu'une  seule  impres- 
sion est  cause  de  l'une  et  de  l'autre. 

Car  si  toute  sensation  est  accompagnée  d'une  perception  de  l'or- 
gane affecté  et  de  la  modification  reçue,  ainsi  que  de  l'attraction 


256  pstcholooie' 

môme  qae  TAme  éprouve,  il  y  a  des  pereeptions  qoi  ne  sont  pas 
accompagnées  de  sensation.  On  peut  faire  les  mêmes  observationi 
sur  la  perception  interne,  comparée  aux  sentiments  :  mais  ici  Tattrac- 
tion  vient  après  la  perception  et  ne  la  précède  jamais. 

75.  Double    faculté  que   suppose  la  perception  —  La 

perception,  parce  qu'elle  est  double,  suppose,-  comme  nous  Tavons 
déjà  vu,  une  faculté  double  :  Tune  interne,  qui  prend  le  nom  de 
conscience  ;  l'autre  externe  qui  s'appelle  les  sens.  Et  cette  dernière 
suppose  à  son  tour  des  organes  corporels  qui  lui  servent  dlnstro- 
ments.  C'est  ici  le  lieu  de  donner  quelques  détails  sur  ces  deux  élé- 
ments de  Tintelligence. 

76.  La  conscience.  —  Le  mot  con^etV/^e^  désigne,  par  se» 
étymologie  (ctim,  scientia)  l'acte  intellectuel  par  lequel  noussavons 
ce  qui  se  passe  en  nous.  Mais  on  est  convenu  de  l'appliquer  platôt 
à  la  faculté  de  le  savoir.  En  ce  sens  elle  n'est  rien  autre  chose 
que  rintelligence  elle-même  par  laquelle  nous  sommes  capables  de 
savoir  ce  qui  se  passe  dans  notre  âme. 

Il  ne  faut  pas  confondre  la  conscience  dont  il  est  question  ici 
avec  la  conscience  morale ^  qui  est  Tensemble  de  tous  nos  jugements 
sur  la  bonté  ou  la  malice  de  nos  actes. 

La  conscience  ne  suppose  aucun  instrument,  ni  intermédiaire, 
entre  TAme  etTobjet  deson  informatiob,  puisqu'elle  n*est  que  la 
faculté  d'être  informée  des  modifications  de  notre  àme. 

Quant  aux  modifications  des  autres  Âmes  nous  ne  les  connaissons 
que  par  leurs  actes  extérieurs,  par  leurs  témoignages  et  par  la 
comparaison  avec  les  faits  que  nous  percevons  en  nous-mêmes. 
Mais  onpeut  dire  qu'en  étudiant  nos  propres  modifications,  nousétu* 
dions  celle  des  autres,  car  elles  sont  toutes  de  même  nature.  S*il  j  a 
quelques  différences  d'ans  les  modes  nous  pouvons  les  connaître  par 
leurs  effets  sensibles  comparés  avec  ceux  qui  se  produisent  dans 
notre  propre  corps. 

Donc,  la  conscience  est  le  vrai  instrument  des  études  psychologi- 
ques. Et  les  observations  que  nous  pouvons  faire  par  son  moyen 
ont  toutes  les  conditions  nécessaires  pour  de  légitimes  inductions  ; 
car  elles  peuvent  être,  si  nous  le  voulons,  dégagées  de  tout  carac- 
tère accidentel,  et,  dans  tous  les  cas,  les  perceptions  observées  sont 
infailliblement  exactes.  (  73.  ) 


INTELLIGENCE  257 

77.  Le*  «ans,  et  les  organe^  des  sens.  — Les  sens  sont, 
dans  \evtr  ensemble,  la  faculté  que  Tàme  possède  d'être  Informée 
des  môdiâoatious  de  son  corps  et  par  elles  des  modifications  des 
corps  extérieurs. 

Les  sens  se  subdivisent  en  cinq  :  la  vue,  Touïe,  Todorat,  le  goût 
et  le  tact, 

L^  organes  des  sens  sont  les  mêmes  que  nous  avons  distingués  . 
comme  organes  des  sensations.  Mais  ici  nous  les  considérons,  non 
plus  comme  iatermédiaires  d'une  attraction,  mais  comme  intermé- 
diaires d*une  information  de  l'Âme. 

Chacun  des  sens,  aidé  de  son  organe  propre,  est  la  faculté  de 
percevoir  un  objet  spécial, .  qui  est  Tobjet  propre  ou  direct  dé  ce 
sens.  Et  au  moyen  de  cet  objet  propre,  chaque  sens  perçoit  encore', 
plus  ou  moins  parfaitement,  plusieurs  objets  secondaires  ou  indi- 
rects. Ainsi  : 

La  vue,  qui  a  pour  organe  les  yeux,  est  la  faculté  de  percevoir 
les  couleurs,  qui  ne  sont  que  des  modifications  lumineuses,  et  par 
elles,  la  figure,  l'étendue,  le  mouvement,  la  distance  des  corps,  et 
môme  leur  nature. 

L'ouïe,  qui  a  pour  organe  les  oreilles,  est  la  faculté  de  percevoir 
les  sons,  qui  ne  sont  que  des  modifications  vibratoires  (des  corps 
et  surtout  de  l'air),  et  par  les  sons,  la  distance  et  quelquefois  la 
forme  et  la  nature  des  corps  vibrants. 

L'odorat,  qui  a  pouc  organe  le  nez,  est  la  faculté  de  percevoir  les 
odeurs,  qui  paraissent  être  des  émanations  tr.}s-subtiles  qui  s'é- 
chappent des  corps  sous  forme  de  gaz.  Une  autre  opinion  vBUt  que 
les  odeurs  soient  des  actions  électriques  des  corps:  cette  théorie, 
nous  paraît  moins  fondée.  Par  les  odeurs,  Tâme  perçoit  aussi  'ou 
du  moins  distingue  la  nature  des  corps  et  leur  distance. 

Le  gpût,  qui  a  pour  organe  la  langue  et  le  palais  de  la'  bouché^ 
est  la  faculté  de  perce voh*  les  saveurs,  qui  paraissent  ïCéi^  que  le 
résultat  de  divers  rapports  électriques  entre  les  corps  et  les  ôiv 
ganes  du  goût  ;  mais  ces  combinaisons  ne  se  prodtiisent  que  par 
l'attouchement. 

Le  tact  ou  le  toucher,  qui  a  pour  organe  toute  la  surface  du 
corps  et  particulièrement  la  ttiain;  e9t  tar  fleoulté  ^âe-  |»ensé^oir  les 
diverses  résistances  et  les  divers  degrés  de  chaleur  des  c<n*ps.  La 
chaleur  paraît  n'être  qfu'nne  vibration  des  molécules  du  corps 

17 


258  l*SYCHOI,OGIE 

comme  les  vibrations  électriques  et  lumineuses,  ce  qui  en  fait  uae 
forme  spéciale  de  la  résistance,  qui  est  toute  mécanique  ;  celle-d 
est  la  conséquence  de  Timpénétrabilité  des  corps  et  du  plus  oo 
moins  de  cohésion  ou  de  compression  de  leurs  molécules.  Par  li 
résistance  nous  percevons  encore  Tétendue,  la  figure,  le  mouve- 
ment et  jusqu'à  un  certain  point  la  nature  des  corps,  et  surtout 
les  modifications  spécifiques  de  la  résistance,  telles  que  le  puli  et 
le  raboteux,  le  dur  et  le  mou,  le  solide,  le  liquide  et  le  gazeux,  le 
sec  et  Thumide.  Le  toucher  ne  s*exerce  que  par  le  contact  des 
objet$  avec  l*organe. 

78.  Conditions  communes  à  tous  les  sens,  —  Les  sens 

ne  pei'çoivent  pas  prs^eis  Jment  la  modification  des  corps  que  noas 
considérons  comme  leur  objet  propre,  pas  môme  Teffet  de  cette 
modification  sur  les  organes,  mais  seulement  la  modification  spé- 
ciale que  Tâme  éprouve  comme  effet  de  l'impression  organique.  Ce 
que  nous  appelons  couleur  y  par  exemple^est  une  propriété  du  corps, 
qui  agit  forcément  par  Tintermédiaire  de  la  lumière,  et  qui  réflé- 
chit celle-ci  sous  telle  ou  telle  forme:  la  lumière  ainsi  réfléchie 
passe  à  travei^s  la  pupille  de  Tœil  et  communique  au  nerf 
optique  sa  vibration  ;  celui-ci  la  communique  au  cerveau  et  c'est 
la  que  Vkme  en  reçoit  une  modification.  Aussitôt  elle  en  est 
informée.  Mais  comme  elle  est  douée  de  raison,  son  informatùm 
sensible  se  mêle  bientôt  (i  l'information  naturelle  de  cause  et  de 
substance,  et  V&me  se  trouve  informée  aussitôt  de  la  couleur,  cause 
de  son  impression,  et  du  corps  cause  et  sujet  de  cette  couleur. 

Il  en  est  de  môme  de  tous  les  autres  sens.  L'àme  ne  saui*ait  ja- 
mais se  trouver  sous  la  modification  produite  en  elle  par  Tactioa 
d'un  objet  quelconque  sur  son  corps,  sans  percevoir  cette  modifica- 
tion et  sans  concevoir  l'être  qui  en  est  la  cause.  Et  cette  concep- 
tion de  la  cause  est  si  rapide  et  si  inséparable  de  la  modificatioe 
perçue  par  les  sens,  que  nous  considérons  tous  comme  objet  de  ces 
perceptions,  non  pas  les  modifications  de  notre  Ame,  ni  de  notw 
corps,  pas  m^me  les  propriétés  des  corps,  mais  les  corps  eox- 
m<^mes  qui  en  sont  les  causes. 

79.  Perfection  reUtiTO  des  sens.  —  Parmi  les  sens,  celai 
de  la  Vite  est  le  plus  parfait  de  tous,  parce  qu'il  perçoit  son  objet 
à  une  pins  grande  distance,  avec  h3aucoup  plus  de  détails,  et  par 


INTELLIGENCE  '  259 

nn  Intermédiaire  bien  pins  subtil  que  tous  les  autres  sens.  Vient 
ensuite  Vouiey  qui  perçoit  encore  son  objet  à  une  assez  grande 
distance,  avec  plus  de  détails  que  les  trois  autres  et  par  un  inter- 
médiaire assez  subtil,  sans  rien  prendre  de  l'objet  cause  de  sa  pen- 
ception.  L* odorat  est  le  troisième  ;  il  perçoit  son  objet  à  une  dis- 
tance moindre  que  les  deux  premiers  et  par  Tintermédiaire  de 
quelque  chose  qui  vient  de  Tobjet  même.  Le  ffoût  a  besoin  du  con- 
tact immédiat  de'  l'objet,  mais  la  saveur  qu'il  y  perçoit  est  quelque 
diose  de  plus  actif  et  de  plus  parfait  que  la  simple  résistance.  En- 
fin le  toucher  est  le  plus  grossier  des  sens  relativement  à  i*un  de 
ses  objets  :  la  résistance  ;  il  lui  faut  le  contact  immédiat  de  l'objet, 
et  ce  qu'il  y  perçoit  est  une  propriété  commune  h  tous  les  corps. 
Au  contraire  dans  la  perception  de  la  chaleur,  le  sens  du  toucher 
-a  quelque  chose  d'aussi  parfait  que  celui  de  la  vue,  quant  à  la  dis- 
tance et  à  Tinstrument  intermédiaire  de  ses  perceptions;  mais  la 
perception  de  chaleur  ne  donne  sur  un  objet  qu'une  seule  informa- 
tion sans  aucune  espèce  de  détails.  Cependant  quoique  plus  gros- 
sier que  les  autres  sens,  le  toucher  est  capable  d'une  assez  grande 
délicatesse  que  Thabitude  peut  mettre  à  profit  pour  y  puiser  des 
informations  assez  précieuses.  C'est  ainsi  que  les  gens  du. métier 
distinguent  au  toucher  la  nature^  les  qualités  et.  par  sjite  la  pro- 
venance d'une  étoffe, 

80.  Perfeetioluiement  des  sens.  —  Cette  expression  usuelle 
est  impropre.  Quand,  par  suite  d'habitudes  acquises^  on  perçoit 
facilement  par  les  sens  des  choses  que  l'on  ne  percevait  pas  d'abord, 
ce  n'est  pas  que  Poigne  ni  la  faculté  de  l'àme  se  sojent  perfec- 
tionnés au  point  de  fournir  des  impressions  qui  ne  se  produisaient 
pas  auparavant.  Les  mêmes  impressions  ont  toujours  été  fournies, 
mais  l'âme  a  appris^  par  Texercico  à  en  distinguer  las  nuances  déli- 

m 

cates.  Donc,  les  sens  ne  se  perfectionnent  pas  ;  c'est  notre  Âme  qui 
apprend  peu  &  peu  À  mieux  s'en  servir. 

81.  Conditions  communes  à  la  conscience  et  aux  sens. 

—  La  perception  en  général,  qu'elle  soit  du  domaine  des  jens  ou 
de, la  conscience,  se  produit  de  différentes  manières. 

Elle  est  d'abord  un  fait  purement  passif  de  l'âme  qui  reçoit, 
sans  aucun  acte  de  sa  part,  une  information  causée  par  ses  propres 


260  P8YCHOLOOIB 

modifications  ou  par  les  modifications  de  soa  corps.  C'est  ceque  bîea 
des  auteurs  appellent  la  perception  spontanée.  I^e  mot  ne  saumt 
être  plus  impropre.  Rien  n'est  moins  spontané  dans  un  être  que  oe 
qui  j  est  produit  par  un  autre.  Disons  donc  que  la  perception  est 
d'abord  passive. 

Mais  FAme  qui  est  naturellement  activa  ne  tarde  pas  k  exercer 
son  activité  vis-à-vis  de  ses  perceptions  passives.  Elle  s'en  éloigne 
ou  se  retient  sous  leur  influence  :  la  perception  est  alors  attentive. 

Cette  attention  peut  avoir  une  double  cause  :  l'attraction  de  la 
sensation  ou  du  sentiment,  ou  bien  la  volonté  déterminée  par  1» 
réflexion.  Dans  le  premier  cas,  lattention  est  instinctive^  dans  k 
second  cas,  elle  est  volontéùre  et  lib?^. 

La  perception  acquiert.,  sous  cette  double  influence  de  Tactivité 
de  Tâme,  un  développement  q^e  nous  allons  étudier  dans ks pan. 
graphes  suivants,  où  d'abord  nous  parlerons  de  Tattention. 

S  s.-  »l  L'ATTIITIim 

82.  Définition.  —  L'attention  est  un  acte  par  lequel  TAme  se 
livre  à  l'information  d'un  objet  (  qu'elle  perçoit  ou  qu'elle  conçoit). 

83.  Nature  de  cet  acte.  —  L'attention  suppose  an  double 
fait  dans  l'Ame.  Une  perception,  qui  est  toiO<>urs  passive,  et  àe 
plus  un  acte,  par  lequel  elle  se  livre  à  cette  pereeptioiu  Ce  fait  est 
donc  le  fruit  de  deux  facultés.  La  perception  suppose  l'iateUi- 
gence  ;  l'Acte  par lequell'Ame  s'j  livie  suppose  l'activité.  Et  de 
plus,  quand  l'attention  est  excitée  par  une  sensation  ou  par  nu  sen- 
timent, elle  suppose  la  sensibilité.  Ainsi  les  trois  facultés  de  l'Ame 
peuvent  s'exeix^er  dans  l'attention,  et  dans  tous  les  cas,  deux  au 
moins  s'y  exei*cent. 

Cependant  par  ses  résultats,  l'attention  est  surtout  ua  fait  d'in- 
telligence, et  c'est  à  raison  de  l'attention  qu'elles  supposent,  qae  les 
pensées  sont  appelées  les  actes  de  l'intelligence, 

L'^e  peut  prêter  attention  à  ses  perceptions  de  conscience  aussi 
bien  qu'aux  perceptjlons  des  sens. 

Elle  peut  même  prêter  attention  à  de  simples  conceptions  dont 
l'olgei  n'agit  pas  présentement  sur  elle.  Mais  on  comprend  qne, 


INTELLIGENCE  261' 

dans  ee  cfiir,  un  vieh  peut  la  distraire  et  changer  t^on  information  : 
fin  élément  dé  sa  pensée  peut,  par  ses  rapports  avec  un  tout  autre 
objet,  donner  h.  TAnie  l'information  de  cet  autre  objet,  et  sur- 
tout, nne  sensation  ou  une  perception  des  sens  peut  faire  naître 
une  information  nouvelle  et  chasser  celle  dans  laquelle  l'Ame  vou- 
lait se  maintenir. 

Aussi  quand  on  vent  donner  toute  son  attention  à  un  objet,  on 
le  tient  présent,  à  là  portée  des  sens,  s'il  est  corporel,  et  si  on  peut 
Fatteindre  ;  dans  le  cas  contraire  on  en  considère  une  image  ;  et 
enfin  s*il  est  purement  intellectuel,  on  s'isole,  autant  que  possible 
de  toute  perception  des  sens,  et  quelquefois  on  ferme  les  jeux. 

Telle  est  l'attention,  avec  ses  caractères  ;  on  voit  qu'elle  ne  sup- 
pose pas  une  faculté  spéciale,  mais  seulement  Tintelligeace-  et 
l'activité. 

84.  flkplaeé. parmi  les  aetei  iatelleeltteU.  -*•  L'attention 
vient  naturellement  à  la  suite  de  la  perception  ;  car  elle  s'exerce 
sur  celle-ci,  Qt  prépare  tous  les  autres  faits  de  l'intelligence . 

85.  Double  origine  de  rattention.  —  L'âme  qui  prend 
plaisir  à  sa  perception  est  excitée  par  cet  attrait  à  s'y  livrer.  L'at- 
tention est  alors  instinctive. 

D'autres  fois,  tout  en  suivant  cet  attrait,  ou  même*  malgré  une 
répulsion,  l'ftme  se  livre  volontairement  et  librement  à  sa  perception. 
L'attention  est. alors  volontaire  ou  réfléchie. 

86.  Effets  de  l'attention.  —  Par  l'attention,  l'Âme  favorise 
ses  perceptions  ;  elle  les  prolonge  ;  elle  les  rend  plus  claires  et  plus 
distinctes  ;  elle  les  complète;  les  analyse,  en  se  livrant  successive- 
ment à  la  perception  des  différents  éléments  qui  les  composent  ;  les 
compare,  en  se  livrant  simultanément  à  plusieurs  perceptions  et 
surtout  aux  éléments  semblables  qu'elles  renferment.  De  là  résultent 
Vanalyse,  Vahsiraction,  la  comparaison  et  la  généralisation, 
que  nouà  allons  étudier. 

S  s.  -  Bl  L'ANALTSX. 

87.  Définition.  —  Le  mot  analyse  qui  s'applique  à  toutes  les 
décompositions  scientifiques,  désigne  plus  spécialement  :  l'acte  par 
lequel  Tâme  décompose  ses  perceptions,  pour  s'informer  séparément 
de  leurs  éléments. 


2(52  PSYCHOLOOIK  y 

88.  Il«tttre  de  cet  acte^  —  On  voit  facilement  par  la  d^i- 
tion  de  l'analyse,  qu'elle  n*est  pour  l'Ame  qu'une  séiîe  d'infonr» 
tiens  successives,  prises  à  part  dans  l'ensemble  confus  d'une 
première  perception  qui  les  renfermait  toutes.  On  voit  aussi  qae 
toutes  ces  informations  partielles  sont  le  fruit  de  tout  autant 
d'actes  distincts  d'attention.  L'anal jse  n'est  donc  pas  seulemeot  1« 
fruit  deTattention  :  elle  est  une  attention  multipliée  et  appliquée 
aux  divers  éléments  d'une  première  perception. 

L'analyse  s'exerce  également  sur  les  conceptions,  qui,  priées  à 
part,  sont  toutes  le  fruit  d'une  première  analyse. 

On  voit  bien  que  l'acte  de  l'analyse  ne  suppose  pas  une  faculté 
spéciale,  mais  seulement  l'intelligence  et  l'activité,  comme  ratien- 
tion. 

89.  Effets  de  Fanalyse.  —  Nous  avons  traité  ailleurs  les 
puissants  effets  de  l'cmalyse,  au  poiùt  de  vue.logique.  Au  point  de 
vue  psychologique,  l'analyse  prépare  Vahstractioii  et  tous  lesacte* 
intellectuels  qui  en  dérivent. 

l^l.-DIL'àBSTRàCTION. 

• 

90.  Définitioii.  —  I/abstraction  est  l'acte  de  l'Âme  qui  consi- 
dère séparément  un  élément  d'un  être,  en  dehors  des  autres,  dont 
il  est  inséparable  dans  la  réalité. 

On  appelle  aussi  abstraction  un  état  de  l'Ame  où,  tout  entière 
attentive  à  sa  pensée,  elle  ne  perçoit  plus  les  impi'e.ssions  plas  ou 
moins  faibles  de  son  corps. 

Dans  cet  état,  un  homme  n'a  plus  conscience  de  l'état  actuel  de 
son  corps,  et  souvent  même  il  oublie  sa  personnalité. 

Mais  ce  n'est  pas  là  un  fait  d'intelligence,  bien  qu'il  ait  pour 
cause  la  pensée. 

91 .  Sa  nature.  —  Cet  acte,  cette  considération  de  l'âme  n'est 
autre  chose  qu'une  attention.  L'ûme  qui  dans  une  première  percep- 
tion a  vu  plusieurs  éléments  dans  un  objet,  s'informe,  par  l'atten- 
tion et  après  un  commencement  au  moins  d'analyse,  d'un  peùl  de 
ces  éléments.  Et  dès  lors  cet  élément,  devenant  le  seul  oliiet  de 
son  infonnation,  lui  apparaît  comme  un  être  distinct';  il  a  ponr 


INTELLIGENCK  ^  263 

l^Ame  comme  une  existence  à  part  ;  il  est  comme  une  substance  ; 
l'Ame  le  nomme  comme  elle  nomme  les  substances  :  cVst  un  être 
abstrait  ;  par  exemple  :  la  blancheur  de  la  neige. 

Arrivé  &  ce  point,  l'acte  intellectuel  n'est  plus  une  perception 
seulement  :  c'est  une  conception.  Mais  cette  conception  n'est  pas 
encore  entièrement  dégagée  de  la  perception.  L'objet  perçu  est 
encore  là,  il  est  présent  h  l'esprit  en  môme  temps  que  l'être  al)etrait 
dont  il  est  en  quelque  sorte  le  principe  générateur  ;  et  Fâme  dit  : 
la  blancheur  de  la  neige. 

Mais  bientôt  la  conception  abstraite  va  se  dégager;  elle  formera 
à  elle  seule  une  information  complète  de  l'Ame  ;  et  l'Ame  dira  sim- 
plement :  la  blancheur^  < 

Mais  avant  d'en  venir  là,  l'àme  doit  passer  par  d'autres  actes 
qu'il  nous  faut  étudier  d'abord  et  apr^s  lesquels  nous^  parlerons  de 
la  conception. 

Constatons  encore  ici  que  le  fait  de  l'abstraction  ne  suppose  pas 
d'autres  facultés  que  l'intelligence  et  l'activité  et  qu'il  n'est  pas  le 
fruit  d'une  faculté  spéciale  ;  puisque  l'abstraction  n'est  qu'une  infor- 
mation que  l'attention  extrait  d'une  autre  information  plus 
complexe.  Quant  à  la  forme  substantive  que  l'Ame  donne  &  l'être 
abstrait,  elle  n'est  que  la  conséquence  inévitable  de  la  raison,  de 
cette  habitude  naturelle  et  innée  que  nous  avons  constatée  dans 
Tintelligence  et  qui  se  môle  nécessairement  à  toute  autre  Infor* 
mation.  L'Ame  n'étant  plus  informée  d*aucune  substance  réelle-, 
8id>starUifie\dkïaoà\!tcdX\ovi  qu'elle  perçoit  seule.  Mais  elle  ne  se 
donne  pourtant  pas  le  change,  et  elle  sait  bien  que  l'être  abstrait 
n'est  pas  une  substance  réelle,  quoiqu'elle  ne  puisse  concevoir  sépa- 
rément cette  modification  sans  lui  donner  une  forme  substantive. 

92.  —  Effets  de  l'abstraotion.  —  L'abstraction  en  séparant 
aux  yeux  de  l'Ame  les  éléments  des  objets,  lui  [permet  de  voir  en 
quoi  deux  objets  se  ressemblent  ou  diffèrent  entre  eux,  et  de  réu- 
nir ensuite  sous  une  seule  conception  tous  les  éléments  semblables 
d'un  nombre  quelconque  d'êtres.  Elle  prépare  ainsi  la  comparai- 
son et  la  généralisation  dont  nous  allons  parler. 


264  PSYCHOLOOIB 

93.  Définition.  —  La  comparaison  est  Taete  par  lequel  Tàme 
considère  simultanément  les  éléments  de  deax  objets,  afin  d*en  per- 
cevoir les  éléments  communs  et  les  éléments  propres, 

Les  éléments  qui  se  trouvent  identiques  dans  les  deux  ol^ets 
sont  communs  aux  deux,  et  ceux  qui  ne  se  trouvent  que  dans 
Tun  des  deux  sont  propres  à  celui-là ,  relativement  à  l'autre. 

Les  éléments  propres  tu  un  premier  objet  dans  sa  comparaison 
avec  un  second  objet,  peuvent  lui  être  communs  avec  un  troisième; 
mjiisil  faut,  pour  constater  cette  identité,  une  seconde  comparaison. 

Deux  objets  qui  ont  des  éléments  communs  sont  settiblablei  par 
ces  éléments  et  différents  par  les  autres. 

94.  Natord  de  la  cotnparaison.  —  L'analyse  du  fait  de 
l'Ame  que  nous  appelons  comparaison  nous  fait  voir  qu'il  suppose  : 
d'àbd^  la  perception  attentive  de  deux  objets,  puis  Vanal^fse 
de  ces  deux  objets  et  Vabstraction  de  leurs  éléments.  Arfivée  à 
ce  point  Tattention  informe  simultanément  l'Ame  de  ces  divers  élé* 
ments  abstmits,  et  dès  lors,  ceux  qui  sont  identiques  ne  donnaot  à 
l'Ame  qu'une  seule  information,  l'Ame  n'en  voit  plus  qu^m  commun 
aux  deux  objets.  lia  comparaison  présuppose  donc  toutes  les 
opérations  intellectuel  les  que  nous  avonsdéjà  étudiées,  et  elle  estcons^ 
tvtuée  ensuite  par  une  nouvelle  perception  attentive  qui  a  pour 
objet,  non  plus  les  objets  de  la  première  perception,  mais  les  olyets 
réunis  de  plusieui*s  abstractions  préalables.  Donc  encore  la  corn* 
paraison  n'exige  pas  une  faculté  spéciale,  mais  seulement  Tintel- 
ligencô  et  l'activité  combinées . 

95.  Effet  de  la  comparaison.  —  Le  résultat  immédiat  de  la 
comparaison,  c'est  la  ^6^/i^ra/2ja^i on,  dont  nous  allons  parler,  et 
par  elle  les  différentes  conceptions,  auxquelles  TAme  donne  son 
adhésion  après  les  avoir  combinées  et  produit  le  jugement  et  le 
rcusonnement, 

SS.-DELl  GiNiliLISiTION. 


9Ô.  Définition.  — La  généralisation  est  l'acte  par  le  quel  Tâme 
considère  comme  un  seul  objet  les  éléments  communs  à  plusieurs 
êtres. 


INTELLIGENCE  2Ô5 

97.  Nature.  —  La  généralisation  est  donc  une  seconde  abstrac* 
tion  ajant  pour  objet  le  résultat  de  la  comparaison.  Mais  cette 
fois  Tabstraction  est  complète.  La  comparaison  en  réunissant  les 
éléments  identiques  de  plusieurs  êtres,  ne  les  avait  pa?  entièrement 
séparés  de  ces  êtres  et  l'Ameles  voyait  encore  comme  quelques 
chose  de  ces  êtres.  Mais  l'attention,  venant  sur  ce  dernier^ travail 
de  rintelligence,  sépare  les  éléments  identiques  des  êtres  auxquels 
ils  sont  communs,  et  tient  Tàme  sous  cette  seule  information. 
Li'àme  se  trouve  alors  dégagée  de  Faction  directe  des  objets  réels, 
elle  ne  perçoit  plus  ces  objets,  elle  est  cependant  informée  d*nne 
certaine  manière  d'être,  et  son  information  natujralle  et  nécesaire 
de  la  substance  se  mêle  nécessairement  à  cette  information  de  la 
manière  d'être  ;  l'Ame  conçoit  donc  un  être  sans  réalité  dont  les 
caractères  sont  précisément  ceux  que  la  comparaison  l)ii  avait 
montrés  communs  à  plusieurs  êtres. 

Dans  cette  conception  abstraite,  l'Ame  ne  voit  pas  seulement 
la  similitude  de  tons  les  êtres  qu'elle  avait  perçus^  analytéa  et 
ùomparës^  mais  elle  y  voit  eiu^ore  la  similitude  de  tous  les  êtres 
X>os8ibIes  qui  auraient  les  mêmes  éléments,  objets  de  sa  conception. 
C'est  pour  cela  que  cette  conception  est  appelée  générale  et  que 
€et  acte  i«itellectael  s'appelle  la  généralisation. 

98.  Effets  de  la  généralMiitioii .  —  La  généralisation  pro- 
duit donc  toutes  les  conceptions  de  genres,  d'espèces,  d'ordres,  de 
classes,  et,  en  un  mot  toutes  les  conceptions  universelles.  Ces 
conceptions,en  se  reproduisant  assez  souvent,  ou  en  agissant  assez 
fortement  sur  TAme,  dès  leur  première  apparition,  foi*ment  les 
habitudes  intellectuelles  que  nous  appelons  les  idées. Ensuite  l'Ame 
les  combine,  les  analyse^  les  compare,  les  généralise  encore  entre 
elles  et  se  donne  ainsi  à  elle-même,  tocgours  par  les  mômes  opéra- 
tions que  nous  avons  analysées,  des  pensées  que  la  perception  n'aurait 
jamais  pu  lui  fournir.  Nous  allons  étudier  ce  développement  admi- 
rable de  l'intelligenoe,  après  avoir  parlé  de  la  conception  et  de 
ses  différentes  formes,  et  partout  nous  reconnaîtrons  la  simplicité 
des  moyens  de  l'Ame  qui  n'a  besoin  pour  tout  cela  que  de  l'intelU^ 
gence  etde  Tactivité, 


266  PSYCHOLOGIE 

S  7.  -  I>l  Li  COKCIPTIOX. 

99.  Définitioo.  —  La  conception  est  Tacte  de  TAine  qui,  infor- 
mée des  éléments  de  différents  objets^  les  combine  et  se  donne  ainsi 
À  elle-même  des  informations  nouvelles  qui  n*ont  pas  d'objet  réel. 

Nous  avons  vu  en  logique  que  le  mot  conception  déûgM  aussi 
toute  information  deTAme,  considérée  seule,  en -dehors  de  fson  objet 
réel. 

Cette  dénomination  vient  de  ce  que,  dans  la  perception  même  la 
plus  attentive,  l'Âme  n*est  jamais  informée  de  tons  les  éléments  de 
Tobjet  réel,  cause  de  sa  perception  et  que,  par  conséquent.  Follet 
de  sa  perception  n'est  jamais  parfaitement  identique  à  Tobjet 
intentionnel.  On  peut  donc  dire  que  l'Ame  n'est  pas  informée  et 
Tobjet  réel  qu'elle  entend  percevoir  ;  que  son  information,  compa- 
rée à  Tobjet  réel,  n'est  jamais  qu'une  conception,  lors  même  qae 
tout  ce  qu'elle  conçoit  se  trouve  en  effet  dans  l'objet  réel.  Cette 
dernière  condition  suffit  pour  la  vérité  de  la  conception,  maîseUa 
ne  suffit  pas  pour  en  faire  la  perception  complète  de  l'objet. 

Enfin  le  mot  conception  désigne  encore  le  résultat  de  cet  aeta 
de  l'âme,  c'est-a-dire,  l'information  elle  même  que  l'Ame  se  donne. 

100.  Extension  de  la  coneeptioii.  —  Là  conception,  consi- 
dérée comme  une  information  que  l'Ame  se  détermine  A  elle  même, 
ou  comme  l'acte  par  lequel  elle  fait  cette  détermination,  est  un 
fait  générique  qui  comprend  tous  les  faits  d'intelligence  autres  qoe 
la  perception.  En  effet,  l'abstraction,  la  généralisation,  l'analjrse 
et  la  comparaison  produisent  des  conceptioifs  qu*elles  déterminent. 
L3S  autres  faits  intellectuels  que  nous  n'avons  pas  encore  étndiês 
supposent  tous  la  conception.  La  conception  résume  donc  tous  les 
actes  intellectuels  qui  ont  pour  base  la  perception  et  qui  ne  sont 
pas  en  001*6  le  jugement. 

C'est  encore  ce  que  nous  avons  reconnu,  en  logique,  quand  nous 
avons  défini  la  pensée,  la  conception  d'un  fait,  et  l'idée,  la  concep- 
tion habituelle  d'un  objet.  Car  le  mot  pensée  résume  tous  les  actes 
intellectuels  qui  ont  pour  objet  un  fait,  et  le  mot  idt^e  résume  toutes 
les  habitudes  intellectuelles  qui  ont  pour  objet  un  être  quelconque. 


INTELLIGENCE  267 

101.  Double  condition  de  la  conception.  —  La  conception 
est  d'abord  un  acte,  mais  on  appelle  du  même  nom  Thabitude  de 
cet  acte,  c*^tr-&«dire,  la  disposition  k  le  faire. 

102.  Nature  de  la  conception  actuelle.  ^  La  conception 
actuelle  n'est  autre  chose  qu'un  acte  d'attention,  par  lequel  l'àtïie 
se  détermine  une  information.  Si  l'âme  s'arrête  seulement  à  un 
élément  de  sa  perception;  la  conception  est  une  abstraction  ;  si  elle 
se  tient  sous  Tinformation  de  plusieurs  éléments  à  la  fois,  pour 
constater  Tideatité  de  quelques-uns,  la  conception  est  une  com- 
paraison ;  si  elle  considère  seulement  ceux  qui  sont  identiques  et 
communs' à  plusieurs  êtres  et  qu'elle  s'en  fasise  un  objet  abstrait, 
la  conception  est  une  génémlisation.  Jusqu'ici  la  conception  est 
ptised'un  ou  de  plusieurs  objets  réels  et  suppose  un  ou  plusieurs 
êtres  qui  renfermeat  les  mêmes  éléments. 

.  Mais  la  conception  va  plus  loin  ;  elle  réunit  les  informations 
fournies  ^  l'&me  par  plusieui*s  généralisations  et  les  combine  de 
manière  à  donner  à  l'Ame  des  informations  qui  n'expriment  rien 
de  réel.  C'est  alors  la  conception  proprement  dite,  ou  mieux  l'ima^ 
£^ation  ou  l'invention. 

Nous  parlerons  plus  loin  de  la  nature  et  des  sources  de  l'ima- 
gination. 

103.  Nature  de  la  conception  habituelle.  —  On  constate 
facilement  dans  les  Ames  un  certain  nombre  de  conceptions  qui 
reviennent  toujours  les  mêmes,  qui  produisent;  toigours  la  même 
information  de  l'Ame.  Cette  régularité  ne  saurait  exister  sans  une 
disposition,  une  habitude.  L'Ame  a  donc  des  conceptions  qui  sont 
en  elle  à  l'état  d'habitude.  Ce  ne  sont  pas  encore  des  actes,  ce  ne 
sont  pas  des  informations  actuelles  déterminées  par  l'attention  ; 
c'est  pourtant  plus  que  la  faculté  d'avoir  ces  informations.  Par 
ces  habitudes  l'Ame  est  disposée  A  avoir  telle  ou  telle  information 
déterminée.  Ces  habitudes  sont  appelées  idées. 

Ces  habitudes  s'exercent  de  deux  manières.  Tantôt  c'est  la  per- 
ception d'un  objet  qui  fait  naître  dans  l'Ame  une  ii^ormation  tou* 
jours  la  même  et.  qui  n'est  pas  exactement  l'information  de  l'objet. 
Souvent  aussi  cette  même  information  natt  sans  la  perception  de 
l'objet,  par  suite  de  l'habitude.   Dans  les  deux  cas,  l'habitude 


26S  PSYCHOI.OGIB 

99t  la  môme  et  elle  n'est  autre  choae  que  ce  que  tout  le  moeda 
appelle  «une  idée». 

104.  Eflbt  de  la  eoneeptioB.  —  La  conception,  considérée  ea 
général,  a  pour  effeta  toutes  le»  idées,  quinesont  que  les  difféi^sntes 
oonceptions  habituelles. 

Nous  allons  donc  parler  des  idées. 

S  I.  -  DIS   IDiKS. 

108.  Défltiitioii.  —  Considérées  dans  ce  qu*elles  sont'  pour 
l'âme,  les  idées  sont  des  habitudes  intellectuelles^  par  lesquelles 
r&nro  est  disposée  &  concevoir  tel'ol:jet  de  telle  manière. 

On  appelle  quelquefois  idée  ]*acte  même  par  lequel  l'âme  oon« 
çoit  tel  objet;  et  plusieurs  auteurs  donnent  le  nom  d'idée  à  Tobjet 
même  de  cette  conception.  Ces  deux  derniers  sens  du  mot  idée 
nous  paraissent  s*écarter  de  la  signification  la  plus  usuelle  du 
mot.  Nous  nous  en  tenons  donc  À  la  première  définition^  comme 
nous  l'avons  fait  en  Logique.  (Log,  47-52)» 

109.  Nature  des  idées.  —  Nous  avons  peine  à  comprendre  ee 
qu^est  une  habitude  dans  le  corps,  à  plus  forte  raison,  sommes- 
nous  embarrassés  de  dire  ce  qu'elle  est  dans  l'âme  ;  mais  nous 
concevons  très-bien  comment  l'âme,  qui  peut  être  informée,  peut 
avoir  une  tendance,  une  disposition  â  recevoir  telle  ou  telle  infor- 
mation. Cette  disposition  c'est  Tidée. 

110.  Conditions  subjectÎTes  des  idées.  —  Considérées  en 
elles-mêmes,  les  habitudes  que  nous  appelons  idées  sont  plus  ou 
moins  intenses.  La  tendance  qu*elles  impriment  à  Tâme  est  plus 
ou  moins  forte  et  par  suite  Tinformation  arrive  plus  ou  moins 
sûrement. 

De  plus,  l'information  qu'elles  préparent  sei*a  plus  ou  moins 
nettement  dessinée,  et  par  là  Tidée  est  plus  ou  moins  claire  ou 
distincte. 


111.  Oonditioaa  objectlTes  dee  idées.  —  Considérées  dans 
leurs  relations  avec  leur  objet,  les  idées  offrent  les  diflfôrentes  qta» 
litôs  que  nous  leur  avons  reconnues  en  Logique  :  vraies  ou  faasses, 
complètes  ou  incomplètes,  concrètes  ou  abstraites,  etc.  Observons, 


INTELLIGENCE  269 

sur  cette  dernière  qualité,  que  Tidée  abstraite  n*est  que  la  dispo- 
sition à  telle  ou  telle  abstraction  ;  c'est  une  abstraction  habituelle. 
Elle  participe  donc  à  la  nature  de  l'abstraction  ;  elle  suppose  donc 
que  Tabstraction  a  été  faite  au  moins  une  fois,  et  par  conséquent 
elle  suppose  une  perception  antérieure,  d'où  l'attention  a  extrait 
l'information  d'un  élément  séparé  :  et  c'est  l'habitude  de  cette 
information  qui  est  Tidée  abstraite. 

L'idée  concrète  suppose  auiisî  la  perception  ;  mais  souvent  les 
élémejits  qui  la  composent  ont  été  perçus  séparément. 

112.  Origine  des  idées.  —  Nous  avons  traité  cette  question 
en  Logique  à  un  point  de  vue  abstrait,  c'esi^-dire,  en  considérait 
ridée  en  dehors  de  l'àme.  11  nous  faut  ici  étudier  la  manière  dont 
les  idées  naissent  dans  l'Ame. 

Nous  avons  conclu  en  Logique  qu'il  j  a  des  idées  innées,  -des 
idées  infuses  et  des  idées  acquises.  Cette  distinction  est  conforme 
à  celle  des  habitudes  en  général: 

Nous  pouvons  donc  admettre  que^  parmi  les  habitudes  intellec- 
tuelles que  nous  appelons  idées,  les  unes  sont  une  conséquence  de 
la  nature  humaine  et  chaque  homme  les  apporte  avec  lui  en  nais- 
sant ;  d'autres  sont  le  fruit  d'une  inspiration  soudaine,  pui  ne  peut 
venir  que  d'un  être  capable  d'agir  directement  sur  l'Ame  ;  enfin  les 
plus  nombreuses  se  forment  par  la  répét  tion  des  mômes  aites 
intellectuels. 

Entrons  dans  quelques  détails. 

113.  Idées  BAlurelles  et  innées.  — •  Les  philosophes  de  tous 
les  siècles  se  sont  partagés  en  deux  camps  sur  cette  question.  Les 
nss  admettaient  avec  Platon  que  l'Ame  humaine  apporte  ea  nais- 
sant toutes  les  idées  nécessaires.  Selon  Platon  l'Ame  aurait  perçu 
ces  idées  en  Dieu,  dans  une  existence  antérieure. 

Les  autres  admettaient  avec  Aristote  que  l'Ame  est  en  naissant 
comme  un  tableau  encore  privé  de  tout  dessin,  tabula  rasa,  et  que 
la  perception  vient  y  graver  successivement  toutes  les  idées. 

De  là  les  deux  théories  principal^  sur  les  idées  :  eelie  des  idées 
innéeê  etœlle  de  la  table  rase. 

Une  autre  école,  qqi  ne  s'affirma  clairement  qu'avec  Malebraa- 
^she,  supposait  que  l'Ame  est  toi\jours. «a  communication  directe 


270  PSYCHOLOGIE 

avec  Dieu,  et  que  c'est  en  Dieu  qu'elle  voit  actuellement  non  seule- 
ment les  idées  nécessaires,  mais  encore  toutes  les  idées  générales. 
Ce  système  a  retrouvé  de  nos  jours  bien  des  partisans,  sous  le  nom 
d'Ontologisme. 

La  difficulté  venait  de  la  conciliation  à  faii'e  entre  la  contingence 
universelle  de  toutes  nos  perceptions  ;  la  n(>cessité  de  nos  affirma- 
tions dans  bien  des  cas  ;  l'absence  complète  de  témoignage  de  cons- 
cience, soit  pour  les  idées  innées,  soit  pour  la  vision  en  Dieu. 

Les  Platoniciens,  entrevoyant  sans  le  dire  que  les  idées  sont  des 
habitudes,  ne  voyaient  pas  de  difficulté  h  les  supposer  présentes 
dans  Tenfant  qui  ntbît  ;  mais  ils  s'égaraient  à  leur  tour  quand  ils  en 
cherehaient  l'origine  dans  une -existence  antérieure. 

Les  Aristotéliciens  au  contraire,  constatant  par  le  témoignage  de 
la  conscience  que  Tâme  ne  pense  qu*après  avoir  perçu  par  les 
sens,  faisaient  remonter  l'origine  dé  toutes  nos  idées  aux  percep- 
tions sensibles . 

Les  partisans  de  la  vision  en  Dieu  h  leur  tour,  constatant  que 
nous  affirmons- ce  que  nous  ft'avons  pas  vu  et  qui  ne  se  trouve 
qu*en  Dieu,  ne  craignent  pas  de  supposer  la  conscience  en  défaut 
et  affirment  que  notre  Ame  voit  Dieu  dans  toutes  ses  pensées.    . 

Enfin  les  psychologistes  modernes,  suivant  les  doctrines  fonda- 
mentales de  Reid  ont  cru  expliquer  l'origine  de  nos  connaL^sances 
et  par  suite  de  toutes  nos  idées,  en  distinguant  dans  l'âme  la  dou- 
ble faculté  de  percevoir,  ou  Vexp'Jrience  des  sens  et  de  la  cons- 
cience, et  \ù,  raison,  qui  selon  eux,  est  la  faculté  de  concevoir  le 
nécessaire  &  Toccasion  du  contingent.  Ils  ii*oat  pas  poussé  plus  loin 
lears  investigations. 

Quand  à  nous,  après  avoir  établi  (  69  )  que  la  raison  est  une 
habitude  naturelle  et  que  les  idées  sont  des  habitudes,  nous  ae 
ferons  pas  de  difficulté  à  nous  l'anger  du  côté  de  ces  derniers  philo- 
sophes eti^  dir^  avec  eux  :  que  les  idées  nécessaires  viennentdela 
.raison  et  qu'elles  se  manifestent  It  Foêcasion  de  l'ex^^érienoe. 

Mais  nous  irons  plus  loin  :  1^  Considérant  les  idées  comme  des 
habitudes^  nous  pouvons  dire  -qu'il  y  a  des  idées  tnnée9,  et  admettre 
cependant  que  TÂme  avant  Texpérienee  des  sens  est  une  tablerai. 
En  effet,  l'habitude  d'une  ikiformatioa  n'est  pas  cette  information. 
.    2^  Considérant  la  raison  comme  Thabitude  natureU»  des  concdp- 


INTELLIGKNCK  271 

tîons  nécessaires,  nous  dirons  que  les  idées  innées  ne  sont  autre 
chose  que  la  raison  elle-même,  sans  dire  pour  cela  avec  Leibnitz 
qu'elles  sont  rintelligence  elle-même . 

3^  Ënûn,  considérant  la  connexion  logique  de  toutes  les  idées 
nécessaires,  qui  se  résument  toutes  dans  Vidée  d'être,  qui  ne  sont 
autre  chose  que  l'idée  d'être,  nous  dirons  hardiment  que  la  raison 
n'est  autre  chose  que  i/idèe  d*être,  l'habitude  naturelle  et 
nnée  h  tous  les  hommes  par  laquelle  nous  concevons  Tétre,  l'in- 
formation habituelle  de  notre  &me  par  le  Verbe  de  Dieu,  dans  la- 
quelle nous  concevons  d'une  manière  abstraite  l'être  absolu  et 
infini,  dont  la  réalité  est  Dieu. 

Ainsi  toutes  les  théories  précédentes  sont  expliquées,  dégagées 
de  leurs  oppositions  réciproques  et  viennent  se  fondre  en  une  seule. 

Ce  qui  corrobore  encore  cette  théorie^  déjà  suffisamment  établie 
par  elle-même. 

114.  Idées  infîises. —  Nous  appelons  idées  infuses,  celles  qui 
se  forment  dans  l'&me  par  une  9orte  d'inspiration.  Les  philosophes 
n*ont  jamais  étudié  cette  origine  des  idées.  Cependant  il  est  facile 
de  constater  dans  la  vie  de  presque  tous  les  hommes  et  surtout  des 
hommes  de  génie,  des  pensées  qui  sont  le  fruit  d.*une  inspiration 
subite,  et  non  seulement  des  pensées  mais  môme  des  idées  propre- 
ment dites,  c'est-à-dire,  certaines  dispositions,  certaines  habitudes 
d'informations,  qui  n'ont  leur  origine  ni  dans  la  raison  ni  dans  la 
perception.  Ce  qu'on  apppelle  le  génie  n'est  autre  chose  qu'un 
ensemble  d'idées  infuses  sur  tel  ou  tel  ordre  de  vérités.  Et  si  on 
veut  bien  appeler  génie  toute  disposition  à  concevoir  des  vérités 
nouvelles  dont  on  n'a  pas  perçu  les  objets,  on  Terra  que  le  génie 
prend  des  formes  trôs  variées  et  qu'il  n'est  pas  chose  bien  rare. 
Dans  notre  siècle,  par  exemple  le  génie  des  machines,  le  génie  des 
combinaisons  financières,  économiques^  etc>  se  sont  multipliés  au 
point  de  passer  inaperçuate^i  '  f 

"  Il  faut  distinguer  cependant  le  bon  et  le  mauvais  génie:  les 
idées  infuses  vraies  et  les  idées  infuses  fausses.  Ces  dernières  surtout 
sont  plus  nombreuses  peut-être  aujourd'hui  que  jamais,  même  après 
tant  de  systèmes  absurdes  inventés  par  les  siècles  préc^^dents. 

113.  Idées  ecqaieee.  —  Les  idées  acquises  sont  des  habitu- 


272  PSYCHOLOGIE 

tes  formées  par  les  opérations  intellectuelles^.  Une  fois  que  l'atteii- 
tion,  déterminant  la  perception,  a  donné  à  Tâme  une  conception 
abstraite  ou  généralisée,  Tâme  reprendra  plus  facilement  cette 
même  information  à  la  perception  du  môme  objet,  qui  lai  a  fourni 
cette  conception /  Et  quand  C3  fait  s'est  répété  assez  souvent,  on 
seulement  quand  Tattention  a  été  assez  vive  pour  donner  à  r&me 
une  infornaation^  très  prononcée,  l'âme  i*este  disposée  à  reprendre 
cette  môme  information,  à  la  perception  de  tout  ce  qui  s* y  rap- 
porte. Sa  conception  est  passée  en  babitude  :  c'est  une  idée  acqnise. 

Plusieurs  causes  différentes  peuvent  i*emettre  en  .acte  une  idée* 
acquise,  mais  toutes  se  résument  dans  la  perception  d'un  objet  qui 
s'y  rapporte.  Aussi  le  moyen  le  plus  ordinaire  qui  fait  revivre  dans 
l'âme  une  conception  devenue  habituelle,  c'est  le  mot  que  nous 
avons  rattaché  à  cette  idée  comme  en  étant  l'expression.  Dès  qu*un 
mot  est  pour  nous  Texpression  d'une  idée  acquise,  la  lecture  ou 
l'audition  de  ce  mot,  agissant  sur  notice  Àme,  lui  rend  actuellement 
l'information,  la  conception,  que  ce  mot  exprime.  Telle  est  raction 
du  langage  sur  rintelligence  et  sur  J^  pensée.. 

Réciproquement,  la  conception  qui  dans  les  informations  de  notre 
âme  se  trouve  ordinairement  unie  à  la  perception  de  tel  mot,  amène 
avec  elle  une  sorte  de  pei*ception  de  ce  mot,  dès  qu'elle  »e  reproduit 
dans  l'âme  par  la  perception  d'un  objet  quelconque*  C'est  ce  qui 
nous  permet  de  communiquer  nos  pensées  et  môme  de  les  prêctser 
par  le  langage.  En  effet  sans  le  mot  qui  exprime  chacune  de  nos 
conceptions,  elles  auraient  toii^ours  quelque  chose  de  vague»  et  il 
nous  serait  probablement  impossible  d'en  suivre  l'enchaînement,  si 
rapide  dans  nos  pensées* 

Outre  le  mot  notre  âme  possède  un  autre  moyen  de  axer  moins 
parfaitement  mais  d'une  certaine  maniôre  ses  coneeptions.  Ce 
moyen,  c'est  Timage  de  l'objet  quand  il  est  concret,  bu  bien,  quand 
la  conception  est  abstraite,  l'image  d'un  ^>b}et  concret  d  eu  l'abstrac- 
tion a  été  tirée.  €ette  image  qui  n*est (autre  chose  qu'une  modifi- 
cation physiologique  dans  la  perception,  se  reproduit,  quoique  avec 
moins  de  vivacité,  dans  la  conception,  alors  que  le  oorps  n'est  plus 
'  affecté  dans  ses  o.^ganes  par  Tobjet  extérieur  de  la  perception*  Ce 
j^énomène,  un  des  plus  importants  de  la  vie  intellectuelle,  et  qui 
bien  connu  rendrait  raison  de  la  moitié  des  opérations  de  l'âme, 


INTBLLIQENCE  273 

mérite  une  étude  spécùJe.  Il  a  reçu  le  nom  d'imagincUion,  Mais 
ce  même  nom  désigne  un  autre  opération  intellectuelle^  qui  vient 
de  la  même  cause  et  que  nous  allons  étudier  en  même  temps. 

ftl. -*DI  L'IIUIXATIOR 

116.  Définition.  —  Deux  phénomènes  de  Tâme,  et  en  même 
temps  les  deux  pouvoirs  de  les  produire,  portent  le  nom  dlmagiT 
nation.  L'imagination  est  donc  : 

1^  La  perception  intérieuro  de  Timage  sensible  d*un  objet,  qui 
accompagne  toujours  la  conception  de  cet  objet. 

2^  Le  pouvoir  que  Tâme  possède  de  percevoir  cette  image. 

3^  La  création  d'une  conception  nouvelle,  par  la  combinaison 
des  conceptions  antérieures. 

4®  Le  pouvoir  de  créer  ainsi  des  conceptions  nouvelles. 

En  réunissant  le  fait  et  le  pouvoir  de  le  produire,  U  nous  reste 
deux  sortes  dlmagination.  L*une  reproductive  ou  sensuelle ^ 
Vautre  inventive  ou  créatrice, 

117.  Imaginalion  reprodttottTe.  —  I]  est  à  remarquer  que 
dans  rimagination  reproductive,  Timage  se  reproduit  sans  Faction 
de  Tobjet  extérieur.  Ge^fait  s*explique  par  Télément  physiologique 
de  la  perception,  qui  n'est  que  la  modifi  ation  du  cerveau  par 
suite  de  la  modification  des  organes.  L*image  par  laquelle  nous 
peroevoni  un  objet,  n'est  autre  chose  qu'une  modification  du 
cerveau,  une  sorte  d'ébranlement  nerveux.  Dos  lors  il  est  facile  de 
concevoir  que  cette  modification,  devenue  une  habitude,  se  repro- 
duise sous  Faction  d'une  cause  analogue,  et  dès  qu'elle  se  repro- 
duit, FAme  doit  revoir  la  même  image.  L'imagination  reproductive 
suppose  donc,  non  pas  une  faculté  spéciale,  mais  des  habitudes 
physiologiques  âuM^uises,  rattachées  aux  idées  acquises.  Ainsi  l'élé- 
ment corporel  et  l'élément  psychologique  de  la  perception  s^unis- 
sent  dans  les  habitudes  intellectuelles. 

m 

118.  Imaginatiott  oréatrioe.  —  Bn  combinant  plusieurs  con- 
ceptions dont  elle  a  acquis  l'habitude,  FAme  produit  des  conceptions 
nouvelles,  et  comme  les  premières  conceptions  sont  accompagnées 
de  leurs  Images,  les  images  se  oombinent  aussi  et  en  forment  une 

18 


274  PSYCHOLOGIE 

nouvelle,  qui  correspond  à  la  conception  ainsi  créée.  Delàrimagi- 
nation  créatrice.  Ce  fait  encore  suppose,  non  pas  une  faculté 
spéciale,  mais  des  habitudes  acquises.  Ces  diverses  haUtodei 
peuvent  entrer  en  acte  simultanément,  et  dès  lors  toutes  les  combi- 
naisons peuvent  se  produire.  Mais  on  constate  que  certains  hommes 
ont  une  aptitude  spéciale  pour  ces  sortes  de  créations,  aptitude  qni 
n'est  pas  la  môme  chez  tous.  Cette  facilité  est  aussi  une  habitodë, 
et  elle  est  en  partie  infuse  ou  naturelle,  et  en  partie  acquise. 

119.  Elément  acquis  de  Fimagination  créatrice:  Associt- 
tion  des  idées.  —  Les  différentes  conceptions  qui  se  prodoiseiit 
dans  notre  Ame,  ont  entre  elles  plusieurs  relations  et  TAme  perçut 
ordinairement  quelques  unes  de  ces  relations.  Ces  relations  soat 
essentielles  ou  accidentelles.  Or  Tattention,  entraînée  par  une  moi- 
titude  de  dispositions  naturelles  ou  acquises,  se  porte  de  préférence 
sur  tel  ou  tel  genre  de  relations  des  conceptions.  Et  comme  ce^ 
par  leurs  relations  que  nos  idées  s*appellent  mutuellement  datf 
notre  Âme,  on  appelle  association  des  tdées^  les  relations  qtK 
notre  Ame  remarque  entre  elles,  en  les  concevant.  De  là  une  double 
association  des  idées  :  l'une  essentielle,  Tautre  accidentelle. 

On  comprend,  en  eflfet,  que  lorsque  deux  conceptions  entit 
lesquelles  l'Ame  a  remarqué  une  relation  ont  passé  à  Fétat  d'habi- 
tude, la  vue  de  leur  relation  est  aussi  devenue  une  habitude  potr 
l'Ame,  de  sorte  que  ces  deux  conceptions  se  trouvent  tellemeDi 
associées  l'une  &  l'autre,  que,  dès  que  Tune  passe  en  acte,  Tâme,  qoi 
la  voit  avec  ||sa  relation  à  l'autre^  revoit  immédiatement  ce^te 
seconde.  Ce  fait  est  la  conséquence  de  l'association  des  idées,  e'6st- 
&-dire  de  la  relation  avec  laquelle  elles  ont  été  conçues  antémi- 
rement.  Et  comme  les  différentes  conceptions  ont  enti>6  elles  i» 
rapports  essentiels,  tels  que  ceux  d'essence,  de  cause,de  genreyetc, 
et  des  rapports  accidentels,  tels  que  ceux  de  teûips,  de  lieu,  de 
signe,  etc,  il  en  résulte  deux  sortes  d'associations  des  idées»  dont 
les  conséquences  sont  différentes. 

Les  idées  associées  par  leurs  rappoi*ts  essentiels  forment  une  hahi. 
tudescientifique,  indispensable  A  toute  considération  sur  telle  outelk 
science,  favorisent  la  combinaison  raisonnée  de  ces  mêmes  idées^ 
et  permettent  de  créer  des  idées  nouvelles  sur  la  môme  science. 
Au  contraire  les  idées  associées  par  leurs  rapports  accidentels  fc»^ 


INTELLIQBNCB  275 

ment  une  habitude  qu'on  appelle  Tesprit,  '  ou  Timagination  poéti- 
que, et  souvent  aussi  ne  produisent  que  des  jeux  de  mots. 

120.  ConséquenceB  de  Tassociatioii  des  idées.  —  Ce  lien 
qui  rattache  ainsi  une  conception  à  une  autre,  et  qui  par  là  môme 
rattache  les  habitudes  de  ces  mômes  conceptions,  est  le  principe 
d*un  phénomène  intellectuel  de  la  plus  haute  importance,  puisque 
sans  lui  nous  ne  pourrions  jamais  comparer  une  pensée  à  une  autre, 
ni  savoir  rien  de  ce  que  nous  avons  éprouvé  précédemment,  ni 
môme  avoir  conscience  de  notre  personne  et  de  notre  identité. 

Ce  phénomène  c'est  le  souvenir.  Le  pouvoir  de  le  produire 
s'appelle  mémoire  et  nous  verrons,  plus  loin,  que  la  mémoire 
n'est  pas  une  faculté,  mais  bien  un  ensemble  d'habitudes  intellec- 
tnelles,  dont  l'exercice  est  déterminé  par  l'association  des  idées. 

Parlons  d'abord  du  jugement  et  du  raisonnement,  parce  que  ces 
opérations  de  l'Ame  suivent  immédiatement  la  conception,  et  que 
de  plus  elles  entrent  au  môme  titre  que  les  conceptions  et  les  per- 
ceptions dans  le  souvenir. 

%  10.  -  DU  JU61IIHT 

121.  Définitioii,  —  Le  jugement  est  Tadhésion  de  Tâme  à  sa 
pensée. 

Cette  adhésion  s'appelle  aussi  affirmation.  Mais  ce  dernier  mot 
semble  désigner  l'adhésion  exprimée  par  la  parole  au  moins  inté- 
rieure. 

122.  Sa  nature*  «^  Le  jugement  suppose  la  conception  d'un 
fait  y  c'esi-à-dire  la  conception  d'un  sujet  modifié^  par  conséquent, 
la  conception  d'une  substtmcey  d'une  modification  et  de  Veœisten' 
ce  de  Tune  dans  l'autre,  comme  ne  formant  qu'un  seul  ôtre.  Donc 
la  conception  qui  est  la  base  du  jugement  suppose  la  conception  de 
l'être^  qui  n'est  point  le  fait  de  la  conscience  ni  des  sens^  mais  de 
la  raison. 

Mais  la  conception  d'un  fait,  dans  laquelle  la  raison  intervient 
pour  apporter  l'idée  d'ôtre  comme  inséparable  de  l'idée  de  modifi- 
cation, n'est  pas  encore  le  jugement.  Cette  conception,  quelle 
qu'elle  soit,  a  ordinairement  un  objet  intentionnel,  et  elle  est  conçue 
comme  l'expression  exacte  de  cet  objet,  ou  comme  ne  lui  étant  pas 


276  PSYCHOLOGIE 

conforme.  C'est  là  une  seconde  conception  que  snppooe  le  jQg^ 
gement  :  c'est  la  conception  de  la  vérité  ou  de  la  fausseté  de  li 
pensée.  Mais  cette  conception  encore  n'est  pas  le  jugement. 

Concevoir  un  fait  ;  concevoir  cette  conception  comme  vraie  os 
comme  fausse  :  ce  n'est  pas  là  juger.  Pour  qu'il  j  ait  jugement,  ii 
faut  que  l'Ame  dise  oui  ou  non  ;  il  faut  qu'elle  accepte  ou  rejette 
sa  pensée  ;  il  faut  qu'elle  adhère  à  sa  pensée  affirmative  ou  néga- 
tive. C*est  là  le  fait  que  nous  appelons  jugement,  tel  que  la  coduscieih 
ce  nous  le  montre. 

Mais  pour  dire  ensuite  en  quoi  consiste  cette  affirmation,  œtte 
adhésicm,  c*est  autre  chose.  Evidemment  c'est  un  acte  de  Ytaae: 
l'intelligence,  avec  ses  facultés  expérimentales  et  sa  raison,  n  j 
entre  pas  seule  ;  autrement  le  jugement  serait  tout  entier  dai»  la 
double  conception  dont  nous  venons  de  parler.  L'activité  j  est  dooe 
pourquelquechose.  Qu'y  fait-elle  ?  Ilnoussemblequeron  peut  expri- 
mer ainsi  son  action.  Elle  ordonne  en  quelque  sorte  à  l'intelligeDoe 
de  garder  cette  information  et  de  n'en  point  recevoir  d  autre  ssr 
le  même  objet.  Ou  plutôt  Pàme^  qui  conçoit  un  fait  comme  réel,  et 
par  conséquent  qui  conçoit  que  sa  pensé  est  vraie,  ne  veut  plus  sur 
ce  môme  fait  recevoir  une  information  contraire  :  elle  veiU  qoe 
cette  pensée  devienne  chez  elle  une  habitude,  afin  de  concevoir 
toujours  ce  fait  de  la  môme  manière.  Telle  est  l'adhésion  de  l'âme 
à  sa  pensée. 

Mais  cette  adhésion,  qui  dans  cette  théorie  est  un  acte  de  rolon- 
té,  n'est  pas  libre  pourtant,  ou  du  moins,  quoique  libre  en  un 
sens,  en  pratique,  elle  ne  l'est  pas  absolument  parlant» 

En  effet,  si  la  conception  que  l'àme  juge  vraie,  lui  paraît  évi- 
demment produite  par  son  objet  intentionnel  et  nullement  par 
l'imagination  Inventive  ;  si  sa  pensée  lui  parait  évidemment  vraie, 
Tàme  n'est  pas  libre  de  la  rejeter  comme  fausse  ;  elle  Taffirme;  dk 
y  adhère,  et  son  adhésion,  sa  volonté  de  garder  cette  pensée^  eai 
nécessaire. 

Si  au  contraire  la  vérité  de  sa  pensée  n'est  pas  évidente^  l'âme 
est  libre  de  la  rejeter,  et  si  elle  y  adhère,  on  sent  que  c'est  H  tari; 
que  c'est  par  précipitation^  ou  par  préjugé,  ou  par  passion.  Car  ii 
peut  arriver  que  l'àme  veuille  concevoir  tel  fait  de  telle  maaiôfe 
non  parce  que  cette  conception  est  vraie,  mais  panse  qu'elle  bn 


INTELLIGENCE  277 

platt.  Dans  ce  cas  Terreurest  volontaire,  libre  et  coupable.  On  voit 
bien  que  ce  n'est  pas  là  le  jugement  proprement  dit.  Donc  on  peut 
dire  absolument  parlant  que  le  jugement,  qui  n'est  au  fond  qu'un 
acte  de  volonté  relatif  à  Tintelligence,  n'est  pas  un  acte  libre.' 

En  résumé  :  par  l'intelligence,  l'âme  est  informée  d'un  fait,  comme 
réel  ;  par  la  sensibilité,  elle  est  attirée  à  recevoir  son  information 
qui  se  montre  vraie  ;  par  son  activité,  elle  accepte  cette  informa- 
tion et  n'en  veut  plus  d'opposée. 

Ainsi  le  jugement  est  le  fruit  des  trois  facultés  de  l'âme. 

—  Ce  qui  fait  que  nous  avons  peu  conscience  du  sentiment  etde 
l'acte  de  volonté  qui  se  joignent  à  la  conception  pour  f(x*mer  le  juge- 
ment, c'est  qu'ici  l'âme,  au  lieu  d'être  attirée  et  de  se  porter  volon- 
tairement vers  l'objet  réel  de  sa  pensée,  est  attirée  et  se  porte  seu- 
lement vers  sa  pensée.  Et  c'est  aussi  précisément  ce  qui  fait  que 
eet  acte  de  volonté  n'est  pas  libre.  Car,  comme  nous  le  verrons  à 
l'article  de  l'activité,  l'âme  est  libre  à  l'égard  des  objets  réels  qui 
ne  sont  que  des  biens  relatifs,  mais  elle  est  nécessitée  psi^r  le  bi^n 
ab$olu.  Or  dans  le  jugement  elle  adhère,  non  pas  à  un  être  réel  et 
relatif,  mais  au  vrai  absolu.  Aussi  dès  que  le  fait  lui  paraît  autre 
qu'elle  ne  l'avait  jugé  d'abord,  l'âme  change  son  jugement  â 
l'égard  de  ce  fait. 

S  11.  DURAISORNIIIHT 

123.  Définition.  —  Le  raisonnement  est  l'adhésion  de  l'Ame  & 
l'identité  logique  de  deux  pensées.  C'est  au  fond  un  jugement. 

124.  Sa  nature.  —  Si  le  raisonnement  diffère  du  jugement,  au 
point  de  vue  logique,  en  ce  qu'il  porte,  non  plus  sur  la  vérité  d'un 
fait,  mais  sur  l'identité  de  vérité  de  deux  pensées  ou  de  deux  faits, 
ils  sont  une  seule  et  môme  chose  au  point  de  vue  psychologique. 
C'est  toujours  l'adhésion  de  l'âme  à  sa  pensée,  à  son  information. 
Seulement,  ici  l'âme  est  informée,  non  d'un  fait  comme  vrai,  mais 
de  l'identité  de  vérité  de  deux  pensées  :  ce  qui  est  aussi  un  fait 
conçu  comme  vrai. 

125.  Résultats  psychologiques  du  jugement  et  du  rai- 
sonnement. —  L'adhésion  de  Tâme  à  sa  pensée  est  d'abord  un 
acte,  mais  elle  est  destinée  à  devenir  une  habiiude  et  elle  le  .devient 


1 


278  P8TCH0L0GIB 

en  efTet.  Tous  les  jagemeat^  et  les  raisonnements  deriennent  dm 
l'ànie  autant  d'habitudes  intellectuelles,  qui  constituent  laconnab- 
sance  proprement  dite  ou  la  science,  et  dont  TAme  se  sert  en  tes 
remettant  en  acte  par  le  souvenir. 

SIS.-DU  SOSTIIttlTSI  U  lIlfllL 

126.  Définition  du  SouTenir.  —  Le  souvenir  est  un  fait  qd 
consiste  en  ce  que  une  information  antérieure  se  reproduit  dans 
TAme,  avec  la  conscience  de  sa  précédente  production. 

On  appelle  réminiscence  la  reproduction  d'une  information  anté- 
rieure sans  conscience  de  l'avoir  déjà  éprouvée. 

127.  Nature  du  SouTenir.  —  Le  souvenir  par  lui-même  n'eit 
pas  un  acte  ;  c'est  un'  fait  passif.  L'&me  se  retrouve  sous  la  même 
Information  qu'elle  a  eue  antérieurement.  Jusque  là  le  souTenir  n'ex- 
ige pas  une  nouvelle  faculté,  autre  que  rintelligenoe,  par  laqudk 
le  même  fait  s'est  produit  une  première  fois. 

Mais  l'information  se  reproduit  sans  l'action  de  l'objet perçn.Otie 
condition  n'exige  pas  davantage  une  nouvelle  faculté  ;  aaoontraiie, 
elle  démontre  qu'une  faculté  ne  saurait  j  suffire.  (28). 

Mais,  dans  le  souvenir,  l'information  reproduite  est  aoeom- 
pagnée  de  la  conscience  de  sa  production  antérieure.  Rien  de  plus 
naturel.  La  conscience  qui  a  accompagné  la  première  infonnatioo 
ne  faisait  avec  elle  qu'une  seule  information,  et  dès  lors  elle  ne.s'ea 
sépare  plus. 

Mais  alors  comment  la  réminiscence  est-elle  possible  ?  Elle  eft 
possible  lorsque  l'&me  n'a  pas  eu  conscience  de  la  première  inf<»^ 
mation,  ou  du  moins  ne  s'y  est  pas  arrêtée  suffisamment  pour  U 
faire  passer  en  habitude  et  l'associer  à  l'information  dont  il  s'agit* 

Le  souvenir  se  produit  de  trois  manières  : 

1^  Spontanément,  ou  du  moins  sans  cause  apparente. 

2^  Par  l'effet  d'une  perception  ou  d'une  conception  semblable  on 
analogue  ou  associée. 

3*  Pat*  l'effet  de  la  volonté  qui  le  cherche  et  souvent  l'obtient 
quand  elle  le  veut. 

128.  Pouvoir  du  SouTenir  ou  Mémoire.  —  Nous  venons  de 
voirque  le  souvenir  ne  suppose  pas  une  faculté  spéciale:  qu  elle  es 


INTELLIGENCE  279 

donc  la  nature  de  la  mémoire  qui  est  le  pouvoir  de  se  souvenir  "i 
Le  souvenir,  comme  toute  reproduction  d'une  modification  quelcon- 
que de  l'Âme,  en  dehors  de  sa  cause  propre,  suppose  une  habitude. 
La  mémoire  est  donc  une  habitude.  Et  pour  mieux  dire,  la  mémoire 
n'est  qu'une  somme  d'habitudes  ;  car  chaque  pensée  dont  on  se  sou- 
vient suppose  une  habitude  spéciale.  La  mémoire  considérée  dans 

« 

sa  nature  n'est  donc  que  Venseinble  de  toutes  les  habitudes  intel- 
lectuelles. 

Mais  la  formation  de  ces  habitudes  ne  supposât-elle  pas  une 
faculté  spéciale  ? 

Non.  C'est  une  condition  naturelle  et  commune  à  toutes  les 
facultés,  ou  plutét  à  tous  les  êtres  qui  ont  des  facultés,  que  chaque 
opération  qu'ils  produisent  selon  une  faculté  quelconque  les  dispose 
h  reproduire  la  môme  opération  avec  plus  de  facilité  et  toigours 

4 

de  la  même  manière. 

Ainsi  l'âme  ayant  éprouvé  une  information  ou  plusieurs,  avec 
assez  d'intensité  pour  se  trouver  disposée  à  la  reprendre  par  elle- 
même,  la  reprend  ou  spontanément,  ou  sous  l'impulsion  d'une 
autre  information  analogue,  ou  enfin  volontairement. 

129  Qualités  de  la  mémoire.  —  Quand  les  habitudes  intel- 
lectuelles se  forment  facilement,  on  dit  que  la  mémoire  est  facile  ; 
quand  elles  persévèrent  longtemps,  on  dit  que  la  mémoire  est' 
tenace  ;  enfin  quand  elles  produisant  leur  acte  promptement,  on 
dit  que  la  mémoire  est  prompte.  On  exprime  la  formation  des 
habitudes  intellectuelles  par  le  mot  apprendre,  leur  persévérance 
par  le  mot  retenir, et  la  production  de  leur  acte  par  le  mot  se  rap- 
peler.  Ainsi  la  mémoire  est  :  facile y<^^\A  on  apprend  sans  peine  ; 
tenace,  quand  on  retient  longtemps  ;  prompte,  quand  on  se  rap- 
pelle à  propos.  Enfin  la  mémoire  est  fidèle  quand  le  souvenir  est 
exact. 

130.  Diverses  sortes  de  mémoijre.  —  On  peut  ainsi  appren- 
dre et  retenir  plus  ou  moins  facilement  les  images  des  objets,  ou 
les  mots  qui  les  désignent,  ou  enfin  leur  conception.  On  distingue 
donc  :  la  mémoire  des  images,  la  mémoire  des  mots,  la  mémoire 
des  pensées. 

Ces  trois  sortes  de  mémoire  sont  nécessaires  à  l'exercice  de  l'in- 


280  PSYCHOLOOIE 

telligence  ;  mais  on  constate  qne  tous  les  hommes  ne  les  ont  pat  ai 
même  degré .  Le  plus  souvent  une  des  trois  domine  et  ce  n^esi  pu 
toujours  la  môme.  Cependant  on  peut  dira  que  la  mémoire  dai 
images  est  celle  qui  domine  le  plus  souvent. 

131  Rismiié.  —  L'intelligence  est  la  faculté  de  connaître;  dk 
consiste  dans  une  sorte  d'informabilité  de  l'Ame,  qui  s^exerce  soos 
Taction  de  certaines  causes  ou  immédiatement  par  la  conscience  on 
médiatement  par  les  sens.  De  plus  l'Ame  possède  natarellemefli 
l'information  habituelle  de  l'être  en  général,  l'idée  d'être,  qne  Toa 
appelle  communément- la  raison,  et  cette  information  devient  actu- 
elle dès  que  l'Ame  reçoit  une  information  actuelle  quelconque,  et  se 
mêle  nécessairement  à  toutes  les  informations  que  l'Ame  reçoit  de 
l'expérience.  Telle  est  Tintelligence  dans  ses  éléments  premiers. 

Mais  l'activité  en  tenant  l'Ame  plus  ou  moins  sous  rinflnenos 
d'une  information,  ou  de  plusieurs,  ou  de  leur  différentes  parties, 
fournit  à  l'Ame  des  informations  d'abord  plus  vives  par  i* attention^ 
séparées  par  l'abstraction^  puis  comparées  et  pénéraltsées  et 
donne  ainsi  naissance  aux  conceptions.  Ces  dernières  devenues 
habitudes  prennent  le  nom  d'idées,  L'Ame  alors  adhère  à  ses  con- 
ceptions: elle  les^ti^^,  elle  les  affirme  ou  les  nie  ;  elle  leeoompar» 
et  en  affirme  l'identité  ou  la  non-tdentité;  elle  raisonne^  en  pas- 
sant par  l'identité  de  l'affirmation  d'un  jugement  à  raffirmatioB 
d'un  autre.  Enfin  toutes  ces*  différentes  informations  de  l'Aae 
devenues  habituelles  et  pouvant  se  reproduire  sans  l'action  de  kor 
objet,  constituent  la  mémoire  et  produisent  le  souvenir,  lien  wàk. 
pensable  de  tous  les  actes  d'intelligence. 


INTELLIGENCE 


S21 


TABLEAU  RÉSUMÉ. 


M  HATtfM. 


informabUItè  de  Fâme. 
EXPÉRIENCE. 


SES  tLÉMKNTS 


liBS  9B1CS,  ftenlté  que 
possède  l'àme  d'être  in- 
formée des  modificatiofis 
de  son  copps. 

La  G0N9GIEMCB,  facultft 
que  possède  l'Ame  d'ê- 
tre informée  de  ses  pro- 
pres modifications. 


RAISON,    information    habituelle    do 
\  l'ôtre.  —  idée  d'être.  • 


nTILLieKIGB. 


\ 


Mt  OftÉRATIONS.. 


Perception,  par  les  sens  et  la  conscien- 
ce. Information  que  l'ôme  reçoit  de  sa 
modification  actuelle. 

Attention,  eiTet  de  l'activité  sur  l'àma 
informée. 

Analyse,  attention  successive  aux  élé- 
ments d'un  être. 

Ab^raqtion,  attention  portant  sur  un 
élément  séparé. 

Comparaison,  attention  simultanée  aux 
éléments  de  plusieurs  êtres. 

GÉNÉRALISATION,  abstraction  portant  sur 
tous  les  éléments  communs  à  plusieurs 

êtres. 

Conception,  information  de  l'âme,  résul- 
tant d'une  combinaison  d'abstractions, 
ou  simplement  information  de  l'âme. 
Idées,  habitudes  intellectuelles  des  di- 
verses conceptions. 

.  ReprodnctlYe.  Reproduc- 
1  lion  intérieure,  de  l'image 
I  d'un  ob}et,  en  l'absence  de 
jcet  objet. 
Imaginations  créatrice.  Combinaison 
Ide  plusieurs  conceptions 
[antérieures,  formant  une 
conception  nouvelle. 

Jugement,  adhésion,  de  l'âme  à  sa  pen- 
sée. Acte  de  volonté  nécessaire,  ac- 
ceptant une  pensée  comme  vraie. 

Raisonnement,  lugeroont  affirmant  l'I- 
dentité de  deux  pensées. 

Souvenir,  reproduction  d'une  pensée 
antérieure  avec  conscience  de  son  ac- 
tualité antérieure. 

MÉMOIRE,  ensemble  de  toutes  les  habi- 
tudes intellectuelles  acquises. 


282  PSTCHOLOOIB 

Conolusion.  —  L*àme  par  la  seule  faculté  de  rintelligeiKX 
déterminée  par  l' Activité,  ou  en  d*autres  termes  par  cela  seul  qu'elle 
est  informable  et  active,  produit  toutes  les  opérations  intallectuellei 
que  nous  venons  de  décrire,  sans  qu'il  soit  besoin  de  les  expliqua 
par  d*autres  facultés. 

APPENDICE 


PRINCIPALES  THÉORIES    SUR  LES   FACULTÉS  INTELLECTUELLES. 


THtORIES    CLASSIQUES. 

Théorie  de  Platon.  —  lia  théorie  de  la  connaissance  est  la  partît 
fondamentale  de  tout  le  système  philosophique  de  Platon.  Aussi,  U  f 
revient  souvent  dans  ses  dialogues  ;  mais*  en  exposant  longruexneat  sa 
théorie  de  la  connaissance,  il  a  négligé  de  déterminer  les  faculté  qoe 
supposent  les  différentes  opérations  de  Venue.  Ce  n'est  donc  pas  la 
théorie  explicite  de  Platon  que  noàs  exposerons  ici,  mais  celle  qui  se 
trouve  implicitement  renfermée  dans  ses  écrits. 

L'âme  a,  par  son  union  avec  le  corps,  la  faculté  de  sentir  ;  elle 
éprouve  donc  des  sensations,  et  ces  sensations  que  nous  appellerions 
aujourd'hui  perceptions  sensibles,  lui  font  connaître  le  particulier,  le 
variable,  le  fini;  par  le  Ouaos  qui  ailleurs  est  à  peu  près  ce  que  nous 
appelons  moralement  le  cœur,  et  qui  est  ici  une  faculté  de  généraliser, 
l'âme  se  f  jrme  des  notions,  qui  sont  la  conception  générale  de  ce  qu'elle 
a  vu  par  les  sensations  dans  les  êtres  particuliers  ;  enfin,  par  la  raison, 
Xévo^  elle  voit  les  idées,  c'est-à-dire  les  idées  nécessaires,  qui  sont 
comme  une  participation  à  la  connaissance  divine,  et  qui,  appçrtées  par 
elle  en  naissant,  demeurent  comme  endormies,  jusqu'à  ce  que  les  sensa- 
tions les  réveillent  et  les  fassent  voir  à  l'âme  par  une  sorte  de  rémi- 
niscence. 

La  philosophie  classique  a  toujours  reconnu,  même  chez  Aristote,  cette 
double  origine  de  la  connaissance:  l'une  expérimentale,  l'autre  ration- 
nelle.        . 

Théorie  d'Axistoteet  de  saint  Thomas.  —  La  théorie  de  l'intel- 
ligence chez  les  Bcolastiques  est  celle  qu'avait  conçue  Aristote:  nous  la 
donnerons  ici  telle  qu'elle  se  trouve  dans  les  œuvres  de  saint  Thomas. 


INTELLIOENCB  283 

Cette  thôorle  distingue  d'abord  dans  l*àme  les  puieaancea  aeneitivea 
et  les  puissances  intellectives.  Les  premières  ont  pour  sujet  Tâme  et  le 
corps,  les  autres  son tdans  l'âme  seule.  Les  unes  et  les  autres  sont  appré- 
hensivesei  appétitivesien  sorte  que  la  connaissance.etractivité  sont  d'a- 
bord confondues  dans  une  môme  idée,  et  que  la  distinction  fondamentale 
porte  sur  le  matériel  d'un  côté  et  le  spirituel  de  l'autre.  Mais  après  que 
Vappéitt  sensitif,  qui  est  ce  que  nous  appelons  la  sensibilité  physique» 
et  Vappéitt  tntellecttiel,  qui  est  la  volonté,  ont  été  mis  à  part,  il  reste 
deux  puissances  de  connaître  :  les  sens^  au  nombre  de  cinq,  pour  les 
objets  corporels,  pris  en  particulier  dans  leur  individualité,  <  hic  et 
nunc  >  ;  VinteUtgence,  pour  tout  ce  qui  est  conçu  universellement-,  par 
abstraction,  €  abstrahendo  ab  hic  et  nunc,  »  De  plus,  quatre  puissances 
sensitives  internes  permettent  à  l'âme  :  1*  de  savoir  ce  qui  se  passe  en 
elle  A  te  et  nunc  et  de  distinguer  les  perceptions  d'un  sens  de  celles  d'un 
autre:  c'est  le  sens  commun;  2*  de  conserver  les  images  perçues  par 
les  sens  :  c'est  Vimagination  ;  S''  d'apprécier,   comme  le  font  les  ani- 
maux, les  qualités  utiles  ou  nuisibles  de  tels  corps  :  c'est  la  puissance 
estimative;  4*  de  conserver  le    souvenir  de  ces  qualités  invisibles  des 
corps  :  c'est  la  m,ém,oire.   Mais    la  mémoire    se    trouve   aussi   dans 
l'intelligence. 

Quant  à  l'intelligence  elle-même,  elle  est  d'abord  Vintellect  passif, 
une  simple  puissance  de  recevoir  des  formes  ou  espèces,  (speoies  in~ 
telligibiles),  c'est-à-dire  des  conceptions  générales  abstraites.  Mais 
comme  ces  espèces  ne  peuvent  lui  venir  que  des  sens,  et  que  les  sens 
ne  les  lui  fournissent  que  dans  les  conditions  particulières  du  hic  et 
nunc,  il  faut  â  l'âme  une  faculté  d'abstraire  et  dergénéraliser  :  c'est 
Vintellect  agent.  Celui-ci  est  une  puissance  active  qui  transforme  les 
espèces  sensibles  (species  sensibiles,  phantasmaia),  fournies  par  les 
sens,  en  espèces  intelligibles,  c'est-à-dire  qui  généralise  par  l'abstrac- 
tion  les  données  particulières  des  sens.  C'est  alors  seulement  qu'elles 
sont  aptes  â  pénétrer  dans  l'intellect  passif,  qui  est  l'Intelligence  pro- 
prement dite.  Et  ce  même  intellect  passif  conserve  les  espèces  inlelli- 
gibles  qu'il  a  reçues,  quand  elles  y  ont  formé  une  habitude,  et  il 
s'appelle  en  ce  sens  la  mémoire. 

La  raison,  dans  cette  théorie  n'est  que  la  puissance  de  raisonner  et 
elle  ne  se  distingue  pas  de  l'intelligence  ;  car,  dit  St  Thomas,  raisonner 
n'est  pas  autre  chose  que  passer  d'un  connu  à  un  autre. 

Mais  ce  principe  intérieur  de  nos  connaissances  nécessaires,  que  nous 
avons  reconnu,  et  que  nous  appelons  aujourd'hui  la  raison,  n'a  pas 
été  méconnu  d'Âristote  ni  des  Scolastiques.  Ils  rappellent  Vintellect  des 
principes  {intellectus  principiorum),  et  Saint  Thomas  dit  formellement 


2&4  FSTCHOLOOIE 

qu'fl  n'est  pas  une  puissance  (faculté),  mais  une  habitude  oaturelle.  Il 
en  dit  autant  de  ce  qu'  on  appelle  aujourd'hui  la  raison  pratique^ 
qu'il  appelle  la  ayndérèse.  «  Intêllectus  princi^ioruni  dicitnr  me 
HABiTUS  NATURALis  :  cx  ipsà  entm  naiurà  animœ  tnteUeciualif 
eonvenit  homini  quod  statini  cogniîo  quid  est  tcivm  et  quid  en 
pars,  cognoscat  quod  omne  totum  est  majus  sud  parte.  —  Sed  qvùl 
isit  totum  et  quid  sit  pars  cognoscere  non  potest  nisi  per  speekt 
intelHgibiles  a  phantasmatibus  acceptas.  (Summa  Ihéol.  la  2s  qllV 
Voyez  aussi  Summa  theol.  p.  la  q.  lxxix.  Voilà  le  vrai  ssasdans 
lequel  Aristote  et  les  Scolastiques  entendaient  le  fameux  princifie  : 
NiJitl  est  in  inteltectu  quod  non  prius  fuerit  in  sensu. 

En  comparant  avec  la  nôtre  cette  théorie  de  rintelfigence.  que  nous 
prenons  tout  entière,  non  pis  mot  à  mot,  mais  très- fidèlement  et  nos 
y  rien  ajouter,  dans  St-Thomas,  on  verra  facilement  qu'eUes  difièreal 
peu  ou  point  dans  le  fond,  quoique  peu  semblables  dans  les  termes.  Bo 
effet,  la  raison,  dans  le  sens  actuel  du  mot,  est  pour  nous,  comme  pour 
Aristote  et  saint  Tliomas,  Vkabitude  naturelle  de  ce  que  nous  cooee- 
vons  nécessairement  dans  les  choses.  Seulement  nous  avons  poussé  pins 
avant  notre  examen  et  nous  avons  montré  que  ces  premiers  prindp», 
qui  d'après  saint  Thomas  nous  sont  innés,  se  réduisent  à  l'idée  d'être. 
•et  qu'ainsi  il  est  vrai  de  dire  qu'en  naissant,  notre  âme  est  une  tM 
rase,  et  que  toutes  les  connais^tances  nous  viennent  de  l'expérience. 
C'est  ce  qu'Aristote  appelle  le  sens,  puisque  ce  que  nous  appelons  coo- 
science  est  pour  lui  le  sens  commun. 

Quant  à  Vinieîlect  agent,  il  ressemble  assez  à  l'attention  telle  qui 
nous  l'avons  décrite,  et  nous  sommes  d'accord  aussi  sur  ces  points  que 
llnteiligence  est  passive,  que  La  mémoire  n'est  pas  une  faculté  à  pirt< 
maLs  seulement  l'habitude  acquise  des  conceptions  précédentes. 

Théorie'de  Bossuet.  —  11  est  facile  de  voir  dans  le  Traité  de  U 
connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  que  Bossuet  s'en  tient  posr 
l'analyse  des*f  acuités  de  l'âme  à  la  tliéorie  des  Scolastiques.  Comme  eus  il 
distingue  d'abord  les  facultés  sensitives  et  les  facultés  intelleetueU»- 
Dans  les  premières  il  place  les  cinq  sens,  le  sens  commun,  Vimagii^ 
tion  et  les  passions,  qui  sont  les  appétits  sensitifs.  Dans  les  seconds 
il  distingue  :  Ventendement,  la  mémoire  et  la  volonté  et  donne  àl'eo- 
lendement  trois  opérations  :  concevoir,  juger,  rcztsonner.  D  ne  dit 
rien  de  llntellect  agent,  ni  de  l'intelligence  des  principes,  mais  on  ^^ 
bien  qu'il  les  conçoit  comme  saint  Thomas.  C'est  la  doctrine  claasiqo^ 
de  son  temps>  que  nous  retrouvons  implicitement  dans  la  IiOgique  di 
Port-Royal. 


rNTELLIOENCE  285 

Théorie  de  Reid.  —  Le  chef  de  l'école  Ecossaise,  Thomas  Reid. 
est  le  premier  qui,  ea  restant  généralement  fidèle  aux  données  de  la 
philosophie  classique»  ait  franchement  abandonné  les  théories  d'Aristote 
sur  Tàme. 

Dédaignant  les  subtilités  de  la  dispute,  il  admet  comme  indiscutables 
ou  comme  accordés  un  certain  nombre  de  principes,  tels  que  :  la  cer- 
titude des  faits  c^e  conscience,  d&  la  mémoire,  de  la  réflexion  sur  soi- 
même,  de  l'identité  du  principe^pensant,  qui  est  le  moi  ;  la  distinction 
de  la  substance  d'avec  ses  modifications;  la  réalité  objective  de  nos  con- 
naissances ;  la  vérité  des  doctrines  universellement  admises  par  le  genre 
humain;  enfin,  la  certitude  de  tout  ce  qui,  en  général,  est  l'objet  de«la 
conviction  de  tout  homme  raisonnable. 

Ces  principes  posés,  Reid  prend  pour  guide  la  réflexion,  et,  rejetant 
la  division  générale  des  opérations  intellectuelles,  adoptée  dan^  toutes 
les  logiques,  depuis  Âristote  jusqu'à  Port-Royal  :  «  concevoir,  juger, 
raisonner  »,  parce  que,  dlt-il,  de  ces  trois  opérations,  la  deuxième  sup- 
pose et  renferme  la  première,  et  la  troisième  renferme  les  deux  autres, 
il  renonce  à  donner  ime  analyse  complète  des  facultés  de  Pâme,  et  croit 
devoir  admettre  comme  des  facultés  distinctes  :  les  sens,  la  mémoire, 
la  conception^  l'abstrat'tion,  le  jugement,  le  raisonnement,  le  goût, 
la  perception  m.orale  et  la  conscience, 

La  première  distinction  entre  les  facultés  ou  les  opérations  de  l'a  me 
ne  se  fonde  plus  sur  la  participation  ou  la  non- participation  du  corps; 
on  n'y  voit  donc  plus  les  facultés  sensitivesà  côté  des  facultés  intellec- 
tuelles. Ce  dernier  terme  de  facultés  intellectuelles  représente  chez 
Reid  toutes  les  facultés  appréhenslves  des  anciens,  et  les  facultés  appé- 
titives  prennent  le  nom  de  facultés  actives.  C'est  un  premier  pas  vers 
la  division  devenue  classique  aujourd'hui ,  mais  la  sensibilité  est  encore 
absente. 

De  plus  Reid,  en  créant,  une  nouvelle  analyse  de  l'âme,  donne  une 
nouvelle  direction  à  la  psychologie,  en  la  séparant  de  la  métaphysique, 
où  l'âme  était  étudiée,  presque  a  priori,  pour  la  traiter,  avec  plus  de 
raison,  comme  une  science  d'observation.  Il  a  aussi  le  premier  mis  en 
lumière  un  phénomène  intellectuel  oublié  jusqu'à  lui,  qu*il  appelle  les 
suites  (Vidées,  que  son  disciple  Dugald  Stewart  a  étudié  plus  profond 
dément  sous  le  nom  d'Associations  des  idées,  et  qui  est  devenu  chez 
les  contemporains  l'objet  d'une  étude  attentive  et  féconde. 

Ainsi  les  travaux  de  Reid  ont  dirigé  la  psychologie  dans  une  meil- 
leure voie  ;  !•  quant  à  la  méthode  qui  doit  y  être  analytique,  puis- 
qu'elle a  pour  objet  un]  être  réel    contingent,    étudié    dans   ses    lois 


Qg^  PSYCHOLOGIE 

contingentes;  2*  quant  au  fondement  de  la  distinction  des  facultés  qsi 
est  la  nature  des  actes,  plutôt  que  la  présence  ou  Tabsence  du  corps 
comme  instrument;  3*  en  donnant  occasion  d'étudier  un  phénomène  qai 
rend  compte  de  la  plupart  des  opérations  de  Ta  me. 

Mais  en  se  séparant  de  la  tradition  classique  il  a,  comme  toute  réac- 
tion, dépassé  le  but.  Sa  théorie  laisse  sans  explication  et  en  quelque 
sorte  sans  cause,  toute  une  série  de  faits  de  Vdme  :  les  sensations  et 
les  sentiments.  Et  sa  théorie  des  suites  d'idées  devenue  après  lui. 
Y  association  des  idées  a  fait  oublier  la  théorie  classique  des  habitudes 
qui  en  est  cependant  le  complément  indispensable. 

THÉ0RIC8     NON  CLAtSIOUES. 

Théorie  d'Epionre.  —  L'âme  selon  ^pleure  est  une  matière  comme 
le  corps  ;  seulement  elle  est  composée  d'ato^pes  plus  subtils  et  ptos 
actifs.  Epicure  les  suppose  ronds  et  ignés. 

Pour  expliquer  la  connaissance,  il  suppose  que  les  corps  émettent 
perpétuellement  dans  tous  les  sens  des  atomes,  qui,en  atteignant  nos  orga- 
nes, fournissent  à  l'âme  des  images.  Ces  images  lui  font  connaître  les 
corps  d'où  les  atomes  sont  partis.  CTest  ce  phénomène  qu'il  appelle  U 
sensation,  àiaOriO'iç.  La  même  sensation  répétée  plusieurs  fois  engen- 
dre dans  Tftme  un  souvenir,  par  lequel  nous  jugeons  de  tous  les  corps 
semblables.  C'est  l'idée  universelle,  qui  nous  permet  de  eonoevoir  nn 
objet  avant  de  l'avoir  perçu,  et  c'est  pour  cela  qu'Epicure  appelle  ces 
Idées  universelles  des  anticipations,  TZQokS\ift\A- 

Les  Stolciens^partalent  de  la  même  théorie  et  admettaient  dans  le 
môme  sens  les  sensations  et  les  anticipations,  mais  Us  y  ajoutaient  la 
droite  raison,  ip66ç  Xivoc,  qui  était  pour  eux  une  participation  4  la 
raison  commune,  sorte  de  force  ou  de  feu  intelligent,  qui  pénétre  le 
monde  et  le  meut  en  y  opérant  tous  les  développements  que  nons 
voyons  s'y  produire. 

Théorie  de  Looke.  —  Ia* Essai  sur  V entendement  hum<Un  de 
Locke  prétend  nous  donner  une  doctrine  nouvelle  et  constituer  un 
progrès  dans  l'analyse  de  l'âme. 

Au  fond,  ce  n'est  qu'un  retour  en  arriére  qui  a  mis  la  philosophie  do 
XYIU*  siècle  en  retard  §urla  philosophie  classique.  Car  la  doctrine  de 
Locke  sur  rintelligence  n'est  que  celle  d'Epicure  avec  un  mot  nouveau. 
Selon  Locke,  le  principe  de  toute  connaissance  c'est  la  sensation;  et  la 
réflexion,  agissant  sur  elle,  comparant  les  sensations,  et  constatant  ce 
qu'elles  ont  de  semblable  ou  de  différent,  fournit  les  idées  et  tonales 


INTELLIGENCE  287 

autres  développements  de  la  connaissance,  n  est  facile  de  voir,  que  la 
réflexion  de  Locke  remplit  exactement  le  but  des  anticipations 
d'Epicure. 

Théorie  de  Gondillao.  —  Partant  du  principe  de  Locke,  Condillac 
déclare  que,  non  seulement  toute  connaissance  vient  de  la  sensation, 
mais  que  tout  est  sensation  dans  l'âme;  ({n^X^senBation  se  transforme 
en  idée,  en  jugement,  en  raisonnement,  en  volonté  même  ;  en  sorte  que 
Vâme  fait  toutes  ses  opérations  par  une  seule  faculté  :  la  sensi- 
bilité. 

Théories  idéalistes.  —  A  côté  des  théories  matérialistes  que  nous 
venons  d'exposer  comme  théories  non-classiques,  le  XVIII»  siècle  nous 
oiTre  des  doctrines  qui  s'écartent  aussi  de  la  philosophie  classique  mais 
en  sens  contraire. 

C'est  d'abord  Leibnilz,  pour  qui,  conformément  à  sa  théorie  des 
monades,  dont  nous  avons  parlé,  page  210  ,  la  perception  n'est  autre 
chose  qu'un  développement,  une  sorte  d'évolution  interne  de  l'âme,  et 
des  monades  du  corps,  sans  aucune  action  des  unes  sur  les  autres.  Quoique 
Leibnitz  s'exprime  comme  tout  le  monde  quand  il  parle  des  sens,  il 
faut  reconnaître,  que  les  mots  perception,  sensation,  action  môme, 
n'ont  plus  aucun  sens  analogue  au  nôtre,  dans  son  système.  C'est  déjà 
sous  d'autres  termes  le  formalisme  de  Kant. 

Kant,  constate  la  conscience  et  les  pensées,  les  informations  que 
l'âme  perçoit  en  elle-même,  mais  il  déclare  Ignorer  si  ces  formes  lui 
viennent  du  corps,  ou  plutôt  il  croit  pouvoir  affirmer  que  pour  les  idées 
nécessaires  au  moins^  c'est  l'âme  qui  donne  â  ses  idées  ses  propres  for- 
mes. C'est  ainsi,  que  selon  Kant,  l'âme  perçoit  nécessairement  les  corfib 
sous  la  forme  du  temps  et  do  l'espace,  et  les  idées  rationnelles  sous  la 
forme  de  l'unité.  Bien  plus,  s'il  veut  rester  d'accord  avec  lui-même 
Kant  est  obligé  de  dire  que  toutes  nos  idée8>  tant  contingentes  que 
nécessaires,  sont  des  formes  accidentelles  ou  essentielles  de  notre 
âme. 

C'est  l'idéalisme  poussé  â  sa  dernière  limite  ;  et  il  arrive  par  une 
autre  voie  aux  mêmes  conclusions  que  Leibnitz,  qui  cependant  n'avait 
pas  voulu  conclure. 

Ces  doctrines  idéalistes  développées  par  Fichte  amenèrent  la  négation 
de  tout  être  autre  que  l'âme  ou  le  moi,  et  par  une  analyse  subtile  mais, 
en  apparence,  d'une  logique  serrée,  Hegel,  partant  de  ce  mot,  qui  s'ob- 
jective le  non-mot,  un  non-mot  qui  n'est  pas,  et  qui  n'a  d'existence  que 
dans  le  moi,  en  conclut  que  •  l'être  et  le  non-être  sont  identiques  »  et 
finit  par  poser,  comme  principe  premier  de  toute  philosophie,  l'absurde 


288  PSTCHOLOOIB 

lui-même»  dans  sa  forme  la  plus  absolue  :  <  L'identique  et  le  noo-idea- 
tîque  sont  identiques.  » 

GoDolmsion.  —  La  vérité  est  une,  l'erreur  est  OMdtiple.  Lêb  pliil<MO- 
phes  n'ont  pas  tu  du  premier  coup  toute  la  vérité  sur  l'àme  ;  nmis  ai  U 
philosophie  classiquA  vase  développant  et  pénétrant  plus  proloudémeai 
dans  la  vérité,  il  est  à  remarquer  qu'elle  ne  se  contredit  jamais.  Ses 
théories  plus  récentes  sont  plus  explicites  ou  plus  profondes  qom  les 
premières,  mais  elles  ne  répugnent  jamais  au  bon-sens.  C*est  à  csUa 
marque  que  l'on  peut  les  reconnaître.  Au  lieu  que  les  théories  qui  s'écar- 
tent, dans  un  sens  ou  dans  l'autre,  de  la  doctrine  classique,  choquent 
d'abord  la  conscience,  en  ce  sens  qu'elles  nient,  dés  le  principe,  quelque 
fait  entièrement  certain,  et  finissent  toujours  par  arriver  à  la  Dé^tion 
absolue,  dernier  terme  de  l'erreur. 

ARTICI.E  3"* 

iGTiriTÉ 


13  L  Définitioii.  —  L'activité  est  U  faculté  d'agir.  Agir  c'est 
être  c%use,  c'est  produire  un  effet.  L'âme  est  oauee*  elle  ngit»  elle  a 
donc  la  faculté  d'agir. 

132.  Nature.  —  L'activité  mérite  mieux  que  les  deux  autnes 
puissanees  de  TAme  le  nom  de  faculté,  car  elle  est  une  paissanee 
active»  spontanée  et  libre. 

Active  puiaqu  elle  est  la  puissance  d'agir.  Spontanée^  car,  h  la 
différence  des  corps  inertes,  l'âme  n'agit  pas  forcément,  par  le  seol 
rapport  entre  ses  propriétés  et  les  objets,  mais  elle  trouve  en  elle- 
môme  le  principe  et  la  détermination  de  ses  aetee.  C'est  ua  fa&t 
d'expérience  dont  nous  parlerons  bientôt  plus  longuement. 

Libre,  car  ses  actes  qui  ne  sont  pas  déterminés  par  leurs  ol^ts 
ne  le  sont  pas  non  plus  par  la  nature  de  l'Ame  :  elle  se  choisit  elle* 
mâme  ses  actes.  C'est  ce  que  nous  aurons  roccasion  de  prouver  plus 
loin. 

L'activité  de  Tâme  8*exeroe  sur  l'âme  elle-môme,  sur  son  corps, 
et,  par  loi,  sur  les  autres  corps. 

Quant  à  savoir  en  quoi  consistent  ces  aetes  de  l'âme;  comment 
elle  passe  du  repos  à  l'acte  :  comment  elle  se  détermine  pour  tel  ou 


ACTIVITÉ  289 

tel  acte  ;  comment  elle  se  commande  à  elle-môme  et  comment  elle 
meut,  son  corps  :  ce  sont  des  questions  fort  difficiles  et  jusqu'ici  res- 
tées sans  explication. 

133.  Conditions  d'exercice  de  l'activité.  —  L'activité 
s'exerce  : 

1°  sur  l'âme  elle  même. 

2**  sur  le  corps  qu^elIe  meut  et  par  lequel  elle  meut  aussi  les  autres 
corps. 

3<»  sans  réflexion  et  presque  sans  conscience,  soit  d'une  manière 
toutrà-fait  spontanée,  soit  par  réaction  instinctive  contre  une  impres- 
sion. 

4"*  après  réflexion  et  par  une  détermination  libi'e. 

134.  Division  de  l'activité.  —  Nous  devons  donc  distinguer  à 
différents  points  de  vue  plusieurs  espèces  d'activité. 

D'abord  l'activité  corporelle  et  l'activité  spirituelle. 

Ensuite  l'activité  spontanée,  l'activité  instinctive,  l'activité  volon- 
taire et  l'activité  libre 

Nous  parlerons  séparément  de  l'activité  corporelle  ou  activité 
physique,  à  cause  de  l'élément  corporel  qu'elle  suppose.  Quant  à 
l'arctivité  spirituelle,  il  en  sei*a  suffisamment  question  dans  lesdiffé- 
.  r^ites  espèces  d'activité  distinguées  par  le  second  point  de  vue. 

g.  1.   -  Dl  L'iCTITITÉ  GOEPORILLI  OU  PHTSiaiIE. 

» 

135.  Définition.  —  On  appelle  activité  physique,  la  faculté  qui 
permet  à  l'âme  de  mouvoir  son  corps,  et  par  là  les  autres  corps. 

136.  Eléments  de  l'activité  physique.  —  Cette  activité  sup- 
pose un  double  élément  :  l'un  dans  l'âme  et  l'autre  dans  le  corps. 

Dans  l'âme,  la  faculté  de  mouvoir  le  corps,  et  dans  le  corps,  la 
mobilité. 

L'activité  physique  de  l'âme,  n'est  pas  une  faculté  distincte. de 
son  activité  spirituelle.  Seulement,  ici  elle  s'exerce  sur  le  corps. 

La  mobilité  du  corps  suppose  des  organes  mobiles  et  des  moyens 
de  communication  entre  ces  organes  de  l'âme.  Ici  encoienous  trou- 
vons le  cerveau  avec  la  moelle  épinière  et  les  nerfs.  Seulement  la 
•   transmission  selUit  en  S9us  contraire  de  ce  que  nous  avons  constaté 

19 


))90  PSYCHOLOGIE 

pour  la  sensibilité.  Le  mouvement  se  produit  dans  le  caryeau  et  se 
communique  aux  organes  par  les  nerfs.  De  plus  Tanatomie  a  cons- 
taté que  les  nerfs  moteurs  ne  sont  pas  ceux  de  la  sensibilité  et  qu^iis 
donnent  le  mouvement  aux  organes  par  Tintermédiaire  des  musclei 
et  des  tendons. 

137.  Opérations  de  ractivité  phyaiqpie.  — >  L'actiritô  physi- 
que s*exerce  sans  cess^  dans  le  corps  tant  que  celui-ci  est  virant. 
Par  elle  se  produit  la  circulation  du  sang,  le  jeu  des  poumoas,  la 
nutrition  et  le  développement  du  corps.  Mais  tout  cela  se  produit 
en  nous  spontanément  et  sans  que  nous  en  ayons  conscience.  Dans 
ces  cas  l'activité  physique  prend  quelquefois  le  nom  de  force  vitale. 

Elle  s'exerce  ensuite  dans  tous  les  mouvements  du  corps,  sponta- 
nés, instinctifs  ou  volontaires.  Les  mouvements  qu'elle  produit 
supposent  presque  tous  des  habitudes  spéciales  et  quelques-uns  des 
habitudes  qui  ne  s'acquièrent  que  par  de  nombreuses  répétitions 
des  mêmes  actes.  Tels  sont  les  mouvements  qu'il  faut  faire  pour 
écrire,  dessiner,  peindre,  scuplter,  jouer  d'un  instrument  de  musique 
ou  faire  les  ouvrages  de  tel  ou  tel  métier. 

138.  Qualités  de  l'activité  physique.  —  Les  différentes  opé> 
rations  de  Tactivité  physique  exigent  plus  ou  moins  :  la  force,  la 
souplesse,  le  dextérité^  la  rapidité,  la  précision.  Ce  sont  tout  autant 
des  qualités  précieuses  de  cette  faculté,  et  que  tous  les  hommes  ne 
possèdent  pas  au  même  degré. 

D'ailleurs  toutes  ces  qualités  semblent  avoir  leur  source  platét 
dans  l'élément  corporel  que  dans  l'élément  spirituel  ou  psychologi- 
que de  cette  activité.  Le  plus  ou  moins  de  force  d*un  homme,  par 
exemple,  semble  venir  plutét  de  son  corps  que  de  éon  Ame.  Il  en  est 
de  même  des  autres  qualités. 

Ces  différentes  qualités  ne  s'appliquent  pas  k  la  puissance  vitale 
qui  agitd*une  manière  déterminéeet  presque  forcément  comme  les  pn^ 
priétésdes  corps  inertes.On  peut  cependant  comprendre  que  laress^n- 
blance  n'est  pas  exacte,  en  ce  que  les  fortes  émotions,  qui  ne  sont 
qu'une  surexcitation  de  l'activité  spirituelle,  suspendent  le  travail 
de  la  puissance  vitale,  au  point  qu'elles  troublent  les  fonctions  orga- 
niques et  quelquefois  même  tuent  le  corps. 

^es  sensations  vives  trop  souvent  répétées  produisent  le  aitee 


ACTIVITÉ  291 

résultat,  soit  à  cause  de  la  connexion  intime  des  facultés  de  Yàme 
soit  surtout  parce  que  le  système  nerveux  et  les  organes,  instruments 
indispensables  de  Tactivité  physique,  prennent  dans  les  sensations 
des  dispositions  qui  les  rendent  impropi*es  à  leurs  fonctions  normales. 
C'est  le  premier  chAtiment  que  la  nature  inflige  &  certains  vices. 

g.  2.  ~  DXL'AGTITITl   SPISTARÉI. 

139.  Définition.  —  L^activité  est  spontanée  en  ce  sens  que 
râ.me  peut  agir  et  agit  par  elle-même  et  non  par  la  force  de  ses 
relations  avec  les  objets,  comme  les  propriéti^s  des  corps, 

140.  Existence  de  ce  caractère  dans  l' activité.  —  QueT&cte 
de  l'Ame  soit  spontané,  nous  en  sommes  certains  par  la  concience. 
Car  nous  sentons  très-bien  que,  malgré  les  sensations,  les  sentiments 
et  tout  ce  qui  peut  nous  exciter  à  agir,  rien  ne  peut  nous  forcer, 
et  que  si) 'Ame  agit,  c'est  par  sa  propre  détermination.  La  conscience 
universelle  atteste  que  les  actes  de  T&me  ne  sont  pas  comme  les  opé- 
rationsdes  corpslesuns  su  ries  au  très.  Toute  la  philosophie  ancienne 
a  considéré  l'âme  comme  principe  de  mouvement,  seulement  les' 
païens  allaient  trop  loin  dans  cette  idée,  comme  nous  le  verrons 
bientôt.  Mais  il  n'en  reste  pas  moins  certain  que  Tâme  agît  elle-même, 
qu'elle  est  vraiment  cause,  et  que  ses  actes  ne  sont  déterminés  par 
rien  de  ce  qui  l'entoure  dans  le  monde  créé.  C'est  là  ce  qu'exprime 
le  mot  spontané,  quoique  dans  ces  derniers  temps  on  Tait  opposé 
au  mot  libre.  Ce  caractère  de  spontanéité  est  commun  ft  touf>  les 
actes  de  l'àme,  soit  en  elle-même^  soit  dans  son  corps  et  sur  son 
corps  ;  moins  peut-être  ceux  des  fonctions  organiques,  ou  de  la 
puissance  vitale.  Il  est  le  fondement  même  de  la  liberté,  car  pour 
agir  librement  il  faut  agir  par  soi-même 

Ainsi  l'activité  de  l'Ame,  spontanée  de  sa  nature,  devient  ensuite 
instinctive  ou  volontaire,  sans  cesser  d'ôtre  spontanée. 

141.  Activité  purement  spontanée.  —  Y  a^-lril  des  actes  de 
Tàme  qui  sont  purement  spontanés  ?  C'est  possible  et  même  assez 
probable;  mais  il  est  bien  difficile  de  le  constater  par  l'expérience. 
Ali  premier  aspect  on  croit  voir  dans  l'homme  beaucoup  d^actes  de 
cette  nature.  L'Ame  semble  agir  alors  sans  instinot  ni  volonté  et 


292  PSYCHOLOGIE 

m 

môme  sans  conscience  prôcédente^uniquement  parce  qu'elle  est  active; 
tous  les  enfants  commencent  par  là,  et  les  hommes  eux-mêmes,  bien 
des  fois,  font  des  mouvements  qui  ne  semblent  excités  ni  par  la 
volonté  ni  par  aucun  attrait  sensible.  Mais  il  est  difficile  de  consta- 
ter que  ces  mouvements  ne  sont  pas  une  réaction  inconsciente  contre 
des  sensations  inconscientes. 

142.  Nature  de  la  Spontanéité.  —  Nous  avons  constaté  que 
l'activité  de  TAme  est  spontanée,  mais  nous  n*essayerona  pas  de 
dire  en  quoi  consiste  dans  sa  réalité  cette  spontanéité,  car  c'est  là 
le  plus  difficile  des  problèmes  que  la  philosophie  s'est  posée,  et  tous 
ceux  qui  ont  voulu  le  résoudre  se  sont  égarés.  En  donnant  à  TAme 
la  spontanéité,  les  philosophes  grecs  et  romains,  la  coDcevaient 
comme  principe  premier  de  ses  actes,  comme  cause  première,  et 
par  suite  disaient  que  Tàme  est  une  parcelle  de  la  divinité.  De  nos 
jours  encore  plusieurs  philosophes  se  font  une  idée  semblable  de  la 
spontanéité  de  Tàme.  Mais  la  métaphysique  ne  nous  permet  pas 
de  supposer  que  l'àme  humaine  qui  est  un  être  contingent  se  noieuve 
elle-même  en  dehors  de  l'action  de  sa  cause  première  ;  et  d'un  autre 
côté  il  est  difficile  de  concevoir  comment  un  acte  causé  dans  on  être 
par  un  autre  peut  être  spontané.  Voilà  dans  sa  profondeur  la  plus 
insondable  Tabîme  qui  nous  ouvre  la  considération  de  la  liberté 
humaine.  Pour  comprendre  la  liberté  il  faudrait  d'abord  compren- 
dre la  spontanéité.  Quoi  qu*il  en  soit,  nous  constatons  le  fait  de  la 
spontanéité  ;  nous  constatons  le  fait  de  la  liberté,  qui  n'en  est  que 
la  conséquence  ;  et  nous  avons  établi .  ailleurs  que  Têtre  contingent 
tient  tout  dô  Tôtre  nécessaire.  Nous  n'essayerons  pas  de  joindre  cee 
deux  extrêmes. 

§.S.  -DE  L'iGTITITt  INSTIHGTITI 

143.  Définition.  —  L'activité  de  l'àme  est  instinctive  en  ce 
sens  qu'elle  peut  agir  et  agit,  excitée  par  une  attraction  actuelle. 

Cette  attraction  actuelle,  sensation  ou  sentiment,  est  le  plus  sou- 
vent le  fruit  d'une  habitude,  d'un  instinct.  De  là  le  mot  instinctive; 
à  moins  qu'on  n'y  voie  simplement  le  mot  latin  instincta,  pai'ce 
que  l'àme  est  poussée,  excitée, 

145.  Exiatence  de  ce  mode  d'activité. — Il  est  facile  decons- 


ACTIVITÉ  293 

tater  que  Tâme  agit  souvent  d'une  manière  instinctive,  selon  la 
déûnition  que  nous  venons  de  donner. 

Dans  ce  cas  Tacte  de  l'âme  reste  spontané,  car  Tattraction  ne 
saurait  la  forcer  à  agir.  L'âme  cède  à  cette  attraction  et  c'est  elle- 
même  qui  se  détermine  à  agir, 

Cependant,  jusque-là,  l'acte  n'est  pas  encore  volontaire  ni  libre, 
car  il  n'est  pas  réfléchi,  et  la  réflexion  est  nécessaire  à  la  liberté  ; 
il  n'est  pas  môme  connu,  ou  du  nioins  il  n'est  pas  connu  d'avance, 
et  la  connaissance  préalable  est  le  fondement  de  la  volonté. 

Il  s'agit  ici  de  l'acte  purement  instinctif  ;  car  l'acte  peut  être 
tout  â  la  fois  instinctif  et  libre. 

Par  exemple  :  Quand,  voyant  venir  un  objet  devant  nos  yeux 
nous  les  fermons,  l'acte  est  vraiment  excité  par  un  instinct  naturel 
et  il  est  purement  instinctif,  sans  réflexion  ni  connaissance  préa- 
lable. 

Quand  un  homme  à  l'habitude  de  priser  beaucoup  et  qu'il  ouvre 
sa  tabatière  et  prend  du  tabac,  sans  s'en  apercevoir,  il  agit  par 
l'excitation  d'une  habitude  acquise;  son  acte  est  purement  ins- 
tinctif. 

Mais  quand  un  buveur  d'absinthe  ou  d'eau-de-vie,  sachant  que 
ces  boissons  le  tuent,  se  laisse  aller  à  boire,  son  acte  est  tout  k  la 
fois  instinctif,  volontaire  et  librej;  car  l'habitude  de  la  sensation 
l'attire  ;  mais  il  connaît  ce  qu'il  va  faire,  et  il  le  veut  néanmoins, 
pouvant  s'en  abstenir. 

Il  faut  faire  entrer  aussi  dans  l'activité  instinctive  ou  habituelle, 
la  perfection  ou  l'imperfection  que  nous  mettons  dans  tous  nos 
mouvements  libres,  par  suite  de  l'habitude,  et  souvent  sans  que 
nous  sachions  en  quoi  consiste  cette  perfection  dont  nous  voyons 
pourtant  les  résultats.  Par  exemple,  le  plus  ou  moins  d'expression 
sympathique  que  deux  violonistes  obtiennent  par  un  même  coup 
d'archet  ;  leurs  mouvemments  ne  sont  certainement  pas  les  mêmes, 
mais  ils  ne  se  rendent  pas  compte  de  la  différence  ;  cette  différence 
n'est  donc  pas  libre  chez  eux  et  elle  est  habituelle. 

§.  4.  -  Dl  L'ÂGTITITÉ  VOLONTilRI. 

146.  Définition.  —  On  appelle  acte  volontaire  tout  acte  qui 
est  tout  à  la  fois  spontané  et  connu  préalablement. 


994  PSYCHOLOGIE 

L^açtivité  de  Tàme  est  donc  volontaire  en  ce  sens  qae  TAme 
prodait  spontanément  des  actes  qu'elle  connaît  préalablement. 

147.  Sa  naiure.  — -  La  volonté  n'est  pas  encore  la  liberté.  Un 
acte  peut  être  spontané  et  connu  préalablement  et  cependant  êlK 
rendu  nécessaire  par  la  nature  même  de  Tâme.  Dos  lors  il  n'est 
pas  libre. 

148.  Existence  de  ce  mode  d'actÎTité.  —  La  conscienoe 
nous  dit  à  tous  que  nous  agissons  souvent  spontanément  et  avec 
connaissance  préalable  de  nos  actes.  Nous  avons  donc  la  volonté. 

Mais  il  nous  faut  constater  ici  Texistence  de  la  volonté  néces- 
saire,  pour  certains  actes . 

En  effet  nous  agissons  toujours  pour  atteindre  un  but,  et  nos 
buts  sont  différents,  mais  il  en  est  un  que  nous  nous  proposons 
tous  et  que  nous  voulons  atteindre  quand-môme  :  c'est  le  bien 
absolu.  C*est  vers  lui  que  tendent  en  définitive  tous  nos  actes.  Ce 
bien  absolu,  nous  en  avons  l'idée,  le  sentiment  ;  nous  le  connaissons, 
il  nous  attire  ;  mais  c'est  spontanément  que  nous  suivons  cette 
attraction  et  que  nous  poursuivons  ce  bien  par  tous  nos  actes.  Nous 
sentons  très-bien  que  notre  attrait  no  nous  entraîne  pas,  et  que  nous 
no  sommes  pas  purement  passifs,  dans  notre  marche  vers  ce  but  ; 
nous  agissons  donc  ;  et  nous  sentons  aussi  que  notre  acte  n'est  pas 
forcé  physiquement  par  Tobjet,  comme  Tattraction  de  Taimant  est 
forcée  par  le  fer  :  notre  acte  est  donc  spontané.  Cependant  il  nous 
est  impossible  de  ne  pas  faire  cet  acte,  de  ne  pas  vouloir  ce  bien 
absolu  de  toute  la  force  do  notre  dme  :  cet  acte  est  donc  nécessaire  * 
il  est  la  conséquence  de  notre  nature  et  de  la  raison,  qui  nous  fait 
concevoir  le  bien  absolu,  comme  notre  bonheur  suprême  dans  lé 
vrai,le  beau,  le  bien  infini. 

L'âme  ô.  donc  la  volonté  et  cette  volonté  s'exerce  nécessairement 
à  l'égard  du  bien  absolu. 

Nous  allons  voir  naaintenant  que  cette  môme  volonté  s'exerce 
librement  à  l'égard  de  tous  les  biens  relatifs. 

g  5.  n  L'ACTITITÉ  LIBBE  OC  DK  LA  LlttSRTÉ 

149.  Définition.  —  L'activité  de  l'dme  est  libre  en  ce  sens 
qu'elle  pix)duit  spontanément,  et  sans  y  être  nécessitée  par  sa  natare, 
des  actes  qu'elle  connaît  d'avance. 


ACTIVITÉ  895 

Agir  ainsi  c*e8t  choisir  ses  actes. 

La  liberté  est  donc  la  faculté  de  choisir, 

150.  Nature  de  la  liberté.  —  Itkme  est  active  et  son  activité 
est  spontanée.  D'un  autre  côté  sa  raison  lui  découvre  le  bien 
absolu,  infini.  Elle  se  sent  faite  pour  lui,  et  en  présence  de  cet 
objet  elle  ne  peut  retenir  son  acte.  Elle  le  veut  donc  et  le  veut 
nécessairement.  Mais,  autour  d'elle,  elle  voit  d'autres  biens  impar- 
faits, qui  lui  retracent  quelque  chose  du  bien  absolu,  mais  qui  ne 
sont  pas  lui.  Elle  est  donc  plus  ou  moins  attirée  à  les  vouloir  ;  mais 
elle  ne  les  veut  pas  nécessairement.  Et  comme  d*ailleurs  son  acti- 
vité est  spontanée^  elle  peut  toigours  les  vouloir  ou  ne  pas  les 
vouloir,  agir  pour  celui-ci  ou  pour  celui-là,  choisir  ses  actes  :  elle 
est  libre. 

La  liberté,  ainsi  comprise,  selon  la  théorie  donnée  pour  la  pre- 
mière fois,  crojons-nous,  par  S^  Thomas,  se  présente  comme  un 
attribut  de  TÂme  raisonnable.  Car,  comme  âme  elle  est  sponta- 
née, et  comme  douée  de  raison,  elle  voit  l'être  absolu  et  par  suite 
ne  peut  vouloir,  d*une  volonté  nécessaire,  que  le  bien  absolu  :  elle 
reste  donc  libre  devant  les  biens  relatifs. 

151.  Différents  sens  du  mot  liberté.  — Le  mot  liberté  se 
prend  pour  désigner  : 

1®  un  caractère  de  l'activité  de  l'âme. 

2°  le  pouvoir  de  réaliser  matériellement  ce  que  l'âme  a  libre- 
ment voulu. 

3®  le  pouvoir  de  disposer  de  ses  actions,  de  ses  biens,  de  son 
intelligence,  etc. 

4^  le  pouvoir  de  faire  certains  actes  qui  ont  une  conséquence 
politique. 

Dans  le  premier  sens,  c*6st  la  liberté  de  Tâme,  la  seule  dont  nous 
ayons  à  nous  occuper  ici,  en  psychologie. 

Dans  le  second,  c'est  un  ensemble  de  facultés  corporelles  qui  sont 
surajoutées  â  la  liberté. 

Le  troisième  sens  renferme  toutes  les  libertés  civiles  eir  la  liberté 
de  conscience.     . 

Le  quatrième  exprime  la  liberté  politique. 

152.  Eléments  ds  I«  liberté.  —  La  liberté  de  l'âme  telle  que 
nous  l'avons  exposée  suppose  : 


296  PSYCHOLOGIE 

l®  la  faculté  d'agir  spontanément. 

2^  un  acte  h  faire  qui  ait  pour  objet  u  i  biea  rolatif. 

S**  la  connaissance  de  cot  acte. 

L'acte  libre  suppose. 

1°  la  connaissance  d*un  acte  dont  Tobjet  est  un  bien  relatif. 
2®  la  délibération  entre  faire  cet  acte  et  ne  pas  le  faire. 
3°  la  détermination  ou  le  choix  pour  Tacte. 
Et  4»,  s'il  s'agit  d'une  action,  elle  suppose  de  plus  la  faculté  phy- 
sique de  Texécuter. 

153.  Critique   de  quelques  définitions  de  la  liberté.  — 

Quelques  philosophes  ont  défini  la  liberté  :  la  faculté  de  se  détev' 
miner.  Nous  ferons  remarquer  que  c'est  là  le  propre  de  la  sponta' 
néité.  Nous  avons  vu  en  effet  que  l'Ame  possède  l'activité  spontanée 
en  se  sens  qu'elle  se  détermine  elle-même  à  l'acte.  Mais  nous  avons 
reconnu  aussi  que  la  spontanéité  peut  être  nécessaire  ;  c'est-à-diw 
que  l'âme  peut  se  déterminer  à  agir  dans  tel  ou  tel  cas  par  une 
nécessité  de  sa  nature.  Or,  personne  n'appelle  cela  la  liberté.  Cette 
définition  n'est  donc  pas  la  définition  de  la  liberté. 

D'autres,  craignant  de  trop  donnei'à  l'Ame  humaine  et  d'effacer 
sa  dépendance  absolue  à  l'égard  de  Dieu,  ou  ne  s'arrétant  qu  aux 
conditions  extérieures  de  l'exécution  des  actions  que  l'âme  veut 
librement,  ont  défini  la  liberté  :  V absence  d'entraves.  Mais  encore 
une  fois,  l'absence  d'entmves  ne  fait  pas  que  la  détermination  de 
l'âme  ne  soit  pas  nécessaire;  et,  si  l'on  entend  cette  définition  dans 
le  sens  deimmtmïtas  a  vinculo  sive  necessitatts,  sivecoactionis^ 
comme  l'on  fait  quelques  théologiens,  il  reste  toujours  à  dire  si 
l'âme  a  ou  n'a  pas  le  savoir  faire.  Car  quelque  libre  d'entraves 
que  Ton  soit,  on  n'agira  pas  si  l'on  ne  sait  pas  agir.  C'est  ce  qui  a 
fait  dire  avec  beaucoup  de  raison  :  ce  Avant  de  donner  la  liberté  à 
un  peuple,  il  faut  lui  apprendre  à  s'en  servir.  » 

Enfin,  le  vulgaire  et  ses  nouveaux  éducateurs,  qui,  en  réclamant 
la  liberté,  ne  demandent  que  la  permission  de  se  livrer  à  leurs 
mauvaises  passions,  ont  défini  la  liberté  :  le  pouvoir  de  faire  ce 
que  Von  veut.  Cette  définition  ne  saurait  convenir  â  la  liberté  de 
l'âme  dont  nous  nous  occupons  ici.  Elle  ne  parle  que  de  la  liberté 


ACTIVITÉ  297 

physique,  qui  ne  serait  rien  sans  la  liberté  de  TÂme.  Elle  n*exclut 
pas  non  plus  la  nécessité,  car  on  peut  très-bien  vouloir  nécessaire- 
ment et  faire  encore  ce  que  Ton  veut.  Enfin  si  la  liberté  derhorame, 
ce  privilège  de  notre  nature  qui  nous  élève  inftnimer^t 
au-dessous  de  tous  les  auti^es  êtres  créés,  était  le  pouvoir  de  faire 
ce  qu'on  Ton  veut,  il  s'en  suivrait  que  non-seulement  le  plus  fort 
pourrait  à  chaque  instant  anéantir  la  liberté  de  tel  ou  tel  homme, 
mais  que  notre  intérêt  et  notre  devoir  à  tous  serait  de  nous  priver 
mutuellement  de  la  liberté,  pour  arrêter  les  injures  réciproques, 
qui  formeraient  Tessence  même  de  la  liberté. 

154.  Existence  de  la  liberté.  —  Que  l'âme  soit  libre  c'est-à- 
dire,  qu'elle  ait  le  pouvoir  de  choisir  entre  plusieurs  actes  dont  les 
objets  sont  des  biens  particuliers,  contingents  et  imparfaits,  c'est 
ce  qu'attestent  : 

1**  La  conscience  individuelle. 
2®  La  conscience  universelle. 

155.  Témoignage  de  la  conscience  individuelle.  •. —  Do 

môme  que  nous  avons  conscience  de  nos  actes,  nous  avons  aussi 
conscience  du  principe  de  ces  mômes  actes.  Nous  savons  que  c'est 
nous  qui  nous  déterminons  à  agir,  et  que  cette  détermination  n'a 
rien  de  forcé  ni  de  nécessaire  dans  les  cas -particuliers.  En  présence 
de  plusieurs  actes,  nous  avons  conscience  de  notre  pouvoir  de  faire 
l'un  ou  l'autre,  et  nous  savons  que  c'est  par  notre  propre  choix,  que 
nous  faisons  l'un  plutôt  que  l'autre. 

156.  Témoignage  de  la  conscience  universelle.  —  Tout 
les  hommes  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux  ont  toujours 
témoigné  et  témoignent  encore  de  leur  liberté.  Ce  témoignage 
universel  se  trouve  dans  le  langage  de  tous  les  peuples  ;  dans  les 
lois  qui  ordonnent  ou  défendent  tel  ou  tel  acte  ;  dans  les  récompen- 
ses et  les  peines  que  la  société  distribue  à  chacun  de  ses  membres 
selon  ses  actes  ;  dans  le  bldme  que  nous  infligeons  aux  mauvaises 
actions  et  la  louange  que  nous  accordons  à  la  vertu. 

En  effet  toutes  ces  choses  supposent  que  le  genre  humain  se  croit 
libre  et  responsable  de  ses  actes.  Car,  pourquoi  faire  des  lois, 
édicter  des  peines  contre  les  crimes,  blâmer  ceux  qui  font  mal,  si 
toutes  nos  actions  étaient  nécessaires  en  ^ertu  de  notre  nature,  ou 


296  PSYCHOLOGIE 

forcées  par  raction  des  objets  sur  notre  âme  ?  Donc,  le  genw 
humain  se  croit  libre  ;  et  une  erreur  aussi  universelle  est  impos- 
sible, sur  un  fait  de  cette  importance,  et  qui  se  produit  en  nous  de 
manière  que  nous  puissions  Tobserver  à  chaque  instant  et  sans 
intermédiaire. 

157.  Systèmes  opposée  à  la  liberté.  —  Toutefois  malgré  ce 
témoignage  unanime  du  genre  humain  en  faveur  de  la  liberté,  il 
s'est  trouvé  des  hommes  i[u[  ne  pouvant  expliquer  les  difficultés 
qu'elle  soulève  ont  pris  le  pfirti  de  la  nier. 

En  effet  :  1°  il  est  difficile  de  concilier  la  liberté  de  l'homme 
avec  Taction  indispensable  de  Dieu  cause  première  de  tout. 

2®  il  est  difficile  de  la  concilier  avec  la  prescience  divine,  par 
laquelle  Dieu  connaît  de  toute  éternité  tout  ce  que  nous  faisons 
dans  le  temps. 

3^  Tattraction  de  la  sensation  ou  du  sentiment  semble  souvent 
déterminer  nos  actes. 

On  a  donc  plus  d'une  fois  adopté  en  théorie  des  systèmes  qui 
nient  la  liberté,  ou  qui,  prétendant  Texpliquer,  la  détruisent.  Ces 
systèmes  sont  le  fatalisme  et  le  déterminisme. 

158.  Fatalisme.  —  Chez  les  anciens,  le  fatum  ou  destin  étsût 

la  conception  d'une  puissance  aveugle  qui  réglait  nécessairement 
tous  les  actes  des  hommes  et  des  dieux.  Cette  conception  venait 
d'une  idée  vraie  que  la  religion  païenne  avait  défigurée.  Cette  idée 
vraie  c'est  Taction  de  Dieu  dans  toutes  ses  créatures  ;  action  dont 
nous  vovons  Texistence  en  nous  comme  une  nécessité  basée  sur  les 
principes  métaphysiques  ;  c'est  aussi  la  prescience  divine.  De  ces 
deux  notions  les  anciens  avaient  fait  lofatwm^  et  bien  qu'en  prati- 
que ils  agissent  comme  nous,  ils  n'avaient  jamais  eu,  en  théorie, 
qu'une  idée  vague  et  indécise  de  la  liberté. 

Aussi  tous  les  philosophes  païens  furent  plus  ou  moins  fatalis* 
te^.  Mais  quelques-uns  en  particulier  enseignèrent  catégorique- 
ment que  tous  nos  actes  sont  déterminés  fatalement.  D'autres 
assez  nombreux  les  ont  suivis  dans  les  temps  modernes. 

Les  systèmes  fatalistes  sont:  Le  matMalisme  qui  suppose 
l'àme  corporelle  et  purement  passive";  2^'  Le  ,  panthéisfne  qui, 
supposant  que  le   monde  est  Dieu,  et  que,  comme  Dieu,    il  est 


ACTIVITÉ  299 

nécessaire  et  éternel,  en  conclut  nécessairement  que,  tout  ce  qui  se 
fait  dans  le  monde  est  nécessaire  aussi.  S'*  Tous  les  sytèmes 
dualistes  en  théodicée,  qui,  supposant  deux  principes  éternels, 
Tnn  bon  Tautra  mauvais,  admettent  que  les  actes  des  hommes 
sont  fatalement  déterminés  par  F  un  ou  par  l'autre  de  ces  deux 
principes.  Toutes  les  philosophies  d'Orient  sont  plus  ou  moins 
panthéistes  ou  dualistes.  4®  Le  fatalisme  musulman  qui  fait 
dériver  de  Dieu  dans  les  hommes  une  action  nécessaire  semblable 
au  fatum  des  anciens;  5*»  Le  fatalisme oile  duali sme des docieurs 
protestants,  semblables  aux  deux  sjstèriies  précédents. 

159.  Déterminisme.  —  Le  philosophe  Leibnitz,  dans  le 
18*  siècle,  croyant  répondre  parla  aux  objections  que  l'on  a  cou- 
tume de  faire  contre  la  liberté  humaine  et  contre  la  justice  et  la 
bonté  de  Dieu,  "imagina  d'expliquer  la  liberté  de  Thomme  par  une 
théorie  qui  a  pris  le  nom  de  déterm'nisme.  Pour  lui  ce  système 
était  une  conséquence  de  sa  théorie  des  monades  (Métaph.  87)  ; 
mais  il  raisonne  enidehoi's  de  cette  théorie  quand  il  essaye  de  l'éta- 
blir. Il  combat  d'abord  ce  qu'on  a  appelé  la  liberté  d'indifférence^ 
et  dit  que  nous  agissons  toujours  pour  un  motif.  Puis  il  essaye  de 
démontrer  que  c'est  la  valeur  du  motif  qui  détermine  notre  acte  ; , 
en  d'autres  termes  que  nous  agissons  toujours  i)our  le  motif  le  plus 
fort,  et  que  Dieu  est  parfaitement  libre,  once  sens  qu'il  fait  toujours 
ce  qui  est  le  mieux. 

Les  derniers  philosophes  Grecs,  la  plupart  des  Latins,  plusieurs 
docteurs  hérétiques  du  moyen-âge,  et  dans  les  temps  modernes,  les 
écoles  sensualistes  et  sentimentalistes  entendent  la  liberté  dans  ce 
sens.  C'est  la  pensée  du  poète  latin  :  trahit  sua  quemque  volup- 
tas. 

160.  Réfutation  de  ces  deux  systèmes. — Le  fatalisme  répu- 
gne à  la  conscience  individuelle  et  universelle  ;  ihVîpugneàlamorale; 
car  avec  cette  doctrine  il  n'y  a  plus  de  bien  et  de  mal,  et  on  n'est 
pas  plus  blâmable  d'assassiner  son  père  que  de  lui  prêter  son  secoura  ; 
il  répugne  à  la  vie  sociale,  car  il  ^détruit  tout  dévouement  ;  il  répu" 
gne  môme  à  la  prévoyance  individuelle  et  tend  à  détruire  l'individu, 
en  lui  disant  que  quoi  qu'il  fasse  il  ne  sera  jamais  que  ce  qu'il  doit 
être  fatalement;  enfin  il  répugne  àla  justice  de  Dieu,  qui  nous  trom 


^^  PSYCHOLOGIE 


perait  par  la  conscience,  qui  est  son  œuvre,  et  nous  punirait  par 
des  cnmes  qu'U  nous  aurait  fait  commettre. 

Le  déterminisme,  qui  semble  vouloir  expliquer  la  liberté,  Il 
détruit  et  renferme  d'ailleurs  de  vrais  contre-sens.  Qu'estn»  « 
effet  que  le  motif  le  plus  fort  ?  Où  en  est  la  mesure  ?  Le  plqs  foft 
serait-il  celui  qui  l'emporte  ?  Mais  alors  il  y  a  une  pétition  de  prin- 
cipe: I  âme  est  déterminée  par  le  motif  qui  la  détermine.  D'aillœ 
a  conscience  nous  dit  que  nous  ne  suivons  pas  toujours  l'attraetioB 
la  plus  forte,  mais  que  notre  volonté  choisit,  et  le  déterminisme* 
trouve  réfuté  par  les  mêmes  raisons  qui  réfutent  le  fatalisme. 

Quant  aux  difficultés  qu'il  j  a  de  concilier  ensemble  deo 
doctrines  qui  nous  semblent  opposées,  comme  semble  l'être  1> 
liberté,  ^nn  côté,  avec  la  prescience  ou  avec  la  causalité  nmva^ 
selle  de  Dieu,  de  l'autre  ;  nous  répondrons  d'abord-par  ce  prinàpe 
général  :  Quand  deux  doctrines  sont  suffisamment  établies  parle 
genre  de  preuves  qui  leur  convient,  il  n'est  pas  logique  de  rejeter 
lune  ou  l'autre,  par  la  raison  que  nous  ne  voyons  pas  comment 
elles  s  accordent. 

Disons  ensuite  que  ce  que  nous  appelons  la  prescience  de  Dientfi 
en  lui  un  acte  étemel  et  toiyours  présent,  que  nous  ne  saimfflS 
comprendre,  et,  qui  par  conséquent  peut  renfermer  de  mystira. 

Quant  à  l'action  universelle  de  Dieu  dans  toutes  les  «stores,  de 
laquelle  il  résulte  que  rien  ne  se  ment  que  par  lui  ;  nous  dirons  qw 
Dieu  qui  nous  fait  faire  les  actes  d'intelligence  que  perBonne  i« 
conteste.  Dieu  qui  a  pu  faire  des  créatures  qui  diseat  moi,  tooW 
choses  aussi  incompréhensibles  que  la  liberté,  peut  sansdootel« 
mouvoir  selon  son  gré,  de  manière  qu'elles  se  meuvent  Ubrement. 
Vouloir  aller  plus  loin,  c'est  chercher  l'abîme  pour  y  périr. 

APPENDICE 


PRINCIPALES   THÉORIES   SUR  l'aCTIVITÉ 
THÉORIES  CLAtSIOUES 

Théorie  de  Platon.  —  Socrate  et  Platon  ont  fait  plus  de  cas  * 
l'intelligence  que  de  l'activité.  Persuadés  que  la  raison  dirige  la  volonlé. 
ils  ont  néRligé  l'analyse  de  l'activité,  et  ont  préféré  donner  des  riple* 


ACTIVITÉ  301 

w 

pour  la  conduire.  Aussi  quelques  auteurs  ont  pu  croire  qu'ils  avaient 
méconnu  la  liberté.  Mais  si  l'on  a  soin  d'expliquer  leurs  pensées  les 
unes  par  les  autres,  au  lieu  de  les  interpréter  systématiquement,  on 
verra  sans  peine  que  leureocirdt    est  ce  lie  du  genre  humain. 

On  biàme  Drincipalement  dans  Socrate  et  dans  Platon  des  pensées 
comme  cellAi  :  «  Celui  qui  fait  le  mal  ne  fait  pas  ce  qu'il  veut.  —  On 
ne  peut  vouloir  que  le  bien  et  on  ne  veut  le  mal  que  parce  qu'on  le 
considère  comme  bien.  —  Le  mal  vient  de  l'ignorance  » .  Il  est  facile 
de  donner  à  ces  propositions  un  sens  faux  ;  mais  ou  peut  aussi,  en 
entrant  dans  la  véritable  pensée  de  leurs  auteurs,  les  trouver  parfaite- 
ment orthodoxes.  Car  il  est  certain  que  Platon  admettait  la  volonté 
libre  ;  mais  il  voyait  aussi  que  notre  volonté  cherche  nécessairement  le 
bien  absolu. 

Théorie  d'Aristote  et  des  Soolastiques.  —  Comme  nous  l'avons 
fait  pour  l'intelligence,  nous  donnons  ici  la  théorie  d'Aristote  sur 
l'activité,  telle  qu'elle  a  été  développée  par  saint  Thomas. 

Toute  forme  possède' une  inclination  vers  une  fin.  Cette  inclination 
est  naturelle  et  déterminée,  dans  les  formes  privées  d'intelligence; 
elle  est  un  appétit,  dans  les  formes  qui  possèdent  l'intelligence.  Donc 
l'àme  possède  une  puissance  appétitive.  Il  faut  distinguer  comme  deux 
puissances  diverses  l'appétit  sensitif  et  l'appétit  intellectuel,  ou 
volonté. 

L'appétit  sensitif  ou  sensualité  se  subdivise  en  irascible  et  concv^ 
piscihle.  L'un  et  l'autre  sont  soumis  à  la  raison  :  1<*  en  ce  que  l'objet 
qui  meut  ces  deux  puissances  leur  est  fourni  par  Tintelligence  :  1"  en  ce 
que  ces  deux  puissances  ne  peuvent  mouvoir  le  corps  qu'avec  le  con- 
sentement de  la  volonté. 

La  volonté  veut  nécessairement  la  fin  pour  laquelle  elle  est  faite,  qui  est 
le  bien  absolu.  Mais  elle  ne  veut  pas  nécessairement  tout  ce  qu'elle 
veut.  Car  le  bien  absolu  attire  nécessairement  la  volonté,  comme  les 
principes  de  raison  attirent  nécessairement  l'adhésion  de  Tâme;  mais 
de  même  que  les  vérités  contingentes  ne  déterminent  pas  nécessaire- 
ment le  jugement,  ainsi  les  biens  particuliers  ne  nécessitent  pas  la 
volonté.  Et  de  même  que  les  vérités  connexes  aux  premiers  principes 
ne  déterminent  le* jugement  qu'après  que  la  démonstration  lui  a  mon- 
tré cette  connexion,  ainsi  la  volonté  ne  s'attache  nécessairement  aux 
biens  connexes  à  la  fin  dernière  que  lorsque  l'âme  voit  cette  connexion. 
C'est  ainsi  que  nous  ne  voulons  pas  nécessairement  Dieu,  quoiqu'il  soit 
le  vraie  source  de  notre  bonheur. 

La  volonté  ne  se  distingue  pas  en  irascible  et    concupiscible,  parce 


302  PSYCHOLOGIE 

que  son  objet  est  le  bien  en  tant  que  bien,  tel  qu'il  lui  est  fourni  parb 
raison,  et  (pie  dôs  lors  il  n'est  pas  n/^ccssatre  d'y  distioj^iier  une  fscalté 
(lu  bien  désirable  et  une  faculté  de  répulsion  du  pénible,  comme  daai 
ra])pétit  sensitif  (pii  ne  saisit  que  le  particulier. 

L'iiomme  possède  le  libre  arbitre,  parce  que  sa  lin  deraiére,  sealobjft 
qui  puisse  Tattirer  nécessairement,  c'est  le  bien  universel.  Dès  iorsles 
biens  particuliers  qui  ne  lui  paraissent  pas  nécessaires  à  sa  fia.  li 
laissent  libre.  Le  libre  arbitre  est  une  puissance  appétitive  et  noa  «M 
puissance  appréliensive.  C'est-à-dire  qu'il  tient  plus  de  l'appétit  que  de 
i'intellifçence  ;  car,  cboisir,  c*est  choisir  un  moyen  et  tendre  à  uoe  fin. 

Le  libre  arbitre  n'est  autre  chose  que  la  volonté,  ea  tant  qu'elle  est 
capable  de  choisir;  tout  comuie  la  faculté  de  raisonner  ne  fait  qu'os 
avec  rintelligoncc.  Comme  rinlelligence  voit  simplement  les  premicES 
'principes  en  eux-inôines,  la  volonté  veut  simplement  le  bien  pour  lui- 
même,  et  comme  sa  lin  dernière  ;  et  de  même  que  la  raison  adhère  aux 
conclusions  à  raison  de  leur  connexion  aux  premiei's  principes,  ainsi  h 
libre  arbitre  choisit  les  moyens  en  vue  de  la  fin. 

Théories  de  Deacartes.  —  On  a  reproché  à  Descartes  de  ne  voir 
dans  l'âme  que  la  pensée^  mais,  il  avertit  lui-même  que,  par  ce  mot 
pensée,  il  entend  toutes  les  opérations  de  l'àme.  Il  reconnaît  formelle- 
ment l'activité  de  l'esprit,  et  dit  même  que  la  volonté  est  supérieure  à 
l'entendement.  Il  ajoute  que  la  volonté  est  libre  et  que  la  liberté  consiste 
à  pouvoir  faire  une  chose  ou  ne  la  faire  pas.  Mais,  i^uoique  appuyé  sur 
des  raisons  toutes  différentes,  il  pense  avec  Leibnitz  que  la  liberté  n'est 
n'est  pas  indilTéreute,  et  que  les  motifs  d'agir,  loin  de  détruire  la  liberté 
ne  font  que  l'accroître,  en  lui  ôt;int  l'hésitation.  La  possibilité  de  mal 
faire,  dit-il  encore,  n'est  pas  de  l'essence  de  la  liberté  ;  elle  vient  d< 
l'imperfection  de  notre  liberté,  et  cette  imperfection  c'est  Tig'norance. 

Théorie  de  Boasuat.  — -  Sans  se  servir  des  mêmes  termes,  Bossoet 
garde  la  théorie  des  Scolastitiues,  dans  l'activité  comme  dans  la  con* 
naissance.  Quand  il  place  la  volonté  parmi  les  opérations  inteUectueUes, 
c'est  qu'il  distingue  dans  sa  pensée  :  l'appétit  sensitif,  qu'il  appelle  les 
passions,  et  l'appétit  rationnel  qui  est  la  volonté.  Pour  lui,  la  volonlè 
est  «  la  faculté  de  poursuivre  le  bien  et  de  fuir  le  mal  ».  «  Noussonuae» 
déterminés,  ditril,  par  notre  nature  à  vouloir  le  bien  en  général,  mais 
nous  avons  la  liberté  de  notre  choix,  à  l'égard  des  biens  partî* 
culiers.  b 


ACTIVITÉ  303 

THÉORIES    NON    CLASSIÛUES 

Théorie  d'Epioure.  —  Malgré  ses  doctrines  matérialistes,  Kpicure 
recoDnait  dans  l'àme  une  spontanéité  libre  qui  lui  permet  de  s'arracher 
à  la  peur  des  dieux,  au  destin,  et  au  trouble  causé  par  les  préjugés. 
Hais  cette  spontanéité  ressemble  trop  à  celle  qu'il  accorde  gratuitement 
aux  atomes  des  corps»  et  qu'on  peut  appeler  :  le  hasard. 

Théorie  des  Stoïciens.  —Il  y  a  dans  la  doctrine  des  Stoïciens  une 
eontradiction  flagrante,  au  sujet  de  l'activité,  comme  d'ailleurs  entre 
leur  physique  et  leur  morale.  D'un  côté,  ils  parlent  de  la  liberté  de 
l'homme  et  lui  dictent  des  lois.  Ds  distinguent  avec  le  plus  grand  soin 
les  choses  qui  dépendent  de  nous  de  celles  qui  ne  dépendent  pas  de 
nous.  C'est  là  pour  eux  la  source  de  cette  placidité  qui  est  devenue 
proverbiale  et  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  général  de  philosophie.  Ils 
ordonnent  à  l'homme  de  vivre  selon  la  nature,  selon  la  raison.  Ils  pro- 
fessent que  le  seul  mal  est  eelui  de  la  volonté  libre.  Et  pourtant  les  hom- 
mes sont  une  partie  du  monde,  ils  participent  à  la  raison  universelle^  et 
cette  raison  universelle  qui  gouverne  le  monde  est  elle-même  nécessitée 
dans  tout  ce  qu'elle  fait.  Leur  Dieu  est  une  force  invisible,  qui  pénètre  le 
monde  et  qui,  tout  intelligente  qu'elle  est,  ne  peut  agir  que  nécessaire- 
ment. Donc  la  liberté  de  l'homme  est  sans  raison  suffisante.  Et  Ton 
conçoit  que  plusieurs  Stoïciens  aient  uni  par  dire  que  la  liberté  consiste 
à  savoir  accepter  la  nécessité. 

Théorie  de  Leihnitz.  —  Si  la  théorie  de  la  liberté,  dans  la  doctrine 
de  Leibuitz,  n'était  pas  liée  à.  un  système  que  la  raison  ne  peut  admet- 
tre, parce  qu'il  est  sans  fondement,  et  parce  qu'il  contredit  le  témoi- 
gnage de  la  conscience,  on  pourrait  l'expliquer  dans  un  sens  classique. 
Pour  lui  les  bases  de  la  liberté  sont  :  la  spontanéité  de  l'âme,  la  contin- 
gence de  l'acte  et  la  connaissance  de  cet  acte.  La  liberté  n'est  pas  l'indif- 
férence. On  est  d'autant  plus  libre  que  le  motif  que  l'on  a  d'agir  est 
plus  déterminant.  Agir  sans  motif  serait  un  être  sans  raison  suffisante. 
Le  mal  vient  de  l'erreur.  Le  bien  est  libre,  mais  le  mal  ne  lest  pas.  — 
Bvidemment  cette  doctrine  s'écarte  des  théories  classiques,  mais  c'est 
surtout  par  le  sens  que  leur  donne  le  système  dont  elles  font  partie. 

En  effet,  si  la  détermination  dont  parle  Leihnitz  se  faisait  dans  l'âme 
par  elle-même,  et  par  une  action  purement  morale  de  la  part  des  motifs, 
on  pourrait  encore  y  voir  la  liberté  ;  mais  on  sait  que  dan^  le  système 
de  Leihnitz,  tout  est  prédéterminé  physiquement  dans  chaque  monade, 
et  Taction  du  motif  dont  il  parle  n'est  qu'un  mot,  car  les  monades 
n'ont  aucune  action  l'une  sur  l'autre.  Il  n'y  a  donc  pas  de  motif,  mais 
une  simple  évolution  de  l'âme,  qu'il  veut  bien  appeler  spontanée,  mais 


30(5  PSYCHOLOGIE 

%  1.  -CiliGTillS  ISSIRTIILS  H  101 

164.  Détennination  de  ces  caractères.  —  JLes  différents 
phénomènes  que  la  conscience  nous  manifeste  en  nous-méme^,  dau 
notre  moi  ou  notre  Ame,  établissent  que  le  siyetdecesphéiKHnèiei 
est  un  être  un,  simple,  identique  el  personnel. 

165.  Entité  du  moi.  —  Le  moi  est  un  être  réel,  car  il  éproave 
des  modifications,  il  en  cause,  il  agit.  Les  roodiâcatîons  qa*il  reçoit 
on  qu*il  cause  sont  i*éelles  ;  mais  fussent-elles  de  pui*es  illusions^  il 
serait  encore  réel,  car  un  être  purement  imaginaire  n*éprouTe  ries 
et  ne  produit  rien,  pas  même  des  illusions.  Le  moi  est  une  substance, 
pour  les  mômes  raisons,  car  toute  modification  suppose  une  sub- 
stance comme  suget  et  comme  cause. 

166.  Unité  du  moi.  —  Le  moi  est  un,  et  son  unité  n'est  pas  la 
résultante  de  plusieurs  forces,  mais  Tiinité  d'une  substance  indivi- 
sible. Car: 

1^  C'est  ainsi  que  la  conscience  nous  le  montre.  Nous  avons 
conscience  d'un  seul  et  unique  moi  qui  sent,  qui  pense  et  qui  agit 
tout  à  la  fois,  et  qui  est  tout  entier  dans  chacune  de  ces  trois  esp^ 
ces  d'opérations  et  nous  ny  voyons  pas  une  partie  qui  pense  quand 
l'autre  agit. 

2®  Si  le  moi  était  un  composé  de  plusieurs  parties,  aucui»  des 
opérations  si  nombreuses  dont  nous  avons  conseienee  ne  serait 
possible.  Les  sensations  et  les  sentiments  affectant  une  seule  de  ees 
parties  laisseraient  les  autres  sans  attraction  et  nous  éprouTenoDS 
tout  à  la  fois  le  sentiment  et  l'absence  du  sentiment;  ou  bien  cette 
attraction  se  produisant  sur  toutes  les  parties  &  la  fois  nous  éprot- 
verions  plusieurs  sentiments  dans  un  seul,  c'est-à-dire  plusieurs  fois 
en  même  temps  le  même  sentiment.  Chaque  pensée  aussi,  chaqoe 
jugement  serait  multiple  ou  bien  ne  se  produirait  pas  du  tout,  oo 
enfin  nous  penserions  et  ne  penserions  pas  en  même  temps,  aeloa 
que  les  éléments  d'une  pensée  seraient  ou  tous  dans  chaque  partie 
du  moi,  ou  les  uns  dans  l'une  les  autres  dans  les  autres,  ou  eofit 
tous  dans  une  seule  des  parties.  Enfin  chaque  partie  du  moi  éteat 
active,  la  détermination  spontanée  et  libre  ne  se  ferait  jamais  fm 
commun  accord  et  l'Ame  n'agirait  pas.  La  même  impossilùlit^ 


NATURE   DE   L'AME  307 

> 

régnemit,  si  les  trois  facultés  de  Tâme  résidaient  dans  trois  parties 
diffêçentes  du  moi  ;  car  les  trois  sortes  d'opérations  de  Fâme  s'ex- 
citent mutuellement  et  dans  Thypothôse  elles  n'auraient  aucune 
influence  mutuelle.  Ënfin^  si  une  seule  partie  du  moi  possédait  les 
trois  facultés  et  que  les  autres  fussent  inertes,  il  n'y  aurait  qu'un 
seul  moi,  un  et  indivisible  :  les  autres  éléments  n'auraient  rien  de 
commun  avec  lui.  Donc  encore  le  moi  est  un  et  indivisible. 

167.  Simplicité  du  moi.  —  Cette  unité  que  nous  venons  de 
constater  dans  le  moi  revient  à  dire  que  le  moi  est  absolument  sim- 
ple, c'est-à-dire  qu'il  n'est  pas  composé  de  plusieurs  parties  et  par 
conséquent  qu'il  est  sans  étendue,  et  n'occupe  pas  un  lieu  à  la 
manière  des  corps.  Car  pour  avoir  une  étendue  comme  pour  occu- 
per un  lieu,  il  faut  avoir  une  partie  de  soi-même  en  i^n  point  donné 
et  une  autre  partie  dans  un  autre  et  par  suite  il  faut  être  composé 
de  parties.  Il  n'occupe  pas  même  un  lieu  comme  un  point  géométri- 
que: car  il  est  réel,  et  pour  occuper  réellement  un  lieu,  il  faut  qu'un 
point  géométrique  soit  pris  dans  une  étendue  réelle  et  par  consé- 
quent dans  un  tout  composé  de  parties.  Le  moi  est  donc  de  sa  nature 
en  dehors  de  l'espace.  Il  n'est  cependant  pas  en  dehors  du  temps, 
car  ses  modifications  successives  coïncident  avec  celles  qui  mesu- 
rent le  temps  ;  mais  il  ne  serait  pas  dans  le  temps  s'il  n'avait  pas  de 
successions. 

1Ô8.  Identité  du  moi.  —  Le  moi  est  toi:gours  identique  à  lui- 
même  dans  sa  substance,  bien  qu'il  éprouve  successivement  diffé- 
rentes modifications.  C'est  encore  ce  qui  nous  est  attesté  par  la 
conscience  et.en  particulier  par  le  souvenir,  dans  lequel  nous  revoy- 
ons un  fait,  avec  la  conscience  que  c'est  nous-mêmes  qui  TavoriS 
déjà  vu.  Et  cette  identité,  n'est  pas  seulement  une  résultante  de 
fonctions  comme  dans  le  corps,  qui  est  toiyours  censé  le  môme  alors 
que  toutes  les  molécules  qui  le  composent  ont  été  changées  ;  c'est 
une  identité  absolue,  puisque  le  moi  est  simple,  un  et  indivisible.  Un 
changement  en  lui  serait  une  substitution,  et  le  nouveau  moi  n'au- 
lait  rien  de  commun  avec  le  premier^  pas  même  une  identité  orga- 
nique semblable  à  celle  du  corps.  Ce  qui  est  radicalement  opposé 
aux  attestations  de  la  conscience,  et  à  tous  les  faits  de  connaissan- 
ces acquises. 


308  P8YCHOLOOIB 

169.  Personnalité  du  moi.  —  Cette  identité  dansant 
intelligent  et  libre  est  précisément  ce  que  l'on  appelle  la  personiolitt 
C'est  ce  moi,  toujours  le  même,  capable  de  connaître  et  d'agir  libr^ 
ment  que  nous  appelons  la  personne.  C'est  à  la  personne  que  ft» 
attribuons  tout  les  actes  d'un  homme,  et  c'est  la  personne  qoi  eA 
responsable  de  ces  mêmes  actes.  C'est  elle  qui  en  acquiert' le  ménfa 
ou  le  démérite  ;  c'est  la  personne  que  nous  honorons  ou  qoe  M 
méprisons  s^on  que  ses  actes  sont  bons  ou  mauvais.  C'^  o^tu 
même  personnalité  que  l'&me  affirme  d'elle-même  quand  elle  dit: 
moi.  C'est  dire  qu'elle  se  connaîtetse  distingue  de  tout  œ  qaiD'esî 
pas  elle,  et  que  de  plus  elle  se  connaît  comme  cause  libre  :  tanfe 
que  les  choses^  au  contraire,  ne  sqnt  pas  libre  et  ne  se  coao»^ 
sent  pas. 

.&!.  —  HATDRIdlL'ill.  —  Si  SPlIITUiLI  Tt 

170.  Démonstration  de  la  spiritualité  de  l'Ame.  —  L'âiv 
est  donc,  d'après  ce  qui  précède,  une  substance  une,  simple,  indin- 
sible  et  sans  étendue,  toigours  identique  à  elle-même,  quisecoon^ 
et  peut  agir  librement.  Or,  cet  ensemble  de  caractères  dans  ufl  ** 
c'est  ce  qu'on  appelle  la  spiritualité  ou  la  nature  spirituelle.  L'âa» 
est  donc  un  esprit  et  sa  nature  c'est  la  spiritualité.  Nous  pooviotf 
donc  déânir  l'Âme  :  une  subs{ance  spirituelle. 

%  I.-DISTIRGTION  Dl  L'ill  IT  DU  CIIPS. 

171.  Sens  de  eette  question.  —  11  s'agit  de  démontrer  ici  qi< 
l'Âme  est  un  être  distinct  du  corps,  une  substance  à  part,  qui  b'^ 
fait  pas  partie  et  qui  est  d'une  nature  différente. 

Or  pour  démontrer  tout  cela  il  nous  suffit  de  démontrer  qn^  U 
nature  de  Tàme  diffère  entièrement  de  la  nature  du  corps  ;  ^ 
sachant  d'ailleurs  que  l'Âme  est  une  substance,  il  s'en  sni^^ 
qu'elle  est  distincte  du  corps  et  n'en  fait  pas  partie. 

172.  Démonstration.  — On  reconnaitdeux  natures  différentes 
&  la  différence  de  leurs  caractères  essentiels.  Or  d'après  ce  qui  pi^ 
cède,  l'Âme  a  pour  caractèresessentiels  l'unité  indivisible  ou  simpli- 
cité, l'identité  absolue,  l'intelligence  et  la  liberté.  Le  corps  u 
contraire,  si  on  l'observe  bien  se  montre  composé  d'un  grand  dod* 


NATURE  DE  l'AME  309 

brode  parties  ;  son  identité  n*est  qu'une  identité  végétative,  dans 
laquelle  tontes  les  parties  se  renouvellent  ;  il  n*a  aucune  connais- 
sance; et  s'il  agit,  ce  n'est  que  par  une  impulsion  à  laquelle  il  obéit 
forcément. 

Donc  TAme  est  d'une  nature  différente  du  corps  ets^en  distingue 
entièrement. 

173.  Distinotioii  de  l'esprit  et  de  la  matière. — Ce  que  nous 
venons  de  conclure  de  l'âme  et  du  corps  nous  devons  le  conclure 
également  en  général  de  l'esprit  et  de  la  matière.  L'esprit  a  tous 
les  caractères  que  nous  avons  reconnus  à  l'âme  ;  la  matière  a  tous 
les  caractères  que  nous  avons  reconnus  au  corps.  Et  quoi  qu'en 
aient  dit  certains  prétendus  philosophes,  la  matière  par  cela  seul 
qu'elle  est  étendue  est  essentiellement  incapable  de  penser  et  d'agir 
librement.  C'est  ce  qui  ressort  de  la-  démonstratiçn  de  l'unité 
indivisible  du  moi. 

Et  si  on  veut  que  le  mot  ma^z^r^  signifie^au  sens  de  Leibnitz,un 
élément  simple  d'un  corps  quelconque,  la  matière  se  distingue 
eocore  de  l'esprit  en  ce  qu'elle  n'est  ni  intelligente  ni  libre  :  ce  que 
nous  constatons  dans  les  corps.  Et  d'ailleurs  il  n'en  reste  pas  moins 
établi  que  l'étendue  répugne  à  la  pensée  et  à  la  liberté,  et  que  l'âme 
est  une  substance  distincte  du  corps,  une,  indivisible  et  sans  étendue. 

DIFFÉRENTS  SYtTiMCS  SUR  LA  NATURE  DE   L'AME 

Les  observations  incomplètes  et  exclusives  sur  les  opérations  et  les 
faculté»  de  l'âme,  et  quelquefois  remploi  d'une  mauvaise  méthode  ont 
conduit  les  philosophes  à  des  systèmes  multiples  sur  la  nature  de  l'âme' 

Matérialisme.  —  Les  uns  ne  voyant  dans  l'homme  que  des  mouve- 
ments mécaniques,  et  ne  pouvant  d'ailleurs  imaginer  une  substance  sans 
étendue,  professent  ou  que  nous  n'avons  pas  d'àme,  ou  que  Tâme  est  un 
corps.  C'est  la  doctrine  flétrie  du  nom  de  matérialisme,  La  liste  des 
bommes  qui  n*ont  pas  su  s'élever  plus  haut  serait  trop  longue. 

Spiritualisme.  --  Par  opposition  à  la  théorie  des  matérialistes  on 
appelle  apiritttaltBtes  tous  ceux  qui  i*econnaissent  la  spiritualité  de 
l'Ame,  et  par  couséquent  la  distinction  de  l'âme  et  du  corps. 

Sensualisme.  -^  D'autres  constatent  les  sensations  et  s'arrêtent.  Ift. 
Pour  Condlllac,  par  exemple,  les  idées  et  même  les  actes  de  volonté  ne 


310  PSYCHOLOGIE 

sont  que  des  sensations  transformées.  Ici,  i*&me  est  reconnue  pour  ne 
être  spirituel  distinct  du  corps,  mais  elle  n*a  pas  d'autre  faculté  qos 
celle  de  sentir,  et  de  senlir  par  le  corps.  C'est  le  êensualiêtne. 

Sentimentalisme.  ^  D'autres  distinguent  les  sentiments  coizuBe 
quelque  chose  de  plus  spirituel  que  les  sensations  ;  mais  ils  n'ont  pas 
vu  l'intelligence  ni  l'activité.  Leur  système^  qui  d'ailleurs  n*a  ianiaisétê 
bien  précisé,  ni  professé  ouvertement,  a  reçu  le  nom  de  sentimenta- 
lisme. 

Empirisme.  —  Aux  sensations  et  aux  sentiments,  d'autresont  ajouté 
la  pensée  ;  mais  ils  croient  que  toute  connaissance  vient  de  l'expé- 
rience, et  que  Tâme  n'y  ajoute  rien  d'elle-même.  C'est  Vempirisme. 

Rationalisme.  —  Enfin  la  philosophie  classique  a  toujours  admis 
comme  la  principale  différence  entre  l'homme  et  la  béte,  la  raison. Elle 
a  toujours  cru  que  nos  connaissances  ne  viennent  pas  en  entier  de  1  ex- 
périence, mais  que  l'âme  y' ajoute  d'elle-même  et  nécessairement  certaines 
notions  qu'elle  possède  naturellement,  Cette  doctrine  a  pris  dans  t& 
derniers  temps,  par  opposition  aux  autres  le  nom  de  rationalisme. 

Nous  remarquerons  cependant  que  ce  mot  est  peu  employé  dans  ce 
sens  et  que  le  plus  souvent  il  désigne  cet  orgueil  de  la  raison  qui  pré- 
tend se  passer  de  Dieu  et  rejette  toute  religion  révélée. 

Idéalisme.  —  Enfin  l'abus  de  la  théorie  de  l'âme  et  surtout  de  l'ob- 
servation de  conscience,  au  détriment  de  l'observation  par  les  sens,  a 
porté  quelques  hommes  à  nier  l'existence  des  corps,  ou  même  à  dire 
que  rien  n'existe  que  dans  la  pensée.  C'est  V idéalisme. 

Positivisme.  —  Dans  ces  derniers  temps  est  née  une  théorie  qui  se 
prétend  plus  scientifique  que  toutes  les  autres  et  qui  professe  que  l'ob- 
servation des  phénomènes  ne  peut  pns  nous  autoriser  à  affirmer  la  subs- 
t'ince  qui  les  soutient,  ni  la  cause  qui  les  produit.  Ce  sont  là,  disent  ces 
auteurs,des  considérations  métaphysiques;  et  ils  rejetten t  toute  métaphr- 
stque.  Par  conséquent,  ils  ne  croient  pas  pouvoir  affirmer  Tâme. 

8.4.  -DNION  DKL'ilIlT  D6  CORPS. 

174.  Exposé  de  la  question.  Après  avoir  constaté  la  distinc- 
tion si  bien  tranchée  qui  existe  entre  Tâme  et  le  corps,  on  voudrait 
naturellement  savoir  comment  ces  deux  substances  si  différentes 
s'unissent  dans  l'homme  ;  comment  avec  des  propriétés  et  des  facul- 
tés si  différentes  ils  peuvent  agir  Tune  sur  l'autre;  comment  rame 
reçoit  les  impressions  du  corps  et  lui  communique  ses  monvements. 


UNION  DE  L'AME  ET  DU    CORPS  311 

ObserTons  cependant  que  la  différence  de  nature  entre  TAme  et 
Je  corps  n'est  pas  telle  que  l'on  ne  puisse  concevoir  une  action 
matuelle  entre  ces  deux  substances.  On  a  exagéré  en  quelque 
sorte  à  plaisir  cette  difficulté,  et  tandis  que  la  philosophie  classi- 
qae,  d'accord  avec  le  bon  sens,  a  toujours  proclamé  que  T&me  meut 
^e  corps  et  qu'à  son  tour  elle  en  reçoit  les  impressions,  plusieurs 
philosophes  ont  cru  devoir  poser  en  principe  que  ces  deux  subs- 
^nces  ne  peuvent  pas  agir  Tune  sur  Tautre.  Mais  nous  ferons 
observer  que  Tâme,  si  spirituelle  qu'elle  soit,  ne  diffère  pas  plus  de 
la  matière  que  Dieu  n'en  diffère.  Or  il  est  certain  et  hors  de  toute 
contestation  que  Dieu  agit  sur  la  matière,  qu'il  la  crée,  la 
^nsforme  et  la  meut.  Pourquoi  donc  l'âme  ne  pourrait-elle  pas 
agir  sur  le  corps  auquel  elle  est  unie? 

175.  Réponses  dÎTerses.  —  On  peut  distinguer  dans  les 
réponses  que  l'on  a  données  sur  cette  question,  celles  qui  tâchent 
d'expliquer  l'harmonie  des  modifications  du  corps  et  de  l'Ame,  en 
supposant  que  ces  [deux  substances  n'agissent  pas  l'une  sur  l'autre 
et  celles  qui  laissent  subsister  cette  action  mutuelle,  telle  que  lo 
genre  humain  en  a  conscience. 

On  peut  aussi  distinguer  dans  ces  dernières  réponses  celles  qui 
n'admettent  pas  d'intermédiaire  et  celles  qui  supposent  un  inter- 
médiaire entre  l'Ame  et  le  corps. 

Enfin  il  faut  mettre  A  part  les  théories  qui  rejettent  la  distinction 
de  l'Ame  et  du  corps,  comme  celles  qui  prétendent  ne  rien  savoir 
ou  du  moins  ne  rien  vouloir  affirmer  sur  l'Ame  et  sur  sa  nature. 

Dans  le  premier  sens  viennent  se  placer  le  système  d^s 
caitses  occasionnelles  et  celui  de  Vharmonie  préétablie. 

Dans  la  seconde  distinction  entrent  d'un  côté  tous  les  systèmes 
désignés  par  le  nom  générique  d'ammi^me,  et  ceux  qui  entrent 
plus  ou  moins  dans  le  vitalisme. 

Enfin  la  troisième  distinction  enferme  Vorçanicisme  pur  et  le 
positivisme, 

176.  Systèmes  des  causes  occasionnelles.  —  Descartes  et 
Malebranche,  ne  pouvant  concevoir  l'action  du  corps  sur  l'Ame 
supposent  que  Dieu  produit  directement  dans  l'Ame  les  impressions 
qui  correspondent  aux  impressions  du  corps,  et  qu'il  meut  le  corps 


312  PSYCHOLOGIE 

conformément  à  la  volont<^  de  l'âme.  En  sorte  que  la  volonté  de 
l'âme  n'est  plus  que  la  cause  occasionnelle  des  mouvements  du 
corps,  et  que  les  impressions  reçues  par  le  corps  ne  sont  plus  que 
la  cause  occasionnelle  des  sensations  et  des  perception^  de  l'âme. 

177.  System*  de  rharnonie  préétablie.  —  Pour  conformer 
sa  théorie  psychologique  â  son  système  des  monades,  Leihnitz  siip> 
pose  que  l'âme  et  le  corps  ^n'ont  aucune  influence  Tun  sur  Taulre,  et 
que  toutes  les  modiflcatious  qu'ils  éprouvent  sont  des  évolutions 
prédéterminées  de  la  monade  âme  et  des  monades  qui  constituent  le 
corps.  Mais  comme  Tâme  et  le  corpus  sont  faits  pour  vivre  ensemble, 
il  suppose  que  toutes  leurs  évolutions  sont  harmonisées  de  manière 
qu'à  un  acte  de  volonté  de  l'âme  corresponde  toigours  le  mou- 
vement du  corps  que  l'âme  a  voulu,  et  qu'à  toute  impression 
éprouvée  par  le  corps  corresponde  une  sensation  épix)uvée  par  l'âme. 
Il  compare  Tâme  et  le  corps  à  deux  horlog-es  qui,  réglées  Tune 
sur  Vautre,  marquent  toujours  la  même  heure,  quoique  leurs 
mouvements  soient  indépendants.  C'est  là  ce  qu'il  appelle 
Vhar7nonie  préétablie, 

178.  Théorie  de  T animisme.  —  Pour  toute  la  philosophie 
classique,  Tâme  intelligente  et  raisonnable  est  en  même  temps  le 
principe  qui  vivifie  le  corps  et  qui  le  meut.  Aristote,  qui  distingpuait 
dans  le  monde  des  êtres  vivants  cinq  sortes  d*âmes,  déclarait  que 
l'âme  humaine  remplit  à  elle  SQule  toutes  les  fonctions  dénutrition^ 
de  sensibilité  et  de  locomotion,  en  même  temps  qu'elle  raisonne  et 
veut.  L'âme  est  unie  au  corps,  comme  la  forme  à  la  matière^  dans 
tout  corps  ;  seulement  l'âme  est  une  forme  qui  peut  subsister  seule 
et  qui  ne  .périt  pas  avec  le  corps. 

Les  Scolastiques  disaient  aussi  que  l'âme  est  dans  l'homme 
le  principe  de  la  vie  végiHative,  de  la  vie  animale  et  de  la 
vie  rationnelle.  Comme  la  forme  dans  tout  corps,  l'âme  qui  est  la 
forme  du  corps,  est  le  principe  de  toutes  ses  opérations. 

C'est  Stahl  (médecin  allemand,  mort  en  173i),  qui  a  donné  le 
nom  à^animisme  à  cette  théorie,  mais  il  incline  à  croire  que  l'âme 
agit  avec  raison,  quoique  sans  raisonner,  quand  elle  nourrit  et  déve- 
loppe le  corps. 

Les  animistes  contemporains  pensent  au  contraire  que  l'âme  agît 


UNION   DE   l'aME  ET   DU   CORPS  313 

sans  conscience  dans  ce  travail.   C'est  précisément    la  théorie 
classique. 

179.  Théorie  du  yitalisme.  —  Barthez  (médecin  de  Técole  de 
Montpellier,  înort  en  1806),  pour  combattre  les  théories  trop  maté- 
rialistes et  trog  mécaniques,  affirma  la  nécessité  "du  principe  vital 
pour  expliquer  tous  les  phénomènes  physiologiques.  Aussi  il  expli- 
que par  le  même  principe  les  fonctions  vitales  du  corps  humain,  et 
dés  lors  le  système  qui  admetentre  Tâme  et  le  corps  un  principe  inter- 
médiaire qui  préside  à  la  vie  a  été  appelé  vitalisme.  Mais  Barthez 
lui-même  dit  formellement  que,  dans  Thomme,  le  principe  vital  et 
le  principe  de  la  pensée  pourraient  bien  n*ôtre  que  deux  attributs 
d'une  môme  substance,  quHl  est  indifférent  d'appeler  Ame. 

Telle  n'est  pas  l'opinion  des  vitalistes  contemporains,  qui  s'ap- 
puient surtout  sur'ce  fait  que  l'Ame  n'a  pas  conscience  de  remplir 
les  fonctions  vitales,  pour  dire  que  ces  fonctions  sont  remplies  par 
un  autre  principe. 

Le  vitalisme  pris  dans  sou  sens  le  plus  large  a  été  professé  par 
Platon,  qui  admettait  un  intermédiaire  entre  l'Ame  et  le  corps, 
comme  outre  Dieu  et  le  monde;  par  Epicure,  qui,  professant 
que  l'Ame  est  un  corps,  distingue  cependant  l'Ame,  l'esprit  et  le 
corps;  par  la  plupart  des  philosophes  latins  qui  distinguent  l'esprit 
hiVtLme(spiritus, anima),  Deplus,Galien,  Paracelse, Robert  Fludd, 
Van  Heimont,  et  plusieurs  autres  que  l'on  considère  comme  animis- 
tes, sont  en  effet  vitalistes,  car  s'ils  appellent  âme  le  principe  de  la 
vie,  ils  distinguent  cependant  ce  principe  de  l'Ame  raisonnable. 

On  peut  aussi  classer  parmi  les  théories  vitalistes,  le  système  du 
médiateur  plastique  àQCMàwovih.,  eild^iXïdonQ  des  esprits  ani- 
maux  de  Descai'tes.  Cependant,  dans  ces  systèmes,  l'intermédiaire 
entre  l'Ame  et  le  corps  n'est  qu'un  instrument,  et  l'Ame  reste  le  vrai 
principe  de  la  vie  du  corps. 

180.  Théorie  de  rorg^anicisme.  —  Bichat  (médecin  français, 
mort  en  1802)  et  Broussais  (médecin  français,  mort  en  1838)  sont* 
les  deux  premiers  représentants  d'une  théorie  qui  a  pris  mille  for- 
mes diverses  et  qui  partant  du  vitalisme  de  Barthez  semble  se 
confondre  aujourd'hui  avec  le  matérialisme  ou  avec  le  positivisme. 
^' organicisme  suppose  dans  les  organes  même  une  vitalité  propre  et 


314  PSYCHOLOGIE 

va  quelquefois  ju8qu*ft  dire  que  la  vie  est  la  résultante  des  moare- 
ments  organiques. 

Quelques  organicistes  disent  m;^me  qu'il  faut  se  contenter  d*ana- 
lyser  les  phénomènes  et  de  les  étudier  jusque  dans  le  jeu  le  plus  inti- 
me des  organes,  sans  vouloir  affirmer  s'il  y  a  au-delà  un  principe 
de  tous  ces  mouvements.  Ils  entrent  par  là  dans  le  positivisme. 

181  .Critique  de  ces  théories. — La  théorie  de  l'animisme  a  pour 
elle  d*abord  l'assentiment  de  la  philosophie  classique  et  Topinion, 
on  peut  le  dire,  du  genre  humain.  Elle  s'appuie  sur  ce  principe, 
qu'il  ne  faut  pas  expliquer  par  plusieurs  causes  ce  qui  peut  être 
produit  par  une  seule  :  Entia  non  sunt  multiplicanda. 

Le  vitalisme  répond  que  T&me  n'a  pas  concience  d'être  la  cause 
de  la  nutrition  du  corps,  de  la  circulation  du  sang,  ni  d*ancane 
autre  des  fonctions  vitales.  Il  répond  en  particulier  h  l'animisme 
de  Stahl,  que  l'intelligence  humaine  serait  incapable  de  présider 
ati  fonctionnement  si  admirable  du  corps  qu'elle  ne  connaît  pas»  et 
que  si  elle  devait  s'en  occuper,  l'âme  humaine  ne  pourrait  plus 
penser  à  autre  chose. 

Vorganicismey  à  son  tour,  dit  qu'il  est  inutile  de  chercher  hors 
des  organes  une  force  qu'ils  peuvent  avoir  eux-mêmes,  un  principe 
de  mouvement  qui  peut  résider  en  eux. 

Quant  aux  systèmes  des  causes  occasionnelles  et  de  l'harmo- 
nie  préétablie,  le  bon-sens  en  a  fait  justice.  Le  premier  répugne 
à  la  conscience  ;  le  second  revient  au  premier  et  y  scoute  seulement 
une  théorie  métaphysiquement  fausse  :  c'est  celle  qui  prétend  que 
Dieu  a  réglé  toutes  choses  dès  le  commencement  et  qu'ensuite  les 
êtres  subsistent  et  suivent  leurs  lois,  sans  l'intervention  divine. 
Le  médiateur  plastique  de  Cudworth,  serait  une  substance  tenant 
à  la  fois  de  l'esprit  et  de  la  matière,  ayant  les  attributs  de  l'une  et  de 
Tautre  de  ces  substances,  c'est-à-dire  qu'elle  renfermerait  des  élé- 
,  ments  contradictoires.  Nous  ne  nous  arrêterons  donc  pas  à  réfuter 
ces  trois  systèmes. 

.Nous  répondrons  à  l'organicisme  positiviste,  que  la  raison  nous 
porte  invinciblement  à  affirmer  que  tout  effet  a  une  cause,  et  que 
toute  modification  est  la  modification  d'une  substance,  et  par  censé' 
quent  que  les  phénomènes  vitaux  supposent  un  principe  de  la  vie, 
dont  la  nature  se  manifeste  par  les  phénomènes  mêmes.  A   Torga- 


UNION   DE   l'aME   ET   DU    CORPS  316 

nîcisme  matérialiste  nous  dirons  qu'en  dehors  des  phénomènes 
d'intelligence  et  de  liberté  qui  supposent  une  âme  spirituelle,  les 
phénomènes  physiologiques  supposent  un  principe  vivant,  autre 
que  le  corps,  car  le  corps  par  lui-même  est  passif,  et  les  modifica- 
tions-qu'il  éprouve  supposent  un  agent  actif. 

En  poussant  plus  avant  cet  argument,  nous  répondrons  aux 
vitalistes  que  le  principe  de  la  vie  ne  peut  pas  être  un  corps,  pré- 
cisément parce  que  les  corps  sont  inertes  par  eux-mêmes.  Que 
d'ailleurs  si  l'âme  n'a  pas  conscience  de  faire  vivre  le  corps,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'elle  n'en  soit  pas  la  cause  inconsciente .  En  eiffet, 
si  elle  devait  faire  vivre  le  corps,  par  une  action  intelligente 
elle  ne  pourrait  jamais  suffire  à  cette  attention  multiple  qu'il  lui 
faudrait  donner  à  tous  les  organes  et  en  quelque  sorte  à  toutes  les 
molécules  du  corps.  Mais  une  fois  l'organisme  disposé,  ne  suffit-il 
pas  d'une  simple  impulsion  de  la  part  de  l'âme  pour  que  tous  les 
mouvements  s'opèrent  avec  toute  la  régularité  désirable,  sads 
qu'elle-  ait  besoin  de  le  savoir,  ni  de  s'en  occuper  ?  Dans  les 
machines  construites  par  les  hommes  une  légère  impulsion  produit 
souvent  des  effets  multiples,  très-variés  et  très-précis  ;  mais  dans 
tous  les  cas,  sans  impulsion  la  machine  ne  produirait  d'elle  même 
aucun  mouvement.  De  même,  le  corps  mu  par  l'âme  peut  se  déve- 
lopper, s'eotretenir  et  se  renouveler  comme  il  le  fait,  mais, 
il  estévidentque  livré  à  lui-même  il  ne  saurait  produire  aucun  des 
phénomènes  vitaux,  quelque  bien  construit  qu'il  soit.  Ainsi  nous 
pensons  que  Tâme  est  le  principe  delà  vie  du  corps,  mais  que  le 
travail  de  l'âme  en  cela  se  réduit  à  fort  peu  de  chose,  quoique  son 
action  soit  indispensable. 

182.  Difficulté  de  la  question.  —  Après  cela,  quelle  est  la 
nature  du  lien  qui  existe  entre  l'Ame  et  le  corps  ?  Comment  l'âme 
agltrcUe  sur  le  corps  et  le  corps  sur  l'âme  ?  Nous  ne  craignons  pas 
d'avouer  que  nous  n'en  savons  rien.  Mais  nous  constatons  que  cette  • 
action  mutuelle  existe.  C'est  là  une  vérité  classique  dont  nous  ne 
voulons  pas  nous  départir. Tous  les  sjstèraos  que  nous  venons  d'expo- 
ser ne  nous  disent  d'ailleui'S  rien  de  plus  sur  ce  point.  Les  inter- 
médiaires que  l'on  imagine  entre  l'âme  et  le  corps  ne  font  que 
reculer  la  difficulté,  et  le  mode  de  communication  reste  parfaite- 
ment inconnu» 


316  PSYCHOLOGIE 

§.  (.  -  SIAimiDI  KTDISTIHil  DIL'ilL 

183.  Orandeur  de  rame.  —  Nous  avons  étudié  TAmo  dans 
ses  faits,  dans  ses  facultés  et  dans  sa  nature.  Avant  de  quitter  cette 
étude  jetons  une  vue  d'ensemble  pour  admirer  cette  œuvre  sublime 
et  inexplicable  du  Créateur.  Seule  parmi  les  êtres  que  nous  pouvons 
observer,  Tâme  se  connaît  ellormôme,  connaît  ce  qui  l'entoure  et 
peut  faire  remonter  librement  un  hjmme  d*action  de  grâces  à  celui 
qui  Ta  faite  si  belle. 

184.  Destinée  de  Fàme.  —  Aussi  Tâme  humaine  nous  appa- 
raît évidemment  comme  le  traitr-d' union  entre  le  monde  et  Dieu  ; 
comme  le  prêtre  chargé  d'offrir  à  Dieu  chaque  jour  le  tribut  d'hom- 
mages qu'il  mérite  de  la  part  de  la  création.  C'était  \h  évidemment 
le  dessein  de  Dieu  en  créant  T&me.  Et  elle  se  détruit  elle-même, 
elle  se  fait  un  instrument  inutile,  si  elle  n'accomplit  pas  ce  devoir. 
Mais  il  j  a  plus  :  une  créature  si  belle  ne  peut  avoir  été  faite  pour- 
disparaître  un  jour  comme  un  vil  animal.  Sa  nature  indique  une 
plus  noble  destinée. 

185.  Immortalité  de  Tàme.  —  La  connaissance  que  TAme  pos- 
sède de  rinûni>  et  dont  l'idée  lui  est  donnée  en  naissant  ;  l'attraction 
irrésistible  qu'elle  éprouve  pour  le  vrai,  le  beau,  le  bien  absolu  ;  le 
désir  naturel  et  nécessaire  qu'elle  a  d'un  bonheur  sans  fin  et  sans 
limite  :  la  liberté  et  la  responsabilité  de  s.es  actes  ;  tout  annonce  que 
l'âme  ne  doit  pas  périr  avec  le  corps,  mais  vivre  toigours. 

On  en  donne  pour  preuve  ordinairement  la  nature  spirituelle  de 
l'âme,  qui  ne  lui  {^rmet  pas  de  se  dissoudre  comme  le  corps  ;  la 
nécessité  d'une  récompense  et  d'un  châtiment  équitable  et  propor- 
tionné au  mérite  d'un  chacun.  Mais  Dieu  pourrait  encore  anéantir 
l'âme,  et  la  vie  future  destinée  à  récompenser  ou  à  punir  selon  la 
justice  pourrait  absolument  parlant  n'être  pas  éternelle. 

Nous  dirons  donc  seulement  que  tous  les  hommes  ont  le  désir 
naturel  et  inné  de  vivre  toujours  et  que  Dieu  n'a  pas  pu  nous  donner 
un  désir  naturel  et  irrésistible  qu'il  n'aurait  pas  voulu  accomplir. 

Donc  l'âme  est  immortelle.    • 


THÉODICÉE 


gMbàlitës 


1,  Objet.  —  La  Théodicée  a  pour  objet  Dieu.  Mais  comme  nous 
ne  pouvons  observer  Dieu  en  lui  môme,  c'est  par  ses  œuvres  que 
nous  le  connaissons.  L*objet  de  la  théodicée  est  donc  Dieu  mani- 
festé par  ses  œuvres .  Cette  manière  de  connaître  Dieu  est  con- 
forme &  notre  nature  ;  elle  est  la  conséquence  de  Tintelligeoce  et  de 
la  raison.  Nous  rappelons  donc  connaissance  naturelle. 

La  Théologie  aussi  a  pour  objet  Dieu>  mais  au  lieu  de  l'étudier 
uniquement  dans  ses  œuvres  elle,  demande,  à  la  foi  ce  que  Dieu  lui- 
môme  a  révélé  sur  lui-môme.  L'objet  delà  théologie  est  donc  Dieu 
manifesté^  non  plus  par  ses  œuvres,  mais  par  lui-même.  Evidem- 
ment cette  connaissance  est  bien  supérieure  à  la  première^  et 
comme  elle  n'est  nullement  dans  les  forces  de  notre  nature  on 
rappelle  connaissance  surnaturelle. 

2.  Définition.  —  La  théodicée  est  jonc  la  science  naturelle  de 
Dieu,  ou  la  science  de  Dieu  manifesté  par  ses  œuvres  et  conçu  né 
cessairement  par  la  raison. 

La  théologie  est  la  sience  surnaturelle  de  Dieu,  ou  la  science  de 
Dieu  manifesté  par  lui-môme,  par  sa  propre  révélation,  et  déve- 
loppée par  la  raison. 

3.  Instruments  de  la  théodicée.  —  Toutes  les  lois  du 
monde  sont  les  œuvres  de  Dieu  et  elles  servent  &  nous  le  faire  con- 
naître ;  mais  les  plus  importantes  dans  cette  étude  sont  les  lois  mé- 
taphjsiques^  par  lesquelles  nous  pouvons  sonder  jusqu*à  un  certain 
point  ridée  de  Dieu  et  la  développer,  après  qu'une  légitime  induc- 
tion nous  a  fait  concevoir  la  cause  par  les  effets. 


318  THÊODICÉK 

4.  Certitude  de  cette  science.  —  La  théodicée  nous  offre  la 

certitude  la  plus  absolue  et  la  plus  inébranlable,  comme  aussi  la 
moins  sujette  &  Terreur.  Car  tandis  que  toutes  les  autres  sciences 
ont  leurs  bases  dans  l'observation  plus  ou  moins  bien  faite  des  êtres 
réels,  celle-ci  n'exige  a1)Solument  parlant  que  la  constatation  de 
Texistence  d'un  être  quelconque,  fût-il  même  un  fantême.  Car  cet 
être  a  une  cause  ;  et  les  lois  métaphysiques  nous  forcent  à  en  con- 
clure Texistencede  Dieu. 

5.  Méthode.  —  Cette  science  n*exige  donc  Tobservation  qu'à 
son  point  de  départ.  L'induction  nous  mène  aussitôt  à  l'existence 
d'une  être  infini,  ou  éternel,  ou  nécessaire,  et  de  là  nous  passons 
par  déduction  à  tous  les  autres  développements  de  l'idée  de  Dieo. 
Mais  pour  établir  Texistence  de  Dieu  il  faut  que  nous  en  ajons 
ridée.  C'est  pourquoi  nous  diviserons  la  théodicée  comme  il 
suit: 

6.  DiTision.  —  1^  Idée  de  Dieu. 
2*>  Existence  de  Dieu. 

3^  Attributs  de  Dieu,  développement  de  Tidée  que  nous  em 
avons  et  caractères  essentiels  qu'il  possède  nécessairement. 

4^  Rappoi*ts  entre  I)ieu  et  le  monde.  Création  et  Providenoe. 
Conséquences  de  ces  rapports. 

ARTICI.E  !•' 

IDÉE  DE  BIEU 

7.  En  quoi  elle  consiste.  Sous  sa  forme  la  plus  valgaire 
l'idée  que  nous  avons  de  Dieu  est  l'idée  d'un  être  supérieur  à  tons 
les  autres  ;  éternel,  c 'est-il-dire,  sans  commencement  ni  fin  dans 
son  existence;  cause  première,  c'est-à-dire,  créateur  de  tout  ce  qui 
existe 

8.  Origine  de  cette  idée.  —  L'idée  de  Dieu  n*a  point  sa 
source  dans  les  perceptions  des  sens  ni  de  la  conscience.  Ces  per- 
ceptions n'ayant  aucun  des  caractères  que  nous  attribuons  à  Dieu 
ne  pourraient,  seules,  nous  en  fournir  l'idée.  L'idée  de  Diea  est 
une  conception  nécessaire,  et  à  ce  titre  elle  est  le  fruit  de  la.  raison. 


IDÉE   DE  DIEU  319 

Elle  est  renfermée  dans  l'idée  de  l'être  absolu,  qui  constitue  la 
raison,  ou  plutôt  cette  idée  de  l'être  absolu  n'est  que  la  conception 
habituelle  de  Dieu  qui  est  lui-môme  l'être  absolu.  L'idée  de  Dieu 
est  donc  innée  à  notre  âme,  elle  est  la  raison.  Mais  en  tant  qu'innée 
cette  conception  est  habituelle  et  pour  passer  en  acte  il  lui  faut 
différentes  conditions. 

9.  Apparition  actuelle  de  l'idée  de  Dieu.  —  Si  on  veut  voir 
ridée  de  Dieu  dans  l'idée  de  Têtre  abêolu,  ou  de  l'être  en  général,  on 
peut  dire  qu'elle  devient  actuelle  dans  l'âme  dès  la  première  percep- 
tion, et  &  chacune  de  nos  perceptions.  En  sorte  que  tout  homme  con- 
çoit Dieu  nécessairement  toutes  les  fois  qu'il  conçoit  l'être,  c'est-â- 
dii'e,  toutes  les  fois  qu'il  perçoit  une  modification  quelconque. 

Mais  cette  conception  vague  de  l'être  n'est  pas  précisément  l'idée 
de  Dieu  telle  que  nous  la  trouvons  dans  les  hommes.  Sous  cette  for- 
me plus  précise  elle  vient  non  seulement  de  la  perception  mais  aussi 
de  l'éducation,  ou  plutôt  de  cette  tradition  d'idées  nécessaires  qui  se 
produit  perpétuellement  dans  le  genre  humain.  Et  cet  enseignement 
lui-même,  qui  remonte  historiquement  au  premier  homme,  vient 
historiquement  aussi  d'une  révélation  faite  par  Dieu  lui-même  au 
premier  homme.  Mais  cette  tradition,  qui  a  une  origine  surnaturelle, 
est  pleinement  conforme  aux  conceptions  nécessaires  de  notre  nature 
et,  sans  doute,  si  elle  n'existait  pas,  les  hommes  qui  réfléchissent 
auraient  conçu  naturellement  la  même  idée  de  Dieu,  mais  la  plupart 
des  hommes  ne  s'en  seraient  pas  rendu  compte. 

10.  DéYeloppement  de  Fidée  de  Dieu.  —  Non  seulement 
l'idée  de  Dieu,  qui  est  habituellement  innée  en  nous  et  que  l'ensei- 
gnement du  genre  humain  nous  fait  concevoir  actuellement,  est  con- 
forme à  notre  nature  et  aux  conceptions  nécessaires  de  notre  raison, 
et  se  trouve  pleinement  justifiée  par  elles,  mais  par  ces  mêmes  con- 
ceptions  nous  la  développons  et  nous  pouvons  chaque  jour  y  décou. 
vrir  de  nouveaux  caractères  tous  essentiels  et  nécessaires.  C'est  ce 
développement  raisonné  de  l'idée  de  Dieu  qui  constitue  la  tfaéodicée. 

Mais  dans  ce  travail  aussi  l'enseignement  dont  l'origine  est  une 
révélation  directe  de  Dieu,  nous  est  d'un  grand  secours.  Et  si  les 
philosophes  chrétiens  ont  de  Dieu  une  idée  plus  claire  et  plus  com- 
plète que  les  plus  habiles  d'entre  les  philosophes  païens,  ils  le  doivent 


320  THÉODICÉE 

évidemment  à  renseignement  révélé  du  Christianisme,  qui,  leur 
fournissant  d'avance  les  réponses  au  questions  qu'ils  auraient  pu  se 
faire,  leur  a  permis  de  démontrer  rationnellement  ces  mêmes  répon- 
ses dont  les  païens  n'avaient  jamais  eu  l'idée.  Et  s'il  reste  dans  l'idée 
complète  de  Dieu  fournie  par  la  révélation  chi'étîenne  des  mystères 
dont  la  raison  ne  se  rend  pas  compte,  il  ne  faut  pas  s'en  étonner, 
car  Dieu  est  infini  et  nous  sommes  bornés  ;  et  d'ailleurs  il  ne  faut 
pas  oublier  de  remarquer  que  la  raidon  qui  n'explique  pas  ces  injs> 
tères  est  loin  de  les  contredire,  mais  qu'au  contrsûre  elle  les  trouTe 
sublimes^  vraiment  dignes  de  Dieu,  et  se  sent  forcée  de  les  admirer. 

Nous  voulons  parler  du  mytère  de  la  Sainte-Trinité  dans  lequel 
par  l'enseignement  catholique  nous  voyons  en  Dieu  trois  personnes 
distinctes  :  l'être  qui  connaît,  engendrant  éternellement  une  con- 
naissance infinie  comme  lui-même  ;  d'où  il  suit  que  l'ôtre  qui 
connaît  s'appelle  le  Père,  parce  qu'il  engendre  sa  connaissance,  et 
que  la  connaissance  s'appelle  le  Fils,  parce  qu'elle  est  engendrée. 
Enfin  nous  y  voyons  que  ce  môme  être  qui  se  connaît,  par  la 
connaissance  qu'il  a  de  lui-même  s'aime  d'un  amour  infini.  D'où 
il  suit  que  l'amour  infini  de  Dieu,  qui  s'appelle  le  Saint-Esprit, 
procède  du  Père  et  du  Fils.  Et  cependant  ces  trois  personnes  :  In- 
telligence toujours  en  acte.  Connaissance  et  Amour,  ne  sont  qu'on 
seul  et  môme  infini,  un  seul  et  même  Dieu,  dans  l'unité  la  plus 
indivisible. 

Certainement  la  raison  n'atteint  pas  h  ces  hauteurs,  mais  elle 
contemple  et  admire.  * 

11.  UniverMiUté  de  l'idée  de  Dieu.  —  L'idée  de  Dieu  existe 
chez  tous  les  hommes*  On  ne  trouve  aucun  peuple  .dont  les  insti- 
tutions et  les  mœurs  ne  démontrent  l'existence  de  l'idée  de  Bien, 
et  même  la  certitude  absolue  de  la  réalité  subsistante  de  l'objet  de 
cette  idée. 

Si  toutefois  il  s'est  trouvé  des  hommes,  assez  ignorants  oa  assez 
illogiques,  pour  ne  pas  admettre  l'existence  de  Dieu  ;  il  est  du 
moins  inconstestable  que  tous  en  ont  l'idée. 

C'est  contre  cette  aberration  inconcevable  de  quelques  esprits 
comme  contre  ceux  qui  transformentet  défigurent  dans  leur  théorie 
l'idée  de  Dieu,  que  nous  allons  établir  dans  l'article  suivant  Texis- 
tence  de  Dieu . 


IDÉE   DE  DIEU  321 


12.  Fausses  idées  de  Dieu.  —  Par  esprit  de  système  ou  par 
défaut  de  réflexion,  quelques  philoï^ophes  et  bien  des  hommes  d*un 
esprit  plus  vulgraire  on  conçu  un  Dieu  différent  de  celui  dont  nous 
avons  ridée  naturelle. 

Ces  systèmes  sont  :  le  panthéisme,  qui  prétend  que  tout  est 
Dieu,  ou  que  Dieu  est  le  monde  ;  le  naturalisme,  qui  confond 
Dieu  avec  les  forces  de  la  nature  ;  le  dualisme  qui  admet  deux 
principes  éternels  Tun  bon  l'autre  mauvais  ;  le  matérialisme, 
qui  suppose  Dieu  corporel  ;  le  déisme  qui  admet  Dieu,  mais  qui 
n*admet  aucune  relation  entre  lui  et  nous,  et  nie  la  Providence  ; 
le  polythéisme  ç\}x\  admet  l'existence  d'un  grand  nombre  de  dieux; 
le  fétichisme,  dernière  conséquence  du  polythéisme,  qui  prend 
pour  autant  de  dieux  les  plantes,  les  animaux  et  môme  les  pierres. 
Enfin  comme  dernier  développement  de  ces  systèmes  et  les  détrui- 
sant tous,  en  même  temps  qu'il  détruit  la  vérité,  l'athéisme,  nie 
absolument  Texistence  de  Dieu,  Le  positivisme  rejette  aussi 
bien  Tidée  de  Dieu  que  l'idée  de  l'âme.  Enfin,  dans  ces  dernières  an- 
nées, TAUemagne  a  renouvelé  des  Grecs  une  théorie  idéaliste  d'a- 
près laquelle  Dieu,  qui  est  Tabsolu,  est,  non  pas  l'être,  mais  ce  qui 
doit  être.  En  sorte  que  les  partisans  de  cette  doctrine,  Fichte  en 
tète,  disent  que  Dieu  c'est  le  devenir. 

Contre  tous  ces  systèmes  nous  allons  établir  que  Dieu  existe  et 
qu'il  est  tel  que  nous  en  avons  l'idée:  un  être  personnel  et  distinct 
du  monde,  étemel  et  unique,  n'ayant  rien  des  conditions  propres  à 
la  matière,  créateur  et  conservateur  de  tout  ce  qui  existe.  La  dé- 
monstration sera  donnée  en  deux  articles.^ 

Article  2' 
EXISTENCE  DE  DIEU 

13.  Sens  de  cette  question.  —  Ce  que  nous  entendons  dé- 
montrer ici,  c'est  qu'il  existe  un  être  éternel,  qui  tient  son  exis- 
tence de  sa  propre  essence  et  qui  est  par  conséquent  nécessaire  et 
inâni. 

Nous  démontrerons  ensuite  dans  l'article  suivant  que  ce  même 
être  éternel  et  nécessaire  possède  nécessairement,  par  son  essence 
même  tous  les  attribut^s  que  nous  affirmons  de  Dieu. 

2t 


322  THÈODICÉE 

14.  Preuves  de  Texistence  de  Dieu.  On  démontre  Teiis- 
tence  réelle  d'un  être  nécessaire  et  éternel,  c'est^-dire  l'existence 
de  Dieu, par  quatre  chefs  principaux  de  démonstration. 

1®  Par  la  nécessité  d'une  causé  première  des  êtres  dont  nuod 
constatons  Texistence.  (Preuve  dite pht/si que). 

2®  Par  le  consentement  unanime  de  tous  les  peuples.  fPr.»iora/f^. 

3*  Par  Tordre  du  monde.  (Argument  des  causes  finales) , 

4»  Par  ridée  de  l'infini.  (Pr,  métaphysique  et  de  conscience). 

On  donne  quelquefois  d'autres  preuves,  mais  elles  reviennent 
toutes  à  ces  quatre,  et  môme  on  peut  dire  que  ces  quatre  sont  ren- 
fermées dans  la  première. 

15.  Nécessité  d'une  cause  première.  —  Il  existe  des  êtres; 
nous  existons  nous-mêmes.  Nous  en  sommes  certains.  Et  d'ailleurs 
quelque  sens  que  l'on  donne  au  mot  existence  ;  que  Ton  voie  dans 
les  êtres  des  substances  ou  de  simples  modifications,  des  réalités 
ou  de  simples  illusions;  la  conséquence  est  toujours  la  même. 
Ces  êtres,  substances  ou  modifications,  ou  même  illusions,  ont  une 
raison  d'être.  Cette  raison  d'être,  ils  Font  ou  en  eux-mêmes 
ou  dans  un  autre  être.  S*ils  Font  en  eux-mêmes  ^ils  sont  nécessaires 
et  éternels  ;  s'ils  ne  Tout  pas  en  eux-mêmes,  ils  supposent  néces- 
sairement une  cause.  Cette  cause  à  son  tour  en  suppose  une  autre 
ou  bien  elle  est  la  première.  Quelque  longue  que  nous  supposions 
la  série  des  causes,  il  j  en  a  nécessairement  une  première  qui  n'a 
point  de  cause  et  qui  existe  par  sa  propre  essence.  Cette  cause  fât 
donc  nécessaire  et  éternelle  :  c'est  Dieu. 

Prenons  une  autre  marclie.  Il  existe  des  êtres  qui  n'ont  pas 
toujours  existé.  Ils  ont  commencé  à  exister.  Mais  ils  n^ont  po 
commencer  par  leur  propre  force,  puisqu'ils  n'étaient  pas:  donc 
leur  existence  démontre  qu'avant  eux  il  existait  un  être  qui  les  afait 
exister.  Et  si  nous  supposions  un  moment  où  il  n'y  avait  rien 
absolument,  il  n'existerait  rien  aujourd'hui.  Donc  il  est  impossible 
qu'à,  un  moment  quelconque  il  n'existât  aucun  être.  Donc  il  existe 
un  être  éternel,  qui  n'a  pas  eu  de  commencement. 

Ainsi  l'existence  des  êtres  que  nous  percevons,  notre  propre  exis- 
tence,démontrent  l'existence  d'un  être  nécessaire  ou  d'un  être  étemel. 
Mais  la  métaphysique  démontre  que  cet  être  est  infini  et  unique. 


EXISTENCE   DE   DIEU  323 

Donc  Dieu  existe,  et  tous  les  autres  êtres  que  nous  percevons  sont 
des  êtres  contingents,  temporels  et  finis. 

On  voit  que  cette  preuve,  appelée  preuve  physique  parce  qu'elle 
s'appuie  sur  Texistence  du  monde,  ne  se  forme  et  ne  conclut  qu'A  l'aide 
de  principes  que  la  métaphysique  seule  justifie,  à  moins  qu'on  ne 
s'arrête  à  la  première  conclusion  qui  se  fait  par  induction. 

16.  Consentement  unanime  des  peuples.  —  Les  partisans 
de  rathéisme  ont  interrogé  les  peuplades  sauvages  les  plus  ense- 
velies dans  rignorance  ;  ils  ont  fouillé  dans  les  témoignagnes  de 
rhistoire,  ils  n'ont  pu  découvrir  un  peuple  sans  Dieu,  un  peuple 
qui  n*admit  formellement  rexistence  d'un  Dieu.  Sans  doute  plusieurs 
en  ont  défiguré  Tidée,  mais  tous  reconnaissent  son  existence.  Dans 
ces  derniers  temps,  un  partisan  du  naturalisme,  a  osé  affirmer 
que  les  Bouddhistes  de  l'Asie,  au  nombre  de  deux  cent  millions 
sont  des  athées  ;  mais  il  est  facile  ]de  voir  que  c'est  là  une  très 
fausse  interprétation  de  leurs  livres  sacrés,  car  en  pratique  ils  ont 
une  religion  et  ils  prient. 

Donc  tous  les  peuples  admettent  et  affirment  l'existence  de  Dieu. 
Il  faut  bien  qu'ils  aient  pour  cela  des  raisons  capables  de  donner  la 
certitude  la  plus  absolue.  Donc  cette  affirmation  universelle  prouve 
que  Dieu  existe. 

Ëtle  Dieu  de  tous  les  peuples  est  toigours  un  être  étemel.  Donc, 
concluons-nous.  Il  est  infini,  unique,et  distinct  du  monde. 

C'est  la  preuve  appelée  preuve  morale,  parce  qu'elle  emploie  le  témoi- 
gnage qui  fournit  une  certitude  morale  ;  mais  elle  n'arrive  à  sa  conclu- 
sion dernière  qu'à  l'aide  de  la  métaphysique 

17.  Ordre  du  monde.  —  Un  regard  même  peu  attentif  jeté  sur 
le  monde  nous  y  fait  découvrir  un  ordre  admirable  ;  que  sera-ce 
si  nous  en  étudions  les  lois  à  Taide  de  Tobservation  scrupuleuse  qui 
sert  de  base  à  la  vraie  science?  La  multitude  innombrable  des  êtres; 
leur  variété  indéfinie  ;  leur  structure  toigours  si  précise  ;  leur 
développement  et  leur  conservation  ;  le  secours  mutuel  qu'ils  se 
prêtent  ;  l'A  propos  avec  lequel  chaque  chose  se  trouve  appropriée 
aux  be9oins  d'un  être  d'un  autre  ordre  ;  la  marche  régulière  de 
ces  masses  immenses  que  nous  appelons  des  astres;  tout  jusqu'aux 
organes  insaisisables  des  animaux  microscopiques  ;  et  surtout 
l'àme  humaine  avec  son  intelligence  douée  de  raison,  avec  son 
cœur  que  rien  ne  remplit,  avec  sa  liberté  :  tout  cela  est  un  ordre 


324  THÉODICÉK 

admirable,  qui  atteste  une  cause  intelligente,  mais  d'une  intellL 
gence  au-dessus  de  tout  ce  que  nous  pouvons  concevoir,  une  in- 
telligence qui  embrasse  d'un  regard  et  cet  ensemble  et  ses  détails; 
une  puissance  qui  a  mis  en  œuvre  cette  étonnante  conception  ;  en 
un  mot  tout  cela  atteste  comme  cause  une  intelligence  et  une  puis- 
sance infinies.  Donc  Dieu  existe. 

C'est  ce  qu'on  appelle  l'argument  des  causes  finales.  Il  procède  par 
induction  et  remonie  de  l'effet  à  la  cause  comme  la  prennière  preuve. 
Seulement  comme  elle  n'emploie  pas  les  principes  métaphysiques,  elle 
n'atteint  pas  l'infini  absolument. 

18.  Idée  de  l'infini.  —  Nous  avons  Tidée  de  l'infini,  ridôedn 
nécessaire,  de  l'absolu,  de  Téternel,  de  Timmuable.  Or  cette  idée 
de  l'infini  n*est  pas  le  produit  imaginaire  de  plusieurs  idées  fiai^ 
ajoutées  on  combinées .  Toutes  les  idées  finies  que  nous  avons,  et 
même  que  nous  pourrions  avoir,  ne  forment  pas  par  leur 
réunion  l'idée  de  Tinfini.  Ajoutez  sans  relâche  le  fini  au  fini,  voas 
n'aurez  jamais  l'infini.  Donc  l'idée  de  Tinfini,  qui  sous  ane 
forme  ou  sous  une  autre  se  trouve  chez  tous  les  hommes, 
ne  nous  vient  pas  de  l'expérience  :  c'est  notre  raison  qui  la  con- 
çoit nécessairement  dès  qu'elle  conçoit  le  fini.-  Mais  cette  concep- 
tion universelle  et  naturelle  de  l'infini  suppose  une  cause,  aussi  uni- 
verselle et  naturelle  ;  elle  suppose  un  objet  réel  dont  elle  est  U 
conception  ;  cette  disposition  naturelle  à  concevoir  l'infini,  ne  peut 
venir  que  de  celui  qui  est  la  cause  première  de  notre  nature,  et 
elle  est  comme  le  cachet  de  son  auteur.  Donc  l'Infini  existe. 

Sous  cette  forme,  cette  preuve  n'est  pas  purement  métaphysique, 
puisqu'elle  part  de  l'existence  réelle  de  l'idée  de  l'Infini.  On  pournit 
plutôt  l'appeler  preuve  logique,  car  elle  tend  seulement  à  montrer  U 
réalité  objective  d'une  idée. 

On  a  donné  et  on  donne  encore  sous  le  nom  àe  preuve  tnéta- 
physique^  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu  par  l'idée  de  Finflni, 
en  disant:  L'ôtre  infini  existe  nécessairement,  car  il  existe  par  sa 
propre  essence  ;  on  ne  peut  pas  le  concevoir  comme  n'existant 
pas.  Donc  il  existe,  —  Ou  bien  encore  :  L'ôtre  in^ni  n'est  pas  in»- 
possible,  il  n'implique  aucune  contradiction  essentielle;  or  s'U 
n'existait  pas  il  serait  impossible  :  Donc  il  existe. 


EXISTENCE  DE  DIEU  325 

La  preuve  métaphysique  de  l'existence  de  Dieu  a  été  admise 
comme  valable  par  de  très-grands  esprits.  Saint  Augustin  Tinsinue  ; 
saint  Anselme  la  donne  formellement  ;  Descartes^  Bossuet  et  Féné- 
lon  Tout  présentée  aussi,  et  la  plupart  des  métaphysiciens  ont  cru 
pouvoir  la  donner  comme  inattaquable.  Cependant  saint  Thomas 
déclare  que  la  proposition  :  Deus  est^  n'est  pas  évidente  par  elle- 
même,  et  il  combat  la  preuve  de  saint  Anselme. 

Nous  avons  remarqué  aussi  que  tous  ceux  qui  entendent  cette 
preuve  pour  la  première  fois  éprouvent  comme  une  répugnance  à 
Tad mettre  tout  d'abord,  et  comme  une  conscience  confuse  de  son 
insuffisance.  Nous  croyons  pouvoir  expliquer  ainsi  ce  phénomène. 

Dans  cette  prétendue  preuve  purement  métaphysique,  on  passe 
d'un  principe  hypothétique  à  une  conclusion  réelle.  On  part  de  l'es- 
sence de  Dieu  conçue  d'une  manière  abstraite  et  hypothétique,  et 
parce  que  cette  essence  renferme  nécessairement  l'existence  on  en 
conclut  à  son  existence  réelle  :  ce  n'est  pas  logique.  Cela  prouve 
seulement  que  si  l'inâni  existe,  il  existe  nécessairement  ;  mais  cela 
ne  démontre  pas  son  existence.  Et  si  de  grands  hommes  ont  cru 
pouvoir  conclure  absolument,  c'est  qu'en  raisonnant,  ils  ont  oublié 
que  leur  majeure  n'était  qu'une  hypothèse. 

Cependant  comme  les  preuves  précédentes  établissent  incontes- 
tablement l'existence  de  Dieu,  nous  pouvons,  sachant  qu'il  existe, 
conclure  de  son  essence  qu'il  existe  nécessairement  et  qu'il  n'est 
pas  possible  qu'il  n'existe  pas. 

En  résumé  toutes  les  preuves  de  l'existence  de  Dieu,  même  celles  que 
nous  aurions  pu  ajouter  parce  qu'on  les  donne  quelquefois,  se  rédui- 
sant à  ceci  :  Remonter  par  induction  de  l'existence  réelle  d'un  effet  à 
l'existence  réelle  d'une  cause  première,  puis  étudier  metaphysique- 
ment  cette  cause  première  et  conclure  qu'elle  est  nécessairement  éter- 
nelle et  infinie  et  que  par  conséquent  elle  est  cet  être  que  le  genre 
humain  appelle  Dieu. 

Plusieurs  philosophes  contemporains,  qui  se  font  d'ailleurs  une  idée 
exacte  de  Dieu,  croient  que  chacune  de  ces  preuves,  prise  à  part,  est 
insuffisante  à  conclure  à  Texistence  du  Dieu  que  nous  adorons,  qu'ainsi 
isolées  elles  pourraient  conclure  au  dieu  du  panthéisme.  Mais  cette 
manière  de  voir  vient  de  ce  qu'ils  négligent  la  métaphysique  telle  que 
nous  l'avons  exposée  ;  ils  s'en  font  une  autre  idée  et  dès  lors  ils  ne 
l'emploient  pas  à  propos.  Nous  pensons  au  contraire  que  chacune  de 
ces  preuves  suffit  seule,  pourvu  que   Von  ait  soin  d'analyser  ensuite  la 


326  THÉODICÉE 

conclusion  et  de  remonter  jusqu'aux  principes  métaphysiques,  k  l'aide 
desquels  on  voit  nécessairement  qu*une  cause  éternelle  est  infinie, qu'âne 
cause  première  est  a  se  et  par  conséquent  infinie,  et  que  l'être  infini,  est 
unique,  distinct  du  monde,  intelligent  et  personnel,  et  ne  ressemble  en 
rien  au  dieu  des  panthéistes  ni  à  la  catégorie  de  V idéal,  ni  au  deve- 
nir. 

Aussi  nous  renvoyons  à  l'Histoire  de  la  pilosophie  l'examen  de  ce  que 
la  philosophie  moderne  croit  avoir  trouvé  de  nouveau  sur  les  preuves 
de  l'existence  de  Dieu. 

Ï5.  Réflexion  eur  les  preuves  de  rezistence  de  Dieu. — 

Nousavons  donné  les  preuves  de  Fexistence  de  Dieu  pour  répon- 
dre aux  athées,  mais  il  nous  faut  remarquer  que  tout  homme  d'un 
esprit  droit  ne  peut  pas  plus  douter  de  l'existence  de  Dieu,  que  se  ' 
défaire  de  l'idée  qu'il  en  a.  Car  cette  idée  ne  se  présente  pas  à  lui 
comme  une  conception  imaginaire  et  sans  objet  ;  nous  concevons 
Dieu  en  concevant  les  choses,  et  nous  le  concevons  comme  an  être 
réel  ;  comme  l'être  absolu,  dont  les  êtres  finis  ne  sont  qu'une  fai- 
ble image.  En  ce  sens  l'idée  seule  que  nous  avons  de  Dieu,  nous  le 
montre  comme  existant,  mais  c'est  parce  que  cette  idée  est  une 
idée  réeUe,qui  porte  avec  elle  la  certitude  de  la  réalité  de  son  objet. 

Voilft  pourquoi  on  a  dit  avec  raison  que  l'athée  n'existe  pas. 
Car  celui  qui  nie  l'existence  d»  Dieu,  ou  ment  à  sa  conscience,  ou 
ne  sait  pas  ce  qui  s'y  passe  et  ne  sait  pas  reconnaître  que  son  Ame 
affirme  Dieu,  tandis  que  son  imagination  le  nie. 

Article  3« 
ATTRIBUTS  DE  DIEU 

16.  Principe  de  la  question.  —  On  appelle  attributs  de  Dieu 
tout  ce  que  nous  affirmons  nécessairement  de*Lui.  Etant  donnée 
l'idée  que  nous  en  avons  et  dont  nous  avons  démontré  la  réalît-é 
objective,  nous  la  considérons  sous  différents  aspects  et  sous  chacun 
de  ces  points  de  vue  nous  sommes  amenés  nécessairement  k  recon- 
naître certaines  déterminations  essentielles  qui  sont  la  conséquence 
de  notre  première  idée.  Et  ces  conséquences  se  tirent  toutes   par 


ATTRIBUTS  DE  DIEU  327 


• 


voie  d'identité.  Aussi  rien  n'est  plus  absolument  certain  que  la  réi^ 
lité  des  attributs  de  Dieu,  après  que  nous  avons  constaté  son  exis- 
tence. 

17.  Classification  des  attributs  de  Diea.  —  Les  attributs 
de  Dieu  se  classent  naturellement  selon  les  points  de  vue  auxquels 
il  faut  se  placer  pour  les  concevoir. 

Ornons  pouvons  considérer  en  Dieu  :  l^'son  être,  2^  sa  connais- 
sance, 3^  sa  perfection  morale,  4*'  son  action  sur  les  autres  êtres. 
Nbus  distinguerons  donc  :  les  attributs  d'être  ou  ontologiques,  que 
Ton  appelle  aussi  attributs  métaphysiques,  les  attributs  intellec- 
tuels, les  attributs  moraux,  et  les  attributs  de  causalité  ou  d*ac- 
tivité.  Chacune  de  ces  classes  d'attributs  en  renferme  plusieurs. 

18.  Attributs  ontolog^ues.  — Dans  l'être  de  Dieu  nous  pou- 
vons voir  sa  nécessité,  son  éternité,  son  infinité^  son  actualité,  son 
entité  substantive,  sa  simplicité,  son  unité,  son  immutabilité,  son 
immensité.  Tous  ces  attributs  ne  sont  au  fond  que  l'être  absolu, 
et  ce  dernier  mot  les  résume  tous. 

1°  L'être  de  Dieu  est  nécessaire.  —  Nous  avons  démontré 
en  métaphysique  que  l'être  contingent  suppose  l'être  nécessaire. 
Kt  c'est  par  ce  môme  principe  que  nous  venons  de  démontrer  l'exis- 
tence de  Dieu,  comme  cause  première  nécessaire  de  tous  les  êtres 
contingents.  Le  mot  nécessaire  signifie  ici  que  l'existence  d'un  être 
contingent  suppose  nécessairement  l'existence  d'un  être  qui  est 
la  cause  de  cet  être  contingent.  Efn  sorte  que  la  nécessité  de  l'être 
de  Dieu  nous  est  connue  par  l'existence  des  êtres  contingents. 

Mais,  en  lui-même.  Dieu  est-il  nécessaire,  en  dehors  de  l'exis 
tence  des  êtres  contingents  ?  Oui  ;  Il  existe  par  lui-même,  en  vertu 
de  son  essence  ;  il  Lui  est  essentiel  d'exister  ;  il  ne  peut  donc  pas 
se  faire  qu'il  n'existe  pas.  Tel  est  le  sens  complet  de  cette  proposi- 
tion :  L'être  de  Dieu  est  nécessaire,  ou  Dieu  existe  nécessairement. 
•  Cela  revient  à  dire  qu'en  Dieu  l'être  ne  se  distingue  pas  de  l'es- 
sence, que  son  essence  c'est  d'être,  que  son  essence  c'est  son  être. 
Tandis  que,  dans  tous  les  êtres  contingents,  l'être  est  en  quelque 
sorte  surajouté  à  l'essence. 

2^  L'être  de  Dieu  est  éterneL  —  L'éternité  de  Dieu  se  dé- 
montre de  différentes  manière  :  Il  est  éternel,  parce  qu'il  existe  par 


338  THÉODICÉB 

*  * 

Lui-mdme,  par  son  essence,  et  que  les  essences  sont  éternelles;  Il  eit 
étemel  parce  qu'il  est  nécessaire  ;  enfin  II  est  étemel,  parée  qw. 
s* Il  ne  Tétait  pas,  il  n^existerait  rien. 

3*  L'être  de  Dieu  est  faftfini.  —  L*ôtre  de  Dieu  eet  sans  au- 
cune espèce  de  limite.  D'abord  parce  qu*étant  par  LaiHSiéiike,e8sen- 
tiellement,  tout  ce  qu'il  est,  sans  que  rien  ait  pu  choisir  son  étn 
parmi  lés  essences  possibles,  son  essence  ne  peut  être  dôtermioée 
que  par  la  possibilité  absolue  ;  il  ne  peut  donc  lui  manquer  que  ce 
qui  serait  absolument  impossible.  Il  a  donc  toute  la  réalité  de  r^tn 
sans  aucune  limite. 

Déplus  json  éternité  étant  un  attribut  infini,  démontre  qa*Il  est 
infini.  {Métaph,  n*  52,  4«  j}r.). 

4**  L'être  de  Dieu  est  un  acte  pur.  —  Dieu  est  actuellement 

tout  ce  qu'il  est,  parce  qu'il  est  infini.  S*I1  était  en  puissance  de 
devenir  ce  qu'il  ne  serait  pas,  ou  de  faire  ce  qu'il  ne  fait  pas.  Il 
aurait  en  cela  une  limite  qui  répugne  a  son  être  infini.  Il  n*j  a 
donc  en  Dieu  ni  puissance  passive,  ni  propriété,  ni  faculté,  maii 
seulement  un  acte  éternel  et  infini. 

5^  L'être  de  Dieu  est  substantif.  — Dieu  est  une  substance. 

La  substance  est  ce  qui  a  l'être  en  soi  et  non  dans  un  autre  être. 
£ns  in  5^,par  opposition  à  l'accident,  ens  in  alio.  Dieu  existe  par 
Lui-même,  Il  n'est  donc  pas  un  accident,une  modification, une  résul- 
tante de  forces  ;  Il  est  une  substance  et  une  substance  distincte  de 
tout  ce  qui  n'est  pa£>  Lui.  Car  la  substance  de  Dieu  possède  l'être 
essentiellement  et  toutes  les  autres  ne  l'ont  que  par  Dieu.  De  plus 
sa  substance  est  infime  comme  sou  être,  autrement  II  serait  limité; 
sa  substance  n'a  rien  de  passif  ni  de  potentiel,  elle  est  tout  acte. 
Enfin  la  substance  de  Dieu  ne  se  distingue  pas  de  son  être.  Dieu  est 
un  acte  subsistant.  Tout  cela  résulte  de  sa  nécessité.  Tandis  que 
dans  les  êtres  contingents,  tout  ce  qu'ils  ont  d'actualité  est  le 
résultat  de  l'action  continue  de  l'être  nécessaire,  en  sorte  que  leur 
être  perpétuellement  emprunté  ne  subsiste  pas  et  ne  persévère 
qu'autant  que  l'action  de  Dieu  le  fait  être. 

6^  La  Substance  de  Dieu  est  simple.  —  La  compositioa 
l'étendue,  la  divisibilité,  sont  incompatibles  avec  l'Infini.  La  subs- 
tance de  Dieu,  qui  est  infinie,  ne  peut  donc  être  nicomposiée,  ni 
étendue,  ni  divisible.  Elle  est  donc  absolument  simple. 


ATTRIBUTS  DE  DIEU  329 

.?<*  Dien  est  un  et  unique  dans  «a  aubatanee.  —  L'unitô 
de  Dieu  n'est  pat  l'unité  de  plusieurs  forces  convergentes  comme 
dans  les  corps,  mais  Tunité  de  Tôtre  simple,absolument  indivisible. 
La  multiplicité  des  attributs  que  nous  distinguons  en  I>ieu  n'ôte 
rien  à  son  unité,  car  ce  ne  sont  là  que  des  points  de  vue  qui  se 
confondent  tous  avec  son  être. 

De  plus  Dieu  est  unique  :  il  n*existe  pas  et  ne  peut  exister  un 
autre  être  infini  comme  Lui;car  il  ne  peut  pas  y  avoir  deux  infinis. 
{Met.  52,  S'^pr.).  La  substance  de  Dieu  est  donc  unique.Toutes  les 
substances  contingentes  diffèrent  absolument  de  la  sienne,  et  si 
nous  les  appelons  8ubstances,ce  n*est  que  par  rapport  aux  accidents 
qu'elles  éprouvent  comme  modifications  ;  mais  nous  savons  bien 
que,  comparées  à  l'acte  pur  et  subsistant  qui  est  Dieu,  elles  ne 
sont  pas  même  des  accidents  ;  car  elles  ne  sont  pas  des  modifica- 
tions de  la  substance  de  Dieu  ,  et  elles  n'ont  qu'un  être  d'emprunt. 

8^  L'être  de  Dieu  est  immuable.  —  Dieu  ne  peut  éprouver 
aucune  espèce  de  cbangement  dans  soil  être  ou  dans  sa  substance, 
parla  raison  qu'il  est  infini;  et  pour  changer  il  faut  perdre  ou 
acquérir. 

9^  L'étr»  de  Dieu  est  immense.  —  Quelle  que  puisse  être 
l'étendue  du  monde  créé.  Dieu  j  est  présent  partout.  Si  le  monde 
était  multiplié.  Dieu  j  serait  de  môme  et  ne  serait  pas  plus  grand 
pour  cela.  Il  est  donc  sans  mesure  possible.  C'est  ce  que  signifie 
le  mot  «immense  ».  Mais  il  faut  bien  se  garder  de  penser  que  Dieu 
soit  une  substance  étendue  comme  l'espace  possible.  Non  :  Dieu  n'a 
pas  d'étendue,et  de  plus  II  est  présent  dans  l'univers  de  telle  manière 
que  dans  sa  parfaite  unité  indivisible.  Il  est  tout  entier  dans  cha- 
cun dea  êtres  de  l'univers  et  dans  chacun  des  atomes  qui  composent 
les  corps.  Ce  que  nous  appelons  l'immensité  de  l'espace  est  entière- 
ment contraire  à  cette  conception. 

Cette  immensité,  cette  omniprésence  de  Dieu, sont  la  conséquence 
de  son  être  nécessaire,  d'où  tous  les  êtres  contingents  prennentleur 
existence.  Car  ces  êtres  ne  peuvent  exister  sans  que  l'être  néces- 
saire qui  les  fait  exister  soit  présent  à  leur  être. 

Mais  c'est  là  une  présence  que  nous  ne  saurions  comprendre  et 
qui  n'a  rien  de  commun  avec  la  localisation  des  corps.  Dieu  est  une 
substance  simple  et  ne  se  localise  pas. 


390  THÊODICÈE 

19.  Résumé  des  attributs  ontolopipies  de  Diev.  Tons  ks 

attributs  ontologiques  de  Dieu  se  résument  dans  l^étre  abeola.  Qvi 
dit  :  être,  absolument  parlant,  dit  :  être  par  soi,  essentiel,  néoe»- 
salre,  éternel,  infini,  acte  pur  et  subsistant,  un,  simple,  immuabie 
et  immense.  C*est  donc  avec  raison  que  Bossuet,  après  avoir  éan- 
méré  rapidement  les  attributs -de  Dieuj  s'écrie  :  «  Il  est  :  garda- 
vous  de  rien  ajouter  !  ». 

20.  Attributs  intellectuels.  L'idée  que  nous  avons  de  Di^, 
la  magnificence,  Tordi^e  et  l'harmonie  de  ses  œuvres  ne  nous  per- 
mettent pas  de  supposer  Dieu  s«aus  connaissance.  C'est  Thorrwïr 
révoltante  et  Tabsurdité  de  cette  supposition  blasphématoire  qa. 
fait  dire  au  psalmiste:  Intelligite  insipientes  in  populo ,  et  siulti 
aliquando  sapite:  Qui  plantavit  aurem  non  audiet  f  nut  qni 
finxii  ocuhim  non  considérât  ?....  Dominus  scit  cogitatîonet 
hominum. 

Aussi  la  saine  philosophie  a  toigonrs  reconnu  en  Dien  Tomnis- 
cience,  la  vérité  et  la  véracflé. 

loOmniscience. — Puisque  nous,qui  sommes  contingents  et  bor- 
nés et  qui  n'avons  qu'un  être  emprunté,  nous  connaissons  ce  qui  se 
passe  en  nous  et  autour  de  nous  ,]il  faut  bien  que  Dieu,  l'être  néces- 
saire à  qui  nous  empruntons  cette  existence,  connaisse  ses  oeuvres 
et  se  connaisse  lui-môme.  De  plus,  l'infinité  de  l'être  de  Dieu  s'oppose 
à  ce  que  sa  connaissance  ait  quelque  limite  ;  car  II  ne  serait  plos 
infini.  Donc,  Dieu  connaît  tout  ce  qui  est  et  tout  ce  qui  doit-être. 
Il  se  connaît  lui-méme;et  comme  II  est  infini,  la  connaissance  quT 
a  de  Lui-même  est  infinie. 

Cette  connaissance  que  Dieu  a  de  Lui-même  et  des  choses  ne 
peutêtre,  comme  chez  nous, d*abord  à  Tétat  de  puissance  ou  de  faculté. 
Son  infinité  et  son  immutabilité  s'y  opposent.  Il  faut  donc  que  Diea 
connaisse  par  un  acte  éternel  tout  ce  qu'il  connaît,  c'est-à-dire^tout 
ce  qui  peut  être  connu.  Il  connaît  donc  nos  plus  secrètes  pensées  ; 
Il  connaît  le  passé,  le  présent  et  l'avenir,  et  tout  cela  dans  un  sesl 
acte  éternellement  présent  ;  car  étant  immuable  II  ne  peut  avoir  de 
successions. 

De  plus  la  perfection  de  son  être  infini  s'oppose  à  ce  qu'il  reçoive 
quelque  chose  des  êtres  contingents  qui  sont  son  œuvre.  Donc  II 


ATTRIBUTS    DE  DIEU  331 

connaît  les  choses ,  non  par  l'action  qu'il  en  reçoit,  mais  en  Lui- 
même  et  par  Lui-môme.  En  sorte  que  sa  connaissance  vient  toute 
entiôrede  son  être,  qu'elle  est,  non  seulement  éternelle  et  infinie, 
piais  subsistante  comme  son  être. 

C'est  cette  connaissance  éternelle  et  subsistante  que  Dieu  a  des 
essences  des  choses,  que  Platon  appelait  les  idées  en  Dieu,  et  que 
nous  considérons  encore  comme  les  prototypes  de  tout  ce  qui  est  et 
de  tout  ce  qui  sera  encore.  Son  erreur  consistait  à  croire  que  nous 
voyons  les  essences  des  choses  telles  que  Dieu  les  voit  ;  Malebran- 
che  et  les  ontologistes  font  la  même  hypothèse  quand  ils  affirment 
que  c'est  en  Dieu  que  nous  voyons  les  essences  des  choses.  Celte 
hypothèse  est  fausse  ;  car  nous  voyons,  non  pas  les  essences  réelles 
des  choses,  mais  des  conceptions  essentielles  que  nous  formons  par 
l'observation  et  qui  sont  loin  d'être  les  m^mes  chez  tous  les  hommes» 
pour  une  môme  classe  d'objets.  L'hypothèse  détruite,  l'explication 
n*a  plus  de  raison  d'être.  Ainsi  se  trouvent  renversés  et  le  système 
de  l'existence  antérieure,  de  Platon,  et  celui  de  la  vision  en  Dieu, 
récemment  appelé  ontologisme . 

Quoiqu'il  en  soit,  les  vraies  essences  des  choses  sont  bien  la 
connaissance  que  Dieu  a  de  leur  possibilité,  et  en  ce  sens  on  peut 
bien,  sans  être  ontologiste,  dire  que  les  essences  des  choses  sont  Dieu 
lui-même.  Car  la  connaissance  de  Dieu,  qui  est  un  acte  pur  et  subs- 
tantif et  infiai,  ne  se  distingue  pas  de  son  être.  Il  est. 

2^ Vérité. — La  connaissance  de  Dieu  ne  serait  pas  une  connais- 
sance si  elle  n'était  pas  vraie;  et,  d'un  autre  côté,  elle  ne  serait  ni  infi- 
nie ni  parfaite  si  elle  n'était  entièrement  et  parfaitement  vraie.  Donc 
Dieu  j)0ssède  toute  vérité  ;  sa  connaissance  est  la  vérité  absolue  \ 
etjComme  sa  connaissance  c'est  Lui, on  dit  avec  raison  que  Dieu  est 
la  vérité  même. 

3^  Véracité.  — Mais  il  y  a  plus,  si  l'homme  peut  communiquer 
ses  pensées,  il  est  impossible  de  supposer  que  Dieu  ne  les  commu- 
nique pas.  Et  s'il  les  commun iquejl  ne  peut  les  communiquer  que 
telles  qu'elles  sont.  Car  la  perfection  que  nous  découvrons  en  Dieu, 
à  raison  de  son  infinité,  no  nous  permet  pas  de  supposer  qu'il  puisse 
mentir.  Donc,  Il  communique  ses  pensées  selon  la  vérité:  Il  est 
vérabe. 


382  THtODICÉB 

La  parole  de  Dieu  nous  parvient  par  ses  OBUTres  et  ses  asojm 
ne  peuvent  nous  mentir.  C^est  pourquoi  nous  les  interrogeoss  aiée 
eonfiance.  Et  quand  nous  les  avons  in terrogéesoonvenablemeBt,^ 
nous  répondent,  et  Dieu  nous  parle  par  elles. 

Outre  cette  manière  de  nous  communiquer  ses  pensées  par  se 
œuvresjl  est  évident  que  Dieu  peut  aussi  nous  parler  direcieineat. 
Ce  serait  sortir  du  domaine  de  la  philosophie  que  d'interroger  crtte 
parole  directe  de  Dieu  que  nous  appelons  la  révélation;  mais  ce  q« 
la  philosophie  peut  et  doit  faire  c'est  de  s'assurer,  par  les  iémir 
gnages  natui*els,  que  cette  parole  directe  de  Dieu  existe  et  qu'il  y  & 
une  révélation.  Quand  ce  fait  est  établi  la  conclusion  immédia» 
doit  être  :  Dieu  a  parlé  :  il  faut  le  croire  et  Lui  obéir. 

En  tout  cas,  jusqu'à  démonstration  de  la  fausseté  de  ce  fau,u 
n'est  pas  permis  à  un  homme  sérieux  de  se  moquer  de  ceux  q» 
croient;  et  de  plus,  en  face  de  l'assertion  de  trois  cent  millioas 
d'hommes  qui  affirment  perpétuellement  le  fait  depuis  dix-biùt 
siècles,  sans  compter  ceux  qui  l'avaient  perpétuellement  aifinse 
jusque  là,  il  n'est  pas  digne  d'un  homme  raisonnable  de  rester  ifldi^ 
férent  et  de  mépriser,  sans  vérifier  le  fait  et  ses  preuves. 

21.  Attributs  moraux.  On  appelle  ordre  moral  rensemhld^ 
tous  les  actes  libres,  et  tout  ce  qui  s  y  rapporte.  En  sorte  qa«  ^ 
attributs  moraux  de  Dieu,  sont  les  attributs  relatifs  à  ses  acttf 
libres.  L'ôtre  de  Dieu  qui  est  un  acte  pur,  sa  connaissance  qui«* 
au  fond  le  même  acte  pur  ne  sont  pas  des  actes  libres  en  Dieu  ;  i» 
sont  essentiels  et  nécessaire.  Nous  aurions  pu  constater  aussi  qui^ 
y  a  en  Dieu  non  pas  la  volonté  qui  est  la  faculté  de  vouloir,  mais 
un  vouloir  éternel,  nécessaire  et  infini,  par  lequel  II  s'aime  etse  veot 
lui-môme  tel  qu'il  est.  C'est  encore  un  acte  pur,  le  même  quest® 
être  et  sa  connaissance  ;  ce  n'est  pas  un  acte  libre. 

Mais  en  dehors  de  Lui-môme,  on  conçoit  que  Dieu  veut  des  èiT» 
contingents;  Il  les  veut,  puisqu'il  les  fait  exister.  Or  comme  c* 
êtres  ne  sont  pas  nécessaires.  Dieu  ne  les  veut  pas  nécessairemeD^* 
Il  les  veut  donc  librement.  11  a  donc  un  vouloir  libre.  C'est  daa? 
l'exercice  de  ce  vouloir  libre  que  nous  trouvons  en  Dieu  des  attri- 
buts moraux,  qui  sont  la  liberté,  \^  justice ^  la  bontés 


ATTRIBUTS   DE  DIEU  333 

1"^  Liberté. —  Dieu  est  libre,car  II  veut  des  choses  qu'il  ne  veut 
pas  nécessairement  ;  moins  encoi'e  forcément,  car  II  n'est  nullement 
passif.  Et  comme  tout  est  parfait  en  Lui Ja  liberté  de  Dieu  est 
parfaite. 

Dirons-nous  que  sa  liberté  est  infinie  ?  Oui  si  on  entend  par  là 
qu^elle  est  sans  limite  en  elle-même.  Mais  il  est  à  remarquer  que 
cette  liberté,  ne  pouvant  s'exercer  sur  Dieu  lui-môme, mais  seule- 
ment sur  les  êtres  contingents,  ne  peut  avoir  un  exercice  infini. 
(Test  d*ailleurs  la  condition  essentielle  de  tout  acte  de  Dieu  sur  les 
êtres  contingents.  Infini  et  éternel  du  c6té  de  Dieu  cet  acte  est  fini 
et  temporel  dans  Têtre  qui  en  résulte.  Mais  à  part  cette  condition 
qui  vient  de  Tessence  des  êtres  contingents^  la  liberté  de  Dieu  est 
illimitée  ;  Il  choisit  dans  la  série  indéfinie  des  êtres  possibles  ceux 
qu'il  veut  actualiser,  et  rien  ne  l'oblige  &  se  déterminer  pour  tel 
ou  tel. 

Une  autre  perfection  de  la  liberté  de  Dieu,  c'est  qu'il  ne  veut 
jamais  l'impossible  ni  le  mal,  comme  cela  arrive  souvent  aux  hom- 
mes. C'est  encore  sa  nature  infinie  et  parfaite  qui  s'y  oppose.  Etant 
Lui-même  le  vrai,  le  beau,le  bien  absolu,  Il  ne  peut  vouloir  le  con- 
traire de  Lui-môme.  Ce  serait  ne  pas  se  vouloir  Lui-môme  et  II  se 
veut  nécessairement  comme  II  existe  nécessairement. 

2^  Justice.  Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  Dieu  ne  peut  vou- 
loir librement  que  ce  qui  est  bien.  Or  comme  le  bien  est  la  règle 
du  juste,  il  s'ensuit  que  la  volonté  libre  de  Dieu  est  essentielle- 
ment juste.  Il  ne  veut  que  ce  qui  est  juste. 

3*  Bonté.  —  Dieu  est  bon  en  ce  sens  qu'il  fait  du  bien.  Or 
Dieu  fait  du  bien  &  tous  les  êtres  qui  ne  sont  pas  Lui.  Et  même  II 
donne  l'être,  le  premier  de  tous  les  biens  ;  Il  fait  exister  ceux  qui 
sans  lui  n'existeraient  pas.  C'est  la  perfection  de  la  bonté,  et  c'est 
en  ce  sens  que  nous  disons  que  la  bonté  de  Dieu  est  infinie  ;  bien 
que  par  la  nature  des  êtres  continge  nts  les  résultats  soient  néces- 
sairement limités. 

22.  Attributs  de  causalité.  —  Bien  qu'en  Dieu  vouloir  e^ 
faire  soient  un  seul  et  même  acte,  nous  pouvons  cependant,  selon^ 
notre  manière  de  concevoir,  distinguer  le  vouloir  de  la  causalité. 


334  THÉODICÈE 

Dieu  est  la  cause  première  de  tout  ce  qui  est,  et  sa  causalité  «t 
sans  limite  de  sa  part  bien  que  les  résultats  en  soient  nécessain- 
ment  Unis.  Sa  causalité  est  un  acte  pur  comme  Dieu  lui-méise, 
mais  selon  notre  manière  de  parler  nous  disons  qu'il  peut  tout  faire, 
parce  que  nous  ne  voyons  que  successivement  ce  qu'il  fait  de 
toute  éternité.  En  sorte  que  nous  distinguons  en  Dieu  comioe 
attributs  de  causalité:  la  causalité  première,  la  toute  puissance  et 
la  providence. 

\o  Dieu  est  la  cause  première  de  tout.  —  Les  raiscos  qoi 
nous  servent  &  montrer  l'existence  de  Dieu  nous  obligent  à  condore 
non  seulement  que  tout  être  vient  de  Lui, mais  encore  que  tout  êtR 
ne  peut  venir  que  de  Lui,  comme  de  la  cause  première.  L'être  cod- 
tingent  ne  peut  exister  que  par  l'action  de  l'être  nécessaire. 

2""  Dieu  est  tout  puissant.  La  causalité  de  Dieu  étant  inânie 
du  côté  de  Dieu,  il  s'ensuit  qu'il  peut  faire  tout  ce  qui  est  possible. 
Non  pas  en  ce  sens  qu'il  soit  en  'puissance  de  le  faire,  mais  enee 
sens  qu'il  est  possible  qu'il  le-  fasse  actuellement  et  que  nous  ie 
voyions  plus  tard. 

S""  Dieu  pourvoit  à  la  consenration  de  tout  ce  qui 
existe.  —  Les  successions  dans  lesquelles  nous  vivons  et  dans  les- 
quelles nous  voyons  les  êtres  qui  nous  entourent,  nous  rnootraot 
successivement  Faction  de  Dieu  sur  ces  êtres  et  sur  nous,  nous  foDt 
dire  que  Dieu  pourvoit  à  tout  et  conserve  tout,  lorsqu^en  réalité 
Il  ne  fait  que  produire  les  choses  dans  le  temps  par  un  acte 
éternel. 

La  causalité  de  Dieu  sur  les  êtres  contingents  établit  entre  Dieo 
et  le  monde  des  rapports  qu'il  nous  faut  étudier  du  côté  de  Dieo 
et  du  côté  du  monde.  C'est  ce  que  nous  allons  faire  dans  l'article 
suivant. 

Article   4* 

RAPPORTS  ENTRE  DIEU  ET  LE  MONDE.  --  CRÉATION  ET  PROTlDBiei 

23.  Création.  —  Les  êtres  contingents  n*ayant  pas  l'existence 
par  eux-mêmes  la  tiennent  tout  entière  de  l'être  nécessaire  qui  ^ 
Dieu.  Leur  essence  s^oppose  à  ce  qu'ils  aient  toi^ours  existé  ;  àk 


cri«:ation  et  providence  335 

s'opposo également  à  ce  qu*ils  soient  une  émanation  delà  substance 
divine.  Ils  sont  donc  créés,  c'est-à-dire  faits  de  rien,  La  création 
est  un  acte  éternel  du  côté  .de  Dieu  ,  un  fait  temporel  du  côté  des 
ôtres créés.  Ainsi  au  lieu  de  dire  :  Dieu  a  créé  le  monde ^  il  fau- 
drait  dire  que  Dieu  le  crée.  ^  •  -' 

24 .  Systèmes  opposés  au  dogme  de  la  Création.  —  Les 

philosophes  panthéistes  supposent  que  les  ôtres  que  nous  appelons 
contingents  ne  sont  que  des  manifestations,  des  évolutions  ou  des 
éfnanations  de  Dieu.  Ils  ont  supposé  cela,  ne  pouvant  s'élever  à 
l'idée  d'un  être  fait  de  rien.  Or  ces  trois  systèmes  panthéistes  ne 
sauraient  s'accorder  avec  Tidée  que  nous  avons  de  Dieu.  Car  Dieu 
est  infini  et  immuable  ;  les  ôtres  contingents  sont  limités  et  chan- 
geants. Chacun  de  ces  systèmes  supposerait  des  changements  en 
Dieu. 

Les  matérialistes,  notamment  Ëpicure  et  avec  lui  tous  les  philo- 
sophes païens  et  de  nos  jours  tous  les  partisans  du  matérialisme 
et  du  naturalisme,supposent  la  matière  du  monde  éternelle.  Les  uns 
avec  Platon  disent  que  Dieu  Ta  seulement  façonnée,  les  autres  avec 
Epicure,  enseignent  que  les  éléments  de  la  matière  se  combinent 
d'eux-mêmes  au  hasard.  Ce  système  est  opposé  tout  à  la  fois  et  à  la 
causalité  infinie  de  Dieu  et  à  la  nature  finie  des  ôtres  contingents. 

Enfin  les  naturalistes  modernes  prétendent  expliquer  par  les 
évolutions  successives  de  la  matière  la  formation  de  tous  les  ôtres, 
et  veulent  que  l'homme  ait  été  singe,  plante  et  même  pierre  avant 
d'être  ce  qu'il  est.  De  pareilles  monstruosités  ne  se  réfutent  pas. 
Ce  sont  des  rôveries  imaginées  pour  effacer  Dieu,  et  qui  avilissent 
l'homme  en  voulant  Télever. 

25.  Providence.  —  Les  principes  métaphysiques  qui  démon- 
trent le  fait  de  la  Création  démontrent  aussi  comme  une  nécessité 
des  ôtres  contingents  la  conservation  de  ces  mômes  ôtres  par  Dieu 
qui  les  a  créés. 

L'être  qui  tient  de  Dieu  tout  ce  qu'il  est  ne  saurait  subsister  un 
seul  instant  par  lui-môme.  En  effet  nous  avons  constaté  bien  des 
fois  précédemment  ce  principe  fondamental  que  Teffet  est  simuL 
tané  à  sa  cause  et  ne  dure  qu'autant  qu^elle.  Si  donc  Faction  de 
Dieu  est  la  cause  totale  des  ôtres  contingents,  comment  ces  êtres 


336  THÈODICKE 

pourraient-ils  subsister  après  que  cette  action  aurait  cessé.  Ca* 
donc  bien  mal  entendre  les  principes  nécessaires  des  ôtres  que  & 
supposer  que  Dieu  aurait  -une  fois  créée  le  monde  et  l'aurait  easoite 
abandonné  à  lui-môme.  Non  :  les  êtres  créés  ne  persévèrent  dws 
Texistenceque  parce  que  leu»  cause  continue  et  cette  cause  de  lear 
conservation  n'est  et  ne  peut  être  autre  chose  que  raction  mêse 
de  Dieu,  qui  les  crée  ainsi  d'une  manière  continue.  La  conservatioi 
des  ôtres  n'est  donc  que  la  persévérance  de  l'acte  créateur  ;  acte 
éternel  de  la  part  do  Dieu,  mais  dont  le  résultat  estnécessaireme&t 
temporel  pour  les  ôtres  crées.  Telle  est  la  baj^edudogmedelaProrideo- 
ce.  En  effet,  si  les  ôtres  contingents  ne  subsistent  que  par  la  conti* 
nuité  de  l'acte  créateur,  il  s'ensuit  quUls  ne  se  meuvent,  ne  chao- 
gent.de  lieu,  n'agissent  d'une  manière  quelconque,  que  par  le  même 
acte  de  Dieu,  et  que  toutes  les  modifications  qu'éprouvent  les^tres 
dans  le  monde  viennent  en  dernière  analyse  de  Dieu  et  ne  peavâit 
venir  que  de  lui.  11  est  donc  indispensable  d'admettre  que  Dieo 
conserve  et  gouverne  le  monde  :  c'est  ce  que  l'on  appelle  la  ProTÎ- 
dence  de  Dieu. 

Mais,  dit-on,  Dieu  a  posé,  au  commencement,  des  lois,  et  ces  lûii 
régissent  le  monde  !  Vaine  théorie.  Les  lois  ne  sont  pas  une  forée, 
mais  l'ordre  dans  lequel  un  fait  se  produit  ;  et  si  outre  la  im  il 
n'existe  pas  une  force  agissante  qui  produise  le  fait,  aucune  loi  te 
sera  observée.  Donc,  Dieu  suit  un  ordre  qu'il  a  tracé  Lui-inâa^i 
mais  c'est  Lui  seul  qui  exécute  ce  plan;car  II  estseul  l'être  paraoi, 
cause  universelle  de  tout  ce  qui  est  contingent. 

26.  Systèmes  opposés  au  dogme  de  la  Proyidence.— L^ 

systèmes  panthéistes,  matérialistes  et  naturalistes  qui  nient  1a 
création,  nient  par  là-môme  la  Providence.  Mais  de  plus  il  J  3 
différents  systèmes  connus  sous  le  nom  général  de  Déisme ,  qui»  ^à- 
mettant  que  le  monde  a  été  créé,  supposent  qu'il  persévère  essoite 
dans  l'existence, sans  que  Dieu  s'en  occupe,  et  nient  par  conséquent 
la  Providence  en  admettant  la  Création. 

Les  preuves  que  nous  avons  données  suffisent  à  réfuter  le  déisme. 
Disons  seulement  ici  que  la  source  de  ces  doctrines  et  la  facilité 
avec  laquelle  elles  se  sont  fait  de  si  nombreux  partisans,  viennent 
de  l'attrait  des  hommes  pour  la  licence  des  mœurs.  Le  dogme  de  U 


CRÉATION    ET    PROVIDENCE*  337 

Providence  a  des  conséquences  pratiques.  Si  Dieu  gouverne  le 
monde  il  faut  que  les  hommes  obéissent  à  ses  lois  ;  et  c'est  pour 
éviter  la  direction  de  ces  lois,  que  les  hommes  s'efforcent  de  les 
nier,en  niant  que  Dieu  s'occupe  d'eux.  Il  y  a  aussi  dans  cette  déné- 
gation un  orgueil,  une  suffisance  poussée  jusqu'au  ridicule  de  Fab- 
surdité.  L'homme  tient  tout  de  Dieu,  son  existence  môme,  et  il 
prétend  pouvoir  se  passer  de  Dieu. 

Aux  preuves  métaphysiques  que  nous  avons  données  de  la  Pro- 
vidence on  pourmit  joindre  les  preuves  historiques,  le  consente- 
ment unanime  des  peuples,  et  l'observation  de  l'ordre  admirable 
qui  règne  dans  le  monde,  et  dès  lors  les  déistes  nous  paraîtraient 
non  seulement  absurdes  dans  leur  orgueil,  mais  encore  aveugles 
dans  leur  expérience,  ignorants  des  témoignages  de  l'histoire  et 
indignes  de  conserver  leur  titre  d'hommes,  puisqu'ils  n'ont  pas  les 
croyances  universelles  du  genre  humain . 

Après  cela,  si  de  prétendus  philosophes,  de  peur  de  s'humilier 
devant  Dieu,  en  avouant  qu'ils  viennent  do  Dieu  et  ne  subsistent 
que  par  lui,  préfèrent  descendre  d'un  singe,ou  d'un  mollusque,lais- 
sons-les  se  complaire  dans  leur  avilissement  :  la  raison  n'arrive- 
rait pas  jusqu'à  eux.  Noluitintelligere  ut  bene  agei*et.  Ils  n*ont 
pas  voulu  comprendre  de  peur  d'être  obligés  de  faire  le  bien. 

27.  Conséquences  pratiques  des  rapports  entre  Dieu  et 
le  monde.  —  Puisque  Dieu  crée  conserve  et  gouverne  le  monde 
et  tout  ce  qu'il  renferme ,  puisque  l'homme  sait  cela  et  qu'il  est 
libre,  il  s'en  suit  qu'il  doit  librement  se  soumettre  aux  desseins  de 
Dieu  sur  lui,  pratiquer  le  bien  que  Dieu  lui  commande  et  éviter  le 
mal  que  Dieu  lui  défend,  rendre  grâces  à  Dieu  des  biens  qu'il  en 
reçoit  et  attendre  de  lui  un  concours  efficace  qu'il  peut  lui  demander. 
Telles  sont  les  bases  de  la  religion,  naturelle,  conséquence  néces* 
saire  des  rapports  de  l'homme  à  Dieu  en  dehors  môme  de  la  révé- 
lation. 

Ainsi  la  raison,  par  les  principes  mômes  de  l'ôtre,  et  par  le  seul 
fait  de  l'existence  de  l'homme  intelligent,  établit  la  religion  naturelle 
comme  une  loi  nécessaire  de  nos  rapports  avec  Dieu.  Il  n'y  a  donc 
ri^nde  sérieux  dans  les  doctrines  des  pcétendus  libreshpenseurs  et 
positivistes  modernes  qui  veulent  éloigner  l'homme  de  toute  rela- 
tion religieuse  avec  D^eu.  Leur  doctrine  répugne  à  la  raison,  et 
loin  d'élever  l'homme,  elle  l'assimile  à  la  béte.  ^^ 


Mais  ce  n'est  pas  tout.  La  philosophie  ne  peut  s'empêcher  tfe 
concevoir  que  Dieu,  qui  est  libre  yis-à-vis  des  êtres  contingents, 
à  pu  librement  établir  avec  les  hommes  d'autres  relations  que  celles 
qui  sont  la  condition  indispensable  de  leur  existence  ;  que  dès  lors 
ces  relations  n'ayant  plus  rien  de  nccessaii'e  ne  peuvent  plus  être 
constatées  par  la  raison  pure,  mais  doivent  se  manifester  par  des 
faits  si  elles  existent.  C'est  donc  dans  les  faits  qu'il  faut  les  étudier, 
et  pour  les  connaître  il  faut  interrogei*  leurs  témoignages,  s'il  t  eu 
a.  Et  de  plus  la  saine  philosophie  exige  que  l'homme  se  rende 
compte  de  ces  nouveaux  rapports  avec  Dieu,  des  conséquences  qui 
en  résultent,  et  qu'il  en  observe  les  lois  dès  qu'il  est  convaincu  que 
Dieu  les  a  dictées. 

C'est  la  base  de  la  religion  surnaturelle.  Cette  religion  est  attes- 
tée par  tous  les  peuples  de  tous  les  temps;  elle  a  eu  et  a  encore  bien 
des  formes  difféi*entes  plus  ou  moins  dignes  de  Dieu,  mais  il  n'est 
aucun  peuple  qui  n'affirme  par  ses  croyances  et  par  ses  mœurs 
l'existence  d'une  l'eligion  autre  que  la  religion  naturelle.  Or  en 
présence  de  ces  faits  il  est  évident  que  toutes  ces  religions  si  oppo- 
sées les  unes  aux  autres  ne  viennent  pas  toutes  de  Dieu  ;  de  plus  k 
nature  môme  de  Dieu  nous  indique  que  Dieu  n'a  pas  pu  en  donner 
plusieurs,  et  par  conséquent  il  n'y  en  a  qu'une  qui  soit  la  vraie; 
entin  la  raison  nous  oblige  à  poser  en  principe  que  la  religion  qui 
est  la  seule  vraie  doit  avoir  des  témoignages  de  son  origine  divine. 
Donc  le  philosophe  qui  n'est  pas  certain  dô  posséder  la  vraie  reli- 
gion doit  s'il  veut  être  vraiment  philosophe  étudier  les  marques 
de  la  vraie  religion  et,  quand  il  l'aura  reconnue,  il  sait  d'avance 
que  son  devoir  sera  d'en  suivre  les  enseignements,  les  pratiques  et 
les  lois.  Nous  pouvons  ajouter  que  cet  exanaen  lui  démontrera  que 
la  seule  vraie  religion  qui  vient  de  Dieu,^  c'est  la  religion  catholique. 

28.  Difficultés  relatives  au  dogme  de  la  Providence.  — 

Cette  action  continue  de  Dieu  sur  les  créatures,  s'accorde  diffici- 
lement: 1*  avec  la  liberté  de  l'homme  ;  2*  avec  le  mal  qui  se  pro- 
duit dans  le  monde. 

1^  Liberté  de  l'homme.  —  Nous  avons  répondu  ailleun  à 
cette  difficulté.  Redisons  seulement  que  lorsque  deax  vérités  de 
différents  ordres  sont  constatées  séparément  par  le  genre  de  preuves 


CRKATI.ON     KT     rUOVlDKNClE  330 


qui  leur  convient,  il  n'est  pa«!  logique  de  prétondre  les  rejeter 
parce  qu'on  ne  sait  pas  comment  les  accorder.  D'ailleurs  il  y  a  au 
fond  de  cette  question  comme  au  fond  de  plusieurs  autres  que  nous 
venons  d'examiner  une  relation  entre  l'infini  et  le  fini  ;  et  nous 
ne  connaissons  pas  assez  Tun  et  l'autre  pour  savoir  comment  l'un 
agrit  sur  l'autre. 

2^  L'existence  du  mal.  —  Dieu  qui  est  Tôtre  parfait  ne  peut 
faire  le  mal,  ni  vouloir  qu'on  le  fasse*  Si  donc  il  gouverne  le  monde, 
il  semble  qu'il  ne  devrait  pas  y  tolérer  le  maU  Et  pourtant  il  y  u 
du  mal  dans  le  monde. 

11  y  a  d'abord  le  mal  physique  :  difformités  physiques  telles  que 
la  douleur,  les  maladies,  la  mort^  et  tous  les  accidents  qui  détrui- 
sent en  tout  ou  en  partie  certains  êtres. 

Il  y  a  ensuite  le  mal  moral,  qui  cûnsi3te  dans  les  fautbs  ou  les 
crimes  des  hommes  et  en  général  dans  tout  acte  opposé  ti  la  jus- 
tice ou  &  la  charité.  Il  y  en  a  qui  considèrent  comme  une  injustice 
l'inégalité  des  conditions  et  les  souÔrances  des  hommes  vertueux. 

29.  Réponse  aux  difficultés  tirées  de  Tezistence  du  mal. 
—  Mal  physique.  —  !•  Le  mal  physique  n'a  rten  de  contraire  aux 
perfections  de  Dieu  ;  il  n'attaque  que  des  êtres  i  ontingents  ;  il  ne 
viole  que  des  lois  contingentes  et  particulières. 

2?  En  détruisant  des  êtres  paHiculiera,  les  accidents  que  nous 
appelons  des  maux  physiques  procurent  un  bien  général.  Tels  sont  : 
les  tempêtes,  les  orages,  les  volcans,  la  foudre,  les  épidémies  et 
môme  les  maladies  ordinaires.  On  peut  en  dire  autant  de  la  pau- 
vreté et  de  toutes  les  privations  corporelles. 

3*  Les  maux  physiques  sont  souvent  le  résultat  des  actes  libres 
des  hommes  ;  et  dans  ce  cas  on  ne  saurait  les  imputer  à  Dieu. 

4^  Si  Dieu  nous  envoie  des  maux  ou  permet  que  nous  en  causions 
à  nous  mômes  ou  aux  autres,  c'est  pour  en  tirer  le  bien,  soit  des 
individua  mêmes  qui  en  sont  affligés,  soit  de  la  société.  Ces  maux 
sont  souvent  un  châtiment  pour  les  coupables  ;  plus  souvent  une 
correction  utile  ou  une  épreuve. 

Ainsi  ce  que  nous  appelons  le  mal  physique  est  toujours  un  bien 
moral  devant  Dieu,  et  quelquefois  mîme  un  bien  physique.  C'est 
pour  cela  que  sa  Providence  le  permet  ou  même  le  fait. 


340  THKODICÉE 

30.  Mal  moral.  -^  Le  mal  moral  est  toujours  le  fruit  de  laliberté 
de  l'homme  et  ne  peut  venir  de  Dieu,  car  il  répugne  à  saperfectiua 
infinie.  Donc  Dieu  ne  le  fait  pas,  mais  il  le  tolère.  Or  : 

1**  Dieu  tolère  le  mal  moral  pour  laissera  l'homme  la  liberté. 

2^  Dieu  sait  tirer  le  bien  même  du  mal  moral. 

3*  Dieu  rendra  après  la  mort  à  chacun  selon  ses  œuvres  et  tout 
rentrera  dans  l'ordre. 

Mais  pourquoi  Dieu  crée-t-il  l'homme  libre,  sachant  qu'il  dml 
en  faire  un  mauvais  u^age  ?  Dieu  donne  la  liberté  à  l'homme: 

1«  Parcequ'elle  donne  à  l'homme  sa  plus  haute  dignité. 

2*  Parcequ'elle  lui  permet  de  mériter  son  bonheur. 

3*  Parcequ'il  est  plus  glorieux  pour  Dieu  d'être  servi  par  des 
créatures  intelligentes  et  libres  que  par  des  machines,  et  qoe 
d'ailleurs  la  liberté  est  une  conséquence  métaphysique  de  YiniA- 
ligenee  raisonnable,  comme  la  possibilité  de  pécher  est  une  consé- 
quence de  la  liberté  dans  une  créature,  &  raison  de  son  imperfec- 
tion essentielle. 

Ainsi  la  Providence  de  Dieu  tolôre  le  malnaoral,  sans  qu'il  j 
ait  en  cela  rien  de  contraire  à  la  perfection  de  Dieu. 


MORALE 


GÉNÉRiLIIÉS 


1.  Sens  du  mot.  — Le  mot  morale  vient  du  latin  et  il  a 
pour  origine  le  mot  moresy  lequel  désigne  l'ensemble  des  actes 
libres  d'un  homme  ou  du  peuple.  On  trouve  dans  un  même  fonds 
d'idées,  en  grec  :  |jlik!>v,  muscle,  ^\aù^  cligner  les  jeux;  en  latin  : 
moveoj  motum,  miUare,  mos,  moris  ;  en  français  :  mutcle^ 
mouvement,  mue^  etc.  C'est  toigoursTidéede  mouvement,  exprès 
sion  sensible  de  l'acte,  môme  spirituel,  et  c'est  ainsi  qu'on  a  appelé 
mores f  mouvements  ou  actes,  les  actes  par  excellence,  c'est-À-dire 
les  actes  libres.  Donc,  par  Tétymologie,  la  morale  se  rapporte  avx 
actes  libres. 

2.  Ol^et  de  la  morale.  Telle  que  nous  Tentendons  ici  la  morale 
est  une  science  dont  l'objet  est  un  ensemble  de  lois,  et  ces  lois  ont 
pour  siget  les  actes  libres,  que  l'on  appelle  aussi  actes  humains. 
La  morale  a  donc  pour  objet  la  loi  ou  les  loU  des  actes  humains, 
ou  en  d'autres  termes  la  loi  morale. 

En  effet  il  ne  faut  pas  confondre  la  loi  morale,  avec  la  morale, 
qui  est  la  science  de  cette  loi. 

3.  Définition.  —  La  morale  est  donc  la  science  de  la  loi  morale, 
ou  la  science  des  lois  morales  des  actes  humains. 

Nous  avons  déjà  eu  Toccasion,  plusieurs  fois  dans  ce  cours,  de 
dire  ce  qu'il  faut  entendre  par  une  loi  morale.  Nous  en  parlerons 
plus  longuement  dans  cette  partie  :  rappelons  seulement  ici  pour 
l'intelligence  delà  définition  que  les  lois  morales  sont  les  règles  du 
bien  dans  les  actes  libres  et  qu'elles  sont  appelées  morales  autant 
parce  que  les  relations  qu'elles  régissent  sont  libres,  que  parce  qu'elles 


342  MORALE 

les  ivf^isseiit  en  les  laissant  libres.   Cette  sorte  d'action    d'ane  W 
s'appelle  obligation  ou  obligation  morale. 

4.  Division.  —  Nous  arpcs  donc  à  étudier  d*abord  la  loi  morak 
en    général    et  ensuite  les  lois    morales  dans  leurs   différentes 

espèces. 

-  Chavithk  1". 

DE  LA  LOI  MORALE,  EN  GÉNÉRAL 


.5.  Objet  et  division  de  ce  chapitre.  —  Pour  bien  connaître 
la  loi  morale,  nous  en  chercherons  la  définition,  la  natui-e,  Texi»- 
tencc,  l'origine,  le  sujet,  Taction  et  la  sanction. 

Ahtïcle  !•'. 
DÛiNITiON  DE  Li  LOI  liO&ALS. 

G.  Recherche  de  cette  définition.  —  Les  lois  sont  le:$  règles 
des  relations.  La  loi  morale  doit  donc  être  la  règle  morale  des  lo- 
tions morales.  Mais  qu'est-ce  qu'une  règle  morale  et  qu^est-^ce  que 
des  relations  morales?  Nous  avons  vu  en  métaphysique  qa'ufle 
règle  morale  est  celle  qui  dirige  une  relation  sans  la  nécessiter  ni 
la  forcer,  mais  en  lui  laissant  sa  détermination  spontanée  et  libre. 
La  règle  morale  indique  ce  que  doit  être  la  relation  qu'elle  rferitt 
mais  elle  ne  la  force  ni  ne  la  nécessite  pas  A  être  ce  qu'elle  doit  être. 
Los  relations  morales,  d'après  ce  que  nous  avons  vu  aussi  en  mêta- 
pliyjsiciue,  sont  des  relations  libres,  et  par  conséquent  sont  des  ad» 
libres  ou  au  moins  en  résultent. 

Mais  cette  règle  elle-même  doit  avoir  une  essence  déterminée,  et 
cette  détermination  est  nécessaire  pour  la  bien  définir.  Ëa  réglant 
les  actes  libres  elle  doit  leur  imposer  une  forme,  un  ordre  ;  car 
toute  loi  est  un  ordre.  Quel  est  donc  cet  ordre  qui  constitue  la  loi 
morale?  Cet  ordre,  au  sens  de  tout  le  monde»  c'est  le  bien,  La  \ck 
morale  régit  les  actes  libres  pour  les  rendre  bons  ;  elle  indique  ie> 
conditions  de  la  bonté  des  actes  libres,  en  sorte  que  Tordre  essentiel 
qui  constitue  la  loi  morale,  c'ostle  bien.  Donc  : 


DE    LÀ     LOI    MORALE     EN    GÉNÉRAL  343 

7.  Définition.  —  La  loi  morale  est  la  règle  du  bien  dans  les 
a<3tes  libres. 

Elle  ne  règle  que  les  actes  libres  ;  elle  les  [laisse  libres  ;  eUe  en 
règle  la  bonté. 

Tout  acte  libre  est  bon  ou  mauvais,  selon  qu'il  est  conforme  ou 
non  à  la  loi  morale. 

Article  2*. 

nâturb  de  la  loi  morale. 

8.  Principe  de  la  question.  —  Si  la  loi  morale  dirige  les 
actes  libres  des  hommes,  si  elle  détermine  ce  qu'ils  doivent  être 
pour  être  bons,  c'est  elle  qui  doit  nous  dire  quand  et  comment  nous 
devons  agir  ;  elle  doit  donc  nous  déterminer  à  agir.  Si  donc 
nous  voulons  savoir  en  quoi  consiste  la  loi  raoi*ale,  nous  devons  la 
chercher  parmi  les  principes  qui  nous  déterminent  à  agir  de  telle 
ou  telle  manière,  dans  les  motifs  do  nos  déterminations.  D'ailleurs 
ce  n'est  pas  en  étudiant  les  actes  libres  que  nous  pourrions  en  con- 
naîtra les  lois,  puisqu'ils  n'y  sont  ni  nécessairement  ni  forcément 
conformes. 

9.  Motifs  de  nos  déterminations.  —  L'àme  est  libre  dans 
sea  actes,  mais  cette  liberté  n'empêche  pab  qu'elle  ne  suive  dans 
ses  actes  certaines  attractions  ou  répulsions,  qu'elle  ne  soit  invitée 
à  agir  par  différents  motifs. 

Ces  motifs  peuvent  se  résumer  en  quatre  :  les  sensations,  les 
sentiments,  l'intérêt,  le  bien  absolu. 

10.  Les  sensations.  —  L'attrait  du  plaisir,  ou  la  répulsion  de 
la  douleur  corporelle,  sont  souvent  pour  les  hommeè  de  puissants 
motifs  d'agir.  Evidemment  les  sensations  sont  faites  pour  nous 
engager  à  faire  avec  plus  d'ardeur  certains  actes  que  nous  omet- 
trions sans  cela  et  qui  sont  utiles  et  même  nécessaires  à  la  conser- 
vation soit  des  individus  soit  de  la  famille  et  de  la  société. 

Cependant  les  sensations  n'ont  pas  le  caractère  de  lois.  Ce  carac- 
tère c'est  l'obligation  et  l'universalité .  La  conscience  ne  nous  dit 
pas  que  nous  ne  devions  pas  résister  aux  sensations  ;  au  contmirc 
au  jugement  universel  du  genre  humain  la  sensation,  doit  souveu 


344  MORALE 

être  méprisée.  Et  d*ailleurs  l'expérience  constate  qa*il  est  [de  notre 
intérêt  de  ne  pas  la  suivre  tocgours.  De  plus,  les  sensations  loi& 
d'avoir  le  caractère  de  l'universalité  sont  essentiellement  YariahleSy 
elles  diffèrent  avec  les  individus,  et  même  dans  un  môme  indîvîdn 
elles  diffèrent  avec  les  circonstances.  Les  sensations  ne  sont  donc 
pas  la  loi  morale. 

11.  Les  sentiments.  —  Sous  nne  forme  purement  spirituelle 

les  sentiments  exercent  sur  notre  âme  une  attraction  ou  une  répul- 
sion analogue  à  celles  des  sensations.  Ils  ont  d'ailleurs  an  but  ana- 
logue, celui  de  nous  entraîner  à  certains  actes  pour  nous  las  faire 
faire  plus  facilement. 

Mais,  pas  plps  que  les  sensations,  les  sentiments  n'ont  le  carac- 
tère de  lois.  Ils  ne  se  montrent  pas  comme  obligatoires,  ou  du 
moins  ils  admettent  des  obligations  plus  puissantes  et  plus  Inti- 
mes devant  lesquelles  ils  doivent  céder  ;  ils  vaiûent  avec  lœ  indi- 
vidus et  les  circonstances.  D'ailleurs,  comme  les  sensations.  Us 
entraînent  l'homme  à  agir,  mais  ils  tendent  à  le  faire  agir  sans 
réflexion  et  par  suite  sans  liberté.  Les  sentiments  ne  sont  donc  pas 
la  loi  morale. 

12.  L'intérêt.  —  Au  dessus  des  sensations  et  des  sentiments 
vient  se  placer,  comme  motif  d'action,  l'intérêt.  Non  pas  rintérêt 
matériel  de  la  richesse  mais  l'intérêt  complet  de  l'homme,  de  la 
famille  et  de  la  société.  Quand  cet  intérêt  parle,  les  sensations  et 
les  sentiments  doivent  se  taire  et  le  laisser  seul  déterminer  nos 
actes.  Ainsi  l'homme  sacrifie  un  de  ses  membres  pour  sauver  son 
corps  ;  ainsi  la  mère  gourmande  et  châtie  son  enfant  qu'elle  aime 
et  lui  retire  ses  caresses  pour  le  rendre  meilleur.  Ainsi  encore  l'ou- 
vrier condamne  son  corps  à  un  rude  travail  pour  gagner  le  pain  qui 
doit  le  nourrir  ;  ou  bien  iï  renonce  à  ses  affections  les  plus  chères  et 
quitte  môme  son  pays  pour  aller  demander  à  un  pajs  lointain  des 
ressources  pour  ses  parents  vieux  et  infirmes. 

Si  l'intérêt  n'indiquait  jamais  que  des  actes  semblables,  il  aurait 
bien  le  caractère  de  la  loi.  Mais  d'un  autre  côté,  si  l'intérêt  est  la 
loi  suprême,  s'il  est  la  seule  loi  morale,  qui  dira  l'acte  qu'il  faut 
choisir,  lorsque  deux  intérêts  se  contredisent?  Et  d'ailleurs  n'est-il 
pas  facile  de  voir  que.  les  calculs  de  l'intéi-êt  ne  sont  pas  toi^ours 


NATURE  DB   LA    LOI   MORALE  ^5 

nobles?  Cela  est  si  vrai  que  nouB  n'admirons  jamais  un  acte  inspiré 
par  Tintérét,  tandis  que  certains  actes  nous  transportent  d'admi- 
ration. 

Donc  si  l'tntérôt  porte  avec  lui  un  certain  caractère  d'obligation, 
la  conscience  nous  dit  que  souvent  il  doit  céder  devant  un  motif 
plus  élevé.  De  plus  son  caractère  d'universalité  n'est  pas  assess  bien 
marqué,  et  il  lui  reste  encore  quelque  chose  de  trop  individuel, 
pour  constituer  nne  loi  absolue.  Donc  encore,  l'intérêt  n'est  pas  la 
loi  morale. 

13 .  Le  bien  absolu.  —  Au  dessus  de  l'attraction  des  sensa- 
tions par  lesquelles  nous  agirions  comme  les  bêtes,  au-dessus  de 
l'attraction  des  sentiments  par  lesquels  nos  actes  ne  seraient  pas 
assez  libres  et  trop  capricieux ,  au-dessus  de  l'intérêt  nciéme  bien 
réglé  qui  n'offre  ni  assez  de  noblesse  ni  assez  d'universalité,  se 
trouve  l'idée  du  bien,  idée  natarelle  à  notre  &me  comme  le  vrai 
et  le  beau,  avec  lesquels  elle  ne  fait  qu'un  et  constitue  la  raison 
elle-nndme.  Cette  idée  est  universelle,  identique  chez  tous  les  hom* 
mes  ;  elle  porte  avec  elle  le  caractère  de  l'obligation,  car  c'est  ainsi 
que  nous  la  concevons  et  c'est  même  par  là  que  nous  la  distinguons 
du  vrai  et  du  beau.  Le  vrai  c'est  ce  qu'il  faut  savoir  ;  le  beau,ce 
qu'il  faut  aimer;  le  bien,  ce  qu'il  faut  faire.  Telle  est  l'idée 
que  nous  en  avons  tous.  Et  cette  obligation,  qui  est  le  fond  même 
de  ridée  du  bien,  est  telle  que  la  conscience  universelle  conçoit  le 
bien  comme  devant  être  accompli  quand-môme.  Tous  les  autres 
motifs  d'action,  et  l'intérêt  lui-même,  doivent  céder  devant  celui-là 
parce  qu'il  est  le  plus  noble  de  tous,  parce  qu'il  est  universel, 
absolu,  éternel  et  nécessaire.  C'est  donc  Tidée  dii  bien  absolu  qui 
est  la  loi  morale. 

14. Fausses  idées  de laloi  morale.  —  Chacun  des quatres mo- 
tifs de  nos  actions  a  été  considéré  par  quelques  philosophes  comme 
constituant  la  loi  morale. 

Ëpicure  plaçait  la  loi  morale  dans  les  plaisirs  de  l'intelligence  ; 
ses  disciples  la  placèrent  dans  les  plaisirs  des  sens.  Platon  lui- 
même,  quoique  montrant  ailleurs  de  plus  noblas  doctrines,  a,  dans 
sa  Républiqtie,  placé  l'intérôt  au-dessus  de  tout  et  n'a  pas  craint, 
lorsqu'il  croyait  l'atteindre  par  là,  de  tracer  des  lois  ignobles.  Les 


346  MORALE 

moralistes  anglaiK  du  18*  sidcle,  Shafiesbury,  Cumberiaad  et  Àd^si 
Smith  voulurent  faire  du  sentiment  Tunique  règle  de  no6  acta; 
avant  eux  Larochefoucauld  avait  donné  comme  unique  mohk 
sinon  comme  unique  règle  de  nos  actions  Tinterai  ou  l'amoor-pi^- 
pre.  Cette  doctrine  est  partagée  par  beaucoup  d'hommes  de  noBJocrs. 
Plus  récemment  encore  l'école  de  Kant,  en  Allemagne,  et  Téoak 
empirique,  qu'on  appelle  TEoole  anglaise,  aussi  bien  que  le  Posiu- 
visme  français,  ont  pris  pour  base  de  la  loi  morale  ce  qu'ils  ont  appe- 
lé les  sentiments  altruistes^  et  ils  ont  posé  comme  principe  de  îa 
loi  morale  cette  définition  ou  Torgueil  se  révèle  dans  sa  plus  hidee- 
se  nudité  :  a  Le  devoir,  c'est  la  liberté  se  prenant  elle-m^me  ponr 
fin.  » 

15.  Essence  du  bien  qui  est  la  loi  morale.  —  Pour  avoir 
une  idée  complète  de  la  loi  morale,  qui,  comme  nous  Ta  vous  m. 
n'est  autre  que  l'idée  du  bien,  il  faut  savoir  en  quoi  consiste  le  bias. 
Une  comparaison  avec  le  vrai  que  nous  conaissons  mieux  noas 
fera  découvrir  ce  que  nous  cherchons,  puisqu'au  fond  le  vrai  et  fc 
bien  ne  différent  que  par  ce  point  de  vue,  que  Tun  est  Tobjet  del» 
connaissance,  l'autre,  de  l'activité. 

Or  le  vrai  dans  la  connaissance  est  la  conformité  exacte  de  b 
pensée  avec  son  objet  intentionnel.  De  même  le  bien  dans  l'activité 
est  la  conformité  de  Tacte  libre  avec  sa  fin  essentielle  qui  en  e*t 
nécessairement  Tobjet  intentionnel.  Tout  acte  a  essentieUemeat 
une  fin  et  cette  fin  il  doit  Tatteindre  sous  peine  d'être  difforme  et 
d'être  ainsi  privé  de  sa  perfection.  Ainsi  la  parole  est  de  sa  natu- 
re destinée  à  exprimer  la  pensée  ;  si  donc  elle  exprime  autre  chose 
elle  est  difforme  :  c'est  un  mensonge;  c'est  un  mal.  L'action  de 
manger  et  de  boire  est  do  sa  nature  destinée  à  entretenir  le  oorp 
et  non  à  procurer  une  sensation  agréable  :  donc,  manger  ou  boirr 
pour  le  seul  plaisir  sensuel,  et  contrairement  aux  besoins  du  oorp5, 
est  un  acte  diftorme  :  c'est  un  mal. 

De  plus,  le  vrai  en  lui-môme,  considéré  d'une  manière  abstraite, 
en  dehors  de  tout  objet  intentionnel,  le  vrai  absolu  qui  se  confond 
alors  avec  la  possibilité,  consiste  dans  la  conformité  ou  la  conuexi^ 
logique  entre  lefvdifférents  éléments  d'un  fait  ou  d'une  pensée.  La 
[)ensé6,  la  conception  abstraite  est  vraie  à  la  condition  que  tous  kt§ 


NATURE    DE    LA    LOI    MORALE  347 

éléments  qui  la  composent  puissent  ou  doivent  logiquement  for- 
mer un  fait  S'ils  peuvent,  s'il  y  a  entre  eux  conformité,  c'est  la 
conception  d'un  fait  possible;  s'ils  doivent,  s'il  y  a  connexion 
log-iqne  entre  eux,  c'est  la  conception  d'une  vérité  nécessaire. 

11  en  est  de  môme  du  bien  absolu.  Un  acte  abstrait  est  bon  à  la 
condition  que  tous  les  éléments  qui  y  entrent  puissent  ou  doivent 
ntoralement  former  un  acte  ;  il  doit  y  avoir,  entre  les  éléments  d'un 
acte  libre,  conformité  ou  connexion,  moiule.  S'il  y  a  conformité 
Tacte  est  moralement  possible  :  c'est  un  acte  licite  ;  c'est  un  droit. 
S'il  y  a  connexion,  l'acte  est  moralement  nécessaire  :  c'est  un  devoir. 
SMl  n'y    a  ni  connexion  ni  conformité,  l'acte  est  moralement 
impossible  ;  il  est  mauvais  :  c'est  une  faute  ou  un  crime.  Ainsi  un 
hommeest  debout  sur  le  bord  d'une  route,  et  n'a  pas  d'autre  an 
que  de  8*y  reposer  pour  continuer  ensuite  son   voyage  et  revenir 
chez  lui  :  il  peut  partir  quand  il  voudra  ;  mais  l'orage  s'annonce 
prochainement  et  il  n'aura  que  le  temps  d'arriver,  et  en  restant 
plus  longtemps   il  expose  sa  santé:  il  doit  partir;  mais  il  est  lA 
pour  surveiller  les  mouvements  de  l'ennemi  et  donner  l'alarme  : 
moralement  il  ne  peut  pas  partir.  Bans  le  premier  cas  le  sujet,  la 
nature  et  la  fin  de  son  acte  concourent  à  former  un'  acte  possible  ; 
dans  le  second  cas,  la  fin   qui  est  cbangée   vient  y  établir  une 
connexion  :  l'acte  est  un  devoir  ;  dans  le  troisième,  la  nature  de  son 
acte  répugne  à  la  fin  pour  laquelle  il  est  là,  et  l'acte  devient  mora- 
lement impossible  :  c'est  un  crime. 

16.  Double  forme  de  la  loi  morale.  — 11  résulte  de  l'essen- 
ce même  du  bien,  fondement  de  toute  loi  morale,  une  double  condi- 
tion pour  les  actes  libres.  Cette  double  condition,  c'est  le  droit  et  le 
devoir  dont  nous  parlerons  bientôt. 

Les  combinaisons  du  droit  et  du  devoir  donnent  ensuite  à  la  loi 
une  double  forme  :  la  loi  de  justice  et  la  loi  de  chaHté,  La  loi  de 
justice  suppose  que  celui  .qui  est  l'objet  ou  le  terme  d'un  devoir  de 
la  part  d'un  autre  est  déterminé.  La  justice  est  commiitative  ou 
diUributive.  Si  la  personne  qui  est  le  terme  d'un  devoir  est  pai^ 
faitemeut  déterminée  pour  celui  à  qui  incombe  le  devoir,  elle  a  le 
droit  d'en  réclamer  l'accomplissement  :  c'est  le  rapport  de  justic* 
commutative ,  Si,  au  contraire,  la  personne  qui  est  le  terme  d'un 
devoir  n'est  déterminée  que  par  un  principe,  sans  qu'il  soit  évident 


348  MORALE 

que  c'est  elle  que  ce  principe  déeigae,  elle  n'a  pas  le  droit  de  lédi- 
mer  raccompUssement  du  devoir.  C*est  le  rapport  de  JwtM? 
dtstributive.  L'obligation  pour  un  chefd'état  de  donner  les  ehtfgeê 
aux  plus  dignes  est  un  devoir  de  justice  distributive.  La  ki  ^ 
chanté  impose  un  devoir  non  moins  rigoureux  mais^dont  le  terne 
et  l'objet  sont  indéterminés  ;  en  sorte  que  celui  qui  pourrait  a 
être  l'objet  ou  le  terme  n'a  jamais  le  droit  d'en  exiger  l'aecompl»' 
sèment.  Ces  deux  formes  de  la  loi  morale  :  justice  et  charité,  boa 
connues  sous  ces  deux  expressions  populaires  :  «  Ne  faites  ptu  éur 
autres  ce  que  vous  ne  voudriez  pas  que  Von  voum  fit.  Alteri  v 
feceris  quod  tihi  fieri  rum  vis.  »  —  «  Faites  auœ  autres  ce  ç« 
vous  voudriez  que  l'on  voies  fît,  Quod  vultis  ut  faciant  vckt 
homines  et  vos  fadte  illis  ». 

La  première  est  aussi  ancienne  que  le  monde  et  nous  la  trooTOBi 
dans  plusieurs  philosophes  Grecs,  Indiens  et  Chinois.  La  seconde* 
été  énoncée  pour  la  première  fois  pat  Jésus-Christ  et  s'est  répaadrte 
dans  le  monde  par  l'Evangile. 

Article  3* 
ACTION  DE  LA  LOI  MORALE  SUR  LES  AGfTBS  LIBRKS. 

17.  Nature  de  cette  action.  —  La  loi  morale  règle  les  ad* 
librea  mais  en  les  laissant  libres  ;  tandis  que  toute  relation  «û^ 
nécessairement  ses  lois  métaphysiques  et  forcément  ses  lois  phy- 
siques. Aussi  Faction  de  la  loi  morale  s'appeUe  obligation  La  \^ 
morale  oblige;  il  faut  la  suivre  ;  mais  dans  tous  les  cas  on  U^oi^ 
libren>ent.  La  loi  morale  se  manifeste,  elle  dit  comment  il  faut  faire 
un  acte  pour  qu'il  soit  bon,  etd(>s  lors  l'acte  ne  peut  être  bon  qû* 
la  condition  de  suivre  la  loi  morale. 

18.  Instrument  de  cette  action.  —  Cette  obligation  que  i& 
loi  morale  exerce  sur  les  actes  libres  ne  se  produit  qu'en,  tant  qw 
la  loi  se  manifeste  au  sujet  qui  fait  l!acte.  Il  faut  donc  que  ia  loi 
soit  connue  de  celui  qui  agit  pour  qu'elle  Toblige.  La  connais&iiw* 
de  la  loi  est  donc  l'instrument  par  lequel  la  loi  morale  impose  soa 
obligation.  Et  cet  instrument  est  nécessaire  à  l'obligation  :  nof 
loi  mor.ile  inconnue  ne  saurait  obliger.    Tandis  que    rignoranff 


ACTION  DE  LA  LOI   MORALK  SUR   LES  ACTES  LIBRES  349 

n'empêche  pas  qu'un  homme  suive  forcément  dans  ses  actes  toutes 
les  lois  physiques.  Cette  connaissance  de  la  loi  morale,  a  un  nom 
particulier. 

19.  Conscience  morale.  —  On  appelle  conscience  morale ^ 
la  connaissance  de  la  loi  morale  des  actes  libres  en*  général.  C'est 
une  conscience,  car  c'est  une  connaissance  intime  et  en  un  sens  pro- 
pre à  chaque  individu  et  relative  aux  actes  de  cet  individu.  On 
donne  à  cette  conscience  l'épithète  de  morale^  pour  la  distinguer 
de  la  conscience  qui  est  un  fait  de  simple  connaifisanoe,  sans  liaison 
avec  les  actes  à  faire. 

Les  théologiens  et  quelques  philosophes  appellent  syndêrèse  la 
connaissance  qu'un  homme  possède  de  la  loi  morale,  et  réservent  le 
nom  àe conscience  morale  pour  le  jugement  que  l'homme  porte  ' 
sur  la  bonté  ou  la  malice  des  actes  libres  qu'il  accomplit. 

20.  DÎTersité  de  la  conscience  morale.  —  Quoique  la  loi 
morale  soit  universelle,  la  conscience  morale  qui  en  est  la  connais- 
sance n'est  pas  la  môme  chez  tous  les  hommes.  Elle  a  bien  chez 
tous  un  fonds  commun;  mais  dans  les  détails  des  différents  actes 
elle  varie  avec  les  individus,  et  avec  Finstruction  morale  qu'ils  ont 
reçue  ou  développée  en  eux.  Souvent  môme  les  passions  parvien- 
nent  à  la  fausser  malgré  l'instruction.- 

21.  Traie  et  fausse  conscience.  — 11  y  a  donc  une  conscience 
morale  vraie  :  elle  consiste  dans  la  connaissance  exacte  de  la  loi 
morale  de  tel  ou  tel  acte  ;  et  une  conscience  fausse,  qui  n'est  autre 
chose  qu'une  erreur  sur  la  môme  loi  morale. 

22.  Obligation  de  la  conseienoe.  —  Quelle  que  soit  la  cons- 
cience morale,  c'est  elle  qui  est,  pour  chaque  individu,  au  moment 
d'agir,  sa  véritable  loi  morale,  car  la  loi  n'oblige  qu'en  tant  qu'elle 
est  connue  ;  elle  oblige  donc  telle  qu'elle  est  connue.  Donc,  en 
dernière  analyse,  c'est  la  conscience  qui  oblige.  En  sorte  qu*un 
homme  qui  en  commettant  un  crime  croirait  faire  une  bonne  action 
et  accomplir  un  devoir,  devrait  le  faire  ;  tandis  que  celui  qui  croit 
mauvais  un  acte  bon  en  lui-même  doit  s'en  abstenir. 

23.  Nécessité  d'éelairer  sa  ooasoienoe.  —  Si  la  malice 
d'un  acte  n'avait  aucune  conséquence  physique^  on  pourrait  agir 


350  MORALK 

d'après  sa  conscience  sans  s'inquiéter  de  la  vérité  de  ses  déeisiûK: 
mais  les  conséquences  physiques  fâcheuses  qui  résultent  nécessai- 
rement d'un  acte  mauvais  exigent  que  nous  prenions  les  mojtsi 
de  rectifier  notre  conscience  quand  elle  est  mal  éclairée. 

24.  Conséquences  de  T  action  de  la  loi  morale.  Droits  et 
devoirs.  —  L'ohiigation  de  la  loi  morale  se  présente  sous  âne 
double  forme.  En  réglant  la  forme  d'un  acte  elle  ne  le  donne  pas 
toujours  comme  nécessaire  ;  quelquefois  aussi  ello  le  préseate 
comme  movsÀement  possible.  Tantôt  elle  dit  :  a  II  faut  faire  cela  •: 
c'est  le  de  voir;  tantôt  elle  dit:  «  On  peut  faire  cela»;  alors  l'acte  es 
licite.  Et  si  elle  ajoute  :  «  Il  ne  faut  pas  aller  au  delà  »,  elle  limite 
le  droit.  Ainsi  la  loi  morale  trace  tout  à  la  fois  le  droitet  le  devoir. 

25.  Le  droit.  —  Le  droit  c'est  la  légitimité  d'un  acte.  On  peflt 
user  ou  ne  pas  user  de  son  droit  ;  mais  on  ne  peut  pas  Tontre- 
passer. 

26.  Le  devoir.  —  Le  devoir  c'est  l'obligation  de  faire  un  acte. 
11  arrive  souvent  que  Ton  peut  le  dépasser,  mais  on  ne  peut  jamal« 
l'omettre. 

27.  Nature  du  droit  et  du  devoir.  —  Le  devoir  est  nae 
connexion  morale  entre  un  acte  et  son  siget,  dans  telles  circoo»- 
tances.  Etant  donné  tel  homme  dans  telles  circonstances,  il  ^ 
résulte  nécessairement  qu'il  doit  faire  tel  acte.  Il  y  a  donc  conne- 
xion morale  entre  le  siget  et  l'acte.  Tel  est  le  devoir. 

Le  droit  est  aussi  une  connexion  morale,  non  plus  entre  le  suj^ 
et  l'acte,  mais  entre  le  sujet  et  le  pouvoir  physique  de  faire  e>?^ 
acte.  Etant  donné  tel  homme  dans  telles  circonstances,  il  s'easait 
nécessairement  qu'il  doit  pouvoir  faire  tel  acte.  Il  y  a  donc  con- 
nexion morale,  entre  le  sti^jet  et  le  pouvoir  de  faire  l'acte.  C'est  aifl^ 
que  tout  le  monde  entend  le  droit, 

28.  Origine  du  droit.  —  Pour  qu'il  y  ait  connexion  momlt| 
entre  le  si\jet  d'un  acte  et  le  pouvoir  de  faire  cet  acte,  en  d'aut 
termes,  pour  qu'il  soit  moralement  nécessaire  que  tel  homme  ait! 
pouvoir  de  faire  tel  acte,  il  faut  que  tous  les  éléments^ de  cet  act 
lui  appartiennent.  L'essence  môme  des  choses  indique  cette  condi 
tion.  En  effet  :  quelle  connexion  morale  peut-on  trouver  entre  b*| 


ACTION   DK  LA  LOI  MORALK  SUR    LES  ACTES    LIBRES  351 

Jîomme  et  le  pouvoir  d'agir  sur  ce  qui  appai'tient  à  un  autre  homme  ? 
Et  de  plus,  quand  tous  les  éléments  d*un  acte  appartiennent  à  un 
homme,  où  pourrait-on  voir  qu'il  n'est  pas  juste  qu'il  puisse  faire 
cet  acte  ?  Donc  un  homme  a  le  droit  de  faire  un  acte,  parceque  les 
éléments  de  cet  acte  lui  appartiennent  et  par  cette  seule  raison. 

Donc  la  propriété  de  tous  les  éléments  d'un  acte  suffit  pour 
engendrer  le  droit  à  faire  cet  acte,  et  seule  cette  propriété  peut 
engendrer  ce  droit.  Donc,  en  prenant  le  mot  propriété  dans  le 
sens  le  plus  général  possible  :  Torigine  du  droit,  la  source  du  droit, 
c'est  la  propriété  et  uniquement  la  propriété. 

Le  droit  se  mesure  donc  à  l'étendue  de  la  propriété  :  il  ne  doit 
ni  être  moindre,  ni  s'étendit  au  delà.  Aussi  le  droit  se  trouve  limité 
par  les  limites  mômes  de  la  propriété  ;  il  est  partagé  dès  que  la 
propriété  se  partage  ;  il  périt  dès  que  la  propriété  cesse. 

Ce  principe  métaphysique  etparfaiteraent'dôterminé  nous  servira, 
dans  la  seconde  partie  de  la  morale,  à  déterminer  aussi  les  limites 
des  droits,  dans  léui's  différentes  classes. 

29.  Origine  du  devoir.  —  Ppur  qu'il  y  ait  connexion  morale 
entre  le  sujet  et  son  acte,  pour  qu'un  homme  soit  obligé  de  faire 
tel  acte  sous  peine  de  pécher  contre  la  loi  morale,  il  faut  que 
cet  acte  appartienne  à  un  autre,  il  faut  qu'un  autre  ait  le  droit 
d'exiger  de  lui  cet  acte.  En  sorte  que  tout  devoir  suppose  un  droit 
corrélatif.  ^ 

Cette  corrélation  du  devoir  et  du  droit  se  voit  très  bien  dans  les 
devoirs  de  justice  commutative,  où  celui  qui  est  l'objet  ou  le  terme 
du  devoir  s^  toujours  le  droit  d'en  réclamer  l'accomplissement.  Et 
si  on  voit  moins  cette  corrélation  dans  les  devoirs  de  justice  distri- 
bu tive  et  dans  les  devoirs  de  charité,  ce  n'est  pas  que  le  droit  n'e- 
xiste pas,  mais  c'est  que  le  stget  de  ce  droit  n'est  pas  déterminé. 
Dans  ce  cas,  c'est  le  genre  humain  ou  la  société,  ou  plutôt  quel- 
ques membreB  indéterminés  du  genre  humain  ou  de  la  société  qui 
sont  propriétaires  de  l'acte  de  l'autre.  En  sorte  que  celui-ci  a  bien 
le  devoir  d'aider  ses  semblables,  mais  aucun  d'eux  en  particulier 
ne  peut  exiger  de  lui  l'accomplissement  de  ce  devoir  ;  car  il  pour- 
répondre  à  chacun  d'eux  :  Ce  n'est  pas  &  vous  que  je  le  dois  ;  je 
puis  donner  U  d'autres.  ^ 


352"  MORALE 

Donc  encore  Torigine  du  devoir  c'est  la  propriété,  mais  ici  elfe 
est  dans  un  ordre  contraire.  La  propriété  engendi*e  le  droit  m 
faveur  du  propriétaire,  et  le  devoir  dans  le  sujet  de  Tacte  qui  est 
la  propriété  d'un  autre.  Ainsi  tout  acte  qui  est  la  propriété  doi 
autre  engendre  dans  son  s^jet  le  devoir  de  Faccomplir. 

30.  Fausse  idée  de  rorigine  dn  droit.  —  Quelques  pbîkH 
sophes  modernes  ont  cru  trouver  dans  le  devoir  rorigine  du  droit, 
et  ont  avancé  que  Thomme  n*a  des  droits  que  parcequ'il  a  d» 
devoirs.  C'est-à-dire  qu'ayant  des  devoire,  il  doit  avoir  le  droit  de 
les  accomplir,  et  qu'il  n'a  pas  d'autres  droits. 

Sans  doute  le  devoir  suppose  le  droit  de  l'accomplir,  mais  aller 
jusqu'à  dire  qu'il  n'y  a  et  ne  peut  y  avoir  d'autres  droits  que  edui 
d'accomplir  ses  devoirs,  c'est  fausser  la  notion  même  des  choses» 
c'est  choquer  le  sens  commun  et  se  mettre  en  contradiction  avec  k 
conscience  morale  du  genre  humain.  Car  tous  les  hommes  soot 
persuadés  qu'ils  ont  le  droit  d'user  de  tout  ce  qui  leur  appartieat, 
sans  qu'ils  aient  pourtant  le  devoir  d'user  de  tout.  C'est  encore  ni» 
trés-fausse  idée  du  droit  que  de  dire,  avec  certains  pliilosopte 
modernes  :  a  Le  droit,  c'est  la  liberté  de  chacun  prise  pour  fin  paf 
la  liberté  des  autres  ».  O  Car,  comme  rien  ne  détermine,  ni  œ 
limite  la  liberté  de  chacun,  on  ne  peut  pas  savoir  jusqu'où  on  h 
prendra  pour  fin.  Et  si  c'est  la  liberté  qui  détermine  le  droit,qa  est- 
ce  qui  déterminera  la  liberté  ? 

Nous  nous  sommes  cru  obligé  de  relever  cette  définition  et  de  la  eofi- 
damner  d'autant  plus  qu'elle  vient  d'être  enseignée  récemmeat  par  oa 
homme  qui  occupe  en  France  une  charge  importante  dans  l'enaeigoe- 
ment  et  dont  le  nom  et  le  titre  pourraient  Imposer  au  lecteur. 

Pour  la  même  raison  nousi[reléverons  aussi  en  leur  lieu  les  errean 
commises  par  le  même  auteur,  dans  l'interprétation  des  paroles  de  U 
plupart  des  philosophes  dont  la  doctrine  est  classique. 

31.  Du  pouvoir  comme  conséqueiioe  du  droit.  —  Il  »it 

de  tout  ce  qui  précède,  comme  d'ailleurs  le  sens  commun  le  pio- 
clame,  que  le  droit  appelle^  exige  le  poavoir  d'accomplir  l'adé 
objet  du  droit.  Dès  qu'un  homme  a  an  droit,  la  loi  de  justice  p^ 

(•)  Alfred  Fouillée,  Histoires  de  la  philosophie,  p.  101. 


EXISTENCE    DK    LA    LOI  MORALE  35:5 

clame  qu'il  doit  avoir  le  ponvoir  de  Texércer.  En  sorte  que  toute 
loi  qui  emp^^che  ou  môme  giMie  Texercice  d'un  droit  est  une  loi 
tyranuiqurf,  injuste  et  par  consé(j[uent  opporît^e  h  la  loi  morale,  fon- 
dement de  toutes  les  lois. 

Mais  d'un  autre  côté,  si  le  droit  réclame  justement  le  pouvoir 
de  faire  Tacte  auquel  onr  a  droit,  il  ne  saurait  réclamer  rien  de  plus  • 
Et  oomme  les  droits  de  chaque  homme,  engendrés  par  sa  propriét<\ 
sont  limités  par  les  droits  de  ses  semhlables,  comme  leurs  proprié- 
tés limitent  la  sienne,  il  s'ensuit  que  tout  ponvoir  qui  s'étend  au 
delà  des  droits  de  celui  qui  le  possède,  est  une  menace  pour  les  droits 
des  autres.  En  sorte  que  toute  loi  qui  donne  h  un  homme  âe^ 
pouvoirs  plus  étendus  que  ses  droits  est  à  son  tour  une  loi  tyran- 
nique  et  injuste,  qui  lèse  les  droits  des  autres  hommes. 

Ce  sont  là  deux  principes  incontestables  et  profondément  lumi- 
neux qui  peuvent  servir  à  juger  la  moralité  de  toutes  les  lois  parti- 
culières. 

Article  4*' 

EXISTENCE  DE  LA  LOI  MORALE. 

32.  Comment  se  prouve  l'existence  de  la  loi  morale.  — 

De  môme  que  la  nature  de  la  loi  morale  ne  peut  ôtre .  connue  par 
Texamen  des  actes  humains,  qui  peuvent  ne  pas  s'j  conformer,  de 
môme,  ce  n'est  pas  par  Fexamen  de  ces  actes?,  que  nous  pouvons 
savoir  si  cette  loi,  telle  que  nous  Tavons  conçue,  existe  réellement, 
comme  régie  des  actes  humains.  C'est  donc  à  la  conscience  et  à  la 
raison  qu'il  faut  demander  si  la  loi  morale  existe. 

33.  Preuves.  —  L'existence  de  la  loi  morale  est  attestée  par 
la  conscience  individuelle,  par  la  conscience-  universelle  et  par  la 
raison. 

1** .  Tout  homme  sait  distinguer  le  bien  du  mal  ;  il  sait  qu'il 
doit  faire  le  bien  et  éviter  le  mal  ;  il  sait  qu'en  toute  circonstance 
il  doit  agir  selon  une  règle  propre  à  cette  circonstance  ;  il  se  blâme 
lui-même  quand  il  a  7)ial  agi,  et  U  se  r^Ouit  quand  il  a  agi  con- 
formément à  cette  loi.  Il  sait  de  plus  que  la  loi  du  bien  est  au- 
dessns  de  tous  les  autres  motifs  de  dét^rrarnutitm:  T6trt*hdmmc  sait 
distinguer  le  juste  et  l'injuste.  Il  approuve  la  justice,  et  les  actions 

ou 


354  MORALE 

injustes  le  révoltent.  Donc  tout  homme  a  conscience  de  l'existence 
de  la  loi  morale  et  se  croit  t^nu  de  s'y  conformer. 

2^.  Chez  tous  les  peuples  on  distingue  le  juste  et  Tinjuste,  le  bien 
et  le  mal  ;  on  loue  les  bonnes  actions,  on  bUme  et  on  punit  les 
mauvaises  ;  on  se  croit  tenu  de  respecter  les  droits  des  autres, 
mais  on  tient  à  faire  respecter  les  siens  propres.  Ce  jugement  est 
universel  ;  il  est  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux.  Donc  la 
conscience  universelle  atteste  l'existence  de  la  loi  morale. 

3^.  La  raison,  d'accord  avec  la  conscience,  déclare  que  la  loi 
morale  existe  nécessairement,  dès  qu'il  j  a  des  actes  libres.  Elle 
déclare  que  tout  acte  libre  a  une  fin  en  rapport  avec  ses  auti^es 
.  éléments,  et  que  le  détourner  de  sa  fin,  c'est  engendrer  un  monstre 
moral,  mille  fois  plus  hideux  que  les  monstres  physiques.  Elle  va 
plus  loin  :  dans  la  plupart  des  cas,  elle  détermine  ello-môme  la  loi 
d'un-  acte,  et  déclare  que  cette  loi  est  essentielle  à  cet  acte,  et  que 
Thomme  est  obligé  de  la  suivre.  Par  exemple,  la  raison  ne  oom* 
prend  pas  qu'il  puisse  jamais  être  permis  à  une  créature  de  mépriser 
son  Créateur.  Elle  déclare  que  les  rapports  naturels  qui  existent 
entre  un  père  et  ses  enfants  sont  tels,  que  le  fils  ne  saurait  sans 
crime  manquer  de  respect  à  son  père.  Elle  déclare  enfin  que  Dieu, 
qui  est  parfait,  ne  peut  vouloir  que  l'homme  transgresse  la  loi 
morale.  C*est  ainsi  que  la  raison  en  atteste  Texistence. 

34.  Connaissance  de  la  loi  morale.  —  Ainsi  la  loi  morale 
existe  ;  les  hommes  le  savent  ;  ils  connaissent  cette  loi  et  môme 
avec  assez  de  détails  pour  se  diriger  dans  leurs  actes.  Sans  cette 
connaissance  la  loi  ne  saurait  obliger,  et  dés  lors  ce  serait  comme 
si  elle  n'existait  pas.  Aussi  Dieu  en  créant  l'homme  intelligent  et 
libre,  ne  Ta  pas  laissé  dans  Tincertitude  à  ce  siget.  Il  a  gravé  aa 
fond  de  notre  Ame  l'idée  du  bien,  et  par  là  l'idée  du  droit  et  du 
devoir  ;  en  un  mot  :  l'idée  de  la  loi  et  de  son  obligation. 

Articlk  5* 
OBieiNI  Dl  LÀ  LOI  H»KALI 

35.  Doubla  origine.  *—  Les  lois  morales  qui  régissent  les 
actes  libres  des  hommes  ont  une  double  origine.  Les  unes  premieot 


ORIGINE   DE   LA  LOI   MORALE  355 

leur  source  dans  la  natun^iiHSine  4es  choses  et  ne  aovk  que.  des  cas 
particuliers  de  la  loi  morale  en  général  ;  les  auU^es  sont  établies  pa^ 
la  volonté  positive  'des  législateurs.  Mais  la  loi  morale  uniyerseUe, 
qni  sert  de  fondement  aux  lois  morales  particuliérestest  nécea^liire. 
Nous  devons  cependant  examiner  ici  les  deux  origines  po9{iil|l0S 
d'une  loi  morale. 

La  nature  des  différents  êtres  indique  assez  par  elle-même  les 
fins  diverses  pour  lesquelles  ils  sont  créés  et  les  relations  gtfÂbs 
doivent  avoir,  soit  entre  eux,  soit  avec  leur  pS^^^'^urwI^  donc 
que  Dieu  les  a  faits  ce  qu'ils  sont,  11  a  suffisamment  indiqué  ce  qu'il 
voulait  en  faire  et  c'est  mépriser  Dieu,  c'est  s'opposer  à  sa  volonté 
expresse  que  de  faire  servir  ces  créatures  à  d*autres  fins.  Dieu  ne 
peut  donc  pas  vouloir  que  Ton  détourne  les  créatures  de  leur  âh 
naturelle  ;  ce  serait  se  contredire. 

Telle  est  l'origine  nécessaire  de  la  loi  morale  ;  elle  est  fondée  sur 

la  nature  des  choses  et  sur  la  volonté  de  Dieu  manifestée  par  la 

"  '  •'• 
nature  même  des  êtres  créés» 

Aussi  la  raison  détermine  elle-même  les  grands  principes  de  1^ 
loi  morale,  et  elle  les  détermine  nécessairement  comme  toutes  les 
notions  métaphysiques  ;  si  bien  que  ces  principes  nous  apparais- 
sent comme  une  loi  éternelle,  antérieure  à  toute  créature  libre,  et 
déterminant  d'avance  les  lois  que  doit  suivre  une  créature  libre  dés 
qu'elle  existe. 

Ainsi,  en  ne  considérant  que  ces  grands  principes  qui  servent  de 
base  À  toute  loi  morale,  on  dit  avec  raison  qu^iliiiJMftmpale:.est 
étemelle  et  nécessaire.  ,  , 

Ce  qu'on  appelle  la  loi  naiuraU^  n'est  que  TappUcation  de  la^loi 
éternelle,  &  partir  du  moment  où  le  niondea  été^eréé.  . , 

.  37.  Orifine  fontAttfi '^  Lorsqttd  diine  les  •dMaiistdé.Ja  pra- 
tique il  a  été  nécessaire  de  déterminer  ce  que  la  raison  ho  détef» 
minait  pas,  les  législateurs  ont  dicté  des  lois  positives. 

Dieu  lui-même  a  posé  des  lois  qu'il  a  choisie!  de  son  propre  gré» 
et  par  lesquelles  II  a  déterminé  certaines  obligations  que  la  nature 
des  chosed  ne  précise  pas.  Ainsi  ont  fait  les  chefs  de  famille  «t  les 
gouverneurs  des  états.  C'est  ainsi  qu'ont  été^tabties  ile&^oia  posif 
tives.  . 


35G  MORALK 

38.  Oonditioiis  des  lois  posithres.  *-  Les  lois  positiTes  àt 

Dieu  n*ont  pas  besoin  d'être  examinées,  car  il  ne  peut  pas  dècsster 
Tinjastice. 

Mais  les  lois  établies  par  les  hommes  ont  besoin   de  remplir 
certaines  conditions  pour  être  valables.  Ces  conditions  sont  : 

1^  Que  le  législateur  ait  le  droit  de  porter  la  loi. 

2"  Que  la  loi  ne  soit  en  rien  opposée  k  la  loi  morale  néces- 
saire. 

39.  Obligation  des  lois  positÎTes.  —  Les  lois  positires  à 
Dieu  obligent  au  même  titre  que  la  loi  étemelle  ;  car  personne  m 
peut  contester  à  Dieu  le  droit  de  lui  imposer  des  loisc  D^aîlleon  ces 
lois  positives  de  Dieu  ne  sont  jamais  que  la  détermination  d*Bse 
obligation  indiquée  d'une  manière  générale  par  la  loi  étemelle;» 
sorte  qu'elles  n'imposent  pas  un  devoir  nouveau.) 

Les  lois  positives  des  hommes  obligent  aussi  au  nom  de  laid 
naturelle  et  au  nom  de  Dieu,  quand  le  législateur  tient,  soit  de  la 
nature  des  choses,  soit  de  la  volonté  de  Dieu,  le  droit  de  faire  àes 
lois. 

Enfin  il  j  a  des  lois  qui  sont  la  conséquence  d'une  eonventioB: 
•lies  obligent  en  vertu  de  la  loi  naturelle  de  justice. 

Article  6* 
8UJITS  DK  LA  LOI  HORALI 

40.  Définition.  —  On  entend  par  sujet  d'une  loi  la  relatiot 
même  que  cette  loi  régit. 

De  plus,  quand  cette  relation  est  un  acte,  on  appelle  aussi  sujet 
delà  loi,  le  siyet  de  l'acte  lui-même. 

41.  Détomoiination  du  sujet  de  la  loi  morale.  —  Ainsi  le» 
nieià  de  la  loi  m(»rale  ce  sont  les  actes  humains,  c'est-à-^iire  les 
actes  libres  des  hommes.  Ce  sont  aussi  les  hommes  eux-mêmes  ee 
ee  sens  qu'ils  sont  personndlemeot  tenus  de  conformer  leurs  actes 
à  cette  Im. 

Au  même  titre  tous  les  éléments  des  actes  humains  de  viennrat  es 
un  sens  les  stù®^  ^^  ^*  ^^  morale  et  sont  réglés  par  elle. 

Enfin,  comme  l'habitude  d'un  acte  est  une  prédisposition  k  cet 
acte  et  à  la  maniêi^  dont  on  le  fera,   les  habitudes  elles-méme» 


SUJETS  DE    LA  LOI  MORALE  357 

tombent  «oas  U  direction  de  la  loi  morale  à  raison  des  actes  qu'eltes 
ppépaerent. 

Noas  avons  donc  à  examiner  ici  an  point  de  vae  moral  les  actes 
humains  avec  leurs  diffârents  éléments  et  les  habitudes  des  diffé- 
rents actes. 

42.  Actes  humains.  —  Nous  avons  v#en  psychologie  que 
Tactî vite  hnmaine  s'exerce  sous  diiférentes  formes.  Les  actes  des 
hommes  sont  ou  purement  spontanés,  ou  instinctifs  ou  volontaires 
et  libres.  Laissant  de  côté  Tacte  volontaire  nécessaire  qui  n*a  qu'un 
seul  objets  les  théologiens  ont  appelé  actus  hotmniê,  actes  de 
Thomme,  les  actes  purement  spontanés  et  les  actes  instinctifs,  et 
ctctus  humanif  actes  humains,  les  actes  libres  ;  parce  que  ceux-ci 
seuls  sont  fait  d^une  manière  humaine,  tandis  que  les  autres  ne 
diffèrent  pas  des  actes  des  animaux,  quoiquUls  soient  faits  par  dcfs 
hommes.  Nous  adopterons  cette  distinction,  et  nous  appelerons 
actes  humains,  les  actes  libres.  Ces  actes  seuls  sont  soumis  ft  la 
loi  morale. 

43,  Conditions  essentielles  des  actes  humains.  —  Pour 
qu*un  acte  puisse  être  appelé  acte  humain  il  faut  qu*il  soit  libre; 
il  lui  faut  donc  toutes  les  conditions  de  l'acte  libre,  savoir  : 

1®  La  connaissance  actuelle  de  l'acte  à  faire  :  ce  qui  implique 
la  connaissance  de  la  moralité  de  cet  acte. 

2^  Le  pouvoir  de  choisir  entre  faire  et  ne  pas  faire. 

3^  L*acte  proprement  dit  qui  est  la  volonté  formelle  de  faire 
l'acte. 

Dès  qu'une  de  ces  troi^  conditions  manque,  l'acte  n'est  «plus  un 
acte  humain  et  ne  peut  être  soumis  à  la  loi  morale. 

Ainsi  Terreur  sur  la  nature  de  l'acte,  où  sur  la  loi  morale  qui  le 
Tvîgit,  l'ignorance  sur  ces  mômes  points,  ou  môme  la  simple  inad- 
vertance, enlèvent  à  un  acte  sa  qualité  d'acte  humain  et  font  qu'il 
n'est  plus  soumis  à  la  loi  morale.  C'est  un  défaut  de  connaissance. 

La  passion  violente  qui  entraîne  forcément  l'activité,  sans  laisser 
place  à  la  délibération  et  au  choix  de  l'âme,  détruit  aussi  dans  un 
acte  sa  qualité  d'acte  humain,  en  suspendant  l'exercice  de  la 
liberté.  Il  n'en  est  pas  de  môme  de  la  violence  corporelle,  car  elle 
n'empôche  pas  la  volonté  de  refuser  son  consentement  à  une  action 
que  le  corps  exécute  par  force. 


SS8  MOHAtB 

Bnfln,  tions  Fempipe  de  la  paatUm  ou  de  la  TicdeBoe^  oa  d'pM 

surexcitation  corporelle  quelconque,  il  peut  se  faire  qa'an  banae 
a&cctâpllssê  fin  acte  arec  un  demi-consenteineiit  de  la  volonté.  Cm 
le  oas  lé  plus  diUcile  à  détm*imner,  mais  on  sent  qu'il  est  pomUe. 

Là  aussi  il  n'y  a  pas  un  acte  humain. 

44.  Moralité  des  notes  kiinudiie.  —  La  moralité  d'an  acte 
htimain,  c*e84>-à-dire  sa  bonté  ou  sa  malice,  se  prend  dans  1^  r^ 
ports  de  cet  acte  avec  sa  loi  morale.  C'est  la  moralité  matérielle  ^ 
abstraite  de  Tacte. 

Quant  à  la  moralité  formelle  et  pratique  d'un  acte,  il  faut  j 
faire  entrer  la  considération  de  toutes  les  conditions  d'un  acte 
hjumaio.  Pour  qu'un  acte  soit  formellement  mauvais,  il  faut,  outre 
sa  malice  abstraite»  qu'il  ait  encore  toutes  les  conditions  de  Faete 
libue  et  de  l'acte  libre  mauvais. 

Aussi  les.  lois  humaines  ne  visent  et  n'atteignent  que  les  aet^ 
mettériels  ;  Dieu  seul  peut  récompenser  pu  punir  les  actes  sek» 
leur  moralité  formelle,  parce  que  lui  seul  connaît  le  secret  des 
cœurs  et  des  consciences  et  voit  les  conditions  de  liberté  de  tous 
nosî)»ctes. 

45.  Eléments  des  aotes  humains.  —  Tout  acte  a  son  siget, 
sa  aatur05  son  objets  son  terme  et  ses  circonstances.  La  moralilé 
abstraite  d'un  acte  dépend  des  conditions  de  chacun  de  ces  éléments 
Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  les  hommes  ne  soient  pas  toigours! 
d'accord  dans  les  jugements  qu'ils  portent  sur  un'acte  en  particu- 
lier, quoique  nous  ayons  tous  la  m^me  idée  du  bien. 

Le  même  acte  qui  est  bon  chez  tel  homme,  peut  être  mauvais 
chez  un  autre,  à  raison  de  la  différence  des  sujets.  ïl  en  est  de 
môme  pour  l'objet,  le  terme  et  les  circonstances  d'un  acte.  Il  n'^t 
pas  indiiférent  de  faire  le  même  acte  sur  un  objet  ou  sur  un  autre, 
sur  une  personne  ou  sur  une  autre,  pour  ou  contre  une  personne  on 
une  autre,  dans  tel  temps^  dans  tel  lieu  ou  dans  tel  autre  temps, 
tel  autre  lieu.  Quant  à  la  nature  de  l'acte  il  t,st  évident  qu'elle  en 
modifie  la  moralité. 

Il  est  donc  indispensable,  pour  se  prononcer  sur  la  moralité  d'un 
acte,  d'en  examiner  bien  tous  les  éléments . 

46.  Habitudes  morales.  —  Nous  appelons  habitudes  moralei 


r 


SUJETS  DE  LA  LOI  MORALE  9B0 

les  dispositions  aux  aetos  libres.  Gomme  toatee  les  autros  haMtades 
elles  sont  naturelles,  InAises  ou  acquises.  Et  e^est  surtout  de  ces 
dernières  qu'il  doit  être  question  ici  parce  qu'elles  dépendent  de 
notre  liberté.  Les  habitudes  naturelles  peuvent  être  modifiées  par 
les  actes  libres,  et  dés  lors  elles  prennent  une  forme  nouvelle,  sous 
laquelle  elles  sont  acquises. 

D'ailleurs  qu'elle  que  soit  leur  condition  d'origine  elles  nous 
entraînent  èl  faire  les  actes  d* une  certaine  manière  et  par  suite  elles 
participent  &  la  moralité  de  leurs  actes. 

Aussi,  on  distingue  en  deux  grandes  classes  les  habitudes  morales, 
selon  qu'elles  sont  bonnes  ou  mauvaises.  Ces  deux  classes  d'habi- 
tudes sont  les  vertus  et  les  vices. 

47.  Varias.  —  La  vertu  est  l'habitude  du  bien,  c'est-Jt-dire  la 
disposition  à  faire  le  bien. 

La  vertu  se  trouve  plus  ou  moins  comme  disposition  naturelle 
chez  les  hommes,  mais  elle  est  surtout  acquise  ;  ^le  s'acquiert  par 
la  répétition  des  actes  bons.  Nous  ne  parlons  pas  ici  des  vertus 
surnaturelles,  qui  par  essence  même  sont  infuses  dans  leur  prin- 
cipe, et  ne  sauraient  exister  sans  la  grAce. 

L'homme  vertueux  fait  le  bien  avec  facilité,  et  il  aurait  de  la 
peine  à  mal  faire,  parce  qu'il  est  disposé  au  bien. 

La  vertu  n'enlôve  rien  au  mérite  de  l'acte  bon  qu'elle  fç^it  faire, 
parce  que  la  vertu  elle  môme  est  un  fruit  des  actes  libres.  Et 
d*ailleurs  r%cte  fait  par  suite  d'une  vertu  n'est  pas  moins  bon  pour 
cela,  au  contraire  il  est  ordinairement  fait  avec  une  perfection 
que  ne  saurait  jamais  atteindre  un  premier  Eicte  sans  disposition 
préalable,  malgré  les  plus  grands  efforts. 

Donc  il  est  très-avantageux  de  se  préparer  à  faire  le  bien  en 
acquérant  la  vertu. 

D'ailleurs  l'expérience  démontre  que  l'homme  se  laisse  toujours 
aller  plus  ou  moins  à  ses  habitudes  morales,  et  par  conséquent  ne 
pas  vouloir  être  vertueux,  c'est  vouloir  mal  agir. 

Donc  l'homme  est  moralement  tenu  d  acquérir  la  vertu,  au 
même  titre  par  lequel  il  est  tenu  &  bien  faire. 

Les  verlus  sont  très  nombreuses,  mais  la  philosophie  classique,  depuis 
Socrate  et  Platon,  les  ramène  toutes  à  quatre  chefs,  en  mettant  à   part 


■ 
I 

J 


3b0 


MOKJLLE 


ia  vertu  de  religion  on  la  piété.  Cas  quatre  verta»  qui  embrasseot  t» 

tes  les  autres  sont  :  la  prudence,  Ja  jiwUce,  la  force  et  la  tempôraiM». 

La  prudence  est  la  vertu  qui  nous  dispose  Â  clioiair  les  meUlean 
moyens  pour  atteindre  notre  fui.  Klle  tient  donc  à  l'inlellLgeace  autaot 
qu'à  hi  volonté,  puisqu'elle  doit  tout  à  U  fois  nous  faire  discerner  les 
meilleurs  moyens  et  ensuite  incliner  notre  volonté  à  les  clioiijir. 

lia  justice  est  cette  vertu  ({ui  nous  porte  à  rendre  à  cliacun  ce  qui  Itri 
est  diV  Klle  suppose  sans  doute  la  connaissance  des  droits  d'antnû; 
mais  son  action  ne  consiste  pas  à  donner  celte  connaissance.  Elle 
n'a/çit  ([ue  sur  la  volonté. 

La  force  est  une  vertu  qui  nous  soutient  dans  la  lutte  coDire  le  nal. 
pour  le  bien.  Ell.i  inspire  à  la  volonté  la  patience  dans  les  épreuves  cl 
lui  apprend  à  ne  pas  reculer  devant  les  obstacles. 

La  tempérance  est  cette  vertu  qui  nous  fait  résister  aux  attraits  sen- 
sible», sensations  ou  sentiments,  surtout  lorsqu'ils  tendent  à  nous  éloi- 
gner de  la  loi  morale.  Klle  modère  la  sensibilité  el  incline  la  volonté  i 
n'oljéir  qu'à  la  raison. 

Quant  à  la  piété  ou  vertu  de  religion  qui  forme  à  eUe  «eule  une  classe 
à  part,  cetit  cette  vertu  qui  nous  dispose  non-seulement  À  rendis  à 
Dieu. toupies  hommages  que  nous  lui  devons,  mais  encore  à  aimer  oe 
culte  que    nous  lui  rendons.   Elle  dirige  donc  le  cœur  autant  que  h 

volonté. 

48.  Vices.  —  Le  vice  est  riiabitiide  du  mal;  c  est  la  disposition 
à  faire  le  mal. 

La  philosophie  constate,  sans  expliquer  pourquoi,  comme  k 
religion  catholique,  que  les  hommes  naissent  avec  des  dispositions 
au  mal.  Le  vice  est  donc  en  partie  naturel, mais  il  est  surtout  le 
rc^sultat  do  la  répétition  des  actes.  Et  il  est  malheureusement  à 
constater  que,  pour  cert^iins  actes  du  moins,  l'habitude  du  mal  se 
forme  plus  promptement  que  la  vertu. 

L'homme  vicieux  commet  facilement  le  mal,  et  il  a  de  la  peine 
à  faille  le  bien,  si  toutefois  il  lui  reste  encore  quelquefois  le  désir 
de  le  faire. 

Le  vice  n'enlève  rien  i\  la  malice  de  l'acte  ;  au  contraire  il  r 
ajoute  un  certain  raffinement  d^immoralité  qui  répug-nerait  à  Tàme 
dans  un  premier  acte  :  et  comme  d'ailleurs  il  est  le  fruit  des  actes 
libres,  il  s'ensuit  qu'il  n'empôehepas  que  l'homme  vicieux  ne  soit 
coupable  de  tous  les  actes  mauvais  qu'il  commet  par  cette   babi* 


SANCTION   DE  LA   LOI   MORALE  361 

tude,  et  qa*iï  né  mérite  un  châtiment,  aussi  bien  que  s'irn*y  était 
pa9  entraîné  par  Thabitude. 

Il  faut  ajouter  cependant  que,  si  la  volonté  se  rétmcte  et 
condamne  ses  habitudes  mauvaises,  les  actes  qu'elle  pourra  encore 
commettre  par  habitude  ne  lui  seront  plus  imputés.  Il  en  est  de. 
môme  pour  la  vei*tu  :  dès  qu'on  y  a  renoncé,  on  n'a  plus  le  mérite 
dès  actes  bons  que  Ton  fait  encore  par  habitude. 

Puisque  le  vice  n'excuse  pas  et  entraîne  dans  les  actes  mauvais, 
il" est  très-important  et  moralement  nécessaire  de  se  préserver  de 
la  formation  du  vice  ;  d'autant  plus  que,  vu  la  faiblesse  humaine, 
on  se  laisse  dominer  par  l'habitude  malgré  les  réclamations  de  la 
raison. 

Donc  Thomme  est  momlement  tenu  de  se  pi^éserver  du  vice, 
comme  il  est  tenu  d'éviter  le  mal. 

On  n'a  pas  classé  les  vices  comme  on  a  classé  les  vertus;  mais,  s'il 
s'agissait  de  les  ramener  aussi  à  cinq  chefs,  on  n'aurait  qu'à  prendre 
négativement  les  idées  renfennées  dans  chacune  des  cinq  vertus  princi- 
pales. On  distingureait  donc  :  l'imprudence.  Tin  justice,  la  lâcheté  et 
IMntempéraïKe,  et  enfin,  dans  une  catégorie  k  part,  lirrôligion  ou  l'im- 
piété. Mais  ces  mots  n'ont  pas  tou9  vulgairement  le  sens  que  nous  leur 
donnons  ici. 

Il  est  facile  de  von*  que,  comme  les  cinq  vertus  principales  contiennent 
et  fournissent  avec  elles  toutes  les  autres  vertus,  les  cinq  vices  oppo- 
sés sont  les  sources  de  tous  les  vices. 

Une  remarque  qui  nous  parait  importante  àeesujet,A*^tquerimpr)a- 
dence,  qui  passe  vulgairement  pour  un  léger  défaut,  doit  être,  d'après 
cette  analyse,  considérée  comme  un  vice  capital  :  et  de  fait,  elle  fait 
commettre  bien  des  fautes  et  souvent  des  fautes  plus  graves  que  l'on 
ne  pense. 

Article  7' 
SANCTION  DB  LA  LOI  MORALR. 

49.  Sens  du  mot  Sanction.  —  Le  mot  latin  sanctus^  comme 
sacer  qui  est  de  là  môme  famille,  signifie  :  mis  à  part,  à  Tabri  de 
tout  danger,  de  toute  souillure.  D'où  il  suit  que  le  mot  sanction 
renferme  Fidée  de  conserver  à  Tabri  de  toute  attaque.  Sanctionner 
une  loi  c^est  donc  empêcher  qu'elle  ne  soit  violée. 

Ainsi,  dans    la    première    idée    du    mot,    la    sanction    de  la 


962  MORALE 

loi,  c'est  ce  qui  la  rend  inviolable.  Cette  sanction,  la  loi  morale 
la  possède  par  elle-même  ;  elle  lui  est  essentielle. 

En  effet,  que  dit  la  loi  morale  ?  Elle  dit  :  tel  acte  ne  sera  bon  qn  à 
la  condition  d'être  fait  de  telle  manière  ;  s'il  est  fait  aatrement, 
Facte  sera  mauvais.  Cette  manière  de  considérer  la  loi  est  con- 
forme à  l'étjmologie.  Le  mot  /o^,  lex  vient  du  grec  Xéyia,  dire,  et 
le  mot  grec  v6|jlo;  vient  de  Thébreu  nam,  qui  signiûe  aussi  dire. 
En  sorte  que  la  loi  est  considérée  dans  le  langage  comme  la  parole  do 
maître,  qui  dit  ce  qu'il  faut  faire  et  par  là-môme  ordonne  de  le  faire. 
Or,  on  peut  faire  un  acte  libre  auti*ement  que  ne  Tindique 
la  loi,  mais  on  ne  peut  pas  faire  qu*il  soit  bon  malgré  la  loi.  Donc 
la  loi  est  en  ce  sens  inviolable,  et  porte  avec  elle-même  sa  sanction* 

Cependant  comme  la  loi  morale  veut  aussi  que  tous  les  actes 
soient  bons  ;  il  faut,  pour  obtenir  ce  but,  quelque  chose  qui  excite 
plus  puissamment  les  homme  à  obéir  à  la  loi.  Et  c'est  là  une 
seconde  sanction,  qui  sans  empêcher  absolument  qu'on  ne  désobéisse 
à  la  loi,  en  procure  cependant  plus  souvent  raccomplissement. 

Cette  seconde  sanction  consiste  dans  un  châtiment  infligea  celni 
qui,  désobéissant  à  la  loi,  commet  des  actes  mauvais,  on  nne  ré- 
compense accordée  &  celui  qui  fait  bien. 

50.  Définition.  —  Dans  son  sens  pratique,  la  sanction  est  une 
récompense  donnée  à  celui  qui  fait  bien,  ou  un  châtiment  infligé  an 
coupable,  aân  de  prévenir  la  violation  de  la  loi  morale. 

51.  Son  action.  —  La  sanction  essentielle  agit  métapfajmqne- 

ment  et  met  l'homme  dans  l'impossibilité  absolue  de  violer  la  Im 
morale. 

La  sanction  pratique,  qui  est  la  sanction  proprement  dite,  agit 
sur  la  volonté  libre  de  Thomme  par  l'attrait  du  sentiment  ou  de  la 
sensation  ;  c'est  donc  un  motif  de  détermination,  qui  vient  se  joindre 
à  l'idée  du  bien  pour  faire  accomplir  la  loi. 

52.  Ses  différentes  espèces.  —  Quand  la  sanction  de  )a^  loi 
est  une  récompense  ou  un  châtiment,  elle  a  besoin  d'être  appliquée 
par  quelqu'un.  Et  en  effet  elle  se  trouve  appliquée  pour  le  même 
acte  par  quatre  agents  différents  :  la  conscience,  la  nature,  les 
hommes,  Dieu.  De  là,  quatre  espèces  de  sanction  :  la  sanction  de  la 
conscience,  la  sanction  do  la  nature,  la  sanction  de  la  société,  la 
sanction  de  Dieu, 


SANCTION  DE  LA  LOI   MORALR  863 

53.  SMietioli  de  la  oonsoienee.  —  La  première  récoittpeiiBe 
du  bieifi  aGeompli,  coinme  le  premier  ch&timent  d'une  mauvaise 
action  se  trouve  dans  la  conscience.  L*homme  qui  a  observé  la  loi 
ou  qtri  Ta  violée  a  conscience  de  la  moralité  de  son  acte^  et  il  s'ap- 
prouve ou  se  blâme  lai-môme,  selon  qu'il  a  bien  ou  mal  agi.  La  joie 
de  la  conscience  après  une  bonne  action,  comme  la  douleur,  le  re- 
mords que  l'on  éprouve  après  le  crime,  sont  tels,  qu'ils  inclinent  puis- 
samment les  hommes  à  bien  faire.  Cette  sorte  de  sanction  qui  se 
trouve  dans  l'homme  lui-môme  et  ne  saurait  l'abandonna,  arrête 
bien  souvent  la  violation  de  la  loi. 

Cependant  la  sanction  de  la  conscience  ne  sùfHt  pas,  parce  que 
le  vice  en  accoutumant  les  hommes  au  mal,  calme  aussi  les  repro- 
ches de  la  conscience,  laquelle  s'émousse  d'autant  plus  qu'on  s'en* 
durcit  davantage  dans  le  crime,  et  ilnit  môme  quelquefois  par  dis- 
paraître. C'est  lorsque  l'habitude  du  mal  a  obscurci  le  jugement  de 
l'âme  et  lui  fait  trouver  bien  ce  qui  est  contraire  à  la  loi  morale. 

64.  Sanction  de  la  nature.  —  Après  la  conscience,  la  nature 
elle-même  récompense  ou  punit  les  hommes  selon  leurs  œuvres.  Il 
est  dans  l'ordre  naturel  des  choses  que  le  développement  régulier 
des  facultés  amène  un  bien  être  physique,  et  que  le  développement 
irrégulier  procure  la  douleur.  Or  le  développement  est  irrégulier 
dans  le  mal  moral,  car  le  mal  détourne  nos  actes  de  leur  fin  natu- 
relle. Aussi  on  peut  dire  d'une  manière  généi*ale  que  la  vertu  rend 
heureux,  tandis  que  le  vice  amène  avec  lui  un  cortège  de  souf- 
frances. 

Il  est  vrai  qu'il  j  a  des  exceptions  à  cette  règle,  mais  ces  excep- 
tions ne  sont  que  temporaires  et  apparentes,  car  les  souffrances  des 
hommes  vertueux  les  rendent  plus  vertueux  encore  et  leur  pro- 
curent ainsi  tôt  ou  tard  une  plus  grande  somme  de  bonheur. 

55.  Sanction  de  la  soeiété.  —  La  société  &  son  tour  récom-< 
pense  on  punit  les  hommes  selon  leurs  actions  bonnes  ou  mau- 
vaises. Or  elle  le  fait  de  deux  manières. 

1*  Par  l'opinion  publique. 

29  Par  les  tribunaux. 

Tant  qu'un  peuple  n'est  pas  entièrement  corrompu^  au  point  d'en 
avoir  perdu  le  sens  commun,  l'opinion  publique  qui  j  règne  est 


364  MORALE 

toiyoura  ea  faveur  de  la  vertu  eoatM  le  vice»  Et  eo  eri:  de  la  eoni- 
cieuce  publique  est  encore  une  MJQction  de  la  loi,  qui  arréle  ub 
grand  nombre  de  ceux  qui  seraient  sur  le  point  de  la  violer.  Mak 
cette  sanction  est  bien  souvent  fauâsée  par  des  préjugés  qui  pren- 
nent cours  chez  un  peuple^  £t  sui'tout  si  Ton  considôre  que  l» 
hommes  ne  fréquentent  en  général  que  ceux  qui  ont  les  mêmes 
mœurs,  et  n'éprouvent  les  effets  de  Topinion  que  de  la  part  de  ceux 
qu'ils  fréqueutent,  on  verra  que  la  sanction  de  Topinion  est  bi«i 
imparfaite. 

Outre  Topinion  il  y  a  dans  toute  société  des  tribunaux  chargés 
de  punir  les  coupables.  Cette  sanction  est  ordinairement  plos  exacte 
que  celle  de  Topinion.  ;  mais  il  €fst  à  reroaix^uer  pourtant  qu'elle  a 
encore  bien  des  imperfections.  Car  1^  les  tribunaux  punissent  plus 
qu'ils  ne  récompensent  ;  2^  ils  ne  voient  psis  le  fond  des  cœurs  des 
coupables  et  punissent  souvent  une  faute  matérielle  ;  3^  les  juges 
sont  des  hommes  et  peuvent  se  tromper  sur  la  personne,  ou  môme 
sur  la  moralité  d'un  acte.  4"*  le  plus  gi^and  nombre  des  actes 
humains  échappent  à  la  sanction  des  tribunaux. 

Or  pour  que  les  peines  et  les  récompenses  soient  vraiment  une 
sanction,  il  faut  qu'elles  ne  manquent  jamais  d'être  appliquées. II  est 
donc  nécessaire  qu'il  y  ait  pour  la  loi  morale  un  autre  sanction  que 
les  trois  que  nous  venons  d'examiner, 

56.  Sanction  divine.  —  Dieu  lui-même  sanctionne  la  Uâ 
morale  et  se  charge  de  réparer  les  défauts  des  trois  autres  sanctions. 
Dieu  récompense  tous  les  actes  bons  et  punit  tous  les  actes  maurais  : 
non  pas  toujours  dans  le  ten^ps  présent,  mais  assurément  après  la 
mort,  dans  une  autre  vie. 

Cette  sanction  divine  de  la  loi  morale,  la  raison  la  i*éclame 
comme  nécessaire  pour  suppléer  h  l'insuffisance  des  trois  autres, 
et  de  plus  la  croyance  unanime  des  peuples  en  affirme  l'existence. 
En  effet  : 

L'histoire  nous  montre  partout  et  toujours  les  peuples  pénéfros 
de  cette  certitude  qu'après  la  mort,  dans  une  vie  au  moins  indéter^ 
minée,  si  tous  ne  la  voient  pas  éternelle,  chacun  recevra  la  récom- 
pense ou  le  châtiment  de  ses  œuvres,  et  que  c'est  Dieu  qui  se 
charge  d'exécuter  cette  sentence  après  l'avoir  prononcée. 


SANCTION     DK    T.  A    LOT    MORALK  365 

I>e  plus  la  raison  nous  crie  qu'il  faut  à  la  loi  morale  une  sanction 
exacte  et  complète;  que  le  crime  ne  doit  pas  rester  impuni;  que  les 
actes  de  vertus  doivent  être  récompensés  ;  or  tout  cela  n*a  lieu  que 
d'une  manière  bien  imparfaite  dans  la  vie  présente  :  donc  il  doit  y 
avoir  une  autre  vie  dans  laquelle  c^tte  sanction  sera  appliquée 
d'une  manière  exacte  et  complète. 

D'ailleurs  nous  avons  établi  en  psychologie  quel*  Ame  est  immor- 
telle ;  que  sa  fin,  qu'elle  recherche  comme  son  bonheur  suprême, 
est  dans  la  connaissance  et  Tamoitr  de  Dieu.  Or  il  est  métaphysi- 
quement  impossible  de  réunir  dans  un  mOme  sujet  l'amour  de  Dieu, 
qni  est  le  bien  absolu,  avec  une  volonté  criminelle.  Donc  dans  la 
vie  qui  doit  suivre  la  vie  présente,  Tâme  seule  du  j'usie  trouvera  le 
bonheur  qu'elle  désire,  tandis  que  les  méchants  en  seront  nécessai- 
raent  privés.  C'est  là  une  démonstration  métaphysique  de  la  sanction 
divine  de  la  loi  morale.  Et  cette  sanction  qui  s'exécutera  dans 
une  vie  immortelle,  où  la  raison  nous  fait  entrevoir  que  les  succes- 
sions du  temps  auront  cessé,  ne  pourra  être  qu'éternelle.  En  effet  si 
l'homme  sort  du  temps  pour  entrer  dans  l'éternité  où  il  n'y  a  pas 
de  succession,  il  ne  changera  plus  do  volonté,  et  par  là  même 
le  méchant,  ne  pouvant  plus  cesser  d'être  en  opposition  de  volonté 
avec  le  bien  qui  est  Dieu,  ne  pourra  jamais  y  trouver  son  bonheur. 
C'est  le  dogme  môme  de  l'enfer,  commun  à  toutes  les  religions, 
mais  plus  nettement  exposé  par  la  religion  catholique.  Quant  au 
dogme  du  bonheur  éternel  que  la  même  religion  catholique  propose 
à  nos  efforts,  il  renferme  la  doctrine  d'une  communication  avec 
Dieu  tout-à-fait  surnaturelle  et  que  nous  ne  pouvons  connaître  que 
par  la  foi. 

On.  nous  permettra  de  remarquer  à  ce  sujet  que  la  philosophie 
démontre  renfer,mais  qu'elle  ne  saurait  démontrer  le  ciel  chrétien. 

57.  Connexion  de  la  sanction  morale  areo  les  actes 
humains.  Mérite  et  Démérite.  —  L'idée  universelle  de  la 
sanction  de  la  loi  morale  apporte  avec  elle  dans  la  conscience  des 
hommes  une  autre  idée  dont  nous  ne  saurions  nous  défaire.  C'est 
qu'une  récompense  est  due  aux  bonnes  actions,  et  qu'un  ch&timent 
est  dû  aussi  aux  actions  mauvaises.  Notre  raison  voit  une  con- 
nexion moi^ale  entre  les  actes  humains  et  la  sanction  de  leur  lio, 


366  MORALE 

entre  Tacte  bon  et  sa  récompense,  comme  entre  l'acte  mauvais  et 
son  châtiment.  Cette  connexion  morale  s'appelle  le  mérite,  d*Bfie 
part,  le  démérite,  de  Tautre. 

L'idée  du  mérite  est  innée  dans  Thomme  avec  Tidée  du  bien  M 
elle  sert  de  fondement  à  toutes  les  sanctions  que  les  hommes  ont 
attribuées  aux  lois  morales. 

Mais  il  est  bon  de  chercher  l'idée  exacte  du  mérite  et  surtout  de 
son  fondement. 

58.  Nature  et  fondement  du  mérite.  —  Le  mérite  noas 
apparaît  comme  un  droit  à  une  récompense  et  par  suite  le  démérite 
serait  une  sorte  de  droit  au  ch&timent.  Seulement  comme  ces  deux 
idées  semblent  se  contredire,  nous  ôtons  à  Texpression  œ  qu'elle  a 
de  choquant,  en  mettant  à  la  place  du  mot  droity  sa  définition 
générale,  et  nous  exprimons  la  vraie  nature  du  mérite  en  disant 
qu'il  est  une  connexion  morale  entre  un  acte  et  sa  récompense, 
comme  le  démérite  est  une  connexion  morale  entre  un  acte  et  ^m 
châtiment. 

Mais  quel  est  le  fondement  de  cette  connexion  ?  A  quoi  la  récom- 
pense est^Ue  due  ? 

Si  Ton  consulte  le  vulgaire  et  qu'on  en  obtienne  une  réponse 
théorique,  cette  réponse  sera  que  la  récompense  est  due  aux  efforts 
que  Ton  a  faits  pour  accomplir  un  acte  bon.  £t  si  au  contraire 
nous  demandons  au  genre  humain  une  réponse  pratique,  nous 
verrons  qri'il  ne  récompense  jamais  les  efforts,  mais  toujours  et 
uniquement  la  perfection  de  l'acte.  Laquelle  des  deux  réponses  esi- 
elle  la  vraie,  et  d'où  vient  cette  contradiction  ? 

Si  le  mérite  est  une  connexion  entre  Tacte  et  sa  récompense, 
cette  connexion  ne  peut  être  fondée  que  sur  l'acte  lui-même  et  non 
sur  le  plus  ou  moins  de  peine  que  Ton  a  eue  à  le  faire.  En  sorte 
qu'^aujx  yeaxvd^  la  saine  philoaophle  le  fondement  du  mérite  est 
dans  la  perfection,  de  l'acte  et  non  dans  les  efforts  que  Ton  a  faits 
pour  raccomplir.  Et  cette  théorie  métaphysique  est  parfaitemaat 
d'accord  avec  la  pratique  du  genre  humain.  Ce  qui  prouve  une 
une  fois  de  plus  que  la  genre  humain  se  trompe  moins  en  pratique 
qu'en  théorie,,  sur  les  notions  essentielles  des  choses. 

Mais  d'où  vient  alors  cette  théorie  erronée  du  vulgaire  sur  le 


SANCTION   DE   LA   LOI  MORALE  367 

mérite?  Elle  s'explique  par  ce  fait,  que  Tacte  bon  ne  saurait  méri- 
ter pour  lui-môme,  car  il  n'est  rien  en  lui-même  ;  il  mérita  donc 
pour  son  sujet,  pour  la  personne  qui  Ta  fait.  Mais  pour  cela  il  faut, 
qu'il  lui  appartienne,  qu'il  lui  soit  personnel,qu'il  parte  donc  d'une 
volonté  libre  et  non  d'une  disposition  nécessaire,  ni  d'une  propriété 
physique.  C'est  pourquoi  le  vulgaire,  qui  considère  les  efforts 
comme  partant  mieux  d'une  volonté  libre  que  les  dispositions 
naturelles  que  Von  a  pour  faire  un  acte,  attribue  théoriquement  le 
mérite  aux  efforts  seuls.  Mais  ensuite,  dans  la  pratique,  comme  il 
est  difficile  d'apprécier  les  effoi'ts  et  que  c'est  la  bonté  de  l'acte  qui 
se  voit,  on  récompense  la  perfection  de  l'acte. 

Donc  pour  donner  sur  ce  point  une  théorie  exacte  nous  disons 
que  le  méoite  est  fondé  essentieliement  sur  la  perfection  de  Tacte, 
mais  en  tant  que  cette  perfection  est  personnelle  et  produite  libre- 
ment. Or  les  dispositions  naturelles  ou  acquises  n'empêchent  pas  la 
liberté  de  l'acte,  et  d'ailleurs  rendent  Tacte  plus  parfait.  Donc  les 
dispositions  naturelles  ou  acquises  pour  le  bien  sont  une  source  de 
mérite. 

Quant  aux  efforts  que  l'on  fait  pour  bien  faire,  ils  ont  leur  pexv 
fection  propre,  et  si  avec  ces  efforts  on  parvient  à  faire  aussi  bien 
que  celui  qui  a  pour  cet  acte  une  disposition  naturelle,  le  mérite  des 
efforts  s'ajoute  au  mérite  de  l'acte.  Mais  si  malgré  les  efforto  on 
n'atteint  pas  la  perfection  de  l'acte»  on  a  sans  doute  le  mérite  des 
efforts,  mais  on  ne  saurait  avoir  le  mérite  de  l'acte  lui-même^  que 
l'on  n'a  pas  réusai.  . 

Cette  théorie  justifie  la  pratique  du  genre  humain  et  celle  de 
Dieu  lui-même,  qui  d'après  ce  que  noufi  pouvons  voir,  tient  plus 
compte  des  actes  accomplis  que  des  efforts,  à  moins  que  ces  efforts 
eux-mêmes  n'aient  plus  de  perfection  que  l'acte  qui  en  est  le  but. 

59.  De  Ift  responsabilité. —  L'idée  du  mérite  et  du  déméHte 
amène  l'idée  de  la  responsabilité.  Si  Tacte  bon  donne  à  son  siget  un 
droit  k  une  récompense,  et  si  l'acte  mauvais  rend  le  môme  siget 
passible  d'une  peine^  c'est  dire  que  la  personne  qui  ta^i  un  acte 
libre  est  responsable  de  cet  acte  ;  cela  signifie  qu'elle  doit  en  subir 
les  conséquences  et  se  soumettre  au  jagemeat  ddJ^aiitonté  chargée 
de  ùàre  respecter  la  loi,  comme  aussi  de  réparer  tous  les  dommages 
dont  il  a  été  la  cause.  Telle  est  l'idée  de  la  responsabilité. 


3*)8  MO  RAI.  K 

Celui  qui  cause  librement  un  clomraap:e  est  personnellemeat  tenu 
de  le  rc^parep  ;  s'il  y  concourt  seulement  soit  par  conseil,  soit  ^r 
ordre,  soit  par  participation,  soit  comme  garantie,  il  est  responsa- 
ble du  dommage  eu  raison  de  la  part  qu'il  v  a  prise  ;  et  s'il  j  a  e« 
convention  telle,  entre  plusieurs,  que  Tacteait  ôtê  voulu  en  eniier 
par  tous,  ils  sont  tous  responsables  solidairement,  c'est-à-dire,  qoe 
chacun  d'eux  est  tenu  de  le  réparer  en  entier,  au  défaut  des  autres. 

L'homme  est  ainsi  personnellement  responsable  parce  que  l'acte 
libre  est  personnel,  et  qu'il  dépend  de  lui  d'en  prévenir  les  consé- 
quences, et  de  s'abstenir,  pour  les  éviter,  s'il  ne  veut  pas  les  subir. 

Chapitre  2* 

LES  LOIS  MORALES  DANS  LEURS  ESPÈCES 

60.  Classification  des  lois  morales. —  Les  lois  moralefi  .^ 
distinguent  comme  les  actes  humains  qu'elles  règlent.  Or  les  actes 
humains  se  distinguent  par  leurs  objets  et  par  leur  nature.  Les  actes 
humains  ont  pour  objet  tout  ce  qui  existe,  et  sur  chacun  de  ces 
êtres  les  hommes  peuvent  produire  différents  actes.  Ces  Cotres,  objets 
des  actes  humains,  sont:  1°  les  êtres  privés  de  raison,  2*  nouB-inéme$ 
3*  les  autres  hommes,  4"*  Dieu. 

Relativement  aux  êtres  privés  de  raison,  aux  choses,  les  lois 
morales  n'ont  guère  qu'à  déterminer  les  droits  des  hommes  ;  nos 
devoirs  relatifs  aux  choses  ne  viennent  pas  de  ces  choses  mêmes, 
mais  des  droits  que  les  autres  hommes  ont  sur  elles. 

Quant  aux  personnes  au  contraire  les  lois  morales  n*ont  que  peu 
de  droits  à  déterminer,  mais  les  devoirs  j  sont  nombreux  et  variés. 

Nous  allons  donc  étudier  en  quatre  articles  :  1^  les  lois  sur  le? 
choses,  2^  les  lois  sur  nous-mêmes,  d^  sur  nos  semblables,  4*  à 
.l'égard  de  Dieu, 

Article  l*"" 
LOIS  RELATIVES  AUX  CHOSES,  OU  AUX  ÊTRES  PRIVÉS |DS  RAISO!! 


61.  PrineqM  de  ces  lois. —  Les  êtres  inanimés  soat  faits  évi- 
demment  pour  les  hommes,  pour  leur  être  utiles  ;  l'homme  est,  par 


â 
LOIS  RELATIVES  AUX  CHOSES  309 

la  dignité  de  sa  nature,  le  l'oi  de  la  création,  et,  par  suite,  il  est  le 
maître  des  choses  qui  sont  sur  la  terre  et  que  Dieu  à  mises  à  son 
service. 

Mais  les  hommes  sont  nombreux  et  les  choses  le  sont  bien 
davantage.  L'homme  a  besoin  d'un  lieu  ou  il  puisse  habiter,  de 
vêtements  pour  se  couvrir,  d'une  nourriture  quotidienne  et  de  mille 
instruments  dont  il  sait  se  servir.  Tout  cela  il  le  trouve  sur  la  terre. 
ou  bien  il  le  façonne  en  se  servant  des  matériaux  que  la  terre  lui 
fournit.  Or,  vu  le  grand  nombre  des  hommes,  les  choses  de  la  terre 
ne  peuvent  pas  appartenir  &  tous  à  la  fois,  car  dès  que  Tun  fait 
usage  d'un  objet,  ce  môme  objet  ne  peut  en  même  temps  servir  à  un 
autre,  et  souvent  môme  l'homme  le  détruit  dôs  qu'il  s'en  sert.  Il 
faut  donc,  absolument  parlant,  que  les  choses  puissent  avoir  un 
propriétaire.  De  plus  certains  objets  demandent  un  travail  plus  ou 
moins  long  de  la  part  de  l'homme  ;  il  fs^ut  donc,  pour  que  Thomme 
travaille  ainsi  un  objet,  qu'il  sache  que  cet  objet  lui  appartiendra 
ensuite.  Il  est  donc  nécessaire  que  les  hommes  puissent  être  pro« 
priétaires  de  certains  objets.  La  propriété  est  donc  fondée  sur  les 
conditions  mômes  de  la  vie  humaine  sur  la  terre  ;  car  si  toutes  cho- 
ses appartenaient  indistinctement  à  tous,  ou  à  personne,  aucun 
homme  ne  pourrait  user  d'un  fruit  de  la  terre  pour  s'en  nourrir, 
sans  léser  les  droits  des  autres.  Cette  propriété  doit  être  détermi- 
née. C'est  donc  &  la  loi  morale  d'indiquer  les  différentes  origines  de 
la  propriété  et  les  bases  d'après  lesquelles  elle  se  détermine.  La 
propriété  ensuite  avec  ses  limites  détermine  les  droits  d'un  chacun 
et  les  devoirs  de  tous  les  autres  vis-à-vis  des  droits  de  celui-là. 

62.  Origines  de  la  propriété.  —  Le  seul  moyen  naturel  de 
déterminer  la  propiété  de  chaque  homme  sur  la  terre,  au  moment 
où  personne  encore  ne  possède  rien,  c'est  que  chaque  chose  appar- 
tienne au  premier  qui  s'en  empare.  Aussi  tous  les  hommes  recon- 
naissent comme  première  source  de  la  propiété,  le  droit  du  pre- 
mier occupant, 

Quand,  parce  premier  mojen,  tous  les  hommes  sont  dev^enus 
propriétaires,  il  est  naturel  qu'ils  puissent  échanger  entre  eux  dif- 
férentes parties  de  ce  qu'ils  possèdent  ;  qu'ils  puissent  ainsi  se 
transmettre  mutuellement  la  propriété  des  choses  ;  qu'ils  puissent 
se  donner,  les  uns  aux  autres,  de  ces  objets,  sans  compensation.  De 

24 


370  MORALR 

là  l'échange,  la  vente  et  la  donation.  Ce  sont  là  tout  autant  de  con- 
trats qui  transmettent  d*un  homme  à  un  autre  la  propriété  d'osé 
chose.  Ainsi  encore  s'acquiert  la  propriété. 

04.  Lois  morales,  conséquenses  de  la  propriété.  — Dèe 

que  la  propriété  est  déterminée  pour  un  homme  par  une  quiconque 
de  ses  origines  naturelles,  il  s'ensuit  que  cet  homme  a  le  droit  d'o- 
ser des  choses  dont  il  est  propriétaire  et  que  tout  les  autres  oai  k 
devoir  de  respecter  ce  droit. 

Le  droit  du  propriétaire  sur  sa  chose  lui  permet  d*en  nser  ou  de 
n'en  nser  pas  et  môme  de  la  détruire  ou  de  la  tranformer  selon  sot 
pouvoir,  si  cela  lui  plaît  ;  tous  les  autres  hommes  ont  par  là  mâne 
le  devoir  de  le  laisser  user  de  sa  chose. 

D*oû  il  suit  que  le  vol  est  un  crime  contre  la  loi  morale  de  la 
propriété  ;  et  que  toute  atteinte  à  la  chose  qui  est  la  propriété  d'an- 
trui  est  aussi  un  crime  contraire  à  la  loi  morale  de  la   propriété. 

Celui  qui,  par  un  acte  libre,  et  même  par  une  simple  impro- 
dence,  détériore,  ou  dégrade  ou  détruit,  ou  s'approprie  le  bien  d*aa- 
trui>  est  responsable  de  son  acte  et  est  tenu  de  réparer  le  dommage 
ou  de  restituer  l'objet,  s'il  le  possède.  Si  son  acte  n'est  pas  libre,  il 
n*est  pas  responsable  d'un  dommage  qui  ne  lui  profite  en  rien^  mail 
s'il  s'apercevait,  après  un  acte  de  ce  genre,  qu'il  s'est  approprié 
involontairement  le  bien  d'autrui,  il  devrait  le  restituer,  car  eu  le 
gardant  librement  il  commencerait  à  être  responsable  et  son  aet» 
deviendrait  un  voL 

Article  2*. 

LOIS  MORALES  DES  ACTES  ENVERS  SOI-MÊME 

65.  Principe  de  ces  lois.  —  L'homme  s'appartient  à  lai-même 
et  par  conséquent  il  a  des  droits  sur  lui-même,  sur  son  âme  avec 
ses  facultés,  sur  son  corps  avec  toutes  ses  puissances;  mais  l'homm* 
ne  s'appartient  pas  tellement  qu*il  n*appartienne  encore  à  Dieu,  à 
sa  famille  et  jusqu'à  un  certain  point  aux  autres  hommes.  Ses 
droits  sont  donc  limités  par  les  droits  de  Dieu,  de  la  famille  et  delà 
société  sur  lui,  et  il  s*en8uit  qu'il  a  des  devoira  envers  lui-même 
qui  ne  sont  que  le  respect  des  droit  de  Dieu  et  des  autres  hommes. 


LOIS    DBS   ACTES    KNVERS    SOI-MÊME  371 

66.  Droits  de  rhomme  sur  lui-même.  —  L'iiomme  a  sur 
lui-môme  le  droit  d'user  de  ses  facultés  et  des  puissances  de  son 
corps,  conformément  à  leur  fin  respective.  Il  a  droit  de  les  déve- 
lopper autant  que  la  chose  est  en  son  pouvoir.  Mais  il  n'a  pas  le 
droit  de  les  détruire,,  parce  qu'il  appartient  aussi  à  d'autres  et 
surtout  à  Dieu,  qui  se  réserve  le  choix  du  moment  oO  il  perdra  ses 
facultés,  ses  forces  physiques  et  môme  la  vie. 

67.  Devoirs  de  Thomme  envers  lui  même.  —  L'homme  se 
doit  &  Dieu  d'abord,  à  sa  famille  et  à  la  société  ensuite,  et  il  se  doit 
avec  toutes  ses  facultés,  et  môme  avec  tout  le  développement  qu'il 
est  en  état  de  leur  donner.  Il  est  donc  tenu  non  seulement  de  con- 
server sa  vie,  mais  encore  la  santé  et  les  forces  de  son  corps  ;  il 
est  môme  tenu  de  développer  les  facultés  de  son  âme. 

Il  s'ensuit  que  le  suicide  est  un  crime  contre  la  loi  naturelle.  Il 
faut  en  dire  autant  du  duel  qui  n'est  qu'un  double  suicide.  En  effet, 
dans  le  duel,  chacun  des  deux  adversaires  donne  à  l'autre  la 
permission  de  lui  ôter  la  vie,  et  accepte  en  môme  temps  de 
l'autre  la  permission  de  la  lui  ôter.  Or  tout  cela  dépasse  les  droits 
de  l'homme  sur  lui-môme  et  viole  ses  devoirs. 

U  s'ensuit  de  plus  que  toutes  les  habitudes  qui  tendent  d'une 
manière  directe  ou  indirecte  à  ruiner  la  santé  du  corps,  ou  à  priver 
les  facultés  de  Tdme  de  leur  légitime  développement  sont  des  vices 
eontraires  à  la  loi  morale  naturelle.  Les  principaux  sont  l'ivrogne- 
rie,  la  luxure,  l'omission  de  toute  étude  sérieuse. 

Article  3"« 
LOI  MORALB  DE  L'ÀQTB  ENVERS  SES  SEMBLABLES. 

68.  Principe  de  ces  lois.  —  L'homme  a  des  droits  sur  lui- 
môme  et  sur  les  choses  qui  lui  appartiennent.  Il  s'ensuit  que  les 
autres  hommes  ont  le  devoir  de  respecter  ces^  droits.  Telle  est  la 
source  de  nos  devoirs  envers  nos  semblables. 

Mais  un  homme  peut-il  avoir  des  droits  sur  les  autres  hommes  ? 

D'abord  il  est  évident  qu'ayant  des  droits  sur  sa  propriété  et  sur 
lui-même,  11  a  par  là  môme  des  droits  négatifs  sur  tous  les  autres 
hommes  ;  il  a  droit  que  les  autres  respectent  ses  droits  et  par  con- 
séquent ne  fassent  rien  pour  les  violer. 


372  MORALE 

m 

Quant  aux  droits  positifs  qui  consistent  à  pouvoir  exiger  d'un 
autre  homme  tel  ou  tel  acte,  légalité  de  notre  nature,  notre 
commune  origine,  aussi  bien  que  notre  commune  dépendance  de 
Dieu,  font  que  nous  sommes  indépendants  les  uns  des  autres,  si  l'on 
ne  considère  que  les  personnes,  en  tant  que  personnes.  Cependant 
plusieurs  causes  peuvent  engendrer  les  droits  d'un  homme  sur  tels 
et  tels  autres  hommes  .  Ces  causes  sont  : 

l»  La  paternité  qui  engendre  des  droits  direts  ; 

2<*  La  propriété  qui  peut  engendrer  par  convention  des  droits 
indirects; 

3^  la  soumission  volontaire,  qui  engendre  des  droits  convention- 
nels. 

Ainsi  riiomme  a  ou  peut  avoir  à  l'égard  de  ses  semblables  des 
devoirs  et  des  droits  qui  varient  selon  leurs  origines  et  leurs  objets. 

Ces  objets  sont  la  famille,  la  patrie  et  le  genre  humain  ;  ils  con- 
stituent autant  de  classes  de  droits  et  de  devoirs. 

09.  Droits  et  devoirs  de  l'homme  envers  sa  famille.  -* 

Les  droits  et  les  de  voira  de  famille  varient  avec  les  relations  qu'ils 
supposent.  Ces  différentes  relations  sont:  1^  du  père  à  la  môie,  2° 
de  la  mère  au  père,  3<>  du  père  et  de  la  mère  aux  enfants,  4**  des 
enfants  au  père  et  à  la  mère,  5^  des  enfants  aux  enfants. 

Il  est  évident  quft  les  devoirs  et  les  droits  de  chacun  des  trois 
ordres  de  membres  d'une  famille  ne  sont  pas  les  mêmes  envers 
chacun  des  autres,  mais  dépendent  de  leurs  relations,  que  l'on  peut 
résumer  en  trois  :  1"  relations  entre  les  époux,  2»* relations  entre  les 
parents  et  les  enfants,  3°  relations  entre  les  enfants.  Dans  ce 
dernier  ordre  viennent  se  placer  tous  les  devoirs  et  les  droits  basés 
sur  les  autres  degrés  de  parenté. 

11  serait  trop  long  d'énumérer  en  détail  tous  les  droits  et  les 
devoira  qui  naissent  de  ces  trois  relations  de  famille.  Disons  en  peu 
de  mots  les  plus  importants. 

1«  Entre  époux,  il  y  a  une  relation  difficile  à  déterminer.  Le 
mari  est  le  chef,  la  femme  ne  vient  qu'en  second  lieu  et  cependant 
elle  conserve  une  certaine  indépendance.  C'est  là  plus  que  partout 
ailleurs,  que  la  loi  de  charité  doit  venir  au  secoure  de  la  loi  de 
justice  et  que  les  droits  et  les  devoirs  ont  besoin  d*ètre  tempérés 


LOIS  DES  ACTES  ENVERS  SES  SEMBIiÂBLES  373 

par  Famour.  Et  nous  voyons  en  effet,que  chez  tous  les  peuples  où 
ne  règne  pas  la  loi  chrétienne  de  Tamour,  les  femmes  sont  les 
esclaves  de  leur  mari.  C'est  rapplication  brutale  de  la  loi  naturelle 
de  justice,  fondée  sur  ce  principe  que  le  mari  est  le  chef. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  en  philosophie  des  lois  positives 
de  chaque  peuple  qui  règlent  les  droits  de  propriétt)  et  les  autres 
droits  matériels  entre  les  époux  ;  non  pas  que  ces  lois  ne  l'elôvent 
pas  de  la  loi  morale  naturelle,  et  par  conséquent  de  la  philosophie, 
mais  parce  que  ces  questions  sont  suffisamment  étendues  pour  four- 
nir k  elles  seules  la  matière  d'un  traité  spécial. 

2?  Entre  les  parents  et  les  enfants,  on  trouve  une  double 
relation  et  deux  ordfes  de  droits  et  de  devoirs  qui  en.  résultent. 

Les  parents  ont  le  droit  de  diriger  selon  leur  conscience  l'éduca- 
tion de  leurs  enfants,  et  par  suite  ils  ont  le  droit  de  commander  à 
leurs  enfants  ;  mais  ce  droit  de  direction  ne  signifie  pas  que  les 
parents  puissent  s'en  dispenser,  pas  plus  qu'ils  ne  peuvent  tuer  ou 
laisser  mourir  leurs  enfants, qui  ne  leur  appartiennent  pas  en  pleine 
propriété. 

Cette  limite  des  droits  des  parents  sur  leurs  enfants  indique  le 
commencement  de  leurs  devoirs.  Les  parents  doivent  pourvoir  à 
la  conservation  et  au  développement  physique  et  moral  de  leurs 
enfants.  Ils  sont  donc  moralement  tenus  de  donner  à  leurs  enfants 
une  éducation  convenable. 

Mais  s'ensuit-il  que  le  pouvoir  civil  puisse  urger  ce  devoir  et 
punir  les  parents  qui  v  manquent?  Non.  Car,  le  pouvoir  civil  ne 
pourrait  faire  cela  qu'eu  ôtant  aux  parents  la  direction  de  l'éduca- 
tion de  leurs  enfants;  M  cette  direction  est  leur  droit. 

Les  enfants  ont  le  droit  d'être  nourris  et  dirigés,  par  leurs  pa- 
rents, jusqu'au  moment  où  ils  peuvent  se  suffire.  Ce  droit  corres- 
pond aux  devoirs  des  parents  envers  eux. 

Mais  d'un  autre  côté  ils  ont  le  devoir  de  se  laisser  diriger  et  par 
*C(mséquent  ils  sont  tenus  d'obéir  à  leurs  parents.  De  plus,  la  supé- 
riorité de  leura  parents  fi  leur  égard  exige  d'eux  le  respect,  et  les 
biens  qu'ils  en  regoivcnt  exigent  la  reconnaissance  et  l'amour.  Dans 
CCS  deux  derniers  devoirs  sont  compris  les  soins  qu'ils  doivent 
donner  à  leurs  parents,  si  leurs  parents  ont  besoin  d'eux. 

î^*"  Entri-:  les  enfants  d'une  même  famille,  il  y  a  égalité  et 


374  •  MORALE 

indépendance.  Ils  n'ont  naturellement  aucnn  droit  les  uns  sar  aa 
autres.  Cependantà  raison  des  liens- du  sang,  ils  se  doivent  res- 
pect et  amour,  beaucoup  plus  qu'à  l'égard  des  autres  hommes.  Mais 
ceci  découle  de  la  loi  de  charité  et  non  de  la  loi  de  justice. 

70.  Droits  et  devoirs  de  l'homme  envers  sa   patrie.  — 

L'homme  n'a  une  patrie  qu'en  tant  qu'il  fait  partie  d'uoe  société 
se  gouvernant  elle-même.  La  patrie  de  Thomme  n*est  pas  seitie- 
ment  le  sol  qui  Ta  vu  naître  ;  c'est  aussi  et  surtout  le  x>euple  qai 
habite  ce  sol.  Le  sol  de  la  patrie,  comme  les  hommes  qu^on  appeik 
ses  compatriotes  sont  déterminés  par  une  constitution  sociale.  Poer 
voir  les  relations  de  l'homme  avec  sa  patrie  il  faut  donc  étudier  h 
constitution  des  sociétés. 

71.  De  la  société.  —  On  appelle  société,  peuple,  nation,  ro- 
yaume, empire,  république,  etc.  une  collection  d'individus  ou  plu- 
tôt de  familles  dirigés  par  un  gouvernement  suprême  et  régis  ptr 
les  mêmes  lois. 

La  société  en  général,  c'est-à-dire,  la  mise  en  commun  de  oeï^ 
tains  intérêts  et  les  relations  d'intérôis  de  certains  individus,  «st 
un  fait  naturel  et  nécessaii^e  au  développement  des  facultés  de 
l'homme.  Mais  les  sociétés  particulières  ont  différentes  origines, 
toutes  plus  ou  moins  conventionnelles. 

72.  Origine  des  sociétés.  —  Si  haut  que  nous  remontioië 
dans  l'histoire  nous  voyons  partout  et  toujours  l'homme  en  société. 
.  C'est  qu'en  effet  les  hommes  venant  d'une  source  commune  n'ost 

pas  pu  se  trouver  isolés  à  leur  berceau  et  plus  tard  le  besoin  des  re- 
lations et  du  concours  qu'ils  trouvaient  dans  la  société  les  y  a 
maintenus. 

Cependant,  pour  une  cause  ou  pour  une  autre  des  groupe 
d'hommes  se  sont  séparés  de  cette  société  primitive  et  sont  allés  « 
fixer  ailleurs .  La  société  s'est  ainsi  divisée  en  plusieurs  sociétis 
distinctes  et  peu  à  pou,  les  communications  étant  interrompues, par 
les  distances  et  par  les  baiTÎôres  naturelles,  les  langues  se  sont  modi- 
fiées diversement  et  sont  devenues  très- variées.  Ainsi  se  sont  distÎB- 
gués  les  différents  peuples.  Déplus,  un  même  peuple,  parlantla  m^iw 
langue  et  ayant  les  mômes  mœure  s'est  divisé  en  plusieurs  gouver- 
nements ;  souvent  aussi  plusieurs  petits  peuples  se  sont  troav^ 


LOIS  DES  ACTES*  ENVERS  SES  SEMBLABLES        375 

réunis  en  nn  seul  par  diverses  causes.  Telle  est  Forigine  des  socié- 
tés. Elles  se  constituent  et  se  distinguent  par  la  langue,  les  mœurs, 
les  lois,  le  gouvernement. 

73,  Des  différentes  formes  de  gouvernement.  —  Nous 
distinguerons  avec  AristoteetCicéron,  trois  grandes  formes  de  gou- 
vernement :  la  monarchie,  l'aristocratie  et  la  démocratie. 

La  monarchie  est  le  gouvernement  d'un  seul,  qui  prend  le  titre 
de  roi  ;  les  membres  de  la  société  qu'il  gouverne  sont  ses  sigets. 
Quand  son  pouvoir  est  usurpé,  ou  exercé  d'une  manière  injuste, 
c'est  la  tyrannie. 

U aristocratie  est  le  gouvernement  des  nobles,  ordinairement 
en  nombre  relativement  petit.  Quand  ce  pouvoir  de  quelques-uns 
est  usurpé  par  des  indignes,  on  Tappelle  oligarchie,  bien  que  ce 
mot  ne  soit  pas  toujours  pris  ainsi  en  mauvaise  part. 

La  démocratie  est  le  gouvemenient  d'un  peuple  par  lu -môme  ; 
les  membres  de  la  société  y  prennent  le  titre  de  citoyens,  s'ils  ont 
le  droit  de  prendre  part  au  gouvernement.  Quand  ce  pouvoir  est' 
irrégulier  il  s'appelle  V anarchie. 

S'il  est  permis  de  juger  dang  leur  nature  même  ces  trois  formes 
de  gouvernement,  au  point  de  vue  des  intérêts  d'un  peuple,  nous 
dirons  encore  avec  Aristote  et  Cicéron  que  la  meilleure  forme  est 
celle  qui  consiste  dans  une  heureuse  alliance  des  trois  formes 
ci  dessus  indiquées  ;  mais  s'il  fallait  faire  choix  de  Tune  des  trois 
formes  séparément,  nous  dirions  encore  avec  les  mômes  philosophes, 
que  la  forme  la  plus  propre  à  procurer  le  bonheur  d'un  peuple  c'est 
la  monarchie,  et  que  la  démocratie  se  trouve  au  dernier  rang, 
selon  ce  vers  du  poète. 

Le  pire  des  états  c'est  l'état  populaire. 

73.  Variétés   de    ces  formes    de  gouvernement.  —  On 

distingue  les  monarchies  héréditaires,  les  monarchies  électives , 
les  monarchies  absolues  et  les  monarchies  constitutionnelles.  Dans  ces 
dernières  le  roi  n'a  que  le  pouvoir  exécutif  ;  ce  sont  les  représen- 
tants du  peuple  qui  font  les  lois.  Dans  ce  cas,  le  titre  de  roi  n*est 
qu'un  vain  mot  ;  le  gouvernement  est  en  effet  démocratique,  et  le 
roi  n'est  que  le  président  de  cette  démocratie. 


376  MORALB* 

Dans  raristocratieon  peut  distinguer  celle  de  la  naissance,  cdk 
de  la  propriété  foncière,  celle  de  la  richesse  en  général  et  enfin  o^ 
du  talent. 

Quant  à  la  démocratie  qui  est  une  forme  de  gouvernement  entiè- 
rement moderne,  car  elle  n'exista  jamais  dans  les  républiques  delà 
Grèce,  ni  &  Rome,  on  lui  suppose  chaque  jour  des  formes  plus  oi 
moins  nouvelles.  Dans  sa  forme  la  plus  simple  elle  laisse  les  cito- 
yens libres  d'administrer  à  leur  gré  leurs  biens  privés,  et  leur  fait 
administrer  en  commun  les  biens  publics  ;  mais  dans  les  rêves  de 
plusieurs  de  nos  démocrates  actuels,  elle  devrait  faire  disparait» 
toutes  les  propriétés  privées,  et  chacun  travaillerait  forcément  pooî 
le  compte  de  Tétat,  en  fournissant  chaque  jour  la  tâche  imposée, 
comme  dans  un  bagne.  C'est  la  dé^nocratie  sociale.  Quelques-nsi 
espèrent  môme  réunir  un  jour  le  genre  humain  tout  entier  sous  uae 
seule  démocratie  de  ce  genre.  C'est  la  république  radicale»  démo- 
oratique,  sociale  et  universelle. 

Il  est  bien  entendu  que  ceux  qui  font  de  si  beaux  rêves,  suppc»- 
sent  toujours  que,  le  cas  échéant,  ils  sei*aient  sinon  les  maîtres  aa 
moins  parmi  les  surveillant8,et  se  contenteraient  de  voir  travailler 
les  autres. 

74.  Légitimité  des  différentes  formes  de  goaTemement.— 

Chacune  de  ces  formes  de  gouvernement  peut  être  fondée  sur  la  loi 
morale  et  être  ainsi  légitime. 

Par  exemple,  dans  un  peuple  issu  d'un  môme  père,  tant  que  te 
père  est  vivant, il  est  naturellement  le  roi,  comme  tout  père  est  rot' 
dans  sa  famille. 

D'un  autre  côté  un  homme  qui  possède  une  terre  très-étendue  et 
qui  n'a  point  de  supérieur  peut  en  vendre  ou  en  donner  des  portions 
a  d'autres  hommes  en  se  réservant  le  droit  d'y  régner  :  si  les  non- 
veaux  propriétaires  acceptent  la  condition,  il  est  lui  et  ses  descen- 
dants ou  héritiei's,  le  roi  de  ces  mêmes  hommes  et  de  leurs  succes- 
seurs ou  héritiers. 

Si  au  contraii*e,  plusieurs  propriétaires  voisins  et  entièrement 
indépendants  forment  par  convention  une  société,  ils  constituent 
par  la  môme  une  démocratie  légitime.  Et  si  quelques-uns  ou  tous 
vendent  ou  donnent  k  d'autres  quelques  portions  de  leurs  prùpriét^ 


LOIS  DBS  ACTES  ENVERS  SES  SEMBLABLES         377 

en  s'j  réservant  un  droit  seigneurial,  le  gouvernement  devient  une 
aristocratie. 

On  voit  par  là  l'origine  de  la  dépendance  des  hommes  à  Tégard 
de  la  société  à  laquelle  ils  appartiennent.  Cette  dépendance  est  ou 
naturelle,  ou  fondée  sur  la  propriété,  ou  enfin  établie  par  conven- 
tion. Dans  tous  les  cas  cette  dépendance  est  légitime  et  constitue 
un  devoir  inviolable. 

75.  Conclusion.  —  Donc  l'homme  a  des  devoirs  envers  la 
société  à  laquelle  il  appartient.  ' 

Quant  à  la  détermination  de  ces  devoirs  et  de  cejte  dépendance, 
elle  ne  peut  être  faite  que  par  la  considération  de  Torigine  de  la 
société  elle-même  et  de  la  forme  légitime  de  son  gouvernement. 

La  nature,  les  servitudes  foncières  ou  les  conventions  sociales 
déterminent  tout  à  la  fois  et  la  société  elle-même  et  la  forme  de 
son  gouvernement  et  les  droits  et  les  devoirs  de  tous  ses  membres. 
Tout  cela,  de  par  la  loi  de  justice. 

Mais  la  loi  de  charité  vient  tempértr  larudesse  du  droit  en  disant 
h  l'homme  d'aimer  et  de  secourir  ses  semblables,  et,  en  première 
ligne,  ceux  qui  lui  sont  unis  par  les  liens  de  la  ïamille  ou  par  les 
liens  sociaux. 

76.  Droits  et  devoirs  de  l'homme  envers  le  genre 
bumain.  —  Les  droits  que  nous  avons  vis-à-vis  de  tous  les  hom- 
mes en  général,  au  point  de  vue  de  la  loi  de  justice,  sont  tous  des 
droits  négatifs.  Ils  se  résument  dans  le  droit  d'être  respectés  par  les 
autres  hommes,  dans  tout  ce  que  nous  possédons,  dans  notre  per- 
sonne ou  dans  nos  biens.  Au  point  de  vue  de  la  loi  de  charité,  nous 
avons  bien  le  droit  de  recevoir  des  autres  un  concours  pour  attein- 
dre notre  fin,  mais  c'est  là  un  droit  indéterminé  dans  son  terme,  et 
on  ne  peut  pas  le  revendiquer. 

Les  devoirs  d'un  homme  envers  les  autres  hommes  en  général 
sont  corrélatifs  à  leurs  droits.  Par  conséquent,  la  loi  de  justice  nous 
impose  à  tous  le  devoir  négatif  de  respecter  les  droits  des  autres  ; 
la  loi  de  chanté  nous  impose  de  plus  le  devoir  de  prêter  à  tous 
selon  nos  moyens  un  concours  positif  pour  les  aider  à  atteindre  leur 
fin.  Mais  encore  une  fois  l'objet  et  le  terme  de  ce  devoir  sont 
indéterminés. 


378  MORALE 

Cependant  ces  mêmes  devoirs  se  déterminent  facilement  par  ks 
circonstances.  Par  exemple,  si  je  rencontre  un  homme  dans  on 
danger  pressant  pour  sa  santé  ou  pour  sa  vie,  et  que  je  puisse  W 
tirer  de  ce  danger,  je  suis  tenu  par  la  loi  de  charité  de  lui  venir 
en  aide.  Ainsi,  quoique  la  loi  de  justice  permette  à  celui  qui  pos- 
sède une  chose  quelconque  de  la  détruire,  si  cela  lai  plaît,  la  loi  de 
oharité  lui  ordonne  de  conserver  cette  môme  chose,  dès  qu'elle  est 
nécessaire  à  un  autre,  et  même  de  la  donner  à  celui  qui  en  a  besoin. 
Il  noas  est  impossible  d'entrer  dans  les  détails  des  différents  cas  oô 
la  loi  de  charité  nous  trace  un  devoir  déterminé, mais  nous  crovoas 
en  avoir  indiqué  suffisamment  le  principe  général  qui  s'applique  à 
tous  les  cas.  Nous  le  répétons  sous  une  forme  plus  brève. 

L'homme  doit  le  surperfiu  de  ce  qu'il  possède  &  celui  qui  en  a 
besoin. 

Cette  règle  s'applique,  non-seulement  aux  biens  matériels,  tels 
que  nourriture,  vêtements  et  logement  pour  le  corps,  mais  encore 
aux  biens  de  l'Ame,  tels  que  ïy  connaissances,  que  Ton  peut  tou- 
jours donner  sans  s'appauvrir. 

Il  est  même  des  cas  où  Ton  doit  se  sacriâer  en  quelqae  chose 
pour  subvenir  aux  besoins  des  autres  ;  mais  il  faut  bien  se  garder 
de  généraliser  sans  raison  ce  principe.  Par  exemple,  un  homme 
riche  n'est  pas  tenu  de  s'appauvrir  pour  faire  cesser  la  pauvreté 
d'un  certain  nombre  d'autres  ;  il  n'est  pas  môme  tenu  de  partager 
également  avec  eux  ;  car  on  ne  peut  pas  dire  qu'ils  aient  besoin  de 
de  cela.  D'ailleurs  la  société  ne  peut  exister  qu'à  condition  de  ren- 
fermer tout  à  là  fois  des  riches  et  des  pauvres.  C'est  \îi  une  vérité 
fondamentale,  malheureusement  trop  oubliée  de  nos  jours,  et  que 
l'on  oublie  d'autant  plus  volontiers  que  les  aspirations  du  cœur  j 
o:it  opp')siei.  O.i  dislre  Mv3  riche,  afin  de. ne  rien  faire  et  d'avoir 
tout  à  souhait,  et  c'est  pour  cela  que  l'on  réclame  si  fort  régalité 
On  ne  voit  pas  que  si  l'on  partageait  également  tous  les  biens,  la 
condition  de  chacun  ne  serait  pas  la  richesse,  mais  bien  la  pauvreté 
et  m>mô  la  mis^i'e,  sans  a-iîuui  rossoarce  pour  TattiSauer.  On  ou- 
blie aussi  que  l'égalit^é  n'est  pas  dans  la  nature,  qu'elle  n'existe  ni 
pour  la  taille,  ni  pour  la  force,nipourlasanté,nipourrintelligenc^, 
ni  pour  la  volonté,,  ni  môme  pour  la  liberté,  et  que  l'égalité  de? 
biens  ne  durerait  pas  un  jour,  si  le  partage  venait  à  se  faire;  bien 


LOIS   DES  ACTES  ENVERS  DIEU  879 

plus,  que  si,  par  impossible,  cette  égalité  demeurait  quelque  temps, 
la  vie  deviendrait  intolérable,  parce  que,  personne  ne  pouvant  se 
Suffire  à  soi-même,  et  ne  pouvant  compter  sur  le  concours  inté- 
ressé d'autrui^  on  manquerait  de  tout  ce  qui  aujourd'hui  constitue 
les  commodités  de  la  vie  et  même  de  la  nourriture  et  du  vêtement, 
qui  y  sont  indispensables. 

D'ailleurs  pour  appliquer  dans  toute  sa  rigueur  le  principe  de 
Tégalité  il  faudrait  recommencer  le  partage  à  la  naissance  de  cha- 
que enfant.  Qui  ne  voit  le  ridicule,  l'absurdité  d'une  pareille  théo- 
rie et  les  conséquences  sauvages  qui  en  i*ésulteraient  dans  la  pra- 
tique. 

Article  4*. 
.    LOIS  MORALKS  DES  iOTS  IRTIR8  DIEU 

77.  Principe  de  oes  lois.  —  L'homme  étant  la  créature  de 
Dieu  lui  appartient  tout  entier,  beaucoup  plus  qu'une  chose  ne  peut 
appartenir  &  l'homme  qui  Ta  faite.  Car  dans  l'homme  tout  vient  de 
Dieu:  la  matière  aussi  bien  que  la  forme. 

Donc  l'homme  n'a  aucune  espèce  de  droits  vis-à-vis  de  Dieu  ;  il  a 
au  contmire  tous  les  devoirs  possibles  ;  il  lui  doit  tout  ce  qu'il  a  ;  il 
se  doit  lui-même. 

Par  conséquent  l'homme,  dans  tous  ses  actes,  doit  respecter  les 
droits  de  Dieu. 

78.  Devoirs  de  l'hoinme  envers  Dieu. —  Tous  les  actes  de 
l'homme  sont  la  propriété  de  Dieu  ;  mais  l'homme  est  libre.  C'est 
donc  lui-môme  qui  doit  faire  hommage  à  Dieu  de  tous  ses  actes 
libres. 

De  là,  le  culte  que  l'homme  doit  à  Dieu,  culte  qui  est  un 
hommage  de  toutes  les  facultés  de  l'àme  et  de  toutes  les  puissances 
du  corps.  La  foi,  hommage  de  rinteiligence;  l'amour,  hommage  de 
la  sensibilité;  l'obéissance,  hommage  de  l'activité  libre. 

Ce  culte  est  essentiel,  il  est  donc  nécessaire  ;  mais  la  raison  qui 
nous  le  montre  comme  nécessaire  et  qui  nous  indique  ainsi  les  lois 
de  la  religion  naturelle,  nous  dit  aussi  que  Dieu  a  pu  déterminer 
librement  la  forme  de  ce  culte  et  qu'en  ce  cas  nous  devons  aussi  à 


380  MORALE 

Dieu  ce  culte  tel  qu'il  Ta  fixé.  Et  quand,  ensuite,  les  témoignages 
les  plus  pôremptoires  nous  prouvent  que  Dieu  a  en  effet  décrété  un 
culte  selon  lequel  il  veut  être  honoré,  la  raison  elle-même  ajouta 
que  nous  devons  embrasser  cette  religion. 

Ici  la  raison  s'arr(5te  ;  elle  ne  saurait  aller  plus  loin.  Mais  elle  va 
jusque  là.  Et  c'est  renoncer  à  la  raison  que  de  ne  pas  conclure  avec 
elle 

79.  Conclusion  générale. —  Voilà  toute  la  philosophie.  C'est, 
disions-nous  en  commençant,  la  raison  réfléchie  ;  c'est  le  travail  de 
Tintelligence  humaine  qui  veut  se  rendre  compte,  qui  se  dit:  Qoe 
suis-je  ?  D'où  viens-je  ?  Où  vais-je  ?  Que  dois-je  faire  ?  A  toutes  ces 
questions,  examinées  avec  bonne  foi  et  selon  toutes  les  règles  de  la 
plus  sévère  logique,  la  raison  interrogée  répond,  au  nom  de 
l'homme  tout  entier  :  Je  sais  esprit  et  corps  ;  jo  suis  un  être  intel- 
ligent et  libre,  mais  je  ne  suis  pas  par  moi-même  :  c'est  Dieu  qui 
m'a  fait.  Je  viens  de  Dieu  et  ma  fin  nécessairo  est  de  retourner  à 
Lui;  je  Lui  appartiens  tout  entier;  je  Lui  dois  amour  et  obéissance; 
je  Lui  dois  tous  mes  actes  libres,  sans  exception.  Je  dois  donc  faire 
tous  mes  actes  dans  la  forme  qu'il  m'a  prescrite  pour  chacun  d'eux. 
Or,  il  m'est  historiquement  démontré  avec  la  plus  inébranlable  cer- 
titude que  Dieu  a  placé  sur  la  terre  une  société  toujours  visible  qui 
est  chargée  de  me  transmettre  ses  ordres;  cette  société  c'est 
l'Eglise  catholique  :  donc,  je  dois  être  Catholique, 

Nous  n'avons  pas  démontiv^  ici  la  mineure  de  cet  argument 
parce  que,  depuis  long-temps,  on  a  cru  devoir  bannir  cett«  question 
du  domaine  de  la  philosophie.  Mais  nous  la  rappelons  comme 
démontrée  ailleui-s,  dans  des  ouvrages  spéciaux,  et  nous  affirmons 
sans  hésiter  que  cette  démonstration  est  entièrement  philosophique, 
et  qu'elle  est  le  complément  obligé  de  toute  philosophie  qui  ne  veut 
pas  se  mentir  à  elle  môme  et  s'arrêter  en  route.  Un  temps  revien- 
dra, nous  l'espérons,  où  la  philosophie  reprendra  sa  véritable 
mission,  où  la  raison  se  dégagera  des  chaînes  tvranniques  de 
l'erreur,  et,  affranchie  du  despotisme  avilissant  d'une  coterie  pré- 
tendue savante,  qui  se  plaît  dans  sa  propre  dégradation,  prendra 
son  libre  essor  ver?  le  vrai,  le  beau  et  le  bien,  et  ne  craindra  ]îî;is 
de  conduire  l'homme  jusqu'au  seuil  do  cette  sagesse  supârieuro  à 


LOIS    DES    ACTKS    KNVERS    DIEU  3X1 

la  sagesse  de  la  raison,  qui  constitue  la  vie  surnaturelle  :  la  con- 
naissance surnaturelle  du  vrai,  Tamour  surnaturel  du  beau,  la 
pratique  surnaturelle  du  bien. 

Alors  la  philosophie,  s'estiraant  à  sa  véritable  valeur,  regardera 
])ien  au  dessous  d'elle  toutes  les  sciences  humaines,  dentelle  sera  le 
lien  et  le  couronnement,  et  redira  avec  un  légitime  orgueil: 
Philosophiay  ancilla  Theologiœ, 


HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 


6ÉNÉR1LITÉS 


1.  Idée  de  Thistoire  de  la  philosophie.  *->  Ecrire  l*histoire 
de  la  philosophie,  c'est  selon  nous,  avant  tout,  exposer  les  différen- 
tes phases  de  la  philosophie  classique.  C'est  montrer  ce  qu'ont  été 
les  doctrines  philosophiques  que  nous  appelons  classiques  aux  diffé- 
rentes époques  de  la  vie  du  genre  humain.  Dire  quelles  furent  les 
premières  conceptions  philosophiques,  autant  que  les  monuments 
historiques  nous  permettent  de  le  savoir  :  exposer  les  modifications 
que  ces  conceptions  ont  suhies  chez  les  différents  peuples,  et  par 
quels  développements  elles  sont  arrivées  à  être  telles  que  nous  les 
possédons  aigourd'hui  :  tel  est,  ce  nous  semblés  le  vrai  fond  d'une 
histoire  de  la  philosophie. 

Toutefois,  comme  les  doctrines  anti-classiques,  ne  sont  pas 
totgours  nées  de  la  mauvaise  foi,  et  qu'au  contraire  elles  sont  le 
plus  souvent  le  fruit  d'une  considération  trop  exclusive,  d'un 
point  de  vue  qui,  ramené  à  ses  justes  limites,  offrirait  une  vérité  ; 
comme,  par  l&-méme,  ces  doctrines  quoique  écartées  du  droit 
chemin,  et  constituant  en  effet  uue  marche  rétrograde  plutôt  qu'un 
progrès,  ont  cependant  contribué  d'une  manière  indirecte  au  déve* 
loppement  des  doctrines  classiques,  il  est  bon  de  les  exposer  aussi, 
et,  pour  être  juste,  de  reconnaître  leur  heureuse  influence,  en 
montrant  par  là  une  fois  de  plus,  comment  le  mal  peut  être,  et  est 
en  effet,  l'occasion  d'un  plus  grand  bien. 

2.  Objet  de  cette  étude.  —  L'histoire  de  la  philosophie  doit 
d'abord  faire  connaître  les  hommes  qui  se  sont  occupés  de  cette 


384  HISTOIRE   DE    LA    PHILOSOPHIE 

science  ;  les  présenter  en  eux-mômes,  autant  que  faire  se  peut^daas 
leur  caractère  intellectuel  et  moral  :  les  rattacher  à  leur  époque, 
pour  mettre  en  l'elief  Tinfluence  quMls  en  ont  reçue  et  celle  qu'ils 
ont  exercée  sur  leurs  contemporains  et  sur  ceux  qui  sont  venus 
après.  Elle  doit  aussi  indiquer  leure  ouvrages  afin  que  le  lecteur 
sache  ou  recourir,  soit  pour  vérifier  les  dii'e*  de  l'histoneo,  s«i 
pour  étudier  plus  à  fond  leura  doctrines.  Mais  cette  partie  de 
Thistoire  de  la  philosophie  ne  peut  pas  être  très-développée,  aoxts- 
peine  d'empiéter  sur  les  autres  parties,  qui  sont  plus  importantes, 
ou  de  fournir  matière  à  un  ouvrage  de  plusieurs  volumes. 

En  second  lieu,  l'histoire  de  la  philosophie,  et  c'est  là  son  bot 
principal,  doit  exposer  les  doct;*ines  de  ces  mêmes  philosophes,  ea 
se  servant  le  plus  possihle  de  leur  terminologie,  pour  mieux  mon- 
trer le  point  de  vue  de  l'auteur,  et  dans  tous  les  cas,  qu'elle  les 
cite  ou  qu'elle  les  résume,  rester  toi^ours  exacte. 

Enfin,  Fhistoire  de  la  philosophie  doit  apprécier  ces  mêmes 
doctrines,  dire  ce  qu'elles  renferment  de  vrai  et  ce  qu^elles  contia- 
nent  de  faux,  et  les  rattacher  les  unes  aux  autres,  pour  en  monu^r 
l'accord  ou  Topposition  faire  voir  comment  elles  sont  eugendrées 
les  unes  des  autres. 

3.  Dî£Bcttlté8  qu'elle  ofli*e«  —  Pour  remplir  le   premier  â» 

ces  trois  objets,  il  suffit  de  faire  des  recherches  consciencieuses. 
C'est  un  travail  long,  mais  qui  n'offre  pas  de  difficulté,  gônérale- 
hient,  et  dans  lequel  on  peut  être  sûr  de  ne  pas  errer. 

L'exposition  des  doctrines  est  bien  autrement  difficile  et  de  plus 
elle  offre  un  danger, que  l'on  n'est  jamais  certain  d'avoir  évité.  La 
difficulté  est  d'abord  de  comprendre  exactement  les  théories  de  cha- 
que auteur  et  ensuite  de  n'omettre  aucune  de  celles  qui  pourraient 
modifier  le  sens  des  autres.  Le  danger  est  celui  de  ne  pas  repn^ 
duire  exactement  le  sens  qu'avait  l'auteur  en  écrivant.  En  efiTet,  on 
ne  peut  pas  le  citer  toujours  textuellement  :  il  faudrait  alors  pour 
être  complet  reproduire  presque  en  entier  tous  ses  ouvrages.  Il 
faut  donc  les  résumer,  et  quelquefois  les  éclaircir,  car  le  stjle  de 
plusieurs  de  ces  écrivains  n'est  plus  &  la  portée  des  lecteurs  moder- 
nés,  ou  sort  de  la  langue  du  commun  des  lecteurs.  C*est  dans  ce 
travail  de  résumé  et  d'éclaircissement  qu'est  le  danger  d*inexacti* 
tude,  et  c'est  par  là  d'abord  que  pèche  plus  ou  moins  toute  histoire 


GÉNÉRALITÉS  385 

de  la  philosophie.  Nous  ferons  notre  possible  pour  éviter  ce  défaut  ; 
mais,  comme  nous  ne  sommes  pas  infaillible,  on  voudra  bien  ne  pas 
attribuer  à  la  mauvaise  foi  les  erreurs  de  ce  genre  qui  poun*ont 
nous  échapper.  Nous  tenons  au  contraire  pour  certain,  que  les 
systèmes  môme  les  plus  eiTonés  sont,  dans  la  pensée  de  leur  auteur, 
beaucoup  plus  près  de  la  vérité  qu'ils  ne  le  paraissent  dans  l'expres- 
sion, et  que  déplus,  c'est  toujours  la  vue  d'une  vérité  qui,  exagérée, 
engendre  l'erreur.  C'est  ainsi  que  plus  d'une  fois  nous  avons  déjà 
fait  voir  que  la  contradiction  entre  plusieurs  théories  classiques 
était  plus  apparente  que  réelle  et  qu'en  se  plaçant  au  vrai  point 
de  Tue  on  peut  les  trouver  toutes  les  deux  vraies  :  par  exemple,  la 
théorie  des  idées  innées  et  celle  de  \sl' table  rase.  Nous  voudrions 
pouvoir  ainsi  faire ^oir  ce  qu'il  v  a  de  vrai  dans  chacune  des 
doctrines  que  nous  serons  obligé  de  condamner,  mais  l'espace  ne 
nous  le  pernaettra  pas  toujours. 

Enfin  un  dernier  embarras  de  l'historien  de  la  philosophie,  c'est  le 
choix  qu'il  doit  faire  des  auteurs  dont  il  exposera  les  doctrines,  et 
de  ceux  dont  il  ne  dii*a  rien.  Il  est  vrai  que  les  philosophes  les  plus 
connus  s'imposent  par  leur  renommée  etparTimportancee  de  leurs 
théories.  Mais^oû  s'arrêter  dans  le  grand  nombre  des  autres  ?  Sur 
ce  point  nous  essayerons  d'être  aussi  complet  que  possible  sans 
tomber  dans  l'inutilité. 

Le  troisième  objet  de  l'histoire  de  la  philosophie,  l'appréciation 
des  doctrines,  présente  une  difficulté  insurmontable  et  comme  une 
série  d'erreurs  nécessaires  ft  celui  qui  n'a  pas  une  doctrine  toute 
faite  et  certainement  vraie.  Il  est  facile  de  voir  en  effet  que  l'histo- 
rien de  la  philosophie  ne  peut  juger  les  théories  qu'il  expose  qu'en 
les  comparant  avec  celles  qu'il  a  adoptées  pour  lui-môme.  Si  donc  il 
n'a  pas  de  théorie  à  lui,  il  ne  pourra  que  se  contredire  à  chaque  pas; 
et  si  sa  théorie  n'est  pas  certaine,  comment  ponrra-t-ii  être  certain 
de  là  justesse  de  ses  appréciations?  Pour  ce  point,  nott*e  plus  solide 
garantie  est  que  nous  suivons  en  tout  la  philosophie  classique,  et 
que  par  là  nous  sommes  certains  de  ne  pas  errer,  en  exigeant,  gour 
les  déclai*er  vraies,  que  toutes  les  théories  concordent  avec  les 
nôtres. 

4.  Importance  de  cette  étude. —  Danét  la  lectui*e  d'une  doc- 

25 


38(3  HISTOIRE   DE    LA    PHILOSOPHIE 

triiie  on  est  toujours  exposé  à  ne  voir  qu'une  partie  de  la  vérité  et 
à  Tadopter  avec  exclusion.  Le  meilleur  moyen  de  rectifier  les 
erreurs  de  ce  genre  dans  lesquelles  on  est  presque  nécessaii«mes; 
tombé  en  étudiant  un  traité  de  philosophie,  c*est  de  considérer  ks 
mêmes  doctrines  à  d'autres  points  de  vue.  Or  c'est  jastemait 
l'avantage  qu'offre  l'histoire  de  la  philosophie. 

De  plus,  tout  homme  qui  s'occupe  de  philosophie  peut  être  appelé 
à  apporter  plus  tard  une  nouvelle  pierre  à  l'édifice  de  cette  scienee. 
Il  s'en  rendra  capable  par  la  critique  des  théories  qu'il  a  étudiées  et 
admises  jusque  là,  et  rien  n'est  plus  propre  à  lui  faciliter  cette  cii- 
tique  que  l'examen  de  cette  critique  perpétuelle  qui  se  fait  dans  le 
genre  humain  par  tous  les  philosophes.  Souvent  une  théorie  dgb- 
velle,  même  erronée,  lui  sera  un  trait  de  lumière  pour  voir  plus  \m 
dans  le  domaine  de  la  vérité. 

L'histoire  de  la  philosophie  est  donc  pour  chacun  un  correctif 
presque  nécessaire  et  un  principe  de  développement  pour  la  science 
~  elle-même.  Son  but  n'est  donc  pas  de  satisfaire  une  vaine  curiosité, 
mais  bien  de  corriger  et  de  faire  progresser  la  philosophie  dle- 
môme.  Et  pour  nous,  qui  ne  voulons  suivre  que  la  philosc^hie 
classique,  l'histoire  de  la  philosophie  nous  offre  cet  avantage  q«e 
nous  saurons  par  elle,  d'une  manière  certaine,  quelles  sont  k9 
doctrines  qu'il  faut  considérer  comme  classiques. 

5.  Ordre  à  suivre.  —  On  peut  suivre  dans  l'histoire  de  la 

philosophie  trois  ordres  différents.  P  Présenter  successivement  ks 
différentes  questions  que  traite  la  philosophie,  et  voir  comment  ]m 
ont  traitées  les  différents  auteurs  qui  se  sont  succédé  dans  le  moiMk. 
C'est  l'ordre  systématique.  2^  Classer  les  philosophes  selon  la 
différentes  écoles  auxquelles  ils  appartiennent,  et  présenter  snoees- 
sivcment  chacune  de  ces  écoles,  en  faisant  connaître  les  hommes 
qui  en  ont  fait  partie  et  les  doctrines  qu'ils  ont  émises  ou  adoptées. 
C  est  V ordre  d* écoles.  3^  Classer  les  philosophes  d'après  le  temps 
où  ils  ont  vécu  et  les  présenter  chacun  en  leur  temps,  sauf  à  les 
rattacher  indirectement  à  leurs  écoles.  C'est  l'ordre  chroma 
loffique. 

Nous  avons  déjà  exécuté  en  partie  le  premier  plan  dans  le  ooors 
de  l'ouvrage,  en  ce  que  dans  les  grandes  questions  noos  avons 


PHILOSOPHIE   ANCIENNE  3S7 

montré  par  ordre  de  dates  les  doctrines  des  principaux  philosophes. 
Le  troisième" plan  jetterait  trop  de  confusion  dans  les  idées,  et  ne 
laisserait  pas  assez  voir  Tenchaînement  des  théories  d'une  même 

école. 

Le  second  plan  est  donc  le  seul  que  l'on  puisse  suivre,  et  de  fait,- 
c*est  celui  que  Ton  a  toigours  suivi.  Cependant,  comme  il  y  a 
avantage  à  les  avoir  tous  les  trois,  nous  avons  donné  le  premier 
en  abrégé  et  nous  donnerons  le  troisième  à  la  fin,  sous  forme  de 
tableau. 

6.  Division.  —  Nous  distinguerons  donc  Thistoire  de  la  phi- 
losophie en  trois  périodes  :  1^  philosophie  ancienne  ;  2^  philosophie 
du  moyen«Age  ;  3^  philosophie  moderne.  La  premièi*e  période  com- 
prend tous  les  temps  qui  ont  précédé  la  venue  de  Jésus-Christ,  et 
la  philosophie  païenne  des  siècles  suivants  jusqu^à  la  fin  des  écoles 
grecques.  La  deuxième  période  comjprendra  la  philosophie  chré- 
tienne jusqu'au  mojen-Age  proprement  dit  et  toute  la  philosophie 
du  moyen-&ge.  La  troisième  embrassera  toutes  les  écoles  qui  ont 
paru  depuis  Bacon  jusqu'à  nos  jours. 

Dans  chaque  période  nous  distinguerons  d'abord  les  différents 
peuples,  et  dans  chaque  peuple,  s'il  y  a  lieu,  différentes  époques. 
Enfin  nous  subdiviserons  encore  ces  parties  secondaires  par  les 
différantes  écoles  qui  les  remplissent,  et  dans  chaque  école,  nous 
attribuerons  autant  que  possible  &  chaque  homme  ce  qui  lui 
appartient,  après  avoir  fait  connaître  l'homme  lui-môme. 

l**  PÉRIODE 

PHILOSOPHIE  ANCIENNE 


7.  Cette  période  commence  aux  temps  primitifs  de  la  philoso- 
phie, autant  que  les  documents  que  nous  en  avons  nous  permettent 
d'en  parler,  et  va  jusqu'à  la  fin  des  écoles  grecques,  au  IIP  siècle 
après  J.-C. 

Elle  comprend  la  philosophie  :  des  Hébreux,  des  Chaldéens,  des 
Phéniciens,  des  Egyptiens,  des  Perses,  des  Indiens,  des  Chinois,  des 
Celtes,  des  Grecs  et  des  Romains. 


388  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

PHILOSOPHIE  DES  HÉBREUX 

8.  Observatiofi  prélÙBinaire.  —  On  s'accorde  génénJeme&t 

à  ne  voir  chez  les  Juifs  aucune  philosophie,  si  ce  n*est  dans  b 
sectes  qui  parurent  vers  les  temps  de  Jésus-Chris^,  et,  coiffidé- 
rant  avec  raison  la  Bihle  comme  un  livre  révélé,  et  piatôtreligiesi 
que  rationnel,  on  croit  que  ce  peuple  n'eut  pas  de  philcsopbie 
classique. 

Mais,  de  même  que  nous  chrétiens,  nous  ne  nous  sentons  nnlfe- 
ment  gênés  dans  l'exercice  de  notre  raison  par  les  données  de  la 
Foi,  et  comme  nous  sommes  convaincus  que  l'on  peut  être  tout  i 
la  fois  fervent  chrétien  et  profond  philosophe,  nous  n'hésitons  pa£ 
à  penser  que  les  Juifs,  tout  en  s'attachant  par  la  foi  aax  doctiûes 
révélées  de  la  Bible,  surent  employer  la  raison  et  l'obserratioG 
comme  nous  le  faisons  nous-mêmes  ;  car  la  philosophie  est  dans  h 
nature  de  Fhorame,  et  elle  va  d'autant  plus  sûrement  à.  son  bet 
qu'elle  le  connaît  déjà  d'ailleurs.  £t  nous  trouvons  dans  la  Kliîe 
même  la  preuve  de  cet  esprit  philosophique  des  Juifs. 

Sans  doute,  la  Bible  présente  surtout  les  vérités  comme  affinn^ 
par  Dieu  ;  mais  on  y  voit  aussi  les  hommes  présentant  les  raisofli 
de  leur  foi,  ou  démontrant  par  la  raison  seule  certaines  Târités 
d'ailleurs  affirmées  par  la  foi,  et  Bien,  lui-même  consentant  k  pbi- 
losopher  avec  les  hommes  et  leur  montrant  que  leur  propre  nâiû& 
s'accorde  avec  ses  enseignemeats. 

De  plus  les  doctrines  renfermées  dans  la  Bible  sont  la  base  de 
toute  la  philosophie  classique  ;  elles  contiennent  non  seulemest 
en  germe,  mais  souvent  d'une  manière  très  explicite  les  doctrine 
de  la  philosophie  classique. 

Pour  toutes  ces  raisons  il  nous  semble  convenable  de  oonsacfer 
à  la  philosophie  des  Juifs,  autre  chose  que  quelques  lignes,  poor 
montrer  uniquement  les  aberrations  de  quelques-uns  d'entre  eux, 
qui  se  sont  écartés  des  doctrines  révélées  écrites  ou  transmises  ptf 
tradition. 

QueUes  raisons  a-t-on  d'en  agir  ainsi  ?  Seraiix:e  que  la  philo* 
Sophie  est  essentiellement  opposée  à  la  foi  ?  Nous  posons  toat  U 
contraire.  La  Foi  est  certaine  :  elle  vient  de  Dieu  :  eUe  est  dose 
vraie  et  aucune  doctrine  certaine  ne  peut  lai  être  opposée.  C'est 


PBIL080PRIB    DSS  RâBReCJX  389 

poar  cela  qu'en  faisant  de  la  philosophie,  a  Taide  de  nos  seules 
lumières  natarelles,  nons]ne  perdons  jamais  de  vue  les  données  de 
la  foi.  On  a  beaucoup  vanté  le  prétendu  affk^anchissement  de  la 
raison  par  la  philosophie  moderne.  Pour  nous,  nous  avonons  n'a- 
voir pas  encore  vu  où  était  l'esclavage  de  la  raison  avant  cette  pré- 
tendue réfoxme,  et  Thistoire  de  la  philosophie  nous  montre  que, 
loin  de  nous  avoir  apporté  dejgrandes  découvertes  philosophiques, 
ceux  qui  à  dessein  se  s(Hit  tenus  loin  des  lumières  de  la  foi,  ont  fini 
par  tomber  dans  Tabsurde,  c'est-à-dire  par  perdre  le  bon  emploi  de 
la  raison. 

Donc,  nous  allons  exposer  d'abord  la  philosophie  de  la  Bible,  qui 
est  la  philosophie  classique  des  Hébreux.  Toutefois  nous  n'en  don- 
nerons qu'un  rapide  aperçu. 

9.  Philosophie  de  laBihle.  —  Ce  dépôt  de  la  révélation,  le 
livre  sacré  des  Juifs  et  des  Chrétiens,  renferme  la  plupart  des  don- 
nées philosophiques,  et  plusieurs  y  sont  présentées  sous  une  forme 
raisonnée. 

On  j  trouve  très-nettement  exprimée  la  distinction  de  l'àme  et 
du  corps,  et  comme  chez  tous  les  autres  peuples  le  mot  qui  sert  à 
désigner  l'Ame  (nphsch)  signifie  matériellement  souffle^  comme  en 
Grec,  ({fljj^fi ,  que  Ion  diraittiré  du  mot  hébreu,  et  Tçveujia,  et  comme 
en  latin  les  mots  anima  (de  ave[Ao;)  et  spiritus.  On  y  voit  encore 
très-nettement  l'idée  de  rintelligence,  de  la  sensibilité  et  de  la  vo*- 
lonté  libre.  Tout  cela  est  exprimé  dès  les  premières  pages.  Dieu 
défend  &  Adam  et  à  Eve  de  manger  du  fruit  de  l'arbre  de  la  science 
du  bien  et  du  mal  :  c'est  donc  qu'il  les  déclare  intelligents  et  libres. 
Mais  Eve  voit  que  le  fruit  est  beau  et  agréable  et  elle  se  laisse  en- 
traîner par  Tattrait  du  plaisir,  comme  aussi  parle  sentiment  d'or- 
gueil de  devenir  comme  Dieu. 

Plus  loin  Dieu  dit  ù  Gain  :  Nonne  si  bene  egeris^  recipies  :  sin 
autem  maie,  statiminforibus  peccaûum  aderit  ?  Sed  sub  te  erit 
appetitus  ems^  et  tu  dominaberis  illiics.  (  Gen.  c.  3.  )  Ici  toutes 
les  facultés  de  l'âme  sont  nettement  exprimées  :  intelligence,  sen- 
sibilité et  liberté.  On  voit  l'attrait  du  sentiment,  appetitus  ;  nwie 
la  volonté  est  libre  ;  elle  peut  le  dominer.  On  y  voit  môme  la  rai- 
son affirmée  comme  connaissant  d  elle  même  le  bien  et  le  mal,  et 


390  HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIB 

le  mérite  et  le  démérite.  Et  tout  cela  n'est  pas  senlement  affinné, 
mais  Dieu  le  présente  à  Caîn,  comme  autant  de  Térités  qu*il  ddt 
connaître  par  lui  même:  Nonnel 

Aucun  livre  ne  nous  dit  mieux  la  nature  de  Dieu  et  tous  ses 
attributs,  et  souvent  ces  attributs  y  sont  présentés  comme  des 
vérités  de  raison,  et  sous  une  forme  philosophique.  IntelUgiU 
insipientea  in  populo  :  et  stultt  aliquando  sapite.  Qui  piantémi 
aurem  non  audiet  f  aut  qui  finxit  oculutn  non  considérât  /...• 
Qui  docei  hominem  scientiam  ?  (Ps .  93.)  Et  il  conclut  :  Domi- 
nus  sait  cogitationes  hominum. 

Dieu  est  le  créateur  de  toutes  choses  et  ses  œuvres  nous  le  révè- 
lent :  ses  œuvres  parlent  toutes  les  langues  et  tous  les  peuples  peu- 
vent en  apprendre  la  même  leçon.  Cœli  enarrant  gloriatn  Dei^  et 
opéra  manuum  ejus  annuntiat  firmamentum.  Non  sunt  loque- 
lœ  neque  sermones  quorum  non  audiantur  voces  eorum  (Ps.  18.) 
L'insensé  seul  ne  voit  pas  Dieu,  et  encore  c'est  la  passion  qui 
Tempéche  de  le  voir.  Dixit  insipiens  in  corde  suo:  Non  est  Deus, 
(Ps.  52.) 

Dieu  gouverne  toutes  choses  et  rien  ne  se  fait  sans  lui.  Nisi 
Dominus  œdificaverit  domum,  in  vanum  laboraverunt  qui 
œdificant  eam,  Nisi  Dominus  custodierit  civitatem  frustra 
vigilat  qui  custodit  eam.  (Ps.  126.)  Si  dicebam  motus  est  pet 
meus  :  misericordia  tua.  Domine,  adjuvabat  tne.  (Ps.  93.) 

Quelle  différence  avec  les  idoles  des  autres  peuples  !  Sitnulacra 
gentium  argentum  et  aurum\  opéra  manuum  hotninum,  Oi 
habent  et  non  loquentur,  etc.  (Ps.  113.) 

La  môre  des  Machabées  excite  ses  sept  enfants  à  mourir  coura- 
geusement pour  leur  foi,  et  elle  leur  donne  les  raisons  de  cette  foi, 
l3S  raisons  pour  lesquelles  ils  appartiennent  à  Dieu.  Nescio  qua- 
litcr  in  utero  meo  apparuistis  :  neque  enim  ego  spiritum  et 
animam  donavi  vobis,  et  vitam,  et  singulorum  membra  non  ego 
ipsa  compegi.  Elle  affirme  ensuite  l'immortalité  deTâme.  Sed 

enimmundi  Creator  qui  foryyiavit  hominis  nativitateni, JSt 

spiritum  vobis  iterum  cum  misericordia  reddet  et   vitafn.  (II 
Maoch.  7) 

Job  et  ses  amis  raisonnent  toutrà-fait  philosophiquement.  Et 
comme  ceux-ci  ne  veulent  pas  comprendre  qu'un  juste  puisse  être 


PHILOSOPHIE  DES  HÉBREUX  391 

ainsi  accablé  de  souffrances,  Job  finit  par  leur  dire  :  Ergo  vps  estîs 
soli  homines,  et  vobiscum  morietur  sapientia?  Et  miht  est  cor, 
stcut  et  vobiSy  nec  inferior  vestri  sum  :  quts  enim  hoc,  quœ 
nostisy  ignorât  /Voilà  bien  les  vérités  nécessaires  en  général.  En 
voici  une  en  particulier  avec  la  démonstration  des  attributs  de 
Dieu.  Nimirum  interroga  jumenta,  et  docebuntte:  et  volatilia^ 
cœli,  et  indtcabunt  tibi,  Loqtœre  tei^rœ,  et  respondebît  tibiy  et 
narrabuni  ptsces  maris.  Qui  s  ignorât  quod  omnia  hœc  manus 
Domini  fecerit ,,,.,?  Nonne  auris  verba  dijudicat,  et  fauces 
comedentes,  saporem?  (Job,  12). 

Plus  loin  il  affirme  la  destinée  future  de  l'homme  et  la  résurrec- 
tion du  corps,  monti'ant  par  là  que  sa  philosophie  ne  lui  fait  pas 
oublier  la  foi.  Scio  quia  redemptor  meus  vivit,  et  in  novissimo 
die  de  terra  surrecturus  sum  :  et  rursum,  circumdabor  pelle 
tnea,  et  in  carne  mea  videbo  Deum  m£um,  Quem  visurus  sum 
ego  ipse,  et  oculi  mei  conspecturi  sunt  et  non  alius  :  reposita 
est  hœc  spes  mea  in  sinu  meo.  (Job,  19.) 

Eliu,  le  plus  jeune  des  amis  de  Job,  affirme  aussi  les  droits  de  la 
raison,  qu'il  possède  lui  aussi,  quoique  moins  avancé  en  âge. 
Junior  sum  tempore,.*  Sed  ut  video  spiritusest  in  hominibus, 
et  inspiratio  Omnipotentis  dat  intelligentiam.,.,  ideodicam: 
A udite  me,  ostendam  vobis  etiam  ego  meam  sapientiam.  (Job,  32) . 

Enfin  Dieu  lui-môme  consent  à  raisonner  avec  les  hommes.  II 
procède  par  interrogation  et  leur  démontre  tout  à  la  fois  et  sa 
sagesse  et  leur  ignorance^  par  les  merveilles  et  les  mystères  de  la 
création . 

Dans  Tensemble  de  cette  histoire  une  grande  question  philoso- 
phique est  traitée.  Le  mal  physique  et  les  souffrances  des  justes, 
sont  Fœuvre  de  Dieu,  et  cela  ne  détruit  en  rien  sa  justice  ni  sa 
bonté  ;  car  il  est  le  maître  et  les  peines  sont  pour  les  justes  une 
épreuve  et  une  occasion  de  mérite. 

La  Bible  est  aussi  le  plus  beau  livre  de  morale  que  l'on  puisse 
lire.  On  y  trouve  tous  les  préceptes  de  la  loi  naturelle,  non-seule- 
mént  en  abrégé  et  dans  leurs  grands  principes,  mais  encore  dans 
les  plus  menus  détails,  avec  les  meilleurs  conseils,  les  meilleures 
exhortations  à  la  vertu  et  à  la  fuite  du  vice,  et  tout  cela  y  ^t  non 
seulement  affirmé  sur  Tautorité  de  Dieu,  mais  encore  souvent  pré- 
senté comme  dicté  par  la  raison. 


392  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

La  Bible  renferme  donc  la  vraie  philosophie  classique  des 
Hébreux  et  elle  est  tout  à  la  fois  le  phis  ancien  et  le  pins  exact  de 

tous  les  traités  de  philosophie. 

10.  Sectes  philosophiques  ches  les  Juifs. —  On  consulta 

généralement  comme  des  sectes  philosophiques  les  Pharisiens,  la 
Saducéens  et  les  Ësséniens. 

Les  Pharisiens  étaient  plutôt  une  secte  religieuse,  car  c^est 
surtout  dans  leur  manière  de  pratiquer  la  religion  que  se  mam£Bst« 
leur  esprit.  L'Evangile  nous  les  présente  comme  des  hommes  qû 
par  orgueil  faisaient  profession  de  pratiquer  la  loi  de  Moise,  avee 
plus  d*austérité  que  les  autres  ;  c*est  pour  cela  qu'ils  s^appeiaiest 
purs  ou  séparés  (phrsch).  Ils  tenaient  fortement  aux  traditîoi^ 
des  anciens,  vraies  ou  prétendues,  et  les  estimaient  à  l'égal  âoos 
au-dessus  de  la  Bible.  Ce  sont  eux  qui  sont  les  premi^^s  auteois 
du  Talmud,  volumineux  recueil  de  commentaires  de   la  Bibk, 
de  traditions,  et  de  fables  souvent  ridicules,  qui  ne   fat  déi- 
nitivement  rédigé  que  beaucoup  plus  tard.  II  renferme:  laMischna 
ou.seconde  loi,  tradition  secrète,  destinée  seulement  aux  prêtres  ; 
la  Grhemara,    explication   des  rabbins*  Ils  écrivirent    aussi  la 
Kabbale  ou  tradition  (qbl,  accepit)^  d*où  est  sortie  la  fameuse 
Cabale,  avec  les  secrets  cabalistiques. 

L'espace  ne  nous  permet  pas  de  résumer  ici  la  philosophie  de  la 
Mischna  et  de  la  Kabbale,  qui  d'après  les  écrits  de  M.  Drach, 
rabbin  converti  est  plus  orthodoxe  qu'on  ne  pense. 

Les  SadVfCéens,  ainsi  nommés  de  leur  chef  Sadoc  (tsdq,  juste) 
paraissent  avoir  été  les  rationalistes  de  l'époque,  chez  les  Juiûu 
Ils  niaient  l'existence  des  anges,  la  résurrection  des  corps  et  même 
l'immortalité  de  Pâme. 

Les  Ësséniens  ou  EsséienSy  (du  Syriaque  àssaya,  médecins) 
vivaient  à  Alexandrie,  dans  le  1'^  siècle  après  Jésus-Christ.  Nous 
ne  les  connaissons  que  par  Philon,  historien  juif,  qui  les  a  pré- 
sentés comme  des  hommes  remplis  de  vertus  et  vivant  en  commun. 
Ce  qui  a  donné  lieu  de  croire  que  Philon  a  pris  pour  une  secte 
juive  les  premiers  Chrétiens,  disciples  de  saint  Marc,  à  Alexandrie, 
qui  étant  pour  la  plupart  des  Juifs  convertis,  avaient  conservé  des 
pratique»  de  la  loi  de  Moïse.  Cependant  Josôphe,  parle  d'auties 
Ësséniens,  qui  vivaient  en  Palestine.  Le  nom  et  les  pratiques  dœ 


CHALDËBNS  893 

Esséniens  les  confondent  presque  avec  les  thérapeutes^  qui  vivaient 
aussi  en  Egypte,  k  la  même  époque  et  qui  comme  eux  se  donhaîent 
pom*  médecins  des  Ames. 

PHILOSOPHIE  DES  GHÂLDÉEN8 

Ijl.  Doonments.  —  lî  nous  faut  parier  ici  dps  Chaldéens  et  de  leurs 
doctrines  touchant  Dieu  et  l'âme,  parce  qu'ils  ont  eu  dans  toute  Tanti- 
quité  une  grande  renommée  de  sagesse  et  qu'on  les  a  con^dèrés  long* 
temps  comme  les  instituteurs  des  Grecs  et  les  vrais  auteurs  de  la  plu- 
part de  leurs  systèmes.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  opinion  nous  ne  trou- 
vons plus  rien  do  leur  philosophie,  vraie  ou  prétendue. 

Il  ne  nous  reste  de  leurs  livres  originaux  que  quelques  fragments  de 
Bérose,  auteur  que  Ton  ne  connaît  pas  autremenb.»  C'est  une  cosmogonie 
fantastique  qui  n'offre  pas  même  une  conception  philosophique,  et  qui 
n'est  évidemment  qu'une  tradition  altérée;  peut-être  le  texte  même  en  a 
été  dénaturé  avant  qu'il  ne  fût  traduit  en  grec,  et  la  traduction  elle- 
même  pourrait  bien  n'en  être  pas  exacte.  Il  suffît  de  connaître  un  peu 
les  langues  sémitiques  pour  comprendre  avec  quelle  facililé  un  étranger 
pouvait,  en  voulant  les  traduire,  y  faire  des  contre-sens.  Et  quand  une 
traduction  dont  nous  n'avons  plus  l'original  ne  nous  offre  qu'un  amas 
confus  de  conceptions  ridicules,  il  est  bien  permis  de  supposer  que  l'une 
des  trois  altérations  dont  nous  parions  s'est  produite,  sinon  toutes  les 
trois. 

En  dehors  de  ce  reste,  nous  avons  quelques  mots  sur  les  Chaldéens 
dans  Strabon,  Diodore  de  Sicile.  Sextus  Empiricus,  Cicéron,  Lactance 
et  Eusébe.  Bnfln  il  en  est  parlé  plusieurs  fois  dans  la  Bible,  notamment 
dans  le  livre  de  Daniel. 

12«  Les  Chaldéens  et  leur  doetrine.  —  En  comparant  tous 
ces  téosioignagnes,  nous  sommes  obligé  de  conclure  que  les  Cbal- 
déens,  passèrent  d'un  culte  un  peu  trop  imagé  du  vrai  Dieu  au 
culte  des  idoles,  et  revinrent  plus  tard  &  quelque  chose  d^  moins 
grossier.  Les  prêtres,  ou  Chaldéens  proprement  dits,  y  formaient 
une  caste  à  part,  au  milieu  des  Perses,  ou  même  parmi  les  Assyriens  ; 
ils  avaient  leur  territoire  et  leurs  lois.  Ils  se  donnaient  pour  mis- 
sion de  prédire  l'avenir  et  d^interpréter  les  songes,  et  pour  cela  ils 
pratiquaient  l'astrologie.  C'est  en  poursuivant  ce  but  qu'ils  acqui- 
rent certaines  connaissances  astronomiques.  Mais,  encore  une  fois, 
tout  cela,  uni  aux  détails  assez  nombreux  que  nous  ont  transmis 
les  Grecs  sur  leur  système  et  leur  culte,  ne  nous  donne  rien  4e 
leur  doctrine  philosophique. 


d94  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

13.  Fragments  de  Bérose.  —  Diaprée  ces  fragment»,  que 

Ton  trouve  dans  la  Bibliothèque  grecque  de  Fabricias,  roriginê 
des  hommes  est  ainsi  expliquée  aux  Chaldéens,  par  un  ^tre  mjsté- 
rieux,  moitié  homme,  moitié  poisson. 

Au  commencement  était  le  chaos,  mélange  d'eau  et  de  ténébi^ 
et  dans  ce  mélange,  des  hommes  et  des  animaux  encore  inachevé 
et  des  êtres  monstrueux.  Une  femme  nommée  OmorkA  (la  mère  di 
firmament)  dominait  le  chaos.  Mais  Bel  ou  Belus,  le  grand  Dieo, 
divise  le  corps  de  la  femme  et  en  forme  le  cie)  et  la  terre.  Il 
introduit  la  lumière  là  où  étaient  les  ténèbres  et  les  mon^tr» 
périssent,  pour  être  remplacés  par  les  hommes,  que  Bel  fait  naùtre 
du  limon  de  la  terre  en  y  mêlant  son  sang. 

14.  Oracles  Chaldéens,  —  Outre  ces  documents  qae-noiis 
avons  cités,  on  trouve  encore  chez  les  philosophes  Alexandiins 
Philon,  Porphyre,  Jamblique  et  même  dans  Saint  Clémeot 
d'Alexandrie,  quelques  doctrines  présentées  sous  le  titre  d'Oraclet 
Chaldéens^  où  il  nous  est  donné  toute  une  hiérarchie  d*anges  ci 
de  démons,  invoqués  comme  des  dieux  secondaires.  On  y  distingua 
l'intelligence  première,  les  substances  intelligibles  et  les  substances 
intellectuelles  ;  la  lumière  génératrice  et  la  lumière  engendrée  et 
enfin  TAme  du  monde,  principe  de  la  vie  du  monde.  Mais  tout  cela 
ressemble  trop  aux  théories  des  néoplatoniciens,  et  manque  com- 
plètement d'authenticité. 

15.  Philosophes  Chaldéens.  —  Les  anciens  ont  encore  cité 
quelques  noms.  Et  d'abord  plusieurs  Zoroastre,  qui  ne  seraient  pas 
le  Zoroasti^e  '  des  Perses,  puis  Zoromastre,  Teueer  et  Azonaee. 
Enfin  Bérose  lui-même  n'est  pas  un  personnage  unique  e^anthea- 
tique. 

Voilà  ce  que  nous  savons  de  la  philosophie  des  Chaldéens.  (*) 

PHILOSOPHIE  DES  PHÉNICIENS 

16.  Doooinenta.  —  L.es  monuments  de  la  philosophie  des  Phènîeîeœ 
ne  sont  pas  beaucoup  plus  nombreux  que  c»ix  des  Chaldéens,  et  ils  oe 

(*)  Krank.  Dictionnoirtf  des  sciences  philosophiques.  Art.  Chaldéens- 


PHÉNICIENS  306 

sont  en  outre  ni  plus  authentiques,  ni  moins  aitéPôs.  D'ailleurs  ce  qu'on 
y  trouve  n'est  pas  beaucoup  plus  philosophique. 

Ici^  outre  les  inscriptions,  les  moonaies  et  les  monuments  du  culte, 
ainsi  que  ce  qu'en  dit  la  Bible,  nous  avons:  l"*  quelques  fragments  de 
Damascius,  qui  cite  Eudéme  de  Rhodes,  lequel  cite  à  son  tour  Moschus, 
auteur  phénicien  ;  ^  d'autres  fragments  qu'Busèbe  cite  d'un  buvrage  de 
Philonde  Bybk»,  lequel  serai»  la  traduction  en  grec  d'une  Histoire phé^ 
•nieienne^  écrite  en  phénicien,  par  Sanchoniaton.  qui  n'est  pas  autrement 
connu,  et  dans  le  nom  duquel,  certains  critiques  ont  voulu  ne  voir  que 
le  nom  même  de  l'ouvrage,  car,  selon  M.  Movers,  le  nom  phénicien, 
San-chon-iath,  signifie  :  la  lot  entière  de  Chon.  Ma^  évidemment,  la 
signification  d'un  nom  propre  n'est  pas  suffisante,  pour  nier  l'homme 
qui  le  porte. 

On  s'est  peu  inquiété  du  fragment  de  Moschus,  mais,  peu  d'ouvrages 
ont  eu  une  fortune  aussi  étrange  que  celui  de  Sanchoniaton.  C'est  sur> 
tout  auxvin*  siècle,  que  le  fragment  d'Ëusèbe  qui  nous  le  fait  connaître 
commença  à  être  remarqué.  On  s'empressa  d'y  voir  une  œuvre  très- 
ancienne,  on  fit  Sanchoniaton  contemporain  de  Sémiramis,  et  la  philo- 
sophie anti-catholique  se  réjouit  tout  haut  de  posséder  un  écrit  plus 
ancien  que  celui  de  Moïse,  pour  pouvoir  le  lui  opposer.  Mais  d'un  autre 
côté  on  mit  en  doute  l'authenticité  de  l'ouvrage,  on  accusa  Pliilon,  d'a'foir 
lui-même  inventé  son  auteur  ;  d'autres  ne  virent  dans  ce  fragment 
qu'une  mauvaise  traduction  du  texte  hébreu  de  la  Bible  ;  quelques-uns 
même  dirent  qu'Eusëbe  avait  inventé  sa  citation.  Eufln  en  1835,  on 
annonça  que  Ton  venait  de  découvrir  dans  un  couvent  d'Opporto  en 
Portugal,  un  manuscrit  complet  de  l'ouvrage  de  Philon  de  Byblos.  Ce 
manuscrit  fut  publié,  tra(^uit  en  latin,  par  un  M.  Wagenfeld,  à  Brème 
en  1837.  Mais  la  fraude  fut  bientôt  reconnue. 

Donc  les  seuls  documents  qui  nous  restent  sur  les  Phéniciens  sont 
ceux  que  nous  avons  cités. 

17.  FrêLgmeni  de  Moschus.  (cité  par  Eudôme,  disciple 
d'Aiistote).  —  Si  Ton  en  croit  Eudéme^  les  prêtres  de  Sidon  ensei- 
gnaient qu'il  7  a  trois  principes  des  choses  :  Bel,  qu'il  appelle 
Xpivoc,  ou  le  Temps  ;  puis  le  Désir,  DiOoc  ;  et  enfin  une  sorte  de 
chaos,  ou  de  brouillard,  germe  du  feu  et  de  Teau,  0^ly(\ri.  Le 
désir  et  le  chaos,  en  s'unissant,  engendrent  Tœuf  du  monde.  Puis 
cet  œuf  se  sépara  en  deux  parties,  qui  sont  le  ciel  et  la  terre. 

Il  cite  ensuite  Moschus,  selon  lequel  le  premier  principe  est  l'air. 
L'air  engendre  Olam,  qui  paraît  être  le  temps  ou  la  durée  du 


396  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

monde,  a{(i>v,  ou  le  monde  à  venir,  ou  encore,  selon  Damascias,  le 
modèle  on  Fébauche  du  monde,  C*e9t  le  fils  d'Olam  qui  ouvre  Yceaf 
du  monde,  d'où  sortent  le  ciel  et  la  terre.  Moschus  ajoute  que  les 
autres  font  intervenir  les  Vents  entre  Tair  et  Olam,  mais  que 
pour  lui  il  suit  un  autre  ordre. 

18.  Frafment  de  Sanchoniaton  ou  de  PUloa,  cilé^par 
Eosôbe  (Prépar.  Evang.  liv.  1,  chap.  7). —  «Sanchomaton  étalilit, 
pour  principe  de  toutes  choses  un  air  ténébreux  ou  plutôt  le  «ofc/flf 
d*uB  air  ténébreux,  et  en  outre  un  ckcMs  confus  et  obsear.... 
a  Lorsque  Tesprit  devint  amoureux  de  ses  propres  principe,  ii 

s'opéra  une  conjonction  qui  s'appela  le  Désir De  la  sortit  Jfcfof 

(la  mère)...  Lùnon.»,  d'où  provinrent  toutes  les  semences  de  la 
ci*éation. 

a  11  7  avait  certains  animaux  privés  de  sentiment,  d'où  naqui- 
rent des  animaux  intelligents  appelés  sophasémis  (sghpht  hschmdi) 
c'est-à-dire  contemplateurs  du  ciel,  et  présentant  la  forme  d'un 
œuf. 

«  Alors  brillèrent  Mot,  le  soleil,  la  lune,  les  astres  et  les  gran. 
des  planètes. 

«  L'air,  la  mer  et  la  terre  ayant  jeté  une  vive  clarté  à  cause  de 
leur  conflagration,  il  en  résulta  des  vents,  des  nuages  et  de  grandes 
chutes  des  eaux  célestes.  Après  que  ces  éléments  furent  séparés  et 
chassés  de  leur  place  par  l'ardeur  du  soleil,  ils  se  rejoig^iirent  tous 
dans  l'air,  s'entrechoquèrent  et  produisirent  les  tonnerres  et  les 
édàirs.  Au  bruit  des  tonnerres,  les  animaux  intelligents....  se 
réveillèrent....  et  mâles  ou  femelles  commencèrent  &  se  mouvoir 
sur  la  terre  et  dans  la  mer. 

«  Du  vent  Colpiaet  de  sa  femme  Baau  (la  nuit)  naquirent  Aton 
et  Protogonos,  qui  étaient  des  hommes  mortels  ainsi  appelés.  Aîog 
trouva  la  manière  de  se  nourrir  du  fruit  des  arbres.  Les  enfants 
nés  de  ces  deux  êtres  furent  appelés  Génos  et  Généa,  et  habitèrent 
la  Phénicie. 

«  lis  regardaient  le  soleil  comme  un  dieu  et  l'appelaient  Bulsa. 
men  (baal  sciimim),  ce  qui  signifie  maître  du  ciel. 

<  De  Génos  et  de  Protogonos  naquirent  Phos,  Pjr  et  Phlox. 
Ils  engendrèrent  des  fils  doués  d'une  taille  extraordinaire. 


ÉGYPTIENS  397 

Ici  Philon  donne  une  multitude  de  noms  qui  sont  tous  grecs,  on 
qui  sont  des   noms  de  pajs.  Puis  il  reprend 

«  Dans  ce  temps  là  naquirent  un  certain  Elionn,  appelé  Hypsis- 
tos  (le  très  haut)  et  une  femme  nommée  Béruth,  Ils  demeuraient 
dans  les  environs  de  Bjblos.  Ils  eurent  pour  flls  Epigéios  et  Oura^ 

nos Les  mêmes  époux  donnèrent  à  Ouranos  une  sœur  qui  fut 

appelée  Gué Leur  père  obtint  l'apothéose  et  S6i  enfants  lui 

offrirent  des  sacrifices. 

c  Ouranos. . .  tAchaitde  détruire  ses  enfants.  Guô  s'opposait  à 
ses  projets  en  rassemblant  de  nombreux  alliés. 

€  Cronos  (fils  d'Ouranos  et  de  Gué)  combattit  son  père  pour  ven- 
ger sa  mère,  il  chassa  Ouranos  du  trône  et  reçut  la  royauté.  » 

Tiennent  ensuite  plusieurs  autres  générations  de  dieux  descen- 
dants de  Cronos,  et  l'histoire  de  l'attaque  de  Cronos  contre  son  père 
Ouranos.  Puis  on  trouve  Taaut  figurant  les  dieux  pour  inventer 
Téciiture,  enfin  le  reproche  fait  aux  Grecs  d'avoir  falsifié  tous  ces 
récits  par  des  fables  et  des  fictions  poétiques. 

Il  n'est  pas  possible  de  lire  cette  cosmogonie,  sans  se  rappeler  le  pre- 
mier chapitre  de  la  Genèse.  Ce  chaos  qui  est  appelé  haan,  rappelle 
Wen  le  tohou  ou  bohou  du  texte  hébreu  ;  Terra  autcm  erat  inanxs  et 
vacua.  Ce  soufQe^qui  est  le  second  principe.semble  nous  répéter  :  Et  Bpiri- 
tuê  Deiferebaiur  euper  aquas.  Le  désir  qui  vient  ensuite  se  retrouve  dans 
le  mot  hébreu  que  la  Vulgate  traduit  ipar  ferebatur,  et  que  tous  les  com- 
mentateurs traduisent  par  incubabat,  à  moins  que  le  mot  tc49oc  n'ait 
été  mis  pour  oiTo;  génitif  de'^co;,  la  lumière,  auquel  cas  on  le  trouve* 
raît  dans  le  verset  suivant.  Un  peu  plus  loin  viennent  le  soleil,  la  lune 
et  les  étoiles,  puis  la  vapeur  qui  s'élève  de  la  terre  ;  on  voit  ensuite 
l'homme  mâle  et  femelle.  Tout  cela  est  dans  la  Genèse,  dans  cet  ordre, 
et  pour  compléter  la  ressemblance,  le  serpent  enseigne  aux  premiers 
hommes  à  se  nourrir  de  fruits.  On  serait  vraiment  tenté  de  dire  avec 
Tabbé  Guérin  du  ftocher,  que  cette  cosmogonie  n'est  pas  seulement  une 
altération  de  la  tradition  primitive  mais  bien  une  traduction  faite  sur 
l'hébreu  par  un  incapable . 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  n'est  pas  là  une  conception  philosophique, 
et  les  générations  de  divinités  dont  les  noms  grecs  sont  si  aiatérielB^ 
sont  évidemment  ce  que  Philon  a  i^aié  en  le  puisant  dans  les 
doetriaes  néoplatoniciennes.  Et  la  vraie  philosophie  phénicienne 
nous  reste  parfaitement  inconnue. 


398  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Cependant  Fimportance  de  leur  commerce  et  de  leurs  coloDies.  « 
la  tradition  constante  des  Grecs  qui  les  reconnaissaient  pour  lean 
maîtres  nous  disent  assez  que  les  Phéniciens  exercèrent  une  graoàe 
influence  sur  les  nations  voisines  et  sur  la  philosophie  grecque. 

PHILOSOPHIE  DBS  EGYPTIENS 

19.  Doooments.^  Ici  les  documents  anciens  sont  bien  plus  noisliicei 
que  pour  les  peuples  que  nous  avons  précédemment  étudiés  ;  mais  as 
sont  loin  d'offrir  toutes  lés  garanties,  que  l'on  peut  désirer  pour  affînaa 
avec  certitude  l'histoire  ou  les  doctrines  de  ce  peuple. 

Nous  avons  d'abord  l'histoire  de  rEgypte,  écrite  par  Hérodote,  ék 
remplit  le  deuxième  livre  de  l'ouvrage  de  cet  auteur.  Mais  le  récit  ea 
est  si  décousu  et  si  plein  de  naïvetés  déplacées  que  Ton  voit  laeileraest 
la  fraude  des  prêtres  égyptiens,  qu'Hérodote  écoula  avec  trop  de  bo&- 
hommie. 

Viennent  ensuite  quelques  fragments  de  la  Chronique  de  Manéthcm^ 
cités  par  Eusèbe,  ainsi  que  des  fragments  de  la  Vieille  Chronique  cités 
par  Georges  le  Syncelle.  Mais  on  n'y  trouve  guère  que  des  noms  de  roîs, 
dont  la  liste  ne  s'accorde  pas  avec  celle  d'Hérodote,  ni  avec  celle  et 
Diodore  de  Sicile,  qui  a  écrit  aussi  V histoire  de  l'Egypte, 

On  trouve  épars  dans  beaucoup  d'autres  auteurs  grecs  quelques  mois 
sur  les  Egyptiens. 

Enfin  ia  découverte  du  sens  des  hiéroglyphes  a  ouvert  dés  le  commoi- 
cernent  de  ce  siècle  une  source  de  documents  ;  car  les  monuments  et  ks 
tombeaux  de  l'Egypte  ancienne  sont  chargés  d'inscriptions.  On  a  pa  y 
prendre  les  noms  et  les  attributs  d*une  multitude  de  divinités  ainsi  qae 
des  rois,  et  surtout  une  doctrine. morale,  tirée  du  Rituel  funéraire, 
découvert  par  ChampoUion  le  jeune. 

Au  fond,  tous  ces  matériaux  sont  insuffisants;  mais  ils  ont  fourai 
matière  à  des  travaux  nombreux,  e  plus  d'une  fois,  avant  et  après  b 
découverte  de  l'écriture  hiéroglyphique,  on  a. essayé  de  faire  concoider 
ensemble  les  diverses  listes  de  rois  que  nous  ont  transmises  les  histo- 
riens  grecs,  ou  les  noms  qui  se  trouvent  inscrits  sur  les  monuments. 

Nous  avons  lu  et  comparé  presque  tous  ces  travaux  et  noire  conviction 
est  que  toutes  leurs  données  sont  encore  incertaines.  Les  auteurs  ne 
s'accordent  pas  sur  le  classement  des  dynasties,  moins  encore  sur  lei 
dates  qu'ils  leur  assignent,  moins  encore  sur  la  théogonie  et  la  cosmo* 
gonie  des  Egyptiens  :  les  deux  seuls  points  qui  nous  intéressent  ici. 

Les  noms  des  Dieux  de  l'Egypte  sont  bien  les  mêmes  chez  tons  les 


EGYPTIENS  399 

auteurs,  sauf  la  différence  du  nombre  ;  mais  le  classement  n'est  pas  le 
môme  ;  plusieurs  auteurs  appliquent  deux  noms  au  même  sujet,  et  d'au- 
tres distinguent  deux  divinités  adorées  sous  le  môme  nom  ;  enfin  dans 
la  chronique  de  Manéthon,  aussi  bien  que  dans  la  vieille  chronique,  les 
noms  des  mêmes  dieux  sont  appliqués  à  des  rois  de  TKgypte  dont  les 
premiers  sont  appelés  dieux  ou  demi-dieuxi  et  les  autres  sont  considé- 
rés comme  des  hommes.  Les  premiers  ont  régné  pendant  des  siècles, 
les  autres  plus  ou  moins  long-temps,  mais  tous  cependant  n'ont  eu  qu'un 
règne  limité. 

20.  Théogonie  des  Egyptiens.  —  Parmi  cette  foule  de  divi- 
nités qu'adoraient  les  Egyptiens,  celle  que  le  plus  grand  nombre 
des  auteurs  s'accordent  à  placer  en  premier  lieu  c'est  Amoun  ou 
Ammon^  le  caché,  Tiaconnu.  Si  sous  cette  notion  de  caché,  il  faut 
voir,  avec  quelques-uns,  Tinfini,  le  dieu  Amoun  est  le  seul  reste  de 
l'idée  du  vrai  Dieu,  chez  les  Egyptiens  ;  car  nous  verrons  bientôt, 
à.  n*en  pas  douter  que  les  autres  sont  des  hommes.  Mais  il  nous 
pamît  beaucoup  plus  probable  qu'Amoun  était  simplement  le 
chaos,  qui  a  précédé  l'organisation  de  l'univers.  Si  nous  en  ciX)yon8 
Diodore  de  Sicile^  les  Egyptiens  disaient  que  les  ténèbres  sont 
Torigine  de  toutes  choses. 

Phtha  (le  feu),  que  les  Grecs -ont  traduit  par  Héphaîstog 
(Vulcain),  est  placé  en  première  ligne  par  la  Vieille  Chronique 
et  par  celle  de  Manéthon.  <(  Le  temps  d'Héphaïstos,  dit  !&  Vieille 
Chronique,  ne  se  détermine  pas,  à  cause  de  son  éclat  de  jour  et  de 
nuit.  »  Et  Manéthon  dit  :  «  Héphaîstos  régna  9000  ans  :  c'est  &  lui 
qu*est  due  la  découverte  et  l'invention  du  feu.» 

Hélios  (le  soleil)  vient  ensuite  et  est  donné  comme  le   fils 
■  d^Héphalstos.  Il  régna,  pendant  30,000  ans  selon  l'un,  pendant 
mille  ans  selon  l'autre. 

Ses  successeurs  sont  Chronos  (le  temps)  et  Agathodémon  (le  bon 
génie). 

C'est  alors  qu'apparaissent  Osiris  avec  Isis,  sa  sœur  et  sa 
femme,  qui,  dit-on,  ne  sont  pas  nés.  Isis  est  aussi  appelée  Mouth 
(la  mère).  Mais  Typhon,  considéré  par  les  Egyptiens  comme  le 
génie  du  mal,  et  aussi  comme  frère  d'Osiris,  attaque  celui-ci  le 
détrône  et  le  tue. 

Alors  naît  Horus,  fils  d'Osiris  et  d'Isis,  qui  n'a  d'autre  souci  que 
de  venger  son  père. 


400  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

Neuf  autres  demi-dieux  rognent  après  lui.  Les  historiens  ne  sont 
pas  d'accord  sur  leurs  noms.  La  vieille  chronique  les  ignore: 
Manéthon  y  fait  entrer  les  noms  de  Mars,  Hercule,  Apollon  et 
Jupiter  :  ce  qui  montre  bien  qu'ils  ne  sont  pas  les  vrais. 

Ensuite  commence  le  lôgne  des  hommes  dont  le  premier  e^ 
Ménôs. 

De  tous  ces  noms  d'hommes  ou  d'éléments,  présentés  d^abord 
comme  des  rois,  dieux  ou  demi-dieux,  les  auteurs  grecs  ont  fait 
tout  autant  de  dieux  des  Egyptiens.  Et  il  paraît  bien  que  les  Egyp- 
tiens en  firent  de  môme,  car  chacun  de  ces  personnages  a  ses  petites 
figures  qui  le  représentent. 

Dans  les  monuments  Egyptiens,  le  Soleil  est  appelé  Ra,  sans 
article,  ou  Phra,  avec  l'article  :  on  le  confojid  aussi  avec  Osiris  : 
Isis  ou  Mouth,  so  confond  avec  la  lune.  Dès  lors  Osiris  est  devenu 
le  principe  lumineux^  le  principe  actif,  le  principe  du  bien  et  Isis 
est  devenu  le  principe  ténébi'eux,  le  principe  passif,  ou  la  matière, 
le  principe  du  mal. 

On  a  aussi  confondu  Osiris  avec  Amoun,  considéré  comme  le 
dieu  caché  moteur  du  monde. 

Dans  ce  système,  Amoun  où  Osiris  a  pour  fils  Kneph,  qui  est 
son  esprit  ;  c*est  lui  qui  est  la  lumière,  le  principe  actif,  et  il  fait 
sortir  de  sa  bouche  un  œuf  qui  est  Phtha,  considéré  comme  l'âme. 
Mais  dans  les  documents  les  plus  anciens,  Kneph  n*est  autre  chose 
que  l'œuf  lui-môme,  produit  par  Amoun  (le  chaos),  et  Phtha  est 
représenté  sortant  de  1'  œuf,  les  jambes  encore  repliées  sur  la 
poitrine. 

Isis  est  aussi  appelée  Athor  (maison  de  Horus)  et  dès  lors  on  la 
considère  comme  la  matière  qui  recèle  le  monde,  appelé  Horus. 

Enfin  Thot,  que  les  Grecs  ont  traduit  par  Hermès  (Mercure)  est 
une  sorte  d'envoyé  du  grand  Dieu  pour  instruire  les  hommes.  Son 
fils  Tat,  vient  plus  tard  restaurer  la  religion  qui  s'était*  perdae. 

21.  Cosmogonie.  —  Ainsi  d'après  les  Egyptiens,  le  monde  a 
commencé  par  èti'e  ténèbres  et  chaos.  Après  de  longs  siècles  le  feu 
s'est  montré,  qui  a  commencé  à  donner  à  ce  chaos  une  certaine 
forme.  Le  Soleil  n'est  venu  qu'après  et  avec  lui  le  temps,  qui  n'est 
déterminé  que  par  la  marche  du  Soleil.  Alors  par  l'œuvre  du  bon 
génie  ont  paru  Osiris  et  Isis ,  le  premier  homme  et  la  première 
femme. 


EGYPTIENS  401 

22.  Obserration.—  On  s'est  évertué,  surtout  dans  ces  derniers  temps, 
â  trouver  sous  le  nom  de  ces  prétendues  divinités  des  conceptions  môta- 
pliysificies.  qui  en  seraient  la  véritable  origine.  Quant  à  nous,  il  nous  est 
impossible  d'y  voir  autre  chose  qu'une  altération  ridicule  de  la  tradition, 
produite  par  les  grossières  iinag:e"<  à  l'aide  desquelles  ces  hommes  con- 
cevaient Dieu.  Les  chroniques  anciennes,  certainement  plus  authenti* 
ques  que  tous  les  systèmes  modernes,  ne  laissent  pas  de  doute  sur 
Torigine  de  toutes  ces  divinités.  Les  dieux  sont  les  éléments  eux-mêmes» 
ou  plutôt  les  transformations  successives  du  monde,  et  les  demi-dieux 
sont  les  patriarches  antédiluviens,  que  leur  excessive  longévité  a  fait 
considérer  chez  tous  les  peuples  comme  des  êtres  d'un  ordre  supérieur  à 
l'homme.  En  efîet,  quand  on  lit  la  vieille  Chronique,  ou  la  chronique 
de  Manéthon'y  on  croit  lire  une  traduction  défigurée  du  premier  chapitre 
de  la  Genèse. 

C'est  une  tendance  trop  générale  aujourd'hui  d'expliquer  le  polythéisme 
des  anciens  par  fa  personnification  des  idées  métaphysiques  ou  morales. 
Il  semble  que  l'on  veuille  par  là  donner  plus  de  créance  au  système 
blasphématoire  qui  fait  du  vrai  Dieu  la  catégorie  de  Vicléal,  Mais 
l'histoire  proteste  contre  cette  interprétation.  Le  polythéisme  n'est  pas 
le  fruit  des  conceptions  de  l'homme  divinisant  ses  qualités  ou  ses  défauts  ; 
il  a  été  d'abord  une  transformation  grossière  de  la  tradition  primitive.et  ce 
n'est  que  beaucoup  plus  tard  que  quelques  divinités  nouvelles  se  sont 
ajoutées  aux  autres,  par  la  déification  du  crime  ou  de  la  vertu.  Et  si 
chez  plusieurs  peuples  on  a  fini  par  considérer  réellement  le  chaos,  la 
matière,  le  soleil,  la  pensée,  l'activité,  le  bien  et  le  maf,  comme  des  dieux, 
ce  n'est  pas  que  Ton  ait  divinisé  ces  choses,  mais  bien  parce  qu'on  a 
par  ignorance  donné  à  Dieu  des  attributs  qu'il  n'a  pas.  C'est  ainsi  que 
nous  voyons  encore  des  hommes  se  représenter  Dieu  comme  l'espace 
sans  borne,  ou  même  dire  que  Dieu,  c'est  le  soleil,  parce  que  c'est  lui 
qui  fait  mûrir  les  moissons. 

23.  Morale.  —  Nous  trouvons  dans  les  monuments  hiérogly- 
phiques et  dans  les  écrits  des  historiens  grecs,  des  données  suffi- 
santes pour  établir  que  les  Egyptiens  avaient  une  doctrine  morale 
assez  pure. 

A  la  mort  d'un  roi,  un  tribunal  s'assemblait  pDur  juger  tous  ses 
actes,  et  selon  que  sa  conduite  avait  éti  bonna  ou  mauvaise,  on  lui 
accordait  ou  on  lui  refusait  les  honneui*s  de  la  s;5pulture. 

Nous  trouvons  gravées  ou  peintes  sur  les  tombeaux  les  questions 
que  le  grand  juge  adressait  à  Tâme  après  sa  mort,  et  les  réponses 

26 


402  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

qui  y  sont  faites  par  ceux  qui  accompagnent  Tâme,  nous  rnootrefit 
que  les  Egyptiens  condamnaient  Tinjustice,  le  mensonge,  la  luxare 
et  même  les  paroles  inutiles. 

24.  Immortalité  de  l'âme.  Métempsychoee.  —  II  ressoft 

aussi  des  mômes  documents,  que  les  Egyptiens  croyaient  F&me 

immortelle,  mais  que  le  système  des  punitions  après  la  mort 

consistait  dans  le  passage  de  l'âme,  d*un  corps  dans  un  autre, 

jusqu'à  son  entière  purification. 

Observation.  —  Voilà  ce  que  les  histoires  et  les  monuments  noas 
transmettent  sur  la  religion  et  sur  la  philosophie  des  Egyptiens.  Ce^ 
faibles  restes  ne  concordent  nullement  avec  la  haute  opinion  que  l'on  a  Xoor 
jours  eue  de  la  science  de  ce  peuple.  Les  Grecs  les  tenaient  pour  laus 
maîtres  ;  leurs  législateurs  allaient  s'y  instruire  ;  leurs  plus  (^^nds  phi- 
losophes comme  leurs  historiens  se  sont  fait  un  devoir-  d'aller  chercher 
des  lumières  en  Egypte.  Manéthon  porte  à  36,525  les  livres  hennétiqaes» 
source  de  la  science  des  prêtres,  et  ces  livres  traitaient  de  toutes  les 
sciences  aussi  bien  que  de  la  religion. 

Il  faut  nécessairementreconnaître  que  l'art  grec  s'est  inspiré  de  l^art 
égyptien,  qui  d'ailleurs  est  resté  assez  stationnaire,  et  n'a  jamais  attelai 
une  grande  perfection.    Ils  ont  probablement,   de  la  même  manière 
fourni  aux  Grecs  les  premiers  éléments  des  sciences  et  de  l'industrie; 
mais  les  monuments  attestent  que  chez  eux  ces  deux  ordres  de  connais 
sauces  ne  furent  jamais  très-avancés.  Saint  Clément  d'Alexandrie  réduit 
à  42   le  nombre  des  livres  hermétiques,  et  M.  Franck  trouve  que  c'est 
beaucoup,  vu  l'imperfection  de  leur  écriture.  Un  bien  plus  graud  nom- 
bre ne  nous  étonnerait  pas,  et  nous  admettrions  volontiers  que  plusieurs 
de  ces  ouvrages  étaient  perdus  au  temps  de  saint  Clément. 

Nous  sommes  convaincu  que  les  prêtres  Egyptiens  avaient  une  doc- 
trine cachée,  comme  l'at  testent  tous  les  auteurs  grecs  ;  mais  cette  doc- 
trine n'est  pas  celle  qui  nous  est  parvenue.  Ce  que  nous  avons  des 
livres  hermétiques  est  une  invention  évidente  des  Alexandrins.  H  ne 
nous  reste  donc  rien  de  leur  philosophie.  Car  il  ne  nous  est  pas  possible 
d'appeler  philosophie  quelques  lambeaux  de  tradition  défigurés  par  de 
grossières  images,  et  les  conceptions  métaphysiques  que  l'on  veut  bien, 
voir  sous  ces  figures  sont  les  conceptions  des  auteurs  modernes  que 
c  herchent  à  les  expliquer. 


PERSES  403 

PHILOSOPHIE  DES  PERSES 

25.  Doonments.  —  Jusqu'au  xviii  siècle,  on  n'avait  sur  les  Perses  que 
quelques  passages  épars  dans  les  auteurs  grecs,  et  principalement  dans 
Hérodote,  Dîogéne  Laêrce  et  Plutarque.  En  i700,  l'anglais  Hyde  fit 
paraître  une  histoire  des  Perses  en  latin,  recueillie  dans  les  ouvrages 
des  Arabes;  mais  il  manque  de  critique.  Enfin  en  1771,  Anquetil  Duper- 
ron  publia  sa  traduction  française  du  Zend-Avesta  (la  Parole  de  vie), 
collection  de  six  ouvrages  :  VYsieschné  ou  Yaçna,  le  Vispered,  le  Ven- 
didad  (qui  s'appellent  ensemble  le  Vendidad-Sadé),  les  YeachtSadé,  le 
Sirozi  et  le  Boun-Dehesch,  Anquetil  avait  recueilli  tous  ces  ouvrages 
dans  riude,  doû  il  les  rapporta  écrits  en  zend  avec  une  traduction  en 
pehlvi. 

On  a  aussi,  avec  une  traduction  anglaise,  le  Desatir  (Parole  du  Sei- 
gneur) et  le  Dàbistam  (Ecole  des  mœurs).  Ces  ouvrages  sont  beaucoup 
plus  récents  :  Le  dernier  est  du  xvii'  siècle,  mais  il  parait  le  fruit  de 
recherches  consciencieuses,  sur  cinq  des  religions  de  l'Inde  :  les  Mages, 
les  Indiens,  les  Juifs,  les  Chrétiens,  les  musulmans  et  les  philosophes. 
Le  premier  se  donne  pour  très-ancien,  mais  il  parait-ôtre  en  partie  du  viiu 
en  partie  du  xiii*  siècle  de  notre  ère.  C'est  l'opinion- de  M.  Siivestre  de 
Sacy. 

20.  Doctrine  du  Zend-Avesta.  —  Les  doctrines  que  contien- 
nent ces  livres  sont  plutôt  une  religion  qu'une  philosophie,  et 
d'ailleurs  l'origine  traditionnelle  est  plus  frappante  encore  que  pour 
les  doctrines  des  peuples  dont  nous  venons  de  parler. 

Cette  religion,  qui  a  régné  en  Perse  pendant  de  longs  siècles  et  que 
rislamisme  a  fait  disparaître  par  le  sabre,  s'est  réfugiée  avec  un 
petit  nombre  de  fidèles  dans  THlndoustan.  Elle  est  attribuée  à 
Zoroastre. 

Zoroastre  (Zérétho-Schthré,  astre  brillant)  vivait  pix)bablement 
du  temps  de  Darius  fib  d'Hjrstaspe.Les  historiens  grecs  lui  donnent 
Pytbagore  pour  disciple. 

37.  Théogonie.  —  Le  premier  principe  est  Zervane^Akérénéy 
le  temps  sans  bornes,  ou  Tespace  sans  limite. 

Il  engendre  par  émanation  :  Ormuzd  (Ahurâ-Mazdad)  le  prin. 
cipe  du  bien  et  Ahrimane^  la  limite  du  bien,  le  principe  du  mal . 

Pour  se  faire  aider  dans  l'exercice  de  s»  puissance,  Ormuzd 


404  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

engendre  les  bons  génies  :  les  Amschaspands  et  les /c^ff/*;  mabi 
Ahrimane  lui  oppose  les  mauvais  génies  :  les  Deirs,  les  Daromlji 

et  les  Daricands, 

Orniu^d  seul  est  vraiment  dieu  ;  seul,  il  est  adoré  ;  seul  il  est  le 
créateur  de  tout.  Alirimane  n  est  qu'une  opposition  qui  finira. 

Le  régne  de  Tun  et  de  l'autre  est  divisé  en  4  périodes  de  30lV» 
ans  chacune.  1^  Ormuzd  seul,  2^^  lutte  de  Tun  contre  l'autre,  2r 
victoire  temporaire  d'Ahrimane,  4^  victoire  définitive  d'Ormuzd, 
après  laquelle  Ahrimane  lui  môme  le  priera  et  lui  oôrira  des  sacri- 

fices. 

C'est  du  nom  d'Ormuzd  (AhurA-Mazda6)  que  lareligrion  de  Zoto- 

astre  s'appelle  le  Mazdat'sme. 

21.  Cosmogonie.  —  Ormuzd  engendre  daborâ  sa  parole 
(Honorer)  qui  est  tout  à  la  fois  âme  et  corps.  Son-Ameestlarénnion 
de  toutes  les  idées  ;  son  corps  en  est  la  réalisation.  Ainsi  le  monde 
n'est  que  la  réalisation  sensible  de  la  parole  d'Ormuzd. 

D'ailleurs  Ormuzd  donne  à  toutes  choses  une  âme  (ferouèr)  qni 
est  comme  l'essence,  la  forme  substantielle  de  cette  chose  ;  mais 
Ahrimane  et  ses  mauvais  génies  n'en  ont  pas. 

Ormuzd  a  employé  six  époques  à  produire  le  monde.  On  lit  dans 
le  Boun-Dehesch  :  «  En  quarante-cinq  joure,  moi  Ormuzd,  aidé 
des  Amschaspands,  j'ai  bien  travaillé:  j'ai  donné  le  ciol.  En 
soixante  jours,  j'ai  donné  l'eau;  en  soixante-quinze",  la  terre  ; 
en  trente,  les  arbres  ;  en  vingt,  les  animaux;  en  soixante-^iuinze 
l'homme  ^).  Ici  le  souvenir  traditionnel  do  la  création  telle 
qu'elle  nous  est  racontée  par  Moïse,  est  évident. 

Lo  premier  homme  fut  Kaïomors,  Ahrimane  le  tua;  mais  après 
sa  mort  naquirent  de  lui  Meschia  et  MescJiiané, 

«  Ormuzd  les  avait  placés  tous  deux  dans  le  Paradis  tenvstre 
fqui  est  la  Perso).  Là  ils  vivaient  heureux  ;  mais  Ahrimane  prit  la 
forme  d'une  couleuvre  et  parvint  à  les  tromper.  Puis  il  leur  fît 
manger  des  fruits.  Une  autre  fois  ils  burent  du  lait.  Enfin  ils  allè- 
rent à  la  chasse  et  mangèrent  la  chair  des  animaux  qu'ils  avaient 
tués,  et  se  firent  des  habits  de  leur  peau.  Puis  ils  découvrirent  le 
fer,  dont  ils  usèrent  mal.  Leurs  descendants  imitèrent  lenr  con- 
duite criminelle,  jusqu'au  jour  où.  Zoroastre  vint  leur  annoncer  la 


PERSES  405 

vraio  foi.  ))  Que  veut-on  de  plus  clair,  pour  établir  que  la  religion 
dite  de  Zoroastre  est  un  souvenir  do  la  tradition  vraio,  et  non  une 
invention  hiimaine? 

29.  Psychologie.  —  Le  ferouër  ou  Anae  de  l'homme  com- 
prend :  le  djan^  principe  vital,  Yakko,  conscience  morale,  et  enfin 
l'Ame  proprement  dite,  qui  a  trois  facultés  :  boé,  Tintelligence, 
7^oûan,  lo  jugement,  et  ferouêr,  la  substance  première  de  rame. 
Le  djafi  n'est  qu'une  vapeur  périssable  ;  Vahko  retourne  au  ciel  ; 
Tâme  seule  est  responsable  de  ses  actes  et  est  immortelle. 

30.  Morale. —  Toute  la  morale  de  Zoroastre  se  résume  dans  la 
lutte  contre  le  mal.  Mais  pour  atteindre  ce  but  il  recommande  la 
force  du  corps,  et  défend  expressément  le  jeûne. 

Le  mari  est  le  chef  de  la  famille  et  ne  doit  avoir  qu'une  seule 
femme. 

Le  gouvernement  est  monarchique.  Il  n'y  a  pas  de  castes  ;  mais 
il  y  a  une  hiérarchie  de  fonctions.  Le  roi,  les  juges  et  les  pr«}tres. 

A  la  mort,  l'Ame  est  jugée  par  Mithra,  le  premier  des  Izeds, 
celui  qui  préside  au  ciel  étoile.  Les  Ames  sont  récompensées  ou 
punies.  Mais  àlafin  elles  reprendront  leurs  corps.  Alors  il  y  aura  pour 
les  méchants  une  purification  par  le  feu,  qui  durera  trois  jours,  et 
tous  iront  jouir  ensemble  du  bonheur  et  du  triomphe  d'Ormuzd. 

31.  Observation.  —  Nous  avons  suivi,  pour  cetto  exposition  le 
Dictionnaire  des  sciences  philosophiques  de  M..  Frank,  parce  que  venu 
lo  dernier,  il  nous  a  paru  devoir  être  le  plus  complet  et  le  plus  exact  ; 
mais  nous  trouvons  dans  d'autres  auteurs  des  données  quelquefois  bien 
dllVércntes.  loutefois  malgré  cette  différence  de  détails,  lo  fond  reste  lo 
nu^rae  et  on  y  voit  toujoura,  non  pas  une  philosophie,  mais  une  religion 
(pli  se  donne  pour  révélée  et  qui  est  en  effet  un  reste  défiguré  de  la 
révélation  primitive. 

On  serait  bien  aise  de  connaître  aussi  les  doctrines  religieuses  qui 
précédèrent  le  temps  de  Zoroastre,  chez  les  Perses;  mais  nous  n'avons 
{[uc  i»eu  de  documents  à  ce  sujet.  Toute  l'antiquité  a  représenté  les 
l*erses  comme  des  adorateurs  du  feu,  et  les  mages  comme  des  hommes 
livres  au  sabéisme  ou  culte  dos  astres.  Y  a-t-il  eu  en  effet  une  réforme 
de  la  religion,  ou  bien  ce  culte  du  feu  était-il  seulement  une  forme 
extérieure  de  l'adoration  du  vrai  Dieu,  appelé  Ormuzd,  et  partout  repré- 
senté comme  la  lumière  pure  ?  Faut-il  admettre,   môme  en  partie,  les 


406  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

légendes  que  les  mages  racontaient  sur  Zoroastre  Y  En  les  lisant  on  se 
rappelle  involontairement  Daniel  et  ses  relations  avec  les  mages  et  avec 
le  roi  Darius  ;  au  point  que  l'on  se  demande  si  Zoroastre  ne  serait  pas 
Daniel  lui-môme,  qui,  introduit  dans  le  collège  des  mages  par  Darius^ 
serait  parvenu  à  leur  inculquer  des  notions  moins  grossières  sur  la 
Divinité  et  leur  rappeler  la  vraie  origine  du  monde,  qu'ils  auraient  da 
nouveau  défigurée  en  l'écrivant.  En  effet  les  livres  du  Zend-Avesta  ne 
sont  pas  d'une  seule  main  ;  Texistence  de  Zoroastre  est  incertaine  ;  sa 
mission,  si  elle  s'est  effectuée,  est  trop  orthodoxe,  réduite  à  son  vérita- 
ble sens,  pour  être  purement  humaine,  et,  prise  dans  son  esprit,  non 
dans  la  lettre,  elle  est  digne  d'un  prophète  du  vrai  Dieu. 

Quelque  solution  que  Ton  donne  à  cette  question  que  nous  soulevois 
sans  chercher  &  la  résoudre,  il  n'en  reste  pas  moins  établi,  que  la  philo- 
sophie n'existe  pas  chez  les  Perses,  ou  que,  si  elle  exista,  elle  ne  hit  pas 
autre  que  cette  philosophie  naturelle,  cet  exercice  spontané  de  la  raison 
que  nous  avons  reconnu  chez  les  Hébreux,  et  qu'elle  ne  dut  pas  ^m 
origine  k  la  réflexion  seule  comme  on  Tentend  aujourd'hui,  mais  bien  à 
un  fonds  de  vérités  révélées  qui  lui  servait  de  base. 

PHILOSOPHIE  DES  INDIENS. 

32.  Documents.—  Les  livres  originaux,  sources  premières  de  li 
philosophie,  sont  d'abord  les  livres  considéi'és  comme  sacrés,  les  com- 
mentaires de  ces  livres,  les  poèmes  religieux  et  enfin  les  livres  des  ehels 
des  grandes  écoles,  avec  leurs  innombrables  commentaires. 

Les  livres  sacrés  des  Indiens  sont  les  Védas,  qui  sont  censés  dictés 
par  Dieu  et  rédigés  en  sanscrit  par  un  certain  Vyctsa.  Ils  sont  au  nom- 
bre de  quatre  : 

l"  Le  Rig-Véday  qui  contient  des  hymmes  en  vers. 

2*  Le  Yadjour-Véda^  qui  contient  des  prières  en  prose. 

3"  Le  Samma-Véda,  hymnes  destinées  à  être  chantées. 

4«  L'A</iarra?i,  qui  renferme  des  formules  liturgiques. 

Le  livre  qui  parait  le  plus  ancien  après  les  Védas,  et  qui  en  est  le 
manuel  le  plus  orthodoxe  est  le  Manava-Dharma-Sastra,  recueil  des 
lois  de  Manou. 

Viennent  ensuite  les  grands  poèmes  :  1«  le  Ramayana,  qui  chante  les 
exploits  de  Rama,  attribué  à  Valmiki.  2*  le  Mahabharaia,  attribué  à 
Vyasa,  qui  chante  les  guerres  des  Kourous  et  des  Pandous.  Lie  Bha^- 
vadrGita,  n'est  qu'un  épisode  du  Mahabharata,  et  cependant  il  compte 
à  lui  seul  quarante  mille  vers. 


INDIENS  407 

Enfin  les  Pouranas,  que  l'on  attribue  certainement  à  tort  à  Vyasa. 
se  tiennent  i)Our  très-anciens;  mais  la  multitude  île  fables  qu'ils  ajou- 
tent aux  Védas,  et  sous  lesLiuellcs  la  religion  primitive  disparait,  montro 
assez  qu'ils  ne  sont  que  des  commentaires  tiès-postérieurs,  et  qui  sont 
aux  Védas  ce  que  le  Talmud  est  à  la  Bible.  On  en  compte  dix- huit. 

Les  systèmes  philosophiques  des  anciens  Indiens,  ne  nous  sont  pas 
encore  connus  par  des  écrits  originaux.  Nous  en  sommes  réduits  aux 
travaux  faits  par  des  Européens,  ([ui  ont  étudié  leurs  doctrines  sur  les 
lieux  mêmes. 

C'est  d'abord  VAjJerçu  sur  l'histoire  et  la  philosophie  de  l'Inde,  par 
M.  Vard,  en  1818;  il  a  recueilli  ses  renseignements  de  la  bouche  môme 
des  pandits,  mais  il  ne  connaissait  pas  le  sanscrit. 

Vinrent  ensuite  de  1823  à  1827  les  mémoires  de  M.  Colebrooke,  qui 
sont  restés  jusqu'à  présent  le  travail  le  plus  complet  sur  cette  matière, 
quoiqu'ils  laissent  encore  beaucoup  à  désirer. 

Tous  les  travaux  que  nous  suivons  ici  pour  la  philosophie  de  l'Inde 
s*appulent  sur  les  mémoires  de  M.  Colebrooke,  ou,  s'il  sont  plus  anciens, 
sur  les  quelques  débris  <le  connaissances  que  l'on  avait  recueillis  avant 
ce  siècle,  en  compilant  les  fragments  des  auteurs  grecs,  et  les  rensei- 
gnements de  nos  missionnaires,  liitler  avait  entre  les  mains  les  travaux 
les  plus  récents  ;  mais  il  les  dédaigne  et  se  contente  de  donner  ses  con- 
clusions systématiques,  sans  môme  en  exposer  les  bases.  Ozanam» 
Cantu  et  M.  Frank,  ont  travaillé  sur  les  mêmes  Essais  de  Colebrooke, 
et  ils  ne  s'accordent  pas  toujoura  sur  les  données  qu'ils  y  puisent. 
Nous  essayerons  de  les  fondre  en  les  résumant. 

33.  Doctrines  des  Védas.  —  Ne  pouvant  distinguer  avec 
certitude  les  théories  des  Védas,  d'avec  celles  de  leurs  coçamen- 
taires,  nous  donnons  ici,  sous  ce  titi*e,  tout  ce  qui  est  attribué  aux 
Védas,  par  les  livres  qui  nous  les  font  connaître. 

Brahm  est  l'être  absolu  :  tout  vient  de  lui  et  tout  y  retourne. 
Il  est  dans  un  long  repos,  une  sorte  de  sommeil,  où  il  ne  voit  rien, 
n'entend  rien  que  lui-môme.  Sortant  enûn  de  son  inaction,  il  se 
montre  et  devient  Brahma  le  Créateur.  Il  est  aussi  Vischnou,  en 
tant  l][u'il  conserve  ce  qu'il  a  créé,  et  enfin,  il  est  Siva,  en  tant 
qu'il  détruit  ce  qu'il  a  fait.  Ces  trois  manifeistations  de  Brahm, 
sont  trois  personnalités  distinctes,  dont  les  volontés  sont  en  oppo- 
sition, et  qui  môme  désobéissent  à  Brahm.  C'est  la  Trimourti  ou 
trioité  des  Indiens.  Chacun  de  ces  personnages  a  son  correspondant 
féminin.    Auprès   de  Brahm,   appelé  aussi  Bhagavan,  on  voit 


408  lilSTOlRE     DE     LA     PHILOSOPHIE 

Bhavani,  la  déesse-vierge  ;  lîrahma  s'unit  à  sa  sœur  Sanwfati; 
Vischnou  épouse  d'abord  Lackinu,  puis  deux  femmes  terrestre**. 
Si  va  épouse  Èhavàni. 

Brahma  prend  cûnscienco  de  sa  puissance,  et  voit  dans  Brahm 
les  idées  de  toutes  choses.  Alors,  après  un  repos  de  plusieni? 
myriades  d'années,  il  commence  à  créer  et  produit  d'abord  les 
sept  sphères  étoilées.  Il  est  renfermé  dans  un  œuf^  d'où  il  sortes 
lé  séparant  en  deux  parties  qui  deviennent  le  ciel  et  la  terre  :  il 
crée  ensuite  le  Soleil  et  la  Lune  et  les  enfers.  De  son  esîH-it  stn^ 
tent  alors  dix  esprits^  pour  Taider  dans  son  travail,  puis  les 
Dëvas  (bon  génies)  et  les  Daelyas^  mauvais  génies.  Avec  leor 
concours  il  crée  les  astres  y  les  plantes  et  les  animaux. 

De  sa  bouche  il  fait  sortir  le  premier  homme  qui  est  JBrahman: 
et  c'est  du  corps  de  celui-ci  que  naissent  tous  les  hommes.  De  sa 
tête  sortent  les  brahmes  (prêtres)  ;  de  son  bras  droit,  les  Kchatryas, 
ou  guerriers  ;  de  sa  cuisse  droite,  les  Vessîas,  marchands  et  labou- 
reurs; et  enfin  de  son  pied,  les  Sovdras,  artisans.  Toutes  ces 
créations  se  produisent  d'abord  par  un  couple  mâle  et  femelle.  Ce 
sont  lés  noms  des  quatre  principales  castes  de  l'Inde.  Celle  àes 
parias,  objet  de  réprobation  pour  toutes  les  autres,  n'a  pas  d'origine. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  étonnant  dans  cette  sorte  de  théologie,  c'est 
que  Brahma  s'enorgueillit  de  son  œuvre  et  est  chassé  du  ciel  par 
Brahm.  Il  dut  subir  quatre  incarnations  sur  la  terre  :  1*  sous  la 
forme  du  corbeau  poète,  où  il  fut  le  plus  grand  des  prophètes  ; 
2^  sous  le  nom  de  Valmiki,  le  paria,  il  fut  brigand,  se  repentit, 
et  commenta  les  Védas,  qu'il  avait  conçus  et  écrits  avant  sa  chute. 
3^  Sous  le  nom  de  Vyasa,  il  fut  poète,  composa  les  grandes  épopées, 
et  rassembla  les  Védas;  4<>  sous  le  nom  de  Kalidaça,  où,  dans 
l'Âge  de  fer  et  de  ténèbres,  il  composa  les  poèmes  dramatiques.  A 
la  fin,  il  fut  pardonné  et  rentra  dans  le  ciel. 

Vischnou,  comme  conservateur,  vient  au  secours  des  créatopes 
contre  les  attaques  toujours  renouvelées  de  Siva,  et  pour  cela  il 
s'incarne  un  grand  nombre  de  fois,  sous  diiféren tes  formes.  Ce 
sont  les  Avatars  ou  incarnations  de  Vischnou. 

Voici  le  résumé  des  plus  connues. 

!•  Il  poursuit  le  géant  Haiagriva,  qui  ayant  ravi  les  Védas,  les  emporte 
dans  la  mer.  Vischuou  se  fait  poisson,  atteint  \o  ravisseur  el  le  tue. 


INDIKNS 


409 


2o  Les  mauvais  génies,  pour  enlever  aux  dieux  le  breuvage  d'immor- 
talité   leur  (léclaront  la  f?uorre.  Dans  cctto  lutte,  le  mont  Mérou,  séjour 
clos  dieux,  est  jeté  dans  la  mer,  et  la  terre  est  ébranlée  sur  ses  fonde- 
ments. Vischnou  se  fait  ^orrt^eet  soutient,  sur  sa  carapace,  le  Monde 
qui  reprend  ainsi  son  équilib.re* 

3"  Le  géant  Erouniakcha  emportait  la  terre  au  fond  de  l'abîme  Visch- 
non  se  fait  sanglier, 

4-  Le  géant  Eronya,  méprisait  les  dieux,  parce  qu'il  savait  ne  devoir 
mourir  m  de  jour,  ni  de  nuit.  Vischnou  se  faitmoiiec^  lion,  moitié  homme 
et  tue  le  géant  pendant  le  crépuscule  (ni  jour,  ni  nuit). 

5«  Le  géant  Maha-Bali  avait  usurpé  la  souveraineté  des  trois  mondes 
(terre,  ciel,  enfer).  Vischnou  prend  la  figure  du  hraiime-nain  Vamana 
et  va  prier  legéant  delui  donner  trois  pas  de  propriété.  Celui-ci  accorde 
facilement  une  si  petite  aumône;  mais  le  nain  grandit  et  d'un  pas  il 
enjambe  la  terre  ;  au  second  il  enjambe  le  ciel  ;  il  allait  d'un  troisième 
s'emparer  aussi  de  l'enfer,  quand  Maha-Bali,  se  déclare  vaincu  et  se 
soumet.  Ce  qui  fait  que  Vischnou  lui  laisse  l'empire  des  enfers 

6'  Vischnou  se  fait  guerrier  sous  le  nom  de  Paraçou^Rama  pour 
humilier  la  race  des  Kchatryas.  ' 

7-  Il  sMncarne  sous  le  nom  de  Rama  Tchandra.  pour  combattre 
Ravana.  tyran  de  Lanka..(Ceylan).  C'est  là  qu'il  épouse  Sita;  Havana  la 
lui  ravit,  mais  Vischnou  le  tue  et  reprend  son  épouse.  > 

8-  Il  s'incarne  sous  le  nom  de  Crichna,  pour  donner  à  la  terre  des 
préceptes  et  des  exemples  de  vertus. 

9-  Sous  la  forme  de  Bouddha,  il  se  retire  dans  le  désert  avec  cina 
disciples,  et  vient  avec  eux  réformer  le  monde.  . 

10>  Il  doit  revenir  à  la  fin  des  temps  sous  la  figure  du  cheval  de  feu 
Kalki.  D'un  coup  de  pied,  il  broiera  la  terre,  jettera  les   méchants  erî 
enfer  et  emmènera  les  bons  avec  lui  dans  le  ciel.   Mais  les  semences 
des  choses  seront  conservées  pour  le  renouvellement  du  monde. 

SivA,  rennemi  implacable  de  Vischnou  et  de  Brahma,  s'efforce 
sans  cesse  de  détruire  leur  œuvre.  C'est  lui  qui  sô  manifeste  dans 
les  mauvais  génies  et  dans  les  géants  que  Vischnou  doit  dompter 
et  détruire  par  ses  incarnations.  Il  est  4e  dieu  de  la  vengeance 
Mais  il  est  aussi  le  dieu  de  l'amour  charnel,  et  c'est  surtout  sous 
ce  titre  qu'il  est  adoré  par  une  secte  indienne,  sous  l'emblôme  le 
plus  ignoble. 

34.  Obsenration.  —  Après  cette  exposition,  que  nous  n'avons 
faite  si  lo/igue  que  pour  mieux  montrer  Tineptie  de  la  théologie 


410  HISTOIRE    'de     la      PHILOSOPHIE 

des  Indiens  nous  demandons  si  Ton  peut  sérieusement  regard€? 
cela  comme  le  fruit  d'une  conception  philosoplii(^ue  s'attribuaaî 
une  origine  divine,  et  s'il  n'est  pas  évident  que  c'est  plutôt  l'ori- 
gine traditionnelle  des  vérités  cachées  sous  cette  grossière  défc^ 
mation,  qui  en  est  la  véritable  source  et  qui  lui  a  donné  créance. 

Toutes  ces  absurdités  ne  se  trouvent  ni  dans  les  Védas,  ni  dâo» 
les  lois  de  Manou.  Elles  commencent  dans  los  poèmes  et  s'achevât 
dans  VEzour-Vëda,  les  Pouranas  et  les  Oupanishads^  qui  soiw 
tous  des  ouvmges  bien  postérieurs.  Au  milieu  de  tous  ces  remanie- 
ments,  la  tradition  primitive  a  dû  nécessairement  s'obscurcir;  mais 
elle  n'a  pas  disparu  entièrement.  On  trouve  encore  çà  et  là  bie» 
des  fragments  qui  rappellent  les  faits  primitifs  tels  qu'ils  sont 
racontés  dans  la  Genèse.  Ce  n'est  pas  assez  sans  doute  pour  suivre 
le  âl  des  altérations  et  reconnaître  la  vraie  source  de  chacune  de 
de  ces  erreurs,  mais  c'est  assez  pour  affirmer  que,  comme  cbêz 
tous  les  autres  peuples,  la  philosophie  indienne  a  commencé  par 
des  connaissances  positives  attribuées  à  la  révélation.  Nous  verroas 
d'ailleurs  presque  tous  les  systèmes  philosophiques  s'appuyer  de 
Fautorité  des  Védas,  alors  môme  qu'ils  n'en  gardent  pas  ôdèlemat 
les  doctrines. 

35.  Doctrines  philosophiques.  —  On  compte  dans  l'Inde  six 
grands  systèmes  et  un  assez  grand  nombre  d'hérésies  religieuses. 
Les  systèmes  philosophiques,  quoique  reconnaissant  tous  l'autorité 
des  Védas,  s^en  écartent  plus  ou  moins  ;  ce  qui  a  fait  appeler  les 
uns  orthodoxes  et  les  autres  hétérodoxes.  Ce  dernier  titre  coa- 
viendrait  mieux  aux  hérésies  religieuses,  et  on  pourrait  appeler 
indépendants  les  systèmes  intermédiares.  Nous  aurions  ainsi  ^ 
tableau  suivant,  résumant  les  systèmes  les  plus  connus. 

MiikiANSÂ,  de  Djalmini. 

ORTHODOXES.....................     ,,^  j       rr     ^ 

VÉDANTA,  de  Vyasa, 

Sankhya,  de  Kapîla. 
Yoga,  de  Patandjafî . 
SYSTÈMES . . .  / **"*    ^""^  "^  J  Nyaya,  de  Gotama. 

Ybisëshika,  de  Canada. 

Djaïnisme,  de  DjaTna. 

HÊTtRoeoxcs... »  { ^ovrùxym&uZjàeSahya^Mounit 

surnommé  Bouddha. 


INDIENS  411 

Cet  ordre,  outre  qtt*il  est  basé  sur  les  rapports  entre  les  systè- 
mes et  les  Védas,  nous  paraît  être  à-peu-prôs  Tordre  chronologique. 
Il  est  d'ailleurs  très  difficile  de  dire  dans  quel  ordre  ces  systèmes 
ont  paru  ;  car,  dans  Tétat  où  sont  aujoud*hui  les  livres  qui  en 
traitent,  ils  se  citent  tous  mutuellement  et  se  combattent.  ' 

Tous  les  auteurs  de  ces  ouvrages  sont  inconnus  historiquement. 
Ils  sont  l'objet  de  légendes  et  passent  pour  des  fils  de  Brahma  ou 
des  incarnations  de  Yischnou. 

36.  Système  Himansa.  —  Deux  systèmes  portent  en  môme 
temps  ce  nom  :  le  Pourva-Mimansa  (Premier  Mimansa)  et  le 
UttarorMimansa  (Second  Mimansa).  Ce  dernier  porte  plus  pro- 
prement le  nom  de  Yédanta.  C'est  donc  du  Pourva  Mimansa  seu- 
lement que  nous  parlons  sous  ce  titre. 

Le  Pourva-Mimansa  ou  Karma  Mimansa  (Doctrine  de  l'homme^ 
est  attribué  à  Djaîmini,  auteur  inconnu.  C'est  un  traité  des  devoirs 
de  Thomme  fondé  sur  Tautorité  des  Védas.  La  première  partie 
établit  cette  autorité  et  indique  les  devoirs  qu'ils  prescrivent.  La 
deuxième  est  une  sorte  de  casuistique  raisonnée,  avec  un  grand 
appareil  de  logique. 

Toute  question  à  résoudre  offre  cinq  membres  :  1^  le  sujet  ou  la 
question,  2®  le  doute  sur  la  solution  à  donner,  3®  la  première 
solution  qui  se  présente  à  l'esprit,  A^  la  vraie  réponse,  5**  les  raports 
entre  cette  solution  et  celles  que  l'on  a  déjà  obtenues  pour  les 
autres  questions. 

L'autor.ité  est  humaine  ou  surnaturelle,  indicative  ou  impérative, 
positive  ou  relative.  L'autorité  se  manifeste  par  le  langage.  Le 
langage  est  étemel  et  divin.  Il  est  parfait  dans  les  Védas,  qui 
sont  une  révélation  surnaturelle.  Outre  les  Védas,  l'autorité 
se  trouve  encore  dans  la  tradition  des  Sages  anciens,  dans  les 
institutions  et  mômes  dans  les  usages  reçus  :  tout  cela  suppose  une 
une  autorité  révélée.  L'opinion  des  ^^es  forme  toujours  une 
opinion  probable,  que  l'on  peut  suivre,  pourvu  qu'elle  ne  soit 
pas  opposée  au  texte  sacré. 

37.  Système  Védanta  —  Le  Védanta^  n'est  autre  chose  que 
le  second  Mimansa,  le  Brahma-Mimansa  (doctrine  sur  Dieu)  : 
c'est  la  théologie  dogmatique  du  brahmanisme.  Ce  livre  est  attri- 


412  HISTOIRE  DE  LA  PHIL080HHIE 

bué  à  Vyasa.  Mais  il  est  évident  qu'il  ne  peut  pas  être  de  raai^ 
des  Védas  ;  car  il  cite  tous  les  autres  sjstènaes  que  nous  aTc* 
énumérés.  En  sorte  que,  s'il  est  plus  ancien,  il  a  reçu  beaoc«îp 
d'additions  interpolées  ;  ou  bien  il  n'est  qu'une  réaction  contre  ia 
systèmes. plus  ou  moins  hétérodoxes. 

Il  contient  1°  une  sorte  de  théodicde,  2®  une  réfutation  des  i^è& 
de  Dieu  opposées  aux  doctrines  des  Yédas,  3°  une  théorie  de  h 
libération  de  Tâme,  4°  la  nature  de  la  méflitation    et  ses  efets 

On  a  cru  trouver  dans  le  Yédanta  le  syllogisme  à  trois  pro^se- 
tiens,  tel  qu'il  fut  prc''senté  par  Aristote.  Nous  en  parlerons  dansk 
système  Nyaya. 

38.  Système  Sankhya  —  Sous  ce  nom  on  peut  comprendre 
trois  systèmes  :  le  sankhi/a  proprement  dit,  le  i/ot/a  et  lepaonm- 
niha.  Le  but  commun  est  de  mener  &  la  béatitude  par  la  scioce; 
mais  la  'science  y  est  entendue  différemment.  La  première  de  «s 
écoles  est  métaphysicienne  et  aboutit  à  Fathéisme.  Elle  n'adm^î 
ni  Création  ni  Ih'ovidence.  La  deuxième  reste  théiste,  et  pread 
une  forme  mystique.  La  troisième  est  toiit-à-fait  mjtbolofriqueeî 
se  perd  dans  Tidéalisme.  C'est  la  doctrine  des  Pouranas,  àosX 
nous  n'avons  que  des  extraits. 

Le  SanJihya  (numération,  raisonnement)  est  l'œuvre  de  KapiU, 
L'ouvrage  est  perdu  ;  on  n'en  a  que  des  résumés.  Son  caractère  le 
plus  saillant  est  le  rationalisme  ;  mais  il  accepte  assez  formelleinen^ 
l'autorité  des  Yédas.  —  Le  but  à  obtenir,  c'est  la  béatitude,  ou  If 
repos  définitif.  Ce  calme  absolu  est  le  fruit  de  la  science,  ([^ 
s'acquiert  par  trois  moyens  :  la  perception^  Uindurstion  et  k 
témoignage.  On  doit  y  ajouter  pourtant  V instruction.  L'induc- 
tion se  fait  par  le  raisonnement  :  de  la  cause  à  l'effet,  de  l'effet  à  la 
à  la  cause,  et  enfin  partout  autre  rapport.  Le  témoignage  ou  ^afi^ 
mation  n'est  que  la  tradition  des  doctrines  dos  Védas,  ou  des  Sa^t* 
qui  se  rappellent  leurs  vies  précédentes.  —  Ces  trois  moyens  de 
connaissance  s'appliquent  à  vingt  cinq  principes  des  choses:!* 
nature,  l'intelligence,  les  essences  des  cinq  éléments  (terre,  eau» 
air,  feu,  éther)  les  onze  organes  des  sens,  le  sens  intime,  les  cinq 
éléments  eux-mêmes  et  enfin  l'âme.  Dieu  n'y  est  pas  nommé. 

39.  Système  Yoga.  —  Le  Yoga  (union  à  Dieu)  appelé  sio^ 
Sankhya  de  Patandjali,  du  nom  de  son  auteur,    est  un  système 


INDIENS  413 

mystique .  Il  admet  tout  les  principes  de  Kapila  ;  seulement  il  fait 
entrer  Dieu  à  la  place  de  Titme,  parmi  les  principes  des  choses. 
L'ouvrage  primitif  ne  nous  est  pas  parvenu.  On  n'en  a  que  des 
résumés  ou  des  commentaires. 

40.  Système  Nyaya.  —  Le  Xyaya  (discussion  ,raisonnement) 
est  attribué  à  G'otama.  C'est  une  logique,  un  art  de  discuter,  qui 
a  eu  dans  l'Inde  le  même  sort  que  la  logique  d'Aristote  en  Europe. 
Il  renferme  aussi  la  discussion  des  autres  systèmes.  L'ouvrage 
s'appuye  dès  le  principe  sur-un  passage  des  Védys. 

Les  conditions  de  Tétude  sont:   1°  Vénonciation  par  le  nom, 
qui   est  révélé  ;   2°  la  définition  ;  3°  Y  investigation,  qui  juge 
de   la  définition.   Ainsi  s'établissent  les  termes    fondamentaux 
qui   constituent  les  catégories,  savoir  :    la   subtance,   la  (qua- 
lité, l'action,  le  commun  (genre),  le  propre  (espèce),  la  relation  et 
la  négation.  — Tient  ensuite  lîx.  preuve,  qui  s'obtient  par  la  per- 
ception, l'induction,  l'analogie  et  Taffirmation  ou  le  témoignage. 
—  On  trouve  dans  cette  logique  une  sorte  de  syllogisme.  Il  est 
composé  do  cinq  membres  :  la  proposition,  la  raison,  l'exemple, 
l'application,  la  conclusion.  En  voici  un  exemple. 
Proposition  :  Cette  montagne  brûle. 
Raison  :  Car  elle  fume.  • 

Exemple  :  Ce  qui  fume  brûle-:  témoin  le  foyer. 
Application  :  Ainsi  cette  montagne  fume. 
Conclusion  :  Donc  elle  brûle. 

C'est  cet  argument  que  Ton  retrouve  dans  le  Védanta  avec  trois 
propositions  seulement.  Mais  il  y  a  loin  de  là  à  l'analyse  profonde 
qu'Aristote  a  faite  du  raisonnement  en  traitant  du  syllogisme. 

La  dialectique  s'applique  d'abord  à  l'âme,  qui  est  le  siège  de  la 
connaissance  et  du  sentiment.  Elle  est  distincte  du  corps  et  des 
sens;  elle  est  différente  pour  chaque  individu,  mais  elle  est  infinie. 
Au  dessus  des  autres  Ames  est  l'âme  suprême,  siège  de  la  connais- 
sance éternelle.  Le  corps  au  contraire,  qui  est  le  siège  de  l'effort, 
est  terrestre,  comme  l'affirment  les  Védas. 

Enfin,  comme  pour  les  autres  systèmes,  le  but.  pratique  delà 
dialectique  ei«t  de  se  délivrer  des  peines  causées  par  les  change- 
ments, 4XU  moyen  de  la  science  sainte. 

41.  Système  Veisésohika.  —  Le  Veiséschika  (théorie  des 


414  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

distinctions)  est  Fœuvre  de  Canada.  Il  admet  toute  la  logique  au 
Nyayade  Gotama,  ce  qui  Ta  fait  appeler  aussi  le  Nyaya  de 
Canada  ;  mais  il  étudie  surtout  les  phénomènes  sensibles.  C^est 
une  physique  atomistique,  qui  s'écarte  bientôt  des  Védas. 

Aux  catégories  de  Gotama,  d'où  il  rejette  la  négation,  il  ajoote 
la  distiifction  de  neuf  substances,  dont  huit  sont  matérielles,  panni 
lesquelles  il  compte  le  temps  et  le  lieu,  et  une  immatérielle,  qui  e^ 
r&me.  Les  corps  sont  des  composés  d'atomes  et  ces  atomes  saot 
simples.  Car,  dit-il,  les  corps  sont  simples  ou  composés.  S'ils  sont 
composés  ils  sont  composés  de  parties.  Ces  parties  sont  simples  on 
composées.  Si  elles  sont  composées,  elles  sont  encore  formées  de 
parties,  qui  en  dernière  analyse  doivent  être  simples. 

Il  distingue  aussi  les  qualités  sensibles  et  les  qualités  intellect 
tuelles,  et  en  trouve  vingt-quatre  espèces.  Il  compte  cinq  espèces 
de  mouvements  ou  d'actions.  Après  Canada  ses  disciples  ajoutèrent 
à  sa  classification  la  septième  catégorie,  qui  est  la  négation. 

42.  Djalnîsme.  —  Le  Djaînisme,  dont  l'auteur  est  un  certain 
Bjaîna,  ne  nous  est  connu  que  par  ses  adversaires.  Aussi  nous 
est-il  difficile  de  le  bien  juger.  Cependant,  diaprés  ce  que  nous  en 
connaissons,  il  paraît  être  une  sorte  de  philosophie  religieuse,  qui 
s'est  séparée  du  Brahmanisme.  \^ici  quelques-unes  de  ces  concep- 
tions. 

L'univers  est  formé  d'atomes  homogènes  dont  lesaggrégats  seuls 
diffèrent.  Les  êtres  sont  animés  ou  inanimés.  Parmi  les  êtres 
animés,  les  uns  sont  éternels,  les  autres  périssables.  L'Ame,  sur  la 
terre,  est  liée:  c'est  son  premier  état.  Mais  le  sage,  par  la  science, 
s'élève  au  dessus  des  mutations  :  alors  l'Ame  est  délivrée.  Enfin, 
après  la  mort,  l'Ame  du  sage  retourne  en  Dieu  :  alors  elle  est 
parfaite,  hemomeniàe  la  mort  est  le  plus  important;  car  les 
dernières  pensées  d'un  mourant  décident  de  sa  destinée  future. 

Avec  ces  données,  le  Djaînisme  n'est  hétérodoxe  pour  les  Indiens, 
qu'en  ce  sens  qu'il  n'admet  pas  l'autorité  des  Védas  et  par  suite 
rejette  celle  des  Brahmes. 

43.  Bouddhisme.  —  Sakya-Mouni,  surnonunô  par  sas 
disciples  Bouddha  (savant),  passe  pour  une  dernière  incarnation 
de  Yischnou,  et  est  considéré  comme  Fauteur  de  cette  religion 
sans  culte  que  l'on  appelle  le  Bouddhisme.  En  étudiant  ses  doe> 


INDIENS  415 

■ 

trilles  on  croit  qu'il  n'a  voulu  faire  qu'une  philosophie  ;  mais  ses 
disciples  ne  le  considèrent  pas' ainsi,  et  pour  eux  c'est  une  religion  ; 
mais  c'est  une  religion  dont  tout  le  culte  consiste  dans  la  pratique 
de  la  morale,  et  quelquefois  dans  la  prière  intérieure.  D'ailleurs  le 
Bouddhisme  s'est  bientôt  divisé  en  un  grand  nombre  de  sectes,  et 
il  est  difficile  d'en  donner  les  caractères  généraux. 

Sakyar-Mouni,  disent  les  légendes,  ému  de  compassion  à  la  vue 
des  misères  des  hommes,  résolut  de  les  en  délivrer.  Pour  cela  il 
se  retira  dans  un  désert  pour  y  méditer.  Puis  s'étant  formé  quel- 
ques disciples,  il  se  mit  à  prêcher.  Il  rejetait  les  Védas,  repoussait 
la  distinction  des  castes,  enseignait  que  tous  les  hommes  sont  frères 
et  penchait  le  pardon  des  injures  et  l'hospitalité.  Il  essaya  de  con- 
vertir les  Brahmanes  eux  mômes,  mais  il  fut  violemment  combattu 
'  par  eux.  Alors  il  se  choisit  un  successeur  qu'il  investit  de  son 
pouvoir  ;  puis  il  s'étendit  au  pied  (J'un  arbre  et  mourut^  Mais  il 
ressuscita  bientôt  pour  enseigner  les  doctrines  qu'il  n'avait  pas 
encore  transmises. 

D'autre  légendes  disent  qu'il  avait  deux  corps  :  l'un  mortel  et 
l'autre  qui  était  la  loi  môme  éternelle  et  immuable.  Il  naquit  sur 
la  terre  au  solstice  d'hiver,  d'une  vierge  de  race  royale,  lorsque 
tout  le  monde  était  en  paix  :  il  fut  adoré  par  certains  rois,  présent 
té  au  temple,  où  un  vieux  prôtre  prédit  en  pleurant  sa  gloire  futur 
rc  ;  le  génie  du  mal  le  tenta  dans  le  désert.  (*) 

Ici  la  ressemblance  est  trop  graude  avec  Notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
pour  qu'on  puisse  admettre  une  simple  coïncidence.  Evidemment  on 
attribue  ici  à  Bouddha  ce  qui  appartient  à  Jésus.  Mais,  forcé  de  rejeter 
cette  partie  des  légendes,  on  est  tenté  de  rejeter  le  reste,  où  les  ressem- 
blances sont  déjà  assez  sensibles.  On  se  deiMmde  même  si  la  doctrine 
n*est  pas  une  importation  chrétienne  et  si  le  Bouddhisme  n'est  pas 
l'œuvre  d'un  philosophe  indien  qui  ayant  connu  le  christianisme  voulut 
en  prendre  la  partie  morale,  ou  môme  s'il  n'est  pas  un  reste  de  chiia- 
tianisme  dégénéré.  Les  chinois  font  vivre  leur  Bouddha  1000  ans  avant 
notre  ère  ;  quelques  Indiens  s'arrêrent  à  500  ans.;  et  on  trouve  une 
foule  de  dates  intermédiaires  dans  les  différents  auteurs.  Mais  on  sait 
ce  que  valent  les  chronologies  de  ces  peuples  ;  et  quand  on  dit  que  les 
compagnons  d'Alexandre  distinguèrent  les  Bouddhistes  des  sectateurs 

•)  Cantu,  Hi$toire  UniffwselU,  P.  337.  Edit.  Firmin-Didot,  1343. 


416 


lîISTOIRK     DE   LA    PHILOSOPHIE 


(le  Hrahma,  il  s'agit  des  Gymnopophiste»  qui  avaient  quelques  npç^in 
avec  les  bouddhistes,  mais  (lui  pouvaient  n'être  pa.s  les  mômes. 

Quoi  qu'il  eu  soit,  le  bouddhisme  d'aujourd'hui  et  même  celui  des  li'»7.5 
les  plus  anciens  ne  resscndjle  au  chrislianismc  que  par  la  plupart  -H 
vertus  morales.  i>our  ce  qui  est  du  do^'inc  et  du  culte  on  a  plusieu* 
fois  considéré  les  Bouddhistes  comme  athées.  Cependant  tous  admette; 
un  seul  Dieu  ;  mais  pour  quelques-uns  ce  Dieu  ressemble  fort  au  Dieiiri 
Fîchte  et  de  Hegel:  c'est  une  idée,  une  conception  abstraite. 

Les  quatro  principales  sectes  du  Bouddhisme  se  distinguent  ainsi  : 
Tout  est  vide,  dit  Tune*  c'est-à-dire,  rien  n'existe  réellemeaL 
Excepté  rintelligence,  dit  la  seconde,  tout  est  illusion.  La  trc-i- 
siôrae  admet  Texistence  des  objets  perçus  par  les  sens  ou  dédai» 
par  le  raisonnement.  Enfin  la  quatrième  enseigne  que  les  obj<*u^ 
sont  connus  par  induction,  mais  non  perçus  ;  car  nous  ne  les  vovivc? 
que  dans  des  images.  Ce  sont  là  des  distinctions  purement  philos*,- 
phiques,  mais  pour  eux  elles  ont  une  portée  religieuse. 

En  quoi  consiste  la  distinction  entre  le  Bouddhisme  et  le  Brah- 
manisme ?  D'abord  dans  l'abolition  des  castes  ;  dans  Taffîrmatiikn 
que  Thomme  peut,  par  la  pratique  des  hautes»  vertus  de  renonee- 
meut  à  tout  ce  qui  est  mobile,  se  rapprocher  de  la  divinité  Jusqu'à 
être  Bouddha,  c'est-à-dire  homme  divinisé  ;  enfin  en  ce  que  le 
terme  vers  lequel  aspirent  les  Bouddhistes  et  qu'ils  appelles: 
moukti  (dt^livrance)  ou  plus  souvent  7iirxoana  (absence  de  muta- 
tions), n'est  pas  une  absorption  en  Brahma,  où  la  personnalité  dis- 
paraît, mais  une  simple  cessation  de  tout  changement,  un  repjs 
absolu  dont  on  a  conscience  et  qui  constitue  pour  eux  le  bonhes.* 
suprême. 

Tous  les  autres  détails  que  Ton  donne  encore  sur  Bouddha  et  sur 
sa  doctrine  ne  serviraient  en  rien  à  le  faire  mieux  connaître.  Noa? 
n'en  dirons  pas  davantage.  Il  est  regrettable  que  nous  n'avoBS 
pas  des  documents  plus  précis,  pour  pouvoir  apprécier  et  suivw 
pas-à-pas  Thistoire  de  cette  doctrine,  qui  reste  encore  pour  nou? 
entourée  de  beaucoup  d'obcurités. 

44.  Observation  sur  la  philosophie  de  Tlnde. — Ici  comme 
chez  tous  les  autres  peuples  nous  trouvons  avant  toute  philosophie 
des  données  religieuses,  considérées  comme  révélées,  dont  rori- 
gine  traditionnelle  est  évidente,  et  c'est  sur  cette  base  que  s'élève 
la  philosophie. 


CHINOIS  417 

Pour  la  première  fois  nous  trouvons  de  vrais  systèmes  philoso- 
phiques. On  peut  mùrae  dire  avec  Cousin  que  l'Inde  a  parcouru 
longtemps  avant  nous  tous  les  systèmes  que  l'Europe  a  vus  naître, 
et,  si  les  données  que  nous  avons  étaient  complètes  et  nous  permet- 
taient de  donner  k  chaque  conception  sa  date,  nous  poumons  dire 
peut-être  qu'elle  a  marché  heaucoup  plus  vite.  En  effet  on  croit 
communément  que  tous  ces  systèmes  se  sont  formés  et  développés 
pendant  les  cinq  siècles  qui  ont  immédiatement  précédé  Tère  chré- 
tienne. Or  ils  contiennent  toutes  les  formes  de  la  philosophie  :  le 
matérialisme,  le  panthéisme,  le  scepticisme  le  mysticisme,  avec 
les  dernières  formes  que  le  xviii*'  et  le  xix'  siècle  ont  vu  donner 
chez  nous  à  ces  différents  systèmes.  Tant  il  est  vi'ai  que  Fintelli- 
gence  humaine.n'invente  rien^  et]que,  les  combinaisons  de  ce  qu'elle 
connaît  étant  en  nombre  fini,  elle  ne  peut  que  tourner  dans  un 
cercle  dont  elle  ne  saurait  sortir. 

PHILOSOPHIE  DBS  CHINOIS 

45.  Documents.  »  II  y  a  un  siècle,  les  documents  relatifs  k  la  phi- 
osophie  de  la  Cliine  n'étaient  pas  plus  abondants  en  Europe  que  ceux 
qui  concernaient  l'Inde.  Mais  depuis  cette  époque  des  tra^^aux  nom- 
breux ont  été  faits  ;  un  grand  nombre  de  livres  chinois  nous  ont  été 
apportés  ;  la  langue  a  été  étudiée  ;  un  certain  nombres  de  livres  ont 
été  traduits  et  publiés  :  nous  les  devons  surtout  aux  soins  des  Pères 
Jésuites  qui  ont  fait  les  missions  de  la  Chine,  et  ensuite  à  d'autres 
sinologues  dont  |a  plupart  sont  Français.  On  peut  citer  de  préférence 
le  P.  Noël,  le  P.  Gaubil,  le  P.  Prémare,  M. 'de  Guignes  père,  dans  le 
xviii"  siècle;  et  dans  celui-ci:  le  P.  Hegîs,  M.  Pautliier,  M.  Abel  Bemu- 
.  sat,  M.  de  Paravey,  et  M.  l'abbé  Sionnet,  qui  nous  a  fait  connaître  un 
Intéressant  manuscrit  du  Père  Prémare. 

Avec  tous  ces  travaux  on  n'est  pas  encore  à  l'abri  de  toute  erreur 
dans  l'interprétation  des  pensées  de  ce  peuple  dont  la  langue  et  surtout 
l'écriture  ressemblent  si  peu  aux  nôtres,  surtout  quand  il  est  avéré  :  que 
les  livres  les  plus  anciens  ont  été  presque  entièrement  brûlés  ;  qu'on 
les  a  rétablis  au  moyen  de  débris  et  de  souvenirs;  que  Gonfucius  qui 
les  a  rerais  en  ordre  en  a  de  son  propre  chef  retranché  une  bonne  par- 
tie ;  que,  la  langue  et  l'écriture  ayant  changé,  il  a  fallu  les  traduire  en 
chinois  moderne,  et  qu'enfin  tous  les  lettrés  y  ont  plus  ou  moins  mis 

27 


418  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

la  main  et  y  ont  fait  entrer  leurs  interprétations.  Malgré  toutes  f^ 
causes  de  ruine,  la  philosojjhie  traditionnelle  y  est  encore  assez  bift 
représentée,  et  en  attendant  mieux  des  travaux  à  venir,  on  peut  dfji 
y  recueillir  une  ample  moisson. 

46.  Livres  sacrés.  —  Comme  tous  les  autres  peuples,  b 
Chine  a  ses  livres  sacrés  qu'elle  appelle  les  Kings  (livres).  Elle  le 
attribue  à  Yhommc  céleste.  Nous  avons  déjà  dit  qu'ils  ont  pérf  ei 
grande  partie  et  qu'ils  furent  rétablis,  mais  laissés  incomplets  pir 
Confucius.  En  voici  les  noms. 

Y'King  (livre  des  mutations),  Chou-King  (livre  des  annaJesv, 
Chî'King  (livre  des  vers),  Li-King  (livre  des  rites),  Yo-King 
(livre  de  la  musique),  Tchim-sieoii  (printemps  et  automne).  L> 
plupart  des  auteurs  n'en  comptent  que  cinq,  parce  que  le  deniiff 
est  de  Confucius  lui-môme. 

Le  lÂ-King  et  le  Yo-King  ont  péri  depuis  longtemps. 

Voici  ce  que  les  quatre  qui  restent  renferment  encore  dans  ïèox 
actuel. 

Le  Y,  contient  les  64  figures  de  Fo-hi  (combinaisons  de  lign* 
continues  et  de  lignes  disjointes,  six  lignes  dans  chaque  fignTfl 
avec  deux  textes  d'explications  et  deux  commentaires.  On  p«rt 
voir  ces  figures  dans  Un  million  de  faits,  page  6.  avec  l'explica- 
tion ingénieuse  mais  fausse  qu'en  a  donnée  Leibnitz. 

Le  Chou,  est  l'histoire  de  la  Chine.  Confucius  en  rejeta  les  cobh 
mencements  et  la  fit  commencer  à  Yao.  Elle  finit  à  Pin-vang  k^ 
siècle  av.  J.-C). 

Le  Chi,  est  un  recueil  de  305  cantiques,  publié  Tan  130  av.  J.-C. 
par  Mao-Kan,  comme  le  véritable  Chi  de  Confucius. 

Le  TcHUN-siEOU  renferme  les  annales  de  la  principauté  de  L«i, 
de  Tan  712  à  Tan  481  avant  J.-C. 

47.  Livres  classiques.  —  Après  les  Kings,  les  livres  les  pin* 
estimés  des  lettrés  chinois  sont  les  Sse-chou  (quatre  livres  moraui) 
qui  sont  appelés  classiques.  Ils  sont  l'œuvre  des  disciples  de  Confu- 
cius, et  reproduisent  sa  doctrine.  Ces  livres  sont  : 

Ta-hio  (la  grande  étude).  Nécessité  de  se  régler  soi-môme  avait 
de  régler  les  autres. 

Te/iow^-yuw^  (l'invariable  milieu).  La  vertu;  selon  l'adage 
prunté  à  Aristbte  :  in  medio  virtus, 


CHINOIS  419 

Lun-in-  (entretiens  philosophiques).  Discours  moraux  et  maxi- 
mes. 

Meng-tseti,  ainsi  appelé  du  nom  de  son  auteur.  Livre  de  morale, 
qui  est  à  lui  seul  aussi  étendu  que  les  trois  autres. 

—  On  a  beaucoup  de  commentaires  de  tous  ces  livres.  Ils  sont 
faits  par  des  hommes  qui  déclarent  avec  amertume  qu'ils  ne  les 
comprennent  pas,,  à  cause  de  leur  ancienneté  et  des  altérations 
qu'ils  ont  subies, mais  dont  les  dires  contradictoires  servent  sou  vent 
à  nous  indiquer  le  véritable  sens.  " 

48.  Doctrine  traditionnelle.  —  Les  Chinois,  comme  tous  les 
autres  peuples,  ont  reçu  d'abord  la  vérité  par  l'enseignement  tradi- 
tionnel, et  c'est  sur  cet  enseignement  dont  leurs  livres  portent 
encore  de  nombreux  vestiges  qu'ils  ont  basé  leur  philosophie. 

Leur  religion  actuelle  se  réduit  à  peu  de  chose  comme  culte 
envers  Dieu  ;  mais  les.  livres  anciens  nous  montrent  chez  eux  une 
religion  plus  pure  et  un  culte  plus  développé.  Le  nom  le  plus  fré 
quent  qu'ils  donnent  à  leur  Dieu  est  Tien  (le  Ciel)  et  tout  porte  à 
croire  que  la  plupart  de  ceux  qui  suivent  aujourd'hui  la  religion 
réglée  par  Confucius  adorent  en  effet  le  Ciel  matériel.  Maison  peut 
voir  dans  les  Kings^  dans  les  écrits  de  Lao^tseu  et  de  ses  disciples 
et  dans  Confucius  lui-môme  que  ce  môme  mot  de  Ciel  désignait  pri- 
mitivement le  vrai  Dieu. 

En  effet.  Dieu  y  est  nommé  ii^différemment  :  Tien{Cïe\)^  Chang- 
ti  (suprême  seigneur),  y(unité)  2'a/-y(grandeunité),2'ao  (raison). 
On  lui  attribue  Tintelligence  suprême,  la  Création  et  la  conserva- 
tion de  toutes  choses,  la  Providence,  la  bonté,  la  justice,  la  misé- 
ricorde, la  vérité,  l'uniié,  l'unicité  et  môme  latrinité  dans  l'unité. 
Le  père  Prémare  (dans  un  ouvrage  qui  n'a  pas  été  publié,  mais 
dont  l'abbé  Sionnet  a  donné  un  résumé  avec  des  justifications,  dans 
les  Annales  de  philosophie  chrétienne,  année  1837)  cite  un  très- 
grand  nombre  de  textes,  qui  sont  reconnus  parfaitement  authen- 
tiques, et  qui  montrent  que  les  Chinois  avaient  une  idée  trôs-exacte 
de  Dieu,  et  môme  qu'ils  avaient  une  certaine  connaissance  de  la 
Trinité,  longtemps  avant  l'ère  chrétienne.  Il  est  évident  qu'ils 
n'avaient  pas  inventé  ces  doctrines  :  ils  les  connaissaient  donc  par 
la  Tradition. 


420  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

49 .  Doctrine  métaphysique  du  Y-King.  —  On  a  deux  textes 
de  ce  livi»e  :  l'un  en  écriture  linéaire,  attribué  à  Fo-lii  (environ 
3000  av.  J.-C),  l'autre  en  caractères  chinois  modernes  (que*  Ton 
fait  remonter  à  Fan  1200  ay.  J.-Cî.).  Il  expose  Torigine  des  choses 
et  de  leurs  transformations  et  il  le  fait  avec  des  symboles  numé- 
riques. Il  distingue  d'abord  Vnm't(^,  représentée  par  un  trait  con- 
tinu (  —  )  et  la  dualité,  représentée  par  un  trait  disjoint  ( ). 

L'unité,  c'est  le  ciel,  la  dualité  c'est  la  terre.  L'unité,  c'est  encore 
l'activité,  le  principe  m  Aie,  le  soleil,  la  lumière  ;  la  dualité,  c'est 
la  passivité,  le  principe  femelle,  la  lune,  les  ténèbres.  Tout  nait 
par  composition  et  périt  par  décomposition.  La  création  et  la  con- 
servation des  choses  se  fait  d'après  les  lois  des  nombres.  Les  nom- 
bres sont  impairs  et  parfaits,  ou  pairs  et  imparfaits.  Les  hommes 
sont  supérieurs  et  vertueux,  ou  inférieurs  et  vicieux,  selon  qu'ils 
suivent  les  lois  du  ciel  ou  celles  de  la  terre.  Les  premiei*s  seront 
récompensés,  les  autres  seront  punis.  On  croirait  entendre  Pytha- 
gore  et  Platon, 

On  a  dit  que  le  livre  des  transformations  (Y-King)  ne  recon- 
naît pas  de  Dieu  distinct  du  monde.  Mais  il  faut  observer  qu'il 
nous  est  parvenu  très-incomplet,  et  que  peut-être  nous  ne  compre- 
nons pas  bien  le  sens  caché  sous  ses  symboles. 

50.  Doctrine  du  Chou-King.  —  Ce  livre  remanié  par  Confn- 
cius  admet  clairement  la  Providence  et  mémo  insiste  sur  cette 
vérité.  Dans  un  passage  de  ce  livre,  le  pliilosophe  Ki-tseu  expli- 
que au  roi  Wou-Wang,  la  sublime  doctrine,  qu'il  dit  tenir  du 
grand  Yu,  qui  l'avait  reçue  du  Ciel.  Il  ya,  <Ut-il,  aeufs  règles  à 
suivre,  neuf  catégories  de  choses,  par  lesquelles  le  Ciel  rend  les 
peuples  heureux,  et  la  cinquième  en  est  le  centre.  Ces  neuf  voies 
ou  catégories  sont  :  P  les  cinq  éléments  ;  (eau,  feu,   bois,  métaux, 
terre)  2**  les  cinq  facultés  actives  (attitude,  langage,  vue,  ouïe, 
pensée),  3*  les  huit  principes  de  gouvornement[( nourriture,  richesse, 
sacrifices,  cérémonies,  etc.),  4^  les  cinq  choses  périodiques  (année, 
lune,  soleil,  étoiles,  nombres  astronomiques),  5^  le  faîte  impérial, 
règle  de  conduite  du  roi,  6^  les  trois  vertus  (vérité,  droiture,  sévé- 
rité mêlée  d'indulgence),  7°  l'examen  des  cas  douteux,  par  sept 
pronostics,  8®  l'observation  des  phénomènes  célestes,  9**  les  cinq 
félicités  et  les  six  calamités. 


CHINOIS  421 

Ici  on  commence  à  voir  l'esprit  philosophique.  Ce  sont  les  pre- 
mier^  essais  de  méthode,  d'analjse,  de  généralisation.  Le  but  est 
uniquement  moral.  Le  môme  livre  renferme  grand  nombre  de  con- 
seils pratiques  basés  sur  des  observations  trôs-judicieuses. 

Il  est  à  remarquer  qu'à  l'époque  où  ce  livre  fut  écrit,  la  philoso- 
phie grecque  n'avait  pas  encore  commencé. 

51.  Ecoles  philosophiques.  —  Les  écoles  qui  dominèrent  en 
Chine  avant  l'ère  chrétienne  et  qui  y  dominent  encore,  sont  au 
nombre  de  trois  :  l'Ecole  do  la  raison  (Tao-Kia),  de  Lao-tseu  ; 
l'pucole  des  lettres  (Jou-Kia),  do  Confucius;et  l'école  de  Bouddha 
(Fo-Kia).  Cette  dernière  y  est  beaucoup  plus  récente,  et  d'ailleurs 
elle  est  d'origine  indienne  :  nous  l'avons  déjà  examinée.  Nous  ne 
parlerons  ici  que  des  deux  autres.  Les  adeptes  de  ces  trois  écoles 
à  la  fois  philosophiques  et  religieuses,  s'appellent  les  Tao-ssd,  les 
Lettrés  et  les  Bouddhistes, 

52.  Lao-tseu- — Le  fondateur  de  l'Ecole  du  Tao  (raison)  est  Lao- 
tseu.  Quelques-uns  de  ses  disciples  le  considèrent  comme  la  sagesse 
éternelle,  qui  a  pris  la  forme  humaine.  Il  naquit,  selon  la  tradition 
chinoise,  la  42*  année  du  règne  de  Ping-wang,  de  la  dynastie  des 

Tchéou,  l'an  729  avant  J.-C.,à  la  môme  époque  queSakia-Mouni, 
selon  les  Chinois  ;  347  ans  après,  selon  l'historien  persan  Raschid- 
el-din.  On  adopte  plus  généralement  la  date  de  G05  avant  notre 
ère.  Raschid-el-din  ajoute  qu'il  fut  conçu  de  la  lumière  et  que  sa 
mère  le  porta  quatre-vingts  ans.  Ce  nom  de  Lao-tseu  (vieux,  philo- 
sophe) lui  fut  donné  parla  postérité.  Il  s'appelait  Li-Eùlh  (pru- 
nier, oreille).  Il  était  historiographe  et  bibliothécaire  de  Tchéou. 
Il  avait  de  nombreux  disciples  ;  mais  il  alla  finir  ses  jours  dans  un 
désert  ignoré,  ou  dans  les  pays  d'Occident,  après  avoir  écrit  le 
Livre  de  la  raison  et  de  la  vertu  (Tao-to-king).  Plusieurs  histo- 
riens chinois  affirment  qu'il  voyagea  dans  l'Occident,  et  M.  Abel 
Rcmusat,  admet  qu'il  a  pu  venir  en  Judée.  En  effet  le  nom  de  Ta- 
tsin  (grande  Chine)  indiqué  comme  lieu  de  son  voyage  ne  désigne 
rien  mieux  que  la  Judée.  (Voyez  Annales  dc^ML  chrét,  1836)^ 

53.  Doctrine  de  Lao-tseu.  —  Il  est  difficile  de  donner  une  idée 
exacte  de  cette  doctrine,  sans  en  citer  des  passages  nombreux  et', 
étendus,  et  c'est  ce  que  le  cadre  de  notre  ouvrage  ne  nous  permet 
pas. 


422  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

«  Si  l'on  pouvait  suivre  la  Raison,  dit-il  en  commençant,  oonuM 

•  

on  suit  une  voie^  la  raison  ne  serait  pas  éternelle.  «  «  Si  nn  nom 
pouvait  lui  être  donnée  son  nom  ne  serait  pas  étemel.  Sans  dosu 
elle  est  le  principe  du  ciel  et  de  la  terre  ;  avec  un  nom  elle  est  la 
mère  de  toutes  choses.  » 

Plus  loin  il  ajoute  :  a  Le  Tao  produisit  les  êtres  matérleLs.  Il  nV 
avait  avant  que  confusion  absolue,  un  chaos  indéfinissable.  Ao 
milieu  de  ce  chaos  était  une  image  confuse,  indistincte,  supérieure, 
à  toute  expression .  Dans  ce  chaos  étaient  les  êtres,  étires  en  germe. 
Dans  ce  chaos  existait  un  principe  subtil,  vivifiant,  qui  était  b 
vérité  suprême.  » 

Plus  loin  encore  :  «  La  confusion  des  choses  inanimées  précédée 
naissance  du  ciel  et  de  la  terre,  chose  immense,  silencieuse,  uni- 
que, immuable.  Son  nom  je  Tignore  ;  mais  je  Tappelle   raison,  » 

On  ti*ouve  dans  Lao-tseu,  les  mêmes  symboles  numériques  que 
dans  Pytha^ore  et  Platon,  et  la  Trinité  y  est  mieux  exprimée. 

a  La  raison  produisit  l'un  :  un.  le  deux  ;  deux,  le  troîs^.  et  trois.  toute:> 
choses.  »  —  «  Ce  que  tu  regardes  et  ne  vois  pas  s'appeUe  I  ;  ce  que  ta 
écoutes  et  n'entends  pas  s'appeUelli  ;  ce  que  tu  chercbes  de  la  main  ei 
ne  saisis  pas  s'appelle  OUei  :  trois  êtres  qui  ne  peuvent  se  comprendre 
et  qui  n'en  font  qu'un.  Le  premier  d'entre  eux  n'est  pas  plus  éL-Iatant  ni 
plus  obscur  que  le  dernier.  »  On  remarque  avec  raison  que  ces  trois 
lettres;  I,  H,  OU,  sont  presque  en  entier  le  nom  UÎOUU  (lèhovah).  nom 
propre  de  Dieu  en  hébreu,  nom  qui  se  retrouve  en  tète  des  annales  rfe 
tous  les  peuples,  et  qui  est  l'origine  du  nom  de  Dieu  dans  toutes  les 
langues. 

Ainsi  le  premier  principe  des  choses  pour  Lao-tseu,  e*est  la  rai- 
son (tao)  ;  mais  on  voit  par  les  attributs  qu'il  lui  donne  qu'il  s'agit 
de  Dieu. 

Cet  être  est  la  négation  de  tout  excepté  de  lui-même  ;  non-éirf^ 
par  rapport  aux  êtres  ;  être,  par  rapport  au  non-être.  Aucun  des 
attributs  changeants  ne  convient  au  premier  principe.  Le  premier 
principe  est  donc  immuable.  Mais  le  corporel  est  changeant  et 
périssable.  Donc  le  premier  principe  n'est  pas  corporel.  On  ne  sau- 
rait mieux  parler  de  Dieu,  et  sous  ces  attributs,  il  est  facile  ^ 
Reconnaître  Dieu,  alors  même  qu'on  le  nomme  Raison,  Unitt\  oa 
même  Ciel, 


CHINOIS  423 

Dans  l'homme  aussi  est  un  principe  intelligent  et  un  corps  qui 
en  est  le  véhicule.  —  Après  la  mort  Tôtre  des  phénomènes  corporels 
retourne  à  son  principe  ;  Fâme  ne  meurt  pas.  »  Mais  Lao-tseu 
n'affirme  pas  toujours  que  Tâme  garde  sa  personnalité  après  la  mort; 
en  certains  endroits  il  la  fait  rentrer  aussi  dans  la  Raison  suprême. 

Sa  morale  est  comparable  à  celle  des  Stoïciens,  plutôt  qu'à  celle 
d'Epicure  comme  on  Ta  prétendu.  —  Le  bien  public  et  privé  est 
dans  la  pratique  de  la  vertu.  La  loi  est  la  raison  suprême  ;  c*est  & 
elle  que  Thomme  doit  s'identifier. 

Pour  s'identifier  le  plus  possible  à  la  Raison,  môme  avanilamort, 
l'homme  doit  se  dépouiller  de  la  vie  phénoménale,  dompter  ses 
sens  et  atteindre  à  l'impassibilité.  Le  grand  précepte  est  le  non 
affir.  On  croirait  entendre  la  maxime  Stoïcienne  :  Svstine  et  obs- 
tine. 

Dans  la  vie  publique,  il  faut  mépriser  les  honneurs,  les  richesses 
les  plaisirs,  Tinstruction  môme  ;  car  tout  cela  donne  le  désir  et  le 
mouvement. 

54.  Confucius.  —  Koung^fou^tseu^  que  les  Chinois  appellent 
plus  souvent  par  abréviation  Koung-tseu,  naquit  dans  le  petit 
royaume  de  Lou,  On  place  sa  naissance  en  Tan  551  avant  notre 
ère,  54  ans  après  Lao-tseu.  Il  occupa  plusieurs  charges  publiques 
dans  son  pays;  il  essaya  d'en  réformer  les  mœurs,  eut  de  nombreux 
disciples^  et  par  sa  restauration  des  Kings^  comme  par  les  livres 
qu'il  composa,  il  fut  le  législateur  de  la  Chine.  Ses  institutions 
survivent  encore. 

Nous  voudrions  bien,  avec  M.  Franck,  à  qui  nous  empruntons  sou- 
vent les  faits,  précisément  parce  que  nous  n'admettons  pas  toujours  ses 
conclusions,  laver  Gonfucius  du  reproche  d'avoir  élagué  des  Kings,  ce 
qui  était  trop  religieux  et  qu'il  ne  comprenait  pas  ;  mais  malgré  les 
arguments  que  Ton  peut  lire  dans  le  Dictionnaire  des  sciences  philo- 
sophiques,  art.  ConfuciuSy  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  le  con- 
damner, En  eflfet,onne  dit  rien  au  sujet  du  Y,  qui  nous  est  arrivé  en 
lambeaux  ;  pour  le  Chi,  M.  Franck  lui-môme  reconnaît  la  suppression  de 
plus  de  deux  raille  chants  populaires,  et  il  attribue  cette  suppression  à 
Tesprit  de  critique  :  sans  doute  ;  mais  quel  était  le  mobile  de  cette  cri- 
tique, et  quelle  règle  la  dirigeait  ?  Si  Phidias  vendt  aujourd'hui  admi- 
nistrer notre  musée  de  Cluny,  il  est  à  peu  près  certain  qu'il  ferait  jetro 


424  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

au  feu  ou  à  la  voirie  tout  ce  qu'il  renferme.  Quant  au  Chou  (livre  dej 
annales),  M.  Franck  croit  que  la  première  rédaction  est  de  Gonfuems: 
nous  croyons  le  contraire,  précisément  parce  que  ce  livre  compte  pimti 
les  livres  sacrés,  et  que  l'on  n'accorde  pas  généralement  ce  titre  au 
Tehun-sieou  qui  est  certainement  de  Confucius.  Et  c'est  surtout  là  te 
reproche  que  Ton  fait  à  Confucius,  de  n'avoir  fait  commencer  le  livre 
des  annales  qu'à  l'empereur  Yao,  alors  que  tant  de  fragment-s  épars 
nous  assurent  que  le  livre  primitif  renfermât  des  documents  traditiOB- 
nels  très-précieux.  Donc  Confucius  nous  parait  plus  rationaliste  qœ 
Lao-tseu.  Constatons  cei)endant  que  sa  mémoire  est  restée  en  graini 
honneur  dans  tout  l'Empire  chinois;  ses  lois  sont  observées  même  i«r 
le  chef  de  l'Etat,  et  les  lettrés  surtout  le  regardent  au  moins  comme  oo 
homme  divin,  sinon  comme  un  Dieu. 

D'ailleurs  tous  les  historiens  s'accordent  ù  le  présenter  comme 
un  homme  d'un  trôs-beau  caractère  moral  :  humble,  droit,  sincère, 
juste,  donnant  tous  ses  soins  aux  emplois  qui  lui  furent  confia!?. 
Voici  un  trait  qui  le  peint  bien.  Un  petit  roi  voisin  lui  fit  deman- 
der des  règles  de  gouvernement;  il  répondit  aux  ambassadenrs  ; 
a  Je  ne  connais  ni  votre  maître  ni  ses  surjets  ;  comment  pourrais-je 
lui  suggérer  une  règle  de  conduite?  » 

55.  Doctrine  de  Confucius.  —  La  doctrine  de  Confacins  a 

beaucoup  de  points  de  ressemblance  avec  celle  de  Socrate.  II  s'oc- 
cupait surtout  de  la  réforme  de  la  conduite  ;  il  voulait  qu^avaot 
tout  on  fût  soumis  au  Seigneur  du  Ciel  ;  il  disait  do  l'honorer  et  de 
le  craindre,  d'aimer  son  prochain  comme  soi-môme,de  dompter  se? 
passions  et  de  les  soumettre  à  la  raison. 

«  Si  le  Tien,  disait-il,  n'est  pas  contraire  aux  doctrines  que  j'en- 
seigne, les  hommes  ne  pourront  ni  les  détruire  ni  leur  faire  da 
tort.  »  —  «  Ce  que  je  vous  enseigne,  vous  l'apprendrez  de  vou5- 
môraes,  en  faisant  un  usage  légitime  des  facultés  de  votre  esprit,  b 
—  «Tout  ce  que  je  vous  enseigne,  vos  anciens  sages  l'ont  pmtiqné 
longtemps  auparavant  ;  et  cette  pratique  se  réduisait  à  trois  loit 
fondamentales  de  relations  :  entre  sujets  et  gouvernants,  entre 
pore  et  fils,  entre  mari  et  femme;  h  Texercice  des  cinq  vert>*^ 
capitales  :  l'humanité,  c'est-à-dire  l'amour  de  tous  sans  disti^^ 
tion  ;  la  justice,  qui  rend  à  chacun  ce  qui  lui' appartient  ;  l'obser- 
vation des  cérémonies  et  des  usages  établis, ;  la  l'ectitude 


CHINOIS  435 

d'esprit  et  de  cœur.  ...  ;  la  siacérité.  .  .  .  Ces  vertus  ont  rendu 
vénérables  les  premiers  instituteurs  du  geni*e  humain  tant  qulls 
ont  vécu,  et  leur  ont  valu  ensuite  l'immortarlité  :  prenons-les  pour 
modèles,  et  mettons  tous  nos  efforts  à  les  imiter.  » 

«  La  piété  filiale  est  la  racine  de  toutes  les  vertus,  la  source  de 
toute  doctrine.  »  Cependant  «  il  existe  une  règle  supérieure  à  la 
piété  filiale  :  c'est  la  loi  divine.  » 

Toutefois  malgré  cet  abandon  à  la  Providence  du  Ciel,  malgré 
ce  respect  pour  la  loi  de  Dieu,  et  malgré  la  pureté  de  sa  morale, 
Confucius  n'est  qu'un  philosophe,  et  ce  qu'il  a  fondé  tient  lieu  de 
religion.  Aussi  un  grand  vide  se  fait  sentir  en  Chine.  Les  lettrés 
n'ont  plus  guère  que  le  culte  de  Tabstrait  et  le  peuple  est  laissé  dans 
le  plus  complet  abandon,  Si  Ton  ajoute  à  cela  la  puissance  absolue 
du  chef  de  l'Etat  et  la  mesure  rigide  et  froide  qui  règle  toutes  les 
actions  des  sujets,  on  aura  l'explication  de  ce  phénomène  unique 
dans  l'histoire  des  peuples,  qu'une  civilisation  qui  date  de  plus  de 
deux  mille  ans  soit  restée  jusqu'ici  complètement  stationnaire. 

Comme  données  philosophiques,  on  peut  voir  dans  les  enseigne- 
ments de  Confucius  :  les  idées  nécessaires  regardées  comme  innées 
et  comme  fond  de  la  raison  ;  la  loi  morale  naturelle  et  son  carac- 
tère obligatoire,  avec  un  détail  très-exact  des  devoirs  qu'elle  im- 
pose ;  le  souverain  domaine  de  Dieu  sur  le  monde  et  sa  Provi- 
dence,qui  s'étend  jusqu'îiu  moindre  de  nos  actes.  Mais  quant  à  la 
nature  de  Dieu,  et  à  la  nature  de  l'Ame,  comme  aussi  sur  ses  des- 
tinées futures ,  on  chercherait  vainement  quelque  chose  de 
précis. 

56.  Mencius.  —  Meng-tseu^  connu  depuis  longtemps  sous  le 
nom  diQ-Menciiis^  comme  Koung-fou-tseu,  sous  celui  de  Confucius, 
fut  le  plus  illustre  de  ses  disciples.  11  en  a  toutes  les  idées  et  la 
méthode,  mais  son  style  est  plus  animé.  Son  livre  porte  son  nom 
et  est  le  quatrième  des  livres  classiques  de  la  Chine.  11  est  très- 
intéressant  de  lire  les  conseils  qu'il  donnait  à  plusieurs  rois.  Il  leur 
recommande  surtout  l'amour  do  leurs  sujets. 

Sivan-vang,  roi  de  Tsi,  lui  demandait  :  «  Est-il  vrai  que  le  parc 
du  roi  de  Ven-vang  eût  soixante-dix  //  do  tour  ?  —  Très- vrai, 
répondit-il  ;  et  le  peuple  le  trouvait  trop  resserré.  —  Le  mien  en  a 


426  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

quarante,  et  le  peuple  le  trouve  trop  vaste.  Pourquoi  cette  difè- 
renee  ?  —  C'est  que  dans  le  parc  de  Ven-vang  entrait  qui  voalaà 
faire  de  Therbe,  du  bois,  prendre  des  lièvres  et  des  faisans.  J« 
entendu  dire  que  tuer  un  cerf  dans  le  vôtre  serait  un  crime  poti 
de  mort.  » 

On  voit  par  ce  cotiii  extrait,  combien  Mencius  avait  la  mm^n 
de  Socrate.  Comme  lui  aussi  il  disait  que  Thomme  fait  natorelifr 
ment  le  bien  et  que  quand  il  fait  le  mal,  c'est  la  passion  qoi  k 
pousse. 

57.  Sun-tseu.  —  (Environ  200  av.  J.-C.).  Nous  ne  cHonsce 
philosophe  que  parcequ'il  nous  donne  une  très-intéressante  distiD^ 
tion  des  êtres. 

«  L'eau  et  le  feu  ont  l'existence  matérielle,  mais  ils  ne  viveat 
pas  ;  les  plantes  et  les  arbres  vivent,  mais  ils  ne  connaissent  pas: 
les  animaux  ont  la  connaissance,  mais  ils  ne  connaissent  pas  k 
sentiment  du  juste  ;  l'homme  a  les  quatre  biens  à  la  fois.  » 

58.  Epoque  plus  récente.  —  Environ  mille  ans  aprôs  J.-^- 
Tchéottrtseu^  mu  par  les  doctrines  de  Bouddha,  voulut  ajoutef 
une  métaphysique  aux  doctrines  de  Confucius  ;  il  tomba  dans  nue 
sorte  de  panthéisme  où  le  premier  être  est  à  la  fois  l'actif  et  le  ps- 
sif,  la  cause  et  l'effet.  Son  Dieu  appelé  Teù-ki  n'est  autre  cho» 
que  Tétre  en  général,  qui  a  pour  attribut  la  raison  (Ia)  en  lai- 
môme,  et  dans  ses  manifestations  l'activité  (yang)  et  la  passivité 
(yn).  L'homme  aussi  a  sa  raison  (li),son  principe  d'activité  maté- 
rielle (Khi) y  espèce  de  principe  vital,  dont  la  portion  grossière e^ 
le  corps.  Après  la  mort  la  raison  retourne  au  Ciel  ;  le  corps  pr«* 
sier  retourne  à  la  terre  et  le  Khi  disparaît.  L'immortalité  ^ 
impersonnelle.  —  Nous  retrouverons  cette  même  doctrine  che» 
Avcrroès,  philosophe  arabe,  aristotélicien,  de  l'Ecole  de  Ctt- 
doue. 

Dans  le  12*  siècle,  Tsioud-hi,  dans  un  timité  de  philosophie 
naturelle,  voulut  concilier  toutes  les  interprétations  contradictoi- 
res classiques,  en  remontant  aux  origines.  Il  expliqua  de  nouv^^ 
r  Y'Kiiig  et  prétendit  que  la  ligne  continue  est  le  principe  actif  «fe 
la  nature  et  que  la  ligne  brisée  en  est  le  principe  passif .  C'est  ceîw 
explication  que  nos  modernes  métaphysiciens  semblent  préférer,  et 


CELTES  .      427 

c'est  ainsi  d'ailleurs  qu'ils  prétendent  expliquer  toutes  les  cosmo- 
gonies  des  anciens  peuples. 

Nous  croyons  avoir  démontré  la  véritable  source  de  toutes  ces 
fables  ridicules,  que  Ton  trouve  au  commencement  de  l'histoire  de 
tous  les  peuples,  et  dont  le  bon-sens  aurait  fait  justice,  si  un  fonds 
àe  vérité  et  une  autorité  traditioniielle  ne  les  avait  soutenues. 
Nous  sommes  convaincu  que  les  conceptions  métaphysiques  par 
lesquelles  on  prétend  les  expliquer  ne  sont  venues  que  beaucoup 
plus  tard.  Nous  avons  exposé  toutes  ces  données  primitives  avec 
un  peu  plus  d'étendue  peut-être  que  ne  le  comportait  notre  cadre  ; 
mais  nous  pensons  avoir  mieux  fait  ressortir  par  là  Torigine  tradi- 
tionnelle de  la  saine  philosophie  et  le  point  de  vue  auquel  nous 
nous  plaçons  quand  nous  exposons  la  philosophie  classique.  Il  nous 
reste  encore  à  exposer  quelques-unes  de  ces  traditions  antiques 
avant  de  passer  à  la  philosophie  proprement  dite,  dont  le  berceau 
est  dans  la-  Grèce. 

PHILOSOPHIE  DBS  CELTES  OD  GAULOIS 

50.  Documents.  —  Nous  n'avons  pas  de  livres  originaux  des 
anciens  Gaulois,  mais  seulement  des  chants  et  des  mystâres^  qui 
moins  antiques  conservent  cependant  des  traces  des  premiers  temps. 
Ce  sont  les  Mystères  des  Bardes  et  les  Triades.  Les  Grecs  et  les 
Romains  nous  ont  aussi  transmis  quelque  chose  sur  les  doctrines 
morales  de  nos  ancêtres.  On  peut  consulter  plus  spécialement 
Strabon  et  Diodore  de  Sicile . 

60.  Doctrine  traditionnelle.  —  De  tous  ces  documents  il 
résulte  que  les  Celtes,  lesGalls  et  les  Kjmris,  sous  la  conduite  des 
Druides  adoraient  un  seul  Dieu,  qu'ils  nommaient  quelquefois 
Theut  (p>re)  ou  Esus  (terrible),  et  que  le  plus  souvent  ils  ne  nom- 
maient pas  ;  ce  qui  montre  bien  qu'ils  n'en  reconnaissaient  qu'un. 
D'ailleurs  ils  n'en  faisaient  aucune  image  et  ne  lui  dressaient  d'au- 
tres temples  que  ce?  enceintes  de  pierres  brutes  appelées  Krom- 
leckSy  que  nous  retrouvons  encore.  11  est  vrai  qu'ils  supposaient 
un  génie  dans  chaque  objet  naturel,  mais  ces  génies  n'étaient  que 
les  ministres  de  Dieu,  et  s'ils  les  invoquaient,  c'était  en  sous-ordre. 


428  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

Aussi  leurs  mœui»s  étaient  plus  vraiment  libres  ;  chezeuxlafemne 
n'était  pas  asservie  ;  elle  choisissait  libi'emeut  son  époux;  ilisc 
secouraient  volontiers  mutuellement  ;  allaient  au  combat  sans  î<h^ 
reur,  parce  qu'ils  méprisaieut  la  mort,  grâce  à  la  croyance  à  Tiffi- 
mortalité  de  TAme  avec  sa  personnalité.  La  liberté  de  l'âme  et  b 
responsabilité  des  actes  était  chez  eux  univei^scllernent  admise,  «<. 
ils  attendaient,  après  un  temps  de  purification  par  une  sorte ir 
métempsychose,  une  félicité  éternelle  dans  une  autre  vie. 

()!.  Conclusion.  —  Nous  ne  passerons  pas  en  revue,  pour  n: 
pas  répéter  toujours  les  mêmes  choses,  les  doctrines  morales  et  kI:- 
gieuses  des  Germains,  des  Bretons,  des  Scandinaves,  etc.  Toosoe* 
peuples  nous  offriraient  comme  ceux  que  nous  avons  étudiés  m 
fonds  de  vérités  traditionnelles,  corrompues  par  rimaginatiimtto 
la  théorie  et  dans  le  culte,  mais  conservées  assez  pures  dans  1» 
pratique.  Toutes  ces  vérités  sont  partout  les  mêmes.  Un  Dieu  maî- 
tre de  tout,  existant  par  lui-même  ;  la  création  racontée  dans  bb 
ordre  identique,  quoique  sous  de  grossières  images  ;  la  liberté  ft 
riiomme  ;  la  distinction  du  bien  et  du  mal  ;  les  récompenses  et  Ii* 
peines  dans  une  vie  future.  Un  accord  semblable  à  des  épo»^»*'^ 
aussi  reculées  ne  peut  vpnir  de  spéculatious  philosopliique^;  ilsQ?* 
pose  une  tradition  commune  de  vérités  enseignées  par  le  premi'^ 
homme  à  tout  le  genre  humain. 

PHILOSOPHIE  DBS  GRECS 

6'2.  Origines.  —  L'opiniou  qui  semble  prévaloir  aujourd'hui  surl^^ 
origines  de  la  philosophie  grccffue  ost  celle  que  M.  l'Yank  exprime  JÙib» 

«  Klle  n'invoque  aucune  autorité  antérieure  ou  surnaturelle  :  elle^ 
absolument  indépendante  de  la  relif^non.  » 

a  Toutes  les  «loclrines  derOrieiit,  rclativoniout  aux  grandes  ([uc^li'''^'' 
de  Tordre  moral  et  métaphysique,  s'appuient  sur  des  dogmes  reli^'i*''^' 
sur  une  tradition  immobile,  ou  sur  le  texte  de  certains  livres,  r»g*rdéj 
comme  l'expression  surnaturelle  de  la  paFole  do  Dieu.  » 

a  Kien  de  pareil  cliez  les  philosophes  {?rees.  La  tradition  et  rautDf'î* 
no  jouent,  dans  leurs  systèmes  qu'un  rôle  loul-à-fait  secondaire,  '1"^^ 
par    hasard   elles  y  jouent  un  rôle:    c'est  au  nom  de  la  raison  'P''" 


GRECS  429 

s'adressent  à  leurs   semblables,  au   nom  des   facultés  que  la  nature  a 
départies  à  tous  les  hommes.  » 

Nous  ne  pouvons  souscrire  entièrement  à  ce  verdict,  et  prenant  acte 
de  cet  aveu  pour  «toutes  les  doctrines  de  l'Orient  »,nous  allons  essayer 
d'établir  que  la  philosophie  grecque  a  aussi,  «  relativement  aux  gran- 
des questions  de  l'oidre  moral  et  métaphysique  »,  son  origine  tradition- 
nelle, qui  pour  y  être  moins  visible  qu'ailleurs,  parce  qu'en  effet  les 
philosophes  «  ne  l'invoquent  pas  »,  n'en  a  pas  moins  eu  une  grande 
influence  sur  les  doctrines  de  cette  philosophie,  qui  semble  avoir  connu 
au  moins  en  germe  toutes  les  conceptions  de  la  philosophie  moderne, 
avec  le  nuMne  caractère  vraiment  philosophique,  mais  aussi  avec  le 
même  rationalisme,  et  plus  encor  avec  le  même  naturalisme. 

63.  Doctrines  mythologiques.  La  religion  des  Grecs  se 
montre  moins  que  toute  autre  avec  uu  caractère  d'unité.  La  Grèce 
a  vu  s'introduire  successivement  chez  elle  toutes  les  religions  des 
peuples  qui  sont  venus  s*y  établir.  Il  est  difficile  de  démêler  à 
quelle  époque  et  à  quel  peuple  appartient  chacune  de  ces  nomb- 
breuses  divinités,  mais  il  est  pourtant  facile  de  constater  que 
l'Egypte,  la  Phénicie  et  môme  la  Perse  ou  la  Chaldée  j  ont  fourni 
leur  contingent.  Aussi  tandis  que  les  formes  y  sont  plus  gracieu- 
ses et  surtout  plus  humaines  que  chez  les  autres  peuples,  les  types 
originaux  y  sont  aussi  plus  effacés.  Mais  en  remontant  aux  plus 
anciens  auteurs  on  retrouve  encore  très  distincts  ces  mômes  sou- 
venirs que  nous  avons  reconnus  si  sensiblement  les  mêmes  chez 
tous  les  autres  peuples. 

Sans  parler  d'Orphée,  qui,  s'il  a  existé,  n'est  certainement  pas 
Tautenr  des  écrits  que  nous  avons  sous  son  nom,  consultons  seule- 
ment Hésiode. 

Au  commencement,  nous  dit-il,  existe  le  Chaos,  puis  la  terre,  le 
sombre  Tartare  et  l'Amour.  Du  Chaos  sortirent  l'Erôbe  et  la  Nuit. 
De  la  Nuit  naquirent  TEther  et  le  Jour.  La  terre  enfanta  d'abord 
Uranus,  (le  ciel)  et  la  terre  et  le  ciel  donnèrent  naissance  â  la  Mer 
(Pont us,  rOcéan  et  Téthys).  Enfin  naquit  Chronos  (le  temps). 
Viennent  ensuite  les  Cyclopes,  les  Titans,  et  c'est  de  ceux-ci  que 
naîtront  plus  tard  le  Soleil,  la  Lune,  l'Aurore,  les  Vents  et  les 
Etoiles.  Enfin  après  un  grand  nombre  de  générations  de  ces  divi- 
nités subalternes  qui  président  aux  forêts,  aux  fleuves  et  aux  élé- 


430  HISTOIRE   DE    LA.    PHILOSOPHIE 

ments,  Chronos  ou  Saturne  (le  Temps),  qui  jusque  là  aTaitdévoiv 
tous  ses  enfants  enpreudra  Jupiter,  Neptune  et  Pluton,  que  laleme 
sut  dérol^ei*  k  sa  voracité.  Tel  est  le  résumé  de  la  ihéogoRif 
d'Hésiode.  Elle  ressemble  suffisamment  à  tout-es  celles  que  iwKa 
avons  examinées  précédemment  pour  que  nous  lui  attribuiong  la 
môme  origine. 

De  plus  les  mystères,  dont  le  secret  fut  toujours  si  bien  gara*, 
nous  ont  cependant  laissé  connaître  quelques  faits  importants.  Oa 
y  enseignait  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  que  riiomme  a  péché  dès 
le  commencement  et  (^u'il  faut  qu'il  se  rachète  par  le  sacrifice. 
D'ailleurs  la  religion  extérieure  elle-même  employait  frôquemmeat 
le  sacrifice  et  reconnaissait  la  supériorité  absolue  d'un  seul  Diec 
(Jupiter)  sur  tous  les  autres. 

D'un  antre  côté  il  est  incontestable  que  chez  les  Grecs,  le  pea- 
pie,  les  magistrats,  les  généraux  d'armée  eurent  toujours  im 
grande  vénéi^ation  pour  les  oracles,  et  que  les  législateurs  eai- 
mémes  voulurent  s'appuyer  de  leur  autorité  pour  consacrer  leurs 
institutions.  Donc  les  Grecs  croyaient  fermement  à  la  commani- 
cation  directe  entre  Dieu  et  les  hommes,  à  une  révélation,  non  pas 
seulement  primitive  mais  permanente.  Et  ces  doctrines  étaient  à 
peu  effacées  chez  les  premiers  philosophes,  que  Socrat^  s'autorisait 
de  la  parole  de  son  démon  familier  et  des  réponses  des  oracles,  ^ 
se  défendait  contre  Taccusation  de^  ne  pas  honorer  les  dieux  es 
ordonnant  avant  de  mourir  un  sacrifice  à  Ësculape. 

64.  Les  sept  sages.  —  Tous  les  historiens  Grecs  ont  fait 
mention  de  quelques  hommes  qui,  dans  le  sixième  siècle  avânt 
J.  C,  se  firent  remarquer  par  des  maximes  pleines  d'une  grande 
prudence  ;  mais  ils  ne  s'accordent  pas  entièrement  sur  les  noms  de 
ces  hommes  qu'ils  appellent  les  sept  sages. 

D'après  Platon  (dans  le  Pi^otagoras)  les  sept  sages  étaient  ; 
Thaïes  de  Milet,  Pittacus  de  Mitylène,  Bias  de  Priône,  Soloe 
d'Athènes,  Cléobule  de  Llnde,  Myson  de  Chênes,  Gléobule  de  La- 
cédémone. 

D'autres  auteurs  disent  :  Solon,  Chilon  de  Lacédémone,  Pitt»- 
eus,  Bias,  Périandre  de  Corinthe,  Cléobule  de  Linde  et  Thaïes, 

Quelques-uns  y  font  entrer  Epiménide  de  Crète,  Phéréeydc  de 
Scyros,  Simonide  de  Céos  et  Phaléas  de  Chalcédoine. 


GRECS  431 

Tou3  s'accordent  î\  les  faire  vivre  h  la  môme  époque,  quoique  en 
différents  lieux,  et  tous  supposent  qu'ils  se  sont  connus.  La  plu- 
part étaient  chefs  de  petits  états,  d'autres  furent  législateurs  ou 
simplement  des  penseurs. 

On  connaît  assez  bien  les  actes  et  les  pensées  de  beaucoup  d'en- 
tre eux,  pour  pouvoir  affirmer  qu'ils  eurent  au  moins  en  germe 
l'esprit  philosophique,  et  il  est  juste  de  remonter  jusqu'à  eux  pour 
étudier  les  sources  de  la  philosophie  grecque.  On  n'y  voit  pas 
encore  de  système,  ni  de  théorie  d'ensemble,  mais  ils  nous  offrent 
tous  un  esprit  observateur,  une  tendance  morale,  souvent  basée  sur 
les  données  religieuses. 

Thaïes,  que  nous  aurons  bientôt  à  étudier  comme  fondateur  de 
l'Ecole  d'Ionie  est  cité  d'abord  comme  l'un  des  sept  sages,  et 
comme  tel  il  nous  offre  quelques  pensées  utiles  à  recueillir.  On  lui 
demandait  :  —  Qu'y  a-t-il  de  plus  ancien  ?  —  Dieu  repondit-il  ; 
car  il  n'a  point  eu  de  commencement.  —  Qu'y  a-t-il  de  plus  beau  ? 
—  Le  monde;  car  c'est  l'œuvre  de  Dieu.  —  Qu'y  a-t-il  de  plus 
grand  ?  —  L'espace  ;  car  il  contient  tout. 

Piitacus  disait  que  rien  n'échappe  &  Dieu,  pas  môme  les  mat- 
valses  pensées. 

Bios  qui  s'était  acquis  dans  l'exercice  de  ses  fonctions  une 
grande  réputation  de  justice,  nous  a  laissé  plusieurs  pensées  morar 
les  d'une  grande  sagesse  ;  nuos  ne  citerons  que  celle-ci  :  a  Quand 
tu  fais  quelque  chose  de  bien,  fais-en  honneur  aux  dieux,  non  à 
toi-même.  »  * 

Solon  est  connu  comme  le  législateur  d'Athènes,  et  il  est  facile 
déjuger  par  les  institutions  de  cette  ville,  jusqu'où  il  avait  poussé 
l'étude  des  mœurs  des  hommes.  Parmi  les  trois  cents  vers  environ 
qui  nous  restent  de  lui,  nous  citerons  quelques  pensées  :  «  La 
richesse  que  donnent  les  dieux  repose  et  grandit  sur  une  base  iné- 
branlable ;  celle  que  poui*suit  l'homme,  celle  qu'il  acquiert  par  la 
violence,  et  malgré  la  loi,  suit  à  regret  l'ii^uste  qui  l'attire  à  lui.» 
tt  La  justice  de  Jupiter  n'est  pas  cruelle  pour  un  seul,  comme  celle 
de  l'homme.  Jamais  ne  lui  échappe  celui  qui  cache  au  fond  de  son 
cœur  une  mauvaise  pensée  ;.  .  .  .  l'un  paye  aigourd'hui,  l'autre 
dans  un  autre  temps.^»  On  lui  attribue  la  maxime  que  Socrate  a 
rendue  célèbre  :  «  Connais-toi  toi-même,  »  que  d'autres  attribuent 
k  Chilon  de  Lacédémone,  ou  à  Thaïes. 


432  HISTOIRE   DK   LA    PHILOSOPHIE 

Cléohuîe  do  Lindo  avait  Cîoutunie  de  dire  :  jjtérpov  açwrov.  '^ 
juste  milieu  est  le  meilleur».  C'est  la  doctrine  d'Aristotesnrii 
vertu. 

Siynonide  disait  a  qu'il  s'était  souvent  repenti  d'avoir  parié,  et 
jamais  de  s'ôtre  tù.  »  On  cite  de  lui  sa  réponse  h  Hiéron,  nn^S* 
Syracuse.  Comme  ce  roi  lui  demandait  ce  que  c'est  que  Watuii 
demanda  un  jour  pour  réfléchir.  Le  jour  étant  passé,  il  endemaBds 
deux  ;  et  api'és  ces  deux  jours  il  en  demanda  quatre.  Le  roi  sorpns 
de  cette  conduite,  voulut  en  connaître  la  raison,  et  SimonHertpofi* 
dit  :  a  Plus  j'examine  cette  matière,  plus  je  la  trouve  obscare.  > 

On  peut  voir  par  ces  quelc^ues  citations  que  la  philosophie  ^ 
sept  sages  prenait  la  forme  que  Ton  a  appelée  gnomiqii^?,  c'est-à- 
dire  qu'elle  s'exprimait  par  sentences.  C'est  la  forme  que»»? 
trouvons  îc  iilii^^  souvent  dans  la  Bible,  dans  les  livres  desphik»- 
phes  de  l'Orient  et  même  dans  Jlomère  et  Hésiode.  Tous  ces  Iko* 
mes  enseignaient  la  Providence  de  Dieu,  la  liberté  de  l'âme,  U 
morale,  non  pas  comme  des  vérités  qu'ils  avaient  découvertes  ptf 
la  raison,  mais  comme  des  vérités  reconnues  par  le  genre  hnntt»t 
propagées  par  la  tradition  et  d'ailleurs  conformes  ft  la  raison.  W 
le  caractère  prepre  de  la  philosophie  classique. 

Telle  est  la  vraie  source  de  la  philosophie  grecque.  Nons  aBû»> 
voir  bientôt  les  philosophes  proprement  dits  s'écarter  de  cette  t«* 
et  s'égarer  dans  les  systèmes. 

05.  Division  de  la  philosophie  grecque.  —  L'importai 
des  matières  nous  oblige  à  établir  dans  la  philosophie  grecque*^ 
divisions.  Nous  y  compterons  trois  époques  :  1°  Les  comiDeûcfr 
ments  :de  Thaïes  à  Socrate  (de  600  à  400,  avant  J.  C.)  ;*^^ 
grandes  écoles  :  de  Socrate  h  Arcésilas  (400  à  300)  ;  3*  la  déca- 
dence (d^Areésilas  à  Damascius  d'Alexandrie  (300  avant  à  5» 
après  J.  C). 


GRECS.  —    ÉCOLE    IONIENNE  433 

« 

PREMIÈRE   ÉPOQUE 

LES  gomhe:(gëments,db  la  philosophie  grecque 

6Ô,  Division  par  Écoles.  —  On  distingue  dans  cette  époque 
quatre  écoles  auxquelles  il  faut  joindre  les  Sophistes. 
1*>  TEcole  Ionienne^  fondée  par  Thaïes  (600) 
2**  l'Ecole  Italique^  fondée  par  "Pythagore  (560) 
3**  TEcQle  Bléatique,  fondée  par  Xénophane  (580) 
4**  l'Ecole  atomistiqiie,  fondée  par  Leucippe  (500) 
5*»  les  Sophistes,  dont  le  plus  célèbre  fut  Gorgias  (460) 

g.  1..-  IGOLI  IONIENNE 

67.  Tendances  générales.  —  La  question  qui  dirige  les 
recherches  de  cette  école,  c'est  le  principe  du  inonde  ;  mais  elle  en 
cherche  moins  la  cause  efficiente  que  la  matière,  le  principe  phy- 
sique. Aussi  Dieu  y  est  peu  connu. 

Elle  se  subdivise  en  deux,  selon  la  forme  sous  laquelle  ses  adep- 
tes conçoivent  le  principe  du  monde.  Ils  sont  mécanistes  ou  dyna- 
mistes.  Les  mécanistes,  conçoivent  le  monde  comme  formé  de 
plusieurs  éléments,  qui  sont  mus  par  une  force  étrangère,  et  dont 
les  mouvements  constituent  tous  les  corps.  Les  dynamistes  suppo- 
sent en  principe  une  force  ou  plusieurs,  agissant  dans  une-  sorte 
d'expansion,  d'attraction  ou  de  répulsion.   Cette  distinction  est 
surtout  indiquée  par  Ritter,  dans  son  Histoire  de  la  philosophie. 
Il  considère  comme  dynamistes  :  Thaïes,  Anaximône,  Diogène 
d'Apollonie  et  Heraclite  ;  et  comme  micanistes  :  Anaximandre, 
Anaxagore  et  Archélaûs.  La  plupart  des  historiens  comptent  aussi 
dans  l'Ecole  d'Ionie,  Empôdocle,et  quelques-uns  y  joignent  Phôré- 
cyde.  La  distinction  de  cette  école  donnée  par  Ritter,  n*étant  pas 
I*  exprimée  clairement  par  les  auteurs  eux-mîmas,  nous  suivrons 
Tordre  chronologique. 

68.  Thaïes  de  Milet.  —  Thaïes,  né  ea  Ph  anicie,  vers  640 . 
av.  J.-C,  voyagea  en  Egypte  et  vint  se  fixer  à  Milet,  dans  Tlonie  ^ 
où  il  fonda  TEcole  Ionienne.  Il  y^mourut  l'an  548. 

28 


434  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

Nous  avons  vu  qu'on  le  compte  parmi  les  sept  sages.  Mais  oa 
n'a  rien  de.  bien  prôcis  sur  les  détails  de  sa  vie. 

On  ne  sait  s'il  a  écrit  quelques  ouvrages  ;  dans  tous  les  cas,  il 
ne  nous  en  reste  pas  môme  un  fragment.  Nous  ne  connaissons  sa 
doctrine  que  par  les  témoignages  des  auteure  anciens,  dans  lesquels 
il  faut  citer  surtout  Aristote,  Cicéron  et  Plutarque. 

Aristote  le  regarde  comme  le  fondateur  de  la  physique.  Je  b 
géométrie  et  de  Tastronomie.  Il  enseigna  aux  Egyptiens  à  mesurer 
la  hauteur  des  pyramides  par  leur  ombre,  et  on  assure  qu'il  prtdit 
une  éclipse  de  soleil. 

Sa  doctrine  philosophique,  si  Ton  en  excepte  quelques  paroles 
ou  sentences  religieuses  et  morales,  qui  l'ont  fait  appeler  sage^  et 
dans  lesquelles  il  reconnaît  Dieu  comme  le  maître  de  toutes  choses 
et  comme  l'ordonnateur  au  moins,  sinon  le  créateurjde  l'Univers, 
se  réduit  à  une  théorie  do  la  matière  première  du  monde. 

Il  pensait  que  l'eau  est  le  commencement,  Télément  premier  de 
toutes  choses  ;  car  :  1°  les  animaux  et  les  plantes  naissent  dans 
l'humidité  et  s'y  nourrissent  ;  2°  les  astres  eux-mêmes  sembkiit 
se  nourrir  des  vapeurs  de  la  terre  ;  S'*  l'eau  prend  facilement  toutes 
les  formes. 

Aristote  croit  que  Thaïes  avait  puisé  cette  théorie  dans  les 
cosmogonies  de  l'Orient  ;  et  malgré  le  sentiment  opposé  des 
historiens  modernes.il  nous  semble  facile  d'y  voir  un  reste  de 
cette  tradition  du  chaos  primitif,  conservée  chez  tous  les  peuples. 

D'ailleurs  Thaïes  n'était  pas  matérialiste,  au  contraire,  selon  k 
témoignage  de  la  plupart  des  auteurs  qui  en  ont  parlé,    il  pensait 
qu'une  force  vivante,  une  âme,  est  nécessaire  pour  mouToir  le 
monde  et  y  produire  les  transformations  qui  s'y  passent.  Aussi  œ 
cite  de  lui  cette  parole  :  a  Le  monde  est  plein  de  dieux,  »  et  selon 
Cicéron,  Thaïes  pensait  a  que  l'eau  est  le  commencement  de  tootfs 
choses  et  que  Dieu  est  l'àme    qui  de  l'eau  forme  tout.  »  I)e  la 
môme  manière  il  admettait  un  âme  dans  l'homme  et  la  considérait 
comme  une  force  motrice,  xtvrjTtxov  tI.  On  lui  fait  même  rhonnear 
d'avoir  le  premier  enseigné  en  Grèce,  que  l'àme  est  immortelle  : 
mais  nous  avons  vu  que  cette  doctrine  était   enseignée  dans  les 
mystères,  et  nous  savons  d'où  lui  et  les  prêtres  l'avaient  tirée. 


1 


GRKCS.     —    KCOLK    IONIENNE  435 

09.  Anaximandre .  —  Anaxlmandre  naquit  à  Milet  vers 
Tan (310  av.  J.-C.  Il  fut  le  disciplo  et  Tami  de  Thalôs  et  mourut 
Tan  547.  Comme  lui  il  se  livra  à  Tastronomie.  Il  enseignait  que 
la  terre  est  ronde  et  qu'elle  est  le  centre  de  TUnivers  ;  que  la  lune 
3  npminte  sa  lumiôre  au  soleil.  Mais  il  croyait  que  le  soleil  n'est 
pas  plus  grand  que  la  terre.  On  lui  attribue  l'invention  du  cadran 
solaire  et  de  quelques  instruments  d'observations  astronomiques. 

Voulant,  comme  Thaïes,  indiquer  Télément  primitif  du  monde, 
il  assigna  ce  rôle  à  quelque  chose  d'indéterminé  qu'il  appelle 
To  (XTrgioov  (rinfranchissable,  l'illimité).  On  ne  sait  pas  bien  ce  qu'il 
entendait  par  là  ;  mais  nous  pensons  avec  Aristote  et  St-Augustin, 
qu'il  voulait  désigner  le  chaos.  C'est  ainsi  que  l'entendent  auss 
ceux  qui  classent  Anaximandre  parmi  les  mécanistes.  Il  aurait 
donc  admis  au  commencement,  non  pas  un  seul  élément  comme 
Thaïes,  mais  la  confusion  de  tous  les  éléments. 

On  ne  croit  pas,  qu'il  ait  eu  recours  à  la  puissance  de  Dieu,  pour 
mettre  l'ordre  dans  ce  chaos  ;  il  semble  dire  qu'un  mouvement 
éternel  dans  ces  éléments  les  a  peu-à-peu  dégagés  et  aggrégés 
successivement  de  diverses  manières,  jusqu'au  moment  où  ils  ont 
formé  ce  qui  existe.  Comme  ce  mouvement  continue  à  se  produire» 
il  finira  par  tout  détruire  et  tout  ramener  au  chaos  primitif. 

Si,  comme  on  le  pense,  Anaximandre  n'a  pas  admis  d'autre  Dieu 
que  ce  chaos  primitif,  son  système  est  alors  un  panthéisme  maté- 
Haliste, 

70.  Phérécyde  de  Syros.  —  Phérécyde  naquit  à  Syros,  l'une 
jdes  Cyclades,  vers  l'an  000,  se  fit  instruire  de  la  cosmogonie  des 
hénicions,  et  excité  par  la  gloire  de  Thaïes  établit  uns  école  à 
amos.  On  croit  que  Pythagore  a  suivi  ses  leçons.  Il  avait  écrit 
n  livre  très-obscur  sur  la  nature  des  dieux.  Il  ne  nous  en  reste 
ue  quelques  fragments. 

Il  reconnaît  comme  principe  du  monde  :   une  matière  informe, 
l'état  liquide  (lechaos),  et  une  cause  ordonnatrice  (Dieu),    qui 
t  la  source  et  le  modèle  de  toutes  les  perfections. 
De  ce  chaos,  Dieu  fit  sortir  d'abord  la  terre  qui  est  au   centre 
u  monde.  Puis,  par  l'intervention  de  Vamnur,  vinrent  les  divinités 
condaires,  les  unes  bonnes  les  autres  mauvaises  (Ophionée,  le 
rand  sei*pent,  et  les  ophionites). 


l 


436  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

Les  deux  armées  sont  en  lutte  :  les  vaincus  sont  précipités  dâK 
rOgénns,  et  les  vainqueurs  demeurent  en  possession  du  dé..  — 
C'est  toujours  le  môme  fonds  traditionnel. 

Cicéron  dit  que  Phôrécyde,  le  premier,  enseigna  que  Yàme  «si 
immortelle.  Il  est  facile  de  voir  d'où  il  avait  pris  cette  doctrùie. 

Il  fut  accusé  d'impiété,  parce  qu'il  ne  sacrifiait  pas  aux  dieax, 
et  ses  concitoyens  virent  un  châtiment  de  son  impiété  dans  h 
maladie  qui  l'emporta.  Il  mourut  rongé  par  la  vermine.  Pytha^aw 
seul  vint  le  consoler  dans  son  abandon. 

71.  Anaximène.  —  Anaximône  naquit  à  Milet  avant  Tan  550 
etvécut  jusque  vers  Tan  500. 

Il  enseignait  que  la  terre  est  soutenue  par  Tair  et  que  îœ  ciefli 
sont  une  voûte  spliérique  et  solide  qui  tourne  autour  de  la  terre. 
On  croit  pourtant  qu'il  perfectionna  les  cadrans  solaires  inveniés 
par  Anaximandre. 

Dans  sa  doctrine  physique  des  principes  du  monde,  il  tient  \m\ 
à  la  fois  dcThalôs  et  d'Anaximandre.  Comme  le  premier,  il  suppôt 
d'abord  un  élément  unique  :  c'est /'aiV  ;  comme  le  second,  il  lai 
donne  pour  attributs  l'immensité,  Tinônitô  et  le  mouv^nest 
éternel.  —  L'air  est  la  matière  première  de  tout  et  il  deviefit 
toutes  choses  par  son  mouvement  éternel  :  feu,  par  dilataùca  : 
eau  et  terre,  par  condensation.  En  tout  cela  la  nature  deTâiî 
demeure  et  à  la  fin  tout  redevient  air. 

On  n'ose  pas  assurer  qu'Anaximône  ait  nié  l'existence  d'un  prin- 
cipe intelligent,  ordonnateur  du  monde  ;  mais  ce  principe  n'exi^ 
pas  dans  son  système  où  tout  se  fait  par  nécessité,  en  vertu  d'i» 
mouvement  éternel. 

Son  système,  considéré  en  lui-môme,  est  donc,  comme  cdsi 
d'Anaximandre,  un  panthéisme  matérialiste, 

72.  Anaxagore.  — Anaxagore  né  à  Clazomône .  en  500,  to^ 
s'établir  à  Athènes  en  475.  Là  il  fut  l'ami  et  le  conseillef  ^ 
Périclôs;  mais  accusé  d'impiété  et  de  médisnxe^  c'est-à-dire  d'attâ. 
chement  pour  le  roi  de  Perse,  il  fut  exilé  par  les  Athéniens,  et» 
retira  à  Lampsaque,  en  428,  où  il  mourut  bientôt. 

Il  avait  suivi  les  leçons  ^d' Anaximène  ;  aussi  sa  philosc^^ 
garde  le  caractère  physique  de  l'École  Ionienne,   quoiqu'il  s'ff 


GRECS  — ÉCOLE  10  NI  BNNE  437 

éloigne  en  affipmant[plus  nettement  le  principe  intelligent  ordonna- 
teur du  monde .  Toutefois  il  semble  qu* Anaxagore  ne  s'est  pas  élevé 
It  la  vraie  notion  de  Dieu  ;  car  Aristote  et  Platon  disent  formelle- 
ment qu'il  ne  fait  intervenir  rintelligenco  dans  le  monde  que  comme 
une  machine,  pour  expliquer  les  phénomènes^  alors  seulement 
qu'il  ne  peut  plus  les  expliquer  autrement. 

Anaxagore  suppose  coipme  matière  du  monde  un  nombre  infini 
d'éléments,  que  leurs  ressemblances  et  leurs  différences  distinguent 
en  groupes  très-nombreux.  Ce  sont  comme  les  parties  similaires 
de  toutes  les  substances,  c'est  pourquoi  il  lesappelle  :  homéoméries 
(ojjLotO[Jiép£iat) .  Ces  éléments  séparés  sont  invisibles  à  nos  sens,  et 
par  suite  leurs  propriétés  le  sont  aussi  ;  mais  (juand  ils  sont  unis 
en  grand  nombre  pour  former  un  corps,  nous  apercevons  et  le 
corps  et  ses  propriétés.  Il  distingue  les  éléments  des  substances,  des 
éléments  des  couleurs,  et  croit  que  les  composés  ne  sont  jamais 
entièrement  purs  de  tout  mélange  d'éléments  discordants. 

Ces  éléments  ont  été  d'abord  sans  mouvement,  dans  un  mélange 
confus,  puis  Tintelligence  (vou;)  est  venue  y  faire  régner  l'ordre. 
C'est  ainsi,  selon  Anaxagore  que  le  monde  a  commencé.  Avant  cet 
ordre,  il  n'y  avait  dans  ce  chaos  de  parties  similaires  invisibles,  ni 
forme,  ni  couleur,  ni  substance  distincte,  ou  du  moins  perceptible. 
Il  n'y  avait  pas  non  plus  de  mouvement,  pas  m  >mo  la  possibilité 
du  mouvement  ;  aar  il  n'y  avait  pas  de  vide.  En  effet,  dit 
Anaxagore,  il  n'y  pas  de  vide  dans  l'infini  ;  et  d'un  autre  côté,  il 
n'y  a  pas  d'espace  autour  de  l'infini  ;  car  l'infini  est  en  lui-mjmeet 
ne  peut-être  contenu  par  rien. 

Donc  par  l'action  de  l'intelligence  le  mouvement  se  produisit 
d'abord  en  un  point,  puis  se  communiqua  au  tout.  Les  éléments  se 
groupèrent  d'abord  selon  leur  densité.  Ainsi  se  formèrent  et  se 
séparèrent:  la  terre,  l'eau,  Tair  et  l'other,  qui  n'est  autre  choses 
que  le  feu.  Bientôt  par  de  nouvelles  agglomérations  se  formèrent  le 
soleil,  la  lune  et  les  étoiles  :  car  l'éther,  par  la  force  de  son 
mouvement  enlève  de  la  terre  des  pierres,  qui  deviennent  des 
astres.  Puis,  quand  ce  mouvement  se  ralentit,  ces  pierres  retombent 
(ce  sont  lesaérolithes).  Anaxagore  fait  naître  les  plantes  après  le 
soleil,  parce  qu'il   voit  que  sa  chaleur  les  fait  vivre.    Vinrent 


438  IllSTOIKK   I)K    I,A    PHILOSOPHIE 

ensuite  les  animaux,  qui  naquirent  du  limon  de  la  terre  échanfëe 
par  le  soleil,  et  l'homme  avec  eux. 

Anaxagore  savait  que  la  lune  est  un  corps  opaque  ;  il  donna  la 
véritable  théorie  des  éclipses  ;  reconnut  que  la  voie  lactée  e?: 
formée  par  un  grand  nombre  d'étoiles,  et  supposa  que  les  comète? 
étaient  fomiées  de  même  par  la  réunion  de  plusieure  planètes.  0 
supposait  que  l'axe  du  ciel  avait  passé  d'abord  par  le  milieu  ik 
la  terre  (que  Técliptique  avait  correspondu  h  l'équateur),  et  qae 
rintelligence  avait  incliné  la  terre  vers  le  sud,  pour  produire  !«?« 
variétés  des  saisons.  Le  monde  ainsi  formé  nç  doit  jilus  retouruer 
au  chaos,  car  T intelligence  ne  peut  pas  permettre  le  désordre. 

Cette  intelligence  qu'Anaxagore  reconnaît  comme  nécessaire  à 
Tordonnance  du  monde,  n'est  pas  pour  lui  un  être  distinct  du  monde; 
elle  l'anime  en  le  pénétrant  tout  entier.  Les  hommes  participent  à 
cette  môme  intelligence  ;  sans  qu'elle  soit  personnelle  à  chacaa 
d'eux.  Bien  plus  les  animaux,  les  plantes  elles-mêmes  sont  aus^i 
animées  de  cotte  même  intelligence,  et  s'ils  n'ont  pas  les  mém«5 
pensées  et  les  mêmes  sentiments  c'est  que  leur  organisme  ne  sV 
prête  pas. 

On  voit  qu 'Anaxagore  ne  se  fiait  pas  seulement  aux  sens,  mais 
qu'il  raisonnait,  qu'il  admettait  comme  source  de  la  connaissance 
les  données  de  la  raison. 

D'ailleurs  il  ne  nous  reste  de  lui  que  des  fragments  de  sa  théorie 
physique,  et  nous  n'avons  que  peu  de  données  sur  ses  théories 
psychologiques  et  morales. 

On  est  obligé  de  reconnaître  dans  les  théories  d' Anaxagore,  an 
vrai  travail  philosophique.  L'observation  et  la  raison  y  ont  leur 
part,  quoique  les  conclusions  ne  soient  pas  toujours  légitimes.  Mal* 
on  ne  saurait  pourtant  ne  pas  voir  sous  ce  système  raisonné  m 
fonds  d'idées  qu'Anaxagore  a  emprunté  à  la  tradition.  Ce  philo- 
sophe nous  apparaît  comme  un  homme  qui  aimait  a  se  romlrv 
raison  des  choses,  et  qui  rabaissait  jusqu'à  lui  les  principes»  quan«l 
il  ne  pouvait  s'élever  jtis(iu'il  eux.  C'est  une  disposition  iatelkv- 
tuelle  et  morale  que  nous  rencontrerons  souvent  dans  cette  histciirc, 
et  dont  nous  avons  pour  notre  part  trouvé  beaucoup  d'exonipU^ 
autour  do  nous.  C'est  par  cette  tendance  que  la  plupart  des 
philosophes  ont  fait  perdre  d'un  côté  à  la  philosophie  class^ique, 
autant  qu'ils  lui  faisaient  gagner  de  l'autre. 


GRECS.  —    ?:COLE  IONIENNE  439 

Anaxagore  a  fait  progresser  Tastronoraie  ;  il  a  maintenu 
pratiquement  les  droits  de  la  raison  et  rais  en  lumière  cette  vérité  : 
qu'il  faut  une  cause  intellig-ente  à  une  œuvre  qui  manifeste  l'ordre 
.  et  un  but  proposé  et  atteint  ;  mais  il  a  rabaissé  la  notion  de  Dieu 
et  de  Tilme  humaine,  en  les  confondant  avec  l'univers  matériel  et 
en  leur  refusant  la  personnalité.  De  plus,  comme  ses  prédécesseurs 
.  et  comme  tous  ceux  qui  le  suivirent  dans  la  philosophie  grecque, 
il  a  contribué  a  effacer  de  Tesprit  du  peuple  Tidée  de  la  création, 
en  affirmant  Texistence  d'une  matière  oternoUe. 

73.  Diogène  d'ApoUonie.  —  Diogéne  naquit  à  ApoUonie, 
dans  l'île  do  Crète.  On  le  trouve  à  Milet  vers  l'an  500  et  à  Athènes 
vers  460.  Il  fut  disciple  d'Anaximène  et  connut  certainement 
Anaxagore. 

Il  avait  écrit  un  livre  sur  la  nature,  dont  il  ne  nous  reste  que 
quelques  fragments,  cités  par  les  Grecs  ou  par  Cicéron. 

Comme  son  maître  et  comme  plusieurs  Ioniens,  il  n'admet  qu'un 
seul  principe  du  monde  ;  mais  le  premier  il  essaie  do  démontrer 
qu'on  n'en  saurait  admettre  plusieurs,  par  la  raison,  dit-il,  que 
l'univera  est  un  être  vivant  et  organisé.  C'est  là  ce  qu'il  appelle 
son  principe  indubitable. 

Dès  lors,  ne  pouvant  admettre  deux  principes  et,  d'un  autre  côté, 
ne  pouvant  expliquer  l'ordre  du  monde  sans  une  intelligence  qui 
ordonne  la  matière,  il  suppose  un  principe  qui  est  à  la  fois  matière 
et  esprit  :   c'est  uyi  air  intelligent. 

Nous  citons  volontiers  ici  le  jugement  de  M.'Kranck. 

«  C'est  ainsi  qu'en  pirtant  de  l'unité,  Diof^ène  explique  la  dualité  du 
monde.  Au  fond,  que  fait-il  ?  11  affirme  et  nie  à  la  fois  une  seule  et  même 
chose,  d'un  seul  et  môme  être,  consid<'ré  sous  le  même  rapport  et  au 
même  moment  de  son  existence.  Il  échappe  a  une  (luestion  embarrassante 
par  une  hypothèse  absurde  ;  il  nie  le  principe  de  contradiction  et  avec 
lui  toute  certitude.  Sans  doute  mùme  dans  les  temps  modernes,  do 
plus  grands  esprits  (jue  Dio^^cne  a'ont  pas  craint  d'associer  dans  l'être 
premier  des  attributs  incompatibles;  mais  cette  association  n'en  est 
pas  moins  monstrueuse.  » 

Nous  trouverons  bientôt,  dans  Heraclite,  \\i\  plus  complet  développe- 
ment de  l'absurde,  et  ime  pins  grande  ressendjlaïu^e  avec  ces  théories 
modernes  que  M.  Franck  lié  tri  l  justement  de  l'êpilhète  de  «  mous- 
Irueuscs  ». 


440  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

Avec  ce  principe^  Diogène  explique  tout  ;  mais  les  explication 
elles-mômes,  mettent  mieux  en  évidence  l'absurdité  du  principe. - 
D'abord  les  quatre  éléments  ne  sont  que  de  l'air  refroidi,  qui  en  ?« 
solidifiant  a  lancé  les  parties  plus  légères  dans  toutes  les  direction: 
ce  sont  les  étoiles  et  le  soleil.  YoiLl  pourquoi  la  terre  est  au  centrt 
du  monde.  —  L'âme  elle-même  n'est  qu'un  peu  d'air  chand :  Il 
sensation  n'est  que  l'ébranlement  de  l'air  contenu  dans  nos  orgaaes; 
et  la  pensée  n'est  que  le  passage  rapide  de  l'air  dans  le  sang. 

Ce  système  est  au  fond  un  panthéisme  assez  matérialiste,  à  ■ 
cependant  le  seul  nom  de  rintclligence,  qui  s'y  trouve  comme  11 
négation  du  polythéisme,  faillit  coûter  la  vie  à  son  auteur. 

74.  Heraclite.  — On  sait  qu'Heraclite  naquit  à  Ephèse;m3ii 
on  ignore  la  date  de  sa  naissance.  Il  florissait  vers  TaJi  500. 
Diogène  Laérce  (vie  d* Héi^acUte)  nous  apprend  que  son  lin? 
(«epl  cpûo-eo);)  était  divisé  en  trois  parties,  dont  la  première  traitai» 
de  Vwiiivers,  la  deuxième  de  la  politique  et  la  troisième  dt  l& 
théologie.  Sextus  Empiricus  nous  apprend  aussi  que  sa  philosopjiic 
était  aussi  morale  que  naturelle.  D'ailleurs  l'obscurité  de  sonstrk 
lui  valut  le  surnom  de  a  ténébreux  ».  Aussi  les  analyses  que  l'ofl» 
faites  de  sa  philosophie  différent  profondément. 

L'un  n'y  voit  qu'une  doctrine  physique,  qui  ne  diffère  decellîs 
des  autres  Ioniens  qu'en  ce  que  le  feu  vient  prendre  la  place  il« 
l'air  ou  de  l'eau  ;  un  autre  y  voit  une  doctrine  morale  relativeœwt 
très-avancée  ;  la  plupart  y  estiment  surtout  une  théorie  de  li 
connaissance,  dans  laquelle  le  critérium  de  la  vérité  est  la  rmo^ 
universelle  eu  divine  (ce  qui  paraît  vrai  au  jugement  de  tooj); 
enfin  M.  Fouillée  dans  son  Histoire  de  la  philosophie,  consid^ 
Heraclite  comme  le  précurseur  de  Hegel,  cherchant  déjà  »?3 
IV^remais  le  devenir,  affirmant  l'identité  des  contraires,  l'identitt 
de  rôti*e  et  du  non-ôtre  dans  Y  universel  devenir. 

Heraclite,  au  témoignage  de  Sextus  Empiricus  distingue  conffl* 
moyen  de  connaître  :  les  sens  et  la  raison.  Mais  les  sens  soniG^ 
mauvais  témoins.  Le  seul  juge  de  la  vérité  c'est  la  raison,  »"* 
pas  la  raison  individuelle;  mais  la  raison  universelle  et  t^^^^'- 
«  C'est  pourquoi  il  faut  se  confier  à  la  raison  générale.  Toutes  ki 
fois  que  nous  nous  mettons  en  communion  avec  elle,  nous  ^orm^ 


GRECS.  —  ÉCOLE   IONIENNE  441 

dans  le  rrai  ;  nous  sommes  dans  le  faux,  au  contl*aire,  toutes  les 
fois  que  nous  nous  abandonnons  à  notre  sens  individuel.  »  Voilà 
pour  la  logique.  Mais  son  critérium  vaut  mieux  que  l'usage  qu'il 
en  fait. 

En  physique,  Heraclite  dit  :  «  Rien  ne  subsiste  ;  tout  s'écoule, 
tout  marche,  et  rien  ne  s'arrête.  »  «  On  ne  descend  pas  deux  fois 
dans  le  môme  fleuve  ;  car  ce  n'est  pas  la  môme  eau  qui  vient  à 
nous,  Et  nous  mômes,  nous  j  descendons  et  n'y  descendons  pas  ; 
nous  sommes  à  la  fois  et  ne  sommes  pas.  »  Donc  rien  de  stable  : 
c'est  l'universel  changement.  Pour  mieux  exprimer  cette  mobilité, 
il  pose  comme  fonds  unique  de  toutes  choses  ;  le  feu.  Mais  ce  feu 
est  à  la  fois  matière  et  intelligence  :  c'est  «  un  feu  vivant 
(îcup  àsl  Çcoov) ,  un  feu  intelligent  (TCup  voepév)  ;  un  feu  divin  qui 
gouverne  toutes  les  choses  et  ne  s'éteint  jamais.  »  Ce  feu  est  animé, 
c'est  un  désir  :  un  désir  étemel  de  vivre  et  un  dégoût  étemel  de 
vivre. 

La  loi  de  ce  flux  perpétuel  des  choses  c'est  l'union  des  contraires. 
(T  Unis  tout  et  non  tout,  le  consonnant  et  le  dissonant  ;  fais  de  tout 
on,  et  d'un,  tout.  » 

C'est  là  la  guerre  des  contraires,  dont  l'union  produit  l'har- 
monie. C'est  la  guerre  (uiXefAoç,  spi?)  qui  engendre  toutes  choses. 
«  Ce  monde,  fils  de  la  guerre,  est  comme  le  jeu  d'un  enfant  sur  le 
sable.  »  «  Le  môme  être  est  vivant  et  mort  ;  il  veille  etildort  ;  il 
est  jeune  et  vieux.  »  C'est  là  une  loi  fatale,  mais  c'est  aussi  la  jus- 
tice. Car  c'est  cette  loi  qui  règle  toutes  choses. 

Cette  loi  de  guerre  et  d'harmonie,  cette  juste  fatalité  c'est 
Dieu  môme.  Dieu  est  l'unité  môme  des  contraires.  C'est  un 
«  jour-nuit "^D,  un  été-hiver  »  ;  c'est  une  «  guerre-paix  »,  un 
«  rassasiement-faim  ».  On  peut  l'appeler  ou  ne  pas  l'appeler 
Jupiter. 

«  Le  feu  primitif  devient  tout  et  tout  devient  lui.  Il  s'éteint  et 
meurt  en  eau,  en  air,  en  terre  ;  puis  la  terre,  l'eau,  l'air,  meurent 
et  renaissent  en  feu.  » 

«  Le  monde,  ce  n'est  ni  un  des  dieux,  ni  un  des  hommes  qui  l'a 
fait,  mais  il  a  été,  il  est  et  il  sera  ;  feu  toujours  vivant,  qui 
s'allume  en  mesure  et  s'éteint  en  mesure  y» .  «  Un  jour  l'embrase- 
ment consumera  tout,  mais  pour  renaître  en  un  monde  nouveau  ;  et 
ce  mouvement  n'a  pas  de  fin.  » 


44!^  HISTOIRE   DE  LA    PHILOSOPHIE 

a  L'âme  est  visible  à  travers  le  corps,  comme  Téclair  qui  pe« 
le  nuage.  T)  A  la  mort  cette  Ame  retourne  au  feu  universel  dV^ 
elle  est  partie  ;  elle  redevient  ce  principe  divin  qui  s'était  éteinte 
âme  et  qui  se  rallume  Dieu. 

La  loi  morale  consiste  à  dégager  ce  feu  des  liens  du  corps  e^  à 
le  faire  remonter  sans  cesse  comme  une  flamme  pure,  Ters  «s 
principe. 

En  lisant  ces  pensées  d'Heraclite  on  ne  peut  éviter  de  le 
comparer  avec  les  doctrines  de  l'Ecole  anglaise  ;  et  les  reseœ- 
blances  sont  frappantes.  Néanmoins  nous  hésitons  à  croire  qnek 
philosophe  ionien  ait  pensé  comme  Hegel,  qu'il  n'y  a  point (fe 
substance  stable,  mais  seulement  les  perpétuels  changements  ^ 
Tuniversel  devenir;  que  les  contraires  sont  identiques  ;  on,  comi» 
les  positivistes,  que  les  phénomènes  sont  les  seules  réalités.     * 

L'antiquité  n'a  jamais  vu  dans  ces  doctrines  que  le  dé<»an?«- 
ment  d'une  âme  qui  cherchait  Tabsolu,  rimmuable,et  ne  le  tronTsit 
pas,  parce  qu'il  ne  considérait  que  les  phénomènes  qui  changent,  ei 
ne  savait  pas  s'élever  à  la  substance  et  surtout  à  la  caiis 
première  qui  ne  change  pas.  C'est  cette* recherche  inquiète  et 
vaine  qui  jeta  Heraclite  dans  une  sorte  de  scepticisme  et  fit  dire 
de  lui  qu'il  «  pleurait  sans  cesse  ». 

Nous  no  dirons  rien  de  ses  théories  astronomiques,  sinon  qoc 
nulle  part  on  ne  trouve  une  aussi  forte  tendance  à  tout  expli^o^f 
par  de  simples  hypothèses,  et  que  de  plus  toutes  ses  hypotbèsa 
sont  au  moins  fausses  quand  elles  ne  sont  pas  ridicules, 

75.  Archélatts  (le  physicien) .  —  Archelaùs  naquit  probable- 
ment à  Milet,  vers  Tan  470.  On  le  trouve  d'abord  à  Athènes, 
puis  à  Lampsaque,  où  il  succéda  à  Anaxagore,  Tan  42C  ;  ilre^ifl^ 
ensuite  établir  son  école  à  Athènes,  où  il  eut  Socrate  pour  anditenr. 

« 

C'est  là  qu'il  fut  surnommé  le  Physicien,  à  cause  de  la  directiw 
naturelle  do  sa  philosophie,  et  par  opposition  à  celle  de  Socratt' 
qui  fut  toute  morale.  Cependant  Diogène  Laôrce,  qui  noustlonne 
cette  explication,  lui  attribue  aussi  une  doctrine  morale.  ^^^ 
Socrate,  dit-il  ne  fît  que  développer. 

La  cosmogonie  d'Archelaiis  suppose  d'abord  deux  princil>®' 
le  feu  et  Veau,  Ces  deux  éléments  confondus  d'abord  se  s^p*^^^ 
et  donnent  naissance  à  la  terre  et  à  l'air.  Puis  les  quati*e  élémeo^^ 


CfKKCS.  —    ÉCOLE   lONNIBNNE  443 

se  superposent  par  ordre  de  légèreté,  et  l'action  du  feu  sur  le 
limon  de  la  terre  donne  naissance  aux  plantes,  aux  animaux  et  à 
l'homme. 

On  voit  que  malgré  leur  désir  de  concevoir  une  doctrine  nouvelle, 
ou  de  perfectionner  celles  de  leurs  prédécesseur,  tous  les  philoso- 
phes ioniens  ne  font  que  tourner  dans  un  cercle  d'idée,  d'où  ils  ne 
savent  pas  sortir  ;  et  ce  cercle  d'idées  ne  renferme  que  les  données 
de  la  cosmogonie  traditionnelle. 

76.  Empédocle  d'Agrigente.  —  Erapédocle  naquit  à  Agri- 
gente,  peu  après  l'an  500  ;  car  on  le  trouve  dans  toute  sa  gloire, 
en  Sicile,  Tan  444.  Plus  tard  il  vint  à  Athènes  enseigner  sa  phi- 
losophie ;  mais  ses  concitoyens  l'empêchèrent  de  retourner  dans  sa 
patrie,  à  laquelle  cependant  il  avait  rendu  de  grands  services,  et 
où  il  avait  refusé  d'être  i*oi.  (c  Prêtre  et  poète,  comme  Orphée, 
médecin  comme  Hippocrate,  physicien  comme  Démocrite,  pour  ses 
contemporains  U  fut  plus  qu'un  roi,  il  fut  un  dieu  ;  Platon  et 
Aristote  l'admirèrent;  Lucrèce  Ta  chanté;  la  postérité  peut  lui 
donner  une  place  parmi  les  hommes  les  plus  ôminents.  »  Tel  est 
le  jugement  qu'en  porte  M.  Plenno,  dans  le  Dictionnaire  de  M. 
Franck.  Nous  ne  saurions  accepter  cette  conclusion.  Il  manque  à 
Empédocle  la  vrai  notion  de  Dieu,  et  sous  ce  rapport  il  est  bien 
au-dessous  des  sept  sages  et  même  des  philosophes  qui  l'avaient 
précédé.  Bien  plus,  si  nous  en  croyons  un  hymne  de  lui  que  cite 
Diogène  Laêrce,  il  veut  se  faire  passer  pour  un  dieu,  et  provoque 
les  honneurs  divins  que  la  foule  lui  rend  à  raison  des  heureux 
résultats  de  sa  science.  C'est  à  peu  près  le  portrait  que  nous  en 
donne  Lucrèce.  Ne  pouvant  rentrer  dans  sa  patrie,  il  finit  ses 
jours  dans  l'obscurité  et  mille  fables  coururent  sur  son  compte.  On 
supposa  qu'il  avait  été  enlevé  au  ciel,  ([u'il  s'était  noyé  en  passant 
la  mer,  qu'il  s'était  précipité  dans  le  cratère  de  l'Etna. 

Empédocle  avait  écrit  plusieurs  ouvrages  :  des  tragédies,  dos 
épigrammes,  un  hymne  à  Ajjpolon^  un  poème  épique  sur 
r  Expédition  de  XerxCs  ;  quatre  poèmes  didactic^ues  :  sur  la 
'Médecine^  sur  la  Polit  ([ue y  sur  la  Nature^  sur  les  Purifica- 
tions \q\,  enfin  un  traité  de  la2\ature  {]xi^k   çûtsw^).  Tous  ces 

ouvrages  sont  perdus  ;  il  ne  nous  reste  que  dos  fragments  du 
dernier  et  quelques  citations  de  deux  autres. 


444  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

Lo  traité  de  la  Nature  paraît  avoir  été  divisé  en  trois  parties  : 
1®  de  la  connaissance  et  de  l'Univers  en  général  ;  2<*  des  objets  de 
la  nature  ;  3^  des  dieux  et  des  Ames, 

Théorie  de  la  connaissanc"5.  L'homme  est  un  être  déchn, 
qui  est  tombé  du  ciel  sur  la  terre  parce  qu'il  a  péché.  Dès  lors  oi 
ses  sens  ni  son  intelligence  ne  peuvent  lui  donner  la  vérité.  îas 
dieux  seuls  peuvent  la  lui  enseigner.  Il  doit  l'obtenir  par  la 
prière,  —  C'est  le  mysticisme. 

Théorie  du  monde.  La  matière  du  monde  est  étômelle.  Ri® 
ne  naît  ;  rien  ne  périt.  A  Torigine  était  le  sphérus  (aoavpo;; 
sorte  d'unité  de  tous  les  éléments  en  forme  de  sphère.  Ces  éléments 
divers  sont  maintenus  dans  l'unité  par  la  force  de  ramitié  (  ^iX{a  ) 
et  c'est  le  sphérus  lui-môme  qui  est  l'amitié,  et  cette  amitié  est  un 
dieu.  Mais  la  discorde  (vstxo;),  le  dieu  de  la  guerre,  le  principe ds 
mal,  vient  mettre  la  division  dans  le  sphérus,  et  les  quatre  éléments 
(feu,  air,  eau,  terre)  se  séparent. 

Ces  quatre  éléments  sont  irréductibles  ;  ils  sont  simples,  parce 
qu'ils  sont  homogènes  ;  ils  sont  composés,  parce  qu'ils  sont  formés 
de  particules  infiniment  petites.  Mais  les  vrais  éléments  ne  sont 
pas  ceux  que  nous  voyons  ;  ils  sont  des  ftmes  ^  ils  sont  de? 
dieux. 

Après  le  dégagement  des  éléments,  l'Amitié  luttant  contre  h 
Discorde  en  a  fait  réunir  une  partie.  De  là  les  corps  actneU. 
Empédocle  explique  cette  formation  par  la  porosité  des  corps 
d'un  côté  et  d'un  autre  côté  par  les  effluves  de  parties  solide? 
qu'ils  émettent  sans  cesse.  Ce  qui  produit  tous  les  mélanges  et 
tous  les  phénomènes. 

Formation  des  objets  de  la  nature.  Après  la  division  dn 
sphérus  et  la  séparation  des  éléments,  le  ciel  prit  peu  à  peu  par 
l'effet  du  mouvement,  la  forme  qu'il  a.  Bientôt  parurent  le  soleil  ^ 
les  astres,  et  au  dessous  les  nuages.  La  chaleur  du  soleil  échaafiîant 
la  terre  donna  naissance  aux  plantes  et  aux  animaux,  qui  n'avaient 
d'abord  que  des  formes  monstrueuses,  mais  qui  se  perfectionnèrefit 
avec  le  temps.  Les  membres  d'abord  séparés  se  réunirent. 

Ce  perfectionnement  se  fait,  sous  l'impulsion  de  l'amitié,  parb 
convenance  entre  les  efflv.res  et  les  pores.  Ainsi  s'expliquent  !«?« 


GRECS    —   ÉCOLE  IONIENNE  445 

sensations  et  les  sentiments^  les  perceptions  des  sens  et  toutes  les 
opérations  intellectuelles.  L'esprit  est  composé  des  quatre  éléments 
et  réside  dans  le  sang  qui  procède  de  la  môme  composition.  Cepen- 
dant Y  Urne  n'est  pas  destinée  à  se  décomposer. 

Des  dieux,  des  démons  et  des  âmes.  Empédocle,  parle,  dans 
ses  vers,  d'un  Dieu  suprême,  a  qui  n  a  ni  tête  ni  bras,  ni  jambes, 
pur  esprit,  esprit  saint  et  infini  dont  la  pensée  rapide  pénètre  tout 
r Univers.  »  Ce  dieu  n'est  autre  chose  que  le  sphérus,  cause  et 
matière  du  monde. 

Au-dessous  sont  les  autres  dieux  :  Jupiter,  Junon,  Plutou, 
TAmitié  et  la  Discorde  ;  et  au-dessous  de  ceux-ci  des  dieux  secon- 
daires et  leét  bons  génies.  Ils  vivent  dans  ^n  bonheur  parfait,  sans 
éprouver  les  vicissitudes  du  monde. 

Plusieurs  de  ces  génies,  poussés  par  la  Discorde  se  souillèrent  de 
meurtre  et  d'injustice  et  furent  précipités  sur  la  terre,  qui  les 
renvoya  à  la  mer.  La  mer  les  renvoya  à  Tair,  en  sorte  qu'ils  sont 
rejetés  par  toute  la  nature,  et  en  proie  à  d'atroces  supplices,  ils  ne 
g'occupent  que  de  pousser  les  hommes,  au  mal,  tandis  que  les  bons 
génies  les  poussent  au  bien.  Chaque  Âme  humaine  a  son  bon  et 
son  mauvais  génie. 

Nos  âmes  aussi  sont  des  esprits  déchus.  Elles  viennent  de  la 
divinité;  mais  un  grand  crime  les  a  fait  précipiter  dans  l'enveloppe 
mortelle  du  corps.  Elles  doivent  pendant  trente  mille  ans  passer 
par    les    corps    des    plantes,    des    animaux    et    des    hommes, 

m 

pour   remonter   enfin  au   ciel  et  y  jouir  d'un  bonheur  sans   fin. 
Empédocle  prétendait    se  souvenir    d'avoir  été  arbre,   oiseau  et 
poisson. 

Le  bonheur  final  n'est  accordé  qu'à  la  vertu  qui  consiste  d'abord 
à  respecter  les  objets  de  la  nature.  C'est  pour  cela  qu'Empédocle 
ne  voulait  pas  qu'on  tuât  les  animaux,  pour  s'en  nourrir.  Cepen- 
dant, il  permettait'  l'usage  des  plantes,  excepté  la  fève  et  le 
laurier. 

Observation.  Tel  est  en  résumé  le  système  d'Empédocle.  Nous 
avons  suivi  pas  à  pas  l'article  de  M.  Henné,  cité  plus  haut,  afin 
qu'on  ne  nous  accuse  pas  de  choisir  les  faits  qui  conviennent  le 
mieux  à  notre  théorie.  Et  maintenant  nous  demandons  :  1^  si  ce 
système  renferme    beaucoup  d'idées  philosophiques  nouvelles  ? 


446  IIISTOIRK   DE   LA    IMII  L  O  SO  IMI  I  E 

2°  si  la  pliilosophie  grecque  s'y  montre  indépendante  de  toatc 
doctrine  rév(>loe  ?  3'^  si  Erapi^docle  s\v  montre  un  des  hommes  le 
plus  éminents  ? 

Pour  nous,  nous  n'y  voyons  qu'une  comî)inaison  peu  nouTelfe 
des  mômes  éléments  tant  de  fois  employés  déjà,  avec  des  iraeef 
bien  plus  évidentes  de  son  origine  traditionnelle,  et  plus  eDCoro 
avec  un  souvenir  formel  de  son  origine  révélée.  C'est  encore  im 
fois  la  cosmogonie  de  tous  les  peuples,  sans  oublier  l'ojaf,  qui 
prend  ici  un  nom  plus  scientifique  (le  sphérus).  C'est  de  pins  le 
souvenir  de  la  chute  des  anges,  du  péché  originel,  de  la  r^vélatioo 
primitive,  et  la  doctrine  des  anges  gardiens.  Oserait-on  nffirmer 
qu'Empédocle  a  puisé  tout  cela  dans  sa  raison  de  philosophe  oo 
dans  son  imagination  de  poète  ?  N'y  voit-on  pas  clairement  nfl 
témoin  de  plus  de  l;i  tradition  primitive  ?  Bien  plus  cette  affirma- 
tion que  les  animaux  furent  d'abord  imparfaits,  quoiqu'elle  s? 
présente  sous  des  images  ridicules  dans  le  texte  d'Empédocle,  et 
que  nous  avons  déjà  vue  dans  d'autres  cosmogonies,  n'est-elîe  pas 
un  reste  d'une  vérité  géologique  que  les  premiers  hommes  ont  dû 
connaître  et  que  la  Genèse  ne  nous  a  pas  conservée. 

Ajoutons  maintenant  une  autre  doctrine  que  nous  trouvons  daJîs 
le  môme  article.  Empédocle  déclare  que  le  monde  porte  dans  tons 
ses  détails  la  trace  d'une  intelligence,  qui  a  tout  ordonné  pour  une 
bonne  fin.  Cette  intelligence,  il  l'appelle  la  Raison  ou  le  Verbe 
(Ai^o;).  Seulement  il  n'en  fait  aucun  usage  dans  l'explication  des 
choses,  con^me  Aristote  le  lui  reproche  justement.  Nous  ne  lui 
savons  pas  moins  gré  de  nous  avoir  appris  qu'il  connaissait  ce 
principe  ;  et  nous  sommes  d'autant  plus  fondé  à  dire  qu'il  le  con- 
naissait par  tradition,  que  sa  théorie  ne  le  suppose  aucunement,  et 
quesa  méthodenepouvait  nullement  le  conduire  à  le  découvrir.Emp^ 
docle  est  donc  le  témoin  le  plus  complet  de  ces  vérités  que  le  genre 
humain  a  connues  d'abord  et  que  Timagination  et  la  philosophie  oot 
défigurées.  Voilà  en  quoi  et  pourquoi  nous  apprécions  sa  théorie. 

Prise  en  elle-même,  et  comme  théorie  philosophique,  la  doctrine 
d'Empédocle  ne  nous  offre  guère  qu'un  mélange  assez  heureni, 
quoique  toujours  faux,  de  toutes  les  doctrines  précédentes.  CTest 
tout  à  la  fois  un  panthéisme,  un  dualisme,  un  matérialisme  et  uQ 
mysticisme.  Et  la  loi  de  tout  ce  mélange  c'est  la  nécessité. 


GRECS.  —   ÉCOLE   ITALIQTK  447 

77.  Hippon,  Crafyle,  Hermotime.  —  On  cite  encore  dans 
l'Ecole  lonnienne  quelques  philosophes  dont  les  travaux  furent 
moins  importants. 

Ilippon,  de  Rhegium,  dont  Aristote  parle  immédiatement  après 
Thaïes  et  qu*il  déclare  un  penseur  des  plus  grossiers,  aurait  admis, 
comme  son  maître,  Teau,  pour  premier  principe  des  choses,  et  il 
en  aurait  fait  en  même  temps  l'âme  du  monde.  Il  semble  avoir 
pensé  que  rien  n'existe  que  ce  qui  tombe  sous  les  sens. 

Cratî/le,  disciple  d'Heraclite,  fut  Tun  des  maîtres  de  Platon . 
Comme  son  maître  il  disait  que  les  choses  sensibles  sont  dans  un 
écoulement  perpétuel,  et  il  en  concluait  que  les  sens  sont  trom- 
peurs ;  la  parole  môme  est  fausse,  et  il  s'abstenait  de  parler,  se 
contentant  de  remuer  le  doigt.  Mais  il  admettait  que  les  idées 
absolues  sont  vraies  et  subsistantes. 

^erwo^îm^,  de  Clazomène,  passait.pour  capable  de  quitter  son 
corps  et  de  se  transporter  au  loin  avec  son  esprit  seul.  Ses  disciples 
le  tuèrent  dans  un  de  ces  moments  d'absence.  Aristote  déclare 
qu'il  reconnut  Tintelligence  ordonnatrice  du  monde,  avant  Ana- 
xagore. 

On  ne  connaît  pas  la  date  exacte  de'  la  vie  de  ces  philosophes. 

S  î.  -ÉCOLI    ITALIQUE 

78.  Caractère  de  cette  École.  —  Cette  école  tire  son  nom  du 
lieu  où  elle  fut  établie,  la  Grande  Grèce,  partie  sud  de  l'Italie. 
Elle  eut  pour  fondateur  Pythagore,  qui  réunit  ses  disciples  à 
Crotone,  dans  une  sorte  de  communauté. 

L'institut  Pythagorique,  fut  d'abord  plus  religieux  que  philoso- 
phique. Les  initiations  par  lesquelles  ont  faisait  passer  les  nouveaux 
adeptes  ;  le  silence  de  plusieurs  années  et  la  vie  austère  qu'on  leur 
faisait  mener  ;  les  doctrines  môme  qu'on  leur  enseignait  d'abord, 
dans  un  langage  symbolique  ;  enfin  le  caractère  surhumain  que 
plusieurs  ont  attribué  à  Pythagore,  et  la  foi  aveugle  que  ses  disci- 
ples avaient  en  lui,  quand  ces  seuls  mots  :  Le  maître  l'a  dit 
/AuToc£(p7i),  tranchaient  tous  les  différents:  tout  cela  donnait  à 
leur  réunion  le  caractère  des  Mystères  grecs,  plutôt  que  d'une 

cole  philosophique. 


HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE  ^ 

Mais  en  quoi  consistait  ce  premier  enseignement  ?  Cest  ce  \t 
ne  nous  est  pas  parvenu.  Car  les  doctrines  j  étaient  tenues  aaà 
secrètes  que  dans  les  autres  mystères.  Tout  ce  que  nous  en  sa^aj 
fait  partie  de  la  doctrine  exotërique  ou  extérieure,  et  lienUli 
philosophie  et  aux  mathématiques.  Il  est  certain  qu'il  J  »t^ 
aussi  une  doctrine  ésotérique  ou  intérieure,  que  nousregpettisi 
d'autant  plus  de  ne  pas  connaître,  qu'elle  sembleavoir  cont^naàs 
doctrines  traditionnelles  plus  précises  que  celles  que  nous  avûK 
pu  rapporter. 

79.  Pythagore.  —  Pjthagore  naquit  très  probablement  \ 
Samos,  en  608,  ou  selon  d'autres  en  570.  Quelques-uns  le  i^ 
naître  à  Tjr,  d'autres  en  Syrie,  et  môme  en  Etrurie.  U  est  cerai* 
qu'il  habita  d'abord  Samos,  où  il  suivit  les  leçons  de  PliériwTd*- 

Il  voyagea  ensuite  en  Orient  et  en  Egypte,  se  fit  initier  «o 
mystères  de  Crète,  et  de  plusieurs  auti^es  sanctuaires,  ^^ 
revint  à  Samos,  où  il  donna  les  deraières  consolations  à  PliériS^Tw 
et  enfin  vint  s'établira  Crotone,  dans  la  Grande-Grèce  (parties» 
de  l'Italie),  entre  530  et  520. 

On  croit  qu'il  donna  des  lois  à  la  ville  de  Crotone.  11  J  eï^ 
certainement  une  grande  influence  politique,  qui  par  sçs  discip 
s'étendit  sur  plusieurs  ville  de  la  Grèce.  Mais  une  émeute  ^ 
laire  renversa  leur  autorité  et  Pythagore  y  perdit  la  vie. 

Il  est  à  peu  près  certain  que  Pythagore  n'a  rien  écrit.  L^* 
Vers  dorés j  qui  nous  restent  et  qu'on  lui  attribue  ne  sont  pas  ^ 
lui.  Les  seuls  monuments  qui  nous  restent  de  sa  doctrine  Poûtû« 
fragments  d'un  ouvrage  de  Philolaùs,  et  des  citations  oao^ 
appréciations  données  çà  et  là  par  les  anciens,  parmi  lesque»^ 
faut  mettre  au  premier  rang  Aristote. 

Il  eut  un  grand  nombre  de  disciples  dont  la  plupart  ne  nouss^J 
connus  que  de  nom.  Nous  ne  mentionnerons  que  ceux  sur  lesqo*, 
on  a  quelques  renseignements. 

80.  AIcméon  de  Crotone.  (5' siècle).-' Disciple immâ<Ui^'^ 
Pythagore.  AIcméon  passe  pour  l'inventeur  des  dia;  catégorie^^^ 
nous  avons  données,  page  59.  On  lui  fait  dire  que  les  a  astres  sj)*» 

des  substances  divines  »  et  que  a  l'âme  semblable  aux  dieu^  *^ 
immortelle  comme  eux  ». 


GRECS.  —   ÉCOLE  ITALIQUE  449 

81.  Timée  de  Locres.  Né  à  Locres  (grande  Grèce),  vers  475 
il  y  occupa  plusieurs  charges  publiques.  II  y  était  estimé  comme 
astmnorae.  On  lui  attribue  un  traité  de  mathématiques,  et  une 
vie  fie  Pythagore^  dont  il  ne  nous  reste  plus  rien,  et  enfin  un  traité 
de  Vdme  du  Monde  et  de  la  Nature,  qui  nous  est  parvenu,  mais 
dont  la  rejsomblaaco  a^'oc  le  Timée  de  Platon,  fait  croire  qu'il  n'a 
été  écrit  qu'après  ce  dernier  ouvrage . 

82.  Ocel^us  de  Lucanie  (5"  siècle).  —  Disciple  immédiat  de 
Pvthagore.  Il  e-st  probable  qu'il  n'a  rien  écrit,  quoiqu'on  lui  ait 
attribué  quatre  ouvrages,  dont  un  seul  nous  serait  parvenu  :  De  la 
Gcu'He  de  V Univers  ;  mais  cet  ouvrage  manque  d*autluenticité. 
C'est  un  mélange  de  toutes  les  doctrines.  —  L'univers  est  éternel  ; 
il  est  par  lui-mJmo;  il  est  sphériquc,  mais  composé  de  deux  parties: 
le  ciel  et  la  terre.  Les  choses  terrestres  ont  trois  principes:  la 
matière,  la  forme  (principe  des  contraires)  et  les  éléments  (composés 
(le  matière  et  de  forme) .  Le  genre  humain  est  éternel,  et  doit  se 
l>crpétuer  par  le  mariage,  dont  Fauteur  recommande  fort  la 
sainteté.  Il  expose  aussi  les  principes  de  l'éducation  morale  des 
eiifaiits.  —  Tout  cela  s'écarte  des  données  pj'thagoriciennes. 

83.  Phllolatts  de  Crofone.  — Philolaùs  naquit  à  Crotone  ou 
à  Tareate  dans  le  V'  sièolc.  Il  fut  disciple  d'Arésas,  qui  était  lui- 
mjine  un  disciple  immédiat  de  Pythagore.  A  son  tour,  il  fut  le 
maître  d'Aroliytas  do  Taronte,  et  eut  aussi  pour  auditeurs  Simmias 
et  Cébès,  qui  suivirent  plus  tard  les  leçons  de  Socrate.  Il  enseigna 
îi  Thèbes,  euBéotie,  et  vint  mourir  à  Iléraclée,  dans  la  Grande- 
^ii'èco. 

Il  mit  en  corps  do  doctrine  lus  tlijoi'ies  de  son  école,  dans  un 
tiJvni.i3^o  iatitulj  les  B  tj'thcDit  's,  nom  qui  fait  bien  ressortir  le 
caniclère  tliéurgique  à^  la  doctrine  et  de  Tinstitut  de  Pythagore. 
IMaton  voulut  avoir  ce  livre  et  Tacheta  100  mines  (9,G00  fr.).  Il 
ïioiis  en  reste  d'assez  nombreux  fragments.  Mais  il  est  bien  difficile 
^'.v  distinguer  le*  théories  do  Pythagore  lui-même  de  celles  de 
l*hilolaùs,  oa  des  autres  disciples  de  la  mjme  école.*  On  lui  attribue 
plus  particulièrement  les  théories  astronomiques. 

84.  Archytas  de  Tarante.  —  Né  à  Tarente,  en  430,  il  y  était 
ûncoro  en  300,  ([uand  Platon  y  vint.    Disciple  de  Philolaùs,   il 

29 


^ 

I 


450  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

instruisit  lui-même  Platon.  Il  fut  six  ou  sept  fois  général  ea  é& 
des  Tarentins  et  fut  toujours  victorieux.  Il  mourutdans  un  aâufrsa 
sur  les  côtes  d'Apulie  en  348. 

On  lui  attribue  l'invention  de  la  poulie  ;  ce  qui  paraît  p« 
probable  à  une  époque  si  tardive.  Il  est  l'auteur  d'uiie  méihoà 
pour  obtenir  un  cube  double  d'un  autre.  11  avait  fait  aussi» 
colombe  volante. 

On  a  encore  60  fragments  de  ses  écrits,  tirès  de  plaàess 
ouvrages,  traitant  de  matières  assez  différentes  ;  mais  tout  n'est  p» 
authentique. 

Ne  pouvant,  avec  Jes  documenta  qui  nous  restent,  attriboer  « 
chacun  des  pythagoriciens  sa  propre  doctrine,  nous  allons  exposa 
le  tout  comme  doctrine  de  l'Ecole. 

85.  Doctrine  de  l'École  Italique.  —  Entre  tontes  les^^ 
trines  que  l'on  attribue  aux  différents  Pythagoriciens,  celle  qn 
semble  le  mieux  leur  avoir  été  commune,  qui  semble  constitoerie 
principe  môme  de  leur  langue  symbolique  et  qui  doit  être  fl^ 
Pythagore  lui-môme,  c'est  la  ihc^on'edes  'nombres,  et  la  théorif^^-f 
la  musique,  qui  en  un  sens  dérive  de  la  première,  mais  qui  ^ 
avoir  eu  une  importance  aussi  capitale . 

On  pourrait  môme  croire  que  ces  deux  théories  ne  sont  qa?  ^ 
double  forme  sensible- et  rationnelle  tout  à  la  fois  de  la  tbèo?'« 
transcendante  du /ôm7an^  et  de  Vindéfini.  Les  voici  tijuteî'^ 
trois. 

l^Rien  n'existe  que  ce  qui  peut  être  connu.  Rien  ne  pent-^^ 
connu  que  ce  qui  est  déterminé.  Or  tout  ce  qui  eiit  àhX^^"^ 
suppose  :  les  déterminatio7is  ou  les  Umitanis  et  riiit^^'^ 
entre  les  déterminations  ou  Vvndi^fini,  L'indéfini  seul,  l'inteni- 
seul  n'est  rien  ;  il  n'est  pas  appréciable  ;  le  limitant  lui-s?^ 
seul,  n'est  rien  non  plus,  s'il  ne  détermine  rien.  Cependant  I^^ 
de  détermination,  principe  de  toutes  les  autres,  est  conçue  cx^ 
entourée  de  toutes  parts  par  l'indéfini,  et  il  en  détermine  un  I^'^" 
Au  lieu  que  l'intervalle  n'est  concevable  qu'à  la  condinonda^^- 
au  moins  deux  limites.  Ainsi  la  mo/mrZe  est  la  détermination  sis?* 
le  principe  de  toute  connaissance,  de  toute  lumièiH},  de  t^*' 
réalité  :  la  dyade  est  l'intervalle  abstrait,  l'obscurité,  le  F^^'^ 
passif,  qui  n*est  rien  par  lui-môme. 


GRECS.  —   ÉCOLE  ITALIQUE  451 

Il  est  clair  que  Ton  pourrait  dire  tout  aussi  bien:  le  limitant 
et  le  limité  ;  et  alors  on  aurait  la  base  môme  de  la  théorie  d'Aris- 
tote  la  forme  et  la  matière^  mais  avec  des  termes  profondément 
différents  :  car  le  limitant  est  le  principe  actif,  comme  la  forme  ; 
gt  le  limité  est  le  principe  passif,  comme  la  matière.  Mais  les  mots 
eux-mêmes  jurent  avec  ce  sens,  et  c'est  ce  qu*Aristote  a  bien  vu  : 
aussi  dans  sa  théorie,  c'est  la  matière  qui  limite  la  forme  ;  car  la 
limite  est  une  imperfection.  Chez  les  pythagoriciens  F  idée  de 
limite  est  une  idée  de  {perfection  :  aussi  ils  disaient  indifféremment 
le  limitant  et  Vintervalle^  ou  le  fini  et  Vinfi^i  ;  et  dans  cette 
opposition,  le  fini  e^ile parfait,  tandis  que  Tinfini  e^iVimparfait^ 
Il  ne  faut  pas  oublier  cette  opposition  de  langage  avec  nos  idées 
d'aujourd'hui,  si  l'on  veut  comprendre  la  suite  de  leur  doctrine. 

2^  La  théorie  des  nombres  se  trouve  en  principe  dans  ce  que 
nous  venons  de  dire.  U  unité  est  l'expression  numérique  do  la 
monade.  Elle  est  le  principe  de  tous  les  nombres,  et  en  particulier 
de  tous  les  nombres  impairs. 

Le  nombre  deux  est  l'expression  de  la  dyade,  et  en  particulier 
do  tons  les  nombres  pairs.  Aussi  nombre  pair  est  synonyme 
ù* imparfait,  tandis  que  no9nb7'e  impair  est  synonyme  de  parfait. 
Cependant,  comme  tout  ce  qui  existe  est  déterminé  et  renferme, 
avons-nous  dit,  des  limites  et  un  intervalle,  il  y  a  dans  toutes 
choses  :  un  commencemetit  (première  limite),  un  milieu  (inter- 
valle), et  une  fin  (dernière  limite).  D'où  il  suit  que  la  triade  est 
r^ssence  de  toutes  choses,  et  que  le  nombre  trois  est  le  nombre 
parfait  le  plus  simple.  Il  est  impair,  et  de  plus  il  a  un  commence- 
ment, un  milieu  et  une  fin  ;  d'ailleurs  il  contient  dans  une 
harmonie  la  monade  et  la  dyade. 

Mais  jusqu'ici  nous  n'avons  encore  que  des  ombres  -de  réalité  ; 
car,  géométriquement  parlant  :  Tunité  ou  la  monade,  c*est  le  point; 
le  nombre  deux  ou  la  dyade,  c'est  la  ligne  ;  le  nombre  trois  ou  la 
'  triade,  c'est  la  surface  (triangulaire)..  Il  faut  atteindre  le  nombre 
quatre,  pour  trouver  l'étendue  corporelle  et  subsistante.  En  effet  le 
nombre  quatre  ou  la  tétrade  détermine  le  solide  le  plus  simple, 
*(la  pyramide  triangulaire,  ou  tétraèdre).  Voilà  pourquoi  le  nombre 
quatre  avait,  quoique  pair,  une  grande  valeur  chez  les  Pythago- 
riciens. Les  combinaisons  de  c6s  quatre  premiers  nombres  don- 


452  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

liaient  tous  les  autres  ncmbic?,  jusqu'à  dix  ;  savoir  :  4 -r  1,  « 

3  +  2-5;   4  +  2,  ou3+2-fl*-'0;4+  3,  ou4  +  2-f  1==": 

4  +3  +1-8;  4  +  3  +  2=9;  4  +  3  +  2+  1-lO.b 
décade  ainsi  formée  de  la  l'ounion  de  tous  les  iiGii.l>res  priffiiti' 
était  le  nombre  le  plus  parfait.  On  révérait  aussi  le  iioroijreT,  p 
bablement  à  cause  de  sa  composition  (4  —  le  monde  matépid,  - 
3  —  le  monde  divin,  barmonie  primitive  du  limitant  et <1^ In- 
défini). 

M.  Fouillée  affirme  qu'à  raison  O.c  cett^  prcdiiccticn  [■«)'."  - 
nombre  dix,  ils  omplovércnt  la  numération  dL'cimr.le,  et  «lUci; 
fameuse  table  de  Pytliogore,  bien  dilTérentc  de  coWv  quo  Ij^ 
donne  sous  son  nom,  cxpo.^;ût  prOcisénient  celte  numératian  ;  e^Sî 
qu'ils  sont  les  vrais  inventeurs  des  cJn'ffres  dit  ari'hps, 

3*^  La  théorie  de  la  musique  ne  s'c>^p^'se  et  ne  setiovolopr-tv' 
par  les  nombres,  mais  elle  dérive  au^^si  iraniédiaîLira-ut  ô:  ^ 
tbéorie  transcendante.  Kn  ellet. 

Un  son  seul  n'est  rien  en  lui-mùnie,  ou  du  moins  il  mVm  qu'ac 

limite,  et  semblable  à  la  monade  il  n'existe  qu'autan*  ([u'il  e^t  ]*•' 

com"me  un  point  dans  un  lieu  détorniiné  de  la  série  dos  vito.-^- 

Il  est  alors  comme  enveloppé  do  rindéiîni.  Dés  c^uo  l'on  fuit  i."t'-'> 

dre  deux  sous,   simultanés   ou  succes.'rlfs,  il  y  a  entre  en  ^ 

intervalle.  Cet  intervalle  en  lui  inémocî^t  encore  riliiinité,rintl--û; 

mais  il  devient  fini,  déterminé,  par  les  deux  sons  qui  le  tc:TJî"«^a^ 

Mais  deux  sons  ou  plusieurs  à  des  intervalles  convenables  Ur&-^'' 

une  harmonie.  C'est  ainsi  que  la  monade  et  la  dt/adc,  lo  /</<'  '^ 

V  infini  y  le  imrfait  eiV  imparfait,  la  htmiCre  et  les  tcuihre.^^^^^^ 

quoique  de  nature  contraire,  peuvent  s'unir  par  l'haruicuie. -^ 

comme  tout  se   compose  de  contraires,   l'harmonie  est  la  ^^^^^ 

monde. 

Les  applications  de  cette  triple  tbéorie  primordiale  fonrnis^st 
une  cosmogonie,  une  psychologie,  une  théodicéeet  une  moi'ale,ct 
tout  est  appelé  nombre. 

4®  La  cosmogonie  pythagoricienne  peut  se  résumer  ainsi  :  Li 
dyade,  d'abord  unie  et  confondue  avec  la  monade  dans  le  prenne 
principe,  se  sépare  et  devient  la  matière.  Mais  cette  sêiîa^^* 
n'est  pas  complote.  Lo  principe  limitant  est  toujours  là  F'^" 
déterminer  cet  indéfini  qui  est  la  matière  et  former  les  corps,  t£fl* 


*GRECS.    —   ÉCOLE    ITALIQUE  453 

jours  d'aprôs  les  rapports  numériques.  Et  comme  le  principe  passif 
n'est,  dans  ce  systôme,  rien  autre  que  le  vide,  et  que  les  seules 
réalit-cs  actives  sont  les  limites  qui  déterminent  les  nombres,  ils 
disent  ({ue  «  tout  est  nombre.  »  Et  comme  les  nombres  ont 
fléjà  donné,  naissance  aux  diverses  conditions  do  Tétendue,  et 
engendré  les  corps  en  tant  qu'étendus,  ils  vont  servir  à  engendrer 
aussi  leurs  divers  degrés  d'être.  Ainsi  le  nombre  cinq  engendre 
rexistenco  physique,  distincte  du  volume  abstrait  représenté  par 
quatre.  Sans  doute,  parce  qu'il  y  a  une  réalité  qui  est  le  milieu  du 
volume.  Après  cela,  5  .r  est  la  vie  végétale  y  sept,  la  vie  animale  ; 
huit,  la  vie  humaine;  neuf,  la  vie  ultramondaine,  et  dix,  la  vie 
flivine.  Les  raisons  qu'ils  pouvaient  donner  de  ces  symboles  numé- 
riques ne  nous  sont  pas  parvenues,  et  nous  ne  les  apercevons  pas. — 
Dans  CCI  te  théorie  les  nombres  sont-ils  toute  la  réalité  dés  choses 
ou  n*en  sont-ils  que  la  loi  ?  Il  paraît  que  les  deux  opinions  ont 
successivement  été  adoptées  dans  Técole,  et  que  la  première  y  fut 
la  plus  anciennement  reçue. 

5"  La  théorie  de  l'aine  dérive  do  lani''îno  sourco.  Le  corps  est 
nn  nombre  ;  mais  c'est  un  nombre  qui  se  meut.  L'ilme  est  Thar- 
njoiiie  du  corps,  mais  cello  harmonie  prv'^oxis te  au  corps,  et  lui 
survit.  En  ellet  Tàmc  pa$5ie  par  diverses  existonces,  et  va  d'un 
corps  dans  un  autre  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  entièrement  détachée  de 
la  dyade.  Les  id^îés  de  Ttlme  sont  des  nombres  aussi  ;  ces  nombres 
senties  raisons  des  choses,  les  lois,  les  essences,  les  harmonies  de 
tout  ce  qui  est,  L'ilme  est  dans  le  corps  comme  dans  une  prison  ; 
oUg  y  a  été  jetée  en  punition  d^ine  faute.  Les  pythagoriciens  dé- 
claanit  tenir  cette  doctrine  des  anciens  théologues  et  devins 
(Philolnf'fs,  cité  par  St-Clémcnt  d\ilr,iy(ndrieK 

6"  Pour  établir  leur  doctrine  sfcr  Dieu,  les  pythagoriciens 
remontaient  au  premier  principe  des  choses,  et  comme  nous  avons 
Vu  les  Ioniens  concevoir  Dieu  de  la  môme  nature  que  le  principe 
^1«  monde  ;  comme  nous  verrons  les  écoles  suivantes  concevoir 
Wen,  conformément  au  principe  de  leur  théorie  et  l'appeler  : 
substance,  idée,  acte  pur  ;  de  môme  pour  les  pythagoriciens,  Dieu 
est  un  fiombre.  Il  est  le  premier  de  tous  les  nombres  :  la  monade, 
l'unité.  Mais  c'est  l'unité  harmonique  qui  renferme  en  elle  tous  les 
nombres,  tous  les  contraires.  Il  est  pair  et  impair  ;  il  réunit  le 


454  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

bien  et  le  mal  ;  et  ce  mélange  des  deux  principes  est  éternel.  Il  ^> 
tout  à  la  fois  :  Tunité,  la  décade,  la  tétrade  et  la  triade.  Il  estto^ 
à  la  fois  le  principe  et  l'élément  du  monde  ;  il  n'est  pas  séparé  &i 
monde  ;  il  en  est  Tdme  ;  cependant  il  est  au-dessus  du  monde.  •  T 
y  a  un  Dieu,  dit  Pliilolaûs,  qui  commande  à  toutes  choses,  toui<nn 
nn,  toujours  seul,  immobile,  semblable  à  lui-m5rae,  différeot  à 
reste.  »  Malgré  ce  texte,  il  ne  paraît  pas  que  les  pjthagoriciasss 
soient  élevés  au-dessus  du  panthéisme,  pour  concevoir  aaDi^ 
personnel. 

7®  Leur  morale  dérive  des  principes  ainsi  posés  :  L'âme  «d- 
prisonnée  dans  le  corps,  doit  expier  sa  faute  et  se  dégager  èt^i 
dyade,  parla  piatique  de  la  tempérance  et  de  toutes  les  vertis: 
mais  il  ne  lui  est  pas  permis  d'abandonner  son  poste  par  le  said^. 
Les  vertus  sont  aussi  des  harmonies  qui  ont  leur  nombre  propre- 
La  justice  est  un  carré  parfait. 

7®  Uastronomie  elle-même  devait  concorder  avec  la  théorie 
des  nombres,  car  les  nombres  sont  les  raisons  de  tout.  Àinâ  b 
terre  ne  doit  pas  être  le  centre  du  monde,  car  elle  est  mêlée  fia- 
perfections.  Le  centre  du  monde  doit  être  lumineux  et  immobik. 
Autour  de  ce  feu  central  doivent  se  mouvoir  dix  planètes.  Lesr 
orbite  doit  être  circulaire  ;  c'est  un  mouvement  parfait,  paf* 
qu'il  n'a  pas  de  fin.  Elles  doivent  être  au  nombre  de  dix,  à  raéce 
de  la  décade.  Si  bien  que,  ne  connaissant  que  neuf  planètfô,il^ 
en  supposaient  une  dixième  inconnue,  qu'ils  appelaient  Vantipo^f- 
Les  distances  de  ces  planètes  sont  comme  les  intervalles  des  sos?. 
et  les  planètes  se  meuvent  en  proportion  de  leur  distance.  C^ 
mouvements  plus  ou  moins  rapides  doivent  produire  des  son?  qsf 
nous  n'entendons  pas,  parce  qu'ils  sont  trop  graves  ou  trop  éloigna 
C'est  Ih  l'harmonie  des  planètes. 

Cependant  avec  ces  conceptions  (a  priori)  ils  atteignirent  à^ 
vérités,  ils  connaissaient  la  cause  des  éclipses  et  des  phases  de  b 
lune,  ils  devinèrent  le  vrai  système  planétaire,  et  plus  tard  Ar^ 
tarque  n'eut  qu'à  remplacer  le  feu  central  par  le  soleil,  pouravii' 
le  système  de  Copernic,  deux  mille  ans  avant  lui.  Ils  connuï©' 
aussi  les  lois  mathématiques  des  sons  et  estimèrent  que  les  int^ 
valles  s'expriment  par  des  rapports  simples. 

86 .  Observation.  —  Pour  juger  toute  cette  théorie,  il  faadi^ 


GRECS.  —   ÉCOLE  ÉLÉATIQUB  455 

on  connaître  le  vrai  sens  et  en  avoir  une  exposition  suivie,  donnée 
par  les  pythagoriciens  eux-mêmes.  Au  contraire  nous  n'en  avons 
quo  des  symboles,  et  encore  ils  sont  épars  et  tronqués.  Il  a  fallu 
les  recueillir  dans  cent  ouvrages  divers,  et  pour  les  faire  concorder, 
j>l  us ieurs  générations  de  philosophes  et  d'historiens  n'ont  pas  été 
de  trop.  Ce  n'est  qu'après  leurs  travaux  que  nous  pouvons  aiyour- 
d'hui  présenter  dans  un  ensemble  assez  bien  coordonné,  ce  qui 
nous  reste  de  cette  doctrine. 

Peut-être  n'est-ce  là  que  Tenveloppe  verbale  et  mystérieuse 
d'une  doctrine  beaucoup  plus  vraie  que  celle  que  nous  y  décou- 
vrons ;  doctrine  qui,  dans  tous  les  cas,  n'était  pas  une  découverte 
philosophique,  mais  bien  une  explication  raisonnée  des  vérités 
traditionnelles.  En  effet,  au  fond  de  tous  ces  nombres ,  on  sent 
l'affirmation  de  Dieu,  de  Tâme,  de  sa  liberté  et  de  son  immortalité, 
la  faute  originelle  même  et  son  expiation.  Tout  cela  n'y  est  pas 
découvert  par  les  principes,  mais  apparaît  comme  autant  de  vérités 
précédentes,  qu'il  s'agit  de  faire  concorder  avec  la  théorie  ou  le 
langage  symbolique  des  nombres ,  et  dont  il  faut  trouver  les 
harmonies. 

On  dira  peut-être  que,  par  esprit  de  système,  nous  voulons  voir 
partout  une  origine  traditionnelle  aux  données  philosophiques. 
Pour  répondre  à  cette  accusation,  nous  prierons  seulement  qu'on 
relise  ce  qui  précède,  qu'on  en  vérifie  l'exactitude  dans  tous  les 
historiens  de  la  philosophie  que  nous  avons  résumés  et  fondus 
ensemble,  et  l'on  verra  clairement  que  nos  conclusions  sont  légi- 
times. 

8  s.  -  ÉGOLK  iLiATIQUI 

87.  Caractère  de  cette  Ecole.  —  L'Ecole  Eléatique,  qui  a 
pour  chef  Xénophane,  tire  son  nom  de  la  ville  d'Eiéo ,  dans  la 
Grande-Grèce,  où  ses  adeptes  enseignèrent.  On  l'appelle  aussi 
Ecole  métaphysicienne  (VElée^  par  opposition  à  l'Ecole  atomisti- 
que,  dont  nous  allons  parler  bientét,  et  qui  était  appelée  Ecole 
physicienne  d'Elée. 

Cette  école  dérive  de  celle  de  Pythagore  et  est  aussi  idéaliste; 
mais  elle  prend  un  autre  point  de  départ  et  arriva  au  panthéisme 
pour  finir,  si  nous  en  croyons  Sénèque,  par  le  scepticisme. 


456  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Elle  ressemble  à  l'Ecole  italique,  en  ce  sens  que,  comme  dk, 
elle  construit  sa  doctrine  a  pri o ?'i  ;  ianâïs  que  T Ecole  ioaksjc 
partait  des  données  des  sens  pour  s'élever  par  une  sorte  d'indactk? 
sans  bases  suffisantes  aux  premiers  principes  des  choses.  E]le]K'* 
aussi  en  principe  l'unité,  Dieu  ou  l'Otre,  et  ne  distinc-uc  j^as  Pies 
du  monde.  Toutefois  elle  en  comprend  mieux  les  attribut*  et  V? 
démontre.  Enfin  elle  ollace  le  monde  pour  ne  voir  que  Dieu;  riM» 
la  notion  de  Dieu  s'cllacc  devant  colle  de  Ycivc  absolu,  qui  s'en^'»- 
à  son  tour  devant  l'unité. 

88.  Xénophane.  —  Xénojdiane  naquit  à  Coloplion,  dajjs  ^A^:e■ 
Mineure,  en  020  ou  en  017,  U  avait  au  moins  qnaîro-Nin-'*<af.^ 
(juand  l'invasion  de  sa  patrie  par  les  Pei'ses  l'obli^^ea  ii  s'expritritt 
Il  vint  d'abord  en  Sicile,  i>uis  s'établit  ù  Elée,  colonie  phot't-î^i^''^ 
alors  récente,  dans  la  Grande-Grèce.  11  composait  des  vers  et  b 
chantait,  gagnant  ainsi  sa  vie  dans  le  métier  de  rhapsode.  1! 
supporta  courageusement  ses  revers,  et  mourut  à  l'Age  d'envina 
cent  ans,  probablement  à  Colophon. 

Une  fonda  pas  précisément  une  école,  mais  il  eut  des  disi^i]'ift= 
qui  développèrent  ses  doctrines. 

Il  n'a  rien  écrit,  mais  il  nous  reste  des  fragments  d'un  px-nii' 
qu'il  chantait  si(7'  la  natffre.  Ses  do  .trines  sont  exj)osées  park 
auteurs  anciens^,  mais  elles  ne  forment  pas  un  tout.  Dans  toiiU^ 
ces  citations  on  peut  trouver  une  théorie  de  Dieu  et  une  théorie ds 
monde. 

Il  enseigne  formellement  l'unité  de  Dieu,  son  éternité,  sa  perfec- 
tion, sa  toute-puissance  et  sa  simplicité.  Il  reproche  aux  i^'*iv- 
théistes  de  se  faire  des  dieux  à  leur  image,  et  fait  ressortir  1  ■ 
ridicule  de  cet  usage,  en  disant  :  «  Les  Ethiopiens  représentent  It^ 
dieux  noirs  et  camus  ;  les  Thraces  avec  des  veux  bleus  ci  il« 
cheveux  roux.  »  —  «  Si  les  b(eufs  ou  les  lions  avaient  des  niain^i 
s'ils  savaient  peindre,  ils  peindraient  aussi  des  images  des  dieuî, 
avec  des  corps  de  la  môme  forme  que  les  leurs.  »  Il  semble  qo^ 
son  but  principal  soit  de  combattre  le  polythéisme. 

Il  ne  se  contante  pas  d'affirmer  les  attributs  de  Dieu,  il  essaie 
de  les  démontrer.  L'argument  qu'il  emploie  pour  démontrer  qo»? 
Dieu  ne  peut  pas  naître,  le  mène  à  considérer  le  monde  comjn? 
une  illusion  ;  car,  dit-il,  ni  le  semblable  ne  peut  naître  du  sem- 


GRECS.  —    ÉCOLE    ÉLÉJATIQUE  457 

hlable ,  puisque  dè8  que  l'un  serait  produit  par  l'autre,  ils  no 
seraient  pas  sem])lables  ;  ni  lo  fH?peml)lal)le  ne  peut  naître  du 
dissemblable;  car  si  le  plus  grand  naît  du  plus  petit,  l'être  sort  du 
non-être,  et  silo  plus  petit  naît  du  plus  irrand,  c'est  lo  non-êire  qui 
sort  derêtre.  —  Il  est  plus  heureux  quand  il  démontre  que  l'être 
qui  n'est  pas  ne,  est  par  lui-mCnie,  et  que  dès  lors  il  ne  peut 
mourir;  qu'un  pareil  Cire  est  parfait  et  tout-puissant,  et  que  dès 
lors  il  ny  en  a  qu'un;  que  l'être  éternel  est  immuiil)lc,  et  que  dès 
lors  il  n'a  rien  de  matériel.  —  Il  n'en, est  [)as  moins  vrai  que,  dans 
la  pensée  de  Xéiiopliane,  il  n'existe  r[u'un  seul  être,  et  tout  ce  (jui 
nous  paraît  multi])îe  n'est  que  fantôme,  ("est  pourquoi  on  lui 
attribue  cette  doctrine  que  «  l'unité  ^c\\\o  existe.  y\ 

Ainsi  quand  il  parle  du  monde  il  rlit  ([ue  tout  est  opinion,  et 
c^u'on  ne  peut  rien  savoir  de  certain.  Or  son  opinion  était  que 
la  terre  a  la  forme  d'un  cône  tronqué,  dont  la  base  se  ])crd  dans 
l'infini  ;  que  riiumidité  de  la  terre  vient  de  ce  que  la  mer  Ta  autre- 
fois envahie;  que  le  soleil  et  les  étoiles  ne  sont  que  des  nua.î^es  qui 
s'enflamment  le  matin  ou  le  soir,  et  s'éteignent  le  soir  ou  le  matin  ; 
enfin  que  la  chaleur  en  échauffant  la  terre  y  produit  les  végvtaux 
•  et  les  animaux. 

Cependant  quelque  fantastique  et  illusoire  que  soit  ce  monde, 
Xénophane  dit  formellement  que  Dieu  le  gouverne,  qu'il  sait  tout, 
qu'il  entend  tout,  et  que  son  intelligence  est  bien  supérieure  à  celle 
ries  liommes . 

•89,  Appréciation.  —  Xénophane  parait  n'avoir  jamais  eu 
conscience  du  panthéisme  que  l'on  reconnaît  dans  sa  doctrine. 

C'est  jusqu'ici,  au  contraire,  la  plus  pure  idée  de  Dieu  que  nous 
ajons  rencontrée  dans  la  philosophie  grec(iue;  mais  si  Xénophane 
justifie  son  idée  de  Dieu  par  les  vues  de  la  raison,  ce  n'est  pas  à 
dire  pour  cela  qu'il  l'ait  trouvée  de  lui-même. En  effet,  il  ne  démon- 
tre pas  l'existence  de  Dieu,  ni  la  nécessite  de  le  concevoir  comme 
cause  première;  au  contraire  il  pose  Dieu  en  principe  et  en  démontre 
seulement  les  attributs  comme  nous  l'avons  indiqué.  On  ne  peut 
donc  pas  dire  de  lui  plus  que  des  philosophes  antérieurs  qu'il  ait 
découvert  les  vérités  philosophiques.  D'ailleurs,  si  Xénophane  a 
exposé  philosophiquement  une  idée  plus  exacte  de  Dieu,  sa  théorie 


458  HISTOIRE   DE  LA    PHILOSOPHIE 

n'a  eu  dans  ce  sens  aucune  influence  sur  le  reste  de  la  philosopîiii 
grecque,  car  tous  les  anciens,  et  ses  disciples  mêmes,  n'j  ont  te 
que  Tunitô  de  Tôtre  absolu  et  le  pantht^isme. 

00.  Parménide.  —  Parmônide  naquit  à  Elée.  Les  histonei' 
placent  sa  naissance  entre  530  et  519.  On  le  croit  disciple  i\e  X- 
nophane.  A  Tâge  de  05  ans,  il  fit  un  voyage  à  Athènes,  avec  sos 
disciple  Zônon  (entre  471  ot454),  pour  y  étudier  de  plus  pr^  le 
doctrines  des  Ioniens,  qu'il  voulait  combattre. 

11  ne  nous  reste  de  lui  que  des  fragments  d'un  po^me  sv.r  la 
NaturCjOn  il  traitait  en  deux  parties:  de  la  vérité  et  de  ropinm, 
c'est-à-dire,  1'^  de  TOtre  en  soi,  connu  par  la  raison  et  2®  descbc^ 
variables  ou  des  phônomônes  connus  par  les  sens. 

L'exorde  est  une  allégorie  poétique.  Les  filles  du  soleil  condui- 
sent le  poète  dans  un  pays  inconnu  aux  hommes,  à  la  demeure  de 
Diké,  qui  lui  révèle  la  vérité.  Voici  ce  qu'elle  lui  enseigne  : 

Tout  ce  que  nous  percevons  par  les  sens  n'est  que  la  série  ^ 
fantômes  d'un  songe,  et  l'étude  des  phénomènes  ne  peut  produire Is 
science.  Illusion  pour  illusion,  qu'importe  que  Ton  place  la  terrées 
le  soleil  au  centre  du  monde;  qu'importe  que  l'on  donne  pour  prin- 
cipe aux  phénomènes  un  seul  élément  au  plusieui*s;  l'eau  ou  Tair, 
le  feu  ou  la  terre,  ou  les  quatre  ensemble,  séparés  par  la  haine  OQ 
unis  par  l'amour?  Tout  cela  n'est  que  fable. 

La  vérité  n'est  connue  que  par  la  raison.  La  vérité  est  absolue, 
éternelle  et  immuable.  Dès  lors  tout  ce  qui  change  ne  peut  être 
l'objet  de  la  vérité,  La  seule  vérité  c'est  Tôtro  absolu,  qui  nechansc 
pas,  qui  n'a  pas  commencé  et  ne  peut  cesser  d'être.  En  dehors  de 
l'être  tout  est  néant;  et  le  néant  ne  peut  être  ni  affirmé,  ni  nié,  a 
même  être  conçu. 

L'être  est  un  et  indivisible,  car  s'il  avait  des  parties ,  il  serait 
tout  à  la  fois  et  lui-même  et  autre  chose  que  lui-même.  Pour  i» 
même  raison  l'être  est  immuable  et  dès  lors  le  mouvement  est  iifi- 
possible.  L'être  est  éternel,  car  il  ne  peut  pas  venir  du  néant; ea£< 
il  est  parfait,  car  comme  être  il  ne  peut  manquer  de  rien  :  le  néast 
seul  manque,  et  manque  de  tout. 

La  pensée  à  son  tour,  n'est  que  la  conception  de  l'être  et  ptf 
suite  elle  est  la  môme  chose  que  l'être.  Mais  il  ne  s'agit  ici  qa^  * 
la  connaissance  rationnelle. 


GRECS   —   ÉCOLE   ÉLÉATIQUE  459 

Comme  doctrine  physique  ou  théorie  des  phénomènes  il  part  de 
deux  principes,  le  chaud  et  le  froid,  ou  le  feu  et  la  terre;  leur  mé- 
lange produit  Tair  et  Teau.  Tout  est  d'abord  mélangé  dans   une 
sph(>re,  mais  une  puissance  centrale  y  opère  les  séparations  et  les 
réunions,  qui  produisent  les  phénomènes.  Ainsi  cette  puissance  est 
Mont  à  la  fois  Tamour  et  la  haine.  Elle  a  fait  produire  à  la  terre  d'a- 
bord des  membres  séparés  qui  se  sont  réunis  plus  tard.   Les  autres 
détails  de  sa  théorie  physique  ne  ressemblent  pas  moins  aux  théories 
d'Anaximandre  et d'Enii^édoclc,  qui  lui  est  postérieur.  Mais  tout 
cela  pour  lui  n'est  qu'opinion. 

91.  Appréciation.  —  Parménide  accepte  donc  sans  hésiter  le 
panthéisme  idéaliste  le  plus  foi mel.  Cette  doctrine  est  d'abord  le 
résultat  d'une  réaction  contre  le  matérialisme  ionien,  puis  un  dé- 
veloppement des  idées  de  Pythagore  et  de  Xénophane,  quoique 
Parménide  attaque  les  pythagoriciens  aussi  bien  que  l'Ecole  ionique. 

En  effet,  il  ne  pose  pas  d'abord  l'unité,  comme  on  Fa  dit  sou  vent, 
mais  l'être.  Il  ne  voit  partout  que  l'être  et  lui  donne  tous  les  attri- 
buts que  Xénophane  donne  à  Dieu;  mais  il  en  apporte  de  nouveaux 
arguments. 

92.  Zenon  d'Elée.  —  Zenon  naquit  à  Elée,  dans  la  Grande 
Grèce,  probablement  en  490,  quoique  d'autres  fassent  remonter  sa 
naissance  à  500.  En  effets  il  avait  quarante  ans,  quand  il  vint  à 
Athènes  avec  son  maître  Parménide,  et  Socrate  qui  naquit  en  470 
les  entendit.  Ce  voyage  n'eut  donc  pas  lieu  avant  450.  Zenon  s'at- 
tacha cl  Parménide  et  se  livra  avec  ardeur  à  la  philosophie,  mais 
en  même  temps  il  se  montra  plein  de  dévouement  pour  la  liberté 
de  sa  patrie,  qu'il  voulait  arracher  à  la  domination  d'un  tyran. 
Son  entreprise  échoua  et  il  fut  pris.  De  peur  de  dévoiler  ses  com- 
plices, il  se  coupa  la  langue  avec  les  dents.  Le  tyran  le  fit,  ditron, 
piler  dans  un  mortier. 

Zenon  a  écrit  en  prose,  et  dans  une  forme  qui  se  rapproche  du 
dialogue;  c'était  pour  défendre  les  doctrines  de  son  école  contre 
celle  des  Ioniens.  Il  ne  nous  reste  que  les  noms  de  trois  de  ses 
ouvrages  :  Les  Disputes^  Eœégèse  d'Empëdocle  et  Contre  les 
philosophes  naturalistes,  La  manière  dont  il  traitait  les  questions 
nous  est  donnée  par  Platon,  dans  l'introduction  du  Parménide. 


4G0  HISTORE   DE   LA   rHILOSOnUE 

Le  livre  dont  IMaton  parle  en  cet  endroit  sans  le  noinmr»r  étaiî  di- 
visé en  cliai)itros,  et  les  chapitros  contonaiout  un   certain    iioffil»rc 

do  propositions  011  hypoîliC^es,  (^iie  Zi'miou  prend  chez  sos    ad%"L'r?aî- 
res  et  s'eilori^e  de  piv^^or  jiis.pi'  il  des  c  jns.V]^:ic^:ic*?s  <x^s  u  r  Je?, 

H  Mon  oiivi'oiv,  dit  Z;'':ion,  rv''pond  aux  [>artisans  <Ic  la  pluitili"'. 
(ît  d.'^nKuitro  que  cdW  snp|h\s!t ion  coii-luit  ri  dc^s  oons^^uencc^  et> 
eoi'e  plus  ridioLiles  «jUv'  la  sii[>jK)siîion  (jnc  tout  est  un.    '• 

Ainsi  Z(Mioii  pu'de  la  doi-trino  de  son  maître,  mais  il  la  pr '-^oriT*-. 
non  plus  coumi..'  fo:id'''0  sur  l'rtre,  î»i;ûs  cotiphc  Tondéo  sar  runi:;^ 
('e<iui  a  sans  duuie  fait  cr  «ire  (tue  tel  rtaît  le  sontinient  rjt^  Por- 
iHônide.  Do  plus,  an  li(Mi  d*;ippoi't<^r  do  nouveaux  aî^jraniLV^t'î  en 
laveur  d(^  l'unit  \  il  o>sava  (]r  dî'Mu.^ntror  riniDossi')!]!!;"  ni  H:"i!«..v- 
sinuode  la  pluialilô.  P(>in*0(d:\  il  otfr\  }no  la  d.iv!s:'>ilit/»  do  la  nia- 
llr-re  et  le  mf)uv'om(^nt. 

Si  la  matière  est  (liv:sil)]e,  lo^  p.ii-Uos  seront  ôlenduo^  ou  ii.^'or»- 
dues.  Etendues,   elles  s<MV)nt    encore  di\isiMes;    inZ-U'^ndu- >,  ]c':r 

rôunion  ne  pourra  j^as  C(^nstiiuor  rrteiîdue.  Ou  mieux  encore:  SI 
les  corps  sont  di\!sil'lo^,  leurs  parues  (\.»:vont  T-'-tre  aussi,  •.•ar  1-j 
toutne  saurait  .'tro  d'unoauM'o  na'U'*e<j:ie  lo^'- partie-^  e>:ii]i./v-^!Ȕ.=>. 
!\Iais  nliu's  ees  pariios  soiit  aus  i  d.lvi.^i'.l.^s  et  ainsi  ju^-in'à  T'uil::.. 
Donc  si  les  corps  sont  divisi])los  ils  stmt  tlivisi'Oos  àrinîî.ii.  Ts'a.-  >: 
(tette  division  s'opère,  les  parties  n'exi^'t  nd  plus.  Doiic  je  C'i.r^  "' 
manque  d'él/'rnents  comp  )sants.  Doncî  il  n'existe  pas. 

Le  mouvement  est  impos^^ililo  ])aree  que:  T'  pour  parcourir  ur. 
es[iace,  le  (•orps  en  mouvement  devrait  pareourir  une  inlluÎT'  do 
points  ;  2'*cenui  e.iirtie  plus  vite  ne  };eui  [ms  atteindre  e-»  qui  fi:::'^ 
1)1  us  lentement.  Achf'Ur  est  en  arriv''re  de  vinirt  pas  v^nr  lo  tr>rf-'\ 
et  il  lait  vingt  pas  tandis  que  la  tortue  en  fait  un;  mais  î>ontînii* 
qu'il  fait  ce  pas,  la  tortue  fait  un  vingtiOme  de  pas,  et  ainsi  do 
suite;  3'^  la  litVhe  qui  vole  ne  se  meut  pas  \h  oit  cUe  est  puisijuVlIc 
y  est  :  elle  ne  se  ment  pas  h\  où  elle  n'est  pas  :  elle  ne  se  meut  *\o':\c 
nulle  part,  et  son  mouvement  est  une  succession  do  repos.  -1**  denx 
corps  animv^s  de  la  niv^me  vitesse  en  sens  contraire,  dans  un  espace 
donné,  mais  partant,  l'un  du  milieu,  l'autre  de  rextrv>mit{5,  par- 
courront, dans  le  môme  temps  ot  en  employant  la  mOrae  vitesse, 
un  espace  doulde  l'un  do  l'autre. 

Absolument  parlant  ce  sont  \h  des  sophisme  assez  grossiers  :  mni? 


GRKCS.  —   KCOLE   ATOMISTIQUK  461 

Zenon  raisonnait  dans  riijpothèse  des  Ioniens  qui  posant  en  prin- 
cipe le  multiple  ne  pouvaient  démontrer  la  continuité  du  temps  ni 
i\o  Tespace.  D'ailleurs  il  ne  niait  pas  Tapparence  du"  mouvement; 
mais  il  niait  que  ce  changement  de  lieu  apparent  fut  une  réalité. 

Il  pensait  en  détruisant  ainsi  la  possibilité  du  mouvement  réel, 
détruire  on  même  temps  le  temps  et  Tespacc  réel  et  par  suite  la 
possibilité  môme  de  la  pluralité,  pour  ne  laisser  subsister  que 
Tunité  absolue. 

Cependant  Séné([ue  Taccuse  d'avoir  été  jusqu'à  nier  Tunité.  n  Si 
Parmen7<U  (credo),  nihil  est  prwtcr  union  ;  si  Zrnoni,  ne  irnuni 
quidem,  »  Mais  nous  croyons  cette  accusation  mal  fondée  ;  car 
Z<;non  n'est  pas  sceptique,  mais  panthéiste,  dans  tout  ce  qui  nous 
reste  de  lui, 

93.  Mclissus  de  Sanios.  —  Le  deruicr  représentant  de  l'Ecole 
cléatique,  Mélissus,  qîii  était  né  à  Samos,  et  y  enseignait  vers  450, 
fit  quehiues  chan^'O^icuts  h  la  doctrine  de  ses  maîtres. 

Il  admet  le  temps  et  rvspacc,  que  Zenon  :u'aiL  niés,  et  leur  at- 
tribue l'Ctrc  et  Tinllni.  Il  croit  que  r(Mro  a^^':olu  est  éleudu  comme 
rcs[)aco  et  dure  comme  le  temps.  Par  suite  il  n'j'  a  pas  de  vide,  et 
le  mouvemoiit  est  impossible.  i\)urtaiit  cet  être  étendu  n'est  pas 
divisible;  et  la  matière  qui  est  multiple  et  variable  n'existe  pas. 

01.  Caractère  de  cette  écoie.  —  Acniie  après  l'école  métaphy* 
sicienne  d'Elôe,  l'Eccle  atomisti([ne  se  donna  pour  mission  de  la 
combattre.  C'est  comme  une  protestation  dos  sons  contre  les  pré- 
tendues conclusions  de  la  raison  i)ure.  Les  Kiéates  avaient  nié  la 
matière,  en  niant  la  divisibilité,  le  mouvement  et  le  vide  ou  l'es- 
pace ;  les  Atornistes  affirmèrent  le  vide  comme  nécessaire  au  mou- 
vement et  posèrent  en  principe  les  particules  étendues  (|ui  composent 
les  corps,  et  les  appelèrent  atomes  ;  mais  fi  leur  tour  ils  nièrent 
l'unité  et  surtout  l'être  absolu,  Dieu,  que  les  Eiéates  avaient  af- 
firmé à  l'excluçion  de  tout  autre  être.  Et  s'il  est  probable  que, 
vaincus  par  le  timoignage  des  sens,  les  Eiéates  avaient  fini  par 
douter  de  leur  doctrine  et  pencher  vers  le  scepticisme,  il  est  certain 


462  HISTOIRE  DE   LA   PHILOSOPHIE 

que  les  Atomistes,  qui  d'abord  avaient  élevé  leurs  théories  snrla 
seuls  témoignages  des  sens,  ne  purent  résister  aux  protestatioiaè 
la  raison  et  doutèrent  de  leur  science  au  point  de  dire  que  ■  b»« 
sommes  incapables  de  savoir  si  nous  savons  quelque  chose,  m  a 
nous  ne  savons  rien  ;  s'il  existe  quelque  chose,  ou  s'il  n'existe  rwor. 
et  l'un  des  représentants  do  cette  école  eut  pour  disciple  Pynta 
le  fondateur  de  l'Ecole  du  scepticisme. 

Ainsi  doit  finir  toute  recherche  philosophique  qui  se  sépare  de  h 
tradition  commune  du  genre  humain  et  qui  n'accepte  pas  simaltar 
némont  l'autorité  do  toutes  les  facultés  humaines. 

05.  Leucippe.  —  On  ne  sait  rien  de  bien  précis  sur  le  lien  ni 
sur  la  date  de  la  naissance  de  Leucippe,  que  tous  les  ancien?  oui 
considéré  comme  le  chef  de  l'Ecole  atomistique.  Quelques-uas  k 
font  naître  à  Milet,  d'autres  à  Abdèrc,  colonie  grecque  de  la  Thrac«, 
et  il  a  dû  naître  avant  Tan  500. 

Pour  mieux  répondre  aux  doctrines  de  l'Ecole  éléatiqae^  d^' 
montre  d'abord  l'existence  du  vide,  comme  nécessaire  au  mouTe- 
ment.  Il  établit  ensuite  que  la  matière  est  divisible,  en  s'appnjâfit 
sur  le  témoignage  des  sens,  mais  cette  divisibilité  a  un  terme  (*û il 
reste  les  atomes^  étendus  mais  indivisibles.  Ces  atomes  en  noiaïs^ 
infini,  se  meuvent  dans  le  vide  infini.  Ils  ont  comme  propriétés  es- 
sentielles: la  solidité,  la  figure  et  le  mouvement;  leur  solidité  «^ 
indestructible;  leurs  formes  sont  variables  ;  leur  mouvement  e«t 
essentiel,  mais  il  n'est  pas  le  môme  pour  tous. 

L'âme  est  un  composé  d'atomes  de  feu,  et  la  vie  n'est  quelefifl^ 
et  le  reflux  de  ces  mômes  atomes,  tour  à  tour  aspirés  par  les  éti« 
vivants. 

Là  s'arrête  ce  qui  est  certainement  de  Leucippe  dans  les  thtWs 
atomistiques.  Tout  le  reste  paraît  devoir  être  attribué  à  Démocnte. 

Si  Leucippe  a  écrit  quelques  ouvrages,  il  ne  nous  en  reste  nés- 
mais  Aristote,  Diogône-Laérce  et  les  autres  anciens  le  nomiD^** 
toujours  à  côté  de  Dômocrite,  quand  ils  exposent  les  doctrines  ÇB* 
nous  venons  de  résumer. 

96 .  Démocrite.  —  La  date  de  la  naissance  de  pémocrite  n^ 
pas  plus  précise  que  celle  de  son  maître.  On  la  fixe  à  460,  à4'W' 
et  môme  à  494.  Mais  il  est  certain  qu'il  naquit  à  Ahàère.  ^ 


GRECS  —  ÉCOLE    ATOMISTIQUE  463 

raconte  que  Xerxès,  retournant  en  Perse,  s'arrêta  chez  son  père, 
et  en  reconnaissance  lui  laissa  des  mages  pour  instruire  le  jeune 
Démocrite.  Ce  fait  aurait  eu  lieu  vers  480.  On  tient  d'ailleurs 
pour  certain  que  Démocrite  puisa  ses  doctrines  dans  TOrient. 
Plusieurs  ont  affirmé  qu'il  visita  l'Inde ,  la  Chaldée,  Ja  Perse, 
l'Ethiopie,  l'Egjpte  et  la  Grande-Grèce.  Il  seraft  aussi  venu  à 
Athènes,  où  il  aurait  entendu  Anaxagore  et  Socrate.  On  ajoute 
enfin  qu'aj^ant  dépensé  toute  sa  fortune  dans  ces  voyages,  il  lut  en 
assemblée  publique  à  Abdôre,  pour  éviter  la  loi  contre  les  dissipa- 
teurs,  son  ouvrage  intitulé  Méya;   Stàxoo-jjLo;,  et  que  ses  con- 
citoyens lui  donnèrent  500  talents  (d'autres  disent  50).  On  dit  qu'il 
vécut  104  ou  108,  ou  mémo  100  ans.   Diodore  ne  lui  en  attribue 
que  90. 

Instruit  de  tout  ce  que  l'on  savait  de  son  temps,  et  développant 
par  ses  propres  recherches  les  connaissances  qu'on  lui  avait  ensei- 
gnées, il  fit  dos  études  sur  les  plantes  et  sur  les  animaux.  Selon 
Diogène  Laé'rce,  il  avait  écrit  plus  de  72  ouvrages  sur  toutes  les 
matières.  11  ne  nous  en  reste  que  quelques  lambeaux. 

Démocrite  adopte  toutes  les  théories  de  son  maître  Leucippe,  et 
s'efforce  de  les  démontrer  et  de  les  développer. 

Et  d'abord,  il  y  a  du  vide  :  1°  parce  qu'il  y  a  du  mouvement  ; 
2°  un  sac  de  cendres ,  par  exemple,  peut  toujours  recevoir  une 
certaine  quantité  d'eau,  sans  augmenter  de  volume;  3**  une  outre 
de  vin  peut  être  comprimée  ;  4®  la  nutrition  introduit  dans  les 
corps  des  substances  nouvelles,  sans  qu'ils  augmentent  de  volume. 
Tout  cela  suppose  que  les  corps  sont  composés  de  parties  distinctes, 
et  qu'entre  ces  parties  il  y  a  du  vide. 

En  second  lieu  :  divisez  un  corps  autant  que  vous  le  voudrez  ; 
il  en  reste  quelque  chose,  ou  il  ne  reste  rien.  S'il  ne  reste  rien,  le 
corps  se  composait  de  rien,  ce  qui  est  absurde  ;  s'il  reste  quelque 
chose,  les  parties  qui  demeurent  sont  étendues  ou  inétendues.  Si 
ces  parties  sont  inôtendues ,  dès  néants  d'étendue  forment  une 
étendue,  ce  qui  est  absurde  ;  si  elles  sont  encore  étendues,  la  divi- 
sibilité a  une  limite.  Donc,  il  faut  admettre  en  principe  les  atomes 
et  le  vide  (la  matière  et  l'espace). 

Le  vide  est  infini.  Les  atomes  sont  en  nombre  infini,  et,  de  plus, 
ils  sont  éternels  ;  car  rien  ne  sort  du  tiéauty  rien  n'y  retourne. 


464  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

I)6mocrito  est  le  premier  <iui  ait  affirmé  si  caté*»'oriqnerneni  Y\m- 
possibilité  de  la  création.  Jusqu'ici  nous  n'avions  vu  que  des  tes- 
danccs  à  la  nier  ou  à  ea  fausser  le  sens ,  taudis  que  plusieurs 
Tadmettaieut  implicitoment.  Désormais  nous  n'en  trouverons  pic? 
(jiie  des  traces  bien  obscures,  au  milieu  de  Taffirmation  générale ik 
rùternitc  de  la  matière,  si  ce  n'est  dans  les  systèmes  idéaliste?, 
jusi^u'à  Tapparitiou  de  la  philosophie  chrétienne. 

Los  atomes  sont  invisibles,  la  raison  seule  les  conçoit.  Lear 
nature  est  la  mémo;  ils  no  varient  (jue  dans  leurs  formes,  et  seî-i:. 
Déiiiocrite,"  c'en  leur  forme  qui  détormiae  rintcnsitô  ot  poat-étre 
la  direction  do  leur  mouvement. 

.  I>*ailleui*s   le  moiivouio:it  en  g ''lierai   n'est   pas    essentiel  aui 

î) tomes;  immobiles  de  h'iir  nature,  ils  sont  éteriiellomeni  en  niao- 

vemont;   Déiuocriti^  non  rci'herohe  pas  la  cause.  Le  mouvemeiît 

•  est   rcctili.irue,  os*;illutoii'o  ou  ciroulaire.  Ca  dernier    est  .le  plQ^ 

parfait. 

Par  les  cîi'ets  de  ces  mouvL'mciits  divers,  les  atomes  se  I^env^Ja- 
trent  et  s'atiacli«Mit  ensemble  ou  s'éloii^nioat.  Aiii^i  iiais-ioaî  et 
périssent  tous  les  corps,  (.''ust  ainsi  que  la  tcu're  s'est  formje  pai 
des  additions  successives.  Démoci'ite  croit  qu'elle  a  la  forme  d'un 
cylindre  creux  par  en  l):\.^v 

Déniocrite  essaye  (rox[»iLquor  par  la  i^\V)Sseu:*  ot  la  foi'me  dc6 
atomes  toutes  les  prv.prijf's  des  coi'ps.  Il  croit  y  réussir  pour  tout 
ce  qui  *est  analo.rue  aux  ipiali'AS  ta:\4"ibles;  mais  ne  pjuvant 
expliquer  ainsi  sclui  lui,  le  cliau»!  et  le  froid,  les  couleurs  et  le? 
saveurs,  il  preal  le  parti  de  les  nier,  et  dit  que  ce  sont  des  Lli^^ioui. 

L'âme  est  un  c  )mp.)sj  d'atomes  de  feu,  roads  et  subtils,  qui 
péiiètreiit  dan.^  tmiies  les  parties  du  co/ps  et  lai  donnent  la  eluUtfur 
"et  la  vie.  Il  y  ea  a  de  seuiblables  dans  les  plaiites,  les  animaux  et 
dans  tout  l'univers  Ils  sont  l'àme  du  mjnde.  La  respiration  les 
renouvelle;  ceux  ([ui  entrent  arrêtent  la  sortie  des  autres,  ei 
quand  cet  é(|uilibre  est  rompu,  ces  atomes  s'éjhappeat,  et  rotrc. 
l'animal  meurt.  L'c\me  est  donc  mortelle  comme  le  corps. 

La  pensée  elle-même  n'a  pas  d'autre  cause  que  ce  flux  et  co 
rellux  des  mêmes  atomes  ;  seulement  les  atomes  de  la  pensée  habi- 
tent la  poitrine,  tandis  ({ue  ceux  de  la  vie  habitent  le  reste  du 


GRECS  —  ÉCOLE   ATOMISTIQUE  466 

orps.  La  pensée  n'est  d'ailleurs  qu'une  sensation  causée  par  le 
hoches  atomes  que  tous  les  corps  projettent  de  leur  surface.  Ces 
tomes  sont  les  images  (cî&oXa)  des  corps  d'où  ils  viennent,  et 
tteignent  Tâme  par  les  canaux  des  sens.  Les  oreilles  et  les  yeux 
le  reçoivent  que  des  atomes  d'air;  les  autres  sens  reçoivent  les 
.toxnes  des  corps  eux  «-mômes.  Démocrite  essaye  ici  d^expUquer  ce 
[u' ailleurs  il  a  refusé  de  reconnaître.  Les  atomes  ronds  (plus 
igi tés)  donnent  le  chaud;  les  raboteux  donnent  à  Fœil  le  noir, 
andiâ  que  les  polis  lui  donnent  le  blanc. 

A  la  an  Démocrite  dut  reconnaître  Tincertitude  des  images 
<ransmises  par  ces  moyens,  et  par  suite  Tincertitude  des  qualités 
les  corps.  D'un  autre  côté,  le  vide  et  les  atomes  ne  sont  pas  perçus 
par  les  sens,  mais,  selon  lui,  par  la  raison.  Or  la  raison,  dans 
3on  système,  est  sans  fondement.  Ses  adversaires  ne  durent  pas 
mauquer  de  le  presser  sur  ce  point,  et  c'est  probablement  alors 
qu'il  prononça,  au  témoignage  de  Diogône  Laerce,  cette  parole  de 
découragement  :  «  Il  n'y  a  rien  de  vrai  ;  ou,  s'il  y  a  du  vrai,  nous 
ne  le  connaissons  pas.  y>  Nous  verrons  son  disciple  immédiat 
tomber  dans  le  même  doute,  et  tous  les  sceptiques  reconnaître 
Démocrite  pour  leur  maître. 

Peut-être  Démocrite  en  étaitril  déjà  là  ,  quand  il  se  fit  sa 
théorie  morale,  qui  prescrit  l'indifférence.  Du  reste  il  ne  propose  à 
l'homme  qu'une  seule  fin,  c'est  le  bien-être,  et  ce  bien-être  ne  pou- 
vait être  guère  que  corporel  avec  ses  principes.  Mais  comme,  après 
tout,  cette  fin  n*est  pas  toigours  en  notre  pouvoir,  il  veut  que  l'on 
ne  se  passionne  pour  rien,  que  Ton  vive  sans  crainte  comme  sans 
espérance,  c'est  ce  qu'il  appelle  l'égalité  d'humeur  (euôuptfa). 

—  Il  est  évident  que  les  principes  de  Démocrite  ne  laissent  pas 
même  soupçonner  Faction  de  Dieu,  et  par  suite  ne  supposent  pas 
son  existence.  Mais  il  fallait  bien  dire  quelque  chose  de  cet  être 
que  le  genre  humain  adore,  et  dont  tous  les  philosophes  avaient 
parlé.  D*un  autre  côté  toute  idée  venant  des  sens  et  du  flux  des 
atomes  des  corps,  il  fallait  trouver  aussi  à  l'idée  de  Dieu  une  origine 
corporelle.  Il  suppose  donc  que  d'énormes  aggrégats  d'atomes, 
ayant  la  forme  humaine,  voltigent  autour  de  la  terre,  plus  dura- 
bles que  nous,  mais  destinés  aussi  à  se  décomposer.  Ils  nous  appa« 
jjaissent  en  songe,  et  nous  font  du  bien  ou  du  mal^  selon  leurcarae- 

30 


1 


400  HISTOIRE   DE   LA    1' H  IL  OS  OPIl  lE 

tdre  bon  ou  mauvais.  Telle  est  selon  Démocriie  l'origine  de  Tidie 
de  Dieu  qui  jointe  à  la  terreur  a  enfanté  les  religions. 

{^.  Métrodore  de  Chio.  —  Métrodore,  qui  a  du  vivre  esot 
Tan  420  et  Tan  337,  était  disciple  de  Démoerite.  11  fut  le  maint 
(rAnaxarque,  lequel  fut  le  maître  de  Pjrrhon. 

Il  penche  plus  nettement  que  son  maître  vers  le  sceptici^se. 
Diogène-Laérce  lui  fait  dire:  «  Je  ne  sais  pas  môme  si  je  ne  saii 
rien»;  et  Cicéron  cite  de  lui  une  parole  Hemblable,  en  ces  termes: 
((  Nous  ne  pouvons  pas  savoir  si  nous  savons  quelque  chose  ob  a 
nous  ne  savons  rien,  pas  môme  ce  que  c*est  que  savoir  ou  ne  saroir 
pas,  ni  s'il  existe  quelque  chose  ou  s*il  n'existe  rien.  » 

98.  Anaxarque  d' Abdère.  —  Anaxarque,  qui  fut  Tarn!  d'A- 
lexandre vivait  donc  pendant  le  2*  et  le  3*  quart  du  IV*  siècle.  D 
était  disciple  de  Métrodore  et  peut-être  de  Démoerite.  Il  ne  paraît 
pas  s'être  occupé  de  faire  avancer  ni  môme  de  propager  la  doctri^ 
de  ses  maîtres  ;  mais  il  la  mettait  si  bien  en  pratique  qu'il  fat  qsa- 
liûé  d^eudémoniste  (qui  a  le  génie  du  bonheur).  Cependant  il  fit, 
dit-on,  le  maître  d'Epicure. 

99.  Nausiphane  de  Téos.  —  D'abord  disciple  de  Pjirhoa, 
Nausiphane  embrassa  plus  tard  la  doctrine  de  Démoerite^  et  fit 
l'un  des  maîtres  d'Epicure.  On  croit  qu'il  avait  écrit  quelques  ou- 
vrages, mais  il  ne  nous  en  reste  rien . 

§6.   LIS  SOPBISTIS 

100.  Caractère  général.  —  Les  sophistes  ne  forment  pas,  I 
proprement  parler,  une  école  ;  car  ils  n'ont  pas  de  doctiûne  à  sœ- 
tenir.  Cependant  une  môme  pensée  les  inspire  :  c'est  l'incertitaik 
des  connaissances  humaines  et  notamment  de  tentes  les  théorie! 
professées  jusque  là  par  les  philosophes.  De  là  ils  concluent  que 
l'étude  est  inutile  ;  que  ce  qui  paraît  vrai,  peut  teut  aussi  bien  par 
raître  faux,  selon  la  manière  de  l'exprimer  ;  qu'enfin  l'art  de  parier 
est  teut.  Quelques-uns  vont  plus  loin  et  doutent  en  effet  des  donnôes 
des  sens  aussi  bien  que  de  celles  de  la  raison  ;  ils  croient  que  fe 
monde  entier  est  l'œuvre  de  l'imagination,  et  n'a  point  de  réalité 
en  dehors  de  notre  esprit.  A  plus  forte  raison  doutent-ils  de  Dieu. 


GRECS  —  LKS  SOPHISTES  467 

Le  nom  de  sophistes,  qu'on  leur  donne,  désigne,  dans  son  sens 
premier,  des  hommes  qui  font  profession  de  sagesse  ou  de  sciéhce, 
qui  se  donnent  pour  sages  ou  pour  savants.  Aujourd'hui  il  désigne 
ceux  qui  abusent  de  Tapparence  de  la  science  pour  arriver  à  leur 
but,  en  trompant.  Et  les  hommes  dont  il  est  question  ici  semblent 
D*avoir  en  d'antre  but  que  celui  de  se  faire  valoir  pour  acquérir  la 
gloire  et  la  richesse.  Aussi  y  a-t-il  lieu  de  croire  que  les  théories 
sceptiques  que  nous  avons  d*eux  ne  sont  pas  celles  qu'ils  donnaient 
au  peuple,  mais  bien  lé  secret  de  leur  industrie,  qu'ils  ne  confiaient 
qa*ft  leurs  disciples,  à  prix  d'argent. 

Il  faut  cependant  reconnaître  que  bien  souvent,  même  dans  leurs 
plus  grands  écarts  hors  de  la  vérité,  ils  paraissent  être  de  bonne 
foi.  C'est  que  l'utile  recherché  pour  lui-môme,  finit  par  se  présenter 
ft  l'espiît  sous  les  dehors  du  bien,  et  trompe  le  jugement. 

Mais  leurs  contemporains  ne  semblent  pas  avoir  pris  au  sérieux 
leur  scepticisme;  ils  les  ont  considérés  comme  des  discoureurs  sub- 
tils et  habiles,  et  c'est  comme  tels  qu'ils  les  ont  combattus,  sans  se 
croire  obligés  de  soutenir  par  des  arguments  la  ceilitude  attaquée. 
En  effet  nous  voyons  Socrate  et  Platon  défendre  les  vérités  parti- 
ouliôres  combattues  par  les  sophistes  ;  mais  jamais  le  principe  gé- 
néral de  la  certitude  de  nos  connaissances. 

101.  Gorgias.  —  Gorgias,  né  à  Léontium,  en  Sicile,  vers  l'an 
485,  n'est  peut-être  pas  le  plus  ancien  des  sophistes,  car  quelques 
auteurs  le  disent  disciple  de  Prodicus  ;  mais  il  paraît  avoir  été  le 
plus  important  ou  le  plus  renommé.  Envoyé  par  les  Léontins  ft 
Athènes,  pour  obtenir  du  secours  contre  Syracuse,  il  parla  si  bien, 
que  non  seulement  on  lui  accorda  ce  qu'il  demandait,  mais  môme 
on  le  retint  à  Athènes  pour  y  enseigner  la  rhétorique.  On  croit  qu'il 
vécut  107  ans. 

Platon,  dans  son  dialogue  intitulé  Oorgias^  nous  donne  une 
idée  des  principes  littéraires  et  moraux  de  ce  sophiste.  Mais  c'est 
dans  Aristoteet  dans  Sextus  Empiricus  qu'il  faut  chercher  sa  théo- 
rie sceptique,  au  moyen  des  fragments  cités  de  son  livre  Du  Non' 
Etre  ou  de  la  Nature. 

YRienn*eanste,  En  effet,  si  quelque  chose  existe,  c'est  Vêtre 
ou  le  nonrétre^  ou  l'un  est  l'autre  k  la  fois.  —  Or  le  non-être  n'est 


^  I 


468  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

pas  :  donc  dire  qu'il  n*existe  que  le  nou-étre,  c*est  dire  qnil 
n'existe  rien.  —  L'être  est  ou  aVec  ou  sans  commencement.  Sani 
commencement  il  est  éternel  et  infini.  Or  Pinfini  ne  peut^trt 
contenu  dans  rien.  Donc  il  n'est  nulle  part.  Avec  un  commence- 
ment Tétre  viendrait  du  néant,  qui  ne  peut  donner  ce  qu'il  n  a  pas. 
—  Enfin  Tètre  et  le  non-ôtre  s'excluent  Tun  l'autre  et  ne  peuvent 
exister  simultanément. 

2^  Si  quelque  chose  ea^iste  nous  ne  pouvons  le  co^inaHre. 
Car,  pour  connaître  un  objet,  Tesprit  devrait  s'identifier  à  lui.  Et  si 
cela  était,  nous  ne  pourrions  penser  à  ce  qui  n'est  pas.  D'aillears 
les  diverses  opinions  des  hommes  sur  un  môme  objet  prouvent  bieo 
qu'aucun  d'eux  ne  connaît  bien  cet  objet. 

3^  Si  nous  connaissons  quelque  chose,  nous  "ne  pouvons 
V exprimer  par  la  ])arole.  Car  la  parole  ne  donne  à  l'oreille  que 
des  sons,  et  ces  .sons  aifi'èrent  et  de  la  pensée  et  de  son  objet.  Donc 
ils  ne  peuvent  transmettre  ni  la  pensée  ni  Tobjet. 

En  morale,  Gk>rgias  disait  que  la  distinction  du  bien  et  du  ma), 
n'est  qu'une  affaire  de  coutume  ou  de  loi,  et  n'est  pas  fondée  sur  la 
Nature. 

En  politique  il  admettait  le  droit  du  plus  fort,  et  disait  que  le 
plus  fort  doit  mépriser  les  lois,  qui  ne  sont  que  des  liens  inventée 
par  les  faibles. 

C'est  du  moins  Ifi  ce  que  Platon  lui  prôte  dans  son  Corgias, 
Mais  Gorgias  lui-môme  semble  avoir  protesté  contre  cette  impu- 
tation, lorsciue,  s' et  tint  fait  lire,  à  Tâg-e  de  100  ans,  ce  dialogue,  iJ 
dit  :  «  Ce  jeune  homme  remplacera  bientôt  avec  honneur  le  poète 
Archiloque  ». 

Dans  ce  même  dialogue,  Platon  nous  montre  Gorgias  comme  an 
homme  qui  faisait  profession  de  répondre  à  toutes  les  question 
qu*on  pouvait  lui  poser,  et  cela  sans  avoir  étudié  les  questions 
mais  seulement  par  les  procédés  de  la  rhétorique,  au  mojen  de 
laquelle  il  se  chargeait  aussi  de  faire  échouer  la  meilleure  eaose  et 
de  faire  triompher  la  plus  mauvaise.  Cette  double  prétention  loi 
est  commune  avec  la  plupart  des  autres  sophistes. 

102.  Protegoras.  —  Né  à  Abdère,  on  ne  sait  au  justeen  qoeDe 
année,  Protagoraa,  était  dani  la  fotoe  de  l'âge,  dit  Diogéoe,  Tab 


ORBCS.  —  LES  SOPHISTES  469 

• 

444.  Il  était  portefaix,  et  rhabileté  avec  laquelle  il  avait  disposé 
son  fardeau ,  un  jour  que  Démocrite  le  rencontra,  engagea  celui-ci 
h  le  prendre  pour  son  disciple.  Devenu  maître  à  son  tour,  il  ouvrit 
nne  école  de  mv^ique,  c'est-à-dire  de  rhétorique,  de  poétique,  de 
mammaire  et  de  philosophie .  Il  enseigna  d*abord  &  Abdère,  puis  à 
Athènes  et  dans  d'autres  villes  de  la  Grèce.  Il  faisait  payer  cher 
ses  leçons,  et  compta  Périclès  parmi  ses  admirateurs.  Mais  son 
traité  sur  les  dieux,  lu  en  public,  lui  valut  une  condamnation.  Ses 
livres  furent  brûlés,  et  lui-même  exilé  s'en  alla  en  Sicile  et  périt 
dans  la  traversée. 

U  avait  écrit  plusieurs  ouvrages  dont  nous  n'avons  que  les  titres 
et  quelques  rares  citations.  Platon  expose  et  combat  sa  doctrine 
dans  le  Thééiète  et  dans  le  Protagoras.  Aristote,  Diogône  Laêrce 
et  Cicéron,  lui  attribuent  les  mômes  théories. 

«  L'homme,  dit  Protagoras,  est  la  mesure  de  toutes  choses  :  de 
celles  qui  sont,  en  tant  qu'elles  sont  ;  de  celles  qui  ne  sont  pas,  en 
tant  qu'elles  ne  sont  pas.  »  C'est  dire  que  les  choses  n'ont  d'autre 
existence  que  celle  que  nous  leur  donnons  par  la  pensée.  Platon  et 
Aristote  observent  avec  raison  que,  selon  ce  principe,  il  n'y  a  ni 
vrai  ni  faux,  ni  bien  ni  mal. 

Cette  théorie  vient  du  principe  admis  dôj^  par  Démocrite,  que  la 
science  n'est  que  la  sensation .  Car  la  sensation  est  toujours  pré- 
sente et  particulière,  et  déplus  varie  avec  chaque  homme,  et  pour 
chaque  homme  même,  avec  chaque  moment. 

Avec  de  tels  principes  sur  la  vérité'  et  sur  la  morale,  il  n'est  pas 
étonnant  que  Protogaras  ait  dit  :  «  Au  sujet  des  dieux,  je  ne  puis 
savoir  s'ils  sont  ou  s'ils  ne  sont  pas.  » 

Protagoras  tire  donc  les  conséquences  des  principes  sensualistes 
de  son  maître  Démocrite,  et  se  montre  nettement  sceptique.  Mais 
il  paraît  par  quelques  pensées  contraires  citées  par  Platon,  par  ses 
travaux  sur  la  rhétorique,  et  surtout  par  le  but  de  ces  travaux,  que 
toutes 'ces  théories  n'étaient  pour  lui  qu'une  sorte  de  lieu  commun 
oratoire,  un  moven  de  soutenir  toutes  les  causes  ou  de  les  renverser 
toutes.  En  voici  un  exemple  :  Un  jour  qu'il  réclamait  à  Evathlus, 
sont  disciple  les  honoraires  de  ses  leçons,  celui-ci  lui  dit  :  «  Si  je 
prouve  au  juge  que  je  ne  te  dois  rien,  tu  n'auras  rien,  parce  que 
j'aurai  gagné  ma  cause.  Si,  au  contraire,  je  ne  puis  le  prouver,  je 


470  HISTOIRE  DE  LA  PHIL080PHIB 

ne  te  devrai  rien,  parce  que  tu  n^  m'auras  pas  renda  c^alilaè 
gagner  une  cause.  « 

—  «Au  contraire,  répondit  Protagoras,  si  tu  persuades  Is 
juges,  je  t*aurai  bien  instruit,  et  tu  me  devras  le  prix  de  ms 
leçons,  et  si  tu  ne  les  persuades  pas,  tu  seras  condamné  et  obligé 
me  payer.  » 

103.  Diagoras  de  Hélos. —  Diagoras,  affranchi  par  Démocrite 

et  devenu  son  disciple,  n'est  connu  que  par  son  athéisme.  Il  éuùi 
d'abord  très  religieux  et  superstitieux,  mais  ayant  été  Tictimed^ta 
paigure,  il  s'en  prit  aux  dieux  et  commença  à  mépriser  le  cslfe 
qu'on  leur  rendait.  Un  jour  môme  il  contrefit  par  dérision  les  mp- 
tères  d'Eleusis.  Il  fut  accusé  d'impiété  et  de  profanation,  et  prith 
fuite.  Un  décret  fut  rendu  aussitôt  qui  mettait  sa  tète  à  prix.  C'éiah 
eritre  l'an  416  et  l'an  412.  11  mourut  à  Corinthe;  d*autres  diseat 
dans  un  naufrage. 

Cicéron  dit  (De  Nat.Deor,  1,  1);  Nullos  esse  otnmn^  d<^ 
Diagoras  Meltusputavit.  Mais  Diagoras  ne  paraît  pas  avoir ékvé 
sa  négation  à  la  hauteur  d'une  théorie:  nous  n'y  voyons  qu'un  efe^ 
de  la  colère,  et  dans  tous  les  cas,  nous  ignorons  les  misons  qell 
pouvait  donner  de  son  athéisme,  qui,  si  nous  en  croyons  une  antre 
parole  de  lui,  se  réduisait  à  nier  la  Providence  des  divinités  recca- 
nues  par  la  Grèce.  Un  jour  qu'on  lui  donnait  comme  preuve  de  h 
Providence,  le  grand  nombre  d'offrandes  faites  aux  dieux  Gabiïtf 
de  Samothrace ,  par  les  navigateurs  échappés  au  naufrage,  il  Té- 
pondit:  «  Que  serait-ce,  si  tous  ceux  qui  ont  péri  avaient  pu  appci^ 
ter  les  leurs  ?  »    . 

104.  Prodicus  de  Oeos.  —  Prodicus,  né  à  Iulis,  dans  l'île  éè 
Céos,  l'une  des  Oyclades,  vint  &  Athènes  en  4dO,  envoyé  par  s» 
concitoyens.  Habile  diseur,  il  enseigna  son  art  et  se  fit  de  cet  en- 
seignement une  source  de  fortune.  Il  donnait  des  leçons  à  toutpnit 
mais  selon  les  prix.  11  dépensait  ses  richesses  avec  la  même  facilité 
qu'il  avait  &  les  acquérir,  et  livré  au  vice,  il  déclamait  en  faveo? 
de  la  vertu.  Xénophon  met  dans  la  bouche  de  Socrate  son  fameax 
apologue  d'Hercule  en  présence  des  deux  routes . 

c  Hercule»  à  peine  sorti  de  l'enfance,  arrivait  à  cet  âge  où  les  jenaes 
gens,  déjà  maître  d%ux-mêmes,  laissent  voir  s'ils  entreront  dans  ia  \n 


w 


GRECS. —  LES  SOPHISTES  471 

^par  le  chemin  de  la  vertu  ou  par  celui  du  vice;  il  se  retira  dans  la  so- 
litude et  s'y  reposa,  indécis  sur  la  route  qu'il  allait  choisir.  Deux  femmes 
•d'une  taille  extraordinaire  se  présentèrent  à  ses  yeux.  — ^  L'une  se  fai- 
sait remarquer  par  sa  décence  et  sa  noblesse  ;  son  corps  était  beau  de 
pureté;  ses  yeux,  de  pudeur;  sa  tenue,  modeste;  elle  portait  une  robe 
blanche.  L'autre  avait  de  l'embonpoint  et  de  la  mollesse,  elle  était  ornée 
de  fard  pour  se  donner  des  couleurs  blanches  et  vermeilles,  et  tâchait  par 
son  maintien  d'ajouter  à  la  hauteur  de  sa  taille,  ses  yeux  étaient  ouverts; 
sa  parure,  étudiée  pour  faire  briller  ses  charmes;  elle  se  contemplait 
sans  cesse,  observait  si  on  la  regardait,  et  tournait  souvent  la  tète  pour 
voir  son  ombre.  Elles  s'approchèrent  ensemble  ;  mais  tandis  que  la  pre- 
mière conservait  la  même  démarche,  l'autre  voulant  la  prévenir,  courut 
vers  le  jeune  homme  et  lui  dit:  a  Je  le  vois.  Hercule,    tu  hésites  sur  la 

<  route  que  tu  dois  suivre:  si  tu  veux  me  prendre  pour  amie,  je  te  con- 
«  duirai  par  le  chemin  le  plus  heureux  et  le  plus  facile;  tu  goûteras  tous 
c  les  plaisirs  et  tu  vivras  çxempt  de  peines...  »  —  «  Femme,  quel  ost  ton 
c  nom  ?  dit  Hercule.  —  «  Mes  amis,  répondit-elle,  m'appellent  la  Féll- 
«  cité;  mes  ennemis  pour  m'outrager  me  nomment  la  Mollesse,  d  Alors 
l'antre  femme  s'avançant  :  «  Je  viens  aussi  vers  toi,  Hercule,  lui  dit-elle. 
«  je  connais  ceux  qul't'ont  donné  le  jour,  et  dès  ton  enfance  j'ai  pénétré 
a  ton  caractère.  J'espère  si  tu  prends  la  route  qui  mène  vers  moi,  que  tu 
«  feras  un  jour  de  belles  et  glorieuses  actions,  et  que  j'acqerrai  par  toi, 
«  auprès  des  hommes  vertueux,  plus  d'honneur  et  de  considération.  Je 
a  ne  veux  point  te  tromper  par  des  promesses  de  plaisir,  mais  je  t'ex- 
a  pliquerai  les  choses  avec  vérité,  telles  que  les  dieux  les  ont  établies, 
c  Sans  le  travail  et  la  constance,  les  dieux  ne  donnent  rien  aux  hommes 
«  de  ce  qu'il  y  a  de  beau  et  d'honorable:  si  tu  veux  que  les  dieux  te 
«  soient  propices,  tu  dois  les  honorer;  si  tu  veux  que  tes  amis  te  ché- 
«  rissent,  tu  dois  être  leur  bienfaiteur,  si  tu  veux  qu'un  pays  t'honore, 
«  tii  dois  le  servir,...  »  La  Mollesse  reprit  alors:  a  Comprends-tu,  Her- 
«  cule,  combien  est  pénible  et  longue  la  route  que  cette  femme  te  trace 

<  pour  arriver  au  bonheur  ?  Mais  moi  c'est  par  un  chemin  facile  et  court 
a  que  je  te  conduirai  à  la  félicité.  »  —  «  Misérable,  lui  dit  la  vertu,  quels 
«  biens  possèdes-tu  donc  ?  quels  plaisirs  peux-tu  connaître,  toi  qui  ne 
«  veux  rien  faire  pour  les  acheter*?  tu  ne  laisses  pas  même  naître  le  désir: 
«  mais  rassasiée  de  tout  avant  d'avoir  rien  souhaité,  tu  mange?  avant 
«  la  faim,  tu  bois  avant  la  soif. ..  Ceux  qui  te  suivent  ont  une  jeunesse 
«  débile  et  une  vieillesse  insensée;  nourris  dans  l'oisiveté  et  florissants 
*  d'embonpoint  lorsqu'ils  étaient  jeunes,  maintenant  le  corps  amaigri, 
«  ils  traversent  une  laborieuse  vieillesse,  rougissant  de  ce  qu'ils  ont  fait. 


I 


La 


472  HISTOIRE  DB  LA   PHILOàOPHI 

c  accablés  de  ce  qu*lls  ont  à  faire,  iU  ont  volé  deplaisirH  ea  plaisinéxa 
c  le  premier  âge,  et  se  sont  réservé  les  peines  pour  le  dernier  temps  ^ 
c  leur  vie.  Moi*  au  contraire,  je  suis  avec  les  dieux,  je  suis  ai'ec  i£s 
t  hommes  vertueux...  Mes  amis  jouissent  avec  plaisir   et   sans  app?^ 
c  des  aliments  et  des  boissons,  car  ils  attendent  le  désir  pour  mangerfS 
f  pour  boire.  Le  sommeil  leur  est  plus  agréable  qu'à  ces  hommes  (»âB, 
c  ils  se  réveillent  sans  chagrin,  et  ne  sacrifient  pas  les  aiTaires  au  rqK& 
4  Les  jeunes  gens  sont  heureux  des  éloges  des  vieillards,  et  les  vieilUnh 
ff  reçoivent  avec  bonhnur  les  respects  de  ia  jeunesse. . .  Lorsqn'est  vesce 
ff  l'heure  marquée  par  le  destin,  ils  ne  restent  point  dans  la  tombe  oc- 
t  bliés  et  sans  honneur,  mais  le  souvenir   des  hommes    vertueux  iait 
«  fleurir  leur  mémoire  pendant  l'éternité.   Hercule,  fils  de  parents  ver- 
c  tueux,  c'est  par  de  tels  travaux  que  tu  peux  acquérir  le   suprèits 
c  bonheur.  »  C'est  à  peu  près  ainsi  que  Prodicus  raconte  la  leçon  dooi^ 
à  Hercule  parla  Vertu;  mats  il  ornait  ses  pensées  d'une  es  pression  pli£> 
noble  que  je  ne  le  fais  aujourd'hui.  »  {Entretiens  méinorcibles  de  5o- 
crate,  liv,  ii.  /;  traduction  de  M.  Sommer), 

Avec  une  si  belle  doctrine  morale,  Prodicus  passait  pour  un  sage, 
aux  yeux  de  la  multitude,  qui  Testimait  à  l'égal  de  Socrate.  Comms 
celui-ci  il  fut  condamné  à  boire  la  ciguë,  à  raison  de  son  athéisme. 
Mais  il  paraît  que  cette  accusation  était  plus  vraie  pour  ProdidS 
que  pour  Socrate,  car  il  disait  que  les  dieux  sont  une  conoepiiofi 
de  notre  reconnaissance,  qui  divinise  les  objets  qui  nous  sont  utiles. 

105.  Hippias  d'EIis.  —  Hippias,  né  à  Elis,  probablcmefil 
quelques  années  après  Socrate,  se  trouve  à  Athènes  en  436.  lï  fai- 
sait profession  de  tout  savoir  et  de  tout  enseigner  :  les  lettres,  Ses 
sciences  et  même  les  arts  manuels.  Plusieurs  fois  envoyé  en  am- 
bassade par  ses  concitoyens,  qui  croyaient  à  son  talent,  il  ne  réussi 
pas  toujours,  malgré  sa  rhétorique.  11  visait  à  la  gloire  et  non  movca 
à  la  richesse.  Il  avait  une  mémoire  très  facile  et  passe  pour  avoir 
inventé  la  mnémotechnie.  Il  a  beaucoup  écrit,  mais  il  ne  nous  es 
reste  que  quelques  citations.  Comme  les  autres  sophistes,  il  soute- 
nait le  pour  et  le  contre. 

106.  Thrasf  maque  de  Chalcédoine.  —  On  n'a  pas  de  donote 
précise  sur  la  date  de  sa  naissance  et  de  sa  mort.  Platon  le  fait 
converser  avec  Socrate,  dans  sa  Réptiblique^  et  lui  fait  dire  qad 
«  la  justice  n'est  que  l'intérêt  du  plus  fort  i»  et  que  «  le  bonheur  de 
rhomme  croit  en  proportion  de  sa  méchanceté  ». 


GRECS.  —  LES    SOPHISTES  473 

Eathydène  de  Ohios.  —  Nous  avons  un  dialogue  de  Platon 
qui  porte  le  nom  à'Euthydème,  Il  y  est  montré  comme  un  dispu- 
teur  subtil,  qui  ne  cherche  qu'à  contredire  toutes  les  affirmations, 
et  appuyé  ses  dénégations  sur  des  arguments  que  Platon  présente 
sous  des  couleurs  tout-à-fait  risibles. 

108.  Coup  d'œil  g^énéral  sur  cette  1*'  époque.  —  Jusqu*ici 
l'esprit  philosophique  s'est  à  peine  montré,  et  déjà  cependant  on  y 
voit  toutes  les  directions  qu'il  doit  prendre  plus  tard. 

On  y  voit  en  germe  les  deux  panthéismes,  l'un  matérialiste, 
l'autre  rationaliste^  et  môme  le  panthéisme  moderne  de  l'Ecole 
allemande,  la  .théorie  du  devenir.  On  y  voit  la  négation  de  la 
matière  y  aussi  bien  que  la  négation  de  V  esprit  ^  et  môme  la  né^ 
gation  de  Dieu.  On  y  trouve  la  théorie  atomique  de  la  matière  à 
côté  de  la  conception  de  la  matière  et  de  la  forme^  et  sans  en 
.  excepter  la  théorie  de  la  matière  illusion.  De  plus  toutes  les  for- 
mes des  théories  de  la  connaissance  s'y  dessinent  déjà  :  la  théorie 
sensualiste  et  empirique,  à  côté  de  la  théorie  exclusivement  ratio- 
naliste, en  môme  temps  que  celle  qui  reconnaît  à  la  fois  l'expérience 
et  la  raison  :  le  scepticisme  et  le  mysticisme  môme  n'y  sont  pas 
oubliés.  Bien  plus,  la  plupart  de  ces  systèmes  ont  déjà  donné  pres- 
que tout  ce  qu'ils  donneront  plus  tard. 

Nous  aimons  à  reconnaître  ce  fait,  avec  tous  les  historiens  de  la 
philosophie,  parce  que  si  nous  établissons  que  tous  ces  systèmes, 
considérés  chez  les  philosophes  de  cetto  première  époque  sont  bien 
moins  le  fruit  de  conceptions  raisonnées  que  des  corruptions  de  la 
tradition,  nos  conclusions  porteront  également  sur  les  époques  sui- 
vantes qui  se  sont  inspirées  des  doctrines  de  celle-ci  et  souvent  n'ont 
fait  que  les  reproduire. 

Or  tous  les  philosophes  de  l'Ecole  ionienne,  et  de  l'Ecole  italique, 
et  l'Ecole  éléatique  elle-môme,  aussi  bien  que  la  mythologie  grec- 
que, posent  comme  premier  principe  des  choses  le  chaos.  Qu'ils 
l'appellent  l'humide,  Vapeiron^  l'air  infini,  les  homéoméries^  le 
Sphériis,  le  mélange  do  la  monade  et  de  la  dyade  ou  autrement, 
c'est  toujours  ce  premier  jet  de  la  création  que  la  Bible  appelle  en 
hébreu  tohu  te  bohu.  Leçi  différents  noms  qu'il  prend  ne  sont  que 
les  effori.s  de  la  raison  pour  le  concevoir  et  ne  peuvent  faire  suppo- 


Ct 


474  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

ser  que  l'expérience  ni  la  raison  Talent  fait  découvrir,  lorsque  s 
présence  dans  tous  les  systèmes  montre  si  clairement  qne  c'est b 
tradition  qui  Ta  d'abord  affirmé.* 

L'idée  de  Dieu,  ordonnateur  du  monde,  au  moins,  pour  tons  ce 
hommes  qui  ne  pouvaient  se  résoudre  à  admettre  la  création,  se 
retrouve  aussi  plus  ou  moins  dans  tous  les  sjst^^mes,  aussi  bien  qi» 
dans  les  mystères.  Dieu  est  mieux  conçu  chez  les  sept  sages,  cha 
Empédocle  et  Xénophane,  peut  être  même  chez  Thalôs  et  Pjtha- 
gore,  et  confondu  avec  le  monde  chez  tous  les  autres  ;  mais  pa> 
tout  on  le  retrouve  affirmé  en  principe,  et  non  pas  démontré  par  fe 
raisonnement.  Peut-on  expliquer  ce  fait  autrement  que  park 
tradition  ? 

Et  que  dire  de  cette  doctrine  du  péché  originel,  qui  se  trooTi 
non  seulement  dans  les  mystères,  mais  encore  dans  Ehnpédocle  et 
dans  Pythagora?  Et  la  révélation  divine,  affirmée  dans  les  mystè- 
res, déclarée  indispensable  par  Empédocle  et  regardée  comme  con- 
tinuée dans  les  oracles,  auxquels  tout  le  monde  croyait? 

"Enfin  ces  quatre  éléments  (feu,  air,  eau,  terre),  que  tous  distis- 
guent  et  dont  ils  ne  cherchent  que  l'origine  ;  cet  ordre  de  formatitui 
de  choses,  où  le  soleil  et  les  autres  astres  viennent  toujours  apr?s 
le  feu;  cette  intervention  de  V amour  dans  la  disposition  des  êtres: 
et  jusqu'au  limon  de  la  terre,  qui  partout  est  la  matière  du  corps 
de  l'homme  aussi  bien  que  des  animaux  :  tout  cela  n'est-il  pas  éti- 
demment  traditionnel  ? 

Donc,  concluons-nous,  la  philosophie  grecque,  jusqu'ici,  n'a  ries 
inventé  pour  le  fond  ;  elle  s'est  évertuée  à  concevoir  à  sa  manière 
les  formes  seulement  des  choses  qu'elle  connaissait  déjà. 

Bien  loin  d'éclairer  les  hommes  et  de  leur  donner,  à  la  lumière  de 
la  raison,  des  notions  plus  pures  sur  Dieu  et  sur  l'âme,  sur  les  prîfi- 
cipes  du  monde  et  sur  ses  rapports  avec  Dieu,  elle  n'a  fait  qu'alté- 
rer davantage,  en  les  rendant  plus  vraisemblables,  les  grossièi^ 
traditions  des  peuples  ;  elle  les  a  éloignées  davantage  de  la  vérité, 
et  môme  a  effacé  peu-à-peu  ce  qui  restait  encore  des  vérités  reli- 
gieuses dans  les  souvenirs  des  hommes. 

Heureusement  Dieu  ne  permet  pas  que  ces  vérités  s'effaeaaî 
jamais  entièrement  de  la  conscience  du  genre  humain,  ni  même 

d'un  peuple.  Aussi  les  doctrines  que  nous  venons  de  passer  en  re- 


ORECS.    —   LES   GRANDES   ÉCOLES  475 

Tue  ne  portèrent  pas  tons  leurs  fruits,  et  les  hommes  qne  nous  al- 
lons voir  dans  l'époque  suivante,  puisant  aux  sources  antérieures, 
et  mus  d*ailleurs  par  une  raison  plus  droite,  recuilleront  dans  les 
mômes  ouvrages  que  nous  venons  d'analyser,  la  partie  la  plus  pure 
de  leurs  doctrines,  et  sans  s'affranchir  entièrement  de  l'erreur, 
s'élèveront  plus  haut  dans  les  saines  régions  de  la  vérité. 

C'est  cette  réaction,  ce  retour  au  bon  sens  et  aux  traditions  pri- 
mitives que  l'on  a  appelé  la  réforme  philosophique  de  Socrate.  Il  y 
a  réforme  en  eifet,  mais  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici,  nous  empê- 
chera d'en  faire  honneur  à  la  raison  humaine  toute  seule. 

Toutefois  nous  sommes  loin  de  méconnaître  la  part  de  la  raison 
dans  la  vraie  philosophie  que  nous  allons  rencontrer.  Si  la  raison 
n'y  était  pour  rien  ce  ne  serait  pas  de  la  philosophie  ;  si  môme  elle 
n'y  découvrait  rien  de  nouveau,  il  faudrait  restreindre  de  beaucoup 
le  rôle  que  la  philosophie  s'attribue  et  que  nous  lui  avons  reconnu; 
mais  nous  voulons  qu*il  soit  bien  établi  :  P  que  la  philosophie  vraie 
n'a  jamais  marché  absolument  seule,  en  dehors  des  données  four- 
nies parla  Tradition;  2'»  que  son  rôle,  n'est  pas  de  marcher  au 
hasard,  dans  les  ténèbres,  vers  n'importe  quel  but,  mais  bien  de 
trouver  une  route  à  elle  vers  le  but  connu,  de  trouver  la  démons- 
stration  rationnelle  des  vérités  que  le  genre  humain  a  toiyoui»s 
possédées,  et  de  partir  de  là  pour  creuser  plus  avant  dans  cette 
mine  inépuisable,  y  découvrir  des  vérités  cachées  jusque  là,  mais 
qui  dans  tous  les  cas  ne  peuvent  jamais  être  en  contradiction  avec 
les  premières.  ^ 

DEUXIÈME  ÉPOQUE 

LSS  GRANDES  ÉGOLES  GRECQUES 

109.  Division.  —  Nous  diviserons  cette  époque  en  dix  parties  : 

1**  Socrate,  qui  commence  la  réforme  philosophique  (430)  ; 

2®  Ses  disciples  immédiats,  qui  n'ont  pas  fondé  d'écoles  (400)  ; 
puis  les  petites  écoles  fondées  par  d'autres  disciples  de  Socrate, 
savoir  : 

3*  L'Ecole  cynique,  fondée  par  Antisihène  (400)  ; 

4**  L'Ecole  cyrénaîque,  fondée  par  Aristippe  (380) , 


476  HISTOIRE  DE  hk  PHILOSOPHIE 

5<*  L'Ecole  mégarique,  fondée  par  Euclide  (400);  ei  eoâill 
grandes  écoles,  qui  sont  : 
6«  L'Académie,  fondée  par  Platon  (380)  ; 
7"  Le  Lycée,  fondé  par  Aristote  (336)  ; 
8«  L'Ecole  de  Pyrrhon  (330)  ; 
9**  Le  Portique,  fondé  par  Zenon  (320)  ; 
10«  L'Ecole  d'Epicure  (315). 


9  1.  -  SIC&àTI 

110.  Sa  ▼!•.  —  Socrate,  fils  du  sculpteur  SophPonLgque  et  à 
la  sage-femme  Phénarète,  naquit  à  Athènes,  l'an  470.  Il W 
d'abord  sculpteur  comme  son  père.  Il  apprit  aussi  la  musiqiie,  h 
géométrie  et  les  autres  sciences  mathématiques,  y  compris  Tm^^ 
nomio  ;  mais  il  en  faisait  peu  de  cas .  Quant  &  la  philosophie,  3 
déclare  lui-môme  avoir  entendu  Prodicus,  et  il  paraît  bi«i  qï'S 
étudia,  au  moins  dans  leurs  livres,  les  doctrines  des  Ionien?,  d* 
Pythagoriciens  et  des  Eléates  ;  mais  il  ne  les  suivit  pas  servilfr 
ment  et  se  fit  une  doctrine  à  lui,  en  sorte  que  Xénophon  détlaw 
que  Socrate  fut  son  propre  maître  en  philosophie.  Nous  vcm«? 
bientôt  qu'il  ne  faut  pas  prendre  ce  jugement  dans  toute  s« 
étendue. 

Malgré  ce  qu'en  ont  pu  dire  d'autres  auteurs,  il  est  cerUii 
d'après  le  témoignage  de  Platon,  que  Socrate  ne  fit  aucun  totb? 
pour  s'instruire,  et  même  qu'il  ne  sortit  jamais  d'Athènes,  h«» 
n'est  une  fois  pour  aller  à  l'isthme  de  Corinthe. 

11  dédaignait  l'étude  des  corps  et  du  monde  en  général,  et  î« 
portait  tout  entier  vers  l'âme  humaine,  qu'il  étudiait  en  réfléchir 
sant  sur  lui-même  et  sur  les  autres.  Quoiqu'il  ait  parlé  souvenni* 
politique  et  d'administration,  et  qu'il  ait  donn^  sur  ces  matière 
d'excellents  conseils,  il  ne  se  croyait  pas  capable  d'admin^^^f^ 
lui-môme.  Il  sut  cependant  se  dévouer  à  son  pays  et  combat^ 
pour  lui.  On  le  vit  ft  Délium,  à  Potidée,  à  Amphipolis,  montn^ 
autant  de  bravoure  que  les  plus  vaillants  capitaines  de  .son  tcmpt, 
et  en  deux  occasions  il  sauva  la  vie  à  Alcibiade  et  à  XénophoQ. 

Il  montra  aussi  dans  un  autre  ordre  de  faits,  son  amour  poar^ 


GRECS.  —   SOCRATE  477 

concitoj^ens  :  il  défendit,  quoique  sans  succès,  les  généraux  des 
Arginuses  devant  rassemblée  du  peuple  ;  il  refasa  de  livrer  Léon, 
de  Salamine  aux  trente  tyrans  qui  voulaient  le  mettre  à  mort. 

Cet  esprit  de  sévère  justice,  qui  lui  faisait  souvent  blâmer  les 
actes  des  hommes  influents  de  son  époque  (actes  que  n'inspirait 
pas  l'amour  de  la  patrie,  mais  l'ambition  surexcitée  par  la  gloire 
qu'Athènes  put  conquérir  dans  le  siècle  de  Périclès,)  et  surtout 
rironie  mordante  qu'il  employait  pour  flétrir  tous  les  vices,  lui 
suscitèrent  de  nombreux  ennemis.  On  résolut  donc  de  le  perdre,  et 
on  prit  pour  prétexte  son  enseignement  qui  s'écartait  des  données 
de  la  religion  païenne  d'Athènes,  et  l'attrait  que  sa  parole  inspirait 
aux  jeunes  gens. 

.  Aristophane  essaya  de  l'étoufler  sous  le  ridicule,  dans  sa  comédie 
des  Nuées,  et  ce  moyen  n'ayant  pas  réussi,  trois  hommes  prêtèrent 
leurs  noms  à  la  haine  de  tous.  Mélitus,  mauvais  poète  ;  Anytus, 
maigre  rhéteur,  d'autres  disent  corroyeur,  et  Lycon,  orateur  aussi 
inconnu  d'ailleurs  que  les  deux  autres,  signèrent  l'acte  d'accusa- 
tion que  Xénophon  résume  ainsi  :  a  Socrate  est  coupable  de  ne 
point  honorer  les  d-^ux  d'Athènes  et  d'en  introduire  de  nouveaux; 
il  est  coupable  de  corrompre  la  jeunesse.  » 

Qu'y  avait-il  de  vrai  dans  cette  accusation?  Tout  ce  que  nous 
savons  de  Socrate  ne  nous  permet  pas  même  un  soupçon  en  faveur 
du  second  chef  d'accusation.  Quant  au  premier,  bien  que  les  paroles 
que  lui  prêtent  Xénophon  et  Platon,  ne  le  montrent  pas  comme 
ayant  nettement  enseigné  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu,  on  peut  cependant 
croire  que  tel  ^tait  le  fond  de  sa  pensée.  Dès  lors  il  pouvait  faire 
peu  de  cas  des  dieux  de  l'Olympe,  et  même  Platon  nous  le  montre 
faisant  ressortir  l'immoralité  de  leurs  exemples.  C'en  était  assez 
aux  yeux  des  païens  pour  l'accuser  de  ne  pas  reconnaître  les  dieux 
de  la  république.  Mais  ces  dieux  nouveaux  qu'il  introduisait,  était^ 
ce  le  vrai  Dieu  ?  Faut-il  y  voir  avec  Xénophon  ce  démon  familier 
dont  Socrate  parlait  souvent,  et  dont  il  suivait  les  inspirations  ? 
Cette  dernière  interprétation  s'accorderait  mieux  avec  le  texte  de 
l'accusation  que  nous  a  conservé  Dibgène  Laéi*ce  :  ^  Socrate  ne 
reconnaît  pas  les  dieux  de  la  république,  et  met  à  la  place  des 
extravagances  démoniaques.  t>  Il  est  pour  le  moment  difficile  de 
résoudre  cette  question. 


478  HISTORE  DE  LÀ  PHILOSOPHIB 

Quant  à  la  nature  de  ce  démon  familier,  dans  lequel  on  ne  veut  pisi 
voir  aujourd'hui  que  la  conscience,  nous  n'avons  pas  le  temps  de  b 
discuter;  mais  nous  ne  voyons  aucune  difficulté  à  y  voir  un 
proprement  dit,  ou  même  un  ange.  La  manière  dont  Soerate  en 
ne  nous  semble  laisser  aucun  doute  à  ce  sujet,  et  la  seule  raison  tpi 
l'on  pourrait  alléguer  contre  cette  conclusion,  c'est  que  nos  phlIosiH^e 
modernes  n'admettent  pas  volontiers  Texistence  des  ang^es.  Noos  a^otf 
déjà  combattu  en  passant,  par  de  simples  raisons  philosophiques,  oetîi 
dénégation  (p.  186,  6*  corol)  ;  nous  pourrions  ajouter  maintenant,  api^ 
ce  que  nous  avons  vu  dans  l'histoire  de  la  philosophie,  que  cette  eio^ce 
a  pjur  elle  le  témoignage  unanime  de  tous  les  peuples,  et  c'est  là  sz 
genre  de  preuve  que  la  philosophie  classique  a  toujours  admis. 

Socrate  se  présenta  devant  ses  juges  et  fut  d*aborà  condamaêl 
une  majorité  de  cinq  voix  seulement.  Mais  on  lui  laissa  la  détefmh 
nation  de  la  peine  qu'il  méritait,  et  Socrate  répondit  qu'on  derait 
le  nourrir  au  Prytanée,  aux  frais  du  trésor,  jusqu'à  la  fin  de  ses 
jours.  Cet to  Cwro  réponse  irrita  ses  juges  et  plus  de  quatre-Tinfti 
votèrent  sa  mort. 

Socrate  demeura  trente  jours  en  prison,  comme  Platon  ncsi 
l'apprend  dans  le  Phédon,  parce  que  le  jour  de  sa  condamnation  ta 
avait  couronné  le  vaisseau  que  les  Athéniens  envoyaient  chaqo$ 
année  à  Délos,  en  mémoire  de  la  délivrance  de  Thésée,  et  defKÛâ 
ce  moment  jusqu'au  retour  du  vaisseau  on  ne  devait  exécuter  as. 
cune  sentence  capitale.  Dans  sa  prison  Socrate  fut  visité  par  ses 
amis,  et  le  dernier  jour  surtout  il  s'entretint  long-temps  avec  eoi. 
après  avoir  embrassé  sa  femme  et  ses  enfants.  Il  parla  longnemeftt 
de  l'immortalité  de  l'âme  et  se  montra  fort  résigné  à  la  mort,  disast 
que  le  philosophe  apprend  tous  les  jours  &  mourir.  Le  soir  éUsi 
venu  on  lui  apporta  la  coupe  fatale  ;  il  la  but  ^d'un  seul  trait  apràs 
avoir  invoqué  les  dieux.  Il  consola  ensuite  ses  disciples  qui  poi^ 
salent  des  cris  de  désespoir.  Quand  il  sentit  ses  jambes  s'appesa^ 
tir  il  se  coucha  sur  son  lit  et  se  couvrit  de  son  manteau.  Mais 
bientôt,  se  découvrant,  il  dit  :  a  Criton,  nous  devons  un  coq  à 
Ësculape  :  aie  soin  d'acquitter  cette  dette.  »  Il  eut  encore  un  mot- 
vement  convulsif  ;  un  instant  après  il  était  mort.  Criton  lui  ferœft 
la  bouche  et  les  jeux. 

III.  Sa  méthode.  —  Socrate  aimait  la  vérité  pour  elle-même 


GRECS.  —   SOCRATE  479 

et  tâ.<3bait  d'inspirer  à  ses  disciples  le  môme  amour.  C'est  ainsi  que 
par  lui  la  philosophie  prit  un  essor  nouveau  et  que  les  grandes 
écoles  qui  le  suivirent  se  montrèrent  animées  du  véritable  esprit 
philosophique. 

Mais  l'amour  de  la  vérité  ne  suffirait  pas  à  la  faire  découvrir 
sans  une  méthode  sûre.  Cette  méthode,   Socrate  l'employa  plus 
quHl  ne  Tanalysa.  Doué  d'un  grand  sens  pratique  et  nourri  des 
saines  traditions,  autant  que  les  lambeaux  qui  en  restaient  en  Grèce 
de  son  temps  peuvent  mériter  ce  nom,  il  comprit  que  le  vrai  fonde- 
n:ient  de  la  science  est  tout  à  la  fois:  robservatix)n  et  le  raisonne- 
ment.  Aussi,  dans  toutes  les  questions  qu'il  traite^   il  consulte 
d'abord  le  témoignage  de  la  conscience  et  des  sens,  et  cherche  & 
exprimer  la  conception  qu'il  en  a  tirée.  Puis  il  raisonne  son  expres- 
sion pour  voir  si  elle  rend  bien  sa  conception  et  si  cette  conception 
elle  môme  correspond  exactement  aux  faits  perçus.  De  là  il  remonte 
aux  principes,  aux  causes  et  aux  lois,  en  interrogeant  la  raison. 
Tel  est  le  fonds  de  sa  méthode,  et  si  des  procédés  si  réguliers  ne 
lui  ont  pas  fourni  des  doctrines  plus  complètement  exactes,  il  ne 
faut  l'attribuer,  ni  à  la  faiblesse  de  son  intelligence,  ni  à  l'imper- 
fection de  sa  méthode,  mais  à  l'oubli  presque  universel  alors  des 
traditions  primitives,  et  aux  préjugés  qu'enfantaient  nécessairement 
les  erreurs  alors  généralement  répandues  et  auxquelles  Socrate  ne 
put  pas  échapper  entièrement. 

Dans  sa  forme  extérieure,  sa  métho4e  a  deux  aspects^  dont  l'un 
est  V ironie  socratique  (ctpwveta,  interrogation  ironique),  qui 
consiste  à  feindre  l'ignorance  et  à  faire  des  questions,  pour  deman- 
der des  explications  à  son  interlocuteur  ;  l'autre  est  la  mcUeutiqiùe 
((xateuTWCYi  'zéyvfi,  art  delà  sage-femme),  qui  consiste  à  interroger 
de  telle  manière  l'intelligence  la  moins  instruite,  qu'elle  découvre 
d'elle-même  les  vérités  qu'elle  croit  ignorer. 

En  voici  un  exemple  tiré  du  Gorgias  de  Platon.  —  Soorate.  —  Une 
maison  où  règne  l'ordre  et  l'arrangement  n'est-elle  pas  bonne  'i  et  si  le 
désordre  y  est,  n'est-elle  pas  mauvaise*?  —  Galliolès  —  Oui.  —  N'en 
Eaut-il  pas  dire  autant  d'un  vaisseau?  —  Oui.  —  Nous  tenons  le  même 
langage  au  sujet  de  nos  corps?  —  Sans  contredit.  —  Et  notre  àme  sera- 
t-elle  bonne,  si  elle  est  déréglée  ?  Ne  le  sera-t-elle  pas  plutôt,  si  tout  y 


480  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

est  dans  l'ordre  et  dans  la  rè^le  ?  -*  Il  faut  bien  l6    Feconnaitre,  a^ 
ce  qui  a  déjà  été  accordé.  —  Quel  nom  donne-t-on  à  Keflet  que  proda* 
sen\  la  règle  et  Tordre  dans  le  corps?  —  Tu  l'appelles  probahleme^ 
santé  et  force.  —  Oui.  Essaye  à  présent  de  trouver  et  de  me  dire  pardl- 
lement  le  nom  de  l'effet  que  la  règle  et  l'ordre  produiseat  dans  J  arihi.- 
Que  ne  Je  dis-tu  toi-même,  Bocrate?  —  Situ  l'aimes   mieux,  je  vais  k 
dire:  seulement  si  tu  juges  que  j'ai  raison,  conviens-ea;  sinon,  ^é^•it^ 
moi,  et  ne  me  laisse  rien  passer.   11  me  semble  donc  qfue   Ton  appeik 
salutaire  tout  ce  qui  entretient  l'ordre  dans  le  corps,    d'^où   nai^eot  la 
santé  et  les  autres  bonnes  qualités  corporelles.  Cela  est-il  vrai,  cm  iks? 
—  Cela  est  vrai.  —  Et  qu'on  appelle  légitime  et  loi  tout  ce  qui  met  # 
l'ordre  et  de  la  règle  dans  l'âme,  d'où  se  forment  les  hommes  justs  d 
réglés.  C'est  là  ce  qui  produit  la  justice  et  la  tempérance.  Ii'aeeordei^ 
ou  le  nies-tu  ?  —  Soit. 

112.  Sa  doctrine.  —  Socrate  n'a  rien  écrit  et  tout  ce  qne  nous 
savons  de  sa  doctrine  nous  est  venu  par  ses  disciples,  pri&eîpftfe- 
ment  par  71  '^r.nphon  et  Platon.  On  s'accorde  généralement  A  peœff 
que  Xénophon  n'a  rien  ajouté  à  la  doctrine  de  son  maître,  et  ot 
peut  faire  honneur  à  Socrate  de  tout  ce  qu'il  lui  attribue.  Mab 
peut  être  ne  Ta-t-il  pas  compris  tout  entier,  ou  même,  n'ajaniéesit 
que  pour  venger  sa  mémoire,  peut-être  a-t-il  omis  à  de^ein  (te 
théories  qui  s'écartaient  davantage  des  préjugés  de  son  peopk,  «t 
qui  nous  intéresseraient  précisément  pour  ce  motif.  Platon,  laet 
dans  la  bouche  de  Socrate,  dans  ses  dialogues,  tontes  les  opiDioti 
qu'il  adopte  pour  lui-môme,  et  il  donne  à  son  maître  plus  de  ^ 
fcmdeur,  plus  de  subtilité  dans  la  dispute,  et  plus  de  grâoe  da» 
son  style.  Mais  il  est  évident  qu'il  y  a  en  cela  beaucoup  de  Platoa 
lui-même.  Et  comment  distinguer  la  limite  de  la  propriété  de  eh»- 
cun?  Nous  en  sommes  réduits  à  considérer  comme  appartenant  à 
Socrate  ce  que  plusieurs  de  ses  disciples  lui  attribuent  à  la  fois. 

113.  Logique  de  Socrate. —  Il  ne  paraît  pas  que  Socnto 
ait  jamais  exposé  une  théorie  logique.  Ayant  à  réfuter  ks 
sophistes,  il  aima  mieux  les  forcer  par  son  ironie  &  se  condamner 
eux-mêmes,  qne  de  donner  une  théorie  de  lao^itude,  ou  mémedi^ 
sources  de  la  connaissance.  Mais  il  avait  ponr  lni*méi&e  bm 
logique  toute  faite,  et  il  en  faisait  usage  ;  il  nous  est  donc  pennii 
de  la^  constater  dans  ses  conversations.  Or  voici  ce  que  noofT 
trouvons. 


I  ^ 


GRECS.  —  SOCRATE  481 

Socrate  croit  aux  perceptions  des  sens  et  de  la  conscience  ;  il  les 
consulte  et  considère  leurs  réponses  comme  certaines.   Mais  ce 
qu'attestent  les  sens  et  la  conscience  ce  sont  des  faits,  particuliers, 
variables  et  contingents,  et  il  comprend  que  la  science  a  pour  objet 
Funiversel.  Il  procède  donc  par   élimination  et  arrive  ainsi  par 
Vinduction  aux  conceptions  générales  qu'il  exprime  par  leura 
noms  ou  par  des  définitions.  Mais  il  ne  se  contente  pas  d'atteindre 
aux  définitions,  il  sait  aussi  conclure  des  effets  aux  causes  et  des 
causes  aux  effets.  Et  tout  cela  il  fait  remarquer  ^que  l'homme  Je 
découvre  par  une  lumière  intérieure  qu'il  possède  d'avance,  et 
qu'ainsi,   selon  lui,   apprendre  c'est  voir  clairement  ce  que  l'on 
savait  déjà  d'une  manière  implicite.  Il  est  facile  de  reconnaître  ici 
la  raison .  Ainsi  Socrate  emploie  tous  les  procédés  logiques  de  la 
philosophie  classique  actuelle  et  fonde  la  science  sur  les  mêmes 
bases.  Tout  le  progrès  que  nous  avons  fait  depuis  dans  cette  voie 
coQsiste  dans  une  analyse  plus  profonde  de  ces  mêmes  procédés  et 
de  ces  mêmes  bases. 

114.  Méthaphysique  de  Socrate.  — Ce  titre  pourra  paraî- 
tre étrange  à  ceux  qui  connaissent  les  théories  de  Socrate  et  qui 
ont  vu  le  sens  que  nous  donnons  au  mot  «  métaphysique  )).  Aussi 
noas  ne  chercherons  pas  dans  les  doctrines  de  Socrate  cette  analyse 
des  vérités  nécessaires,  ni  cette  synthèse  à  priori  des  grands  prin- 
cipes de  raison  ou  des  vérités  premières. 

La  métaphysique  n'est  pas  chez  lui  l'objet  d'une  étude,  au 
contraire,  il  dédaigne  de  l'étudier  ;  mais  il  ne  s'en  sert  pas  moins 
et  si  le  plus  souvent  dans  ses  questions  il  va  du  particulier  au 
général,  par  induction,  on  le  voit  aussi  bien  des  fois  partir  d'une 
vérité  générale  et  raisonner  à  priori.  Donc  il  admettait  pratique- 
ment la  certitude  métaphysique,  quoiqu'il  dédaignât  d'en  étudier 
les  grandes  lignes,  comme  d'autres  l'ont  fait  après  lui.  C'est  tout  ce 
que  nous  voulions  constater. 

115.  Psychologie  de  Socrate.  —  Ici  non  plus  ;  nous  ne 
trouvons  pas  dans  Socrate,  cette  analyse  détaillée  des  facultés  de 
l'Ame  que  nous  appelons  aigourd*hui  la  psychologie,  mais  nous  y 
voyons  en  germe  toute  cette  science.  Bien  plus,  Socrate  ne  se 
contente  pas  de  l'étude  de  l'Ame  isolée  ;  il  la  considéré  dans  ses 

31 


,    482  HISTOIRE   DE  LA    PHILOSOPHIE 

rapports  avec  le  coi^ïp,  et  par  coiisé(j[Ucnt  il  conçoit  la   psjrchokcf 
avec  toute  retendue  qu'on  lui  donne  aujoui^d'hui. 

Le  point  de  départ  de  sa  philosophie,  *  Connais-toi  toi-ménit?  •. 
avait  surtout  une  portée  morale,  mais  comme,  ainsi  queBDn>x 
verrons  bientôt,  la  morale  de  Socrate  se  confondait  presque  âT« 
la  science,  il  ne  pouvait  pas  dire  aux  hommes  «  ag-issez  bieo  >. 
sans  leur  dire  en  môme  temps  <  sachez  ce  que  vous  êtes,  et  œç^ 
vous  pouvez  faire  ».  Il  avait  donc  lui  aussi  sa  théorie  des  faedtia 
de  FAme,  mais  elle  renfermait  plutôt  l'étendue  et  les  limites  de  te 
pouvoir  que  la  connaissance  de  leur  nature. 

Quant  à  l'Âme  elle-même,  il  en  parle  comme  d'un  être  intelligest, 
principe  de  tous  les  actes  de  Thomme,  se  manifestant  sunoirt  par 
la  recherche  d'une  fin  connue  d'avance.  L'existence  de  Tâme  (ka 
l'homme,  sa  nature  invisible,  et  sa  distinction  d'avec  le  coips,  se 
font  pas  l'objet  d'un  doute  môme  le  plus  léger,  pour  lui,  comme oa 
peut  le  voir  en  miUe  endroits  et  notamment  dans  sa  conTeisaticc 
avec  Aristodôme  le  petit,  dans  le  premier  livre  des  Mi^moraéfer 
de  Xénophon. 

Ce  principe  que  nous  appelons  aujourd'hui  des  causes  fiaaks. 
par  lequel  il  démontre  l'existence  de  Dieu  et  surtout  saProvideaise. 
lui  sert  également  pour  mettre  hors  de  doute  rexistence  de  l'iEf, 
son  intelligence  et  sa  liberté.  Mais  pour  lui  la  liberté  semble nécre 
qu'une  tendance  naturelle  à  faire  le  bien.  Il  croit  que  rhomB^ 
veut  naturellement  le  bien,  dôs  qu'il  le  connaît  comme  tel  ;  et  q« 
s'il  fait  le  mal,  ce  n'est  que  parce  qu'il  se  tix)mpe. 

116.  Théodicéede  Socrate.  —  11  dit  indifféi*emment  \  Dif9, 
ou  les  dieux.  Mais  on  sent  bien  que  le  fond  de  sa  pensée  est  qn'te 
seul  Dieu  est  véritablement  le  maître  de  toutes  choses,  et  sH 
emploie  quelquefois  le  pluriel,  c'est  sans  doute  pour  moins  effaiwi- 
cher  ceux  de  ses  auditeurs  qui  ne  sont  pas  encore  bien  instruits  dt 
ses  doctrines. 

C'est  d'abord  par  une  croyance  naturelle  à  la  tradition  du  g^at 
humain  qu'il  admet  l'existence  de  Dieu;  c'est  ensuite  parooî? 
sorte  d'intuition  intime  ;  mais  il  a  raisonné  sa  croyance  et  il  a 
montre  la  rationnabilité. 

Le  monde  est  une  œuvre  iminense  où  tout  est  ordonné  mamfd*- 


GRECS.  —  SOCRÀTB  483 

tement  en  vue  d'une  fin;  donc,  conclut-il/le  mondeest  l'œuvre  d'une 
intelligence  ;  et  si  cette  intelligence  est  invisible,  il  lui  suffit  que, 
comme  Tâme,  elle  se  manifeste  par  ses  œuvres.  De  plus,  il  lui 
répugne  d'admettre  que  Thomme  formé  d'une  parcelle  de  boue  ait 
absorbé  à  lui  seul  toutco  qu'il  y  avait  d'intelligence  dans  ce  vaste 
univers,  qui  est  comme  infini  par  rapport  à  l'bomme. 

Dieu  en  formant  le  monde  y  a  tout  disposé  pour  le  bien  ;  il  con- 
tinue à  maintenir  son  œuvre  et  en  dirige  encore  toutes  les  parties 
,  Tei*s  le  bien.  La  Providence  se  manifeste  jusque  dans  les  plus  petits 
détails.  (Xénophon.  Mémor,  1, 4). 

La  volonté  suprême  de  Dieu  est  aussi  la  vraie  loi^  principe  de 
tontes  les  autres  ;  loi  non  écrite,  mais  gravée  dans  le  cœur  des 
hommes. 

Tel  est  le  Dieu  que  reconnaît  Socrate .  C'est  bien  le  Dieu  de  la 
philosophie  classique,  le  Dieu  qu'affirme  le  genre  humain,  môme 
en  le  défigurant.  Mais  Socrate  ne  s'est  pas  senti  assez  fort  pour 
pénétrer  dans  la  nature  intime  de  ce  Dieu,  qu'il  connaissait  par 
une  tradition  déjà  bien  obscurcie,  et  par  des  efforts  de  raison  en- 
\  core  trop  isolés  pour  atteindre  tout  le  développement  dont  ils  sont 
capables. 

117,  Morale  de  Socrate.  —  C'est  ici  le  vrai  champ  de  la  phi- 
losophie de  Socrate.  La  morale,  la  connaissance  exacte  du  bien, 
principe  indispensable  et  selon  lui  sufiîsant  de  la  pratique  de  la 

I  vertu  :  tel  ét^it  l'objet  et  le  but  de  toute  son  étude .  Aussi  quand 
ses  conversations  ne  roulent  pas  directement  sur  la  vertu  en  géné- 
ral ou  sur  l'une  des  vertus,  on  peut  dire  qu'elles  y  mènent. 

La  sagesse  est  tout  à  la  fois  la  science  et  la  vertu.  Mais  la 
la  science  est  le  principe  do  la  vertu,  et  Socrate  croit  que  la  vo- 
lonté humaine  étant  naturellement  dirigée  vers  le  bien,  il  lui  suffit 
de  le  connaître  pour  le  vouloir.  Dès  lors  il  se  dispense  de  noter  la 
paît  de  la  volonté  dans  la  définition  de  la  vertu,  et  chaque  vertu 
devient  une  science.  Ainsi  la  justice  est  la  connaissance  des  lois  qui 
règlent  la  conduite  de  chaque  homme  envers  les  autres  hommes  ; 

\   la  piété  est  la  connaissance  du  culte  légitime.  (Xénophon,  Mémor, 
IV.  6.) 
Ainsi,  la  piété  envers  les  dieux,  la  justice  envers  les  hommes  ;  le 


484  HISTOIRE   DE    LA    PHILOSOPHIE 

respect  et  rameur  envers  ses  parents  ;  robéissance  aux  lois  de  la 
patrie  et  le  courage  pour  la  défendre  ;  la  tempérance  envers  soi- 
même,  pour  se  mettre  à  l'abri  de  la  tyrannie  des  passions,  pour 
acquérir  la  vraie  liberté,  et  même  pour  se  rendre  capable  d'éprou- 
ver les  véritables  jouissances  :  telles  sont  les  principales  vertus  qu6 
Socrate  expose  et  analyse,  et  recommande,  toujours  avec  cette  mé- 
thode persuasive  qui  consiste  à  interroger  habilement  son  auditeur 
pour  ramènera  conclure  avec  lui. 

C'est  ainsi  que  Socrate  se  fit  un  grand  nombre  de  disciples,  qu'il 
attachait  à  lui  par  le  charme  de  sa  conversation,  par  la  sublimité 
des  doctrines  qu'il  leur  présentait,  en  saisissant  leur  âme  tout  en- 
tière :  leur  intelligence,  par  Texposition  de  la  vérité  ;  leur  cœur,  par 
l'identité  qu'il  établissait  entre  le  vrai  et  le  beau;  leur  "volonté,  par 
l'attrait  du  bien,  qui  existe  en  effet  dans  l'homme,  et  qu'il  montrait 
aussi  identique  au  vrai  et  au  beau  ;  et  enfin  leurs  passions  sensi- 
bles môme,  en  leur  montrant  que  le  bien  est  toujours  ce  qu'il  y  a 
de  plus  véritablement  utile.  D'ailleura  on  l'en  croyait  d'autant  plus 
volontiers  qu'il  parlait  avec  plus  de  désintéressement,  n'ayant  ja- 
mais fait  payer  ses  leçons.  Ajoutons  à  cela  qu'il  accepta  courageu- 
sement la  mort  plutôt  que  de  se  contredire.  C'est  ainsi  qu'il  réforma 
la  philosophie. 

118.  Appréciation  —  Certainement  la  doctrine  de  Socrate 
n'est  pas  encore  la  philosophie  complète,  mais  elle  se  tient  en  tous 
points  dans  la  doctrine  classique.  Comparée  aux  théories  précéden- 
tes elle  se  montre  infiniment  supérieure  ;  non  pas  qu'on  ne  trouve 
en  lambeaux  chez  les  philosophes  antérieurs  presque  toutes  les 
vérités  affirmées  et  démontrées  par  Socrate  ;  mais  d'abord  personne 
jusqu'à  Ini  n'avait  été  aussi  complet,  personne  n'avait  été  aussi 
exact,  personne  ne  s'était  tenu  aussi  bien  dans  le  véritable  esprit 
philosophique  et  surtout  personne  n'avait  exposé  la  vérité  d'une 
manière  si  populaire,  avec  autant  de  noblesse,  de  grâce  et  de  pe^ 
suasiou.  De  plus  en  détournant  les  esprits  des  recherches  toigours 
vaines  sur  les  principes  des  choses  pour  les  appliquer  &  l'étude  de 
l'homme  et  de  ses  devoirs,  il  donna  à  la  philosophie  son  véritable 
but  et  son  objet  le  plus  important.  C'est  ainsi  que,  selon  l'expres- 
sion de  Cicéron,  il  fit  descendre  la  philosophie,  du  ciel  sur  la  terre. 


GRECS.  —  DISCIPLES     IMMÉDIATS     DE    SOCRATE     485 

Nous  dirions  tout  aussi  volontiers  qu'il  la  fit  remonter  de  la  terre 
au  ciel,  en  la  ramenant  à  sa  véritable  source,  en  mettant  mieux  en 
lumière  la  vraie  notion  de  Dieu  et  surtout  les  rapports  de  l'homme 
avec  Dieu;  en  un  mot  en  enseignant  à  Thomme  à  se  rendre  sem- 
blable à  Dieu. 

Telle  fut  la  mission  de  cet  homme  véritablement  providentiel. 
Nous  ne  pouvons  en  effet  nous  empêcher  de  lui  reconnaître  une 
mission  divine  ;  mission  dont  il  eut  une  certaine  conscience,  mission 
qu'il  accomplit  dignement  ;  nous  voudrions  dire  aussi  mission  qu'il 
couronna  glorieusement  par  une  sorte  de  martyre,  s'il  n'j  avait 
dans  sa  mort  une  trop  grande  influence  de  l'orgueil. 

Certainement  Socrate  est  hors  de  toute  proportion  avec  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  ;  mais  il  a  pourtant  avec  le  véritable  réfor- 
mateur du  genre  humain  assez  de  traits  de  ressemblance^  pour  que 
nous  puissions  y  voir  une  figure  et  comme  une  sorte  de  précurseur 
envoyé  par  Dieu  pour  lui  préparer  les  voies  et  pour  ne  pas  laisser 
plus  long-temps  s'accumuler  dans  l'esprit  des  Grecs  et  des  Romains 
les  ténèbres  de  l'erreur.  C'est  ainsi  ce  nous  semble  que  Dieu  qui 
avait  choisi  le  peuple  Juif  pour  conserver  le  dépôt  de  la  vraie  doc- 
trine et  qui  par  Moïse  et  les  Prophètes  y  avait  toujours  entretenu 
la  vérité,  ne  laissa  pas  les  Gentils  absolument  sans  secours,  et,  sans 
les  arracher  entièrement  A  l'idolâtrie,  se  servit  d'un  simple  mortel 
pour  rallumer  chez  eux  le  flambeau  presque  éteint  de  la  révélation 
primitive  et  même  de  la  raison. 

S  2.  —  LIS  DISOPLKS  DUiDUTS  Dl  SOCRATB 

119.  Simon.  —  Socrate  allait  souvent  philosopher  dans  la  bou- 
tique de  Simon,  le  corroyeur  ou  le  cordonnier.  Celui-ci  prenait 
soin  de  noter  ce  qu'il  avait  entendu,  et  finit  par  devenir  assez 
habUe  pour  écrire  jusqu'à  trente-trois  dialogues  socratiques,  sur 
toutes  les  matières  que  son  maître  traitait.  Ces  écrits  ne  nous  sont 
pas  parvenus.  Un  philologue  allemand,  M.  Bœckh  a  cru  pouvoir 
lui  attribuer  quatre  des  dialogues  apocryphes  de  Platon,  et  les 
a  publiés  en  1810,  avec  les  raisons  qui  lui  fout  croire  qu'ils  sont 
de  Simon.  Ces  dialogues  traitent  :  du  Juste,  de  la  Vertu,  de  la 
Loi  y  de  r  Amour  du  gain. 


48Ô  HISTOIRE    DE     LA   PHILOSOPHIE 

Quelque  incertitude  que  nous  ajons  à  ce  siget,  il  suffit  que  boui 
sachions,  par  Diogône  Laêrce,  qu'un  simple  cordonnier  avait  écri 
des  dialogues  philosophiques,  pour  comprendre  combien  Tensei 
ment  de  Socrate  était  populaire. 

120.  Socrate  le  jeune.  —  Platon,  dans  le  Politique  et  dani< 
le  Sophiste,  et  Aristote,  dans  la  Métaphysique^  nous  apprcnneni 
qu'il  y  eut  un  second  Socrate,  disciple  du  premier.  Nous  ne  savons 
rien  de  sa  vie,  et  il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  rien  écrit. 

121.  Criton.  —  Criton,  disciple  €*ami  de  Socrate,  mit  fafo^ 
tune  à  son  service,  se  porta  caution  pour  lui  avant  son  jugement| 
et  après  sa  condamnation  voulut  le  faire  évader,  mais  Socratu 
refusa  énergiquement  pour  ne  pas  désobéir  aux  lois.  Criton  avait 
écrit  dix-sept  dialogues  et  une  apologie  de  Socrate  ;  il  ne  nous  a 
reste  rien.  Un  des  dialogues  de  Platon  porte  son  nom. 

122.  Cébès  de  Thèbes.  —  Platon  fait  parler  Cébès  avec 
Socrate,  dans  le  Phrdon.  Il  le  fait  donc  assister  à  la  mort  de  sod 
maître,  et  le  compte  ainsi  parmi  ses  disciples  les  plus  fidèles.  Ccb^ 
avait  écrit  trois  dialogues,  dont  il  nous  reste  le  Piiiax^  ou  le 
tableau.  L'auteur  se  représente  dans  un  tableau  la  double  manii'^re 
de  vivre  des  hommes.  D'un  côté  ceux  qui,  enveloppées  dans  les 
ténèbres  de  l'ignorance  et  excités  par  leurs  passions,  courent  aprSs 
les  richesses  et  les  plaisirs,  et  n'atteignent  que  la  tristesse  et  le 
désespoir  ;  de  l'autre,  ceux  qui,  fidèles  aux  leçons  de  la  sagesse, 
s'exercent  à  la  tempérance,  s'efforcent  d'acquérir  toutes  les  vertu?, 
et  arrivent  ainsi  à  la  félicité. 

123.  Xénophon.  —  Xénophon  ,  ûls  de  Grvllus,  né  À  Escbia, 
dans  l'Attique,  Tan  445,  fut  tout  à  la  fois  un  grand  g^^néral,  ou 
grand  philosophe  et  un  grand  historien.  Dès  l'Age  do  16  ans,  il 
suivit  les  leçons  de  Socrate.  Il  combattit  à  ses  côtés  à  Délium,  où 
Socrate  lui  sauva  la  vie.  Engagé  parmi  les  mercenaires  que 
Cléarque  conduisait  au  secours  de  Cyrus  le  jeune,  il  prit  le  comman- 
dement de  ce  corps  après  la  mort  de  Cléarque  ot  dirigea  la  fameuse 
retraite  des  dix  mille,  dont  il  a  écrit  rinstoiro.  S'étant  mis  avoc 
ses  soldats  au  .«ervico  d'Agôsilas ,  roi  do  Sparte,  il  fut  U^nni 
d'Athènes.  Après  être  resté  24  ans  en  Asie,  il  se  réfugia  h  (  orintk, 


GRECS.  ^  DISCIPLES  DE  SOCRATE  487 

OÙ  il  moorat  au  moment  où  ses  concitoyens  venaient  de  le  rappeler 
<355  ou  354  av.  J.-C). 

Les  nombreux  écrits  de  Xénophon  peuvent  se  diviser  ainsi  : 
Ouvrages  philosophiques  :  Mémoires  sur  Socrate,  Apologie 
de  Socrate,  le  Banquet^  V Economique ,  VHiéron;  ouvrages 
HISTORIQUES  :  la  Cyropédie^  ou  l'éducation  de  Cyrus,  qui  est 
plutôt  un  roman  moral  qu'une  histoire;  rAnabase,  ou  la  retraite 
des  dix  mille  ;  ^^5  Helléniques^  V  Eloge  d'Agé  silos '^  ouvrages 
POLITIQUES  :  Les  Républiques  de  Sparte  et  d* Athènes,  les  Revenus 
de  l'Attique;  ouvrages  d'instruction  militaire  :  Le  MaXtre  de 
la  cavalerie^  V Equiiation^  les  Cynégétiques. 

Sa  doctrine  est  uniquement  celle  de  Socrate  ;  il  ne  cherche  pas  à 
y  sgouter,  mais  seulement  à  la  venger  contre  ses  détracteurs. 
Nous  donnerons  ici  une  courte  analyse  de  son  ouvrage  le  plus  im- 
portant : 

Les  AicopiveixovsuixaTa  SoMcpàTOuç,  titre  que  Ton  traduit  ordinaire- 
ment par  Entretien»  mémorables  de  Socrate,  et  que  l'on  traduirait 
mieux  par  Souvenirs  ou  Mémoires  sur  Socrate,  soni  une  apologie  de 
son  Maître,  une  réponse  à  l'acle  d'accusation,  lis  so  composent  de 
qaatre  livres,  que  l'on  divise  on  un  petit  nombre  de  chapitres. 

En  commençant»  Xénophon  exprime  snn  étonnement  qu'on  ait  pu 
condamner  Socrate  h  la  mort  et  rappelle  Pacte  d'accusation,  qui  se  di- 
vise en  deux  che/s  :  1**  Socrate  n'honore  pas  les  dieux  d'Athènes  ;  2*  il 
corrompt  la  jeunesse. 

Il  semble  d'abord  vouloir  répondre  séparément  à  chacun  de  ces  deux 
chefs  ;  mais  dans  la  suite  de  l'ouvrage  il  mêle  les  questions  et  répond 
sans  ordre  à  tous  les  griefs  que  l'on  avait  fait  valoir  contre  lui. 

Et  d'abord  Socrate  honorait  les  dieux,  puisqu'il  pratiquait  la  divina- 
tion. Seulement  il  ne  voulait  pas  que  l'on  demandât  à  la  divination  ce 
que  l'on  peut  savoir  par  la  raison.  Il  avait  sur  Dieu  une  doctrine  très 
exacte  et  très  pure.  <i  Socrate  croyait  que  les  dieux  savent  toutes  nos 
paroles,  toutes  nos  actions,  toutei  nos  pensées  les  plus  intimes,  qu'Us 
80Qt présents  partout,  et  que  dans  toute  circonstance  ils  se  manifestent 
à  l'homme.  »  (liv.  i,  ch.  1). 

Plus  loin  il  raconte  une  conversation  dans  laquelle  Socrate  démontre 
H  Aristodèmo  l'existence  do  la  Providence  eu  lui  faisant  observer  l'ordre 
de  l'univers  et  surtout  l'adinirablc  disposition  des  oigtiues  de  l'homme, 
la  faculté  que  les  dieux  lui  ont  donnée  de  se  tenir  debout,  la  place  des 


488  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

yeux,  des  oreilles  et  de  la  bouche,  les  mains  pour  travailler,  la  langue 
surtout  et  la  parole,  et  enfin  l'âme,  bien  plus  parfaite  que  celle  des  ani- 
maux, seule  capable  de  connaître  les  dieux  et  de  leur  rendre  un  culte, 
(liv.  I,  ch.  4). 

Il  revient  sur  le  même  sujet  dans  le  quatrième  livre,  où  Socrate  montre 
à  Euthydème  que  les  astres  du  ciel  et  tout  ce  qui  habite  la  terre  est  fait 
pour  l'homme,  puisque  lui  seul  en  profite  (liv,  iv,  ch.  3). 

Pour  répondre  à  l'accusation  de  corrompre  la  jeunesse,  Xénophon  fait 
voir  comment  au  contraire  Socrate  enseig^nait  toutes  les  vertusetmème 
savait  en  inspirer  l'amour. 

11  insiste  principalement  sur  la  tempérance  et  y  revient  plusieurs  fois. 
Il  montre  d'abord  comment  Socrate  donnait  lui-même  l'exemple  de 
cette  vertu.  «  Socrate,  dit-il,  était  le  plus  sobre  des  hommes  dans  les 
plaisirs  de  la  table  et  des  sens,  le  plus  endurci  contre  le  froid,  le  chaud, 
les  fatigues  de  toute  sorle.  »  (liv.  i,  ch.  2).  Ailleurs  Socrate  lait  l'elog* 
de  la  tempérance  et  fait  remarquer  que  nous  ne  voudrions  pas  d'un 
homme  intempérant  pour  lui  confier  ni  une  armée  ni  l'éducation  de  nos 
enfants;  que  nous  ne  voudrions  pas  même  confier  à  un  esclave  intempé- 
rant la  garde  de  nos  troupeaux,  (liv.  i,  ch.  5.)  Dans  une  discussion  avec 
Aristippc  de  Cyrène,  il  fait  avouer  à  celui-ci  (lue  la  tempérance  est  une 
vertu  indispensable  à  celui  qui  est  destiné  à  commander.  Que  celui-là 
doit  savoir  faire  passer  le  de\oir  avant  la  satisfaction  de  tous  les  besoins 
de  la  faim,  de  la  soif,  du  sommeil;  qu'il  doit  savoir  se  sevrer  déplaisirs, 
endurer  la  fatigue  et  toutes  les  privations,  (liv.  ii,  ch.  1.)  Enfin  dans 
un  autre  endroit,  Socrate  démontre  à  Euthydème  que  l'intempérance 
tient  l'homme  dans  l'esclavage  le  plus  cruel,  puisque  c'est  la  servitude 
de  l'âme  et  que  d'ailleurs  elle  l'empêche  de  goûter  les  plaisirs  permis, 
(liv,  IV,  ch.  5.)  C'est  à  Aristippe,  dans  le  chapitre  i,  du  iv  livre  que  So- 
crate raconte  l'apologue  de  Prodicus  que  nous  avons  donné  prewiu'eu 
entier,  page  470  en  parlant  de  ce  sophiste.  Cet  apologue  a  trait  aussi 
à  la  tempéiance. 

Après  la  tempérance,  les  vertus  que  Socrate  recommande  le  plus  sont 
la  piété  envers  Dieu,  la  pièlé  filiale  envers  les  parents,  et  la  justice  enven 
tous  les  hommes.  Son  fils  Lamproclès  était  irrité  contre  sa  mère  :  So- 
crate lui  fait  voir  ce  qu'il  y  a  d'injuste  dans  sa  conduite  et  le  ramène  à 
de  meilleurs  sentiments,  (liv,  ii,  ch.  2.)  Dans  le  chapitre  suivant  il  ré- 
concilie deux  frères.  Plus  loin  il  donne  de  belles  doctrines  sur  l'aniilié. 
sur  le  choix  des  amis  et  sur  les  moyens  de  gagner  et  de  consen'er  àe 
vrais  amis.  (liv.  ii,  ch.  3,  4,  5  et  6.)  Il  faudrait  tout  citer  si  on  vouliil 
dire  tout  ce. qu'il  y  a  d'intéressant  dans   cet  ouvrage  presque  enliérf- 


GRECS.    —  DISCIPLES  DE  SOCRATE  489 

ment  rempli  par  les  conversation  de  Socrate  si  variées,  quelquefois  si 
piquantes  et  toujours  si  pleines  de  conseils  excellents,  et  auxquelles 
Xénophon  prôte  ce  style  simple  et  naturel  qui  l'avait  fait  surnommer 
Tabeille  attique.   ^ 

Dans  les  Mémorables,  Xénophon  ne  fait  qu'exposer  la  doctrine 
de  Socrate  pour  le  défendre  ;  maison  lui  reproche  avec  raison  de 
trop  faire  entendre  par  ses  expressions  que  Socrate  croyait  entiè- 
rement à  la  multitude  des  dieux  de  la  Grèce. 

Xénophon  montre  mieux  sa  propre  philosophie  dans  VHiëron^  où 
il  fait  le  tahleau  d'un  bon  roi,  en  prenant  pour  type  Agésilas,  et 
dans  la  Cyropédie  où  il  donne  ses  propres  idées  sur  l'éducation, 
beaucoup  plus  que  Thistoire  de  l'éducation  de  Cjrus. 

Cependant  partout  Xénophon  rest«  fidèle  aux  doctrines  de 
Socrate,  dont  il  ne  voit  d'ailleurs  que  les  idées  morales  lés  plus 
saillantes,  sans  voir  toute  retendue  de  sa  pensée^  sans  en  compren- 
dre la  profondeur. 

124.  EscUne.  —  Les  anciens  auteurs  ne  sont  pas  d'accord 
sur  le  genre  de  vie,  ni  sur  le  mérite,  ni  sur  les  ouvrages  d'Eschine, 
qui,  né  à  Athènes  vers  434,  et  exerçant  la  profession  de  charcutier, 
suivit  les  leçons  de  Socrate  et  devint  philosophe  et  orateur.  Il  avait 
écrit  plusieurs  dialogues  que  Ton  trouva  assez  beaux  pour  croire 
qu'il  les  avait  dérobés  ft  Socrate  lui-même.  Mais  on  sait  que 
Socrate  n'avait  rien  écrit.  Ces  dialogues  ne  nous  sont  pas  parvenus 
et  ceux  qu'on  lui  attribue,  l'Axiochus,  VErynias^  et  de  la  Vertu, 
manquent  d'authenticité. 

125.  Phédon  d'Elis.  —  Phédon,  né  à  Elis,  fut  fait  prisonnier 
dans  sa  jeunesse  et  vendu  comme  esclave  à  un  marchand  d'Athènes. 
Socrate  Tajant  vu  fut  frappé  de  sa  physionomie  intelligente  et  le 
fit  racheter,  peut-être  par  Criton,  pour  s'en  faire  un  disciple.  Après 
la  mort  do  Socrate,  Phédon  se  retira  dans  sa  patrie  où  il  fonda 
une  école,  appelée  Eliaque,  qui  paraît  n'avoir  rien  ajouté  aux 
doctrines  du  maître.  Ilavaitécrit  plusieurs  dialogues  qui  ne  nous 
sont  pas  parvenus.  Son  nom  sert  de  titre  au  dialogue  de  Platon,  qui 
raconte  les  dernières  conversations  de  Socrate. 

Après  sa  mort,  son  école  passa  sous  la  direction  de  Ménédème 
d'Erétrie,  disciple  de  Plalon,  d'où  elle  prit  le  nom  d'Ërétriaque. 


490  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

Ménédème  resta  moins  ûdèle  anx  doctrines  de  Socrate  et  peii^ 
vers  les  doctrines  mégariques  dont,  nous  parlerons  bientôt.  Loiet 
ses  disciples  n'admettaient  en  effet  que  Tunité  et  a  raient  honesr 
de  la  pluralité  au  point  de  ne  pas  môme  admettlte  les  distincti<^ 
logiques.  Ils  rejetèrent  d'abord  tous  les  jugements  non-catégoriqoeg 
et  finirent  par  n'admettre  que  les  jugements  identiqnes,  àam 
lesquels  l'attribut  est  le  môme  terme  que  le  sujet.  Ils  ûtran 
puiser  ces  théories  dans  l'Ecole  cynique. 

S  I.  ICOLI  CTHIQUl 

126.  Antisthène.  —  Antistbône,  ûls  d'un  Athénien  et  d^ooe 
Phrygienne,  naquit  à  Athènes,  Tan  422.  Après  avoir  suivi  Is 
leçons  de  Gorgias,  il  ouvrit  lui-môme  une  école  de  rhétorique. 
Mais  ajant  entendu  Socrate  il  s'attacha  à  ses  leçons.  Or,  comme 
il  habitait  le  Pirée,  il  faisait  chaque  jour  un  trajet  de  40  stades, 
(7400  mètres)  pour  venir  à  Athènes.  Né  pauvre,  et  de  conditiaa 
obscure,  il  ne  vit  dans  la  doctrine  de  Socrate  que  le  mépris  des 
richesses  et  la  tempérance  qnl  enseigne  à  supporter  les  privations. 
La  vertu  est  le  seul  bien  et  elle  consiste  à  savoir  souffrir  et  tra- 
vailler. Son  modèle  était  Hercule.  Aussi  c'est  dans  le  Cjnosarïrne, 
près  du  temple  d'Hercule,  qu'il  réunissait  ses  disciples.  Quelques 
auteurs  ont  pensé  que  c'est  de  là  qu'on  les  appela  cyniques,  M^ 
ce  nom  leur  fut  donné  par  mépris,  car  eux-mêmes  s'appelaient 
Antisthéniens,  et  il  paraît  venir  plutôt  de  leur  tenue  peu  décente. 
En  effet,  ils  ne  portaient  pour  tout  vêtement  qu'un  manteau^  qu'ils 
disposaient  comme  la  peau  du  lion  de  Némée  sur  l'épaule  d'Hercule. 

Ils  laissaient  croître  leur  barbe  et  leurs  cheveux  et  se  nonrr»- 
saient  grossiôrement.  Ils  prétendaient  ainsi  s'affranchir  de  tcms 
besoins  et  se  rendre  vraiment  libres. 

La  "philosophie  d'Antisthène  semble  ne  porter  que  sur  la  morak 
et  nous  venons  de  voir  en  quoi  elle  consiste  à  ce  point  de  vue. 
Pourtant  Cicéron  nous  donne  sa  doctrine  sur  Dieu,  a  Dans  la  reli- 
gion du  vulgaire,  disait-il,  il  y  a  plusieurs  dieux  ;  mais  dans  Li 
nature  des  choses,  il  n'y  en  a  qu'un.  Et  ce  Dieu  ne  ressemble  à  aucoa 
objet  sensible  et  ne  peut  être  représenté  par  aucune  image.  «  Od 


ORKCS.  —  ÉCOLE  CYNIQUE  491 

est  un  témoignage  précieux  pour  établir  la  doctrine  de  Socrate  à 
ce  sniet. 

Déplus  Aristote  nous  apprend  qu'^iitisthêne  s'occupa  de  logique; 
mais  le  résumé  q«'il  en  donne  est  fort  obscur.  Antisthône  enseignait 
que  les  définitions  ne  disent  rien  de  la  nature  de  la  chose  en  elle- 
même,  et  ne  donnent  que  Texprôssion  des  apparences  ;  qu'un  sujet 
ne  peut  avoir  qu'un  seul  attribut,  sa  propre  définition  ;  qu'une 
proposition  ne  saurait  être  contredite. 

Antisthône  avait  écrit  plusieurs  dialogues,  mais  il  ne  nous  en  est 
rien  parvenu. 

On  trouve  en  germe  dans  Antisthène  toute  la  philosophie  des 
stoïciens.  C'est  la  même  rigidité  dans  la  vertu,  le  même  mépris  des 
nécessité  de  la  vie,  la  môme  confusion  de  la  vertu  avec  la  science 
spéculative;  il  va  jusqu'à  défendre  d'apprendre  ft  lire,  pour  ne  pas 
sortir  de  la  nature. 

Toute  cette  affectation  de  vertu  n'est  au  fond  qu'un  orgueil 
excessif,  et  Platon  a  quelque  raison  de  lui  faire  dire  par  Socrate  : 
(c  Antisthône,  je  vois  ton  orgueil  à  travers  les  trous  de  ton  manteau.  » 

127»  Diogënele  cynique.  —  Diogène  naquit  à  Sinope,  ville 
du  Pont,  Tan  414.  Son  pore  Icésius  était  changeur  et  faisait  de  la 
fausse  monnaie.  Diogène  suivit  la  profession  de  son  pore  et  se  rendit 
coupable  du  môme  délit.  Il  fut  découvert  et  chassé  de  sa  ville  na- 
tale. Il  se  réfugia  à  Athènes.  Manquant  de  tout  il  rongeait  les 
jeunes  pousses  des  arbres,  le  long  des  chemins.  Mais  un  jour  la 
vue  d'un  rat  qui  cherchait  sa  nourriture  lui  rendit  courage.  «  Quoi  ! 
dit-il,  cet  animal  sait  se  passer  de  la  cuisine  des  Athéniens  et  moi 
je  serais  malheureux  de  ne  pas  manger  à  leur  table  I  »  Et  il  résolut 
de  vivre  à.  la  manière  des  bêtes,se  disant  que  tel  était  pour  l'homme 
l'état  de  la  nature. 

C'eêit  dans  ces  dispositions  qu*il  alla  se  présenter  à  Antisthène, 
qui,  délaissé  alors  par  tous  ses  premiers  discipleç,  ne  voulut  pas 
le  recevoir  et  enfin  se  laissa  vaincre  par  sa  constance.  Diogène 
avait  de  plus  que  son  maître  une  parole  facile  et  une  verve  rail- 
leuse,  qui  charmait  et  qui  lui  attira  beaucoup  de  disciples. 

Diogène  rejeta  de  la  doctrine  do  son  maître  tout  ce  qui  apparte- 
nait ^  la  log;iquo.  Il  ne  reconnaissait  pour  l'âme  qu'un  seul  exercice: 


492  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

la  vertu,  qui  consiste  &  vivre  selen  la  nature,  avec  le  moins  à 
désirs  possibles.  11  condamnait  donc  la  science,  la  richesse,  la  beauté, 
les  hommes,  les  bienséances  môme,  le  mariage  et  la  propriété.  Ti>r 
est  commun^  disait-il^  dans  Tétat  de  la  nature.  D^ailleurs  il  ne  de- 
mandait pour  lui  que  le  strict  nécessaire,  acceptant  ce  qu'on  iii 
donnait  ou  ramassant  sa  nourriture  dans  les  rues,  comme  un  e^>^ 
Et  il  se  donnait  volontiers  ce  nom.  On  connait  les  petites  anecdoîc? 
qui  le  concernent  et  son  mépris  pour  le  genre  humain. 

Pris  par  des  pirates,  il  fut  vendu  comme  esclave  à  nn  ridie 
Corinthien,  nommé  Xéniade,  qui  lui  conûa  Téduçation  de  ses  é&ai 
âls.  Dans  ses  dernières  années  il  passait  Tété  à  Corinthe  et  Y\nj& 
&  Athènes. Un  jour  on  le  trouva  mort  dans  un  gymnase  de  Corintbâ. 
Il  avait  quatre-vingts-dix  ans. 

Il  est  probable  qu'il  n'a  jamais  rien  écrit.  D'ailleurs  il  ne  aam 
reste  rien  de  ce  que  quelques  anciens  lui  avaient  attribué. 

128.  Cratès  de  Thèbes.  —  On  ignore  les  dates  exactes  de  la 
naissance  et  de  la  mort  de  Cratôs.  il  florissait  vers  l'an  340.  Il  étai* 
laid  et  difforme,  mais  très  riche.  Il  se  fit  pa:ivre  volontairemefi^ 
pour  vivre  selon  la  nature.  Il  fut  disciple  de  Diogène  et  comme  lui 
chercha  à  endurer  les  souffrances  du  corps  et  môme  la  raillerie.  Uae 
jeune  fille  noble  nommée  Hipparchia  voulut  ôti*e  son  épouse  et  paj^ 
tagea  ses  privations.  Mais  Cratès  tempéra  quelque  peu  la  rudesse 
de  son  maître  et  sut  garder  des  manières  aimables.  Il  eut  pour  dis- 
ciple Zenon,  chef  des  Stoïciens. 

129.  Ménippe.  —  Esclave,  originaire  de  Phénicie,  Ménippe, 
parvint  h  se  faire  affranchir  et  môme  fut  admis,  à  Thèbes,  aa 
nombre  des  citoyens.  Devenu  riche  en  faisant  le  métier  d'usurier, 
il  se  dépouilla  de  toute  sa  fortune  et  se  mit  à  imiter  Diogène.  Il 
avait  écrit  treize  livres  de  satires,  mais  il  ne  nous  en  reste  riei. 
Nous  en  avons  cependant  quelque  idée  par  les  dialogues  de  Lucia, 
qui  le  met  souvent  en  scène. 

130.  Observations.  —  Il  est  inutile  de  remarquer  que  tes 
cyniques  ne  sont  pas  desr  philosophes  et  que  leur  vie  et  leurs  doc- 
trines ne  nous  sont  utiles  à  connaître  que  pour  mieux  comprendre 
ce  que  peut  engendrer  l'exagéi'ation  d'une  doctrine  excellente  ea 
elle-môme,  mise  au  service  de  Torgueil. 


GRECS  —  ÉCOLE    CYRÉNAIQUE  493 

g.  4.  -  BGOLE   GTRiNÀiani. 

131.  Aristippe  de  Cyrène.  —  Aristippe  naquit  à  Cyrène, 
colonie  grecque  de  l'Afrique,  on  ne  sait  en  quelle  année.  Il  vint  & 
Athènes  pour  entendre  Socrate,  et  c'est  vers  l'an  380,  vingt  ans 
après  la  mort  de  son  maître,  qu'on  le  trouve  à  la  tète  d'une  école 
philosophique. 

Né  dans  la  richesse  et  accoutumé  à  jouir  de  tous  les  avantages 
de  la  fortune,  il  interpréta  dans  ce  sens  la  doctrine  de  Socrate . 

La  fin  de  F  homme  c'est  le  bien.  Mais  ce  bien  pour  être  véritable 
doit  être  actuel.  Il  exclut  donc  le  regret  du  passé  et  le  désir  de 
l'avenir.  D'où  Aristippe  conclut,  que  le  bien  consiste  dans  le  plaisir 
actuel,  et  que  la  vertu  consiste  à  savoir  jouir  du  présent.  Le  repos 
absolu  serait  l'absence  de  sensation,  et  d'un  autre  côté  l'activité 
trop  forcée  serait  une  peine.  Il  faut  donc  que  l'âme  modère  son 
activité,  jouisse  de  ce  qu'elle  possède  et  se  débarrasse  du  désir  et 
du  regret.  C'est  cette  activité  douce  qui  constitue  le  plaisir 
(ricovïi  èv  xtWiO-et). 

On  comprend  qu'avec  une  pareille  morale,  Aristippe  fît  peu  de 
cas  de  la  science .  Cependant  il  avait  une  théorie  logique,  et  ne 
voyant  d'autre  source  de  connaissance  que  les  sens^  il  enseignait 
que  nous  ne  connaissons  que  nos  sensations,  mais  nçn  la  nature 
des  choses  qui  nous  les  procurent.  C'est  une  théorie  que  nous  ver- 
rons se  développer  avec  une  prétention  scientifique. 

11  jie  nous  reste  rien  des  nombreux  ouvrages  qu' Aristippe  avait 
composés. 

132.  Aréfé.  — Comme  dans  l'Ecole  cynique,  nous  trouvons  dans 
l'Ecole  cyrénaïque  une  femme.  C'est  Arété,  fille  d' Aristippe.  Ins- 
truite par  son  père,  elle  transmit  les  mômes  doctrines  à  son  fils 
Aristippe  le  jeune,  et  fut  ainsi  un  moment  le  chef  de  cette  école. 

133.  Aristippe  le  jeune.  —  Le  fils  d'Arété,  Aristippe  le  jeune 
fut  surnommé  Métrodidacte,  parce  qu'U  fut  instruit  par  sa  mère, 
dans  la  philosophie*  Il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  écrit  aucun  ouvrage. 
Mais  on  pourrait  croire  par  ce  qu'en  dit  Diogène  Laèrce^  qu'il  es- 
saya de  développer  les  théories  de  son  aïeul.  Tandis  que  pourcelui-oi 


404  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

le  repos  n'était  pas  un  plaisir,  Aristippe  le  jeune  l'aurait  admis 
comme  un  plaisir  inférieur,  à  côté  du  plaisir  en  mouvement  qai 
résulte  des  sensations  agréables. 

134.  Annicéris.  —  Annicéris  naquit  à  Cyrène  vers  3iO,  et 
c'est  à  Alexandrie  qu*ii  fiorissait  en  Tan  30Q.  11  fonda  dans  TEcule 
cjrénaîque  la  secte  des  Ayiîiicériâns.  En  eflfet  sa  doctrine  se  rap- 
proche davantage  de  celle  d'Epicure.  Il  n'admettait  pas  «ne  fio 
commune  de  la  vie  humaine,  mais  il  voulait  que  chacun  de  dos 
actes  eût  pour  fin  le  plaisir,  et  pour  lui  le  plaisir  devait  être  positif, 
comme  dans  la  théorie  d'Aristippe.  Il  ne  comptait  pour  rien  Tab- 
sence  de  la  douleur,  qu'Epicure  considérera  comme  le  vrai  bleo. 
Mais  11  estimait  les  plaisirs  de  l'esprit  et  de  plus  il  voulait  que  la 
prudence  nous  fasse  supporter  un  mal  présent;  en  vue  d^un  plaisir 
futur.  Ceci  est  exactemeut  le  fond  de  la  morale  d'Epicure. 

137.  Théodore  de  Ojrène.  —  Théodore  né  h  Cjrêne,  fat 

disciple  d* Annicéris  et  d' Aristippe  le  jeune.  Il  paraît  avoir  été  àa 
môme  âge  qu' Annicéris.  Il  fonda  lui  aussi  une  secte,  celle  des 
Théodoriens, 

Au  lieu  du  plaisir  et  de  la  douleur,  il  pose,  comme  fin  à  recher- 
cher ou  à  éviter  dans  chacune  de  nos  actions,  le  contentement  et 
le  chagrin.  Par  suite  il  ne  voit  qu'une  seule  vertu  :  la  prudence  à 
nous  procurer  le  contentement  ;  et  un  seul  vice  :  la  sottise  ou  TinH 
prudence  qui  nous  empoche  d'éviter  le  chagrin.  Il  parle  aussi  de 
la  justice  ;  mais  elle  n'est  pour  lui  que  Ta  propos  de  chacun  de  nos 
actes  bons  ou  mauvais.  Ainsi  tout  est  permis  au  sage,  qui  sait 
choisir  le  moment. 

D'ailleurs  il  n'était  pas  détourné  d'une  pareille  morale  par  la 
crainte  de  Dieu,  puisqu'il  enseigna  formellement  l'athéisme,  dans 
son  traité  des  dieux^  le  seul  ouvrage  qu'il  ait  écrit.  Cette  doctriae 
lui  valut  une  condamnation  devant  l'Aréopage,  et  les  autears  m 
sont  pas  d'accord  sur  l'issue  de  son  procès.  Selon  les  uns  il  fat 
sauvé  de  la  mort  par  Démétrius  de  Phalôre  ;  selon  d'autres,  il  dot 
boire  la  cigué,  comme  Socrate. 

•  136.  EThémère.  —  On  i^  sait  rien  de  bien  certain  sur  la  vie 
de  ce  philosophe,  mais  son  système  a  été  depuis  plusieurs  fois  em- 


GRECS.  —  ÉCOLE  MÉGARIQUB  495 

ployé  et  s'est  appelé  de  son  nom  Yévhémérisme.  Ce  système  con- 
siste à  dire  que  les  dieux  ne  sont  que  des  hommes  que  la  crainte  ou 
l'admiration  ont  divinisés. 

Evhémère  naquit -peut-être  en  Sicile,  d'autres  disent  à  Messône 
'  et  il  florissait  probablement  vers  Tan  300. 

Il  exposait  sa  théorie  dans  un  ouvrage  intitulé  Histoire  sacrée, 
qui  ne  nous  est  pas  parvenu,  mais  dont  beaucoup  d'auteurs,  païens 
%t  chrétiens,  ont  longuement  parlé.  S'appuyant  sur  les  inscriptions 
des  temples,  il  prétendait  reconstruire  Thistoire  humaine  de  tous 
les  dieux  des  grecs  et  montrer  que  ceux  que  Ton  adorait  ainsi 
n'étaient  que  des  rois  ou  des  conquérants  ou  quelquefois  des  bien- 
faiteurs de  l'humanité . 

Quelle  était  la  vraie  pensée  d'Evhémôre  ?  Voulait-il  seulement 
combattre  le  polythéisme  ?  ou  attaquait-il  par  le  même  moyen  toute 
idée  de  la  divinité  ?  Les  apologistes  chrétiens  l'ont  entendu  dans  le 
premier  sens  et  par  suite  l'ont  approuvé  ;  les  défenseurs  du  paga- 
nisme au  contraire  l'ont  déclaré  athée .  Les  monuments  qui  nous 
restent  ne  nous  permettent  pas  de  trancher  la  question.  Il  est  vrai 
qu'Evhémére  ne  se  prononce  que  sur  les  dieux  du  paganisme  ;  mais 
il  n'est  pas  sûr  qu'il  en  connût  un  autre,  et  s'U  connaissait  la  doo- 
ctrine  de  l'unité  de  Dieu,  il  n*en  a  pas  parlé. 

%  5.   -  ICaLI  liftiRIQUI. 

137.  Euclide.  —  Euclide  naquit  à  Mégare  vers  l'an  440.  Il  ne 
faut  pas  le  confondre  avec  Euclide  le  géomètre  qui  vivait  à  Ale- 
xandrie sous  les  Ptolémées. 

Euclide  s'était  déjà  nourri  des  écrits  de  Parménide  quand  il  con- 
nut Socrate  et  s'attacha  à  lui  au  point  de  venir  tout  exprès  de 
Mégare  à  Athènes  pour  l'entendre.  La  distance  entre  les  deux  vil- 
les était  d'environ  40  kilomètres.  Il  n'est  donc  pas  admissible 
qu'Euclide  y  soit  allé  chaque  soir  pour  en  revenir  le  matin,  comme 
on  l'a  affirmé,  en  ajoutant  qu'il  se  déguisait  en  femme,  pour  éviter 
la  peine  de  mort  portée  contre  les  Mégariens  qui  entraient  dans 
Athènes.  Il  est  certain  du  moins  qa'Euclide  vint  à  Athènes  recueiL 
lir  les  dernières  paroles  de  Socrate  le  jour  de  sa  mort. 


496  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

Déjà  à  ce  moment  il  avait  fondé  une  école  à  Mégare.  C*est  là  qi» 
se  réfugiôi'ept  les  disciples  de  Socrate  et  Platon  lui-môme  ne  dé- 
daigna pas  de  suivre  ses  leçons,  et  ses  théories  en  ont  gardé 
Tempreinte . 

—  Selon  Euclide  Tessence  du  bien  c'est  l'unité.  D'où  il  soit  que 
le  monde,  qui  est  multiple,  est  sans  rapport  avec  le  bien.  De  plas 
l'unité  c'est  l'être  :  d'où  il  suit  que  le  monde  qui  change  sans  ceest 
n'est  qu'une  illusion.  Dès  lors  le  bien  seul  existe  et  tout  ce  qui  asi 
est  bien.  Tout  ce  qui  participe  à  l'unité  est  bien  à  un  point  de  vœ. 
C'est  ainsi  que  selon  Ëuclide  :  Dieu  est  un  bien,  mais  non  pas  k 
bien  absolu. 

Euclide  avait  pris  dans  l'Ecole  éléatique  sa  doctrine  de  rnnité, 
seulement,  fondant  cette  théorie  avec  celle  de  Socrate,  il  lui  doxuâ 
une  partie  morale  et  ce  que  Parménide  disait  du  vrai,-  il  le  dit  au 
bien.  Il  prit  dans  la  môme  école  sa  dialectique.  Il  rejetait  les  corn* 
paraisons  de  Socrate  et  disait:  a  Si  ces  exemples  sont  tirés  de  cho- 
ses semblables,  il  vaut  mieux  tirer  la  preuve  de  leur  natora 
commune  ;  s'ils  sont  tirés  de  choses  différentes,  Os  ne  sont  p»â 
concluants.  »  Pour  détruire  les  opinions  de  ses  adversaires,  il  s'at- 
tachait comme  les  sophistes  à  en  tirer  des  conséquences  absurde; 
si  bien  que  ses  disciples  y  puisèrent  une  argumentation  subtile  qui 
leur  valut  le  surnom  de  disputeurs  (èpiortxoi). 

Avant  Aristote,  de  l'aveu  môme  de  celui-ci,  Euclide  distingaa 
l'acte  et  la  puissance,  mais  c'était  pour  les  confondre  ensuite  M 
pour  dire  que  la  puissance  n'existe  qu'avec  l'acte  et  que  le  passage 
de  la  puissance  &  l'acte  est  impossible.  Cette  conclusion  était  cos- 
forme  &  son  principe  que  l'ôtre  c'est  l'unité,  et  s'accordait  d'ailleurs 
avec  les  doctrines  des  Eléates,  qui  niaient  la  possibilité  du  mou- 
vement. 

138.  Eubulide  de  Milet.  —  Eubulide  ne  fut  pas  le  disciple 
immédiat  d'Euclide  ;  il  vint  aprôs  Clinomaque  et  après  Iehthja5, 
dont  on  ne  connaît  guère  que  les  noms  ;  mais  il  acquit  dans  TËcole 
une  grande  renommée.  Il  vivait  dans  le  IV'  siècle.  Il  combattit 
surtout  Aristote. 

En  effet,  les  deux  doctrines  sont  diamétralement  opposées  :  tau* 
dis  qu' Aristote  part  des  données  des  sens,  pour  découvrir  les  lois  de 


GRECS.  —  ÉCOLE  MÉGARIQUE  497 

tontes  choses,  Eubulide,  d'accord  avec  son  école  part  de  l'idée  de 
l'unité  immuable  et  préfère  rejeter  le  témoignage  des  sens  plutôt 
que  d'admettre  Texistence  du  multiple.  C'est  pour  rejeter  la  possi- 
bilité du  multiple  qu'il  semble  avoir  composé  les  arguments  fameux 
que  Diogône  Laérce  nous  a  conservés,  et  dont  voici  les  prin- 
cipaux : 

Le  chauve.  —  Un  cheveu  de  moins  ne  rend  pas  un  homme 
chauve.  J'ôte  ce  cheveu.  Mais  un  cheveu  de  moins  ne  le  rendra 
pas  chauve.  J'ôte  encore  ce  cheveu.  Ainsi  de  suite,  jusqu'au  mo- 
ment Dû  il  n'a  plus  de  cheveux,  et  où  l'argument  force  à  dire  qu'il 
n*est  pas  chauve. 

Le  tas.  —  Un  grain  de  blé  ne  fait  pas  un  tas.  J'ajoute  un  grain 
de  blé.  Ce  n'est  pas  un  tas.  Ajoutant  ainsi  indéfiniment  un  grain 
de  blé,  on  n*a  jamais  un  tas  ;  toujours  d'après  le  principe. 

Le  cornu. —  Vous  avez  ce  que  vous  n'avez  pas  perdu.  Or 
vous  n'avez  pas  perdu  les  cornes.  Donc  vous  avez  les  cornes. 

IjC  voilé.  —  Connaissez-%'Ous  cette  personne  voilée  ?  Non.  Con- 
naissez-vous votre  père  ?  Oui.  Or  cette  personne  voilée  est  votre 
père.  Donc  vous  connaissez  votre  père  et  vous  ne  le  connaissez 
pas. 

Le  menteur.  —  Si  vous  dites  :  Je  mens,  et  que  vous  mentiez 
en  effet,  vous  mentez  et  vous  dites  la  vérité. 

On  présente  aussi  cet  argument  sous  une  forme  plus  ingé. 
nieuse.  —  Epiménide  a  dit  que  les  Cretois  sont  menteurs.  Or  il  est 
Cretois.  Donc  il  ment,  et  les  Cretois  ne  sont  pas  menteurs.  Mais  il 
est  Cretois.  Donc  il  a  dit  vrai,  et  les  Cretois  sont  menteurs.  Or  il 
est  Cretois,  etc. 

On  voit  qu'en  visant  &  la  subtilité  pour  confondre  ses  adver- 
saires, Eubulide  unit  par  n'être  qu'un  maigre  sophiste^  et  mérita 
le  surnom  de  disputeur. 

139.  Stilpon  de  Mégare.  —  Stilpon  né  à  Mégare,  fiorissait 
vers  Tan  300,  et  paraît  avoir  eu  une  grande  renommée  et  une 
grande  influence,  puisqu' Antigène,  après  avoir  pris  Mégare,  ordonna 
d'épargner  la  maison  du  philosophe  et  de  lui  laisser  tous  ses  biens  ; 
ce  que  Stilphon  ne  voulut  pas  accepter,  disant  qu'il  lui  suffisait 
àe  posséder  la  raison  et  la  science. 

32 


498  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Il  professait  la  doctrine  d'EucHde  et  ne  fit  qu'en  tirer  qnelqiie 
conclusions.  L'ôtre  n'a  rien  de  contingent  et  le  contingent  nepei^ 
pas  être.  Donc  les  choses  du  mondé  ne  sont  rien,  et  les  idées 
môme  qui  les  expriment  sont  sans  fondement.  On  ne  peutdonneri 
un  sujet  qu'un  attribut  identique.  Par  exemple  on  ne  jjeut  dire  :  Le 
cheval  court  ;  car  si  Tattribut  diffère  du  sujet,  on  ne  peut  affinaff 
l'un  de  l'autre,  et  si  cet  attribut  est  identique  à  ce  siget,  on  v 
pourra  plus  dire  :  Le  lion  court . 

Avec  ces  principes,  Stilpon  devait  conclure,  comme  il  l'a  fait 
que  le  souverain  t)ien  est  dans  Timpassibilité  de  rdme;  cartoatee 
qui  fait  l'objet  de  nos  passions  n'existe  pas. 

Toutes  ces  théories  sont  la  conséquence  rigoureuse  de  la  dociw 
d'Euclide  :  que  l'unité  seule  existe. 

140.  Diodore  Cronos.  — Diodore,  né  à  Jasos,  en  Carie,  àiSè 
la  2*  moitié  du  lY*  siècle,  appartenait  à  l'école  de  Mégare  «t 
devint  l'hôte  et  l'ami  de  Ptolémée  Soter.  On  dit  que  n'avant  p»s 
répondu  sur  le  champ  à  une  difficulté  que  le  roi  lui  proposait,  il 
mourut  de  douleur.  D'autres  disent  qu'il  mourut  de  chagrifltl^ 
n'avoir  pu  résoudre  les  arguments  d'Eubulide ,  et  particulièremeal 
le  menteur.  Cependant  Cicéron  le  qualifie  de  vaillant  dt'aleô- 
ticien. 

En  effet,  il  attaqua  toutes  les  doctrines  qui  ne  par  talent  pas  do 
principe  mégarique  de  l'unité.  Il  s'en  prenait  particulièrement  i 
trois  ordres  de  faits  :  la  possibilité  du  mouvement,  le  passage  de  la 
puissance  à  l'acte,  la  légitimité  des  propositions  conditionnelles. 
Contre  le  mouvement  il  reprenait  les  arguments  de  Zenon  d'B* 
et  en  ajoutait  d'autres .  Contre  la  puissance  et  l'acte  il  ajoat&it 
aux  arguments  d'Euclide  que  ce  qui  sera  sera  nécessairement  ^ 
qu'ainsi  il  n'y  a  rien  de  possible^  puisque  tout  est  déterminé  d'a- 
vance. Par  les  mômes  principes  il  rejetait  les  propositions  coadi- 
tionnelles  purement  contingentes  et  ne  les  admettait  que  dans  1< 
cas  ou  l'antécédent  et  le  conséquent  sont  liés  d'une  manière 
nécessaire. 

On  Toit  que  de  tout  point  cette  doctrine  mène  au  fatalisme.  C*eft 
encore  la  conséquence  du  principe  :  «  L'unité  seule  existe,  s 


r.RECS.    —    PLATON.   —   i/aCADÉMIE  409 

Observation.  —  Ainsi  l'œuvie  de  Socrale  semblait  se  perdre  quel- 
qups  années  apn'issa  mort.  Des  écoles  formées  par  son  inspiration,  l'une 
exaucerait  la  vertu,  la  rendait  impraticable  et  d'ailleurs  la  faisait  mé])ri- 
scr  en  la  fondant  sur  l'orgueil;  une  autre  prenait  déjà  le  contre-pied  de 
ce  (lue  Socrate  avait  enseij^né,  en  confondant  le  bien  avec  l'agréable;  la 
troisième  se  perdait  dans  les  subtilités  de  la  dispute  et  d'ailleurs  rendait 
inutile  toute  morale  en  niant  la  possibilité  de  passer  librement  du  mal 
au  bien  ou  du  bien  au  mieux. 

Heureusement  il  restait  un  disciple  immédiat  de  Socrate,  celui  que 
IMeu  appelait  à  conserver  et  à  perfectionner  Tœuvre  de  son  maître.  Ce 
disciple  ûdèic,  ce  génie  httéraire  et  philosophiqtte,  cet  homme  qui  le 
premier  a  dévoilé  à  la  raison  humaine  sa  véritable  nature  et  l'étendue 
de  sa  puissance  :  c'est  Platon.  A  quelque  école  que  Ton  appartienne  on 
ne  peut  s'empêcher  d'admirer  la  supériorité  de  son  intelligence,  la  fécon- 
dité de  son  style,  Igi  droiture  de  son  cœur  et  de  sa  volonté.  Mais  toute 
grandeur  humaine  a  son  côté  faible.  Platon  a  eu  l'excès  de  ses  qualités: 
la  sublimité  des  vues  de  la  raison  lui  a  fait  oublier  les  données  de 
l'expérience,  et  la  contemplation  de  l'image  de  l'infini  lui  a  fait  croire 
qu'il  le  possédait  déjù. 

8  6.   PLATON.  -  L'AGiDiNlB. 

141.  Vie  de  Platon.  —  Platon  naquit  à  Athènes,  on  dans 
l'île  d'Egine,   l'an  430.  Son  père  s'appelait  Ariston  et  descendait 
disait-on  de  Oadmus  ;  sa  mère  nommée  Périctioné ,  descendait  d*un 
fpère  de  Solotf.   Lui  môme  porta  le  nom  de  son  grand  père,  Aris- 
toclès ,  et  reçut  plus  tard  le  surnom  de  Platon,  qui  lui  est  resté 
dans  l'histoire.  Il  reçut  une  éducation  brillante,  dans  laquelle  les 
arts  tenaient  une  grande  place.  Il  cultivait  plus  particulièrement  la 
poésie,   quand  il  connut  Socrate.  Il  avait  alors  vingt  ans.  Il  avait 
déjà  étudié  la  philosophie,  sous  la  direction  de  Cratyle,  discipile 
d'Héralite,  et  d'Hermogône,  disciple  de  Parmônide.  Socrate  donna 
à  son  esprit  une   direction   plus  pratique,  et  Platon  fut  un  do  ses 
disciples  les  plus  fidèles.  On  croit  qu'il  composa  quelques  dialogues 
du  vivant  môme  de  Socrate.  Quand  son  maître  fut  mis  en  accusa- 
tion, il  essaya  de  le  défendre;  mais  la  foule  le  précipita  hors  de  la 
tribune.  Retenu  par  la  maladie,  il  n'eut  pas  la  consolation  d'assister 
à  ses  derniers  moments,  qu'il  a  si  bien  racontés  dans  le  Phédon. 
Il  avait  alors  trente  ans.    , 


500  HISTOIRE  DE    LA    PHILOSOPHIE 

Après  la  mort  de  Socrate,  Platon  se  retira  à  Mégare ,  auprès 
d'Euclide  dont  il  écouta  volontiers  les  leçons  ;  de  là  il  se  rendit  à 
Cyrône,  auprès  de  Théodore,. et  ensuite  en  Egypte.  Il  visita  aussi 
la  grande  Grèce ,  où  il  entendit  Archy tas  de  Tarente,  et  acheta  si 
cher  les  trois  livres  de  Philolaûs.  C'est  ainsi  qu'avant  d'enseigner 
lui-môme  il  s'instruisit  de  toutes  les  doctrines. 

S'étant  rendu  aussi  en  Sicile,  auprès  de  Denys  l'Ancien,  il  fat 
d'abord  son  ami.  Mais  sa  franchise  ayant  déplu  au  tyran,  celui-ci 
le  retint  d*abord  prisonnier,   puis  le  fit  vendre  comme  esclave. 
Heureusement  AnniCéris  de  Cyrène  le  racheta.  Il  retourna  alors 
dans  sa  patrie,  vers  l'an  380,  et  ouvrit  son  école  dans  les  jardins 
d*Académus  ;  il  y  continua  ses  leçons  pendant  •  vingt-deux  ans.  Il 
retourna  encore  deux  fois  en  Sicile,   espérant  amener  Denys  à 
organiser  son  gouvernement  d'après  les  idées  qu'il  lui  suggérait.  Ij 
fut  trompé  dans  son  attente  et  revint  à  Athènes,  où  il  mourut  à 
Tâgede  quatre-vingt-trois  ans,  l'an  347. 

Ainsi  la  vie  de  Platon  tout  entière  fut  consacrée  à  Tétude  puis  à 
l'enseignement  de  la  philosophie.  Il  ne  remplit  jamais  aucune 
charge  publique,  peut-être  parce  qu*il  vécut  dans  les  plus  mauvais 
temps  de  la  république  d'Athènes,  soup  la  dominatiou  de  Lysandre, 
puis  des  trente,  et  enfin  de  Philippe,  lorsque  déjà  il  pouvait  pres- 
sentir l'asservissement  futur  de  sa  patrie . 

Quelques  auteurs  l'ont  fait  voyager  jusque  dans  l'Inde ,  mais 
leur  assertion  ne  paraît  pas  fondée,  et  si  le  fait  était  vrai,  on  en 
trouverait  quelques  traces  dans  ses  écrits. 

142.  Ouvrages  de  Platon.  —  Ce  qui  montre  bien  la  haute 
estime  que  la  postérité  a  toujours  eue  pour  Platon,  c'est  que  ses 
ouvrageç  nous  sont  parvenus  en  entier.  Les  œuvres  de  Platon, 
telles  que  nous  les  possédons  aujourd'hui  renferment  40  dialogues^ 
18  lettres^  plus  des  épigrammes  et  des  définitiojis. 

Mais  d'abord  dans  ces  quarante  dialogues,  il  y  en  a  au  moins 
cinq  qui  ne  doivent  pas  lui  être  attribués,  et  tout  ce  qui  vient  apr^ 
les  dialogues  est  également  supposé.  Quelques  auteurs  ont  voula 
faire  déclarer  inauthentiques  un  bien  plus  grand  nombre  de  dialo. 
gués  ;  mais  leurs  raisons  ne  nous  paraissent  pas  concluantes,  et  ne 
doivent  pas  prévaloir  contre  la  tradition.  Cependant  le  doute  e&\ 
au  moins  permis  pour  cinq  dialogues,  outre  ceux  qui  sont  généra- 
lement rejetés.  En  voici  la  liste  complète  : 


GRECS.    —  PLATON.—  l'ACADÉMIE  501 


DIALOGUES  AUTHENTIQUES 


SUJETS  DE  DIALECTIQUE 

Euihydéme  ou  de  la  Sophistique. 

Théétèle  ou  de  la  Science. 

Cratyle  ou  de  la  Propriété  des  noms. 

SUJETS  DE  MÉTAPHYSIQUE 
Ld  SophUte  ou  de  l'Être. 
Parménide  ou  de  l'Un. 
Timée  ou  de  la  Nature. 

SUJETS   DE    MORALE 


Apologie  de  Socrate- 

Phédon  ou  de  l'Immortalité  de  Tâme. 

Lysiê  ou  ds  l'Amitié. 

Charmide  ou  de  la  Sagesse* 

Lâchés  ou  du  Courage 

Le  Politique  ou  de  la  R(fyauté. 

La  République  ou  de  la  Justice. 

Les  Lois. 

SUJETS    d'ESTHÉTIQUB 
ET  DE    MORALE 


Le  Banquet  ou  de  l'Amour. 
Phèdre  ou  de  la  Beauté* 
Gorgias  ou  de  la  Rhétorique. 
Hippias  (minor)  ou  du  Beau.  i 

Ménexène  ou  d%  l'Oraison  funèbre. 
Ion  ou  de  la  Poésie. 


/•'  Alcibiade  ou  de  la  Nature  humaine. 

PHM>e  ou  du  Plaisir. 

Ménon  ou  do  la  Vertu. 

Protagoras  ou  les  Sophistes. 

Eutyphron  ou  le  Saint. 

Criton  ou  le  Devoir  d'un  citoyen. 

DIALOGUES  D*UNE   AUTHENTICITÉ    DOUTEUSE; 

Erixias,   Axiochus,  les   Rivaux,  sur  la  Justice,  sur  la  Vertu, 

DIALOQUES  APOCRYPHES 

Epinomts,  Démodocus,  Sisyphe,  hipparque,Minos,  !!•   AUfibiade,   Clitophon,  Thê' 
âgés,  Hippias  (major). 

On  a  essayé  d'indiquer  approximativement  l'époque  à  laquelle 
Platon  a  composé  chacun  de  ces  dialogues  ;  nous  ne  dirons  rien  du 
résultat  de  ces  recherches  :  on  n'a  pu  obtenir  que  des  conjectures. 

143.  Doctrine  de  Platon.  —  Platon  a  puisé  ses  doctrines  chez 
tous  les  philosophes  qui  l'avaient  précédé  et  surtout  chez  Soci*ate. 
Mais  il  a  coordonné  tout  cela  dans  un  vaste  ensemble  qu'il  a  fait 
sien.  11  a  traité  successivement  toutes  les  questions.  La  logique, 
la  métaphysique,  la  psychologie,  la   théodicée,  la  morale,  Testhé- 
tique,   les  arts  et  les  çciences  :  tout  se  présente  sous  sa  plume^ 
tantôt  expressément,  tantôt  par  digression,  et  comme  par  abon- 
dance de  style.  Il  interroge  les  données  des  sens,  avec  les    Ioniens 
et  les  Atomistcs;  avec  Pythagoro  et  les  Elôates,  il  donne  la  priorité 
à  la  raison  ;   avec  Socrate,  il  interroge  la  conscience  et  recherche 
l'universel  ;  avec  Pythagore,  il  croit  à  Tharmonie  des  êtres  et  du 
monde  ;  mais  il  élève  toutes  ces  théories  à  la  hauteur  d'une  science 
par  la  rechercho  des  idles,  et   au  sommet  des  idées  il  place  Tidée 
du  Inen. 

La,  méthode  qu'il  suit  est  surtout  celle  de  Socrate.  Employant 
comme  lui  Tinterrogation  ou  Vironie,  il  recherche  la  définition  et 
par  là-môme  Vuniversel,  Enfin  au-delà  de  l'universel,  ou   quel- 


502  HISTOIRE   D£   LA   PHILOSOPHIE 

quefois  dans  Tuniversel  môme,  il   conçoit  l'immuable,  Tabsoln  : 
cVst  Vid(^e, 

Il  a  d'ailleurs  deux  doctrines  ;  l'une  élémentaire  ou  ppéparatoire 
et  qu'il  confie  à  tous  :  c'est  la  doctrine  exotêrique  ;  l'autre  transean 
dante,  qui  est  le  terme  de  la  première,  qu'il  n'expose  qu'à  ceux  qui 
sont  devenus  capables  de  la  recevoir  :  c'est  la  doctrine  ésotrn'q't':. 
Il  déclare  lui-môme  que   cette  dernière  ne  peut  pas   être    expseée 
par  écrit,  et  que  la  i)arole  seule  est  capable  de  la  mettre  au  joar. 
Aussi  ses  écrits  ne  renferment  guère  que  la  première.    Mais  ils  es 
disent  assez  pour  que  nous  sachions  quel  était  le  fond    de  cette 
doctrine  supérieure,   réservée .  aux  initiés .    C'est  l'idée   du  bien, 
considérée  comme  l'essence  même  de  Dieu,  comme    renfermast 
toutes  les  autres  idées,  comme  principe  et  fin  de  toutes  choses. 

144.  Théorie  de  la  connaissance.  Théorie  des  idées.  — 

La  base  de  tout  le  système  philosophique  de  Platon,  c'est  la  théo- 
rie de  la  connaissance,  et  le  couronnement  de  la  théorie  de  la  con- 
naissance, c'est  la  théorie  des  idées,  qui  en  même  temps  sert  de 
fondement  à  tout  le  système  et  l'explique  tout  entier. 

La  connaissance  de  l'homme,  selon  Platon,  a  deux  degrés  :  Topi- 
nion  (86Ça),  et  la  science  (eiîiarrrjjXT^).  La  première  a  pour  objet  Je 
monde  sensible,  la  deuxième  a  pour  objet  le  monde  intelligible. 
L'opinion  a  son  tour  se  présente  sous  deux  formes  :  la  conjectore 
(etxaTia),  et  la  croyance  ;  (tcÎttiç)  de  même  que  la  science  a  aussi 
deux  formes  :  la  connaissance  discursive  (Siàvoia),  et  la  pure  intd- 
ligence  (voifi<ri;). 

Les  images  des  objets  sensibles,  venant  frapper  nos  sens,  doqs 
\iVOQ.nveixX  àQ^  sensations  (perceptions  sensibles),  qui  ne  sont  que 
des  apparences  et  qui  nous  permettent  de  conjecturer  les  qualités 
des  objets  perçus.  L'âme  qui  voit  ainsi  les  images  des  corps  ca 
conclut  que  les  corps  ressemblent  à  ces  images  et  elle  se  forme 
une  croyance  ou  une  opinion  sur  la  nature  des  corps.  Mais 
comme  ces  objets  sont  variables^  il  ne  nous  est  pas  possible  d  ea 
faire  l'objet  de  la  science,  qui  ne  poiie  que  sur  l'immuable.  L'esprit 
généralise  les  qualités  perçues  et  conçoit  parla  la  nature  des  objets; 
c'est  la  vue  de  l'universel.  Ce  sont  les  notions.  Mais  elles  partici- 
pent encore  à  leur  origine  sensuelle  et  par  suite  variable,  et  surtout 
particulière  et  propre  à  chaque  homme.  Par  le  travail  du  raison- 


GRECS.    —  PLATON.    —  l'ACADÉMIE  503 

nement  Tesprit  atteint  encore  certaines  notions,  qai  n'ont  plus 
i*ien  de  variable  :  ce  sont  des  vérités  nécessaires ,  mais  elles  ne  sont 
que  le  plus  bas  degré  de  la  science,  la  conntiissance  discursive. 

Au  dessus  des  notions  formées  par  la  généralisation  des  qualités 
sensibles,  au  dessus  môme  des  vérités  nécessaires  démontrées,  la 
pure  intelligence  saisit  et  comprend  les  vérités  nécessaires  propre- 
ment dites,  les  modèles  même  sur  lef>quels  toutes  choses  «ont  for 
mées,  les  essences  des  choses,  les  principes  absolus  de  toute  démons- 
tration. Ce  sont  les  idées. 

Les  idées  sont  ordre  et  harmonie.  Elles  ne  sauraient  être  conçues 
autrement:  elles  sont  donc  nécessaires.  Je  ne  puis  concevoir  un 
temps  où  elles  n'étaient  ou  ne  seront  pas  vraies.  Elles  sont  donc 
éternelles.  Mais  Tordre,  l'harmonie,  qui  les  règle,  qui  les  fait  ce 
qu'elles  sont,  est  à  son  tour  une  idée,  l'idée  supérieure  à  toutes  les 
autres:  c'est  Vidée  du  bien.  Au  fond  elles  ne  sont  rien  autre  chose 
que  cette  même  idée  du  bien,  et  si  elles  se  distinguent,  ce  n'est 
que  par  rapport  aux  choses  variables  dont  elles  sont  les  modèles, 
mais  en  elles-mêmes,  elles  sont  une  seule  et  même  idée. 

Cependant  ces  idées  qui  sont  en  moi,  ne  viennent  pas  de  moi« 
elles  sont  au  dessus  de  moi  ;  elles  subsistent  en  dehors  de  moi, 
puisqu'elles  sont  éternelles  :  elles  subsistent  en  Dieu,  elles  sont 
Dieu  lui-même.  Ainsi  Dieu  lui-même  est  intelligence  et  ordre.  Il 
est  le  bien  subsistant. 

Or  quand  j'aperçois  ces  idées,  je  sens  bien  que  je  ne  les  apprends 
pas  à  ce  moment  là  ;  je  les  trouve  en  moi  et  elles  s'offrent  à  moi 
comme  une  réminiscence.  Il  faut  donc  que  je  les  aie  perçues  autre- 
fois. Et  puisqu'elles  ne  sont  qu'en  Dieu,  c'est  en  Dieu  que  je  les  ai 
perçues,  dans  une  vie  antérieure,  quand  mon  âme  était  en  Dieu. 

145.  Métaphysique  de  Platon.  —  Sur  la  grande  question  de 
l'être  en  général,  Platon  n'est  ni  avec  Heraclite,  pour  lequel  rien 
n'est  stable  et  permanent,  mais  tout  s'écoule,  sans  que  ce  mouve- 
ment universel  ait  une  cause  ni  une  fin;  ni  avec  Parménide,  pour 
lequel  riramuablc  seul  existe  et  le  mouvement  est  impossible.  Pla- 
ton concilie  les  idées  de  l'un  et  du  multiple,  et  déclare  que  l'être 
renferme  l'un  et  l'autre.  Il  appelle  fini  (îcspac,)  ce  qui  est  complet, 
l'immuable,  qui  n'acquiert  rien  et  ne  perd  rien,  et  infini  (àipiTTov,) 
ce  qui  est  indéterminé,  ce  qui  peut  êt^e  augmenté  ou  diminué. 


5()4  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

C  est  en  ce  sens,  directement  opposé  au  sens  moderne  des  àmi 
mots,  qa*il  dit  que  tout  se  compose  de  fini  et  d'infini.  L^élémat 
infini  (indéterminé),  cest  la  matière,  l'élément  fini  (dét^^ttia^. 
o*est  l'application,  la  réalisation  de  Tidée. 

Il  y  a  ici  un  souvenir  manifeste  des  doctrines  de  Pjthagoft, 
avec  le  même  sens,  ou  à«peu-près,  dans  les  mots  «  fini^  et  €  ïaÛBi  t. 
Si  Tespace  nous  le  permettait  nous  pourrions  faire  remarquer  beas- 
coup  d'autres  ressemblances  entre  ces  deux,  doctrines. 

146.  Oosmologie  de  Platon.  —  Le  monde  est  formé  d  afa^ 
les  idc^es.  La  matière  est  ôternelle.  Mais  Dieu  y  a  mis  Tord»  « 
Tharmonio,  conformément  à  ses  idées.  C'est  par  bonté  que  Dient 
tout  disposé  dans  le  monde  ;  c'est  parce  qu*il  est  le  bien,  qa'O  \ 
tout  ordonné  pour  le  bien. 

■ 

Platon  no  conçoit  pas  la  matière  comme  une  substance  essenti4 
lomont  étendue,  comme  Ta  fait  plus  tard  Descartes  ;  pour  loi  !i 
mat îfb-e  est  une  pure  passivitcf,  uno  capacité  de  recevoir  toata 
les  formes.  Klle  n'est  môme  quelque  chose  qu'autant  qaVlIe  r«o:t 
la  forme  des  idées.  C*est  déjà  en  germe  la  théorie  d'Aristote  sarb 
matière  et  la  forme. 

Cependant  Platon  croit  que  la  matière  est  trop  inférieure  à  I>i« 
pour  qu'il  ait  agi  sur  elle  immédiatement.  11  a  dû  se  servir  é'mti 
nature  intermédiaire  :  c'est  Vdme  du  monde.  Peut-être  par  âœe 
du  monde  n'entendait-il  pas  autre  chose  que  les  idées  appliquées  i 
la  matière.  On  comprendrait  alors  les  passages  dans  lesquels  il 
parle  du  Lot/os  qui  est  la  raison  divine,  la  parole  de  Dieu,  et  qii 
lui  aussi  est  comme  l'intermédiaire  par  lequel  Dieu  a  façonna  k 
monde. 

147.  Psychologie  de  Platon.— Platon  parle  de  râmebun»ifie 
comme  du  principe  de  la  pensée,  de  la  vie  et  du  mouvement,  axas 
l'homme,  et  ne  semble  pas  supposer  qu'il  soit  nécessaire  d*cJ 
démontrer  l'existence,  ni  même  de  dire  ce  qui  nous  amène  à  1» 
concevoir.  L'âme  tient  tout  à  la  fois  au  monde  sensible  et  u 
monde  intelligible.  Elle  a  quelque  chose  de  variable  puîsqo*ell« 
éprouve  des  sensations,  mais  par  sa  participation  aux  idées elk 
entre  dans  le  monde  éternel  et  elle  est  immortelle. 

Pour  exercer  les  différente  degrés  de  sa  connaissance,  il  faat 


GRECS.   —  PLATON.  —  l'académie  505 

qu'elle  ait  différentes  facultés.  E)le  a  donc  la  faculté  de  sentir  ou  de 
percevoir  les  choses  sensibles  :  ce  sont  les  passions  (&ni6u|JiTinH6v) . 
ESlle  a  aussi  la  faculté  d'abstraire  et  de  généraliser,  pour  produire 
les  notions  (6u[jl6;).  Enfin  pour  saisir  les  idées,  elle  a  Tintelli- 
gence  (voû^).  C'est  là  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui  les 
facultés  intellectuelles.  Mais  les  mêmes  puissances  sont  appétitives 
et  actives  et  dés  lors  on  les  voit  remplir  les  fonctions  de  la  sensibi- 
lité et  de  la  volonté.  Les  passions  deviennent  le  principe  de  Vamour 
animal  ;  le  thumos  devieAt  le  cœur,  et  fournit  les  êentiments 
nobles  dans  ce  qui  est  passager  ;  Vintelligence  est  alors  tout  à  la 
fois  le  principe  de  l'amour  supérieur,  de  Vamour  idéal,  et  la 
volonté  libre. 

Déjà  nous  avons  essayé  en  quelques  mots  (pag«  301)  de  défendre  So- 
crate  et  Platon  de  l'accusation  que  quelques  philosophes  contemporains 
veulent  faire  peser  sur  eux,  d'avoir  méconnu  la  liberté  de  Fàrae  humaine. 
Nous  devons  ici  expliquer  plus  longuement  notre  pensée. 

Platon  ne  nie  pas  la  liberté,  au  contraire  il  en  parle  plus  d'une  fois. 
S'il  n'en  donne  aucune  démonstration,  c'est  que  cette  vérité  n'avait  pas 
été  attaquée  de  son  temps.  Quand  il  recommande  la  justice,  la  recher- 
che du  bien,  la  pratique  de  toutes  les  vertus  et  particulièrement  la  tem- 
pérance, sans  laquelle,  dit- il,  l'homme  ne  saurait  être  maître  de  lui-même, 
il  suppose  la  liberté.  Il  nous  semble  donc  que  pour  l'accuser  de  fata- 
lisme ou  de  toute  autre  doctrine  analogue,  il  faudrait  qu'il  l'eût  dit  for- 
mellement. Au  contraire  il  définit  l'âme  «  une  substance  qui  a  la  faculté 
de  se  mouvoir  elle-même  ». 

Mais,  dira-t-on,  il  enseigne  que  la  vertu  est  une  science,  que  dès  qu'on 
connaît  le  bien  ou  le  veut,  et  que  l'homme  qui  fait  le  mal  ne  fait  pas 
ce  qu'il  veut.  —  Nous  ne  voyons  en  tout  cela  que  des  exagérations  de 
mots,  fondés  sur  cette  intime  persuasion,  que  l'homme  est  naturellement 
fait  pour  le  bien  absolu,  et  que  pour  lui  faire  faire  le  bien,  ilsuflit  de  le 
lui  munlrer.  Mais  ces  paroles  ne  disent  pas  qu'en  faisant  le  bien  dès 
qu'il  le  voit  comme  bien,  l'iiomme  ne  le  fasse  pas  librement. 

148.  Théodicée  .de  Platon.  <—  Nous  l'avons  dit  déjà,  Platon 
conçoit  Dieu  sous  Tidée  du  bien  ;  il  rappelle  quelquefois  simplement 
le  Bien,  Et  comme  l'idée  du  bien  résume  toutes  les  idées  ;  Dieu 
résume  en  lui  toutes  les  idées;  il  est  la  substance  des  idées. 
Eternel,  immuable  et  absolu  comma  les  idées,  il  est  souveraine- 


506  HISTOIRB   DE  LA    PHILOSOPHIE 

ment  parfait.  Il  est  la  beauté  même  et  le  principe  de  toute  ps- 
fection.  Il  est  par  là-méme  la  souTeraine  intelligence  et  le  pn- 
cipe  des  intelligences,  C'est  par  sa  lumière  que  no8  intellige«e 
▼oient  les  idées,  comme  nos  yeux  voient  les  objets  corporels  paria 
lumière  du  soleil. 

Dieu  a  disposé  la  matière  selon  les  idées  et  formé  le  mon^ 
qu'il  gouverne  ensuite  par  une  Providence  attentive  aux  moindres 
détails. 

Dirons*nous  que  Platon  conçoit  Dieu  comme  libre  ?  Oui,  %ar  îî 
dit  formellement  que  Dieu  a  disposé  le  monde  en  vue  du  bien.  Ih 
pour  entendre  cette  proposition  dans  le  sens  de  la  nécessité  il  fu> 
drait  que  Platon  l'eût  affirmé  ainsi.  C'est  ce  qu'il  n&pie 
fait. 

Il  est  vrai  que  Platon  considère  Dieu  comme  bon  par  essence  et 
faisant  le  monde  parcequ*il  est  bon.  Mais  tous  les  théologien 
catholiques  disent  la  môme  chose,  sans  vouloir  faire  entendre  qœ 
Dieu  agisse  nécessairement. 

De  plus,  Platon  est  optimiste,  et  suppose  que  le  mal  qui  est  das 
le  monde,  n'est  qu'un  moindre  bien,  rendu  inévitable  par  la  natoi^ 
même  du  contingent,  qui  ne  peut  posséder  la  perfection  absolae; 
mais  en  cela  il  veut  comme  plus  tard  Leibnitz,  justifier  la  Pn>ri- 
dence,  et  s*il  pense  que  la  présence  du  mal  est  inévitable,  il  ne  dit 
pas  que  le  choix  de  tel  bien  soit  nécessaire. 

149.  Esthétique  de  Platon.  —  L'esthétique,  c'est-à-din  k 
théorie  des  sentiments,  ou  la  théorie  du  beau,  occupe  une  gnak 
place  dans  la  philosophie  de  Platon.  Il  avait  pris  de  sou  maître. 
Socrate,  cette  haute  estime  du  beau  ;  maison  peut  dire  qu'il  l'a  mieux 
co  mpris,  et  surtout  que  l'idée  qu'il  en  a  est  bien  plus  élevée. 

Au  plus  bas  degré  se  trouve  le  beau  physique,  la  beauté  qai 
vient  des  formes,  et  Platon  fait  grand  cas  de  cette  beauté  éî 
reconnaît  qu'elle  attire  l'Âme  humaine;  mais  il  croit  que  ce  ne^ 
pas  pour  elle-même  qu'on  l'aime.  Il  pense  que  la  beauté  pliTsii^ce 
n'attire  Tâme  que  parce  qu'elle  reflète  l'Ame.  Donc  la  beaatê  et 
Tâme  est  supérieure  à  la  beauté  corporelle. 

Cependant,  au-dessus  de  la  beauté  de  Tàme  elle-même  se  troave 
le  monde  des  idées  qui  nous  fournit  le  beau  idéal,  splendeur  d^ 


/ 


GRECS.  —  PLATON.  —  l'ACADBMIB  507 

ridée  da  bien,  qui  résume  en  elle  tontes  les  idées,  et  dont  Tattrait 
excite  tontes  les  grandes  actions  et  particulièrement  l'enthousiasme 
qni  en  est  le  mobile.  Mais  ce  n*est  pas  tout. 

Par  delà  Fidée  du  bien,  se  trouve  le  bien  en  soi,  réeletsubsistant, 
le  bien  absolu  et  immuable  en  lui-même,  substance  dont  les  idées 
ne  sont  que  les  images.  Le  bien  en  soi,  c'est' Dieu  lui-môme.  Et 
Platon  déclare  que  Tàme  tend  à  s'élever  jusqu'à  cet  amour,  bien 
plus  jusqu'à  posséder  par  Tamour  cette  beauté  absolue  qui  est 
Dieu,  et  on  sent  que  les  expressions  lui  manquent  pour  dire  ce 
qu'il  pressent  du  bonheur  de  celui  qui  arriverait  à  cet  amour  et  à 
cette  possession. 

150.  Morale  de  Platon.  —  Fidèle  aux  principes  de  son 
maître,  Platon  fait  de  la  morale  le  but  de  toute  sa  philosophie. 
La  loi  morale  est  pour  lui  l'idée  du  bien,  et  cette  idée  est  chez  lui 
beaucoup  plus  détachée  de  Tldée  de  l'utile  que  chez  Socrate. 

L'ôtretend  par  sa  nature  à  être  tout  ce  qu'il  peut  être.  11  tend 
donc  ft  la  perfection.  C'est  ainsi  que  la  volonté  tend  naturellement 
vers  le  bien,  que  l'âme  connaît  par  les  idées.  Donc  la  perfection 
de  l'àme  c'est  sa  conformité  aux  idées,  à  l'idée  du  bien.  Cette 
conformité  c'est  la  vertu.  Ainsi  considérée,  en  général,  la  vertu 
s'appelle  la  yt^^tc^.  Elle  consiste  à  disposer  tous  ses  actes  selon 
Tordre  voulu  par  les  idées.  La  justice  dirige  ainsi  l'homme  à 
l'égard  de  lui-même,  à  l'égard  de  la  société,  à  l'égard  des  choses 
môme  et  à  l'égard  de  Dieu. 

Considérée  dans  ses  rapports  avec  les  facultés  de  l'àme  la 
justicct  constitue  trois  vertus  :  la  sagesse,  qui  est  la  justice  de  la 
raison  ;  le  courage^  qui  est  la  justice  du  cour  ;  la  tempérance, 
qui  est  la  justice  de  la  sensibilité  physique,  ou  des  passions.  La 
jxi>stice  proprement  dite  est  la  justice  do  la  volonté,  ou  de  l'âme 
tout  entière. 

La  justice  doit  être  recherchée  pour  ello^môme^  et  il  vaut 
mieux  souffrir  une  injustice  que  de  la  commettre.  Mais  la  justice 
porte  avec  elle-même  sa  récompense  ;  seule  elle  donne  le  véritable 
bonheur,  et  l'homme  qui  se  livre  à  l'injustice  est  le  plus  malheu- 
reux des  hommes. 

Bien  plus^   toute  injustice  doit  être  punie,   et  le  châtiment 


508  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

purifie  l'âme  de  la  souillure  que  lui  laisse  la  faute  commise.  D'oà 
il  suit  que  le  coupable  qui  échappe  au  châtiment  est  plus  mal- 
heureux^que  celui  qui  le  subît  ;  car  son  âme  reste  dans  le  désordre 
qui  seul  est  la  cause  du  malheur. 

Obiservation.  —  Nous  n'avons  pu  que  résumer  tr^-succinte- 
ment  ici  les  doctrines  si  fécondes  de  ce  grand  pliilosophe  ;  pour  le 
faire  connaître  dans  tout  son  jour,  il  nous  aurait  fallu  citer  partoat 
ses  paroles.  Mais  l'espace  nous  manquait  pour  cela.  En  effet  les 
théories  de  Platon  ne  sont  pas  rangées  dans  un  ordre  classique; 
elles  sont  présentées  dans  de  nombreux  dialogues,  avec  tonte 
l'abondance  de  style  que  comporte  ce  genre  d'écrits,  en  sorte  que 
pour  citer  textuellement  une  seule  de  ses  pensées,  il  faudrait 
souvent  plusieurs  pages* 

Cependant  nous  essayerons  de  suppléer  autant  que  possible  & 
cette  lacune  nécessaire  en  donnant  ici  l'analyse  de  deux  de  ses 
dialogues  que  l'on  peut  compter  parmi  les  plus  beaux,  et  considérer 
comme  les  plus  capables  de  donner  une  idée  exacte  de  la  philoso- 
phie de  Platon. 

151.  Analyse  de  la  République.  —  L'objet  propre  de  ce  dialogue, 
au  point  de  vue  moral,  c'est  la  justice,  et  si  l'on  en  croit  Platon  lui- 
même,  ce  n'est  que  pour  mieux  faire  voir  ce  que  doit  être  la  justice  dans 
l'individu,  qu'il  la  montre  d'abord  dans  l'état.  Mais  il  est  facile  de  vwr 
que  Platon  a  voulu  donner  aussi  son  idéal  du  gouvernement. 

Dans  un  préambule  ordinaire  à  Platon,  Socrate  fait  apparailre  les 
différents  personnages  et  décrit  la  situation.  Puis  le  dialogue  s'engage. 
L'ouvrage  se  compose  de  dix  livres.  Le  premier  livre  est  une  sorte  dln- 
troduction  où  l'on  cherche  la  définition  de  la  justice.  Thrasymaque  la 
définit  <  l'obéissance  à  la  loi  »  et  pour  lui  la  loi  n'est  que  l'intérêt  da 
plus  fort.  Socrate  proteste  et  dit  que  la  loi  est  en  faveur  du  plus  faible- 
Mais  Thrasymaque  soutient  que  le  chef  du  gouvernement  ne  cherche  que 
son  propre  intérêt,  et  que  d'ailleurs  l'homme  injuste  seul  comprend  sw 
intérêts.  Socrate  veut  montrer  au  contraire  que  la  justice  seule  renil 
heureux.  Alors  Glaucon  donne  le  portrait  de  l'homme  juste  etdeniom 
me  injuste,  et  sous  une  forme  ironique,  il  dit  qu'il  faut  paraître  juste 
mais  non  pas  vouloir  l'être,  car  l'homme  juste  n'obtiendra  que  la  tor- 
ture et  les  verges  ;  il  sera  chargé  de  fers  et  mis  en  croix.  Adiroante  ré- 
plique qu'on  ne  doit  pas  rechercher  la  justice  en  vue  du  bleu  qu'elle 
procure. 


GRECS.  —  PLATON.  —  l'académie  509 

Mais  Socrate  qui  ne  sépare  pas  ridée  du  bonheur  de  celle  de  la  justice 
reprend  la  démonstration  de  sa  thèse  et  dit  que  Ton  verra  mieux  la 
justice  dans  l'homme,  en  la  considérant  d'abord  dans  l'Etat.  Il  expose 
donc  son  Etat  idéal. 

La  société  s'explique  par  les  besoins  de  chacun  que  personne  ne 
pourrait  satisfaire  s'il  était  seul.  La  première  nécessité  pour  l'Etat  c'est 
de  conserver  son  territoire.  De  là  les  guerriei-s.  Il  faut  au  guerrier  le 
courage,  qui  suppose  une  certaine  colère,  il  lui  faut  ensuite  l'agilltè  et 
la  force.  Son  éducation  doit  être  dirigée  dans  ce  but.  L'éducation  com- 
prend la  gymnastique,  qui  exerce  le  torps,  et  la  musique,  qui  met  l'har- 
monie entre  les  puissances  de  l'àme.  C'est  par  la  musique  que  l'éduca- 
tion doit  commencer.  La  musique  doit  exprimer  la  beauté  de  Tàme, 
par  la  parole,  l'harmonie  et  le  rhythme.  Platou  exclut  les  poètes  qui 
faussent  l'idée  des  dieux,  en  leur  attribuant  les  passions  des  hommes. 
La  gymnastique  comprend  la  nourriture  et  l'exercice  du  corps.  Les 
guerriers  doivent  mener  une  vie  commune  dans  les  camps,  aux  frais  de 
l'Etat,  et  ne  posséder  rien  en  propre.  Ainsi  le  veut  le  bien  de  tous,  et 
la  condition  ne  paraîtra  point  dure  à   ceux  qu'on  y  aura  accoutumés 

dés  leur  enfance. 

Les  vertus  nécessaires  à  la  société  sont:  la  prudence,  chez  les  magis- 
Irats;  le  courage,  chez  les  guerriers;  la  tempérance,  chez  les  merce- 
.  naires.  La  justice  n'est  que  l'harmonie  entre  ces  trois  ordres. 

Les  vertus  nécessaires  à  l'homme  sont  aussi:  la  prudence  dans  la 
raison,  le  courage  dans  le  cœur,  la  tempérance  dans  les  passions,  et  la 
justice  qui  est  l'harmonie  entre  toutes  les  facultés. 

Les  femmes  doivent  recevoir  la  même  éducation  que  les  hommes, 

prendre  part  aux  mômes  exercices,  dont  Platon  essaye  de  justifier  l'in- 

onvenance,  en  disant  que  ce  qiii  est  utile  est  honnête;  les  femmes  des 

guerriers  doivent  être  communes  à  tous  ;  il  ne  faut  pas  que  les  enfants 

connaissent  leurs  parents.  .     ^     u» 

Tel  est  Vidéal.  Pour  y  atteindre,  il  faut  que  les  rois  soient  philoso- 
phes Le  philosophe  se  distingue  des  autres  hommes  en  ce  qu'U  a  la 
science,  tandis  que  les  autres  n'ont  que  l'opinion.  Par  la  science,  le  phi- 
losophe connaît  le  vrai  bonheui  et  veut  le  faire  partager  aux  autres, 
mais  il  est  incompris,  et  se  voyant  en  butte  à  la  haine  II  renonce  h  se 
mêler  aux  affaires  et  jouit  en  paix  de  son  repos. 

("est  ici.  dans  le  VII'  livre,  que  Platon  expose  sa  théorie  de  la  con- 
naissance telle  que  nous  l'avons  donnée  plus  haut,  mais  U  commence 
par  l'allégorie  de  la  caverne,  que  nous  devons  citer,  en  1  abrégeant 
toutefois. 


510  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

«  Dans  une  caverne  n'ayant  qu'une  seule  ouverture,  des  prîaonnieR 

m 

sont  enchaînés  de  manière  à  ne  pouvoir  pas  même  tourner  la  tète,  en 
sorte  qu'ils  ne  voient  q»n  ce  qui  est  en  face  d'eux,  au  fond  de  b  a- 
verne.  Par  derrière,  un  feu  placé  à  quelque  distance  de  l'entrée  delà 
caverne  sert  à  les  éclairer,  et  enti-e  ce  feu  et  la  caverne  est  im  chemin 
où  passent  des  hommes  portant  divers  objets,  et  quelquefois  pariani 
entre  eux.  Les  prisonniers  voient  les  ombres  de  ces  hommes  ei  enten- 
dent l'écho  de  leurs  voix.  Ils  sont  forcément  persuadés  que  ces  ombres 
sont  des  réalités  et  que  c'est  d'elles  que  viennent  les  voLx  qu'ils  enten- 
dent. 

<  C'est  là  l'image  de  la  condition  humaine.  La  caverne,  c'est  le  monde 
sensible;  le  feu  qui  l'éclairé,  c'est  la  lumière  du  soleil.  »  Et  toutes  nos 
sensations  ne  sont  que  les  ombres  de  la  réalité. 

«  Qu'on  détache  un  de  ces  captifs,  qu'on  le  force  de  se  lever  et  de 
regarder  vers  la  lumière.  L'éblouîssement  l'empêchera  de  discerner  les 
objets  dont  il  voyait  auparavant  les  ombres.  Que  répond ra-t-il  donc,  si 
on  lui  dit  que  jusque  là  il  ne  voyait  que  des  fantômes  et  que  mainte- 
nant il  VD'.i  les  réalités?  Il  dira  que  ce  qu'il  voyait  d'abord  était  bieo 
plus  réel.  Ainsi  fera  l'homme  que  l'on  essaye  d'initier  à  la  philosophie. 

«  Mais  si  on  l'arrache  à  la  caverne  et  qu'on  le  traine  au  dehors,  il 
résistera  d'abord  et  entrera  en  fureur.  Arrivé  au  grand  jour  il  ne  distin- 
guera rien,  mais  peu-à-peu  ses  yeux  s'accoutumeront  et  il  finira  par 
pouvoir  non  seulement  distinguer  les  objets,  mais  encore  fixer  le  soleil 
qui  les  éclaire.  Alors  il  comprendra  que  tout  ce  qu'il  voyait  dans  la  ca- 
verne n'était  que  l'ombre  des  réalités  qu'il  contemple  à  présent. 

«  Ramené  parmi  ses  anciens  compagnons,  il  leur  dira  ce  qull  com- 
prend et  11  sera  traité  de  fou. 

Telle  est  la  condition  du  philosophe  parmi  les  autres  homodes.  I^^ 
seul  connaît  la  vraie  condition  du  bonheur,  parce  que  lui  seul  a  l*i<^ 
du  bien.  Il  s'élève  à  cette  idée  par  la  dialectique  qui  consiste  à  com- 
prendre ce  qui  doit  être  et  a  en  donner  raison.  Il  s'y  prépare  par  l'étude 
de  toutes  les  sciences,  mais  avant  de  prétendre  au  gouvernement  il  doit 
passer  par  toutes  les  épreuves  et  se  montrer  supérieur  à  tous.  C^ 
alors  qu'il  est  digne  de  commander  ;  car  l'harmonie  intérieure  dont  il 
jouit  lui-môme,  il  voudra  la  reproduire  dans  l'Etat. 

Cet  idéal  de  l'Ëtat  parfait,  gouverné  par  ceux  qui  sont  les  plus  di- 
gnes, c'est  V Aristocratie, 

Mais  si  l'harmonie  est  troublée,  si  la  force  l'emporte  sur  l'ordre  (la 
gymnastique,  sur  la  musique),  les  gue.riers  deviennent  les  maîtres  et 
font  prévaloir  leurs  goûts.  C'est  la  Timocratie.  Tel  est,  par  rapport  a 
loi-même,  rhomm«  ambitieux. 


aRECS   —    PLATON.    —  i/aCADËMIE  511 

Si  la  richesse  prévaut,  c'est  l'Oligarchie,  où  il  a'y  a  plus  de  justice, 
de  mœurs,  de  bonne-foî,  ni  de  dévouement,  mais  la  trahison,  la  corrup- 
tion, la  duplicité,  legolsme. 

L'amour  excessif  des  richesses  excite  la  haine  entre  le  riche  et  le  pau- 
vre,  et  bientôt  les  riches  dépouillés  et  massacrés  abandonnent  le  gou- 
vernement à  la  multitude.  C'est  la  démocratie.  Ici  plus  d'harmonie 
entre  les  conditions  diverses  ;  c'est  le  trouble,  la  confusion,  l'anarchie. 
Ht  cela  parce  que  les  principes  de  l'éducation  n'ont  pas  été  observés, 
parce  que  les  sens  de  l'enfant  n*ont  pas  été  occupes  par  le  beau  et 
l'honnête.  «  Sans  se  mettre  en  peine  d'examiner  quelle  éducation  a 
formé  celui  qui  se  mêle  des  affaires  politiques,  on  l'accueille  avec 
honneur,  pourvu  seulement  qu'il  se  dise  plein  de  zélé  pour  les  Inté- 
rêts du  peuple  ».  Tel  est  le  caractère  de  la  démocratie.  Oo  le  retrouve 
dans  l'homme  livré  à  tous  ses  caprices,  a  II  vit  au  jour  la  journée.  Au- 
jourd'hui il  s'enivre,  demain  il  ne  boit  que  de  l'eau  ;  quelquefois  il  se 
dit  philosophe,  le  plus  souvent  il  est  homme  d'Etat  ;  il  s'élance  dans  la 
politique,  parle  et  agit  à  tort  et  à  travers.  Aucun  ordre,  aucune  loi  ne 
préside  à  sa  conduite,  et  il  ne  cesse  de  mener  cette  vie  qu'il  appelle 
libre,  agréable  et  fortunée  ».  —  «  Voilà  au  natui*el  la  vie  d'un  ami  de  l'éga- 
lité. »  —  «  C'est  un  homme  démocratique.  » 

Reste  le  gouvernement  tyrannique»  Il  est  engendré  de  la  démocra- 
tie, comme  celle-ci  l'est  de  l'oligarchie.  C'est  l'amour  excessif  de  la 
liberté  qui  en  est  la  cause. 

c  •—  Dans  un  Etat  démocratique,  vous  entendrez  dire  de  toutes  parts 
que  la  liberté  est  le  plus  précieux  des  biens;  et  que,  pour  cette  raison, 
quiconque  est  né  de  condition  libre  ne  saurait  vivre  convenablement 
dans  un  autre  Etat.  —  Rien  n'est  plus  ordinaire  qu'un  pareil  langage.  — 
Or,  c'est  où  j'en  voulais  venir.  L'amour  de  la  liberté  porté  à  l'excès  et 
accompagné  d'une  indifférence  extrême  pour  tout  le  reste  ne  change-t-il 
pas  enfin  ce  gouvernement,  et  ne  rend-il  pas  la  tyrannie  nécessaire?  — 
Comment  donc  t  —  Lorsqu'un  Etat  démocratique,  dévoré  de  la  soif  de 
la  liberté,  trouve  à  sa  tête  de  mauvais  échansons  qui  lui  versent  la  li- 
berté toute  pure,  outre  mesure  et  jusqu'à  l'enivrer,  alors,  si  ceux  qui  gou- 
vernent ne  sont  pas  tout-à-fait  complaisants  et  ne  donnent  pas  au  peuple 
de  la  liberté  autant  qu'il  en  veut,  celui-ci  les  accuse  et  les  châtie  comme 
des  traîtres  et  des  partisans  de  l'oligarchie.  —  Oui,  certes.-—  Ceux  qui  sont 
encore  dociles  à  la  voix  des  magistrats, il  les  outrage  et  les  traite  d'hommes 
.serviles  et  aans  c-araetëre.  Il  loue  et  honore  en  particulier  et  en  public  les 
gouvernants  qui  ont  l'air  de  gouvernés  et  les  gouvernés  qui  prennent  l'air 
d«  goavemants.  N'est-il  pas  inévitable  que  dans  an  pareil  état  l'esprit 


512  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

de  liberté  s'étende  à  tout?  —  dominent  cela  ne  serait-il  pas?  —  ^h^ 
pénètre,  dans  les  familles?  Je  veux  dire,  que  le  père  s'accoatume à i» 
ter  son  enfant  comme  son  égal,  aie  craindre  même  ;  que  celui-^  sefsk 
à  son  père,  et  n*a  ni  respect  ni  crainte  pour  les  auteurs  de  ses  pois. 
'  parce  qu'autrement  sa  liberté  en  souffrirait.  —  C'est  bien  cela  qui»- 
rive.  —  Oui;  et  il  arrive  aussi  d'autres  misères  telles  que  ceUesnâ:  îke» 
un  pareil  gouvernement,  le  maitre  craint  et  ménage  ses  disciples;  ceos-d 
se  moquent  de  leurs  maîtres  et  de  leurs  surveillants.  Ha  i^ënénLia 
jeunes  gens  veulent  aller  de  pair  avec  les  vieillards,  et  lutter  avec  es 
en  propos  et  en  actions.  Les  vieillards,  de  leur  côté,  descendent  aux  mâiik 
res  des  jeunes  gens,  en  affectant  le  ton  léger  et  l'esprit  badin,  et  imitaatb 
jeunesse,  de  peur  d'avoir  l'air  fâcheux  et  despotique.  —  Tout  à-iaiL  • 

Cette  licence,  qui  est  l'excès  de  la  liberté,  amène  un  excès  cootru». 
et  c'est  ainsi  qu'à  la  démocratie  succède  la  tyrannie,  qui  est  le  gs» 
vemement  fondé  sur  le  caprice  d'un  seul.  Les  hommes  oisifs  et  pi>j£- 
gues  excitent  la  multitude  contre  les  riches.  Ceux-ci  sont  obligés  k 
résister.  Le  peuple  se  choisit  ui  défenseur,  qui  devient  biealùi  ot 
tyran.  Dnns  les  premiers  jours  il  sourit  à  tous;  11  est  prodigue  de  pic- 
messes*  Mais  il  fait  quand-même  des  mécontents,  qui  l'accusent  de  w 
pas  chercher  les  intérêts  du  peuple.  Il  les  écarte,  s'entoure  de  fa^ 
et  bientôt  tout  doit  plier  sous  sa  volonté.  Que  si  le  peuple,  voyant  qa'iî 
s'est  trompé,  veut  secouer  sa  chaîne,  il  ne  la  rendra  que  plus  looifie» 
Voilà  comment  l'excès  de  la  liberté  amène  la  servitude. 

Mais  le  tyran  lui-même  est-il  libre?  Non.  Il  obéit  lui-même  à  ses  po- 
sions, qu'il  ne  sait  pas  maîtriser;  il  ne  peut  jamais  rassasier  ses  désirs 
11  vit  dans  une  frayeur  continuelle.  Il  est  donc  le  plus  malheureux  àtè 
hommes. 

Ainsi,  pour  l'homme  comme  pour  l'Etat,  le  bonheur  se  trouve  àasâ 
l'harmonie  de  toutes  les  puissances,  dans  la  ^empérance,  qui  soumet  les 
désirs  à  la  raison. 

Ici  Platon  se  justifie  d'avoir  exclu  de  sa  Hépublique  les  artistes  et  les 
poètes,  parce  que,  dit-il,  leurs  imitations  ne  sont  que  les  images  ^ 
objets,  qui  eux-mêmes  ne  sont  que  les  images  des  Idées.  D'où  il  ^ 
qu'elles  ne  peuvent  engendrer  que  l'erreur  et  détruire  l'harmonie  à» 
Ames. 

Enfin  il  se  résume  et  conclut  que  la  justice  est  l'harmonie  de  llios 
me  aussi  bien  que  de  l'état,  et  que  le^  Institutions  et  l'éducatioa  à<f^ 
vent  coaoourir  au  même  but:  la  justice  qui  seule  donne  le  l^onhear. 

Appréoiation.  —  H  y  a  dans  ce  dialogue  de  grandes  vérités  ptiil^ 
sophiques,  des  détails  de  moeurs  qui  témoignent  d'une  grande  ezpérievM 


GRECS  —  PLATON    —   l'ACADÉMIB  513 

des  hommes,  un  fonds  d'idées  généreuses,  un  amour  vrai  de  la  justice. 
Mais  tout  cela  est  gàlé  par  une  application  trop  exclusive  d'un  principe. 
La  recherche  du  bien  commun  y  efface  complètement  les  droifs  de  l'in- 
dividu et  même  de  la  famille,  La  famille  et  l'individu  disparaissent  de- 
vant l'Etat.  Ces  exagérations  sont  généralement  condamnées  par  tous 
les  vrais  philosophes  et  les  vrais  politiques,  et  la  République  de  Platon 
a  toujours  été  considérée  comme  une  utopie.  Mais  si  Ton  fait  abstrac- 
tion do  ce  point  de  vue  exclusif  du  bien  commun,  faussement  compris, 
et  même  de  cette  préoccupation  excessive  de  trouver  le  bonheur  dans 
la  justice;  Il  restera  dans  cet  ouvrage  des  beautés  que  l'on  ne  saurait  se 
lasser  dWmirer,  surtout  dans  la  description  des  défauts  propres  à  cha- 
cune des  formes  de  gouvernement.  11  y  a  là  une  philosophie  de  lu  po- 
litique aussi  vraie  de  nos  jours  qu'elle  l'était  du  temps  de  Platon. 

152.  Analyse  du  Phèdon.  —  Dans  ce  dialogue,  Platon  expose  Ten- 
tretîen  de  Socrate  avec  ses  disciples,  le  dernier  jour  de  sa  vie,  dans  sa 
prison,  au  moment  où  il  se  disposait  à  boire  la  ciguë.  Socratê  parle  de 
l'immortalité  de  l'àme  et  en  appuyé  la  croyance,  par  le  raisonnement 
et  par  le  sentiment  des  hommes. 

Ediécrate  rencontrant  Phôdon  à  Phlionte  lui  demande  des  détails  sur 
les  derniers  moment  de  son  maître.  Et  d'abord  le  motif  du  retard  de 
trente  jours  après  la  condamnation.  Phédon  lui  donne  ce  motif  tel  que 
nous  l'avons  raconté  dans  la  vie  de  Socrate.  11  commence  ensuite  sa 
narration. 

Au  dernier  jour  on  laissa  entrer  dans  la  prison  de  Socrate  tous  ses 
amis,  et  plus  tôt  qu'à  l'ordinaire.  Il  y  avait  neuf  athéniens  et  cinq  étran- 
^rs.  Platon  n'y  était  pas. 

Quand  ils  entrèrent,  on  venait  d'ôter  les  fers  à  Socrate  et  ils  trouvè- 
rent auprès  dé  lui  Xantlppe,  sa  femme,  avec  un  petit  enfant  dans  ses 
bras.  Socrate  la  renvoya  bientôt  et  commença  ainsi . 

«  L'étrange  chose,  mes  amls*.  que  ce  que  les  hommes  appellent  plai- 
sir!» 11  .éprouve  du  plaisir  à  n'avoir  plus  les  fers  qui  le  faisaient  souffrir 
et  il  dit  que  la  douleur  et  le  plaisir,  quoicfue  si  opposés,  semblent  se 
tenir  liés,  et  se  succèdent  toujours.  Il  explique  à  Ccbès  pourquoi  il  a 
traduit  en  vers  les  fables  d'Ësope  :  il  y  était  invité  par  des  songes.  Il  le 
charge  de  transmettre  cette  réponse  à  E venus,  qui  le  lui  avait  fait  de- 
mander, et  lui  fait  dire  de  se  préparer  à  la  mort.  Simmlas  s'en  étonne 
et  Socrate  démontre  que,  s'il  n'est  pas  permis  de  se  donner  la  mort,  il 
convient  de  l'accepter  avec  joie.  Et  d'abord,  U  n'est  pas  permis  de  se 
donner  la  mort.  Nous  occupons  un  poste  qu'il  ne  faut  pas  abandonner  ; 
et,  semblables  à  des  esclaves,  nous  sommes  la  propriété  des  dieux.  En 

33 


514  HISTOIRE    DE     LÀ   PHILOSOPHIE 

second  lieu,  le  sage  doit  voir  venir  la  mort  avec  joie.  En  effet,  n  a 
ouir  du  commerce  des  dieux  et  des  hommes  les  plus  parfaits  qui  est 
vécu  autrefois.  De  plus  le  vrai  philosophe  apprend  cliaque  jour  à  las- 
rir  ;  il  lui  serait  donc  ridicule  de  repousser  la  mort,  quand  elle  zw^t 
Le  philosophe  ne  travaille  que  pour  son  Ame  ;  il  ciierche  à  la  Jep^ 
des  liens  du  corps  qui  la  gène.  L'objet  de  l'Ame  ce  sont  les  idées:  ^ 
,vrai,  le  beau,  le  bien  ;  toutes  choses  qui  ne  se  voient  pas  des  yeui»^- 
corps  et  que  l'âme  voit  d'autant  mieux  qu'elle  est  plus  dégage  ^  ^ 
matière.  C'est  donc  après  la  mjrt  que  l'âme  atteindra  mieux  son  ol^ 
Donc  les  philosophes  ne  s'exercent  qu*à  mourir. 

L*àme  existe  après  la  mort.  Au  dire  des  anciens,  les  âmes  revienne 
après  la  mort:  donc  elles  vivent.  Mais  il  faut  examiner  cette  vérité  »2- 
tivement  aux  animaux  et  aux  plantes,  où  nous  voyons  que  la  vie  naît ife 
la  mort,  comme  la  mort  succède  à  la  vie. 

De  plus  notre  âme  en  naissant  apporte  avec  elle  ces  idées,  dont  ai' 
se  souvient  à  l'occasion,  et  qui  ne  sont  qu'une  réminiscence  d'aûr*  ^ 
antérieure,  Donc  elle  existait  avant  cette  vie;  donc  elle  existera  eafî'X 
après  la  mort. 

Cébès  reconnaît  que  Socrate  a  démontré  la  préexistence  de  rani- 
mais non  son  existence  après  la  mort.  Alors  Socrate  répète  sa  preuve 
que  la  vie  naît  de  la  mort  et  ajoute  que  ce  qui  est  simple  ne  peut  sedir 
soudre,  ni  se  décomposer.  Or  l'àme  est  simple  parce  qu'elle  conaait  I# 
idées.  Le  corps  ne  voit  que  le  composé  et  le  mobile,  aussi  il  est  com- 
posé e*  changeant;  mais  l'âme  qui  voit  les  idées,  simples  et  immaabbs 
doit  être  simple  et  immuable  aussi.  Elle  est  donc  immortelle. 

Il  suit  de  là  que  les  âmes  qui  n'ont  pas  aimé  le  corps,  ni  les  choses  «' 
corps,  en  sortent  pures  et  vont  dans  le  séjour  des  dieux,  contempla''''* 
idées  qu'elles  ont  aimées;  mais  les  âmes  qui  ont  aimé  la  matière.^ 
emportent  quelque  cose  qui  les  alourdit  et  d'ailleurs  elles  redoutent  1« 
monde  intelligible  ;  c'est  pourquoi  elles  errent  autour  des  tombeaux  f^ 
entrent  ensuite  dans  des  corps  d'animaux  semblables  par  leurs  mœ^^^ 
aux  mœurs  qu'elles  ont  eues  elles-même  pendant  leur  vie. 

Mais,  dit  Simmias,  peut-être  que  l'âme  n'est  que  l'harmonie  du  co^ 
Peut-être  encore,  dit  Cébès,  l'âme  n'est  que  l'habit  du  corps,  cl  dero^^"^ 
que  le  corps  use  plusieurs  habits,  et  en  porte  enfin  un  qu'il  n'use  F*- 
ainsi  l'âme  après  avoir  animé  plusieurs  corps  meurt  avant  d'avoii"'^ 
le  dernier. 

Ici  Socrate  met  ses  disciples  en  garde  contre  les  vaines  objections  q^ 
viennent  après  la  démonstration  d'une  vérité,  puis  il  répond:  quel'^** 
ne  peut  être  l'harmonie  des  éléments  du  corps^  si  elle  existe  a^^  ^ 


GRECS   —   PLATON.    —  l'aCADÉMIE  515 

corps,  comme  ils  l'ont  admis,  d'après  les  idées  ;  que  d'ailleurs,  si  l'âme 
était  une  harmonie,  les  âmes  méchantes,  qui  sont  dans  le  désordre,  se- 
raient moins  âmes  que  celles  des  justes;  que  de  plus  l'a  me  est  souvent 
en  contradiction  avec  les  tendances  du  corps  ;  et  qu'enfin  aous  avons 
conscience  que  l'àme  commande  au  corps,  ce  qui  ne  saurait  être  le  tait 
de  l'harmonie  des  éléments  du  corps. 

Le  contraire  n'admet  pas  en  lui  son  contraire  :  l'impair  n'est  pas  pair; 
le  chaud  n'est  pas  froid.  De  plus  le  contraire  n'admet  rien  de  ce  qui 
pourrait  le  rendre  contraire.  (3r  l'àme  est  le  principe  de  la  vie  du  corps 
Donc  l'àme  ne  saurait  admettre  la  mort  :  doue  elle  est  immortelle. 

Mais  si  l'àme  est  immortelle,  elle  demande  qu'on  la  cultive  non  seule- 
ment pour  ce  temps  que  nous  appelons  la  vie,  mais  aussi  pour  toujours. 

Or  après  la  mort,  l'àme  n'emporte  que  ses  vertus  ou  ses  vices,  qui 
feront  son  bonheur  ou  son  malheur,  dès  son  arrivée  aux  enfers.  Car, 
l'on  dit  qu'après  le  trépas  de  chacun,  le  génie  qui  a  été  charcjé  de  lui 
pendajit  la  vie,  le  conduit  danst^n  certain  lieu  où  il  faut  que  tous  le9 
morts  se  réunissent  pour  être  jugés,  afin  que  de  là  ils  aillent  dans  les 
enfers,  pour  le  temps  fixé,  après  lequel  un  autre  guide,  les  ramène  dans 
celte  vie. 

Le  chemin  qui  conduit  dans  l'autre  monde  n'est  ni  unique  ni  simple. 
Un  âme  tempérante  suit  facilement  son  guide,  mais  celle  qui  est  éprise 
d'amour  pour  le  corps  ne  le  suit  que  malgré  elle,  et  comme  elle  est 
souillée  de  vices,  elle  ne  trouve  aucun  ami  dans  le  lieu  où  elle  va. 

Il  y  a  plusieurs  lieu  x  merveilleux  sur  la  terre  et  elle  n'est  point  telle 
qa'on  la  décrit.  D'abord  si  la  terre  est  au  milieu  du  ciel  et  de  forme 
sphérique,  elle  n'a  pas' besoin  d'air  pour  la  soutenir,  mais  le  ciel  lui- 
même  et  son  équilibre  la  soutiennent.  La  terre  est  fort  grande  et  il  y 
a  plusieurs  autres  peuples'  qui  habitent  des  parties  qui  nous  sont 
inconnues.  Une  autre  terre  pure  est  en  haut,  dans  ce  ciel  pur  où  sont 
les  astres,  et  que  la  plupart  appellent  l'ether.  Notre  terre  n'en  est  qu'une 
grossière  image.  Dans  cette  terre  parfaite,  tout  est  parfait.  Les  arbres, 
les  fleurs,  les  fruits,  les  montagnes  y  sont  admirables.  Les  pierres  pré- 
cieuses y  sont  infiniment  plus  belles  que  les  nôtres.  L'air  est  là  ce  que 
Font  ici  l'eau  et  la  mer,  et  l'éther  est  pour  eux  ce  que  l'air  est  pour 
nous,  Leurs  saisons  sont  tempérées  ;  ils  vivent  exempts  de  maladies  ; 
leurs  sens  sout  plus  délicats  que  les  nôtres,  d'autant  que  l'éther  est  plus 
subtil  que  l'air.  Ils  ont  des  bois  sacrés  véritablement  habités  par  les 
dieux  qui  conversent  avec  eux.  Telle  est  leur  félicité. 

Mais  dans  les  cavités  de  notre  terre  sont  des  gouffres  profonds  et 


51Ô  HISTOIRE  DE  LÀ    PHILOSOPHIE 

divers  qui  communiquent  entre  eux.  Là  coulent  des  fleuves  de  in  e 
de  boue.  Homère  et  tous  les  poètes  appellent  ces  lieux  le  Tartare^  Tjh( 
ces  fleuves  coulent  ainsi  dans  des  abîmes  sans  fond,  el  de&rpsdefi 
jusqu'au  milieu  de  la  terre^  mais  pas  au  delà,  car  la  secoade  isîvtM 
dej/ient  montante.  Le  plus  extérieur  de  ces  fleuves  c'est  TOcéan.  A  t^ 
posé  est  l'Achéron,  qui  forme  le  marais  Achérusiade,  où  se  rendeol  ki 
âmes  des  morts,  jusqu'à  ce  qu'elles  reviennent  dans  ce  monde  potf 
animer  des  bètes.  Entre  ces  deux  fleuves  coule  le  Puriphlé^éthon.  Ai 
Toppoié  de  celui-ci  coule  le  fleuve  Stygien  qui  forme  le  marais  de 
Styx,  et  qui  est  appelé  par  les  poètes  :  le  Cocyte. 

Tous  les  morts  sont  jugés  là  où  leur  démon  les  conduit.  Prâ  bs 
criminels  incurables  sont  jetés  dans  le  Tartare  d'où  ils  ne  sortent  ja- 
mais ;  ceux  qui  ont  commis  des  péchés  expiables  vont  aussi  dans  y 
Tartare,  mais  n*y  restent  qu'un  an.  Ceux  qui  ne  sont  que  lègèresmi 
coupables  vont  au  marais  Achérusiade,  d'où  ils  sortent  après  un  tetaps 
pour  recevoir  la  récompense  de  leurs  vertus.  Mais  ceux  qui  ont  pâsee 
leur  vie  dans  la  sainteté  vont  directement  dans  celte  terre  pure^  où  cesi 
que  la  philosophie  a  sufllsamment  puriûés  habitent  des  demeures  {das 
admirables  et  plus  délicieuses. 

C'est  donc  une  magnifique  récompense  que  nous  attendous.  Et  si  Is 
choses  ne  sont  pas  exactement  ainsi,  elles  sont  du  motos  à  peo  prK 
et  la  chose  vaut  la  peine  d'être  tentée.  Dans  tous  les  cas  rhomme  ^ 
a  pris  soin  de  son  à  me,  qui  l'a  ornée  par  la  tempérance,  le  courage,  h 
liberté  et  la  vérité,  est  toujours  prêt  ù.  faire  ce  fatal  voyage.  Votre  too: 
viendra  à  tous  :  aujourd'hui  c'est  pour  moi. 

Socrate  dit  ensuite  à  ses  amis  que  la  seule  recommandation  qu'A  i^ 
à  leur  faire,  c'est  qu'ils  soient  fidèles  à  ses  enseignements.  Critoo  i^a 
demande  comment  il  faut  l'ensevelir  et  il  répond  agréablement  :  c  Coo- 
me  vous  voudrez,  si  je  ne  vous  échappe  pas.  »  Et  il  part  de  là  pom 
confirmer  tout  son  discours,  affirmant  que  son  àme  va  quitter  le  eoifî» 
pour  aller  dans  le  séjour  du  bonheur. 

Après  cela  Phôdon  raconte  les  derniers  moments  de  son  maitre  comine 
nous  i*avons  fait  plus  haut,  dans  la  vie  de  Socrate. 

153.  Quelques  autres  dialogues.  —  Quand  on  a  parlé  deiai2(7«' 
blique  de  Platon,  il  faut  dire  quelques  mots  des  Lots.  Ce  dernier  dîiit: 
gue  est  une  sorte  de  correctif  du  premier.  Platon  semble  l'avoir  écnS 
par  condescendance  pour  la  faiblesse  humaine,  comme  si  ildéal  àe  a. 
République  était  trop  parfait  pour  la  terre.  La  vérité  est  que  ladoctrio' 
des  Lois  est  bien  plus  exacte,  car  elle  consacre  tout  ce  qu'il  y  a  de  i\stt\ 
dans  la  République,  sans  tomber  dans  les  exagérations  condanuuiik»! 
qui  déparent  celle-ci. 


ORBCS.  —  PLATON.  — l'ACADÉMIE  517 

Le  Thééiète  est  un  autre  complément  à  la  République  en  ce  qu'il 
donne  aussi  la  théorie  de  la  science,  et  y  ajoute  bien  des  considérations 
que  Ton  ne  trouve  pas  dans  le  premier.      • 

Le  Gorgias  se  rattache  aux  deux  précédents  en  ce  qu'il  montre  que  le 
véritable  orateur  doit  avoir  pour  but  de  persuader  la  justice. 

Le  Criton  est  une  belle  introduction  au  Phédon.  Criton  essaye  de 
persuadera  Socrate  de  s'évader;  il  a  préparé  toutes  choses  pour  cela; 
mais  Socrate  veut  obéir  aux  lois  de  son  pays  et  préfère  subir  la  mort 
même  injuste,  plutôt  que  de  ne  pas  accomplir  les  préceptes  qu'il  a  tou- 
jours enseignés. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  cette  petite  revue,  C'est  Platon  lui- 
même  qu'il  faut  lire  et  ses  œuvres  sont  heureusement  sous  la  main  de 
tous. 

154.  Appréciation  de  la  Philosophie  de  Platon.  — Platon 

reste  fidèle  à  la  doctrine  de  Socrate^  mais  il  la  développe,  l'appro- 
fondit et  en  fait  un  système.  C'est  peut-être  précisément  dans  cet 
esprit  systématique  que  se  trouve  le  principe  de  ses  erreurs.  En 
effet,  parti  de  la  théorie  des  idées,  dans  laquelle  il  y  a  une  grande 
vérité  exagérée,  il  veut  faire  concorder  tout  le  reste  de  sa  doctrine 
avec  ce  fondement.  Aussi  on  a  pu  faire  de  ses  différentes  théories 
le  tableau  suivant  : 

Connaissances.        Idées,  Notions,  Sensations. 

Univebs.  Dieu,  Ame  du  Monde,    Matière. 

Facultés  de  l'ame.  Intelligence,     Thumosy  Passions. 

Sièges  DE  ces  fac  Tète,  Cœur,  Ventre. 

liOQiQCE.  Apodictique,    Ëpichérématique,  Ënthymématique. 

MoBALB.  Amour  du  bien.  Amour  mélangé.  Amour  animal. 

PoLrriQUE.  Caste  savante,  Caste  interméd.     Artisans. 

Toutes  ces  divisions  se  trouvent  en  effet  dans  Platon,  et  on  sent 
que  pour  les  obtenir  il  faut  quelquefois  forcer  un  peu  la  nature. 
Mais  il  est  évident  que  Platon,  considérant  les  idées  comme  les 
types  des  choses  devait  avoir  une  tendance  à  la  synthèse  a  priori. 

Sa  théorie  des  idées,,  vraie  dans  le  principe,  poche  par  excô^. 
D'abord  après  avoir  appelé  idées  les  notions  nécessaires  conçues 
par  Tâme  a  priori,  il  finit  par  y  faire  entrer  tous  les  genres,  qui 
ne  nous  sont  connus  qné  par  Texpéricnce,  comme  Aristote  Ta  très 
bien  compris.  Ensuite  il  s'est  égaré  dans  Texplication  qu'il  a  voulu 
^nner  de  Torigine  en  nous  de  ces  idées,  et  son  erreur,  manifeste 


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518  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

aux  yeux  d'Aristote,  a  jeté  C5elui-ci,  comme  nous  le  verrons,  dus 
Texcôs  contraire.  Si  Platon  avait  su  restreindre  les  id^es  aux  «e- 
les  idées  nécessaires,  et  voir  comme  Aristote  qu'il  n'j  a  de  to- 
ment  nécessaire  à  priori  que  les  premiers  principes,  sans  doute  iî 
aurait  mieux  que  son  disciple  ramené  ces  principes  à  la  seule  v!^ 
d'être,  comme  il  a  d'ailleurs  ramené  toutes  les  idées  à  l'idée  dulâeê. 
Mais  une  autre  source  d'erreur  pour  tous  les  philosophes  awlea! 
c'est  qu'ils  ne  s'élevaient  qu'avec  peine  à  l'idée  de  la  Création.  î^ 
là  encore  l'explication  des  idées  par  une  vie  antérieure  de  TânMa 
Dieu,  do  là  Viddalisme  de  toute  la  doctrine  de  Platon  où  la  mat^ 
est  conçue  comme  une  illusion. 

Enfin  cette  même  absorption  du  particulier  dans  Ton i verse!  Ti 
conduit  dans  cette  utopie  qu'il  appelle  l'idéal  du  gouvernement  (^ 
les  intérêts  privés,  la  liberté,  les  affections  les  plus  légitimes,  fe 
morale  môme,  tout  est  sacrifié  à  l'Etat. 

Fîn  dehors  de  ces  deux  excès,  on  peut  dire  que  tout  le  reste  des 
doctrines  de  Platon,  ainsi  que  la  forme  dans  laquelle  il  les  expose 
est  vraiment  admirable. 

155.  Speusippe.  —  Le  successeur  de  Platon,  comme  chefâe 
l'Académie,  fut  Speusippe,  son  neveu,  et  marié  à  l'une  de  ses  p^ 
tites  filles.  Pendant  huit  ans,  il  se  fit  transporter  à  rAcadémie, 
car  il  était  paralytique.  Contrairement  aux  usages  de  ses  mattns, 
il  faisait  payer  ses  leçons.  Se  voyant  à  bout  de  forces,  il  céda  la 
direction  de  l'Ecole  à  Xénocrate.  On  ne  connaît  pas  bien  les  câ^ 
constances  de  sa  mort.  Selon  quelques-uns  il  aurait  tennioé  s^ 
souffrances  et  sa  vie  par  le  suicide. 

Il  ne  nous  reste  que  dos  débris  de  sa  doctrine  et  de  ses  nombreni 
ouvrages,  qu' Aristote  acheta  pour  le  prix  de  trois  talents  (envi- 
ix)n  15,000  fr.). 

Il  paraît  avoir  modifié  sensiblement  les  théories  de  son  maître  ft 
y  avoir  môle  les  doctrines  des  Pythagoriciens,  de  l'Ecole  d'Elôe« 
de  l'Ecole  cynique. 

Sous  prétexte  do  ramener  les  sciences  â  l'unité,  il  déclare  que 
la  connaissances  des  objets  est  tellement  liée,  que  Ton  ne  saurait  « 
définir  un  seul,  sans  définir  en  môme  temps  tous  les  autres.  Cnmme 
Platon, il  place  le  principe  de  la  vérité  dans  la  raison,  mais  il  doane 


GRECS.    —    PLATON.  —  l'ACÀDÉMIB  610 

pins  de  réalité  aux  choses  sensibles,  et  reconnaît  une  valeur  scien- 
tifique à  l'expérience  des  sens. D'ailleurs  toutes  les  idées  de  la  raison 
ne  sont  pour  lui  que  l'unité  et  c'est  l'unité  elle-même  qui  est  l'es- 
sence des  choses .  Par  suite  le  premier  principe  des  choses  n'est 
plus  le  bien,  mais  l'unité.  Pour  lui,  Dieu  n'est  plus  le  bien,  mais 
l'unité,  et  encore  il  n'est  que  l'unité  qui  se  trouve  dans  les  choses  ; 
en  sorte  que  son  Dieu  n'est  que  Tâme  du  monde.  Il  ne  lui  accorde 
pas  môme  l'intelligence  :  c'est  une  unité  abstraite  qu'Aristote appelle 
un  «  non-être  ».  Aussi  il  disait  que  le  bien  n'est  pas  le  principe 
des  choses,  mais  le  terme  de  leur  .développement,  de  même  que 
l'animal  est  plus  parfait  que  le  germe  d'où  il  sort. 

En  morale  il  faisait  consister  la  vertu  ou  le  bonheur  dans  nne 
sorte  de  milieu  qui  n'est  ni  le  plaisir  ni  la  douleur.  On  voit  que 
pour  lui  la  vertu  n'est  pas  la  pratique  de  l'honnête  et  du  juste, 
mais  bien  cette  sorte  d'indifférence  que  nous  avons  déjà  rencontrée 
et  que  nous  rencontrerons  encore  dans  les  théories  philosophiques. 
S'il  mit  en  pratique  cette  indifférence,  par  son  égoïsme  et  son 
avarice,  il  fut  assez  voluptueux  pour  laisser  croire  que  son  cœur 
n'était  pas  d'accord  avec  son  esprit  quand  il  disait  que  le  plaisir 
est  un  mal. 

156.  —  Xénocrate.  —  Né  à  Chalcédoine,  l'an  394,  Xénocrate 
fnt  disciple  de  Platon  et  succéda  à  Speusippe  comme  chef  de  l'Aca- 
démie. Il  enseigna  pendant  vingt-cinq  ans  et  mourut  en  314.  Son 
esprit  manquait  de  facilité  et  il  se  comparait  lui-môme  &  un  vase 
d'une  embouchure  étroite,  qui  reçoit  difficilement  mais  conserve 
très-bien  ce  que  Ton  y  met.  11  acquit  une  grande  estime  chez  ses 
concitoyens  et  même  au  dehors,  par  ses  mœurs  austères  et  par  son 
désintéressement. 

-On  n'a  sur  sa  doctrine  que  quelques  rares  traditions  par  lesquel- 
les on  peut  voir,  qu'en  conservant  assez  bien  la  morale  de  Platon, 
il  comprit  mal  le  reste  de  sa  philosophie,  et  en  mêla  les  doctrines 
avec  celles  de  Py thagore .  Il  prit  de  celui-ci  les  symboles  mathé- 
matiques,  appela  Dieu  la  monade^  et  la  matière,  qu'il  confondait 
avec  l'âme  du  monde,  la  dyade.  Il  croit  pouvoir  exprimer  par 
différents  triangles  toutes  le^  essences  des  choses,  et  représenter 
Dieu  par  le  triangle  équilatéral,  les  génies  par  le  triangle  isoscôle 


520  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

et  les  choses  terrestres  par  le  triangle  ficalène.  Ce0  formiikis» 
thématiques  remplacent  pour  lui  les  idées  de  Platon .  Ansa  fta 
n'eét  plus  le  Bien,  mais  Tlntelligence  pure.  Cependant  il  ne  méca- 
naît  pas  la  liberté  de  Tàme  humaine  et  dit  que  «c  les  philo6opi4 
font  volontairement  ce  que  les  autres  hommes  font  par  crainte  • 
Il  enseigna  aussi  que  le  bonheur  est  la  conséquence  de  la  T«tsi 
mais  il  croit  qu*on  ne  peut  possédera  la  fois  les  biens  de  Fâstf^ 
ceux  du  corps. 

157.  Polémon.  —  Né  dans  l'Attique,  Polémon  menait  nue ^ia 
fort  dissolue,  lorsqu'un  jour,  sortant  d'une  org^ie,  la  tête  encœ? 
couronnée  de  fleurs ,  il  se  montra  tout-à-  coup  dans  renceint^  ^ 
Xénocrate  enseignait.  Celui-ci,  sans  paraître  Ta  voir  remanjo^. 
fit  un  tableau  si  repoussant  des  suites  funestes  de  rintempérui* 
que  Polémon  rougit  de  son  état,  et,  dès  ce  moment  sattadta^ 
Xénocrate.  11  lui  succéda  même  comme  chef  de  rAcadémie,**.^ 
continua  fidèlement  les  mêmes  enseignements,  s^attachaniàli 
morale  beaucoup  plus  qu'à  la  dialectique.  Il  composa  plosieff! 
ouvrages  dont  il  ne  nous  reste  rien.  Il  mourut  à  Athènes,  tar 
lan  272. 

A  Polémon  succéda  Cratês  d'Athènes  que  Ton  ne  connaît  pas 
autrement.  Avec  lui  on  trouve  Crantor  de  Soli,  dans  la  Cili«»t 
disciple  de  Xénocrate  et  de  Polémon,  dont  le  livre  de  rAfflich(r^ 
est  qualifié  de  a  livre  d'or  >  par  Cicéron,  On  lui  attribne  ausâ  0 
commentaire  sur  Platon,  qui  aurait  été  le  plus  ancien. 

—  A  ce  moment  la  philosophie  de  Platon  est  déjà,  bien  efface  *^ 
elle  va  bientôt  s'efl'acer  davantage  avec  Areésilas  qui  fut  disàpî* 
de  Cranter  et  qui'fondala  Moyenne  Académie, et  Sixee  Camé(^f^ 
chef  de  lo,  Nouvelle  Académie,  Mais  avant  de  faire  connaitw 
cette  décadence  il  nous  faut  parler  des  autres  grandes  écoles  socrs' 
tiques. 

8.7    IRISTOTL-LILIClK. 

158.  Vie  d'Aristoté.  ^  Aristote  naquit  l'an  384,  A  Stagire* 
petite  ville  de  la  Macédoine,  k  l'entrée  du  golfe  du  Strjmon,  ix* 
loin  du  mont  Athos,  et  qui  paraît  avoir  été  au  lieu  où  se  troa^^ 
aujourd'hui  le  village  de  Stavro.  Cette  ville,  avec  son  petit  p(^ 


GRECS  —  AKISTOTE    —  LYCÉE  521 

joua  un  rôle  dans  les  guerres  de  Xerxès  et  pendant  les  guerres  de 
Philippe.  Le  père  d'Aristote,  Nicomaque,  était  médecin  du  roi 
Âmjnf as,  père  de  Philippe.  11  appartenait  à  la  famille  des  Asclé- 
piades,  que  l'on  faisait  descendre  d'Esculape.  Sa  mère,  Phœstis, 
descendait  directement  d'une  de  ces  familles  de  Chalcis,  qui  avaient 
fondé  la  colonie  de  Stagire. 

Il  psM*aît  qu'Aristote  perdit  sa  mère  de  très-bonne  heure,  et 
qu'il  n'avait  que  dix-sept  ans  quand  son  père  mourut.  D  futeonûé 
aux  soins  d'un  ami  de  sa  famille,  Proxône  d'Atarnée,en  Mjsie,qui 
habitait  alors  Stagire,  et  lui  en  garda  une  reconnaissance  qui  se 
manifestait  encore  longtemps  après  sa  mort. 

Lés  premières  études  d'Aristote  se  firent  à  Stagire,  probable- 
ment en  compagnie  de  Philippe.  A  l'^ge  de  dix-sept  ans  il  vint  à 
Athènes.  C'était  le  moment  où  Platon  fit  son  second  voyage  en 
Sicile,  qui  dura  trois  ans.  Ce  n'est  donc  qu'à  l'Age  de  vingt  ans,  en 
3Ç4,  qu'il  commença  à  suivre  les  leçons  de  Platon,  et  il  les  suivit 
pendant  seize  ans,  jusqu'en  348. 

Pendant  ce  temps  il  ouvrit  une  école  de  rhétorique,  dans  laquelle 
il  luttait  contre  Isocrate,  et  la  réputation  qu'il  y  acquit  le  fit 
envoyer  en  ambassade  par  les  Athéniens  auprès  du  roi  Philippe. 
Cest  pendant  son  absence  que  Platon  mourut. 

A  son  retour,  ne  se  croyant  pas  en  sûreté  à  Athènes,  comme 
macédonien,  il  se  rendit  en  Asie,  auprès  d'Hermîas,  tyran  d'Atar- 
née,  dont  il  épousa  la  fille,  après  que  celui-ci  eut  été  mis  à  mort 
par  Artaxerce.  Il  se  retira  alors  à  Mitylène,  où  il.  demeura  deux 
ans. 

En  343,  Philippe  lui  confia  l'éducation  de  son  fils  Alexandre. 
Aristote  instruisit  son  élève  dans  toutes  les  connaissances  qu'il 
possédait  lui-môme  :  morale,  politique,  éloquence,  poésie,  musique, 
histoire  naturelle,  physique,  médecine.  C'est  à  Pella  dans  le  palais 
appelé  Nyphœum,  qu'Aristote  habitait  alors  avec  son  royal  élève, 
et  quelquefois  à  Stagire,  qu'il  avait  fait  relever  de  ses  ruines  et 
embellie  de  ses  popres  deniers.  Il  demeura  auprès  d'Alexandre 
jusqu'en  l'an  335,  au  moment  où  celui-ci  se  disposait  à  passer  en 
Asie. 

Aristote  se  rendit  alors  à  Athènes  et  ouvrit  son  école  dans  le 
Lycée,  gymnase  situé  auprès  du  temple  consacré  à  Apollon  Lycien. 


522  HISTOIRE  DE  LÀ  PHILOSOPHIE 

C^est  de  là  que  son  école  s^appelle  le  Lycée^  comme  aussi  paies 
qu*Aristote  avoit  coutume  d'enseigner  en  marchant,  ses  disci^ 
furent  surnommés  Pénpatéticieyis, 

Aristote,  dont  Tesprit  était  éminemment  ami  de  Tordre,  eut  bcù 
d'imposer  à  son  école  une  discipline  maintenue  par  an  chef  sa 
archonte  que  Ton  renouvelait  tous  les  dix  jours.  Des  bai»|Qeâs 
périodiques  réunissaient  de  temps  en  temps  tous  ses  disciples,  e% 
un  article  du  règlement  tracé  par  Aristote  interdisait  l'entrée  (k 
la  salle  du  festin  à  tout  convive  dont  la  mise  n'aurait  pas  été  îsré- 
prochahle. 

Ses  leçons  avaient  lieu  le  matin  et  le  soir,  et  cesdeax  leçons  dg 
chaque  jour  constituaient  deux  degrés  dans  son  enseignement:  Tes 
pour  les  commençants  et  par  là-méme  accessihle  à  tous,  et  qui  prit 
pour  cela  le  nom  d'enseignement  exotérique  ;  l'autre  pour  oesi 
que  des  études  précédentes  avaient  préparés  à  des  études  plus  |»o> 
fondes,  et  appelé  pour  cela  acroamatique.  Il  n'y  a  pourtant  jê& 
lieu  de  croire  que  ce  dernier  enseignement  fut  secret  ou  ésotétiq^, 
comme  quelques-uns  l'ont  cru. 

Aristote  dirigea  son  école  pendant  treize  ans  et  pendant  » 
temps  il  composa  ces  écrits  nombreux  dont  la  profondeur  et  l'exac- 
titude étonnent  d'autant  plus  que  l'on  fait  plus  de  progrès  dans  ks 
sciences. 

Une  grande  intimité  régna  entre  lui  et  son  royal  élève,  jusqn'ae 
moment  où  Alexandre  fit  périr  CaUisthène  qui  était  le  neveu  d'A- 
ristote.  A  ce  moment,  sans  doute,  les  rapports  durent  étce  plff 
gênés,  mais  c'est  tout-à-fait  injustement  que  l'on  a  accusé  Aristoie 
d'avoir  été  pour  quelque  chose  dans  la  mort  du  conquérant.  As 
contraire  il  dut  fuir  devant  la  réaction  quand  son  élève  fut  mort 
Déjà  cependant  il  avait  dû  quitter  Athènes  devant  une  accusati«ï 
de  sacrilège,  parce  qu'il  avait  élevé  des  autels  à  la  mémoire  de  a 
première  femme  et  de  son  ami  Hermias.  On  croit  qu'il  se  retira 
alors  à  Chalcis,  laissant  la  direction  de  son  école  à  son  disciple 
Théo{)hraste. 

C'est  à  Chalcis  qu'Aristote  mourut,  l'an  322,  succombant,  à  ce 
qu'on  croit,  à  une  maladie  d'estomac,  qu'il  avait  habilement  com- 
battue toute  sa  vie.  Plusieurs  l'ont  accusé  de  s'être  donné  la 
mort  ;  mais  cette  assertion,  contredite  par  des  historiens  digs© 


0RBC8.  —  ARISTOTB.  —  LYCÉE.  528 

de  foi  9  est  encore  opposée  à  la  doctrine  formelle  d*Ari8tote  contre 
le  suicide. 

159.  Travaux  d'Aristote.  —  C'est  à  dessein  que  nous  disons 
a  travaux  »  et  non  pas  «  écrits  »  d'Aristote.  En  effet  ses  écrits  ne 
sont  pas  seulement  le  fruit  d'une  puissante  intelligence,  la  plus 
vaste,  la  plus  profonde  et  la  plus  sûre  que  le  genre  humain  ait  ja- 
mais connue,  mais  ils  résultent  surtout  d'une  immense  érudition 
qui  embrassa  tout  ce  qui  avait  été  écrit  jusqu'à  lui,  et  surtout  d'un 
travail  d'observation  personnelle  et  vraiment  scientifique,  sur  les 
animaux,  les  plantes,  les  phénomènes  météorologiques.  Les  mathé- 
matiques qu'il  connaissait  cependant  très  bien,  sont  la  seule  bran- 
che des  sciences  alors  connues,  qu'Aristote  n'ait  pas  traitée  ;  et 
dans  tout  ce  qu'il  a  observé,  il  J  a  certainement  des  lacunes  inévi- 
tables pour  lui,  mais  ce  qu'il  en  a  dit  est  resté  parfaitement  exact, 
quant  aux  phénomènes  observés. 

Par  ses  travaux  sur  la  Nature,  Aristote  est  le  fondateur  des 
sciences  d'observation  ;  par  sa  Logique,  il  est  le  législateur  de  tou- 
tes les  sciences  ;  par  sa  Métaphysique,  il  a  posé  les  bases  de  toutes 
les  sciences  à  priori  ;  par  le  reste  de  ses  travaux,  il  a  placé  la  phi- 
losophie dans  ses  véritables  limites,  mettant  un  frein  aux  hypo- 
thèses antérieures,  arrêtant  les  écarts  de  l'imagination  à  laquelle 
Platon  donnait  un  trop  libre  cours.  Il  y  a  sans  doute  moins  de 
poésie,  et  peut-être  moins  de  grandeur  dans  les  théories  d' Aristote 
que  dans  celles  de  son  maître  ;  mais  il  y  a  certainement  plus  de 
vérité,  plus  de  méthode,  plus  de  clarté,  et  souvent  plus  de  profoii- 
deur. 

Voici  la  liste  de  ses  écrits  : 

Ouvrages  sub  la.  grammaire  et  les  lettres 

De  VAH  de  la  Rhétorique^  en  3  livres. 
JShétoriqtce  à  Alexandre,  (apocryphe). 
De  la  Poétique  (fragment). 

Ouvrages  sur  les  mathématiques. 

De  la  Mécanique j  sous  forme  de  questions. 
Dez  lignes  insécables^  contre  Xénocrate. 


524  HISTOIRE  DE  LÀ  PHIL080PHIB 

Ouvrages  compris  sous  le  nom  de  Logique  ou  Or^onon. 

Catégories^  sur  les  termes. 

De  l'Interprétation^  sur  la  proposition. 

Premiers  Analytiques,  en  2  livres,  sur  le  syllogisme. 

Derniers  Analytiques,  en  2  livres,  sur  la  démonstration. 

TojnqueSf  en  8  livres,  sur  Tart  d'argumenter. 

Réfutations  des  Sophistes. 

Ouvrages  sur  la' métaphysique. 
Métaphysig^ue,  en  14  livres. 
Sur  Xénophane,  Zenon  et  Gorgias. 

Ouvrages  sur  la  physique  ou  sur  la  nature 

Levons  de  physique,  en  8  livres. 
Du  Ciel,  en  4  livres. 

De  la  Génération  et  de  la  Corruption^  en  2  livres. 
Du  Monde,  à  Alexandre  (apocryphe). 
Météorologie,  en  4  livres. 
Positions  et  noms  des  vents,  fragment  d'un  ouvrage  sur  te 

saisons, 
Traité  d'Acoustique  (extrait). 
Traité  des  couleurs. 

Ouvrages  sur  les  êtres  vivants. 

Traité  des  Plantes,  en  2  livres  (texte  grec  refait  sur  Tarabe). 

Histoire  des  animaux,  en  10  livres. 

Des  Parties  des  animaux,  en  4  libres. 

De  la  Génération  des  animaux,  en  5  livres. 

De  la  Vie  (ou  deTAme),  irepl  ^uj^yic,  en  3  livres,  plus  lespeti» 

traités  appelés  :  par  va  naturalia. 
De  la  Sensation  et  des  choses  sensibles. 
De  la  Mémoire  et  de  la  Réminiscence. 
Du  Sommeil  et  de  la  Veille, 
De  la  Divination  par  les  songes. 
De  la  Brièveté  et  de  la  Longévité  de  la  vie. 
De  la  Jeunesse  et  de  la  Vieillesse. 
De  la  Vie  et  de  la  Mort, 
De  la  Respiration 


GRECS.  —  ARI8T0TB.   —   LYCÉE.  525 

et  les  recueils  de  faits  de  toutes  sortes. 
Petit  Recueil  des  récits  surprenants, 
57  sections  de  Problèmes^  ou  questions. 

OUVBAQES  DE  MORALE  ET  DE  POLITIQUE. 

Morale  à  Nicomaque,  en  10  livres. 

Grande  morale,  en  2  livres.       1     .  i.   ,       ^       j«    •  i 

i   rédigés  par  ses  disciples. 

Morale  à  Eudème,  en  7  livres   ) 

Sur  les  vertus  et  les  Vices  (fragment). 

Politique,  en  8  livres . 

Economique,  en  2  livres  (le  2*  est  apocryphe). 

De  la  Physiognomonie. 

Aristote  avait  composé  aussi  un  Recueil  des  constitutions  poli- 
tiques grecques  et  barbares,  dont  il  ne  nous  reste  rien,  et  plusieurs 
autres  ouvrages  dont  nous  ignorons  les  noms,mais  dont  les  auteurs 
anciens  nous  ont  conservé  des  fragments .  On  lui  attribue  aussi 
des  poésies  et  des  lettres. 

160.  Histoire  des  ouvrages  d' Aristote.  "-^  Aristote^  en 
mourant,  avait  légué  ses  écrits  à  Théophraste  ;  celui-ci  les  légua  à 
Nôlée,  son  disciple.  Les  parents  de  ce  dernier,  en  ayant  hérité  les 
portèrent  à  Sepsis,  et  les  enfouiient  pour  les  cacher.  Plus  tard  ils 
les  vendirent,  trôs-endommagés,  à  Apellicon  de  Téos,  qui  formait 
une  bibliothèque  à  Athènes,  et  qui  en  donna  un  grand  prix.  Après 
la  prise  d'Athènes,  Sylla  les  ût  transporter  à  Rome  où  ils  furent 
revus  et  rétablis  par  un  affranchi  nommé  Tjrannion,  grammairien 
et  philosophe  très  estimé,  puis  placés  dans  la  bibliothèque  publique 
d'Asinius  Pollion.  Plus  tard  Andronicus  de  Rhodes  les  publia,  envi- 
ron 2(X)  ans  après  la  mort  d' Aristote. 

Dès  lors  Cicéron  les  connut  et  les  cita  fort  souvent  ;  plus  tard 
Pline  ne  fit  guère  que  les  traduire  ou  les  résumer  et  Sénèque  s'en 
servit  aussi.  Mais  ils  ne  furent  guère  répandus  à  Rome,  A  Alexan- 
drie, au  contraire,  ils  trouvèrent  des  commentateurs. 

Les  premiers  pères  de  TEglise  s'attachèrent  de  préférence  à 
Platon  ;  mais,  à  partir  de  St  Augustin  on  commença  à  les  connaî- 
tre. Cassiodore  et  Boéce  surtout  donnèrent  des  versions  de  quel- 
ques-uns. 

Pendaiit  ce  temps  les  philosophes  d'Alexandrie  les  portèrent 


526  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

4 

jusqii*en  Perse  où  les  Arabes  les  traduisirent,  ponr  les  rapports 
plus  tard  en  Afrique  et  en  Espagne,  au  moment  oO  TEUirope  k» 
avait  oubliés.  On  les  traduisit  de  Tarabe  en  hébreu  et  en  latiii,^ 
c*est  ainsi  que  la  scholastique  commença  à  les  connaître. 

Par  les  soins  de  St  Thomas  d'Aquin  et  du  pape  Eugéae  IV,  ffl« 
traduction  complète  fut  faite  sur  le  texte  grec,  et  dès  lors  AmtoU 
devint  l'instituteur  de  TEuropo.  Tout  ce  qu'il  y  eut  de  philosopks 
au  moyen-âge  se  forma  à  l'école  de  celui  qu'on  appelait  par  excel- 
lence le  philosophe^  et  c'est  lui  qui  donna  à  la  scholastique  oêtIc 
logique  sévère,  méthodique  et  môme  pointilleuse,  à  force  de  voa- 
loir  être  exacte  et  précise  dans  les  termes.  L'étude  de  la  LogiqBS 
et  de  la  métaphysique  fut  pour  tous  ces  hommes  une  gymnastique 
intellectuelle  qui  leur  assura  une  supériorité  de  raison  que  beao- 
coup  méprisent  aujourd'hui  parce  qu'ils  ne  peuvent  pas  la  cos.* 
prendre.  Mais  le  plus  beau  témoignage  en  faveur  des  écrit» 
d'Aristote  c'est  qu'ils  ont  servi  à  former  St  Thomas  d*Aquia,  et 
que  celui-ci,  à  la  lumière  de  la  Foi  catholique,  a  pu,  sans  sortir  dâ? 
principes  d'Aristote,  élever  ce  grand  édifice  philosophique  q» 
l'esprit  humain  ne  cessera  jamais  d'admirer:  cette  somme  théolo- 
gique  dont  les  données  rationnelles  sont  tellement  exactes,  qne  Ii 
raison  se  détruit  elle-même  chac|ue  fois  qu'elle  veut  les  contredire  : 
tellement  profondes,  que  tous  les  progrès  véritables  accomplis  par 
la  philosophie  jusqu'à  ce  jour  y  sont  comme  prévus,  et  qa'o& 
s'étonne  de  les  y  voir  constatés  en  quelques  lignes,  après  qu'on  les 
a  découverts,  là  où  on  ne  les  avait  jamais  aperçus. 

Que  faut-il  donc  penser  d'Aristote?  Quelle  était  cette  întelligenec 
qui,  avec  si  peu  de  secours  antérieurs,  est  arrivée  comme  d*an  seul 
élan  à  cette  hauteur  sublime  !  Cette  intelligence  qui  a  pu  non-seo- 
lement  embrasser  d'un  regard  toutes  les  connaissances  de  soa 
temps  et  les  systématiser,  mais  encore  pénétrer  si  profondément 
dans  la  vérité,  que  ses  principes  renferment  et  semblent  lui  avotr 
indiqué  d'avance  tout  le  fruit  des  efforts  de  l'esprit  humain  pendant 
plus  de  vingt  siècles  ! 

Ajoutons  cependant  qu'il  faut  bien  connaître  Platon  pour  coo- 
prendre  Aristote,  comme  il  faut  bien  connaître  Aristote  ponr  ne 
pas  s'égarer  avec  Platon^  et  qu'enfin  il  faut  étudier  sôrieuadmaB^ 
St  Thomas  pour  échapper  aux  erreurs  où  les  deux  premiers  poor. 
raient  conduire. 


GRECS.    —  ARISTOTB.    —  LYCÉE.  527 

Disons  mieux  :  Platon  avait  eJBTacé  Thomme  et  le  monde;  Aristote 
avait  effacé  Dieu;  la  Foi  catholique  qui  affirme  Dieu  et  ses  œuvres, 
dirigeant  une  intelligence  comme  ceUe  de  St  Thomas  a  fait  jaillir 
de  ces  deux  sources  un  immense  fleuve  de  vérité. 

Théorie  de  la  connaissance.  —  Pour  Aristote  comme  pour 
Platon,  la  théorie  de  la  connaissance  est  la  base  de  tout  le  système 
philosophique.  Nous  avons  déjà  dit  plusieurs  fois  en  quoi  consistent 
ces  deux  théories,  ou  plutôt  en  quoi  elles  diffèrent.  Il  sera  pourtant 
utile  de  présenter  ici  celle  d'Aristote  sous  un  jour  plus  complet. 

La  connaissance,  dont  le  désir  est  naturel  à  l'homme,  a  un 
double  objet  :  les  choses  éternelles  et  les  choses  périssables.  Les 
premières  ne  tombent  pas  sous  les  sens,  et  les  dernières  se  divisent 
en  sensibles  et  intellectuelles. 

Les  choses  sensibles  nous  sont  connues  par  la  sensatiçn 
(aid)7i<Tu)  La  présence  de  l'objet  est  nécessaire  à  la  sensation 
Ce  qui  fait  que  l'»  la  sensation  ne  dépend  pas  de  nous  ;  2°  elle  ne 
donne  que  le  présent  ;  3°  elle  ne  donne  que  le  particulier.  Mais 
par  suite  aussi  elle  ne  donne  pas  Terreur.  Les  sens  ne  nous  trom- 
pent pas. 

Cependant  l'imagination  (  çavrao-ta  )  conserve  les  percep- 
tions sensibles.  C'est  que  l'objet  perçu  dans  la  sensation  a  laissé 
dans  le  sens  l'empreinte  de  lui-môme,  sans  y  rien  laisser  de  la 
matière  qui  le  compose,  comme  le  sceau  laisse  son  empreinte 
dans  la  cire,  sans  y  rien  laisser  du  fer  dont  il  est  fait.  Aussi  une 
seconde  perception  semblable,  une  troisième,  etc.,  sont  bientôt 
reconnues  pour  semblables  et  la  série  de  toutes  ces  images  sembla- 
bles (cpavTàcr|xaTa)  dégagées  de  ce  qu'elles  ont  de  particulier , 
fournit  à  l'intelligence  un  genre  ou  une  espèce  (etSoç). 

Ainsi  les  idées  ne  sont  pas  des  êtres  séparés  ;  les  genres  et  les 
espèces  n'existent  que  dans  les  individus. 

Les  idées  ne  nous  sont  pas  innées  ;  nous  les  acquérons  par 
l'expérience,  qui  n'est  que  la  série  des  sensations  ou  plutôt  la  série 
des  images  sensibles  fournies  à  la  sensation.  Le  dégagement  de 
raniversel,  le  premier  degré  d'une  connaissance  supérieure  à  celle 
des  animaux,  se  fait  par  le  procédé  dialectique  (SiaXexTwcûc) 
et  ne  donne  que  l'opinion  (Ulia), 


528  HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIE 

La  science  est  un  degré  supérieur  à  celui-là.  Mais  la  ide^n 
(CTctoTTT^jjLTi)  uc  se  fait  que  par  démonstration.  Sou  ol^étei 
la  conclusion  nécessaire.  La  conclusifn  s'obtient  par  le  yfoék 
logique(XoYtx(o;)  Elle  repose  donc  sur  des  principes,  qui  ^ 
vent  être  aussi  nécessaires  que  les  conclusions. 

Les  principes  sont  le  point  de  départ  des  démonstratioss.  Bi 
sont  donc  indémontrables.  L'âme  les  tire  d'elle-même,  paisqK la 
sens  ne  les  lui  donnent  pas.  Cependant  elle  ne  les  apporte  p)i  s 
naissant,  puisqu'elle  ne  les  connaît  pas  avant  d'avoir  perçi  F 
les  sens.  C'est  donc  l'esprit  lui-môme  qui  les  possède  en  puisse» 
et  qui  les  applique  dans  le  raisonnement.  On  les  met  &  décovî^* 
par  le  procédé  analytique  (àvaWLxcic).  Us  sont  lol^jet  (ka 
connaissance  directe  (  voT^Ta  );  ils  ne  sont  connus  ni  par  Ja  sta- 
tion, ni  par  la  science  ;  c'est  l'intelligence  (voûç)  qui  les  coaa»-^ 
et  cette  connaissance  constitue  la  sagesse  (  vo^floL  )  sapérieare^^ 
pensée  discursive  (  ©pivr^dic  ou   Stàvota  ). 

Les  principes  sont  fondés  sur  l'opposition  des  contraires  :eeqi: 
est  et  ce  qui  n'est  pas.  Ils  se  résument  donc  dans  le  principe^ 
contradiction.  «Rien  ne  peut,  en  môme  temps,étre  et  n'être  jâf* 
Cependant  les  principes  ne  sont  pas  les  mômes  pour  toutes  )è 
sciences;  car  il  faut  distinguer  les  objets  éternels, des  objets  pérs- 
sables.  Dans  les  sciences  des  objets  étemels  les  principes  9i»i^<^ 
qui  est  nécessaire  et  éternel  ;  dans  les  sciences  des  ol^ets  pensa- 
bles, les  principes  sont  le  cours  ordinaire  des   choses,  (tic  sa  ' 

Ainsi  la  théorie  d'Àristote  sur  la  connaissance  n*est  aullemeot  sei- 

suallste,  comme  on  l'a  dit  trop  souvent.  M.  Barthélémy  Sabl-Haî»"' 

dans  son  analyse  de  la  Logique  d'Aristote,   justifie   plelnemeot  «^ 

théorie  du  reproche  de  sensualisme.  Il  remarque  même  qu'Anstote  «' 

jamais  admis  le   fameux  principe.  Nihil  est  m   intellectu  quo<^*^* 

prius  fuerit  in  sensu,  et  de  plus  que  lorsqu'il  a  comparé  I'inteilif««* 

à  un  tableau  sans  inscription  (tabula  rasa)  c'était  dans  un  tout  a»'-'' 

sens  que  celui  qu'on  lui  attribue.    Aristote  dit  que  Tentendeaieat  l^ 

se  penser  lut-mème,  et  qu'alors  l'objet  de  la  pensée,  identique  au  ^ 

cipe  pensant,  ressemble  à  une  tablette  sur  laquelle  il  n'y  aurait  aitfQ* 

écriture  réelle. 

Tout  cela  est  vrai,  mais  11  ne  faudrait  pas  en  conclure  queiasp"^ 


GRECS  —  ARISTOTB    —   LYCÉE  529 

la  philosophie  tout  entière  a  vu  dans  Arîstote  le  contraire  de  ce  qu'il 
dit.  S'il  n'a  pas  formulé  expressément  le  principe  que  tout  ce  quHl  y  a 
dans  VinteUigence  lui  vient  de  la  sensation^  il  a  exposé  une  théorie 
qui  repose  sur  ce  principe  ;  si  c'est  dans  un  autre  sens  qu'il  a  comparé 
l'intelligence  à  la  fameuse  table  vase,  tous  ses  commentateurs  ont  bien 
vu  que  cette  expression  rendait  bien  sa  pensée  sur  l'intelligence  nais- 
sante. {*)  Car  il  n'admet  dans  l'intelligence  aucmie  idée  déterminée 
avant  la  sensation,  et  les  principes  qu'il  y  découvre  ensuite  n'y  sont 
tout  d'abord  qu'en  puissance  et  non  pas  en  acte.  Or  c'est  là  précisé* 
ment  et  uniquement  ce  rpi'Aristote  combat  dans  la  théorie  des  idée)  de 
Platon,  considérée  dans  l'intelligence.  Il  combat  d'ailleurs  aussi  et  non 
moins  énergiquement  l'existence  des  idées  en  dehors  do  l'intelligence, 
Jes  genres  en  dehors  des  choses  et  avant  les  choses,  parce  qu'il  lui  sem- 
ble que  Platon  en  fait  des  substances  à  part  et  indépendantes. 

Nous  reconnaissons  avec  M.  Barthélémy  Saint-Hilaire  que  Leibnltz 
n'a  rien  changé  à  la  théorie  d'Aristote,  qu'il  croyait  cependant  corriger, 
en  ajoutant  au  fameux  principe:  excipe:  nisi  ipse  tntellectus.  Bien 
plus, nous  dirons  que  Leibnitz  lui-même  ne  s'est  pas  exprimé  plus  clai- 
rement qu'Aristote  sur  cette  question,  que  comme  lui  il  semble  ne  re- 
connaître dans  l'intelligence  que  la  faculté  de  formuler  les  principes  de 
raison,  tandis  qu'il  aurait  pu  trouver  le  véritable  sens  caché  d'Aristote 
et  la  vraie  manière  dont  il  faut  entendre  cette  théorie,  dans  S.  Thomas 
d'Aquin,  qui  dit  formellement  que  Vintellet  des  principes  est  une 
habitude  naturelle.  Et  S.  Thomas,  qui  mieux  que  personne  a  compris 
Aristote,  ne  croy«iit  pas,  en  parlant  ainsi,  s'écarter  de  la  doctrine  du 
philosophe. 

1Ô2.  La  Logique  d'Aristote.  —  Les  six  ouvrages  que  Ton 
désigne  sous  le  nom  de  Logique  ou  ôHOrganon^  forment  uu  tout 
suivi  et  complet.  Aristote  les  a  conçus  ainsi.  Mais  ce  n*est  pas  lui 
qui  leur  a  donné  les  noms  sous  lesquels  ils  sont  connus .  Il  les  dé- 
signe quelquefois  par  Méthode  des  procédés  logiques  (jjiéôoSoç  tûv 
yjd^iù^i)  et  plus  souvent  '\\  semble  n'y  voir  autre  chose  que  ce  qu'il 
appelle  l'Analytique.  Ces  deux  dénominations  présentent  l'ouvrage 

à  deux  points  de  vue  opposés.  Le  premier  le  désigne  tel  qu'il  est 
et  comme  devant  servir  de  règle  à  l'intelligence  qui  poursuit  la 

(*)  D'ailleurs  cette  môme  comparaison  se  retrouve  dans  le  traité  d$  Vàme^  où 
Il  dit  «  L'intellect  passif  est  d'abord  comme  une  iabU  raie,  comme  on  le  voit 
dane  la  première  enfance.  » 

34 


530  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

science,  par  voie  de  démonstration  ;  le  second  desiffiie  plntfii  1^ 
travail  dn  philosophe  à  la  recherche  de  ces  mêmes  règles  et  à< 
principes  de  la  démonstration. 

Ainsi  guidé  par  son  but  et  par  sa  théorie  de  la  connaissais. 
Aristote  cherche  d'abord  ce  qu'il  y  a  de  plus  générai  dans  lesjfs- 
cipes  de  la  science,  e'est^à-iiire,  les  .attributs  possibles  de  rètre.  o. 
plutôt  la  classification  générale  de  ces  attributs;  ce  sont  les  Csîf 
gories  (KoLTr^vooiaiù 

11  parait  qu'Aristote  lui-môme  avait  écrit  aussi  un  traité  des  Calf"> 
rémeB  et  que  Porphyre  n'a  fait  qu'y  suppléer,  en  se  servant  de  h  }^'^ 
physique   et  des  Topiques^  parce  que  ce  traité  était  déjà  perdu. 

Nous  avons  parié  déjà  des  Catégories  et  des  Catégorèmes,  page  ôSetiS 

Vient  ensuite  le  traité  de  r  Interprétation  (tîîoI  Eouv/sii;!  s^ 
traité  du  Langage,  qui  renferme  la  théorie  de  la  Prt»p:«siiia 
Aristote  y  traitait  d*abord  du  Nom  (ovo'j.a)  et  du  Verl.o  (cf;i3i)pâ> 
de  leur  union  dans  le  Discours  (Aoyoc),  c'est-à-dire  de  la  Pw^«■ 
tion.  Il  i^marqueque  toute  proposition  n'exprime  pas  unjug«2ni«*»' 
et  que  par  exemple  l'optatif  donne  une  proposition  qui  n'est  ^ 
vraie  ni  fausse.  Il  ne  veut  parler  que  de  la  proposition  énoBci^ 
tive.  Celle-ci  est  affirmative  ou  négative,  universelle  ou  partks- 
Hère.  Deux  propositions  peuvent  être  contraires  ou  contradictoire. 
L'opposition  peut  tomber  sur  des  propositions  simple?,  complexe^' 

ou  modales.  Aristote  traite  assez  longuement  ces  dernières.  £a  ^ 

« 

mot,  il  dit  à  peu  près  tout  ce  que  l'on  a  dit  depuis  sur  la  Proposi- 
tion. 

Après  avoir  éclairé  les  opérations  de  la  raison  sus  les  élém»^ 
du  jugement  et  sur  le  jugement,  Aristote  va  éclairer  le  travail^ 
la  démonstration,  qui  n'est  que  l'enchaînement  des  jugements.  & 
d'abord  il  traitera  du  raisonnement  en  lui-môme,  <1ii  *vllorl53f 
abstrait,  ensuite  il  rappliquera  i\  la  démonstration  réelle. 

Les  pre^niers  Analytiques  oftrent  la  théorie  complète  *iu5vL" 
gisme  avec  une  profondeur  d*analyse  qui  étonne  d'autant  pla^ 
que  rien  d'analogue  n'avait  été  fait  avant  lui,  et  que  riea  <« 
mieux  n'a  été  fait  dep  Us,  si  ce  n'est  que  la  Scolastique  y  a  aji^iu 
des  formules,  dont  Aristote  n'avait  donné  que  l'idée  ^rm^ 
re,  en  exprimant  par  des  lettres  chacune  des  propositions  et  «•» 
variant  ces  lettrespour  chaque  figure.  Dans   un  second  chapi'*'* 


GRECS.  —  ARISTOTE.  —  LYCÉE.         581 

de  ce  premier  livre,  il  parle  des  propriétés  des  syllogismes, 
savoir  :  de  la  possibilité  de  donner  h  quelques-uns  plusieure  con- 
clusions; ou  de  conclure  le  vrai,  en  un  sens,  de  deux  propositions 
fausses  ;  de  tirer  d*un  syllogisme  une  conclusion  réciproque,  etc.  Il 
traite  ensuite  de  quelques  sophismes,  et  enfin  des  formes  de  raison- 
nement autres  que  le  syllogisme  :  Tlnduction  {l'KOLyiù^^^),  TExemple 
TwapàSeiYjxa),  TAbduction  (àr.oL-ftù^,),  Tlnstance  {evTra<nc)  et  TEn- 
thjmème  (èv9u[JL7i|jLa). 

Aristote  fait  grand  cas  de  Tlnduction  et  dit  qu'elle  constitue  avec 
le  syllogisme  les  deux  seuls  moyens  de  savoir.  L'induction  consiste 
pour  lui  h  conclure  le  grand  terme  du  moyen,  par  le  petit.  Mais  il 
faut  pour  cela  que  le  petit  terme  repré^nte  tous  les  individus  com- 
pris dans  le  moyen.  Le  syllogisme  est  en  lui-même  plus  conoais- 
sable.  mais  Tinduction  est  pour  nous  plus  claire.  Plus  loin,  dans 
les  derniers  analytiques,  il  expliquera  comment  Tinduction  est 
seule  capable  de  nous  donner  et  nous  donne,  en  effet,  les  majeures 
indémontrables  du  syllogisme  et  les  premiers  principes. 

L'Exen^ple  diifère  de  Tinduction  en  ce  qu'il  ne  part  pas  de  tous 
les  individus  compris  dans  le  moyen,  mais  d'un  quatrième  terme 
semblable  au  petit. 

Exemple:  C'est  un  mal  de  faire  la  guerre  à  ses  voisins,  comme 
lorsque  les  Athéniens  firent  la  guerre  aux  Thébains. 
De  môme  c'est  un  mal  pour  les  Thébains  de  faire 
la  guerre  auxPhocéens  qui  sont  leurs  voisins. 

Mais  l'exemple  diffère  encore  plus  du  syllogisme,  car  il  conclut 
du  particulier  au  particulier,  en  passant  par  Tuniversel. 

L'Abduction  est  un  syllogisme  dont  la  mineure  n'est  pas  évidente 
et  où  l'on  prouve  cette  mineure  avant  d'amener  la  conclusion. 
Aristote  l'appelle  ainsi  parce  que  le  raisonnement  semble  s'écarter 
de  son  but. 

L'Instance  ou  objection  est  un  syllogisme  dont  la  mineure  con- 
tredit la  mineure  d'un  premier  syllogisme  et  par  conséquent  obtient 
une  conclusion  contradictoire. 

L'Enthymôme  n'est  pas  chez  Aristote  l'argument  que  nous  dési- 
g^nons  aujourd'hui  par  le  môme  nom.  Pour  lui,c'est  un  raisonne- 
ment qui  ne  conclut  que  d'une  maniôrô  probable,  car  il  est  fondé 


532  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

sur  un  signe  dont  la  présence  peut  n'être  pas  une  raison  sufflsaoîi 
d'affirmer  la  chose  signifiée. 

Ici  Aristote  dit  quelques  mots  qui  sont  le  principe  mêmedeiVi- 
pîoi  de  l'observation  dans  les  sciences  naturelles.  C'est  que  umfê 
qualité  présonto  dans  un  être  doit  avoir  un  signe  extérieur  ^ 
qu'ainsi  le  signe  peut  servir  h  connaître  la  nature  propre  des  cki^ 

'(cJUTLOVvOJULOVtîv) . 

Dans  les  (Irrniers  Aïinh/d'qifes,  xVristote  expose  les  principes 
et  les  a])plicationsdela  démonstration.  Et  d'abord  toute  déultJU^tra- 
tion  repose  sur  une  vérité  antérieureuieut  connue,  sans  qne  poar 
cela  hi.  conclusion  puisse  u^re  appelée  une  réminiscence,  comis^ 
disait  Platon  ;  car  on  peut  connaître  un  principe  général,  sanse 
<'onnaîtro  toutes  les  applications  particulières.  Les  principes  (la- 
vent être  vrais  et  connus  pour  vrais.  Sans  cela  il  pourrait  bieaj 
avoir  syllogisme,  mais  il  n'y  aurait  pas  démonstration. 

On  objecte  que,  s'il  faut  connaître  les  principes  avant  la déiûOK- 
tration,  la  science  est  impussible,  puisqu'il  y  a  quelque  chose q^n 
n'est  pas  démontré.  Aristote  répond  que  toute  science  ne  vient  p*-* 
de  la  démonstration,  puisque  les  notions  immédiates  n'en  vienne 
pas.  D'ailleurs  vouloir  que  toutes  les  parties  de  la  science  soient 
démontrées,  c'est  vouloir  faire  une  démonstration  circulaire,  to 
laquelle  le  principe  sera  tout  à  la  fois  plus  connu  et  moins  confia 
que  lui-même. 

Après  cela  il  conclut  que  ce  qui  est  su  par  démonstration  est  w- 
cessairement  tel  qu'on  le  sait  ;  que  la  démonstration  ne  porte  qo* 
sur  l'universel,  sur  l'éternel,  et  qu'il  ny  a  pas  de  science  prop^^ 
ment  dite  des  choses  périssables. 

La  démonstration  repose  sur  l'universel,  or,  par  universel,  il  ^ 
faut  pas  entendre  les  idées,  comme  des  espèces  à  part,  isolées «k» 
individus.  L'universel  n'est  qu'un  mot  qui  s'applique  à  plusieaff 
objets,  comme  vrai  de  tous,  et  non  par  simple  homonymie.  I' 
véritable  universel  ce  sont  les  principes  communs  que  toutes  1^ 
sciences  emploient  pour  leurs  démonstrations.  Tels  sont  le  pri»* 
cipe  de  contradiction  et  cet  autre  qu'une  chose  est  ou  n'estps^' 
Ces  principes,  ce  n'est  pas  la  science  qui  les  démontre  ;  c'^t  la 
dialectique  qui  s'en  occupe  et  les  met  en  lumière,  en  pivcédas- 
par  interrogations  contradictoires. 


GRECS  -ABISTOTB-  LYCÉE  533 

Parmi  les  sciences,  les  unes  démontrent  les  causes  des  faits,  les 
autres  démontrent  seulement  les  faits.  Et  quand  deux  sciences  do 
ces  deux  ordres  sont  subalternes,  celle  du  ^ïremior  ordre  est  supé- 
rieure à  Tautre. 

Le  premier  ordre  de  sciences  prend  ses  démonstrations  le  plus 
souvent  dans  le  svllogisme  de  la  première  figure  ;  et  le  deuxième 
ordre  les  y  prend  exclusivement.  «  Donc  la  première  figure  est  la 
forme  suprême  de  la  science  ». 

L'erreur  vient  principalement  des  fausses  notions  simples,  puis 
des  sophismes,  et  enfin  des  sens  qui  font  quelquefois  défaut. 

Si  un  sens  vient  à  manquer,  une  partie  de  la  science  manquera 
nécessairement  aussi .  Car  tout  savoir  vient  de  la  démonstration 
ou  de  l'induction,  La  démonstration  part  du  général  ;  l'induction 
part  des  cas  ^rticuliers .  Mais  il  est  impossible  d'atteindre  le  gé- 
néral autrement  que  par  Tinduction  qui  a  son  point  de  départ  dans 
la  sensation.  Donc,  si  telle  sensation  manque,  l'induction  qui  en 
dérive  manquera  aussi,  et  la  démonstration  n'aura  plus  de  base  à 
ce  sujet. 

On  ne  peut  pas  indéfiniment  donner  un  attribut  à  l'attribut  d'un 
sujet,  ni  un  sujet  au  sujet  d'un  attribut.  11  faut  en  dernière  ana- 
lyse trouver  un  sujet  qui  ne  soit  lui-môme  l'attribut  de  rien.  D'où 
il  suit  qu'il  y  a  des  principes,  et  que  tout  n'est  ipas  démontrable. 

La  démonstration  générale  vaut  mieux  que  la  particulière. 

La  démonstration  affirmative  vaut  mieux  que  la  négative. 

Cependant  la  démonstration  négative  est  supérieure  à  la  déuions- 
tration  par  impossible. 

La  science  qui  donne  à  la  fois  le  fait  et  la  cause  est  supérieure 
à  celle  qui  ne  donne  que  l'un  des  deux.  Celle  qui  n'a  pas  de  sujet 
matériel  l'emporte  sur  celle  qui  en  a  un.  Celle  dont  le  sujet  est 
plus  simple  l'emporte  sur  celle  do'nt  le  sujet  est  plus  complexe. 

Dans  le  II*  livre  du  mômp  traité  Aristote  recherche  l'applica- 
tion de  la  démonstration  aux  objets  de  la  science,  et  l'origine  des 
premiers  principes.  ^  ! 

La  recherche  de  la  science  peut  avoir  pour  objet  :  1^  l'existence 
de  la  chose  ;  2^  sa  cause  ;  B**  si  elle  est;  4^  ce  quelle  est.  Ces  quatre 
questions  se  réduisent  à  deux  :  l'existence  et  la  cause.  i^] 

La  connaissance  par  la  définition  n'est  pas  la  connaissance  par 


534  HISTOIRE  DE  LÀ  PHILOSOPHIE 

f 

démonstration.  Bien  plus,  elles  s'excluent  l'une  Tautre.  Car  la  dé- 
finition peut  servir  de  principe,  et  le  principes  ne  se  démontrent 
pas.  De  plus  la  définition  donne  l'essence  de  la  chose,  la  démonstra- 
tion la  suppose  ;  la  démonstration  démontre  une  chose  d'une  autre; 
la  définition  n'attribue  une  chose  qu'à  elle-même. 

Le  syllogisme  ne  peut  servir  à  définir. 

La  division  pas  plus  que  la  définition  ne  peut  ôti*e  une  démons- 
tration. Elle  ne  donne  rien  de  nécessaire:  elle  est  môme  moins  dé- 
monstrative que  l'induction. 

Enfin,  la  définition  ne  montre  pas  ce  quV*^  la  chose  ;  car  elle 
devrait  démontrer  en  même  temps  que  la  chose  est.  La  définition 
donne  l'essence.  L'essence  connue  se  confond  avec  la  cause;  et 
chercher  la  cause  d'une  chose,  c'est  admettre  que  cette  chose  est. 

Quand  la  cause  et  la  chose  môme  sont  identiques,  il  n'y  a  pas  de 
démonstration  possible.  C'est  un  principe  qui  ne  se  démontre  pas 
et  qui  doit  être  connu. 

La  cause  peut  être  ou  n'être  pas  simultanée  à  l'effet,  mais  le 
terme  moyen  (c'est-à-dire  la  cause  immédiate)  est  toujours  simul- 
tané. La  cause  simultanée  est  le  plus  souvent  employée  pour  terme 
moyen.  Mais  si  Ton  emploie  comme  moyen  la  cause  non  simulta- 
née, elle  lui  est  antérieure  et  dôs  lors  on  peut  conclure  la  cause  de 
l'effet  qui  Ta  suivie,  mais  non  Teffet  de  la  cause. 

Quelquefois  les  causes  et  les  effets  sont  circulaires. 

Aristote  donne  ensuite  les  régies  de  la  définition  qui  consiste  à 
rechercher  les  attributs  essentiels.  Ceux-ci  sont  égaux  à  leurs  su- 
jets ou  plus  étendus  qu'eux.  Ces  derniers  pris  à  part  ne  suffisent 
pas  à  la  définition,  mais  pris  ensemble  il  ne  peuvent  convenir  qu*à 
ce  siget. 

La  première  qualité  d'une  définition,  c'est  la  clarté  ;  celle  de  la 
démonstration,  c*est  la  vérité. 

L'existence  de  l'effet  donne  à  connaître  la  cause  et  réciproque- 
ment. Cependant  dans  le  particulier  on  peut  connaître  l'effet  sans  en 
connaître  la  cause.  Mais  dans  la  démonstmtion  propi^ementdite  un 
seuleffetn'aqu'une  seule  cause,  puisqu'on  y  considère  la  chose  ensoi. 

Et  maintenant  d'où  viennent  les  premiers  principes?  comment 
nous  sont-ils  connus  ? 


QRBOS*  —  ARISTOTB.  —LYCÉE  53B 

D'abord  a  il  e^  absurae  de  penser  que  nous  ayons  (en  naissant) 
ces'principes>.  Mais  alors  comment  pouvons-nous  les  acquérir  sans 
connaissance  préalable?  C'est  impossible.  Il  faut  donc  que  nous 
ajons  une  certaine  faculté  de  les  acquérir. 

Or  tous  les  animnux  ont  la  sensibilité.  Dans  les  uns  la  sensation 
persiste,  dans  d'autres,  non.  Dans  ceux-ci  la  connaissance  ne  va 
pas  au-delà  de  la  sensation  ;  dans  les  première,  au  contraire,  il  y  a 
encore  quelque  modification  dans  Tâme.  C'est  la  persistance  de  ces 
modifications  multipliées  qui  donne  à  certains  animaux  la  raison 
que  d^autres  n'ont  pas.  Ainsi>  de  la  sensation  vient  la  mémoire,  de 
la  mémoire  du  môme  fait  répété  vient  l'expérience  qui  est  une. 
C'est  de  l'expérience  que  se  forme  le  principe  de  l'art  et  de  la 
science. 

«  Ainsi  ces  principes  ne  sont  pas  précisément  innés  ;  ils  ne  pro- 
cèdent pas  davantage  de  principes  plus  évidents  qu'eux-mêmes  ils 
naissent  de  la  sensation .  » 

C'est  donc  une  nécessité  pour  nous  d'arriver  par  induction  à  la 
connaissance  des  premiers  principes  ;  car  c'est  ainsi  que  la  sensa- 
tion elle-même  arrive  à  nous  donner  le  général.  Mais  parmi  nos 
facultés  quelques-unes  ne  sont  pas  toujours  vraies;  la  science  et 
l'intelligence  seules  sont  éternellement  vraies.  Or  il  n'y  a  rien  de 
supérieur  à  la  science^  que  l'intelligence  même,  et  les  principes 
sont  plus  évidents  que  les  démonstrations.  Donc  il  n'y  a  pas  de 
science  pour  les  principes  ;  c'est  l'entendement  qui  s'y  applique  : 
c'est  donc  luiqui  est  le  principe  de  la  science. 

L'objet  des  Topiques,  selon  Aristote  lui-môme,  est  de  trouver 
une  méthode  qui  nous  mette  en  état  de  raisonner  sur  toute  espèce 
de  sujets^  en  partant  de  données  probables,  et  sans  nous  contredire. 
C'est-à-dire  que  Jes  Topiques  sont  les  lieux  communs  de  la  Logique, 
qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  ceux  de  la  Rhétorique. 

Le  syllogisme  est  dëmoyistratify  lorsqu'il  part  de  principes  évi- 
dents, dialectique,  lorsqu'il  part  d'une  opinion  vraiment  probable, 
éristique,  lorsqu'il  part  d'une  opinion  qui  n'a  que  l'apparence  de  la 
probabilité,  sophistique,  lorsqu'il  semble  çi'appuyer  sur  le  probable 
et  n'en  vient  pas.  • 

Les  objets  de  toute  discussion  sont  les  objets  des  jugements  et 


536  HISTOIRE  DE  LK  PHILOSOPHIE 

les  objets  des  syllogismes .  Tout  cela  équiyaut  à  autant  de  props^ 
tions.  Or,  toute  proposition  porte  sur  le  genre,  sur  le  propre  «lar 
Taccident,  car  la  différence  appartient  au  genre.  Ladéfinitiï 
elle-même  n'est  que  le  propre  exprimant  Tessence  de  la  chose,  là 
propre  n'exprime  pas  l'essence  de  la  chose,  mais  ce  qui  lui  ap^ 
tient,  à  elle  seule.  Le  genre  est  ce  qui  se  dit  essentiellem^tdejifa 
sieurs  qui  diffèrent  en  espèce.  L'accident  n'est  rien  de  ces  î:^ 
choses,  mais  il  appartient  à  la  chose.  C'est  aussi  ce  quipeatèw 
on  ne  pas  être  dans  une  chose.  C'est  de  ces  éléments  quesefon^ 
toutes  les  propositions. 

Aristote  a  parlé  ici  des  uni  versaux ,  comme  d'une  chose  déjà  Gé- 
quée  ailleurs.  Il  dit  ensuite  que  ces  uni  versaux:  sont  toujours  daas  w 
catégorie  et  il  énumôre  les  dix  catégories,  qu'il  a  exposées  daî>lf 
premier  livre. 

L'attribution  est  essentielle,  quand  le  sujet  et  l'attribut  m' 
tous  les  deux  dans  la  catégorie  de  la  substance  ;  elle  n'est  qo'aeè- 
dentelle,  quand  l'attribut  est  dans  une  autre  catégorie. 

Tja  proposition  dialectique  est  celle  dont  on  peut  raisonnaUeaK^^ 
discuter.  11  faut  donc  qu'elle  ne  soit  ni  évidente  ni  abeopâe.  1^ 
opinions  dialectiques  sont  donc  des  opinions  probables. 

La  question  dialectique  est  une  question  pratique  sur  l^iueB^ 
les  avis  sont  partagés. 

La  thèse  est  une  opinion  paradoxale  soutenue  par  quelqoepliii'^ 
sophe  illustre.  Toute  thèse  est  une  question  dialectique,  maisaefi 
réciproquement. 

Ici  Aristote  répète  qu'il  ne  faut  pas  discuter  une  question  absar* 
ou  évidente  et  il  y  ajoute  les  questions  immorales,  en  disant  «js? 
les  unes  et  les  autres  méritent  d'être  non  pas  discutées  maiseW- 
tiées.  Et  il  donne  pour  exemple  de  questions  do  cette  naturel 
deux  suivantes:  «  La  neige  est-elle  blanche?  —  Faut-il  hoD«^-' 
les  dieux,  faut-il  aimer  ses  parens?  » 

«  Il  y  a  deux  sortes  de  méthodes  dialectiques  :  rinduction  ^  ^ 
syllogisme.  On  a  dit  précédemment  ce  qu'est  le  syllogisme;  Ylsès^ 
tion  est  un  passage  du  particulier  au  général.  »  •—  «  Quatre  in»*^ 
ments  (opyavor)  nous  procureront  des  syllogismes  et  àesinàucik^- 
1®  choisir  des  propositions,  2^  préciser  tous'  les  sens  divers  di»^ 


GRECS.    —  ARISTOTB.   —  LYCÉE.  537 

néme  chose,  3®  découvrir  les  différences  des  choses,  4^  distinguer 
les  ressemblances.  » 

Dans  le  choix  des  propositions,  il  faut:  prendre  celles  qui  sont 
appuyées  de  quelque  autorité,  ou  celles  qui  leur  sont  identiques,  — 
faire  des  extraits  des  ouvrages  écrits,  —  faire  des  divisions,  des 
classifications,  —  noter  les  opinions  des  auteurs. 

On  i)eut  distinguer  en  général  trois  ordres  de  siyets  :  moraux, 
physiques,  logiques.  En  philosophie  on  cherche  à  les  traiter  avec 
vérité  ;  en  dialectique  on  se  contente  de  la  probabilité. 

Pour  le  sens  des  mots,  il  faut  :  ne  pas  s'arrêter  au  mot,  mais 
aller  à  la  signification,  —  regarder  la  chose  et  avec  elle  son  con- 
traire, —  observer  Thomonymie,  les  catégories,  la  dépendance  des 
genres,  la  synomymie. 

La  différence  doit  être  cherchée  dans  les  genres  comparés  entre 
eux,  voisins  ou  éloignés . 

La  ressemblance  peut  être  cherchée  dans  des  genres  divers,  ou 
dans  le  môme  genre. 

La  disiinction  des  divers  sens  des  mots  rend  les  raisonnements 
plus  clairs  ;  la  connaissance  des  différences  facilite  la  distinction 
des  essences  ;  la  connaissance  des  ressemblances  facilite  les  induc- 
tions et  les  définitions. 

Dans  le  II*  livre,  Aristote  expose  les  lieux  de  l'accident  considéré 
en  soi.  Il  expose  comment  on  peut  éviter  Terreur  sur  l'accident  en 
y  appliquant  les  quatre  instruments  dialectiques. 

Dans  le  IIP  livre,  il  traite  de  la  préférence  à  donner  aux  choses 
à  raison  de  leurs  accidents,  et  de  l'usage  que  l'on  peut  faire  de  ces 
distinctions  dans  la  dialectique. 

Le  IV  livre  et  le  V  exposent  les  Ueux  du  genre  et  du  propre 
comme  éléments  de  la  définition. 

LeVr  indique  les  défauts  possibles  de  la  définition  et  les  précau- 
tions à  prendre  contre  ces  défauts,  dans  la  discussion. 

LeYII%  après  avoir  achevé  de  donner  les  conditions  delà  défini- 
tion, par  Texamen  de  Tidée  du  môme  et  du  divers,  résume  toute  la 
Topique  et  amène  le  chapitre  suivant  et  les  Réfutations. 

LeVIII",  passant  à  la  discussion  pratique  expose  les  règles  géné- 
rales de  la  demande  et  de  la  réponse,  et  donne  des  conseils  prati- 
ques dont  voici  le  résumé  succinct, 


538  HISTOIRE    DE    LA   PHILO  SOPHIE 

1^  Prendre  rhabitude  de  faire  des  conversions  de  syllogisme». 
Ici  le  mot  conversion  n'a  pas  le  sens  qu'Aristote  lui  a  donné 
d'abord  ;  car  il  l'explique  en  disant  :  réfuter  une  question  au  mo- 
yen des  autres  et  de  leur  conclusion.  2^  S'habituer  à  reconnaître 
le  pour  et  le  contre.  3<*  Faire  provision  d'arguments  sur  les  ques- 
tions le  plus  ordinaires.  4°  Préparer  à  l'avance  des  définitions, 
surtout  sur  les  idées  les  plus  ordinaires.  5*>  S'exercer  à  faire  naîti* 
plusieurs  assertions  d'une  seule.  6°  Faire  des  récapitulations  fré- 
quentes de  ses  pensées,  en  évitant  le  plus  possible  les  syllogisme^ 
universels.  7*>  Les  esprits  peu  familiarisés  avec  ces  études  doiveni 
surtout  s'adonner  aux  inductions  ;  les  esprits  déjà  savants,  aux 
syllogismes.  Il  faut  aussi  s'habituer  aux  propositions  et  aux  objec- 
tions, les  deux  ressources  fondamentales  de  la  Dialectique.  8°  En- 
fin, il  ne  faut  pas  se  commettre  avec  tous  les  adversaires  :  il  eo 
est  avec  lesquels  on  ne  peut  faire  que  de  mauvais  raisonnements. 

Cette  dernière  pensée  amené  le  traité  suivant. 

Le  traité  des  Réfutations  sophistiques,  c'est-à-dire  les  l'essour- 
ces  communes  employées  par  les  sophistes  ;  il  indique  ensuite  les 
moyens  de  les  combattre  et  d'en  tirer  des  conclusions  vraies  et 
loyales. 

A  la  fin,  en  manière  d'épilogue,  il  rappelle  les  questions  résolues 
dans  toute  sa  Logique,  et.  fait  remarquer  que  relativement  à  cette 
étude,  il  n'y  avait  pas  de  travaux  antérieurs.  €  Pour  la  Rhétori- 
que, on  s'en  était  occupé  des  longtemps  et  l'on  avait  produit  beau- 
coup do  travaux.  Pour  la  science  du  Raisonnement  ai,ucQnivsàTef 
nous  n'avions  rien  d'antérieur  à  nos  propres  recherches,  qui  nous 
ont  coûté  tant  de  peine  et  un  temps  si  long.  Si  vous  reconnaisseï 
que  cette  science,  où  tout  était  ainsi  à  faire  dès  la  base,  n'est  pas 
demeurée  trop  en  arrière  des  autres  sciences,  accrues  par  de  suc- 
cessifs labeurs,  il  ne  vous  reste  à  vous  tous,  ainsi  qu'à  tous  ceux 
qui  viendront  à  connaître  ce  traité,  qu'à  montrer  de  l'indulgent 
pour  les  lacunes  de  ce  travail,  et  de  la  reconnaissance  pour  toutcj* 
les  découveHes  qui  y  ont  été  faites.  » 

Notre  résumé  est  déjà  bien  long  et  nous  n'ayons  fait  qu'indiquer  une 
faible  partie  des  richesses  logiques  que  contient  VOrganon,  Nous  avons 
dû  en  omettre  beaucoup  ;  car  il  n'ost  pas  possible  d'abrésfer  AristoU'  : 
il  f^iudrait  plutôt  le  développer. 


GRECS.    •««  àRISTOTB.   -^  LYCÉE.  539 

Nous  avoDS  suivi  dans  cette  analyse  l'ouvrage  de  M.  Barthélémy  Saint- 
ililaire.  la  Logique  d*Arisioi€y  travail  consciencieux  que  l'on  lira 
avec  fruit,  même  on  ayant  sous  les  yeux  l'ouvrage  d'Aristole  lui-môme. 

163.  Métaphysique  d'Arîstote. —  Ce  qu*on  appelle  Méta- 
physique dans  Aristote  n'est  autre  chose  que  la  science  des  prin- 
cipes, qui  sert  de  fondement  à  toutes  les  sciences  et  les  dirige 
toutes.  Il  y  expose  et  réfute  toutes  les  opinions  des  anciens  sur  les 
principes,  et  donne  ensuite  sa  propre  doctrine  sur  ce  qu'il  appelle 
la  philosophie  première  ou  la  science  de  Tétre.  Il  distingue  la  sub- 
stancCy  qui  seule  est  l'être  véritable,  des  accidents,  qui  sont  dans 
an  autre.  Les  principaux  accidents  sont  la  qualité^  la  quantité, 
et  les  relations.  L'être  est  un,  et  l'un  est  l'être.  Mais  l'unité  réelle 
.se  trouve  dans  l'individu  et  non  dans  le  genre,  comme  le  voulait 
Platon .  Il  faut  distinguer  encore  dans  l'être  ;  la  puissance  et 
Yacte.  L'acte,  c'est  Yexistence  proprement  dite  et  ensuite,  c'est 
Yopération,  Le  mouvement  est  le  passage  de  la  puissance  à  l'acte. 
La  puissance  absolument  parlant  est  la  possibilité  de  tout  acte  ; 
c'est  la  matière  capable  de  recevoir  toute  forme .  La  perfection 
est  dans  l'acte.  Tout  être  en  act^  qui  possède  quelque  puissance 
est  imparfait.  L'être  parfait  est  acte  pur.  Ainsi  l'être  parfait  n'a 
rien  de  la  matière.  La  puissance  ne  peut  d'elle-même  passer  a 
l'acte,  elle  a  besoin  pour  cela  d'une  cause  efficiente  y  laquelle 
n'agit  que  pour  un  but  qui  est  la  cause  .finale.  Ainsi  les  quatre 
principes  des  choses  sont  :  la  matière,  la  forme,  la  cause  efficiente 
et  la  cause  finale. 

Platon  ajoutait  une  cinquième  cause,  Vidée,  ou  le  modèle  de  la 
chose,  conçu  par  la  cause  efficiente.  Aristote  dit  que  l'idée  de  la 
chose  n'a  pas  d'autre  réalité  que  la  forme  môme  de  l'objet.  Ainsi 
cette  cinquième  cause  rentre  dans  la  cause  formelle. 

De  plus,  il  identifie  la  cause  finale  à  la  cause  formelle^  parce  que 
l'acte  de  la  chose  en  est  tout-à-la-fois  la  forme  et  le  but.  Mais  le 
but  ou  la  fin  de  l'être,  c'est  sa  perfection,  c'est  le  bien  ;  car  tout 
mouvement  tend  vers  le  mieux.  Le  bien  est  donc  l'acte  pur  et  im- 
mobile. C'est  donc  le  bien  qui  attire  les  puissances  et  les  fait  pas- 
ser à  l'acte  :  il  est  donc  cause  efficiente  et  motrice  ou  finale .  Mais 
déjà  la  cause  formelle  se  confond  ave«  cette  dernière,  comme  d'ail- 


540  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

leurs  le  bien  est  la  forme  vers  laquelle  l'être  tend.  Donc  le  ^ 
qui  est  Vacte  pur  et  immobile,  est,  tout  àla  fols,  la  forme,  le  m^ 
et  le  but  de  Têtre,  et  il  ne  reste  d'autre  cause  avec  lui  que  la  ® 
tière  ou  la  puissance.  Mais  l'acte  est  antérieur  et  supérieur  Ù 
puissance  :  le  parfait  précède  l'imparfait. 

Ainsi  la  raison  remontant  de  cause  en  cause,  reconnaît  aoeo^ 
première,  qui  est  elle-même  sans  cause,  un  acte  qui  n'a  jamaês 
en  puissance,  un  acte  pur  et  subsistant. 

De  plus  rimparfait  tend  vers  le  parfait  :  le  minérfd  vers  k  t? 
gétal  ;  le  végétal  vers  l'animal  ;  l'animal  vers  la  vie  huiDaiBe;i« 
vie  humaine  vers  la  vie  divine.  Ainsi  tout  se  meut  et  tout  est  si 
par  l'acte  le  plus  parfait.  Or  l'acte  le  plus  parfaîl  c'est  la  pei»t 
la  pensée  qui  possède  l'être  et  se  possède  elle-même  et  joBÎt  à 
cette  possession,  sans  tendre  à  autre  chose.  Donc  l'acte  por«^ 
pensée  :  c'est  la  pensée  de  la  pensée  (vOT^o'éw^  vér,^'-?). 

Ici  nous  atteignons  la  Théodicée. 

164,  Théodicée  d'Aristote.  ^  Aristote  est  le  preiniar  ^ 
ait  donné  de  l'existence  de  Dieu  une  démonsti-ation  régulière,  fi« 
pas  qu'il  crût  cette  démonstration  nécessaire  en  principe  [^ 
avons  vu  qu'il  compte  le  devoir  d'honorer  Dieu  parmi  les  «^ 
qu'il  né  faut  pas  discuter);  mais  sans  doute  parce  qu'araut  ^ 
quelques-uns  avaient  nié  Dieu. 

Il  démontre  l'existence  de  Dieu  par  la  nécessité  d'an  preffi*^ 
moteur  et  par  rantériorité  du  parfait  sur  l'imparfait. 

Il  y  a  du  mouvement  dans  le  monde.  Tout  mouvement  S^^ 
bile  procède  d'un  moteur.  Ce  moteur  à  son  tour  peut  être  mu?^ 
un  autrer  Mais  on  ne  peut  procéder  ainsi  h  l'infini.  Il  faut  (te^.* 
river  à  un  premier  moteur  qui  n'est  pas  mu,  à  un  premier  mot^*' 
immobile.  C'est  Dieu. 

Ce  moteur  immobile  ne  meut  pas  par  impulsion,  car  il  v  ^^^ 
réaction  et  par  suite  passivité  dans  le  moteur  immobile,  die^^ 
meut  toutes  les  créatures  comme  l'objet  du  désir  meut  Tâme,  ^^ 
être  mu  lui-même  ;  il  meut  le  monde  par  l'irrésistible  attrait  * 
sa  beauté. 


C'est,  là   une  conception  magnifique,  mais  qui  supix)se  dans 
créature  une  action  spontanée,  et  libre  ;  ce  qui  n'est  pas.  Dieu  ne  b** 


GRECS  —  ARISTOTB.    — -  LYCÉE  541 

donc  pas  le  monde  par  son  attrait.  D'un  auire  côté  la  difficulté  faite 
contre  l'impulsion  ne  porte  que  sur  l'impulsion  de  créature  h  créature 
et  de  corps  à  corps.  L'impulsion  que  Dieu  donne  au  monde  est  une 
création  et  ne  souffre  ni  résistance  ni  réaction. 

En  établissant  que  nécessairement  l'acte  précède  la  puissance  et 
le  parfait  l'imparfait,  comme  aussi  par  Tidée  de  J'acte  pur,  aussi 
bien  que  par  Tidée  de  la  pensée  toujours  eu  acte  de  se  i)enser  elle- 
même,  Aristote  démontre  autant  de  fois  Texistencc  de  Dieu . 

Et  en  réunissant  toutes  ces  notions  diverses  qui  présentent  Dieu 
eomme  acte  pur,  perfection  absolue,  bien  suprême,  forme,  moteur 
et  fin  de  tout,  cause  première,  moteur  immobile,  pensée  de  la  pen- 
sée, Aristote  donne  de  Dieu  une  idée  qui  s'approche  beaucoup  de 
celle  qu'en  donne  Platon,  si  elle  ne  la  dépasse  pas. 

Des  mômes  principes  Aristote  conclut  que  Dieu,  parce  qu'il  est 

■ 

rintelligence  et  Tintelligibile  toujours  en  acte  pcssède  la  jouissance 
suprême,  la  suprême  félicité,  et  la  vie  parfaite  et  éternelle. 

Mais  Aristote  reste  bien  au-dessous  de  Platon  dans  la  notion  de 
la  Providence  de  Dieu.  Platon  en  plaçant  les  idées  en  Dieu  lui  at- 
tribue une  connaissance  éminente  du  monde.  Aristote  croit  que 
rintelligence  parfaite  ne  saurait,sans  déchoir,  connaître  l'imparfait. 
Il  dit  donc  que  Dieu  ne  connaît  pas  le  monde  ;  car  s*il  le  connais- 
sait il  en  subirait  l'action,  et  rien  n'est  passif  en  lui. 

Ici  encore,  il  faut,  pour  répondre,  la  notion  de  la  Création.  Dieu  con- 
naît les  créatures  parce  qu'il  les  fait  ce  qu'elles  sont,  et  sans  qu'elles 
Ilnforment.  Il  les  connaît  donc  sans  être  passif, 

Aristote  admet  donc  que  tout  bien  dans  le  Monde  vient  de  Dieu, 
non  pas  parce  que  Dieu  Y  y  fait  par  sa  Providence,  mais  parce  que  ' 
le  Monde  tend  vers  Dieu  et  s'enflamme  du  désir  de  la  perfection  à 
la  vue  de  la  perfection  de  Dieu. 

S'il  y  a  du  mal  dans  le  monde,  il  vient  de  la  condition  essentielle 
de  la  matière,  qui  n*est  pas  en  puissance  de  toute  perfection.  Ce- 
pendant le  monde  est  le  meilleur  possible,  car  il  tend  sans  cesse 
vera  le  mieux.  Il  y  tend  sans  conscience  et  sans  raison,  mais  d'une 
manière  conforme  à  la  pensée  et  à  la  raison. 

165.  Cosmologie  d' Aristote.  —  Le  principe  du  monde  est 
donc  toat  à  la  fois  Dieu  et  la  matière.  Cependant  Aristote  ne  veut 


542  HISTOIRE  DE  LA  PUILOSOPHIB 

pas  que  Ton  admette  deux  pi'emiers  principes  ;  car  il  en  faudrait 
admettre  un  autre  supérieur  aux  deux.  Aussi  Dieu  et  la  matière 
ne  sont  pas  pour  lui  deux  principes  réels  :  Tun  est  Yacte^  l'autre 
est  \di,  puissance.  Et  la  puissance  est  précisément  ce  qui  n'existe 
pas  encore. 

Cette  notion  de  la  puissance  parait  obscure  d  la  plupart  des  commen- 
tateurs modernes.  Il  est  pourtant  à  remarquer  que  le  Moyen-âge,  à 
rigoureux  sur  les  principes,  sur  les  notions  et  sur  les  distinotioos  des 
choses,  n'y  a  vu  aucune  difficulté.  Il  devait  donc  entendre  la  puissance 
dans  un  sens  rationnel  De  fait  il  ressort  de  tous  leurs  dires  que  pour 
eux  comme  pour  Aristote  la  puissance  n'est  autre  chose  que  ce  que 
nous  appelons  la  possibilité.  Or  en  la  concevant  ainsi  on  comprendrait 
comment  Âristole  attribue  une  matière  à  tous  les  êtres  contingents. 
C'est  qu'en  efTel  les  formes  contingentes  ont  besoin  d'être  possibles 
pour  être  réalisées,  et  elles  ne  sont  jamais  réalisées  au  delà  de  leur 
possibilité. 

Mais  la  vraie  difliculté  qui  demeure  dans  le  système  d'Aristole  c'est 
Torigine  ei  la  raison  suflisante  des  formes  ou  des  actes  qui  constituent 
le  monde  réel.  Il  les  dislingue  de  Dieu  et  ne  leur  assigne  aucane 
origine. 

Dans  le  monde  physique,  tout  est  composé  de  matière  et  ée 
forme.  La  forme  qui  est  Tacte  de  la  chose  est  tout  à  la  fois  1  exis- 
tence de  cette  chose,  le  principe  de  son  activité,  le  principe  de  sa 
spécification,  ce  qui  la  constitue  dans  telle  espèce.  Aussi  la  forme 
s'appelle  chez  Aristote  :  sïoo;,  ou  ÊVT£).syeia.  La  matière,  qui 
est  la  puissance  (ou  la  possibilité)  de  la  chose,  n'est  rien  sans  1& 
forme,  mais  elle  la  limite,  la  détermine,  Tindividualise. 

La  même  forme  peut  être  reçue  dans  plusieurs  matières  et  cons- 
tituer ainsi  plusieurs  individus  d'une  même  espèce.  Le  genre  n'a 
pas  de  forme  réelle  ;  il  n'est  qu'une  forme  logique,  une  idée,  un 
mot.  Chaque  forme  est  tout  entière  dans  tout  le  corps  qu'elle  cons- 
titue et  dans  chaque  partie  de  ce  corps.  Les  formes  sont  inertes  oc 
minérales  y  végétatives,  animales  et  rationnelles,  La  forme  d'un 
degré  supérieur  possède  toutes  les  propriétés  de  celles  qui  lui  sont 
inférieures.  Parmi  ces  formes  ,  les  unes  sont  vivantes ,  les 
autres  ne  le  sont  pas.  Celles  qui  sont  vivantes  prennent  le  nom 
d*âme8.  Il  y  a  donc  trois  sortes  d'àmes  :  végétative,  animale, 


GRECS.    —    ARISTOTE. —  LYCÉE  543 

ï\  umaine.  Ailleurs  Aristote  en  distingue  cinq  :  nutritive,  sensiliTe, 
iTiotrice'  appétitive  et  rationnelle.  Mais  ce  ne  sont  là  que  des  fa- 
cultés et  non  plus  des  âmes  proprement  ditesl  II  y  a  des  formes 
périssables  et  des  formes  éternelles.  Les  premières  commencent 
par  génération  et  pôrtssent  par  corruption.  Les  formes  qui  n'ont 
d'activité  que  par  leur  composition  avec  la  matière  ne  sauraient 
subsister  sans  cette  matière  ;  mais  celles  qui  ont  une  activité 
propre,  indépendante  de  la  matière  peuvent  subsister  séparées. 
Du  nombre  de  ces  dernières  est  Tâme  humaine,  qui  par  elle- 
même  saisit  l'être  en  soi,  et  tend  à  le  posséder.  Ici  nous  arrivons 
îi   la  psychologie  et  à  Tétude  de  l'homme. 

166.  Anthropologie  d' Aristote.  —  «  L'homme  est  un  animal 
raisonnable,  sociable  et  religieux.  »  Comme  tous  les  animaux  il 
est  composé  d'une  forme  sensible  et  de  matière.  Mais  cette  forme 
qui  est  i'âme,  principe  de  la  vie  du  corps,  est  tout  à  la  fois  végé- 
tative, sensitive  et  rationnelle.  Elle  préside  aussi  bien  à  la  nutri- 
tion du  corps,  à  son  mouvement  et  à  ses  sensations  qii'aux  opéra- 
tions intellectuelles .  Comme  toute  forme  elle  est  tout  entière  dans 
le  corps  et  dans  chaque  partie  du  corps.  Ses  opérations  animales 
n'ayant  plus  d'objet  ni  d'instrument,  si  elle  vient  à  être  séparée 
du  corps,  ne  peuvent  demeurer  en  elle,  si  ce  n'est  comme  en  puis- 
sance éloignée  :  mais  ses  opérations  intellectuelles  lui  restent.  Elle 
peut  donc  subsister.  Donc  elle  ne  périt  pas  avec  le  corps.  Donc 
elle  est  immortelle. 

Nous  avons  dit  ailleurs  comment  Aristote  distingue  les  facultés 
appréhensives  et  appétit ives  de  l'âme  (page  282  et  301  );  l'intellect 
e5«t  passif  en  tant  qu'il  reçoit  les  formes  intelligibles  que  l'in- 
tellect agent  tire  des  images  sensibles.  L'intellect  agent  seul  est 
sépamble  et  survit  au  corps. 

La  pensée  étant  pour  Aristote  le  plus  haut  degré  de  l'acte,  le 
principe  et  la  fin  de  toutes  choses,  la  volonté  est  dirigée  par  l'intel- 
ligence ;  les  principes  de  raison  sont  en  même  temps  des  principes 
d'action,  et  l'action  est  comme  la  conclusion  d'un  syllogisme  pra- 
tique. Aussi  il  appelle  indifféremment  la  volonté  un  intellect  aj)pé- 
titif  ou  un  appétit  intellectuel.  Il  reconnaît  formellement  dans 
la  volonté  la  faculté  de  choisir,  mais  seulement  à  l'égard  du  bien 


544  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

contingent.  Il  appelle  Yéleciion  un  ddsn'  délibéré.  Du  reste  il  b'i 
pas  cru  devoir  traiter  longuement  cette  question  ;  mais  aucun  pLD* 
sophe  ancien  ne  conçoit  mieux  que  lui  la  vraie  nature  de  la  liberî:?. 
Aussi  St-Thomas  n'a  eu  qu*à  dévefopjKîr  ses  principes  pour  doRoef 
de  la  liberté  la  notion  la  plus  exacte  et  la  plu>?  profonde  que  r«T 
puisse  en  donner.  (Voyez  p.  301  et  302.^ 

Aristote  n'est  pas  moins  exact  sur  la  notion  de  l'amour  qe. 
n'est  pour  lui  que  Tactivité  qui  veut  le  bien  d'autrui.  D'où  il  oifr 
dut  que  Tamour  rend  heureux,  et  qu'il  est  plus  doux  d'aimer  <{v 
d'être  aimé,  plus  doux  de  faire  du  bien  que  d'en  recevoir. 

Pourquoi  M.  Fouillée  qui  expose  avec  complaisance  cette  théorie»  a 
y  ajoutant  celle  de  l'amitié,  dit-îl  ailleurs,  dans  la  théodîcée  c  qu'Ans- 
tote  et  Platon  ne  s'élevèrent  pas  à  la  vraie  notion  de  l'Amour  •?  Ces 
que  M.  Fouillée  est  préoccupa  d'une  notion  exagérée  de  la  liberté,  no- 
tion qui  lui  fait  condamner  souvent  des  théories  exactes  et  même  pi» 
d'une  fois  remi>éohe  de  les  entendre  dans  leur  vrai  sens,  n  eâl  ^ 
qu'Aristolc  n'a  pas  vu  le  vrai  rapport  entre  Dieu  et  le  monde,  puisqull 
a  cru  devoir  coticaii','  ib  ses  principes  que  Dieu  ne  connaît  paslemos* 
de  ;  mais  ii  a  conclu  ainsi  en  partant  des  idées  de  l'acte  et  «le  la  puâ- 
sance  et  non  point  c  parce  qu'il  identifie  le  bien  avec  riatellt^en»  ». 
La  théologie  catholique  aussi,  d'accord  avec  la  philosophie  classiqtt* 
dit:  c  que  Dieu  est  acte  pur,  qu'en  lui  l'intelligence,  la  connaîssancie <^ 
l'amour  sont  un  seul  et  même  être,  qu'il  n'est  pas  une  substance  intel- 
ligente, mais  un  acte  subsistant  d'intelligence  »,  et  pourtant  la  thêolopé 
ne  conclut  pas  de  là  que  Dieu  soit  c  une  individualité  à  jamais  absortiée 
dans  la  conscience  de  soi,  qui  agit  sur  le  monde  sans  penser  le  raood^  ' 

167.  Morale  d' Aristote.  —  La  morale  est  la  science  qaidiri^ 
ractivitô  humaine.  Or,  tous  les  actes  des  hommes,  actions,  désûi 
pensées,  tendent  vers  un  bien.  Le  bien  total  de  Thomine,  ceslk 
bonheur. 

Ce  bien  ou  bonheur  complet  n*est  ni  dans  la  volupté,  ni  datf  h 
richesse,  ni  dans  la  considéi*ation,  comme  Font  dit  quelques-aas- 
D'autres  ont  admis  un  bien  absolu.  Or,  le  bien  est  e^sentieHemflît 
relatif  aux  choses  que  Ion  dit  bonnes;  il  ne  saurait  être  le  m^ 
pour  tous.  Il  n'y  a  donc  pas  de  bien  universel.  Cependant  il  .^* 
un  bien  supérieur  et  parfait;  c'est  celui  que  Ton  désire  pour  Ist- 
môme,  qui  est  à  lui-même  sa  an.  Et  ce  bien  encore,  c'est  le  booheflf> 


TtRECS.    —    ARISTOTB.    — .LYCÉE  545 

La  vertu  est  l'harmonie  de  toutes  les  actions  de  Thomme  avec 
cette  fiu  derniùre  de  sou  activité.  Mais  il  faut  distinguer  les  vertus 
intellectuelles  et  les  vertus  morales  ;  les  unes  ont  pour  principe 
Tintelligence,  les  autras  la  volonté;  les  premières  ont  pour  objet  le 
vrai,  les  autres,  le  bien.  Donc  le  désir  et  )a  volonté  doivent  se  por- 
ter vers  le  bien,  comme  l'intelligence  doit  connaître  le  vrai.  Mais 
le  bien  lui-môme  est  connu  par  Tintelligence  et  déterminé  par  la 
raison.  Donc  la  vertu  est  l'harmonie  de  la  volonté  avec  la  raison. 
La  vertu,  dans  Tâme,  n*est  ni  une  passion,  ni  une  faculté;  car  ces 
deax  choses  ne  sauraient  nous  rendre  dignes  de  blâme,  ni  d'éloges. 
Il  reste  donc  que  la  vertu  soit  une  habitude,  une  disposition,  une 
tendance,  conforme  à  la  raison.  Et  cette  habitude  nous  dispose  à 
tenir  toujours  le  milieu  entre  deux  vices  opposés  :  Texcôs  et  le 
défaut.  C'est  dans  ce  milieu  qu'est  la  vertu. 

Le  juste  considéré  en  soi  se  confond  avec  son  objet,  qui  est  Vin- 
térêt  de  tous.  L'action  qui  procure  cet  intérêt  est  juste ^  et  celle 
qui  le  détruit  est  injuste  L'habitude  qui  nous  incline  à  agir  dans 
cet  intérêt  est  la  vertu  de  justice.  Ainsi  comprise,  la  justice  pres- 
crit toutes  les  vertus  et  les  renferme  toutes. 

Aristote  le  premier  distingue  ]sl  justice  commutative  et  l&jus- 
tiee  distributive,  et  ajoute  avec  beaucoup  de  raison,  que  dans  la 
première  on  n'a  aucun  égard  aux  personnes^  quant  à  leur  rang  ou 
leur  mérite,  tandis  qu^  dans  la  seconde,  c'est  précisément  de  ce 
mérite  qu'il  faut  tenir  compte. 

Ici  encore  M.  Fouillée,  préoccupé  de  fonder  le  droit  c  sur  l'égalité  des 
libertés  »  accuse  Aristote  de  n'avoir  donné  que  <  des  règles  de  justesse 
dans  l'échange  et  non  des  règles  de  justice  dans  les  rapports  des  per- 
sonnes». Notre  réponse  est  déjà  donnée,  dans  notre  traité  de  Morale 
(N«  16  et  29). 

Pour  juger  les  lois  d'après  l'idée  de  justice,  Aristote  remonte  ft 
Torigine  de  la  société.  La  société  est  nécessaire  parce  que  les 
hommes  ont  besoin  d'un  échange  mutuel  de  services  et  de  produits. 
Cet  échange  a  besoin  d'être  réglé  sur  l'intérêt  de  tous,  de  manière 
que  l'égalité  puisse  s'établir  entre  des  choses  qui  ne  sont  pas  com- 
parables en  quantité.  De  là  l'invention  de  la  monnaie.  Ainsi  les 
lois  humaines  ont  pour  objet  de  déterminer  les  règles  de  l'échange 

35 


54Ô  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

de  tous  biens,  et  leur  principe  est  l'intérêt  de  tous.  Les  lois  humai- 
nes ont  donc  une  loi  supérieure  à  elles,  une  loi  antérieure  an  droit 
écrit  :  c'est  le  juste  en  soi,  conçu  par  la  raison.  Et  si  une  loi  humaine 
est  contraire  à  la  première,  l'acte  qu'elle  permet  n'en  est  pas  moios 
immoral.  D'où  il  suit  que  Tii^ustice  légale  d'une  action  ne  t&à 
pas  toigours  injuste  l'homme  qui  la  fait  ;  la  justice  ou  l'injostiee 
de  l'homme  viennent  du  jugement  qu'il  porte  lui-même  sur  son  ac- 
tion. L'équité  n'est  que  ce  sentiment  conforma  au  droit  naturel  qai 
supplée  au  droit  écrit. 

Ainsi  en  dernière  analyse  :  l'action  vient  de  la  volonté  ou  de  li 
préférence,  mais  c'est  l'intelligence  qui  détermine  ce  que  Ton  doit 
préférer.  L'homme  préfère  le  bien  comme  il  a  jugé  le  vrai.  La 
préférence  suppose  un  désir  qui  la  sollicite,  et  ce  qui  excite  ce  dé- 
sir c'est  l'idée  du  bien  inhérent  à  l'objet  désiré.  Enfin  la  volonté 
fixe  le  choix.  Et  c'est  là  l'homme  lui-môme,  ajoute  Aristote. 

La  prudence  est  pour  Aristote  une  vertu  purement  iBteIl^^ 
tuelle,  mais  c'est  la  plus  haute.  Elle  est  l'attribut  de  rhomme 
sage.  Elle  a  pour  objet  de  connaître  ce  qui  est  pour  l'homme  ai» 
cause  de  bien  ou  de  mal.  C'est  ainsi  qu'elle  préside  à  nos  actions. 

La  prudence  produit  donc  la  sagesse,  et  la  sagesse  n'est  que 
l'art  de  vivre  de  manière  à  atteindre  le  bonheur. 

Ainsi  la  morale  est  la  science  du  bonheur  et  de  la  vertu,  La  po- 
litique est  l'art  d'appliquer  la  morale. 

168.  Politique  d' Aristote.  —  L'Etat  est  une  association  de 
villages  ;  le  village  une  association  de  familles  ;  la  famille  une  ai- 
sociation  naturelle  de  l'homme  et  de  la  femme.  Chacune  de  ces 
associations  a  pour  fin  la  satisfaction  d'un  besoin.  Donc  l'Etat  66t 
un  fait  de  nature  et  l'homme  est  fait  pour  la  société. 

D'ailleurs  sa  nature  l'j  pousse,  et  si  l'homme  en  société  est  k 
premier  des  animaux,  il  en  est  le  dernier  quand  il  a  renoncé  aux 
lois  et  à  la  justice. 

Mais  l'Etat  n'existe  que  par  l'autorité  d'un  côté  et  l'obéissanod 
de  l'autre.  C'est  une  harmonie  que  l'on  retrouve  dans  toute  la  na- 
ture et  surtout  dans  l'homme  où  le  corps  est  naturellement  soumia 
à  l'âme.  Et  si  le  contraire  a  lieu  chez  les  hommes  corrompus,  ils 
iontk  dans  un  état  contre  nature.  On  trouve  aussi»  selon  la  natoret 


GRECS.   —  ARISTOTE.    —  LYCÉE  547 

b  supériorité  de  Thomme  sur  la  femme,  eb  de  Thomme  en  général 
Bnr  les  animaux  inférieurs. 

Sur  ces  données  Aristote  conclut  qu'il  faudrait  donner  le  com- 
mandement à  ceux  dont  le  mérite  est  supérieur  à  celui  de  tous  les 
autres  réunis.  Et  que  si  un  seul  homme  avait  à  lui  seul  un  mérite 
BupArieur  t  celui  de  tous  ses  concitoyens,  il  faudrait  lui  donner  le 
pouvoir  pour  toujours. 

L'Etat,  c'est  le  corps  politique  d'où  émane  l'autorité,  et  dont 
les  membres  s'appellent  citoyens.  Il  a  la  souveraineté,  c'est-à-dire 
k  droit  de  statuer  sur  les  intérêts  de  tous.  C'est  la  constitution  qui 
détermine  et  attribue  la  souveraineté  et  non  pas  la  souveraineté 
qui  détermine  la  constitution. 

Le  citoyen  est  l'homme  qui  jouit  du  droit  de  voter  à  l'assamblée 
piblique  et  de  juger  au  tribunal.  Tout  homme  n'est  pas  citoyen 
eu  tant  qu'homme.  Ainsi  les  enfants,  ni  les  esclaves  ne  le  sont  jar 
Juais  ;  les  artisans  même  ne  doivent  pas  l'être,  a  L'esclave,  dit 
Aristote,  travaille  pour  un  individu  ;  l'ouvrier  ou  mercenaire  tra- 
Tailld  pour  le  public.  »  D'où  il  conclut  que  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
doivent  prendre  part  au  gouvernement,  parce  que  leur  vie  tout 
entière  est  déjà  occupée  ailleurs. 

ici  Aristote  sacrifie  forcément  aux  usages  de  son  temps,  et  néaa< 
moins  il  fait  des  eiTorts  pour  en  sortir^  Il  détruit  d'abord  les  raisons  que 
Ton  avait  données  avant  lui  pour  justifier  l'esclavage.  Il  en  cherche  de 
nouvelles  dans  les  conditions  morales  de  Thomme  esclave.  Il  croit  lui 
lecoDoaltre  une  inteUigence  inférieure,  incapable  de  se  gouverner,  et  par 
suite  une  volonté  qui  ^oit  être  dirigée  par  une  autre  intelligence.  Mais 
&  la  fin  il  reconnaît  que  cette  distinction  n'existe  pas  toujours  et  pose 
lui-même  ce  dilemme  :  Si  -l'esclave  est  capable  de  vertu,  il  oe  diffère 
pas  de  l'homme  libre,  et  si  l'on  dit  qu'il  est  incapable  de  vertu,  il  faut 
aiouter  qu'il  n'est  pas  un  homme.  Cependant  il  a  sa  part  de  raison. 

La  civilisation  chrétienne,  avec  sa  patience  qui  ne  brusque  rien,  mais 
qui  atteint  sûrement  le  but,  a  tiré  la  conclusion  et  a  peu-à-peu  aboli 
l'esclavage,  Elle  a  aussi  amélioré  le  sort  des  classes  laborieuses,  qu'elle 
ae  pouvait  pas  dispenser  du  travail,  en  rendant  leur  travail  plus  libre, 
plus  facile  et  plus  fructueux.  Mais  les  théories  communistes  modernes, 
au  nom  de  la  liberlé,  tendent  à  détruire  cette  œuvre,  et  ramènent  à 
l'esclavage  tous  les  citoyens  ensemble  en  voulant  leur  ôter  et  le  choix 
de  leur  tâche  et  la  propriété  du  salaire  gagné.  L'Etat  seul  serait  le 


548  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

maître  i   il  déterminerait  la  tâche,  forcerait  à  l'accomplir,  et  pour  qw 
rien  ne  manquât  aux  conditions  de  l'esclavage  antique,   il  aurait  dn* 
.  de  vie  et  de  mort. 

Que  l'on  ne  jette  donc  pas  trop  la  pierre  à  Aristote:  il  n'a  bit  qm 
maintenir  le  fait  accompli  et  encore  il  ei\  a  sapé  les  bases,  en  montnil 
ce  qu'il  avait  d'injuste.  Ceux  qui  le  blâment  veulent  ramener  ce  nurai 
mal,  détruit  par  les  conclusions  tirées  do  ses  principes. 

D'ailleurs  la  vérité  est  qu'abstraction  faite  du  droit  de  vie  et  de  inc«rî, 
l'esclavage  n'est  pas  contraire  à  la  loi  de  justice,  et  que  si  le  Christia- 
nisme est  parvenu  à  l'arracher  des  mœurs  de  presque  tout  le  genre 
humain,  c'est  en  introduisant  la  loi  de  charité.  En  effet,  si  un  hooinie 
peut  vendre  l'emploi  de  son  temps  pour  quelques  heures,  il  n'y  a  jur» 
de  raison  pour  qu'il  ne  puisse  le  vendre  de  même  pour  toute  sa  m 
Et  si  le  vainqueur  peut  exiger  un  travail  de  son  prisonnier,  quelle  loi 
de  justice  s'oppose  à  ce  qu'il  vende  ce  môme  travail  à  un  autre  4W 
l'exigera  à  sa  place  7  Donc  si  l'esclavage  n'existe  presque  plus  et  [eol 
chaque  jour  à  disparaître,  nous  le  devons  à  la  «parole  persuasive  et  eâ- 
cace  de  N.  S.  Jésus-Ghrist  :  a  Ainie^-vous  les  uns  les  autres.  * 

Aristote  distingue  ensuite  les  formes  de  gouvernement  :  moiuu^ 
chie,  aristocratie,  démocratie,  et  les  trouve  toutes  justes,  poorm 
qu'elles  procurent  le  bien  commun.  Il  ne  suffit  pas,  dit-il,  d'ima- 
giner un  gouvernement  parfait  ;  il  faut  surtout  qu'il  soit  pratiqw 
et  d'une  application  facile.  En  politique,  il  n'est  pas  moins  difficil* 
de  réformer  que  de  créer.  L'homme  d'Etat  doit  viser  à  amélioner 
l'organisation  du  gouvernement  déjà  constitué.  Pour  cela  il  doili 
connaître  les  différentes  constitutions  et  les  meilleures  lois. 

Aristote  examine  alors  les  différents  caractères  que  peuvent  re* 
vêtir  les  différentes  formes  de  gouvernements,  u  Si  l'Etat  est  »• 
sez  riche  pour  indemniser  chaque  citoyen  du  temps  qu'il  donne  aai 
affaires  publiques,  tous  alors,  surtout  les  pauvres,  auront  hâte  d« 
se  rendre  aux  assemblées  et  aux  tribunaux,  et  la  multitude  devieci 
dra  souveraine  à  la  place  des  lois.  Or  dés  que  le  peuple  est  muna^; 
que,  il  rejette  le  joug  de  la  loi  et  se  fait  despote.  Cette  démocraii«i 
est,  dans  son  genre,  ce  que  la  tjraunie  est  à  la  l'oyauté.  C'est  là  dm  ! 
déplorable  démagogie.  Ce  n'est  pas  une  constitution,  d 

Il  examine  de  la  même  manière  Toligarchie,  et  partout  il  troD^* 
que  le  pouvoir  dégénère  en  tyrannie  si  les  classes  les  plus  riche* 
ou  les  plus  pauvres  sont  au  pouvoir,  soit  ensemble,  soit  sépart^» 


GREOS.  —  ARISTOTB.  —  LYCÉE  549 

D*oû  il  conclut  que  la  meilleure  constitution  est  celle  où  le  pou- 
roir  est  donné  à  la  moyenne  propriété.  Mais  il  avoue  que  c'est  ce 
|a'on  rencontre  rarement;  car  partout,  les  plus  riches  par  leurs 
pessourceSy  les  plus  pauvres  par  leur  nombre,  s'emparent  du  pou- 
roir  pour  eux  seuls. 

Plus  loin,  examinant  les  causes  des  révolutions,  il  dit  :  «  L'ob- 
lervation  démontre  que  la  marche  la  plus  habituelle  des  révolutions 
ïans  les  démocraties  est  celle-ci  :  tantôt  les  démagogues,  pour  se 
pendre  agréables  au  peuple,  arrivent  à  soulever  les  classes  supé- 
fieures  de  l'Etat  par  les  injustices  qu'ils  commettent  à  leur  égard, 
BQ  demandant  le  partage  des  terres  ;  tantôt  ils  se  contentent  de  la 
calomnie,  pour  obtenir  la  confiscation  des  grandes  fortunes.  Dans 
Iles  temps  les  plus  reculés,  quand  le  môme  personnage  était  déma- 
gogue et  général,  le  gouvernement  se  changeait  promptement  en 
IjTannie..  Presque  tous  les  anciens  tyrans  ont  commencé  par  être 
liémagogues.  A  cette  époque  il  fallait  sortir  des  rangs  de  Tarmée 
^op  être  démagogue  ;  aujourd'hui,  grâce  aux  progrès  de  la  rhéto- 
ïique,  il  suffit  de  savoir  bien  parler  pour  arriver  â  être  chef  du 
peuple.  ï» 

Il  ne  ménage  d'ailleurs  pas  plus  la  monarchie  que  la  démocratie. 
[Car  il  veut  que  la  loi  gouverne  et  non  l'homme.  Il  n'accepte  la 
ittonarchie  que  lorsque  le  mérite  exceptionnel  désigne  un  homme  à  la 
loyauté. 

I  Dans  toutes  ces  considérations  sur  les  constitutions,  Aristote  ne 
Ivoit  que  ce  qui  lui  semble  l'intérêt  de  tous  et  de  plus  il  raisonne 
FWmme  si  la  constitution  d'un  peuple  pouvait  être  élaborée  après  la 
formation  de  la  société.  Dans  les  faits,  la  constitution  se  forme 
avec  le  peuple  lui-même  et  se  dessine  avec  le  temps  et  les  circons- 
tances. Toute  constitution  venue  après  coup,  autrement  que  par 
^ia  force  des  choses,  ne  peut  être  qu'une  cause  de  division  et 
de  ruine. 

I 

169.  Appréciation  de  la  philosophie  d' Aristote.  —  Il  n'y 

a  que  deux  excès,  avons-nous  dit,  dans  la  doctrine  de  Platon,  mais 
^  ces  deux  excès,  si  l'on  en  tire  les  conséquences  :  détruisent  la 
«cience  en  détruisant  l'observation  ;  anéantissent  la  matière  et  ré- 
duisent Dieu  à  une  idée;  ruinent  toute  l'activité  individuelle,  en 


550  HI8T0IRB  DE  LÀ  PHIL.080PHIB 

réduisant  rhomme  à  n*étre  qu'an  rouag'e  dans  l'Etat,  et  m 
inutiles  toutes  ses  belles  théories  morales,  en  rendant  l&ai 
impossible  dans  la  société.  Il  j  a  là  de  qCioî  faire  pensera  fis 
sance  de  Thomme  livré  à  lui-môme,  paisqu'il  pent  sèsta^^ 
point  môme  lorsqu'il  est  doué  d'un  génie  de  premier  ordreJi 
reusement  pour  sa  gloire,  Platon  n'a  pas  tiré  les  conséqosos 
ses  erreurs. 

On  trouverait  peut-<^tre  un  plus  grand  nombre  d'erwas» 
Aristote,  par  abus  du  raisonnement,  mais  ces  erreurs  som  p 
sans  conséquences.  Son  esprit  est  plus  positif,  il  contrôieisî 
par  la  raison  et  la  raison  par  les  sens,  et  malgré  les  teitoa 
son  esprit  porté  plus  que  tout  autre  à  la  démonstration,  à  lis 
thèse,  à  la  déduction  et  par  conséquent  à  l'emploi  de  la  nis» 
préférera  nier  la  raison  ou  du  moins  Teffacer  par  une  origfe' 
Buelle  plutôt  que  de  renoncer  aux  perceptions  des  sens.  T«{« 
est  chez  lui  l'esprit  d'exactitude  et  la  réaction  contieTidéa^ 
son  maître. 

Ainsi  disposé  il  justifie  le  premier  la  méthode  d  obeemW 
l'emploie  habilement  et  heureusement,  deux  mille  ans  i^**^ 
Bacon  vienne  s'attiibuer  la  gloire  d'avoir  enseigné  an  ^^ 
main  à  se  servir  de  ses  facultés,  comme  il  s'en  était  ^ 
servi. 

Aussi,  il  y  a  moins  de  grandeur  dans  Aristote,  que  daDsPa* 
mais  il  y  a  infiniment  plus  de  vérités  de  détails,  plus  d'ordff^ 
méthode,  plus  de  sûreté  et  en  un  mot  plus  de  pratiqne.  ^^ 
complément  obligé  de  Platon,  et  à  eux  deux,  ces  esprits  soF^ 
et  étonnants  ont  fondé  à  tout  jamais  la  vraie  philosopte  ^ 
ils  l'ont  fait,  non  certes  sans  les  données  de  la  Tradition  pniî' 
mais  avec  des  données  tellement  eflacées,  qu'en  compar*°^  • 
débris  les  flots  de  lumière  qu'ils  nous  ont  transmis,  oa  croifl^ 
sister  à  une  nouvelle  révélation. 

Nous  ne  ferons  par  ressortir  ici  une  seconde  fois  ce  qnïi  J^ 
faux  dans  les  théorie^  d' Aristote  sur  la  connaissance,  ^^' 
sur  la  Providence,  sur  la  justice  môme.  Nos  lecteors  5sr^  "- 
ce  qu'il  faut  en  penser.  Go  sont  des  taches  qui  nous  n'f^^\^ 
le  génie  lai-méme,  quand  il  n'est  pas  éclairé  par  Dm»^  \ 
des  lueurs  qui  ne  sont  que  des  ténèbfes. 


GRECS  —  ARISTOTB.   —  LYCÉE  551 

170.  Théopbraste.  —  Le  premier  chef  du  Lycée  après  Aris- 
tote  fat  Théopraste,  né  à  Erôse,  dans  Tîle  de  Lesbos,  vers  372, 
et  fils  d'an  foulon  nommé  Mélantas .  D'abord  disciple  de  Platon, 
il  fut  ensuite  le  meilleur  disciple  et  l'ami  d'Aristote,  Comme  ses 
maîtres,  il  eût  à  supporter  la  haine  des  partisans  du  polythéisme 
et  fat  accusé  d'impiété.  11  mourut  à  Athènes  dans  un  Age  fort 
avancé. 

Il  continua  et  développa  les  travaux  de  sou  maître,  surtout  en 
histoire  naturelle.  Il  nous  reste  de  lui  :  les  Caraétéres^  que  notre 
Labruyère  a  imités  après  les  avoir  traduits,  un  traité  sur  la  senr 
saiian  et  les  choses  sensibles j  recueil  des  opinions  de  ses  devan* 
ciers  ;  des  fragments  d'une  Métaphysique^  d'uH  traité  des  Lois, 
d'un  livre  sur  la  Piété;  une  Histoire  des  plantes;  un  traité  des 
Causes  de  la  végétation;  un  traité  des  pierres ^  reste  de  nom- 
breux ouvrages  sur  la  minéralogie;  enfin  des  fragments  d'une 
Histoire  des  animaux.  Il  avait  écrit  anssi  des  ouvrages  de  rhé- 
torique. 

Il  est  bien  difficile,  avec  ce  qui  nous  reste  de  ses  ouvrages  de 
donner  même  un  aperçu  sur  ses  doctrines.  Le  caractère  général  de 
sa  philosophie  semble  avoir  été  à  peu  près  celui  de  son  maître, 
avec  moins  de  solidité  dans  les  principes,  une  morale  plus  relâchée 
et  une  certaine  concession  faite  h,  la  faiblesse  humaine  dans  la  re- 
cherche des  raisons  des  choses.  <  Chercher,  dit-il  la  raison  de  toutes 
choses,  c'est  ruiner  la  raison  et  du  même  coup  la  science,  d 


De  Théopraste,  la  direction  du  Lycée  passa  entre  -les  mains  de 
Straton  de  Lampsaque,  mais  avant  lui  on  peut  citer  :  Nicomaque, 
fils  d' Aristote,  dont  il  ne  nous  reste  rien,  mais  qui  dut  s'occuper  de 
philosophie,  puisque  son  père  lui  dédia  un  de  ses  traités  de  mo- 
rale ;  EuDÈMB  de  Rhodes,  ou  de  Chypre,  qui  traita  le  syllogisme 
hypothétique,  qu'Aristote  avait  négligé;  Dicéarque  de  Messine,  et 
Aristoxéne  le  musicien,  de  Tarente,  qui  tous  les  deux  renouve- 
lèrent l'opinion  que  Tâme  est  Tharmonie  des  mouvements  du  corps  ; 
HfcRACLiDB  de  Pont,  née  à  Héraclée,  dans  le  Pont,  en  338,  qui, 
disciple  de  Platon  et  ensuite  d'Aristote,  écrivit  un  traité  des  Cons- 


•  i 

L 


552  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

titutiotiê  des  fi  (vers  états,  qui  semble  l'abrégé  de  cdni  d'Arjï* 
que  nous  avons  perdu. 

171  •  Strftton  de  Lampsa^e.  —  Straton,  né  à  Lampo^ 
fils  d'Arcésilas,  et  disciple  de  Théophrasté,  lui  succéda  &  ^i 
fut  le  chef  du  Ljcée  pendant  18  ans.  On  dit  qu*il  enseigna  h  ^ 
losophie  à  Ptolémée  Philadelphe.  Ses  nombreux  écrits  soos  e^t 
Tement  perdus,  on  ne  connaît  ses  doctrines  que  par  les  jagcsos 
des  auteurs  anciens . 

Il  négligea  la«iorale  et  la  métaphysique  pour  se  renfen&ff  >^ 
la  science  de  la  nature.  Aussi  il  disait  que  la  pensée  est  iaisâ 
chose  que  la  sensation,  et  que  la  sensation  est  un  mou  ventât,  f 
logique,  il  est  tellement  nominaliste  qu*il  dit  que  le  vrai  oa  kàs 
ne  sont  que  dans  les  mots. 

Il  dit  n'avoir  par  besoin  de  Dieu  pour  expliquer  le  monde.  Sa 
lui  tout  se  fait  dans  le  monde  par  le  développement  des  (i^* 
naturelles  à  chaque  être. 

Aristote  avait  rejeté  le  vide  de  la  nature  ;  Straton  radmct^ai 
seulement  dans  le  monde  et  non  pas  au  dehors,  et  encore  H&i' 
firme  pas  qu'il  y  soit.  Il  ne  le  voit  que  comme  la  conceptioaiTw 
possibilité.  Tandis  qu'Aristote  définit  le  lieu,  «  rinterralkecST 
les  limites  extrêmes  des  corps  »,  et  le  temps,  «  le  nombre  dnv^ 
vement.  par  antériorité  et  postériorité  »,  Straton  dit  que  k  lis&^^ 
«  l'intervalle  entre  le  contenant  et  le  contenu  »  et  qae  le  ^ 
est  «  la  mesure  du  mouvement  et  du  repos  ».  Tout  ceci  S9f^^ 
avec  cet  autre  principe  que,  pour  Aristote,  Tacte  est  leterseà 
mouvement,  tandis  que,  pour  Straton,  Tacte  lui-môme  «t  aas^ 
vement. 

En  sommé  Straton,  n'est  qu'un  disciple  dégénéré  d'Aristow<î^* 
rapproche  d'Epicure. 


Après  Straton  TEcole  péripatéticienne  fut  dirigée  par  Ln^- 
de  Laodicée,  en  Phrygie,  qui  fut  plus  rhéteur  que  philosopha- "* 
cite  encore  Ariston  de  Inlis,  dans  Tîle  de  Céos,  et  enfin  CnnviJ^^ 
de  Phasélis,  en  Lydie,  qui  devint  chef  de  l'Ecole  eu  15o-  ^^  ^ 
célèbre  par  son  ambassade  à  Rome  avec  Caméade  et  d'io^^ 


GRECS  —    PYRHON —  SCEPTICISME  553 

Babjlone,  au  nom  de  Athéniens.  Il  disait  que  les  bonnes  qualités 
de  Tâme  valent  incomparablement  mieux  que  tous  les  biens  des 
corps,  j  compris  le  ciel  et  la  terre. 

S  PTRRHON.   -  LE  SGIPTIGI8II. 

172.  Pyrrhon.  —  Le  premier  qui  ait  osé  ériger  le  scepticisme  en 
système,  c'est  Pjrrhon.  Il  naquit  à  Elis,  où  il  florissait,  vers  Tan 
340.  Disciple  d'Anaxarque  d'Abdère,  il  voyagea  avec  lui  ;  il  lut 
aussi  les  livres  de  Démocrite,  puis  s'attacha  à  l'école  de  Mégare. 
Tenu  à  Athènes,  il  trouva  l'Académie  dégénérée  et  en  lutte  avec 
Aristote,  à  côté  de  la  mollesse  des  disciples  d'Aristippe  et  du  rigo- 
risme des  cyniques.  Ces  contradictions  jetèrent  son  âme  dans  le 
doute  et  il  crut  y  trouver  la  véritable  sagesse. 

Le  sage,  dit-il,  en  présence  des  affirmation  contradictoires  des 
dogmatiques  et  des  négations  absolues  des  sophistes,  doit  s'abstenir 
(eTclyeiv)  Sa  doctrine  s'appelle  donc  l'sTto'/Vi ,  c'est  la  suspension 
du  jugement;  elle  se  résume  dans  la  maxime:  oùSèv  [xàXXov, 
pas  plus  une  chose  qu'une  autre  ;  ce  qui  constitue  le  doute  pour 
l'intelligence,  l'indifférence  pour  le  cœur  et  pour  la  volonté.  Mais 
son  doute  était  purement  objectif.  Il  ne  doutait  ni  de  lui-môme,  ni 
des  perceptions  de  conscience,  mais  il  ne  voulait  se  prononcer  en 
rien  sur  la  réalité  des  objets  perçus  par  les  sens.  Il  reconnaissait 
les  apparences;  et  les  apparences  en  tant  qu'apparences  ne  sont  pas 
contradictoires;  mais  il  n'affirmait  rien  de  la  réalité,  parce  qu'il 
lui  aurait  fallu  admettre  l'existence  du  contradictoire,  ou  trancher 
une  alternative  qui  lui  paraissait  insoluble,  ou  trop  difficile  à 
résoudre. 

Nous  reconnaissons  qu'il  y  a  loin  de  là  à  la  négation  ou  au  doute 
absolu  des  sophistes,  mais  nous  n'irons  pas  jusqu'à  dire  avee  M.  Em. 
Saisset  (dans  le  Dict.  de  M.  Franck)  que  «  la  gloire  de  Pyrrhon  est 
dans  la  conception  forte  et  sérieuse  de  l'idée  sceptique.  »  Non  :  admettre 
les  perceptions  de  conscience,  les  impressions  des  sens,  et  nier  la  réalité 
objective  des  corps,  qui  seuls  peuvent  être  la  cause  de  ces  impressions, 
c'est  renoncer  à  la  raison.  Ce  n'est  pas  une  gloire  que  d'en  venir  là. 

Voici  les  dix  raisons  qu'il  donnait  de  son  doute,  les  fameuses 
misons  d* époque j  SIxa  Téuot,  hnoyr^<;. 


554  HISTOIRE   DR  LA    PHILOSOPHIE 

l"*  La  contradiction  entre  les  diverses  sensations  des  anÛBMi; 
2*^  la  contradiction  entre  les  jagements  portés  par  diTârsespff- 

sonnes  sur  un  môme  objet  ; 
3""  la  contradiction  entre  les  jagements  portés  par  la  même  pfi^ 

sonne  en  différentes  circonstances  ; 
4""  la  contradiction  entre  les  jagements  portés  par  an  mémesess; 
5"*  les  altérations  qae  subissent  les  choses  matérielles  ; 
6®  la  yariabilité  des  lois  et  des  usages  ; 

7"*  les  (Rangements  que  semblent  offrir  les  choses,  selon  leur  poeitks: 
8®  »  B  selon  le  mélange  de  leurs  éléments  ; 

90         9  «         selon  les  relations  qu'elles  ont  entre  eiks; 

10*         »  »         selon  leur  nouveauté^  leur  rareté  00  lor 

fréquence. 
Quelques  auteurs  attribuent  ces  raisons  aux  disciples  de  Pjnto. 
qui  d'ailleurs  n'écrivit  rien. 

173.  Timon  de  Phlioete.  —  Le  premier  dîstciplede  PjtA<» 
fut  Timon,  né  à  Phlionte,  dans  le  Péloponèse,  vers  le  milles  ds 
m' siècle  av.  J.-C.  D'abord  danseur  de  théâtre,  puis  philoMph«»î^ 
fut  disciple  de  Stilpon  de  Mégare  avant  de  l'être  de  Pyrrhoo.  Il 
ouvrit  plusieurs  écoles  en  différents  pays  et  vint  enân  seâierâ 
Athènes,  où  il  mourut  dans  un  âge  avancé. 

11  avait  écrit  des  comédies,  des  tragédies,  des  satires  doat  la 
principale,  appelée iSi7/^5  (S{XXoi),le  fitsurnonmierle  Stllograj^ 
c'était  une  satire  en  vers  hexamètres  contre  tous  les  philosophes 
excepté  Pyrrhon  et  Xénophane  ;  et  quelques  traités  philosc^ 
ques. 

Sa  doctrine,  d'ailleurs  conforme  à  celle  de  son  maître,  se  foTtBi- 
.lait  ainsi  :  1**  Nous  ne  pouvons  rien  savoir  sur  la  nature  des  choses; 
nous  n'en  connaissons  que  les  apparences;  2p  nous  devons  do&cse 
rien  affirmer,  ni  rien  nier  des  choses,  mais  seulement  de  l'état^ 
notre  âme  ;  3*^  cette  abstention  d'opinion  et  de  parti  nous  procaiw* 
la  tranquillité  de  l'âme  (aTapa^fa) ,  qui  est  le  vrai  bonheur. 


Après  Timon  on*  cite,  comme  disciple  de  Pjrrhon,  Philû^» 
l'Athénien,  et  quelques  autres  dont  on  ne  connaît  guère  qo^  ^ 
noms. 


GRECS.   —  EPICURE  —   EPICURIENS  655 

Nous  verrons  le  doute  se  reproduire  bien  des  fois  sous  des  for- 
mes quelque  peu  diverses  ;  mais  on  ne  peut  pas  dire  précisément 
que  le  scepticisme  ait  fait  école. 

S   9.   IPICDRE-   LIS   IPIGUEIINS. 

174.  Vie  d'Epicure.  —  Epicure  naquit  à  Athènes,  dans  le 
bourg  de  Gargette,  l'an  341,  d'une  famille  autrefoisillustre.  Mais 
son  père  tombé  dans  Tindigence  s*en  alla  à  Samos,  où  il  se  fit 
maître  d'école,  tandis  que  sa  mère  exerçait  la  profession  de  chai^ 
meuse  ou  de  devineresse.  Après  avoir  lu  les  ouvrages  d'Anaxagore, 
d'Archélaûs  et  de  Démocriie,  il  vint  à"  Athènes  suivre  les  leçons  de 
Xénocrate  et  de  Nausipbane.  De  retour  à  Sainos,  il  fut  obligé  de 
quitter  cette  ville,  à  la  mort  d'Alexandre,  et  se  réfugia  à  Colophon 
avec  son  père.  C'est  là  qu'il  fonda  son  école.  Il  habita  ensuite  Mi- 
tjlène  et  Lampsaque  et  vint  en  305  se  fixer  à  Athènes,  où  il  ensei- 
gnait dans  son  jardin.  Il  mourut  de  la  pierre  en  270. 

Il  avait  écrit  jusqu'à  300  ouvrages  dont  il  ne  nous  restait  rien, 
lorsqu'on  a  découvert  il  y  a  quelques  années  dans  les  ruines  d'Her- 
culanum  une  partie  de  son  traité  sid*  la  Nature.  On  connaît 
d'ailleurs  ses  théories  par  Diogène  Laerce,  Sextus  Empiricus  et 
Lucrèce. 

La  facilité  de  son  caractère,  autant  que  le  peu  de  sévérité  de  sa 
doctrine,  lui  attirèrent  beaucoup  de  disciples  qui  lui  furent  très 
attachés  et  auxquels  ils  donna  de  grandes  preuves  d'aôection.  Si 
l'on  ajoute  à  ces  conditions  les  circonstances  politiques  dans  les- 
quelles il  vivait,  le  dégoût  de  la  vie  qui  dut  s'emparer  des  âmes 
des  Grecs,  lorsqu'aprôs  la  mort  d'Alexandre  ils  se  virent  sans  gloire 
et  sans  sôcu  rite,  livrés  aux  changements  qu'amenait  les  rivalités 
des  généraux  du  conquérant,  on  aura  l'explication  entière  des 
succès  d'un  philosophe  qui  venait  prêcher  l'indiff'érence  pour  tout 
principe  et  la  recherche  unique  du  bien-être  dans  le  calme  de  l'âme. 

Fuir  la  douleur  et  la  crainte,  plus  encor  que  rechercher  le  plai- 
sir :  tel  était  le  but  de  la  doctrine  d'Epicure.  Toutes  les  peines 
morales  viennent  de  l'ignorance  des  vraies  conditions  des  choses. 
De  là  la  nécessité  d'une  nouvelle  physique  et  d'une  nouvelle  logi- 
que, capable  de  nous  afi'ranchir  de  l'erreur  et  surtout  des  préjugés 


556  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

superstitieux.  II  j  avait  donc  trois  parties  dans  sa  théorie:  la  ca- 
nonique ou  logique,  la  physique  et  la  morale. 

175.  Canonique  d*Epicure.  —  Il  ne  vent  pas  de  cette  logi- 
que embarrassée  d'une  multitude  de  rî^gles  (la  Logique  d'Aristote), 
mais  un  art  simple  et  facile,  résumé  en  trois  principes  de  connais- 
sance, et  quatre  régies  pour  chacun  de  ces  principes. 

Il  n'j  a,  dit-il,  d'autre  critérium  de  vérité  que  les  sematiom 
(aiTÔTjdeic)  les  anticipations  (TrooAr/itic) ,  et  les  j^assions  (-iti^^l 
Les  sensations  sont  les  impressions  que  nous  recevons  des  objet*  ; 
les  anticipations  sont  les  conceptions  de  Tintelligence,  les  idées  des 
choses,  acquises  au  moyen  de  la  mémoire  par  les  sensations  répé- 
tées ;  les  passions  sont  les  plaisirs  et  les  peines  que  nous  éprouvons. 

Les  sensations  sont  produites  par  les  corpuscules  que  les  corps 
émettent  continuellement,  qui  atteignent  nos  organes  et  par  le 
moyen  des  nerfs  communiquent  à  Tâme  certaines  impressions.  Les 
sensations  ne  peuvent  être  contrôlées  ni  par  d'autres  sensations,  ni 
par  la  raison,  qui  dépend  elle-même  des  sensations.  Il  faut  donc 
admettre  que  les  sens  sont  infaillibles.  De  là  les  quatre  canoM 
sur  les  sens. 

1®  Les  sens  ne  trompent  jamais. 

2°  L'erreur  ne  tombe  que  sur  l'opinion. 

3*»  L'opinion  est  vraie  quand  les  sens  la  confirment  ou  ne  la  con- 
tredisent pas. 

4**  L'opinion  est  fausse  quand  les  sens  la  contredisent  ou  ne  la 
confirment  pas. 

Les  anticipations  ne  sont  pas  toutes  les  idées  que  Ton  peut  se 
former  des  choses,  mais  seulement  celles  qui  sont  communes  à  tous 
les  hommes.  Dans  la  pensée  d'Epicure,  ce  mot  semble  désigner  les 
vérités  de  bon-sens.  En  voici  les  régies. 

1°  Toute  anticipation  vient  des  sons. 

2°  L'anticipation  est  la  vraie  connaissance  et  la  définition  même 
d'une  chose. 

3"*  L'anticipation  est  le  principe  de  tout  raisonnement. 

4**  Ce  qui  n'est  point  évident  par  soi-même  doit  être  démontré 
par  l'anticipation  d'une  chose  évidente. 

Les  ^o^^'on^  sont  dans  l'âme  aussi  bien  que  les  anticipations; 


GRECS  —   EPICURE  ' —    EPICURIENS  557 

mais  elles  viennent  aussi  des  sens.  Ce  qu'elles  nous  font  connaître 
ce  sont  les  rapports  entre  les  choses  et  nous,  au  point  de  vue  de 
noire  bonheur.  Elles  sont  donc  aussi  une  source  de  connaissance  ; 
mais  les  règles  qu'Epicure  donne  î\  leur  sujet,  sont  des  règles  de 
conduite  et  seront  mieux  placées  dans  sa  morale. 

A  côté  de  ces  sources  premières  de  la  connaissance,  Epicure 
admet  la  (hhnonstration  ;  mais  il  la  réduit  à  une  sorte  d'induction 
du  signe  à  la  chose  signifiée .  Il  ajoute  aussi  comme  règle  une 
sorte  d*anticipation  générale  qu'il  appelle  \ équilibre.  Cette  loi  de 
l'équilibre  peut  se  formuler  ainsi  :  Toute  chose  a  son  contraire. 
C'est  par  ce  principe  qu'il  croit  que  le  nombre  des  êtres  immortels 
est  aussi  grand  que  celui  des  mortels. 

176.  Physique  d'Epicure.  —  Rien  ne  se  fait  de  rien,  dit-il  ; 
rien  n'est  créé,  rien  ne  périt.  Les  corps  se  décomposent,  mais 
^  leurs  éléments  subsistent.  Donc  les  éléments  des  corps  sont  éter- 
nels. Ces  éléments  il  les  appelle  atomes,  c'est-à-dire  insécables, 
parce  qu'il  les  suppose  étendus,  mais  indivisibles.  Le  mouvement 
leur  est  essentiel,  et  ce  mouvement  est  rectiligne  et  vertical,  sui- 
vant la  loi  de  la  pesanteur.  Mais  dans  ce  mouvement  il  s'opère 
une  déviation,  qu'Epicure  attribue  tantôt  au  hasard,  tantôt  à  une 
certaine  spontanéité.  Par  suite  de  cette  déviation  les  atomes  se 
rencontrent  et  s'agglomèrent  selon  leurs  affinités  naturelles.  C'est 
ainsi  que  se  forment  tous  les  corps.  Si  plus  tard  ces  atomes  se  sé- 
parent de  nouveau,  et  si  les  corps  se  détruisent,  c'est  qu'une 
force  étrangère,  vient  s'interposer.  Donc  les  atomes  se  meuvent. 
Mais  il  ne  peuvent  se  mouvoir  qu'à  la  condition  qu'il  y  ait  du  vide 
entre  eux.  Il  faut  donc  admettre  le  vide.  Le  vide  est  infini  en 
étendue,  mais  les  atomes  aussi  sont  en  nombre  inâni.  Ainsi  le  vide 
n'est  complètement  vide  nulle  part.  Donc  trois  choses  constituent 
le  monde  :  les  atomes,  le  vide  et  le  mouvement. 

Il  n'existe  rien  au  delà.  Tout  est  corps,  et  pour  Epicure,  corps 
est  synonyme  d'être. 

L'Ame  elle-même  est  donc  un  corps,  divisible  comme  les  corps, 
et  par  conséquent  destinée  à  périr.  Aussi,  dit-il,  nous  la  voyons 
vieillir  avec  le  corps  après  que  nous  l'avons  vue  passer  de  la  fai- 
blesse de  l'enfance  à  la  force  de  l'âge  mûr.  Elle  est  quelque  chose 


558  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

d'invisible  et  d*insaisissable,  comme  Tair,  et  d'actif  comme  le  feo. 

Les  facultés  de  l'àme  sont  aassi  de  nature  corporelle^  Là  peoiée 
est  une  sorte  de  sensation.  La  sensation  proprement  dite  est  juste 
impression  reçue  par  Tâme,  mais  cette  impression,  quoique  ploi 
subtile  est  de  même  nature  que  les  impressions  du  corps.  Cepeih 
dant  malgré  la  grossièreté  de  cette  âme,  Epicure  admet  on  ne  sait 
pourquoi,  un  troisième  principe  dans  Thomme  ;  c'est  l'esprit,  c'eA 
le  messager  des  impressions  du  corps  A  Tégard  de  rame. 

Avec  une  pareille  théorie  physique,  Epicure  n'a  pas  besoin  de 
Dieu,  pour  expliquer  le  monde,  aussi  avertit-il  qu'il  donne  dans 
sa  physique  le  moyen  de  se  délivrer  toutnà-la  fois  et  des  terreors 
de  la  mort  et  de  la  crainte  des  dieux.  Lucrèce,  son  fidèle  întef- 
prête,  nous  le  montre  osant  le  premier  regarder  en  face  la  religion, 
qui  du  haut  du  ciel  montrait  sa  tête  effrayante,  et  lui  résister. 

Cependant  il  croit  qu'il  y  a  des  dieux.  Ce  sont  des  vapeurs  im- 
menses à  forme  humaine;  ils  ont  cependant  rintelligence,  et  exempts 
des  misères  de  la  Io;t3,  ils  jouissent  d'un  bonheur  parfait  que  riea 
ne  trouble  que  rien  n'émeut,  ni  nos  crimes  ni  nos  vertas.  11  vent 
pourtant  qu'on  les  honore  intérieurement  ;  mais  il  est  inutile  de 
les  prier  :  ils  ne  s'occupent  pas  de  nous. 

Yoil  ce  qu'Epicure  appelle  la  vérité,  la  raison,  la  philosophie. 
Cette  doctrine  est  selon  lui  la  vraie  source  du  bonheur,  avec  la 
morale  que  nous  allons  voir. 

177.  Morale  d'Epicure.  —  Le  souverain  bien  de  Thomme, 
c'est  le  plaisir  (r^Sovr^).  Mais  le  plaisir  est  de  deux  sortes  :  dans  le 
mouvement,  ou  dans  le  repos.  Le  premier  consiste  à  éprouver  des 
sensations  agréables,  qui  supposent  un  mouvement  et  qaelqnefois 
un  certain  effort.  Le  second  est  l'absence  de  toute  douleur,  le  repos 
du  corps  et  de  l'âme.  Voilà  le  vrai  plaisir,  le  vrai  bonheur  :  V^ 
sence  de  trouble  (aTapaÇia). 

La  vertu  consiste  à  savoir  se  conduire  de  manière  à  goûter  ce 
repos  absolu.  C'est  d'abord  la  prudence,  qui  n'est  que  le  calcul 
des  moyens  propres  à  procurer  le  plaisir  parfait.  C'est  ensuite  la 
force,  qui  nous  fait  mépriser  toutes  les  craintes  imaginaires  ;  là 
justice^  qu'il  faut  observer  pour  éviter  les  ennuis  que  procure 
l'injustice,  et  par  laquelle  les  hommes  se  facilitent  mutuellement 


GRECS.   —  EPICURK  —    EPICURIENS  559 

le  bonheur  ;  c'est  enfin  la  tempérance,  qui  n'est  que  la  modéra- 
tion dans  les  plaisirs,  afin  de[ne  pas  se  rendre  ineapablede  les  goû- 
ter longtemps.  Ces  pour  cela  qu'il  faut  régler  ses  passions  en  sui- 
vant les  quatre  canons  que  voici. 

V*  Prenez  le  plaisir  qui  ne  doit  être  suivi  d'aucune  peine. 

2®  Fujez  la  peine  qui  n'amène  aucun  plaisir. 

3<*  Fuyez  la  jouissance  qui  doit  vous  priver  d'une  jouissance 
plus  grande  ou  vous  causer  plus  de  peine  que  de  plaisir. 

4®  Prenez  la  peine  qui  vous  délivre  d'une  peine  plus  grande,  ou 
qui  doit  être  suivie  d'un  plus  gran.d  plaisir. 

Conformément  à  cette  morale,  Epicure  recherchait  surtout  les 
plaisirs  de  l'esprit,  vivait  d'une  manière  extrêmement  sobre,  et 
conseillait  à  son  exemple  de  ne  pas  s'engager  dans  le  liens  du  ma- 
riage, pour  n'avoir  pas  les  soucis  de  la  famille. 


Nous  sommes  bien  loin  de  Socrate  et  de  Platon  et  môme  d'Aris- 
tote.  Les  idées  ont  disparu  et,  avec  elles,  les  nobles  croyances,  les 
grandes  aspirations,  l'amour  de  la  vérité  pour  elle-môme,  la  science 
et  presque  la  certitude.  Tout  est  matière.  Jusqu'ici  cependant 
malgré  les  tendances  de  la  théorie,  la  vie  est  encore  honnête  et  il 
j  a  encore  quelque  générosité  et  quelque  dévouement.  Mais  nous 
allons  voir  bientôt  les  disciples  tirer  les  vraies  conséquences  des 
principes,  et  s'abandonner  aux  plaisirs  des  sens,  qui  seront  pour 
eux  le  souverain  bien. 

Il  n'est  pas  nécessaire  que  nous  fassions  ressortir  la  fausseté, 
l'immoralité  et  l'impiété  du  système  d'Ëpicure.  Nous  dirons  plutôt 
le  bon  côté  ou  du  moins  les  résultats  heureux  de  son  observatjion 
toute  sensible.  En  étudiant  de  plus  près  la  matière,  Epicure  lui 
arracha  plusieurs  de  ses  secrets.  C'est  ainsi  que  le  matérialisme 
moderne  et  le  positivisme  ont  fourni  à  la  science  de  précieux  ren- 
seignements au  point  de  vue  des  faits. 

178.  Les  disciples  d'Ëpicure.  —  Les  premiers  disciples 
d*Epicure  furent  ses  trois  frères,  Aristobule,  Néoclès  et  Chérâ- 
DÈME,  qu'il  aimait  tendrement.  Us  ne  paraissent  pas  s'être  distin- 
gués dans  la  philosophie.  Le  plus  brillant  de  ses  disciples,  fut 


560  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

Métrodojie  de  Lampsaque,  qui  mourut  avant  lui.  11  avait  écrit 
plusieurs  ouvrages  dont  il  ne  reste  que  les  titres.  On  cite  encore 
PoLYEN  de  Lampsaque,  Hermachus  de  Mitjlône,  qu'Epicupe  ins- 
titua son  héritier,  en  270,  puis  Apollodore  I'Epicurœx,  dont  les 
ouvrages,  au  nombre,  dit-on,  de  400  sont  entièrement  perdus. 
CoLOTÈs  avait  écrit  un  ouvrage  avec  ce  titre  :  Qu'à  suivre  les 
maximes  des  philosophes  autres  qu* Epicure  on  ne  jouit  pas  de 
la  vie.  Phèdre  est  nommé  avec  éloge  par  Cicéron.  Philodèmb 
avait  écrit  des  ëpigrammes^  un  Abrégé  des  opinions  des  philo- 
sophes, une  Rhétorique,  un  traité  sur  les  vertus  et  les  vices  et 
un  autre  sur  la  musique,  dont  les  fragments  qui  nous  restent  font 
penser  que  cet  art  y  était  considéré  au  point  de  vue  moral.  Enfin 
Zénon  TEpicurien,  peut-être  le  même  que  celui  de  Sidon,  nommé 
par  Diogône  Laerce,  est  mentionné  aussi  par  Cicéron. 

On  ne  sait  rien  de  bien  précis  sur  la  vie  et  les  doctrines  de  tous 
ces  homiiir^s  mais  on  connaît  assez  la  réputation  des  Epicuriens, 
dans  l'antiquité,  pour  comprendre  qu'au  plaisir  dans  le  repos, 
recherché  par  Epicure,  ils  préférèrent  le  plaisir  dayis  le  mouve- 
ment, et  qu'ils  recherchèrent  les  plaisirs  des  sens  plus  que  les 
plaisirs  de  l'esprit.  Tout  le  monde  connaît  Tépithôte  qu'Horace  se 
donne  à  lui-môme,  en  répétant  celle  que  l'on  donnait  aloi's  à  tous 
les  épicuriens. 

Me  pinguem  et  nitidum  bene  curata  cute  vises, 

Quum  ridere  voles,  Epicuri  de  grege  porcum.  (Epit.  IV'). 

S  10.  ZiROH.  -  Il  POatlQUI. 

179.  Zénon.  —  On  ne  connaît  pas  la  date  de  la  naissance  do 
fondateur  du  Portique.  On  peut  dire  seulement  qu'il  mourut  vers 
Tan  264,  après  avoir  vécu  plus  de  quatre-vingt-dix  ans.  Il  serait 
donc  né  avant  Epicure  ;  peut-être  même  a-t-il  commencé  à  ensei- 
gner avant  lui.  Zénon  naquit  .à  Cittium,  petite  ville  de  Tile  de 
Cypre.  Son  père,  appelé  Mnasée  ou  Démée,  était  un  riche  marchand 
et  lui-môme  exerça  cette  profession.  Mais  un  naufrage  lui  ayant 
fait  perdre  presque  toute  sa  fortune,  il  se  retira  des  affaires  et  se 
tourna  vers  la  philosophie.  Il  avait  alors  près  de  trente  ans.  Pen- 


GRECS.    —   ZENON.    —   PORTIQUE.  561 

ant  dix  ans,  il  suivit  les  leçons  de  Cratùs  le  cynique,  dont  il 
pouvait  la  morale  excellente,  mais  dont  les  mœurs  le  révoltèrent. 
1  alla  donc  h  Mégare  suivre  les  leçons  de  Stilpon,  qui  lui  donna 
e  goût  de  la  dialectique,  et  cette  disposition  fut  encore  augmentée 
>n  lui  par  les  leçons  de  Diodore  Cronos.  Revenu  à  Athènes  il  sui- 
7\t  les  leçons  des  Académiciens  Xénocrate  et  Polémon,  et  il  ne  dut 
>as  rester  étranger  à  renseignement  de  Théophraste,  qui  florissait 
alors,  ou  tout  au  moins,  il  dut  lire  les  écrits  d'Aristote,  car  on  en 
retrouve  des  traces  nombreuses  dans  sa  théorie,  comme  aussi  on 
y  retrouve  une  partie  de  la  doctrine  d'Heraclite.  Il  se  composa 
avec  tous  ces  éléments  un  système  mal  lié,  où  rien  n'est  entière- 
ment nouveau,  ce  qui  a  fait  dire  à  Cicéron  que  a  Zenon  inventa 
des  mots  plutôt  que  des  choses  ». 

Il  établit  son  Ecole  dans  le  riche  portique  d'Athènes,  appelé 

SToà  7coix(X7i  (la  Galerie  peinte)  et,  par  antonomase,  StoA,  d'où 
est  venu  à  son  école  le  nom  de  Portique,  et  à  ses  disciples  celui  de 
Stoïciens. 

Il  avait  beaucoup  écrit  et  Diogène  Laérce  nous  a  conservé  les 
titres  d'un  grand  nombre  de  ses  ouvrages,  mais  il  ne  nous  en  reste 
que  quelques  rares  citations. 

Les  auteurs  qui  ont  parlé  de  son  système  lui  ont  souvent  attri- 
bué les  doctrines  de  ses  disciples^  et  il  devient  très  difficile  de  faire' 
h  chacun  sa  part.  Nous  donnerons  donc  en  commun  la  doctrine  des 
Stoïciens,  après  avoir  indiqué  les  principaux  disciples  de  Zenon, 
qui  paraissent  avoir  contribué  en  quelque  chose  à  modifier  le 
système. 

180.  Disciples  de  Zenon.  —  Parmi  les  premiers  disciples 
de  Zenon  on  trouve  d'abord  Persée,  de  Cittium,  que  son  maître 
envoya  à  sa  place  auprès  d' Antigone  Gonatas,  qui  l'avait  demandé 
lui-même,  en  disant  que  le  disciple  serait  aussi  capable  que  le 
maître  et  aurait  en  plus  l'avaatage  de  la  jeunesse;  puis  Hérillb 
DE  Carthaoe,  qui  donna  à  la  morale  un  but  absolu  et  un  but  rela- 
I  tif,  et  Cléanthb  d'Assos,  nî  vers  Tan  300.  Celui-ci  étant  tombé 
dans  la  misère  se  fit  porteur  d'eau  et  ne  cessa  pas  de  cultiver  la 
philosophie,  travaillant  la  nuit  pour  vivre  et  étudiant  ou  écoutant, 
pendant  le  jour^  les  leçons  de  Zenon,  que  dans  sa  pauvreté  il  écri- 

36 


■ 
■ 


5ô2  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

vait  sur  des  morceaux  de  brique,  pour  les  conserver.  Il  pratiqua 
sévèrement  la  morale  de  son  maître  et  eut  Thonneur  d'avoir  pour 
disciple  Chrjsippe,  la  colonne  du  Stoïcisme.  Avec  lui  se  trouvaient 
auprès  de  Zenon  Ariston  de  Chios  chef  de  la  secte  des  Aristo- 
niens,  qui  rejetaient  la  logique  et  la  physique,  et  Athénodore  de 
SoLi,  qui  suivait  la  même  voie.  Tous  ces  hommes  paraissent  avoir 
transformé  la  doctrine  de  leur  maître  et  même  Favoir  complétt^, 
mais  il  manquait  jusque  là  â,  ce  système  une  intelligence  capable 
d'en  nouer  toutes  les  parties,  et  Chrysippe  vint  heureusement  ac- 
complir cette  mission . 

Chrysippe,  né  à  Soli,  en  Cilicie  (et  non  à  Tarse,  qui  était  la  pa- 
trie de  son  père),  vers  Pan  280,  était  livré   à  Toisiveté  et  aux 
plaisirs,  lorsque  la  perte  de  son  patrimoine  le  tourna  vers  la  phi- 
losophie. Il  vint  à  Athènes  et,  après  avoir  entendu  Cléanthe,  il 
suivit  d'abord  les  leçons  d'Arcésilas  et  de  Lacyde,  tous  deux  aca- 
démiciens, puis  il  retourna  au  stoïcisme,  dont  il  fut  un  si  ferme 
soutien,  qu'un  ancien  a  dit  de  lui  :  Ni  Chrys'ppus  fuissety  Portt- 
eus  non  esset,  et  qu'on  le  surnomma  la  colonne  du  Portique.  Il 
vint  en  effet  rendre  la  vie  au  Stoïcisme  qui  se  mourait  ;   mais  il  y 
fit  des  changements  si  considérables  que  le  stoïcien  Antipater  écri- 
vit un  ouvrage  entier  sur  les  différences  entre  Cléanthe  et  Chry- 
sippe. Il  mourut,  selon  ApoUodore,   l'an  208  et  selon  Lucien, 
l'an  199. 

On  dit  qu'il  avait  composé  plus  de  sept  cents  ouvrages;  il  ne 
nous  en  reste  que  de  rares  fragments,  sans  titres. 

Parmi  ses  disciples  on  cite  Zénon  de  Tarse,  et  Diogéne  de  Ba* 
BYLONE,  que  les  Athéniens  envoyèrent  à  Rome  avec  Carnéade  et 
Critolaûs  (vers  155).  Les  principaux  Stoïciens  après  eux  furent: 
Antipater  de  Sidon  ou  de  Tarse  (vers  142),  Pan*«:tius  de  Rho- 
des, qui  tint  école  à  Rome  et  dont  Cicéron  fait  assez  de  cas,  pour 
le  suivre  dans  son  traitée?^  Officiis,  et  enfin  Posidonius  d'Apambb 
disciple  de  Panaetius,  qui  établit  une  école  à  Rhodes,  à  la  fin  <^^ 
deuxième  siècle  avant  J.  0. 

De  là  le  stoïcisme  passa  à  Rome,  où  nous  lui  verrons  des  re- 
présentants illustres,  jusqu'au  12'  siècle  après  J.  C.  D'abord  1^ 
deux  Scipions,  Lœlius,  Caton  d'Utique  et  Brutus.  Plus  tard  An- 
tistius  Labéon  et  Sampronius  Proculus,  fondèrent  la  secte  des 


GRECS.  —  ZENON.  —  PORTIQUE  563 

•reculiens.  Enfin  Sénôque,  Epictète,  Arrien  et  Marc-Aurèle,  en 
poudrent  les  doctrines,  en  les  rapprochant  davantage  de  la  mo- 
ale  chrétienne,  qui  bientôt  les  éclipsa. 

Cette  philosophie  qui  dura  cinq  siècles,  a  été  tour-à-tour  admirée 
t  blAmée,  parce  qu*elle  renferme  en  effet  une  opposition  étonnante 
le  sagesse  et  d'orgueil,  de  vertu  et  de  crime.  Mais  son  esprit 
l'impassibilité  est  resté  si  populaire  que  Ton  dit  encore  vulgaire- 
nent  :  «  Vivre  en  philosophe  »,  pour  dire  :  «  Vivre  en  Stoïcien  » . 

181.  Doctrine  des  Stoïciens.  —  Zenon  voulut  être  plus  à  la 
portée  de  tous  que  Platon  et  qu'Aristote,  plus  facile  qu'Antisthène. 
K  Les  Cyniques,  dit  Sénôque,  excédaient  la  nature  ;  Zenon  se  borna 
h  la  vaincre.  » 

Le  but  de  Thomme  c'est  la  sagesse,  et  c'est  la  philosophie  qui 
nous  enseigne  à  l'atteindre,  La  sagesse  n'est  autre  chose  que  la 
perfection.  Mais  ne  pouvant  jamais  atteindre  la  perfection  absolue, 
l'homme  tâche  d'y  tendre  sans  cesse.  Il  y  a  trois  degi'és  qui  y  con- 
duisent :  le  jugement  parfait,  la  science  parfaite,  la  conduite  par- 
faite. De  là  les  trois  branches  de  la  philosophie  :  Logique,  Physique 
et  Morale. 

182.  Logique  Stoïcienne.  —  Tout  en  disant  que  la  raison  est 
la  règle  de  toutes  choses,  Zenon  rejeta  les  idées  de  Platon  et  s'en 
tint  à  la  théorie  d'Aristote  sur  la  connaissance,  en  lui  donnant  une 
forme  qui  la  rapproche  de  celle  d'Epicure. 

Ce  sont  les  Stotciens  qui  les  premiers  ont  proclamé  le  fameux 
principe:  Nikil  est  in  intellectUyquod nqn prius/ue^nt  in  sensu ^ 
qu'Aristote  n'avait  pas  formulé,  mais  qui  résume  assez  bien  sa 
théorie.  Ils  dirent  aussi  nettement  que  Tâme  est  d'abord  une  table 
rase. 

Le  principe  de  toute  connaissance  est  dans  la  sensation.  Mais 
celle-ci  n'est  en  quelque  sorte  que  la  matière  première  de  la  con- 
naissance. Elle  devient  perceptioa,  par  le  travail  de  l'esprit.  Chry- 
sippe  ne  veut  pas  qu'on  explique  la  perception  par  la  comparaison 
de  l'empreinte  du  sceau  :  la  perception  saisit  toutes  les  qualités  et 
môme  la  substance  de  l'objet.  Elle  devient  alors  la  vision  corn- 
préhensive  (cpavraorta  xaTaXT^icTWci^)".  En  voici  les  caractères  dis- 
tinctifs  :   l^  elle  est  produite  par  une  chose  qui  existe  ;  2^  elle  est 


564  HISTOIRE    DE     LA    PHILOSOPHIE 

conforme  à  cette  chose  et  en  exprime  les  propriétés,  3*  elle  ne 
peut  être  produite  par  aucune  autre  chose.  A  ces  signes  on  recon- 
nait  hv  vérité  de  la  perception.  —  Mais  s'il  j  a  des  perceptions 
qui  ne  sont  pas  produites  par  des  choses  réelles,  à  quoi  reconnaîtra- 
t-on  que  telle  perception  est  produite  par  une  chose  qui  existe! 
Et  puisqu'on  ne  connaît  la  chose  que  par  la  perception,  comment 
savoir  si  celle- i  lui  est  conforme?  Enfin,  qui  dira,  dans  ces  condi- 
tions, si  elle  ne  peut  être  produite  par  aucune  autre  chose? 

A  la  vision  compréhensive  vient  s'ajouter  V assentiment,  qui  la 
convertit  en  connaissance.  C'est  un  acte  de  l'esprit,  spontané,  vo- 
lontaire et  libre.  Cependant  nous  verrons  bientôt  des  assentiments 
nécessités  par  l'évidence. 

Enfin  la  réunion  des  perceptions  solidement  établies,  et  liées  par 
des  raisonnements  inébranlables  constitue  la  science.  Hors  de  là 
c'est  Topinion. 

Zenon  comparait  ces  trois  degrés  de  la  connaissance  à  la  main 
d'abord  ouverte,  qui  ne  saurait  retenir  les  objets,  ni  les  toucher 
dans  toutes  leurs  parties  :  c'est  la  sensation;  puis  fermée,  et  pouvant 
les  mieux  saisir  :  c'est  le  jugement  ;  et  enfin  fermée  et  serrée  par 
l'autre  main,  de  manière  à  ne  pas  laisser  échapper  ce  qu'elle  a  saisi: 
c'est  la  science. 

A  ces  connaissances  actuellement  acquises  par  les  sens,  les  SUÂ' 
ciens  io[gxi2i,ieni  les  anticipations  (upoXTf/ieic),  qu'ils  définissaient: 
«  la  conception  naturelle  de  l'universel.  »  Ils  entendaient  par  là 
ces  conceptions  abstraites  auxquelles  on  donne,  sans  recherche  et 
nécessairement,  son  assentiment,  parce  que,  disaient-ils,  elles  sont 
évidentes. 

Enfin  considérant  que  plusieurs  de  ces"  jugements  naturels  sont 
communs  à  tous  les  hommes,  ils  les  concevaient  comme  constituant 
la  raison  commune  ou  la  droite  raison. 

Ainsi  la  pensée  est  à  la  fois  passive  et  active  :  passive  dans  la 
perception,  active  dans  le  jugement. 

Mais  le  jugement  (libre  sans  doute)  porte  souvent  sur  des  idées 
artificielles  ou  notions,  qui  se  forment  par  l'analogie,  la  compo- 
sition, la  proportion,  l'opposition,  la  transposition  des  parties,  la 
répétition,  la  privation. 


GRKCS.    —    ZENON. —  PORTIQUE  565 

Ils  admettaient  la  théorie  du  syllogisme  ;  mais  n'y  distinguaient 
qae  deux  modes  :  le  simple  et  le  composé. 

Ils  combattirent  les  sceptiques  en  disant  que  le  doute  absolu  est 
impossible,  et  qu'il  détruit  dans  Thomme  toute  activité  et  toute 
morale. 

183.  Physique  Stoïcienne.  —  Ils  concevaient  tout  ce  qui 
existe,  toute  substance,  comme  composé  d'un  principe  actif  et  d'un 
principe  passif,  d'une  cause  et  d'une  matière ,  et  ce  composé  ils 
l'appelaient  corps.  Ils  disaient  donc  que  tout  est  corps. 

Dans  l'homme  ils  concevaient  l'âme  comme  le  principe  actif,  et 
pour  exprimer  qu'elle  est  réelle,  ils  l'appelaient  aussi  corps  ou  ma- 
tière. Mais  cette  matière  était  subtile  et  indivisible.  Pour  en  ex- 
primer l'activité,  ils  l'appelaient  un  feu;  une  étincelle  du  feu 
divin,  qui  est  l'éther,  source  de  la  lumière.  Mais  ils  la  reconnais- 
saient intelligente  et  libre,  et  insistaient  sur  cette  liberté. 

tt  Rien  ne  se  fait  sans  cause,  disaient-ils.  »  Les  causes  s'enchaî- 
nent à  l'infini:  le  passé  contenait  et  déterminait  le  présent  ; 
le  présent  contient  et  détermine  l'avenir.  Les  règles  et  les 
lois  de  tontes  choses,  comme  des  linéament^s,  sont  contenues  dans 
les  germes,  dans  les  principes  des  choses  et  s'y  développent  néces- 
sairement :  telle  est  la  raison  universelle,  principe,  règle,  cause  de 
tout  ce  qui  est.  Cette  raison  c'est  Dieu  ou  la  Nature  :  ces  deux 
noms  sont  équivalents  pour  eux.  Souvent  aussi  ils  l'appellent  le 
Destin. 

Ailleurs  ils  semblent  reconnaître  le  vrai  Dieu  ;  car  ils  le  con- 
çoivent intelligent,  tout  puissant,  et  dirigeant  tout  par  sa  Provi^ 
dence.  Et  cette  Providence,  ils  la  démontraient  par  le  consentement 
ananime  des  peuples,  par  la  notion  du  devoir  et  par  le  culte 
qu'impose  la  loi  morale. 

Mais  tout  cela  concorde  avec  le  reste  de  leur  théorie  panthéiste. 
Leur  Dieu  c'est  l'âme  du  monde,  et  s'il  dirige  le  monde,  c'est 
selon  les  lois  nécessaires  contenues  dans  les  principes  des  choses. 
Aussi  ils  accordaient  parfaitement  leur  doctrine  avec  la  mytholo- 
gie, en  disant:  Dieu  principe  de  vie  s'appelle  Zous  ;  dans  l'Ether, 
il  est  Athéné  ;  dans  le  feu,  Héphaïstos;  dans  l'air,  Hôra;'clansreau 
Poséidon  ;  dans  la  terre,  Cybèle, 


5(36  HISTOIRE    DK   LA    PHILOSOPHIE 

Donc,  leur  Dieu,  c'est  la  Nature,  et  leur  Nature  n'est  que  rie- 
vitô  du  Monde.  Le  reste  est  la  matière,  éternelle  d^aillears  «sa 
le  principe  actif.  La  môme  Nature  agit  raisonnablement  €(«- 
cessairement  dans  le  monde,  en  m:}me  temps  que  comine  i<sa 
physique,  et  c'est  elle  aussi  qui  agit  conime  raison  è» 
riiomme. 

L'univers  n'est  qu'un  corps  animé,  dont  toutes  les  parties  ss^ 
liées  et  ne  forment  qu'un  tout.  L'Ame  (raison  et  Dieu)  qui  le  est  | 
est  un  feu  qui  s'allume  et  s'éteint  tour  à  tour. 

184.  Morale  Stoïcienne.  —  L'homme,  comme  tout  être.  ^ 
composé  d'un  principe  actif  et  d'un  principe  passif.  Ici  c'est  Fâae 
et  le  corps.  Or,  dans  tout  être,  selon  les  lois  nécessaires  de  li  py- 
son  universelle  (Nature,  Dieu)  le  passif  est  soumis  à  l'actif.  H^- 
en  être  de  même  de  l'homme.  Mais  l'homme  est  libre.  11  doit  dos 
établir  en  lui  librement  l'ordre  de  la  raison.  «  Vivre  seka  ii 
raison.  » 

La  vie  de  l'homme  est  donc  une  lutte  de  la  liberté  contre  is 
passions  ;  mais  au  lieu  de  dire  avec  Platon,  qu'il  faut  maîaî* 
les  passions,  les  Stoïciens  veulent  les  détruire.  De  làleurgra^ 
maxime  :  àvs-^ou  xal  aTcr^ou,  sustine  et  obstine.  D'ailleurs,  s«^ 
frir  n'est  rien,  car  la  douleur  n'est  pas  un  mal,  et  la  verta®^^ 
seul  bien.  Et  la  vertu,  c'est  la  liberté,  la  liberté  recherchée  ps^ 
elle-même. 

Ce  qui  entrave  la  liberté  est  mauvais. 

Ce  qui  augmente  la  liberté  est  bon. 

Ce  qui  n'influe  en  rien  sur  la  liberté  est  indifférent. 

Dès  lors  les  appétits  du  corps  sont  choses  indifférentes  pour  le  .^ 
qui  sait  ne  s'y  livrer  que  librement.  Aussi  Zenon  et  Ghrysipp^ùS* 
autorisé  to  utes  les  débauches,  môme  celles  qui  révoltent  la  raiss- 
parce  qu'elles  sont  contre  nature  ;  ils  ont  permis  en  outre  la  polj- 
gamie  et  môme  l'anthropophagie,  selon  les  usages  des  peuple-     1 

D'ailleurs  la  liberti^  étant  à  elle-même  son  principe  et  safîfli  ^ 
sage  ne  relève  que  de  lui-même.  C'est  un  Dieu:  plus  qu'un  Difa-  \ 
car  il  a  conquis  lui-môme  sa  liberté.  (*) 

(*)  Nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  remarquer  ici  que  M.  l"'i>®^ 
qui  reproche  aux  Stoïciens  de  n'avoir  pas  eu  la   vraie  notion  de  b^ 
berté,  quoiqu'il  leur  attribue  exactement  la  même  doctrine  que  ^ 


GRECS.    —    ZENON.    —    PORTIQUE  567 

Dos  lors  le  sage  peut  tout  faire  sans  faillir,  par  cela  seul  qu'il 
est  sage;  carie  crime  est  une  folie.  Il  peut  donc  se  donner  la 
mort  ;  il  peut  souiller  son  corps  par  las  pratiques  les  plus  honteu- 
ses, sans  altérer  la  pureté  de  son  àme.  Et  tout  cela,  beaucoup  de 
stoïciens  l'ont  enseigné  par  le  précepte  et  par  Texemple. 


Voilà  l'abîme  où  est  venue  s'engloutir  cette  doctrine  qui  na- 
guère proclamait  la  vertu  comme  le  seul  bien  et  enseignait  &  mé- 
priser toutes  les  douleurs  comme  toutes  les  jouissances.  Sénèque 
lui-même,  que  nous  verrons  plus  loin,  et  dont  la  morale  est  restée 
bien  plus  conforme  aux  premières  données  des  Stoïciens  et  môme 
s'est  épurée  encore,  sans  doute  au  contact  de  l'esprit  chrétien,  qui 
commençait  à  se  répandre  de  son  temps,  n'a  pas  craint  de  conseil- 
ler le  suicide. 

Et  cet  abîme  est  le  terme  naturel  de  la  route  tracée  par  ce  double 
principe  ;  qu'il  faut  anéantir  la  sensibilité,  et  que  la  liberté  à  con- 
quérir est  le  seul  but  de  la  vertu. 

185.  Appréciation.  —  Si  dans  la  doctrine  stoïcienne  on  ne 
considère  que  les  grands  principes,  en  laissant  les  dernières  consé- 
quences, on  se  trouve  en  présence  d'une  morale, austère  sans  doute, 
mais  praticable  par  les  âmes  grandes  et  fortes,  d'une  morale  pure 
et  sablime;  si  l'on  ne  considère  que  les  expressions  et  surtout  le 
sens  des  auteurs,  on  trouve  dans  cette  doctrine  l'affirmation  de  la 
raison  et  de  la  liberté  unie  à  la  défense  de  la  certitude  des  sens,  on 
y  trouve  une  grande  idée  de  Dieu  et  la  démonstration  de  la  Pro- 
vidence, et  l'on  serait  tenté  de  se  croire  déjà  en  plein  Christianisme. 
Mais,  quand  des  principes  on  descend  aux  dernières  conséquences 
que  les  Stoïciens  ont  tirées  eux-mêmes,  on  n'y  voit  plus  que  la 
justification  de  tous  les  crimes  unie  à  la  prétention  de  la  plus  scru- 

accepte  pour  lui-môme  cette  même  doctrine  puisqu'il  dît  {Htst,  de  la 
phiL  p,  iOt);  «  Le  devoir,  c'est  la  liberté  se  prenant  elle-même  poui 
nn  »;  et  ailleurs  (p.  180):  «on  n'était  pas  encore  arrivé  à  considérer  la 
liberlé  conmie  étant  ellc-mônie  et  par  elle-même  une  fin  »  Enfin  (p.  208) 
il  condamne  St-Tliomas  en  ces  termes  :  «  Le  Dieu  de  St-Thomas  est 
plutôt  une  nature  parfaite,  (ju'une  volonté  (jui  se  rond  parfaite  libre- 
ment. » 


^j^ 


508  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

puleuse  vertu,  on  n'y  voit  plus  que  l'orgueil  de  Thomme,  qDiia- 
seulement  veut  s'égaler  à  Dieu  en  se  déclarant  indépendani  à» 
Lui,  mais  qui  môme  se  croit  supérieur  à  Dieu  sous  le  trèrfci 
prétexte  que  la  perfection  acquise  librement  est  supérieure  à  dk 
que  Dieu  possède  par  essence.  Enfin,  si,  à  travers  les  expressifs* 
magnifiques  de  science  et  de  vertu,  et  en  dehors  du  sens  des  is- 
teurs,  on  juge  la  nature  môme  de  leur  théorie  d'après  leurspropw 
données,  leur  dogmatisme  énergique  s'écroule  dans  le  scepticisK, 
faute  de  base  ;  car  leur  prétendue  raison  vient  des  sens  et  n'a p* 
plus  de  valeur  scientique  que  les  sensations,  que  rien  nepeatTés^- 
fier  ;  leur  liberté  n'est  plus  que  la  soumission  à  une  néc^itéaTS- 
gle  ;  leur  Dieu  n'est  plus  qu'une  force  mécanique  dont  les  monît- 
ments  sont  réglés  par  sa  construction  ;  leur  Providence,  qs^ 
défendaient  si  bien,  n'est  plus  que  l'exercice  nécessaire  de  c^ 
môme  force  mécanique  ;  et  leur  vertu,  si  sublime  d'abord,  De?: 
plus  qu'une  prétention  orgueilleuse  qui  consacre  tous  les  vices. 

Voilà  le  double  aspect  du  stoïcisme,  et  la  raison  pourlaqu^^ 
a  été  si  profondément  admiré,  par  les  uns,  et  si  énergiqaeœ®^ 
condamné,  par  les  autres. 

3"*   ÉPOQUE 

DÉGADESGE   DE   LA    PHILOSOPHIE   6RBGQDI 

186.  Caractère  et  division  de  cette  époque. —I^?^ 

deur  de  la  philosophie  grecque  ne  dura  guère  qu'un  siècle,  w* 
hommes  de  génie  qui,  tout  en  prenant  des  voies  opposées,  a^^^ 
enseigné  à  la  raison  à  se  connaître,  ne  trouvèrent  pas  des  sac»^ 
seurs  dignes  d'eux.  Dès  le  troisième  siècle  avant  J.  C.  on  ne  »' 
plus  que  des  efibrts  impuissants,  et  les  doctrines  nouvelles  qi"  I* 
raissent,  comme  les  philosophes  qui  essayent  encore  de  conii^ 
par  leurs  travaux  et  de  soutenir  par  leur  érudition  les  doctrines  "s 
grands  maîtres,  sont  bien  dégénérés  de  cet  éclat  dont  nous  «^^ 
vu  l^riller  Platon  et  Aristote,  et  n'atteignent  pas  même  à  la  ?"'•*'' 
sance  d'observation  et  d'induction  d'Epicure,  ni  à  la  force  ^^  '^ 
lonté  de  Zenon. 


GRECS.   —  NOUVELLE   ACADÉMIE  569 

Cependant  quelques  écoles  et  quelques  hommes  isolés  méritent 
d'être  mentionnés. 

Nous  diviserons  donc  l'histoire  de  cette  époque  de  décadence  en 
quatre  paragraphes  : 

1**  Nouvelle  Académie,  fondée  par  Arcésilas,  vers  280,  avantJ.C. 

2**  Les  philosophes  continuateurs,  du  !•'  au  V'  siècle  après  J.  C. 

3<*  Le  nouveau  scepticisme,  fondé  par  ^Enésidème,  au  1*'  siècle, 
aprôs  J.  C. 

4®  L'Ecole  d'Alexandrie,  fixée  parPlotin,  vers  250,  après  J.  C. 

Nous  rattachons  à  cette  dernière  école  le  Gnosticisme  et  la 
Kabbale. 

§.  1  -  HOUTILLI   ACiDÉlII. 

187.  Caractère  de  cette  école.  —  Pendant  que  Zenon  en- 
seignait avec  un  caractère  très-affirmatif ,  il  s'éleva  à  côté  de  lui 
une  école  nouvelle  qui  sembla  prendre  à  tâche  de  le  combattre  et 
de  combattre  en  môme  temps  toutes  les  écoles .  C'est  la  Nouvelle 
Académie  qui  à  la  vision  compréhensive  ou  cataleptique  de  Ze- 
non opposa  son  Acatalepsie,  Ce  mot  désigne  l'impossibilité  de 
distinguer  la  vision  compréhensive  de  celle  qui  ne  l'est  pas,  l'im- 
possibilité de  savoir  si  la  perception  est  ou  n'est  pas  conforme  à 
son  objet.  Les  nouveaux  académiciens  se  contentèrent  d'abord  de 
battre  en  brèche  toutes  les  théories  et  finirent  par  enseigner  que 
tout  ce  que  nous  savons  n'est  que  vraisemblance,  ou  môme  appa- 
rence, et  que  nous  ne  pouvons  rien  affirmer  sur  la  réalité  des  cho- 
ses. C^est  la  théorie  que  Kant  a  exprimée  plus  tard  en  disant  que 
«  nos  connaissances  sont  purement  subjectives.  » 

On  distingue  quelquefois  la  moyenne  et  la  nouvelle  Académie. 
La  moyenne,  avec  Arcésilas,  aurait  enseigné  que  la  sagesse  con- 
siste dans  le  doute,  et  la  nouvelle,  avec  Carnéade,  aurait  enseigné 
que  nous  ne  connaissons  que  la  vraisemblance  des  choses  et  que 
nos  jugements  ne  sont  que  probables.  Cette  distinction  ne  nous  pa- 
raît pas  assez  fondée. 

188.  Arcésilas.  —  Arcésilas  naquit  à  Pitane,  en  Eolie,  vera 
Tan  316.  Il  suivit  les  leçons  de  Théophraste,  de  Cranter,  de  Dio- 
dore  le  Mégarien  et  de  Pyrrhon,  et  étudia  les  livres  de  Platon,  Il 


570  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

eut  à  cœur  de  relever  TAcadémie,  tombée  alors  entre  des  m^ 
inhabiles,  mais  il  n'en  saisit  que  le  côté  négatif. 

Il  voulut,  comme  Socrate,  procéder  par  questions,  pourdéto 
tous  les- autres  systèmes,  et  il  exagéra  la  formule  de  Socraîaa 
disant  :  «  Je  ne  sais  pas  même  si  je  ne  sais  rien.  »  Mais  il  nef^t 
pas  prendre  cette  parole  avec  le  sens  qu'elle  pourrait  offrir  taiï 
seule. 

Les  choses,  selon  Zenon,  ne  nous  étant  connues  que  par  les^et 
sations,  il  est  impossible  de  vérifier  si  nos  perceptions  sont  ooaK^ 
mes  aux  choses,  et  la  vision  cataleptique  de  Zenon  manqae  ^ 
fondement.  Il  proclamait  donc  ïacatalepsie.  Il  voulait  direquM* 
cune  perception  n'est  certainement  cataleptique  ou  comî>péb« 
sive.  Mais  d'un  autre  côté  on  ne  peut  jamais  affirmer  que  la  t©* 
qui  paraît  conforme  à  l'objet  ne  le  soit  pas.  C'est  ainsi  qu'il* 
savait  pas  s'il  ne  savait  rien. 

Sa  théorie  n'affirme  donc  pas  absolument,  comme  iidéalisa^t 
que  nos  idées  sont  purement  subjectives  et  n'ont  point  dobp 
extérieurs,  mais  elle  dit  que  nos  idées  ne  viennent  pas  excba^^ 
ment  des  choses  présentes,  et  que  la  notion  que  nous  en  pw*"* 
peut  n'en  être  pas  la  reproduction . 

■^^énon  soutenait  que  le  sage  peut  dans  certains  cas  se  fierifiï 
représentations  de  son  intelligence,  Arcésilas  lui  opposait  le  réw, 
le  délire  et  surtout  la  diversité  des  opinions  humaines.  C'fstais^ 
que  Zenon  indiqua  comme  caractère  des  perceptions  yi^- 
<(  qu'elles  sont  produites  par  l'objet».  Mais  Arcésilas  dit  que  ce» 
règle  ne  servait  de  rien,  si  un  autre  objet  est  capable  de  pKwnii* 
la  même  perception.  Alors  Zenon  ajouta  ce  dernier  cara^îWr^* 
la  perception  vraie  :  «  qu'elle  se  montre  telle  qu'aucun  autre  obîff 
ne  saurait  la  produire.  »  Et  Arcésilas  accepta  ce  caractère  eomï^ 
suffisant,  se  réservant  d'en  rendre  la  vérification  impossible,  ^ 
ses  objections. 

Il  disait  donc  que  le  sage,  ne  pouvant  atteindre  avec  certita* 
le  vrai,  doit  se  contenter  de  la  vraisemblance  pour  se  coAduiî^' 
mais  qu'il  ne  doit  jamais  en  faire  le  fondement  de  la  science- 
paraît  par  quelques  textes  des  anciens  qu'il  aurait  admis  I^  ^^ 
rites  de  raison  où  la  réalité  objective  n'entre  pour  rien. 


ORECS.    —   NOUVELLE   ACADÉMIE  571 

189.  Carnéade.  —  Arcésilas  en  mourant,  en  241,  laissa  sa 
doctrine  à  Lacydes  de  Cjrône,  qui  la  professa  jusqu'en  215.  Il  eut 
pour  successeurs  Evandre  puis  Télècle  et  Hégésinus. 

Carnéade  né  à  Cyrône,  en  214,  ou  219  et  mort  en  131,  recueil- 
lit l'héritage  d* Arcésilas  des  mains  d'Hégésinus  et  le  fit  valoir 
contre  Chrjsippe.  Aux  théories  serrées  de  celui-ci,  il  opposait  les 
subtilités  du  raisonnement  et  surtout  du  sorite,  et  rendait  égale- 
ment vraisemblables  les  propositions  les  plus  contraires. 

Plusieurs  auteurs  anciens  ont  cru  que  le  doute  de  Carnéade  et 
d' Arcésilas  n'était  qu'une  préparation  à  leur  enseignement  secret, 
dans  lequel  ils  professaient  les  vraies  doctrines  de  Platon.  Mais- 
d'autres  affirment  le  contraife,et  en  nous  montrant,chez  Carnéade, 
la  théorie  dévelogpée  deVacatalepsie,  ils  ajoutent  qu'il  alla  jusqu'à 
nier  la  certitude  des  vérités  de  raison;  par  exemple:  que  deux 
quantités  égales  à  une  troisième  sont  égales  entre  elles. -Il  aurait^ 
donc  nié  la  possibilité  de  la  science  ;  mais  il  est  certain  qu'il 
admettait  la  vraisemblance ,  comme  guide  de  la  vie  pratique. 

190. Disciples  de  Garnéisde. —  Biogène  de  Bâbylone  n'est 
connu  dans  l'histoire  de  la  philosophie  qne  parce  qu'il  accompagna 
son  maître  Carnéade  et  Critolaûs  dans  l'ambassade  que  les  Athé- 
niens envoyèrent  à  Rome,  vers  Tan  155.  Il  essaya  d'ouvrir  une 
école  dans  cette  ville,  mais  Caton,  ayant  entendu  Carnéade  soute- 
nir successivement,  devant  la  jeunesse  romaine,  la  justice  et  l'in- 
justice, et  se  faire  applaudir  dans  les  deux  cas,  conseilla  de  ren- 
voyer au  plus  vite  ce  sophiste  avec  ses  compagnons.  On  cite  encore 
Métrodore  de  Stratonice,  qui  avait  laissé  la  doctrine  d'Epicure 
pour  suivie  Carnéade,  Clttomaque  de  Carthage,  dont  le  vrai  nom 
était  Asdrubal,  qui  succéda  à  Carnéade.  11  avait  écrit,  dit-on,  400 
volumes.  Son  disciple  Philon  de  Larisse,  florissait  vers  l'an  90  ; 
il  enseigna  à  Rome,  où  il  eut  pour  auditeur  Cicéron.  Son  doute 
était  sincère  et  répugnait,  paraît-il,  à  son  cœur  ;  car  il  désirait  qu'on 
lui  démontrât  la  certitude. 

Antiociius  d'Ascalon,  lui  succéda  peu  de  temps  après,  il  ensei- 
gna à  Athènes,  à  Alexandrie  et  à  Rome  où  Cicéron  fut  son  disciple 
et  .«on  ami.  Nous  n'avons  rien  de  lui,  mais  ses  doctrines  sont  sou- 
vent citées  par  les  auteurs  coutemporains.  Il  semMe  avoir  voulu 


572  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

concilier  le   stoïcisme  avec  les  doctrines  de  Platon  et    d'Àm- 
tote. 

8  a.~  GONTINUATHN    DIB    6&&11  DIS  ICOLIS 

191 .  Nous  arrivons  au  premier  siècle  après  Jésus-Christ.  U 
Grèce,  qui  depuis  longtemps  (146)  est  province  romaine,  a  pcrfe 
avec  la  liberté,  cet  amour  de  la  gloire,  qui  jusque-là  lui  avait  éasè 
la  primauté  sur  tous  les  autres  peuples,  dans  tous  les  genres  è 
de  mérite.  Les  écoles  de  philosophie  ne  sont  pas  éteintes,  tdmîs  <% 
y  voit  plutôt  des  rhéteurs,  des  compilateurs,  que  des  penseurs  <Sr 
ginaux. 

Cependant  au  milieu  de  cette  multitude  d'hommes  médiocnt. 
dont  les  noms  nous  sont  parvenus,  on  trouve  quelques  vrais  phï^ 
sophes,  qu'il  faut  mentionner,  non  paa  à  raison  de  l'originalité  di 
leurs  doctrines,  mais  h  raison  de  l'importance  de  leurs  tra- 
vaux. 

192.  Plutarque.  —  Au  premier  rang  de  ces  auteurs,  se  troon 
Plutarque,  né  à  Chéronée,  en  Béotiq,  vers  le  milieu  du  I*'  siècfe 
après  J.  C.  Ses  Vies  parallèles  des  grands  capitaines  de  rantiq:iit< 
et  ses  Œuvres  philosophiques  et  morales  sont  connues  de  tout  i* 
monde.  On  trouve  dans  ces  dernières  des  conseils  excellents,  (fe 
appréciations  fort  justes,  le  plus  souvent  sous  la  forme  du  dialogue, 
dans  un  style  attrayant,  semé  d'anecdotes  et  de  oomparaisos^ 
pleines  d*à-propos. 

La  doctrine  de  Plutarque  relève  de  Platon  plus  que  de  touteaa- 
tre,  mais  il  en  rejette  les  excès;  il  se  sert  aussi  d'Aristote,  quoiqu'il 
Testime  moins.  Il  prend  de  même  chezles  épicuriens  et  chez  les  stoici<?Q* 
ce  qui  lui  semble  bon,  et  combat  les  uns  et  les  autres  dans  lenP 
exagérations.  L'esprit  de  sa  doctrine  morale  est  tout  entier  (to 
cette  phrase  :  «  Un  homme  qui  craint  de  s'enivrer  ne  jette  pas  s» 
vin,  il  le  tempère.  Ainsi,  pour  prévenir  le  trouble  des  passions,!»' 
ne  faut  pas  les  détruire  mais  les  modérer.  » 

103.  Apollonius  de  Tjane.  —  On  a  coutume  de  citer  parioi 
les  philosophes  de  cette  époque  Apollonius  de  Tyane,  en  Cappa* 
doce.  On  devrait  plutôt  le  classer  parmi  les  magiciens  ou  les  illo* 
minés.  Il  naquît  sous  le  règne  de  Tibère,  au  commencement  du  1'' 


GRB:CS.    —   CONTINUATION   DES    GRANDES   ÉCOLES    573 

siècle.  Instruit  dès  sa  jeunesse  des  leçons  de  Pjthagore,  il  résolut 
de  s'y  conformer  rigoureusement.  Il  s'abstenait  de  viande  et  de 
vin,  marchait  nu-pieds,  couchait  sur  la  dure,  laissait  croître  ses 
cheveux.  Après  un  silence  de  cinq  ans,  il  voyagea  en  Asie,  jusque 
dansTInde,  en  Egypte,  en  Ethiopie,  en  Grèce  et  en  Italie,  pour  s'ins- 
truire des  traditions  et  des  mystères.  A  son  retour  il  se  signala 
par  de  nombreux  prodiges  et  fut  honorcT  comme  un  dieu.  Sa  mort 
resta  complètement  inconnue. 

Philostrate  a  écrit  sa  vie  et  s'est  plus  attaché  aux  actes  mer- 
veilleux qu'aux  doctrines  philosophiques  de  cet  homme  que  les  * 
derniers  défenseurs  du  paganisme  opposèrent  plus  d'une  fois  à 
Jésus-Christ,   pour  infirmer  la  conclusion  tirée  par  les  chrétiens, 
des  miracles  de  THomme-Dieu . 

Quelques  historiens  ou  philosophes  modernes  ont  essayé  de 
découvrir  un  système  philosophique  dans  ses  doctrines,  une  sorte 
de  préparation  à  l'Eclectisme  Alexandrin.  Nous  n'y  voyons 
qu'une  doctrine  morale  semblable  à  celle  de  tous  les  législateurs 
de  l'Asie:  Zoroastre,  Manou,  Confucius,  et  s'il  y  a  chez  Apollo- 
nius une  doctrine  métaphysique,  c'est  encore  celle  des  mômes 
philosophes. 

194.  Dion  Chrysosfome.  —  A  la  môme  époque  vivait  Dion, 
surnommé  Chrysostome  (bouche  d'or)  à  cause  de  son  éloquence. 
Né  à  Pruse,  en  Bithynie,  il  fut  d'abord  rhéteur  et  sophiste,  puis 
rigide  stoïcien,  portant  môme  sur  ses  épaules  une  peau  de  lion, 
comme  les  disciples  d'Antisthône.  Il  nous  reste  de  lui  80  discours, 
où  l'on  peut  puiser  des  renseignements  utiles. 

195.  Lucien.  —  L'auteur  si  connu  des  Dialogues  des  Morts^ 
Lucien,  naquit  à  Samosate,  en  Assyrie,  vers  l'an  120  de  J.-C. 
D'abord  apprenti  sculpteur,  il  devint  philosophe,  parce  que  son 
maître  l'avait"  battu  pour  avoir  cassé  unetabledemarbre.il 
écrivit  d'abord  un  assez  grand  nombre  de  petits  sujets  de  rhéto- 
rique, où  déjà  son  esprit  railleur  se  montre  avec  la  facilité  de 
son  style  ;  et  il  les  récita  en  public  à  Antioche,  en  Grèce,  en 
Italie  et  en  Gaule  ;  mais  il  est  surtout  intéressant  dans  ses  dialo- 
gues, où  il  attaque  sans  ménagements,  par  l'arme  du  ridicule, 
tous  les  défauts,  les  vices  et  les  travers  des  philosophes.  Il  s'en 


574  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

prend  également  à  toutes  les  sectes  et  ne  s'appuie  guère  que  sur  le 
bon  sens.  Il  discréditait  ainsi  tout  à  la  fois  le  paganisme  et  h 
philosophie  antique,et  préparait  les  voies  à  la  religion  chrétienner 
qu'il  ne  connaissait  pas. 

196.  Mentionnons  encore  son  contemporain  Maxime  de  Tyr, 
dont  les  41  dissertations  renferment  de  nombreux  renseignements, 
et  chez  qui  l'on  aperçoit  déjà  une  tendance  au  Néoplatonisme.  Pour 
lui  le  démon  de  Socrate  est  un  des  dieux  inférieurs  qui  dirigent  le 
monde  par  Tordre  de  Dieu.  Alexandre  d'  Aphrodise,  ainsi 
nommé  de  sa  ville  natale,  Aphrodisias,  en  Carie,  vivait  à  la  fin  du 
2*  siècle.  Il  est  célèbre  par  ses  commentaires  d'Aristote,  et  précieux 
par  ses  renseignements  sur  Thistoire  de  la  philosophie.  Mais  le  plus 
important  parmi  ces  compilateurs,  c'est  Diogène  L aerce,  qui  nooB 
a  conservé,dans  ses  Vies,  doctrines  et  sentences  des  philosophes 
illustres,  les  catalogues  de  presque  tous  leurs  ouvrages  et  souvent 
les  seuls  documents  qui  nous  restent  sur  leurs  doctrines .  Il  était 
surnommé  iMertiuSy  probablement  parce  qu'il  était  de  Laérte,  en 
Cilicie.  Ou  ioiiore  entièrement  l'époque  de  sa  vie,  que  les  historiens 
ont  placée  depuis  le  siècle  d'Auguste  jusqu'au  IV*  siècle  après  J.  C. 
Mais  il  est  très-probable  qu'il  vécut  à  la  fin  du  IP. 

197.  Oalien.  —  Médecin,  historien  et  philosophe,  Galien,  qui 
jouit  au  moyen-âge  d'un  autorité  presque  égale  à  celle  d'Aristote, 
mérite  une  mention  spéciale.  Né  Tan  131  de  notre  ère,  à  Pergame 
en  Asie,  il  fut  instruit  dans  toutes  les  sciences  de  son  temps,  parsoa 
père  Nicon,  qui  était  un  architecte  distingué.  Il  fréquenta  enm^nw 
temps  toutes  les  écoles  de  philosophie  et,  après  avoir  embrassé  la 
médecine,  il  vint  à  Rome,  en  l'an  164,  et  y  demeura  probablement 
le  reste  de  sa  vie,  jusqu'à  un  âge  très-avancé. 

La  plus  grande  partie  de  ses  ouvrages  est  perdue  ;  mais  ce  qa'il 
en  reste  suffît  pour  lui  mériter  une  place  distinguée  dans  Thistoire 
de  la  médecine,  des  sciences  naturelles  et  même  de  la  philosophie. 

En  métaphysique,  il  insiste  sur  la  nécessité  d'admettre  une  cause 
efficiente  et  une  cause  finale  de  la  Nature,  et  par  suite  il  admet  no 
Dieu  intelligent,  tout-puissant,  infiniment  sage  et  Créateur  du 
monde^  et  s'élève  avec  force  contre  ceux  qui  a  croient  que  tout  >e 
fait  sans  Providence.  »  Cependant  le  mot  Création  n*a  pas  pour 


GUECS.  —  CONTINUATION   DES    GRANDES    ÉCOLES   575 

lui  le  môme  sens  que  pour  nous.  Il  croit  la  matière  éternelle  et 
déclare  n'être  pas  de  l'avis  de  Moïse,  sur  Tôtendue  de  la  puissance 
ie  Dieu  dans  Tarrangement  de  la  matière.  Il  dit  très-bien  que 
a  Dieu  ne  fait  que  ce  qui  est  possible  )),  mais  il  étend  trop  Timpos- 
Bîbilité . 

Relativement  h  l'âme,  il  flotte  entre  Aristote  et  Platon,  accepte 
la  définition  du  premier  et  les  divisions,  du  second,  et  finit  cepen- 
dant par  concevoir  Tâme  comme  quelque  chose  de  matériel,  et  par 
suite  n'en  admet  pas  l'immortalité. 

En  morale,  il  prend  pour  point  de  départ  la  doctrine  de  Platon, 
ridée  du  bien,  ainsi  que  la  division  des  vertus  que  nous  appelons 
cardinales  ;  mais  il  insiste  sur  cette  théorie  que  tous  les  penchants 
de  rame,  même  de  Pâme  rationnelle,  dépendent  du  tempérament. 
Du  reste  il  croit  que  l'exercice  peut  niodifier  les  dispositions  natu- 
relles, et  ne  rejette  pas  les  influences  mystiques. 

Mais  si  la  partie  théorique  de  ses  ouvrages  n'offre  rien  de  bien 
neuf  ni  de  bien  solide,  la  partie  historique  est  une  mine  précieuse 
pour  la  connaissance  des  doctrines  antérieures,  surtout  pour  l'his- 
toire du  Stoïcisme. 

198.  Ptolémée.  — Le  célèbre  astronome  d'Alexandrie,  Claude 
Ptolémée,  né  vers  l'an  110,  n'est  pas  moins  remarquable  comme 
philosophe.  Ne  pouvant  lui  consacrer  tout  l'espace  que  mériterait 
sa  doctrine  philosophique,  nous  renvoyons  à  l'excellent  article  de 
M.  Th.  H.  Martin,  dans  le  Dictionnaire  de  M.  Franck,  où  nous 
puisons  ce  que  nous  allons  en  dire.  Sur  les  bases  de  la  science  et 
sur  les  facultés  de  l'âme,  aucune  théorie  ancienne  ne  nous  paraît 
plus  rapprochée  de  la  théorie  classique  actuelle. 

L'élément  principal  de  la  pensée  scientifique,  c'est  le  jugement. 
Dans  le  jugement,  Ptolémée  distingue:  l'intellect^  qui  juge;  les 
sens,  qui  lui  servent  d'instrument  ;  le  raisonnement,  qui  est  la 
loi  du  jugement  ;  les  faits  sensibles ,  qui  en  sont  la  matière  ;  la 
connaissance  de  la  vérité,  qui  en  est  le  but.  Mais  tout  dépend  de 
la  sensation  et  de  l'intellect.  La  sensation  atteint  immédiatement 
et  sûrement  les  phénomènes  sensibles  actuels,  mais  non  les  objets 
eux-mêmes  ni  leurs  qualités  permanentes.  La  sensation  ne  nous 
trompe  que  quand  nous  lui  demandons  ce  qu'elle  ne  peut  pas  nous 


576  HISTOIRE   DE  LA    PHILOSOPHIE 

donner.  Elle  transmet  à  rintellcct  qui  ne  peut  rien  sans  elle^  ia 
notion  des  phénomènes;  mais  la  mdmoh^e  et  V imagination  peu- 
vent tenir  lieu  de  sensation  présente.  C'est  par  là  que  Vtntellect 
juge  des  sensations  diverses  d'un  môme  objet,  selon  le  temps  et 
Torgane,  et  par  suite  des  objets  eux-mêmes  et  de  leurs  qualité» 
persistantes.  Il  recueille  et  examine  les  témoignages  divers  d€« 
sens,  les  compare  et  les  juge.  L'intellect  a  en  outre  son  objet  propre: 
les  notions  universelles ^  qu'il  atteint  immédiatement  et  avec  certi- 
tude, mais  toujours  à  propos  de  la  sensation  présente  ou  passée. 

Les  bêtes  n'ont  que  les  sensations,  la  mémoire  et  TimaginatioD. 
L'homme  seul  a  de  plus  la  raison  (Xoyo;),  qui  développe  et  discerne 
ce  qui  était  caché  dans  la  mémoire.  Si  le  langage  intérieur  de 
Tâme  procède  sans  méthode,  ni  raisonnement,  l'intellect  n'arrive 
qu'à  Vopinion  (SéÇa)  ou  à  la  conjecture  (sixaT^a).  Mais  s'il  pro- 
cède avec  art,  par  des  distinctions  et  des  comparaisons  métiiodi- 
ques,  fondées  sur  les  différences  et  les  ressemblances  des  objets,  U 
arrive  à  la  science  (eTriTnrjjXTi)  à  la  compréhension  {xaxi'hi'^). 
Par  Yinduction,  il  s'élève  de  choses  particulières  aux  espèces  et 
aux  genres;  par  la  dédiiction,  il  redescend  des  genres  et  des  esp^ 
ces  aux  choses  particulières. 

C'est  donc  dans  l'intellect  qu'est  le  critérium  de  la  sensation. 
Celle-ci  n'atteint  que  les  accidents  fugitifs  ;  l'intellect  atteint  les 
idées  et  les  causes.  La  sensation  ne  donne  que  des  à  peu  prés  : 
l'intellect  atteint  V exactitude.  Ainsi  les  sens  nous  donnent  la  no- 
tion de  la  circularité  imparfaite  ;  l'intellect  en  tire  la  notion  do 
cercle  parfait. 

Ptolémée  est  moins  exact  sur  la  notion  de  l'âme  qu'U  déclare 
invisible,  insaisissable  aux  sens,  mais  divisible  et  composée  d'air 
de  feu  et  d'ôther.  Mais,  môme  sur  ce  point,  il  est  intéressant  à  éto- 
dier,  au  point  de  vue  de  la  méthode. 

Il  ne  l'est  pas  moins  en  logique  et  en  métaphysique  où  il  repro- 
duit et  développe  Aristote. 


199,  Enfin  à  cette  liste  des  philosophes  Grecs  des  premiers  si^ 
oies  de  notre  ère,  ^joutons  encore  Philostratb  l'Athénibn  et  son 
ouvrage,  Vies  des  sophistes,  qui  nous  fait  connaître  les  philoao- 


GRECS.  —  NOUVEAUX   SCEPTIQUES  577 

phes  de  cette  époque;  maïs  il  manque  de  critique  C'est  lui  qui  a 
écrit  la  vie  d'Apollonius  de  Tyane.  Son  ouvrage  a  dû  ôtre  achevé 
Tan  217.  Eunape,  de  Sardes,  en  Lydie,  vivait  dans  le  4*  siècle. 
Outre  ses  Annales,  politiques^  il  a  écrit  les  Vies  des  sophistes  et 
des  philosophes  de  son  temps.  C'est  un  ardent  défenseur  du  paga- 
nisme. Stobèe  (eÏEAN)  de  Stobi,  en  Macédoine  a  du  naître  vers  430. 
Son  Recueil  d'extraits  choisis^  sentences  et  préceptes  nous  fait 
connaître  plus  de  cinq  cents  auteurs,  dont,  pour .  la  plupart,  les 
Qîavres  sont  perdues . 

g.!*-    H9UYIA0X    SCIPTiaCES. 

200.  —  Dans  le  premier  siècle  de  Tore  chrétienne,  à  la  suite  de 
la  Nouvelle  Académie,  dont  nous  avons  constaté  l'indécision,  le 
scepticisme  prit  iftie  forme  nouvelle  et  fit  école  plus  qu'aucune 
autre  doctrine  à  cette  époque  ;  c'est  pourquoi  nous  n'avons  pas 
voulu  séparer  les  auteurs  qui  prirent  part  &  ce  mouvement.  C'est 
d'ailleurs  le  dernier  effort  de  la  philosophie  pure,  en  Grèce,  et  le 
spectacle  de  cette  chute  profonde  a  de  quoi  donner  à  réfléchir  à 
ceux  qui  veulent  philosopher  sans  règle  et  sans  guide.  Ceci  encore 
était  pour  nous  un  motif  de  traiter  à  part  le  scepticisme  empi- 
riqtie  ou  nouveau  scepticisme» 

201.  JEnésidème.  —  Le  premier  d'entre  ces  nouveaux  scepti- 
ques, iEnésidôme,  naquit  à  Gnosse  en  Crète,  probablement  au 
commencement  du  l*""  siècle  de  notre  ère,  et  fonda  son  école  à 
Alexandrie.  Il  écrivit  de  nombreux  ouvragjs,  mais  aucun  ne  nous 
est  parvenu,  si  ce  n'est  nn  extrait  des  Discours  Pyrrhoniens 
(riuppwv'cov  Xévot)  qui  se  trouve  dans  la  Bibliothêqne  de 
Photius. 

^nésidômese  place,  ou  prêt  "înd  se  placer,  exactement  dans  le 
doute  pyrrhonien,  qui  diffère  de  celui  des  sophistes  et  de  celui  de 
la  Nouvelle  Académie.  H  ne  nie  rien  :  il  doute. 

Mais  allant  au-delà  de  Pyrrhon  dans  son  argumentation,  i^ 
^saye  de  faire  du  scepticisme  un  système  régulier  et  parfaitement 
logique. 

Pour  cela  il  attaque  soit  la  légitimité  des  affirmations  de  la  rai. 

37 


^  I 


578  HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIE 

son  en  général,  soit  le  principe  de  causalité.  En  cela  il  est  plus 
hsjdi  que  tous  ses  devanciers,  et  Ton  peut  dire  avec  M.  Ëm.  Saissei, 
qu'il  laisse  peu  à  faire  a  Kant  et  à  Hume,  qui  Tont  suivi,  celui-là 
dans  sa  critique  de  la  raison,  celui-ci  dans  sa  critique  du  principe 
de  causalité.  3extus  Empiricus  nous  a  conservé  les  argament^ 
d'^nesidôme  contre  le  rapport  de  cause  &  effet  :  nous  en  parlerons 
en  traitant  de  cet  auteur. 

202.  Agrippa.  —  A  la  suite  d'^nésidème,  on  trouve  dans  le 
môme  doute  Agrippa,  dont  Tépoque  n'est  pas  plus  certaine.  Il  a 
dû  vivre  dans  la  deuxième  moitié  du  1*'  siècle.  Nous  ne  connais* 
sons  de  lui  que  ses  cinq  motifs  de  doute ,  que  nous  avons  déjà 
énumérés,  page  153.  Les  voici  avec  la  manière  dont  ils  sont  com- 
mentés par  M.  Em.  Saisset  {Dict.  de  M.  Franck). 

Le  dogmatique  rencontre  cinq  difficultés  insolubles. 

1<*  Lacontradiction  (Tpiico;  ànb  8iaf  o>y{a;]     * 

2^"  Le  progrès  à  Finûni  (Tp^o;  eU  aneipov  ex6aX)iùv) 

3*» La  relativité  (Tpiiroc  œnh  tou  itpi;  ti); 

4*» L'hypothèse  (Tpiiwc  uitoôenxic); 

5^  Le  cercle  vicieux  (xp&KO^  iiiWrîko^) 

C'est-à-dire  que  :  1^,  dès  qu'un  dogmatique  pose  un  principe,  oa 
peut  lui  opposer  que  tous  ne  Tadmettent  pas,  et  s'il  se  borne  à 
l'affirmer,  il  n'échappe  pas  &  l'argument  de  la  contradiction.  Si, 
2o,  il  invoque  un  principe  plus  général,  on  fera  la  môme  objection, 
et  s'il  en  pose  un  autre  plus  général  encore,  on  le  poussera  indéfi' 
mment,  3°  Il  dira  qu'il  a  atteint  un  principe  premier,  un  princi- 
pe évident.  Alors  on  objectera  que  cette  évidence  n'est  peut-être 
que  relative.  Si,  4<>,  il  renonce  à  prouver,  son  principe  restera  no* 
hypothèse.  Si  enfin,  &*,  il  essaye  une  démonstration,  il  ne  poorn 
l'appuyer  que  sur  un  principe  qui  lui-même  a  besoin  de  démonstri' 
tion  ;  et  le  voilà  dans  le  cercle  vicieux. 

On  voit  qu'il  y  a  dans  les  arguments  d'Agrippa  bien  plus  de 
pénétration  et  de  vigueur  d'intelligence  que  dans  les  dix  motifs 
de  doute  de  Pyrrhon,  que  nous  avons  pu  résumer  exactement  «a 
deux  (page  153),  et  dont  on  peut  voir  le  détail  page  554, 

Cependant,  non  content  de  la  brièveté  et  de  la  solidité  apparente 
de  cette  argumentation,  Agrippa  voulut  encore  la  resserrer.  H 
ramena  donc  tout  le  scepticisme  A  ce  dilemme  : 


GRECS. —  NOUVEAUX   SCEPTIQUES  579 

Par  soî-môme  ou  par  autre  chose  (è^  sairrou  f[  èÇ  éripou). 

Intelligible  par  soi,  c'est  impossible,  à  raison  des  contradictions 
des  jugements,  de  la  relativité  de  nos  conceptions,  du  caractère 
hypothétique  de  to^t  ce  qui  n^est  pas  prouvé. 

Intelligible  par  autre  chose,  c'est  absurde,  si  rien  n*est  intelligi- 
ble par  soi.  Ce  serait  un  cercle  vicieux  ou  un  progrès  &  Tin- 
fini. 

fit  TDaintenant  nous  reconnaissons  sans  peine,  avec  M.  Em.  Saisset, 
que  c  simplifier  ainsi  les  questions.  c*est  prouver  qu'on  est  capable  de 
les  approfondir  i  ;  mais  nous  n'ajouterons  pas  avec  lui  c  c'est  bien  mé- 
riter de  la  philosophie  i.  C'est  la  détruire  dirons-nous  plutôt. 

On  peut  répondre  à  Aggrippa  :  Comment  savez- vous  qu'il  n'y  a 
pas  de  milieu  entre  les  deux  termes  de  votre  dilemme?  que  faire 
un  cercle  vicieux  est  une  chose  absurde?  que  le  progrès  à  l'infini 
est  impossible,  ou  qu'il  ne  peut  pas  servir  de  fondement  à  un 
principe,  sinon  parce  que  certaines  vérités  sont  connues  paf  elles- 
mêmes? 

Ainsi  le  scepticisme  est  condamné  à  se  détruire  lui-môme  dès 
qu'il  vent  raisonner.  La  profondeur  et  la  netteté  ne  lui  servent  de 
rien;  au  contraire:  mieux  il  se  formule,  plus  ouvertement  il  prête 
le  flanc  aux  coups  qui  doivent  l'abattre.  Et  s'il  prétend  triompher 
encore  de  ce  doute  que  nous  jetons  sur  ses  propres  moyens  de  dé- 
fense, il  sera  du  moins  obligé  de  se  renfermer  dans  sou  doute  et  de 
se  taire. 


À  cette  école  appartient  aussi  Antiochus  db  Laodicéb  et  son 
disciple  Ménodote  de  Nicomédie,  puis  le  disciple  de  celui-ci,  HA- 
RODOTB  DE  Tarsb,  qui  fut  le  maître  de  Sextus  Empiricus.  C'est 
tout  ce  que  Ton  sait  d'eux. 

203.  Sextus  Empirious.  —  On  ignore  le  lieu  et  la  date  de  la 
naissance  de  Sextus,  surnommé  Vempiriqxîe,  de  ce  qu^il  faisait 
partie  de  la  secte  des  médecins  appelés  empiriques^  parce  qu'ils 
ne  s'appuyaient  que  sur  l'expérience,  ne  voulant  pas  comme  les 
méthodiques  rechercher  les  causes  des  maladies.  Il  vivait  ft  Tarse 
au  commencement  du  nî*  siècle. 


580  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

Il  avait  écrit  des  Mémoires  empMques  sur  la  médecine,  des 
Mémoires  sceptiques,  des  Questions  p7/rrhoniennes  et  un  Traité 
sur  rârne.  Il  ne  nous  reste  de  lui  que  les  Ilypoti/poses  pi/rrh')- 
iiiennes  et  son  traiié  Contre  les  mathématiciens. 

Le  second  n'est  guère  que  le  développement  du  premier.  L'on  et 
l'autre  sont  le  résumé  du  scepticisme.  Ils  sont  précieux  pour  les 
renseignements  qu'ils  fournissent  sur  les  pyrrhoniens,  les  stoïcien? 
et  les  nouveaux  académiciens.  Soxtus  cite  aussi  beaucoup  de  phi- 
losophes des  autres  écoles,  mais  il  paraît  les  connaître  peu,  et  ne 
tient  pas  compte  de  leur  époque. 

Sextus  établit  très-nettement  la  place  qu'occupent  les  sceptiqoes 
dans  la  philosopliie.  11  distingue:  les  dogmatiques,  qui  affirment 
connaître  la  vérité  ;  les  académiciens,  qui  nient  la  possibilité  de 
Tatteindre;  les   sceptiques,  qui   n'a/Iirment  ni  ne  nieat  rien  à  ce 
sujet.   Le   scepticisme,  dit-il,  oppose  le  sensible  h  l'intelligible,  et 
conclut     d'abord    à    la    suspension     du    jugement      i^'^w-ynf,  ♦ 
puis  à  l'absence  des  passions    (aTaoaçia) .    Le   sceptique  ne   dog- 
matise pas,   mais  il  dit  :  j'ai  froid  ;  j'ai  chaud.  Il  ne  nie  pas  les 
phénomènes  ;  il  admet  tout  ce  qui  a/Tecto  les  sens  et  TimaginatioD; 
mais  il  n'admet  rien  do  plus.  Il  dit:  Le  miel  me    paraît  doux, 
mais  il  ne  dit  pas  le  miel  est  doux.  Le  phénomène  est  le  critérium 
du  sceptique, pour  la  vie  pratique;  et  le  sceptique,  par  ce  critérium, 
observe  les  lois  de  la  nature,  suit  les  coutumes,  et  pratique  les  arts 
selon  les  apparences   connues. 

Sextus  reproduit  les  dix  tropes  ou  motifs  de  doute  de  P^Trhon, 
les  cinq  tropes  d'Agrippa,  avec  le  dilemme  que  nous  svons  fait 
connaître.  Il  développe  ces  arguments  d'une  manière  ingénieuse  et 
parfois  subtile  et  sophistique. 

Il  donne  aussi  les  arguments  d'^Enésidème  contre  le  principe  de 
causalité,  ou  plutôt  contre  les  applications  de  ce  principe.  Ces  a^ 
guments  8:>nt  au  nombre  de  huit. 

1*  Ce  qu'on  donne  pour  cause  est  une  chose  obscure,  que  ne  con- 
lirment  pas  les  apparences. 

2^  On  choisit  arbitrairement  une  cause  entre  plusieurs  qui  poa^ 
raient  expliquer  le  fait. 

3^  Ce  qu'on  donne  pour  cause  ne  rend  pas  compte  de  Tordre  des 
-çhénomènes. 


GRECS  —  NOUVEAUX  SCEPTIQUES  581 

4^^  On  veut  expliquer  ce  qui  n'apparaît  point  aux  sens  comme  ce 
qui  7  apparaît. 

5*  On  rend  raison  des  choses  par  des  hypothèses. 

6**  On  n'admet  que  les  faits  qui  confirment  les  hypothèses. 

7^  On  admet  des  causes  qui  contredisent  les  faits  et  môme  les 
hypothèses  admises. 

8^  On  rend  raison  d'un  phénomène  par  un  autre  qui  n*a  pas 
moins  besoin  d'ôtre  expliqué. 

Après  léS  arguments  généraux  en  faveur  du  scepticisme,  Sextus 
passe  aux  arguments  directs  contre  chacune  des  écoles  dogmatiques 
et  contre  leurs  principales  affirmations.  Nous  ne  pourrions  pas  le 
suivre  dans  les  détails  de  sa  critique  :  on  pourra  les  lire  dans  Tar- 
ticle  Sextus  du  Dictionnaire  de  M.  Franck,  rédigé  par  M.  Em. 
Saisset. 

Disons  seulement  qu'après  avoir  essayé  de  ruiner  tous  les  crité- 
riums de  certitude  donnés  par  les  différentes  écoles,  et  montré, 
selon  lui,  qu'en  toute  hypothèse  la  vérité  ne  peut  exister,  et  que 
d'ailleurs  les  signes  ne  sauraient  la  représenter,  il  s'en  prend  aux 
données  de  la  physique  et  de  la  métaphysique.  Il  déclare  que  «  les 
sceptiques,  fidôles  aux  croyances  de  la  vie  commune,  reconnais- 
sent les  dieux  et  les  honorent,  »  mais  que  spéculât! vement  ils  dou- 
tent aussi  bien  des  attributs  de  Dieu  que  de  tout  le  reste,  et  il 
apporte  de  nombreuses  raisons  de  leur  doute.  Il  donne  ensuite  de 
nouveaux  arguments  contre  l'existence  des  causes.  Et  ici  nous 
remarquerons  que  ses  arguments  ne  tendent  pas  seulement  à  établir 
l'impossibilité  de  connaître  les  causes,  mais  bien  à  démontrer  que 
rien  ne  peut  avoir  une  cause.  Il  essaye  de  détruire  de  la  môme 
manière  toutes  les  notions  des  anciens  sur  la  matière  et  sur  les 
corps,  sur  le  temps,  l'espace  et  le  mouvement.  D'où  il  conclut  que 
la  science  physique  est  impossible.  Enûn  il  essaye  de  ruiner  de 
môme  la  science  de  la  morale  en  établissant  Tirapossibilité  de  déter- 
miner le  souverain  bien  et  l'art  de  bien  vivre.  Cependant  il  a  soin 
de  rappeler  que  son  doute  ne  porte  que  sur  la  science  théorique  et 
non  sur  l'observation  des  lois  morales. 

En  somme,  les  écrits  de  Sextus  sont  le  mémorial  complet  du 
scepticisme  ;  mais  presque  rien  n'appartient  &  Sextus  dans  les 


582  HI8T0IRB  DE  LÀ   PHILOSOPHIE 

argamentfl  qu*il  donne,  et  il  manque  d*ordre  et  de  crltiqae  dans  la 
partie  historique  qui  n*en  reste  pas  moins  précieuse. 

Nous  ne  prendrons  pas  la  peine  de  réfuter  son  scepticisme:  cot 
une  t&che  que  nous  avons  remplie  d^avance,  et  plusieurs  fois. 
Ajoutons  seulement  qu*aprôs  avoir  déclaré  formellement  qu*U  m 
veut  rien  affirmer  ni  rien  nier,  en  dehors  des  phénomènes»  il  argu- 
mente de  manière  &  nier  absolument  toute  existence  ou  au  moins 
toute  cause,  vérifiant  ainsi  une  fois  de  plus  cette  parole  célèbre  : 
«  On  ne  fait  pas  au  scepticisme  sa  part.  » 

S  4.  -  ICail  B'iLIXANDRII. 

204.  Caractère  de  cette  école.  —  Nous  touchons  au  terma 
de  la  philosophie  grecque.  Les  grandes  écoles  qui  s'étaient  affir- 
mées si  catégoriquement  en  des  sens  opposés  ne  sont  presque  plos 
représentées  et  luttent  en  vain  pour  résister  au  fiot  montant  da 
scepticisme  qui  tend  à  les  envahir.  D*ailleurs  les  quelques  hommes 
qui  auraient  pu  les  soutenir  encore  sont  entrés  dans  la  voie  de 
Férudition  et  par  là  dans  celle  des  concessions  mutuelles,  et  eoflo, 
du  syncrétisme,  qui  accepte  et  mêle  toutes  les  données.  La  fusion 
des  systèmes  s^opère  et  les  esprits  sont  disposés  à  recevoir  dm 
théorie  qui  essayera  de  les  concilier  en  prenant  chez  tous  ce  qui  lai 
paraîtra  bon  :  ce  sera  V éclectisme.  D'un  autre  cr^té,  la  raison,  po^^ 
suivie  jusque  dans  ses  derniers  retranchements  et  presque  convain- 
cue d'impuissance  à  atteindre  la  vérité,  se  révolte  contre  cette 
condition  qui  lui  est  faite  et  cherche  un  nouveau  point  d*appai 
dans  l'inspiration  :  ce  sera  le  mysticisme. 

L'Ecole  d'Alexandrie  répond  à  cette  double  tendance.  Elle  met 
Platon  en  première  ligne,  mais  elle  y  joint  souvent  les  autres  théo- 
ries grecques  et  surtout  les  doctrines  de  TOrient;  elle  «appuie 
sur  l'extase,  c'est-a-dire  la  communication  avec  la  divinité,  pouf 
obtenir  le  vrai,  que  la  raison  semble  lui  refuser.  Cette  demi^™ 
tendance  pourrait  bien  aussi  avoir  pour  cause  cette  recrudescent* 
d'esprit  religieux  que  le  Christianisme  a  provoqué  chez  les  défen- 
seurs eux-m(>mes  du  paganisme,  en  les  attaquant  au  tiom  de  1« 
religion  seule  d'abord,  c'est-à-dire  au  nom  d'une  doctrine  révélée. 

L'Ecole  d'Alexandrie  porte  donc  plusieurs  noms.  Elle  s'appeW* 


ORBCS  —    ÉCOLE  D'ALEXANDRIE  583 

kussi  le  Néoplatonisme,  rÉclectisme  alexandrin»  le  Mysticisme 
\.lexandrin. 

Cette  école  ne  se  dessine  bien  qa*avec  Plotin  qui  naquit  Tan 
206  ;  mais  on  la  fait  remonter  généralement  &  son  maître  Ammo- 
Eiias  Saccas,  et  à  Potamon,  maître  de  celui-ci,  qui  ont  dû  naîtra 
tous  les  deux  entre  150  et  170.  Nous  remonterons  même  plus 
liaut  et  nous  chercherons  les  premières  sources  de  cette  école  dans 
Philon  le  juif. 

205.  Philon  le  juif.  —  Philon,  né  vers  l'an  30  av.  J.  C.  à 

Alexandrie,  d'une  famille  sacerdotale  étudia  la  Bible  aussi  bien  que 

les  lettres  et  la  philosophie  grecques.  Platon  et  Pythagore  furent 

ses  auteurs  favoris,  si  bien  que  Ton  disait  en  voyant  ses  écrits  : 

Vel  Plato  philontzat,  vel  Philo  platonizat.  Il  mourut,  dit-on, 

âgé  de  cent  ans.  Eusèbe  et  St-Jéréme  disent  que  vers  la  fin  de  sa 

vie  il  fut  baptisé  par  St-Pierre,  et  Photius  ajoute  qu'il  abjura 

bientôt  sa  nouvelle  foi,  par  suite  de  quelques  mécontentements. 

Sans  doute  rien  ne  confirme  cette  double  allégation,  mais  l'absence 

de  toute  allusion  au  Christianisme  dans  ses  ouvrages,  ne  suffit  pas 

pour  les  faire  rejeter,  puisque  ces  ouvrages  auraient  été  écrits 

avant  sa  conversion  et  peut-être  avant  qu'il  n'eût  connaissance  de 

la  religion  chrétienne. 

Tous  ses  écrits  semblent  n'être,  au  premier  abord,  qu'un  com- 
mentaire de  Moïse;  mais  en  les  lisant  on  s'aperçoit  qu'il  suit  aussi 
Platon  et  Aristote.  11  a  inauguré  un  système  d*exégèse  qui  consiste 
à  ne  voir,  dans  les  faits  racontés  par  la  Bible,  que  des  allégories 
et  des  symboles,  et  il  croit  faire  valoir  davantage  les  livres  sacrés 
de  sa  nation  en  y  montrant  par  des  interprétations  forcées  les 
théories  physiques  ou  métaphysiques  inventées  par  les  philosophes. 
Ses  théories  ne  forment  pas  un  système  unique  et  ne  s'accor- 
dent même  pas  toujours  entre  elles.  Tantôt  il  semble  enseigner  le 
dualisme  et  tantét  le  panthéisme.  Ici  la  matière  est  éternelle  et 
Dieu  n'est  que  l'architecte  du  monde,  ailleurs  l'idée  de  création 
ex  nikilo  ne  lui  semble  pas  exprimer  assez  combien  tout  vient  de 
Dieu,  dont  Faction,  dit-il,  n'est  pas  mesurée  par  le  temps  et  s'exerce 
de  toute  éternité;  de  Dieu,  qui  est  dans  tous  les  êtres,  qui  est  tout. 
Dieu,  lumiôi'e  éternelle,  se  réfléchit  dans  son  Verâe^  qui  est  son 


584  HISTOIRE    DE  LA   PHIL08OPHIE 

image.  Ce  Verbe  ainsi  émané  de  Dieu  est  une  peraoniie»iiBeÂ|p» 
tase,  le  fils  premier-né  (6  T:p<i)Téyovoc  uti^),  le  Verhei^^vs. 
Une  seconde  émanation  est  le  Verbe  prononcé,  qui  se  maitfsï 
par  l'univers.  On  voit  ici  la  Trinité  catholique,  qui  était  es^à^ 
ment  connue  des  prtHres  juifs,  réduite  à  une  forme  panth^i 
Philon  fait  de  même  pour  les  anges,  dont  il  parle  en  pli»® 
cndmits  comme  en  parlaient  les  Juifs,  et  qu'il  réduit  ailte* 
n'être  que  les  idées  de  Platon . 

Dans  l'homme  il  distingue  deux  Âmes,  dont  l'une,  j^w^'^^ 
réside  dans  le  sang,  et  l'autre,  rationnelle,  siège  des  idées,tfifl* 
émanation  de  l'essence  divine.  D'ailleurs,  outre  ces  deux  gsiîsS' 
sances,  par  les  sensations  et  par  les  idées,  il  en  exige  anetroL^itisf. 
directement  émanée  de  Hieu,  communiquée  à  l'esprit  comme  £» 
grâce,  et  par  laquelle  nous  pouvons  voir  Dieu  face  à  face,  ^  ^| 
qu'il  est.  Cette  troisième  connaissance,  c'est  la  foi  {^vr:^i'^  V- 
est  la  reine  des  vertus.  Qui  ne  reconnaît  ici  la  doctrine cathoiiçuê. 
mêlée  aux  théories  de  Platon. 

11  n'est  pas  moins  rapproché  de  la  doctrine  catholiqne^lorsç» 
parlant  de  la  liberté  de  l'homme  il  dit  que  seul  Thomine,  i^i*' 
pendant  de  la  loi  de  nécessité  qui  régit  les  êtres  matériels,  ^ 
capable  de  vertu  et  qu'à  ce  titre  il  est  le  plus  beau  temple  1* 
Dieu  possède  sur  la  terre  ;  mais  qu'à  Dieu  seul  doit  être  ra; 
tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  dans  nos  actions,  parce  que  Dieu 
nous  donne  la  vertu  de  faire  le  bien,  «  par  sa  grâce,  cette  Tieir 
céleste  qui  sert  de  médiatrice,  entre  Dieu  qui  donne  et  l'àn^  ^ 
reçoit.  » 

M.  Franck,  que  nous  avons  suivi  dans  cet  article,  nous  parattseû* 
gérer  beaucoup  les  contradictions  qu'il  y  a  dans  Philoo.  Mèm»  • 
nous  en  tenant  exactement  aux  expressions  pas  lesquelles  il  le  ^^^'^ 
nous  trouvons  Philon  assez  d'accord  avec  lul-mènie.   C'est  que  ^ 
avons  pour  le  juger  la  doctrine  catholique,  que  M.  Franck  par**^ 
pns  connaître  assez  bien,  et  la  facilité  avec  laquelle  nous  faisons  ci 
corder  ses  théories  sur  l'âme  et  sur  la  liberté,  nous  fait  croire  qa^ 
pourrait  peut-être  expliquer  de  même  la  contradiction  que  nous  a    ■ 
sîî?nalée  plus  haut  sur  la  matière,  et  absoudre  Philon  du  ipnnihèis^^^ 
du  dualisme.  Cependant  nous  ne  sommes  pas  étonnés  que  ses 
qui  n'étaient  ni  Juifs,  ni  chrétiens,  y  aient  puisé  Tun  etrauU* 


GRECS.    —    ÉCOLE  D*ALEXANDRIE  585 

206.  Premiers  Alexendrine.  — Pour  rapprocher  PhiloQ  de 
Plotin,  qui  est  réputé  le  vrai  fondateur  de  TEcole  d'Alexandrie,  il 
nous  suffira  de  citer  Numénius  d'Apaméb,  qui,  dit  M.  Franck, 
€  précurseur  immédiat  de  FEcole  de  Plotin,  admirait  tellement  les 
écrits  du  philosophe  juif  (Philon),  qu'il  y  cherchait,  beaucoup 
plus  que  dans  Platpn  lui-même,  le  véritable  esprit  du  platonisme. )► 
PoTAMON  d'Alexandrie,  vient  ensuite,  et  Diogène  Laêrce  dit  qu'il 
fonda  l'école  éclectique.  Le  peu  qui  nous  reste  de  ses  ouvrages  no 
nous  permet  pas  de  savoir  s'il  emprunta  queli^ue  chose  à  Philon. 
On  place  après  lui  Ammonius  Saccas,  ainsi  surnommé  parce  qu'il 
avait  été  portefaix.  Il  était  chrétien  et  le  seul  livre  qui  nous  reste 
de  lui  est  une  Harmonie  des  Évangiles,  Mais  on  sait  qu'il  avait 
essayé  d'accorder  Platon  et  Aristote,  et  il  passait  pour  avoir  réussi. 
Plotin  le  reconnaît  pour  son  maître,  Porphyre  l'appelle  a  le  plus 
grand  des  philosophes  contemporains  »  et  Longin  a  la  plus  haute 
intelligence  qui  ait  paru  ». 

En  même  temps  que  Potamon,  vivait  aussi  à  Alexandrie  Ahis- 
T0BUI.E  le  juif,  qui  continua  les  théories  de  Philon, 

Ainsi  FEclectisme  Alexandrin,  qui  apparaît  comme  une  sorte 
de  renaissance  à  la  fin  de  la  philosophie  grecque,  n'est  pas  l'œuvre 
pure  et  simple  des  méditations  philosophiques  de  Plotin,  ni  même 
un  simple  électisme  des  systèmes  précédents  de  la  Grèce  unis  aux 
systèmes  de  l'Orient  ;  c'est  un  retour  à  la  Tradition  primitive  par 
l'intermédiaire  d'un  juif  ;  c'est  encore  une  fois  une  corruption,  un 
nouveau  tissu  d'erreurs,  que  la  raison  livrée  à  elle-même  a  tirées  de 
la  vérité  révélée. 

207.  Plotin.  —  Plotin  naquit  en  l'an  205  de  J.-C,  àLycopolis, 
dans  la  haute  Egypte.  La  première  fois  qu'il  entendit  Ammonius 
à  Alexandrie,  il  s'écria:  «  Voilà  l'homme  que  je  cherchais  ».  Il 
avait  alors  vingt-six  ans.  A  l'âge  de  40  ans, il  vint  à  Rome  où  sa 
réputation  lui  valut  l'amitié  de  Gordien.  Porphyre  son  disciple 
qui  a  écrit  sa  vie  le  présente  comme  un  homme  extatique  et  inspiré 
Il  mourut  à  Rome,  l'an  271. 

Ses  écrits,  composés  sans  plan  et  sans  style,  furent  rédigés  en 
51  livres  et  distribués  en  six  Ennëades^  par  Porphyre. 

Reconnaissant  que.  dans  la  théorie  de  Platon,  les  sens  n^attei- 


586  HI8T0IRB  DB  LA  PHIL080PH1B 

gnent  que  les  phénomènes  et  que  la  raison  manque  de  poimd'f 
pni,  Plotin  a  recours  à  nn  autre  mode  de  connaissance  qntf 
r extase.  Dans  toute  connaissance  rationnelle,  il  y  a  encore  dnâi 
ou  dyade^  distinction  du  sujet  connaissant  et  du  scget  oonno.  Par 
arriver  à  Tunité  parfaite,  l*Ame  doit  s'élancer  hors  d'eUe-mâK 
s'oublier  elle-même  et  tout  ce  qui  l'entoure,  c'est  Textase  (bcncK' 
la  simplification  (àirX(0(nc),dans  laquelle  on  ne  voit  plusqoel'i^ 
de  sa  contemplation  qui  est  Dieu .  Alors  elle  se  dirige  yers  lai  p- 
l'amour  et  quand  elle  le  possède,  elle  en  jouit  dans  Vunifiea^ 
(evci>9i;),  qui  est  l'absorption  en  Dieu. 

Dieu,  selon  Plotin,  est  l'Un  ou  le  Bien.  C'est  l'unité  abjefe 
renfermant  en  elle-même  éminemmeat  tout  ce  qui  est,  saas  ^ 
rien  de  ce  qui  est  ceci  ou  cela.  On  ne  peut  pas  dire  qu'ilest^àa? 
le  sens  ou  nous  le  disons  des  choses  ;  mais  encore  moins  peairoo 
dire  qu'il  n'est  pas;  car  rien  n'est  sans  lui.  On  ne  peut  pa«  (fi» 
qu'il  se  connaît,  car  il  est  absolument  simple,  mais  il  a  nue  iflbs* 
tion  pure  de  lui-mdme,  qui  est  au-dessus  de  la  connaissance  et  9^ 
fait  qu'il  n'a  pas  besoin  de  se  connaître. 

Mais  Dieu  qui  est  l'Un  est  aussi  le  Bien,  et  comme  tel  il  ^^^ 
dro  non  par  besoin,  ni  par  nécessité,  ni  par  liberté,  malsptf  ^ 
mode  supérieur  à  la  nécessité  et  &  la  liberté,  parce  qu'il  est  le fitf- 
Il  engendre  d'abord  le  plus  parfait,  avant  de  descendre  à  l'impts^ 
fait.  Il  engendre  d'abord  un  être  égal  &  lui,  qui  ne  se  sépare  p* 
de  lui,  c'est  Tintelligence.  l'ensemble  des  idées  ;  c'est  le  Fib,* 
premier  né.  Vient  ensuite,  l'activité,  l' Ame  ou  l'Esprit,  le  démioi?*' 
que  le  Verbe  engendre  de  lui-môme.  Et  ces  trois  émanations* 
sont  pas  trois  dieux,  mais  trois  hypostases  d'un  même  Dtô&*  ^^ 
Dieu  en  trois  personnes  explique  la  science  et  le  monde,  ^^ 
raison  ne  saurait  l'expliquer.  C'est  un  mystère  que  l'esprit  s«-^' 
par  intuition,  dans  l'extase. 

Ct  s  trois  hypostases  sont  éternelles  et  il  n'y  a  entre  e\\es([^^^^ 
antériorités  d'origine  L'une  n'est  pas  la  cause  de  l'autre  :  dl«  ^ 
est  le  principe.  Si  elles  différent  entre  elles,  c'est  infiniment  p^^'''' 
Plotin  dit  môme  qu'elles  sont  infimes. 

Remarquons  à  ce  sujet  que  IMotiu  est  le  premier  à  employer  c«  *- 
dans  le  sens  que  nous  lui  donnoos  aujourd'hui.  Jusqu'à  luil«"* 
infini  signifiait  indéterminé,  indéfini  ou  incomplet,  et  le  moi  F 
représentait  la  perfection  déterminée,  achevée. 


GRECS.  —  ÉCOLE  D'ALEXANDRIE  687 

• 

Le   monde  procède  de  Dieu,  selon  Plotin,  comme  les  personnes 
divines .  Il  emploie  pour  exprimer  cette  procession  du  monde  les 
mots  création,  émanation^  irradiation,  etc.,  mais  toujours  il  dit 
assez  nettement  que  cette  production  du  monde  est  dans  la  nature 
de   Dieu  qui  est  le  bien.  Donc  il  semble  faire  le  monde  éternel  et 
nécessaire.   Cependant  il  cherche  à  distinguer  autant  que  possible 
la   procession  des  deux  hjpostases  divines^  de  la  procession  du 
monde.  La  première  s'accomplit  sans  mouvement  dans  l'éternité; 
la  deuxième  s'accompUt  avec  mobilité  pour  les  choses,  dans  Tespace 
et  dans  le  temps.  Il  prétend  aussi  que  cette  procession  est  parfaite- 
ment libre  du  côté  de  Dieu  ;  quoique  Dieu  ne  puisse  choisir  de  no 
pas  faire  le  monde,  ni  même  de  le  faire  autre  :  Le  monde,  tel  qu'il 
est,  est  imparfait  ;  mais  d'abord  il  est  de  sa  nature  d'être  ce  qu'il  est, 
et  d'ailleurs,  par  la  loi  de  convers,'on  ou  de  retour,  chaque  être 
remonte  vers  son  principe,  ainsi  le  monde  lui-môme  tend  à  retour- 
ner vers  Dieu,  et  là  il  obtiendra  tonte  la  perfection  désirable.  Ainsi 
le  monde,  imparfait  en  lui-même,  est  parfait  dans  son  principe  et 
parfait  dans  son  terme  :  tel  est  l'optimisme  de  Plotin.  D'ailleurs  le 
monde  ne  saurait  être  placé  ni  dans  l'espace  qui  n*est  rien,  ni  dans 
la  matière  qui  vient  de  Dieu  avec  la  forme.  Donc  le  monde  est  en 
Dieu. 

Plotia  a  été  compris  biea  diversement  par  les  historiens,  et  on  a  quel- 
que peine  à  reconnaître  le  même  auteur  dans  les  différentes  analyses 
qulls  ont  données  de  ses  ouvrages.  C'est  qu'il  est  très-obscur,  qu'il  af- 
fecte les  expressions  de  Platon,  dans  des  théories  qui  sont  tirées  de 
Philon  et  par  conséquent  de  Moïse.  Il  est  donc  facile  d'entendre  ses 
doctrines  dans  un  sons  panthéiste,  et  c'est  en  effet  le  jugement  qu'en 
portent  la  plupart  des  historiens,  mais  on  peut  aussi,  en  ayant  soin  de 
ne  pas  forcer  le  sens  de  ses  paroles,  le  placer  beaucoup  plus  près  de 
la  vraie  doctrine  philosophique.  C'est  ce  que  nous  avons  fait  ;  et  nous 
Bommes  heureux  de  nous  rencontrer  celte  fois,  comme  nous  nous  ren- 
conterons  ailleurs,  avec  M.    Fouillée,  que  nous  combattons  quelquefois. 

Nous  ne  saurions  décider,  après  mûr  examen  de  la  question,  si  Plo- 
tin fut  réellement  panthéiste,  dans  sa  pensée,  autant  que  les  autres  néo- 
platoniciens. Il  nous  «érable  au  contraire  que  Ton  pourrait  mettre  sur 
le  compte  de  l'expression  tout  ce  qu'il  y  a  d'erroné  dans  ses  théories. 

208.  Amélius.  —  Le  plus  remarquable  des  disciples  de  Plotin 


588  HISTOIRE   DB  LA   PHILOSOPHIE 

serait  Amblius  d*Etrarie.  Son  maître  lui-même  déclarait  qu*îl 
entrait  mieux  dans  le  sens  de  ses  idées  que  tous  ses  autres  disci- 
ples. Il  avait  écrit  près  de  cent  ouvrages;  mais  il  ne  nous  en 
reste  rien.  Cette  perte  est  d*autant  plus  regrettable  que  li  vrai 
sens  de  la  doctrine  de  Plotin  nous  reste  encore  caché.  Apr^s  la 
mort  de  son  maître,  Amélius  se  retira  à  Apamée,  où  il  mourut. 

209.  Porphyre .  —  Porphyre  naquit  à  Tjr  en  232,  et  porta 
longtemps  le  nom  de  Malkh  (roi).  Il  reçut  d'abord  les  leçons  d'Ori- 
gône  le  païen,  disciple  d'Ammonius  Saccas,  en  môme  temps  que 
Plotin,  puis  de  Plotin  lui-même,   à  Rome.  Il  avait  aussi-  suivi  h, 
Athènes  les  leçons  de  Longin,  qui  lui  avait  fait  connaître  Platon. 
Il  ne  demeura  que  quatre  ans  avec  Plotin,  qui  l'envoya  respirer 
un  autre  air  en  Sicile,  parce  qu'il  a'vait  voulu  se  suicider.  Quaud 
il  revint  à  Rome  en  273,  Plotin  était  mort  et  Amélius  s'était 
retiré  en  Syrie.  "On  le  considéra  donc  comme  le  successeur  de  Plo- 
tin, à  Rome,  tandis  qu'Amélius  continuait  son  école  dans  TOrient. 
La  secte  orientale  pratiqua  la  théurgie,  qui  fut  toujours  repoussée 
par  Porphyre  ;  ce  qui  lui  valut  le  nom  de  philosophe^  tandis  que 
les  disciples  d* Amélius  étaient  qualifiés  de  merveilleux  et  de 
divins. 

Porphyre  passa  de  Rome  en  Sicile,  où  il  habita  longtemps,  mais 
on  ne  sait  ni  le  lieu  ni  la  date  de  sa  mort.  Il,  parvint  à  un  Age 
très  avancé,  et  ne  mourut  pas  avant  l'an  302,  puisqu'il  rédigeait 
alors  la  vie  de  Plotin. 

Il  avait  écrit  plus  de  cinquante  ouvrages,  dont  la  plupart  sont 
perdus.  Le  plus  important  était  son  traité  contre  les  chj*étiens,  qui 
lui  valut  après  sa  mort  une  statue  érigée  par  ordre  du  Sénat. 

Les  quelques  ouvrages  et  fragments  qui  nous  restent  de  lui  ne 
permettent  pïis  de  saisir  sa  doctrine  dans  son  ensemble.  Il  y  a  bien 

m 

des  obscurités,  des  contradictions  au  moins  apparentes.  Il  paraît 
avoir  gardé  les  théories  de  Plotin,  mais  avec  un  sens  plus  nette- 
ment panthéiste.  Son  troisième  principe,  Tâme,  ne  fait  qu'un  avec 
le  monde.  C'est  le  Dieu  des  stoïciens. 

210.  Derniers  AlezandrinB.  —  Jamblique,  son  disciple, 
qui,  né  à  Chalcis,  enseigna  à  Alexandrie,  donna  une  autre  forme 
à  son  panthéisme  et  commença  cette  série  d'émanations  de  dieux 


GRECS.    —   ÉCOLE   d'aLEXANDRIE  589 

inférieurs,  qui  pour  Plotin  et  Porphyre  sont  les  anges  et  les 
démons,  et  pour  lui  deviennent  tout  autant  de  démiurges  ou  do 
créateurs  du  monde.  Il  pratiqua  largement  la  théurgie,  et  ses  disci- 
ples lui  ont  attribué  un  grand  nombre  de  prodiges . 

Le  premier  alexandrin  marquant  que  nous  rencontrons  après 
Jamblique,  c'est  Proclus,  né  à  Bjsance  en  412  ;  il  conserve  toutes 
les  théories  de  Plotin,  mais  il  les  approfondit  et  les  raisonne 
davantage  ;  il  fait  un  plus  grand  nombre  d'emprunts  à  Aristote  ; 
et  comme  il  nous  reste  de  lui  plusieurs  ouvrages  importants,  il 
offre  une  ample  matière  à  Tétnde  de  la  philosophie  néoplatoni- 
cienne. Notre  cadre  ne  nous  permet  pas  d'entrar  ici  dans  les  dé- 
tails des  nuances  qui  existent  entre  ses  doctrines  et  celles  de  Plotin. 

On  peut  Ure  à  ce  sujet  l'article  fait  par  M.  J.  Simon,  dans  le  Diction- 
naire de  M    Franck,  mais  il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  la  forme 
dpnt  l'auteur  a  revêtu  les  pensées  de  Proclus,   par  suite   d'idées  pré- 
conçues, et  surtout  son  appréciation  sur  l'extase,  où  il  voit  la  négation  • 
de  la  liberté. 

En  même  temps  que  Proclus,  vivait  Olympiodore,  dont  il  nous 
reste  quelques  écrits  intéressants,  publiés  par  Cousin,  et  après  lui, 
Damascius,  qui  paraît  avoir  rapproché  les  doctrines  néoplatoni- 
ciennes, de  la  vérité  alors  enseignée  et  répandue  par  TEglise  ca- 
tholique, quoiqu'il  fût  ennemi  déclaré  de  la  religion  chrétienne.  Il 
fut  le  dernier  des  philosophes  grées  ;  car  un  édit  de  l'empereur 
Justinien  ferma  Técole  d'Athènes  en  529.  Damascius  se  retira  à 
Alexandrie,  où  il  mourut  ignoré. 

311.  Le  Gnosticisme  et  la  Kabbale.  —  A  TEcole  d'Alexan- 
drie se  rattachent  par  la  méthode  et  par  le  fond  des  doctrines  le 
Gnosticisme  et  la  Kabbai^. 

Le  Gnosticisme  se  manifesta  presque  en  môme  temps  dans  un 
grand  nombre  d'écoles  qui  ne  s'accordaient  que  sur  Timportance 
qu'elles  donnaient  à  la  gnose,  sorte  de  science  mystique,  qu'elles 
prétendaient  tenir  par  tradition  et  par  révélation.  On^ compte 
parmi  les  Gnostiques,  Simon  le  magicien,  Cèrinte,  Saturnin,  Basi- 
LiDE,  Yalentin,  Marcion  et  Manès,  le  fondateur  de  la  secte  des 
manichéens,  qui  tous  furent  combattus  par  les  Pères  de  l'Eglise, 
comme  des  hérétiques,  parce  que  la  plupart  étaient  chrétiens   et 


590  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

que  d^ailleurs  ils  entraînaient  des  chrétiens  dans  ieurs  sectes.  I/e 
doctrine  n*est  qu*une  variété  de  l'Eclectisme  alexandrin,  et  tinta 
même  esprit  qui  régnait  aloi'iff 

La  Kabbale  est  une  doctrine  analogue,  une  tradition  qQ«  ^ 
Juifs  prétendaient  tenir  d*Abraham  et  d^Adam  lui-même,  etdia 
laquelle  ils  interprétaient  la  Bible  dans  un  sens  allégorique. 

On  trouvera  assez  de  détails  sur  ces  deux  systèmes  dans  le  A> 
tionnatre  de  M.  Franck.  Mais  nous  remarquerons  que  M.  D»^ 
déclare  peu  exactes  les  analyses  que  M.  Franck  a  données  (fe^ 
Kabbale  dans  son  ouvrage  spécial  sur  ce  siget. 

PHILOSOPHIE  CHEZ  LES  ROMAINS 

212.  Obserratian.  —  Les  Romains  n'eurent  pas  dephiloeop^ 
propre  ;  elle  leur  vint  toute  faite  des  Grecs  et  ils  la  conserver»^ 
presque  +eUe  qu'ils  l'avaient  reçue.  D'ailleurs  cette  condition  ntft 
pas,  à  Rome,  pjur  la  philosophie  seule.  Leur  langue,  â'altfN 
sœur  de  la  langue  grecque,  s'imprégna  de  plus  en  plirt  desforsfi 
de  celle-ci;  leur  littérature  n'en  fut  jamais  que  Timitation ; kfif 
religion  était  la  môme,  sauf  les  noms  qu'ils  donnaient  tf^ 
dieux. 

Dans  le  principe  le  peuple  romain,  occupé  sans  cesse  par  It 
guerre,  semble*  n'avoir  pas  môme  eu  le  temps  de  réfléchir,  e^^ 
n'est  pas  étonnant  qu'on  n'y  trouve  aucune  trace  des  efforts  i^b* 
rels  de  la  raison  pour  se  rendre  compte  des  choses.  Quand  1^ 
immenses  conquêtes  leur  eurent  fait  des  loisirs,  lorsque  9nt^ 
leur  domination  sur  la  Grèce  eut  amené  ft  Rome  cette  mnltit*^ 
d'esclaves  d'affranchis  et  d'hommes  libres,  dont  toute  l'occ&p^ 
était  d'enseigner  les  arts  libéraux,  les  Romains  aussi  prirent  god(^ 
la  philosophie;  il  fut  de  bon  ton  de  connaître  la  langae  greeqn^^ 
de  la  parler,  et  le  peuple-roi  lui  aussi  voulut  savoir  les  raisoBS^^ 
choses. 

213.  Sourees  de  la  philosophie  chesles  Romains.— ^'''^ 

avons  vu  déjà  qu'en  l'an  155,  Carnéade,  Diogène  de  Bohyl^ 
eiCrilolaûs  furent  envoyés  en  ambassade  à  Rome  parlai 
d' Athènes,  et  que  là  ils  essayèrent  de  fonder  des  écoles  de  pbilo*^ 


PHILOSOPHIE  CHEZ  LES  ROMAINS  591 

►liie.  Quoique  leur  séjour  j  ait  été  de  courte  durée,  on  peut  croire 
u'ils  donnôreat  aux  Romaias  uae  idée  géaérale  des  théories 
philosophiques  de  la  Grèce,  car  le  premier  était  de  la  nouvelle  aca- 
Lémie,  le  second  était  stoïcien,  et  le  troisième  péripatéticien.  D'jà, 
/an  167,  Thistorien  philosophe  Po/yôe,  amené  prisonnier  à  Rome, 
:>û  il  demeura  jusqu'en  l'an  151,  était  Fami  de  Scipion  TAfricainet 
dans  le  même  temps  Pancetius  de  Rhodes,  jouit  aussi  de  l'amitié 
de  ce  grand  homme  et  établit  une  école  à  Rome  avant  de  devenir 
la  chef  du  Portique.  Mais  ce  fut  surtout  après  la  réduction  de  la 
Orôce  en  province  Romaine,  en  Fan  146,  que  commença  cette 
immigration  de  grammairiens,  de  rhéteurs,  et  de  philosophes,  par 
lesquels  la  jeunesse  romaine  fut  instruite  dans  les  arts  des  Grecs. 
Vers  l'an  87,  Philon  de  Larisse,  philosophe  de  la  nouvelle  Acadé- 
luie,  vint  aussi  s'établir  à  Rome  et  fut  Tun  des  maîtres  de  Cicé- 
ron,  qui  entendit  aussi  l'épicurien  Phèdre,  les  stoïciens  3)iodote 
et  ^iiuseif  le  péripatéticien  Staséas. 

214.  Philosophes  romains.  —  L^lius  et  Scipion  paraissent 
avoir  été  les  premiers  d*entre  les  Romains  qui  se  soient  occupés  de 
philosophie.  Oaton  Fancien  était  Fennemi  de  ces  spéculations. 
Après  eux  il  faut  arriver  jusqu'à  Cicéron  pour  trou  ver  avec  lui 
PisoN,  CoTTA,  Velléius,  Balbus,  et  Pompée,  puis  Pomponius 
Atticvs  et  M.  Brutus,  qui  sont  signalés  comme  ayant  aimé  Fé- 
tnde  et  la  sagesse.  Excepté  Cicéron,  qui  s'attacha  de  préférence  & 
la  nouvelle  Académie,  tout  en  faisant  un  choix  de  tout  ce  qui  lui 
paraissait  bon  dans  les  autres  doctrines,  tous  ces  hommes  parais- 
sent avoir  été  stoïciens.  Nous  ne  les  connaissons  d'ailleurs  que  par 
les  sentiments  que  Cicéron  leur  prête. 

La  doctrine  épicurienne  trouva  un  illustre  représentant  à  Rome 
dans  Lucrèce,  qui  né  l'an  95,  se  donna  lamort,l'an  44,  avant  J.-C. 
Son  poème  de  Natura  rerum,  étant  le  principal  monument  qui 
nous  reste  des  théories  d'Epicure,  nous  n'en  dirons  rien,  car  nous 
ne  pourrions  que  répéter  ce  que  nous  avons  dit  en  parlant  de  ce 
dernier.  Pline,  le  naturaliste,  né  Fan  23  après  J.-C.  et  mort 
pour  8*ôtre  trop  approché  du  Vésuve,  Fan  79,  paraît  avoir  partagé 
les  mômes  opinions. 
Le  stoïcisme  fut  représenté  à  Rome,  après  J.-C,  par  Sènèqub, 


502  HISTOIRE   DE   LA  PHILOSOPHIE 

EiMCTÈTE,  Arrien  deNicomédie,  et  Marc-Aurèi.k.  NousdevoH 
en  parler  un  peu  plus  longuement,  après  avoir  donné  qaeiqaii 
détails  sur  l'œuvre  pliilosophique  de  Cicéron,  le  plus  iUiisire  de 
philosophes  romains. 

215.  Cîcéron.  —  Mardis  Tiilihis,  surnommé  Cicero,  né  Tm 
lOG  avant  J.-C.  à  Arpinum,  ville  du  Latium,  est  assez  coniiB 
comme  orateur  et  commo  homme  d'Etat,  pour  que  nous  nous  dis- 
pensions do  nous  étendre  sur  sa  biographie.  Nous  avons  dit  pins 
haut  quels  furent  ses  maîtres  on  philosophie.  Il  suffît  d'avoir  b 
quelques-uns  de  ses  discours  pour  savoir  qu'il  fut  prôteuret  cof^K 
qu'il  sauva  Rome  de  la  guerre  civile  ;  il  le  répète  assez  son  vent 
En  lisant  son  BriUuSy  on  voit  que  pour  peindre  l'idéal  deTorateur, 
sous  le  nom  d'Hortensius,  il  fait  son  propre  portrait,  et  daasss 
écrits  philosophiques,  il  fait  comprendre,  quand  il  ne  le  dit  pas 
formellement,  que  personne  avant  lui  n'avait  traité  ces  matières  ea 
latin.  D'où.  Ton  peut  conclure  que  chez  lui  l'amour  de  la  glâre 
l'emportait  sur  Tamour  de  la  vérité.  Sans  ce  défaut,  il  eut  été  aa 
grand  philosoplre:  la  conviction  lui  ayant  manqué^  il  n'a  été  qu'ua 
éclectique,  11  mourut  victime  de  la  haine  d'Antoine,  l'an  -13 
av.  J.-C. 

Ses  ouvrages  philosophiques .  —  Nous  ne  dirons  rien  ici  d« 
ses  œuvres  littéraires.  Ses  œuvres  philosophiques,  qu'il  composa, 
pour  iainsi  dire  à  temps  pardu,  ou  plutôt  pendant  que  les  malheurs 
politiques  l'empC^chaient  d'exercer  son  influence  oratoire  au  Sénat 
ou  au  Forum,  ne  manquent  pas  d'intérêt,  quoique  dépourvus  dV 
riginalité.  D'ailleurs  s'ils  sont  faibles  pour  les  doctrines  et  si  k 
demi-scepticisme  de  la  nouvelle  Académie  s'y  fait  sentir  quelquefai?, 
ils  rachètent  cette  double  imperfection  par  les  grilces  delaformeet 
par  l'abondance  des  documents  historiques.  Quoique  sous  ce  d*.^ 
nier  rapport  ou  ne  puisse  pas  le  suivre  aveuglément,  Cicéroa  est 
pourtant  d'un  grand  secours,  et  certains  auteurs  ne  nous  &«ii 
presque  connus  que  par  lui.  Malheureusement  beaucoup  de  s*s 
ouvrages  sont  perdus. 

Il  avait  écrit:  Hortensius  seu  de  Philosophta;  c'était  une 
exhortation  à  la  philosophie,dont  saint  Augustin  fait  le  plus  grand 
éloge  ;  de  Consolatione;  de  Oloria  ]de  VirtutibiM;  Epistola  ai 


ROMAINS   —    CICÉRON  593 

Cœsarem,  de  ordinanda  Republica,  Tous  ces  ouvrages  sont 
entièrement  perdus. 

D  nous  reste  quelques  fragnaents  des  traités  :  de  AugurnSy  de 
Fato,  de  Jure  civiliy  et  des  traductions  du  Pro^o^ora*  et  du  Timée 
de  Platon. 

Les  traités  de  Leçibus  et  de  Republica  nous  sont  parvenus  mu- 
tOés. 

Enfin  il  nous  reste  en  entier  :  de  Divinationey  en  deux  livres  ; 
de  Natura  deorum,  en  trois  livres  ;  Tusculanarum  dïsputatio- 
num  libri  quinque  :  de  Finihus  honorum  et  malorum^  en  cinq 
hYTes]  Academicorum  lïbrt  quatuor;  de  Amiticia;de Senectute; 
de  OffUnis  libri  très;  Paradoxa  stoicorum  sex,  Ce]^endù,ïLi\e8 
Académiques  présentent  des  lacunes .  Cicéron  en  avait  fait  deux 
éditions,  l'une  en  quatre  livres  et  Tautre  en  deux  :  il  nous  reste  le< 
deuxième  livre  de  la  première  et  le  premier  de  la  seconde. 

Excepté  le  de  Officiis  tous  les  traités  de  Cicéron  ont  la  forme  du 
dialogue  ;  mais  ce  n*est  pas  le  dialogue  de  Platon,  qui  ressemble  à 
une  conversation  animée  :  ce  sont  plutôt  des  suites  de  discours 
interrompus  seulement  par  quelques  questions,  ^comme  dans  les 
débats  de  la  tribune. 

En  écrivant  ces  ouvrages,  Cicéron  avait  pour  but  avoué,  d'expo- 
ser en  latin  la  philosophie  des  Grecs,  et  d'initier  ainsi  la  jeunesse 
romaine  à  ces  hautes  méditations.  Les  doctrines  qu'il  a  exposées 
ne  lui  appartenaient  donc  pas,  mais  il  les  a  faites  siennes,  d'abord 
par  un  choixjudicieux  et  ensuite  par  la  disposition  des  matériaux. 
U  est  inutile  de  faire  ressortir  le  mérite  du  style,  qui  pourtant  n'a 
pas  toigours,  dans  ces  matières,  la  clarté  ni  l'élégance  que  l'on 
admire  dans  ses  discours. 

Sa  doctrine.  —  Pour  Cicéron  la  philosophie  est  la  science  des 
choses  divines  et  humaines  et  de  leurs  principes.  Comme  les 
grandes  écoles  de  la  Grèce,  il  la  divise  en  Logique,  Métaphysique, 
Physique  et  Morale.  Sur  la  question  de  l'origine  des  idées,  il  flotte 
entre  Platon,  Aristote  et  Carnéade  ;  mais  il  est  l'adversaire  déclaré 
d'Epicure  et  de  ses  idées  images. 

Relativement  à  la  certitude  il  expose  les  arguments  pour  et 
contre  des  anciens  et  se  prononce  pour  la  théorie  du  probabilisme, 
quoique  dans  le  2*  livre  des  Académiques  il  démontre  assez  bien 

38 


594  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

que  retrancher  au  jugement  la  faculté  de  discerner  le  Yrai,c«i 

ôter  en  même  temps  la    possibilité    de  discerner  le  wset 

blable. 

ÇPll  n'a  d'ailleurs  que  peu  de  chose  sur  les  procédés  logiqDes,ittiL 

comme  il  emploie  le  plus  souvent  la  définition,  la  dirisioD  é  d 

déduction,  il  offre  en  plusieurs  endroits  des  idées  nettes  et  pnci» 

sur  ces  éléments  de  la  méthode. 

Une  source  de  certitude  à  laquelle  il  est  très-attaché  et  qnlli* 
en  lumière  plus  qu'aucun  de  ses  prédécesseurs,  c'est  raotorit^  ^ 
témoignage,  et  en  particulier  du  consentement  universel. 

Il  ne  paraît  pas  tenir  beaucoup  aux  questions  de  métâphra^» 
générale,  aussi  ses  arguments  sur  la  nature  de  Dieu  et  air  li 
nature  de  l'âme  manquent  de  force  et  même  de  convictioo. 

Il  croit  aux  dieux  sur  le  consentement  unanime  despeaplâs:^ 
s'élève  jusqu'à  la  notion  d'un  seul  Dieu,  sans  être  trôs-pnéeis  sitf * 
point.  Il  admet  de  la  môme  manière  la  Providence.  Maison^B 
reproche  de  ne  pas  se  prononcer  lui-môme  assez  nettement.^ 
cette  question,  après  avoir  fait  parler  les  philosophes  des  difféwB* 
écoles.  On  a  dit  avec  raison  que  son  traité  de  Naturalkor^^ 
commence  et  finit  par  un  peut-être. 

Il  définit  l'homme  :  un  être  composé  d'une  âme  inteUigeo^  << 
d'un  corps  périssable  et  faible  {Homo  ex  anima  constat,  f^^' 
pore  caduco  et  infirmo)^  devançant  ainsi  de  dix-huit  siècle?  J 
définition  de  M.  de  Bonald,  avec  une  expression  plus  compldt^- 

L'Ame  est  immatérielle,  intelligente,  active  et  libi*e.  Il  d^^^'' 
môme  cette  dernière  qualité  de  l'Ame  humaine. 

Enfin  l'Ame  est  immortelle,  et  Cicôron  croit  aux  récompe^ï*^^ 
aux  peines  futures. 

Sa  morale  est  fondée  sur  les  lois  de  l'honnôte  qu'il  disÛop^  * 
l'utile,  tout  en  soutenant  que  l'honnôte  amène  naturellement  ap^** 
lui  sa  récompense,  et  que  rien  n'est  vraiment  utile  que  ce  qia  ^ 
honnête. 

En  politique  il  suit  à  peu  près  en  tout  les  opinions  d'Aristottf;  ^ 
mieux  que  lui  se  prononce  pour  une  forme  de  gouvernement  où  i> 
monarchie,  l'aristocratie  et  la  démocratie  se  tempérant  i** 
l'autre. 


ROMAINS  —  CICËRON  505 

216.  Analyse  du  traité  DE  FINIBUS  bonomm  et  malorom. 
[écrit  à  Tusculura,  après  la  mort  de  sa  fille  et  adressé  à  Brutus.)—  D'a- 
près Texplication  que  Cicéron  donne  lui-même  de  l'objet  de  son  dialo- 
gue, on  a  traduit  son  titre  par  celui-ci  :  des  vrais  biens  et  des  vrais 
-wn^aux,  c'est-à-dire,  des  biens  qui  sont  la  fin  de  tous  les  autres  et  pour 
Lesquels  on  recherche  tous  les  autres,  et  des  maux  qui  sont  le  plus  à 
craindre  et  que  l'on  cherche  à  éviter  en  évitant  tous  les  auties. 

Le  dialogue  est  divisé  en  cinq  livres.  Dans  le  I*%  L.  Torquatus  expo- 
se la  doctrine  d'Epicure  sur  la  fin  de  l'homme  ou  le  souverain  bien, 
«ians  le  11%  Gicéron  combat  cette  doctrine;  dans  le  III'M.  Caton  expose 
les  théories  des  stoïciens  sur  le  même  sujet,  et  Gicéron  le  réfute  dans 
le  IV«,  enfin  dans  le  V*  Pison  est  censé  exposer  la  doctrine  d'Âristote^ 
mais  c'est  celle  de  Gicéron,  c'est-à-dire  un  mélange  d'Aristote  et  de 
Platon. 

Cicéron  commence  par  réfuter  les  objections  de  ceux  qui  ne  veulent 
pas  que  Ton  écrive  en  latin  les  idées  philosophiques  exprimées  d'abord 
en  grec. 

Il  entre  ensuite  dans  son  sujet,  comme  s'il  rapportait  une  conversa- 
tion, dont  il  introduit  les  interlocuteurs. 

S'il  n'aime  pas  Epicure,  ce  n'est  pas  à  raison  de  son  style  sans  orne- 
ment, mais  à  cause  de  la  fausseté  de  ses  opinions. 

Epicure  ne  (ait  que  de  rares  changements  à  ta  doctrine  de  Démocrite 
et  encore  il  gâte  ce  qu'il  touche. 

n  pose  en  principe  les  atomes,  dans  le  vide  infini,  se  mouvant 
d'un  mouvement  étemel  et  formant  par  leur  adhésion  tout  ce  que  nous 
voyons.  Ce  n'est  là  qu'un  principe  matériel,  et  Epicure  ne  dit  rien  du 
principe  formel,  ni  de  la  cause  efficiente. 

Il    croit   que  les    atomes  sont   attirés  en  bas  par  leur  propre  poids. 
Mais  pour   les  faire  se  rencontrer  il  suppose  puérilement  une  petite 
déclinaison,  qui  n'est   pas  possible   dans  son  système  et  qui  d'ailleurs 
n'explique  pas  la  formation  du  monde. 
Il  emprunte  tout  à  Démocrite  et  pourtant  s'élève  contre  lui. 
Epicure  n'a  pas  de  logique  il  supprime  les  définitions. 
—  Alors    Torquatus   entreprend  de  justifier  Epicure.  Il  soutient  l'évi- 
dence du   principe    que  le  souverain  bien  est  dans  le  plaisir,  et  ajoute 
que  ce  principe  ne  supprime  pas  la  vertu  et  assure  le  bonheur. 

Et  d'abord  le  souverain  bien  est  celui  qui  ne  se  rapporte  à  aucun 
autre  et  auquel  tous  les  autres  se  rapportent.  Or,  tout  être  vivant  cher- 
che le  plaisir  et  fuit  la  douleur.  Mais  le  vrai  plaisir  n'est  pas  dans  le 
chatouillement  des  sens  ;  car  ce  plaisir  ne  peut  durer  toujours.  Donc  le 


596  HISTOIRE  DB  LÀ 'PHIL080PH1B 

w 

vrai  plaisir  c'est  l'absence  de  toute  douleur.  Le  phQosophe  épicamii 
craint  ni  les  dieux,  ni  la  mort,  ni  la  maladie,  qui  est  tolérai  <jit 
peu  de  durée,  et  il  jouit  des  voluptés  présentes  ou  des  yoloptéspas 
Tandis  que  celui  qui  est  d'une  opinion  contraire  est  sans  cesse  a  ps 
à  la  crainte  sans  espoir  de  soulagement. 

La  vertu  selon  Epicure,  nous  enseigne  à  vivre  heureux.  La  f^** 
nous  délivre  des  préjugés  et  des  craintes,  nous  faitdistiogaerkspiiJ» 
naturels  et  faciles  de  ceux  qui  ne  le  sont  pas,  et  nous  aifraDG]Ktss 
des  désirs  qui  tourmentent  Tàme.  La  tempérance  donne  le  «-*' 
notre  àme  et  nous  fait  mépriser  des  plaisirs  éphémères  dont  tes  as»- 
quences  amènent  de  longues  douleurs.  Le  courage  nous  faitafcfif 
les  terreurs  de  la  mort.  Lajw^fioe  nous  met  à  Tabri  des  soupçc»* 
haines,  des  châtiments,  et  nous  concilie  l'amour  de  nos  semblabteË* 
toutes  les  vertus  nous  font  préférer  les  plaisirs  de  l'esprit,  qui  ^ 
toujours  à  ceux  du  corps  qui  ne  sont  que  momentanés. 

Torquatus  fait  ensuite  le  tableau  du  bonheur  du  sage  qui  vit  sate« 
maximes.  ^ 

—  Dans  le  second  livre,  Cicéron  réfute  la  morale  d'Bpicnre  fSi 
contradiction  de  ses  propres  principes,  par  la  fausseté  de  lear  afffa" 
tion  à  la  morale,  par  leur  inutilité  pour  donner  le  bonheur. 

Epicure  ne  définit  pas  le  plaisir  et  quelquefois  comme  le  tïIi^ 
le  fait  consister  dans  les  impressions  agréables,  tandis  qu'aillcoK  i  ' 
confond  avec  l'absence  de  douleur.  Or  il  est  évident  que  ce  s»' ^ 
deux  choses  différentes,  puisque  l'une  a  des  degrés  et  l'autre  ■*' 
pas.  Pour  établir  son  principe,  il  donne  en  exemple  les  antewnx^^ 
enfants.  Mais  qui  ne  voit  que  les  animaux  et  les  enfants  ne  chfl*^ 
pas  l'absence  de  douleur,  ou  le  plaisir  dans  le  repos,  mais  ^ 
plaisir  dans  le  mouvement?  D'ailleurs  les  .enfants  cherchent  plB^" 
comervation  d'eux-mêmes  que  le  plaisir.  Ainsi  Epicure  se  iroa^  *' 
la  nature  du  souverain  bien. 

Son  erreur  vient  de  ce  qu'il  veut  juger  du  bien  par  les  sens.  <** 
sens  jugent  des  impressions  actuelles,  mais  la  raison  seule  î*' 
prononcer  sur  la  sagesse  qui  enseigne   à  rechercher  le  vrai  biea 
excluant  la  raison,  Epicure  dégrade  l'homme  et  le  rabaisse  »u  ni^^'^ 
des  brutes.  Tandis  que  la  raison  qui  e^t  le  privilège  de  Tbonus^ 
fait  désirer  de  connaître   l'enchaînement  des  choses,  rattache  l'^^ 
au  présent,  le  porte  à  s'unir  en  société,  et  lui  fait  aimer  ses  seaiW»^ 
en  lui  apprenant  qu'il  n'est  pas  né  seulement  pour  lui.  loals  poa^  ^ 
siens  et  pour  sa  patrie.  Tout  cela  c'est  l'amour  de  l'ordre»  qo*  ^* 
loi  de  l'honnête  et  le  principe  des  quatre  vertus  dont  Torquatos^J* 


ROMAUHS  —  CICÉRON  B97 

lie  bien  est  bien  par  luUmème,  et  si  la  vertu  n'est  bonne  que  par 
on  utililé»  il  ne  saurait  y  avoir  d'hommes  de  bien.  Les  grands  hom* 
nés  que  nous  présente  l'histoire  n'ont  pas  été  des  sectateurs  du  plaisir. 
Pratiquer  la  vertu  par  crainte  de  la  peine  n'est  pas  être  vertueux. 

Bnfin  cette  doctrine,  qui  reconnaît  la  douleur  comme  le  plus  grand 
Les  maux,  ne  saurait  en  affranchir  :  elle  ne  peut  donc  pas  donner  le 
K>nheur. 

Dans  le  troisième  livre,  Clcéron  commence  par  remarquer  que  la  ré- 
utation  des  stoïciens  sera  nvpins  simple  et  moins  facile  que  celle  d'Ëpl- 
sure,  parce  que  de  tous  les  philosophes,  les  stoïciens  sont  ceux  qui  ont 
fait  le  plus  de  mots  nouveaux  et  Ton  peut  dire  de  Zenon,  qu'il  a  plu- 
tôt inventé  des  mots  que  des  choses. 

Après  avoir  introduit  M.  Caton  et  engagé  avec  lui  la  conversation 
sur  le  souverain  bien,  il  le  fait  parler  ainsi. 

D*abord  le  but  premier  de  tout  animal  est  sa  propre  conservation. 
Le  plaisir  n*est  pas  par  lui-même  un  motif  d'action  ;  les  connaissances 
et  les  arts  sont  dignes  d'être  recherchés  pour  eux-mêmes,  et  le  plus 
formel  objet  d'avei'sion  pour  Tesprit,  c'est  le  faux.  Il  suit  de  ces  prin- 
cipes naturels  quil  y  a  des  choses  estimables  et  de  choses  méprisables. 
Rechercher  les  premières  et  fuir  les  secondes,  c'est  vivre  selon  la  na- 
ture. C'est  de  ces  principes  que  la  raison  s'élève  à  l'idée  de  l'honnête, 
que  l'âme  recherche  ensuite  plus  que  tout  le  reste. 

L'honnête  seul  est  le  principe  de  toutes  les  vertus,  seul  il  donne  le 
bonheur  vrai. 

Le  bien  c'est  ce  qui  est  parfait  de  sa  nature.  Il  est  connu  par  la 
raison.  C'est  sa  propre  excellence  qui  le  fait  appeler  bien,  et  il  n'a 
point  de  degrés. 

L'honnête  est  le  seul  bien.  Ici  Caton  interroge  la  conscience  univer- 
selle pour  lui  faire  avouer  ce  principe.  Il  met  ensuite  en  opposition  la 
doctrine  des  péripatéticiens  et  celle  des  stoïciens  sur  le  plaisir  et  la 
douleur,  et  dit  que,  selon  la  doctrine  de  ces  demiers,la  douleur  ne  dimi- 
nue pas  le  bonheur,  et  que  la  durée  n'ajoute  rien  à  la  vie  heureuse. 

Après  une  étude  longue  et  subtile  sur  les  choses  indifférentes  et  parmi 
elles  sur  les  choses  à  préférer  ou  à  rejeter,  il  termine  en  témoignant 
son  admiration  pour  cette  doctrine  et  conclut  que  le  sage  est  vraiment 
roi;  riche,  beau,  libre  et  heureux  et  que  seul  il  possède  tous  ces  biens. 
Dans  le  quatrième  livre,  Gicéron  dit  que,  sans  répondre  directement, 
il  va  exposer  la  doctrine  de  Platon  et  de  Speusippe,  d'Âristote  et  de 
Théophraste. 
Et  d'abord  pourquoi  Zenon  ne  s'est-il  pas  contenté  de  ce  qu'ils  avaient 


598  HISTOIHE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

dit  ?  N'avaient-ils  pas  parlé  de  tout  avec  méthode,  avec  justesse,  i^ 
éloquence,  tandis  que  les  Stoïciens  parlent  froidement  et  sèches»^' 
N'avaienl-lls  pgis  fait  en  logique  toutes  les  distinctions  nécessaires^  l^ 
stoïciens  n*ont  pas  même  traité  toutes  les  questions  qu'ilsaTai€9t  i 
bien  résolues.  On  en  peut  dire  autant  et  plus  de'  la  physique 

Enfin  sur  le  souverain  bien,  ils  avalent  dit  déjà,  et  plus  compléteoiiei. 
qu*il  consiste  à  vivre  selon  la  nature.  Ils  avaient  distingué  les  ^ 
naturels  de  l'âme  et  ceux  du  corps,  et  étaient  entrés  dan^  iwaucw?^ 
détails  et  avaient  conclu  que  l'homme  porte  en  lui-môme  les  priodie 
qui  rinvitent  à  ne  rien  faire  que  ce  qui  est  honnête. 

Pourquoi  Zenon  a-t-il  rompu  avec  la  tradition,  et  que  TOolal^ 
rejeter  de  leurs  principes  ? 

Clcéron,  par  des  questions  successives  passe  en  revue  tons  les  pis- 
cipes  communs  aux  deux  doctrines  et  montre  que  la  différence  sortts 
ces  points  n'existe  guère  que  dans  les  mots. 

1!  demande  comment  il  peut  se  faire  que,partant  des  mômes  prindp» 
les  stoïciens*  arrivent  à  des  conclusions  si  différentes;  pourquoi  ils  bis 
sent  de  côté  le  corps  et  ne  reconnaissent  pas  que  la  souffrance  est  (f 
posée  au  bonheur;  pourquoi,  ayant  posé  en  principe  que  l'être  cherd» 
sa  conservation,  ils  lui  ordonnent  ensuite  de  ne  conserver  qu'une  j»'**' 
de  lui-même. 

Clcéron  combat  alors  directement  le  principe  stoïcien,  «qu'il  n'y' 
pas  d'autre  bien  que  l'honnête».  Il  commence  par  nier  la  propœiîioB: 
«  tout  ce  qui  est  bien  est  louable  »  et  dit  qu'Aristote  ne  l'accorder»' 
pas.  Donc,  conclut  11,  Zenon  part  de  principes  qui  ne  sont  pas  attar- 
dés. Qu'importe  ensuite  que  tout  s'enchaîne  dans  sa  doctrine. 

Après  avoir  relevé  une  fois  le  peu  de  différence  entre  Zenon  et  ra- 
ton ou  Arlstote,  et  essayé  de  montrer  la  fausseté  de  cette  légère  ^ 
rence  qui  consiste-  à  ne  pas  admettre  de  degré  dans  la  sagesse,  Cîcir<* 
termine  ce  quatrième  livre  en  réfutant  la  théorie  stoïcienne,  que  toote 
les  fautes  sont  égales. 

Le  cinquième  livre  est  une  éloquente  exposition  de  la  théorie  n»- 
raie  d'Aristote,  faite  par  Pison,  à  Cicéron,  en  préaence  de  son  fr»* 
Quintus,  de  son  jeune  cousin  Lucîus  et  de  Pomponîus  Atticus.  W^ 
quité  ne  nous  offre  rien  de  plus  complet  ni  de  plus  exact  sur  la  qa^^ 
du  souverain  bien.  Nous  regrettons  d'être  obligé  de  l'écourter. 

Pison  montre  d'abord  rapidement,raais  brillamment,  que  l'Kcole  ^ 
patéticlenne  a  traité  toutes  les  questions  et  les  a  traitées  â  fond 

Sur  le  souverain  bien,  Il  distingue  deux  doctrines.  Tune  exotén*!*' 
l'autre  réservée  aux  Initiés. 


ROMAINS   —   CICÉRON  599 

D'abord  le  souverain  bien  est  la  loi  suprême  de  la  vie  :  l'ignorer  c*est 
donc  ignorer  l'art  de  vivre.  Mais  tout  art  a  son  objet  hors  de  lui-même. 
AJnsi  le  souverain  bien  est  hors  de  la  vertu  et  avant  la  vertu,  parce  ' 
Qu'il  en  est  le  principe.  D  faut  donc  pour  le  connaître  rechercher  les 
mobiles  naturels  de  nos  actes. 

Or  ces  mobiles  sont,  selon  les  diverses  opinions  des  philosophes  :  la 

volupté,  l'absence  de  douleur,  les  premiers  besoins  de  la  vie,  lesquels 

par  une  double  considération  ont  fourni  six  opinions  sur  le  souverain 

bien,  sans  compter  ceux  qui  adoptent  plusieurs  de  ces  mobiles  à  la  fois. 

De    ces    opinions,  deux  sont  insoutenables,  deux  autres  ont  été  déjà 

traitées.  Pour   les  autres,  il  faut  dire  d'<ibord  que,  de  quelque  manière 

qu'on  établisse  le  souverain  bien,  dès  qu'on  n'y  comprend  pas  l'honnête, 

on  bannit  de  la  vie  les  devoirs,  les  vertus  et  l'amitié.  Celles  qui  mêlent 

à  rhonnéte    la  volupté  ou  l'absence  de  douleur  déshonorent  l'honnêteté 

qu'elles  veulent  consacrer.  Restent  donc  les  stoïciens  qui  ont  pris  toutes 

leurs    opinions   d'Àristote  et  de  Platon  et  n'ont  fait  qu'en  changer  les 

termes.  Pison  va  donc  exposer  la  doctrine  péripatéticienne. 

Tout  animal  s'aime  lui-même  et  travaille  à  sa  conservation  et  à  son 
perfectionnement.  Il  ne  désire  donc  que  ce  qui  est  conforme  à  sa  nature 
et  à  sa  nature  propre,  dans  laquelle  cependant  il  y  a  des  biens  com- 
muns. C'est  ainsi  que  le  souverain  bien  est  unique  et  quoique  différent 
pour  chacun  il  est  cependant,  en  un  sens  général,  le  même  pour  tous  : 
la  parfaite  intégrité  de  son  être.  Il  y  a  contradiction  à  dire  qu'un 
homme  ne  s'aime  pas,  et  absurdité  à  prétendre  qu'il  s'aime  en  vue  de 
quelque  autre  objet. 

Or  la  nature  de  l'homme  est  double:  âme  et  corps.  Pour  l'un  et  pour 
l'autre  il  y  a  des  actes  conformes  à  leur  nature.  L'&me  surtout  a  des 
vertus  naturelles  et  d'autres  volontaires.  Celles-ci  sont  plus  propre- 
ment appelées  vertus.  C'est  la  prudence,  la  tempiérance,  la  force,  la 
justice. 

Ainsi  la  nature  nous  prescrit  de  nous  aimer  nous-mêmes,  corps  et 
ûme,  et  par  là  d'aimer  la  vertu,  et  de  la  préférer  aux  avantages  du  corps. 
Cette  tendance  naturelle  est  d'abord  vague  faute  de  connaissance  mais 
elle  se  développe  peu  à  peu.  Une  force  intérieure  nous  pousse  à  chercher 
notre  perfection.  On  cache  ses  défauts  corporels  ;  on  recherche  la  beauté 
du  corps,  la  santé,  la  force.  Tout  cela  mérite  d'être  estimé.  Mais 
l'homme  ne  désire  pas  moins  de  connaître,  et  les  cfTorts  d'un  grand 
nombre  prouvent  que  la  science  est  estimable  pour  elle-même  L'acti- 
vité est  aussi  dans  la  nature,  et  le  repos  n'est  accepté  que  par 
force. 


600  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

Cependant  la  nature  qui  a  si  bien  disposé  toutes  choses  en  noas,  fm 
la  perfection  du  corps,  a  seulement  ébauché  la  vertu  en  nous  doo&fi! 
de  faibles  notions  de  tout  ce  qui  est  grand.  C*est  à  nous  delesdè» 
lopper.  L'honnête  mérite  d'être  recherché  non  seulement  pour  Boa« 
propre  perfection,  mais  poijr  son  excellence  propre.  Quelle  adimrati« 
n'excitent  pas  les  exemples  d'une  vertu  sublime  !  Or  les  auteurs  de  i& 
actes  les  ont  accomplis  en  s*oubliant  eux-mêmes,  et  quand  mas  )si 
admirons  nous  n'avons  en  vue  que  leur  propre  beauté.  El  detiwleste 
Vertus,  les  plus  éclatantes  sont  les  vertus  sociales»  dans  lesqaelte  » 
réunissent  toutes  les  vertus,  sans  se  confondre  toutefois. 

Tous  les  devoirs  sont  inspirés  par  la  vertu  et  tous  les  autres  bk^si^ 
rapportent  au  souverain  bien.  Aussi  le  sage  est  toujours  tas- 
reux. 

Gicéron.  après  une  courte  interruption,  insiste  sur  cette  dernière  P* 
sée  et  essaye  de  démontrer  à  Pison  qu'il  se  contredit,  quoiqoe  sa 
principe  et  sa  conclusion  soient  séparément  acceptables.  Tandis  fpatki 
les  stoïciens  tout  est  logique  quoique  le  principe  soit  faux.  Si  U  ^sti 
seule  est  un  bien,  le  sage  est  heureux  môme  dans  sa  douleur;  çi^s^ s 
douleur  est  un  mal,  comment  le  sage  dans  la  douleur  pourra-t-B  être 
heureux. 

Pison  répond  que  la  diflérence  entre  Zenon  et  ses  niiaitres  neà  ^ 
dans  les  mots.  Mais  d'ailleurs  rien  n'empêche  d'appeler  hcurcose  a» 
vie  où  il  y  a  quelques  afflictions,  comme  la  moisson  est  très-teiw''* 
avec  une  mauvaise  herbe.  Ainsi  la  sagesse  rend  heureux,  n^^ 
avec  quelques  peines,  et  un  sage  peut  être  plus  heureux  (fp^'^ 
autre. 

Voilà  ce  qu'il  faut  prouver  dit  Gicéron.  Et  là-dessus  U  arrête  ta  «8- 
versation. 

217.  Analyse  du  traité  DE  OFFIGUS.  (adressé  par  Gicéron  à  ^ 
fils,  alors  à  Athènes,  l'an  4i.)  ^  Cet  ouvrage  se  compose  de  trois  UrTÇ 
dont  le  premier  traite  de  Vhonnête,  le  deuxième  rfc  Vutilet  ^to  ^ 
sléme  de  la  comparaison  de  V honnête  et  de  V utile. 

Au   début   Gicéron  explique  à  son  ûld  le  motif  qui  le  fait  écrire;  î^ 
rappelle  ses  ouvrages  précédents  sur  la  philosophie,    le  service  ^'^^ 
rendu  en   mettant  en  latin  les  doctrines  des  Grecs,  les  droits  qu'il  ci^^ 
*  avoir  à  écrire,  et  il  exhorte  son  fils  à  lire  ses  ouvrages. 

Le  premier  sujet  qu'il   veut  traiter  avec  lui,  c'est  le  devoir.  Ces^ 
pratiquer  le  devoir  que  consiste  l'honnêteté  de  la  vie.  Aussi  ce  saj^^ 
été  traité  par  tous  les  philosophes;  mais  il  y  a  plusieurs  écoles,  ^ 
droit  den  parler  n'appartient  qu'aux  stoïciens,  aux  académiciens  et  >^ 


ROMAINS.    —    CICÉRON 


001 


pripaléticiens.    pav3c    que  seuls  ils  metteiU    l'honnête    avant  tout.  Il 
suivra    donc  les    stoïciens,  mais  sans  renoncer  à  sou  jugement  propre. 
Il  annonce  la  définition  des  devoîrs,mais  il  se  contente  de  les  distinguer 
du  souverain  bien  et  de  les  diviser. 

Il  ne  traitera  pas  ici  de  la  connaissance  des  vrais  biens,  mais  des  pré- 
ceptes particuliers  qui  doivent  régler  toutes  les  actions  de  la  vie. 
On  distingue  le  devoir  parfait,  rectum,  xaTopGwjxa,  et  le  devoir  moyen, 
xaOTixov.  11  divisera  son  ouvrage  d'après  les  trois  questions  dePanétius: 
!«»  L'acte  à  faire  est-il  honnête;  2*  est- il  utile;  3M'acte  qui  parait  utile 
n'est-il  pas  opposé  à  l'honnête. 

Ici,  pour  en  venir  à  l'idée  de  l'honnête,  Cicéron  remonte  au  principe 
stoïcien  exposé  dans  le  traité  de  finibus,  l'instinct  de  la  conservation, 
et  le  désir  innÀ  de  sa  propre  perfection.  D'où  il  conclut  que  l'homme 
doit  poursuivre  l'honnête,  parce  qu'il  possède  la  raison. 

Il  y  a  quatre  sources  de  l'honnête  :  la  prudence,  la  justice,  la  force 
et  la    tempérance. 

L'objet  de  la  prudence  c'est  la  vérité.  Nous  y  avons  un  penchant 
inné.  Mais  il  faut  éviter  deux  excès:!®  croire  vrai  ce  qui  ne  l'est 
pas;  2"  consacrer  trop  de  temps  aux  questions  spéculatives,  et  négliger 
les  affaires.  Tout  le  prix  de  la  vertu  consiste  dans  l'action. 

La  vertu  gardienne  de  l'ordre  social  se  divise  en  deux  :  la  justice  et 
la  bienfaisance. 

La  première  loi  de  justice  est  de  ne  nuire  à  personne,  si  l'on  n'y  est 
-  forcé  par  une  attaque  injuste  ;  la  seconde,  d'user  comme  d'un  bien  com- 
mun de  ce  qui  est  à  tous,  comme  d'un  bien  propre  de  ce  qui  est  à  soi. 
Or  la  nature  ne  détermine  pas  les  biens  privés  :  ils  viennent  d'une 
ancienne  occupation,  comme  lorsqu'on  s'est  établi  le  premier  sur  une 
terre  sans  maître  ;  ou  de  la  victoire,  comme  les  conquêtes  faites  à  la 
guerre;  ou  d'une  loi»  d'un  contrat,  d'une  condition  acceptée,  ou  du  sort. 
D'où  il  suit  qu'il  faut  respecter  la  propriété  de  chacun. 

Le   fondement   de   la   justice   est  la  bonne  foi ,   qui  consiste  à  être 
sincère  dans  ses  paroles  et  fidèle  à  ses  engagements. 

Il  y  a  deux  sortes  d'injustice  :  celle  que  l'on  fait,  et  celle  que  l'o» 
laisse  faire,  pouvant  l'empêcher.  Quelquefois  la  crainte  est  la  cause  de 
l'injustice,  plus  souvent  c'est  la  cupidité.  La  cupidité  elle-même  est 
inspirée  par  l'amour  des  jouissances,  par  l'ambition.  On  laisse  faire  le 
mal  par  la  crainte  des  inimitiés,  ou  du  travail,  et  par  négligence,  ou 
parce  qu'on  a  le  cœur  porté  à  d'autres  occupatfbns. 

Les  circonstances  peuvent  rendre  injuste  une  action  qui  est  juste   en 
elle-même.    Un   devoir  supérieur  dispense  de  raccomplissement  d'un 

39 


602  HISTOIRE    DE    LÀ   PHILOSOPHIE 

devoir  inférieur.  L'interprétation  malicieuse  de  la  lettre  de  U  laipe^ 
aussi  devenir  une  injustice  et  justifier  ce  proverbe:  Summum  jv?.»^»- 
ma  injuria. 

11  faut  préférer  la  paix  à  la  guerre,  et  faire  celle-ci  avec  modèratkB. 
Gicéron  remarque  ici  que,  par  générosité,  on  a  adouci  l*expr^dQ.  a 
nommant  l'ennemi  hostia  (hôte,  étranger).  La  guerre  doit  avoir  es 
causes  justes.  Il  faut  à  l'exemple  de  Réguius  garder  la  bonne  foi  méoi 
envers  ses  ennemis.  11  faut  observer  la  justice  même  envers  les  &^ 
ves.  Des  deux  manières  de  commettre  l'injustice:  la  violenoec^ii 
fraude,  la  dernière  e^it  la  plus  odieuse,  et  lin  justice  la  plus  crinuae& 
est  celle  qui  s'enveloppe  des  dehors  de  la  probité. 

11  faut  pratiquer  la  bienfaisance  de  manière  à  n*ôtre  nuisible  à  ps*- 
sonne;  observer  les  limites  de  sa  propre  fortune  et  l'avantage  nûâ» 
celui  à  qui  on  accorde  un  bienfait. 

De  préférence  nous  devons  faire  du  bien  à  ceux  qui  le  méritent  im«>i 
par  leurs  mœurs,  par  leulr  attachement,  parleurs  services,  par teoR 
relations  de  parenté  avec  nous.  Viennent  ensuite  nos  coacitoyem  e^ 
enfin  tous  les  hommes. 

La  force  ou  grandeur  d'âme  doit  avant  tout  être  juste  eilesstaSàm 
la  définissent  avec  raison  :  La  vertu  combattant  pour  Téquité.  B  ^ 
difficile  à  une  âme  forte  de  ne  pas  se  laisser  emporter  au-delà  de  U 
justice,  parce  qu'elle  poursuit  la  gloire. 

LJue  âme  véritablement  grande  recherche  avant  tout  ce  qui  est  lieiB 
et  honnête,  et  affronte  toutes  les  difficultés.  Elle  méprise  ce  qui  ^^ 
l'envie  du  vulgaire  et  ne  se  laisse.ni  arrêter  par  la  crainte,  ni  détoon)^ 
par  la  convoitise. 

C'est   un    préjugé   que   de   mettre   la  gloire   militaire  au  dessus  ââ 

mérite   civil.  Cicéron  se   donne  lui-même  en  exemple. 

La  force  dont  il  est  question  ici  réside  dans  l'àme,  mais  elle  exige  ^^ 
forces  du  corps  ;  il  faut  donc  exercer  celui-ci  pour  le  rendre  capal^ 
d'obéir  à  l'esprit  et  k  la  raison.  Mais  il  faut  surtout  s'exercer  i  ^ 
sagesse  et  ne  pas  se  laisser  emporter  avec  tiMnérité.  La  grandeur  d'ifl>' 
ainsi  réglée  évite,  à  la  guerre,  toute  cruauté  Inutile,  et  ne  va  passant 
motif  au  devant  des  périls,  et  dans  les  affaires  civiles,  elle  cherche  avssi 
tout  le  bien  commun  ;  si  elle  doit  punir,  elle  le  fait  avec  justice  et  ai^ 
colère.  Enfin  dans  la  vie  privée,  la  grandeur  d'âme  nous  fait  acquén^ 
la  fortune  et  nous  apprend  à  la  conserver  et  à  en  user  pour  le  bieo  ^ 
tous.  * 

La  tempérance  qui  commande  le  respect  de  soi-même  et  deaautff*- 
comprend  la  bienséance  ou    le  décorum,  qui  se  confond  presque  •^'^ 


ROMAINS  —  CICBRON  (503 

'honnête.    ËUe  consiste  k   mettre   toutes  nos  actions  en  rapport  avec 
'excellence  de  notre  nature,  comme  les  poètes  observent  les  bienséances 
ittéraires   en    faisant   parler    leurs  personnages    selon  le  caractère  de 
ïtiacun    d'eux.   Elle   règle  les  mouvements  du  corps  et  surtout  ceux  de 
•âme,    elle   soumet    leç  appétits  à  la  raison.  Elle  enseigne  la  décence 
ians  les  jeux  et  dans  les  paroles  ;  elle  nous  fait  mépriser  les  plaisirs  des 
sens,    pour  rechercher  les  plaisirs  de  Tàme,  plus  en  rapport  avec  notre 
nature.    Mais  elle  n'est  pas  la  même  pour  tous  et  chacun  doit  y  garder 
son  naturel.  C'est  d'après  ce  principe  que  chacun  doit  choisir  son  genrt^ 
de  vie. 

Les  devoirs  de  bienséance  diffèrent  aussi  selon  les  âges  et  les  condi- 
tions, et  la  conduite  d'un  jeune  homme  Ae  doit  pas  être  celle  d'un  vieil- 
lard, ni  la  conduite  d'un  simple  particulier  celle  d'un  magistrat. 

N'écoutons  pas  les  cyniques,  qui  nous  reprochent  d'attacher  aux  noms 
une  honte  qui  n'est  pas  dans  les  choses.  Il  est  contraire  à  la  pudeur 
de  faire  ou  même  de  dire  en  public  ce  qu'on  peut  faire  sans  honte  en 
secret. 

Même  attention  pour  les  gestes  et  pour  les  vêtements  :  que  rien  en 
nous  ne  soit  efféminé  ;  mais  il  est  bon  de  donner  au  visage  un  teint 
viril  et  à  tout  le  corps  une  propreté  sans  affectation.  Il  faut  même 
exercer  sa  voix  et  sa  diction  pour  ne  pas  choquer  ceux  qui  nous  écou- 
tent. La  maison  même  doit  être  en  rapport  avec  le  rang  de  celui  qui 
roccupe. 

A  la  bienséance  il  faut  joindre  Tà-propos.  C'est  l'art  de  ne  rien  faire 
et  de  ne  rien  dire  qui  ne  soit  à  sa  place.  Cicéron  discute  ensuite  la 
convenance  des  professions.  Il  les  distingue  en  libérales  et  serviles,  et 
parmi  les  dernières  il  en  trouve  d'odieuses  et  de  viles.  Le  commerce 
n'est  pas  noble  s'il  se  fait  en  petit  ;  fait  en  grand,  il  n'est  pas  absolu- 
ment blâmable;  mais  le  meilleur  moyen  d'accroître  sa  fortune,  c'est 
l'agriculture. 

Ayant  achevé  de  traiter  de  ce  qui  est  honnête,  Cicéron  compare  entre 
eux  le  différents  devoirs  de  cette  classe,  et  déclare  que  les  devoirs  qui  ont 
pour  objet  l'action  et  la  vie  sociale  ont  le  pas  ^r  les  devoirs  qui  n'ont 
pour  but  que  la  science.  Cependant,  les  devoirs  de  la  pudeur  remportent 
sur  les  intérêts  mêmes  de  l'Etat,  si  toutefois  il  est  permis  de  supposer 
une  pareille  opposition.  Enfin,  l'ordre  des  devoirs  est  celui-ci  :  les  dieux, 
la  patrie,  les  parents,  les  autres  hommes. 

Dans  le  second  livre,  Cicéron  étudie  comme  mobiles  de  nos  actions 
les  besoins  de  la  vie,  la  gloire  et  la  fortune:  en  un  mot  Yuitle.  Rien 
dans  le  monde  ne  nous  est  aussi  utile  ou  aussi  nuisible  qu3  les  hommes, 
et  d'ailleurs  rien  n'est  vraiment  utile  que  ce  qui  est  honnête. 


004  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

L'homme  a  besoin  de  la  société  ;  dés  lors  le  plus  utile  pour  loi  ces 
de  se  concilier  la  bienveillance  des  autres.  Pour  cela  îl  faut  se  fait 
aimer  et  non  se  faire  craindre. 

La  gloire  repose  sur  trois  bases  :  l'amour,  la  confiance  et  radmir&tio: 
du  peuple.  L'amour  se  gagne  par  les  bienfaits;  la  confiance,  parla 
prudence;  l'admiration,  par  les  grandes  qualités.  Mais  tout  cela  iMt 
être  uni  à  la  vertu,  et  principalement  à  la  justice.  L'éloquence  empkFyée 
à  défendre  les  innocents  est  aussi  un  excellent  moyen  d'acquérir  l'estime, 
dans  le  jeune  âge.  Plus  tard  on  emploiera  les  bienfaits,  soit  par  if 
services  personnels,  soit  par  des  dons  d'argent  ;  mais  il  faut  y  gardf 
une  juste  mesure  entre  l'avarice  et  la  prodigalité. 

Il  faut  aussi  rendre  service  à  l'Etat;  mais  on  ne  doit  jamais  cb^die 
à  paraître  servir  le  peuple  au  détriment  de  la  République. 

L'économie  domestique  et  le  soin  de  sa  j^anté  sont  aussi  des  bi«i^ 
qu'il  convient  de  poursuivre. 

Enfin,  dans  la  comparaison  de  l'utile  à  l'utile,  les  biens  de  râmedoè 
vent  passer  avant  les  biens  du  corps. 

Le  troisième  livre  compare  Vutile  à  Vhonnéte.  En  principe,  rutilite 
ne  peut  pas  exister  en  dehors  de  l'honnêteté.  L'opposition  ne  peut  «Hie 
qu'apparente,  et  si  la  vertu  semble  contraire  à  un  autre  avantage,  3 
faut  i^uivre  la  maxime  stoïcienne  :  «  Le  tort  fait  à  autrui  est  plus  ccù- 
traire  à  la  nature  que  la  souffrance,  la  pauvreté  ou  la  mort.  »  L'bonoéte 
est  le  seul  bien  désirable  on  au  moins  le  plus  désirable  en  soi. 

L'honnête  homme  n'hésite  jamais  entre  son  devoir  et  son  intérêL 
D'ailleurs,  dès  qu'une  chose  est  honteuse,  elle  ne  peut  servir  nos  intérêts. 

Ces  analyses,  déjà  trop  longues  pour  notre  ouvrage,  sufiisent  à  faire 
connaître  les  doctrines  de  Cicéron,  mais  ne  peuvent  donner  une  idée 
exacte  de  l'intérêt  qu'offrent  les  écrits  philosophiques  de  Cfoèit». 
Nous  ne  pouvions  pas  reproduire  les  exemples,  les  auecdotes,  les  deuils 
historiques  dont  ces  traités  sont  semés  et  qui  en  rendent  la  leetore 
aussi  attrayante  qu'utile.  Le  fond  de  la  doctrine  y  est  à  peu  prés  sans 
reproche,  car  Cicéron  ne  tombe  jamais  dans  les  excès  des  écoles  qnll 
prend  pour  guides,  et  partout  c'est  le  bon-sens  qui  parle,  avec  le  secoors 
d'une  riche  érudition  et  d'une  profonde  expérience. 

218.  Sébèque.  —  Lucius  Annœus  Seneea  naquit  à  Cordoo», 
en  Espagne,  l'an  2  après  J.-C.  11  était  flls  de  Sénôque  le  Rhétear, 
qui  l'amena  à  Rome  encore  jeune.  11  se  livra  tour-à-tour  au  bs^ 
peau  et  à  la  philosophie.  Sur  une  accusation  que  Ton  croit  calom- 
nieuse, il  fut  exilé  par  Claude  et  rappelé,  Tan  47,  par  Agrippioe 


ROMAINS   —   SÉNÈQUE  605 

qui  lui  confia  ainsi  qu'à  Burrhus,  l'éducation  d^  son  fils  Néron- 
Leurs  efforts  parurent  d'abord  couronnés  desuccès,chez  leur  royal 
élève;  mais  l'amour  et  la  jalousie  prirent  bientôt  le  dessus  et  Né- 
ron ne  fut  plus  qu'un  monstre.  Sénôque  s'abandonna  à  la  crainte, 
au  point  d'écrire  au  Sénat  pour  justifier  Néron  d'avoir  fait  assas- 
siner sa  mère.  Cette  basesse  ne  le  mit  pas  à  l'abri  des  coups  du 
cruel  empereur.  En  vain  il  lui  offrit  tous  ses  biens,  en  se  retirant  à 
lacampagne,  ne  mangeant  que  des  fruits  qu'il  cueillait  lui-môme  et 
ne  buvant  que  l'eau  qu'il  puisait  lui-môme  à  la  source,  pour  n'être 
pas  empoisonné.  Un  centurion  vint  lui  apporter  l'ordre  de  s'ouvrir 
les  veines.  Alors  Sénôque  fit  appel  à  sa  pbilosopbie  et  accepta  la 
mort  en  stoïcien.  Il  avait  64  ans.  C'était  l'an  66, 

Dans  ses  écrits,  Sénôque  se  montre  stoïcien  dans  toute  la  force 
du  terme.  Il  s'est  peu  occupé  de  la  partie  spéculative,  mais  on 
peut  voir,  par  ce  qu'il  en  dit,  qu'il  pense  au  fond  comme  le  Porti- 
que et  que  son  Dieu,  dont  il  exalte  la  providence,  n'est  autre 
chose  que  l'âme  du  monde,  comme  l'âme  n'est  pour  lui  qu'un  com- 
posé d'éléments  subtils. 

11  traite  plus  longruement  la  morale  et  là  il  exagère  môme  les 
excès  des  stoïciens.  Le  sage  est  libre  en  vivant  selon  la  nature  ;  il 
est  Tauteur  de  sa  vertu  ;  il  se  suffit  &  lui-môme  et  se  montre  supé- 
rieur au  monde  parce  qu'il  en  méprise  les  peines  aussi  bien  que 
les  plaisirs .  D'ailleurs  il  sait  quitter  la  vie  quand  il  ne  peut  plus 
la  régler  à  son  gré.  C'est  ainsi  que  Sénôque  recommande  le  suicide 
comme  le  suprême  exercice  de  la  liberté. 

Cependant,  à  côté  de  ces  exagérations  fâcheuses  on  peut  lire  avec 
fruit  une  profonde  analyse  du  cœur  humain  et  des  passions,  et 
surtout  relativement  à  la  bienfaisance  et  à  l'amour  du  genre 
humain,  des  doctrines  bien  supérieures  aux  principes  de  la  philoso- 
phie païenne,  et  qui  laissent  voir  Tinfluence  naissante  du  christia- 
nisme. 

Les  écrits  de  Sénôque  qui  nous  sont  parvenus  sont  :  Consola- 
tion à  Hetvia;  id.  à  Polyhe;  ici,  à  Marcia;  de  la  Constance  dtc 
sage;  du  Repos  et  de  la  retraite  du  sage;  de  la  Tranquillité  de 
Vâme;  de  la  Vie  heureuse;  de  la  Colère^  en  3  livres;  de  la  Clé- 
,  menée,  en  2  livres;  des  Bienfaits^  en  7  livres;  et  les  Lettres  d 
Lnctlius,  au  nombre  de  124. 


606  HISTpIRB  DB  LA.  PHIL080PHIB 

On  y  trouve  aussi  quelques  pièces  de  vers  et  une  facétie  a^K 
peu  digne,  sur  la  mort  de  Claude,  qui  a  pour  titre  Apocofoqm*- 
tose,  et  que  pour  l'honneur  de  Sénôque  nous  voudrions  ne  pat 
trouver  dans  ses  œuvres. 

219.  Epîctète.  —  On  ne  connaît  pas  la  date  de  la  naissance  k 
de  la  mort  d'Epictète.  Né  à  Hiérapolis  en  Phrjgie,  il  était  esdl&v» 
d'Epaphrodite,  lui-môme  affranchi  de  Néron.  Il  appartient  donc  à 
la  deuxième  moitié  du  premier  siècle  de  notre  ère.  On  cite  de  Isi 
nu  trait  qui  montre  jusqu'à  quel  point  il  pratiqua  la  doctnnedii 
Rtofciens.  Un  jour  que  son  maître  Epaphrodite  s'amusait  à  Ini  ton- 
dre la  jamhe,  il  se  contenta  de  lui  dire  plusieurs  fois  :  «  Vous  aile? 
la  casser.  »  Le  maître  continua  et  la  jambe  se  rompit  en  eiet. 
Alors  Epictôte  ajouta  :  «  Je  vous  avais  bien  dit  que  vous  la  car 
seriez.  » 

Affranchi  par  son  maître,  Epictète  enseigna  la  philosophie  à 
Rome,  et  lorsque  Domitien  eut  chassé  tous  les  philosophes,  en  ^K 
il  se  retira  à  Nicopolis  en  Epire^  où  la  jeunesse  romaine  allait 
l'entendre. 

Il  est  probable  qu'Epictôte  n'a  rien  écrit,  mais  Arrien.son  disci- 
ple, nous  a  transmis  ses  enseignements,  dans  son  EncTiiridion  63 
Manuel  d'Epiotêtej  et  dans  les  Entretiens  <V Epictète^  oavw^ 
dont  il  ne  nous  reste  que  les  quatre  premiers  livres  des  huit  dont  il 
se  composait. 

Le  Manuel  d'Epictrie  est  un  court  résumé  de  ses  maximes.  D  est  re- 
dire eu  langue  grecque,  en  (orme  de  scnlences  et  presque  sans  oHrr 
On  n'y  trouve  que  des  conseils  moraux  basés  sur  les  théories  des  stoï- 
ciens, mais  avec  des  adoucissements  qui  les  rapprochent  de  la  morale 
chrétienne.  En  voici  les  pensées  principales. 

Les  actes  de  notre  àme  dépendent  de  nous  :  ils  sont  libres  ;  les  hie» 
extérieurs  ne  dépendent  pas  de  nous.  C'est  faute  de  faire  cette  distîDC- 
tion  que  Ton  s'afllige  quand  on  n'a  pas  les  biens  extérieurs. 

Il  ne  faut  désirer  que  ce  que  l'on  peut  obtenir.  On  ne  doit  j>as  m- 
blier,  en  aimant,  que  Ton  aime  des  choses  périssables. 

Los  obstacles  naturels  et  inévitables  n'enlèvent  rien  à  notre  lit;ertc 
conforme  à  la  nature,  et  l'homme  sage  ne  veut  rien  que  selon  la  natur>' 

On  ne  saurait  justement  être  fier  de  la  beauté  des  choses  que  lot; 
possède:  cette  beauté  n'est  pas  on  nous. 


ROMAINS   —    ÉPICTÈTE  607 

La  vie  est  comme  ua  voyage  sur  mer.  où  il  faut  être  sans  cesse  aux 
ordres  du  patron  et  tout  quitter  pour  lui  obéir. 

Régloas  nos  désirs  sur  les  événemeats,  et  ne  ctierchons  pas  que  les 
événements  se  règlent  sur  nos  désirs. 

Toute  pert?  de  bien  est  une  restitution.  Ton  Ûls  est  mort;  tu  Tas 
rendu.  Usons  de  nos  biens  comme  le  voyageur  use  d'une  hôtellerie. 

<  Il  vaul  mieux  mourir  de  faim  exempt  de  crainte  et  de  chagrin,  que 
<le  vivre  dans  l'abondance  avec  le  trouble  dans  Tâme  ;  il  vaut  mieux 
aussi  que  ton  esclave  soit  mauvais,  que  toi  malheureux.  » 

«  8i  tu  veux  faire  des  progrès  dans  la  vertu,  aie  le  courage  de  passer 
pour  un  imbécile  et  pour  un  insensé.  > 

«  Souviens-toi  que  tu  es  ici  bas  comme  sur  un  théâtre,  pour  y  jouer 
lerôle  qu'il  a  plu  au  maître  de  te  donner.  9 

£n  présence  des  présages,  il  faut  dire:  «  Quels  que  soient  les  évcue- 
ments,  il  dépend  de  moi  d'en  tirer  un  avantage.  » 

«  Que  la  mort  soit  sans  cesse  devant  tes  yeux.  Par  ce  moyen  tu 
n'auras  aucune  pensée  basse  et  tu  ne  désireras  rien  avec  trop  d'ar- 
deur. » 

Quand  un  malheur  nous  frappe  disons-nous  à  nous-mômes  ce  que 
nous  dirions  à  un  autre  en  pareil  cas  :  a  C'est  le  sort  de  l'humanité,  » 

«  O  homme  1  considère  d'ubord  ce  que  tu  veux  entreprendre  ;  examine 
ensuite  ta  nature,  pour  voir  si  le  fardeau  que  tu  t'imposes  e^t  propor- 
tionné à  tes  forces.  » 

«  Tous  les  devoirs  se  mesurent  en  général  par  les  rapports  qui  lient 
les  hommes  entre  eux.  C'est  ton  père  ?  ton  devoir  est  d'en  prendre  soin, 
de  lui  céder  en  tout,  de  souffrir  ses  réprimandes  et  ses  mauvais  traite- 
ments. Mais  ce  père  est  méchant!  Qu'importe?  La  nature  t'avait-elle 
lié  nécessairement  à  un  bon  père  *?  Non,  mais  à  un  père.  Ton  frère  t'a 
fait  une  injustice?  remplis  tes  devoirs  envers  lui,  et  ne  considère  point 
ce  qu'il  a  fait,  mais  ce  que  tu  dois  faire  et  ce  que  la  nature  exige 
de  toi.  9 

«Sache  que  le  principal  fondement  de  la  religion  est  d'avoir  des  opi- 
nions •droites  snr  les  dieux;  de  croire  qu'ils  existent,  qu'ils  gouvernent 
le  monde  avec  autant  de  justice  que  de  sagesse;  d'être  persuadé  que  tu 
dois  leur  obéir,  et  te  soumettre  sans  murmurer  à  tous  les  événements, 
comme  étant  produits  par  une  intelligence  infiniment  sage.  » 

<i  Garde  le  silence  le  plus  souvent  ;  ne  dis  que  les  choses  nécessaires, 
et  toujours  en  peu  de  mots.  Ne  nous  entretenons  jamais  de  choses  fri- 
voles   mnis  gardo:is-nou.s  surtout  de  parler  des  hommes,  soit  pour 

les  blr^mer,  soit  pour  les  louer,  ou  pour  les  comparer  entre  eux.  » 


^8  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIB 

«  Si  l'on  le  rapporte  que  quelqu'un  a  mal  parlé  de  toi,  ne  l'ames 
point  à  te  justifier;  réponds  seulement:  «Il  n'a  pas  connu  m^  aaL«! 
défauts,  car  il  aurait  dit  encore  plus  de  mal  de  moi.  » 

«  8i  cette  action  est  mauvaise,  ne  la  fais  point  ;  et  si  elle  est  Inxm 
que  t'importe  le  blâme  de  ceux  qui  te  condamnent  injustement?  • 

220.  Coup-d'œil  général.  —  La  philosophie  grecque  pTWtï 
ses  fondements  dans  une  tradition  trop  altéi-ée  a  fait  de  xaiff 
efforts  pour  relever  Thomme  moral.  Le  besoin  de  vérité  etdebka 
a  fait  surgir  des  travaux  souvent  dignes  d'admiration,  et  Bieo  a 
même  suscité  plus  d'une  fois  des  hommes  de  génie,  pour  arrêta  h 
décadence  de  Tesprit  humain.  Malgré  cela,  la  philosophie  livT« 
k  elle-même  n'a  pu  que  ralentir  la  marche  descendante;  elle  n'a  pa 
Tarréter.  Les  plus  nobles  élans  vers  la  vérité  ont  ohaaii  «a 
scepticisme;  la  notion  du  vrai  Dieu  n'a  jeté  que  de  rares  laenrs  « 
le  peuple  est  demeuré  dans  son  polythéisme  abject,  où,  sei»h 
parole  énergique  de  Bossuet,  a  tout  était  Dieu  excepté  Dieu  la- 
méme.  r>  Le  matérialisme  règne  sur  les  intelligences  et  sur  I» 
cœurs;  la  morale  d'Epicure  est  devenue  universelle;  les  belles tli»- 
ries  des  stoïciens  sur  la  vertu  n'ont  pas  introduit  la  justioe  ^ 
l'honnêteté  dans  les  mœurs.  Bien  plus»  les  plus  grands  phiJosopliff 
eux-mêmes  n'ont  pas  su  s'affranchir  de  ce  vice  contre  nature  qsi 
fut  la  plaie  du  monde  païen,  et  Socrate  et  Platon  n'échappent  pa^ 
à  ce  reproche.  Les  esclaves,  beaucoup  plus  nombreux  que  te§ 
hommes  libres,  sont  traités  avec  moins  de  respect  que  les  hèies,  et 
le  suicide  souille  souvent  à  la  fin  une  vie  consacrée  à  enseigner  le? 
plus  belles  théories  morales.  L'humanité  a  donc  besoin  d'une  ré^ 
hôration;  la  raison  est  presque  effacée  et  une  nouvelle  révélatica 
est  nécessaire  pour  la  ramener  dans  sa  voie. 

C'est  alors,  au  milieu  de  l'attente  universelle,  loi'sque  tous?  1* 
yeux  sont  tournés  vers  le  Rédempteur  promis  dès  le  commencemeot 
qu'apparaît  THomme-Dieu. 

Avec  les  enseignements  et  les  exemples  de  Jésus-Christ,  et  siI^ 
tout  avec  la  force  que  seul  il  communique  à  la  volonté,  la  raïs» 
humaine  va  prendre  un  nouvel  essort  et  discernant  désormaU, 
sans  incertitude,  la  vérité  d'avec  Terreur,  le  beau  d'avec  le  Mé. 
le  bien  d'avec  le  mal,  elle  pourra  mettre  à  profit  tous  les  efforts  de 
siècles  précédents  et  les  multiplier  dans  leur  résultats ,  par  rie- 


L28    CHRÉTIENS  609 

-troduction  des  doctrines  de  l'Evangile.  Ce  sera  la  vraie  philosophie 
olassique,  désormais  sûre  d'elie-mômey  poar  tous  ceux  qui  la  cher* 
olieront  d^  bonne-foi.  Ce  sera  la, philosophie  catholique. 

S!  l'on  veut  plus  de  développement  à  cette  thèse  que  tous  Ae  faisons 
qu'indiquer  ici,  on  pourra  lire  avec  fruit  VHisioire  de  VEglise  de 
M.  l'abbé  Darras,  tome  IV%  p.  163-194.  On  y  trouvera  une  démonstration 
complète  de  l'impuissance  de  la  philosophie  païenne»  de  la  dégradation 
universelle  à  cette  époque  et  du  besoin  que  le  monde  avait  d'un  ré- 
dempteur, même  au  simple  point  dé  vue  de  la  raison. 

2*  PÉRIODE 

PHILOSOPHIE  DU  MOYEN  AGE 

221 .  Division.  —  Nous  comprenons  sons  ce  titre,  non-seule- 
ment le  mojen-âge  proprement  dit,  mais  encore*  les  premiers  siô- 
des  chrétiens.  C'est  pourquoi  nous  diviserons  cette  période  en 
trois  époques,  comme  il  suit  : 

1^  Philosophie  des  huit  premiers  siècles  chrétiens. 
.2<>  Philosophie  scolastique. 
3*^  La  Renaissance.  Décadence  de  la  Scolastique. 

PREMIÈRE    ÉPOQUE 

PHILOSOPHIE  DES  HUIT  PBEHIESS  8IÎGLIS  (MBÉTifllS 

222.  Dmsion.  —  Ce  que  nous  devons  surtout  considérer  ici 
c'est  la  philosophie  chrétienne,  comme  ayant  emprunté  à  la  phi- 
losophie grecque  tout  ce  que  celle-ci  avait  de  vrai,  comme  Tajant 
corrigé  par  les  données  de  la  Révélation  chrétienne,  comme  ayant 
préparé  la  philosophie  scolastique .  Mais  il  convient  de  mettre  en 
regard  les  recherches  de  la  philosophie  non  classique  à  cette  môme 
époque,  c'est-a-dire  les  travaux  des  derniers  philsopbes  païens  et 
ceux  des  hérétiques,  qui  fournirent  aux  Pères  de  l'Eglise  Tocca- 
sion  d'exposer  leur  philosophie.  A  la  fin  nous  rencontrerons  les 
Arabes  et  nous  exposerons,  en  un  seul  article,  tous  leurs  systèmes, 
pour  ne  plus  y  revenir.  Donc  huit  paragraphes  : 

1 .  Philosophie  du  Nouveau  Testament. 


610  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

2.  Philosophes  catholiques  des  !•*,  2*  et  3.  siècles. 

3.  Philosophes  païens  et  hérétiques  du  môme  temps , 

4.  Philosophes  catholiques  des  4^  et  5«  siècles. 

5.  Philosophes  païens  et  hérétiques  du  même  temps. 

6.  Philosophes  catholiques  des  6%  T  et  8*  siècles. 

7.  Philosophes  païens  et  hérétiques  du  môme  temps. 

8.  Philosophie  des  Arabes. 

,S   I.  —  PKILOSIPHII    DU  lODTSAD  TISTHIBIT 

223.  Obsenration.  —  Lorsqu'au  commencement  de  cette  k» 
toire,  nous  avons  exposé  brièvement  la  philosophie  de  l'Afica 
Testament  sous  le  titre  philosophie  de  la  Bible,  nous  arioiis  par 
but  de  montrer  que  les  Juifs  eurent  une  philosophie,  qui  pcmr  ^ 
moins  méthodique  que  celle  des  Grecs,  ne  fut  pas  moins  com^'& 
au  point  de  vue  des  vérités  reconnues,  au  contraire . 

Ici  notre  pensée  est  toute  différente,  nous  ne  voulons  pas  ise- 
trer  que  l'Evangile  emploie  quelquefois  le  raisonnement  et  ftr> 
de  la  philosophie  ;  nous  voulons  établir  que  la  somme  des  Téîv 
tés  reconnues  et  démontrées  par  la  philosophie  classique  ch£z  k 
peuples  chrétiens  a  été  introduite  dans  le  monde  par  la  prédicat 
de  TEvangile. 

Et  d'abord  tout  ce  qu'il  y  a  de  vérité  aflSrmées  dans  les  lin» 
de  l'Ancien  Testament,-  sur  Dieu,  sur  l'âme  humaine  et  sur  ii 
morale,  était  resté  presque  entièrement  la  propriété  des  Juifs,  ^^ 
les  Grecs  avaient  même  eifacé  par  leurs  discussions  le  peu  que  i^ 
Tradition  leur  en  avait  apporté.  Sidoncnoos  retrouvons  les  mèœsî 
vérités  affirmées  hautement  par  les  Pères  de  l'Eglise,  nous  a®- 
mes  autorisés  à  en  faire  honneur  à  la  prédication  de  rEvangileqsi 
*  répandit  dans  le  monde  les  livres  de  l'Ancien  Testament  aussi  Ma 
que  ceux  du  Nouveau. 

Après  cela  il  est  inutile  de  rechercher  en  détail  ce  que  le  Noi- 
veau  Testament  renferme  de  plus  que  l'Ancien,  comme  véritis 
philosophiques  ;  il  est  inutile  de  remarquer  que  Dieu  y  est  moatï* 
avec  plus  de  précision,  dans  sa  nature  et  surtout  dans  la  Triait 
de  ses  personnes,qu'on  y  voit  surtout  éclater  davantage  son  aiû«r 
pour  les  hommes,  qu'il  s'y  rapproche  davantage  des  hommes  ^ 


l'évanqilb  611 

s'en  laisse  approcher  avec  plus  de  confiance,  et  qa*ayec  un  culte 
plus  spirituel,  la  morale  devient  aussi  plus  haute,  car  Ton  y  voit 
non-seulement  recommandées,  mais  pratiquées,  des  vertus  que 
Tancien  monde  n'avait  pas  m§me  conçues  ;  nous  voulons  dire  la 
charité  et  la  chasteté . 

G*est  ainsi  que  le  ChrisHanisme  a  réformé  et  presque  créé  la 
vraie  philosophie. 

En  effet,  nous  Tavons  amplement  démontré  par  tout  ce  qui 
précède,  la  philosophie  n'a  pas  découvert  les  vérités  qu*elle 
démontre,  quoiqu'elle  puisse  les  découvrir,  et  hien  plus,  livrée  à 
elle-même,  elle  n'a  pas  su  garder  intact  le  dépôt  qu'elle  avait  reçu 
de  la  Tradition. 

324.  Vérités  philosophiques  rappelées  par  rËvang^Ie.  -- 

L'espace  nous  manque  pour  développer  cette  thèse  et  pour  donner 
tout  ce  qu'on  pourrait  prendre  de  vérités  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment et  dans  T Ancien,  mais  quelques  citations  suffiront  pour 
démontrer  que  la  philosophie  classique  actuelle  a  puisé  dans 
l'Evangile  beaucoup  plus  que  dans  Platon,  et  que,  si  quelquefois 
elle  a  emprunté  aux  philosophes  païens  quelques-uns  de  leurs 
arguments,  pour  mieux  faire  voir  que  la  vérité  est  toujours  d'ac- 
cord avec  la  raison,  elle  ne  leur  a  jamais  emprunté  les  vérités 
elles-mêmes.  Voici  donc  quelques-unep  des  vérités  que  renferme 
l'Évangile  : 

Il  n'jaqu'un  seul  Dieu  {Marc,  xii,  29,  et  ailleurs)  ;  Il  est 
esprit  {Joan.  iv,  24.).  Dieu  seul  est  bon  {Imc,  xvin,  19)  ;  Dieu 
seul  est  sage  (Rom .  x vi,  27)  ;  Dieu  est  saint  et  trois  fois  saint  ; 
il  est  tout-puissant  (Apoc,  iv,  8)  ;  Il  est  lumière  (I  Joan.  i,  5)  ; 
Il  est  vérace  (Joan.  nr,  33)  :  Il  est  fidèle  à  sa  promesse  (I  Cor,  i, 
9).  C'est  îô  Dieu  de  patience  et  de  consolation  ;  le  Dieu  d'espé- 
rance et  de  paix  (Rom.  xv  passim)  ;  le  Dieu  riche  en  miséricorde 
(Eph.  Il,  4)  ;  Il  nous  a  aimés  le  premier  (I  Joan  iv,  19).  C'est 
Dieu  qui  a  créé  toutes  choses  (Heb.  m,  4).;  C'est  Dieu  qui  fait  tout 
en  nous,  qui  nous  donne  le  vouloir  et  le  faire.  (Philip,  ii,  13).  On 
sent  qu'avec  la  diffusion  deFÉvangile,  le  paganisme  va  disparaître: 
le  nom  dieux  au  pluriel,  si  souvent  répété  dans  l'Ancien  Testa- 
ment, n'est  pas  employé  une  seule  fois  dans  le  Nouveau. 


612  HISTOIRE   DB  LA  PHILOSOPHIE 

Dieu  est  Père,  Verbe  et  Saint-Esprit,  et  ces  trois  ne  wat^iB 
(I  Joan.  V,  7).  Enfin,  pour  tout  résumer  en  un  mot,  S«BtJ« 
i^oute  :  Dieu  est  charité  (I  Joan.  iv,  8). 

a  Au  commencement  était  le  Verbe...  et  le  Verbe  était D»- 
Tout  a  été  fait  par  lui. . .  Il  est  la  lumière  qui  éclaire  toat  k«» 
à  son  entrée  dans  le  monde. . .  Et  le  Verbe  s'est  fait  chair, «s» 
habité  parmi  nous,  et  nous  avons  vu  sa  gloire...  C'est  de» F 
nitude  que  nous  avons  reçu  la  grâce  »  (Joan\  i,  pasâml  0» 
besoin  les  premiers  chrétiens  avaient-ils  de  recoarir  ft  îto 
après  ces  paroles  ?  Et  certes,  on  n'accusera  pas  StJeandete»^ 
puisées  dans  Platon,  comme  on  a  voulu  voir  un  souvenir  de  Pii* 
dans  les  théories  catholiques  des  Pères  de  l'Église. 

M.  Fouillée  tient  même  que  Texpression  lurren  de  lumvu,  qoets* 
chantons  à  la  messe,  dans  le    symbole  de  Nicée,  a  été  e^DpnB^' 
Plotin.  C'est  pour  mieux  appuyer  sa  théorie  générale,  que  le  ^ 
catholique  8*est  développé  par  les  données  de  la  philosophie  ^^ 
Nous  sommes  d'un  avis  tout  opposé,  comme  nous  Tavons  dit  (Mi^ 
ici  en  particulier  nous  fesons  remarquer  que  TEvangile  dit  :  Iku»^ 
est  (I.  Joan,  i,  5)  et  ailleurs  elle  en  dit  autant  du  Verbe  de  D* 
Erat  lux  vera  quœ  ilîun^nat  omnem  /lomtncm.   N.  S.  Jésuy^ 
lui-même  dit:  Ego  sum  lux  mundi  {Joan  vit,    12).   Or  on  ai^  ?" 
selon  la  doctrine  de  l'Evangile,  le  Verbe  procède  du  Père,  fl  ^ 
lumière  de  lumière,  et  d'ailleurs  il  est  dit  au  livre  de  la  Sagesse  (^ 
Candor  est  lucis  œiernœ.  Nous  ne  voyons  donc  pas  que  le  coa^ 
Nicée  eût  besoin  d'emprunter  cette  idée  à  Plotin.   C'est  plutôt  ceis** 
qui,  venu  deux  siècles  après  S.  Jean,  la  lui  a  empruntée. 

En  rectifiant  l'idée  de  Dieu,  l'Évangile  rectifia  aussi  fid*  * 
l'homme,  il  rappela  que  Dieu  l'a  créé  à  son  image  {Gen.  i,  -" 
qu'il  l'a  créé  immortel  {Sap.  ii,  23)  et  surtout  il  donna  à  Vti^ 
une  haute  idée  de  lui-même  et  l'ennoblit  à  ses  propres  yeax»^* 
disant  que  Dieu  lui-môme  s'est  fait  homme  (Joan,  i,  14).  ^ 
même  temps  il  lui  disait  :  «  Tous  les  hommes  ne  sont  que  t^ 
cendre  »  (EccU,  xvii,  31)  et  le  Verbe  «  s'est  annéanti  ea  * 
nant  semblable  aux  hommes  »  (Philip,  n,  7).  C'était  lepré»'^ 
en  môme  temps  et  de  la  dégradation  et  de  l'orgueil,  les  dcnî 
contre  lesquels  la  philosophie  antifiue  s'était  montrée  plus  ^"^ 
santé. 


PREMIER  SIÈCLE  CHRÉTIEN  613 

Aussi  la  morale  de  T Evangile  surpasse  de  beaucoup  tout  ce  que 

les  hommes  avalent  pu  concevoir  de  plus  noble.  Il  ne  suffit  plus  de 

pratiquer  simplement  la  justice,  il  faut  aimer  son  prochain  comme 

soi-même,   et  ce  commandement  marche  de  pair  avec  celui  qui 

ordonne  a'aimer  Dieu  (Matth,  xxii,  40).  Bien  plus  l'observation 

deTamour  du  prochain  enferme  Tobservation  de  la  loi  toute  entiôrOy 

(Galat,  v.  14)  et  la  loi  s'accomplit  dans  Tamour,  (i?om.  xiii,  10). 

n  faut  s'aider  mutuellement,porter  les  fardeaux,  les  uns  des  autres 

(Qalat.  VT,  2)  et  cet  amour  il  faut  Tavoir  même  à  l'égard  des 

plus  petits,  {Matth.  x  et  xxv)  qu'il  faut  en  outre  craindre  de 

scandaliser  (Ma^^A.  xvm,  6).    Cette,  loi  nouvelle  condamne  en 

cela  toutes  les  lois  païennes,  qui  livraient  l'esclave,  Tenfant  et  la 

femme  à  la  merci  du  chef  de  famille.  Aussi,  le  mariage  devient 

un  lien  sacré,  qu'il  n'est  pas  permis  de  rompre;  on  lui  rend  sa  sainteté 

première  et  on  défend  non-seulement  les  actes,  mais  les  désirs 

môme    qui   sont  contraires  à  cette  sainteté.    (Marc,    x,  12; 

Matth.  V,  28  :   Matth.  xix,  8).  Enfin  pour  faire  contrepoids  à 

la  honteuse  dépravation  des  mœurs  païennes,  TËvangile  déclare 

louable  et  possible  la  virginité  (Matth.  xix,  12),  et  ses  disciples 

ont  démontré  par  les  faits,  qu'elle  est  possible  et  excellente. 

Voilà  quelques-unes  des  données  nouvelles  que  l'Evangile  a 
apportées  à  la  philosophie,  et  voilà  le  secret  de  la  supériorité  de 
nos  doctrines  philosophiques  sur  celles  des  temps  anciens. 

C'est  ce  travail  de  la  raison,  sur  les  vérités  enseignées  par  Dieu 
au  genre  humain,  que  nous  allons  maintenant  suivre,  dans  les 
siècles  chrétiens. 

S  2.  PHILOSIPHIS   GATHOLiaOlS   DIf  K   n-,  \W  SltCLIS 

225.  Observation.  —  Laissant  de  côté,  dans  le  1**  siècle,  VEpître  de 
S.  Barnabe  et  le  Pasteur  d'Hermas,  dont  le  fond  est  entièrement  thèo- 
logique,  il  est  d'usage  de  perler  dans  les  histoires  de  la  philosophie 
des  ouvrages  de  S.  Denys  l'Âreopagite.  Mais  depuis  deux  cents  ans  on 
semble  être  convenu  de  les  rejeter  comme  apocryphes,  et  de  les  attri- 
buer à  un  moine  du  V*  siècle,  comme  aussi  de  nier  sans  autre  forme 
que  S.  Denys  rAréopagite  soit  le  même  que  S.  Denys  le  1"  évèque  de 
Paris.  C'est  ainsi  que  M.  Franck  et  M.  Fouillée,  dont  les  ouvrages  sont 
lèeents  disent  encore  :  le  faux  Denys  VXréopagite,  et  regardent  comme 


614  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

démontrée  la  non-authenticité  des  ouvrages  qui  portent  ce  nom.  ' 
c'est  le  contraire  qui  est  aujourd'hui  victorieusement  démontré,  ^  ^ 
puis  les  travaux  de  Tabbé  Darboy,  qui  fut  depuis  archevêque  «le  ^ 
et  qui  est  mort  victime  de  la  Commune  en  1871,  et  après  les  noaîd^ 
confirmations  qu'a  apportées  à  cette  thèse  M.  Tabbé  Darras,  daos  ?* 
Histoire  de  VEglise,  il  n'est  plus  permis  de  douter  que  S.  DenyslAp*- 
pagite  ne  soit  le  même  que  S.  Denys,  1"  évoque  de  Paris,  et  qK  *^ 
ouvrages  qui  nous  sont  parvenus  sous  son  nom  ne  soient  réelteŒ*^ 
l'œuvre  de  ce  même  J3enys,  juge  de  l'Aréopage,  que  S.  Paul  convertit. 
C'est  pourquoi  nous  rétablissons  à  leur  place  ces  ouvrages  que  ^^ 
s'accordent  à  considérer  comme  ayant  une  grande  importance,  oui^  4^ 
tous  renvoyaient  au  cinquième  siècle. 

22.  S.  Denjs  FAréopagite.  —  Nous  savons-  par  les  A'^ 
des  Apôûres  (xvii,  34)  que  Denys  était  juge  &  l'Aréopage  ^^ 
St  Paul  vint  y  annoncer  le  Dieu  inconnu,  et  qu'il  fut  un  de  «si 
qui  se  convertirent.  Il  raconte  lui-môme  dans  une  lettre  à  * 
Poljcarpe,  qu'étant  à  Héliopolis  en  Egypte,  avec  ApoUopbtf^' 
alors  son  ami,  ils  furent  témoin  de  Téclipse  de  soleil,  qai  so^^^ 
contrairement  à  toutes  les  lois  astronomiques,  à  la  mort  de  ^■•^ 
Jésus-Christ.  Il  avait  alors  environ  vingt-cinq  ans.  Coarerti  pla^ 
tard  par  St-Paul,  il  fut  envoyé  en  Gaule  par  le  pape  SU:\éii^ 
et  reçut  le  martyre  à  Paris,  l'an  119. 

Les  ouvrages  que  nous  avons  de  lui  sont  :  de  la  Hiérâfty 
céleste,  de  la  Hiérarchie  ecclésiastique,  des  Nom  dirim. 
Théologie  mystique  et  dix  ^e^^r^^.Lebut  de  ces  écrits  était  de  c^ 
battreles  erreurs  des  hérétiques  d'alors  et  particulièrement  celte* 
Simon  le  Mage, mais  il  déclare  lui-raôme  qu'il  ne  veut  pas  i^^ 
polémique,  mais  établir  si  bien  la  vérité  qu'elle  se  soutienne  P^ 
elle-même  contre  toutes  les  erreurs.  Aussi  ses  livres  forment  b 
sorte  de  somme  théologique  d'autant  plus  intéressante  à  consflit* 
qu'elle  nous  donne  la  doctrine  des  premiers  chrétiens.  N^^*'* 
pouvons  dire  ici  que  quelques  mots  de  sa  philosophie. 

a  Avant  tout,  dit-il,  il  faut  proclamer  que  Dieu,  essence  sap 
mè,  a  fait  acte  damour  en  donnant  à  toute  chose  leur^'f 
propre,  et  en  les  élevant  jusqu'à  l'être,  car  il  n'appartient  qn* 
cause  absolue  et  à  la  souveraine  bonté  d'appeler  à  la  pâr<i«P* 
tion  de  son  existence  les  créatures  diverses,  chacune  au  deg^ 
elle  en  est  naturellement  capable.  » 


PREMIER  SIÊOLE  CHRÉTIEN  615 

a  L^infini  dans  son  excellence  reste  supérieur  à  tous  les  êtres  : 
Tanité  surémlnente  échappe  nécessairement  à  toute  conception;... . 
nature  suprême,  intelligence  incompréhensible,  parole  inénarrable 
sans  liaison,  sans  entendement,  sans  nom  ;  elle  n'existe  point  à  la 
façon  des  autres  existences  :  auteur  de  tenter  choses,  cependant 
elle  n'est  pas  de  la  façon  dont  les  autres  êtres  subsistent  parce 
qu'elle  surpasse  tout  ce  qui  est.  » 

S.  Denys  a  ici  l'intention  évidente  de  combattre  Simon  le  mage,  qui 
faisait  créer  le  monde  par  dés  Eons  inférieurs  à  Dieu  et  en  révolte 
contre  lui.  Et  pourtant  c'est  sur  ces  textes,  et  sur  d'autres  tout-à-falt 
analof^iics,  que  M,  Bouchiité.  dans  le  Dictionnaîre  de  M.  Franck,  ac- 
cuse S.  Denys  de  n'être  pas  entièrement  catholique  et  d'admettre  au 
dessus  de  la  Trinité,  un  autre  Dieu  supérieur,  comme  les  Alexandrins. 
Il  doune  ensuite  une  série  de  propositions  résumées  d'après  les  ouvra- 
fCes  de  S.  Denys,  et,  bien  qu'il  les  rédige  avec  la  pensée  préconçue 
qu'elles  sont  hérétiques,  nous  avons  le  regret,  de  lui  dire  quê^  même  tel 
qu'il  le  présente,  S.  Denys  n'est  pas  hérétique;  à  plus  forte  raison  ne 
l'est-il  pas  dans  ses  propres  paroles.  . 

De  plus  S.  Denys  dit,  il  est  vrai,  que  les  exemplaires  des  choses  pré- 
existent eu  Dieu  et  sont  en  lui  dans  une  simple  et  suressentielle  union, 
il  dit  aussi  que  le  mal  n'est  qu'une  privation  ;  mais  il  n'a  pas  pris  ces 
théories  dans  les  Alexandrins;  au  contraire,  ceux-ci  n'ont  écrit  qu'après 
lui,  et  s'il  a  fait  entrer  dans  la  théologie  catholique  les  théories  de 
Platon,  il  ne  les  a  pas  empruntées  à  Plotin. 

M.  Fouillée  va  plus  loin  encore  dans  son  affirmation  que  S.  Denys 
suit  les  doctrines  néoplatoniciennes,  cil  n'est,  dit- il,  aucun  dos  termes 
fes  plus  hardis  de  Plotin  qui  ne  soit  accepté  par  Denys  et  mt^me  exa- 
géré encore.  >  Nous  avons  déjà  répondu  à  cette  accusation.  Mais  voici 
encore  un  texte  de  S.  Denys  lui-même,  pour  clore  le  débat. 

«  Dieu  est  célébré  tantôt  comme  unité  suprême,  à  raison  de  sa 
simplicité,  de  son  absolue  indivisibilité....  ;  tantôt  comme  trinité, 
pour  exprimer  cette  suréminente  fécondité  des  trois  personnes, 
d'où  tire  son  origine  et  son  nom  toute  paternité  au  ciel  et  sur  la 
terre.  Il  est  loué  ici  comme  auteur  souverain  de  tout,  parce  qu'ef- 
fectivement toutes  choses  ont  reçu  Têtre  de  sa  bonté  créatrice  ;  là 
comme  sagesse  et  beauté,  parce  que  les  êtres,  s'ils  conservent  leur 
nature  dans  sa  pureté  originelle,  sont  pleins  de  divine  harmonie  et 
de  'beauté  céleste.  Enfin,  il  est  excellemment  nommé  notre   ami. 


616  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

parce  qu*une  des  personnes  divines  daignai,  se  faire  véritablement 
homme,  rappeler  à  soi  et  s'unir  rinfirmité  humaine  ;  miraculease 
alliance,  où  deux  substances  se  rencontrent  dans  le  seul  Jésos.  » 
(Des  Noms  divins,  a,  \,) 

C'est  contre  la  doctrine  gnostique  des  éons  que  saint  Deo js 
expose  la  hiirarchie  céleste  des  neuf  chœurs  des  anges,  non  cepen- 
dant d'aprôs  des  conceptions  philosophiques,  mais  d'après  TEcri- 
ture  Sainte  et  la  Tradition. 

227.  Deuxième  siècle.  —  Saint  Justin,  né  à  Sichem,  en 
Palestine,  fut  d'abord  philosophe  Platonicien  et  se  convertit  au 
christianisme  à  la  suite  d'une  conversation  avec  un  prêtre  chrétîeB, 
qui  luiconseilla  la  lecture  delà  Bible.  Nous  avonsdelui  une  Exhor^ 
tation  atix  Gentils,  dans  laquelle  il  démontre  l'absurdité  du 
polythéisme  et  l'immoralité  dont  les  dieux  des  Grecs  donnent 
l'exemple  ;  deux  Apologies,  dans  lesquelles  il  montre  avec  beaa- 
odup  d'éloquence,  l'ii^justice  des  lois  portées  alors  contre  les  chré- 
tiens. Il  reçut  le  martyre.  Tan  167. 

Nous  devons  citer,  parmi  les  ouvrages  orthodoxes,  le  Discours 
contre  les  grecs,  de  Tatien,  qui,  d'abord  disciple  de  saint  Jnstin, 
devint  plus  tard  hérétique.  Dans  cet  ouvrage,  Tatien  montre  le 
ridicule  du  prétexte  des  Grecs  qui  refusaient  de  lire  les  Saintes 
Ecritures  et  d'étudier  le  Christianisme,  parce  que,  disaient-ils, 
tout  cela  venait  des  Barbares.  Il  établit  que  les  Grecs  avaient  tout 
emprunté  aux  peuples  qu'ils  appelaient  barbares  :  leurs  arts,  leur 
religion  et  leur  philosophie.  Comparant  ensuite  la  doctrine  chré- 
tienne à  celle  des  Grecs,  il  fait  voir  que  la  première  est  seule  rai- 
sonnable et  vraiment  morale . 

AthénaoorQ  écrivait  aussi  à  la  môme  époque  une  Apologie, 
où  l'on  peift  voir  one  exceilento  réfutation  du  polythéisme  et  de 
cette  erreur  des  Grecs  qui  appelaient  athées  tous  ceux  qui  ne 
reconnaiss9.ient  qu'uii  seul  Dieu. 

Herhus  de  la.  même  époque  nous  a  laissé  un  livre  intitulé 

Les    philosophes    raillés,    AïoiTupiAoc      t(5v    eÇ(i>    f iXo^i^v , 
où  l'on  peut  voir  une  satire  sprituelle  des  absurdités  émises  par 
les  philosophes  païens. 
S.  iRftNftB,  né  dans  l'Ionie,  vers  l'an  120,  fut  d*abord  disciple 


TROISIÈME    SIÈCLE   CHRÉTIEN  617 

de  saint  Poljcarpe,  qui  l'envoya  en  Gaule  auprès  de  saint  Pothin, 
évêrjue  de  Lyon. 'Il  succéda  à  celui-ci.  Tan  178,  et  mourut  martyr, 
l'an  202.  De  son  ouvrage  Contre  les  hér(^si€s,  il  ne  nous  reste 
que  la  traduction  latine,  en  5  livres,  et  des  fragments  du  texte 
{?rec.  On  y  voit  la  réfutation  des  doctrines  gnostiques  de  Marcion 
et  deValentin.  Sa  philosophie  est  aussi  profonde  que  solide,  pleine 
de  grandes  idées  et  riche  d'expression.  Il  ramone  au  sens  catholi- 
que plusieura  des  théories  de  Platon. 

228.  Troisième  siècle.  —  Saint  Clément  d'Alexendrie,  né  à 
Athènes  ou  à  Alexandrie,  et  converti  au  catholicisme  par  saint  Pan- 
tène,  lui  succéda  comme  chef  de  TEcole  chrétienne  d'Alexandrie,aprôs 
avoir  été  ordonné  prêtre.  Profondément  versé  dans  toutes  les  connais- 
san^ces  de  son  temps,  il  ne  crut  pas  devoir  renoncer  à  la  philosophie 
en  devenant  chrétien,  au  contraire  il  s'en  servit  comme  dhme  base 
pour  amener  les   infidèles  à  la  foi  chrétienne.  Fuyant  lapersécu- 
tion  de  Sévère,  en  202,  il  se  retira  en  Cappadoce,  puis  revenu    à 
Alexandrie,  il   y  mourut  martyr,  Tan  217,  sous  l'empereur  Cara- 
calla.    11  nous   reste  de  lui  :  Exhortation  aux  Gentils,  le  Péda 
gogure  et  les  Stromates  (tapisseries),  plus  des  fragments  de  plu- 
sieurs autres  ouvrages,  avec  un  opuscule  intitulé:  Quel  riche  sera 
sauvélp  Les  Stromates  en  huit  livres,sont  un  répertoire  précieux 
de  pensées  religieuses   et  philosophiques,  recueilies  dans  tous  les 
auteurs  :  V Exhortation  réfute  une  fois  de  plus  le  paganisme  et  en 
inspire  l'horreur  par  le  tableau  qu'elle  en  fait  et  en  le  comparant  à 
la  religion  chrétienne.  Le  Pédagogue,en  trois  livres,  nous  montre 
rexcellence  de  la  morale  chrétienne,  avec  Jésus-christ  pour  modèle. 
Lui  aussi  prend  dans  Platon  tout  ce  qui  peut  s'accorder  avec   la 
doctrine  chrétienne,   et  môme   dans   un  ouvrage  intitulé  Hypo- 
tgposes,  dont  il  ne  nous  reste  que  des  fragments,  il  essaya  d'accor- 
der entièrement  Platon  avec  Jésus-Christ. 

Tertullien,  né  à  Carthage,  vers  l'an  160,  était  fils  d'un  païen. 

Après  une  jeunesse  passée  dans  le  désordre  il  se  convertit  à  l'âge 

de  30  ans,  et  instruit  déjà  dans  les  lettres  profanes,   il  étudia  dès 

lors  les  livres  sacrés  et  les  ouvrages  de  saint  Justin  et  de  saint 

»  Irénée.    La  vivacité  de    son    tempérament  en   fit    d'abord   un 

■.  vaillant  çithlète  du  Christianisme  et  plus  tard  un  ardent  fauteur  de 

40 


■ 

L 


618  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

ThcTésie  de  Moatanus,  dans  laquelle  il  se  jeta  par  exa^rafios  k 
l'esprit  d'austérité.  Il  mourut  vers  Tan  245. 

Parmi  les  30  ouvrages  qui  nous  restent  de  lui,  on  remaïqae: 
YAjyoloffétique,  qui  est  une  défense  des  chrétiens,  adressée  i 
Septième  Sévère.  Après  plusieurs  autres  motifs,  il  apporte  o 
faveur  des  chrétiens  cette  raison  que,  si  Ton  tolère  la  R&* 
Sophie  on  doit  tolérer  le  Christianisme,  qui  ensei^e  les  mto 
vertus  morales.  Dans  son  livre  Contre  les  Juifs  j  il  fait  voir  ce 
la  religion  chrétienne  n*est  que  la  perfection  de  la  loi  de  Maa, 
telle  que  l'avaient  annoncée  les  prophètes.  Dans  son  livret 
rA77ie,  il  dit  que  Tâme  de  Thomme  est  naturellemeiit chré- 
tienne, parce  que  tout  homme  qui  juge  selon  la  i*aison  recoaiû'î 
la  vérité  du  Christianisme,  ei  entre  autres  choses, il  remarqne  qs:. 
dans  le  malheur,on  invoque  Dieu  au  singulier  et  non  au  plnrid.  ci 
qu'un  romain  dans  la  détresse  ne  tourne  pas  ses  jeux  vei?^ 
Capitole,  mais  vers  le  Ciel.  Dans  ses  écrits  contre  les  hérétique?- 
réfute  les  doctrines  gnostiques  d'Hei^mogène,  de  Marcion  et  <3f 
Valontin,  ainsi  que  les  théories  dualistes  des  anciens  philosopb^. 
dans  lesquels  il  comprend  Pjthagoro,  Platon  et  les  StoîcieBS.  ^^ 
y  remaniuo  l'argument  de  la  Prescription,  qu'il  emploie  contre 
les  hérétiques,  dans  le  livre  qui  porte  ce  nom,  où  il  leur  tfit 
qu'ils  viennent  trop  tard  pour  enseigner  une  vérité  nouvelte.  ^ 
traités  de  morale  :  de  Fuga,  de  Monogam'ay  de  Eœhortatia^ 
castitaiis,  renferment  bien  des  préceptes  exagérés  à  côté  de  bea^ 
coup  de  maximes  digues  d'être  étudiées. 

Il  ne  faudrait  pas,  pourtant,  comme  M.  Artaud,  dans  le  Dictionnaire  ^ 
M.  Franck,  lui  faire  un  crime  de  sa  langue  philosophique  ou  Ihéokfi- 
que,  qu'il  était  obligé  de  créer,  et  où,  suivant  les  expressious  des  <k^ 
niei*s  philosophes  grecs,  il  emploie  certains  mots  dans  un  sens  ^ 
opposé  à  celui  que  nous  leur  donnons  aujourd'hui.  Par  exemple.  ^ 
mol  corptis^  qui  est  pour  lui  synonyme  de  substantia,  d'où  il  coodt» 
Quis  negahit  Deum  co}yus  essey  si  sjnritu^^  estf 

OïliGKNK,  un  des  plus  illustres  des  Pères  de  l'Eglise  et  i^ot-^tr? 
celui  qui  a  le  plus  écrit,  nous  laisse  malheureusement  quelqaaJ 
doutes  sur  sa  persévérance  dans  la  foi  chrétienne.  Né  à  Alexan- 
drie, Tan  185,  il  était  fils  de  S.  Léonide,  qui  mourut  martjr  »* 
Sévère,  Tan  202.  Jeune  encore,  il  savait  TEcriture  Sainte  \^ 


TROISIÈME  SIÈCLE  CHRÉTIEN  619 

cœur,  et  son  pore  allait  respectueusement  baiser  sa  poitrine  pen- 
dant qu'U  dormait.  Il  n'avait  que  dix-huit  ans  quand  l'évoque 
d'Àlexandrie,Dâmôtrius,l6  chargea  de  diriger  récoled'Aiexandriey 
après  S.  Clément.  On  accourait  en  foule  pour  Tentendre^  et  le 
peuple  sortant  de  ses  conférences  allait  s'offrir  au  martyre.  Lui- 
môme  fut  mis  en  prison.  Tan  240,  et  souffrit  pour  la  foi  de  Jésu»- 
Chrlsty  mais  on  ne  voulut  pas  le  mettre  à  mort,  espérant  le  vaincre. 
Il  mourut  à  Tjp,  l'an  254. 

Ses  ouvrages  se  divisent  en  bibliques,  apologétiques,  dogmati- 
ques et  moraux.  Plusieurs  ne  nous  sont  pas  parvenus,  mais  ce  qui 
nous  en  reste  est  de  la  plus  haute  importance,  au  point  de  vue  de 
la  religion.  Il  se  montre  comme  philosophe,  principalement  dans 
son  traité  Contre  Celse^  où  suivant  pas  il  pas  les  ol^ections  de  ce 
philosophe  païen  contre  la  religion  chrétienne,  il  le  réfute  avec  un 
calme  et  une  sérénité  de  stjle,  qui  contraste  avec  le  langage  pas- 
sionné de  son  adversaire  ;  et  dans  son  livre  des  Principes^  dont 
nous  n'avons  plus  qu'une  traduction  latine,  qui  est  pleine  de  fautes 
et  renferme  plusieurs  opinions  hérétiques,  dont  quelques  anciens 
ont  essayé  de  le  disculper,  les  attribuant  à  ses  disciples.  Cependant 
Origône  fut  déposé  du  sacerdoce  et  excommunié,  par  un  concile 
provincial  tenu  à  Alexandrie.  D  protesta  par  une  lettre  aux  égli-  * 
ses  d'Egypte,  disant  qu'on  ne  devait  pas  le  rendre  responsable  des 
interpolations  faites  dansises  écrits.  Il  est  donc  probable  qu'Origône 
n'a  jamais  professé  les  erreurs  que  l'on  trouve  dans  son  livre  des 
principes  ;  seulement,  plusieurs  hérétiques  s'en  sont  prévalus. 
Ainsi  sa  vraie  doctrine  philosophique  nous  manque,  et  nous  n'expo- 
serons pas  celle  que  l'on  donne  sous  son  nom. 

En  terminant  ce  paragraphe  sur  les  philosophes  catholiques  des  trois 
premiers  siècles  de  l'EgUse,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  pro- 
tester d'abord  d'une  manière  générale  contre  la  tendance,  que  manifes- 
tent les  articles  consacrés  à  ces  premiers  Pères,  dans  le  Dictionnaire 
de  M.  Kranck,  à  interpréter  dans  un  sens  non  orthodoxe  des  paroles 
qtif  le  sont  parfaitement  dans  le  sens  de  leurs  auteurs»  et  à  faire  dériver 
leur  enseignement  des  tliéories  néoplatoniciennes  ou  gnostiques;  ensuite 
contre  celle  phrase  de  M.  Fouillée,  qui  tend  à  faire  considérer  la  religion 
cHrétienne  comme  un  simple  éclectisme  philosophique  :  a  Soit  directe- 
ur   ment,  dtt-ll .   soit  indirectement,  l->laton  exerça  sur  le  christianisme 


620  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

«  Tinfluence  la  plus  incontestable.  Les  Pères  grecs  le  proclamait  er 
«  mêmes,  Ce  christianisme  compréhensif  des  premiers  Pères  ne  ponfli*- 
«  manquer  de  fondre  en  une  même  doctrine  philosophique  toutes  te 
«  vérités  éparses  chez  les  anciens  philosophes.  »  Et  pour  établir  « 
qu'il  avance,  il  apporte  en  preuve  un  texte  de  saint  Justin  et  ua  auiR 
de  saint  Clément  d'Alexandrie,  qui  signifient  et  même  disent  tout  i^ 
contraire.  <  Tout  ce  (jui  a  été  enseigné  de  bon  par  tous  les  philoaopitfi 
dit  saint  Justin,  nous  appartient  à  nous  chrétiens.  Tous  les  hunuoes 
participent  au  Verbe  divin,  dont  la  semence  est  implantée  dans  l»"" 
Ame. . . .  (î'est  en  vertu  de  cetts  raison  séminale,  dérivant  du  Verfe 
que  les  anciens  saf^es  ont  pu,  de  temps  à  autre»  enseigner  de  b^fe 
vérités. ..  Car  tout  ce  que  les  philosophes  ou  les  législateurs  ont  dito: 
trouvé  de  bon,  ils  le  devaient  à  une  vue  ou  connaissance  partielle  <!« 
Verbe.  Socrate ,  par  exemple,  connaissait  le  Christ  d'une  c€iiâi*î 
manière,  parce  que  le  Verbe  pénètre  toute  chose  de  son  influence.  • 
Voilà  pourquoi  les  doctrines  de  Platon  ne  sont  pas  tout-à-fail  contraiw 
à  celles  du  Christ,  bien  qu'elles  ne  soient  pas  absolument  semblable-^- 
Tous  ceux  qui  ont  vécu  selon  le  Verbe  sont  chrétiens,  bien  qu'ils  ai»- 
été  regardés  comme  athées;  tels  étaient  Socrate  et  Uéiaclite  chw  I* 
Grecs,  et  parmi  les  barbares,  Abraham,  Ananias,  Azarias,  Misaêl.  Eb«' 
ainsi  que  beaucoup  d'autres.  »  Et  saint  Clément  dit  :  s  Semblables  .ms 
bacchantes  qui  ont  dispersé  les  membres  de  l^enthée.  les  diverses  secift? 
de  philosophie,  soit  grecque,  soit  barbare,  éparpillent  en  fragia^oi* 
l'indivisible  lumière  du  Verbe  divin.  »  Voilà  les  preuves  de  M.  Fouilla 
11  nous  semble  que  ces  textes  disent,  au  contraire,  que  les  cbrétie«5 
seuls  possèdent  la  vérité  complète,  parce  qu'ils  la  tiennent  d'une  révé- 
lation immédiate  du  Verbe,  au  lieu  que  les  philosophes  n'en  possé^^^ 
que  les  fragments  qui  leur  sont  dévoilés  par  la  raison,  cominunieatit)* 
naturelle  du  Verbe. 

Nous  remarquons  en  passant,  à  propos  de  ces  textes,  que  6.  i^ 
devait  avoir  sur  Heraclite  d'autres  données  que  nous,  et  que  surtout  h 
ne  voyait  pas  en  lui,  comme  M.  Fouillée,  le  précurseur  de  la  théorie «i" 
devenir. 

M.  Fouillée  n'est  pas  plus  heureux  quand  il  essaye  de  montrer  qu*^ 
théologie  des  premiers  Pères  dérive  des  théories  platoniciennes.  ^ 
textes  qu'il  apporte  sont  le  plus  souvent  calqués  sur  des  textes  ^ 
rKcriture  Sainte,  dont  les  auteurs,  môme  les  plus  récents,  ue  pJ^* 
pas  pour  avoir  étudié  Platon.  La  place  nous  manque  pour  citer  en  «o* 
tler  les  textes  nombreux  que  nous  avons  recueillis  pour  justifier  not» 
assertion,  disons  seulement  que,  dans  l'Ecriture,  Dieu  est  appelé  ^ 


PAlENS  ET  HÉRÉTIQUES   DU   PREMIER  SIÈCLE       621 

ahsconditus  (I^aï.  xlv,  15),  invisibilis  (Col.  I.  !5),  incomprehensibtlis 
cogiiatu  Jer.  xxxii,  10)  et  que  le  Verbe  de  Dieu  est  appelé  imarjo 
Dei  invisibilis  (Col.  I,  15),  spiendor  gloriœ  et  figura  substantiœ  ejus 
(Heb.  I,  13),  candor  lucis  œternœ  (8ap.  7.  26).  Ailleurs  Dieu  est  qua- 
lifié àQ  supergloriosus  (Dan,  m,  53)  snperlaudabilis  %i  superexaltatus 
{Dan.  m,  54),  Deus  deorum  (Deut.  X,  17  et  alibi)  rex  magnu8  super 
omnes  Deos  (Ps.  94,  3).  Cent  autres  paroles  en  disent  autant  que 
B.  Justin,  S.  Clément,  Origène,  et  &  Denys,  dans  les  textes  cités  par 
M.  Fouillée. 

Si  donc,  comme  nous  l'avons  admis  précédemment,  les  premiers  Pè- 
res de  TËglise  ont  fait  des  emprunts  à  Platon,  c'était  pour  montrer  la 
rationabilité  de  leur  foi,  mais  non  pas  pour  la  créer.  Quant  aux  néo- 
platoniciens et  aux  gnostiques,  bien  loin  qu'ils  leur,  aient  emprunté 
quelque  chose,  ils  les  ont  combattus,  et  ce  sont  ces  derniers  qui  ont 
emprunté  leurs  termes  à  Philon  le  juif,  à  S.  Denys,  à  S.  Justin,  à 
8.  Clément  et  même  à  Origène,  sans  compter  Ammonius  Saccas,  qu'ils 
reconnaissent  pour  leur  maître  et  qui  était  chrétien. 

5  8.  PHILOSOPHIS  PilINS  IT  RiRiTIQOIS  DES  K   n«,  IT  III*  SliCLIS 

229.  Premier  siècle.  —  On  trouve  dans  le  premier  siècle  les 
philosophes  païens  dont  nous  avons  déjà  parlé  :  Apollonius  de 
Tyane,  Sénèque  et  Epictôte,  et  avec  eux  le  juif  Philon,  qui  nous 
avait  paru  avoir  fourni  lesprincipes  vrais  d'où  les  Néoplatoniciens 
et  les  Gnostiques  ont  tiré  leurs  erreurs. 

Dès  le  milieu  de  ce  siècle,  le  gnosticisme  se  montre  avec  Simon 
LE  MAGE  ou  le  magicien^  qui  d'abord  philosophé  essaya  de  se 
faire  disciple  de  Jésus-Christ,  croyant  acquérir  ainsi  le  don  de  faire 
des  miracles.  On  sait  comment  S.  Pierre  refusa  avec  indignation 
l'argent  qu'il» lui  offrait  pour  obtenir  ce  pouvoir.  Il  renonça  dès 
lors  à  la  foi  chrétienne,  et  chercha  désormais  à  nuire  à  TEglise 
naissante.  Il  professait  publiquement  la  magie  et  faisait  des  pro- 
diges qui  lui  attirèrent  de  nombreux  partisans.  Comme  doctrine, 
il  admettait  deux  principes,  Dieu  et  la  matière,  qu'il  regardait 
comme  éternelle,  et  plaçant  son  Dieu  supérieur  dans  une  inaction 
absolue,  il  faisait  émaner  de  lui  une  multitude  de  génies  qu'il 
appelait  ."Eons^  aicovsc.Ces  ^Eons  avaient  formé  le  monde,  en  se 

révoltant  contre  Dieu,  et  le  plus  divin  d'entre  eux  résidait  dans  sa 
personne. 


622  HISTOIRE  DB  LÀ   PHILOSOPHIB 

Gèrintue.  de  la  même  époque  igoutait  à  cette  doctrine  q«ii 
Diett  des  Jaifs,  Jéhovah,  n'était  qae  l'un  des  .^SaoSn 

Basiudb  pensait  comme  Cérinthe  et  shootait  qae  Jésos,  dav» 
passion  s'était  substitué  Simon  le  Cjrénéen,  qai  avait  été  cndfit 
à  sa  place.  Il  imagina  aussi  plusieurs  signes  cabsJifltiques  et  ^ 
sieurs  talismans  numériques,  entre  autres  le  fameux  mot  sSco^ 
qui  représente  en  grec,  le  nombre  365. 

230.  Deuxième  siècle.  —  Ici  nous  trouvons  Philoo  de  Bilfti* 
Plutarque,  Arrien,  Celse^  Galien,  Lucien,  Apulée,  MaximedeTjr, 
Diogène  Laérce,  et  Ptolémée,  que  nous  connaissons  déjà* 

Saturnin,  Cerdon  et  Valentin  continuent  les  erreois  <te 
gnostiques.  Ce  dernier  semble  avoir  systématisé  davantage  la 
doctrines.  —  Dans  le  Plérôma  (plénitude),  habite  la  diviniU, 
avec  les  JEons  émanés  de  lui,  formant  quinze  couples  de  gésîfi 
mâles  et  femelles.  Ils  forment  trois  ordres  superposés,  et  sont  le 
principes  de  plusieurs  générations.  Jésus-Christ  et  TEsprit-Sii^ 
sont  les  derniers  descendants  du  premier  couple  :  Buthos  (la  pr^ 
fondeur)  eiJEnnoia  (rintelligence) .  Celui  des  aeons  qui  a  faitk 
monde,  ûer  de  son  ouvrage,  a  voulu  se  faire  passer  pour  Diea. 
C'est  pour  cela  qu'il  a  envoyé  des  prophètes  aux  Juifs.  Les  aatr» 
génies  qui  dirigent  les  astres;  suivant  son  exemple,  se  soai  ^ 
adorer  par  les  païens.  C'est  alors  que  pour  remédier  an  mal,  Disa 
fit  naître  deux  autres  »ons,  le  Christ  et  le  Saint-Esprit.  Le  Càrtft 
prit  un  corps  aérien,  qui  n'ajant  que  Tapparence  d'on  cf^ 
humain,  ne  fit  que  passer  par  le  sein  de  Marie.  D'ailleurs  ilarai^ 
comme  tout  homme,  deux  âmes,  l'une  animale,  l'autre  spiritaeBe. 
A  son  baptême  dans  le  Jourdain,  Jésus  fut  rempli  da  S.  Esprit 
qui  lui  donna  la  vertu  de  faire  des  miracles,  et  dès  ^rs  il  ensetgi^ 
qu'il  ne  fallait  plus  adorer  le  Dieu  des  Juifs,  'mais  le  P^r  ^ 
espnt  et  en  vérité.  Les  autres  ssons,  irrités,  soulevèrent  codIi* 
lui  les  Juifs .  Mais  son  corps,  impassible,  ne  souffrit  pas  dans  !« 
crucifiement. 

Nous  avons  donné  cette  doctrine  uniquement  pour  faire  ^^ 
combien  il  serait  peu  rationnel  de  chercher  une  doctrine  pïabf^ 
phique  sérieuse  dans  les  théories  des  gnostiques.  C^  absolu 
conceptions,  qui  propagées  avec  ardeur,  désolèrent  TEglise  vi^ 


païens  et  hérétiques  du  troisième  siècle  623 

pante,  fournlreat  du  moins  aux  Pores  de  TEglise  l'occasion  de 
préciser  par  écrit  le  dogme  catholique,  qui  jusque  là  ne  se  trans- 
jnettait  que  par  tradition. 

Nous  no  parlerons  pas  longuement  de  Marcion  qui  aux  théories 
do  Cordon  joignit  une  morale  d'une  austérité  exagérée  ;  ni  de  Mon- 
TAN,  qui  se  donnait  pour  une  incarnation  du  Sb-Esprit,  et  dont  la 
morale  sévère  gagna  Tertullien  ;  ni  de  Tatien,  que  nous  avons  vu 
d'abord  orthodoxe  et  qui  plus  tard  adopta  les  erreurs  de  Valentin 
et  de  Marcion.  Comme  ce  dernier  il  proscrivait  le  mariage  et 
l'ùsage  de  la  viande  et  du  vin .  C'est  pourquoi  les  Tatianistes 
furent  aussi  appelés  Encratites  et  Hydroparastes . 

231.  Troisième  siècle. —  C'est  l'époque  de  Philostrate,  d'Am- 
monius  Saccas,  de  Plotin,  de  Longin  et  de  Porphyre,  comme  phi- 
losophes païens. 

Au  premier  rang  des  hérétiques  do  co  siècle  se  présente  Tertul- 
lien, pour  la  seconde  moitié  de  sa  vie,  et  comme  sectateur  do 
Montan  ;  puis  les  Origénestes,  qui  s'appuyaient  du  nom  d'Ori- 
gêne  pour  enseigner  que  les  âmes  humaines  sont  crJées  depuis  le 
comnaencement  du  monde,  que  Jésus-Christ  n'est  fils  de  Dieu  quo 
par  adoption,  et  que  l'enfer  ne  durera  pas  éternellement. 

Les  Manichéens  regardaient  comme  leur  chef  Manès,  né  en 
Perse,  vers  240,  élevé  dans  la  religion  ot  les  sciences  des  mages, 
et  qui  dans  un  âge  déjà,  mûr  embrassa  le  christianisme.  Mais 
bientôt  il  se  fit  une  doctrine  à  lu^  mHange  de  magismo,  de  gnosti- 
cismo,  de  philosophie  grecque,  av3c  quelques  restes  de  vérités 
chrétiennes,  et  lui  aussi  se  donna  pour  le  Saint-Esprit,  comme 
l'indique  d'ailleurs  le  nom  qu'il  avait  pris  (Manachem,  conso- 
latour,comme  le  mot  grec  napix^Y^xoc.)  Son  vrai  nom  était  Gubric 
Ses  nombreux  .disciples  se  divisèrent  bientôt,  et  Théodoret  en 
comptait  jusqu'à  70  sectes. 

Le  Manichéisme  dans  son  ensemble  enseigne  qu'il  y  a  deux 
principes  dés  choses,  Fauteur  du  bien  et  l'auteur  du  mal,  Dieu  et 
Satan.  Les  esprits  ou  les  âmes  sont  l'œuvre  de  Dieu;  mais  les 
corps  sont  l'œuvre  de  Satan.  Cependant  tous  les  êtres  corporels 
ont  une  âme,  et  c'est  ainsi  qu'ils  participent  en  quelque  chose  du 
bien.   Mais  les  œuvres  du  corps  sont  mauvaises.  C'est  pourqu«)i  il 


624  HISTOIRE    DE     LA    PHILOSOPHIE 

condamnait  le  mariage,  et  permettait  les  Yoloptés  contre  natniv. 
Quelques-uns  défendaient  de  couper  un  brin  d'herbe  on  de  caeillir 
un  fruit  pour  ne  pas  faire  souffrir  l'âme  de  la  plante,  d*aataQt  plo» 
que,  selon  la  doctrine  de  la  métempsjchose  qu*Us  admettaient, 
cette  âme  pouvait  être  celle  d'un  homme,  peut-être  d'un  parent  oa 
d'un  ami.  Cependant  les  auditeurs  pouvaient  cultirer  les  plantes 
et  tu^r  les  animaux^  et  les  élus  pouvaient  s'en  nourrir,  car  en  la 
mangeant  ils  en  rachetaient  les  âmes . 

Les  Manichéens  se  répandirent  d'abord  en  Asie,  puis  en  Afrique 
et  en  Espagne  ou  ils  prirent  le  nom  de  Priscillattistes,  On  les 
revoit  plus  tard,  sous  le  nom  de  Bulgares,  envahir  le  nord  de 
l'Italie  et  le  sud  de  la  Finance.  Loi^squ'Albi  devint  leur  principal 
siège  ils  furent  appelés  Albîgeo>s,ei  toutes  les  hérésies  qui,  comme 
ces  derniers,  ont  plus  tard  promené  dans  la  France  et  T Allemagne 
l'incendie  et  le  meurtre,  sortent  de  la  môme  souche. 

C'est  qu'une  idée,  une  théorie  vraie  ou  fausse,  dès  qu'elle  es^ 
admise  par  un  grand  nombre,  ne  reste  pas  une  vaine  spéculation: 
elle  produit  ses  effets,  et  son  activité  est  plus  grande  encore,  quand 
elle  prend  une  forme  religieuse.  Ainsi  l'intérêt,  aussi  bien  que  U 
raison,  nous  fait  un  de  voir  de  ne  pas  rester  indifférents  au  xdoctrino^ 

philosophiques  ou  religieuses.  La  recherche  et  la  défense  de  la  vérit'^ 
ne  sont  pas  une  simple  satisfaction  de  l'intelligence  :  elles  sont  Ia 
première   condition  de  la  vie  heureuse;  car  Terreur  ne  saurai^ 

engendrer  que  le  désordre  et  la  ruine. 

§.   4.    PHILOSOPHES     CATB9LIÛUES   DES    IT<   et    T«    Sl&CLES. 

232.  Quatrième  siècle.  —  Lactance,  né  ?i  Sicca,  en  Nunydi<?, 
selon  les  uns  et  selon  d'autres  à  Firmium,  en  Italie,  a  été  surnommé  V 
Cicéronchrëtien,kQd,n^eàeYê\é^^ii  edesonî^tyle.  I)*abord  paû^n,  il 
fut  choisi  par  Dioclétien  pour  enseigner  la  rluHorique  à  Xicomédie. 
Voulant,  comme  tous  les  hommes  lettrés  de  son  temps,  attaquer  !<■ 
christianisme,  ilTétudia  et  se  convertit.  C'était  vers  Tan  300.  D^s 
lors  il  se  mit  à  écrire  pour  la  défense  de  son  nouveau  culte.  Ver< 
318,  Constantin  le  nomma  précepteur  de  son  fils  Crispus.  Il  mou- 
rut à  Trêves  en  325  ou  en  327.  Ses  ouvra^'-es,  |>lns  remaninabli' 
par  la  forme  que  par  le  fond,  et  selon  saint  .lérômc    «  plus  puis- 


QUÂTRIËMB  SIÈCLE  CHRÉTlBN  62B 

lants  à  détruire  Terreur  qu*à  affirmer  la  vérité  »  sont  :  les  Insti" 
niions  divines^  en  7  livres  ;  un  abrégé  de  cet  ouvrage  ;  le  traité 
le  la  Colère  de  Dieu  le  traité  de  VOi(,vrage  de  Dieu  et  celui  de 
a  Mort  des  persécif.tetcrs. 

Dans  ses  Institutions  divines^il  renverse  d'abord  le  polythéisme 
)t  établit  l'unité  de  Dieu  ;  il  indique  les  sources  deTidolatrie,  et 
es  trouve  dans  Toubli  des  traditions  ;  il  critique  tous  les  systèmes 
)hilosophiques  et  montre  que  leur  sagesse  est  fausse  ;  il  expose  la 
)hilosophie  chrétienne,  comme  la  seule  vraie;  il  montre  que  Jésus^ 
!!îhrist  seul  a  enseigné  la  vraie  justice  ;  il  fait  voir  que  le  culte 
îhrétien  est  le  seul  raisonnable  ;  enfin  il  établit  la  vraie  doctrine 
lur  la  fin  de  Thomme,  et  donne  à  ce  sujet  le  dogme  chrétien.  Te] 
)st  son  plan  et  l'objet  des  sept  livres  de  son  ouvrage.  On  en  voit 
'importance.  Il  est  fâcheux  que  la  solidité  du  fond  ne  corresponde 
}Sk  sa  la  perfection  do  laforme. 

Le  court  mais  solide  ouvrage  de  Firmicus  Matbrnus,  de  Errore 
profanarum  religtonum,  nous  intéresse  particulièrement  en 
3ô  qu'il  prouve  d'abord  que  toutes  les  mjthologies  ne  sont  que  des 
altérations  de  la  vérité  qu'enseignent  les  Livres  Saints,  et  s'ap- 
puie ensuite  sur  ces  mêmes  fables  pour  démontrer  que  le  genre 
fin  main  connaissait  d'avance  la  divinité  de  Jésus-Christ. 

EusÉBE,  évêque  de  Césarée,  en  Palestine,  né  vers  l'an  270,  est 
L'un  des  plus  érudits  des  écrivains  chrétiens.  Parmi  ses  nombreux 
ouvrages,  deux  surtout  intéressent  la  philosophie  et  surtout  l'his- 
toire de  la  philosophie  :  la  Préparation  évangélique  et  la  Dé-^ 
tnonstration  évangéliqxie.  C'est  là  qu'Eusôbe  nous  a  conservé 
me  multitude  de  fragments  d'auteurs  anciens  dont  les  écrits  sont 
perdus. 

S.  Atiivnase,  évéque  d'Alexandrie  (né  en  296  et  mort  en  373), 
Tôs-illustre  par  sa  défense  du  dogme  catholique  de  la  Trinité, 
contre  les  Ariens,  nous  a  laissé  deux  ouvrages  d'une  grande  portée 
philosophique  :  le  traité  contre  les  Gentils ^  où  il  montre  que  le 
mganisme  a  ses  racines  dans  un  secret  attachement  de  l'homme 
jour  lui-môme,  qui  le  porte  h  se  substituer  à  Dieu,  et  le  traité  de 
''Incarnation^  où  il  fait  voir  que  le  christianisme  nous  mène  vers 
le  vrai  Dieu  en  nous  détachant  de  nous-mêmes . 


626  HI8T0IRB  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Noas  ne  pouvons  qae  nommer  S.  Hilaire,  évôqae  de  Paâ& 
que  S.  Jérôme  appelle  le  Wiône  de  l'éloquence  latine;  S^fir 
siLEy  archevêque  de  Côsarée,  en  Cappadoce;  S.  Cyrille,  arckw 
que  de  Jérusalem;  S.  Grégoire  de  NAzrANZE,    mort  ea  ^ 
S.  Grégoire  de  Nisse,  mort  en  396.  Leurs  écrits,  qui  ses^  ^ 
tout  théologiques,  renferment  cependant  bien  des  questions  traàâ 
philosophiquement.  Il  faut  en  dire  autant  de  S.  Ambroiss,  «^ 
qu'on  Tait  surnommé  le  Platon  chrétien,  et  de  S.  Jban  CffiiTHii- 
TOME,  qui  nous  a  laissé  cependant  un  traité  de  la  ProxÀéevi. 
Nommons  encore  Rupin,  dont  les  traductions  fareat  Ioagtem|i  i> 
principale  voie  par  laquelle  TOccident  connut   les  oBUvres  ^ 
Pères  grecs. 

233.  Cinquième  siècle.  —  S.  Jérôme,  né  l'an  330  ou  ^I.^ 
Stridon  en  Dalmatie,  et  mort  à  Bethléem,  on  420,  appartis^» 
autant  au  quatrième  siècle,  qu'au  cinquième.  Ses  travaux,  tsï 
importants  pour  la  science  ecclésiastique,  ne  se  rapportent  pas  'ii»^ 
tement  à  la  philosophie,  mais  il  faut  reconnaître  en  lui  le  v^ls-ba 
esprit  philosophique.  Plus  qu'aucun  autre  jusqu'à  lui,  il  pos5^ 
et  emploie  la  critique  historique,  la  philologie,  et  TobserTstii 
géograpique.  L'érudition  dont  il  nourrit  ses  ouvrages  en  re»^^ 
lecture  très  instructive.. 

S.  Augustin,  né  àTagaste,  en  Afrique,  l'an  354,  peut  pasff^ 
à  bon  droit  pour  le  plus  grand  philosophe  do  l'époque  qui  *** 
occupe,  en  môme  temps  qu'il  est  sans  contredit  un  des  plus  iil^î^ 
docteurs  de  l'Eglise.  Elevé  par  sa  pieuse  mère,  Ste  Monique,  to 
la  religion  chrétienne,  il  se  laissa  de  bonne  heure  entraîner  à& 
les  erreurs  des  manichéens,  et  ce  ne  fut  qu'à  l'âge  de  trente-in* 
ans,  que  les  larmes  de  sa  mère,  les  paroles  de  S.  Ambroise,  ^^ 
lecture  de  l'Ecriture  Sainte,  gagnèrent  son  âme  déjà  fatigaé0  |tf 
le  vide  de  la  doctrine  qu'il  suivait.  Il  revint  donc  au  catholicisfa^ 
et  fut  baptisé  par  S.  Ambroise.  Plus  tard,  l'évoque  d'Hippoae  Ftf" 
donna  prêtre  et  enfin  le  désigna  comme  son  successeur.  Il  moen^ 
l'an  430,  au  moment  où  les  Vandales  assiégeaient  la  ville  d'Hif- 
pone.  Les  travaux  de  son  épiscopat  sont  immenses  ;  mais  ^ 
n'avons  à  parler  ici  que  de  sa  philosophie. 

Les  nombreux  écrits  de  S.  Augustin  sont  à  peu  près  tous  à  câS* 


CINQUIÈMB  SIÈCLE  CHRÉTIEN'^  627 

froltar  pour  un  philosophe  ;  mais  plasiears  ont  un  caractère  plus 
particulièrement  philosophique.  Nous  n*indiquerons  que  ces  der- 
oiers. 

Le  premier  en  date  paraît  être  le  traité  de  Ordine,  dans  lequel 
il  expose  une  sorte  de  plan  d'études,  qui  servit  à  la  fameuse  divi* 
sion  des  sept  arts  lihéraux  dont  nous  aurons  à  parler  plusieurs  fois. 
Viennent  ensiùte  les  trois  livres  Contra  Academicos,  les  traités 
de  Beta  vita^  de  Immortalitate  ammce,  de  Quantitate  animoSy 
de  MfMÎca,  de  Magistro  et  les  deux  livres  des  Soliloquer.  11  dut 
composer  plus  tard  les  traités  de  Libero  arbitrio^  de  Vera  relî^ 
ffione,  de  Moribtis  JScclesiœ,  en  môme  temps  qu*il  écrivait  ses 
disputes  Contre  FatMttis  et  les  ManichéenSy  qu'il  disputait  par 
lettres  contre  les  païens  Maxime,  Looginien,  etc.,  et  contre  plu- 
sieurs hérétiques.  Citons  encore  le  traité  e:?^  Natura  contra  Mani- 
chœos  et  enfin  la  Cité  de  Dieu  et  les  Confessions. 

Tout  le  mojen  Âge  attribuait  aussi  &  S.Augustin:  Liber  de 
Grammatica,  Principia  rhetorices,  Principia  dialecticœ,  et 
Categoriœ  decem.  On  considère  aujourd'hui  ces  ouvrages  comme 
apocryphes,  mais  il  est  plus  probable  qu'ils  furent  seulement  in- 
terpolés plus  tard,  et  qu'ils  appartiennent,  en  efiet,  à  S.  Augustin, 
dont  ils  offrent  parfaitement  la  méthode  et  le  style. 

Sa  philosophie  est  une  heureuse  alliance  de  Platon  et  d'Aristote. 
11  ne  les  suit  pas  comme  ses  maîtres,  mais  il  accepte  leurs  théo- 
ries, quand  il  les  trouve  d'accord  avec  sa  raison  éclairée  par  la  foi. 
S'il  est  vrai,  dîWl,  que  Platon  ait  le  premier  parlé  des  idées,  il 
n*a  inventé  que  le  mot:  la  chose  existait  avant  lui  et  devait  être 
connue. 

Saint  Augustin  ne  dit  pas  précisément  que  ces  idées  nous  soient 
innées^mais  il  dit  expressément  qu'elles  ne  nous  sont  pas  fournies  par 
les  sens  et  que  nous  les  voyons  &  la  lumière  de  la  raison.  Cette 
raison  n'est  pas  propre  à  quelqu'un  de  nous,  mais  elle  est  la  même 
pour  tous,  c'est  une  communication  de  la  lumière  indéfectible  dont 
le  foyer  est  en  Dieu.  Jusque-là  il  n'est  question  que  des  premiers 
principes  ou  des  notions  absolues:  Quant  aux  genres  et  aux  espè" 
ces,  qui  portent  aussi  le  nom  d'idées,  il  reconnaît  que  Dieu  leS 
voit  en  lui-même  en  faisant  le  monde,  et  que  dès-lors  elles  son^ 
étemelles  en  lui,  et  qu'elles  y  sont  la  vérité  même.  Mais  en  admet 


628  HISTOIRE    DE  LÀ  PHILOSOPHIE 

tant  que  les  idées  générales  doivent  logiquement  précéder  ^s 
pensée  de  Dieu,  il  déclare  que  Dieu  a  aussi  les  idées  desiaâTO 
et  qu'ainsi,  avec  la  raison  en  général,  la  raison  personndle  I» 
que  homme  subsiste  aussi  en  Dieu  de  toute  éternité,  comme  o®« 
par  lui  ;  car  Dieu  ne  saurait  voir  le  tout  sans  en  voir  ea  wm 
temps  toutes  les  parties.  On  voit  bien  que  cett3  théorie  a^fis» 
Platon  et  Aristote  et  ne  suit  servilement  ni  l'an  ni  Tautre. 

Avec  les  idées  de  Platon,  saint  Augustin  accepte  ausi  ^  ^ 
bres  des  Pythagoriciens,  mais  ce  mot  notnbre  a  chez  Ini  ds  sff 
plus  large  et  plus  philosophique  il  est  synonyme  à^ ordre  et<fei« 
et  se  confondant  avec  l'idée,  y  ajoute  la  perfection  p«r  I^ 
monie. 

On  trouve  répandues  ça  et  là  dans  les  divers  ouvrages  de  ffï 
Augustin,  toute  une  théodicée  et  toute  une  psychologie.  Noas  s* 
dirons  rien  parce  qu'il  nous  faudrait  répéter  ce  que^contienaeot  ts 
traités .  C'est-à-dire  qu'il  est  entièrement  classique. 

Il  est  vrai  qu'en  les  prenant  à  la  lettre,  certaines  expressions  «tes* 
Augustin  peuvent  présenter  un  sens  faux  ;  mais,  quand  on  Ht  un  *ït«* 
on  ne  doit  pas  interpréter  une  seule  de  ses  paroles  en  dehors  àt  te^ 
les  autres.  Sur  ce  point  et  sur  quelques  autres  nous  aurions  là»  » 
reproches  à  faire  à  l'article  de  M.  Bouchilté  sur  saint  Augustin dâff  t* 
Dictionnaire  de  M.  Franck  ;  mais  n'ayant  pas  le  temps  de  reprois^ 
ses  paroles  et  de  les  réfuter  nous  ne  dirons  pas  ce  que  nous  avoflsàfe 
reprocher. 

Nous  ne  ferons^que  nommer  Salvien,  prêtre  de  Marseille,  %^ 
né  sur  les  bords  du  Rhin,  a  écrit  vers  420  son  livre  De  Onhen> 
tione  Deij  où  il  veut  raffermir/ dans  Tespémnce  et  dans  la  fffls 
la  justice  de  Dieu,  les  chrétiens  découragés  par  le^  invasions  ^ 
barbares . 

g  5.  PHILOSOPHES  païens  KT   HiRÉTlÛDIS   DES  4«BT    »«  SllCH' 

234.  Quatrième  siècle.  —  Jamblique,  Thémistius,  Li^'* 
Nius,  Julien  l'Apostat,  vivaient  pendant  cesiOcle.  Ils  apparti?^* 
nent  tous  à  TEcole  d'Alexandrie.  C'est  alors  aussi  qu*EuNAPB^r^ 
vait  sa  Vie  des  philosoxihes. 

Les  principaux  hérétiques  de  ce  siècle  sont  Donat  et  SM-' 


SIXIÈME   SIÈCLE   CHRÉTIEN  629 

Leurs  erreurs  eurent  un  grand  retentissement,  surtout  la  dernière, 
qui,  niant  la  divinité  du  Verbe  de  Dieu  et  par  suite  de  Jésus- 
Christ,  sapait  la  religion  chrétienne  par  sa  base .  Les  désordres 
sociaux  causés  par  les  Ariens  sont  incalculables,  et  on  ne  peut  en 
avoir  une  idée  qu'en  se  reportant  aux  guerres  civiles  qu'alluma  le 
protestantisme  au  xvi«  siècle.  En  dehors  de  ce  point  de  vue  moral, 
ces  erreurs  ne  sont  pas  du  ressort  de  la  philosophie. 

235.  Cinquième  siècle.  —  La  philosophie  païenne  se  meurt. 
A  peine  peut-elle  citer  quelques  noms  inconnus  :  Nèmèsius,  Hié- 
RocLÈs  et  Proclus,  tous  de  l'Ecole  d'Alexandrie.  Ce  dernier  peut 
être  considéré  comme  un  illuminé  ou  un  magicien,  plutôt  que 
comme  un  philosophe.  Il  s'intitulait  Vhiërophante  de  l'univers, 
et  se  donnait  pour  être  l'un  des  anneaux  de  la  chaîne  hermétique. 
C'est  à  Constantinople  qu'il  enseignait. 

On  compte  dans  ce  môme  siècle  plusieurs  chefs  hérétiques  : 
Pelage,  Nestorius,  Eutychès,  sont  les  plus  renommés.  Leurs 
erreurs  portant  sur  la  grâce,  sur  *la  maternité  divine  de  la 
Ste  Vierge,  et  sur  les  deux  natures  que  Jésus-Christ  réunit  en  une 
seule  personne,  n'intéressent  que  très  indirectement  la  philosophie. 
L'erreur  des  pélagiens  j  touche  de  plus  près,  en  ce  qu'elle  prétend 
soustraire  la  liberté  de  l'homme  à  toute  action  de  Dieu.  Pendant 
le  môme  temps,  et  comme  réaction,  les  Prédbstinatiens,  effa- 
çaient au  contraire,  devant  l'action  de  Dieu,  toute  liberté  d^ins 
l'homme. 

S«.  PgILOSÛPBES   CATHOLiaUlS   DIS  «•.    7*.  IT  8«  BliCLIS 

236.  Sixième  siècle.  —  C'est  ici  que  commence  la  prépara- 
tion à  la  Scolastique.  Marcianus  Capella  écrivait  vers  490  une 
sorte  d'encyclopédie,  intitulée  Satyricon,  qui  fut  longtemps  le 
manuel  des  écoles.  Elle  traite  des  sept  arts  libéraux,  que  l'on  dis- 
tinguait alors  ainsi  : 

Le  Trivium:  Grammaire,  Rhétorique,  Dialectique. 

Le  Quadrivium:  Arithmétique,  Musique,  Géométrie,  Astro- 
nomie. 

BoÈCE,  né  à  Rome  en  470,  consul  sous  Théodoric,  puis  victime 
de  la  barbarie  de  ce  roi,  qui  le  ût  mourir  dans  les  tourments,  en 


690  RI8T0JRB  DE  LA  PRILOBOPHIB 

526,  écrivit  des  commentaires  sur  la  logique  d'Arijriote,  èaAi 
traduisit  plusieurs  livres,  et  sur  YUagoge  de  Porphjre.  C« 
dans  sa  prison  de  Pavie  qu'il  écrivit  le  traité  de  Const^àtim 
philosophiœ^  en  5  livres. 

Dans  son  commentaire  sur  Vlsagoge  de  Porphyre,  il  traite  k 
question  des  universaux,  qui  divisa  si  longtemps  les  plûkK^ 
du  mojen-&ge,  et  la  résout  d'avance  d^une  maaière  parfûta&cc 
exacte,  et  tout-à-fait  comme  saint  Thomas  la  résolut  plus  t^rd-Ls 
genres  ne  sont  pas  des  êtres  à  part,  mais  ils  ne  sont  pas  nos  ]ài 
de  pures  conceptions  de  l'esprit,  car  ils  sont  renfermés  avec  is^ 
leur  compréhension  dans  chsicun  des  individus. 

Cassiodore,  né  en  Calabre,  vers  470,  fut  ministre  du  roi  T^ 
doric,  et  quitta  la  cour  assez  à  temps  pour  éviter  le  sort  de  sa 
ami  Boêce.  Il  alla  fonder  en  Calabre  le  monastère  de  Yiviâs  é 
y  mourut  &gé  de  près  de  cent  ans.  Là,  il  avait  fondé  une  liïh- 
thôque,  et  lui  et  ses  moines  copiaient  des  livres.  Il  nous  a  iBM  u 
traité  de  Septem  disciplinis  (des  sept  arts  libéraux),  resté  lo^ 
temps  classique,  et  un  livre  de  Anima. 

A  cette  même  époque  son  ami  Epipkane  le  scholastiquetor 
duîsait  les  historiens  de  l'Eglise:  Théodoret,  Socrate  eiSo:^ 
mène^  et  saint  Grégoire  de  Tours,  écrivait  son  histoire  de  Frafi^e 
où  les  Francs  sont  considérés  comme  les  instruments  de  Dieu  :  Gti^ 
Dei  per  Francos,  C'est  aussi  l'époque  du  pape  saint  Grégoirtk 
Grande  du  mystique  Jean  Climaque^  et  du  poète  Venance  f^ 
iunaty  tous  illustres  en  leurs  genres,  mais  dont  les  écrits  ne  ties- 
nent  qu'indirectement  à  la  philosophie. 

237.  Septième  siècle.  —  Saint  Isidorb  de  SàvitLS,  tm 
surnommé  parce  qu'il  était  évéque  de  cette  ville,  et  mort  ea  &^ 
nous  a  laissé  entre  autres  ouvrages:  20 livres  à^Origines  et  Etf 
moiogieSf  et  une  Chronique  ou  histoire  du  monde,  où  bieo  dtf 
pages  intéressent  le  philosophe. 

238.  Huitième  siècle.  —  Le  Vénérable  Bëdb,  né  ei 
Angleterre,  en  672,  prôtre  et  moine,  mort  en  735,  nous  a  laissé  m 
grand  nombre  d'ouvrages,  qui  furent  très  utiles  de  son  temps,  ee 
sont  des  abrégés  sur  chacune  des  connaissances  d'alors. 

Saint  Jean  Dama  scène,  né  à  Damas,  succéda  à  son  père  dans  b 


HËRËTIQUBSDU  HU  ITIÈME  SIÈCLE  631 

charge  de  ministre  du  calife  de  Damas.  Mais  tombé  en  disgrâce, 
pnis  rappelé,  il  se  retira  dans  le  monastère  de  Saint-  Sabas,  et  fut 
ordonné  prêtre.  Il  mourut  en  760.  Ses  ouvrages  môme  de- théolo- 
gie^ offrent  un  caractère  philosophique.  Les  principaux  sont:  de 
Fide  orthodoa3a,Dialectica^Physica  et  fnstitutiones  pr^mœ.  On 
les  suivit  longtemps  dans  les  écoles. 

9  I.  —  PHIL0S9PHIS  PAimS  IT  HtRÉTIQUlS  DES  6e.  7e  IT  Se  SltCLIS 


239.  Sixième  siècle.-  La  philosophie  païenne  ne  compte 
guère  dans  ce  siècle  que  Simplicius,  commentateur  d'Aristote  et 
Damasoius,  le  dernier  des  philosophes  grecs. 

Le  grammairien  hérétique  Jean  Philopon  commente  quelques 
traités  d'Aristote  et  écrit  quelques  livres. 

Les  hérésies  nouvelles  sont  nombreuses  'mais  sans  importance. 
Les  principales  hérésies  des  siècles  précédents  comptent  encore 
quelques  adeptes. 

240.  Septième  siècle.  —  La  philosophie  païenne  est  éteinte  ; 
les  hérésies  nouvelles  ne  font  que  paraître,  mais  c'est  le  moment 
où  Mahomet  publie  son  Coran  (622)  et  se  gagne  des  cro^a^^^  par  le 
sabre.  Son  livre  est  un  ramassis  de  toutes  les  traditions  et  de  tou- 
tes les  conceptions  précédentes.  Il  puise  tout  à  la  fois  dans  la  Bible 
et  dans  le  .Taimud,  chez  les  chrétiens  et  chez  les  hérétiques,  et 
môme  dans  les  fables  de  l'Orient.  Sa  doctrine  au  point  de  vue  phi- 
losophique, reconnaît  un  seul  Dieu^  et  ordonne  de  le  prier;  mais 
elle  enseigne  le  fatalisme  et  tout  en  refusant  Tusage  du  vin  per- 
met un  usage  immodéré  des  voluptés  sensuelles.  La  femme  j  est 
esclave  ;  on  y  permet  la  polygamie,  et  l'on  y  recommande  de  tuer 
les  chrétiens.  De  plus,  si  Ton  en  juge  par  les  résultats,  on  peut 
dire  que  cette  religion  anéantit  chez  l'homme  tout  amour  du 
travail. 

241.  Huitième  siècle.  —  La  seule  hérésie  remarquable  à 
cette  époque  est  celle  des  Iconoclastes  ou  briseurs  d'images,  qai^ 
appuyés  par  les  empereurs  grecs,  détruisirent  les  œuvres  de  l'art, 
et  arrêtèrent  pour  longtemps  l'art  lui-même. 


632  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

S    8.    PflILOSOPflll    BIS    ARABES. 

242.  Commencements.  —  Peu  de  temps  après  la  mûr  x 
Mahomet  (632),  il  s'éleva  parmi  les  Arabes  plusieurs  sectes,  la 
expliquaient  diversement  le  Coran,  et  on  trouve  déjà,  chaz  ^ 
sieurs  d'entre  elles,  bon  nombi'e  de  distinctions  assez  sabtilâ,  ^ 
font  prévoir  quel  sera  leur  esprit  philosophique.  Le  premier  sii^ 
de  division  fut  la  question  de  la  liberté  de  Thoinine.  Les  À'û^r> 
Taffirmeut  ;  les  Djaharites  la  soumettent  fatalement  A  ractioai* 
Dieu;  les  Motazales  se  placent  dans  un  certain  milieu,  plas^ 
des  Radrites. 

Ainsi,  les  esprits  étaient  déjà  préparés  à  la  philosophie  qaaodl^ 
califes  Abbasides,  Al-Mansour  (775),  Haroun-al-Rasohid  i8CR^i«' 
Al-Mamoun  (833)  firent  traduire  des  ouvrages  grecs  et  fondèi^'- 
des  bibliothèques  et  des  écoles.  Aristote  fut  la  principale  soaw 
où  les  Arabes  puisèrent  leur  philosophie,  et  Tintroduction  des  tbf^ 
ries  rationalistes  força  les  croyants  à  fonder  une  sorte  de  théi^ 
gie  raisonnée,  pour  défendre  les  doctrines  du  Coran  ;  ce  fut  ^ 
Calâm  ou  la  parole,  dont  les  sectateurs  s'appellaient  motfc^^- 
lemCn. 

Deux  écoles  surtout  furent  célèbres  dans  la  philosophie  :  ceilr 
da  Bagdad,  du  ix*  au  xi'  siècle,  et  celle  de  Cordoue,  pendas- 
le  xii*  et  le  xin*. 

243.  Ecole  de  Bagdad.  —  Le  premier  représentant  de  cett; 
école  fut  Kkndi  ou  Alkendi  qui  Jouissant  d'une  science  universel' 
fut  chargé  par  le  calife  Al-Mamoun  de  traduire  les  œuvres  d'Are- 
tote. 

Al-Farabi,  médecin,  mathématicien  et  philosophe,  mort  Tas 
95Q  effaça  par  ses  travaux  les  écrits  originaux  d'Al-Kendi,  et  ^^ 
des  commentaires  sur  Aristote.  Il  a  laissé  une  sorte  d'abrégé  àa 
sciences,  une  comparaison  des  doctrines  de  Platon  avec  c^ 
d' Aristote,  et  plusieurs  ouvrages  de  morale.  Il  suit  partoati* 
doctrines  d' Aristote,  et  on  voit  déjà  chez  lui  une  tendance  à  b 
doctrine  d'Averroès  sur  l'intellect  actif. 

Ibn-Sina  ou,  comme  on  prononçait  alors  Aben-Seina,  d'oâ  ^ 
mojen-àge  a  fait  Avicenne,  fut  le  plus  illustre  docteur  de  Téee^ 


I.KS   ARABES  033 

de  Bagdad.  Niî  Tan  930,  il  était  déjà  renommé  comme  myecin  et 
comme  piiilosophe,  à  l'Age  de  dix-sept  ans.  Il  mourut  Tan  1037, 
épuisé  par  la  bonne  chère  et  la  débauche  plus  encore  que  par  ses 
nombreux  travaux.Ses  deux  principaux  ouvrages  sont  Al-Schefa 
(la  Guérisun),  espèce  d'eue jclopédie,  Al^-Nadja  (\dkDSW\vfxncé)^ 
abt^gé  du  premier,  et  le  Canon ^  traité  de  logique.  Sa  doctrine  est 
généralement  conforme  h  celle  d'Aristote,. mais  il  l'expose  avec 
plus  de  clarté  et  de  précision,  surtout  dans  la  classification  des 
sciences.  Averroès  lui  re^che  de  suivre  quelquefois  les  motecal- 
lemin  et  d'admettre  le  panthéisme,  dans  sa  Philosophie  orien^ 
talef  qu'il  regarde  comme  la  seule  vraie  exposition  de  ses  propres 
pensées. 

Qazalt,  plus  connu  sous  le  nom  de  Ai.-Gazrl,  né  Tan  I03S  et 
mort  l'an   11  II,  est  remarquable  par  son  entreprise  de  ruiner  la 

« 

philosophie,  en  faveur  de  la  foi  musulmane.  Dans  ce  but, il  expose 
d'abord  loyalement  dans  un  premier  ouvmge,  Mahacid  al-fald- 
sifa  (les  Tendances  des  philosophes)  toutes  les  doctrines  péripaté- 
ticiennes, et  ensuite  dans  son  Tehâfot  al-faldslfa  (  Destruction 
des  philosophes),  il  ess}»je  de  les  renverser.  Pour  cela,  il  met  en 
doute  d'abord  les  données  des  sens  et  de  la  conscience,  et  semble 
tomber  dans  le  scepticisme  ;  mais  il  en  sort  par  le  mysticisme. 
Enfin  dans  un  ouvrage  intitulé  Base  des  croyances^  que  nous 
n'avons  plus,  il  établissait  la  religion  musulmane. 

Lorsqu'il  veut  combattre  les  philosophes  au  sujet  du  principe  de 
causalité,  il  soutient  une  théorie,  qui  ressemble  à  celle  des  causes 
occasionnelle  s  j  car  il  affirme  que  Dieu  opère  séparément  dans 
l'homme,  par  exemple,  le  boire  et  l'étanchement  de  la  soif. 

Averroès  etTofaïl  lui  reprochent  des  contradictions  et  l'accusent 
de  mauvaise  foi  dans  son  attaque  des  philosophes.  Quoiqu'il  en 
soit,  son  scepticisme  apparent  porta  un  coup  mortel  &  la  philoso- 
phie, et  l'école  de  Bagdad  disparut. 

244.  Ecole  de  Oordoue.  —  Le  premier  nom  remarquable 
que  Ton  rencontre  dans  l'Ecole  de  Cordoue  est  celui  de  Ibn-Badja, 
plus  connu  sons  le  nom  corrompu  d*AvEN-PACE.  Il  mourut  à  Fez 
en  Afrique,  l'an  1138,  dans  un  ag3  pau  avancé.  Avec  plusieurs 
Lonvrages  de  médecine,  il  avait  écrit  plusieurs  traités  philosophi- 

41 


634  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

qaés  et  des  commentaires  sur  Aristote,  que  ses  compatriotM 
maient  beaucoup.  Sa  philosophie  est  spécialement  dirigée  contre 
le  mysticisme  de  Gaz&li,  et  pour  lui  la  science  s*acquiert  Bâtuiel- 
lement  par  Tunîon  de  Yintellect  passif  à  Vinteliect  actif,  D^à 
ce  dernier  mot  représente  assez  nettement  une  sorte  de  raison  uni- 
verselle subsistante.  Il  trace  longuement  et  arec  des  vues  mondes 
assez  justes  les  degrés  et  les  efforts  par  lesquels  h  solitaire  s'élève 
à  cette  science. 

ToFAïL  ou  Ibn-Tofaïl,  son  disciple,  né  vers  1105,  fut  lami du 
roi  de  Maroc,  Yousouf,  et  lui  présenta  Averroôs,  dont  nous  allons 
parler,  comme  capable  d'exécuter  conformément  à  sa  demande, 
une  analyse  compléta  d'Aristote.  Cherchant  avec  la  plupart  de  ses 
compatriotes  le  mode  d'union  de  l'Ame  avec  Tintellect  actif,  il 
composa  pour  expliquer  sa  pensée  sur  la  marche  à  suivre,  une 
sorte  de  roman  philosophique,  où  il  met  en  scène,  en  dehors  de 
toute  Influence  de  la  société,  un  homme  qui,  né  sans  père  ni  mère, 
s'élève  par  lui-môme  à  tous  les  degrés  de  la  connaissance.  C'est  le 
solitaire  de  son  maître,  perfectionné, 

Ibn-Roschd  (autrefois  Aben-Roschd),  plus  connu  sons  le  nom 
latinisé  d'AvERROKS,  fut  le  plus  illustre  des  disciples  d\\ven-Pace, 
et  de  tous  les  philosophes  arabes.  Né  à  Cordoue,  vers  Tan  1120, 
il  se  livra  de  bonne  heure  à  l'étude  de  toutes  le  seiences,  y  acquit 
une  grande  réputation,  et  tour  k  tour  en  grande  faveur  ou  en  dis- 
grâce auprès  des  rois  de  Maroc,  qui  commandaient  alors  &  Cordoae, 
il  mourut  à  MaVoc,  l'an  1198. 

Malgré  ses  nombreux  voyages,  nécessités  par  ses  fonctions  de 
gouverneur  de  Séville,  il  écrivit  un  grand  nombre  d'ouvrages  it^ 
importants,  sur  la  médecine,  sur  les  mathématiques  et  surtout  sur 
la  philosophie  d'Aristote,  dont  il  a  commenté  presque  tons  les 
écrits,  en  donnant  plusieurs  fois  jusqu'à  trois  commentaires,  dif- 
féremment conçus,  d'un  même  ouvrage.  Le  texte  original  de  ces 
écrits  ne  nous  est  pas  parvenu,  mais  il  nous  en  reste  des  tradac- 
tiens  en  hébreu  et  en  latin. 

A  l'imitation  de  ses  maîtres,  Averroès  suit  Aristote  et  ne  cbtf^ 
che  qu'à  l'expliquer,  mais  c'est  dans  ce  travail  d'explication  qa'il 
se  fait  souvent  une  doctrine  à  lui.  Comme  les  autres  arabes  U 
cherche  à  concilier  la  matière  avec  Dieu,  en  donnant  des  àm^ 


LKS    JUIFS   DU     MOYEN  AOK  '535 

ÎBielligentes  aux  astres,  pour  les  faire  servir  d^intermédiaires  entro 
Dien  et  le  inonde;  comme  son  maître  Aven-Pace  fIbn-Badja),  il 
rejette  le  mysticisme  et  n'a  recours  qu'à  la  science,  bien  plus  il 
paraît  dédaigner  la  morale. 

n  s'est  attaché  spécialement  à  éclaircir  la  doctrine  de  Tintellect 
actifetde  Tintellect  passif  d'Aristote;  il  admet  une  double  influence 
du  premier  sur  le  dernier.  D'abord,  dans  l'exercice  des  sens,  Tin- 
tellect  actif  forme  les  espèces  intellectuelles  et  les  imprime  à  l'in- 
tellect passif,  qui  devient  ainsi  l'intellect  acquis,  et,  dans  un 
degré  supérieur  de  connaissance,  Tintellect  acquis,  faisant  abstrac- 
tion de  toutes  les  formes  qu'il  a  reçues  s'élôve  jusqu'à  la  contem- 
plation directe  de  l'intellect  actif  universel,  et  celui-ci  l'informe  de 
telle  manière  que  l'intellect  passif  disparaît.  D'après  cette  théorie 
Averroès  enseigne  que  l'immortalité  est  le  privilège  de  l'âme  uni- 
verselle, et  que  l'âme  personnelle  n'étant  que  l'intellect  passif, 
périt  avec  le  corps.  Cette  doctrine  fut  vivement  combattue  par 
Albert  le  Grand  et  par  saint  Thomas,  et  la  lutte  dura  longtemps 
sur  ce  point  entre  les  thomistes  et  les  averroîstes,  parce  que  ceux- 
ci  croyaient  interpréter  ainsi  la  vraie  pensée  d'Aristote,  au  styet 
de  Tâme  séparée,  et  n'attribuant  comme  lui  l'immortalité  qu'à 
rinteliect  actif,  ils  lui  prêtaient  leur  opinion  sur  l'unité  et  l'uni- 
versalité impersonnelle  de  cet  intellect. 

Pour  toute  la  philosophie  des  Arabes,  nous  avons  suivi,  quoique  en 
gardant  notre  liberté  de  jugenfent,  les  excellents  et  consciencieux  arti- 
cles qu'y  a  consacrés  M.  Munk,  dans  le  Diptionnaire  de  M.  Franck,  où 
Ton  pourra  lire  avec  intérêt  des  détails  qui  ne  pouvaient  entrer 
ici. 


245.  Les  Juifs.  —  Nous  ne  saurions  terminer  cet  article  sans 
dire  quelques  mots  des  Juifs  qui,  à  cette  époque^  s'occupèrent  de 
philosophie.  L'exemple  des  arabes  fit  naître  d'abord  chez  les  Juifs, 
vers  la  fin  du  vui**  siècle,  la  secte  des  Karaîtes  fondée  par  Anan 
BEN  David,  qui,  rejetant  les  traditions  rabbiniques,  n'acceptait 
que  le  texte  de  l'Ecriture  et  prétendait  l'expliquer  par  la  raison. 
De  leur  côté  les  talmudiques^  furent  obligés  de  s'instruire  de  la 
philosophie,  et  le  rabbin  Saadia  le  premier  (892-942)  écrivit  pour 
la  défense  de  la  raison,  sans  rejeter  la  révélation.  Son  Li'ore  des 


636  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

croyances  et  des  opinions  est  intéressant  pourrhistoireife* 
philosophie  juive  à  son  époque. 

Au  XI*  siècle,  on  trouve  en  Espagne,  avant  les  arabes,  k> 
Ibn-Gebirol.  qui  passa  pour  musulman  sous  le  nom  d'AvicEBK'^ 
et  dont  Touvrage  Source  de  ia  rie  est  cité  ])1''.  leurs  îotfjs 
Albert  le  Grand  et  saint  Thomas.  Il  adopta  les  thêvjries  d'ArisKî* 
et  ne  concevant  que  Dieu  seul  comme  une  forme  pui'e,  ilattr.ki- 
Tâme  une  matière,  avec  la  forme. 

Toutes  ses  idées  ne  furent  pas  suivies,  mais  lesdcctriflCsdA!* 
«tote  furent  eui  brassées  avec  ardeur  par  les  Juifs  d'Espa^»* 
bien  que  Juda  Hallevi,  crut  devoir  faire  une  in>action  et  êcr.Tï 
en  forme  de  dialogue  une  défense  de  la  religion  juive,  reûfërsBWî 
la  réfutation  de  la  philosophie. 

Au  milieu  de  la  lutte  de  c^  double  courant  d'idées,  parut  MftSf 
ben  Maïraoun,  connu  sous  le  nom  de  Maimonidk,  né  à  CorA's?' 
Tan  1135,  et  mort  au  vieux  Caire  en  1204.  La  persécation  W*^ 
el-Moumen  le  força  d*abord  à  simuler  Tislamisme,  tant  qu'il  l»**^ 
Cordoueet  plus  tard  Fez,  mais  enfin  il  put  s'embarquer  pour  S»J-' 
Jean-d'Acre,  visiter  Jérusalem  et  se  rendre  en  Egjpte.  Ces» 
qu'il  acquit  une  grande  célébrité  comme  médecin.  Il  s'était  iostm- 
profondément  de  la  philosophie  des  Arabes,  ayant  pour  maitrt 2^ 
disciple  d'Aveu-Pace,  et  déjà  en  Espagne  et  dans  le  Maroc  ila^' 
écrit  plusieurs  traités. 

Ses  ouvrages  portent  sur  le  Talmud,  sur  la  philosophie  et  stf 
la  médecine.  Il  y  fait  preuve  d'une  grande  érudition  et  d'nn^P*' 
fonde  intelligence.  Albert  le  Grand  et  Saint  Thomas  lecitentaT* 
respect. 

Sa  philosophie  ne  s'écarte  pas  de  la  foi  et  cherche  à  lai  conciluf 
la  raison;  mais  peu-étre,  dans  cet  effort,  suit- il  plus  soa^^^ 
prétendue  raison  que  la  foi  aux  divines  Ecritures,  essayant  dexpû* 
quer  naturellement  la- plupart  des  miracles. 

Ses  théories  sont  d'ailleurs  celles  d'Aristote,  telles  qu'on  ^ 
trouve  commentées  par  les  Arabes  ;  comme  eux  il  insirte  sur  ^ 
distinction  des  deux  intellects  et  professe  que  seul  l'intellect  a^ 
survit  au  corps.  Ce  principe  lui  fait  rejeter  la  résurrection  ai 
corps,  pour  la  vie  future. 
Se  fondant  sur  la  môme  doctrine,  sa  morale  a  pour  but  la^ 


Lk   SCOLASTIQUB 


637 


naissance  parfaite  de  Dieu.  Mais  comme  il  prétend  qu'on  n'y  peut 
arriver  que  par  la  science,  il  condamne  toutes  les  pratiques  ascé- 
tiques et  ne  veut  que  le  perfectionnement  de  Tintelligence  ;  ce  qui 
suppose  la  connaissance  de  toutes  les  sciences  ;  mais  les  sciences 
ne  s'acquièrent  que  par  un  travail  opiniâtre,  qui  suppose  une  vo- 
lonté ferme,  libre  de  toute  passion  et  une  bonne  santé.  Ainsi  tout 
s'enchaîne  et  il  y  a  des  degrés  successifs  dans  la  vertu. 

Nous  ne  pouvons  pas  entrer  dans  l'analyse  de  son  grand  ouvrage, 
More  nebouchtm  (le  Guide  des  égarés),  où  ceux  qui  veulent  approfon- 
dir tout  à  la  fois  la  langue  hébraïque  et  les  théories  de^  Juifs  pourront 
puiser  abondamment.  Il  y  a  aussi  des  vues  philosophiques  pleines  d*in- 
lérèt.  On  en  peut  lire  un  résumé  dans  le  Diciionnaire  de  M.  Franck. 

Après  Maimonide  le  mouvement  continua  en  faveur  de  la  philo- 
sophie* Presque  tous  les  livres  des  arabes  et  ceux  de  Maimonide 
lui-même  furent  traduits  en  hébreu  ;  il  y  eut  aussi  des  livres  ori- 
ginaux, mais  aucun  de  ces  auteurs  ne  se  fit  une  grande  renommée. 

DEUXIÈME    ÉPOQUE 

PHILOSOPHIE  SCOIASTIQUE 

'  246.  Division.  —  La  philosophie  scolastique,  dont  lo  carac- 
tère général  est  Tunion,  autant  que  faire  se  peut,  des  théories  d'Aris- 
tote  avec  les  données  de  la  foi  chrétienne,  ne  nous  offre  pas  de 
distinction  d*écoles.  Sans  doute,  il  y  eut  des  luttes  soutenues  de 
part  et  d'autre  avec  vigueur,  par  de  nombreux  champions,  mais 
elles  portaient  sur  des  questions  de  détail,  et  ne  saumient  fournir 
matière  à  une  division  historique.  Nous  nous  contenterons  donc  de 
suivre  Tordre  des  siècles,  en  distinguant  cependant,  comme  on  le 
fait  généralement,  trois  âges,  dont  nous  ferons  autant,  d'articles 

séparés. 

!•'•  âge.  Les  commencements,  ix',  xV  xi'  et  xu«  siècles. 
2*  âge.  L'apogée,  xiu«  siècle. 
3«  âge.  Le  déclin,  xiv«  siècle. 


d38  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

S  1.  LI8C0IIK9GIIIIT8DILA  SCILiSTIQUL  (Ile,  Xt.XIietIEn^ 

247.  Neuvième  siècle.  —  Dès  la  fin  da  haitiôme  8idcle,Cbt 
leitagne  avait  fait  des  efforts  pour  développer  en  France  Fét» 
des  lettres  et  des  sciences .  Sons  son  impulsion  plasieois  ètà 
s'étaient  ouvertes,  et  lui-môme  en  avait  fondé  une  dans  so&pslii 
Alcuin,  d'York,  né  en  734,  en  fut  le  premier  directeur  ei  da iis 
étendit  son  influence  dans  tout  le  rojaume.  On  se  mit  parwai  a 
recueillir  et  à  réviser  les  manuscrits,  et  le  goût  des  études  déni 
général .  Après  avoir  dépensé  à  cette  œuvre  toute  son  actîY^ 
Alcuin,  sentant  le  besoin  de  repos,  obtint  la  permission  deseï^- 
rer  dans  Tabbaje  de  Saint  Martin  de  Tours,  où  il  mourut  a  î^ 
Il  avait  écrit  un  triitéde  Ratione  animœ^  un  autre  de  Virt^ 
et  titiis  et  plusieurs  dialogues  sur  la  grammaire,  Ja  rhéteriqKf'- 
la  dialectique.  Son  style  toujours  élégant  est  aussi  nourri  (ibF 
losophes  et  des  poètes  grecs  et  latins,  que  des  Pères  de  rEgii^c. 

Raban-Maur,  disciple  d'Alcuin,  devint  plus  tard  archevéqaei 
Mayence,  et  répandit  en  Allemagne  l'étude  des  lettres  latine* «a 
philosophie.  Il  mourut  en  856,  âgé  de  quatre-vingts  ans.  On  a^ 
lui  un  traité  de  Universo,  où  se  trouvent  bien  des  renseigneœ»^ 
sur  l'état  des  connaissances  à  cette  époque,  et  plusieurs  opasc»^ 
philosophiques  qui  ne  sont  que  des.  commentaires  sur  ArLstote. 

De  son  vivant,  le  moine  Gottescalc  suscita  des  disputes  et  -fe 
troubles  en  enseignant  sur  la  prédestination  une  erreur  qui  enf^ 
la  négation  de  la  liberté  humaine  et  de  la  justice  de  Dieo.  D^^ 

condamné  dans  un  concile,  tenu  par  Raban-Maur,  à  Majencc,  ^ 

■ 

dans  un  autre,  tenu  par  Hincmar  de  Reims. 

Jean  Scot  Erigéne,  ainsi  nommé  parce  que  l'Ecosse  etll^ 
lande*  se  disputent  sa  «naissance,  dirigea  l'école  palatine,  s* 
Charles  le  Chauve  ;  mais  il  ruina  sa  renommée  par  son  W^ 
sur  l'Euchâiristie,  qu'il  regardait  comme  un  simple  souTenif»' 
Jésus-Christ  et  de  son  sacrifice.  De  plus,  chargé  decomlatP 
Gottescalc,  il  écrivit  un  livre  sur  la  prédestination,  où liio^^' 
dans  l'erreur  opposée.  Enfin  son  principal  ouvrage,  deDiv^^^ 
nattirce,  n'est  pas  exempt  d'erreurs.  —  Il  distingue  ;  1^  lao*^ 
qui  n'est  pas  créée  et  qui  crée  ;  2^  la  nature  qui  est  créée  et  ^ 


SCOLASTIQUB.   -r  X'    SIÈCLE  639 

crée;  3^  la  nature  qui  est  créée  et  qui    ne  crée  pas.   4^   la 
nature    qui    n'est   pas  créée  et  qui  ne  crée  pas.La   première, 
c'est  Dieuy  le  créateur  incréé  ;  la  seconde,  ce  senties  causes  pre- 
mlôre»,  les  idées,  que  Dieu  a  créées  et  déposées  dans  le  Verbe  ;   la 
troisième,  c'est  le  monde,  qu'Erigène  suppose  créé  de  toute  éter- 
nité, parce  que,   dit^-il,   un  commencement  dans  Tacte  créateur 
serait  un  accident  en  Dieu  ;  enfin,  la  quatrième,  c'est  Dieu  consi- 
déré comme  fin  de  toute  créature.  Dans  la  longue  exposition  de 
toutes  ces  théories,  Erigène  refuse  toute  durée  à  l'innocence  d'Adam 
et  d'Eve  ;  il  nie  l'éternité  des  peines  de  l'enfer,  et  entend  dans  un 
sens  figuré  bien  des  affirmations  de  TEcriture.  Il  ne  nous  paraît 
pas  avoir  enseigné  le  panthéisme,   mais  plus  tard  Amaurj  de 
Chartres  et  David  de  Dinan  abusèrent  de  l'équivoque  de  ses  expres- 
sions pour  autoriser  leur  doctrine  panthéiste. 

Nous  devons  encore  mentionner  dans  ce  siècle  Photius,  patriar- 
che de  Constantinople,  et  le  premier  promoteur  du  schisme  grec. 
Instruit  dans  toutes  les  connaissances  de  son  temps,  il  écrivit  plu- 
sieurs ouvrages  dont  le  plus  important,  le  Myinobiblon^  intéresse 
surtout  la  philosophie  et  renferme  en  grand  nombre  des  extraits 
cl'ouvrages  que  nous  ne  connaissons  que  par  lui. 

248.  Dixième  siècle..  —  Le  dixième  siècle  compte  un  certain 
nombre  d*historiens,  des  poètes  et  des  troubadouis,  mais  la  philo- 
sophie n'y  est  représentée  que  par  quelques  arabes.  Cependant  un 
seul  nom  suffit  à  défendre  ce  siècle  contre  l'accusation  d'igno- 
rance. 

Gërbert,  né  à  Aurillac  en  Auvergne,  au  commencement  du 
X*  siècle,  devenu  pape  en  999,  sous  le  nom  de  Silvestre  11^  après 
avoir  été  archevêque  de  Ravenne,  et  mort  en  1003,  était  instruit 
dans  toutes  les  connaissances  de  son  temps. 

Ayant  fait  dans  sa  jeunesse  un  voyage  en  Espagne,  il  en  rap- 
porta les  commentaires  des  Arabes  sur  Aristote  et  plusieurs  des 
écrits  de  ce  philosophe.  On  ne  sait  si  c'est  de  la  môme  source  qu'il 
apprit  la  numération  décimale,  mais  il  est  certain  qu'il  fut  le  pre- 
mier k  l'enseigner  et  a  la  répandre  en  France,  avec  les  chiffres 
dont  nous  nous  servons  encore  et  que  nous  appelons  chiffres  ara- 
hes.  L'origine  de  ces  chiffres  est  une  question  restée  pour  le  mo- 
ment sans  réponse. 


640  HISTOIRE  DB  LA   PHILOSOPHIE 

Gerbert  parait  aussi  avoir  inventé  les  sphères  armiliaires;  il 
s'en  servait  dans  ses  démonstrations  astronomiques,  dans  Técole 
épiscopale  de  Reims,  qu'il  dirigea  longtemps  avec  éclat  etsaoeës. 

Il  fit  beaucoup  pour  se  procurer  les  ouvrages  ancien^  qu'il 
n'avait  pas  et  fonda  ainsi  une  biblfothôque^  où  il  réunit  beanooap 
do  livres  dont  plusieurs  se  sont  perdus  depuis,  mais  dont  proba- 
blement un  bien  plus  grand  nombre  nous  manqueraient  sans  lui. 
Il  excita  par  tous  les  moyens  le  goût  des  études,  écrivit  sous  forme 
de  lettres  plusieurs  petits  traités  et  en  un  mot  fit  revivre  les  écoles. 

Nous  n'avons  de  lui  qu'un  seul  ouvrage  philosophique  :  il  est 
intitulé  :  de  liationali  et  ratione  xUi  (du  raisonnable  et  du  rai- 
sonner). Ce  n'est  qu'une  question  de  logique,  où  il  établit  à  la 
demande  de  l'empereur  Othon  m,  que  faire  usage  de  la  raism 
est  accidentel  à  l'homme  qui  est  essentiellement  raisonnable^  et 
que,  l'accident  pouvant  servir  d'attribut  à  la  substance,  c'est  ainsi 
que  ratione  uti  peut  être  attribué  au  sujet  ralionalis^  quoique 
l'extension  des  deux  termes  soit  la  même. 

249.  Onzième  siècle.  —  Le  onzième  siècle  qui  vit  briller,  en 
Orient,  A"vicenne  et  Al-Gazel,  s'ouvrit  en  Europe  par  Thérésiede 
Bkhenger,  renouvelée  de  Scot  Erigône,sur  l'Eucharistie  (1047),et 
qui  tint  long-temps  les  esprits  en  émoi.  Condamné  par  plusieurs  con- 
ciles, en  1050,  1055,  1059,  1078,  Bérenger  se  rétract  i  chaque  foi? 
et  revint  autant  de  fois  à  ses  erreurs.   On  croit  qu'il  se  rétracta 
définitivement  et  sincèrement,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  qui 
arriva  en  1088.  Il  était  né  à  Toura,  vera  l'an  1005.  En  dehors  de 
son  hérésie,  il  fut  considéré  comme  un  savant  philosophe,  trè« 
versé  dans  les  lettres  anciennes  ;  mais  dans  son  amour  pour  la 
science  il  exagéra  les  droits  de  la  raison,  et  c'est  cet  esprit  d'indé- 
pendance, qui  en  le  jetant  dans  l'erreur,  fit  le  malheur  de  sa  vie 
et  rendit  inutiles  toutes  ses  connaissances.   On  cite  de  lui  cette 
parole  :  «  Sans  doute,  il  faut  se  servir  des  autorités  sacrées  quand 
il  y  a  lieu,  quoiqu'on  ne  puisse  nier,çans  ab8urdité,cc  fait  évident, 
qu'il  est  infiniment  supérieur  de  se  servir  de  la  raison  pour  décou- 
vrir la  vérité.  »  —  On  n'est  plus  chrétien  avec  un  pareil  principe. 
?]t  pourtant  c'est  précisément  &  cause  de  ce  principe  que  TEcolo 
moderne  estime  Bérengar  ;  elle  le  regarde,  à  cause  de  cela, comme 


I 


I 


SCOLASTIQUB   —   Xl"   SIÈCLE  -  641 

le  précurseur  de  la  philosophie  indépendante,  dont  elle  se  glorifie. 
Mais  Tidépendance  qni  n'a  plus  de  règle  n*est  pas  la  liberté;  c'est 
le  désordre. 

En  môme  temps  vivait  le  bienheureux  Lanfranc,  de  Pavie,  né 
en .1005  et  mort  en  1087.  Il  se  distingua  dans  la  controverse  con- 
tre Bérenger,  sur  TEucharistie.  Il  se  montra  utile  à  la  philosophie 
et  aux  études  littéraires  par  la  fondation  d'une  école  longtemps 
fameuse,  au  monastère  du  Bec,  dont  il  fut  le  prieur.  Il  y  forma 
aussi  une  riche  bibliothèque.  Il  eut  pour  disciple  et  pour  ami 
S.  Anselme,  dont  nous  parlerons  bientôt,  et  qui  lui  succéda,  d'abord 
comme  prieur  du  Bec,  et  ensuite  comme  archevêque  de  Cantorbéry. 
Les  ouvrages  qui  nous  restent  de  lui  ne  disent  rien  de  sa  philoso- 
phie. 

Ts'ommons  encore  S.  Pierre  Damien,  né  a  Ravenne,  "vers  1005 
et  mort  en  1072,  à  Faênza.  D'abord  religieux  puis  abbé  du  monas- 
tère de  Fontavellana,  il  fut  promu  en  1057  à  la  dignité  de  cardi- 
nal, évéque  d'Ostie,  mais  il  résigna  bientôt  sa  charge,  pour  se 
retirer  dans  la  solitude .  Il  connaissait  la  philosophie  et  les  lettres 
antiques,  mais  il  préférait  chercher  la  sagesse  dans  les  Livres  saints 
et  manifestait  quelques  craintes  sur  Tenvahissement  de  l'esprit 
philosophique.  Nous  verrons  cette  pensée  se  développer  davantage 
dans  le  siècle  suiva  nt. 

Pendant  ce  temps  Constantinople  comptait  parmi  ses  plus  illus- 
tras philosophes  Michel  Psellus,  dont  le  rôle  politique  fut 
remarquable  et  qui  concourut  h  établir  définitivement  le  schisme 
grec,  avec  le  patriarche  Michel  Cérulaire.  Né  à  Constantinople  en 
1018  et  mort  en  1079,  Michel  Psellus  nous  a  laissé  des  Mémoires 
historiques  très  précieux,  sur  son  siècle.  II  était  ardent  platonicien 
et  eut  pour  adversaire  Taristotélicien  Xiphilin,  son  ami.  Mais  l'un 
et  l'autre  se  contentèrent  du  rôle  d'initiateurs,  et  ne  firent  pas 
avancer  la  philosophie.  Les  ouvrages  de  Michel  Psellus  ne  sont 
que  des  résumés. 

Vers  la  un  de  ce  siècle,  en  1080,  un  ecclésiastique  de  Paris, 
chanoine  de  Compiègne,  sur  la  vie  duquel  nous  n'avons  aucun  ren- 
seignement, RosGELiN,  commença  la  fameuse  dispute  sur  les  uni' 
versaux.  Il  fut  l'auteur  du  Nomlnalisme.  Cette  doctrine  consiste 
à  dire  que  les  genres  etles  espèces  ne  sont  que  des  noms,  et  qu'il 


642  HISTOIRB    DB  LA  PHILOSOPHIE 

n'exUte  nulle  part  une  sabstaaoe  qai  soit,  pftP  extmpk,  h  !*e 
ou  la  plante^  en  général.  Si  Roacelin  8*en  fat  tena  là,  cm  asi 
paAsé  par  dessus  l'exagération  de  ses  termes,  et  on  rannit  m 
doute  laissé  dira  ;  mais  il  transporta  sa  doctrine  dans  le  mi^ 
de  la  Saint  Trinité,  et  disant  que  les  trois  personnes  âlTias' 
sont  que  des  manières  d^ôtre  d'une  même  substance,  il  pi^ 
que  le  Pore  et  le  Saint-Esprit  se  sont  incamés  aussi  bien  ^*'* 
Fils.  Saint  Auselme  fut  le  premier  à  Tattaquer  et  après  Im  Oé- 
laume  de  Champeaux  soutint  une  théorie  entièrement  coDtnôe^ 
fut  le  chef  des  réalistes.  Nous  verrons  la  que  qaereDfi  &* 
long-temps,  même  après  la  mort  des  deux  hommes  qai  T^^ 
soulevée. 

m 

Le  nom  le  plus  illustre  de  ce  siècle  est  celui  de  Saint  Axsfliff 
Né  à  Aoste,  en  Piémont,  l'an  1033,  il  fut  d'abord  disciple  de  Li> 
franc,  au  monastère  du  Bec,  en  Normandie,  lui  succéda  «a» 
prieur,  devint  plus  tard  abbé  de  la  môme  maison,  et  enfia  1^ 
succéda  encore  comme  archevêque  de  Cantorbérj,  Safenn:*^ 
rirtfendre  les  droits  de  l'Eglise,  contre  les  empiétements  de  HeanT. 
roi  d'Angleterre,  lui  valut  un  exil  de  trois  ans,  qu'il  pas»  f"- 
France;  puis  il  revint  en  Angleterre,  où  il  mourut  l'an  1109. 

Les  principaux  de  ses  ouvrages  sont:  le  -iMonologifin^, '[^' 
fit  paraître  d'abord,  sans  nom  d'auteur,  sous  le  titre  :  Exem^^* 
meditandi  de  rationc  fidei^  eileProslogium,  publiée  d'abord*** 
le  titTO  :  Fides  quœrey^s  intellectiim,  Ort  peut  citer  enwffc^ 
traités  de  fîde  Trinttatîs,  contre  Roscelin,  et  de  Grammti^ 
contre  le  nominalisme.  Enfin  dans  les  deux  livres  deCasu  diak-' 
et  de  Libéria  arbîtno,  il  traite  de  la  liberté  de  l'homme,  àeYori^^ 
du  mal,  de  la  grâce  et  de  la  prédestination. 

Dans  la  question  des  unlversaux,  il  se  montre  réaliste^  d*^'^ 
sens  do  Platon,  mais  il  n'a  pas  une  doctrine  suffisamment  pr^^* 

Ce  qui  rend  surtout  S.  Anselme  célèbre,  dans  l'histoire  ài^ 
philosophie,  c'est,  en  général,  la  profondeur  de  sa  métapbj*i<l^' 
uu  peu  obscure  dans  le  style,  et  en  particulier  sa  dfJmonstrs^^* 
parement  métaphysique  de  V existence  de  Dieu.  La  voici,  ^ 
qu'elle  se  trouve  dans  le  Prosloçium  : 

«  L'ignorant  lui-môuie^  est  obligé  de  convenir  qa  il  a  i^^* 


SC0LA8T1QUE     *  XI*  SIÈCLE  Ô4d 

InteUigence  l'idée  d'an  être  aa-dessus  daquel  on  ne  saurait  rien 
imaginer  de  pins  grand,  parce  que,  lorsqu'il  entend  énoncer  cette 
pensée,  il  la  comprend,  et  que  tout  ce  que  Ton  comprend  est  dans 
l'intelligence.  Or,  sans  aucun  doute,  cet  objet  au-dessus  duquel  on 
ne  peut  rien  concevoir  n'est  pas  dans  l'intelligence  seule  ;  car,  s'il 
n*était  que  dans  VintelUgenc€y  on  pourrait  au  moins  supposer 
qu'il  est  aussi  dans  la  réalité  ;  et  cette  nouvelle  condition  consti- 
tuerait un  être  plus  grand  que  celui  qui  n'a  d'existence  que  dans 
la  pure  et  simple  pensée.  Si  donc  cet  objet  au-dessus  duquel  il 
n*est  rien  existait  seulement  dans  Tintelligence,  il  serait  cependant 
tel  qu'il  y  aurait  quelque  chose  au-dessus  de  lui,  conclusion  qui  no 
saurait  être  légitime.  11  existe  donc  certainement  un  être  au-dessus 
duquel  on  ne  peut  rien  concevoir,  ni  dans  la  pensée,  ni  dans  la 
réalité.  » 

Saint  Anselme  crojait  avoir  réduit,  par  là,  à  leur  plus  simple 

expression  les  arguments  qui  démontrent  l'existence  de  Dieu,  mais 

il  perdait  de  vue  la  condition  hypothétique  de  toute  conception 

a  priori  ;  ce  qui  rendait  son  argument  insuffisant.  (Voyez  notre 

Theodicéey  N*>  18.) 

Nous  préférons  l'argument  platonicien  que  Saint  Anselme  avait 
donné  dans  son  Monologium:  «L'immense  variété  des  biens, 
dit-il,  ne  peut  subsister  qu'en  vertu  d'un  principe  de  bonté,  un  et 

universel,  à  l'essence  duquel  tous  participent  plus  ou  moins 

Celui-ci  est  nécessairement  tel  par  lui-même,  et  aucun  être  ne 
Test  autant  que  lui.  Il  est  donc  souverainement  bon,  et  en  consé- 
quence, souverainement  parfait.  9  —  «  En  argumentant  de  même 
<le  la  grandeur  inhérente  à  chaque  être,  on  arrive  nécessairement 
à  un  principe  de  grandeur,  et,  par  conséquent,  de  bonté  absolue. 
La  qualité  d'être  aussi,  qui  appartient  à  toutes  les  individualités» 
se  résout  incontestablement  en  un  principe  absolu  d'être.....  La 
gradation  des  êtres  selon  leur  dignité  ne  peut  pas  créer  une  hié- 
rarchie sans  terme  ;  elle  exige  nécessairement  une  dignité  supé- 
rieure à  toutes  les  autres Cette  puissance  suprême,  cause  de 

son  existence  propre,  ne  peut  être  venue  après  elle-même,  ni  être 
inférieure  à  elle-même.  Direz-vous  qu'elle  fut  faite  de  rien  et  du 
néant?  En  passant  même  par  l'absurdité  d'une  telle  conclusion,  il 

faudrait  alors  dire  que  le  néant  lui-même  est  cause Force  est 

donc  de  conclure  que  cette  puissance  existe  d'elle-même,  -n 


644  HI'STOIRB   DE   LA   PHILOSOPHIE 

Un  moine  de  Marmoutiers,  nommé  Gaunilon,  répondit  à 
Saint  Anselme,  par  son  Livre  en  faveur  de  V ignorant  {Liber  pro 
insipientej,  qui  ne  manque  pas  de  sagacité,  mais  qui  no  mon^ 
pas  assez  le  faible  de  l'argument.  Aussi  S.  Anselme  répondit,  «i 
g'adressant  cette  fois  au  catholique,  et  crut  triompher  de  soo 
adversaire. 

Nous  n'admettons  pas  avec  M.  Bouchitté  (Dict.  de  M.  Franck,  art. 
Gaunilon)  que  cet  argument  revienne  à  la  question  soulevée  par  Kaat, 
de  <  la  légitimité  du  passage  du  subjectif  à  Tobjectif  »  et  que  dès  iors 
c  la  subtilité  scolastique  dût  méconnaître  la  portée  b  d'un  argument 
dont  la  solution  était  réservée  à  <(  une  psychologie  plus  avancée  ».  La 
psychologie  n'a  rien  à  voir  en  celte  affafre,  mais  bien  la  plus  pure  méta- 
physique; il  n'y  est  pas  question  du  passage  du  subjectif  à  l'objectif,  li 
de  la  légitimité  de  nos  afllrmations  sur  les  objets  de  notre  pensée, 
Saint  Anselme  ne  raisonnait  pas  de  la  pensée  à  son  objet,  ni  du  liait 
intellectuel  à  sa  cause,  comme  plus  tard  Descartes  ;  il  analysait  une 
idée  conçue  à  priori  et.prëtcndait,  sans  avoir  établi  la  réalité  de  Vobjet  de 
cette  idée,  conclure  à  la  réalité  de  tout  ce  que  cette  Idée  renferme,  ou- 
bliant nous  l'avons  déjà  dit,  la  condition  tout  hypothétique  de  son  point 
de  départ . 

250.  Douzième  siècle.  —  Le  douzième  siècle  s'ouvre  an 
milieu  de  la  querelle  du  nominalisme  et  lui  fournit  nn  nouveau 
défenseur  du  Rëaiasme,  qui  en  sera  comme  le  chef.  C'est  Gviir 
LAUMBDE  CHAMPEAUX,  né  au  village  de  ce  nom,  près  de  Melnn. 
Il  commença  à  en  enseigner  vers  Fan  1100,  à  Paris,  où  il  eol 
pour  disciple  le  célèbre  Abailard .  Mais  celui-ci  étant  devenu  son 
adversaire,  Guillaume  se  retira  en  1108  dans  un  faubourg  de 
Paris,  où  il  fonda  en  1113  Tabbaye  de  Saint-Victor,  et  il  y  reprit 
son  enseignement.  Devenu  plus  tard  évoque  de  Châlons,  il  mou- 
rut Tan  1121. 

11  ne  nous  reste  riea  des  ouvrages  de  Guillaume  de  Ghampeaux. 
et  quelque  intérêt  que  nous  eussions  à  étudier  le  réalisme  dans 
son  chef,  nous  en  sommes  réduits  pour  apprécier  cette  question  â 
l'exposition  que  nous  en  fait  Abailard,  el  dont  nous  pouvon» 
justement  suspecter  l'exactitude,  outre  qu'elle  n'offre  rien  de  pi^ 
cis. 

Le  Réalisme  commença  sans  doute  par  affirmer  rexisieDCtf 
réelle  et  substantielle  des  espèces  et]  des  genres  et  finit  par  euiei- 


SCOLASTIQUR  —    XlT    SIÈCLB  645 

gner,  que  les  espèces  et  les  genres  existent  seuls  véritablement; 
la  source  de  Tinclividualité  n'étant  qu'un  accident,  qui  s'ajoute  à 
l'essence  do  Totre.  Bientôt  on  en  vint  à  supposer  une  substance,  ou 
comme  on  disait,  une  entité  spéciale  pour  chaque  propriété  des 
Atres.  Il  y  eut  la  veiiu  caléfactive,  la  vertu  réfrîgérente,  comme 
la   vertu  dormiiive. 

C'est  que  sous  son  apparente  futilité,  la  question  du  réalisme  et 
du  nominalisme  embrasse  la  philosphie  tout  entière,  et  avec  elle 
les  sciences  et  les  arts,  par  les  tendances  que  donnent  aux  esprits 
les  différentes  solutions,  et  parles  conclusions  si  diverses  que  Ton 
en  a  tirées.  Cependant,  à  vrai  dire,  la  question  est  plus  simple 
qu'on  n'a  bien  voulu  la  faire,  quoique  depuis  Platon  jusqu'à  nos 
jours  elle  semble  à  plusieurs \Mre  restée  sans  réponse.  Nous  ver- 
rons bientôt  que  Saint-Thomas  Ta  nettement  tranchée. 

Pierre  Abailard  (ou  Abéîard)  né  en  1079  à  Palais,  près  de 
Nantes  et  mort  en  1142  est  plus  fameux  par  les  vicissitudes  de 
sa  vie  que  par  son  talent,  qui  était  remarquable.  Doué  d'un  esprit 
souple  et  profond,  mais  indépendant,  il  ne  sut  accepter  les  doctrines 
d'aucun  de  ses  maîtres,  Roscelin,  Guillaume  de  Champeaux, 
Anselme  de  Laon  ;  il  les  quitta  tous  promptement,  et  se  mit  à 
enseigner  sans  avoir  appris.  Sa  parole  facile  et  la  nouveauté  de 
ses  conceptions  lui  attirèrent  de  nombreux  auditeurs.  Mais  d'abord 
son  attachement  pour  la  fameuse  Héloise  le  força  de  s'exiler  en 
Bretagne  :  à  son  retour  il  voulut  enseigner  là  théologie,  mais  les 
erreurs  que  l'on  remarqua  dans  ses  doctrines,  et  dans  lesquelles  ii 
eut  pour  adversaire  Saint-Bernard,  lui  valurent  plusieurs  condam- 
nations, et,  après  s'être  rétracté  plusieurs  fois,  il  finit  par  se 
retirer  au  monastère  de  Cluny  ou  il  montra  la  sincérité  de  sa  con- 
version par  la  pratique  de  toutes  les  vertus  chrétiennes. 

Jusqu'en  1836,  les  ouvrages  d'Abailard  que  l'on  connaissait  por- 
taient presque  exclusivement  sur  la  théologie.  Ce  fut  Cousin  qui 
publia  alors  plusieurs  opuscules  de  lui,  dont  Je  but  est  tout  philo-» 
sophique.  Les  principaux  sont:  Dialectique j  Sic  et  non,  un  frag- 
ment sur  les  Genres  et  les  espèces  et  des  gloses  sur  plusieurs 
livres  d'Aristote .  Mais  on  p3ut  voir  l'esprit  philosophique  d'Abai- 
lard dans  ses  autres  ouvi'ages  :  Introduction  à  la  théologie^ 
Théologie  chrétienne^  etc. 


fS4(i  HISTOIRE  DE  LA   PHIL080PHIK 

Son  esprit  incline  à  mettre  la  raison  an  dessus  de  la  foi;  il  n 
môme  jusqu^à  dire  que  Ton  doit  croire,  non  parce  qae  telle  eitb 
parole  de  Dieu,  mais  parce  que  Ton  8*est  conyainca  qae  la  ete 
est  ainsi.  Son  admiration  pour  les  anciens  lui  faisait  préférer  Pb- 
ton  h  Moïse,  au  point  de  dire  que  celui-là. montre  mieux  la  boau 
de  Dieu  que  celui-ci.  En  Théodicée,  il  a  professé  par  araa:^ 
l'optimisme  de  Leibnitz.  £n  morale  il  prétendait  qae  facû 
n'ajoute  rien  à  Tintention,  considérait  le  péché  originel  comme  vm 
peine f  et  non  comme  une  coulpe,  et  enfin  regardait  la  grâce  comae 
n'étant  autre  chose  que  Tencouragement  de  Texemple. 

Mais  la  théorie  capitale  d'Abailard,  pour  son  temps,  fut  k 
CoNCEPTUALiSME .  C'était  selon  lui  un  milieu  entre  le  aomiaali^iEf 
et  le  réalisme,  et  il  enseignait  ainsi  que  les  universaux  ne  soat  ë 
des  mots  ni  des  choses,  mais  des  conceptions  de  l'intelligence,  f^ 
mées  par  la  réunion  de  ce  qu'il  y  a  de  commun  entre  plusiesR 
êtres.  11  est  naturel  de  penser,  que  Roscelin,  n^avait  pas  tosIi 
dire  autre  chose,  quoiqu'il  s'exprimât  autrement.  C'était  di»ie  k 
nominaiisme  qui  triomphait  avec  Abailard.  En  ce  point  il  soivui 
Aristote,  quoique  dans  plusieurs  autres  questions  il  fût  plus  rap- 
proché de  Platon.  Toutefois  sa  doctrine  n'est  pas  encore  rexpret- 
sion  exacte  de  la  vérité  ;  car  elle  n'indique  pas  dans  les  choses  le 
fondement  de  nos  conceptions  universelles,  comme  l'avait  déjà  £ût 
Boèce  et  comme  devait  le  faire  plus  tard  S.  Thomas. 

Avant  Abailard  et  en  môme  temps  que  lui,  nous  trouvons,  daai 
une  doctrine  opposée,  Gilbert  de  la  Porrèe,  né  vers  1070  et 
mort  en  1154.  Il  soutint  le  réalisme  et  le  poussa  plus  loin  q» 
Guillaume  de  Champeaux.  D'abord  chancelier  de  l'église  de  CllS^ 
très  il  assista,  en  1140,  à  la  condamnation  d'Abailard,  mab 
devenu  évéque  de  Poitiers,  en  li  42,  il  enseigna  loi-même  pis* 
sieurs  erreurs  qui  procédaient  de  son  réalisme,  et  fut  condamné  par 
UQ  concile  tenu  à  Reims,  en  1148,  où  Saint  Bernard  soutint  encûiT 
la  foi  catholique.  Il  disait  conformément  à  ses  principes  réalistei. 
que  la  divinité  est  réellement  distincte  de  Dieu^  qu'elle  of 
réellement  distincte  des  trois  personnes  divines^  et  que  pv 
suite  ce  n'est  pas  la  nature  divine^  mms  seulement  le  seconde 
personne  qui  s^est  incarnée^  et  enfin  que  tous  les  attributs  dt 
Dieu  se  distinguent  réellement  de  Dieu  lui-même.  U  m<»ti« 


SCOLASTIQUB  — XII*  SIÈCLE  647 

d'ailleurs  comme  Abailard  cet  esprit  de  prétendue  indépendance 
philosophique,  qui  renonce  à  tout  guide. 

Ainsi  Tesprit  des  distinctions  subtiles,  qui  s'emparait  de  toute 
l'Ecole,  menaçait  le  dogme  catholique,  et  la  philosophie  elle-même 
celle  d'Aristote  surtout,  qui  semblait  en  fournir  le  germe,  porta 
un  instant  la  peine  des  méfaits  que  lui  faisaient  commettre  se» 
maladroits  interprètes.  En  effet  les  premières  années  du  treizième 
'siècle  nous  montreront  une  multitude  d'erreurs  condamnées  sous 
le  nom  générique  d'Aristotélisme,  et  dès  la  un  du  douzième  nous 
allons  voir  plusieurs  hommes  de  mérite  se  défier  de  la  philosophie 
scolastique  et  recommander  la  méditation  et  la  prière.  C'est  Je 
injsticisme  chrétien,  que  les  vrais  philosophes  catholiques  n'ont 
jamais  méprisé.  Le  premier  théologien  que  nous  allons  rencontrer 
dans  cette  voie,  c'est  Saint  Bernard. 

Saint  Bernard,  né  en  1091,  dans  le  village  de  Fontaine,  eu 
Bourgogne,  d'une  famille  noble,  quitta  de  bonne  heure  le  monde 
et  entra  dans  l'abbaye  de  Citeaux,  près  de  Dijon-;  plus  tard  il 
fonda  le  monastère  de  Clairvaux,  près  de  Bar-sur-Aube,  dont  îl 
fut  le  premier  abbé,  et  il  y  mourut,  l'an  1153.  Nous  l'avons  vu 
déjà  veiller  à  la  conservation  de  la  foi  catholique,  contre  Abailard 
et  Gilbert  de  la  Porrée  ;  il  réforma  Tordre  de  Citeaux  ;  il  fut  l'ins- 
tigateur des  Croisades  ;  il  est  regardé  comme  le  dernier  des  Pères 
de  l'Eglise,  et  honoré  comme  un  de  ses  docteurs. 

Sa  philosophie,  qu'il  n'a  pas  exposée  directement  dans  ses  écrits 
est  celle  de  l'Eglise  catholique,  et  s'il  se  sert  de  la  raison  pour 
défendre  la  foi,  on  sent  qu'il  craint  les  empiétements  des  doctrines 
philosophiques  qui  plus  d'une  fois  avaient  engendré  de  son  temps 
des  erreurs  théologiques .  Aussi  on  voit  qu'il  préfère  l'Ecriture 
Sainte  à  Platon  et  à  Aristote,  et  la  méditation  et  la  prière  aux 
subtilités  de  la  dialectique.  Cette  directiqn  d'esprit  est  ce  qu*on 
appelle  le  mysticisme  ;  mais  il  ne  s'agit  pas  ici  de  cette  prétendue 
extase  où  l'imagination  s'abandonne  à  ses  rêves,  comme  dans 
l'école  d'Alexandrie  ;  c'est  l'Âme  humaine  se  livrant  à  l'action 
directe  de  Dieu  et  goûtant  la  vérité  par  le  cœur  plus  qu'elle  ne 
l'approfondit  par  la  raison.  C'est  la  pensée  qu'exprimera  plus  tard 
l'auteur  de  Ylmitation:  «  Cupio  magis  sênttre  fiompunciionem 
qtuim  scire  ejus  definitionem,  » 


648  IIISTOIEB    DE     I.A    PHILOSOPHIE 

C'est  cette  disposition  d'esprit  et  de  oœur  qni  donne  teift» 
charme  à  son  style,  d'ailleurs  tout  rempli  des  expressions  de  ïï/R' 
ture.  Une  seule  citation  fera  comprendre  sa  manière  d'cnvisa^ 
les  questions  philosopliiciues.  Après  un  court  préambale,  il  v-^a 
mence  ainsi  son  traitô  de  diligendo  Deo  :  «  VultU  ergo  i  « 
au  dire,  quare  et  qiwmodo  diîigendus  sit  Dens  f  Et  t^ 
Causa  diligcndi  Deum,  Deus  est;  modus^  sine  mododiUsm- 
Est-ne  hoc  satis  ?  Fortassis  ntique,  sed  sapienti.  >  Noos  a ^ 
sayons  pas  de  traduire,  de  peur  d'ôter  quelque  chose  an  p^ 
de  cette  pensée. 

Le  pape  Eugène  III  avait  été  religieux  de  Clairvani:  Su» 
Bernard  lui  adresse  son  Wxxede  Consideratione,  pourreng^» 
veiller  à  sa  propre  perfection  et  au  salut  de  tous,  dans  la  M»i^ 
charge  dont  il  venait  d'être  honoré  (1145V,  il  Tinvite  à  se  cas* 
dérer  comme  le  serviteur  de  tous,  selon  la  parole  de  X.  S.  i^ 
Christ  :  «  Voici,  lui  dit-il,  la  voix  du  Seigneur  dans  rEvaag* 
Les  rois  des  nations  dominent  sur  elles  ;  quil  «V»  sùtt  p^ 
ainsi  paryni  vous.  Il  est  donc  évident  que  la  domination  est u»^ 
dite  aux  apôtres..*  .  Voila  ce  qui  vous  est  défendu  ;  voyons  a  ^^ 
vous  est  ordonné  :  Que  celui  qui  est  le  plus  grand  juxrm  «* 
devienne  comme  le  plus  petit ,  et  que  celui  qui  préside t^ 
comme  le  serviteur,  » 

Selon  M.  Fouillée,  S.  Bernard,  dans  ce  passage  a  résiste  i^* 
éloquence  à  Tesprit  profane  de  domination  et  d'usarpaUofi  I» 
animait  alors  la  papauté.  »  Nous  ne  voyons  nuMement  à^ossf 
paroles  le  sens  que  leur  prête  M.  Fouillée,  et  nous  ne  pensoBSp* 
qu'aucun  théologien  y  ait  jamais  vu  autre  chose  qunne  recoB^ 
dation  d'humilité  chrétienne  et  de  douceur  dans  le  commandem»!. 

Cependant,  tandis  que  Saint  Bernard  essayait  de  dôtouratf  ^ 
esprits  des  excès  de  la  forme  scolastique,  un  autre  docteur  p<*^ 
les  fondements  de  la  théologie  scolastique . 

Pierre  Lombard,  ainsi  surnommé  parce  qu'il  était  né  pi*  * 
Novare,  en  Piémont,  après  avoir  enseigné  à  Reims,  fo^  '^ 
d'une  chaire  &  Paris,  et  devint  évoque  de  cette  ville,  en  H^^* 
mourut  en  1160.  Son  ouvrage  intitulé  iS^w^^n^mrwmWri?»^^*''^' 
qui  lui  valut  le  titre  de  Maître  des  Sentences,  est  un  cours  ^ 
plet  de  théologie,  où  les  matières  sont  disposées  avec  métbo<i^' 


SîCOLASTigUE   —  XII*    SIKCLK  649 

fut  longteraps  le  manuel  de  tous  les  étudiants,  et  le  texte  des 
leçons  de  tous  les  docteurs. On  y  voit  plus  que  dans  aucun  ouvrage 
des  siècles  précédents  Tunion  de  la  philosophie  et  de  la  foi,  pour 
onstituor  la  théologie.  Il  recherche,  cite,  explique  et  compare  les 
textes  de  l'Ecriture,  les  sentiments  des  Pores,  et  les  analyse,  & 
l'aide  de  la  métaphysique  et  de  la  logique. 

Nous  reconnaissons  volontiers  celte  union,  mais  nous  ne  voyons  pas 
pourquoi  M.  l^Vanck,  ou  M.  Houchitté,  l'auteur  de  Tarticle  Lombard 
[Pierre),  dans  son  dictionnaire,  et  mort  avant  l'impression  de  la 
seconde  édition  que  nous  citons,  en  prend  occasion  de  s'élever  contre 
a  le  dédain  de  certains  esprits  de  nos  jours,  pour  la  raison  humaine  et 
pour  la  philosophie.  »  Jamais  les  tl)éologiens  catholiques  n'ont  dédai- 
gné la  philosopîiie,  et  l'Eglise  a  été  la  première  à  défendre  les  droits  de 
la  raison  humaine  attaquée  par  les  Traditionalistes.  Mais  la  pensée  de 
Tauleur  de  cet  article,  maintenu  par  M.  Franck,  porte  plus  loin.  11  vise 
l'indépendance  et  même  la  supériorité  de  la  raison,  vis-à-vis  de  là  foi 
et  c'est  là  que  nous  sommes  obligé  de  le  condamner.  La  Foi  a  son 
domaine  ;  la  Raison  a  le  sien  ;  elles  s'unissent  dans  la  Théologie;  mais 
la  foi  y  reste  toujours  supérieure.  Et  même  dans  la  philosophie  pure, 
son  histoire  nous  a  montré  jusqu'ici  et  elle  nous  montrera  encore,  que, 
lorsque  la  raison  veut  marcher  sans  guide,  elle  marche  en  aveugle  ot 
s'égare. 

Mais  Touvrage  de  Pierre  Lombard  n'obtint  pas  l'assentiment 
de  tous,  et  amena  plusieurs  esprits  h  se  jeter  davantage  dans 
Tesprit  mystique,  à  l'exemple  de  Saint  Bernard.  Les  trois  chanoi- 
nes de  Saint  Victor,  Hugues,  né  en  Flandre,  mort  h  Paris  en  1140, 
et  Richard,  né  en  Ecosse,  mort  on  1173,  réagirent  contre  la  dia- 
lectique, firent  Téloge  de  la  contemplation,  et  s'élevèrent  contre 
Pierre  Lombard  et  son  aristotélisme.  Avec  eux,  Jean  de  Salisbury 
évoque  de  Chartres,  mort  en  1180,  condamnait  l'abus  de  Targu- 
mentation,  mais  il  restait  partisan  d'Aristote  et  de  la  littérature 
ancienne. 

Ce  siècle,  déjî\  si  tourmenté  par  tant  d'hérésies  et  de  luttes  phi- 
losophiques, fut  encore  bouleversé  par  les  Vaudois,  qui,  sous  pré- 
texte de  pauvreté  évangélique,  se  séparèrent  de  l'Eglise  catholi- 
que et  défigurèrent  plusieurs  de  ses  dogmes,  et  par  les  Albigeois, 
qui  renouvelaient  les  erreurs  des  Manichéens.  Les  uns  et  les 
autres  se  livraient  au  meurtre  et  au  pillage.  Enfin,  les  dernières 


650  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

années  de  ce  siècle  virent  encore  renaître  le  panthéisme,  dans  les 
théories  d'AMAURY  de  Chartres  et  de  David  db  Dinan,  qui  toa.« 
deux  semblent  avoir  puisé  leurs  erreurs  dans  Scot  Erigône.  Mais 
ici  le  panthéisme  est  formel .  Le  premier  dit  :  «  Tout  est  Dieu  et 
Dieu  est  tout,  o  Le  Créateur  et  la  créature  sont  une  même  chose. 
Le  second,  après  avoir  distingué  la  pensée  comme  essence  de  Dieu 
et  des  âmes,  et  la  matière  comme  substance  des  corps,  finit  par 
identifier  la  matière  et  la  pensée^  et,  par  conséquent,  le  monde 
avec  Dieu. 

Disons  encore,  pour  compléter  l'histoire  des  études  à  cette  épo- 
que, que  rUniversité  de  Paris  était  alors  si  florissante  qa*aii 
auteur  contemporain,  Rigord,  dans  sa  Vie  de  Philippe  Auguste, 
dit  :  «  Nous  ne  lisons  point  que  ni  Athènes,  ni  TEgjpte,  ni  aucune 
autre  école  du  monde  aient  jamais  eu  un  concoui*s  d'étudiants  plai 
noftibreux.  »  Cette  émulation  venait  surtout  des  privilèges  dont 
les  étudiants  étaient  favorisés,  privilèges- qui  donnaient  à  des 
hommes  du  peuple  une  considération  égale  à  celles  des  nobles. 
C'est  ainsi  que  se  préparaient,  lentement,  mais  sûrement,  la  fusion 
des  classes  et  l'égalité  des  conditions. 

—  C'est  dans  le  douzième  siècle  que  vivait  Averroès,  le  pins 
grand  des  philosophes  arabes. 

S    l.  L'AP06tl    DE    LA    SGOLASTiaUl    (XIII^  SlICLI) 

2oL  Les  Aristotéliciens.  —  Au  commencement  du  treizième 
siècle  on  donna  le  nom  d'Aristotéliciens  à  des  hommes  qui,  s*ap- 
puyaut  sur  les  principes  d*Aristote,  enseignaient  une  foule  d'er- 
reurs. En  voici  quelques-unes  : 

Erreurs  sur  Dieu: 

€  En  Dieu  il  n'y  a  point  de  Trinité,  parce  qu'elle  est  incompa- 
tible avec  sa  simplicité  parfaite.  » 

«  Dieu  ne  connaît  rien  que  lui-même.  » 

«  Dieu  ne  connaît  pas  les  futurs  contingents,  parce  que  ce  sont 
des  choses  particulières  et  que  Dieu,  connaissant  par  sa  vertu 
intellective,  ne  peut  connaître  ce  qui  est  particulier.  » 

Erreurs  sur  Cdme: 

a  L'entendement  humain  est  étemel,  parce  qu'il  n'a  point  de 


SCOLASTIQUE   —   XIII*   SIÈCLE  651 

matiôre,  par  laquelle  ilsoitea  puissance,  avant  que  d'ôtre  en  acte.  » 

€  L'intellect  actif  est  une  substance  supérieure  et  séparée.  » 

a  Les  intelligences  supérieures  créent  les  âmes  raisonnables, 
sans  le  mouvement  du  ciel  ;  les  intelligences  inférieures  créent  les 
âmes  végétatives  et  sensitives,  à  Taide  du  mouvement  du  ciel.  » 

«  La  volonté  ne  se  meut  point  par  elle-môme,  mais  par  les  corps 
célestes.  » 

((  La  volonté  est  de  soi  indéterminée  comme  la  matiôre,  mais 
elle  est  déterminée  par  le  bien  désirable,  comme  la  matiôre  par 
l'agent . 

<i  La  volonté  est  nécessitée  par  la  connaissance,  et  Thomme  ne 
peut  s'abstenir  de  ce  que  lui  dicte  la  raison  ;  ainsi  on  poche  par 
passion,  mais  non  parja  volonté.  » 

Erreurs  sur  le  monde  : 

a  Le  monde  est  éternel,  quant  aux  espèces  qu'il  contient.  > 

a  Le  philosophe  doit  nier  simplement  la  création  du  monde, 
parce  qu'il  s'appuie  sur  dés  raisons  naturelles  :  mais  le  fidèle  peut 
nier  l'éternité  du  monde,  parce  qu'il  s'appuie  sur  des  causes  sur- 
naturelles. » 

a  La  création  est  impossible,  mais  il  faut  croire  le  contraire 
diaprés  la  foi.  > 

Erreurs  sur  la  Théologie: 

«  Il  n'j  a  point  d*état  plus  excellent  que  de  s'appliquer  à  la 
philosophie,  d 

«  Les  philosophes  seuls  sont  les  sages  du  monde .  » 

4c  La  loi  chrétienne  empêche  d'apprendre.  » 

Ces  erreurs  et  plusieurs  autres  furent  condamnées  par  l'évoque 
de  Paris  en  1277.  Déjà,  dès  1215,  pour  des  motifs  semblables,  on 
avait  défendu  de  lire  les  livres  d'Aristote,  excepté  la  Logique  ; 
mais  cette  défense  dura  peu. 

252.  Vue  générale  du  XIII'  siècle.  —  C*est  donc  parallèlement 
et  dans  le  môme  temps,  que  l'erreur  et  la  vérité  se  développaient, 
sortant  des  principes  d'Aristote.  Dans  le  môme  siècle,  les  ouvra- 
ges du  grand  philosophe  furent  condamnés  et  atteignirent  leur 
plus  haut  degré  d'influence.  C'est  le  grand  siècle  du  moyen-âge, 
qui  s'ouvre  avec  Innocent  III,  qui  vit  se  fonder  les  ordres  de  Saint 
François  d'Assise  et  de  Saint  Dominique  ;  c'est  le  siècle  de  Saint 


652  HISTOIRE    DB     LÀ    PHILOSOPHIE 

Louis  ;  c'est  le  plus  beau  *temps  de  Tarchitecture  ogivale  ë 
l'art  purement  chrétien  ;  c'est  le  siècle  de  Saint   Thomas.  &  i 
cr)ntrastc,  c'est  aussi  le  siècle  de  Roger  Bacon,   qui  lut  iiiieai  i 
son  homonjme  François  Bacon,  le  vmi   promoteur  de  la  sdei 
moderne. 

Dans  ce  mémo  siècle  l'Eglise  tint  trois  conciles  œcuraêuiqnes, 
\\'  de  Latran,  en  1215,  le  i'»*  de  Lyon,  en  1245,  le  ii*  de  Lvo 
en  1274. 

Pierre  de  Blois,  qui  mourut  en  1200,  laissait  un  Traité  d 
Sciences;  Guibï.AUME  d'Auxerre,  mort  en  1230,  écrit  nneSoiAa 
de  Théologie  ;  Alexandre  de  Halès,  mort  en  1245,  a  écrits* 
une  Somync  tht^ologique,  et  exposé  les  Sentences  de  Pierre  Ua 
bard  ;  Vincent  dk  Beauvais,  mort  en  1264,  nous  alai»'û 
sorte  d'encyclopédie  sous  le  titre  de  Spéculum  majtUf  «  * 
Bibliothecn  mundi,  continens  spécula  quatuor:  doctn'fià^ 
historinlej  naturale  et  ynoraley  in  libres  xxxii  distributa. 

Dans  le  même  temps  Guillaume  d*Acvergnf,  ou  Guilla»» 
de  Paris  f  mort  en  1249,  et  surtout  S.  Bon  aventure,  ffiort  «« 
1274,  réagissaient  cont)*e  l'esprit  des  discussions  scolastiqies  ^ 
tournaient  les  esprits  vers  la  contemplation,  et  l'on  peut  attribsf 
une  influence  analogue  à  S.  Antoine  de  Padoue,  franel^a^ 
mort  en  1231,  et  à  S.  Raymond  de  Pennafort,  général  d«  A^j 
nicains,  mort  en  1275.  Avec  ce  dernier,  Saint  Pierre  NoM 
fonda,  en  1223,  Tordre  de  la  Merci,  pour  la  rédemption  des 
tifs,  œuvre  semblable  h  celle  de  Tordre  de  la  Trinité,  foB^| 
1199,  par  Saint  Jean  de  Matha  et  par  Saint  Félix  de  Valois. 

Nous  devons  parler  plus  longuement  d'Albert   le  Graod  eî| 
son  disciple  Saint  Thomas,  qui  furent  les  lumiôi*es  de  la  tb^ 
et  de  la  philosophie,    puis  de  leur  émule  Duns  Scot,  ainsi  q'*] 
Roger  Bacon. 

Enfin,  pour  que  rien  ne  manque  à   la  gloii'c  de  .c^  sièdc»'j 
dans  ce  temps  encore  que  Marco  Polo,  de  Venise,  mort  »  !• 
fit  son  voyage  dans  Tlnde  et  dans  la  Chine  et  en  écrivit  larrf»^ 

Celte  rapide  esquisse  doit  suffire  pour  montrer  qu'au  mo« 
les  ténèbres  n'étaient  pas  aussi  épaisses  qu'on  a  bien  voulait' 
et  que  Tintelligence  humaine  pouvait  se  développer  h  l'ai^ 
la  domination  du  christianisme  et  de  FËgllse. 


8C0LASTIQUB  —  Xlll"   SIÈCLE  653 

253.  Albert  le  Grand.  —  Albert,  que  ses  contemporains  et  la 
postérité  ont  surnommé  le  grand,  à  cause  de  son  savoir  immense, 
appartenait  à  la  famille  des  comtes  de  BoUstadt.  Il  naquit  à 
Lawingen,  en  Souabe,  Tan  1193  ou,  selon  d'autres,  Tan  1205. 
Possédant  à  fond  les  écrits  d'Aristote  et  des  Arabes,  il  se  livra 
avec  ardeur  à  Tétude  des  sciences  naturelles  et  môme  de  Falchi- 
mie,  en  môme  temps  qu'il  enseignait  la  philosophie.  Entré  Tan 
1222  dans  Tordre  des  Frères  Précheuirs,  il  fut  chargé  d'enseigner 
successivement  à  Hildesheim,  à  Fribourg,  à  Ratisbonne,  à  Stras- 
bourg, à  Cologne  et  à  Paris.  Le  plus  illustre  de  ses  disciples,  S.- 
Thomas, suivit  ses  leçons  dans  ces  deux  derniôras  villes.  Devenu 
évoque  de  Ratisbonne,  en  1260,  il  résigna  bientôt  sa  charge, 
comme  incompatible  avec  ses  travaux  scientifiques,  et  se  retira 
dans  son  couvent,  à  Cologne.  Cependant  il  en  sortit  pour  prêcher 
une  croisade  en  Autriche  et  m\  Bohême,  et  après  la  mort  de  S, 
Thomas,  il  vint  à  Paris  défendre  la  doctrine  de  son  disciple,  que 
plusieurs  attaquaient.  Il  mourut  en  1280. 

La  liste  de  ses  ouvrages  semt  trop  longue  ;  ils  remplissent  21 
volumes  in-folio.  Il  y  a  des  Commentaires  sur  Aristote,  sur 
V Ecriture  Sainte^  sur  S,  Denys  Varëopagite,  et  sur  les  Sen- 
tences de  Pierre  Lombard;  une  Somme  théologiqùe^  un  Abrégé 
de  théologie^  etc. 

Sa  doctrine  philosophique  est  celle  d'Aristote,  moins  ses  erreui-s. 
Elle  brille  plus  par  l'érudition  que  par  roriginalité  ;  mais  elle  ne 
manque  pas  de  profondeur,  ([uoiqu'ello  n'atteigne  pas,  h  ce  point 
de  vue,  celle  de  S.  Thomas.  Plus  que  tout  autre  il  contribua  à 
mettre  en  honneur  la  philosophie  d'Aristote,  en  montrant,  par 
l'emploi  qu'il  en  fit,  qu'on  ne  devait  pas  imputer  à  cette  doctrine 
les  erreurs  de  ceux  qu'on  appelait  les  Aristotéliciens.  Il  fit  con- 
naître aussi  les  travaux  des  Arabes,  qu'il  cite  assez,  souvent.  En 
résumé,  il  donna  une  base  solide  aux  études  et  en  étendit  le  cadre, 
en  môme  temps  que  l'intéi^^t  qu'il  donnait  à  ses  leçons  inspirait 
le  goût  de  la  science  à  des  milliers  d'auditeurs. 

254.  Saint  Thomas  d'Aquin.  —  Reconnu  comme  le  plus 
grand  des  théologiens, par  ses  contemporains,  qui  le  surnommèrent 
ï>octor  angelicus^   par  la  postérité,  qui  l'appelle   VAngc    de 


054  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

l'Ecole,  et  par  l'Eglise,  qui,  au  Concile  de  Trente,  miti»&«« 
tMologlqw:  à  crtté  de  l'Ecrituro  Sainte,  dans  la  salle  des  dAl^- 
lions,  S.  Thomas  d'Aquin  serait  aussi  le  plus  grand  des  phi" 
sophes,  si  les  doctrines  qu'il  nous  a  transmises  n*(5taient  pa?,  « 
grande  partie,  empruntées  à  Aristoto  ou  inspin>es  par  se?  ^''^ 
Ainsi  le  mérite  sans  égal  des  œuvresdeS.  Thomas,  au  point  de  y*- 
^•ilosophique  revient  en  partie  à  Aristole  et,  par  lui,  à  Plat'»" 
J»^  *e.  Il  y  a  ajouté  les  données   de  la  foi  catholique,  te  A<- 

^  Socrav.        '-es  de  l'Eglise,  ses  propres  méditations  et  il  a  Ws 
triiies  des  Pe.  '<le  fruit  de   la  révélation  divine  et  da  îà* 

ensemble  ce  dou^.  ce  chef-d'œuvre  qui  s'appelle  ajuste  t;^ 

humain  pour  en  faire  -ime  du  savoir  de  l'humanité  dae?  te 

la  Somme,  car  il  est  la.  sou.  a  pu,  depuis,  éclaircir  qnel-joa 

questions  les  plus   élevée».  On  •  ft  un  point  de  vue  pprfèn* 

points  laissés  dans  l'ombre,  se  placox  .       '  '.,  (Je  sa  doctrine  et  a 
pour  certaines  analyses  ;  mais  l'ensemb.-         ^'ondementw*»!- 
presque  totalité  de  ses  détails  demeure  comme  le .        -reux  qm  s:. 
lable  de  toute  philosophie  et  de  toute  théologie.   Heu.        oir  f* 
le  cpmprendre  !  car  plusieurs  l'ont  dédaigné  faute  de  la>.      ^ 
pris  ;  et  ce  livre  qu'il  écrivit,   comme  il  '«  dit  Im-m.J- ;^ 
les  commençants  .,  à  été  banni   des  xîlasses  aujourd  hu.,  «" 
trop  au-dessus  des  intelligences  frivoles  de  notre  ^m^l^\^^ 
gue  et  son  style   ne  sont  plus  en  rapport  avec  "«^re  <:ullare .   ^ 
lectuelle.   Peut-être,   avec  notre  langue  française,  formée  ^ 
dialectique  de  l'Ecole,  où  elle  a  puisé  une  clarté  sa^  n« 
pouvons-nous  mieux  dire  ce  qu'a  dit  S.  Thomas,  mais  à  co«r  ^ 
en  dehors  des  vé.-ités  que  seule  peut  fournir  1  expérience,  no^^^^ 
possédons  que  tré8-p3u  de  vérit^-s  qui  ne  soient  pas,  expUui 
ou  implicitement,  dans  la  Somme  de  S.  Thomas. 

Thomos,  fils  de  Landolphe  de  Sommacle,  comte  d  Afi"-  "«1 
l'an  1226,  au  château  de  Rocci  Sccca,  prés  du  Mon*-';'^'"' \, 
le  royaume  de  Naples.  Ayant  fait  ses  premières  études  ct^^^ 
religieux  bénédictins  du  Mont^Cassin,  il  voulut  entrer  dansl 
de  S.  Daminiquo,  mais  sa  famille  lui  fit  une  violente  opp«>^  ^ 
11  triomphade  tous  les  obstacles  et  parvint  à  sortir  de  1 1"  _ 
vint  d'abord  à  Paris,  puis  à  Cologne  où  il  reçut  les  ^^^-^^^, 
le  Grand,  qu'il  suivit  encore  à  Paris.  Son  caractère  8ilen««  ^^ 
ami  de  la  solitude,   sa  démarche  un  pe::  lourde  causée  p» 


SGOLASTIQUE   — -    Xlll*    SIÈCLE  655 

embonpoint  assez  marqué  pour  son  âge,  le  firent  surnommer  par 
ses  condisciples  a  Bosmutus  Siciltœn;  ce  qui  montre  un  jugement 
peu  favorable  pour  son  intelligence.  Mais  un  jour,  Albert  le  Grand, 
qui  jusque-là  'paraissait  partager  l'opinion  de  ses  disciples  sur 
Thomas,  l'ayant  interrogé,  celui-ci  répondit  d'abord  par  un  défi- 
nition, et  ensuite  il  trouva  dans  cette  môme  définition  la  réponse  à 
toutes  les  difiîcultés  que  son  maitre  put  lui  faire  sur  le  môme  sujet. 
C'est  alors  qu'Albert^  transporté  d'admiration,  s'écria,  en  parlât 
àtous  ses  auditeurs:  a  Vos  vocatishunc  bovem  mutum,sed  olimiste 
talem  mvgitum  dabit^quodin  toto  mictido  sonahit,  »  La  prédic- 
tion s'est  largement  réalisée.  S.  Thomas  après  avoir  refusé  tous 
les  honneurs  ecclésiastiques,  quitta  la  France  pour  enseigner 
dans  plusieurs  villes  d'Italie,  notamment  à  Naples,  et  comme  il 
se  rendait  au  concile  de  Lyon,  en  1274,  il  mourut  dans  l'abbaye  de 
Fosse-neuve,  près  de  Frosinone,  dans  le  diocèse  de  Terracine.  Sa 
piété  et  sa  science  lui  valurent,  50  ans  après  sa  mort,  les  honneurs 
delà  canonisation,  en  1323.  Et  comme  on  objectait  qu'il  n'avait 
pas  fait  de  miracles,  le  pape,  Jean  XXII,  répondit  :  «  Quoi  scinp- 
sit  aiHiculos,  tôt  miraotcla  fecit.  » 

Après  cet  éloge  si  mérité,  il  semble  que  nous  devrions  exposer 
longuement  ici  les  œuvres  et  la  doctrine  de  Saint  Thomas;  mais 
ses  œuvres  sont  extrêmement  nombreuses,  elles  remplissent 
jusqu'à  23  volumes  in-folio  ;  et  poui»  exposer  sa  doctrine  il  nous 
faudrait  redire  ici,  avec  une  terminologie  difi*érente,  presque  tou* 
ce  que  renferme  notre  cours  de  philosophie.  D'ailleui*s  nous  avons 
déjà,  dans  ce  même  cours,  fait  connaître  la  théorie  de  Saint  Tho- 
mas sur  chacune  des  principales  questions,  avec  sa  terminologie. 
Nous  ne  donnerons  donc  qu'une  vue  d'ensemble. 

Les  œuvres  de  Saint  Thomas  renferment  des  Commentaires  sur 
les  principaux  écrits  d'Aristote,  des  Comme7itaires  sur  l'Ecriture 
Sainte,  et  notamment  la  Catena  aurea^  commentaire  suivi,  sur 
l'Evangile,  où  s'enchsdnent  en  s'expliquant  mutuellement  un  nom- 
bre incalculable  de  pensées  exclusivement  empruntées  aux  Pères 
de  l'Eglise  ;  des  Commentaires  sur  les  sentences  de  Pierre  Lom- 
bard; la  Somme  théologique,  son  chef-d'œuvre  et  le  chef-d'œuvre 
des  ouvrages  de  ce  genre  ;  la  Somme  philosophique  ou  contre  le^ 
Gentils,  dans  laquelle  il  expose  et  démontre  sur  Tàme  et  sur  Dieu» 


656  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

toutes  les  vérités  que  les  païens  auraient. pu  connaître,  en  àéhc^ 
do  VEcriture  Sainte.  On  y  trouve  en  outre  plusieurs  Oj>?^#^^*'-*' 
sur  diverses  questions  do  philosophie  et  de  théologie. 

Sou  principal  ouvrage,  la  Somme  thf^ologiqitCj  qui,  tout  ei 
s'appuyant  sur  la  foi,  invoque  perpétuellement  la  raison,  soitpoir 
pénétrer  plus  avant  dans  les  mjstéres,  soit  pour  en  montrer  b 
convenance,  est  divisée  ainsi  :  Après  un  préambule  sur  la  Docim' 
sacrée,  qui  est  la  théologie,  Saint  Thomas  ♦  divise  son  suje*  « 
trois  parties  :  P  de  Dieu  et  de  là  créature;  2**  du  movt'efnertt  A^  h 
créature  raisornable  vers  Dieu;  3*^  de  Jésus-Christ  qui  est  iiMr? 
voie  pour  aller  à  Dieu. 

La  première  partie  embrasse  trois  traités  :  1**  de  Dieu  consi»^^:^ 
dans  son  essence  et  dans  ses  attributs  ;  2*  de  Dieu  dans  la  distioî- 
tion  des  trois  personnes  divines  ;  3°  de  la  jirocession  des  créato'p^ 
de  Dieu,  et  en  particulier  des  hnges  et  de  rhomme,  considm? 
dans  leur  nature  et  dans  leurs  facultés.  C'est  dans  ce  dersiff 
traité  que  se  trouve  la  psychologie  de  Saint  Thomas,  conime  a 
théodicée  se  trouve  dans  le  premier,  car  toutes  les  question?.^ 
sont  traitées  aussi  bien  au  point  de  vue  de  la  raison  seufe  qu'sT 
point  de  vue  de  la  foi.  Le  traité  de  la  Trinité,  lui-même,  secïble 
un  traité  purement  philosophique,  et  celui  qui  ne  remarquerait 
pas  le  seul 2^01  nt  où  la  conséquence  n'est  pas  du  ressort  de  la  rai- 
son pourrait  croire  que  le  mystère  de  la  Sainte  Trinité  s'y  trouve 
démontré.  Il  n'en  est  rien,  mais  du  moins,  il  y  est  mag-nifiqueîiie-ît 
exposé.  On  peut  lire,  pour  s'en  convaincre,  l'éloquent  rés'ic' 
qu'en  a  donné  le  père  Lacordaire,'  dans  une  de  ses  Coufth-ences  d? 
rs'otre-Dame,  à  Paris. 

La  deuxième  partie  traite  do  la  fin  de  l'homme  et  des  mov^n* 
par  lesquels  l'homme  y  tend  ou  s'en  éloigne.  On  y  trouve  les  t^«- 
sidérations  les  plus  profondes  et  Jes  plus  exactes  sur  la  fin,  î=nr  Li 
béatitude,  qui  est  la  fin  dorniOrede  l'homme,  sur  les  actes  humain* 
et  sur  tous  les  éléments  qui  concourent  k  lojf  former,  sur  la  moni- 
lité  de  ces  mêmes  actes,  sur  les  passions  qui  souvent  les  inspires^ 
sur  les  habitudes  en  général  et  spécialement  sur  les  vertus  et  55: 
les  vices,  sur  le  péché,  sur  les  lois  morales  et  sur  la  grâce  qo: 
nous  aide  tl  les  accomplir. 

Après  ces  considérations  générales,  comprises  dans  la  parti* 


SC0LA8TIQUB     -   XUl"   SIÈCLE  657 

Bip^elée  prima  secundœ ,  Saint  Thomas  pa0se>  dans  la,  secunda 
secundœ,  à  Texameti  détaillé  des  actes  conformes  ou  contraires  à 
chacune  des  vertus  théologales  et  morales.  Il  achève  cette  partie 
par  l'étude  des  conditions  particulières  ou  spéciales  faites  par 
Dieu  à  quelques  hommes  et  des  devoirs  propres  à  chacun  de  ces 
états,  tels  que  la  prophétie,  Textase,  le  don  des  miracles,  la  vie 
contemplative  ou  la  vie  active,  Tépiscopat  et  la  vie  religieuse. 

La  troisième  partie  traite  1<»  de  Jésus-Christ  dans  le  mystère  de 
son  Incarnation,  et  dans  tous  les  actes  de  sa  vie  mortelle;  2?  des 
Sacrements,  en  général  et  en  particulier;  S*»  de  la  résurrection  et 
de  l'immortalité  hienheureuse,  fruit  des  mérites  de  Jésus-Christ, 
qui  nous  sont  appliqués  par  les  sacrements. 

Voilà  une  bien  faible  idée  des  richesses  intellectnelles,philosophi- 
ques  et  religieuses,  renfermées  dans  la  Somme  de  Saint  Thomas, 
un  résumé  bien  insuffisant  à  faire  soupçonAer  môme  ce  qu'il  j  a  de 
vérités  profondes  et  sublimes  autant  que  solidement  établies  dans 
ce  résumé  de  la  théologie  catholique.   On  ne  saurait  imaginer, 
d'avance,  ce  que  l'âme  humaine  tout  entière,  rintelUgence,   le 
cœur,  la  volonté,  peuvent  gagner  à  cette  étude,  et  combien  large- 
ment on  est  payé,  à  la  fin,  des  quelques  efforts  que  l'on  a  dû  faire 
pour  s'initier  h  ces  doctrines.  Car  il  y  a  quelques  efforts,  même 
pour  les  esprits  les  mieux  doués,  et  d'ailleurs  il  est  indispensable 
d'emprunter,  au  moins  pendant  quelques  années,   le  secours  d'un 
maître  vraiment  capable.  Mais  une  fois  que  l'on  est  parvenu  à 
marcher  seul,  dans  ces  voies  difficiles,  quoique  larges  et  bien  tra- 
cées, on  y  trouve  chaque  jour  des  vérités  que  l'on  n'avait  pas 
aperçues  tout  d'abord. 

Il  nous  reste  encore  à  faire  connaître  les  théories  de  Saint  Tho- 
mas sur  des  questions  alors  très  agitées  et  dont  on  semble  ne  plus 
comprendre  aujourd'hui  ai  le  sens  ni  la  portée.  Nous  voulons 
parler  de  la  question  des  universaux^  de  la  théorie  des  idées^images 
et  àiVi  principe  de  l'individuation,  Mais,pour  ne  pas  nous  répéter, 
nous  les  exposerons  en  parlant  de  Roger  Bacon,  qui  combat  sur 
tous  ces  points  la  doctrine  de  Saint  Thomas  et  nous  semble  pour- 
tant plus  d'accord  avec  celui-ci  qu'il  ne  le  pense  lui-même. 

255.  Rogner  Bacon.  —  Le  nom  de  Bacon  a  quelque  chose  do 
prédestiné;  les  deux  hommes  fameux  qui  l'ont  porté  se  ressemblent 


658  HISTOIRE    DB  LA   PHILOSOPHIE 

tellement  qa'on  les  confondi^ait,  s'ilb  n'araient    Téca  à  pb  ^ 
trois  siècles  de  distance  Tun  de  Tautre. 

Roger  Bacon,  né  en  1214,  près  d'Ilchester,  da&s  le  comW  é» 
Sommerset ,  en  Angleterre ,  étudia  d'abord  dans  roaiveRi^ 
d'Oxford,  dont  Tesprit  tranchait  déjà  sur  les  autres  écoles  de  « 
temps,  et  semblait  préférer  les  sciences  physiques  à  la  phik^fi* 
Après  ayoir  puisé  là  une  tendance  à  mépriser  la  science  des* 
temps  et  à  se  tourner  vers  Texpérience,  Roger  Bacon  vintàPsrA 
et  au  lieu  d'y  suivre  les  leçons  des  maîtres  de  cette  univcrsi-'t 
célèbre,  il  se  fit  le  disciple  d'un  alchimiste,  dont  il  nous  »w< 
lui-môme  le  portrait  intellectuel  et  moral  et  qu'il  nonune  Pie^ 
de  Maricourt.  Avec  son  esprit  indépendant  et  novateur,  Rcfff 
Bacon  eut  tort  de  se  faire  religieux  •,  il  entra  dans  l'ordre  ds 
franciscains.  Aussi  c'est  de  son  ordre  même  que  lui  vinrent  loasa 
les  persécutions  qu'il  endura,  quand  il  eut  commencé  à  déaigî® 
publiquement  la  philosophie,  les  maîtres  illustres  qui  l'enseigniitf 
alors  et  l'Eglise  elle-même,  et  quand  il  émit  plusieurs  dociiûs 
contraires  à  la  foi  catholique. 

Pendant  de  longues  années  et  à  diverses  reprises,  il  Inî  ^* 
défendu  d'écrire  et  d'enseigner  ;  mais  il  trouva  de  puissante  p 
tecteurs,  qui  lui  firent  rendre  pour  quelque  temps  la  libeHé-  U 
fut  d'abord  Guy  de  Foulques,  devenu  pape,  en  1265,  sous  leip-* 
de  Clément  IV,  par  l'oindre  duquel  il  écrivit  sesidées,  dans  r^>p*' 
majus,  VOpus  minus  et  VOpus  tertium,  et  quelques  années  apns 
la  mort  de  celui-ci,  Raymond  Gaufredi,  général  des  Franciscsui»?- 
en  1292.  Mais  Roger  Bacon  n'avait  plus  que  deux  ans  à  vivre  e 
laissa  inachevé  l'ouvrage  qu'il  commença  alors,  âgé  de  soiiM^^ 
dix-huit  ans.  Il  mourut  vers  l'an  1294. 

Ses  nombreux  ouvrages  que  l'on  s'efforça  de  faire  disparai»^ 
après  sa  mort  ne  nous  sont  parvenus  qu'en  lambeaux.  On  p^^ 
voir,  dans  ce  qui  reste,  que  Koger  Bacon  devança  son  épwi* 
Quoique  vivant  avant  la  renaissance,  il  en  possède  déjà  lesqw 
lités  et  les  défauts.  Il  proclame  l'inutilité  du  syllogisme  et  vacte 
l'observation  qui,  dit-il  «  s'étend  jusqu'à  la  capse,  qu  elle  décou- 
vre. »  Pour  lui,  la  science  vraie  est  celle  qui  a  une  utilité  praiif  ? 
qui  s'applique  à  la  cjnstructioii  des  maisons,  à  la  fabrication  o^ 
machines  destinées  à  au^^raenter  la  puissance  de  l'homme.  li  ^^^ 


SCOLASTIQUB.    —   Xlll*    8IÊCLB  68ft 

mande  avant  tout  Tétude  des  langues  savantes,  Thébrea,  le  chai- 
déen,  l'arabe,  le  grec  :  il  savait  lui-même  ces  langues.  Il  professe^ 
aussi  une  haute  estime  pour  les  mathématiques.  Il  relève  autant 
qu'il  le  peut  la  puissance  de  la  raison,  qui  est  pour  lui  une  perpé- 
tuelle révélation  de  Dieu  et  par  conséquent  aussi  divine  que  1& 
foi.  Mais  c'est  en  cela  précisément  qu'il  va  trop  loin.  Il  rejette  toute 
autorité  philosophique  et  va  jusqu'à  dire  que  rapprobation  univer- 
sellement donnée  A  Aristote  est  une  marque  certaine  de  l'erreur  de 
ces  doctrines,  tandis  qu'ailleura  il  veut  retremper  la  science  chré- 
tienne aux  sources  grecques.  En  un  mot,  il  se  montre  le  précurseur  de 
la  science  contempoi*aine,  mais  aussi  du  libre  examen.  PIqb  habile 
h  détruire  qu'à  édifier  et  semblable  à  sou  futur  homonyme,  il  est 
non  pas  un  réformateur,  mais  un  réformiste.  On  doit  cependant 
reconnaître  que  s'il  n'a  pas  inventé,  comme  on  l'a  dit  souvent,,  la 
boussole,  les  lunettes,  la  poudre  à  canon  et  peut-être  la  Tapeur,,  il 
les  a,  du  moins,  entrevues  de  loin  et  en  a  deviné  les  puîssants 
effets. 

Sur  la  question  des  univeraaux,  il  croit  dire  autrement  et  mieux 
que  Saint  Thomas,  en  repoussant  tout  à  la  fois  le  nominalisme  et 
le  réalisme  et  en  soutenant  que  l'individu  seul  est  réel  ;  que  le 
monde  est  fait  pour  des  individus  et  non  pour   l'homme  uni  ver- 
Sv^l,  et  que  cependant  les  idées  universelles  ne  sont  pas  seulement 
dank"*  l*i'^^^llio®ûC8,mais  qu'elles  expriment  les  caractères  par  lesquels 
les  ÎQQ^'^iJus  se  ressemblent.  En  sorte  que  l'individu  est  l'être  lui- 
même   et  J*®^P^^®  ®^^  ^'^  ^^PP^^^  entre  plusieura  êtres.   Or,  c'est 
précisément    ^^^^  ^^  ^^^^  *ï^®  Saint  Thomas   avait  tranché  la 
question   en  diss'^'^*  Que  l'espèce  n'a  pas  d'existence  réelle  en  dehors 
de  l'individu  mais  que  tous  les  caratôres  dont  l'ensemble  constitue 
l'espèce  ?o  trouvent  diXns  chaque  individu. 

Cette  manière  de  résoudre  la  question  de  l'espèce  et  de  l'indi- 
vidu amenait  nécessairemeni,  la  solution  du  principe  d'individua- 
tion  Tous  les  philosophes  ont  plus  ou  moins  distingué,  en  des 
termes  différent»,  la  forme  et  la  matière,  et  ils  ont  attribué  à  l'une 
ou  à  l'autre  le  principe  de  Texistence  ;  mais  il  en  soi*tait  toujours 
une  sorte  do  panthéisme.  La  scolastique,  après  Aristote,  attribuait 
l'acte  à  la  forme  et  la  passivité  à  la  raatiOre,  et  en  môme  temps 
la  forme  était  l'ensemble  des  caractères  spécifiques  ;  la  matière,  là 


660  HISTOIRB  DE  LA    PHILOBOPHIK 

limite  de  la  forme  et  par  suite  le  principe  de  rindiTidn&Uci 
Roger  Bacon^  rejetant  toutes  ces  théories,  déclara  que  rinditiiË 
est  individu  parce  qu'il  existe;  Tétre  étant  essentiellement  ^1^:- 
duel.  C'était  arrêter  la  question  avant  son  terme,  mais  bob  H 
résoudre.  Mais  d'un  autre  côté  ce  n'était  pas  s'écarter  beane»? 
de  la  théorie  de  Saint  Thomas,  qu'il  prétendait  combattre,  et -îii, 
tout  en  enseignant  que  la  matière  individualise  la  forme  en  a 
limitant,  enseigne  aussi  formellement  que  les  êtres  a)nt  (-^ 
individuellement  et  non  en  espèces,  qu'un  seul  acte  de  la  nh± 
du  créateur  produit  simultanément  la  matière  et  la  forme  de  cbr 
que  individu,  et  finit  par  dire  que  ce  qui  distingue  un  indi^^^ 
d'un  autre,  c'est  son  étendue  et  Tespace  qu'il  occupe,  etqne  «îî? 
limite  lui  vient  de  sa  matière. 

Quoi  quMI  en  soît,  nous  ne  pouvons  admettre  avec  M.  Emile  Ouj^ 
(Dict.  de  M.  Franck),  que  la  solution  de  Roger  Racon  «  ruine  la  tlao- 

rie  des  formes  substantielles simplifie  les  questions  de  la  sens» 

en  les  séparant  des  hypothèses  métaphysiques  et  supprime  les  sp«^ 
tions  de  TEcole  sur  les  substances  séparées.  »  Non,  la  science  nep» 
se  séparer  de  la  métaphysique  ;  il  laut  bien,  bon  gré  malgré,  qa«* 
ai!irme  quelque  chose  des  substances  et  des  causes  de  tous  les  ^^" 
mènes  dont  elle  étudie  les  lois,  et  les  substances  séparées  donl  part"* 
l'Ecole  ne  sont  rien  autre  chose  que  les  âmes  humaines.  Nous  ce  F^ 
sons  pas  qu'on  ait  encore  supprimé  cette  «  spéculation  ». 

Roger  Bacon  combat  aussi,   dans  Saint  Thomas  et  daBSwa' 
l'Ecole,  la  théorie  des  idées-images.  Il  déclare  qu'il  n'y  *  r^ 
d'intermédiaire  entre  l'objet  connu  et  l'ilme  qui  le  connaît,  etq 
ridée  qui  se  forme  en  nous  à  mesure  qu'un  corps  agit  sur  nf^^ 
est  un  acte  de  l'âme  provoqué  par  l'action  de  Tobjet,  et  non  pft^s 
image  de  l'objet  servant  de  moyen  pour  le  connaître.  Icien^' 
nous  sommes  convaincu  qu'abusant  de  l'équivoque  des  mots,  RV 
Bacon,  comme  plus  tard  ArnauM  de  Port-Rojal,  prê^  ^  ^^\ 
Thomas  et  aux  scolastiques  une  théorie  qui  n'est  pas  lalear.  i^ 
avons  exposé,  page  283,  la  théorie  de  Saint  Thomas  sur  ïi'^^^' 
gence,  et  nous  avouons  n'avoir  jamais  vu  dans  les  espèces  «^^^ 
bles^  ni  dans  les  espèces  intelligibles  y  dont  il  parle,  riôfl  qj^' 
semble  à  cet  intermîidiaire,  à  catte  idée-image  qu'on  lai  pi^^- 
apparences  sensibles  de  Saint  Thomas  sont  l'eftet  immédi* 


SCOLASTIQUE   —    XIII"    SIÈCLE  661 

'action  d'un  corps  sur  les  sens,  et  les  apparences  intellig'ibles 
;ont  le  résultat  de  Fabstraction,  qui  ôte  à  cette  perception  le  temps 
ït  le  lieu,  ^abstrahendo  ab  hic  et  nunc  »,  et  ne  laisse  plus,  en 
)résence  de  Tintelligence,  que  runi\ersel,  qui  seul  est  de  son 
i^ssort . 

Ainsi,  nous  Tavons  dit,  et  nous  ne  pouvons  que  le  répéter^  en 
terminant  ce  numéro,  Roger  Bacon  a  Tesprit  de  François  Bacon, 
^ue  nous  verrons  plus  tard  ;  il  comprend  mal  ses  contemporains, 
ôt  il  les  méprise,  parce  qu'il  leur  trouve  des  torts  qu'ils  n'ont  pas. 
C'est  encore,  de  nos  jours,  le  défaut  de  l'Ecole  expérimentale  :  elle 
ne  voit  pas  que  nous  pratiquions  avant  elle  tout  ce  qu'il  y  a  de 
bon  dans  sa  méthode,  et  que,  dans  cette  môme  méthode,  elle  s'ar- 
rête en  chemin,  tandis  que  nous  en  atteignons  le  terme. 

256 .  Duns  Scot.  —  Jean  Duns  Scot,  né  en  1274,  en  Irlande 
ou  en  Ecosse,  peut-être  môme  en  Angleterre,  étudia'  à  l'université 
d'Oxford  et  fut  reçu  docteur  à  Paris,  en  1307.  Il  se  mit  aussitôt 
à  y  enseigner  et  devint  bientôt  la  lumière  de  Tordre  des  Francis- 
cains, auquel  il  appartenait.  Appelé  à  Cologne,  il  j  mourut  en 
1308,  âgé  seulement  de  trente-quatre  ans.  Il  laissait  cependant  de 
nombreux  écrits  et  des  disciples  enthousiastes,  qui  soutinrent  long- 
temps son  opposition  à  Saint  Thomas.  Ses  œuvres  forment  12  vrolu- 
xnes  in-folio.  On  y  remarque  principalement  ses  Commentaires 
sur  le  Ma£tre  des  Sentences,  qu'il  écrivit  pour  réfuter  Saint 
Thomas. 

Ce  qui  distingue  la  j^hilosophie  de  Duns  Scot,  c'est  d'abord  le 
réalisme,  puis  le  principe  d'individuation  et  enfin  l'importance 
qu'il  donne  à  la  volonté,  contrairement  à  Saint  Thomas,  qui  fait 
plus  de  cas  de  l'intelligence.  Le  reste  de  ses  divergences  avec  le 
docteur  angélique  dérive  presque  toujours  de  ces  trois  chefs. 

Ayant  d'abord  affirmé  que  l'universel  est  un  être,  parce  que  le 
non-être  ne  saurait  être  conçu,  il  suppose  dans  chaque  être  une 
entité  particulière  qui  est  son  espèce  ;  mais;  en  môme  temps,  il  y 
voit  une  autre  entité,  comme  principe  de  son  individuation,  c'est 
Vhœccéité ,  Etre  ceci  ou  cela  est  une  entité  positive ^  qui  n'est  ni 
la  forme,  ni  la  matière,  ni  môme  l'union  de  l'une  et  de  l'autre. 
Ses  adversaires  lui  reprochèrent  d'avoir  multiplié,  sans  motif,  les 
êtres.  Entia  non  stmt  multipîïcanda prœter  necessitatem» 


662  HISTOIRE    DE    LA    PHILOSOPHIE 

Contrairement  à  Saint  Thomas  qui  semblait  dire,  malgré  » 
théorie  de  l'Ame  séparée  et  de  sa  subsistance  distincte  en  cetétst 
que  les  âmes,  étant  de  môme  espèce,  ne  se  distinguent  les  m&^ 
autres  que  par  leur  union  avec  des  corps'  distincts,  Duns  Scft  p* 
en  principe  que  Tâme  est  une  force  avant  conscience  d'ellMB^'* 
et  qui  possède  par  elle-même  sa  j^articularité .  Et  comme  Ha^'^" 
dualité  de  TÂme  se  voit  surtout  dans  ses  actes  de  volonté,  ildern 
mettre  plus  en  relief  la  volonté,  et  placer  le  bonheur  dans  la  '^^ 
lonté  et  non  dans  rintelligence.  C'est  ce  qu'il  fit.  De  là  tontes  la 
disputes  entre  les  thomistes  et  les  scotistes  sur  la  béatitadc,  & 
l'éternité,  sur  la  liberté,  la  grâce  et  la  prédestination. 

L'éternité  est  simulta^iée,  pour  Saint  Thomas  ;  elle  est^i*'^ 
sive,  pour  Scot;  et  cependant,  par  une  sorte  d*incoDS^Bas». 
Saint  Thomas  croit  et  déclare  qu'en  dehors  de  la  foi  on  ne  peatpM 
démontrer  la  non-éternité  du  monde,  et  Scot  démontre  qo«  « 
monde  n'est  pas  éternel,  par  des  raû^ons  qui  ne  sont  Talal» 
qu'autant  que  l'éternité  est  simultanée  et  non  successive.  Surcée 
question  la  philosophie  classique  donne  raison  à  Scot  contre  b^fi- 
Thomas  et  démontre  que  le  monde  ne  saurait  être  éterod,  p^ 
qu'il  a  des  Successions;  mais  en  môme  temps  elle  donne  raison 
Saint  Thomas  poutre  Scot  sur  la  nature  de  réternité. 

Il  est  une  autre  question  aussi  où  Scot  à  toujours  eu  raison,  o^ 
ne  dirons  pas  contre  Saint  Thomas,  mais  contre  les  ancîens  thoiai^ 
mais  cette  question  n*est  pas  philosophique.  C'est  le  dogme  deliiû^ 
culée  conception  de  la  Sainte  Vierge,  que  l'Eglise  a  défini  le  8  D^^ 
bre  1854.  11  fut  longtemps  affirmé  par  lés  scotistes  et  nié  par  l«  ^ 
mistes,  qui  allèrent  probablement  jusqu'à  Interpoler  la  Somyne,  poo^ 
faire  entrer  leur  erreur.  En  effet  les  preuves  apportées  par  M.  »™ 
Lâcha f,  pour  établir  que  cette  thèse  n'est  pas  de  Saint  Thomas,  bo^* 
paraissent  au  moins  très- fortes,  sinon  pèremptoires. 

Selon  Scot,  la  volonté  divine  est  antérieure  à  la  vérité  et  à 
loi  morale.  Le  bien  est  bien  parce  que  Dieu  le  veut  ainsi,  l^^ 
philosophie  classique  n'est  pas  avec  lui  :  elle  déclare  que  la  r*^ 
du  bien  se  trouve  dans  l'essence  même  de  Dieu  et  que  Die^ 
saurait  ehanger  la  loi  morale  éternelle,  pas  plus  que  se  change 
Ini-méme. 


SCOLASTIQUE   —   XIV»   SIÈCLE  663 

Nous  ne  saurions  terminer  Tétude  de  ce  siècle  sans  nommer 
[IA.YMOND  LuLLE,  de  Palma,  île  de  Majorque,  né  en  1235,  auteur 
ie  VA7's  magnUy  sorte  de  mécanisme  logique,  moyennant  lequel 
iea  propositions  et  les  syllogismes  se  montraient  tout  faits  à  Toeil 
îu  lecteur  qui  avait  soin  d'en  mouvoir  les  cercles  et  de  les  placer 
i'aprôs  la  question  posée.  Ses  efforts  pour  convertir  les  Arabes  lui 
font  plus  d'honneur  que  son  art.  11  fut  lapidé  par  les  mahométans 
&i  mourut  martyr  à  Bougie,  en  1315. 

SS.DiCLIN.DK    LA     SGOLASTIÛDS    (I1T«    SliCll). 

257.  Théologiens  scolastiques.  —  Le  seul  nom  remarqua- 
ble que  Ton  puisse  encore  citer  dans  le  quatorzième  siècle  est  celui 
de  Guillaume  d'Ockam.  Né  à  Ockam,  dans  le  cçmté  de  Surrey, 
en  Angleterre,  il  se  fit  franciscain,  fut  disciple  de  Duns  Scot  et  * 
devint  plus  tard  son  adversaire.  Sa  mort  eut  lieu  en  1347.  11  res- 
suscita le  nominalisme,  dans  un  sens  analogue  à  celui  de  Roger 
Bacon;  ce  qui  ne  rempôche  pas  d'attaquer  Saint  Thomas  en  même 
temps  que  Duns  Scot.  11  condamne  aussi  la  théorie  des  idées-images, 
dans  le  môme  sens  que  Roger  Bacon.  Jusque  là  il  reste  dans  la 
vérité,  et  son  seul  tort  est  de  voir  dans  S,  Thomas  une  théorie 
qu'il  u*a  pas  émise.  Mais  il  tombe  lui-môme  dans  une  grave  erreur, 
quand,  tirant  les  conclusions  des  principes  de  Duns  Scot,  il  déclare 
que  €  Dieu  pourrait  décréter  bien  ce  qui  est  mal.  »  Plus  que  tout 
autre  il  contribua  à  répandre  ce  principe  que  Leibnitz  appellera 
plus  tard  le  principe  de  moindre  action  et  qu'il  exprime  de  deux 
manières  :  Entia  nonsunt  multiplicanda,prœter  necessi totem.  » 
ou  autrement  :  «  Frustra  fit  perplura  qiwd  fieripotest  per  pau- 
ciora,  ))  Mais  ces  principes  sont  plus  anciens  que  lui.  11  s'en  ser- 
vait contre  le  réalisme. 

Avec  lui,  DuuAND  de  Saint  Pourçain,  mort  en  1332,  soutint  les 
mêmes  doctrines. 

A  la  môme  époque  Jban  Buridan,  qui  vivait  encore  âgé  de 
plus  de  soixante  ans  en  1358,  soutint  aussi  le  nominalisme.  A 
l'imitation  de  Raymond  Lulle;  il  essaya  de  donner  des  règles  pour 
trouver  les  moyennes,  dans  les  syllogismes,  et  on  nomma  son  art 
le  pont-aux'ânea ,  Il  attaque  ïa  théorie  de  la  liberté  d'indiffé- 


664  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

rence,  mais  c'est  pour  en  conclure  le  fatalisme,  ou  aa  ïïim  z 
déterminisme  très-prononcé.  C'est  sans  dout^  en  exposant  ôe^i^ 
voix  sa  théorie  qu'il  faisait  rargument  qui  Ta  rendu  célèis*î 
qu'on  appelle  Vâne  de  Buridan.  Cet  argument  n'est  pas  to  a 
ouvrages.  Le  voici  :  a  Un  âne  se  trouve,  ayant  égalemes:  lia 
et  soif,  entre  un  boisseau  d'avoine  et  un  seau  d'eau.  Qaefertt-: 
Les  deux  attractions  sont  les  mêmes.  S'il  se  décide  pourmiESB 
d'abord,  ou  pour  boire,  c'est  qu'il  a  le  libre  arbitre.  Sm  ^ 
mourra  de  faim  et  de  soif,  entre  un  boisseau  d'avoine  et  Qfi«« 
d'eau.  » 

Citons  encore  Walter  Burleigh,  qui  dans  sa  théarie  à« 
universaux  essfiye  de  se  placer  entre  Duns  Scot  et  GuiUus^ 
d'Ockam.  Il  apporte  sur  cette  question  quelques  raisons  aenvtf 
Thomas  de  Bradwardin,  archevêque  de.Cantorl^épj,  confonit^ 
liberté  avec  la  volonté  nécessaire.  Ses  opinions  furent  condaiBBàs 
en  1348.  Jean  Wiclbff  enseigna  la  môme  erreur  an  miliea^ 
beaucoup  d'autres,  et  ameuta  contre  les  évoques  le  peuple  ec  te 
seigneurs.  L'archevêque  de  Cantorbôrj  fut  massacré.  Condâ^a 
en  1392,  Wicleff  mourut  la  même  année. 

258.  Théologiens  mystiques.  —  Toutes  ces  dicassions  9Si 
fin  et  les  erreurs  qui  les  accompagnaient  amenèrent  une  r^^ 

Jean  Tauler,  né  à  Strasbourg  en  1290,  dominicain,  et  illBàtft 
prédicateur,  mort  en  1361,  essaya  de  détourner  les  esprits  <fc^ 
disputes  stériles  en  les  dirigeant  vers  la  pratique  des  vertus  cbK- 
tiennes,  par  l'union  de  l'âme  avec  Dieu.  Quoiqn'efl  ^ 
M.  Franck,  nous  ne  trouvons  rien  que  de  trôs-catholique,  riea » 
néoplatonicien,  dans  le  mysticisme  de  Tauler. 

Jean  Charlier,  connu  sous  le  nom  de  Gerson,  du  village  ^^ 
était  né,  en  1362,  dans  le  diocèse  de  Reims,  suivit  la  même  r^ 
Deveim  chancelier  de  l'université  de  Paris,  il  employa  tooâ  s* 
efforts  à* réformer  les  mœurs  et  les  études  dans  le  clei^tS  ^ 
bouleversé  par  le  grand  schisme.  Ses  avis  fondés  sur  les  prihci?* 
gallicans  n'ayant  pas  été  suivis  aii  Concile  do  Constance,  il  ?°*' 
le  concile  et  se  retira  à  Lyon,  dans^  le  couvent  des  Célestins.  C^ 
là  qu'il  écrivit  ses  livres  ascétiques.  11  y  mourut  en  1459  * 
exposa  et  recommanda  la  théologie  mystique,  comme  sapén^^"* 
à  la  théologie  spéculative.  Elle  consiste  à  «saisir  Dieu  par  ï^l 


SOOLASTIQrE   —   XlV    SIÈCLE  665 

plutôt  que  par  l'intelligence  et  à  se  laisser  guider  par  la  foi  plus 
que  par  la  raison.  C'est  le  mysticisme  chrétien.  M.  Jourdain,  qui 
veut  quand  même  (Dict,  de  M.  Franck.)  y  voir  le  mysticisme 
alexandrin,  s'étonne  d'abord  que  Gerson  ait  pu  avec  cet  esprit 
tourné  vers  la  contemplation  se  livrer  avec  tant  d'activité  à  la  vie 
publique.  Cette  union  de  la  vie  active  à  la  vie  contemplative  est 
ordinaire  chez  les  Saints.  Plus  loin  le  môme  M.  Jourdain  exposant  les 
principes  théoriques  de  Gerson  sur  la  théologie  mystique,  donne 
comme  théorie  propre  du  chancelier  l'exacte  théorie  des  facultés 
de  Fârae  d'après  Saint-Thomas,  et  ne  cesse  pas  d'y  voir  les  prin- 
cipes d'un  mysticisme  qu'il  s'efforce  de  trouver  différent  de  la  foi 
catholique  dans  ces  conséquences.  Le  seul  point  sur  lequel  Gerson  soit 
réellement  dans  l'erreur^  c'est  l'origine  arbitraire  qu'il  donne  à 
l'idée  du  bien,  en  disant  après  Duns  Scot  et  Ockam  :  a  Dieu  ne 
veut  pas  certaines  actions  parce  qu'elles  sont  bonnes  ;  mais  elles 
sont  bonnes  parce  qu'il  les  veut.  »  Malgré  cette  erreur  Gerson 
jouit  encore  d'une  réputation  de  piété  incontestable.  Plusieurs  l'ont 
cru  l'auteur  de  V Imitation  de  Ji^sns-Christ,  que  l'on  attribue 
plus  généralement  à  Thomas  a  Kempis,  chanoine  régulier  dor 
Cologne,  né  en  138),  mort  en  1 171,  ou  encore  à  Gersen,  bénédic- 
tin piémontais,  qui  vivait  dans  le  xiii*  siècle. 

Nous  ne  saurions  passer  sous  silence  rapprêciation,  que  donne 
M.  Fouillée,  de  riniilatioii  do  Jcsus-Chrîst.  Après  avoir  appelé  co  livre 
«  l'admirable  expiession  d'un  .mysticisme  populaire  »  et  en  avoir  indiqué 
exactement  le  cnraclère,  «  dans  le  soufïle  d'une  piclé  ardente  (jui  préfère 
à  îa  science  l'amour.  »  Il  ajoute  :  «  Mais  quelque  admirable  que  soit  ce 
«  livre  par  la  connaissance  do  la  vie  contemplative,  il  est  loin  de  don- 
c  ner  une  idée  exacte  et  complète  de  la  vie  réelle,  surtout  de  la  vie 

c  civile  et  politique.  C'est  la  morale  du  religieux  qui  a  (ait  vœu  d'obéis- 

• 

c  sance,  plutôt  que  de  l'homnie  et  du  citoyen  libre.  »  Et  après  avoir 
cité  encore  deux  pensées  de  ce  livre,  il  dit  «  C'est  l'idée  du  droit  qui 
a  est  ici  repoussée,  c'est  le  commerce  des  hommes  qui  est  rejeté,  c'est 
a  le  dégoût  delà  vie  sociale  qui  est  inspiré.  Une  telle  doctrine  encou- 
a  rage  la  tristesse  et  l'inertie:  préoccupée  du  seul  soin  de  rai)procher 
a  l'homme  et  Dieu,  elle  reste  îndifTérente  aux  grandes  injustices  socia- 
e  les.  Par  cela  même,  elle  exprimait  fidèlement  le  véritable  esprit  du 
a  moyen-âge.  »  C'est  cette  appréciation  qui  est  à  nos  yeux  a  une  grande 
«  injustice  ».  Injuste  envers  le  livre,  injuste  envers  le  moyen-tige 
M.  Fouillée  se  montre  plus  encore  injuste  envers  tous  les  catholiques 


66ti  HISTOIRE    DK     LA.    PHILOSOPHIE 

qui  font  profession  de  piélé.  Car  tous  lisent  et  reliseat  riuiircifc' 
tous  en  inspirent  leurs  pensées  et  leurs  actes,  et  pourtant,  qui,  sika 
((u'euîc,  exerce  tous  les  devoirs  de  la  vie  réelle,  de  la  vie  civile  et  P'i- 
tique  ?  qui,  mieux  qu'eux  se  montre  iiomme  et  vraiment  lib^'  <t- 
mieux  qu'eux  respecte  le  droit  d'autrui,  et  travaille  à  réparer  pari* 
charité  les  a  grandes  injustices  sociales  d.  Les  hommes  qui  pas* 
leur  vie  dans  les  cercles,  les  cafés,  les  théâtres,  les  maisons  de  corni|:- 
tion,  les  bals,  et  autres  fêtes  mondaines,  sont-ils  donc  plus  ntaesâ^ 
société  que  ceux  qui  soignent  les  malades  et  les  vieillards  dans  k* 
hospices,  qui  instruisent  gratuitement  les  enfants  des  pauvres,  se  ass- 
tentant  d'obtenir  en  retour,  de  la  société,  un  morceau  de  pain  «ss»- 
sonné  d'injures;  qui  consacrent  leur  vie  tout  entière  à  opérer  le  r»?- 
prochement  entre  les  classes  riches  et  les  classes  pauvres,  dont  la  ^ 
sociale  moderne  développe  l'antagonisme  ? 

Il  faut  citer  encore  parmi  les  mystiques  de  ce  temps,  Srso. 
bénédictin  de  Constance,  mort  en  1365,  et  Jean  Rysbrobck,  aifls 
nommé  du  lieu  de  sa  naissance  près  de  Bruxelles,  en  1293,  ©^^ 
en  1387,  qui  tous  doux  suivirent  de  plus  près  les  doctriaes* 
Maître  EcKART,  mort  en  1328,  et  comdamné  en  1329,  aveew 
Beghards,  dont  il  avait  été  le  docteur. 

Les  Beghards,  ou  Beggards  étaient  dans  le  principe,  des  reli- 
gieux, particuliôremeiit  de  Tordre  deSt  François, qui  faisaient  p^i" 
fession  d'une  vie  plus  austère  et  plus  contemplative.  lis  sW^ 
gnirent  bientcVt  de  nombreux  laïques  qui  vivaient  en  oommoD  t 
suivaient  les  mômes  pratiques.  On  les  interdit  mais  ils  n®  ^^^ 
rent  pas  se  séparer  et  remplirent  bientôt  l'Europe  de  leurs  clamô"^ 
contre  le  pape  et  les  évoques. 

Leurs  erreurs  partaient  toutes  d'un  seul  principe.  Ils  se  d^^ 
parvenus  à  un  tel  degré  de  perfection  par  la  seule  contemplatif' 
que  tout  leur  était  permis,  sans  qui  leur  fut  possible  de  P<^*[^" 
Par  là-môme  ils  se  disaient  indépendants  de  Téglise,  et  ajoaUifi"' 
que  la  vertu  n'est  imposée  qu'aux  imparfaits,  aussi  bien  ([^ 
culte  extérieur,  tandis  que  les  parfaits  pouvaient  sans  eru» 
donner  à  leur  corps  toutes  les  satisfactions* 

259.  Obsenration  sur  la  Soolastique.  —  Née  da  mélao?' 
ou  plutôt  de  l'accord,  de  la  foi  avec  la  philosophie  grecqoe  « 
principalement  avec  la  philosophie  d'Aristote,  la  Scolastiqo^  * 


SCOLASTIQllK  —   XlV   SifeCI.B  665 

pl'iUt  que  par  l'intoUigËnce  et  à  sa  laisser  gaider  par  la  foi  plus 
que  par  la  raison.  C'est  le  mysticisme  chrétien.  M,  Jourdain,  qui 
veut  quand  mâme  (Dict,  de  M.  Franclt.)  y  voir  le  mysticisme 
a)e:taadrin,  setonno  d'abord  que  Gersoa  ait  pu  avec  cet  esprit 
tourné  vers  la  contemplation  se  livrer  avec  tant  d'activitii  a  la  vie 
publique.  Cette  uoion  do  la  vie  active  ft  ia  vie  contoraplative  est 
ordinaire  chez  les  Saints. Plus  loin lo  mûmoM.  Jourdainexposantles 
principes  théoriques  de  Gerson  sur  ta  théologie  mystique,  donne 
comme  théorie  propre  du  chancelier  l'exacte  tliéoiîp  des  facultés 
de  l'Ame  d'après  Saint-Thomas,  et  ne  cesse  pas  d'y  voir  les  prin- 
cipes d'un  mysticisme  qu'il  s'ell'oree  de  trouver  différent  de  la  foi 
catlioliquedansccsconséqnences.  Le  seul pointsur  lequel  Gerson  soit 
réellement  dans  l'erreur,  c'est  l'origine  arbitraire  qu'il  donne  ù 
l'idée  du  bien,  en  disant  après  Dans  Si;ot  et  Ockam  :  «  Dieu  ne 
vent  pas  certaines  actions  parce  qu'elles  sont  bonnes  ;  maïs  elles 
sont  bonnes  parce  qu'il  les  veut,  n  Malgré  cette  erreur  Gerson 
jouit  encore  d'une  réputation  de  piétù  incontestable.  Plusieurs  l'ont 
cm  l'auteur  de  l'Imitation  de  Ji'xxs-C/irist,  que  l'on  attribue 
nlua    a'énôralement   A  TltOMAS    a    Krmpis.    (;hn.nfiin«  r/'O'ulier   de, 

bénédic- 

a  donne 

r  Indiqué 
il  prÉFôre 
e  soit  ce 
de  don- 

i  d'obéis- 

li-oil  qui 


pprocher 

le  grande 
oyen-;lgQ 


"•Z" 


G68  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

3*   ÉPOQUE 

LA  RENAISSANCE  —  REINE  DE  LA  SGOLASTI^FE 

(XY«  et  XYl*  SIÈCtBS) 

2C0.    Coup-d'œil  général.  —  Le  concile  de  Fiorenœds^ 
l'un  des  buts  était  la  réunion  de  Téglise  grecque  h  régliaebl» 
amena  en  Italie  plusieurs  savants  grecs,  en   1438.   La  prisî  If 
Constantinople  en  1453,   fit  affluer  dans  l'occident  bonnoœ^ 
d'autres  savants  qui  apportèrent  avec  eux  les  ouvrages  cm\^ 
des  anciens, que  l'on  ne  connaissait  qu'en  partie,et  excitèrent  bk 
curiosité  nouvelle  pour  la  langue  grecque  et  pour  la  lii tcralaw  ^ 
la  philosophie  païennes.  On  commença  à  opposer  Platon  à  An?- 
tote,  puis  on  méprisa  l'autorité  des  anciens  et  on  voulut  coitftnjtf* 
à  neuf  toute  la  philosophie,   sur  les  seules  données  de  la  lai*^-' 
Cette  disposition  d'esprit  pénétra  dans  les  questions  de  (vi  :  ^ 
rejeta  l'autorité  de  l'Eglise  et  les  passions  aidant   on  prcctoa^ 
libre  examen  et  la  réforme.  Ce  fut  le  protestantisme  commencé  a 
1517.  Mais  quand  on  eut  rejeté  tout  ce  que  l'on  savait  jaeqB*^^ 
et  qu'il  fallut  édifier,  les  uns  s'abandonnèrent  à  leurs  propres oufr 
ceptions  et  firent  un  rationalisme  panthéiste,  les  autres  s'appa.^^ 
rent  su^  l'expérience  et  fondèrent  le  naturalisme,  les  aatres  p> 
dant  le  sens  de  la  foi,  sans  s'appuyer  sur  l'église,  tombèrent  ^' 
l'illuminisme.  Ainsi  la  vérité  sembla  un  instant  disparaître;  b^j-* 
l'observation  prit  bientôt  le  dessus  et  il  en  sortit  la  philosoplu»! 
moderne. 

Ce  sont  ces  divers  principes  de  mouvement  philosophique  h^ 
nous  serviront  &  diviser  cette  époque. 

Nous  ne  pouvons  pas  donner  beaucoup   d'étendue   à  rexposiii^t  * 
tous  ces  efforls  divers  de  la  pensée  humaine,  quoique  plusieurs  niént<** 
d'être  approfondis.  Nous  conseillons  à  ceux  qui  désirent  plus  de déa 
et  qui  n'ont  pas  le  temps  de  faire  de  longues  recherches,  la  lecture  o 
articles  du  Dictionnaire  de  M.  Franck  qui  traitent  des  hommes  o*' 
nous  allons  parler.  Ils  y  trouveront  des    détails  suffise  ni  s  et  if^l'^- 
tion  généralement  exacte  de  tous  ces  systèmes,  quelquefois  latnJ*  ^ 
études  entièrement  neuves  et  que  l'on  ne  trouve  pus  ailleurs. 


RENAISSANCE   —  XV  ET  XVI*  SIÈCLES  669 

261.  Grecs  venus  en  Occident.  —  Gémiste  Pléthon^  né  à 
Constantinjple,  vînt  au  concile  de  Florence  en  1438  et  employa 
sa  présence  en  Italie  h  faire  connaître  ses  doctrines  philosophi- 
ques. Il  soutenait  avec  ardeur  les  doctrines  des  alexandrins  et  se 
montrait  peu  chrétien.  C'est  lui  qui  inspira  à  Côme  de  Médicis  la 
fondation  de  l'Académie  de  Florence. 

Jean  Bessarion,  né  à  Trébizonde  en  1389,  vint  aussi  en  Italie 
en  1438,  et  s'étant,  dans  le  concile,  prononcé  pour  les  latins,  il 
fut  créé  cardinal.  Il  mourut  à  Ra venue  en  1472.  Il  était  disciple 
de  Pléthon  et  se  montra  platonicien  très-exalté. 

Georges  Scholari,  plus  connu  sous  le  nom  de  Gennadtus,  né  à 
Constantinople  vint  aussi  au  concile  de  Florence  en  1438.  Forte- 
ment attaché  aux  doctrines  d*Aristote  et,  par  là  même,  ennemi  de 
Gémiste,  il  fit  brûler  le  livre  de  ce  dernier  sur  les  Lois^  de 
Platon. 

Georges  de  Trébizonde,  né  dans  Tîle  de  Crète,  en  1396,  vint 
en  Italie  en  1430  et  mourut  à  Rome  en  1486.  Il  soutint  une  lutte 
trôs-vive  contre  Platon,  qu'il  attaqua  dans  un  livre  intitulé  :  Corn- 
paraison  d'Aristote  et  de  Platon,  Il  avait  publié  plusieurs  tra- 
ductions de  divers  ouvrages  d'Aristote. 

Théodore  Gaza,  né  à  Thessalonique,  vint  en  Italie  en  1429  et 
mourut  dans  les  Abruzzos  en  1478.  Il  donna  aussi  des  traductions 
d'Aristote. 

m 

262.  Premier  mouvement  de  renaissance  —  Le  cardi* 
nal  Nicolas  de  Cdsa,  né  à  Cuss,  près  de  Trêves,  en  1401,  et 
mort  à  Todi,  dans  TOmbrie,  en  1464,  était  un  savant  modeste.  Il 
essaya  de  remettre  en  honneur  le  système  pythagoricien,  que  la 
torre  tourne  autour  du  soleil .  Sa  philosophie  est  platonicienne 
mêlée  de  données  d'Aristote  et  de  Pythagore.  La  connaissance 
dos  objets  sensibles  ne  nous  vient  que  par  une  double  image  et  ne 
donne  que  des  opinion»,  mais  la  connaissance  de  Tinfini  ramène 
tout  à  l'unité. 

Laurent  Valla,  né  à  Rome,  en  1406,  mort  à  Naples,  en  1457, 
est  surtout  remarquable  comme  promoteur  de  la  renaissance  des 
lettres  anciennes,  mais  il  est  cité  avec  estime  par  Leibnitz,  comme 
philosophe.  Il  écrivit  contre  la  scolastique. 


670  -HISTOIRE  DE  LA.    PHIL080PHIB 

Marsile  P'icin,  né  à  Florence,  en  1433,  mort  en  1490,  fs: * 
plus  ardent  disciple  de  Gémiste  Pléthon,  et,  qdoi(iu'il  fut  î««»i^, 
on  peut  dire  que,  dans  ses  ouvrages  et  môme  dans  ses  prédicatu^^ 
le  chrétien  disparaît  pour  faire  place  au  platonicien.  11  se  kt^ 
contre  Aristote  .de  l'interprétation  donnée  à  ses  pensées  par  » 
commentateurs,  Alexandre  d'Aplirodise  et  Averroés,  sur  Y'mmL^ 
talité  de  Tâme. 

Ange  Politien,  (Cino  de  Monte  pulciano),  né  en  1454,'morlà 
Florence,  en  1494,  no  mérite  d'être  cité  que  par  ses  tradactioss  è 
Platon  et  d' Aristote.  11  favorisa  aussi  la  renaissance  des  lettres. 

Jean  Pic  de  la  Mirandole,  né  en  1463,  près  de  Mod^ne,  ffic-rt 
en  1494,  à  Florence.  Il  n'est  remarquable  quo  par  sa  brillaa'' 
mémoire  et  sa  précoce  érudition.  A  l'Age  de  vingt-trois  ans  ilp»- 
posa  de  soutenir  neuf  cents  thèses  de  ornai  re  scibili.  Il  cssaw 
de  concilier  Platon  et  Aristote,  mais  il  manquait  tout  à  la  fois  è 
matériaux  et  de  génie.  Il  estimait  fort  la  kabbale  et  en  tirait  ïï^ 
sorte  de  mystique  chrétienne. 

François  Pic  de  la  Mirandole,  son  neveu,  mort,  assagi»*  ^^ 
1533,  suivit  les  traces  de  son  oncle,  mais  avec  moins  de  taleat  G 
a  écrit  la  biographie  de  son  oncle  et  celle  de  Jérôme  Savonarole. 

Juste-Lipse,  né  à  Isch,  près  de  Bruxelles,  en  1547,  et  morts 
1606,  travailla,  de  concert  avec  Casaubon  et  Scaliger  à  U 
renaissance  des  lettres  anciennes.  On  peut  le  citer  aussi  coMffie 
philosophe,  pour  trois  de  ses  ouvrages  où  il  se  montre  stoïcien  ^ 
recherche  surtout  un  but  moral;  mais  sa  politique  est  doutense.î' 
ayant  changé  trois  fois  de  religion,  il  finit  par  n'en  avoir  aucaa^- 

Nicolas  Taurel,  né  à  Montbéliard,  en  1517,  et  mortà  AWjî'î 
en  1606,  essaya  d'accorder  la  philosopliie  et  la  théologie,  en  disast 
que  l'une  s'adresse  à  l'intelligence,  l'autre  à  la  volonté,  etqu^. 
par  conséquent,  elles  ne  peuvent  être  en  opposition.  Il  attaqQ^i^ 
Aristote  sur  sa  théori3  de  la  connaissance  passive,  disant  que» 
connaissance  est  le  fruit  de  l'activité  de  l'Ame  et  que  la  raison  ^ 
innée. 

263.  Le  Protestantisme.  —  Martin  Luther,  né  à  EiBlebe*? 
en  Saxe,  Tan  1483,  devint  chef  du  protestantisme  en  1517,*^ 
mourut  en  1546.  D'abord  il  combattit  Aristote  autant  que  V^^^' 


RENAISSANCE  —  XV*   ET   XVI*    SIÈCLES  671 

mais  par  l'influence  de  MéJanchthon,  il  en  vint  à  estimer  ce  philo- 
sophe et  Tûônae  i\  l'appeler  acutissimum  hominem^  Cependant  il 
lui  reprochait  sa  doctrine  sur  la  liberté;  car  on  sait  que  Luther 
enseignoit  que  le  libre  arbitre  n'existe  pas  dans  Thomme,  et  que 
Dieu  punit  les  méchants  du  mal  qu'il  leur  a  fait  faire.  La  doctrine 
de  Luther  n'est  nullement  philosophique,c'est  un  mysticisme  poussé 
à  l'excès,  dans  lequel  riiomme  n'est  que  l'instrument  absolument 
passif  de  la  grâce  de  Dieu.  D'ailleurs  il  ne  permet  pas  que  l'on 
raisonne  ses  principes  :  il  faut  les  admettre  sur  parole,  sous  peine 
de  s'attirer  ses  anathômes. 

SI  quelqu'un  s'avisait  de  nous  objecter  que  l'Eglise  en  tait  autant, 
D  DUS  répondrions  que  l'Eglise  permet  que  l'on  se  rende,  compte  de  son 
autorité  divine  et  qu'elle  donne  des  preuves  de  cette  autorité;  ce  que 
Luther  n'aurait  pas  pu  faire. 

364  Tendances  rationalistes  — Pomponace,  né  à  Mantoue 
en  1462,  moi  t  en  1524,  était  partisan  d'Aristote.  Il  trouvait  des 
oppositions  entre  la  foi  et  la  philosophie,  mais  ne  voulait  aban- 
donner ni  l'une  ni  l'autre.  Son  esprit  rationaliste,  ne  l'empêchait 
pas  de  croire  à  l'astrologie,  selon  le  préjugé  de  son  temps. 

Erasme,  né  vers  1466,  à  Rotterdam  mort  en  1536,  fut  le  pro- 
moteur do  l'esprit  philosophique  moderne,  dans  son  indépendance 
de  la  religion,  aussi  bien  que  du  mou vement  littéraire .  Il  défendit 
la  liberté  contre  Luther,  dont  il.  approuvait  cependant  la  réforme, 
mais  à  un  point  de  vue  purement  rationaliste. 

Il  faut  citer  ici  comme  vivant  à  la  môme  époque  Machiavel,  né 
à  Florence  en  1469,  mort  en  1527,qui  n'a  traité  qu'aune  seule  ques- 
tion, mais  une  question  éminemment  philosophique,  la  politique. 
C'est  dans  son  livre  du  Prince^  qu'il  expose  sa  théorie.  L'état 
principe  et  fin  de  toute  politique.  Tous  les  moyens  sont  bons  pour 
sauver  l'Etat.  Il  faut  employer  la  force  et  môme  la  ruse  là  où  la 
loi  ne  suffit  plus.  Sa  théorie  est  indépendante  de  toute  religion. 

Alexandre  Piccolomini,  né  fi  Sienne  en  1508,mort  en  i578,fut 
le  premier  à  écrire  la  philosophie  on  langue  vulgaire  :  ce  qui  fut 
alors  un  grand  scandale.  Il  était  partisan  d'Aristote  ;  sa  philoso- 
phie est  classique  et  il  reste  chrétien  ;  mais  lui  aussi  veut  philoso- 
pher en  dehors  de  la  foi . 


672  HISTOIRE   DE   LA   PUILOSOPUIB 

François  Piccolomini,  né  à  Sienne,  en  1520,  mort  en  1^ 
s'occupa  surtout  de  morale,  Il  a  écrit  :  Universa  philosophia  ' 
morihus,  et  dos  commentaires  sur  Aristote. 

lierre  de  la  ramôo,  ou  Ramus,  né  ù.  Cuth,  dans  le  Vennasd^ 
en  1515,  est  un  des  hommes  1  es  plus  saillants  de  oQite  èpi>|» 
B^abord  catholique,  il  se  fit  protestaat  en  15G1,  et  périt  dans  i' 
massacre  de  la  St  Barthelemj^  en  1572,  victime  d'un  eaas:. 
personnel,   Jacques  Charpentier. 

Après  avoir  fait  des  prodiges  de  courage  et  de  persévérance,  pûsr 
s'instruire,  trsvaillant  la  nuit  pour  lui-môme,  tandis  qu'il  ^rrù* 
comme  domestique  au  coUôg-e  der  Navarre,  pendant  le  jour,  ilpa^ 
vint  à  pouvoir  prétendre  au  grade  de  docteur,  et  présenta  prsî 
thèse  la  proposition  suivante  :  «  Qiiœcumque  ah  AristoteU  dtrh 
smt  çominentitia  esse.  Que  tout  ce  qu'a  dit  Aristote  n'es:  •]« 
fausseté.  »  La  seule  proposition  souleva  une  tempête  ;  mais  Rsmss 
la  défendit,  niant  imperturbablement  tous  les  principes  que  là 
opposaient  ces  hommes  qui  ne  savaient  s'appujer  que  sur  Aristo^i. 
si  bien  qu'il  reout  le  bonnet  de  docteur. 

A  partir  de  ce  moment  sa  vie  n'est  qu'une  longue  lutte  ccm'Ji 
toutes  les  écoles  de  son  temps,  avec  des  alternatives  de  reveK  et 
de  brillants  succès.  Pendant  ce  temps,  il  réforma  la  grammairea' 
la  rhétorique,  la  logique,  les  mathématiques,  et  il  en  aurait  fâiî 
autant  pour  le  reste  des  arts  libéraux,  sans  les  luttes  civiles  qai 
survinrent.  En  1562,  il  fut  chassé  de  Paris  avec  les  calviniste?. 
Rentré  en  1563,il  s'attira  pous  toujours  la  haine  de  Jacques  Char- 
pentier, en  le  dénonçant  au  conseil  privé  du  roi,  comme  ne  sachact 
pas  les  mathématiques  qu'il  était  chargé  d'enseigner,  comn:e  îe> 
tour  royal,  et  comme  exigeant  un  salaire  de  ses  écoliers.  Charpet- 
tier  jura  de  se  venger,  et  plusieurs  fois  il  essaya  de  le  faûv 
assassiner.  Il  y  parvint  enfin,  en  1582,  au  milieu  du  massacre  de 
la  Saint-Barthélémy. 

La  principale  réforme  de  Ramus  portait  sur  la  logique.  Rge- 
tant  les  formules  abstraites  d'Aristote  comme  inutiles  pour  li 
recherche  de  la  science  et  l'usage  de  la  vie,  il  revient  à  là  diale^ 
tique  de  Platon,  dont  le  principe  est  inné  dans  la  raison,  et  qui  sfi 
perfectionne  par  l'art  et  la  pratique.  Cette  pratique  consiste  dans 
l'étude  des  raisonnements  tol^i  qu'ils  ont  été  faits  par  les  phila»- 


RENAISSANCE  — JiV  ET   XVI«   SIÈCLE  673 

phes  et  les  orateurs.  On  voit  ici  une  tendance  à  la  méthode  d'ob- 
servation ;  mais  nous  avouons  que,  pour  le  cas,  elle  nous  .paraît 
déplacée.  Il  fut  le  premier  à  diviser  la  logique,  comme  le  fit 
depuis  Port-Rojal,  en  «  idées,  jugements,  raisonnements  et 
méthode.  » 

Grotius  (Hugo  de  Groot),  quoique  venu  beaucoup  plus  tard, 
dans  le  seizième  siècle,  doit  être  placé  ici,  à  cause  de  son  esprit 
rationaliste.  Dans  son  livre  de  jure  helli  et  pacis,  il  étudie  le 
droit  naturel,  comme  principe  de  toutes  les  lois  et  surtout  de  ce 
que  Ton  a  appelé  depuis  le  droit  des  cens.  Le  droit  naturel  est 
conforme  à  la  droite  raison,  qui,  à  son,  tour  ,  est  conforme  à  la 
nature  raisonnable  ;  et,  comme  celle-ci  est  l'œuvre  de  Dieu,  le 
droit  naturel  n'est  autre  que  la  volonté  de  Dieu.  Grotius  a  ainsi 
donné  Texemple  de  la  philosophie  du  droit.  Né  à  Delft,  en  Hol- 
lande, en  1583,  il  mourut  en  1G45. 

205.  Tendances  sceptiques .  —  Michel  de  Montaigne,  né 
en  Périgord,  l'an  1533,  mort  en  1595,  ne  voit  partout  que  con- 
tradiction et  mal,  et  par  une  sorte  d'indifférence  égoïste,  il  n'es- 
saje  pas  môme  de  chercher  la  vérité  ni  le  bien,  et  dit  :  «  Que 
sais-je  ?  »  Cette  disposition  d'esprit  se  manifeste  dans  ses  Essais j 
ouvrage  où  il  parle  de  tout  et  de  tous,  mais  surtout  de  lui-môme, 
racontant,  avec  un  style  sympathique  qui  lui  est  propre,  ses  ver- 
tus et  ses  vices,  sans  se  blâmer  de  ces  derniers.  Nous  "verrons plus 
loin  ce  qu'en  dit  Pascal,  dans  son  Entretien  avec  M.    de  Sacy, 

Pierre  Charron,  prêtre  et  prédicateur  en  renom,  de  son  temps, 
montre  aussi  une  grande  tendance  au  scepticisme  qui  n'est  que  de 
rindifférenc.IlnaquitàParis,enl541,etmourutfrappéd'a|rpoplexio, 
en  1(303.  Dan  son  livre  de  la  Sagesse^  il  peint  les  faiblesses  de 
l'homme,  impuissant  à  connaître  la  vérité,  ce  qui  d'ailleurs  lui 
paraît  de  peu  d'importance.  Il  semble  confondre  l'âme  avec  le  cer- 
veau et  l'homme  avec  la  hôte.  Il  ne  fait  d'ailleurs  aucun  usage 
des  vérités  religieuses  ;  il  avertit  lui-mômo  qu'il  veut  s'en  tenir  à 
la  philosophie. 

Sanchkz,  juif,  né  en  Portugal,  vers  1555,  reçu  médecin  à  Mont- 
pellier, en  1573,  mort  en  1632,  passe  peut-être  à  tort  pour  scepti- 
que.  Il  attaque  la  méthode  soolastique,  et  c'est  en  ce  sens  qu'il 


674  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE 

intitule  son  livre:  «  De  la  très  noble  science  qui  consiste  à aT^^: 
qu'on  ne  sait  rien.  Tractatus  de  imiltum  nohUi^  et  pnm*^^ 
versait  scïentia,  quod  mhilsci(ur)>.  Dans  Je  coure  de  ronvrasti 
se  montre  le  précurseur  de  Bacon,  en  professant  Tinatilité da 5fr 
logisme  et  la  nécessité  do  recourir  à  l'observation.  Il  cis^ 
beaucoup  les  faiblesses  de  rintellig^ence  humaine,  et  c'est  là  pî^ 
blement  ce  qui  l'a  fait  regarder  comme  sceptique. 

2G6.  Tendances  mystiques  et  panthéistes.  —  Jean  Rk:- 
CHLiN,  né  dans  le  duché  de  Bade,  en  1455  et  mort  en  15?2,  i^ 
professeur,  puis  avocat  et  remplit  plusieurs  charges  publiqne.  D 
professait  que  la  philosophie  vient  de  la  Révélation  et  de  1*  ^ 
baie,  et  que  Platon  et  Pythagore,  aussi  bien  que  Zoroastre,  '^ 
puisé  leurs  doctrines  dans  la  Bible  et  chez  les  Hébreux.  Il  a  éfft 
de  Verho  mirifico  et  de  Arte  cabalistica, 

Philippe  Bombast  de  Hohonheim,  connu  sous  le  nom  de  Paw- 
CELSE,  né  à  Einsiedeln,  en  1493,  et  mort  en  1541,  était  mé^'^  i 
et  porta  son  mysticisme  jusque  dans  la  médecine.  Toute  sa  p^'"'  ' 
Sophie  est  dans  la  physique.  Il  distingue  le  macrocosme,  qui  ^^'  ; 
monde,  le  microcosme,  ou  Thomme,  et  Dieu.  Uarckcpvm,  pn^  \ 
cipe  d'harmonie,  réunit  ces  trois  ordres,  et  il  prétend  eneiplil^^  ; 
tous  les  détails,  par  une  communication  directe  avec  Diea.  ^  1 
système  est  un  mélange  d'astrologie,  d'alchimie  et  de  pbilos>p 
grecque,  fondus  dans  le  christianisme. 

Cardan,  né  h  Pavio  en  1501,  mort  en  1576,  était  méd» 
naturaliste,  mathématicien  et  philosophe,  et  se  distiniruaparp  ! 
sieurs  découvertes  dans  les  sciences  ;  mais  il  s'abandonne  m^^  , 
à  une  sorte  d'hallucination.  Son  système  philosophique  repriwsi 
le  panthéisme  stoïcien,  mais  il  le  conçut  successivement  sods^j.- 
férentes  formes.  11  démontre  la  simplicité  de  l'Ame  et  son  iralao^ 
talité;  mais  il  déclare  que  ces  dogmes,  vrais  en  théorie,  sontM*- 
gereux  dans  la  pratique,  à  cause  des  guerres  de  religion  Ay^^ 
suscitent. 

Michel  Servei^  né  à  Yillanueva,  en  Aragon,  en  1509,  par<^'* 
rut  toute  l'Europe,  dans  une  sorte  de  besoin  d'enseigner  8on  i** 
du  monde,  sorte  de  panthéisme  chrétien.  Repoussé  par  les  pP>*** 
tantfi  aussi  bien  que  par  les  catholiques,  il  s'attira  la  ^^^^ 


RENAISSANCE    —    XV«  ET  XVI*     SIÈCLES  675 

Calvin,  qui  finit  par  le  saisir  à  Genève,  et  profitant  des  lois  alors 
existantes,  le  fit  brûler  vif  comme  hérétitjue.  Tan  1553,  Son  pan- 
théisme était  ainsi  conçu  :  Dieu  y  Tun  absolu,  fait  émaner  de  lui 
les  idéesy  dont  Jésus-Christ  est  le  centre,  et  forme  par  elles  les 
choses.  Jésus-Christ  n'est  pas  Dieu,  mais  il  est  le  médiateur  entre 
Dieu  et  l'homme,  comme  centre  du  monde  idéal. 

GiORDANO  Bruno,  né  à  Noie,  en  1548,  se  fit  dominicain  puis 
sortit  de  l'ordre  et  changea  plusieurs  fois  de  religion  ;  mais  dominé 
par  les  théories  néoplatoniciennes,  il  conçut  un  panthéisme  mysti- 
que, dans  lequel  Dieu,  d'abord  simple  puissance,  devient  variété 
et  contraste  et  se  résout  dans  Tunité  vivante.  Avec  cela  il  a  quel- 
ques grandes  vues  sur  la  réforme  des  études,  mais  pas  assez  de 
de  méthode.  N'ayant  paâ  voulu  rétracter  ses  erreurs,  le  Saint-Of- 
fice le  condamna  comme  hérétique  et  le  livra  au  bras  séculier,  qui 
le  fit  brûler  vif,  l'an  1598. 

La  mort  de  Giordano  Bruno  est  devenue  un  des  grands  arguments  de 
l'impiété  moderne  contre  l'Eglise.  Nous  ne  répondrons  pas  à  ses  atta- 
(\\xes,  parce  qu'on  Ta  fait  plusieurs  fois,  dans  des  livres  spéciaux,  et 
parce  que  pour  donner  nos  raisons,  il  nous  faudrait  un  volume:  il 
s'agit  en  efTet  de  rétablir  les  droits  de  la  vérité,  et  ces  droits  sont 
aujourd'hui  entièrement  méconnus;  il  faudrait  ensuite  rétablir  la  vérité 
historique  des  procédés  do  l'inquisition.  A  ce  sujet  nous  ne  relèverons 
pas  les  insinuations  malveillantes  que  M.  Franck  emprunte  &  Bayle, 
pour  les  imprimer  dans  cet  article.  Mais  nous  ne  pouvons  accepter  que 
*'0P  fasse  de  Giordano  Bruno  un  martyr  de  la  liberté,  et  presque  de  la 
vérité.  Quoi  qu'en  dise  M.  Franck,  ce  n'est  pas  la  liberté,  mais  la  rai- 
son qui  découvre  la  vérité,  dans  les  questions  qui  ne  sont  pas  déjà 
résolues  par  la  Révélation,  et  la  liberté  ne  consiste  pas  à  pouvoir  impu- 
nément professer  des  doctrines  aussi  immorales  et  aussi  antisociales 
qu'elles  sont  fausses,  impics  et  blasphématoires.  Et  d'ailleurs  nous  ne 
voyons  pas  qu'aujourd'hui  plus  qu'alors  un  Etat  laisse  mettre  en  ques- 
tion le  principe  même  qui  sert  de  base  à  sa  vie  sociale.  Ce  principe 
était  alors  le  christianisme,  la  religion  catholique,  dans  le  pays  où 
Bruno  fut  puni.  Les  protestants,  1î\  où  ils  régnaient,  ne  le  tolérèrent 
pas,  et  Calvin  n'avait  pas  mieux  traité  Servet. 

Vamni,  (Pompée  Ucilio)  né  à  Naplcs  en  1586,  professa  aussi 
dans  ses  Dialogues  sur  la  Nature^  reine  et  déesse  des  mortels  y 
un  panthéisme  naturaliste.  Il  fut  condamné  par  le  Parlement  de 


676  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Toulouse  et  brûlé  vif,  après  avoir  en  la  langue  coupée,  l'anE' 

Ces  cliîHiments  nous  font  frémir  aujourd'hui,  parce  qiie  noos  tîiHs 
avec  douceur  tous  les  coupables,  mais,  pour  lea  expliquer,  il  feii» 
reporter  au  temps  oii  ils  ont  eu  lieu  et  voir  qu'ils  étaient  dansfss 
de  cette  époque.  On  croyait  alors  que,  pour  détourner  ducnai 
fallait  non  seulement  punir  de  mort  les  criminels,  mais  encore  '^W' 
l'imagination  et  effrayer  par  l'aspect  des  souffrances.  Duresi«'-ï* 
parfaitement  avéré  que  l'Eglise  n'était  pour  rien  dans  le  choix  a  ^* 
l'application  de  la  peine,  lorsqu'elle  déclarait  un  homme  »  obstliî^'»^ 
l'hérésie.  »  Observons  encore  que,  sur  trois  châtiments  de  ce  geartia 
l'histoire  de  la  philosophie  nous  force  à  mentionner,  le  tribunaJdf  Hs/^ 
sition  n'eut  à  se  prononcer  qu'une  seule  fois,  et  ne  fit  qu'*  dèclâî^  «- 
culpabilité.  Le  premier  est  tout  entier  h  la  charge  de  CiilvJnetàtspf 
testants;  le  dernier,  à  celle  du  Parlement  de  Toulouse,  qui  proaaifî» 
sentence  et  la  fit  exécuter.  * 

Jacob  BoEFiM,  né  en  1575,  près  de  Gorlitz,  où  il  exerça  ^ 
sa  vie  la  profession  de  cordonnier,  se  distingua  cejfenàast^^''^ 
doctrine  basée  sur  riiluminisme  et  écrivit  plusieurs  ouvras^ 
Comme  plusieurs  des  panthéistes  de  son  époque^  il  âistinp^  ^^■ 
principes  des  choses  :  Dieu,  la  nature  cause  et  la  nature  effet,  s 
ajoutant  aussi  que  Dieu  est  tout  cela  à  la  fois. 

Robert  Fludd,  né  à  ^Milçfate,  dans  le  comté  de  Kent,  en  l'^- 
médecin,  mort  à  Londres,  en  1037,  professait  unpaDthéi?ro«^.* 
tique  qu'il  appuyait  sur  la  Kabbale  et  faisait  ainsi  venir» 
Révélation  primitive.  Pour  lui,  la  création  est  éteniei^eot  ^ 
comment  il  l'entend:  Dieu  renferme  en  lui  tous  les  contraires ^ 
une  parfaite  identité,  et  la  production  des  choses  n'est  qne^**^ 
ration  de  ces  principes. 

Jean  Baptiste  Van  Helmont,  né  à  Bruxelles  en  1577,  jn(S*'^ 
1641,  fut  aussi  un  médecin  mystique,  bien  qu'il  ait  recoiDiB*^- 
rexpérience.  Il  méprise  la  scolastique  et  particulièremenn^-*/  '; 
gisme,  ainsi  que  l'autorité  des  anciens.  Gomme  Paracelse.il  }^ 
tend  voir  on  Dieu  Varchœurm  ou  principe  de  tous  les  phénoJOi- 
do  la  nature.  Comme  Robert  Fludd,  il  croyait  avoir  découvert^ 
panacée  et  un  breuvage  d'immortalité.  Cependant  maJ^^^"  ^ 
minisrae,  Texpérience  lui  fit  faire  plusieurs  découvertes  cliiiûi'l^^i 
C'est  lui  qui  le  premier  a  nommé  les  gax^y  dont  il  seniWôâ  •• 
pris  le  nom,  du'mot  allemand  Geisû,  esprit. 


RENAISSANCE   —   XV'ETXVl'   SIÈCLE  677 

François  Van  Helmont,  ûls  de  Jean  Baptiste,  né  à  Vilvorde, 
en  1618,  mort  en  1690,  suivit  la  profession  et  les  principes  de  son 
père.  Il  fut  médecin,  alchimiste,  chercha  la  pierre  philosophale, 
i'élixir  de  vie,  et  professa  un  panthéisme  mystique. 

267.  Tendances  expérimentales.  —  En  tête  des  hommes 
qui  à  cette  époque  travaillèrent  à  faire  progresser  la  science  en 
recoui*ant  à  l'observation  nous  devons  citer  le  chanoine  Copernic 
qui  a  attaché  son  nom  au  système  astronomique  définitivement 
adopté  par  les  modernes.  Il  avait  puisé  ce  système  dans  les  livres 
de  Philolaûs,  et,  de  son  temps,  le  cardinal  de  Cusa  s'était  prononcé 
pour  le  môme  système  ;  mais  Copernic  le  fit  sien  par  les  nouvelles 
observations  qu'il  y  ajouta.  Il  était  né  à  Thorn  en  Prusse,  Tan 
1473,  et  mourut  Tan  1543,  au  moment  où  il  venait  de  recevoir 
son  livre  de  Revolutionibus  orhium  cœlestimriy  qu'il  n'avait  pas 
voulu  publier  plus  tôt. 

Télbsio,  né  à  Cosenza,  en  Calabre,  l'an  1508,  mort  en  1588, 
s'en  prit  aursi  à  la  méthode  scolastique  et  à  Aristote  et  recommanda 
l'observation..  Mais  lui-môme  pratiquamal  cette  dernière  méthode, 
car  il  n'a  laissé  qu'un  système  basé  sur  des  hypothèses,  avec  des 
tendances  au  naturalisme. 

Cesalpini  né  à  Arezzo,en  Toscane,  Tan  1510,  mort  en  1603, 
était  médecin  de  Clément  VIII  et  professeur  de  la  Sapience,  à 
Rome.  Il  pressentit  la  ^découverte.  d'Harvey  et  parle  de  la  circula- 
da  sang  ;  mais  il  ne  connut  que  la  circulation  pulmonaire.  Comme 
Vaniui,  il  croit  à  la  génération  spontanée,  et  avec  des  idées  justes 
il  a  un  langage  presque  panthéiste.    Il  plaçait  l'âme  dans  le  cœur. 

Galilée,  né  à  Pise,  en  15G4,  mort  en  1(342,  avait  d'abord  été 
destiné  à  la  médecine,  mais  il  pôféra  s'adonner  aux  mathémati- 
ques. Professeur  à  Pise,  puis  à  Padoue  et  à  Florence,  il  se  fit 
remarquer' par  des  idées  nouvelles  et  par  d'importantes  découver- 
tes en  physique.  Mais  il  fut  surtout  combattu  pour  son  système 
astronomique.  Comme  Copernic,  il  enseignait  que  la  terre  tourne 
autour  du  soleil.  Les  opposants  lui  objectèrent,  fort  mal  d  propos, 
les  textes  prétendus  contraires  de  l'Ecriture  Sainte,  et  au  lieu  de 
répondre  que  la  Bible  ne  dit  rien  à  ce  sujet,  il  voulut  lui  aussi 
s'appuyer  sur  l'Ecriture  Sainte.  C'est  ce  qui  permit  à  ses  ennemis 


678  HISTOIRE    DE  LA   PHILOSOPHIE 

de  le  faire  condamner.  Il  avait  alors  soixante-dix  ans.  Oa  le  pr. 
de  la  liberté  d'enseignor  et  il  fut  oblige  de  s'enfermer  dans  lepilr- 
de  TArchevôque  de  Sienne,  et  plus  tard,  dans  su  propre  maLv! 
avec  défense  d'y  recevoir  des  personnes  pour  leur  coramnaH^f 
ses  théories. 

Nous  avons  sous  les  yeux  les  pièces  du  procès»  dans  un  livre  ^ 
n'est  certes  pas  favorable  au  Saint-Oflice,  pas  môinc  à  la  théolOcfJê.aa 
l'K^lise,  et  ce  que  nous  venons  d'en  dire  résulte  pour  nous  dfô  ôo<^ 
ments  contenus  dans  ce  livre  môme  (Galilée,  sa  vie  et  s^fs  rrarî*:. 
par  le  Dr.  M.  Parchappe). 

Le  mal,  dans  cette  afifaire,  vint  d'abord  de  Pesprit  départi, par leq^ 
les  professeurs  qui  jusque  là  avaient  enseigné  Topiaion  contraire, fi^*^» 
aveuglés  par  ce  préjugé,  appuyé  de  l'amour-propre,  et  ne  vireai  fJ» 
que  Galilée  avait  raison.  Le  même  préjugé  leur  fit  pr:îndre  pour^f 
affirmation  formelle  en  leur  faveur  des  textes  de  rEcrilure  sainte,  T-^ 
s*adressantà  tous  devaient  parler  le  langage  de  tous,  mais  qai  ne  dis*' 
rien  pour  ni  contre  l'un  ou  Taulre  des  deux  systèmes.  Les  théal'>;«* 
se  laissèrent  ti*omper  par  leurs  dires,  et  la  question  ayant  élé  anm^ 
de  part  et  d'autre  sur  le  terrain  théolo;?iqu3,  il  se  trouva  ea  eïeltil^ 
charge  de  Galilée,  des  propositions  condamnables,  qui  n'étâieol  I-*^ 
d'abord  dans  son  cœur,  que  le  besoin  de  se  défendre  lui  suggéra  nwl» 
propos  et  dans  lesquelles  son  système  lui-même  se  trouva  envflopp* 
Ces  circonstances  expliquent  suffisamment  la  sentence  et  menr  » 
sévérité  avec  laquelle  elle  fut  exécutée,  contre  un  homme  vleai^ 
malade,  et  en  mettant  PEglise  hors  de  cause,  elles  ne  pernieUenl  p« 
qu'on  l'accuse  d'avoir  voulu  en  cela  étouffer  le  libre  examen,  daosuK 
question  purement  scientifique. 

Campanella,  né  en  Calabre,  Tan  15G8,  mort  à  Farisen  16^ft 
quoique  dominicain,  attaqua  la  scolastique  et  Aristote.  H  ^oalEt 
lui  aussi  baser  la  philosophie  sur  l'observation,  mais  il  recouDî^** 
sait  en  môme  temps  comme  source  de  connaissance  la  révélatiifO- 
Cependant  sa  Cité  du  soleil^  sorte  de  roman  politique,  n'offre.?»'''^ 
qu'une  religion  rationaliste.  Ses  adversaires   le  firent  eondam»^^ 
comme  coupable  tout  à  la  fois  contre  TEtat  et  contre  la  reli^'i'>«?^ 
il  demeura  en  prison  à  Naples  pendant  vingt-sept  aus.Urbaifl^" 
le  môme  pape  que  Ton  accuse  d'avoir  été  dur  pour  Galilée,  »^^ 
réclamer,  comme  pour  le  juger  lui-même;  ensuite  il  le  fit  év^c 
Campanella  vint  en  France  et  Richelieu  raccueiilit  k  Paris. 


PÉRIODE  MODERNE  679 

Kepler,  né  à  Weil,  dans  le  Wurtemberg,  en  1571,  mort  à 
atisbonne,  en  1030,  peut  être  considéré  comme  le  premier  pro- 
oteur  de  la  philosophie  de  la  science,  et  c'est  à  ce  titre  que  nous 

mentionnons.  On  sait  que  ses  titres  de  gloire  sont  relatifs  à 
astronomie,  où  il  a  découvert  les  trois  lois  qui  portent  son  nom, 
,  bien  d'autres  faits,  lois  et  instruments  inconnus  avant  lui.  Sa 
[lilosophie  de  la  science  est  essentiellement  religieuse.  Il  fait  tout 
snir  de  Dieu  et  rapporte  tout  à  Lui  ;  il  pratique  et  recommande 
,  prière  ;  mais  sa  religion  est  une  religion  naturelle  et  rationaliste  ; 
?atiquement  il  était  protestant. 

3«      PÉRIODE 

PHILOSOPHIE  MODERNE 

268.  Division.  — ^  Les  esprits  étant  préparés,  comme  nous 
snons  de  le  voir,  à  se  séparer  de  la  tradition  des  écoles,  pour 
»faii*e  la  philosophie  et  la  science,deux  hommes,sans  se  connaître, 
;  chacun  dans  son  sens  donnèrent  la  dernière  impulsion  à  cette 
indance,  et  la  philosophie  moderne  fut  fondée.  Le  premier  carac- 
!re  de  cette  philosophie  fut  T indépendance,  mais  un  mouvement 
I  sens  inverse  s'opéra  bientôt,et  on  allia  Tindépendanoe  de  la  raison 
recune  érudition  plus  étendue  et  plus  prof  onde  que  jamais.  Chacun 
}  ces  deux  éléments  fournit  ses  propres  excès,  et  engendra  diffé- 
élites  erreurs;  mais  pour  ceux  qui  ne  rompirent  pas  avec  la 
adition  catholique,  ce  double  élément  rationel  et  expérimental 
it  une  source  de  solides  progrès,  et  après  leur  avoir  donné  la  vraie 
éthode  philosophique,  mit  en  Ijimiôre  les  données  désormais 
Mouises  de  la  philosophie  classique . 

Trois  siècles  presque  entiers  ont  été  employés  à  ce  travail, 
ous  diviserons  donc  d'abord  cette  période  en  trois  siècles  et,  dans 
lacun  de  ces  siècles,nous  distinguerons  en  autant  de  paragraphes 
8  principales  écoles  qui  s'y  développèrent. 


G80  HISTOIRE   DE    LA    PHILOSOPHIK 

XVI?   SIECLE 

§.•1.  LIS   RlrOBlATIURSfiACON    ITDKSCAITIS 

209.  Bacon  —  François  Bacon,fils  de  Nicolas  Bacon,gaJ^à 
sceaux  do  la  reine  Elisabeth,  naquit  à  Londres,  Tan  1561,  ai« 
études  au  collège  de  la  Trinité  à  Cambridge,  et  dès  l'âge  de  «e 
ans  crut  reconnaître  le  vide  de  la  philosophie  scolastiqnc.  U  ^ 
d*abord  attaché  à  Tambassade  d'Angleterre,  en  France,  maisâjsù 
perdu  son  pore,  à  Tâge  de  vingt-ans,  et  se  trouvant  sans  fortoK,  ^ 
se  mit  à  l'étude  du  droit  et  exerça  la  profession  d'avocat.  Ai'A»'^ 
vingt-cinq  ans  il  préludait  à  son  grand  œuvre  philosophique  jarD^^ 
brochure  intitulée  :  Temporis  partv^  maœimti^  fLa  plus  gfifc- 
production  du  temps) .  On  voit  dans  ce  titre  qu'elle  opinion  il  ^^^^ 
de  lui-même. 

"En  1592,  il  fit  partie  de  la  chambre  des  communes.  Il  éiâi  ^-^ 
avocat  au  conseil  extraordinaire  de  la  reine.  C'est  en  cette  ^'^ 
lité  qu'il  consentit  à  se  faire  l'accusateur  public  du  comte  à^^ 
dont  il  avait  peu  auparavant  sollicité  et  obtenu  l'appui.  Mî8 
cette  lâche  adulation  ne  lui  servit  de  rien  du  vivant  d'EJisate^- 

Il  fut  plus  heureux  sous  Jacques  l'*',  en  appuyant  ses  pn^k^*» 
dans  la  chambre  des  communes  et  peut-être  par  la  publicati*^^  * 
1605  d'un' essai  en  anglais  de  l'ouvrage  qu'il  fit  paraître  en  1^^= 
De  Digniiate  et  Augmentis  scient i arum,  Jacques  1"  1«  ^^^ 
conseiller  ordinaire  du  roi,  le  revêtit  successivement  de  plQ»'i^ 
charges  et  enfin  en  1618,  il  le  fit  grand  chancelier  et  h^iTonàe  ^^'^ 
lam,  et  plus  tard,  en  1621,  vicomte  do  Saint-Alban,  avec  ii?'2 
riche  pension*  Il  avait  déjà  publié,  en  1620,  son  Novumorf^rim 
destiné  selon  lui,  à  remplacer  Vorganon  d'Aristote. 

Mais  sa  félicité  et  sa  gloire  ne  durèrent  pas  longtei»p5.  AtfB'^ 
en  1621  d'avoir  vendu  la  justice  et  d'avoir  apposé  le  sceau  i«P 
aux  concessions  intéressées  du  duc  de  Buckingham,  i^  ^^'^^^ 
coupable,  et,  privé  de  sa  charge,  il  fut  frappé  d*une  amefl^^"^ 
40,000  livres  sterling  et  enfermé  dans  la  tour  de  Londres-  U  ^' 
dont  il  avait  couvert  l'honneur  en  renonçant  à  se  défendre,  le  ^^"' 
vra  bientôt,  mais  il  dût  le  laisser  dans  la  vie  privée.  C'fis^  ^ 


XîV   SIÈCLE—    BACON  681 

qu*il  écrivit  plusieurs  autres  ouvrages  et  revit  ceux  qu'il  avait 
déjà  publiés.  Il  mourut  en  1G2G,  instituant  par  son  testament 
plusieurs  fondations  en  faveur  de  l'avancement  des  sciences; 
mais  sa  modique  fortune  ne  permit  pas  de  remplir  ses  intentions. 

Bacon  s'était  distingué  comme  jurisconsulte,  comme  orateur  et 
comme  historien.  Mais  c'est  sirtout  comme  philosophe  que  la  pos- 
térité lui  a  fait  jusqu'à  ces  derniers  temps  une  auréole  de  gloire 
dont  on  est  bien  revenu  aujourd'hui. 

Pour  Bacon,  la  philosophie  n'est  que  la  science  de  la  nature, 
niais  il  croit  que  cette  science  peut  atteindre  un  degré  tel  que 
l'homme  puisse  dominer  la  nature  et  la  trapsformer  à  son  gré. 
C'est  dans  ce  but  qu'il  entreprend  la  réforme  philosophique  qu'il 
appelle  Instauratio  magna*  C'est  le  titre  de  son  grand  ouvrage, 
mais  il  n'en  a  écrit  que  les  deux  premières  parties.  Les  quatre  au- 
tres que  l'ouvrage  devait  avoir  sont  à  peine  indiquées  dans  ses 
opuscules.  Il  nous  suffira  done  de  donner  une  courte  analyse  des 
deux  premières  parties,  dont  nous  avons  déjà  indiqué  les  titres. 

Le  traité  de  la  Dignité  et  de  V Accroissement  des  sciences  est  divisé 
en  huit  livres.  Dans  le  premier,  Bacon  montre  historiquement  combien 
tous  les  grands  hommes  ont  fait  cas  de" la  science  et  le  profit  qu'ils  en 
ont  retiré.  Au  commencement  du  second  il  exhorte  le  roi  à  favoriser  les 
6tudes  et  indique  surtout  la  fondation  de  plusieurs  écoles  et  bibliothè- 
rfucs.  Puis  il  entre  en  matière  et  divise  la  science,  selon  les  trois  facul- 
tés de  l'esprit  :  mémoire,  imagination,  raison  ;  d*où  il  tire  la  division  de 
la  science  en  histoire^  poésie  et  philosophie .  L'histoire  se  divise  à  son 
tour  eu  naturelle  et  civile;  et  à  côté  de  cette  dernière  se  trouiîcnt 
l'histoire  ecclésiastique  et  l'histoire  littéraire.  L'histoire  naturelle,  on 
prenant  ce  mot  dans  un  sens  plus  étendu  qu'on  ne  le  fait  aujourd'hui, 
5e  subdivise  encore  en  histoire  des  générations,  des  vrétergénéi*aiions 
3t  des  arts.  Nous  ne  sommes  là  encore  qu'au  deuxième  chapitre  du 
icuxième  livre  qui  en  a  treize,  et  Bacon  s'en  va  ainsi  jusqu'à  la  fin  de 
l'ouvrage,  divisant  et  subdivisant,  toujours  avec  le  même  arbitraire  et 
avec  peu  d'utilité. 

Le  Novum  organum  a  la  prétention,  comme  l'indique  son  litre  d  3 
t-em placer  la  logique  d'Aristote  et  de  donner  aux  hommes  un  nouvel 
instrument  pour  découvrir  les  secrets  de  la  nature.  Il  se  divise  en  deux 
parties  :  pars  destruens  et  pars  astruèns.  C'est-à-dire  que  la  première 
partie  est  destinée  à  renverser  les  fausses  méthodes,  et,  dans   la  pensée 


082  HISTOIRE   DE   LA    PHILOSOPHIE 

(le  Hacon,  toutes  les  méthodes  suivies  jusque  là  étaient  finisses;  l:  ^t- 
xiênie  partie  a  pour  but  d'enseigner  la  nouvelle  mélhoile,  la  seak  me 
l'induclion  basée  sur  réllmination. 

!•  ^Jariie.  La  logique  employée  jusque-là  est  inutile  el  mêiiK»  m^'^t 
n  l'avancement  des  sciences.  Le  syllogisme  n'enseigne  queceqwFJ 
r.ail  déjà  et  ne  peut  servir  à  inventer.  Il  faut  une  mèlboiie  d'iovcoi/. 
C'est  l'induction.  Mais  l'induction  elle-même  a  élé  mal  praliquco  j^îî^' 
présent.  Après  une  observation  trop  rapide,  on  s'élève  des  doimaS '^ 
sens  aux  principes  généraux,  On  conclut  donc  d'une  manière  anUcipé? 
C'est  pourquoi  Bacon  appelle  les  princiiies  ainsi  conçus,  des  aniici^ 
tions  de  la  nature.  La  véritable  induction  ne  doit  se  faire qa'aprfe»^ 
observations  multipliées  dans  lesquelles  on  s'assure  des  opérations  i3 
nature,  et  l'on  découvre  les  eauses  et  les  essences  réelles  des  ebsa 
Les  principes  ainsi  découverts  sont  les  interprétations  de  lanaturt. 

Il  reste  cependant  encore  un  obstacle  à  faire  disparaître  :  ce  sont  fcs 
causes  d'erreurs.  Bacon  les  trouve  dans  les  préjugés  qu'il  appclk«i^ 
idoles.  Nous  avons  indiqué  aiUeurs  la  classification  qu'il  en  doimeX*«i 
d'abord  le  préjugé  commun  à  tout  le  genre  humain  {idola  tribuf),  ^ 
liacon  explique  ainsi  :  «  L'esprit  n'est  pas  eomme  un  miroir  plaa  ijs 
reflète  les  images  des  choses  telles  qu'elles  sont,  mais  comme  un  mirwf 
(l'une  surface  inégale,  qui  confond  sa  propre  figure  avec  les  figures'*^ 
objets  qu'il  représente.  »  C'est  ensuite  le  préjugé  personnel  {idoli  «K 
eus),  sorte  d'idole  enfermée  dans  la  caverne  obscure  de  rintelligencft'-^ 
à  laquelle  l'homme  sacrifie  souvent  la  .vérité.  C'est  encore  le  préjap 
contracté  dans  les  relations  sociales  (idola  fort),  où  les  mots  tiensfSî 
souvent  la  place  des  choses.  C'est  enfin  le  préjugé  d'école  (idola  t*co- 
m'),  qui  nous  fait  prendre  pour  l'expression  de  la  vôrilé  les  syslèc^ 
imaginés  par  les  philosophes.  Les  systèmes  des  philosophes  pèchent  ^'^ 
trois  manières  :  ils  sont  sophistiques  lorsqu'ils  ramènent  tout  à  uce 
opinion  préconçue  ;  empiriques,  quand  ils  s'appuient  sur  un  naml'f» 
insufflsant  d'observations  ;  superstitieux,  quand  ils  mêlent  à  la  «o"^ 
de  prétendues  révélations. 

Toutes  ces  causes  d'erreurs  unies  à  l'emploi  de  fausses  méthodes  f® 
retardé  les  sciences,  d'autant  plus  que  la  philosophie  Tiaturelle  <* 
négligée  et  que  Ton  avait  un  respect  excessif  de  Vantiquité, 

Il  faut  donc  rassembler  en  plus  grand  nombre  d'expériences,  les ^^^^^ 
choisir  et  les  disposer  selon  la  vthûtable  édielle,  qui  permettra  des  e»?- 
ver,  par  degrés  continus,  des  faits  aux  axiomes  inférieurs,  de  ceifl-^ 
d'autres  plus  élevés  et  enfin  aux  plus  généraux.    L*esprit  s'élance  taV 
vite:  il  faut,  non  pas  lui    donner  dos  ailes,  mais  lui  attacher  da  pl^^^^ 


XVII*    SIÈCLE     —    BACON  683 

2*  parité.  Le  but  do  la  science  est  d'augmenter  la  puissance  de  Thom- 
me,  en  lui  permettant  de  produire  de  nouvelles  natures.  Pour  cela  il 
faut  connaître  les  formes,  c'est-à-dire,  les  essences  des  choses,  et  les 
causes  qui  les  produisent.  Ces  deux  sortes  de  recherche  sont  l'objet  de 
la  métaphysique  et  de  la  physique. 

Tel  .est  le  but  de  la  science  ;  mais  pour  l'atteindre,  il  faut  donner 
secours»:  l*  aux  sens,  par  une  bonne  histoire  naturelle  (Bacon  entend 
par  ce  mot  la  connaissance  de  toutes  choses  et  de  leurs  qualités)  ;  2'»  à 
la  mémoire^  par  des  tables  méthodiques,  où  tous  les  faits  observés 
seront  classés  de  manière  à  faciliter  l'induction  ;  3»  à  la  raison^  par 
l'usage  de  la  méthode  inductive.  Les  tables  dont  il  est  ici  question  ser- 
vent à  mettre  en  évidence  la  forme  d'une  qualité.  Il  faut  t»  la  table 
d'essence  et  de  présence,  où  Ton  inscrit  tous  les  faits  dans  lesquels 
cette  qualité  se  trouve  ;  2»  la  table  de  déclinaison  et  d'absence,  où 
doivent  entrer  tous  les  faits  où  la  qualité  ne  se  trouve  pas,  tandis  que 
l'analogie,  fait  supposer  à  priori  qu'elle  devrait  y  être  ;  3«  enfin  la  table 
de  degrés  et  de  comparaison,  où  l'on  note  les  dififérents  degrés  de  cette 
môme  qualité  dans  les  dlJDTérents  faits  où  elle  se  trouve.  C'est  au  moyen 
de  ces  observations  que  Bacon  croit  arriver  sûrement  à  exclure  tout  ce 
qui  n'est  pas  la  qualité  cherchée  et  finalement  à  découvrir  l'essence  de 
cette  qualité.  Nous  ne  pouvons  pas  le  suivre  dans  la  prem^tère  et  la 
deuanème  vendange,  dans  les  instances  solitaires,  les  instances  du 
rayon  Qi  les  instances  du  cercle,  ni  dans  celles  du  jour  ou  du  crépus- 
cule, etc. 

Il  y  a  certainement  du  bon  dans  les  règles  de  méthodes  indi- 
quées par  Bacon.  Mais  d'abord  il  les  gâte  lui  môme,  par  ce  style 
imagé  jusqu'au  ridicule  ;  il  poursuit  un  but  plus  que  téméraire  :  la 
transmutation  des  natures  ;  il  dénigre  tous  ses  prédécesseurs  et 
prêche  la  méthode  d'observation,  en  la  donnant  comme  sienne, 
lorsque  tous  les  savants  l'employaient  sans  lui  ;  il  veut  appliquer 
à  toutes  les  sciences  une  méthode  qui  n'est  logique  que  pour  les 
sciences  du  contingent;  enfin  cette  méthode,  excellente  enelle-môme, 
il  l'environne  de  tant  de  précautions  inutiles,  qu'il  retarde  les  scien- 
ces,  au  lieu  de  les  faire  avancer . 

Les  ouvrages  de  Bacon  restèrent  longtemps  inconnus,  ailleurs 
qu'en  Angleterre,  et  toutes  les  grandes  découvertes  se  firent  sans  lui. 

Il  essaya  lui-môme  l'application  de  sa  méthode,  mais  elle  ne 
l'empêcha  ni  do  rêver  l'impossible  et  l'absurde,  comme  de  prolon- 


()cS4  HISTOIRKDE   LA   PH  I  L  O  S  (>  IMI  l  K 

gcr  indéfiniment  la  vio  d'un  hommo,  de  lui  conserver  la  jeat^ 
de  multiplier  ses  forces  physiques,  etc,  ni  de  se  tromper  bxB  ^ 
fois  dans  ses  conclusions.  Et  si  dans  la  recherche  de  la  natnKi 
la  chaleur,  il  est  arrivé  avec  sa  méthode  ù.  quelque  chose  ^ 
approche  de  la  vérité  ;  il  a  méprisé  le  télescope,  le  mieroscopî,  « 
même  les  simples  lunettes  destinées  h  corriger  la  vue;  iU»fe* 
que  la  lune  n'est  pas  un  corps  solide  et  que  les  étoiles  ne  sont.* 
des  flammes  ;  enfin  il  a  rejeté  comme  une  pure  imaî?inatio&  itf^ 
tùme  de  Copernic. 

Si  Ton  veut  s'édifier  davantage  sur  le  compte  de  Bacon,  ^s^s 
qu'à  lire  ses»  œuvres,  et  on  pourra  le  juger  à  sa  juste  valeur  ^ 
môme  s'aider  do  Joseph  de  Maistre  (jui  le  rabaisse  un  pea  actfe*- 
sous  de  zéro. 

Mais,  nous  l'avons  dit  en  commençant,  cette  rectification  &^ 
plus  guère  nécessaire  aujourd'hui  :  on  est  bien  revenu  dô  l'»!»' 
ration  de  commande  que  Ton  professait  pour  Bacon. 

270.  Descartes.—  René  Descartes  naquit  îl  la  Haie,  en  Tonn* 
l'an  1596.  Ayant  fait  ses  études  au  collège  de  la  Flccbe,  àin:- 
alors  par  les  Jésuites,  il  en  sortit  plein  d'incertitude  sur  toat  o^ 
qu'on  lui  avait  enseigné.  Après  avoir  vécu  quelques  tempsàl*^* 
il  prit  du  service  dans  les  armées  du  prince  de  Nassau»  et  ei  «^ 
tit  au  bout  de  quatre  ans  ;  il  se  retira  en  Hollande,  en  1629»  «P 
avoir  visité  une  partie  de  l'Europe.  H  vivait  alors  dansuBOft* 
plùto  solitude,  n'entretenant  des  relations  qu'avec  le  père  Meff^ 
qui  le  tenait  au  courant  des  travaux  de  ses  contemporains  ^^  ^ 
objections  que  rencontrait  sa  méthode,  publiée  en  1637.  Efl  l<î" 
il  se  rendit  auprès  de  la  reiue  Christine,  en  Suède,  et  mouW^^ 
Stockholm  en  1650.  Ses  restes  furent  rapportés  à  Paris,  dix-^ 
ans  après,  et  déposés  à  Sainte  Geneviève  du  Mont. 

Son  Discours  de  la  Méthode  renferme  toute  son  oeuvit?  W'^ 
sophique  et  presque  toute  sa  philosopliie.  Nous  en  donncroos  d* 
analyse.  Il  publia  en  outre  :  les  Méditations  sur  la  philo^r^ 
première^  les  Passions,  un  traité  de  V Homme,  et  qiielfine?  ^'^ 
sur  la  physique. 

271.  Analyse  du  Discours  de  la  Méthode  pour  bien  conduira  ^ 
raison  et  chercher  la  vérité  clans  les  science.''.  —  O  discours.  ^""  ' 


XVll'    SIÈ€LB    —   DESCARTES  685 

fran«:ais,  parut  pour  la  première  fois  à  Ley(U%  en  16-^.  Il  ne  renferme 
pas  de  division  proprement  dite,  mais  Descartes  avertit  lui-môme  que 
«  s*il  semble  trop  long  pour  être  lu  en  une  fois,  on  le  pourra  distinguer 
en  six  parties.  » 

!•  PARTIE.  Diverses  considérations  sur  les  i?cienc€8.  a  Le  bon  sens 
est  la  chose  du  monde  la  mieux  partagée,  car  chacun  pense  eu  ôtrc  si 
bien  pourvu,  que  ceux  môme  qui  sont  plus  difliciles  à  contenter  en 
toute  autre  chose  n'ont  point  coutume  d'en  désirer  plus  qu'ils  n*en 
ont.  »  D'où  Descaries  conclut  ([ue  la  raison  est  naturellement  égale  en 
tous  les  hommes,  et  que  la  diversité  des  opinions  vient  de  ce  que  nous 
conduisons  nos  pensées  pas  diflférentes  voies.  «  Car  ce  n*est  pas  assess 
d'avoir  Tesprit  bon,  mais  le  principal  est  de  l'appliquer  bien.  »  Il  ne 
croit  pas  que  son  esprit  soit  plus  parfait  que  ceux  du  commun,  mais  il 
pense  avoir  eu  beaucoup  dheur  de  ce  que  les  circonstances  lui  ont  fait 
trouver  une  méthode  par  laquelle  il  a  le  moyen  d'augmenter  par  degrés 
sfi  connaissance.  Il  en  a  déjà  recueilli  de  tels  fruits  qu'it  ne  croit  pas 
pouvoir  mieux  faire  que  de  continuer  à  marcher  dans  celte  voie. 

En  publiant  ses  idées  il  pourra  voir  s'il  se  trompe,  et  son  dessein 
n'est  pas  d'enseigner  la  méthode  que  chacun  doit  suivre,  mais  seule- 
ment celle  qu'il  a  suivi,  et  cette  connaissance  pourra  ôtre  utile  i  quel- 
ques-uns, sans  ôtre  nuisible  à  personne. 

Nourri  aux  lettres  dès  son  enfance,  il  avait  un  extrême  désir  de  les 
apprendre,  croyant  y  trouver  la  connaissance  claire  et  assurée  de  tout 
ce  qui  est  utile  à  la  vie.  Mais  à  la  fin  do  ses  études,  Il  changea  d'opi- 
nion, malgré  la  célébrité  de  Tépoie  où  il  avait  étudié  et  l'estime  que  l'on 
y.  faisait  de  lui,  pour  ses  succès. 

Cependant  il  ne  laissait  pas  d'estimer  les  exercices  des  écoles  :  il  en 
connaissait  les  avantages:  il  avait  donné  assez  de  temps  aux  latigues, 
à  l'éloquence,  aux  mathématiques,  qui  lui  plaisaient  surtout,  «  à  cause 
do  la  certitude  et  de  l'évidence  do  leurs  raisons  »,  .11  révérait  «  notre 
Ihêologîe,  et  prétendait  autant  qu'aucun  autre  à  gagner  le  ciel.  »  Quant 
à  la  philosophie,  qu'il  voyait  cultivée  par  les  plus  excellents  esprits,  il 
s'apercevait  qu'on  y  dispute  encore  toutes  les  questions  et  en  concluait 
que  tout  y  est  douteux,  sans  avoir  la  présomption  d'espérer  trouvp.r 
mieux  que  les  autres.  Enfin  les  autres  sciences,  empruntant  leurs  prin- 
cipes de  la  philosophie,  ne  pouvaient  ôtre  solides. 

C'est  pourquoi,  dès  que  l'âge  le  lui  permit,  il  abandonna  ses  maîtres 
pour  n'étudier  qu'en  lui- même  et  dans  le  grand  livre  du  monde.  Il  se 
mit  donc  à  voyager,  mais  partout  il  trouva  la  môme  incertitude,  et 
l'extravagance  de  plusieurs  coutumes  lui  apprit  à  no  rien  croire  trop 


6S6  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

fermement  de  ce  qui  n'est  appuyé  que  sur  l'opinion  commune.  IlseaÊi 
donc  à  rentrer  en  lui-même  et  ce  moyen  lui  réussit  beaucoup  mieox. 

2"  PARTIE,  — '  Règles  de  la  méthode.  Etant  en  Allemag:ne,  etn^jï^i 
d'autre  occupation  que  de  réfichir,  il  vit  d'abord  qu*une  œuvre  cwyi 
et  exécutée  par  un  seul  vaut  mieux  que  celle  où  plusieurs  hommes  est 
Ira  vaille.  11  ne  croyait  pas  que  Ton  dût  renverser  tout  d'un  awp  l»- 
dre  établi,  pour  bâtir  sur  de  nouveaux  fondements;  mais  il  cnit  dévot 
ôler  de  son  esprit  toutes  les  opinions  qu'il  avait  reçues  jusque  là,  pcnir 
les  remplacer  par  de  meilleures.  Cependant  il  ne  se  donne  pas  en  oed 
comme  un  modèle,  a  La  seule  résolution  de  se  défaire  de  toates  Is 
opinions  qu'on  a  reçues  auparavant  en  sa  créance  n'est  pas  im  eim- 
pie  que  chacun  doit  suivre.  Et  le  monde  n'est  quasi  composé  que  de 
deux  sortes  d'esprits  auxquels  il  ne  ne  convient  aucunement  »  Savar 
ceux  qui  se  croient  plus  habiles  et  ceux  qui  se  croient  moios  hàltSs 
que  les  autres.  Pour  lui  il  ne  trouvait  personne  dont  les  opinions  fes- 
sent préférables  à  celles  des  autres  et  se  trouvait  ainsi  contraint  d^efltl^ 
prendre  lui-même  de  se  conduire.  Mais  il  résolut  d'aller  lentcmeot 

La  Logique  lui  semblait  plus  propre  à  expliquer  à  autrui  ce  qiie  l'oa 
sait,  ou  môme  à  parler  de  ce  qu'on  ne  sait  pas.  L'analyse  des  anôBB 
géomètres  et  l'algèbre  des  modernes  lui  semblaient  trop  ahstraiiaci 
trop  attachées  aux  figures  ou  aux  chiffres.  Il  lui  sembla  dooe  de^ 
«  chercher  quelque  autre  métliode  qui,  comprenant  les  avanlas»  de 
trois  fût  exempte  de  leurs  défauts.  »  Pour  cela  il  crut  avoir  assK<^ 
quatre  préceptes  suivants,  pourvu  qu'il  fût  fidèle  à  les  obscner. 

{"  règle.  Ne  recevoir  jamais  aucune  chose  pour  vraie,  quli  ne  ù 
connût  évidemment  telle. 

2*  règle.  Diviser  les  difllcullès  en  autant  de  pai-cellcs  qu'il  serti' 
requis  pour  les  mieux  résoudre. 

3*  règle.  Conduire  par  ordre  ses  pensées,  en  commençant  pa^  ^ 
objets  les  plus  simples. 

4*  règle.  Faire  partout  des  dénombrements  entiers,  au  iM)iiit  d'tlr^ 
assuré  de  ne  rien  omettre. 

Ensuite  comme  direction  générale  do  ses  études,  il  pritmoièlesar 
les  mathématiques  et  s'efforça  d'en  suivre  la  marche.  Il  arri\*a  alnaâ 
se  démontrer  des  vérités  qui  lui  paraissaient  auti-efois  très  diffifil^ 
Mais  après  s'être  exercé  quelque  temps  sur  les  mathémaliqnes,  U  *'' 
qu'avant  d'aller  plus  loin  et  se  porter  sur  les  autres  sciences,  ^ 
devait  d'al}ord  asseoir  solidement  sa  philosophie.  Cependant  U  f^^ 
devoir  différer  ce  travail,  parce  qu'il  n'avait  alors  que  vingt-trois  aos, 

'M  PARTIE,  i—  Règles  morales  de  provision.  Avant  d'alwltresonï^ 


XVII"   SIÈCLE  —      DBSCARTBS  68> 

pour  le  reconstruire,  on  a  soin  de  se  pourvoir  d'un  autre  pour  alten- 
dro;  ainsi,  afin  de  n'ôtre  pas  irrésolu  dans  ses  actes,  pendant  qu'il  le 
serait  dans  ses  jugements,  il  se  forma  une  morale  par  provision,  con- 
sistant en  quatre  maximes. 

1**  Obéir  aux  lois  et  coutumes  de  son  pays,  retenant  constamment  la 
religion  en  laquelle  Dieu  lui  avait  fait  la  grâce  d'être  instruit  dès  son 
enfance,  et  suivant  d'ailleurs  les  opinions  les  plus  modérées,  sai^^  s'en- 
gager en  rien  pour  Ta  venir. 

2*  Etre  ferme  et  résolu  dans  ses  actions,  autant  qu'il  le  pourrait, 
sans  dévier  de  la  voie  qu'il  aurait  une  fois  choisie,  quoique  douteuse'  ; 
imitant  en  cela  le  voyageur  égaré  dans  une  forêt,  qui  ne  doit  ni  s'ar- 
rêter, ni  changer  de  direction  ;  car  par  ce  moyen,  s'il  n'atteint  pas  son 
but,  du  moins  il  sortira  de  la  forêt  et  pourra  reconnaître  son  chemin. 

3"  Tâcher  plutôt  à  se  vaincre  qu'à  vaincre  la  fortune,  et  à  changer 
ses  désirs  plutôt  que  l'ordi-c  du  monde.  (C'est  la  maxime  d'Epictète  : 
'ne  vouloir  que  ce  qui  dépend  de  nous,  et  c'est  en  ce  sens  que  Descar- 
tes rexpUque.) 

4*  Enfin  passant  en  revue  les  diverses  occupations  des  hommes,  Il  en 
conclut  que  la  meilleure,  pour  lui.  était  d'employer  sa  vie  à  cultiver  sa 
raison,  comme  il  avait  commencé  h  le  faire. 

Ne  gardant  donc  que  ces  maximes  et  se  débarrassant  de  tout  le  reste 
de  ses  opinions,  il  se  remit  à  voyager,  et  il  lit  ainsi  pendant  neuf  ans, 
sans  avoir  pris  aucun  parti-  sur  les  questions  que  l'on  a  coutume  de 
discuter,  sans  môme  «ivoir  cherché  encore  les  fondements  d'une  philo- 
sophie plus  certaine  que  la  vulgaire. 

Il  se  retira  donc  dans  la  solitude  *el  s'efforça  de  mériter  l'estime  que 
l'on  commençait  ù  avoir  pour  lui. 

•  4*  PARTIE.  Preuves  de  l'existence  de  Va  me  et  de  l'existence  de  Dieu, 
Tour  mieux  découvrir  la  vérité  il  prend  le  parti  de  rejeter  comme  faux  tout 
ce  en  quoi  il  pourrait  imaginer  le  moindre  doulc,  afin  de  voir  s'il  ne 
lui  resterait  point  après  cela  quel(iuc  chose  en  sa  créance  qui  fut  entiè- 
rement indubitable.  Il  rejette  donc  tout  ce  qui  vient  du  témoignage  des 
sfns,  parce  qu'ils  nous  trompent  quelrpiefois  ;  il  rejette  les  démonstra- 
tions, parce  qu'il  y  en  a  qui  s'y  égarent;  il  rejette  toutes  les  affirma- 
tions de  son  esprit,  parce  que  ces  mêmes  pensées  peuvent  nous  venir 
dans  le  rôve,  et  qu'alors  elles  sont  fausses.  «  Mais  aussitôt  après  je  pris 
garde  que,  pendant  que  je  voulais  ainsi  penser  que  tout  était  faux,  il 
fallait  nécessairement  que  moi  qui  le  pensais  fusse  quelque  chose;  et 
remarquant  que  cette  vérité  :  je  pense,  donc  je  suis,  était  si  ferme  et 
R!  assurée  que  toutes  les  plus  extravagantes  suppositions  des  sceptiques 


0^  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

D'étaient  pas  capables  de  l'ébranler,  je  jugeai  que  le  pouvais  U  rfceë 
sans  scrupule  ppui*  le  premier  principe  de  la  philosophie  que  ie  ^* 
chais.  » 

Dès  lors  qu'il  pense,  il  peut  bien  feindre  qu'il  n'a  pasdecorp5,<iB* 
monde  n'existe  pas  et  qu'il  n*est  dans  aucuu  lieu;  mais  il  ne  paît  itft 
dre  pour  cela  qu'il  n'est  pas,  et  au  contraire  s'il  ne  pensait  pas  a» 
poyrc^it  pas  concevoir  qu'il  est,  D'où  il  conclut  :  je  suis  une  soistas* 
dont  toute  l'essence  est  de  penser  et  qui  pour  être  n'a  pas  besoin  à'* 
lieu,  ni  no  dci)end  d'aucune  chose  matérielle.  Ainsi  l'àme  es»  distisa 
du  corps,  et  plus  aisée  à  «connaître  que  le  corps. 

Il  croit  donc  avoir  trouvé  une  proposition  certaine  et,  des  qelWs 
ciu'il  lui  voit,  il  conclut  a  que  les  choses  que  nous  concevons  fort  da»* 
nient  et  fort  distinctement  sont  toutes  vraies.  » 

Mais  voyant  que  douter  est  imparfait  et  que-  c'est  une  plasptsk 
l)er{ection  de  connaître  que  de  douter,  il  se  demande  d'où  il  a  pris  l^ 
de  cjuclque  chose  de  plus  parfait  que  lui.  Pour  tout  le  reste  qui  d«^ 
pas  au  dessus  de  lui,  il  peut  le  tenir  de  lui-même,  si  ces  choses  saiî 
et  du  néant,  c'est  à-dire,  de  son  imperfection,  si  elles  ne  sont  pa*  ^ 
rjclêc  d'un  être  plus  parfait  que  lui  ne  peut  venir  ni  du  néant,  m* 
lul-mcmc  ;  car  dans  les  deux  cas,  quehiue  chose  naîtrait  de  rien-  ^ 
toute  idée  de  perfection  ne  peut  venir  que  d'un  être  parfait  rédfefiK» 
existant.  Donc  Dieu  existe.  Kien  de  ce  qui  est  imparfait  n'est  eale»; 
il  n'a  rien  de  corporel  ;  et  de  plus  s'il  existe  quelque  autre  cb&s»  9* 
lui,  cela  vient  de  lui,  dépend  de  sa  puissance  et  ne  peut  suljôisktii 
moment  sans  lui. 

Les  vérités  mathématiques  sont*  certaines,  parce  qu'elles  sont  évi«KO* 
tes,  mais  rien  en  elles  ne  nous  assure  de  l'oxis^onco  de  leurol^etï^ 
lieu  que  l'existence  est  comprise  dans  l'idée  de  l'être  parfait.  La  ui»- 
culte  que  Ton  éprouve  à  le  connaître  vient  de  ce  qu'on  ne  s'élève  pas» 
dessus  des  choses  sensibles.  Et  malgré  la  maxime  des  écoles,!'*"  • 
a  rien  dans  l'entendement  qui  n'ait  premièrement  été  dans  le  sens 
<*st  certain  que  les  idées  de  Dieu  et  de  l'àme  n'y  ont  jania/s  été, 

Toutes  les  autres  choses  que  nous  estimons  certaines  sont  nioios 
taincs  que  l'existence  de  Dieu  et  «  cela  môme  que  j'ai  tantôt  pt^  ? 
une  règle,  à  savoir,  que  les  choses  que  nous  concevons  très  claire 
et  très  distinctement  sont  toutes  vraies,   n'est  assuré  qu'à  caiis* '] 
Dieu  est  pu  existe,    et  qu'il  est    un  être    parfait,  et  que  tout  ^  1 
est  en  nous  vient  de  lui.  »  «  Mais  si  nous  ne  savions  point  que  tcw 
qui  est  en  nous  de  réel  et  de  vrai  vient  d'un  être  parfait  et  in^*-  ^ 
claires   et  distinctes  que  fussent   nos  idées,   nous   n'aurions  a»» 
raison  qui  nous  assurât  qu'elles  eussent  la  perfection  d'être  vraies. 


XVll*  SIÈCLE  —  DBSCARTE8  689 

—  On  remarquera  ici  im  cercle  vicieux  dont  11  nous  parait  difficile 
d'absoudre  Descartes.  Appuyé  sur  le  principe  de  l'évidence,  il  a  demon- 
Irê  Texistence  de  Dieu  et  maintenant  il  dit  que  l'évidence  n'existe 
qu'antant  que  l'on  sait  déjà  ([u'elle  vient  de  Dieu.  Ce  défaut  de  logi- 
que vient  s'ajouter  au  défaut  de  base  ;  car  dés  le  point  de  dépai  t,  on 
aurait  pu  objecter  :  Comment  savez-vous  qae  ce  qui  est  évident  est 
vrai  ?'  Comment  savcz-vous  que  doufer  est  imparfait  et  que  savoir  est 
plus  parfait?  Vous  répoudrez  que  c'est  évident.  Mais  celte  évidence 
elle-même  manque  de  base  et  si  vous  la  prenez  pour  iK)înt  de  départ, 
comment  pouvez  vous  forcer  le  sceptique  à  l'accepter*?  Et  d'un  autre 
côté,  si  vous  l'acceptez,  pourquoi  ne  pas  lui  reconnaître  tout  son 
domaine  et  rejeter  le  témoignage  des  sens  ? 

5*  PARTIE.  —  Ordre  des  questions  de  physique  que  Vauteur  a  exa- 
minées. Ici  Descartes  résume  sommairement  son  Traité  du  hionde  et 
de  la  lumierCy  qu'il  n'osa  pas  publier,  de  son  vivant.  Il  n'ose  affirmer 
que  Dieu  a  créé  le  monde  selon  la  description  qu'il  en  donne,  il  dît 
mèniQ  qu'il  est  plus  probable  que  Dieu  l'a  fait  tout  d'un  coup  tel  qu'il 
est  ;  mais  il  insiste  sur  son  hypothèse  et  donne  à  comprendre  que  pour 
lui  cette  hypothèse  est  l'expression  de  la  réalité.  Or  il  suppose  que  Dieu 
crée  seulement  de  la  matière,  sans  aucune  qualité  seconde,  et  du  mou- 
vement, qu'il  maintient  dans  des  lois  constantes,  et  il  dit  avoir  montré 
comment  ces  deux  principes  suffisent  à  produire  tout  ce  que  nous 
voyons,  tel  que  nous  le  voyons,  avec  les  plus  menus  détails.  Ces  détails 
rtnt  été  trouvés  faux,  par  la  science  moderne,  mais  il  devance  cette  der- 
nière dans  son  principe,  par  l'idée  d'une  évolution  lente,  et  on  sent 
qu'il  y  tient. 

Parlant  ensuite  de  son  traité  de  V Homme,  il  expose  surtout  la  struc- 
ture du  cœur  et  la  circulation  du  sang,  citant  la  découverte  de  Ilarvey, 
qui  était  récente  alors.  Il  analyse  plus  brièvement  le  reste  de  ce  môme 
traité,  et  indique  son  opinion  que  les  bêtes  ne  sont  que  des  machines, 
ainsi  cpic  la  distinction  de  l'àme  humaine  et  du  corps. 

6*  PARTIE.  Ce  qu'il  faut  pour  avancer  dais  la  vérité,  et  quélle^i 
raisons  Vauteur  a  eues  d'écrire»  Au  début  de  cette  sixième  partie, 
Dwcartes,  donne  ix  entendre  que  l'exemple  de  Galilée,  qu'il  ne  nomme 
pas,  et  dont  il  fait  comprendre  qu'il  partageait  l'opinion  sur  le  mouve- 
ment de  la  terre,  en  disant  qu'il  ne  la  partageait  pas,  l'ont  fait  renoncer 
à  publier  les  deux  livres  (lu'il  vient  d'analyser.  Mais  il  a  cru  devoir 
faire  connaître  les  questions  do  physique  qu'il  y  avait  résolues,  car  au 
lieu  de  cette  philosophie  spéculative  qu'on  enseigne  dans  les  écoles,  on 
en  peut  trouver  une  pratique,  par   laquelle,  connaissant  la  foi-ce  des 


Ô90  HISTOIRE  DE    LA    PHILOSOPHIE 

actions  du  feu,  de  l'air nous  les  pourrions  employer à  tocîl? 

usages  auxquels  ils  sont  propres,  et  ainsi  nous  rendre  comme  maiteJ 
possesseurs  de  la  nature. 

—  Ici  Descartes  se  rencontre  avec  Bacon,  mais  avec  mm  « 
témérité. 

Il  désire  une  entente  entre  les  savants  pour  se  communiquer l««'^ 
rionccs.  Il  indique  l'ordre  dans  lequel  on  doit  faire  ces  expériences:  {S 
de  commencer  par  les  plus  obvies.  Mais  pour  celles  qui  viSBc^ 
ensuite,  il  ne  peut  les  faire  tout  seul  et  c'est  en  grande  partie  m 
cela  qu'il  s'est  décidé  à  dire  quelque  chose  de  ses  précédente  i^* 
vertes,  outre  qu'il  craignait  en  ne  disant  rien  des  ouvrages  qu"3 5^ 
écrits,  et  dont  on  connaissait  l'existence,  il  ne  fut  taxé  d'erreur. 

Il  a  écrit  en  français,  pour  être  compris  de  tous,  pensant  qac»^ 
qui  savent  le  latin  ne  le  mépriseront  pas  pour  cela.  Enfin  'ùnW^ 
par  ambition,  ni  par  vaine  gloire,  mais  pour  acquérir  des  connais 
ces  de  la  nature,  utiles  pour  la  médecine. 

Nous  ne  dirons  rien  ici  des  autres  théories  philosopWqa»* 
Descartes,  sur  les  idées  innées,  où  il  pensait  comme  pl^  ^ 
Leibnitz,  sur  les  causes  occasionnelles  où  il  devança  Malebn»- 
che,  sur  la  divisibilité  de  la  matière,  etc.  Nous  avons  M^ 
naître  toutes  ces  opinions  en   leur  lieu  dans  notre  cobk 
philosophie.  Ajoutons  cependant  que  Descartes  enseigne f'^^''*''*' 
ment  que  \q  jugement  est  un  consentement  de  la  volonté ^^^ 
l'erreur  vient  de  ce  que  la  volonté  affirme  précipitamment  &1 
rintelligence  n'a  pas  vu. 

S  2.  —  ECOLE  DE  BACON.  —  SENS  DALI  SU- 

272.  Hobbes.  — Thomas  Hobbcs  naquit  à  Malmcsbury,^ 
le  comté  de  With,  en  Angleterre,  en  1588.  Il  àiaiiûlsd'anBin^ 
tre.  Il  montra  une  intelligence  précoce  et  sos  études  qo  u 
l'université  d'Oxford  furent  achevées   à  l'âge  <î'3  dii-hn'^  ^: 
C'est  en  1642  qu'il  publia  son  traité  de  Cive.  Après  avoir  ?#- 
en  1650  un  IVaité  sur  la  nature  humaine,  il  publia  ^n^ 
en  1651  son  Léviathan,  dans  lequel  il  traite  non  plus  dncio.  i 
mais  de  la  cité.  Il  publia  encore  une  Logique  ;  de  Corpor  > 
Homine  ;  il  y  ajouta  plus  tard  sa  Biographie,  en  vers  la  • 
mourut  en  1679.  ^ 


XVII'   SIÈCLE     —  HOBBBS  691 

Il  divise  la  philosophie  en  logiqi^y  philosophie  première ^  phy- 
si  que  et  politique.  Tout  cela  est  pour  lui  le  perfectionnement  de 
la  science,  le  fruit  naturel  do  nos  facultés,  mais  il  n'y  voit  que 
des  corps,  et  soutient  que  Dieu  et  Tâme  ne  sont  pas  du  domaine 
de  la  philosophie.  Les  corps  seuls  sont  des  substances  ;  Dieu  n'est 
que  l'étendue  indéfinie  et  Tâme  n'est  qu'une  apparence  sans  réa- 
lité; raisonner  c'est  additionner  et  soustraire.  Il  veut  dire  que  c'est 
ajouter  ou  retrancher  un  élément  à  une  idée  précédente.  L'erreur 
que  l'on  peut  commettre  dans  ce  calcul,  vient  des  mots  que  Ton 
emploie  sans  les  connaître,  La  vérité  elle-même  est  dans  les  mots, 
non  dans  les  choses.  Nous  ne  connaissons  pas  les  choses  elles-mê- 
mes, mais  seulement  les  idées  que  nous  en  avons. 

a  La  nature  de  l'homme,  dit  Hobbes,  est  la  somme  de  ses  facul- 
tés. »  Il  distingue  ces  facultés  en  physiques  et  morales,  mais  il 
les  suppose  toutes  dans  un  môme  sujet,  qui  est  le  corps,  quoiqu'il 
dise  :  les  facultés  de  l'esprit.  Dans  ces  dernières  il  distingue  les 
facnltés  principes  de  conception,  des  facultés  principes  d'affection. 
Les  premières  se  développent  dans  un  mouvement  qui  va  des 
organes  au  cerveau,  les  secondes,  dans  un  mouvement  de  la  tète 
au  cœur.  Hoblxîs  ne  reconnaît  pas  la  volonté  :  il  la  confond  avec 
le  sentiment.  Il  ne  voit  donc  que  deux  facultés  morales  :  l'intelli- 
gence et  la  sensibilité,  et  encore  sa  théorie  de  l'intelligence  mène 
droit  au  scepticisme  :  car  rien  ne  permet  d'affirmer  des  choses  dont 
nous  ne  connaissons  que  les  images  ;  et  sa  théorie  du  sentiment, 
outre  qu'elle  n'est  au  fond  qu'une  théorie  do  la  sensation,  ramène 
l'idée  du  bien  à  l'agréable.  Ce  qu'il  appelle  volonté  n'est  que  le 
mouvement  produit  par  une  sensation  plus  agréable,  et  ce  qu'il 
nomme  liberté  c'est  le  pouvoir  d'exécuter  ce  mouvement.  Et  il  a 
soin  d'expliquer  sa  pensée  on  disant  que  la  liberté  n'est  que 
l'absence  d'empêchement,  la  possibilité  de  se  mouvoir  dan  l'espace, 
la  possibilité  et  non  la  puissance ^  la  facilité  et  non  la  force. 
Enfin  il  déclare  expressément  que  tous  ces  mouvements  sont 
nécessités  par  la  causalité  première  de  Dieu. 

Pour  mettre  l'homme  en  rapport  avec  Dieu  et  lui  recommander 
de  l'honorer,  Hobbes  a  recours  à  la  foi,  car  il  reconnaît  que  sa 
philosophie  ne  saurait  l'y  conduire. 

Ce  qu'on  a  le  plus  remarqué  dans  Hobbes,  c'est  sa  théorie  poli- 


692  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

tirjuo.  Elle  ost  fondée  sur  sa  théorie  morale.  L'homme  n'est  a 
que  par  le  plaisir  :  il  n^agit  donc  que  par  intérêt  personnel  Ln 
donc  d'ôtro  naturellement  sociable,  Thomme  est  naturelte' 
Vennemi  de  son  semblable,  La  guerre  est  donc  l'état  (kuata:^ 
D'où  il  suit  que  le  droit  naturel,  c'est  le  droit  da  plu^  fort  Mi: 
l'homme  ne  saurait  être  lieureux  dans  cette  guerre  perpétadk. 
il  cherche  donc  la  ;paix.  Or  pour  obtenir  cotte  paix,  ils6  iseîfl 
société,  il  code  une  partie  de  son  droit  absolu  sur  toutes  cto 
et  cette  cession  doit  être  mutuelle  et  faite  selon  une  juste  wiape? 
sation.  C'est  le  coyitrat^  ou  l'échange  des  droits.  C'est  decee* 
trat  que  dérivent  la  justice  et  l'injustice,  qui  n'existait'nt  p 
auparavant.  Celui  qui  viole  ce  contrat  renonce  à  la  paix,  cl^:-' 
suite  au  bopheur  ;  mais  comme  du  mémo  coup  il  trouble  lapau 
de  tous  les  autres,  il  faut  que  ceux-ci  aient  des  moyens  dclcffit*- 
cher  d'agir  ainsi.  De  h1  le  pouvoir  civil,  qui  n'est  que  la  l'^*- 
mise  au  service  de  la  loi  du  contrat.  Le  pouvoir  civil,  selon H-> 
bes  a  besoin  d'ôtro  le  plus  fort,  et  c'est  pour  cela  qu'il  le  F'^'^ 
dans  la  monarchie  absolue,  dans  laquelle  le  souverain  reçoit tp- 
et  ne  doit  rien  à  personne.  Tout  oe  qu'il  ordonne  devient  jusit-* 
qu'il  défend  devient  iryuste;  ce  qu'il  déclare  vrai  devient  tj* 
il  dispose  des  personnes  et  des  biens  ;  il  représente  tous  k^^-'^^ 
yens;  il  est  la  cité  vivante.  C'est  le  Ldviafhan.  Et  ce  p^'»^ 
que  le  souverain  tient  du  peuple  est  inaliénable,  sausqao'' 
feerait  plus  absolu  et  perdrait  toute  sa  force  pour  faire  resp^  - 
la  paix. 

.   On  a  accusé  Hobbes  d'étro  on  contradiction  avec  lûi-^*^^*®*^ 
concluant  du  principe  du  contrat  à  la  monarchie  alîsomo.|| 
trouvons  au  conti'airc  que  sa  conséquence  est  très-légiti^"^ 
dans  ses  principes,  il  ne  saurait  y  avoir  aucune  ^^'^"^^  ' '^  ',, , 
paix  assurée,  en  dehors  de  ce  pouvoir  absolu  et  ^"^^^^"^  "^..^^ 
seul.-  Le  pouvoir  résidant  en  tous,  et  surtout  capaMe  uc  m^^  ■ 
tion,  serait   une  menace  perpétuelle  contre  la  paix,  c  t 
hommes  dont  le  seul  mobile  est  l'intérêt  personnel. 

278.  Gassendi,  —  Pierre  Gassendi,  ou  plutôt  Gassend,  n^^|J^^ 
en  1592,  au  village  de  Champtercicr,  près  de  i^io"®-.^^,^^.^^ii 
brillant  élève  au  collège  de  Digue  et  à  l'Upivoreité  d'Aii' 


' 


XVir     SiftCLK     —    GASSKNDl  093 

jrit  le  ï)onnet  de  docteur  à  Avignon.  Chanoine  de  Digne  avant 
iV'tre  dans  les  ordres,  il  fut  ordonné  prêtre  en  1017.  Il  obtint 
ilors  la  chaire  de  philosophie  à  Tuniversité  d'Aix ,  et  ne 
l'occupa  que  six  ans.  Il  fit  alors  plusieurs  voyages  â  Paris  où  il 
3onnut  Descartes  et  en  Angleterre  où  il  fut  mis  en  relation  avec 
Hôbbes.  Plus  tard  le  cardinal  de  Richelieu  lui  fit  accepter  ia 
3liairo  de  mathématiques  au  collège  rojal  de  France.  Par  raison 
:îe  santé  il  revint  en  Provence  habita,  Aix,  Digne  et  Toulon,  et 
Bt  après  un  quatrième  vojago,  à  Paris  pour  achever  son  ouvrage 
sur  Epicure,  il  mourut  à  Digne  en  1655. 

Il  avait  suivi  et  soutenu  activement  les  nouvelles  découvertes 
on  physique,  publié,  dans  sa  jeunesse,  une  condamnation  d'Aristoto, 
adiessé  des  objections  h  Descartes,sur  ses  Méditations^  mais  son 
principal  ouvrage  no  fut  publié  qu'après  sa  mort  en  1658.  Ani- 
madversiones  in  deciynum  lihrum  Diogenis  Laertii,  de  vita^ 
morihus^  placitisque  Epicurii. 

Faisant  dériver  des  sens  toutes  les  connaissances,  Gassendi 
avait  fait  connaître  sa  philosophie  dans  ses  objections  &  Descar- 
tes; mais  quand  il  voulut  exposer  sa  théorie,  lui  qui  avait  rejeté 
rautorité  d'Aristote,  et  qui  même  était  allô  trop  loin  dans  ce  sens, 
crut  devoir  s'appuyer  de  l'autorité  d'un  ancien  et  choisit  Epicure. 
Dnns  ce  but,  il  s'efforça  de  démontrer  qu'on  Tavait  jusque  là  mal 
compris,  et  après  l'avoir  réhabilité  avec  beaucoup  d'érudition,  H 
s'efforça  de  faire  revivre  ses  théories  physiques,  en  se  séparant  de 
sa  morale^  et  de  tout  ce  qui,  dans  sa  doctrine,  était  contraire  h  la 
foi  catholique.  Il  voulut  concilier  la  théorie  des  atomes  avec  le 
dogme  de  la  création,  probablement  parce  que  ce  système  lui 
paraissait  plus  commode  pour  expliquer  les  lois  physiques,  qu'une 
ol>servation  mieux  entendue  faisait  alors  découvrir  chaque  jour'. 

Mais  le  caractère  propre  de  sa  philosophie  est  dans  le  sensua- 
lisme, qui  fait  venir  des  sens  toutes  connaissances.  Cette  doc- 
trine exagérée  servit  du  moins  de  contrepoids  à  Tidéaliâme  de 
Descartes,  en  affirmant  à  priori  la  certitude  des  perceptions  four- 
nies par  les  sens  et  par  la  conscience,  tandis  que.Descartes  Vou- 
lait tout  faire  dériver  des  conceptions  évidentes  de  la  raison. 
Aussi  ce  dernier  créait  un  monde  dans  son  imagination,  tan- 
dis que  Gassendi  découvrait  les  lois  du  monde  réel. 


694  HISTOIRE    DB     LA    PIIILOSOPIIIK 

274.  Locke.  — Jean  Locko,  naquit  à  Wrin;:*ton,  danslef^jï 
de  Bristol,  en  1G32,  il  fit  ses  études  au  coHl-jô  de  AVestiDb5V 
puis  à  l'université  d'Oxford .  Il  prit  goût  à  la  philosophie,  [or  i 
lecture  des  écrits  de  Descartes.  Partaprcant  la  fortune  et  i- 
revers  du  comte  de  Shaftesbury,  il  occupa  diverses  chaw  par- 
ques, s'exila  avec  lui  en  Hollande,  revint  dans  sa  patrie:'* 
Guillaume  III,  d'Orange,  et  sa  santé  ne^'lur  permettant  pli*  ^' 
remplir  les  devoirs  de  la  charge  qu'il  occupait,  il  seat^- 
Oates,  dans  le  comté  d'Essex,  et  y  mourut.  Tan  17Q4,  dans  ifc 
sentiments  de  piété  qu'il  manifesta  publiquement. 

Il  laissait  plusieurs  ouvrages  de  philosophie,  d'éducation,  i 
religion  et  autres,  dont  le  principal  est  Y  Essai  sur  Ventendt^ 
humain.  Divisé  en  quatre  livres,  il  traita  :  1°  des  notions  ina^: 
2o  des  idées  ;  3°  des  mots  ;  4°  de  la  connaissance.  Dans  le  p^- 
mior  livre,  il  [combat  la  théorie  des  idées  innées,  admises  \^ 
Descartes .  Il  essaye  de  démontrer  que  ni  les  idées  spéculative!  e 
les  idées  pratiques  ne  sont  innées,  pas  même  dans  leurs  élémenU: 
que  ces  idées  que  l'on  considère  comme  innées  ne  sont  ni  premit» 
ni  universelles.  Dans  le  deuxième  livre,  il  suppose  l'àme  naissait: 
comme  une  table  rase  et  s'efforce  de  montrer  [la  formatiofl  ^ 
toutes  les  idées,  par  la  sensation,  pour  les  choses  extérieures,  «< 
par  la  réflexion^  pour  les  opérations  de  l'âme. 

Toutes  les  idées  ainsi  acquises,  il  les  appelle  simples^  ^t  ^ 
admet  en  outre  de  composées,  formées  par  combinaison  àea  pt- 
miôres.  Cette  théorie  n'est  donc  pas  le  sensualisme  pur:  ces 
l'empirisme.  Dans  le  troisième  livre,  il  traite  avec  beaucoup  ** 
sagacité,  pour  son  temps,  les  rapports  du  langage  et  de  la  pens^'*- 
Il  attribue  au  langage  plusieurs  erreurs  et  en  indique  les  rem^^ 
en  môme  temps  qu'il  exalte  l'importance  du  langage,  sans  tombÈf 
à  ce  siget  dans  les  exagérations  où  tombera  Condillac.  l>^^' 
quatrième  livre,  11  traite  de  la  légitimité  de  nos  connaissance** 
reconnaît  deux  sources  de  certitude  :  l'intuition  et  la  démonstra- 
tion. Ici  dans  l'exposition  de  sa  théorie  il  semble  ne  pas  reconnaît^ 
le  monde  extérieur  comme  objet  de  la  connaissance  intuitive,  m*^ 
ailleurs  il  dit  nettement  sa  pensée  à  ce  sujet  et  admet  par  intuitifs 
Texistence  de  l'âme  et  l'existence  du  monde,  et  par  démonstratioD 
l'existence  de  Dieut  Cependant,  si  empirique  qu'il  soit,  il  ^^ 


XVIl'^    SIÈCLE    —    ARNAULD  695 

les  hjpothôses  en  physique,  à  la  condition  de  les  vérifier  par  des 
expériences,  et  il  dit  aussi,  qu'en  présence  des  événements  surna- 
turels, Texpérience  doit  se  taire  devant  l'autorité  du  témoignage. 
Ainsi  Locke  n'est  tombé  ni  dans  le  scepticisme  ni  dans  l'empi- 
risme absolu,  où  devait  le  conduire  son  principe.  Mais  son  prin- 
cipe n'en  est  pas  moins  faux,  car  il  conduit  logiquement  &  nier 
tout  à  la  fois  et  le  monde  et  Dieu  ;  car  l'ôtre,et  surtout  l'être  infini, 
ne  tombent  pas  sous  l'expérience . 

g  8.   -  IGOLI  DE  DI8GARTIS. 

275.  Arnauld  de  Port-royal.  —  Antoine  Arnauld,  le  ving- 
tième des  vingt-deux  fils  de  l'avocat  Antoine  Arnauld,  naquit' à 
Paris,  en  1G42.  L'abbé  de  Saint-Cjran,  tristement  fameux  dans 
l'histoire  4u  jansénisme,  le  détourna  du  barreau  et  le  poussa  vers 
l'état  ecclésiastique.  Arnauld  fut  reçu  docteur  de  la  Sorbonne,  en 
1643.  La  môme  année,  sous  l'inspiration  de  Saint-Cyran  et  de 
Jansénius,  il  écrivit  son  livre  de  la  Fréquente  communion^  qui 
lui  suscita  bien  des  persécutions,  et  fit  de  lui  un  chef  de  parti.  Il 
fut  rayé  de  la  Sorbonne  en  1643,  eut  quelque  repos  après  la  paiœ 
de  \Clëment  VII,  en  1669,mais  en  1679,  craignant  Louis  XIV,  il 
quitta  la  France,  et  se  retira  dans  les  Pays-bas.  Il  mourut  à 
Liège,  en  1694. 

En  philosophie,  il  était  cartésien,  quoiqu'il  ait  adressé  au  père 
Mersenne  des  Objections  contre  les  Méditations  de  Descartes,  et 
l'infiuence  des  théories  de  ce  dernier  se  fait  sentir  partout  dans  les 
écrits  d' Arnauld.  Il  écryfit  contre  Malebranche,  le  livre  des  Vraies 
et  des  fausses  idées,  où  il  combat  la  théorie  des  idées-images, 
plutôt  que  celle  de  la  vision  en  Dieu,  Mais  son  principal  titre 
comme  philosophe  c'est  VArt  de  penser,  connu  sous  le  nom  de 
Logique  de  Port-royal,  qn'il  écrivit,  dit-on,  en  huit  jours,  avec 
l'aide  de  Nicole,  et  que  le  duc  de  Chevreuse  dut  apprendre  eu 
quatre  jours,  après  l'avoir  résumé  en  quatre  tableaux. 

276.  Analyse  de  l'ART  DE  PENSER.  —  Après  un  petit  avis,  où 
l'on  expose  roccasion  de  la  composition  de  cet  ouvrage,  on  trouve  deux 
discours  de  Nicole,  Tua  «où  Ton  fait  voir  le  dessein  de  celte  nouvclis 
logique  »,  l'autre  a  contenant  la  réponse  aux  principales  objections  que 
l'on  a  faites  contre  cette  logique.» 


696  HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 

U  définit  ensuite  la  logique,  c  l'art  de  bien  conduire  sa  raiâûaâagb 
connaissance  des  choses,  tant  pour  s'instruire  soi-même  que  pcsr a 
instruire  les  autres  »,  et  donne  ensuite  la  division  de  rouvragc  «  <pt- 
tre  parties,  et  les  raisons  de  cette  division. 

1«  Partie.  Réflexions  sur  les  idées  ou  sur  la  première  opértâtsi 
de  Vespritt  qui  s* appelle  concevoir.  Les  idées  sont  le  fondenienti 
toute  la  logique  et  on  peut  les  considérer  :  1*»  selon  leur  nahme  rt  k* 
origine  ;  2*  selon  la  principale  différence  des  objets  qu'elles  repreae- 
tent  ;  3*  selon  leur  simplicité  ou  composition;  i*» selon  leiu-éteaàM» 
restriction  ;  5°  selon  leur  clarté  et  oljscuritê,  ou  distinction  et  confias», 
a  Le  mot  dHdée  est  du  nombre  de  ceux  qui  sont  si  clairs  ^'^  ^ 
\icui  les  expliquer  par  d'autres,  parce  qu'il  n'y  en  a  point  deplasc^ 
et  de  plus  simples.»  Il  s'efforce  surtout  de  les  distinguer  des  iffii|es.i^ 
montre  très-bien  que  souvent  une  idée  très-distincte  n'a  qu'un*  îsa^ 
confuse,  comme  un  polygone  de  mille  angles  ;  que  nouscon«v«DstBs- 
bien  des  choses  que  nous  ne  saurions  imaginer:  la  pensée,  par  extoN^ 
D'où  il  conclut  que  toute  parole  correspond  à  une  idée,  et  plus  Wa.  <l* 
les  idées  ne  sont  pas  arbitraires  comme  les  mots,  et  sontauMdesr 
que  les  mots.  Passant  ensuite  à  l'origine  des  idées,  il  combat  la  ilwfirii 
de  Gassendi,  qui  les  fait  venir  des  sens,  et  cite  le  fîimeux  principe  et 
Descartes,  t  Je  pense ,  donc  je  suis  »,  pour  établir  que  les  idées  d'cti«a 
général  «  de  la  pensée  et  du  moi  ne  viennent  pas  des  sens. 

«  Tout  ce  que  nous  concevons  est  présenté  à  notre  esprit,  ou  eoms? 
manière  de  chose,  ou  comme  chose  modifiée.»  De  Ih  les  noms  svk^^- 
tifs  et  les  noms  adjectifs  ou  connotaiifs.  Il  insiste  sur  la  Jisti*^ 
Jtion  des  substances  et  des  modes.  Il  expose  les  catégories  d'AiisMi«. 
déclare  qu'ell  s  sont  très  peu  utiles  et  essaye  de  les  remi^acer  par  ^ 
autres,  en  ajoutant  que  l'étude  des  catégories  accoutume  les  hoiwK** 
se  payer  de  mots.  Viennent  ensuite  quelques  règles  logiques  «r  k* 
signes. 

Il  distingue  ensuite  les  idées  abstraites  des  idées  de  parties  s^b^ 
blés  d'un  môme  objet,  puis  les  idé^s  générales,  particulières  ou  ««^ 
Itères,  où  il  définit  la  compréhension  et  Vétendue  des  idées.  UcVi^ 
assez  longuement  les  cinq  universaux  de  Porphyre  :  le  genre,  l'esp*^! 
la  dififérence,  le  propre  et  l'accident.  Parlant  des  termes  comptei^^ 
distingue  l'addition  explicative,  de  l'addition  déierminatirt,  <*  ^ 
équivoques  où  Ton  peut  tomber  dans  les  termes  complexes.  U^  "^ 
sont  claires  ou  t^scures  pour  difTôrentes  causas,  mais  surtout  parc*  f^ 
nous  attribuons  aux  choses  les  modifications  que  nous  éprooroos  p 
elles  :  il  en  donne  do  nombreux  exemples,  et  en  prend  occasioo  « 
démontrer  plusieurs  vérités   religieuses  et  momies.  La  confusioo  ^ 


XV  11"    SIÈCLE    —   ARNACLii  097 

aussi  des  mots  mal  compiîs.  d'où  la  nécessité  de  définir.  On  dlslingiie 
la  définition  des  choses  d'avec  la  définition  des  mots.  Ces  dernières 
sont  arbitraires,  ne  peuvent  être  contestées  et  peuvent  toujours  servir, 
de  principes.  Faute  de  faire  ces  définitions  on  dispute  sur  des  mots 
Oans  les  discussions  il  faut  toujours  substituer  mentalement  la  défini- 
tion au  nom  que  l'on  emploie.  Mais  il  ne  faut  pas  tout  définir  :  ce  serait 
souvent  inutile,  ou  même  impossible.  Il  ne  faut  pas,  sans  raison,  chan- 
ger les  définitions  rerues,  ni  employer  un  mot  dans  un  sens  trés-éloigné 
de  l'usage,  ou  contraire  à  l'étymologie.  Enfin  les  définitions  de  noms  ne 
.sont  arbitraires  que  pour  soi-même,  quand  on  expose  sa  propre  doctrine. 
mais  non  dans  Texposition  des  termes  employés  par  un  autre.  Ici  l'au- 
teur fait  remarquer  .que  bien  des  locutions  prennent  par  l'usage  ou  par 
les  circonstances  un  sens  qu*elles  n'ont  pas  par  elles-mêmes,  et  il  ert 
donrM)  plusieurs  exemples. 

2*  PabTie.  Réflexions  que  les  hommes  ont  faites  sur  leurs  juge- 
ments. Ces  jugements  sont  des  prépositions  composées  principalement 
de  norps^  de  pronoms  et  de  verbes.  Peut-être  est-ce  à  la  grammaire 
d'en  traiter,  mais  cette  étude  est  certainement  utile  à  la  logique.  Les 
nom.s  sont  des  mots  destinés  à  signifier  tant  les  choses  que  les  maniè- 
res de  choses.  Les  premiers  s'appellent  noms  substantifs,  les  autres, 
quand  ils  marquent  en  même  temps  le  sujet  auquel  ils  conviennent, 
s'appellent  noms  adjectifs.  Les  manières  conçues  par  abstraction,  sans 
les  rapporter  à  un  sujet,  s'expriment  par  des  noms  substantifs.  Au  con- 
tra! re,  ce  qui  est  de  soi  substance  peut-être  conçu  comme  dans  ui 
sujet  et  s'exprime  par  un  adjectif  comme  humain  ;  alors  ces  adjectifs 
dépouillés  de  leur  rapport  avec  tout  sujet,  redeviennent  substantifs, 
comme  humanité.  Certains  noms,  comme  rot,  philosophe^  passent  poui' 
substantifs  et  sont  de  vrais  adjectifs.  Certains  adjectifs,  sont  pris  subs- 
tantivement et  expriment  un  sujet  universel,  comme  le  rouge  et  Ir- 
le  blanc. 

Les  pronoms  tiennent  la  place  des  noms,  mais  ne  font  pas  le  mv^me 
efTet  sur  l'esprit.  Ils  présentant  comme  voilée  la  chose  que  le  nom 
découvre.  (3n  évite  ainsi  de  répéter  le  nom;  ce  qui  serait  ennuyeux. 
De  \h  l'invention  des  pronoms  personnels,  relatifs,  et  autres.  Le  ]>ro- 
pre  de  ce  dernier  est  de  lier  au  sujet  ou  à  l'attribut  une  proposition 
Incidente.  Arnauld  remarque  ici  que  la  conjonction  française  qv<*  esi 
un  vrai  pronom  relatif.  D  indique  la  même  fonction  pour  l'article  j^roc 
0,  r,,  t6,  et  en  prend  occasion  de  répondre  au  ministre  Jean  Claude, 
sur  son  explication  du  text^  :  C^ct  est  mon  corps,  gui  est  livré  pour 
rmts. 


G98  HISTOIRE   DE   LA    PHII.OSOPHIK 


^'.  ^ 


En  traitant  du  verbe,  Arnauld  ne  fera  que  répéter  ce  qui  a  éik 
rians  la  Grammaire  générale.  C'est  de  la  sienne  qu'il  veut  fL-.r  ' 
mais  il  ne  le  dit  pas.  hc  verbe  est  un  mot  dont  le  princîpeU  uêa'jec: 
de  8i(/nifier  V affirmation.  Il  exprime  en  outitî  le  désir,  la  pri^rr  » 
commandement,  mais  ce  n'est  qu'en  changeant  d'inflexion  et  de  iB*3è 
IjC  verbe  être  seul,  qu'on  appelle  substantif,  est  demeuré  dans  la  sis:- 
plîcitê  de  son  sens  principal,  et  on  a  pris  l'habitude  de  joindre  «i  ^^ 
seul  mot  le  verbe  et  l'attribut.  On  a  môme  joint  quelquefois  le  s^iH 
lui-môme  aux  deux  autres  termes.  On  a  fait  entrer  aiissi  dans  un  scim 
mot  l'idée  du  temps  «  au  regard  duquel  on  affirme.  »  Ici  Arnauld  «ri^ 
que  la  définition  d'Aristote  :  Vox  sigm/lcans  eu  m,  tempore,  et  pin^ 
sieurs  autres  fondées  sur  le  même  point  de  vue.  Et  après  avoir  juslile  m 
propre  définition,  il  la  complote  ainsi  :  «  Vax  significans  af/lrmany 
nem,  cum  designatione  personœ,  nximeriet  tempoi^îs.  Enfin  îl  rPiDi'- 
que  que  môme  dans  les  jugements  négatifs,  le  verbe  n'exprîm«f  î** 
l'allirmation.  —  Nous  n'avons  pas  le  temps  d*obser\-er  ici  en  qy' 
Arnauld  se  trompe  lui-môme  avec  tous  ses  devanciers  sur  la  dèûm'ôoi 
du  verbe,  ni  en  quoi  notre  définition  (p.  58)  est  plus  exacte.  Noo^  '" 
ferons  peut-être  bientôt  dans  un  ouvrage  spécial. 

Arnauld  expose  ensuite  la  théorie  des  propositions.    Il   ne  distin.r»- 
pas  la  proposition  du  jugement.  La  distinction   des    propositions  e:/  ^ 
elles  est  donnée  d'après  les  scolastiques,  ainsi  que  les  diverses  opp»»-'- 
tions  des  propositions,  savoir:  les  contradictoires,   les  contraire^,  \- 
."^ubconii'aij'es  ei  les  subalternes.   Les   propositions    sont   simples  »;  ? 
(•omi)Osées.  Il  y  en  a  de  simples  qui  paraissent  compoîiêes  et  qui  n-^  ^>  ■ 
que  cuinplexes.  Cette  complexité  peut  être  dans  le  sujet  ou  dans  1*1»!!^ 
luit.  Les  incidentes  sont  explicatives  ou  déterminatives  ;   pour  en  jur» 
il  faut   avoir  plus   d'égard  au   sens   qu'îi  l'expression.   Une  propci-N-^ti  ^ 
peut  être  fausse  .seulement  dans  ses  termes  complexes.  Dans  les  pie[*.- 
sitions  appelées  modales,  l'erreur  peut  tomber  uniquement  sur  le  niti^i' . 
Sur  ce  sujet,  Arnauld  donne  tonte  la  théorie  scolastiquc,  et  fait  de  lufi  •- 
sur  les  différentes  ési)éces  de   pr^)positions  complexes.    Les  chaj'itiv> 
suivants  sont  plus  pratiques  et  renferment  de  judicieuses  observîiii  -^s 
sin*  les  cas  où  il  est  difficile  de  reconnaître  le  sujet  ou   d'eo    apprt-ritf 
l'extension,  comme  aussi  sur  les  propositions  où  le  verbe   est  \t-uI  iIîh 
signifie.  Il  parle  ensuite  de  la  division,  de  la  tléfinition,    de  la    rt>n\«"- 
sion  (les  iwoposilions  :  tout  cela  d'après  les  scolastiques. 

.'l'  PARTIE.  Du  raisonnement,  dùeila  partie  Iraile  du  raisonnement  1 1 
«le  toutes  ses  règles,  ainsi  que  des  autres  arguments  qui  i>euvent  sr 
ramener  au  syllogisme,  et  enfin  des  lieux  de  grammaire,  de  lo^que  et 


XVll*   SIÈCLE   —   ARNAULD  699 

de  métaphysique.  En  tout  celaAroauld  n'a  d'aiitre  mërite  que  celui  de 
la  clarté,  car  le  fonds,  sauf  les  exemples,  en  est  entièrement  emprunté 
aux  scolastiques,  ou  à  Aristote,  qu'il  condamne  cependant  toutes  les 
fois  iju'il  le  peut,  non  seulement  dans  quelques  opinions  erronées,  qu'il 
a^soin  de  choisir  comme  exemples  de  faux  raisonnements,  mais  encore 
pour  le  fonds  même  de  sa  logique,  qu'il  lui  emprunte  tout  entière.  Enfin 
cette  partie  se  termine  par  l'examen  des  faux  raisonnements  ou  sophis- 
nies  que  nous  avons  résumés,  page  143  et  144. 

40  PARTIE.  De  la  méthode.  Nous  connaissons  par  intelligence  les 
premiers  principes,  à  raison  de  leur  évidence.  D'autres  vérités  nous 
sont  connues  par  la  foi  en  l'autorité  d'un  autre,  ou  par  la  raison^  mais 
avec  quelque 'doute:  c'est  alors  Vopinion;  et  enfin  par  la  misonet  avec 
une  entière  conviction:  c'est  la  science.  Les  pyrrhoniens  ont  nié  la 
science,  mais  ils  n'ont  jamais  été  bien  persuadés  de  leur  doctrine^  Que 
si  l'on  peut  douter  si  l'on  dort  ou  si  l'on  veille,  si  les  choses  existent, 
au  moins  on  ne  saurait  douter  que  l'on  pense,  et  celui  qui  sait  qu'il 
pense  est  certain  qu'il  est.  Les  choses  qui  nous  sont  connues  par  l'esprit 
sont  plus  certaines  que  celles  qui  nous  sont  connues  par  les  sens.  Il 
y  a  des  choses  que  nous  connaissons  clairement ,  il  y  en  a  d'autres  qui 
sont  obscures,  mais  que  nous  espérons  éclaircir  ;  enfin  11  y  en  a  qu'il 
est  impossible  de  connaître  avec  certitude.  Au  premier  genre  appartient 
ce  qui  est  connu  par  démonstration  ;  au  deuxième  les  matières  philoso- 
phiques, mais  il  faut  avoir  soin  d'en  exclure  tout  ce  qui  est  du  troi- 
sième, ce  qui  est  au-dessus  de  nous:  comme  ce  qui  tient  de  l'infini 
que  nous  ne  saurions  comprendre.  Il  y  a  cependant  des  choses  incom- 
préhensibles dans  leur  maolère,  qui  sont  certaines  dans  leur  existence, 
par  exemple:  Dieu,  l'éternité,  la  divisibilité  de  la  matière.  —  Il  n'est 
peut-être  pas  inutile  de  remarquer  que,  pour  cette  dernière  chose, 
Arnauld  la  présente  d'une  manière  qui  la  rend  non  seulement  incom- 
préhensible, mais  absurdî.  «  Quel  moyen  de  comprendre,  dit-il,....  que 
le  plus  petit  grain  de  blé  enferme  en  soi  autant  de  parties,  quoique  à 
proportion  plus  petites,  que  le  monde  entier!  »  Et  comme  il  a  tant  fait 
que  d'affirmer  la  divisibilité  à  l'infini  de  la  matière,  il  s'efTorcc  de  la 
(lêmontrer  par  des  raisons  mathématiques. 

«  La  méthode  est  l'art  de  bien  disposer  une  suite  de  plusieurs  pen- 
sées, ou  pour  découvrir  la  vérité  quand  nous  l'ignorons,  ou  ^wur  la 
prouver  aux  autres  quand  nous  la  connaissons  déjà.  »  Il  y  a  deux  sortes 
(le  méthodes  :  Vanalyse  ou  méthode  de  résolution,  ou  encore  méthode 
ïl'invenlîon  ;  la  synthèse  ou  méthode  de  composition,  ou  encore  méthode 
tle  doctrine.  «  On  ne  traite  pas  d'ordinaire  par  analyse  le  corps  entier 


7()()  HISTOIRE   UK   LA    l'Hl  L  OSO  F>inK 

(rime  science»  mais  on  s'en  sert  seulement  ]x>ur  résoudre  giid^s^ 

lion.  D  —  On   voit    qu'Arnauld    n'a    pas    encore  la  vraie  notioiii 

in/'lhode    analyti(jue,  l)ien  qu'il  s*aide  d'un  manuscrit  de  Desearw  • 

il'im  autre  de  Pascal.  —  Toutes  les  questions  sont  ou  de  moucii 

rhoses.  Dans  les  questions  de  choses,  on  cherche  :  i*  les  causes  fark 

ellets  ;  2"»  les  effets  par  les  causes  ;  3"  le  tout   par  les  parties;  ?  ■* 

partie  par  le  tout  et  quelque  autre  partie.  La  première  choseàfabt? 

rie  bien  concevoir   la  (juestion   proposée.   L'inconnu  que  l'on  d8W 

doit  être  manifesté  par  les  conditions  posées,  et  ce  sont  cesfc«nàiîi* 

qu*il  faut  observer  sans  en  ajruter  de   nouvelles.  Or  l'analyse  coia* 

dans   rcxamen    des    conditions   connues    de    la    question  àrès»^ 

Arnauld  en  donne  pour  exemple  la  pi-euvo    de  rimraortalité  ôe  I2» 

donnée  par  Uescarles.  L'analyse  aussi  bien  que  la  synthèse  va  daew» 

à  l'inconnu,  mais  la  i>remièrc  prend  les  conditions  connues  dfflsi 

chose  même  à  connaître,  au    lieu  que  la  synthèse  les  prend  da^fif 

vérilés  plus  /jrcnéralcs.  «  Ces  deux  méthodes  ne  diflërent  qaccoaiK-^ 

chemin  qu'on  (ail  en  montant  d'une  vallée  en  une  montagne,  de  t* 

que  l'on  fait  en  descendant  de  la  montagne  dans  la  vallée.»  Eata* 

nant  ce  deuxième  chapitre,  Arnauld  cite  les  quatre  rendes  de  la  flâtliâ^ 

de  IJescartes,  comme  pouvant  être  utiles    pour  se   garder  de  len^' 

surtout  dans  l'analyse,  quoiqu'elles  soient  générales  pour  toutes»^'' 

»ie  méthodes. 

Il  traite  ensuite  de  la  synthèse,  qu'il  appelle  méthode  de  cùKifos^^ 
<•  Kllc  consiste  principalement  à  commencer  par  les  choses  tes  ?♦ 
î?én«'Malos  et  les  plus  simples,  pour  passer  aux  moins  générales  <<* 
plus  réimposées.  )>  T«'lle  est  surtout  la  méthode  des  géomètres,  «* 
laquelle  on  observe  trois  choses  en  général. 

1'  .V<?  Inifiper  avcui^o  amhignité  dans  le^  termes.  De  là  les œ» 
fions. 

:i*  yéioblir  les  raisonnements  que  sur  des  principes  claire  f^^' 
dcnis.  l)iî  là  les  axiomes. 

;!"  Prouver  de  monsi  rôti  cernent  toutes  les  concîusionji.  Cest  1** 
des  théorèmes. 

Kt  de  ces  trois  chefs  on  peut  tirer  les  cinq  règles  suivantes: 

K  lièfjle  ]iouv  les  définitions,  !•  Ne   laisser   aucun  des  lenw^ 
peu  ol)sci]rs  ou   érjuivoques,  sans   le   déÛnir.    2»   N'employer  dW"**' 
définitions  qu»*  des  termes  parfaitement  connus  et  déjà  expliqués. 

"  Rèrjle  pour  les  ((j'iomes.    S"    Ne  demander    en   axiomes  'î^'*^ 
choses  parfaitement  évidentes. 

'<  Ri'fiîcfi  povr  Irfi  drw  oust  rations,  4*  Prouver  toutes  le»  prt'P^'"" 


XVU»   SIECLE  —     PASCAL  701 

un  peu  obscures,  en  n'employant  à  leur  preuve  que  les  définitions  qui 
uuront  précédé,  ou  les  axiomes  qui  auront  été  accordés,  ou  les  pro- 
positions qui  auront  déjà  été  démontrées,  ou  la  construction  de  la 
rfiose  mémo  dont  il  s'agrira,  lorsqu'il  y  aura  quelque  opération  à  (aire. 
5*  N'abuser  jamais  de  l'équivoque  des  termes,  en  manquant  d'y  subs- 
tituer mentalement  les  définitions  qui  les  restreignent  et  qui  les  expli- 
«pieiit.  »  —  Toutes  ces  règles  sont  prises  de  l'Art  de  persuader^  de 
Pascal.  —  Après  avoir,  dans  les  chapitres  suivants,  développé  toutes 
CCS  règles,  Arnauld  se  résume,  répète  ces  mêmes  régies  et  y  en  ajoute 
Iroîs  :  une  pour  les  axiomes  :  «  Recevoir  pour  évident  ce  qui  n'a  besoin 
que  d'un  peu  d'attention  pour  être  reconnu  véritable;  »  et  deux  pour 
la  tnéthode  :  7*  «  Traiter  les  clioses  autant  qu'il  se  peut,  dans  leur 
ordre  naturel,  en  commençant  par  les  plus  générales  et  les  plus  sim- 
ples, et  expliquant  tout  ce  qui  appartient  à  la  nature  du  genre  avant 
que  de  passer  aux  espèces  particulién^s.  8"  Diviser,  autant  qu'il  se  peut, 
chaque  genre  en  toutes  ses  espèces,  chaque  tout  en  ses  parties,  etcha- 
r[iie  difficulté  en  tous  ses  cas,  »> 

Hnfin  dans  les  cinq  derniers  cliapitres,  Arnauld  parle  de  ce  que. 
nous  connaissons  ])ar  la  foi,  soit  humaine  suit  divine.  Il  justitie  en  la 
précisant  la  croyance  à  l'histoire,  aux  miracles  et  aux  événements 
prédits. 

277.  Nicole.  —  Pierre  Nicole,  né  à  Chartres*,  en  1025, 
iDOil  à  Paris,  en  1G95,  mérite  d'être  mentionné  pour  sa  partici- 
patiou  à  VArt  de  penser^  pour  son  Essai  (h,  morale ^  et  surtout 
comme  directeur  des  petites  écoles  où  il  forma  tant  d'hommes 
remarquables.  Racine  on  particulier.  11  était  moins  janséniste  et 
I)eut-êtr0  plus  cart 'sien  ([u'Aniauld,  ce  qui  ne  Tempêcha  pas  de 
.«s'occuper  activement  dos  Provinciales  de  Pascal.  Cependant 
avant  de  mourir  il  se  sépara  d'Arnauld  sur  la  question  de  jansé- 
nisme. Il  avait  écrit  aussi  plusieurs  autres  traités  oO  Tesprit  de 
relig"iou  Teraporte  sur  Tesprit  philosophique. 

278.  Pascal.  —  Quoi(][uc  Pascal  se  montre  peu  favorable  îi 
la  pliilosophie  et  qu'on  ne  puisse  i»as  trop  le  regarder  comme  un 
cartésien,  il  convient  cependant  d'en  parler  ici  j  et  de  le  rapprocher 
de  ses  amis  Arnauld  et  Nicole,  puisqu'il  était  comme  eux 
solitaire  de  Port-Roi/aL 

Biaise  Pascal,  fils  d'K tienne  Pascal,  second  président  de  la 
••our  des  aides,  en  Auvergrie,  naquit  à  Clermont,  Tan  1023,   Son 


702  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

pore  quitta  sa  charge  et  vint  s'étahlir  h  Paris,  pour  mieux  socet- 
per  de  l'éducation  de  ses  enfants,  et  il  fit  luî-mônie  l'éducati'^^ 
Biaise  son  unique  fils.    On  sait  comment  Pascal  trouva  t^at  «si 
à  l'Age  de  douze  ans,  une  partie  des  éléments  de  la  g-éométrie,  «r 
la  seule  définition  que  son  p5re  lui  avait  donnée  de  cette  scie&s 
Il  iut  bientôt  plus  avancé  que  ses  maîtres  en  mathématiqaes  ;  il 
s'occupa  beaucoup  des  nouvelles  théories  physiques  :    démontra  k 
pesanteur  de  l'air  et  son  action  dans  lo  baromètre    et  daos  I» 
pompes;   fit  construire  une  machilie  arithmétique  qui,  époi^si 
santé  et  dés  lors   il  no  s'occupa  plus  que  de  religion.    Il  écrivit  Is» 
Provinciales^    contre  la  morale  des  Jésuites,     d.     Tinstiganct 
d'Arnàuld  et  de  Nicole,   et  il  paraît  avoir  cité  de  bonne  foi  ài^ 
textes  que  ses   amis  lui  donnaient  tronqués.    Il  préparait  ïïêê 
démonstration  de  la  religion  catholique  et  ce   sont    les  idées  qa^i^ 
écrivait  dans  ce  but  sur  des  bouts  de  papier,  qui  recaeillîes  apr^ 
sa  mort  ont  formé  l'ouvrage  si  connu  sous  le   nom     de  Peraées. 
Trois  morceaux  détachés  qui  semblent  avoir  été  destinés  toas  y 
trois  à  entrer  dans  la  préface  d'un  traité  sur  le  Vide^  anqad  i* 
travaillait,  sont  devenues  les  trois  opuscules  connus  sous  ces  tro@ 
titres  :  De  V  autorité  en  matière  de  philosophie  ;    de  fEspri^ 
géométriqiie  ;  de  V Art  de  persuader.   C'est  dans  le  dernier  qs« 
Pascal  donne  les  régies  de  la  définition,   du  raisonnement  et  âe 
la  méthode,  telles  qu'Arnauld  les  lui  a  empruntées  et  que  bo65 
avons  déjà  fait  connaître.  La  pensée  principale  du  premier  de  es 
opuscules  est  que  V autorité,  excellente  en  .théologie,  n'a  rien  i 
voir  dans  la  philosophie  ni    dans  les  sciences  physiques  ;  et  il 
reproche  à  ses  contemporains  de  faire  précisément  le  contraire. 
C'est  pour  n'avoir  pas  suivi  aveuglément  les  plus   anciens  que  qo« 
pères  ont  pu   faire  quelque  progrès   dans  les  sciences  ;    nous  &d 
devons  donc  espérer  d'avancer  qu'à  la  même  condition.  Les  ancteas 
vivaient  daus  la  jeunesse  du  monde  ;   nous  profitons  de  lear  expé- 
rience :  c'est  donc  nous  qui  sommes  les  anciens  ;  et  c'est  fain 
injure  à    la  raison  humaine  que  do  la  déclarer  incapable  de 
progrès. 

Dans  son  Entretien  avec  M,  de  Suc//,  Pascal  décrit  admirable- 
ment le  stoïcisme  d'Epictète  et  le  scepticisme  de  Montaigne,  et 


XVIT*     SÏÈCLE    —   PASCAL  703 

dit  qu'il  trouve  gfpand  avantage  à  les  lire  tous  les  deux  ;  car  l'un 
C8t  I3  correctif  de  l'autre.  Epictcte  est,  de  tous  les  philosophes, 
celui  qui  a  le  mieux  connu  les  devoirs  de  riiorame.  Il  lui  recom- 
mande une  soumission  ahsolue  à  la  volonté  de  Dieu,  qui  fait  tout 
^avec  sagesse;  et  de  plus  il  lui  enseigne  h  accomplir  ses  devoirs 
liuniblement  et  dans  le  secret.  Mais  à  côté  de  ces  lumières,  ce 
grand  esprit  avait  aussi  de  Torgueil.  Il  croyait  que  Fhomme  peut 
faire  tout  bien  par  lui-mOme  et  se  rendre  parfait  librement  et 
par  ses  seules  facultés.  Ce  qui  le  conduit  à  d^autres  erreurs, 
comme,  que  Tàme  est  une  portion  de  la  substance  divine  ;  que  la 
douleur  et  la  mort  ne  sont  pas  des  maux,  et  que  Ton  peut  se  tuer 
quand  on  ne  sait  plus  souffrir  les  maux  de  sa  position.  Montaigne 
est  chrétien,  mais  il  a  voulu  chercher  une  morale  fondée  sur  la 
i*aison  et  il  est  tombé  dans  le  doute  universel.  Il  n'ose  rien  assurer, 
rien  affirmer,  pas  môme  son  doute,  et  il  dit  :  «  Que  sais-je  »  Il 
bat  en  broche  tous  ceux  qui  affirment  ou  nient  en  leur  demandant 
des  preuves  de  leur,  affirmation.  Par  ce  moyen  il  abaisse  à  ses 
propres  yeux  la  raison  dénuée  de  la  foi  et  la  force  à  reconnaître  sa 
faiblesse.  Mais  avec  ce  môme  principe  il  ne  connaît  pas  les  droits 
de  la  morale  et  ne  la  pratique  que  par  coutume  et  pour  faire 
comme  les  autres.  Ce  sont  les  deux  voies  qui  doivent  se  parta- 
ger les  hommes,  en  dehors  de  la  foi.  La  révélation  seule  fait 
connaître  à  l'homme  sa  force  et  sa  faiblesse  :  force  qui  vient  de 
Dieu,  faiblesse  qui  vient  de  la  nature  et  du  péché. 

On  a  souvent  opposé  la  pliilosopliie  de  Pascal,  dans  ses  petits  opus- 
cules, à  celle  qu'il  montre  dans  ses  Pensées ^  et  eu  a  dit  que  dans  les 
premiers  écrits  il  défend  avec  force  les  droits  do  la  raison  humaine, 
tandis  qu'il  rabaisse  celte  môme  raison  jusqu'à  l'anéantir,  dans  ses 
Peni<ées,  Il  nous  semble  qu'on  aurait  pu  voir  dans  les  Pensées  mènie 
la  raison  de  cette  apparente  contradiction.  Elle  vient  de  ce  mélange  de 
grandeur  et  de  faitilesse  que  Pascal  reconnaît  dans  l'homme  et  sur 
lequel  il  insiste,  en  disant  que  la  religion  seule  est  capable  de  diriger 
l'homme,  parce  ({ue  seule  elle  lui  montre  tout  à  la  fois  sa  grandeur  et 
son  néanc. 

M.  Fouillée  présente  la  mùme  opposition,  mais  il  la  présente  autre- 
ment. 8elon  lui  Pascal  reconnaît  la  matière  comme  infiniment  grande 
inir  l'étendue,  mais  il  l'anéantit  devant  la  pensée,  pour  anéantir  ensuite 
celle-ci  devant  la  charité.   En  effet,  voici  une  d(s  pensées  de  Pascal, 


701  HISTOIRE    DU     LA    PHIL080PU1K 

(|irn  cite  :  «  De  tous  les  corps  ensemble,  on  n'en  saurait  laire  wssà 
«  une  petite  peusée:  cela  est  impossible,  et  d'un*  autre  ordre.  Detw 
<f  les  corps  et  esprits,  ou  n'en  saurait  tirer  on  mouvement  de  toi 
•(  charité:  cela  est  impossible  et  d'un  autre  ordre.  »  Jusque  U% 
Fouillée  a  raison.  Mais  croirait-on  que  M.  Fouillée  condamne  ce  tm- 
siènie  ordre  dont  parle  Pascal,  l'ordre  de  la  charité,  et  l'appelieta 
mysticisme  du  moyen-àge?  Sans  doute  Pascal  était  janséniste,  tout  k 
monde  le  sait,  mais  la  doctrine  que  M.  Fouillée  lui  reproche  eoioat 
janséniste  est  la  pure  expression  de  lu  doctrine  catholique  sor  la^ 
Ce  n'est  pas  parce  qu'il  dit  que  «  Dieu  fait  tout  en  nous,  parsâgtè»* 
et  que  «  nous  ne  l'aimons  que  s'il  se  fait  aimer  de  nous  »  que  Paol 
est  janséniste  ;  pas  plus  qu'il  ne  «  reloml)e,  eu  niéconnaisiaut  bo(r 
liberté  naturelle  et  persotmelle,  dans  une  morale  de  plaisir  et dinléièl» 
parce  qu'il  dit  que  Dieu  se  fait  aimer  par  Tattrait  de  sa  grâce,  par  ^ 
attrait  spirituel.  Enfin  M.  Fouillée  reproche  à  Pascal  de  considérer b 
foi  ei  la  charité  comme  des  dons  surnaturels.  C'est  encore  one  foisb 
pure  doctrine  catholique,  et  M.  Fouillée  la  lui  reproche  comme  v» 
doctrine  personnelle-  Enfin,  s'appuyant  sur  le  texte  si  connu  de  Pâscii 
«  Trois  degrés  d'élévation  du  pôle  renversent  toute  Ja  janspraàaff- 

«  Un  méridien  décide  de  la  vérité Le  droit  a  ses  époques P^' 

*  santé  justice  qu'une  rivière  borne  !  Vérité  en  deçà  des  PfTéu&> 
«  eri*eur  au  delà.  »  M.  Fouillée  en  conclut  que  Pascal  n'admettait  •■  bi 
morale  naturelle,  ni  droit  naturel,  »  et  après  avoir  cité  avec  bon&f 
celte  autre  pensée  :  «  Il  faut  que  la  justice  de  Dieu  soit  énorme  cooioi? 
«  sa  miséricorde  :  or,  la  justice  contre  les  réprouvés  est  moins  i'oorae 
"  et  doit  moins  choquer  que  la  miséricorde  envers  les  élus,  »iï.  «  Ki«ï"* 
ajoute  :  «  Ainsi  c'est  le  Dieu  bon  qui  choque  Pascal  !  Qu'est-ce  dont 
alors  en  définitive  que  son  Dieu?  »  —  Son  Dieu,  répondroos-oon* 
encore,  c'est  le  Dieu  de  l'Eglise  catholique,  et  l'erreur  de  Pascal  0'-"^ 
nullement  dans  ces  textes.  Oui,  Dieu  est  plus  étonnanf,  quand  «/  ^ 
donne  lui-même  aux  élus,  après  leur  avoir  donné  la  grâce  mr^^*' 
relhf  pour  mériter  cette  récompense  surnaturelle,  que  loraqu'H  jw^' 
justement  ceux  qui  ont  abusé  de  sa  grâce  et  méprisé  le  sang  <l«  ^ 
Fils. 

Non,  quoi  qu'en  pense  la   rationalisme  moderne  tout  "  l'amour» 
Dieu  et  des  hommes  »  (jue  les  bommes  pourront  fondai  sur  "  i«  '^^■'^' 
aimant  et  aimable,  le  vrai  principe  de  cet  universel  amour  >  u'aUeJoani 
jamais  la  hauteur  d'un  seul  acte  d'amour  surnaturel.  Cela  est  iinpo*" 
ble,  répéterons-nous  avec  Pascal,  c'est  d'un  autre  ordre. 

Nous  prions  le  lecteur  de  ne  pas  se  méprendre  sur  notre  |)eubeC'  tn 


XVJI'^    SIECLE  —   B068UBT  703 

lisant  ce   qai   précède.    Ce   n'est  pas  Pascal v  ({Q«  nous  :avcms  voulu 
(léfeodre,  c'est  la  doctrine  catholiciue.  Quant  à  Pascal^  bien»  qu'il  soit- 
pour  nous  un  grand   esprit  et  un  grand  cœur,  nons  ne  conseillerons  • 
j;i tuais  la  lecture  de  ses  écrits»  pas  même  de  ses  Pensées;  car  outre 
l*e8|jfit  janséniste  qui  s'y  manifeste  plus  d'une  fois,  il  y  règne' un  esprit 
lie  doute  qui  peut  faire  beaucoup  de  mal;  et  la  prétenkion  dé  donner  la- 
fui  par  ie  seul  secours  de  la  raison   nous  a  tonjoisrs  paru  une  grande 
erreur.  Or  malgré  le  surnaturel  qu'on  lui  reproche,  l'onvrage  de  Pascal 
Hsl  fondé  sur  cette  prétention. 

279.  Bo88uet«  —  Jacques  Bénigne  Bossaet  naquit  a  Dijon,  en 
\627,  d'une  famille  distinguée  dans  le  parlement  de  Bourgogne. 
Il  lit  brillamment  ses  études  au  collège  de  Nayarre,  à  PAvis.De 
toutes  les  branches  des  connaissances  il  ne  néglig)e&que  les 'mathé- 
matiques, qu*il  regardait  comme  inutiles  à  la  religion j  D*abord 
évoque  de  Condom,  en. 1^9,  il  résigna  cette  charge  en'  1(^70  -pour 
se  livrer  tout  entier  à  l'éducation,  du  Dauphin.  C'est  pour'* son- 
royal  élève  qu'il  écrivit  tous  les  traités  philosophiques  que  nous  i 
avons  de  lui  :  lu  Loffique,  le  traité  de  la  Connaissance  dé  Meu 
*'t  de  soi'tnéme,  le  traité  du  Libre  arbitre^  aussi  bien  que  lé 
Discours  sur  l'histoire  universelle.  Nous  ne  dirons  rien  de  ses 
autres  ouvrages  ;  ils  sont  nombreux  et  connus.  L'éducation  du 
Dauphin  fut  achevée  en  1681,  et  Bosguet  fut  alors  nommé  évéque  . 
de  Meaux.  Il  mourut  de  la  pierre  en  1704.  Son  influence  fut  très- 
p^rande,  et  malheureusement  il  n'en  usa  pas  pour  défendre  la  vraie 
doctrine,  dans  l'assemblée  du  clergé  de  France  en  1682.  Sa  philo- 
sophie est  entièrement  classique  ;  elle  dérive  de  la  scola^ique  et 
de  Descartes  ;  il  la  présente  avec  simplicité  et  clarté;  mais  ort 
dirait  qu'il  cherche  à  éviter  d'être  profond,  si  bien  qu'il  n'a  rien 
d  original,  lui  qui  est  si  grand  dans  ses  autres  écrits. 

'^80.  Analyse  du  traité  de  la  connaissance  de  dieu  etdb  soi- 
MÊME.  —  a  La  sagesse»  dit-il  d'abord>  consiste  à  connaître  Dieu  et  à  se 
connaitre  soi-même.  La  connaissance  de  .nous-mômes  nous  doit  élever 
<i  la  connaissance  de  Dieu.  »  De  là.  la  division  de  son  traité  en  deuxi.. 
parties:  1%  connaissance  de  soi-même;  2%  connaissance  de  Dieu. 

Hossuet  étudie  dans  l'homme  :  1"  l'àrne,  2'  le  corps,  3o  Tunion  des  deux 
\Ai  chapitre  de  l'àme  divisé  en  vingt  paragraphes  traite  successivenieut 
•l"S  opérations  sensilives,  puis  des  opérations  intellectuelles. 

Dans  les  premières  il  étudie  d'abord  les  cinq  sens,  et  lait  remarquer 


706  HISTOIRE   DE  LA    PHILOSOPHIE 

que  ce  sont  là  des  facultés  de  l'àme^  quoique  leurs  instnimeats  sdes 
dans  le  corps«  Les  eensations  sont  accompa^ëes  de  pl4Ùsir  oaài^'^^ 
leur.  Le  plaisir  est  un  sentiment  agréable,  qui  convient  à  la  oater? 
la  do.uleur  est  un  sentiment  fâcheux,  contraire  à  la  nature.  —  Bos^ 
no  distinguait  pas  les  sentiments  des  sensations  —  Outre  les  dsi^» 
il  y  a  dans  l'âme  un  sens  commun  qui  réunit  les  perceptions  descir 
autres,  plus  Vim^ginaiion,  qui  reproduit  les  images  des  objets  abststi 
Puis  viennent  les  passionSy  qui  sont  l'attraction  et  la  répuisioo  a^^ 
par  le  plaisir  e^t  la  douleur.  Bossuet  les  énumèrc  et  les  classe  foœ* 
Aristote  et  saint  Thomas,  en  les  attribuant  à  Tappelit  irascihif  ^w 
concupiscible.  Enfin  comme  eux  encore  il  résume  toutes  les  pass* 
dans  l'amour. 

Dana  les  opérations  intellectuelles,  dont  l'objet  est  le  ^'Tai,  coom  » 
réputé  tel,  il  distingue  Ventendement  et  la  volonté.  L'eniendemeait  is 
l'esprit,  la  raison,  le  jugement,  est  la  lumière  que  Dieu  nous  a  *wKe 
pour  nous  conduire.  Entendre,  c'est  discerner  le  vrai  du  faux,  lo^ 
dément  redresse  les  erreurs  des  spns  ;  c'est  lui  qui  juge  des  chees 
perçues  par  les  sens,  et  surtout  de  Tordre.  C'est  le  premier  jngw»»' 
porté  sur  de  fausses  apparences,  et  non  la  perception  des  seas. 
qu'un  second  jugement  redresse.  L'entendement  juge  aussi  des  choses 
qui  ne  tombent  pas  sous  les  sens.  L'imagination,  en  créant  ûes  is^ 
fausses,  peut  nuire  à  l'entendement  :  il  ne  faut  pas  la  laisser  domiotî 
La  mémoire  se  rattache  à  l'Imagination.  L'emploi  de  ces  diverses  facei- 
tés  produit  les  trois  opérations:  entendre,  juger,  raisonner,  ^l>^i''^î 
est  une  action  par  laquelle  nous  voulons  le  bien  et  fuyons  km^ 
choisissons  les  moyens  pour  parvenir  à  Tun  et  éviter  l'aotre.  Ce  <!«' 
est  désiré  pour  l'amour  de  soi  s'appelle  fin.  Nous  voulons  ainsi  nf*-' 
sairement  le  bien  en  général,  et  librement  les  biens  particuliers-  l* 
libre  arbitre  est  le  pouvoir  de  choisir  une  chose  plutôt  qu'une  và^ 
C'est  ce  qui  nous  rend  dignes  de  louange  ou  de  blâme,  selon  que  d^ 
faisons  bien  ou  mal.  On  use  bien  ou  mal  de  sa  liberté  :  le  bou  u^^^ 
s'appelle  «er/w,  le  mauvais  s'appelle  vice.  Les  principales  veriosspfl. 
la  prudence,  la  justice,  la  force  et  la  tempérance.  Les  passioos  noiP* 
portent  au  vice,  et  ce  n'est  pas  la  raison  qui  les  guide;  "wis  elle'  ' 
guider  la  volonté.  Enfin  toutes  Ces  facultés  ne  sont  que  la  mèmean^ 
en  iant  qu'elle  fait  telle  ou  telle  chose. 

Le  corps  est  organique,  c'est-à-dire  composé  de  parties  de  dincre 
nature,  qui  ont  différentes  fonctions.  Il  a  ivois  mouvements  A  v^^^'^- 
rel,  «le  haut  en  bas;  un  autre  viiaL  de  nourriture  et  d'accroisseo^ 
le  troisième  animal^  excité  par  ccrlains  objets.  Nous  ne  pouvons  P 


J 


XVII*   SIÈCLE  —  B0S8UBT  707 

suivre  Bossuet  dans  la  description  de  toutes  les  parties  du  corps,  si 
brève  qu'elle  soit  pour  un  pareil  sujet.  On  en  a  souvent  admiré  Texac- 
tUude. 

Là  me  et  le  corps  sont  étroitement  unis.  Le  corps  est  un  par  la  cor- 
respondance de  ses  parties  et  l'àme  lui  est  unie  dans  son  tout,  comme 
à  un  seul  organe.  Si  difficile  que  soit  la  question  de  l'union  de  l'àme  et 
du  corps,  on  en  voit  quelque  chose  dans  les  opérations  de  Tune  et  de 
l'autre.  L'unie  est  visiblement  assujettie  au  corps  par  les  sensations  ; 
mais  elle  le  meut  par  la  volonté.  C'est  parce  qu'elle  est  sensllive  que 
l'àme  peut  et  doit  être  unie  à  un  corps.  La  volonté  n'a  naturellement 
aucun  pouvoir  sur  le  corps,  et  le  corps  ne  peut  naturellement  rien  sur 
l'àme  ;  mais,  parce  qu'elles  sont  unies,  ces  deux  substances  sont  dans 
une  mutuelle  dépendance  :  a  co  qui  est  une  espèce  de  miracle  perpé- 
tuel. »  —  On  voit  ici  l'inspiration  de  Descartes.  —  L'union  de  l'âme  et 
du  corps  se  voit  dans  ses  effets.  Les  sensations  sont  attachées  à  des 
mouvements  des  nerfs.  Les  nerfs  sont  ébranlés  par  les  objets  du  dehors 
qui  frappent  les  sens.  Cet  ébranlement  des  nerfs  frappés  par  les  objets 
se  continue  jusqu'au  dedans  de  la  tète  et  du  cerveau.  Le  sentiment  est 
attaché  à  cet  ébranlement  des  nerfs.  Mais  l'âme  qui  est  présente  à  tout 
le  corps,  rapporte  le  sentiment  qu'elle  reçoit  à  l'extrémité  où  l'objet 
frappe.  Quelques-unes  de  nos  sensations  se  terminent  à  un  objet  ;  les 
autres,  non.  Cependant,  ce  qui  se  fait  dans  les  nerfs,  n'est  ni  senti  ni 
connu  ;  pas  plus  que  ce  qu'il  y  a  dans  l'objet  qui  le  rend  capable  de  les 
ébranler,  ni  ce  qui  se  fait  dans  le  milieu  par  où  l'impression  de  l'objet 
vient  jusqu'à  nous.  En  sentant  nous  apercevons  seulement  la  sensation 
elle-même,  mais  quelquefois  terminée  à  quelque  chose  -que  nous  appe- 
lons objet.  Les  sensations  servent  à  l'âme  à  s'instruire  de  ce  qu'elle 
doit  rechercher  ou  fuir,  pour  la  conservation  du  corps  qui  lui  est  uni. 
Mais  cette  instruction  serait  imparfaite,  ou  plutôt  nulle,  si  nous  n'y 
joi|:nions  la  raison.  Enfin  les  sens  nous  font  encore  connaître  toute  la 
nature. 

Dans  ce  qui.  suit,  Bossuet  essaye  d'expliquer  ce  que  fait  le  corps  dans 
l'imagination  et  on  y  voit  une  ébauche  de  la  théorie  de  l'association 
des  idées,  théorie  alors  peu  connue.  Faisant  ensuite  la  même  élude 
physiologique  sur  les  passions,  il  ébauche  aussi  la  théorie  de  l'action 
réflexe  ;  mais  il  montre  trop  de  confiance  en  l'hypothèse  des  esprits 
animaux, 

«c  Voyons  maintenant  dans  le  corps  ce  qui  suit  les  pensées  de  1  ame. 
C'est  ici  le  bel  endroit  de  l'homme.»  Ici  l'âme  est  libre,  elle  commande, 
parce  qu'elle  est  plus  noble,    et  le  corps  lui  obéit  promptement.  Mais 


708  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

que  fait  le  corps  dans  les  opérations  intellectuelles  ?  D'abord  Ilntellî- 
gence,  la  connaissance  delà  vérité,  n'est  pas  une  suite  de  l'ébranleoient 
nerveux,  et  la  preuve  en  est  que  la  vérité,  comme  telle,  ne  blesse 
jamais,  si  vive  qu'elle  soit,  et  qu'elle  n'éprouve  pas  de  changeuieot, 
comme  les  sensations,  dépendant  l'intelligence  ne  s'exerce  qu'avec* 
l'aide  do  la  sensation  et  d?  l'imagination.  Là  volonté,  loin  d'être  sous 
la  dépendance  des  organes,  leur  commande,  et  par  là  devient  maîtresse 
de6  passions.  On  voit  le  môme  empire  de  l'àme  sur  le  corps  dans  l'ai- 
tention,  qui  est  une  application  volontaire  de  notre  esprit  sur  un  objet: 
mais  dans  cet  acte  l'àme  se  sert  du  cerveau,  parce  quelle  a  besoin  d^.-^ 
images  sensibles. 

Après  cela  il  n'est  pas  difficile  de  distinguer  les  mouvements  corpo- 
rels, des  opérations  de  l'àme,  quoique  ces  deux  cboses  soient  liée> 
ensemble.  Tout  ce  qui  se  fait  dans  le  corps  depuis  les  organes  Jusqu'au 
cerveau  et  depuis  le  cerveau  jusqu'aux  orgeines,  apparlient  au  corps  ; 
mais  la  sensation,  la  connaissance  et  le  commanlemcnt  de  la  volonl«'> 
sont  de  l'àme. 

Dans   le  quatrième  chapitre,  Bossuet  traite  de  Dieu,  créateur  de 
l\ime  et  du  corps,  et  auteur  de  la  vie.  L'homme  est  l'ouvrage  d'un 
grand  dessein  et  d'une  sagesse  profonde.  L'àme  d'abord,  avec  sa  tripb* 
faculté  de  connaître  la  vérité,  de  l'aimer  et  de  sentir  ce  qui   aflei-le  le 
corps  auquel  elle  est  unie,  est  admirablement  disposée  pour  sou   bon- 
heur. Le  corps  lui  aussi,  destiné  à  procurer  à  l'àme  des  sensations  el  à 
lui  servir  d'instrument  pour  ce  qu'elle  veut  faire,  n'est  pas  moins  bien 
disposé  pour  sa  double  lin.  —  C'est  la  première  preuve  de  l'existen'-e 
tic  Dieu.  —  A  ces  admirables  facultéâ  vient  se  joiudre^a  raison.  Elle  a 
pour  objet  les  vérités  éternelles,  qui  sont  Dieu  même,  où  elles  sont 
toujours  subsistantes  et   parfaitement  entendues.  —  Deuxième  preuve 
de  l'existence  de  Dieu. 

Cependant  l'àme  n'est  pas  parfaite,  et  par  rimjxîrfection  de  son  intel- 
ligence, elle  connaît  qu'il  y  a  ailieui-s  une  intelligence  parfaite. 

C'est  ainsi  quelle  s'élève  jusqu'à  Dieu,  par  la  connaissance  d'elle-mèinc. 
et  en  le  connaissant  elle  se  sent  capable  de  Taimer  ;  elle  y  vuit  qu'elle 
est  faite  à  l'image  de  Dieu.  Celte  ressemblance  s'opère  en  elle  d'abonl 
par  la  connaissance  de  la  vérité  et  elle  s'achève  par  une  volonté  droite. 
De  là,  si  elle  fait  réflexion  sur  sou  corps,  l'àme  se  connaît  supérieure  à 
lui  et  apprend  que  c'est  par  punition  ([u'elle  en  est  devenue  r.aptivc. 
tandis  qu'elle  devait'le  gouverner.  Knliu  dans  cette  connaissance  d'elle 
même  el  de  Dieu,  l'àme  voit  tous  ses  devoirs. 

Comme  "appendice  à  son  truite,  Bossuet,  dans  le  cinquième  chapilK-. 


XVir    SIKCI.K     —    IJOSSÏJET  701» 

>arlc  de  la  di/férence  entre  Vhomv^e  et  la  héte.  Et  d'abord,  les  liom- 
nos  onl  voulu  donner  du  raisonnement  aux  animaux,  pour  excuser  leurs 
«ntlmenls  dégradés,  et  ils  en  donnent  deux  arguments  :  1"  Les  animaux 
ont  toutes  choses  aussi  convenablement  que  l'homme;  2"  ils  sont  sem- 
blables aux  liomraes  dans  leurs  organes. 

Hossuet  répond,  ([ue,  si  les  animaux  iont  tout  convenablement,  ils 
lie  connaissent  pas  cette  convenance.  Celte  même  convenance  se  retrouve 
lans  touto  la  nature,  ce  qui  montre  quelle  est  l'œuvre  d'une  haute 
ntolligenco,  ^imis  non  qu'elle  agisse  avec  raison.  En  second  lieu,  si  les 
tnininux  nous  ressemblent  par  les  organes,  ils  ne  nous  ressemblent  pas 
[)ar  le  raisonnement  :  ils  n'apprennent  pas  ;  on  les  dresse  à  faire  certai- 
les  choses,  mais  sans  connaisse'! nce  de  cause.  Cle  qui  distingue  surtout 
rame  humaine  et  l'élève  au  dessus  des  bêtes,  c'est  qu'elle  connaît  Dieu, 
ie  bien,  les  vérités  éternelles,  l'ordre  du  monde,  la  perfection  de  Dieu, 
l'amour  qu'elle  lui  doit,  les  récompenses  ou  les  peines  qui  lui  sont 
réservées.  Les  animaux  n'inventent  rien.  L'homme  invente  parla  réfle- 
Kion,  par  la  liberté,  et  c'est  ce  qui  produit  lant  de  diversité  entre  les 
hommes.  Les  animaux  sont  soumis  à  l'homme,  ils  n'ont  pas  de  raison- 
nement et  l'on  ne  sait  pas  oii  s'arrête  la  ressemblance  entre  leurs  orga- 
nes et  les  nôtres. 

Il  y  a  deux  opinions  sur  le  principe  des  mouvements  des  animaux; 
L'opinion  la  plus  commune  et  la  plus  ancienne  suppose  dans  les  ani- 
maux un  instinct,  qui  est  une  sorte  de  sentiment.  L'autre  opiiiion  à 
peine  indiquée  par  deux  auteurs  précédents  a  pris  un  peu  plus  de  vogue 
depuis  M.  Descartes,  qui  attribue  les  mouvements  des  animaux  à  un 
pur  mécanisme.  Selon  la  première  opinion,  les  animaux  ont  une  âme 
sensitive,  et  leur  instinct  n*est  que  le  plaisir  et  la  douleur  que  la  nature 
a  attachés  pour  eux  à  certains  objets.  Mais  on  objecte  que,si  les  animaux 
ont  une  âme,  elle  doit  être  sans  étendue  et  indivlsii^le  et  dès  lors  spiri' 
tuelle  et  immortelle.  On  répond  qu'elle  ne  serait  spirituelle  qu'avec 
rintelligence,  qu'elle  ne  possède  pas.  Elle  n'est  donc  pas  un  corps»  sans 
être  un  esprit.  Dans  la  seconde  opinion,  il  n'y  a  pas  d'âme,  mais  seule- 
ment une  force  mise  en  mouvement  par  les  impressions  des  corps  et 
qui  meut  les  membres  en  retour.  D'ailleurs  les  esprits  changeant  de 
nature  avec  les  différents  mélanges  des  humeurs,  les  animaux  seront, 
plus  ou  moins  vifs.  On  objecte  que  cette  opinion  ne  satisfait  pas  le  sens 
commun,  et  ses  partisans  répondent  que,  si  peu  de  personnes  la  com- 
prennent, c'est  que  peu  savent  s'élever  au-dessus  des  préventions  des 
sens  et  de  l'enfance. 

Rn  finissant,  Bossnet  résume  les    facultés  de  l'âme  et  surtout  la-  eon- 


710  HISTOIRE   DE   LA    P  FIILO  SOPHIE 

naissance  des  idées,  où  il  trouve  la  connaissance  de  Dieu  et  le  déâr  i» 
rîmmorlalilé  ;  il  en  conclut  que  Tâme  est  immortelle  et  tennice  ja- 
une exhortation  à  vivre  pour  la  vie  future. 

281.  Malebranche.  —  Nicolas  Malebranche,  fils  de  Nieolif. 
secrétaire  du  roi,  naquit  à  Paris,  en  1638.  A  caase  de  satrts-fâi- 
ble  santé,  son  éducation  se  fit  presque  entièrement  dans  sa  znaûsi, 
et  il  n'en  sortit  que  pour  faire  sa  philosophie  au  ooll^  deli 
Marche,  et  suivre  les  cours  de  théologie  à  la  Sorbonne.  Enti^  àv 
la  congrégation  de  l'Oratoire,  il  ne  s'occupa  d'aboni  que  de  tra- 
vaux do  critique  et  d'érudition,  mais  la  lecture  du  TrmUà 
rhomme,  do  Descartes,  lui  révéla  sa  vocation  philosophique.  CeA 
après  dix  années  d'études  qu'il  publia  la  Eecherche  de  la  Mté, 
Plus  tard  il  publia  les  Méditations  méiaphy^'ques  et  chréU»- 
nés,  et  les  Entretiens  sur  la  métaphysique  et  sur  la  reliçi»> 
Il  mourut  d'épuisement  en  1715. 

Malebranche  est  cartésien  par  la  méthode  et  par  le  principe  ii« 
l'évidence,  et  môme  il  tient  en  si  grand  honneur  la  rne  intaitin 
de  la  raison  qu'on  lui  a  reproché  de  n'avoir  pas  toigours  maiotesa 
la  distinction  de  Tordre  naturel  et  de  Tordre  surnaturel.  Arnaok 
et  Bossuet  le  combattirent  sur  ce  point. 

Il  analyse  l'homme  comme  Bossuet,  et  par  conséquent,  il  wit 
la  philosophie  classique,  mais  plus  qu'un  autre  il  insiste  sor  b 
nécessité  de  maîtriser  les  passions,  de  s'arracher  &  la  dépeodaaee 
du  corps  et  de  l'imagination,  pour  se  livrer  à  la  raison  et  à  Dies. 
Ici  vient  la  vue  de  l'entendement  pur,  qui  n'est  autre  que  la  vision 
en  Dieu,  Dieu  possède  en  lui  les  idées  de  toutes  les  choses  qull  & 
faites  ou  qu'il  peut  faire,  et  ces  idées  sont  Dieu  lui-même.  Dies 
lui-même  se  manifeste  continuellement  à  notre  Âme  par  Tidée  de 
l'infini,  qui  est  Tidée  de  Dieu,  et  c*est  dans  cette  idée  toujours 
présente  à  notre  intelligence  que  nous  voyons,  non  pas  tdutei 
choses,  comme  on  le  fait-dire  &  Malebranche,  mais  seulement  le? 
idées  des  choses,  les  essences  des  choses,  les  vérités  étemelles. 
Cependant  chacune  de  ces  idées  ne  se  montre  actuellement  &  notn 
entendement  pur,  qu'à  mesure  que  nous  éprouvons  le  sentiment  de 
la  présence  de  l'objet  réel  de  cette  idée  ;  et  ce  sentiment,  c'est 
Dieu  lui-même  qui  le  produit  en  nous,  à  mesure  que  Tol^et  » 
trouve  présent  ;  car  les  créatures  n'agissent  pas  les  unes  sur  te 
autree. 


,  XII'   SIÈCLE  — MALEBRANCHB  T^ll 

Telle  est  la  théorie  de  Malebranche  sur  l'intelligence,  théorie  que  l'on 
a  appelée  de  la  vision  en  Dieu.  Malebranche  lui-même  n'est  pas  tou- 
jours aussi  précis,  ni  toujours  aussi  près  de  la  vérité.  Bien  des  fois  on 
pourrait  croire,  qu'il  parle  d'une  vue  directe  de  Dieu,  en  qui  nous  ver- 
rions toutes  choses  ;  ailleurs  il  semble  dire  que  nous  y  voyons  non 
seulement  les  idées  universelles,  mais  encore  les  corps^  pris  dans  le 
parlictiUer.  Nous  croyons  avoir  résumé  exactement  la  pensée  dé  Male- 
bi>anche,  et  ainsi  entendu/  on  voit  qu'il  n'est  pas  loin  de  la  théorie 
classique.  Il  s'en  écarle  cependant,  d'abord  en  ce  qu'il  n'attribue  rien 
aux  sens  et  â  la  perception  des  objets,  ensuite,  en  ce  qu'il  parait  enten- 
dre son  idée  de  l'infini,  d'une  vue  actuelle  et  continue,,  tandis  qu'il 
devrait  la  réduire  à  une  conception  habituelle. 

•  Malebranche  est  plus  exact  dans  rafl3pmation  de  runiversalitô 
de  la  raison.  Quand  nous  voyons  une  vérité  de  raison,  nous  voyons 
en  môme  temps  que  tous  les  autres  hommes  la  voient  ou  doivent 
la  voir  comme  nous.  D'où  vient  cette  conviction,  sinon  de  ce  que 
noua  voyons  que  la  raison  est  commune  à  tous  et  que  nous  la  pui- 
sons tous  à  la  môme  source  ?  Cette  raison  c'est  le  Yerbé  de  Dieu, 
qui  éclaire  tout  homme.  C'est  pourquoi  elle  est  infaillible. 

Nous  croyons  que  Malebranche  est  parfaitement  classique  dans 
sa  théorie  de  la  volonté  et  de  la  liberté^  mais  les  expressions  dont 
il  se  sert^  rapprochées  de  sa  tliéorie  sur  l'indépendance  des  créa- 
tures entre  elles  et  leur  dépendance  absolue  de  Dieu,  ont  fait  dire 
à  quelques-uns  que  Malebranche  supprime  la  liberté,*  quoiqu'il 
l'affirme  et  l'explique  absolument  comme  saint  Thomas.  M.  Bouil- 
lier,  est  de  cet  avis^  dans  le  Dictionnaire  de  M.  Franck,  et  M. 
Fouillée  va  plus  loin.  Non  seulement  il  dit  que  Malebranche  a  des 
principes  qui  nient  la  liberté,  mais  il  croit  môme  que  ces  principes 
niônent  logiquement  au  panthéisme. 

La  philosophie  de  Malebranche  nous  offre,  outre  la  vision  en 
Dieu,  deux  autres  théories  célèbres  :  ce  sont  les  caicses  occasion- 
nelles et  Voptimisme,  Malebranche  semble  dire  assez  formelle- 
ment, que  le  corps  n'agit  pas  sur  l'âme,  ni  l'Âme  sur  le  corps,  et 
môme  qu'aucune  créature  n'agit  sur  aucune  créature,  mais  que* 
Dieu  fait  tout  en  tous  les  êtres.  Mais  peut-ôtre  qu'on  a  exagéré 
ici  la  pensée  de  Malebranche.  Sa  véritable  pensée  est  peut-ôtre. 
tout  entière  dans  ce  passage  :  ^(  Il  n'y  a  qu'une  seule  cause  qui  soit 


712  HISTOIRE   DK    LA    PUM.OSOPHIE 

vraiment  cflwsa,  et  Ton  ne  doit  pas  sHmaginèr  que  ce^oi  ^mtft 
un  efSei  en  soit  la  véritable  cause.  Dieu  ne  peut  môme  «kdbiB' 
quer  ft^i  jHiiwiance  aux  créatures  ;  il  n'en  i)eut  faire  de  vériufe 
causes;  il  n'en  peut  faire  des  dieux.  »  Cette  pensée  n offre  rt 
par  elle-même  qui  ne  soit  très-juste,  et  eUe  ne  s'écarte  pas  de k 
théorie  classique  qui,  ne  donnant  qu'à  Dieu  seul  la  cauialiiêp 
mière,  appelle  les  créatures  des  causes  secondes.  Cesi  peet-t» 
<*e  qu'entendait  Malebranche  par  causes  occasionnelles, 

Ënân  Malebranche  croit  que  Dieu,  en  se  déterminant  àcàûi&' 
parmi  tous  les  mondes  possibles  celui  qu'il  a  fait,  a  choisi  «b 
qui  manifesterait  le  mieux  ses  attributs,  celui  dont  /«  loiif''^' 
raies  seraient  les  plus  simples^  celui  qui,  moins  parfait  peat-«K 
en  lui-même,  permettrait  à  Dieu  de  suivre  en  le  créant  de^r^*'^ 
plus  parfaites.  Tel  est  son  optimisme. 


288.  Fénelo».  —  François  de  Salignac  de  la  Mothe-FêadA 

Hé  aa  oliAt«a«i  de  ce  nom,  dans  le  Périgord,  l'an  1650,  ti  ^ 

études  Ki*abord  à  Cahors,  puis  &  Paris,  au  collège  du  Pkssis,f' 

enfin  à  Saint  Sulpice,  pour  la  théologie.  Ordonné  prêtre  eD  I07i 

il  voulait  aller  dans  les  missions  du  Canada,  puis  dans  eelk^'-^^ 

Levant,  mais  il  eu  fut  deux  fois  détourné  par  sa  famille.  EnH"< 

l'archevêque  de  Paris  le  chargea  de  diriger  la  maison  des  no*^ 

les  catholiques,  et  c'est  pour  elles  qu'il  écrivit  son  traita  ^' 

r Education  des  filles.  Chargé  par  le  roi,  sur  la  propositioa  àf 

Bossuet,  d*uae  mission  en  Saintonge,   pour  convertir  les  protêt 

tants»  il  no  voulut  aucun  appareil  ifiilltaire,  et  réussit  par  sa(i>)^ 

ceur.  C'est  ea  1688  qu'il  fut  chargé  de  l'éducation  da  doe  ^ 

Bourgogne,  pour  lequel  il  écrivit  le  Télémaque,  et  le  traité* 

l'Existence  de  Dieu.  Neuf  ans  après,  il  devint  archevêque  éi 

Cambrai,  et  c'est  là  qu'il  écrivit  les  Maximes  des  Saints,  qni^ 

attirèrent  une  si  violente  polémique  de  la  part  de  Bossuet,  M  l^i 

procurèrent  l'occasion  de   montrer  sa  parfaite   soumission  wx 

«lécrets  du  Saint-Siège.  Presque  en  même  temps  on  vit  éclater.^ 

patience  et  sa  soumission  à  la  volonté  de  Dieu,  lorsqu'au  k(^* 

dévora  sa  bibliothèque  et  ses  manuscrits.    La  publication  de  «^ 

Télémaque,  faite  par  un  secrétaire  infidèle,  lui  attira  la  disgf^ 

de  Louis  XIV,  et  il  dut  vivre  dans  l'isolement.  Son  disciple,  l^'^* 


XVU*   SIÈrCLB    —   PÉNELON  7J3 

de  Bourj^ogne,  ne  Tabandonnaj ornais/ mais  il  moôf ut  avant  lui. 
Fénelon  mourut  lui-môme  à  Cambrai,  Tan  1715,  neuf  mois  avant 
le  roi. 

La  philosophie  de  Fénelon  est  tout  à  la  fois  cartésienne  et  clas- 
sique, et  elle  n*oiFrirait  rien  de  particulier,  sans  la  réfutation  de 
Toptimisme  de  Malebranche  et  de  son  système  sur  la  grâce,  et  sans 
le  quiétisrne  condamné  avec  les  Maximes  des  Saints. 

Dans  la  Réfutation  du  système  du  P,  Malebranche,  sur  la 
nature  et  la  grâce,  Fénelon  partant  du  principe  admis  par  Tora- 
torion,  que  Dica  est  déterminé  invinciblement  à  créer  le  meilleur 
mondé  possible,  démontre  que  dès  lors  le  monde  devient  nécessaire 
et  éternel,  inséparable  de  la  perfection  divine,  et  Dieu  lui-même. 
Il  réfute  aussi  une  autre  opinion  du  P.  Malebranche,  selon  laquelle 
la  Providence  de  Dieu  ne  s'étendrait  qu'aux  lois  générales.  Il 
défend  aussi  énergiquement  la  liberté  contre  les  théories  du  P.  Male- 
branche, qui  malgré  lui  semblait  les  anéantir. 

Dans  le  livre  des  Maxiyties  des  Saints,  Fénelon  pousse  trop 
loin  la  doctrine  tout-ù-fait  catholique  du  pur  amour  de  Dieu,  et 
contrairement  &  son  intention  il  prêche  Tanéantissei^ent  de  Tacti- 
vité  humaine,  dans  un  acte  perpétuel  d'amour'  de  Dieu,  d*oû  il 
veut  qu'on  exclue  tout  retour  sur  soi-même,  et  où  Dieu  fait  tout, 
sans  que  l'Ame  s*en  occupe.  C'est  le  quiétisme,  qui  fut  condamné 
à  l'instigation  de  Bossuet. 

283.  Analyse  du  Traité  de  l'Existence  de  dieu.  —  Dans  la 
pensée  de  Fénelon,  ce  livre  n'était  que  Tébauche  d'un  grand 
ouvrage  qu'il  n'acheva  pas.  Il  se  compose  de  deux  parties: 

l**  Partie:  Vexistence  de  Dieu  démontrée  par  les  merveil- 
les de  la  nature. 

Chapitre  premier.  Aspect  général  de  l'univers»  —  a  Je  ne 
peux  ouvrir  les  yeux  sans  admirer  l'art  qui  éclate  dans  toute  la 
nature  :  le  moindre  coup-d'œil  suffît  pour  apercevoir  \^  main  qui 
fait  tout.  9 

Lpi  connaissance  de  Dieu  par  son  idée  est  une  voie  plus  courte  et 
plus  sûrcp  mais  elle  n'est  pas  accessible  à  tous,  tandis  que  l'autre 
voie,  moins  parfaite,  montre  Dieu  dans  ^es  oeuvres,  aux  esprits 
les  plus  médiocres.  Si  tous  les  hommes  ne  voient  pas  cette  démons- 

40 


714  HISTOIRE    DE     LA    PHILOSOPHIE 

tration  sensible,  c'est  que  les  passions  les  préoccupent  et  les  abeor- 
bent.  Car  toute  la  nature  montre  l'art  infini  de  son  auteur. «Qii»»i 
je  parle  d'un  Art,  je  veux  dire  un  assemblage  de  moyens  cboisii 
tout  exprès  pour  parvenir  à  une  fin  précise  :  c'est  un  ordre,  un  des- 
sein suivi  ;  le  Hasard  est  au  contraire  une  cause  aveugle  et  néces- 
saire, qui  ne  prépare,  qui  n'arrange,  qui  ne  choisit  rien,  et  qai  n'a 
ni  volonté  ni  intelligence.  Or,  je  soutiens  que  l'Univers  porte  k 
caractère  d'une  cause  infiniment  puissante  et  industrieuse  ;  je  sou- 
tiens que  le  Hasard  ne  peut  avoir  formé  ce  tout.» 

Après  avoir  ainsi  exposé  sa  proposition,  Fénelon  rappelle  ks 
comparaisons  des  anciens  :  comment  des  lettres  jetées  ao  hasard 
ne  sauraient  jamais  composer  l'Iliade  ;  comment,  en  entendant  nae 
Ijelle  harmonie,  on  ne  pourrait  penser  que  le  vent  agite  au  hasard 
les  cordes  des  instruments,  etc.  «Qui est-ce  qui  a  suspendu  ce  globe 
de  la  terre  ?»  Sa  stabilité,  quand  tout  passe  sur  elle,  sa  fécondité 
que  rien  n'épuise,  les  avantages  et  les  charmes  qu'offrent  lùème^ 
ses  inégalités,  la  séparation  même  de  ses  divers  produits,  qui  oblige' 
les  hommes  h  se  connaître  :  tout  cela  montre  le  dessein  de  la 

Providence. 

Chapitre  deuxième.  —  Les  priiicipales  merveilles  de  fUm- 
r^s.— L'air,laterreet  l'eau,  sont  trois  mondes  distincts,mai8  on  ne 
saurait  les  séparer  sans  les  détruire.  Tout  ce  que  la  Terre  produit. 
se  corrompant,  rentre  dans  son  sein,  et  devient  le  germe  d'une  nou- 
velle fécondité.  Cette  mère  nous  rend  avec  usure  plus  d'épis  qu'elW 
n'a  reçu  de  grains.  Les  fieurs,  les  fruités  les  bois  des  arbres,  l« 
marbres  et  autres  pierres  que  la  terre  recèle  dans  ses  entrailles, 
tout  cela  est  pour  la  commodité  de  l'homme.  L'eau,  ce  corps  liquida 
clair  et  transparent,  est  assez  fiuide  pour  parcourir  la  terre  avec 
rapidité,  et  se  laisser  parcourir  par  les  poissons,  tandis  qu'elle  est 
assezden8epoursoutenirlespoissonsetlesvaisseaux,assezlouTdepour 

mouvoir  des  machines  par  son  poids,  assez  légère  pour  s'élever  en 
vapeur  au-dessus  de  nos  têtes  et  retomber  en  pluie,  jusque  snr  les 
haute3montagne8,d'oùelleredescendra.Elledésaltôreleshommes,l€S 

animaux  et  les  campagnes  ;  et  l'Océan,  rendez-vous  de  toutes  le* 
rivières,  est  aussi  le  rendez-vous  de  tous  les  peuples,  qu'U  semble 
séparer.'  L'air,  assez  substil,  assez  transparent,  pour  que  la  lumière 
des  étoUes  placées  à  des  distances  infinies,  le  traverse  en  un  inê- 


XVII«   SIÈCLE  —    FÉNKLON  715 

• 

tant,  et  pour  ne  pas  nous.asphixier  comme  Teau,  est  pourtant 
assez  dense  pour  porter  les  nuages,  pour  faire  avancer  les  vais- 
seaux et  tout  chasser  devant  ses  tempêtes  qui  purifient  notre 
séjour.  Tandis  que  ce  fluide  échappe  à  tous  les  regards  sa  compo- 
sition n'a  pas  échappé  au  génie  de  Thomme.  «  Un  gaz  mortel  uni 
à  lin  gaz  actif  et  dévorant,  tels  sont  les  éléments  de  l'air. 
Séparés,  ils  eussent  donnés  la  mort  ;  réunis,  ils  alimentent  la  vie. 
Quel  est  celui  qui  les  a  mesurés  avec  tant  de  justesse  que  les  plus 
légers  changements  dans  leur  proportion  anéantiraient  tout  ce  qui 
existe  sur  le  Globe  ?  >;  a  Vojez-vous  ce  feu  qui  paraît  allumé  dans 
les  astreSy  et  qui  répand  partout  sa  lumière  ?  Yojez-vous  cette 
flamme  que  certaines  montagnes  vomissent,  et  que  la  Terre  nourrit 
de  soufre  dans  ses  entrailles?  ce  même  feu  demeure  paisiblement 
caché  dans  les  veines  du  cailloux,  et  il  j  attend  à  éclater,  jusqu*à 
ce  que  le  choc  d*un  autre  corps  l'excite,  pour  ébranler  les  villes  et 
les  montagnes.  L'homme  a  su  l'allumer  et  l'attacher  à  tous  ses 

usages Les  Anciens  admirant  le  feu,  ont  cru  que  c'était  un 

trésor  céleste  que  Thomme  avait  dérobé  aux  Dieux.» 

«  Il  est  temps  d'élever  nos  yeux  vers  le  Ciel.  Quelle  puissance 
a  construit  au-dessus  de  nos  têtes  une  si  vaste  et  si  superbe  voûte?» 
Quelle  variété  admirable,  quelle  régularité,  quelle  exactitude  dans 
le  cours  des  astres.  Le  soleil  par  son  rapprochement  successif  des 
deux  pôles  suffît  aux  deux  hémisphères.  Plus  grand,  ou  plus  rap- 
proché, il  embraserait  la  terre  :  plus  petit,  ou  plus  éloigné,  il  la 
laisserait  glacée  et  stérile.  Tout  cet  ordre  admirable  du  monde 
prouve  l'action  d*un  Dieu  infiniment  sage  et  infiniment  puissant. 
Féuelon  termine  ce  chapitre  par  l'examen  de  Timmensité  des  astres 
et  des  merveilles  des  infiniments  petits,  et  il  trouve  avec  raison 
que  Dieu  n'est  pas  moins  admirable  dans  ces  derniers  êtres  que 
dans  les  autres. 

Chapitre  troisième.  Les  animaux. —  Par  un  instinct  admirable, 
les  animaux  recherchent  ce  qui  leur  est  utile  et  fuient  ce  qui  leur 
est  nuisible.  Que  l'on  attribue,  si  Ton  veut,  à  une  sorte  de  raison- 
nement leurs  admirables  industries,  ou  qu*on  les  fasse  venir  de 
l'iustihct,  on  n'y  verra  pas  moins  une  sagesse  admirable  qui  a  tout 
prévu,  tout  ordonné.  Et  les  fonctions  nutritives  !  Quoi  de  plus  beau 
qu*une  machine  qui  se  répare  et  se  renouvelle  elle-même  ?  El  le 


7Î0  HIBTOIRB  DE  LA   PHILOSOPHIE 

sommeil  qui  suspend  tous  les  mouvements  extérieurs  poarûr^ 
ser  la  nutrition  !  Et  la  reproduction,  la  conservation  des  es^»^ 
tandis  que  tous  les  individus  périssent  !  Que  pensera it -on  d^ask* 
loger  qui  saurait  faire  des  montres  qui  d'elles-mêmes  en  prodoi^i^ 
d'autres,  k  Yinûm  ?  La  génération  est  une  merveille  qu'âflc^ii»^^ 
tème  n'a  pu  expliquer.  Là-dessus,  Fênelon  revient  à  rinstiid  a 
animaux  et  remarque  que,  malgré  quelques  fautes,  il  estififii^^ 
ble,  et  que,  de  quelque  façon  qu'on  l'explique,  il  n'en  reste pasis^ 
une  merveille  opérée  par  le  créateur.  Il  semble  adopter  l'ùfj^i 
de  Descartes,  que  les  bêtos  n'ont  pas  d'âme. 

Chapitre  quatrième.  I/'Aomme.— D'abord  daas  le  corps,  qai^ 
pitri  de  boue,  quelle  merveilleuse  construction  :  les  os,  les  d0î*. 
les  muscles  disposés  pour  concourir  aux  mômes  fins.  La  yeu\^ 
recouvre  les  chairs,  rend  agréable  à  voir  un  objet  qui  ferait  fe*" 
reur.  Les  artères  et  les  veines  sont  les  canaux  du  sang,  qoi  a«* 
la  chair  comme  les  rivières  arrosent  la  terre.  Tout«  la  cbarpei* 
de  l'édifice,  les  organes  internes,  les  membres  et  les  organes  à» 
sens,  tout  est  admirablement  construit  pour  l'entrietien  de  h  y» 
et  pour  le  service  de  l'âme. 

Mais  Tâme  elle-même  est  bien  plus  belle  que  le  corps.  Ell«  b's^ 
point  matière  :  la  matière  ne  peut  penser.  Et  pourtant  c^  ^ 
êtres  si  dissemblables  sont  si  intimement  unis  dans  rhomffl^ 
Quelle  main  a  pu  lier  ces  deux  extrêmes  ?  Leur  dépendeace  (^ 
mutuelle.  L'empire  de  Tàme  est  souverain,  sur  le  corps,  et  ^ 
tant  Tâme  elle-même  en  reçoit  des  impressions  et  souffre  des  é^ 
leurs  du  corps.  Et  l'esprit  en  lui-môme  est  bien  plus  admi»^- 
Il  a  l'idée  de  l'infini;  il  ne  connaît  le  fini  que  dans  l'idée  del'iBfc 
Ses  idées  sont  universelles,  éternelles  et  immuables.  Et  d'on  asu? 
côté,  que  de  faiblesse  dans  ce  môme  esprit!  que  d'ignorance,  qne  off- 
reurs !  Mais  les  idées  sont  la  règle  immuable  de  nos  jugements,  U 
raison  est  la  même  dans  tous  les  hommes  de  tous  les  siècles  et  detos 
les  pays.  Cette  raison  qui  réside  dans  l'homme,  c'est  Diea  m^**- 

L'unitédont  j'ai  une  idée  très-exacte,  puisqu'elle  est  le  fos"*^ 
ment  de  tous  les  rapports  nuinériques,  qui  sont  si  certains,  rnoi^* 
que  je  n'ai  jamais  perçue  par  mes  sens,  est  encore  une  preuTô  « 
Texistence  de  Dieu.  Cette  idée  me  montre  d'abord  qu'il  j  a  ^ 
substances  qui  ne  sont  pas  matérielles,  et  de  plus  qu'il  v  a  ^^ 


XVII*   SIÈCLE     —   FÈNBLON  717 

substance  parfàitemeiit  une,  source  de  cette  idée  que  j'ai  de  l'unité 

parfaite. 

L'imperfection  que  je  vois  dans  mon  âme  me  prouve  qu  elle 
n'est  pas  par  elle-même,  qu'elle  dépend  de  quelqu'un,  et  cette 
dépendance  m'aifirme  encore  qu'il  y  a  un  Dieu. 

Le  bon  vouloir  que  je  trouve  quelquefois  en  moi  et  qui  ne  m'est 
pas  essentiel,  puisque  je  puis  vouloir  le  mal,  me  dit  encore  qu'il 
est  un  être  souverainement  bon,  qui  est  l'auteur  de  mon  bon  vou- 
loir. Cependant,  mon  vouloir  m'appartient,  et  l'on  ne  peut  s'en 
prendre  qu'à  moi  si  je  ne  veux  pas  ce  qu'il  faut  vouloir;  je  ne  suis 
pas  contraint  dans  mon  vouloir  ;  je  ne  suis  pas  nécessité  non  plus  ; 
je  veux  parce  que  je  veux  :  je  suis  libre.  C'est  cette  exen^ption  de 
contrainte  et  de  nécessité,  qui  me  rend  blâmable  quand  je  faâs  mal, 
louable  quand  je  fais  bien.  Cette  liberté  dépendante  me  prouve  qu'il 
y  a  une  liberté  parfaite  dont  je  ne  suis  que  l'image, 

Chapitre  cinquième.  Ré fiUation  des  Epicuriens.  —  Certains 
philosophes  objectent  que  la  nature  n'est  pas  l'œuvre  d'un  dessein 
prémidité.  L'homme,  disent-ils,  se  sert  des  choses  qu'il  trouve 
dans  la  nature,  mais  ce  n'est  pas  à  dire  qu'elles  soient  faites  pour 
cet  usage.  Ainsi  le  villageois  grimpe  au  sommet  d'une  montagne 
par  des  pointes  de  rochers,  ou  s'abrite  dans  une  caverne  ;  en  ne 
peut  pas  dire  pour  cela  que  ces  choSes  aient  été  faites  dans  ce  but. 
C'est  le  hasard  qui  a  formé  lu,  nature,  et  l'homme  l'emploie 

telle  qu'il  la  trouve . 

Fénelon  réfute  cette  objection  par  l'exemple  d'une  maison  où 
tout  est  disposé  à  propos  et  dont  on  ne  saurait  dire  en  l'examinant 
que  les  détails  en  aient  été  fournis  par  le  hasard . 

Mais  on  objecte  encore  que  les  atomes  dans  leur  mouvement 
éternel  peuvent  prendre  un  nombre  infini  de  combinaisons  ; 
chacune  de  ces  combinaisons  peut  arriver  par  hasard,  aussi  bien 
celle  que  nous  admirons,  que  les  autres.  Ainsi,  l'Iliade  est  une  des 
combinaisons  innombrables  que  peuvent  fournir  les  lettres  qui  la 
composent.  Cette  combinaison  a  donc  pu  venir  à  Son  tour,  ansai 
bien  qu'une  autre. 

Fénélon  répond  d'abord  qu'un  nombre  infini  est  impossible.  Or 
si  le  nombre  infini  était  réalisable,  toutes  les  combinaisons  possi- 
bles des  atomes  s'y  rencontreraient.  Mais  cet   infini  ne  peut  pas 


718  HISTOIRE  DE  LA  PfllLOSOPBIE 

être.  Si  Ton  voyait  surgir  tout-à-coup  an  palais  dans  bk 
ddserte,  on  pourrait  encore  supposer  que  le  hasard  a  pn  proàr» 
le  monde.  Mais  cela  n'est  pas.  D'ailleurs,  comment  suppjsff  k 
atomes  éternels  ?  L'éternel  est  parfait,  les  atomes  ne  le  miTs 
Et  comment  admettre  un  mouvement  essentiel  dans  1»  av)i!i« 
lorsque  nous  voyons  si  souvent  les  corps  en  repos?  D'ailte/is 
mouvements  que  nous  voyons  dans  les  corps  sont  tr^vaRâfeB 
ils  n'ont  donc  rien  d'essentiel.  Enfin  le  mouvement  sappî®  si 
premier  moteur.  Mais  encore,  avec  Je  mouvement  esseuty  « 
rectiligne  que  supposent  les  Epicuriens,  aucune  agrgrégatic«a«< 
atomes  n'est  possible.  Le  clinamen  qu'ils  font  interTeoIr  es 
contradictoire  à  leur  principe  du  mouvement  essentiel.  Al^arfe 
en  cela,  ils  sont  ridicules,  quand  de  ce  clinamen  ils  font  bïcî 
l'Âme  intelligente  et  la  liberté. 

Ainsi  l'univers  et  l'homme  sui'tout  sont  l'œuvre  d'ondêSKU 
suivi  et  démontrent  Dieu . 

2"  PARTIE.  L*  existence  deBîeit  démontrée  par  les  idées  in*-^- 
lectuelles.  «  Il  me  semble  que  la  seule  manière  d'éviter  t'^ 
erreur  est  de  douter  sans  exception  de  toutes  les  choses  dansfe 
quelles  je  ne  trouverai  pas  une  pleine  évidence.  »  Je  me  défie  â* 
des  préjugés,  des  impressions  des  sens,  de  tous  les  êtres  qoej^»' 
cru  apercevoir.  Peut-être  bien  ai-je  été  jusqu'ici  dans  un  r^^* 
dans  une  longue  illusion  ;  je  veux  donc  douter  jusqu'à  ce  f[^}' 
trouve  quelque  chose  d'invincible.  «  0  raison  !  où  me  jetez-vsu* 
où  suis-je  ?  » 

Mais  j'ai  beau  vouloir  douter,  je  ne  puis  douter  que  moi  v 
doute,  je  suis.  Le  doute  est  une  pensée  ;  la  pensée  ne  pont  c\y^ 
fait  du  néant.  Voilà  qui  est  pour  moi  une  idée  claire  et  c\i^*'' 

Une  idée  claire  est  uno  règle  qui  me  force  à  juger.  ^g\^P 
pousser  le  doute  jusqu'à  contredire  mes  idées  claires.  Les  ii- 
claires  sont  ma  raison  et  la  raison  de  tous.  Si  cette  vmon  étii 
fausse,  l'Esprit  qui  l'aurait  faite  serait  encore  créateur  et  toav 
puissant.  La  vérité,  c'est  l'être,  et  si  rien  n'est  vrai  àhnsso^^ 
intelligence  elle-même  n'existe  pas.  Mais  qu'est-ce  qu'un  nénï' 
qui  doute?  Donc,  si  je  pense  j'ai  quelque  portion  de  vériHî'^^ 
que  portion  d'être,  et  d'ailleurs  l'être  créateur  et  tout-puissaût» 
^,us8i  parfait,  Il  est  donc  vrai  :  donc  il  ne  me  trompe  pas. 


XVI1«   SIÈCLE  —  FÉNBLON  719 

Ainsi  douter  des  vérités  évidentes  est  une  erreur  aussi  grande 
que  de  croire  légèrement  à  celles  qui  ne  le  sont  pas.  Or,  je  trouve 
ainsi  quatre  vérités  certaines  :  1°  je  pense,  puisque  je  doute;  2^  je 
suis  un  être  dont  la  nature  est  de  penser  ;  3^  une  môme  chose  ne 
peut,  tout  ensemble,  exister  et  n'exister  pas  ;  4©  je  puis  affirmer 
d'crne  chose  tout  ce  qui  est  clairement  renfermé  dans  l'idée  de  cette 
chose.  —  On  voit  que  jusqu'ici  Fénelon  suit  Descartes  pas  à  pas. 
Ces  quatre  vérités,  voilà  mon  bien.  Mais  je  suis  bien  pauvre. 
Je  connais  ce  que  j'appelle  moi,  et  rien  au  delà.  Peut-être  que 
rien  n'existe  de  ce  que  je  crois  apercevoir.  Et  ce  moi  que  je  con- 
nais qu'est-il  ?  Ai-je  toujours  été  ?  ai-je  commencé?  Il  y  a  toute 
apparence  que  j'ai  commencé.  Mais  alors,  me  suis-je  fait  moi- 
même?  C'est  impossible.  Tout  vi^  donc  à  me  demander  :  Suis-je 
par  moi-môme  ou  par  un  autre  ? 

Chapitre  deuxième.  Preuves  métaphysiques  de  V existence  de 
Diexi.  —  i«  preuve.  L'être  qui  est  par  lui-môme  possède  la  suprême 
perfection.  L'être  communiqué,  si  parfait  qu'on  le  suppose,  sera 
toujours  inférieur  à  l'être  par  soi.  Or,  il  est  manifeste  que  je  ne 
suis  pas  cet  être  parfait.  Je  ne  sui^  donc  pas  par  moi-même.  Je 
suis  par  autrui,  et  celui  qui  m'a  fait  passer  du  néant  à  l'être,  doit 
être  par  lui-môme.  Voilà  donc  la  première  vérité  qui  luit  à  mes 
yeux.  Mais  quelle  vérité  !  celle  du  premier  Etre! 

2' jir<?wî5^.  L'idée  de  l'Infini  est  en  moi.  Elle  est  précise;  elle 
n'est  ni  confuse,  ni  négative.  Cette  idée  est  en  môme  temps  celle 
de  la  perfection,  de  la  bonté,  de  l'être  infiniment  bon  et  parfait. 
Cette  idée,  je  ne  l'ai  prise  ni  de  moi-même,., ni  du  néant.  Donc, 
l'Etre  infini  existe  et  c'est  lui  que  je  vois,  quand  je  conçois  l'infini. 
3*  j3rewî?e.  J'ai  aussi  l'idée  d'un  être  nécessaire.  Je  le  conçois 
comme  existant  nécessairement,  parce  qu'il  est  infini  ;  je  ne  puis 
le  concevoir  comme  n'existant  pas.  C'est  encore  une  idée  claire, 
qui  ne  peut  être  qu'une  vérité.  Donc  l'être  nécessaire  existe. 

Chapitre  \xomJ^£ù&,  Réfutation  du  Spinosisme,  —  Mais  il  reste 
une  difficulté  ;  la  voici:  Il  est  vrai,  dit-on,  que  j'ai  l'idée  de  l'infini 
et-que  cette  idée  suppose  un  infini  réel.  Mais  cet  ôtre  infini  n'est-il 
pas  l'univers  lui-même?  Des  ôtres  en  nombre  infini,  dans  une  éten- 
due infini,  toujours  unis  dans  un  même  tout,  sans  pouvoir  en  sortir, 
et  formant  par  là-même  un  tout  indivisible,  constituent  bien  un 


720  HIBTOIRB  DE    LÀ    PHILOSOPHIE 

ôtre  infini.  Et  de  plas  lo  moayement  des  parties  n'empéée 
rimmobilite  du  tout  &  cause  de  son  inanité  :  il  est  donc  mBaà 
De  plus^  par  le  nombre  infini  des  êtres   qu'il  contient,  il 
toutes  les  perfections  :  c'est  donc  TEtre  parfait. 

Voilà  la  difficulté  ;  mais  elles  s'évanouit  en  l'examinant  dep; 
En  effet,  le  tout  n'est  que  l'ensemble  des  parties,  et,  si  toatesl 
parties  sont  changeantes,  le  tout  est  changeant  avec  eDes.  L'i 
que  Ton  fait  bouillir  dans  un  vase  bien  fermé,  ne  change  ptf< 
lieu,  comme  mouvement  externe,  mais  elle  change  de  lies 
toutes  ses  parties,  et  par  suite  le  tout  change  d'un  moai 
interne.  L'univers  ainsi  conçu  serait  donc  changeant  eioeH 
drait  pas  à  l'idée  de  l'être  parfait. 

•    De  plus,  dans  ce  tout,  les  parties  seraient  distinctes  et  le  tMT.i 
serait  pas  simple.  Pour  qu'il  fut  simple  il  faudrait  qnc 
partie  fut  le  tout,  et  que  toutes  les  parties  fassent  la  même] 
Ainsi  l'air  serait  l'eau,  l'eau  serait  la  terre,  etc.   Donc  Finii 
manque  d'unité  et  ne  peut  être  infini. 

Ce  composé  ne  pourrait  exister  par  soi;  car  il  faudrait  que  d* 
que  atome  exist&t  par  lui-môme.  Mais  alors,  il  serait  paiitic  â 
infini,  tandis  que  dans  i'hjpothèse,  la  perfection  résulte  de  !> 
semble.  Il  est  k  remarquer  que  tout  composé  est  borné,  pant 
qu'on  peut  toijgours  supposer  une  de  ses  parties  absentes,  sang<^ 
les  autres  soient  détruites.  Pour  les  mêmes  raisons,  nne  i^^ 
d'êtres  infinis  ne  répond  pas  à  Tidée  de  Finfini.  Car  ils  seax^ 
ipfjië  distincts  et  indépendants  et  par  suite  l'absence  dan  oià 
plusieurs  ne  détruirait  pas  les  autres,  mais  détruirait  l'infinité  à 
tout.  En  sorte  que  oet  infini  pourrait  cesser  d'être  infini. 

Chapitre  quatrième.  Le  la  nature  des  idées.  «  En  un  sens  iw 
idées  sont  moi-même  ;  car  elles  sont  ma  raison  ;  quand  une  prop 
sltiôn  est  contraire  à  mes  idées,  je  trouve  qu^ello  est  contraire^ 
tout  moi-môme,  et  qu'il  n'j  a  rien  en  moi  qui  n'j  résiste,  s  Mii? 
mon  esprit  est  changeant  et  mes  idées  sont  immuables.  Elles  ai 
sont  donc  pas  moi.  Elles  ne  sont  pas  non  plus  ces  êtres  partics- 
liers  qui  païuîssent  autour  de  moi,  pour  la  même  raison.  €epe>^ 
dant  elles  sont  toujours  vraies  :  elles  ont  donc  nn  oljet  r^ 
«Quoi  donc!  mes  idées  seront-elles  Dieu?  Supérieures  à  m» 
esprit,  elles  ^nt  universelles,  immuables,  subsistantes»  étemete* 


XVll*   SIÈCLE  —   FÉNBLON  721 

C  est  donc  Dieu  que  je  vois  dans  mes  idées.  Le  Dieu  qui  mé  fait 
ôtre  est  l'auteur  et  Tobjet  de  ma  pensée. 

Mais  alors  d'où  rient  que  mes  idées  sont  imparfaites,  distinctes^ 
comment  s'appliquent-elles  à  des  objets  bornés,  à  des  individus  ? 

L'être  qui  est  par  lui-môme  renferme  en  lui  la  plénitude  de  l'être 
non  par  multiplicité,  mais  par  totalité  intensive.  En  ce  sens  il 
voit  en  lui  une  infinité  de  degrés  de  perfection,  modèles  de  natures 
possibles,  qu'il  est  libre  de  tirer  du  néant.  Voilà  la  source  des  vrais 
universaux,  des  genres,  des  différences  et  des  espèces.  La  percep- 
tion de  ces  degrés  de  l'être  de  Dieu,  ce  sont  nos  idées,  et  celles-ci 
sont  imparfaites,  parce  que  Dieu  ne  nous  montre  pas  tous  les  degrés 
infinis  d'être  qui  sont  en  lui.  C'est  ainsi  que  nos  idées  sont  un 
mélange  de  Tinfini  et  du  fini.  Nos  erreurs  ne  viennent  pas  de  nos 
idéee^  mais  de  la  précipitation  du  jugement  qui  ne  les  consulte  pas. 
•  Mais  comment  Dieu  se  rend-il  présent  à  Y  Ame  ?  par  quelle  image? 
C*é6t  sans  moyen  et  sans  image,  mais  par  lui-*mÔme,  car  seul  il  est 
par  soi  et  dês-lors  intelligible  par  soi;  l'Etre  infini  est  présent  à  tous. 
Quant  à  l'être  individuel.  Dieu  qui  le  fait  ôtre  lui  donne  une  intel- 
ligibilité propre^  mais  comme  mon  intelligence  n'est  pas  plus  faite 
pour  cet  être  que  pour  un  autre,  etque^i'ailleurB  nous  n'avons  tous 
deux  qu^nn  être  sans  cesse  emprunté,  c'est  Dieu  qui  en  créant  mon 
intelligence  lui  donne  cet  être  pour  objet  actuel.  —  Jusqu'ici  Pêne- 
Ion  suit  MalelH*anche  et  nous  pensons  que  c'est  bien  la  pensée 
exacte  de  oe  dernier  qu'il  expose. 

Chapitre  cinquième.  Nature  et  attributs  de  Diett.  —  Mais  je 
ne  connais  pas  encore  assez  l'Etre  premier.  Je  l'ai  appelé  infini  ; 
mais  ce  mot  est  superflu.  Qui  dit  «Etre»  dit  tout.  Je  ne  puis  pas 
mieux  l'appeler  Esprit,  sans  le  limiter.  Il  possède  éminemment  ce 
qu^l  y  a  de  positif  dans  Tîntelligence,  mais  sans  les  limites.  Il  pos- 
sède éminemment  l'être  de  tous  les  êtres. 

L'être  qui  est  par  lui-même  est  un  ;  car  le  composé  ne  peut  être 
parfait.  Il  ne  saurait  y  avoir  deux  êtres  parfaits  ;  fun  excluant  la 
perfection  absolue  de  l'autre.  Dieu  est  infiniment  simple  ;  il 
est  éternel,  immense  ;  il  sait  tout  ;  il  connaît  les  êtres  tels  qu'ils 
sont  :  or,  ils  né  sont  que  par  lui,  c'est  donc  en  *lùi^môme  qu'il  les 
connaît.  Tous  ces  attributs,  Fénelon  les  démontre  longuement 
par  toutes  les  idées  qui  précèdent,  et  termine  par  une  prière.  «  G 


722  HISTOIRE  DB  LÀ   P1IIL080PUIS 

bonté  qui  n'dtcs  pas  moins  inûnie,  que  les  autres  perfectionné» 
mon  Dieu,  pardonnez  les  bégaiements  d'une  lang'ue  qui  ne  peè 

s'abstenir  de  vous  louer,  et  les  défaillances  d'un  esprit  qo«  ^5 
n'avez  fait  que  pour  admirer  votre  perfection .  > 

S    4.  GARTiSin  s    DISSIDENTS 

284.  Spinoza.  —  Baruch  Spinoza  (ou  Spmosa),né  à  km^ 

dam.  Tan  1632,  d'une  famille  de  juifs  portugais,  reçut  uae  àJi* 

tion  soignée,mais  son  maître  Van  den  Ënde^passait  poureosàgiff 

l'athéisme  à  ses  élèves.  Après  avoir  étudié  avec  ardeur  la  théols- 

gio  et  la  physique,  il  lui  Descartes  et  y  puisa  les  principes  de  a 

philosophie.  Dès  lors  il  douta  des  doctrines  de  la  sjnagogoa,** 

évita  la  société  des  rabbins.  Ceux-ci,   ne  pouvant  le  raaeia, 

essayèrent  de  le  faire  assassiner,  mais  le  coup  n'ayant  pas  ^^ 

ils  l'excommunièrent.  Spinoza  quitta  Amsterdam,  se  fit  polissf 

de  verres  pour  les  lunettes  et  devint  très-habile  dans  cet  art.  Il 

partageait  son  temps  entre  ce  travail  et  Tétude.  Atteint  depbtki- 

sie,  depuis  sa  jeunesse,  il  vivait  très-sobrement,   et  ft^ait  ^ 

manières  douces  et  paisibles.  A  ce  moment  il  admettait  toate» 

religions,  comme  également  capables  do  procurer  le  saint.  11  i^ 

changé  son  nom  de  Baruch,  contre  celui  de  Benediot,  probableas» 

parce  qu'il  s'était  fait  baptiser.  Les  auteurs  ne  sont  pas  dac«!« 

sur  ce  point.  Il  refusa  les  dons  d'argent  qu'on  voulut  lai  faiï*î* 

même  une  chaire  de  philosophie.  L'apparition  de  son  Traité  tk^" 

logico'politiqae  lui  suscita  de  nptnbreux  opposants.  L'oavras* 

fut  interdit  et  circula  sous  divers  faux  titres,  pour  donaef 

change.  Spinoza  avait  publié  auparavant  une  Démomiratio^^ 

principes  de  Descartes^  en  latin,  comme  le  traité  théol^^l^e. 

mais  l'échec  de  ce  dernier  le  dégoûta  et  il  ne  publia  plas"*- 

Spinoza  mourut  en  1677. 

C'est  après  sa  mort,  mais  la  môme  année,  que  parut  ea  tttiA 
Y  Ethique,  d'abord  écrite  en  hollandais.  C'est  le  plus  imp(ffta»t<l^ 
ses  ouvrages,  et  celui  ou  se  trouve  son  panthéisme. 

Toute  la  philosophie  de  Spinoza  découle  de  sa  méthode  W^ 
et  celle-ci  dérive  de  Descai-tes.  liaissant  de  côté,  comme  '\^ 
saute  pour  la  science,  la  connaissance  par  simple  otu-di^^i  ^^  ™ 


XVII*    SIÈCLE    —  SPINOZA  723 

ea^periefiee-vague^  il  rejette  également  la  raisonrdiscursive^ 
c'est-à-dire  le  pur  raisonnement  qui  ^e  démontre  pas  ses  principes 
et  n'accepte  que  la  raison  qui  parlr^n  principe  clair  et  évident 
et  en  voit  toutes  les  conséquences.  Le  point  de  départ  de  ce  pro- 
cédé c'est  ï  intuition-immédiate  y  dont  l'objet  premier  est  l'être 
parfait,  ou  la  substance,  Véti^e  en  soi,  conçu  par  soi. 

Ainsi  Spinoza  ne  veut  employer,  pour  arriver  à  la  connaissance 
de  la  vérité,  que  la  raison  pure  et  le  raisonnement  basé  sur  l'intui- 
tion de  la  raison.  Il  rejette  l'expérience.  Sa  forme  est  toute  géo- 
métrique et  il  prétend  déduire  mathématiquement^  de  l'idée  de 
Tôtre  en  soi,  tout  le  développement  dont  l'être  est  capable.  Mais 
quoi  qu*il  veuille  faire^  il  est  obligé  de  prendre  dans  son  expérience 
des  idées  qu'il  donne  comme  conçues  à  priori.  C'est  une  première 
contradiction,  et  elle  ruine  son  système  ;  car  il  montre  par  là  la 
nécessité  de  consulter  l'expérience  ;  et  dès  qu'on  la  consulte,  il 
faut  accepter  d'elle  tout  ce  qu'elle  donne.  Voici  maintenant  son 
système. 

La  substance,  ou  l'être  en. soi,  est  essentiellement  être;  elle  est 
donc  sans  négation,  elle  est  infinie. 

Elle  se -détermine  cependant  elle-même  et  se  manifeste  par  des 
attributs  qui  la  représentent  tout  entière.  Ces  attributs  sont  des 
infinis  relatifs,  en  ce  sens  qu'ils  expriment  tout  un  point  de  vue  de 
la  substance.  De  plus  ils  sont  en  nombre  inâni,  pour  représenter 
tout  l'être  de  la.  substance. 

Enfin  les  attributs  eux-mêmes  se  manifestent  dans  des  modes 
finis,  mais  en  nombre  infini.  Si  les  modes  étaient  infinis,  les  attri- 
buts eux-mêmes  deviendraient  la  substance,  et  s'ils  n'étaient  pas 
en  nombre  infini,  ils  ne  représenteraient  pas  les  attributs  d'une 
infinité  relative. 

Substance,  attributs  et  modes,  sont  distincts  mais  inséparables. 
S'il  en  manquait  un  seul,  tout  disparaîtrait.  Tout  cela  est  éternel. 
C'est  Dieu  lui-même. 

J'entends  par  Dieii^  dit-il,  un  être  absolument  infini,  c'est-à-dire 
une  substance  coiistituée  par  une  infinité  d'attributs  infinis,  dont 
chacun  exprime  une  essence  éternelle  et  infinie. 

De  cette  infinité  d'attributs,  nous  n'en  connaissons  que  deux: 
la  pensée  et  l'étendue.  En  sorte  que,  pour  nous,  Dieu  est  un  être 
infiniment  pensant  et>infinimont  étendu. 


-  I 


724  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

L'attribut  de  la  pensée  se  développe  en  an  nombre  infisi  s 
modes  ;  ce  sont  les  Âmes  qui  pensent. 

L'attribut  de  l'étendue,  ^g  iféveloppe  on  un  nombre  iaMûà 
modes  ;  ce  sont  les  corps. 

Ainsi  l'univers  n'est  autre  chose  qu'une  infinité  de  w^mztf 
infinis  de  modes  exprimant  Tinônité  des  attributs  infinis  del^i 
et  dont  BOUS  ne  connaissons  que  les  esprits  et  les  corps,  les  lo!  :^ 
les  autres  en  nombre  infini. 

Tout  ce  développement  divin  est  absolument  nécessaire*  Oa  n  j 
peut  rien  retrancher  ni  ajouter;  on  n'y  peut  mémo  rien  chu^ 
sans  bouleverser  le  tout.  En  sorte  que  tout  est  ncc^^aire  et  qi£ 
la  liberté  est  impossible,  aussi  bien  en  Dieu  que  dans  rhomme. 

L'Ame  humaine,  en  effet,  est  une  pensée,  une  pensée  qui  s'aSrsr, 
dont  l'objet  est  le  corps  lui-môme-  En  sorte,  que  Spinoza  d^fiii» 
l'Ame  «l'idée  du  corps».  Le  corps  passe  par  tous  les  modes  qal 
doit  représenter  et  l'âme  conçoit  et  pense  ces  modes,  elle  a 
est  la  conception.  C'est  ainsi  que  Vàme  a  conscience  d'elle^aéîse; 
car  il  est  de  l'essence  de  la  pensée  do  se  penser  elle-même.  Mâf 
en  outre,  elle  s'affirme  et  cette  affirmation,  c'est  la  volonté,  c'es 
l'idée  acte.  Ne  demandez  pas  à  Spinoza  d'autre  liberté  pour  Tài». 

Et  pourtant  Spinoza  construit  sur  de  pareilles  données  une  th^ 
rie  morale.  Il*  conçoit  Dieu  comme  la  perfection  absolue;  cha^s! 
attribut  de  Dieu,  comme  une  des  formes  de  cette  perfection,  d»r 
que  mode  d'être  comme  une  expression  finie  de  l'un  des  attril^ 
et  par  suite  comme  une  perfection  relative  et  limité.  Ainsi,  chinai 
être  est  dans  un  certain  degré" de  bien.  Le  bien  de  l'Ame,  lapesscg 
est  supérieure  à  l'étendue,  qui  est  le  bien  du  corps.  L'Ame  elk^ 
même  est  d'autant  plus  parfaite  que  l'objet  de  sa  pensée  est  plis 
parfait.  Donc,  pour  être  parfaite,  elle  doit  penser  Dieu,  elle  ri«l 
vivw  avec  Dieu.  Et  Spinoza  ajoute,  nous  ignorons  sur  quelpri^ 
cipe,  qu'elle  doit  aimer  Dieu. 

Et  en  eflfet,  il  est  étrange  de  voir  l'auteur  de  ce  monstmeoi 
sj8tême,épris,  de  bonne  foi,  d'un  amour  ardent opur  ce  Dieu-tout, 
ce  Diea-univers,  qu'il  conçoit,  qu'il  forme  lui-même. 

A  la  théorie  morale  de  Spinoza  se  joint  une  théorie  politique, 
dont  les  principes  et  les  premières  conclusions  sont  les  principes 
ot  les  qonclusions  de  Hobbes.  Mais  Spinoza  croit  y  voir  de  aérieii- 
ses  différences. 


Xir   SIÈCLE  —  LRTBNITZ  725 

Le  droit  se  mesure  à  la  puissance  de  chaque  ôtre;  car  toute 
nature  tend  à  faire  tout  ce  qu'elle  peut.  Dès  lors  la  força  seulo 
légitime  toute  action,  et  on  a  tous  les  droits  dès  qu'on  est  le  plu4 
fort.  De  ces  principes  il  fait  dériver  comme  Hobbes,  une  mon^r* 
chie  absolue,  aveccettediiférence,  qu'il  déclare  la  pensée  ind4pe<H 
dante  du  monarque,  et  que,  de  plus,  le  droit  du  souverain  n'est  pas 
absolu,  mais  seulement  proportionné  &  sa  puissance.  Et  SpiiM»9a  90 
eonsole  et  console  ses  adeptes  en  disant  que  Tlntérêt  même  do  mo« 
Barque  l'empêchera  d'abuser  tyranniqueme(it  de  son  pouvoir. 

Voilà  je  Spinozisme  tout  entier.  II.  part  d'une  définition  Ik^bir 
traire;  rejette  sans  motifs  la  principale  source  de  nos  coaqMs- 
sances;  donne  de  Dieu  une  notion  contradictoire  :  l'^tendijb^ 
pensante,  le  simple-composé,  etc.  ;  enfin,  il  nie  la  liberté  morate  et 
rend  la  morale  impossible,  tout  en  voulant  la  soutenir. 

285.  Leibnitz. —  Gottfried  Wilhelm  Leibnitz  (il  a  souvent 
signé  lui-même  Leibniz)  naquit  à  Leipzig,  en  1016.  Ajant  pQrdu 
son  gère  dès  Tâge  de  six  ans,  il  perdit  sa  mère  pendant  qu'il 
suivait  les  cours  de  l'université.  Il  dirigea  donc  lui-môipe  ses 
études  et  dès  sa  plus  tendre  enfance  il  se  nourrissait  (Je  la  lecture 
des  livres  nombreux  qui  composaient  la  bibliothèque  de  son  père. 
Il  tomba  d'abord  sur  les  anciens,  les  admira  et  s'imprégna  de 
leur  stjle  et  de  leurs  idées:  c'étaient  surtout  Platon,  Aristote, 
St- Anselme  et  St-Thomas.  Plus  tard,  il  lut  Bacon,  Campanella, 
Kepler  et  Galilée,  et  c'est  ainsi  qu'il  acquit  une  sorte  d'érudition 
universelle.  Il  menait  de  front  toijtes  les  sciences,  mais  son  esprit 
était  particulièrement  tourné  vers  les  mathématiques.  Il  essaya 
de  transporter  dans  la  philosophie  la  rigueur  des  démonstrations 
géométriques.  On  le  voit  dans  le  de  Arte  comblnatoria,  écrit  en 
1665,  où  il  s'efforce  de  donner  des  règles  pour  découvrir  à  priori  la 
vérité  ou  la  fausseté  d'une  proposition. 

Voulant  faire  sa  carrière  de  la  jurisprudence,  il  fut  reçu  docteur 
en  droit  à  Altdorf,  refusa,  par  esprit  d'indépendance,  la  chaire 
qu'on  lui  offrait  dans  cette  \ille,  et  se  ûxJBi,  à  Nuremburg.  Lft  il 
s'affilia  à  la  confrérie  occulte  de  la  Rose-Croix,  il  se  fit  initier  à 
l'alchimie,  et  apprit  ce  que  l'on  savait  alors  de  chimie. 

De  1667  ft  1672,  nous  trouvons  Leibnitz  à  la  cour  de  l'électeur 


^  I 


72d  HISTOIRE   DE  LA    PHILOSOPHIE 

de  Mayenee,  Jean  Philippe.  Il  écrit  alors  sur  la  p}iiIc»«opî=>.  : 
jurisprudence,  la  politique,  défend  Aristote  et  Saint-Thuoiuâ,  îi 
en  condamnant  les  abus  de  la  scliolasti<[ue.  Dans  le  même  tei^icJ 
fait  des  recherches  de  physic[ue  et  de  mécanique  (  Theoria  ;iît.f> 
ahstracH,  Theoriamotus  concrctî),  où,  rectifiant  Descartes, ii Hr 
blit  les  bases  de  la  dynamique.  Descartes  avait  cru  que  la  qj^niv 
de  mouvement,  mesurée  par  le  produit  de  la  masse  par  Jâ  vite?^. 
reste  constante  dans  la  nature,  Leibnitz  démontra  que  ce  qoi  et 
constant  c'est  la  force,  dont  la  mesure  est  le  produit  de  la  msa» 
par  le  carré  de  la  vitesse.  Il  avait  alors  vingt-cinq  ans  (IdTlu 

Venu  à  Paris,  en  1672,  il  y  étudia  «la  profonde  g-éométriep  âT« 
Hayghens,  lut  les  ouvrages  de  Pascal,  qui  l'étonnèrent  et  lai  «m 
rent  une  horizon  nouveau,  discula  théologie  avec  Arnauld,  etp.i- 
tique,  avec  Colbert.  Il  voulut  détourner  Louis  XIV  de  ses  prcj^s 
contre  r Allemagne  et  rengager  à  prendre  l'Egypte,  maiss^piy- 
jets  furent  repousses.  Pendant  ce  temps  il  travaillait  h  perfeîtiat- 
ner  la  machine  arithmétique  de  Pascal  et  posait  les  bases  da  ci- 
cul  infinitésimal.  Colbert  voulut  le  faire  entrer  dans  TAcadc:^ 
française,  mais  il  refusa  pour  rester  protestant. 

En  1676,  le  duc  Jean  Frédéric  de  Brunswick  Luneboni^  l£ 
conûa  la  charge  de  bibliothécaire  de  Hanovre.  Avant  de  s'y  read» 
il  fit  un  second  voyage  à  Londres,  où  il  connut  le  chimiste  Bojk 
le  mathématicien  Goliins  et  le  savant  Oldenbourg.  Il  éehan^ 
aussi  des  lettres  avec  Newton^  alors  à  Cambridge. 

Newton  et  Leibnitz  se  partagent  la  gloire  du  calcul  infini tésiaial 
quHls  trouvèrent  tous  les  deux  sans  se  connaître.  Il  paraît  déiots- 
tré  aujourd'hui  que  Newton  inventa  en  1665  la  théorie  des  fia- 
anonSy  mais  ne  la  publia  qu'en  1687,  tandis  que  Leibnitz  avàtt 
acquis  par  une  lettre  une  idée  de  la  découverte,  la  développa  ci 
publia  son  calcul  différentiel  en  1684.  Avant  ces  deux  géoi^ 
Fermât,  Wallis,  et  Cavallieri,  et  après  eux  Jacques  Bernouilli,  «< 
Jean  Bernouilli,  peuvent  revendiquer  leur  part  dans  le  mérité  cs 
cette  riche  découverte. 

Leibnitz  s'installa  à  Hanovre  en  1677,  et  y  de  meura  quarante 
ans.  Il  écrivit  alors  Thistoire  de  la  maison  de  Brunswick  Lao^ 
bourg,  dans  laquelle  il  emploie  le  premier  la  géologie,  la  lingul»- 
tique  et  l'archéologie;  et^  s'il  s'y  trompe  quelquefois,  il  a  du  ukhi^ 


XVir   SlfcCLR  —   LEIBNITZ     *  727 

le  mérite  d'avoir  inauguré  cette  voie.   Cependant  l'ouvrage  est 
resté  inachevé. 

Il  s'occupait  alors  de  réformes  politiques  ;  de  toutes  parts  on  lui 
demandait  des  conseils;  Pierre  le  Grand  le  nomma  son  conseiller 
de  justice,  avec  une  pension  de  mille  thalers.  Fier  de  cette  con- 
fiance Leibnitz  se  mit  à  l'œuvre  et  posa  les  bases  de  tout  ce  qui 
s'est  fait  plus  tard  pour  la  civilisation  de.la  Russie.  Il  tenta  aussi 
de  réunir  les  églises  protestantes  à  l'Eglise  catholique,  et  il  eut 
pour  cela  des  relations  suivies  avec  Bossuet  ;  mais  il  ne  comprît 
pas  que  la  seule  conciliation  possible  était  de  faire  passer  les  pro- 
testants au  catholicisme. 

Il  mourut  à  Hanovre,  en  1716. 

286.  Philosophie  de  Leibnitz.  —  Le  caractôre  dominant  de 
sa  philosophie  est  un  vaste  éclectisme.  Il  prend  chez  tous  quelque 
chose  de  bon,  mais  il  a  aussi  un  fonds  entièrement  personnel.  Il 
n'a  nulle  part  exposé  l'ensemble  de  son  système  :  il  faut  le  cher- 
cher dans  un  grand  nombre  de  dissertations,  en  latin,  en  français, 
ou  en  allemand,  dans  ses  lettres  et  surtout  dans  deuK  ouvrages 
importants  :  Nouveaux  essais  sur  l'entendement  humain\  qu'il 
écrivit  pour  corriger  Locke,  et  la  Théodtcée,  On  a  aussi  la  Mona- 
doloffie,  résumé,  précieux  qu'il  écrivit  pour  le  prince  Eitgône. 

Pour  la  méthode,  Leibnitz  est  cartésien,  en  ce  sens  que,  comme 
Descartes,  il  procède  des  principes  évidents  aux  vérités  que  la 
raison  peut  en  déduire.  Cependant,  il  emprunte  aussi  à  Bacon, 
et  reconnaissant  que  le  principe  de  contradiction  et  la  déduction 
ne  donnent  que  le  possible,  il  cherche  un  autre  principe  dans  la 
raison  pure  et  trouve  celui  de  la  convenance  ou  de  la  raison  suf- 
fisante,  dont  il  se  sert  comme  du  levier  universel  de  la  philoso- 
phie. 

«  Rien  ne  peut  être  sans  une  raison  suffisante  et  tout  ce  qui  a  sa 
raison  suffisante  existe.  »  C'est  Platon  et  Saint  Thomas  s'ajoutant 
à  Aristote. 

De  ce  principe  Leibnitz  déduit  le  principe  du  meilleur  et  tout 
son  optimisme,  ainsi  que  la  loi  ne  continuité,  ou,  en  d'autres 
termes,  le  principe  que  la  nature  ne  fait  point  de  saut.  Le 
médiocre  n'a  pas  de  raison  d'être,  dit  Leibnitz,  quand  le  meilleur 


788  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

est  possible,  et  Thiatus  ou  le  vide  entre  les  degrés  d«s  éticiû 
pas  de  raison  suffisante,  dés  que  la  continuité  est  possiUe. 

Cette  méthode  est  essentiellement  ratiocnelle  et  dedoetive  ;  mi 
Leibnitz  ne  négligea  pas  les  expériences,  dans  les  sciences  pkjir 
quesi 

287.  CoAmolo^ie.  Monadisme.  Harmonie  prééfabfie.  - 
Descartes,  en  donnant  pour  essence  à  la  matière  féiendnf,  k 
pouvait  y  voir  d'autres  phénomènes  que  le  ^nouvementf  ei  ctoj^ 
pouvoir  les  déduire  à  priori  des  lois  de  la  mécanique. 

Leibnitz  accepta  d'abord  cette  théorie  ;  mais  bientôt  il  eo  o* 
prit  Terreur  et  déclara  que  le  vice  radical  du  cartésianisme,  c* 
une  fausse  notion  de  la  substance.  En  effet  Tétendae  sq^ 
ifuelqviç  chose  d'ét^ndu^  %i  de  plus  elle  ne  saurait  ôtre  cov« 
^mioa  la  source  du  mouTement,  lequel  suppose  une  Uw  f 
peut  Qu  qui  se  ment. 

Jjeibnitz  suppose  donc  Tespace  peuplé  de  'forces  simpiés^  qti 
appelle  des  monades.  Elles  sont  de  quatre  espèces. 

l^  les  monades  nues^  éléments  de  la  matière; 

^  les  âme^  des  bêtes  ; 

^  les  esprits  finiSy  les  Âmes  humaines  ; 

4^  la n^nade  suprême^  Dieu, 
«t  selon  la  loi  de  continuité,  il  n'j  a  pas  de  passage  brosqae  àf» 
«spèoe  h  l'autre^ 

Toutes  ces  moHades  sont  des  forces  simples,  incorraptibto,  4^ 
pe  peuvent  périr  que  par  annihilation  ;  toutes  possèdest  plus  a 
ipoins  Vappétition  et  la  perception.  L'appétition  est  une  lo^ 
d'effort  interne  qui  les  modifie  et  les  développe  ;  la  perceptioa  ^ 
i^tQ  propriété  qu'elles  ont  de  représenter  en  eUes-^m^' 
quoiqu*à  différents  degrés,  tout  l'univers.  Cependant  tout  cel»*'^ 
puremeat  ii^terBe  et  les  monades  n'ont  aucune  action  mv^B»^ 
^is  au^si  toift  s'y  fait  dans  une  harmonie  univeneUes^'* 
loi  établie  par  Dieu. 

lies  per^eptioms  ne  différent  que  par  la  clarté  et  la  conseil 
Daas  lies  monades  de  la  i^atière,  les  perceptions  sont  obscures  i» 
ifoonsoientes;  les  f^uy^  des  bétes  ont  quelques  perceptions  <^^' 
les  Ames  humaines  en  ont  un  plus  grand  nombre  declaii^^^^ 


,XII*  SIÈCLE  —  LEIBNITZ  729 

bâuiooup  â'iAoonscientdS  ;  Dieu  n*a  que  des  idées  adéquates.  L*ap- 
pétition  de  chacune  est  dans  les  mômes  proportions. 

Ainsi,  pour  Leibnitz^  les  oorps  sont  des  composés  d*âmes  incons- 
cientes. L'étendue  des  corps  résulte  de  la  réunion  de  ces  éléments 
saas  étendue,  grâce  à  leur  résistance,  qui  les  empoche  de  se  compé^ 
nétrer.  L'espace  n'est  que  la  relation  des  monades  entre  elles,  et  le 
temps  est  la  relation  successive  de  leurs  modifications. 

IjCS  âmes  des  bêtes  sont  préformées  depuis  la  création,  niais 
\iuv8  perceptions  l'estênt  inconscientes  jusqu'à  la  naissance  de  la 
bjte,  dont  le  germe  existait  aussi  préformé  dans  un  autre  être.  Ces 
Ames  sont  indestructibles^mdÀB  non  pas  immortelles,  car  Timmor- 
talité  suppose  la  persistance  de  la  conscience ,  et  de  la  person- 
nalitêy  conditions  qui  sont  le  propre  des  âmes  douées  de  raison. 

Uâme  hicmaine  est  aussi  une  monade  ;  elle  a  toutes  les  facul- 
tés des  Âmes  des  bêtes,  et  comme  cellcsKïi  elle  vit  en  grande  partie 
de  la  consécution,  fruit  de  la  mémoire,  Mais  elle  a  de  plus  la  rai- 
son^ par  où  nous  connaissons  les  vérités  nécessaires,  ce  qui  nous 
fait  connaître  Dieu  et  nous  rend  capables  de  liberté. 

Dans  ses  Nouveaxiœ  essais  sur  l'entendement  humain,  Leib- 
nitz  s'efforce  d'établir,  contre  Locke,  que  notre  esprit  met  du  sien 
dans  nos  connaissances,  et  que,  s'il  n'a  pas  d'idées  innées,  au  sens 
de  quelques  cartésiens  excessifs^  il  se  possède  au  moins  lui-môme, 
avec  la  perception  du  nécessaire.  Il  complète  donc  ainsi  le  principe 
aristotélicien  de  Locke  :  (kNihil  est  in  intellectu  quod  non  priiis 

fuerit  en  sensu nisi  ipse  intellectus.   Descartes  d'ailleui*s 

avait  déjà  dit  :  «Je  ne  me  persuade  pas  que  l'esprit  d'un  petit 
enfant  médite  dans  le  ventre  de  sa  mère,  sur  les  choses  métaphj^ 

siques Il  a  les  idées  de  toutes  les  vérités  qui  de  soi  sont  connues, 

comme  les  personnes  adultes  les  ont  lorsqu'elles  n'y  pensent 
point. 1^  Et  Leibuitz  dit  à  son  tour  :  «Les  sens,  quoique  nécessaires 
pour  toutes  nos  connaissances  actuelles,  ne   sont  point  suffisants 

pour  nous  les  donner  toutes Les  sens  ne  nous  donnent  point 

ce  que  nous  portons   déjà  avec  nous Les  idées  et  les  vérités 

nous  sont  innées  comme  des  inclinations,  des  dispositions^  des  hahi- 
tildes,  ou  des  virtualités  naturelles,  » 

Les  principes  innés  de  la  raison  que  Leibnitz  admet,  sont  d'abord: 
Le  principe  de  contradiction  ;  Rien  ne   peut  être  et  ne  pas 
être  en  môme  temps.  Puis.  47 


730  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

Le  principe  de  la  raison  suffisante  :  Rien  n'existe  sans  » 
raison  suffisante  et  tout  ce  qui  a  sa  raison  suffisante  existe. B^ 
principe  comprend,  à  son  tour  : 

Le  principe  de  la  cause  efficiente  :  Tout  ce  qui  est  oaseffci 
a  une  cause. 

Le  principe  de  la  cause  finale  :  Tout  ce  qui  est  (»u  sefaiii^i 
ou  se  fait  en  vue  d*une  fin. 

Le  principe  de  coyitinuitë  :  La  nature  ne  fait  point  de  sMt«. 
Le  principe  de  moindre  action  :  Tout  se  fait  dans  l  omwf' 
par  les  voies  les  plus  courtes  (avec  le  moins  de  temps  et  de  fuitfi. 
Le  j)rincii}e  des  indiscernables  :  11  ny  a  pas  deux  êtres »»»• 
lunient  pareils  et  indiscernables. 

Remarquons  ici  que  ces  principes  dont  on  fait  lioniieur  à  wi'" 
nitz,  comme  les  ayant  mis  en  lumière  le  premier,  étaient  employa» 
par  les  scolastiques.  Il  suffit  de  lire  Saint-Thomas  i>our  s* 
convaincre. 

Lrt /f^er^t^  est  le  caractère  propre  de  Tâme  humaine  daas  s^' 
activité.  L'âme  est  spontanée  et  intelligente  ;  les  act«s  «luU^ 
peut  faire  sont  contingents  :  c'est  assez,  selon  Leihnitz,  pi* 
constituer  Tacte  libre  Les  monades  matérielles  ont  aussi  ute 
activité  spontanée,  pour  des  actes  contingents,  mais  elles  agiS^ 
sans  conscience.  Une  î\me  est  d'autant  plus  libre  qu'elle  voit du^^ 
ce  qu'elle  a  à  faire.  Dieu  seul  est  parfaitement  libre.  La  li»'^ 
ne  suppose  pas  rindifférence  ;  car  la  détermination  dans  cesco*''" 
tions  n'aurait  pas  de  raison  suflisante.  Dieu  lui-même  n'est  pi- 
indifférent,  en  agissant  ;  il  voit  le  plus  grand  bien  et  il  le  ^*i^- 
prescience  et  la  providence  de  Dieu  n'enlèvent  rien  à  notre  U^^' 
car  Dieu  sait  ce  que  nous  ferons,  mais  il  sait  que  nous  le  ^^^ 
librement.  De  môme  il  est  l'auteur  de  notre  activité  et  des  condi- 
tions dans  lesquelles  nous  agissons  :  donc  il  nous  fait  agir  libre»»' 
—  Cette  théorie,  qui  est  presque  celle  de  saint  Thomas,  o*'* 
que  cependant  d^une  condition  que  le  saint  docteur  donne  cùos^ 
la  raison  de  notre  liberté  :  c'est  le  choix.  Leibnitz,  au  contraire,^ 
déterministe,  et  il  devait  l'être,  en  vertu  de  son  système  des  nw^ 
des  et  de  V harmonie  j^réetablie, 

Leibnitz  ayant  posé  que  les  monades  sont  sans  influence  les  ^^ 
sur  les  autres  et  que  tout  se  fait  en  elles  en  temps  et  lien  conTfiii' 


XV1I«  SIÈCLE   —    LBIBNITZ  731 

bles,  selon  rharmonie  déterminée  par  les  lois  posées  par  Dieu  au 
commencement,  suppose,  d'accord  avec  ses  principes,  que  l'ftme  et 
le  corps  sont  sans  action  réciproque,  mais  éprouvent  des  modifi- 
cations harmoniques,  qui  se  rencontrent  toujours,  comme  deux 
horloges  bien  réglées  marquent  la  même  heure,  quoique  leurs 
mouvements  soient  indépendants. 

288.  Analyse  de  la  Theodioée  de  Leibnitz.  —  Ce  mot,  dans  la 
jiensée  de  l'auteur,  signifie  justification  de  Dieu.  Plus  tard,  à  la  sulle 
fie  Victor  Cousin,  on  l'a  pris  dans  le  sens  de  théologie  naturelle.  Le 
litre  de  l'ouvrage,  qui  en  indique  assez  le  but,  est:  Essai  de  théodicée 
sur  la  bonté  de  Dieu,  la  liberté  de  Vhommê  et  l'origine  du  vial. 

Préface.  Il  est  utile  de  se  faire  une  conviction  réfléchie  sur  la  nature 
de  Dieu.  On  se  fait  une  fausse  idée  de  la  prescience  et  de  la  providence 
de  Dieu.  C'est  un  fatalisme  dangereux  qui  mène  à  ne  plus  se  croire 
responsable.  De  plus  c'est  une  erreur  impie  qui  fait  Dieu  l'auteur  du 
faal  et  le  montre  méchant  ou  impuissant,  Leibnitz  croit  avoir  dans 
son  système  de  bonnes  réponses  à  toutes  les  objections  contre  Dieu,  et 
principalement  à  celles  que  Bayle  a  pris  plaisir  à  renouveler  dans  son 
Dictionnaire.  Il  écrit  d'ailleurs  à  la  demande  de  la  reine  de  Prusse,  Sophie 
Charlotte.  Il  écrit  en  français,  parce  que  Bayle  a  écrit  en  cette  langue, 
et  afin  qne  l'ouvrage  soit  lu  par  ceux  qui  en  ont  le  plus  besoin. 

Discours  de  la  conformité  de  la  foi  avec  la  raison.  C'est  une  sorte 
d'introduction.  Bayle  avait  exagéré  les  difficultés,  non  pour  rester  dans 
le  doute,  mais  pour  confondre  la  raison.  Leibnitz  déclare  fausse  et  dan- 
gereuse cette  manière  de  raisonner:  il  ne  peut  pas  y  avoir  contradiction 
entre  la  raison  et  la  foi  :  l'une  et  l'autre  sont  un  don  de  Dieu.  La  plu- 
part des  objections  ne  sont  que  des  apparences  de  vérités  que  Ton  prend 
il  tort  pour  démontrées.  La  foi  ne  contredit  que  nos  erreurs  et  nos 
préjugés. 

Première paiHie.  LeibDitz  expos 3  d'abord  les  difficultés:  1»  la  liberté 
parait  néceesaire  pour  que  l'homme  soit  responsable  :  mais  elle  parait 
impossible,  si  Dieu  sait  d'avance  ce  que  fera  l'homme  et  surtout  s'il 
pourvoit  à  tout  dans  le  monde,  de  manière  que  rien  n'arrive  que  par  sn 
volonté.  2"  Dieu  parait  rejpousable  du.  mal  que  font  les  hommes,  s'il 
est  Tauteur  de  leurs  actions,  ou  même  si  simplement  il  permet  le  mal, 
pouvant  l'empêcher.  Leibnitz  répond  d'abord  à  la  2*  objection,  par  sa 
théorie  de  Voptimisme,  et  ensuite  à  la  1%  par  sa  théorie  détermmisie 
lie  la  liberté. 

I.  Dieu,  infiniment  intelligent,  bon  et  puissant,  a  dû  créer  le  meilleur 
des  mondes  qu'il  conçoit  ;  sans  quoi  son  acte  n'eut  pas  eu  de  raison 
snffîsanle. 


732  HISTOIRE  DB  LA   PHILOSOPHIE 

En  effet,  dans  ce  monde  :  les  maux  sont  plas  rares  qtie  les  \ka&',  ^ 
mal  physique  est  une  nécessité  de  la  condition  des  créatures  ië^ 

les  ;  le  bonheur  des  méchants,  daus  cette  vie,  sera  com^asé  pi?  > 
bonheur  des  bons,  dans  l'autre.  D'ailleurs,  le  mal  résulte  de  ruipff^ 
tion  des  créatures  :  c'est  une  limiiaUon  ;  sa  eau-se  n'est  pas  e[^^^ 
mais  déficiente.  Dieu  ne  le  veut  pas  antt^cef/e^nmen^  mais  fùH«5>^t- 
ment,  comme  impliqué  dans  le  monde,  même  le  meilleur. 

Mais,  dit -on.  Dieu,  étant  la  cause  de  tout  ce  qu*i)  y  a  de  k^  <^' 
l'action  mauvaise,  concourt  au  mal.  Non,  répond  Leibnitz;  paspte^s 
le  courant  du  fleuve  qui  est  la  seule  cause  de  lout  le  mouTeraest  de 
bateaux  qui  flottent  sur  lui,  n*cst  la  cause  du  retard  des  pluskKii^i^ 
les  plus  légers. 

II.  Dieu,  dit-on  encore,  prévoit  infailliblement  tous  nos  actes;  ^ 
nous  ne  sommes  iias  libres.  Leibnitz  répond.  Dieu  est  cerlsin  qaaB-fl 
agirons  ainsi,  mais  que  nous  agirons  librement. 

Mais  encore.  Dieu  ne  prévoit  pas  seulement  nos  actes;  il  tes  wfî*.^ 

les  préordonne.  —  Oui,  sans  doute,  dit  Leibnitz,   Dieu  nous  dë^&^ 

.en  nous  donnant  des  raisons  d'agir,  et  la  pleine  Indifférence  qœ  f^ 

rêve,  comme  une  condition  de  la  liberté  est  chimérique,  imfMTSsiife  ^ 

absurde. 

Mais  nous  nous  sentons  libres.  -—  Ouï,  au  seul  sens  raisonnais  *^ 
mot.  L'àme  est  un  automaie  spirituel.  On  e^l  libre  par  cMa  sedf-* 
agit  spontanément  et  avec  inlelligencc.  L'acte  peut  être  délenniB^F^' 
des  raisons;  il  suffit  que  le  contraire  ne  soit  pas  impossible  poorçîf 
l'on  soit  libre. 

Le  sophisme  paresseux,  par  lequel  on  prétend  rester  dans  llnâfi."'' 
sous  prétexte  que  ce  qui  doit  arriver  arrivera,  est  absurde.  C^r  af 
doit  arriver,  doit  arriver  parce  que  nous  ferons  ce  qu'il  faut  pour  cà- 
Quant  à  nous,  sans  savoir  ce  qui  doit  arriver,  nous  exécoleroEs  » 
volonté  présomptive  de  Dieu,  en  faisant  toujours  le  mieux. 

Mais  enfin,  où  est  le  mérite  ?  —  Les  actes  déterminés  n'en  soaip* 
moins  bons  ou  mauvais,  et  nous  en  sommes  responsables,  paref<P^ 
sont  nôtres.  Il  est  donc  juste  qu'une  connexion  étroite  attad^eàv^ 
mauvaise  action  sa  jieine,  à  toute  bonne  action  sa  récompense.  (^^' 
l'harmonie  préétablie  entre  les  causes  efllcîentes  et  les  causes  fio^ 

Deuxième  partie.  Bayle  pose  en  principe  que  Dieu  n'a  pas  jw^lw)* 
augmenter  sa  béatitude  en  créant;  d'où  11  conclut  (à  tort)  qa'iî  *  * 
tout  créer  pour  le  bonheur  de  l'homme.  —  Leibnitz  rèponi:  Qtt'«3î^ 
que  l'homme  dans  l'uni vei-s  ?  Les  autres  créatures  sont  inférieures  i^ 
Infiniment  plus  nombreuses.  Le  tort  de  Bayle  est  d'assimiler  Dieoisf 


XVII'   SIÈCLE  —  LBIBNIT2  733 

bienfaiteur  humain:  c'est  de  Vanthropomorphismc,  Dieu  ne  devait  pas 
pour  rendre  l'homme  heureux,  diminuer  le  bien  de  l'ensemble.  —  Ici, 
c'est  Leibnitz  qui  a  tort,  en  voulant  réfuter  Bayle.  Le  nombre  des  créa- 
tures non  raisonnables  n'est  pas  un  motif  pour  les  préférer  à  l'homme. 
Dieu  a  (ait  Thomme  pour  Lui-même,  et  tout  le  reste  pour  l'homme. 

Bayle  va  jusqu'à  accepter  le  manichéisme  pour  expliquer  la  part  faite 
au  mal  dans  le  monde.  Non,  dit  Leibnitz,  il  n'y  a  pas  de  principe  du 
mal,  qui  n'est  qu'une  privation  inhérente  à  l'essence  limitée  de  la 
créature. 

Bayle  accepte  en  Dieu  tantôt  la  nécessité  absolue,  et  tantôt  la  doctrine 
que  sa  volonté  est  la  seule  cause  do  la  distinction  du  bien  et  du  mal. 
Leibnitz  nie  que  Dieu  agisse  nécessairement  d'une  nécessité  métaphy- 
sique,  mais  il  croît  qu'il  agit  librement  avec  la  nécessité  morale  de 
produire  le  mieux.  Quant  à  ceux  qui  croient  que  Dieu  a  établi  le  bien 
et  le  mal,  par  un  décret  arbitraire,  ils  déshonorent  Dieu  ;  ils*  lui  ôtent 
le  titre  de  bon  ;  car  tout  ce  qu'il  aurait  pu  faire  eut  été  également  bon. 
La  justice,  à  son  tour,  n'est  pas  un  choix  hasardeux  en  Dieu.  A  la 
vérité.  Dieu  ne  doit  rien  aux  créatures,  mais  il  se  doit  à  Lui-même  de 
les  diriger  avec  justice  et  avec  bonté. 

Mais  les  nécessités  métaphysiques  limitent  la  puissance  de  Dieu  et  le 
soumettent  à  un  fatum,  —  Non  car  ces  nécessités  sont  Tessence  même 
do  Dieu. 

On  dit  encore:  Si  Dieu  fait  le  meilleur  possible,  il  fait  donc  d'autres 
dieux.  —  Non,  le  meilleur  possible  n'est  pas  le  parfait  ;  îl  est  créé,  et 
comme  tel  il  n'est  ni  éternel  ni  se  suffisant  à  lui-mômo. 

Enfin,  si  l'on  dit  qu  c  Dieu  n'est  pas  libre,  parce  qu'il  doit  faire  le 
mieux,  c'est  qu'on  veut  une  chimérique  liberté  d'indiftérence,  plus 
impossible  encore  en  Dieu  que  dans  l'homme;  car  il  faudrait  que  la 
suprême  raison  so  déterminât  sans  raison. 

Troisième  partie.  Le  m,al  physique  a  souvent  pour  cause  le  mal 
moral  ;  il  en  est  le  châtiment,  il  est  donc  le  fruit  de  notre  liberté  et 
n'enlève  rien  à  la  lK)nté  de  Dlen. 

L  D'abonl  le  mal  physique  n'csc  en  général  qu'une  forme  du  mal 
métaphysique,  c'est-à-dire,  de  l'imperfection  essentielle  des  créatures. 
Les  monstres,  qui  sont  tels  vus  en  particulier,  doivent  contribuer  à  la 
beauté  de  l'ensemble  ;  les  bouleversements  terrestres  et  même  plané- 
taires rentrent  dans  l'ordre. 

Mais  le»  hommes  et  les  animaux  souffrent.  —  Les  animaux  souffrent 
moins  qu'on  ne  pense;  car  ils  n'ont  pas  la  réflexion.  El  l'homme  serait 
conteut  de  son  sort,  s'il  était  sage,  lies  joies  de  l'homme  de  bien  corn- 


734  HISTOIRE  D£  LA   PHILOSOPHIE 

pensent  ses  peines;  et  la  peine  elle-même  est  rassaisonnemenl  ilupj: 
sir.  La  mort  même,  lort  redoutable  pour  les  païens  est  pourlecluëiiî 
l'aurore  d'une  vie  plus  heureuse  que  celle-ci. 

II.  Ainsi  le  mal  physique  n'offre  pas  de  difficulté,  s'il  est  mérité,  !te' 
îilors  surtout  on  nie  que  nous  soyons  libres.  —  Sommes  nooi  wMli- 
t/ents  t  doués  d*une  activité  sjjontanéef  nos  actes  sont-ils  contint 
Oui.  Donc  nous  sommes  libres.  Kt  en  effet  :  Notre  intelligence  es*,  a^ 
rieure  à  celle  des  animaux  :  elle  a  des  perceptions  disli^ictes;  eliîp» 
peser  les  raisons.  Notre  àme  est  spontanée  comme  toute  monad*;  ^ 
iVf^M  toute  seule,  puisqu'elle  ne  reçoit  rien  du  dehors.  Enfin  im^- 
sont  contingents;  c'est  certain  ;  mais  nous  ne  sommes  pas  \1s-3-tb* 
ces  actes  dans  une  eomplète  indifférence. 

La  théorie  de  la  liberté  d'indifférence  est  absurde;  elle  détruit  If*- 
on  gagne  tout  à  la  rejeter.  Pour  être  déterminée  par  les  bj«1î?«** 
raisons,  Tâme  n'est  pas  cependant  soumise  au  fatum;  carcesruKB- 
elle  les  veut,  elle  les  fait  siennes;  c'est  la  vraie  liberté.  C'est  ae*- 
liberté  de  Dieu.  Il  ne  lui  convient  nullement  d'agir  sans  raison.  D  ^ 
selon  le  pi^incipe  de  la  convenance.  11  pourrait  faire  autrement.  ÏS' 
il  fait  ainsi  pour  faire  le  mieux. 

Cette  convenance  n'est  pas  élastique.  C'est  une  affaire  de  n^'-  '' 
ce  qui  choque  la  raison  ne  saurait  être  convenable.  Bayle  a  donc  w 
de  demander  pourquoi  Dieu  n'a  pas  fait  qu'une  coupure  nous  fût afi* 
ble.  Ce  qui  met  la  vie  en  dang^er  ne  doit  pas  être  accompagna  'J'î* 
plaisir  trompeur,  ni  d'une  funeste  indiirérence.  —  On  ne  poumil  j» 
généraliser  ce  principe.  Les  plaisirs  des  sens  sont  souvent  tromprtis.fi 
est  vrai  que  quand  ils  sont  nuisibles  ils  sont  accompagnés  de  doutec». 
mais  bien  souvent  il  est  trop  tard.  Aussi  Leibnitz  a  raison  de  dire  »■ 
leurs  que  la  douleur  n'est  pas  pour  faire  éviter  le  péril  préseul  etqo» 
a  coutume  de  servir  plutôt  de  châtiment  de  ce  qu'on  s'est  engagé  ^ 
le  mal,  et  d'admonition  pour  n'y  par  retomber  une  autre  fois. 

Dieu  a  trouvé  convenable  de  faire  des  lois  :  la  raison  ne  peut  se  ^'O''^* 
plaire  dans  le  désordre.  Ici  Leibnitz  discute  longuement  et  soutient  «^*^ 
proposition  que  les  lois  du  mouvement  ne  sont  ni  nécessaires  ni  ^P 
cîeuses,  mais  convenables. 

Dieu  voit  tout  d'un  seiU  regard  :  ce  tiui  est  libre,  il  le  voit  ^'^0-  ^ 
certain  n'est  pas  toujours  nécessaire  ;  le  libre  n'est  pas  la  même  à^ 
que  l'incertain.  Quant  à  l'action  de  Dieu  sur  la  créature,  coinp''*' 
coumie  Spinosa,  elle  détruit  la  liberté.  Leibnitz  craint  mèoieqo^'^ 
théorie  cartésienne  de  la  création  continuée  ne  mène  à  la  tiégatioQ^ 
la  liberté.  Mais  il  admet  cette  doctrine  pour  le  fonds,  en  Ces! 


XVII*    SIÈCLE  —   LEIBNITZ  735 

Dieu  agit  pour  continuer  l'être  à  chacune  des  créatures,  et  s'il  leur 
donne  en  même  temps  la  substance  avec  les  accidents,  l'essence  avec 
SCS  modes,  la  nature  avec  ses  opérations,  il  est  certain  que,  suivant  la 
priorité  de  raison  d'être,  la  nature  est  toujours  avant  ses  opérations,  et 
({u*ainsî  c'est  toujoura  elle  qui  en  est  la  cause.  Ou  voit  par  là  comment 
la  créature  peut  être  cause  du  péché. 

I^eibnitz  répond  ensuite  à  des  objections  de  détails  que  Bayle  tire  de 
cette  théorie. 

8i  l'âme  peut  changer  les  accidents  des  choses,  elle  a  la.puissauce 
créatrice.  —  Non,  dit  Leibnitz,  personne  ne  pense  que  disposer  en  dif- 
fêrens  sens  une  cire  molle  soit  employer  la  force  créatrice.  C'est  un 
abus  de  mots. 

SI  l'àme  était  la  cause  de  ses  pensées  et  de  ses  volitions  elle  en  con- 
naîtrait la  nature  ;  or  elle  ne  la  connaît  nullement.  Elle  ne  peut  dire 
comment  se  forment  ses  idées  et  ses  sentiments,  ni  juger,  ni  aimer  de 
telle  manière,  quand  elle  veut.  —  Non,  dit  Leibnitz,  il  n'est  pas  néces- 
saire que  l'àme  connaisse  tout  cela  pour  le  faire,  pas  plus  que  la  goutte 
d'huile  qui  s'arrondit  sur  l'eau  ne  connaît  la  géométrie. 

L'ouvrage  se  termine  par  un  intéressant  dialogue  de  Laurent  Valla 
sur  l'accord  de  la  prescience  et  du  libre  arbitre,  et  Leibnitz  donne  à  ce 
dialogue  une  suite  pour  mieu.K  expliquer  la  difticullê  selon  ses  théories 
optimistes. 

289  Appréciations  de  la  philosophie  de  Leibnitz.  Il  ,y  a 

de  la  grandeur,  de  la  vérité  et  quelques  éclairs  de  génie  dans  la 
philosophie  de  Leibnitz  ;  mais  il  y  a  aussi  des  excès  de  système.  On 
ne  saurait  rejeter  absolument  aucune  de  ces  théories,  mais  on  ne 
saurait  noû  plus  en  admettre  aucune  sans  la  corriger^  et  souvent  il 
est  difficile  de  préciser  le  point  jusqu'oi)  on  peut  le  suivre  et  oà 
Ton  doitTabandonner;  car  les  questions  qu'il  traite  touchent  toutes 
aux  mystères  qu'offi'cnt  à  notre  intelligence  les  rapports  du  fini 
avec  Tinfini. 

On  a  pu  voir  que  sa  théorie  de  la  connaiss^ance  et  presque  la 
nôtre  :  dans  sa  théorie  des  monades,  on  peut  accepter  comme  une 
vérité  à  peu  près  certaine  la  simplicité  des  éléments  du  corps, 
mais  on  ne  saurait  penser  avec  lui  que  les  monades  n*ont  aucune 
action  Tune  sur  l'autre,  ni  que  toutes  ont  des  perceptions  ;  sur  la 
question  de  la  liberté  il  est  plus  difficile  de  dire  où  s*arréte  la 
vérité  des  principes  déterministes,    mais  il   est  généralement 


i\        (5  HISTOIRE  D£  LA.   PHILOSOPHIE 

reconnu  aujourd'hui  quô  la  liberté  ne  consiste  pas  h,  agir  sais  nn^ 
mais  au  contraire  avoc  raison  ;  cependant  on  n*admet  pas  qoela 
motifs  soient  déterminants  par  cux-mômes  :  ifs  le  deTicnDeot  psr 
le  choix  de  notre  volonté  libre,  qui  laisse  quelquefois  le  meiEear 
pour  suivre  le  pire. 

Enfin  l'optimisme  lui-même  semble  fondé  en  raison  jusque  a 
certain  point  et  notre  raison  se  plaît  à  penser  que  Diea  fait  tiKttes 
choses  dans  dos  vues  d*une  sagesse  infinie,  et  que  le  mal  que  ne- 
ferme  le  monde  est  dans  les  conditions  mômes  du  monde  tel  qi» 
Dieu  l'a  choisi;  mais  on  n'oserait  pas  afiirmer  que  ce  monde  est  le 
meilleur  possible,  encore  moins  que  Dieu  ne  pouvait  en  choisir  qb 
autre.  St-Thomas,  par  exemple,  cherche  et  trouve  des  raisons  dt 
convenance  à  toutes  les  œuvres  de  Dieu,  mais  il  ne  dit  pas  qu'il 
ïCy  avait  rien  de  mieux.  C'est  qu'en  effet  la  perfection  des  étra 
créés  est  dans  Tordre  de  l'indéfini,  et  cet  ordre  n*a  pas  de  limite 
extrême  autre  que  l'infini  lui-même.  En  sorte  qu'aucune  créatare 
ne  saurait  être  la  plus  parfaite  possible,  en  restant  simple  créature. 
Mais  la  vie  surnaturelle,  communiquée  à  une  créature,  la  ptefe 
dans  un  ordre  au-dessus  duquel  rien  n'est  possible,  et,  danscetordre, 
N.  S.  Jésus-christ  qui  réunit  dans  une  seule  personne  la  Divinité 
et  l'humanité  est  certainement  l'œuvi'e  la  plus  parfaite  possible  de 
la  puissance  et  de  l'amour  de  Dieu.  Avec  cela  notre  monde  est  le 
meilleur  possible. 

290.  Wolf.  —  Jean  Chrétien  Wolf  né  à  Breslan,  en  1670, 
professeur  à  l'université  de  Halle,  en  1707,  puis  à  celle  de  Mar- 
bourg  en  1723  et  enfin  encore  à  Halle,  en  1740,  mourut  dans  cette 
dernière  ville  en  1754,  Il  appartient  donc  au  dix-huitiôme  sîècK 
plutôt  qu'au  dix-septième;  mais  nous  n'avons  pas  voulu  le  sêpartf 
de  Leibnitz,  dont  il  fut  le  continuateur  et  en  quelque  sorte  l'initia- 
teur de  sa  philosophie. 

Cartésien  dans  sa  jeunesse,  puis  disciple  de  Leibnitz^  il  se  noarrit 
des  doctrines  de  ce  dernier  et  s'attacha  à  les  répandre  en  j  mettant 
l'ordre  et  la  méthode  qui  faisaient  le  fond  de  son  esprit.  Il  annût 
voulu  conduire  l'enseignement  philosophique  avec  la  précision  et 
la  certitude  que  comporte  la  géométrie.  Il  a  tracé  une  classifica* 
tion  des  sciences,  ou  mieux  un  plan  d'études  philosophiques  et  il 


XVll*  SIÈCLE  —   HUBT  737 

dispose  les  branches  de  la  philosophie  dans  Tordre  que  nous  avons 
gairi  pour  notre  cours. 11  eut  de  nombreux  disciples  et  sa  philoso- 
phie a  régné  en  Allemagne  jusqu'à  Kant.  Ses  nombreux  ouvrages, 
qui  remplissent  23  volumes  in-4°,  traitent  par  ordre  toutes  les 
parties  de  la  philosophie.  Ils  sont  écrits  en  partie  en  allemand  et 
surtout  en  latin  « 

29t.  Bayle.  »—  Piefre  Bayle,  né  à  Cariât,  dans  le  comté  do 
Poix,  Tan  1647,  était  fils  d'un  ministre  calviniste.  Dans  le  coui*s 
de  ses  études,  qu'il  acheva  à  Toulouse,  chez  les  Jésuites,  il  se  con- 
vertit au  catholicisme  ;  mais  les  instances  de  sa  famille  le  ramenè- 
rent aux  pratiques  plus  faciles  de  Calvin.  Il  se  rendit  alors  à 
Genève,  et  après  avoir  été  précepteur  dans  plusieurs  maisons,  puis 
professeur  de  philosophie  à  l'université  calviniste  de  Sedan,  il 
passa  en  même  temps  que  Jurieu,  dont  il  était  le  collègue,  à  Rot- 
terdam, lorsque  ruuiversité  de  Sedan  fut  supprimée.  Là  les  intri- 
gues de  Jurieu  parvinrent  à  le  faire  destituer,  et  Bayle  se  réjouit 
do  son  indépendance.  Atteint  d'une  affection  de  poitrine,  il  mourut 
la  plume  à  la  main,  en  1706. 

Il  laissait  de  nombreux  ouvrages,  dont  le  principal  est  le  Dic- 
tionnaire historique  et  critique.  Toutes  les  questions  philosophi- 
ques y  Bont  traitées  et  mises  en  doute.  II  trouve  partout  des  rai- 
sons pour  et  contre  et  semble  se  plaire  à  prendre  la  raison  en 
défaut.  II  dit  quelque  part  que  les  faiblesses  de  la  raison  doivent 
nous  inviter  à  soumettre  notre  entendement  à  la  foi,  mais  ailleurs 
il  déclare  que  sa  mission  est  seulement  d'assembler,  des  doutes.  Il 
avait  beaucoup  lu  Montaigne,  dans  sa  jeunesse,  et  peutrètre  aussi 
«la  honte  de  paraître  inconstant»  puisqu'il  avait  deux  fois  changé 
de  religion,  lui  faisait  dire,  que  le  meilleur  mioyen  de  ne  jamais  se 
mettre  eil  contradiction  avec  soi-même,  c'est  de  ne  jamais  rien 
affirmer. 

Nous  avons  vu  comment  Leibnitz,  qui  cependant  faisait  grand 
cas  de  son  intelligence  de  sa  logique  et  de  son  érudition,  a  essayé 
de  répondre  à  toutes  les  difficultés  soulevées  par  Bayle^ 

292.  Httet.  —  Pierre  Daniel  Huet,  évoque  d'Avranches,  pré- 
cepteur du  Dauphin,  fils  de  Louis  XIV,  était  né  à  Caen,  en  1630i 
et  mourut  h,  Paris  en  1721.  On  s'accorde  à  le  considérer  comme 


738  HISTOIRE    DE    LA   PHILOSOPHIE 

très-énidit  et  habile  écrivain.  Mais  ileat  le  tort  d*exagérer  les^ 
faiblesses  de  l'esprit  humain  et  d'ôter  à  nos  facultés  tonte  certi- 
tude naturelle,  pour  mieux  soumettre,  pensait-il,  la  raison  à  la 
foi.  Cette  erreur  se  montre  déjà  dans  sa  Démonstration  érany- 
lique^  qui  d^ailleurs  renferme  des  matériaux  excellents  ;  mais  elle 
pamît  dans  tout  son  jour,  dans  le  Traité  de  la  faiblesse  deVesprit 
humain.  Son  système  ne  peut  se  soutenir,  puisque,  si  rien  n'est 
certain  en  dehors  de  la  foi,  le  fait  lui-môme  de  la  révélation  deTÎcfll 
indémontrable  et  la  foi  n*a  point  de  base.  Aussi,  dans  notre  sièck. 
quand  les  Traditionalistes  ont  renouvelé  Terreur  de  Huet,  l'Eglise 
a  pris  la  défense  de  la  raison  méconnue. 

Cependant  tout  n'est  pas  à  dédaigner  dans  la  critique  que  fait 
révoque  d'Avranches  des  systèmes  philosophiques,  et  particulière- 
ment dans  la  Critique  de  la  i^hilosophie  cartésierine,  on  troaT<» 
relevées  bien  des  erreurs  que  Descartes  avait  posées  comme  prin- 
cipes de  sa  philosophie,  et  ses  arguments  y  sont  plus  d'une  fois 
justement  condamnés.  Kn  effet,  comme  le  dit  H uet,  notre  exis- 
tence personnelle  n'est  pas  le  premier  objet  de  notre  connaissance  : 
nous  la  connaissons  par  la  raison  et  non  par  la  perception  ;  la 
preuve  de  la  spiritualité  de  Tàme  telle  que  la  donne  Descartes  est 
insuffisante  ;  Tâme  n'est  pas  mieux  connue  que  le  corps  :  le  moi 
n'est  pas  tout  entier  dans  la  pensée  ;  certaines  idées  dérivent  des 
sens  :  etc.  Mais  à  son  tour  Huet  à  tort  contre  Descartes  dans  plu- 
sieurs autres  propositions  :  par  exemple,  que  l'évidence  est  une 
marque  incertaine  de  la  vérité,  ou  que  l'idée  de  l'infini  dérive  do 
fini. 

ft.  s.- PflILOSOPBBS    lOtALISTIS. 

293.  La  Rochefoucauld.  —  François  YI,  duc  de  la  Roche- 
foucauld, prince  de  Marsiilac,  naquit  en  1613.  Naturellement 
mélancolique,  il  fut  jeté  par  les  circonstances  plutôt  que  par  goiM 
dans  les  luttes  et  les  intrigues  de  cour  qui  amenèrent  la  Fronde.  Il 
s'y  distingua  par  son  activité  et  sa  bravoure,  mais  après  la  p&ii 
il  regretta  de  s'être  livré  à  ce  qu'il  appelait  «  un  métier  pour  les 
sots  et  les  malheureux,  dont  les  honnêtes  gens  et  ceux  qui  se  trou- 
vent bien  ne  se  doivent  point  mêler. »  Rentré  dans  la  vie  privée, 


XVll»   SIÈCLE    —   LA    ROCHEFOUCAULD  739 

il  écrivit  ses  Mémoires  et  ses  Maximes,  sans  cesser  d'entretenir 
un  commerce  d'amitié  et  de  relations  suivies  avec  tout  se  qui  se 
distinguait  alors  par  le  talent  ou  par  la  naissance.  Il  mourut  en 
1780,  entre  les  bras  de  Bossuet. 

On  s'accorde  généralement  à  dire  que  La  Rochefoucauld  fonde 
systématiquement  la  morale  sur  Tégoïsme,  qu'il  ne  donne  pas 
d'autre  mobile  à  nos  actions  que  la  vanité  et  l'intérêt,  et  quelques- 
uns  vont  môme  jusqu'à  trouver  ses  théories  appuyées  sur  des  prin. 
cipes  matérialistes.  Nous  croyons  ce  jugement  exagéré,  et  il  nous 
semble  que  La  Rochefoucauld,  faisant  un  livre  de  critique  de 
mœurs,  plutôt  que  de  morale,  n'a  voulu  peindre  que  les  défauts  du 
c<eur  humain,  et  particulièrement  les  .vices  qu'il  voyait  dominer 
autour  de  lui.  Il  est  vrai  que  sa  philosophie  dérive  de  Locke,  mais 
elle  n*est  pas  précisément  matérialiste.  Quand  à  sa  théorie  morale 
citons  les  pensées  les  plus  incriminées  et  nous  verrons  s'il  n'est  pas 
possible  de  les  absoudre  du  reproche  de  fatalisme  et  même 
d'égoîsme. 

«  La  nature  fait  le  mérite,  la  fortune  le  met  en  œuvre .  » 
(Maxime  153).  «  Nos  qualités  sojit  presque  toutes  à  la  merci  des 
occasions.»  (Maxime  170).  «  Notre  sagesse  n'est  pas  moins  à  la 
merci  de  la  fortune  que  nos  biens  »  (Maxime  323).  —  En  expli- 
r[uant  œs  maximes,  et  les  autres  qui  leur  ressemblent,  l'une  par 
l'autre,  on  les  réduira  à  une  pensée  très-vraie  ;  savoir  :  que  le 
mérite  i*éel  reste  caché  tant  que  les  circonstances  ne  le  découvi*ent 
pas,  et  que  l'homme  vertueux  doit  sa  vertu  au  milieu  dans  lequel 
il  a  vécu  plus  encore  qu'à  sa  raison  et  à  sa  volonté. 

<c  La  philosophie  triomphe  des  maux  passés  et  des  maux  à 
venir  ;  mais  les  maux  présents  triomphent  d'elle  »  (Maxime  22) 
Si  l'on  admet  quelques  exceptions  à  cette  pensée,  elle  restera  pro- 
fondément vraie. 

€  Toutes  nos  vertus  ne  sont  qu'un  art  de  paraîtres  honnêtes  i> 
(Premières  pensées,  n^  54)  <  Les  vertus  se  perdent  dans  l'intérêt 
comme  les  fleuves  se  perdent  dans  la  mer  »  (Maxime  171).  a  La 
vertu  n'irait  pas  si  loin,  si  la  vanité  ne  lui  tenait  compagnie  « 
(Maxime  200).  —  Qu'on  entende  ces  paroles  comme  l'expression- 
d'un  fait  assez  général,  et  non  comme  la  formule  d'nne  loi,  et  Ton 
ne  poarra  s'empêcher  de  reconnaître  qu'elles  sont  malheureuse- 
ment  trop  vraies. 


740  HISTOIRE  DB  LA  PHILO0OPHIB 

a  L'amitié  la  plus  désintéressée  n'est  qu'un  commerce  oâ  b^ 
amour-propre  se  propose  toujours  quelque  chose  à  gagB®.  • 
{Maxime  83)  «  Il  n'y  a  pas  de  passion  où  l'amour  de  sol-afef 
régne  si  puissament  que  dans  l'amour  »  (Maœ,  2&7)  «llcne?tà 
véritaUe  amour  comme  de  l'apparition  des  esprits  :  tout  k  wsm 
en  parle,  mais  peu  de  gens  l'ont  vu  »  {Maœi'fne  76). 

«  Notre  repentirn'est  pas  tant  un  regret  du  mal  que  noas»T<^ 
fait,  qu'une  crainte  de  celui  qui  nous  en  peut  arriver  »  (Max.W' 

€  Les  passions  les  plus  violentes  nous  laissent  qnelquef(i^  si 
relâche,  mais  la  vanité  nous  agite  toujours.  »  {Majt,  443).- 
Tout  cela  s'explique  encore  comme  constatation  d'un  fait. 

«  Le  mal  que  nous  faisons  ne  nous  attire  pas  tant  c. 
persécution  et  de  haine  que  nos  bonnes  qualités  »  {Mot,  -' 
«  Il  n'est  pas  si  dangereux  do  faire  du  mal  à  la  plupart âa 
hommes  que  de  leur  faire  trop  de  bien  »  {Max.  238)  —  ^^ 
est  l'homme  au  cœur  bon  et  dévoué  qui  n'a  éprouvé  plus  ài^- 
fois  la  triste  réalité  de  ces  deux  pensées .  Non  pas  précisém^î 
que  les  hommes  détestent  chez  les  autres  les  bonnes  qoali* 
comme  telles,  ni  qu'ils  puissent  concevoir  de  la  haine  a» 
bienfait  reçu,  considéré  comme  bienfait  ;  mais  parce  qn*  ^ 
bonnes  qualités  des  autres  prennent  aux  yeux  de  beaucoup  » 
apparences  du  vice  ou  au  moins  de  Terreur,  ou  môme  smm^ 
nuire  à  nos  intérêts  ou  choquer  nos  sentiments  ;  c'est  en  «ft 
qu'on  les  déteste.  Ou  encore,  lorsqu'on  a  fait  du  bien  à  quelqa^s 
et  q'i'oiî  est  obligé  de  s'arrêter,  celui-ci  ne  voit  plus  le  hkn^^^ 
lui  a  fait,  mais  seulement  celui  qu'il  n'obtient  pas.  De  là  <*we 
aversion  qui  s'appelle  justement  ingratitude. 

Ailleurs,  La  Rochefoucauld  exagère  sans  doute  l'influcaec* 
physique  sur  le  moral,  mais  il  n'y  a  pas  moins  bcaûcosp^ 
vrai  sous  cette  pensée  excessive  :  «  La  force  et  la  faibles»  * 
l'esprit  sont  mal  nommées,  elles  no  sont,  en  effet,  q«e)a  ^°^^ 
la  mauvaise  disposition  des  organes  du  corps.  x>  Il  est  facile* 
constater,  en  eifét,  que  si  le  tempérament  ne  fait  pas  te^fl*^ 
le  caractère,  ce  qui  serait  un  fatalisme  matérialiste,  il  y  ^  *^ 
moins  pour  beaucoup.  La  volonté  ne  peut  se  porter  que  8or  ' 
que  l'âme  connaît,  et  il  est  une  force  d'àme  que  ne  cobb^'^ 
jamais  celui  qui  a  le  tempérament  lymphatique,  comD^*'* 


j 


XYU*    SIÈCLE    -r^   LA    BRUYÈRE  741 

11  est  une  doaceur  de  caractère  dont  n'dproavera  jamais  le 
sentiment  celui  qui  par  constitution  est  fougueux.  Par  le  môme 
principe,  il  est  des  Ames  qui  ne  sauraient  prendre  une  résolution 
énergique,  et  d'autres  qui  se  décident  avant  d'avoir  réfléchi  ^ 

Ainsi  tout  en  reconnaissant  que  l'âme  humaine  est  capable 
d*antre3  vertus  que  celles  que  lui  prête  Laroche foucaud,  nous  ne 
saurions  condamner  absolument  la  critique  qu'il  fait  de  l'égoisme 
dos  hommes.  Ce  vice  existe,  en  eâet,  dans  l'Âme  humaine  ;  on 
peut  le  corriger,  mais  la  plupart  n*y  songent  môme  pas,  et 
plusieurs,  s'ils  y  songeaient,  n'auraient  pas  le  courage  de  l'entre- 
prendre et  le  plus  souvent  n'auraient  pas  la  persévérance 
nécessaire  pour  l'achever. 

294.  La  Bruyère.  —  A  côté  de  La  Rochefoucauld  nous  devons 
placer  La  Bruyère,  quoique  le  seul  livre  qu'il  nous  a  laissé  ne  soit 
pas  un  livre  do  philosophie,  moins  encore  que  les  Maximes  du 
premier. 

Jean  de  la  Bruyère,  né  à  Dourdan,  en  1639,  et  mort  à  Versail- 
les en  1096,  fut  d'abord  trésorier  dans  la  généralité  de  Caen,  puis 
chargé  d'enseigner  Thistoire  au  duc  de  Bourgogne,  auquel  il  resta 
attaché  toute  sa  vie,  en  qualité  d'hommes  de  lettres,  avec  une 
pension  de  mille  écus. 

Sortant  peu,  mais  observant  beaucoup,  il  écrivait  en  rentrant 
chez  lui  les  remarques  qu'il  avait  faites,  et  en  môme  temps  il  tra- 
duisait les  Caractères  de  Théophraste.  D'abord,  il  ne  fit  qu'ajouter 
quelques-unes  de  ses  propres  pensées  à  la  suite  de  cet  ouvrage, 
mais  en  1687  il  publia  son  propre  travail  sous  le  titre  de  Caractères. 

On  y  trouve  un  fond  de  critique  de  mœurs  souvent  aussi  triste 
que  dans  La  Rochefoucauld,  mais  on  y  voit  plus  facilement  le 
correctif  à  côté  du  sentiment  ou  du  jugement  trop  sévère.  Il  y  a 
de  plus  une  haute  estime  de  la  philosophie  pratique  à  côté  d'un 
certain  mépris  pour  la  spéculation,  une  condamnation  très-nette  et 
très-spirituelle  des  esprits  forts  qui,  faibles  en  réalité,  se  vantent 
de  ne  pas  croire  en  Dieu,  et  La  Bruyère  donne  pour  cela  les  preu- 
ves de  l'existence  de  Dieu  et  de  l'immortalité  de  l'Ame,  en  les 
empruntant  à  Descartes. 

295.  Cumberland.  —  Vers  la  izfôme  époque,  Richard  Cum- 
berland,  né  à  Londres  en  1632,  pasteur,  puis  évoque  anglican, 


742  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

mort  à  Péterborough  en  1718,  écrivait  soq  traité  de  Legihut 
naturcey  où  il  s'efforce  de  relever  les  notions  morales,  abaissa 
par  Hobbes  ;  il  cherche  le  fondement  des  lois  morales  dans  la 
nature  humaine  et  les  reconnait  antérieures  à  tonte  convention, 
ayant  pour  auteur  Dieu  lui-môme,  et  pour  sanction  le  bonheur  ou 
le  malheur  de  Tindividu  ;  mais  il  les  fait  consister  dans  la  bien- 
veillance dont  nous  devons  être  animés  les  uns  pour  les  autres  et 
dans  cette  bienveillance  il  trouve  la  raison  et  la  forme  de  tons  nus 
devoirs  publics  et  privés.  Il  inaugure  donc  la  morale  du  sentiment 
que  nous  verrons  se  développer,  pendant  le  dix-huitiôme  sièi'le, 
chez  da^itres  auteurs  dont  le  plus  connu  est  Adam  Smith. 

XVIIP    SIÈCLE 

s  1    EGOLK  SENSCALISTE 

296.  Condillac.  -  Etienne  Bonnot  de  Condillac,  né  à  Grenoble 
en  1715,  d'une  famille  de  robe,  fut  ainsi  que  son  frère,  l'abbé 
Mably,  destiné  h  l'état  ecclésiastique,  et  quoiqu'il  n'en  ait  pas 
exercé  les  fonctions,  cette  profession  cependant  l'arrêta  dans  les 
écarts  où  aurait  dû  le  jeter  son  système  sensualiste.  Il  connut 
Diderot  et  J.  J.  Rousseau,  mais  il  ne  les  suivit  jamais  dans  lears 
erreurs  religieuses.  Après  avoir  été  sans  trop  de  succès  le  précep- 
teur de  l'infant  duc  de  Parme,  il  entra  à  l'Académie.  Il  mourut  en 
1780,  dans  l'abbaye  de  Flux,  près  Beaugency,  dans  l'Orléanais, 
dont  il  était  bénéficier. 

Ses  principaux  ouvrages  sont  :  VEssai  sur  VoHgine  des  con- 
naissances humaine,  où  il  ne  fait  qu'expliquer  Locke,  reconnais- 
sant avec  lui  comme  source  de  nos  idées  les  sens  et  le  tra\iail  de 
l'dme  sur  ses  propres  perceptions,  et  le  Traité  des  sensatiofiSf  où 
il  devient  absolument  sensualiste,  ne  reconnaît  pas  d'autre  faculté 
à  l'âme  que  la  sensibilité,  et  dit  que  les  idées  ne  sont  que  des  sen- 
sations transforynëes^  niant  ainsi  l'activité  de  l'âme,  qu'il  avait 
reconnue  d'abord. 

On  a  aussi  de  lui  le  Traité  des  systèmes ^  un  Traité  des  ani» 
maux,  une  Histoire  générale  des  hommes  et  des  empires^   une 


XVir   SIÈCLE  —  CONDILLAC  743 

Logique^  écrite  à  la  demande  du  roi  de  Pologne,  en  1777,  et  un 
Cours  (V études  pour  Vinstruction  du  prince  de  Parme. 

Condillac  a  surtout  traité  dans  ses  ouvrages  Torigine  de  nos 
connaissances,  et  il  a  tellement  généralisé  cette  question,  qu  elle 
embrasse  toute  sa  philosophie. 

D'abord  simple  disciple  de  Locke,  il  admit  son  principe  que 
Tâme  est  une  table  rase,  et  pour  expliquer,  avec  lui>  les  idées  par 
les  sens  et  la  réflexion,  il  lit  intervenir  le  langage.  C'est  dans  les 
mots  eux-mémeb  qu'il  trouve  le  principe  de  Tabstraction,  de  la 
généralisation,  du  jugement  et  du  raisonnement,  en  un  mot  de 
tout  ce  que  Locke  appelle  la  réflexion.  Il  confond  le  moyen  avec  la 
cause,  et  c'est  ainsi  qu'il  a  pu  prononcer  cette  parole  devenue 
célèbre  :  «  Une  science  n'est  qu'une  langue  bien  faite,  b 

Après  avoir  assigné  au  langage  la  fonction  d'engendrer  la  pen- 
sée, il  fait  venir  le  langage  lui-môme  d'une  création  lente  et  suc- 
cessive obtenue  par  l'humanité  après  mille  essais  imparfaits,  tels 
que  le  langage  d'action  d'abord,  puis  les  cris  inarticulés,  puis 
quelques  articulations  simples,  etc.  Le  langage  parlé  proprement 
dit  ne  serait  arrivé  ainsi  qu'après  de  nombreuses  générations. 

Telles  étaient  les  théories  de  Condillac  dans  son  Essai  sur  V ori- 
gine des  confiai ssances  humaines^  c'est-à-dire  dans  sa  première 
philosophie. 

Mais  dans  son  Traité -des  sensations  il  va  beaucoup  plus  loin. 
11  s'eâorce  de  ramener  à  un  seul  les  deux  principes  admis  par 
Locke,  et  donne  la  sensation  non  seulement  comme  la  source  de 
nos  connaissances  et  môme  de  toutes  nos  opérations,  mais  encore 
comme  le  principe  de  toutes  nos  facultés .  Supposant  d'abord  une 
statue  ayant  les  mômes  organes  que  nous  et  douée  d'un  esprit  en- 
core dépourvu  de  toute  idée,  il  lui  présente  une  rose  et  il  prétend 
que  la  statue  la  sent  et  s'aperçoit  de  l'impression  reçue,  que  cette 
impression  lui  plaît,  qu'elle  se  la  rappelle,  la  désire  et  se  plaint  de 
ne  plus  ravoir,  en  compare  le  parfum  avec  les  autres  odeurs  qu'on 
lui  fait  sentir.  Condillac  agit  de  môme  pour  tous  lesauti*es  sens  et 
bientôt  il  conclut  que,  par  la  seule  sensation,  sa  statue  fait  tout  ce 
que  nous  faisons.  Il  ne  s'aperçoit  pas  que  dès  le  principe  il  fait 
faire  &  cette  statue  des  actes  dont  elle  n'a  pas  la  faculté  d'après 
l'hypothèse. 


744  H18T01KB  DE   LA    PHIi.080PUlK 

Voici  comment  il  analjse  Yûme  et  expose  la  géoéiitioadeiB 
facultés. 

«  Lorsqu'une  campagne  s'offre  &  ma  vue,  je  voii  io«t  ^ 
premier  coup  d'œil  et  je  ne  discerne  rien  encore.  Maisqosfid  fei 
regarde  un  seul,  les  autres  sont  comme  si  je  ne  les  Toyais  ptaîi^ 
parmi  tant  de  sensations,  il  semble  que  je  n*en  éproare  qn'oie.» 
«  Ce  regard  est  une  action  par  laquelle  mon  œil  tend  à  Tobj^  t« 
lequel  il  se  dirige  :  par  cette  raison,  je  lui  donne  le  noœd'tf^f^ 
tifrn,  et  il  m'est  évident  que  cette  direction  de  TorgaBe  est  tente  l> 
part  que  le  corps  peut  avoir  à  Tattention.  Quelle  est  dooc  li  p^ 
de  l'Ame  ?  Une  sensation  que  nous  éprouvons  comme  si  ^  t^ 
seule.  V)  «  Uattention  que  nous  donnons  à  un  objet  n'est  to,^ 
la  part  de  l'Âme,  que  la  sensation  que  cet  objet  fait  surnoos.  i 
a  Comme  nous  donnons  notre  attention  à  un  objet,  ooo5  pri- 
vons la  donner  à  deux  à  la  fois et  nous  disons  qaentK^  ifi 

comparons....  Lq.  comparaison n^esi  donc  qu'une  double  itî£&- 
tion  :  elle  consiste  dans  deux  sensations  qn'on  éprouve,  cûbubs  ri 
on  les  éprouvait  seules,  et  qui  excluent  toutes  les  autres.  » 

«  Nous  ne  pouvons  comparer  deux  objets qu'ausâtM  »* 

n'apercevions  qu'ils  se  ressemblent  ou  qu'ils  diffèrent.  Or,  afff- 
cevoir  des  ressemblances  ou  des  différences,  c'est  juger.  Uji^ 
ment  n'est  donc  encore  que  sensation.  » 

«  La  réflexion  n'est  qu'une  suite  de  jugements  qui  se  fooi  I* 
une  suite  de  comparaisons  ;  et,  puisque  dans  les  comparaistHâ  ^ 
les  jugements,  il  n'y  a  que  des  sensations,  il  n'y  a  aossi  qos* 
sensations  dans  la  réflexion.  »  La  réflexion  qui  réunit  dan»  ^ 
seule  image  les  qualités  séparées  dans  plusieurs  preBd  i^^ 
àHmagi nation.  «  Lorsqu'un  jugement  est  renfermé  dans  an »at«i 
on  le  peut  prononcer  comme  une  suite  du  premier,  et  c'est  ceqû* 
entend  par  faire  un  raisonnement.  Ce  n'est  autre  chose  qa«P 
noncer  deux  jugements.  Il  n'y  a  donc  que  des  sensations  da»** 
raisonnements.  »  Ainsi  toutes  les  facultés  de  Ventendeni^^ 
renfermées  dans  la  faculté  de  sentir. 

a  En  considérant  nos  sensations  comme  représentatiTâS,  s^^ 
venons  d'en  voir  sortir  toutes  les  facultés  de  rentendemeni  ^ 
nous  les  considérons  comme  agréables  ou  désagréables,  s<wstf 
verrons  naître  toutes  les  facultés  qu'on  rapporte  A  la  volonté-  ■** 


XVIII*  SIÈCLE  —    CONDILLAC  745 

Condillac  décrit  \dk  privation  et  le  besoin^  puis  le  malaise  et  Vin- 
quiétvde  qui  eu  résultent.  Vient  ensuite  le  désir,  qui  n'est,  selon 
lui,  que  la  direction  de  nos  facultés  vers  Tobjet  dont  nous  sommes 
privés  ;  la  j}a*«ém  n'est  qu'un  désir  tourné  en  habitude.  S'il  s'y 
j6int  le  jugement  que  nous  obtiendrons  l'objet  désiré,  c'est  Y  espé- 
rance ^  et,  si  nous  jugeons  qu'il  n'y  a  pas  d'obstacle,  nous  disons  : 
Je  veux.  On  est  dans  l'usage  d'entendre  par  volonté  a  une  faculté 
qui  comprend  toutes  les  habitudes  qui  naissent  du  besoin.  » 

«  Enfin  le  mot  pensée,  plus  général  encore,  comprend  dans  son 
acception  toutes  les  facultés  de  rentendement  et  toutes  celles  de 
la  volonté.  Car,  penser  c'est  sentir,  donner  son  attention,  compa- 
rer, juger,  réfléchir,  imaginer,  raisonner,  désirer,  avoir  des  .pas- 
sions, espérer,  craindre,  etc. 

4C  Nous  avons  expliqué  comment  les  facultés  de  l'âme  naissent 
successivement  de  la  sensatioîi  ;  et  on  voit  qu^elles  ne  sont  que 
la  sensation,  qui  se  transforme,  pour  devenir  chacune  d'elles.  » 

Telle  est  la  doctrine  de  Condillac,  nous  l'avons  prise  dans  sa 
Logique,  où  il  l'expose  avec  plus  de  brièveté,  mais  c'est  celle 
qu'il  avait  donnée  dans  le  Traité  des  sensations.  Nous  ne  pen- 
sons pas  qu'il  soit  nécessaire  de  la  réfuter  :  on  voit  facilement  que 
Condillac  confond  les  phénomènes  où  l'âme  est  active  avec  ceux  où 
l'âme  est  passive,  et  si  l'on  se  rappelle  notre  analyse  des  facultés 
de  l'âme  on  comprendra  facilement  qu'une  fois  que  l'on  a  confondu 
l'attention  et  la  sensation,  on  doit  ramener  à  la  sensation  toutes 
les  autres  opérations  intellectuelles.  La  chose  est  moins  facile  pour 
la  volonté,  mais  celui  qui  ne  voit  pas  Vacte  qui  distingue  regarder 
de  voir,  peut  très-bien  confondre  le  désir  avec  la  sensation  et  la 
volonté  avec  le  désir. 

Il  ne  faudrait  pas  conclure  de  ce  qui  précède  que  Condillac  ait 
été  matérialiste;  Au  contraire,  il  redresse  Locke  qui  avait  dit  : 
«  Nous  ne  pouvons  pas  savoir  si  Dieu  ne  pourrait  ^pas  donner  la 
pensée  â  la  matière,  »  et  il  répond  que,  sans  connaître  la  nature 
de  l'âme,  il  suffit  de  savoir  que  la  pensée  est  une,  pour  conclure  que 
son  8(\jet  doit  être  un.  Bien  plus,  on  a  dit,  avec  quelque  raison, 
que  le  système  de  Condillac  doit  conduire  à  l'idéalisme  ;  car,  si 
tout  est  sensation,  quel  moyen  avons-nous  d'affirmer  que  l'objet 

48 


74G  HISTOIRB  DE    hk    PHILOSOPHIE 

(le  nos  sensations  est  réel  et  existe  au  dehors  de  noos?  £t,eflci$, 
Diderot  remarque  que  Berkeley  prend  ses  principes  chez  CondiEi'- 

297.  Helvétius.  —  Claude  Adrien  Helvétius,  né  à  Paris,  a 

1715,  et  mort  dans  la  môme  ville  en  1771,  se  montre  auFsi  Mtï^ 

meut  sensualiste  que  Condillac  ;  mais  ce  qui  lui  appartient  dâ»» 

philosophie,  c'est  sa  théorie  morale,  quoique  le  fond  <K*  <»îtet^ 

rie  appartienne  A  Epicure.  L'ouvrage  où  il  expose  cette  d«<r» 

est  intitulé:  de  V  Esprit.  Ce  livre  eut  un    immense  succès  à  «• 

apparition,  mais  il  fut  condamné  par  Tautorité,  et  HelTétios  dst 

s'exiler  quelque  temps  en  AngleteiTe.  A  son  retour,  il  trouva  » 

nombreux  antagonistes  et  il  écrivit  le  Traité  de  rhomnie,Y^ 

défendre  les  principes  qu'il  avait  émis  dlabord.  Voici  ces  prinf;p»; 

Tout  est  sensation  dans  l'homme.  ÎS'il  est   plus  parfait  qtfi» 

animaux,  ce  n'est  que  par  la  délicatesse  de  ses  organes.  Lessen»* 

tiens  excitent  les  passions,  et  les  passions  sont   Tunique  pricci» 

de  nos  actions.  La  liberté  n'est  qu'un  mot  vide  de  sens.  L'honffl* 

n'agit  et  ne  peut  agir  que  pour  rechercher  le  plaisir  et  fuir  la  à»- 

leur:  l'intérêt  personnel  est  toute  sa  loi.  La  vertu  n'est qu'uB nos: 

dont  on  décoixî  les  qualités  utiles  des  choses  ou  de  celui  qui  ^^ 

les  rocherchor.  L'amour  filial,  l'amour  de  la  patrie,  le  dévouemest 

quel  qu'il  soit,  n'est  qu'un  calcul  d'intérêt,  un  mode  d'action  àï 

lequel  on  trouve  son  plaisir. 

Toutefois  celui-là  seul  est  appelé  vertueux,  dont  le  plaisir  i*^ 
sonnel  concorde  avec  l'intérêt  des  autres.  Celui-là  est  injaste  qfi 
ne  voit  pas  cet  accord  et  nuit  aux  autres  en  cherchant  son  pla*'- 
Et  encore  cet  accord,  Helvétius  ne  le  fait  pas  venir  d'uue  volontt 
libre,  mais  d'une  disposition  des  passions,  et  cette  disposition  vi«^ 
selon  lui,  de  l'éducation. 

Toutes  les  âmes  sont  égales  et  c'est  l'éducation  seule,  c'est-à^ii^ 
le  milieu  dans  lequel  on  se  trouve  et  les  habitudes  queronypre»» 
qui  fait  naître  la  diversité  qui  existe  enti'e  les  hommes.  Twit* 
réduit  à  développer  uniformément  toutes  les  passions,  sans  qcs 
l'une  l'emporte  sur  l'autre. 

Telle  est  la  théorie  morale  qui  découle  logiquement  du  sensu»* 
lisine,  et  encore  on  sent  que  l'autour  fait  des  concessions  ft  l'«-^*r^ 
commun;  car  rien  dans  ses  principes  ne  justifie  le  sacrifict' «1° " 
exige  de  notre  plaisir  dans  le  but  de  favoriser  l'intérêt  d  autrn:- 


XVIII*   SIÈCLE  —   ÉCOLE   SBNSUAL18TE  747 

298.  D'Holbach.  —  Paul  Thyri,  baron  d'Holbach,  né  a  Hil- 
desheim,  en  1723,  mort  à  Paris,  le  21  Janvier  1789,  est  plus 
remarquable  comme  ennemi  de  la  religion,  que  comme  philosophe. 
Aprôs  avoir  rendu  quelques  services  à  Ja  science  et  à  l'industrie 
par  des  traductions  d'ouvrages  allemands,  il  se  fit  Tamphytriou 
des  encyclopédistes.  Diderot,  d'Alembert,  Marmontel,  J.-J.  Rous- 
seau »  et  les  autres  se  réunissaient  chez  lui  et  s'encourageaient 
mutuellement  à  poursuivre  l'œuvre  commune  que  dirigeait  Vol- 
taire. Mais  le  baron  d'Holbach  ne  se  contentait  pas  de  cette  action 
indirecte.  Il  écrivit  pour  sa  part  plus  de  vingt-cinq  pamphlets  anti- 
chrétiens,  sans  compter  les  œuvres  de  plus  longue  haleine,  telles 
que  le  Christianisme  dévoilé  et  le  Système  de  la  nature.  Ces 
deux  ouvrages  furent  condamnés  par  le  Parlement,  ainsi  que  plu- 
sieurs autres  de  moindre  importance.  On  croit  que  c'est  lui  qui  a 
écrit  le  Bon  sens  du  curé  MesUer,  ouvrage  que  quelques-uns 
ont  attribué  à  Voltaire. 

Le  premier  de  ces  trois  écrits  est  une  impudente  diatribe  contre 
le  dogme  et  la  morale  du  christianisme,  que  l'auteur  s'efforce  de 
montrer  comme  faux,  inutiles  et  nuisibles.  Les  deux  autres  profes- 
sent l'athéisme  le  plus  révoltant,  et  prétendent  démontrer  la  faus- 
seté de  chacun  des  attributs  de  Dieu. 

Enfin,  dans  le  Système  social^  d'Holbach  essaye  de  tracer  des 
règles  morales  et  politiques  en  dehors  de  toute  religion. 

Sa  philosophie,  si  l'on  peut  ravaler  jusque  là  le  nom  de  cette 
science,  était  toute  matérialiste. 

Cependant  ses  contemporains  s'accordent  à  le  réprésenter  comme 
un  homme  simple  et  bon,  «  faisant  le  bien  sans  espoir  de  récom- 
pense. » 

299.  Lamettrie.  —  Julien  Offroy  de  Lamettrie,  né  à  St-Malo 
en  1709,  mort  à  Berlin,  en  1751,  fut  aussi  ennemi  de  la  religion 
que  d'Holbach,  quoiqu'il  n'ait  écrit  aucune  attaque  directe  contre 
elle,  mais  plus  matérialiste  que  lui.  Il  était  médecin  des  gardes,  et 
s'étant  aperçu  pendant  une  njaladie  qu'il  fit,  au  siège  do  Fribourg, 
que  ses  facultés  morales  s'affaiblissaient  avec  ses  organes,  il  en 
conclut  que  la  pensée  n'est  qu'un  produit  de  l'organisation.  Il  écri. 
vit  donc  V Histoire  nainrelle  de  Vâme,  où  il  expose  cette  doctrine. 


748  HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIE 

Son  livre  fut  vivement  blâmé  et  il  perdit  sa  place.  Il  pnUii  ^'1 
contre  les  médecins  la  Politique  du  médecin  de  MachiarA^i 
Tobligea  à  se  réfugier  à  Lejde,  pendant  que  son  livre  tuit  kil 
publiquement.  Un  autre  livre,  intitulé  Y  Homme  machi^i^,  eci 
môme  sort  à  Lejde  et  l'auteur  dut  quitter  la  Holland\  II»  re- 
dit en  Prusse,  où  il  devint  familier  avec  Frédéric,  il  nk^rs. 
Berlin,  pendant  qu'il  sollicitait  son  retour  en  Finance,  |ar  Te* 
mise  de  Voltaire. 

300.  Bonnet.  —  Charles  Bonnet,  né  à  Grénôve,  en  17"2'\  a 
mort  dans  la  même  ville  en  1793,  sans  avoir  quitté  h  S&t, 
appartient  à  l'école  sensualiste,  par  la  théorie  des  idée5,  naiâba 
de  participer  à  l'esprit  irréligieux  de  son  école,  il  se  monirt  péi 
d'amour  pour  Dieu,  dont  il  voit  l'action  en  toutes  choses.  Co- 
dant il  est  plutôt  théiste  que  chrétien. 

Le  caractère  propre  de  sa  philosophie  consiste  d'abord  â  ^ 
séparer  jamais  Tâme  du  corps,  et  môme  à  vouloir  étudier  ïisè 
dans  le  corps.  Il  n'admet  pas  la  conscience  et  croit  que  nœsEt 
connaissons  Tâme  que  par  les  modifications  qu'elle  imprifl»  ^ 
corps.  Les  idées  ont  leur  principe  dans  les  mouvements  d€siixe 
nerveuses.  Il  étudie  longuement  ces  fibres  et  croit  qu'il  j  en  â  e* 
pour  chaque  variété  de  sensation.  De  plus,  il  croit  expUq»?  ^ 
mémoire  par  ce  fait  qu'une  fibre  déjà  mue  d'une  certaine  maBifit 
reprend  ce  môme  mouvement  avec  plus  de  facilité,  à  une  secass 
impression  de  l'objet,  et  c'est  à  cette  mobilité  que  l'àme  iwoa»^ 
une  impression  répétée,  et  la  distingue  de  celle  qui  se  prëea^ 
pour  la  première  fois. 

C'est  la  réflexion,  c'est-à-dire  Tapplication  volontaire  de  1'** 
aux  idées  sensibles,  qui  produit  les  idées  abstraites,  etcdkwx 
môme  les  plus  spiritualisées,  viennent  des  sens. 

L'âme  est  une  force  active,  et  son  activité  s'exerce  sur  elle-nfes' 
et  sur  le  corps.  Bonnet  appelle  liberté  l'activité  elle-mâstte  * 
volonté  chacune  des  déterminations  de  cette  activité.  I*»  ^cIû*' 
est  excitée  par  le  plaisir  et  la  douleur,  par  le  jeu  des  fibres.  Ai* 
selon  Bonnet,  la  volonté  ne  s'exerce  que  par  la  connaissance,  ^c3 
il  suit  que  plus  un  homme  a  de  connaissance  plus  il  a  de  liberté- 

Voilà  ce  que  l'on  trouve  dans  V Essai  analytique  sur  lei  f^^ 


XVir  SIÈCLE    —  VOLTAIRE  749 

tés  de  Vdme^  ouvrage  qui* commence,  comme, celui  de  Condillac, 
par  la  supposition  d'une  statue  vivante,  dont  Bonnet  sépare  ou 
réunit  les  différents  sens,  pour  étudier  les  idées  qui  dérivent  de 
chacun  d'eux  ou  de  plusieurs  combinés. 

Dan  sa  Palingënësie  j^àilosophiqtiey  Bonnet  expose  que  l'âme 
n'est  jamais  sans  un  corps  et  qu'à  la  mort  elle  reste  unie  à  un  corps 
nouveau  qui  existait  déjà,  pendant  la  vie,  renfermé  dans  le  corps 
calleux  du  cerveau.  Il  se  développe  alors  de  nouveaux  organes 
dans  ce  corps  d'une  nature  très-subtile,  et  d'ailleurs,  celui-ci  garde 
les  tracefde  ses  impressions  antérieures.  L'homme  commence  cette 
'  nouvelle  vie  dans  l'état  intellectuel  et  moral  où  il  se  trouvait  à  la 
fin  do  celle-ci,  de  manière  qu'il  y  a  toujours  prçgrôs,  sans  solu- 
tion de  continuité. 

Il  admet  une  évolution  semblable  chez  les  animaux  et  croit  que 

Dieu  n'a^créé  d'abord  que  des  animaux  imparfaits,  qui  renfermaient 

en  germe  les  espèces  plus  parfaites  et  d'où  celles-ci  sont  sorties 

"  après  plusieurs  séries  da  perfectionnements,  séries  qui  correspondent 

chronologiquement  aux  révolutions  terrestres. 

ga.  8E!fSDALlSll    PRATIOni 

301 .  Voltaire.  —  Il  n'est  aucun  nom  dans  l'histoire  de  la  phi- 
losophie et  des  lettres  qui  excite  à  la  fois  autant  de  mépris  et 
autant  d'admiration  que  celui  de  Voltaire.  On  a  dit  que  l'on  pour- 
rait extraire  de  ses  ouvrages  un  livre  de  piété,  en  môme  temps 
qu'on  y  trouve  les  plus  horribles  blasphèmes  contre  Jésus-Christ. 
Ajoutons  que  l'on  peut  en  extraire  aussi  une  théodicée  parfaite- 
ment orthodoxe,  une  défense  de  la  liberté,  une  apologie  de  la  raison, 
un  traité  de  la  loi  morale  naturelle,  et  mille  autres  théories  philo- 
sophiques excellentes,  à  côté  des  sarcasmes  contre  Dieu  et  sa  pro- 
vidence, d'un  sensualisme  qui  détruit  la  possibilité  même  de  la 
liberté,  qui  nie  la  raison,  et  la  moralité,  à  côté  d'un  cynisme 
impudent  qui  glorifie  le  crime  et  vilipende  la  vertu.  M.  Beraot, 
dans  sa  Philosophie  de  Voltaire,  sans  être  un  ennemi  du  chris- 
tianisme et  tout  en  blâmant  Voltaire  de  n'avoir  pas  respecté  notre 
religion  et  de  n'avoir  pas  vu  ce  qu'elle  renferme  de  vrai,  essaye  de 


IteW 


7W  HISTOIRE  DB  Lil  PHILOSOPHIE 

le  justifier  de  tous  les  autres  reproches  et  s'efforce   d>n  hmf 
promoteur  de  la  raison,  le  défenseur  de  la  justice^  l*apôtre  ôê  b 
liberté.  Sans  doute,  c'est  là  le  masque  dont  Voltaire  a  coaTatt 
tdche  infâme  qu^il  s'était  donnée,  mais  au  nom  de  la  raîsosa  il  i:^ 
qua  tout  ce  qui  est  saint  et  raisonnable,  et  le  triomphe  de  larai^ 
(lu'il  prétendait  poursuivre  n'était  que  la  ruine  de   TEgrlise  eâ  « 
la  religion  chrétienne.  Pour  exécuter  ce  plan,  il  fallait  ^  dm:^ 
les  airs  d'un  philosophe  de  bon-sens,  et  c'est  ce  qu'il  a  fait  ;  si3 
il  fallait  surtout  mentir  et  se  moquer,  et  il  n*a  pas  failli  ie^ 
double  tâche. 

François-Marie  Arouet,  qui  ne  prit  que  plus  tard  le  am  'J 
Voltaire,  était  fils  d'un  receveur  de  la  chambre  des  comptes;  se« 
Châtenay,  près  de  Paris,  le  20  février  1694,  il  ne  fut  baptisé^* 
le  22  novembre .  Comme  il  faisait  ses  études  au  collège  Lo«ïis-> 
Grand,  sous  la  direction  des  jésuites,  un  de  ses  maîtres,  -le  pèa 
Le  Jay,  lui  prédit,  à  ce  que  nous  apprend  Condorcet,  qu'U 
le  coryphée  du  déisme.  L'abbé  de  Châteauneuf,  son  onde,  Tm 
duisit  dans  le  monde,  notamment  chez  Ninon  de  l'Enclos,  «i  <c 
apprit  à  faire  peu  de  cas  de  la  religion.  Emmené  en  HoUaiide,p>** 
l'ambassadeur,  il  s'en  fit  renvoyer  pour  une  intrigue  amooreose.  A 
son  retour,  son  père  le  chassa  de  la  maison  paternelle.  11  Afaâ 
écrit  jusque-là  des  pièces  fugitives  et  il  s'occupait  déjèLdelaHm- 
ri ade  et  an  Siècle  de  Louis  XIV,  Accusé  d'être  l'aatear  (Tu 
pamphlet  contre  Louis  XIV,  il  fut  mis  à  la  Baille.  Il  èen- 
vait  alors  Œdipe  et  le  poème  de  la  Ligue,  Le  duc  d'Orléans  fe^î 
mettre  en  liberté.  La  première  représentation  à'Œdipe^  qniesî 
lieu  en  1718  le  réconcilia^  avec  son  père.  Quelques  années  plus  tard 
(1724)  il  vit  J.-J.  Rousseau  et  se  brouilla  pour  toigours  arec  lai 
Il  blessa  par  des  paroles  inconvenantes  et  par  une  satire  le  cber»* 
lier  de  Rohan  et  le  duc  de  Bourbon.  Le  premier  le  fit  battre  pv 
ses  valets  et  le  second  le  fit  mettre  à  la  Bastille .  En  sortant,  3 
fut  exilé  et  passa  en  Angleterre,  où  il  fréquenta  sartont  les  /re^ 
thinkers  (libres-penseurs),  et  il  en  rapporta  cinq  tragédies,'  ^ 
Temple  du  ffodt,  V Histoire  de  CharlesXIIet  les  Lettres  anglaise 
Comme  ce  dernier  ouvrage  attaquait  le  gouvernement  français,  a 
arrot  du  Parlement  le  fit  brûler  par  la  main  du  bouireau,  et  Vol- 
taire s'en  alla  en  Prusse,  où  commencèrent  ses  relations»^ 


XVlll*  SIÈCLE  —  VOLTAIRE  751 

Frédéric  II  ;  il  revint  bientôt  de  la  Prusse  ;  mais  il  y  retourna 
plus  tard  chargé  d'une  naission  qui  réussit.  En  1746,  il  parvint, 
après  plusieurs  refus,  à  entrer  dans  l'Académie,  en  protestant  do 
son  attachement  à  la  religion.  Mais  bientôt,  devenu  odieux  à  tous, 
il  se  retira  à  la  cour  du  roi  de  Prusse.  Il  y  acquit  une  grande 
influence,  qu'il  conserva  pendant  quelque  temps  en  méprisant  les 
Français;  mais  ayant  écrit  contre  le  savant  Maupertuis,  une 
satire  intitulée  Akakia,  il  se  brouilla  avec  le  roi,  qui  fit  brûler 
son  livre  par  la  main  du  bourreau.  Comme  il  fuyait  la  cour,  le  roi 
le  fit  arrêter  à  Francfort,  et  on  le  retint  pendant  ti'ois  mois,  jusqu'à 
ce  qu'il  rendit  sa  décoration  et  son  brevet  de  pension.  Il  vint  alors 
en  Savoie,  habita  quelque  temps  les  Délices,  prôs  do  Genève  et 
finit  par  se  fixer  àFerney.  Pour  apaiser  l'animad version  publique. 
il  se  confessa  et  communia,  en  feignant  d'ôtre  malade.  Il  avait 
déjà  joué  la  même  comédie  en  1723. 

Rentré  à  Paris  en  février  1778,  il  y  fut  accueilli  triomphale- 
ment, se  fit  recevoir  franc-macon  le  7  avril  et  mourut  le  30  mai, 
après  avoir  répondu  au  curé  de  St-Sulpice  qui  l'invitait  à  recon- 
naître la  divinité  de  Jésus-Christ  :  «  Hélas!  laissez-moi  mourir 
tranquillenjent.  »  On  lui  refusa  la  sépulture  ecclésiastique,  mais 
l'abbé  Mignot,  son  neveu,  abbé  commanditaire  de  Scelliêres,  dans 
le  Jura,  le  fit  enterrer  dans  son  abbaye.  En  1791,  ses  restes  furent 
transportés  au  Panthéon. 

Seç  ouvrages,  sauf  un  petit  nombre  n'ont  pas  pour  objet  la  phi- 
losophie. C'est  surtout  dans  ses  lettres  que  Ton  peut  voir  ce  qu'il 
en  pense,  malgré  le  double  aspect  que  nous  avons  déjà  signalé  dans 
ses  doctrines.  Il  est  facile  déjuger,  par  l'acharnement  qu'il  y  met, 
que  les  lettres  où  il  dit  et  répète  :  «  Ecrasons  l'infâme,  »  en  par- 
lant de  la  religion,  sont  celles  qui  expriment  son  véritable  dessein 
et  que  celles  où  il  expose  une  philosophie  appuyée  sur  le  bon-sens 
ne  sont  qu'une  arme  défensive  et  quelquefois  môme  indirectement 
offensive. 

On  ne  peut  donc  pas  dire  que  Voltaire  fût  matérialiste,  ni  athée; 
il  était  avant  tout,  et  par-dessus  tout,  impie  et  ennemi  déclaré  du 
christianisme.  C'était  le  but  unique  et  avoué  de  toute  sa  philoso- 
phie, dans  laquelle  on  trouve  ça  et  la  bien  des  théories  exactes, 
des  pensées  justes  et  nouvelles,  de  même  qu'on  trouve  dans  sa  vie 


752  HISTOIRE    DE    LA   PHILOSOPHIE 

quelques  actes  de  bienfaisance  pour  pallier  les  ingratiUidei  bb- 
tuelles  de  son  mauvais  cœur.  Et  encore  il  ne  serait  pas  impos&i^ 
de  démontrer  que  toutes  les  réhabilitations  auxquelles  il  tnnili 
pendant  de  longues  années  avaient  un  tout  autre  but  qnel&^a- 
faisance,  et  qu'il  s'agissait  surtout  de  trouver  en  défaut  les  ji?- 
ments  rendus  au  nom  de  la  religion,  ou  par  un  gouvenieiiMBi^ 
les  lois  étaient  basées  sur  le  christianisme. 


302.  Nous  ne  pouvons  que  nommer  ici,  à  la  suite  de  leor  cfcfl. 
les  encyclopédistes,  qui  ne  virent  dans  la  philosophie  qu'an  mom 
de  combattre  ce  que  leur  école  appelait  «  la  snperstitioo  a  ^ 
tyrannie  »  c'est-à-dire,  la  religion  et  le  pouvoir. 

Diderot,  né  à  Langres  en  1712,  mort  en  1784,  était  on  i^^ 
universel  ;  il  commença  TEncyclopédie  avec  d'Alembertetrachen 
seul.  Il  se  montrait  nettement  matérialiste  et  athée,  et  mèae  i 
enseignait  ces  doctrines  avec  une  sorte  d'enthousiasme. 

D'Alembert,  né  à  Paris  en  1717,  mort  en  1783,  était  m  m»^ 
maticien  de  premier  ordre,  émule  d'Euler  et  supérieur  &LagTUê^ 

Il  a  laissé  des  travaux  nombreux  et  profonds  sur  la  idKcanfçae: 
mais  son  style  fait  qu'on  ne  le  lit  plus.  Il  travailla  avec  Diders^^ 
Y  Encyclopédie,  mais  il  abandonna  cet  ouvrage  avant  qu'il  ^  "^ 
achevé.  Il  en  écrivit  surtout  le  Discours  prélhninaire,  Qoi  «« 
une  classification  des  sciences  d'après  Bacon .  Il  est  sensiali^ 
mais  il  distingue  essentiellement  l'esprit  de  la  matière. 

Saint-Lambert,  né  en  1716,  près  de  Nancy,  mort  en  1W3»  ^ 
l'auteur  du  poème  des  Saiso77s .  Il  se  crut  philosophe  et  écriîH  » 
Cathéchisme  philosophique  à  l'usage  desenfants.  C'est  un  éfiOf»* 
et  ennuyeux  recueil  de  disertations  matérialistes  et  athées,  ^^ 
mêlées  de  dialogues  immoraux  et  d'anecdotes  licencieuses.  ^^ 
dans  cet  ouvrage  qu'il  définit  l'homme,  a  Une  masse  organisée el 
sensible,  qui  reçoit  de  tout  ce  qui  l'environne  et  de  ses  besoiflc» 
esprit  dont  il  est  si  fier.  »  Il  ne  prêche  d'ailleurs  que  les  pW*^ 
des  sens,  nie  la  vie  future  et  indique  le  suicide  comme  suprto' 
consolation.  Heureusement  les  enfants  auxquels  ce  livre  est  des- 
tiné en  l'ont  jamais  lu  et  ne  le  liront  jamais. 


^  XVlir  SIÈCLE —  CLARKB  753 

S  8.  THI0RII8  AMINilS  PAR  L'IGOLK   glKSDALISTE 

303.  Clarke.  —  Samuel  Clarke,  né  à  Norwicb,  en  1675,  mort 
en  1729,  est  avant  tout  un  théologien  anglican,  mais  il  faut  le 
remarquer  aussi  comme  philosophe,  parce  que  toute  sa  vie  il  com- 
battit les  conclusions  matérialistes  de  Técole  de  Locke.  Il  défendit 
la  spiritualité,  la  liberté  et  l'immortalité  de  Tàme.  Il  attaqua 
l'athéisme  de  Hobbes  et  le  panthéisme  de  Spinoza.  C'est  dans  ce 
doable  but  qu'il  publia  sa  Démonstration  de  l'existence  et  des 
attributs  de  Dieu,  et  son  Discours  sur  les  devoirs  immuables 
de  la  reli ci  on  naturelle ,  Il  n  ^appartient  à  aucune  école  et  ses 
arguments  n*ont  rien  de  bien  nouveau.  Il  se  montre  partisan  de  la 
preuve  a  priori,  par  l'idée  de  l'être  nécessaire,  mais  en  réalité 
Tensemble  de  son  argument  est  a  posteriori, i^rnsque  le  fond  en  est 
ainsi  conçu  :  1^  Quelque  chose  a  existé  de  toute  éternité,  puisque 
quelque  chose  existe  acgourd'hui;  8®  Un  ôtrô  indépendant  et 
immuable  a  existé  de  toute  éternité,  car  le  monde  n'a  pas  en  soi  la 
raison  de  son  existence  ;  3^  Cet  être  indépendant,  immuable  et 
étemel  existe  par  lui-môme,  car  il  ne  peut  être  sorti  du  néants  ni 
avoir  été  produit  par  aucune  autre  cause. 

Le  seul  argument  qui  lui  soit  propre  est  malheureusement  une 
erreur,  et  c'est  cet  argument  qui  fait  toute  Toriginalité  de  sa  phi- 
losophie. Clarke  l'avait  emprunté  à  Newton  ;  le  voici  :  Nous  con- 
cevons nécessairement  un  espace  sans  bornes  et  une  durée  sans 
limites.  Or  la  durée  et  l'espace  ne  sont  pas  des  substances  ;  ce  sont 
des  propriétés  qui  ne  sauraient  exister  sans  un  sujet.  Il  existe  donc 
un  être  réel,  sans  limites  comme  Tespace,  infini  en  durée  comme 
le  temps,  dont  l'espace  et  le  temps  ne  sont  que  les  attributs .  Cet 
être,  qui  est  le  substratum  de  Tespace  et  du  temps,  c'est  Dieu. 
Leibnitz  combattit  cette  erreur,  mais  Clarke  ne  fit  que  s'attacher 
davantage  à  sa  théorie.  Nous  ne  prendrons  pas  la  peine  de  la  réf  u-> 
ter:  nous  avons  suffisamment  montré  ailleurs  que  l'espace  et  le 
temps  ne  sont  pas  réellement  infinis  et  que  dans  cette  abstraction 
où  nous  les  vojons  indéfinis,  ils  ne  sont  autre  chose  que  la  possibi- 
lité de  faire  durer  des  êtres  et  de  placer  des  corps.  Ce  ne  sont  pas 
lât  des  attributs  de  Dieu,  que  nous  concevons  nécessairement  comme 
simple,  sans  étendue  et  sans  durée. 


754  HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIE 


IDfiLlSIK 

304.  Berkeley.  —  Georges  Berkeley,  aaqazt  à  Kilkm,  a 
Irlande,  devint  évéque  de  Cloyne,  et  mourut  à  Oxford,  ea  IT33, 
Berkeley  se  rattache  à  Clarke  en  ce  sens  que  comnie  lui  il  tom^x 
le  matérialisme  qui  résultait  de  l'école  de  Locke  ;  il  se  rauadi?  i 
Hume,  dont  nous  allons  parler,  en  ce  que^  pour  mieux  éu-lir 
Texistence  des  esprits,  il  a  cru  devoir  nier  la  réalité  objective  u# 
perceptions  sensibles,  refuser  la  causalité  efficiente  à.  tout  oljc. 
physique  et  réserver  pour  les  esprits  seuls  cette  causalité,  soeli- 
nant  que  dans  les  phénomènes  corporels  il  y  a  succession  coostaiM, 
mais  non  causalité  constatée.  David  Hume  n'a  eu  qa*à  faire  â 
pas  de  plus  pour  nier  toute  causalité  et  nier  ainsi  les  esprits  ass 
bien  que  les  corps.  Par  là  aussi  Berkeley  se  rattache  à  Téole 
empirique  anglaise  et  au  positivisiûe  français,  qui,  depais  les  tn- 
vaux  de  John  Stuart  Mill  sur  Berkeley,  commenceat  à  recounaitre 
celui-ci  comme  leur  chef. 

Les  principaux  ouvrages  de  Berkeley  sont  la  Théorie  de  U 
vision  et  le  Traité  sur  les  principes  de  la  connaissance  hu- 
maine. Il  a  écrit  aussi  plusieurs  dialogues. 

Si  la  doctrine  de  ces  ouvrages  ne  paraît  pas  la  môme  au  preoii^ 
abord,  on  peut  reconnaître  en  l'approfondissant  qu'elle  se  résaaa 
dans  les  trois  théories  suivantes,  avec  un  enchaînement  qui  moatre 
que  Berkeley  avait  élaboré  tout  son  système  avant  de  rien  éeriJ^. 

V  Dans  les  perceptions  acquises  de  la  vue,  Pextôriorité,  la  dis- 
tance et  la  grandeur,  que  nous  affirmons  des  objets, .  ne  sont  pas 
des  perceptions  directes  du  sens  de  la  vue,  mais  des  jngemeat» 
rapidement  obtenus  par  l'interprétation  des  signes  natui^ls,  eteett» 
interprétation  ne  vient  ni  de  Tinstinct,  ni  de  la  raison,  maû  de 
l'expérience. 

2^  Les  notions  générales  conçues  comme  idées  abstraites,  ne  sont 
rien  autre  chose  que  des  idées  concrètes  d'objets  individnels,  daai 
lesquelles  nous  laissons  dans  l'ombre  toutes  les  conditions  parti- 
culières . 

S^  L'extériorité  des  objets  de  nos  peroeptions  ne  consiste  pas  sa 


XVIII'   SIÈCLE  —   HUME  755 

un  substrat  de  qualités  sensibles,  quelque  chose  qui,  sans  ôtre  une 
sensation,  nous  donne  nos  sensations;  rextérioritô  consiste  en  ce 
que  nos  sensations  se  présentent  en  groupes  unis  par  une  loi  per- 
manente^ indépendamment  de  nos  volontés. 

La  conclusion  de  tout  cela  est  que  la  matière  n'existe  pas,  et 
que  les  idées  que  nous  avons  des  phénomènes  sensibles  ne  sauraient 
nous  venir  que  d'un  esprit  qui  les  produit  en  nous  selon  certaines 
lois  d'association.  Que  ces  idées  n'étant  pas  toujours  actuelles  en 
nous,  ne  subsistent  donc  pas  en  nous,  et  cependant  ne  doivent  pas 
cîesser  d'être  quelque  part,  sans  quoi  elles  ne  pourraient  pas  reve- 
nir. Il  faut  donc  qu'elles  subsistent  dans  un  esprit  qui  les  possède 
toujours,  qui  en  est  le  lieu  indispensable,  et  qui  les  cause  en  nous. 
Cet  esprit  c'est  Dieu.  —  C'est  par  cet  argument  que  Berkeley 
croyait  démontrer  l'existence  de  Dieu  et  ruiner  à  tout  jamais  le 
onatérialisme  et  l'athéisme .  Il  ne  fit  qu'amener  le  scepUcisme  et 
3on  homologue  le  positivisme. 

8GIPTIG18MI 

305.  Hume.  —  David  Hume  naquit  à  Edimbourg  en  I71I.  Il 
^int  en  France  de  bonne  heure,  mais  trop  pauvre  pour  vivre  à 
Paris,  il  se  fixa  dans  les  environs  de  Reims  et  de  la  Flèche.  Ses 
premiers  ouvrages.  Traité  de  la  nature  humaine  et  Essais  de 
nor  aie  et  de  poli  tique  y  n'eurent  aucun  succès.  Il  les  publia  en 
Angleterre,  quelques  années  plus  tard,  avec  ses  Essais  sur  l'en- 
endement  humain^  xadÀs  sans  autre  résultat.  Sa  réputation  com- 
aença  avec  la  publication  de  ses  Recherches  sur  les  principes  de 
noralCf  et  ne  fit  que  s'accroître  par  ï Histoire  des  révolutions 
l'Angleterre,  Il  mourut  à  Edimbourg  en  1776. 

Hume  dérive  de  Locke,  en  ce  qu'il  n'admet  aucune  idée  de  rai- 

* 

on,  et  fait  tout  dériver  de  l'expérience  du  sens  ;  il  continue  et 
éveloppe  Berkeley  en  ce  qu'il  porte  contre  l'esprit,  contre  le  moi^ 
%  négation  que  celui-ci  faisait  tomber  sur  la  matière.  On  pour- 
ait  dire  aussi  qu'il  dérive  de  Pyrrhon,  d'Arcésilas,  de  Sextus 
împiricus,  et  de  tous  les  sceptiques  anciens,  car  il  appepte^pres- 
ue  les  mômes  arguments  et  arrive  aux  mômes  conclusions  ;  mais 


756  HISTOIRE  DR  LA  PHILOSOPHIE 

il  ne  paraît  pas  s'être  beaucoup  appuyé  sur  eax,  ni  peat^trebin 
rendu  compte  de  leur  doctrine.  Enfin,  en  morale,  il  dérire  de  Hat 
cheson  dont  nous  allons  parler,  en  ce  qu'il  fait  du  bien  l'objet  (fis 
sentiment  et  non  d'une  idée. 

Hume  a  conscience  de  son  scepticisme  et  il  le  donne  conusfl  îi 
science  certaine .  Tandis  que  la  philosophie  dogmatique  préui^ 
connaître  ce  que  les  choses  sont  en  elles-mômes,  la  scieaoB  qa: 
propose  Hume,  et  qui  est  le  scepticisme,  ne  prétend  saToir  qae« 
que  les  choses  sont  pour  nous  et  en  nous.  Et  cette  science  pn»- 
ment  subjective,  non  seulement  il  la  croit  certaine,  mais  il  pîé- 
tend  Tappujep  sur  ce  que  «  nous  ne  saurions  la  sou pçonoer  d'être 
chimérique,  sans  tomber  dans  un  scepticisme  qui  détoiinit  e 
même  temps  toute  spéculation  et  toute  morale.  »  Et  comme  oai 
fixé  les  lois  des  révolutions  planétaires  on  doit  pouvoir  fixerleskê 
de  notre  intelligence.  Il  se  montré  donc  le  précurseur  de  Kant. 

Or  voici,  selon  lui  les  lois  de  l'intelligence  :  Les  états  de  con- 
science sont  de  deux  sortes  :  1°  les  impressions  ou  peroeptioos  l^ 
tuelles  ;  2®  les  idées,  qui  ne  sont  que  des  impressions  plus  faille*- 
C'est  là  comme  l'étoffe  dont  l'âme  fait  l'assortiment  et  le  méha^ 
Ces  états  de  conscience  se  relient  par  les  lois  de  Vassociaiion  d« 
idées f  lesquelles  sont  fondées  sur  un  triple  rapport:  1°  Ja  ressem- 
blance; 2°  la  contiguïté  de  temps  et  de  lieu  ;  3^  la  successif 
constante,  qu'il  appelle  aussi  succession  nécessaire  :  c^est  ce  qo^ 
nous  appelons  le  rapport  de  causalité.  Il  avait  d'abord  admis  a«si 
le  contraste,  qu'il  rejeta  plus  tard,  comme  n'étant  que  la  resseai- 
blance. 

Hume  n'admettant  pas  d'autres  principes  de  nos  pensées  aepfio» 
rien  dire  de  la  substance.  En  effet,  avec  ces  données  il  peutai> 
mer  les  perceptions  actuelles  et  la  succession  habituelle  àe  ncs 
idées,  succession  d'après  laquelle  telle  perception  suit  toi^ours  » 
môme  nécessairement  telle  autre  perception,  comme  la  percepiioa 
de  lumière  suit  celle  du  soleil  ;  mais  ce  n'est  là  pour  lai  qn  ^^^ 
succession  nécessaire,  fondée  sur  une  loi  de  notre  intellig^^^»  '^'^ 
une  habitude,  et  de  laquelle  on  ne  saurait  inférer  que  l'un  swt  " 
cause  et  l'autre  l'effet.  Car,  dit-il,  les  sens  ne  nous  donneflt  nea 
de  la  cause  ni  de  l'effet,  mais  seulement  l'expérience  de  leur  *fl^- 
cession  constante,  et  la  raison  ne  pouvant  conclure  que  de  Ti' 


XVIll*    SIÈCLE    —    HUME  757 

que  &  ridentique,  sortirait  d'elle-même,  si  elle  concluait  de  Teffet 
h  la  cause,  puisque  la  cause  et  TefTet  ne  ne  sont  pas  identiques . 
Donc  nous  ne  saurions  affirmer  la  substance,  sinon  comme  une 
simple  association  de  phénomènes,  et  ici,  ce  que  Berkeley  n'avait 
dit  que  de  la  matière,  Hume  le  dit  du  moi. 

Ainsi,  pour  Hume,  TAme,  le  moi,  est  «  un  faisceau,  une  collec- 
tion de  différentes  perceptions,  qui  se  succèdent  Tune  à  Tautre 
avec  une  rapidité  incroyable.  ))  Et  il  s'efforce  de  démontrer  par 
l'expérience  que  nous  ne  percevons  pas  plus  notre  propre  causa- 
lité que  celle  des  corps  extérieurs,  sous  le  très-faux  prétexte  que 
nous  ne  percevons  pas  la  nature  de  Tiiifluence  de  notre  âme  sur 
nos  membres.  Reste  à  conclure  que  tout  ce  qu'il  y  a  de  permanent 
sous  la  mobilité  perpétuelle  de  nos  impressions  et  de  nos  idées, 
c'est  la  nécessité  ou  nous  sommes  de  conduire  nos  pensées  de  tel 
objet  à  tel  autre.  Et  cette  nécessité,  cette  contrainte  intérieure 
n'est  autre  chose  que  l'habitude ,  qui  «  donne  à  Tesprit  une  faci- 
lité à  accomplir  quelque  action  ou  à  concevoir  quelque  objet,  et  en 
second  lieu  lui  imprime  une  tendance  ou  une  inclination  &  le 
faire.  »  L'induction  par  laquelle  nous  attendons  les  mômes  effets 
après  les  mômes  causes,  n'est  qu'un  fait  de  l'habitude  produite 
par  la  répétition  des  mômes  successions  de  phénomènes. 

De  tout  cela  Hume  conclut,  à  tort,  que  toute  notre  science  des 
choses  n'est  qu'une  probabilité,  une  croyance.  Ce  ne  serait  pas 
môme  cela,  si  ses  théories  étaient  vraies.  Car  si  rien  ne  nous  donne 
l'idée  de  cause,  d'où  pourrions  nous  prendre  que  nos  impressions 
ont  pour  cause,  môme  probablement,  les  choses  réelles. 

Enfin,  comme  il  se  rejette  sur  la  croyance^  après  avoir  détruit 
tout  principe  de  connaissance  objective,  il  se  rejette  sur  le  sens 
morale  qu'il  emprunte  à  Hutcheson,  pour  trouver  une  philosophie 
pratique  après  en  avoir  sapé  toutes  les  bases.  En  effet,  il  a  nié  la 
réalité  du  moi,  la  réalité  du  monde,  et  pour  les  mômes  raisons 
la  réalité  de  Dieu,  et  il  dit  ensuite  :  «  La  morale  n'est  pas 
l'objet  de  Tentendement,  mais  du  sentiment  ;  le  bien  est  senti 
comme  le  beau  :  le  bien  est  le  beau  moral  ;  il  y  a  un  sens  un  ins- 
tinct moral.  »  Et  cet  instinct  moral,  corollaire  de  l'habitude  qui 
nous  fait  associer  les  idées,  détermine  aussi  la  succession  de  nos 
Bictions.  sans  que  la  liberté  intervienne. 


758  HISTOIRE  DE  LA    PHILOSOPHIE 

lORiLI  DC  SINTIIINT 

306.  Hufcheson.  —  François  Hutcbeson,  né  dans  le  juxia 
rirlande,  en  1694,  après  avoir  étudié  à  Glascow,  en  Ecosse,  osm 
une  école  à  Dublin,  et  devint,  à  l'âge  de  35  ans,  professeorirsfr 
versité  de  Glascow,  où  il  mourut  en  1747.  Il  fut  le  précurseï'  * 
TEcole  écossaise,  qui  ne  se  dessina  bien  qu'avec  Reid,  mus  il  « 
distingue  surtout  par  sa  morale  sentimentaliste,  dans  laqaeSf  il 
continue  Cumberland  et  précède  Adam  Smith . 

Il  a  écrit  en  latin,  un  Abrégé  de  logique^  une  Métaphi/uff, 
un  Abrégé  de  philosophie  morale^  et  en  anglais  trois  m*J? 
ouvrages  sur  sa  théorie  morale,  dont  le  priiTcipal  est  ;  St/stèw^ 
philosophie  morale. 

Sa  logique  est  celle  de  l'Ecole,  ainsi  que  sa  métaphj?iqB«  ;  « 
psychologie  est  celle  de  Locke  ;  mais  sa  morale  s'en  distingnfis* 
il  la  fait  dériver  d'une  faculté  dont  il  n'a  pas  parlé  dans  soa  ao*- 
Ijse  des  facultés  de  l'âme.  Cette  faculté  nouvelle  c'est  le  fc* 
'inoral, 

a  Je  désigné,  dit-il,  par  le  nom  àesens  interne^  la  faculW  q^ 
nous  avons  d'apercevoir  le  beau,  l'ordre,  l'harmonie,  etparfcfl*^ 
de  sens  moral,  cette  détermination  à  approuver  les  affectionSi  » 
actions,  ou  les  caractères  des  êtres  raisonnableb  qu'on  oi^^ 
vertueux .  » 

Le  sens  moral,  aussi  bien  que  le  sens  tnierfie  dont  parie  Hcf- 
cheson,  est  inné  ou  instinctif,  et  universel.  Et  il  s'appuie  sur  ces 
conditions  pour  dire  que  le  sens  moral,  est  la  loi  morale  quisetn- 
duit  parla  bienveillance  naturelle  que  nous  éprouvons  les  onspoet 
les  autres.  Sa  théorie  politique,  qu'il  essaye  de  fonder  sur  sâi^^ 
rie  morale,  est  exactement  celle  de  Cicéron;maisil  serapproche» 
Rousseau,  en  niant  l'origine  divine  du  pouvoir  et  en  le  ^^ 
venir  du  peuple  avec  les  limites  que  suppose  cette  dernière  ongio^- 


Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  Home,  qui  continue  les  théories 
Hutcboson,  et  de  Ferogson,  qui  adme*;  &  la  fois  le  principe  ffl^^' 
de  Hol)bes  et  d'Helvétius,   l'intérêt  ;   celui  de  Cumberland  et  ^ 


XVII*   SIÈCLE  —  ADAM  SMITH  759 

Hutcheson,  la  bienveillance;  et  y,  ajoute  le  perfectionnement  de 
soi-même.  Il  formule  ainsi  toute  la  morale  dans  ces  trois  lois  : 
1*»  la  loi  de  conservation  personnelle  ;  2°  la  loi  de  société  ;  3<*  la  loi 

de  progrès, 

« 

307  Adam  Smith. —  Adam  Smith,  né  à  Kirkaldj,  en  Ecosse, 
l'an  1723,  fut  professeur  à  l'Université  de  Glascow,  et  mourut  en 
1790.  Il  se  rattache  à  l'école  de  la  morale  du  sentiment,  par  sa 
Théorie  des  Sentiments  moraux^  et  il  est  compté  parmi  les  écor 
nomistes  les  pins  distingués,  par  ses  Recherches  sur  la  nature  et 
les  causes  de  la  richesse  des  nations.  Il  fut  aussi,  par  son  ensei- 
gnement oral,  un  des  chefs  de  l'Ëcole  écossaise  ;  mais  il  ne  publia 
rien  sur  ces  questions  et  brûla  presque  tous  ses  papiers  avant  de 
mourir . 

Suivant  de  près  son  maître  Hutcheson,  il  fonde  la  morale  sur  la 
sf/mpathiCy  ce  penchant  irrésistible  qui  nous  fait  partager  les 
joies  et  les  peines  d'autrui.  Il  analyse  ce  sentiment,  eu  recherche 
minutieusement  les  applications,  et  croit  démontrer  que  tous  les 
actes  louables  ont  pour  principe  cette  tendance  naturelle.  Il  s'ef- 
force d'établir  d'abord  que  les  jugements  moraux  que  nous  portons 
sur  les  actions  des  autres  précèdent  ceux  que  nous  portons  sur 
nous-mêmes,  et  croit  que  c'est  de  la  vue  des  actions  d'autruL  et 
du  sentiment  qu'elles  nous  inspirent  que  nous  tirons  la  notion  du 
bien  et  du  mal. 

Bien  plus,  pour  apprécier  la  moralité  de  nos  actes,  nous  avons 
besoin  de  nous  supposer  spectateura.  Dès  lors  nous  appelons  hon- 
nêtes les  actions  qui  attirent  notre  sympathie  et  déshon notes, celles 
qui  nous  sont  antipathiques.  La  raison  n'a  pas  autre  chose  à  faire 
que  de  recueillir  les  cas  particuliers  et  de  les  généraliser  pour  for- 
muler des  lois  morales,  que  nous  confions  ensuite  à  la  mémoire, 
pour  servir  de  règle  à  nos  jugements  moraux. 

De  cette  môme  sympathie  et  de  la  reconnaissance  naturelle 
qu'éprouve  la  personne  obligée  envers  la  personne  qui  l'oblige, 
Adam  Smith  tire  la  notion  du  mérite  et  du  démérite.  De  îà  aussi 
l'origine  du  remords,  et  de  la  joie  d'une  bonne  section  accomplie. 

Cependant  il  fait  plus  de  cas  de  l'appréciation  de  notre  conscience 
personnelle,  pour  nos  propres  actes,   que   de  toutes  les  apprécia*- 


760  HISTOIRE  DE  LA  PHIL080PHIS 

lions  d'au  irai,  pourvu  que  nous  les  examinions  en  speelstic» 
partial  et  éclairé.  La  conscience  alors  lui  représente  I1iuiu^< 
Dieu  lui-môme. 

Toute  cette  théorie  morale  du  sentiment,  quelque  nonç»  ■ 
donne  à  ce  dernier,  pèche  par  la  base.  Elle  prcftd  l'effet  ^  * 
cause.  En  effet,  ce  sentiment,  s'il  existe,  doit  avoir  un  pnsà 
supérieur,  et  la  sympathie  que  nous  éprouvons  pour  nue  t-aa 
bonne  ne  peut  venir  que  de  ce  que,  préalablement,  nos?  h^ 
jugée  bonne.  Il  faut  donc  chercher  ailleurs  l'idée  du  bienetdiia 

La  théorie  économique  d'Adam  Smith  est  longuement  M  f^ 
fondement  traitée,  dans  les  Recherches^  dont  nous  avons  pf^ 
Adam  Smith  y  traite  l'origine  de  la  richesse,  la  nature  du  a?^ 
et  sa  véritable  source  qui  est  le  travail,  les  théories  préw-i^ 
d'économie  politique  et  enfin  les  revenus  de  l'Etat.  Le  pHi  * 
choses  vient  tout  entier  du  plus  ou  moins  de  travail  qu'elles  ei:?* 
pour  se  iea  procurer  ;  donc  la  vraie  source  de  la  richesse  û<§^? 
dans  le  sol,  mais  dans  le  travail.  De  plus  le  droit  deprop»^ 
repose  essentiellement  sur  le  trayail  personnel.  Enfin  letrATai.ff 
encore  le  plus  sûr  moyen  d'améliuration  morale  de  l'homn». 

Après  avoir  longuement  étudié  ces  propositions,  en  les  appoP* 
de  mille  exemples,  Adam  Smith  cherche  les  moyens  d'amaî** 
le  travail  et  les  trouve  dans  cette  double  loi  :  division  et  liberté'- 
travail.  Il  profite  de  cette  loi  pour  soutenir  et  louer  peut-^*^ 
mesure,  la  constitution  anglaise  basée  sur  le  self-gover^^^^^' 
dans  lequel  le  rôle  de  l'Etat  est  presque  effacé.  On  peat  Inlwp 
cher  plus  encore  de  s'être  trop  attaché  â  cette  tendance  v»i0^ 
anglaise,  que  nous  appelons  le  côté  pratique^  qui  cortfww 
rechercher  en  toutes  choses  que  l'utile. 

S    s.   LIS  ÉC0N0II8TIS 

308.  Quetnay.  —  François  Quesnay  né  à  Mercy  {ktQOO^ 
dans  le  département  de  Seine  et  Oise),  en  1694,  mortàlW 
1774,  est  le  fondateur  de  l'école  des  économistes. 

Contrairement  à  Adam  Smith,  que  nous  venons  de  voir, 
qui  vint  après  lui,  il  pensait  que  l'unique  sonrce  dericbess* 


XVllI*  SIÈCLB  —  MONTESQUIEU  761 

le  travail  agricole,  qui  donne  d*abord  la  nourriture  et  l'entretien 
de  Touvrier  et  ensuite  un  excédant  qu'il  appelait  produit  fiet.  Le 
traTail  industriel  était  déclaré  improductif.  D'où  il  concluait  que 
seul  le  produit  net  doit  supporter  Timpôt,  mais  aussi  que  le  pro- 
priétaire foncier  doit  seul  prendre  part  aux  affaires,  et  assurer 
d'ailleurs  à  l'industriel  la  liberté  du  travail.  C'est  de  ce  principe 
incomplet  que  sortirent  d'abord  la  ruine  des  maîtrises  et  des  juran- 
des et  ensuite  la  concurrence.  Il  était  d'ailleurs  partisan  de  la 
monarchie  absolue,  qu'il  regardait  comme  un  gouvernement  pater- 
nel^ tandis  qu'il  ne  vojait  que  licence  et  désordre  dans  les  démo- 
craties. 

309.  Montesqaieu.  —  Charles  de  Secondât;  baron  de  la  Brode 
et  de  Montesquieu,  naquit  au  chAteau  de  la  Brôde^  prés  de  Bor- 
deaux en  IÔ89.  Il  était  président  à  mortier  &  Bordeaux^  lorsqu'il 
ût  paraître  sans  nom  d'auteur  les  Lettres  persanes,  qui  commen- 
cèrent sa  gloire  littéraire,  le  firent  entrer  à  l'Académie  et  furent 
cependant  le  seul  motif  pour  lequel  le  cardinal  de  'Fleurj.  s'opposa 
d'abord  à  sa' présentation.  Ayant  résigné  sa  charge  il  visita 
rAllemagne,  l'Italie,  la  Suisse,  la  Hollande  et  l'Angleterre.  Après 
son  "retour,  il  publia  les  Considérations  sur  les  causes  de  la 
grandeur  et  de  la  décadence  des  Romains^  et  quatorze  ans  plus 
tard,  en  1748,  V Esprit  des  lois^  auquel  il  avait  travaillé  vingt 
ans.  Il  mourut  en  1755.  Il  avait  publié  plusieurs  autres  ouvrages 
dont  les  uns  se  rapportent  à  ceux  que  nous  avons  nommés,  et  les 
autres  son  purement  littéraires. 

V Esprit  des  lois  est  divisé  en  31  livres,  dont  chacun  renferme 
de  3  &  4&  chapitres,  quelquefois  très-courts.  Montesquieu  j  traite 
d'abord  des  lois  en  général,  puis  des  lois  dans  leur  rapport  avec  les 
principes  du  gouvernement,  avec  la  force  ofifensive  et  défensive, 
avec  la  liberié  politique  et  civile,  avec  la  nature  du  climat  et 
même  du  terrain,  avec  les  mœurs  du  peuple,  avec  le  commerce, 
avec  l'usage  de  la  monnaie,  avec  le  nombre  des  habitants,  avec  la 
religion  établie,  avec  la  nature  de  leurs  objets,  et  enfin  des  chan- 
gements que  les  lois  ont  subis  en  France. 

Il  est  impossible  de  donner  l'analyse  des  innombrables  questions 
traitées  dans  cet  ouvrage  et  de  la  manière  plus  ou  moins  exacte 
dont  elles  sont  résolues.  On  y  remarque  un  grand  esprit  d'égalité 

49 


762 


HISTOIRE  DE  LÀ   PHILOSOPHIE 


et  de  liberté  pour  tons  ;  mais  bien  des  fois  cet  esprit  d'indépendance 
est  poussé  trop  loin,  etTouTrage  se  ressent  de  Fesprît  qui  régnait 
en  France  au  moment  où  il  fut  écrit,  quoique  Montesquieu  n'ait 
jamais  été  Tami  des  encyclopédistes.  Quelques  autres  exagérations 
viennent  des  idées  mêmes  de  Tauteur. 

*  Par  exemple  voici  une  pensée  à  laquelle  il  tient  tr^p  exclusive- 
ment ;  «  Les  lois  doivent  être  tellement  propres  au  peuple  pour 
lequel  elles  sont  faites,  que  c'est  un  très-grand  hasard  si  celles 
d'une  nation  peuvent  convenir  à  une  autre.  »  Saisi  de  cette  pen- 
sée il  va  jusquà  dire  :  a  II  semble,  humainement  parlant,  que  ce 
soit  le  climat  qui  a  prescrit  des  bornes  à  la  religion  chrétienne  et 
à  la  religion  mahométane.  »  Disons  cependant  que  Montesquieu 
défend  très-souvent  la  religion  catholique,  quoiqu'il  ait  contre  elle 
des  phrases  assez  malheureuses,  et  que  l'on  puisse  juger  par  ses 
paroles  qu'il  estimait  que  toutes  les  religions  sont  bonnes,  pomvn 
qu'eUes  conviennent  au  climat  et  aux  mœurs  du  pajs. 

Une  doctrine  qui  est  propre  à  Montesquieu,  c'est  que  le  prin- 
cipe, c'est-à-dire  l'agent  moteur  du  gouvernement  républicain, c'est 
la  vertu,  tandis  que  Vhonneur  est  \e  principe  de  |la  monarchie  ;  il 
veut  donc  que  les  lois  d'une  monarchie  aient  pour  mobile  rhonuenr 
et  celles  d'une  république,  la  vertu,  qu'il  a  soin  d'expliquer  dans 
le  sens  de  vertu  politique. 

En  économie  politique  il  a  à  peu  près  les  mômeUdées  qu'Adam 
Smith,  sur  l'importance  du  travail. 

En  résumé,  V Esprit  des  lois,  est  un  livre  plein  d'observations 
précieuses,  mais  qu'il  faut  lire  avec  circonspection  ;  il  a  puissam- 
ment contribué  à  l'introduction  de  la  nouvelle  constitution  de  la 
France  et  de  la  législation  moderne.  Or  il  y  a  eu  dans  cette  réforme 
beaucoup  de  bien  à  côté  de  beaucoup  de  mal. 

310  Hably.  —  Gabriel  Bonnet  de  Mablj,  frère  atné  de  Con- 
dillac,  et  ecclésiastique  comme  lui,  mais  sans  aller  au-delà  dusous- 
diaconat,  naquit  à  Grenoble  en  1709.  D'abord  partisan  du  pouvoir 
absolu,  tant  qu'il  fut  l'aide  et  le  conseil  du  ministre  cardinal  de 
Fleury,  il  devint  démocrate  quand  il  se  fut  brouillé  avec  son  pro- 
tecteur. 

Dès  ce  moment,  non  seulement  il  se  nourrit  des  historiens 


XVIII'  SIÈCLE  —  J.-J.   ROUSSEAU  763 

et  latins,  mais  encore  il  voyagea  en  Grèce  et  en  Italie,  poar  aller 
paiscr  à  sa  source  l'esprit  républicain.  C'est  de  là  qu'il  apporta  les 
mots^  devenus  depuis  si  magiques,  de  patrie,  deciûot/eriy  de  sott- 
veraineté  du  peuple.  Mais  il  croit  devoir  fonder  le  bonheur  du 
peuple  sur  le  mépris  des  richesses  ;  et  dès  lors  il  réprouve  non 
seulement  le  luxe,  mais  encore  le  commerce,  l'industrie  et  les  arts, 
et  veut  rendre  les  citoyens  égaux  dans  la  pauvreté,  et  dans  l'igno- 
rance, unie  à  Tabsence  de  sentiments.  11  repousse  l'instruction 
développée  comme  une  source  d'inégalHé,  et  pour  la  môme  raison 
il  ne  veut  pas  d'autre  sentiment  que  celui  du  besoin.  En  consé- 
quence il  veut  abolir  la  propriété  personnelle.  Pour  accomplir  ce 
programme,  il  trouve  et  propose  la  communauté.  Toutes  ces  doc- 
trines se  manifestèrent  dans  le  Droit  public  de  VEurope,  et  dans 
plusieurs  autres  ouvrages  de  politique  et  d'histoire  qu'il  publia 
dans  la  suite.  Il  ne  prévoyait  pas  la  révolution  mais  il  appelait  de 
tous  ses  vœux  le  ce  renversement  de  la  vieille  machine.  »  Il  mou- 
rat  en  1785. 

311.  J.-J.  Rousseau.  —  Né  à  Genève,  en  1712,  d'un  pauvre 
artisan,  Jean-Jacques  Rousseau  perdit  sa  mèie  en  naissant  et  fut 
bientôt  privé  de  son  père .  D'abord  protestant,  il  se  convertit  en 
apparence  au  catholicisme,  pour  trouver  une  ressource  contre  sa 
misère.  11  fut  tour-à-tour,  apprenti,  valet  de  chambre,  sémina- 
riste, truchement  d'un  moine  quêteur,  employé  au  cadastre,  pro- 
fesseur de  musique^  précepteur,  secrétaire  d'ambassade,  composi- 
teur musicien,  puis  commis  de  caisse  et  enfin  écrivain  philosophe. 
Doué  d'un  esprit  droit,  mais  guidé  par  le  seul  sentiment  et  livré 
de  bonne  heure  aux  passions  sensuelles,  il  offre  dans  ses  opinions 
le  contraste  qui  existait  dans  son  âme.  Sentant  dans  son  cœur  la 
honte  de  sa  misère,  les  remords  de  ses  fautes  et  de  certaines 
actions  indignes,  comme  d'avoir  exposé  ses  enfants  à  Thospice, 
etd*un  autre  côté  apercevant  dans  sa  raison  Tidée  du  beau,  et 
dans  son  cœur  Tamour  du  bien,  il  prit  en  haine  la  société,  qu'il 
regardait  comme  la  cause  de  ses  malheurs  et  se  mit  &  rêver  une 
réforme. 

Mais  il  faut  faire  deux  parts  dans  sa  philosophie.  Les  théories 
spéculatives  sont  généralement  belles  et  nobles.   Il  attaque  le 


764  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

matérialisme  et  l'athéisme  et  yamôme  jusqu'à  se  preadrec: 
vrai  enthousiasme  pour  TEvangile.  Mais  quand  de  la  spéc&lii' 
il  passe  à  la  pratique  et  qu'il  traite  la  morale  et  la  pulit^:- 
tombe  dans  les  doctrines  les  plus  avilissantes  pourlaaatareUut 
et  ne  voit  plus  qu'un  monde  dans  lequel  I)ieu  n'est  pour  ria. 

Selon  lui,  les  hommes  vivaient  d'abord  sépai*és,  sans  riacan  i* 
de  famille  ni  d'amitié,  mais  en  paix  les  uns  avec  les  autre?.  i3 
qu'après  de  nombreuses  générations,  un  «  contrat  social  »  122 
vint,  qui  fut  l'origine  des  lois,  de  la  propriété,  de  rin^galitérf^ 
la  guerre.  Aussi  le  progrés  qu'il  rêve  n'est  pas  un  progrès ^^^ 
lectuel  et  moral  ;  il  en  exclut  les  lettres,  les  arts,  les  sdeae»' 
même  l'industrie,  et  ne  cherche  qu'une  répartition  égale <k?  '*a 
et  une  vie  plus  libre  et  plus  simple,  imposée  par  le»  lo:«.  l^ 
serait  le  maître  absolu,  le  dépositaire  de  toutes  les  vd(aA  ' 
propriétaire  de  tous  les  biens,  qu'il  cédei*ait  cependant  * 
citoyens,  légitimant  ainsi  leur  propriété  et  changeant  en  ^ 
ce  qui  n'était  auparavant  qu'une  usurpation.  La  soareraisô*'- 
peiiple  est  indivisible,  inaliénable  et  infaillible,  parcequA^ 
la  volonté  générale.  En  sorte  que  rêvant  l'égalité  et  la  liberté.  > 
ne  propose  que  le  despotisme  et  l'esclavage,  puisque  son  pw^ 
législatif  n'a  aucun  contrepoids,  et  de  plus  il  ne  peatobtc- 
aucune  stabilité,  car,  la  souveraineté  du  peuple  étant  inaliéo* 
Rousseau  déclare  formellement  que  les  lois  formulée»  p»^* 
représentants  ou  commis^  n'ont  aucune  valeur  sans  la  ratifieàî^ 
du  peuple,  et  que  de  plus  le  peuple  peut  rompre  quand  il^*^^ 
pacte  qu'il  a  conclu. 

Ici  il  dit  que  le  législateur  doit  avoir  la  force  de  transforiDtf  ^ 
nature  humaine  ;  ailleurs  il  veut  que  les  lois  respectent  les  ^ 
du  pays,  et  plus  loin  il  dit  que  j}eut-étre  l'esclavage  est  néee^'' 
pour  donner  plus  de  loisir  aux  hommes  libres  afin  de  leur  ^"^ 
tre  de  maintenir  leur  liberté.  Tantôt  il  déclame  contre  la  ^^ 
chie,  tantôt  il  affirme  que  la  démocratie  est  impossible  pooî  * 
hommes  et  que  des  dieux  seuls  pourraient  se  gouverner  ainsi,  fî"^ 
tout  en  proclamant  la  liberté  absolue  de  la  conscience  en  m»^ 
de  religion,  il  crée  une  religion  déiste  et  veut  que  la  ^v&W^^ 
soit  obligatoire  sous  peine  de  mort. 
Ajoutons  que  Rousseau  nous  trace  dansson  j&mt7f,lepla'i'^^ 


XVIII*   SIÈCLE  —     LES   ÉCONOMISTES  765 

éducation  gelon  la  nature,  avant  tout  négative,  et  sans  Dieu  jus- 
qu'à vingt  ans,  comme  le  vrai  idéal  de  Téducation.  C'est  bien  le 
corollaire  obliçé  de  son  Contrat  social. 

Les  principaux  ouvrages  de  Rousseau  sont  :  Discours  sur  Vori' 
gine  et  les  fondements  de  V inégalité  parmi  les  hommes  ;  Dis- 
cours sur  l'économie  politique  ;  Emile,  otc  de  Véducation  ; 
I^rofession  de  foi  du  vicaire  savoyard  ;  Contrat  social. 

Il  mourut  en  1778. 


312 .  Price.  —  Richard  Price,  plus  remarquable  en  ce  qu'il 
défendit  les  droits  de  la  raison  et  les  notions  a  priori ,  contre  Locke 
et  contre  Hutcheson,  est  aussi  compté  parmi  les  politiques  écono- 
mistes de  cette  époque.  Né  en  Angleterre,  en  1723^  il  mourut 
en  1791. 

313.  Prîcstley.  —  Joseph  Priestley  est  aussi  un  partisan  des 
idées  nouvelles,  mais  il  fut  surtout  théologien  calviniste,  adver- 
saire de  Reid,  et  matérialiste  déclaré.  Né  en  1733,  il  mourut 
en  1804. 

314.  Turgot.  —  x\nne  Robert,  Jacques  Turgot,  connu  comme 
ministre  des  finances  de  Louis  XVI,  fut  aussi  un  philosophe  digne 
d'attention.  Né  à  Paris  en  1727,  il  mourut  en  1781.  Il  appartient 
à  l'École  des  économistes  et  peut  être  considéré  comme  Tun  des 
fondateurs  de  la  science  de  l'économie.  Il  partageait  les  idées  de 
Quesnay  sur  le  travail  agricole,  mais  il  accordait  plus  d'importance 
que  lui  à  l'industrie.  Il  fut  aussi  partisan  de  toutes  les  libertés  et 
il  écrivit  dans  V Encyclopédie  des  articles  assez  remarquables, 
entre  autres  l'article  Existence,  où,  partant  des  principes  de  Locke, 
il  constate  le  moi,  et  fait  sortir  de  l'idée  du  moi  celle  de  la  réalité 
des  objets  extérieurs.  L'espace  nous  manque  pour  analyser  ici 
son  projet  de  constitution,  qui  s'il  eut  été  adopté  aurait  amené  en 
France  toutes  les  réformes  nécessaires,  sans  les  ruines  et  les  hon- 
tes qui  les  ont  accompagnées  par  la  Révolution. 

315.  Condorcot.  —  Marie  Jean  Antoine  Nicolas  Caritat, 
marquis  de  Condorcet,  naquit  en  1743  h  Ribemont,  en  Picardie, 
et  mourut  en  1794,  dans  un  cachot  de  Bourg-la-Reine  où 
l'avait  jeté  la  Convention.  11  était  très  habile  mathématicien  et 


766  HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

appartenait  aux  encyclopédistes  aussi  bien  qu^aai  écoosa»' 
Comme  ses  amis  il  écrivait  contre  la  a  superstition  et  ktjnissi: 
C*ebt  là  surtout  ce  qu'il  attaque  dans  son  Esquisse  dtun  iéès,^ 
historique  du  progrès  de  V esprit  humain^  en  môme  temps  '^'. 
y  enseigne  la  perfectibilité  indéfinie,  en  développant  les  iffe?è 
Price,  de  Priestlej  et  de  Turgot,  et  en  supposant  que  rbumâiûïci 
commencé  par  l'état  sauvage  et  ne  s'est  élevée  que  gradodkaes 
et  lentement  à  la  vie  sociale. 

« 

S    6-  -SCOLI    iCOSSÀlSI 

316.  Reid.  —  Thomas  Reid,  né  en  1710  à  Stncèss^i 
Ecosse,  était  fils  d'un  ministre  presbytérien,  et  fut  destiaé  » 
mômes  fonctions,  Après  avoir  étudié  à  l'Université  d'Abente 
où  il  eut  pour  maître  le  professeur  Georges  Tumbull,  donlksidéa 
offrent  les  tendances  de  l'Ecole  écossaise,  il  f ut  bibliothécaireF  P* 
pasteur  d'une  petite  paroisse,  plus  tard  professeur  à  Aberdeen,» 
il  publia  les  Recherches  sur  l'entendement  humain,  et  eaflii 
l'université  de  Glascow,  où  il  succéda  à  Adam  Smith,  to* 
chaire  de  philosophie,  et  publia  les  Essais  sur  les  facultés  /«*• 
lectuelleSf  et  les  Essazs  sur  les  facultés  actives.  Il  mourut  en  11» 

Après  avoir,  comme  il  l'avoua  lui-môme,  embrassé  Yidêê^ 
de  Berkeley,  Reid  en  aperçut  le  défaut  dans  le  scepticifloftê* 
Hume  qui  n'en  est  que  le  développement,  et  ne  pouvant  se  d^ 
à  douter  de  tout,  il  commença  à  ne  plus  vouloir  douter  ^  ^ 
matière,  puis  s'étant  aperçu  que  toute  cette  théorie  reposait  ^' 
celle  des  idées  représentatives,  il  commença  à  se  demandera* 
principe  avait  quelque  évidence,  s'il  était  bien  certain  qne»^ 
esprit  ne  voit  les  choses  que  dans  ses  propres  idées  qui  en  «o* 
les  images,  et  après  avoir  cherché  pendant  quarante  anfllé^^^"®* 
de  ce  principe,  il  vit  bien  que  son  seul  point  d'appui  était  l'eproi* 
des  philosophes.  Bien  plus  cette  hypothèse  de  l'idée  intennédiai» 
entre  les  corps  et  notre  intelligence  n'explique  rien,  et  u'aw»* 
raison  d'être.  Distincte  de  l'arae  et  des  objets,  cette  idée  doit  ê^ 
une  substance,  elle  est  donc  matière,  ou  esprit,  ou  1^  ^^'^  . 
fois.  Matière,  quelle  union  peut  elle  avoir  avec  notre  âme?^"' 


•  XVIir   SIÈCLE  —  RBID  767 

el  rapport  a-t-elle  avec  les  corps,  et  pourquoi  ne  pas  admettre 
ssitôt  dans  Tun  et  l'autre  cas  la  communication  directe  et  immé- 
tte  de  notre  âme  avec  les  objets?  enfin  esprit  et  corps,  il  y  a 
itradictioh.  Reid  prit  donc  le  parti  de  nier  tout  intermédiaire 
tre  l'objet  perçu  et  Tesprit  qui  perçoit,  et  déclara  que  la  percep- 
ption  sensible  est  un  fait  primitif,  aussi  certain  que  la  conscience 
qui  est  aux  vérités  empiriques  ce  que  sont  les  axiomes  aux 
.ences  de  démonstration. 

Le  fait  de  la  perception  porte  avec  lui-môme  l'assurance  de  la 
ilité  extérieure  de  Fobjet  .perçu.  De  môme  les  perceptions  de 
ascience  portent  avec  elles  l'assurance  de  notre  ôtre  personnel  qui 
bsiste  identique  sous  la  succession  des  phénomènes  internes. 
Reid  attaque  aussi  la  théorie  du  jugement  donnée  par  Locke. 
)  jugement  n'est  pas,  au  débuts  le  résultat  d'une  comparaison, 
âme  ne  commence  pas  par  des  notions  abstraites  qu'elle  compa- 
rait ensuite  pour  produire  le  jugement  ;  car  comment  conclurait- 
le  à  l'existence  réelle  des  deux  éléments  comparés?  Au  contraire 
tme  commence  par  affirmer  immédiatement  et  dans  l'ensemble 
ncret  de  tous  leurs  éléments  l'existence  réelle  des  choses  qu'elle 
>rcoit. 

Enfin  il  attaque  encore  dans  Locke  la  théorie  de  la  table  rase  et 
ettant  en  lumière  ces  vérités  a  pnon  que  nous  trouvons  toujours 
côté  des  données  expérimentales,  il  en  montre  les  caractères 
universalité,  d'immutabilité,  d'antériorité,  et  en  conclut  qu'elles 
mi  les  lois  fondamentales  de  Tintelligence,  le  fruit  spontané  de 
.  raison. 

Tout  ce  qui  précède  est  tiré  des  Recherches  sur  V entendement 
umatn  ;  nous  avons  donné  déjà,  page  285,  le  reste  des  théories 
3  Reid  que  l'on  trouve  dans  les  Essais  sur  les  facultés  intellec- 
lelles  et  sur  les  facultés  actives. 

Reid  s'est  placé  plus  près  de  la  vérité  que  tous  les  philosophes 
Il  dix-huitième  siècle  ;  il  a  môme  apporté  quelques  lumières  aux 
}nnées  précédentes  de  la  philosophie  classique,  mais,  à  notre 
via,  il  s'esjb  trop  contenté  du  simple  bon  sens,  comme  point  de 
ôpart  et  n'a  pas  suffisamment  approfondi  les  bases  de  sa  théorie. 

Nous  ajouterons  donc  quelques  mots  pour  le  compléter  et  pour  com- 
léter  notre  propre  doctrine. 


Tes 


H18T01RB  DB   LA    PHIL080PH1B 


Un  enfant  ouvre  spontanémeat  les  yeux  :  aussitôt  U  se  prahiitte 
son  sy.^tême  nerveux  et  dans  son  cerveau  un  inouTemeM  osaBataF.! 
vibratoire  (peu  importe),  qui  pour  le  vulgraire  ne  ressemble  en  riaib 
couleur,  mais  qui  est  pour  le  savant  l'impression  colorée  toutaiw' 
L'àme.  qui  vit  dans  le  corps  et  qui  en  ressent  (nous  ne  savons  «omet 
peu  importe)  toutes  les  impressions,  éprouve  une  modification  l«s»^ 
ris,  et  aussitôt  elle  se  connaît  ainsi  impressionnée.  C'est  uo  ji«^ 
primitif,  concret  et  indivisible.  Jusque  là  rien  de  nommé,  rien  àe»- 
tinct  d'une  autre  impression,  puisque  nous  supposons  que  c'est  la  p^ 
mière;par  conséquent,  nulle  noUon  encore  de  la  couleur,  ni  d«  lô 
couleur,  quoique  l'impression  porte  avec  elle  tous  les  caraclère  p 
serviront  plus  tard  k  la  faire  distinguer. 

Mais  l'enfant  détourne  tant  soit  peu  la  direction  de  ses  yeax  :Ux^ 
spontanément)  :  aussitôt  l'impression  change.  Les  yeux  reprenneat  Iff 
première  direction  :  la  première  impressfon  reparaît,  n  ne  bndn  F» 
longtemps  à  l'enfant  pour  qu'U  lasse  cette  induction  naturelle,  qœ  lis- 
pression  lui  arrive  par  les  yeux.  Et  presque  en  même  temps  fl  jogaa 
aussi  qu'il  y  a  hors  de  lui,  dans  cette  direction  quelque  chose  qui  lui  cas 
cette  impression.  Surtout  lorsqu'en  fermant  les  yeux,  il  nevenafis 
rien  et  qu'en  les  dirigeant  autrement  l'impression  variera  aussi. 

Un  certain  nombre  d'opérations  de  cette  nature,  jointes  à  l'allooclK- 
ment  de  la  main,  qui  ne  perçoit  rien  de  ce  que  perçoivent  les  ywa  << 
comparées  avec  les  perceptions  de  l'ouïe,  qui  ne  cessent  presque  janas 
de  se  manifester,  lui  donneront  bientôt  la  notion  de  couleur,  de  résis- 
tance et  de  son. 

Et  quand  les  trois  sortes  d'impressions  lui  viendront  du  mêmepcis^ 
extérieur  toutes  les  fois  qu'U  y  emploiera  ses  organes,  et  cesscrant* 
se  produire  dès  que  ses  organes  seront  dirigées  sur  un  autre  fdaL 
comment  pourra-t-il  ne  pas  conclure  que  là  est  l'objet  cause  des  to- 
pressions  qu'il  éprouve?  Et  qu'importe  après  cela  que  la  matière  n't\ 
pas  de  ressemblance  avec  l'esprit?  qu'importe  que  les  notions  de  conteur, 
d'étendue,  de  son,  n'aient  rien  de  commun  avec  les  qualités  premier» 
ou  secondes,  que  nous  appelons  de  ces  noms.  Ce  que  l'àme  sait,  méa 
avec  peu  d'expériences,  c'est  que  telle  impression  distincte  de  tdte 
autre,  lui  vient  de  là  et  non  d'ailleurs. 

Voilà  ce  nous  semble  la  vraie  réponse  quil  faut  faire  pour  arrêter 
enfin  la  discussion  (mal  fondée  a  notre  avis)  des  idées  représentatîTts. 
Les  objets  sont  les  causes  de  nos  impressions.  Ces  impressions  ne  res- 
semblent en  rien  à  leurs  causes,  et  nous  ne  connaissons  les  objets  q» 
par  les  impressions  qu'ils  font  sur  nous.  S'ensuit-il  que   nous  œ  m- 


XVllI*  SIÈCLE  —    RBID  769 

naissons  pas  les  objets  eux-mêmes  et  que  nous  ne  saurions  rien  en 
affirmer?  Nullement.  Nous  pouvons  affirmer  nos  impressions;  nous 
pouvons  par  suite  en  affirmer  la  cause,  et  la  concevoir  comme  un  être 
réel,  parce  que  telle  est  la  condition  naturelle  de  notre  âme,  qui  porte 
en  elle  la  conception  habituelle  de  l'être.  L'application  successive  de 
nos  sens  à  un  même  point  nous  dit  assez  que  là  est  l'objet  cause  de 
toutes  les  impressions  qui  nous  viennent  de  ce  point,  et  tout  ce  que 
nous  croyons  pouvoir  légitimement  affirmer  des*  objets  nous  vient  d'une 
expérience  analogue. 

J'affirme  que  tel  corps  a  telle  étendue,  parce  que  j'éprouve  que  jus- 
que là  il  me  résiste  et  ne  me  résiste  pas  au  delà  de  cette  étendue.  Et 
c'est  là  ce  que  je  veux  dire  quaad  je  dis  qu'il  a  telle  étendue.  J'affirme 
qu'il  a  telle  couleur,  parce  qu'il  fait  sur  moi  l'impression  distincte  dont 
j'entends  désigner  la  cause  par  le  nom  de  cette  couleur.  £t  ainsi  de 
tous  les  autres  cas. 

Qu'il  ne  soit  donc  plus  question  d'idées  images^  ni  ô*idées  représen- 
tatives, opposées  à  la  perception  immédiate  des  objets.  Percevoir  les 
objets  c'est  recevoir  d'eux  les  impressions  qu'ils  font  sur  notre  àme, 
par  l'intermédiaire  des  sens,  et  les  termes  d'idées  représentatives,  chez 
les  auteurs  classiques  qui  les  ont  employés,  n'ont  jamais  signifié  autre 
chose.  Kt  dire  que  nous  ne  connaissons  les  choses  que  par  leurs  idées, 
c'est  dire  que  nous  ne  les  connaissons  que  comme  causes  des  idées 
qu'elles  ont  engendrées  en  nous  par  les  impressions  que  nous  en  avons 
reçues.  Cette  connaissance  est  complète  quand  nous  les  jugeons 
d'après  toutes  les  impressions  que  nous  pouvons  en  recevoir  ;  elle  est 
incomplète  quand  nous  ne  le  leur  avons  pas  demandé  tout  ce  qu'elles 
pouvaient  nous  donner,  sous  tous  leurs  aspects. 

C'est  ainsi  qu'on  ne  connaît  la  structure  des  plantes,  que  depuis  qu'on 
les  a  étudiées  minutieusement  au  microscope.  Mais,  complète  ou  incom- 
plète, l'idée  que  nous  avons  d'une  chose  est  vraie,  tant  que  nous  n'en 
affirmons  que  les  causes  des  impressions  que  nous  avons  reçues.  Elle 
serait  erronée,  si,  par  simple  analogie, ^nous  en  affirmions  autre  chose. 

Et  comment  douter  de  la  réalité  des  choses  ou  de  la  réalité  de  leurs 
propriétés,  quand  elle  est  ainsi  justifiée  ?  Un  pareil  doute  nous  parait 
impossible  à  la  nature  humaine.  Et  loin  qu'on  puisse  objecter  la  folie 
et  le  rêve,  comme  on  l'a  fait  tant  de  fois,  nous  trouvons  une  confirma- 
tion de  notre  certitude  dans  ces  désordres  mêmes.  L'insensé  et  l'homme 
qui  rêvent  donnent  une  réalité  aux  impressions  qu'ils  éprouvent  parce 
que  Tàme  humaine  ne  saurait  oublier  l'idée  d'être,  affirmer  une  modifi- 
cation sans  substance,  ni  un  effet  sans  cause,  pas  même  pendant  le 
sommeil  ou  la  folie. 


770  HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIE 

Après  Reid,  nous  trouvons  Oswald  et  Beattie,  qui  ont 
l'Ecole  écossaise  et  plus  que  leur  maître  rejettent  les  wk 
métaphysiques  et  s'appuient  sur  les  principes  univc 
reconnus  par  le  sens  commun^  sans  vouloir  en  rechercher  la  i 
timité. 

317.  Dugald  Stewart.  —  Né  en  1753,  mort  en  1828, 
Stewart  appartient  déjà  au  dix-huitième  siècle.  Il  soutint 
ment  et  développa  les  théories  de  TEcole  écossaise,  dont  fl  ôr 
chef  après  Reid.  Il  eut  la  joie  do  voir  les  doctrines  de  s» 
et  les  siennes  s'introduire  en  France,   où  elles  rempheérset 
philosophie    sensualiste  et  où  elles  sont  restées  classiques 
rUniversité. 

Ses  principaux  ouvrages  sont;  Eléments  de  la  philosopi^^i^ 
V esprit  humain^  et  Philosophie  des  facultés  intellectucliei^ 
morales  de  lliomme. 

Plus  que  Reid,  il  tend  h  commencer  la  philosophie  parl'fî*' 
des  phénomènes  de  Fâme  et  même  à  s'arrêter  aux  phénomèsa 
sans  s'occuper  de  leur  sujet  qui  est  Tâme. 

Pour  expliquer  comment  nous  attribuons  à  un  objet  eîténss: 
les  qualités  perçues  '  par  notre  âme,  Locke  et  Reid  s'étaifiî 
appuyés  sur  la  vieille  distinction  des  qualités  premières  eus 
qualités  secondes.  Dugald  Stewart  en  fait  trois  classes:  * 
qualités  mathématiques  :  étendue  et  forme  ;  les  qualités  premiers, 
dureté  ou  molesse,  poli  ou  raboteux  ;  les  qualités  semés- 
'  couleur,  chaleur,  etc.  Il  croit  que  les  qualités  mathômatiqta 
portent  avec  elles  un  caractère  évident  d'extériorité,  et  qnô  *' 
autres  nous  paraissent  extérieures  paCrce  quo  nous  les  rapF" 
tons  &  celles-là. 

La  question  qui  occupa  le  plus  Dugald  Stewart  est  *celle  » 
V association  des  idées.  Il  y  distingue  deux  modes  principao^» 
l'association  que  l'on  peut  appeler  spontanée,  qui  se  fait  stfs 
effort,  et  l'association  volontaire,  qui  est  le Jruit  de  rattenfa*. 
Dans  le  premier  ordre^  il  place  les  associations  par  analogie,  pa^ 
opposition,  ou  par  rapport  do  temps  et  de  lieu  ;  dans  le  deaii^ 
celles  qui  sont  fondées  sur  les  rapports  de  cause  À  effet,  de  iiioj«* 
k  fin,  de  prémisse  fe  conclusion,  ou  réciproquement.  Mais  àa^ 


XVIll«   SIÈCLE  —    DUGALD-8TBWART  771 

tout  cela  il  a  en  vue  les  suites  d'idées  et  non  les  associations  des 
idées  telles  que  nous  les  avons  conçues  et  exposées,  page  274, 
C'est-à-dire  qu'il  considère  l'ordre  dans  lequel  nos  pensées 
s'enchaînent  lorsqu'elles  deviennent  actuelles,  tandis  que  nous  y 
vojons  d'abord  la  connexion  que  nous  leur  avons  donnée  en  les 
mettant  en  mémoire.  Aussi  il  n'est  pas  étonnant  que  Dugald 
Stewart  trouve  bien  indirect  et  presque  nul  le  pouvoir  que  nous 
avons  sur  ces  associations  et  qu'il  dise  que  nul  effort  de  l'esprit 
ne  peut  directement  évoquer  une  pensée  absente.  Dans  notre 
théorie  au  contraire,  Tintelligence  a  tout  pouvoir  pour  associer 
Be%  idées,  de  manière  que  telle  idée  soit  ensuite  presque  infaillible- 
ment appelée  par  telle  autre. 

Remarquons  d'ailleurs,  que  dans  la  théorie  de  Dugald  Stewart 
le  terme  «  évoquer  une  idée  »  est  impropre,  car  au  point  de 
vue  où  il  se  place,  l'âme  ne  peut  chercher  à  évoquer  que  des 
mots  dont  elle  entrevoit  ou  conçoit  distinctement  l'idée.  En  effet, 
pour  chercher  à  se  "rappeler  une  idée,  il  faut  au  moins  l'entrevoir, 
et  dans  ce  cas,  on  peut  dire  que  l'idée  est  déjà  présente  et  qu'on 
ne  cherche  plus  que  les  mots  qui  l'expriment.  Et  tous  les  efforts 
que  fait  Dugald  Stewart,  pour  tracer  des  lois  au  souvenir,  et 
expliquer  comment  nous  parvenons  à  force  de  volonté  à  nous 
rappeler  un  fait  oublié,  n'aboutissent  qu'à  une  théorie  incomplète 
d'une  faible  importance  spéculative  :  au  lieu  que  de  notre  point  de 
vuç  nous  avons  tracé  la  génération  môme  de  la  mémoire,  expliqué 
du  môme  coup  toutes  les  lois  du  souvenir,  et  donné  les  moyens  de 
le  soumettre  d'avance  à  notre  volonté.  Quand  nous  avons  mis 
en  mémoire  des  idées,  avec  la  conception  d^un  rapport  qui  les 
nnit,  tant  que  l'habitude  de  cette  triple  conception  n'est  pas 
effacée,  par  un  trop  long  espace  de  temps,  il  est  certain  que  l'une 
ne  se  présentera  pas  sans  l'autre  à  notre  souvenir. 

Remarquons  cependant  que  la  mémoire  offre  quelque  chose  de 
semblable  à  la  terre,  qui  féconde  mieux  les  plantes  sauvages  que 
celles  que  nous  cultivons.  Les  associations  d'idées  qui  se  font 
spontanément,  et  sur  des  rapports  très-accidentels,  semblent  plus 
tenaces  que  celles  que  nous  formons  volontairement,  avec  tout  le 
secours  des  rapports  métaphysiques. 

Dugald  Stewart  n'est  pas  très-heureux    quand    il  considère 


772  HISTOIRE  DB  LA.  PHILOSOPHIE 

ensuite  les  associations  d'idées  comme  des  causes  d'erreor.  h 
effet  il  sort  de  la  question  et  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  est  es  ^ 
dans  les  considérations  actuelles  et  conscientes  de  eeftvp 
rapports  insuffisants  à  conclure,  tandis  que,  dans  la  question  iiTl 
traite,  les  rapports  sont  inaperçus  quoique  vraiment  casses  ^ 
suites  dldées. 

Il  distingue  la  mémoire,  ou  plutôt  le  souvenir,  de  l'assœiatioi 
des  idées:  mais  il  l'en  distingue  trop.  Dans  notre  sens  les  a»- 
ciations  des  idées  sont  les  principes  môme  de  la  mémoiie  et  dr 
souvenir  ;  dans  le  sien,  le  souvenir  et  l'association  des  idées  scit 
une  seule  et  môme  chose,  comme  fait  psjcholog"ique.  Et  sidissli 
mémoire  il  y  a  de  plus  le  jugement  que  le  fait  a  existé,  c*e?ta3l 
veut  bien  appeler  mémoire  le  souvenir  des  faits  jugés  et  t«s.< 
pour  certains,  et  association  des  idées  la  réminiscence  de  plnsesfi 
idées  autrefois  perçues  ensemble,  et  dont  le  rapprochemeat  qei  * 
été  un  fait  autrefois,  n'a  plus  dans  le  cas  qu'une  importance  théo- 
rique. 

Dugald  Stewart  a  creusé  pour  son  compte,  et  un  peu  plnspe- 
fondement,  un  sol  que  d'autres  avait  déjà  entr'ou vert;  on  je^ 
revenu  après"  lui;  nous  y  avons  aussi  employé  nos  efforts,  i^ 
l'espace  nous  manque  pour  dire  tout  ce  que  nous  y  avons  towr^. 
et  quand  nous  le  dirions,  il  y  resterait  encore  de  précieux  tfésors 
enfouis.  Car  à  notre  point  do  vue  la  loi  de  Tassociation  des  idi^ 
doit  expliquer  la  parole  et  la  pensée  elle-même,  dans  rhomm*: 
bien  plus  elle  doit  excuser  bien  des  actes  matériellemeflt  coop** 
blés,  et  rabattre  l'orgueil  que  Ton  pourrait  concevoir  degesboûftes 
actions. 

97.  I40LB  GRITiaUL-IAIIT. 

318.  Kant.  —  Emmanuel  Kant,  né  à  Kœnisberg,  en  iTi*^ 
était  fils  d'un  sellier,qui  lui  enseigna  surtout  le  sentiment  religi»^» 
le  sentiment  du  devoir,  l'amour  du  travail  et  l'horreur  àa  w^ 
songe.  Il  fut  professeur  dans  sa  ville  natale,  qu'il  ne  quitta jan»*^» 
et  sa  vie  ne  fut  troublée  par  aucun  événement.  Il  n'eut  pa^^^ 
à  souffrir  de  l'envie,  malgré  la  réforme  totale  qu'il  voulut  apporta 
dans  la  philosophie.  Il  mourut  en  1804. 


XVIII'  SIÈCLE    —  KANT  773 

Jusqa*en  1759,  les  écrits  qu*il  publia,  excepté  ses  thèses  poar 
)bienir  le  titre  de  professeur,  roulent  exclusivement  sur  des  ques- 
tions de  physique  d'astronomie  et  de  météorologie.  A  partir  de  ce 
noment  au  contraire  presque  tous  ses  écrits  sont  philosophiques, 
nais  il  n'a  pas  encore  conçu  son  système.  Ce  n'est  qu'en  1770, 
ians  sa  dernière  thèse,  qu'on  en  voit  le  germe,  et  c'est  en  1781 
ju'il  fit  paraître  la  Critique  de  la  raison  pure^  et  1788,  la  Criti^ 
^[ue  delà  raison  pratique.  Dans  cet  intervalle  et  après,  jusqu'en 
L798,  où  il  renonça  à  ses  cours,  il  publia  un  grand  nombre  d'écrits, 
ibnt  les  principaux  sont  :  Critique  du  jugement^  Eléments  inéta- 
oliysiques  de  la  science  de  la  nature ^  Eléments  métaphysiques 
"le  la  doctrine  du  droit.  Eléments  métaphysiques  de  la  doctrine 
ie  la  vertUy  Critique  de  la  religion  dans  les  limites  de  la  sim^ 
pie  raison.  Ce  dernier  ouvrage  lui  attira  au  moins  un  blâme,  sinon 
une  condamnation,  et  il  dut  promettre  d'être  plus  réservé  sur  ce 
point,  à  l'avenir. 

Pour  mettre  un  terme  à  l'opposition  entre  les  affirmations  des 
dogmatiques,  et  le  scepticisme,  que  Hume  venait  de  renouveler, 
Kant  entreprend  de  faire  la  critique  de  la  raison .  Au  fond  c'est 
l'idée  qu'avaient  eue  déjà,  après  bien  d'autres.  Descartes,  Locke, 
Berkeley  et  Hume,  mais  Kant  procède  autrement  et  avec  une  mé- 
thode plus  complète.  11  se  pose  un  double  but  : 

1*^  Déterminer  la  part  de  la  raison  dans  la  connaissance,  et  com- 
battre ainsi  l'erreur  de  l'empirisme. 

2^  Discuter  la  valeur  des  affirmations  de  la  raison,  et  mettre 
ainsi  un  terme  aux  disputes  entre  Jes  dogmatiques  et  les  sceptiques, 
trop  absolus,  les  uns  dans  leurs  affirmations,  les  autres  dans  leurs 
négations. 

Et  d'abord  il  y  a  dans  notre  connaissance  deux  sortes  d'éléments, 
Les  uns  nous  sont  fournis  par  les  sens,  et  ils  sont  empiriques.  Les 
3t,utres  sont  de  l'ordre  rationnel.  Il  faut  déterminer  ces  derniers. 
Voilà  ce  que  personne  n'avait  fait. 

Dans  la  morale,  au  contraire,  rien  n'est  empirique,  car  tout  y 
porte  le  caractère  de  l'universalité.  Tout  y  est  donc  rationnel. 

Il  est  facile  de  démontrer  l'existence  dès  éléments  rationnels 
dans  notre  connaissance,mais  il  faut  surtout  en  déterminer  la 
valeur.  La  raison  rend  l'expérience  possible,  puisque  celle-ci  seule 


774  HISTOIRB    DB    LA   PHILOSOPHIE 

ne  donnerait  que  des  faits  particnliers  et  séparés  ;  mais  dis  i 
spéculations  métaphysiques,  la  raison  pure  ne  peut  rien 
sur  des  objets  qui  dépassent  Texpérience,  et  que  TintuitioD  ne»:tf 
montre  pas,  La  raison  pratique  au  contraire  s'impose  à  todi; 
volonté  ;  elle  a  donc  une  valeur  objective.  Il  s'ensait  qne  h  la 
morale  est  vraie  ;  mais  dès  lors  la  liberté,  l'immortalité  de  rm 
la  Providence  de  Dieu  son^  vraies  aussi.  Tel  est  le  plan  géfléni* 
la  philosophie  de  Kant. 

«  Notre  siècle,  dit-il,  est  le  siècle  de  la  critique;  rien  m  p>* 
s'y  soustraire,  ni  la  religion  avec  sa  sainteté,  ni  la  législatioaa^ 
sa  majesté.  »  Il  réclame  donc  le  libre  examen,  la  libre  eipos/i» 
de  toutes  les  doctrines,  môme  fausses  ou  pernicieuses.  C^est  à  II 
raison  et  non  aux  gendarmes  de  les  redresser.  Tel  est  son  e^ 
d'indépendance. 

Voici  maintenant  comment  il  développe  ses  pensées. 

319.  Critique  de  la  raison  pure  (ou  théorique,  oa  spéeali* 
tive) .  —  L'exercice  des  sens  est  nécessaire  à  la  connaissance  p* 
lui  fournir  les  matériaux  de  la  pensée,  mais  seul  il  ne  saurait saf- 
fire  à  expliquer  môme  l'expérience.  En  effet,  les  sens  ne  àm^ 
que  le  particulier,  toujours  contingent.  Donc  l'universel  n'en  viest 
pas,  le  nécessaire  non  plus.  Or  il  y  a  des  connaissances  ^ 
l'objet  est  universel  et  nécessaire,  témoins  les  mathématiqo«i  * 
sens  commun.  Il  faut  donc  à  ces  connaissances  des  éléments  a&v» 
que  ceux  qui  nous  sont  fournis  par  les  sens.  Bien  plus,  reipôrifi»* 
elle  môme  en  a  besoin .  Seule,  elle  serait  sans  lien,  sans  ow^- 
Les  principes  nécessaires  ne  viennent  donc  pas  de  rexpéricoo^ 
puis  que  seuls  ils  la  rendent  possible. 

Il  faut  donc  distinguer  dans  la  connaissance  les  éléments  fl^ 
teriori  et  les  éléments  a  joriori.  C^est  là  la  matière  et  hfor^ 
de  la  connaissance.  Il  convient  de  dégager  Tune  de  Tautreet» 
reconnaître  dans  les  trois  facultés  spéculatives  les  éléments* 
riori.  Ces  trois  facultés  sont  la  sensibilité,  Tentendement  et  u 
raison.  Nous  aurons  ainsi  Vesthétique  transcendante^  la  lo^V^ 
transcendante  et  la  dialectique  transcendante. 

C'est  par  cette  triple  étude  que  Kant  se  propose  de  distlngo^' 
la  réalité  de  l'apparence,  le  phénomène  du  noximène.  Car,  dit-il 


XVIlT*    SIÈCLE    —    KANT  775 

les  choses  ne  nous  sont  connues  qu'à  travers  les  formes  que  leur 
imposent  nos  facultés,  et,  si  nous  étions  faits  autrement,  nous  les 
verrions  autrement.  Je  veux,  dit-il  encore,  introduire  en  philoso- 
phie une  révolution  analogue  à  celle  qu'a  introduite  Copernic  en 
astronomie.  Tandis  qu'avant  lui  on  supposait  le  soleil  tournant 
autour  de  la*  terre,  il  a  montré  qu'avec  les  mômes  apparences,  la 
terre  tourne  autour  du  soleil.  Jusqu'ici  on  a  cru  que  l'intelHgence 
se  règle  sur  les  choses  ;  supposons  au  contraire  que  les  choses  se 
règlent  sur  notre  intelligence,  du  moins  quant  à  la  connaissance 
que  nous  en  avons. 

SENSiBir.rrÉ.  Les  perceptions  du  sens  iatimeet  des  sens  externes 
nous  offrent  des  éléments  particuliers  et  variables,  et  des  éléments 
universels.  Ces  derniers  constituent  la  nature  de  la  sensibilité,  ils 
ne  peuvent  venir  que  de  cette  faculté,  ils  senties  conditions  subjec- 
tives de  nos  perceptions .  Ces  éléments  sont  le  temps  et  Yespace, 
Nous  voyons  universellement  et  nécessairement  dans  le  temps 
tous  les  faits  de  sensibilité  interne,  et  de  plus  nous  voyons  dans 
l'espace  tout  ce  qui  nous  arrive  par  les  sens.  Voilà  les,  données  a 
pri07n,  ou  les  formes  de  la  sensibilité.  D'où  il  suit  que  nous  ne 
pouvons  pas  affirmer  que  le  temps  et  l'espace  soient  dans  les  cho- 
ses, ni  qu'ils  aient  une  réalité  hors  de  nous.  —  Cette  théorie  est 
étrange,  au  premier  abord,  mais  quand  on  considère  que  nous  ne 
pouvons  concevoir  le  temps  et  l'espace,  ni  comme  finis,  ni  comme 
infinis,  ni  môme  comme  indéfinis,  on  serait  tenté  de  dire  que  Kant 
a  peut-être  raison.  Cependant  on  ne  saurait  admettre  que  le  temps 
et  l'espace  n'aient  aucun  fondement  dans  les  choses. 

Entendement.  On  peut  se  reporter  à  la  page  60,  pour  voir  en 
détail  les  données  a  priori  et  subjectives  auquelles  Kant  donne  le 
nom  de  Catégories  de  V entendement ,  Ainsi  c'est  notre  entende- 
ment qui  impose  aux  choses  la  singularité  ou  la  pluralité,  Taffir- 
mation  ou  la  négation,  la  relation  de  cause  à  effet,  celle  d'accident 
à  substance,  etc.  Kant  ajoute  que  toutes  les  affirmations  formulées 
par  notre  entendement  supposent  a  priori  ces  trois  principes  que 
nous  imposons  aux  choses  :  lo  Tout  phénomène  a  sa  raison  dans  un 
autre;  2^  tous  les  phénomènes  sont  en  harmonie  mutuelle  ;  3o  sous 
tous  les  phénomènes,  la  môme  quantité  de  substance  ou  de  force 
persiste.  C'est  ce  que  Leibnitz  appelait  le  principe  de  la  raison 


776  HISTOIRE  DK  LA  PBILOBOPHIB 

suffisante»  le  principe  de  Tharmonie  réciproque,  le  priBdpe  ai 
permanence  de  la  force.  D*où  il  suit  que  les  relations  hamoBifft 
que  nous  supposons  entre  toutes  les  pai-ties  de  raniTos  i^  Ia 
liaison  nécessaire  ne  sont  que  des  formes  subjectives  dt  li?* 
entendement,  et  que  la  science  positive  n'est  possiUe  qw  il» 
les  limites  de  Texpérience  et  selon  les  formes  de  la  s«osibiii'i( 
de  l'entendement. 

Raison.  Les  données  de  la  sensibilité  et  de  l'entendementfBïif 
avec  leurs  éléments  a  priori,  laissent  encore  subsister  I»  diwRSi 
dans  la  connaissance.  La  raison  ramène  tontes  ces  données  à  Vu  tr. 
Telle  est  sa  forme  subjective.  C'est  la  recherche  de  cette  aaii 
du  principe  premier,  de  V inconditionnel  de  l'absolu,  qnie^ 
dre  la  métaphysique.  Ainsi  le  principe  premier  de  ce  qai  sep* 
en  nous  s'appelle  Vâme  ;  le  principe  premier  de  tons  les  phéwaf* 
nés  naturels  s'appelle  le  monde  ;  le  principe  premier  de  ïési  A 
du  monde  s'appelle  Dieu,  Voilà  les  éléments  naturels  deUnd^ 
les  idées  qui  constituent  la  métaphysique. 

Mais  la  métaphysique  pure  est-elle  possible  ?  Non  dit  Kâit 
Les  idées  de  la  raison  sont  supérieures  à  l'expérience,  elles  ks®^ 
pas  intuitives  et  la  raison  ne  dit  rien  sur  leur  réalité  olyectiTe.li 
s'efforce  donc  de  ruiner  la  psychologie  rationnelle,  en  ^^ 
qu'elle  ne  peut,  de  la  simplicité  et  de  l'unité  de  la  pensée,  ainitf 
la  simplicité  de  l'Ame.  Il  veut  ruiner  aussi  la  cosmologie  raH^*- 
nelle,  dans  laquelle  il  trouve  des  antinotnies,  c'estrà-diw,  » 
questions  sur  lesquelles  on  peut  également  soutenir  les  deoi  ec^ 
tradictoires  :  la  thèse  et  Y  antithèse.  Deux  de  ces  antinomies»*^ 
mathématiques.  1»  Le  monde  est-il  limité  dans  le  temps  et  à^ 
l'espace  ?  Oui  et  non.  2"  Le  monde  est  il  divisible  en  parti» 8* 
pies,  ou  est-il  divisible  à  l'infini  ?  Les  deux  peu  vent  encow  sext 
tenir.  Pour  résoudre  ces  deux  antinomies,  Kant  rejette  à  1»'* 
la  thèse  et  l'antithèse,  disant  que  le  temps  et  l'espace  soùi  » 
formes  de  la  sensibilité.  Les  deux  autres  antinomies  sont  ép^ 
ques.  P  thèse  :  Il  existe  une  liberté  morale  ;  a^vtithèse  lûn^ 
qu'un  déterminisme  physique.  2°  thèse  :  Il  existe  un  être  uéc* 
saire  :  antithèse  :  il  n'y  a  que  des  êtres  contingents.  W  ^ 
accorde,  pour  les  deux  questions,  lathôse  et  l'antithèse,  daniâ* 
pointi^de  vue  différents. 


XVILI*    SIÈCLE   —    KANT  777 

Sur  la  liberté,  Kant  dit  :  Sous,  les  apparences  de  nos  acte», 
enchaînés  par  les  rapports  nécessaires  de  cause  &  effet,  il  y  a  la 
réalité  de  notre  caractère  morale  qui  seul  est  libre,  tandis  que 
les  motifs  et  les  mobiles  dont  Tensemble  détermine  notre  caractère 
engendrent  nécessairement  tous  nos  actes.  C'est  -  ainsi  que  Kant 
croit  démontrer  tout  à  la  fois  que  celui  qui  connaîtrait  tous  nos 
motifs  et  nos  mobiles  pourrait  calculer  notre  vie  future,  comme 
on  calcule  une  éclipse  de  luiie,  et  que  cependant  nous  pouvons  être 
libres.  Quand  à  démontrer  la  liberté  elle-même,  il  croit  ne  pouvoir 
le  faire  que  par  la  raison  pratique.  Enfin  il  essaje  de  détruire  la 
théologie  rationnelle  (spéculative) .  Contre  la  preuve  téléologi^ 
que  ou  des  causes  finales^  il  dit  que  nous  ne  connaissons  pas  tout 
l'univers,  et  que  d'ailleurs,  dans  ce  que  nous  en  connaissons,  le 
bien  ne  nous  révèle  pas  assez  Dieu,  et  le  mal  nous  le  cache  trop. 
Pour  détruire  l'argument  des  causes  efficientes,  il  dit  que  cettQ 
preuve  suppose  l'identité  entre  la  nécessité  et  la  perfection  et,  dès 
lors  retombe  dans  la  preuve  de  saint  Anselme.  Enfin,  il  rejette 
cette  dernière  preuve,  la  preuve  ontologique,  parce  que,  dit-il, 
nous  ne  pouvons  pas  passer  de  l'idée  qui  est  dans  notre  entende- 
ment à  l'objet  qui  est  en  dehors,  et  pour  affirmer,  comme  un  attri- 
but, l'existence  nécessaire  de  l'être  parfait,  il  faut  d'abord  poser 
que  cet  être  parfait  est  réel  hoi*s  de  notre  pensée. 

Après  avoir  battu  en  brèche  toute  ces  grandes  vérités,  au  nom 
de  la  raison  théorique,  il  va  les  affirmer  toutes  au  nom  de  la  raison 
pratique. 

320.  Critique  dé  la  raison  pratique.  —  La  raison  prati- 
que impose  le  devoir,  sous  forme  de  principes  universels.  «  Agis 
toujours  de  telle  sorte  que  la  maxime  de  ta  volonté  puisse  revêtir 
la  forme  d'un  principe  de  législation  universelle.  »  L'universalité 
de  ces  principes  fait  leur  obligation.  C'est  \  impératif  catégorique 
qui  s'impose  à  toutes  les  volontés,  comme  à  des  puissances  auto^ 
nomes.  Partant  de  cette  idée,  Kant  réfute  toutes  les  théories 
morales  précédentes,  basées  sur  l'éJucation  (Montaigne),  sur  la 
dqnstitution  civile  (Mande ville,  hollandais,  né  en  1670),  sur  la 
sensation  (Epicure),  sur  le  sens  moi*al  (Hu^heson),  sur  la  tendance 
k  la  perfection  (Wolf  et  les  stoïciens),   sur  la  volonté  de  Dieu 


778  HISTOIRE    DB    LA    PHILOSOPHIE 

(Crusius,  allemand,  né  en  1712,  après  Dans  Scot  et  Goilhuime 
d'Ockam). 

L*objet  des  lois  morales,  quoique  non  connu  par  rintaition  est 
supposé  par  ces  lois  mômes.  Elles  sont  obligatoires,  donc  elles 
sont  possibles.  Donc  Vâme  est  libre.  Elles  supposent  aussi  l'idée 
du  bien,  qui  produit  dansTâme  le  sentiment  moral,  mofjilesubje  :- 
tif  de  la  vertu,  La  vc^u  est  désintéressée,  mais  elle  rend  digne 
du  bonheur.  L'union  des  deux  est  le  souverain  bien  (vertu  et 
bonheur). 

Le  premier  élément  du  bonheur  c'est  la  sainteté,  qui  est  Yidéal 
de  la  vertu. .  Mais  cet  idéal  ne  peut  être  atteint  dans  un  temp^ 
limité  ;  c'est  un  progrès  indéfini,  qui  suppose  Vimmortnlité  de 
Vdme , 

Le  souverain  bien  est  l'harmonie  de  la  moralité  et  du  bonhetir. 
Or,cette  harmonie  ne  peut  être  réalisée  que  par  la  cause  du  monde, 
et  cette  cause  doit  être  intelligente.  Elle  suppose  donc  ïexistence 
de  Dieu.  Dès  lors  la  loi  morale  est  la  volonté  de  Dieu.  C'est  la 
religion. 

321.  Critique  du  jugement.  —  Après  avoir  écrit  la  critique 
de  la  raison  pratique,  Kant  s'aperçut  qu'il  avait  omis  la  critiqu*^ 
de  deux  espèces  de  jugements:  \q  jugement  esthétique,  qui  porte 
sur  le  beau  et  le  sublime,  ôt  \e  jugement  téléologique^  qui  porte 
sur  la  finalité.  Il  écrivit  donc  la  Critique  du  jugement,  destinée  à 
prendre  place  entre  les  deux  premières. 

Et  d'abord,  pour  donner  du  beau  une  idée  complète,  il  le  définit 
à  quatre  points  de  vue  différents.  P  Le  beau  est  l'objet  d'une 
satisfaction  libre  de  tout  intérêt.  Par  conséquent,  Tidéo  du  bean 
est  indépendante  de  l'existence  de  l'objet.  2<*  Le  bean  est  ce  qui 
platt  universellement  sans  concept.  C'est-à-dire  que  nous  n'en 
jugeons  pas  d'après  une  idée  préconçue,  mais  seulement  par  la 
satisfaction  simultanée  de  Timagination  et  du  jugement  (par  la 
variété  dans  l'unité).  3«  La  beauté  est  la  forme  de  la  finalité  d'un 
objet,  en  tant  qu'elle  est  perçue  sans  représentation  de  fin.  C'est- 
à-dire  que  nous  voyons  dans  la  beauté  une  convenance  qui  nous 
paraît  faite  à  dessein^  s^ns  que  nous  nous  arrêtions  k  considérer 
le  but.   A"*  Le  beau  est  ce  qui  est  reconnu  sans  concept  comme 


XVIll*    SIÈCLE     —    KANT  779 

l'objet  d'une  satisfaction  nécessaire.  Cette  satisfaction  est  néces-  - 
saire  par  son  universalité,  surtout  puisqu'elle  ne  repose  pas  sur 
une  idée  universelle. 

Telle  est,  pour  Kant,  l'idée  du  beau,  objet  du  jugement  esthé- 
tique, et  distinct  de  la  perfection,  objet  d'un  jugement  esthétique 
et  logique  tout  à  la  fois,  qui  suppose  un  concept  a  2iriori. 

Le  sublime  est  aussi  l'objet  d'un  jugement  esthétique,  mais, 
contfaipement  au  beau^  il  suppose  un  désaccord  entre  l'imagina- 
lion  et  la  raison,  en  ce  sens  qu'il  étonne  Timagination  et  contente 
la  raison.  Le  sublime  e^i  niathématiqiœ  ou  dynamique^  selon 
qu'il  a  pour  fondement  la  grandeur  ou  la  puissance.  Mais  ce  juge- 
ment doit  être  aussi  sans  concept  préalable,  pour  rester  dans  Tordre 
esthétique.  Il  y  a  d'ailleurs  un  sublime  logique  et  un  sublime 
moral.  Cependant,  quoique  distincts  les  jugements  esthétiques  et 
les  jugements  moraux  sont  liés  ensemble  et  concourent  au  même 
but;  mais  les  derniers  impliquent  l'idée  d'obligation  et  supposent 
un  objet  réel,  tandis  que  les  premiers  ne  sont  que  des  formes 
svbjectives  de  nos  facultés,  sans  objets  réels. 

Dans  les  jîiffeme7its  téléologiques,  ou  jugements  sur  la  finalité 
des  choses,  Kant  distingue  \dk  finalité  intérieure  ou  immanente^ 
et  la  finalité  relative,  La  première  nous  paraît  comme  l'objet 
direct  d'un  dessein  de  la  nature,  la  seconde  comme  un  moyen  d'at- 
teindre ce  dessein  premier.  C'est  ainsi  qu'en  voyant  les  êtres  orga- 
nisés nous  jugeons  nécessairement  que  toutes  leurs  parties  sont 
disposées  dans  un  but  déterminé.  Ce  jugement  est  nécessaire  ;  mais 
Kant  ne  lui  donne  aucune  réalité  objective  :  c'est  encore  une  forme 
subjective  de  notre  intelligence. 

Ici  Kant  fait  la  critique  de  toutes  les  théories  relatives  aux 
causes  finales,  le  hasard  d'Epicure,  le  panthéisme  de  Spinoza, 
r&me  du  monde  des  stoïciens,  la  cause  intelligente  de  tous  les 
théistes  ;  il  croit  qu'aucune  de  ces  théories  ne  peut  s'établir  à 
rexclusion  des  autres,  parce  que  le  mécanisme  qui  engendre  les 
deux  premières  ne  rend  pas  compte  du  concept  de  la  finalité,  et 
que  le  principe  des  causes  finales  qui  sert  à  établir  les  deux  autres 
n'a  qu'une  valeur  subjective,  propre  à  la  constitution  de  notre 
entendement.  Mais  il  pense  que.  dans  l'entendement  divin,  la  fina- 
lité et  le  mécanisme  se  confondent  dans  un  principe  unique,  inac- 
cessible à  notre  intelligence,  et  où  l'opposition  disparaît. 


780  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

Pour  les  mômes  raisons  il  rejette  spéciilativementlaear^ 
d'une  fin  dernière  de  toutes  choses,  et  refuse  à  cette  <hD«^ 
une  certitude  objective,  mais,  encore  une  fois,  il  trouve  la  :<!?sî 
de  cette  fin  dernière,  de  Dieu  principe  et  fin  de  tout,  dan?  «sa 
morales. 

Dans  ses  autres  ouvrages  intitulés  Eléments  nu:*t'^php\^' 
Kant  essaye  d'établir  une  théorie  de  la  matière  ù«  l^TBÎtô' 
priori  et  il  opte  pour  une  combinaison  de  forces  attfS'^î^^  ' 
répulsii'ies,  qui  selon  lui,  n'exigent  pas  le  vide  ;  puis  'û  ié^ 
de  déterminer  la  métaphysique  des  mœurs,  ou  les  lois  locnk 
qu'il  déclare  ne  pouvoir  être  fondées  que  sur  la  raison.  le?* 
principe  du  droit  est  celui-ci  :  «  Agis  de  telle  sorte  que  k  ^^ 
usage  de  ta  volonté  puisse  subsister  avec  la  liberté  de  toas.  >  ^ 
droit  positif  doit  être  fondé  sur  le  droit  naturel.  Dan?  «  ^' 
nier,  Kant  distingue  le  droit  inné  et  le  droit  acquis,  ^^ 
celui-ci,  le  droit-privé  et  le  droit  public,  lequel  se  ?ubdivis» 
son  tour  en  droit  politique,  droit  des  gens  et  droit  cos^^f^''' 
tique.Touie  cette  métaphysique  du  droit  est  pleine  de  vueslaK* 
et  comme,  après  tout,  Kant  est  un  homme  de  bien,  iJ  ne  i^"'^ 
pas,  dans  les  détails,  des  principes  d'une  saine  morale,  apF* 
vant  les  réformes  amenées  en  France  par  la  RévolutiuJ,  œ^î-'^* 
damnant  le  meurtre  juridique  de  Louis  XV^I;  mais  sa  ^^ 
manque  de  base.  Au  fond,  il  ne  voit  qu'une  chose  dans  fe^'^* 
sauvegarder  la  liberté  do  tous  ;  mais  quelle  est  réteuda*  ^^  * 
liberté  ?  quelles  en  sont  les  limites  ?  C'est  ce  qu'il  ne  sanrait  i^^ 
et  ce  qu'on  ne  dira  jamais  tant  qu'on  définira  le  droit,  «lali^^ 
de  chacun  prise  pour  fin  par  la  liberté  des  autres.  » 

Ce  qui  distingue,  selon  Kant,  les  dévoilas  de  vertu  desik^fc^ 
de  droit,  c'est  qu'on  peut  nous  contraindre  à  ceux-ci,  tandis ^b* 
ne  saurait  nous  contraindre  à  ceux-là,  quoique  nous  noasvrec* 
naissions  également  obligés  intérieurement .  Les  devoirs  de  ^^ 
nous  sont  imposés  par  la  raison, -et  c'est  leur  concept  a  jjnôn^ji 
produit  nécessairement  en  nous  le  sentiment  tnoral,  la  eonsi^'^' 
morale,  V amour  des  hommes,  le  7'espect  de  soi-même.  Laffi^* 
physique  de  la  vertu  nous  enseigne  à  développer  en  ^^'^s-''^ 
conditions  subjectives  ;  sous  sa  forme  didactique,  elle  aousJ*^ 
connaître  les  devoirs  de  vertu  et  sous  sa  forme  (tscétiq^^- ^"^ 
nous  exerce  à  les  pratiquer. 


XV.III' SIECLE  —  KANT  781 

Enfia  dans  un  ouvrage  spécial,  Kant  soumnaet  à  la  critique  le 
christianisme  lui-mAme.  Il  ne  veut  pas  môme  savoir  s'il  est 
révélé  ou  non.  Il  le  juge  au  point  de  vue  moral  et  se  croit  en  droit 
do  le  rejeter  s'il  no  résiste  pas  à  cet  examen  de  la  raison.  Il  en 
accepte  les  dogmes  et  môme  ce  qu'il  appelle  les  légendess  c'est-à-dire 
les  faits  évangéliques,  mais  seulement  comme  propre,  à  dévelop* 
per  le  sentiment  moral,  sans  leur  attribuer  aucune  vérité  certaine. 

322.  Appréciation.  —  Kant  nous  offre  la  plus  vivante  démons- 
tration de  ce  principe  désormais  constaté  par  l'histoire  de  la  pensée 
humaine,  qu'il  ne  faut  pas  prendre  au  sérieux  le  scepticisme.  C'est 
la  théorie  sceptique  de  Hume  qui  inspira  à  Kant  la  pensée  de  faire 
la  critique  des  facultés  de  l'âme,  et  une  fois  entré  dans  cette  voie, 
il  n'en  est  sorti  qu'avec  une  contradiction,  après  avoir  traité  d'il- 
lusion tout  ce  que  le  genre  humain  avait  perpétuellement  affirmé. 
Sans  doute  quelques  dogmatiques  avaient  mis  de  la  témérité  dans 
leurs  affirmations  :  mais  était-ce  une  raison  pour  que  l'affirmation 
universelle  du  genre  humain  pût  ôtre  mise  en  doute.  Et  si  nous 
admettons  une  fois  avec  Kant  que  la  raison  théorique  n'a  aucune 
portée  objective,  comment  savons-nous  que  nous  sommes  soumis 
à  la  loi  du  devoir  ?  Sur  quoi  peut  reposer  cette  obligation  ?  Avant 
de  conclure  de  l'idée  du  devoir  à  la  réalité  de  son  objet  et  des 
autres  conditions  qu'elle  suppose,  ne  faudrait-il  pas  soumettre 
cette  loi  elle-même  à  la  critique  ?  Et  si  on  soumet  l'idée  du  devoir 
à  cette  épreuve,  après  avoir  accepté  en  principe  que  la  connais- 
rance  théorique  n'a  point  d'objet,  croit-on  que  cette  loi  morale  en 
sortira  intacte  ?  Et  si  la  loi  morale  est  douteuse,  que  deviendront 
les  affirmations  que  l'on  veut  appuyer  sur  elle  seule  ?  Nous  allons 
voir  en  effet  le  développement  des  théories  de  Kant  amener  le 
dernier  terme  de  l'absurde. 

Cependant,  ce  grand  esprit  aurait  pu  faire  mieux.  Il  y  aval 
en  lui  l'étoffe  d'un  grand  philosophe  :  il  n'a  créé  qu'un  système 
négQ.tif  dont  la  limite  extrême  est  le  néant.  Nous  ne  conseillerons 
donc  pas  aux  jeunes  gens  la  lecture  de  ses  œuvres  malgré  les  nom- 
breuses observations  de  détail  et  les  analyses  profondes  qui  s'y 
trouvent  mêlées  aux  erreurs,  par  ce  que  le  système,  dans  la 
rigueur  apparente  de  sa  logique,  pourrait  exercer  sur  eux  un 
mirage  troinpeur  et  les  séduire.  Et  les  dangers  de  cette  séduction 


782  IIISTOIRK     DE    LA     PHILOSOPHIE 

sont  rendus   manifestes  par  Tengouement  qu'excita  le  Fj?'c^«f.' 
Kant,  et  par  les  théories  qui  en  sortirent. 

La  philosophie  de  Kant  suscita  en  Allemaime  une  vérit*; 
révolution  dans  les  idées,  et  si  quelques-uns  l'attaquèrent  s?? 
acharnement,  un  bien  plus  grand  nombre  crut  qu'on  ue  pw^i-' 
plus  désormais  se  livrer  à  des  réflexions  philosophiqne  ^ 
prendre  pour  base  la  Critique  de  la  raison.  Parmi  cfô  coît-*'^' 
disciples,  plusieurs  se  tinrent  dans  les  limites  posées  pï  e 
maître  ;  quelques-uns  en  tirèrent  des  conséquences  Jja.'die^ 
firent  école.  IVous  ne  citerons  que  ces  derniers,  qui  sont,  au  ik» 
en  partie,  du  dix-neuvième  siècle,  mais  dont  les  svstôiiJfê  à^i}^ 
ôtre  exposés  ici  pour  compléter  celui  de  Kant. 

323.  Fichte.  —  Jean  Théophile  Fichte;  naquit  an  villagïi 
Rammeneau,  dans  la  haute  Lusace.  en  17G2,  et  mourut  à  B^ 
en  1814.  Fils  d'un  simple  artisan,  il  dut  son  éâuc^iioR  à  I«5îiBf 
que  fit  de  ses  heureuses  dispositions  le  baron  Miltitz.  A  la  ^ 
de  ses  études,  il  fut  précepteur  particulier,  puis  professffi 
lénaet  enfin  à  Berlin,  pendant  roccupation  de  l'armée  française 

Le  premier  ouvrage  de  Fichte  est  Y  Essai  dCtine  criUq*''^  ^^ 
toute  révélation,  que  l'on  crut  d'abord  être  de  Kant,  et  qe»  »- 
valut  l'amitié  et  les  attentions  de  ce  philosophe.  Il  publia  plasttK 
Idée  de  la  théorie  de  la  science,  et  Fondement  de  la  thêmif* 
la  science.  Puis  :  Leçon  sur  la  tnission  dxi- savant,  et  tmi'-^ 
PhUosopliie  du  droit  sans  compter  les  Discours  et  pto^R 
autres  ouvrages  moins  importants. 

Les  titres  seuls  de  ces  ouvrages  indiquent  assez  combien  bw'^ 
trine  de  Fichte  dérive  de  celle  de  Kant.  Mais  nous  verrons  ffii*^ 
cette  origine  en  analysant  la  doctrine*  de  Fichte. 

Kant,  en  faisant  la  critique  de  la  connaissance,  en  avaittaituB^ 
forme  subjeoiivo,  et  de  plus,  en  s'appuyant  sur  la  loi  morale,  i 
n'avait  pa<  .  :■  .  •'»  d'affirmation  objective  antérieure  ù  celle  w  * 
liberté  de  l'-:.\  .  ■.  ^.'ette  idée  va  devenir  plus  absoluedans  FicW*. 

C'est  la  f/it:  ;ao  de  la  science,  non  vulgaire,  mais  piiilosopM"^* 
que  Fichte  e:iii'<?prend.  La  science  doit  ôtre  une  et  former  un ''^• 
Elle  doit  donc  avoir  un  principe  un  et  absolu  sansleque/  vienoii 
serait  certain.  Ce  principe  doit  renfermer  en  lui-même  la«Jû'' 


XVII*   SIÈCLE  —  FICHTB  783 

et  la  forme  d6  sa  connaissance  et  les  tenir  de  lui-même .  Ce  principe, 
il  le  trouve  dans  le  moz ,  qui  se  pose  lui-môme  dans  tout  jugement. 
Je  suis  moi,  dit-il,  a^a.  Ce  principe  est  le  plus  incontestable  de 
tous. 

Jusque  là  tout  est  juste,  mais  Fichte  va  plus  loin,  et  déclare  que 
le  moi  est  cause  de  lui-même,  en  prenant  conscience  de  lui-même  .. 
qu  il  est  cause-effet,  fait-action,  acte-fait.  Voilà  Terreur  fondée 
sur  un  abus  de  mot,  sur  Téquivoque  du  mot  poser.  Tout  le  reste 
va  dériver  de  ce  faux  principe. 

Le  moi  pose  primitivement  son  propre  être  ;  c'est  son  premier 
acte,  et  par  un  acte  suivant,  le  moi  oppose  mi  moi  absolu  un 
non^moi  absolu.  Le  non-moi  est  le  second  principe,  qui  n'est 
absolu  que  dans  sa  forme,  tandis  que  le  moi  est  absolu  dans  sa 
forme  et  dans  sa' matière.  Mais  le  caractère  absolu,  même  incom- 
plètement, du  non-moi  est  la  contradiction  du  caractère  entière- 
ment absolu  du  moi,  et  pour  résoudre  cette  contradiction,  il  faut 
un  troisième  principe,  absolu  seulement  dans  sa  matière,  et  qui 
est  celui-ci  :  Le  moi  divisible  (matière  et  forme)  s'oppose  à 
lui-même  et  dans  lui-même  un  non-moi  indivisible j  et  ils  se 
limitent  ainsi  réciproquement.  C'est  cette  limitation  qui  n'est 
absolue  que  dans  sa  matière. 

Ces  trois  principes  sont  :  Taffirmation,  la  négation  et  la  limita- 
tion, ou,  en  d'autres  termes,  la  thèse  y  V  antithèse  ^i  la  synthèse. 

En  résumé  :  le  moi  et  le  non-moi  se  déterminent  réciproque- 
ment, proposition  complète  et  absolue,  dans  laquelle  l'analyse 
découvre  les  deux  suivantes  :  1°  Le  non-moi  détermine  le  moi  ; 
c'est  le  principe  de  la  philosophie  théorique,  ou  de  la  connais- 
sance, dans  laquelle  le  moi  semble  passif  à  l'égard  des  objets  ; 
2**  le  moi  détermine  le  moi;  c'est  le  principe  de  la  philosophie 
pratique,  ou  de  la  volonté,  dans  laquelle  le  moi  se  montre  comme 
la  seule  réalité  absolue,  et  nous  apprend  que  le  monde  est  son 
œuvre,  son  idéal  réalisé,  qui  n'a  d'existence  que  dans  le  moi. 

Telle  est  là  doctrine  de  Yidéalisme  critique  ou  du  stubjectivisme 
absolu,  dans  laquelle  disparait  l'ombre  de  réalité  que  la  critique 
de  Kant  avait  laissée  aux  choses . 

Nous  ne  sommés  plus  ici  en  présence  du  scepticisme,  qui  s'abste- 
nait de  prononcer  un  jugement,  c'est  la  négation  absolue  des 
sophistes.  Un  pas  de  plus  dans  cette»  théorie  va  tout  réduire  au 


7H4  HISTOIRE    DE   LA    PHILOSOPHIE 

néant,  bi  même  ce  pas  est  nécessaire;  car  déjà  dans  les  donatiâ'.' 
Mchte,  le  moi  n*est.  pas, mais  il  se  fait,  il  devient  chaque  foi^^s'i 
prend  conscience  de  lui-même. 

Le  moi,  absolu  et  pris  en  soi,  est  sans  étendue  et  sans  xitamT^ 
ment;  c'est  un  point  mathématique.  Eprouvant  le  besoin  ^m 
développer  il  s'élance  dans  un  mouvement  cent rif âge  vers  riate, 
mais  il  est  rejeté  sans  cesse  vers  lui-même  par  l'impossibilité  d'a^fe- 
teindre  ce  but,  quoique  la  résistance  même  active  et  rencwvtf^s 
ses  efforts.  C'est  dans  ce  mouvement  que  le  »*oe  prend  consci^ace 
de  lui-même  et  du  fion-moif  qui  vient  de  lui* 

Quelle  force  d'imagination,  et,  le  dirons  nous,  quelle  toléra»» 
de  l'absurde  ne  faudra-t-il  pas  pour  sortir  de  ces  données  et 
dans  la  vie  réelle?  pour  individualiser  ce  moi  absoln  et 
moi,  tout  aussi  absolu  que  lui,  et  accepter  en  pratique  la  distû»- 
tion  des  personnes?  ponr  déterminer  après  cela  les  rapports  eatpe 
les  hommes,  poser  les  limites  du  droit,  en  un  mot  écrire  b» 
morale  complète,  qui  dans  la  pratique  règle  toutes  choses  conm^ 
dans  un  monde  réel.  C'est  pourtant  ce  que  Fichte  a  osé  faire,  ^'oa* 
ne  le  suivrons  pas  dans  ses  raisonnements,  parce  que  nous  ne  sau- 
rions ni  les  justifier, ni  les  présenter  avec  une  apparence  de  logique. 
Fichte  a  lui-môme  et  successivement  tiré  toutes  les  conséqaea- 
ces  qui  découlent  de  son  système,  au  point  de  vue  moral.  D'abori. 
sa  morale  est  celle  de  Kant,  seulement,  il  accentue  davantage  ssr 
cette  pensée  que  la  liberté  est  la  fin  derni(}re  de  Chomme- 
L'homme  est  une  fin  pour  lui-môme  et  pour  les  autres.  Plus  tard, 
dans  le  traité  de  la  destinatiori  de  Vhomme,  il  prend  la  loi  morale 
comme  une  force  mystique,  qu'il  appelle  la  foi,  et  déclarajit  U 
science  a  absolument  vide,  »  il  dit  :  la  loi  morale  nous  fait  croire 
aux  réalités  qu'elle  suppose.  C'est  la  doctrine  de  Kant,  mai^  avec 
une  tendance  mystique.  Ce  mysticisme  devient  bientôt  un  jmui- 
théisme  idéaliste,  et  le  moi  humain  est  remplacé  par  le  moi  diviu, 
activité  pure,  sans  substance  et  sans  personnalité  ;  moins  que  cela, 
dans  les  derniers  écrits  de  Fichte,  Dieu  n'est  plus  que  Tensemble 
des  actes  inspirés  aux  hommes  par  sa  pensée.  Et  Ton  trouve  da]is 
un  de  ses  derniers  ouvrages  cette  parole  insensée  :  «  Toute  concep- 
tion religieuse  qui  personnifie  Dieu,  je  l'ai  en  horreur  et  je  la  coo- 
sidère  comme  indigne  d'un  être  raisonnable,  » 


XVIir    SIECLE  —   CHELLING  785 

Quant  aux  conséquences  logiques  du  système  de  Vidéalisme 
subjectifs  Schellîag  et  Hegel  vont  se  charger  de  les  tirer. 

324.  Schellîng.  «— Eréderic  Guillaume  Joseph  de  Schelling, 
naquit  à  Lôonberg,  dans  le  Wurtemberg,  en  1775.  Ilfut  condisci-  ' 
pie  de  Hegel  à  Tubhigue,  et  disciple  de  Fie  hte  à  léna.  H  enseigna 
successivement  à  léna,  à  Wurtzbourg,  à  Munich  et  enfin  à  Berlin 
où  il  succéda  à  Fichto  et  à  Hegel.  Si  nous  le  plaçons  avant  ce 
dernier,  c'est  que  par  son  système  il  le  précède  naturellement.  l\ 
mourut  en  1854,  aux  bains  de  Ragatz,  en  Suisse. 

Après  une  série  d'ouvrages  où  il  restait  assez  d'accord  avec 
Fichle,  Scbelling  publia  le  Système  de  Vidéalisme  transcendan- 
talj  où  sa  pensée,  jusque  là  à  peine  ébauchée  se  manifeste  complè- 
tement. Quand  nous  disons  qu'elle  se .  manifeste,  il  ne  faut  pas 
entendre  par  là  qu'elle  soit  clairement  exposée,  au  contraire  ;  il 
faut  une  sorte  de  nécessité,  comme  celle  qui  nous  oblige  en  ce 
moment,  pour  s'imposer  la  rude  tâche  de  lire,  de  comprendre,  et . 
d'analyser  un  pareil  ouvrage,  où  la  pensée  principale  est  noyée 
dans  un  déluge  de  propositions  aussi  nuageuses  qu'abstraites  et 
qui  pour  la  plupart  choquent  le  sens  commun,  après  môme  qu'on 
en  a  lu  la  prétendue  démonstration  rigoureuse. 

Le  point  de  départ  de  Schelling  est  celui  de  Fichte.  Le  principe 
de  la  connaissance  philosophique  c'est  le  moi.  Voici  comment. 

«  Toute  connaissance  repose  sur  l'accord  d'un  objectif  Skwec  un 
subjectif.  »  L'objectif  en  général  c'est  la  nature;  le  subjectif  c'est 
le  moi.  Dans  la  connaissance  le  siget  et  l'objet  sont  inséparables 
et  identiques,  et  pour  avoir  la  raison  de  cette  identité,  il  faut  la 
détruire.  De  là  les  deux  manières  de  philosppher.  La  première, 
celle  des.sciences  naturelles,  pose  d'abord  l'objectif,  et  recherche 
comment  le  subjectif  s'accorde  avec  lui  ;  l'autre,  celle  de  la  phi- 
losophie transcendantale,  prend  le  subjectif  comme  élément  premier 
et  se  demande  comment  l'objectif  vient  s'accorder  avec  lui. 

La  philosophie  transcendantale  commence  donc  par  le  doute 
universel  de  la  réalité  de  l'objectif.  Mais  notre  nature  affirme 
quand  même,  par  un  préjugé  fondamental,  qu'il  y  a  des  choses 
hors  de  nous,  et  la  tâche  de  la  philosophie  transcendantale  est  de 
montrer  la  nécessité  de  ce  préjugé,  en  partant  du  subjectif  seul. 


786  HISTOIRE  DE    LA    PHILOSOPHIE 

La  seule  proposition  première  et  absolument  connue  est  la  pro- 
position :  Je  suis.  Cette  autre:  Il  y  a  des  choses  hors  de  moi^  ne 
peut  ôtpe  certaine  que  par  son  identité  avec  la  première. 

Ainsi  la  philosophie  transcendantale  n'a  pas  à  démontrer  rexL$- 
'  tence  des  choses,  mais  seulement  que  c'est  un  préjugé  naturel  et 
nécessaire  d'admettre  comme  réels  les  objects  extérieurs.  C'est  son 
premier  caractère.  Le  second  consiste  à  séparer  d'abord  les  deux 
propositions  :  Je  suis  ;  et  II  y  a  des  choses  hors  de  moi,  pour  mieux 
en  montrer  l'identité.  Elle  n'a  donc  pour  object  direct  que  le  subjec- 
tif," ou  pour  mieux  dire  la  connaissance  en  tant  que  subjective,  et 
ce  subjectif  j  devient  sans  cesse  objectif. 

De  ce  point  de  vue,  il  faut  démontrer  la  possibilité  de  la  science, 
ou  soit  :  Comment  les  représentations  subjectives  peuvent  s'accor- 
der  parfaitement  avec  des  objets  existants,  qui  en  sont  tout-à-faii 
indépendants;  et  d'un  autre  coté:  Comment  la  pensée  seule  peut 
modifier  un  objectif,  de  telle  sorte  qu'il  s'accorde  parfaitement 
avec  elle.  Ces  deux  problèmes  constituent,  l'un  la  philosophie 
théorique,  l'autre  là  philosophie  pratique,  la  conscience  et  la 
liberté. 

Mais  ces  deux  problèmes  offrent  une  contradiction  qui  ne  peut 
être  résolue  que  dans  une  philosophie  supérieure,  à  la  fois  théoi  i- 
que  et  pratique,  dans  la  philosophie  transcendantale.  Ici  nous  trou- 
vons le  principe  absolu  de  toute  production  dans  la  volonté.  La 
même  activité  est  productive  sans  conscience  dans  le  monde,  et 
productive  avec  conscience  dans  l'acte  libre.  Telle  est  la  raison  de 
l'harmonie  préétablie  entre  la  conscience  et  la  nature. 

Mais  où  est  le  principe  de  cette  double  activité?  La  philosophie 
transcendantale,  nous -montre  dans  l'activité  esthétique,  dans  l'art, 
cette  double  forme  de  l'activité,  avec  et  sans  conscience. 

Ce  n'est  là  que  l'introduction  et  en  quelque  sorte  le  plan  du  sys- 
tème. Voin  maintenant  une  idée  des  développements. 

D'aboixl,  il  faut  à  la  connaissance  un  principe  suprême,  qui 
concilie  l'objectif  avec  le  subjectif.  Ce  principe  doit  être  incondi- 
tionnel,  pour  ne  dériver  d'aucun  autre.  Or  les  jugements  analy- 
tiques, comme  dans  les  propositions  identiques,  sont  seuls  connus 
inconditionnellement:  par  exemple  :  A  =  A.  Mais  ici  il  n'y  a  pas 
de  connaissance  réelle,  car  il  n'y  a  rien  d'objectif  affirmé.  Le  pre- 


XVIII"    SIÈCLE  —  SCHELLING  787 

inior  principe  doit  donc  ôtre  une  proposition  synthétique  pour  être 
une  connaissance  réelle.  Mais  les  propositions  synthétiques  ne 
sont  pas  inconditionnelles,  ou  certaines  par  elles-mômes.  Il  y  a  ici  con- 
tradiction, à  moins  de  trouver  une  proposition  à  la  fois  analytique 
et  synthétique,  à  moins  de  trouver  le  point  où  le  sujet  et  Tobjet  sont 
une  seule  et  môme  chose.  Cette  condition  est  remplie  dans  le  moi 
prenant  conscience  de  lui-môme,  dans  la  proposition:  Moi=^moiy 
où  le  sujet  et  l'objet  sont  identiques.  C'est  Tintuition  pure,  dans 
laquelle  lé  sujet  s'objective  lui-môme  à  lui-môme,  produisant  et 
pTOduit.  C'est  le  postulat  de  la  philosophie;  le  principe  indémontra- 
ble, parce  que  l'intuition  est  libre.  La  liberté  est  notre  principe 
unique  et  le  monde  objectif  n'est  que  la  limitation  de  notre  liberté, 
qui  d'elle-môme  est  une  virtualité  infinie.  Le  moi  agit  sur  la 
limita  et  pour  cela  elle  doit  être  réelle  ;  mais  en  môme  temps  le  moi 
se  voit  limité  par  elle  et  dés  lors  elle  est  idéale.  La  limite  est  donc 
dépendante  et  indépendante  du^moi.  C'est  une  contradiction,  dont 
la  solution  se  trouve  dans  l'analyse  de  la  conscience  et  de  la  liberté, 
selon  la  philosophie  transcendantale. 

Au  premier  moment  de  son  histoire  philosophique  le  m,oi  sujet- 
objet,  mais  sans  avoir  conscience  de  lui-môme,  s'élance  hors  de 
lui-même,  dans  un  effort  vers  Tinfini.  Au  deuxième  moment,  il  se 
sent  limité,  mais  il  n'aperçoit  que  la  limitation  :  c'est  là  sensation  : 
c'est  la  vue  de  l'objet.  Au  troisième  moment,  le  moi  s'aperçoit 
sentant,  c'est-à-dire  sujet.  Telle  est  la  première  époque  de  This- 
toire  de  Tintelligence.  Schelling  compare  ces  trois  moments  au 
magnétisme,  à  l'électricité  et  au  galvanisme,  voulant  montrer 
par  là,  que  les  lois  de  la  nature  sont  les  mômes  que  celles  du 
moi, 

A  la  deuxième  époque,  le  moi  prend  conscience  du  temps  et  de 
l'espace,  par  la  double  perception  du  sens  intime  et  des  sens 
externes.  Puis  il  prend  conscience  de  sa  causalité  et  se  reconnaît 
comme  sujet  produisant  son  objet.  Et  lorsque  cette  activité  lui 
est  apparue  comme  un  échange  infini  de  productions  et  de  percep- 
tions, dans  un  cercle  fini,  le  moi  prend  conscience  de  la  nature 
organique. 

A  la  troisième  époque,  l'intelligence  entre  dans  la  réflexion,  où 
se  produisent  l'abstraction  et  le  jugement,  et  où  le  moi  tend  à  se 


788  HISTOIRE    DE    LA     PHILOSOPHIE 

reconnaître  comme  intelligence,  à  s'abstraire  de  Tobjet,  ei an 
fondre  la  notion  avec  Tobjet.  Mais  pour  acbever  cette abstrjc'i'. 
transcendantale,  il  laut  avoir  recours  à  un  acte  absoln,  liai  ^ 
dans  le  domaine  de  la  philosophie  pratique, 

Jusqu'ici  le  moi  avait  tout  produit  nécessairement  et  aï- 
conscience,  désormais  il  produira  avec  conscience  et  libresa! 
C'est  le  postulat  de  la  conscience  qui  est  rabstraction  abso-œ  - 
moi.  Ici  le  moi  se  saisit  comme  principe  de  l'idéal  et  cornus  P^^- 
cipe  du  réel.  De  là  procède  la  lutte  qui  constitue  la  philos^p^ 
pratique . 

L'acte  de  la  volonté  est  dans  le  temps,  dès  lors  il  a  quelqneck* 
de  nécessaire.  Cette  contradiction  ne  peut  s'expliquer  que  par  sa* 
double  condition  de  la  volonté  :  l'une  positive,  par  laquelle  ^^ 
est  le  fruit  de  Tintelligence  ;  l'autre  négative,  par  laquelle  élis* 
peut  être  sans  une  autre  intelligence.  Ainsi,  rintelligence sappJ* 
un  monde  d'intelligences. 

Cherchant  ensuite  à  faire  naître,  à  priori,  des  mêmes  donfi^ 
la  morale  et  la  politique,  Schelling  s'efforce  de  mettre  un  frdfiâsi 
excès  de  la  liberté,  sans  autre  instrument  que  la  liberté  elle^w* 
De  U  sa  théorie  du  progrès  indéfini  se  développant  nécessaiffli^' 
dans  l'histoire.  Et  le  principe  de  ce  progrès  indéfini,  il  letr«^- 
dans  une  sorte  de  destin-providence,  qu'il  appelle  Tidentité  ai*' 
lue  du  subjectif  et  de  lobjectif,  de  Tinconscient  et  du  consci»^ 
un  principe  qui  n'est  ni  sujet,  ni  objet,  ni  tous  les  deux  à  i*  ^*'* 
qui  ne  peut  arriver  à  la  conscience.  C'est  ainsi  qu'il  se  repi«s®^ 
Dieu,  «  cet  absolu  identique,  auquel  ne  peut  s'appliquer  ««■' 
attribut  emprunté  aux  choses  de  Tintelligence  ou  de  la  liberté,  q- 
ne  peut  donc  jamais  être  l'objet  de  la  connaissance,  qui  wp^ 
être  l'objet  que  de  l'hjpothèse  éternelle  sur  laquelle  repose  raeti^^'- 
la  foi.  »  C'est  à  ce  dernier  terme  que  Schelling  arrive,  à^  ^ 
Philosophie  de  V absolu^  laquelle  devait  compléter  la  Philo^r* 
de  la  nature^  comme  celle-ci  avait  complété  Vldéalisme  tr^ 
cendantaL 

Partir  de  la  conscience  du  moi,  et  en  déduire  à  priori  unêt*^ 
tome  de  phénomènes  reproduisant  exactement  le  inonde,  lesàffl^'^' 
Dieu  :  tel  était  le  problème  que  Schelling  s'était  charge  àt  r«^-" 
dre.   Nous  ne  croyons  pas  utile  de  démontrer  qu'il  oel^F^ 


XVIII*   SIÈCLE   —    HEGEL  789 

résolu.  D'ailleurs,  quand  môme  ses  proposition  seraient  rigoureuse- 
ment enchaînées,  elles  ne  donneraient  jamais  qu'une  hypothèse,  et 
et  il  nous  faut  expliquer  des  réalités. 

325.  Hegel.  —  Georges  Guillaume  Frédéric  Hegel  né  à  Stutt- 
gard  en  1770,  étudia  la  théologie  protestante  à  Tubingen,  avec 
Schelling.  Il  enseigna  à  léna  puis  à  Nuremberg,  à  Heidelberg  et 
enfin  à  Berlin,  où  il  succéda  à  Fichte.  Il  mourut  du  choléra  en 
1831 . 

D'abord  sincèrement  attaché  au  système  de  Schelling,  Hegel 
publia  plusieurs  ouvrages  pour  combattre  les  systèmes  opposés  ou 
pour  en  tirer  les  conséquences.  Le  dernier  et  le  plus  important  de 
ces  ouvrages  est  la  Phénoménologie  de  V  esprit  y  sorte  d'histoire 
du  développement  intellectuel,  selon  le  système  de  Tidéalisme 
absolu.  Plus  tard  il  commença  à  se  faire  un  système  à  lui,  dont 
il  exposa  les  premiers  linéaments  dans  sa  Logique  et  dans  Vency- 
clopédie  des  sciences  philosophiques ^ei  qu'il  montre  achevé  dans 
la  Philosophie  de  V histoire,  VEsthët  îque  et  la  Philosophie  de 
la  Religion,  qui  sont  des  leçons  publiques, 

La  Logique  de  Hegel  n'a  rien  de  commun  avec  ce  qu'on  appelle 
communément  de  ce  nom,  du  moins  dans  le  fond  de  sa  pensée. 
Pour  lui  c'est  la  scienccj  de  Tidée,  qui  est  la  raison  pure,  Dieu 
dans  son  éternelle  essence.  Le  premier  principe  n'est  plus  comme 
pour  ce  qu'il  appelle  <  la  logique  de  Tentendement,  »  le  principe 
de  contradiction  ;  c'est  le  principe  de  Tidentité  des  contraires. Telle 
est  la  logique  absolue  ou  transcendante. 

Hegel,  en  effet,  rejette  l'absolu  qui  semble  résider  hors  du  monde 
et  hors  de  l'esprit  humain.  Pour  lui  l'absolu  est  immanent  au 
se  monde,il  est  la  raison  môme,quî  se  réalise  elle-môme,qui  est  réelle 
parce  qu'elle  est  raison,  toujours  vivante  et  mobile,  essentielle- 
ment en  mouvement,  à  la  fois  nécessité  et  liberté,  ou  plutôt  conci- 
liation entre  Tune  et  l'autre,  conciliation  entre  l'être  et  le  néant: 
c'est  le  devenir.  Rien  n'est,  absolument  parlant  :  tout  devient  ; 
u  Dieu  n*est  pas  :  il  se  fait.  » 

Ce  devenir  absolu,  principe  de  toutes  choses  se  développe  éter- 
nellement, dans  un  rhythme  ternaire  sans  cesse  répétée.  C*est  le 
passage  perpétuel  du  non-étre  h  l'être  et  de  Tôtre  au  -non-ôtre  ; 


790  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIE 

c'est  \sk  thèse,  V antithèse  et  la  si/nthèse  formale  suprême  (kb 
raison,  fondement  de  toute  logique,  et  forme  de  tonte  Mk: 
c'est  ridée  enveloppée  et  en  puissance,  puis  Tidée  réalisée^  e^ 
le  retour  de  Tidée  réalisée  à  Tétat  d'idée  en  soi.  Le  type  ée  tf 
rhjthnie,  c'est  la  Trinité. 

Cetto  loi  logique  se  manifeste  encoi-e  dans  le  monde  :  fi^ 
absolue,  inconsciente,  que  Hegel  appelle  Yiàée  concrète,  se  dé^r 
loppe  par  la  pensée  et  constitue  la  nature,  puis,  revenant  à  eîk- 
même,  elle  prend  conscience  de  soi  et  constitue  l'esprit. 

Tout  cela  est  la  genèse  de  Dieu  qui  s'opère  dans  le  mowte  ^ 
s'achève  dans  l'esprit  humain.    . 

Hegel,  loin  de  reculer  devant  l'absurdité   de  ses  théori»,  » 
défendu  son  principe  de  Vidcntité  des  contraires,  disant  qnee'* 
là  le  secret  du  progrès  universel,  de  la  pensée  et  de  la  Tie.  Pffl- 
ser,  c'est  unir  des  idées  différentes,  dans  une  seule  idée  ([é  fe* 
concilie  ;  vivi*e  c'est  passer  d'un  contraire  à  l'autre,  par  une  acti» 
qui  les  domine.  En  uît  mot  sa  théorie  identifie   toutes  choses  ^ 
proclame  Vidcntité  de  V identique  et  du  no7i  identique, 
•     11  est  évident  que  ce  perpétuel   devenir  ne  peut  BO^tet  q»^ 
d'une  manière  nécessaire  ;  mais  Hegel  n'hésite  pas  à  qualifiôf  ^ 
libre  cette  nécessité.  Le  mouvement  se  manifeste  à^Bhofà  èsa 
le  temps  et  l'espace  et  prodint  la  matière.  Ses  combinaison  pro- 
duisent les  astres,  puis  les  êtres  organisés,   les  plantes  et  les  ani- 
maux et  enfin  les  hommes  où  l'activité  libre   prend  consciew* 
d'elle-même.  Mais  l'individu  humain  sent  sa  liberté  limita  par  ^ 
liberté  des  autres  et  comprend  qu'il  ne  possède  qu'une  partie  d* 
cette  liberté  universelle,  qui  fait  toutes  choses  nécessaireœ^J»^ 
mais  qui  est  libre  parce  qu'elle  fait  tout  d'elle-même.  Aioà  1* 
liberté  de  Hegel  n'est  qu'un  déterminisme  absolu. 

Mais  sa  théorie  politique  ajoute  encore  si  c'est  possible  à  ceU« 
désolante  théorie  psychologique,  L'Etat  est  «  la  substance  de  T^ 
dividu;  »  c'est-à-dire  que  chaque  citoyen  n'est  qu'une  manif^***' 
tion,  un  accident,  par  rapport  à  l'Etat.  L'individu  est  ssLCVé  ^f 
un  autre  individu  ;  mais  l'Etat  a  tout  pouvoir  sur  chacun  S^^- 
Rien  n'est  bien,  que  ce  que  l'Etat  ordonne;  rien  n'est  mal,  qo^  ^ 
que  l'Etat  défend.  Et  l'Etat  se  personnifie  dans  son  chef,  qi 
devient  Y  Etat  fait  ho^nme. 


XVlll'   SIÈCLE  —  HÉGBL  791 

Mais  à  leur  tour  les  états  plas  faibles  sont  sommis  au  caprice 
des  états  plus  forts .  La  nation  victorieuse  est  toujours  meil^ 
leure  que  la  nation  vaincue . 

Enfin  au  dessus  des  états  se  trouve  l'humanité  dont  les  desti- 
nées vont  s'accomplissant  et  se  manifestent  dans  les  arts,  où 
l'osprit  pénétrant  la  matière  la  forme  à  son  image,  et  cela  à  diffé- 
rents degrés.  Au  plus  bas  de  ces  degrés  se  trouve  Parchitecture, 
qui  n*exprime  que  Tidée  inconsciente  et  produit  le  sentiment  de 
l'immobile  infini.  L'idée  devient  plus  visible  dans  la  statuaire, 
quoique  l'âme  n'y  pai'aisse  pas.  Celle-ci  se  montre  dans  la  peinture 
par  Tex pression  du  regard  ;  mais  pn  n'en  voit  qu'un  moment. 
Juisqu'ici  Tart  est  seulement  objectif.  Le  sentiment  plus  animé 
et  plus  mobile  se  manifeste  dans  la  musique  ;  mais  il  est  encore 
ioMt  subjectif ,  l\  faut  donc  un  art  qui  concilie  l'un  et  l'autre: 
c'est  la  poésie. 

Tandis  que  le  sentiment  esthétique,  mis  en  acte  par  l'art, 
représente  le  divin  au  dehors,  le  sentiment  religieux  le  représente 
au  dedans  de  l'homme.  Mais  la  religion  qu'il  produit  est  fille  de 
l'imagination.  Elle  se  représente  Dieu  comme  un  être  extérieur  à 
l'humanité  et  au  monde.  C'est  une  dualité  qui  ne  pouvait  être  que 
provisoire.  Dans  l'Orient  l'infini  domine  et  inspire  la  crainte  et 
l'obéissance  passive  ;  en  Grèce  les  dieux  ont  la  forme  humaine, 
quoique  le  Destin  rappelle  l'infini.  Enfin  le  christianisme  est  la 
synthèse  de  la  religion  de  l'infini  et  de  la  religion  du  fini  ;  fruit 
de  l'union  du  génie  oriental  et  du  génie  grec,  il  adore  un  dieu- 
homme.  C'est  la  plus  haute  expression  du  sentiment  religieux. 

Hé^^el  croyait  probablement  avoir  rendu,  par  ce  blasphème,  un 
éclatant  hommage  à  la  religion  chrétienne,  en  l'expliquant  selon 
son  système.  Cependant  il  ne  s'arrête  pas  là.  Il  conçoit  quelque 
chose  de  supérieur  à  la  religion  chrétienne  ;  c'est  la  science  du 
devenir,  qu'il  appelle  la  philosophie.  Là,  plus  d'autorité  extérieure 
à  l'esprit  humain  ;  Thomme  ne  se  soumet  qu'à  lui-même.  Il  n'y  a 
plus  distinction  entre  celui  qui  commande  et  celui  qui  obéit; 
rhomme  s'adore  lui-même  ;  Car  il  reconnaît  sa  pensée  comme 
Tessence  même  des  choses. 

Qu'on  ne  s'étonne  pas  après  cela  de  trouver  parmi  les  disciples 
de  Hegel  :   le  docteur  Strauss,  qui  dans  sa  Vie  de  Jésus ^  soutient 


792  HISTOIRE   DE  LA   PHILOSOPHIE 

que  la  vie  de  Jésus-Christ  est  un  mythe,  quMi  faut  remplacer  par 
ua  Christ  idéal,  par  Thumanité  divinisée  ;  Feuerbach,  qui  ne  veut 
pas  qu'on  dise  :  «  Que  la  volonté  de  Dieu  soit  faite  »  mais  «  que 
la  volonté  de  Thomme  soit  faite  »  ;  car  c'est  la  volonté  de  l'homme 
qui  est,  dans  son  essence,  la  loi  même  et  la  fin  de  Tunivers.  Dieu 
n'est  pour  lui  que  l'homme  idéalisé,  tel  qu'il  [doit  être,  tel  qu'uD 
jour  il  sera. 

Nous  croirions  faire  injure  à  nos  lecteurs  si  nous  entreprenions 
de  réfuter  Hegel  et  ses  disciples,  soit  dans  leurs  blasphèmes^  soit 
dans  leurs  absurdités. 

On  aura  peut-être  remarqué  que  le  dix-huitième  siècle  ne  ren- 
ferme presque  rien  de  classique,  dans  les  théories  que  nous  avons 
exposées.  C'est  que  les  philosophes  classiques  qui  enseignaient 
alors  s^en  sont  tenus  aux  doctrines  précédentes,  sans  essaverde 
présenter  des  théories  nouvelles. 

•   CONCLUSION 

Nous  avons  entrepris  d'écrire  l'histoire  de  la  philosophie,  dans 
le  but  de  démontrer  :  1°  qu'il  y  a  unis  philosophie  classique,c'est-Â- 
dire  un  ensemble  de  doctrines  philosophiques  qui  n'ont  pas  cessé 
d'ùtre  enseignées  dans  la  suite  des  siècles  par  Timmense  msgorité 
des  philosophes,  et  surtout  par  ceux  dont  les  doctrines  sont  plus 
d'accord  avec  le  sens-commun  ;  2°  que  cet  ensemble  de  théories  a 
toujours  constitué  à  toutes  les  époques  une  véritable  science,  dont 
les  données  acquises  sont  restées  stables,  n'ont  été  contretlites  que 
par  des  individualités,  et,  dans  tous  les  cas,  n'ont  jamais  été 
péremptoirement  réfutées  ;  3^  enfin,  que  cet  ensemble  de  théories 
qui  composent  la  philosophie  classique  est  bien  celui  que  nons 
avons  exposé  dans  notre  cours,  sauf  les  données  nouvelles  que 
nous  avons  pu  y  ajouter  sans  nous  mettre  en  contradiction  avec 
les  données  anciennes. 

Pour  achever  ce  travail  il  nous  aurait  fallu  continner  Thistoirs 
de  la  philosophie  et  passer  en  revue  les  travaux  du  dix-neuviôme 
siècle .  Mais  pour  le  faire  selon  les  proportions  que  nous  avons 
données  aux  époques  pr^^cédentes,  il  nous  faudra  encore  un  volume 
rtt  nous  nous  réf^ervons  <le  lo  publier  plus  tard  si  l'on  accueill*» 
favorabloraent  celui-ci. 


^ 


TABLEAU  GHRONÛLOGIQDE 


DE    L'HISTOIRE   DE   LA   PHILOSOPHIE 


î.    AVANT    JÉSUS-CHRIST 


Boms  ëes  pUiowphM 

M0Ï8E 

?  Wyasa  (les  Védas) 

t  Sanchonîaton 

L'auteur  des  Kings 

Thalès 

Pittaeus... 

Bias 

Soîon. 

aéobub 

Myson 

aéobule 

Ghiloti 

Pérlandre 

Epiménide • . 

Simonide 

Phaléas 

KÉNOPHANË , 

Atiaximandre 

Lao-tseu.. 

Pytiiagobe..  . , 

Phérécyde w 

Alcmcon 

Anaximène 

CONFUCIUS 

Parménide 

yfeng-tseu , 

Bouddha 

Ojahia . . . , 


Dates 
tfa  leur  nâisianM 

Lieu            et  de  leur  mort  loolts 
de  lenr  natsiMce   ou  date  connae     et  Systènes 

•  de  lenr  vie 

Bgypte. .......  1725—1605 

Inde..;. ?  120Q  panthétemc, 

Phénicie ?  1 200.  polytliéisme. 

Chine ?  1200  naturalisme. 

y-ilet 610—548  sage,  ionien. 

Mltylène 600  sage. 

Priène .     600  » 

Athènes 64d— 559  m 

Llnde 600  » 

Chênes 600  » 

Lacédémone. . .  600  » 

Laeédémone. . .  600  )> 

Corinthe 600  » 

Crête 600  » 

C608 600  i> 

Chalcédoine....  600  y> 

Colophon ......  620—530  éléate. 

Milet .610—547  ionien. 

Chine 605—        .  ratiooftlisle. 

Samos... 600—520  Ec    italique, 

Syros... 600-r  ionien. 

Crotonc 5»  siècle  italique. 

Milet 560—500  ionien. 

Chine 551—  moraliste. 

Eléc 553—450  ôléate. 

Chine 500  moraliste. 

Inde .500  bouddhiêtne. 

Inde ;  r>00  djain$97ne. 


'  **l%.^*. 


794 


HISTOIRE  DE    LA    PHILOSOPHIE 


Anaxagorc , .  Clazomène 

Leucippe Abdère 

Diogène Apollonie 

1  iéinocrite Abdère 

Heraclite Ëphèse 

Zenon Eléo 

KiTipêdocIe Agrigente 

(iorgias I^ontium 

Mélissus Saines 

Tiinée Locres 

Ocellus Lucanie , 

Archélatis Milet 

SOCRATE Athènes 

Philolaûs Crotone 

Protagoras Abdére 

Diagoras Mélos 

Ilippuis Elis 

Crilon. Athènes 

Prodicus Iulis 

Th  rasymaqiie Chalcédoine . . . 

Euthydéme Chio 

Simon Athènes 

Xéiiophon - Atlique  ...^... 

Soc  rate  le  jeune Athènes 

EuCLiDE Mègîire 

(  iéhès Thèl)es 

IMiédon Elis 

Esrhinp Athènes 

Archytas Tarente 

Fi.ATON A  thènes 

Aniisthène-* Athènes 

Arislippe* Cyrène 

Métrodore Chio 

Diogène Sinope 

Arété Athènes 

Siieusippe Athènes 

Menippe Phénicîe 

Xènocrale Chalcédoine. . 

Kiibulide Milet 

Arîstote Stagyre 

Anaxarque Abdère 


500—428 

ionien. 

500— 

atomistc. 

500—460 

ionien. 

494— 

atomistf'. 

5*  siècle 

ionien. 

490—410 

èléat^. 

490—420 

ionien. 

485—380 

sophiste. 

450 

éléate. 

475-^ 

italique. 

5*  siècle 

italique. 

470— 4Ï0 

Ionien. 

470—400 

morale. 

6*  siècle 

italique. 

44i 

sophiste. 

5«  Siècle 

"» 

436 

» 

460—390 

socratique. 

430 

sophiste. 

42t> 

u 

420 

» 

450— 38U 

socratique. 

445—354 

* 

440— 38n 

o 

440— 

mégarique. 

400 

i> 

41K) 

socratique. 

434— 

• 

430—348 

italique. 

430-347 

Académie. 

422- 

cynique. 

380 

cyfénaîque. 

420—337 

atomiste. 

414— 

cynique. 

360 

eyrénaTque. 

347 

platonicien. 

3i0 

cynique. 

394—31  i 

platonicien. 

4*  siècle 

mègarique. 

384—322 

Lycée 

375—325 

atomîslc. 

TABLEAU   CHRONOLOOIQUS 


795 


Théopttraste Lesbos 

Niconiaque ;...,.  •  .•...;.;.:..,. 

Pyrrhon Elis. 

Arîstippe  le  jeune Athènes: 

Nausfphane Téos. . . . ... . . 

Eu'iême •    Rhodes', 

Dicéarque Messine 

Aristoxène *. Tarente 

Kpicurb Athènes 

Annicéris Cyréne 

Héraclîde Pont 

Stîlpon. Mégare 

Bérose Babylone 

Théodore Cyréne 

Dîodore  Gronos Carie 

Evhémère.l *f  Sidie 

Aristobule Athènes 

Néoclès » 

(^hérédéme. » 

Mélrodore Lampsaque.. . 

Straton Lampsaque. . . 

Zenon Cittium 

Polyén Lampsaque. . . 

Moschus. Syracuse 

Oratès Athènes 

Arcésilas Pltane 

Crantor. .  : Soli 

Hermachus Mitylène 

Fersée 

Hérille Carthage 

Lycon Laodicéc 

Lacyde Cyréne * 

Cléanthe. Assos 

Apollodore  (réplcurien) 

Ariston Chio 

Ariston Céos 

Athénodore Soli 

Chryslppe Soli 

Evandre 

Timon Fhlîonte 

Télècle 


372—286 

péripaléticien. 

340 

Sce'pfitisme, 

330 

cyrénaïque. 

4»  siècle 

atoniiste. 

'  —  — 

péripatétlcîen. 

• 

» 

311—270 

Matérialisine 

3(K) 

cyrénaïque. 

338— 

pérîpatétîcien. 

300 

mégarique. 

300 

300 

cyrénaïque. 

300 

mégarique. 

300 

Evhémérisme 

300 

épicurien. 

300 

» 

300 

» 

-275 

» 

286 

péripaléticien. 

—264 

Portique. 



épicurien. 

280 

272 

académicien. 

316— 

nouv.Académ 

272 

académicien. 

270 

épicurien. 



s'oîcien. 

—  — 

péripatélicien. 

-215 

nouv.  academ. 

300- 

stoïcien. 



épicurien. 



stoïcien. 



péripatétlcîen. 



stoïcien. 

280—200 

» 

—190 

nouv.  academ. 

250— 

sceptique-. 

-170 

nouv.  acad. 

796 


HISTOIRE    PB    LA    PHILOSOPHIB 


ZénoD * .    Tarse 

Hégésii^us 

Diogène. Séleucie . . 

Carnéads GyrèDC, . . 

Critolaûs 

Polybe (Grec) 

Antipater , . .    Sidoa 

Metrodore Stratonice. 

Lielius Rome 

Panœtius Rhodes.. . . 

Scipion  {le  2*  africain) Rome < 

Clitomaque Carthage .. 

Posidonius Apamée. .  • 

PhlloD Larîsse .... 

Antiochus , .  • Ascaloo. . . 

CiCERON, Arpinum, . 

Lucrèce 


U.    APRES    JESUS-CHBIST 

Phllon Alexandrie. . . . 

Sènèque Cordouc 

Apollonius  de  Tyane 

Simon  le  mage Sairarie 

S.  Denys Athènes.... .... 

Kpictète Phrygle 

.^nésidème Crète 

Cérinthe 

Agrippa 

Basilldc Alexandrie .... 

Dion  Ghrysostome 

S.  Justin Sichem 

Tallen •. .    Assyrie 

Athénagbre Athènes 

Hcrmias 

Saturnin 

Gerdon 

Valentia 

Antiochtis Laodicée ; 

Ménodott • Nicomùdie  .... 

Hérodote Tars  ? 


200 

sUHcieD. 

—150 

nouv,  acad. 

155 

stolcieo. 

214— 

Douv.  acad. 

155 

péripatélideii. 

-151 

DOUV.  acad« 

142 

stolcieo. 

•^^     mm^ 

nouv.  aead. 

^  — 

stolcicB. 

130 

» 

-129 

» 

^  — 

nouv.  acad. 

100 

stolcieo. 

90 

nouv.  acad. 

80 

» 

106—43 

> 

95-44 

^ptcuneo. 

«IST 

30tî.-50tp. 

{uif  éclectique 

2— C6 

stofcien. 

7  3-770 

magicien. 

1*'  siècle 

gnostî({uc 

8—119 

my8t,chréUe& 

60 

stoïcien. 

1"  siècle 

nouv.  acept. 

» 

gnostique. 

» 

douv.  scept. 

—130 

gnostique. 

B 

stoïcien. 

-167 

apolog.  chréx. 

2*  siècle 

âpolog.  chr^. 

t 

apoiôg.  chrét. 

b 

apolog.  chrèt. 

D 

gnostique. 

» 

gnostîque. 

» 

gnostique. 

» 

nouv.  sccpt. 

2> 

nouv.  scept. 

1> 

oouv.  scept. 

TABLEAU   CURONOLOGlQUJfi 


797 


^nion Alexandrie .« . . 

inionius-Saccas 

stobule 


se. 


ulée 

xime  de  Tyr 

3gène  Laëi'ce 

rien Nîcomédie .... 

Dlémée Alexandrie .. . . 

cien : . . . .    Samosate 

Irénée Grèce 

irc- Auréle Rome. ........ 

Clément Alexandrie. . . . 

ii-lullien  . . . . , Carthage 

exandrc  d' Aphrodlse Aphrodisie. . . . 

m-tseu Chine 

•igène Alexandrie. . . . 

[ûlostrate Athènes 

LOTiN LycopoUs 

niélius Ëtrurie 

orphyre Tyr 

anés Perse 

oxlus  Ëmplricus. 

uséhe Césarée 

imbliqiie Chalcis 

rius Alexandrie 

actancc Numidie 

irmicus  Maternus 

.  Atlianase Alexandrie. ..  ^ 

hémistlus Paphlagonie. . . 

ibanius .' Anlioche 

.  Hilaire  de  PoUiers 

.  Basile  de  Césarée 

>.  Grégoire  de  Nazianze 

ullen  l'Apostat Constantinople 

îuuape Sardes 

>.  Grégoire  de  Nysse 

jes  deux  Douât 

1.  Ambroise Gaule 

L  Jean-Chrysostomc Anlioche 

iufin Aquitaine 


2*  siècle 

éclectique. 

» 

éclectique. 

» 

juif  éclect. 

» 

épicurien. 

» 

hist.  phU. 

» 

hist.  phU. 

» 

hist.  phil. 

105— 

stoïcien. 

110- 

•?120— 

sceptique. 

120-202 

apolog.  chrét. 

121—180 

stoïcien. 

—217 

apol.  chrét. 

160—245 

apoL  chr.(hér) 



comm.  d'Aris. 

—200— 

logicien. 

185—251 

—217— 

hist.  phil. 

205—271 

éclectique. 



éclectique. 

232—302 

éclectique. 

240—274 

gnotique. 

3*  siècle. 

nouv.  scept 

270— 

apolog.  chrét. 

3*  siècle. 

éclectique. 

270-336 

hérétique. 

—327 

apolog.  chrél. 



apolog.  chrét. 

296-373 

dogra.  cath. 

4«  siècle. 

aristotélicien. 

314—390 

rhéteur. 

—367 

dogm.  cath. 

329—379 

» 

328—389 

9 

331—362 

néoplatonic. 

4"  siècle. 

hist.  phil. 

—396 

dogm.  cath. 

4«  siècle. 

hérétiques. 

340—397 

dogm.  cath. 

3i4— 407 

» 

350—395 

traducteur. 

708 


HISTOIRB    DE    LA    PHILOSOPHIE 


S.  Jéràme StrîdoQ 330— lihJ 

S.  Augustin Tagaste 354—430 

Salvien Marseille 420 

Slobée  (Jean) Macédoine 430— 


412— 
-132 
420 
—451 
490 


470—528 
470—568 
529 
529 
—660 
—636 


Proclus Bysance 

Pelage G.  Bretagne  • . . 

Nestorius Syrie 

Eiitychès ?  Gonsiantinoplc 

Marcianus  Ca^ïella Madaure 

Olympiodore Alexandrie .... 

Boéce Rome 

Cassiodore Galabre 

Simplicius ;    Cilîcîe 

Damascius I»amas 

Jean  Phllopon Alexandrie. . . . 

S.  Isidore  de  Se  ville Carthagène.. . . 

Mahomet Mecque 570-622-632 

Bédcêrable  (le  vén) Angleterre ....      672—735 

S.  Jean  Damascène Damas 676 — 760 

Alcuin... York 734—804 

Anan  ben  David Juif 8*  siècle 

Raban  Maur — 856 

Gottescalc 9*  siècle 

Scot  Erigène 

Al-Kendi Bagdad 

Saadta 

Al-Farabi Bagdad 

Gerbert AurlUac 

Avtcennv Bagdad 980 — 1037 

Tdiéou-tseu,.,. Chine....; 1000 

Bérenger Tours 1 005—  1 088 

Avicebron Juif li«  siècle 

B.  Lanfranc Pavie 1005—1087 

S.  Pierre  Damien Ravenne 1005—1072 

Michel  Psellus Conslantinople    1018—1079 

Xiphilln »  

ROSCELIN Bretagne 1080 

S.Anselme Aoste 1033—1109 

Gaunilon  de  Marmoutiers. .    , 

Jt'r^a  Ilallevi : il'  siècle 

.\'-Ga^eï Bagdad 1058— lllt 


éclff  1 1- 
hérètif? 


édect.  ^ 

r 


9 

833 

895—942 
—950 
—1003 


ratiooaB* 
BCObstiq« 

pantba^ 

arisioi^ 

arisloUfiô^ 

pflQtbéistr 

héréli^ 

scolasJi^- 

i 
piatoDfei* 

ai 

D( 

• 

apol.  ]^^ 


TABLEAU     CHONOLOGIQUK  79V* 

Guillaume  DE  CiiAMPE AUX    —1121    réalisle. 

Axen-pace Ck)rdoue.  —1138    rationaliste. 

Hugroes  de  S.  Victor —1140    mystique. 

Abailard... Palais...  1071>— 114?    conceptualiste. 

Gilbert  de  la  Porrée 1070— 1 154    réal.  hérét. 

S.  Bernard 1091—1153    rayst.  chrét. 

Pierre  Lombard Novare..  1 100 — 1 160    mag.  sententiarv m 

Richard  de  S.  Victor.. .'. —1 173    mystique. 

Jean  de  Salisbury ,  .* —1 180    mystique. 

Tofaïl Gordoiie.  1 105—  aristotélicien . 

AVBRR0È8 Gordoue.  1120—1198    comm,  d*Ariêtotc. 

Les  Vaudois 12"  siècle     hérétiques. 

X^es  Albigeois d  t> 

Amaury  de  Chartres »  panthéiste. 

David  de  Dinan »  panthéiste. 

Maimonldc Cordoue  1135-1204    rationaliste. 

Tsioud'hi Ghine. . .  —1 200—     dualiste. 

Pierre  de  Hlois T. . . .  —1200    scolastique. 

Guillaume  d'Auxerre —1230    scolastique. 

Alexandre  de  Halès —1245    doct  irrefragabili.< 

Guillaume  d'Auvergne —1249    scolastique. 

Vincent  de  Beauvais — 1261  » 

S.  BONAVENTURE Fidenza.  —1274    doct.  serapîiicui?. 

Albert  le  Grand 8ouabe..  1 193  —1280    scolastique. 

S.  Thomas  d* Aquin 1226—1274    doct.  angeliciis. 

Roger  Bacon 1214—1294    doct.  mirabilis. 

Raymond  Lulle 1235—1315    doct.  illuminatvi*. 

DUNS  8C0T 1274—1308    doct.  subtilis. 

Eckart —1328    myst.  hérétique. 

Durand  de  S  aint-Pourçain —1 332    doct.resoluttssim  us 

Walter  Burleigh —       —     scotiste. 

Guillaume  d*Ockam , —1347    doct.  invincibilis^. 

Thomas  de  Brad wardin —       —     déterministe. 

Jean  Buridan 1296—1358    nominaiiste.* 

Jean  Wîcleflf. —       —     hérétique. 

Jean  Taoler 1290—1361    myst.  chrétien. 

Suso Italie...  —1365    myst.  hérétique. 

Jean  Ruysbroeck 1293-^1387  » 

Gerson 1362—1429    myst.  chrétien. 

Thomas  a  Kempis , 1380  -1471  » 

Gémiste  Pléthon —1438—     platonicien. 


8()0  H18T01RB  DB   LA    PHILOSOPHIE 

Bessarion TrébUondo.. . .  1380-1173  pW**" 

G«nnadius Constantlnoplc  —1138-    iristowS» 

Georges  de  Tréblzonde 1396—1186         • 

Théodore  Gaza ■ — '*^*         ' 

Nicolas  de  Cusa lM)i-»61   pUloiwa 

Laurenr  Valla Rome. 1406—1157         » 

Marsile  Klein Florence 1U3— 1499         • 

Ange  Politien 1454-1194   éetedif* 

Reuchlin Bade 1455-1522  kaM* 

Pomponace Mantouc 1462-102»   «!«»«* 

Jean  Pic  delà  Mirandole..  1463-U94  W«m» 

Krasme Rotterdam....  1466—1536   i^iae» 

Machiavel Florence 1460-1527   iwUtn*» 

Copernic Prusse 1473-1543  olwrt* 

François  Pic  de  la  Mirandole  Italie —1533  éd«l^ 

Luther Bisleben 1483-1546  prowri-» 

l>aracelsc Einsiedeln  . . . .  1«3-I5U   niystil» 

cardan Pavie...'. 1301-1576  pwtk-^ 

Télésio Galabre 1508-1588  ote«' J 

Alexandre  Plccolominl Sienne... 1508— Uî»   '*'**' 

Servet Aragon 1509-1553  pintt**» 

Uamus Cuth_ 1515-1572   pl»W*» 

Uesalplnl Arezzo 1519-1603   ûteenj 

François  Piccolomini Sienne 1520—1684  laU* 

Montaigne Pèrigord 1533-19»   ^^ 

Charron     l^aris 1541-1603   W»««l« 

Juste  Llpse BruMlles 1517-1606   sUJld» 

Nicolas  Taurel MontbéUard.. .  1547-1606  filaWK» 

Giordano  Bruno Noie 1518-1598   pan*^ 

Bacon  (François) Londras 1561-1626   tmb>M>- 

Galilée Pise 1561-1612  obMrwt 

Campanella Calabre 1568-1639  ob^ 

Kepler Wurtemberg..  1571-1030   «U»^ 

Uobert'Mudd MUgate 1.574-1637   pan*»* 

Boehm «orUtz 1575-  PW«»-J 

Sancheï Portugal 1562-1632   seepU)» 

J.-B.  Van  Helmonl BruxeUeS 1177-16»   pa»""-   ' 

Grotlus Hollande 158:^-l645  pW* 

VaniQl Naples 1586-WI9   I«">"Vr 

llobbes Malmesbury...  1588-1679  «n**^ 

Gassendi Wgne 1592-IC;^  ''P'"^- 


TABLEAU   CHRONOLOGIQUE 


801 


Dbscabtss 

La  HochefoucauUl 

François  Van  Helinont . 

Pascal 

Nicole 

Bossuet %. 

Huet 

Locke... 

Spinoza. 

FuflFendorf ,. . . . 

Gumberland 

Malebranche 

Newton 

La  Bruyère 

Lbibnitz 

Bayle 

Fénelon 

Buffier 

ShaCtesbury 

Gudworth 

Le  Père  André 

Clarke ,. ... 

Woll 

Berkeley 

Swedenborg 

Montesquieu 

HutchesoD. 

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Saint-Lambert 

D'Alembert 

Bonnet 


Touraine 1596—1650 

Paris 1613—1780 

Vilvorde 1618—1600 

Clermont 1623—1602 

Chartres 1625—1695 

Dijon 1027-1704 

Caen 1630—1721 

Bristol 1632—1704 

Amsterdam .. .  1632—1677 

Saxe 1632—1694 

Londres 1632—1718 

Paris 1638—1715 

Grantham 1642-1727 

Paris 1645—1696 

Leipzig 1646—1716 

Garlat 1647—1706 

Périgord 1651—1715 

Pologne 1661—1737 

Londres 1671—1713 

Aller 1617—1688 

Châteaulin. . . .  1675—1754 

Norwich 1675—1729 

Breslau 1679—1754 

Irlande 1684—1753 

Stockholm....  1688—1772 

Bordeaux 1689—1775 

Irlande 1694—1747 

Châtenay 1694—1778 

Mercy 1694—1774 

Kames 1690—1782 

St-Malo 1709—1751 

Grenoble 1709—1785 

Ecosse 1710—1795 

Edimbourg....  1711—1776 

Langres 1712--1784 

Geoève 1712—1778 

Grenoble 1715—1780 

Paris 1715—1771 

Nancv 1716—1803 

¥ 

Paris 1717—1783 

Gonèvo 1720—1793 


doute  mélhod. 
moraliste  ; 
panth.  myst. 
cartésien, 
cartésien, 
cartésien, 
traditional. 
empirique, 
panthéiste, 
phil.  du  droit, 
sentimental, 
cartésien, 
observateur, 
moraliste. 
monadisme, 
sceptique, 
cartésien, 
précurs.  d.  écos. 
sentimental. 
médiat,  plast. 
ontologiste. 
espace  divin. 
leibnitzien. 
idéaliste, 
illuminé, 
politique, 
sentimental, 
déiste.- 
économiste . 
sentimental, 
matêrialislo. 
économiste. 
éc.  énofif^aise. 
sceptique, 
malérialis!*'. 
économisle. 
sonsualisN'. 
sensualiste. 
matérialiste, 
sensualiste. 
sensual.  physiol. 
51 


802 


HISTOIRE  DB  LA  PHILOSOPHIE 


F'rii^e Angleterre.. . . 

d'Holbach HiWesheim . . . 

Adam  Smith Ecosse 

Kax  T Kœnisherg 

Forfjiison Perth 

Turgot l'aris 

Priestley Leeds 

Boscowich i Haguse 

Condorcet Picardie 

Saint-Martin Amboise 

Dugald-Stewart Edimbourg  . . . 

Fichte Lusace 

1  lêgol Stuttgard 

SchoUing Wurtemberg. . 


1723—1791 
1723—1789 
172:}— 179C> 
172  i— 18)1 
1724—1716 
1727—17451 
1733—1804 
17'il— 1787 
1713—170  i 

174.3—1803 
1753—1828 
1762—1814 
1770—1831 
1775—183  4 


athêt . 

sentiia^u»! 

critirUmt 

sentimeQ*-iL 

écoaomUt-?. 

inona4lt<> 

êcon  »-fl">*i- 

é<*oc5sais- 

itlentîîé.  i-^^'* 
idéalisme,  *r' 


■vATUUV»— — 


TABLE  DES  MATIÈRES 


EN  FORME  DE   RESUME 


Pages 

Introduction.  —  l.  De  la  science  en  général, 

La  science  est  la  connaissance  raisonnée  des  lois  des  èlres.        5 —    7 

2.  Division  de  la  science, 

La  science  est  divine  ou  humaine;  celle-ci  est  naturelle  ou 
urnaturelie 7—    0 

3 .  Classification  des  sciences  humaines 9—11 

Tableau  synoptique 12—  13 

GÉNÉRALITÉS 

1.  Objet  de  la  philosophie. 

Il  a  varié  avec  les  époques.  Aujourd'hui,  c'est  l'àme  et  Dieu.      15—  16 

2.  Définition  de  la  philosophie. 

Elle  a  varié    avec  l'objet.  Pour  nous,'  la  philosophie  est  la 
science  naturelle  de  Vàme  et  de  Dieu ; 16—  18 

3.  Utilité  y  importance  j  nécessité  de  la  philosophie, 
La  philosophie  est  utile  à  tous,  importante  pour  plusieurs 

et  nécessaire  à  la  société 19—  20 

4.  Rapports   de  la  philosophie   avec    les    autres 
sciences, 

^Supérieure  par  son  objet,  elle  les  dirige  toutes  par  la  méthode, 
vivifie  les  sciences  noologiques,  et  dirige  le  se.  cosmologiques.      20—  22 

5.  Méthode  à  suivre  en  philosophie , 

On  a  suivi  Thypothése,  l'autorité,  la  déduction,  Tinduction. 
11  faut  rejeter  l'hypothèse  et  employer  les  autres  à  propos. . . .      22—  25 


804  HISTOIRE  DE   LA    PHILOSOPHIE 

fi.  Division  de  la  philosophie. 

Klle  a  varié  avec  sod  objet.  Nous  adoptons  celle-ei  :  Géné- 
ralités, Logique,  Métaphysique.  Psychologie,  Thèodicée, 
Morale,  Uîstoii'e 


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•  •  • 


LOOIQUE 

Généralités.  —  I.  Objet  de  la  logique. 

Il  a  peu  varié.  C'est  aujourd'hui  la  vérité  de  la  pensée. 

2.  Définition  de  la  logique. 

Diverses  défiaitions.  La  nùtre  est  :  Science  de   la  vérité  à.^ 
la  pensée •  •  •  •    ^  ' 

3.  Importance  de  la  logique. 

La  logique  naturelle  ne  suffit  que  dans  les  cas  simples 

4.  De  la  méthode  qui  convient  à  la  logique. 
L'observation  n'y  a  pas  d'objet.  La  méthode  de  raison  pure 

suffit ^'-^ 

5.  Division  de  la  logique. 

Elle  a  peu  varié  jusqu'à  nos  jours.  Divisions  innombrable 
aujourd'hui.  Nous  la  divisons  en  :  abstraite,  subjective,  objec- 
tive, démonstrative ^'""^ 

6.  De  la  vérité  objet  formel  de  la  logique. 

La  vérité  est  la  conformité  de  la  pensée  avec  son  objet 
intentionnel ^^ 

LOGIQUE  ABSTRAITE 

Définition.  La  logique  abstraite  est  la  science  de  la  vérité 
de  la  pensée  dans  ses  rapports  avec  elle-même 

Chap.     l".    —  LA  PENSÉE  EN  BLLE-MÔMB.  —     ABT.     1"    " 

Nature  de  la  pensée.  La^^pensée  est  une  Information  de  l'âme. 
DUS  ses  diverses  formes,  perception,  conception,  \ixgemeai, 
hypothèse,  conséquence,  raisonnement,  elle  est  toujours  :  l» 
conception  d'un  fait 


TABLK  805 

Pages 
\RT.  2*.  ^  Bitekents  oonatituUfti  de  la  pensée.  Eté- 
enta  essentielê;  sujet,  nature,  existence  du  Uit.  Eléments 
cessoirea  circonstances 40 

1.  Définition  des  idées. 

On  l*a  donnée  sous  quatre  points  de  vue:  objet  quelconque. , 

>iet  nécessaire^  connaissance  actuelle,   connaissance   habi- 

elle.  Pour  nous,  les  idées  sont  des  conceptions  habituelles, 

i  des  habitudes  intellectuelles U-«  43 

2.  Propriétés  des  idées. 

Communes,  spéciales,  particulières.   Vérité.  Identité,  Ana- 

>gie.  Opposition,  Dépendance,  Extension,  Compréhension. . .      41—  47 

3.  Moyens  pour  déterminer  l'extension  et  la  corn* 

réhension. 

Définition,  Division,  Classification 47—  53 

4.  Qualités  des  idées. 

Intrinsèques  :   clarté,    distinction,  composition,    relation  ; 
xtrinsèques  :  subjectives,  objectives,  originelles 53— W 

5.  Origine  des  idées. 

Les  idées  contingentes  sont  acquises  ;  les  idées  nécessaires 
ont  innées 56—  57 

6.  Des  idées  dans  leurs  rapports  avec  la  pensée. 
Elles  y  sont:  sujet,  verbe,  attribut  ou  complément.  Catégo- 

ies  d*Aristote,  et  d'autres  auteurs 58—  61 

ART.  3*.  —  Union  des  éléments  de  la  pensée. 

1.  Union  des  éléments  de  la  pensée. 

Le  sujet  et  l'attribut  sont  unis  dans  l'idée  de  leur  identité, 
exprimée  par  le  verbe 62—  65 

2.  Différentes  formes  de  la  pensée. 

Conception,  Jugement,  Hypothèse 65—66 

3.  Propriétés  des  pensées. 

Le  jugement  est  particulier  ou  universel,  analytique  ou  syn» 
thétique,  catégorique  ou  conditionnel  ou  alternatif,  affirmatif 
ou  négatif,  circonstancié.  —  La  vérité  du  jugement  découlé  de 
la  vérité  des  idées 67—  71 


806  HISTOIRE  DE  LA   PHILOSOPHIB 

h» 

Chap.  II.  —  EXPRESSION  DE  LA  PENSÉE.— A&T.  1*'.  Impor- 
tance et  nécessité  de  l'expression  de  la  pensée.  L'es- 
pression  sensible  de  la  pensée  est  nécessaire  poar  la  faire  nattre, 
pour  la  faire  revivre  et  pour  l'exprimer ' 

Art.  2*.  —  Nature  de  l'expression  de  la  pensée.- 
Langage. 

1.  Du  langage  et  de  ses  différentes  fortnes. 

Le  langage  est  l'expression  de  la  pensée.  Il  est  d'acîiofi. 
parlé,  écrit.  L'écriture  est  idéographique  ou  phonétique; 
celle-ci  est  syllabique  ou  alphabétique 

2.  Instruments  du  langage. 

La  parole  et  l'écriture.  Langues  "mortes  ou  vivantes  ;  ana- 
lytiques ou  synthétiques 

3.  Origine  du  langage. 

JJe  fait,  l'homme  n'a  pas  inventé  le  langage,  et  on  doute 
qu'il  eût  pu  le  faire  ;  pour  l'écriture,  il  y  a  doute  des  deux  côtés. 

Art.  3*.  —  Lois  du  langage. 

•Règles  de  la  signification  des  mots  ;  trois  sens  pour  un  mot; 
trois  sortes  de  lois  ;  trois  branches  dans  la  science  du  laogaîc- 

1.  Terminologie. 

Science  des  termes,  en  tant  qu'ils  expriment  une  idée;  termes 
simples,  composés  ou  complexes  ;  sens  propre,  figuré,  combiné; 
sens  matériel  ou  formel  ;  distributif  ou  collectif,  divisé  ou 
composé '^•'  " 

2.  Logique  du  langage. 

Science  des  lois  de  la  proposition.  La  proposition  est  l'ex- 
pression d'une  pensée.  Eléments,  propriétés,  distinction  des 
propositions ^ 

3.  Grammaire, 

Science  des  modifications  des  mots.  Flexions  et  combinaisons 
modificatlves.  Deux  parties  dans  la  grammaire  :  Cllnologie  e^ 
Syntaxe, ^ 

Chap.  in.  —  RELA.TI0XS  ENTRB  LES  PENSÉES.  —  AualOgie.  ^^ 

opposition,  conversion,  équivalence,  connexion ^ 


TABLE  807 

Pages 
Art.    t*'.  —  Nature  .et  fondement  de  la  connexion 
.es  pensées. 

Deux  pensées  logriquemeut  connexes  sont  vraies  ou  fausses 
n  iTiônie  temps.  Cette  connexion  est  fondée  sur  les  rapports  : 
e  cause  et  efTet,  loi  et  phénomène,  espèce  et  individu.  Ces 
rois  rapports  sont  une  identité  logique 87—  92 

Art.  2*.  —  Manifestation  et  affirmation  de  la  oon- 
lexion  logique  des  pensées.  —  Raisonnement. 

Le  raisonnement  affirme  l'identité  logique  de  deux  jugements 
Impies.  Ses  éléments  sont  :  principe,  moyenne,  conclusion. — 
-iaisonnements  probables,  basés  sur  l'analogie  ;  raisonnements 
certains,  basés  sur  l'identité  logique.  —  Identité,  Déduction, 
[nduction.  Tous  les  trois  sont  fondés  sur  l'identité  logique...      92 —  98 

Art.  3*.  —Expression  du  raisonnement.  —  Syllogisme. 

1.  Du  syllogisme  en  général. 

Ce  mot  signifie  raisonnement.  Ses   éléments  sont  :  grand 
terme,  moyen  terme  petit  tei'me,  majeure ,  viineure,  conclu- 
s/on.  Le  syllogisme  met  en  évidence  le  raisonnement.  —  Loi    • 
unique  du  syllogisme  :  que  les  trois  termes  soient  manifestés 
comme  logiquement  identiques 98—100 

—  Exposition  algébrique  de  la  pensée  et  du  raisonnement..     tOÏ — tOô 

—  Le  syllogisme  est  l'expression  de  l'induction  et  de  la 
déduction. W5—  !  OG 

—  Le  syllogisme  est  utile  et  embarrassant 107—108 

Appendice.   Règles  du  syllogisme  d'après  Aristoie  et  les 

scholastiques.  Régies,  modes,  figures,  résumé 108— 1 15 

1.  Des  différentes  formes  du  sgllagisme. 

Entliymème.  Epîchércme,  Prosyllogisme,  Sorite,  Syllogisme 
conditionnel.  Syllogisme  disjonctif,  Conclusion  conditionnelle, 
Dilemme 115—118 

Art!  4«.  —  Connexion  oomplexe  des  pensées.  — 
Méthode.  —  La  méthode  est  l'ordre  logique  des  connaissan- 
ces. Il  n'y  en  a  qu'une  pour  chaque  ordre 118— 1 20 

1.  Diverses  formes  de  la  méthode,  —  Analytique 

et  synthétique. 
Double  direction  sur  une  môm/B  voie 121—123 


808  HISTOIRE    DB    LA   PHIL080PHIB 

La  vraie  méthode  en  philosophie  n'ast  pas  exclusive l^" 

1.  Instrumenta  de  la  méthode 
Analyse  :ObservatioD,  expérimentation,  induction,  classifici' 
tion  ;  Synthèse  :  Conceptions  premières,  définitions,  diviaioa. 
déduction **^^ 

3.  Méthodes  à  employer  dans  les  différents  ordres  de 

sciences. 

Synthèse,  pour  les  sciences  dont  les  lois  sont   nécessaire  : 
Analyse  pour  celles  dont  les  lois  sont  contingentes ^^'^ 


« 


LOGIQUE   SUBJECTIVE 

Définition.  La  logique  subjective  est  la  science  de  la  vérité 

f  ' 
de  la  pensée,  dans  ses  rapports  avec  le  sujet  pensant '*' 

Deux  sortes  de  relations  subjectives  :  l'une  essentielle,  i<^ 

autres  logiques. 

Chap.  L  —  KBJLATIOM    SUBJBCTIVB    SSS|KNTIBLI.K.    —  COM- 

cience  de  la  pensée.  Elle  doit  être  claire  et  distincte ^^^^^*' 

Chap.   II.  —  RELATIONS  LOGIQaES  DE  LA  PENSÉE  AVEC  f OX 

SUJET.  —  Doute,  hypothèse,  probabilité,  certitude '^ 

La  certitude  est  un  acte  nécessaire  de  l'àme.  Elle  existe,  ne 
peut  se  démontrer  ;  mais  n'a  pas  besoin  de  démonstratioa...   ^^^ 

Chap.  in.  ^  SOURCES  DES    DIVERSES   RELATIONS    hOGlQV^ 

DU  SUJET  PENSANT  AVEC  SA  PENSEE.  —  La  peusée  est  produite 
par  son  objet  intentionnel,  .ou  par  Tàme.  De  là  les  sources 
objectives  et  les  sources  subjectives.  Les  premières  donnent 
la  certitude.  —  La  certitude  est  métaphysique,  logique,  phy- 
sique ou  morale '*'''"  '^ 


l(k;ique  OBJKcnvK 

Définition.  La  logique  objective  est  la  science  de  )a  vêriti- 
de  la  pcn.sée  dans  ses  rapports  avec  son  objet.  —  Double  oii/*-^' 
essentiel  et  intentionnel.  Le  premier  est  toujours  identique  » 
la  pensée : 


TABLK  809 

Chap,  I.  —  Sources  de  la  vérité  et  de  l'erreur.  —  Les 
sources  objectives  engendrent  nécessairement  une  pensée 
vraie.  Les  sources  subjectives  n'engendrent  logi  [iieinent  que 
Terreur 141—1 42 

Diverses  classifications  des  erreurs 14rj— I  \  \ 

Chap  II.  —Manifestation  Ije  la  vérité  d'une  pensée.— 
Evidence.  C'est  l'objet  intentionnel  manifesté  â  l'àme.  Elle 
est  la  cause  de  la  certitude 1 45 

Evidence  métaphysique,  logique,  physique»  morale.  Témoi- 
£^nage,  autorité,  histoire 146—151 

Scepticisme,  probabilisme,  critérium  de  la  certitude 152—157 

LOGIQUE    DÉMONSTRATIVE 

Définition.  —  La  logique  démonstrative  est  la  science  de 
la  communication  des  pensées 158 

Chap.  I".  —  De  la  communication  des  pensées,kn  elle- 
même.  —  l^our  faire  naître  une  pensée  chez  un  autre,  il  faut 
lui  en  manifester  l'objet 158—159 

Chap.  Il'- Action,  de  la  communication  des  pensées.  — 
Elle  fait  naître  une  pensée  semblable,  avec  sa  valeur  logi- 
que. Vraie,  elle  instruit;  fausse,  elle  tue  l'intelligence 160 

Chap.  III.  —  Condition  de  l'action  de  la  parole.  — 
Dans  l'enseignant  :  science,  talent  d'exposition,  art  d'attirer 
l'attention  et  de  gagner  les  cœurs.  Dans  l'enseigné:  intelligence, 
connaissances  préalables,  attention,  dispositions  du  cœur ICI- 1G2 

MÉTAPHYSIQUE 

Généralif  es.  —  1 .  Fondements  de  la  métaphysique. 

Deux  connaissances  :  a  priori  et  a  posteriori.  L'objet  de 
.a  première,  c'est  le  nécessaire  abstrait,  relatif  et  hypothétique. 
Mais  appliquée  à  un  point  de  départ  réel  la  science  a  priori 
devient  réelle 163—166 

2.  Objet  et  définition  de  la  métaphysique. 

Elle  a  varié  avec  les  temps  et  les  auteurs.  Pour  nous,  elle 
est  la  science  des  lois  nécessaires  des  êtres. 167—168 


.  810  TABLE 

3.  Importance  et  nécessité  de  la  ynétapht/sique. 
Sans  la  connaissance  a  priori  l'expérience  ne  saurait  ook» 

«lonner  la  science ' 

4.  Méthod-e  et  division  de  la  inétaphysique. 

La  science  a  priori  se  fait  par  déduction.  KUe  compreod 
pour  nous  VOn  loloQÎe  générale  et  spéciale ^  * 

ONTOLOGIE  GÉNÉRALB 

Ghap.  V'  —  De  l'être  en  général.  —  L'être  ne  peut  « 
définir.  Ses  principes  se  réduisent  à  Vessence,  les  élémenti 
et  la  raison  8uffls»ante,  L'essence  se  détermine  par  les  atlribote 

et  les  modes ï'^""'' 

Kt re  simple,  composé  ou  complexe.  Substance  et  modificati«.»«.  ^"^* 
Kaison  sufllsante  :  intrinsèque  ou  extrinsèque ''^* 

Ghap.  II.  —  Degrés  d*ètre  ou  entité  de  l'être.  —  P<»' 
sibilité  :  intrinsèque  ou  extrinsèque  ;  existence:  a  se  ou  ofc 
aliOf  nécessaire  ou  contingente,  substantive  ou  accidentelle  ^^^"^ 

Acte  :  physique,  logique  ou  moral;  Acte  pur * 

Application  de  ces  principes *8^^ 

Chap.  III.  —  Propriétés  de  l'être.  —  Unité,  Vérité, 
Beauté,   Bonté.  —  Perfection,  imperfections ^*''"* 

Chap.  IV.  —  Relation  des  êtres.  — Relations  métaphy- 
siques, physiîîues,  logiques,  morales.  —  Identité,  dépendance, 
connexion,  génération .^ I^'^ 

Chap.  V.  —  Lois  des  êt^es.  —  La  loi  *e«t  la  règle  des 
relations.  Lois  métaphysiques,  physiques,  logiques,  morales  WM*" 

ONTOLCXilE  SPÉCIALE 


Chap.  l"  —  De  l'être  nécessaire.  —  Son  es:-:ence:  il  ne 
peut  pas  ne  pas  être.  Ses  attributs:  a  se,  nécessaire,  iiifiûi. 
éternel,  unique,  simple,  immuable,  omniscient,  lout-puissaDt. 
-//  est l^-^ 

1/inani  dns  mathématiciens  ^M  indéfini ^'-'* 


TABLE  ^11 

Gliap.  II.  —  Uk  l'Être  continuent.  — Son  essence:  il  peut 
e  pas  êtie.  Ses  attributs:  il  est  ab  aho.contîngent,  fini,  tem- 
orel,  non  unique,  simple  ou  composé,changeant;il  peut  n'a- 
oir  ni  connaissance  ni  activité;  d'ailleurs  sa  connaissance  et 
on  activité  sont  limitées « « 203--20i 

Relations  des  êtres  contingents.  Le  temps,  Tespace,  le 
mouvement  ne  sont  que  des  l'elations.  v  205—207 

La  matière  n'est  pas  divisible  indéfiniment.  Ses  éléments 
premiers  ne  sont  pas  étendus 208—212 

PSYCHOLOGIE 

Généralités.  Objet  :  Le  moi,  ou  i'àme.  Définition  :  La  psy- 
chologie  est  la  science  de  Tàme.  Méthode  :  analytique.  Ins-  • 
\rument:  la  conscience 213—214 

Chap.  !•'  —  Faits  ou  phénomènes  db  l'ame,  —  Les  faits 
appartiennent  au  corps  seul,  ou  à  Tàme  seule,  |ou  au  corps  et 
à  l'àme.  Ces  derniers  sont  des  impressions  ou  des  mouve- 
menté. Les  impressions  produisent  les  sensations  et  \qs  per- 
ceptions. Les  mouvements  sont  instinctifs  ou  volontaire$. . . .    215 — 218 

Les  faits  de  V&me  seule  sont:  sentir^  connaître^  agir 218—224 

Chap.  II.  *-  Facultés  de  l*ame.  —  Sensibilité,  Intelli- 
gence, Activité.  —  Chacune  de  ces  facultés  peut  être  déter- 
minée par  des  habitudes  ;  celles-ci  sont  naturelles,  infuses, 
acquises 224—230 

AaT.  1*'  —  Sensibilité.  Faculté  de  sentir.  Les  sensations 
ressemblent  aux  sentiments  et  en  différent.  La  sensibilité  est 
donc  physique  ou  morale.  Elle  est  toujours  passive.  Il  y  a 
influence  réciproque  entre  cette  faculté  et  les  autres 231—253 

\,  Sensibilité  physique. 

Faculté  d'éprouver  des  sensatlons.il  lui  laut:  les  organes  du 
corps,  les  instruments  do  transmission»  la  sensibilité  de  l'àme. 
Son  but  est  la  cohservation  et  le  développement  du  corps.  — 
Il  y  a  des  habitudes  de  sensibilité 234-239 

2.  Sensibilité  morale. 

Facnllc  d'éprouver  des  sentiments.  Elle  est  tout  entière 
dans  l'àmc.  Son  objet,  c'est  le  beau  connu.  Son  but,  de  faciliter 
l'accomplissement  du  devoir.  Elle  a  aussi  des  habitude»,  —  Le 


812  TABLK 

fjoût  est  le  sentiment  habituel  du  beau.  Les  p€i^sionssonl*ki 
sentiments  habituels  violents.  —  Les  sentiments  procurent  te 
hunheiiv  ou  le  inàUteur 22^^ 

Art.  3«.  —  InteUigenoe. 

Faculté  de  connaître.  —  Passive  par  elle-ménid,  elle  se  déve- 
loppe avec  liberté.  Elle  s*exerce  par  les  impressions  du  corps, 
par  celles  de  Tàme  et  par  les  habitudes  intellectuelles.  Cellesr 
l'i  constituent  sou  développement,  et  pi-oduisent  ses  difTèreols 
degrés  de  perfection ^^^^ 

Ses  éléments  sont  :  les  sens,  la  coîiscience  et  la  raison. 
Celle-ci  est  une  habitude  naturelle *^^ 

1.  De  la  perception. 
C'est  l'inforiiiatîon   actuelle  de  l'àme  par  un  objet.  Elle  eaft 

essentiellement  exacte.  Elle  esltnrerne  ou  eœterne.  Elle  sup- 
pose donc  la  conscience  et  les  sens ^'^ 

2.  De  l'attention, 
(i'est   Tacte    par    lequel   l'àme    se  livre  à  son  Inlonnàtion. 

Elle  est  le  fruit  de  rinlelUgence  et  de  l'activité,  instinjctirt 
ou  volontaire -^ 

3.  De  l'analyse. 
C'est  l'acte  par  lequel  l'àme  décompose  ses  perceptions  pour 

s'informer  de  leurs  éléments,  —  C'est  une  attention  multipliée.  ^^-^ 

4.  De  l* abstraction. 
C'est  l'acte  de  l'àme   qui  considère  séparément  un  élément 

inséparable  d'un  être.  —  C'est  une  attention  séparée....... •••   ^*' 

5.  De  la  comparaison.  | 
C'est  l'acte  par  lequel  l'àme  considère  simultanément  /«s 

éléments  de  deux  objets  afin  d'en  percevoir  les  éléments  com- 
muns et  les  éléments  propres.  —  C'est  une  attention  douW^, 
après  analyse  et  abstraction 

6.  De  la  généralisation. 
C'est  l'acte  par  lequel  l'àme  considère  comme  un  seul  objet 

les  éléments  communs  à  plusieurs  êtres.  —  C'est  rabstraction 
à  sa  deuxième  puissance , 

7.  De  la  conception. 
Information  de  l'àme  déterminée  par  elle,  ou  considérée  en 

dehors  de  sa  cause.  Elle  est  actuelle  ou  habituelle 


TABLE  813 

8.  Des  idées. 

(^  sont  des  habitudes  intellectuelle;*.  Elles  sont  naturelles 
et  innée*,  infuses  ou  acquises 268 — 272 

9.  De  Vimagination, 

Elle  est  reproductive  ou  créatrice.   Celle-ci  est  le  fruit  de 
Vassociatton  des  idées 273 — 275 

10.  Du  jugement. 

C'est  Tadhésion  de  l'ûme  à  sa  pensée.  —  C'est  un  acte  de 
l'àme;  peut-être  un  acte  de  volonté,  mais  de  volonté  nécessaire. .     275—277 

\\.  Du  raisonnement. 

C'est  Tadhésion  de  l'àme  à  l'identité  logique  de  deux  pensées. 
C'est  un  jugement 277 

12.  Du  souvenir  et  de  la  mémoire. 
Le  souvenir,  reproduction  d'une  information  antérieure^ 
avec  conscience  de  sa  précédente  production,  est  spontané, 
instinctif  ou  volontaire.  La  mémoire,  pouvoir  de  se  souvenir. 
n'est  pas  une  faculté,  mais  l'ensemble  de  nos  habitudes  intel- 
lectuelles. Elle  est  facile,  tenace,  prompte.  Il  ya  la  mémoire 

des  images,  des  mots,  des  idées 278 — ^280 

Tableau  résumé  de  Tintelligence 281 

Appendice.  Principales  théories  sur  les  facultés  intellectuelles    282—288 

Art.  3«  —  ActiTité.  Faculté  d'agir.  Seule  elle  «st  une  fjiculté 
proprement  dite.  Elle  s'exerce  sur  l'àme  et  sur  lecpijfps,  avec 
ou  sans  réflexion .-^-^^TT. 288—289 


1 .  De  l'activité  corporelle  ofj^fiy^ique . 
Faculté  qui  permet   h  l'àmpjp^g  mouvoir  son  corps.  Elle 

suppose  la  mobilité  du  ccuj|^g  Inconsciente,  elle  prend  le  nom 
de  force  vitale.  Gons(U^^^  ^^j^  préside  à  tous  les  arts,  par 
les  habitudes y  ' 289—291 

2.  De  Vacu^^^^  spontanée. 
C'est  l'acU^^^  déterminée  par  l'àme  elle-même.  Elle  existe       • 

en  nouy^uigque  nous  sommes  libres.  Mais  elle  offre  un 
"^y^^nsondTble ^'-^^^^^ 

^De  V activité  instinctive. 

^est  l'activité  excitée  par  une  attraction.  Elle  existe  aussi,    ^^^^^^ 
,u  seule,  où  avec  la  liberté "; 


tiU  TABLE 

■I.  1>F  Inactivité  volontaire. 
C'est  celle  qui  produit  ua  icte  coauu  prealablennit  : 

peul  être  nécertaire  ou  libre 

5,  De  l'activité  libre  ou  de  la  likerté. 
*;'esl  ceiJe  qui,  produit  ^}oalanÉnM>nt  et  sans  oénssU  • 
aclB  cooDU  d'avance.   C'est  la  faculté  de  diouir.  Qlesl« 
conséquence  de  la  rjisoa  ;  mais  elle  ce  peut  3'eiernr<|«  * 

les  biens  contingents  ou  relatifs ' 

On  donne  quatre  sens  au  mot  liberté.   On  l'a  smusni  m!  ^ 

déOnle ' 

La  liberté  e:iiste.  Elle  est  attestée  par  la  toaacitnct  iodin- 

duelle  et  par  la  conacfence  unireraelle 

Le  fatalisme  et  le  déterminisme,  qui  nient  la  liliMt*  tif*- 
gneoi  à  la  conscience,  i  la  morale,  A  la  rie  sociale,  i  1*  i"^ 

et  à  la  bonté  de  Dieu 

La  liberté  est  ueruine  aussi  bien  que  la  prescieoee  ëà» 
et  que  sa  providence.  Il  ne  faut  pas  chercher  k  lîeo  qw  "^ 
uolt 

appendice.  Principales  théories  sur  l'activité 

(^hap.  ni.  -  Natueb  de  l'amb.  Lame  nous  est  «iW» 
dier  ^  "^»f  !«"«.  C'eat  le  mt>i.  Four  la  connaître  iUwl* 

'•"-■«Êtne.  pe"«"' ;^*£%^^«'  ""■  * 

2.  Nature  de  ^'dw^'^TNi^ 

3 .  Distinction  d/>  l'J 


««J-  /a 


"rt^wj 


TABLE  815 

voulu  expliquer  leui  s  rapports  par  différents  systèmes  : 
•*t  occasionnelles,  harmonie  préétablie,  animisme,  vita- 
'iBi  médiateur  plastique,  orqanicisine,  kxxGun  rtecessys- 
.-!     ne  peut  se  soutenir 311-^^15 

fn^iOrandettr  et  destinée  de  Vâme. 

nvi  dessus  des  autres  créature:}  par  ses  facultés,  l'àme  doit 

j  .6  monde  à  Dieu.  Elle  ne  pérît  pas  avec  le  corps:  elle 

j.3i;«mortelle 3i6 

THÉODIGÉE 

lé 

^néralitéa.  Son  o/>;ef.   c*est  Dieu  connu  natureilemeot. 

jéfiniiion  est  donc  :  Science  naturelle  de  Dieu,  Elle  a  pour 

^ument  toutes  les  scleneea,  mais  avant  tout  la  métaphy- 

9.   Sa   certitude   est  plus  absolue  que  celle  des  autres 

'^  aces.  Sa  méthode,  c'est  la  déduction,  sauf  pour  la  preuve 

^'existence  de  Dieu 317—318 

^,RT.  l*"'  —  Idée  de  Dieu.  C'est  l'idée  d'un  être  supérieur 

uel,  créateur  de   toutes  choses.  Elle  est  dans  la  raison, 

-^Is  elle  n'apparaît  que  par  l'éducation.  Elle  se  développe  par 

^révélation,  par  la  philosophie  et  parla  théologie.  On  la 

jve  partout  et  dans  tous  les  temps.  Il  y  a  de  fausses  Idées 

3leu * 318—821 

IBT.  2*.  —  Exiatenoe  de  I)iett. 

3n  en  donne  quatre  preuves  principales  :  la  nécessité  d'une 
jue  première,  le  consentement  unanime  des  peuples,  l'ordre 
Udonde,  l'idée  de  rinûni.  —  La  preuve  purement  métaphy- 

'>a'est  qu'une  illusion 321—326 

rpt,     \  *-  ilb^tributs  de  Dieu. 

distingue  dS  ontologiques.  Dieu  est  l'être  nécessaire,  étemel, 
Vt  substance  sans  accident,  simple,  un  et  unique, 

""."*;', Sensé  ;  Ilest • 327—330 

'srede  famé.      %^gctuels.  Dieu  sait  tout  ;  il  est  la  vérité  môme. . 

ae,  Sentimentalisme,  « , 330—332 

i^^isme s.^.  Dieu  est  libre,  juste,  bon,  et  celaioftni- 

532-333 

!  et  du  corps,  mais 
.'  3l(UJI! 


816  TABLK 

Atiributa  de  causalité.  Dieu  est  la  cause  première  ;  il  est 
tout  puissant  ;  il  consente  tout SS-" 

Abt.  4*.  —  Rapports  entre  Dieu  et  le  inonde  —  Créa- 
tion et  ProTidenoe. 

Création,  Dieu  fait  toutes  choses  de  rien,  —  l>es  systèmes 
opposés  ne  peuvent  se  soutenir S*-^ 

Providence,  Les  choses  ne  sont  qu'autant  que  Dieu  les  tsal 
être  ;  il  les  fait  donc  ce  qu*elles  sont  :  donc  il  les  gouverne.— 
Les  systèmes  opposés  ont  contre  eux  la  métaphysique  et  le 
témoignage  du  genre  humain 3î*-^ 

La  religion  est  donc  une  loi  nécessaire,  et  quand  tout  nous 
atteste  que  Dieu  a  révélé  une  religion  surnaturelle,  nous 
devons  la  suivre ^ ^''^ 

On  oppose  au  dogme  de  la  Providence  :  t"  la  liberlé  lie 
l'homme  2"  l'existence  du  mal.  Mais  l'opposilioa  n'est  qu'ap- 
parente. L'action  de  Dieu  n  emi)éche  pas  la  liberté.  Le  mal 
physique  est  un  bien,  ou  11  vient  de  l'homme  ;  le  mal  moral 
vient  de  l'homme ^^'^^ 


MORALE 


Généralités.  La  morale  a  pour  objet  les  actes  humains, 
qui  sont  régis  par  la  lot  morale,  et  la  morale  elle-même  est 
la  science  de  cette  loi " 

Chap.  i".  —  De  i.a  loi  mokalk  en  général   • 

Art  \".  —  Définition  de  la  loi  morale. 

C'est  la  règle  du  bien  dans  les  actes  libres.  Elle  règlp  caf. 


actes  en  les  laissant  libres. 


JtMiî 


Art.  2*  —  Nature  de  la  loi  moralb.  La  loi  morale  est 
un  motif  déterminant.  Les  motifs  de  nos  déterminations  sont: 
les  sensations,  les  sentiments,  Tintérèt,  le  bien  absolu.  *^ 
dernier  seul  est  la  loi  morale ^'^'' 

Il  y  a  de  fausses  idées  de  la  loi  morale.  —  L'essence  du 
bien  est  dans  la  conformité  de  l'acte  avec  sa  fin.  On  distln^e 
la  loi  de  justice  et  la  loi  de  charité.  La  justice  est  commu- 
laiive  ou  distributive • 


3i5-5»« 


J 


TABLE  817 

Pau-- 


'n 


A  UT.  :i^  —  Action  de  la  loi  morale  sur  les  aotes  libres. 


ja  loi  morale  agit  par  obligation.  Elle  n'oblige  que  par  la 
'onscienoe  morale.  Vraie  ou  fausse,  c'est  toujours  la  con- 
Kîicnce  qui  oblige.  Maïs  il  faut  l'éclairer Il is— ;j.)0 

Le  droit  est  la  légitimité  d*un  acte.  Le  devoir  est  l'obliga- 
tîon  de  faire  un  acte.  —  Le  droit  vient  de  la  propriété,  qui 
ïeule  le  détermine.  Le  devoir  vient  du  droit  d'autruî.  Le  pou- 
voir est  une  conséquence  du  droit 350— ;ir>:^ 

Art.  4*  —  Existence  de  la  loi  morale.  Elle  est  attestée 
par  la  conscience  universelle  et  par  la  raison 353 — 35  'i 

Art  5*  ~  Origine  de  la  loi  morale.  Elle  est  nécessaire 
ou  positive,  La  première  est  absolue,  la  seconde  n'oblige  qu'à 
cerlaioes  conditions 35'i— ;{-,« 

Abt.  G'  —  Sujets  de  la  loi  morale.  La  loi  morale  a  pour 
sujet  l'acte  qu'elle  régit  et  par  là  même  le  sujet  de  cet  acte, 
et  les  habitudes  qui  prédisposent  à  l'acte.  —  Actes  humains, 
ou  libres,  acies  de  Vhomme,  ou  instinctifs.  —  Moralité 
abstraite  ou  matérielle,  moralité  formelle  de  l'acte 35G*-35« 

f  lahitutles  morales.  Vertus  et  V ices 358— îTTil 

Art.  7«  —  Sanction  de  la  loi  morale.  La  sanction  arrête 
la  violation  de  la  loi.  Elle  est  essentielle  ou  positive.  La  pre- 
mière agit  métaphysiquement,  la  seconde,  par  influence  siur 
la  sensibilité.  —  On  distingue  la  sanction  de  la  conscienco^ 
celle  de  la  nature,  celle  de  la  société,  celle  de  Dieu 361— 3fi5 

Mérite  et  démérite.  Connexion  morale  entre  un  acte  et  sa 
récompense  ou  son  châtiment.  Le  mérite  est  foadé  sur  la  per- 
fection de  l'acte.  Du  mérite  naît  la  responsa])ilité«' 365-<»3r>x 

Chap.  IL  —  LOIS  MORALES  DANS  LEURS  ESPÈCES.    LolS  SUr 

les  choses,  sur  nous-mêmes,  sur  nos  semblables  et  à  l'égard 

de  Dieu 30^ 

Art.  1"  ~  Lois  relatives  aux  choses,  on  aux  êtres 
privés  de  raison.  Les  choses  n'ont  point  de  droits  :  l'homme 
n'a  donc  point  de  devoirs  envers  elles,  pour  elles-mêmes. 
Mais  il  a  des  droits  sur  elles  par  la  propriété,  et  dès  lors  les. 
autres  hommes  ont  des  devoirs  envers  lui,  relativement  à  ces 
choses.  —  La  propriété  a  plusieure  origines  légitimes,  et  c'est 

la  propriété  qui  régie  les  lois  sur  les  choses 308— 370 

fjO    - 


S18  TABLE 


1*1 


Art.  2»  ^  Lois  morales  des  actes  envers  soi-môse. 

Comme  s'appartenant  à  lui-même,  l'homme  a  des  droits  sur 
Iiii-mème  ;  mais  comme  appartenant  à  Dieu  et  à  la  Société, 
il  a  tics  devoirs  envers  soi-même ST-'i 

Art.  3*  ~  Lois  morales  des  actes  enirers  ses  sem- 
blables. Les  droits  d'un  homme  siu*  un  autre  ne  peovnit 
rlir  qulmlirocts.  Ils  viennent  île  lapaforni/ê,  de  la^rojwtVîr, 
il«;  \ix  soumission  volontaire ^^'*- 

Envers  sa  famille,  Thommo  a  des  droits  et  des  devoirs  qui 
vMiient  selon  la  condition  à'vjioxix^  de  père,  de  fiU^  ou  de 
frère ^»~" 

Envers  sa  patrie  y  rhomine  a  des  droits  et  des  devoirs 
«lotorminés  par  la  constitution.  C<^lle-cî  prend  différentes  for- 
luos,  mais  elle  doit  toujours  être  fondée  sur  les  droits  de  tous,  ^i-*^ 

Envers  le  genre  humain,  l'homme  a  des  droits  négatifs  de 
justice,  des  droits  positifs  de  charité,  des  devoire  de  justice  et 
diï  charité '^''"' 

Art.   i"  —  Lois   laorales    des   aotes   envers   Dieu. 

L'homme  est  la  propriété  absolue  de  Dieu.  Il  n'a  donc  j>c>i«l 
de  droits  vis-à-vis  de  lui.  Il  a  tous  les  devoirs  possibles.  Tdle 
est  la  base  de  la  religion  naturelle  et  de  la  religion  surnatureiic 
•  |ne  Dieu  a  révélée  et  qui  se  trouve  dans  l'Eglise  catholique--   '"'^' 

HISTOIRE  DE  LA  PHILOSOPHIE 

Généralités.  Celte  histoire  doit  exposer  les  dévelopiHîmenLs 
successifs  de  la  philosophie  classique,  et  même  les  systèmes 
non-classiques,  pour  en  indiquer  l'influence  sur  la  vraie  do 
trine.  Elle  a  pour  objet  les  hommes,  leurs  doctrines,  et  la  cri- 
ti<juc  de  ces  doctrines.  —  Elle  ofl*re  des  difficnltéè,  mais  elle 
»'st  très  importante  pour  rectifier  les  fausses  idées  «*onçac3 
dans  l'étude  de  la  philosopliie  classique.  lAçrilre  d'écoles  '"îi 
préféra  ble 

!•  PÉRIODE.  —  PIIIUJSOPUIE  ANCIENNE 

l'HILOSOPlIIE  DES   HEBREUX 

Connaissant  la  vérité  par  la  révélation,  les  hébreux  ont 
«:opendant  connu  la  philosophie,  et  plus  exuctomeut  qu«'  !«'' 
.•Mitres  peuples  aneîen.^.  On  en  trouve  la  preux  e  dans  I»  ^'^''''- 


TABLE  319 

Pages 
lU  ont  eu  quelques  sectes  disâUlentes:  les   pïiarisiens^   les 
.<a'Jucéeiis,  les  essémens 'J8*i — ^'j^ 

PHILOSOPHIE  DES  C|IALDÉEXS 

On  a  peu  de  documents  sur  leur  philosophie.  Elle  était  tra- 
ditionnelle. Les  fragments  de  Bérose  attestent  une  corrup- 
tion de  la  révélation  primitive.  Les  OracleB  chaldéens  sont 
apocryphes :W3— ;W  S 

PHILOSOPHIE  DES  PHÉNICIENS 

Peu  de  documents.  Le  fragment  de  Moschus,  et  celui  de 
Siinchontaton  attestent  une  philosophie  traditionnelle  V3nant 
«l'une  altération  de  la  révélation  primitive -^9 'i — 3î>8 

PHILOSOPHIE  DES  ÉGYPTIENS 

■  liocuments  plus  nombreux  mais  peu  dignes  de  foi,  pour  la 
plupart.  Les  fragments  de  ManéUion  et  de  la  Vieille  chro- 
niqxui^  nous  donnent  une  théogonie  et  une  costrogonie  évi- 
demment prise  d'une  tradition  altérée,  peut-être  même  d'une 
fausse  traduction  de  la  Bible.  Le  Rituel  funéraire  nous  pré- 
stMile  une  morale  assez  pure '. 39^:— iO*2 

PHILOSOPHIE  DES  PERSES 

Leui-s  livres  sacrés  composant  le  Zend-Aireata  nous  ofTrent 
luie  théogonie  ot  une  cosmogonie  fort  semblables  à  celles  des 
pouples  précédents,  avec  des  traces  évidentes  de  la  tradition 
primitive  altérée.  Commencement  de  péychoiogie.  Morale 
assez  pure.  L'identité  de  Zoi'oas^7*e  laisse  des  doutes  protonds.     i(W— ii)G 

PHILOSOPHIE     DES    INDIENS 

Les  livres  sacrés  appelés  Vécfas  et  leurs  commentaires  nous 
offrent  encore  une  théogonie  et  une  cosmogonie  panthéiste 
évMemment  prises  de  la  Révélation. 4<Kî—  ilU 

Ici  commencent  les  systèmes  philosophiques  : 

Le  Mimansa  est  un  traité  de  morale  védique 41 1 

# 

I^  Védania  est  une  théologie  védique il  I— il '2 

Le  Sanhhya  est  une  philosophie  rationaliste  et  athée Wl 

\.o  Yoga  esl  une  philosopWe  mystique  déiste 112 


32C)  TABLE 

Le  Syaya  est  une  logique  assez  subUle 

Le  Veiséschika  est  une  physique  atomîstique. ^^^ 

Le  Djainisme  est  une  religion  hétérodoxe  par  rapport  aus 
Vf>das.  quoique  le  fonds  en  diffère  peu ' 

li(»  Bouddhisme  est  aussi  une  religion  opposée  aux  Védas. 
KUe  renferme  évidemment  des  données  juives  et  ra^mc  chré- 
tiennes. La  mo  raie  en  est  presque  clirétienne ''^' 

IMIILOSOPHIE  DES  CHINOIS 

Documents  assez  nombreux,  mais  tronqués  et  obscurs.  U^ 

Uvics  sacrés  ou  Kings  et  les  livres  classiques  Sse-chou  offrent 

une  doctrine  traditionnelle,  avec  des  traces *très- visibles  delà 

II-  t* 
Hévèration.  Dieu  y  est  appelé  Ciel  ou  Raison '"'' 

Lao-iseu  est  un  théologien  et  un  moraliste,  qui  met  l*» 
7'aison  au-dessus  de  tout;  mais  la  raison  est  Dieu.  Il  con- 
naît la  Trinité « 

(^onfncius  est  un  moraliste  assez  orthodoxe.  Il  a  fondé  ane 

sorte  lie  religion  philosophique ®"* 

13*  tj* 

Mencius,  son  disciple,  et  autres  plus  récents '•'^ 


.? 


PHILOSOPHIE  DES  CELTES  OU  G.VULOIS 

Haros  documents,  dans  les  Mystères  des  Dardes  et  \^ 
Triades.  Religion  prise  d'une  tradition  altérée ' 

Conclusion.  Tous  ces  peuples  anciens  ont  reconnu  ^tUÂ 
et  par  raison:  un  Dieu  maître  de  tout,  auteur  du  monde;  Is 
liberté  ;  la  loi  morale;  les  récompenses  et  les  peines  dansun< 
vie  future 

PHILOSOPHIE  DES  GRECS 

Tas  plus  que  celle  des  autres  peuples,  la  philosophie  des 
(Jrccs  n'est  l'œuvre  de  Thomme  seul.  Les  doctrines  myiho- 
loffiqnes,  les  dires  des  sept  sages,  nous  en  montrent  Torigin*' 
dans  la  Révélation , ^^' 

1"  ÉPOQUE.  —  Les  oommonoements  de  la  philosophie 
£n^eo<iue. 

1 .  Ecole  Ionienne. 

J 'nies,  indique  leau  comme  princii>e  du  monde;  AuaJ"'- 
'iuandre,  Tindéterminé.  qui  n'est  autre  chose  que  le  chaos- 


i 


TABLK  821 

Pages 
^^lérécyde,  le  chaos;  Ancucimène,  Tair;  Ancucagore,  liutel- 
grence  et  les  honiéomérie^  ;  Dlogène  d*Apolloni€,  un  air  Intel- 
i^ent  ;  Heraclite  un  feu  toujours  renaissant,  et  ia  guerre 
es  contraires;  Archélaûs,  le  feu  et  l'eau;  Empédocle,  le 
?L\x,  l*air,  Teau  et  la  terre.  Mais  plus  qu'aucun  autre  phi- 
r>sophe  ionien  il  a  des  souvenirs  d'une  révélation  :  la  grâce, 
R  péché  originel,  le  sacrifice  pour  le  réparer 133— -i  i6 

2.  Ecole  italique. 

Pytfiagore,  Alcméon,  Ttméet  Ocellus,  PhUolaûs,  Archy- 
€is  enseignent  en  commun  que  les  principes  des  choses  sont 
es  limitants  et  l'intervalle,  Uni  et  infini,  pariait  et  imparfait, 
monade  et  dyade;  que  tout  est  harmonie  ou  nombre,  même 
l 'àme,  la  vertu  et  Dieu 447—455 

3.  Ecole  éléatique. 

Xénophane  enseigne  que  Dieu  seul  est  Têtre  vrai;  le  monde 
n'est  qu'un  objet  d'opinion.  Parménide  ne  voit  qu*un  seul 
Atre  indivisible;  le  monde  est  une  illusion  des  sens.  Pour 
XénoTit  Tunité  seule  existe  ;  la  divisibilité  et  le  mouvement 
sont  impossibles 455—161 

4.  Ecole  atomistique, 

Leucippe  et  Démocrite  ne  voient  d'autre  principe  que  les 
atomes,  le  vide  et  le  mouvement.  L'àme  et  les  dieux  sont 
matière.  Métrodore,  Anaxarque  et  Nausiphane  continuent 
<!es  doctrines  et  inclinent  au  scepticisme. 461—466 

5.  Les  sophistes, 

Gorgtas  prétend  que  rien  n'existe.  Protagoras  ne  reconnaît 
que  des  sensations  sans  objet:  il  ne  sait  passai  y  a  des  dieux. 
Diagoras  nie  la  Providence.  Prodicvs  est  l'auteur  de  l'apolo- 
gue d'Hercule.  Hippias,  Thrasymaque  et  Euthydème,  sou- 
tiennent, comme  les  autres,  le  pour  et  le  contre 466—473 

Par  toutes  ces  écoles,  la  philosophie  en  deux  cents  ans  a 
produit  tous  les  systèmes;  mais  elle  ne  lésa  pas  inventés  :  ils 
ne  sont  que  de  fausses  interprétations  des  données  tradition- 
nelles      473—475 

'2<  ÉPOQUE.  —  Les  grandes  écoles  greoqfuee. 

1.  SocrOte. 

Il  tourne  la  philosophie  vers  l'étude  de  l'a  me  et  vers  la  morale, 
«il  meurt  victime  de  son  enseignement.  Sa  méthode  est  Y  agonie 

0*.» 


S22  TARLB 


« 


OU  la  maïeuttque.  Il  accepte  les  donnés  des  sens,  de  lacoD- 
science  et  de  la  raison;  démontre  l'âme  et  Dieu  et  affirme  U 
liberté  guidée  par  l'amour  du  bien ^"^ 

2.  Les  disciples  immédiats  de  Socrate. 

Stmon  le  cordonnier,  Socrate  le  jeune,  fils  de  Sœrate,  et 
Criton,  son  ami,  continuent  les  enseignements  du  maître.  — 
Xénophon  mieux  que  tout  autre  nous  fait  connaître  sa  doc- 
trine, surtout  dans  ses  Mémorables.  Eschine  écrit  aussi  des 
dialogues.  iVi^rfon  et  AféneVèmp  dirigent  une  école *^^ 

3.  Ecole  cynique, 

Aniisthène,  Diogène  Cratés^  Hipparchia^X  Ménippe  don- 
nent l'exemple  de  Tamour  des  souffrances  et  de  la  pawvref^, 
pour  donner  plus  de  prix  à  la  vertu,  qu'ils  déclarent  le  seal 
bien 


«•/ 


4.  Ecole  cyrénaXque^ 

Arisiippe,  puis  sa  fiUe  Arèté  et  le  fils  de  celle-ci,  Xrw- 
tippe  le  jeune,  enseignent  -que  le  vrai  bien  est  le  plaisir  dans 
le  repos;  Annicéri»  veut  un  plai^r  plus  positif  ;  Théodore 
ne  cherche  que  le  contentement,  déclare  que  tout  est  permis 
au  sage  et  professe  l'atliéisme  ;  Ephémère  Teut  démontrer  (px 
les  dieux  ne  sont  que  des  hommes  auirefoîs  illustres ^^ 

5.  Ecole  mégariqtte. 

Euclide  voit  te  bien  dans  Tunîté  seule,  nie  le  monde  et  se 
fait  appeler  dxspuieur.  Euhulide  n'est  fameux  que  par  ses 
sophismes.  l^ttlpon  ne  reconnaît  comme  vraies  que  les  propo- 
sitions identiques,  et  comme  souverain  bien.  rimpassMîté. 
Diodore  Cronos  déclare  impossible  tout  contingent  et  dît  que 
tout  est  nécessaire 

6.  Platon,  —  L'Académie, 
Platon  suit  la  méth  ode  de  Socrate  et  développe  sa  doe- 

trine.  Au-dessus  des  sensations  et  des  notions  qiû  ea 
viennent,  il  reconnaît  les  idées,  subsistantes  en  Dieu,  où 
l'âme  les  a  perçues  et  dont  elle  a  la  réminiscence.  Tout  est 
composé  de  fini  et  d'infini  (indéfini),  de  forme  (idée)  et  ^ 
matière  (passivité).  La  matière  est  façonnée  par  l>iea  sdôo 
ses  idées.  L'àme  est  sensible  et  intelligente,  libre  et  im* 
morielle.  Dieu  c'est  le  bien  absolu,  le  beau  absolu,  le  ^'^ 
absolu.  Sa  morale  est  fondée  sur  la  i^erfection  à  laquelle  râi«e 


l£-i? 


TABLB  823 

•  Pages 
id  librement  mais  naturellement.  Les  vertus  sont  la  sagesse, 

courafire,  la  tempérance  et  la  justice 499—50» 

\.nalyse  de  la  République.  Idéal  d'une  société  constituée 

ion  les  idées 509— 5i:i 

analyse  du  Phédon.  Dernier  entretien  de  Socrate,  sur  Tira- 

>rtalitè  de  l'àme 5i;^5l7 

SpcMsippe,  mêle  Platon  à  Zenon.  U  confond  le  bien  avec 
mité.  Gomme  Ajitisihéne,  il  dit  qae  le  plaisir  est  nn  mal. 
înocrate  se  rapproche  de  Pythagore;  Polémon,  Cratès, 
^antor  et  bien  d'autres  continuent  Platon  et  s*en  écartent 
ju  à  peu 518—^20 

7.  Aristote.  —  Le  Lycée 

Arlstote  créa  presque  la  logique  et  les  sciences  d'observa- 
on.  La  connaissance  vient  des  sensations  ;  les  idées  ne  sont 
as  Innées  :  l'intellect  les  découvre  par  le  procédé  dialec- 
ique.  La  science  est  le  fruit  de  la  démonstration  qui  pai*t  des 

remiers  principes, 520 — 52î» 

Analyse  de  la  Logique  d'Aristote,  formée  par  les  Catégories, 
tiéorie  des  tei*mes.  V Interprétation,  théorie  de  la  proposi- 
ion,  les  premiers  Analytiques,  théorie  du  syllogisme,  les 
lerniers  Analytiques,  théorie  delà  démonstration,  les  Topi- 
jues,  théorie  des  lieux  de  logique,  et  les  Réfutations  des 
wphistes 529—538 

Dans  sa  métaphysique,  XriRlote  crée  cette  science;  dans  sa 
théodicée,  il  est  inférieur  â  Platon,  mais  il  démontre  mieux 
l'existence  et  les  attributs  de  Dieu,  sauf  la  Providence  qu'il  ne 
reconnaît  pas 539—5^1 

Les  principes  des  choses  sont  la  matière  (pure  passivité) 
et  la  forme  (acte  de  la  chose).  L'homme  est  composé  de  mdme 
et  c'est  l'âme  qui  est  sa  forme.  Elle  est  séparable  et  immor- 
telle     5il— 5ii 

Le  but  de  la  volonté,  c'est  le  bonheur.  La  vertu  est  le 
moyen  qui  y  conduit 54  i— 546 

Son  idéal  politique  est  fondé  sur  le  bien  commun  administré 
par  les  fortunes  moyennes,  pour  éviter  les  excès  de  la  tyran- 
nie, de  l'oligarchie  et  de  la  démagogie 5 16—5^19 

Théophraste  a  écrit  les  Caractères  et  continué  les  travaux 
lie  son  maître.  Nicomaque,  Eudéme,  Dicéarque,  Aristoaséne, 
Héracltde  sont  peu  connus 551 

Siraton  se  rapproche  du  matérialisme 552 


*^24  TABLE 


•  •» 


8.  Pyrrhon,  —  Les  épicuriens. 

\\  déclare  que  le  sage  doit  s'abstenir  de  se  proiioneer  sur 
la  réalité  des  choses,  mais  se  conduire  selon  les  apparen- 
<:es,  et  d'ailleurs  vivre  tranquille.  Timon  soutient  les  méises 
'loctrines »^' 

9.  Epicure,  —  Les  épicuriens, 

Kpicure  ne  voit  d'autre  source  de  connaissance  «pie  les 
sens,  les  anticipations  et  les  passions.  Les  principes  des 
lUres  sont  les  alonies,  le  vide  et  mouvement.  JL'àme  est  un 
•'orps;  elle  est  mortelle.  Les  dieux  ne  s'occupent  pas  de 
nous.  Le  souverain  bien,  c'est  le  plaisir,  loi  vertii  c'est  la 
prudence  à  se  le  procurer.  AristobulCy  Né€>clé8,  et  Chéré- 
>fvme  ses  frères,  puis  MétroJore,  Polyen^  Herman-us,  ifol- 
fodore,  Colotés,  Phùire,  Philodème  et  Zenon  repicurien 
suivent  la  mémo  doctrine *^ 

10.  Zenon,  —  Le  Portiqtie 

/fénon  et  ses  disciples  Persée,  HériUet  Cléanth^y  Arikto^, 
.^ihènodore  ei  sartout  Ckrysippe ^  puis  Zenon  tle  Tarse , 
Diooène  de  Babylone,  Antipater  ,  Panetius  et  Posidonivs 
ont  contribué  à  tonder  la  doctrine  connue  sous  le  nom  d** 
!<toïci8me.  Leur  logique  est  presque  celle  d'Epicure  ;  Us  ? 
ajoutent  la*  théorie  de  la  vision  compréhensive  et  font 
intervenir  la  volonté  dans  le  jugement.  La  raison  est  le 
principe  de  tout,  mais  elle  est  unie  au  monde  qu'elle  méat, 
par  une  force  tout- à-la-fois  intelligente  et  nécessaire.  C'fôt 
une  forme  du  panthéisme.  Le  seul  bien,  c'est  l'exercice 
de  la  liberté,  et,  dans  ce  qui  ne  dépend  pas  de  nous,  la  soumis- 
sion volontaire  aux  lois  de  la  nature,  qui  sont  les  lois  d« 
lo  raison, 

'.\*  ÉPOQUE.  —  Décadence  de  la  philosophie  greo^jne. 

1.  Nouvelle  académie. 

Arcésilas  oppose  à  Zenon  sa  théorie  de  l'incomprébensi- 
l)ilité  des  choses,  et  dit  que  le  sage  doit  se  conduire  d'apte 
la  vraisemblance,  sans  rien  affirmer  sur  la  réalité  des  ehosfô» 
Carnéade  soutint  contre  Chrysippe  la  même  théorie.  H  '^^ 
suivi  par  Diogène  de  Babylone^  Métrodore  de  Siraioiuce, 
CUtomagxie,  Philon  de  Larisse  et  Antio<:hu'^ 


^» 


i 


TABLE  825 

Pages 

[2.  Continuation  des  graiides  écoles. 

^turar^ue  est  platonicien  ainsi  i[W Apollonius  de  Thyane  ; 

)n  Chrysostome  est  cynique;  Lucien  rit  de  tous  les  systèmes; 

ilien,  le  médecin,   incline  vers  Aristote;  Piolcmèe  se  tient 

tre  Aristote  et  l'iaton.  Philostrate,  Kunayte  él  Stobée  écrî- 

it  rhistoire  de  la  pliilosophie 572—577 

3.  Nouveaux  sceptiques, 

^'Enésidème  et  Agrippa  renouvellent  le  scepticisme  de  Pyr- 
hon,  avec  de  nouveaux  arguments,  qui  consistent  surtout  à 
«jeter  toute  notion  première.  An ^ioc/iiis  de  Laodicèe,  Ménodote 
ii  Hérodote  de  Tarse  le  suivent.  Seœtus  Empiricus  nous 
ransmet  leurs  arguments 577—58'^ 

4.  Ecole  d'Alexandrie, 

Elle  a  ses  racines  dans  Philon  le  juif,  qui  mêle  Platon  et 
Moïse,  et  dans  son  disciple  Aristobule  le  juif.  KUe  se  forme 
avec  Numênius,  Potamon  et  Ammonius  Saccas,  C'est  Plotin' 
«lui  la  fixe.  C'est  un  système  tout  à  la  fois  platouioien,  oriental 
et  chrétien.  C'est  un  panthéisme,  un  éclectisme  et  un  mysti- 
cisme. Amélius,  Porphyre otJamblique suWcni  Plolin.  Pro- 
dus,  Olympiodore  et  Damascius  luttent  en  vain  pour  soutenir 
cette  doctrine 582—581* 

Le  Gnosticisme  et  la  Kabbale  sortent  du  mysticisme 
Hlexandrin 589— 59(j 

PHILOSOPHIE  CHEZ  LES  ROMAINS 

Instruits  par  Carnéade,  Dîogène  de  Babylonc  et  Critolatïs, 
en  même  temps  que  par  Polybe,  puis  par  Panœtiasct  Philon 
de  Larisse,  les  Romains  n'ont  pas  de  philosophie  propre  et 

comptent  peu  de  philosophes 590— 595i 

Cicéron  a  beaucoup  écrit,  il  cite  tous  les  systèmes,  adopte 
les  doctrines  de  la  nouvelle-académie,  mais  il  est  dans  un  bon 

éclectisme 592— 594 

Analyse  du  traité   de  Finibus,  sur  le  vrai  bien.  Il  réfute 

Kpicure  et  Zenon  et  semble  préférer  Aristote  qu'il  corrige... .  595— 6(»0 

Analyse  du  de  Officiis,  sur  les  devoirs.  L'honnête  l'emporte 

sur  l'utile  et  d'ailleurs  Thonnètc  seul  peut  être  vraiment  utile  600— OUi 

^énéque  est  stoïcien,  presque  chrétien  (luelquefois,  mais  il 

conseille  le  suicide GOi— 6(»0 


8*io  TABLB 


h 


tpictète  dans  son  Manuel  que  son  disciple  Arrien  nous  a 
transmis  semble  n'avoir  d'autre  but  que  celui  d^flOranchir  la 
liberté  humaine  de  toute  Influence  extérieure ®^"^ 

^  PÉRIODE.  —  PHILOSOPHIE  Di:  MOYEN-AGE 

1*  ÉPOQUE.  —  Les  huit  premiers  sièoles  Ghrétiens. 

1.  Philosophie  du  nouveau  te&tament, 

L'Evangile  vient  renouer  la  tradition  et  rappeler  les  vérilt*:^ 
ijue  la  philosophie  avait  efifacées.  Il  ne  faut  pas  chercher  ail- 
leurs les  soudes  de  la  philosophie  des  Pères  de  TEglise,  qui 
n'ont  rien  pris  aux  Alexandrin.  Au  contraire,  ceux-ci  ont  em- 
prunté à  l'Evangile *'"'^' 

2.  Philosophes  catholiques  des  1%  2^  et  3*  siècles. 
Les  o'uvres  que  Ton  attribue  à  SuDenys  l'Aréopagite  soni 

bien  de  lui.  H  est  orthodoxe  et  n'a  rien  d'Alexandrin,  au  con- 
traire il  combat  Simon  le  magicien ^'  ' 

St-Justin,  Tatien,  Aihénagore  et  IJerniias  déiendenlia 
religion  chrétienne  contre  les  païens.  St-Irénée  la  délend 
contre  les  hérétiques ^'' 

iSt-Clêmeni  d'Alexandrie,  Tcrtullien  et  Origène  fondent 
la  philosophie  catholique.  Mais  Tertullien  devient  hérétique.  ê11-«1 

3.  Philosophes  païens  et  hën^tiques  des  i%  2*  et  5* 
siMes, 

Pendant  la  vie  de  Sénèque,  d'Epictète  et  de  Fhilon,  5imon 
le  magicien,  Cérinthe  et  Banlide  enseignent  le  gnosticisme  6* 

Du  vivant  de  Plutarque,  Arrien.  Celse,  Galien,  Lucfeo,  PIo- 
iciuée,  etc.,  Saturnin^  Cerdon  et  Valenttn  prêchent  leur  pan- 
théisme gnostique ^ 

Au  temps  de  Philostrate,  d'Ammonius  Saecas  de  Plotin,  de 
Longln  et  de  Porphyre,  Tertullien  devient  Monianisie,  ^es 
origénistes  paraissent  et  Manès  enseigne  son  dualisme  gnos- 
tique,  doctrine  des  ManichéenB 

4.  Philosophes  catholiqtires  des  4*^  et  5'  siècles. 
Lactance,   Firmicus  Mater7ius,   Eusèbe,  St-AHianaaif  «* 

|)ien  d'autres  docteurs  développent  la  philosophie  catholique  et 

la  théologie ^'^^ 

St-Jêrômej  et  St-Augu8tin  font  de  grands  travaux  dans  l« 
môme  sens  et  Salvten  justlQe  la  Providence..... ^^"^ 


TABLE  827 

^  Pages 

5.  Philosophes  pa  lens  et  hérétiques  des  4* et  J*"  siècles. 

A  côté  de  Jainblique^  TkémisUus,  Libanius  et  Julien 
l'Apostat,  ou  trouve  Donat  et  Ariuf»,  qui  prêchent  leurs  héré- 
sies       0  >8— tô,  j 

Tandis  que  la  philosophie  païenne  se  mexiri  avec  Némésiiis, 
Htérocîès  et  Proclus,  Pelage,  Nesioriu8e\  Eutychès  divisent 
lin  temps  les  chrétiens ♦îvW 

G.  Philosophes  catholiques  des  tf«,  7*  et  8'  siècles, 
Marcianus  Capella,  Boùce  et  CassiodorCy  posent  les  fonde- 
ments de  la  Scolastique 0;M)— 630 

Ils  sont  suivis  par  Si-Isidore  de  Séville,  le  vénérable  Ffède 

et  Si-Jean  Damascène 03^— fx/1 

7 .  Philosophes  païens  et  hérétiques  des  6^,  7*  et  S*" 
siècles, 

Simplicius  et  Damascius  voient  mourir  la  f^hilosopiiie 
grecque.  Jean  Plnlopon  commente  Aristote.  Mahomet  publie 
le  Coran.  —  Les  Iconoclastes  détruisent  les  œuvres  d'art. . . .  h'M 

8.  Philosophie  des  Arabes, 

Al-Kendi,  Al-P^arabi,  Avtcenne  et  Al-Ga?el  de  Técole  de 
Bagdad  ;  puis  Aven-Paee,  Tofatl  et  Averroès  de  l'école  de 
Cordoue  traduisent  et  commentent  Avistote 632—035 

Les  Juifs  suivent  cette*  impulsion,  Anan-ben-Davidy  Saadia, 
Xvicebron,  Juda  Hallevi  et  Maimonide  attaquent  ou  défen- 
dent tour-â-tour  la  raison 03ô^'j:i7 

2«  Ki>0QUE.  —  PhilOBophio  Scolastique  (!()•,  11'.  12' siècle). 

Alcuin  ouvre  l'école  palatine  auprès  de  Charlemagne;  Raban- 
iV/aur  l'imite  en  Allemagne;  Scoi  Erigcne  incline  au  pan- 
théisme  ;  Photius  écrit  son  Myriobiblon (>38— 639 

Gerberi  (Sylvestre  II)  illustre  à  lui  seul  le  10*  siècle 630—640 

Bérenger  parle  contre  TEucharistie  et  met  la  raison  au  des- 
sus de  la  foi  ;  Lan  franc  le  combat  ;  S.  Pierre  Damien  redoute 
la  philosophie  ;  Michel  Psellus  prêche  Platon  et  Xiphihn, 
Aristote.  Roscelin  met  au  jour  le  nominahsnie.  S.  Anselme, 
se  montre  métaphysicien.  Gauntlon  attaque  sa  preuve  de 
l'Etre  parfait 640-6^1 

Guillaume  de  Champeauœ  enseigne  le  Réalisme;  Ahailard 
imagine  le  Conceptùalismei  Gilbert  de  la  Porrée  est  réaliste 
jusqu'à  l'hérésie  ;  S,  Bernard  prêche  le  mysticisme  chrétien, 
iandis  que  Pierre  Lombard  inaugure  la  tliéologîe  scolastique. 


828  •      TABLE 

Mais  Hwjues  et  Richard  de  8t- Victor,  ainsi  que  Jeanik 
Salisbttry  préfèrent  la  contemplation.  C'est  le  siècle  loarmeoté 
par  les  Vaudois  et  les  Albigeois  y  et  où  Daotd  de  Dinan  et 
Amnury  de  Chartres  i*enouvellent  le  panthéisme ^'^ 

1.  L" apogée  de  la  Scolastique  (13*  siècle). 

Ce  siècle  voit  condamner  les  Aristotéliciens  et  triompher 
Aristote,  avec  S.  Thomas.  C'est  le  grand  siècle  chrétien.  <>a  y 
irouve  Pierre  de  Blois^  GtiiUaume  il'Avucerre,  Alexandre "'e 
flalès,  Vincent  de  Beauvais,  tous  grands  philosophes  et 
grands  théologiens.  Au  dessus  d'eux  règne  Albert  le  GramK 
lît  son  disciple,  5.  Thomas  d*Af/uin,  écrit  son  immorlclk 
Somme,  qui  le  place  au  dessus  de  tous.  Roger  Bacon  se 
tourne  vers  l'expérience,  tandis  que  Guillaume  d'AuvertjK^, 
St-Bonaventure  et  d'autres  recommandent  la  contemplalioD. 
A  la  lin  de  ce  sièolf,  Dans  Scox,  avec  sa  dialectique  subtiic 
a  raison  quelquefois  contre  S.  Thomas  lui-même ^^ 

2.  Dcch'n  de  la  Scolastique  (li*  siècle^. 

La  Scolastique  continue  avec  Guillaume  d'Ocham^  qui  res- 
suscite le  nominalismc,  ^insï  que  Durand  de  Saint-Poitr':fii*K 
avec  Jean  Buridan.el  Walter  Burleigh,  Thomas  de  Brad- 
wardin  et  Wicle/f  nien t  la  liberté *^^ 

Jean  Tauler,  Gerson  et  Thomas  à  Ketnpts  prêchent  ie 
mysticisme  clirétîen,  tandis  que  Maiti*e  Echart,  Suso  et  Ruys- 
broech  le  poussent  jusqu'à  l'hérésie ^^"^ 

:i«  ÉPOQUE.  —  La  renaissance  (15*  et  16«siècles\  Les  grecs 
venus  de  Torient,  Pléthon,  Bessarton,  Gennadius,  Georges  d€ 
TréUizonde  et  Théodore  Gaza  ramènent  les  idées  païennes. 
Nicolas  de  Cusa,  Laurent  V alla,  yîarsileFicin^  Ange  PoliîieH, 
les  deux  Pic  de  la  Mirandole,  Juste  Lipse  et  Taurel,  suivent 
ce  mouvement 

Luther  inaugure  le  protestantisme.  Pompayiace,  Erasme, 
Machiâvely  les  deux  Piccoiomin/,  Ramus  et  Grotiusprétcreoi 
la  raison  à  la  foi ^"^* 

Montaigne,  Charron  et  Sanche^  inclinent  vers  le  scepti- 
cisme. Reuddin,  ParaceUe^  Cardan,  Servet,  Bruno,  Vanini, 
Bochm,  Fludd  et  les  deux  Van  Helmont  enseignent  un  pan- 
théisme mystique 

Copernic,  Ttlesio, Cesalpini, Galilée,  Campanellaei KéfW^ 
recourent  à  l'observation 


829  TABLE 

Pages 
3*  PÉRIODE.  —  PHILOSOPHIE  MODBHNB 

XVn*  8IBCLB 

1.  Les  réformateurs ,  —  Bacon  et  Descartes, 
Bacon  croit  donner  à  l'esprit  humain  un  nouvel   organe  en 

traçant  les  règles  derinduction.Ilpenche  vers  le  matérialisme. 

Analyse  de  son  Novum  organum. 680^—684 

Descaries  trouve  dans  la  eonscienee  seule  et  dans  Tévidence 
la  certitude  première.  Analyse  de  son  Discours  sur  la  mé- 
rhoçjle 681—690 

2.  Ecole  de  Bacon.  —  Sensualisme. 

Hobbea  ne  volt  partout  que  des  corps;  Gassendi  essaye  de 
réhabiliter  Epicnre;  Locke  ne  voit  d'autre  principe  à  nos  con- 
naissances que  la  sensation  et  la  réflexion 690—695 

3.  Eiole  de  Descartes. 

Arnauîd  adopte  les  théories  de  Descartes.  Analyse  de  VArt 
de  penser  ou  Logique  de  Port  Royal, 695—701 

Vicole  et  Pascal  suivent  les  mêmes  voies.  Analyse  de  VEn- 
tretien  de  Pascal  avec  Sacy 701—705 

Bossuet  est  cartésien,  mais  plus  classique.  Analyse  du  Traité 
de  la  connaissance  de  Dieu  et  de  sot-même 705—710 

MaJebrancJie  crée  la  théorie  de  la  vision  en  Dieu,  l'occa- 
Monaliêfne  et  Voptimisme 710—712 

F(^neIon,  cartésien  et  classique.  Analyse  daTraitéde  l'ecets- 
tence  de  Dieu 712—722 

i.  Cartésiens  dissidents, 

Spinoza  crée  un  panthéisme  métaphysique.  Leibniiz  con- 
çoit le  monadisme,  le  déterminisme eiV optimisme,  KndX^s^ 
de  sa  Théodicée 722—736 

Wolfmit  Xieibnitz;  Bayle  est  sceptique;  Huet  n'a  de  certi- 
tude qu'en  la  fol 736—738 

5.  Philosophes  moralistes. 
^  La  Rochefoucauld  fait  la  critique  des  mœurs  et  attribue  à 
l'amour  propre  toutes    nos  actions;  La  Bruyère  est  moins 
systématique  ;  Cum^rland  ne  volt  d'autre  loi  morale  que  la 
bienveillance  naturelle 738—742 


54 


ï 


TABLE  i) 

XVIII*  SIKCl-B 

1 .  Ecole  sensiialiste . 

Condillac  ne  voit  dans  1  ame  humaine  que  des  sensaiion> 
transformées;  llélvetius  ne  reconnaît  que  le  pïaisir  coniiBt' 
mobile  de  nos  actes;  d'Holbach  est  matérialiste  et  surtoui 
athée  ;  Lamettrie  ne  met  pas  de  différence  entre  l'homn»  et 
la  plante,  ou  môme  la  machine;  Bonnet,  seosoaliste.  est 
pourtant  relig^ieux,  mais  d'une  religion  naturelle '^"' 

2.  Sensualisme  pratique. 

Voltaire  serait  simplement  un  déiste  s'il  n'était  avant  lonl 
l'enDemi  acharné  de  la  religion  catholique.  Ses  amis,  Diderot, 
d'Alembert  et  Saint-Lambert^  sont  plus  matérialistes  et  plus 
athées  que  lui '^"^ 

3.  Théories  amenées  par  V école  sensualiste, 
Clarke   suppose  Dieu  substratum  de   l'espace;    Berkeleu 

n'est  certain  que  des  esprits;  Hume  doute  de  tout  et  attaqn«* 
particulièrement  la  notion  de  cause '" 

4.  Morale  du  sentiment, 

Hutcheson,  Home  et  Fergufon  suivent Cumberland;>4fl'<ï''' 
Smith  remplace  la  bienveillance  par  Ia  sympathie  comme  \o\ 
morale  de  nos  actes;  de  plus  il  indique  le  travail  comme  seui<? 
source  de  la  richesse ' 

5.  Les  Economistes. 

Quesnay  recommande  surtout  le  travail  agricole;  Monte- 
squieu essaye  de  fonder  les  lois  politiques  sur  les  mœurs  et 
les  climats;  Mably  répand  l'idée  de  la  souveraineté  du  peuple*. 
J.  J,  Rousseau  tondo  la  société  sur  un  contrat:  Price  et 
Priet^iley  prêchent  le  progrés;  Turgot  est  un  écononilsle 
assez  classique  ;  Condorcei  veut  un  progrès  indéfini  par^i  ^e  ^ 
l'état  sauvage 

6.  Ecole  écossaise, 

Reid  fonde  la  logique  sur  le  bon  sens  et  la  philosophie 
entière  sur  la  psychologie.  —  Développement  de  notre  propre 
théorie.  —  Dugald  Stetvari  étudie  surtout  V Association  det       ^ 
idées 

7.  Ecole  crîttqxfe, 

Kant  ne  voit  pas  le  moyen  d'affirmer  quelque  chose  au  nom 
d^»  l;i  raison  théorique;  mais  il  croit  pouvoir  affirmer, <?oflîO«' 


i