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Si
ESSAI
DE
PHILOSOPHIE CLASSIQUE
ESSAI
PHILOSOPHIE
CLASSIQUE
A'on nooa ttd aott.
PARIS
CHARLES DELAGRAVE, LIBRAIRE-ÉDITEUR
58, RUK DES ËCOLBS, 58
1876
Toiia drniis r^Eervès.
APPROBATIO!! DE MONSIIGNSCR L'EVÊQCE DE MARSEILLE
Imprimatur
MasKÏlliae dio 2-2* Septembri.s 1876
RICARD, vie, gên
Indiquons d'abord le sens de notre titre. La philosophie
que nous appelons classique est celle qui recueille les vérités
universellement reconnues de tout temps, ainsi que les véri-
tés démontrées définitivement dans le cours des âges, et dont
l'ensemble forme un tout parfaitement un.
La philosophie, dit-on, n'est pas une science: elle n'a
rien de fixe, rien de définitivement acquis ; chaque jour lui
apporte, avec un nouveau philosophe, une nouvelle théorie
qui remet en question tout ce qu'on avait cru démontré jus-
que là. Tandis que dans toutes les autres sciences il y a un
fonds solidement établi, qui va s'agrandissant tous les jours
par les découvertes du moment, mais qui ne perd rien de ce
qui lui est acquis, la philosophie est toujours à fedre et recom-
mence chaque jour une série de systèmes contradictoires
dont aucun ne peut parvenir à se faire admettre définitive-
ment. C'est dire que toutes les sciences ont un fonds classi-
que et que la philosophie n'en a pas. .
C'est justement le contraire que nouis prétendons démon-
trer dans ce livre, et c'est pour cela que nous l'appelons
philosophie classique.
Mieux que toute autre science, la philosopliie possède uu
4294bl
VIII PRÉFACE
ensemble de théories par&itement établies, rigoureusement
démontrées, acceptées de tout temps et partout, incontesta-
bles et généralement incontestées, si ce n'est de la part de
quelques individualités. Sauf les mathématiques, aucune
autre science ne pourrait montrer un ensemble aussi com-
plet, aussi universellement admis. Sans doute, il y reste
des terrains à explorer, et les efforts de chaque jour décou-
vrent des vérités jusqu'alors inconnues ; mais ces vérités ne
nous forcent jamais à abandonner celles que nous avions
admises auparavant . Au contraire la pierre de touche de.
toute doctrine philosophique nouvelle, c'est précisément
cette comparaison que Ton en &it avec les doctrines ancien-
nes, n ne suffit pas qu'elle concorde pour la déclarer vraie :
il &ut encore la démontrer ; triais elle est fausse dès qu'elle
répugne à une vérité universellement admise déjà . Telle est
la philosophie classique. Il en est autrement des sciences
physiques, où une observation plus complète, une expé-
rience plus délicate renverse les lois même que tout le monde
avait reconnues pour démontrées.
Par ce caractère d'universalité, comme aussi parce qu'elle
n'a pas de meilleurs gardiens que l'Eglise, la philosophie
classique pourrait être appelée catholique^ et sans doute plu-
sieurs de nos lecteurs auraient préféré ce titre. Mais ce terme
n'eût pas exprimé notre pensée. Sans doute la philosophie
catholique est et doit être la même que la philosophie clas-
sique ; mais, si on l'appelle catholique parce qu'elle est la
philosophie de l'Eglise, on semble la restreindre ; on semble
exclure les auteurs non catholiques (et ils sont nombreux)
qui ont admis et enseigné les mêmes doctrines. Nous pre-
nons la vérité là où elle est : chez les païens, comme chez
les juifs ; chez les rationalistes, comme chez les chrétiens ;
PRÉFACE IX
chez les protestants, comme chez les catholiques : c'est pour
cela que nous ne disons pas philosophie catholique. Cepen-
dant la philosophie classique est essentiellement catholique;
car, ne pouvant enseigner l'erreur, elle ne peut rien ensei-
gner qui ne s'accorde avec la foi catholique.
La philosophie classique disons-nous ne peut pas ensei-
gner Terreur. En efFet, elle est classique précisément en ce
que l'ensemble de sa doctrine est pleinement démontré et
universellement reconnu pour certain. Quelle autre garantie
voudrait-on pour De pas errer?
Et que l'on ne nous accuse pas de tomber ici dans l'erreur
de Lamennais et de faire dépendre la certitude du consente-
ment universel. Non^ nous ne disons pas que la raison isolée
ne possède aucune certitude, mais au contraire qu'une
vérité contrôlée par toutes les certitudes individuelles a reçu
la plus parfaite consécration que puisse lui donner l'intelli-
gence humaine. Quelque partisan que l'on soit de la force
de la raison individuelle, on ne l'est pas plus que nous.
Nous croyons qu'un seul homme peut avoir raison contre
des milliers sur toute question, et môme contre le genre
humain sur une question physique ; mais nous ne pensons
pas que Ton ose soutenir qu'une théorie puisse être vraie
lorsqu'elle va à l'encontre de la certitude du genre humain.
Aussi, une théorie ne devient vraiment classique que
lorsqu'elle a été ainsi contrôlée et acceptée par l'ensemble
des philosophes classiques, c'est-à-dire par l'ensemble des
philosophes qui ne rejettent aucune des doctrines univer-
sellement admises comme certaines ; mais jusque là elle peut
se produire, présenter sos preuves, se donner pour certaine
et prétendre à entrer dans la philosophie classique, pourvu
qu'elle n'en contredise pas les données.
X PREFACE
Outre ce caractère d'unÎTersalité, la philosophie classi-
que porte encore un caractère de tradition. Les grandes
vérités qu'elle enseigne li'ont pas été découvertes par la
réflexion : on les trouve au berceau du genre humain. Et
loin de lui ôter son caractère scientifique, cette condition
lui donne une force de plus. Elle roule en effet sur des
(luestions dont la solution est nécessaire au genre humain,
et que les premiers hommes ne pouvaient pas ignorer. De
plus, la philosophie classique, même dans les détails qu'y
ajoute le travail de Tesprit humain de siècle en siècle, se
transmet de génération en génération, développée mais
intacte. Faudrait-il donc Tiippeler /rarfi7eonnc//e .^ Non: il
est de Tessenc? de la philosophie classique de se dévelop-
per, de s'accroître chaque jour de quelque vérité nouvel-
lement connue. Elle n'est donc pas purement traditionnelle.
Et d'ailleurs, nous ne suivons pa.? la doctrine des traditiona-
listes^ que l'Eglise a condamnés en 1840, prenant ainsi,
contre le zèle mal entendu de ses propre amis, la défense de
la raison méconnue, efle que l'on accuse de vouloir étouffer
la raison.
Nous ne disons pas ncm i)lus philosophie scolastique, c(uoi-
(jue le sens soit étymologiquement le même ; car ce terme
a pris un sens plus restreint et désigne seulement une épo-
<iue, une phase de la philosophie classique.
Enfin le lecteur qui verra le cas que nous faisons de tous
les systèmes, et le soin avec lequel nous exposons toutes les
erreurs, pour mieux faire distinguer la vérité, pourra croire,
peut-être, que nous revenons à ïéclectisme de Cousin. Non,
encore: la philosophie classique n'est pas éclectique. Sans
doute, il y a du vrai dans tous les syst'une.s ; nous disons
même que toute erreur (|ui vient contredire une vérité clas-
PRÉFACK XI
sique a pour origine une autre vérité nouvellement aperçue
dans la première, mais mal vue et prise trop absolument,
ou mal exprimée ; nous sommes d*avis que les systèmes les
plus erronés sont, dans la pensée de leur auteur, plus près
de la vérité, que dans leurs paroles et surtout, que dans les
sens que nous leur prétons. Mais nous ne dirons pas pour
cela, avec Cousin, que pour avoir le vrai il suffit de réunir
les affirmations fournies par tous les systèmes et d'en retran-
cher les négations. Cette épreuve de comparaison ne saurait
constituer un critérium de vérité. Le critérium de la philo-
sophie classique, c'est la raison de chacun et la raison de
tous : la raison et non pas Topinion née de Fimagination*
Avec cette règle, nous montrons que les systèmes ne sont
qu'une vue incomplète de la vérité ; mais nous jugeons leS
systèmes par la vérité et non la vérité pai: les systèmes.
Notre premier but est donc de montrer à tous ceux qui la
dédaignent, que la philosophie est une science, au môme
titre et à meilleur titre que les autres, et c'est l'ensemble
des données certaines de cette science que nous avons voulu
exposer. Mais cette exposition ainsi conçue n'existait pas;
les matériaux en étaient épars dans des milliers d'ouvrages:
if fallait les réunir; il fallait surtout les présenter dans leur
vrai sens ; il fallait montrer, l'histoire en main, que C(îs
doctrines sont vraiment classiques. En tout cela nous avons*
pu nous tromper quelques fois : nous avons pu surtout ôtrc
incomplet : c'est pour cela que notre travail porte le titr^
fX essai .
A côté de ce but, nous en avions un second, et c'est même
celui-ci qui a été ^occasion de notre travail. Obligé par
n<itre charge de diriger nos élèves dans la recherche de la
vérité, nous avons voulu trouver la solution de bien des
XU PRÉPAGE
questions qui, dans la philosophie claBsique, étaient encore
à l'état de problèmes, et nos recherches personnelles nouS
ont fait découvrir des théories nouvelles qui nous paraissent
certaines et destinées à devenir classiques. Bien des fois
môme, après les avoir trouvées, nous nous sommes aperçu
que nos théories étaient au moins en germe dans des ouvra-
ges très estimés, là où nous ne les avions pas aperçues tout
d'abord. Ce sont ces théories nouvelles que nous avons voulu
faire connaître et introduire dans le domaine de la philoso-
phie classique, dont, selon notre conviction, elles ne s'écar-
tent pas.
Tout ce que nous venons de dire doit faire comprendre
au lecteur en quel sens nous disons de notre œuvre: Aon
novaaednovè. Le fonds de vérité reste le môme, mais le
point de vue est nouveau et souvent les arguments que nous
en apportons ou les explications que nous en donnons nous
appartiennent en propre et constituent, croyons-nous, un
progrès .
Non offrons cet écrit à nos élèves d'abord et ensuite à
tous les jeunes gens qui étudient la philosophie, et dans ce sens
encore notre livre est une philosophie classique. C'est pour
cela que nous y donnons bien des détails, qui seraient inu-
tiles, si nous n'avions d'autre but que celui que nous avons
«xposé d'abord. Nous avons voulu pour cela être assez com-
plet, en restant assez bref, n'offrir que des doctrines sûres
et réfuter toutes celles que les élèves peuvent plus facile-
ment rencontrer et qui pourraient les tromper.
Quelques lecteurs attendent sans doute que nous indi-
quions ici les questions sur lesquelles nous avons des vues
nouvelles. Il nous serait dijficile d'en donner la liste, car elles
sont nombreuses et répandues partout, dans l'ouvrage. Nous
PRÉFACE Xm
indiquerons cependant les plus importantes. En logique : la
théorie des idées, la nature de la pensée, la science du lan-
gage, la théorie du raisonnement et surtout de Tinduction,
enfin la certitude et l'évidence, où nous croyons avoir résolu
le problème de Kant et de tous les sceptiques, sur le passage
du subjectif à l'objectif. En métaphysique : Tidée générale
de cette science et par là-même tout ce qu'elle renferme. En
psychologie: la nature des facultés; la théorie de la raison,
dans laquelle nous croyons avoir, en exposant la vérité,
montré l'origine des doctrines de Platon, d'Aristote et de
Malebranche, et leur accord ; la théorie des habitudes, où
revenant à une doctrine, aujourd'hui oubliée, de S. Thomas,
nous avons pu changer la face de la psychologie, et particu-
lièrement expliquer d'une manière que nous croyons plus
vraie toutes les opérations intellectuelles. En théodicèe, nous
croyons avoir résolu la difficulté sur la preuve métaphysique
de l'existence de Dieu. En morale, nous pensons avoir pré-
cisé l'origine du droit et du devoir et donné à la politique sa
véritable base. Si neuves que soient ces solutions, elles n'of-
frent cependant rien de contraire aux doctrines enseignées
jusqu'ici par la philosophie classique.
C'e«t ce que nous avons voulu démontrer dans Vhistoire
de la philosophie, en même temps que nous y démontrons
l'existence perpétuelle d'une philosophie classique, que
nous y limitons l'indépendance excessive de la raison, en
faisant voir que la vraie philosophie a ses racines dans la
tradition, et que nous redressons, chemin faisant, bien des
opinions fausses sur différents auteurs.
Maintenant que nous avons dit ce que l'on pourra trouver
de bon dans notre livre, rendons à chacun ce qui lui appar-
m
tient .
XIV l'RK K A( V
9
\
Il est naturel qu'en écrivant un résumé de la philosophio
classique, nous ayons pris nos doctrines partout où elles
se trouvaient. Donc, sauf les théories qui nous appartien-
nent en propre et dont nous venons de signaler les plus
saillantes nous avons pris tout le reste dans les auteurs
classiques, et il ne nous reste en cela que le mérite ou le
défaut de Texposition. Toutefois nous avons peu emprunté
aux contemporains. Il n'est qu'un seul auteur vivant dont
nous ayons conscience de nous Otre approprié les théories,
en les complétant à notre manière ; c'est M. Gourju, dont le
Cours de philosophie nous a fourni bien des idées et surtout
des points de vue excellents . Nous en conseillons volontiers
la lecture : c'est un petit livre dont le mérite est de beau-
coup au-dessus de la grandeur de son format.
Pour l'histoire de la philosophie nous avons consulté lej?
ouvrages originaux toutes les fois que nous l'avons pu ;
nous avons compulsé toutes les histoires de la philosophie,
grandes et petites ; mais le plus souvent nous avons suivi
pas à pas, comme plus clair, plus précis ou plus complet, le
Dictionnaire des sciences philosophiques de M. Franck, â*"
édition, 1875 — 1876. C'est à notre grand regret que nous,
de l'avons plus d'une fois contredit; car, en dehors
ces erreurs de détail, et du reproche que l'on a fait jus-
tement à cette dernière édition de n'être pas assez au cou-
rant de la science, pour certains articles, nous faisons le plus
grand cas de cet ouvrage .
ERRATA
Bien des fautes ont échappé h la vigilance des correcteurs,
mais elles sont généralement de nature h être corrigées en lisant.
Nous n'indiquerons que celles qui pourraient amener quelque
confusion.
Paf/e 85, figne 24, lisez : Affxrmatio et negatio cjnsdem
de eoflem, siib eodem respect n.
Page 113, ligne 8, effacez : (2* régie : L^^??/* etc.
F^age 114, ligne 12, a^joutez à la lin : E I 0.
Page 2:20, ligne 30, lisez
Page 289, ligne 32, lisez
Page 292, ligne 21, lisez
Page 301, ligne 4, lisez
Page 355, ligne 7, lisez
Page 387, ligne 29, lisez
Prt^e 391, ligne 3, lisez
Pa^e 443, ligne 35, lisez
Pa^e 448, ligne 32, lisez
Po;^^ 453, ligne 18, lisez
qui seules sont de nature...
entre ces organes et TAme.
Tabîme que nous ouvre. . . .
que leur doctrine est celle...
30; Origine nécessaire.
au VI'' siôcle après .I.-C.
guis enim hœc,
(6« siôcle).
L'âme est un nombre ;
Page 605, â la /?>?, ajoutez ; de la Providence, et Ques-
tions naturelles.
Page 666, ligne 16, lisez : Jean Ruysbroeck.
Page 724, ligne 33, lisez : d'un amour ardent pour....
Page 741, ligne 16, lisez : né en 1639, à Dourdan, ou plus
prabablement à Paris, selon la découverte qu'en a faite, en 1855,
M. Jal.
Page 783, ligne 29, lisez : 2" le moi détermine le nonrmoi.
Ajoutons encore quelques explications sur certains mots que Ton
pourrait prendre dans un sens faux .
!<►, page 1. Quand nous disons. « C'est cette connaissanc
qui met l'homme au dessus des autres créatures », il est
évident que nous voulons dire : au dessus des créatures
privées de connaissance^ et non : au dessus de toute autre
créature que l'homme.
XVI BXPL ICÀTION'S
29 page 186 . Quand nous disons : a Si donc nous voyons se
produire un acte mauvais en dehoi*s des lois physiques >, nous
n'entendons pas : en dehors des causes physiques, mais : en
dehors du cours régulier do l'action naturelle des causes physiques
et en dehors de l'emploi que les hommes peuvent en faire ; car nous '
n'entendons pas dire que les démons puissent déroger aux lois phy-
siques. Notre pensée est qu'un fait qui suppose une cause intelli-
gente et qui ne peut être produit ni par les hommes puisqu'il est au
dessus de leurs moyens, ni par Dieu puisqu'il est mauvais, mani-
feste l'action et par suite l'existence des démons.
3^ page 19d. Lorsque nous disons : « La raison suffisante ne
peut manquer de ressortir à tout son effet », Il ne faudrait pas
ajouter : or la raison suffisante du monde, c'est Dieu ; donc le
monde est étemel et infini, comme Dieu ; car la raison suffisante
du monde, c'est d'une part Vaction libre de Dieu et d'autre part
comme terme de son action une essence finie à réaliser. Et ainsi
comprise, la raison suffisante du monde ressort à tout son effet,
car, infinie du côté de l'agent, elle est essentiellement finie dans
son terme.
40 page 232. « Le fait qu'on appelle extase est un fait de sensi-
bilité ». Non pas que l'extase ne puisse avoir pour objet une con-
naissance ; mais en ce que, dans ce x^as môme, c'est V attrait
produit sur l'Ame par cette connaissance qui la fait s'oublier.
5® page 336. « Dieu suit un ordre qu'il a tracé lui-même ; mais
c'est lui seul qui exécute ce plan. » Non pas pourtant en excluant
l'action des causes secondes, qu'il dirige. Tocgours est-il qu'une
loi ne produit rien, sans un agent qui s'y conforme, et que les for-
ces physiques naturelles n'étant pas intelligentes ne suivent leurs
lois que parce que Dieu les mène dans ce sens .
6*paged65et ailleurs quand nous taxons d'erreur cette propo-
sition : a Dieu ne veut pas certaines actions parce qu'elles sont
a bonnes ; mais elles sont bonnes parce que Dieu les veut », c'est
parce que, pour nous, cette proposition signifie que la bonté ou la
maliced'un acte sont toujours déterminées par la volonté positive
de Dieu ; ce que nous ne saurions admettre puisque nous concevons
des lois moTsàes né cessai reSf et que nous les concevons commodes
lois, sans avoir besoin de consulter la volonté positive de Dieu. Ces
lois. Dieu les veut nécessairement, et il les veut parce qu'il est bon
qu'il les veuille.
INTRODUCTIOIV
L'homme , créé pal* Dieu , puiir êti'c le roi de la Création, a rt^cu
de son Auteur les moyens d'arriver à la connai«sance do ce qui Ten-
toure, de se connaître lui-même, et de s'élever à la connaissance de
celui qui est par essence, et qui donne l'être û tout ce qui existe
en dehors de lui. C'est cette connaissance qui met Thomme au des-
sus des autres créatures et lui permet de s'en servir pour se diriger
librement vers sa fin: la connaissance du vrai, l'amour du beau, la
pi*atique du bien.
Mais l'homme ne naît pas dans cet état de perfection ; au con-
traire : il entre dans la vie ne connaissant rien de ce qu'il va y ren-
contrer, ne se connaissant pas lui-même; il est dans la plus com-
plète ignorance ; mais les objets qui frappent ses sens font éprouver
k son Ame des sensations diverses qui sollicitent son activité; il
réagit spontanément contre ces impressions et dès lors il se sent
vivre.
11 apprend ainsi à distinguer ses différentes impressions; il re-
cherehe les unes et s'éloigne des autres. Bientôt il distingue les
objets qui sont la cause de ces impressions, et, son imagination le«
reproduisant devant son esprit, il sait les rechereher quand ils sont
absents. Il pense, il connaît, il juge, il aime ou déteste les différents
objets connus de ses sensations et de ses sentiments, et Tattrait du
plaisir autant que les besoins de la vie le pousse vers Tétude. Il
veut connaître les objets pour en jouir; il acquiert la science de ce
tiui se passe autour de lui et de ce qu'il peut faire lui-même, et, ne
2 IN TRODlflTION
pouvant par lui-nuuue tout étudier, il demande aux aiiti'os liDinines
la communication de ce qu'ils savent.
Voilà la raison et le mobile de Télude.
Mais si la connaissance des objets (|ui lui sont inférieurs inté-
resse r homme à un si haut degré, doit-il rester indift'éreut à la con-
naissance de lui-même? S'il titiuve tant de sujets d'admiï*ation dans
des phénomènes passagers, qui se produisent sons ses veux, ou sans
lui, ou par lui, combien doit lui pamître idus admirable celui qui a
créé toutes ces choses, et qui Ta ci-éé lui-même? Car qulpourmii ù
la vue d'une œuviv aussi merveilleuse ne passe dire: Si lesœuvivs
sont si belles, quelle doit étixî rintelligen(e, quelle doit être la puis-
sance de l'ouvrier? Aussi, l'homme qui admire les harmonies inef-
fables des êtres de la nature, qui ne le connaissent pas, veut se con-
naître lui-même, qui les connaît; il veut surtout en connaître l'Au-
teur* Et ce désir entraîne l'homme vei's la plus sublime de toutes
les sciences, vers la philosophie.
Mais au seuil même de cette étude, un obstacle l'arrête.
Qaand il a voulu coiuiaître les cor[)s, il n'a eu qu'à les observer
attentivement, car ses sens ks lui manifestaient ; mais comment
fera-t-il pour étudier en lui-même ce queh^ue chose d'insaisissable
qui dit : moi ; son àme qui ne se voit ni ne se touche? Comment
fera-t-il pour étudier le Créateur dont il voit bien les œuvres,
mais qu'il no voit pas lui-même.
C'est cette condition de Thomm.^, vis-à-vis des études philoso-
phiques, qui jeta dans l'erreur les premiers philosophes. Thaïes,
Pythagore, et leurs disciples. Ne voyant pas la cause de l'Uni vei*s
et ne sachant comment la découvrir, ils la supposèrent et s'égai'ê-
rent pendant deux siècles dans des hypothèses conti'adictoires.
Leur insuccès rendit plus circonspects ceux qui vinrent après
eux. Socrate se contenta de ramener la philosophie à Tétude de
rhomme« Ses disciples, Platon, Aristote, Epicure et Zenon, quoi-
que prenant des routes opposées , comprirent que la philosophie a
besoin d'une méthode et ils essayèrent de tracer les lois de la con-
naissance en général. Aristote l'éussit mieux que les autres dans
cette voie, et sa'logique, quoique incomplète, est restée, non pas inat-
taquée, mais inattaquable.
Toutefois, dans l'application, on s« trompa encore bien des fois,
INTRODUCTION îi
dans les siècles suivant», et bien des fois encore l'instniment de la
philosopliie fut remis on cause.
Quant à nous, éclairifs par les efforts et même par les en^eurs de
ceux qui nous ont piH>cédés dans la voie que nous entreprenons de
parcourir, nous distinguei-ons plus facilement les vrais sentiers.
Aussi, avant d*aborder la science des esprits, nous allons jeter un
i*i4>ide coup d'œil sur la science on p:énéi*al ; nous la prendrons k
son germe ; nous la verrous se développer et s'étendre ù tous ksi
objets qu'elle peut atteindre. Nous pourrons ainsi en examiner les
bases et, quand nous en aurons reconnu la solidité, nous pourt*ons
avancer avec une sécurité pax*faite.
Ce travail nous permettra de nous faire une idée exacte de la
phiiosopliie, car nous verrons la place qu'elle o^^cuiie parmi Ioîj
.sciences.
De ridée nette et précise de la philosophie , nous tirerons la
division la plus nalui'elle de cotte science et le plan de notre
ouvraire.
1. DR LA SCIENCE EN GÉNÉRAL
1. Idée première de la science. — La Science selon la pre-
mière idée que ce mot offre h notre esprit, est le dernier dévelop-
pement de ce que nous appelons en général la connaissQnce.
2. Connaiseaiiee. — Toutes les fois que nous sommes infor-
més d*un objet quelconque, de ses qualités, ou simplement de son
existence, nous disons que nous connaissons cet ol^et, ses qualités
ou son existence.
'S. ConnaissMuee actuelle. — Tant que dure Tinformation
d'un objet, la connaissance est actuelle.
Mais quand cette information a cessé, il nous reste souvent Le
pouvoir de le faire reveu|i% et dans ce cas, lors même que nous ne
pensons pas à cet objet, on peut dire encore que nous le connaissons :
e^est la connaissance habituelle.
4 INlRODUCnO.N
4. Connaiftsanee habituelle. — La connaisisanee esi liabi-
tiU3lle, môme au moment où nous ne pensons pas & un objet, quand
nous avons le pouvoir de nous en informer, sans le secours de
l'objet.
C*est là le sens le plus ordinaire du mot connaissance.
5. Coanaissaiice proprement dite. — On appelle propre-
ment connaissance une disposition (ou habitude) par laquelle nous
pouvons de nous -mêmes nous informer d'un objet sans qu'il soit
présent.
Ex.: Patd confiait la géométne. Je ne dis pas par là qu'il
y pense, mais qu'il peut de lui môme y penser.
0. Objets de la connaissance. — Tout ce qui est et tout ce
qui peut être est l'objet de la connaissance. Mais :
7. Objets divers.— Nous ne connaissons directement que
ce qui se manifeste à nous, et même que les manifestations elles-
mêmes.
Nous voyons : rouge, noir, blanc, etc.; grand, petit, long,
carré, etc. ; mobile, immobile, etc. ; nous touchons : dur, mou,
solide, liquide, chaud, froid, grand, petit, etc. Ce sont là des
' manifestations.
8. Phénomènes. — On appelle phétiornênes toutes les mani-
festations des êtres. Les phénomènes sont les seuls objets dii'ects?
de notice connaissance.
9. Objets indirects.— Tandis que nous ne i)ercevons que des
phénomènes, notre esprit se porte de lui-même et nécessairement
sur les êtres que ces phénomènes nous manifestent.
Quand nous voyons roxK^ge, noir ou blanc nous pensons aussitôt
à quelque chose de roug'e, quelque chose de noir, quelque chose de
blanc.
Ce quelque chose c'est Tétine manifesté par les phénomènes.
10. Substance. — On donne le nom de substance à l'être qui
nous est manifesté par les phénomènes.
Elle est l'objet indirect de notre connaissance , c'est à elle que
nous attribuons tous les phénomènes.
Nouft disons : c'est blanc, c'est dur-, c'est mou, c'est chaud, ew.
INTRODUCTION O
Le pronom ce signifie cet être ou cette substance,
11. Rapports. — En réfléchissant aux objets que nous connais*
sons nous comprenons bientôt , que si tel objet se monti^ à nous
rouge, tandis qu*un autre se montre blanc, il j a là deux actions
différentes de ces objets sur nous, et par suite deux rapports diffé-
rents avec nous. Nous disons alors que les substances qui se mon-
trent à nous avec des phénomènes différents sont avec nous dans
des rapports différents.
12. Propriétés. — Mais si les substances 'sont avec nous dans
des rapports différents, tandis que nous ne changeons pas, c'est
qu'elles différent entre elles ; si elles agissent différemment sur
nous, c'est qu'elles peuvent agir ainsi, c'est qu'elles ont des pro-
priétés différentes.
Dès loi*s nous concevons dans les substances ces propriétés qui
diffèrent entre elles comme leurs phénomènes. '
13. Résumé. — Ainsi les substances ont de^ propriétés diffé-
rentes qui les mettent avec nous dans des rapport* différents, ce qui
fait qu'elles agissent sur nous diveraement, et ces actions diver-
ses sur nous sont des phénomènes différents qui nous les font cwz-
n^tre et distinguer. *
Donc le premier degré de la connaissance est la perception d'un
phénomène.
Le second degi*é qui accompagne nécessairement pour nous le
premier, c'est la conception de l'être ou substance que ce phénomè-
ne nous manifeste.
Le troisième degré est la conception des propiîétés diverses des
substances, comme cause de leurs différents rapports avec nous, et
par suite la distinction des différents êtres.
— Arrivés à ce point nous pouvons conclui'e que les phénomènes
des substances sont différents, que leurs propriétés sont différentes.
Mais rien ne nous dit si les substances diffèrent en elles-mêmes.
14. Connaissance certaine ou incertaine. — La connais-
.sance d'un objet est certaine quand nous savons que l'objet ne peut
Otre auti-ement que nous ne le connaisson??. Quand cotte condition
manque, la connaT?isnnf*e est inceHnine.
0 INTRODUCTION
S*il s'agissait seulement de la connaissance actuelle, cette condi-
tion serait facile à idéaliser, car l'objet qui est tel actuellement, ne
peut pas en même temps ôtre autœment.
Mais la connaissance étant surtout la connais.<aurv habituelle,
elle ne peut (*ti«e cei-taine que loi-sque Tobjot en est invanable.
En effet, je ne puis pas d'ivc que je connais connue i-ougo, un objet
qui. peut Hve rouge aujouiHl*hui et blanc demain.
15. Objets de la conaaissance certaine. — i^a connaisi>aQcc
certaine ne peut.iK)i'ter_(iue sur des objets invariables.
Or, les phêiiouif^nes des (Hres ne sont pas toujoui's les mêmes ;
leurs propriétés varient donc avec eux ; leurs rapports avec nous
et entre eux ne sont donc pas toiyoui-s les mêmes.
Quel peut donc être l'objet de la connaissance certaine.
10. Lois. — Si les phénomènes des êtres varient avecleui^ pro-
priétés et leurs i'ap[K)i'ts mutuels, il v a quebiuc chose qui ne chan-
ge pas.
Ce qui ne change pas c'est la règle de la pi\xlnction des phéno-
mènes.
La règle des phénomènes consiste en ce que, les mêmes pi'oprié-
tés ne |>euvent produii^; que le même phénomène, et ivci pleine-
ment que le même phénomène est toujours pi-oduit par les mêmes
propriétés.
Cette règle des phénomènes constitue une loi univei'selle, qui
se siilnlivise en autant de lois parficulièivs qu'il v a de cninbinai-
stons possibles entre toutes les difïéiientes propriétés.
Et ces lois paiiiculièros sont aussi invariables (jue la loi univer-
selle.
Ainsi, tandis que la loi univei'selle dit : fe ytiême concours de
propriétés ne 'jïeut produire que le me tue phénomène; une loi
pai*ticulièi« dit: tel concours de propriétés ne peut produire que
tel phénomène.
IjCS lois sont donc Tohtjet de la connaissance certaine.
17. Science. — Nous avons dit que la science est le dernier d'-^
veloppement de la connaissance. La connaissance certaine est plus
parfaite que la connaissance inceHaine. D'ailleurs, les lois des
êtres sont ce que nous pouvons connaître de plus profond dans les
I
INTRODUCTION 7
êtres: car la substance nous échappe. Donc:
La Science est la connaissance des lois des êti'es.
Toutefois, il y a deux maniôi'es de connaître les lois des ôtres.
V parle t^^moignage d'uu auti*oqui lésa étudiées et décourertes,
et qui se contente de les affirmer.
2" par sa propre recherche et en se rendant compte de la l'aison
j>our laquelle on affirme telle loi.
La première manière n'est pas précisément la science; si elle est
unie h une disposition pi'atique on l'appelle un art.
La seconde est plus parfaite : c'est donc à elle que convient le
nom de science.
Donc :
L\ SCIENCK K^T LA CONNAISSANCK RAISONNÊK DKS LOIS DES
tTREîS.
2. DIVISION DE LA SClEiNCK
18. Etendue de la science. — La Science en général s'étend
â tout ce qui est et k tout ce qui peut être ; aux lois des phénomè-
nes et m-^me aux substances des choses. Mais cette science univei*^
îfelle n'appartient qu'à Dieu.
11). Science divine. — Dieu,' tel que nous le montre la philo-
sophie, d'acroiYl avec la foi catholique, connaît tout, même la
substance doit, choses, et cela de la science la plus certaine. Il y a
plus: sa science est la loi même des êtres; elle détermine leurs lois,
tandis que ce sont les lois qui déterminent notre science.
20. Science humaine. — La science humaine est nét^essaire-
#iient três-ljornée : elle ne s'étendra jamais î\ la série indéfinie de
toutes les lois passibles de tous les êtres possibles ; elle n'atteindra,
jamais la substance réelle des choses.
La science humaine no consiste jamais dans la vue directe des
(îhoses, mais dans une simple conception de ce qu'elles sont. Nous
savons ^jrtre telle chose est ainsi ; que telle loi régit tel phénomène ;
qué* nous existons ; que Dieu existe et qu'il est tout-puissant,
8 INTRODUCTION
éternel , immuable , infini ; mais nous ne pouvons voir la choëe
en elle-même dans sa substance, ni uoti'e ôti*e propice, ni Yéire
de Dieu.
En deux mots : notre science est abstraite y celle de Dieu est
concrète ; ce qui veut dire que nous concevons les manières d'éti-e
des choses avec leurs lois , tandis que Dieu |)énôtre dans le pl'u.s
intime de Tétre des choses.
Cette distinction entre la science divine et lu science humaine
en amène une autre.
21. Science naturelle à rhonune. — Lu science humaino
telle que nous venons de la décrire est conforme à notre nature, et
notre nature s'oppose à ce que, par nos prepres forces nous nous
élevions plus haut.
Mais puisque nous passons en revue toutes les sciences , nous ne
pouvons omettre une science qui d'après la doctrine catholique est
donnée à Thomme par Dieu.
Sans entrer dans l'examen de l'existenco de cette science, ce qui
n'est pas du domaine dii'ect de la philosoj^hio, constatons que l'E-
glise catholique enseigne que Dieu communique à l'homme sa pre-
pre science.
22. Science surnatureUe. — La science di\ ine communiquée
a rhommc pi^r le moyen que l'Eglise catholique appelle la Foi est
une science surnaturelle ; ce qui veut dire qu'elle est au-<Iess»s d*'
la science possible d'une créature quelconque.
23. Théologie.— La Foi ou science surnaturelle unie à laplii-
losophie qui eu tire des conclusions, a formé la Théologie, laquelle
n*est par conséquent pas iine science humaine, mais une science
divine dans son principe et humaine dans ses développements. Elle
est donc au-dessus de toutes les sciences humaines, autant que la
science de Dieu surpasse la science des hommes.
24. Possibilité de la science surnaturelle. — S'il ne nous
appartient pas de constater ici l'existence de la science surnaturelle
dans l'homme^ constatons au moins qu'elle ne répugne pas il la
raison: ^ar rien n'empêche que r>ie?i instruise l'homme quand et
INTRODUCTION 9
comme il lui plait. 11 peut donc Tavoir instruit de quelque chose
qui surpasse la science naturelle à Thomme.
25. Influence de la sciencb surnaturelle sur la science
naturelle.. — Le philosophe de bonne foi, qui étudie Thistoii^e
de la pensée et de la science dans les âges qui nous ont précédés,
est obligé de reconnaître un fait incontesta»ble : c'est que la vraie
science humaine n*a commencé à produire ses fruits dans le genre
humatH que depuis rétablissement du Christianisme, et que Ton
ne peut attribuer qu'à l'influence de la foi et de la théologie, la
ûxité d'un certain nombre d^ doctrines philosophiques, qui sont
aiyourd'hui regardées comme certaines par tous les philosophes de
bon aloi. Avant la diffusion des doctrines catholiques, les hommes
les plus illustres , les plus profonds penseurs , ont pei'pétuellement
flotté entre Taffirmation et la négation des vérités qui nous parais-
sent aigourd'hui les plus incontestables.
:]. CLASSIFICATION DES SCIENCES HUMAINES
26. Objet des sciences humaines. — Les sciences humai-
nes ont pour objet les lois des êtres, et par suite tous les êtres.
On peut donc classer les sciences selon les différentes classes
d'êtres, et selon les diverses lois que la science y considère.
27. Corps et esprits. — Les éivcU que nous connaissons se
rangent dans deux grandes classes : les corps et les esprits.
Nous appelons corps les êtres qui ont une étendue, et par s^ite
occupent un espace.
Nous appelons esprits les êtres qui, n'ayant pas d'étendue, sont
capables de penser.
28. Science des corps et science des esprits. — La première
division à établir dans les sciences est donc : Sciences des corps
et sciences des esprits. On a doiyié aux premières le nom de science?
rosmolo^iques, et aux secondes le nom de sciences nooîogiques.
10 INTRODUCTION
29. BubdivisioB des sciences eosmologiqoes, ou sciences
des corps. — lies sciences qui ont pour objet les coq)» se divi.«ent
en quatre classes.
t^. Sciences mathématiques. — l** Les sciences mathémati-
ques ont pour objet les propriétés communes à tous les corps, telles
que l'étendue, le nombre et le mouvement, mais elles considèrent
ces propriétés d'une manière abstraite, c'est-fl-dire, en dehors de
tout corps quelconque.
.*n. Sciences naturelles. — 2*' Les sciences naturelles ont
pour objet la constitution natuiH3lle des corps, et les distinctions qui
en résultent.
.*^3. Sciences physiques. — 3^ Les sciences physiques* ont pour
objet les modifications des corps.
.'^'i. Sciences médicales. — 4^ Les sciences médicales ont })our
objet les peilurbation^ qui peuvent survenir dans Torganisat ion des
corps que Ton appelle org^anisés, et les moyens de remédier à ces
pei'turbations.
34. Subdivision des quatre classes. — Clhacune de ces
quatre classes comprend plusieurs oi^dres de sciences que nous dé-
taillerons plus loin clans un tableau synoptique.
35. Division des sciences noologiques ou sciences des
esprits. — Les sciences noologiques sont d*aIjord générales ou
spéciales selon qu'elles s'occupent de tous les esprits et de leurs rap-
ports essentiels, ou seulement de certains rapports entre les hommes.
«¥>. Sciences noologiques générales. — Les sciences qui
ont pour objet tous les esprits et leurs rapports essentiels sont com-
prises sous le nom de Philosophie.
37. Sciences noologiques spéciales. — Les sciences qui
ont pour objet certains rapports entre les' Ames humaines forment
treis classes.
38. Sciences dialegmatiques — 1° Les sciences dialegma-
tiques, qui ont pour objet les moyens de communication entre les
Âmes humaines.
INTRODUCTION 11
30. Sciences historiques. — 2^ Les soiencos historirjncs, qui
ont pour objet les faits moi*aux les plus importants qui se sont pro-
duits parmi les hommes.
40. Sciences sociales. — ti^ Les sciences sociales, <|iii ont
pour ol)j«t les relations sociales des hommes.
41. Subdivision des sciences noologiques. — Nous in-
diquei^ons les su Ixii vissions de ces quatre elasFcs de sciences dans le
tableau synoptique qui suit.
x
TABLEAU SYNOPTIQUE DE L
MATIlÉMATIQfES, qui ont ))our ob}
I l'ahstraclion des propriélés a
1 tous les corps.
lN'ATUnE[,LES, qui ool pour objet la coa
( CosmologiqiMS , tilution naturelle des corps
I (jui ont pourob-/
jet les lois ilcs\
'^«'■P»- PHYSIQUES, qui ont pour objet les n
llcalions t'es corps.
\\
e
I MÉDICALES, qui ont pour objet les pi
lurbalions dos corps organisés. Eli
étudient :
i ont pour objet tous les esprits et lei
rapports csscnliels
UIALEGM.^TIQUES, qui ont pour oli
les moyens de communication entre
flmes humaines.
ImSTORlQl/ES, qui ont pour objet
faite moraux les plus importants qui
sont produits parmi les hommes.
jelc
lams rap- \
ports en-
tre les
Ames hu-l
malnes. f SOCIALES, qui ont pour objet les re-
lions sociales des homnu's.
UsStFtCATION DES SCIENCES HUMAINES
r
^ nombre Arithmétique et Algèbre.
Rendue Géométrie.
imouvement Mécaniq%u.
m trois appliqués dans TUni-
; '^'^ Astrofiomie.
IDrps inorganiques Minéralogie, Géologie et Géogra-
phie physique.
j végétaux Botanique.
organisés |
I animaux Zoologie.
ne changent pas la nature
«*^ *^orps Physique.
changent la nature des
forps Chimie.
propriétés médicales des
«^«'ps Physique médicale.
conservation de la santé fiygihne.
causes et les distinctions des
maladies Nosologie.
traitement des maladies Médecine pratiqua.
PHILOSOPHIE.
festation des pen- 1 correcte . Grammaire
•ées \ élé -jante. Littérature et Rhétorique.
festation des sentiments... Esthétique.
mission des connaissances. Pédagogie.
faits eax-mômes Histoire.
temps .'. Chronologie.
lieux des faits Géographie politique.
ons entre les membres
d*ane même société. . . : Législation.
ÉBiinistration des biens pu-
f blics Economie politique.
Hense de la société Science militaire,
étions entre les divers peu-
ples et théorie du pouvoir, . . Politique.
\ j«
14 INTRODITTION
Nous n'avons pas fait entrer dans ce tableau la Théologie, parce
que ce n'est pas une science pui'ement humaine, mais une science
tout ù la fois divine et humaine. Ce qui justifie à son ôjrard cette
parole que le moyen Age a prononcée et que les modernes ontsiamô-
l'ement blAmc^e : PhilosojMa ancilla Iheologiœ, Rien n'est plus
vrai; car la philosophie, qui, comme nous le verrons bientét, est la
plus sublime des sciences humaines, ouvre la porte à la théologie et
lui fournit sans cesse ses matériaux pour tii'erdes principes de la
foi, les conclusions <|ui constituent la théologie.
On nous pormetlra d'ohsorver ici , au sujet dps sciences en général,
(|uc cortaincs idées qu'eUes supposent n'ont pas reçu de nom , ce qui
mot souvent dans l'pnd)arras quand on veut en parler.
l'ar exemple ce qu'on appelle la géométrie , n'est pas pi-écisement la
frience de l'étendue, mais plutùt un ensend>lc de lofs que l'on connaît
(|uand on connaît la géométrie, quand on a la science de la géométrie.
l'iH eftet on étudie la géométrie, on n'étudie pas la science de l'éten-
due ; mais on étudie la géométrie pour arriver à pos.séder la science
fie l'étendue.
iJonc i)our éti-e pr^îci.s et logique on ne devrait pas détinir la géomé-
trie, /a ."iricvicc de retendue, ni l'arithmétique, 7a ^c/e/ice des nom-
bres , etc ; on devrait remplacer le mot science par l'Idée de en^emUe
(leA loi». Mais c'est trop long : c'est pour cela qu'on ne le fait pas.
Nous proposons donc d'appeler nom te cet ensemble de lois qui fait l'ob-
jet de toute Fcience, et que les latins appelaient ratio : mot que la
langue française ne peut pas traduire. Noua aurions ainsi la nomie de
rétendue, la nomie des nombi'es, la nomie des mots, la nomie des sons, etc.
On appellerait ensuite logie, la connaissance raisonnée d'une nomie qiiel-
conque, et pi'a.r/e la connaissance non raisonnée mais pratique de celte
mAme nomie. Nous aurions «ilors en peu de mots, par exemple :
La mu.sique est la nomie des sons.
La science musicale est la lo^ie des sons.
L'art musical est la praxie des «ions.
On dirait de même pour tous les arts et pour toutes les sciences.
PHILOSOPHIE CLASSIQUE
GÉNÉRALITÉS
I. — OBJET DE LA PHILOSOPHIE
J. •D'après la classification qui précède, la philosophie a pour
objet les lois de tous les esprits.
Mais l'objet de cette science n'a pas toiyoure été le même.
2. Temps primitifii de cette science. — Les premiei*s hom-
mes qui se sont occupés des questions que ti^aite aujourd'hui la
philosophie s'appelèrent otxpot. sages, et le but de leurs recherche^
ét^iit, selon eux, la science universelle qu'ils appelaient o-oçia, sa-
gesse.
Pythagore fut, dit-on, le premier qui se mettant à la poursuite <'e
cette science universelle se contenta de s'appeler ©iAo<JO'fo;, phi-
losophe, c'est-à-dire, amateur de la sagesse.
3. Temps de Socrate. — Socratc, avec son grand principe
v*/â>6i o-sauTOv, connais-toi toi-même, réduisit presque la philoso-
phie ih ce que nous appelons aujourd'hui la morale.
* 4. Les disciples de Socrate. — Ses disciples, sans négliger
la pai*tie morale, s'adonnèrent davantage aux questions théoriques.
Platon, Aristote, Epicure et Zenon, faisaient entrer dans la philo-
sophie, une théorie delà connaissance, une théorie du monde, une
16. CE.NKHALITKS
théorie de Dieu , une théorie de ÏAme humaine. C'était , d*uue ma-
niôre générale, ]a science universelle, et ils appelaient la philosophie
la science des principes, ou des causes, ou des idées, c'est-ft-dire des
essences des choses.
5. Rome et le moyen âge. — Pendant la République romaine
et TËmpii'e et au moyen Age, la philosophie eut toujours le
môme objet qu'au temps de Platon et d'Aristote; on y faisait entrer
une certaine connaissance générale du monde physique : c'était tou-
jours la science des principes. La philosophie n'était autre chose
que la science en général.
6. Temps modernes. — Depuis Bacon et Descartes, les sciences
physiques ayant pris u-n plus grand essor, on les sépara de la phi-
losophie et, h mesure que chaque science pi'cnait son objet déter-
miné, la philosophie fut restreinte à l'étude des esprits.
7. Objet précis de le philosophie moderne. — Mais lu
philosophie étant une science purement humaine, qui ne s'appuie
pas comme la théologie sur la révélation, ne connaît que deux soi^
tes d'esprits: l'âme humaine et Dieu.
La philosophie a donc pour objet Vdme et Dieu , tels qiCih nou^
sont connus par nos ressotirces naturelles ; ce qui la distingue de
la théologie , qui étudie l'Ame et Dieu , d'api*ôs les données de la rêvé*
lation divine , et ajoute h cet objet l'étude des anges que nous ne
connaissons que par la révélation.
Cependant la philosophie n*a pas entièrement abandonné l'étude
des principes des choses, car ce n'est quepareux qu'elle peut attein-
dre son objet propre. C'est ainsi que la philosophie étend encore son
domaine sur toutes les sciences, dont elle examine les bases, discute
les méthodes et prépare le développement en guidant l'esprit humain
dans toutes ses i^echei'ches. Par h\ , elle justifie le titre qu'on lui a
donné de science des sciences.
II.— DÉFINITION DE LA PHILOSOPHIE
8. Fondements de cette définition. — On définit une science
et on la distingue de t^ute autre par la désignation de «on objet .
DKFINITION DK I.A P Hll.OSOlMl IK 17
Ji'objet de la philosophie ayant varié avoc le temps, la définition
(le cette science a dû varier aussi.
9. Définitions diTerses. — Elle a i^eou les définitions sui-
vantes :
Son nom d'abord, ©tXootxpCa, <iui signifie l'echei'clie do la sa-
f^esse : Studium sapieniiœ ;
Twv apyôiv hzLfJTr^^Y-''\ science des principes (Aristotk).
Renim divinar'uni atque humanarum , causarumque quibus
PŒ res continenMir scientia; la science des choses divines et
humaines, et de leurs causes (Cicëron).
Scientia ex primis pnncipiis deducta (Saint-Thomas).
La connaissance de la vérité par les premières causes
(DeScartes).
La raison des choses (Laromiguiëre).
La science de Thomme intellectuel et moral dans ses rapports^ vec
Dieu et avec le monde (Jouffroy).
La science de Dieu , de Thomme et de la société (de Bonald).
La science de la pensée.
La science de la raison.
Toutes ces définitions ressortent de Tobjet que chaque philosophe
avait en vue , et elles sont toutes vraies dans le sens de leur auteur ,
bien que quelques-unes soient trop vagues ou trop vastes et que
d'autres renferment' des termes inutiles.
10. Notre définition. — Pour nous, ayant en vue l'objet de la
philosophie tel que nous Tavods déterminé plus haut et voulant dis-
tinguer cette science de la théologie qui a presque le même objet ,
nous définirons la philosophie : La science naturelle de L'ame
ET de dieu.
Science', c'est-à-dire connaissance raisonnée des lois de tel ou tel
être.
NùturellCj c'estrà-dire acquise par les moyens qui sont du res-
sort de la nature humaine et non par la révélation.
IL Observation comparative sur les divers moyens de
connaitre Tâme et Dieu.— Remarquons à ce sigetque l'homme
a plusieurs moyens d'arriver à la connaissance de son Ame et de
Dieu.
♦2
IS (iKNKKAI.lTKS
1". Le bon wna^ \\}x\ n'est autre que la rai^on saut» étude, est
uno sort(^ de lumière intérieure naturelle ot innée, par laquelle nous
jugeons facilement des vérités qu'il nous impnrtc.de connaître, dès
qu'elles nous sont présentées. Le bon sens est un juge infail ilile sur
les vérités qui sont de son ressort, mais comme il no découvre pas
par lui-même ces vérités, il suppose l'éducation . Par le bon sens,
aidé de l'éducation, tout homme a une reliai ne connaissance do
son âme et de Dieu.
2° La foi à la révélation faite par Dieu aitm genre humain,
et dont V Eglise catholique se déclare la dépositaire, La foi en-
seigne sur J)ieu et sur l'âme toutes les vérités qu'il importe à
l'homme de connaître ; les unes sont du ressort de notre connaissance
naturelle, les autres surpassent tous nos moyens et sont une faible
participation à la science divine. D'ailleurs, non seulement par les
vérités qu'elle enseigne, mais encore par la nature de la connais-
sance qu'elle donne la foi est une connaissance surnaturelle.
3**. La philosophie, qui est la raison réfléchie. Elle se rend
compte des vérités admises par le bon sens et même de quelques
unes des vérités qu'enseigne la foi, et de plus elle découvre des véri-
tés qui ne sont pas explicitement exprimées dans le bon sens, ni
dans la foi. Du l'esté, comme nous l'avons déjà dit, la philosophie
est une connaissance naturelle , abstraite , et entièrement différente
de la foi, môme quand elle s'exerce sur les mômes vérités.
4'». La théologie, qui n'est autre chose que l'union de la foi et de
la philosophie s'exerçant ensemble sur le môme objet. Elle emprunta
à la foi toutes les vérités enseignées par la révélation, et , au moven
des vérités conquises par la philosophie, elle arrive par le raisonne-
ment à une connaissance de Dieu et de l'âme que la philosophie
seule ne pourrait jamais atteindre, et que la foi seule n'enseigne pas
d'une manière explicite.
Le bon sens est pour tous les hommes ; la foi seule est pour les
chrétiens qui ne peuvent se livrer à l'étude ; la philosophie est
pour tous les hommes qui peuvent étudier ; la théologie est le pri-
vilège des chrétiens intelligents et instruits.
'
10
ni.— UTILITÉ, IMPORTANCE, NÉCESSITÉ DE LA
PHILOSOPHIE
12. Emploi d«8 mots m utile , important, néeessaire ». —
Les mots vtile et important ne se disent que des instruments
ou moyens d'acquérir un bien, ou d'arriver à notre fin.
Le mot nécessaire se dit de la fin aussi bien que des moyens de
Tatteindre.
13. Sens du mot a utile ». — Un moyen est simplement utile
quand il nous conduit à notre fin, et que nous pourrions faeilement
atteindre cette fin par d'autres moyens.
14. Sens du mot a important »• — - Un moyen est important
quand il sert à atteindre la fin, et que Ton courrait risque de ne pas
ratteindre sans ce moyen.
15. Sens du mot « nécessaire ».— Un moyen est nécessaire
quand il est indispensable pour atteindre la fin.
16. Fin de l'homme et de la société. — Régler sagement
sa conduite , vivre en homme , développer ses facultés et atteindre
autant que possible son dernier développement, sa perfection et
son bonheur, c'est la fin de Thomme ici-bas et de la société.
17. Moyen d'atteindre cette fin. — Or, pour régler sage-
ment leur conduite, pour se perfectionner et arriver au bonheur,
les hommes et les sociétés ont besoin d'une certaine connaissance de
Dieu et de l'âme.
18. Utilité de la philosophie pour tous les hommes • —
Pour le plus grand nombre des hommes, c'est assez de cette con-
naissance élémentaire et générale qu'ils trouvent dans le bon sens,
ou qu'ils puisent dans la foi. Une connaissance plus profonde semit
un bien, mais ils peuvent s'en passer sans dommage. La philosophie
leur est donc simplement utile.
19. Importance de la philosophie pour les hommes-
instruits d'ailleurs. — - Les hommes versés dans les sciences du
monde corporel, ont besoin,^ pour équilibrer leurs faattltés, d*avoir
.sur Dieu et sur l'âuie une eonuaissance distiucte et i-aisouuée sau^'
laquelle ils courraient risque de s'égai-er. Pour eux donc la philo-
phie est importante.
C'est faute d'être sufilsamment versés dans la philosophie, que bieu
des hommes éminents et qui ont un grand nom dans les sciences, ont
donn6 et donnent encore le scandale du nxatérialisme le plus grossier, et
veulent expliquer l'homme sans Ame cl le monde sans Dieu. Nous ne
citerons aucun nom, parce que nous ne faisons pas ici de l'histoire. Fie-
trissonsles doctrines, sans blesser les personnes.
20. Nécessité de la philosophie pour la société. — Enfin
la société a Ijesoin que ceux qui la dirigent ou lui impriment par
leurs travaux une certaine direction , possèdent une connaissance
profonde do la nature de l'homme et de tous ses devoirs. Donc,
pour la société, la philosophie est nécessaire.
21. Résumé. — Ainsi, la philosophie, utile à tous les hommes
est importante pour plusieui^ et nécessaire à la société.
22. L'importance de la philosophie ressort en outre de ses ap-
ports avec les autres sciences.
lY. — RAPPORTS DE LA PHILOSOPHIE AVEC LES
AUTRES SCIENCES
1'. RAPPORTS GÉNÉRAUX
23. Supériorité de U philosophie. — La philosophie est
supérieui'e A toutes les autres sciences par son objet ; car Dieu et
Tâme humaine sont au-dessus de tous les autres objets que Ion peut
connaître.
24. Domaine universel de la philosophie. — La science
on général est un. fait de V&me ; c'est donc à la science de Tâme
qu'il appartient de rendre raison de la science en général.
Aussi la philosophie étudie la nature et les sources de la science ,
elle vérifie ainsi les bases sur lesquelles reposent toutes les sciences ;
RAPPORTS âVBC les AUTRES SCIENCES 21
discute les méthodes qui leur conviennent et par là en assure lef;
progrès. Si bien que les considérations que Ton fait sur les prin-
cipes , la méthode et les rapports de chacune des sciences s'appellent
la philosophie de cette science. C'est dans ce sens que Ton a écrit
ou essayé d'écrire la philosophie des arts, la philosophie des lan-
gues, etc.
Si maintenant nous passons en revue le tableau des sciences, nous
verrons ce que fait la philosophie pour chacune d'elles.
2^ RAPPORTS SPÉCIAUX
25. Rapport de la philosophie avec les sciences noolo-
giques. — Toutes les sciences noologiques reposent évidemment
sur la philosophie, puisqu'elles ne sont que l'étude de certains faits
de l'âme.
Les sciences dialegmatiques en particulier, la philologie, la gram-
maire, la logique du langage, la littérature, l'esthétique et surtout
la pédagogie, quel secours ne tirent-elles pas de la connaissance de
l'âme et même de la connaissance de Dieu? Elles y puisent des no-
tions sur la nature, la portée intellectuelle et morale et les lois : du
langage, qui doit être l'expression de la pensée; des sentiments ,
lesquels, pour faire l'objet de l'esthétique, doivent être non-seule-
ment conformes à la nature de l'âme, mais encore et surtout aux lois
de la morale, et qui doivent reproduire le beau dont l'idéal le plus
élevé est en Dieu. Et comment diriger la transmission des connais-
sances, sans connaître l'âme qui les transmet et les reçoit, sans con-
naître Dieu, dont il^aut avant tout transmettre la connaissance?
Les sciences historiques , qui consistent à discerner et â juger les
faits importants des hommes; qui en étudient les causes et les
résultats : comment pourraient-elles se développer sans une con-
naissance" profonde de l'intelligence et de la liberté de l'homme, des
lois qui régissent sa volonté libre , et de ses rapports avec Dieu.
Les sciences sociales, plus encore que les autres supposent une
connaissance raisonnée de l'homme intellectuel et moral, fonde-
ment de la société.
26. Rapport de la philosophie avec les sciences oos-
molofl^ques. — Les sciences qui s'occupent des corps ont un
22 OENKRALITKS
i*apport moins dii'ect avec la philosophie, mais elles ne laissent pas
que d'avoir besoin de la connaissance de Tâme et de Dieu, non-
seulement pour raisonner leurs principes et déterminer leurs
méthodes, mais encore pour analyser et raisonner quelques-uns de
leurs objets.
Les sciences mathématiques ont fait un pas immense depuis
rintroduction de Tidée de Tinfini, qu'elles ont prise dans la science
de Dieu. Notons en passant que le mathématicien a besoin de ne
pas confondre Tinfini réel qui est Dieu avec TinAni mathématique
qui n'estque Tindéftni.
Les sciences naturelles, surtout la zoologie, gagnent k être étu-
diées dans l'homme, où la vie physique est en mpport avec Tâmo
raisonnable qui l'anime.
Les sciences physiques ne tiixnit nen do la science de Tâme et de
Dieu, pour leur propre développement, mais celui qui s'y livre en
a besoin pour se gainier d'attribuer à la matière ce qui vient do
Dieu ou de l'Âme.
Enfin les sciences médicales seraient incomplètes si celui qui s'y
exerce ne tenait nul compte de la natui'e intellectuelle et morale do
l'homme dont il veut guérir le corps.
27. Résumé. — Ainsi la philosophie est supérieure à toutes
les autres sciences par la noblesse de son objet ; eUe les domine et
les dirige toutes parce qu'elle rend compte de la science en général ;
elle fait mieux connaître les objets des sciences noologiques spé-
ciales ; et enfin, sans avoir une influence aussi directe sur les
sciences cosmologiques, elle en éclaircit quelques objets et tient le
savant en garde contre le matérialisme, fruit oi*dinaire d'une étude
qui ne s'exerce que sur les corps.
V. — METHODE A SUIVRE EN PHILOSOPHIE
2S, De la méthode en généraL — Nous aurons à pai*ler
longuement de la méthode, dans le traité de logique, mais nous
devons ici en donner une idée suffisante pour les considérations qui
vont suivre.
MÉTHODE A SUIVRE EN PHILOSOPHIE 23
On donne le nom de méthode à tout ordre d'opérations que l'on
suit pour atteindre un but. On le dit plus particulièrement de
Tordre des opérations qui servent à créer une science ou à la
transmettre.
La vraie méthode, dans toute science, comme nous le vendons
plus loin, c'est V ordre logique des connaissances. Ce qui signifie
(|uo toutes nos connaissances doivent éti^ acquises selon Tordre des
i^apports qui existent entre notre Intel ligencre et les objets à connai-
i ro.
Malheureusement il n'en est pas toujoui*s ainsi ; et souvent on
jî'est égaré et on s'égare encore, dans les sciences, faute de suivre
cet ordre.
29. De la méthode en philosophie. — Il faut pour étudier
l'Ame et Dieu une méthode , comme il en faut une pour toutes les
autres sciences. Et même , ici , la méthode est d'autant plus néces-
saire que Tobjet de la science est hoi»s de la portée do nos sens et par
suite plus difficile ù observer.
30. méthodes suivies jusqu'à ce jour. — On n'a pas tou-
jours suivi la même méthode dans les études philosophiques. On
\ïeui résumer en quatre toutes celles que Ton a employées.
31. Méthode d'hypothèse. — Les premiers grecs qui ont fait
de la philosophie, se posaient des questions et supposaient une solu-
tion qui leur paraissait expliquer le fait. C'est Thypothôse , qui est
moins une méthode que l'absence de inéthode. •
32. Méthode d'autorité. — Après Soci*ato, Thypothése l'égna
encore bien des fois, mais on y substitua l'autorité du maître. Auroç
ec57i, disaient les disciples de Socrate, de Platon, d'Epicure ou de
Zenon et suiiout d'Aristoto. Magister dixit, disait-on encore sou-
vent au moyen-Age, en parlant de ce dernier.
:i3. Méthode de raison pure ou de déduction.— Les phi-
losophes scolastiques, suivant en cela leur maître Aristote, lii-eut un
usage fréquent de la méthode de raison pure, qui consiste À déduii^e
routes ses doctrines de quelques principes de raison , comme on fa il
encore aiyuurd'hui en mathématiques.
:i4. Méthode d'ohserration et d'induction.— Bacon, Des-
24 GÉNÉRALITÉS
cartes et en dernier lieu Reid , philosophe écossais du 18°^* siècle ,
ont mis en honneur la méthode d'observation et d*induction , qui
consiste à observer les phénomènes d'un objet pour en induire les
lois. La méthode de Reid qui consiste à commencer la philosophie
par Tétude de Tàme et k étudier celle-ci par les phénomènes qui s*y
produisent, est connue sous le nom de méthode psychologique.
35. Scepticisme et mysticisme. — Quelques auteurs font
entrer dans les méthodes philosophiques le scepticisme et le mysti-
cisme. Ce sont là des systèmes plutôt que des méthodes. Le scepti-
cisme qui consiste à n'admettre rien comme certain , ne peut se
donner comme une méthode puisqu'il ne prétend pas mener à la
science mais au doute.
Le mysticisme, qui consiste à rejeter tous les moyens naturels de
connaître pour s'abandonner à l'inspiration, n'est pas plus que l'hy-
pothèse un moyen d'arriver à la science. D'ailleurs, on ne pourrait
jamais le considérer comme une méthode philosophique, puisque en
aucune manière il ne peut conduire à une connaissance raisonnée.
Il n'y a donc que quatre méthodes.
36. Vraie méthode philosophique. — La vraie méthode,
avons-nous dit, c'est l'ordre logique des connaissances. Or, en philo-
sophie le rapport entre l'intelligence et son objet n'est pas toiyoui-s
le môme. La nature de l'Ame, qui ne se voit pas, ne peut être connue
que par induction de ses facultés'; les facultés s'induisent elles-mê-
mes des phénomènes de l'âme qui ne sont connus que par l'observa-
tion. En logique , le fait de la certitude est aussi du domaine do
l'observation, mais les rapports abstraits des idées , des jugements
et des raisonnements , ainsi que les théories de la métaphysique ,
sont du domaine de la raison.
Enfin le vrai philosophe accepte comme une preuve de vérité et
un motif de certitude le consentement unanime du genre humain sur
un fait important.
Donc, la vraie méthode philosophique n'est pas exclusive. Elle
emploie selon les vérités qu'elle veut connaître , l'autorité , la raison
et l'observation ; mais elle rejette toujours l'hypothèse.
Ces treis moyens différents , qui mèneraient à l'erreur ou à une
connaissance de hasard si on les employait séparément , avec exclu-
MÈTHODK A SUIVRE EN PHILOSOPHIE 25
sioii, sont tous les trois valables, quand ils sont logiques, c'est-à-
dire, quand le rapport entre l'objet et notre intelligence exige qu'on
les emploie.
VI. — DIVISION DE LA PHILOSOPHIE
37. Divisions anciennes. — La division de la philosophie a
varié nécessairement comme son objet. Car la division d'une science
n'est que la division de son objet, et de môme qu'on distingue les
différentes sciences par leurs objets, on distingue les différentes
branches d'une môme science par les divisions de son objet.
38. De Thaïes à Socrate. — De Thaïes à Socrate, la philoso-
phie était une sorte de science univeréelle ; mais, de fait, elle ne
s'exerça guère que sur une seule question, l'origine du monde.
Aussi on ne trouve pas, dans les doctrines qui nous restent de cett;e
époque, une division de la philosophie.
39. De Socrate à la fin de l'époque grecque. — Les disci-
ples de Socrate, en faisant de la philosophie la science des principes,
s'occupèrent spécialement des principes de la connaissance de Dieu,
du monde et de l'homme en particulier, et signalèrent ainsi implici-
tement une division de la philosophie. Mais c'est dans les travaux
d' Aristote surtout que l'on peut entrevoir la division de la philoso-
phie à cette époque.
Aristote détermina successivement les principes nécessaires de la
connaissance , auxquels il donna le nom de logique; les principes des
êtres réels , qu'il appela physique^ les principes nécessaires des
êtres abstraits ou la niétaphysiqne ; les principes nécessaires du
bien dans les actes humains ou la morale; les principes nécessaires
de la quantité ou les mathématiques,
•10. Division du moyen âge. —Au moyen Âge , depuis Tépoque
lie saint Thomax d'Aquin , la philosophie est à peu de chose près colle
26 CiKNÉRALlTKîS
d'Aristote. C'est encoi'e la science des principes et on la divise selon
les divisions naturelles de l'être en général. ,
On y voit :
La logique, science do Tétre de raison qui est le vrai.
La physique y science de Yéive réel concret , c'est-à-dire existant.
Elle comprend : la cosmologie , science du monde et V anthropo-
logie, science de Thomme.
La métaphysique, science de l'être abstrait, c'est-à-dire loi que
nous le concevons nécessairement.
Elle comprend : V ontologie , science de Tétre abstrait , en géné-
ral , la thëodicêe , science de Tétre intini , connu par les principes
abstraits , et la cosmologie métaphysique , science du monde , dans
ses principes nécessaires.
La morrt/^ , science de Tétine moral ou du bien.
41. Diyisîon des modernes. — Depuis Descartes la philoso-
phie n'a plus été que la science des esprits ot on la divisait ainsi jus-
qu'à la fin du siècle dei*nier.
Logique, art de penser.
Métaphysique , science des êtres suprasensibles , Dieu et Tàme.
Morale, science du devoir.
42. Dmsion contemporaine. — L'école écossaise fondée par
Thomas Reid, au dix-huitième siècle , lit prévaloir Fétude de la psy-
chologie et la méthode que Ton a appelée psychologique. Dès lors la
logique ne fut plus qu'un complément de la psychologie et la méta-
physique disparut. De là la division adoptée par l'université depuis
1832.
Psychologie , science de l'àme.
Logique , science des lois de la pensée.
Morale , science des lois de la volonté.
Théodicée, science de Dieu.
Quant à nous , voici notre division avec les misons qui nous la
font adopter.
43. Division de notre cours de philosophie.-^ La philoso-
phie est atj^iourd'b"i la science de l'Ame et de Dieu, de là ses deux
DIVISION DE LA PHILOSOPHIE Ti
branches principales .- la psychologie et la théodicée. De plus, pour
compléter Tétude des rapports entre les esprits, la morale , qui est
la science des lois du bien dans les actes libres.
Mais la nature de cette étude exige , pour n'y pas errer, qu on ne
Tentreprenne qu'après s'être rendu compte des lois de Ir science en
général et de toute connaissance, et des lois nécessaires des êtres que
nous trouvons dans notre propra raison , en dehors de toute observa-
tion, et sans lesquelles Tobservation ne conduirait jamais à la
science. Nous plaçons donc en premièi'e ligne et comme fondements
de la philosophie : la logique et la métaphysique.
Enfin , après avoir parcouru toutes les branches de la philosophie
et nous être fait une théorie certaine , nous parcourons les différents
systèmes philosophiques à travers lesquels Thomme a pu s'élever à
la vraie philosophie. C'est l'histoire de la philosophie.
44. Objection et réponse. — On a prétendu depuis quelques
années et contrairement à la pratique de tous les siècles pi-écédents,
que la logique n'est qu'un complément de la psychologie et qu'on ne
doit l'étudier qu'après ; parce que , dit-on , avant d'étudier les lois
d'une faculté de l'âme, il faut étudier les facultés de l'Ame cUes-
mêmes. Nous répondons que la logique n'est pas la science de Tintel^
ligence mais bien la science de la pensée , et que pour étudier les lois
de la pensée il suffit de penser. D'ailleurs > pour étudier la science de
l'âme , il faut faire usage de la logique. — La psychologie est une
science qui no peut être certaine qu'en s'appuyant sur l'observation
et sur une observation bien faite ; elle suppose donc la connaissance
des lois de l'observation qui font partie de la logique. Au contraire ,
la logique et la métaphysique qui l'enferment les principes de toutes
les sciences d'observation , ne supposent elles-mêmes que l'étude de
nos propres conceptions et de leurs rapports nécessaires , choses que
nous trouvons dans notre seule pensée.
Voici donc, sous forme de tableau synoptique, la division que
nous adoptons pour ce cours :
28 GENERALITES
DIVISION OC NOTRE COURS DE PHILOSOPHIE
Généralités, Objet, Définition, Importance, Méthode et Di-
vision de la philosophie.
Logique, science de la vérité de la pensée.
lCétaphy8iq[ae, science des lois nécessaires do l'être,
considéré dans nos conceptions.
Psychologie, science de l'âme.
Théodicée, science naturelle de Dieu.
Morale, science des lois nécessaires du bien dans les
actes humains.
EKstoire de la philosophie, scieneo des développe-
ments successifs des doctrines philosophiques.
LOGIQUE
GÉNÉRALITÉS
I. — OBJET DE LA LOGIQUE
1. Ûrigine dtt mot» — Le mot logique vient du grec Xoyixiv,
formé lui-mâme de Xiyo;, lequel a la môme racine que Xkr^ et
loquor,
" Dire, parler^ penser; discours, raison: voilà le fond d'idées ren-
fermées dans le mot logique.
2. Objet ancien de le logique. — Pour Aristote , la logique
a pour objet le discours intérieur que Thomme se parle à lui-môme ,
et surtout le lien qui en unit les divers éléments.
C'est ce que le moyen âge appelait : ens rattonts dïrectivum ope-
rationum intellecttts. Selon ce point de vue on pourrait, avec plu-
sieurs auteurs modernes , définir la logique : la science des lois de
la pensée.
3. Objet moderne de la logique. — Pour tous les modernes ,
la logique a pour objet les lois de la pensée en tant qu'elle doit être
vraie. C'estrà-dire que la logique étudie et détermine les conditions
auxquelles la pensée est vraie. La logique a donc pour objet propre
les lois de la vérité de la pensée.
C'est dans ce sens que les solitaires de Port-Royal ont défini la lo-
gique, l'art de penser; c'est dans ce sens encore que, depuis près
d'un siècle, on a fait entrer dans la logique la question de la certi-
tude.
:\i) LOfiigi'K
4. Objet de 1« logique selon nous. — Pour nous conformer
au point de vue moderne , qui d'ailleurs nous paraît le plus rationnel,
nous considérerons la logique comme ajant pour objet les lois de la
vérité de la pensée.
Nous devrons donc y étudier les lois de la pensée, non pas en tant
qu'elle est une modification de Tftme , ce qui est du ressort de la psy-
chologie , mais en tant qu'elle est la conception de ce qui est. On
exprime cette idée en disant que* la vérité est l'objet formel de la lo-
gique, tandis que la pensée en est l'objet matériel.
II. — DÉFINITION DE LA LOGIQUE
5. Diverses définitions. — On a déûni la logique de différent
tes manières, non pas selon les différents objets qu'on lui supposait :
car l'objet de cette science n'a presque pas varié ; mais selon le plus
ou moins de sagacité que Ton a su mettre à donner une définition.
Ratio disserendi (Cicéron).
Scientia e7itis rationis directivi operationum intelleetus
(SCOLASTIQUE).
Ai*t de penser (Port-Royal).
Ai*t de bien conduire sa raison dans la connaissance des choses ,
tant pour s'instruire soi-même que pour instruire les autres. (Port-
Royal).
Règles pnur la direction de l'esprit (Descartes).
Règles de l'entendement (Bacon).
Science J.'S lois de la pensée et de l'usage légitime de l'entende-
ment (Kant).
Science des lois de la pensée (Plusieurs contemporains).
Etude des formes abstraites de la pensée et du raisonnement
(Bénard).
6. Notre définition. — Pour nous , considérant que le but que
l'on se propose en logique est de déterminer les conditions auxquelles
une pensée est vraie, nous définirons la logique :
La science de la vérité de la pensée.
7. Remarque. — Observons à ce propos que la pensée a d'autres
lois que celles dont s'oQcupe la logique. Elle a d'abord comme tout
être ses lois métaphysiques , sans lesquelles elle ne serait pas la pen-
sée ; elle a de plus ses lois physiques ou psychologiques , sans les-
quelles elles n'existerait pas; elle a ses lois logiques, sans les-
quelles elle ne serait pas vraie ^nfin , elle a ses lois morales , sans
lesquelles elle ne serait pas bonne. Nous aurons h revenir sur ces
distinctions.
ni. — IMPORTANCE DE LA LOGIQUE
8. Lo^que naturelle. — Tout homme possède une somme de
principes, d'après lesquels il juge de la vérité ou de Terreur d'une
pensée, sans avoir l^esoin de raisonner ni d'apprendre ces principes.
C'est la logique naturelle. Mais ces principes naturels, qui servent
dans les cas simples, sont insuffisants dans les cas complexes, où
l'erreur et la vérité sont moins faciles à discerner.
6. Logique artificielle. — Aussi il est important de compléter
la logique naturelle par une étude raisonnée des conditions aux-
quelles une pensée est vraie. C'est la logique artificielle.
10. Importance de la logique artificielle. — La science de
la logique est donc la seule garantie contre Terreur ; elle est donc
de la plus haute importance, puisque sans elle on court sans cesse
risque de se tromper, et on ne peut jamais être assuré de posséder
la vérité, si ce n*est dans les choses les plus simples.
IV. — DE LA MÉTHODE QUI CONVIENT A LA LOGIQUE
11. But à atteindre. — Ce que Ton veut obtenir par la logique
c'est de savoir distinguer une pensée vmie d'une pensée fausse.
12/ Rapport entre Tàme et ce but — Or, dans certains cas,
TAme voit naturellement et sans effort la vérité ou la fausseté d*une
pensée, et dans d autres elle ne peut voir cette di^^tinotion qu'en se
servant de certaines règles de vcritiî.
13. InafiliCé de la mé&ode d'obserratioii. — Ce n*est pas
par Tobservation de ses pensées que V&me peut induire les lois de la
vérité d'une pensée, puisque ses pensées peuvent être fausses, et
qu'elle n'a, dans certains cas, d'autre moven que ces mômes lois
pour s'assurer de la A'érité de ses i)ensêes. Si donc nous n'avions
que l'observation pour découvrir ces lois comme dans les sciences
physiques, nous resterions toujours dans le doute.
14. Utilité et snffiseiice de la métfiode de raisoii pure.
— Heureusement nous trouvons dans nous-mêmes les lois de la vérité
d'une pensée ;sans quoi la logique serait impossible. C'est d'ailleurs
ce que nous constaterons dans le cours de ce traité. Nous suivrons
donc en logique la méthode de raison pure, seule capable de nous
découvrir les lois selon lesquelles une pensée est certainement vraie.
Cependant, chemin faisant, nous constaterons, par des fait« univer-
sels, que les conditions de la vérité de la pensée se trouvent, en effet,
Idéalisées dans les pensées que nous tenons pour vraies.
V. — DIVISION DE LA LOGIOIE
m
15. DiTisioiis eneienaes. — Depuis Aristote jusqu'à Port-
Rojal, on a à peu près to^jours divisé la logique lûnsi :
1® Des tennes, qui sont les expressions des idées ;
2^ Des propositions, qui sont les expressions des jugements ;
â^ Des arçumeMSy et en particulier du syllogisme^ comme
expression du raisonnement.
16. DivieioB de PoH-&oyal.— Le livre de Port-Rojal, VAri
de penser y divise ainsi la logique :
1^ De l'opération de concevoir, ou des idées, où il est question
des termes ;
2® De l'opération déjuger, où il est question des propositions ;
3^ De Topération de raisonner, où il est question du syllogisme
et de ses diverses espèces :
A^ De l'opération d'ordonner, ou de la méthode.
bIViSlON DK LA LOGIQUE 83
17. Divisions contempor«iiies. — Les philosophes coiitempo-
l'ains ont adopté une multitude de divisions différentes , qui s'écar-
tent assez des précédentes. Tous font entrer dans la logique la ques-
tion de la certitude et celle du langage.
18. Notre division. — Quant à nous , tout eu gardant le point de
vue spécial de la vérité sous lequel nous voulons étudier les lois de la
pensée , nous passerons en revue toutes les relations de la pensée pour
en déterminer toutes les lois.
Or , la pensée est en relation :
1^ Avec elle-même, ou avec d'autres pensées.
2^ Avec celui qui pense , qui en est le siyet.
3^ Avec ce à quoi Ton pense , c'est-à-dire l'objet.
4^ Avec celui h qui on veut la communiquer, que l'on peut appe-
ler le terme.
De là , quatre branches dans la logique :
1*^ Logique abstraite, science de la vérité de la pensée, considé-
rée dans ses rapports avec elle-même et avec les autres pensées , et ,
par conséquent , abstraite ;
2** Logique subjective, science de la vérité de la pensée, dans
ses rapports avec le siyet pensant;
^ 3® Logique objective , science de la vérité de la pensée , dans ses
rapports avec son objet;
4® Logique démonstrative , science de la vérité de la pensée,
dans ses rapports avec celui à qui on la communique.
Telle est la division naturelle qu'une étude attentive découvre
dans la logique. De ces quatre branches, la première était presque
seule traitée dans les logiques anciennes et dans celles du moyen âge;
elle est la plus négligée aujourd'hui ; la deuxième et la troisième
sont traitées sous un seul point de vue par les modernes , dans les
questions sur la certitude ; la quatrième , dont on disait quelque chose
dans les dialectiques anciennes, est entièrement oubliée dans les
traités des auteurs modernes et contemporains.
3
34 LOGiguK
YI. — DE LA VÉRITÉ
19. Objet formel de la logique. •— Nous avons dit plus haut
que l'objet formol de la logique c'est la vérité de la pensée. En effet :
On peut voir, dans la pensée, sa nature comme modification de
Tâme et les conditions de son existence dans l'ûme ; à ce point de
vue la pensée est l'objet de la psychologie.
On peut y voir encore les relations essentielles et nécessaires des
diverses conceptions qui constituent les pensées ; c'est Tobjet de la
métaphysique.
On peut y voir les relatioiis do la pensée avec le bien ou le mal ;
c'est l'objet de la morale.
Enfin on peut y voir les conditions auxquelles une pensée est
vraie ; c'est l'objet de la logique.
C'est pour remplir ce but que la logique étudie : 1** la vérité abs-
traite d'une pensée seule ou d'une pensée par rapport aune autre ;
car une pensée peut être vraie parce qu'une autre est vraie : c'est la
vérité connexe ; 2'' les conditions auxquelles le sujet qui pense est
certain de la vérité de sa pensée ; 3° les conditions auxquelles la
pensée est la conception exacte de l'objet que l'on a en vue ; 4** les
conditions auxquelles la pensée se tmnsmet à un autre avec la
même vérité qu'elle a dans celui qui la transmet.
20. Etude préalable de l'objet formel de la logique. —
Avant donc d'entrer dans les détails des lois logiques de la pensée,
nous ferons une étude préalable de la Vérité, sur laquelle nous devons
avoir sans cesse les yeux fixés dans ce Traité.
21 . De la Térité. — Le mot vrai^ dans son sens premier, s'appli-
que exclusivement à la pensée. Il n'y a que la pensée qui puisse
être vraie ou non. On dit qu'une pensée est- vraie quand elle est la
conception exacte de l'objet que l'on a en vue. On peut donc définir
la vérité : la conformité de la ^pensée avec son objet.
Par extension, cependant, on appelle le vrai l'objet môme de la
pensée, et dans ce sens on dit : La vérité c'est ce qui est. TVrt-
tas est id quod est.
22. Sens plus précis du mot vérité. ^ Mais il est à remar-
DE LA VKRITl^: 35
quer qu'une pensée ne peut ôtre conforme ou non conforme à un
objet qu'à la condition que celui qui pense ait en vue un objet dé-
terminé. Car, sans cette intention du sujet pensant; la pensée est
nécessairement conforme à Tobjet dentelle est la conception, et, dès
lors, elle ne peut être ni vraie ni fausse.
Par exemple si je pense à un immense palais, uniquement cons-
truit en cristal fondu , et que je n'applique cette pensée à aucun
palais déterminé, ma pensée, purement abstraite, ne peut être ni
vraie ni fausse. Mais, si dans cette pensée, j'ai l'intention de con-
cevoir tel palais déterminé, où il y a en effet beaucoup de cristal,
mais qui n'est pas entièrement construit de cette matière, ma pen-
sée est fausse.
Donc la pensée n'est vraie ou fausse que par rapport à son objet
intentionnel, qui en est l'objet logique, et non quant à son objet
essentiel , qu'on pourrait appeler l'objet métaphysique de la pensée.
Cela dit nous pouvons donner la définition exacte de la vérité.
23. Définition précise de la vérité. — La vérité est la
CONFORMITÉ DE LA PENSÉE AVEC SON OBJET INTENTIONNEL.
Donc , pour qu'une pensée puisse être vraie ou fausse , il faut et
il suffît qu'elle ait un objet intentionnel ; mais la pensée purement
Ubstraite, c'est-à-dire, hors de son sujet et de son objet intentionnel,
n'est ni vraie ni fausse:
24. De la fausseté et de Terreur, opposé de la vérité. —
L'opposé de la vérité, c'est la fausseté. Il suffit pour qu'une pensée
soit fausse , qu'elle ne soit pas entièrement conforme à son objet in-
tentionneL Mais il faut autre chose pour qu'il y ait erreur. Si celui
qui pense affirme en lui-même une pensée vraie, il fait un jugement
vrai ; mais s'il affirme une pensée fausse, il fait un jugement faux ;
il est dans l'erreur. Le mensonge est l'affirmation extérieure d'une
pensée que Ton sait être fausse : il n'y a donc pas de mensonge
possible dans le jugement.
25. Observation importante. — La vérité des pensées est
absolue ou relative. Absolue, quand on considère une pensée seule;
relative, en tant qu'une pensée peut ôtre vraie, pour nous, par sa
connexion avec une autre pensée que nous connaissons vraie. Les
logiques anciennes ne s'occupaient que de la vérité relative des
pensées, et oégligeftient la vérité absolue. C'est pour cela et dans ce
sens que l'on dit encore: c'ett faux, mais c'ett logique. Mais les
modernes en 'faisant entrer dans In logique la question de la certi-
tude, et en traitant la méthode comme ils l'ont fait, oat introdait
dans la logique l'étude de la vérité absolue des pensées. Voilà com-
ment la logiqne qni n'était pour les anciens que la science de la
déduction est devenue la science de la vérité de la pensée, de la vé-
rité absolue aussi bien que de la vérité relative.
37
LOGIQUE ABSTRAITE
26, Définition.—- La logique abstraite est la science de la vé»
rite de la pensée dans ses rapports avec elle-môme.
27. — Division. — Nous y étudierons en trois chapitres :
1* La pensée en elle-même ;
2^ L'expression de la pensée , qui est le langage ;
3^ Les relations entre les diverses pensées.
Dans toutes ces parties, comme dans toute la logique, nous
cherchons toujours les lois de la vérité de la pensée.
Chapitre P'
LA PENSÉE EN ELLE-MÊME
28. Subdivision. — Pour bien connaître la pensée en elle-
même, il faut en connaître la nature, les éléments constitutifs et
Tunion de ces éléments. Donc trois articles :
1** Nature de la pensée ;
2^ Ses éléments constitutifs ;
3f* Union de ses éléments.
Article 1"
NATURE DB LA PINSÉB
29. Ce qoe c'est que la pensée.— pn donne le nom général
de pensée à tons les phénomènes de Tâme qui concourent à former
la connaissance. Mais^tandis que la connaissance est habituelle, la
pensée est toujours actuelle.
30. Idée plus précise de la pensée. — Selon Texpression
énergique du langage vulgaire, l'âme qui pense est informée de ce
qui se passe au dedans ou au dehors d'elle. La pensée est donc une
information d^ Tâme. Expression figurée pour dire que, par la
38 LOOIQfE ABSTRAITE
pensée , Tàme prend en quelque sorte la forme de l'objet auquel elle
pense ; ce qu'il ne faut pas entendre d'une manière matérielle et se
figurer Tàme comme une cire molle.
31. Différentes formes de la pensée. — Cette information de
Tâme qui constitue la pensée, se fait de différentes manières, selon
les diverses actions de Tobjet sur Tâme et de l'âme sur sa pensée.
32. Perception. — Quand l'information de Tâme vient de lob-
jet lui-même, réellement existant, la pensée est une 2^C7'ception.
On peut définir la perception : V information donyiée actuelle^
ment à Vâme par un objet réel, La perception est nécessairement
actuelle, ^puisqu'elle n'a lieu que tant que l'objet agit sur Tâme.
33. Conception. — Mais l'àme ne reçoit pas sa pensée tout
entière de l'objet qu'elle perçoit ; elle y ajoute quelque chose qui
vient d'elle-même, et souvent, en dehors de l'action de l'objet ,
l'âme se donne à elle-même une information. Ce qui, dans la pensée,
vient ainsi de l'âme prend le nom de conception , et ce nom dé-
signe aussi l'information même de l'âme, abstraction faite de l'ac-
tion de l'objet. Nous définirons donc la conception : V information
considérée en elle-même
La conception peut être actuelle ou habituelle. Actuelle, dans le
fait même de la pensée ; habituelle , quand oh considère l'âme toute
prête à concevoir tel objet de telle manièi*e.
34. Jugement. — Mais l'âme , ainsi informée d'un objet , soit par
perception , soit par conception , demeure rarement indifférente à sa
pensée. Elle j adhère, elle l'accepte comme une information venue
de la réalité , elle l'affirme ; ou bien elle s'en éloigne , elle la rejette,
elle la nie , comme une information qui ne vient pas de la idéalité.
Cette affirmation ou cette négation, qui n'est que l'affirmation de la
pensée contradictoire, s'appelle jugement. Nous définissons le juge-
ment : V adhésion de Vdme à sa pensée.
Le jugement peut être actuel ou habituel. Il est habituel tant
qu'on est dans la disposition déjuger de la même manière, actuel
au moment ou l'on juge. .
35. Hypothèse. — Quelquefois l'âme n'accepte sa pensée que con-
ditionnellement , pour rechercher les pensées qu'elle devrait aussi
NATURE DE LA PENSÉE 39
accepter, si elle acceptait celle-là. Cet acte de Tàme c'est Thypo-
thôse. L'hypothèse est V adhésion provisoire de l'âme à sa pensée,
36. Conséquences. — Les pensées qui sont tellement liées à une
autre pensée, que Tânie se voit obligée à les admettre, si elle admet
la première , sont des conséquences.
Les conséquences sont des pe^isées auxquelles Vâme adhère fië^
cessaireynent dès quelle a adhéré à leurs j)rincipes. On appelle
principes les pensées qui tme fois admises font admettre leurs
conséquences.
37. Raisonnement — L'affirmation de ce rapport qui Ho les
conséquences à une autre pensée, s'appelle raisonnement , quand
l'âme n'affirme ce rapport que parce qu'elle le voit. Le raisonnement
est donc icn jugement par lequel Vâme affirma quhe telle pensée
est la conséquence de telle autre, *
Le raisonnement peut être actuel ou habituel aussi bien que le ju-
gement. Et c'est cette habitude de concevoir, déjuger et de raison-
ner, qui constitue la connaissance et la science.
38. Recherche de la nature exacte de la pensée. «-
Nous venons de constater tous les phénomènes de l'Ame qui sont
compris dans le nom général de pensée. Pour définir exactement la
pensée, il nous faut donc définir le fait qui se retrouve dans chacun
de ces phénomènes. Ce fait, commun à toutes les espèces de pensée ,
doit être et le plus simple et le plus intime. Le plus simple , pour se
retrouver partout; le plus intime, pour être bien le fait de l'âme
que nous cherchons. Or, ce fait le plus simple et le plus intime,
parmi les opérations de la pensée , c'est l'information môme de l'âme,
séparée de l'action de l'objet, c'est la co7iception. Elle se retrouve
partout , môme dans la perception , qui la précède , mais qui , sans
elle, serait incomplète.
39. Son objet. — Déplus, pour bien distinguer de toutes les au-
ti'es cette opération qui fait le fond de ioute pensée , il faut en con-
naître l'objet. Eh bien ! l'objet commun de la perception, de la concep-
tion , du jugement, etc., c'est un fait. L'âme ne perçoit, ne conçoit
ni n'affirme jamais une substance seule , ni une modification seule,
niais toujours une substance modifiôc de telle manière. Et c'est là ce
qu'on appelle un fait. Donc :
40 LOGIQUE ABSTRAITE
40. Définition de la pensée. — La pensée est la conception
d'un fait.
Article 2*
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA PENSÉE
11. Ce qu'île doivent être — Puisque la pensée est la concep-
tion d'un fait, les éléments de la pensée doivent être la conception
des éléments du fait.
42. Elément du fait — Tout fait consiste dans un être modifié
de telle maniéi»e. Tout fait suppose donc :
1^ Un éti*e ou substance qui est modifié ;
2^ Une modiâcation qui informe la substance ;
S** L'existence de cette modification dans cette substance ;
4* Des circonstances qui varient sans changer le fait.
L'être ou substance qui reçoit la modification s'appelle le sujet
du fait; la modification elle-même constitue la nature du fait ;
l'existence de la modification dans la substance constitue l'existence
du fait .
43. Eléments essentiels — Tout fait a donc trois éléments es-
sentiels et inséparables :
Le siget du fait ;
La nature du fait ;
L'existence du fait.
44. Elément accessoires — Les e<rco;ï«^<ïnoe« du fait, parce
qu'elles peuvent varier sans changer le fait, n'en sont que des élé^
ment s accessoires,
45. Détermination des éléments de la pensée — I^es élé-
ments de la pensée sont donc ceux-ci :
ÉLÊXffiNTs essentiels : conception du sujet, de la nature et de
l'existence du fait; éléments accessoires : conception des cir-
constances du fait.
46. Nature précise de- ces éléments. — La pensée n'est
claire et distincte qu'à la condition que Tâme possède déjà la con-
ception habituelle des divers éléments de ce fait. Donc la pensée
claire et distincte suppose antérieurement la conception habituelle
(le chacun de ses éléments.
Or la conception habituelle d'un objet quelconque c'est ce qu'on
ÉLÉMENTS DE LA PENSÉE 41
appelle une idée. Donc , les éléments de la pensée qui , au moment de
la pensée, sont la conception actuelle des éléments de ce fait, suppo-
sent la conception habituelle ou l'idée de chacun de ces éléments.
Nous allons donc parler des idées.
DES IDÉES
% 1.— DÉFINITION DIS IDÉBS
47. Sens Tulgaire du mot <c idée ». — Ce qu*on entend com-
munément par idée , c'est une certaine manière de voir un objet
quelconque. On dit : c'est mon idée, c'est l'idée qtùej'en m /c'est-
à-dire : c'est ma manière de voir tel objet. Et quand on dit simple-
ment : l'idée de telle chose , on entend par là la vraie manière de
la concevoir. Et par cette manière de voir on n'entend pas seulement
une conception actuelle, mais, au contraire, une conception habi-
tuelle.
48. Etjmologie du mot ce îdéex). — Le mot 2 e^^^ vient du grec
é{8oc, forme spécifique, espèce, dérivé de e(Sov, j'ai vu. C'est donc
comme la forme vue d'nn objet ; mais on ne l'entend que de la forme
vue par Tàme intelligente. L'étymologie indique donc aussi une ma-
nière de concevoir.
L'Art de penser (Logique de Port-Royal) remarque avec raison qu'il ne
faut pas confondre l'idée avec l'image intérieure que nous nons formons
de l'objet de cette idée. Il est vrai que nous joignons à toutes nos con-
ceptions une image plus ou moins approchante de l'objet conçu. Ainsi>
quand je pense à un triangle» je m'imagine une figure de trois côtés. Je
puis très-bien imaginer ainsi une figure de quatre, de cinq ou de six côtés.
Mais si je conçois un polygone de mille côtés, l'image que je m'en fais
n'est nullement exacte et ne diffère pas de celle que je me formerais d'une
figure de deux mille, cinq mille, dix mille côtés. Ici l'image n'a rien de
précis, mais l'idée n'en est pas moins claire et distincte. Donc concevoir
est autre chose qu'imaginer, et nous pouvons très bien avoir des idées
des choses qui n'ont pas d'image. C'est ainsi que nous concevons très
distinctement Dieu et nofre àme, sans pouvoir les imaginer.
49. Définitions diverses de l'idée — On a défini diversement les
idées, selon le point de vue auquel on s'est placé. Et d'abord on les
a considérées sous quatre points de vue.
!• Sens objectif complet. On a fait de l'idée l'objet de la pen-
sée, et dans ce sens on a appelé idée tout objet auquel on peut
\>enser;
42
LOGIQUE ABSTRAITE
2** Sens objectif incomplet. Ou bien seulement ce qui fait qu'un
objet est de telle espèce : les essences des choses ;
3*^ Sens subjectif actuel. On a fait aussi do Tidée toute infor-
mation que Tâine reçoit d'un objet quelconque. Et on a appelé idée
la conception actuelle d'un objet ;
4** Sens subjectif habituel . Ou bien encore on a appelô idée la
conception habituelle d'un objet.
Dans chacun de ces points de vue, l'auteur, qui a donné une défi-
nition, l'a fait avec plus ou moins de sagacité, et de là sont sorties
une multitude de définitions, dont voici les principales :
TABLEAU DES DIVERSES DÉFINITIONS DES IDÉES
Sens objectif
incomplet.
Sens subjectif
complet. Locke. Tout obiet qui occupe
l'esiirit lorsqu'il pense.
Platon Archétypes des choses,
existant en Dieu.
t'ÉNKLON. Vérités universelles abs-
traites.
Mallebrancue. Essences des choses vues
en Dieu.
Kant. Catégories de l'entende-
ment.
HEGEL. Amalgame du fini et de
rinfini.
/ Les SC0LA8TIQUES Mera reprœsentaiio
objccti in mente.
Forme de chacune de
nos pensées.
Toute conception d'une
cliose.
Toute manière d'être de
rame dont elle a la
conscience et le senti-
ment.
Formes de l'intelligence.
Manières d'être de l'es-
/ prît.
[ Les scol astiques Mera aperceptio tn en-
Us.
Kant. Formes de l'intelligence,
l habituel. ( <jOURJU. Manières d'être de Tes-
prit.
Plusieurs auteurs Connaissance dans sa
forme la plus simple.
Balmès. Habitudes intellectuelles.
actuel.
Descartes.
Arnauld
Bonnet.
IvANT.
GOURJU.
DES IDËES 43
50. Importance de la question. — Nous vendons dans les dé-i
veloppements de la logique que les idées servent de base au juge-
ment et au raisonnement, et pai* suite & la science, à toute connais-
sance et à toute pensée. Si donc nous devons tracer les lois de la
pensée, il importe, pour ne pas risquer de nous égarer, de bien sa-
voir à quoi nous en tenir sur les idées. D*ailleurs, nous aurons
l'occasion de montrer que toutes les erreurs ne sont et ne peuvent
ôtre que dans les idées, et qu'étant donné un homme qui n'aurait
que des idées vraies, tous ses jugements, tous ses raisonnements,
£€1, méthode et sa science seraient vrais aussi.
51. Recherche de la vraie définition des idées. — La vraie
définition d'un mot doit répondre, non aux mots employés par tel ou
tel auteur, mais à l'objet que tout le monfle désigne par ce mot. Or,
qu'est-ce que tout le monde désigne par le mot tdde ? Ce n'est pas
un objet que Ton connaît, mais une connaissance d'un ol»!^^; <^
n'est pas non plus l'acte par lequel on connaît cet objet, mais la ma-
nière dont on connaît ou conçoit cet objet ; c'est une conception, et
une conception, non pas actuelle, mais habituelle.
En effet, quand je dis : Un tel a Vidée du triangle, je ne dis
pas qu'il pense actuellement au triangle, mais qu'il connaît la
chose que Ton appelle un triangle ; et cette connaissance n'est au-
tre chose qu'une conception habituelle de la figure que tout le
monde appelle triangle,' et de l'essence de cette figure.
52. Définition de l'idée. — L'idée d'un objet est la conception
habituelle de cet objet. Les idées sont donc des conceptions habi-
tuelles, ou, comme les définit Balmès, des habitudes intellec-
tuelles.
Cette derniôi^e définition, identique à la première dans le fond, a
pourtant cette différence avec la première qu'elle définit l'idée sous
un point de vue psychologique, tandis que la première n'en donné
que le point de vue logique.
Une habitude, dans Je sens latin du mot hahitus {modus se hahendi),
est une disposition déterminée k un acte. Une habitude intellectuelle est
donc une disposition à comprendi'C ou à concevoir de telle manière. Une
conception habituelle est ce même fait de concevoir, non pas en acte,
mais à l'état de disposition déterminée.
44 LOGIQUE ABSTRAITE
«S.-PIOPIllTiS IIS IBtiS
53. Sens de ce mot. — On appelle propriété d*un être nu carac-
tère constant qui sert à le distinguer des autres et qui consiste dans le
pouvoir qu'il a d*agir de telle manière, et de produire par là tel phéno-
mène. Or, il y a dans les idée't des caractères constants par lesquels
elles se manifestent et peuvent être distinguées : ce sont là les pro-
priétés des idées.
54. Propriétés cominmie» des idées. — Toutes lés idées sont
pour Tesprit la représentation d'un objet ; elles en tiennent lieu, et nous
ne connaissons les objets que selon Tidée que nous en avons. Telle
est la propriété commune à toutes les idées, à on point de vue géné-
ral. Mais cette propriété qu'ont tontes les idées d'être la représen-
tation d*un objet se subdivise encore.
55. Propriété métapliysi^e — Toute idée étan^ la conception
d*un objet, l'eprésente essentiellement cet objet. C'est pourquoi on dit
que cet objet est Tobjet essentiel ou métaphysique de Tidée. Ainsi
la propriété métaphysique de chaque idée, c'est qu'elle exprime
nécessairement son* objet essentiel.
56. Propriété logique. — Mais outre son objet essentiel, dont
elle est la conception , l'idée représente à notre esprit un objet tn/en-
tionnel (n* 22). C'est par là seulement que l'idée est vraie ou
fausse. C'est là sa propriété logique la plus importante.
57. Propriété physique. — Les idées sont pour notre àme une
source d'activité, elles la mettent en mouvement, et comme c'est là
une action physique ou psychologique qu'elles produisent sur l'&me,
le pouvoir d'agir ainsi est une propriété physique des idées.
58. Propriété morale. — Enfin les idées ont encore la pro-
priété d'entraîner (quoique sans la forcer) notre liberté à se détermi-
ner en leur faveur: pour le bien si elles sont bonnes , pour le mal si
elles sont mauvaises ; c'est là une propriété morale.
59. Propriété spéciale. — Les idées se distiguent par leurs
oljets, et selon les différentes classes d'objets qu'elles repré-
sentent, elles ont aussi des propriétés différentes.
60. Idées métaphysiques. — Les idées qui n'ont pour objet-
qu'une simple conception prise dans l'ordre des lois essentielles des
êtres , sont des idées métaphysiques .
DES IDÉE8 45
61 . Idées logiques. — Les idées qui ont pour objet une concep-
tion prise dans Tordre de la vérité de la pensée, sont des idées logi"
ques,
62. Idées physiques. — Les idées qui ont pour objet un être
réel sont des idées pht/siques.
63. Idées morales — Les idées qui ont pour objet une concep-
tion prise dans Tordre de la bonté des actes humains , sont des idées
morales.
64. Propriétés particulières. -^ Enfin chaque idée en particu-
lierreprésente son objet particulier, distinct de tout autre. C'est là sa
propriété particulière, car c'est précisément par là qu'elle se distin-
gue de toute autre idée.
65. Diverses propriétés logiques des idées. — - Outre la
propriété logique première, dont nous avons parlé, par laquelle
• chaque idée représente un objet intentionnel , dont elle est censée
être la conception , on peut encore, en considémnt les idées sous di-
. verses faces , y voir d'autres propriétés logiques qui en découlent
et qui sont : La vérité ou la fausseté , l'identité ou la non^iderir
tité avec une autre^ Vanalogie^ l'opposition, la dépendance^ et
enfin l'extension et la compréhension»
Q^, Vérité et fausseté des idées. — Toute idée est vraie
ou fausse , au point de vue logique. Elle est vraie , si elle est la
conceptiou exacte de son objet intentionnel, fausse^ dans le cas con-
traire.
67. Identité et non -identité. — Deux idées peuvent ctre
identiques ou non-identiques, selon qu'elles représentent exactement
le môme objet ou non. Cette identité peut être logique ou métaphy-
sique. Deux idées métaphjsiquement identiques ne peuvent être
que la môme idée. Par exemple : trois fois quatre^ et dev^ fois six.
Deux idées logiquement identiques sont celles qui , sans représenter
toi^jours le môme objet essentiel, font pourtant concevoir le môme
objet intentionnel, ou du moins expriment deux objets qui n'ont
qu'une seule existence.
De telle sorte que si Tune est vraie l'autre Test aussi nécessaire-
ment. Par exemple : le mouvement et la force qui en est la cause.
68. Analogie. -* Il y a analogie entre deux idées quand
40 I.OCflQUE ABSTRAITE
elles ont quelques éléments identiques. Par exemple : parler et
chanter. Il faut dire ici qu'une idée j)eut avoir plusieurs éléments
et être ainsi composée des idées de ces éléments. Celle qui n'a
qu'un élément est simple.
69. Opposition. — Il y a opposition entre deux idées
quand l'une représente la négation de l'objet de l'autre. Par exem-
ple : parler et se taire,
70. Dépendance. — Une idée dépend d'une autre quand
elle renferme cette autre , comme un de ses éléments. Par exemple :
ridée de triangle dépend de l'idée d'angle et de l'idée de ligne.
71. Extension. — Toute idée a son extension, qui
consiste dans l'ensemble des individus dont elle est la conception.
Exemple : l'idée checal s'étend à tous les chevaux et à chacun des
chevaux qui ont été, qui sont et qui seront ou qui pourraient être.
Elle peut ainsi s'étendre à tout un genre d'être, à une espèce, à
quelques individus indéterminés ou h un seul. L'extension de l'idée
est ainsi générique, spécifique ou individuelle. L'extension
d'une idée est universelle, quand on lui fait exprimer intentionnelle-
ment tous les individus dont elle est la conception, eX. particulière y
quand on lui en fait exprimer quelques-uns seulement. Par exem-
ple : si je dis : les chevaux, pour désigner tous les chevîiux, l'idée
est prise dans toute son extension; mais si, en disant : les chevaux,
je teux indiquer seulement quelques chevaux , l'idée n'est pas pri-
se dans toute son extension , et elle devient particulière.
72. Compréhension. — Toute idée a sa compréhension qui
consiste dans l'ensemble des éléments qui la composent. Par exem-
ple : l'idée de lient agone renferme tous les éléments de l'idée polj-
gone (plan terminé par plusieurs lignes formant autant d'angles)
et de plus l'idée que ces angles et ces lignes sont au nombre de cinq.
L'idée simple qui n'a qu'un élément a la plus petite compréhension
possible. Par exemple : l'idée d'être. Les idées composées ont plus
ou moins de compréhension, selon que l'une ajoute des éléments
aux éléments des autres. Ainsi , l'idée pentagone ajoute à l'idée jîo-
Iggone ;Yidée cheval ajoute à l'idée animaL Donc Vidée pentago-
ne a plus de compréhension que l'idée polygone ^ l'idée cheval en
a plus que l'idée animal.
DES IDÉES 47
L*extension d*une idée est en sens inverse de sa compréhension.
Plus la compréhension augmente, plus Fextension diminue. Ainsi
ridée polygone a plus d'extension que Vidée pentagone ; Fidée ani-
mal a plus d'extension que Tidée cheval.
73. Résumé et ohsenration. — Les idées ont des
propriétés communes, qui sont métaphysiques, logiques, physiques
ou morales, et des propriétés spéciales, selon qu'elles sont elles-mê-
mes métaphysiques, logiques, physiques ou morales. Ces propriétés
logiques des idées, les seules que nous devions étudier ici, sont abso-
lues ou i^elati ves , communes ou spéciales. La vérité et la fausseté ,
l'extension et la compréhension sont des propriétés absolues. L'iden-
tité , l'analogie , l'opposition et la dépendance sont des propriétés re-
latives. La vérité, l'identité, l'analogie, l'opposition, la dépendan-
ce, sont des propriétés particulières. La compréhension et l'exten-
sion sont des propriétés communes à toutes les idées.
De toutes ces propriétés , les plus importantes à observer dans la
logique abstraite sont l'extension et la compréhension. Aussi les
logiciens se sont occupés des moyens de déterminer l'extension et
la compréhension d'une idée. Ces moyens sont la définition et la
division.
g t. - MdTEKS POUR HTIRNINia L'EXTIKSION ET U CÛlPRiBUSItN BIS IDÉES
74. De la définition. — On appelle définition la détermina-
tion de la compréhension d'une idée.
On a l'habitude de distinguer en philosophie, les définitions de noms
(clefinitio iiominis) et les définitions de choses {definitio rei).
Pï^r définition du nom on entend ce que fait un auteur ou un orateur
qui, pour ôter tout sujet de contradiction au sujet du sens d'un mot,
dit: j'entends ce mot dans tel sens. Pour Cicéron (Académiques II, li-
vre i.)» la définition du nom, verhi explicatio n'est autre chose que
l'étymologie, et c'est dans ce sens que les théologiens et tous les philo-
sophes qui ont écrit en latin entendent la défmitio nominis. La défini-
tion de la chose au contraire prétend faire connaître la chose telle
qu'elle est. Et dans cette sorte de définition on distingue encore la défi-
nition descriptive et la définition proprement dite. La première décrit
la chose par tous ses caractères apparents, comme font les orateurs ou
les poètes; la deuxième indique Vessence de la chose définie (l'essence.
48 L0.G1QUE ABSTRAITK
c'est-à-dire, ce sans quoi ia chose ne serait pas ce qu'elle est). Mais U
nous semble qu'en philosophie, et dans les recherches scientifiques, il n'y
a ni définitions de mots ni définitions de choses, mais seulement des
définitions d'idées. Ceux même qui prétendent définir une chose, ne dé-
finissent que l'idée qu'ils en ont. Et quand on définît un mot on définit
encore l'idée que l'on veut exprimer par ce mot. En sorte qu'une défini-
tion, mise en rapport avec la chose qu'elle semble définir, peut être
fausse à deux points de vue: 1« lorsqu'elle n'exprime pas exactement
l'idée de celui qui a fait la définition 2« torque cette idée même n'est
pas la conception exacte de la chose qu'il a l'intention de concevoir.
— La définition, disons-nous, est ia détermination de la compréhen-
sion d'une idée. Elle fait connaître les éléments qui concourent à for-
. mer une idée; elle précise ces éléments, non pas en les désignant tous
ce qui serait trop long, mais en iudiquant une autre idée qui les renfer-
me presque tous, et dont les éléments sont connus ou censés connus, et
ajoutant à cette idée une autre idée, qui est précisément l'élément qu^
faut ajouter à la première idée pour avoir celle que l'on définit.
Soit, par exemple, cette définition : Le carré est un rectangle dont
les côtés sont égaux. L'idée définie est l'idée du carré. La définition :
rectangle à cotés égaux, renferme deux idées dont ia première (rectan-
gle) embrasse tous les éléments du carré, moins un, et la deuxième (à cotés
égaux) vient compléter l'ensemble de ces éléments et donner celui qii|
manque. Or l'idée rectangle est supposée connue pour tcn quadrilatère
à angles droits. Ici, à son tour le quadrilatère est censé connu pour
t/ue figure plane de quatre côtés. La figure plane est censée connue
comme une portion déterminée d'un plan, et les côtés comme des
lignes droites qui déterminent une portion de plan. Enfin le plan
est connu comme une surface indéfinie telle qu'une ligne droite me-
née dans tous les sens a toujoui's tous ses points dans 'la surface
même. Telle est la compréhension de l'idée du cari*é, et c'est ainsi
qu'elle est déterminée par la définition,
75. Qualités de la définition. — La définition doit être claire
et brève. Elle doit exposer toute l'idée et rien que cette idée.
76. Clarté. — Pour être claire, une définition ne doit renfermer
que des mots connus.
77. Brièveté. — Pour être brève, la définition doit renfermer
autant que possible deux idées seulement : 1^ Fidée du genre dont
fait partie Tespêce que Ton veut définir: 2« l'idée du caractère qnî
■
I
DBS IDÉES 49
distingue cette espèce de toutes celles du môme genre. Definiiio
constet génère proœimo et dtfferentid spedficâ.
Ce n'est pas le lieu d'expliquer ici ce que l'on entend par genre et ea-
péce, nous aurons à en parler ailleurs. Mais il est bon de préciser les
mots genre prochain et différence spécifique.
Soit, en histoire naturelle, le règne animal, dont le premier embran-
chement est celui des vertébrés, dans lequel la première cUisse est
celle des mammifères. Prenons un ordre bien connu de cette classe,
celui des ruminants^ et dans cet ordre, le genre mouton.
Dans cette série, animal est le genre supérieur (genus supremum) ;
vertébré, mammifère, ruminant sont des genres inférieurs et mouton
le genre infime (genus infimum). Or de chacun de ces genres, je puis,
selon les principes de la définition, faire une espèce, au point de vue lo-
gique, et alors le genre immédiatement supérieur à celui que j'aurai
choisi sera son genre prochain (genus proximum) .Ainsi ruminant est
le genre prochain de l'espèce mouton, comme m,ammifère sera le
genre prochain de l'espèce ruminant Et si je dis : les run^ioants sont
des mammifères qui m&chent une seconde fois leur nourriture, après
l'avoir avalée, en un mot qui ruminent ; cette dernière idée sera la dif-
férence spécifique des ruminants par rapport aux autres espèces de
mammifères.
Les scholastiques, pour faciliter les définitions avaient dressé un com-
mencement de tableau quils appelaient l'arbre des genres. Le voici :
Possibile Bziflieiui
SubstantU AooidMis
Spiritus CSorpus
ViTena Non vivens
Animal Planta
Hationale Irrationale
On voit facilement, dans ce tableau, le genus supremum les gênera
inferiora, et les gênera inflma,
4
50 LOGIQUE ABSTRAITE
On y voît aq^si les ge^iera proxima et mônie les lUfferentiœ speci"
flcœ.
Soit, par exemple: homo est animal rationale. On voit facilement
que dans eeîie défifïitîon de Miomme, a7nmal est le genre prochain, et
7*ationale, la différence spécifique.
78. Exactitude. — Pour être exacte, la définition doit exposer
toute ridée et rien que cette idée. Elle remplit cette condition quand
on peut la renverser, c'est-à-dire quand on peut faire de Tattribut
le siget, et du siyet Tattribut, de la proposition qui définit. Sit défi-
ni tio convertibilis,
79. De la dÎTÎsîon. — On appelle division la détermination
de rextension d'une idée. Elle expose les diflTérêntes espèces renfer-
mées dans un genre ou les variétés d*ûne même espèce.
A proprement parler, déterminer l'extension d'une idée ce serait dési-
gner tous les individus qui sont conçus dans cette même idée ; mais,
comme une pareille détermination est impossible, la division s'arrête t
lindicatlon des espèces que renferme le genre qu'il faut diviser.
Par exemple dans l'arbre des genres que nous avons exposé ci dessus
(72) : le genre rirens se divise en animal et planta,
80. Qualités de la division. — La division d'une idée doit
être complète et distincte.
81. Complète. — La division doit embrasser toute Textension
dt; ridée divisée.
82. Distincte, -r- Les différentes espèces comprises dans une
même idée doivent être détéfpminées par des caractères distincts ,
qui empêchent de les confondre, et une partie ne doit pas entrer dans
Tautre.
83. Points de vue de {a division. —- On peut faire plusieurs
divisions d*une môme idée , selon qu'on se place & différents points
de vue. Par exeomlo: . ^
Un livre peut être:
Ancien ou moderne y quant à Ijépoque ou on Ta écrit; in folio ^
in quarto y 2n-8°, etCj quant à son format -, sérieux ou léger y quant
aux pensées qu'il renferme \vtil£^ou inutile^ pour telle ou telle per^
sonne; français ^ laUn^ grec, etc. y quant & la langue en
laquelle il est écrit ; broché ou relié etc., etc., [selon mille
au{res points de vue.
VHH IDÉES 51
Il ea est de môme des idéed de tout ûifQ qiiidedai^u0«i . J
84. De la clâdsification. — Comme la clarié et la dis-
tiaction des idées sont de la plus haute importance, et que le seul
moyen d'avoir des idées claires et distinctes, c'est d'en conhaKre
parfaitement la compréhension et Textensien , on conçoit comlbidn il
serait utile de pouvoir détei*min^ facilement, et par un mot, Ivoom.
préhension et Textension de chacune de nos idées. Or c'est à èe bût
que tendent les classifications.
A cet effet un grand nombre d'idées étant données on les fait en-
trer dans différents groupes, que Ton nomme par exemple espèces ;
plusieurs espèces entrent dans un genre et plusieurs genres forment
une famille ou une classe. En sorte que, lorsque la plassi^^tion est
ainsi faite, un seul mot, désignant tel gence ou. telle ft^oille, pv?t9
avec lui sa compréhension et bodl extension, poui? celui qoi'OçiimSà
la place qu'occupe cette idée dans la ol^ssfâÇdiJtiQiiL. . .>..j . *-
On peut donc définir la classification ; La détermination coordp^^
née de l'extension et de la compréhension de toutes les idées cofït*
prises dan? l'extension d'une seule.
85. Tableau de classification . .--' Quand la claasiâoi^
tioa est faite, on Texposû^ en cQiiutten[çaDt4ittr ridée kDp3ti9^néra;le,
dont on donne la division, et on montre ensnitela snbdivkion de châf
cune de ces divisions, et ainsi de suite , jusqu'aux espèces lopins
restreintes. C'est ainsi que l'on distingue les êtres eorp(»«laen trois
règnes, et le règne animal, par exemple, en quatre embranche*
menta; les embranchements se divisent en classée^ lesclasEtes en
sous-classes et en ordres, les ordres en genres et les genres en e»*-
pêces, dans lesquelles on distingue encore les variëtëa,, avant
d'arriver aux hidividus.
86. Oréatioii de la classificati<m. — Pour créer une elasêi^
fication, on prend au contraire d'abord les individus pour led grouper
en espèces distinctes, on groupe ensuite ensemble les espèces d'un
môme genre, les genres d'un môme ordre, les ordres d'uae môme
classe, jusqu'à ce qu'on arrive à l'idée générale qui les renfénne»
toutes.
87. Difféventes-^^èees ds. olaaaifif|afioB»-^iX)aAtin^e
d^abord les classifications naturelles et les classifications artifloiellest^
52 LOGIQUE ABSTRAITE
88. OlusifiMtioa's naturelles. — Quand on classe des ob>
jets selon leurs différences et leurs ressemblances les plus importan-
tes, et 4u*on en fait ainsi ressortir les rapports essentiels, on dit
que la classification est naturelle.
On peut citer comme exemples de classifications naturelles : C3lle des
plantes par Juasieu, celle des animaux d'après les travaux des modernes
et surtout de Cuvier. Jussieu, en prenant, pour batse de classification, la
plus importante des diversités qu'offrent les graines des plantes, a
trouvé une distinction qui persiste jusque dans les feuilles de ces mêmes
plantes ; et dans la distinction des familles, il a si bien trouvé l'ordre
naturel» que vingt mille espèces qu'il ne connaissait pas ont pu venir se
placer dans son cadre, sans y rien déranger.
Observons Ici que, dans les classifications naturelles, les espèces doi-
vent se distinguer par des caractères constants. Les diversités qui ne
sont qu'accidentelles ne constituent que des variétés.
89. OlassificatioBS artifiGielles. — Quand on classe des ob-
jets selon tel et tel rapport accidentel, pour la seule commodité de
Tétude , on dit que la classification est artificieUe.
La classification des mots par ordre alphabétique dans les dic-
tionnaires est artificielle.
90. Qualités logiques des dassifirations. — Une classifica-
tion artificielle est facilement vraie, et elle est plus ou moins bonne
selon qu'elle facilite plus ou mcàns une étude ; c*est lÀ son unique but.
Mais une classification naturelle n'est parfaite que lorsqu'elle met
en relief tous les rapports essentiels des objets classés. On com-
prend qu'une telle classification est au moins difiicile^ si elle n'est
pas radicalement impossible. Car, outre qu'elle suppose une connais-
sanoe parfaite des objets que l'on veut classer, les moyens que nous
avons pour exposer une classification sont impuissants à reproduire
k la fois tous les rapports qui existent entre une multitude d'objets.
Car un objet qui, à un point de vue, se trouve très-éloigné d*un au-
tre peut en être três-rapproché, à un autre point de vue. Aussi,
bien qu'il n'existe aucune classification vraiment naturelle, on
donne ce nom & certaines classifications qui se rapprochent plus ou
moins de cette perfection.
91. Travail da logieien sur les idées. «*» L'homme
qui veut^ dans toutes ses pensées suivre les lois de la vérité , doit
DBS IDÉES 58
avant tout former ses idées de manière à les rendre eameêêSp diê^
tinctes, certaines, I^our cela il emploie, sur les idées en général et
sur chacune de ses idées en particulier, les moyens que noos Tenons
d'indiquer: Définition, division, classification.
Définir et diviser une idée, à mesure qu*on doit s*en servir, est un
travail indispensable, mais qui ne peut se faire que peu à peu.
Classer toutes ses idées selon tous leurs rapports est un travail
au dessus des forces humaines. Mais ce que Ton peut faire et ce qui
fournit h, la logique une base excellente c*est de classer les idées À
des points de vue logique.
92. Différentes dassificAtions des idées. — Il j a dans les
idées mille points de vue sous lesquels on conçoit qu'elles pourraient
se classer, et chacun d^ ces points de vue fournirait une classifica-
tion différente. Les principaux points de vue des idée sont : leur ob*
Jet, leur sujet, leitif nature , leur origine, leur expression , leur
filiation^ leur époque , etc.
Nous donnerons plus loin un commencement de classification des
idées logiques seulement, au point de vue de leur objet; mais il
nous faut d'abord exposer quelques distinctions logiques que Ton
fait sur toutes les idées en général , à difEârents pràats de vue.
§4.-aUiLITtS DISIDllS.
93. Qualités logiques des idéss.^ Nous appdons qualités
logiques des idées certains caractères qu'elles peuvent avoir et qui
importent à leur vérité.
Ces différentes qualités des idées se distinguent toutes par grou-
pes de deux qualités opposées qui ne sont que la présence ou
l'absence d'une même propriété logique.
Ces qualités sont intrinsèques si elles sont dans Tidée considérée
en elle-même, extrinsèques si. elles n'affectent l'idée que par rap-
poi*t à son objet ou son origine.
94. Qualités intrinsèques. — Une idée, en elle* métne,
peut être claire ou obscure, distincte ou confuse^ simple ou
composée, absolue ou relative.
95. Idée claire ou obscure. — Une idée est claire quand
elle est suffisamment formée pour montrer son objet dans tout son
jour ; elle est obscure, dans le cas contraire.
54 LOOIQUB 'ABSTRAITS
06. Uém dislÙMto ou oonftue. «— Une idée est distincte
qjBLdMd ells nous fait disoernef son objet de tout autre ; elle est con-
ftise, dans le cas eontraire.
97. Idée simple ou eomposée. — Une idée est simple quand
elle n'a qu'un seul élément; elle est composée quand elle en a
plusieurs t[ui sont tout autant d'idées simples. Pour nous il j a
bien des idées qui sont simples parce que nous ne savons
pas les décomposer, mais dans la réalité il n'j a qu'une seule idée
simple : c'est l'idée d'être ; elle entre dans toutes les autres idées.
98* Idée absolue, ou relatÎTe — Une idée est absolue quand
elle.Rô fait concevoir que son seul objet; elle est relative, quand
elle fftit concevoir nécessairement un autre objet corrélatif au sien.
Père est une idée relative, qui fait concevofr le père et le fils. Père
et. fils sont des idées cori*élatives.
On prend aussi dans un autre sens les mots idée absolue et ide'e
rfiltitive. On appelle alors absolue l'idée d'un objet que l'on conçoit
QB dehors.de toute hypothèse, ei relative celle dont Tobjet n'est
vrai ou possible que dans telle condition.
99. QttttUlés ezlriiisèques. — Les qualités extrinsèques
des idées se rappoi*tent au sqjet , à l'objet ou à l'origine des idées.
100. QualHés subjectives, — Considérée par rapport à
soin siyet, une idée est personnelle ou impersonnelle , explici--
te ou implicite,
101 . Idée personnelle ou impersonnelle. — Une idée est per-
sonnelle quand elle ne se trouve que chez tel ou tel homme , elle est
impersonnelle quand elle se trouve chez tous les hommes. Les idées,
d'être, de substances, de modifications, de vrai, de beau, de bien
sont des idées impersonnelles.
Iffip Idée explicite ou implicite, — Une idée se trouve ex-
pliciteo^ent chez quelqu'un , quand il la possède telle qu'elle est en
elle-même ; elle est implicite quand sans la posséder elle-même , le
sujet en possède \\ne autre qui la renfern^e,
103. QueUtée objectives. — Considérée par rapport à son
objet, une idée peut être : vraie ou farnse, positive ou négative y
DBS IDÉES 55
concrète ou abstraite, umver^lleoiLpartiûuHêrer né^HBaire ou
contigente,
104. Idée vraie ou fausse. — Une idée est vraie, quand
elle est la conception exacte dô hoh objert iriteAtfon'nel ; elle est
fausse dans le cas contraire.
105. Idée positive ou négative. — Une idé^ est positive,
quand elle est la conception d'un objet qui exista ou est censé exister;
elle est négative, quand elle fait concevoir son ol^et comme n'exis-
tant pas.
106. Idée concrète ou abstraite. — Une idée est concrète,
quand elle est la conception d'un objet réel existant en lui-même ;
par exemple : une montagne ; elle est abstraite, quand son objet
n'existe pas séparément tel que l'idée le présente ; par exemple : la
hauteur d'une montagne.
107. Idée universelle ou particulière. — Une idée est uni-
verselle, quand elle est la conception de toute une classe d'êtres ; par
exemple: le lion; elle est particulière; quand elle n'a pour objet
que quelques-uns de ces êtres ; par exemple : quelques lions.
Il faut remarquer ici que toute idée commune à plusieurs êtres
peut être prise universellement ou particulièrement, selon qu'on j
fait entrer, tous les êtres dont elle est la conception , on seulement
quelques-uns ; par exemple : l'idée Uon, dans les deux exemples ci-
dessus.
108. Idée nécessaire ou contingente. — Une idée est né-
cessaire, quand elle est la conception d'un oîyjef qui hè peut pas
ne pas être ; 'par exemple : Dieu ; elle est contigente, quand son ob-
jet pourrait ne pas être ; par exemple : les hommes.
109. Qualités originelles des idées. *— Considérée dans son
origine, une idée est innée ou acq^uzse, et l'idée acquise e^t h son
tour raisonnée ou empirique.
110. Idée innée ou acq[uise. — Une idée est innée, quand
)*habitude qui la constitue est dans lliofiûme depuis sa naidsancô ;
elle est acquise quand cette même habitude a été formée par 4e trsr
vail de la pensée.
56 LOGIQUE ABSTRAITE
111. lééê raitoaaée ou «aipirîqii*. — Une idée est rai-
Sonnée, quand elle a été acquise par une étude raisonnée ; elle est
empirique quand elle a été acquise par la seule expérience.
112. OorrélatiOB im ces différentes qaalitée. ~ Parmi
les diverses qualités des idées , il y en a qui sont tellement corré-
latives que Tune suppose Tautre. Ainsi :
Toute idée nécessaire est aussi impersonnelle est innée et ré-
ciproquement. Toute idée contingente est aussi personnelle et
acquise et réciproquement.
Pour mieux comprendre cela il nous faut étudier spécialement
rorigine des idées.
^6.- ORIGIHI DIS IDllS
113. Place de cette question. — L'origine des idées regarde
la logique subjective et la psychologie, plutôt que la logique abs-
traite. Nous la traiterons donc brièvement ici.
114. Orif ine en général. — L'origine d'un être c'est son pas-
sage du néant à l'existence.
Ainsi, demander l'origine des idées, c'est demander comment et
par quelles causes elles ont passé du néant à l'existence.
115. Moyen d'étudier l'origine des idées. — Comme nous
ne pouvons saisir ce passage au moment où il se fait en nous,
il ne nous reste qu'A considérer les caractères actuels de nos idées
pour y découvrir les traces de leur origine. Si, dans les caractères
actuels de nos idées, nous pouvons découvrir la cause qui les a
produites, nous aurons trouvé l'origine des idées.
116. Causes possibles de nos idées. — Sachant que les
idées ne sont que des conceptions de différents objets, nous pouvons
affirmer qu'elles ne peuvent avoir pour cause que les objets eux-
mêmes ou notre Ame. Et encore si notre Ame en forme quelques-
unes elle ne peut les former qu'en combinant celles qu'elle a ac-
quises par les otjets, ou en suivant une disposition naturelle. Donc
en résumé, les idées ne peuvent avoir que deux causes: V expérien-
ce des objets ou notre propre nature ainsi disposée.
117. Careetères de nos idées relatifs à leur cause possi-
ble. — Si nos idées sont produites, les unes par notre nature, les
autres par l'expérience des olgets, elles doivent porter respective-
DBS IDEES 57
ment ces deux caractères. Les unes, naturelles, doivent se trou-
ver chez tous les hommes ; les autres, acquises par Texpérience, ne
doivent se trouver que chez ceux qui les ont acquises. Or il en est
précisément ainsi.
118. Caractère personnel des idées contingentes. — De
toutes les idées contingentes aucune ne se tmuve chez tous les
hommes que celles qui sont en effet expérimentées par tous, les
hommes. Comme les idées de nombre, d'étendue, de mouvement et
par suite , de temps et d'espace.
Quelques-uns de nos lecteurs s'étonneront peut-être de nous voir mettre
parmi les idées contingentes les idées de temps et d'espace, que tous
les auteurs contemporains mettent au nombre des idées nécessaires.
Nous nous expliquerons sur ce point dans la métaphysique; mais dès
à présent n6us protestons contre la doctrine qui affirme que l'espace est
réel, immualtle, éternel, inflnit. li ne resterait plus qu'à ajouter : c'est
Dieu !
110. Caractère impersonnel des idées nécessaires. —
Au contraire, il n'est aucun homme qui ne possède les idées néces-
saires, au moins celles qui sont les principes des autres. Tout
homme possède les idées, d'être, d'existence, de substance, de
vrai, de beau , de bien , de droit, et de devoir ; c'est là le fond mé-;
me de touta connaissance , et ce sont des idées dont pei*8onne n'a
jamais vu les objets. Donc nous pouvons conclure.
120. Origine des idées. — Les idées contingentes, qui sont
en même temps personnelles, et dont la cause est évidemment la
perception des phénomènes des êtres, sont acquises.
Les idées nécessaires, qui sont en mémo temps impersonnelles,
qui se retrouvent chez tous les hommes, sans qu'aucun d'eux en •
ait jamais perçu les objets, sont évidemment causées en nous par
notre nature ; elles nous sont donc données avec la nature ; elles
sont donc innées. •
Encore une (ois, il ne faut pas oublier que nous parlons ici des habi-
tudes et non des actes de pensée» auxquels on donne quelquefois le nom
d'idées. La disposition à concevoir Tôtro ou la substance peut être innée,
l'acte même par lequel on les conçoit ne l'est certainement pas. C'est
celte disposition à concevoir, cette conception hubiluelle, que nous a[>i)e-
58 LOGIQUE ABSTRAITE
Ions idée, et c'est sealement dans ce sens que nous disons que les idées
nécessaires sont innées.
ft 6. — BE8 IDÉIS DA5S LIURS RAPPORTS iTK U PMSil.
121. Fonctions des idées dans la pensée. — Chaque idée
comme élément d'une pensée remplit dans cette pensée la fonction
d'exprimer un des éléments du fait. Ainsi une idée peut être siget,
verbe, attribut ou complément dans la pensée.
122. Idée sujet. — L'idée qui représenta le siyet du fait est
le siget de la pensée.
123. Idée verbe. — L'idée qui exprime l'existence du fait est
le verbe de la pensée.
124. Idée attribut. — L'idée qui exprime la nature du fait est
dans la pensée, l'attribut du sujet.
125. Idée complément. — Les idées qui expriment les diver-
ses circonstances du fait sont les compléments de la pensée.
126. Glassification des idées par rapport à la pensée. —
On pourrait vouloir classer les idées selon leurs fonctions dans la
pensée. Mais pour classer les idées de sujet, il faudrait classer tous
les êtres et toutes leurs modifications possibles.
L'idée de l'existence du fait est toujours la môme, paa* consé-
quent elle ne peut pas donner lieu à une classification. Cependant
on y remarque plusieura pi*opriétés, dont les principales sont le
temps et le mode,
• Il ne reste plus que les attributs ou idées des natures des faits.
Aristote a entrepris de les classer, et bien que sa classification soit
depuis longtemps abandonnée , nous allons la donner ici , pour mon-
trer avec quelle sagacité il avait su analyser les idées.
127. Catégories d' Aristote. •— Aristote se demande : Que
peut-on dire d'un être quelconque? c'est-à-dire: Quels sont les
attributs possibles d'un sujet? Et il distingue dix sortes d'attributs
qu'il appelle catégories^ xaTriyopiai (en latin : prœdicamenta, atr-
tributs). Ces catégories sont :
DE6 IDÉES
!<» la substance,
substantïa.
ouo-Ca.
2« la quantité,
quantitas,
TO Tçoorov.
3** la relation.
relatio.
•ïtpoc t£.
4® la qualité,
qualitas,
TO 7rot6y.
5° Taction,
actio,
lîoieïv.
6® la passion,^
passiOy
irio^eiv.
7« le lieu, .
ubi.
TTOÎi.
8° le temps,
quando,
TCOTS.
9^ la situation,
situs.
xeîaôai.
10» l'avoir,
hahituSj habere^
eyetv.
60
Les scholastiques avaient ranémonisé ces catégories, dans les
deux vers suivants, par des exemples.
Arbor sex servos ardore réfrigérât uaios;
Ruri croê stabo ; sed tuiiicatua ero.
Aristote a donné les principales subdivisions de ces catégories ;
nous n'en parlerons pas.
125. Catégorèmes de Porphyre. — Un commentateur d'A-
ristote , Porphyre , se demanda à .quels points de vue on peut attri-
buer à un être une de ces catégories , et il indiqua cinq points de
vue qu'il appela catégorèmes , yL%Tr\'^o^i\^9.'zoi (en latin : prœdi-
eame7itaUa)y c'est-à-dire modes d'attribution. Ces points de vue
sont :
V* Le genre , dont le sujet a les propriétés (genus) ;
2** L* espèce, dont le sujet fait partie (species)\
3** La différence qui distingue son espèce de toutes les autres
du môme genre (differentia) ;
4® Le propre, ou les caractères constants du si^jet (propriufn) ; *
5° L'accident , ou les caractères variables du su^ei (accidens).
Ces catégorèmes s'appelaient au moyen âge universalia entis ,
ou les cinq universaux.
Ajoutons ici, à litre d'érudition, les catégories imaginées par les
auteurs qui ont précédé ou qui n'ont pas voulu suivre Aristote.
Gatégrories de Pythagore.— 1» Le fini et l'infini ; 2« le pair et
l'impair 3» Tunité et la pluralité ; i*» le droit et le gauche ; 5° le mâle
et la femelle ; G» le repos et le mouvement ; 7<» le droit et le courbe ;
8o la lumière et les ténèbres .; 9° le bien et le mal ; 10« le carré et les
ligures irrégulières.
60 LOGIQUE ABSTRAITE
Catégories des Stoïciens.— 1° substance ; 2» ([ualité ; 3» mode ;
4° relation.
Catégories de Platon :
SnJ*.'*1anre.
Monde iiitHli[^ibk> ( Mouremcnt .
Itlentitè.
Différence.
Suhiitanre.
Relation.
Monde spn^ibie \ Quaniîtè,
Qualité,
Mouvement.
\
Catégories de Descartes.—» L'absolu et le relatif.
Catégories de Port-RoyaL— Dans la logique de Port-Ko\*al,
Arnaud, après avoir exposé les catégories d'Aristote, les critique et y
oppose les sept suivantes :
Men^, men;ivra,quies, mot us , positura, figura
Sunî, cum materia, cunctarum e.rordia rerum.
Catégories de Kant.-— Kant appelle eatégories les diverses fonnes
que notre ànie donne à ses idées :
1 ESPACE. <>$ diTfrses catfftms rtc«iicit
de la «BsiMlité. j tj,j^„,^ 1« jipawrts :
i Individualité Sinfftdiet'.
QUAMiTÉ . j Pluralité Pluriel.
\ L'nivei*salité i' ni ver sel.
à Aflirniation Afprmatif.
I I «irAi.iTÊ. I Négation Négatif.
ï I 1 f Limitation Déterminatif.
' Subsistance et inhé-
tfc I «ikBdescBt. ' I rence Catégorique,
' RtLATioN. 'causalité et déi>en-
* i I I dance Hypothétique,
^ l I (communauté Dit^jonctif,
ri
* Possibilité et impos-
I sibilité Problématique.
MODALITÉ. < Être et non être Asseriorique .
j Nécessité et contin-
\ rronoo
ence Xpoi/ictiquc,
irUTiiyft. [ l'MTE
DES IDKES 61
Catégories de Cousin :
I Infini
Fini
Relation de Vun à l'autre
129. Remarque. — Nous ferons remarquer que l'expression si
vulgaire : répondez catégoriquement^ vient de l'usage des caté-
gories d'Aristote, et signifie : Quand je vous interroge sur une
catégorie, ne ine répondez jyas sur une autre. Par exemple : Si je
vous demande : Quel est cet animal ? (catég. de la substance), ne
me répondez pas : // est gris, (catégorie de la qualité), ou : Il
wmre/re (catégorie de l'action) ou bien : // vient d'Afrique (catég.
du lieu).
De là encore l'expression : jugement catégorique ^ dont se ser-
vent les logiciens, et que nous aurons à expliquer plus loin ; dans
ce second sens, répondez catégoriquement signifie répondez
par oui ou par non, sans condition ni alternative.
130. Conclusion. — Tout ce que nous venons de dire sur les
idées est pour enseigner à les analyser, pour les rendre plus distinc-
tes ; car de la distinction des idées dépend la distinction des pen-
sées, et rien n'est plus contraire à la logique que la confusion des
pensées. Aussi nous conclurons par cette loi.
In loi de la logique abstraite. — Que toutes les idées soient
distinctes. Et pour cela : qu'elles soient bien définies et bien
divisées.
Observation sur cette loi. 1^ Les idées purement abstraites, ([iil
n'ont pas d'objet intentionnel, sont facilement distinctes, et ne sont ni
vraies ni fausses. En effet, comme elles ne sont que de pures conceptions,
elles n'ont pas d'autres lois que notre propre conception, et nous ne pou-
vons pas les voir autrement ({ue nous ne les concevons. Ex. Toutes les idées
de nombre et de ligures mathématiques; les idées de la métaphysique, à
part l'idée d*étre.
2« Les idées générales, qui sont toujours censées représenter les caractè-
res communs à une classe d'être, peuvent n'être pas assez distinctes et
surtout elles peuvent n'être pas vraies; parce que, outre la conception,
elles exigent une perception exacte. Ex. Les idées des corps, des plantes,
des animaux, des esprits et de toutes les modifications de ces diverses
classes d'êtres.
(>2 I.OCfIQUB AIJSTRAITE
\io Kafin les {(fées particulières sont souvent confuses et plus sou^^ent
fausses, parce qu'elles doivent presque tout tenir de la perception et
qu'elles supposent une observation que nous faisons rarement. Ëx. JLes
idées que nous avons de chaque être individuel (jue nous connaissons
dans son individu. En eflfet nous nous arrêtons le plus souvent à quelques
caractères individuels qui nous suffisent pour le distinguer, et, quand les
autres nous seraient nécessaires pour former siircet être un jugement,
nous les supposons.
Article 3«
UNION DBS ÉLÉMENTS DE LA PENSÉE.
131. But général de la question. — Nous devons dans cet ar-
ticle étudier comment les idées s'unissent pour former une pensée,
et quelles sont les différentes pensées qui résultent de cette union.
£ty comme il convient pour en avoir une connaissance complète,
nous étudierons ensuite les propriétés logiques des pensées.
132. Dmaion de cet article. — Donc trois paragraphes:
V Union des éléments de la pensée ;
2* Différentes formes de la pensée ;
3® Propriétés des pensées.
g 1. - UNION m ÉLiMIXTS Dl U PL\Sll.
133. Les éléments d'une pensée. — Les éléments d*nne
pensée sont les idées que nous avons des éléments du fait, dont la
conception est une pensée. Comme il j a dans tout fait, un svQet,
une nature et Texistence de ce fait, il faut pour former une pensée
ti*ois idées au moins, dont Tune est la conception du si^get du fait,
une autre est la conception de la nature de ce fait, et une troisième
est la conception de Texistence de ce fait.
Nous avons déjà dit que ces trois idées essentielles de la pensée ^
prennent les noms de sujet y attribut et verbe,
134. Multiplicité des idées de sujet et d'attribut. — Tout
être quelconque pouvant être le sujet d'un fait, et toute modifica-
tion pouvant en être la nature, il en résulte que les idées de si^jet
et les idées d'attribut sont très-nombreuses. Toute idée de substan-
ce réelle ou abstraite peut être siyet d'une pensée ; toute idée de
modification peut être attribut.
UNION DES ÉLÉMENTS DE LA PENSÉE 03
135. Unité de Tidée d'existence dû fait. — Au contraire
ridée de l'existence du fait est toujours elle-même , nonobstant les
modes et les temps divers sous lesquels on peut la concevoir. C'est
toujours ridée d'être , la plus simple possible.
136. Lien de la pensée. — Deux idées entièrement diJQféren-
tes et n'ayant par elles-mêmes aucun rapport sont cependant unies
dans la pensée au point de ne faire plus qu'une seule et unique con-
ception. Il y a donc un lien entre le sujet et Fattribut de la pensée.
Ce lien, tocgours le môme, ne peut être que Tidée d'existence du fait,
toujours la môme dans toute pensée.
137. Connexion du sujet et de l'attribut. — Ainsi dans
toute pensée il y a entre le sujet et l'attribut une connexion logique,
qui fait de Tun et de l'autre une seule pensée. Cette connexion,
exprimée par le verbe, n'est autre chose que l'indentité logique du
sujet et de l'attribut.
138. Identité logique. — L'identité logique (67) du sujet et de
l'attribut d'une même pensée consiste en ce que les objets de ces
deux idées n'ont, dans le fait, qu'une seule et même existence. Le
siget et l'attribut sont donc logiquement identiques, en ce sens que
l'existence de l'un c'est l'existence de l'autre, et par conséquent la
vérité de l'une des idées c'est la vérité de l'autre. Ces deux idées,
séparées par eUes-mémes, n'ont plus dans la pensée qu'un seul
objet intentionnel. Quand je dis, par exemple : rhomme est mortel^
le mortel dont il est ici question c'est l'homme, et l'homme est le
mortel dont je parle. En sorte que les idées homme et mortel, qui
sont très-différentes en elles-mêmes, deviennent logiquement iden-
tiques dans la pensée : l'homme est mortel.
139. Extension et compréhension du sujet et de l'attri-
but. — Il faut observer qu'une idée en devenant sujet ou attribut
ne garde pas toigours l'extension et la compréhension qu'elle a par
elle-même.
1° L'idée qui est siget, peut l'être dans toute son extension ou
dans une partie seulement de son extension, selon l'étendue du fait
conçu. L'extension du siget est universelle ou particulière (107).
2^ L'idée qui est siû^t d'un fait quelconque, l'est toigours dans
01 LOOIQI'K ABSTRAITK
rensemble de sa eompréheusion, mais non dans chacun de ses élé-
ments. Ainsi ce qu*on dit de rhomnie ne se dit pas pour cela de
tous les animaux et de tons les ôtres intelligents.
3* L'idée qui est attribut dans une pensée affirmative ne l'est
jamais dans toute son extension, à moins ({ue Fattributy ne soit
la définition du sujet. Au contraire, le même attribut est toiyours
pris dans toute sa compréhension.
Exemple : Les hommes sont mortels. L'idée de mortel s'étend
non seulement à tous les hommes, mais encore à tous les êtres
vivants, et dans cette proposition il ne s'étend qu'aux hommes.
Tandis que dans la même proposition on affirme des hommes tout
ce qui est compris dans l'idée de mortel,
4^ L'idée qui est attribut dans une pensée négative. Test tou-
jours dans toute son extension et jamais dans toute sa compré-
hension.
Exemple : 2> monde n'est pas éterneL Dans cette proposition,
le siget monde est exclus de tout l'ensemble des êtres qui sont ou
peuvent être appelés éternels. Tandis que l'on n'exclut pas du
monde ni l'idée d'eVre, ni l'idée de virant qui sont comprises dans
l'idée d'éterneL
140. GoBsé^pottce de ees damiers fidts. — C'est ainsi que
dans toute pensée il j a une identité véritable entre le siget et l'at-
tribut. Car l'attribut que l'on affirme d'un siget , n'a jamais d'autre
extension que celle du siget. Ex : Si je dis : Le brochet est un pois-
son ; l'attribut poissofi n'est pas ici l'idée de tous les poissons, mais
seulement des poissons qu'on appelle brochets. En sorte qu'il y a
identité logique entre les deux idées.
Au contraire l'attribut que l'on nie d'un siyet est toi^ours conçu
dans toute son extension. En soite que si je dis : L'ècrerisse u'est
pas «*»|>oiwoi*: je nie qu'il v ait identité logique entre une éerevis-
se et un poisson quelconque.
De plus, dans la pensée affirmative, j'affirme l'identité logique
entre certains éléments de l'idée brochet et tous les éléments de l'i-
dée poisson. Cette dernière est prise dans toute sa compréh^isioD.
Tandis que, dans la pensée négative Je nie l'identité logique en-
tre les éléments de l'idée éererisse et certains éléments de l'idée
UNION DES ÉLÉMENTS DE LA PENSÉE (>5
poîssofi. Cette dernière n*est pas prise dans toute sa compréhension.
Ainsi dans tous les cas il y a identité complète entre les exten-
sions et les compréhensions que Ton déclai*e identiques.
141. Union des éléments de la pensée. -^ Donc, en demie-
re analyse, toute pensée est formée de deux idées dont on ne consi-
dère que ce qu'elles ont d'identique , et qui s'unissent dans une troi-
sième idée, ridée de leur identité. Cette identité est purement lo-
gique ; car, si on comparait les deux idées dans tout ce qu'elles
renferment , elles ne semient pas identiques ; elles ne le sont que
dans les éléments que celui qui pense a en vue.
Il y a pourtant un cas où le sujet et l'attribut d'une pensée sont lo-
giquement et métaphysiquement identiques : c'est dans la définition.
Ainsi s'unissent les éléments de la pensée. C'est d'ailleui*s la
conception exacte de ce qui constitue le fait, objet de la pensée.
Dans le fait aussi^ deux éléments , la substance et la modification ,
s'unissent dans une même existence, pour ne former qu'un seul
tout, qui est le fait. C'est une identité réelle dont l'identité logique
n'est que la conception.
2e loi de la logique abstraite. — Dans toute pensée, l'attri-
but est logiquement identique au sujet ; c'est-à-dire que le sujet et
l'attribut sont la conception d'un seul et même être, d'aborct dans
sa substance et ensuite dans sa modification.
. ^ 2. — DlFlâRINTIS VORMIS DB LA PENSil.
142. Conception. — La forme la plus simple de la pensée c'est
la conception d'un fait. On nomme conception l'information de
Tâme considérée en elle-même, en dehors du fait qui a pu la faire
naître. La conception suppose une perception, on présente ou anté-
rieure ; mais on peut très bien faire abstraction de cette perception
et ne considérer que l'information de l'Âme en elle-même, en dehors
de l'action du fait qui la produit, et en dehors de toute action de
TAme sur son information: c*est la conception. D'ailleurs la per-
ception n'est pas la perception d'un fait^ mais seulement d'une
modification, A cette perception l'àme ajoute la substance et
l'existence qui sont, non pas perçues, mais conçues. Le fait n'est
5
oc LOGIQUK ABSTRAITE
donc jamais perçu ; il est conçu. Donc la forme la plus simple de la
pensée c*est la conception.
143. Jugement. — Le jugement est Vadhèsion de TAme à sa
conception. Cette adhésion 8*appelle aussi affirmation. Mais ce
dernier mot désigne plutôt la parole intérieure ou extérieure, par
laquelle Y Ame exprime son adhésion, que cette adhésion elle-même,
qui constitue proprement ce qu'on appelle le jugement.
Le jugement est-il un acte purement intellectuel, ou bien est-il
en outre volontaire? Les auteurs sont partagés. D'ailleurs c'est une
question qui i^egainle la psychologie. Is'ous la traiterons en son
lieu.
La simple conception peut être vraie ou fausse, sans rien chan-
ger & la connaissance de Tàme : concevoir n'est pas encore connaî-
tre. La connaissance ne commence qu'avec le jugement ; mais
aussi : avec le jugement peut commencer V erreur -
144. Hypothèse. — Quelquefois l'âme, sans adhérer absolument
à sa pensée, y donne une sorte d'adhésion momentanée et condi-
tionnelle pour en étudier les conséquences. Adhérer ainsi à sa pen-
aée, c'est supposer le fait qui en est l'objet, et cette quasi-adhé-
sion s'appelle hypothèse, L*h;ypothése est une adhésion provisoire
de l'Âme à sa pensée.
145. Conséquences. — Les conséquences, qui sont des pensées
tellement identiques à une autre qu'elles sont nécessairement vraies
ou fausses avec elle, peuvent être liées à une hypothèse ou à un
jugement; l'Ame, qui les voit comme conséquences, y adhère comme
elle a adhéré à la pensée d'où elles découlent : elles sont donc aussi
des jugements ou des hypothèses. Mais il est à remarquer que les
conséquences ne sont pas conséquences parce que l'Ame y adhè)*e
mais bien en elles-mêmes, et par leur relation logique avec les
principes dont elles sont les conséquences. La conséquence n'est
donc pas une quatrième forme de la pensée.
146. Résumé. — 11 n*y a donc que trois formes dans la pen-
sée: la conception simple, le jugement et l'hypothèse.
Cependant de la réunion de ces deux dernières formes, naît une
quatrièn^ forme de pensée qui est le jugement probqàle. C'est une
UNION DES ÉLÉMENTS DK LA PENSÉE 67
adhésion incomplète de Tâme, qui n'a pas de motifs suffisants pour
affirmer une pensée et qui pourtant se sent portée à Taffirmer.
g s. - PROPRIÉTÉS DIS P1HSÉI8.
147. Fondements de ces propriétés. — Les pensées diffè-
rent entre elles comme leura éléments.
Nous n'avons pas à nous occuper ici de leui*s propriétés physi-
ques ou métaphysiques, qui sont aussi nombreuses que les natures
des sujets et des attributs. Nous ne parlerons que des propriétés
logiques, qui sont fondées sur :
1^'. Les propriétés logiques du si\jet du fait.
2*. Les propriétés logiques de la nature du fait, ou attribut.
o**. Les propriétés logiques de l'existence du fait, ou du verbe.
4". Les propriétés logiques des circonstances du fait.
148. Propriétés du sujet. Jugement particulier ou uni-
Tcrsel. — Quand le sujet de la pensée est pris dans toute Texten-
sion de son idée, il est universel et par suite la pensée est univer-
selle. Si au contmire Tidée n*est sujet du fait que dans une partie
de son extension, la pensée est particulière. C'est ainsi qu^on dis-
tingue les jugements particuliers et les jugements universels.
Ex. Quelques hommes vivent longtemps, Jug. particulier.
Tous les hommes sont mortels, Jug. universel.
149. Propriétés de l'attribut. Jugement analytique ou
synthétique. — Quand l'idée qui est attribut est renfermée dans
la compréhension de Tidée du sujet, il suffit d'analyser le sujet
pour découvrir et affirmer l'attribut. Alors le jugement est ana-
lytique. Dans le cas contraire le jugement est synthétique.
Ex. Le triangle a trois angles. Jug. analytique.
Les planètes sont des corps opaques. Jug. synthétique.
150. Propriétés tirées de Fezistence du fait. — Les pro-
priétés de l'existence du fait sont le temps et le mode.
Aussi cette propriété du fait, n*est pas une propriété de la pensée.
Le temps d'un fait est présent, passé ou futur ; mais la pensée,
n'en est pas moins présente.
Quand au modo d'existence du fait, il e«t tout entier dans la pen-
08 ^ I.OGIQUK ABSTRAITE
sée. En lui-mOme, un fait ne peut être que réel et positif. Mais
dans la pensée, nous pouvons, ayant en vue un fait d*une existence
réelle, le considérer comme positif, ou comme négatif, et par suite
Taffirmer ou le nier. De plus nous pouvons concevoir un fait et le
supposer existant.
Dos lors Texistence du fait dans la i)ensée est réelle ou hypo-
thétique.
151. Pensée réelle ou hypothétique. — Les deux modes logi*
ques de l'existence du fait donnent naissance à la pensée réelle et à
rhjpothôse.
152. Jugement catégorique. — L'affirmation ou la négation
d'une pensée en tant que réelle, constitue le jugement catégorie
que.
Ex, La terre est ronde. — Le monde n'est ^ms éternel.
153. Jugements non catégoriques. — En combinant en-
semble Texistence réelle et l'existence hypothétique d'un fait, l'es-
prit conçoit deux autres sortes d'existences logiques d'un fait.
C'est l'existence conditionnelle et l'existence alternative.
154. Jugement conditionnel. — La. pensée qui a pour objet
un fait dont l'existence dépend de l'existence d'un autre fait, con-
çu comme une hypothèse, est une pensée conditionnelle; et l'affir-
mation de cette pensée sous cette forme est un jugem.ent condi-
tionnel. Ex : Si les hommes connaissaient Dieu ^ ils V aimeraient.
155. Jugement alternatif. — Le jugement alternatif au
contraire, porte sur deux faits dont l'un existe si l'autre n'existe
pas. On l'appelle plus souvent, quoiqu'avec moins de raison, jw^cs
m^ent disjonctif. Ex : Un être est simple ou composé.
156. Jugement afBrmatif ou négatif. — Enfin, la pensée
peut avoir pour objet un fait comme existant, ou un fait comme
n'existant pas , et l'adhésion de l'âme à ces deux pensées constitue
le jugement affirmatif et le jiigement négatif.
157. Jugements circonstanciés que distinguent les pro-
priétés tirées des circonstances du fait. -^ Le jugement peut
UNION DES ÉLÉMENTS DE LA PENSÉE 69
porter spécialement sur quelqu'une des ciixjonstances du fait, qui
sont: la manière dont il se produit, la cause pîir laquelle il est
produit, le motif, l'instrument, le temps, le lieu, la durée du fait.
D'où il résulte des jugements modiflcatifs, causatifs^ des juge-
ments sïir le motif, ririsfriiment, le teynps^ le lieu, la durée du
fmt. Tous ces jugements sont compris sous le nom de jugements
circonstanciés .
Ex. : jug. modificatif. Les choses so7it en Dieu comme dans
leur ^principe.
jug. causatif. Les choses sont jicir la volonté de Dieu.
jug. sur le motif. Tout acte libre est fait pour une fin,
jug. sur l'instrument. Nous percevons les couleurs par
les yeux.
jug. sur le temps. Socrate est mort l'an 400 avant J.^C.
jug. sur le lieu. Platon voyagea en Egypte.
jug. sur la durée. Lotiis XIV a régné 72 ans,
158. Propriétés relatives des pensées. — Toutes les pro-
priétés que nous venons de distinguer dans les pensées sont des pro"
priétés absolues ; c'est-à-dire, qu'elles se trouvent dans une pensée
considérée seule. Mais, quand on compare ensemble deux pensées, on
trouve souvent qu'elles ont des propriétés qui naissent de leurs l'ap-
poiHs. Ce sont des propriétés relatives. Nous en parlerons dans le
chapitre troisième.
159. Importance de toutas ces distinctions. — Le logi-
cien, qui veut connaître les lois de la vérité d'une pensée, a besoin
de faire dans la pensée toutes ces distinctions, afin de s'en servir
pour vérifier, dans tous les cas, la conformité d'une pensée avec
son objet intentionnel ; car la moindre différence , entre le fait in.
tentionnel et la pensée, rend la pensée fausse.
Cette distinction des conditions ou propriétés logiques des pensées
est surtout nécessaii'e dans le jugement; car l'aflirmation d'une
pensée qui n'est pas en tout conforme h son olrjet intentionnel est
une erreur.
160. Résumé. — La pensée peut être une simple conception,
une hypothèse ou un jugement, et ce dernier peut être certain ou
70 - Ï.OGIQUE ABSTRAITE
probable^ selon que Tadhésion de TÂme à sa pensée est absolue ou
inêlée d'héntatton. Si Thésitation est telle queTâme suspende son
adhésion jusqu'à plus ample information, c est le doute.
Les pensées ont des propriétés qui leur viennent de leurs élé-
ments et qui en modifient la valeur logique. Par là on distingue :
les jugements particuliers et les jugements universels; les juge-
ments analytiques et les jugements synthétiques; les jugements
catégoriques, les jugements conditionnels et les jugements alter-
natifs ; les jugements affirmatifs et les jugements négatifs ; enfin les
jugements circonstanciés.
3^ loi de la logique abstraite. — Ne pas confondi'e le ju-
- gement avec la simple conception ou avec riiypothôsc.
Ne pas confondre les diverses propriétés des pensées et surtout
des jugements.
161. Propriété logique nécessaire à tout jugement. La
▼érité — [D'après tout ce qui précède, un jugement est l'affirma-
tion d'un fait, par Taffirmation d'une pensée. Parla mémo tout ju-
gement est destiné à constituer la connaissance d'une réalité. Si d<mc
il affirme ce qui n'est pas, il est diftbrmo; c'est un monstre logi-
que, qu'on appelle Verreur.
162. Conditions de la vérité d'un jugement. — J^e juge-
ment qui est l'affirmation d'une pensée, n'est une eri'eur qu'autant
que la pensée qu'il affirme est fausse. Or la pensée se compose
d'idées, qui sont vraies ou fausses selon leur rapport avec leur objet
intentionnel. Donc, pour qu'une pensée soit vraie, et par suite pour
qu'un jugement soit vrai, il faut et il suffit que la pensée ne renfer-
me que des idées vraies. A cette condition en effet, la pensée est la
conception exacte du fait intentionnel; elle est vraie et le jugement
aussi.
163. Observation importante et preuve de ce qui précède.
— Le jugement ne fait que constater et affirmer l'identité logique
de deux idées (138), et par là il affirme un fait. Donc pour que le
jugement soit faux, il est nécessaire:
Ou 1® que les éléments du fait ne soient pas tels qu'on les conçoit
dans ces deux idées.
UNION DES ÉLÉMENTS DE LA PENSÉE 7J
Ou 2^ que les deux idées ne soient pas logiquement identiques.
Or, comme rien n'est plus visible qu'une identité, il n'est pas
possible que Tàme affirme Tidentité de deux idées qui ne sont pas
identiques. Donc, quand Tâme prononce un jugement erroné, ce ne
peut être que parce que les idées qu'elle a des éléments de ce fait
sont fausses. Donc:
4^ loi de la logique abstraite. —= Tout jugement doit être
vrai, et pour cela il faut et il suffit qu'il ne l'enferme que des idées
vraies.
Scholie. — On accuse souvent les hommes de manquer de juge-
ment ; c'est à tort. Le jugement en lui-môme est infaillible chez tous
les hommes. Quand un homme se trompe c'est que ses idées sont
fausses.
Observation. — D'après ce que nous avons observé sur la distinction
et la vérité des idées, (127, observation) nous pouvons dire ici que :
1» Les jugements purement abstraits sont presque nécessairement
vrais, car il est diftleile que les idées qui les composent soient fausses.
Aussi les mathématiciens ne disputent guère que de méthode, et tous
.affirment les mêmes vérités générales.
2o Les jugements universels sur les propriétés et les lois des différentes
classes d'êtres réels, ne peuvent être vrais qu'après des observations suf-
Ûsante^:. Voilà pourquoi une loi que l'on s'était trop hâté de formuler
dans les sciences naturelles se trouve souvent condamnée par des obser-
vations plus complètes.
3p Les jugements individuels que nous formons sur les hommes, sont
plus ([ue tous les autres sujets à erreur ; parce qu'il est difficile que nous
ayons d'un homme une idée parfaitement vraie.
— Il est difficile d'avoir sur tout ce que nous coniiaissons des idées
complètes, mais, tant que nous ne concevons et n'affirmons d'un être que
des éléments qu'il renferme en effet, quand même nous ne connais-
sions pas tout ce quil est, notre idée est incomplète, mais elle n'est pas
fausse. Kt c'est là l'important. L'homme ne peut atteindre la science uni-
verselle ; mais il doit savoir, dans ses jugements, n'affirmer que ce qu'il
connaît en effet, sans aller au delà. C'est en ce sens qu'il faut entendre
cette loi essentielle de la logique : tout jugement doit être vrai.
!■*■■
72 LOGIQUE ÂBSTKAITE
Chapitre II
EXPRESSION DE LA PENSÉE.
164. Dmaion de ce chapitre. — Au sujet de Texpression de
la pensée nous nous dejUanderons d*aboi\l si elle est. nécessaire,
2* en quoi elle consiste, 3° quelles en sont les lois. De là trois
articles :
1° Importance et nécessité de l'expression de la i>ensée.
2** Natui^e de cette expression : Langage.
3^ Lois du langage.
Article !•'
IMPORTANCE ET l^ÊGESSITÉ DE L'EXPRESSION DE LA PEKSÊE.
165. Condhions de Texereice de la pensée. — La i)ensée,
avons-nous dit, est une information de Tàme. Il lui faut donc une
forme quelconque. Et cette forme doit être en rapport avec les con-
ditions où se trouve notre âme elle-même. Or c'est un fait d'expé-
rience que nous ne concevons qu'à l'aide de formes sensibles. Aussi
nous pouvons concevoir à la rigueur une idée sensible, sans l'expri-
mer, mais pour les idées abstraites il nous faut quelque chose qui
leur donne un corps. De plus pour faii*e revivre en nous une pensée
que nous avons eue, il nous faut un objet sensible dont la perception
ramène cette première pensée, et surtout, pour communiquer nos
pensées à d'autres, comment pourrions-nous le faire, sans des raovens
sensibles ?
166. Nécessité de Texpressioii de la pensée. — Donc, soit
pour faire naître en nous la pensée, soit pour la faire revivre, soit
surtout pour la communiquer, il nous faut un mo;v'en sensible qui
soit l'expression de la pensée.
167. Importance de Texpression de la pensée, même
pour les idées sensibles. -^ Quand ro1>jet d'une idée est sensi-
EXPRESSION DE LA PENSÉE 73
ble, il est facile de compi*endi*e que nous pourrions, en le voyant, en
acquérir Fidée sans Texpriraer ; mais cette idée ne pourrait être que
ridée de cet objet*lJi, et non de tous les objets semblables. Or c*est
surtout cette conception de l'espèce d'un objet, que nous voulons.
Il est donc impoi*tant, même pour les idées sensibles, que nous ayons
une expression, afin de les généraliser. Donc:
168. Conelusion. — L'exercice de la pensée, sous toutes ses
formes, exige un moyen sensible pour l'exprimer.
5* loi de la logique abstraite. — L'expression de la pensée
est nécessaire à l'exercice de la pensée.
Article 2*
NATURE DE L'EXPRESSION DE LA PENSÉE. — LANGAGE.
169. État de la question. — Nous n'avons pas à rechercher
ici quel est le meilleur moyen que nous pourrions avoir pour expri-
mer notre pensée. Nous devons constater seulement que ce moyen
existe et qu'on Tappelle le langage. Et d'ailleurs, en l'examinant on
le trouve si bien approprié à sa fin, que nous ne saurions jamais
imaginer quelque chose de plus parfait.
170. Division de cet article. — Nous avons donc à étudier le
langage en général et ses diiférentes formes, les instruments qu'il
emploie et enfin son origine. Nous devons en voir les lois dans
l'article suivant.
§ 1. - DO UNGifiR R Dl SIS DlFTlRISTES MUS.
171. Du langage en général. — On donne le nom de langage
à tout ce qui exprime une pensée. Mais, quand on dit simplement :
le langage y on veut désigner un système de signes sensibles dont
les différentes combinaisons régulières peuvent exprimer toutes les
pensées des hommes. On peut donc définir le langage : Veœpreasion
de la pensée. Ces deux mots, ainsi pris absolument, disent tout.
172. Différentes formes du langage. — On distingue le
l€ii%gage d'ojcHon ou des gestes, le langage parlé et le langage
écrit.
74 LOGIQUE ABSTRAITE
173. Laagaf e d'action. — Le langage d'action exprime les
pensées par des mouvements du corps qui s'adressent aux yeux
principalement, quelquefois au tact, et même à l'ouïe, mais par des
cris inarticulés. Le langage d'action \)e\ii ôtre naturel ou artificiel.
174. Langage parlé. — Le langage parlé s'adresse uniquement
à l'ouïe et se fait par la parole, système de sons articulés, dont
nous devons traiter plus loin. Il est toujoure artificiel, mais toiyours
1)asé sur la nature, au moins dans ses principes.
175. Langage écrit. — Le langage écrit est un système de
signes graphiques, qui s'adressent aux yeux, et dont les combinai-
sons artificielles expriment les pensées.
176. DÎTcrses espèces de langage écrit. — Le langage
écrit est idéographique* ou phonétique.
117 . Ecriture idéographique. — Dans IVcriture idéographi-
que, les signes représentent directement les idées et indirectement
la parole qui les exprime. Telle était en partie l'écriture hiérogly-
phique des Egyptiens, telle est encore celle des Chinois. Les signes
que nous employons pour l'arithmétique sont aussi idéographiques.
178. Ecriture phonétique. -» Dans l'écriture phonétii^ue, les
signes représentent directement la parole et, par elle, la pensée.
L'écriture phonétique est de deux sortes : syllahique ou alpha-
bétique.
179. Ecriture syllahique. — Dans l'écriture syllabique. cha-
que signe représente une émission de voix.
180. Ecriture alphahétique. — Dans l'écinture alphabétique
chaque signe représente seulement un des éléments d'une émission
de voix.
181. Laissant de côté le langage d'action, qui seul est ti'ès-im-
parfait, nous nous occuperons seulement du langage parlé et du
langage écrit alphabétique , qui nous sont familiers et qui se com-
plètent Tun l'antre. Leurs instruments sont la parole et l'écnture.
LANGAGE ' 76
182. De la parole. — La parole est un système de sons aHicu-
lés émis par la voix humaine et destinés à exprimer les pensées.
Les sons articulés, qui sont des émissions de voix distinctes, se com-
posent eux-mêmes de sons et d'articulations ; les combinaisons de
ces sons articulés forment les mois ; les combinaisons de mots fort
ment les propositions et les phrases. Toutes ces combinaisons sont
déterminées par Tusage , mais cet usage est presque toujours trés-
logique.
183. De récriture alphabétique. — L'écriture alphabétique
est un système de signes graphiques appelés lettres^ (dout les com-
binaisons expriment directement la parole et, par elle, la pensée)
dont les unes , appelées voyelles , représentent les sons , et les au-
tres, appelées consonnes , représentent les articulations. Les com-
binaisons des voyelles et des consonnes foraient d'abord les syllcu-
hesy qui sont les signes des sons articulés ou émissions de voix. Les
combinaisons de syllabes forment les mots, et les combinaisons de
mots forment les propositions et les phrases,
184. Expression des idées et des pensées par le langa-
ge. — Ainsi l'expression parlée ou écrite d'une idée s'appelle
mot ; l'expression parlée ou écrite d'une pensée s'appelle proposi^
tfon ou phrase,
185. Multiplicité de la parole et de l'écriture. — Chaque
peuple a son système particulier de parole et d'écriture pour expri-
mer ses pensées. Ce sont ces divers systèmes de parole qui consti-
tuent les diverees langues ou idiomes.
186. Division des langues. — Les langues qui ont été oii sont
encore parlées dans le monde sont innombrables. On y distingue la
langue primitive, entièrement perdue, et les langues dérivées.
Parmi les langues dérivées, celles qui en ont engendré d'autres
sont appelées langues-mères.
Les langues que Ton ne parle plus vulgairement sont appelées
langues mortes, et celles que Ton parle aujourd'hui, langues vi^
vantes. Parmi toutes ces langues, on distingue encore: les langues
analytiques, dans lesquelles on exprime les idées complexes par
plusieurs mots, d'un sens général, et qui se précisent par leur union ;
76 LOOIQUK ABSTRAITE
et les langues synthétiques^ dans lesquelles un seul mot exprime une
idée complexe et se modifie pour exprimer les idées accessoires qui
viennent s'ajouter à l'idée principale.
%l. 0EI6IHI DULARSiGI.
187. Double sens de la question. — On peut demander à
ce sujet, 1^ comment le langage est entré, de fait, dans le genre
humain, 2^ comment il aurait pu y entrer. En deux mots : origine
de fait, origine possible.
188. Ori^ne de fait. — Il est constaté, par l'histoire, que les
hommes ont toujours parlé : donc ils n'ont pas inventé le langage.
189. Origine possible. — On ne conçoit pas comment des
hommes qui n'auraient pas parlé auraient pu : I"" imaginer la par
rôle pour exprimer leurs pensées, 2® convenir d'un système de
parole qui leur fût commun ; sans quoi le langage eût été inutile.
Ainsi on ne conçoit pas que les hommes eussent pu inventer le
langage.
190. Origine de T écriture alphabétique. — L'écriture
alphabétique est basée sur une analyse de la parole que nous ne
pouvons faire nous-mêmes, que par les lettres de l'alphabet. Il paraît
donc peu probable que l'homme ait inventé l'écriture alphabétique ,
bien que les monuments primitifs ne permettent pas d'affirmer qu'on
ait écrit ainsi avant le Déluge . Cependant bien des auteurs ont cru
trouver dans les hiéroglyphes des Egyptiens le moyen de transition
qui aurait servi à découvrir peu à peu l'écriture alphabétique.
Malheureusement cette écriture qui était certainement en plein
usage du temps des Ptolémées, et qui n'offre pas de monument dont
on puisse garantir la haute antiquité, pourrait bien n'être qu'une
cryptographie inventée après l'écriture alphabétique. C'est là une
question de fait qui ne nous paraît pas encore vidée, malgré les
nombreux travaux modernes ou contemporains sur cette question.
I.ANGAGK 77
Article 3«
LOIS DU LANGAGE
191. Définition. — Les lois du langage, sont les règles des re-
lations des mots avec les pensées, c*est-à-dire, les rôgles de la signi-
fication des mots.
192. Triple signification des mots. — Chaque mot a, dans
chaque proposition, trois sens.
1® Le sens terminologique, par lequel il exprime telle ou telle
idée, en elle-même.
2® Le sens grammatical, par lequel il exprime les modifications
de cette idée.
3* Le sens logique, par lequel il présente cette même idée
comme un des éléments de la pensée.
193. Trois sortes de lois du langage. — Le langage a donc
trois sortes de lois : les lois terminologiques; les lois grammaticales
et les lois logiques.
194» Division de la science du langage. — La science du
langage comprend donc trois branches : la Terminologie, la Gi^m-
maire et la Logique du langage.
On apprend la terminologie par TusEige et en s'aidant quelquefois
des dictionnaires ; la grammaire et la logique du langage dans des
livres spéciaux. Nous n'en dirons que ce qui importe le plus à noti'e
objet.
gl. TIR1IX9LI6II.
195. Définition. — La terminologie est la science des termes
en tant qu'ils expriment une idée.
Le mot terminologie est mal formé, au point de vue philologique,
puisqu'il est formé d'un mot latin et d'un mot grec ; mais il est admis, et
le mot lexicologie, qui devrait le remplacer, a été employé déjà dans un
autre sens.
196. Termes. — On appelle terme toute combinaison de mots
78 LOGIQUE ABSTRAITE
qui exprime une idée. On distingue les termes simples, ordinaire-
ment formés d'un seul mot, avec ou sans article, et qui n'expriment
qu'une seule idée; Exemple: Socrate; Athènes; la Grèce; les
termes composés, qui présentent plusieurs idées sous un même point
de vue ; César et Pompée ; le Sétiat et le Peuple ; et les termes
complexes, qui expriment plusieurs idées dont les unes complètent
les autres, Exemple : Le peuple romain . Un terme complexe peut
avoir un très grand nombre de mots: Exemple: Celui qui rê^
gne dans les cie^ix et de qui relèvent tous les empires, d qui
seul appartient la gloire, la majesté, V indépendance,
197. Propriétés des termes. — Comme les termes expriment
les idées, ils en ont toutes les propriétés. Ils sont vrais ou faux :
identiques ou non identiques ; analogues, opposés, dépendants-; clairs
ou obscurs ; distincts ou confus ; absolus ou i^elatifs ; explicites ou
implicites ; positifs ou négatifs ; concrets ou abstraits ; universels ou
particuliers. Ils ont tous, comme les idées, une extension et une
compréhension, qu'il importe de déterminer par la définition et la
division ; car définir les termes c'est définir les idées .
198. Sens des termes. — Le sens des termes est l'objet
principal de la terminologie. Employer toujours pour exprimer une
idée le terme qui lui convient c'est observer ce qu'on appelle la
propriété des terynes, c'est-à-dire, employer toujoui*s le terme
propre. Mais il faut distinguer dans les termes trois sortes de sens:
\q sens propre le sens figuré et le sens combiné. Le sens propre
d'un mot est le rapport direct entre ce mot et l'idée qu'il exprime.
Le sens figuré est un sens indirect que l'on donne à un mot, à rai-
son d'un rapport entre l'objet de son sens propre et celui du sens fi-
guré. Le sens combiné est le sens donné à un mot par son union il
un autre mot. Le môme mot a quelquefois plusieurs sens propres
et plusieurs sens figurés. Quant au sens combiné, on comprend que
chaque combinaison de plusieurs mots peut former un nouveau sens
combiné.
Par exemple, le mot table a d'abord plusieurs sens propres : table
à manger, table à jouer, table à écrire, table d'un livre.
On dit au figuré : là table et le logement^ et dans un sens combiné :
LANGAGE 79
faire table rase. Ici chacun des mots employés a changé de sens en
entrant dans la combinaison.
Le sens des mots est déterminé par l'usage, mais il ne faut jamais
que l'usage contredise l'étjmologie ; si ce n est par ironie, par anti-
phrase ou par euphémisme. C'est ainsi que la Bible dit : benedicere
DeOf pour maledicere..,, et que dans presque toutes les langues, le
môme mot signifie sacré et maudit,
199. Sens intentionnel des termes. — On peut par intention
employer le même terme dans des sens différents, surtout les
noms.
Et d'abord on peut donner à un terme un sens formel ou un sens
matériel. Le sens est formel quand le mot désigne un être au point
de vue de l'idée môme qu'il exprime : Ex : Un soldat doit mourir
à son poste. Le sens est matériel, quand le mot désigne l'ôtre au-
quel cette idée convient à un autre point de vue ; Ex : Ce soldat
wVi trompé.
On peut encore employer un terme dans un sens distributif o\x
dans un sens collectif. Le sens est distributif quand le mot dési-
•gne tous et chacun des ôtres que Ton a en vue ; Ex : Ces soldats ont
passé la rivière ; il est collectif qvLOJid le mot les désigne tous en-
semble mais non chacun en particulier. Ex : Ces soldats ont pris la
ville d'assaut.
Enfin on emploie les termes dans un sens divisé ou dans un sens
composé. Le sens est divisé, quand l'attribut ne convient au sujet
qu'autant qu'il n'est plus dans l'état où le suppose le terme par le-
quel on le désigne. Ex: Celui qui dort peut veiller ( quand il ne
dormira plus ) . Les aveugles voient, les bottei^ marchetit (ceux
qui étaient aveugles ne le sont plus quand ils voient, et ceux qui
étaient boiteux, ne le sont plus quand ils marchent droit). Le
sens est composé, quand l'attribut s'applique au sujet gardant la
qualité que lui suppose le terme qui le désigne. Ex : Les avares
n'entreront pas dans le royaume des deux (s'ils demeurent ava-
res, mais non s'ils cessent de l'être).
Les termes prennent aussi un sens intentionel qu'ils ne renfer-
ment pas en eux-mêmes, soit par l'usage, soit par le ton de la voix,
la tenue du corps et du visage, soit enfin par la forme de la
phrase*
80 I.OGIQUK ABSTRAITE
200. Importance logique de la diatinotion dea iermea, de
leura propriétéa et de leura aignificationa. — Nos idées
et nos peasées reposent presque entièrement sur des mots. Il s^ensuit
que la confusion des mots amène la confusion des idées et des pensées.
Aussi n'est-il pas rare de voir les hommes qui veulent tromper leurs
semblables abuser des différents sens d'un même mot. Souvent aassi
on se trompe soi-même faute de bien faire toutes ces distinctions
avant de faire un raisonnement.
6® loi de la logique abatraite. Loi terminologique. — Que
les termes soient Texpression exacte des idées.
S 2. LIGiaCI DD LiNGAOl.
201. Définition. — La logique du langage est la science des
lois de la proposition. Ces lois règlent par là même tous les mots qui
la constituent.
202. Propoaition. — Une proposition est Texpression d'une
pensée, et par suite, l'expression d'un fait.
L'usage s'est introduit et généralisé de définir la proposition : Ve^cpres-
sion d'un jugement. Ce sont les logiciens qui ont donné cette définition
et ils l'ont donnée au point de vue du syllogisme. Or, comme nous le.
verrons plus loin,xe que, dans le syllogisme, on appelle /^/'opost^t on est
toujours renonciation d'un jugement, et ce jugement est catégorique
conditionnel ou disjonctif. Leur définition était donc exacte. Mais, quand
les grammairiens, traitant de l'analyse logique, parlent de la proposition,
ils entendent tout autre chose. En effet, là où le logicien, dans un juge-
ment conditionnel, ou dans un jugement disjonctif, ne voit qu'une seule
proposition, le grammairien en voit deux, et aucune de ces deux propor-
tions n'est l'énonciation complète d'un jugement. De plus, le grammai-
rien reconnaît des propositions subjonctives, impératives, optatives; plu-
sieurs même comptent des propositions infinitives; et cependant toutes
ces formes de la pensée n'expriment pas un jugement. C'est pourquoi,
considérant que le mot proposition a changé de destination et désigne
aujourd'hui autre chose, nous avons changé aussi la définition reçue, et
nous définissons ce que tout le monde entend aujourd'hui par le mot pro-
PpsitiOn.
LANGAGE 81
203. Éléments de la proposition. — Les élémonts de la pro-
position sont Foxpi-ession des éléments de la pensée (45). On les
appelle: sujet, verbe, attribut et compléments. Ces éléments sont
censés être l'expression des éléments du fait: sujet, existence, na-
ture et circonstances du fait : (43) .
204. Union de ces éléments. — Les éléments de la proposi-
tion s*uniâS6nt comme les éléments de la pensée (141). Le verle
exprime Tidentité logii^uc du sujet et de Tattribut dans les circons-
tances exprimées par les compléments.
205. Propriétés des propositions. — La proposition expri-
me toutes les conditions logiques de la pensée : la simple conception
Y hypothèse, \e jugement ou le doute.
Elle exprime encore toutes les propriétés des pensées. L*extension
2yarticuliêre ou universelle du sujet ; c'est ce (^ue les scolastiques
appelaient: Quantitas propositionis. Le' rapport analytique ou
synthétique de l'attribut au sujet ; TafErmation catégorique, con^
ditionnelle ou alternative de la pensée, c'est-ù-dire, l'identité
catégorique y conditionnelle ou alternative de l'attribut et du sujet ;
Vaffirmation ou la négation du fait, c'est-à-dire Videntité ou la
no7i-4dentité du sujet et de l'attribut. C'est ce que les scolastiques
appelaient: Qualitas propositionis, Doli\ dérivent les différentes
formes des pi*opositions.
200. Distinction des propositions. — Comme pour les'
pensées, on distingue : les propositions particulières et les proposi-
tions universelles ; les propositions analytiques et les propositions
synthétiques ; les propositions catégoriques, conditionnelles ou al-
ternatives ; les propositions affirmatives et les propositions négati-
ves.
De même que les termes, les propositions peuvent être simples,
composées ou comjylexes^ dans les mômes conditions.
Simples, quand elles ne renferment que leurs trois termes essen-
tiels et que chacun de ces trois termes est simple. Exemple: Le
jugement est une affirmation.
Composées^ quand l'un des termes au moins est composé. Exem-
ple : Le jugement et Vhypothèse sont des affirmations.
Complexes, quand l'un des termes au moins est complexe, ou
6'
82 LOGIQUK AnSTUAITK
quand la proposition renferme des éléments accessoires. Exemples :
L'hypothèse est une affirmation jirovisoire, — Dans le dou-
te, r affirmation 7i*est que dans Ips mots,
La proposition est complexe aussi, quand elle i*enfermo d'autres
propositions, qui lui servent de sujet, ou d'attribut, ou de complé-
ment. Exemple: L'affirmation dont on se sert pour exprimer le
doute n'est pas dans la pensée, si ce n'est pour affermer le doute
lui-même.
Il faut observer que dans les propositions complexes Tafllrma-
tion ou la négation peuvent iwrter précisément sur l'idée qui i-end
la proposition complexe .
7« loi de la logique abstraite. Loi des propositions. —
Que la proposition soit l'expression exacte de la pensée.
g s. — GRINXAIRK
207. Définition. — La grammaii-e est la science des modifica-
tions des mots.
Ici encore nous abandonnons la défmition couimunément re«^«e, que
nous trouvons fausse. Kn eflet : Pour parler et écrire correcteinenl uue
langue, il faut d'abord savoir par quel mot de cette langue, on désigne
les choses que l'on veut nommer, les qualités que Ton désîre attribuer à
ces choses, et les actions dont ces choses peuvent être le sujet ou l'objet.
Or c'est ce que la grammaire n'enseigne pas et ne saurait enseigner.
C'est là le domaine de la terminologie, beaucoup plus importante et
plus longue à apprendre que la grammaire d'une langue. La grammaire
telle qu'elle est, non pas définie, mais conçue par tous, donne les régies
d'après lesquelles on modifie les mots d'une langue, et l'usage que l'on
doit faire de ces modifications.
Quant à la question, si souvent débattue, de savoir si la grammaire
est un art ou une science, nous la tranchons ici, pour le point de vue au-
quel nous nous plaçons ; car si la grammaire de telle langue est un art
pour l'enfant qui l'étudié, et qui ne la raisonne pas, la grammaire géné-
rale, la seule que nous traitions ici, est une science pour nous qui vou-
lons la raisonner.
Nous aimerions mieux dire : La grammaire est la nomie des modifi-
cations des mots. Ciiapun pourrait ensuite s'en faire un art ou uue scien-
ce, selon la manière dont il l'étudierait ; mais le mot nomie que nous
avons proposé (Introduction, p. 14.) est trop nouveau pour que nous
osions l'employer ainsi, sans faire aucune remarque.
LANOAGIS 83
208. Modifications des mots. — Toutes les nuances de sens
que peut offrir un môme mot, tout en exprimant toigours la même
idée, constituent les modifications des mots.
209. Division des modifications des mots. — On modifie
les mots de deux manières : par des flexions et par des combinai-
sons modificatives.
210. Flexions. — Les fiexions sont les différentes formes que
l'on donne à un même mot, par le changement de certaines lettres.
Les diverses fiexions d'un môme mot ne différent souvent que par
la terminaison du mot ; mais on trouve dans toutes les langues
assez de mots dont certaines fiexions se font par le changement de
quelques lettres, soit du milieu, soit du commencement du mot, ponr
qu'on ne remplace psbs, comme la plupart des grammairiens, le moi
fleœions par le mot terminaisons. Dans toutes les fiexions d*un
même mot, une partie reste la môme, c^est le radical. Le radical
exprime l'idée, les fiexions diverses en expriment les modifica-
tions.
211 Combinaisons modificatÎTes. —- Les combinaisons mo-
dificatives sont des combinaisons de mots dont les uns modifient les
autres.
212 Division de la grammaire. — D'après ce qui précède, la
grammaire doit constater deux sortes de lois.
1^ les lois de formation des fiexions d'un môme mot et des combi-
naisons modificatives.
2^ les lois de l'emploi de ces mômes fiexions et combinaisons mo-
dificatives.
La première partie n'a pas reçu de nom adopté communément.
Quelques-uns l'ont appelée, très -improprement, lexicologie ou
leociologie, d'autres, moins improprement Caœilogie ; la plupart
ne Tont pas nommée. Nous proposons le mot clinologie^ qui, si-
gnifiant science des fiexions, en indique parfaitement la nature et
l'objet. La seconde partie s'appelle syntaxe, mot qui signifie ordre
d'ensemble. Cette partie enseigne en effet les lois selon lesquelles on
doit mettre ensemble les diverses fiexions des mots.
213. Clinologie. — Pour déterminer les diverses flexions que
peuvent prendre les mots, la grammaire classe les mots selon leurs
84 LOGIQUE ABSTRAITE
fonctions grammaticales, et par là elle met ensemble tous les mote
qui prennent des flexions de môme nature, et met à part les mots in-
variables.
On connaît les dix espèces de mots reconnus par presque tons
Jes grammairiens. Mais ce qu*on ne connaît pas, c'est la raison de
cette classification.
Nous allons la donner en tableau :
SUBSTANTIFS.
TABLEAU DE LA CLASSIFICATION DES MOTS
Appellatifs ... Noms.
Supplétifs Pronoms.
} SlGMIICATin^ ( Dislinctifs.... Adjectifs.
ides BObstaatlf s , I Effectifs Verbes.
(Effect.etdist. Participes.
des modiflcatlfs Adverbes.
0\ / I pour les rendre substantifs .. Articles.
•^ f AWILIAIRB. J *** ^^^ 1 * " ® modiflcatifs Prépositions .
des propositions Conjotictions.
i IxaiMATIIS.. Interjections.
Tel est Tordre logique de la classification des mots ; les grammai-
res en suivent un autre qui facilite renseignement, et qui, à son
tour, est Tordre logique de Tenseignement. Nous verrons en effet que
Tordre logique de la création d'une science n'est pas toujours celai
de Tenseignement de cette science.
214. Syntaxe. — Aprôs avoir donné les lois de la formation des
flexions des mots, la grammaire indique les lois de l'emploi de ces
mêmes flexions. C'est la sjmtaxe. La sjntaxe prend ses principes
dans la logique du langage ; mais les applications aux diverses lan-
gues n'en sont pas les mêmes, et elles sont déterminées par Tusa^.
215. Importance de la grammaire pour le logicien. —
La science grammaticale et en général la science du langage sont
nécessaires au logicien ; car, en déterminant le sens des mo;ts et des
propositions, elles rendent les pensées distinctes. L'ignorance des
lois du langage amènerait nécessairement la confusion, cause de
beaucoup d'erreurs.
8« Loi de la logique abstraite. — L'expression de la pensée,
pour être exacte, doit être conforme aux lois du langage.
Nous nous étions proposé d'abord de traiter assez longuement les
RELATIONS DBS PEN8ËB8 85
lois du langage et en particulier la grammaire générale, mais pour ne
pas trop augmenter le volume, nous avons renvoyé à un ouvrage spé-
cial les nombreuses vues nouvelles que nous avons sur cette matière.
m
Chapitre III
RELATIONS ENTRE LES PENSÉES
216. Des différentes relations des pensées entre elles. —
Deux pensées peuvent être : analogues, opposées, converse», équi-
valentes, ou connexes.
217. Analo§pie. — Deux pensées sont analogues, quand elles
ont quelques éléments communs ; c'est-à-dire, quand les faits qu'el-
les expriment ont quelques éléments identiques. L'analogie est une
source féconde de développements dans la pensée. Elle donne À la
conversation cette variété sans soubresauts, qui en fait le principal
charme. Si on en use bien, elle peut être, pour les sciences, un fil
conducteur trôs-utile. Nous en verrons plus loin la valeur lo-
gique.
218. Opposition. — Deux pensées sont opposées, quand l'une
renferme la négation du fait que l'autre affirme. Il y a deux gortes
d'opposition : la contradiction et la contrariété.
Deux pensées sont contradictoires, quand l'une nie simplement
ce que l'autre affirme : Je suis très^heureucc ; Je ne suis pas très~
heureux, — Quelqu'un vient ; Personne ne vient. L'une afiir-
me ctjautre nie le môme attribut du même sujet, sous le même point
de vue. Affirmatio ejusdem de eodem, sub eodem respect u.
Deux pensées sont contraires quand l'une nie plus que l'autre
n'affirme, ou aflîrme plus que l'autre ne nie. Je suis très-heu^
reua; ; Je suis très-malheureux. — Plusieurs personnes sont
venues / Personne n'est venu,
219. Conversion. — Deux propositions sont converses, quand
le sujet de l'une est l'attribut de l'autre, et que l'attribut de la pre-
mière est sujet de la seconde. Ex : Dieu est V Infini ; V Infini est
Dieu,
Pour qu'une définition soit lx)nne il faut qu'on puisse ainsi la con-
S6 LOGIQUE ABSTRAITE
veitir, en trausposant le siyet et l'attribut, sans en changer la Te-
nté.
m
220. EquÎTalence. — Deux pi*opo.sitions 9ont équivalentes
quand, sans éti-es formées des mêmes tenues, elles expriment abso-
lument le même fait. Ex. // est mort ; Il a cesse de vivre.
221. Connexion. — Il v a connexion lojrique enti-e deux pi'o-
positions, quand elles sont nécessairement vraies ou fausses en même
tempe. E.i\ : Voilà une maison ; on Va construite.
222. Importance de ces distinctions. — Toutes ces distinc-
tions de relations entre deux pi*opositions sont destinées k faciliter
la recherche de la vérité. En eflet : Lanalogie n*établit pas la
vérité mais elle y mène ; V opposition entre deux pi*opositions éta-
blit: 1** que, si Tune des deux est vraie, l'autre est nécessairement
fausse ; 2* que, de plus, entre deux propositions contradictoires, si
Tune est fausse, l'autre est nécessairement vraie; la conversion
sert à vérifier les définitions ; rêqui valence, comvùBhi connexion ^
établit que les deux proi)ositions sont nécessairement ou toutes deux
vraies, ou toutes deux fausses.
La plus importante de ces relations c'est la connexion logique, et
c'est de celle-là que nous allons nous occuper plus s^iéoialement dans
ce chapitre.
223. Division du chapitre. — Nous en étudierons d'abord la
nature et les fondements ; nous en verrons ensuite la manifestation,
et Tadhésion que Tàme donne nécessairement à cette connexion : dou-
ble opération qui s'appelle raisonnement; nous étudierons alors
l'expression du raisonnement, qui prend, dans sa forme la plus
simple et la plus complote, le nom de syllogisme ; enfin nous verrons
la connexion complexe d'un grand nombre de pensées, que Ton
appelle méthode.
Donc quatre articles :
V* Connexion simple des i>ensées; sa nature et ses fondements.
2^ Manifestation et affirmation de cette connexion, ou raisonne-
ment.
3^ Expi^ession du raisonnement, ou syllogisme.
4* Connexion complexe des i>ensées, ou méth^ide.
CONNEXION DES PENSÉES • 87
Arttcle .V
SATURE ET FONDEMENTS DE LA CONNEXION DES PENSÉES
224. Idée première de la connexion des pensées. — Ce
qu*il y a de plus apparent dans la connexion de deux pensées c'est
une sorte de lien logique, par lequel deux pensées connexes sont tou-
tes deux vraies ou toutes deux fausses, en sorte que : affirmer Tune
c'est affirmer l'autre; nier l'une c'est nier l'autre.
225. Recherche de la nature de cette connexion, — Mais
d'où peut venir et en quoi peut consister ce liea nécessaire ? Ce lien
tout le monde Taperçoit, tout le monde l'affirme, quand deux pensées
connexes sont données ; et poui'tant aucun philosophe n'en a encore
fait voir la nature. Nous l'avons donc cherchée, et voici le résultat de
notre étude.
226. Fondements de la connexion des pensées. — Toutes
les fois que deux pensées sont connexes sans être équivalentes, il y a
entre elles un des trois rapports suivants :
1" Rapport mutuel entre la cause et son effet.
2®' Rapport mutuel entre la loi et le phénomène qu'elle régit.
3<* Rapport mutuel entre Tespôce et l'individu qui en fait partie.
Ces trois ordres de rappoils mutuels ont-ils quelque chose de com-
mun ? Constituent-ils au fond un môme ordre de rapports, pour que
nous agissions toujours envers eux de la même manière, dans nos
affirmations ?
227. Unité de ces trois fondements. — Ces trois ordres de
rapports se confondent en effet en un seul, quand on les considère au
point de vue logique. En voici la démonstration.
228. Rapport mutuel entre la cause et son effet. —
Que faut-il entendre par cause et par effet ? Pour tout le monde,
-/a cause c'est ce qui produit, et Veffet c'est ce qui est produit.
Mais dans ces mots, ce qui produit^ faut-il voir Ja suljstance de
l'être qui produit ? Evidemment non. La substance par elle-même
ne produit pas. C'est donc l'action de cette substance qui est cause.
Et par effet fautril entendre la substance avec. la modification
88 LOOIQUB ABSTRAITE
qu*elle reçoit de 9a cause? Evidemment non encore. La pubstauce
de Tôtre dans lequel on produit une modification n*e$t pas Teifet
delà cause qui la modifie. Par exemple : Un ouvrier, un sculp-
teur fait une statue. Est-ce l'ouvrier qui est cause ? Non, c'est
son action. Est-ce la statue qui est l'effet ? Non, c'est la modifica-
tion que reçoit le marbre. Mais le marbre n'est pas l'effet de l'ac-
tion de l'ouvrier: Il y a plus encore.
L'action qui produit un effet, n'est appelée crtî*^^ que parce qu'el-
le produit un effet ; elle n'est cause que de cet effet. De son côté
la modification qui est produite n'est appelée effet que parce
qu'elle est produite par une cause. En sorte que être cause c'est
produire un effet (proditcere), et être effet c'est être produit par
une cause {produci). En d'autres termes et plus brièvement: la c««-
se c'est \e produire, et Y effet c'est le être produit. L'un est actif et
l'autre est passif. De ces deux termes il est évident que l'un ne peut
ni exister ni môme être conçu sans l'autre : qu'est-ce que leproduire
sans le être produit, et qu'est-ce que le e7r<?7)rorfMî/ sans le produi-
re ? Les termes ainsi entendus, il est évident qu'il n'y a pas d'effet
sans cause, ni de cause sans effet.
Mais un autre principe certain, que Ton oublie c'est la coexisten-
ce nécessairement simultanée de la cause et de l'effet. Le produi-
re commence-t-il avant le être produit et finit-il avant ? Non le
être produit commence et finit avec le produire. En effet dès que
le produire cesse, on peut voir encore le avoir êtê produit, {prodi^
ctum esxe), muis nonle être j^roduit, (produci). Donc la caiisc
commence et finit avec son effet et réciproquement. Donc l'existence
de l'un c'est l'existence de l'autre.
La cause et l'effet sont donc logiquement identiques, et affirmer
l'un de ces deux termes c'est affirmer l'autre.
Voilà le fondement de la connexion logique entre deux jugements
dont l'un affirme la cause et l'autre l'effet. Ce fondement, qui est le
rapport entre la cause et l'effet, est une identité logique.
m
229. Objection et réponse. — On dira que, selon le sens vul-
gaire des mots, l'effet subsiste après sa cause, et que, môme dans le
sens pbilosopbique de ces mots, le résultat d'une action, qui n'êt-ait
d'abord que le êtreprodtUt, subsiste, quand l'action, le produire^ a
CONNEXION DES PENSÉES 89
cessé. Ainsi la fonne donnée au marbre par i*action de l'ouvrier
demeure la môme quand il a cessé d'agir. Nous répondons :
Dans Tordre physique, c'est-à-dire, dans Tordre des réalités, un
eifet n'est jamais produit par une seule cause. Et si un effet sub-
siste après que l'action qui le produisait a cessé, c'est parce que
d'autres causes naturelles et permanentes continuent à agir pour le
maintenir, et que Tactiorf qui finit cède sa place à une nouvelle ac-
tion des causes naturelles.
Par exemple : Le sculpteur prend une pièce de marbre pour en
faire une statue. L'ouvrier taille le marbre et le marbre est taillé,
voilà une cause et un effet. Mais le marbre laissé debout par l'ou-
vrier reste immobile, par Teffet des forces naturelles d'attraction
qui en retiennent les molécules. D'un autre côté les éclats de mar-
bre détachés par le ciseau, ayant changé de lieu, sont placés sous
une nouvelle action de cette môme attraction. Ainsi Tact ion natu-
relle et permanente des corps, ayant pris une nouvelle direction par
suite de Taction de l'ouvrier, maintient le marbre dans Tétat ou
rouvrier Ta laissé. En sorte que, quand le marbre était actuelle-
ment taillé, c'était Teffet de Taction de l'ouvrier, et cet effet a com-
mencé et fini avec sa cause ; mais que maintenant le marbre con-
serve la forme de statue, c'est Teffet do Taction naturelle et perma-
nente des forces de la nature, et cet effet commence avec sa cause,
pour finir avec elle.
Mais si un produit quelconque était Teffet total d'une seule action,
et si cette action ne pouvait ôtre remplac«>e par aucune autre, ce
produit cesserait d'tHre en même temps que Taction cesserait.
Nous verrons, en métaphysique et en théodicée, qu'il en est ainsi de
toute créature vis-à-vis de Dieu : car Taction de Dieu est la cause
totale et seule possible de tout ce qui est créé.
230. Rapport mutuel entre la loi et le phénomène
qu'elle régit. — On entend par jihênomênc toute manifestation
d'une modification dans un être; et, par extension, on donne aussi
ce nom à la]modification elle-même, telle qu'elle se manifeste. C'est
de ce dernier sens qu'il s'agit ici. La loiy c'est la régie d'un phé-
nomène, c'est Tordi-e dans lequel il se produit. Mais qu'est-ce
que Toi^dre d'une modification, sans cette modification? et qu'est-ce
qu'une modification, sans Tordre dans lequel elle est produite?
90 LOGIQUE ABSTRAITE
Ou lo voit : il n'y a d'auti^e différence entre la loi et le phé-
nomène, sinon qu*un phénomène est une modification faite dans
tel oiHire, et que la loi est la conception fj^énèi*ale de ce
même ordi^ commun à toutes les modifications semblables. Ainsi
la loi est lordi^e de toute la série indéfinie des phénomènes semblables,
et cet ordre se rétrouve tout entier et identique dans chacun des
phénomènes de cette ^rie.
Donc la loi ne peut exister sans que les phénomènes, dont elle
est Toivlro essentiel, se produisent dans ce même ordre; et le phéno-
mène ne peut exister autrement qu'avec son oixlre essentiel, qui est
sa loi.
Il y a donc encore identité logique entre la loi et le phénomène
qu'elle régit; et afiirmer l'un de ces deux ternies c'est atfirmer
l'autre.
231. Rapport mutuel entre l'espèce et ses indmdus. —
Quand plu6ieui*s individus ont le même ensemble de camctères
essentiels, on dit qu'ils sont de la même espèce. Donc ce qu on
appelle espèce c'est l'ensemble des c^mctèresessentieW une collec-
tion d'individus. Mais comment un individu peut-il existersaus ses
caractères essentiels? comment peut-il appartenir à une espèce sans
avoir les caractèi*es qui constituent cette espèce? Ici donc encoi'e il y
a identité logique entre l'espèce et les caixictèi^es essentiels d'un
individu de cette espèce.
Donc encore, affirmer un caractère d'une espèce c'est affirmer
un caractèi*e essentiel d'un individu quelconque de cette espèce, et
affirmer un caïuctère essentiel d'un individu c'est affirmer un des
caractères de son aspèce.
Donc, si, de deux jugements, l'un affirme un caractère d'une
espèce et l'auti^e affirme le même caractèro comme essentiel à
un des individus de cette espèce, les deux jugements sont logique-
ment identiques.
232. Nature de la connexion logique des pensées. — La
connexion logique des pensées n'est donc pas auti'e chose que leur
identité logique.
L'identité logique de deux pensées consiste en ce que les deux
faits dont elles sont la conception n'oiU r/ii*un€ seule eu mv me exis-
tence.
CONNEXION DES PENSÉES 91
L'existence de la cause G*est Texlstence de Teffet.
L^exîstence appliquée de la loi c*est Texisteuce de Tordi^e essen-
tiel du phénomèue.
L'existence de Tespôce c'est Texistence des caractères essentiels
de Tindividu.
233. Identité log^ique de ces trois ordres d'identité logi-
ifue. — Ces trois fondements de la connexion logique des pensées ,
non- seulement ne sont rien autre chose que des rappoi*ts d'identité
logique, mais encore ils sont logiquement identiques entre eux. En
effet :
La même cause ne peut suivre dans son opération que le môme
ordre, et ne peut donner h son effet que les^ mômes caractères.
Donc la même cause agit selon la môme loi et produit la môme
espèce d'ôtre ; d'un autre côté, l'efl'et produit par cette môme cause
ne peut ôtre que le même, présenter le môme ordre dayis ses plié-
nomènes et les mômes caractères essentiels. En d'autres termes
Vexistence de la môme ca^iis*^ c'est l'existence de la môme loi, de
la môme espèce^ du môme effet, du même ordre de phénomènes,
des mômes caractères essentiels de l'eflet pi*oduit.
Donc ces six termes, ces six éléments de faits et de pensées, qui
sont métaphysiqueraent et physiquement différents, sont logique-
ment identiques : ils n'ont qu'une seule et môme existence et affii*-
mar l'un c'est affirmer tous les auti^es.
23-i. Conclusion. — Voilà donc le fondement inéhraulable de
la connexion logique des pensées ; voilà pourquoi si irouvent nous
affirmons une pensée uniquement parce que nous en avons affirmé
une autre ; voilà le lien entre les principes et les conséquences.
Nous affirmons la conséquence d*un principe, en vertu de l'affir-
mation du principe, parce que la conséquence est logiquement iden-
tique au principe, parce que l'existence du fait qui est un principe
est l'existence du fait qui en est app3lé la conséciuence. Dans tout
cela nous ne faisons qu'affirmer une identité.
Mais pour affirmer cette identité, il faut la voir ; c'est cette ma-
nifestation que nous allons exposer dans l'article suivant :
9^ loi de la logique abstraite. — Deux pensées sont logique-
ment connexes quand elles sont logiquement identiques, c'est-à-
92 LOOIQIIE ÀB8TRAITB
dire^ quand les deux faits qu'elles expriment n*ont qu*une seule et
même existence. Alors ces deux pensées sont toutes les deux
vraies ou toutes les deux fausses.
Articlb 2«
HAKIPESTATION ET ÀVFIEMATI01 DE LA mUim L06IQIB DES r&(SÉES —
RAISOXKEMENT
235. Nature du raisonnement. — Quand nous voyons Tiden-
tité logique de deux pensées, et que nous affirmons cette identité
parce que nous la voyons, nous faisons un raisonnement. Le rai-
sonnement est donc tni jugement complexe qui affirme l'identité
logique de deux jugements simples, comme le jugement simple affir-
me l'identité logique do deux idées.
Mais, pour mettre en évidence cette identité logique de deux i>en-
sées, nous nous servons le plus souvent d'une troisième pensée ; et
c'est surtout cotte manifestation, cette constatation de la connexion
de deux pensées que l'on appelle raisonnement. On se s/srt souvent
d'un plus grand nombre de. pensées pour arriver d'un principe à
une conclusioti; mais alors il est facile do voir qu'il y a plusieui's
raisonnements liés les uns aux autres.
236. Eléments du raisonnement. — Ainsi le raisonnement
se compose essentiellement de trois propositions: le principe, la
moyenne et la conclusion.
237. Principe, On appelle principe d'un raisonnement une i)en-
sée que l'on admet comme vraie, ou que l'on donne comme une
hypothèse, et d'où Ton veut tirer une conclusion.
238. Conclusion, ou conséquence. — On appelle conclusion
ou conséquence d'un raisonnement une pensée dont on voit la véri-
té dans sa connexion logique avec la pensée qui sert de principe.
L'ancienne langfue philosophique appelait t conséquence i» (coJisequon-
iiam) la connexion logique qui e:?isle entre le principe et la conclusion,
et elle nommait « conséquent » (cojiîiequen^) la conclusion elle-même
que nous appelons a conséquence ». £)lle avait raison contre la langue
moderne, au point do vue philosophiriue; maisi| ne nous est pas possi-
ble de changer le sens des mots : co serait jeter lu confusion dans les
idées.
. RAISONNEMENT 93
Si le principe est certainement vrai, la conclusion qui Ini est logi-
quement identique est vraie aussi ; si le principe n'est qu'une hypo-
thèse, la conclusion n'a comme lui qu'une vérité hypothétique. Mais
le raisonnement montre l'identité logique d'une conclusion hypothé-
tique avec son principe- hypothèse, pour affirmer que, si l'hypothèse
principe se réalise, la conclusion se réalisera aussi, puisqu'elle lui
est logiquement identique.
239. Moyenne. — La pensée moyenne d'un raisonnement est
celle qui met en évidence l'identité logique du principe avec la con-
clusion.
La proposition moyenne n'est pas de l'essence du raisonnement en
tant que jugement ou affirmation de Videntité de detMo juge-
ments ; mais elle est de l'essence du raisonnement comme manifes-
tation de cette identité.
240. Union des éléments du raisonnement. — En
sorte que les éléments essentiels du raisonnement qui sont le
principe et la conclusion, s'unissent dans leur identité logique,
que le raisonnement affirme. C'est, pour nous servir d'une compa-
raison mathématique, le jugement à sa deuxième puissance.
Comme le jugement affirme l'identité logique de^deux idées, con-
ception certaine de deux êtres unis (}ans une môme existence ; de
môme le raisonnement affirme Fidentité logique de deux jugements,
conception certaiqp de deux faits unis dans la môme existence.
Cette vérité simple mais féconde, déjà si solidement ét»hlie par
tout ce qui précède, sera plus manifeste encore, si c'est possible,
après l'examen des différentes espèces de raisonnement.
241. Différentes espèces de raisonnement. — Nous distin-
guerons tout d'abord les raisonnements en deux grandes classes :
les raisonnements certains, qui sont basés sur l'ideutité logique des
pensées ; et les raisonnements probables, basés sur l'analogie des
pensées. Examinons d'abord ces derniers.
242. Raisonnements probables. — De môme qu'un juge-
ment qui porte sur un seul fait peut n'être que probable, le raison-
nement qui n'est qu'un jugement sur l'identité de deux faits peut
n'ôtr^que probable aussi ; c'est quand nous voyons, non l'identité,
mais l'analogie des deux faits.
94 LOGIQUE ABSTRAITE
243% Analogie. — L'analogie, qui ii*est (317) que l'identité
partielle de deux pensées, est le fondement des raisonnements pi'o-
bables. En effet, la vue de quelques éléments identiques dans deux
faits dont on ne connaît pas les autres éléments, fait supposer
l'identité des autres éléments. C'est le premier fruit de Tanalogie,
c'est rhjpothèse. La vue d'un plus grand nombre d'éléments iden-
tiques amôme une affirmation xn^obahle de leur identité, et cette
probabilité est d'autant plus grande que les éléments identiques
s^t plus nombreux et plus importants. Mais, tant que l'identité
complète n'est pas constatée, on ne sort pas de la probabilité, on
n'est pas dans le raisonnement certain.
244» Utilité pratique de l'analogie. — En pratique, le raison-
nement probable et le jugement probable, fondés sur l'analogie,
sont très-utiles ; car souvent on n'a pas les moyens de constater
une identité complète, et il faut a^ir. De plus l'analogie, dans les
sciences, en faisant concevoir des b jpothôses que Ton vérifie ensui-
te, est souvent un excellent fil conducteur, pour arriver à la
découverte des causes des lois et des espèces. Mais, seule, elle ne
donne jamais la certitude.
245. Raisonnements certains. — Les raisonnements cer-
tains sont tous basés sur l'identité, comme nous l'avons déjà établi
et comme nous allons le vérifier. On en distingue trois sortes:
V identité, la déduction et Vijiduction,
246. 4dentité. — On appelle raisonnement par identité, ou sim-
plement identité, un raisonnement dans lequel le principe et la con-
clusion sout métaphysiquement identiques. A plus forte [raison, ils
le sont aussi logiquement.
Ex. : 3 et 4 égalent 5 et 2; car ces deux sommes égalent cha-
cune le nombre 7. — // est mort : donc il ne vit plus.
Cette sorte de raisonnement, où il n'entre {[ue des pensées équiva-
lentes, ne sert guère qu'en mathématiques ou dans l'exposition d'une
doctrine nouvelle, où il est nécessaire souvent de se répéter sous
différentes formes.
247. Déduction. — La déduction est un raisonnement dans le-
quel la conclusion est un cas particulier du principe. D'où il suit
UAISONNEMKNT 95
que si Ton afBrme le principe on affirme par là-méme la conclu-
sion.
Cette sorte de raisonnement pose comme principe nne cause, une
lot, une espace, et en conclut Ve/fet de cette causèy l'ordre du
phénomène régi par cette loi, les caractères essentiels de Vindi^
vidu de cette espt^ce'.
Voici un exemple de chacun de ces trois cas.
P // est mort hier;do7ic: vous ne l'avez pas vu aujourd'hui.
En niant la cause je nie Teffet. Ou bien encore : Vous êtes entre
moi et la lumière ; donc : vous m'empêchez de la voir. En affir-
mant la cause j'affirme l'effet.
2** La lumière du soleil met neuf minutes potir arriver Jus-
qu'à nous ; donc : quand nous croyons la voir en un j^oiîit, il y
a neuf ininutes qu'il n'y est phis,
3° Les moutons sont des rutninants ; donc: ce mouton est un
ruminant,
La déduction n*a que ces trois cas possibles.
Mais nous avons montré plus haut que la cause et Teffet, la loi et
le phénomène, Tespôce et l'individu dans ses caractères essentiels
sont logiquement identiques. Donc : la déduction n'est jamais qu'u-
ne identité logique.
Et d'ailleurs, si, ayant affirmé dans le principe les caractères spé-
cifiques de toute une classe d'individus, ou la loi de toute une classe
de phénomènes, ou la cause de toute une classe d'effets, je n'affirme
dans la conclusion que les caractères spécifiques d'un seul de ces in-
dividus, ou l'ordre d'un seul de ces phénomènes, ou un seul de
ces effets ; c'est que je n'ai pas à m'occuper des autres. Mais avec
le même principe je pourrais affirmer tout aussi bien la série indéfi-
nie des effets, des phénomènes ou des individus ; et cette série in-
définie est bien identique à la généralité affirmée dans le principe.
Donc encore :
Dans la déduction, la conclusion est logiquement identique au
principe, et ce raisonnement n'a pas d'autre fondement que l'identité
logique de deux jugements.
^8. Indtitstiofi. -^ On définit soavent l'induction QR raisonne-
96 LOGIQUE ABSTRAITE
ment qui a pour principe une proposition particuliôi'e d'où Ton con-
clut à une proposition générale.
Cela est vrai dans la forme ; tuais s'il en était ainsi dans le fond,
l'induction serait tout simplement une absurdité. Qu'est-ce donc
que l'induction?
L'induction est l'inverse do la déduction. C'est un raisonnement
dans lequel le principe est un cas particulier de la conclusion. Elle
pose en principe V effet y l'ordre essentiel du 2ihènomène, les ca-
ractères essentiels de l'individu^ et elle en conclut la cause, la loi,
l'espèce.
Voici un exemple de chacun de ces trois cas :
!• Ce fer s'est dilaté sous l'action unique du feu; donc: le
feu dilate le fer. En affirmant l'effet j'affirme la cause.
2* Ces trois corps de pesanteur spécifique très iiufgale sont
tombés, dans le vide, avec la même vitesse ; donc tous les corps,
quelle que soit leur pesanteur spécifique, tombent, dans le vide,
avec la même vitesse,
3' Ces moutons ont, non par accident, mais par nature, les
pieds fourchus ; donc : tous les moutons ont les pieds fourchus.
L'induction n'a pas d'autre cas possible.
Mais, encore une fois, nous avons établi qu'il j a identité logique
entre l'effet et sa cause, entre l'ordre essentiel d'un phénomène
et sa loi, entre les caractères essentiels d'un individu et les ca-
ractères de son espèce. Donc : l'induction n'est qu'une identité lo-
gique.
Et qu'on veuille prendre la peine d'analyser les exemples que
nous avons cités, semblables en cela à tous les exemples possibles
et on y verra, que : 1*» En affirmant un effet particulier, nous
l'avions considéré dans sa nature même, et que par là il représentait
la série indéfinie des effets semblables, d'où nous avons conclu à la
cause générale de tous ces effets . 2? En affirmant Tordre de quelques
cas particuliers d'un phénomène nous avons pris ces cas particuliers
dans des conditions telles qu'ils représentaient la série^ indéfinie des
phénomènes semblables, d'où nous avons conclu à la loi générale de
tous. 3° En affirmant un caractère de quelques individus, nous
l'avons considéré comme un caractère essentiel, ayant pour cause
RAISONNKME.NT 97
et ponr loi la nature même de ces individus ; d'où il est clair que
ces individus représentaient la série indéfinie des individus sembla*
blés, identique à Tespéce affirmée dans la conclusion. '
Donc, encore, Tinduct ion n'est que l'identité logique de deux juge-
ments.
249. Résumé. — Ainsi le raisonnement, sous ses trois for-
mes : identité, déduction y iiiductioriy n'est que la constatation
DE l/lDENTITÉ LOGIQUE DE DEUX JUGEMENTS.
250. Réponse critique. — Et qu'on ne dise pas que, s'il en
est ainsi, le misonnement est inutile. Le raisonnement est aux ju*
gements et aux faits ce que le jugement est aux idées et aux objets
des idées. Comme le jugement affirme l'identité logique de deux
idées ou l'union de deux réalités dans une môme existence, le rai-
sonnement affirme l'identité logique de deux jugements et l'union
de deux faits dans une seule existence. Et sans cette faculté de
juger de cette identité, comment connaîtrions-nous les causes, les
lois et les espèces que nous ne percevons pas? Admirons plutôt
l'œuvre de Dieu dans l'intelligence humaine. Car, avant les théories
des philosophes sur le raisonnement, et malgré les attaques incroya-
bles dont la déduction et l'induction ont tour-à-tour été l'objet, de
la part d'hommes souvent admirés comme de grands génies philoso-
phiques, l'humanité n'a pas cessé de faire chaque jour des induc-
tions et des déductions, sans avoir le moindre doute sur la valeur
des conséquences.
251. Note historique. — Les anciens n'avaient pas analysé
rinduction, et la plupart ne songèrent pas même qu'ils en faisaient
fréquemment usage. Au contraire ils avaient disséqué la déduction
et semblaient enseigner qu'elle était le seul Instrument de la science.
François Bacon et Condillac attaquèrent au contraire la déduction,
disant qu'elle ne sert qu'à apprendre ce que l'on sait déjà, et ils
exaltèrent l'induction outre mesure, lui donnant tout le mérite des
découvertes. A leur tour les partisans de la scolastique, et de nos
jours encore Joseph de Maistre, ont répondu aux ennemis de la dé-
duction, mais ils ont trop méconnu l'induction. Plusieurs auteurs
contemporains, entre autres Gratrj, ont écrit pour la réhabiliter,
mais ils n'ont pas su la montrer dans son vrai jour, et il en est resté
98 LOGIQUE ABSTRAITE
que Tinduction, employée exclusivement dang les sciences phjsi-
siques naturelles et médicales, est confondue avec Tanalogie, dans
beaucoup de livres de philosophie de noti'e siècle.
10^ loi de la logique abstraite. — Le raisonnement basé
surFanalogie ne donne qu'une conclusion probable. Le raisonne-
ment certain est la constatation de T identité logique de deux juge-
ments.
Remarque. De la vérité dans le raisonnement. — Le rai-
sonnement, ji'étant que la constatation de Tidcntité de deux juge-
ments, il suffit, pour qu'il soit vrai, que les deux jugements soient
en effet identiques, et il n'est pas nécessaire que les deux jugements
soient vrais. Pour Aristote et pour la scolastique la logique n'a-
vait pas d'autre objet que cette vérité relative et connexe de deux
jugements. De là l'expression si fréquente : « C'est faux, mais c'est
logique, » par laquelle on veut dire que tel raisonnement est logique
et vrai, en ce sens que les deux jugements sont identiques, mais que
le principe étant faux^ la conclusion l'est aussi.
C'est dans le môme sens qu'on a dit aussi : « Il y a une logique
de l'erreur. »
C'est ce qui montre très bien combien il importe que la logique
ne s'occupe pas seulement de la connexion des pensées, de leur vé-
rité relative, mais aussi de la vérité absolue de chaque pensée, et
des moyens de s'assurer de cette vérité absolue, comme aussi de la
marche à suivre pour ne jamais accepter comme vraie une pensée
fausse.
Article 4«
EXPRESSION DU RAISOSNEMENT
252. Divisioà de cet article. — Nous uvons à parler du syllo-
gisme en général et des dififérentes espèces de syllogisme. Nous le
ferons en deux paragraphes.
5 1.- DD STLLOaiBIS ES fiiSiBiL
253. Sens du mo4. — Les Grecs appelaient Xo^i^jx^c ou
<jvXX(>Ytor|jL6ç le raisonnement. Nous en avons fait le mot syllogis^
me. Ce nom désigne le raisonnement exprimé sous une forme ana-
lytique, qui en montre clairement la solidité ou la faiblesse.
RAISONNEMENT 91)
251. Éléments du syllogisme. — Le sjUogisme se compose
de trois propositions, (Voyez N*> 202) qui, abstraction faite du
verbe, ne renferment que trois termes, employés chacun dans deux
des trois propositions. Ces trois termes sont tels que le second est
renfermé dans Fextension du premier et le troisième dans celle du
second. Aussi on les a distingués par les noms de grand terme
(major termmtts)^ moyen terme (médius terminus), petit terme
(minor terminurs). Exemple: sensible, grand terme; animal ^
moyen terme ; cheval, petit terme.
Syllogisme : Tout animal est sensible;
Or le cheval est un animal :
Donc le cheval est sensible. •
Des trois propositions du syllogisme, les deux premières, qui sont
censées connues comme vraies, ou qui sont admises par hypothèse,
s'appellent.jpr^mme^ ; la troisième, qui exprime le fait dont on veut
démontrer la vérité, s'appelle conclusion.
Celle des deux prémisses qui renferme le grand terme s'appelle
majeure. Celle qui renferme le petit terme s'appelle mineure.
Toutes les deux renferment en outre le moyen terme. La conclusion
renferme le petit terme et le grand.
255. Rapport du syllogisme avec le raisonnement.' — Le
raisonnement comme nous l'avons vu plus haut constate Tidentité
logique de deux jugements. Le syllogisme est bien l'expression
exacte du raisonnement; car il met en évidence cette identité et
Taffirme. En effet la mineure montre que la conclusion est logique-
ment identique à la majeure, et la conclusion est donnée conmie telle,
La majeure exprime donc un premier jugement, connu comme
vrai, ou supposé tel; la conclusion est un second jugement qui est
vrai au même titre que le premier, parce qu'il lui est logiquement
identique ; le raisonnement consiste à constater cette identité, et
c'est la mineure qui le fait.
256. Lois ou règles du syllogisme. — Les scholastiques
après Aristote avaient longuement détaillé toutes les conditions
dans lesquelles un syllogisme est ou n'est pas l'expression exacte
d'an raisonnement vrai. Leur travail était une analyse abstraite
que l'on pourrait appeler à juste titre l'algèbre du raisonnement.
100 LOGIQUK ABSTI^AITE
Mais ces nombrauses formules daus lesquelles ou avait prévu dV
vance tous les cas possibles, ne pouvaient ôtre un secours qu'à la
condition d'être très familières à celui qui voulait s'en servir:
moins bien possédées, elles deviennent un embarras.
Nous les donnerons cependant avec quelques détails à la fin de cei
article.
Arnauld de Port-Royal, Euler et d'autres après eux ont essajé
de donner dans une seule loi toutes les conditions d'un bon syllogis-
me. Les voici :
Arnauld. La conclusion doit être renfermée da^is la majeure,
et la mineure doit m^ontrer qu'elle y est 7'en fermée.
Euler. Tout d^ qui est dans le contenu est aussi dans le con-
tenant ; tout ce qui est hors du contenant est aussi hors du con-
t&nu,
GouRJU. Que le petit terme soit renfermé dans le moyen et le
moyen dans le grand.
Ces diverses formules sont, chacune à leur point de vue, la loi
essentielle du syllogisme ; mais on peut dire qu'elles laissent,
l'homme à ses seules ressources logiques naturelles, et de plus nous
verrons plus tard qu'elles sont trop restreintes.
Nous es'saierons à notre tour de donner la loi unique du syllogis-
me en nous appuyant sur notre théorie du raisonement.
Loi unique. — Le syllogisme doit ôtre la constatation de
l'identité logique des trois termes d'un raisonnement, à rai-
son de l'identité des deux termes extrêmes avec le moyen.
En sorte que la valeur du syllogisme résulte de ce grand princi-
pe de raison :
Quœ sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se.
Et ce principe dont notre esprit ne peut douter, n'est lui-môme si
incontestable que parce que notre raison le traduit nécessairement
par cet autre :
Ce qui est est.
m
257. En quoi cette loi unique est préférable aux autres. -—
Notre loi unique du syllogisme, sous une forme aussi abstraite que
celles qui l'avaient précédée, donne cependant les moyens de véri-
fier jusqu'en ses racines la valeur d'un raisonnement, tandis que
ItAISONNEMENT , 101
toutes les lois que l'on avait données jusqu'ici, disant très bien ce
que doit être un syllogisme, ne donnaient pas les moyens d*en re-
connaître la vérité. La loi de l'identité au contraire permet de vé-
rifier :
P la vérité de chacune des deux prémisses, en y constatant
ridentité logique de l'attribut et du siyet, par la constatation de l'i-
dentité logique des trois termes.
2** la vérité de la conclusion, comme logiquement identique à la
majeure ; ce qui ressort encore de l'identité logi(iuc des trois termes.
Nous alious exposer sous une foriu3 ul^ébriqiie toutes nos théories
sur la pensée ot sur le syllo.T^isms ; non pas que nous voulions démon-
li-er par les niithéniatiques les procédés de la raison, ni que nous vou-
lions contlrmsr ainsi les th';3:-le.s que nou^ avons déjà démontrées ;
mais pour le? prj^'îuter souiuae fornn mitérielle et les rappeler en les
résumant.
L'idée. — Toute idés a son extension et sa compréhension ; et, roin-
me la compréhension de l'idée se trouve tout entière dans chacun des
individus auxquels elle s'étend, on peut dire que la compréhension de
l'idée est répétée autant de foiscpTil y a d'individus dans son extension
En sorte ([ue to.i'e vVtn est en ([ucîque sorte le produit de sa compré-
hension multipliée par son extension. Nous pouvons donc, désignant
pare l'extension et pirr la compréhension, représenter toute idée par
ht formule : ec.
L'extension d'une idée a trois degrés, qui sont comme ses trois puis-
sances. 1" degré : l'extension individuelle, ({uand l'idée ne comprend qu'un
individu; ceserae,hi 1" puissance de l'extension; 2" degré: l'extension
spécifique, quand l'idée comprend tous les individus d'une espèce ; ce se-
ra e**, la '2' puissance de l'exlcnsîon ; [i" degré: l'extension générique,
c(uand l'idée embrasse tous les individus de son genre; ce sera e*', la 3'
puissance de l'extension.
La compréhension d'une idée a aussi trois degrés, qui grandissent en
sens invei*se. ('/est d'abord, an 1"" degré Incompréhension commune à
tous les individus d'un genre; c'est la compréhension générique, la jïIus
petite, dans cette idée; ce sera r, la 1" puissance de la compréhension.
Il faut ajouter quelque chose h la compréhension du genre , pour av.-.ir
la compréhension de l'espèce , c'est donc le 2" degré ; ce sera c* , la 2'
puissance de la compréhension. Kulin il faut encore ajouter ([uelque
chose à la compréhension de l'espèce pour avoir celle d'un individu ;
c'est donc le 3' degré; ce sera c-**, la 3* puissani^e de la compréheïision.
102 LOGIQUE ABSTRAITE
Nous avons donc :
i générique : e*
spécifique : e*
individuelle : e
i générique : c
Compréhension { spécifique :
r
f individuelle : c^
Nous aurons donc, selon la formule ec :
idée générique : 6^c ; par exemple ; le poisson
idée spécifique : e*c* ; « le brocfiet
idée individuelle : ec^ ; « ce brochet
La proposition. — La pensée, avons-nous dit, (141) conçoit Tidenli-
té logique du sujet et de l'attribut ; non pas qu'absolument parlant, le
sujet et l'attribut soient identiques en eux-mêmes ; mais en ce que la
pensée ne prend de chacun d'eux que ce qu'ils ont d'identique, réduisant
ainsi l'extension de l'attribut k celle du sujet, et la compréhension du
sujet à celle de l'attribut.
Quand je dis par exemple*, le brochet est u7i poisson, je dis: ék!*
= logiquement e^c. Et en effet : le brochet, e*c', abstraction faite de ce
qui le fait brochet, devient e*c , et égale le poisson e^c, qui de.vient,
abstraction faite de tous les poissons qui sont en dehors de l'espèce
brochet, e'c. C'est dire:
e*c' _ <^c .
c ~ e '"~
Nous aurions de même, pour la pensée : ce brochet est un poisson :
ec* ss logiquement c'c.
ec* e^c
Car: —r- = —r == ^^
c' e* X
toujours en réduisant la compréhension du sujet à celle de l'attribut et
l'extension de l'attribut à celle du sujet.
Cette réduction logique des extensions et des compréhensions du sujet
et de l'attribut à une identité complète, avait été aperçue en partie par
Aristote et par les scolastiques, qui posaient ainsi les lois de l'extension
et de la co.mpréhension de Tattribut d'une proposition.
1" Loi : L'attribut d'une proposition afiirmatîve n'est jamais pris
e*c
dans toute son extension. C'est bien , réduction de l'extension de
e
l'attribut à celle du sujet.
2"* Loi : L'attribut d'une proposition afilrmative est toujours pris se-
RAISONNEMENT 103
Ion tonte sa compréhension. C'est — , où la compréhension reste ce
qu'elle est.
Mais ce qu'Aristote ot les scolastiques n'avaient pas vu c'est la réduc-
tion de la compréhension du sujet à celle de l'attribut; ce qui établit
entre eux, après ce procédé logique, une parfaite identité.
Ainsi, aux lois de l'attribut, les scolastiques auraient pu ajouter les lois
suivantes, pour le sujet :
a. Le sujet d'une proposition (affirmative ou négative) est pris selon
l'extension déterminée par sa forme grammaticale ou par le contexte.
C'est où l'extension e* reste ce qu'elle cfet.
c
b. Le sujet d'une proposition (affirmative ou négative) n'est jamais
e*c'
pris selon toute sa compréhension. C'est encore — où la compréhen-
sion c* est réduite à c.
Dans les propositions négatives on ne peut pas faire la même observa-
tion d'identité, après réduction des extensions et des compréhensions ; car
la proposition négative indique précisément que les extensions et les
compréhensions du sujet et de l'attribut ne sont pas de même nature. Par
exemple, si je dis : Vccrevisse n'est pas un poisson, j'exclus précisé-
ment l'idée écrevisse de l'extension et de la compréhension de l'idée pois-
son ; c'est comme si je posais : l'écrevis^e =« e*c*aî: le poisson = é^cy
j'aurais beau iaire les réductions, en divisant parc le premier terme, et
par e le second : j'aurais toujours la difTérence de x et de y.
Toutefois, les scolastiques avaient remarqué que, dans les propositions
négatives, la non-identité du sujet et de l'attribut, qui est absolue pour
l'extension, ne l'est pas pour la compréhension. Ainsi, en disant : l'êcre-
visse n'est pas un poissoji, je dis bien que l'écrevisse n'est identique à
aucun des individus du genre poisson, mais je ne dis pas qu'elle n a
rien de ce qui constitue le poisson, rien de ce qui compose la compré.
hension de l'idée poisson.
Aussi aux deux lois des propositions affirmatives que nous avons don-
nées ci-dessus, ils ajoutaient pour les propositions négatives les lois
suivantes :
3"* Loi : L'attribut d'une proposition négative est toujours pris dans
toute son extension ; c'est-à-dire qu'il est exclus du sujet dans toute son
extension.
A** Loi : L'attribut d'une proposition négative n'est jamais pris selon
toute sa compréhension, c'est-à-dire qu'il n'est exclus du sujet que pour
la totalité des éléments qu'il renferme, mais non pour chacun de ces élé-
104 LOGIQUE ABSTRAITE
ments. Si je dis, par exemple : un cercle n'est pas un carré, je ae nie
pas que Tua et l'autre ne soient une surface plane détenninée.
Après cela on ne demandera pas que nous exposions avec des formules
algébriques les lois des propositions négatives, car il s'agit ici non plus
d'identité, mais de non-identité. Et on ne pourrait pas, pour arriver à for-
muler une identité, dire: Vécrevisse e^t un non-poisson, car bien qu'on
puisse selon la 1" règle ramener l'extension Au' Jioyi-poisson à celle de
Vécrevisse, la compréhension de l'attribut non-poisson, qui doit rester
entière dans une proposition affirmative renfermerait bien autre chose
que la compréhension du sujet ccrevtsse ; ainsi, il n'y aurait pas identi-
té.
Le syllogisme. — bl maintenant nous analysons avec les mêmes for-
mules les trois propositions d'un syllogisme nous aurons :
Ceci est un brochet ; ec* *=» e*c'
Or le brochet est un poisson : f?V;* «« é^c
Donc ceci est U7i poisson. er* =* eV
L'identité logique des termes dans chacune de ces propositions est
facile à vérifier, si Ton réduit les compréhensions des sujets à celles des
attributs et les extensions des attributs à celles des sujets. Car l'on
aura :
!'• prop. — ^ . c'est-à-dire ec*, » — - , c'est-à-dii-e «a*.
c e
2-* prop. — , c'est-à-dire e*c, « — , c'est-à-dire eV.
r e
ec^ . ,. é^c
3"» prop. —j- , c'est-a-cUre ev, « —5- • c'est-à-dire ec.
Par où il est visible que ces trois propositions sont vraies. En sorte
que la vérité de la conclusion se vérifie en elle-même. Mais elle se véri-
fie aussi en ce que ec* et e^c étant tous les deux égaux à ékt\ d'après
les prémisses, il est évident, comme la conclusion l'affirme, que ec^ et e^
sont égaux entre eux.
Mais on peut remarquer en outre, dans cette analyse de la proposition,
ce que devient l'objet de la pensée.
La 1" proposition: Ceci est un brochet, ec*= e'c', se réduit à ec*, et
ne laisse plus dans l'esprit que l'idée d'un individu avec une comprè-
hensîon spécifique: ce qui est Je sens exact de la proposition.
KAIîSONNEMKNT lUo
La 2* Le Irocfiet e»t un poisson y e*c* «« e*c, se réduit à «V, et ne laisse
dans l'esprit que Tidéc d'une espèce avec une compréhension généri-
que: ce qui est encore le sens de la proposition.
La 3« enfin : Ceci est un poisson, ec* = e^c, se réduit à ec et ne laisse
dans l'esprit que l'idée |d'un individu avec une compréhension généri-
que: ce qui est bien In sens de la proposition, et exactement ce que Ton
voulait conclure par le syllogisme.
Ainsi les procédés logiques du jugement et du raisonnement sont par-
faitement justes et ne procèdent que par identités.
Ainsi encore l'unique règle du syllogisme est l'identité logique de ses
trois termes.
Ce sont ces deux vérités que nous voulions mettre ici dans un jour
plus complet. Nous croyons avoir atteint ce but, pour ceux qui auront
bien suivi notre comparaison algébrique.
258. Le syllogisme est l'expression de rinduction et de la
déduction. — Jusqu'ici le syllogisme n*aété considéré que comme
l'expression de la déduction: Nous allons montrer qu'il est aussi
l'expression de l'Induction, en les concevant l'une et l'autre comme
nous venons de les concevoir.
Voici d'abord une induction sous sa forme vulgaire : Ce feu a
dilaté ce fer : doue le feu^ dilate le fer, La première proposi-
tion exprime un l'ait particulier que Ton a observé, et la conclu-
sion exprime unevérito générale, que l'on n'a pas pu observer et
personne n'en nie la valeur logique. C'est bien une induction.
Majeure. Ce fen a dilaté ce fer.
Mineure. Or ce feu est inde^itique à tons les feux et ce fer
identique à tous les fers,
Conclusion. Donc le feu, en général, dilate le fer y en général.
Où l'on voit que la conclusion de l'induction est aussi identique
à la majeure que dans la déduction. On y voit aussi comment le
syllogisme met en relief l'identité qui fait la force de l'induction.
Dans l'exemple, las trois termes sont : dilatation^ grand terme ; ce
/V>- et ce feu moyen terme: le fer et le fe^% petit tenue. Le petit
t^rme semble avoir pins d'extension ([wo )c nioyon, en V(^alit<^ ils
sont idontiqjuofi.
106
LOGIQUE ABSTRAITE
Mettons maintenant en regard
trois exemples dlnduction.
DiDUCTIOK
1« rtfPMt de eMse à efet
C'est la pesanteur de l'air qui fait
monter les liquides dans les corps
de pompes.
Or, cette pesanteur de Tair doit
agir jusqu*à ce que le poids du li-
quide lui fasse équilibre, par sa hau-
teur.
Donc les liquides doivent^s*élever
dans les corps de pomi^es, d'au-
tant moins haut quils sont plus
pesants.
S» rtwort te la loi aa ^héatm^.
Dans le \1de, tous les corps tom-
bent avec la même vitesse.
Or, ces deux corps, de pesanteur
spécifique très inégale, sont, quant
à leur chute, identiques à tous les
corps.
Donc ces deux corps, de pesan-
teur spécifique très inégale, tom-
beront, dans le vide, avec la môme
\iiesse.
3« rapport de l'espèce aaz IndiTldas.
Les moutons ont les pieds four-
chus.
Or, par leurs caractères essen-
tiel s> ces moutons ressemblent à
tous les moutons.
Donc ces moutons ont les pieds
fourchus.
trois exemples de dédaction et
ISOUCTIOf
l"" rapport d*etet à cause.
Les liquides s'élèvent, dans les
corps de pompes, d'autant moins
haut qu'ils sont plus pesants.
Or. c'est là l'effet* du poids d'un
corps, qui les presse jusqu'à équi-
libre, et ce corps ne peut être que
rair.
Donc, c'est la pesanteur de Vhït
qui fait monter les liquides dans
les corps de pompes.
V rapport da phènonèBe i la M.
Ces deux corps de pesanteurs
spécifi([ues très inégales sont tom-
bés, dans le vide, avec la même
me vitesse.
Or, tous les corps, pour ce qui
fait varier leur chute, sont identi-
ques à ces deux corps.
Donc, dans le vide, tous les corps
tombent avec la même \itesse.
30 rapport des indlTldns à l'espèce.
Ces moutons ont^ par caractère
essentiel, les pieds fourchus.
Or, par leurs caractères essen-
tiels tous les moutons ressemblent
à ces moutons.
Donc les moutons ont les pieds
fourchus.
n ne faudrait pas conclure de ces exemples corrélatifs que l'on poisse
toujours, à volonté, raisonner par déduction ou par induction. Au con-
traire, la marche du raisonnement est nécessitée par le rapport entre le
principe connu et la conséquence à conclure.
RAISONNEMENT 107
Utilit6 et embarras du syUogiame. — Le syllogisme est une
analyse du raisonnement ; il sert donc puissamment à en vérifier la valeur
logique, parce qu'il en met au jour tous les éléments. C'est donc un
excellent exercice que d'analyser ainsi un grand nombre de raisonne-
ments et de les mettre en syllogismes.
Mais, dans la pratique de l'a science, il serait toujours trop long et
souvent impossible de réduire en syllogisme un raisonnement, surtout
une induction, parfaitement acceptable dans sa forme usuelle.
En voici un exemple:
Si Ton me dit: La lumière du soleil met neuf minutes pour arrù-
ver jusqu'à nous; je n'hésiterai pas à conclure, sans crainte d'erreur:
Donc, quand nous croyons voir le soleil en un point, il y a neuf
minutes qu'il n*y est plus.
L'identité logique de ces deux propositions est pour moi incontestable^
sans autre milieu; et cependant, si je voulais employer la forme syllogis-
tique pour mettre en évidence cette identité, voici le circuit qu'il me
faudrait prendre :
Tout effet est simultané à sa cause.
Or, la lumière du soleil est une ffet dont la cause est la présence du
soleil.
Donc la production de la lumière du soleil est simultanée à la pré'
sencc du soleil en un point.
Mais la manifestation de cette lumière n'a Iteu, pour nous, que neuf
minutes après qu'elle est partie.
Donc la lum^ière du soleil ne se manifeste à nous que neuf mit\utes
après qu'elle a été produite.
Or, toute manifestation delumière nous fait voir l'objet qui la pro-
jette, au point d'où cet objet nous envoie sa lumière en ligne droite.
Donc le soleil nous apparaît au point d'où il nous a envoyé sa lu-
mière neuf minutes auparavant.
Or, le soleil change continuellement de place par rapporta nous.
Donc quand le soleil nous apparaît en un point, il y a neuf minu
tes qu'il n'y est plus.
L'intelligence n'a pas besoin de celte longue analyse pour voir l'iden^
tîté logique qui existe entre un principe et une conséquence, et la raison
conclut plus rapidement que l'analyse et supplée toutes les moyennes,
sans trop s'en rendre compte.
Mais il faut prendre garde que, dans ce passage rapide d'un principe à
une conséquence, par des moyennes que l'on n'examine pas, il y a une
fréciuente source d'erreurs. Tandis que dans un raisonnement préscn-
lus LOGIQUE AB5JTRAITK
té sous la iuniie analytique du syllogisme, il n'est pas possible de couce-
voir une Identité qui n'existe pas.
C'est surtout dans l'induction que l'erreur est facile; car, bien que les
Diénies effets soient toujours produits par les mêmes causes, le moindre
détail omis dans un effet peut lui faire supposer une tout autre cause que
celle quf l'a produit. Par exemple : un homme a été assassîc\é : c'est un
effet ; mais que de traces caractéristiques ne faut-il pas observer, pour
pouvoir dire sûrement c'est un tel qui est l'auteur de ce meurtre?
Cette chance d'erreur n'existe pas dans la déduction, On ne peut se
tromper que sur la conception d'un fait réel comme cas particulier d'un
principe plus général.
Aussi les sciences mathématiques et la métaphysique sont exemptes
d'erreur, parce qu'elles ne concluent pas à des faits réels, mais toujours
à des conceptions abstraites, qui sont essenti(;llement ce qu'elles sont
dans notre intelligence.
259. Conclusion. — Il résulte de cet examen que :
Le syllogisme est rexpression analytique du raisonnement sous
toutes ses formes : identité, déduction, induction. Cette conclu-
sion est d'ailleurs conforme à celle que nous avons donnée sur les
trois formes du raisonnement, qui toutes se réduisent à ridentité.
10® loi de la logique abstraite. Loi du syllogisme. — Le
syllogisme est Texpression analytique du raisonnement ; il mon-
tre ridentité logique des deux termes extrêmes, par Tidentité logi-
que de chacun d'eux avec le terme moyen.
APPENDICE AU g J
RÈGLES DU SYLLOOISMC D'APRÈS ARISTOTE. ET LES SCOLASTiaUES
Aristote, qui le premier a donné l'analyse du raisonnement et du syl-
logisme, qui en est l'expression, avait poussé très-loin les détails de cette
étude. Les scolastîques renchérirent encore sur lui. Voici le résultat de
leurs travaux. Tout ce qui est observation logique appartient à Aristote;
tout ce qui est moyen mécaniciue, appartient aux scolastîques.
Règles essentielles du syllogisme. — Partant de l'essence même
du syllogisme, qui consiste en ce que: Le grand et le petit ternie sont
identiqiteê evfre evx, parce qu'ils sont identiques au moyen, Aristote
formule bnît régies, d'après lesquelles on peut vérifier la valeur d'uu
HAISUXNKMKNT 109
syllogisme. Voici ces huit règles, telles que les scolastlques les ont for-
mulées en vers latins :
t. Terminus esta trijilex : incdixis, majorque, minorque;
2. Laiivs h une qnani prœmt'ssœ concîusio non vult.
3. AiU semel aut iteruin médius generaliter esio,
\. Sequaquam médium capiat conclusio fas est.
5. Amhœ affirmantes nequeunt generare negantem.
6. Vtraque i^i prannissa neget ^nil inde sequeiur.
7. Nil sequitur geminis ex particularihus unquam.
8. Pejorem sequitur semper conclusio partetn.
De ces huit règles, les quatre premières s'occupent de la composition '
(lu syllogisme, du noml)re et de la place des trois termes et de leur ex-
tension ; les quatre autres visent la qualité et la quantité (205) des propo-
sitions.
Kn voici la traduction raisonnée.
t. Il /aut trois termes au syllogisme, ni plu.s, ni moins. (S'il y en avait
quatre on ne pourrait pas comparer les deux extrêmes au moyen).
2. lies deux termes extrêmes ne doivent pas avoir plus d'extension dans
la conclusion que dans les prémisses. (Sans cela il n'y aurait pas identité)
3. Le moyen doit être, au moins une fois, pris dans toute son exten-
sion. (Sans cela on pourrait comparer le grand terme avec un moyen, et
le petit avec un autre).
4. Le moyen ne doit pas entrer dans la conclusion. (Sans doute, pui.s-
(fu'il n'est qu'un terme de comparaison entre les deux extrêmes).
5. Deux prémisses aflirmatives ne peuvent donner une conclusion né-
erative. (En effet, l'affirmation de l'identité de chacun des extrêmes au
moyen, ne peut être une raison pour nier l'identité des deux extrêmes
entre eux.
6. De deux prémisses négatives on ne peut rien conclure. (La négation
de l'identité de chacun des extrêmes avec le moyen, ne ^eut être une rai-
son ni d'affirmer, ni de nier l'identité des extrêmes entre eux.)
7. De deux prémisses particulières on ne peut rien conclure. (Sans dou-
te, car les deux termes de la conclusion pourraient ne pas désigner les
mêmes êtres que les termes des prémisses.)
8. La conclusion est négative ou particulière si l'une des prémisses est
négative ou particulièi'e. (En effet, comment affirmer du tout, dans la
conclusion, ce que les prémisses n'affirment que d'une partie? ou
comment affirmer une identité que les prémisses nient t)
Formes aooidentellas du syllogisme. — Un syllogisme peut prés
110 LOGIQUE ABSTRAITE
senter des formes tr^variées qui viennent : t* de la qualité et de la
quantité des proposilions, 2^ des fonctions logiques que le tenue moyen
peut remplir dans chacune des prémisscs: comme sujet ou comme at-
tribut. Les combinaisons fournies par ces deux sources de variétés don-
nent les modes et les figures du syllogisme.
Modes du syllogisnie. — En combinant la qualité et la quantité
des propositions, on trouve qu'il y en a de quatre sortes ;
!• proposition universelle afllrmative ;
2* » universelle négative ;
3» » particulière affirmative;
4* » particulière négative.
Or, chaque syllogisme renferme trois propositions, et chacune de ces
propositions pouvant avoir Tune de ces quatre formes, il en résulte 61 for-
mes du syllogisme que Ton appelle modes.
Pour présenter plus facilement à l'esprit et à Tœil ces G& combinaisons,
les scolastiques imaginèrent de représenter les quatre formes des propo-
sitions par les quatre voyelles: A, Ë, I, O. Le sens de chacune de ces
voyelles était mnéniouisé dans les deux vers suivants:
Asserit A , negat E ; vevum generalitef" ambo ;
Asseritl, negat O; seclparticulariter ambo.
Donc : A , universelle affirmative ;
E, universelle négative ;
I, particulière affirmative;
O» particulière négative.
Voici le tableau complet des 64 modes :
1
A A A
17
E A A
33
I A A
49
O A A
2
A AK
18
£ AE
34
I A E
50
0 AB
3
A AI
19
Ë AI
35
I A I
51
0 A I
4
A A 0
20
E A 0
36
I A 0
52
0 AO
5
A Ë A
- 21
E E A
37
I Ë A
53
0 E A
6
A E Ë
22
E E Ë
38
I Ë Ë
51
0 E £
7
A E I
23
E E I
39
I Ë 1
55
0 E I
8
A E 0
24
Ë E 0
40
I Ë 0
56
OE 0
9
A I A
25
E I A
41
I I A
57
0 I A
10
A I E
26
E I E
42
I I Ë
58
0 I E
11
A I I
27
E I I
43
I I 1
59
0 I I
12
A I 0
28
E I 0
44
I I 0
60
010
13
AO A
29
E Q A
45
I 0 A
61
0 0 A
14
AO Ë
30
E 0 E
46
I 0 E
62
OOE
15
AOI
31
EOI
47
I 0 I
63
00 I
16
A 00
32
E 00
48
I 00
61
000
RAISONNEMENT 111
Maïs l'essence même du syllogisme s'oppose à ce que la plupart de ces
combinaisons soient employées.
De ces 6i modes, 54 mettraient les propositions dans des conditions
où il ne pourrait y avoir un syllogisme. Il ne reste donc que dix modes
concluants.
En efTet, appliquons les régies données plus haut t chacune des com-
binaisons de ce tableau. Nous trouverons que :
!• La 6* régie, Uiraque si prœmiêsa neget...., exclut toutes les combi-
naisons qui commencent par E E, E O, 0 B, 0 0: (21-24, 29-32
53-56, 61-64). Donc 16 modes exclus.
2* La ?• règle, Nil sequiiur geminia ex pariicuIaribu6..„texc\vA tous
les II, 10, 0 1, 0 0: (4l-4i, 45-48, 57-60), et encore une fois (6^
64) Donc encore 12 modes exclus.
3® La 8' règle, Pejovem sequiiur «emjperco?icZit5io^ar^e»i..,., exclut
d'un côté tous les modes terminés par A ou par I, dont l'une des pré-
misses est E ou 0: (17, 19. 2i, ^m, 25. 27, 29, 3i; 49, 51, 53, ^, 57,
5P, 6i, ÔS; 5, 7, 13, 15, 37, 39, 45, 47). 24 modes dont 12 étaient déjA
exclus; d'un autre côté tous les modes terminés par A ou par E, dont
une des 'prémisses est I ou 0: (33, 34, 37, 38. 4/, 42, 45, 46, 49, 50, 53*
54, 57, 58, 61, 52; 9, 10, 13, 14, S5, 26, 29, à?), 24 modes dont 16 étaient
déjà exclus. Donc, en somme, encore 20 modes exclus par cette règle.
Â9 La 5« règle, Ambœ affirmantes nequeunt generare neganiem.
exclut tous les modes terminés par E ou par O, dont les prémisses sont
A A, AI, I A ou II (2, 4, W, 12, 34, 36, 42, 44)* 8 modes dont 4
étaient déjà exclus. Donc encore 4 modes exclus.
5<> On exclut encore la forme 8, A E 0, parce que les deux prémisses
étant universelles, il n'y a pas de raison pour conclure particulièrement.
60 On exclut enfin la forme 40 I E 0 , parce que dans la proposition I
le sujet et l'attribut sont tous les deux particuliers (nous avons dit plus
haut pourquoi) ; donc le grand terme y serait pris particulièrement; tandis
que dans la conclusion 0 , dont le grand terme est nécessairement l'at-
tribut, il serait pris universellement, parce que cette proposition est néga-
tive. Donc:
16 modes exclus par la 6* règle;
12 » » par la 7* » ^
20 » » par la 8* »
4 » » par la 5* »
2 9 > par des considérations particulières;
en tout : 54 modes inacceptables.
ll'J LOOigLK .ittSlRAlTK
Il ne reslc doue quo 10 modes qui peuvent donner un syîloRÎsnw*
ronchiant. Ce sont :
1
A A A
18
E A E
:\
A A I
20
E A 0
0
A K E
28
E I 0
II
A I I
:i5
I A I
16
A 0 0
52
0 A 0
MaU ce n'est pas tout. Un syllogisme doit nécessairement être fonm^
selon une des quatre figures qu'il peut prendre, et dans chacune de ces
figures un certain nombre de ces dix modes ne sont plus valables.
Fig^oras du syllogisme. Le moyen terme entre dans chacune des
deux prémisses, et dans chacune d'elles il i}eut être sujet ou attribut. O
qui donne les quatre combinaisons que l'on appelle figures du syîîogi:sine.
/• flgitro. — Le moyen terme ost sujet de la majeure, et attribut de la
mineure.
2* figure.*^ Le moyen terme est attribut de la majeure et de la mineure.
5' figure.^ Le moyen terme est .sujet de la majeure et de la mineure.
à* figure. — Le moyen terme est attribut de la majeure et sujol de la
mineure.
C'est ce que les scolastlques avaient mnémonisii dans le vers suivant :
m
Sub-praî, Utm prse-prœ, tnm sub-sub, denique pra;-sub.
La syllabe 8i«6est mise pour subjeclum, (sujet); la .syllabe jaro», pour
prœdicatinn (attribut).
Si chacun des dix modes concluants, pouvait faire un syllogisme
valable, dans chacune de ces quatre figures, il y aurait en tout 40 modes
de syllogismes.
Mais, comme, selon la qualité des propositions, l'attribut a une exten-
sion déterminée, il est facile de déterminer d'avance quels seront les
modes qui seuls pourront conclure dans chaque figure.
Rappelons d'abord les lois de l'extension de l'attribut dans une pro-
position.
l"^ loi : L'attribut d'une proposition affirmative est toujours parti-
culier: il n'a pas toute son extension.
3* loi ; L'attribut ^*une proposition négative est toujours universel : il
a toute son extension.
Or, en vérifiant les conditions d'extension de chaque terme du syllogis-
me pour chacun des dix modes concluants, on trouve ce qui suit :
1" FIGURE : sub^prœ. Il faut exclure de cette figure:
1® A A I At E A O, parce que le petit terme, qui doit être, dan j«
RAISONNEMENT 113
cette figure, sujet de la mineure, serait universel dans les prémisses»
comme sujet de A, et particulier dans la conclusion comme sujet de 0.
(2« règle ; Latins hune quam prœmissœ conclusio non vult
2o A E E, A 0 0, parce que le grand terme, qui, dans cette figure
est attribut de la majeure, serait particulier dans les prémisses, comme
attribut de A, et universel dans la conclusion, comme attribut de E ou
de O. (2* règle: Latius hune.)
3« I A I, parce que le moyen terme y serait deux fois particulier,
comme sujet d'une particulière dans la majeure, et attribut d'une afilr-
mative dans la mineure, (S* règle: Aut semel aut iterum....)
Cette figure ne fournit donc qlie quatre modes concluants ; ce sont
A A Afc Ail, E A E, E I 0, que les scolatiques avaient mnémo-
nisés dans les mots :
Barbara, celarent, darii, ferio.
plaçant au premier rang les deux conclusions universelles.
2" FIGURE. ProB'prœ, Cette figure rend impossibles :
i^ A A A, Ail, A A I, I A I, parce qu'aucune des prémisses
n'étant négative, le moyen terme, qui est deux fois attribut, serait
deux fois particulier. (3« règle. Aut semel aut iterum,,..)
2» CAO, parce que le grand terme y serait particulier dans la
majeure, comme sujet de 0, et universel dans la conclusion, comme
attribut de la négative 0. (2« règle. Latius hune.,..)
3o E A 0, parce que le petit terme étant universel dans la mi-
neure, comme sujet de|A, ne doit pas être particulier dans la con-
clusion comme sujet de 0.
Cette figure fournit donc quatre modes : E A E, A £ £• £ I 0,
A 0 0, ainsi mnémonisés:
Cesare, camest^^es, festino, haroco.
3* PIQURE : Svh-sub, Cette figure )rend impossibles :
1* A E E, A 0 0, parce que le grand terme y serait particulier
dans la majeure, comme attribut d'une affirmative, A, et universel
dans Jfla conclusion, comme attribut d'une négative, E ou 0. (2*
règle. Latius hune,...)
2« A A A, E A E, parce que le petit terme y serait particulier
dans la mineure, comme attribut d'une affirmative, et universel dans la
conclusion, comme sujet d'une universelle Ë. 2* règle : Latius hune.)
Cette figure fournit donc six modes :AAI«AIIt IAI,fiA 0»
E I 0» O A O, ainsi mnémonlséi:
8
114 LOGIQUE ABSTRAITE
Darapti, datisi^ disaniis, felapton, ferison, bocardo.
4" PIQURE : Prœ-sub. Cette figure ne permet pas:
!• Ail, A 0 0, parce que le moyen terme y serait deux fois par-
ticulier (3* règle), comme attribut d'une affirmative dans la majeure
A, et sujet d'une particulière dans les mineures I et ().
2" A A A, Ë A E, parce que le petit terme, attribut d'une mineure
affirmative. A, y serait particulier, tandis que sujet d'une universelle,
A ou E, il ceraît universel dans la conclusion (2* règle.)
3* 0 A (), parce que le grand terme, sujet de la majeure particu-
lière 0, y serait particulier, tandis qu'il serait universel dans la con-
clusion, comme attribut de la négative O. (2" règle,)
Cette figure fournit donc cinq modes : A A I, 1 A 1, A E K, E A 0
Barbari, dibatis, calenies, fespamo, fresisom.
Mais Aristote avait laissé de côté cette figure comme inutile^ puis-
qu'elle n'est que le renversement de la première» et après que Galiea
l'eut introduite, les scolastiques en considérèrent les cinq modes comme
des renversements de la première figure, et ils les mnémonlsèrent
ainsi, en renversant les prémisses :
Darali, dabitts, celantes, fapesmo, frtsesom.
Dès lors, ne comptant plus que trois figures, ils donnèrent à la pre-
mière quatre modes directs et cinq modes indirects, et mnémonlsèrent
les 19 modes concluants dans ces quatres vers.
Barbara^ celarent, darii, ferio, — bardlipton.
Celantes, dahitis, fapesmo, finsesomorum,
— Cesare, camesires, festino, baroco, — darapti^
FelaptoTif disamis, datisi, bocardo, ferison.
Inutile de dire que ces vers ne signifient rien : ils sont destinés uni-
quement k permettre à la mémoire de retenir des groupes de voyelles,
et ces groupes de voyelles représentent des modes de syllogismes.
Le choix même des consonnes, dans ces mots mnémoniques, n'est pas
inditrérent. Les noms de tous les modes commencent par fl. G, D ou F.
Or tous les modes des trois dernières figures dont lea noms commen-
cent par B peuvent se mettre sous la forme Barbara ; les modes dont
les mots commencent par C peuvent se mettre sous la forme Celarent ;
les modes dont les noms commencent par D peuvent se convertir en
Darii; les modes dont les noms commencent par F peuvent se conve-
tlr en Fetno,
RAISONNEMENT 115
Résumé et classement des modes. — Il y a donc en tout 19 mo-
des concluants, savoir :
5 universels et 14 particuliers,
ou : 7 affirmatifs et 12 négatifs,
ou encore: l en A, 4en E. 6enl, 8enO.
Ou bien : 9 do la !• figure dont 5 inverses, pris de la i\
4 de la 2- figure et 6 de la 3" figure
Ou enfin, 3 qui ne concluent qu'en une seule figure :
A A A, A G G, GAG;
6 qui concluent en deux :
E A E, A II, A E B, A A I, E A 0, I A I ;
1 qui conclut dans les quatre : E I G.
Mais les seuls modes vraiment utiles sont les quatre modes directs de
la 1" figure. On peut toujours ramener un syllogisme à cette forme; et
ces quatre modes suffisent a tous les raisonnements, puisqu'ils concluent
dans les deux qtiantitéa de chacune des qualités (A E I G).
I uni>^rselle 1 ^f «^f ^*^«' «" ^ : Barbara. .
Conclusion ' ''^«^''^^'^' ®" ^ ' ^^^^^'»^-
I ^. ,.. I affirmative, en I : Darii.
\ particulière ... r^ t? -
I négative, en G : Fei^o,
C'est dans la Logique de Port-Hoyal que nous avons puisé presque
en entier cette exposition des théories scolastiques du syllogisme.
Nous avons donné cette théorie en détail, pour montrer jusqu'où ces
hommes que l'on traite aujourd'hui de barbares, ces siècles que l'on
appelle siècles des ténèbres, portaient la profondeur de leurs analyses et
de leurs généralisations, et comment ils savaient, d'un côté assouplir
leur intelligence pour lui faire démêler facilement l'erreur, et d'un au-
tre côté l'afifermir d'une manière inébranlable dans les vérités démon-
trées.
8 2 DB DvriRiiins roue du sillkhsii.
260. Sources de ces différentes formes. — En retranchant
au syllogisme une proposition, ou en y ajoutant d'autres proposi-
tions qui le modifient, on obtient d'autres formes de syllogisme.
261. Enthymème. — L'enthymôme est un syllogisme dont o&
n retranché une des prémisses. C'est le raisonnement dans sa for-
me naturelle.
Ex. Enthymème déductif : Elle est mère: elle pardonnera.
» identique. Je foi pu conserver: Je pouvais
donc te perdre,
» inductif. La fumée monte ; elle esi donc plus
légère que l'air.
]10 LOGIQUE ABSTRAITE
Plusieurs auteurs et notamment Josopîi de Maîstre ont confondu Tin-
duction avec Tenthymème. Ils ont cru que llnduction est un raisonne-
ment dont la majeure est sous-entcndue ; et cette majeure ils la supposent
diversement. Quelques-uns, surtout les contemporains, croient que li
majeure d'un raisonnement inductif est toujours celle-ci: Les loi. ^ de
Vunivers 8ont stables et constantes. Prenant ensuite un phénomène
observé dans l'ordre physique, ils l'affirment sous forme, de mineure,
et concluent qu'il se reproduira toujours de môme.
Mais telle n'est pas l'induction. Son rôle ne consiste pas à affirmer
l'avenir. Dans cet ordre on ne peut s'appuyer que sur des raisons d'ana-
logie, et quand on dit ce qui se fera demain, on ne peut le dire qu'avec
une très-grande probabilité, ou avec ce qu'on appclb, un peu impropre-
ment, comme nous le verrons plus loin, la certitude morale.
Linduction conclut d'un fait passé ou présent à une loi passée ou
présente mais non à des faits futurs. Au contraire, c'est par une déduc-
tion probable que l'on conclut ces faits futurs, de la loi actuelle démon-
trée par induction.
C'est pour mieux faire ressortir cette distinction entre l'enthyméme et
l'induction que nous avons donné de cet argument trois exemples, pris
dans les trois formes du raisonnement.
Le premier est une déduction ; il conclut de la cause à l'effet : U
qualité de mère est une cause de pardon envers son fils ; elle ne peut
manquer d'avoir son effet. Cependant comme la cause resta libre, la
conclusion n'a qu'une certitude morale.
Le second exemple est une identité ; il conclut d'un effet à un autre
effet de la môme cause : celui qui peut sauver son semblable, en lui ten-
dant la main, peut par là-mème le perdre en ne la lui tendant pas.
Le troisième exemple est une induction ; il conclut de l'effet à la cause:
la cause qui fait monter la fumée, c'est précisément qu'elle est plus légère
•que l'air.
Cependant, il faut dire que si l'on ajoute à chacun de ces trois exem-
ples d'enthymème une majeure, on obtient trois syllogismes qui sont tous
les trois déductifs. Par exemple, si je dis :
Tout ce qui 8*élève clans Vairsans se mouvoir est plus léger que Vair;
Or la fumée s'élève dans Vair sans se m^ouvoir elle-même :
Donc la fumée est plus légère que Vair.
n est évident que la conclusion est une déduction; car elle n'est
qu'un cas particulier de la majeure.
262. Epichérèxne. — En ajoutant aux deux prémisses d'un
syllogisme, ou à l'une des deux, une proposition qui en montre la
TÔrité, on forme Vépich^rf^me*
RAISONNEMENT 117
Ex. Ce qui est étemel est infini.
Or le monde n'est pas infini, puisqu'on peut le mesurer
au moins en partie.
Donc le monde n'est pas éternel,
263. Prosyllogisme. — En prenant pour majeure, d'un se-
cond syllogisme la conclusion d'un premier, on fait un prosyllo-
gisme.
Ex. : La production d'une chose en engendre la propriété.
Or Dieu nous a prodtUts en nous créant.
Donc nous sommes la propriété de Dieu,
Or la propriété dépend du propriétaire.
Donc nous dépendons de Dieu.
Le mot <c prosyllogisme » a d'abord désigné seulement le premier
syllogisme qui, exprimé ou sous-entendu, démontre la majeure du
second. Aujourd'hui ce mot désigne les deux syllogismes pris en-
semble. Le premier sens est seul conforme à Tétymologie.
264. Sorite. — Si on enchaîne plusieurs syllogismes sans ex*
primer les conclusions, remplaçant ainsi chaque mineure par une
autre, pour n'avoir qu'une conclusion, on fait un sorite,
Ex. : Celui qui accepte un duel se met dans le cas de tuer
son semblable ou de se faire tuer par lui.
Celui qui se met dans ce cas accepte un homicide volontaire.
Celui qui accepte un homicide volontaire est coupable d'ho^
niicide.
Donc celui qui accepte un duel est coupable d'homicide,
2C5. Syllogisme conditionnel. — Quand ^a majeure d'un
syllogisme est un jugement conditionnel; le syllogisme- est condi-
tionnel. Dans ce cas la mitieure afRrme la condition, et la conclusion
afiirme le conditionné ; ou bien la mineure nie le conditionné, et alors
la conclusion nie la condition.
Exemple : Si la loi morale existe nous devons la suivre.
Or la loi morale existe.
Donc nous devons la suivre.
Autre Exemple : S'il y avait de Veau à la surface de la lune,
710US y verrions des nuages,
Or^ nous ne voyons pas de nuages autour de la lune..
Donc la lune n'a pas d'eau..
118 LOGIQUE ABSTRAITE
266. Syllogisme disjonotif. Le BjllogismQ est disjonctif quand
la msgeure est un jugement disjonctif (alternatif). Dans ce cas, si
la mineure affirme une des alternatives, la conclusion nie Tautre et
réciproquement.
Exemple : // faut croire quelque chose ou se résigner à n€
rien savoir.
Or vous voulez ne rien croire.
Donc vous voulez ne rien savoir.
Nota. Par opposition à ces deux dernières formes du syllogisme,
le syllogisme dont la majeure est un jugement catégorique, s^appelle
syllogisme catégorique.
267. Conclusion conditionnelle. — Quand la majeure du
syllogisme est disjonctive et que la mineure est une hypothèse, la
conclusion est conditionnelle. Dans ce cas, la conjonction donc se
met avant la mineure.
Exemple : // faut croire quelque chose ou ne rien savoir.
Donc, si vous ne voulez rien croire.
Vous voulez ne rien savoir.
268. Dilemme, — Le dilemme est une combinaison d*une ma-
jeure disjonctive et de deux conclusions conditionnelles, mais de
telle sorte que les deux conclusions conditionnelles donnent le même
résultat. *-
Exemple : On méprise Dieu ou sciemment ou par ignorance.
Si c'est par ignorance, on est coupable d'ignorer Dieu.
Si c'est sciemment, on est coupable de méjpris.
Dans les deux cas on est Coupable.
Autre exemple : Celui qui blasphème croit en Dieu ou n'y croit
pas.
'S*il croit en Dieu, il est fou d'insulter un être qu'il croit
^ infiniment puissant, et qui peut le punir.
S'il ne croit pas en Dieu, il est fou d'insulter un être qu'il
croit ne pas exister.
Dans les deiuv cas il est fou.
Article 4*
OONNKXION OOMPLEXE DES PENSÉES. — MÉTHODE.
269. Nature de la connexion complexe des pensées. —
Quand il y a connexion, non plus entre deux pensées, comme dans
MÉTHODE 119
le raisonnement, mais entre un grand nombre de pensées et de
raisonnements, c'est la connexion complexe, c'est Tordre logique,
c'est la méthode.
Cet ordre logique n*est autre chose qu*une vaste identité logique
qui en réunit plusieurs autreif.
Mais on peut distinguer Tordre logique des réalités et Tordre
logique des connaissances. C'est ce dernier surtout qu'on appelle
méthode.
Par ordre des connaissances 11 ne faut pas entendre ici la disposi-
tion successive des vérités qui font partie d'une même science; de telle
sorte que l'une doive être étudiée avant l'autre. Kn ce sens les connais-
sances n'offrent pas toujours un ordre logique, ; car toutes les vérités
qu'elles comprennent ne dépendent pas toutes les unes des autres, d'une
manière aussi incommutahle.
Cet ordre n'est autre chose qu'un enchaînement d'identités logiques.
Prenons pour exemple les mathématiques. Le nombre, objet de l'arith-
métique, a pourpoint de départ l'unité, qui s'ajoute à elle-même autant
de fois que l'on veut, pour former tous les autres nombres, ou qui se
divise indéfiniment en autant de parties qu'il y a de nombres possibles.
L'Idée même du nombre est ridée d'une identité. C'est quelque chose
d'identique à l'unité répétée autant de fois. L'addition est identique à
la formation du nombre. La multiplication est une addition abrégée,
et donne un résultat identique à celui que produirait l'addition dans
les mêmes données. Par exemple : 6 fois 7 est le nombre 7 ajouté
5 fois à lui-même ; ou le nombre 7 répété 6 fois. Le quotient de la
division est Identique a l'un des facteurs du dividende, et l'autre est
représenté par le diviseur. Renversez l'opération et vous avez une
multiplication dont tous les nombres sont respectivement identiques.
Après cela les opérations les plus complexes de l'arithmétique ne
sont- que des combinaisons des quatre opérations fondamenta-
les et on n'y constate jamais que. des identités. L'algèbre donne dans
une seule équation, ou dans une seule solution de problème, la formule
générale de tous les problèmes d'arithmétique dont le point de vue est
le môme. C'est une identité de plusieurs identités, et toutes les formu-
les algébriques, se formant par identité aussi, l'algèbre elle-même n'est
qu'un enchaînement d'identités. Il serait facile de poursuivre cette ana-
lyse à travers les, théorèmes et les problèmes de la géométrie, dont
l'objet, l'étendue, se mesure par le nombre, c'est-â-dire encore, par son
identité avec un nombre de fois une unité d'étendue. On atteindrait
ainsi la mécanique, dans laquelle toujours par des identités enchaînées,
120 LOGIQUE ABSTRAITE
on mesure le mouvement par des rdations de dui^ et d'étendue, de
temps et d'espace, qui ne sont que d'autres formes de l'étendue et qui
toutes sidentiflent pour nous avec le nombre qui les mesure. Tel est
l'ordre logique des mathématiques. La méthode consiste à suivre cet
ordre.
270. Définition de la méthode. — La méthode est donc Tordre
logique des connaissances.
On peut distinguer dans les connaissances :
1^ l'ordre logique d'acquisition;
2® l'ordre logique de conservation;
3^ l'ordre logique de transmission.
Le mot a méthode» a surtout le premier sens, selon son et jmologîc
(|Aetot, 68ic, route entre deux); mais ce sens n'exclut pas les
deux autres.
271. Ordre naturel et ordre artificiel. — L'ordre, qui n*e8t
que la disposition de plusieurs choses dans l'unité, peut être naturel
on artificiel, même dans les connaissances: naturel, quand il est
conforme à l'ordre des réalités ; artificiel, quand il est le fruit de
notre conception et qu'il n'existe que dans notre pensée.
272. Une seule méthode pour chaque ordre de connais-
sances. -— Puisque la méthode est l'ordre logique^ elle est Tor-
dre vrai, l'ordre conforme k la réalité des choses : elle ne peut
donc pas être un ordre artificiel. Mais la nature ne met dans les
êtres qu'un seul ordre : il n'y a donc qu'un seul ordre logique ; il
n'y a qu'une seule méthode pour chaque ordre de connaissances.
Il faut entendre cette conclusion, non pas de renseignement d'une
science, que l'on possède déjà, et de l'ordre dans lequel on disposera
les dlfiërentes vérités qui la composent ; mais seulement de la création
d'une science, de la découverte des vérités qui en sont l'objet, et des
opérations intellectuelles par lesquelles il faut arriver à ces vérités.
En eflet on appelle communément méthode : les procédés industriels
que l'on emploie pour faire un travail ; la nature et l'ordre des exerci-
ces que l'on fait suivre à im élève pour lui Inculquer un art, etc. Ce
sont là des méthodes, si Ton veut ; car ce sont des routes entre deux ;
mais elles n'ont rien de commun avec la méthode dont il est question
ici. Celles-là sont multiples et facultatives pour un même objet ; celle-
ci est unique et nécessaire pour la création de chaque science.
MÉTHODE 121
En effet, les sciences sont des connaissances raisonnées. On ne les
crée et même on ne les acquiert qu'en se rendant compte des vérités que
l'on y affinne. Il faut, dans une science, connaître le pourquoi de cha-
cune des affirmations. Or le pourquoi ne s'obtient que par le raisonne-
ment et tout raisonnement est la constatation d'une identité. Mais on ne
peut constater une identité que là où elle existe. Il faut donc suivre les
identités qui sont dans les choses^ par leur nature même ; il faut suivre
Tenchalnement de ces identités ; il faut en suivre l'ordre, et c'est par-
ce que cet ordre e.st unique, qu'il n'y a, pour chaque science, qu'une
seule méthode.
273. Dmsion de Farticle. — Nous avons à dire sur la méthode :
1<* les différentes formes qu'elle peut revêtir;
2® les instruments qu'elle emploie ;
3** les différentes méthodes des différents ordres de sciences.
g 1 — D1TERSI8 FUanS DB U lÉTHODE.
274. Sources de ces diverses formes. — La méthode étant
l'ordre logique des connaissances, ses différentes formes ne peu-
vent venir que des différentes l'elations logiques que nous avons
avec les objets. Or ces relations se résument en deux.
Tantôt nous connaissons un objet complexe et nous voulons en .
connaître les éléments. Il nous faut donc aller du composé au sim-
ple, du particulier au général ; c'est ia voie de Tanaljse. L'ordre
logique de cette voie c'est la méthode analytique.
Tantôt nous connaissons un certain nombre d'éléments et nous
voulons connaître le résultat de leur union. Il nous faut donc aller
du simple au composé. C'est la voie delà synthèse. L'ordre logique
de cette voie c'est la méthode synthétique.
Il y a donc deux méthodes.
275. Méthode analytique. — La méthode analytique est
l'ordre logique des connaissances parcouru en allant du composé
au simple et, par conséquent, du particulier au général, de l'effet à
la cause, du phénomène à la loi, de l'individu à l'espèce.
276. Méthode synthétique. — La méthode synthétique est
l'ordre logique des connaissances parcouru en allant du simple au
composé et, par conséquent, du général au particulier, de la cause
à l'effet, de la loi au phénomène, de l'espèce à l'individu.
122 LOGIQUE ABSTRAITE
Quand on Ht, dans les auteurs modernes, les mots aruUyse et syn-
ifièsCt on est tout surpris de voir combien Ils semblent se contredire
dans les sens divers qu'ils donnent à ces deux mots.
C'est que ces deux mots sont employés dans les sciences pour dési-
.gner des procédés spéciaux dans lesquels on a quelquefois de la peine
à reconnaître les deux marches de Tintelligence que nous venons de
décrire.
Newton dit: {Optique, liv. III, 9. 31) « La méthode analytique con-
« siste à recueillir des expériences, observer des phénomènes, et de là
« conclure, par ihduclion, des vérités générales. Methoclus anaïytica
« est expérimenta capeve, phœnoinena observare, indeque coni'lusic"
« nés générales inductione inferre. La méthode synthétique pose en
« principes les causes c[ue l'on a cherchées et constatées, explique par
a ces causes mêmes les phénomènes qui en dérivent, et donne les
a preuves de ses explications. Synthetica est causas investigatas et
« coviprobatas affirmare pro principiis, earumque ope explicare
« phœnomena ex iisde^n orta, istasque explicationes comprobare. »
Jusque là nous avons exactement les deux méthodes que nous avons
décrites. L'analyse va de Teffet à la cause ; la synthèse, de la cause à
l'effet.
Mais dans les mathématiques il n'y a pas précisément des causes et
des effets, si ce n'est en mécanique, bien que l'on puisse considérer la
répétition de l'unité comme cause d'un nombre, ou, par exemple, le
rayon, comme cause de la circonférence et par suite du cercle.
Cependant on s'est aperçu que Ton pouvait, en mathématiques, par-
tir des éléments pour conclure au résultat de leur union, ou, en sens
inverse, partir de la combinaison pour conclure aux éléments. On a vu
dans ces deux marches une composition et une décomposition et on les
a appelées: synthèse et analyse. Jusque là encore, rien que de très con-
forme à la théorie que nous avons donnée : l'analyse procède du com-
posé au simple ; la synthèse, du simple au composé.
Mais dans un problème à résoudre, les éléments fournis par la donnée
sont connus, tandis que leur combinaison est inconnue. Et comme la
solution du problème peut se présenter en deux sens, soit en ana-
lysant la combinaison que l'on suppose réalisée, soit en faisant la syn-
thèse des éléments connus, on en est venu à cette formule générale,
donnée par Viète : « L'analyse suppose l'inconnu comme connu et le dé-
« montre par ses conséquences à des vérités connues ; au contraire la
a synthèse pose en principe le connu et, par voie de conséquence, dé-
« termine l'inconnu. Analysisest adsumptio quœsiii tanquani conces-
a si per consequentia ad verum concessum; ut contra, syntltesis^
MÉTHODE 123
a oflsumptio concessi per consequentia ad quœsiti flnetn et compre-
« hensionem, » Avec cette nouvelle définition, l'analyse et la synthèse
se trouvant tantôt conformes aux deux méthodes de la logique, tantôt
en contradiction avec elles. Car il peut arriver que Tinconnu soit préci-
sément la cause, la loi ou les éléments.
277. Comparaison entre ces deux méthodes. — D*après
leur déûnition môme^ ces deux méthodes ne sont qu'un seul et môme
ordre logique des connaissances, basé sur Tordre essentiel de leurs
objets, et que l'esprit doit parcourir tantôt dans un sens tantôt dans
l'autre, selon le point où il se trouve et celui où il veut arriver.
C'est donc avec beaucoup de raison qu'on a comparé la méthode ft
une voie. C'est en effet une voie de connaissance, qui met en com-
munication deux termes. Cette voie doit être parcourue, dans un
sens ou dans l'autre, depuis le point de départ jusqu'au point d'ar-
rivée ; et il n'y en a pas d'autre. Donc l'esprit n'est pas libre de
choisir indifféremment une méthode ou une autre; pas môme do
choisir entre la méthode analytique et la méthode synthétique. Il
n'y a donc pas à discuter sur leur valeur. Dans chacun des cas, il
n'y en a qu'une des deux qui mène au but ; Tautre en éloigne.
278. Réflexion sur les diverses méthodes suivies en phi-
losophie.— La méthode d'hypothèse n'est pas une méthode, par-
ce qu'elle n'est pas un ordre logique. L'analogie qui est la source
de l'hypothèse ne peut pas conduire logiquement des causes aux
effets, ni des effets aux causes ; la relation logique entre ces deux
termes étant Tidentité.
La méthode d'çiutorité peut, dans certains cas, être parfaitement
logique : c'est lorsqu'il s'agit d'acquérir la connaissance de ceiv
tains faits que d'autres ont observés et que l'on ne peut observer
soi-même. Mais elle n'est jamais un ordre logique complet ; car
elle ne mène qu'aux faits et non aux lois, ni aux causes de ces faits.
Ce n'est donc qu'un commencement de méthode : inutile, pour les faits
que l'on peut observer observer soi-même ; fausse, quand la doctri-
ne du maître est fausse ; mais logique et indispensable, pour les faits
que l'on ne peut observer soi-même et qu'un autre a observés exac-
tement. Elle est analytique ou synthétique au gré du maître.
La méthode de raison pure et de déduction n'est logique que pour
les sciences abstraites, où les principes sont de simples conceptions
124 LOOIQUE ABSTRAITE
et les développements des identités. Elle est nécessairement syn-
thétique dans son ensemble, quoique analytique dans quelques
détails.
La méthode d'observation et d'induction, qui n'est autre chose
que la méthode analytique, est la seule logique pour remonter des
faits à leurs lois et à leurs causes. Mais*elle serait parfaitement
déplacée pour les cas où il faut descendre des caufees aux effets ou
des lois aux phénomènes.
Donc nous pouvonsaffirmer encore, et avec une entière certitude,
que la vraie méthode en général n'est pas exclusive : elle suit l'or-
dre logique des connaissances dans un sens ou dans un autre, selon
le rapport entre le point de départ et le point d'arrivée ; elle ne se
contente jamais de l'analogie et de l'hypothèse ; elle sait employer
à propos la déduction ou l'induction et même l'autorité.
279. Les deux formes de la méthode se complètent et se
▼érifient mutuellement. — Quand, partant d'un fait complexe,
on a fait l'analyse, pour en découvrir les éléments, on fait la syn-
thèse, pour vérifier que le résultat de leur union est bien le fait que
l'on a analysé, et que Ton n'a rien oublié dans l'analyse. Récipro-
quement on vérifie l'exactitude de la synthèse par l'analyse de ses
résultats. 11 est à remarquer de plus que l'homme ne fait une
analyse ou une synthèse qu'à la condition de les avoir entrevues
d'avance avec tous leurs résultats.
§. 8. — mmnm de li métdode
280. Ce que sont en général ces instruments. — Nous
appelons instruments de la méthode les différentes opérations in-
tellectuelles qu'exige chacune des deux méthodes.
281. Instruments de l'analyse. — La méthode analytique,
qui remonte des faits à leurs causes et h leurs lois, doit: 1*
observer les faits pour les percevoir tels qu'ils sont. 2** quand
l'observation des faits naturels ne suffit pas pour en mettre au
jour les cai'actères essentiels, il faut avoir recours à l'expérimen-
talion, qui consiste à faire successivement reproduire le même
fait, en dehors du concours de ses différents éléments. On fait
ainsi Vecccltisioii des éléments (pii ne sont pas nécessaires k la
MÉTHODE 125
production du fait. Si la production du fait ne dépend pas de
nous, il faut attendre que le fait se reproduise en dehors de telle,
puis de telle autre circonstance. Cette exclusion, naturelle ou
artificielle, met à découvert les éléments essentiels du fait. S^ La
connaissance des éléments essentiels, dans lesquels se trouvent
nécessairement et Tordre du phénomène et la nature de reflet,
permet de remonter par Vinduetton à Tespôce, à la loi ou à la
cause. 4° Si l'analyse a été faite sur un grand nombre d'objets, on
Tachôve pai» la classification, qui permet de vérifier l'analyse
par la synthèse.
La classification ainsi bas^e sur une analyse exacte de tous
les objets d'une même idée est toujours naturelle.
En résumé les instruments de l'analyse sont :
1® l'observation;
2** l'expérimentation avec l'exclusion artificielle ou naturelle ;
3^ l'induction;
4<* la classification ;
EXEMPLE d'analyse : Suivous, dans un fait h analyser les
quatre opérations à faire :
1<» observation. Plusieurs corps tombent avec des vitesses dif-
férentes : ils sont de différents volumes.
2^ eœpérimentaiion. Changeons les volumes de ces corps. Les
corps de môme nature tombent toujours* avec la môme vites-
se, quoique avec diiférents volumes.
Réduisons tous ces corps au môme volume : môme différence
dans les chutes.
Pesons-les.
Ceux qui à môme volume pèsent^ davantage tombent plus
vite.
3® induction Donc la vitesse de la chute est un effet qui a pour
cause le poids spécifique des corps et non le volume.
4® classification. Le poids de l'or est à celui de l'argent comme
19 est à 10. Leur vitesse de chute est dans le môme rapport.
Le poids de l'or est à celui du fer comme 19 est à 7. Leur
vitesse de chute est dans le môme rapport, etc, etc.
126 LOGIQUE ABSTRAITE
282. Instruments de la synthèse. — La méthode synthéti-
que qui descend des causes à leurs effets^ des lois aux phénomènes,
des espèces aux individus, et, en un mot, des éléments aux résul-
tats de leur unioh, doit 1<* commencer par une idée exacte de ces
mômes éléments, qui sont des conceptions nécessaires de la i*aison,
ou des idées acquises scientifiquement, 2*' les définir avec la plus
scrupuleuse exactitude, 3** diviser les idées générales en les
unissant successivement aux idées de leurs différences spécifiques,
4° conclure par la déduction aux caractères essentiels des faits qui
sont les résultats de ces unions. En présence de ces faits on n*a
qu'à remonter en- sens contraire pour vérifier, par l'analyse,
l'exactitude de la synthèse.
En résumé les instruments de la synthôsi sont :
1® les idées générales de plusieurs éléments ;
2^ la définition de ces idées ;
3* la division do ces mômes idées qui les combine ensemble;
4® la déduction qui constate les résultats de ces unions.
EXEMPLE DE SYNTHÈSE. Suivous de môme les quatre opérations
1** Conceptions premières : Idées de : ligne droite, angle, angle
droit, triangle, triangle rectangle, hypoténuse, parallélo-
gramme, carré, base, hauteur, surface, égalité.
2^ Définitions, Donnons des définitions précises de toutes ces
idées.
3® Division ou combinaison. Combinons 1° les idées de ligne
droite, angle, triangle, égalité ; 2^ les idées de base, hauteur,
surface, triangle, parallélogramme, égalité ; 3* les idées de
triangle rectangle, hypoténuse, carré de chacun des côtés,
égalité, plus application des combinaisons du 1** et du 2**.
4® Déduction, Nous trouverons : 1° Deux triangles sont égaux,
quand ils ont un angle égal compris entre deux côtés égaux.
2^ La surface d'un triangle est la moitié de celle d'unparallé.
logramme de môme base et de même hauteur ; 3^ Le carré
de l'hypoténuse est la somme des carrés des deux autres
côtés.
12^ loi de la logique abstraite. Loi de la méthode. — La
méthode n^est que Tordre logique des connaissances. Il faut suivre
MÉTHODE 127
cet ordre dans le sens de la relation logique qui existe entre la con-
naissance d'où l'on part et colle que Ton veut atteindre {Générait^
tés: 28)
g t. - MlTilODSS Â IIPLOISR DiNS LIS DIFFiRKNTS ORDUS Dl SdENGES.
283. Principe général de cette question. — Nous pouvons
conclure de ce qui ppécôde que :
1<* Toutes les fois qu'une loi ne nous est connue que par les phé-
nomènes qu'elle régit, la recherche de cette loi doit se faire par
l'analyse.
2^ Si, au contraire, la loi générale est connue d'ahord et que les
applications particulières ne nous soient connues que par cette loi,
il faut procéder par la synthèse.
284. Application de ce principe. — Or les seules lois que
nous connaissions avant les faits qu'elles régissent sont le^ lois
nécessaires : nous les concevons comme devant être nécessairement,
et cela avant toute observation.
Au contraire les lois contingentes ne nous sont connues que par
les phénomènes qu'elles régissent : car, d'un coté, leur contingence
nous empêche de les affirmer par la raison, et, d'un autre côté
l'expérience ne nous les fournit pas immédiatement.
Donc toutes les sciences dont les lois sont nécessaires sont des
sciences de déduction qu'il faut étudier parla méthode synthétique.
Au contraire, toutes les sciences dont les lois sont contingentes
sont des sciences d'induction qu'il faut étudier par la méthode
analytique.
285. Application spéciale de ces principes. — Ainsi les
mathématiques pures, parmi les sciences des corps; et, dans les
sciences des esprits, la logique, la métaphysique, la morale et, sauf
le point de départ, la théodicée, ainsi que toutes les sciences spé-
ciales qui dérivent de celles-là, doivent être étudiées par la méthode
synthétique, parce que leurs lois sont nécessaires.
On sera peut-être tenté d'objecter à ce que nous disons ici : que les
sciences mathématiques procèdent tout à la fois par analyse et par
synthèse.
£d effet, on résout un problème par deux méthodes distinctes, dont
l'une s'appelle l'analyse et l'autre la synthèse. Mais il s'agit ici de la
128 LOGIQUE AnSTRAITK
création des sciences mathématiques et non de la solution des problè-
mes. ,
On objectera encore que la création des mathématiques trauscendaD-
tes se lait par l'analyse. Nous disons alors, comme nous Tavons remai^
que au n» 276, que le mot analyse a changé de sens.
Enfln ajoutons que nous parlons ici de méthode dans les sciences, à
un point de vue entièrement logique, c'est-A-dire au point de vue de
leur vérité, et, par conséquent, de leur certitude. Or, quelle que soil la
marche que Ton suit, pour découvrir un théorème, ou pour résoudre un
problème mathématique, il est facile de constater que la certitude que
donne à Tinconnue la démonstration ou la solution, vient de la certitu-
de des éléments de cette inconnue, et, par conséquent, ïl/dst toujours
vrai de dire que la science mathématique s'acquiert par la synthèse
Ces considérations montrent une fois de plus que la méthode dont
nous traitons ici n'est pas cet ensemble de procédés que Ton emploie
dans les arts ou dans les sciences pour obtenir tel résultat cherché,
mais bien Tordre logique des connaissances, l'ordre des identités logi-
ques qui existent entre nos connaissances et qui nous rendent certains
de la vérité des unes par la vérité des autres.
Les sciences naturelles, physiques et médicales, parmi les sciences
des corps, et, dans les sciences des esprits, la psychologie et les
sciences spéciales qui en dérivent doivent être étudiées par la mé-
thode analytique.
Ainsi, dans le cas que nous avons présenté sous un double peint de
vue à la page 106 , comme exemple de déduction et d'induction, lors-
que Pascal faisait ses expériences sur le vide, il se posa la question ainsi :
IIypothàse. C'est la pesanteur de l'air qui fait monter les liquides
dans les pompes.
Conséquences. S'il en est ainsi les liquides plus lourds doivent s'éle-
ver moins haut, et de plus, sur une haute montagne, les mêmes lii^ni-
des doivent s'élever moins haut que dans la plaine.
Il fit les expériences nécessaires et, les conséquences se trouvant toutes
réalisées, il en conclut que son hypothèse était Texpression de la vérité.
D'après le point de vue moderne, il procédait par synthèse» puisqu'il
raisonnait de la cause à ses effets.
Cependant, si nous tenons compte des sources de la certitude, nous
verrons que son hypothèse, qui exprime la cause, tire son évidence de
l'évidence de ses effets, et que, par conséquent, la nouvelle vérité acqui-
se à la science, étant une cause démontrée par ses effets, a été acquise
par l'analyse, bien que le raisonnement fut présenté sous une forme
synthétique.
MÉTHODK 120
La philosophie doit donc employer tour-à-tour les deux métho-
des, dans les difftjrentcs branches qui la composent. Et mémo,
dans chacune de ces branches, les deux, méthodes trouvent, plus
ou moins, des objets de leur domaine.
1 S'' loi delà logique abstraite. Loi de Tapplication ds
la méthode. — La connaissance des sciences dont Jes lois sont
contingentes s'acquiert par l'analyse ; la connaissanco des sciences
dont les lois sont nt^cessaires s'acquiert par la s yntiiôse.
Remarque. — Les lois, conlingen les régissent des phénomène.^ con-
tingents comme elles; les lois nécessaires régissent des faits uéces-
saires.
Par exemple, les faits que Ton déduit mathématiquement, des lois
nécessaires des sciences mathématiques, ne sont pas les faits réels et
contingents que l'on veut atteindre et calcider ; mais bien les mêmes
faits considérés d'une manière abstraite et par hypothèse. Ainsi, le
marchan«i qui dit: a Je vous vends 7 mètres de drap, k 12 francs le
mètre: c'est donc 8i francs que vous me devez v, ne conclut pas mathé-
matiquement à cette dette réelle de 8i francs. Il tire des lois
nécessaires des mathématiques une vérité particulière aussi nécessaire
que sa loi ; c'est que 12, multiplié par 7, égale 84. C'est nécessaire, mais
c'est abstrait. Le drap et sa mesure et le prix du mètre sont des choses
contingentes^ qui n'appartiennent ea rien au.^ matliématiques.
Au contraire, les lois que l'on induit des ph/îuomènes contingents sont
constantes, mais elles ne sont pas nécessaires.
En sorte que l'analyse part du contingent et conclut au contingent,
tandis que la synthèse part du nécessaire et conclut au nécessaire.
C'est pour cela que la philosophie s'est exercée plus tôt et plus lon-
guement et avec plus de profondeur sur les éléments et les applications
de la méthode synthétique, que sur les opérations de la méthode analy-
tique.
C'est pour cela encore que les sciences synthéticiues satisfont mieux
la raison^ et donnent une certitude plus prompte, plus facile et plus
inébranlable que les sciences analytiques; si bien que les mathémati-
ques portent, par privilège, le titre de « Sciences exactes. »
Cependant, il est un cas où l'iinalyse conclut du contingent au néces-
saire, c'est lorsqu'elle conclut de l'exislencc d'un effet contingent réel,
quel qu'il soit, ù l'existence d'une caure premiire, réelle aussi et néces-
saire.
130 LOGIQUE ABSTRAITE
Uonc^ si la synthèse a pour elle l'avantafçe de Texactitude et d'une
certitude plus inébranlable, il faut reconnaître qu'elle ne conclut qu'à
des vérités abstraites. L'analyse, au contraire, est la seule méthode qui
nous mène à la connaissance du réel et surtout de l'être le plus réel,
de rinllni. Mais il faut ajouter que l'analyse n'alteiiit ce haut degrré, cette
conclusion supérieure à toutes les autres qu'au moment où elle saisit k
grand principe de la déduction: l'idée d'élre; et ce grand principe,
l'analyse ne le fournit pas; il est le fond même de la raison.
LOGIQUE SUBJECTIVE
286. Définition. — La logique subjective est la science de la
vérité de la pensée dans ses rapports avec le siget pensant.
287. Relations de la pensée avec le sujet qui pense. — La
pensée a d*abord avec le siyet qui pense une relation essentielle ou
métaphysique, sans laquelle elle ne serait pas la pensée de ce sujet ;
c'est qu'elle lui est connue. Cette relation s'appelle conscience de la
pensée. Viennent ensuite les relations logiques ou relations de
vérité par lesquelles celui qui pense adhère diversement à sa pennée
et la tient plus |ou moins pour vraie. Ces relations logiques sont :
le doute, Thypothôse, la probabilité et la certitude. Ces diverses
i^elationa logiques doivent avoir diverses causes, il faut donc les
étudier.
288h Division de la logique subjective. — Nous diviserons
donc la logique subjective en trois chapitres.
1** Relation subjective essentielle: conscience de la pensée,
2** Relations subjectives logiques : doute, hypothèse, probabilité*,
certitude.
3<» Source de ces diverses relations logiques.
Chapitre I"
RELATION SUBJECTIVE ESSENTIELLE
(Conscience de la Pensée)
289. Définition. — Quiconque pense sait qu'il pense et sait ce
qu'il pense. C'est ce fait [qu'on appelle conscience de la pensée. Ce
fait est entièrement subjectif ; c'est-à-dire, qu'il se passe tout
entier dans le sujet et ne dépend en rien de l'objet de la pensée.
290. Nécessité de cette relation. — Il est évident qu'une
pensée qui n'est pas connue de celui qui pense n'est pas une pensée. Il
132 LOGIQUE SUBJECTTVK
n'y a donc pas de pensée sans conscience de la pensée. Cest pour-
quoi nous appelons la conscience de la pensée : relation essou-
tielle.
201. Nature de cette relation dans la réalité. — Mais([uel-
que essentielle que soit cette relation, considérée d'une manière
abstraite, il n'en est pas moins vrai que dés qu'elle existe elle par-
ticipe à l'imperfection de tous les êtres créés. Ainsi la con.scienee
de la pensée, dans son existence réelle, peut avoir des défauts. Elle
peut n'être pas assez claire ou pas assez distincte. Par exemple :
dans le rôve, on pense, sans avoir une conscience bien distincte, ui
bien claire, de sa pensée. Et les mômes défauts subsistent quelq ne-
fois dans l'état de veille, par suite de la distraction, de Fabsti'ac-
tion, de la précipitation, de la préoccuimtion ou de Texclusion.
292. Qualités de la conscience de la pensée. — Il est donc
nécessaire que la conscience de la pensée soit claire et dish')irtt\
293. Clarté. — La conscience de la pensée est claire quand
celui qui pense a conscience et de lui-môme (de son état présent,
du lieu où il est) et des sources de sa pensée, de manière à pouvoir
se rendre compte si la pensée lui vient de lui-même ou du dehors.
294. Distinction. — La conscience de la pensée est distincte
quand celui qui pense voit l'objet essentiel de sa pensée dfe manière
à ne confondre cette pensée avec aucune autre, qui n'aurait pas
exactement le môme objet.
Voici donc les lois de ce premier chapitre :
1"^ loi théorique ; Que la conscience de la pensée soit claire et
distincte.
1« loi pratique! Observer attentivement sa pensée, sans dis-
traction, ni abstraction, ni précipitation, ni préoccupation, ni
exclusion.
En parlant ainsi de la conscience de la pensée, nous n'entendons pas
trancher la question soulevée par Lelbnltz. sur le fait d'un grand nom-
bre de pensées, ou de perceptions, qui selon lui, seraient en nous, sans
'<!fue nous en eussions conscience.
Sans partager entièrement son avis, et surtout sans admettre toutes
les théories qui, dans le système de Leibnîtz, se rattachent à celle-ci
CONSCIENCE DE LA PENSÉE 133
nous croyons que l'âme humaine éprouve en effet beaucoup de percep-
tions inco^sciçntes, ou to^t au moins d'une conscience trèS'^confuse.
Hais, considérant la conscience de la pensée au point de vue logique»
nous disons que, non seulement elle est nécessaire à la connaissance,
mais encore qu'elle doit être claire et distincte. Si elle n'est pas claire,
si celui qui pense ne voit pas distinctement et son état présent et les
causes présentes de sa pensée, il prendra pour des perceptions les fan-
tômes do son ir^agination, et, croyant voir des réalités, il les affirmera
commes telles. Si la conscience de sa pensée n'est pas distincte, s'il
confond sa pensée avec une autre, il devra nécessairement voir et affir-
mer une fausse identité, et juger et raisonner faussement. Ces deux
sortes d'erreur se trouvent en même temps dans le rêve, quand on
croît voir une personne qui n'est pas présente, et qu'on lui voit faire
des actions qu'elle ne fait jamais et qu'on ne penserait pas d'elle dans
l'état de veille.
Elles se retrouvent dans la folie d'un homme qui s'attaque au pre-
mier passant, croyant avoir alTaire à celui qu'il appelle son ennemi.
Elles se retrouvent dans l'ivresse, lorsqu'on parle plus qu'on ne vou-
drait, et que l'on dit des choses que l'on garderait pour soi dans toute
autre circonstance.
Elles se retrouvent enfin dans la distraction ou dans la préoccupa-
tion, quand on mêle à sa conversation des paroles qui n'y ont aucun
rapport ; quand on cesse d'écouter et de répondre pour suivre une pen-
sée intérieure ; quand on mêle à une action parfaitement convenable
aux circonstances, une autre action qui ne se trouve pas à sa place.
Chapitre II .
RELATIONS LOGIQUES DE LA PENSEE AVEC SON SUJET
(Doute, hypotlièse, probabilité, certitude.)
295. i*<md«meiit de ces relations. — L'homme qui pense
ne peut rester longtemps indifférent à sa pensée ; il veut y voir la
conception d'une réalité ; il donne ainsi à sa pensée an objet inten-
tioanel et il accepte ou rejette sa pensée comme expression vraie ou
fausse de cet ol^et de son intention. C'est là le fondement des rela-
tions logiques entre le sujet pensant et sa pensée.
296. Doute. — Quand le sujet pensant ne voit pas si sa pensée
est ou n'est pas la conception exacte de son objet intentionnel, il
134 LOGIQUE SUBJECTIVE
suspend son adh(^sion; il s'abstient déjuger: c'est le doute. liC
doute est donc la suspension de V adhésion de Vâme à sa pen-
sée.
207. Hypothèse. — Quelquefois le siget pensant ayant une
pensée sans objet intentionnel, a besoin de la considérer un moment
comme si elle en avait un ; ou bien ayant un objet intentionnel qu'il
ne connaît pas, il a besoin de le considérer un moment comme étant
conçu par telle pensée qui se présente à son esprit. Dans les deux
cas, il donne à sa pensée une adhésion provisoire : c'est l'hypothèse.
Disons donc que Vhypothèse est l'adhésion provisoire de l'dme
à sa pensée,
298. Probabilité. — Quand le sujet pensant voit dans sa
pensée des motifs de la considérer comme vraie, quoique ces motifs
lui paraissent insuffisants, il hésite à adhérer à sa pensée ; mais
souvent il agit comme s'il y adhérait entièrement : il dit alors que
sa pensée est probablement vraie. Il forme un jugement probable.
C'est ce jugement probable qui est une adhésion hésitante de
Vâme d sa pensée. Quand au mot probabilité il désigne plutôt la
même relation logique prise du côté de la pensée. C'est précisément
la qualité de la pensée qui produit dans Tàmo le jugement pro-
bable.
299. Certitude. — Enfin le sujet pensant qui voit sa pensée
comme étant l'expression exacte de son objet intentionnel y adhère
sans restriction. C'est la certitude ou le jugement certain. Nous
définirons donc la certitude : l'adhésion absolue de Vd^ne d sa
pensée.
Observons ici que le jugement conditionnel et le jugement alter-
natif sont, comme nous l'avons dit plus haut (153), des combinai-
sons de l'hypothèse et de la certitude, et que, par conséquent, ils ne
sont pas une adhésion absolue. Le jugement conditionnel est une
adhésion conditionnelle, c'est-à-dire, destinée à devenir absolue si
la condition se réalise ; le jugement alternatif est une adhésion al-
ternative, c'est-à-dire, destinée à devenir absolue pour l'un quelcon-
que dos deux termes par l'exclusion de l'autre.
Cette dernière relation logique appelée certitude étant la plus
importante de toutes, nous nous y arrêterons plus longtemps.
CERTITUDE 135
300. Nature de la certitude. — La certitude est un fait
subjectif; c^est un acte de Tâme, mais un acte nécessaire. L'Âme
qui adhère ainsi à sa pensée le fait parce qu'elle ne peut faire au-
trement. On peut s'abstenir de manifester un jugement, mais on
ne peut s'abstenir de juger quand on a les motifs de le faire.
Pour détourner une Ame de son jugement il faut changer ses
idées et lui faire voir son objet intentionnel autrement qu'elle ne le
voit. Ce sont là des vérités d'expérience dont nous voyons d'ailleurs
assez facilement les lois métaphysiques.
En effet: Tàme, considérée comme être intelligent, est faite pour
connaître, et vis-à-vis de la connaissance qui est en partie sa fin, elle
doit se conduire comme toute substance matérielle se conduit à l'égard
d'une autre pour laquelle elle a une affinité. Dès qu'elle la trouve à
sa portée, elle se combine avec elle. Ainsi l'àme destinée à connaître,
et active d'ailleurs, recherche la connaissance, et, dès qu'elle la trouve,
elle s'y attache, elle s'identifie en quelque sorte avec elle.
Mais> connaître, ce n'est ni douter, ni supposer, ni croire sur des
motifs probables ou opiner ; c'est savoir, c'est juger avec certitude,
c'est être informé certainement du vrai.
Ainsi l'àme qui adhère à sa pensée, parce qu'elle la voit conforme à
son objet intentionnel, l'àme qui juge, qui affirme avec certitude, ne
fait que répondre à un besoin, qu'exercer sa puissance, que tendre vers
sa fin, et cela d'une tendance aussi irrésistible que celle de la pierre
qui tombe vers le centre de la terre, ou de l'oxygène de l'eau qui se
combine au fer et produit la rouille.
301. Existence de la certitude. — Il paraîtrait ridicule de
poser cette question s'il ne s'était rencontré des hommes assez in-
sensés pour nier la certitude, en théorie, tandis qu'ils en faisaient
usage comme tout le monde.
On appelle sceptiques les hommes qui prétendent qu'il n'y a
rien de certain, et scejiticisme leur système. Les sophistes Grecs
furent les premiers qui osèrent présenter cette théorie ; Pyrrhon,
fut plus tard le fondateur de l'école sceptique, et ses disciples ont
poussé le ridicule jusqu'à prétendre démontrer ^ c'est-à-dire nous
donner la certitvde, que la certitvde n'existe pas.
Mais que valent leurs dénégations contre le cri unanime de la
conscience du genre humain ? Il faut plaindre les hommes qui per-
dent à ce point l'usage de la raison ; mais il ne faut pas entre-
prendre de les réfuter.
13C) LOGIQUE SUBJECTIVE
La (eVtitudo ne se dcraontre pas ; car démoutrer un fait c'est
supposer (^u'il y a des faits certains, c'est-à-dire, que \pi certitude
existe.
Et par quoi déi;iontrerait-on la certitude?' Sans doute par des
faits certains, c'est-à-dirs, par la certitude elle-même. Et si nous
ne savions pas qui^nci nous sommes certains, par quoi pourrions-nous
être rendus certains que nous sommes certains?
D'ailleurs, si la certitude ne se démontre pas, il faut reconnaî-
tre aussi qu'elle n'a pas besoin d'être démontrée. On ne fait une dé-
monstration que pour rendre certain celui qui ne l'est pas; mais
celui qui est certain, quel besoin a-t-il de démonstration?
La cci'titude est un fait réel; il existe ; la conscience individuelle
l'atteste aussi bien que là conscience universelle. Et malgré tous
les efforts des sceptiques pour étayer leur système, nous ne cro^'ons
pas qu'aucun d'eux ait réellement douté de son existence, de ses
joies ou de ses douleurs, pas même de l'existence des corps qu'il
voyait et touchait. C'est de peur d'admettre toutes es conséquences
morales qu'une saine philosophie a toiyours su tirer des lois qui
régissent le monde, que quelques hommes en sont venus h nier la
certitude des faits même les plus incontestables, qui auraient pu
servir de principes. Et c'est leur faire trop d'honneur que de paraître
douter un moment avec eux pour leur démontrer ce qu'ils savent
aussi bien que nous.
D'ailleuis celui qui nie la certitude ne peut pas parler sans affir-
mer par là môme sa pensée; et l'exposition même de sa doctrine
en étant la réfutation, il ne peut que se condamner au silence.
On compte deux- systèmes prétendus philosophiques qui nient aî>-
fîolument l'existence de la certitude. Ces deux systèmes sont le
scepticisme et le prohahiUsme, On en compte une multitude d'au-
tres qui n'admettent la certitude que dans certaines conditions et
comme provenant d'une seule source, et qui nient toutes les autivs.
Ces derniers s^^stèmes sont nés de la recherche du ontcrium de fa
cerlitvde, I^e mot critérium (de xpivw, je juge) désigne une marquo
infaillible pour reconnaître Texistence d'un fait caché ; ici il signi-
fie donc la marque ^infailli])le de l'existence de la certitude. Or
c'est en cherchant cette marque que l'on a successivement affirmé
comme unique^source de certitude, les sens, la conscienco, la rai-
son, le raisonnement, le sens commun, révidenCe, etc.
CERTITUDE 137
Nous (ioun'ions répondre simplomeut que U mai'^iia de la carti-
tilde c'est la certitude elle-njùme, et que, quand oa est ceii*taiQ, on
ne demande pas la prouve que Ton est ceii:aiQ. Nous pourrions ré-
pondre au probahilisme comme nous avons répondu au scapticii'me ;
mais à cause de Timportance historique de ces divew By&ièttie^
nous les traiterons tous séparément. Seulement nous renverrons
cette question à la logique objective, parce que nous aurons alors
les moyens de répondre d'une manière plus péremptoire.
2® loi th^oriquç; loi des relations subjectiveslofîqiies de la
pensée : Le doute^ rhjpothiîse, la probabilité et la cei*titude sont de?
relations diverses de râmo avec sa pensée, et elles doivent avoir
des causas diverses.
2® loi pratique : Ne pas passer sans motif de l'une à Tautre
(les relations logiques de Tàme avec sa pensée.
Chapitre III
SOURCES DES DIVERSES RELATIONS LOGIQUES
du sujet pensant avec sa pensée.
302. Sources de la pensée elle -môme. — Le fait de la
pens ^e a nôcessail^ement une cause, et les différentes pensées ont
difioreutes causes. Mais quelque multiples que soient ces cause»
on peut les rêduii*e i\ deux.
La pensée est produite ou par l'objet mémo que Ion a on vue
ou par VCiniQ elle-même.
L'objet suscite la pensée dans l'àme qui le perçoit ; l'Ame se
donne à elle-même des pensées en combinant les idées qu'elle a.
Ur l'objet no peut, par lui-mémo, fournir à l'àme une concep"
tion autre que celle de lui-même. Donc la pensJ^e qui a pour caus )
unique son objet intentionnel est nécessairement vraie; tandi*^
que la pensée qui vient do l'Ame ne peut être que par hasard con-
foniie à son ol)jet intentionnel.
Nous pouvons donc distinguer comme sources de la pensée k^
sources objectives et les sources subjectives ,
138 LOGIQUE SUBJECTIVE
303. Sources objeotiTes. — Les sources de la pensée sont
objectives quand celle-ci ne renferme que ce qui est perçu dans
Tobjet par les sens ou par la conscience, unis aux conceptions
nécessaires de la raison. Dans tous ces cas la pensée vient toate
de l'objet, et elle est nécessairement vraie.
304. Sources subjectives. — Les sources de la pensée sont
subjectives en totalité ou en partie, quand elle est fonnée par
Timagination qui combine les éléments des pensées antérieures de
TAme, ou quand Timagination y entre pour quelque chose. Dans
tous ces cas la pensée telle qu'elle est vient du sujet pensant, et
elle est probablement fausse.
305. Sources du doute, de Thypothèse et de la probabi-
lité. — Il résulte de ce qui précède que la pensée qui a pour cau-
se l'imagination en tout ou en partie, ne peut logiquement faire
naître à son égard, dans celui qui pense, que le doute, Thypothèse
ou tout au plus la probabilité, mais jamais la certitude.
300. Sources de la certitude. — Au contraire la pensée dans
laquelle l'imagination n'est pour rien, et qui a pour source unique
son objet intentionnel, si elle se manifeste au sujet pensant avec
cette origine, ne peut faire naître en lui que la certitude. Or il est
naturel que celui qui pense et qui a une conscience claire et distinc-
te de sa pensée sache s'il a ajouté à sa pensée quelque chose de sa
propre imagination, ou non. Donc la pensée se manifeste avec ses
sources, et celle dont toutes les sources sont objectives engendi*e
nécessairement la certitude.
307. Fausse certitude. — La conclusion inattaquable que
nous venons de déduire de la nature même de la pensée, justifie en
principe l'infaillibilité du jugement, quand il est logique, et établit
les fondements même de la certitude. Mais cette infaillibilité du
jugement n'empêche pas qu'on en use mal quelquefois, et qu'il n'y
ait souvent en pratique une fausse certitude. . Voici comment.
L'obscurité ou la confusion de la conscience de la pensée, les
défauts qui lui sont contraires et surtout la précipitation et l'exclu-*
sion, qui a souvent pour cause les préjugés ou les affections du
cœur, font souvent passer inaperçue la part que l'imagination a
prise dans une pensée, d'ailleurs toute objective dans ses sources ;
SOURCES DE LA CERTITUDE 139
plus souvent encore une bonne partie des éléments d'une pensc^e
viennent d'un témoignage faux, lequel est encore en dernière analyse
le fruit de Timagination, et cela sans qu'on s'en doute. Alora la
0
pensée ne se présente qu'avec des sources objectives, et pourtant elle
est fausse; caries sources subjectives sont cachéeç.
Cette seule observation suffit pour expliquer toutes les erreura
et pour les prévenir toutes, si on ne l'oublie jamais.
308. Différents noms que prend la certitude selon ses
différentes sources. — Considérée dans son essence, la certitude
est une; elle n'admet pas de degré; elle existe ou n'existe pas:
l'adhésion de l'âme est absolue.
Cependant on est convenu de considérer comme différentes espè-
ces de certitude, selon qu'elle vient de sources différentes. On dis-
tingue: la certitude métaphysique, la certitude logique, la certitude
physique et la certitude morale.
309. Certitude métaphysique. — La certitude est métaphy-
sique dans les conceptions nécessaires de la raison. Elle n'est pas
X)lus cei'taine que les autres, mais elle est plus inébranlable.
11 est presque impossible de la fausser, parce que dans cet ordre
d'idées l'objet intentionnel de la pensée est le môme que l'objet
essentiel .
310. Certitude logique. — La certitude est logique quand
elle a pour objet une identité logique. •
Elle est infaillible en elle-môme ; mais elle ne va jamais seule,
et elle rentre dans la certitude métaphysique ou dans la certitude
physique selon que les idées qu'elle voit comme identiques sont
nécessaires ou contingentes.
311. Certitude physique. — La certitude est physique quand
elle a pour objet un objet que l'Ame perçoit, ou par elle-même ou
par ses sens. Elle se subdivise en certitude de conscience et
certittùde des sens. La plupart des auteurs modernes réservent
pour cette dernière seulement le nom de certitude physique.
Obsen'ons ici que toutes les fois que nous divisons un objet en mèta-
pliysique, logique, physique et moral, nous prenons le mot physique
dans le sens où Tout pris Aristote, Platon, la scolastique, en un mot
^oute la philosophie classique. Le sens de ce mot a été restreint dans le
10» siècle.
140 LOGIQUE SUBJECTIVE
La certitude ph3'sique est de sa nature aussi infaillible que les
précédentes ; mais elle peut facilement être fausse : elle exige
donc une gmnde circonspection.
312. Certitude aiorale. — La certitude est morale quand son
objet n'est perçu, qu'à travers les effets d'un acte libre. Tout ce
que nous connaissons par le témoignage des hommes, et tous les
jugements que nous poilons sur les hommes, en voyant leurs actes,
entrent dans cet ordre de certitude. Et pai^ce que cet ordre de cer-
titude est plus facile à fausser, le mot do certitude morale est deve-
nu, pour plusieurs, synonyme de probabilité très-giande. C'est pour
cela que plusieurs auteui*s rappellent certitude de témoignage^
pour ne pas la confondi'^ avec ce qu'on appelle aiyourd'hui certi-
tude morale; quand on dit par exemple: Teth suis moralement
eertain,
3* loi théorique. — La certitude est engendrée logiquement
par la pensée dont les sources sont purement objectives ; les souroes
subjectives engendrent le d»ute, Thypothôse ou la probabilité.
S'' loi pratique. — 11 faut, avant de formuler un jugement,
observer avec soin et constater toutes les sources de sa pensée,
afin de ne pas tenir pour certaine une pensée qui, directement ou
indirectement tient quelque chose de l'imagination.
L
LOGIOUfi OBJECTIVE
313. Définition. — La logique objective est la science de la
vérité de la pensée dans ses rapports avec son objet.
314. Rapports de la pensée avec son objet. — Nous avons
vu bien souvent déjà que la pensée a un double objet: l'un essentiel
ou métaphysique, par lequel elle se distingue do toute autre pensée;
l'autre iiitentionnel ou logique, qui est le fait même que le sujet a
en vue, et dont il veut que sa pensée soit la conception.
Le rapport de la pensée avec son objet essentiel ne peut être que
l'identité logique: la pensée est toujours et nécessairement la con-
ception de son objet essentiel.
Mais le rapport de la pensée avec son objet intentionnel, peut ne
pas être Tidentité, quoique la pensée n'ait pas d'autre but. Ce
rapport peut donc être Tidentité ou la non-ldfentité logique. De là
la distinction entre la vérité et la fausseté ; et, si le jugement inter-
vient, la vérité ou Terreur.
Ce double rapport de la pensée avec son objet logique nous est
assez connu, (23.104.161), pour que nous nous dispensions d'en ex-
poser ici la nature.
315. Division. — Il ne nous reste donc qu'à étudier les sources
de la vérité et de Terreur et la manifestation de la vérité d'uue
pensée. Nous le ferons en deux chapitres. ^
Chapitre P'
SOURCES DE LA VÉRITÉ ET DE L'ERREUR
dlô. Principe de cette question. — La cause et l'effet sont
logiquement identiques. Si donc la pensée a pour cause son objet
intentionnel, elle lui sera nécessairement identique ; elle en sera la
conception : elle sera vi*aie. Si au contraire la pensée est produite
par une autre cause que par son objet intentionnel, ee ne poun*a
être que par hasard qu'elle sera vraie.
y
142 LOGIQUE OBJECTIVE
Ici revient nécessairement la distinction des soui*ces objectives
et (les sources subjectives de la pensée. Les premières amènent
logiquement une pensée vraie, les deuxièmes amènent logiquement
une pensée fausse.
Le principe ainsi posé, il est facile de conclure.
317. Sources de la yérité. — Les sources de la vérité sont
donc la perception exacte de Tobjet intentionnel de la pensée.
Cette perception exacte se fait par différents moyens selon Ib
nature de Tobjet. La distinction de ces différents moyens et leur
application aux différents objets est une question psychologique.
Nous la traiterons en son lieu. Disons seulement que nous percevons:
1° par les sens, les faits corporels qui sont à notre portée ;
2** j>ar la conscience, les faits de notre âme ;
3** par le témoignage des autres, les faits qui sont à leurport^
Et qui ne sont pas à la nôtre;
et que nous concevons nécessairement ;
4** par la raison^ les causes et les lois des faits et, en général
tous les éléments nécessaires des choses.
Dans tous ces cas la perception «era exacte si Ton emploie à pro-
pos ces divers moyens, en se confonnant aux lois logiques des diffé-
rentes opérations que cette perception exige et que nous avons
indiquées dans la méthode.
318. Sourees de Terreur. — L'erreur ne peut venir que des
sources subjectives de la pensée, cachées & TÂme qui juge, par la
précipit^ion, les préjugés, les affections du cœur, et enfin et surtout
par les témoignages faux. Cette vérité est suffisamment démontrée
par tout ce qui précède.
Dans une observation trop rapide d'un fait, par les sens ou par la
conscience, Timagination complète la perception à sa manière, sans
qu'on y prenne garde ; les préjugés et les affections du cœur guident
souvent l'imagination dans son travail, et empochent Tintelligenee
de s'apercevoir de son intervention ; dans le raisonnement môme les
faits que Ton compare, défigurés par l'imagination, paraissent
logiquement identiques, et on fait alors ce qu'on appelle un para-
logisme, quand on est de bonne foi, ou un sophisme, quand le
raisonnement faux est fait avec intention ; .pour les faits connus par
SOURCES DE l/ ERREUR 148
le témoignage des autres, Terreur ou la mauvaise foi des témoins
peut les présenter autrement qu*ils ne sont, sans qu'on s'en aper-
çoive. Ce sont là tout autant de sources d'erreur. L'âme ne voyant
de toutes ces pensées que les sources objectives, j adhère nécessai-
rement, les tient pour vraies, les afBrme ; ot c'est en cela qu'elle
se trompe; car les pensées qu'elle juge vraies sont fausses.
319. Observation sur les différentes classifications des
erreurs. — Devons-nous après cela nous arrêter à classer les er-
i^eurs, comme Ton fait tant d'autres avant nous ? Nous ne le
croyons pas nécessaire. Ces classifications, toujours incomplètes,
ne sont guère* que des subdivisions de quelques-unes des causes
d'erreur que nous venons d'indiquer.
Bacon, qui s'y est arrêté longuement, les ramène toutes à (juatre
sortes de préjugés, qu'il appelle des idoles.
Idola tribus, préjugés du genre humain.
Idola specus, préjugés individuels.
Idola theatri, préjugés d'école et de système.
Idola fon\ préjugés sociaux venant surtout des abus du lan-
gage.
Les scolastiques avaient aussi distingué différentes sources de
sophismes ou de paralogismes.
Ignoratio elenchi, l'oubli de la question.
Petitio principiiy alléguer comme preuve le fait môme qu'il
s'agit de démontrer.
Non causa pro causa prendre pour cause ce qui ne l'est pas.
C'est le sophisme que Ton exprime encore ainsi : hocpost hoc ;
ergo pr opter hoc,
Enumeratio imperfecta, faille une induction sur des données
incomplètes.
Fallacia accidentis, prendre pour élément essentiel ce qui n'est
qu'accidentel.
Fallacia cômpositionis et divisionis, passer du sens composé
au sens divisé et réciproquement.
Transitus a relativo ad absolutum^ conclure du relatif à l'ab-
solu.
Cette dernière sorte de sophisme s'appelle aussi : transitus a
ilicto sectmdum quid ad dictum simpliciter.
141 LOGIQUE OBJECTIVE
Transitas de génère ad genus\ conclure d'un genre ce qui ap-
partient à un autre.
Circulits vitiosK^f démontrer successivement deux faits Tim
par l'autre.
Arnauld de Poi-t-Rôjal ajoute à l'exp >sition d^à très-longue àe$
différents sopliismes classés par les scolastiques Tex position de
plnsieura autres sources de sophismos : l*amoar-propne, Tintérùt,
les passions, les qualités et les défauts des objets mêmes.
En voici le résumé:
Sojihismes d* amour propre ^ d* intérêt et de passion'.
1" Juger. des choses par ce qu'elles sont à notre jégard.
2*^ Changer de jugement en cliangeant de passion.
3*» Poser en principe que Ton a raison.
4° Poser en principe que Ton est un habile homme.
5* Traiter d'opiniAtre celui <iui est d'un autre sentiment.
0" L'esprit de dispute, ou le besoin de contredire.
7° L'habitude de tout louer.
«
8« L'esprit de parti.
9^ Défendre une opinion parce qu'on Ta émise.
Sophismes qui naissent des objets mrûirs.
\^ Le mélange de bien et de mal que renferment les objets.
2** Le charme de l'éloquence.
3** Juger des intentions par une concordance d'opinions.
4*» Fausse induction tirée d'un trop petit nombre de faits.
5° Juger des intentions par le résultat.
G° Juger sur une autorité insuffisante: c'est le sophisme d'atfto-
rite.
7* Juger du fond d'une doctrine par la manière dont elle est
exposée.
8® Juger des opinions des autres par leur condition.
9** Juger des opinions des autres par leur caractèi*e.
Il n'est peut-être pas sans utilité de considérer en détail ces dif-
férentes sources d'erreur, mais nous croyons avoir été plus camplol
et tout aussi utile dans notre courte exposition, qui i^uit les sour*
ces de Terreur ft quatre chefs : la précipitation, les préjtigt-îi, les
SOURCES DE l'erreur '] v-j 145
passions et les témoignages faux. Rappelons d*ailletirK encore une
fois que ces quatre sources se résument dans une seule : la part que
prend l'imagination dans la formation des pensées. Que la pensée
soit produite uniquement parlobjet et il n'y a pas d'ecreur possible.
1« loi théorique. — La pensée qui n'a pas d'autre source que
son objet intentionnel est nécessairement vraie ; la pensée qui vient
en tout ou en partie de l'imagination est logiquement fausse.
1" loi pratique. — Observer avec soin les sources de ses pen-
sées pour n'accepter que les sources objectives ; se défier de la pré-
cipitation, des préjugés, des passions et des témoignages faux, qui
font entrer l'imagination dans la formation des pensées.
Chapitre II
MANIFESTATION DE LA VÉRITÉ D'UNE PENSÉE
Evidence
320. Principe de la question. — La ^nsée est vraie néces-
sairement, quand elle n'a d'autre source que son objet intentionnel.
Elle sera "donc manifestement vraie quand sa source, purement
objective, sera manifeste. Or cette condition est réalisée quand la
pensée n'a d'autre cause que la manifestation de son objet intention-
nel & TÂme.
321. Evidence. — On appelle évidence la manifestation in-
dubitable de la vérité d'une pensée. Cette manifestation a lieu
quand, l'objet intentionnel de la pensée est itianifesté h l'Ame, et que
cette manifestation est l'unique source de la pensée.
L'évidence est une relation objective, puisqu'elle est la manifes-
tation de l'identité logique de la pensée avec son objet. Mais
Tévidence produit nécessairement la certitude qui est une relation
subjective. Ainsi il y a entre l'évidence de l'objet et la certitude
du siget relation de cause à effet. On peut donc oonclure logique-
ment de l'une & l'autre ; car, d'après le principe tant de fois cons-
taté, Tune ne peut pas exister sans l'autre^
Voilà la réponse à la fameuse distinction du sut^jeotif et de
l'objectif, par laquelle les sceptiques de tous les temps ont prétendu
ébranler la certitude, et dont Kant n'a pas su sortir.
10
146 » LOGIQUE OBJECTIVE
322. Divisioii dt TéTidence. — On distingue l'évideiK^
comme la certitude en quatre espèces, selon ses quatre sources.
L'évidence peut ôtre métaphysique, logique, physique ou mora-
le, comme la certitude et aux mômes conditions.
323. ETi4once métaphysique. — L*évidence métaphysique,
est la nécessité manifeste d'une conception. Elle est perçue directe-
ment par la raison, qui la voit dans ce principe universel : Ce qui
est est; ce qui n'est pas n'est pas.
Une pensée est métaphysiquement évidente, quand elle se montre
clairement comme nécessaire, comme ne pouvant pas être conçue
autrement, dans quelque hypothèse que Ton se place.
De cet ordre sont toutes les idées nécessaires, les vérités premiè-
res, les premiers principes, les axiomes. On y compte d'abord le
grand principe de raison d'Aristote:
Nt?iïl pot est esse simul et non esse.
« Ce qui est ne peut pas ne pas être en môme temps. »
On y trouve encore les principes que la philosophie classique a
formulés plus tard, mais que le genre humain a toigours employés :
Nihil est sine ratione sufficienti^ principe plus général que celu^
que nous exprimons ainsi : « Il n'y a pas d'effet sans cause. »
Jnter duo contradictoria non datur médium. Ce qui revient
à dire : a II n'y a pas de milieu entre être et n'être pas. »
Quœ sunt eadem uni tertio sunt eadem inter se, principe plus
général que la traduction que nous avons adoptée en français:
« Deux quantités égales à une troisième sont égales entre elles. »
324. EvideBce logique. — L'évidence logique est l'ideatité
logique de deux pensées qui se manifeste à l'Ame. Elle est perçue
aussi par la raison, qui voit facilement lorsque deux faits n^ont
qu'une seule existence, et qui affirme alorsque les deux pensées ou
les deux propositions, qui expriment ces deux faits, sont vraies en
môme temps ou fausses en môme temps.
Une pensée est logiquement évidente lorsqu'elle est logiquement
identique & une autre pensée évidente d'ailleurs. Toute conséquence
logiquement déduite d'un principe qui est lui-môme évidemment
vrai est évidente.
325. EvkUuce physique. •— L'évidence physique est la
KVTDENCK 147
festation d^ni objet réel h Vàme^ Elle ^t perçue par la conscience
ou. par les sens. Aussi on peut la diviser en deux: évidence de
conscietfce et évidence sensible. Les auteurs modernes ayant res-
treint le mot pht/siqtie aux êtres matériels, aux modifications des
cort>s, ne donnent pas le nom d'évidence physique à l'évidence de
conscience ; ils réservent ce nom pour la seule évidence des sens.
Une pensée est physiquement évidente, quand l'âme, percevant en
elle-même une modification, ou se sentant modifiée au moyen de ses
sens par un corps extérieur, voit clairement que la pensée qu'elle a
a pour cause son objet réellement existant. Quand je vois et je
touche un corps, je suis physiquement certain de ce que je vois et
je touche dans ce corps ; quand je pense ou quand je veux, je suis
physiquement certain que je pense ou que je veux.
326. Evidence morale. — L'évidence morale est la manifes-
tation d'un objet réel au moyeu d'un acte libre ; soit que cet objet réel
soit lui-môme un acte libre, soit que l'objet étant purement un fait
physique, la connaissance ne nous en soit donnée que par un acte
libre, comme par le témoignage d'un autre.
Il faut donc pour qu'il y ait^évidence morale, que l'àme voie clai-
rement quQ la liberté de l'acte n'en a pas faussé la manifestation.
Cette condition seule constitue l'évidence morale ; le reste la fait
rentrer dans Tévidence physique.
Ainsi tout ce que nous apprenons par le témoignage des autres,
ou tout ce que nous jugeons de leurs sentiments par ce qu'ils en
montrent au dehors, a besoin d'une double évidence. D'abord l'évi-
dence physique de la réalité du témoignage donné ou des marques
de tel sentiment, ensuite l'évidence morale que ces hommes n'ont
pas libi*ement faussé leur témoignage ou les marques extérieures
de leurs sentiments.
827. Du témoignage des hommes. — Le témoignage des
"hommes est le principal fait dont la vérité se fonde sur l'évidence
morale, et ce fait se présente si souvent dans la vie et embrasse
taot de vérités importantes qu'il nous convient de l'étudieo* à part
et avec un peu plus de détails.
Et d'abord distinguons deux cas : 1^ le fait qui nous est attesté
par des hommes est pour eux d'une évidence purement physique ;
Us l'ont perçu par leurs propres seûs, ou en eux-mêmes par leur
148 LOGIQUE OBJECTIVE
conscience. C*€ist alors le téfnoignage proprement dit. S^ Le fait
qui nous est attesté est, pour ceux qui Tattestent^ d'une évidence lo-
gique ou morale. C'est un fait, c'est une loi, qu'il a fallu con-
clure, par déduction ou par induction, soit de principes métaphysi-
ques, soit de faits physiques observés, soit des marques sensibles
d'un sentiment ; c'est peut-être encore un témoignage qu'il a fallu
examiner et que l'on nous donne comme méritant notre confiance :
dans tous ces cas, il y a plus que le témoignage : c'est F autorité.
On confond souvent ces deux mots et on dit même : Vautorité du
témoignagey pour dire : la confiance que mérite le témoignage.
328. Valeur logique du témoignage. — Que le témoignage
des hommes puisse porter avec lui l'évidence et engendrer la certi-
tude, nous n'avons pas besoin de le démontrer. A priori, c'est-Â-dire
en considérant seulement la nature des choses, il est évident qn*un
autre homme peut avoir vu un fait, aussi exactement que nous
l'aurions vu nous-mêmes, et nous l'exprimer ensuite, par la parole,
aussi exactement que nous nous l'exprimerions à nous-mêmes, par
la pensée. Nier cela ce serait nier les sens et la pensée, ou la
parole. Donc, a priori, le témoignage peut être évidemment vrai.
A posteriori^ c'est-à-dii*e, en concluant des faits à leur possibilité
selon cet adage: ah actu ad posse valet consecutio^ on voit aassi
que le témoignage porte avec lui l'évidence et qu'il engendre la
certitude. Car : je n'ai jamais vu Pékin ; je ne puis avoir tu César,
ni Alexandre; et cependant U m'est impossible de douter de
l'existence actuelle de Pékin, en Chine, ni de l'existence de César
à Rome, ou d'Alexandre en Grèce et en Asie. Et quelle immense
énumération faudrait-il faire pour désigner seulement les faits que
nous croyons sur le témoignage d'autrui, sans qu'il se soit jamaii
élevé dans notre âme aucun doute? Donc, a posteriori anssî le
témoignage peut être évidemment vrai.
11 reste k savoir quand le témoignage porte avec lui cette valeur
logique.
339. Qualités ou conditions du témoignage. — Si Ton peut
constater facilement que le témoignage est souvent vrai, il n^est
pas difficile de voir qu'il peut aussi être faux et que de fait il est
souvent faux. II est donc nécessaire de connaître les conditions
auxquelles le témoignage sera infailliblement vrai.
ÉVIDENCE 149
Ces conditions ou qualités sont de trois ordres. Elles tiennent
1* aux faits attestés par les témoins, 2^ aux témoins eox-mdmes^
3^ aux témoignages.
1*» QuALrràs des faits. Les faits attestés par témoins doivent
être de nature à comporter ce genre de preuve. Ils doivent compor-
ter une évidence physique (325, 327). Ils doivent être de nature à
être observés et perçus par les sens on par la conscience.
Quelques auteurs ajoutent qu'ils doivent être possibles ou vrai-
semblables. Il est évident que Ton n'écouterait pas un témoin qui
rapporterait, comme l'ayant vu, un fait absolument, métaphyst-
qtêemetUj impossible. Mais, à part ce cas, il faut se méfier beaucoup
du prétendu impossible et invraisemblable. Ce qui paratt impossible
à un ignorant est souvent très-facile pour celui qui sait comment
s'y prendre, et surtout ce qui est imposible aux hommes est souvent
possible à Dieu. Si donc on se basait sur cette prétendue impossir
bilité pour rejeter un fait attesté par un témoin sérieux, on aurait
tort : et on est toigours mal venu & dire : c'est impossible^ à quel-
qu'un qui vous dît: je l'ai vu,
2* Qualités des témoins. Toutes les qualités que l'on peut exi-
ger d'un témoin peuvent se résumer en une seule : qu'il ne soit
pas trompé.
Mais à quelle marque peut-on reconnaître qu'il n'est pastrompé ?
Il est évident que si le témoin est capable d'observer le fait dont il
témoigne, et s'il l'a en effet suffisamment observé, il y a lieu de
croire qu'il ne se trompe pas. Et si un grand nombre de témoins car-
pables observent tous le fait par eux-mêmes, on peut mieux encore
être certain qu'ils ne se trompent pas.
Ainsi les qualités des témoins sont: I^ qu'ils soient capables
2^ qu'ils aient vu eux-mêmes le fait.
Ce n'est pas à dire qu'on ne doive pas croire un témoin que
affirme sur le témoignage d'un autre; mais dans ce cas il faut le
juger, non plus comme témoin, mais comme capable d'apprécier la
valeur du témoignage qu'il cite, et il est alors, non un témoin
mais une autorité.
3" Qualités du témoignage. On peut encore i*ésumer les quali-
tés du témoignage en une seule : qu'il ne soit pas trompeur.
Pour cela il faut d'abord qu'il soit sérieux, qu'il soit donné dans
des termes clairs et précis, enfin qu'il soit donné de bonne foi.
150 LOGIQUE OBJECTIVE
Cette dernière condition se vériâe par Texamen des qualités
morales do témoin, et de ses intérêts. Car si le témoin est ami de la
vérité et s'il n'a au2un intérêt k tromper, il parlera de bonne foi.
Alors s'il s'exprime en termes clairs et précis et s'il parle sérieuse-
ment, son témoignage ne sera pas trompeur.
C'est surtout pour le témoignage que la multiplicité est d'un
grand poids pour produire l'évidence et engendrer la certitude. Car
si un grand nombre d'hommes dont les intérêts sont divers, donnent
sans s'être entendus un môme témoignage, on peut être certain
qu'ils ne trompent pas.
— En résumé, il faut et il suffit pour la certitude des faits affir-
més par le ^émoigna^e: qtie les témoins ne soient m trompés pu
trompeurs.
330. De rautorité. — Ce mot autonté désigne ici raffîrmsL
tion d'un fait dont on n'a qu'une évidence logique ou morale ; (322)
il désigne encore la personne qui affirme dans ces conditions, et en.
fin la croyance que mérite cette sorte d'affirmation. Ces trois sens
sont entièrement connexes : il est inutile de les étudier à part.
L'autorité est donc basée sur une double évidence morale ; d'a-
bord, que l'affirmation est sincôi^e, ensuite, que le témoignage que
l'on rapporte était sincère et vrai ; ou sur une évidence logique,
quand il s'agit d'une conclusion que l'autorité a dû tirer d'un prin-
cipe.
Les qualités de l'autorité sont, comme pour le témoignage, que
celui qui affirme ne soit ni trompé ni trompeur. Mais ici, plus que
dans le premier cas, il importe de s'assurer de la capacité du té-
moin. Tout homme peut se rendre compte d'un fait sensible, mais
tous ne sont pas capables dt; créer une doctrine, et ce sont surtout
les doctrines, les théories, qni sont du domaine de l'autorité.
Dans les questions de doctrine, ce sont surtout les hommes spé-
ciaux qui font autorité : eux seuls offrent en général les garanties
suffisantes do capacité. Encore ne faut-il pas donner sa confiance
au hasard à tout homme qui se dit spécial.
331. De l'histoire. — L'histoire s'appuje à la fois sur le té-
moignage et sur l'autorité. L'écrivain qui raconte les faits qu'il a
vus est un simple témoin dans la narration de ces faits ; il a 1 evi-
ÉVIDENCE 151
denoe physiqae de oe qu'il raconte ; mais dés qu'il en apprécie len
causes et les conséquences, il devient une autorité et il a besoin
d^une autre capacité que lorsqu'il raconte. L'historien qui écrit d'à-
prés les témoignages qu'il a recueillis, d'après les ouvrages de ses
devanciers, d'après les monuments, les médailles, les incriptions
anciennes qu*il lui faut interpréter, n*a plus pour lui-même qu'une
évidence morale ou logique de ce qu'il raconte, et pour faire auto-
rité, pour mériter créance, il a besoin, outre la sincérité que l'on a
droit d exiger de tout témoin, d'une capacité exti*émement étendue
et variée. Aussi ne doit on pas egouter foi aveuglément à tout his-
torien.
Mais quand un fait est acquis à Fhistoire, c'est>-à<<iire, quand il
est admis par uh grand nombre d'historiens qui Tout examiné sé-
rieusement et avec toute la capacité, l'impartialité et la sincérité
nécessaire, il n'est plus temps de le révoquer en doute.
332. Du «oepticisma, — Exposons maintenant plus en détail
les systèmes qui nient en tout ou en partie la certitude. Et d'abord
parlons du scepticisme.
Les sceptiques (de axéirro|xat, j'examine) professent qu'il n'y a
rien de certain, mais tous ne professent pas le même doute, et
n'ont pas lés mêmes motifs de douter. Aussi le scepticisme a pré-
senté des formes assez diverses dans les différentes époques de la
philosophie .
Démocrite d'Abdère, découragé dans sa recherche de la science
qu'il demande à la seule expérience des sens, s'écrie : que la science
est inaccessible et qtie la vérité est cachée au fond d'un puits,
Zenon d'Elée, s'isolant dans les abstractions de la raison pure, ne
voit que l'unité, il nie le mouvement qui ne peut exister qu'avec le
multiple, et ânit par nier l'unité elle-même.
Gorgias de Léontium, fier de son art de parler, croit avoir une
réponse à tout, et se fait fort de soutenir à volonté le pour et le
contré. Les autres sophistes le suivent dans son orgueil et poussent
encore plus loin son doute.
Pyrrhon d'Elis, ne voyant dans les doctrines de ses prédéces-
seurs que leurs contradictions, en conclut qu'il n'y a rien de certain
et déclare que la sagesse consiste k douter de tout.
Arcésilas et Sextus Empiricus, •venus long-temps aprtV lui, sui-
152 LOGIQUK OBJECTIVE
virent ftes doctrine, par antipathie pour, les affirmations des
dogmatiques.
A la fin du moyen âge^ Montaigne, qui ne voyait et n*aimaitque
lui-môme^ fuyant tout souci de devoir, incline au^si vers le doute,
par une sorte d'indifférence pour la certitude philosophique.
Le chef de la philosophie moderne, Descartes, croyant vaincre à
jamais le scepticisme, s*eiforça d*appuyer la certitude sur une base
inéhranlahle, mais il eut le tort de paraître douter un moment avec
les sceptiques, et surtout il eut le tort de ne pas admettre à priori
la certitude des sens. Car plusieurs de ses disciples, mécontents de
la démonstration qu'il essaye d'en donner, nièrent l'existence des
corps» et quelques-uns même furent absolument' sceptiques. Ce fut
ie i*é8ulta.t naturel d'une philosophie basée sur la eonseience isolée
des sens.
Bayle, mu par le désir de convaincre la raison d'impuissance,
entassa les difficultés et les laissa sans réponse.
David Hume, en n'observant que par les sens, oublia la cons-
cience et la raison et nia bientôt la certitude des vérités mathéma-
tiques. Il nia môme l'idée de cause, et le rapport de la cause à
l'effet, disant que nous voyons bien des faits qui se succèdent, mais
nullement un rapport de causalité entre eux.
Kant, au contraire, en s'isolant dans sa propre conscience et
dans l'examen de la raison, ne trouva pas le moyen d'affirmer, en
vertu de la seule faculté de connaître, roxistonce des corps, ni
aucune réalité extérieure k l'âme. Il avait pourtant entrepris sa
Critique de la raison pure, dans le but de ruiner pour toiyoure le
scepticisme. Use réfugia, il est vrai, dans la raison pratique, qui,
en commendant le devoir en affirme par là-môme l'objet ; mais il
n'en a pas moins sai)é les fondements de toute connaissance.
Tels sont les noms les plus illustres que l'on rencoirtre dans
l'histoire du scepticisme, et les différentes formes et causes de
cette aberration de Tesprit humain.
333. Motifs de doute des sceptiques. — Le scepticisme ou
doute universel répugne à la raison ; parce que l'homme voit facile-
ment l'évidence des faits et se trouve naturellement dans la certi-
tude. Aussi la philosophie classique a toi;gours été dogmatique» et
le scepticisme n'a jamais été qu!un système personnel, soutenu |>ar
SCEPTICISME '163
quelques individualités. C'est pour cela que les sceptiques de tous
les temps ont senti le besoin d exposer les prétendues raisons de
leur doute-: ils comprenaient qu'ils allaient contre la conscience du
genre humain.
Pjrrhon donnait de 8on doute dix motif^ qu'i^ appelait
Séxa Tp6i:oi les dix changements, ou oéxa t^tcoi ^ico^fi^ .les dix
motifs de suspension du jugement^ ce que l'on transcrit en fran-
çais par : les dix raisons d'époqtie. Ces dix motifs se résument
dans: les contradictions enti^e les jugements des homtnes ; les
altérations et les changements que subissent les choses, •
Le médecin Agrippa, qui vivait 400 ans plus tard, ne donnait
que cinq motifs, et il offrait plus de variété. Ces cinq motifs
étaient : P la discordance des opiniofiSj 2^ la nécessité d'une
preuve de la preuve, 3** le caractère relatif de nos perceptions,^
4® le besoin des hypothèses, 5® le cercle vicieux de toute
preuve^
Kant a mis -en lumière ce grand motif de doute plus ou moins
allégué par tous les sceptiques : la distinction entre la perception
subjective et la réalité objective. Mais il se montre original
quand, séparant la raison de Texpérience, il refuse à la première la
faculté d'affirmer autre chose que la possibilité, et à la seconde la
faculté d'affirmer autre chose qu'elle-même dans son si^et.
Pour répondre à ces prétendus motifs de doute, il suffit de re-
marquer : 1° que les jugemenis des hommes sur un même objet ne
sont pas si différents qu'on veut bien le dire, et que tous trouvent
par exemple, le suci-e doux et l'aloès amer : 2^ que les changements
que subissent les choses n'empêchent pas de les'voir telles qu'elles
sont au moment où on les considère, et que d'ailleurs la certitude
scientifique ne porte pas sur les choses variables : 3® que, quand
on donne une preuve, on la donne telle qu'on n*ait pas besoin de
prouver qu'elle prouve.
Enfin pour détruire encore une fois les arguments de Kant nous
dirons :
1^ La raison^ il est vrai, n'affirme pas ce qui est ; mais elle af.
firme IHmpossibilité, la possibilité ou la nécessité.
2^ L'expérience seule ne saurait affirmer l'existence réelle de
l'objet de la perception.
154 LOGIQUE OBJECTIVE
Maig la raison affirme qu'il n'j a pas d'effet sans eaase, et l'ex-
périence affirme l'existence d'an grand nombre de perceptions.
Donc elles ont une cause. Donc les objets que nous perccTons exis-
tent.
334. Du probabilisme. — Quand le scepticisme eut exercé
ses ravages dans la philosophie grecque, quelques hommes, amis des
sublimes théories de Platon, voulurent c>tre toiyours ses disciples»
quoique leur foi en la philosophie fut un peu ébi*anlée. C^est alors
que Carnéade, fondateur de la nouvelle Académie déclara que la
vérité est inaccessible et que nous ne pouvons connaître que le
vrai semblable. Tel est le probabilisme.
Cicéron, qui se disait Académicien, et qui souvent affirme sans
hésiter, penche pourtant plus d'une fois vers cette théorie, et
môme en quelques endroits de ses écrits, l'accepte comn^e le prin-
cipe logique de son école.
Cette eiTeur, moins effrayante que le scepticisme, serait tout
aussi nuisible, si on l'adoptait, car elle mènerait* à Tindifférence
morale. Mais on la détruit par les mômes raisons qui détruisent le
scepticisme .
D'ailleurs la certitude est un fait incontestable, qui s'impose de
lui-môme k notre âme et qui repose sur un autre fait non moins
puissant : l'évidence. Et une fois la certitude admise, il n'v a, dam»
notre âme, pas plus de place pour le probabilisme que pour le
scepticisme.
335. Critérium de la certitude. — La certitude existe : nous
Tavons établi^ pap les faits mômes, que constate la conscience du
genre humain, (301) et par la nature de la pensée, qui doit néces-
sairement, dans certains cas déterminés, être Texpi-ession exacte
d'un fait réel (303, 316) .
Mais à quel signe reconnaîti'e la ceiîiiude légitime et comment
la distinguer de celle qui ne Test pas ? de la fausse cei*titude ? Car
il y a une fausse certitude (307).
S'il répugne à la natui'e humaine de ne rien affirmer et d'hésiter
sans cesse dans un doute universel (300, 301)> il lui convient
cependant parfaitement de savoir douter à propos et de ne pas
affirmer sans raison. Il est donc tout'-à-rfait logique de déterminer
le canict^^i'e disiinctif de la vraie coi'titude et d'indiquer la marque
CRITERIUM DE LA CERTITUDE 155
infaillible À laquelle on peut reconnaître, sans crainte d*erreur,
que la pensée est Texpression exacte du fait réel auquel la pensée
se l'apporte intentionnellement. Cette marque infaillible de la
vérité de la pensée est précisément ce qu'on appelle le critérium
de la certitude.
Pour faire connaître ce critérium^ nous n'avons qu'à rappeler
les principes exposés plus haut (303, 306^ 316; 320) : « La pensée
qui a pour cause son objet intentionnel est nécessairement vraie, »
La pensie se manifeste à l'Ame avec ses sources, et quand il est
manifeste que les sources de la pensée sont toutes objectivés, la
vérité de la pensée est évidente, et cette évidence engendre la
certitude ».
Ainsi le criteriutn de la certitude c'est Vdvidence, C'est l'objet
de la pensée qui se manifeste à l'àme, et qui se manifeste coname
cause de la pensée. Aloi*s il y a entre la pensée et son objet inten-
tionnel un rapport d'effet i\ cause ; ce rapport est manifeste, et
par suite il est manifeste aussi que la pensée est logiquement
identique à son objet : cette manifestation qui est^ l'évidence de
Tobjet produit la certitude dans le sujet, et la certitude est
inattaquable.
336. Différentes théories sur le critérium de la certitude.
— Les auteurs qui ont voulu tour-à-tour combattre le scepticisme
n'ont pas tous reconnu le môme critérium de certitude.
Soci*ate, qui combattit pendant quarante ans les sophistes, n'a
pas pris la peine d'attaquer directement leur scepticisme, mais ou
peut voir dans sa manière de discuter qu'il reconnaissait l'evideuce
comme le critérium de la certitude.
Platon suit le même procédé, et quand il s'agit d'établir sa théo-
rîe des idées, il ne donne aucune raison des cai*actôre6 d'immuta-
bilité qu'il leur reconnaît, sinon que Tâme les voit ainsi.
Aristote, qui raisoune avec tant de pi'ofondeur, de solidité et de
méthode, suppose simplement la certitude comme uu fait qu'il ne
discute pas; il oublie ou dédaigne les sceptiques, et, quand il pose
comme point de départ les giunds principes de raison, quand il en
déduit de si nombi*euses conséquences, quand, d'un autre côté, il
observe, minutieusement pour son temps, les plantes et les ani-
maux, et qu'il en décrit les lois, il ne donne pas d'autre raison de
156 LOGIQUE ABSTRAITS
la certitade de ses principes on de ses conséqaenoes que la me
qu'il en a. C'est encore réridence.
Durant tout le mojen-Age, on ne s'aperçoit pas que le seeptiett-
me ait porté grand ombrage à la Scolastique, et les philoeophes de
cette époque n'ont pas reconnu le besoin de déterminer nn critériam
de certitude.
Il faut arriver j usqu'à Descartes pour trouver le doute traité avec
tant de respect. C'est pour asseoir la certitude sur des bases
inébranlables, que cepbilosophe imagina le doute méthodique,
et posa comme première règle de sa Méthode de n'admettre pour
certaines que les vérités évidentes. Son critérium de certitude est
donc en principe celui que nous venons d'adopter. Mais, dans
l'application, il n'en fit pas tout l'usage qu'il pouvait en faire ;
car, après avoir affirmé sur l'évidence : Je pense : donc f existe, il
aurait pu et dû ajouter: Je sens les impressions faites sur mon
corps : Donc mon corps existe^ et ensuite : Les autres corps me
causent des impressions: donc ils existent.
Au lieu d'aller jusque là, il s'arrêta h la premier de ces éviden-
ce5, et eut recours à la véracité de Dieu pour démontrer TexisteDce
des corps. Il réduisit donc lui-même, sans nécessité, son crité-
rium de certitude, et sembla dire que la certitude ne s'étend pas au
delà des faits de conscience. C'est ce que conclurent quelques-uns
de ses disciples.
Comme les épicuriens anciens, les sensualités modernes, et a leur
tête Locke et Condillac, n*admettent pas d*autre certitude que oeile
qui nous est fournie par les sens,
Kant, après avoir, par cette sorte de doute méthodique que Ton
a appelé le Criticisme, battu en brèche toutes les données des sens
ou de la raison théorique, ne trouve pas d'autre source de certitude
que les postulats de la raison pratique, qui affirme impUdtement
ce qu'elle commande de respecter, et tous les éléments du devoir.
La majeure partie des philosophes de notre tempe s*en tenait,
comme acgourd'hui encore, au critérium de Descartes, ou mieux à
Tévidence dans toutes ses sources et sous toutes ses formes, lorsque
l'abbé de Lamennais vint attaquer la valeur de la certitude indivi-
duelle, et posa comme critérium unique le sens^ommun^ oo le
consentement unanime du genre humain.
CRITERIUM DE LA CER'tITUDK 157
Toutes ces théories exclusives, qui restreignent le domaine de la
certitude, sont comme des branche du scepticisme, et y conduisent
infailliblement, si on vient à les embrasser. Car il est vi*ai de dire
avec Rojer-Gollard : « On ne fait pas au scepticisme sa part;
quand il pénètre dans Tentendement, il Tenvahit tout entier. »
2^ loi théorique. Quand Tobjet de la pensée est évident, la pen.
sée est manifestement vraie et le jugement certain.
2^ loi pratique. N'affirmer une pensée comme certaine que
quand Tobjet en est évident, c'est-à-dire quand la vérité de la pen-
sée est manifeste.
LOGIQUE DÉMONSTRATIVE
337. DéfiaitioB. — La logique démonstrative est ia science de
la communication des pensées.
338. Division. — Nous étudierons d^&bord cette communication
en elle-même, puis son action sur celui qui la reçoit et enfin les
conditions de son action. De là trois chapitres.
Chapitre !•'
DE U COMMUNICATION DES PENSÉES, EN ELLE-MÊME
339. Sa nature. «• La pensée est un fait de Tâme, c^est une
modification de Tâme, et comme telle elle ne peut passer d^une àme
dans une autre. La communication des pensées n'est donc pas une
transmission. Elle n'est pas non plus une création, ni le résultat
d'une action directe d'une Ame sur une autre, comme l'action de
nos mains sur un corps plastique que nous façonnons. Pour com-
muniquer une pensée à une âme il faut la faire naître dans cette
Âme. Et, les mêmes effets devant être produits par les mêmes cau-
ses, il faut pour faire naître une pensée chez un autre, lui en mani-
fester l'objet. Ainsi la communication de la pensée ne peut être que
la manifestation de l'objet de cette pensée.
340. Eléments de cette communication. — La pensée que
l'on communique doit d'abord exister chez celui qui la communique,
et elle doit j exister claire, distincte et exacte, pour qu'il puisse la
communiquer ayec les mêmes qualités. Il faut ensuite prendre un
moyen pour manifester l'objet de la pensée, et ce moyen c'est Tex-
pression de la pensée. Cette expression a besoin aussi d'être claire,
distincte et exacte. Elle se fait ordinairement par le langage : elle
doit encore en suivre toutes les lois. Enfin il faut ^ue celui à qui on
veut communiquer sa pensée en perçoive l'expression. '
U n'est pas rare de voir des hommes qui cherchent à commun!-
COMMUNKATION 1>ES PENS-KES 15V»
quer des pensées qu'ils n*ont pas ; plas souvent on exprime mal les
pensées que l'on a ; et enfin très-souvent Texpression n'est pas com-
prise de celui qui Técoute. Dans tous ces cas, la communication n a
pas lieu.
341. Résultats de runîon de ces trois élémsiits. — Quand
Texpression exacte d'une pensée que Ton possède est comprise de
celui qui Técoute, il se forme en lui une pensée identique & celle que
Ton a soi-même. La pensée est communiquée. Mais ce n'est pas
tout.
La pensée ainsi communiquée naît dans cette seconde Ame avec
toutes ses relations logiques. Elle doit logiquement y engendrer le
doute, rhjpothèse, la probabilité ou la certitude, selon qu'elle se
maniftôte dans les conditions de ces différentes relations logiques*
C'est en effet ce que veutThomme qui parle, non en imposteur mais
en homme. Et ce résultat doit logiquement se produire, toutes les
fois que' Tobjet est manifesté tel qu'il est connu de celui qui commu-
nique sa pensée: car les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Il arrive souvent que les termes dont on se sert pour exprimer sa
pensée ont pour celui qui écoute un autre sens que pour celui qui
parle. Dans ce cas Texpression, même la plus exacte, ne communi-
que pas la même pensée.
Plus souvent encore il arrive que les préjugés ou les passions de
celui qui parle et de celui qui écoute, faussent la pensée exprimée
et la font rejeter de ce dernier, tandis que le premier y adhère et
l'affirme. En dehors des préjugés et des passions, le défaut d'atten-
tion ou d'aptitude^ l'insuffisance des connaissances préalables, dans
celui qui écoute, peuvent produire et produisent souvent le même
effet. Mais dans tous ces cas on peut dire que l'expression de la
pensée n'en manifeste pas l'objet.
1'* loi fliéorique. Communiquer une pensée c'est en mani.
fester l'objet. Cette manifestation engendre dans celui qui écoute la
même pensée avec les mêmes relations logiques : doute, hypothèse,
probabilité ou certitude.
l^* loi prattqas. Quand on veut communiqHer une. pensée
il faut en manifester l'objet ; et pour cela il faut l'exprimer exao*
tement, et de manière qu'elle soit exactement perçue par celui qui
rentcnd.
Chapitre II
ACTION DE U COMMUNICÂTIOM DES PENSÉES
312. AetàoB propre* — Par son activa propre, la parole en
manifestant Tobjet de la pensée fait naitre, en celui qai Tentend
avec les dispositions logiques qu*elle suppose, une pensée semblable,
avec sa valeur loirique : doute, hypothèse, probabilité, certitude.
343. Actioa aecideatelle. — Mais la parole produit encore
d*atttres effets qui dépendent des conditions logiques de celui qui
Tentend.
1^ Si celui qui entend la parole connaît déjà cette pensée, elle ne
fait que réveiller en lui et mettre en acte un jug^^nent habituel.
2^ S*il ne la connaît pas, la parole fait faire à son intelligence un
acte nouveau et la développe.
3<* S'il la comuCît imparfaitement, la parole peut reetiâer son
jugement.
4^ S*il la connaît mieux, elle peut produire en lui un change-
ment funeste, qui le fait passer de la vérité à Terreur.
5^ S*il est capable de Tapprofondir, elle lui lonmit un moyen de
produire plusieurs autres pensées nouvelles. €*est ainsi que Ten-
fant devient peu à peu capable de penser par lui-m^ne.
Ainsi la parole vraie instruit, rectifie les pensées, développe les
facnhés intellectuelles ; mais la parole fausse est une aorte d*em-
poisonnement intellectuel qui blesse à mort Tintelligence, par le
moyen destiné à la nourrir. Enseigner Terreur est donc toigours un
crime, surtout si on Tenaeigne sciemment; mais c*est un foWait
inqualifiable que d'enseigner sciemment Terrenrà un enfant, qai, à
raison de Tétat encore imparfait de son intelligence, ne peut que
recevoir comme certain tout ce qui lui est donné pour tel.
2* loi Ikéorifae. La parole vraie instruit, rectifie les erreurs et
développe Tintelligenoe ; la parole fausse la tue.
S* loijpratiqae. On ne doit parier que pour elprimer des pensées
vraies; c'est toujours un erime de mentir; c^est causer un domaïa-
ge que d'enseigner rerreur, même de bonne foi.
Chapitre III
CONDITIONS DE L'ACTION DE U PAROLE
344. Division de ôes conditions. — L^action de la parole sur
celui qui Tentend varie avec les dispositions et les facultés de celui
qui enseigne et de celui qui est enseigné.
345. Conditions de l'enseignant. — L^enseignement pour
être fructueux suppose dans celui qui enseigne : la science, le talent
d'exposition, l'art d'attirer l'attention et de gagner les cœurs.
346. Science. — La science de celui qui enseigne doit être une
connaissance raisonnée, profonde, claire, et vraie de ce qu'il ensei-
gne. Car le maître enseigne rarement tout ce qu'il sait, et jamais
plus qu'il ne sait.
347. Talent d'exposition. — Le maitx^e a besoin de savoir
exposer ées connaissances^ comme il les possède, et de plus, confor-
mément aux dispositions préalables de son élève. Son exposition
doit être faite avec méthode. Il n'est pas toujours nécessaire que
cette méthode soit identique à la méthode de création de la science,
mais elle doit être toujours Tordre logique de Tenseigement de cette
science. L'expérience démontre que la synthèse est plus à la portée
des enfants que l'analyse. Ce n'est qu'après avoir acquis un certain
développement d'intelligence qu'ils peuvent suivre utilement cette
dernière marche, et c'est pour cela que l'enseignement traditionnel
a consacré Tusage de commencer l'instruction par l'étude des lan-
gues, qui sans exiger d'eux la perfection des facultés analytiques
les développe sans efforts.
348. Art d'attirer F attention et de gagner les cœurs. •>—
L'attention de l'élève à l'exposition d'une doctrine et Tabsence
d'opposition de ses passions sont logiquement nécessaires pour qu'il
puisse la percevoir avec vérité. Or l'élève fournira plus ou moins
ces deux conditions selon que le maître saura plus ou moins les
faire naître en lui.
349. Conditions de l'enseigné. Le disciple de son côté a be-
soin d'apporter à l'enseignement du maître des facultés et des dis-
positions logiquement nécessaires.
162 LOGIQUE DÉMONSTRATIVE
350. Intelligence. La première condition du disciple est nue
intelligence suffisamment ouverte. Ce qu*on appelle^ en ce sens in-
telligence c'est la faculté d'informer son Âme d'un fait perçn, soit
en lui-môme> soit exprimé par la parole. C'est, en dernière analy-
se, la faculté de faire les abstractions qu'exige une pensée. Donc
plus les abstractions qui constituent une pensée sont nombreuses
et diverses, plus elle exige d'intelligence.
351. Connaissances préalables. — L'expression d'une p^H
sôe suppose toigours dans celui qui l'entend certaines connaissance!
préalables : idées, jugements, raisonnements, méthode et suriont
langage. Ce sont tout autant d'habitudes ou dispositions de l'int^
gence, sans lesquelles rame de l'élève ne saurait saisir Texpressioa
de la pensée du maître.
352. Attention. — L'expression . de la pensée du maiti>e ne
peut pénétrer dans l'Ame de l'élève et y produire une pensée sem-
blable qu'à la condition que celui-ci y donne une attention conve-
nable et suffisamment soutenue.
353. Dispositions du cœur. — Enfin l'amour du vrai, do
beau et du bien, et surtout la bonne foi, dans l'élève, sont encùte
des conditions sans lesquelles l'expression de la pensée ne fendt
naître en lui qu'un jugement erroné.
3® loi théorique. La communication des pensées ne produit ses
fruits qu'à la condition de rencontrer : dans celui qui parle : scien-
ce, talent d'exposition et art d'attirer l'attention et de gagner les
cœurs ; dans celui qui écoute : intelligence, connaissances préala-
bles, attention et dispositions du cœur.
3« loi pratique. Quand on veut communiquer des pensées on
doit remplir ces conditions.
MÉTAPHYSIQUE
gMralités
I. — FONDEMENTS DE U METAPHYSIQUE
1. Double connaissance : a priori a posteriori. — Nous
avons reconnu, en logique, que nos connaissances ont une double
origine. Les idées que nousavonssoninécessairesou contingentes, in.
nées ou acquises. Il est donc des vérités que nous connaissons avant
de les avoir expérimentées ; elles constituent ce qu'on appelle la
connaissance a priori. Il est d'autres vérités que nous ne pouvons
afSnner qu^aprôs en avoir constaté l'existence réelle, par la percep-
tion.; c'est la connaissance a posteriori.
Ces deux connaissances sont-elles également certaines?
2. Certitude de ces deux connaissances. — L'une et
l'autre manière de connaître est une information de l'Âme. Cette
information doit avoir une cause. Or nous avons vu en logique,
qa*une information ne peut être fournie que par son objet, à moins
que l'âme ne la possède naturellement ; auquel cas la cause en est
dans la cause de l'Ame elle-même, et cette cause doit renfermer
l'objet de l'information.
Ainsi on peut dire en un seul mot que toute information est
produite par son objet.
Donc, les idées premières qui sont le point de départ de la con-
naissance a priori expriment des réalités aussi bien que les idées
acquises par l'expérience.
Mais, dans le travail de la pensée, nous ne nous en tenons paa
aux idées premières. De môme que nous combinons souvent nos
idées acquises, et que nous nous créons ainsi des idées nouvelles
164 MÉTAPHYSIQUE
dont nous n'avons jamais vu la réalité, dans l'ensemble; de môme,
nous combinons nos idées premières a priori, et nous nous créons
ainsi des idées nouvelles dont Tensemble ne nous est pas fourni par
ces dispositions innées qui sont nos idées nécessaires.
Or, comme les combinaisons que nous faisons de nos idées acqui-
ses n'offrent plus de certitude, mais seulement des hypothèses, de
môme, les combinaisons que nous faisons de nos connaissances
premières a priori peuvent ne pas exprimer la réalité et ne sont
que des hypothèses.
3. Objet premier de la connaissance a priori. — Toutes
nos idées nécessaires, qup l'on appelle aussi idées rationnelles,
se résument en dernière analyse dans l'idée à' être.
Seule l'idée d'être se présente à nous comme une aflSrmation, et
d'ailleurs comme il n'est pas possible de la réduire pour en chercha
l'origine dans une autre idée plus simple, qui serait avant elle,Hl
faut qu'elle exprime une réalité ; car sans cela elle n'aurait pas
de cause. L'idée d'être, en général, est donc une idée réelle, affir-
mative, et elle est la première de nos connaissances a priori.
A côté de cette idée première, nous en voyons plusieurs autres
que l'on ne peut pas réduire non plus, ou du moins que l'on ne
peut pas réduire entièrement. Ces idées sont: l'idefiiité , daxis
laquelle nous voyons le nécessaire; la convenance, dans laquelle
nous voyons le possible; et enfin la contradiction^ dans laquelle
nous voyons l'impossible.
L'impossible ne peut pas être ; la possibilité n'affîrme rien sans
l'expérience, et ne donne par conséquent pas de connaissance pro-
prement dite. Il ne nous reste donc, comme fondement de nos
connaissances a priori, que la nécessite, à côtéde l'idée d'être.
C'est donc le nécessaire qui seul peut nous servir à former
une science a priori.
Mais il y a plusieurs nécessaires.
4. Nécessaire absolu. — Si, partant de l'idée de Véire en
général, que nous connaissons à priori, nous voyons avec éviden-
ce qu'il a nécessairement telle ou telle qualité, nous apercevons le
nécessaire absolu. L'ôtre quel qu'il soit, et en quelque condition
qu'il se trouve et par conséquent en dehors de toute hypothèse
FONDEMENTS DS LÀ MÉTAPHYSIQUE 105
a nécessairement ces qualités que nous appelons alors ses attri-
buts. C'est ce que signifie le mot absolu,
5. Nécessaire relatif. — Si, au contraire, nous voyons avec
évidence que telle qualité doit être nécessairement dans iéï être
mais seulement parce qu'il est tel, ou dans telle condition, c'est •
le nécessaire relatif.
6. Nécessaire réel. — Si l'être dans lequel nous voyons un
attribut, une qualité nécessaire, est un être réel, le nécessaire que
nous affirmons en lui est réel aussi.
7. Nécessaire hypothétique. — Si l'être dans lequel nous
voyons une qualité néccessaire est une simple conception, dont
nous n'avons pas vérifié la réalité, en un mot si c'est une hypo-
thèse, le nécessaire que nous y voyons est un nécessaire hypo-
thétique.
è. Nécessaire concret. — Le fait nécessaire, tel qu'il est
en lui-même, porte sa nécessité avec lui. Cette nécessité ne fait
qu'un avec le fait lui-môme ; elle en est inséparable ; elle lui est
concrète. Et quand nous disons : oc la nécessité de ce fait )>, nous
faisons une abstraction. Ce fait a sa raison d'être dans ses élé-
ments; et une fois ses éléments posés, il ne peut pas ne pas être.
Tracez trois lignes droites, qui se coupent deux par deux : vous
aurez nécessairement un triangle. Cette nécessité existe d'une
manière concrète avec les trois lignes qui se coupent. C'est là le
nécessaire concret.
9. Nécessaire abstrait. — Mais nous, qui ne voyons pas
l'être en lui-même, ni le fait en lui-même, nous ne voyons pas
non plus le fait nécessaire, mais seulement la nécessité du fait.
C'est une vue abstraite du nécessaire ; c'est le nécessaire abstrait.
Pour voir la nécessité d'un fait, nous avons besoin de considérer
ce fait en dehors de son existence réelle, et seulement dans notre
conception. Ainsi, dans notre conception, la diagonale du carré
est à l'un de ses côtés comme la racine carrée de 2 est & le
C'est nécessaire; mais c'est abstrait. Dans la réalité, on peut
dire que nous n'avons jamais vu une diagonale qui remplit exac-
tement ces conditions ; et d'ailleurs l'eussions-nous vue; oe n'est
pas cette vue réelle qui nous l'aurait montrée comme nécessaire.
160 MÉTAPHTBIQUB
10. Notre tuo du aéeessaire. — Nons connaissoiis dose
le nécessaire ; mais d*abord nous ne le voyons pas concret. !>•
plus, comme ce n'est qu*& priori que nons vojons le nécessaire, si
nous pouvons voir le nécessaire absolu, ce ne peut être que Téire
en général ; car la vue des êtres particuliers ne nous est pas don-
née à priori. Enfin et pour la même raison, si nons vojons le
nécessaire réel, ce ne peut être aussi que pour Fêtre en générai,
car, à priori, les êtres particuliers ne nous sont connus que par
hypothèse ; nous ne pouvons donc j voir le nécessaire que d'une
manière hypothétique.
11. Nos connaisseoces â priori. — Les connaissances que
nous trouvons dans notre propre fonds, en dehors de rexpérien.
ce ( mais non avant toute expérience^ comme nous le verrons en
psychologie ) se l'ésument donc ainsi : 1^ L*idée abstraite et génér
raie, mais affirmative et certaine de l'être. 2^ Le nécessaire,
absolu et réel, mais abstrait, de l'être en général. 3^ Le néces-
saire^ toujours abstrait, et déplus relatif et hypothétique de tous
les êtres que nous concevons à priori. Telles sont les connais-
sances dont Tensemble constitue la métaphysique.
12. Application des oonnaiesances a priori aux êtres
connus par Texpérience. — Mais si la connaissance a priori
livrée à elle-même, ne voit que le nécessaire abstrait^ relatif et
hypothétique, il est vrai d'ajouter que cette nécessité est réelle
et concrète dans les êtres où se vérifie Fhypothèse, et que nous
pouvons affirmer comme existant certainement dans les êtres
tout ce que nous voyons de nécessaire dans nos conceptions,
dès que Texpérience nous a fait constater dans ces êtres les
éléments de nos conceptions. Ainsi : tout ce que nous concevons
comme nécesssaire dans Têtre en général, doit se trouver et se
trouve en effet nécessairement dans tous les êtres réels ; ce que
nous concevons comme nécessaire dans tel être, conçu tel par
hypothèse, se trouve nécessairement dans tout être réel qui est
en effet dans les conditions de Thypothèse. Telle est la valeur,
l'utilité et Timportance des connaissances à priori.
Ainsi : sachant d'une connaissance nécessaire, mais abstraite et
hypothétique^ que tout effet suppose une cause, que toute modifi-
cation suppose une substance, nous affirmons eans crainte d'erreur:
FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE 107
que tel effet réel a une cause réelle, et souvent nous déterminons
cette cause ; que telle substance est là parce que nous en voyons
les modifications ; enfin qu'il existe une cause première, un être
nécessaire, parce que nous voyons des êtres contingenta.
Tels sont les fruits de la métaphysique.
II. ■- OBJET ET DÉFINITION DE LA MÉTAPHYSIQUE
13. Objet de la métaphysique. — La connaissance a priori
qui prend le nom de métaphysique, livrée à elle-même, et privée du
concours de l'expérience^ a pour domaine exclusif le nécessaire abs-
trait relatif et hypothétique. Quand elle raisonne sur l'être en
général, elle ne le voit que dans une abstraction et tout ce qu'elle
y conclut est abstrait, et si elle s'élève à l'étude de l'être parfait,
de l'être nécessaire qui est Dieu, elle a besoin du secours de l'expé-
rience pour l'afiirmer comme réel. C'est ce que nous verrons mieux
dans le cours de ee traité, et surtout dans la Théodicée.
14. Variations de l'objet de la métaphysique. — La pre-
mière fois que le mot m^taphysiqvs a été employé, c'est dans les
•ouvrages d'Aristote. Après avoir écrit les six livres qui composent
sa logique, et qu'il considérait comme l'instrument de la science,
puisqu'il l'appelait opyavov, Aristote écrivit douze livres sur la
philosophie première, sur la science des principes. On raconte
qu'Andronicus de Rhodes qui publia les œuvres d'Aristote, ayant
trouvé ces douze livres sans titre, et les ayant placés après ceux
qui traitent de la physique, les fit précéder de ce titre : Tûv \kvzk
Ta çuauà ptêXta SwSexa, comme pour dire : Douze livres de théo-
ries qui viennent après la physique. On peut admettre aussi, en
supposant la vérité de cette narration, qu'Andronicus voulait dire :
Douze livres sur des matières qui dépassent la physique. On pense
que c'est de là que nous avons tiré le mot métaphysique»
Quoi qu'il en soit de cette origine du mot, Aristote dans ces douze
livres fait des considérations ajîn on sur la science et sur les êtres ;
il étudie surtout les principes des êtres, et en indique quatre:
168 MÉTAPHYSIQUE
TeFseiice, la matière, la cause motrice et la fin. C*est ce qo'oai
appelle en d'autres termes : la cause formelle, la cause matéiielk,
la cause efficiente et la cause finale.
Avant lui, Platon avait traité plusieurs de ces questions, mais il
ne les avait pas rangées en corps de doctrine.
Pendant le règne de la Scolastique, la métaphysique commença
à prendre une place importante dans la philosophie. On y traitait
d'ahord de l'être en général, puis de Dieu, de l'âme, et enfio de
quelques considérations a priori sur le monde.
Descartes, sous le titre de méditations sur la philosophie pre^
mière, que Ton peut appeler méditations métaphysiques, fait entre:
sa théorie du doute méthodique et des premières connaissances cer-
taines.
Après lui, le mot métaphysique prit dans TEcole un sens noo-
veau et désigna la connaissance rationnelle de l'Ame et de Dieu.
Au 18' siècle, l'école de CondiUac désigna sous le nom de méta-
physique les théories de Torigine des idées.
Aujourd'hui ce mot change de sens presque avec chaque auteor
et on a imprimé dans notre siècle des traités de mét^hysique qui
s'occupent respectivement de chacun des objets que l'on a donnés k
cette science dans le cours des Ages,
15. Définition de la métaphysique. — Quant à nous, consi-
dérant : qu'il faut & la philosophie une branche qui traite de$
connaissances a priori et en montre les développements ; que cet
ordre des connaissances a toujours été appelé métaphysique, tout^
les fois qu'on Ta traité; et enfin que toutes les autres questions que
l'on a tour-à-tour fait entrer dans la métaphysique sont traitées dans
les autres branches de la philosophie : nous appelerons métaphy-
sique la science qui se fait a priori, sur les données de la raison, en
dehors de l'expérience, et avec le seul secours du raisonnement, et
nous dirons, pour la définir :
La métaphysique est la science des lois nécessaires des
ETivES •
Le sens de chacun des mots de cette définition sç trouve expli-
qué et déterminé par les considérations qui précèdent.
III.— IMPORTANCE ET NÉCESSITÉ DE U MÉTAPHYSIQUE
16. Double loi de notre ooiuiaiMMioe. — Nous avons tu
plusieurs fois déj&que nos connaissances sont en partie nécessaires,
en partie contingentes. L'expé^rience nous fournit par des observa-
tions répétées la connaissance des modifications des êtres réels que
nous pouvons observer ; mais elle ne nous dit rien de leurs substan-
ces ni de léUrs causes, ni de tout ce qu'il y a de caché à nos sens
dans les êtres contingents, encore moins de ce qui est au delà du
contingent. Seule la connaissance a priori nous fait connaître le
nécessaire.
17. InsaflBsance de Texpérieiice, pour la science. — L'ex-
périence seule ne nous fait voir que le particulier variable, et, par
suite, incertain. L'expérience seule ne peut donc pas engendrer la
science ; car la science ne peut avoir pour objet que l'universel, le
constant, le certain. Pour connaître d'une manière certaine l'uni-
versel, le constant, il faut donc s'aider de la connaissance a priori^
qui nous fait voir le nécessaire. Nous avons vu qu'il y a des
sciences de déduction, où les conséquences se tirent des principes,
par une vue nécessaire. Mais ces principes, il faut les connaître. Il
faut donc les étudier a priori. Bien plus les sciences d'observation
et d'induction elles-mêmes, ne se développent pas sans le secours de
certaines notions que nous ne voyons qu'à priori, et sans lesquelles
nous ne pourrions jamais nous élever des effets aux causes, des
phénomènes aux lois*.
18. Nécessité d'une science a priori. — Il est donc non
seulement de la plus haute importance, mais encore d'une nécessité
indispensable d'étudier préalablement nos connaissances à priori,
pour nous en servir à propos dans toutes les autres sciences. C'est
dire que la métaphysique est l'instrument nécessaire de toutes les
sciences.
IV. — MÉTHODE ET DIVISION DE U HÉTÂPHTSIQUB
19. Méthode à suivre. — Il résulte de tout ce qui précède
que la métaphysique est une science de déduction. C'est donc par
la méthode synthétique qu'elle doit procéder.
Poser comme point de départ la première de nos idées néces-
saires ; y joindre successivement toutes les autres idées qui en
découlent, et reconnaître comme acquis à la métaphysique tout ce
que nous pourrons y démontrer. Telle est la méthode à suivre.
20. Dmeion. — Ou divise le plus souvent la métaphysique en
générale et spéciale. La première appelée aussi Ontologie^ com-
prend tout ce que nous voyons nécessairement dans l'être en
général. La deuxième comprend le plus souvent la Théodicée ou
science de Dieu, la Psychologie rationnelle et la Cosmologie méta-
physique.
Nous rejetterons la Théodicée et la Psychologie dans des traités
à part, où nous étudierons l'âme par la méthode analytique et Dieu
par le doubleemploi: de l'induction, pourétablir sonexistence, etde
la déduction, pour reconnaître ses attributs.
La Cosmologie métaphysique aurait trop peu d'étendue pour en
faire un traité à part^ et d'ailleurs elle entre naturellement dans
l'Ontologie. Notre métaphysique se bornera donc à l'Ontologie que
nous diviserons cependant en générale et spéciale.
Dans la première partie nous traiterons de l'être en général ;
dans la deuxième des différents êtres au point de vue ontologique,
c'est-à-dire, de l'être nécessaire et de l'être contingent.
PREMIÈRE PARTIE DE LA MÉTAPHYSIQUE
ONTOLOGIE GÉNÉRALE
21. Définition. — L'ontologie (ovto<;, Xi^oc) est la science
nécessaire de l'être.
L'Ontologie générale considère Tôtre en général.
22. DiTÎsion. — Nous traiterons en cinq chapitres : 1^ Tétre en
général, 2^ les différents degrés de l'être, 3* les propriétés méta-
physiques de Têtre, 4® les relations des êtres, 5*» les lois des êtres.
Chapitre !•'
y ■
DE L'STRE EN GENERAL
23. Idée de Fètre. — Nous avons l'idée de Têtre. Dire ce que
c'est que l'objet de cette idée, nous ne saurions le faire. Cette idée
est la plus simple de toutes : il n*est donc pas possible de la définir.
Expliquer ce que nous entendons par être n'est pas plus facile.
Nous parlons de l'être toutes les fois que nous parlons ; nous
voyons, nous touchons, nous sentons l'être ; nous pensons, nous
aimons, nous voulons l'être. Dans toute proposition, le siget désigne
un être ; l'attribut désigne une manière d'être du sujet : c'est en-
core l'être; le verbe exprime l'existence du fait, l'être du fait tout
entier, l'être du siget dans l'attribut et de l'attribut dans le si\jet.
Le verbe exprime, sous sa forme la* plus générale, cette idée de
l'être que nous appliquons à tout, dans laquelle nous concevons
tout. Il j a plus : nous sommes tellement pénétrés de l'idée de
l'être, que nous nommons, comme nous nommerions un être, le non*
être lui-même, le néant. Ce n'est pas & dire que nous ne les distin-
172 MÉTAPHYSIQUE
galons ^as. Mais la pensée, la parole, sont si bien faites pour Yètre
que, pour nommer et môme pour concevoir la négation de Fêtpe,
nous sommes dans la nécessité de lui prêter la forme de Yéire.
Nous verrons en psychologie, la raison de cette condition de notre
intelligence.
Il n'est pas inutile de remarquer ici, avec les scolastiques que le terme
être n'est pas xinivoque (univocus, O|au>vu[i.0;> à tous les êtres; mais
qu'il leur est seulement équivoque, {œquivocus* Tcapuvuuo^)- C'est-à-dire
que nous désignons par le même mo , tout ce qui est, tout ce qui
existe, sans vouloir faire entendre par là que leur être, soit le même. Car
nous verrons plus loin que l'être de l'accident n'est pas le même que
l'être de la substance, et que l'être de la substance contingente, de l'être
contingent, n'est pas l'être de l'être nécessaire.
^'est dans ce sens et pour mieux faire ressortir la non-identité
de l'être nécessaire et des êtres contingentS| que Gioberti posa comme
formule première de toute connaissance, de toutes nos idées, ce juge-
ment primitif, qu'il croit pouvoir déclarer intuitif et premier connu:
« L'être crée les existences {VEnie créa le esistenze) ». Il reproche à
Descartes surtout d'avoir confondu l'être et l'existence, et d'avoir em-
ployé plusieurs fois, dans le même sens les deux mots à la fois : « je
suis ou j'existe ». Nous n'entendons ici ni admettre ni rejeter les idées
de Gioberti, mais nous voulons faire remarquer l'importance qu'il atta*
che à bien distinguer la diversité de Têtre, diversité telle que, conmiB
l'avaient très-bien vu les scolastiques, l'être nécessaire ne constitue
pas un même genre avec les êtres contingents.
— Nous distinguons très-bien l'être substance, l'être modification et
l'être verbe. Mais dans l'idée de l'être en général ces trois formes se
trouvent confondues, et c'est précisément sous cette conception com-
mune à l'être sujet et à l'être verbe que nous voulons considérer ici
ridée d'être. Or il est à remarquer que la langue française se prête plus
facilement que d'autres à cette conception ; car elle exprime par le même
mot ce double ou triple point de vue de l'être, au lieu que dans les
autres langues il y a souvent un mot pour le substantif et un mot pour
le verbe. En latin, dans la langue philosophique moderne, on dit : ens
et esse ; on disait, en grec : t6 ov et eîvai : en italien, on dit : ente e^
essere ; en espagnl, on dit : ser pour les deux, mais en revanche, on
distingue, par les mots ser et estar, l'existence essentielle et l'existence
accidentelle ; en anglais, on dit : being ou entity eito be; en allemand
ou wesen, pour les deux sens.
DE l'Être en général 173
24. Prineipes de l'être. - On peut toiyours faire sur un être
les quatre questions suivantes : Comment ? de quoi ? par quoi ? pour
quoi est-il ? C'est précisément ainsi qu'Aristote résolvait la ques-
tion en réduisant les principes des êtres à quatre : la cause for-
melle, la cause matérielle, la ca>ise efficiente et la cause finale.
Ces quatres questions que l'on peut faire sur chaque être pris en
particulier, on peut bien les faire sur l'être en général, mais les
réponses sont alors nécessairement générales, et de plus eUes se
réduisent à trois.
Le comment ? la forme, de l'être en général, c'est de qu'on
appelle l'essence de l'ôtre.
Le de quoi? la matière de l'ôtre en général, n'est plus la matiè-
re et s'appelle les éléments de l'être.
Le ^T quoi i et le poxvr quoi i de l'être en général se résument
dans ce qu on appelle la raison suffisante de l'être.
Essence, éléments et raison suffisante sont donc les trois nrii.r.i.
pes de l'ôtre en général. ^
25. Essence. — Le mot essence est formé du verbe latin esàe
comme patience est formé de pati et comme différence et con
naissance sont formés des verbes français différer et connaître
Ainsx, comme la patience de quelqu'un est le pâtir de ce quel
qu'un, la forme et la mesure de son souffrir, comme la connais
sance est le connaître, la forme et la mesure de ce connaître ainsi
lesseDoe d'un être estl'^^re, le esse, decetôtre, la forme et la m«„
re de son esse, "*wu
L'essence de l'ôtre c'est ce en quoi il consiste. Mais le mot essence
désigne cette forme de l'êti^. ce quod quid est, comme d^
les scolastiques, dans un sens si absolu, que cet être ne peut être
conçu avec une autre essence, à moins qu'U ne cesse d'ôt^ ce qu'il
e^t Changer l'essence d'un être ce semt changer l'être lui-même
C e^à-dxre que, dans l'essence d'un être, nous concevons ZZ
tout ce qu'il est. mais ce sans quoi U ne serait plus le môme
L essence est donc nécessaire à chaque être, et eUe lui est'prepre
C est par son essence que chaque être se distingue de tout a^re'
comme disUnction première. Ainsi : le triangle Vparllt'
une figure de trois angles; un cerole est. ^J e^nllZZS.
plwie limitée par une circonférence. sanace
174 MÉTAPHYSIQUE
26. Essence abstraite et essence concrète. — Quand nous
concevons l'essence d'un être c'est toujours Tessence abstraite :
d*abord parce que^ pour concevoir Tessence, nous sommes obligés de
faire abstraction de ce qui Tindividualise, et qu'ainsi nous ne
voyons Tessence d'un être que sous une forme de genre ou d'espôce :
ensuite et surtout parce que notre connaissance ne porte jamais sur
Tôtre intime des choses, mais seulement sur ce qtte elles sont, ou
qt^ elles sont ainsi.
Cependant, nous comprenons trôs-bien que, dans Tétre lui-même,
Tessencû est quelque chose qui ne fait qu'un avec lui, qui est sa
réalité et la forme de cette réalité ; c*est ce que nous appelons Tes-
sence concrète, sans pouvoir pénétrer plus avant.
27. Essence avant Fétre et essence dans Fétre. — L'es-
sence, sous sa conception abstraite nous apparaît comme une forme
immuable et éternelle, qui par conséquent précède l'être, toutes les
fois que cette essence n'est pas l'être pur et simple. C'est ainsi que
nous concevons l'essence avant l'être. Mais dès que l'être existe,
cette même essence se trouve réalisée en lui : c'^st alors l'essence
dans l'être.
L'essence dans l'être est une réalité ; l'essence avant l'être est
une pure possibilité^ au moins pour toute autre essence que celle de
l'être absolu.
28. Déterminations de Fessence. — Il résulte de la notion
même de l'essence que tout être a son essence déterminée. Ce qni
détermine une essence est ou positif ou négatif. En effet une essence
est ce qu'elle est, et se distingue de toute autre, par ce 'qu'elle con*
tient et par les limites de ce qu'elle contient. Ainsi :
Les déterminations de l'essence sont positives ou négatives.
Tout ce qu'U y a de réalités dans un être constitue les détermi-
nations positives de son essence.
Les limites des réalités d'un être sont les déterminations néga-
tives de son essence.
Ainsi, dans l'essence du cercle, les déterminations positives sont
la surface plane, et les déterminations négatives sont la circonfé-
rence qui limite cette surfa^^e ; quoique l'on puisse trouver déjà
bien des limites dans l'idée de surface plane. Les termes qui com-
DE L*ÊTRE EN GÉNÉRAL 175
posent les langues humaines ne sont pas toigours de nature à
mettre exactement à part les réalités et les limites d*une essence ;
mais il n*en est pas moins vrai que toute essence est ainsi déter*
minée.
29. Développement de ressenee. — Quand nous détermi-
nons Tessence d*un être, nous ne faisons pas entrer dans ses déter-
minations tout ce que nous pouvons concevoir de cet être, ni tout
ce qu*il a et tout ce qull est. Au contraire nous considérons comme
essence de Tôtre ce sans quoi il nous serait impossible de le conce-
voir tel qu'il est.
Il nous reste donc la possibilité de détailler ensuite davantage
la notion de cet être, et c'est ce que nous appelons le développement
de Tessence. Ce développement n'est donc autre chose que le déve-
loppement de la connaissance que nous prenons de cet être.
Nous arrivons à ce développement par deux principes :
1^ L'essence suppose en elle tout ce qui lui est logiquement
identique, tout ce qui lui est nécessairement lié.
2^ L'essence, qui répugne à tout ce qui lui est opposé, peut
admettre en elle tout ce qui n'est pas la négation de ce qu'elle
renferme.
Par ces deux principes nous arrivons à un double développement
de l'essence : le premier d'une manière nécessaire et à priori; le
second, par simple possibilité, à priori,, ou par l'expérience, à
posteriori.
Par le premier principe nous déduisons de l'essence les attributs;
par le second nous concevons dans cette essence les modes qu'elle
peut avoir, et nous observons l'être pour les j découvrir.
30. Attributs. ~- Tout ce qui est logiquement identique à une
essence, tout ce qui est nécessairement compris dans une essence
donnée doit se trouver uni à cette essence. C'est là ce que nous
appelons les attributs.
Les attributs d'un être sont des caractères que nous concluons
nécessairement de son essence.
C'est ainsi qu'en géométrie nous concluons toutes les propriétés
des triangles de l'essence môme du triangle. C'est ainsi que la tri-
gonométrie tout entière est déduite de Tessence du cercla et des
176 MÉTAPHYSIQUE
lignes que l'on peut y tracer. C'est ainsi enfin qu'en Théodicée nous
affirmerons nécessairement, en partant de son essence, tous les
attributs de Dieu.
Comme les déterminations de Tessence, les attributs peuvent
être positîfs ou négatifs. Les attributs de Tôtre absolu sont tous
positifs, mais les attributs des ôtres contingents et limités sont
plutôt négatifs que positifs. Car étant donné une essence limitée, il
nous est plus facile de voir nécessairement ce qu'elle ne peut pas
avoir que ce qu'elle doit avoir.
31 Modes. — Tous les caractères que possède un être, mais
qui ne lui sont pas nécessaires, sont appelés modes. Les modes
sont un développement de Tessence, en ce sens qu'ils ne peuvent
exister dans un être qu'autant qu'ils conviennent à sou essence.
Comme ils ne sont pas nécessaires, ils ne peuvent être connus à
priori ; il faut les observer dans l'être réel, pour pouvoir les affir-
mer.
On distingue les modes constants et les modes variables. Les pre-
miers persistent dans l'être et on les j trouve toujours; les autres
n'y sont que dans certaines conditions et n'y demeurent pas.
Les modes constants sont communs ou propres. C'est ainsi que
nos corps se renouvellent sans cesse par la nutrition et gardent
cependant, toujours et tout â la fois, la forme commune des corps
humains, et la forme particulière qui distingue tel homme de tel
autre.
32. Nature. — L'ensemble de l'essence, des attributs et des
modes constants d'un être constitue ce qu'on appelle la nature de
cet être.
On peut ainsi distinguer la nature commune et la nature propre.
Mais il est à remarquer que le mot nature se dit ordinairement do
la nature commune, et qu'en ce sens elle n'enferme, avec l'essence
et les attributs, que les modes constants communs.
Ainsi la nature de l'homme, embrasse avec l'Âme raisonnable et
le corps animé ^ qui sont son essence, et avec lesfaèultôs physiques
et morales qui sont ses attributs les formes communes du corps
humain, mais non pas telle nuance particulière telle disposition
propre dans les formes des corps. Cependant on dit très-bien en
DE l'ètrb en Général 1T7
parlant du tempérament, ou des formes propres d'on homme :
(( c'est sa nature )>. Il s'agit alors de la nature propre de cet
homme et non de la nature commune à tous les hommes.
Ainsi à la question a quid id est f qu*est ce que cela ? x^ on répond
d'abord par la détermination de Tessence de cet être. Mais la ré-
ponse complète doit se faire par la détermination de sa nature.
C'est toujours le comment ? dont nous avons parlé plus haut, et le
comment dans son sens le plus large et le plus étendu.
33. Eléments. — Après la question quidl quoi ? ou comment?
on peut faire sur un être la question ex quihus ? de quoi ? On répond
alors par la désignation de la matière qui a servi à former cet être.
Mais tous les êtres ne sont pas faits d'une matière préalablement
existante. Aussi à la question de quoi ^ il y a une réponse plus
générale qui est la désignation des éléments de l'être.
Les éléments peuvent préexister ou ne pas préexister & l'être,
mais il sont toujours conçus comme préalables à cet être. Ils pré-
cèdent l'être d'une priorité de raison, quand ils ne le précèdent paa
d'une priorité d'existence. Ils sont ce qu'ils sont avant que l'être
dont ils sont les éléments soit ce qu'il est, au moins par concep-
tion.
Un être peut n'avoir qu'un seul élément ; dans ce cas, l'être est
s i mple et son élément, c'est lui-môme. Un être peut avoir plusieurs
éléments, et alors il est composé ou complexe. Ses éléments sont
alors d'autres êtres que lui-même quoique souvent ils soient insé-
parables : car souvent les éléments d'un être ne peuvent être con-
çus que par une abstraction et ne pourraient exister séparés. C'est
précisément ce qui distingue le complexe du composé. Dans l'être
composé, les éléments sont séparaliles et s'ajoutent les uns aux
autres ; dans l'être complexe, les éléments sont inséparables et les
uns sont les modiâcations des autres.
Dans le sens absolu du mot « simple », il n'y a que l'être absolu,
qui est Dieu, qui soit simple. Tous les autres êtres sont composés ou
complexes. C'est pour cela que l'on emploie ordinairement le mot
« simple » par opposition au mot « composé ». En sorte que l'on
appelle simple un être complexe qui n'est pas en môme temps com-
posé. En ce sens l'âme est un être simple, quoique complexe, car
12
178 MÉTAPHYSIQUE
elle n*6St pas composée. Les corps an contraire sont tout à la fois
composés et complexes.
On peut Yoir, après ce qui précède, qu^il est difficile de donner, des
éléments, une définition qui corresponde à l'idée que nous avons en
vue ici. En effet, dans le sens ordinaire du mot, on ne parle des élé-
ments d'un être, que lorsqu'un être en a plusieurs, et même lors-
qu'il est composé. Mais, lorsque, en disant a les éléments des êtres »,
nous avons en vue, avec les composants d'un être composé, non seu-
lement les êtres abstraits qui s'unissent pour former un être com-
plexe, mais encore ce quelque chose d'unique et d'indivisible qui
constitue l'être simple, il n'est plus possible de donner cette défi-
nition.
Si donc nous voulons donner une définition qui corresponde à
cette idée que nous voulons définir, et telle que nous la conce-
vons, nous serons obligé de nous tenir dans le vague, de nous servir
d'un pronom et de dire :
Les éléments sont ce dont un ôtre.est formé, ou constitué, Nous
dirions mieux en latin : Elementa vocamus entis ea ex quihus
est.
34. Substance et modification. — L'idée d'être complexe, et,
par conséquent, l'idée d'être modifié, fait naître les idées de *tt^«-
tance et de modifications. Car, si, dans un ^tre complexe, il j a
des éléments qui en modifient d'autres, il y a des éléments qui
sont les modifications des autres. II y a donc des éléments qui sont
modifiés : ce sont ceux que nous appelons la substance ; il y en a
d'autres- qui modifient cette substance : ce sont ceux que nous
appelons les modifications.
Ainsi nous distinguons deux modes d'être : l'être substance, qui
est en lui-même ce qu'il est ; et l'être modification, qui e&t dans un
autre, qui est la modification d'un autre être.
C'est ce que les scolastiques distinguaient par les mots su^stan--
tia et accidens.
Le mode d'être de la substance était appelé subsistentia.
On définissait la substance : Ens per se subststens, ou Ens in
se : l'accident ; Ens in alio.
Remarque logique. — Aristote et les scolastiques disaient que la
substance est cognoscible per se, au lieu que l'accident ne peut être
DE l'être en aÉNÉRAL 179
connu qu'avec la substance et en quelque sorte par la substance. Ils
n'entendaient pas par là que nous connaissions en effet la substance
avant les accidents et sans les accidents, ni que nous connaissions les
accidents par la substance ; ils parlaient seulement d'une cognoscibilité
rationnelle et métaphysique. C'est-à-dire, que la substance étant avant
les accidents d'une priorité de raison, puisque les accidents ne sont
que quelque chose de la substance, il s'ensuit qu'elle est rationnelle-
ment i!objet de la connaissance avant les accidents.
£n fait nous percevons d'abord les accidents, et c'est par leur per-
ception que nous concevons et affirmons la substance qu'ils modifient.
Mais il reste parfaitement vrai de dire que la substance est le premier
connu, puisque, sans la percevoir, nous l'affirmons à la vue des accidents
que nous percevons, et que c'est par une idée innée que nous la conce-
vons. {Logique, 119, 120).
35. Raison suflBsante. L'essence d'un ôtre, en elle-niéme, ou
plutôt dans son abstraction, même avec tout le développement
d'attributs et de modes dont elle est capable, n'est pas encore l'ôti^,
tant qu'elle n'est pas réalisée.
Or pour qu'une essence soit Réalisée, soit mise en acte {in aetu)^
il faut une puissance, une force capable de la réaliser : c'est ce
qn'on appelle la cause efficiente. Il faut plus encore, il faut que
cette force agisse pour la réaliser, il faut donc que cette force soit
déterminée à agir. Or pour déterminer cette force à agir, il faut
quelque chose qui la détermine : c'est ce qu'on appelle la catise
finale.
Or si nous considérons la cause efficiente, dans l'acte môme de sa
détermination par la cause finale, dans l'acte même par lequel elle
réalise cette essence, nous j verrons toute la raison d'être de cette
essence réalisée. Nous l'appelerons donc la raison suffisante. C'est
Leibnitz qui le premier a employé ce mot, dans un sens légèrement
différent de celui que nous adoptons ici et que nous venons de
déterminer.
La raison suffisante d'un être est donc comme la source de cet
être. Elle est appelée suffisante, parce qu'elle suffit à expliquer
l'existence de cet être, ou mieux, parce qu'elle suffit à faire exister
cet être.
La raison suffisante embrasse tout à la fois la cause efficiente et
la cause finale de l'être, avec cette différence pourtant, que, dans
180 MÉTAPHYSIQUE
le langage de la philosophie classique, la caase est tonjoars an être
distinct de son effet ; tandis que la raison suffisante peut être im-
manante dans Tôtre dont elle explique l'existence ; elle peut être cet
être môme.
Rien n'est sans une raison suffisante. Nihil est sine ratione
sufficienti. C'est un principe absolu et affirmé directement par la
raison, qui le voit dans cet autre principe : ce qui est est, ou,
mieux encore, dans l'idée d'être. Car dire d'un être qu'il n^a pas
de raison d'être, dans le sens absolu du mot, c'est dire qu'il n'est
pas. Si donc il est, il est par une raison suffisante de son être.
36. Haison suffisante intrinsèque ou extrinsèque. — La
raison suffisante d'un être peut se trouver dans cet être lui-même
ou en dehors de lui. Elle est donc intrinsèque ou extrinsèque.
C'est la raison suffisante extrinsèque que l'on appelle cause.
L'être qui a sa raison suffisante en lui-même est à lui-même sa
raison suffisante ; il existe par lui-même : il est a se.
L'être qui a sa raison suffisante dans un autre être a une cause,
et il n'existe que par cette cause ; il est ab alio.
De là encore deux modes d'être : l'être a se et l'être ah alto.
Il ne faudrait pas croire que cette distinction ne porte que sur
l'origine de ces deux modes d'être. En portant sur leur origine, elle
porte sur tout leur être, et être ah alio n'est jamais le même mode
d'être que être a se. L'être a se est l'être proprement dit, qui se
suffit à lui-même, qui est par ce qu'il est ; l'être ab alio n'est qu'un
être perpétuellement emprunté, perpétuellement reçu et qui ne
subsiste qu'autant que dure sa cause, qu'autant que sa cause le
fait être.
C'est cette distinction profonde, cette différence essentielle dans l'être,
que Gioberti voulait faire ressortir et ne pas laisser oublier, quand il a
essayé de poser comme formule première : « L'être crée les existences t.
Malheureusement le reste de son système n'est pas aussi vrai que cette
distinction et de plus cette distinction elle-même, n'est pas précisément
le premier connu, le premier jugement, comme il l'aurait voulu. De pins
cette distinction profonde n'était pas dans le langage de la philosophie
classique : les mots être et eœiêtence se distinguaient déjà à un autre
point de vue, comme nous le verrons bientôt, et il n*a pas réussi à faire
passer son sens.
DB<}RËS d'être ou ENTITÉ DE L^ÈTRE 181
Si maintenant nous comparons ces deux modes d'être, a se et àb
aHOf avec les deux que nous avons constatés précédemment, subs-
tance et accident, nous trouvons que Tôtre a se ne peut être que
substance ; car Taccldent, qui n*est que Tétre d'un autre, ens in
alto, ne saurait renfermer en lui la raison suffisante de son exis-
tence. Mais on conçoit que Têtre ab alio soit ou substance ou acci-
dent, car l'être qui reçoit Texistence peut la recevoir en lui-môme
ou dans un autre.
Chapitre 2"»'
DEGRÉS D'ÊTRE OU ENTITÉ DE L'ÊTRE
38. Entité. — Tout ce que nous appelons être ne participe pas
au même degré à Têtre. On appelle entité les divers degrés de
participation & l'être.
39. Dmsîon de Fentité. -^ Il y a des [êtres ^qui ne sont que
de nom« et parce que nous les considérons comme pouvant être ;
il j en a qui sont réellement; il j en a qui non seulement sont réels,
mais qui pr<:)duisent encore d'autres réalités. De là la première
division de Tentitô.
L'entité d'un être est de trois sortes : la possibilité^ l'existence
et l'acte.
Les mélanges de ces trois entités en produisent d'autres encore
que nous examinerons aussi.
40. Possibilité. — Déânir la possibilité en général est presque
aussiimpossible que de définir l'être. Quand nous aurons dit : a Tôtre
possible c'est ce qui peut être», aurons-nous donné une défini-
tion? Non. Aurons-nous même éclairci l'idée d*être possible, en
en disant : c'est tout ce qui peut-être ? Pas davantage. Car l'idée
exprimée par le verbe peut est précisément celle qu'il s'agirait
d'expliquer ou de définir dans l'idée du possible, et nous ne
pouvons que la rendre par un mot équivalent.
Mais cette définition n'est pas nécessaire. Nous avons l'idée dû
possible aussi bien que l'idée de l'être. Et quand nous voyons un être
qui commence à exister nous concevons nécessairement qu'avant
d'exister il était possible.
182 MÉTAPRTSIQUB
La possibilité est-elle an degré de l'être? Pas précisément ;piii8
que ce qui est possible n*est pas. Mais c'est comme nne conditioe
indispensable à l'être qui n'est pas toujours, k l'être qui commence.
C'est en ce sens seulement que Ton place la possibilité parmi les
degrés de l'être.
L'opposé de la possibilité c'est Timpossibilité. Et, comme Tim-
possible ne sera jamais, tandis que le possible sera ou ne sera pas ;
iljr a une grande différence entre le possible et l'impossible, et on
peut dire que le possible, quoique n'existant pas, est plus près de
l'être que Timpossible. Donc encore, à ce point de vue, on peat con-
sidérer la possibilité comme un degré de l'être.
41. Distinctions de la possibilité. — On distingue 1^: la
possibilité interne et la possibilité externe.
La possibilité interne n'est autre chose qu'une relation de conve-
nance entre les divers éléments d'une essence conçue. Cette relation
nous la concevons d'une manière abstraite et a priori. Mais elle est
fondée sur l'essence même et la nature des éléments que nous sup-
posons entrer dans un être. Cette relation de convenance est réelle
entre les éléments'de l'être réel ; elle j est de plus nécessaire, d'une
nécessité relative : c'est pour cela que nous la concevons a priori.
Ainsi, toute combinaison d'éléments qui n'enferme pas de cou*
tradiction, constitue une essence possible, et devient par la-même
un êti*e possible.
La possibilité externe est, comme le mot le dit, hors de l'être
possible. C'est une force capable de réaliser l'essence qui constitue
l'être possible.
On distingue 2f* : la possibilité métaphysique, physique, logique et
morale.
Chacune de ces quatre possibilités est une relation de convenance
entre les éléments d'une essence, ou l'essence elle-même, et les lois
métaphysiques, physiques, logiques et morales.
Un être est possible métaphysiquement, quand les lois nécessai-
res de l'être ne s'opposent pas à sa réalisation ; c'est-à-dire, quand
il n'y a pas de contradiction entre les éléments de son essence. C'est
la même chose que la possibilité interne,
La possibilité métaphysique est la mesure exacte de la possilÂlité
DEGRÉS d'ÈTRB OU ENTITÉ DE L'ÊTRE 183
externe absolue, qui se trouve en Dieu. C'est la mesure de la puis-
sance de Dieu.
L*impossibiIité métaphysique qui apparaît au premier abord
comme une limite à la puissance de Dieu, n*est pas une limite de
puissance ; car ce qui est métaphysiquement impossible n'est pas
un être, et par suite ne peut être Tobjet d*aucune puissance. Par
exemple : un cercle carré.
Un être est possible physiquement, quand les lois physiques, les
lois naturelles des êtres réels, corps et Âmes, ne s'opposent pas &
sa réalisation.
La possibilité physique est la mesure de la puissance des
êtres créés.
Un être est possible logiquement ou moralement, quand les lois
logiques ou morales ne s'opposent pas à sa réalisation . L*être qui ne
saurait être dans Terreur, ni mentir, ni mal faire, est incapable de
produire ce qui est logiquement ou moralement impossible. Mais
rhomme, sujet à l'erreur et au mal, s*écarte souvent des lois de ces
« deux ordres de possibilité.
L*acte illogique ou immoral est métaphysiquement impossible
pour l'être parfait, tandis qu'il est quelquefois^ physiquement et
toujours métaphysiquement possible pour un être imparfait. C'est
ainsi que la possibilité métaphysique est la mesure de la puis-
sance de Dieu, et que la possibilité physique est la mesure -de la
puissance des êtres créés.
42. EzUtenco. — Le second degré de l'être c'est l'existence',
au sens que nous avons exposé plus haut; car au sens réel, l'exis-
tence est le premier degré.
L'existence est la réalisation de l'être possible. C'est là le sens
propre du mot. Car le mot est destiné surtout & désigner l'état de
Têtre réel par opposition à Tétat de Têtre possible. Il semble donc
que ce mot ne devrait s*appliquer qu'aux êtres qui ont passé de la
possibilité à la réalité. Cependant on dit : Dieu existe. Or Dieu n'a
jamais été possible, et il n'a pas passé de la possibilité à la réalité.
Il est. Mais d'abord cette parole est née de la négation de Dieu ou
au moins du doute ; car ceux qui doutent conçoivent Dieu comme
possible, et quand on leur démontre qu'il est, il semble qu'on les
184 MÉTAPHTSIQUB
fait passer de la coniiaissance de Dieu possible à la oonnaissanoe de
Dieu existant.
D*ailleurs le mot existence n*est pas toi^ours employé avec cette
rigueur métaphysique, et le plus souvent il désigne simplement Fétie
réel. En ce sens, exister c'est être. L'existence est plus que la possi-
bilité et n'est pas encore l'acte.
Cependant les scolastiques appelaient ce degré d'être « l'acte
premier « (actus primus) et ils appelaient l'acte « acte second >
(actus secundus).
Tout être existe par lui-même ou par un autre. De là la distînc»
tion de l'existence a se ou ab alio.
L'être qui existe par lui-même, a dans son essence même la raîscn
suffisante de son existence. C*estdire qu'il est de son essence d'exis-
ter. C'est dire qu'il existe nécessairement. Au contraire l'ôire qui
n'existe pas par lui-même^ doit attendre d'um autre son existence :
il pourrait donc ne pas exister : il est contingent. De là encore la
distinction de Vexistence nécessaire et de l'existence contingente;
ou mieux de Têtre nécessaire et de Texistence continj;ente. Cette
distinction correspond exactement à la première et ne [s'en distin-
gue que par le point de vue. L'être a se est nécessaire ; l'être ab
alio est contingent.
De plus, la distinction que nous avons faite plus haut (34) de la
substance et de la modification nous fait distinguer deux autres
modes d'existence ; l'existence substantive et l'existence acciden-
telle.
Cette distinction ne tombe que sur l'existence contingente, car il
est impossible que l'existence nécessaire ne soit qu'accidentelle. Ce
qui existe nécessairement et par la force de son essence ne saurait
éti^ une simple* modification.
L'existence a donc trois modes :
Existence i à se on nécessaire.
r ab alio ou contingente, l substantive.
) accidentelle.
43. Acte. — L'acte est le plus haut degré de l'être. Il consiste
dans l'opération. Il suppose l'existence et la renferme. C'est l'acte
second des scolastiques.
DBORÉs d'ètrb ou bntité db l'êtrb 185
Considéré dans sa nature, Tacte est physique, logique ou moral,
Physique, il produit une réalité, un être physique; logique il pro-
duit un être logique, la Vérité; moral, il produit un être moral, le
bien.
Considéré dans son mode d'être, Tacte est substantif et néces-
saire, ou bien accidentel et contingent.
Nous aurons Toccasion de démontrer plus loin que l'acte subsis-
tant et nécessaire n'appartient qu'à Dieu, dont l'existence même
est un acte subsistant et nécessaire, et que Saint Thomas appelle
pour cette raison acte pur. aDeus est actus ^n^.» L'acte accî-
d^tel et contingent appartient aux êtres créés. Il n^t pas la
substance de ces êtres et il n'est pas nécessaire, car ces^êtres n'agis-
sent pas toigours de la même manière. Il n'est donc qu'une modiâ-
cation contingente de leur substance.
44 . Mélange des trois degrés. — L'existence unie à la pos'
sibtlité d'une autre existence modifiée constitue la passivité ^ ou
la possibilité d'être changé : c'est la puissance passive. C'est la
matière d'une œuvre quelconque.
L'existence' unie à la possibilité de l'acte constitue le pouvoir
ou la puissance active. C'est le pouvoir d'agir. Le pouvoir d'agir
forcément, tel qu'il se trouve dans tous les corps, s'appelle pro-
priété. Le pouvoir d'agir par une détermination intérieure, tel
qu'il se trouve dans les animaux^ a reçu le nom de fonction, et ce
même pouvoir, libre, tel qu'il est dans l'homme, s'appelle faculté.
Et, quand lafaculté a reçu une disposition qui détermine d'avance
la manière dont elle fera son acte, si elle le fait, ce développement
de la faculté s'appelle habitude^
L'existence unie à un a^te accidentel qui la mène- à une autre
existence constitue la tendance ou le mouvement. Le terme du
mouvement s'appelle fin. Le mouvement est physique^ logique ou
moral.
45. AppUcation de .'ces principes] abstraits aux êtres
réels. — Tous les principes que nous venons d'exposer sont des
lois nécessaires de l'être en général, et elles sont toutes la consé-
quence nécessaire de la notion même de l'être telle que nous la con»
cevons tous nécessairement. Ainsi les lois métaphysiques, bien que
186 MÉTAPHYSIQUE
connues par noas sous une forme abstraite, régissent, nooa en
sommes absolument certains, les êtres réels. Aussi nous pouTons
déduire les corollaires suivants.
1*' COROLLAIRE. — Tout être réel a une essence déterminée (28).
Les déterminations de l'essence d'un être ne peuvent être toutes
négatives : ce serait le néant. Elles peuvent être en partie positi-
ves, en partie négatives : l'être est alors limité. Enûn elles peuvent
être toutes positives, et alors l'être, n'ayant pas de limites, est in-
uni.
2* COROLLAIRE. — Tout être réel qui a telle essence déterminée
possède en même temps tous les attributs de cette esaenoe. (30).
Mais il peut n'avoir par tous les modes de sa nature (31, 32) ; dans
ce cas c'est un monstre ou un prodige.
3* COROLLAIRE. — La nature d'un être réel est variable dans
ses modes, absolument parlant ; bien que ces modes soient constants,
en réalité. Le miracle est un changement dans les modes cons-
tants éCun être. Le changement des autres m^des dépend des
hommes; le changement des attributs est impossible même, à
Dieu.
4« COROLLAIRE. — Une modification réelle ne peut exister sans
la substance dont elle est la modification. Mais bien que telle mo-
dification se produise constamment dans telle substance par Taction
de telle autre substance, rien n'empêche qu'elle n'y soit produite
extraordinairement par l'action immédiate du Créateur.
5* COROLLAIRE. — Tout être réel a sa raison suffisante ou en lui-
même ou dans un autre être (36).
6* COROLLAIRE. — Touto concoption métaphjsiquement impos-
sible est absolument irréalisable, môme par une puissance infinie.
Ce qui est physiquement impossible, est possible à celui dont les
forces surpassent celles de la nature. Quand un être est physique-
ment possible, mais logiquementfou moralement impossible, il peut
être réalisé par un être imparfait comme l'homme, mais il ne peut
l'être par un être parfait tel que nous concevons Dieu. Si donc
nous voyons se produire un acte mauvais en dehors des lois physi-
ques, nous devons conclure, qu'il n'est produit ni par la nature, ni
par les hommes, ni par Dieu. La constatation de pareils faits doit
sufilre au vrai philosophe pour affirmer, en dehors de la révéla
tion, l'action, et par conséquent l'existence des démons.
PROPRIÉTÉS DE L'ÉTRB 187
7* COROLLAIRE. — Tout être réel ne peut exister que par lui-
môme ou par un autre. Il est donc ou a se on ab alto. De plus :
Texistence d'un seul être €U> alio suppose Texistence d'un ôtre a
se. — En sortant des limites de la métaphysique nons pourrions
dire : Or il existe des êtres ah alio, donc il existe un être a se.
8* COROLLAIRE. — Tout être réel qui n'existe pas par lui-môme,
est contingent : il pourrait ne pas exister. Au contraire, l'être ase^
s'il existe, existe nécessairement. Nous disons s'il existe, pour ne
pas sortir de la métaphysique. Mais, le moindre retour sur nous-
mêmes, la moindre considération prise dans l'ordre réel, nous
empêche de douter de son existence.
Nous pourrions dés à présent déduire des mêmes principes tous
les attributs de l'être nécessaire, mais, nous réservons ces considéra-
tions poofï* un chapitre spécial.
Chapitre 3«
PROPRIÉTÉS DE L'ÊTRE
46. Définition. -— On appelle propnV^^ tout caractère constant.
Ces caractères constants dont il est question ici se confondent donc
ou avec les attributs ou avec les modes des êtres.
47. Dirision. — On distingue les propriétés métaphysiques, qui
sont nécessaires et se confondent avec les attributs ; les propriétés
physiques, qui sont constante sans être nécessaires et se confon-
dent avec les modes constants ; enfin, les propriétés, logiques et les
propriétés morales qui sont déterminées nécessairement, comme les
les propriétés métaphysiques, mais, qui ne s'imposent pas comme
eUes : ce qui rend possible l'erreur et le mal.
Nous n'avons à parler ici que des propriétés métaphysiques,
48. Propriétés métaphysiques de l'être en général, —
Les propriétés métaphysiques, appelées aussi transcendantes sont,
dans l'être en général : l'unité, la vérité, la heauté, la honte.
49. Unité. — L'unité de l'être con£>iste en ce qu'il ne peut se
diviser en plusieurs êtres semblahles & lui. Tout être possède essen*
tiellement cette unité.
188 MÉTÀPHTSIQUB.
Mais, cette unité elle-même eet de différents ordres. Elle est
absolue quand Tétre est absolument simple ; métaphysique, dans
Tétre abstrait dont les éléments essentiels sont essentiellem^it
inséparables ; physique, quand l'être est un composé d'élém^its
semblables qui ne forment qu'un seul tout réel ; logique, qaand
plusieurs éléments unis par un lien logique ne forment qu'un tout
logique ; morale, quand plusieurs êtres unis par un lien moral, ne
forment qu'un tout moral. — Mais de quelque nature que soit
cette unité elle n'en est pas moins pour Tetra une propriété méta-
physique parce qu'elle lui est essentielle.
On distingue encore l'unité exclusive ou Vunicité^ qui consiste
en ce que un être est seul de son espèce. Cette sorte d'unité peut
être nécessaire ou contingrate. Elle est nécessaire en Dieu, parce
qu'il ne peut pas y avoir deux infinis ; elle est contingente dans le
soleil, la lune, tel ou tel objet d*art, qui se trouve de fait seul de
sa nature.
50. Des trois autres propriétés i Térité, beauté, bonté. —
Les trois autres propriétés métaphysiques de l'être, que nous appe-
lons la vérité, la beauté, la bonté, ne sont qu'une seule et môme
chose dans l'être, et ne se distinguent que par rapport à notre âme.
EUes ne sont rien autre chose que la perfection de l'être dans sa
nature. La perfection d'un être consiste dans le complet dével(^
pement de son essence, ou dans sa conformité avec son principe
formel. Le principe formel d'un être c'est le modèle sur lequel il
est formé. C'est ce que Platon appelait les archétypes des choses,
les idées subsistantes en Dieu .
Vérité. — L'être, parfait dans sa nature, est vrai pour celui
qui le connaît : la connaissance de l'être tel qu'il est c'est la con-
naissance du vrai. C'est en ce sens que l'on dit: Veritas est id
qtu)d est. La vérité c'est ce qui est, en tant qu'objet de notre con-
naissance.
Beauté. — L'être parfait dans sa nature, est beau pour
celui qui se plait dans la vue de cette perfection. En effet c'est la
satisfaction que nous éprouvons à contempler un être parfait qui
nous le fait appeler beau. Le beau c'est ce qui attire notre Ame :
c'est la perfection de l'être.
PROPRIÉTÉ DE d'être 189
Bonté. — L'être parfait dans sa nature est bon en ce sens qu' il
est l'objet de notre volonté. C'est parce que l'être parfait mérite
d'être voulu que nous l'appelons bon.
C'est ainsi que la vérité, la beauté, la bonté se confondent avec
la perfection de 1 être.
Cette perfection peut être absolue ou relative. Elle est absolue
dans l'être infini, qui possède tout l'être et par là toutes les per-
fections ; elle est relative dans les êtres finis, qui ont toute la per-
fection que comporte leur nature.
Le beau qui est l'objet de l'art n'est pas le beau relatif, mais
ane sorte de refiet du beau absolu. Notre idéal du beau tend sans
cesse vers le beau absolu sans l'atteindre jamais.
52. Imperfection, défaute, fausseté, laideur, maliee. Les
limites que suppose un être dans son essence, ne sont pas une imper-
fection ;mais les limites qui sont contraires au développement com-
plet de son essence constituent dans l'être l'imperfection ou les dé
fauts. L'être n'est plus alors conforme & son [principe formel. Et
dés lors il est faux, laid et mauvais.
53. Nature de la perfection et de l'imperfection. — La
perfection peut être métaphysique, physique, logique ou morale,
selon que l'on prend datis un être son essence^ sa réalisation
physique, ses relations logiques ou ses relations morales. Mais
l'imperfection ne peut être que physique, logique ou morale^
parce que l'essence ne peut pas n^être pas conforme à son principe
formel. C'est donc à tort que quelques auteurs ont parlé de fat^
de laid ou de mal métaphysique. Ces expressions ne sont autre
chose que des non-sens, aussi inconcevables que celles de cercle
carré ou de triangle à trois angles droits. Ces auteurs appellent
mal métaphysique les limites essentielles d'un être : comme
l'absence de la vue dans la pierre. Nous accordons que c'est là une
imperfection relative,' par comparaison avec l'être infini. Mais on
ne peut appeler cela un mal. Et de plus, pour garder la corréle^
tlon avecles autres expressions : mal physique, mal moral, il fau-
drait que le mal métaphysiqae fat l'oppoôtion aux lois métaphysi*
ques. Or, elles sont nécessaires et rien ne saurait les enfreindre.
Donc ces imp^ections relatives sout métaphysi<lUemeDt bonnes,
dans l'essence où elles sont.
Chapitre 4*
REUTIONS DES ÊTRES
54. Ce qu'on entend par relation. — L'idée de relation n'ajaat
pas de genre supérieur, il est impossible d*en donner une définition.
En effet, après la conception deTôtre, celle du rapport ou de la rela-
tion entre deux êtres est la plus simple. Dès que nous concevons
deux êtres nous concevons entre eux la possibilité de plusieurs rap-
ports ou relations, pris de différents points de vue. La relation entre
deux êtres n'est aucun de ces deux êti*es ; elle n'est pourtant rien
sans ces deux êtres ; elle n'est dans aucun des deux ; elle est ce que
chacun des deux est pour l'autre, C*est le Tcpo; ri (ad quid) an
TTpéc tI {quid ad) d'Aristote.
55. Dmsion des relations. — Deux êtres étant donnés nous
pouvons voir entre eux une multitude de relations, qui se classent
toutes de deux en deux. Identité ou non identité, coexistence ou non-
ooexistence, dépendance ou indépendence, égalité ou inégalité, simi*
titude ou différence, action mutuelle ou non. Ainsi conçues les rela-
tions sont innombmbles.
Nous nous contenterons de les classer en quatre ordres qu'il est
important de distinguer parce qu'ils sont le fondement des quatre
ordres de lois. On distingue donc :
Les relations métaphysiques, fondées sur l'essence des êtres.
' Les relations physiques, fondées sur la nature réelle des êtres.
Les relations logiques, fondées sur la nature des connaissances.
lies relations morales, fondées sur la nature des actes libres.
Les relations métaphysiques, parce qu'elles sont fondées sur
l'essence même des êtres, ne peuvent être que nécessaires, comme
leur fondement. Ex : Relation du rayon d la circonférence, ou
des lignes trigonométriques entre elles.
Les relations physiques, quoique fondées sur la nature des choses
sont toutes contingentes ; mais dans leur contingence les unes sont
constantes, comme la nature des choses qui est alors leur unique
fondement; les autres sont variables comme les causes qui les éta-
blissent. Ex ; Pour les premières : Action du fer sur lehois^ (m
RELATIONS DBS ÊTRES 191
d'un acide sur une base; pour les secondes : percement effectif
d'un morceau de bois par tm morceau de fer, ou formation
effective d'un sel par un acide et une base.
Les relations logiques, fondées sur la nature abstraite de la con-
naissance, et par conséquent sur quelque chose de nécessaire, sont
nécessaires dans leur conception ou dans leur raison d'être, mais
elles sont contingentes et variables dans leur réalisation par tel
ou tel homme, qui peut do fait s'en écarter dans ses pensées.
Les relations morales, sont dans les mômes conditions que les
relations logiques, elles sont conçues nécessairement et elles sont
nécessaires dans leur raison d'être, fondée sur la nature abstraite
des actes libres ; mais elles sont contingentes et variables dans leur
réalisation par tel ou tel homme qui peut s*en écarter dans ses
actes.
N.ous dirons .quelques mots des principales relations métaphysi-
ques.
56. Principales relations métaphysiques. — Deux essen-
ces étant données, nous voyons nécessairement entre elles.
1^ Une relation d'identité ou de non-identité.
2^ Une relation de dépendance ou de non-dépendance.
3** Une relation de connexion ou de non-connexion.
4° Une relation de génération ou de non-génération.
57. Relation d'identité. — Deux étrés sont nécessairement
identiques ou non-identi(iues. L'identité paraît être la plus simple
des relations. L'identité consiste on ce que deux êtres sont un seul
et môme être. Mais l'identité a plusieurs points do vue et se sub-
divise en plusieurs ordres.
L'identité métaphysique, c'est l'identité d'essence ; l'identité
physique, c'est l'identité de nature : on pourrait aussi y faire entrer
l'identité numérique, ou identité d'individu ; l'identité logique, c'est
l'identité de vérité et par conséquent l'identité d'existence ; l'iden-
tité morale, c'est l'identité de bonté, ou l'identité de conformité à
la loi morale.
La non-identité laisse encore la place à des identités imparfaites
telles que l'analogie^ la ressemblance, Végalité,
L'identité, comme nous l'avons vu, est le fondement de la
logique ; elle est encore le fondement des mathématiques.
\
192 METAPHYSIQUE
Cette relation est d'ailleurs d'une conception facile et nécessaire :
il est impossible de la confondre avec la non-identité. Hegel dérai-
sonnait complètement le jour où il a affirmé l'identité de Tiden-
tique et du non-identique.
58. Relation de dépendance. — Toute essence qui est for-
mée de plusieurs éléments dépend métaphyslquement de chacun de
se^ éléments. Telle est la relation de dépendance entre deux
essences dont Tune est un élément de Tautre.
Le relation de dépendance est physique, dans les êtres réels
formés de plusieurs éléments, entre Tôtre complet et les éléments
dont il se compose, mais non avec ces mômes éléments en dehors
do lui.
La dépendance est logique, dans les idées, entre une idée complexe
et ses éléments. Enfin la dépendance est morale, entre un acte libre
et sa loi, qui en forme l'élément moral.
Ainsi : le cercle dépend de son rayon ; la pierre, des molécu-
les qui la composent ; l'idée de parallèle, de Vidée de ligne ; les
actes du serviteur, des ordres de son maître»
59. Relation de connexion. — La connexion entre deux êtres
consiste en ce qu'ils sont, à un point de vue, inséparables.
La connexion aussi est métaphysique entre les éléments d'une
même essence ; physique entre les éléments d'un être réel composé;
logique entre deux connaissances qui n'ont qu'une même vérité,
c*est-à-dire, entre deux connaissances portant sur deux objets qu^
n'ont qu'une mêmO' existence ; morale entre un acte libre et ses
éléments moraux, ou entre ^eux actes libres dont l'un est la loi de
l'autre.
Deux objets métaphysiquement connexes ne peuvent pas même
être conçus l'un sans Tauti-e.
Deux objets métaphysiquement connexes peuvent être conçus, et
môme pourraient exister l'un sans l'autre ; mais, de fait, ils ne se
séparent que par la destruction du tout. Il y a même des connexions
physiques qu'il n'est nullement en notre pouvoir de détruire ; par
exemple que le feu brûle le bois, s'il est mis en contact ; ou que le
fer taille la pierre, si on l'en frappe, etc.
Deux pensées logiquement connexes peuvent exister séparément,
RELATIONS DES ÊTRES 193
mais ne peuvent être vraids séparément. Celui qui en sépare la
vérité est dans Terreur.
Deux actes libres morateftiêni oonne^tètf peuvent exister sépa-
rément, mais on n'en peut séparer la moralité. Celui qui les sépare
fait mal. Son acte est mauvais.
60. Relation de.génératioii. — Tout éti*equi tient son exis-
tence d'un autre^ est avec lui dans un i*apport qu'on peut appeler
en général génération. Celui-ci est cat^e, celui-là est effet. La
génération ou production est active dans la cause, passive dans
Teffet. Et même pour être parfaitement exact il faut dire que la
catise n'est que la production active, le prodmre^ et l'effet la
production passive^ le être produite
La cause et l'effet sont môtaphjsiquement, physiquement et
logiquement connexes.
Ils le sont de plus moralement, en ce sens que la cause et l'effet
ont nécessairement la môme moralité, et même en ce sens que qui
veut l'un veut Tautre.
Mais l'idée de cause et d'effet offre quelque chose de plus aux
considérations métaphysiques.
Tout être suppose un principe, une raison suffisante de son être.
L'existence d'un être quelconque suppose donc l'existence de sa
raison suffisante, ou en lui-môme ou dans un autre être : intrinsèque
ou extrinsèque. Ce qui revient à dire que teut être existe ou par
lui-même ou par un autre.
On donne le nom de ca\Me à la raison suffisante extrinsèque.
Donc teut être qui n'a pas en lui-même la raison de son existence
est un effet et a une cause.
M«kîs si cette cause est elle-même un effet elle supposera une
autre cause, et ainsi de suite.
Arrivons*teut d'abord au premier de la série. Si la première
cause n^existe pas par elle-même, elle n'existe pas, car nous suppo-
sons qu'elle n'a pas de cause. Et dès lors rien n'existe par elle.
Bobo l'existence d'un seul effet, nonnseulement suppose une
cause, mais môme suppose une cause première, qui n'est pas Yeftèi
d'une autre cause, qui existe par elle-même, qui a toujours existé.
13
Chapitre 5*
LOIS DES ÊTRES
01. Définition. — Nous avons eu déjà bien souvent l'occasion
de parler des lois, et nous avons défini celles que nous avions en vue;
mais il importe ici de les étudier plus à fond et d'en donner une défi-
nition plus générale et plus exacte.
L*idée de loi est pour tout le monde Tidée d'une r(?^Z^, l'idée d'un
principe formel, c'est-à-dire, d'un modèle auquel tel ou tel être
doit se conformer et sans lequel il ne serait pas ce qu'il doit être.
' - Le principe formel est aussi nécessaire à un ôtre que sa cause effi-
ciente ; sans lui il ne saurait ôtre ni cela ni autre chose, et il n«
sera telle ou telle chose que par son principe formel. C'est bien là
le fond de l'idée de loi.
De plus, Montesquieu a défini la loi tout rapport nécessaire.
Il a entrevu mais incomplètement la vérité, et transposant le sujet
et l'attribut il a dit rapport nécessaire là ou il voyait la nécessité
d'un rapport. En effet si toutes les lois étaient nécessaires, comme
semble le dire Montesquieu, la loi serait bien la w^^ctf55ï7^ d*un rap^
port entre deux êtres. Car tout ce que nous appelons loi régit, non
pas un être, mais une relation entre plusieurs, et cette relation
devient ou nécessaire ou forcée ou obligatoire, par la nature de
la loi.
Il résulte de cet examen que la loi est un principe formel une
règle qui régit une relation.
Nous pouvons donc définir la loi : La règle des relations.
Lorsqu'on parlant des sciences nous avons défini la loi la règle
des phénomènes, nous n'avons donné qu'une partie de Ijjdéfinitipn
générale ; car les phénomènes sont des relations et les seules relations
que nous eussions en vue en ce moment,
62. Division des lois. — Cette définition générale et exacte
nous permettra de montrer dans tout son jour la divisiou des loi
que nous avons déjà exposée brièvement ailleurs.
Les relations peuvent-ôtre métaphysiques, physiques, logiques
ou morales (55) «
LOIS DES ÊTRBS 185
Les lois qni les régissent soat avec elles métaphysiques, ph jsiques^
logiques ou morales.
Et ces différents qualificatifs conviennent, non seulement aux
relations que les lois régissent, mais encore k la nature de leur
action sur les objets qu'elles régissent. En effet.
■
63. Nature diverse des lois. Le principe formel d*un être
8*impose diversement à lui selon la nature de cet être, et c*est jus-
tement ce qui existe dans les différents ordres de lois.
64. Lois métaphysiques. — Les relations métaphysiques sont
des relations d*eâsence à essence, aussi les essences mêmes des cho-
ses sont les principes formels de leurs relations métaphysiques. Ils
sont donc nécessaires, et s'imposent nécessairement aux relations
qu'ils régissent. Voilà pourquoi les lois métaphysiques sont des lois
nécessaires.
Elles sont nécessaires en deux sens :
1"* Ces lois ne peuvent pas ne pas être ;
2^ Les relations qu'elles régissent ne peuvent échapper à leur
direction. C'est la double nécessité renfermée dans les mots lois
métaphysiqti^s.
65. Lois physiques. — Les relations physiques sont des rela-
tions de nature ; le principe foimel de la nature des êtres réels est
en même temps le principe formel de leurs relations physiques. Il
n'est donc pas plus nécessaire que l'existence des êtres réels ; mais,
dès que ces êtres sont, ils sont conformes à leur principe formel, et
leurs relations naturelles sont réglées par ce même principe. Les
lois physiques ne sont donc pas nécessaires en aucun sens, mais,
elles dirigent forcément les i*elations physiques. C'est le sens des
mots : lois' physiques.
Nous ne pouvons nous y soustraire, mais, celui qui les a libre*
ment déterminées en nous créant, peut les changer ou y contrevenir
quelquefois.
Qld» Lois logiques. — Les relations logiques sont des relations de
vérité; dès lors le principe formel de la vérité d'une connaissance
est aussi le principe formel de ces relations. La connaissance peut
ne pas exister, mais, elle ne peut exister qu'à la condition d'être
190 MÉTAPHYSIQUE
vraie : la pensée qui n'est pas vraie n'est pas une connaissance.
Ainsi les lois logiques s'imposent métaphjsiquement ou nécessaire-
ment h la connaissance, mais non à la pensée de celui qui veut
connaître. Il est pourtant facile de voir que la pensée fausse est
un contre-sens, et que la possibilité de se soustraire aux lois logique
est une imperfection relative. Tel est le sens des mots lois logiqties.
07. Lois morales. — Las relations morales sont des relations
libres. Au point de vue moral, leur principe formel est le bien, tan-
dis qu'au point de vue physique leur principe formel est la pensée
librement choisie par leur auteur. Le bien s'impose essentiellement
à la bonté des actes libres, mais non à leur production, précisément
parce qu'ils sont libres. Il dépend de celui qui agit librement de
conformer ses actes au bien, autant qu'il le connaît et que physi-
quement il le peut. Mais, s'il est physiquement libre d'agir diver-
sement, la règle du bien veut qn'il agisse de telle manière. Il fait
mal s'il s'en écarte. Et on sent que la possibilité de faire mal est
une imperfection relative. Tel est le sens du mot loi morale.
L
DBUXIÊMB PARTIE DE LA MÉTAPHYSIQUE
ONTOLOGIE SPÉCIALE
68. Objet et divisioD. — Il nous reste à parler des différents
êtres que la métaphysique distingue et de ce qu'elle reconnaît do
nécessaire en eux. Or, la première distinction métaphysique des
êtres est celle-ci : Être nécessaire, être contingent. Nous les étudie-
rons en deux chapitres.
Chapitre I"
DE L'ÊTRE NÉCESSAIRE
69. Essence de l'être nécessaire. — Si nous prenons \}o\xv
point de départ dans l'étude de l'être nécessaire, sa nécessité, son
essence consistera en ce qu il ne peut pas ne pas être. Si nous pre-
nons pour point de départ son asséité, comme on dit dans l'École,
c'est-è-dire, ce fait, qu'il existe par lui-môme, son essence sei*a
qu'il existe par lui-môme, Si nous partons au contraire de l'idée de
l'étendue de son être, son essence sera qu'il est infini. Il ne fau-
drait pas entendre ici par ce mot « étendue » quelque chose do
matériel ; ce mpt signifie seulement que l'être infini comprend tout
l'être, que tout est positif en lui, sans aucune limite.
Il importe peu d'ailleurs de partir de Tune ou de l'autre de ces
données, puisque nous sommes en pure métaphysique et que nous
partons d'une conception, et que de plus, étant donné l'un quelcon-
que de ses attributs, on découvre nécessaiiement tous les autres.
Mais, puisqu'il faut faire un choix, et que nous sommes libres de
prendre le point de départ que nous voudrons, nous considérerons
comme point de départ et comme essence de l'être nécessaire, que
tout le monde conçoit et que tout le monde appelle Dieu, l'idée pre-
108 MâTÀPHTBIQUB
miérequi nous le fait concevoir, et qui est plus capable de nous eon.
vaincre de son existence. Cette idée première, c*e8tqa*il existe par
lui-môme, c'est qu*il est a se.
L'essence de Tétre qui existe par lui-même consiste en ce qu'il
renferme en lui, dans son essence, la raison suffisante de son exis-
tence.
70. Attributs de Tétre néeeeeaire. — Etant donné un être qui
existe par lui-même, nous sommes forcés de reconnaître qu*il existe
nécessairement, qu'il est infini dans son essence et dans tous ees
attributs, qu'il est absolument simple, étemel, inmiuable, unique,
omniscient, touirpuissant, etc.
C'est ce que nous allons démontrer en autant de propositions.
l' proposition. L'être qui existe par lui-même est nécbs-
BAIRE. — En effet, puisque par hypothèse il a dans son essence la
raison suffisante de son existence, son existence est essentielle, et
par conséqi\ent nécessaire, comme tout ce qui est essentiel.
2» provosition. L'être qui existe par lui-même est infini.
En effet son -essence qui est le principe de son existence est par là
même le principe de tout ce qu*il est. Il est donc par essence tout
ce qu'il est. Il ne peut donc lui manquer que ce qui est essentielle-
ment impossible. Or toutes les réalités sans limites sont possibles
dans un même être ; car les réalités ne sont en contradiclâon que
par leurs limites. Donc l'être qui existe par lui-même a toutes les
réalités sans limites. Il est infini.
On peut aussi arriver plus directement à la'même conclusion, en
considérant la nécessité ou l'asséité de l'être nécessaire comme
un attribut, et en chercliant Tessence de Têtre qui a cet attribut.
En effet :
Quelle est l'essence de Têtre ase^ L'être qui existe par lui-même,
existe par sa propre essence; il a dans son essence la raison suffi-
sante de son existence : donc il existe essentiellement. Mais dire
d'un être qu'il existe essentiellement, c'est dire qu'il est de son
essence d'être. Et comme rien n'est plus vaste que l'être, Fôtre
même est son essence. Mais l'être ainsi conçu sans déterminations
c'est l'être sans restriction, c'est l'être absolu, c'est l'être sans li-
mites, c'est l'être infini. Donc l'essence de l'être a se c'est l'infini.
DE l'êtee Nécessaire 109
L'idée de l'infini c'est l'idée de l'être absolu, de l'être qui est tout
être, sans limite. U n'est pas mesuré par le temps ni par l'espace; il
n'est pas aujourd'hui ou demain: il est; il n'est, pas ici ou là : il est.
Il ne peut être conçu ni plus grand ni plus petit : il est. On ne peut rien
lui retrancher; on ne peut rien lui ajouter: il est infini.
Quand nous disons qu'il a toutes les réalités, nous n'entendons pas
par là, qu'il est la somme de tout ce qui est, ni même de toxrt ce qui
peut être; il n'est pas une somme. Il est tout réel ; il' est tout être; son
être n'est aucunement limité ; il est, absolument parlant. Telle est l'idée
de l'infini.
3* proposition réciproqtie. L'être infini existe nécessaire-
ment. Car s*il a toutes les perfections il ne peut manquer de celle
de Texlstence. D'ailleurs être est l'essence môme de lïnfini.
4* proposition. Tout attribut de l'être infini est infini. Si
eu effet un seul de ses attributs était fini, Tétre serait limité dans
cet attribut et ne serait plus infini.
D'ailleurs la raison sufiîsante de chacun des attributs c'est l'es-
sence. Donc ici la raison suffisante est infinie. Or la raison suffi-
sante ne peut manquer de ressortir à tout son effet. Donc une
essence infinie ne peut donner que des attributs infinis.
Corollaire. Un seul attribut fini dans un être démontre que
l'être qui le possède n'est pas infini.
5« proposition. Un seul attribut infini démontre une
bssence infinie. Car les attributs sont des caractères qui ont- pour
raison suffisante l'essence de Tôtre. Or un être ne peut être plus
grand que sa raison suffisante, autrement il y aurait en lui quelque
chose qui n'aurait pas de raison suffisante.
Corollaire. L'être éternel est infini.
Lemme. L'être a se est nécessaire; l'être nécessaire est étemel,
Tôtre étemel est infini.
On remarquera que cette seconde démonstration de l'essence in-
finie de l'être a se est idépendante des deux premières et peut les
remplacer, si on trouvait les premières obscures.
6* proposition. L'être infini est absolument simple. S'il
était composé de plusieurs éléments on pourrait le concevoir plus
grand ou plus petit, augmenté ou diminué par l'addition ou par le
retranchement d'un élément.
200 MÉTAPHYSIQUE
Corollaires. Un nombre infini est impossible; car tout nom-
bre a pour élément Tunité.
L*étendue réelle ne peut pas être infinie; car elle suppose an être
composé de plusieurs éléments.
La durée réelle des êtres ne peut pas être infinioi si elle est
suooemtve; autrement le nombre de ses successions serait infini, et
le même être qui durerait infiniment comprendrait dans une darde
unique un nombre infini d'années, un nombre infini de mois, on
nombre infini d*heures, un nombre infini de minutes, etc.
L'espace sans limite n'est pas un être: ce ne peut être qa*un pur
ttéani.
Le temps conçu aussi sans limites, en dehors des êtres qui
durent, ne peut être aussi qu'un pur néant.
L'éternité qui est sans limite n'est pas une durée sucoeaaive.
L'être étemel n'éprouve pas de successions, il possède simultané-
ment toute son éternité. C'est pourquoi Saint Thomas, après Boêce,
définit l'éternité : Interminabiliê vitœ tota simul, et perfects^
poêêestio.
7* proposition. L'être infini est imuuable. Car il ne pourrait
changer qu'en cessant d'être infinie Pour changer il faut perdre on
acquérir quelque chose.
Conou^AiRB. Ce qui change n'est pas infini.
8* Propoêitton» Il nb peut v avoir deux infinis. Il y a con-
tradiction à dire qu'un êtrea toutes les réalités et qu'un autre les a
aussi ; ou que deux êtres sont chacun l'être absolu. Et d'ailleurs Ice
attributs de Tun limiteraient nécessairement les attributs de Tautr^,
et aucun des deux ne serait infini.
^ Proposition, L'être infini connaît tout. AutsnNneai il
serait limité dans cet attribut.
l(f Propoiition L'être infïni est tout-puissant. Autrement
il serait limité dans cet attribut.
Enfin Têtre infini, étant l'être même dans toute sa perfection, est
parfait de la perfection la plus absolue. II est la vérité absolue, la
beauté parfaite et la bonté sans défaut. Il n'y a en lui ni erreur ni
mal.
L'être infini ne peut être conçu comme simplement possible; car
DE L*ÊTRB MÉCB88AIRB 201
8*il n^efxistait pas il serait impossible. Bien plus on ne peut ocmee voir
en lui aucune espèce de puissance ni de faculté; car, s*il pouvait
faire demain ce qu*il ne fait pas aujourd*hui. il ne serait pas im-
muable. Il est donc tout acte, sans mélange de puissance, il agit
essentiellement ; il agit infiniment, il agit éternellement ; il est
l'acte infini subsistant ; ou, comme dit Saint-Thomas, il est acte
par. Et mieux encore, comme il s'est défini lui-même : il est, dans
toute la force du mot. Ego sum qui sum«^ Qih est misît nie ad
vos.
11 est temps de comparer Tinfini des mathématiciens avec Tinfini réel
et de répondre à cette double question.
1* L'infini des mathématiciens est- il llnfini réel, i*étre absolu 1 eRt-il
DleaY
2* Linflni des mathématiciens est-il autre chose que Hndéfini ?
Il nous semble que poser la première question c'est la résoudre néga-
tivement. Nous ne pensons pas qu'un homme sensé ait jamais pu croire
tin instant qu'un nombre, fut-il même infini, qu'une étendue fut-elle In-
finie, puisse être l'être absolu, Tètre parfait, l'être qui existe par lui-
même, de qui tous les autres êtres tirent leur existence. D'ailleurs les
mathématiciens posent plusieurs infinis. Ils distinguent l'infiniment
grand et llnfiniment petit, et dans chacun de ces deux ordres Ils trou -
vent un grand nombre d*infinis parfaitements distincts. Ils trouvent
même des infinis qui sont doubles trîples d'autres infinis^ etc. Ce sont
là tout autant de propriétés qui répugnent à l'Infini réel, qui est l'être
parfait.
Mais les Infinis mathématiques sont-Us de vrais Infinis? Non.
La définition même de l'infini mathématique, nous montre bien qull
n'est pas véritablement Infini. L'infini mathématique est une quantité
plus grande ou plus petite que toute quantité assignable. 11 est évident
que cette notion dépasse de beaucoup celle du géomètre qui suppose,
pour la démonstration d'un théorème, une ligne indéfinie, c'est-à-dire
une ligne indéterminée dont 11 prendra tout ce dont il aura besoin, mais
dont il ne prendra qu'une quantité finie. Mais estK)n véritablement
sorti de la nature de l'Indéfini, quand on dit: «une quantité plus grande
que toute quantité assignable » f Non, Dans l'indéfini on pose une quan-
tité qui par définition même sera toujours plus grande que la quantité
dont on aura besoin. Dans la notion de l'infini mathématique on pose
une quantité qui est par définition, plus grande que toute quantité que
l'on pourrait assigner. En sorte que l'on peut négliger comme nulle la
diflérence eotre le terme infini de la progression et la limite où elle tend.
S02 MftTAPHYSXQUE
Car l'infini mathématique a une limite. Il est conçu par une progres-
sion et la progression a une limite. Ce qui montre une fois de plus que
ce n'est pas un véritable infini»
Donnons quelques exemples.
!• La progression indéfinie ; 1/2 -f 1/4 + J/8 + 1/16 + .... est trfle
qu'elle va se rapprochant sans cesse de l'unité sans pouvoir jamais
l'atteindre. Mais sa limite naturelle est l'unité; et on dit que la somme
de la série infinie de ses termes égale 1 . C'est-à-dire que quand on aura
poussé la progression à un nombre de termes plus grand que toute
quantité assignable, la différence entre la somme de ses termes et
l'unité sera plus petite que toute quantité assignable, et pourra être
considérée comme nulle.
2* Dans la recherche^ du rapport du diamètre à la circonférence, on
suppose deux polygones, l'un inscrit et l'autre circonscrit au même
cercle. Il est facile de voir qu'en augmentant sans cesse le nombre des
côtés de chacun de ces polygones, leurs périmètres vont se rapprochant
toujours et tendent à se confondre. Or, ils ne peuvent se confondre
absolument qu'en se confondant avec la circonférence. Mais comme un
polygone d'un nombre fini de côtés n'est jamais une circonférence, on
dit qu'en portant ces mêmes polygones à un nombre infini de côtés ils
se confondront avec la circonférence. C'est-à dire, encore, que la diiTé-
rence pourra être considérée comme nulle. Car le nombre infini de côtés
d'un polygone n'est pas plus concevable que le nombre infini des termes
d'une progression de nombres.
3* Portez à rinfiai la progression : I, 2, 3, 4, 5, etc, puis la progression
i, 3, 5, 7, 9, etc. Comparez ensuite les nombres des termes de chacune
des progressions. Voici les questions qui se présentent. Le nombre des
termes sera-t-il le même ? Alors le dernier terme de la deuxième pro-
gression sera le double du dernier terme de la première. Ou bien les
deux derniers termes seront-ils égaux ? Alors le nombre des ternies de
la première sera le double de celui des termes de la deuxième. Cepen-
dant, par hypothèse, ces deux nombres sont infinis. Mais si Tune des
deux progressions a un nombre de termes double par rapport à Tautre
pourquoi ne pas pousser celle-ci jusqu'à un nombre égal? Et si les
nombres de termes étant égaux le dernier terme de l'une est double du
dernier terme de l'autre, pourquoi ne pas pousser celle-ci jusqu'à ce que
son dernier terme atteigne la première 1 Si on le fait, la première ques-
tion revient, et ainsi de suite. Mais, dit-on, les deux progressions sont
poussées jusqu'à l'infini, il n'y a donc plus rien à ajouter. Par définition
il n'y a plus rien à ajouter et par l'essence même des deux progressions
l'une est double de l'autre. Qu'est-ce donc que le nombre infini î Pou-
DE l'être contingent 203
vez-vous concevoir un point où le nombre des termes sera le même
pour les deux progrressions et où en même temps le dernier terme sera
le même pour les deux? N'est-ce pas là un cercle carré?
On le voit, l'idée de la quantité infinie n'est pas une idée déterminée.
Elle n'est pas identique à elle-même dans toutes les conditions; elle ne
permet pas à la raison de voir qu'elle doit s'arrêter et qu'il n'y a plus
rien à ajouter. C'est-à-dire, qu'elle est en effet l'idée de l'indéfini portée
au delà des limites de l'expérience finie. Si on cherche quelque chose de
plus on ne trouvera que l'absurde : un infini qui n'est pas infini.
Chapitre 2*
DE L'ÊTRE GONTINOEm*
71. Son essence. — L*étre contingent est celui qui peut ne pas
être, et, s'il peut ne pas être, c'est parce qu'il n'existe paa par lui-
môme.
72. Attribafs (métaphysiques) de l'être eontingent. — Pour
avoir les attributs, c'est-à-dire les caractères nécessaires de l'être
contingent, il suffit de prendre négativement toutes les propositions
qui affirment les attributs de l'être nécessaire.
L'être qui n'existe pas par lui-même n'est pas nécessaire, c'est
dire qu'il est contingent; il est fini ; il a un commencement ; il peut
changer, non dans son essence, ni dans ses attributs, mais dans seS
modes; le nombre des ôtrescontihgents possibles est indéfini ; l'être
contingent peut n'avoir aucune connaissance, mais il ne peut
tout connaître ; sa puissance est nécessairement limitée ; il ne peut
avoir la perfection absolue ; il peut très-bien ne pas exister et
n'être que possible ; s'il existe il peut n'être pas en acte de telle ou
telle chose qu'il a la puissance on la faculté de faire, et en tout cas
son acte est toigours uni à la puissance défaire au^re chose ou de
ne pas agir.
En dernière analyse et en résumé, l'être de l'être contingent est
un être précaire, qu'il tient d'un autre, qui ne subsiste que par
l'action de cet autre et qu'il peut perdre à chaque instant. Car
204 MÉTAPHYSIQUE
Teffet est simultané ft sa cause^ etTétre contingeDtest totalement
Teffet de Taetion de Tétre nécessaire. Si donc cette action oeœait,
l'être contingent n^existerait plus.
73. Dislmctioii des êtres contingents . — L*être contingent
peut être simple ou composé, substance ou accident. Nous prenons
ces notions des êti^s réels.
74. Attributs de l'être simple. — L*être simple est sans
étendue ; il n'occupe pas un lieu ; il est dans le temps, mais le
temps ne lui est peut-être pas essentiel ; enfin, il peut être doué
d'intelligence et de liberté. Toutes ces notions sont prises des êtres
réels et se trouvent d'accord avec la nature de Têtre simple.
75. Attributs de l'être composé. — L'être composé est natu-
rellement étendu, bien que peut-être l'étendue ne lui soit pas essen-
tielle ; en tous cas, son étendue n'est certainement pas déterminée
par son essence ; il occupe un lieu ; il est dans le temps, et le lien
et le temps paraissent lui être essentiels ; il ne saurait être doué
d'intelligence ni de liberté, car la pensée et la liberté ne peuveat
être l'acte de pinsiears éléments. C*est ce que nous démontrerons
en psychologie, quoique la démonstration soit métaphjsiqae.
76. Attributs de la substance. — La substance est Têtre
proprement dit ; elle est en elle-même, et elle demeure tandis que
ses modifications changent ; elle est le sujet des accidents ou modi-
fications ; c*e$t elle qui possède les propriétés ou les facultés et qni
agit. Elle peut d*ailleurs être simple ou composée.
77. Attribtots des accidents. — Les accidents ou modifica-
tions des substances ne sont rien en eux-mêmes, ils n'existent que
dans les substances ; ils varient très-facilement, au moiBs'qoelques-
uns, sous Taotion des autres substances, ou par l'action de la sabr
tance même qulls modifient ; ils donnent souvent des propriétés
aux substanoes qu'ils ttKïdifient, mais ils n'agissent pas eux-^nêmes.
78. Relations des êtres contingents. — Les relations des
êtres contingents sont innombrables, mais il nous faut en consi-
dérer particuiiêrement trois qui s(mt communes à tous et qui sont :
lé temps, Vespaçt et le moupentent.
DE l'être contingent 205
79. Le temps. — Le temps n'est pas une substance, car rien
de ce que nous en connaissons en nous le fait concevoir comme tel.
Les substances l'occupent sans qu'il disparaisse ; il est le même au
même instant dans tous les lieux et en dehors des lieux. Nous le
mesurons et nous ne lui trouvons qu'une seule dimension : la durée;
sans que pour cela il cesse de s'étendre à tous les lieux.
Il n'est donc qu'une durée ; mais la durée de quoi ? Il n'est pas
la durée de tel ou tel être en particulier ; il n'est pas sa durée à lui-
môme, car alors il serait une substance. N'est-il donc qu'une durée
abstraite ? Non, car nous le mesurons de tel instant & tel instant
comme une durée l'éelle. Il est donc la durée des choses qui durent,
c'est-à-dire des être contingents. Mais encore, en quoi consiste cette
durée ? Sans affirmer absolument ce qu'il est, gardons-nous d'affir-
mer autre chose que ce que nous en connaissons. ,0r nous n'en
connaissons que la longueur, et nous ne voyons pas autre chose en
lui. Et cette longueur ne nous est connue que par la succession des
faits. Disons donc qu'il n'est que la relation de succession des
faits,
Mais^ outre le temps des choses qui sont et qui durent nous con-
cevons encore, en dehors de tout être, le temps sans limite. Qu'estrce
que ce temps ? Il n'est plus la relation de succession des faits,' car
nous le concevons en dehors de tout fait et de toute relation. Par
la ppnsée, ôtons tous les faits qui se succèdent nous concevons
encore le temps dans lequel ils pourraient se succéder. Ce temps
est-il réel ? est-il infini? Non. Nous le concevons comme la possibi-
lité de faire succéder des faits ; ce n'est donc qu^une pure possibili-
té, qui en elle-même n'est que le néant. Inutile d'ajouter qu'il
n'est pas infini, car le néant, quoique sans, limite, ne peut être
appelé « infini. )i^ *
80. L'espace. — L'espace n'est pas une substance. Ce n'est
pas un esprit : personne n'en doute ; ce n'est pas un corps, puis*
qu'au contraire il faut de l'espace, c'est-à-dire, l'absence de tout
corps pour placer un corps. Nous le mesurons en partie et nous lui
trouvons trois dimensions. Il est le même dans tous les temps.
Nous en concevons une partie déterminée par l'ensemble des corps
et occupé par eux; mais nous concevons au delà nn espace sans
limite dans lequel on pourrait placer des corps indéfiniment.
L
/
206 MÉTiLPHTSIQUB
L'espace déterminé par les corps est naturellement fini et il nom
apparaît comme une simple relation de simultanéité des corps^
L'espace non occupé par des corps n'est que la possibilité d'en
mettre, et comme possibilité il est indéfini. Mais,nous le conceTOBS
actuellement sans limite, sans attendre les corps qui pourraieit
l'occuper, et nous concevons que les nouveaux corps le détennioe-
raient mais ne le créeraient pas. Cet espace ainsi conçu sans limite
n est pas d'une autre nature que celui que les corps déterminent :
il n'est donc pas une substance. Mais, il n'est pas non plus an aoei-
dent, puisqu'il n'y a pas de substance là où nous le concevons. Doue
c'est un pur néant. Et, de fait, que faut-il pour pouvoir placer
un corps ? Il faut qu'il n'y ait rien là où on veut le mettre. Il est
donc inutile de supposer quelque chose de réel pour recevoir les
corps. Il ne faut donc pas dire qu'il est infini. Car le néant n'est pas
infini, et comme possibilité, il ne peut être qu'indéfini.
On a donc tort de dire que les idées d'espace et de temps soient
des idées nécessaires. Car une idée nécessaire est l'idée d'un éii^
et quoique nous parlions tous du néant, nous n'en avons pas une
idée. Cependant l'idée de l'espace est une idée très-claire ; mais
eulement comme possibilité de placer des corps, et cette idée est
indéfinie. Au delà nous ne Concevons plus rien ; et s'il nons est
impossible de concevoir l'espace fini, il nous est impossible ansâ
de^le concevoir infini, (page 200, Corollaires,)
81. Le mouTement. — Le mouvement est un changement de
relation locale, correspondant à un temps donné. Pendant le mo»>
vement le corps occupe successivement tous les points de req[iaee
compris entre son point de départ et son point d'arrivée, et c'est
cette «W(?cw« on de relations locales d'um^orps, produite conjoin-
tement avec la sriccession de ses relations de temps^ qae Ton
appelle mouvement. Le corps est en mouvement tant que chaque
instant de la durée du temps le trouve à un point de l'espace diffè-
rent de celui de l'instant précédent.
82. Confirmation de cette triple théorie. — Supposons que
la durée comprise entre chacun des faits successifs auxquels nous
assistons vienne à être réduite de moitié, ou des 9[10, des 99[100
etc. ou augmentée respectivement jusqu'à être 10 fois 100 fois
DE l'être contingent 207
1000 fois plus grande ; qui de nous s'apercevra du changement ?
Supposons une modification semblable dans l'étendue de tous les
corps et dans l'espace qui les sépare ; nul de nous n*en aura connais-
sance. Supposons un changement semblable dans les lieux et les
temps et dans les mouvements : nous croirons que tous les mouve-
ments sont les mêmes. Donc ces trois choses : le temps, l'espace, le
mouvement, ne sont que des relations mesurées les unes par les
autres ; et, comme la seule idée que nous ayons de ces trois choses
c'est leur mesure, il s'en suit que nous n'en connaissons que la
mesure réciproque, et n'avons pas le droit d*en affirmer autre chose.
83. L'étendue. — Un autre attribut, ou du moins un caractère
constant des corps, que nous ne connaissons que sous forme de re-
lation c'est retendue. L'étendue appelle Tespace, comme l'espace
appelle Tétendue. Nous mesurons une étendue quelconque par une
autre étendue, et tout ce que nous voyons dans l'étendue c'est
qu'elle se mesure. Mais encore une fois supposons que les étendues
relatives de tous les corps fussent proportionnellement diminuées
jusqu'à Tinôniment petit, nous ne pourrions pas nous douter du
changement. Donc Tétendue aussi n'est qu'une relation, ou du
moins nous n'avons pas le droit d'en affirmer autre chose.
84. La résistance ou Fimpénétrabilité. — Nous ne connais-
sons l'étendue d'un corps que par l'étendue de sa résistance ou de
son impénétrabilité, et nous attribuons au corps lui-même ou à la
substance du corps cette étendue que nous devrions nous contenter
d'attribuer à sa résistance. Si donc la substance du corps avait une
étendue moindre que sa résistance, nous n'en saurions rien, et si
môme la substance d'un corps était simple et sa résistance étendue,
nous le croirions étendu tout de môme. C'est donc sans motif suffi-
sant que nous affirmons l'étendue des corps, elle pourrait n'exister
que dans leur résistance.
Cependant un fait constant nous autorise à juger que la subs-
tance d'un corps n'est pas, comme l'ont cru certains auteurs, une
seule et unique substance simple exerçant sa résistance dans une
certaine étendue. Non, car en divisant un corps en quelque point
que ce soit de lui-môme, il offre partout la même résistance Et ce
; fait nous autorise à conduire que tout corps est un composé d'élé-
208- mAtaphysiouk
ments dont la dimension, s'ils ea ont iine, est plus petite que toutes
celles que nous pouvons observer physiquement. Car si larésistaaee
demeure avec une étendue proportionnelle dans une partie quel-
conque d'un oorps, c est évidemment que cette petite portion du
corps contient une substance qui résiste, autrement la résistaBoe
serait un effet sans cause. Donc la substanee d'un corps qui se
divise est un composé de substances, et de plus la résistance de ces
substances n'a qu'une étendue inappréciable k nos sens.
85. Dmsibtiité de la matière. — Arrivés à ce point, il nous
reste à demander : 1^ si le nombre de ces substances élémentaires
qui composent un corps est déterminé ; 2^ si ces éléaie&ts ont une
étendue ou si ce sont des substances simples sans étendue. Poar
répondre à la première question, nous observerons que les éléments
qui (omposent les corps existent réellement; et que par conséquent
ils ne peuvent pas être en nombre indéfini, parce qme Tindéfim n'est
que possible; ni en nombre infini, parce que le nombre infini est
impossible. Ils sont donc en nombre déterminé.
La question ainsi posée, et nécessairement résolue, montre Fer.
reur de Descartes qui supposait la matière divisible indéfiniment,
ou & l'infini, comme il disait. En effet l'étendue abstraite est divi-
sible indéfiniment par la pensée ; mais les éléments composants
d'un corps ne sauraient être qu'en nombre déterminé.
Pour la deuxième question, nous observerons d'abord comme
nous l'avons déjà dit, que comme nous ne percevons Fétendae qae
de la résistance des corps et non de leur substance, rien ne nous
autorise à dire ni à supposer que la substance des corps soit éten-
due. Nous ajouterons à cela que si les éléments {H^emiers des cor]^
ont une étendue ils sont encore divisibles et que dès lors ils ne sont
pas les éléments premiers et composants, mais ils seraient eux-4nô-
mes des composés. Il ne reste donc qu'une condition, d'accord avec
l'expérience et une légitime induction, c'est que les éléments pi^
miers et composants dés corps sont des substances simples, san^
étendue.
86, Théories diverses sur la matière.-^ La question de la
nature, de la matière, de la composition des corps et, par suite, de
Iqut diviftibilité a occupé plus ou moins toutes les écoles de
sopbie.
DE l'être contingent 209
L'Ecole Ionique se partage à ce siyet en deux sens. Les uns,
appelés dynamistes, conçoivent une substance unique, d'une éten-
due infinie, douée d'une force intime, et qui, se transformant sans
cesse, produit tous les phénomènes du monde, ou bien plusieurs
substances douées d'une force propice et produisant les mômes effets.
Les autres appelés mécanistes, conçoivent un nombre infini de
corps infiniment petits, qui n'ayant aucune force par eux-mêmes,
sont mis en mouvement par une force étrangère, et pi*oduisent les
différents êtres, par les combinaisons de leurs mouvements et par
leurs agrégations diverses.
L'Ecole de Pjthagore ne voit dans la matière que des nombres
rangés harmoniquement, et la réalité du corps semble disparaître
sous cette conception abstraite de Tordre.
L*Bcole atomistique développe la doctrine mécanique et suppose
une infinité d*atomes, doués de propriétés essentielles diverses, et
animés d'un mouvement étemel dans le vide infini. Ces atomes,
sont étendus mais indivisibles.
Platon ((ui conçoit le monde comme disposé par Dieu d'après le
modèle des idées, suppose une matière préexistante ; mais, comme
il sent bien que le premier principe des choses doit être un, il dimi-
nue autant qu'il le peut l'importance de la niatière et en fait tantôt
un simple devenir^ tantôt une illusion et un .pur néant.
Aristote, quoique n'admettant pas en principe la théorie des idées
de Platon, son maître, conçoit cependant la spécification de chaque
être comme quelque chose déplus important que ce qui le fait tel
ou tel individu. Il distingue donc dans tout corps : la forme, prin-
cipe de toute son activité, de toute son opération et même de son
existence réelle, principe de sa spécification; et la matière, simple
passivité, simple capacité de recevoir telle ou telle forme, et ne pou-
vant exister, encore moins agir, par elle-même, mais individuali-
sant la forme et existant avec elle pour constituer tel corps. Pour
Ini l'étendue n'est qu*un accident du corps.
Epicure reprend la théorie des atomistiques et en particulier de
Démocrite, et développe la conception des atomes, qu'il s'efforce
de montrer comme étemels et impérissables, immuables dans
Leurs propriétés, animés d'un mouvement étemel et nécessaire, se
rencontrant par hasard, ou par une certaine spontanéité, mais
14
210 MÉTAPHYSIQUE
s'agrégeant ou ne s'agrégoant pas, ft rQ^ison de leurs propdétés.
Pour Zenon, chef des stoïciens, le monde n*est qa*niie machine
mise en mouvement par la pensée, sorte de feu intelUgeiity qui est
essentiellement actif, et produit par nécessité les évolutions qui
font naître et mourir les différents êtres. La pensée, ou raisoo, oa
force, est active, et pénétre et tend, comme cause nécessaire, laxna-
tiôre passive. Mais on ne sait ce qu'est cette matière
Les Scolastiques gardèrent religieusement la doctrine d'Âfistota,
et, comme lui, ils distinguent la forme et la matière^ sans now
dire mieux comment ils concevaient cette pore passivité, cette
simple possibilité de recevoir des formes.
Descartes distingue deux substances : Tesprit et la matière. L'es-
sence de l'esprit, c*est la pensée, active et libre ; l'esseDce de la
matière, c'est l'étendue, passive et inerte. Avec cette notion de la
matière, il devait, comme il l*a fait, la concevoir divisible indé-
finiment.
Leibnitz pose en principe une infinité de substances simples, ot
mieux de forces, toutes actives et spontanées, qu*il appelle moiui-
des, dont les unes ont des perceptions claires : ce sont les Ames; les
autres n'ont que des perceptions confuses : ce sont les éléments des
corps. Toutes d'ailleurs éprouvent des modifications paiement in-
ternes et prédéterminées d'une manière qui s'harmonise paifoits*
ment avec les modifications des autres.
Boscowich partant de la théorie de Leibnitz s'efforça d'exidi^i
comment un groupe d'éléments sans étendae peut former nu
étendu. Il attribue ce résultat à une double force. Les monadei,
ont, selon lui, une force d'attraction qui les rapproche jasqa*ft ce
que leur force de répulsion les empêche de se rapprocher davan-
tage. Ainsi s'explique l'étendue des corps.
De nos jours quelques auteurs, entre autres M' l'abbé Fatee.
ont essayé de donner une autre explication de Tétendne, toot en
gardant pour point de départ la simplicité ou la non^^tendne de
chacun des éléments des corps. C'est la théorie da dj/n€»ni4me.
Selon cette théorie, les éléments des corps sont aussi des îosccm
sans étendue, ce sont des points, mais des points réels et réeifltanlSL
Gela suffit, selon M' Fabre, pour qu'ils ne se compénètrent pua ^
ne se confondent pas, et pour que, en se touchant, ils eonstitiieal
cependant une étendue^
DB t-ÊTtllE CÔlkTIN'aBNT . 211
Il est difficile dé se prononcer nettement sur ttne pareille ques-
tion, mais nous croyons pouvoir donner comme certaines et
comme acquises ft la philosophie classique, les propositions sui-
vantes :
1^ Un corps est composé de plusieurs éléments.
3® Ces éléments sont des isubstances.
2f* Ces substances sont douées d'une activité physique, qni^ opé-
rant différents phénomènes, s'appelle attraction moléculaire^ affi-
nité ûhifiùque^ impénétrabilité.
4^ Ces substances sont sans étendue, et en nombre fini.
. b^ L'étendue des corps résulte de Tagrégation de ces subtances
simples.
kpT^ ces données qui nous paraissent certaines, peut-on aller
plus loin et expliquer le mode d'union des éléments siniples ? Aucun
des systèmes exposés ci-dessus ne nous paraît plausible. '
Toutefois, après ce que nous avons dit et démontré, deux systè-
mes seulement sont debout. L'explication de Boscowich et celle de
Monsieur l'abbé Fabre.
Or nous ne voyons pas le moyen de déterminer l'étendue formée
par deux points qui se touchent. On peut bien concevoir qu'un
point sans étendue ait deux faces, dans le sens d'une même ligne
droite, et par suite autant de faces que l'on voudra, dans tous les
sens ; mais entre ces deux faces, d'après l'hypothèse, il n'y a pas
d'étendue.
Si donc je place un nouvel élément de chaque côté du premier,
de manière & ce qu'ils le touchent tous les deux, il n'y aura aucune
distance entre ces deux éléments et par suite aucune étendue for-
mée par les trois.
Nous préférerions donc l'autre théorie qui suppose un vide entre
les éléments et explique ce vide par la résistance. On dira que
cette force de répulsion a besoin d'un milieu qui la transmette. On
peut répondre que ce milieu, c'est la force elle-même, conçue comme-
agissant en dehors d'elle-même & une distance minime. Quoi qu'il
en soit, nous ne donnons pas cette théorie comme classique, mais
simplement coname une explication qui nous paraît préférable aux
antres.
La plus récente théorie physique de la chaleur ; celle qui expli-
212 MÉTAPHYSIQUE
que la chaleur, la lumière et réiectricité, par le mouveinent molécu-
laire, pourrait aussi, fournir une autre explication de Fét^idse
formée par Tagrégation des éléments des corps. D'après cette théo-
rie, la chaleur est une vibration minime de toutes les molécules d*ca
corps : on pourrait peut-être dire de tous les éléments. Ainsi, dasi
un corps plus chaud, les éléments se tiennent, comme lésuh&t
dernier de leurs vibrations, à des distances plus grandes qoe da»
ce même corps moins chaud. C'est ainsi que la chaleur dilate ki
corps. Mais comme il y a toigours dans tout corps un certain degié
de chaleur, et que le froid absolu n'existe pas dans la nature, il
s'ensuit que dans tout corps les molécules sont en vibration pei^
tuelle et par suite se tiennent toigours & distance. Quand un ooip8
solide est dilaté par la chaleur, son étendue est augmentée ; ce n'est
que parce que les vibrations de ses molécules sont plus amples ; et
cependant il fait à nos sens la même impression d'étendue contUie
que lorsqu'il est moins chaud. Ce qui confirme parfaitement oetta
dernière explication de l'étendue.
PSYCHOLOGIE
gMriutSs
1. Objet. — Ea percevant des modiûcations nous en affirmons
le sujet que nous ne voyons pas. De mémey en percevant nos pro-
pres modifications nous nous affirmons nous-mômes nous disons
moi. Dans oe moi qui est l'homme, nous percevons d'abord le
corps, mais certaines modifications plus intimes nous forcent à
oonclure que ce qui dit: moiy est un être distinct du corps, invisible
mais actif, et en cela plus parfait que le corps qui n'est que passif.
C'est ce moi invisible que nous appelons Vdme, et c*est l'Ame qui
«t l'objet de la science appelée Psychologie.
D'autres sciences s'occupent de l'homme, mais elles le consid^
Tent à un autre point de vue. L'anatomie étudie la structure du
corps ; la physiologie étudie le corps en tant qu'il est vivant et en
examine les fonctions vitales ; la médecine en général l'étudié dans
les maladies et dans les moyens de lui rendre ou de lui conserver
la santé ; les sciences noologiques étudient telle ou telle opération
àe l'Ame ; la psychologie seule étudie l'Ame toute entière dans sa
nature, dans ses facultés et dans toutes ses opérations en général.
2. DéfinitioD. «- La psychologie bst la science db l'ame.
3. Méthode. — L'Ame est un ôtre réel, et les lois que Ton
Techerche en psychologie %ont les lois de l'Ame en tant qu'être réel.
Ces lois sont donc des lois physiques qui ne sont pas nécessaires
eu eUe»-mémes ; et que pour cela nous ne pourrions découvrir &
priori ; de plus ces lois sont forcément observées dans les phénomé-
214 PSYCHOLOaiB
nés naturels de VAme : nious pourrons donc les induire de la Bâton
de ces phénomènes. La méthode de la psychologie est doncla méthode
d'observation et d'induction ou la méthode analytique.
4. InBtmmeiit de e%¥m étud«. — Maii^ pouvons-nous obser-
ver les phénomènes de l'Ame ? Oui, et nous le pouvons mieax qœ
pour les phénomènes des corpsL Nous avons pour icela un instru-
ment plus immédiat que pour les corps. Cet instrument c^est la
Conscience. Nous avons conscience de nos modifications, dods
savons, nous percevons immédiatement ce qui se passe en nous, et
cette perception immédiate est au ,moins aussi certaine que la
perception des phénomènes des corps, qui suppose deux instru-
ments : la perception des sens et la conscience de cette perception.
Donc. Tobservation des phénomènes de TAme est plus immédiate et
au moins aussi certaine querobservation des phénomènes des corps.
5. Pmsion. — La méthode de la psychologie nous indique la
marche que nous avons à suivre dans cette étude. 11 nous faut d'a-
bord observer les phénomènes de l'Âme, qui sont toutes les modifi-
cations qu^elle éprouve et dont nous avons conscience ; Texistence
de ces modifications, qui sont des faits de Tâme, nous autoriserai
conclure que Tâme a la faculté de les produire, et par conséquent
la distinction des phénomènes nous fournira la distinction des hr.
cultes de l'âme ; et enfin la nature des facultés de l'Ame, qui soot
les caractères essentiels de TAme elle-même, nous permettra de
conclure A sa nature, que nous trouverons difi'érente de la nature
du corps,
Donc trois chapitres : 1*» Faits ou phénomènes de TAme ; 2* Fa-
cultés de l'Ame ; 3* Nature de TAme.
Chapitre !•'
FAITS OU PHÉNOMÈNES DE L'AME
6. Principe de cette, étude. — Les faits qui se produiseiit
en nous apparaissent mêlés, soit qu'ils viennent de TAme, soitqn*ik
viennent du corps, soit qu'ils soient par l'un et l'autre à la fois; mais
FAITS on PHÉNOMÈNES DE L'aMB 215
la conscience qui nous dit que ces faits sont les nôtres, nous avertit
I on même temps qu'ils sont de Tâme, qu'ils viennent de Tâme, quand
ils en viennent. En sorte qu'en percevant un fait qui se passe-en
nous, nouff en percevons le BtQei et la cause.
7. Triple sujet de nos modifications. — Parmi les modifi-
cations que nous éprouvons, les unes sont des modifications du
corps seul, d'autres sont des modifications du corps et de Tftme,
l'un par l'autre, et les autres des modifications de l'âme seule.
8. Faits 'ou modifications du corps seul. — Les faits qui
se produisent dans le corps seulement, sans que nous en ayons
conscience, comme la jcirculation du sang, la nutrition et le déve-
loppement du corps, ne sont pas du domaine de la psychologie.
9. Faits ou modifications du corps et de l'âme. — Les
faits de cette nature se groupent en deux séries bien distinctes. Les
ans vont du corps & l'Âme et s'appellent impressions ; les autres
vont de l'Ame au corps et s'appellent mouvements. Dans les uns et
dans les autres il faut distinguer l'élément corporel et l'élément
spirituel.
10. Élément corporel des impressions et des mouye-
ments. — Dans chacun de ces deux ordres de faits il se produit
en sens inverse, dans le corps, trois modifications connexes.
Dans les impressions il y a: 1^ impression sur l'organe corporel,
2* transmission le long des nerfs, 3^ impression sur le cerveau.
Dans les mouvements : 1® mouvement dans le cerveau 2^ transmis-
sion le long des nerfs, 3^ mouvements dans l'organe corporel.
11. ÉSlément spirituel des impressions et des mouve-
ments. — Dans les impressions, l'Âme est passive et reçoit, nous
ne savons comment, le contre-coup de l'impression faite sur le
cerveau.
Dans les mouvements, l'Âme est active et c'est elle qui imprimé
au cerveau le mouvement que les nerfs doivent communiquer aux
organes.
D'ailleurs, en quoi consiste pour l'Âme l'impression reçue ou le
mouvement donné? c'est ce que tout le monde sent, mais ce que
personne ne saurait dire. '
De même que nous ne savons guère comment s'établit cette
2\ô PSYCHOLOGIE
communication intime entre l'Ame et le corps. Noas reviendrons
sur cette question à la un de la psychologie.
12 Double nature des impressions. — Les impressions qas
notre corps reçoit des corps extérieurs ou de ses propres modifica-
tions se transmettent à r&me, comme nous venons de le dire, et j
produisent deux effets bien distincts.
La môme impression informe Tftme de la modification présente
de son corps et, en môme temps, lui fait éprouver une attraction
ou une répulsion. Par une môme impression reçue de son corps^
Tâme perçoit ce qui se passe dans son corps et elle en éprouve du
plaisir ou de la douleur. Ces deux phénomènes prennent les noms
de perception et de sensation.
Impressions, perceptions, sensations : ce sont là des mots que Ton a
souvent confondus en philosophie. Les anciens ne distinguaient ni dans
les mots ni dans Tidée les perceptions et les sensations. Les modernes distin.
guent généralement ces deux faits, et placent le premier dans l'ordre de
la connaissance, le second dans l'ordre de la sensibilité ; mais ils con-
fondent souvent les sensations avec les impressions, et considèrent les
sensations comme la cause des perceptions.
Il est vrai que souvent la sensation précède la perception ; il est vrai
aussi que bien des fois, c'est le plaisir que nous a procuré un objet, ou la
douleur que nous avons ressentie à son approche, qui nous entraîne à
l'étudier pour le mieux connaître ; mais tout cela ne fait pas que la
sensation, considérée comme plaisir ou douleur, soit la cause de la pez^
ceptlon. Et si l'on dit que la sensation n'est pas le plaisir ou la dou-
leur, mais qu'elle est accompagnée de plaisir ou de douleur, on sort du
langage reçu, et on emploie deux mots pour un ; car dans ce sens le
mot a sensation > est tout-à-falt Téqulvalent du mot c impression ».
C'est pourquoi, nous conformant au langage vulgaire nous appelons
sensation le plaisir lui-même ou la douleur ; perception rinformatioo
reçue par l'Âme, le premier fait de connaissance ; et impression le fait
général, la modification, soit du corps, soit de l'&me, qui informe rame
et en môme temps l'attire ou la repousse, lui plaît ou lui déplaît
13. Sensations. — On appelle sensation l'attraction ou la
répulsion que fait éprouver à TAme l'impression reçue par le corps.
L'attraction se traduit dans le langage vulgaire par le moiplaisir
et la répulsion par le mot douleur. Toute sensation est un plaisir
ou une doulenr.
FAITS on PHÉNOMÈNBB DB L'AMB 217
On s'est demandé 8*U y a des sensations indlflérentes. Nous ne tran-
cherons pas la question ; car nous concevons des Impressions faites sur
le corps qui ne font éprouver à l'àme ni plaisir ni douleur ; mais ces
impressions indifTérentes ne sont pas des sensations, selon le sens que
nous donnons à ce mot. C'est en ce sens que nous pouvons dire : toute
sensation est un plaisir ou une douleur. Et c'est pour exprimer autant
que possible la nature du plaisir et de la douleur que nous nous ser-
vons des mots Attraction et Répulsion. £n efifet l'àme est passive dans
la sensation, et le plaisir ou la àouleur ne sont pas un acte de sa part.
D'un autre côté, dans le plaisir, l'àme se sent appelée et entraînée en
quelque sorte à vouloir ce qui lui fait plaisir, tandis que dans la dou-
leur elle éprouve queljiue chose qui l'engage à fuir son impression et
l'objet qui la cause. Ainsi l'attraction que nous considérons comme
l'essence même de la sensation est une attraction morale. Elle est pro-
duite physiquement; elle agit physiquement aussi sur l'àme; mais cette
action n'entraîne pas l'àme forcément ; elle la laisse libre.
14. Pereeptions. — La perception est l'information que
l'âme reçoit des modifications qu'elle éprouve actuellement. Comme
cette information peat arriver à Tâme soit d'une modification qui
s'opère en elle, soit d'une modification de son corps, la perception
est interne on externe. Il ne s'agit ici que de la dernière, puisque
nous parlons des faits qui ont pour siget Tàme et le corps. La
perceptiofi externe est l'information que Tàme reçoit des impres-
sions de son corps.
Comme les anciens ne distinguaient pas les perceptions des sensations,
ils appelaient at^di^mc ou sensuLB, l'un et l'autre de ces deux phé-
nomènes, et c'est de là que vient le mot < sens » par lequel nous dési-
gnons encore la faculté multiple que nous avons de percevoir les phé-
nomènes des corps par cinq organes distincts.
Mais la difiérence entre les sensations et les perceptions est essen-
tielle et apparaît clairement dans les deux définitions que nous venons
de donner de ces deux sortes de faits. Elle apparaîtra mieux quand
nous parlerons des facultés d l'àme.
Les perceptions elles-mêmes sont de diflTérentes natures, selon les
objets perçus : couleur, son, odeur, saveur» résistance et chaleur ; elles
prennent différents noms, selon les organes qui leur servent d'instru-
ments : vision, audition, olfaction, dégustation, toucher.
15. Double nature des mouTemenf ■• •— Les mouvements
du corps qui viennent de l'âme, et dont l'âme a conscience, sont
218 PSTCHOLO0IE
instinctifs oa volontaires. Instinctifs ils ne sont connas de VAme
qu'après qu'ils ont été produits; volontaires ils sont connus d'avance
et môme ne sont produits que parce qu'ils sont connus. Les premiers
ne sont dirigés que par les lois physiques, au moins dans leur pro-
duction immédiate; les seconds sont en même temps régis par des
loiamoraies^ auxquelles ils doivent éice conformes.
Les mouvements instinctifs sont le résultat d'nne impression qui
affloflie r&iBe et qui vient ou de la sensation ou de la perception on
méfine d'une opération purement spirituelle.
n serait trop long d'énumérer seulement les diflTérentes espèces
de mouvements instinctifs ou volontaires. Ils sont d'ailleurs à peu
prôô les mômes dans les deux ordres. Cependant, dans les mouve-
ments instinctifs, il semble quelquefois que le corps obéisse mieux
à l'Ame, car il prend alors des modifications qu'on ne pourrait lui
faire prendre volontairement.
Quant aux mouvements physiologiques dont l'âme n'a pas con-
science, qu'ils viennent ou non de l'Ame, selon les différentes opi-
nions à ce sujet, nous n'avons pas à nous en occuper ici. Nous avons
cependant constaté, non par l'observation seule, mais par induction,
la transmission des impressions au cerveau et l'impression du cer-
veau, ainsi que les mouvements du cerveau et leur transmission le
long des nerfs, quoique ce soient des mouvements physiologiques
et inconscients.
16. Fait» ou modifioations de l'àme seule. — Lee faits de
cet ordre sont innombrablesydans leurs espèces, mais on les ramène
facilement, et par un court examen, à trois grandes classes, dans
lesquelles ils se groupent tous, et prennent les dénominations
communes de sentir, connaître, agir, ou de sentiments ^ connais-
sances, actes,
17. Faits désignés en conuaun par le net« SoMtir », os
sentinienÉs;
Tous: les €aits de cette classe se manifestent par une attraction
ou une réf^ulsion de l'âtoe. C'est là leur caractère distinctif et
peuirétre leur essence.
On déstinçoe dans oetta ring» : jouir et sonftiri aimer et^ haïr;
désira* eteraiadre.
FAITS OC PHÈNOMANBS DE l'aMB 2lO-
Jouir et Souffrir, Ces mots désignent Tattraotion et la répuMon
d^r&mepour son.étatactaejjiy quelle qu*en soit la cause. Â la
jouissance se rattachent la délectation, le plaisir, la gaieté, la
Joie, le contentement, VaUégresse, la satisfaction, la paico, le
bonheur. A la souffrance se rattachent ; la douleur, la peine^
Idktristessef Vennm, le trotthle, le malheur,
Aiif BR BT HàïR» Ces mots désignent Tattraction et la répulsion à»
Tâ^piiepoupun objet connu, qui pent être l'Ame elle-même. A l'amour
aetVdXisucbani: lts,s^mpathie, l'affection, le chérir, VanUtié, la
tendresse. A. la haine se rattachent : l'antipathie, Ihdétestaiion,
Yexécration.
Désxrerjbx Craindre. Ces-mots dé6igneBtl'«UFaetiontmlâ;réptil-
8i£>n de l'âme pour un objet» ou pour son état» à venir. Au désir se>
rattachent : l'aspiration, l'espoir, le regret t A la crainte se
rsiittaçhent. : la peur, l'effroi^ l'horreur, l'anœiété.
Toutes ces modifications de l'Ame prennent le nom commun de
sentiment et ont pour caractère générique Ta^^rac^ion on la répuU
sion. C'est pour cela que l'on dit souvent que tous les . sentiments
se.résument dansl'amour. Car la hainq d'un oljet n'eist que Famour
de son. contraire.
Ces sentiments prennent quelquefois des noms particuliers qui
en précisent l'objet ou le degré.
On oon$oit<en effet que, si le sentiment est une attraction de
l'Ame^ il a un objet et il comporte des degrés d'intensité différents.
Aiissi quand l'intensité d'un sentiment est telle qu'il enchaîne
TApae malgré sa raison, qui lui dicte le contraire, le sentiment prend
le nom àepassifon. Ce qui veut dire que l'Ame est passive d'une
attraction, lorsqu'elle devrait; être active et se mouvoir elle-même,
selon sa conscience et avec, liberté.
réduifmmt tQHS les^ sontimei^ à ramoor, quelques auteurs les ont
classée, aii^. P amour. de soi, 2^ amour de.ses semblaMes-jS^ amour
dej)î^i|. Si ;cefi;troîs sortes d^amour ne constituent pas tons/ lés
sentjup^^ts^ on peut dn*e an moins qu'ils sont des principes de tous
les Sk\xJLveSé Ce». trois amours sont logiquement et momlement
conim^^ m%isrhoamen'estpas tot^ours logique ni tot^'ours moral.
220 P8TCHOLOOIB
Aussi, il n*est pas rare de voir des hommes qui croient s'aimer
eux-méme, sans aimer Dieu ni leur semblables, et beaucoup qui
prétendent aimer leurs semblables, quand ils détestent Dieu.
D 'ailleurs, la plupart des hommes aiment Dieu d'un amour
naturel sans le connaître. Car il n'y a que les monstres qui hBSs-
sent le vrai, le beau et le bien : or le vrai, le beau et le bien c'est
Dieu ; non pas que nous disions, avec un auteur contemporain, dont
le nom et les écrits ont trop fait de bruit, que Dieu soit la catégorie
de l'idéal, mais nous disons avec tous les vrais philosophes, que
le vrai, le beau et le bien parfaits, tels que nous les concevons
tous, n*ont de réalité qu*en Dieu.
18. Faits désignés en commun par le mot ce connaitre »
ou connaissances. Les faits de cette classe ont pour fond com-
mun Vtnformation de l'âme par un objet. En quoi consiste physi-
quement cette information, c'est ce que nous ne saurions dire;
mais tous nous constatons le fait en nous-mêmes ; tous nous connais-
sons des objets et nous savons distinguer la connaissance du senti,
ment ou de l'action.
Nous avons suffisamment analysé en logique les faits de connais-
sance, et nous aurons h les étudier plus profondément avec les
facultés de l'Âme : nous ne ferons que les énumérer ici dans Tordre
naturel. Ces faits sont :
Lsk perception interne ou conscience ^ aidée de l'attention,
laquelle décompose les perceptions en les séparant, et ÎQVLmiiV absti^ac
tion^ ou bien les réunit en se portant sur plusieurs objets par la
comparaison^ et produit la généralisation. Le résultat de ce
travail fournit la conception ou le concevoir, dont les analogues
sont : imaginer, inventer, composer. A la conception vient aus-
sitôt se joindre V adhésion de Tàme : ou suspendue,^ dans le doiUe
et la défiance ; ou provisoire, dans Vhypothèse ou le stipposer,
dont les analogues sont : entrevoir^ deviner^ augurer,; ou enfin
absolue, dans le jugement, fait dont les analogues sont : affirmer^
être convaincu, comprendre j discerner, distinguer; puis le juge»
ment portant, non sur un fait isolé, mais sur l'identité logique de
deux jugements constitue le raisonnement, fait qui embrasse ceux
de conclure, induire, déduire. Tous ces faits, en se produisant
FAITS OU PHÉNOMÈNES DBL'AME 221
dans r&me y laissent une trace d^eux-mômes, une sorte de pli, qui
en appelle la reproduction, et comme, dans leur première pitMluc^
tion, ils étaient accompagnés de la conscience de leur existence
dans Tàme, ils se produisent avec cette môme conscience de leur
existence antérieure : c'est le souvenir ^ qui a pour synonjme se
rappeler et dont la privation s'appelle oublier. Les dispositions de
l'Âme, les habitudes intellectuelles, par lesquelles elle est toute
prête & se souvenir de telle ou telle conception antérieure^ consti-
tuent les idées acquises, dans lesquelles entrent toujours pour une
part les idées innées, dispositions intellectuelles qui nous sont
fournies par notre propre nature. Tout cela réuni ensemble et passé
à l'état d'habitude, c'est-à-dire, pouvant se produire facilement au
gré de l'âme, constitue le fait de savoir^ qui est proprement la
connaissance et dont la négation s'appelle ignorer.
Tels sont les faits de l'Âme qui se résument dans le mot connaître.
Quand ils se produisent en nous, nous en avons conscience : nous
pouvons donc les observer ; et c'est cette observation qui nous en
montre la génération mutuelle, telle que nous venons de la décrire.
'Si la nature intime de ces faits nous échappe, nous en savons
assez pour les distinguer les uns des autres et pour constater les
facultés qu'ils supposent dans l'Ame. C'est ce que nous ferons dans
le chapitre suivant, où nous aurons l'occasion de revoir chacun de
ces faits et de les soumettre à un plus long examen.
19. Faits désignés en commun par la mot « agir »,
Ott aotas. — Le caractère distinctif de ces faits, c'est que l'Ame y
est cause. Bans les sensations et les sentiments, l'Ame est passive ;
elle éprouve une attraction dont eUe n'est pas la cause. Dans les
faits de connaissance elle est passive aussi ; elle est informée par
un objet. Il est vrai que l'àme est en un sens cause de son infor-
mation, lorsqu'elle fait attention ; il est vrai aussi qu'elle est acti-^
ve encore lorsqu'elle juge, lorsqu'elle adhère à sa pensée ; mais
tout cela ne fait pas que le fait de connaissance, considéré en lui^
même, l'information de l'Ame, soit un acte, de sa part. L'acte se
distingue donc essentiellement de la connaissance et du senti-
ment, en ce que l'Ame y est cause.
L'Ame agit sur elle-même, sur son corps, et, par son corps, sur
les oorps extérieurs.
222 PSYCHOLOGIE
Les aetes sont on spontané^^ ou instinctifs, on Volontaires, oa
enfin libres. Mais ces conditions des actes de l'Ame ne s*excliient
pas matueilement, an contraire: Tacte instinctif est en même
temps spontané ; Tacte volontaire est toi^ours spontané, et 3 peat
ôtre et il est soavent, *en même temps, instinctif; Tacte libre est
toQJoars volontaire, et par suite il est tonjonrs spontané et petit
être instinctif.
L'acte de Tâme est spontané, en ce sens qu'il vient de Tâme
elle-même, sans qu'aucune forée étrangère le lui fasse produire.
Cette spontanéité de l'acte n*exclut cependant pas Taction de Tètre
nécessaire ft laquelle ne peut se soustraire aucun ôtre contingent.
C'est ainsi que les Latins disaient : sponte stui hoc fecit.
L'acte de l'âme est instinctif, lorsque Tâme en le produisant
est dirigée par une disposition préalable, une habitude, qui déter-
mine la forme de son acte, quoiqu'elle le fasse spontanément. Si
cette disposition est innée^ c'est Vinstinct proprement dit ; si la
disposition est acquise, c'est Vhabitude acquise. On pourrait donc
distinguer l'acte instinctif de Tacte habituel, ou mieux encore appe
1er l'un et l'autre acte hahitttel, car l'instinct est une habitude in-
&ée; tiotais l'usage a prévalu de dire ce acte instinctif ». SI l'ftme
•i;git ainsi, eaus avoir une conscience daire et distincte de son actet
l'acte est purement instinctif.
L'acte de l'Âme est volontaire, lorsque l'âme en le faisant sait
ce qu'elle fait et dirige elle^nôme actuellement son actoi d'après sa
connaissance. Si elle agit ainsi sans disposition préalaUe^ l'acte
est purement volontaire ; si elle suit en agissant la détermination
d'une habitude innée ou acquise, l'acte est tout à la fois insHncHf
et volontaire.
Si l'âme veut un acte et le produit cependant par une nécessité
de sa nature, son acte est volontaire et nécessaire. C'est ainsi
que nous voulons tous, de toutes les forces de notre âme^ et avec
une véritable volonté notre propre bonheur absolu, et que cepen-
dant il ne nous est pas possible de ne pas le vouloir. Nous exami-
nerons ailleurs cette question avec plus d'étendue.
Enfin l'acte de l'âme est libre^ quand elle le veut par son propre
choix* L'acte libre est le développement complet de toutes les
forces de l'âme. Il suppose la connaissance ; car l'âme ne eauraii
FAITS OU PHéNOMÂNES DE l'aMB 223
choisir son acte sans le connaitre; il suppose l'activité et Tactivité
la plus parfaite, Tacte spontané de Tâme qui agit d'elle-même sans
être paâsiye d'une force étrangère : l'Ame y^est réellement cause;
il ne suppose pas toujours mais il admet très-bien la sensa/tion et le
sentiment^ qui attirent l'Âme vers l'acte, sans la forcer; il admet
aussi l'instinct ou l'habitude acquise ; car on agit encore librement
en exerçant un arti que l'on ne peut exercer qu'avec l'habitude.
D'abord, par la connaissance^ Tàme est informée de l'acte à faire
et de la faculté c[u'elle a de le faire ou de s'abstenir, ^n moment
elle retient son acte et le juge : c'est la délibération, dani laquelle
r&me se possède et sent qu^elle est maîtresse d'elie-méme, où du
moins de soncMîte. Puis, tout d*nn coup, et saus qu'on puisse y voir
aucune autre cause que Tàme elle-même, elle choisit, elle se
résout, elle se détermine, elle veut et elle veut librement, et son
vouloir est accompagné du faire, qui comprend tous les actes de
l'Ame et toutes les actions du corps.
Voilà en résumé et dans tous ses éléments le fait qu'on appelle
agir.
20. Résumé et relations.4ea trois ordres de faits de l'Ame
Tous les faits de l'Ame se résument donc dans les mots sentir,
connaître, agir.
L'âme sent avant de connaître s'il s'agit des sensations, qui lui
viennent du corps ; mais elle n'éprouve des sentiments qu'après
avoir connu. Elle n'a conscience d'elle-même et de ce qui se passe
en elle qu'autant qu'il s'y passe quelque chose. Les premièfres
modifications qu'elle éprouve lui viennent du corp^. Elle commence
donc par les sensations et elle y répond par l'action instinotive;
viennent ensuite les perceptions sensibles, puis la connaissance
des objets ; dans ces objets connus l'Ame se plait : c'est le senU*
ment ; enfin elle dirige sa pensée sur ces objets, elle les recherche
ou les poursuit, par V instinct d'abord, par la volonté ensuite et
par les mouvements du corps : c'est Ya^te et Va/ition.
SENSATIONS, ACTIONS INSTINCTIVES, PERCEPTIONS SENSIBLES,
CONNAISSANCES, SENTIMENTS, et ACTIONS VOLONTAIRES : t^lc OSt
donc la relation des différents faits de l'Ame dans leur génération,
et l'ordre dans lequel ils se succèdent.
224 MÉTAPHYSIQUB
Et tous ces faits sont accompagnés de la conscience de leur exis-
tence ; et la conscience qui les atteste, les atteste au môme si^et
et comme se produisant dans le môme stget. C*est ainsi que TAme
a conscience d'elle-môme et de son identité, au milieu de la variéié
des faits qui la modifient.
TABUtAU nttUHANT LKt FAIT8 M UAM
SENTIR I ^^ ^^^^ ^^^® ^^'' Sensations.
- I par rame seule: Sentiments.
FAITS I
CONNAÎTRE. | ^ ^'^^ ^ ^^ ^^* ^^^^^1*^10^3 SBNSI BLES
^^ 1 ) par l'àme seule : Connaissances.
AGIR l p»r rime et le eorps: Actions.
* ( par Tàme seule : Actes.
CÛAPITRE 2«
FACULTÉS DE L'ÂME
21 . Principe de la question. — Tout fait qui se produit dans
le temps était possible avant sa production. Et si ce fait se produit
dans un sujet préexistant, la possibilité du fait était auparavant
dans ce suget.
Cette sorte de possibilité s'appelle j}ut&fane6 ou pouvoir.
Donc tout être qui éprouve dans le temps une modification avait
auparavant l2i,puiss(mce d'éprouver cette modification.
Si cette modification est purement passive de la part du s^jet,
elle suppose une puissance passive, que Ton appelle passivité et,
dans certains ordres, capacités
Si cette modification est active, elle peut l'ôtre k différents titres,
et la puissance d'agir diffôre comme son acte et prend différents
noms.
L*aote qui ne consiste que dans l'action mutuelle des corps inertes
est purement physique, et la puisf>ance de le produire s'appelle
propriété.
L'acte qui consiste dans un développement vital est phjsiologi-
FACULTÉS DE l'AMB 235
{
qae. et k^puissance de le prodpre a reçu ches plusiears auteurs le
nifvOiiQ fonction^
L|ac^ qui consiste dans t^ne détermination libre est moral, et la
pi^i^aiftpe de Iç produire s'appeUe /oet^zif^,
Çependfint^ pjq* extension, on donne le nom de facultés aux pui&-
8%{ices. par lesquelles un ôtre, d'ailleurs libre, produit certains actes
non,Ub||es, ou niôme éprouve des modifications passives, qù^^Ue
peut se procurer librement.
On donne aussi quelquefois ce nom aux puissances par lesquelles
les animaux font par inâtinct certains actes que nous faisons libre*
ment».
Dans ce sens général, nous pouvons donc poser ce principe : Les
actes de Tdme supposent là faculté dé lés produire, '
!$2, QfUinitioii de la faoulté- — Une facultéest donc, en princi-
pe, le pouvoir d'agir librement ; mais, pour notre àme, ce' mot
désigne tout pouvoir d'éprouver des modifications.
23. Détermination ou distinction des facultés de l'âme. —^
Les ' diàS^rènts pHénomônês dé Tàme supposent en elle différentes
facultés, et autant de facultés qu'il y a en elle de natures différentes
dans ses pl^énpmôi^es. Or les faitç dç l'âme se distjiqguent en troi#
clauses, de natures di^érentes *. Sentir, connaître et agir. De
ces trois faits, l'un ne saurait se confondre avec les autres.
Dans le premier, Tàiiie éprouvé une attraction ou une répul-
sion ; dans lé second, elle est informée d*un objet ; dans le troisiè-
me, eQé est eaui^ d'un effet.
Ces trois faits sont donc de nature différente et supposent dans
r^etrojiftfs^l^.
léf^m^ a <|one troi/3^fa^ul^9 : 1^ sensibilité, ou faculté d^ sentir ;
l'if^çW99f^!^ ou faculté de coanaître ; V/activité ou faculté, d'afgir,
n n'est aucune question sur laq*jelie la philosophie classique ait plus
vaif& <iue sûr tatiàtyse de l'àttie.'
. Userait ttop lon^ d'exposer ici tous les systèmes qui ont été successive-
meni àdmip^ dans le eotus des âges, pour distlmpuer dans PameMdif-
.féren^ fQci4té8 que supposent ses opérations.
Platon ne nous a pas donné directement son analyse de l'âme ; mal9
l'on peut voir» en compulsant ses divers écrits» qu'il considéi:alt d'abord
15
226 * PSYCHOLOGIE
l'àme comme une force se mouvant elle-même, iuto laûrb xivoùv :
c'est l'activité. Puis, sans distinguer le fait de sentir de celui
de connaître, il faisait remplir ce double rôle à trois facultés : la
raison, Xoyoc, qui est pour lui la faculté des idées et de l'amour de
l'idéal ; le cœur, ou quelque chose d'analogue, OTipi^,qui est la fa-
culté des notions et de l'amour mélangé ; le concupiscible, Tb èsciOu-
[jLYITUciv, qui est la faculté des sensations, c'est-à-dire, des pereqH
tiens sensibles et des appétits sensuels.
Selon Aristote l'àme est nutritive, sensitive, motrice appétitive et
rationnelle. On a prétendu à raison de cela qu'il distinguait cinq âmes.
Mais Aristote s'en explique assez nettement, quand il dit que 1 àme est
une forme, evreXéyeia, la forme substantielle du corps.
Les scolastîques après avoir distingué avec Aristote : l'àme nutriti^e^
l'àme sensitive et l'àme rationnelle, non pas pour en faire trois âmes,
comme on l*a prétendu, mais bien en a£Birmant clairement que la même
àme, simple, forme du corps (forma corporis), remplit tout à la fois
les fonctions végétatives, animales et rationnelles, distinguent dans
les sens et dans la raison une double opération appréhensive et appé-'
titive, en sorte que pour eux les facultés de l'àme sont : les sens^ la
raison, l'appétit sensitif, et Vappétit rationnel. Ces théories ne sont
que le commentaire d' Aristote.
Bossuet, fidèle témoin de la philosophie classique de son ten^», met-
tant à part les sens et l'appétit sensitif, distingue dans l'àme aïeule :
V entendement, la mémoire et la volonté.
Enfin, Victor Cousin a donné le premier, comme il le revendique,
l'analyse, qui est devenue classique et que nous avons acceptée et dé-
montrée, et d'après laquelle on distingue les facultés de l'àme en a^nat-
bilité, intelligence et activité,
— Ces trois facultés ne s'exercent pas séparément dans Tâmo;
elles ne sont pas quelque chose de distinot de l'âme ; elles ne sont
que Tàme elle-même pouvant sentir, oonnftître et agir. L'âne
éprouve une sensation, elle la connaît, et elle s'y livre oa la re-
pousse, instinctivement ou librement, mais toigoors par sa propre
activité. L'âme perçoit un objet, elle le connaît, elle éprouve pour
cet objet un sentiment, attraction ou répulsion, et enfin ^e m
porte vers cet objet ou s^en éloigne, non pas toi^joors conformé-
ment à son sentiment, mais par une détermination libre. Ainsi l'âme
exerce simultanément ses trois facultés.
FACULTÉS DE l'aME 237
24. Conditions générales des fSucultés de TAne. — Par
leur nature même, les facultés de l'Âme, ont toutes TAme pour
siget ; elles sont des puissances de Tàme, puisque c'est TÂme qui
peut sentir, connaître ou agir. Mais comme dans chacun de ces
faits, le corps entre souvent pour quelque chose, les mômes faits
supposent, outre les facultés de l'âme, certaines fonctions et cer-
tains organes, dans le corps, qui lui servent d'instruments pour
ces différents faits.
Aussi le corps possède les organes de la sensibilité, les organes
de Yintelligence et les organes de V activité ^ ou mieux les organes
des sensations, les organes des perceptions sensibles et les orga-
nes des actions.
Nous parlerons de ces différents organes en parlant de chaque
faculté en particulier.
Une autre condition commune à toutes les facultés de l'Âme et
dont nous devons parler dès à présent, c'est que TÂme, pouvant par
la même faculté faire plusieurs actes différents et les faire de plu-
sieurs manières, la répétition des mêmes actes, produits de la
même manière, lui laisse une disposition à les reproduire de la
même manière. Cette disposition constitue VhabittMie. Elle se for-
me dans l'Âme aussi bien que dans les organes du corps, par la
répétition des actes, en bien ou en mal, mais elle est la condition
indispensable de toute perfection dans les actes, à quelque faculté
qu'ils appartiennent.
25. Des habitudes. — Ce mot qui dans le sens vulgaire désigne
la répétition ordinaire des mêmes actes, et qui dans les ouvrages
modernes de philosophie, ne désigne que la disposition acquise par
la répétition des mêmes actes, avait dans les philosophies plus
anciennes une signification plus étendue. C'est ce que désignait ce
dernier sens que nous allons étudier.
Le mot Habitude, en latin habitus ou habittulo, a le jsens de
modtis se habendi. C'est la manière dont un être, doué d'ailleurs
d'une faculté, se trouve disposé aux actes de cette faculté. En sorte
que l'Âme qui par une seule de ses facultés peut faire plusieurs actes
et les faire de plusieurs manières, se trouve disposée par chaque
habitude à faire tel acte de telle manière. **
228 PSYCHOLOOIB
26. DMnitioii de l'habitude. — L'habitude est Udispositioa
d'une faculté a faire tel acte de telle manière.
Cette définition,confonneà Fétymologieet aa sensphiloM^faiqi»
du mot chez les anciens, n'impliqae pas Vidée de répétition des ado.
L'habitude peut venir d'une autre cause. En effet :
27. Division des habitudes. — On distingue les habitudes
naturelles ou innées, les habitudes infuses et les habitudes
acquises.
Tous les hommes ont naturellement les mêmes facultés^ niais
tous ne naissent pas avec les mômes dispositions à sW servir. Les
uns en usent naturellement avec plus de perfection que d'autres.
Cette difféi^ence native, dans des actes de môme espèce, ne vient
pas de la différence des facultés ; elle vient donc de certaines dis-
positions naturelles. De plus il y a des actes qui appartiennent &
certaines facultés et que nous faisons tous de la même manière, bien
que la faculté, par elle-même, permette de les faire différemment.
Nous avons donc pour ces actes une habitude naturelle commone à
iouB. Les halntîides naturelles sont donc communes h tous ou
propres à chacun.
Les instincts des animaux sont des habitudes naturelles, ooniMih
nés & tous les animaux d*une môme egpôce.
L'observation permet de constater que bien souvent un homme
qui jusque là n'avait aucune disposition & faire tel ou tel acte, trouve
tout à coup en lui cette disposition qui le lui fait faire parfaitement,
sans qu'il Tait jamais fait jusque là. Cette habitude li est donc ni
naturelle ni acquise par la répétition des actes: elle est infuse: Si on
en cherche la cause, on verra de suite qu'elle ne peut venir que de
l'action invisible d')in être supérieur, et d'ailleurs un examen
approfondi permet de constater qu'elle vient de Dieu. La théologie
distingue beaucoup d'habitudes infuses de l'ordre surnaturel ; mais
la philosophie, si elle s'en occupait pourrait en constater un plus
grand nombre de l'ordre naturel. Le génie, qui est une disposition à
inventer, à voir ce que personne n*a vu, ou à faire ce que personne
n'a fait, lie s'acquiert pas par la répétition des actes; il n'est pas
non plus naturel, car il n'est pas commun ft tous : il est donc infus.
C'est une inspiration qui se manifeste tout à coup, et qui sourënt
n'est que pour un temps ou môme pour un seul acte.
FACULTÉS DB L'AMB 229
'Bfiân lorsciQ'apeéf avoir répété plusieiirs fois un même acte,
. ayec tous les efforts nécessaires pour le perfectionner, on se trouve
disposé à le faire parfaitement, sans effort et toujours, c'est une
habitude acquit» par la répétition des actes.
28. Conditions dans lesquelles une habitude est néces-
saire. Si une faculté ne pouvait faire qu'un seul acte et d'une
seule maaiôre, ou s'en abstenir, comme, par exemple, la paupière
des yeux, qui ne peut que s'ouvrir ou se fermer, elle n'aurait pas
besoin d'habitude.
, Mais quand une f^x^ulté consiste dans le pouvoir de faire plu-
sieurs actes différents^ atteignant différents objets et les atteignant
de différentes manières, comme la main, qui est propre à tant d'actes
, divers, faits avec plus ou moins de perfection, une habitude est
nécessaire pour chaque acte et pour chaque manière de le faire,
si on veut pouvoir faire cet acte, de telle manière, avec facilité et
à son gré.
C'est ainsi que les facultés de l'âme se développent et se perfec-
tionnent par les habitudes. Et il en est de même de toutes les fonc-
tions des organes du corps. L'homme naît avec toutes ses facultés,
mais il ne parvient que peu à peu à les exercer toutes, & mesure
que les habitudes lui perniettent de faire tout ce qu'il peut.
D'où nous pouvons conclure cette loi générale : 'Téut acte pro-
duit facilement et toujours de la môme manière, par une faculté
qui peut le produire autrement, suppose une habitude. Ainsi toutes
les connaissances, tous les arts libéraux ou manuels, la parole, la
marche môme supposent pour chaque acte et pour la manière dont
nous le faisons une habitude acquise.
De plus tout phénomène qui se produit d'une manière constante
dans une Ame, et qui s'j produit en dehors des causes extérieures
seules qui sont de nature & l'y produire, n'est plus explicable par une
faculté. En effet, la faculté est une pure possibilité, et pour s'exer-
eer, elle suppose la présence de son objet. La main, par exemple, a
la faculté de saisir; mais elle ne saurait saisir le rien. Ainsi, la
y, sensibiKté-es^ )^ faculté d'étr^ attiré ; mais d'être attiré par quelque
• ebose; l'inteUigencees^la faculté d'être informé; mais d'ôtre in-
iformé. paç «qufilqne chose. Lors donc que l'âme est inforn^ée d'un
230 PSYCHOLOGIE
objet absent, aucune faculté ne saurait expliquer ce fait. La rai-
son suffisante de ce fait ne peut plus être la faculté d'être inf<»iDé,
elle est nécessairement dans une information préalable.
Donc le souvenir n*est pas le fruit d*une faculté spéciale^ mais
bien le résultat d'une ou de plusieurs informations précédentes» qui
ont laissé dans TAme une sorte de pli, une disposition à la même
information. Disons mieux, le souvenir est le fruit des informations
précédentes qui sont restées dans Tâme à l'état d^habitude. Donc le
souvenir suppose une habitude. Ainsi, dans un sens plus général,
tout phénomène constant et déterminé qui se produit dans notre
Ame sans le concours de ses pauses naturelles est le fruit d'une
habitude. Nous pourrions conclure de là que les conceptions néces-
saires, qui se produisent de la même manière chez les hommes,
sans qu'aucun de nous en ait jamais perçu Fobjet^ sont le fruit
d'une habitude naturelle et innée. C'est ce que nous démontrerons
plus loin.
29. Formation des habitudes acquises. Pour expliquer la
formation des habitudes acquises, dans TAme et dans le corps, on
n'a qu*à voir ce qui se passe dans une étoffe que l'on plie. Quand
on défait cette étoffe on y remarque une tendance à reprendre le
même pli, et cette tendance est d'autant plus grande, que le pli a
été donné plus'souvent et que l'impression a été plus profonde. Il
se passe dans l'Ame et dans le corps quelque chose d'analogue.
Chaque acte que nous faisons laisse dans TAme ou dans l'organe
qui lui a servi d'instrument quelque chose de la direction qu'il leur
a donnée, et, si le même acte se répète plusieurs fois, la direction
imprimée est telle que l'acte se reproduit souvent spontanément ou
plutôt instinctivement. C'est ainsi que se forment les caractères, et
les tempéraments, les connaissances de toutes sortes, les vertus et
les vices. De là vient l'expression âgurée qui nous fait dire dans
un sens moral : prendre un bon pli; prendre un mauvais pU,
Dans l'étude particulière de chacune des facultés, nous en étu-
dierons les différentes habitudes.
30. Conditions particulières de chaque faculté. Nous
allons maintenant parler de chaque faculté de l'Ame en particulier.
L'importance de cette matière nous oblige , jt la diviser en trois
articles.
{
Article I"
SENSIBILITÉ
31. Définitioii. La sensibilité est la faculté de sentir. Le fait
de sentir, étant double^ suppose une double faculté. En effet, nous
avons distingué les sensations et les sentiments.
32. Sensations et sentiments. Ces deux ordres de faitâ se
ressemblent P en ce qu'ils sont une attraction ou une répulsion de
l'Ame, un plaisir ou une peine, 2^ en ce qu'ils sont des modiûca-
tions dans lesquelles l'âme est passive, et non active, 3® en ce
qu'ils sont plus ou moins la source du bonbeur et du malheur.
Mais, ils diffèrent entre eux k trois autres points de vue. 1** Les
sentiments se produisent dans l'Âme seule, les sensations ont pouj*
siget l'âme et le corps^ et la modification de l'âme j [est produite
par une modification du corps; 2^ Les sentiments supposent leur
objet connu, les sensations se produisent avant la connaissance de
l'objet qui en est la cause ; S^ l'objet cause du sentiment est toigours
intellectael; l'objet cause de la sensation est tocgours corporel. En
effet la seule connaissance^de la beauté d'un objet nous le fait aimer,
et la connaissance de sa laideur nous le fait haïr; au lieu qu'il
faut le contact d'un corps pour procurer une sensation.
33. Division de la sensibilité. 11 y a donc deux sortes de
sensibilité. La sensibilité corporelle, appelée sensibilité physiqv^^
et la sensibilité intellectueUe appelée sensibilité morale. Nous
allons les étudier séparément après avoir dit quelques mots de la
nature et des conditions de la sensibilité en général.
34. Natnre de la sensibilité. La sensibilité, par elle-même,
n'est pas une faculté, elle n'est qu'une puissance passive ; car elle
n'est que la possibilité d'éprouver une attraction ou une répulsion.
Dans les faits que nous appelons sentir, ce n'est pas l'âme qui se
porte vers un objet ou s'en éloigne, ce serait là un acte, un fait de
l'activité ; mais elle est attirée ou repoussée par l'objet ; c'est un
fait où l'âme est passive.
Mais si l'on considère que l'âme, par son activité, peut se mettre
232 PSYCUOLOGIB
d'elle-même en contact avec les corps qui lui procurent telle oi
telle sensation, ou s'en éloigner, et que, si elle ne se donne pase»*
tièrement les pensées qui lui procurent tel ou tel sentiment, du
moins elle peut souvent les faire naître par différentes perceptions,
qu'elle se procure, on verra que, si TAme n'est pas active dans la
sensation ou dans le sentiment, elle peut du moins produire la cause
de la sensation ou du sentiment. Et dès lors on peut donner à la
sensibilité le nom de faculté.
35. Oonditioae de la seneiMfité. Les eonditions dans les-
quelles 8*exerce la sensibilité ne sont pas les mômès poar les deux
espèces de sensibilité. Nous en parlerons donc séparément^ en par-
lant de chacune d'elles.
Mais nous devons dire ici pour la sensibilité en général que
l"" Elle s'émonsse au lieu de s*aviverpar Téxercice. On sent mbins
vivement ce que Ton sent plus souvent. C'est la source de l'ennui,
de l'inconstance et de ce dégoût général de l'âme que Ton exprime
par les mots: être blasé. 2^ De plus la sensibilité est destinée k en-
traîner l'Ame à se porter vers un olyet ou à s'en éloigner ; mais
cette attraction fui s'exerce sur l'Âme par la sensibilité ne déter-
mine pas forcément la volonté. Celle-ci reste libre ordinaireitMAt.
Cependant on constate que dans certains cas la sensation on le
sentiment enchaînent Tintelligence sur un objet, et l'empêchent de
voir autre chose, ou bien ils bouleversent les fonctions oi^iâmqiiiBs,
an point que la pensée et la liberté en sont gênées et quelquefois
entièrement paralysées. C'est peut-être la cause la plus ordinaire de
la folie. Et les moments passagers de folie de ce genre ne sont pas
rares dans la vie d'un homme.
On peut se disposer à prévenir ces désordres en résistant aux
„ attraits de la sensibilité, et ne s'j livrant que conformément A la
raison.
Le fait qu'on appelle l'extase est un fait de sensibilité» dans
lequel l'Ame est tenue sous l'attrait d'un, sentiment ou même d'une
, sentt^tion, et no sent plus ni ne percoi^ jplus autre chose.; par suite
elle semble s'oublier elle-même, et devient incapable de tout acte
libre. ,
3^ Tout fait de sensibilité, toute attraction de l'Ame» affaiblit les
effets d'une autre attraction contraire, qui se produit sur elle en
!
BBNSÎBILXtÀ PHtSIQUE t88
même teinps, dt de plus paralyse plus ôu moins oa excite qh aote
d^ntelligence ou de volonté, selon qu'elle j est contiiait*ô ou Con-
forme.
j De là les luttes ou les faiblesses et les écarts de rfntdHg^ncé et
de la volonté, pour Un' très^^grand nombre dé cas.
4" Mais, à leur tour, les faits de sensibilité sont afibibli^ par les
faits coAtràii^ de llirtelligence et de la volonté. Comme dans Une
attention très-vive^ qui devient ce qu'on appelle rabstraHion, où
l'on ne sent plus les impressions extérieures. Et même cet allRsiiblis-
sèment est tel que Texercice bien dirigé peut faire acquérir à 1-âûie
l'habitude 8e mépriser tel ou tel sentiment, telle ou telle sensation,
Ibui point dé ne les éprouver presque plus.
Ces sortes d*habituâes donnent & T&me les caractères qu'on
appelle : fermeté, constance, courage, énergie. Et, si on a pris soin
de ne se livrer qu'aux attractions qui sont bonnes, on possède Tha-
Mtnde de n'aimer que ce qui est vraiment beau et digne d'amour.
Au 'contraire l'habitude de se livrer toigours à toutes les attrac-
tions qui se présentent, et de se laisser dominer par elles, consti-
tué les caractères mous, inconstants, timides et faibles. Et quand
les attractions que Ton subit souvent sont mauvaises, l'habitude
de n'y livrer ooùstitue la dégradation morale et rend capable de
toutes les ignominies.
il.- lIVSTIlLITi riTSIIIII
' '36/ âiMIlliiâoii.'--- Là Sensibilité physique est la ' fheulté
d'éprouver des sensations.
Dans la sensation l'Ame sent et ce qu'elle éprouve est causé
par' une impression sur les organes du corps. L'âme ne peut dono
éprdilver dés sensations qu^autani qu'elle a dans son corps des or-
' g:ahes' impressionnables dont l'impression lui est transmise.
37. lîlémêiDits de U àérîisitimté bttyiitqae. — La Sensibi-
lité ^tiysiquè suppose donc un do^lblééïéînent, l*un^îrKuel'ou
"psychologique et l'autre corpdrel.
284 P8TCH0L00JB
' L'élément corporel lui-môme est double aussi. Car, en vain les
organes fieraient impressionnés, si cette impression ne se isn^i»-
mettait pas à TAme: la sensation ne se produirait pas. La sensilô-
lité phjsiqne suppose donc dans le corps: l** des oi^anes extérienrs
capables de recevoir une impression: c'est l'élément purement phy-
sique; 2^, quelque chose qui transmet les impressions à un organe
plus intime où TÂme en éprouve les effets : c'est Télément physio-
logique. Ce dernier élément n*exisle que dans un corps vivant,
tandis que Télément purement physique demeure après la moit,
tant que Torgane n*est pas détruit.
38. Elément physique ou organes ejctemes de I« «easar
tion. — Les organes externes de la sensation sont les yenx^les
oreilles, le nez, la bouche et principalement toute la snrfaœ du
corps et môme dans certain cas tous les organes intérieurs du corps.
Chacun de ces divers organes est impressionné par différents ob-
jets qui lui sont propres^ et en reçoit une impression particulière.
Les yeux né sont faits que pour i*ecevoir l'impression de la lu-
mière, qui n'affecte aucun autre organe.
Les oreilles sont faites pour recevoir Timpression des vibrations
de l'air, qui n'affectent aucun autre organe.
Le nez reçoit l'impression des parfums qui s'échappent des objets;
les parfums n'affectent aucun autre organe.
La bouche comme organe de la sensation reçoit l'impression des
saveurs du corps ; ces saveurs n'affectent aucun autre organe.
Enûn toute la surface du corps, môme dans les organes déQk
nommés, reçoit l'impression de la résistance et de la chaleur d^
objets, et par suite de toute espèce de déchirement quelconque ou
de tiraillement. L'intérieur du corps ne reçoit guère que ces deux
dernières impressions.
$9. Elément physiologique. — A chaque organe et & tous
les points de la surface du corps viennent aboutir les extrémités du
système nerveux, qui se compose du cerveau uni à la moâle épi-
nière et d'un très-grand nombre de nerfs qui vont se ramifiant jus-
qu'aux extrémités du corps. Il y a des nerfs spéciaux, pour chacun
desorganes. Les nerfs et le système cérébro-spinal ne sont pas en-
core l'élément physiologique, mais ils en sont les organes. Quand
SENSIBILITÉ PHYSIQUE 235
l'organe externe est impressionné il se passe dans les nerfs quelque
chose d'analogue à un courant électrique, qui transmet au système
cérébro-spinal une impression corrélative à l'impression reçue par
l'organe. C'est cette transmission qui constitue l'élément physicy-
logique de la sensation, et la puissance passive que possèdent les
nerfs de transmettre l'impression constitue l'élément physiologique
de la sensibilité physique. Cette puissance ne réside que dans les
corps vivants, et la moindre perturbation dans le corps suffit sou-
vent pour en suspendre l'exercice du pour la détruire entièrement
Aussi il n'est pas rare de voir des hommes privés de la faculté
d'éprouver telle ou telle sensation dont l'organe est pourtant intact :
c'est la faculté physiologique qui manque.
Malgré les progrès incontestables de la physiologie dans ces derniers
temps, on n'est pas encore parvenu a établir d*une manière certaine le
mode de transmission de l'impression, de l'organe au cerveau.
Les anciens qui ont essayé d'expliquer Taction des corps sur Torgane
de la vue, par une émission perpétuelle de petites particules des corps,
n'Ont pas même cherché à aller plus l(^n que l'organe dans cette impres-
sion, et ceux qui admettaient, avec Aristote, que l'àme, étant la forme
substantielle du corps, est tout entière dans chacune de ses parties, sup-
posaient naturellement que l'âme reçoit l'impression dans l'organe
même.
Plus tard on admit entre l'âme et le corps un certain intermédiaire,
qui s appelait l'esprit (spiritus), et qui recevant les impressions du corps
lés transmettait â l'âme.
Les Cartésiens qui voyaient déjà que l'impression se communique des
organes au cerveau, par le moyen des nerfs, supposèrent dans les nerfs
une substance très substile qu'ils appelèrent les esprits animanœ
Après les découvertes modernes des effets de rélectricité, les esprits
animaux devinrent le fluide nerveux, le fluide vital. C'était toujours
au fond, sous des noms différents, la même explication.
Aujourd'hui, selon l'opinion la plus répandue il n*y aurait aucun fluide
dansies nerfs, mais ceux-ci agiraient mécaniiquement, pour transmet-
tre au cerveau les vibrations reçues par les organes; car il est à peu-
ples avéré que toutes les impressions organiques sont des vibrations.
Notis ne voyons pas. pour le moment, de raisons suffisantes, pour
adopter oomme expression de la vérité aucune de ces opinions.
40. Elément psychologique, ou sensibilité physique de
l'àme. — L'impression sur les organes et la transmission de cette
236 PSYCHOLOOIB
- impression au cerveau n'est pas encore la sensation. Poar qn*îl j
ait sensation il faut que Tâme éprouve quelque chose de riiiipT«9*
aion qui se fait sur le cerveau . C'est dans l'Ame que se produit k
sensation ; jusque là il n'y a qu'impression. Donc il j a dans FAme
une puissance passive qui lui permet de sentir, d'éprouver une sai-
sation^ agréable ou pénible, quand le cerveau est impressionné.
Cette puissance passive que nous avons appelée, avec tout le
mondOi faculté, en donnant les raisons de cette appellation,, est le
• principal élément de la sensibilité physique, ou plutôt c^est la ^e»-
sibilité physique elle-même, dont les organes, les nerfs, le sys-
tème cérébro-spinal, et la communication d'impressions qui se fait
des uns aux autres, ne sont que les instruments .
Ainsi la sensibilité physique est bien une faculté de Fâme, mais
une faculté qui n'est complète qu'en tant qu'elle est servie par on
eorps vivant. Dans ces conditions, l'Âme est capable d'éprouvé
des sensations, c'est-à-dire, des attractions ou des répulsions .cau-
--^sées directement par les difTérentes impressions que son corps
> Fe^it des autres corps ou de lui-même.
41. Objets de la sensibilité pbysique. — Les auteurs qui
n'ont vu dans la sensation qu'une impression^ ou bien un plaisir
' -Qifiititib peine ^ dont ils ne se sont pas rendu compte, ont cru que la
sensibilité n'a paéd^olget. Mais si le plaisir est une eOtraetian^ et
la peine une répulsion^ la sensation a un objet. Cet objet e*eit
ia^hoirà Vers laqa^le l'Ame est attirée, ou loin de laqo^le dile est
^pôUBSée. Examirions donc l'objet de la sensibilité physique.
L'objet immédiat de la sensibilité physique, c'est sans doute
l'état du cerveau, mais l'âme ne s'y arrête pas et va droit à l'or-
gane qui souffre une impression quelconque; et, comme la modi-
âoation éprouvée par le cerveau n'est qu'une sorte de. messager,
l'Ame ne fait aiteiAtioft qu'à l'impression de l'organe et n'a pas
• inêBie^onscienoe du reste. C'est par l'obs^vation et l'indoctioii
que l'on apaoonaaitre^ce qui s'j passe; Aussi on peut- dire que
rofajeik'deila^^ensatienr, c'est l'impreBsion reçue par les <tf)gamB.
De eet'éfij^ p¥«ml^ i* Ame passe presque «uflsiiôt A l'objet. ex-
tévieulv^^a ^ CMse de l'impressioi^ et pai? suite de la sensation ;
' mais e'esilà'iin phénomène de connaissance et non desonsation.
SENSIBILITÉ PHYSIQUE 237
Il est môme probable que l'attention que l'âme donne à Toi^ane
affecté, comme objet de sa sensation, est aussi un phénomène de
connaissance, et que la sensibilité ne va pas jusque là ; mais ce n'est
pas ainsi que nous l'apprécions tout d*abord. Nous croyons sentir
la lésion d*un organe et non pas seulement connaître par la sensar
tion que tel organe est lésé. S'il n'^en est pas ainsi, on peut expliquer
cette erreur commune par l'unité de l'Âme et par la simultanéité
d'opération de ses facultés.
42; But data, sensibilité piifsi^itte* — L'Ame éprouve un^
attraction ou une répulsion pour tel ou tel état de son corps, a^Q
qu'elle fasse plus facilement et surtout pour qu'elle, n'omette pas
certaixis actes qui sont nécessaires h la conservation de son qorps.
Sans les douleurs de la faim et les plaisirs du goût, l'homme, s'il
devait manger seulement par raison, s'en abstiendrait assez
souvent et assez longtemps pour mourir d'inanition* Il en est de
même .de toutes les autres espèces de besoins, et des sensations qui
s'jr rattachent.
Il n'en faudrait cependant pas conclure, avec les philosophes,
matérialistes que Thomme doit se laisser conduire entièrement par
ses sensations.
La sensibilité physique n'est pas la seule faculté de l'âme, et les
sensations ne sont pas ses seuls moniteurs. Au contraire,, c'est la
plus inûme des facultés, et, si l'homme n'en avait pas d'autre, il
ne serait en rien au dessus de la brute. Donc quand les attraits de
la sensation sont en contradiction avec les invitations des autres
facultés, l'âme ne doit plus s'en tenir & la 8ensii,tlon pour diriger
ses actes. L'intérêt môme du corps nous en fait souvent un devoir.
Les maladies et la mort sont souvent les^saitos^ d'uneitix^ grande
complaisance pour les attraits de la sensation^
43. Développement de la eeneibilité phjeiqu^. — La
sensibilité physique est celle d'entre toutes les facultés qui entre la
prenuôre en e;x:ercice. Elle n'exige aucune préparation, aucune
prédisposition naturelle ni acquise ; au contraire l'exercice l'émousse
an lieu de la développer. L^attraction qu'éprouve T&me poux; teUe ou,
telle impression de sea organes, n*est pas moîndi-e la première fois,
qu'après plusieurs, répétitions de la même i^pressLou ; aaconjbn^i^^
238 PSYCHOLOGIE
Cependant il se produit dans la sensibilité phjsiqae une sorte de
développement qui lui est propre et qui ne se rencontre pas dans
les autres facultés.
Les sensations répétées à peu de distance semblent s'sgouter ks
unes aux autres, en sorte que, bien que Tattraction on la répulsioo
soit moins puissante k mesure qu'elle se répète^ FÀme finit bientôt
par se fatiguer d'y résister et elle cède. C*est ainsi que la sensation
remporte souvent sur la raison et sur la volonté libre, qui sont
cependant des facultés bien autrement puissantes que la sensi-
bilité.
Mais si les mêmes sensations se répètent k d'assez longs inter-
valles pour qu'elles ne joignent pas leur action, l'Ame qui y a râsisté
finit bientôt par ne plus les éprouver, quoique la môme impresaioii
organique se reproduise.
C'est cette double condition' des sensations qui rend possible
l'acquisition de certaines habitudes relatives h la sensibilité.
43. Habitudes de la sensibilité pbjsique. — Quoique tons
les hommes possèdent la môme faculté de sentir, et généralement
les mêmes organes et les mêmes conditions physiologiques, oo
constate cependant des différences marquées entre les effets sensi-
bles qu'ils éprouvent des mômes causes. Ce qui plait beauooap à
l'un, plait moins ou môme répugne à l'autre. La faculté étant la
même, cette différence ne peut venir que des habitudes.
Parmi ces habitudes, les unes sont naturelles, les autres acqui-
ses. Il est certain qu'il j en a aussi d'infuses, mais cet examea
nous mènerait trop loin.
44. Habitudes naturelles. Les habitudes naturelles de la
sensibilité physique peuvent venir d'une disposition naturelle des
organes, ou d'une disposition naturelle de l'élément physiologi-
que, ou d'une disposition naturelle de l'âme. Les unes sont com-
munes à tous les hommes, comme la faim, la soif, le sommeU et
les autres appétits ou besoins du corps ; les autres sont propres à
chaque individu et portent le nom commun de tempéraments. Os
les appelle aussi quelquefois instincts ou inclinations. Mais il est
bon de réserver le nom d'inclinations pour les habitudes natnrd-
les de la sensibilité morale, et le nom d'instincts pour certaines
SENSIBILITÉ MORALE 239
habitudes naturelles de sensibilité physique des animaux. Les
différents tempéraments des hommes sont la source des différentes
sensations qu'ils éprouvent sous l'impression des mômes causes.
Les tempéraments sont bons ou mauvais selon les effets qu*ils
produisent. On répète souvent que les tempéraments ne se chan-
gent pas. C'est une erreur. On peut les améliorer ; et il faut le faire
autant qu'on le peut, sur soi-même et sur ceux qu'on élève.
45. Habitudes aequises. — Les habitudes acquises de la
sensibilité physique sont de deux sortes. Les unes sont négatives et
appartiennent en propre à la sensibilité, les autres sont positives et
tiennent plus à la volonté. Les premières sont un affaiblissement do
la faculté de sentir, pour telle ou telle sensation. Cet affaiblisse-
ment se produit sans volonté et presque sans conscience, par Ja
seule répétition des sensations. Il se produit aussi sous Teffort de
la volonté qui a résisté plusieurs fois à l'influence d'une même
sensation. La seconde espèce de ces habitudes n*estque la disposi-
tion constante à céder à telle sensation ou à toute sensation quel-
conque. Ces habitudes sont souvent le fruit d'une volonté faible qui
a souvent cédé à l'influence des sensations.
Les habitudes de la première espèce ne sont mauvaises que
quand elle nous privent de quelques sensations.utiles, et produisent
en général ou en particulier ce qu'on appelle l'insensibilité. Les
habitudes de la seconde espèce au contraire sont presque tocgours
mauvaises et nuisibles; elles ne sont bonnes que quand elles déve-
loppent en nous une sensibilité utile, comme par exemple la sen-
sibilité musicale, phonique, mimique, etc.
^8. -SINSIBILITllOIlLI
4Ô. DéfinitioB. -^ La sensibilité morale est la faculté d'éprou-
ver des sentiments.
Le sentiment est une attraction ou une répulsion de l'âme pour
un objet connu. Ce qui attire Tàme vers un objet c'est la perfection,
ce qui la repousse c'est TiiAperfection de cet objet La perfection,
prend alors le nom de beazUé et l'imperfisotion, le nom de laideur.
240 P9YCHpi.paiB^
Aiii8iiaci«^V3equLa^t sur l'Ame daos le sentixodut n'est plu,
oonotma dans la s^asi^Uoa^ ane jnodificatioa du corps ; c'est mie xb(h
diflcation de l'Ame» c'est une connaissance^
47. BAments de la sensibilité morals. — Le corps n'a
donc pas une action directe sur le sentiment, comme sur la sonsir
tion ; la sensibilité morale n'a donc pas d'élément corporel. ^^
est toute entière dans l'Ame.
Lasenaibitité.moraJie es(t une puissance pi^ivç 4e l'Am^ nisis
dont re;i:erci(9e est en grande partie soiis la direction de, ractirité.
En effet la connaissance d'un objet comme parfait ou imparfait
Kgii phyHquementmv TAme et y produit tel ou tel sentin^ent, (^m
l'Ame ne saurait éviter, dèçquelaconnaissance existe. Maisildépend
souyent de l'Ame de connaître un objet ou de ne pas le connaître
et souvent, il dépent d'elle aussi de le connaître comme beau oo
comme laid. Si cette connaissance est exacte le; sentiment le a&n>
aussi ; mais l'erreur dans la connaissance ne peut produire qu'as
sentiment faux.
I| est donc nécessaire jde distinguer "Un double élément dans la
sensibilité morale, 1^ la sensibilité elle-méiD^e, puissance passire
d'attraction ou de répulsion, 2^1aconnaissfaicejqui e^ ici rélémeot
actif du sentiment^ et qui peut être vraie ou fausse
« •
48. Objets de la sensibilité morale. ^- Ce qui attire l'Ane
ou la repousse dans le sentiment c'est l'objet connu : tout ol^et
connu peut donc être rx)bjet de la sensibilité morale. Mais il est &
remarquer que ce qui dans un objet attire l'Ame vers lui, e'eit la
beauté connue de cet objet. Il est donc vrai de dire qae Follet
universel de la sensibilité morale,c'est le 6^au,pour les attracUons»
et le laid^ pour les répulsions. Bt selon que les êtres connus se
montrent beaux ou laids, l'Ame les aime ou les fttit ; elle est
attirée ou repotistée.
On peut donc distinguer autant d'espèces d'objets, du. saatiip^^
que l'on peut distinguer d'espèces de beau ou de UûdL On dîitin*
fue d'abord le beau physique, bgique ou moral, selon qae la po^
feetion d'un être appartient A Tun de ces trois ordres. Qjiant aa
beau métaphysique qui est nécessaire ( Métajph. 50) ou peut diit
qu'il est la régie des trois autres. On TappeUe le beau i
SENSIBILITÉ MORALE 241
C'est par coinpai*aison à ce beau idéal, dont les caractères sont na-
turellement empreints dans la connaissanoe de rhomme. que nous
jugeons du beau dans les trois autres ordres.
49. Relations des sentiments entre eux. — On peut recon-
naître entre les sentiments les différentes relations possibles entre
les différents êtres : relations d'identité, d'analogie, de dépendance,
de génération, de connexion, et enfin de perfection.
Les sentiments sont plus ou moins semblables ou analogues entre
eux, selon la nature de leurs objets ; ils peuvent éti^e composés les
uns des autres ; ils s'engendrent les uns les autres; ils sont quelque-
fois nécessairement, ou logiquement, ou physiquement, ou morale-
ment unis^ quand ils ont la même cause : et enfin ils sont plus ou
moins parfaits, d'abord selon l'ordre auquel appartient leur objet,
et ensuite selon la perfection de leurs objets dans un même ordre.
Ainsi l'amour du beau idéal, est le plus parfait de tous, après
l'amour du beau réel parfait, qui est Dieu ; l'amour du beau moral
et l'amour du beau logique l'emportent sur. l'amour du beau phy-
sique, parce que ces différents ordres de beau sont plus parfaits.
De même, dans l'ordre physique, par exemple, le beau naturel
l'emporte sur le beaji artificiel, et parmi les productions des arts,
les unes l'emportent sur les autres en beauté, et l'amour que l'on en
a est d'autant plus parfait que l'objet est plus réellement beau.
50. But de la sensibilité morale. — L'âme éprouve une
attraction pour tout ce qui est parfait, afin qu'elle le recherche, et
qu'en se portant vers ces objets elle se perfectionne elle-même. La
sensibilité morale a donc pour but le perfectionnement de l'dme.
Elle a pour but de lui rendre plus faciles ses devoirs, qui tous doi-
vent la perfectionner.
Mais il faut avouer que la sensibilité obtient souvent un résul-
tat contraire. Les hommes éprouvent souvent de l'attrait pour ce
qui est imparfait, laid et mauvais, et de la répulsion pour ce qui
est beau et bon. Cette contradiction apparente vient de l'erreur.
Les objets n'attirent l'âme, qu'en tant qu'ils lui paraissent beaux;
et cette apparence est souvent fausse; l'âme est souvent dans
l'erreur. De là les sentiments faux.
16
242 PSYCHOLOGIE
51. Développement de la sensibilité morale. — La sen-
sibilité morale n'entre en exercice qu'après rintelligence, puisque
c'est la connaissance qui produit dans Tâme l'attraction appelée
sentiment. Et de plus le développement de la connaissance sert
en un sens au développement de la sensibilité ; car rattraction que
l'âme éprouve de la part d'un objet est d'autant plus grande qu'elle
le voit plus parfait. Voilà comment il y a des sentiments qui se
fortifient par Texercice et d'autres qui s'afifaibllssent à mesufe
qu'on les éprouve plus souvent. Le sentiment que l'on a pour nu
objet s'émousse peu à peu, si l'on ne découvre pas dans cet objet
de quoi le raviver ; à plus forte raison si la connaissance que Ton
en acquiert le montre moins beau ou moins laid qu'il n'avait para
tout d'abord.
Les sentiments exercent sur les autres facultés de l'âme et par-
ticulièrement sur l'activité une action analogue à celle des sensa-
tions, mais plus puissante. La volonté est pourtant libre d'j résis-
ter. Elle y résiste plus ou moins et c'est de là que viennent ks
habitudes acquises de la sensibilité morale.
52. Habitudes de'la sensibilité morale. — Bien que k
faculté d'éprouver des sentiments soit la môme pour tous, on
constate cependant que tous n'ont pas les mêmes sentiments pour
les mêmes objets. La principale source de ces différences vient sans
doute de la différence des connaissances que nous avons d'an
même objet. Mais on constate aussi, que lors même qu'un objet se
montre à deux hommes avec le même degré de beauté, ils n'éproo-
vent pas tous deux pour cet objet le même sentiment. La cause de
cette différence est alors dans les habitudes de la sensibilité morale.
Ces habitudes sont naturelles, infuses ou acquises.
Naturelles, elles sont ou communes à tous, comme Tam^ur du
beau en général, que personne n'a vu, et que tous nous conceTODS,
d'une certaine manière ; ou propres, comme les inclinations pour
tel ou tel ordre de beauté, qui se manifestent subitement^ à la
première vue d'un objet, ou les inclinations à la colère, à la pa»
tience, à la générosité, etc. L'ensemble de ces inclinations naturelles
semble venir du tempérament et s'appelle le caractère d'un
homme.
SENSIBILITÉ MORALB 243
Les habitudes infuses de la sensibilité morale sont^bien connues
des théologiens, dans Tordre surnaturel ; mais la philosophie a
négligé jusqu'à'ce jour celles qui sont de l'ordre naturel.
On peut cependant constater les unes et les autres. Il n'est pas
rare de voir un homme, jusque là adonné au vice et plein de
mauvais sentiments habituels^ se trouver tout d'un coup trans-
formé, et n'aimer plus que ce qui est bien, dès qu'il a voulu deve-
nir religieux. Et dans un. autre ordre, on voit aussi une certaine
direction de sentiments, par exemple, la passion de l'art, de la
science, etc, se manifester tout d'un coup, et persévérer chez un
homme qui n'avait eu jusque là que des sentiments contraires.
Enfin Tàme en cédant souvent à un sentiment, ou en y résistant
toigours, avec ou sans réflexion, librement ou spontanément
acquiert des habitudes de sentiments, par lesquelles elle se trouve
disposée à avoir tel ou tel sentiment plutôt que tel autre. Ce sont
là les habitudes acquises de la sensibilité morale. Ces habitudes
sonttrôs-nombreuses. Onles appelle inclinations qvl penchants.
On les divise d'après leurs objets. Elles sont toutes comprises dans
Tamourde soi, l'amour de ses semblables et l'amour de Dieu. Dans
Tamonr de soi on trouve : Tamour propre, Torgueil, la vanité, la
suffisance, Tégoïsme, etc, etc. Dans l'amour de ses semblables ; la
générosité, la miséricorde, la piété, ]a clémence, etc, avec leurs
contraires : l'esprit de vengeaDce, la cruauté, etc. Dans l'amour de
Dieu : la piété, la religion, la charité et enfin le mobile de toutes
les vertus.
53. Le goût. — Quand les habitudes du sentiment ont pour
objet le beau idéal dans les œuvi*es d'art on les appelle le goût. Ces
sortes de sentiments, qui ont leur principe dans l'amour abstrait de
Dieu, sont tout à la fois un amour de soi, un amour de ses seinbla-
blés et un amour de Dieu, dans leurs résultats. Le goût est
l'amour habituel du beau idéal. Cette habitude est en partie innée
en partie acquise. Elle se développe et se perfectionne avec Tidée
du beau, qui va sans cesse grandissant à mesure que nous voyons
des objets qui dépassent ou atteignent seulement notre idéal pré •
cèdent.
56. Les passions. — Quand l'habitude d'un sentiment quel-
conque est assez puissante pour faire une certaine violence à la
244 PSYCHOLOGIE
volonté^ on rappelle pa^^/on. Les passions se distingaeni aussi
par leurs objets. Les principales sont : l'orgueil, Tambition, Tara-
rice.
Les habitudes de sensations, quand elles sont violentes, prenait
aussi le nom de passion ; c'est ainsi que Ton dit : la passion delà
volupté, ou la passion de Tivrogneri/B.
Quelquefois aussi on donne le nom de passion à un sentiment
passager mais violent. Dans ce sens, la joie et la tristesse,
l'amour et la haine, le désir et la crainte, la colère, sont les prin-
cipales passions.
La distinction classique des passions, d'après Aristote, saint
Thomas et Bossuet est celle-ci : l'amour et la haine y le désir ei h
fuite, là, joie et la tristesse, qui tiennent à ce que ces aatenrs
appellent la puissance concupiscible de l'Ame; fespérance et le
désespoir, la crainte et l'audace et enfin la colère, qui tiennent à
la puissance qu'ils appellent irascible. Mais ici le mot « passion »
n'a pas exactement le sens moderne ; il signifie plutôt les diverses
formes des puissances passives de l'âme, selon leurs différents
objets.
56. Conséquences des sentiments. — Comme le sentiment
porte sur un objet connu, il n'est pas nécessaire que l'objet soit
présent pour que l'âme l'éprouve. t)ès lors le sentiment d'amour on
de plaisir que l'âme éprouverait en présence de l'objet, s^appelle
désir, quand l'objet est absent. Quand le désir est violent, il prend
le nom de besoin et constitue une passion très-violento. Mais cette
passion s'apaise en se transformant en amour, en joie ou en plaisir,
dès que l'âme entre en possession de l'objet. Souvent même ÎI se
produit une sorte de réaction ; car Fobjet possédé n'est pas toujours
tel qu'on le connaissait ; l'âme se rassasie d'en jouir et bientôt
môme elle" éprouve du dégoiXi.. Le dégoût n'est pas une répulsion:
c'est plutôt l'absence d'attraction.
Mais quand l'objet possède réellement tout ce que Tâme y avait
vu^ quand la possession de l'objet ne fait pas cesser ni diminuer
l'attraction qu'il exerce sur l'âme, alors la possession de Tobjet
produit la satis faction ^ qui atteignant son dernier terme 8*appei1e
le ^on^^ur.
SENSIBILITÂ MORALE 245
57, Du bonheur. — Le bonheur est la satisfaction absolue de
Y Ame. Il suppose un objet qui exerce sur elle une attraction abso-
lue et complète ; il suppose que cet objet est possédé et que sa
possession ne diminue en rien Fattraction que Tâme en éprouve.
Alors il n'y a ni rassasiement ni dégoût ; il n'y a pas non plus le
besoin ni le désir, qui, appelant Vùme ailleurs que là où elle est,
Tempéchent de jouir de ce qu'elle possède. Ainsi le bonheur ren*
ferme la paix, la joie et l'amour, sans m^nge de sentiment con-
traire. C'est la satisfaction absolue
58. Source du bonheur. — Puisque le bonheur consiste dans
une attraction de l'âme, il faut que la cause du bonheur soit un
objet qui l'attire absolument et dont la possession ne la rassasie
jamais. Cet objet ne peut-être que le beau absolu,, la réalité
subsistante de ce beau idéal, source de tous nos sentiments. Pour
être heureuse, l'âme a donc besoin de posséder ce beau absolu, qui
sera le vrai absolu pour son intelligence, le bien absolu pour sa
volonté ; qui rendra parfait le développement de toutes ses facultés,
en leur faisant produire tout ce qu'elles peuvent produire d'acte.
Cet objet ne peut être que Dieu : l'âme ne sera donc heureuse que
par la possession de Dieu.
Mais outre ce bonheur absolu, l'âme peut posséder une plus ou
moins grande somme de bonheur, d'un bonheur relatif. Or ce
bonheur ne peut être d'une autre nature que le bonheur absolu ; il
doit donc encore avoir pour objet une certaine somme de vrai, de
beau et de bien, qui développe également les facultés de l'âme.
Les richesses, les honneurs, la puissance, les plaisirs , ne sauraient
tenir longtemps l'âme sous leurs attraits sans la rassasier, parce
qu'ils donnent moins qu'ils ne promettent, et surtout ils ne
sauraient tenir l'âme âlabri des désirs d'autres objets, parce qu'ils
ne sont pasles plus beaux. Ainsi, lors môme qu'il s'agit d'un bonheur
temporel, la source n'en peut être que dans le développement ré-
gulier des facultés de l'âme, dans la possession relative du vrai, du
beau et du bien, et cette possession ne peut exister que par une
certaine possession de Dieu, qui est le vrai, le beau et le bien réel
et absolu, qui donne à toutes nos facultés leur entier développe-
ment, qui seul met un juste équilibre dans les opérations de nos
facultés en nous faisant pratiquer toutes les vertus, qui seul donne
la vraie joie à l'âme et remplit notre cœur sans jamais le rassasier.
246 PSTCHOLOOIB
59. Du mailieiir. — Le malheur qui est le contraire du
bonheur doit être la privation de ce qui constitue le bonheur. Il est
donc absolu, quand TAme n'a ni paix, ni joie» ni amour, ni même
Tespérance de les posséder. C'est la répulsion absolue et uni ver&ellef
sans attraction pour rien. 11 n'j reste pas môme le désir ; car le
désir est une attraction. Mais il y reste le besoin inné de l'Ame
pour les attractions qu'elle n'éprouve pas. C'est le désordre complet,
la tristesse perpétuelle,^a haine absolue. Le malheur relatif, qui
laisse subsister une certaine somme de joie ou d'amour, ou ao moins
de désir et d'espérance, est la conséquence d'un développement
irrégulier des facultés, où Tobjet du sentiment n*est pas le beaa,
parce qu*il n'est pas le vrai, ou parce qu'il n'est pas le bien. Ce beao
apparent attire l'Âme tant qu'elle ne le possède pas, et elle souffre
de ne pas l'avoir ; et quand elle l'a, elle souffre encore, parce qu'il
ne la satisfait pas, et lui fait désirer autre chose en ne lai donnant
que le dégoût.
Article 2"*'
INTELLl&ENOB
60. Définition. — L'intelligence est la faculté de connaître.
C'est le pouvoir que l'Âme possède d'être informée d'un objet quel*
conque.
61. Nature de l'intelligence. — Par elle-même, Tintelligen-
ce est, comme la sensibilité, une puissance passive, puisqu'elle
n'est pas la possibilité d'agir, mais la possibilité d'être informé.
Cependant, bien mieux que la sensibilité, l'intelligence mérite le
nom de faculté, en ce que l'âme^ grâce aux premières connaissan-
ces, qui se forment en elle, sans qu'elle les cherche, peut employer
son activité et l'emploie en effet, à se procurer de nouvelles
connaissances .
Ainsi rintelligence est une puissance passive que l'Ame emploie,
à son gré, par son activité, de telle sorte que les connaissances de
l'Ame sont presque toutes volontaires.
INTELLIGENCE 247
C'est encore parce que Tintelligence est au service de Tactivité,
que Tâme peut concentrer sa pensée sur un seul objet, ou la répan-
dre sur plusieurs à la fois. L'âme se renferme ainsi dans une infor-
mation unique, ou s*entour^e de plusieurs à la fois.
C'est ce double mode d'opération séparé ou associé, qui engen-
dre toutes les différentes opérations intellectuelles de Târae.
62. Conditions de F intelligence. — La pensée est l'exercice
de l'intelligence. Mais la pensée est une information de l'âpie par
un objet. Elle suppose donc un objet qui agit sur Tâme. Si donc
l'objet de la pensée est une modiûcation de Tâme, l'information se
fait immédiatement et sûrement. Si au contraire l'objet est un corps,
il ne peut informer l'âiîie que par les effets qu'il produit dans le
corps auquel l'âme est unie. Alors Tâme est informée des modifica-
tions de son corps, et par là-môme de l'action et des propriétés de
l'objet qui a causé ces modiâcations.
Cependant, il arrive souvent que l'âme, ayant été informée an-
térieurement d'un objet, se retrouve dans cette môme information,
sans que l'objet agisse présentement, ni sur elle, ni sur son corps.
L'âme pense ainsi à un objet absent, elle le revoit tel qu'elle l'a vu.
Cette information est alors Teffet d'une disposition laissée dans l'âme
par l'action antérieure de Tobjet ; disposition par laquelle la môme
information se reproduit spontanément, ou sous l'influence d'un
autre objet, dont l'action sur l'âme est analogue. Cette disposition
n'est autre chose que ce que nous avons appelé précédemment une
habitude (28).
63. Habitudes intellectuelles. — 11 y a donc dans Fâme des
habitudes intellectuelles, comme il y a des habitudes de sensibilité.
Pour dire en quoi elles consistent, il faudrait savoir en quoi consis-
te ce phénomène que nous appelons information de l'âme ; pour cela
il faudrait savoir ce qu*est l'âme elle-même, Tont ce que nous
pouvons en dire c'est qu'elles sont une prédisposition â telle ou telle
information, et que grâce à elles la môme information se reproduit
dans l'âme, sous Tinfluence d'un objet semblable ou analogue, et
môme spontanément.
Mais si nous ne savons pas ce que sont les habitudes dans leur
nature réelle, nous savons très bien de quelle importa,nce elles sont
248 PSYCHOLOOIB
pour la pensée. Les habitudes intellectuelles sont dans leur ensem-
ble^ chez un homme, ce que nous appelons les connaissances de œt
homme ; ce sont ses idées, ses jugements habituels ; elles sont tout
ce qu'il possède de vérités et d'erreurs ; elles sont, en un mot, le
développement de Tintelligence.
64. Développemnt de F intelligence. — Le développement
d'une intelligence ne consiste pas dans un accroissement de la
faculté. La faculté proprement dite ne se développe pas. La possi-
bilité de recevoir une information quelconque, n'est pas suscepti-
ble d'accroissement, ni de diminution. Donc le développement de
Tintelligence ne peut consister que dans une certaine facilité on
promptitude h i^cevoir un plus ou moins grand nombre d'informa-
tions. Or ce sont les habitudes intellectuelles qui donnent cette
facilité et cette promptitude.
Le développement de l'intelligence se produit encore dans un
autre sens par les habitudes. Une multitude d'objets capables
d'informer l'âme, n'étant que des relations d'autres objets ne peu vent
être saisis par [l'âme et l'informer, qu'autant qu'elle est déjà
informée de ces mômes objets entre lesquels existent les relations.
C'est ainsi qu'un certain nombre de connaissances préalables en
rend possible, beaucoup d'autres, impossibles sans les premières-
En ce sens encore les habitudes intellectuelles développent l'intelli-
gence.
65. Des degrés de l'intelligence. — Tous les hommes ont
Tintelligence, mais tous ne l'ont pas au môme degré, en ce sens que
tous ne sont pas aptes à saisir avec la môme facilité ni avec la
môme perfection une pensée. L'intelligence est plus ou moins
ouverte, plus ou moins prompte, plus ou moins profonde, selon que
l'âme reçoit plus ou moins facilement ou pi\)mptenâent une informa-
tion, et selon que cette information embrasse plus ou moins com-
plètement les éléments intimes d'un objet. En d'autres termes, une
intelligence est d'autant plus parfaite qu'elle comprend mieux les
objets.
Or, comprendre, c'est ôtre informé d'un objet et de tout ce qu'il
est. 11 est évident que la compréhension absolue nous est impossi-
ble puisque nous ne percevons pasles substances. Notre compréhen-
INTELLI0BNCB 249
sion est parement abstraite ; noas ne voyons les éléments des choses
que d'une manière abstraite. Donc, pour nous, comprendre an
objet, c'est faire toutes les abstractions nécessaires pour en conce-
voir tous les éléments. Une intelligence humaine est donc d'autant
plus parfaite qu'elle fait plus promptement, plus sûrement et plus
entièrement, les abstractions nécessaires pour concevoir les éléments
d'un objet.
Les degrés de Tintelligence consistent donc dans le plus ou moins
de facilité d'abstraction.
Cette facilité est évidemment augmentée par les habitudes
intellectuelles acquises.
'Mais ce n'est pas tout. On peut constater qu'avec la même
expérience, deux hommes n'ont pas le même degré d*intelligence ;
et cette différence se voit môme dans la plus tendre enfance. 11 y a
donc des degrés d'inteUigenoe qui sont innés.
Ces degrés sont-ils dans la faculté elle-même? Non. L'informa-
bilité de l'âme est toiyonrs l'informabilité. Mais une âme peat être
naturellement disposée à telle ou telle information, ou même mieux
disposée qu'une autre à tonte information. Ce sont là des habitu-
des innées. Ces habitudes semblent reposer le plus souvent sur le
tempérament, qui est comme l'habitude naturelle du corps en
général, et qui, par làmême.rend les organes plus ou moins délicats
et la transmission des impressions plus ou moins vive et facile.
Mais ces mêmes habitudes peuvent reposer aussi sur Yé.me elle-
même.
Donc les divers degrés de Tintelligence ne sont que des habitudes
intellectuelles innées ou acquises, ou même infuses ; car il est des
intelligences primitivement bornées qui s'ouvrent tout d'un coup.
60. Eléments de l'intelligence. — Les objets qui peuvent
informer l'âme intelligente sont de deux natures bien distinctes .
Les uns sont des corps ou des faits corporels, les autres, des faits
qui se produisent dans l'âme elle-même. L'information ne peut
atteindre l'âme de la même manière dans les deux cas. Les faits
qui se passent en elle-même, qui sont ses propres modifications
Fâme les saisit immédiatement ; ils ne peuvent se produire sans
qu'elle en soit informée. Mais pour les faits qui se passent dans
spn corps ou dans les autres corps, il faut, pour qu'elle en soit
tSO PSYCHOLOGIE
informée, qu'elle puisse ôtre informée par quelque moyen de ce
qui se passe dans son corps. De là un double élément dans rintelli-
gence: Tun puremant spirituel, qui s'appelle la con^cfence ; Tautre
relatif au corps et que Ton appelle les sens, parce qu'il se subdivise
encore, selon les organes qui lui servent d'instruments et la nature
des informations que l'Ame reçoit par chacun de ces différents
organes.
Les éléments de Tintelligence sont donc :
P la conscience, ou sens intime, ou intelligence des faits internes
de l'Ame,
2^ les sens, ou sens externes, ou intelligence des faits externes.
Les perceptions obtenues par ces deux moyens s'appellent dans
leur ensemble : l'expérience.
67. Insuffisance de ces deux éléments pour expliquer
toutes nos oonnaissancest — Par cette double intelligence
interne et externe, TAme est informée de ses propres modifications
et des modifications que les corps externes font subir à son corps.
On conçoit donc très-bien comment l'intelligence ainsi constitaée
est pour nous la faculté de percevoir les modifications de notre àme
et celles de notre corps. Et l'on conçoit très-bien que l'Ame ne
perçoive par ces deux moyens que des modifications. En effet : la
perception est une information causée par son objet ; si donc elle
a pour cause une modification soit de l'Ame soit du corps, elle ne
peut avoir pour objet qu^une modification. A la rigueur on pourrait
concevoir que l'Ame' fût informée de sa substance par sa substan-
ce même, puisqu'ici le siget et l'objet ne font qu'un. Mais pour les
objets corporels, il est évident qu'ils né peuvent informer l'Ame
qu'en modifiant son cQrps, et par suite ils ne peuvent l'informer
que de cette môme modification. Donc l'expérience ne nous fournit
que des modifications. Mais ce n'est là qu'une partie de ce qne
nous connaissons. En percevant ses propres modifications, l'Ame
s'affirme elle-même; en percevant les modifications de son
corps, l'Ame afiirme et son corps et ses organes et les corps
qui agissent sur ces mômes organes . L'Ame perçoit ses propres
modifications et les modifications de son corps comme des effets
dont la cause est en elle môme ou dans les corps extérieurs, et
aussitôt elle affirme cette cause. Elle éprouve dans son corps
I
INTELLIGENCE S51
Timpression d'nne résistance diversement modifiée, étendue et
colorée, ayant telle ou telle figure, et elle affirme aussitôt une subs-
tance qui résiste avec telle étendue, telle couleur, telle figure.
Cette affirmation tous les hommes la font d6 la môme manière. Et
pourtant nous savons tous que cette substance, cette cause que
nous affirmons, n*a aucune communication directe avec notre Âme.
Il j a plus. Les modifications qu'éprouve notre Ame ne font que
passer ; il en est de même de celles du corps. Les causes qui les
produisent ne sont pas toujours présentes : bien plus nous les
voyons périr successivement. Elles sont aujourd'hui, elles n'étaient
pas hier ; elles ne seront plus demain. Tout ce qui nous {entoure,
tout ce qui agit sur nous change et disparaît comme nos modi-
fications : en un mot tout est contingent. Nous mômes, malgré la
connaissance intime que nous avons de notre substance permanente,
de notre identité, nous passons aussi . Et pourtant nous affirmons
le nécessaire, nous le distinguons du contingent ; et nos affilrmations
ne sont jaioais aussi inébranlables que quand elles portent sur la
nécessité.
Tout est borné, limité, fini, en nous et autour de nous et nous
affirmons Tinfini.
Nous percevons bien des effets sans arriver jamais à en connaî-
tre jia cause, et nous affirmons cependant d'une manière absolue,
qu'il n'y a pas d'effet sans cause. En un mot nous ne voyons quç
Tôtre contingent et relatif et nous affirmons l'être nécessaire et
absolu.
La conscience et les sens, double élément de l'intelligence, sont
bien insuffisants à expliquer toutes ces affirmations.
Que conclure? Faut-il rejeter ces affirmations comme dépourvues
de fondement ? Nous voudrions^ le faire que nous ne le pourrions
pas. Il vaut mieux en chercher la cause ailleurs que dans la con-
science et les sens.
Ô8. Raeherohe du principe de nos eonnaiseanoes dont
robjet est le nécessaire et l'absolu. — L'unanimité de ces
affirmations de l'absolu, la nécessité irrésistible avec laquelle
nous faisons ces affirmations et dont la cause ne se trouve pas
dans les perceptions des sens ni dans celles de la conscience, nous
252 PSYCHOLOGIE
oblige à conclure que notre Ame possède en elle-même un prin-
cipe qui lui fait faire ces affirmations. Ce principe, tous ceux qui
l'admettent rappellent, la raison. Et si quelques philosophes,
égarés par une fausse analyse de l'âme et de ses opérations, n'ont
pas reconnu ce principe, la saine philosophie, d'accord avec le bon-
sens de tous les siècles, a toujours dit que l'intelligence est doaée
de raison ; et tous en disant cela avaient en vue ce principe
intérieur par lequel nous connaissons et affirmons le nécessaire,
l'absolu, l'inâni.
En effet nous disons que l'homme raisonnSy quand il conclut
nécesscUrement d'un principe à une conséquence ; nous disons an
contraire qu'un homme n'est pas raisonnable , quand il n'admet pas
ce que tout le monde affirme comme nécessairement vrai, on
nécessairement juste. On dit encore qu'un homme voit la, raison
des choses quand il voit les effets dans leurs causes, quand il
affirme les causes par leurs effets et les effets par leurs causes,
comme nécesairement connexes.
4»
69. La raison. — Disons donc avec tous les hommes de bon-
sens que l'intelligence humaine, ou mieux que l'âme humaine
intelligente, est douée de raison^ et que la raison est un principe
intérieur par lequel l'âme qui perçoit le contingent affirme le
nécessaire.
On remarquera que nous ne donnons pas à la raison le nom de
faculté. C'est qu'en -effet, ce nom ne lui est donné qu'impropre-
ment et ne lui convient pas. Si la raison était pour l'âme la faculté
d'être informée de ce qu'il y a de nécessaire dans les choses, il
faudrait que ce nécessaire vint directement agir sur l'âme, ou bien
produisit sur le corps quelque modification spéciale : or nous avons
déjà constaté que rien de cela ne se produit. Tout ce que notre âme
éprouve de la part d'un objet quelconque est contingent.
Mais nous constatons aussi que l'âme ne saurait percevoir une
modiffcation contingente, sans affirmer infailliblement et nécessai-
rement une substance qui en est la cause ou le siget ; elle ne
saurait percevoir un effet, sans affirmer nécessairement que cet
effet à une cause ; elle ne saurait aiiirmer l'existence actuelle d'un
seul être, sans affirmer aussi que cette existence contingente et
INTELLIGENCE 253
temporelle suppose un être nécessaire et éternel ; elle ne saurait
affirmer le fini, sans affirmer en môme temps Tinâni.
Cette conception nécessaire et irrésistible de Tàme, à Toccasion
d'une perception contingenta, ne pou vaut être le fruit d*une faculté,
est donc le fruit d'une disposition naturelle. Cette disposition dst
commune à tous les hommes ; rien ne la leur donne dans la vie et
tous la possèdent ; elle est donc innée à l'âme ; elle est de plus
naturelle, car sans elle l'intelligence humaine ne serait pas ce qu'elle
est. Donc employons les termes philosophiques que nous avons
justifiés plus haut ( 25, 26, 27, ) et disons : La Raison est une
HABITUDE naturelle DE L'iNTELLIGENCB, QUI LUI FAIT CONCEVOIR
LE NÉCESSAIRE A LA VUE DU CONTINGENT. C'cst UUe disposition
imprimée à notre Âme, c'est l'information habituelle du Créateur
qui est lui-même l'être nécessaire, éternel, absolu.
Pour dire toute notre pensée sur la nature de la raison, bous
aurions & ajouter encore quelque chose, mais nous ne pourrons le
faire avec brièveté qu'après avoir exposé la nature des idées.
70. Résumé des éléments de l'intelligence. — Ainsi l'intel-
ligence, qui est pour l'âme la faculté d'être informée d'un objet,
prend le nom de sens^ quand elle s'exerce par les organes du corps
sur des objets corporels ; elle s'appelle conscience^' qmuad elle
s'exerce dans l'Ame seule sur des objets internes qui sont les modifi-
cations de l'Ame elle-même ; enfin on lui donne le nom de raison^
ou on dit qu'elle est douée de raison, en ce qu'elle est disposée par
une habitude naturelle à concevoir le nécessaire & la vue du contin-
gent.
En s'exerçant sous cette triple forme, l'intelligence devient la
source d'un grand nombre de faits de connaissance, dont la nature
difiére, quoique leur fond commun soit tot^jours l'information de
l'Ame. Puisque ces faits se produisent dans l'Ame, c'est que l'Ame
en est capable. Aussi on distingue généralement autant de sous^
facultés intellectuelles qu'il j a d'espèces d'opérations de con-
naissances. Nous allons les passer en revue pour mieux connaître
l'intelligence et nous assurer qu'elle suffit à toutes ces opérations
sans exiger d'autres éléments que ceux que nous y avons reconnus.
Si, comme nous l'avons vu j^lus haut, les philosophes ont adopté un
grand nombre de systèmes dans la distinction de* facultés de rame, 11
254 PSTCHOLOQIB
est naturel, qu'ils aient varié bien davantage dans l'analyse des nom-
breuses opérations de Tàmaet des pouvoirs que supposent ces opéra-
tions. Ces divergences se mintfdsteat surtout dans la distinction de ce
qu'on est convenu d'appeler les facultés intellectuelles.
il serait beaucoup trop long de donner ici, mime en résumé, les dif-
férentes distinctions adoptées par las différents auteurs, et d*ailleurs
nous n'y voyons aucun intérêt pour le lecteur. Nous ne ferons que
quelques observations générales.
Tous s'accordent à distinguer dans l'àme autant de facultés ou au
moins de sous-facultés Intellectuelles qu'il y a d'opérations diverses
dans l'ordre de la connaissance. Nous espérons démontrer que la seule
faculté de l'iatelUgence, formée des trois éléments que nous y avons
reconnus, aidée des habitudes acquises, ainsi que de Tact! vite, suffit à
expliquer toutes les formes de la pansée, sans qu'il soit besoin d^dmet-
tre aucune faculté nouvelle.
Quand nous aurons exposé en entier notre doctrine, nous pourrons
alors donner* d'une manière plus concise et plus claire en même temps,
les systèmes les plus saillants, parmi ceux que les différentes écoles
ont adoptés.
Notre théorie se démontre d'elle-même ; et nous la donnons, non pas
comme un système hypothétique, mais bien comme l'expression de la
vérité ; mais elle ne pourra que gagner à être comparée aux syslè»
mes précédents qui ont tous le caractère de l'hypothèse et souvent de
l'hypothèse gratuite. Telle qu'elle est, notre théorie .n'est certidnement
pas classique, mais nous sommes sur un terrain où la philosophie
classique n'a rien d'arrêté, et on pourra s'assurer d'ailleurs qu'en faisant
faire un pas en avant aux doctrines classiques, nous ne sortons pas
de leurs principes, pas plus qu'ailleurs nous n'en sommes sortis,
quand nous avons poussé nos examens plus profondément, et qu'il en
a surgi des théories plus complètes ou plus certaines.
ETUDE DES POUVOIRS
aUK tUPPOSCNT CHACUN Dit FAITS INTCLLECTUCU
SI. -Dl Li PIKCirTIOl
71. Définition. — Lo, perception est Tinformation de l'Ame
produite actuellement par l'action d'un objet. On l'appelle aussi
Isivue de l'âme : mais ce mot rappelle trop la vue par les yeux du
eorps, et de plus il désigne aussi quelqiiefois la conception.
INTBLLia£NCE 255
72. Sa plaee dans les fait» intelleetaeU. -* La perception
est la première des opérations do Tintelligence. L'Ame ne recevrait
jamais aucune information si elle n'était d'abord informée par un
objet qui agit sur elle. Toutes les conceptions que Tâme se donne ft
elle-même ne sauraient se produire qu'à l'aide des perceptions
antérieures. C'est ce qui montre que l'âme ne se crée pas des
conceptions, et que par conséquent ses perceptions ont une cause
rielle.
73. Son exactitude. — Puisque la perception ne peut se pro-
duire que par l'action d'un ol]get réel, qui informe l'Ame, cette in-
formation, qui est l'effet de cette cause^ ne peut qu'être identique à
l'action de cet objet. Donc la perception est logiquement exacte.
74. Double forme de la perception. — La perception,
nous l'avons dit déjà plusieurs fois, a deux formes. Elle est interne
ou externe ; elle a pour olyet et pour cause, les modifications de
l'Ame et les modifications du corps, et par suite les corps extérieurs.
Les différentes modifications de l'Ame produisent en elle des in.
formations nécessairement différentes, et TAme ne peut que les
distinguer.
Les différentes modifications du corps transmettent & l'Ame des
modifications différentes et elles portent avec elles les caractères
de leur origine corporelle . C'est par là que l'Ame les distingue des
modifications internes. Il y a plus, chaque modification du corps,
portant avec elle les caractères de son origine, l'Ame perçoit en
môme temps et la modification et l'organe, par lequel elle lui est
arrivée, et le corps extérieur, qui a causé dans son corps cette modi-
fication.
Cette perception externe accompagne nécessairement toute sen-
sation, c'est ce qui a fait que bien des philosophes les ont confon-
dues. Mais pour nous qui appelons sensation l'attraction ou la ré-
pulsion de l'Ame causée par une impression corporelle, et percep-
tion, l'information que l'Ame reçoit d'une impression corporelle,
nous ne saurions les confondre, alors même qu'une seule impres-
sion est cause de l'une et de l'autre.
Car si toute sensation est accompagnée d'une perception de l'or-
gane affecté et de la modification reçue, ainsi que de l'attraction
256 pstcholooie'
môme qae TAme éprouve, il y a des pereeptions qoi ne sont pas
accompagnées de sensation. On peut faire les mêmes observationi
sur la perception interne, comparée aux sentiments : mais ici Tattrac-
tion vient après la perception et ne la précède jamais.
75. Double faculté que suppose la perception — La
perception, parce qu'elle est double, suppose,- comme nous Tavons
déjà vu, une faculté double : Tune interne, qui prend le nom de
conscience ; l'autre externe qui s'appelle les sens. Et cette dernière
suppose à son tour des organes corporels qui lui servent dlnstro-
ments. C'est ici le lieu de donner quelques détails sur ces deux élé-
ments de Tintelligence.
76. La conscience. — Le mot con^etV/^e^ désigne, par se»
étymologie (ctim, scientia) l'acte intellectuel par lequel noussavons
ce qui se passe en nous. Mais on est convenu de l'appliquer platôt
à la faculté de le savoir. En ce sens elle n'est rien autre chose
que rintelligence elle-même par laquelle nous sommes capables de
savoir ce qui se passe dans notre âme.
Il ne faut pas confondre la conscience dont il est question ici
avec la conscience morale ^ qui est Tensemble de tous nos jugements
sur la bonté ou la malice de nos actes.
La conscience ne suppose aucun instrument, ni intermédiaire,
entre TAme etTobjet deson informatiob, puisqu'elle n*est que la
faculté d'être informée des modifications de notre àme.
Quant aux modifications des autres Âmes nous ne les connaissons
que par leurs actes extérieurs, par leurs témoignages et par la
comparaison avec les faits que nous percevons en nous-mêmes.
Mais onpeut dire qu'en étudiant nos propres modifications, nousétu*
dions celle des autres, car elles sont toutes de même nature. S*il j a
quelques différences d'ans les modes nous pouvons les connaître par
leurs effets sensibles comparés avec ceux qui se produisent dans
notre propre corps.
Donc, la conscience est le vrai instrument des études psychologi-
ques. Et les observations que nous pouvons faire par son moyen
ont toutes les conditions nécessaires pour de légitimes inductions ;
car elles peuvent être, si nous le voulons, dégagées de tout carac-
tère accidentel, et, dans tous les cas, les perceptions observées sont
infailliblement exactes. ( 73. )
INTELLIGENCE 257
77. Le* «ans, et les organe^ des sens. — Les sens sont,
dans \evtr ensemble, la faculté que Tàme possède d'être Informée
des môdiâoatious de son corps et par elles des modifications des
corps extérieurs.
Les sens se subdivisent en cinq : la vue, Touïe, Todorat, le goût
et le tact,
L^ organes des sens sont les mêmes que nous avons distingués .
comme organes des sensations. Mais ici nous les considérons, non
plus comme iatermédiaires d'une attraction, mais comme intermé-
diaires d*une information de l'Âme.
Chacun des sens, aidé de son organe propre, est la faculté de
percevoir un objet spécial, . qui est Tobjet propre ou direct dé ce
sens. Et au moyen de cet objet propre, chaque sens perçoit encore',
plus ou moins parfaitement, plusieurs objets secondaires ou indi-
rects. Ainsi :
La vue, qui a pour organe les yeux, est la faculté de percevoir
les couleurs, qui ne sont que des modifications lumineuses, et par
elles, la figure, l'étendue, le mouvement, la distance des corps, et
môme leur nature.
L'ouïe, qui a pour organe les oreilles, est la faculté de percevoir
les sons, qui ne sont que des modifications vibratoires (des corps
et surtout de l'air), et par les sons, la distance et quelquefois la
forme et la nature des corps vibrants.
L'odorat, qui a pouc organe le nez, est la faculté de percevoir les
odeurs, qui paraissent être des émanations tr.}s-subtiles qui s'é-
chappent des corps sous forme de gaz. Une autre opinion vBUt que
les odeurs soient des actions électriques des corps: cette théorie,
nous paraît moins fondée. Par les odeurs, Tâme perçoit aussi 'ou
du moins distingue la nature des corps et leur distance.
Le gpût, qui a pour organe la langue et le palais de la' bouché^
est la faculté de perce voh* les saveurs, qui paraissent ïCéi^ que le
résultat de divers rapports électriques entre les corps et les ôiv
ganes du goût ; mais ces combinaisons ne se prodtiisent que par
l'attouchement.
Le tact ou le toucher, qui a pour organe toute la surface du
corps et particulièrement la ttiain; e9t tar fleoulté ^âe- |»ensé^oir les
diverses résistances et les divers degrés de chaleur des c<n*ps. La
chaleur paraît n'être qfu'nne vibration des molécules du corps
17
258 l*SYCHOI,OGIE
comme les vibrations électriques et lumineuses, ce qui en fait uae
forme spéciale de la résistance, qui est toute mécanique ; celle-d
est la conséquence de Timpénétrabilité des corps et du plus oo
moins de cohésion ou de compression de leurs molécules. Par li
résistance nous percevons encore Tétendue, la figure, le mouve-
ment et jusqu'à un certain point la nature des corps, et surtout
les modifications spécifiques de la résistance, telles que le puli et
le raboteux, le dur et le mou, le solide, le liquide et le gazeux, le
sec et Thumide. Le toucher ne s*exerce que par le contact des
objet$ avec l*organe.
78. Conditions communes à tous les sens, — Les sens
ne pei'çoivent pas prs^eis Jment la modification des corps que noas
considérons comme leur objet propre, pas môme Teffet de cette
modification sur les organes, mais seulement la modification spé-
ciale que Tâme éprouve comme effet de l'impression organique. Ce
que nous appelons couleur y par exemple^est une propriété du corps,
qui agit forcément par Tintermédiaire de la lumière, et qui réflé-
chit celle-ci sous telle ou telle forme: la lumière ainsi réfléchie
passe à travei^s la pupille de Tœil et communique au nerf
optique sa vibration ; celui-ci la communique au cerveau et c'est
la que Vkme en reçoit une modification. Aussitôt elle en est
informée. Mais comme elle est douée de raison, son informatùm
sensible se mêle bientôt (i l'information naturelle de cause et de
substance, et V&me se trouve informée aussitôt de la couleur, cause
de son impression, et du corps cause et sujet de cette couleur.
Il en est de môme de tous les autres sens. L'àme ne saui*ait ja-
mais se trouver sous la modification produite en elle par Tactioa
d'un objet quelconque sur son corps, sans percevoir cette modifica-
tion et sans concevoir l'être qui en est la cause. Et cette concep-
tion de la cause est si rapide et si inséparable de la modificatioe
perçue par les sens, que nous considérons tous comme objet de ces
perceptions, non pas les modifications de notre Ame, ni de notw
corps, pas m^me les propriétés des corps, mais les corps eox-
m<^mes qui en sont les causes.
79. Perfection reUtiTO des sens. — Parmi les sens, celai
de la Vite est le plus parfait de tous, parce qu'il perçoit son objet
à une pins grande distance, avec h3aucoup plus de détails, et par
INTELLIGENCE ' 259
nn Intermédiaire bien pins subtil que tous les autres sens. Vient
ensuite Vouiey qui perçoit encore son objet à une assez grande
distance, avec plus de détails que les trois autres et par un inter-
médiaire assez subtil, sans rien prendre de l'objet cause de sa pen-
ception. L* odorat est le troisième ; il perçoit son objet à une dis-
tance moindre que les deux premiers et par Tintermédiaire de
quelque chose qui vient de Tobjet même. Le ffoût a besoin du con-
tact immédiat de' l'objet, mais la saveur qu'il y perçoit est quelque
diose de plus actif et de plus parfait que la simple résistance. En-
fin le toucher est le plus grossier des sens relativement à i*un de
ses objets : la résistance ; il lui faut le contact immédiat de l'objet,
et ce qu'il y perçoit est une propriété commune h tous les corps.
Au contraire dans la perception de la chaleur, le sens du toucher
-a quelque chose d'aussi parfait que celui de la vue, quant à la dis-
tance et à Tinstrument intermédiaire de ses perceptions; mais la
perception de chaleur ne donne sur un objet qu'une seule informa-
tion sans aucune espèce de détails. Cependant quoique plus gros-
sier que les autres sens, le toucher est capable d'une assez grande
délicatesse que Thabitude peut mettre à profit pour y puiser des
informations assez précieuses. C'est ainsi que les gens du. métier
distinguent au toucher la nature^ les qualités et. par sjite la pro-
venance d'une étoffe,
80. Perfeetioluiement des sens. — Cette expression usuelle
est impropre. Quand, par suite d'habitudes acquises^ on perçoit
facilement par les sens des choses que l'on ne percevait pas d'abord,
ce n'est pas que Poigne ni la faculté de l'àme se sojent perfec-
tionnés au point de fournir des impressions qui ne se produisaient
pas auparavant. Les mêmes impressions ont toujours été fournies,
mais l'âme a appris^ par Texercico à en distinguer las nuances déli-
m
cates. Donc, les sens ne se perfectionnent pas ; c'est notre Âme qui
apprend peu & peu À mieux s'en servir.
81. Conditions communes à la conscience et aux sens.
— La perception en général, qu'elle soit du domaine des jens ou
de, la conscience, se produit de différentes manières.
Elle est d'abord un fait purement passif de l'âme qui reçoit,
sans aucun acte de sa part, une information causée par ses propres
260 P8YCHOLOOIB
modifications ou par les modifications de soa corps. C'est ceque bîea
des auteurs appellent la perception spontanée. I^e mot ne saumt
être plus impropre. Rien n'est moins spontané dans un être que oe
qui j est produit par un autre. Disons donc que la perception est
d'abord passive.
Mais FAme qui est naturellement activa ne tarde pas k exercer
son activité vis-à-vis de ses perceptions passives. Elle s'en éloigne
ou se retient sous leur influence : la perception est alors attentive.
Cette attention peut avoir une double cause : l'attraction de la
sensation ou du sentiment, ou bien la volonté déterminée par 1»
réflexion. Dans le premier cas, lattention est instinctive^ dans k
second cas, elle est volontéùre et lib?^.
La perception acquiert., sous cette double influence de Tactivité
de Tâme, un développement q^e nous allons étudier dans ks pan.
graphes suivants, où d'abord nous parlerons de Tattention.
S s.- »l L'ATTIITIim
82. Définition. — L'attention est un acte par lequel TAme se
livre à l'information d'un objet ( qu'elle perçoit ou qu'elle conçoit).
83. Nature de cet acte. — L'attention suppose an double
fait dans l'Ame. Une perception, qui est toiO<>urs passive, et àe
plus un acte, par lequel elle se livre à cette pereeptioiu Ce fait est
donc le fruit de deux facultés. La perception suppose l'iateUi-
gence ; l'Acte par lequell'Ame s'j livie suppose l'activité. Et de
plus, quand l'attention est excitée par une sensation ou par nu sen-
timent, elle suppose la sensibilité. Ainsi les trois facultés de l'Ame
peuvent s'exeix^er dans l'attention, et dans tous les cas, deux au
moins s'y exei*cent.
Cependant par ses résultats, l'attention est surtout ua fait d'in-
telligence, et c'est à raison de l'attention qu'elles supposent, qae les
pensées sont appelées les actes de l'intelligence,
L'^e peut prêter attention à ses perceptions de conscience aussi
bien qu'aux perceptjlons des sens.
Elle peut même prêter attention à de simples conceptions dont
l'olgei n'agit pas présentement sur elle. Mais on comprend qne,
INTELLIGENCE 261'
dans ee cfiir, un vieh peut la distraire et changer t^on information :
fin élément dé sa pensée peut, par ses rapports avec un tout autre
objet, donner h. TAnie l'information de cet autre objet, et sur-
tout, nne sensation ou une perception des sens peut faire naître
une information nouvelle et chasser celle dans laquelle l'Ame vou-
lait se maintenir.
Aussi quand on vent donner toute son attention à un objet, on
le tient présent, à là portée des sens, s'il est corporel, et si on peut
Fatteindre ; dans le cas contraire on en considère une image ; et
enfin s*il est purement intellectuel, on s'isole, autant que possible
de toute perception des sens, et quelquefois on ferme les jeux.
Telle est l'attention, avec ses caractères ; on voit qu'elle ne sup-
pose pas une faculté spéciale, mais seulement Tintelligeace- et
l'activité.
84. flkplaeé. parmi les aetei iatelleeltteU. -*• L'attention
vient naturellement à la suite de la perception ; car elle s'exerce
sur celle-ci, Qt prépare tous les autres faits de l'intelligence .
85. Double origine de rattention. — L'âme qui prend
plaisir à sa perception est excitée par cet attrait à s'y livrer. L'at-
tention est alors instinctive.
D'autres fois, tout en suivant cet attrait, ou même* malgré une
répulsion, l'ftme se livre volontairement et librement à sa perception.
L'attention est. alors volontaire ou réfléchie.
86. Effets de l'attention. — Par l'attention, l'Âme favorise
ses perceptions ; elle les prolonge ; elle les rend plus claires et plus
distinctes ; elle les complète; les analyse, en se livrant successive-
ment à la perception des différents éléments qui les composent ; les
compare, en se livrant simultanément à plusieurs perceptions et
surtout aux éléments semblables qu'elles renferment. De là résultent
Vanalyse, Vahsiraction, la comparaison et la généralisation,
que nouà allons étudier.
S s. - Bl L'ANALTSX.
87. Définition. — Le mot analyse qui s'applique à toutes les
décompositions scientifiques, désigne plus spécialement : l'acte par
lequel Tâme décompose ses perceptions, pour s'informer séparément
de leurs éléments.
2(52 PSYCHOLOOIK y
88. Il«tttre de cet acte^ — On voit facilement par la d^i-
tion de l'analyse, qu'elle n*est pour l'Ame qu'une séiîe d'infonr»
tiens successives, prises à part dans l'ensemble confus d'une
première perception qui les renfermait toutes. On voit aussi qae
toutes ces informations partielles sont le fruit de tout autant
d'actes distincts d'attention. L'anal jse n'est donc pas seulemeot 1«
fruit deTattention : elle est une attention multipliée et appliquée
aux divers éléments d'une première perception.
L'analyse s'exerce également sur les conceptions, qui, priées à
part, sont toutes le fruit d'une première analyse.
On voit bien que l'acte de l'analyse ne suppose pas une faculté
spéciale, mais seulement l'intelligence et l'activité, comme ratien-
tion.
89. Effets de Fanalyse. — Nous avons traité ailleurs les
puissants effets de l'cmalyse, au poiùt de vue.logique. Au point de
vue psychologique, l'analyse prépare Vahstractioii et tous lesacte*
intellectuels qui en dérivent.
l^l.-DIL'àBSTRàCTION.
•
90. Définitioii. — I/abstraction est l'acte de l'Âme qui consi-
dère séparément un élément d'un être, en dehors des autres, dont
il est inséparable dans la réalité.
On appelle aussi abstraction un état de l'Ame où, tout entière
attentive à sa pensée, elle ne perçoit plus les impi'e.ssions plas ou
moins faibles de son corps.
Dans cet état, un homme n'a plus conscience de l'état actuel de
son corps, et souvent même il oublie sa personnalité.
Mais ce n'est pas là un fait d'intelligence, bien qu'il ait pour
cause la pensée.
91 . Sa nature. — Cet acte, cette considération de l'âme n'est
autre chose qu'une attention. L'ûme qui dans une première percep-
tion a vu plusieurs éléments dans un objet, s'informe, par l'atten-
tion et après un commencement au moins d'analyse, d'un peùl de
ces éléments. Et dès lors cet élément, devenant le seul oliiet de
son infonnation, lui apparaît comme un être distinct'; il a ponr
INTELLIGENCK ^ 263
l^Ame comme une existence à part ; il est comme une substance ;
l'Ame le nomme comme elle nomme les substances : cVst un être
abstrait ; par exemple : la blancheur de la neige.
Arrivé & ce point, l'acte intellectuel n'est plus une perception
seulement : c'est une conception. Mais cette conception n'est pas
encore entièrement dégagée de la perception. L'objet perçu est
encore là, il est présent h l'esprit en môme temps que l'être al)etrait
dont il est en quelque sorte le principe générateur ; et Fâme dit :
la blancheur de la neige.
Mais bientôt la conception abstraite va se dégager; elle formera
à elle seule une information complète de l'Ame ; et l'Ame dira sim-
plement : la blancheur^ <
Mais avant d'en venir là, l'àme doit passer par d'autres actes
qu'il nous faut étudier d'abord et apr^s lesquels nous^ parlerons de
la conception.
Constatons encore ici que le fait de l'abstraction ne suppose pas
d'autres facultés que l'intelligence et l'activité et qu'il n'est pas le
fruit d'une faculté spéciale ; puisque l'abstraction n'est qu'une infor-
mation que l'attention extrait d'une autre information plus
complexe. Quant à la forme substantive que l'Ame donne & l'être
abstrait, elle n'est que la conséquence inévitable de la raison, de
cette habitude naturelle et innée que nous avons constatée dans
Tintelligence et qui se môle nécessairement à toute autre Infor*
mation. L'Ame n'étant plus informée d*aucune substance réelle-,
8id>starUifie\dkïaoà\!tcdX\ovi qu'elle perçoit seule. Mais elle ne se
donne pourtant pas le change, et elle sait bien que l'être abstrait
n'est pas une substance réelle, quoiqu'elle ne puisse concevoir sépa-
rément cette modification sans lui donner une forme substantive.
92. — Effets de l'abstraotion. — L'abstraction en séparant
aux yeux de l'Ame les éléments des objets, lui [permet de voir en
quoi deux objets se ressemblent ou diffèrent entre eux, et de réu-
nir ensuite sous une seule conception tous les éléments semblables
d'un nombre quelconque d'êtres. Elle prépare ainsi la comparai-
son et la généralisation dont nous allons parler.
264 PSYCHOLOOIB
93. Définition. — La comparaison est Taete par lequel Tàme
considère simultanément les éléments de deax objets, afin d*en per-
cevoir les éléments communs et les éléments propres,
Les éléments qui se trouvent identiques dans les deux ol^ets
sont communs aux deux, et ceux qui ne se trouvent que dans
Tun des deux sont propres à celui-là , relativement à l'autre.
Les éléments propres tu un premier objet dans sa comparaison
avec un second objet, peuvent lui être communs avec un troisième;
mjiisil faut, pour constater cette identité, une seconde comparaison.
Deux objets qui ont des éléments communs sont settiblablei par
ces éléments et différents par les autres.
94. Natord de la cotnparaison. — L'analyse du fait de
l'Ame que nous appelons comparaison nous fait voir qu'il suppose :
d'àbd^ la perception attentive de deux objets, puis Vanal^fse
de ces deux objets et Vabstraction de leurs éléments. Arfivée à
ce point Tattention informe simultanément l'Ame de ces divers élé*
ments abstmits, et dès lors, ceux qui sont identiques ne donnaot à
l'Ame qu'une seule information, l'Ame n'en voit plus qu^m commun
aux deux objets. lia comparaison présuppose donc toutes les
opérations intellectuel les que nous avonsdéjà étudiées, et elle estcons^
tvtuée ensuite par une nouvelle perception attentive qui a pour
objet, non plus les objets de la première perception, mais les olyets
réunis de plusieui*s abstractions préalables. Donc encore la corn*
paraison n'exige pas une faculté spéciale, mais seulement Tintel-
ligencô et l'activité combinées .
95. Effet de la comparaison. — Le résultat immédiat de la
comparaison, c'est la ^6^/i^ra/2ja^i on, dont nous allons parler, et
par elle les différentes conceptions, auxquelles TAme donne son
adhésion après les avoir combinées et produit le jugement et le
rcusonnement,
SS.-DELl GiNiliLISiTION.
9Ô. Définition. — La généralisation est l'acte par le quel Tâme
considère comme un seul objet les éléments communs à plusieurs
êtres.
INTELLIGENCE 2Ô5
97. Nature. — La généralisation est donc une seconde abstrac*
tion ajant pour objet le résultat de la comparaison. Mais cette
fois Tabstraction est complète. La comparaison en réunissant les
éléments identiques de plusieurs êtres, ne les avait pa? entièrement
séparés de ces êtres et l'Ameles voyait encore comme quelques
chose de ces êtres. Mais l'attention, venant sur ce dernier^ travail
de rintelligence, sépare les éléments identiques des êtres auxquels
ils sont communs, et tient Tàme sous cette seule information.
Li'àme se trouve alors dégagée de Faction directe des objets réels,
elle ne perçoit plus ces objets, elle est cependant informée d*nne
certaine manière d'être, et son information natujralle et nécesaire
de la substance se mêle nécessairement à cette information de la
manière d'être ; l'Ame conçoit donc un être sans réalité dont les
caractères sont précisément ceux que la comparaison l)ii avait
montrés communs à plusieurs êtres.
Dans cette conception abstraite, l'Ame ne voit pas seulement
la similitude de tons les êtres qu'elle avait perçus^ analytéa et
ùomparës^ mais elle y voit eiu^ore la similitude de tous les êtres
X>os8ibIes qui auraient les mêmes éléments, objets de sa conception.
C'est pour cela que cette conception est appelée générale et que
€et acte i«itellectael s'appelle la généralisation.
98. Effets de la généralMiitioii . — La généralisation pro-
duit donc toutes les conceptions de genres, d'espèces, d'ordres, de
classes, et, en un mot toutes les conceptions universelles. Ces
conceptions,en se reproduisant assez souvent, ou en agissant assez
fortement sur TAme, dès leur première apparition, foi*ment les
habitudes intellectuelles que nous appelons les idées. Ensuite l'Ame
les combine, les analyse^ les compare, les généralise encore entre
elles et se donne ainsi à elle-même, tocgours par les mômes opéra-
tions que nous avons analysées, des pensées que la perception n'aurait
jamais pu lui fournir. Nous allons étudier ce développement admi-
rable de l'intelligenoe, après avoir parlé de la conception et de
ses différentes formes, et partout nous reconnaîtrons la simplicité
des moyens de l'Ame qui n'a besoin pour tout cela que de l'intelU^
gence etde Tactivité,
266 PSYCHOLOGIE
S 7. - I>l Li COKCIPTIOX.
99. Définitioo. — La conception est Tacte de TAine qui, infor-
mée des éléments de différents objets^ les combine et se donne ainsi
À elle-même des informations nouvelles qui n*ont pas d'objet réel.
Nous avons vu en logique que le mot conception déûgM aussi
toute information deTAme, considérée seule, en -dehors de fson objet
réel.
Cette dénomination vient de ce que, dans la perception même la
plus attentive, l'Âme n*est jamais informée de tons les éléments de
Tobjet réel, cause de sa perception et que, par conséquent. Follet
de sa perception n'est jamais parfaitement identique à Tobjet
intentionnel. On peut donc dire que l'Ame n'est pas informée et
Tobjet réel qu'elle entend percevoir ; que son information, compa-
rée à Tobjet réel, n'est jamais qu'une conception, lors même qae
tout ce qu'elle conçoit se trouve en effet dans l'objet réel. Cette
dernière condition suffit pour la vérité de la conception, maîseUa
ne suffit pas pour en faire la perception complète de l'objet.
Enfin le mot conception désigne encore le résultat de cet aeta
de l'âme, c'est-a-dire, l'information elle même que l'Ame se donne.
100. Extension de la coneeptioii. — Là conception, consi-
dérée comme une information que l'Ame se détermine A elle même,
ou comme l'acte par lequel elle fait cette détermination, est un
fait générique qui comprend tous les faits d'intelligence autres qoe
la perception. En effet, l'abstraction, la généralisation, l'analjrse
et la comparaison produisent des conceptioifs qu*elles déterminent.
L3S autres faits intellectuels que nous n'avons pas encore étndiês
supposent tous la conception. La conception résume donc tous les
actes intellectuels qui ont pour base la perception et qui ne sont
pas en 001*6 le jugement.
C'est encore ce que nous avons reconnu, en logique, quand nous
avons défini la pensée, la conception d'un fait, et l'idée, la concep-
tion habituelle d'un objet. Car le mot pensée résume tous les actes
intellectuels qui ont pour objet un fait, et le mot idt^e résume toutes
les habitudes intellectuelles qui ont pour objet un être quelconque.
INTELLIGENCE 267
101. Double condition de la conception. — La conception
est d'abord un acte, mais on appelle du même nom Thabitude de
cet acte, c*^tr-&«dire, la disposition k le faire.
102. Nature de la conception actuelle. ^ La conception
actuelle n'est autre chose qu'un acte d'attention, par lequel l'àtïie
se détermine une information. Si l'âme s'arrête seulement à un
élément de sa perception; la conception est une abstraction ; si elle
se tient sous Tinformation de plusieurs éléments à la fois, pour
constater Tideatité de quelques-uns, la conception est une com-
paraison ; si elle considère seulement ceux qui sont identiques et
communs' à plusieurs êtres et qu'elle s'en fasise un objet abstrait,
la conception est une génémlisation. Jusqu'ici la conception est
ptised'un ou de plusieurs objets réels et suppose un ou plusieurs
êtres qui renfermeat les mêmes éléments.
. Mais la conception va plus loin ; elle réunit les informations
fournies ^ l'&me par plusieui*s généralisations et les combine de
manière à donner à l'Ame des informations qui n'expriment rien
de réel. C'est alors la conception proprement dite, ou mieux l'ima^
£^ation ou l'invention.
Nous parlerons plus loin de la nature et des sources de l'ima-
gination.
103. Nature de la conception habituelle. — On constate
facilement dans les Ames un certain nombre de conceptions qui
reviennent toujours les mêmes, qui produisent; toigours la même
information de l'Ame. Cette régularité ne saurait exister sans une
disposition, une habitude. L'Ame a donc des conceptions qui sont
en elle à l'état d'habitude. Ce ne sont pas encore des actes, ce ne
sont pas des informations actuelles déterminées par l'attention ;
c'est pourtant plus que la faculté d'avoir ces informations. Par
ces habitudes l'Ame est disposée A avoir telle ou telle information
déterminée. Ces habitudes sont appelées idées.
Ces habitudes s'exercent de deux manières. Tantôt c'est la per-
ception d'un objet qui fait naître dans l'Ame une ii^ormation tou*
jours la même et. qui n'est pas exactement l'information de l'objet.
Souvent aussi cette même information natt sans la perception de
l'objet, par suite de l'habitude. Dans les deux cas, l'habitude
26S PSYCHOI.OGIB
99t la môme et elle n'est autre choae que ce que tout le moeda
appelle «une idée».
104. Eflbt de la eoneeptioB. — La conception, considérée ea
général, a pour effeta toutes le» idées, quinesont que les difféi^sntes
oonceptions habituelles.
Nous allons donc parler des idées.
S I. - DIS IDiKS.
108. Défltiitioii. — Considérées dans ce qu*elles sont' pour
l'âme, les idées sont des habitudes intellectuelles^ par lesquelles
r&nro est disposée & concevoir tel'ol:jet de telle manière.
On appelle quelquefois idée ]*acte même par lequel l'âme oon«
çoit tel objet; et plusieurs auteurs donnent le nom d'idée à Tobjet
même de cette conception. Ces deux derniers sens du mot idée
nous paraissent s*écarter de la signification la plus usuelle du
mot. Nous nous en tenons donc À la première définition^ comme
nous l'avons fait en Logique. (Log, 47-52)»
109. Nature des idées. — Nous avons peine à comprendre ee
qu^est une habitude dans le corps, à plus forte raison, sommes-
nous embarrassés de dire ce qu'elle est dans l'âme ; mais nous
concevons très-bien comment l'âme, qui peut être informée, peut
avoir une tendance, une disposition â recevoir telle ou telle infor-
mation. Cette disposition c'est Tidée.
110. Conditions subjectÎTes des idées. — Considérées en
elles-mêmes, les habitudes que nous appelons idées sont plus ou
moins intenses. La tendance qu*elles impriment à Tâme est plus
ou moins forte et par suite Tinformation arrive plus ou moins
sûrement.
De plus, l'information qu'elles préparent sei*a plus ou moins
nettement dessinée, et par là Tidée est plus ou moins claire ou
distincte.
111. Oonditioaa objectlTes dee idées. — Considérées dans
leurs relations avec leur objet, les idées offrent les diflfôrentes qta»
litôs que nous leur avons reconnues en Logique : vraies ou faasses,
complètes ou incomplètes, concrètes ou abstraites, etc. Observons,
INTELLIGENCE 269
sur cette dernière qualité, que Tidée abstraite n*est que la dispo-
sition à telle ou telle abstraction ; c'est une abstraction habituelle.
Elle participe donc à la nature de l'abstraction ; elle suppose donc
que Tabstraction a été faite au moins une fois, et par conséquent
elle suppose une perception antérieure, d'où l'attention a extrait
l'information d'un élément séparé : et c'est l'habitude de cette
information qui est Tidée abstraite.
L'idée concrète suppose auiisî la perception ; mais souvent les
élémejits qui la composent ont été perçus séparément.
112. Origine des idées. — Nous avons traité cette question
en Logique à un point de vue abstrait, c'esi^-dire, en considérait
ridée en dehors de l'àme. 11 nous faut ici étudier la manière dont
les idées naissent dans l'Ame.
Nous avons conclu en Logique qu'il j a des idées innées, -des
idées infuses et des idées acquises. Cette distinction est conforme
à celle des habitudes en général:
Nous pouvons donc admettre que^ parmi les habitudes intellec-
tuelles que nous appelons idées, les unes sont une conséquence de
la nature humaine et chaque homme les apporte avec lui en nais-
sant ; d'autres sont le fruit d'une inspiration soudaine, pui ne peut
venir que d'un être capable d'agir directement sur l'Ame ; enfin les
plus nombreuses se forment par la répét tion des mômes aites
intellectuels.
Entrons dans quelques détails.
113. Idées BAlurelles et innées. — • Les philosophes de tous
les siècles se sont partagés en deux camps sur cette question. Les
nss admettaient avec Platon que l'Ame humaine apporte ea nais-
sant toutes les idées nécessaires. Selon Platon l'Ame aurait perçu
ces idées en Dieu, dans une existence antérieure.
Les autres admettaient avec Aristote que l'Ame est en naissant
comme un tableau encore privé de tout dessin, tabula rasa, et que
la perception vient y graver successivement toutes les idées.
De là les deux théories principal^ sur les idées : eelie des idées
innéeê etœlle de la table rase.
Une autre école, qqi ne s'affirma clairement qu'avec Malebraa-
^she, supposait que l'Ame est toi\jours. «a communication directe
270 PSYCHOLOGIE
avec Dieu, et que c'est en Dieu qu'elle voit actuellement non seule-
ment les idées nécessaires, mais encore toutes les idées générales.
Ce système a retrouvé de nos jours bien des partisans, sous le nom
d'Ontologisme.
La difficulté venait de la conciliation à faii'e entre la contingence
universelle de toutes nos perceptions ; la n(>cessité de nos affirma-
tions dans bien des cas ; l'absence complète de témoignage de cons-
cience, soit pour les idées innées, soit pour la vision en Dieu.
Les Platoniciens, entrevoyant sans le dire que les idées sont des
habitudes, ne voyaient pas de difficulté h les supposer présentes
dans Tenfant qui ntbît ; mais ils s'égaraient à leur tour quand ils en
cherehaient l'origine dans une -existence antérieure.
Les Aristotéliciens au contraire, constatant par le témoignage de
la conscience que Tâme ne pense qu*après avoir perçu par les
sens, faisaient remonter l'origine dé toutes nos idées aux percep-
tions sensibles .
Les partisans de la vision en Dieu h leur tour, constatant que
nous affirmons- ce que nous ft'avons pas vu et qui ne se trouve
qu*en Dieu, ne craignent pas de supposer la conscience en défaut
et affirment que notre Ame voit Dieu dans toutes ses pensées. .
Enfin les psychologistes modernes, suivant les doctrines fonda-
mentales de Reid ont cru expliquer l'origine de nos connaL^sances
et par suite de toutes nos idées, en distinguant dans l'âme la dou-
ble faculté de percevoir, ou Vexp'Jrience des sens et de la cons-
cience, et \ù, raison, qui selon eux, est la faculté de concevoir le
nécessaire & Toccasion du contingent. Ils ii*oat pas poussé plus loin
lears investigations.
Quand à nous, après avoir établi ( 69 ) que la raison est une
habitude naturelle et que les idées sont des habitudes, nous ae
ferons pas de difficulté à nous l'anger du côté de ces derniers philo-
sophes eti^ dir^ avec eux : que les idées nécessaires viennentdela
.raison et qu'elles se manifestent It Foêcasion de l'ex^^érienoe.
Mais nous irons plus loin : 1^ Considérant les idées comme des
habitudes^ nous pouvons dire -qu'il y a des idées tnnée9, et admettre
cependant que TÂme avant Texpérienee des sens est une tablerai.
En effet, l'habitude d'une ikiformatioa n'est pas cette information.
. 2^ Considérant la raison comme Thabitude natureU» des concdp-
INTELLIGKNCK 271
tîons nécessaires, nous dirons que les idées innées ne sont autre
chose que la raison elle-même, sans dire pour cela avec Leibnitz
qu'elles sont rintelligence elle-même .
3^ Ënûn, considérant la connexion logique de toutes les idées
nécessaires, qui se résument toutes dans Vidée d'être, qui ne sont
autre chose que l'idée d'être, nous dirons hardiment que la raison
n'est autre chose que i/idèe d*être, l'habitude naturelle et
nnée h tous les hommes par laquelle nous concevons Tétre, l'in-
formation habituelle de notre &me par le Verbe de Dieu, dans la-
quelle nous concevons d'une manière abstraite l'être absolu et
infini, dont la réalité est Dieu.
Ainsi toutes les théories précédentes sont expliquées, dégagées
de leurs oppositions réciproques et viennent se fondre en une seule.
Ce qui corrobore encore cette théorie^ déjà suffisamment établie
par elle-même.
114. Idées infîises. — Nous appelons idées infuses, celles qui
se forment dans l'&me par une 9orte d'inspiration. Les philosophes
n*ont jamais étudié cette origine des idées. Cependant il est facile
de constater dans la vie de presque tous les hommes et surtout des
hommes de génie, des pensées qui sont le fruit d.*une inspiration
subite, et non seulement des pensées mais môme des idées propre-
ment dites, c'est-à-dire, certaines dispositions, certaines habitudes
d'informations, qui n'ont leur origine ni dans la raison ni dans la
perception. Ce qu'on apppelle le génie n'est autre chose qu'un
ensemble d'idées infuses sur tel ou tel ordre de vérités. Et si on
veut bien appeler génie toute disposition à concevoir des vérités
nouvelles dont on n'a pas perçu les objets, on Terra que le génie
prend des formes trôs variées et qu'il n'est pas chose bien rare.
Dans notre siècle, par exemple le génie des machines, le génie des
combinaisons financières, économiques^ etc> se sont multipliés au
point de passer inaperçuate^i ' f
" Il faut distinguer cependant le bon et le mauvais génie: les
idées infuses vraies et les idées infuses fausses. Ces dernières surtout
sont plus nombreuses peut-être aujourd'hui que jamais, même après
tant de systèmes absurdes inventés par les siècles préc^^dents.
113. Idées ecqaieee. — Les idées acquises sont des habitu-
272 PSYCHOLOGIE
tes formées par les opérations intellectuelles^. Une fois que l'atteii-
tion, déterminant la perception, a donné à Tâme une conception
abstraite ou généralisée, Tâme reprendra plus facilement cette
même information à la perception du môme objet, qui lai a fourni
cette conception / Et quand C3 fait s'est répété assez souvent, on
seulement quand Tattention a été assez vive pour donner à r&me
une infornaation^ très prononcée, l'âme i*este disposée à reprendre
cette môme information, à la perception de tout ce qui s* y rap-
porte. Sa conception est passée en babitude : c'est une idée acqnise.
Plusieurs causes différentes peuvent i*emettre en .acte une idée*
acquise, mais toutes se résument dans la perception d'un objet qui
s'y rapporte. Aussi le moyen le plus ordinaire qui fait revivre dans
l'âme une conception devenue habituelle, c'est le mot que nous
avons rattaché à cette idée comme en étant l'expression. Dès qu*un
mot est pour nous Texpression d'une idée acquise, la lecture ou
l'audition de ce mot, agissant sur notice Àme, lui rend actuellement
l'information, la conception, que ce mot exprime. Telle est raction
du langage sur rintelligence et sur J^ pensée..
Réciproquement, la conception qui dans les informations de notre
âme se trouve ordinairement unie à la perception de tel mot, amène
avec elle une sorte de pei*ception de ce mot, dès qu'elle »e reproduit
dans l'âme par la perception d'un objet quelconque* C'est ce qui
nous permet de communiquer nos pensées et môme de les prêctser
par le langage. En effet sans le mot qui exprime chacune de nos
conceptions, elles auraient toii^ours quelque chose de vague» et il
nous serait probablement impossible d'en suivre l'enchaînement, si
rapide dans nos pensées*
Outre le mot notre âme possède un autre moyen de axer moins
parfaitement mais d'une certaine maniôre ses coneeptions. Ce
moyen, c'est Timage de l'objet quand il est concret, bu bien, quand
la conception est abstraite, l'image d'un ^>b}et concret d eu l'abstrac-
tion a été tirée. €ette image qui n*est (autre chose qu'une modifi-
cation physiologique dans la perception, se reproduit, quoique avec
moins de vivacité, dans la conception, alors que le oorps n'est plus
' affecté dans ses o.^ganes par Tobjet extérieur de la perception* Ce
j^énomène, un des plus importants de la vie intellectuelle, et qui
bien connu rendrait raison de la moitié des opérations de l'âme,
INTBLLIQENCE 273
mérite une étude spécùJe. Il a reçu le nom d'imagincUion, Mais
ce même nom désigne un autre opération intellectuelle^ qui vient
de la même cause et que nous allons étudier en même temps.
ftl. -*DI L'IIUIXATIOR
116. Définition. — Deux phénomènes de Tâme, et en même
temps les deux pouvoirs de les produire, portent le nom dlmagiT
nation. L'imagination est donc :
1^ La perception intérieuro de Timage sensible d*un objet, qui
accompagne toujours la conception de cet objet.
2^ Le pouvoir que Tâme possède de percevoir cette image.
3^ La création d'une conception nouvelle, par la combinaison
des conceptions antérieures.
4® Le pouvoir de créer ainsi des conceptions nouvelles.
En réunissant le fait et le pouvoir de le produire, U nous reste
deux sortes dlmagination. L*une reproductive ou sensuelle ^
Vautre inventive ou créatrice,
117. Imaginalion reprodttottTe. — I] est à remarquer que
dans rimagination reproductive, Timage se reproduit sans Faction
de Tobjet extérieur. Ge^fait s*explique par Télément physiologique
de la perception, qui n'est que la modifi ation du cerveau par
suite de la modification des organes. L*image par laquelle nous
peroevoni un objet, n'est autre chose qu'une modification du
cerveau, une sorte d'ébranlement nerveux. Dos lors il est facile de
concevoir que cette modification, devenue une habitude, se repro-
duise sous Faction d'une cause analogue, et dès qu'elle se repro-
duit, FAme doit revoir la même image. L'imagination reproductive
suppose donc, non pas une faculté spéciale, mais des habitudes
physiologiques âuM^uises, rattachées aux idées acquises. Ainsi l'élé-
ment corporel et l'élément psychologique de la perception s^unis-
sent dans les habitudes intellectuelles.
m
118. Imaginatiott oréatrioe. — Bn combinant plusieurs con-
ceptions dont elle a acquis l'habitude, FAme produit des conceptions
nouvelles, et comme les premières conceptions sont accompagnées
de leurs Images, les images se oombinent aussi et en forment une
18
274 PSYCHOLOGIE
nouvelle, qui correspond à la conception ainsi créée. Delàrimagi-
nation créatrice. Ce fait encore suppose, non pas une faculté
spéciale, mais des habitudes acquises. Ces diverses haUtodei
peuvent entrer en acte simultanément, et dès lors toutes les combi-
naisons peuvent se produire. Mais on constate que certains hommes
ont une aptitude spéciale pour ces sortes de créations, aptitude qni
n'est pas la môme chez tous. Cette facilité est aussi une habitodë,
et elle est en partie infuse ou naturelle, et en partie acquise.
119. Elément acquis de Fimagination créatrice: Associt-
tion des idées. — Les différentes conceptions qui se prodoiseiit
dans notre Ame, ont entre elles plusieurs relations et TAme perçut
ordinairement quelques unes de ces relations. Ces relations soat
essentielles ou accidentelles. Or Tattention, entraînée par une moi-
titude de dispositions naturelles ou acquises, se porte de préférence
sur tel ou tel genre de relations des conceptions. Et comme ce^
par leurs relations que nos idées s*appellent mutuellement datf
notre Âme, on appelle association des tdées^ les relations qtK
notre Ame remarque entre elles, en les concevant. De là une double
association des idées : l'une essentielle, Tautre accidentelle.
On comprend, en eflfet, que lorsque deux conceptions entit
lesquelles l'Ame a remarqué une relation ont passé à Fétat d'habi-
tude, la vue de leur relation est aussi devenue une habitude potr
l'Ame, de sorte que ces deux conceptions se trouvent tellemeDi
associées l'une & l'autre, que, dès que Tune passe en acte, Tâme, qoi
la voit avec ||sa relation à l'autre^ revoit immédiatement ce^te
seconde. Ce fait est la conséquence de l'association des idées, e'6st-
&-dire de la relation avec laquelle elles ont été conçues antémi-
rement. Et comme les différentes conceptions ont enti>6 elles i»
rapports essentiels, tels que ceux d'essence, de cause,de genreyetc,
et des rapports accidentels, tels que ceux de teûips, de lieu, de
signe, etc, il en résulte deux sortes d'associations des idées» dont
les conséquences sont différentes.
Les idées associées par leurs rappoi*ts essentiels forment une hahi.
tudescientifique, indispensable A toute considération sur telle outelk
science, favorisent la combinaison raisonnée de ces mêmes idées^
et permettent de créer des idées nouvelles sur la môme science.
Au contraire les idées associées par leurs rapports accidentels fc»^
INTELLIQBNCB 275
ment une habitude qu'on appelle Tesprit, ' ou Timagination poéti-
que, et souvent aussi ne produisent que des jeux de mots.
120. ConséquenceB de Tassociatioii des idées. — Ce lien
qui rattache ainsi une conception à une autre, et qui par là môme
rattache les habitudes de ces mômes conceptions, est le principe
d*un phénomène intellectuel de la plus haute importance, puisque
sans lui nous ne pourrions jamais comparer une pensée à une autre,
ni savoir rien de ce que nous avons éprouvé précédemment, ni
môme avoir conscience de notre personne et de notre identité.
Ce phénomène c'est le souvenir. Le pouvoir de le produire
s'appelle mémoire et nous verrons, plus loin, que la mémoire
n'est pas une faculté, mais bien un ensemble d'habitudes intellec-
tnelles, dont l'exercice est déterminé par l'association des idées.
Parlons d'abord du jugement et du raisonnement, parce que ces
opérations de l'Ame suivent immédiatement la conception, et que
de plus elles entrent au môme titre que les conceptions et les per-
ceptions dans le souvenir.
% 10. - DU JU61IIHT
121. Définitioii, — Le jugement est Tadhésion de Tâme à sa
pensée.
Cette adhésion s'appelle aussi affirmation. Mais ce dernier mot
semble désigner l'adhésion exprimée par la parole au moins inté-
rieure.
122. Sa nature* «^ Le jugement suppose la conception d'un
fait y c'esi-à-dire la conception d'un sujet modifié^ par conséquent,
la conception d'une substtmcey d'une modification et de Veœisten'
ce de Tune dans l'autre, comme ne formant qu'un seul ôtre. Donc
la conception qui est la base du jugement suppose la conception de
l'être^ qui n'est point le fait de la conscience ni des sens^ mais de
la raison.
Mais la conception d'un fait, dans laquelle la raison intervient
pour apporter l'idée d'ôtre comme inséparable de l'idée de modifi-
cation, n'est pas encore le jugement. Cette conception, quelle
qu'elle soit, a ordinairement un objet intentionnel, et elle est conçue
comme l'expression exacte de cet objet, ou comme ne lui étant pas
276 PSYCHOLOGIE
conforme. C'est là une seconde conception que snppooe le jQg^
gement : c'est la conception de la vérité ou de la fausseté de li
pensée. Mais cette conception encore n'est pas le jugement.
Concevoir un fait ; concevoir cette conception comme vraie os
comme fausse : ce n'est pas là juger. Pour qu'il j ait jugement, ii
faut que l'Ame dise oui ou non ; il faut qu'elle accepte ou rejette
sa pensée ; il faut qu'elle adhère à sa pensée affirmative ou néga-
tive. C*est là le fait que nous appelons jugement, tel que la coduscieih
ce nous le montre.
Mais pour dire ensuite en quoi consiste cette affirmation, œtte
adhésicm, c*est autre chose. Evidemment c'est un acte de Ytaae:
l'intelligence, avec ses facultés expérimentales et sa raison, n j
entre pas seule ; autrement le jugement serait tout entier dai» la
double conception dont nous venons de parler. L'activité j est dooe
pourquelquechose. Qu'y fait-elle ? Ilnoussemblequeron peut expri-
mer ainsi son action. Elle ordonne en quelque sorte à l'intelligeDoe
de garder cette information et de n'en point recevoir d autre ssr
le même objet. Ou plutôt Pàme^ qui conçoit un fait comme réel, et
par conséquent qui conçoit que sa pensé est vraie, ne veut plus sur
ce môme fait recevoir une information contraire : elle veiU qoe
cette pensée devienne chez elle une habitude, afin de concevoir
toujours ce fait de la môme manière. Telle est l'adhésion de l'âme
à sa pensée.
Mais cette adhésion, qui dans cette théorie est un acte de rolon-
té, n'est pas libre pourtant, ou du moins, quoique libre en un
sens, en pratique, elle ne l'est pas absolument parlant»
En effet, si la conception que l'àme juge vraie, lui paraît évi-
demment produite par son objet intentionnel et nullement par
l'imagination Inventive ; si sa pensée lui parait évidemment vraie,
Tàme n'est pas libre de la rejeter comme fausse ; elle Taffirme; dk
y adhère, et son adhésion, sa volonté de garder cette pensée^ eai
nécessaire.
Si au contraire la vérité de sa pensée n'est pas évidente^ l'âme
est libre de la rejeter, et si elle y adhère, on sent que c'est H tari;
que c'est par précipitation^ ou par préjugé, ou par passion. Car ii
peut arriver que l'àme veuille concevoir tel fait de telle maaiôfe
non parce que cette conception est vraie, mais panse qu'elle bn
INTELLIGENCE 277
platt. Dans ce cas Terreurest volontaire, libre et coupable. On voit
bien que ce n'est pas là le jugement proprement dit. Donc on peut
dire absolument parlant que le jugement, qui n'est au fond qu'un
acte de volonté relatif à Tintelligence, n'est pas un acte libre.'
En résumé : par l'intelligence, l'âme est informée d'un fait, comme
réel ; par la sensibilité, elle est attirée à recevoir son information
qui se montre vraie ; par son activité, elle accepte cette informa-
tion et n'en veut plus d'opposée.
Ainsi le jugement est le fruit des trois facultés de l'âme.
— Ce qui fait que nous avons peu conscience du sentiment etde
l'acte de volonté qui se joignent à la conception pour f(x*mer le juge-
ment, c'est qu'ici l'âme, au lieu d'être attirée et de se porter volon-
tairement vers l'objet réel de sa pensée, est attirée et se porte seu-
lement vers sa pensée. Et c'est aussi précisément ce qui fait que
eet acte de volonté n'est pas libre. Car, comme nous le verrons à
l'article de l'activité, l'âme est libre à l'égard des objets réels qui
ne sont que des biens relatifs, mais elle est nécessitée psi^r le bi^n
ab$olu. Or dans le jugement elle adhère, non pas à un être réel et
relatif, mais au vrai absolu. Aussi dès que le fait lui paraît autre
qu'elle ne l'avait jugé d'abord, l'âme change son jugement â
l'égard de ce fait.
S 11. DURAISORNIIIHT
123. Définition. — Le raisonnement est l'adhésion de l'Ame &
l'identité logique de deux pensées. C'est au fond un jugement.
124. Sa nature. — Si le raisonnement diffère du jugement, au
point de vue logique, en ce qu'il porte, non plus sur la vérité d'un
fait, mais sur l'identité de vérité de deux pensées ou de deux faits,
ils sont une seule et môme chose au point de vue psychologique.
C'est toujours l'adhésion de l'âme à sa pensée, à son information.
Seulement, ici l'âme est informée, non d'un fait comme vrai, mais
de l'identité de vérité de deux pensées : ce qui est aussi un fait
conçu comme vrai.
125. Résultats psychologiques du jugement et du rai-
sonnement. — L'adhésion de Tâme à sa pensée est d'abord un
acte, mais elle est destinée à devenir une habiiude et elle le .devient
1
278 P8TCH0L0GIB
en efTet. Tous les jagemeat^ et les raisonnements deriennent dm
l'ànie autant d'habitudes intellectuelles, qui constituent laconnab-
sance proprement dite ou la science, et dont TAme se sert en tes
remettant en acte par le souvenir.
SIS.-DU SOSTIIttlTSI U lIlfllL
126. Définition du SouTenir. — Le souvenir est un fait qd
consiste en ce que une information antérieure se reproduit dans
TAme, avec la conscience de sa précédente production.
On appelle réminiscence la reproduction d'une information anté-
rieure sans conscience de l'avoir déjà éprouvée.
127. Nature du SouTenir. — Le souvenir par lui-même n'eit
pas un acte ; c'est un' fait passif. L'&me se retrouve sous la même
Information qu'elle a eue antérieurement. Jusque là le souTenir n'ex-
ige pas une nouvelle faculté, autre que rintelligenoe, par laqudk
le même fait s'est produit une première fois.
Mais l'information se reproduit sans l'action de l'objet perçn.Otie
condition n'exige pas davantage une nouvelle faculté ; aaoontraiie,
elle démontre qu'une faculté ne saurait j suffire. (28).
Mais, dans le souvenir, l'information reproduite est aoeom-
pagnée de la conscience de sa production antérieure. Rien de plus
naturel. La conscience qui a accompagné la première infonnatioo
ne faisait avec elle qu'une seule information, et dès lors elle ne.s'ea
sépare plus.
Mais alors comment la réminiscence est-elle possible ? Elle eft
possible lorsque l'&me n'a pas eu conscience de la première inf<»^
mation, ou du moins ne s'y est pas arrêtée suffisamment pour U
faire passer en habitude et l'associer à l'information dont il s'agit*
Le souvenir se produit de trois manières :
1^ Spontanément, ou du moins sans cause apparente.
2^ Par l'effet d'une perception ou d'une conception semblable on
analogue ou associée.
3* Pat* l'effet de la volonté qui le cherche et souvent l'obtient
quand elle le veut.
128. Pouvoir du SouTenir ou Mémoire. — Nous venons de
voirque le souvenir ne suppose pas une faculté spéciale: qu elle es
INTELLIGENCE 279
donc la nature de la mémoire qui est le pouvoir de se souvenir "i
Le souvenir, comme toute reproduction d'une modification quelcon-
que de l'Âme, en dehors de sa cause propre, suppose une habitude.
La mémoire est donc une habitude. Et pour mieux dire, la mémoire
n'est qu'une somme d'habitudes ; car chaque pensée dont on se sou-
vient suppose une habitude spéciale. La mémoire considérée dans
«
sa nature n'est donc que Venseinble de toutes les habitudes intel-
lectuelles.
Mais la formation de ces habitudes ne supposât-elle pas une
faculté spéciale ?
Non. C'est une condition naturelle et commune à toutes les
facultés, ou plutét à tous les êtres qui ont des facultés, que chaque
opération qu'ils produisent selon une faculté quelconque les dispose
h reproduire la môme opération avec plus de facilité et toigours
4
de la même manière.
Ainsi l'âme ayant éprouvé une information ou plusieurs, avec
assez d'intensité pour se trouver disposée à la reprendre par elle-
même, la reprend ou spontanément, ou sous l'impulsion d'une
autre information analogue, ou enfin volontairement.
129 Qualités de la mémoire. — Quand les habitudes intel-
lectuelles se forment facilement, on dit que la mémoire est facile ;
quand elles persévèrent longtemps, on dit que la mémoire est'
tenace ; enfin quand elles produisant leur acte promptement, on
dit que la mémoire est prompte. On exprime la formation des
habitudes intellectuelles par le mot apprendre, leur persévérance
par le mot retenir, et la production de leur acte par le mot se rap-
peler. Ainsi la mémoire est : facile y<^^\A on apprend sans peine ;
tenace, quand on retient longtemps ; prompte, quand on se rap-
pelle à propos. Enfin la mémoire est fidèle quand le souvenir est
exact.
130. Diverses sortes de mémoijre. — On peut ainsi appren-
dre et retenir plus ou moins facilement les images des objets, ou
les mots qui les désignent, ou enfin leur conception. On distingue
donc : la mémoire des images, la mémoire des mots, la mémoire
des pensées.
Ces trois sortes de mémoire sont nécessaires à l'exercice de l'in-
280 PSYCHOLOOIE
telligence ; mais on constate qne tous les hommes ne les ont pat ai
même degré . Le plus souvent une des trois domine et ce n^esi pu
toujours la môme. Cependant on peut dira que la mémoire dai
images est celle qui domine le plus souvent.
131 Rismiié. — L'intelligence est la faculté de connaître; dk
consiste dans une sorte d'informabilité de l'Ame, qui s^exerce soos
Taction de certaines causes ou immédiatement par la conscience on
médiatement par les sens. De plus l'Ame possède natarellemefli
l'information habituelle de l'être en général, l'idée d'être, qne Toa
appelle communément- la raison, et cette information devient actu-
elle dès que l'Ame reçoit une information actuelle quelconque, et se
mêle nécessairement à toutes les informations que l'Ame reçoit de
l'expérience. Telle est Tintelligence dans ses éléments premiers.
Mais l'activité en tenant l'Ame plus ou moins sous rinflnenos
d'une information, ou de plusieurs, ou de leur différentes parties,
fournit à l'Ame des informations d'abord plus vives par i* attention^
séparées par l'abstraction^ puis comparées et pénéraltsées et
donne ainsi naissance aux conceptions. Ces dernières devenues
habitudes prennent le nom d'idées, L'Ame alors adhère à ses con-
ceptions: elle les^ti^^, elle les affirme ou les nie ; elle leeoompar»
et en affirme l'identité ou la non-tdentité; elle raisonne^ en pas-
sant par l'identité de l'affirmation d'un jugement à raffirmatioB
d'un autre. Enfin toutes ces* différentes informations de l'Aae
devenues habituelles et pouvant se reproduire sans l'action de kor
objet, constituent la mémoire et produisent le souvenir, lien wàk.
pensable de tous les actes d'intelligence.
INTELLIGENCE
S21
TABLEAU RÉSUMÉ.
M HATtfM.
informabUItè de Fâme.
EXPÉRIENCE.
SES tLÉMKNTS
liBS 9B1CS, ftenlté que
possède l'àme d'être in-
formée des modificatiofis
de son copps.
La G0N9GIEMCB, facultft
que possède l'Ame d'ê-
tre informée de ses pro-
pres modifications.
RAISON, information habituelle do
\ l'ôtre. — idée d'être. •
nTILLieKIGB.
\
Mt OftÉRATIONS..
Perception, par les sens et la conscien-
ce. Information que l'ôme reçoit de sa
modification actuelle.
Attention, eiTet de l'activité sur l'àma
informée.
Analyse, attention successive aux élé-
ments d'un être.
Ab^raqtion, attention portant sur un
élément séparé.
Comparaison, attention simultanée aux
éléments de plusieurs êtres.
GÉNÉRALISATION, abstraction portant sur
tous les éléments communs à plusieurs
êtres.
Conception, information de l'âme, résul-
tant d'une combinaison d'abstractions,
ou simplement information de l'âme.
Idées, habitudes intellectuelles des di-
verses conceptions.
. ReprodnctlYe. Reproduc-
1 lion intérieure, de l'image
I d'un ob}et, en l'absence de
jcet objet.
Imaginations créatrice. Combinaison
Ide plusieurs conceptions
[antérieures, formant une
conception nouvelle.
Jugement, adhésion, de l'âme à sa pen-
sée. Acte de volonté nécessaire, ac-
ceptant une pensée comme vraie.
Raisonnement, lugeroont affirmant l'I-
dentité de deux pensées.
Souvenir, reproduction d'une pensée
antérieure avec conscience de son ac-
tualité antérieure.
MÉMOIRE, ensemble de toutes les habi-
tudes intellectuelles acquises.
282 PSTCHOLOOIB
Conolusion. — L*àme par la seule faculté de rintelligeiKX
déterminée par l' Activité, ou en d*autres termes par cela seul qu'elle
est informable et active, produit toutes les opérations intallectuellei
que nous venons de décrire, sans qu'il soit besoin de les expliqua
par d*autres facultés.
APPENDICE
PRINCIPALES THÉORIES SUR LES FACULTÉS INTELLECTUELLES.
THtORIES CLASSIQUES.
Théorie de Platon. — lia théorie de la connaissance est la partît
fondamentale de tout le système philosophique de Platon. Aussi, U f
revient souvent dans ses dialogues ; mais* en exposant longruexneat sa
théorie de la connaissance, il a négligé de déterminer les faculté qoe
supposent les différentes opérations de Venue. Ce n'est donc pas la
théorie explicite de Platon que noàs exposerons ici, mais celle qui se
trouve implicitement renfermée dans ses écrits.
L'âme a, par son union avec le corps, la faculté de sentir ; elle
éprouve donc des sensations, et ces sensations que nous appellerions
aujourd'hui perceptions sensibles, lui font connaître le particulier, le
variable, le fini; par le Ouaos qui ailleurs est à peu près ce que nous
appelons moralement le cœur, et qui est ici une faculté de généraliser,
l'âme se f jrme des notions, qui sont la conception générale de ce qu'elle
a vu par les sensations dans les êtres particuliers ; enfin, par la raison,
Xévo^ elle voit les idées, c'est-à-dire les idées nécessaires, qui sont
comme une participation à la connaissance divine, et qui, appçrtées par
elle en naissant, demeurent comme endormies, jusqu'à ce que les sensa-
tions les réveillent et les fassent voir à l'âme par une sorte de rémi-
niscence.
La philosophie classique a toujours reconnu, même chez Aristote, cette
double origine de la connaissance: l'une expérimentale, l'autre ration-
nelle. .
Théorie d'Axistoteet de saint Thomas. — La théorie de l'intel-
ligence chez les Bcolastiques est celle qu'avait conçue Aristote: nous la
donnerons ici telle qu'elle se trouve dans les œuvres de saint Thomas.
INTELLIOENCB 283
Cette thôorle distingue d'abord dans l*àme les puieaancea aeneitivea
et les puissances intellectives. Les premières ont pour sujet Tâme et le
corps, les autres son tdans l'âme seule. Les unes et les autres sont appré-
hensivesei appétitivesien sorte que la connaissance.etractivité sont d'a-
bord confondues dans une môme idée, et que la distinction fondamentale
porte sur le matériel d'un côté et le spirituel de l'autre. Mais après que
Vappéitt sensitif, qui est ce que nous appelons la sensibilité physique»
et Vappéitt tntellecttiel, qui est la volonté, ont été mis à part, il reste
deux puissances de connaître : les sens^ au nombre de cinq, pour les
objets corporels, pris en particulier dans leur individualité, < hic et
nunc > ; VinteUtgence, pour tout ce qui est conçu universellement-, par
abstraction, € abstrahendo ab hic et nunc, » De plus, quatre puissances
sensitives internes permettent à l'âme : 1* de savoir ce qui se passe en
elle A te et nunc et de distinguer les perceptions d'un sens de celles d'un
autre: c'est le sens commun; 2* de conserver les images perçues par
les sens : c'est Vimagination ; S'' d'apprécier, comme le font les ani-
maux, les qualités utiles ou nuisibles de tels corps : c'est la puissance
estimative; 4* de conserver le souvenir de ces qualités invisibles des
corps : c'est la m,ém,oire. Mais la mémoire se trouve aussi dans
l'intelligence.
Quant à l'intelligence elle-même, elle est d'abord Vintellect passif,
une simple puissance de recevoir des formes ou espèces, (speoies in~
telligibiles), c'est-à-dire des conceptions générales abstraites. Mais
comme ces espèces ne peuvent lui venir que des sens, et que les sens
ne les lui fournissent que dans les conditions particulières du hic et
nunc, il faut â l'âme une faculté d'abstraire et dergénéraliser : c'est
Vintellect agent. Celui-ci est une puissance active qui transforme les
espèces sensibles (species sensibiles, phantasmaia), fournies par les
sens, en espèces intelligibles, c'est-à-dire qui généralise par l'abstrac-
tion les données particulières des sens. C'est alors seulement qu'elles
sont aptes â pénétrer dans l'intellect passif, qui est l'Intelligence pro-
prement dite. Et ce même intellect passif conserve les espèces inlelli-
gibles qu'il a reçues, quand elles y ont formé une habitude, et il
s'appelle en ce sens la mémoire.
La raison, dans cette théorie n'est que la puissance de raisonner et
elle ne se distingue pas de l'intelligence ; car, dit St Thomas, raisonner
n'est pas autre chose que passer d'un connu à un autre.
Mais ce principe intérieur de nos connaissances nécessaires, que nous
avons reconnu, et que nous appelons aujourd'hui la raison, n'a pas
été méconnu d'Âristote ni des Scolastiques. Ils rappellent Vintellect des
principes {intellectus principiorum), et Saint Thomas dit formellement
2&4 FSTCHOLOOIE
qu'fl n'est pas une puissance (faculté), mais une habitude oaturelle. Il
en dit autant de ce qu' on appelle aujourd'hui la raison pratique^
qu'il appelle la ayndérèse. « Intêllectus princi^ioruni dicitnr me
HABiTUS NATURALis : cx ipsà entm naiurà animœ tnteUeciualif
eonvenit homini quod statini cogniîo quid est tcivm et quid en
pars, cognoscat quod omne totum est majus sud parte. — Sed qvùl
isit totum et quid sit pars cognoscere non potest nisi per speekt
intelHgibiles a phantasmatibus acceptas. (Summa Ihéol. la 2s qllV
Voyez aussi Summa theol. p. la q. lxxix. Voilà le vrai ssasdans
lequel Aristote et les Scolastiques entendaient le fameux princifie :
NiJitl est in inteltectu quod non prius fuerit in sensu.
En comparant avec la nôtre cette théorie de rintelfigence. que nous
prenons tout entière, non pis mot à mot, mais très- fidèlement et nos
y rien ajouter, dans St-Thomas, on verra facilement qu'eUes difièreal
peu ou point dans le fond, quoique peu semblables dans les termes. Bo
effet, la raison, dans le sens actuel du mot, est pour nous, comme pour
Aristote et saint Tliomas, Vkabitude naturelle de ce que nous cooee-
vons nécessairement dans les choses. Seulement nous avons poussé pins
avant notre examen et nous avons montré que ces premiers prindp»,
qui d'après saint Thomas nous sont innés, se réduisent à l'idée d'être.
•et qu'ainsi il est vrai de dire qu'en naissant, notre âme est une tM
rase, et que toutes les connais^tances nous viennent de l'expérience.
C'est ce qu'Aristote appelle le sens, puisque ce que nous appelons coo-
science est pour lui le sens commun.
Quant à Vinieîlect agent, il ressemble assez à l'attention telle qui
nous l'avons décrite, et nous sommes d'accord aussi sur ces points que
llnteiligence est passive, que La mémoire n'est pas une faculté à pirt<
maLs seulement l'habitude acquise des conceptions précédentes.
Théorie'de Bossuet. — 11 est facile de voir dans le Traité de U
connaissance de Dieu et de soi-même, que Bossuet s'en tient posr
l'analyse des*f acuités de l'âme à la tliéorie des Scolastiques. Comme eus il
distingue d'abord les facultés sensitives et les facultés intelleetueU»-
Dans les premières il place les cinq sens, le sens commun, Vimagii^
tion et les passions, qui sont les appétits sensitifs. Dans les seconds
il distingue : Ventendement, la mémoire et la volonté et donne àl'eo-
lendement trois opérations : concevoir, juger, rcztsonner. D ne dit
rien de llntellect agent, ni de l'intelligence des principes, mais on ^^
bien qu'il les conçoit comme saint Thomas. C'est la doctrine claasiqo^
de son temps> que nous retrouvons implicitement dans la IiOgique di
Port-Royal.
rNTELLIOENCE 285
Théorie de Reid. — Le chef de l'école Ecossaise, Thomas Reid.
est le premier qui, ea restant généralement fidèle aux données de la
philosophie classique» ait franchement abandonné les théories d'Aristote
sur Tàme.
Dédaignant les subtilités de la dispute, il admet comme indiscutables
ou comme accordés un certain nombre de principes, tels que : la cer-
titude des faits c^e conscience, d& la mémoire, de la réflexion sur soi-
même, de l'identité du principe^pensant, qui est le moi ; la distinction
de la substance d'avec ses modifications; la réalité objective de nos con-
naissances ; la vérité des doctrines universellement admises par le genre
humain; enfin, la certitude de tout ce qui, en général, est l'objet de«la
conviction de tout homme raisonnable.
Ces principes posés, Reid prend pour guide la réflexion, et, rejetant
la division générale des opérations intellectuelles, adoptée dan^ toutes
les logiques, depuis Âristote jusqu'à Port-Royal : « concevoir, juger,
raisonner », parce que, dlt-il, de ces trois opérations, la deuxième sup-
pose et renferme la première, et la troisième renferme les deux autres,
il renonce à donner ime analyse complète des facultés de Pâme, et croit
devoir admettre comme des facultés distinctes : les sens, la mémoire,
la conception^ l'abstrat'tion, le jugement, le raisonnement, le goût,
la perception m.orale et la conscience,
La première distinction entre les facultés ou les opérations de l'a me
ne se fonde plus sur la participation ou la non- participation du corps;
on n'y voit donc plus les facultés sensitivesà côté des facultés intellec-
tuelles. Ce dernier terme de facultés intellectuelles représente chez
Reid toutes les facultés appréhenslves des anciens, et les facultés appé-
titives prennent le nom de facultés actives. C'est un premier pas vers
la division devenue classique aujourd'hui , mais la sensibilité est encore
absente.
De plus Reid, en créant, une nouvelle analyse de l'âme, donne une
nouvelle direction à la psychologie, en la séparant de la métaphysique,
où l'âme était étudiée, presque a priori, pour la traiter, avec plus de
raison, comme une science d'observation. Il a aussi le premier mis en
lumière un phénomène intellectuel oublié jusqu'à lui, qu*il appelle les
suites (Vidées, que son disciple Dugald Stewart a étudié plus profond
dément sous le nom d'Associations des idées, et qui est devenu chez
les contemporains l'objet d'une étude attentive et féconde.
Ainsi les travaux de Reid ont dirigé la psychologie dans une meil-
leure voie ; !• quant à la méthode qui doit y être analytique, puis-
qu'elle a pour objet un] être réel contingent, étudié dans ses lois
Qg^ PSYCHOLOGIE
contingentes; 2* quant au fondement de la distinction des facultés qsi
est la nature des actes, plutôt que la présence ou Tabsence du corps
comme instrument; 3* en donnant occasion d'étudier un phénomène qai
rend compte de la plupart des opérations de Ta me.
Mais en se séparant de la tradition classique il a, comme toute réac-
tion, dépassé le but. Sa théorie laisse sans explication et en quelque
sorte sans cause, toute une série de faits de Vdme : les sensations et
les sentiments. Et sa théorie des suites d'idées devenue après lui.
Y association des idées a fait oublier la théorie classique des habitudes
qui en est cependant le complément indispensable.
THÉ0RIC8 NON CLAtSIOUES.
Théorie d'Epionre. — L'âme selon ^pleure est une matière comme
le corps ; seulement elle est composée d'ato^pes plus subtils et ptos
actifs. Epicure les suppose ronds et ignés.
Pour expliquer la connaissance, il suppose que les corps émettent
perpétuellement dans tous les sens des atomes, qui,en atteignant nos orga-
nes, fournissent à l'âme des images. Ces images lui font connaître les
corps d'où les atomes sont partis. CTest ce phénomène qu'il appelle U
sensation, àiaOriO'iç. La même sensation répétée plusieurs fois engen-
dre dans Tftme un souvenir, par lequel nous jugeons de tous les corps
semblables. C'est l'idée universelle, qui nous permet de eonoevoir nn
objet avant de l'avoir perçu, et c'est pour cela qu'Epicure appelle ces
Idées universelles des anticipations, TZQokS\ift\A-
Les Stolciens^partalent de la même théorie et admettaient dans le
môme sens les sensations et les anticipations, mais Us y ajoutaient la
droite raison, ip66ç Xivoc, qui était pour eux une participation 4 la
raison commune, sorte de force ou de feu intelligent, qui pénétre le
monde et le meut en y opérant tous les développements que nons
voyons s'y produire.
Théorie de Looke. — Ia* Essai sur V entendement hum<Un de
Locke prétend nous donner une doctrine nouvelle et constituer un
progrès dans l'analyse de l'âme.
Au fond, ce n'est qu'un retour en arriére qui a mis la philosophie do
XYIU* siècle en retard §urla philosophie classique. Car la doctrine de
Locke sur rintelligence n'est que celle d'Epicure avec un mot nouveau.
Selon Locke, le principe de toute connaissance c'est la sensation; et la
réflexion, agissant sur elle, comparant les sensations, et constatant ce
qu'elles ont de semblable ou de différent, fournit les idées et tonales
INTELLIGENCE 287
autres développements de la connaissance, n est facile de voir, que la
réflexion de Locke remplit exactement le but des anticipations
d'Epicure.
Théorie de Gondillao. — Partant du principe de Locke, Condillac
déclare que, non seulement toute connaissance vient de la sensation,
mais que tout est sensation dans l'âme; ({n^X^senBation se transforme
en idée, en jugement, en raisonnement, en volonté même ; en sorte que
Vâme fait toutes ses opérations par une seule faculté : la sensi-
bilité.
Théories idéalistes. — A côté des théories matérialistes que nous
venons d'exposer comme théories non-classiques, le XVIII» siècle nous
oiTre des doctrines qui s'écartent aussi de la philosophie classique mais
en sens contraire.
C'est d'abord Leibnilz, pour qui, conformément à sa théorie des
monades, dont nous avons parlé, page 210 , la perception n'est autre
chose qu'un développement, une sorte d'évolution interne de l'âme, et
des monades du corps, sans aucune action des unes sur les autres. Quoique
Leibnitz s'exprime comme tout le monde quand il parle des sens, il
faut reconnaître, que les mots perception, sensation, action môme,
n'ont plus aucun sens analogue au nôtre, dans son système. C'est déjà
sous d'autres termes le formalisme de Kant.
Kant, constate la conscience et les pensées, les informations que
l'âme perçoit en elle-même, mais il déclare Ignorer si ces formes lui
viennent du corps, ou plutôt il croit pouvoir affirmer que pour les idées
nécessaires au moins^ c'est l'âme qui donne â ses idées ses propres for-
mes. C'est ainsi, que selon Kant, l'âme perçoit nécessairement les corfib
sous la forme du temps et do l'espace, et les idées rationnelles sous la
forme de l'unité. Bien plus, s'il veut rester d'accord avec lui-même
Kant est obligé de dire que toutes nos idée8> tant contingentes que
nécessaires, sont des formes accidentelles ou essentielles de notre
âme.
C'est l'idéalisme poussé â sa dernière limite ; et il arrive par une
autre voie aux mêmes conclusions que Leibnitz, qui cependant n'avait
pas voulu conclure.
Ces doctrines idéalistes développées par Fichte amenèrent la négation
de tout être autre que l'âme ou le moi, et par une analyse subtile mais,
en apparence, d'une logique serrée, Hegel, partant de ce mot, qui s'ob-
jective le non-mot, un non-mot qui n'est pas, et qui n'a d'existence que
dans le moi, en conclut que • l'être et le non-être sont identiques » et
finit par poser, comme principe premier de toute philosophie, l'absurde
288 PSTCHOLOOIB
lui-même» dans sa forme la plus absolue : < L'identique et le noo-idea-
tîque sont identiques. »
GoDolmsion. — La vérité est une, l'erreur est OMdtiple. Lêb pliil<MO-
phes n'ont pas tu du premier coup toute la vérité sur l'àme ; nmis ai U
philosophie classiquA vase développant et pénétrant plus proloudémeai
dans la vérité, il est à remarquer qu'elle ne se contredit jamais. Ses
théories plus récentes sont plus explicites ou plus profondes qom les
premières, mais elles ne répugnent jamais au bon-sens. C*est à csUa
marque que l'on peut les reconnaître. Au lieu que les théories qui s'écar-
tent, dans un sens ou dans l'autre, de la doctrine classique, choquent
d'abord la conscience, en ce sens qu'elles nient, dés le principe, quelque
fait entièrement certain, et finissent toujours par arriver à la Dé^tion
absolue, dernier terme de l'erreur.
ARTICI.E 3"*
iGTiriTÉ
13 L Définitioii. — L'activité est U faculté d'agir. Agir c'est
être c%use, c'est produire un effet. L'âme est oauee* elle ngit» elle a
donc la faculté d'agir.
132. Nature. — L'activité mérite mieux que les deux autnes
puissanees de TAme le nom de faculté, car elle est une paissanee
active» spontanée et libre.
Active puiaqu elle est la puissance d'agir. Spontanée^ car, h la
différence des corps inertes, l'âme n'agit pas forcément, par le seol
rapport entre ses propriétés et les objets, mais elle trouve en elle-
môme le principe et la détermination de ses aetee. C'est ua fa&t
d'expérience dont nous parlerons bientôt plus longuement.
Libre, car ses actes qui ne sont pas déterminés par leurs ol^ts
ne le sont pas non plus par la nature de l'Ame : elle se choisit elle*
mâme ses actes. C'est ce que nous aurons roccasion de prouver plus
loin.
L'activité de Tâme 8*exeroe sur l'âme elle-môme, sur son corps,
et, par loi, sur les autres corps.
Quant à savoir en quoi consistent ces aetes de l'âme; comment
elle passe du repos à l'acte : comment elle se détermine pour tel ou
ACTIVITÉ 289
tel acte ; comment elle se commande à elle-môme et comment elle
meut, son corps : ce sont des questions fort difficiles et jusqu'ici res-
tées sans explication.
133. Conditions d'exercice de l'activité. — L'activité
s'exerce :
1° sur l'âme elle même.
2** sur le corps qu^elIe meut et par lequel elle meut aussi les autres
corps.
3<» sans réflexion et presque sans conscience, soit d'une manière
toutrà-fait spontanée, soit par réaction instinctive contre une impres-
sion.
4"* après réflexion et par une détermination libi'e.
134. Division de l'activité. — Nous devons donc distinguer à
différents points de vue plusieurs espèces d'activité.
D'abord l'activité corporelle et l'activité spirituelle.
Ensuite l'activité spontanée, l'activité instinctive, l'activité volon-
taire et l'activité libre
Nous parlerons séparément de l'activité corporelle ou activité
physique, à cause de l'élément corporel qu'elle suppose. Quant à
l'arctivité spirituelle, il en sei*a suffisamment question dans lesdiffé-
. r^ites espèces d'activité distinguées par le second point de vue.
g. 1. - Dl L'iCTITITÉ GOEPORILLI OU PHTSiaiIE.
»
135. Définition. — On appelle activité physique, la faculté qui
permet à l'âme de mouvoir son corps, et par là les autres corps.
136. Eléments de l'activité physique. — Cette activité sup-
pose un double élément : l'un dans l'âme et l'autre dans le corps.
Dans l'âme, la faculté de mouvoir le corps, et dans le corps, la
mobilité.
L'activité physique de l'âme, n'est pas une faculté distincte. de
son activité spirituelle. Seulement, ici elle s'exerce sur le corps.
La mobilité du corps suppose des organes mobiles et des moyens
de communication entre ces organes de l'âme. Ici encoienous trou-
vons le cerveau avec la moelle épinière et les nerfs. Seulement la
• transmission selUit en S9us contraire de ce que nous avons constaté
19
))90 PSYCHOLOGIE
pour la sensibilité. Le mouvement se produit dans le caryeau et se
communique aux organes par les nerfs. De plus Tanatomie a cons-
taté que les nerfs moteurs ne sont pas ceux de la sensibilité et qu^iis
donnent le mouvement aux organes par Tintermédiaire des musclei
et des tendons.
137. Opérations de ractivité phyaiqpie. — > L'actiritô physi-
que s*exerce sans cess^ dans le corps tant que celui-ci est virant.
Par elle se produit la circulation du sang, le jeu des poumoas, la
nutrition et le développement du corps. Mais tout cela se produit
en nous spontanément et sans que nous en ayons conscience. Dans
ces cas l'activité physique prend quelquefois le nom de force vitale.
Elle s'exerce ensuite dans tous les mouvements du corps, sponta-
nés, instinctifs ou volontaires. Les mouvements qu'elle produit
supposent presque tous des habitudes spéciales et quelques-uns des
habitudes qui ne s'acquièrent que par de nombreuses répétitions
des mêmes actes. Tels sont les mouvements qu'il faut faire pour
écrire, dessiner, peindre, scuplter, jouer d'un instrument de musique
ou faire les ouvrages de tel ou tel métier.
138. Qualités de l'activité physique. — Les différentes opé>
rations de Tactivité physique exigent plus ou moins : la force, la
souplesse, le dextérité^ la rapidité, la précision. Ce sont tout autant
des qualités précieuses de cette faculté, et que tous les hommes ne
possèdent pas au même degré.
D'ailleurs toutes ces qualités semblent avoir leur source platét
dans l'élément corporel que dans l'élément spirituel ou psychologi-
que de cette activité. Le plus ou moins de force d*un homme, par
exemple, semble venir plutét de son corps que de éon Ame. Il en est
de même des autres qualités.
Ces différentes qualités ne s'appliquent pas k la puissance vitale
qui agitd*une manière déterminéeet presque forcément comme les pn^
priétésdes corps inertes.On peut cependant comprendre que laress^n-
blance n'est pas exacte, en ce que les fortes émotions, qui ne sont
qu'une surexcitation de l'activité spirituelle, suspendent le travail
de la puissance vitale, au point qu'elles troublent les fonctions orga-
niques et quelquefois même tuent le corps.
^es sensations vives trop souvent répétées produisent le aitee
ACTIVITÉ 291
résultat, soit à cause de la connexion intime des facultés de Yàme
soit surtout parce que le système nerveux et les organes, instruments
indispensables de Tactivité physique, prennent dans les sensations
des dispositions qui les rendent impropi*es à leurs fonctions normales.
C'est le premier chAtiment que la nature inflige & certains vices.
g. 2. ~ DXL'AGTITITl SPISTARÉI.
139. Définition. — L^activité est spontanée en ce sens que
râ.me peut agir et agit par elle-même et non par la force de ses
relations avec les objets, comme les propriéti^s des corps,
140. Existence de ce caractère dans l' activité. — QueT&cte
de l'Ame soit spontané, nous en sommes certains par la concience.
Car nous sentons très-bien que, malgré les sensations, les sentiments
et tout ce qui peut nous exciter à agir, rien ne peut nous forcer,
et que si) 'Ame agit, c'est par sa propre détermination. La conscience
universelle atteste que les actes de T&me ne sont pas comme les opé-
rationsdes corpslesuns su ries au très. Toute la philosophie ancienne
a considéré l'âme comme principe de mouvement, seulement les'
païens allaient trop loin dans cette idée, comme nous le verrons
bientôt. Mais il n'en reste pas moins certain que Tâme agît elle-même,
qu'elle est vraiment cause, et que ses actes ne sont déterminés par
rien de ce qui l'entoure dans le monde créé. C'est là ce qu'exprime
le mot spontané, quoique dans ces derniers temps on Tait opposé
au mot libre. Ce caractère de spontanéité est commun ft touf> les
actes de l'àme, soit en elle-même^ soit dans son corps et sur son
corps ; moins peut-être ceux des fonctions organiques, ou de la
puissance vitale. Il est le fondement même de la liberté, car pour
agir librement il faut agir par soi-même
Ainsi l'activité de l'Ame, spontanée de sa nature, devient ensuite
instinctive ou volontaire, sans cesser d'ôtre spontanée.
141. Activité purement spontanée. — Y a^-lril des actes de
Tàme qui sont purement spontanés ? C'est possible et même assez
probable; mais il est bien difficile de le constater par l'expérience.
Ali premier aspect on croit voir dans l'homme beaucoup d^actes de
cette nature. L'Ame semble agir alors sans instinot ni volonté et
292 PSYCHOLOGIE
m
môme sans conscience prôcédente^uniquement parce qu'elle est active;
tous les enfants commencent par là, et les hommes eux-mêmes, bien
des fois, font des mouvements qui ne semblent excités ni par la
volonté ni par aucun attrait sensible. Mais il est difficile de consta-
ter que ces mouvements ne sont pas une réaction inconsciente contre
des sensations inconscientes.
142. Nature de la Spontanéité. — Nous avons constaté que
l'activité de TAme est spontanée, mais nous n*essayerona pas de
dire en quoi consiste dans sa réalité cette spontanéité, car c'est là
le plus difficile des problèmes que la philosophie s'est posée, et tous
ceux qui ont voulu le résoudre se sont égarés. En donnant à TAme
la spontanéité, les philosophes grecs et romains, la coDcevaient
comme principe premier de ses actes, comme cause première, et
par suite disaient que Tàme est une parcelle de la divinité. De nos
jours encore plusieurs philosophes se font une idée semblable de la
spontanéité de Tàme. Mais la métaphysique ne nous permet pas
de supposer que l'àme humaine qui est un être contingent se noieuve
elle-même en dehors de l'action de sa cause première ; et d'un autre
côté il est difficile de concevoir comment un acte causé dans on être
par un autre peut être spontané. Voilà dans sa profondeur la plus
insondable Tabîme qui nous ouvre la considération de la liberté
humaine. Pour comprendre la liberté il faudrait d'abord compren-
dre la spontanéité. Quoi qu*il en soit, nous constatons le fait de la
spontanéité ; nous constatons le fait de la liberté, qui n'en est que
la conséquence ; et nous avons établi . ailleurs que Têtre contingent
tient tout dô Tôtre nécessaire. Nous n'essayerons pas de joindre cee
deux extrêmes.
§.S. -DE L'iGTITITt INSTIHGTITI
143. Définition. — L'activité de l'àme est instinctive en ce
sens qu'elle peut agir et agit, excitée par une attraction actuelle.
Cette attraction actuelle, sensation ou sentiment, est le plus sou-
vent le fruit d'une habitude, d'un instinct. De là le mot instinctive;
à moins qu'on n'y voie simplement le mot latin instincta, pai'ce
que l'àme est poussée, excitée,
145. Exiatence de ce mode d'activité. — Il est facile decons-
ACTIVITÉ 293
tater que Tâme agit souvent d'une manière instinctive, selon la
déûnition que nous venons de donner.
Dans ce cas Tacte de l'âme reste spontané, car Tattraction ne
saurait la forcer à agir. L'âme cède à cette attraction et c'est elle-
même qui se détermine à agir,
Cependant, jusque-là, l'acte n'est pas encore volontaire ni libre,
car il n'est pas réfléchi, et la réflexion est nécessaire à la liberté ;
il n'est pas môme connu, ou du nioins il n'est pas connu d'avance,
et la connaissance préalable est le fondement de la volonté.
Il s'agit ici de l'acte purement instinctif ; car l'acte peut être
tout â la fois instinctif et libre.
Par exemple : Quand, voyant venir un objet devant nos yeux
nous les fermons, l'acte est vraiment excité par un instinct naturel
et il est purement instinctif, sans réflexion ni connaissance préa-
lable.
Quand un homme à l'habitude de priser beaucoup et qu'il ouvre
sa tabatière et prend du tabac, sans s'en apercevoir, il agit par
l'excitation d'une habitude acquise; son acte est purement ins-
tinctif.
Mais quand un buveur d'absinthe ou d'eau-de-vie, sachant que
ces boissons le tuent, se laisse aller à boire, son acte est tout k la
fois instinctif, volontaire et librej; car l'habitude de la sensation
l'attire ; mais il connaît ce qu'il va faire, et il le veut néanmoins,
pouvant s'en abstenir.
Il faut faire entrer aussi dans l'activité instinctive ou habituelle,
la perfection ou l'imperfection que nous mettons dans tous nos
mouvements libres, par suite de l'habitude, et souvent sans que
nous sachions en quoi consiste cette perfection dont nous voyons
pourtant les résultats. Par exemple, le plus ou moins d'expression
sympathique que deux violonistes obtiennent par un même coup
d'archet ; leurs mouvemments ne sont certainement pas les mêmes,
mais ils ne se rendent pas compte de la différence ; cette différence
n'est donc pas libre chez eux et elle est habituelle.
§. 4. - Dl L'ÂGTITITÉ VOLONTilRI.
146. Définition. — On appelle acte volontaire tout acte qui
est tout à la fois spontané et connu préalablement.
994 PSYCHOLOGIE
L^açtivité de Tàme est donc volontaire en ce sens qae TAme
prodait spontanément des actes qu'elle connaît préalablement.
147. Sa naiure. — - La volonté n'est pas encore la liberté. Un
acte peut être spontané et connu préalablement et cependant êlK
rendu nécessaire par la nature même de Tâme. Dos lors il n'est
pas libre.
148. Existence de ce mode d'actÎTité. — La conscienoe
nous dit à tous que nous agissons souvent spontanément et avec
connaissance préalable de nos actes. Nous avons donc la volonté.
Mais il nous faut constater ici Texistence de la volonté néces-
saire, pour certains actes .
En effet nous agissons toujours pour atteindre un but, et nos
buts sont différents, mais il en est un que nous nous proposons
tous et que nous voulons atteindre quand-môme : c'est le bien
absolu. C*est vers lui que tendent en définitive tous nos actes. Ce
bien absolu, nous en avons l'idée, le sentiment ; nous le connaissons,
il nous attire ; mais c'est spontanément que nous suivons cette
attraction et que nous poursuivons ce bien par tous nos actes. Nous
sentons très-bien que notre attrait no nous entraîne pas, et que nous
no sommes pas purement passifs, dans notre marche vers ce but ;
nous agissons donc ; et nous sentons aussi que notre acte n'est pas
forcé physiquement par Tobjet, comme Tattraction de Taimant est
forcée par le fer : notre acte est donc spontané. Cependant il nous
est impossible de ne pas faire cet acte, de ne pas vouloir ce bien
absolu de toute la force do notre dme : cet acte est donc nécessaire *
il est la conséquence de notre nature et de la raison, qui nous fait
concevoir le bien absolu, comme notre bonheur suprême dans lé
vrai,le beau, le bien infini.
L'âme ô. donc la volonté et cette volonté s'exerce nécessairement
à l'égard du bien absolu.
Nous allons voir naaintenant que cette môme volonté s'exerce
librement à l'égard de tous les biens relatifs.
g 5. n L'ACTITITÉ LIBBE OC DK LA LlttSRTÉ
149. Définition. — L'activité de l'dme est libre en ce sens
qu'elle pix)duit spontanément, et sans y être nécessitée par sa natare,
des actes qu'elle connaît d'avance.
ACTIVITÉ 895
Agir ainsi c*e8t choisir ses actes.
La liberté est donc la faculté de choisir,
150. Nature de la liberté. — Itkme est active et son activité
est spontanée. D'un autre côté sa raison lui découvre le bien
absolu, infini. Elle se sent faite pour lui, et en présence de cet
objet elle ne peut retenir son acte. Elle le veut donc et le veut
nécessairement. Mais, autour d'elle, elle voit d'autres biens impar-
faits, qui lui retracent quelque chose du bien absolu, mais qui ne
sont pas lui. Elle est donc plus ou moins attirée à les vouloir ; mais
elle ne les veut pas nécessairement. Et comme d*ailleurs son acti-
vité est spontanée^ elle peut toigours les vouloir ou ne pas les
vouloir, agir pour celui-ci ou pour celui-là, choisir ses actes : elle
est libre.
La liberté, ainsi comprise, selon la théorie donnée pour la pre-
mière fois, crojons-nous, par S^ Thomas, se présente comme un
attribut de TÂme raisonnable. Car, comme âme elle est sponta-
née, et comme douée de raison, elle voit l'être absolu et par suite
ne peut vouloir, d*une volonté nécessaire, que le bien absolu : elle
reste donc libre devant les biens relatifs.
151. Différents sens du mot liberté. — Le mot liberté se
prend pour désigner :
1® un caractère de l'activité de l'âme.
2° le pouvoir de réaliser matériellement ce que l'âme a libre-
ment voulu.
3® le pouvoir de disposer de ses actions, de ses biens, de son
intelligence, etc.
4^ le pouvoir de faire certains actes qui ont une conséquence
politique.
Dans le premier sens, c*6st la liberté de Tâme, la seule dont nous
ayons à nous occuper ici, en psychologie.
Dans le second, c'est un ensemble de facultés corporelles qui sont
surajoutées â la liberté.
Le troisième sens renferme toutes les libertés civiles eir la liberté
de conscience. .
Le quatrième exprime la liberté politique.
152. Eléments ds I« liberté. — La liberté de l'âme telle que
nous l'avons exposée suppose :
296 PSYCHOLOGIE
l® la faculté d'agir spontanément.
2^ un acte h faire qui ait pour objet u i biea rolatif.
S** la connaissance de cot acte.
L'acte libre suppose.
1° la connaissance d*un acte dont Tobjet est un bien relatif.
2® la délibération entre faire cet acte et ne pas le faire.
3° la détermination ou le choix pour Tacte.
Et 4», s'il s'agit d'une action, elle suppose de plus la faculté phy-
sique de Texécuter.
153. Critique de quelques définitions de la liberté. —
Quelques philosophes ont défini la liberté : la faculté de se détev'
miner. Nous ferons remarquer que c'est là le propre de la sponta'
néité. Nous avons vu en effet que l'Ame possède l'activité spontanée
en se sens qu'elle se détermine elle-même à l'acte. Mais nous avons
reconnu aussi que la spontanéité peut être nécessaire ; c'est-à-diw
que l'âme peut se déterminer à agir dans tel ou tel cas par une
nécessité de sa nature. Or, personne n'appelle cela la liberté. Cette
définition n'est donc pas la définition de la liberté.
D'autres, craignant de trop donnei'à l'Ame humaine et d'effacer
sa dépendance absolue à l'égard de Dieu, ou ne s'arrétant qu aux
conditions extérieures de l'exécution des actions que l'âme veut
librement, ont défini la liberté : V absence d'entraves. Mais encore
une fois, l'absence d'entmves ne fait pas que la détermination de
l'âme ne soit pas nécessaire; et, si l'on entend cette définition dans
le sens deimmtmïtas a vinculo sive necessitatts, sivecoactionis^
comme l'on fait quelques théologiens, il reste toujours à dire si
l'âme a ou n'a pas le savoir faire. Car quelque libre d'entraves
que Ton soit, on n'agira pas si l'on ne sait pas agir. C'est ce qui a
fait dire avec beaucoup de raison : ce Avant de donner la liberté à
un peuple, il faut lui apprendre à s'en servir. »
Enfin, le vulgaire et ses nouveaux éducateurs, qui, en réclamant
la liberté, ne demandent que la permission de se livrer à leurs
mauvaises passions, ont défini la liberté : le pouvoir de faire ce
que Von veut. Cette définition ne saurait convenir â la liberté de
l'âme dont nous nous occupons ici. Elle ne parle que de la liberté
ACTIVITÉ 297
physique, qui ne serait rien sans la liberté de TÂme. Elle n*exclut
pas non plus la nécessité, car on peut très-bien vouloir nécessaire-
ment et faire encore ce que Ton veut. Enfin si la liberté derhorame,
ce privilège de notre nature qui nous élève inftnimer^t
au-dessous de tous les auti^es êtres créés, était le pouvoir de faire
ce qu'on Ton veut, il s'en suivrait que non-seulement le plus fort
pourrait à chaque instant anéantir la liberté de tel ou tel homme,
mais que notre intérêt et notre devoir à tous serait de nous priver
mutuellement de la liberté, pour arrêter les injures réciproques,
qui formeraient Tessence même de la liberté.
154. Existence de la liberté. — Que l'âme soit libre c'est-à-
dire, qu'elle ait le pouvoir de choisir entre plusieurs actes dont les
objets sont des biens particuliers, contingents et imparfaits, c'est
ce qu'attestent :
1** La conscience individuelle.
2® La conscience universelle.
155. Témoignage de la conscience individuelle. •. — Do
môme que nous avons conscience de nos actes, nous avons aussi
conscience du principe de ces mômes actes. Nous savons que c'est
nous qui nous déterminons à agir, et que cette détermination n'a
rien de forcé ni de nécessaire dans les cas -particuliers. En présence
de plusieurs actes, nous avons conscience de notre pouvoir de faire
l'un ou l'autre, et nous savons que c'est par notre propre choix, que
nous faisons l'un plutôt que l'autre.
156. Témoignage de la conscience universelle. — Tout
les hommes de tous les temps et de tous les lieux ont toujours
témoigné et témoignent encore de leur liberté. Ce témoignage
universel se trouve dans le langage de tous les peuples ; dans les
lois qui ordonnent ou défendent tel ou tel acte ; dans les récompen-
ses et les peines que la société distribue à chacun de ses membres
selon ses actes ; dans le bldme que nous infligeons aux mauvaises
actions et la louange que nous accordons à la vertu.
En effet toutes ces choses supposent que le genre humain se croit
libre et responsable de ses actes. Car, pourquoi faire des lois,
édicter des peines contre les crimes, blâmer ceux qui font mal, si
toutes nos actions étaient nécessaires en ^ertu de notre nature, ou
296 PSYCHOLOGIE
forcées par raction des objets sur notre âme ? Donc, le genw
humain se croit libre ; et une erreur aussi universelle est impos-
sible, sur un fait de cette importance, et qui se produit en nous de
manière que nous puissions Tobserver à chaque instant et sans
intermédiaire.
157. Systèmes opposée à la liberté. — Toutefois malgré ce
témoignage unanime du genre humain en faveur de la liberté, il
s'est trouvé des hommes i[u[ ne pouvant expliquer les difficultés
qu'elle soulève ont pris le pfirti de la nier.
En effet : 1° il est difficile de concilier la liberté de l'homme
avec Taction indispensable de Dieu cause première de tout.
2® il est difficile de la concilier avec la prescience divine, par
laquelle Dieu connaît de toute éternité tout ce que nous faisons
dans le temps.
3^ Tattraction de la sensation ou du sentiment semble souvent
déterminer nos actes.
On a donc plus d'une fois adopté en théorie des systèmes qui
nient la liberté, ou qui, prétendant Texpliquer, la détruisent. Ces
systèmes sont le fatalisme et le déterminisme.
158. Fatalisme. — Chez les anciens, le fatum ou destin étsût
la conception d'une puissance aveugle qui réglait nécessairement
tous les actes des hommes et des dieux. Cette conception venait
d'une idée vraie que la religion païenne avait défigurée. Cette idée
vraie c'est Taction de Dieu dans toutes ses créatures ; action dont
nous vovons Texistence en nous comme une nécessité basée sur les
principes métaphysiques ; c'est aussi la prescience divine. De ces
deux notions les anciens avaient fait lofatwm^ et bien qu'en prati-
que ils agissent comme nous, ils n'avaient jamais eu, en théorie,
qu'une idée vague et indécise de la liberté.
Aussi tous les philosophes païens furent plus ou moins fatalis*
te^. Mais quelques-uns en particulier enseignèrent catégorique-
ment que tous nos actes sont déterminés fatalement. D'autres
assez nombreux les ont suivis dans les temps modernes.
Les systèmes fatalistes sont: Le matMalisme qui suppose
l'àme corporelle et purement passive"; 2^' Le , panthéisfne qui,
supposant que le monde est Dieu, et que, comme Dieu, il est
ACTIVITÉ 299
nécessaire et éternel, en conclut nécessairement que, tout ce qui se
fait dans le monde est nécessaire aussi. S'* Tous les sytèmes
dualistes en théodicée, qui, supposant deux principes éternels,
Tnn bon Tautra mauvais, admettent que les actes des hommes
sont fatalement déterminés par F un ou par l'autre de ces deux
principes. Toutes les philosophies d'Orient sont plus ou moins
panthéistes ou dualistes. 4® Le fatalisme musulman qui fait
dériver de Dieu dans les hommes une action nécessaire semblable
au fatum des anciens; 5*» Le fatalisme oile duali sme des docieurs
protestants, semblables aux deux sjstèriies précédents.
159. Déterminisme. — Le philosophe Leibnitz, dans le
18* siècle, croyant répondre parla aux objections que l'on a cou-
tume de faire contre la liberté humaine et contre la justice et la
bonté de Dieu, "imagina d'expliquer la liberté de Thomme par une
théorie qui a pris le nom de déterm'nisme. Pour lui ce système
était une conséquence de sa théorie des monades (Métaph. 87) ;
mais il raisonne enidehoi's de cette théorie quand il essaye de l'éta-
blir. Il combat d'abord ce qu'on a appelé la liberté d'indifférence^
et dit que nous agissons toujours pour un motif. Puis il essaye de
démontrer que c'est la valeur du motif qui détermine notre acte ; ,
en d'autres termes que nous agissons toujours i)our le motif le plus
fort, et que Dieu est parfaitement libre, once sens qu'il fait toujours
ce qui est le mieux.
Les derniers philosophes Grecs, la plupart des Latins, plusieurs
docteurs hérétiques du moyen-âge, et dans les temps modernes, les
écoles sensualistes et sentimentalistes entendent la liberté dans ce
sens. C'est la pensée du poète latin : trahit sua quemque volup-
tas.
160. Réfutation de ces deux systèmes. — Le fatalisme répu-
gne à la conscience individuelle et universelle ; ihVîpugneàlamorale;
car avec cette doctrine il n'y a plus de bien et de mal, et on n'est
pas plus blâmable d'assassiner son père que de lui prêter son secoura ;
il répugne à la vie sociale, car il ^détruit tout dévouement ; il répu"
gne môme à la prévoyance individuelle et tend à détruire l'individu,
en lui disant que quoi qu'il fasse il ne sera jamais que ce qu'il doit
être fatalement; enfin il répugne àla justice de Dieu, qui nous trom
^^ PSYCHOLOGIE
perait par la conscience, qui est son œuvre, et nous punirait par
des cnmes qu'U nous aurait fait commettre.
Le déterminisme, qui semble vouloir expliquer la liberté, Il
détruit et renferme d'ailleurs de vrais contre-sens. Qu'estn» «
effet que le motif le plus fort ? Où en est la mesure ? Le plqs foft
serait-il celui qui l'emporte ? Mais alors il y a une pétition de prin-
cipe: I âme est déterminée par le motif qui la détermine. D'aillœ
a conscience nous dit que nous ne suivons pas toujours l'attraetioB
la plus forte, mais que notre volonté choisit, et le déterminisme*
trouve réfuté par les mêmes raisons qui réfutent le fatalisme.
Quant aux difficultés qu'il j a de concilier ensemble deo
doctrines qui nous semblent opposées, comme semble l'être 1>
liberté, ^nn côté, avec la prescience ou avec la causalité nmva^
selle de Dieu, de l'autre ; nous répondrons d'abord-par ce prinàpe
général : Quand deux doctrines sont suffisamment établies parle
genre de preuves qui leur convient, il n'est pas logique de rejeter
lune ou l'autre, par la raison que nous ne voyons pas comment
elles s accordent.
Disons ensuite que ce que nous appelons la prescience de Dientfi
en lui un acte étemel et toiyours présent, que nous ne saimfflS
comprendre, et, qui par conséquent peut renfermer de mystira.
Quant à l'action universelle de Dieu dans toutes les «stores, de
laquelle il résulte que rien ne se ment que par lui ; nous dirons qw
Dieu qui nous fait faire les actes d'intelligence que perBonne i«
conteste. Dieu qui a pu faire des créatures qui diseat moi, tooW
choses aussi incompréhensibles que la liberté, peut sansdootel«
mouvoir selon son gré, de manière qu'elles se meuvent Ubrement.
Vouloir aller plus loin, c'est chercher l'abîme pour y périr.
APPENDICE
PRINCIPALES THÉORIES SUR l'aCTIVITÉ
THÉORIES CLAtSIOUES
Théorie de Platon. — Socrate et Platon ont fait plus de cas *
l'intelligence que de l'activité. Persuadés que la raison dirige la volonlé.
ils ont néRligé l'analyse de l'activité, et ont préféré donner des riple*
ACTIVITÉ 301
w
pour la conduire. Aussi quelques auteurs ont pu croire qu'ils avaient
méconnu la liberté. Mais si l'on a soin d'expliquer leurs pensées les
unes par les autres, au lieu de les interpréter systématiquement, on
verra sans peine que leureocirdt est ce lie du genre humain.
On biàme Drincipalement dans Socrate et dans Platon des pensées
comme cellAi : « Celui qui fait le mal ne fait pas ce qu'il veut. — On
ne peut vouloir que le bien et on ne veut le mal que parce qu'on le
considère comme bien. — Le mal vient de l'ignorance » . Il est facile
de donner à ces propositions un sens faux ; mais ou peut aussi, en
entrant dans la véritable pensée de leurs auteurs, les trouver parfaite-
ment orthodoxes. Car il est certain que Platon admettait la volonté
libre ; mais il voyait aussi que notre volonté cherche nécessairement le
bien absolu.
Théorie d'Aristote et des Soolastiques. — Comme nous l'avons
fait pour l'intelligence, nous donnons ici la théorie d'Aristote sur
l'activité, telle qu'elle a été développée par saint Thomas.
Toute forme possède' une inclination vers une fin. Cette inclination
est naturelle et déterminée, dans les formes privées d'intelligence;
elle est un appétit, dans les formes qui possèdent l'intelligence. Donc
l'àme possède une puissance appétitive. Il faut distinguer comme deux
puissances diverses l'appétit sensitif et l'appétit intellectuel, ou
volonté.
L'appétit sensitif ou sensualité se subdivise en irascible et concv^
piscihle. L'un et l'autre sont soumis à la raison : 1<* en ce que l'objet
qui meut ces deux puissances leur est fourni par Tintelligence : 1" en ce
que ces deux puissances ne peuvent mouvoir le corps qu'avec le con-
sentement de la volonté.
La volonté veut nécessairement la fin pour laquelle elle est faite, qui est
le bien absolu. Mais elle ne veut pas nécessairement tout ce qu'elle
veut. Car le bien absolu attire nécessairement la volonté, comme les
principes de raison attirent nécessairement l'adhésion de Tâme; mais
de même que les vérités contingentes ne déterminent pas nécessaire-
ment le jugement, ainsi les biens particuliers ne nécessitent pas la
volonté. Et de même que les vérités connexes aux premiers principes
ne déterminent le* jugement qu'après que la démonstration lui a mon-
tré cette connexion, ainsi la volonté ne s'attache nécessairement aux
biens connexes à la fin dernière que lorsque l'âme voit cette connexion.
C'est ainsi que nous ne voulons pas nécessairement Dieu, quoiqu'il soit
le vraie source de notre bonheur.
La volonté ne se distingue pas en irascible et concupiscible, parce
302 PSYCHOLOGIE
que son objet est le bien en tant que bien, tel qu'il lui est fourni parb
raison, et (pie dôs lors il n'est pas n/^ccssatre d'y distioj^iier une fscalté
(lu bien désirable et une faculté de répulsion du pénible, comme daai
ra])pétit sensitif (pii ne saisit que le particulier.
L'iiomme possède le libre arbitre, parce que sa lin deraiére, sealobjft
qui puisse Tattirer nécessairement, c'est le bien universel. Dès iorsles
biens particuliers qui ne lui paraissent pas nécessaires à sa fia. li
laissent libre. Le libre arbitre est une puissance appétitive et noa «M
puissance appréliensive. C'est-à-dire qu'il tient plus de l'appétit que de
i'intellifçence ; car, cboisir, c*est choisir un moyen et tendre à uoe fin.
Le libre arbitre n'est autre chose que la volonté, ea tant qu'elle est
capable de choisir; tout comuie la faculté de raisonner ne fait qu'os
avec rintelligoncc. Comme rinlelligence voit simplement les premicES
'principes en eux-inôines, la volonté veut simplement le bien pour lui-
même, et comme sa lin dernière ; et de même que la raison adhère aux
conclusions à raison de leur connexion aux premiei's principes, ainsi h
libre arbitre choisit les moyens en vue de la fin.
Théories de Deacartes. — On a reproché à Descartes de ne voir
dans l'âme que la pensée^ mais, il avertit lui-même que, par ce mot
pensée, il entend toutes les opérations de l'àme. Il reconnaît formelle-
ment l'activité de l'esprit, et dit même que la volonté est supérieure à
l'entendement. Il ajoute que la volonté est libre et que la liberté consiste
à pouvoir faire une chose ou ne la faire pas. Mais, i^uoique appuyé sur
des raisons toutes différentes, il pense avec Leibnitz que la liberté n'est
n'est pas indilTéreute, et que les motifs d'agir, loin de détruire la liberté
ne font que l'accroître, en lui ôt;int l'hésitation. La possibilité de mal
faire, dit-il encore, n'est pas de l'essence de la liberté ; elle vient d<
l'imperfection de notre liberté, et cette imperfection c'est Tig'norance.
Théorie de Boasuat. — - Sans se servir des mêmes termes, Bossoet
garde la théorie des Scolastitiues, dans l'activité comme dans la con*
naissance. Quand il place la volonté parmi les opérations inteUectueUes,
c'est qu'il distingue dans sa pensée : l'appétit sensitif, qu'il appelle les
passions, et l'appétit rationnel qui est la volonté. Pour lui, la volonlè
est « la faculté de poursuivre le bien et de fuir le mal ». « Noussonuae»
déterminés, ditril, par notre nature à vouloir le bien en général, mais
nous avons la liberté de notre choix, à l'égard des biens partî*
culiers. b
ACTIVITÉ 303
THÉORIES NON CLASSIÛUES
Théorie d'Epioure. — Malgré ses doctrines matérialistes, Kpicure
recoDnait dans l'àme une spontanéité libre qui lui permet de s'arracher
à la peur des dieux, au destin, et au trouble causé par les préjugés.
Hais cette spontanéité ressemble trop à celle qu'il accorde gratuitement
aux atomes des corps» et qu'on peut appeler : le hasard.
Théorie des Stoïciens. —Il y a dans la doctrine des Stoïciens une
eontradiction flagrante, au sujet de l'activité, comme d'ailleurs entre
leur physique et leur morale. D'un côté, ils parlent de la liberté de
l'homme et lui dictent des lois. Ds distinguent avec le plus grand soin
les choses qui dépendent de nous de celles qui ne dépendent pas de
nous. C'est là pour eux la source de cette placidité qui est devenue
proverbiale et à laquelle on a donné le nom général de philosophie. Ils
ordonnent à l'homme de vivre selon la nature, selon la raison. Ils pro-
fessent que le seul mal est eelui de la volonté libre. Et pourtant les hom-
mes sont une partie du monde, ils participent à la raison universelle^ et
cette raison universelle qui gouverne le monde est elle-même nécessitée
dans tout ce qu'elle fait. Leur Dieu est une force invisible, qui pénètre le
monde et qui, tout intelligente qu'elle est, ne peut agir que nécessaire-
ment. Donc la liberté de l'homme est sans raison suffisante. Et Ton
conçoit que plusieurs Stoïciens aient uni par dire que la liberté consiste
à savoir accepter la nécessité.
Théorie de Leihnitz. — Si la théorie de la liberté, dans la doctrine
de Leibuitz, n'était pas liée à. un système que la raison ne peut admet-
tre, parce qu'il est sans fondement, et parce qu'il contredit le témoi-
gnage de la conscience, on pourrait l'expliquer dans un sens classique.
Pour lui les bases de la liberté sont : la spontanéité de l'âme, la contin-
gence de l'acte et la connaissance de cet acte. La liberté n'est pas l'indif-
férence. On est d'autant plus libre que le motif que l'on a d'agir est
plus déterminant. Agir sans motif serait un être sans raison suffisante.
Le mal vient de l'erreur. Le bien est libre, mais le mal ne lest pas. —
Bvidemment cette doctrine s'écarte des théories classiques, mais c'est
surtout par le sens que leur donne le système dont elles font partie.
En effet, si la détermination dont parle Leihnitz se faisait dans l'âme
par elle-même, et par une action purement morale de la part des motifs,
on pourrait encore y voir la liberté ; mais on sait que dan^ le système
de Leihnitz, tout est prédéterminé physiquement dans chaque monade,
et Taction du motif dont il parle n'est qu'un mot, car les monades
n'ont aucune action l'une sur l'autre. Il n'y a donc pas de motif, mais
une simple évolution de l'âme, qu'il veut bien appeler spontanée, mais
30(5 PSYCHOLOGIE
% 1. -CiliGTillS ISSIRTIILS H 101
164. Détennination de ces caractères. — JLes différents
phénomènes que la conscience nous manifeste en nous-méme^, dau
notre moi ou notre Ame, établissent que le siyetdecesphéiKHnèiei
est un être un, simple, identique el personnel.
165. Entité du moi. — Le moi est un être réel, car il éproave
des modifications, il en cause, il agit. Les roodiâcatîons qa*il reçoit
on qu*il cause sont i*éelles ; mais fussent-elles de pui*es illusions^ il
serait encore réel, car un être purement imaginaire n*éprouTe ries
et ne produit rien, pas même des illusions. Le moi est une substance,
pour les mômes raisons, car toute modification suppose une sub-
stance comme suget et comme cause.
166. Unité du moi. — Le moi est un, et son unité n'est pas la
résultante de plusieurs forces, mais Tiinité d'une substance indivi-
sible. Car:
1^ C'est ainsi que la conscience nous le montre. Nous avons
conscience d'un seul et unique moi qui sent, qui pense et qui agit
tout à la fois, et qui est tout entier dans chacune de ces trois esp^
ces d'opérations et nous ny voyons pas une partie qui pense quand
l'autre agit.
2® Si le moi était un composé de plusieurs parties, aucui» des
opérations si nombreuses dont nous avons conseienee ne serait
possible. Les sensations et les sentiments affectant une seule de ees
parties laisseraient les autres sans attraction et nous éprouTenoDS
tout à la fois le sentiment et l'absence du sentiment; ou bien cette
attraction se produisant sur toutes les parties & la fois nous éprot-
verions plusieurs sentiments dans un seul, c'est-à-dire plusieurs fois
en même temps le même sentiment. Chaque pensée aussi, chaqoe
jugement serait multiple ou bien ne se produirait pas du tout, oo
enfin nous penserions et ne penserions pas en même temps, aeloa
que les éléments d'une pensée seraient ou tous dans chaque partie
du moi, ou les uns dans l'une les autres dans les autres, ou eofit
tous dans une seule des parties. Enfin chaque partie du moi éteat
active, la détermination spontanée et libre ne se ferait jamais fm
commun accord et l'Ame n'agirait pas. La même impossilùlit^
NATURE DE L'AME 307
>
régnemit, si les trois facultés de Tâme résidaient dans trois parties
diffêçentes du moi ; car les trois sortes d'opérations de Fâme s'ex-
citent mutuellement et dans Thypothôse elles n'auraient aucune
influence mutuelle. Ënfin^ si une seule partie du moi possédait les
trois facultés et que les autres fussent inertes, il n'y aurait qu'un
seul moi, un et indivisible : les autres éléments n'auraient rien de
commun avec lui. Donc encore le moi est un et indivisible.
167. Simplicité du moi. — Cette unité que nous venons de
constater dans le moi revient à dire que le moi est absolument sim-
ple, c'est-à-dire qu'il n'est pas composé de plusieurs parties et par
conséquent qu'il est sans étendue, et n'occupe pas un lieu à la
manière des corps. Car pour avoir une étendue comme pour occu-
per un lieu, il faut avoir une partie de soi-même en i^n point donné
et une autre partie dans un autre et par suite il faut être composé
de parties. Il n'occupe pas même un lieu comme un point géométri-
que: car il est réel, et pour occuper réellement un lieu, il faut qu'un
point géométrique soit pris dans une étendue réelle et par consé-
quent dans un tout composé de parties. Le moi est donc de sa nature
en dehors de l'espace. Il n'est cependant pas en dehors du temps,
car ses modifications successives coïncident avec celles qui mesu-
rent le temps ; mais il ne serait pas dans le temps s'il n'avait pas de
successions.
1Ô8. Identité du moi. — Le moi est toi:gours identique à lui-
même dans sa substance, bien qu'il éprouve successivement diffé-
rentes modifications. C'est encore ce qui nous est attesté par la
conscience et.en particulier par le souvenir, dans lequel nous revoy-
ons un fait, avec la conscience que c'est nous-mêmes qui TavoriS
déjà vu. Et cette identité, n'est pas seulement une résultante de
fonctions comme dans le corps, qui est toiyours censé le môme alors
que toutes les molécules qui le composent ont été changées ; c'est
une identité absolue, puisque le moi est simple, un et indivisible. Un
changement en lui serait une substitution, et le nouveau moi n'au-
lait rien de commun avec le premier^ pas même une identité orga-
nique semblable à celle du corps. Ce qui est radicalement opposé
aux attestations de la conscience, et à tous les faits de connaissan-
ces acquises.
308 P8YCHOLOOIB
169. Personnalité du moi. — Cette identité dansant
intelligent et libre est précisément ce que l'on appelle la personiolitt
C'est ce moi, toujours le même, capable de connaître et d'agir libr^
ment que nous appelons la personne. C'est à la personne que ft»
attribuons tout les actes d'un homme, et c'est la personne qoi eA
responsable de ces mêmes actes. C'est elle qui en acquiert' le ménfa
ou le démérite ; c'est la personne que nous honorons ou qoe M
méprisons s^on que ses actes sont bons ou mauvais. C'^ o^tu
même personnalité que l'&me affirme d'elle-même quand elle dit:
moi. C'est dire qu'elle se connaîtetse distingue de tout œ qaiD'esî
pas elle, et que de plus elle se connaît comme cause libre : tanfe
que les choses^ au contraire, ne sqnt pas libre et ne se coao»^
sent pas.
.&!. — HATDRIdlL'ill. — Si SPlIITUiLI Tt
170. Démonstration de la spiritualité de l'Ame. — L'âiv
est donc, d'après ce qui précède, une substance une, simple, indin-
sible et sans étendue, toigours identique à elle-même, quisecoon^
et peut agir librement. Or, cet ensemble de caractères dans ufl **
c'est ce qu'on appelle la spiritualité ou la nature spirituelle. L'âa»
est donc un esprit et sa nature c'est la spiritualité. Nous pooviotf
donc déânir l'Âme : une subs{ance spirituelle.
% I.-DISTIRGTION Dl L'ill IT DU CIIPS.
171. Sens de eette question. — 11 s'agit de démontrer ici qi<
l'Âme est un être distinct du corps, une substance à part, qui b'^
fait pas partie et qui est d'une nature différente.
Or pour démontrer tout cela il nous suffit de démontrer qn^ U
nature de Tàme diffère entièrement de la nature du corps ; ^
sachant d'ailleurs que l'Âme est une substance, il s'en sni^^
qu'elle est distincte du corps et n'en fait pas partie.
172. Démonstration. — On reconnaitdeux natures différentes
& la différence de leurs caractères essentiels. Or d'après ce qui pi^
cède, l'Âme a pour caractèresessentiels l'unité indivisible ou simpli-
cité, l'identité absolue, l'intelligence et la liberté. Le corps u
contraire, si on l'observe bien se montre composé d'un grand dod*
NATURE DE l'AME 309
brode parties ; son identité n*est qu'une identité végétative, dans
laquelle tontes les parties se renouvellent ; il n*a aucune connais-
sance; et s'il agit, ce n'est que par une impulsion à laquelle il obéit
forcément.
Donc TAme est d'une nature différente du corps ets^en distingue
entièrement.
173. Distinotioii de l'esprit et de la matière. — Ce que nous
venons de conclure de l'âme et du corps nous devons le conclure
également en général de l'esprit et de la matière. L'esprit a tous
les caractères que nous avons reconnus à l'âme ; la matière a tous
les caractères que nous avons reconnus au corps. Et quoi qu'en
aient dit certains prétendus philosophes, la matière par cela seul
qu'elle est étendue est essentiellement incapable de penser et d'agir
librement. C'est ce qui ressort de la- démonstratiçn de l'unité
indivisible du moi.
Et si on veut que le mot ma^z^r^ signifie^au sens de Leibnitz,un
élément simple d'un corps quelconque, la matière se distingue
eocore de l'esprit en ce qu'elle n'est ni intelligente ni libre : ce que
nous constatons dans les corps. Et d'ailleurs il n'en reste pas moins
établi que l'étendue répugne à la pensée et à la liberté, et que l'âme
est une substance distincte du corps, une, indivisible et sans étendue.
DIFFÉRENTS SYtTiMCS SUR LA NATURE DE L'AME
Les observations incomplètes et exclusives sur les opérations et les
faculté» de l'âme, et quelquefois remploi d'une mauvaise méthode ont
conduit les philosophes à des systèmes multiples sur la nature de l'âme'
Matérialisme. — Les uns ne voyant dans l'homme que des mouve-
ments mécaniques, et ne pouvant d'ailleurs imaginer une substance sans
étendue, professent ou que nous n'avons pas d'àme, ou que Tâme est un
corps. C'est la doctrine flétrie du nom de matérialisme, La liste des
bommes qui n*ont pas su s'élever plus haut serait trop longue.
Spiritualisme. -- Par opposition à la théorie des matérialistes on
appelle apiritttaltBtes tous ceux qui i*econnaissent la spiritualité de
l'Ame, et par couséquent la distinction de l'âme et du corps.
Sensualisme. -^ D'autres constatent les sensations et s'arrêtent. Ift.
Pour Condlllac, par exemple, les idées et même les actes de volonté ne
310 PSYCHOLOGIE
sont que des sensations transformées. Ici, i*&me est reconnue pour ne
être spirituel distinct du corps, mais elle n*a pas d'autre faculté qos
celle de sentir, et de senlir par le corps. C'est le êensualiêtne.
Sentimentalisme. ^ D'autres distinguent les sentiments coizuBe
quelque chose de plus spirituel que les sensations ; mais ils n'ont pas
vu l'intelligence ni l'activité. Leur système^ qui d'ailleurs n*a ianiaisétê
bien précisé, ni professé ouvertement, a reçu le nom de sentimenta-
lisme.
Empirisme. — Aux sensations et aux sentiments, d'autresont ajouté
la pensée ; mais ils croient que toute connaissance vient de l'expé-
rience, et que Tâme n'y ajoute rien d'elle-même. C'est Vempirisme.
Rationalisme. — Enfin la philosophie classique a toujours admis
comme la principale différence entre l'homme et la béte, la raison. Elle
a toujours cru que nos connaissances ne viennent pas en entier de 1 ex-
périence, mais que l'âme y' ajoute d'elle-même et nécessairement certaines
notions qu'elle possède naturellement, Cette doctrine a pris dans t&
derniers temps, par opposition aux autres le nom de rationalisme.
Nous remarquerons cependant que ce mot est peu employé dans ce
sens et que le plus souvent il désigne cet orgueil de la raison qui pré-
tend se passer de Dieu et rejette toute religion révélée.
Idéalisme. — Enfin l'abus de la théorie de l'âme et surtout de l'ob-
servation de conscience, au détriment de l'observation par les sens, a
porté quelques hommes à nier l'existence des corps, ou même à dire
que rien n'existe que dans la pensée. C'est V idéalisme.
Positivisme. — Dans ces derniers temps est née une théorie qui se
prétend plus scientifique que toutes les autres et qui professe que l'ob-
servation des phénomènes ne peut pns nous autoriser à affirmer la subs-
t'ince qui les soutient, ni la cause qui les produit. Ce sont là, disent ces
auteurs,des considérations métaphysiques; et ils rejetten t toute métaphr-
stque. Par conséquent, ils ne croient pas pouvoir affirmer Tâme.
8.4. -DNION DKL'ilIlT D6 CORPS.
174. Exposé de la question. Après avoir constaté la distinc-
tion si bien tranchée qui existe entre Tâme et le corps, on voudrait
naturellement savoir comment ces deux substances si différentes
s'unissent dans l'homme ; comment avec des propriétés et des facul-
tés si différentes ils peuvent agir Tune sur l'autre; comment rame
reçoit les impressions du corps et lui communique ses monvements.
UNION DE L'AME ET DU CORPS 311
ObserTons cependant que la différence de nature entre TAme et
Je corps n'est pas telle que l'on ne puisse concevoir une action
matuelle entre ces deux substances. On a exagéré en quelque
sorte à plaisir cette difficulté, et tandis que la philosophie classi-
qae, d'accord avec le bon sens, a toujours proclamé que T&me meut
^e corps et qu'à son tour elle en reçoit les impressions, plusieurs
philosophes ont cru devoir poser en principe que ces deux subs-
^nces ne peuvent pas agir Tune sur Tautre. Mais nous ferons
observer que Tâme, si spirituelle qu'elle soit, ne diffère pas plus de
la matière que Dieu n'en diffère. Or il est certain et hors de toute
contestation que Dieu agit sur la matière, qu'il la crée, la
^nsforme et la meut. Pourquoi donc l'âme ne pourrait-elle pas
agir sur le corps auquel elle est unie?
175. Réponses dÎTerses. — On peut distinguer dans les
réponses que l'on a données sur cette question, celles qui tâchent
d'expliquer l'harmonie des modifications du corps et de l'Ame, en
supposant que ces [deux substances n'agissent pas l'une sur l'autre
et celles qui laissent subsister cette action mutuelle, telle que lo
genre humain en a conscience.
On peut aussi distinguer dans ces dernières réponses celles qui
n'admettent pas d'intermédiaire et celles qui supposent un inter-
médiaire entre l'Ame et le corps.
Enfin il faut mettre A part les théories qui rejettent la distinction
de l'Ame et du corps, comme celles qui prétendent ne rien savoir
ou du moins ne rien vouloir affirmer sur l'Ame et sur sa nature.
Dans le premier sens viennent se placer le système d^s
caitses occasionnelles et celui de Vharmonie préétablie.
Dans la seconde distinction entrent d'un côté tous les systèmes
désignés par le nom générique d'ammi^me, et ceux qui entrent
plus ou moins dans le vitalisme.
Enfin la troisième distinction enferme Vorçanicisme pur et le
positivisme,
176. Systèmes des causes occasionnelles. — Descartes et
Malebranche, ne pouvant concevoir l'action du corps sur l'Ame
supposent que Dieu produit directement dans l'Ame les impressions
qui correspondent aux impressions du corps, et qu'il meut le corps
312 PSYCHOLOGIE
conformément à la volont<^ de l'âme. En sorte que la volonté de
l'âme n'est plus que la cause occasionnelle des mouvements du
corps, et que les impressions reçues par le corps ne sont plus que
la cause occasionnelle des sensations et des perception^ de l'âme.
177. System* de rharnonie préétablie. — Pour conformer
sa théorie psychologique â son système des monades, Leihnitz siip>
pose que l'âme et le corps ^n'ont aucune influence Tun sur Taulre, et
que toutes les modiflcatious qu'ils éprouvent sont des évolutions
prédéterminées de la monade âme et des monades qui constituent le
corps. Mais comme Tâme et le corpus sont faits pour vivre ensemble,
il suppose que toutes leurs évolutions sont harmonisées de manière
qu'à un acte de volonté de l'âme corresponde toigours le mou-
vement du corps que l'âme a voulu, et qu'à toute impression
éprouvée par le corps corresponde une sensation épix)uvée par l'âme.
Il compare Tâme et le corps à deux horlog-es qui, réglées Tune
sur Vautre, marquent toujours la même heure, quoique leurs
mouvements soient indépendants. C'est là ce qu'il appelle
Vhar7nonie préétablie,
178. Théorie de T animisme. — Pour toute la philosophie
classique, Tâme intelligente et raisonnable est en même temps le
principe qui vivifie le corps et qui le meut. Aristote, qui distingpuait
dans le monde des êtres vivants cinq sortes d*âmes, déclarait que
l'âme humaine remplit à elle SQule toutes les fonctions dénutrition^
de sensibilité et de locomotion, en même temps qu'elle raisonne et
veut. L'âme est unie au corps, comme la forme à la matière^ dans
tout corps ; seulement l'âme est une forme qui peut subsister seule
et qui ne .périt pas avec le corps.
Les Scolastiques disaient aussi que l'âme est dans l'homme
le principe de la vie végiHative, de la vie animale et de la
vie rationnelle. Comme la forme dans tout corps, l'âme qui est la
forme du corps, est le principe de toutes ses opérations.
C'est Stahl (médecin allemand, mort en 173i), qui a donné le
nom à^animisme à cette théorie, mais il incline à croire que l'âme
agit avec raison, quoique sans raisonner, quand elle nourrit et déve-
loppe le corps.
Les animistes contemporains pensent au contraire que l'âme agît
UNION DE l'aME ET DU CORPS 313
sans conscience dans ce travail. C'est précisément la théorie
classique.
179. Théorie du yitalisme. — Barthez (médecin de Técole de
Montpellier, înort en 1806), pour combattre les théories trop maté-
rialistes et trog mécaniques, affirma la nécessité "du principe vital
pour expliquer tous les phénomènes physiologiques. Aussi il expli-
que par le même principe les fonctions vitales du corps humain, et
dés lors le système qui admetentre Tâme et le corps un principe inter-
médiaire qui préside à la vie a été appelé vitalisme. Mais Barthez
lui-même dit formellement que, dans Thomme, le principe vital et
le principe de la pensée pourraient bien n*ôtre que deux attributs
d'une môme substance, quHl est indifférent d'appeler Ame.
Telle n'est pas l'opinion des vitalistes contemporains, qui s'ap-
puient surtout sur'ce fait que l'Ame n'a pas conscience de remplir
les fonctions vitales, pour dire que ces fonctions sont remplies par
un autre principe.
Le vitalisme pris dans sou sens le plus large a été professé par
Platon, qui admettait un intermédiaire entre l'Ame et le corps,
comme outre Dieu et le monde; par Epicure, qui, professant
que l'Ame est un corps, distingue cependant l'Ame, l'esprit et le
corps; par la plupart des philosophes latins qui distinguent l'esprit
hiVtLme(spiritus, anima), Deplus,Galien, Paracelse, Robert Fludd,
Van Heimont, et plusieurs autres que l'on considère comme animis-
tes, sont en effet vitalistes, car s'ils appellent âme le principe de la
vie, ils distinguent cependant ce principe de l'Ame raisonnable.
On peut aussi classer parmi les théories vitalistes, le système du
médiateur plastique àQCMàwovih., eild^iXïdonQ des esprits ani-
maux de Descai'tes. Cependant, dans ces systèmes, l'intermédiaire
entre l'Ame et le corps n'est qu'un instrument, et l'Ame reste le vrai
principe de la vie du corps.
180. Théorie de rorg^anicisme. — Bichat (médecin français,
mort en 1802) et Broussais (médecin français, mort en 1838) sont*
les deux premiers représentants d'une théorie qui a pris mille for-
mes diverses et qui partant du vitalisme de Barthez semble se
confondre aujourd'hui avec le matérialisme ou avec le positivisme.
^' organicisme suppose dans les organes même une vitalité propre et
314 PSYCHOLOGIE
va quelquefois ju8qu*ft dire que la vie est la résultante des moare-
ments organiques.
Quelques organicistes disent m;^me qu'il faut se contenter d*ana-
lyser les phénomènes et de les étudier jusque dans le jeu le plus inti-
me des organes, sans vouloir affirmer s'il y a au-delà un principe
de tous ces mouvements. Ils entrent par là dans le positivisme.
181 .Critique de ces théories. — La théorie de l'animisme a pour
elle d*abord l'assentiment de la philosophie classique et Topinion,
on peut le dire, du genre humain. Elle s'appuie sur ce principe,
qu'il ne faut pas expliquer par plusieurs causes ce qui peut être
produit par une seule : Entia non sunt multiplicanda.
Le vitalisme répond que T&me n'a pas concience d'être la cause
de la nutrition du corps, de la circulation du sang, ni d*ancane
autre des fonctions vitales. Il répond en particulier h l'animisme
de Stahl, que l'intelligence humaine serait incapable de présider
ati fonctionnement si admirable du corps qu'elle ne connaît pas» et
que si elle devait s'en occuper, l'âme humaine ne pourrait plus
penser à autre chose.
Vorganicismey à son tour, dit qu'il est inutile de chercher hors
des organes une force qu'ils peuvent avoir eux-mêmes, un principe
de mouvement qui peut résider en eux.
Quant aux systèmes des causes occasionnelles et de l'harmo-
nie préétablie, le bon-sens en a fait justice. Le premier répugne
à la conscience ; le second revient au premier et y scoute seulement
une théorie métaphysiquement fausse : c'est celle qui prétend que
Dieu a réglé toutes choses dès le commencement et qu'ensuite les
êtres subsistent et suivent leurs lois, sans l'intervention divine.
Le médiateur plastique de Cudworth, serait une substance tenant
à la fois de l'esprit et de la matière, ayant les attributs de l'une et de
Tautre de ces substances, c'est-à-dire qu'elle renfermerait des élé-
, ments contradictoires. Nous ne nous arrêterons donc pas à réfuter
ces trois systèmes.
.Nous répondrons à l'organicisme positiviste, que la raison nous
porte invinciblement à affirmer que tout effet a une cause, et que
toute modification est la modification d'une substance, et par censé'
quent que les phénomènes vitaux supposent un principe de la vie,
dont la nature se manifeste par les phénomènes mêmes. A Torga-
UNION DE l'aME ET DU CORPS 316
nîcisme matérialiste nous dirons qu'en dehors des phénomènes
d'intelligence et de liberté qui supposent une âme spirituelle, les
phénomènes physiologiques supposent un principe vivant, autre
que le corps, car le corps par lui-même est passif, et les modifica-
tions-qu'il éprouve supposent un agent actif.
En poussant plus avant cet argument, nous répondrons aux
vitalistes que le principe de la vie ne peut pas être un corps, pré-
cisément parce que les corps sont inertes par eux-mêmes. Que
d'ailleurs si l'âme n'a pas conscience de faire vivre le corps, il ne
s'ensuit pas qu'elle n'en soit pas la cause inconsciente . En eiffet,
si elle devait faire vivre le corps, par une action intelligente
elle ne pourrait jamais suffire à cette attention multiple qu'il lui
faudrait donner à tous les organes et en quelque sorte à toutes les
molécules du corps. Mais une fois l'organisme disposé, ne suffit-il
pas d'une simple impulsion de la part de l'âme pour que tous les
mouvements s'opèrent avec toute la régularité désirable, sads
qu'elle- ait besoin de le savoir, ni de s'en occuper ? Dans les
machines construites par les hommes une légère impulsion produit
souvent des effets multiples, très-variés et très-précis ; mais dans
tous les cas, sans impulsion la machine ne produirait d'elle même
aucun mouvement. De même, le corps mu par l'âme peut se déve-
lopper, s'eotretenir et se renouveler comme il le fait, mais,
il estévidentque livré à lui-même il ne saurait produire aucun des
phénomènes vitaux, quelque bien construit qu'il soit. Ainsi nous
pensons que Tâme est le principe delà vie du corps, mais que le
travail de l'âme en cela se réduit à fort peu de chose, quoique son
action soit indispensable.
182. Difficulté de la question. — Après cela, quelle est la
nature du lien qui existe entre l'Ame et le corps ? Comment l'âme
agltrcUe sur le corps et le corps sur l'âme ? Nous ne craignons pas
d'avouer que nous n'en savons rien. Mais nous constatons que cette •
action mutuelle existe. C'est là une vérité classique dont nous ne
voulons pas nous départir. Tous les sjstèraos que nous venons d'expo-
ser ne nous disent d'ailleui'S rien de plus sur ce point. Les inter-
médiaires que l'on imagine entre l'âme et le corps ne font que
reculer la difficulté, et le mode de communication reste parfaite-
ment inconnu»
316 PSYCHOLOGIE
§. (. - SIAimiDI KTDISTIHil DIL'ilL
183. Orandeur de rame. — Nous avons étudié TAmo dans
ses faits, dans ses facultés et dans sa nature. Avant de quitter cette
étude jetons une vue d'ensemble pour admirer cette œuvre sublime
et inexplicable du Créateur. Seule parmi les êtres que nous pouvons
observer, Tâme se connaît ellormôme, connaît ce qui l'entoure et
peut faire remonter librement un hjmme d*action de grâces à celui
qui Ta faite si belle.
184. Destinée de Fàme. — Aussi Tâme humaine nous appa-
raît évidemment comme le traitr-d' union entre le monde et Dieu ;
comme le prêtre chargé d'offrir à Dieu chaque jour le tribut d'hom-
mages qu'il mérite de la part de la création. C'était \h évidemment
le dessein de Dieu en créant T&me. Et elle se détruit elle-même,
elle se fait un instrument inutile, si elle n'accomplit pas ce devoir.
Mais il j a plus : une créature si belle ne peut avoir été faite pour-
disparaître un jour comme un vil animal. Sa nature indique une
plus noble destinée.
185. Immortalité de Tàme. — La connaissance que TAme pos-
sède de rinûni> et dont l'idée lui est donnée en naissant ; l'attraction
irrésistible qu'elle éprouve pour le vrai, le beau, le bien absolu ; le
désir naturel et nécessaire qu'elle a d'un bonheur sans fin et sans
limite : la liberté et la responsabilité de s.es actes ; tout annonce que
l'âme ne doit pas périr avec le corps, mais vivre toigours.
On en donne pour preuve ordinairement la nature spirituelle de
l'âme, qui ne lui {^rmet pas de se dissoudre comme le corps ; la
nécessité d'une récompense et d'un châtiment équitable et propor-
tionné au mérite d'un chacun. Mais Dieu pourrait encore anéantir
l'âme, et la vie future destinée à récompenser ou à punir selon la
justice pourrait absolument parlant n'être pas éternelle.
Nous dirons donc seulement que tous les hommes ont le désir
naturel et inné de vivre toujours et que Dieu n'a pas pu nous donner
un désir naturel et irrésistible qu'il n'aurait pas voulu accomplir.
Donc l'âme est immortelle. •
THÉODICÉE
gMbàlitës
1, Objet. — La Théodicée a pour objet Dieu. Mais comme nous
ne pouvons observer Dieu en lui môme, c'est par ses œuvres que
nous le connaissons. L*objet de la théodicée est donc Dieu mani-
festé par ses œuvres . Cette manière de connaître Dieu est con-
forme & notre nature ; elle est la conséquence de Tintelligeoce et de
la raison. Nous rappelons donc connaissance naturelle.
La Théologie aussi a pour objet Dieu> mais au lieu de l'étudier
uniquement dans ses œuvres elle, demande, à la foi ce que Dieu lui-
môme a révélé sur lui-môme. L'objet delà théologie est donc Dieu
manifesté^ non plus par ses œuvres, mais par lui-même. Evidem-
ment cette connaissance est bien supérieure à la première^ et
comme elle n'est nullement dans les forces de notre nature on
rappelle connaissance surnaturelle.
2. Définition. — La théodicée est jonc la science naturelle de
Dieu, ou la science de Dieu manifesté par ses œuvres et conçu né
cessairement par la raison.
La théologie est la sience surnaturelle de Dieu, ou la science de
Dieu manifesté par lui-môme, par sa propre révélation, et déve-
loppée par la raison.
3. Instruments de la théodicée. — Toutes les lois du
monde sont les œuvres de Dieu et elles servent & nous le faire con-
naître ; mais les plus importantes dans cette étude sont les lois mé-
taphjsiques^ par lesquelles nous pouvons sonder jusqu*à un certain
point ridée de Dieu et la développer, après qu'une légitime induc-
tion nous a fait concevoir la cause par les effets.
318 THÊODICÉK
4. Certitude de cette science. — La théodicée nous offre la
certitude la plus absolue et la plus inébranlable, comme aussi la
moins sujette & Terreur. Car tandis que toutes les autres sciences
ont leurs bases dans l'observation plus ou moins bien faite des êtres
réels, celle-ci n'exige a1)Solument parlant que la constatation de
Texistence d'un être quelconque, fût-il même un fantême. Car cet
être a une cause ; et les lois métaphysiques nous forcent à en con-
clure Texistencede Dieu.
5. Méthode. — Cette science n*exige donc Tobservation qu'à
son point de départ. L'induction nous mène aussitôt à l'existence
d'une être infini, ou éternel, ou nécessaire, et de là nous passons
par déduction à tous les autres développements de l'idée de Dieo.
Mais pour établir Texistence de Dieu il faut que nous en ajons
ridée. C'est pourquoi nous diviserons la théodicée comme il
suit:
6. DiTision. — 1^ Idée de Dieu.
2*> Existence de Dieu.
3^ Attributs de Dieu, développement de Tidée que nous em
avons et caractères essentiels qu'il possède nécessairement.
4^ Rappoi*ts entre I)ieu et le monde. Création et Providenoe.
Conséquences de ces rapports.
ARTICI.E !•'
IDÉE DE BIEU
7. En quoi elle consiste. Sous sa forme la plus valgaire
l'idée que nous avons de Dieu est l'idée d'un être supérieur à tons
les autres ; éternel, c 'est-il-dire, sans commencement ni fin dans
son existence; cause première, c'est-à-dire, créateur de tout ce qui
existe
8. Origine de cette idée. — L'idée de Dieu n*a point sa
source dans les perceptions des sens ni de la conscience. Ces per-
ceptions n'ayant aucun des caractères que nous attribuons à Dieu
ne pourraient, seules, nous en fournir l'idée. L'idée de Diea est
une conception nécessaire, et à ce titre elle est le fruit de la. raison.
IDÉE DE DIEU 319
Elle est renfermée dans l'idée de l'être absolu, qui constitue la
raison, ou plutôt cette idée de l'être absolu n'est que la conception
habituelle de Dieu qui est lui-môme l'être absolu. L'idée de Dieu
est donc innée à notre âme, elle est la raison. Mais en tant qu'innée
cette conception est habituelle et pour passer en acte il lui faut
différentes conditions.
9. Apparition actuelle de l'idée de Dieu. — Si on veut voir
ridée de Dieu dans l'idée de Têtre abêolu, ou de l'être en général, on
peut dire qu'elle devient actuelle dans l'âme dès la première percep-
tion, et & chacune de nos perceptions. En sorte que tout homme con-
çoit Dieu nécessairement toutes les fois qu'il conçoit l'être, c'est-â-
dii'e, toutes les fois qu'il perçoit une modification quelconque.
Mais cette conception vague de l'être n'est pas précisément l'idée
de Dieu telle que nous la trouvons dans les hommes. Sous cette for-
me plus précise elle vient non seulement de la perception mais aussi
de l'éducation, ou plutôt de cette tradition d'idées nécessaires qui se
produit perpétuellement dans le genre humain. Et cet enseignement
lui-même, qui remonte historiquement au premier homme, vient
historiquement aussi d'une révélation faite par Dieu lui-même au
premier homme. Mais cette tradition, qui a une origine surnaturelle,
est pleinement conforme aux conceptions nécessaires de notre nature
et, sans doute, si elle n'existait pas, les hommes qui réfléchissent
auraient conçu naturellement la même idée de Dieu, mais la plupart
des hommes ne s'en seraient pas rendu compte.
10. DéYeloppement de Fidée de Dieu. — Non seulement
l'idée de Dieu, qui est habituellement innée en nous et que l'ensei-
gnement du genre humain nous fait concevoir actuellement, est con-
forme à notre nature et aux conceptions nécessaires de notre raison,
et se trouve pleinement justifiée par elles, mais par ces mêmes con-
ceptions nous la développons et nous pouvons chaque jour y décou.
vrir de nouveaux caractères tous essentiels et nécessaires. C'est ce
développement raisonné de l'idée de Dieu qui constitue la tfaéodicée.
Mais dans ce travail aussi l'enseignement dont l'origine est une
révélation directe de Dieu, nous est d'un grand secours. Et si les
philosophes chrétiens ont de Dieu une idée plus claire et plus com-
plète que les plus habiles d'entre les philosophes païens, ils le doivent
320 THÉODICÉE
évidemment à renseignement révélé du Christianisme, qui, leur
fournissant d'avance les réponses au questions qu'ils auraient pu se
faire, leur a permis de démontrer rationnellement ces mêmes répon-
ses dont les païens n'avaient jamais eu l'idée. Et s'il reste dans l'idée
complète de Dieu fournie par la révélation chi'étîenne des mystères
dont la raison ne se rend pas compte, il ne faut pas s'en étonner,
car Dieu est infini et nous sommes bornés ; et d'ailleurs il ne faut
pas oublier de remarquer que la raidon qui n'explique pas ces injs>
tères est loin de les contredire, mais qu'au contrsûre elle les trouTe
sublimes^ vraiment dignes de Dieu, et se sent forcée de les admirer.
Nous voulons parler du mytère de la Sainte-Trinité dans lequel
par l'enseignement catholique nous voyons en Dieu trois personnes
distinctes : l'être qui connaît, engendrant éternellement une con-
naissance infinie comme lui-même ; d'où il suit que l'ôtre qui
connaît s'appelle le Père, parce qu'il engendre sa connaissance, et
que la connaissance s'appelle le Fils, parce qu'elle est engendrée.
Enfin nous y voyons que ce môme être qui se connaît, par la
connaissance qu'il a de lui-même s'aime d'un amour infini. D'où
il suit que l'amour infini de Dieu, qui s'appelle le Saint-Esprit,
procède du Père et du Fils. Et cependant ces trois personnes : In-
telligence toujours en acte. Connaissance et Amour, ne sont qu'on
seul et môme infini, un seul et même Dieu, dans l'unité la plus
indivisible.
Certainement la raison n'atteint pas h ces hauteurs, mais elle
contemple et admire. *
11. UniverMiUté de l'idée de Dieu. — L'idée de Dieu existe
chez tous les hommes* On ne trouve aucun peuple .dont les insti-
tutions et les mœurs ne démontrent l'existence de l'idée de Bien,
et même la certitude absolue de la réalité subsistante de l'objet de
cette idée.
Si toutefois il s'est trouvé des hommes, assez ignorants oa assez
illogiques, pour ne pas admettre l'existence de Dieu ; il est du
moins inconstestable que tous en ont l'idée.
C'est contre cette aberration inconcevable de quelques esprits
comme contre ceux qui transformentet défigurent dans leur théorie
l'idée de Dieu, que nous allons établir dans l'article suivant Texis-
tence de Dieu .
IDÉE DE DIEU 321
12. Fausses idées de Dieu. — Par esprit de système ou par
défaut de réflexion, quelques philoï^ophes et bien des hommes d*un
esprit plus vulgraire on conçu un Dieu différent de celui dont nous
avons ridée naturelle.
Ces systèmes sont : le panthéisme, qui prétend que tout est
Dieu, ou que Dieu est le monde ; le naturalisme, qui confond
Dieu avec les forces de la nature ; le dualisme qui admet deux
principes éternels Tun bon l'autre mauvais ; le matérialisme,
qui suppose Dieu corporel ; le déisme qui admet Dieu, mais qui
n*admet aucune relation entre lui et nous, et nie la Providence ;
le polythéisme ç\}x\ admet l'existence d'un grand nombre de dieux;
le fétichisme, dernière conséquence du polythéisme, qui prend
pour autant de dieux les plantes, les animaux et môme les pierres.
Enfin comme dernier développement de ces systèmes et les détrui-
sant tous, en même temps qu'il détruit la vérité, l'athéisme, nie
absolument Texistence de Dieu, Le positivisme rejette aussi
bien Tidée de Dieu que l'idée de l'âme. Enfin, dans ces dernières an-
nées, TAUemagne a renouvelé des Grecs une théorie idéaliste d'a-
près laquelle Dieu, qui est Tabsolu, est, non pas l'être, mais ce qui
doit être. En sorte que les partisans de cette doctrine, Fichte en
tète, disent que Dieu c'est le devenir.
Contre tous ces systèmes nous allons établir que Dieu existe et
qu'il est tel que nous en avons l'idée: un être personnel et distinct
du monde, étemel et unique, n'ayant rien des conditions propres à
la matière, créateur et conservateur de tout ce qui existe. La dé-
monstration sera donnée en deux articles.^
Article 2'
EXISTENCE DE DIEU
13. Sens de cette question. — Ce que nous entendons dé-
montrer ici, c'est qu'il existe un être éternel, qui tient son exis-
tence de sa propre essence et qui est par conséquent nécessaire et
inâni.
Nous démontrerons ensuite dans l'article suivant que ce même
être éternel et nécessaire possède nécessairement, par son essence
même tous les attribut^s que nous affirmons de Dieu.
2t
322 THÈODICÉE
14. Preuves de Texistence de Dieu. On démontre Teiis-
tence réelle d'un être nécessaire et éternel, c'est^-dire l'existence
de Dieu, par quatre chefs principaux de démonstration.
1® Par la nécessité d'une causé première des êtres dont nuod
constatons Texistence. (Preuve dite pht/si que).
2® Par le consentement unanime de tous les peuples. fPr.»iora/f^.
3* Par Tordre du monde. (Argument des causes finales) ,
4» Par ridée de l'infini. (Pr, métaphysique et de conscience).
On donne quelquefois d'autres preuves, mais elles reviennent
toutes à ces quatre, et môme on peut dire que ces quatre sont ren-
fermées dans la première.
15. Nécessité d'une cause première. — Il existe des êtres;
nous existons nous-mêmes. Nous en sommes certains. Et d'ailleurs
quelque sens que l'on donne au mot existence ; que Ton voie dans
les êtres des substances ou de simples modifications, des réalités
ou de simples illusions; la conséquence est toujours la même.
Ces êtres, substances ou modifications, ou même illusions, ont une
raison d'être. Cette raison d'être, ils Font ou en eux-mêmes
ou dans un autre être. S*ils Font en eux-mêmes ^ils sont nécessaires
et éternels ; s'ils ne Tout pas en eux-mêmes, ils supposent néces-
sairement une cause. Cette cause à son tour en suppose une autre
ou bien elle est la première. Quelque longue que nous supposions
la série des causes, il j en a nécessairement une première qui n'a
point de cause et qui existe par sa propre essence. Cette cause fât
donc nécessaire et éternelle : c'est Dieu.
Prenons une autre marclie. Il existe des êtres qui n'ont pas
toujours existé. Ils ont commencé à exister. Mais ils n^ont po
commencer par leur propre force, puisqu'ils n'étaient pas: donc
leur existence démontre qu'avant eux il existait un être qui les afait
exister. Et si nous supposions un moment où il n'y avait rien
absolument, il n'existerait rien aujourd'hui. Donc il est impossible
qu'à, un moment quelconque il n'existât aucun être. Donc il existe
un être éternel, qui n'a pas eu de commencement.
Ainsi l'existence des êtres que nous percevons, notre propre exis-
tence,démontrent l'existence d'un être nécessaire ou d'un être étemel.
Mais la métaphysique démontre que cet être est infini et unique.
EXISTENCE DE DIEU 323
Donc Dieu existe, et tous les autres êtres que nous percevons sont
des êtres contingents, temporels et finis.
On voit que cette preuve, appelée preuve physique parce qu'elle
s'appuie sur Texistence du monde, ne se forme et ne conclut qu'A l'aide
de principes que la métaphysique seule justifie, à moins qu'on ne
s'arrête à la première conclusion qui se fait par induction.
16. Consentement unanime des peuples. — Les partisans
de rathéisme ont interrogé les peuplades sauvages les plus ense-
velies dans rignorance ; ils ont fouillé dans les témoignagnes de
rhistoire, ils n'ont pu découvrir un peuple sans Dieu, un peuple
qui n*admit formellement rexistence d'un Dieu. Sans doute plusieurs
en ont défiguré Tidée, mais tous reconnaissent son existence. Dans
ces derniers temps, un partisan du naturalisme, a osé affirmer
que les Bouddhistes de l'Asie, au nombre de deux cent millions
sont des athées ; mais il est facile ]de voir que c'est là une très
fausse interprétation de leurs livres sacrés, car en pratique ils ont
une religion et ils prient.
Donc tous les peuples admettent et affirment l'existence de Dieu.
Il faut bien qu'ils aient pour cela des raisons capables de donner la
certitude la plus absolue. Donc cette affirmation universelle prouve
que Dieu existe.
Ëtle Dieu de tous les peuples est toigours un être étemel. Donc,
concluons-nous. Il est infini, unique,et distinct du monde.
C'est la preuve appelée preuve morale, parce qu'elle emploie le témoi-
gnage qui fournit une certitude morale ; mais elle n'arrive à sa conclu-
sion dernière qu'à l'aide de la métaphysique
17. Ordre du monde. — Un regard même peu attentif jeté sur
le monde nous y fait découvrir un ordre admirable ; que sera-ce
si nous en étudions les lois à Taide de Tobservation scrupuleuse qui
sert de base à la vraie science? La multitude innombrable des êtres;
leur variété indéfinie ; leur structure toigours si précise ; leur
développement et leur conservation ; le secours mutuel qu'ils se
prêtent ; l'A propos avec lequel chaque chose se trouve appropriée
aux be9oins d'un être d'un autre ordre ; la marche régulière de
ces masses immenses que nous appelons des astres; tout jusqu'aux
organes insaisisables des animaux microscopiques ; et surtout
l'àme humaine avec son intelligence douée de raison, avec son
cœur que rien ne remplit, avec sa liberté : tout cela est un ordre
324 THÉODICÉK
admirable, qui atteste une cause intelligente, mais d'une intellL
gence au-dessus de tout ce que nous pouvons concevoir, une in-
telligence qui embrasse d'un regard et cet ensemble et ses détails;
une puissance qui a mis en œuvre cette étonnante conception ; en
un mot tout cela atteste comme cause une intelligence et une puis-
sance infinies. Donc Dieu existe.
C'est ce qu'on appelle l'argument des causes finales. Il procède par
induction et remonie de l'effet à la cause comme la prennière preuve.
Seulement comme elle n'emploie pas les principes métaphysiques, elle
n'atteint pas l'infini absolument.
18. Idée de l'infini. — Nous avons Tidée de l'infini, ridôedn
nécessaire, de l'absolu, de Téternel, de Timmuable. Or cette idée
de l'infini n*est pas le produit imaginaire de plusieurs idées fiai^
ajoutées on combinées . Toutes les idées finies que nous avons, et
même que nous pourrions avoir, ne forment pas par leur
réunion l'idée de Tinfini. Ajoutez sans relâche le fini au fini, voas
n'aurez jamais l'infini. Donc l'idée de Tinfini, qui sous ane
forme ou sous une autre se trouve chez tous les hommes,
ne nous vient pas de l'expérience : c'est notre raison qui la con-
çoit nécessairement dès qu'elle conçoit le fini.- Mais cette concep-
tion universelle et naturelle de l'infini suppose une cause, aussi uni-
verselle et naturelle ; elle suppose un objet réel dont elle est U
conception ; cette disposition naturelle à concevoir l'infini, ne peut
venir que de celui qui est la cause première de notre nature, et
elle est comme le cachet de son auteur. Donc l'Infini existe.
Sous cette forme, cette preuve n'est pas purement métaphysique,
puisqu'elle part de l'existence réelle de l'idée de l'Infini. On pournit
plutôt l'appeler preuve logique, car elle tend seulement à montrer U
réalité objective d'une idée.
On a donné et on donne encore sous le nom àe preuve tnéta-
physique^ la preuve de l'existence de Dieu par l'idée de Finflni,
en disant: L'ôtre infini existe nécessairement, car il existe par sa
propre essence ; on ne peut pas le concevoir comme n'existant
pas. Donc il existe, — Ou bien encore : L'ôtre in^ni n'est pas in»-
possible, il n'implique aucune contradiction essentielle; or s'U
n'existait pas il serait impossible : Donc il existe.
EXISTENCE DE DIEU 325
La preuve métaphysique de l'existence de Dieu a été admise
comme valable par de très-grands esprits. Saint Augustin Tinsinue ;
saint Anselme la donne formellement ; Descartes^ Bossuet et Féné-
lon Tout présentée aussi, et la plupart des métaphysiciens ont cru
pouvoir la donner comme inattaquable. Cependant saint Thomas
déclare que la proposition : Deus est^ n'est pas évidente par elle-
même, et il combat la preuve de saint Anselme.
Nous avons remarqué aussi que tous ceux qui entendent cette
preuve pour la première fois éprouvent comme une répugnance à
Tad mettre tout d'abord, et comme une conscience confuse de son
insuffisance. Nous croyons pouvoir expliquer ainsi ce phénomène.
Dans cette prétendue preuve purement métaphysique, on passe
d'un principe hypothétique à une conclusion réelle. On part de l'es-
sence de Dieu conçue d'une manière abstraite et hypothétique, et
parce que cette essence renferme nécessairement l'existence on en
conclut à son existence réelle : ce n'est pas logique. Cela prouve
seulement que si l'inâni existe, il existe nécessairement ; mais cela
ne démontre pas son existence. Et si de grands hommes ont cru
pouvoir conclure absolument, c'est qu'en raisonnant, ils ont oublié
que leur majeure n'était qu'une hypothèse.
Cependant comme les preuves précédentes établissent incontes-
tablement l'existence de Dieu, nous pouvons, sachant qu'il existe,
conclure de son essence qu'il existe nécessairement et qu'il n'est
pas possible qu'il n'existe pas.
En résumé toutes les preuves de l'existence de Dieu, même celles que
nous aurions pu ajouter parce qu'on les donne quelquefois, se rédui-
sant à ceci : Remonter par induction de l'existence réelle d'un effet à
l'existence réelle d'une cause première, puis étudier metaphysique-
ment cette cause première et conclure qu'elle est nécessairement éter-
nelle et infinie et que par conséquent elle est cet être que le genre
humain appelle Dieu.
Plusieurs philosophes contemporains, qui se font d'ailleurs une idée
exacte de Dieu, croient que chacune de ces preuves, prise à part, est
insuffisante à conclure à Texistence du Dieu que nous adorons, qu'ainsi
isolées elles pourraient conclure au dieu du panthéisme. Mais cette
manière de voir vient de ce qu'ils négligent la métaphysique telle que
nous l'avons exposée ; ils s'en font une autre idée et dès lors ils ne
l'emploient pas à propos. Nous pensons au contraire que chacune de
ces preuves suffit seule, pourvu que Von ait soin d'analyser ensuite la
326 THÉODICÉE
conclusion et de remonter jusqu'aux principes métaphysiques, k l'aide
desquels on voit nécessairement qu*une cause éternelle est infinie, qu'âne
cause première est a se et par conséquent infinie, et que l'être infini, est
unique, distinct du monde, intelligent et personnel, et ne ressemble en
rien au dieu des panthéistes ni à la catégorie de V idéal, ni au deve-
nir.
Aussi nous renvoyons à l'Histoire de la pilosophie l'examen de ce que
la philosophie moderne croit avoir trouvé de nouveau sur les preuves
de l'existence de Dieu.
Ï5. Réflexion eur les preuves de rezistence de Dieu. —
Nousavons donné les preuves de Fexistence de Dieu pour répon-
dre aux athées, mais il nous faut remarquer que tout homme d'un
esprit droit ne peut pas plus douter de l'existence de Dieu, que se '
défaire de l'idée qu'il en a. Car cette idée ne se présente pas à lui
comme une conception imaginaire et sans objet ; nous concevons
Dieu en concevant les choses, et nous le concevons comme an être
réel ; comme l'être absolu, dont les êtres finis ne sont qu'une fai-
ble image. En ce sens l'idée seule que nous avons de Dieu, nous le
montre comme existant, mais c'est parce que cette idée est une
idée réeUe,qui porte avec elle la certitude de la réalité de son objet.
Voilft pourquoi on a dit avec raison que l'athée n'existe pas.
Car celui qui nie l'existence d» Dieu, ou ment à sa conscience, ou
ne sait pas ce qui s'y passe et ne sait pas reconnaître que son Ame
affirme Dieu, tandis que son imagination le nie.
Article 3«
ATTRIBUTS DE DIEU
16. Principe de la question. — On appelle attributs de Dieu
tout ce que nous affirmons nécessairement de*Lui. Etant donnée
l'idée que nous en avons et dont nous avons démontré la réalît-é
objective, nous la considérons sous différents aspects et sous chacun
de ces points de vue nous sommes amenés nécessairement k recon-
naître certaines déterminations essentielles qui sont la conséquence
de notre première idée. Et ces conséquences se tirent toutes par
ATTRIBUTS DE DIEU 327
•
voie d'identité. Aussi rien n'est plus absolument certain que la réi^
lité des attributs de Dieu, après que nous avons constaté son exis-
tence.
17. Classification des attributs de Diea. — Les attributs
de Dieu se classent naturellement selon les points de vue auxquels
il faut se placer pour les concevoir.
Ornons pouvons considérer en Dieu : l^'son être, 2^ sa connais-
sance, 3^ sa perfection morale, 4*' son action sur les autres êtres.
Nbus distinguerons donc : les attributs d'être ou ontologiques, que
Ton appelle aussi attributs métaphysiques, les attributs intellec-
tuels, les attributs moraux, et les attributs de causalité ou d*ac-
tivité. Chacune de ces classes d'attributs en renferme plusieurs.
18. Attributs ontolog^ues. — Dans l'être de Dieu nous pou-
vons voir sa nécessité, son éternité, son infinité^ son actualité, son
entité substantive, sa simplicité, son unité, son immutabilité, son
immensité. Tous ces attributs ne sont au fond que l'être absolu,
et ce dernier mot les résume tous.
1° L'être de Dieu est nécessaire. — Nous avons démontré
en métaphysique que l'être contingent suppose l'être nécessaire.
Kt c'est par ce môme principe que nous venons de démontrer l'exis-
tence de Dieu, comme cause première nécessaire de tous les êtres
contingents. Le mot nécessaire signifie ici que l'existence d'un être
contingent suppose nécessairement l'existence d'un être qui est
la cause de cet être contingent. Efn sorte que la nécessité de l'être
de Dieu nous est connue par l'existence des êtres contingents.
Mais, en lui-même. Dieu est-il nécessaire, en dehors de l'exis
tence des êtres contingents ? Oui ; Il existe par lui-même, en vertu
de son essence ; il Lui est essentiel d'exister ; il ne peut donc pas
se faire qu'il n'existe pas. Tel est le sens complet de cette proposi-
tion : L'être de Dieu est nécessaire, ou Dieu existe nécessairement.
• Cela revient à dire qu'en Dieu l'être ne se distingue pas de l'es-
sence, que son essence c'est d'être, que son essence c'est son être.
Tandis que, dans tous les êtres contingents, l'être est en quelque
sorte surajouté à l'essence.
2^ L'être de Dieu est éterneL — L'éternité de Dieu se dé-
montre de différentes manière : Il est éternel, parce qu'il existe par
338 THÉODICÉB
* *
Lui-mdme, par son essence, et que les essences sont éternelles; Il eit
étemel parce qu'il est nécessaire ; enfin II est étemel, parée qw.
s* Il ne Tétait pas, il n^existerait rien.
3* L'être de Dieu est faftfini. — L*ôtre de Dieu eet sans au-
cune espèce de limite. D'abord parce qu*étant par LaiHSiéiike,e8sen-
tiellement, tout ce qu'il est, sans que rien ait pu choisir son étn
parmi lés essences possibles, son essence ne peut être dôtermioée
que par la possibilité absolue ; il ne peut donc lui manquer que ce
qui serait absolument impossible. Il a donc toute la réalité de r^tn
sans aucune limite.
Déplus json éternité étant un attribut infini, démontre qa*Il est
infini. {Métaph, n* 52, 4« j}r.).
4** L'être de Dieu est un acte pur. — Dieu est actuellement
tout ce qu'il est, parce qu'il est infini. S*I1 était en puissance de
devenir ce qu'il ne serait pas, ou de faire ce qu'il ne fait pas. Il
aurait en cela une limite qui répugne a son être infini. Il n*j a
donc en Dieu ni puissance passive, ni propriété, ni faculté, maii
seulement un acte éternel et infini.
5^ L'être de Dieu est substantif. — Dieu est une substance.
La substance est ce qui a l'être en soi et non dans un autre être.
£ns in 5^,par opposition à l'accident, ens in alio. Dieu existe par
Lui-même, Il n'est donc pas un accident,une modification, une résul-
tante de forces ; Il est une substance et une substance distincte de
tout ce qui n'est pa£> Lui. Car la substance de Dieu possède l'être
essentiellement et toutes les autres ne l'ont que par Dieu. De plus
sa substance est infime comme sou être, autrement II serait limité;
sa substance n'a rien de passif ni de potentiel, elle est tout acte.
Enfin la substance de Dieu ne se distingue pas de son être. Dieu est
un acte subsistant. Tout cela résulte de sa nécessité. Tandis que
dans les êtres contingents, tout ce qu'ils ont d'actualité est le
résultat de l'action continue de l'être nécessaire, en sorte que leur
être perpétuellement emprunté ne subsiste pas et ne persévère
qu'autant que l'action de Dieu le fait être.
6^ La Substance de Dieu est simple. — La compositioa
l'étendue, la divisibilité, sont incompatibles avec l'Infini. La subs-
tance de Dieu, qui est infinie, ne peut donc être nicomposiée, ni
étendue, ni divisible. Elle est donc absolument simple.
ATTRIBUTS DE DIEU 329
.?<* Dien est un et unique dans «a aubatanee. — L'unitô
de Dieu n'est pat l'unité de plusieurs forces convergentes comme
dans les corps, mais Tunité de Tôtre simple,absolument indivisible.
La multiplicité des attributs que nous distinguons en I>ieu n'ôte
rien à son unité, car ce ne sont là que des points de vue qui se
confondent tous avec son être.
De plus Dieu est unique : il n*existe pas et ne peut exister un
autre être infini comme Lui;car il ne peut pas y avoir deux infinis.
{Met. 52, S'^pr.). La substance de Dieu est donc unique.Toutes les
substances contingentes diffèrent absolument de la sienne, et si
nous les appelons 8ubstances,ce n*est que par rapport aux accidents
qu'elles éprouvent comme modifications ; mais nous savons bien
que, comparées à l'acte pur et subsistant qui est Dieu, elles ne
sont pas même des accidents ; car elles ne sont pas des modifica-
tions de la substance de Dieu , et elles n'ont qu'un être d'emprunt.
8^ L'être de Dieu est immuable. — Dieu ne peut éprouver
aucune espèce de cbangement dans soil être ou dans sa substance,
parla raison qu'il est infini; et pour changer il faut perdre ou
acquérir.
9^ L'étr» de Dieu est immense. — Quelle que puisse être
l'étendue du monde créé. Dieu j est présent partout. Si le monde
était multiplié. Dieu j serait de môme et ne serait pas plus grand
pour cela. Il est donc sans mesure possible. C'est ce que signifie
le mot «immense ». Mais il faut bien se garder de penser que Dieu
soit une substance étendue comme l'espace possible. Non : Dieu n'a
pas d'étendue,et de plus II est présent dans l'univers de telle manière
que dans sa parfaite unité indivisible. Il est tout entier dans cha-
cun dea êtres de l'univers et dans chacun des atomes qui composent
les corps. Ce que nous appelons l'immensité de l'espace est entière-
ment contraire à cette conception.
Cette immensité, cette omniprésence de Dieu, sont la conséquence
de son être nécessaire, d'où tous les êtres contingents prennentleur
existence. Car ces êtres ne peuvent exister sans que l'être néces-
saire qui les fait exister soit présent à leur être.
Mais c'est là une présence que nous ne saurions comprendre et
qui n'a rien de commun avec la localisation des corps. Dieu est une
substance simple et ne se localise pas.
390 THÊODICÈE
19. Résumé des attributs ontolopipies de Diev. Tons ks
attributs ontologiques de Dieu se résument dans l^étre abeola. Qvi
dit : être, absolument parlant, dit : être par soi, essentiel, néoe»-
salre, éternel, infini, acte pur et subsistant, un, simple, immuabie
et immense. C*est donc avec raison que Bossuet, après avoir éan-
méré rapidement les attributs -de Dieuj s'écrie : « Il est : garda-
vous de rien ajouter ! ».
20. Attributs intellectuels. L'idée que nous avons de Di^,
la magnificence, Tordi^e et l'harmonie de ses œuvres ne nous per-
mettent pas de supposer Dieu s«aus connaissance. C'est Thorrwïr
révoltante et Tabsurdité de cette supposition blasphématoire qa.
fait dire au psalmiste: Intelligite insipientes in populo , et siulti
aliquando sapite: Qui plantavit aurem non audiet f nut qni
finxii ocuhim non considérât ?.... Dominus scit cogitatîonet
hominum.
Aussi la saine philosophie a toigonrs reconnu en Dien Tomnis-
cience, la vérité et la véracflé.
loOmniscience. — Puisque nous,qui sommes contingents et bor-
nés et qui n'avons qu'un être emprunté, nous connaissons ce qui se
passe en nous et autour de nous ,]il faut bien que Dieu, l'être néces-
saire à qui nous empruntons cette existence, connaisse ses oeuvres
et se connaisse lui-môme. De plus, l'infinité de l'être de Dieu s'oppose
à ce que sa connaissance ait quelque limite ; car II ne serait plos
infini. Donc, Dieu connaît tout ce qui est et tout ce qui doit-être.
Il se connaît lui-méme;et comme II est infini, la connaissance quT
a de Lui-même est infinie.
Cette connaissance que Dieu a de Lui-même et des choses ne
peutêtre, comme chez nous, d*abord à Tétat de puissance ou de faculté.
Son infinité et son immutabilité s'y opposent. Il faut donc que Diea
connaisse par un acte éternel tout ce qu'il connaît, c'est-à-dire^tout
ce qui peut être connu. Il connaît donc nos plus secrètes pensées ;
Il connaît le passé, le présent et l'avenir, et tout cela dans un sesl
acte éternellement présent ; car étant immuable II ne peut avoir de
successions.
De plus la perfection de son être infini s'oppose à ce qu'il reçoive
quelque chose des êtres contingents qui sont son œuvre. Donc II
ATTRIBUTS DE DIEU 331
connaît les choses , non par l'action qu'il en reçoit, mais en Lui-
même et par Lui-môme. En sorte que sa connaissance vient toute
entiôrede son être, qu'elle est, non seulement éternelle et infinie,
piais subsistante comme son être.
C'est cette connaissance éternelle et subsistante que Dieu a des
essences des choses, que Platon appelait les idées en Dieu, et que
nous considérons encore comme les prototypes de tout ce qui est et
de tout ce qui sera encore. Son erreur consistait à croire que nous
voyons les essences des choses telles que Dieu les voit ; Malebran-
che et les ontologistes font la même hypothèse quand ils affirment
que c'est en Dieu que nous voyons les essences des choses. Celte
hypothèse est fausse ; car nous voyons, non pas les essences réelles
des choses, mais des conceptions essentielles que nous formons par
l'observation et qui sont loin d'être les m^mes chez tous les hommes»
pour une môme classe d'objets. L'hypothèse détruite, l'explication
n*a plus de raison d'être. Ainsi se trouvent renversés et le système
de l'existence antérieure, de Platon, et celui de la vision en Dieu,
récemment appelé ontologisme .
Quoiqu'il en soit, les vraies essences des choses sont bien la
connaissance que Dieu a de leur possibilité, et en ce sens on peut
bien, sans être ontologiste, dire que les essences des choses sont Dieu
lui-même. Car la connaissance de Dieu, qui est un acte pur et subs-
tantif et infiai, ne se distingue pas de son être. Il est.
2^ Vérité. — La connaissance de Dieu ne serait pas une connais-
sance si elle n'était pas vraie; et, d'un autre côté, elle ne serait ni infi-
nie ni parfaite si elle n'était entièrement et parfaitement vraie. Donc
Dieu j)0ssède toute vérité ; sa connaissance est la vérité absolue \
etjComme sa connaissance c'est Lui, on dit avec raison que Dieu est
la vérité même.
3^ Véracité. — Mais il y a plus, si l'homme peut communiquer
ses pensées, il est impossible de supposer que Dieu ne les commu-
nique pas. Et s'il les commun iquejl ne peut les communiquer que
telles qu'elles sont. Car la perfection que nous découvrons en Dieu,
à raison de son infinité, no nous permet pas de supposer qu'il puisse
mentir. Donc, Il communique ses pensées selon la vérité: Il est
vérabe.
382 THtODICÉB
La parole de Dieu nous parvient par ses OBUTres et ses asojm
ne peuvent nous mentir. C^est pourquoi nous les interrogeoss aiée
eonfiance. Et quand nous les avons in terrogéesoonvenablemeBt,^
nous répondent, et Dieu nous parle par elles.
Outre cette manière de nous communiquer ses pensées par se
œuvresjl est évident que Dieu peut aussi nous parler direcieineat.
Ce serait sortir du domaine de la philosophie que d'interroger crtte
parole directe de Dieu que nous appelons la révélation; mais ce q«
la philosophie peut et doit faire c'est de s'assurer, par les iémir
gnages natui*els, que cette parole directe de Dieu existe et qu'il y &
une révélation. Quand ce fait est établi la conclusion immédia»
doit être : Dieu a parlé : il faut le croire et Lui obéir.
En tout cas, jusqu'à démonstration de la fausseté de ce fau,u
n'est pas permis à un homme sérieux de se moquer de ceux q»
croient; et de plus, en face de l'assertion de trois cent millioas
d'hommes qui affirment perpétuellement le fait depuis dix-biùt
siècles, sans compter ceux qui l'avaient perpétuellement aifinse
jusque là, il n'est pas digne d'un homme raisonnable de rester ifldi^
férent et de mépriser, sans vérifier le fait et ses preuves.
21. Attributs moraux. On appelle ordre moral rensemhld^
tous les actes libres, et tout ce qui s y rapporte. En sorte qa« ^
attributs moraux de Dieu, sont les attributs relatifs à ses acttf
libres. L'ôtre de Dieu qui est un acte pur, sa connaissance qui«*
au fond le même acte pur ne sont pas des actes libres en Dieu ; i»
sont essentiels et nécessaire. Nous aurions pu constater aussi qui^
y a en Dieu non pas la volonté qui est la faculté de vouloir, mais
un vouloir éternel, nécessaire et infini, par lequel II s'aime etse veot
lui-môme tel qu'il est. C'est encore un acte pur, le même quest®
être et sa connaissance ; ce n'est pas un acte libre.
Mais en dehors de Lui-môme, on conçoit que Dieu veut des èiT»
contingents; Il les veut, puisqu'il les fait exister. Or comme c*
êtres ne sont pas nécessaires. Dieu ne les veut pas nécessairemeD^*
Il les veut donc librement. 11 a donc un vouloir libre. C'est daa?
l'exercice de ce vouloir libre que nous trouvons en Dieu des attri-
buts moraux, qui sont la liberté, \^ justice ^ la bontés
ATTRIBUTS DE DIEU 333
1"^ Liberté. — Dieu est libre,car II veut des choses qu'il ne veut
pas nécessairement ; moins encoi'e forcément, car II n'est nullement
passif. Et comme tout est parfait en Lui Ja liberté de Dieu est
parfaite.
Dirons-nous que sa liberté est infinie ? Oui si on entend par là
qu^elle est sans limite en elle-même. Mais il est à remarquer que
cette liberté, ne pouvant s'exercer sur Dieu lui-môme, mais seule-
ment sur les êtres contingents, ne peut avoir un exercice infini.
(Test d*ailleurs la condition essentielle de tout acte de Dieu sur les
êtres contingents. Infini et éternel du c6té de Dieu cet acte est fini
et temporel dans Têtre qui en résulte. Mais à part cette condition
qui vient de Tessence des êtres contingents^ la liberté de Dieu est
illimitée ; Il choisit dans la série indéfinie des êtres possibles ceux
qu'il veut actualiser, et rien ne l'oblige & se déterminer pour tel
ou tel.
Une autre perfection de la liberté de Dieu, c'est qu'il ne veut
jamais l'impossible ni le mal, comme cela arrive souvent aux hom-
mes. C'est encore sa nature infinie et parfaite qui s'y oppose. Etant
Lui-même le vrai, le beau,le bien absolu, Il ne peut vouloir le con-
traire de Lui-môme. Ce serait ne pas se vouloir Lui-môme et II se
veut nécessairement comme II existe nécessairement.
2^ Justice. Il résulte de ce qui précède que Dieu ne peut vou-
loir librement que ce qui est bien. Or comme le bien est la règle
du juste, il s'ensuit que la volonté libre de Dieu est essentielle-
ment juste. Il ne veut que ce qui est juste.
3* Bonté. — Dieu est bon en ce sens qu'il fait du bien. Or
Dieu fait du bien & tous les êtres qui ne sont pas Lui. Et même II
donne l'être, le premier de tous les biens ; Il fait exister ceux qui
sans lui n'existeraient pas. C'est la perfection de la bonté, et c'est
en ce sens que nous disons que la bonté de Dieu est infinie ; bien
que par la nature des êtres continge nts les résultats soient néces-
sairement limités.
22. Attributs de causalité. — Bien qu'en Dieu vouloir e^
faire soient un seul et même acte, nous pouvons cependant, selon^
notre manière de concevoir, distinguer le vouloir de la causalité.
334 THÉODICÈE
Dieu est la cause première de tout ce qui est, et sa causalité «t
sans limite de sa part bien que les résultats en soient nécessain-
ment Unis. Sa causalité est un acte pur comme Dieu lui-méise,
mais selon notre manière de parler nous disons qu'il peut tout faire,
parce que nous ne voyons que successivement ce qu'il fait de
toute éternité. En sorte que nous distinguons en Dieu comioe
attributs de causalité: la causalité première, la toute puissance et
la providence.
\o Dieu est la cause première de tout. — Les raiscos qoi
nous servent & montrer l'existence de Dieu nous obligent à condore
non seulement que tout être vient de Lui, mais encore que tout êtR
ne peut venir que de Lui, comme de la cause première. L'être cod-
tingent ne peut exister que par l'action de l'être nécessaire.
2"" Dieu est tout puissant. La causalité de Dieu étant inânie
du côté de Dieu, il s'ensuit qu'il peut faire tout ce qui est possible.
Non pas en ce sens qu'il soit en 'puissance de le faire, mais enee
sens qu'il est possible qu'il le- fasse actuellement et que nous ie
voyions plus tard.
S"" Dieu pourvoit à la consenration de tout ce qui
existe. — Les successions dans lesquelles nous vivons et dans les-
quelles nous voyons les êtres qui nous entourent, nous rnootraot
successivement Faction de Dieu sur ces êtres et sur nous, nous foDt
dire que Dieu pourvoit à tout et conserve tout, lorsqu^en réalité
Il ne fait que produire les choses dans le temps par un acte
éternel.
La causalité de Dieu sur les êtres contingents établit entre Dieo
et le monde des rapports qu'il nous faut étudier du côté de Dieo
et du côté du monde. C'est ce que nous allons faire dans l'article
suivant.
Article 4*
RAPPORTS ENTRE DIEU ET LE MONDE. -- CRÉATION ET PROTlDBiei
23. Création. — Les êtres contingents n*ayant pas l'existence
par eux-mêmes la tiennent tout entière de l'être nécessaire qui ^
Dieu. Leur essence s^oppose à ce qu'ils aient toi^ours existé ; àk
cri«:ation et providence 335
s'opposo également à ce qu*ils soient une émanation delà substance
divine. Ils sont donc créés, c'est-à-dire faits de rien, La création
est un acte éternel du côté .de Dieu , un fait temporel du côté des
ôtres créés. Ainsi au lieu de dire : Dieu a créé le monde ^ il fau-
drait dire que Dieu le crée. ^ • -'
24 . Systèmes opposés au dogme de la Création. — Les
philosophes panthéistes supposent que les ôtres que nous appelons
contingents ne sont que des manifestations, des évolutions ou des
éfnanations de Dieu. Ils ont supposé cela, ne pouvant s'élever à
l'idée d'un être fait de rien. Or ces trois systèmes panthéistes ne
sauraient s'accorder avec Tidée que nous avons de Dieu. Car Dieu
est infini et immuable ; les ôtres contingents sont limités et chan-
geants. Chacun de ces systèmes supposerait des changements en
Dieu.
Les matérialistes, notamment Ëpicure et avec lui tous les philo-
sophes païens et de nos jours tous les partisans du matérialisme
et du naturalisme,supposent la matière du monde éternelle. Les uns
avec Platon disent que Dieu Ta seulement façonnée, les autres avec
Epicure, enseignent que les éléments de la matière se combinent
d'eux-mêmes au hasard. Ce système est opposé tout à la fois et à la
causalité infinie de Dieu et à la nature finie des ôtres contingents.
Enfin les naturalistes modernes prétendent expliquer par les
évolutions successives de la matière la formation de tous les ôtres,
et veulent que l'homme ait été singe, plante et même pierre avant
d'être ce qu'il est. De pareilles monstruosités ne se réfutent pas.
Ce sont des rôveries imaginées pour effacer Dieu, et qui avilissent
l'homme en voulant Télever.
25. Providence. — Les principes métaphysiques qui démon-
trent le fait de la Création démontrent aussi comme une nécessité
des ôtres contingents la conservation de ces mômes ôtres par Dieu
qui les a créés.
L'être qui tient de Dieu tout ce qu'il est ne saurait subsister un
seul instant par lui-môme. En effet nous avons constaté bien des
fois précédemment ce principe fondamental que Teffet est simuL
tané à sa cause et ne dure qu'autant qu^elle. Si donc Faction de
Dieu est la cause totale des ôtres contingents, comment ces êtres
336 THÈODICKE
pourraient-ils subsister après que cette action aurait cessé. Ca*
donc bien mal entendre les principes nécessaires des ôtres que &
supposer que Dieu aurait -une fois créée le monde et l'aurait easoite
abandonné à lui-môme. Non : les êtres créés ne persévèrent dws
Texistenceque parce que leu» cause continue et cette cause de lear
conservation n'est et ne peut être autre chose que raction mêse
de Dieu, qui les crée ainsi d'une manière continue. La conservatioi
des ôtres n'est donc que la persévérance de l'acte créateur ; acte
éternel de la part do Dieu, mais dont le résultat estnécessaireme&t
temporel pour les ôtres crées. Telle est la baj^edudogmedelaProrideo-
ce. En effet, si les ôtres contingents ne subsistent que par la conti*
nuité de l'acte créateur, il s'ensuit quUls ne se meuvent, ne chao-
gent.de lieu, n'agissent d'une manière quelconque, que par le même
acte de Dieu, et que toutes les modifications qu'éprouvent les^tres
dans le monde viennent en dernière analyse de Dieu et ne peavâit
venir que de lui. 11 est donc indispensable d'admettre que Dieo
conserve et gouverne le monde : c'est ce que l'on appelle la ProTÎ-
dence de Dieu.
Mais, dit-on, Dieu a posé, au commencement, des lois, et ces lûii
régissent le monde ! Vaine théorie. Les lois ne sont pas une forée,
mais l'ordre dans lequel un fait se produit ; et si outre la im il
n'existe pas une force agissante qui produise le fait, aucune loi te
sera observée. Donc, Dieu suit un ordre qu'il a tracé Lui-inâa^i
mais c'est Lui seul qui exécute ce plan;car II estseul l'être paraoi,
cause universelle de tout ce qui est contingent.
26. Systèmes opposés au dogme de la Proyidence.— L^
systèmes panthéistes, matérialistes et naturalistes qui nient 1a
création, nient par là-môme la Providence. Mais de plus il J 3
différents systèmes connus sous le nom général de Déisme , qui» ^à-
mettant que le monde a été créé, supposent qu'il persévère essoite
dans l'existence, sans que Dieu s'en occupe, et nient par conséquent
la Providence en admettant la Création.
Les preuves que nous avons données suffisent à réfuter le déisme.
Disons seulement ici que la source de ces doctrines et la facilité
avec laquelle elles se sont fait de si nombreux partisans, viennent
de l'attrait des hommes pour la licence des mœurs. Le dogme de U
CRÉATION ET PROVIDENCE* 337
Providence a des conséquences pratiques. Si Dieu gouverne le
monde il faut que les hommes obéissent à ses lois ; et c'est pour
éviter la direction de ces lois, que les hommes s'efforcent de les
nier,en niant que Dieu s'occupe d'eux. Il y a aussi dans cette déné-
gation un orgueil, une suffisance poussée jusqu'au ridicule de Fab-
surdité. L'homme tient tout de Dieu, son existence môme, et il
prétend pouvoir se passer de Dieu.
Aux preuves métaphysiques que nous avons données de la Pro-
vidence on pourmit joindre les preuves historiques, le consente-
ment unanime des peuples, et l'observation de l'ordre admirable
qui règne dans le monde, et dès lors les déistes nous paraîtraient
non seulement absurdes dans leur orgueil, mais encore aveugles
dans leur expérience, ignorants des témoignages de l'histoire et
indignes de conserver leur titre d'hommes, puisqu'ils n'ont pas les
croyances universelles du genre humain .
Après cela, si de prétendus philosophes, de peur de s'humilier
devant Dieu, en avouant qu'ils viennent do Dieu et ne subsistent
que par lui, préfèrent descendre d'un singe,ou d'un mollusque,lais-
sons-les se complaire dans leur avilissement : la raison n'arrive-
rait pas jusqu'à eux. Noluitintelligere ut bene agei*et. Ils n*ont
pas voulu comprendre de peur d'être obligés de faire le bien.
27. Conséquences pratiques des rapports entre Dieu et
le monde. — Puisque Dieu crée conserve et gouverne le monde
et tout ce qu'il renferme , puisque l'homme sait cela et qu'il est
libre, il s'en suit qu'il doit librement se soumettre aux desseins de
Dieu sur lui, pratiquer le bien que Dieu lui commande et éviter le
mal que Dieu lui défend, rendre grâces à Dieu des biens qu'il en
reçoit et attendre de lui un concours efficace qu'il peut lui demander.
Telles sont les bases de la religion, naturelle, conséquence néces*
saire des rapports de l'homme à Dieu en dehors môme de la révé-
lation.
Ainsi la raison, par les principes mômes de l'ôtre, et par le seul
fait de l'existence de l'homme intelligent, établit la religion naturelle
comme une loi nécessaire de nos rapports avec Dieu. Il n'y a donc
ri^nde sérieux dans les doctrines des pcétendus libreshpenseurs et
positivistes modernes qui veulent éloigner l'homme de toute rela-
tion religieuse avec D^eu. Leur doctrine répugne à la raison, et
loin d'élever l'homme, elle l'assimile à la béte. ^^
Mais ce n'est pas tout. La philosophie ne peut s'empêcher tfe
concevoir que Dieu, qui est libre yis-à-vis des êtres contingents,
à pu librement établir avec les hommes d'autres relations que celles
qui sont la condition indispensable de leur existence ; que dès lors
ces relations n'ayant plus rien de nccessaii'e ne peuvent plus être
constatées par la raison pure, mais doivent se manifester par des
faits si elles existent. C'est donc dans les faits qu'il faut les étudier,
et pour les connaître il faut interrogei* leurs témoignages, s'il t eu
a. Et de plus la saine philosophie exige que l'homme se rende
compte de ces nouveaux rapports avec Dieu, des conséquences qui
en résultent, et qu'il en observe les lois dès qu'il est convaincu que
Dieu les a dictées.
C'est la base de la religion surnaturelle. Cette religion est attes-
tée par tous les peuples de tous les temps; elle a eu et a encore bien
des formes difféi*entes plus ou moins dignes de Dieu, mais il n'est
aucun peuple qui n'affirme par ses croyances et par ses mœurs
l'existence d'une l'eligion autre que la religion naturelle. Or en
présence de ces faits il est évident que toutes ces religions si oppo-
sées les unes aux autres ne viennent pas toutes de Dieu ; de plus k
nature môme de Dieu nous indique que Dieu n'a pas pu en donner
plusieurs, et par conséquent il n'y en a qu'une qui soit la vraie;
entin la raison nous oblige à poser en principe que la religion qui
est la seule vraie doit avoir des témoignages de son origine divine.
Donc le philosophe qui n'est pas certain dô posséder la vraie reli-
gion doit s'il veut être vraiment philosophe étudier les marques
de la vraie religion et, quand il l'aura reconnue, il sait d'avance
que son devoir sera d'en suivre les enseignements, les pratiques et
les lois. Nous pouvons ajouter que cet exanaen lui démontrera que
la seule vraie religion qui vient de Dieu,^ c'est la religion catholique.
28. Difficultés relatives au dogme de la Providence. —
Cette action continue de Dieu sur les créatures, s'accorde diffici-
lement: 1* avec la liberté de l'homme ; 2* avec le mal qui se pro-
duit dans le monde.
1^ Liberté de l'homme. — Nous avons répondu ailleun à
cette difficulté. Redisons seulement que lorsque deax vérités de
différents ordres sont constatées séparément par le genre de preuves
CRKATI.ON KT rUOVlDKNClE 330
qui leur convient, il n'est pa«! logique de prétondre les rejeter
parce qu'on ne sait pas comment les accorder. D'ailleurs il y a au
fond de cette question comme au fond de plusieurs autres que nous
venons d'examiner une relation entre l'infini et le fini ; et nous
ne connaissons pas assez Tun et l'autre pour savoir comment l'un
agrit sur l'autre.
2^ L'existence du mal. — Dieu qui est Tôtre parfait ne peut
faire le mal, ni vouloir qu'on le fasse* Si donc il gouverne le monde,
il semble qu'il ne devrait pas y tolérer le maU Et pourtant il y u
du mal dans le monde.
11 y a d'abord le mal physique : difformités physiques telles que
la douleur, les maladies, la mort^ et tous les accidents qui détrui-
sent en tout ou en partie certains êtres.
Il y a ensuite le mal moral, qui cûnsi3te dans les fautbs ou les
crimes des hommes et en général dans tout acte opposé ti la jus-
tice ou & la charité. Il y en a qui considèrent comme une injustice
l'inégalité des conditions et les souÔrances des hommes vertueux.
29. Réponse aux difficultés tirées de Tezistence du mal.
— Mal physique. — !• Le mal physique n'a rten de contraire aux
perfections de Dieu ; il n'attaque que des êtres i ontingents ; il ne
viole que des lois contingentes et particulières.
2? En détruisant des êtres paHiculiera, les accidents que nous
appelons des maux physiques procurent un bien général. Tels sont :
les tempêtes, les orages, les volcans, la foudre, les épidémies et
môme les maladies ordinaires. On peut en dire autant de la pau-
vreté et de toutes les privations corporelles.
3* Les maux physiques sont souvent le résultat des actes libres
des hommes ; et dans ce cas on ne saurait les imputer à Dieu.
4^ Si Dieu nous envoie des maux ou permet que nous en causions
à nous mômes ou aux autres, c'est pour en tirer le bien, soit des
individua mêmes qui en sont affligés, soit de la société. Ces maux
sont souvent un châtiment pour les coupables ; plus souvent une
correction utile ou une épreuve.
Ainsi ce que nous appelons le mal physique est toujours un bien
moral devant Dieu, et quelquefois mîme un bien physique. C'est
pour cela que sa Providence le permet ou même le fait.
340 THKODICÉE
30. Mal moral. -^ Le mal moral est toujours le fruit de laliberté
de l'homme et ne peut venir de Dieu, car il répugne à saperfectiua
infinie. Donc Dieu ne le fait pas, mais il le tolère. Or :
1** Dieu tolère le mal moral pour laissera l'homme la liberté.
2^ Dieu sait tirer le bien même du mal moral.
3* Dieu rendra après la mort à chacun selon ses œuvres et tout
rentrera dans l'ordre.
Mais pourquoi Dieu crée-t-il l'homme libre, sachant qu'il dml
en faire un mauvais u^age ? Dieu donne la liberté à l'homme:
1« Parcequ'elle donne à l'homme sa plus haute dignité.
2* Parcequ'elle lui permet de mériter son bonheur.
3* Parcequ'il est plus glorieux pour Dieu d'être servi par des
créatures intelligentes et libres que par des machines, et qoe
d'ailleurs la liberté est une conséquence métaphysique de YiniA-
ligenee raisonnable, comme la possibilité de pécher est une consé-
quence de la liberté dans une créature, & raison de son imperfec-
tion essentielle.
Ainsi la Providence de Dieu tolôre le malnaoral, sans qu'il j
ait en cela rien de contraire à la perfection de Dieu.
MORALE
GÉNÉRiLIIÉS
1. Sens du mot. — Le mot morale vient du latin et il a
pour origine le mot moresy lequel désigne l'ensemble des actes
libres d'un homme ou du peuple. On trouve dans un même fonds
d'idées, en grec : |jlik!>v, muscle, ^\aù^ cligner les jeux; en latin :
moveoj motum, miUare, mos, moris ; en français : mutcle^
mouvement, mue^ etc. C'est toigoursTidéede mouvement, exprès
sion sensible de l'acte, môme spirituel, et c'est ainsi qu'on a appelé
mores f mouvements ou actes, les actes par excellence, c'est-À-dire
les actes libres. Donc, par Tétymologie, la morale se rapporte avx
actes libres.
2. Ol^et de la morale. Telle que nous Tentendons ici la morale
est une science dont l'objet est un ensemble de lois, et ces lois ont
pour siget les actes libres, que l'on appelle aussi actes humains.
La morale a donc pour objet la loi ou les loU des actes humains,
ou en d'autres termes la loi morale.
En effet il ne faut pas confondre la loi morale, avec la morale,
qui est la science de cette loi.
3. Définition. — La morale est donc la science de la loi morale,
ou la science des lois morales des actes humains.
Nous avons déjà eu Toccasion, plusieurs fois dans ce cours, de
dire ce qu'il faut entendre par une loi morale. Nous en parlerons
plus longuement dans cette partie : rappelons seulement ici pour
l'intelligence delà définition que les lois morales sont les règles du
bien dans les actes libres et qu'elles sont appelées morales autant
parce que les relations qu'elles régissent sont libres, que parce qu'elles
342 MORALE
les ivf^isseiit en les laissant libres. Cette sorte d'action d'ane W
s'appelle obligation ou obligation morale.
4. Division. — Nous arpcs donc à étudier d*abord la loi morak
en général et ensuite les lois morales dans leurs différentes
espèces.
- Chavithk 1".
DE LA LOI MORALE, EN GÉNÉRAL
.5. Objet et division de ce chapitre. — Pour bien connaître
la loi morale, nous en chercherons la définition, la natui-e, Texi»-
tencc, l'origine, le sujet, Taction et la sanction.
Ahtïcle !•'.
DÛiNITiON DE Li LOI liO&ALS.
G. Recherche de cette définition. — Les lois sont le:$ règles
des relations. La loi morale doit donc être la règle morale des lo-
tions morales. Mais qu'est-ce qu'une règle morale et qu^est-^ce que
des relations morales? Nous avons vu en métaphysique qa'ufle
règle morale est celle qui dirige une relation sans la nécessiter ni
la forcer, mais en lui laissant sa détermination spontanée et libre.
La règle morale indique ce que doit être la relation qu'elle rferitt
mais elle ne la force ni ne la nécessite pas A être ce qu'elle doit être.
Los relations morales, d'après ce que nous avons vu aussi en mêta-
pliyjsiciue, sont des relations libres, et par conséquent sont des ad»
libres ou au moins en résultent.
Mais cette règle elle-même doit avoir une essence déterminée, et
cette détermination est nécessaire pour la bien définir. Ëa réglant
les actes libres elle doit leur imposer une forme, un ordre ; car
toute loi est un ordre. Quel est donc cet ordre qui constitue la loi
morale? Cet ordre, au sens de tout le monde» c'est le bien, La \ck
morale régit les actes libres pour les rendre bons ; elle indique ie>
conditions de la bonté des actes libres, en sorte que Tordre essentiel
qui constitue la loi morale, c'ostle bien. Donc :
DE LÀ LOI MORALE EN GÉNÉRAL 343
7. Définition. — La loi morale est la règle du bien dans les
a<3tes libres.
Elle ne règle que les actes libres ; elle les [laisse libres ; eUe en
règle la bonté.
Tout acte libre est bon ou mauvais, selon qu'il est conforme ou
non à la loi morale.
Article 2*.
nâturb de la loi morale.
8. Principe de la question. — Si la loi morale dirige les
actes libres des hommes, si elle détermine ce qu'ils doivent être
pour être bons, c'est elle qui doit nous dire quand et comment nous
devons agir ; elle doit donc nous déterminer à agir. Si donc
nous voulons savoir en quoi consiste la loi raoi*ale, nous devons la
chercher parmi les principes qui nous déterminent à agir de telle
ou telle manière, dans les motifs do nos déterminations. D'ailleurs
ce n'est pas en étudiant les actes libres que nous pourrions en con-
naîtra les lois, puisqu'ils n'y sont ni nécessairement ni forcément
conformes.
9. Motifs de nos déterminations. — L'àme est libre dans
sea actes, mais cette liberté n'empêche pab qu'elle ne suive dans
ses actes certaines attractions ou répulsions, qu'elle ne soit invitée
à agir par différents motifs.
Ces motifs peuvent se résumer en quatre : les sensations, les
sentiments, l'intérêt, le bien absolu.
10. Les sensations. — L'attrait du plaisir, ou la répulsion de
la douleur corporelle, sont souvent pour les hommeè de puissants
motifs d'agir. Evidemment les sensations sont faites pour nous
engager à faire avec plus d'ardeur certains actes que nous omet-
trions sans cela et qui sont utiles et même nécessaires à la conser-
vation soit des individus soit de la famille et de la société.
Cependant les sensations n'ont pas le caractère de lois. Ce carac-
tère c'est l'obligation et l'universalité . La conscience ne nous dit
pas que nous ne devions pas résister aux sensations ; au contmirc
au jugement universel du genre humain la sensation, doit souveu
344 MORALE
être méprisée. Et d*ailleurs l'expérience constate qa*il est [de notre
intérêt de ne pas la suivre tocgours. De plus, les sensations loi&
d'avoir le caractère de l'universalité sont essentiellement YariahleSy
elles diffèrent avec les individus, et même dans un môme indîvîdn
elles diffèrent avec les circonstances. Les sensations ne sont donc
pas la loi morale.
11. Les sentiments. — Sous nne forme purement spirituelle
les sentiments exercent sur notre âme une attraction ou une répul-
sion analogue à celles des sensations. Ils ont d'ailleurs an but ana-
logue, celui de nous entraîner à certains actes pour nous las faire
faire plus facilement.
Mais, pas plps que les sensations, les sentiments n'ont le carac-
tère de lois. Ils ne se montrent pas comme obligatoires, ou du
moins ils admettent des obligations plus puissantes et plus Inti-
mes devant lesquelles ils doivent céder ; ils vaiûent avec lœ indi-
vidus et les circonstances. D'ailleurs, comme les sensations. Us
entraînent l'homme à agir, mais ils tendent à le faire agir sans
réflexion et par suite sans liberté. Les sentiments ne sont donc pas
la loi morale.
12. L'intérêt. — Au dessus des sensations et des sentiments
vient se placer, comme motif d'action, l'intérêt. Non pas rintérêt
matériel de la richesse mais l'intérêt complet de l'homme, de la
famille et de la société. Quand cet intérêt parle, les sensations et
les sentiments doivent se taire et le laisser seul déterminer nos
actes. Ainsi l'homme sacrifie un de ses membres pour sauver son
corps ; ainsi la mère gourmande et châtie son enfant qu'elle aime
et lui retire ses caresses pour le rendre meilleur. Ainsi encore l'ou-
vrier condamne son corps à un rude travail pour gagner le pain qui
doit le nourrir ; ou bien iï renonce à ses affections les plus chères et
quitte môme son pays pour aller demander à un pajs lointain des
ressources pour ses parents vieux et infirmes.
Si l'intérêt n'indiquait jamais que des actes semblables, il aurait
bien le caractère de la loi. Mais d'un autre côté, si l'intérêt est la
loi suprême, s'il est la seule loi morale, qui dira l'acte qu'il faut
choisir, lorsque deux intérêts se contredisent? Et d'ailleurs n'est-il
pas facile de voir que. les calculs de l'intéi-êt ne sont pas toi^ours
NATURE DB LA LOI MORALE ^5
nobles? Cela est si vrai que nouB n'admirons jamais un acte inspiré
par Tintérét, tandis que certains actes nous transportent d'admi-
ration.
Donc si l'tntérôt porte avec lui un certain caractère d'obligation,
la conscience nous dit que souvent il doit céder devant un motif
plus élevé. De plus son caractère d'universalité n'est pas assess bien
marqué, et il lui reste encore quelque chose de trop individuel,
pour constituer nne loi absolue. Donc encore, l'intérêt n'est pas la
loi morale.
13 . Le bien absolu. — Au dessus de l'attraction des sensa-
tions par lesquelles nous agirions comme les bêtes, au-dessus de
l'attraction des sentiments par lesquels nos actes ne seraient pas
assez libres et trop capricieux , au-dessus de l'intérêt nciéme bien
réglé qui n'offre ni assez de noblesse ni assez d'universalité, se
trouve l'idée du bien, idée natarelle à notre &me comme le vrai
et le beau, avec lesquels elle ne fait qu'un et constitue la raison
elle-nndme. Cette idée est universelle, identique chez tous les hom*
mes ; elle porte avec elle le caractère de l'obligation, car c'est ainsi
que nous la concevons et c'est même par là que nous la distinguons
du vrai et du beau. Le vrai c'est ce qu'il faut savoir ; le beau,ce
qu'il faut aimer; le bien, ce qu'il faut faire. Telle est l'idée
que nous en avons tous. Et cette obligation, qui est le fond même
de ridée du bien, est telle que la conscience universelle conçoit le
bien comme devant être accompli quand-môme. Tous les autres
motifs d'action, et l'intérêt lui-même, doivent céder devant celui-là
parce qu'il est le plus noble de tous, parce qu'il est universel,
absolu, éternel et nécessaire. C'est donc Tidée dii bien absolu qui
est la loi morale.
14. Fausses idées de laloi morale. — Chacun des quatres mo-
tifs de nos actions a été considéré par quelques philosophes comme
constituant la loi morale.
Ëpicure plaçait la loi morale dans les plaisirs de l'intelligence ;
ses disciples la placèrent dans les plaisirs des sens. Platon lui-
même, quoique montrant ailleurs de plus noblas doctrines, a, dans
sa Républiqtie, placé l'intérôt au-dessus de tout et n'a pas craint,
lorsqu'il croyait l'atteindre par là, de tracer des lois ignobles. Les
346 MORALE
moralistes anglaiK du 18* sidcle, Shafiesbury, Cumberiaad et Àd^si
Smith voulurent faire du sentiment Tunique règle de no6 acta;
avant eux Larochefoucauld avait donné comme unique mohk
sinon comme unique règle de nos actions Tinterai ou l'amoor-pi^-
pre. Cette doctrine est partagée par beaucoup d'hommes de noBJocrs.
Plus récemment encore l'école de Kant, en Allemagne, et Téoak
empirique, qu'on appelle TEoole anglaise, aussi bien que le Posiu-
visme français, ont pris pour base de la loi morale ce qu'ils ont appe-
lé les sentiments altruistes^ et ils ont posé comme principe de îa
loi morale cette définition ou Torgueil se révèle dans sa plus hidee-
se nudité : a Le devoir, c'est la liberté se prenant elle-m^me ponr
fin. »
15. Essence du bien qui est la loi morale. — Pour avoir
une idée complète de la loi morale, qui, comme nous Ta vous m.
n'est autre que l'idée du bien, il faut savoir en quoi consiste le bias.
Une comparaison avec le vrai que nous conaissons mieux noas
fera découvrir ce que nous cherchons, puisqu'au fond le vrai et fc
bien ne différent que par ce point de vue, que Tun est Tobjet del»
connaissance, l'autre, de l'activité.
Or le vrai dans la connaissance est la conformité exacte de b
pensée avec son objet intentionnel. De même le bien dans l'activité
est la conformité de Tacte libre avec sa fin essentielle qui en e*t
nécessairement Tobjet intentionnel. Tout acte a essentieUemeat
une fin et cette fin il doit Tatteindre sous peine d'être difforme et
d'être ainsi privé de sa perfection. Ainsi la parole est de sa natu-
re destinée à exprimer la pensée ; si donc elle exprime autre chose
elle est difforme : c'est un mensonge; c'est un mal. L'action de
manger et de boire est do sa nature destinée à entretenir le oorp
et non à procurer une sensation agréable : donc, manger ou boirr
pour le seul plaisir sensuel, et contrairement aux besoins du oorp5,
est un acte diftorme : c'est un mal.
De plus, le vrai en lui-môme, considéré d'une manière abstraite,
en dehors de tout objet intentionnel, le vrai absolu qui se confond
alors avec la possibilité, consiste dans la conformité ou la conuexi^
logique entre lefvdifférents éléments d'un fait ou d'une pensée. La
[)ensé6, la conception abstraite est vraie à la condition que tous kt§
NATURE DE LA LOI MORALE 347
éléments qui la composent puissent ou doivent logiquement for-
mer un fait S'ils peuvent, s'il y a entre eux conformité, c'est la
conception d'un fait possible; s'ils doivent, s'il y a connexion
log-iqne entre eux, c'est la conception d'une vérité nécessaire.
11 en est de môme du bien absolu. Un acte abstrait est bon à la
condition que tous les éléments qui y entrent puissent ou doivent
ntoralement former un acte ; il doit y avoir, entre les éléments d'un
acte libre, conformité ou connexion, moiule. S'il y a conformité
Tacte est moralement possible : c'est un acte licite ; c'est un droit.
S'il y a connexion, l'acte est moralement nécessaire : c'est un devoir.
SMl n'y a ni connexion ni conformité, l'acte est moralement
impossible ; il est mauvais : c'est une faute ou un crime. Ainsi un
hommeest debout sur le bord d'une route, et n'a pas d'autre an
que de 8*y reposer pour continuer ensuite son voyage et revenir
chez lui : il peut partir quand il voudra ; mais l'orage s'annonce
prochainement et il n'aura que le temps d'arriver, et en restant
plus longtemps il expose sa santé: il doit partir; mais il est lA
pour surveiller les mouvements de l'ennemi et donner l'alarme :
moralement il ne peut pas partir. Bans le premier cas le sujet, la
nature et la fin de son acte concourent à former un' acte possible ;
dans le second cas, la fin qui est cbangée vient y établir une
connexion : l'acte est un devoir ; dans le troisième, la nature de son
acte répugne à la fin pour laquelle il est là, et l'acte devient mora-
lement impossible : c'est un crime.
16. Double forme de la loi morale. — 11 résulte de l'essen-
ce même du bien, fondement de toute loi morale, une double condi-
tion pour les actes libres. Cette double condition, c'est le droit et le
devoir dont nous parlerons bientôt.
Les combinaisons du droit et du devoir donnent ensuite à la loi
une double forme : la loi de justice et la loi de chaHté, La loi de
justice suppose que celui .qui est l'objet ou le terme d'un devoir de
la part d'un autre est déterminé. La justice est commiitative ou
diUributive. Si la personne qui est le terme d'un devoir est pai^
faitemeut déterminée pour celui à qui incombe le devoir, elle a le
droit d'en réclamer l'accomplissement : c'est le rapport de justic*
commutative , Si, au contraire, la personne qui est le terme d'un
devoir n'est déterminée que par un principe, sans qu'il soit évident
348 MORALE
que c'est elle que ce principe déeigae, elle n'a pas le droit de lédi-
mer raccompUssement du devoir. C*est le rapport de JwtM?
dtstributive. L'obligation pour un chefd'état de donner les ehtfgeê
aux plus dignes est un devoir de justice distributive. La ki ^
chanté impose un devoir non moins rigoureux mais^dont le terne
et l'objet sont indéterminés ; en sorte que celui qui pourrait a
être l'objet ou le terme n'a jamais le droit d'en exiger l'aecompl»'
sèment. Ces deux formes de la loi morale : justice et charité, boa
connues sous ces deux expressions populaires : « Ne faites ptu éur
autres ce que vous ne voudriez pas que Von voum fit. Alteri v
feceris quod tihi fieri rum vis. » — « Faites auœ autres ce ç«
vous voudriez que l'on voies fît, Quod vultis ut faciant vckt
homines et vos fadte illis ».
La première est aussi ancienne que le monde et nous la trooTOBi
dans plusieurs philosophes Grecs, Indiens et Chinois. La seconde*
été énoncée pour la première fois pat Jésus-Christ et s'est répaadrte
dans le monde par l'Evangile.
Article 3*
ACTION DE LA LOI MORALE SUR LES AGfTBS LIBRKS.
17. Nature de cette action. — La loi morale règle les ad*
librea mais en les laissant libres ; tandis que toute relation «û^
nécessairement ses lois métaphysiques et forcément ses lois phy-
siques. Aussi Faction de la loi morale s'appeUe obligation La \^
morale oblige; il faut la suivre ; mais dans tous les cas on U^oi^
libren>ent. La loi morale se manifeste, elle dit comment il faut faire
un acte pour qu'il soit bon, etd(>s lors l'acte ne peut être bon qû*
la condition de suivre la loi morale.
18. Instrument de cette action. — Cette obligation que i&
loi morale exerce sur les actes libres ne se produit qu'en, tant qw
la loi se manifeste au sujet qui fait l!acte. Il faut donc que ia loi
soit connue de celui qui agit pour qu'elle Toblige. La connais&iiw*
de la loi est donc l'instrument par lequel la loi morale impose soa
obligation. Et cet instrument est nécessaire à l'obligation : nof
loi mor.ile inconnue ne saurait obliger. Tandis que rignoranff
ACTION DE LA LOI MORALK SUR LES ACTES LIBRES 349
n'empêche pas qu'un homme suive forcément dans ses actes toutes
les lois physiques. Cette connaissance de la loi morale, a un nom
particulier.
19. Conscience morale. — On appelle conscience morale ^
la connaissance de la loi morale des actes libres en* général. C'est
une conscience, car c'est une connaissance intime et en un sens pro-
pre à chaque individu et relative aux actes de cet individu. On
donne à cette conscience l'épithète de morale^ pour la distinguer
de la conscience qui est un fait de simple connaifisanoe, sans liaison
avec les actes à faire.
Les théologiens et quelques philosophes appellent syndêrèse la
connaissance qu'un homme possède de la loi morale, et réservent le
nom àe conscience morale pour le jugement que l'homme porte '
sur la bonté ou la malice des actes libres qu'il accomplit.
20. DÎTersité de la conscience morale. — Quoique la loi
morale soit universelle, la conscience morale qui en est la connais-
sance n'est pas la môme chez tous les hommes. Elle a bien chez
tous un fonds commun; mais dans les détails des différents actes
elle varie avec les individus, et avec Finstruction morale qu'ils ont
reçue ou développée en eux. Souvent môme les passions parvien-
nent à la fausser malgré l'instruction.-
21. Traie et fausse conscience. — 11 y a donc une conscience
morale vraie : elle consiste dans la connaissance exacte de la loi
morale de tel ou tel acte ; et une conscience fausse, qui n'est autre
chose qu'une erreur sur la môme loi morale.
22. Obligation de la conseienoe. — Quelle que soit la cons-
cience morale, c'est elle qui est, pour chaque individu, au moment
d'agir, sa véritable loi morale, car la loi n'oblige qu'en tant qu'elle
est connue ; elle oblige donc telle qu'elle est connue. Donc, en
dernière analyse, c'est la conscience qui oblige. En sorte qu*un
homme qui en commettant un crime croirait faire une bonne action
et accomplir un devoir, devrait le faire ; tandis que celui qui croit
mauvais un acte bon en lui-même doit s'en abstenir.
23. Nécessité d'éelairer sa ooasoienoe. — Si la malice
d'un acte n'avait aucune conséquence physique^ on pourrait agir
350 MORALK
d'après sa conscience sans s'inquiéter de la vérité de ses déeisiûK:
mais les conséquences physiques fâcheuses qui résultent nécessai-
rement d'un acte mauvais exigent que nous prenions les mojtsi
de rectifier notre conscience quand elle est mal éclairée.
24. Conséquences de T action de la loi morale. Droits et
devoirs. — L'ohiigation de la loi morale se présente sous âne
double forme. En réglant la forme d'un acte elle ne le donne pas
toujours comme nécessaire ; quelquefois aussi ello le préseate
comme movsÀement possible. Tantôt elle dit : a II faut faire cela •:
c'est le de voir; tantôt elle dit: « On peut faire cela»; alors l'acte es
licite. Et si elle ajoute : « Il ne faut pas aller au delà », elle limite
le droit. Ainsi la loi morale trace tout à la fois le droitet le devoir.
25. Le droit. — Le droit c'est la légitimité d'un acte. On peflt
user ou ne pas user de son droit ; mais on ne peut pas Tontre-
passer.
26. Le devoir. — Le devoir c'est l'obligation de faire un acte.
11 arrive souvent que Ton peut le dépasser, mais on ne peut jamal«
l'omettre.
27. Nature du droit et du devoir. — Le devoir est nae
connexion morale entre un acte et son siget, dans telles circoo»-
tances. Etant donné tel homme dans telles circonstances, il ^
résulte nécessairement qu'il doit faire tel acte. Il y a donc conne-
xion morale entre le siget et l'acte. Tel est le devoir.
Le droit est aussi une connexion morale, non plus entre le suj^
et l'acte, mais entre le sujet et le pouvoir physique de faire e>?^
acte. Etant donné tel homme dans telles circonstances, il s'easait
nécessairement qu'il doit pouvoir faire tel acte. Il y a donc con-
nexion morale, entre le sti^jet et le pouvoir de faire l'acte. C'est aifl^
que tout le monde entend le droit,
28. Origine du droit. — Pour qu'il y ait connexion momlt|
entre le si\jet d'un acte et le pouvoir de faire cet acte, en d'aut
termes, pour qu'il soit moralement nécessaire que tel homme ait!
pouvoir de faire tel acte, il faut que tous les éléments^ de cet act
lui appartiennent. L'essence môme des choses indique cette condi
tion. En effet : quelle connexion morale peut-on trouver entre b*|
ACTION DK LA LOI MORALK SUR LES ACTES LIBRES 351
Jîomme et le pouvoir d'agir sur ce qui appai'tient à un autre homme ?
Et de plus, quand tous les éléments d*un acte appartiennent à un
homme, où pourrait-on voir qu'il n'est pas juste qu'il puisse faire
cet acte ? Donc un homme a le droit de faire un acte, parceque les
éléments de cet acte lui appartiennent et par cette seule raison.
Donc la propriété de tous les éléments d'un acte suffit pour
engendrer le droit à faire cet acte, et seule cette propriété peut
engendrer ce droit. Donc, en prenant le mot propriété dans le
sens le plus général possible : Torigine du droit, la source du droit,
c'est la propriété et uniquement la propriété.
Le droit se mesure donc à l'étendue de la propriété : il ne doit
ni être moindre, ni s'étendit au delà. Aussi le droit se trouve limité
par les limites mômes de la propriété ; il est partagé dès que la
propriété se partage ; il périt dès que la propriété cesse.
Ce principe métaphysique etparfaiteraent'dôterminé nous servira,
dans la seconde partie de la morale, à déterminer aussi les limites
des droits, dans léui's différentes classes.
29. Origine du devoir. — Ppur qu'il y ait connexion morale
entre le sujet et son acte, pour qu'un homme soit obligé de faire
tel acte sous peine de pécher contre la loi morale, il faut que
cet acte appartienne à un autre, il faut qu'un autre ait le droit
d'exiger de lui cet acte. En sorte que tout devoir suppose un droit
corrélatif. ^
Cette corrélation du devoir et du droit se voit très bien dans les
devoirs de justice commutative, où celui qui est l'objet ou le terme
du devoir s^ toujours le droit d'en réclamer l'accomplissement. Et
si on voit moins cette corrélation dans les devoirs de justice distri-
bu tive et dans les devoirs de charité, ce n'est pas que le droit n'e-
xiste pas, mais c'est que le stget de ce droit n'est pas déterminé.
Dans ce cas, c'est le genre humain ou la société, ou plutôt quel-
ques membreB indéterminés du genre humain ou de la société qui
sont propriétaires de l'acte de l'autre. En sorte que celui-ci a bien
le devoir d'aider ses semblables, mais aucun d'eux en particulier
ne peut exiger de lui l'accomplissement de ce devoir ; car il pour-
répondre à chacun d'eux : Ce n'est pas & vous que je le dois ; je
puis donner U d'autres. ^
352" MORALE
Donc encore Torigine du devoir c'est la propriété, mais ici elfe
est dans un ordre contraire. La propriété engendi*e le droit m
faveur du propriétaire, et le devoir dans le sujet de Tacte qui est
la propriété d'un autre. Ainsi tout acte qui est la propriété doi
autre engendre dans son s^jet le devoir de Faccomplir.
30. Fausse idée de rorigine dn droit. — Quelques pbîkH
sophes modernes ont cru trouver dans le devoir rorigine du droit,
et ont avancé que Thomme n*a des droits que parcequ'il a d»
devoirs. C'est-à-dire qu'ayant des devoire, il doit avoir le droit de
les accomplir, et qu'il n'a pas d'autres droits.
Sans doute le devoir suppose le droit de l'accomplir, mais aller
jusqu'à dire qu'il n'y a et ne peut y avoir d'autres droits que edui
d'accomplir ses devoirs, c'est fausser la notion même des choses»
c'est choquer le sens commun et se mettre en contradiction avec k
conscience morale du genre humain. Car tous les hommes soot
persuadés qu'ils ont le droit d'user de tout ce qui leur appartieat,
sans qu'ils aient pourtant le devoir d'user de tout. C'est encore ni»
trés-fausse idée du droit que de dire, avec certains pliilosopte
modernes : a Le droit, c'est la liberté de chacun prise pour fin paf
la liberté des autres ». O Car, comme rien ne détermine, ni œ
limite la liberté de chacun, on ne peut pas savoir jusqu'où on h
prendra pour fin. Et si c'est la liberté qui détermine le droit,qa est-
ce qui déterminera la liberté ?
Nous nous sommes cru obligé de relever cette définition et de la eofi-
damner d'autant plus qu'elle vient d'être enseignée récemmeat par oa
homme qui occupe en France une charge importante dans l'enaeigoe-
ment et dont le nom et le titre pourraient Imposer au lecteur.
Pour la même raison nousi[reléverons aussi en leur lieu les errean
commises par le même auteur, dans l'interprétation des paroles de U
plupart des philosophes dont la doctrine est classique.
31. Du pouvoir comme conséqueiioe du droit. — Il »it
de tout ce qui précède, comme d'ailleurs le sens commun le pio-
clame, que le droit appelle^ exige le poavoir d'accomplir l'adé
objet du droit. Dès qu'un homme a an droit, la loi de justice p^
(•) Alfred Fouillée, Histoires de la philosophie, p. 101.
EXISTENCE DK LA LOI MORALE 35:5
clame qu'il doit avoir le ponvoir de Texércer. En sorte que toute
loi qui emp^^che ou môme giMie Texercice d'un droit est une loi
tyranuiqurf, injuste et par consé(j[uent opporît^e h la loi morale, fon-
dement de toutes les lois.
Mais d'un autre côté, si le droit réclame justement le pouvoir
de faire Tacte auquel onr a droit, il ne saurait réclamer rien de plus •
Et oomme les droits de chaque homme, engendrés par sa propriét<\
sont limités par les droits de ses semhlables, comme leurs proprié-
tés limitent la sienne, il s'ensuit que tout ponvoir qui s'étend au
delà des droits de celui qui le possède, est une menace pour les droits
des autres. En sorte que toute loi qui donne h un homme âe^
pouvoirs plus étendus que ses droits est à son tour une loi tyran-
nique et injuste, qui lèse les droits des autres hommes.
Ce sont là deux principes incontestables et profondément lumi-
neux qui peuvent servir à juger la moralité de toutes les lois parti-
culières.
Article 4*'
EXISTENCE DE LA LOI MORALE.
32. Comment se prouve l'existence de la loi morale. —
De môme que la nature de la loi morale ne peut ôtre . connue par
Texamen des actes humains, qui peuvent ne pas s'j conformer, de
môme, ce n'est pas par Fexamen de ces actes?, que nous pouvons
savoir si cette loi, telle que nous Tavons conçue, existe réellement,
comme régie des actes humains. C'est donc à la conscience et à la
raison qu'il faut demander si la loi morale existe.
33. Preuves. — L'existence de la loi morale est attestée par
la conscience individuelle, par la conscience- universelle et par la
raison.
1** . Tout homme sait distinguer le bien du mal ; il sait qu'il
doit faire le bien et éviter le mal ; il sait qu'en toute circonstance
il doit agir selon une règle propre à cette circonstance ; il se blâme
lui-même quand il a 7)ial agi, et U se r^Ouit quand il a agi con-
formément à cette loi. Il sait de plus que la loi du bien est au-
dessns de tous les autres motifs de dét^rrarnutitm: T6trt*hdmmc sait
distinguer le juste et l'injuste. Il approuve la justice, et les actions
ou
354 MORALE
injustes le révoltent. Donc tout homme a conscience de l'existence
de la loi morale et se croit t^nu de s'y conformer.
2^. Chez tous les peuples on distingue le juste et Tinjuste, le bien
et le mal ; on loue les bonnes actions, on bUme et on punit les
mauvaises ; on se croit tenu de respecter les droits des autres,
mais on tient à faire respecter les siens propres. Ce jugement est
universel ; il est de tous les temps et de tous les lieux. Donc la
conscience universelle atteste l'existence de la loi morale.
3^. La raison, d'accord avec la conscience, déclare que la loi
morale existe nécessairement, dès qu'il j a des actes libres. Elle
déclare que tout acte libre a une fin en rapport avec ses auti^es
. éléments, et que le détourner de sa fin, c'est engendrer un monstre
moral, mille fois plus hideux que les monstres physiques. Elle va
plus loin : dans la plupart des cas, elle détermine ello-môme la loi
d'un- acte, et déclare que cette loi est essentielle à cet acte, et que
Thomme est obligé de la suivre. Par exemple, la raison ne oom*
prend pas qu'il puisse jamais être permis à une créature de mépriser
son Créateur. Elle déclare que les rapports naturels qui existent
entre un père et ses enfants sont tels, que le fils ne saurait sans
crime manquer de respect à son père. Elle déclare enfin que Dieu,
qui est parfait, ne peut vouloir que l'homme transgresse la loi
morale. C*est ainsi que la raison en atteste Texistence.
34. Connaissance de la loi morale. — Ainsi la loi morale
existe ; les hommes le savent ; ils connaissent cette loi et môme
avec assez de détails pour se diriger dans leurs actes. Sans cette
connaissance la loi ne saurait obliger, et dés lors ce serait comme
si elle n'existait pas. Aussi Dieu en créant l'homme intelligent et
libre, ne Ta pas laissé dans Tincertitude à ce siget. Il a gravé aa
fond de notre Ame l'idée du bien, et par là l'idée du droit et du
devoir ; en un mot : l'idée de la loi et de son obligation.
Articlk 5*
OBieiNI Dl LÀ LOI H»KALI
35. Doubla origine. *— Les lois morales qui régissent les
actes libres des hommes ont une double origine. Les unes premieot
ORIGINE DE LA LOI MORALE 355
leur source dans la natun^iiHSine 4es choses et ne aovk que. des cas
particuliers de la loi morale en général ; les auU^es sont établies pa^
la volonté positive 'des législateurs. Mais la loi morale uniyerseUe,
qni sert de fondement aux lois morales particuliérestest nécea^liire.
Nous devons cependant examiner ici les deux origines po9{iil|l0S
d'une loi morale.
La nature des différents êtres indique assez par elle-même les
fins diverses pour lesquelles ils sont créés et les relations gtfÂbs
doivent avoir, soit entre eux, soit avec leur pS^^^'^urwI^ donc
que Dieu les a faits ce qu'ils sont, 11 a suffisamment indiqué ce qu'il
voulait en faire et c'est mépriser Dieu, c'est s'opposer à sa volonté
expresse que de faire servir ces créatures à d*autres fins. Dieu ne
peut donc pas vouloir que Ton détourne les créatures de leur âh
naturelle ; ce serait se contredire.
Telle est l'origine nécessaire de la loi morale ; elle est fondée sur
la nature des choses et sur la volonté de Dieu manifestée par la
" ' •'•
nature même des êtres créés»
Aussi la raison détermine elle-même les grands principes de 1^
loi morale, et elle les détermine nécessairement comme toutes les
notions métaphysiques ; si bien que ces principes nous apparais-
sent comme une loi éternelle, antérieure à toute créature libre, et
déterminant d'avance les lois que doit suivre une créature libre dés
qu'elle existe.
Ainsi, en ne considérant que ces grands principes qui servent de
base À toute loi morale, on dit avec raison qu^iliiiJMftmpale:.est
étemelle et nécessaire. , ,
Ce qu'on appelle la loi naiuraU^ n'est que TappUcation de la^loi
éternelle, & partir du moment où le niondea été^eréé. . ,
. 37. Orifine fontAttfi '^ Lorsqttd diine les •dMaiistdé.Ja pra-
tique il a été nécessaire de déterminer ce que la raison ho détef»
minait pas, les législateurs ont dicté des lois positives.
Dieu lui-même a posé des lois qu'il a choisie! de son propre gré»
et par lesquelles II a déterminé certaines obligations que la nature
des chosed ne précise pas. Ainsi ont fait les chefs de famille «t les
gouverneurs des états. C'est ainsi qu'ont été^tabties ile&^oia posif
tives. .
35G MORALK
38. Oonditioiis des lois posithres. *- Les lois positiTes àt
Dieu n*ont pas besoin d'être examinées, car il ne peut pas dècsster
Tinjastice.
Mais les lois établies par les hommes ont besoin de remplir
certaines conditions pour être valables. Ces conditions sont :
1^ Que le législateur ait le droit de porter la loi.
2" Que la loi ne soit en rien opposée k la loi morale néces-
saire.
39. Obligation des lois positÎTes. — Les lois positires à
Dieu obligent au même titre que la loi étemelle ; car personne m
peut contester à Dieu le droit de lui imposer des loisc D^aîlleon ces
lois positives de Dieu ne sont jamais que la détermination d*Bse
obligation indiquée d'une manière générale par la loi étemelle;»
sorte qu'elles n'imposent pas un devoir nouveau.)
Les lois positives des hommes obligent aussi au nom de laid
naturelle et au nom de Dieu, quand le législateur tient, soit de la
nature des choses, soit de la volonté de Dieu, le droit de faire àes
lois.
Enfin il j a des lois qui sont la conséquence d'une eonventioB:
•lies obligent en vertu de la loi naturelle de justice.
Article 6*
8UJITS DK LA LOI HORALI
40. Définition. — On entend par sujet d'une loi la relatiot
même que cette loi régit.
De plus, quand cette relation est un acte, on appelle aussi sujet
delà loi, le siyet de l'acte lui-même.
41. Détomoiination du sujet de la loi morale. — Ainsi le»
nieià de la loi m(»rale ce sont les actes humains, c'est-à-^iire les
actes libres des hommes. Ce sont aussi les hommes eux-mêmes ee
ee sens qu'ils sont personndlemeot tenus de conformer leurs actes
à cette Im.
Au même titre tous les éléments des actes humains de viennrat es
un sens les stù®^ ^^ ^* ^^ morale et sont réglés par elle.
Enfin, comme l'habitude d'un acte est une prédisposition k cet
acte et à la maniêi^ dont on le fera, les habitudes elles-méme»
SUJETS DE LA LOI MORALE 357
tombent «oas U direction de la loi morale à raison des actes qu'eltes
ppépaerent.
Noas avons donc à examiner ici an point de vae moral les actes
humains avec leurs diffârents éléments et les habitudes des diffé-
rents actes.
42. Actes humains. — Nous avons v#en psychologie que
Tactî vite hnmaine s'exerce sous diiférentes formes. Les actes des
hommes sont ou purement spontanés, ou instinctifs ou volontaires
et libres. Laissant de côté Tacte volontaire nécessaire qui n*a qu'un
seul objets les théologiens ont appelé actus hotmniê, actes de
Thomme, les actes purement spontanés et les actes instinctifs, et
ctctus humanif actes humains, les actes libres ; parce que ceux-ci
seuls sont fait d^une manière humaine, tandis que les autres ne
diffèrent pas des actes des animaux, quoiquUls soient faits par dcfs
hommes. Nous adopterons cette distinction, et nous appelerons
actes humains, les actes libres. Ces actes seuls sont soumis ft la
loi morale.
43, Conditions essentielles des actes humains. — Pour
qu*un acte puisse être appelé acte humain il faut qu*il soit libre;
il lui faut donc toutes les conditions de l'acte libre, savoir :
1® La connaissance actuelle de l'acte à faire : ce qui implique
la connaissance de la moralité de cet acte.
2^ Le pouvoir de choisir entre faire et ne pas faire.
3^ L*acte proprement dit qui est la volonté formelle de faire
l'acte.
Dès qu'une de ces troi^ conditions manque, l'acte n'est «plus un
acte humain et ne peut être soumis à la loi morale.
Ainsi Terreur sur la nature de l'acte, où sur la loi morale qui le
Tvîgit, l'ignorance sur ces mômes points, ou môme la simple inad-
vertance, enlèvent à un acte sa qualité d'acte humain et font qu'il
n'est plus soumis à la loi morale. C'est un défaut de connaissance.
La passion violente qui entraîne forcément l'activité, sans laisser
place à la délibération et au choix de l'âme, détruit aussi dans un
acte sa qualité d'acte humain, en suspendant l'exercice de la
liberté. Il n'en est pas de môme de la violence corporelle, car elle
n'empôche pas la volonté de refuser son consentement à une action
que le corps exécute par force.
SS8 MOHAtB
Bnfln, tions Fempipe de la paatUm ou de la TicdeBoe^ oa d'pM
surexcitation corporelle quelconque, il peut se faire qa'an banae
a&cctâpllssê fin acte arec un demi-consenteineiit de la volonté. Cm
le oas lé plus diUcile à détm*imner, mais on sent qu'il est pomUe.
Là aussi il n'y a pas un acte humain.
44. Moralité des notes kiinudiie. — La moralité d'an acte
htimain, c*e84>-à-dire sa bonté ou sa malice, se prend dans 1^ r^
ports de cet acte avec sa loi morale. C'est la moralité matérielle ^
abstraite de Tacte.
Quant à la moralité formelle et pratique d'un acte, il faut j
faire entrer la considération de toutes les conditions d'un acte
hjumaio. Pour qu'un acte soit formellement mauvais, il faut, outre
sa malice abstraite» qu'il ait encore toutes les conditions de Faete
libue et de l'acte libre mauvais.
Aussi les. lois humaines ne visent et n'atteignent que les aet^
mettériels ; Dieu seul peut récompenser pu punir les actes sek»
leur moralité formelle, parce que lui seul connaît le secret des
cœurs et des consciences et voit les conditions de liberté de tous
nosî)»ctes.
45. Eléments des aotes humains. — Tout acte a son siget,
sa aatur05 son objets son terme et ses circonstances. La moralilé
abstraite d'un acte dépend des conditions de chacun de ces éléments
Il n'est donc pas étonnant que les hommes ne soient pas toigours!
d'accord dans les jugements qu'ils portent sur un'acte en particu-
lier, quoique nous ayons tous la m^me idée du bien.
Le même acte qui est bon chez tel homme, peut être mauvais
chez un autre, à raison de la différence des sujets. ïl en est de
môme pour l'objet, le terme et les circonstances d'un acte. Il n'^t
pas indiiférent de faire le même acte sur un objet ou sur un autre,
sur une personne ou sur une autre, pour ou contre une personne on
une autre, dans tel temps^ dans tel lieu ou dans tel autre temps,
tel autre lieu. Quant à la nature de l'acte il t,st évident qu'elle en
modifie la moralité.
Il est donc indispensable, pour se prononcer sur la moralité d'un
acte, d'en examiner bien tous les éléments .
46. Habitudes morales. — Nous appelons habitudes moralei
r
SUJETS DE LA LOI MORALE 9B0
les dispositions aux aetos libres. Gomme toatee les autros haMtades
elles sont naturelles, InAises ou acquises. Et e^est surtout de ces
dernières qu'il doit être question ici parce qu'elles dépendent de
notre liberté. Les habitudes naturelles peuvent être modifiées par
les actes libres, et dés lors elles prennent une forme nouvelle, sous
laquelle elles sont acquises.
D'ailleurs qu'elle que soit leur condition d'origine elles nous
entraînent èl faire les actes d* une certaine manière et par suite elles
participent & la moralité de leurs actes.
Aussi, on distingue en deux grandes classes les habitudes morales,
selon qu'elles sont bonnes ou mauvaises. Ces deux classes d'habi-
tudes sont les vertus et les vices.
47. Varias. — La vertu est l'habitude du bien, c'est-Jt-dire la
disposition à faire le bien.
La vertu se trouve plus ou moins comme disposition naturelle
chez les hommes, mais elle est surtout acquise ; ^le s'acquiert par
la répétition des actes bons. Nous ne parlons pas ici des vertus
surnaturelles, qui par essence même sont infuses dans leur prin-
cipe, et ne sauraient exister sans la grAce.
L'homme vertueux fait le bien avec facilité, et il aurait de la
peine à mal faire, parce qu'il est disposé au bien.
La vertu n'enlôve rien au mérite de l'acte bon qu'elle fç^it faire,
parce que la vertu elle môme est un fruit des actes libres. Et
d*ailleurs r%cte fait par suite d'une vertu n'est pas moins bon pour
cela, au contraire il est ordinairement fait avec une perfection
que ne saurait jamais atteindre un premier Eicte sans disposition
préalable, malgré les plus grands efforts.
Donc il est très-avantageux de se préparer à faire le bien en
acquérant la vertu.
D'ailleurs l'expérience démontre que l'homme se laisse toujours
aller plus ou moins à ses habitudes morales, et par conséquent ne
pas vouloir être vertueux, c'est vouloir mal agir.
Donc l'homme est moralement tenu d acquérir la vertu, au
même titre par lequel il est tenu & bien faire.
Les verlus sont très nombreuses, mais la philosophie classique, depuis
Socrate et Platon, les ramène toutes à quatre chefs, en mettant à part
■
I
J
3b0
MOKJLLE
ia vertu de religion on la piété. Cas quatre verta» qui embrasseot t»
tes les autres sont : la prudence, Ja jiwUce, la force et la tempôraiM».
La prudence est la vertu qui nous dispose  clioiair les meUlean
moyens pour atteindre notre fui. Klle tient donc à l'inlellLgeace autaot
qu'à hi volonté, puisqu'elle doit tout à U fois nous faire discerner les
meilleurs moyens et ensuite incliner notre volonté à les clioiijir.
lia justice est cette vertu ({ui nous porte à rendre à cliacun ce qui Itri
est diV Klle suppose sans doute la connaissance des droits d'antnû;
mais son action ne consiste pas à donner celte connaissance. Elle
n'a/çit ([ue sur la volonté.
La force est une vertu qui nous soutient dans la lutte coDire le nal.
pour le bien. Ell.i inspire à la volonté la patience dans les épreuves cl
lui apprend à ne pas reculer devant les obstacles.
La tempérance est cette vertu qui nous fait résister aux attraits sen-
sible», sensations ou sentiments, surtout lorsqu'ils tendent à nous éloi-
gner de la loi morale. Klle modère la sensibilité el incline la volonté i
n'oljéir qu'à la raison.
Quant à la piété ou vertu de religion qui forme à eUe «eule une classe
à part, cetit cette vertu qui nous dispose non-seulement À rendis à
Dieu. toupies hommages que nous lui devons, mais encore à aimer oe
culte que nous lui rendons. Elle dirige donc le cœur autant que h
volonté.
48. Vices. — Le vice est riiabitiide du mal; c est la disposition
à faire le mal.
La philosophie constate, sans expliquer pourquoi, comme k
religion catholique, que les hommes naissent avec des dispositions
au mal. Le vice est donc en partie naturel, mais il est surtout le
rc^sultat do la répétition des actes. Et il est malheureusement à
constater que, pour cert^iins actes du moins, l'habitude du mal se
forme plus promptement que la vertu.
L'homme vicieux commet facilement le mal, et il a de la peine
à faille le bien, si toutefois il lui reste encore quelquefois le désir
de le faire.
Le vice n'enlève rien i\ la malice de l'acte ; au contraire il r
ajoute un certain raffinement d^immoralité qui répug-nerait à Tàme
dans un premier acte : et comme d'ailleurs il est le fruit des actes
libres, il s'ensuit qu'il n'empôehepas que l'homme vicieux ne soit
coupable de tous les actes mauvais qu'il commet par cette babi*
SANCTION DE LA LOI MORALE 361
tude, et qa*iï né mérite un châtiment, aussi bien que s'irn*y était
pa9 entraîné par Thabitude.
Il faut ajouter cependant que, si la volonté se rétmcte et
condamne ses habitudes mauvaises, les actes qu'elle pourra encore
commettre par habitude ne lui seront plus imputés. Il en est de.
môme pour la vei*tu : dès qu'on y a renoncé, on n'a plus le mérite
dès actes bons que Ton fait encore par habitude.
Puisque le vice n'excuse pas et entraîne dans les actes mauvais,
il" est très-important et moralement nécessaire de se préserver de
la formation du vice ; d'autant plus que, vu la faiblesse humaine,
on se laisse dominer par l'habitude malgré les réclamations de la
raison.
Donc Thomme est momlement tenu de se pi^éserver du vice,
comme il est tenu d'éviter le mal.
On n'a pas classé les vices comme on a classé les vertus; mais, s'il
s'agissait de les ramener aussi à cinq chefs, on n'aurait qu'à prendre
négativement les idées renfennées dans chacune des cinq vertus princi-
pales. On distingureait donc : l'imprudence. Tin justice, la lâcheté et
IMntempéraïKe, et enfin, dans une catégorie k part, lirrôligion ou l'im-
piété. Mais ces mots n'ont pas tou9 vulgairement le sens que nous leur
donnons ici.
Il est facile de von* que, comme les cinq vertus principales contiennent
et fournissent avec elles toutes les autres vertus, les cinq vices oppo-
sés sont les sources de tous les vices.
Une remarque qui nous parait importante àeesujet,A*^tquerimpr)a-
dence, qui passe vulgairement pour un léger défaut, doit être, d'après
cette analyse, considérée comme un vice capital : et de fait, elle fait
commettre bien des fautes et souvent des fautes plus graves que l'on
ne pense.
Article 7'
SANCTION DB LA LOI MORALR.
49. Sens du mot Sanction. — Le mot latin sanctus^ comme
sacer qui est de là môme famille, signifie : mis à part, à Tabri de
tout danger, de toute souillure. D'où il suit que le mot sanction
renferme Fidée de conserver à Tabri de toute attaque. Sanctionner
une loi c^est donc empêcher qu'elle ne soit violée.
Ainsi, dans la première idée du mot, la sanction de la
962 MORALE
loi, c'est ce qui la rend inviolable. Cette sanction, la loi morale
la possède par elle-même ; elle lui est essentielle.
En effet, que dit la loi morale ? Elle dit : tel acte ne sera bon qn à
la condition d'être fait de telle manière ; s'il est fait aatrement,
Facte sera mauvais. Cette manière de considérer la loi est con-
forme à l'étjmologie. Le mot /o^, lex vient du grec Xéyia, dire, et
le mot grec v6|jlo; vient de Thébreu nam, qui signiûe aussi dire.
En sorte que la loi est considérée dans le langage comme la parole do
maître, qui dit ce qu'il faut faire et par là-môme ordonne de le faire.
Or, on peut faire un acte libre auti*ement que ne Tindique
la loi, mais on ne peut pas faire qu*il soit bon malgré la loi. Donc
la loi est en ce sens inviolable, et porte avec elle-même sa sanction*
Cependant comme la loi morale veut aussi que tous les actes
soient bons ; il faut, pour obtenir ce but, quelque chose qui excite
plus puissamment les homme à obéir à la loi. Et c'est là une
seconde sanction, qui sans empêcher absolument qu'on ne désobéisse
à la loi, en procure cependant plus souvent raccomplissement.
Cette seconde sanction consiste dans un châtiment infligea celni
qui, désobéissant à la loi, commet des actes mauvais, on nne ré-
compense accordée & celui qui fait bien.
50. Définition. — Dans son sens pratique, la sanction est une
récompense donnée à celui qui fait bien, ou un châtiment infligé an
coupable, aân de prévenir la violation de la loi morale.
51. Son action. — La sanction essentielle agit métapfajmqne-
ment et met l'homme dans l'impossibilité absolue de violer la Im
morale.
La sanction pratique, qui est la sanction proprement dite, agit
sur la volonté libre de Thomme par l'attrait du sentiment ou de la
sensation ; c'est donc un motif de détermination, qui vient se joindre
à l'idée du bien pour faire accomplir la loi.
52. Ses différentes espèces. — Quand la sanction de )a^ loi
est une récompense ou un châtiment, elle a besoin d'être appliquée
par quelqu'un. Et en effet elle se trouve appliquée pour le même
acte par quatre agents différents : la conscience, la nature, les
hommes, Dieu. De là, quatre espèces de sanction : la sanction de la
conscience, la sanction do la nature, la sanction de la société, la
sanction de Dieu,
SANCTION DE LA LOI MORALR 863
53. SMietioli de la oonsoienee. — La première récoittpeiiBe
du bieifi aGeompli, coinme le premier ch&timent d'une mauvaise
action se trouve dans la conscience. L*homme qui a observé la loi
ou qtri Ta violée a conscience de la moralité de son acte^ et il s'ap-
prouve ou se blâme lai-môme, selon qu'il a bien ou mal agi. La joie
de la conscience après une bonne action, comme la douleur, le re-
mords que l'on éprouve après le crime, sont tels, qu'ils inclinent puis-
samment les hommes à bien faire. Cette sorte de sanction qui se
trouve dans l'homme lui-môme et ne saurait l'abandonna, arrête
bien souvent la violation de la loi.
Cependant la sanction de la conscience ne sùfHt pas, parce que
le vice en accoutumant les hommes au mal, calme aussi les repro-
ches de la conscience, laquelle s'émousse d'autant plus qu'on s'en*
durcit davantage dans le crime, et ilnit môme quelquefois par dis-
paraître. C'est lorsque l'habitude du mal a obscurci le jugement de
l'âme et lui fait trouver bien ce qui est contraire à la loi morale.
64. Sanction de la nature. — Après la conscience, la nature
elle-même récompense ou punit les hommes selon leurs œuvres. Il
est dans l'ordre naturel des choses que le développement régulier
des facultés amène un bien être physique, et que le développement
irrégulier procure la douleur. Or le développement est irrégulier
dans le mal moral, car le mal détourne nos actes de leur fin natu-
relle. Aussi on peut dire d'une manière généi*ale que la vertu rend
heureux, tandis que le vice amène avec lui un cortège de souf-
frances.
Il est vrai qu'il j a des exceptions à cette règle, mais ces excep-
tions ne sont que temporaires et apparentes, car les souffrances des
hommes vertueux les rendent plus vertueux encore et leur pro-
curent ainsi tôt ou tard une plus grande somme de bonheur.
55. Sanction de la soeiété. — La société & son tour récom-<
pense on punit les hommes selon leurs actions bonnes ou mau-
vaises. Or elle le fait de deux manières.
1* Par l'opinion publique.
29 Par les tribunaux.
Tant qu'un peuple n'est pas entièrement corrompu^ au point d'en
avoir perdu le sens commun, l'opinion publique qui j règne est
364 MORALE
toiyoura ea faveur de la vertu eoatM le vice» Et eo eri: de la eoni-
cieuce publique est encore une MJQction de la loi, qui arréle ub
grand nombre de ceux qui seraient sur le point de la violer. Mak
cette sanction est bien souvent fauâsée par des préjugés qui pren-
nent cours chez un peuple^ £t sui'tout si Ton considôre que l»
hommes ne fréquentent en général que ceux qui ont les mêmes
mœurs, et n'éprouvent les effets de Topinion que de la part de ceux
qu'ils fréqueutent, on verra que la sanction de Topinion est bi«i
imparfaite.
Outre Topinion il y a dans toute société des tribunaux chargés
de punir les coupables. Cette sanction est ordinairement plos exacte
que celle de Topinion. ; mais il €fst à reroaix^uer pourtant qu'elle a
encore bien des imperfections. Car 1^ les tribunaux punissent plus
qu'ils ne récompensent ; 2^ ils ne voient psis le fond des cœurs des
coupables et punissent souvent une faute matérielle ; 3^ les juges
sont des hommes et peuvent se tromper sur la personne, ou môme
sur la moralité d'un acte. 4"* le plus gi^and nombre des actes
humains échappent à la sanction des tribunaux.
Or pour que les peines et les récompenses soient vraiment une
sanction, il faut qu'elles ne manquent jamais d'être appliquées. II est
donc nécessaire qu'il y ait pour la loi morale un autre sanction que
les trois que nous venons d'examiner,
56. Sanction divine. — Dieu lui-même sanctionne la Uâ
morale et se charge de réparer les défauts des trois autres sanctions.
Dieu récompense tous les actes bons et punit tous les actes maurais :
non pas toujours dans le ten^ps présent, mais assurément après la
mort, dans une autre vie.
Cette sanction divine de la loi morale, la raison la i*éclame
comme nécessaire pour suppléer h l'insuffisance des trois autres,
et de plus la croyance unanime des peuples en affirme l'existence.
En effet :
L'histoire nous montre partout et toujours les peuples pénéfros
de cette certitude qu'après la mort, dans une vie au moins indéter^
minée, si tous ne la voient pas éternelle, chacun recevra la récom-
pense ou le châtiment de ses œuvres, et que c'est Dieu qui se
charge d'exécuter cette sentence après l'avoir prononcée.
SANCTION DK T. A LOT MORALK 365
I>e plus la raison nous crie qu'il faut à la loi morale une sanction
exacte et complète; que le crime ne doit pas rester impuni; que les
actes de vertus doivent être récompensés ; or tout cela n*a lieu que
d'une manière bien imparfaite dans la vie présente : donc il doit y
avoir une autre vie dans laquelle c^tte sanction sera appliquée
d'une manière exacte et complète.
D'ailleurs nous avons établi en psychologie quel* Ame est immor-
telle ; que sa fin, qu'elle recherche comme son bonheur suprême,
est dans la connaissance et Tamoitr de Dieu. Or il est métaphysi-
quement impossible de réunir dans un mOme sujet l'amour de Dieu,
qni est le bien absolu, avec une volonté criminelle. Donc dans la
vie qui doit suivre la vie présente, Tâme seule du j'usie trouvera le
bonheur qu'elle désire, tandis que les méchants en seront nécessai-
raent privés. C'est là une démonstration métaphysique de la sanction
divine de la loi morale. Et cette sanction qui s'exécutera dans
une vie immortelle, où la raison nous fait entrevoir que les succes-
sions du temps auront cessé, ne pourra être qu'éternelle. En effet si
l'homme sort du temps pour entrer dans l'éternité où il n'y a pas
de succession, il ne changera plus do volonté, et par là même
le méchant, ne pouvant plus cesser d'être en opposition de volonté
avec le bien qui est Dieu, ne pourra jamais y trouver son bonheur.
C'est le dogme môme de l'enfer, commun à toutes les religions,
mais plus nettement exposé par la religion catholique. Quant au
dogme du bonheur éternel que la même religion catholique propose
à nos efforts, il renferme la doctrine d'une communication avec
Dieu tout-à-fait surnaturelle et que nous ne pouvons connaître que
par la foi.
On. nous permettra de remarquer à ce sujet que la philosophie
démontre renfer,mais qu'elle ne saurait démontrer le ciel chrétien.
57. Connexion de la sanction morale areo les actes
humains. Mérite et Démérite. — L'idée universelle de la
sanction de la loi morale apporte avec elle dans la conscience des
hommes une autre idée dont nous ne saurions nous défaire. C'est
qu'une récompense est due aux bonnes actions, et qu'un ch&timent
est dû aussi aux actions mauvaises. Notre raison voit une con-
nexion moi^ale entre les actes humains et la sanction de leur lio,
366 MORALE
entre Tacte bon et sa récompense, comme entre l'acte mauvais et
son châtiment. Cette connexion morale s'appelle le mérite, d*Bfie
part, le démérite, de Tautre.
L'idée du mérite est innée dans Thomme avec Tidée du bien M
elle sert de fondement à toutes les sanctions que les hommes ont
attribuées aux lois morales.
Mais il est bon de chercher l'idée exacte du mérite et surtout de
son fondement.
58. Nature et fondement du mérite. — Le mérite noas
apparaît comme un droit à une récompense et par suite le démérite
serait une sorte de droit au ch&timent. Seulement comme ces deux
idées semblent se contredire, nous ôtons à Texpression œ qu'elle a
de choquant, en mettant à la place du mot droity sa définition
générale, et nous exprimons la vraie nature du mérite en disant
qu'il est une connexion morale entre un acte et sa récompense,
comme le démérite est une connexion morale entre un acte et ^m
châtiment.
Mais quel est le fondement de cette connexion ? A quoi la récom-
pense est^Ue due ?
Si Ton consulte le vulgaire et qu'on en obtienne une réponse
théorique, cette réponse sera que la récompense est due aux efforts
que Ton a faits pour accomplir un acte bon. £t si au contraire
nous demandons au genre humain une réponse pratique, nous
verrons qri'il ne récompense jamais les efforts, mais toujours et
uniquement la perfection de l'acte. Laquelle des deux réponses esi-
elle la vraie, et d'où vient cette contradiction ?
Si le mérite est une connexion entre Tacte et sa récompense,
cette connexion ne peut être fondée que sur l'acte lui-même et non
sur le plus ou moins de peine que Ton a eue à le faire. En sorte
qu'^aujx yeaxvd^ la saine philoaophle le fondement du mérite est
dans la perfection, de l'acte et non dans les efforts que Ton a faits
pour raccomplir. Et cette théorie métaphysique est parfaitemaat
d'accord avec la pratique du genre humain. Ce qui prouve une
une fois de plus que la genre humain se trompe moins en pratique
qu'en théorie,, sur les notions essentielles des choses.
Mais d'où vient alors cette théorie erronée du vulgaire sur le
SANCTION DE LA LOI MORALE 367
mérite? Elle s'explique par ce fait, que Tacte bon ne saurait méri-
ter pour lui-môme, car il n'est rien en lui-même ; il mérita donc
pour son sujet, pour la personne qui Ta fait. Mais pour cela il faut,
qu'il lui appartienne, qu'il lui soit personnel,qu'il parte donc d'une
volonté libre et non d'une disposition nécessaire, ni d'une propriété
physique. C'est pourquoi le vulgaire, qui considère les efforts
comme partant mieux d'une volonté libre que les dispositions
naturelles que Von a pour faire un acte, attribue théoriquement le
mérite aux efforts seuls. Mais ensuite, dans la pratique, comme il
est difficile d'apprécier les effoi'ts et que c'est la bonté de l'acte qui
se voit, on récompense la perfection de l'acte.
Donc pour donner sur ce point une théorie exacte nous disons
que le méoite est fondé essentieliement sur la perfection de Tacte,
mais en tant que cette perfection est personnelle et produite libre-
ment. Or les dispositions naturelles ou acquises n'empêchent pas la
liberté de l'acte, et d'ailleurs rendent Tacte plus parfait. Donc les
dispositions naturelles ou acquises pour le bien sont une source de
mérite.
Quant aux efforts que l'on fait pour bien faire, ils ont leur pexv
fection propre, et si avec ces efforts on parvient à faire aussi bien
que celui qui a pour cet acte une disposition naturelle, le mérite des
efforts s'ajoute au mérite de l'acte. Mais si malgré les efforto on
n'atteint pas la perfection de l'acte» on a sans doute le mérite des
efforts, mais on ne saurait avoir le mérite de l'acte lui-même^ que
l'on n'a pas réusai. .
Cette théorie justifie la pratique du genre humain et celle de
Dieu lui-même, qui d'après ce que noufi pouvons voir, tient plus
compte des actes accomplis que des efforts, à moins que ces efforts
eux-mêmes n'aient plus de perfection que l'acte qui en est le but.
59. De Ift responsabilité. — L'idée du mérite et du déméHte
amène l'idée de la responsabilité. Si Tacte bon donne à son siget un
droit k une récompense, et si l'acte mauvais rend le môme siget
passible d'une peine^ c'est dire que la personne qui ta^i un acte
libre est responsable de cet acte ; cela signifie qu'elle doit en subir
les conséquences et se soumettre au jagemeat ddJ^aiitonté chargée
de ùàre respecter la loi, comme aussi de réparer tous les dommages
dont il a été la cause. Telle est l'idée de la responsabilité.
3*)8 MO RAI. K
Celui qui cause librement un clomraap:e est personnellemeat tenu
de le rc^parep ; s'il y concourt seulement soit par conseil, soit ^r
ordre, soit par participation, soit comme garantie, il est responsa-
ble du dommage eu raison de la part qu'il v a prise ; et s'il j a e«
convention telle, entre plusieurs, que Tacteait ôtê voulu en eniier
par tous, ils sont tous responsables solidairement, c'est-à-dire, qoe
chacun d'eux est tenu de le réparer en entier, au défaut des autres.
L'homme est ainsi personnellement responsable parce que l'acte
libre est personnel, et qu'il dépend de lui d'en prévenir les consé-
quences, et de s'abstenir, pour les éviter, s'il ne veut pas les subir.
Chapitre 2*
LES LOIS MORALES DANS LEURS ESPÈCES
60. Classification des lois morales. — Les lois moralefi .^
distinguent comme les actes humains qu'elles règlent. Or les actes
humains se distinguent par leurs objets et par leur nature. Les actes
humains ont pour objet tout ce qui existe, et sur chacun de ces
êtres les hommes peuvent produire différents actes. Ces Cotres, objets
des actes humains, sont: 1° les êtres privés de raison, 2* nouB-inéme$
3* les autres hommes, 4"* Dieu.
Relativement aux êtres privés de raison, aux choses, les lois
morales n'ont guère qu'à déterminer les droits des hommes ; nos
devoirs relatifs aux choses ne viennent pas de ces choses mêmes,
mais des droits que les autres hommes ont sur elles.
Quant aux personnes au contraire les lois morales n*ont que peu
de droits à déterminer, mais les devoirs j sont nombreux et variés.
Nous allons donc étudier en quatre articles : 1^ les lois sur le?
choses, 2^ les lois sur nous-mêmes, d^ sur nos semblables, 4* à
.l'égard de Dieu,
Article l*""
LOIS RELATIVES AUX CHOSES, OU AUX ÊTRES PRIVÉS |DS RAISO!!
61. PrineqM de ces lois. — Les êtres inanimés soat faits évi-
demment pour les hommes, pour leur être utiles ; l'homme est, par
â
LOIS RELATIVES AUX CHOSES 309
la dignité de sa nature, le l'oi de la création, et, par suite, il est le
maître des choses qui sont sur la terre et que Dieu à mises à son
service.
Mais les hommes sont nombreux et les choses le sont bien
davantage. L'homme a besoin d'un lieu ou il puisse habiter, de
vêtements pour se couvrir, d'une nourriture quotidienne et de mille
instruments dont il sait se servir. Tout cela il le trouve sur la terre.
ou bien il le façonne en se servant des matériaux que la terre lui
fournit. Or, vu le grand nombre des hommes, les choses de la terre
ne peuvent pas appartenir & tous à la fois, car dès que Tun fait
usage d'un objet, ce môme objet ne peut en même temps servir à un
autre, et souvent môme l'homme le détruit dôs qu'il s'en sert. Il
faut donc, absolument parlant, que les choses puissent avoir un
propriétaire. De plus certains objets demandent un travail plus ou
moins long de la part de l'homme ; il fs^ut donc, pour que Thomme
travaille ainsi un objet, qu'il sache que cet objet lui appartiendra
ensuite. Il est donc nécessaire que les hommes puissent être pro«
priétaires de certains objets. La propriété est donc fondée sur les
conditions mômes de la vie humaine sur la terre ; car si toutes cho-
ses appartenaient indistinctement à tous, ou à personne, aucun
homme ne pourrait user d'un fruit de la terre pour s'en nourrir,
sans léser les droits des autres. Cette propriété doit être détermi-
née. C'est donc & la loi morale d'indiquer les différentes origines de
la propriété et les bases d'après lesquelles elle se détermine. La
propriété ensuite avec ses limites détermine les droits d'un chacun
et les devoirs de tous les autres vis-à-vis des droits de celui-là.
62. Origines de la propriété. — Le seul moyen naturel de
déterminer la propiété de chaque homme sur la terre, au moment
où personne encore ne possède rien, c'est que chaque chose appar-
tienne au premier qui s'en empare. Aussi tous les hommes recon-
naissent comme première source de la propiété, le droit du pre-
mier occupant,
Quand, parce premier mojen, tous les hommes sont dev^enus
propriétaires, il est naturel qu'ils puissent échanger entre eux dif-
férentes parties de ce qu'ils possèdent ; qu'ils puissent ainsi se
transmettre mutuellement la propriété des choses ; qu'ils puissent
se donner, les uns aux autres, de ces objets, sans compensation. De
24
370 MORALR
là l'échange, la vente et la donation. Ce sont là tout autant de con-
trats qui transmettent d*un homme à un autre la propriété d'osé
chose. Ainsi encore s'acquiert la propriété.
04. Lois morales, conséquenses de la propriété. — Dèe
que la propriété est déterminée pour un homme par une quiconque
de ses origines naturelles, il s'ensuit que cet homme a le droit d'o-
ser des choses dont il est propriétaire et que tout les autres oai k
devoir de respecter ce droit.
Le droit du propriétaire sur sa chose lui permet d*en nser ou de
n'en nser pas et môme de la détruire ou de la tranformer selon sot
pouvoir, si cela lui plaît ; tous les autres hommes ont par là mâne
le devoir de le laisser user de sa chose.
D*oû il suit que le vol est un crime contre la loi morale de la
propriété ; et que toute atteinte à la chose qui est la propriété d'an-
trui est aussi un crime contraire à la loi morale de la propriété.
Celui qui, par un acte libre, et même par une simple impro-
dence, détériore, ou dégrade ou détruit, ou s'approprie le bien d*aa-
trui> est responsable de son acte et est tenu de réparer le dommage
ou de restituer l'objet, s'il le possède. Si son acte n'est pas libre, il
n*est pas responsable d'un dommage qui ne lui profite en rien^ mail
s'il s'apercevait, après un acte de ce genre, qu'il s'est approprié
involontairement le bien d'autrui, il devrait le restituer, car eu le
gardant librement il commencerait à être responsable et son aet»
deviendrait un voL
Article 2*.
LOIS MORALES DES ACTES ENVERS SOI-MÊME
65. Principe de ces lois. — L'homme s'appartient à lai-même
et par conséquent il a des droits sur lui-même, sur son âme avec
ses facultés, sur son corps avec toutes ses puissances; mais l'homm*
ne s'appartient pas tellement qu*il n*appartienne encore à Dieu, à
sa famille et jusqu'à un certain point aux autres hommes. Ses
droits sont donc limités par les droits de Dieu, de la famille et delà
société sur lui, et il s*en8uit qu'il a des devoira envers lui-même
qui ne sont que le respect des droit de Dieu et des autres hommes.
LOIS DBS ACTES KNVERS SOI-MÊME 371
66. Droits de rhomme sur lui-même. — L'iiomme a sur
lui-môme le droit d'user de ses facultés et des puissances de son
corps, conformément à leur fin respective. Il a droit de les déve-
lopper autant que la chose est en son pouvoir. Mais il n'a pas le
droit de les détruire,, parce qu'il appartient aussi à d'autres et
surtout à Dieu, qui se réserve le choix du moment oO il perdra ses
facultés, ses forces physiques et môme la vie.
67. Devoirs de Thomme envers lui même. — L'homme se
doit & Dieu d'abord, à sa famille et à la société ensuite, et il se doit
avec toutes ses facultés, et môme avec tout le développement qu'il
est en état de leur donner. Il est donc tenu non seulement de con-
server sa vie, mais encore la santé et les forces de son corps ; il
est môme tenu de développer les facultés de son âme.
Il s'ensuit que le suicide est un crime contre la loi naturelle. Il
faut en dire autant du duel qui n'est qu'un double suicide. En effet,
dans le duel, chacun des deux adversaires donne à l'autre la
permission de lui ôter la vie, et accepte en môme temps de
l'autre la permission de la lui ôter. Or tout cela dépasse les droits
de l'homme sur lui-môme et viole ses devoirs.
U s'ensuit de plus que toutes les habitudes qui tendent d'une
manière directe ou indirecte à ruiner la santé du corps, ou à priver
les facultés de Tdme de leur légitime développement sont des vices
eontraires à la loi morale naturelle. Les principaux sont l'ivrogne-
rie, la luxure, l'omission de toute étude sérieuse.
Article 3"«
LOI MORALB DE L'ÀQTB ENVERS SES SEMBLABLES.
68. Principe de ces lois. — L'homme a des droits sur lui-
môme et sur les choses qui lui appartiennent. Il s'ensuit que les
autres hommes ont le devoir de respecter ces^ droits. Telle est la
source de nos devoirs envers nos semblables.
Mais un homme peut-il avoir des droits sur les autres hommes ?
D'abord il est évident qu'ayant des droits sur sa propriété et sur
lui-même, 11 a par là môme des droits négatifs sur tous les autres
hommes ; il a droit que les autres respectent ses droits et par con-
séquent ne fassent rien pour les violer.
372 MORALE
m
Quant aux droits positifs qui consistent à pouvoir exiger d'un
autre homme tel ou tel acte, légalité de notre nature, notre
commune origine, aussi bien que notre commune dépendance de
Dieu, font que nous sommes indépendants les uns des autres, si l'on
ne considère que les personnes, en tant que personnes. Cependant
plusieurs causes peuvent engendrer les droits d'un homme sur tels
et tels autres hommes . Ces causes sont :
l» La paternité qui engendre des droits direts ;
2<* La propriété qui peut engendrer par convention des droits
indirects;
3^ la soumission volontaire, qui engendre des droits convention-
nels.
Ainsi riiomme a ou peut avoir à l'égard de ses semblables des
devoirs et des droits qui varient selon leurs origines et leurs objets.
Ces objets sont la famille, la patrie et le genre humain ; ils con-
stituent autant de classes de droits et de devoirs.
09. Droits et devoirs de l'homme envers sa famille. -*
Les droits et les de voira de famille varient avec les relations qu'ils
supposent. Ces différentes relations sont: 1^ du père à la môie, 2°
de la mère au père, 3<> du père et de la mère aux enfants, 4** des
enfants au père et à la mère, 5^ des enfants aux enfants.
Il est évident quft les devoirs et les droits de chacun des trois
ordres de membres d'une famille ne sont pas les mêmes envers
chacun des autres, mais dépendent de leurs relations, que l'on peut
résumer en trois : 1" relations entre les époux, 2»* relations entre les
parents et les enfants, 3° relations entre les enfants. Dans ce
dernier ordre viennent se placer tous les devoirs et les droits basés
sur les autres degrés de parenté.
11 serait trop long d'énumérer en détail tous les droits et les
devoira qui naissent de ces trois relations de famille. Disons en peu
de mots les plus importants.
1« Entre époux, il y a une relation difficile à déterminer. Le
mari est le chef, la femme ne vient qu'en second lieu et cependant
elle conserve une certaine indépendance. C'est là plus que partout
ailleurs, que la loi de charité doit venir au secoure de la loi de
justice et que les droits et les devoirs ont besoin d*ètre tempérés
LOIS DES ACTES ENVERS SES SEMBIiÂBLES 373
par Famour. Et nous voyons en effet,que chez tous les peuples où
ne règne pas la loi chrétienne de Tamour, les femmes sont les
esclaves de leur mari. C'est rapplication brutale de la loi naturelle
de justice, fondée sur ce principe que le mari est le chef.
Nous n'avons pas à nous occuper en philosophie des lois positives
de chaque peuple qui règlent les droits de propriétt) et les autres
droits matériels entre les époux ; non pas que ces lois ne l'elôvent
pas de la loi morale naturelle, et par conséquent de la philosophie,
mais parce que ces questions sont suffisamment étendues pour four-
nir k elles seules la matière d'un traité spécial.
2? Entre les parents et les enfants, on trouve une double
relation et deux ordfes de droits et de devoirs qui en. résultent.
Les parents ont le droit de diriger selon leur conscience l'éduca-
tion de leurs enfants, et par suite ils ont le droit de commander à
leurs enfants ; mais ce droit de direction ne signifie pas que les
parents puissent s'en dispenser, pas plus qu'ils ne peuvent tuer ou
laisser mourir leurs enfants, qui ne leur appartiennent pas en pleine
propriété.
Cette limite des droits des parents sur leurs enfants indique le
commencement de leurs devoirs. Les parents doivent pourvoir à
la conservation et au développement physique et moral de leurs
enfants. Ils sont donc moralement tenus de donner à leurs enfants
une éducation convenable.
Mais s'ensuit-il que le pouvoir civil puisse urger ce devoir et
punir les parents qui v manquent? Non. Car, le pouvoir civil ne
pourrait faire cela qu'eu ôtant aux parents la direction de l'éduca-
tion de leurs enfants; M cette direction est leur droit.
Les enfants ont le droit d'être nourris et dirigés, par leurs pa-
rents, jusqu'au moment où ils peuvent se suffire. Ce droit corres-
pond aux devoirs des parents envers eux.
Mais d'un autre côté ils ont le devoir de se laisser diriger et par
*C(mséquent ils sont tenus d'obéir à leurs parents. De plus, la supé-
riorité de leura parents fi leur égard exige d'eux le respect, et les
biens qu'ils en regoivcnt exigent la reconnaissance et l'amour. Dans
CCS deux derniers devoirs sont compris les soins qu'ils doivent
donner à leurs parents, si leurs parents ont besoin d'eux.
î^*" Entri-: les enfants d'une même famille, il y a égalité et
374 • MORALE
indépendance. Ils n'ont naturellement aucnn droit les uns sar aa
autres. Cependantà raison des liens- du sang, ils se doivent res-
pect et amour, beaucoup plus qu'à l'égard des autres hommes. Mais
ceci découle de la loi de charité et non de la loi de justice.
70. Droits et devoirs de l'homme envers sa patrie. —
L'homme n'a une patrie qu'en tant qu'il fait partie d'uoe société
se gouvernant elle-même. La patrie de Thomme n*est pas seitie-
ment le sol qui Ta vu naître ; c'est aussi et surtout le x>euple qai
habite ce sol. Le sol de la patrie, comme les hommes qu^on appeik
ses compatriotes sont déterminés par une constitution sociale. Poer
voir les relations de l'homme avec sa patrie il faut donc étudier h
constitution des sociétés.
71. De la société. — On appelle société, peuple, nation, ro-
yaume, empire, république, etc. une collection d'individus ou plu-
tôt de familles dirigés par un gouvernement suprême et régis ptr
les mêmes lois.
La société en général, c'est-à-dire, la mise en commun de oeï^
tains intérêts et les relations d'intérôis de certains individus, «st
un fait naturel et nécessaii^e au développement des facultés de
l'homme. Mais les sociétés particulières ont différentes origines,
toutes plus ou moins conventionnelles.
72. Origine des sociétés. — Si haut que nous remontioië
dans l'histoire nous voyons partout et toujours l'homme en société.
. C'est qu'en effet les hommes venant d'une source commune n'ost
pas pu se trouver isolés à leur berceau et plus tard le besoin des re-
lations et du concours qu'ils trouvaient dans la société les y a
maintenus.
Cependant, pour une cause ou pour une autre des groupe
d'hommes se sont séparés de cette société primitive et sont allés «
fixer ailleurs . La société s'est ainsi divisée en plusieurs sociétis
distinctes et peu à pou, les communications étant interrompues, par
les distances et par les baiTÎôres naturelles, les langues se sont modi-
fiées diversement et sont devenues très- variées. Ainsi se sont distÎB-
gués les différents peuples. Déplus, un même peuple, parlantla m^iw
langue et ayant les mômes mœure s'est divisé en plusieurs gouver-
nements ; souvent aussi plusieurs petits peuples se sont troav^
LOIS DES ACTES* ENVERS SES SEMBLABLES 375
réunis en nn seul par diverses causes. Telle est Forigine des socié-
tés. Elles se constituent et se distinguent par la langue, les mœurs,
les lois, le gouvernement.
73, Des différentes formes de gouvernement. — Nous
distinguerons avec AristoteetCicéron, trois grandes formes de gou-
vernement : la monarchie, l'aristocratie et la démocratie.
La monarchie est le gouvernement d'un seul, qui prend le titre
de roi ; les membres de la société qu'il gouverne sont ses sigets.
Quand son pouvoir est usurpé, ou exercé d'une manière injuste,
c'est la tyrannie.
U aristocratie est le gouvernement des nobles, ordinairement
en nombre relativement petit. Quand ce pouvoir de quelques-uns
est usurpé par des indignes, on Tappelle oligarchie, bien que ce
mot ne soit pas toujours pris ainsi en mauvaise part.
La démocratie est le gouvemenient d'un peuple par lu -môme ;
les membres de la société y prennent le titre de citoyens, s'ils ont
le droit de prendre part au gouvernement. Quand ce pouvoir est'
irrégulier il s'appelle V anarchie.
S'il est permis de juger dang leur nature même ces trois formes
de gouvernement, au point de vue des intérêts d'un peuple, nous
dirons encore avec Aristote et Cicéron que la meilleure forme est
celle qui consiste dans une heureuse alliance des trois formes
ci dessus indiquées ; mais s'il fallait faire choix de Tune des trois
formes séparément, nous dirions encore avec les mômes philosophes,
que la forme la plus propre à procurer le bonheur d'un peuple c'est
la monarchie, et que la démocratie se trouve au dernier rang,
selon ce vers du poète.
Le pire des états c'est l'état populaire.
73. Variétés de ces formes de gouvernement. — On
distingue les monarchies héréditaires, les monarchies électives ,
les monarchies absolues et les monarchies constitutionnelles. Dans ces
dernières le roi n'a que le pouvoir exécutif ; ce sont les représen-
tants du peuple qui font les lois. Dans ce cas, le titre de roi n*est
qu'un vain mot ; le gouvernement est en effet démocratique, et le
roi n'est que le président de cette démocratie.
376 MORALB*
Dans raristocratieon peut distinguer celle de la naissance, cdk
de la propriété foncière, celle de la richesse en général et enfin o^
du talent.
Quant à la démocratie qui est une forme de gouvernement entiè-
rement moderne, car elle n'exista jamais dans les républiques delà
Grèce, ni & Rome, on lui suppose chaque jour des formes plus oi
moins nouvelles. Dans sa forme la plus simple elle laisse les cito-
yens libres d'administrer à leur gré leurs biens privés, et leur fait
administrer en commun les biens publics ; mais dans les rêves de
plusieurs de nos démocrates actuels, elle devrait faire disparait»
toutes les propriétés privées, et chacun travaillerait forcément pooî
le compte de Tétat, en fournissant chaque jour la tâche imposée,
comme dans un bagne. C'est la dé^nocratie sociale. Quelques-nsi
espèrent môme réunir un jour le genre humain tout entier sous uae
seule démocratie de ce genre. C'est la république radicale» démo-
oratique, sociale et universelle.
Il est bien entendu que ceux qui font de si beaux rêves, suppc»-
sent toujours que, le cas échéant, ils sei*aient sinon les maîtres aa
moins parmi les surveillant8,et se contenteraient de voir travailler
les autres.
74. Légitimité des différentes formes de goaTemement.—
Chacune de ces formes de gouvernement peut être fondée sur la loi
morale et être ainsi légitime.
Par exemple, dans un peuple issu d'un môme père, tant que te
père est vivant, il est naturellement le roi, comme tout père est rot'
dans sa famille.
D'un autre côté un homme qui possède une terre très-étendue et
qui n'a point de supérieur peut en vendre ou en donner des portions
a d'autres hommes en se réservant le droit d'y régner : si les non-
veaux propriétaires acceptent la condition, il est lui et ses descen-
dants ou héritiei's, le roi de ces mêmes hommes et de leurs succes-
seurs ou héritiers.
Si au contraii*e, plusieurs propriétaires voisins et entièrement
indépendants forment par convention une société, ils constituent
par la môme une démocratie légitime. Et si quelques-uns ou tous
vendent ou donnent k d'autres quelques portions de leurs prùpriét^
LOIS DBS ACTES ENVERS SES SEMBLABLES 377
en s'j réservant un droit seigneurial, le gouvernement devient une
aristocratie.
On voit par là l'origine de la dépendance des hommes à Tégard
de la société à laquelle ils appartiennent. Cette dépendance est ou
naturelle, ou fondée sur la propriété, ou enfin établie par conven-
tion. Dans tous les cas cette dépendance est légitime et constitue
un devoir inviolable.
75. Conclusion. — Donc l'homme a des devoirs envers la
société à laquelle il appartient. '
Quant à la détermination de ces devoirs et de cejte dépendance,
elle ne peut être faite que par la considération de Torigine de la
société elle-même et de la forme légitime de son gouvernement.
La nature, les servitudes foncières ou les conventions sociales
déterminent tout à la fois et la société elle-même et la forme de
son gouvernement et les droits et les devoirs de tous ses membres.
Tout cela, de par la loi de justice.
Mais la loi de charité vient tempértr larudesse du droit en disant
h l'homme d'aimer et de secourir ses semblables, et, en première
ligne, ceux qui lui sont unis par les liens de la ïamille ou par les
liens sociaux.
76. Droits et devoirs de l'homme envers le genre
bumain. — Les droits que nous avons vis-à-vis de tous les hom-
mes en général, au point de vue de la loi de justice, sont tous des
droits négatifs. Ils se résument dans le droit d'être respectés par les
autres hommes, dans tout ce que nous possédons, dans notre per-
sonne ou dans nos biens. Au point de vue de la loi de charité, nous
avons bien le droit de recevoir des autres un concours pour attein-
dre notre fin, mais c'est là un droit indéterminé dans son terme, et
on ne peut pas le revendiquer.
Les devoirs d'un homme envers les autres hommes en général
sont corrélatifs à leurs droits. Par conséquent, la loi de justice nous
impose à tous le devoir négatif de respecter les droits des autres ;
la loi de chanté nous impose de plus le devoir de prêter à tous
selon nos moyens un concours positif pour les aider à atteindre leur
fin. Mais encore une fois l'objet et le terme de ce devoir sont
indéterminés.
378 MORALE
Cependant ces mêmes devoirs se déterminent facilement par ks
circonstances. Par exemple, si je rencontre un homme dans on
danger pressant pour sa santé ou pour sa vie, et que je puisse W
tirer de ce danger, je suis tenu par la loi de charité de lui venir
en aide. Ainsi, quoique la loi de justice permette à celui qui pos-
sède une chose quelconque de la détruire, si cela lai plaît, la loi de
oharité lui ordonne de conserver cette môme chose, dès qu'elle est
nécessaire à un autre, et même de la donner à celui qui en a besoin.
Il noas est impossible d'entrer dans les détails des différents cas oô
la loi de charité nous trace un devoir déterminé, mais nous crovoas
en avoir indiqué suffisamment le principe général qui s'applique à
tous les cas. Nous le répétons sous une forme plus brève.
L'homme doit le surperfiu de ce qu'il possède & celui qui en a
besoin.
Cette règle s'applique, non-seulement aux biens matériels, tels
que nourriture, vêtements et logement pour le corps, mais encore
aux biens de l'Ame, tels que ïy connaissances, que Ton peut tou-
jours donner sans s'appauvrir.
Il est même des cas où Ton doit se sacriâer en quelqae chose
pour subvenir aux besoins des autres ; mais il faut bien se garder
de généraliser sans raison ce principe. Par exemple, un homme
riche n'est pas tenu de s'appauvrir pour faire cesser la pauvreté
d'un certain nombre d'autres ; il n'est pas môme tenu de partager
également avec eux ; car on ne peut pas dire qu'ils aient besoin de
de cela. D'ailleurs la société ne peut exister qu'à condition de ren-
fermer tout à là fois des riches et des pauvres. C'est \îi une vérité
fondamentale, malheureusement trop oubliée de nos jours, et que
l'on oublie d'autant plus volontiers que les aspirations du cœur j
o:it opp')siei. O.i dislre Mv3 riche, afin de. ne rien faire et d'avoir
tout à souhait, et c'est pour cela que l'on réclame si fort régalité
On ne voit pas que si l'on partageait également tous les biens, la
condition de chacun ne serait pas la richesse, mais bien la pauvreté
et m>mô la mis^i'e, sans a-iîuui rossoarce pour TattiSauer. On ou-
blie aussi que l'égalit^é n'est pas dans la nature, qu'elle n'existe ni
pour la taille, ni pour la force,nipourlasanté,nipourrintelligenc^,
ni pour la volonté,, ni môme pour la liberté, et que l'égalité de?
biens ne durerait pas un jour, si le partage venait à se faire; bien
LOIS DES ACTES ENVERS DIEU 879
plus, que si, par impossible, cette égalité demeurait quelque temps,
la vie deviendrait intolérable, parce que, personne ne pouvant se
Suffire à soi-même, et ne pouvant compter sur le concours inté-
ressé d'autrui^ on manquerait de tout ce qui aujourd'hui constitue
les commodités de la vie et même de la nourriture et du vêtement,
qui y sont indispensables.
D'ailleurs pour appliquer dans toute sa rigueur le principe de
Tégalité il faudrait recommencer le partage à la naissance de cha-
que enfant. Qui ne voit le ridicule, l'absurdité d'une pareille théo-
rie et les conséquences sauvages qui en i*ésulteraient dans la pra-
tique.
Article 4*.
. LOIS MORALKS DES iOTS IRTIR8 DIEU
77. Principe de oes lois. — L'homme étant la créature de
Dieu lui appartient tout entier, beaucoup plus qu'une chose ne peut
appartenir & l'homme qui Ta faite. Car dans l'homme tout vient de
Dieu: la matière aussi bien que la forme.
Donc l'homme n'a aucune espèce de droits vis-à-vis de Dieu ; il a
au contmire tous les devoirs possibles ; il lui doit tout ce qu'il a ; il
se doit lui-même.
Par conséquent l'homme, dans tous ses actes, doit respecter les
droits de Dieu.
78. Devoirs de l'hoinme envers Dieu. — Tous les actes de
l'homme sont la propriété de Dieu ; mais l'homme est libre. C'est
donc lui-môme qui doit faire hommage à Dieu de tous ses actes
libres.
De là, le culte que l'homme doit à Dieu, culte qui est un
hommage de toutes les facultés de l'àme et de toutes les puissances
du corps. La foi, hommage de rinteiligence; l'amour, hommage de
la sensibilité; l'obéissance, hommage de l'activité libre.
Ce culte est essentiel, il est donc nécessaire ; mais la raison qui
nous le montre comme nécessaire et qui nous indique ainsi les lois
de la religion naturelle, nous dit aussi que Dieu a pu déterminer
librement la forme de ce culte et qu'en ce cas nous devons aussi à
380 MORALE
Dieu ce culte tel qu'il Ta fixé. Et quand, ensuite, les témoignages
les plus pôremptoires nous prouvent que Dieu a en effet décrété un
culte selon lequel il veut être honoré, la raison elle-même ajouta
que nous devons embrasser cette religion.
Ici la raison s'arr(5te ; elle ne saurait aller plus loin. Mais elle va
jusque là. Et c'est renoncer à la raison que de ne pas conclure avec
elle
79. Conclusion générale. — Voilà toute la philosophie. C'est,
disions-nous en commençant, la raison réfléchie ; c'est le travail de
Tintelligence humaine qui veut se rendre compte, qui se dit: Qoe
suis-je ? D'où viens-je ? Où vais-je ? Que dois-je faire ? A toutes ces
questions, examinées avec bonne foi et selon toutes les règles de la
plus sévère logique, la raison interrogée répond, au nom de
l'homme tout entier : Je sais esprit et corps ; jo suis un être intel-
ligent et libre, mais je ne suis pas par moi-même : c'est Dieu qui
m'a fait. Je viens de Dieu et ma fin nécessairo est de retourner à
Lui; je Lui appartiens tout entier; je Lui dois amour et obéissance;
je Lui dois tous mes actes libres, sans exception. Je dois donc faire
tous mes actes dans la forme qu'il m'a prescrite pour chacun d'eux.
Or, il m'est historiquement démontré avec la plus inébranlable cer-
titude que Dieu a placé sur la terre une société toujours visible qui
est chargée de me transmettre ses ordres; cette société c'est
l'Eglise catholique : donc, je dois être Catholique,
Nous n'avons pas démontiv^ ici la mineure de cet argument
parce que, depuis long-temps, on a cru devoir bannir cett« question
du domaine de la philosophie. Mais nous la rappelons comme
démontrée ailleui-s, dans des ouvrages spéciaux, et nous affirmons
sans hésiter que cette démonstration est entièrement philosophique,
et qu'elle est le complément obligé de toute philosophie qui ne veut
pas se mentir à elle môme et s'arrêter en route. Un temps revien-
dra, nous l'espérons, où la philosophie reprendra sa véritable
mission, où la raison se dégagera des chaînes tvranniques de
l'erreur, et, affranchie du despotisme avilissant d'une coterie pré-
tendue savante, qui se plaît dans sa propre dégradation, prendra
son libre essor ver? le vrai, le beau et le bien, et ne craindra ]îî;is
de conduire l'homme jusqu'au seuil do cette sagesse supârieuro à
LOIS DES ACTKS KNVERS DIEU 3X1
la sagesse de la raison, qui constitue la vie surnaturelle : la con-
naissance surnaturelle du vrai, Tamour surnaturel du beau, la
pratique surnaturelle du bien.
Alors la philosophie, s'estiraant à sa véritable valeur, regardera
])ien au dessous d'elle toutes les sciences humaines, dentelle sera le
lien et le couronnement, et redira avec un légitime orgueil:
Philosophiay ancilla Theologiœ,
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
6ÉNÉR1LITÉS
1. Idée de Thistoire de la philosophie. *-> Ecrire l*histoire
de la philosophie, c'est selon nous, avant tout, exposer les différen-
tes phases de la philosophie classique. C'est montrer ce qu'ont été
les doctrines philosophiques que nous appelons classiques aux diffé-
rentes époques de la vie du genre humain. Dire quelles furent les
premières conceptions philosophiques, autant que les monuments
historiques nous permettent de le savoir : exposer les modifications
que ces conceptions ont suhies chez les différents peuples, et par
quels développements elles sont arrivées à être telles que nous les
possédons aigourd'hui : tel est, ce nous semblés le vrai fond d'une
histoire de la philosophie.
Toutefois, comme les doctrines anti-classiques, ne sont pas
totgours nées de la mauvaise foi, et qu'au contraire elles sont le
plus souvent le fruit d'une considération trop exclusive, d'un
point de vue qui, ramené à ses justes limites, offrirait une vérité ;
comme, par l&-méme, ces doctrines quoique écartées du droit
chemin, et constituant en effet uue marche rétrograde plutôt qu'un
progrès, ont cependant contribué d'une manière indirecte au déve*
loppement des doctrines classiques, il est bon de les exposer aussi,
et, pour être juste, de reconnaître leur heureuse influence, en
montrant par là une fois de plus, comment le mal peut être, et est
en effet, l'occasion d'un plus grand bien.
2. Objet de cette étude. — L'histoire de la philosophie doit
d'abord faire connaître les hommes qui se sont occupés de cette
384 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
science ; les présenter en eux-mômes, autant que faire se peut^daas
leur caractère intellectuel et moral : les rattacher à leur époque,
pour mettre en l'elief Tinfluence quMls en ont reçue et celle qu'ils
ont exercée sur leurs contemporains et sur ceux qui sont venus
après. Elle doit aussi indiquer leure ouvrages afin que le lecteur
sache ou recourir, soit pour vérifier les dii'e* de l'histoneo, s«i
pour étudier plus à fond leura doctrines. Mais cette partie de
Thistoire de la philosophie ne peut pas être très-développée, aoxts-
peine d'empiéter sur les autres parties, qui sont plus importantes,
ou de fournir matière à un ouvrage de plusieurs volumes.
En second lieu, l'histoire de la philosophie, et c'est là son bot
principal, doit exposer les doct;*ines de ces mêmes philosophes, ea
se servant le plus possihle de leur terminologie, pour mieux mon-
trer le point de vue de l'auteur, et dans tous les cas, qu'elle les
cite ou qu'elle les résume, rester toi^ours exacte.
Enfin, Fhistoire de la philosophie doit apprécier ces mêmes
doctrines, dire ce qu'elles renferment de vrai et ce qu^elles contia-
nent de faux, et les rattacher les unes aux autres, pour en monu^r
l'accord ou Topposition faire voir comment elles sont eugendrées
les unes des autres.
3. Dî£Bcttlté8 qu'elle ofli*e« — Pour remplir le premier â»
ces trois objets, il suffit de faire des recherches consciencieuses.
C'est un travail long, mais qui n'offre pas de difficulté, gônérale-
hient, et dans lequel on peut être sûr de ne pas errer.
L'exposition des doctrines est bien autrement difficile et de plus
elle offre un danger, que l'on n'est jamais certain d'avoir évité. La
difficulté est d'abord de comprendre exactement les théories de cha-
que auteur et ensuite de n'omettre aucune de celles qui pourraient
modifier le sens des autres. Le danger est celui de ne pas repn^
duire exactement le sens qu'avait l'auteur en écrivant. En efiTet, on
ne peut pas le citer toujours textuellement : il faudrait alors pour
être complet reproduire presque en entier tous ses ouvrages. Il
faut donc les résumer, et quelquefois les éclaircir, car le stjle de
plusieurs de ces écrivains n'est plus & la portée des lecteurs moder-
nés, ou sort de la langue du commun des lecteurs. C*est dans ce
travail de résumé et d'éclaircissement qu'est le danger d*inexacti*
tude, et c'est par là d'abord que pèche plus ou moins toute histoire
GÉNÉRALITÉS 385
de la philosophie. Nous ferons notre possible pour éviter ce défaut ;
mais, comme nous ne sommes pas infaillible, on voudra bien ne pas
attribuer à la mauvaise foi les erreurs de ce genre qui poun*ont
nous échapper. Nous tenons au contraire pour certain, que les
systèmes môme les plus eiTonés sont, dans la pensée de leur auteur,
beaucoup plus près de la vérité qu'ils ne le paraissent dans l'expres-
sion, et que déplus, c'est toujours la vue d'une vérité qui, exagérée,
engendre l'erreur. C'est ainsi que plus d'une fois nous avons déjà
fait voir que la contradiction entre plusieurs théories classiques
était plus apparente que réelle et qu'en se plaçant au vrai point
de Tue on peut les trouver toutes les deux vraies : par exemple, la
théorie des idées innées et celle de \sl' table rase. Nous voudrions
pouvoir ainsi faire ^oir ce qu'il v a de vrai dans chacune des
doctrines que nous serons obligé de condamner, mais l'espace ne
nous le pernaettra pas toujours.
Enfin un dernier embarras de l'historien de la philosophie, c'est le
choix qu'il doit faire des auteurs dont il exposera les doctrines, et
de ceux dont il ne dii*a rien. Il est vrai que les philosophes les plus
connus s'imposent par leur renommée etparTimportancee de leurs
théories. Mais^oû s'arrêter dans le grand nombre des autres ? Sur
ce point nous essayerons d'être aussi complet que possible sans
tomber dans l'inutilité.
Le troisième objet de l'histoire de la philosophie, l'appréciation
des doctrines, présente une difficulté insurmontable et comme une
série d'erreurs nécessaires ft celui qui n'a pas une doctrine toute
faite et certainement vraie. Il est facile de voir en effet que l'histo-
rien de la philosophie ne peut juger les théories qu'il expose qu'en
les comparant avec celles qu'il a adoptées pour lui-môme. Si donc il
n'a pas de théorie à lui, il ne pourra que se contredire à chaque pas;
et si sa théorie n'est pas certaine, comment ponrra-t-ii être certain
de là justesse de ses appréciations? Pour ce point, nott*e plus solide
garantie est que nous suivons en tout la philosophie classique, et
que par là nous sommes certains de ne pas errer, en exigeant, gour
les déclai*er vraies, que toutes les théories concordent avec les
nôtres.
4. Importance de cette étude. — Danét la lectui*e d'une doc-
25
38(3 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
triiie on est toujours exposé à ne voir qu'une partie de la vérité et
à Tadopter avec exclusion. Le meilleur moyen de rectifier les
erreurs de ce genre dans lesquelles on est presque nécessaii«mes;
tombé en étudiant un traité de philosophie, c*est de considérer ks
mêmes doctrines à d'autres points de vue. Or c'est jastemait
l'avantage qu'offre l'histoire de la philosophie.
De plus, tout homme qui s'occupe de philosophie peut être appelé
à apporter plus tard une nouvelle pierre à l'édifice de cette scienee.
Il s'en rendra capable par la critique des théories qu'il a étudiées et
admises jusque là, et rien n'est plus propre à lui faciliter cette cii-
tique que l'examen de cette critique perpétuelle qui se fait dans le
genre humain par tous les philosophes. Souvent une théorie dgb-
velle, même erronée, lui sera un trait de lumière pour voir plus \m
dans le domaine de la vérité.
L'histoire de la philosophie est donc pour chacun un correctif
presque nécessaire et un principe de développement pour la science
~ elle-même. Son but n'est donc pas de satisfaire une vaine curiosité,
mais bien de corriger et de faire progresser la philosophie dle-
môme. Et pour nous, qui ne voulons suivre que la philosc^hie
classique, l'histoire de la philosophie nous offre cet avantage q«e
nous saurons par elle, d'une manière certaine, quelles sont k9
doctrines qu'il faut considérer comme classiques.
5. Ordre à suivre. — On peut suivre dans l'histoire de la
philosophie trois ordres différents. P Présenter successivement ks
différentes questions que traite la philosophie, et voir comment ]m
ont traitées les différents auteurs qui se sont succédé dans le moiMk.
C'est l'ordre systématique. 2^ Classer les philosophes selon la
différentes écoles auxquelles ils appartiennent, et présenter snoees-
sivcment chacune de ces écoles, en faisant connaître les hommes
qui en ont fait partie et les doctrines qu'ils ont émises ou adoptées.
C est V ordre d* écoles. 3^ Classer les philosophes d'après le temps
où ils ont vécu et les présenter chacun en leur temps, sauf à les
rattacher indirectement à leurs écoles. C'est l'ordre chroma
loffique.
Nous avons déjà exécuté en partie le premier plan dans le ooors
de l'ouvrage, en ce que dans les grandes questions noos avons
PHILOSOPHIE ANCIENNE 3S7
montré par ordre de dates les doctrines des principaux philosophes.
Le troisième" plan jetterait trop de confusion dans les idées, et ne
laisserait pas assez voir Tenchaînement des théories d'une même
école.
Le second plan est donc le seul que l'on puisse suivre, et de fait,-
c*est celui que Ton a toigours suivi. Cependant, comme il y a
avantage à les avoir tous les trois, nous avons donné le premier
en abrégé et nous donnerons le troisième à la fin, sous forme de
tableau.
6. Division. — Nous distinguerons donc Thistoire de la phi-
losophie en trois périodes : 1^ philosophie ancienne ; 2^ philosophie
du moyen«Age ; 3^ philosophie moderne. La premièi*e période com-
prend tous les temps qui ont précédé la venue de Jésus-Christ, et
la philosophie païenne des siècles suivants jusqu^à la fin des écoles
grecques. La deuxième période comjprendra la philosophie chré-
tienne jusqu'au mojen-Age proprement dit et toute la philosophie
du moyen-&ge. La troisième embrassera toutes les écoles qui ont
paru depuis Bacon jusqu'à nos jours.
Dans chaque période nous distinguerons d'abord les différents
peuples, et dans chaque peuple, s'il y a lieu, différentes époques.
Enfin nous subdiviserons encore ces parties secondaires par les
différantes écoles qui les remplissent, et dans chaque école, nous
attribuerons autant que possible & chaque homme ce qui lui
appartient, après avoir fait connaître l'homme lui-môme.
l** PÉRIODE
PHILOSOPHIE ANCIENNE
7. Cette période commence aux temps primitifs de la philoso-
phie, autant que les documents que nous en avons nous permettent
d'en parler, et va jusqu'à la fin des écoles grecques, au IIP siècle
après J.-C.
Elle comprend la philosophie : des Hébreux, des Chaldéens, des
Phéniciens, des Egyptiens, des Perses, des Indiens, des Chinois, des
Celtes, des Grecs et des Romains.
388 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
PHILOSOPHIE DES HÉBREUX
8. Observatiofi prélÙBinaire. — On s'accorde génénJeme&t
à ne voir chez les Juifs aucune philosophie, si ce n*est dans b
sectes qui parurent vers les temps de Jésus-Chris^, et, coiffidé-
rant avec raison la Bihle comme un livre révélé, et piatôtreligiesi
que rationnel, on croit que ce peuple n'eut pas de philcsopbie
classique.
Mais, de même que nous chrétiens, nous ne nous sentons nnlfe-
ment gênés dans l'exercice de notre raison par les données de la
Foi, et comme nous sommes convaincus que l'on peut être tout i
la fois fervent chrétien et profond philosophe, nous n'hésitons pa£
à penser que les Juifs, tout en s'attachant par la foi aax doctiûes
révélées de la Bible, surent employer la raison et l'obserratioG
comme nous le faisons nous-mêmes ; car la philosophie est dans h
nature de Fhorame, et elle va d'autant plus sûrement à. son bet
qu'elle le connaît déjà d'ailleurs. £t nous trouvons dans la Kliîe
même la preuve de cet esprit philosophique des Juifs.
Sans doute, la Bible présente surtout les vérités comme affinn^
par Dieu ; mais on y voit aussi les hommes présentant les raisofli
de leur foi, ou démontrant par la raison seule certaines Târités
d'ailleurs affirmées par la foi, et Bien, lui-même consentant k pbi-
losopher avec les hommes et leur montrant que leur propre nâiû&
s'accorde avec ses enseignemeats.
De plus les doctrines renfermées dans la Bible sont la base de
toute la philosophie classique ; elles contiennent non seulemest
en germe, mais souvent d'une manière très explicite les doctrine
de la philosophie classique.
Pour toutes ces raisons il nous semble convenable de oonsacfer
à la philosophie des Juifs, autre chose que quelques lignes, poor
montrer uniquement les aberrations de quelques-uns d'entre eux,
qui se sont écartés des doctrines révélées écrites ou transmises ptf
tradition.
QueUes raisons a-t-on d'en agir ainsi ? Seraiix:e que la philo*
Sophie est essentiellement opposée à la foi ? Nous posons toat U
contraire. La Foi est certaine : elle vient de Dieu : eUe est dose
vraie et aucune doctrine certaine ne peut lai être opposée. C'est
PBIL080PRIB DSS RâBReCJX 389
poar cela qu'en faisant de la philosophie, a Taide de nos seules
lumières natarelles, nons]ne perdons jamais de vue les données de
la foi. On a beaucoup vanté le prétendu affk^anchissement de la
raison par la philosophie moderne. Pour nous, nous avonons n'a-
voir pas encore vu où était l'esclavage de la raison avant cette pré-
tendue réfoxme, et Thistoire de la philosophie nous montre que,
loin de nous avoir apporté dejgrandes découvertes philosophiques,
ceux qui à dessein se s(Hit tenus loin des lumières de la foi, ont fini
par tomber dans Tabsurde, c'est-à-dire par perdre le bon emploi de
la raison.
Donc, nous allons exposer d'abord la philosophie de la Bible, qui
est la philosophie classique des Hébreux. Toutefois nous n'en don-
nerons qu'un rapide aperçu.
9. Philosophie de laBihle. — Ce dépôt de la révélation, le
livre sacré des Juifs et des Chrétiens, renferme la plupart des don-
nées philosophiques, et plusieurs y sont présentées sous une forme
raisonnée.
On j trouve très-nettement exprimée la distinction de l'àme et
du corps, et comme chez tous les autres peuples le mot qui sert à
désigner l'Ame (nphsch) signifie matériellement souffle^ comme en
Grec, ({fljj^fi , que Ion diraittiré du mot hébreu, et Tçveujia, et comme
en latin les mots anima (de ave[Ao;) et spiritus. On y voit encore
très-nettement l'idée de rintelligence, de la sensibilité et de la vo*-
lonté libre. Tout cela est exprimé dès les premières pages. Dieu
défend & Adam et à Eve de manger du fruit de l'arbre de la science
du bien et du mal : c'est donc qu'il les déclare intelligents et libres.
Mais Eve voit que le fruit est beau et agréable et elle se laisse en-
traîner par Tattrait du plaisir, comme aussi parle sentiment d'or-
gueil de devenir comme Dieu.
Plus loin Dieu dit ù Gain : Nonne si bene egeris^ recipies : sin
autem maie, statiminforibus peccaûum aderit ? Sed sub te erit
appetitus ems^ et tu dominaberis illiics. ( Gen. c. 3. ) Ici toutes
les facultés de l'âme sont nettement exprimées : intelligence, sen-
sibilité et liberté. On voit l'attrait du sentiment, appetitus ; nwie
la volonté est libre ; elle peut le dominer. On y voit môme la rai-
son affirmée comme connaissant d elle même le bien et le mal, et
390 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIB
le mérite et le démérite. Et tout cela n'est pas senlement affinné,
mais Dieu le présente à Caîn, comme autant de Térités qu*il ddt
connaître par lui même: Nonnel
Aucun livre ne nous dit mieux la nature de Dieu et tous ses
attributs, et souvent ces attributs y sont présentés comme des
vérités de raison, et sous une forme philosophique. IntelUgiU
insipientea in populo : et stultt aliquando sapite. Qui piantémi
aurem non audiet f aut qui finxit oculutn non considérât /...•
Qui docei hominem scientiam ? (Ps . 93.) Et il conclut : Domi-
nus sait cogitationes hominum.
Dieu est le créateur de toutes choses et ses œuvres nous le révè-
lent : ses œuvres parlent toutes les langues et tous les peuples peu-
vent en apprendre la même leçon. Cœli enarrant gloriatn Dei^ et
opéra manuum ejus annuntiat firmamentum. Non sunt loque-
lœ neque sermones quorum non audiantur voces eorum (Ps. 18.)
L'insensé seul ne voit pas Dieu, et encore c'est la passion qui
Tempéche de le voir. Dixit insipiens in corde suo: Non est Deus,
(Ps. 52.)
Dieu gouverne toutes choses et rien ne se fait sans lui. Nisi
Dominus œdificaverit domum, in vanum laboraverunt qui
œdificant eam, Nisi Dominus custodierit civitatem frustra
vigilat qui custodit eam. (Ps. 126.) Si dicebam motus est pet
meus : misericordia tua. Domine, adjuvabat tne. (Ps. 93.)
Quelle différence avec les idoles des autres peuples ! Sitnulacra
gentium argentum et aurum\ opéra manuum hotninum, Oi
habent et non loquentur, etc. (Ps. 113.)
La môre des Machabées excite ses sept enfants à mourir coura-
geusement pour leur foi, et elle leur donne les raisons de cette foi,
l3S raisons pour lesquelles ils appartiennent à Dieu. Nescio qua-
litcr in utero meo apparuistis : neque enim ego spiritum et
animam donavi vobis, et vitam, et singulorum membra non ego
ipsa compegi. Elle affirme ensuite l'immortalité deTâme. Sed
enimmundi Creator qui foryyiavit hominis nativitateni, JSt
spiritum vobis iterum cum misericordia reddet et vitafn. (II
Maoch. 7)
Job et ses amis raisonnent toutrà-fait philosophiquement. Et
comme ceux-ci ne veulent pas comprendre qu'un juste puisse être
PHILOSOPHIE DES HÉBREUX 391
ainsi accablé de souffrances, Job finit par leur dire : Ergo vps estîs
soli homines, et vobiscum morietur sapientia? Et miht est cor,
stcut et vobiSy nec inferior vestri sum : quts enim hoc, quœ
nostisy ignorât /Voilà bien les vérités nécessaires en général. En
voici une en particulier avec la démonstration des attributs de
Dieu. Nimirum interroga jumenta, et docebuntte: et volatilia^
cœli, et indtcabunt tibi, Loqtœre tei^rœ, et respondebît tibiy et
narrabuni ptsces maris. Qui s ignorât quod omnia hœc manus
Domini fecerit ,,,.,? Nonne auris verba dijudicat, et fauces
comedentes, saporem? (Job, 12).
Plus loin il affirme la destinée future de l'homme et la résurrec-
tion du corps, monti'ant par là que sa philosophie ne lui fait pas
oublier la foi. Scio quia redemptor meus vivit, et in novissimo
die de terra surrecturus sum : et rursum, circumdabor pelle
tnea, et in carne mea videbo Deum m£um, Quem visurus sum
ego ipse, et oculi mei conspecturi sunt et non alius : reposita
est hœc spes mea in sinu meo. (Job, 19.)
Eliu, le plus jeune des amis de Job, affirme aussi les droits de la
raison, qu'il possède lui aussi, quoique moins avancé en âge.
Junior sum tempore,.* Sed ut video spiritusest in hominibus,
et inspiratio Omnipotentis dat intelligentiam.,., ideodicam:
A udite me, ostendam vobis etiam ego meam sapientiam. (Job, 32) .
Enfin Dieu lui-môme consent à raisonner avec les hommes. II
procède par interrogation et leur démontre tout à la fois et sa
sagesse et leur ignorance^ par les merveilles et les mystères de la
création .
Dans Tensemble de cette histoire une grande question philoso-
phique est traitée. Le mal physique et les souffrances des justes,
sont Fœuvre de Dieu, et cela ne détruit en rien sa justice ni sa
bonté ; car il est le maître et les peines sont pour les justes une
épreuve et une occasion de mérite.
La Bible est aussi le plus beau livre de morale que l'on puisse
lire. On y trouve tous les préceptes de la loi naturelle, non-seule-
mént en abrégé et dans leurs grands principes, mais encore dans
les plus menus détails, avec les meilleurs conseils, les meilleures
exhortations à la vertu et à la fuite du vice, et tout cela y ^t non
seulement affirmé sur Tautorité de Dieu, mais encore souvent pré-
senté comme dicté par la raison.
392 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
La Bible renferme donc la vraie philosophie classique des
Hébreux et elle est tout à la fois le phis ancien et le pins exact de
tous les traités de philosophie.
10. Sectes philosophiques ches les Juifs. — On consulta
généralement comme des sectes philosophiques les Pharisiens, la
Saducéens et les Ësséniens.
Les Pharisiens étaient plutôt une secte religieuse, car c^est
surtout dans leur manière de pratiquer la religion que se mam£Bst«
leur esprit. L'Evangile nous les présente comme des hommes qû
par orgueil faisaient profession de pratiquer la loi de Moise, avee
plus d*austérité que les autres ; c*est pour cela qu'ils s^appeiaiest
purs ou séparés (phrsch). Ils tenaient fortement aux traditîoi^
des anciens, vraies ou prétendues, et les estimaient à l'égal âoos
au-dessus de la Bible. Ce sont eux qui sont les premi^^s auteois
du Talmud, volumineux recueil de commentaires de la Bibk,
de traditions, et de fables souvent ridicules, qui ne fat déi-
nitivement rédigé que beaucoup plus tard. II renferme: laMischna
ou.seconde loi, tradition secrète, destinée seulement aux prêtres ;
la Grhemara, explication des rabbins* Ils écrivirent aussi la
Kabbale ou tradition (qbl, accepit)^ d*où est sortie la fameuse
Cabale, avec les secrets cabalistiques.
L'espace ne nous permet pas de résumer ici la philosophie de la
Mischna et de la Kabbale, qui d'après les écrits de M. Drach,
rabbin converti est plus orthodoxe qu'on ne pense.
Les SadVfCéens, ainsi nommés de leur chef Sadoc (tsdq, juste)
paraissent avoir été les rationalistes de l'époque, chez les Juiûu
Ils niaient l'existence des anges, la résurrection des corps et même
l'immortalité de Pâme.
Les Ësséniens ou EsséienSy (du Syriaque àssaya, médecins)
vivaient à Alexandrie, dans le 1'^ siècle après Jésus-Christ. Nous
ne les connaissons que par Philon, historien juif, qui les a pré-
sentés comme des hommes remplis de vertus et vivant en commun.
Ce qui a donné lieu de croire que Philon a pris pour une secte
juive les premiers Chrétiens, disciples de saint Marc, à Alexandrie,
qui étant pour la plupart des Juifs convertis, avaient conservé des
pratique» de la loi de Moïse. Cependant Josôphe, parle d'auties
Ësséniens, qui vivaient en Palestine. Le nom et les pratiques dœ
CHALDËBNS 893
Esséniens les confondent presque avec les thérapeutes^ qui vivaient
aussi en Egypte, k la même époque et qui comme eux se donhaîent
pom* médecins des Ames.
PHILOSOPHIE DES GHÂLDÉEN8
Ijl. Doonments. — lî nous faut parier ici dps Chaldéens et de leurs
doctrines touchant Dieu et l'âme, parce qu'ils ont eu dans toute Tanti-
quité une grande renommée de sagesse et qu'on les a con^dèrés long*
temps comme les instituteurs des Grecs et les vrais auteurs de la plu-
part de leurs systèmes. Quoi qu'il en soit de cette opinion nous ne trou-
vons plus rien do leur philosophie, vraie ou prétendue.
Il ne nous reste de leurs livres originaux que quelques fragments de
Bérose, auteur que Ton ne connaît pas autremenb.» C'est une cosmogonie
fantastique qui n'offre pas même une conception philosophique, et qui
n'est évidemment qu'une tradition altérée; peut-être le texte même en a
été dénaturé avant qu'il ne fût traduit en grec, et la traduction elle-
même pourrait bien n'en être pas exacte. Il suffît de connaître un peu
les langues sémitiques pour comprendre avec quelle facililé un étranger
pouvait, en voulant les traduire, y faire des contre-sens. Et quand une
traduction dont nous n'avons plus l'original ne nous offre qu'un amas
confus de conceptions ridicules, il est bien permis de supposer que l'une
des trois altérations dont nous parions s'est produite, sinon toutes les
trois.
En dehors de ce reste, nous avons quelques mots sur les Chaldéens
dans Strabon, Diodore de Sicile. Sextus Empiricus, Cicéron, Lactance
et Eusébe. Bnfln il en est parlé plusieurs fois dans la Bible, notamment
dans le livre de Daniel.
12« Les Chaldéens et leur doetrine. — En comparant tous
ces téosioignagnes, nous sommes obligé de conclure que les Cbal-
déens, passèrent d'un culte un peu trop imagé du vrai Dieu au
culte des idoles, et revinrent plus tard & quelque chose d^ moins
grossier. Les prêtres, ou Chaldéens proprement dits, y formaient
une caste à part, au milieu des Perses, ou même parmi les Assyriens ;
ils avaient leur territoire et leurs lois. Ils se donnaient pour mis-
sion de prédire l'avenir et d^interpréter les songes, et pour cela ils
pratiquaient l'astrologie. C'est en poursuivant ce but qu'ils acqui-
rent certaines connaissances astronomiques. Mais, encore une fois,
tout cela, uni aux détails assez nombreux que nous ont transmis
les Grecs sur leur système et leur culte, ne nous donne rien 4e
leur doctrine philosophique.
d94 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
13. Fragments de Bérose. — Diaprée ces fragment», que
Ton trouve dans la Bibliothèque grecque de Fabricias, roriginê
des hommes est ainsi expliquée aux Chaldéens, par un ^tre mjsté-
rieux, moitié homme, moitié poisson.
Au commencement était le chaos, mélange d'eau et de ténébi^
et dans ce mélange, des hommes et des animaux encore inachevé
et des êtres monstrueux. Une femme nommée OmorkA (la mère di
firmament) dominait le chaos. Mais Bel ou Belus, le grand Dieo,
divise le corps de la femme et en forme le cie) et la terre. Il
introduit la lumière là où étaient les ténèbres et les mon^tr»
périssent, pour être remplacés par les hommes, que Bel fait naùtre
du limon de la terre en y mêlant son sang.
14. Oracles Chaldéens, — Outre ces documents qae-noiis
avons cités, on trouve encore chez les philosophes Alexandiins
Philon, Porphyre, Jamblique et même dans Saint Clémeot
d'Alexandrie, quelques doctrines présentées sous le titre d'Oraclet
Chaldéens^ où il nous est donné toute une hiérarchie d*anges ci
de démons, invoqués comme des dieux secondaires. On y distingua
l'intelligence première, les substances intelligibles et les substances
intellectuelles ; la lumière génératrice et la lumière engendrée et
enfin TAme du monde, principe de la vie du monde. Mais tout cela
ressemble trop aux théories des néoplatoniciens, et manque com-
plètement d'authenticité.
15. Philosophes Chaldéens. — Les anciens ont encore cité
quelques noms. Et d'abord plusieurs Zoroastre, qui ne seraient pas
le Zoroasti^e ' des Perses, puis Zoromastre, Teueer et Azonaee.
Enfin Bérose lui-même n'est pas un personnage unique e^anthea-
tique.
Voilà ce que nous savons de la philosophie des Chaldéens. (*)
PHILOSOPHIE DES PHÉNICIENS
16. Doooinenta. — L.es monuments de la philosophie des Phènîeîeœ
ne sont pas beaucoup plus nombreux que c»ix des Chaldéens, et ils oe
(*) Krank. Dictionnoirtf des sciences philosophiques. Art. Chaldéens-
PHÉNICIENS 306
sont en outre ni plus authentiques, ni moins aitéPôs. D'ailleurs ce qu'on
y trouve n'est pas beaucoup plus philosophique.
Ici^ outre les inscriptions, les moonaies et les monuments du culte,
ainsi que ce qu'en dit la Bible, nous avons: l"* quelques fragments de
Damascius, qui cite Eudéme de Rhodes, lequel cite à son tour Moschus,
auteur phénicien ; ^ d'autres fragments qu'Busèbe cite d'un buvrage de
Philonde Bybk», lequel serai» la traduction en grec d'une Histoire phé^
•nieienne^ écrite en phénicien, par Sanchoniaton. qui n'est pas autrement
connu, et dans le nom duquel, certains critiques ont voulu ne voir que
le nom même de l'ouvrage, car, selon M. Movers, le nom phénicien,
San-chon-iath, signifie : la lot entière de Chon. Ma^ évidemment, la
signification d'un nom propre n'est pas suffisante, pour nier l'homme
qui le porte.
On s'est peu inquiété du fragment de Moschus, mais, peu d'ouvrages
ont eu une fortune aussi étrange que celui de Sanchoniaton. C'est sur>
tout auxvin* siècle, que le fragment d'Ëusèbe qui nous le fait connaître
commença à être remarqué. On s'empressa d'y voir une œuvre très-
ancienne, on fit Sanchoniaton contemporain de Sémiramis, et la philo-
sophie anti-catholique se réjouit tout haut de posséder un écrit plus
ancien que celui de Moïse, pour pouvoir le lui opposer. Mais d'un autre
côté on mit en doute l'authenticité de l'ouvrage, on accusa Pliilon, d'a'foir
lui-même inventé son auteur ; d'autres ne virent dans ce fragment
qu'une mauvaise traduction du texte hébreu de la Bible ; quelques-uns
même dirent qu'Eusëbe avait inventé sa citation. Eufln en 1835, on
annonça que Ton venait de découvrir dans un couvent d'Opporto en
Portugal, un manuscrit complet de l'ouvrage de Philon de Byblos. Ce
manuscrit fut publié, tra(^uit en latin, par un M. Wagenfeld, à Brème
en 1837. Mais la fraude fut bientôt reconnue.
Donc les seuls documents qui nous restent sur les Phéniciens sont
ceux que nous avons cités.
17. FrêLgmeni de Moschus. (cité par Eudôme, disciple
d'Aiistote). — Si Ton en croit Eudéme^ les prêtres de Sidon ensei-
gnaient qu'il 7 a trois principes des choses : Bel, qu'il appelle
Xpivoc, ou le Temps ; puis le Désir, DiOoc ; et enfin une sorte de
chaos, ou de brouillard, germe du feu et de Teau, 0^ly(\ri. Le
désir et le chaos, en s'unissant, engendrent Tœuf du monde. Puis
cet œuf se sépara en deux parties, qui sont le ciel et la terre.
Il cite ensuite Moschus, selon lequel le premier principe est l'air.
L'air engendre Olam, qui paraît être le temps ou la durée du
396 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
monde, a{(i>v, ou le monde à venir, ou encore, selon Damascias, le
modèle on Fébauche du monde, C*e9t le fils d'Olam qui ouvre Yceaf
du monde, d'où sortent le ciel et la terre. Moschus ajoute que les
autres font intervenir les Vents entre Tair et Olam, mais que
pour lui il suit un autre ordre.
18. Frafment de Sanchoniaton ou de PUloa, cilé^par
Eosôbe (Prépar. Evang. liv. 1, chap. 7). — «Sanchomaton étalilit,
pour principe de toutes choses un air ténébreux ou plutôt le «ofc/flf
d*uB air ténébreux, et en outre un ckcMs confus et obsear....
a Lorsque Tesprit devint amoureux de ses propres principe, ii
s'opéra une conjonction qui s'appela le Désir De la sortit Jfcfof
(la mère)... Lùnon.», d'où provinrent toutes les semences de la
ci*éation.
a 11 7 avait certains animaux privés de sentiment, d'où naqui-
rent des animaux intelligents appelés sophasémis (sghpht hschmdi)
c'est-à-dire contemplateurs du ciel, et présentant la forme d'un
œuf.
« Alors brillèrent Mot, le soleil, la lune, les astres et les gran.
des planètes.
« L'air, la mer et la terre ayant jeté une vive clarté à cause de
leur conflagration, il en résulta des vents, des nuages et de grandes
chutes des eaux célestes. Après que ces éléments furent séparés et
chassés de leur place par l'ardeur du soleil, ils se rejoig^iirent tous
dans l'air, s'entrechoquèrent et produisirent les tonnerres et les
édàirs. Au bruit des tonnerres, les animaux intelligents.... se
réveillèrent.... et mâles ou femelles commencèrent & se mouvoir
sur la terre et dans la mer.
« Du vent Colpiaet de sa femme Baau (la nuit) naquirent Aton
et Protogonos, qui étaient des hommes mortels ainsi appelés. Aîog
trouva la manière de se nourrir du fruit des arbres. Les enfants
nés de ces deux êtres furent appelés Génos et Généa, et habitèrent
la Phénicie.
« lis regardaient le soleil comme un dieu et l'appelaient Bulsa.
men (baal sciimim), ce qui signifie maître du ciel.
< De Génos et de Protogonos naquirent Phos, Pjr et Phlox.
Ils engendrèrent des fils doués d'une taille extraordinaire.
ÉGYPTIENS 397
Ici Philon donne une multitude de noms qui sont tous grecs, on
qui sont des noms de pajs. Puis il reprend
« Dans ce temps là naquirent un certain Elionn, appelé Hypsis-
tos (le très haut) et une femme nommée Béruth, Ils demeuraient
dans les environs de Bjblos. Ils eurent pour flls Epigéios et Oura^
nos Les mêmes époux donnèrent à Ouranos une sœur qui fut
appelée Gué Leur père obtint l'apothéose et S6i enfants lui
offrirent des sacrifices.
c Ouranos. . . tAchaitde détruire ses enfants. Guô s'opposait à
ses projets en rassemblant de nombreux alliés.
€ Cronos (fils d'Ouranos et de Gué) combattit son père pour ven-
ger sa mère, il chassa Ouranos du trône et reçut la royauté. »
Tiennent ensuite plusieurs autres générations de dieux descen-
dants de Cronos, et l'histoire de l'attaque de Cronos contre son père
Ouranos. Puis on trouve Taaut figurant les dieux pour inventer
Téciiture, enfin le reproche fait aux Grecs d'avoir falsifié tous ces
récits par des fables et des fictions poétiques.
Il n'est pas possible de lire cette cosmogonie, sans se rappeler le pre-
mier chapitre de la Genèse. Ce chaos qui est appelé haan, rappelle
Wen le tohou ou bohou du texte hébreu ; Terra autcm erat inanxs et
vacua. Ce soufQe^qui est le second principe.semble nous répéter : Et Bpiri-
tuê Deiferebaiur euper aquas. Le désir qui vient ensuite se retrouve dans
le mot hébreu que la Vulgate traduit ipar ferebatur, et que tous les com-
mentateurs traduisent par incubabat, à moins que le mot tc49oc n'ait
été mis pour oiTo; génitif de'^co;, la lumière, auquel cas on le trouve*
raît dans le verset suivant. Un peu plus loin viennent le soleil, la lune
et les étoiles, puis la vapeur qui s'élève de la terre ; on voit ensuite
l'homme mâle et femelle. Tout cela est dans la Genèse, dans cet ordre,
et pour compléter la ressemblance, le serpent enseigne aux premiers
hommes à se nourrir de fruits. On serait vraiment tenté de dire avec
Tabbé Guérin du ftocher, que cette cosmogonie n'est pas seulement une
altération de la tradition primitive mais bien une traduction faite sur
l'hébreu par un incapable .
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas là une conception philosophique,
et les générations de divinités dont les noms grecs sont si aiatérielB^
sont évidemment ce que Philon a i^aié en le puisant dans les
doetriaes néoplatoniciennes. Et la vraie philosophie phénicienne
nous reste parfaitement inconnue.
398 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Cependant Fimportance de leur commerce et de leurs coloDies. «
la tradition constante des Grecs qui les reconnaissaient pour lean
maîtres nous disent assez que les Phéniciens exercèrent une graoàe
influence sur les nations voisines et sur la philosophie grecque.
PHILOSOPHIE DBS EGYPTIENS
19. Doooments.^ Ici les documents anciens sont bien plus noisliicei
que pour les peuples que nous avons précédemment étudiés ; mais as
sont loin d'offrir toutes lés garanties, que l'on peut désirer pour affînaa
avec certitude l'histoire ou les doctrines de ce peuple.
Nous avons d'abord l'histoire de rEgypte, écrite par Hérodote, ék
remplit le deuxième livre de l'ouvrage de cet auteur. Mais le récit ea
est si décousu et si plein de naïvetés déplacées que Ton voit laeileraest
la fraude des prêtres égyptiens, qu'Hérodote écoula avec trop de bo&-
hommie.
Viennent ensuite quelques fragments de la Chronique de Manéthcm^
cités par Eusèbe, ainsi que des fragments de la Vieille Chronique cités
par Georges le Syncelle. Mais on n'y trouve guère que des noms de roîs,
dont la liste ne s'accorde pas avec celle d'Hérodote, ni avec celle et
Diodore de Sicile, qui a écrit aussi V histoire de l'Egypte,
On trouve épars dans beaucoup d'autres auteurs grecs quelques mois
sur les Egyptiens.
Enfin ia découverte du sens des hiéroglyphes a ouvert dés le commoi-
cernent de ce siècle une source de documents ; car les monuments et ks
tombeaux de l'Egypte ancienne sont chargés d'inscriptions. On a pa y
prendre les noms et les attributs d*une multitude de divinités ainsi qae
des rois, et surtout une doctrine. morale, tirée du Rituel funéraire,
découvert par ChampoUion le jeune.
Au fond, tous ces matériaux sont insuffisants; mais ils ont fourai
matière à des travaux nombreux, e plus d'une fois, avant et après b
découverte de l'écriture hiéroglyphique, on a. essayé de faire concoider
ensemble les diverses listes de rois que nous ont transmises les histo-
riens grecs, ou les noms qui se trouvent inscrits sur les monuments.
Nous avons lu et comparé presque tous ces travaux et noire conviction
est que toutes leurs données sont encore incertaines. Les auteurs ne
s'accordent pas sur le classement des dynasties, moins encore sur lei
dates qu'ils leur assignent, moins encore sur la théogonie et la cosmo*
gonie des Egyptiens : les deux seuls points qui nous intéressent ici.
Les noms des Dieux de l'Egypte sont bien les mêmes chez tons les
EGYPTIENS 399
auteurs, sauf la différence du nombre ; mais le classement n'est pas le
môme ; plusieurs auteurs appliquent deux noms au même sujet, et d'au-
tres distinguent deux divinités adorées sous le môme nom ; enfin dans
la chronique de Manéthon, aussi bien que dans la vieille chronique, les
noms des mêmes dieux sont appliqués à des rois de TKgypte dont les
premiers sont appelés dieux ou demi-dieuxi et les autres sont considé-
rés comme des hommes. Les premiers ont régné pendant des siècles,
les autres plus ou moins long-temps, mais tous cependant n'ont eu qu'un
règne limité.
20. Théogonie des Egyptiens. — Parmi cette foule de divi-
nités qu'adoraient les Egyptiens, celle que le plus grand nombre
des auteurs s'accordent à placer en premier lieu c'est Amoun ou
Ammon^ le caché, Tiaconnu. Si sous cette notion de caché, il faut
voir, avec quelques-uns, Tinfini, le dieu Amoun est le seul reste de
l'idée du vrai Dieu, chez les Egyptiens ; car nous verrons bientôt,
à. n*en pas douter que les autres sont des hommes. Mais il nous
pamît beaucoup plus probable qu'Amoun était simplement le
chaos, qui a précédé l'organisation de l'univers. Si nous en ciX)yon8
Diodore de Sicile^ les Egyptiens disaient que les ténèbres sont
Torigine de toutes choses.
Phtha (le feu), que les Grecs -ont traduit par Héphaîstog
(Vulcain), est placé en première ligne par la Vieille Chronique
et par celle de Manéthon. <( Le temps d'Héphaïstos, dit !& Vieille
Chronique, ne se détermine pas, à cause de son éclat de jour et de
nuit. » Et Manéthon dit : « Héphaîstos régna 9000 ans : c'est & lui
qu*est due la découverte et l'invention du feu.»
Hélios (le soleil) vient ensuite et est donné comme le fils
■ d^Héphalstos. Il régna, pendant 30,000 ans selon l'un, pendant
mille ans selon l'autre.
Ses successeurs sont Chronos (le temps) et Agathodémon (le bon
génie).
C'est alors qu'apparaissent Osiris avec Isis, sa sœur et sa
femme, qui, dit-on, ne sont pas nés. Isis est aussi appelée Mouth
(la mère). Mais Typhon, considéré par les Egyptiens comme le
génie du mal, et aussi comme frère d'Osiris, attaque celui-ci le
détrône et le tue.
Alors naît Horus, fils d'Osiris et d'Isis, qui n'a d'autre souci que
de venger son père.
400 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Neuf autres demi-dieux rognent après lui. Les historiens ne sont
pas d'accord sur leurs noms. La vieille chronique les ignore:
Manéthon y fait entrer les noms de Mars, Hercule, Apollon et
Jupiter : ce qui montre bien qu'ils ne sont pas les vrais.
Ensuite commence le lôgne des hommes dont le premier e^
Ménôs.
De tous ces noms d'hommes ou d'éléments, présentés d^abord
comme des rois, dieux ou demi-dieux, les auteurs grecs ont fait
tout autant de dieux des Egyptiens. Et il paraît bien que les Egyp-
tiens en firent de môme, car chacun de ces personnages a ses petites
figures qui le représentent.
Dans les monuments Egyptiens, le Soleil est appelé Ra, sans
article, ou Phra, avec l'article : on le confojid aussi avec Osiris :
Isis ou Mouth, so confond avec la lune. Dès lors Osiris est devenu
le principe lumineux^ le principe actif, le principe du bien et Isis
est devenu le principe ténébi'eux, le principe passif, ou la matière,
le principe du mal.
On a aussi confondu Osiris avec Amoun, considéré comme le
dieu caché moteur du monde.
Dans ce système, Amoun où Osiris a pour fils Kneph, qui est
son esprit ; c*est lui qui est la lumière, le principe actif, et il fait
sortir de sa bouche un œuf qui est Phtha, considéré comme l'âme.
Mais dans les documents les plus anciens, Kneph n*est autre chose
que l'œuf lui-môme, produit par Amoun (le chaos), et Phtha est
représenté sortant de 1' œuf, les jambes encore repliées sur la
poitrine.
Isis est aussi appelée Athor (maison de Horus) et dès lors on la
considère comme la matière qui recèle le monde, appelé Horus.
Enfin Thot, que les Grecs ont traduit par Hermès (Mercure) est
une sorte d'envoyé du grand Dieu pour instruire les hommes. Son
fils Tat, vient plus tard restaurer la religion qui s'était* perdae.
21. Cosmogonie. — Ainsi d'après les Egyptiens, le monde a
commencé par èti'e ténèbres et chaos. Après de longs siècles le feu
s'est montré, qui a commencé à donner à ce chaos une certaine
forme. Le Soleil n'est venu qu'après et avec lui le temps, qui n'est
déterminé que par la marche du Soleil. Alors par l'œuvre du bon
génie ont paru Osiris et Isis , le premier homme et la première
femme.
EGYPTIENS 401
22. Obserration.— On s'est évertué, surtout dans ces derniers temps,
â trouver sous le nom de ces prétendues divinités des conceptions môta-
pliysificies. qui en seraient la véritable origine. Quant à nous, il nous est
impossible d'y voir autre chose qu'une altération ridicule de la tradition,
produite par les grossières iinag:e"< à l'aide desquelles ces hommes con-
cevaient Dieu. Les chroniques anciennes, certainement plus authenti*
ques que tous les systèmes modernes, ne laissent pas de doute sur
Torigine de toutes ces divinités. Les dieux sont les éléments eux-mêmes»
ou plutôt les transformations successives du monde, et les demi-dieux
sont les patriarches antédiluviens, que leur excessive longévité a fait
considérer chez tous les peuples comme des êtres d'un ordre supérieur à
l'homme. En efîet, quand on lit la vieille Chronique, ou la chronique
de Manéthon'y on croit lire une traduction défigurée du premier chapitre
de la Genèse.
C'est une tendance trop générale aujourd'hui d'expliquer le polythéisme
des anciens par fa personnification des idées métaphysiques ou morales.
Il semble que l'on veuille par là donner plus de créance au système
blasphématoire qui fait du vrai Dieu la catégorie de Vicléal, Mais
l'histoire proteste contre cette interprétation. Le polythéisme n'est pas
le fruit des conceptions de l'homme divinisant ses qualités ou ses défauts ;
il a été d'abord une transformation grossière de la tradition primitive.et ce
n'est que beaucoup plus tard que quelques divinités nouvelles se sont
ajoutées aux autres, par la déification du crime ou de la vertu. Et si
chez plusieurs peuples on a fini par considérer réellement le chaos, la
matière, le soleil, la pensée, l'activité, le bien et le maf, comme des dieux,
ce n'est pas que Ton ait divinisé ces choses, mais bien parce qu'on a
par ignorance donné à Dieu des attributs qu'il n'a pas. C'est ainsi que
nous voyons encore des hommes se représenter Dieu comme l'espace
sans borne, ou même dire que Dieu, c'est le soleil, parce que c'est lui
qui fait mûrir les moissons.
23. Morale. — Nous trouvons dans les monuments hiérogly-
phiques et dans les écrits des historiens grecs, des données suffi-
santes pour établir que les Egyptiens avaient une doctrine morale
assez pure.
A la mort d'un roi, un tribunal s'assemblait pDur juger tous ses
actes, et selon que sa conduite avait éti bonna ou mauvaise, on lui
accordait ou on lui refusait les honneui*s de la s;5pulture.
Nous trouvons gravées ou peintes sur les tombeaux les questions
que le grand juge adressait à Tâme après sa mort, et les réponses
26
402 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
qui y sont faites par ceux qui accompagnent Tâme, nous rnootrefit
que les Egyptiens condamnaient Tinjustice, le mensonge, la luxare
et même les paroles inutiles.
24. Immortalité de l'âme. Métempsychoee. — II ressoft
aussi des mômes documents, que les Egyptiens croyaient F&me
immortelle, mais que le système des punitions après la mort
consistait dans le passage de l'âme, d*un corps dans un autre,
jusqu'à son entière purification.
Observation. — Voilà ce que les histoires et les monuments noas
transmettent sur la religion et sur la philosophie des Egyptiens. Ce^
faibles restes ne concordent nullement avec la haute opinion que l'on a Xoor
jours eue de la science de ce peuple. Les Grecs les tenaient pour laus
maîtres ; leurs législateurs allaient s'y instruire ; leurs plus (^^nds phi-
losophes comme leurs historiens se sont fait un devoir- d'aller chercher
des lumières en Egypte. Manéthon porte à 36,525 les livres hennétiqaes»
source de la science des prêtres, et ces livres traitaient de toutes les
sciences aussi bien que de la religion.
Il faut nécessairementreconnaître que l'art grec s'est inspiré de l^art
égyptien, qui d'ailleurs est resté assez stationnaire, et n'a jamais attelai
une grande perfection. Ils ont probablement, de la même manière
fourni aux Grecs les premiers éléments des sciences et de l'industrie;
mais les monuments attestent que chez eux ces deux ordres de connais
sauces ne furent jamais très-avancés. Saint Clément d'Alexandrie réduit
à 42 le nombre des livres hermétiques, et M. Franck trouve que c'est
beaucoup, vu l'imperfection de leur écriture. Un bien plus graud nom-
bre ne nous étonnerait pas, et nous admettrions volontiers que plusieurs
de ces ouvrages étaient perdus au temps de saint Clément.
Nous sommes convaincu que les prêtres Egyptiens avaient une doc-
trine cachée, comme l'at testent tous les auteurs grecs ; mais cette doc-
trine n'est pas celle qui nous est parvenue. Ce que nous avons des
livres hermétiques est une invention évidente des Alexandrins. H ne
nous reste donc rien de leur philosophie. Car il ne nous est pas possible
d'appeler philosophie quelques lambeaux de tradition défigurés par de
grossières images, et les conceptions métaphysiques que l'on veut bien,
voir sous ces figures sont les conceptions des auteurs modernes que
c herchent à les expliquer.
PERSES 403
PHILOSOPHIE DES PERSES
25. Doonments. — Jusqu'au xviii siècle, on n'avait sur les Perses que
quelques passages épars dans les auteurs grecs, et principalement dans
Hérodote, Dîogéne Laêrce et Plutarque. En i700, l'anglais Hyde fit
paraître une histoire des Perses en latin, recueillie dans les ouvrages
des Arabes; mais il manque de critique. Enfin en 1771, Anquetil Duper-
ron publia sa traduction française du Zend-Avesta (la Parole de vie),
collection de six ouvrages : VYsieschné ou Yaçna, le Vispered, le Ven-
didad (qui s'appellent ensemble le Vendidad-Sadé), les YeachtSadé, le
Sirozi et le Boun-Dehesch, Anquetil avait recueilli tous ces ouvrages
dans riude, doû il les rapporta écrits en zend avec une traduction en
pehlvi.
On a aussi, avec une traduction anglaise, le Desatir (Parole du Sei-
gneur) et le Dàbistam (Ecole des mœurs). Ces ouvrages sont beaucoup
plus récents : Le dernier est du xvii' siècle, mais il parait le fruit de
recherches consciencieuses, sur cinq des religions de l'Inde : les Mages,
les Indiens, les Juifs, les Chrétiens, les musulmans et les philosophes.
Le premier se donne pour très-ancien, mais il parait-ôtre en partie du viiu
en partie du xiii* siècle de notre ère. C'est l'opinion- de M. Siivestre de
Sacy.
20. Doctrine du Zend-Avesta. — Les doctrines que contien-
nent ces livres sont plutôt une religion qu'une philosophie, et
d'ailleurs l'origine traditionnelle est plus frappante encore que pour
les doctrines des peuples dont nous venons de parler.
Cette religion, qui a régné en Perse pendant de longs siècles et que
rislamisme a fait disparaître par le sabre, s'est réfugiée avec un
petit nombre de fidèles dans THlndoustan. Elle est attribuée à
Zoroastre.
Zoroastre (Zérétho-Schthré, astre brillant) vivait pix)bablement
du temps de Darius fib d'Hjrstaspe.Les historiens grecs lui donnent
Pytbagore pour disciple.
37. Théogonie. — Le premier principe est Zervane^Akérénéy
le temps sans bornes, ou Tespace sans limite.
Il engendre par émanation : Ormuzd (Ahurâ-Mazdad) le prin.
cipe du bien et Ahrimane^ la limite du bien, le principe du mal .
Pour se faire aider dans l'exercice de s» puissance, Ormuzd
404 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
engendre les bons génies : les Amschaspands et les /c^ff/*; mabi
Ahrimane lui oppose les mauvais génies : les Deirs, les Daromlji
et les Daricands,
Orniu^d seul est vraiment dieu ; seul, il est adoré ; seul il est le
créateur de tout. Alirimane n est qu'une opposition qui finira.
Le régne de Tun et de l'autre est divisé en 4 périodes de 30lV»
ans chacune. 1^ Ormuzd seul, 2^^ lutte de Tun contre l'autre, 2r
victoire temporaire d'Ahrimane, 4^ victoire définitive d'Ormuzd,
après laquelle Ahrimane lui môme le priera et lui oôrira des sacri-
fices.
C'est du nom d'Ormuzd (AhurA-Mazda6) que lareligrion de Zoto-
astre s'appelle le Mazdat'sme.
21. Cosmogonie. — Ormuzd engendre daborâ sa parole
(Honorer) qui est tout à la fois âme et corps. Son-Ameestlarénnion
de toutes les idées ; son corps en est la réalisation. Ainsi le monde
n'est que la réalisation sensible de la parole d'Ormuzd.
D'ailleurs Ormuzd donne à toutes choses une âme (ferouèr) qni
est comme l'essence, la forme substantielle de cette chose ; mais
Ahrimane et ses mauvais génies n'en ont pas.
Ormuzd a employé six époques à produire le monde. On lit dans
le Boun-Dehesch : « En quarante-cinq joure, moi Ormuzd, aidé
des Amschaspands, j'ai bien travaillé: j'ai donné le ciol. En
soixante jours, j'ai donné l'eau; en soixante-quinze", la terre ;
en trente, les arbres ; en vingt, les animaux; en soixante-^iuinze
l'homme ^). Ici le souvenir traditionnel do la création telle
qu'elle nous est racontée par Moïse, est évident.
Lo premier homme fut Kaïomors, Ahrimane le tua; mais après
sa mort naquirent de lui Meschia et MescJiiané,
« Ormuzd les avait placés tous deux dans le Paradis tenvstre
fqui est la Perso). Là ils vivaient heureux ; mais Ahrimane prit la
forme d'une couleuvre et parvint à les tromper. Puis il leur fît
manger des fruits. Une autre fois ils burent du lait. Enfin ils allè-
rent à la chasse et mangèrent la chair des animaux qu'ils avaient
tués, et se firent des habits de leur peau. Puis ils découvrirent le
fer, dont ils usèrent mal. Leurs descendants imitèrent lenr con-
duite criminelle, jusqu'au jour où. Zoroastre vint leur annoncer la
PERSES 405
vraio foi. )) Que veut-on de plus clair, pour établir que la religion
dite de Zoroastre est un souvenir do la tradition vraio, et non une
invention hiimaine?
29. Psychologie. — Le ferouër ou Anae de l'homme com-
prend : le djan^ principe vital, Yakko, conscience morale, et enfin
l'Ame proprement dite, qui a trois facultés : boé, Tintelligence,
7^oûan, lo jugement, et ferouêr, la substance première de rame.
Le djafi n'est qu'une vapeur périssable ; Vahko retourne au ciel ;
Tâme seule est responsable de ses actes et est immortelle.
30. Morale. — Toute la morale de Zoroastre se résume dans la
lutte contre le mal. Mais pour atteindre ce but il recommande la
force du corps, et défend expressément le jeûne.
Le mari est le chef de la famille et ne doit avoir qu'une seule
femme.
Le gouvernement est monarchique. Il n'y a pas de castes ; mais
il y a une hiérarchie de fonctions. Le roi, les juges et les pr«}tres.
A la mort, l'Ame est jugée par Mithra, le premier des Izeds,
celui qui préside au ciel étoile. Les Ames sont récompensées ou
punies. Mais àlafin elles reprendront leurs corps. Alors il y aura pour
les méchants une purification par le feu, qui durera trois jours, et
tous iront jouir ensemble du bonheur et du triomphe d'Ormuzd.
31. Observation. — Nous avons suivi, pour cetto exposition le
Dictionnaire des sciences philosophiques de M.. Frank, parce que venu
lo dernier, il nous a paru devoir être le plus complet et le plus exact ;
mais nous trouvons dans d'autres auteurs des données quelquefois bien
dllVércntes. loutefois malgré cette différence de détails, lo fond reste lo
nu^rae et on y voit toujoura, non pas une philosophie, mais une religion
(pli se donne pour révélée et qui est en effet un reste défiguré de la
révélation primitive.
On serait bien aise de connaître aussi les doctrines religieuses qui
précédèrent le temps de Zoroastre, chez les Perses; mais nous n'avons
{[uc i»eu de documents à ce sujet. Toute l'antiquité a représenté les
l*erses comme des adorateurs du feu, et les mages comme des hommes
livres au sabéisme ou culte dos astres. Y a-t-il eu en effet une réforme
de la religion, ou bien ce culte du feu était-il seulement une forme
extérieure de l'adoration du vrai Dieu, appelé Ormuzd, et partout repré-
senté comme la lumière pure ? Faut-il admettre, môme en partie, les
406 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
légendes que les mages racontaient sur Zoroastre Y En les lisant on se
rappelle involontairement Daniel et ses relations avec les mages et avec
le roi Darius ; au point que l'on se demande si Zoroastre ne serait pas
Daniel lui-môme, qui, introduit dans le collège des mages par Darius^
serait parvenu à leur inculquer des notions moins grossières sur la
Divinité et leur rappeler la vraie origine du monde, qu'ils auraient da
nouveau défigurée en l'écrivant. En effet les livres du Zend-Avesta ne
sont pas d'une seule main ; Texistence de Zoroastre est incertaine ; sa
mission, si elle s'est effectuée, est trop orthodoxe, réduite à son vérita-
ble sens, pour être purement humaine, et, prise dans son esprit, non
dans la lettre, elle est digne d'un prophète du vrai Dieu.
Quelque solution que Ton donne à cette question que nous soulevois
sans chercher & la résoudre, il n'en reste pas moins établi, que la philo-
sophie n'existe pas chez les Perses, ou que, si elle exista, elle ne hit pas
autre que cette philosophie naturelle, cet exercice spontané de la raison
que nous avons reconnu chez les Hébreux, et qu'elle ne dut pas ^m
origine k la réflexion seule comme on Tentend aujourd'hui, mais bien à
un fonds de vérités révélées qui lui servait de base.
PHILOSOPHIE DES INDIENS.
32. Documents.— Les livres originaux, sources premières de li
philosophie, sont d'abord les livres considéi'és comme sacrés, les com-
mentaires de ces livres, les poèmes religieux et enfin les livres des ehels
des grandes écoles, avec leurs innombrables commentaires.
Les livres sacrés des Indiens sont les Védas, qui sont censés dictés
par Dieu et rédigés en sanscrit par un certain Vyctsa. Ils sont au nom-
bre de quatre :
l" Le Rig-Véday qui contient des hymmes en vers.
2* Le Yadjour-Véda^ qui contient des prières en prose.
3" Le Samma-Véda, hymnes destinées à être chantées.
4« L'A</iarra?i, qui renferme des formules liturgiques.
Le livre qui parait le plus ancien après les Védas, et qui en est le
manuel le plus orthodoxe est le Manava-Dharma-Sastra, recueil des
lois de Manou.
Viennent ensuite les grands poèmes : 1« le Ramayana, qui chante les
exploits de Rama, attribué à Valmiki. 2* le Mahabharaia, attribué à
Vyasa, qui chante les guerres des Kourous et des Pandous. Lie Bha^-
vadrGita, n'est qu'un épisode du Mahabharata, et cependant il compte
à lui seul quarante mille vers.
INDIENS 407
Enfin les Pouranas, que l'on attribue certainement à tort à Vyasa.
se tiennent i)Our très-anciens; mais la multitude île fables qu'ils ajou-
tent aux Védas, et sous lesLiuellcs la religion primitive disparait, montro
assez qu'ils ne sont que des commentaires tiès-postérieurs, et qui sont
aux Védas ce que le Talmud est à la Bible. On en compte dix- huit.
Les systèmes philosophiques des anciens Indiens, ne nous sont pas
encore connus par des écrits originaux. Nous en sommes réduits aux
travaux faits par des Européens, ([ui ont étudié leurs doctrines sur les
lieux mêmes.
C'est d'abord VAjJerçu sur l'histoire et la philosophie de l'Inde, par
M. Vard, en 1818; il a recueilli ses renseignements de la bouche môme
des pandits, mais il ne connaissait pas le sanscrit.
Vinrent ensuite de 1823 à 1827 les mémoires de M. Colebrooke, qui
sont restés jusqu'à présent le travail le plus complet sur cette matière,
quoiqu'ils laissent encore beaucoup à désirer.
Tous les travaux que nous suivons ici pour la philosophie de l'Inde
s*appulent sur les mémoires de M. Colebrooke, ou, s'il sont plus anciens,
sur les quelques débris <le connaissances que l'on avait recueillis avant
ce siècle, en compilant les fragments des auteurs grecs, et les rensei-
gnements de nos missionnaires, liitler avait entre les mains les travaux
les plus récents ; mais il les dédaigne et se contente de donner ses con-
clusions systématiques, sans môme en exposer les bases. Ozanam»
Cantu et M. Frank, ont travaillé sur les mêmes Essais de Colebrooke,
et ils ne s'accordent pas toujoura sur les données qu'ils y puisent.
Nous essayerons de les fondre en les résumant.
33. Doctrines des Védas. — Ne pouvant distinguer avec
certitude les théories des Védas, d'avec celles de leurs coçamen-
taires, nous donnons ici, sous ce titi*e, tout ce qui est attribué aux
Védas, par les livres qui nous les font connaître.
Brahm est l'être absolu : tout vient de lui et tout y retourne.
Il est dans un long repos, une sorte de sommeil, où il ne voit rien,
n'entend rien que lui-môme. Sortant enûn de son inaction, il se
montre et devient Brahma le Créateur. Il est aussi Vischnou, en
tant l][u'il conserve ce qu'il a créé, et enfin, il est Siva, en tant
qu'il détruit ce qu'il a fait. Ces trois manifeistations de Brahm,
sont trois personnalités distinctes, dont les volontés sont en oppo-
sition, et qui môme désobéissent à Brahm. C'est la Trimourti ou
trioité des Indiens. Chacun de ces personnages a son correspondant
féminin. Auprès de Brahm, appelé aussi Bhagavan, on voit
408 lilSTOlRE DE LA PHILOSOPHIE
Bhavani, la déesse-vierge ; lîrahma s'unit à sa sœur Sanwfati;
Vischnou épouse d'abord Lackinu, puis deux femmes terrestre**.
Si va épouse Èhavàni.
Brahma prend cûnscienco de sa puissance, et voit dans Brahm
les idées de toutes choses. Alors, après un repos de plusieni?
myriades d'années, il commence à créer et produit d'abord les
sept sphères étoilées. Il est renfermé dans un œuf^ d'où il sortes
lé séparant en deux parties qui deviennent le ciel et la terre : il
crée ensuite le Soleil et la Lune et les enfers. De son esîH-it stn^
tent alors dix esprits^ pour Taider dans son travail, puis les
Dëvas (bon génies) et les Daelyas^ mauvais génies. Avec leor
concours il crée les astres y les plantes et les animaux.
De sa bouche il fait sortir le premier homme qui est JBrahman:
et c'est du corps de celui-ci que naissent tous les hommes. De sa
tête sortent les brahmes (prêtres) ; de son bras droit, les Kchatryas,
ou guerriers ; de sa cuisse droite, les Vessîas, marchands et labou-
reurs; et enfin de son pied, les Sovdras, artisans. Toutes ces
créations se produisent d'abord par un couple mâle et femelle. Ce
sont lés noms des quatre principales castes de l'Inde. Celle àes
parias, objet de réprobation pour toutes les autres, n'a pas d'origine.
Ce qu'il y a de plus étonnant dans cette sorte de théologie, c'est
que Brahma s'enorgueillit de son œuvre et est chassé du ciel par
Brahm. Il dut subir quatre incarnations sur la terre : 1* sous la
forme du corbeau poète, où il fut le plus grand des prophètes ;
2^ sous le nom de Valmiki, le paria, il fut brigand, se repentit,
et commenta les Védas, qu'il avait conçus et écrits avant sa chute.
3^ Sous le nom de Vyasa, il fut poète, composa les grandes épopées,
et rassembla les Védas; 4<> sous le nom de Kalidaça, où, dans
l'Âge de fer et de ténèbres, il composa les poèmes dramatiques. A
la fin, il fut pardonné et rentra dans le ciel.
Vischnou, comme conservateur, vient au secours des créatopes
contre les attaques toujours renouvelées de Siva, et pour cela il
s'incarne un grand nombre de fois, sous diiféren tes formes. Ce
sont les Avatars ou incarnations de Vischnou.
Voici le résumé des plus connues.
!• Il poursuit le géant Haiagriva, qui ayant ravi les Védas, les emporte
dans la mer. Vischuou se fait poisson, atteint \o ravisseur el le tue.
INDIKNS
409
2o Les mauvais génies, pour enlever aux dieux le breuvage d'immor-
talité leur (léclaront la f?uorre. Dans cctto lutte, le mont Mérou, séjour
clos dieux, est jeté dans la mer, et la terre est ébranlée sur ses fonde-
ments. Vischnou se fait ^orrt^eet soutient, sur sa carapace, le Monde
qui reprend ainsi son équilib.re*
3" Le géant Erouniakcha emportait la terre au fond de l'abîme Visch-
non se fait sanglier,
4- Le géant Eronya, méprisait les dieux, parce qu'il savait ne devoir
mourir m de jour, ni de nuit. Vischnou se faitmoiiec^ lion, moitié homme
et tue le géant pendant le crépuscule (ni jour, ni nuit).
5« Le géant Maha-Bali avait usurpé la souveraineté des trois mondes
(terre, ciel, enfer). Vischnou prend la figure du hraiime-nain Vamana
et va prier legéant delui donner trois pas de propriété. Celui-ci accorde
facilement une si petite aumône; mais le nain grandit et d'un pas il
enjambe la terre ; au second il enjambe le ciel ; il allait d'un troisième
s'emparer aussi de l'enfer, quand Maha-Bali, se déclare vaincu et se
soumet. Ce qui fait que Vischnou lui laisse l'empire des enfers
6' Vischnou se fait guerrier sous le nom de Paraçou^Rama pour
humilier la race des Kchatryas. '
7- Il sMncarne sous le nom de Rama Tchandra. pour combattre
Ravana. tyran de Lanka..(Ceylan). C'est là qu'il épouse Sita; Havana la
lui ravit, mais Vischnou le tue et reprend son épouse. >
8- Il s'incarne sous le nom de Crichna, pour donner à la terre des
préceptes et des exemples de vertus.
9- Sous la forme de Bouddha, il se retire dans le désert avec cina
disciples, et vient avec eux réformer le monde. .
10> Il doit revenir à la fin des temps sous la figure du cheval de feu
Kalki. D'un coup de pied, il broiera la terre, jettera les méchants erî
enfer et emmènera les bons avec lui dans le ciel. Mais les semences
des choses seront conservées pour le renouvellement du monde.
SivA, rennemi implacable de Vischnou et de Brahma, s'efforce
sans cesse de détruire leur œuvre. C'est lui qui sô manifeste dans
les mauvais génies et dans les géants que Vischnou doit dompter
et détruire par ses incarnations. Il est 4e dieu de la vengeance
Mais il est aussi le dieu de l'amour charnel, et c'est surtout sous
ce titre qu'il est adoré par une secte indienne, sous l'emblôme le
plus ignoble.
34. Obsenration. — Après cette exposition, que nous n'avons
faite si lo/igue que pour mieux montrer Tineptie de la théologie
410 HISTOIRE 'de la PHILOSOPHIE
des Indiens nous demandons si Ton peut sérieusement regard€?
cela comme le fruit d'une conception philosoplii(^ue s'attribuaaî
une origine divine, et s'il n'est pas évident que c'est plutôt l'ori-
gine traditionnelle des vérités cachées sous cette grossière défc^
mation, qui en est la véritable source et qui lui a donné créance.
Toutes ces absurdités ne se trouvent ni dans les Védas, ni dâo»
les lois de Manou. Elles commencent dans los poèmes et s'achevât
dans VEzour-Vëda, les Pouranas et les Oupanishads^ qui soiw
tous des ouvmges bien postérieurs. Au milieu de tous ces remanie-
ments, la tradition primitive a dû nécessairement s'obscurcir; mais
elle n'a pas disparu entièrement. On trouve encore çà et là bie»
des fragments qui rappellent les faits primitifs tels qu'ils sont
racontés dans la Genèse. Ce n'est pas assez sans doute pour suivre
le âl des altérations et reconnaître la vraie source de chacune de
de ces erreurs, mais c'est assez pour affirmer que, comme cbêz
tous les autres peuples, la philosophie indienne a commencé par
des connaissances positives attribuées à la révélation. Nous verroas
d'ailleurs presque tous les systèmes philosophiques s'appuyer de
Fautorité des Védas, alors môme qu'ils n'en gardent pas ôdèlemat
les doctrines.
35. Doctrines philosophiques. — On compte dans l'Inde six
grands systèmes et un assez grand nombre d'hérésies religieuses.
Les systèmes philosophiques, quoique reconnaissant tous l'autorité
des Védas, s^en écartent plus ou moins ; ce qui a fait appeler les
uns orthodoxes et les autres hétérodoxes. Ce dernier titre coa-
viendrait mieux aux hérésies religieuses, et on pourrait appeler
indépendants les systèmes intermédiares. Nous aurions ainsi ^
tableau suivant, résumant les systèmes les plus connus.
MiikiANSÂ, de Djalmini.
ORTHODOXES..................... ,,^ j rr ^
VÉDANTA, de Vyasa,
Sankhya, de Kapîla.
Yoga, de Patandjafî .
SYSTÈMES . . . / **"* ^""^ "^ J Nyaya, de Gotama.
Ybisëshika, de Canada.
Djaïnisme, de DjaTna.
HÊTtRoeoxcs... » { ^ovrùxym&uZjàeSahya^Mounit
surnommé Bouddha.
INDIENS 411
Cet ordre, outre qtt*il est basé sur les rapports entre les systè-
mes et les Védas, nous paraît être à-peu-prôs Tordre chronologique.
Il est d'ailleurs très difficile de dire dans quel ordre ces systèmes
ont paru ; car, dans Tétat où sont aujoud*hui les livres qui en
traitent, ils se citent tous mutuellement et se combattent. '
Tous les auteurs de ces ouvrages sont inconnus historiquement.
Ils sont l'objet de légendes et passent pour des fils de Brahma ou
des incarnations de Yischnou.
36. Système Himansa. — Deux systèmes portent en môme
temps ce nom : le Pourva-Mimansa (Premier Mimansa) et le
UttarorMimansa (Second Mimansa). Ce dernier porte plus pro-
prement le nom de Yédanta. C'est donc du Pourva Mimansa seu-
lement que nous parlons sous ce titre.
Le Pourva-Mimansa ou Karma Mimansa (Doctrine de l'homme^
est attribué à Djaîmini, auteur inconnu. C'est un traité des devoirs
de Thomme fondé sur Tautorité des Védas. La première partie
établit cette autorité et indique les devoirs qu'ils prescrivent. La
deuxième est une sorte de casuistique raisonnée, avec un grand
appareil de logique.
Toute question à résoudre offre cinq membres : 1^ le sujet ou la
question, 2® le doute sur la solution à donner, 3® la première
solution qui se présente à l'esprit, A^ la vraie réponse, 5** les raports
entre cette solution et celles que l'on a déjà obtenues pour les
autres questions.
L'autor.ité est humaine ou surnaturelle, indicative ou impérative,
positive ou relative. L'autorité se manifeste par le langage. Le
langage est étemel et divin. Il est parfait dans les Védas, qui
sont une révélation surnaturelle. Outre les Védas, l'autorité
se trouve encore dans la tradition des Sages anciens, dans les
institutions et mômes dans les usages reçus : tout cela suppose une
une autorité révélée. L'opinion des ^^es forme toujours une
opinion probable, que l'on peut suivre, pourvu qu'elle ne soit
pas opposée au texte sacré.
37. Système Védanta — Le Védanta^ n'est autre chose que
le second Mimansa, le Brahma-Mimansa (doctrine sur Dieu) :
c'est la théologie dogmatique du brahmanisme. Ce livre est attri-
412 HISTOIRE DE LA PHIL080HHIE
bué à Vyasa. Mais il est évident qu'il ne peut pas être de raai^
des Védas ; car il cite tous les autres sjstènaes que nous aTc*
énumérés. En sorte que, s'il est plus ancien, il a reçu beaoc«îp
d'additions interpolées ; ou bien il n'est qu'une réaction contre ia
systèmes. plus ou moins hétérodoxes.
Il contient 1° une sorte de théodicde, 2® une réfutation des i^è&
de Dieu opposées aux doctrines des Yédas, 3° une théorie de h
libération de Tâme, 4° la nature de la méflitation et ses efets
On a cru trouver dans le Yédanta le syllogisme à trois pro^se-
tiens, tel qu'il fut prc''senté par Aristote. Nous en parlerons dansk
système Nyaya.
38. Système Sankhya — Sous ce nom on peut comprendre
trois systèmes : le sankhi/a proprement dit, le i/ot/a et lepaonm-
niha. Le but commun est de mener & la béatitude par la scioce;
mais la 'science y est entendue différemment. La première de «s
écoles est métaphysicienne et aboutit à Fathéisme. Elle n'adm^î
ni Création ni Ih'ovidence. La deuxième reste théiste, et pread
une forme mystique. La troisième est toiit-à-fait mjtbolofriqueeî
se perd dans Tidéalisme. C'est la doctrine des Pouranas, àosX
nous n'avons que des extraits.
Le SanJihya (numération, raisonnement) est l'œuvre de KapiU,
L'ouvrage est perdu ; on n'en a que des résumés. Son caractère le
plus saillant est le rationalisme ; mais il accepte assez formelleinen^
l'autorité des Yédas. — Le but à obtenir, c'est la béatitude, ou If
repos définitif. Ce calme absolu est le fruit de la science, ([^
s'acquiert par trois moyens : la perception^ Uindurstion et k
témoignage. On doit y ajouter pourtant V instruction. L'induc-
tion se fait par le raisonnement : de la cause à l'effet, de l'effet à la
à la cause, et enfin partout autre rapport. Le témoignage ou ^afi^
mation n'est que la tradition des doctrines dos Védas, ou des Sa^t*
qui se rappellent leurs vies précédentes. — Ces trois moyens de
connaissance s'appliquent à vingt cinq principes des choses:!*
nature, l'intelligence, les essences des cinq éléments (terre, eau»
air, feu, éther) les onze organes des sens, le sens intime, les cinq
éléments eux-mêmes et enfin l'âme. Dieu n'y est pas nommé.
39. Système Yoga. — Le Yoga (union à Dieu) appelé sio^
Sankhya de Patandjali, du nom de son auteur, est un système
INDIENS 413
mystique . Il admet tout les principes de Kapila ; seulement il fait
entrer Dieu à la place de Titme, parmi les principes des choses.
L'ouvrage primitif ne nous est pas parvenu. On n'en a que des
résumés ou des commentaires.
40. Système Nyaya. — Le Xyaya (discussion ,raisonnement)
est attribué à G'otama. C'est une logique, un art de discuter, qui
a eu dans l'Inde le même sort que la logique d'Aristote en Europe.
Il renferme aussi la discussion des autres systèmes. L'ouvrage
s'appuye dès le principe sur-un passage des Védys.
Les conditions de Tétude sont: 1° Vénonciation par le nom,
qui est révélé ; 2° la définition ; 3° Y investigation, qui juge
de la définition. Ainsi s'établissent les termes fondamentaux
qui constituent les catégories, savoir : la subtance, la (qua-
lité, l'action, le commun (genre), le propre (espèce), la relation et
la négation. — Tient ensuite lîx. preuve, qui s'obtient par la per-
ception, l'induction, l'analogie et Taffirmation ou le témoignage.
— On trouve dans cette logique une sorte de syllogisme. Il est
composé do cinq membres : la proposition, la raison, l'exemple,
l'application, la conclusion. En voici un exemple.
Proposition : Cette montagne brûle.
Raison : Car elle fume. •
Exemple : Ce qui fume brûle-: témoin le foyer.
Application : Ainsi cette montagne fume.
Conclusion : Donc elle brûle.
C'est cet argument que Ton retrouve dans le Védanta avec trois
propositions seulement. Mais il y a loin de là à l'analyse profonde
qu'Aristote a faite du raisonnement en traitant du syllogisme.
La dialectique s'applique d'abord à l'âme, qui est le siège de la
connaissance et du sentiment. Elle est distincte du corps et des
sens; elle est différente pour chaque individu, mais elle est infinie.
Au dessus des autres Ames est l'âme suprême, siège de la connais-
sance éternelle. Le corps au contraire, qui est le siège de l'effort,
est terrestre, comme l'affirment les Védas.
Enfin, comme pour les autres systèmes, le but. pratique delà
dialectique ei«t de se délivrer des peines causées par les change-
ments, 4XU moyen de la science sainte.
41. Système Veisésohika. — Le Veiséschika (théorie des
414 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
distinctions) est Fœuvre de Canada. Il admet toute la logique au
Nyayade Gotama, ce qui Ta fait appeler aussi le Nyaya de
Canada ; mais il étudie surtout les phénomènes sensibles. C^est
une physique atomistique, qui s'écarte bientôt des Védas.
Aux catégories de Gotama, d'où il rejette la négation, il ajoote
la distiifction de neuf substances, dont huit sont matérielles, panni
lesquelles il compte le temps et le lieu, et une immatérielle, qui e^
r&me. Les corps sont des composés d'atomes et ces atomes saot
simples. Car, dit-il, les corps sont simples ou composés. S'ils sont
composés ils sont composés de parties. Ces parties sont simples on
composées. Si elles sont composées, elles sont encore formées de
parties, qui en dernière analyse doivent être simples.
Il distingue aussi les qualités sensibles et les qualités intellect
tuelles, et en trouve vingt-quatre espèces. Il compte cinq espèces
de mouvements ou d'actions. Après Canada ses disciples ajoutèrent
à sa classification la septième catégorie, qui est la négation.
42. Djalnîsme. — Le Djaînisme, dont l'auteur est un certain
Bjaîna, ne nous est connu que par ses adversaires. Aussi nous
est-il difficile de le bien juger. Cependant, diaprés ce que nous en
connaissons, il paraît être une sorte de philosophie religieuse, qui
s'est séparée du Brahmanisme. \^ici quelques-unes de ces concep-
tions.
L'univers est formé d'atomes homogènes dont lesaggrégats seuls
diffèrent. Les êtres sont animés ou inanimés. Parmi les êtres
animés, les uns sont éternels, les autres périssables. L'Ame, sur la
terre, est liée: c'est son premier état. Mais le sage, par la science,
s'élève au dessus des mutations : alors l'Ame est délivrée. Enfin,
après la mort, l'Ame du sage retourne en Dieu : alors elle est
parfaite, hemomeniàe la mort est le plus important; car les
dernières pensées d'un mourant décident de sa destinée future.
Avec ces données, le Djaînisme n'est hétérodoxe pour les Indiens,
qu'en ce sens qu'il n'admet pas l'autorité des Védas et par suite
rejette celle des Brahmes.
43. Bouddhisme. — Sakya-Mouni, surnonunô par sas
disciples Bouddha (savant), passe pour une dernière incarnation
de Yischnou, et est considéré comme Fauteur de cette religion
sans culte que l'on appelle le Bouddhisme. En étudiant ses doe>
INDIENS 415
■
trilles on croit qu'il n'a voulu faire qu'une philosophie ; mais ses
disciples ne le considèrent pas' ainsi, et pour eux c'est une religion ;
mais c'est une religion dont tout le culte consiste dans la pratique
de la morale, et quelquefois dans la prière intérieure. D'ailleurs le
Bouddhisme s'est bientôt divisé en un grand nombre de sectes, et
il est difficile d'en donner les caractères généraux.
Sakyar-Mouni, disent les légendes, ému de compassion à la vue
des misères des hommes, résolut de les en délivrer. Pour cela il
se retira dans un désert pour y méditer. Puis s'étant formé quel-
ques disciples, il se mit à prêcher. Il rejetait les Védas, repoussait
la distinction des castes, enseignait que tous les hommes sont frères
et penchait le pardon des injures et l'hospitalité. Il essaya de con-
vertir les Brahmanes eux mômes, mais il fut violemment combattu
' par eux. Alors il se choisit un successeur qu'il investit de son
pouvoir ; puis il s'étendit au pied (J'un arbre et mourut^ Mais il
ressuscita bientôt pour enseigner les doctrines qu'il n'avait pas
encore transmises.
D'autre légendes disent qu'il avait deux corps : l'un mortel et
l'autre qui était la loi môme éternelle et immuable. Il naquit sur
la terre au solstice d'hiver, d'une vierge de race royale, lorsque
tout le monde était en paix : il fut adoré par certains rois, présent
té au temple, où un vieux prôtre prédit en pleurant sa gloire futur
rc ; le génie du mal le tenta dans le désert. (*)
Ici la ressemblance est trop graude avec Notre Seigneur Jésus-Christ,
pour qu'on puisse admettre une simple coïncidence. Evidemment on
attribue ici à Bouddha ce qui appartient à Jésus. Mais, forcé de rejeter
cette partie des légendes, on est tenté de rejeter le reste, où les ressem-
blances sont déjà assez sensibles. On se deiMmde même si la doctrine
n*est pas une importation chrétienne et si le Bouddhisme n'est pas
l'œuvre d'un philosophe indien qui ayant connu le christianisme voulut
en prendre la partie morale, ou môme s'il n'est pas un reste de chiia-
tianisme dégénéré. Les chinois font vivre leur Bouddha 1000 ans avant
notre ère ; quelques Indiens s'arrêrent à 500 ans.; et on trouve une
foule de dates intermédiaires dans les différents auteurs. Mais on sait
ce que valent les chronologies de ces peuples ; et quand on dit que les
compagnons d'Alexandre distinguèrent les Bouddhistes des sectateurs
•) Cantu, Hi$toire UniffwselU, P. 337. Edit. Firmin-Didot, 1343.
416
lîISTOIRK DE LA PHILOSOPHIE
(le Hrahma, il s'agit des Gymnopophiste» qui avaient quelques npç^in
avec les bouddhistes, mais (lui pouvaient n'être pa.s les mômes.
Quoi qu'il eu soit, le bouddhisme d'aujourd'hui et même celui des li'»7.5
les plus anciens ne resscndjle au chrislianismc que par la plupart -H
vertus morales. i>our ce qui est du do^'inc et du culte on a plusieu*
fois considéré les Bouddhistes comme athées. Cependant tous admette;
un seul Dieu ; mais pour quelques-uns ce Dieu ressemble fort au Dieiiri
Fîchte et de Hegel: c'est une idée, une conception abstraite.
Les quatro principales sectes du Bouddhisme se distinguent ainsi :
Tout est vide, dit Tune* c'est-à-dire, rien n'existe réellemeaL
Excepté rintelligence, dit la seconde, tout est illusion. La trc-i-
siôrae admet Texistence des objets perçus par les sens ou dédai»
par le raisonnement. Enfin la quatrième enseigne que les obj<*u^
sont connus par induction, mais non perçus ; car nous ne les vovivc?
que dans des images. Ce sont là des distinctions purement philos*,-
phiques, mais pour eux elles ont une portée religieuse.
En quoi consiste la distinction entre le Bouddhisme et le Brah-
manisme ? D'abord dans l'abolition des castes ; dans Taffîrmatiikn
que Thomme peut, par la pratique des hautes» vertus de renonee-
meut à tout ce qui est mobile, se rapprocher de la divinité Jusqu'à
être Bouddha, c'est-à-dire homme divinisé ; enfin en ce que le
terme vers lequel aspirent les Bouddhistes et qu'ils appelles:
moukti (dt^livrance) ou plus souvent 7iirxoana (absence de muta-
tions), n'est pas une absorption en Brahma, où la personnalité dis-
paraît, mais une simple cessation de tout changement, un repjs
absolu dont on a conscience et qui constitue pour eux le bonhes.*
suprême.
Tous les autres détails que Ton donne encore sur Bouddha et sur
sa doctrine ne serviraient en rien à le faire mieux connaître. Noa?
n'en dirons pas davantage. Il est regrettable que nous n'avoBS
pas des documents plus précis, pour pouvoir apprécier et suivw
pas-à-pas Thistoire de cette doctrine, qui reste encore pour nou?
entourée de beaucoup d'obcurités.
44. Observation sur la philosophie de Tlnde. — Ici comme
chez tous les autres peuples nous trouvons avant toute philosophie
des données religieuses, considérées comme révélées, dont rori-
gine traditionnelle est évidente, et c'est sur cette base que s'élève
la philosophie.
CHINOIS 417
Pour la première fois nous trouvons de vrais systèmes philoso-
phiques. On peut mùrae dire avec Cousin que l'Inde a parcouru
longtemps avant nous tous les systèmes que l'Europe a vus naître,
et, si les données que nous avons étaient complètes et nous permet-
taient de donner k chaque conception sa date, nous poumons dire
peut-être qu'elle a marché heaucoup plus vite. En effet on croit
communément que tous ces systèmes se sont formés et développés
pendant les cinq siècles qui ont immédiatement précédé Tère chré-
tienne. Or ils contiennent toutes les formes de la philosophie : le
matérialisme, le panthéisme, le scepticisme le mysticisme, avec
les dernières formes que le xviii*' et le xix' siècle ont vu donner
chez nous à ces différents systèmes. Tant il est vi'ai que Fintelli-
gence humaine.n'invente rien^ et]que, les combinaisons de ce qu'elle
connaît étant en nombre fini, elle ne peut que tourner dans un
cercle dont elle ne saurait sortir.
PHILOSOPHIE DBS CHINOIS
45. Documents. » II y a un siècle, les documents relatifs k la phi-
osophie de la Cliine n'étaient pas plus abondants en Europe que ceux
qui concernaient l'Inde. Mais depuis cette époque des tra^^aux nom-
breux ont été faits ; un grand nombre de livres chinois nous ont été
apportés ; la langue a été étudiée ; un certain nombres de livres ont
été traduits et publiés : nous les devons surtout aux soins des Pères
Jésuites qui ont fait les missions de la Chine, et ensuite à d'autres
sinologues dont |a plupart sont Français. On peut citer de préférence
le P. Noël, le P. Gaubil, le P. Prémare, M. 'de Guignes père, dans le
xviii" siècle; et dans celui-ci: le P. Hegîs, M. Pautliier, M. Abel Bemu-
. sat, M. de Paravey, et M. l'abbé Sionnet, qui nous a fait connaître un
Intéressant manuscrit du Père Prémare.
Avec tous ces travaux on n'est pas encore à l'abri de toute erreur
dans l'interprétation des pensées de ce peuple dont la langue et surtout
l'écriture ressemblent si peu aux nôtres, surtout quand il est avéré : que
les livres les plus anciens ont été presque entièrement brûlés ; qu'on
les a rétablis au moyen de débris et de souvenirs; que Gonfucius qui
les a rerais en ordre en a de son propre chef retranché une bonne par-
tie ; que, la langue et l'écriture ayant changé, il a fallu les traduire en
chinois moderne, et qu'enfin tous les lettrés y ont plus ou moins mis
27
418 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
la main et y ont fait entrer leurs interprétations. Malgré toutes f^
causes de ruine, la philosojjhie traditionnelle y est encore assez bift
représentée, et en attendant mieux des travaux à venir, on peut dfji
y recueillir une ample moisson.
46. Livres sacrés. — Comme tous les autres peuples, b
Chine a ses livres sacrés qu'elle appelle les Kings (livres). Elle le
attribue à Yhommc céleste. Nous avons déjà dit qu'ils ont pérf ei
grande partie et qu'ils furent rétablis, mais laissés incomplets pir
Confucius. En voici les noms.
Y'King (livre des mutations), Chou-King (livre des annaJesv,
Chî'King (livre des vers), Li-King (livre des rites), Yo-King
(livre de la musique), Tchim-sieoii (printemps et automne). L>
plupart des auteurs n'en comptent que cinq, parce que le deniiff
est de Confucius lui-môme.
Le lÂ-King et le Yo-King ont péri depuis longtemps.
Voici ce que les quatre qui restent renferment encore dans ïèox
actuel.
Le Y, contient les 64 figures de Fo-hi (combinaisons de lign*
continues et de lignes disjointes, six lignes dans chaque fignTfl
avec deux textes d'explications et deux commentaires. On p«rt
voir ces figures dans Un million de faits, page 6. avec l'explica-
tion ingénieuse mais fausse qu'en a donnée Leibnitz.
Le Chou, est l'histoire de la Chine. Confucius en rejeta les cobh
mencements et la fit commencer à Yao. Elle finit à Pin-vang k^
siècle av. J.-C).
Le Chi, est un recueil de 305 cantiques, publié Tan 130 av. J.-C.
par Mao-Kan, comme le véritable Chi de Confucius.
Le TcHUN-siEOU renferme les annales de la principauté de L«i,
de Tan 712 à Tan 481 avant J.-C.
47. Livres classiques. — Après les Kings, les livres les pin*
estimés des lettrés chinois sont les Sse-chou (quatre livres moraui)
qui sont appelés classiques. Ils sont l'œuvre des disciples de Confu-
cius, et reproduisent sa doctrine. Ces livres sont :
Ta-hio (la grande étude). Nécessité de se régler soi-môme avait
de régler les autres.
Te/iow^-yuw^ (l'invariable milieu). La vertu; selon l'adage
prunté à Aristbte : in medio virtus,
CHINOIS 419
Lun-in- (entretiens philosophiques). Discours moraux et maxi-
mes.
Meng-tseti, ainsi appelé du nom de son auteur. Livre de morale,
qui est à lui seul aussi étendu que les trois autres.
— On a beaucoup de commentaires de tous ces livres. Ils sont
faits par des hommes qui déclarent avec amertume qu'ils ne les
comprennent pas,, à cause de leur ancienneté et des altérations
qu'ils ont subies, mais dont les dires contradictoires servent sou vent
à nous indiquer le véritable sens. "
48. Doctrine traditionnelle. — Les Chinois, comme tous les
autres peuples, ont reçu d'abord la vérité par l'enseignement tradi-
tionnel, et c'est sur cet enseignement dont leurs livres portent
encore de nombreux vestiges qu'ils ont basé leur philosophie.
Leur religion actuelle se réduit à peu de chose comme culte
envers Dieu ; mais les. livres anciens nous montrent chez eux une
religion plus pure et un culte plus développé. Le nom le plus fré
quent qu'ils donnent à leur Dieu est Tien (le Ciel) et tout porte à
croire que la plupart de ceux qui suivent aujourd'hui la religion
réglée par Confucius adorent en effet le Ciel matériel. Maison peut
voir dans les Kings^ dans les écrits de Lao^tseu et de ses disciples
et dans Confucius lui-môme que ce môme mot de Ciel désignait pri-
mitivement le vrai Dieu.
En effet. Dieu y est nommé ii^différemment : Tien{Cïe\)^ Chang-
ti (suprême seigneur), y(unité) 2'a/-y(grandeunité),2'ao (raison).
On lui attribue Tintelligence suprême, la Création et la conserva-
tion de toutes choses, la Providence, la bonté, la justice, la misé-
ricorde, la vérité, l'uniié, l'unicité et môme latrinité dans l'unité.
Le père Prémare (dans un ouvrage qui n'a pas été publié, mais
dont l'abbé Sionnet a donné un résumé avec des justifications, dans
les Annales de philosophie chrétienne, année 1837) cite un très-
grand nombre de textes, qui sont reconnus parfaitement authen-
tiques, et qui montrent que les Chinois avaient une idée trôs-exacte
de Dieu, et môme qu'ils avaient une certaine connaissance de la
Trinité, longtemps avant l'ère chrétienne. Il est évident qu'ils
n'avaient pas inventé ces doctrines : ils les connaissaient donc par
la Tradition.
420 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
49 . Doctrine métaphysique du Y-King. — On a deux textes
de ce livi»e : l'un en écriture linéaire, attribué à Fo-lii (environ
3000 av. J.-C), l'autre en caractères chinois modernes (que* Ton
fait remonter à Fan 1200 ay. J.-Cî.). Il expose Torigine des choses
et de leurs transformations et il le fait avec des symboles numé-
riques. Il distingue d'abord Vnm't(^, représentée par un trait con-
tinu ( — ) et la dualité, représentée par un trait disjoint ( ).
L'unité, c'est le ciel, la dualité c'est la terre. L'unité, c'est encore
l'activité, le principe m Aie, le soleil, la lumière ; la dualité, c'est
la passivité, le principe femelle, la lune, les ténèbres. Tout nait
par composition et périt par décomposition. La création et la con-
servation des choses se fait d'après les lois des nombres. Les nom-
bres sont impairs et parfaits, ou pairs et imparfaits. Les hommes
sont supérieurs et vertueux, ou inférieurs et vicieux, selon qu'ils
suivent les lois du ciel ou celles de la terre. Les premiei*s seront
récompensés, les autres seront punis. On croirait entendre Pytha-
gore et Platon,
On a dit que le livre des transformations (Y-King) ne recon-
naît pas de Dieu distinct du monde. Mais il faut observer qu'il
nous est parvenu très-incomplet, et que peut-être nous ne compre-
nons pas bien le sens caché sous ses symboles.
50. Doctrine du Chou-King. — Ce livre remanié par Confn-
cius admet clairement la Providence et mémo insiste sur cette
vérité. Dans un passage de ce livre, le pliilosophe Ki-tseu expli-
que au roi Wou-Wang, la sublime doctrine, qu'il dit tenir du
grand Yu, qui l'avait reçue du Ciel. Il ya, <Ut-il, aeufs règles à
suivre, neuf catégories de choses, par lesquelles le Ciel rend les
peuples heureux, et la cinquième en est le centre. Ces neuf voies
ou catégories sont : P les cinq éléments ; (eau, feu, bois, métaux,
terre) 2** les cinq facultés actives (attitude, langage, vue, ouïe,
pensée), 3* les huit principes de gouvornement[( nourriture, richesse,
sacrifices, cérémonies, etc.), 4^ les cinq choses périodiques (année,
lune, soleil, étoiles, nombres astronomiques), 5^ le faîte impérial,
règle de conduite du roi, 6^ les trois vertus (vérité, droiture, sévé-
rité mêlée d'indulgence), 7° l'examen des cas douteux, par sept
pronostics, 8® l'observation des phénomènes célestes, 9** les cinq
félicités et les six calamités.
CHINOIS 421
Ici on commence à voir l'esprit philosophique. Ce sont les pre-
mier^ essais de méthode, d'analjse, de généralisation. Le but est
uniquement moral. Le môme livre renferme grand nombre de con-
seils pratiques basés sur des observations trôs-judicieuses.
Il est à remarquer qu'à l'époque où ce livre fut écrit, la philoso-
phie grecque n'avait pas encore commencé.
51. Ecoles philosophiques. — Les écoles qui dominèrent en
Chine avant l'ère chrétienne et qui y dominent encore, sont au
nombre de trois : l'Ecole do la raison (Tao-Kia), de Lao-tseu ;
l'pucole des lettres (Jou-Kia), do Confucius;et l'école de Bouddha
(Fo-Kia). Cette dernière y est beaucoup plus récente, et d'ailleurs
elle est d'origine indienne : nous l'avons déjà examinée. Nous ne
parlerons ici que des deux autres. Les adeptes de ces trois écoles
à la fois philosophiques et religieuses, s'appellent les Tao-ssd, les
Lettrés et les Bouddhistes,
52. Lao-tseu- — Le fondateur de l'Ecole du Tao (raison) est Lao-
tseu. Quelques-uns de ses disciples le considèrent comme la sagesse
éternelle, qui a pris la forme humaine. Il naquit, selon la tradition
chinoise, la 42* année du règne de Ping-wang, de la dynastie des
Tchéou, l'an 729 avant J.-C.,à la môme époque queSakia-Mouni,
selon les Chinois ; 347 ans après, selon l'historien persan Raschid-
el-din. On adopte plus généralement la date de G05 avant notre
ère. Raschid-el-din ajoute qu'il fut conçu de la lumière et que sa
mère le porta quatre-vingts ans. Ce nom de Lao-tseu (vieux, philo-
sophe) lui fut donné parla postérité. Il s'appelait Li-Eùlh (pru-
nier, oreille). Il était historiographe et bibliothécaire de Tchéou.
Il avait de nombreux disciples ; mais il alla finir ses jours dans un
désert ignoré, ou dans les pays d'Occident, après avoir écrit le
Livre de la raison et de la vertu (Tao-to-king). Plusieurs histo-
riens chinois affirment qu'il voyagea dans l'Occident, et M. Abel
Rcmusat, admet qu'il a pu venir en Judée. En effet le nom de Ta-
tsin (grande Chine) indiqué comme lieu de son voyage ne désigne
rien mieux que la Judée. (Voyez Annales dc^ML chrét, 1836)^
53. Doctrine de Lao-tseu. — Il est difficile de donner une idée
exacte de cette doctrine, sans en citer des passages nombreux et',
étendus, et c'est ce que le cadre de notre ouvrage ne nous permet
pas.
422 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
« Si l'on pouvait suivre la Raison, dit-il en commençant, oonuM
•
on suit une voie^ la raison ne serait pas éternelle. « « Si nn nom
pouvait lui être donnée son nom ne serait pas étemel. Sans dosu
elle est le principe du ciel et de la terre ; avec un nom elle est la
mère de toutes choses. »
Plus loin il ajoute : a Le Tao produisit les êtres matérleLs. Il nV
avait avant que confusion absolue, un chaos indéfinissable. Ao
milieu de ce chaos était une image confuse, indistincte, supérieure,
à toute expression . Dans ce chaos étaient les êtres, étires en germe.
Dans ce chaos existait un principe subtil, vivifiant, qui était b
vérité suprême. »
Plus loin encore : « La confusion des choses inanimées précédée
naissance du ciel et de la terre, chose immense, silencieuse, uni-
que, immuable. Son nom je Tignore ; mais je Tappelle raison, »
On ti*ouve dans Lao-tseu, les mêmes symboles numériques que
dans Pytha^ore et Platon, et la Trinité y est mieux exprimée.
a La raison produisit l'un : un. le deux ; deux, le troîs^. et trois. toute:>
choses. » — « Ce que tu regardes et ne vois pas s'appeUe I ; ce que ta
écoutes et n'entends pas s'appeUelli ; ce que tu chercbes de la main ei
ne saisis pas s'appelle OUei : trois êtres qui ne peuvent se comprendre
et qui n'en font qu'un. Le premier d'entre eux n'est pas plus éL-Iatant ni
plus obscur que le dernier. » On remarque avec raison que ces trois
lettres; I, H, OU, sont presque en entier le nom UÎOUU (lèhovah). nom
propre de Dieu en hébreu, nom qui se retrouve en tète des annales rfe
tous les peuples, et qui est l'origine du nom de Dieu dans toutes les
langues.
Ainsi le premier principe des choses pour Lao-tseu, e*est la rai-
son (tao) ; mais on voit par les attributs qu'il lui donne qu'il s'agit
de Dieu.
Cet être est la négation de tout excepté de lui-même ; non-éirf^
par rapport aux êtres ; être, par rapport au non-être. Aucun des
attributs changeants ne convient au premier principe. Le premier
principe est donc immuable. Mais le corporel est changeant et
périssable. Donc le premier principe n'est pas corporel. On ne sau-
rait mieux parler de Dieu, et sous ces attributs, il est facile ^
Reconnaître Dieu, alors même qu'on le nomme Raison, Unitt\ oa
même Ciel,
CHINOIS 423
Dans l'homme aussi est un principe intelligent et un corps qui
en est le véhicule. — Après la mort Tôtre des phénomènes corporels
retourne à son principe ; Fâme ne meurt pas. » Mais Lao-tseu
n'affirme pas toujours que Tâme garde sa personnalité après la mort;
en certains endroits il la fait rentrer aussi dans la Raison suprême.
Sa morale est comparable à celle des Stoïciens, plutôt qu'à celle
d'Epicure comme on Ta prétendu. — Le bien public et privé est
dans la pratique de la vertu. La loi est la raison suprême ; c*est &
elle que Thomme doit s'identifier.
Pour s'identifier le plus possible à la Raison, môme avanilamort,
l'homme doit se dépouiller de la vie phénoménale, dompter ses
sens et atteindre à l'impassibilité. Le grand précepte est le non
affir. On croirait entendre la maxime Stoïcienne : Svstine et obs-
tine.
Dans la vie publique, il faut mépriser les honneurs, les richesses
les plaisirs, Tinstruction môme ; car tout cela donne le désir et le
mouvement.
54. Confucius. — Koung^fou^tseu^ que les Chinois appellent
plus souvent par abréviation Koung-tseu, naquit dans le petit
royaume de Lou, On place sa naissance en Tan 551 avant notre
ère, 54 ans après Lao-tseu. Il occupa plusieurs charges publiques
dans son pays; il essaya d'en réformer les mœurs, eut de nombreux
disciples^ et par sa restauration des Kings^ comme par les livres
qu'il composa, il fut le législateur de la Chine. Ses institutions
survivent encore.
Nous voudrions bien, avec M. Franck, à qui nous empruntons sou-
vent les faits, précisément parce que nous n'admettons pas toujours ses
conclusions, laver Gonfucius du reproche d'avoir élagué des Kings, ce
qui était trop religieux et qu'il ne comprenait pas ; mais malgré les
arguments que Ton peut lire dans le Dictionnaire des sciences philo-
sophiques, art. ConfuciuSy nous ne pouvons nous empêcher de le con-
damner, En eflfet,onne dit rien au sujet du Y, qui nous est arrivé en
lambeaux ; pour le Chi, M. Franck lui-môme reconnaît la suppression de
plus de deux raille chants populaires, et il attribue cette suppression à
Tesprit de critique : sans doute ; mais quel était le mobile de cette cri-
tique, et quelle règle la dirigeait ? Si Phidias vendt aujourd'hui admi-
nistrer notre musée de Cluny, il est à peu près certain qu'il ferait jetro
424 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
au feu ou à la voirie tout ce qu'il renferme. Quant au Chou (livre dej
annales), M. Franck croit que la première rédaction est de Gonfuems:
nous croyons le contraire, précisément parce que ce livre compte pimti
les livres sacrés, et que l'on n'accorde pas généralement ce titre au
Tehun-sieou qui est certainement de Confucius. Et c'est surtout là te
reproche que Ton fait à Confucius, de n'avoir fait commencer le livre
des annales qu'à l'empereur Yao, alors que tant de fragment-s épars
nous assurent que le livre primitif renfermât des documents traditiOB-
nels très-précieux. Donc Confucius nous parait plus rationaliste qœ
Lao-tseu. Constatons cei)endant que sa mémoire est restée en graini
honneur dans tout l'Empire chinois; ses lois sont observées même i«r
le chef de l'Etat, et les lettrés surtout le regardent au moins comme oo
homme divin, sinon comme un Dieu.
D'ailleurs tous les historiens s'accordent ù le présenter comme
un homme d'un trôs-beau caractère moral : humble, droit, sincère,
juste, donnant tous ses soins aux emplois qui lui furent confia!?.
Voici un trait qui le peint bien. Un petit roi voisin lui fit deman-
der des règles de gouvernement; il répondit aux ambassadenrs ;
a Je ne connais ni votre maître ni ses surjets ; comment pourrais-je
lui suggérer une règle de conduite? »
55. Doctrine de Confucius. — La doctrine de Confacins a
beaucoup de points de ressemblance avec celle de Socrate. II s'oc-
cupait surtout de la réforme de la conduite ; il voulait qu^avaot
tout on fût soumis au Seigneur du Ciel ; il disait do l'honorer et de
le craindre, d'aimer son prochain comme soi-môme,de dompter se?
passions et de les soumettre à la raison.
« Si le Tien, disait-il, n'est pas contraire aux doctrines que j'en-
seigne, les hommes ne pourront ni les détruire ni leur faire da
tort. » — « Ce que je vous enseigne, vous l'apprendrez de vou5-
môraes, en faisant un usage légitime des facultés de votre esprit, b
— «Tout ce que je vous enseigne, vos anciens sages l'ont pmtiqné
longtemps auparavant ; et cette pratique se réduisait à trois loit
fondamentales de relations : entre sujets et gouvernants, entre
pore et fils, entre mari et femme; h Texercice des cinq vert>*^
capitales : l'humanité, c'est-à-dire l'amour de tous sans disti^^
tion ; la justice, qui rend à chacun ce qui lui' appartient ; l'obser-
vation des cérémonies et des usages établis, ; la l'ectitude
CHINOIS 435
d'esprit et de cœur. ... ; la siacérité. . . . Ces vertus ont rendu
vénérables les premiers instituteurs du geni*e humain tant qulls
ont vécu, et leur ont valu ensuite l'immortarlité : prenons-les pour
modèles, et mettons tous nos efforts à les imiter. »
« La piété filiale est la racine de toutes les vertus, la source de
toute doctrine. » Cependant « il existe une règle supérieure à la
piété filiale : c'est la loi divine. »
Toutefois malgré cet abandon à la Providence du Ciel, malgré
ce respect pour la loi de Dieu, et malgré la pureté de sa morale,
Confucius n'est qu'un philosophe, et ce qu'il a fondé tient lieu de
religion. Aussi un grand vide se fait sentir en Chine. Les lettrés
n'ont plus guère que le culte de Tabstrait et le peuple est laissé dans
le plus complet abandon, Si Ton ajoute à cela la puissance absolue
du chef de l'Etat et la mesure rigide et froide qui règle toutes les
actions des sujets, on aura l'explication de ce phénomène unique
dans l'histoire des peuples, qu'une civilisation qui date de plus de
deux mille ans soit restée jusqu'ici complètement stationnaire.
Comme données philosophiques, on peut voir dans les enseigne-
ments de Confucius : les idées nécessaires regardées comme innées
et comme fond de la raison ; la loi morale naturelle et son carac-
tère obligatoire, avec un détail très-exact des devoirs qu'elle im-
pose ; le souverain domaine de Dieu sur le monde et sa Provi-
dence,qui s'étend jusqu'îiu moindre de nos actes. Mais quant à la
nature de Dieu, et à la nature de l'Ame, comme aussi sur ses des-
tinées futures , on chercherait vainement quelque chose de
précis.
56. Mencius. — Meng-tseu^ connu depuis longtemps sous le
nom diQ-Menciiis^ comme Koung-fou-tseu, sous celui de Confucius,
fut le plus illustre de ses disciples. 11 en a toutes les idées et la
méthode, mais son style est plus animé. Son livre porte son nom
et est le quatrième des livres classiques de la Chine. 11 est très-
intéressant de lire les conseils qu'il donnait à plusieurs rois. Il leur
recommande surtout l'amour do leurs sujets.
Sivan-vang, roi de Tsi, lui demandait : « Est-il vrai que le parc
du roi de Ven-vang eût soixante-dix // do tour ? — Très- vrai,
répondit-il ; et le peuple le trouvait trop resserré. — Le mien en a
426 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
quarante, et le peuple le trouve trop vaste. Pourquoi cette difè-
renee ? — C'est que dans le parc de Ven-vang entrait qui voalaà
faire de Therbe, du bois, prendre des lièvres et des faisans. J«
entendu dire que tuer un cerf dans le vôtre serait un crime poti
de mort. »
On voit par ce cotiii extrait, combien Mencius avait la mm^n
de Socrate. Comme lui aussi il disait que Thomme fait natorelifr
ment le bien et que quand il fait le mal, c'est la passion qoi k
pousse.
57. Sun-tseu. — (Environ 200 av. J.-C.). Nous ne cHonsce
philosophe que parcequ'il nous donne une très-intéressante distiD^
tion des êtres.
« L'eau et le feu ont l'existence matérielle, mais ils ne viveat
pas ; les plantes et les arbres vivent, mais ils ne connaissent pas:
les animaux ont la connaissance, mais ils ne connaissent pas k
sentiment du juste ; l'homme a les quatre biens à la fois. »
58. Epoque plus récente. — Environ mille ans aprôs J.-^-
Tchéottrtseu^ mu par les doctrines de Bouddha, voulut ajoutef
une métaphysique aux doctrines de Confucius ; il tomba dans nue
sorte de panthéisme où le premier être est à la fois l'actif et le ps-
sif, la cause et l'effet. Son Dieu appelé Teù-ki n'est autre cho»
que Tétre en général, qui a pour attribut la raison (Ia) en lai-
môme, et dans ses manifestations l'activité (yang) et la passivité
(yn). L'homme aussi a sa raison (li),son principe d'activité maté-
rielle (Khi) y espèce de principe vital, dont la portion grossière e^
le corps. Après la mort la raison retourne au Ciel ; le corps pr«*
sier retourne à la terre et le Khi disparaît. L'immortalité ^
impersonnelle. — Nous retrouverons cette même doctrine che»
Avcrroès, philosophe arabe, aristotélicien, de l'Ecole de Ctt-
doue.
Dans le 12* siècle, Tsioud-hi, dans un timité de philosophie
naturelle, voulut concilier toutes les interprétations contradictoi-
res classiques, en remontant aux origines. Il expliqua de nouv^^
r Y'Kiiig et prétendit que la ligne continue est le principe actif «fe
la nature et que la ligne brisée en est le principe passif . C'est ceîw
explication que nos modernes métaphysiciens semblent préférer, et
CELTES . 427
c'est ainsi d'ailleurs qu'ils prétendent expliquer toutes les cosmo-
gonies des anciens peuples.
Nous croyons avoir démontré la véritable source de toutes ces
fables ridicules, que Ton trouve au commencement de l'histoire de
tous les peuples, et dont le bon-sens aurait fait justice, si un fonds
àe vérité et une autorité traditioniielle ne les avait soutenues.
Nous sommes convaincu que les conceptions métaphysiques par
lesquelles on prétend les expliquer ne sont venues que beaucoup
plus tard. Nous avons exposé toutes ces données primitives avec
un peu plus d'étendue peut-être que ne le comportait notre cadre ;
mais nous pensons avoir mieux fait ressortir par là Torigine tradi-
tionnelle de la saine philosophie et le point de vue auquel nous
nous plaçons quand nous exposons la philosophie classique. Il nous
reste encore à exposer quelques-unes de ces traditions antiques
avant de passer à la philosophie proprement dite, dont le berceau
est dans la- Grèce.
PHILOSOPHIE DBS CELTES OD GAULOIS
50. Documents. — Nous n'avons pas de livres originaux des
anciens Gaulois, mais seulement des chants et des mystâres^ qui
moins antiques conservent cependant des traces des premiers temps.
Ce sont les Mystères des Bardes et les Triades. Les Grecs et les
Romains nous ont aussi transmis quelque chose sur les doctrines
morales de nos ancêtres. On peut consulter plus spécialement
Strabon et Diodore de Sicile .
60. Doctrine traditionnelle. — De tous ces documents il
résulte que les Celtes, lesGalls et les Kjmris, sous la conduite des
Druides adoraient un seul Dieu, qu'ils nommaient quelquefois
Theut (p>re) ou Esus (terrible), et que le plus souvent ils ne nom-
maient pas ; ce qui montre bien qu'ils n'en reconnaissaient qu'un.
D'ailleurs ils n'en faisaient aucune image et ne lui dressaient d'au-
tres temples que ce? enceintes de pierres brutes appelées Krom-
leckSy que nous retrouvons encore. 11 est vrai qu'ils supposaient
un génie dans chaque objet naturel, mais ces génies n'étaient que
les ministres de Dieu, et s'ils les invoquaient, c'était en sous-ordre.
428 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Aussi leurs mœui»s étaient plus vraiment libres ; chezeuxlafemne
n'était pas asservie ; elle choisissait libi'emeut son époux; ilisc
secouraient volontiers mutuellement ; allaient au combat sans î<h^
reur, parce qu'ils méprisaieut la mort, grâce à la croyance à Tiffi-
mortalité de TAme avec sa personnalité. La liberté de l'âme et b
responsabilité des actes était chez eux univei^scllernent admise, «<.
ils attendaient, après un temps de purification par une sorte ir
métempsychose, une félicité éternelle dans une autre vie.
()!. Conclusion. — Nous ne passerons pas en revue, pour n:
pas répéter toujours les mêmes choses, les doctrines morales et kI:-
gieuses des Germains, des Bretons, des Scandinaves, etc. Toosoe*
peuples nous offriraient comme ceux que nous avons étudiés m
fonds de vérités traditionnelles, corrompues par rimaginatiimtto
la théorie et dans le culte, mais conservées assez pures dans 1»
pratique. Toutes ces vérités sont partout les mêmes. Un Dieu maî-
tre de tout, existant par lui-même ; la création racontée dans bb
ordre identique, quoique sous de grossières images ; la liberté ft
riiomme ; la distinction du bien et du mal ; les récompenses et Ii*
peines dans une vie future. Un accord semblable à des épo»^»*'^
aussi reculées ne peut vpnir de spéculatious philosopliique^; ilsQ?*
pose une tradition commune de vérités enseignées par le premi'^
homme à tout le genre humain.
PHILOSOPHIE DBS GRECS
6'2. Origines. — L'opiniou qui semble prévaloir aujourd'hui surl^^
origines de la philosophie grccffue ost celle que M. l'Yank exprime JÙib»
« Klle n'invoque aucune autorité antérieure ou surnaturelle : elle^
absolument indépendante de la relif^non. »
a Toutes les «loclrines derOrieiit, rclativoniout aux grandes ([uc^li'''^''
de Tordre moral et métaphysique, s'appuient sur des dogmes reli^'i*''^'
sur une tradition immobile, ou sur le texte de certains livres, r»g*rdéj
comme l'expression surnaturelle de la paFole do Dieu. »
a Kien de pareil cliez les philosophes {?rees. La tradition et rautDf'î*
no jouent, dans leurs systèmes qu'un rôle loul-à-fait secondaire, '1"^^
par hasard elles y jouent un rôle: c'est au nom de la raison 'P''"
GRECS 429
s'adressent à leurs semblables, au nom des facultés que la nature a
départies à tous les hommes. »
Nous ne pouvons souscrire entièrement à ce verdict, et prenant acte
de cet aveu pour «toutes les doctrines de l'Orient »,nous allons essayer
d'établir que la philosophie grecque a aussi, « relativement aux gran-
des questions de l'oidre moral et métaphysique », son origine tradition-
nelle, qui pour y être moins visible qu'ailleurs, parce qu'en effet les
philosophes « ne l'invoquent pas », n'en a pas moins eu une grande
influence sur les doctrines de cette philosophie, qui semble avoir connu
au moins en germe toutes les conceptions de la philosophie moderne,
avec le nuMne caractère vraiment philosophique, mais aussi avec le
même rationalisme, et plus encor avec le même naturalisme.
63. Doctrines mythologiques. La religion des Grecs se
montre moins que toute autre avec uu caractère d'unité. La Grèce
a vu s'introduire successivement chez elle toutes les religions des
peuples qui sont venus s*y établir. Il est difficile de démêler à
quelle époque et à quel peuple appartient chacune de ces nomb-
breuses divinités, mais il est pourtant facile de constater que
l'Egypte, la Phénicie et môme la Perse ou la Chaldée j ont fourni
leur contingent. Aussi tandis que les formes y sont plus gracieu-
ses et surtout plus humaines que chez les autres peuples, les types
originaux y sont aussi plus effacés. Mais en remontant aux plus
anciens auteurs on retrouve encore très distincts ces mômes sou-
venirs que nous avons reconnus si sensiblement les mêmes chez
tous les autres peuples.
Sans parler d'Orphée, qui, s'il a existé, n'est certainement pas
Tautenr des écrits que nous avons sous son nom, consultons seule-
ment Hésiode.
Au commencement, nous dit-il, existe le Chaos, puis la terre, le
sombre Tartare et l'Amour. Du Chaos sortirent l'Erôbe et la Nuit.
De la Nuit naquirent TEther et le Jour. La terre enfanta d'abord
Uranus, (le ciel) et la terre et le ciel donnèrent naissance â la Mer
(Pont us, rOcéan et Téthys). Enfin naquit Chronos (le temps).
Viennent ensuite les Cyclopes, les Titans, et c'est de ceux-ci que
naîtront plus tard le Soleil, la Lune, l'Aurore, les Vents et les
Etoiles. Enfin après un grand nombre de générations de ces divi-
nités subalternes qui président aux forêts, aux fleuves et aux élé-
430 HISTOIRE DE LA. PHILOSOPHIE
ments, Chronos ou Saturne (le Temps), qui jusque là aTaitdévoiv
tous ses enfants enpreudra Jupiter, Neptune et Pluton, que laleme
sut dérol^ei* k sa voracité. Tel est le résumé de la ihéogoRif
d'Hésiode. Elle ressemble suffisamment à tout-es celles que iwKa
avons examinées précédemment pour que nous lui attribuiong la
môme origine.
De plus les mystères, dont le secret fut toujours si bien gara*,
nous ont cependant laissé connaître quelques faits importants. Oa
y enseignait qu'il n'y a qu'un seul Dieu, que riiomme a péché dès
le commencement et (^u'il faut qu'il se rachète par le sacrifice.
D'ailleurs la religion extérieure elle-même employait frôquemmeat
le sacrifice et reconnaissait la supériorité absolue d'un seul Diec
(Jupiter) sur tous les autres.
D'un antre côté il est incontestable que chez les Grecs, le pea-
pie, les magistrats, les généraux d'armée eurent toujours im
grande vénéi^ation pour les oracles, et que les législateurs eai-
mémes voulurent s'appuyer de leur autorité pour consacrer leurs
institutions. Donc les Grecs croyaient fermement à la commani-
cation directe entre Dieu et les hommes, à une révélation, non pas
seulement primitive mais permanente. Et ces doctrines étaient à
peu effacées chez les premiers philosophes, que Socrat^ s'autorisait
de la parole de son démon familier et des réponses des oracles, ^
se défendait contre Taccusation de^ ne pas honorer les dieux es
ordonnant avant de mourir un sacrifice à Ësculape.
64. Les sept sages. — Tous les historiens Grecs ont fait
mention de quelques hommes qui, dans le sixième siècle avânt
J. C, se firent remarquer par des maximes pleines d'une grande
prudence ; mais ils ne s'accordent pas entièrement sur les noms de
ces hommes qu'ils appellent les sept sages.
D'après Platon (dans le Pi^otagoras) les sept sages étaient ;
Thaïes de Milet, Pittacus de Mitylène, Bias de Priône, Soloe
d'Athènes, Cléobule de Llnde, Myson de Chênes, Gléobule de La-
cédémone.
D'autres auteurs disent : Solon, Chilon de Lacédémone, Pitt»-
eus, Bias, Périandre de Corinthe, Cléobule de Linde et Thaïes,
Quelques-uns y font entrer Epiménide de Crète, Phéréeydc de
Scyros, Simonide de Céos et Phaléas de Chalcédoine.
GRECS 431
Tou3 s'accordent î\ les faire vivre h la môme époque, quoique en
différents lieux, et tous supposent qu'ils se sont connus. La plu-
part étaient chefs de petits états, d'autres furent législateurs ou
simplement des penseurs.
On connaît assez bien les actes et les pensées de beaucoup d'en-
tre eux, pour pouvoir affirmer qu'ils eurent au moins en germe
l'esprit philosophique, et il est juste de remonter jusqu'à eux pour
étudier les sources de la philosophie grecque. On n'y voit pas
encore de système, ni de théorie d'ensemble, mais ils nous offrent
tous un esprit observateur, une tendance morale, souvent basée sur
les données religieuses.
Thaïes, que nous aurons bientôt à étudier comme fondateur de
l'Ecole d'Ionie est cité d'abord comme l'un des sept sages, et
comme tel il nous offre quelques pensées utiles à recueillir. On lui
demandait : — Qu'y a-t-il de plus ancien ? — Dieu repondit-il ;
car il n'a point eu de commencement. — Qu'y a-t-il de plus beau ?
— Le monde; car c'est l'œuvre de Dieu. — Qu'y a-t-il de plus
grand ? — L'espace ; car il contient tout.
Piitacus disait que rien n'échappe & Dieu, pas môme les mat-
valses pensées.
Bios qui s'était acquis dans l'exercice de ses fonctions une
grande réputation de justice, nous a laissé plusieurs pensées morar
les d'une grande sagesse ; nuos ne citerons que celle-ci : a Quand
tu fais quelque chose de bien, fais-en honneur aux dieux, non à
toi-même. » *
Solon est connu comme le législateur d'Athènes, et il est facile
déjuger par les institutions de cette ville, jusqu'où il avait poussé
l'étude des mœurs des hommes. Parmi les trois cents vers environ
qui nous restent de lui, nous citerons quelques pensées : « La
richesse que donnent les dieux repose et grandit sur une base iné-
branlable ; celle que poui*suit l'homme, celle qu'il acquiert par la
violence, et malgré la loi, suit à regret l'ii^uste qui l'attire à lui.»
tt La justice de Jupiter n'est pas cruelle pour un seul, comme celle
de l'homme. Jamais ne lui échappe celui qui cache au fond de son
cœur une mauvaise pensée ;. . . . l'un paye aigourd'hui, l'autre
dans un autre temps.^» On lui attribue la maxime que Socrate a
rendue célèbre : « Connais-toi toi-même, » que d'autres attribuent
k Chilon de Lacédémone, ou à Thaïes.
432 HISTOIRE DK LA PHILOSOPHIE
Cléohuîe do Lindo avait Cîoutunie de dire : jjtérpov açwrov. '^
juste milieu est le meilleur». C'est la doctrine d'Aristotesnrii
vertu.
Siynonide disait a qu'il s'était souvent repenti d'avoir parié, et
jamais de s'ôtre tù. » On cite de lui sa réponse h Hiéron, nn^S*
Syracuse. Comme ce roi lui demandait ce que c'est que Watuii
demanda un jour pour réfléchir. Le jour étant passé, il endemaBds
deux ; et api'és ces deux jours il en demanda quatre. Le roi sorpns
de cette conduite, voulut en connaître la raison, et SimonHertpofi*
dit : a Plus j'examine cette matière, plus je la trouve obscare. >
On peut voir par ces quelc^ues citations que la philosophie ^
sept sages prenait la forme que Ton a appelée gnomiqii^?, c'est-à-
dire qu'elle s'exprimait par sentences. C'est la forme que»»?
trouvons îc iilii^^ souvent dans la Bible, dans les livres desphik»-
phes de l'Orient et même dans Jlomère et Hésiode. Tous ces Iko*
mes enseignaient la Providence de Dieu, la liberté de l'âme, U
morale, non pas comme des vérités qu'ils avaient découvertes ptf
la raison, mais comme des vérités reconnues par le genre hnntt»t
propagées par la tradition et d'ailleurs conformes ft la raison. W
le caractère prepre de la philosophie classique.
Telle est la vraie source de la philosophie grecque. Nons aBû»>
voir bientôt les philosophes proprement dits s'écarter de cette t«*
et s'égarer dans les systèmes.
05. Division de la philosophie grecque. — L'importai
des matières nous oblige à établir dans la philosophie grecque*^
divisions. Nous y compterons trois époques : 1° Les comiDeûcfr
ments :de Thaïes à Socrate (de 600 à 400, avant J. C.) ;*^^
grandes écoles : de Socrate h Arcésilas (400 à 300) ; 3* la déca-
dence (d^Areésilas à Damascius d'Alexandrie (300 avant à 5»
après J. C).
GRECS. — ÉCOLE IONIENNE 433
«
PREMIÈRE ÉPOQUE
LES gomhe:(gëments,db la philosophie grecque
6Ô, Division par Écoles. — On distingue dans cette époque
quatre écoles auxquelles il faut joindre les Sophistes.
1*> TEcole Ionienne^ fondée par Thaïes (600)
2** l'Ecole Italique^ fondée par "Pythagore (560)
3** TEcQle Bléatique, fondée par Xénophane (580)
4** l'Ecole atomistiqiie, fondée par Leucippe (500)
5*» les Sophistes, dont le plus célèbre fut Gorgias (460)
g. 1..- IGOLI IONIENNE
67. Tendances générales. — La question qui dirige les
recherches de cette école, c'est le principe du inonde ; mais elle en
cherche moins la cause efficiente que la matière, le principe phy-
sique. Aussi Dieu y est peu connu.
Elle se subdivise en deux, selon la forme sous laquelle ses adep-
tes conçoivent le principe du monde. Ils sont mécanistes ou dyna-
mistes. Les mécanistes, conçoivent le monde comme formé de
plusieurs éléments, qui sont mus par une force étrangère, et dont
les mouvements constituent tous les corps. Les dynamistes suppo-
sent en principe une force ou plusieurs, agissant dans une- sorte
d'expansion, d'attraction ou de répulsion. Cette distinction est
surtout indiquée par Ritter, dans son Histoire de la philosophie.
Il considère comme dynamistes : Thaïes, Anaximône, Diogène
d'Apollonie et Heraclite ; et comme micanistes : Anaximandre,
Anaxagore et Archélaûs. La plupart des historiens comptent aussi
dans l'Ecole d'Ionie, Empôdocle,et quelques-uns y joignent Phôré-
cyde. La distinction de cette école donnée par Ritter, n*étant pas
I* exprimée clairement par les auteurs eux-mîmas, nous suivrons
Tordre chronologique.
68. Thaïes de Milet. — Thaïes, né ea Ph anicie, vers 640 .
av. J.-C, voyagea en Egypte et vint se fixer à Milet, dans Tlonie ^
où il fonda TEcole Ionienne. Il y^mourut l'an 548.
28
434 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Nous avons vu qu'on le compte parmi les sept sages. Mais oa
n'a rien de. bien prôcis sur les détails de sa vie.
On ne sait s'il a écrit quelques ouvrages ; dans tous les cas, il
ne nous en reste pas môme un fragment. Nous ne connaissons sa
doctrine que par les témoignages des auteure anciens, dans lesquels
il faut citer surtout Aristote, Cicéron et Plutarque.
Aristote le regarde comme le fondateur de la physique. Je b
géométrie et de Tastronomie. Il enseigna aux Egyptiens à mesurer
la hauteur des pyramides par leur ombre, et on assure qu'il prtdit
une éclipse de soleil.
Sa doctrine philosophique, si Ton en excepte quelques paroles
ou sentences religieuses et morales, qui l'ont fait appeler sage^ et
dans lesquelles il reconnaît Dieu comme le maître de toutes choses
et comme l'ordonnateur au moins, sinon le créateurjde l'Univers,
se réduit à une théorie do la matière première du monde.
Il pensait que l'eau est le commencement, Télément premier de
toutes choses ; car : 1° les animaux et les plantes naissent dans
l'humidité et s'y nourrissent ; 2° les astres eux-mêmes sembkiit
se nourrir des vapeurs de la terre ; S'* l'eau prend facilement toutes
les formes.
Aristote croit que Thaïes avait puisé cette théorie dans les
cosmogonies de l'Orient ; et malgré le sentiment opposé des
historiens modernes.il nous semble facile d'y voir un reste de
cette tradition du chaos primitif, conservée chez tous les peuples.
D'ailleurs Thaïes n'était pas matérialiste, au contraire, selon k
témoignage de la plupart des auteurs qui en ont parlé, il pensait
qu'une force vivante, une âme, est nécessaire pour mouToir le
monde et y produire les transformations qui s'y passent. Aussi œ
cite de lui cette parole : a Le monde est plein de dieux, » et selon
Cicéron, Thaïes pensait a que l'eau est le commencement de tootfs
choses et que Dieu est l'àme qui de l'eau forme tout. » I)e la
môme manière il admettait un âme dans l'homme et la considérait
comme une force motrice, xtvrjTtxov tI. On lui fait même rhonnear
d'avoir le premier enseigné en Grèce, que l'àme est immortelle :
mais nous avons vu que cette doctrine était enseignée dans les
mystères, et nous savons d'où lui et les prêtres l'avaient tirée.
1
GRKCS. — KCOLK IONIENNE 435
09. Anaximandre . — Anaxlmandre naquit à Milet vers
Tan (310 av. J.-C. Il fut le disciplo et Tami de Thalôs et mourut
Tan 547. Comme lui il se livra à Tastronomie. Il enseignait que
la terre est ronde et qu'elle est le centre de TUnivers ; que la lune
3 npminte sa lumiôre au soleil. Mais il croyait que le soleil n'est
pas plus grand que la terre. On lui attribue l'invention du cadran
solaire et de quelques instruments d'observations astronomiques.
Voulant, comme Thaïes, indiquer Télément primitif du monde,
il assigna ce rôle à quelque chose d'indéterminé qu'il appelle
To (XTrgioov (rinfranchissable, l'illimité). On ne sait pas bien ce qu'il
entendait par là ; mais nous pensons avec Aristote et St-Augustin,
qu'il voulait désigner le chaos. C'est ainsi que l'entendent auss
ceux qui classent Anaximandre parmi les mécanistes. Il aurait
donc admis au commencement, non pas un seul élément comme
Thaïes, mais la confusion de tous les éléments.
On ne croit pas, qu'il ait eu recours à la puissance de Dieu, pour
mettre l'ordre dans ce chaos ; il semble dire qu'un mouvement
éternel dans ces éléments les a peu-à-peu dégagés et aggrégés
successivement de diverses manières, jusqu'au moment où ils ont
formé ce qui existe. Comme ce mouvement continue à se produire»
il finira par tout détruire et tout ramener au chaos primitif.
Si, comme on le pense, Anaximandre n'a pas admis d'autre Dieu
que ce chaos primitif, son système est alors un panthéisme maté-
Haliste,
70. Phérécyde de Syros. — Phérécyde naquit à Syros, l'une
jdes Cyclades, vers l'an 000, se fit instruire de la cosmogonie des
hénicions, et excité par la gloire de Thaïes établit uns école à
amos. On croit que Pythagore a suivi ses leçons. Il avait écrit
n livre très-obscur sur la nature des dieux. Il ne nous en reste
ue quelques fragments.
Il reconnaît comme principe du monde : une matière informe,
l'état liquide (lechaos), et une cause ordonnatrice (Dieu), qui
t la source et le modèle de toutes les perfections.
De ce chaos, Dieu fit sortir d'abord la terre qui est au centre
u monde. Puis, par l'intervention de Vamnur, vinrent les divinités
condaires, les unes bonnes les autres mauvaises (Ophionée, le
rand sei*pent, et les ophionites).
l
436 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Les deux armées sont en lutte : les vaincus sont précipités dâK
rOgénns, et les vainqueurs demeurent en possession du dé.. —
C'est toujours le môme fonds traditionnel.
Cicéron dit que Phôrécyde, le premier, enseigna que Yàme «si
immortelle. Il est facile de voir d'où il avait pris cette doctrùie.
Il fut accusé d'impiété, parce qu'il ne sacrifiait pas aux dieax,
et ses concitoyens virent un châtiment de son impiété dans h
maladie qui l'emporta. Il mourut rongé par la vermine. Pytha^aw
seul vint le consoler dans son abandon.
71. Anaximène. — Anaximône naquit à Milet avant Tan 550
etvécut jusque vers Tan 500.
Il enseignait que la terre est soutenue par Tair et que îœ ciefli
sont une voûte spliérique et solide qui tourne autour de la terre.
On croit pourtant qu'il perfectionna les cadrans solaires inveniés
par Anaximandre.
Dans sa doctrine physique des principes du monde, il tient \m\
à la fois dcThalôs et d'Anaximandre. Comme le premier, il suppôt
d'abord un élément unique : c'est /'aiV ; comme le second, il lai
donne pour attributs l'immensité, Tinônitô et le mouv^nest
éternel. — L'air est la matière première de tout et il deviefit
toutes choses par son mouvement éternel : feu, par dilataùca :
eau et terre, par condensation. En tout cela la nature deTâiî
demeure et à la fin tout redevient air.
On n'ose pas assurer qu'Anaximône ait nié l'existence d'un prin-
cipe intelligent, ordonnateur du monde ; mais ce principe n'exi^
pas dans son système où tout se fait par nécessité, en vertu d'i»
mouvement éternel.
Son système, considéré en lui-môme, est donc, comme cdsi
d'Anaximandre, un panthéisme matérialiste,
72. Anaxagore. — Anaxagore né à Clazomône . en 500, to^
s'établir à Athènes en 475. Là il fut l'ami et le conseillef ^
Périclôs; mais accusé d'impiété et de médisnxe^ c'est-à-dire d'attâ.
chement pour le roi de Perse, il fut exilé par les Athéniens, et»
retira à Lampsaque, en 428, où il mourut bientôt.
Il avait suivi les leçons ^d' Anaximène ; aussi sa philosc^^
garde le caractère physique de l'École Ionienne, quoiqu'il s'ff
GRECS — ÉCOLE 10 NI BNNE 437
éloigne en affipmant[plus nettement le principe intelligent ordonna-
teur du monde . Toutefois il semble qu* Anaxagore ne s'est pas élevé
It la vraie notion de Dieu ; car Aristote et Platon disent formelle-
ment qu'il ne fait intervenir rintelligenco dans le monde que comme
une machine, pour expliquer les phénomènes^ alors seulement
qu'il ne peut plus les expliquer autrement.
Anaxagore suppose coipme matière du monde un nombre infini
d'éléments, que leurs ressemblances et leurs différences distinguent
en groupes très-nombreux. Ce sont comme les parties similaires
de toutes les substances, c'est pourquoi il lesappelle : homéoméries
(ojjLotO[Jiép£iat) . Ces éléments séparés sont invisibles à nos sens, et
par suite leurs propriétés le sont aussi ; mais (juand ils sont unis
en grand nombre pour former un corps, nous apercevons et le
corps et ses propriétés. Il distingue les éléments des substances, des
éléments des couleurs, et croit que les composés ne sont jamais
entièrement purs de tout mélange d'éléments discordants.
Ces éléments ont été d'abord sans mouvement, dans un mélange
confus, puis Tintelligence (vou;) est venue y faire régner l'ordre.
C'est ainsi, selon Anaxagore que le monde a commencé. Avant cet
ordre, il n'y avait dans ce chaos de parties similaires invisibles, ni
forme, ni couleur, ni substance distincte, ou du moins perceptible.
Il n'y avait pas non plus de mouvement, pas m >mo la possibilité
du mouvement ; aar il n'y avait pas de vide. En effet, dit
Anaxagore, il n'y pas de vide dans l'infini ; et d'un autre côté, il
n'y a pas d'espace autour de l'infini ; car l'infini est en lui-mjmeet
ne peut-être contenu par rien.
Donc par l'action de l'intelligence le mouvement se produisit
d'abord en un point, puis se communiqua au tout. Les éléments se
groupèrent d'abord selon leur densité. Ainsi se formèrent et se
séparèrent: la terre, l'eau, Tair et l'other, qui n'est autre choses
que le feu. Bientôt par de nouvelles agglomérations se formèrent le
soleil, la lune et les étoiles : car l'éther, par la force de son
mouvement enlève de la terre des pierres, qui deviennent des
astres. Puis, quand ce mouvement se ralentit, ces pierres retombent
(ce sont lesaérolithes). Anaxagore fait naître les plantes après le
soleil, parce qu'il voit que sa chaleur les fait vivre. Vinrent
438 IllSTOIKK I)K I,A PHILOSOPHIE
ensuite les animaux, qui naquirent du limon de la terre échanfëe
par le soleil, et l'homme avec eux.
Anaxagore savait que la lune est un corps opaque ; il donna la
véritable théorie des éclipses ; reconnut que la voie lactée e?:
formée par un grand nombre d'étoiles, et supposa que les comète?
étaient fomiées de même par la réunion de plusieure planètes. 0
supposait que l'axe du ciel avait passé d'abord par le milieu ik
la terre (que Técliptique avait correspondu h l'équateur), et qae
rintelligence avait incliné la terre vers le sud, pour produire !«?«
variétés des saisons. Le monde ainsi formé nç doit jilus retouruer
au chaos, car T intelligence ne peut pas permettre le désordre.
Cette intelligence qu'Anaxagore reconnaît comme nécessaire à
Tordonnance du monde, n'est pas pour lui un être distinct du monde;
elle l'anime en le pénétrant tout entier. Les hommes participent à
cette môme intelligence ; sans qu'elle soit personnelle à chacaa
d'eux. Bien plus les animaux, les plantes elles-mêmes sont aus^i
animées de cotte même intelligence, et s'ils n'ont pas les mém«5
pensées et les mêmes sentiments c'est que leur organisme ne sV
prête pas.
On voit qu 'Anaxagore ne se fiait pas seulement aux sens, mais
qu'il raisonnait, qu'il admettait comme source de la connaissance
les données de la raison.
D'ailleurs il ne nous reste de lui que des fragments de sa théorie
physique, et nous n'avons que peu de données sur ses théories
psychologiques et morales.
On est obligé de reconnaître dans les théories d' Anaxagore, an
vrai travail philosophique. L'observation et la raison y ont leur
part, quoique les conclusions ne soient pas toujours légitimes. Mal*
on ne saurait pourtant ne pas voir sous ce système raisonné m
fonds d'idées qu'Anaxagore a emprunté à la tradition. Ce philo-
sophe nous apparaît comme un homme qui aimait a se romlrv
raison des choses, et qui rabaissait jusqu'à lui les principes» quan«l
il ne pouvait s'élever jtis(iu'il eux. C'est une disposition iatelkv-
tuelle et morale que nous rencontrerons souvent dans cette histciirc,
et dont nous avons pour notre part trouvé beaucoup d'exonipU^
autour do nous. C'est par cette tendance que la plupart des
philosophes ont fait perdre d'un côté à la philosophie class^ique,
autant qu'ils lui faisaient gagner de l'autre.
GRECS. — ?:COLE IONIENNE 439
Anaxagore a fait progresser Tastronoraie ; il a maintenu
pratiquement les droits de la raison et rais en lumière cette vérité :
qu'il faut une cause intellig-ente à une œuvre qui manifeste l'ordre
. et un but proposé et atteint ; mais il a rabaissé la notion de Dieu
et de Tilme humaine, en les confondant avec l'univers matériel et
en leur refusant la personnalité. De plus, comme ses prédécesseurs
. et comme tous ceux qui le suivirent dans la philosophie grecque,
il a contribué a effacer de Tesprit du peuple Tidée de la création,
en affirmant Texistence d'une matière oternoUe.
73. Diogène d'ApoUonie. — Diogéne naquit à ApoUonie,
dans l'île do Crète. On le trouve à Milet vers l'an 500 et à Athènes
vers 460. Il fut disciple d'Anaximène et connut certainement
Anaxagore.
Il avait écrit un livre sur la nature, dont il ne nous reste que
quelques fragments, cités par les Grecs ou par Cicéron.
Comme son maître et comme plusieurs Ioniens, il n'admet qu'un
seul principe du monde ; mais le premier il essaie do démontrer
qu'on n'en saurait admettre plusieurs, par la raison, dit-il, que
l'univera est un être vivant et organisé. C'est là ce qu'il appelle
son principe indubitable.
Dès lors, ne pouvant admettre deux principes et, d'un autre côté,
ne pouvant expliquer l'ordre du monde sans une intelligence qui
ordonne la matière, il suppose un principe qui est à la fois matière
et esprit : c'est uyi air intelligent.
Nous citons volontiers ici le jugement de M.'Kranck.
« C'est ainsi qu'en pirtant de l'unité, Diof^ène explique la dualité du
monde. Au fond, que fait-il ? 11 affirme et nie à la fois une seule et même
chose, d'un seul et môme être, consid<'ré sous le même rapport et au
même moment de son existence. Il échappe a une (luestion embarrassante
par une hypothèse absurde ; il nie le principe de contradiction et avec
lui toute certitude. Sans doute mùme dans les temps modernes, do
plus grands esprits (jue Dio^^cne a'ont pas craint d'associer dans l'être
premier des attributs incompatibles; mais cette association n'en est
pas moins monstrueuse. »
Nous trouverons bientôt, dans Heraclite, \\i\ plus complet développe-
ment de l'absurde, et ime pins grande ressendjlaïu^e avec ces théories
modernes que M. Franck lié tri l justement de l'êpilhète de « mous-
Irueuscs ».
440 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Avec ce principe^ Diogène explique tout ; mais les explication
elles-mômes, mettent mieux en évidence l'absurdité du principe. -
D'abord les quatre éléments ne sont que de l'air refroidi, qui en ?«
solidifiant a lancé les parties plus légères dans toutes les direction:
ce sont les étoiles et le soleil. YoiLl pourquoi la terre est au centrt
du monde. — L'âme elle-même n'est qu'un peu d'air chand : Il
sensation n'est que l'ébranlement de l'air contenu dans nos orgaaes;
et la pensée n'est que le passage rapide de l'air dans le sang.
Ce système est au fond un panthéisme assez matérialiste, à ■
cependant le seul nom de rintclligence, qui s'y trouve comme 11
négation du polythéisme, faillit coûter la vie à son auteur.
74. Heraclite. — On sait qu'Heraclite naquit à Ephèse;m3ii
on ignore la date de sa naissance. Il florissait vers TaJi 500.
Diogène Laérce (vie d* Héi^acUte) nous apprend que son lin?
(«epl cpûo-eo);) était divisé en trois parties, dont la première traitai»
de Vwiiivers, la deuxième de la politique et la troisième dt l&
théologie. Sextus Empiricus nous apprend aussi que sa philosopjiic
était aussi morale que naturelle. D'ailleurs l'obscurité de sonstrk
lui valut le surnom de a ténébreux ». Aussi les analyses que l'ofl»
faites de sa philosophie différent profondément.
L'un n'y voit qu'une doctrine physique, qui ne diffère decellîs
des autres Ioniens qu'en ce que le feu vient prendre la place il«
l'air ou de l'eau ; un autre y voit une doctrine morale relativeœwt
très-avancée ; la plupart y estiment surtout une théorie de li
connaissance, dans laquelle le critérium de la vérité est la rmo^
universelle eu divine (ce qui paraît vrai au jugement de tooj);
enfin M. Fouillée dans son Histoire de la philosophie, consid^
Heraclite comme le précurseur de Hegel, cherchant déjà »?3
IV^remais le devenir, affirmant l'identité des contraires, l'identitt
de rôti*e et du non-ôtre dans Y universel devenir.
Heraclite, au témoignage de Sextus Empiricus distingue conffl*
moyen de connaître : les sens et la raison. Mais les sens soniG^
mauvais témoins. Le seul juge de la vérité c'est la raison, »"*
pas la raison individuelle; mais la raison universelle et t^^^^'-
« C'est pourquoi il faut se confier à la raison générale. Toutes ki
fois que nous nous mettons en communion avec elle, nous ^orm^
GRECS. — ÉCOLE IONIENNE 441
dans le rrai ; nous sommes dans le faux, au contl*aire, toutes les
fois que nous nous abandonnons à notre sens individuel. » Voilà
pour la logique. Mais son critérium vaut mieux que l'usage qu'il
en fait.
En physique, Heraclite dit : « Rien ne subsiste ; tout s'écoule,
tout marche, et rien ne s'arrête. » « On ne descend pas deux fois
dans le môme fleuve ; car ce n'est pas la môme eau qui vient à
nous, Et nous mômes, nous j descendons et n'y descendons pas ;
nous sommes à la fois et ne sommes pas. » Donc rien de stable :
c'est l'universel changement. Pour mieux exprimer cette mobilité,
il pose comme fonds unique de toutes choses ; le feu. Mais ce feu
est à la fois matière et intelligence : c'est « un feu vivant
(îcup àsl Çcoov) , un feu intelligent (TCup voepév) ; un feu divin qui
gouverne toutes les choses et ne s'éteint jamais. » Ce feu est animé,
c'est un désir : un désir étemel de vivre et un dégoût étemel de
vivre.
La loi de ce flux perpétuel des choses c'est l'union des contraires.
(T Unis tout et non tout, le consonnant et le dissonant ; fais de tout
on, et d'un, tout. »
C'est là la guerre des contraires, dont l'union produit l'har-
monie. C'est la guerre (uiXefAoç, spi?) qui engendre toutes choses.
« Ce monde, fils de la guerre, est comme le jeu d'un enfant sur le
sable. » « Le môme être est vivant et mort ; il veille etildort ; il
est jeune et vieux. » C'est là une loi fatale, mais c'est aussi la jus-
tice. Car c'est cette loi qui règle toutes choses.
Cette loi de guerre et d'harmonie, cette juste fatalité c'est
Dieu môme. Dieu est l'unité môme des contraires. C'est un
« jour-nuit "^D, un été-hiver » ; c'est une « guerre-paix », un
« rassasiement-faim ». On peut l'appeler ou ne pas l'appeler
Jupiter.
« Le feu primitif devient tout et tout devient lui. Il s'éteint et
meurt en eau, en air, en terre ; puis la terre, l'eau, l'air, meurent
et renaissent en feu. »
« Le monde, ce n'est ni un des dieux, ni un des hommes qui l'a
fait, mais il a été, il est et il sera ; feu toujours vivant, qui
s'allume en mesure et s'éteint en mesure y» . « Un jour l'embrase-
ment consumera tout, mais pour renaître en un monde nouveau ; et
ce mouvement n'a pas de fin. »
44!^ HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
a L'âme est visible à travers le corps, comme Téclair qui pe«
le nuage. T) A la mort cette Ame retourne au feu universel dV^
elle est partie ; elle redevient ce principe divin qui s'était éteinte
âme et qui se rallume Dieu.
La loi morale consiste à dégager ce feu des liens du corps e^ à
le faire remonter sans cesse comme une flamme pure, Ters «s
principe.
En lisant ces pensées d'Heraclite on ne peut éviter de le
comparer avec les doctrines de l'Ecole anglaise ; et les reseœ-
blances sont frappantes. Néanmoins nous hésitons à croire qnek
philosophe ionien ait pensé comme Hegel, qu'il n'y a point (fe
substance stable, mais seulement les perpétuels changements ^
Tuniversel devenir; que les contraires sont identiques ; on, comi»
les positivistes, que les phénomènes sont les seules réalités. *
L'antiquité n'a jamais vu dans ces doctrines que le dé<»an?«-
ment d'une âme qui cherchait Tabsolu, rimmuable,et ne le tronTsit
pas, parce qu'il ne considérait que les phénomènes qui changent, ei
ne savait pas s'élever à la substance et surtout à la caiis
première qui ne change pas. C'est cette* recherche inquiète et
vaine qui jeta Heraclite dans une sorte de scepticisme et fit dire
de lui qu'il « pleurait sans cesse ».
Nous no dirons rien de ses théories astronomiques, sinon qoc
nulle part on ne trouve une aussi forte tendance à tout expli^o^f
par de simples hypothèses, et que de plus toutes ses hypotbèsa
sont au moins fausses quand elles ne sont pas ridicules,
75. Archélatts (le physicien) . — Archelaùs naquit probable-
ment à Milet, vers Tan 470. On le trouve d'abord à Athènes,
puis à Lampsaque, où il succéda à Anaxagore, Tan 42C ; ilre^ifl^
ensuite établir son école à Athènes, où il eut Socrate pour anditenr.
«
C'est là qu'il fut surnommé le Physicien, à cause de la directiw
naturelle do sa philosophie, et par opposition à celle de Socratt'
qui fut toute morale. Cependant Diogène Laôrce, qui noustlonne
cette explication, lui attribue aussi une doctrine morale. ^^^
Socrate, dit-il ne fît que développer.
La cosmogonie d'Archelaiis suppose d'abord deux princil>®'
le feu et Veau, Ces deux éléments confondus d'abord se s^p*^^^
et donnent naissance à la terre et à l'air. Puis les quati*e élémeo^^
CfKKCS. — ÉCOLE lONNIBNNE 443
se superposent par ordre de légèreté, et l'action du feu sur le
limon de la terre donne naissance aux plantes, aux animaux et à
l'homme.
On voit que malgré leur désir de concevoir une doctrine nouvelle,
ou de perfectionner celles de leurs prédécesseur, tous les philoso-
phes ioniens ne font que tourner dans un cercle d'idée, d'où ils ne
savent pas sortir ; et ce cercle d'idées ne renferme que les données
de la cosmogonie traditionnelle.
76. Empédocle d'Agrigente. — Erapédocle naquit à Agri-
gente, peu après l'an 500 ; car on le trouve dans toute sa gloire,
en Sicile, Tan 444. Plus tard il vint à Athènes enseigner sa phi-
losophie ; mais ses concitoyens l'empêchèrent de retourner dans sa
patrie, à laquelle cependant il avait rendu de grands services, et
où il avait refusé d'être i*oi. (c Prêtre et poète, comme Orphée,
médecin comme Hippocrate, physicien comme Démocrite, pour ses
contemporains U fut plus qu'un roi, il fut un dieu ; Platon et
Aristote l'admirèrent; Lucrèce Ta chanté; la postérité peut lui
donner une place parmi les hommes les plus ôminents. » Tel est
le jugement qu'en porte M. Plenno, dans le Dictionnaire de M.
Franck. Nous ne saurions accepter cette conclusion. Il manque à
Empédocle la vrai notion de Dieu, et sous ce rapport il est bien
au-dessous des sept sages et même des philosophes qui l'avaient
précédé. Bien plus, si nous en croyons un hymne de lui que cite
Diogène Laêrce, il veut se faire passer pour un dieu, et provoque
les honneurs divins que la foule lui rend à raison des heureux
résultats de sa science. C'est à peu près le portrait que nous en
donne Lucrèce. Ne pouvant rentrer dans sa patrie, il finit ses
jours dans l'obscurité et mille fables coururent sur son compte. On
supposa qu'il avait été enlevé au ciel, ([u'il s'était noyé en passant
la mer, qu'il s'était précipité dans le cratère de l'Etna.
Empédocle avait écrit plusieurs ouvrages : des tragédies, dos
épigrammes, un hymne à Ajjpolon^ un poème épique sur
r Expédition de XerxCs ; quatre poèmes didactic^ues : sur la
'Médecine^ sur la Polit ([ue y sur la Nature^ sur les Purifica-
tions \q\, enfin un traité de la2\ature {]xi^k çûtsw^). Tous ces
ouvrages sont perdus ; il ne nous reste que dos fragments du
dernier et quelques citations de deux autres.
444 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Lo traité de la Nature paraît avoir été divisé en trois parties :
1® de la connaissance et de l'Univers en général ; 2<* des objets de
la nature ; 3^ des dieux et des Ames,
Théorie de la connaissanc"5. L'homme est un être déchn,
qui est tombé du ciel sur la terre parce qu'il a péché. Dès lors oi
ses sens ni son intelligence ne peuvent lui donner la vérité. îas
dieux seuls peuvent la lui enseigner. Il doit l'obtenir par la
prière, — C'est le mysticisme.
Théorie du monde. La matière du monde est étômelle. Ri®
ne naît ; rien ne périt. A Torigine était le sphérus (aoavpo;;
sorte d'unité de tous les éléments en forme de sphère. Ces éléments
divers sont maintenus dans l'unité par la force de ramitié ( ^iX{a )
et c'est le sphérus lui-môme qui est l'amitié, et cette amitié est un
dieu. Mais la discorde (vstxo;), le dieu de la guerre, le principe ds
mal, vient mettre la division dans le sphérus, et les quatre éléments
(feu, air, eau, terre) se séparent.
Ces quatre éléments sont irréductibles ; ils sont simples, parce
qu'ils sont homogènes ; ils sont composés, parce qu'ils sont formés
de particules infiniment petites. Mais les vrais éléments ne sont
pas ceux que nous voyons ; ils sont des ftmes ^ ils sont de?
dieux.
Après le dégagement des éléments, l'Amitié luttant contre h
Discorde en a fait réunir une partie. De là les corps actneU.
Empédocle explique cette formation par la porosité des corps
d'un côté et d'un autre côté par les effluves de parties solide?
qu'ils émettent sans cesse. Ce qui produit tous les mélanges et
tous les phénomènes.
Formation des objets de la nature. Après la division dn
sphérus et la séparation des éléments, le ciel prit peu à peu par
l'effet du mouvement, la forme qu'il a. Bientôt parurent le soleil ^
les astres, et au dessous les nuages. La chaleur du soleil échaafiîant
la terre donna naissance aux plantes et aux animaux, qui n'avaient
d'abord que des formes monstrueuses, mais qui se perfectionnèrefit
avec le temps. Les membres d'abord séparés se réunirent.
Ce perfectionnement se fait, sous l'impulsion de l'amitié, parb
convenance entre les efflv.res et les pores. Ainsi s'expliquent !«?«
GRECS — ÉCOLE IONIENNE 445
sensations et les sentiments^ les perceptions des sens et toutes les
opérations intellectuelles. L'esprit est composé des quatre éléments
et réside dans le sang qui procède de la môme composition. Cepen-
dant Y Urne n'est pas destinée à se décomposer.
Des dieux, des démons et des âmes. Empédocle, parle, dans
ses vers, d'un Dieu suprême, a qui n a ni tête ni bras, ni jambes,
pur esprit, esprit saint et infini dont la pensée rapide pénètre tout
r Univers. » Ce dieu n'est autre chose que le sphérus, cause et
matière du monde.
Au-dessous sont les autres dieux : Jupiter, Junon, Plutou,
TAmitié et la Discorde ; et au-dessous de ceux-ci des dieux secon-
daires et leét bons génies. Ils vivent dans ^n bonheur parfait, sans
éprouver les vicissitudes du monde.
Plusieurs de ces génies, poussés par la Discorde se souillèrent de
meurtre et d'injustice et furent précipités sur la terre, qui les
renvoya à la mer. La mer les renvoya à Tair, en sorte qu'ils sont
rejetés par toute la nature, et en proie à d'atroces supplices, ils ne
g'occupent que de pousser les hommes, au mal, tandis que les bons
génies les poussent au bien. Chaque Âme humaine a son bon et
son mauvais génie.
Nos âmes aussi sont des esprits déchus. Elles viennent de la
divinité; mais un grand crime les a fait précipiter dans l'enveloppe
mortelle du corps. Elles doivent pendant trente mille ans passer
par les corps des plantes, des animaux et des hommes,
m
pour remonter enfin au ciel et y jouir d'un bonheur sans fin.
Empédocle prétendait se souvenir d'avoir été arbre, oiseau et
poisson.
Le bonheur final n'est accordé qu'à la vertu qui consiste d'abord
à respecter les objets de la nature. C'est pour cela qu'Empédocle
ne voulait pas qu'on tuât les animaux, pour s'en nourrir. Cepen-
dant, il permettait' l'usage des plantes, excepté la fève et le
laurier.
Observation. Tel est en résumé le système d'Empédocle. Nous
avons suivi pas à pas l'article de M. Henné, cité plus haut, afin
qu'on ne nous accuse pas de choisir les faits qui conviennent le
mieux à notre théorie. Et maintenant nous demandons : 1^ si ce
système renferme beaucoup d'idées philosophiques nouvelles ?
446 IIISTOIRK DE LA IMII L O SO IMI I E
2° si la pliilosophie grecque s'y montre indépendante de toatc
doctrine rév(>loe ? 3'^ si Erapi^docle s\v montre un des hommes le
plus éminents ?
Pour nous, nous n'y voyons qu'une comî)inaison peu nouTelfe
des mômes éléments tant de fois employés déjà, avec des iraeef
bien plus évidentes de son origine traditionnelle, et plus eDCoro
avec un souvenir formel de son origine révélée. C'est encore im
fois la cosmogonie de tous les peuples, sans oublier l'ojaf, qui
prend ici un nom plus scientifique (le sphérus). C'est de pins le
souvenir de la chute des anges, du péché originel, de la r^vélatioo
primitive, et la doctrine des anges gardiens. Oserait-on nffirmer
qu'Empédocle a puisé tout cela dans sa raison de philosophe oo
dans son imagination de poète ? N'y voit-on pas clairement nfl
témoin de plus de l;i tradition primitive ? Bien plus cette affirma-
tion que les animaux furent d'abord imparfaits, quoiqu'elle s?
présente sous des images ridicules dans le texte d'Empédocle, et
que nous avons déjà vue dans d'autres cosmogonies, n'est-elîe pas
un reste d'une vérité géologique que les premiers hommes ont dû
connaître et que la Genèse ne nous a pas conservée.
Ajoutons maintenant une autre doctrine que nous trouvons daJîs
le môme article. Empédocle déclare que le monde porte dans tons
ses détails la trace d'une intelligence, qui a tout ordonné pour une
bonne fin. Cette intelligence, il l'appelle la Raison ou le Verbe
(Ai^o;). Seulement il n'en fait aucun usage dans l'explication des
choses, con^me Aristote le lui reproche justement. Nous ne lui
savons pas moins gré de nous avoir appris qu'il connaissait ce
principe ; et nous sommes d'autant plus fondé à dire qu'il le con-
naissait par tradition, que sa théorie ne le suppose aucunement, et
quesa méthodenepouvait nullement le conduire à le découvrir.Emp^
docle est donc le témoin le plus complet de ces vérités que le genre
humain a connues d'abord et que Timagination et la philosophie oot
défigurées. Voilà en quoi et pourquoi nous apprécions sa théorie.
Prise en elle-même, et comme théorie philosophique, la doctrine
d'Empédocle ne nous offre guère qu'un mélange assez heureni,
quoique toujours faux, de toutes les doctrines précédentes. CTest
tout à la fois un panthéisme, un dualisme, un matérialisme et uQ
mysticisme. Et la loi de tout ce mélange c'est la nécessité.
GRECS. — ÉCOLE ITALIQTK 447
77. Hippon, Crafyle, Hermotime. — On cite encore dans
l'Ecole lonnienne quelques philosophes dont les travaux furent
moins importants.
Ilippon, de Rhegium, dont Aristote parle immédiatement après
Thaïes et qu*il déclare un penseur des plus grossiers, aurait admis,
comme son maître, Teau, pour premier principe des choses, et il
en aurait fait en même temps l'âme du monde. Il semble avoir
pensé que rien n'existe que ce qui tombe sous les sens.
Cratî/le, disciple d'Heraclite, fut Tun des maîtres de Platon .
Comme son maître il disait que les choses sensibles sont dans un
écoulement perpétuel, et il en concluait que les sens sont trom-
peurs ; la parole môme est fausse, et il s'abstenait de parler, se
contentant de remuer le doigt. Mais il admettait que les idées
absolues sont vraies et subsistantes.
^erwo^îm^, de Clazomène, passait.pour capable de quitter son
corps et de se transporter au loin avec son esprit seul. Ses disciples
le tuèrent dans un de ces moments d'absence. Aristote déclare
qu'il reconnut Tintelligence ordonnatrice du monde, avant Ana-
xagore.
On ne connaît pas la date exacte de' la vie de ces philosophes.
S î. -ÉCOLI ITALIQUE
78. Caractère de cette École. — Cette école tire son nom du
lieu où elle fut établie, la Grande Grèce, partie sud de l'Italie.
Elle eut pour fondateur Pythagore, qui réunit ses disciples à
Crotone, dans une sorte de communauté.
L'institut Pythagorique, fut d'abord plus religieux que philoso-
phique. Les initiations par lesquelles ont faisait passer les nouveaux
adeptes ; le silence de plusieurs années et la vie austère qu'on leur
faisait mener ; les doctrines môme qu'on leur enseignait d'abord,
dans un langage symbolique ; enfin le caractère surhumain que
plusieurs ont attribué à Pythagore, et la foi aveugle que ses disci-
ples avaient en lui, quand ces seuls mots : Le maître l'a dit
/AuToc£(p7i), tranchaient tous les différents: tout cela donnait à
leur réunion le caractère des Mystères grecs, plutôt que d'une
cole philosophique.
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE ^
Mais en quoi consistait ce premier enseignement ? Cest ce \t
ne nous est pas parvenu. Car les doctrines j étaient tenues aaà
secrètes que dans les autres mystères. Tout ce que nous en sa^aj
fait partie de la doctrine exotërique ou extérieure, et lienUli
philosophie et aux mathématiques. Il est certain qu'il J »t^
aussi une doctrine ésotérique ou intérieure, que nousregpettisi
d'autant plus de ne pas connaître, qu'elle sembleavoir cont^naàs
doctrines traditionnelles plus précises que celles que nous avûK
pu rapporter.
79. Pythagore. — Pjthagore naquit très probablement \
Samos, en 608, ou selon d'autres en 570. Quelques-uns le i^
naître à Tjr, d'autres en Syrie, et môme en Etrurie. U est cerai*
qu'il habita d'abord Samos, où il suivit les leçons de PliériwTd*-
Il voyagea ensuite en Orient et en Egypte, se fit initier «o
mystères de Crète, et de plusieurs auti^es sanctuaires, ^^
revint à Samos, où il donna les deraières consolations à PliériS^Tw
et enfin vint s'établira Crotone, dans la Grande-Grèce (parties»
de l'Italie), entre 530 et 520.
On croit qu'il donna des lois à la ville de Crotone. 11 J eï^
certainement une grande influence politique, qui par sçs discip
s'étendit sur plusieurs ville de la Grèce. Mais une émeute ^
laire renversa leur autorité et Pythagore y perdit la vie.
Il est à peu près certain que Pythagore n'a rien écrit. L^*
Vers dorés j qui nous restent et qu'on lui attribue ne sont pas ^
lui. Les seuls monuments qui nous restent de sa doctrine Poûtû«
fragments d'un ouvrage de Philolaùs, et des citations oao^
appréciations données çà et là par les anciens, parmi lesque»^
faut mettre au premier rang Aristote.
Il eut un grand nombre de disciples dont la plupart ne nouss^J
connus que de nom. Nous ne mentionnerons que ceux sur lesqo*,
on a quelques renseignements.
80. AIcméon de Crotone. (5' siècle).-' Disciple immâ<Ui^'^
Pythagore. AIcméon passe pour l'inventeur des dia; catégorie^^^
nous avons données, page 59. On lui fait dire que les a astres sj)*»
des substances divines » et que a l'âme semblable aux dieu^ *^
immortelle comme eux ».
GRECS. — ÉCOLE ITALIQUE 449
81. Timée de Locres. Né à Locres (grande Grèce), vers 475
il y occupa plusieurs charges publiques. II y était estimé comme
astmnorae. On lui attribue un traité de mathématiques, et une
vie fie Pythagore^ dont il ne nous reste plus rien, et enfin un traité
de Vdme du Monde et de la Nature, qui nous est parvenu, mais
dont la rejsomblaaco a^'oc le Timée de Platon, fait croire qu'il n'a
été écrit qu'après ce dernier ouvrage .
82. Ocel^us de Lucanie (5" siècle). — Disciple immédiat de
Pvthagore. Il e-st probable qu'il n'a rien écrit, quoiqu'on lui ait
attribué quatre ouvrages, dont un seul nous serait parvenu : De la
Gcu'He de V Univers ; mais cet ouvrage manque d*autluenticité.
C'est un mélange de toutes les doctrines. — L'univers est éternel ;
il est par lui-mJmo; il est sphériquc, mais composé de deux parties:
le ciel et la terre. Les choses terrestres ont trois principes: la
matière, la forme (principe des contraires) et les éléments (composés
(le matière et de forme) . Le genre humain est éternel, et doit se
l>crpétuer par le mariage, dont Fauteur recommande fort la
sainteté. Il expose aussi les principes de l'éducation morale des
eiifaiits. — Tout cela s'écarte des données pj'thagoriciennes.
83. Phllolatts de Crofone. — Philolaùs naquit à Crotone ou
à Tareate dans le V' sièolc. Il fut disciple d'Arésas, qui était lui-
mjine un disciple immédiat de Pythagore. A son tour, il fut le
maître d'Aroliytas do Taronte, et eut aussi pour auditeurs Simmias
et Cébès, qui suivirent plus tard les leçons de Socrate. Il enseigna
îi Thèbes, euBéotie, et vint mourir à Iléraclée, dans la Grande-
^ii'èco.
Il mit en corps do doctrine lus tlijoi'ies de son école, dans un
tiJvni.i3^o iatitulj les B tj'thcDit 's, nom qui fait bien ressortir le
caniclère tliéurgique à^ la doctrine et de Tinstitut de Pythagore.
IMaton voulut avoir ce livre et Tacheta 100 mines (9,G00 fr.). Il
ïioiis en reste d'assez nombreux fragments. Mais il est bien difficile
^'.v distinguer le* théories do Pythagore lui-même de celles de
l*hilolaùs, oa des autres disciples de la mjme école.* On lui attribue
plus particulièrement les théories astronomiques.
84. Archytas de Tarante. — Né à Tarente, en 430, il y était
ûncoro en 300, ([uand Platon y vint. Disciple de Philolaùs, il
29
^
I
450 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
instruisit lui-même Platon. Il fut six ou sept fois général ea é&
des Tarentins et fut toujours victorieux. Il mourutdans un aâufrsa
sur les côtes d'Apulie en 348.
On lui attribue l'invention de la poulie ; ce qui paraît p«
probable à une époque si tardive. Il est l'auteur d'uiie méihoà
pour obtenir un cube double d'un autre. 11 avait fait aussi»
colombe volante.
On a encore 60 fragments de ses écrits, tirès de plaàess
ouvrages, traitant de matières assez différentes ; mais tout n'est p»
authentique.
Ne pouvant, avec Jes documenta qui nous restent, attriboer «
chacun des pythagoriciens sa propre doctrine, nous allons exposa
le tout comme doctrine de l'Ecole.
85. Doctrine de l'École Italique. — Entre tontes les^^
trines que l'on attribue aux différents Pythagoriciens, celle qn
semble le mieux leur avoir été commune, qui semble constitoerie
principe môme de leur langue symbolique et qui doit être fl^
Pythagore lui-môme, c'est la ihc^on'edes 'nombres, et la théorif^^-f
la musique, qui en un sens dérive de la première, mais qui ^
avoir eu une importance aussi capitale .
On pourrait môme croire que ces deux théories ne sont qa? ^
double forme sensible- et rationnelle tout à la fois de la tbèo?'«
transcendante du /ôm7an^ et de Vindéfini. Les voici tijuteî'^
trois.
l^Rien n'existe que ce qui peut être connu. Rien ne pent-^^
connu que ce qui est déterminé. Or tout ce qui eiit àhX^^"^
suppose : les déterminatio7is ou les Umitanis et riiit^^'^
entre les déterminations ou Vvndi^fini, L'indéfini seul, l'inteni-
seul n'est rien ; il n'est pas appréciable ; le limitant lui-s?^
seul, n'est rien non plus, s'il ne détermine rien. Cependant I^^
de détermination, principe de toutes les autres, est conçue cx^
entourée de toutes parts par l'indéfini, et il en détermine un I^'^"
Au lieu que l'intervalle n'est concevable qu'à la condinonda^^-
au moins deux limites. Ainsi la mo/mrZe est la détermination sis?*
le principe de toute connaissance, de toute lumièiH}, de t^*'
réalité : la dyade est l'intervalle abstrait, l'obscurité, le F^^'^
passif, qui n*est rien par lui-môme.
GRECS. — ÉCOLE ITALIQUE 451
Il est clair que Ton pourrait dire tout aussi bien: le limitant
et le limité ; et alors on aurait la base môme de la théorie d'Aris-
tote la forme et la matière^ mais avec des termes profondément
différents : car le limitant est le principe actif, comme la forme ;
gt le limité est le principe passif, comme la matière. Mais les mots
eux-mêmes jurent avec ce sens, et c'est ce qu*Aristote a bien vu :
aussi dans sa théorie, c'est la matière qui limite la forme ; car la
limite est une imperfection. Chez les pythagoriciens F idée de
limite est une idée de {perfection : aussi ils disaient indifféremment
le limitant et Vintervalle^ ou le fini et Vinfi^i ; et dans cette
opposition, le fini e^ile parfait, tandis que Tinfini e^iVimparfait^
Il ne faut pas oublier cette opposition de langage avec nos idées
d'aujourd'hui, si l'on veut comprendre la suite de leur doctrine.
2^ La théorie des nombres se trouve en principe dans ce que
nous venons de dire. U unité est l'expression numérique do la
monade. Elle est le principe de tous les nombres, et en particulier
de tous les nombres impairs.
Le nombre deux est l'expression de la dyade, et en particulier
do tons les nombres pairs. Aussi nombre pair est synonyme
ù* imparfait, tandis que no9nb7'e impair est synonyme de parfait.
Cependant, comme tout ce qui existe est déterminé et renferme,
avons-nous dit, des limites et un intervalle, il y a dans toutes
choses : un commencemetit (première limite), un milieu (inter-
valle), et une fin (dernière limite). D'où il suit que la triade est
r^ssence de toutes choses, et que le nombre trois est le nombre
parfait le plus simple. Il est impair, et de plus il a un commence-
ment, un milieu et une fin ; d'ailleurs il contient dans une
harmonie la monade et la dyade.
Mais jusqu'ici nous n'avons encore que des ombres -de réalité ;
car, géométriquement parlant : Tunité ou la monade, c*est le point;
le nombre deux ou la dyade, c'est la ligne ; le nombre trois ou la
' triade, c'est la surface (triangulaire).. Il faut atteindre le nombre
quatre, pour trouver l'étendue corporelle et subsistante. En effet le
nombre quatre ou la tétrade détermine le solide le plus simple,
*(la pyramide triangulaire, ou tétraèdre). Voilà pourquoi le nombre
quatre avait, quoique pair, une grande valeur chez les Pythago-
riciens. Les combinaisons de c6s quatre premiers nombres don-
452 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
liaient tous les autres ncmbic?, jusqu'à dix ; savoir : 4 -r 1, «
3 + 2-5; 4 + 2, ou3+2-fl*-'0;4+ 3, ou4 + 2-f 1==":
4 +3 +1-8; 4 + 3 + 2=9; 4 + 3 + 2+ 1-lO.b
décade ainsi formée de la l'ounion de tous les iiGii.l>res priffiiti'
était le nombre le plus parfait. On révérait aussi le iioroijreT, p
bablement à cause de sa composition (4 — le monde matépid, -
3 — le monde divin, barmonie primitive du limitant et <1^ In-
défini).
M. Fouillée affirme qu'à raison O.c cett^ prcdiiccticn [■«)'." -
nombre dix, ils omplovércnt la numération dL'cimr.le, et «lUci;
fameuse table de Pytliogore, bien dilTérentc de coWv quo Ij^
donne sous son nom, cxpo.^;ût prOcisénient celte numératian ; e^Sî
qu'ils sont les vrais inventeurs des cJn'ffres dit ari'hps,
3*^ La théorie de la musique ne s'c>^p^'se et ne setiovolopr-tv'
par les nombres, mais elle dérive au^^si iraniédiaîLira-ut ô: ^
tbéorie transcendante. Kn ellet.
Un son seul n'est rien en lui-mùnie, ou du moins il mVm qu'ac
limite, et semblable à la monade il n'existe qu'autan* ([u'il e^t ]*•'
com"me un point dans un lieu détorniiné de la série dos vito.-^-
Il est alors comme enveloppé do rindéiîni. Dés c^uo l'on fuit i."t'-'>
dre deux sous, simultanés ou succes.'rlfs, il y a entre en ^
intervalle. Cet intervalle en lui inémocî^t encore riliiinité,rintl--û;
mais il devient fini, déterminé, par les deux sons qui le tc:TJî"«^a^
Mais deux sons ou plusieurs à des intervalles convenables Ur&-^''
une harmonie. C'est ainsi que la monade et la dt/adc, lo /</<' '^
V infini y le imrfait eiV imparfait, la htmiCre et les tcuihre.^^^^^^
quoique de nature contraire, peuvent s'unir par l'haruicuie. -^
comme tout se compose de contraires, l'harmonie est la ^^^^^
monde.
Les applications de cette triple tbéorie primordiale fonrnis^st
une cosmogonie, une psychologie, une théodicéeet une moi'ale,ct
tout est appelé nombre.
4® La cosmogonie pythagoricienne peut se résumer ainsi : Li
dyade, d'abord unie et confondue avec la monade dans le prenne
principe, se sépare et devient la matière. Mais cette sêiîa^^*
n'est pas complote. Lo principe limitant est toujours là F'^"
déterminer cet indéfini qui est la matière et former les corps, t£fl*
*GRECS. — ÉCOLE ITALIQUE 453
jours d'aprôs les rapports numériques. Et comme le principe passif
n'est, dans ce systôme, rien autre que le vide, et que les seules
réalit-cs actives sont les limites qui déterminent les nombres, ils
disent ({ue « tout est nombre. » Et comme les nombres ont
fléjà donné, naissance aux diverses conditions do Tétendue, et
engendré les corps en tant qu'étendus, ils vont servir à engendrer
aussi leurs divers degrés d'être. Ainsi le nombre cinq engendre
rexistenco physique, distincte du volume abstrait représenté par
quatre. Sans doute, parce qu'il y a une réalité qui est le milieu du
volume. Après cela, 5 .r est la vie végétale y sept, la vie animale ;
huit, la vie humaine; neuf, la vie ultramondaine, et dix, la vie
flivine. Les raisons qu'ils pouvaient donner de ces symboles numé-
riques ne nous sont pas parvenues, et nous ne les apercevons pas. —
Dans CCI te théorie les nombres sont-ils toute la réalité dés choses
ou n*en sont-ils que la loi ? Il paraît que les deux opinions ont
successivement été adoptées dans Técole, et que la première y fut
la plus anciennement reçue.
5" La théorie de l'aine dérive do lani''îno sourco. Le corps est
nn nombre ; mais c'est un nombre qui se meut. L'ilme est Thar-
njoiiie du corps, mais cello harmonie prv'^oxis te au corps, et lui
survit. En ellet Tàmc pa$5ie par diverses existonces, et va d'un
corps dans un autre jusqu'à ce qu'elle soit entièrement détachée de
la dyade. Les id^îés de Ttlme sont des nombres aussi ; ces nombres
senties raisons des choses, les lois, les essences, les harmonies de
tout ce qui est, L'ilme est dans le corps comme dans une prison ;
oUg y a été jetée en punition d^ine faute. Les pythagoriciens dé-
claanit tenir cette doctrine des anciens théologues et devins
(Philolnf'fs, cité par St-Clémcnt d\ilr,iy(ndrieK
6" Pour établir leur doctrine sfcr Dieu, les pythagoriciens
remontaient au premier principe des choses, et comme nous avons
Vu les Ioniens concevoir Dieu de la môme nature que le principe
^1« monde ; comme nous verrons les écoles suivantes concevoir
Wen, conformément au principe de leur théorie et l'appeler :
substance, idée, acte pur ; de môme pour les pythagoriciens, Dieu
est un fiombre. Il est le premier de tous les nombres : la monade,
l'unité. Mais c'est l'unité harmonique qui renferme en elle tous les
nombres, tous les contraires. Il est pair et impair ; il réunit le
454 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
bien et le mal ; et ce mélange des deux principes est éternel. Il ^>
tout à la fois : Tunité, la décade, la tétrade et la triade. Il estto^
à la fois le principe et l'élément du monde ; il n'est pas séparé &i
monde ; il en est Tdme ; cependant il est au-dessus du monde. • T
y a un Dieu, dit Pliilolaûs, qui commande à toutes choses, toui<nn
nn, toujours seul, immobile, semblable à lui-m5rae, différeot à
reste. » Malgré ce texte, il ne paraît pas que les pjthagoriciasss
soient élevés au-dessus du panthéisme, pour concevoir aaDi^
personnel.
7® Leur morale dérive des principes ainsi posés : L'âme «d-
prisonnée dans le corps, doit expier sa faute et se dégager èt^i
dyade, parla piatique de la tempérance et de toutes les vertis:
mais il ne lui est pas permis d'abandonner son poste par le said^.
Les vertus sont aussi des harmonies qui ont leur nombre propre-
La justice est un carré parfait.
7® Uastronomie elle-même devait concorder avec la théorie
des nombres, car les nombres sont les raisons de tout. Àinâ b
terre ne doit pas être le centre du monde, car elle est mêlée fia-
perfections. Le centre du monde doit être lumineux et immobik.
Autour de ce feu central doivent se mouvoir dix planètes. Lesr
orbite doit être circulaire ; c'est un mouvement parfait, paf*
qu'il n'a pas de fin. Elles doivent être au nombre de dix, à raéce
de la décade. Si bien que, ne connaissant que neuf planètfô,il^
en supposaient une dixième inconnue, qu'ils appelaient Vantipo^f-
Les distances de ces planètes sont comme les intervalles des sos?.
et les planètes se meuvent en proportion de leur distance. C^
mouvements plus ou moins rapides doivent produire des son? qsf
nous n'entendons pas, parce qu'ils sont trop graves ou trop éloigna
C'est Ih l'harmonie des planètes.
Cependant avec ces conceptions (a priori) ils atteignirent à^
vérités, ils connaissaient la cause des éclipses et des phases de b
lune, ils devinèrent le vrai système planétaire, et plus tard Ar^
tarque n'eut qu'à remplacer le feu central par le soleil, pouravii'
le système de Copernic, deux mille ans avant lui. Ils connuï©'
aussi les lois mathématiques des sons et estimèrent que les int^
valles s'expriment par des rapports simples.
86 . Observation. — Pour juger toute cette théorie, il faadi^
GRECS. — ÉCOLE ÉLÉATIQUB 455
on connaître le vrai sens et en avoir une exposition suivie, donnée
par les pythagoriciens eux-mêmes. Au contraire nous n'en avons
quo des symboles, et encore ils sont épars et tronqués. Il a fallu
les recueillir dans cent ouvrages divers, et pour les faire concorder,
j>l us ieurs générations de philosophes et d'historiens n'ont pas été
de trop. Ce n'est qu'après leurs travaux que nous pouvons aiyour-
d'hui présenter dans un ensemble assez bien coordonné, ce qui
nous reste de cette doctrine.
Peut-être n'est-ce là que Tenveloppe verbale et mystérieuse
d'une doctrine beaucoup plus vraie que celle que nous y décou-
vrons ; doctrine qui, dans tous les cas, n'était pas une découverte
philosophique, mais bien une explication raisonnée des vérités
traditionnelles. En effet, au fond de tous ces nombres , on sent
l'affirmation de Dieu, de Tâme, de sa liberté et de son immortalité,
la faute originelle même et son expiation. Tout cela n'y est pas
découvert par les principes, mais apparaît comme autant de vérités
précédentes, qu'il s'agit de faire concorder avec la théorie ou le
langage symbolique des nombres , et dont il faut trouver les
harmonies.
On dira peut-être que, par esprit de système, nous voulons voir
partout une origine traditionnelle aux données philosophiques.
Pour répondre à cette accusation, nous prierons seulement qu'on
relise ce qui précède, qu'on en vérifie l'exactitude dans tous les
historiens de la philosophie que nous avons résumés et fondus
ensemble, et l'on verra clairement que nos conclusions sont légi-
times.
8 s. - ÉGOLK iLiATIQUI
87. Caractère de cette Ecole. — L'Ecole Eléatique, qui a
pour chef Xénophane, tire son nom de la ville d'Eiéo , dans la
Grande-Grèce, où ses adeptes enseignèrent. On l'appelle aussi
Ecole métaphysicienne (VElée^ par opposition à l'Ecole atomisti-
que, dont nous allons parler bientét, et qui était appelée Ecole
physicienne d'Elée.
Cette école dérive de celle de Pythagore et est aussi idéaliste;
mais elle prend un autre point de départ et arriva au panthéisme
pour finir, si nous en croyons Sénèque, par le scepticisme.
456 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Elle ressemble à l'Ecole italique, en ce sens que, comme dk,
elle construit sa doctrine a pri o ?'i ; ianâïs que T Ecole ioaksjc
partait des données des sens pour s'élever par une sorte d'indactk?
sans bases suffisantes aux premiers principes des choses. E]le]K'*
aussi en principe l'unité, Dieu ou l'Otre, et ne distinc-uc j^as Pies
du monde. Toutefois elle en comprend mieux les attribut* et V?
démontre. Enfin elle ollace le monde pour ne voir que Dieu; riM»
la notion de Dieu s'cllacc devant colle de Ycivc absolu, qui s'en^'»-
à son tour devant l'unité.
88. Xénophane. — Xénojdiane naquit à Coloplion, dajjs ^A^:e■
Mineure, en 020 ou en 017, U avait au moins qnaîro-Nin-'*<af.^
(juand l'invasion de sa patrie par les Pei'ses l'obli^^ea ii s'expritritt
Il vint d'abord en Sicile, i>uis s'établit ù Elée, colonie phot't-î^i^''^
alors récente, dans la Grande-Grèce. 11 composait des vers et b
chantait, gagnant ainsi sa vie dans le métier de rhapsode. 1!
supporta courageusement ses revers, et mourut à l'Age d'envina
cent ans, probablement à Colophon.
Une fonda pas précisément une école, mais il eut des disi^i]'ift=
qui développèrent ses doctrines.
Il n'a rien écrit, mais il nous reste des fragments d'un px-nii'
qu'il chantait si(7' la natffre. Ses do .trines sont exj)osées park
auteurs anciens^, mais elles ne forment pas un tout. Dans toiiU^
ces citations on peut trouver une théorie de Dieu et une théorie ds
monde.
Il enseigne formellement l'unité de Dieu, son éternité, sa perfec-
tion, sa toute-puissance et sa simplicité. Il reproche aux i^'*iv-
théistes de se faire des dieux à leur image, et fait ressortir 1 ■
ridicule de cet usage, en disant : « Les Ethiopiens représentent It^
dieux noirs et camus ; les Thraces avec des veux bleus ci il«
cheveux roux. » — « Si les b(eufs ou les lions avaient des niain^i
s'ils savaient peindre, ils peindraient aussi des images des dieuî,
avec des corps de la môme forme que les leurs. » Il semble qo^
son but principal soit de combattre le polythéisme.
Il ne se contante pas d'affirmer les attributs de Dieu, il essaie
de les démontrer. L'argument qu'il emploie pour démontrer qo»?
Dieu ne peut pas naître, le mène à considérer le monde comjn?
une illusion ; car, dit-il, ni le semblable ne peut naître du sem-
GRECS. — ÉCOLE ÉLÉJATIQUE 457
hlable , puisque dè8 que l'un serait produit par l'autre, ils no
seraient pas sem])lables ; ni lo fH?peml)lal)le ne peut naître du
dissemblable; car si le plus grand naît du plus petit, l'être sort du
non-être, et silo plus petit naît du plus irrand, c'est lo non-êire qui
sort derêtre. — Il est plus heureux quand il démontre que l'être
qui n'est pas ne, est par lui-mCnie, et que dès lors il ne peut
mourir; qu'un pareil Cire est parfait et tout-puissant, et que dès
lors il ny en a qu'un; que l'être éternel est immuiil)lc, et que dès
lors il n'a rien de matériel. — Il n'en, est [)as moins vrai que, dans
la pensée de Xéiiopliane, il n'existe r[u'un seul être, et tout ce (jui
nous paraît multi])îe n'est que fantôme, ("est pourquoi on lui
attribue cette doctrine que « l'unité ^c\\\o existe. y\
Ainsi quand il parle du monde il rlit ([ue tout est opinion, et
c^u'on ne peut rien savoir de certain. Or son opinion était que
la terre a la forme d'un cône tronqué, dont la base se ])crd dans
l'infini ; que riiumidité de la terre vient de ce que la mer Ta autre-
fois envahie; que le soleil et les étoiles ne sont que des nua.î^es qui
s'enflamment le matin ou le soir, et s'éteignent le soir ou le matin ;
enfin que la chaleur en échauffant la terre y produit les végvtaux
• et les animaux.
Cependant quelque fantastique et illusoire que soit ce monde,
Xénophane dit formellement que Dieu le gouverne, qu'il sait tout,
qu'il entend tout, et que son intelligence est bien supérieure à celle
ries liommes .
•89, Appréciation. — Xénophane parait n'avoir jamais eu
conscience du panthéisme que l'on reconnaît dans sa doctrine.
C'est jusqu'ici, au contraire, la plus pure idée de Dieu que nous
ajons rencontrée dans la philosophie grec(iue; mais si Xénophane
justifie son idée de Dieu par les vues de la raison, ce n'est pas à
dire pour cela qu'il l'ait trouvée de lui-même. En effet, il ne démon-
tre pas l'existence de Dieu, ni la nécessite de le concevoir comme
cause première; au contraire il pose Dieu en principe et en démontre
seulement les attributs comme nous l'avons indiqué. On ne peut
donc pas dire de lui plus que des philosophes antérieurs qu'il ait
découvert les vérités philosophiques. D'ailleurs, si Xénophane a
exposé philosophiquement une idée plus exacte de Dieu, sa théorie
458 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
n'a eu dans ce sens aucune influence sur le reste de la philosopîiii
grecque, car tous les anciens, et ses disciples mêmes, n'j ont te
que Tunitô de Tôtre absolu et le pantht^isme.
00. Parménide. — Parmônide naquit à Elée. Les histonei'
placent sa naissance entre 530 et 519. On le croit disciple i\e X-
nophane. A Tâge de 05 ans, il fit un voyage à Athènes, avec sos
disciple Zônon (entre 471 ot454), pour y étudier de plus pr^ le
doctrines des Ioniens, qu'il voulait combattre.
11 ne nous reste de lui que des fragments d'un po^me sv.r la
NaturCjOn il traitait en deux parties: de la vérité et de ropinm,
c'est-à-dire, 1'^ de TOtre en soi, connu par la raison et 2® descbc^
variables ou des phônomônes connus par les sens.
L'exorde est une allégorie poétique. Les filles du soleil condui-
sent le poète dans un pays inconnu aux hommes, à la demeure de
Diké, qui lui révèle la vérité. Voici ce qu'elle lui enseigne :
Tout ce que nous percevons par les sens n'est que la série ^
fantômes d'un songe, et l'étude des phénomènes ne peut produire Is
science. Illusion pour illusion, qu'importe que Ton place la terrées
le soleil au centre du monde; qu'importe que l'on donne pour prin-
cipe aux phénomènes un seul élément au plusieui*s; l'eau ou Tair,
le feu ou la terre, ou les quatre ensemble, séparés par la haine OQ
unis par l'amour? Tout cela n'est que fable.
La vérité n'est connue que par la raison. La vérité est absolue,
éternelle et immuable. Dès lors tout ce qui change ne peut être
l'objet de la vérité, La seule vérité c'est Tôtro absolu, qui nechansc
pas, qui n'a pas commencé et ne peut cesser d'être. En dehors de
l'être tout est néant; et le néant ne peut être ni affirmé, ni nié, a
même être conçu.
L'être est un et indivisible, car s'il avait des parties , il serait
tout à la fois et lui-même et autre chose que lui-même. Pour i»
même raison l'être est immuable et dès lors le mouvement est iifi-
possible. L'être est éternel, car il ne peut pas venir du néant; ea£<
il est parfait, car comme être il ne peut manquer de rien : le néast
seul manque, et manque de tout.
La pensée à son tour, n'est que la conception de l'être et ptf
suite elle est la môme chose que l'être. Mais il ne s'agit ici qa^ *
la connaissance rationnelle.
GRECS — ÉCOLE ÉLÉATIQUE 459
Comme doctrine physique ou théorie des phénomènes il part de
deux principes, le chaud et le froid, ou le feu et la terre; leur mé-
lange produit Tair et Teau. Tout est d'abord mélangé dans une
sph(>re, mais une puissance centrale y opère les séparations et les
réunions, qui produisent les phénomènes. Ainsi cette puissance est
Mont à la fois Tamour et la haine. Elle a fait produire à la terre d'a-
bord des membres séparés qui se sont réunis plus tard. Les autres
détails de sa théorie physique ne ressemblent pas moins aux théories
d'Anaximandre et d'Enii^édoclc, qui lui est postérieur. Mais tout
cela pour lui n'est qu'opinion.
91. Appréciation. — Parménide accepte donc sans hésiter le
panthéisme idéaliste le plus foi mel. Cette doctrine est d'abord le
résultat d'une réaction contre le matérialisme ionien, puis un dé-
veloppement des idées de Pythagore et de Xénophane, quoique
Parménide attaque les pythagoriciens aussi bien que l'Ecole ionique.
En effet, il ne pose pas d'abord l'unité, comme on Fa dit sou vent,
mais l'être. Il ne voit partout que l'être et lui donne tous les attri-
buts que Xénophane donne à Dieu; mais il en apporte de nouveaux
arguments.
92. Zenon d'Elée. — Zenon naquit à Elée, dans la Grande
Grèce, probablement en 490, quoique d'autres fassent remonter sa
naissance à 500. En effets il avait quarante ans, quand il vint à
Athènes avec son maître Parménide, et Socrate qui naquit en 470
les entendit. Ce voyage n'eut donc pas lieu avant 450. Zenon s'at-
tacha cl Parménide et se livra avec ardeur à la philosophie, mais
en même temps il se montra plein de dévouement pour la liberté
de sa patrie, qu'il voulait arracher à la domination d'un tyran.
Son entreprise échoua et il fut pris. De peur de dévoiler ses com-
plices, il se coupa la langue avec les dents. Le tyran le fit, ditron,
piler dans un mortier.
Zenon a écrit en prose, et dans une forme qui se rapproche du
dialogue; c'était pour défendre les doctrines de son école contre
celle des Ioniens. Il ne nous reste que les noms de trois de ses
ouvrages : Les Disputes^ Eœégèse d'Empëdocle et Contre les
philosophes naturalistes, La manière dont il traitait les questions
nous est donnée par Platon, dans l'introduction du Parménide.
4G0 HISTORE DE LA rHILOSOnUE
Le livre dont IMaton parle en cet endroit sans le noinmr»r étaiî di-
visé en cliai)itros, et les chapitros contonaiout un certain iioffil»rc
do propositions 011 hypoîliC^es, (^iie Zi'miou prend chez sos ad%"L'r?aî-
res et s'eilori^e de piv^^or jiis.pi' il des c jns.V]^:ic^:ic*?s <x^s u r Je?,
H Mon oiivi'oiv, dit Z;'':ion, rv''pond aux [>artisans <Ic la pluitili"'.
(ît d.'^nKuitro que cdW snp|h\s!t ion coii-luit ri dc^s oons^^uencc^ et>
eoi'e plus ridioLiles «jUv' la sii[>jK)siîion (jnc tout est un. '•
Ainsi Z(Mioii pu'de la doi-trino de son maître, mais il la pr '-^oriT*-.
non plus coumi..' fo:id'''0 sur l'rtre, î»i;ûs cotiphc Tondéo sar runi:;^
('e<iui a sans duuie fait cr «ire (tue tel rtaît le sontinient rjt^ Por-
iHônide. Do plus, an li(Mi d*;ippoi't<^r do nouveaux aî^jraniLV^t'î en
laveur d(^ l'unit \ il o>sava (]r dî'Mu.^ntror riniDossi')!]!!;" ni H:"i!«..v-
sinuode la pluialilô. P(>in*0(d:\ il otfr\ }no la d.iv!s:'>ilit/» do la nia-
llr-re et le mf)uv'om(^nt.
Si la matière est (liv:sil)]e, lo^ p.ii-Uos seront ôlenduo^ ou ii.^'or»-
dues. Etendues, elles s<MV)nt encore di\isiMes; inZ-U'^ndu- >, ]c':r
rôunion ne pourra j^as C(^nstiiuor rrteiîdue. Ou mieux encore: SI
les corps sont di\!sil'lo^, leurs parues (\.»:vont T-'-tre aussi, •.•ar 1-j
toutne saurait .'tro d'unoauM'o na'U'*e<j:ie lo^'- partie-^ e>:ii]i./v-^!Ȕ.=>.
!\Iais nliu's ees pariios soiit aus i d.lvi.^i'.l.^s et ainsi ju^-in'à T'uil::..
Donc si les corps sont divisi])los ils stmt tlivisi'Oos àrinîî.ii. Ts'a.- >:
(tette division s'opère, les parties n'exi^'t nd plus. Doiic je C'i.r^ "'
manque d'él/'rnents comp )sants. Doncî il n'existe pas.
Le mouvement est impos^^ililo ])aree que: T' pour parcourir ur.
es[iace, le (•orps en mouvement devrait pareourir une inlluÎT' do
points ; 2'*cenui e.iirtie plus vite ne };eui [ms atteindre e-» qui fi:::'^
1)1 us lentement. Achf'Ur est en arriv''re de vinirt pas v^nr lo tr>rf-'\
et il lait vingt pas tandis que la tortue en fait un; mais î>ontînii*
qu'il fait ce pas, la tortue fait un vingtiOme de pas, et ainsi do
suite; 3'^ la litVhe qui vole ne se meut pas \h oit cUe est puisijuVlIc
y est : elle ne se ment pas h\ où elle n'est pas : elle ne se meut *\o':\c
nulle part, et son mouvement est une succession do repos. -1** denx
corps animv^s de la niv^me vitesse en sens contraire, dans un espace
donné, mais partant, l'un du milieu, l'autre de rextrv>mit{5, par-
courront, dans le môme temps ot en employant la mOrae vitesse,
un espace doulde l'un do l'autre.
Absolument parlant ce sont \h des sophisme assez grossiers : mni?
GRKCS. — KCOLE ATOMISTIQUK 461
Zenon raisonnait dans riijpothèse des Ioniens qui posant en prin-
cipe le multiple ne pouvaient démontrer la continuité du temps ni
i\o Tespace. D'ailleurs il ne niait pas Tapparence du" mouvement;
mais il niait que ce changement de lieu apparent fut une réalité.
Il pensait en détruisant ainsi la possibilité du mouvement réel,
détruire on même temps le temps et Tespacc réel et par suite la
possibilité môme de la pluralité, pour ne laisser subsister que
Tunité absolue.
Cependant Séné([ue Taccuse d'avoir été jusqu'à nier Tunité. n Si
Parmen7<U (credo), nihil est prwtcr union ; si Zrnoni, ne irnuni
quidem, » Mais nous croyons cette accusation mal fondée ; car
Z<;non n'est pas sceptique, mais panthéiste, dans tout ce qui nous
reste de lui,
93. Mclissus de Sanios. — Le deruicr représentant de l'Ecole
cléatique, Mélissus, qîii était né à Samos, et y enseignait vers 450,
fit quehiues chan^'O^icuts h la doctrine de ses maîtres.
Il admet le temps et rvspacc, que Zenon :u'aiL niés, et leur at-
tribue l'Ctrc et Tinllni. Il croit que r(Mro a^^':olu est éleudu comme
rcs[)aco et dure comme le temps. Par suite il n'j' a pas de vide, et
le mouvemoiit est impossible. i\)urtaiit cet être étendu n'est pas
divisible; et la matière qui est multiple et variable n'existe pas.
01. Caractère de cette écoie. — Acniie après l'école métaphy*
sicienne d'Elôe, l'Eccle atomisti([ne se donna pour mission de la
combattre. C'est comme une protestation dos sons contre les pré-
tendues conclusions de la raison i)ure. Les Kiéates avaient nié la
matière, en niant la divisibilité, le mouvement et le vide ou l'es-
pace ; les Atornistes affirmèrent le vide comme nécessaire au mou-
vement et posèrent en principe les particules étendues (|ui composent
les corps, et les appelèrent atomes ; mais fi leur tour ils nièrent
l'unité et surtout l'être absolu, Dieu, que les Eiéates avaient af-
firmé à l'excluçion de tout autre être. Et s'il est probable que,
vaincus par le timoignage des sens, les Eiéates avaient fini par
douter de leur doctrine et pencher vers le scepticisme, il est certain
462 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
que les Atomistes, qui d'abord avaient élevé leurs théories snrla
seuls témoignages des sens, ne purent résister aux protestatioiaè
la raison et doutèrent de leur science au point de dire que ■ b»«
sommes incapables de savoir si nous savons quelque chose, m a
nous ne savons rien ; s'il existe quelque chose, ou s'il n'existe rwor.
et l'un des représentants do cette école eut pour disciple Pynta
le fondateur de l'Ecole du scepticisme.
Ainsi doit finir toute recherche philosophique qui se sépare de h
tradition commune du genre humain et qui n'accepte pas simaltar
némont l'autorité do toutes les facultés humaines.
05. Leucippe. — On ne sait rien de bien précis sur le lien ni
sur la date de la naissance de Leucippe, que tous les ancien? oui
considéré comme le chef de l'Ecole atomistique. Quelques-uas k
font naître à Milet, d'autres à Abdèrc, colonie grecque de la Thrac«,
et il a dû naître avant Tan 500.
Pour mieux répondre aux doctrines de l'Ecole éléatiqae^ d^'
montre d'abord l'existence du vide, comme nécessaire au mouTe-
ment. Il établit ensuite que la matière est divisible, en s'appnjâfit
sur le témoignage des sens, mais cette divisibilité a un terme (*û il
reste les atomes^ étendus mais indivisibles. Ces atomes en noiaïs^
infini, se meuvent dans le vide infini. Ils ont comme propriétés es-
sentielles: la solidité, la figure et le mouvement; leur solidité «^
indestructible; leurs formes sont variables ; leur mouvement e«t
essentiel, mais il n'est pas le môme pour tous.
L'âme est un composé d'atomes de feu, et la vie n'est quelefifl^
et le reflux de ces mômes atomes, tour à tour aspirés par les éti«
vivants.
Là s'arrête ce qui est certainement de Leucippe dans les thtWs
atomistiques. Tout le reste paraît devoir être attribué à Démocnte.
Si Leucippe a écrit quelques ouvrages, il ne nous en reste nés-
mais Aristote, Diogône-Laérce et les autres anciens le nomiD^**
toujours à côté de Dômocrite, quand ils exposent les doctrines ÇB*
nous venons de résumer.
96 . Démocrite. — La date de la naissance de pémocrite n^
pas plus précise que celle de son maître. On la fixe à 460, à4'W'
et môme à 494. Mais il est certain qu'il naquit à Ahàère. ^
GRECS — ÉCOLE ATOMISTIQUE 463
raconte que Xerxès, retournant en Perse, s'arrêta chez son père,
et en reconnaissance lui laissa des mages pour instruire le jeune
Démocrite. Ce fait aurait eu lieu vers 480. On tient d'ailleurs
pour certain que Démocrite puisa ses doctrines dans TOrient.
Plusieurs ont affirmé qu'il visita l'Inde , la Chaldée, Ja Perse,
l'Ethiopie, l'Egjpte et la Grande-Grèce. Il seraft aussi venu à
Athènes, où il aurait entendu Anaxagore et Socrate. On ajoute
enfin qu'aj^ant dépensé toute sa fortune dans ces voyages, il lut en
assemblée publique à Abdôre, pour éviter la loi contre les dissipa-
teurs, son ouvrage intitulé Méya; Stàxoo-jjLo;, et que ses con-
citoyens lui donnèrent 500 talents (d'autres disent 50). On dit qu'il
vécut 104 ou 108, ou mémo 100 ans. Diodore ne lui en attribue
que 90.
Instruit de tout ce que l'on savait de son temps, et développant
par ses propres recherches les connaissances qu'on lui avait ensei-
gnées, il fit dos études sur les plantes et sur les animaux. Selon
Diogène Laé'rce, il avait écrit plus de 72 ouvrages sur toutes les
matières. 11 ne nous en reste que quelques lambeaux.
Démocrite adopte toutes les théories de son maître Leucippe, et
s'efforce de les démontrer et de les développer.
Et d'abord, il y a du vide : 1° parce qu'il y a du mouvement ;
2° un sac de cendres , par exemple, peut toujours recevoir une
certaine quantité d'eau, sans augmenter de volume; 3** une outre
de vin peut être comprimée ; 4® la nutrition introduit dans les
corps des substances nouvelles, sans qu'ils augmentent de volume.
Tout cela suppose que les corps sont composés de parties distinctes,
et qu'entre ces parties il y a du vide.
En second lieu : divisez un corps autant que vous le voudrez ;
il en reste quelque chose, ou il ne reste rien. S'il ne reste rien, le
corps se composait de rien, ce qui est absurde ; s'il reste quelque
chose, les parties qui demeurent sont étendues ou inétendues. Si
ces parties sont inôtendues , dès néants d'étendue forment une
étendue, ce qui est absurde ; si elles sont encore étendues, la divi-
sibilité a une limite. Donc, il faut admettre en principe les atomes
et le vide (la matière et l'espace).
Le vide est infini. Les atomes sont en nombre infini, et, de plus,
ils sont éternels ; car rien ne sort du tiéauty rien n'y retourne.
464 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
I)6mocrito est le premier <iui ait affirmé si caté*»'oriqnerneni Y\m-
possibilité de la création. Jusqu'ici nous n'avions vu que des tes-
danccs à la nier ou à ea fausser le sens , taudis que plusieurs
Tadmettaieut implicitoment. Désormais nous n'en trouverons pic?
(jiie des traces bien obscures, au milieu de Taffirmation générale ik
rùternitc de la matière, si ce n'est dans les systèmes idéaliste?,
jusi^u'à Tapparitiou de la philosophie chrétienne.
Los atomes sont invisibles, la raison seule les conçoit. Lear
nature est la mémo; ils no varient (jue dans leurs formes, et seî-i:.
Déiiiocrite," c'en leur forme qui détormiae rintcnsitô ot poat-étre
la direction do leur mouvement.
. I>*ailleui*s le moiivouio:it en g ''lierai n'est pas essentiel aui
î) tomes; immobiles de h'iir nature, ils sont éteriiellomeni en niao-
vemont; Déiuocriti^ non rci'herohe pas la cause. Le mouvemeiît
• est rcctili.irue, os*;illutoii'o ou ciroulaire. Ca dernier est .le plQ^
parfait.
Par les cîi'ets de ces mouvL'mciits divers, les atomes se I^env^Ja-
trent et s'atiacli«Mit ensemble ou s'éloii^nioat. Aiii^i iiais-ioaî et
périssent tous les corps, (.''ust ainsi que la tcu're s'est formje pai
des additions successives. Démoci'ite croit qu'elle a la forme d'un
cylindre creux par en l):\.^v
Déniocrite essaye (rox[»iLquor par la i^\V)Sseu:* ot la foi'me dc6
atomes toutes les prv.prijf's des coi'ps. Il croit y réussir pour tout
ce qui *est analo.rue aux ipiali'AS ta:\4"ibles; mais ne pjuvant
expliquer ainsi sclui lui, le cliau»! et le froid, les couleurs et le?
saveurs, il preal le parti de les nier, et dit que ce sont des Lli^^ioui.
L'âme est un c )mp.)sj d'atomes de feu, roads et subtils, qui
péiiètreiit dan.^ tmiies les parties du co/ps et lai donnent la eluUtfur
"et la vie. Il y ea a de seuiblables dans les plaiites, les animaux et
dans tout l'univers Ils sont l'àme du mjnde. La respiration les
renouvelle; ceux ([ui entrent arrêtent la sortie des autres, ei
quand cet é(|uilibre est rompu, ces atomes s'éjhappeat, et rotrc.
l'animal meurt. L'c\me est donc mortelle comme le corps.
La pensée elle-même n'a pas d'autre cause que ce flux et co
rellux des mêmes atomes ; seulement les atomes de la pensée habi-
tent la poitrine, tandis ({ue ceux de la vie habitent le reste du
GRECS — ÉCOLE ATOMISTIQUE 466
orps. La pensée n'est d'ailleurs qu'une sensation causée par le
hoches atomes que tous les corps projettent de leur surface. Ces
tomes sont les images (cî&oXa) des corps d'où ils viennent, et
tteignent Tâme par les canaux des sens. Les oreilles et les yeux
le reçoivent que des atomes d'air; les autres sens reçoivent les
.toxnes des corps eux «-mômes. Démocrite essaye ici d^expUquer ce
[u' ailleurs il a refusé de reconnaître. Les atomes ronds (plus
igi tés) donnent le chaud; les raboteux donnent à Fœil le noir,
andiâ que les polis lui donnent le blanc.
A la an Démocrite dut reconnaître Tincertitude des images
<ransmises par ces moyens, et par suite Tincertitude des qualités
les corps. D'un autre côté, le vide et les atomes ne sont pas perçus
par les sens, mais, selon lui, par la raison. Or la raison, dans
3on système, est sans fondement. Ses adversaires ne durent pas
mauquer de le presser sur ce point, et c'est probablement alors
qu'il prononça, au témoignage de Diogône Laerce, cette parole de
découragement : « Il n'y a rien de vrai ; ou, s'il y a du vrai, nous
ne le connaissons pas. y> Nous verrons son disciple immédiat
tomber dans le même doute, et tous les sceptiques reconnaître
Démocrite pour leur maître.
Peut-être Démocrite en étaitril déjà là , quand il se fit sa
théorie morale, qui prescrit l'indifférence. Du reste il ne propose à
l'homme qu'une seule fin, c'est le bien-être, et ce bien-être ne pou-
vait être guère que corporel avec ses principes. Mais comme, après
tout, cette fin n*est pas toigours en notre pouvoir, il veut que l'on
ne se passionne pour rien, que Ton vive sans crainte comme sans
espérance, c'est ce qu'il appelle l'égalité d'humeur (euôuptfa).
— Il est évident que les principes de Démocrite ne laissent pas
même soupçonner Faction de Dieu, et par suite ne supposent pas
son existence. Mais il fallait bien dire quelque chose de cet être
que le genre humain adore, et dont tous les philosophes avaient
parlé. D*un autre côté toute idée venant des sens et du flux des
atomes des corps, il fallait trouver aussi à l'idée de Dieu une origine
corporelle. Il suppose donc que d'énormes aggrégats d'atomes,
ayant la forme humaine, voltigent autour de la terre, plus dura-
bles que nous, mais destinés aussi à se décomposer. Ils nous appa«
jjaissent en songe, et nous font du bien ou du mal^ selon leurcarae-
30
1
400 HISTOIRE DE LA 1' H IL OS OPIl lE
tdre bon ou mauvais. Telle est selon Démocriie l'origine de Tidie
de Dieu qui jointe à la terreur a enfanté les religions.
{^. Métrodore de Chio. — Métrodore, qui a du vivre esot
Tan 420 et Tan 337, était disciple de Démoerite. 11 fut le maint
(rAnaxarque, lequel fut le maître de Pjrrhon.
Il penche plus nettement que son maître vers le sceptici^se.
Diogène-Laérce lui fait dire: « Je ne sais pas môme si je ne saii
rien»; et Cicéron cite de lui une parole Hemblable, en ces termes:
(( Nous ne pouvons pas savoir si nous savons quelque chose ob a
nous ne savons rien, pas môme ce que c*est que savoir ou ne saroir
pas, ni s'il existe quelque chose ou s*il n'existe rien. »
98. Anaxarque d' Abdère. — Anaxarque, qui fut Tarn! d'A-
lexandre vivait donc pendant le 2* et le 3* quart du IV* siècle. D
était disciple de Métrodore et peut-être de Démoerite. Il ne paraît
pas s'être occupé de faire avancer ni môme de propager la doctri^
de ses maîtres ; mais il la mettait si bien en pratique qu'il fat qsa-
liûé d^eudémoniste (qui a le génie du bonheur). Cependant il fit,
dit-on, le maître d'Epicure.
99. Nausiphane de Téos. — D'abord disciple de Pjirhoa,
Nausiphane embrassa plus tard la doctrine de Démoerite^ et fit
l'un des maîtres d'Epicure. On croit qu'il avait écrit quelques ou-
vrages, mais il ne nous en reste rien .
§6. LIS SOPBISTIS
100. Caractère général. — Les sophistes ne forment pas, I
proprement parler, une école ; car ils n'ont pas de doctiûne à sœ-
tenir. Cependant une môme pensée les inspire : c'est l'incertitaik
des connaissances humaines et notamment de tentes les théorie!
professées jusque là par les philosophes. De là ils concluent que
l'étude est inutile ; que ce qui paraît vrai, peut teut aussi bien par
raître faux, selon la manière de l'exprimer ; qu'enfin l'art de parier
est teut. Quelques-uns vont plus loin et doutent en effet des donnôes
des sens aussi bien que de celles de la raison ; ils croient que fe
monde entier est l'œuvre de l'imagination, et n'a point de réalité
en dehors de notre esprit. A plus forte raison doutent-ils de Dieu.
GRECS — LKS SOPHISTES 467
Le nom de sophistes, qu'on leur donne, désigne, dans son sens
premier, des hommes qui font profession de sagesse ou de sciéhce,
qui se donnent pour sages ou pour savants. Aujourd'hui il désigne
ceux qui abusent de Tapparence de la science pour arriver à leur
but, en trompant. Et les hommes dont il est question ici semblent
D*avoir en d'antre but que celui de se faire valoir pour acquérir la
gloire et la richesse. Aussi y a-t-il lieu de croire que les théories
sceptiques que nous avons d*eux ne sont pas celles qu'ils donnaient
au peuple, mais bien lé secret de leur industrie, qu'ils ne confiaient
qa*ft leurs disciples, à prix d'argent.
Il faut cependant reconnaître que bien souvent, même dans leurs
plus grands écarts hors de la vérité, ils paraissent être de bonne
foi. C'est que l'utile recherché pour lui-môme, finit par se présenter
ft l'espiît sous les dehors du bien, et trompe le jugement.
Mais leurs contemporains ne semblent pas avoir pris au sérieux
leur scepticisme; ils les ont considérés comme des discoureurs sub-
tils et habiles, et c'est comme tels qu'ils les ont combattus, sans se
croire obligés de soutenir par des arguments la ceilitude attaquée.
En effet nous voyons Socrate et Platon défendre les vérités parti-
ouliôres combattues par les sophistes ; mais jamais le principe gé-
néral de la certitude de nos connaissances.
101. Gorgias. — Gorgias, né à Léontium, en Sicile, vers l'an
485, n'est peut-être pas le plus ancien des sophistes, car quelques
auteurs le disent disciple de Prodicus ; mais il paraît avoir été le
plus important ou le plus renommé. Envoyé par les Léontins ft
Athènes, pour obtenir du secours contre Syracuse, il parla si bien,
que non seulement on lui accorda ce qu'il demandait, mais môme
on le retint à Athènes pour y enseigner la rhétorique. On croit qu'il
vécut 107 ans.
Platon, dans son dialogue intitulé Oorgias^ nous donne une
idée des principes littéraires et moraux de ce sophiste. Mais c'est
dans Aristoteet dans Sextus Empiricus qu'il faut chercher sa théo-
rie sceptique, au moyen des fragments cités de son livre Du Non'
Etre ou de la Nature.
YRienn*eanste, En effet, si quelque chose existe, c'est Vêtre
ou le nonrétre^ ou l'un est l'autre k la fois. — Or le non-être n'est
^ I
468 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
pas : donc dire qu'il n*existe que le nou-étre, c*est dire qnil
n'existe rien. — L'être est ou aVec ou sans commencement. Sani
commencement il est éternel et infini. Or Pinfini ne peut^trt
contenu dans rien. Donc il n'est nulle part. Avec un commence-
ment Tétre viendrait du néant, qui ne peut donner ce qu'il n a pas.
— Enfin Tètre et le non-ôtre s'excluent Tun l'autre et ne peuvent
exister simultanément.
2^ Si quelque chose ea^iste nous ne pouvons le co^inaHre.
Car, pour connaître un objet, Tesprit devrait s'identifier à lui. Et si
cela était, nous ne pourrions penser à ce qui n'est pas. D'aillears
les diverses opinions des hommes sur un môme objet prouvent bieo
qu'aucun d'eux ne connaît bien cet objet.
3^ Si nous connaissons quelque chose, nous "ne pouvons
V exprimer par la ])arole. Car la parole ne donne à l'oreille que
des sons, et ces .sons aifi'èrent et de la pensée et de son objet. Donc
ils ne peuvent transmettre ni la pensée ni Tobjet.
En morale, Gk>rgias disait que la distinction du bien et du ma),
n'est qu'une affaire de coutume ou de loi, et n'est pas fondée sur la
Nature.
En politique il admettait le droit du plus fort, et disait que le
plus fort doit mépriser les lois, qui ne sont que des liens inventée
par les faibles.
C'est du moins Ifi ce que Platon lui prôte dans son Corgias,
Mais Gorgias lui-môme semble avoir protesté contre cette impu-
tation, lorsciue, s' et tint fait lire, à Tâg-e de 100 ans, ce dialogue, iJ
dit : « Ce jeune homme remplacera bientôt avec honneur le poète
Archiloque ».
Dans ce même dialogue, Platon nous montre Gorgias comme an
homme qui faisait profession de répondre à toutes les question
qu*on pouvait lui poser, et cela sans avoir étudié les questions
mais seulement par les procédés de la rhétorique, au mojen de
laquelle il se chargeait aussi de faire échouer la meilleure eaose et
de faire triompher la plus mauvaise. Cette double prétention loi
est commune avec la plupart des autres sophistes.
102. Protegoras. — Né à Abdère, on ne sait au justeen qoeDe
année, Protagoraa, était dani la fotoe de l'âge, dit Diogéoe, Tab
ORBCS. — LES SOPHISTES 469
•
444. Il était portefaix, et rhabileté avec laquelle il avait disposé
son fardeau , un jour que Démocrite le rencontra, engagea celui-ci
h le prendre pour son disciple. Devenu maître à son tour, il ouvrit
nne école de mv^ique, c'est-à-dire de rhétorique, de poétique, de
mammaire et de philosophie . Il enseigna d*abord & Abdère, puis à
Athènes et dans d'autres villes de la Grèce. Il faisait payer cher
ses leçons, et compta Périclès parmi ses admirateurs. Mais son
traité sur les dieux, lu en public, lui valut une condamnation. Ses
livres furent brûlés, et lui-même exilé s'en alla en Sicile et périt
dans la traversée.
U avait écrit plusieurs ouvrages dont nous n'avons que les titres
et quelques rares citations. Platon expose et combat sa doctrine
dans le Thééiète et dans le Protagoras. Aristote, Diogône Laêrce
et Cicéron, lui attribuent les mômes théories.
« L'homme, dit Protagoras, est la mesure de toutes choses : de
celles qui sont, en tant qu'elles sont ; de celles qui ne sont pas, en
tant qu'elles ne sont pas. » C'est dire que les choses n'ont d'autre
existence que celle que nous leur donnons par la pensée. Platon et
Aristote observent avec raison que, selon ce principe, il n'y a ni
vrai ni faux, ni bien ni mal.
Cette théorie vient du principe admis dôj^ par Démocrite, que la
science n'est que la sensation . Car la sensation est toujours pré-
sente et particulière, et déplus varie avec chaque homme, et pour
chaque homme même, avec chaque moment.
Avec de tels principes sur la vérité' et sur la morale, il n'est pas
étonnant que Protogaras ait dit : « Au sujet des dieux, je ne puis
savoir s'ils sont ou s'ils ne sont pas. »
Protagoras tire donc les conséquences des principes sensualistes
de son maître Démocrite, et se montre nettement sceptique. Mais
il paraît par quelques pensées contraires citées par Platon, par ses
travaux sur la rhétorique, et surtout par le but de ces travaux, que
toutes 'ces théories n'étaient pour lui qu'une sorte de lieu commun
oratoire, un moven de soutenir toutes les causes ou de les renverser
toutes. En voici un exemple : Un jour qu'il réclamait à Evathlus,
sont disciple les honoraires de ses leçons, celui-ci lui dit : « Si je
prouve au juge que je ne te dois rien, tu n'auras rien, parce que
j'aurai gagné ma cause. Si, au contraire, je ne puis le prouver, je
470 HISTOIRE DE LA PHIL080PHIB
ne te devrai rien, parce que tu n^ m'auras pas renda c^alilaè
gagner une cause. «
— «Au contraire, répondit Protagoras, si tu persuades Is
juges, je t*aurai bien instruit, et tu me devras le prix de ms
leçons, et si tu ne les persuades pas, tu seras condamné et obligé
me payer. »
103. Diagoras de Hélos. — Diagoras, affranchi par Démocrite
et devenu son disciple, n'est connu que par son athéisme. Il éuùi
d'abord très religieux et superstitieux, mais ayant été Tictimed^ta
paigure, il s'en prit aux dieux et commença à mépriser le cslfe
qu'on leur rendait. Un jour môme il contrefit par dérision les mp-
tères d'Eleusis. Il fut accusé d'impiété et de profanation, et prith
fuite. Un décret fut rendu aussitôt qui mettait sa tète à prix. C'éiah
eritre l'an 416 et l'an 412. 11 mourut à Corinthe; d*autres diseat
dans un naufrage.
Cicéron dit (De Nat.Deor, 1, 1); Nullos esse otnmn^ d<^
Diagoras Meltusputavit. Mais Diagoras ne paraît pas avoir ékvé
sa négation à la hauteur d'une théorie: nous n'y voyons qu'un efe^
de la colère, et dans tous les cas, nous ignorons les misons qell
pouvait donner de son athéisme, qui, si nous en croyons une antre
parole de lui, se réduisait à nier la Providence des divinités recca-
nues par la Grèce. Un jour qu'on lui donnait comme preuve de h
Providence, le grand nombre d'offrandes faites aux dieux Gabiïtf
de Samothrace , par les navigateurs échappés au naufrage, il Té-
pondit: « Que serait-ce, si tous ceux qui ont péri avaient pu appci^
ter les leurs ? » .
104. Prodicus de Oeos. — Prodicus, né à Iulis, dans l'île éè
Céos, l'une des Oyclades, vint & Athènes en 4dO, envoyé par s»
concitoyens. Habile diseur, il enseigna son art et se fit de cet en-
seignement une source de fortune. Il donnait des leçons à toutpnit
mais selon les prix. 11 dépensait ses richesses avec la même facilité
qu'il avait & les acquérir, et livré au vice, il déclamait en faveo?
de la vertu. Xénophon met dans la bouche de Socrate son fameax
apologue d'Hercule en présence des deux routes .
c Hercule» à peine sorti de l'enfance, arrivait à cet âge où les jenaes
gens, déjà maître d%ux-mêmes, laissent voir s'ils entreront dans ia \n
w
GRECS. — LES SOPHISTES 471
^par le chemin de la vertu ou par celui du vice; il se retira dans la so-
litude et s'y reposa, indécis sur la route qu'il allait choisir. Deux femmes
•d'une taille extraordinaire se présentèrent à ses yeux. — ^ L'une se fai-
sait remarquer par sa décence et sa noblesse ; son corps était beau de
pureté; ses yeux, de pudeur; sa tenue, modeste; elle portait une robe
blanche. L'autre avait de l'embonpoint et de la mollesse, elle était ornée
de fard pour se donner des couleurs blanches et vermeilles, et tâchait par
son maintien d'ajouter à la hauteur de sa taille, ses yeux étaient ouverts;
sa parure, étudiée pour faire briller ses charmes; elle se contemplait
sans cesse, observait si on la regardait, et tournait souvent la tète pour
voir son ombre. Elles s'approchèrent ensemble ; mais tandis que la pre-
mière conservait la même démarche, l'autre voulant la prévenir, courut
vers le jeune homme et lui dit: a Je le vois. Hercule, tu hésites sur la
< route que tu dois suivre: si tu veux me prendre pour amie, je te con-
« duirai par le chemin le plus heureux et le plus facile; tu goûteras tous
c les plaisirs et tu vivras çxempt de peines... » — « Femme, quel ost ton
c nom ? dit Hercule. — « Mes amis, répondit-elle, m'appellent la Féll-
« cité; mes ennemis pour m'outrager me nomment la Mollesse, d Alors
l'antre femme s'avançant : « Je viens aussi vers toi, Hercule, lui dit-elle.
« je connais ceux qul't'ont donné le jour, et dès ton enfance j'ai pénétré
a ton caractère. J'espère si tu prends la route qui mène vers moi, que tu
« feras un jour de belles et glorieuses actions, et que j'acqerrai par toi,
« auprès des hommes vertueux, plus d'honneur et de considération. Je
a ne veux point te tromper par des promesses de plaisir, mais je t'ex-
a pliquerai les choses avec vérité, telles que les dieux les ont établies,
c Sans le travail et la constance, les dieux ne donnent rien aux hommes
« de ce qu'il y a de beau et d'honorable: si tu veux que les dieux te
« soient propices, tu dois les honorer; si tu veux que tes amis te ché-
« rissent, tu dois être leur bienfaiteur, si tu veux qu'un pays t'honore,
« tii dois le servir,... » La Mollesse reprit alors: a Comprends-tu, Her-
« cule, combien est pénible et longue la route que cette femme te trace
< pour arriver au bonheur ? Mais moi c'est par un chemin facile et court
a que je te conduirai à la félicité. » — « Misérable, lui dit la vertu, quels
« biens possèdes-tu donc ? quels plaisirs peux-tu connaître, toi qui ne
« veux rien faire pour les acheter*? tu ne laisses pas même naître le désir:
« mais rassasiée de tout avant d'avoir rien souhaité, tu mange? avant
« la faim, tu bois avant la soif. .. Ceux qui te suivent ont une jeunesse
« débile et une vieillesse insensée; nourris dans l'oisiveté et florissants
* d'embonpoint lorsqu'ils étaient jeunes, maintenant le corps amaigri,
« ils traversent une laborieuse vieillesse, rougissant de ce qu'ils ont fait.
I
La
472 HISTOIRE DB LA PHILOàOPHI
c accablés de ce qu*lls ont à faire, iU ont volé deplaisirH ea plaisinéxa
c le premier âge, et se sont réservé les peines pour le dernier temps ^
c leur vie. Moi* au contraire, je suis avec les dieux, je suis ai'ec i£s
t hommes vertueux... Mes amis jouissent avec plaisir et sans app?^
c des aliments et des boissons, car ils attendent le désir pour mangerfS
f pour boire. Le sommeil leur est plus agréable qu'à ces hommes (»âB,
c ils se réveillent sans chagrin, et ne sacrifient pas les aiTaires au rqK&
4 Les jeunes gens sont heureux des éloges des vieillards, et les vieilUnh
ff reçoivent avec bonhnur les respects de ia jeunesse. . . Lorsqn'est vesce
ff l'heure marquée par le destin, ils ne restent point dans la tombe oc-
t bliés et sans honneur, mais le souvenir des hommes vertueux iait
« fleurir leur mémoire pendant l'éternité. Hercule, fils de parents ver-
c tueux, c'est par de tels travaux que tu peux acquérir le suprèits
c bonheur. » C'est à peu près ainsi que Prodicus raconte la leçon dooi^
à Hercule parla Vertu; mats il ornait ses pensées d'une es pression pli£>
noble que je ne le fais aujourd'hui. » {Entretiens méinorcibles de 5o-
crate, liv, ii. /; traduction de M. Sommer),
Avec une si belle doctrine morale, Prodicus passait pour un sage,
aux yeux de la multitude, qui Testimait à l'égal de Socrate. Comms
celui-ci il fut condamné à boire la ciguë, à raison de son athéisme.
Mais il paraît que cette accusation était plus vraie pour ProdidS
que pour Socrate, car il disait que les dieux sont une conoepiiofi
de notre reconnaissance, qui divinise les objets qui nous sont utiles.
105. Hippias d'EIis. — Hippias, né à Elis, probablcmefil
quelques années après Socrate, se trouve à Athènes en 436. lï fai-
sait profession de tout savoir et de tout enseigner : les lettres, Ses
sciences et même les arts manuels. Plusieurs fois envoyé en am-
bassade par ses concitoyens, qui croyaient à son talent, il ne réussi
pas toujours, malgré sa rhétorique. 11 visait à la gloire et non movca
à la richesse. Il avait une mémoire très facile et passe pour avoir
inventé la mnémotechnie. Il a beaucoup écrit, mais il ne nous es
reste que quelques citations. Comme les autres sophistes, il soute-
nait le pour et le contre.
106. Thrasf maque de Chalcédoine. — On n'a pas de donote
précise sur la date de sa naissance et de sa mort. Platon le fait
converser avec Socrate, dans sa Réptiblique^ et lui fait dire qad
« la justice n'est que l'intérêt du plus fort i» et que « le bonheur de
rhomme croit en proportion de sa méchanceté ».
GRECS. — LES SOPHISTES 473
Eathydène de Ohios. — Nous avons un dialogue de Platon
qui porte le nom à'Euthydème, Il y est montré comme un dispu-
teur subtil, qui ne cherche qu'à contredire toutes les affirmations,
et appuyé ses dénégations sur des arguments que Platon présente
sous des couleurs tout-à-fait risibles.
108. Coup d'œil g^énéral sur cette 1*' époque. — Jusqu*ici
l'esprit philosophique s'est à peine montré, et déjà cependant on y
voit toutes les directions qu'il doit prendre plus tard.
On y voit en germe les deux panthéismes, l'un matérialiste,
l'autre rationaliste^ et môme le panthéisme moderne de l'Ecole
allemande, la .théorie du devenir. On y voit la négation de la
matière y aussi bien que la négation de V esprit ^ et môme la né^
gation de Dieu. On y trouve la théorie atomique de la matière à
côté de la conception de la matière et de la forme^ et sans en
. excepter la théorie de la matière illusion. De plus toutes les for-
mes des théories de la connaissance s'y dessinent déjà : la théorie
sensualiste et empirique, à côté de la théorie exclusivement ratio-
naliste, en môme temps que celle qui reconnaît à la fois l'expérience
et la raison : le scepticisme et le mysticisme môme n'y sont pas
oubliés. Bien plus, la plupart de ces systèmes ont déjà donné pres-
que tout ce qu'ils donneront plus tard.
Nous aimons à reconnaître ce fait, avec tous les historiens de la
philosophie, parce que si nous établissons que tous ces systèmes,
considérés chez les philosophes de cetto première époque sont bien
moins le fruit de conceptions raisonnées que des corruptions de la
tradition, nos conclusions porteront également sur les époques sui-
vantes qui se sont inspirées des doctrines de celle-ci et souvent n'ont
fait que les reproduire.
Or tous les philosophes de l'Ecole ionienne, et de l'Ecole italique,
et l'Ecole éléatique elle-môme, aussi bien que la mythologie grec-
que, posent comme premier principe des choses le chaos. Qu'ils
l'appellent l'humide, Vapeiron^ l'air infini, les homéoméries^ le
Sphériis, le mélange do la monade et de la dyade ou autrement,
c'est toujours ce premier jet de la création que la Bible appelle en
hébreu tohu te bohu. Leçi différents noms qu'il prend ne sont que
les effori.s de la raison pour le concevoir et ne peuvent faire suppo-
Ct
474 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
ser que l'expérience ni la raison Talent fait découvrir, lorsque s
présence dans tous les systèmes montre si clairement qne c'est b
tradition qui Ta d'abord affirmé.*
L'idée de Dieu, ordonnateur du monde, au moins, pour tons ce
hommes qui ne pouvaient se résoudre à admettre la création, se
retrouve aussi plus ou moins dans tous les sjst^^mes, aussi bien qi»
dans les mystères. Dieu est mieux conçu chez les sept sages, cha
Empédocle et Xénophane, peut être même chez Thalôs et Pjtha-
gore, et confondu avec le monde chez tous les autres ; mais pa>
tout on le retrouve affirmé en principe, et non pas démontré par fe
raisonnement. Peut-on expliquer ce fait autrement que park
tradition ?
Et que dire de cette doctrine du péché originel, qui se trooTi
non seulement dans les mystères, mais encore dans Ehnpédocle et
dans Pythagora? Et la révélation divine, affirmée dans les mystè-
res, déclarée indispensable par Empédocle et regardée comme con-
tinuée dans les oracles, auxquels tout le monde croyait?
"Enfin ces quatre éléments (feu, air, eau, terre), que tous distis-
guent et dont ils ne cherchent que l'origine ; cet ordre de formatitui
de choses, où le soleil et les autres astres viennent toujours apr?s
le feu; cette intervention de V amour dans la disposition des êtres:
et jusqu'au limon de la terre, qui partout est la matière du corps
de l'homme aussi bien que des animaux : tout cela n'est-il pas éti-
demment traditionnel ?
Donc, concluons-nous, la philosophie grecque, jusqu'ici, n'a ries
inventé pour le fond ; elle s'est évertuée à concevoir à sa manière
les formes seulement des choses qu'elle connaissait déjà.
Bien loin d'éclairer les hommes et de leur donner, à la lumière de
la raison, des notions plus pures sur Dieu et sur l'âme, sur les prîfi-
cipes du monde et sur ses rapports avec Dieu, elle n'a fait qu'alté-
rer davantage, en les rendant plus vraisemblables, les grossièi^
traditions des peuples ; elle les a éloignées davantage de la vérité,
et môme a effacé peu-à-peu ce qui restait encore des vérités reli-
gieuses dans les souvenirs des hommes.
Heureusement Dieu ne permet pas que ces vérités s'effaeaaî
jamais entièrement de la conscience du genre humain, ni même
d'un peuple. Aussi les doctrines que nous venons de passer en re-
ORECS. — LES GRANDES ÉCOLES 475
Tue ne portèrent pas tons leurs fruits, et les hommes qne nous al-
lons voir dans l'époque suivante, puisant aux sources antérieures,
et mus d*ailleurs par une raison plus droite, recuilleront dans les
mômes ouvrages que nous venons d'analyser, la partie la plus pure
de leurs doctrines, et sans s'affranchir entièrement de l'erreur,
s'élèveront plus haut dans les saines régions de la vérité.
C'est cette réaction, ce retour au bon sens et aux traditions pri-
mitives que l'on a appelé la réforme philosophique de Socrate. Il y
a réforme en eifet, mais ce que nous avons vu jusqu'ici, nous empê-
chera d'en faire honneur à la raison humaine toute seule.
Toutefois nous sommes loin de méconnaître la part de la raison
dans la vraie philosophie que nous allons rencontrer. Si la raison
n'y était pour rien ce ne serait pas de la philosophie ; si môme elle
n'y découvrait rien de nouveau, il faudrait restreindre de beaucoup
le rôle que la philosophie s'attribue et que nous lui avons reconnu;
mais nous voulons qu*il soit bien établi : P que la philosophie vraie
n'a jamais marché absolument seule, en dehors des données four-
nies parla Tradition; 2'» que son rôle, n'est pas de marcher au
hasard, dans les ténèbres, vers n'importe quel but, mais bien de
trouver une route à elle vers le but connu, de trouver la démons-
stration rationnelle des vérités que le genre humain a toiyoui»s
possédées, et de partir de là pour creuser plus avant dans cette
mine inépuisable, y découvrir des vérités cachées jusque là, mais
qui dans tous les cas ne peuvent jamais être en contradiction avec
les premières. ^
DEUXIÈME ÉPOQUE
LSS GRANDES ÉGOLES GRECQUES
109. Division. — Nous diviserons cette époque en dix parties :
1** Socrate, qui commence la réforme philosophique (430) ;
2® Ses disciples immédiats, qui n'ont pas fondé d'écoles (400) ;
puis les petites écoles fondées par d'autres disciples de Socrate,
savoir :
3* L'Ecole cynique, fondée par Antisihène (400) ;
4** L'Ecole cyrénaîque, fondée par Aristippe (380) ,
476 HISTOIRE DE hk PHILOSOPHIE
5<* L'Ecole mégarique, fondée par Euclide (400); ei eoâill
grandes écoles, qui sont :
6« L'Académie, fondée par Platon (380) ;
7" Le Lycée, fondé par Aristote (336) ;
8« L'Ecole de Pyrrhon (330) ;
9** Le Portique, fondé par Zenon (320) ;
10« L'Ecole d'Epicure (315).
9 1. - SIC&àTI
110. Sa ▼!•. — Socrate, fils du sculpteur SophPonLgque et à
la sage-femme Phénarète, naquit à Athènes, l'an 470. Il W
d'abord sculpteur comme son père. Il apprit aussi la musiqiie, h
géométrie et les autres sciences mathématiques, y compris Tm^^
nomio ; mais il en faisait peu de cas . Quant & la philosophie, 3
déclare lui-môme avoir entendu Prodicus, et il paraît bi«i qï'S
étudia, au moins dans leurs livres, les doctrines des Ionien?, d*
Pythagoriciens et des Eléates ; mais il ne les suivit pas servilfr
ment et se fit une doctrine à lui, en sorte que Xénophon détlaw
que Socrate fut son propre maître en philosophie. Nous vcm«?
bientôt qu'il ne faut pas prendre ce jugement dans toute s«
étendue.
Malgré ce qu'en ont pu dire d'autres auteurs, il est cerUii
d'après le témoignage de Platon, que Socrate ne fit aucun totb?
pour s'instruire, et même qu'il ne sortit jamais d'Athènes, h«»
n'est une fois pour aller à l'isthme de Corinthe.
11 dédaignait l'étude des corps et du monde en général, et î«
portait tout entier vers l'âme humaine, qu'il étudiait en réfléchir
sant sur lui-même et sur les autres. Quoiqu'il ait parlé souvenni*
politique et d'administration, et qu'il ait donn^ sur ces matière
d'excellents conseils, il ne se croyait pas capable d'admin^^^f^
lui-môme. Il sut cependant se dévouer à son pays et combat^
pour lui. On le vit ft Délium, à Potidée, à Amphipolis, montn^
autant de bravoure que les plus vaillants capitaines de .son tcmpt,
et en deux occasions il sauva la vie à Alcibiade et à XénophoQ.
Il montra aussi dans un autre ordre de faits, son amour poar^
GRECS. — SOCRATE 477
concitoj^ens : il défendit, quoique sans succès, les généraux des
Arginuses devant rassemblée du peuple ; il refasa de livrer Léon,
de Salamine aux trente tyrans qui voulaient le mettre à mort.
Cet esprit de sévère justice, qui lui faisait souvent blâmer les
actes des hommes influents de son époque (actes que n'inspirait
pas l'amour de la patrie, mais l'ambition surexcitée par la gloire
qu'Athènes put conquérir dans le siècle de Périclès,) et surtout
rironie mordante qu'il employait pour flétrir tous les vices, lui
suscitèrent de nombreux ennemis. On résolut donc de le perdre, et
on prit pour prétexte son enseignement qui s'écartait des données
de la religion païenne d'Athènes, et l'attrait que sa parole inspirait
aux jeunes gens.
. Aristophane essaya de l'étoufler sous le ridicule, dans sa comédie
des Nuées, et ce moyen n'ayant pas réussi, trois hommes prêtèrent
leurs noms à la haine de tous. Mélitus, mauvais poète ; Anytus,
maigre rhéteur, d'autres disent corroyeur, et Lycon, orateur aussi
inconnu d'ailleurs que les deux autres, signèrent l'acte d'accusa-
tion que Xénophon résume ainsi : a Socrate est coupable de ne
point honorer les d-^ux d'Athènes et d'en introduire de nouveaux;
il est coupable de corrompre la jeunesse. »
Qu'y avait-il de vrai dans cette accusation? Tout ce que nous
savons de Socrate ne nous permet pas même un soupçon en faveur
du second chef d'accusation. Quant au premier, bien que les paroles
que lui prêtent Xénophon et Platon, ne le montrent pas comme
ayant nettement enseigné qu'il n'y a qu'un Dieu, on peut cependant
croire que tel ^tait le fond de sa pensée. Dès lors il pouvait faire
peu de cas des dieux de l'Olympe, et même Platon nous le montre
faisant ressortir l'immoralité de leurs exemples. C'en était assez
aux yeux des païens pour l'accuser de ne pas reconnaître les dieux
de la république. Mais ces dieux nouveaux qu'il introduisait, était^
ce le vrai Dieu ? Faut-il y voir avec Xénophon ce démon familier
dont Socrate parlait souvent, et dont il suivait les inspirations ?
Cette dernière interprétation s'accorderait mieux avec le texte de
l'accusation que nous a conservé Dibgène Laéi*ce : ^ Socrate ne
reconnaît pas les dieux de la république, et met à la place des
extravagances démoniaques. t> Il est pour le moment difficile de
résoudre cette question.
478 HISTORE DE LÀ PHILOSOPHIB
Quant à la nature de ce démon familier, dans lequel on ne veut pisi
voir aujourd'hui que la conscience, nous n'avons pas le temps de b
discuter; mais nous ne voyons aucune difficulté à y voir un
proprement dit, ou même un ange. La manière dont Soerate en
ne nous semble laisser aucun doute à ce sujet, et la seule raison tpi
l'on pourrait alléguer contre cette conclusion, c'est que nos phlIosiH^e
modernes n'admettent pas volontiers Texistence des ang^es. Noos a^otf
déjà combattu en passant, par de simples raisons philosophiques, oetîi
dénégation (p. 186, 6* corol) ; nous pourrions ajouter maintenant, api^
ce que nous avons vu dans l'histoire de la philosophie, que cette eio^ce
a pjur elle le témoignage unanime de tous les peuples, et c'est là sz
genre de preuve que la philosophie classique a toujours admis.
Socrate se présenta devant ses juges et fut d*aborà condamaêl
une majorité de cinq voix seulement. Mais on lui laissa la détefmh
nation de la peine qu'il méritait, et Socrate répondit qu'on derait
le nourrir au Prytanée, aux frais du trésor, jusqu'à la fin de ses
jours. Cet to Cwro réponse irrita ses juges et plus de quatre-Tinfti
votèrent sa mort.
Socrate demeura trente jours en prison, comme Platon ncsi
l'apprend dans le Phédon, parce que le jour de sa condamnation ta
avait couronné le vaisseau que les Athéniens envoyaient chaqo$
année à Délos, en mémoire de la délivrance de Thésée, et defKÛâ
ce moment jusqu'au retour du vaisseau on ne devait exécuter as.
cune sentence capitale. Dans sa prison Socrate fut visité par ses
amis, et le dernier jour surtout il s'entretint long-temps avec eoi.
après avoir embrassé sa femme et ses enfants. Il parla longnemeftt
de l'immortalité de l'âme et se montra fort résigné à la mort, disast
que le philosophe apprend tous les jours & mourir. Le soir éUsi
venu on lui apporta la coupe fatale ; il la but ^d'un seul trait apràs
avoir invoqué les dieux. Il consola ensuite ses disciples qui poi^
salent des cris de désespoir. Quand il sentit ses jambes s'appesa^
tir il se coucha sur son lit et se couvrit de son manteau. Mais
bientôt, se découvrant, il dit : a Criton, nous devons un coq à
Ësculape : aie soin d'acquitter cette dette. » Il eut encore un mot-
vement convulsif ; un instant après il était mort. Criton lui ferœft
la bouche et les jeux.
III. Sa méthode. — Socrate aimait la vérité pour elle-même
GRECS. — SOCRATE 479
et tâ.<3bait d'inspirer à ses disciples le môme amour. C'est ainsi que
par lui la philosophie prit un essor nouveau et que les grandes
écoles qui le suivirent se montrèrent animées du véritable esprit
philosophique.
Mais l'amour de la vérité ne suffirait pas à la faire découvrir
sans une méthode sûre. Cette méthode, Socrate l'employa plus
quHl ne Tanalysa. Doué d'un grand sens pratique et nourri des
saines traditions, autant que les lambeaux qui en restaient en Grèce
de son temps peuvent mériter ce nom, il comprit que le vrai fonde-
n:ient de la science est tout à la fois: robservatix)n et le raisonne-
ment. Aussi, dans toutes les questions qu'il traite^ il consulte
d'abord le témoignage de la conscience et des sens, et cherche &
exprimer la conception qu'il en a tirée. Puis il raisonne son expres-
sion pour voir si elle rend bien sa conception et si cette conception
elle môme correspond exactement aux faits perçus. De là il remonte
aux principes, aux causes et aux lois, en interrogeant la raison.
Tel est le fonds de sa méthode, et si des procédés si réguliers ne
lui ont pas fourni des doctrines plus complètement exactes, il ne
faut l'attribuer, ni à la faiblesse de son intelligence, ni à l'imper-
fection de sa méthode, mais à l'oubli presque universel alors des
traditions primitives, et aux préjugés qu'enfantaient nécessairement
les erreurs alors généralement répandues et auxquelles Socrate ne
put pas échapper entièrement.
Dans sa forme extérieure, sa métho4e a deux aspects^ dont l'un
est V ironie socratique (ctpwveta, interrogation ironique), qui
consiste à feindre l'ignorance et à faire des questions, pour deman-
der des explications à son interlocuteur ; l'autre est la mcUeutiqiùe
((xateuTWCYi 'zéyvfi, art delà sage-femme), qui consiste à interroger
de telle manière l'intelligence la moins instruite, qu'elle découvre
d'elle-même les vérités qu'elle croit ignorer.
En voici un exemple tiré du Gorgias de Platon. — Soorate. — Une
maison où règne l'ordre et l'arrangement n'est-elle pas bonne 'i et si le
désordre y est, n'est-elle pas mauvaise*? — Galliolès — Oui. — N'en
Eaut-il pas dire autant d'un vaisseau? — Oui. — Nous tenons le même
langage au sujet de nos corps? — Sans contredit. — Et notre àme sera-
t-elle bonne, si elle est déréglée ? Ne le sera-t-elle pas plutôt, si tout y
480 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
est dans l'ordre et dans la rè^le ? -* Il faut bien l6 Feconnaitre, a^
ce qui a déjà été accordé. — Quel nom donne-t-on à Keflet que proda*
sen\ la règle et Tordre dans le corps? — Tu l'appelles probahleme^
santé et force. — Oui. Essaye à présent de trouver et de me dire pardl-
lement le nom de l'effet que la règle et l'ordre produiseat dans J arihi.-
Que ne Je dis-tu toi-même, Bocrate? — Situ l'aimes mieux, je vais k
dire: seulement si tu juges que j'ai raison, conviens-ea; sinon, ^é^•it^
moi, et ne me laisse rien passer. 11 me semble donc qfue Ton appeik
salutaire tout ce qui entretient l'ordre dans le corps, d'^où nai^eot la
santé et les autres bonnes qualités corporelles. Cela est-il vrai, cm iks?
— Cela est vrai. — Et qu'on appelle légitime et loi tout ce qui met #
l'ordre et de la règle dans l'âme, d'où se forment les hommes justs d
réglés. C'est là ce qui produit la justice et la tempérance. Ii'aeeordei^
ou le nies-tu ? — Soit.
112. Sa doctrine. — Socrate n'a rien écrit et tout ce qne nous
savons de sa doctrine nous est venu par ses disciples, pri&eîpftfe-
ment par 71 '^r.nphon et Platon. On s'accorde généralement A peœff
que Xénophon n'a rien ajouté à la doctrine de son maître, et ot
peut faire honneur à Socrate de tout ce qu'il lui attribue. Mab
peut être ne Ta-t-il pas compris tout entier, ou même, n'ajaniéesit
que pour venger sa mémoire, peut-être a-t-il omis à de^ein (te
théories qui s'écartaient davantage des préjugés de son peopk, «t
qui nous intéresseraient précisément pour ce motif. Platon, laet
dans la bouche de Socrate, dans ses dialogues, tontes les opiDioti
qu'il adopte pour lui-môme, et il donne à son maître plus de ^
fcmdeur, plus de subtilité dans la dispute, et plus de grâoe da»
son style. Mais il est évident qu'il y a en cela beaucoup de Platoa
lui-même. Et comment distinguer la limite de la propriété de eh»-
cun? Nous en sommes réduits à considérer comme appartenant à
Socrate ce que plusieurs de ses disciples lui attribuent à la fois.
113. Logique de Socrate. — Il ne paraît pas que Socnto
ait jamais exposé une théorie logique. Ayant à réfuter ks
sophistes, il aima mieux les forcer par son ironie & se condamner
eux-mêmes, qne de donner une théorie de lao^itude, ou mémedi^
sources de la connaissance. Mais il avait ponr lni*méi&e bm
logique toute faite, et il en faisait usage ; il nous est donc pennii
de la^ constater dans ses conversations. Or voici ce que noofT
trouvons.
I ^
GRECS. — SOCRATE 481
Socrate croit aux perceptions des sens et de la conscience ; il les
consulte et considère leurs réponses comme certaines. Mais ce
qu'attestent les sens et la conscience ce sont des faits, particuliers,
variables et contingents, et il comprend que la science a pour objet
Funiversel. Il procède donc par élimination et arrive ainsi par
Vinduction aux conceptions générales qu'il exprime par leura
noms ou par des définitions. Mais il ne se contente pas d'atteindre
aux définitions, il sait aussi conclure des effets aux causes et des
causes aux effets. Et tout cela il fait remarquer ^que l'homme Je
découvre par une lumière intérieure qu'il possède d'avance, et
qu'ainsi, selon lui, apprendre c'est voir clairement ce que l'on
savait déjà d'une manière implicite. Il est facile de reconnaître ici
la raison . Ainsi Socrate emploie tous les procédés logiques de la
philosophie classique actuelle et fonde la science sur les mêmes
bases. Tout le progrès que nous avons fait depuis dans cette voie
coQsiste dans une analyse plus profonde de ces mêmes procédés et
de ces mêmes bases.
114. Méthaphysique de Socrate. — Ce titre pourra paraî-
tre étrange à ceux qui connaissent les théories de Socrate et qui
ont vu le sens que nous donnons au mot « métaphysique )). Aussi
noas ne chercherons pas dans les doctrines de Socrate cette analyse
des vérités nécessaires, ni cette synthèse à priori des grands prin-
cipes de raison ou des vérités premières.
La métaphysique n'est pas chez lui l'objet d'une étude, au
contraire, il dédaigne de l'étudier ; mais il ne s'en sert pas moins
et si le plus souvent dans ses questions il va du particulier au
général, par induction, on le voit aussi bien des fois partir d'une
vérité générale et raisonner à priori. Donc il admettait pratique-
ment la certitude métaphysique, quoiqu'il dédaignât d'en étudier
les grandes lignes, comme d'autres l'ont fait après lui. C'est tout ce
que nous voulions constater.
115. Psychologie de Socrate. — Ici non plus ; nous ne
trouvons pas dans Socrate, cette analyse détaillée des facultés de
l'Ame que nous appelons aigourd*hui la psychologie, mais nous y
voyons en germe toute cette science. Bien plus, Socrate ne se
contente pas de l'étude de l'Ame isolée ; il la considéré dans ses
31
, 482 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
rapports avec le coi^ïp, et par coiisé(j[Ucnt il conçoit la psjrchokcf
avec toute retendue qu'on lui donne aujoui^d'hui.
Le point de départ de sa philosophie, * Connais-toi toi-ménit? •.
avait surtout une portée morale, mais comme, ainsi queBDn>x
verrons bientôt, la morale de Socrate se confondait presque âT«
la science, il ne pouvait pas dire aux hommes « ag-issez bieo >.
sans leur dire en môme temps < sachez ce que vous êtes, et œç^
vous pouvez faire ». Il avait donc lui aussi sa théorie des faedtia
de FAme, mais elle renfermait plutôt l'étendue et les limites de te
pouvoir que la connaissance de leur nature.
Quant à l'Âme elle-même, il en parle comme d'un être intelligest,
principe de tous les actes de Thomme, se manifestant sunoirt par
la recherche d'une fin connue d'avance. L'existence de Tâme (ka
l'homme, sa nature invisible, et sa distinction d'avec le coips, se
font pas l'objet d'un doute môme le plus léger, pour lui, comme oa
peut le voir en miUe endroits et notamment dans sa conTeisaticc
avec Aristodôme le petit, dans le premier livre des Mi^moraéfer
de Xénophon.
Ce principe que nous appelons aujourd'hui des causes fiaaks.
par lequel il démontre l'existence de Dieu et surtout saProvideaise.
lui sert également pour mettre hors de doute rexistence de l'iEf,
son intelligence et sa liberté. Mais pour lui la liberté semble nécre
qu'une tendance naturelle à faire le bien. Il croit que rhomB^
veut naturellement le bien, dôs qu'il le connaît comme tel ; et q«
s'il fait le mal, ce n'est que parce qu'il se tix)mpe.
116. Théodicéede Socrate. — 11 dit indifféi*emment \ Dif9,
ou les dieux. Mais on sent bien que le fond de sa pensée est qn'te
seul Dieu est véritablement le maître de toutes choses, et sH
emploie quelquefois le pluriel, c'est sans doute pour moins effaiwi-
cher ceux de ses auditeurs qui ne sont pas encore bien instruits dt
ses doctrines.
C'est d'abord par une croyance naturelle à la tradition du g^at
humain qu'il admet l'existence de Dieu; c'est ensuite parooî?
sorte d'intuition intime ; mais il a raisonné sa croyance et il a
montre la rationnabilité.
Le monde est une œuvre iminense où tout est ordonné mamfd*-
GRECS. — SOCRÀTB 483
tement en vue d'une fin; donc, conclut-il/le mondeest l'œuvre d'une
intelligence ; et si cette intelligence est invisible, il lui suffit que,
comme Tâme, elle se manifeste par ses œuvres. De plus, il lui
répugne d'admettre que Thomme formé d'une parcelle de boue ait
absorbé à lui seul toutco qu'il y avait d'intelligence dans ce vaste
univers, qui est comme infini par rapport à l'bomme.
Dieu en formant le monde y a tout disposé pour le bien ; il con-
tinue à maintenir son œuvre et en dirige encore toutes les parties
, Tei*s le bien. La Providence se manifeste jusque dans les plus petits
détails. (Xénophon. Mémor, 1, 4).
La volonté suprême de Dieu est aussi la vraie loi^ principe de
tontes les autres ; loi non écrite, mais gravée dans le cœur des
hommes.
Tel est le Dieu que reconnaît Socrate . C'est bien le Dieu de la
philosophie classique, le Dieu qu'affirme le genre humain, môme
en le défigurant. Mais Socrate ne s'est pas senti assez fort pour
pénétrer dans la nature intime de ce Dieu, qu'il connaissait par
une tradition déjà bien obscurcie, et par des efforts de raison en-
\ core trop isolés pour atteindre tout le développement dont ils sont
capables.
117, Morale de Socrate. — C'est ici le vrai champ de la phi-
losophie de Socrate. La morale, la connaissance exacte du bien,
principe indispensable et selon lui sufiîsant de la pratique de la
I vertu : tel ét^it l'objet et le but de toute son étude . Aussi quand
ses conversations ne roulent pas directement sur la vertu en géné-
ral ou sur l'une des vertus, on peut dire qu'elles y mènent.
La sagesse est tout à la fois la science et la vertu. Mais la
la science est le principe do la vertu, et Socrate croit que la vo-
lonté humaine étant naturellement dirigée vers le bien, il lui suffit
de le connaître pour le vouloir. Dès lors il se dispense de noter la
paît de la volonté dans la définition de la vertu, et chaque vertu
devient une science. Ainsi la justice est la connaissance des lois qui
règlent la conduite de chaque homme envers les autres hommes ;
\ la piété est la connaissance du culte légitime. (Xénophon, Mémor,
IV. 6.)
Ainsi, la piété envers les dieux, la justice envers les hommes ; le
484 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
respect et rameur envers ses parents ; robéissance aux lois de la
patrie et le courage pour la défendre ; la tempérance envers soi-
même, pour se mettre à l'abri de la tyrannie des passions, pour
acquérir la vraie liberté, et même pour se rendre capable d'éprou-
ver les véritables jouissances : telles sont les principales vertus qu6
Socrate expose et analyse, et recommande, toujours avec cette mé-
thode persuasive qui consiste à interroger habilement son auditeur
pour ramènera conclure avec lui.
C'est ainsi que Socrate se fit un grand nombre de disciples, qu'il
attachait à lui par le charme de sa conversation, par la sublimité
des doctrines qu'il leur présentait, en saisissant leur âme tout en-
tière : leur intelligence, par Texposition de la vérité ; leur cœur, par
l'identité qu'il établissait entre le vrai et le beau; leur "volonté, par
l'attrait du bien, qui existe en effet dans l'homme, et qu'il montrait
aussi identique au vrai et au beau ; et enfin leurs passions sensi-
bles môme, en leur montrant que le bien est toujours ce qu'il y a
de plus véritablement utile. D'ailleura on l'en croyait d'autant plus
volontiers qu'il parlait avec plus de désintéressement, n'ayant ja-
mais fait payer ses leçons. Ajoutons à cela qu'il accepta courageu-
sement la mort plutôt que de se contredire. C'est ainsi qu'il réforma
la philosophie.
118. Appréciation — Certainement la doctrine de Socrate
n'est pas encore la philosophie complète, mais elle se tient en tous
points dans la doctrine classique. Comparée aux théories précéden-
tes elle se montre infiniment supérieure ; non pas qu'on ne trouve
en lambeaux chez les philosophes antérieurs presque toutes les
vérités affirmées et démontrées par Socrate ; mais d'abord personne
jusqu'à Ini n'avait été aussi complet, personne n'avait été aussi
exact, personne ne s'était tenu aussi bien dans le véritable esprit
philosophique et surtout personne n'avait exposé la vérité d'une
manière si populaire, avec autant de noblesse, de grâce et de pe^
suasiou. De plus en détournant les esprits des recherches toigours
vaines sur les principes des choses pour les appliquer & l'étude de
l'homme et de ses devoirs, il donna à la philosophie son véritable
but et son objet le plus important. C'est ainsi que, selon l'expres-
sion de Cicéron, il fit descendre la philosophie, du ciel sur la terre.
GRECS. — DISCIPLES IMMÉDIATS DE SOCRATE 485
Nous dirions tout aussi volontiers qu'il la fit remonter de la terre
au ciel, en la ramenant à sa véritable source, en mettant mieux en
lumière la vraie notion de Dieu et surtout les rapports de l'homme
avec Dieu; en un mot en enseignant à Thomme à se rendre sem-
blable à Dieu.
Telle fut la mission de cet homme véritablement providentiel.
Nous ne pouvons en effet nous empêcher de lui reconnaître une
mission divine ; mission dont il eut une certaine conscience, mission
qu'il accomplit dignement ; nous voudrions dire aussi mission qu'il
couronna glorieusement par une sorte de martyre, s'il n'j avait
dans sa mort une trop grande influence de l'orgueil.
Certainement Socrate est hors de toute proportion avec Notre
Seigneur Jésus-Christ ; mais il a pourtant avec le véritable réfor-
mateur du genre humain assez de traits de ressemblance^ pour que
nous puissions y voir une figure et comme une sorte de précurseur
envoyé par Dieu pour lui préparer les voies et pour ne pas laisser
plus long-temps s'accumuler dans l'esprit des Grecs et des Romains
les ténèbres de l'erreur. C'est ainsi ce nous semble que Dieu qui
avait choisi le peuple Juif pour conserver le dépôt de la vraie doc-
trine et qui par Moïse et les Prophètes y avait toujours entretenu
la vérité, ne laissa pas les Gentils absolument sans secours, et, sans
les arracher entièrement A l'idolâtrie, se servit d'un simple mortel
pour rallumer chez eux le flambeau presque éteint de la révélation
primitive et même de la raison.
S 2. — LIS DISOPLKS DUiDUTS Dl SOCRATB
119. Simon. — Socrate allait souvent philosopher dans la bou-
tique de Simon, le corroyeur ou le cordonnier. Celui-ci prenait
soin de noter ce qu'il avait entendu, et finit par devenir assez
habUe pour écrire jusqu'à trente-trois dialogues socratiques, sur
toutes les matières que son maître traitait. Ces écrits ne nous sont
pas parvenus. Un philologue allemand, M. Bœckh a cru pouvoir
lui attribuer quatre des dialogues apocryphes de Platon, et les
a publiés en 1810, avec les raisons qui lui fout croire qu'ils sont
de Simon. Ces dialogues traitent : du Juste, de la Vertu, de la
Loi y de r Amour du gain.
48Ô HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Quelque incertitude que nous ajons à ce siget, il suffit que boui
sachions, par Diogône Laêrce, qu'un simple cordonnier avait écri
des dialogues philosophiques, pour comprendre combien Tensei
ment de Socrate était populaire.
120. Socrate le jeune. — Platon, dans le Politique et dani<
le Sophiste, et Aristote, dans la Métaphysique^ nous apprcnneni
qu'il y eut un second Socrate, disciple du premier. Nous ne savons
rien de sa vie, et il ne paraît pas qu'il ait rien écrit.
121. Criton. — Criton, disciple €*ami de Socrate, mit fafo^
tune à son service, se porta caution pour lui avant son jugement|
et après sa condamnation voulut le faire évader, mais Socratu
refusa énergiquement pour ne pas désobéir aux lois. Criton avait
écrit dix-sept dialogues et une apologie de Socrate ; il ne nous a
reste rien. Un des dialogues de Platon porte son nom.
122. Cébès de Thèbes. — Platon fait parler Cébès avec
Socrate, dans le Phrdon. Il le fait donc assister à la mort de sod
maître, et le compte ainsi parmi ses disciples les plus fidèles. Ccb^
avait écrit trois dialogues, dont il nous reste le Piiiax^ ou le
tableau. L'auteur se représente dans un tableau la double manii'^re
de vivre des hommes. D'un côté ceux qui, enveloppées dans les
ténèbres de l'ignorance et excités par leurs passions, courent aprSs
les richesses et les plaisirs, et n'atteignent que la tristesse et le
désespoir ; de l'autre, ceux qui, fidèles aux leçons de la sagesse,
s'exercent à la tempérance, s'efforcent d'acquérir toutes les vertu?,
et arrivent ainsi à la félicité.
123. Xénophon. — Xénophon , ûls de Grvllus, né À Escbia,
dans l'Attique, Tan 445, fut tout à la fois un grand g^^néral, ou
grand philosophe et un grand historien. Dès l'Age do 16 ans, il
suivit les leçons de Socrate. Il combattit à ses côtés à Délium, où
Socrate lui sauva la vie. Engagé parmi les mercenaires que
Cléarque conduisait au secours de Cyrus le jeune, il prit le comman-
dement de ce corps après la mort de Cléarque ot dirigea la fameuse
retraite des dix mille, dont il a écrit rinstoiro. S'étant mis avoc
ses soldats au .«ervico d'Agôsilas , roi do Sparte, il fut U^nni
d'Athènes. Après être resté 24 ans en Asie, il se réfugia h ( orintk,
GRECS. ^ DISCIPLES DE SOCRATE 487
OÙ il moorat au moment où ses concitoyens venaient de le rappeler
<355 ou 354 av. J.-C).
Les nombreux écrits de Xénophon peuvent se diviser ainsi :
Ouvrages philosophiques : Mémoires sur Socrate, Apologie
de Socrate, le Banquet^ V Economique , VHiéron; ouvrages
HISTORIQUES : la Cyropédie^ ou l'éducation de Cyrus, qui est
plutôt un roman moral qu'une histoire; rAnabase, ou la retraite
des dix mille ; ^^5 Helléniques^ V Eloge d'Agé silos '^ ouvrages
POLITIQUES : Les Républiques de Sparte et d* Athènes, les Revenus
de l'Attique; ouvrages d'instruction militaire : Le MaXtre de
la cavalerie^ V Equiiation^ les Cynégétiques.
Sa doctrine est uniquement celle de Socrate ; il ne cherche pas à
y sgouter, mais seulement à la venger contre ses détracteurs.
Nous donnerons ici une courte analyse de son ouvrage le plus im-
portant :
Les AicopiveixovsuixaTa SoMcpàTOuç, titre que Ton traduit ordinaire-
ment par Entretien» mémorables de Socrate, et que l'on traduirait
mieux par Souvenirs ou Mémoires sur Socrate, soni une apologie de
son Maître, une réponse à l'acle d'accusation, lis so composent de
qaatre livres, que l'on divise on un petit nombre de chapitres.
En commençant» Xénophon exprime snn étonnement qu'on ait pu
condamner Socrate h la mort et rappelle Pacte d'accusation, qui se di-
vise en deux che/s : 1** Socrate n'honore pas les dieux d'Athènes ; 2* il
corrompt la jeunesse.
Il semble d'abord vouloir répondre séparément à chacun de ces deux
chefs ; mais dans la suite de l'ouvrage il mêle les questions et répond
sans ordre à tous les griefs que l'on avait fait valoir contre lui.
Et d'abord Socrate honorait les dieux, puisqu'il pratiquait la divina-
tion. Seulement il ne voulait pas que l'on demandât à la divination ce
que l'on peut savoir par la raison. Il avait sur Dieu une doctrine très
exacte et très pure. <i Socrate croyait que les dieux savent toutes nos
paroles, toutes nos actions, toutei nos pensées les plus intimes, qu'Us
80Qt présents partout, et que dans toute circonstance ils se manifestent
à l'homme. » (liv. i, ch. 1).
Plus loin il raconte une conversation dans laquelle Socrate démontre
H Aristodèmo l'existence do la Providence eu lui faisant observer l'ordre
de l'univers et surtout l'adinirablc disposition des oigtiues de l'homme,
la faculté que les dieux lui ont donnée de se tenir debout, la place des
488 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
yeux, des oreilles et de la bouche, les mains pour travailler, la langue
surtout et la parole, et enfin l'âme, bien plus parfaite que celle des ani-
maux, seule capable de connaître les dieux et de leur rendre un culte,
(liv. I, ch. 4).
Il revient sur le même sujet dans le quatrième livre, où Socrate montre
à Euthydème que les astres du ciel et tout ce qui habite la terre est fait
pour l'homme, puisque lui seul en profite (liv, iv, ch. 3).
Pour répondre à l'accusation de corrompre la jeunesse, Xénophon fait
voir comment au contraire Socrate enseig^nait toutes les vertusetmème
savait en inspirer l'amour.
11 insiste principalement sur la tempérance et y revient plusieurs fois.
Il montre d'abord comment Socrate donnait lui-même l'exemple de
cette vertu. « Socrate, dit-il, était le plus sobre des hommes dans les
plaisirs de la table et des sens, le plus endurci contre le froid, le chaud,
les fatigues de toute sorle. » (liv. i, ch. 2). Ailleurs Socrate lait l'elog*
de la tempérance et fait remarquer que nous ne voudrions pas d'un
homme intempérant pour lui confier ni une armée ni l'éducation de nos
enfants; que nous ne voudrions pas même confier à un esclave intempé-
rant la garde de nos troupeaux, (liv. i, ch. 5.) Dans une discussion avec
Aristippc de Cyrène, il fait avouer à celui-ci (lue la tempérance est une
vertu indispensable à celui qui est destiné à commander. Que celui-là
doit savoir faire passer le de\oir avant la satisfaction de tous les besoins
de la faim, de la soif, du sommeil; qu'il doit savoir se sevrer déplaisirs,
endurer la fatigue et toutes les privations, (liv. ii, ch. 1.) Enfin dans
un autre endroit, Socrate démontre à Euthydème que l'intempérance
tient l'homme dans l'esclavage le plus cruel, puisque c'est la servitude
de l'âme et que d'ailleurs elle l'empêche de goûter les plaisirs permis,
(liv, IV, ch. 5.) C'est à Aristippe, dans le chapitre i, du iv livre que So-
crate raconte l'apologue de Prodicus que nous avons donné prewiu'eu
entier, page 470 en parlant de ce sophiste. Cet apologue a trait aussi
à la tempéiance.
Après la tempérance, les vertus que Socrate recommande le plus sont
la piété envers Dieu, la pièlé filiale envers les parents, et la justice enven
tous les hommes. Son fils Lamproclès était irrité contre sa mère : So-
crate lui fait voir ce qu'il y a d'injuste dans sa conduite et le ramène à
de meilleurs sentiments, (liv, ii, ch. 2.) Dans le chapitre suivant il ré-
concilie deux frères. Plus loin il donne de belles doctrines sur l'aniilié.
sur le choix des amis et sur les moyens de gagner et de consen'er àe
vrais amis. (liv. ii, ch. 3, 4, 5 et 6.) Il faudrait tout citer si on vouliil
dire tout ce. qu'il y a d'intéressant dans cet ouvrage presque enliérf-
GRECS. — DISCIPLES DE SOCRATE 489
ment rempli par les conversation de Socrate si variées, quelquefois si
piquantes et toujours si pleines de conseils excellents, et auxquelles
Xénophon prôte ce style simple et naturel qui l'avait fait surnommer
Tabeille attique. ^
Dans les Mémorables, Xénophon ne fait qu'exposer la doctrine
de Socrate pour le défendre ; maison lui reproche avec raison de
trop faire entendre par ses expressions que Socrate croyait entiè-
rement à la multitude des dieux de la Grèce.
Xénophon montre mieux sa propre philosophie dans VHiëron^ où
il fait le tahleau d'un bon roi, en prenant pour type Agésilas, et
dans la Cyropédie où il donne ses propres idées sur l'éducation,
beaucoup plus que Thistoire de l'éducation de Cjrus.
Cependant partout Xénophon rest« fidèle aux doctrines de
Socrate, dont il ne voit d'ailleurs que les idées morales lés plus
saillantes, sans voir toute retendue de sa pensée^ sans en compren-
dre la profondeur.
124. EscUne. — Les anciens auteurs ne sont pas d'accord
sur le genre de vie, ni sur le mérite, ni sur les ouvrages d'Eschine,
qui, né à Athènes vers 434, et exerçant la profession de charcutier,
suivit les leçons de Socrate et devint philosophe et orateur. Il avait
écrit plusieurs dialogues que Ton trouva assez beaux pour croire
qu'il les avait dérobés ft Socrate lui-même. Mais on sait que
Socrate n'avait rien écrit. Ces dialogues ne nous sont pas parvenus
et ceux qu'on lui attribue, l'Axiochus, VErynias^ et de la Vertu,
manquent d'authenticité.
125. Phédon d'Elis. — Phédon, né à Elis, fut fait prisonnier
dans sa jeunesse et vendu comme esclave à un marchand d'Athènes.
Socrate Tajant vu fut frappé de sa physionomie intelligente et le
fit racheter, peut-être par Criton, pour s'en faire un disciple. Après
la mort do Socrate, Phédon se retira dans sa patrie où il fonda
une école, appelée Eliaque, qui paraît n'avoir rien ajouté aux
doctrines du maître. Ilavaitécrit plusieurs dialogues qui ne nous
sont pas parvenus. Son nom sert de titre au dialogue de Platon, qui
raconte les dernières conversations de Socrate.
Après sa mort, son école passa sous la direction de Ménédème
d'Erétrie, disciple de Plalon, d'où elle prit le nom d'Ërétriaque.
490 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Ménédème resta moins ûdèle anx doctrines de Socrate et peii^
vers les doctrines mégariques dont, nous parlerons bientôt. Loiet
ses disciples n'admettaient en effet que Tunité et a raient honesr
de la pluralité au point de ne pas môme admettlte les distincti<^
logiques. Ils rejetèrent d'abord tous les jugements non-catégoriqoeg
et finirent par n'admettre que les jugements identiqnes, àam
lesquels l'attribut est le môme terme que le sujet. Ils ûtran
puiser ces théories dans l'Ecole cynique.
S I. ICOLI CTHIQUl
126. Antisthène. — Antistbône, ûls d'un Athénien et d^ooe
Phrygienne, naquit à Athènes, Tan 422. Après avoir suivi Is
leçons de Gorgias, il ouvrit lui-môme une école de rhétorique.
Mais ajant entendu Socrate il s'attacha à ses leçons. Or, comme
il habitait le Pirée, il faisait chaque jour un trajet de 40 stades,
(7400 mètres) pour venir à Athènes. Né pauvre, et de conditiaa
obscure, il ne vit dans la doctrine de Socrate que le mépris des
richesses et la tempérance qnl enseigne à supporter les privations.
La vertu est le seul bien et elle consiste à savoir souffrir et tra-
vailler. Son modèle était Hercule. Aussi c'est dans le Cjnosarïrne,
près du temple d'Hercule, qu'il réunissait ses disciples. Quelques
auteurs ont pensé que c'est de là qu'on les appela cyniques, M^
ce nom leur fut donné par mépris, car eux-mêmes s'appelaient
Antisthéniens, et il paraît venir plutôt de leur tenue peu décente.
En effet, ils ne portaient pour tout vêtement qu'un manteau^ qu'ils
disposaient comme la peau du lion de Némée sur l'épaule d'Hercule.
Ils laissaient croître leur barbe et leurs cheveux et se nonrr»-
saient grossiôrement. Ils prétendaient ainsi s'affranchir de tcms
besoins et se rendre vraiment libres.
La "philosophie d'Antisthène semble ne porter que sur la morak
et nous venons de voir en quoi elle consiste à ce point de vue.
Pourtant Cicéron nous donne sa doctrine sur Dieu, a Dans la reli-
gion du vulgaire, disait-il, il y a plusieurs dieux ; mais dans Li
nature des choses, il n'y en a qu'un. Et ce Dieu ne ressemble à aucoa
objet sensible et ne peut être représenté par aucune image. « Od
ORKCS. — ÉCOLE CYNIQUE 491
est un témoignage précieux pour établir la doctrine de Socrate à
ce sniet.
Déplus Aristote nous apprend qu'^iitisthêne s'occupa de logique;
mais le résumé q«'il en donne est fort obscur. Antisthône enseignait
que les définitions ne disent rien de la nature de la chose en elle-
même, et ne donnent que Texprôssion des apparences ; qu'un sujet
ne peut avoir qu'un seul attribut, sa propre définition ; qu'une
proposition ne saurait être contredite.
Antisthône avait écrit plusieurs dialogues, mais il ne nous en est
rien parvenu.
On trouve en germe dans Antisthène toute la philosophie des
stoïciens. C'est la même rigidité dans la vertu, le même mépris des
nécessité de la vie, la môme confusion de la vertu avec la science
spéculative; il va jusqu'à défendre d'apprendre ft lire, pour ne pas
sortir de la nature.
Toute cette affectation de vertu n'est au fond qu'un orgueil
excessif, et Platon a quelque raison de lui faire dire par Socrate :
(c Antisthône, je vois ton orgueil à travers les trous de ton manteau. »
127» Diogënele cynique. — Diogène naquit à Sinope, ville
du Pont, Tan 414. Son pore Icésius était changeur et faisait de la
fausse monnaie. Diogène suivit la profession de son pore et se rendit
coupable du môme délit. Il fut découvert et chassé de sa ville na-
tale. Il se réfugia à Athènes. Manquant de tout il rongeait les
jeunes pousses des arbres, le long des chemins. Mais un jour la
vue d'un rat qui cherchait sa nourriture lui rendit courage. « Quoi !
dit-il, cet animal sait se passer de la cuisine des Athéniens et moi
je serais malheureux de ne pas manger à leur table I » Et il résolut
de vivre à. la manière des bêtes,se disant que tel était pour l'homme
l'état de la nature.
C'eêit dans ces dispositions qu*il alla se présenter à Antisthène,
qui, délaissé alors par tous ses premiers discipleç, ne voulut pas
le recevoir et enfin se laissa vaincre par sa constance. Diogène
avait de plus que son maître une parole facile et une verve rail-
leuse, qui charmait et qui lui attira beaucoup de disciples.
Diogène rejeta de la doctrine do son maître tout ce qui apparte-
nait ^ la log;iquo. Il ne reconnaissait pour l'âme qu'un seul exercice:
492 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
la vertu, qui consiste & vivre selen la nature, avec le moins à
désirs possibles. 11 condamnait donc la science, la richesse, la beauté,
les hommes, les bienséances môme, le mariage et la propriété. Ti>r
est commun^ disait-il^ dans Tétat de la nature. D^ailleurs il ne de-
mandait pour lui que le strict nécessaire, acceptant ce qu'on iii
donnait ou ramassant sa nourriture dans les rues, comme un e^>^
Et il se donnait volontiers ce nom. On connait les petites anecdoîc?
qui le concernent et son mépris pour le genre humain.
Pris par des pirates, il fut vendu comme esclave à nn ridie
Corinthien, nommé Xéniade, qui lui conûa Téduçation de ses é&ai
âls. Dans ses dernières années il passait Tété à Corinthe et Y\nj&
& Athènes. Un jour on le trouva mort dans un gymnase de Corintbâ.
Il avait quatre-vingts-dix ans.
Il est probable qu'il n'a jamais rien écrit. D'ailleurs il ne aam
reste rien de ce que quelques anciens lui avaient attribué.
128. Cratès de Thèbes. — On ignore les dates exactes de la
naissance et de la mort de Cratôs. il florissait vers l'an 340. Il étai*
laid et difforme, mais très riche. Il se fit pa:ivre volontairemefi^
pour vivre selon la nature. Il fut disciple de Diogène et comme lui
chercha à endurer les souffrances du corps et môme la raillerie. Uae
jeune fille noble nommée Hipparchia voulut ôti*e son épouse et paj^
tagea ses privations. Mais Cratès tempéra quelque peu la rudesse
de son maître et sut garder des manières aimables. Il eut pour dis-
ciple Zenon, chef des Stoïciens.
129. Ménippe. — Esclave, originaire de Phénicie, Ménippe,
parvint h se faire affranchir et môme fut admis, à Thèbes, aa
nombre des citoyens. Devenu riche en faisant le métier d'usurier,
il se dépouilla de toute sa fortune et se mit à imiter Diogène. Il
avait écrit treize livres de satires, mais il ne nous en reste riei.
Nous en avons cependant quelque idée par les dialogues de Lucia,
qui le met souvent en scène.
130. Observations. — Il est inutile de remarquer que tes
cyniques ne sont pas desr philosophes et que leur vie et leurs doc-
trines ne nous sont utiles à connaître que pour mieux comprendre
ce que peut engendrer l'exagéi'ation d'une doctrine excellente ea
elle-môme, mise au service de Torgueil.
GRECS — ÉCOLE CYRÉNAIQUE 493
g. 4. - BGOLE GTRiNÀiani.
131. Aristippe de Cyrène. — Aristippe naquit à Cyrène,
colonie grecque de l'Afrique, on ne sait en quelle année. Il vint &
Athènes pour entendre Socrate, et c'est vers l'an 380, vingt ans
après la mort de son maître, qu'on le trouve à la tète d'une école
philosophique.
Né dans la richesse et accoutumé à jouir de tous les avantages
de la fortune, il interpréta dans ce sens la doctrine de Socrate .
La fin de F homme c'est le bien. Mais ce bien pour être véritable
doit être actuel. Il exclut donc le regret du passé et le désir de
l'avenir. D'où Aristippe conclut, que le bien consiste dans le plaisir
actuel, et que la vertu consiste à savoir jouir du présent. Le repos
absolu serait l'absence de sensation, et d'un autre côté l'activité
trop forcée serait une peine. Il faut donc que l'âme modère son
activité, jouisse de ce qu'elle possède et se débarrasse du désir et
du regret. C'est cette activité douce qui constitue le plaisir
(ricovïi èv xtWiO-et).
On comprend qu'avec une pareille morale, Aristippe fît peu de
cas de la science . Cependant il avait une théorie logique, et ne
voyant d'autre source de connaissance que les sens^ il enseignait
que nous ne connaissons que nos sensations, mais nçn la nature
des choses qui nous les procurent. C'est une théorie que nous ver-
rons se développer avec une prétention scientifique.
11 jie nous reste rien des nombreux ouvrages qu' Aristippe avait
composés.
132. Aréfé. — Comme dans l'Ecole cynique, nous trouvons dans
l'Ecole cyrénaïque une femme. C'est Arété, fille d' Aristippe. Ins-
truite par son père, elle transmit les mômes doctrines à son fils
Aristippe le jeune, et fut ainsi un moment le chef de cette école.
133. Aristippe le jeune. — Le fils d'Arété, Aristippe le jeune
fut surnommé Métrodidacte, parce qu'U fut instruit par sa mère,
dans la philosophie* Il ne paraît pas qu'il ait écrit aucun ouvrage.
Mais on pourrait croire par ce qu'en dit Diogène Laèrce^ qu'il es-
saya de développer les théories de son aïeul. Tandis que pourcelui-oi
404 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
le repos n'était pas un plaisir, Aristippe le jeune l'aurait admis
comme un plaisir inférieur, à côté du plaisir en mouvement qai
résulte des sensations agréables.
134. Annicéris. — Annicéris naquit à Cyrène vers 3iO, et
c'est à Alexandrie qu*ii fiorissait en Tan 30Q. 11 fonda dans TEcule
cjrénaîque la secte des Ayiîiicériâns. En eflfet sa doctrine se rap-
proche davantage de celle d'Epicure. Il n'admettait pas «ne fio
commune de la vie humaine, mais il voulait que chacun de dos
actes eût pour fin le plaisir, et pour lui le plaisir devait être positif,
comme dans la théorie d'Aristippe. Il ne comptait pour rien Tab-
sence de la douleur, qu'Epicure considérera comme le vrai bleo.
Mais 11 estimait les plaisirs de l'esprit et de plus il voulait que la
prudence nous fasse supporter un mal présent; en vue d^un plaisir
futur. Ceci est exactemeut le fond de la morale d'Epicure.
137. Théodore de Ojrène. — Théodore né h Cjrêne, fat
disciple d* Annicéris et d' Aristippe le jeune. Il paraît avoir été àa
môme âge qu' Annicéris. Il fonda lui aussi une secte, celle des
Théodoriens,
Au lieu du plaisir et de la douleur, il pose, comme fin à recher-
cher ou à éviter dans chacune de nos actions, le contentement et
le chagrin. Par suite il ne voit qu'une seule vertu : la prudence à
nous procurer le contentement ; et un seul vice : la sottise ou TinH
prudence qui nous empoche d'éviter le chagrin. Il parle aussi de
la justice ; mais elle n'est pour lui que Ta propos de chacun de nos
actes bons ou mauvais. Ainsi tout est permis au sage, qui sait
choisir le moment.
D'ailleurs il n'était pas détourné d'une pareille morale par la
crainte de Dieu, puisqu'il enseigna formellement l'athéisme, dans
son traité des dieux^ le seul ouvrage qu'il ait écrit. Cette doctriae
lui valut une condamnation devant l'Aréopage, et les autears m
sont pas d'accord sur l'issue de son procès. Selon les uns il fat
sauvé de la mort par Démétrius de Phalôre ; selon d'autres, il dot
boire la cigué, comme Socrate.
• 136. EThémère. — On i^ sait rien de bien certain sur la vie
de ce philosophe, mais son système a été depuis plusieurs fois em-
GRECS. — ÉCOLE MÉGARIQUB 495
ployé et s'est appelé de son nom Yévhémérisme. Ce système con-
siste à dire que les dieux ne sont que des hommes que la crainte ou
l'admiration ont divinisés.
Evhémère naquit -peut-être en Sicile, d'autres disent à Messône
' et il florissait probablement vers Tan 300.
Il exposait sa théorie dans un ouvrage intitulé Histoire sacrée,
qui ne nous est pas parvenu, mais dont beaucoup d'auteurs, païens
%t chrétiens, ont longuement parlé. S'appuyant sur les inscriptions
des temples, il prétendait reconstruire Thistoire humaine de tous
les dieux des grecs et montrer que ceux que Ton adorait ainsi
n'étaient que des rois ou des conquérants ou quelquefois des bien-
faiteurs de l'humanité .
Quelle était la vraie pensée d'Evhémôre ? Voulait-il seulement
combattre le polythéisme ? ou attaquait-il par le même moyen toute
idée de la divinité ? Les apologistes chrétiens l'ont entendu dans le
premier sens et par suite l'ont approuvé ; les défenseurs du paga-
nisme au contraire l'ont déclaré athée . Les monuments qui nous
restent ne nous permettent pas de trancher la question. Il est vrai
qu'Evhémére ne se prononce que sur les dieux du paganisme ; mais
il n'est pas sûr qu'il en connût un autre, et s'U connaissait la doo-
ctrine de l'unité de Dieu, il n*en a pas parlé.
% 5. - ICaLI liftiRIQUI.
137. Euclide. — Euclide naquit à Mégare vers l'an 440. Il ne
faut pas le confondre avec Euclide le géomètre qui vivait à Ale-
xandrie sous les Ptolémées.
Euclide s'était déjà nourri des écrits de Parménide quand il con-
nut Socrate et s'attacha à lui au point de venir tout exprès de
Mégare à Athènes pour l'entendre. La distance entre les deux vil-
les était d'environ 40 kilomètres. Il n'est donc pas admissible
qu'Euclide y soit allé chaque soir pour en revenir le matin, comme
on l'a affirmé, en ajoutant qu'il se déguisait en femme, pour éviter
la peine de mort portée contre les Mégariens qui entraient dans
Athènes. Il est certain du moins qa'Euclide vint à Athènes recueiL
lir les dernières paroles de Socrate le jour de sa mort.
496 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Déjà à ce moment il avait fondé une école à Mégare. C*est là qi»
se réfugiôi'ept les disciples de Socrate et Platon lui-môme ne dé-
daigna pas de suivre ses leçons, et ses théories en ont gardé
Tempreinte .
— Selon Euclide Tessence du bien c'est l'unité. D'où il soit que
le monde, qui est multiple, est sans rapport avec le bien. De plas
l'unité c'est l'être : d'où il suit que le monde qui change sans ceest
n'est qu'une illusion. Dès lors le bien seul existe et tout ce qui asi
est bien. Tout ce qui participe à l'unité est bien à un point de vœ.
C'est ainsi que selon Ëuclide : Dieu est un bien, mais non pas k
bien absolu.
Euclide avait pris dans l'Ecole éléatique sa doctrine de rnnité,
seulement, fondant cette théorie avec celle de Socrate, il lui doxuâ
une partie morale et ce que Parménide disait du vrai,- il le dit au
bien. Il prit dans la môme école sa dialectique. Il rejetait les corn*
paraisons de Socrate et disait: a Si ces exemples sont tirés de cho-
ses semblables, il vaut mieux tirer la preuve de leur natora
commune ; s'ils sont tirés de choses différentes, Os ne sont p»â
concluants. » Pour détruire les opinions de ses adversaires, il s'at-
tachait comme les sophistes à en tirer des conséquences absurde;
si bien que ses disciples y puisèrent une argumentation subtile qui
leur valut le surnom de disputeurs (èpiortxoi).
Avant Aristote, de l'aveu môme de celui-ci, Euclide distingaa
l'acte et la puissance, mais c'était pour les confondre ensuite M
pour dire que la puissance n'existe qu'avec l'acte et que le passage
de la puissance & l'acte est impossible. Cette conclusion était cos-
forme & son principe que l'ôtre c'est l'unité, et s'accordait d'ailleurs
avec les doctrines des Eléates, qui niaient la possibilité du mou-
vement.
138. Eubulide de Milet. — Eubulide ne fut pas le disciple
immédiat d'Euclide ; il vint aprôs Clinomaque et après Iehthja5,
dont on ne connaît guère que les noms ; mais il acquit dans TËcole
une grande renommée. Il vivait dans le IV' siècle. Il combattit
surtout Aristote.
En effet, les deux doctrines sont diamétralement opposées : tau*
dis qu' Aristote part des données des sens, pour découvrir les lois de
GRECS. — ÉCOLE MÉGARIQUE 497
tontes choses, Eubulide, d'accord avec son école part de l'idée de
l'unité immuable et préfère rejeter le témoignage des sens plutôt
que d'admettre Texistence du multiple. C'est pour rejeter la possi-
bilité du multiple qu'il semble avoir composé les arguments fameux
que Diogône Laérce nous a conservés, et dont voici les prin-
cipaux :
Le chauve. — Un cheveu de moins ne rend pas un homme
chauve. J'ôte ce cheveu. Mais un cheveu de moins ne le rendra
pas chauve. J'ôte encore ce cheveu. Ainsi de suite, jusqu'au mo-
ment Dû il n'a plus de cheveux, et où l'argument force à dire qu'il
n*est pas chauve.
Le tas. — Un grain de blé ne fait pas un tas. J'ajoute un grain
de blé. Ce n'est pas un tas. Ajoutant ainsi indéfiniment un grain
de blé, on n*a jamais un tas ; toujours d'après le principe.
Le cornu. — Vous avez ce que vous n'avez pas perdu. Or
vous n'avez pas perdu les cornes. Donc vous avez les cornes.
IjC voilé. — Connaissez-%'Ous cette personne voilée ? Non. Con-
naissez-vous votre père ? Oui. Or cette personne voilée est votre
père. Donc vous connaissez votre père et vous ne le connaissez
pas.
Le menteur. — Si vous dites : Je mens, et que vous mentiez
en effet, vous mentez et vous dites la vérité.
On présente aussi cet argument sous une forme plus ingé.
nieuse. — Epiménide a dit que les Cretois sont menteurs. Or il est
Cretois. Donc il ment, et les Cretois ne sont pas menteurs. Mais il
est Cretois. Donc il a dit vrai, et les Cretois sont menteurs. Or il
est Cretois, etc.
On voit qu'en visant & la subtilité pour confondre ses adver-
saires, Eubulide unit par n'être qu'un maigre sophiste^ et mérita
le surnom de disputeur.
139. Stilpon de Mégare. — Stilpon né à Mégare, fiorissait
vers Tan 300, et paraît avoir eu une grande renommée et une
grande influence, puisqu' Antigène, après avoir pris Mégare, ordonna
d'épargner la maison du philosophe et de lui laisser tous ses biens ;
ce que Stilphon ne voulut pas accepter, disant qu'il lui suffisait
àe posséder la raison et la science.
32
498 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Il professait la doctrine d'EucHde et ne fit qu'en tirer qnelqiie
conclusions. L'ôtre n'a rien de contingent et le contingent nepei^
pas être. Donc les choses du mondé ne sont rien, et les idées
môme qui les expriment sont sans fondement. On ne peutdonneri
un sujet qu'un attribut identique. Par exemple on ne jjeut dire : Le
cheval court ; car si Tattribut diffère du sujet, on ne peut affinaff
l'un de l'autre, et si cet attribut est identique à ce siget, on v
pourra plus dire : Le lion court .
Avec ces principes, Stilpon devait conclure, comme il l'a fait
que le souverain t)ien est dans Timpassibilité de rdme; cartoatee
qui fait l'objet de nos passions n'existe pas.
Toutes ces théories sont la conséquence rigoureuse de la dociw
d'Euclide : que l'unité seule existe.
140. Diodore Cronos. — Diodore, né à Jasos, en Carie, àiSè
la 2* moitié du lY* siècle, appartenait à l'école de Mégare «t
devint l'hôte et l'ami de Ptolémée Soter. On dit que n'avant p»s
répondu sur le champ à une difficulté que le roi lui proposait, il
mourut de douleur. D'autres disent qu'il mourut de chagrifltl^
n'avoir pu résoudre les arguments d'Eubulide , et particulièremeal
le menteur. Cependant Cicéron le qualifie de vaillant dt'aleô-
ticien.
En effet, il attaqua toutes les doctrines qui ne par talent pas do
principe mégarique de l'unité. Il s'en prenait particulièrement i
trois ordres de faits : la possibilité du mouvement, le passage de la
puissance à l'acte, la légitimité des propositions conditionnelles.
Contre le mouvement il reprenait les arguments de Zenon d'B*
et en ajoutait d'autres . Contre la puissance et l'acte il ajoat&it
aux arguments d'Euclide que ce qui sera sera nécessairement ^
qu'ainsi il n'y a rien de possible^ puisque tout est déterminé d'a-
vance. Par les mômes principes il rejetait les propositions coadi-
tionnelles purement contingentes et ne les admettait que dans 1<
cas ou l'antécédent et le conséquent sont liés d'une manière
nécessaire.
On Toit que de tout point cette doctrine mène au fatalisme. C*eft
encore la conséquence du principe : « L'unité seule existe, s
r.RECS. — PLATON. — i/aCADÉMIE 409
Observation. — Ainsi l'œuvie de Socrale semblait se perdre quel-
qups années apn'issa mort. Des écoles formées par son inspiration, l'une
exaucerait la vertu, la rendait impraticable et d'ailleurs la faisait mé])ri-
scr en la fondant sur l'orgueil; une autre prenait déjà le contre-pied de
ce (lue Socrate avait enseij^né, en confondant le bien avec l'agréable; la
troisième se perdait dans les subtilités de la dispute et d'ailleurs rendait
inutile toute morale en niant la possibilité de passer librement du mal
au bien ou du bien au mieux.
Heureusement il restait un disciple immédiat de Socrate, celui que
IMeu appelait à conserver et à perfectionner Tœuvre de son maître. Ce
disciple ûdèic, ce génie httéraire et philosophiqtte, cet homme qui le
premier a dévoilé à la raison humaine sa véritable nature et l'étendue
de sa puissance : c'est Platon. A quelque école que Ton appartienne on
ne peut s'empêcher d'admirer la supériorité de son intelligence, la fécon-
dité de son style, Igi droiture de son cœur et de sa volonté. Mais toute
grandeur humaine a son côté faible. Platon a eu l'excès de ses qualités:
la sublimité des vues de la raison lui a fait oublier les données de
l'expérience, et la contemplation de l'image de l'infini lui a fait croire
qu'il le possédait déjù.
8 6. PLATON. - L'AGiDiNlB.
141. Vie de Platon. — Platon naquit à Athènes, on dans
l'île d'Egine, l'an 430. Son père s'appelait Ariston et descendait
disait-on de Oadmus ; sa mère nommée Périctioné , descendait d*un
fpère de Solotf. Lui môme porta le nom de son grand père, Aris-
toclès , et reçut plus tard le surnom de Platon, qui lui est resté
dans l'histoire. Il reçut une éducation brillante, dans laquelle les
arts tenaient une grande place. Il cultivait plus particulièrement la
poésie, quand il connut Socrate. Il avait alors vingt ans. Il avait
déjà étudié la philosophie, sous la direction de Cratyle, discipile
d'Héralite, et d'Hermogône, disciple de Parmônide. Socrate donna
à son esprit une direction plus pratique, et Platon fut un do ses
disciples les plus fidèles. On croit qu'il composa quelques dialogues
du vivant môme de Socrate. Quand son maître fut mis en accusa-
tion, il essaya de le défendre; mais la foule le précipita hors de la
tribune. Retenu par la maladie, il n'eut pas la consolation d'assister
à ses derniers moments, qu'il a si bien racontés dans le Phédon.
Il avait alors trente ans. ,
500 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Après la mort de Socrate, Platon se retira à Mégare , auprès
d'Euclide dont il écouta volontiers les leçons ; de là il se rendit à
Cyrône, auprès de Théodore,. et ensuite en Egypte. Il visita aussi
la grande Grèce , où il entendit Archy tas de Tarente, et acheta si
cher les trois livres de Philolaûs. C'est ainsi qu'avant d'enseigner
lui-môme il s'instruisit de toutes les doctrines.
S'étant rendu aussi en Sicile, auprès de Denys l'Ancien, il fat
d'abord son ami. Mais sa franchise ayant déplu au tyran, celui-ci
le retint d*abord prisonnier, puis le fit vendre comme esclave.
Heureusement AnniCéris de Cyrène le racheta. Il retourna alors
dans sa patrie, vers l'an 380, et ouvrit son école dans les jardins
d*Académus ; il y continua ses leçons pendant • vingt-deux ans. Il
retourna encore deux fois en Sicile, espérant amener Denys à
organiser son gouvernement d'après les idées qu'il lui suggérait. Ij
fut trompé dans son attente et revint à Athènes, où il mourut à
Tâgede quatre-vingt-trois ans, l'an 347.
Ainsi la vie de Platon tout entière fut consacrée à Tétude puis à
l'enseignement de la philosophie. Il ne remplit jamais aucune
charge publique, peut-être parce qu*il vécut dans les plus mauvais
temps de la république d'Athènes, soup la dominatiou de Lysandre,
puis des trente, et enfin de Philippe, lorsque déjà il pouvait pres-
sentir l'asservissement futur de sa patrie .
Quelques auteurs l'ont fait voyager jusque dans l'Inde , mais
leur assertion ne paraît pas fondée, et si le fait était vrai, on en
trouverait quelques traces dans ses écrits.
142. Ouvrages de Platon. — Ce qui montre bien la haute
estime que la postérité a toujours eue pour Platon, c'est que ses
ouvrageç nous sont parvenus en entier. Les œuvres de Platon,
telles que nous les possédons aujourd'hui renferment 40 dialogues^
18 lettres^ plus des épigrammes et des définitiojis.
Mais d'abord dans ces quarante dialogues, il y en a au moins
cinq qui ne doivent pas lui être attribués, et tout ce qui vient apr^
les dialogues est également supposé. Quelques auteurs ont voula
faire déclarer inauthentiques un bien plus grand nombre de dialo.
gués ; mais leurs raisons ne nous paraissent pas concluantes, et ne
doivent pas prévaloir contre la tradition. Cependant le doute e&\
au moins permis pour cinq dialogues, outre ceux qui sont généra-
lement rejetés. En voici la liste complète :
GRECS. — PLATON.— l'ACADÉMIE 501
DIALOGUES AUTHENTIQUES
SUJETS DE DIALECTIQUE
Euihydéme ou de la Sophistique.
Théétèle ou de la Science.
Cratyle ou de la Propriété des noms.
SUJETS DE MÉTAPHYSIQUE
Ld SophUte ou de l'Être.
Parménide ou de l'Un.
Timée ou de la Nature.
SUJETS DE MORALE
Apologie de Socrate-
Phédon ou de l'Immortalité de Tâme.
Lysiê ou ds l'Amitié.
Charmide ou de la Sagesse*
Lâchés ou du Courage
Le Politique ou de la R(fyauté.
La République ou de la Justice.
Les Lois.
SUJETS d'ESTHÉTIQUB
ET DE MORALE
Le Banquet ou de l'Amour.
Phèdre ou de la Beauté*
Gorgias ou de la Rhétorique.
Hippias (minor) ou du Beau. i
Ménexène ou d% l'Oraison funèbre.
Ion ou de la Poésie.
/•' Alcibiade ou de la Nature humaine.
PHM>e ou du Plaisir.
Ménon ou do la Vertu.
Protagoras ou les Sophistes.
Eutyphron ou le Saint.
Criton ou le Devoir d'un citoyen.
DIALOGUES D*UNE AUTHENTICITÉ DOUTEUSE;
Erixias, Axiochus, les Rivaux, sur la Justice, sur la Vertu,
DIALOQUES APOCRYPHES
Epinomts, Démodocus, Sisyphe, hipparque,Minos, !!• AUfibiade, Clitophon, Thê'
âgés, Hippias (major).
On a essayé d'indiquer approximativement l'époque à laquelle
Platon a composé chacun de ces dialogues ; nous ne dirons rien du
résultat de ces recherches : on n'a pu obtenir que des conjectures.
143. Doctrine de Platon. — Platon a puisé ses doctrines chez
tous les philosophes qui l'avaient précédé et surtout chez Soci*ate.
Mais il a coordonné tout cela dans un vaste ensemble qu'il a fait
sien. 11 a traité successivement toutes les questions. La logique,
la métaphysique, la psychologie, la théodicée, la morale, Testhé-
tique, les arts et les çciences : tout se présente sous sa plume^
tantôt expressément, tantôt par digression, et comme par abon-
dance de style. Il interroge les données des sens, avec les Ioniens
et les Atomistcs; avec Pythagoro et les Elôates, il donne la priorité
à la raison ; avec Socrate, il interroge la conscience et recherche
l'universel ; avec Pythagore, il croit à Tharmonie des êtres et du
monde ; mais il élève toutes ces théories à la hauteur d'une science
par la rechercho des idles, et au sommet des idées il place Tidée
du Inen.
La, méthode qu'il suit est surtout celle de Socrate. Employant
comme lui Tinterrogation ou Vironie, il recherche la définition et
par là-môme Vuniversel, Enfin au-delà de l'universel, ou quel-
502 HISTOIRE D£ LA PHILOSOPHIE
quefois dans Tuniversel môme, il conçoit l'immuable, Tabsoln :
cVst Vid(^e,
Il a d'ailleurs deux doctrines ; l'une élémentaire ou ppéparatoire
et qu'il confie à tous : c'est la doctrine exotêrique ; l'autre transean
dante, qui est le terme de la première, qu'il n'expose qu'à ceux qui
sont devenus capables de la recevoir : c'est la doctrine ésotrn'q't':.
Il déclare lui-môme que cette dernière ne peut pas être expseée
par écrit, et que la i)arole seule est capable de la mettre au joar.
Aussi ses écrits ne renferment guère que la première. Mais ils es
disent assez pour que nous sachions quel était le fond de cette
doctrine supérieure, réservée . aux initiés . C'est l'idée du bien,
considérée comme l'essence même de Dieu, comme renfermast
toutes les autres idées, comme principe et fin de toutes choses.
144. Théorie de la connaissance. Théorie des idées. —
La base de tout le système philosophique de Platon, c'est la théo-
rie de la connaissance, et le couronnement de la théorie de la con-
naissance, c'est la théorie des idées, qui en même temps sert de
fondement à tout le système et l'explique tout entier.
La connaissance de l'homme, selon Platon, a deux degrés : Topi-
nion (86Ça), et la science (eiîiarrrjjXT^). La première a pour objet Je
monde sensible, la deuxième a pour objet le monde intelligible.
L'opinion a son tour se présente sous deux formes : la conjectore
(etxaTia), et la croyance ; (tcÎttiç) de même que la science a aussi
deux formes : la connaissance discursive (Siàvoia), et la pure intd-
ligence (voifi<ri;).
Les images des objets sensibles, venant frapper nos sens, doqs
\iVOQ.nveixX àQ^ sensations (perceptions sensibles), qui ne sont que
des apparences et qui nous permettent de conjecturer les qualités
des objets perçus. L'âme qui voit ainsi les images des corps ca
conclut que les corps ressemblent à ces images et elle se forme
une croyance ou une opinion sur la nature des corps. Mais
comme ces objets sont variables^ il ne nous est pas possible d ea
faire l'objet de la science, qui ne poiie que sur l'immuable. L'esprit
généralise les qualités perçues et conçoit parla la nature des objets;
c'est la vue de l'universel. Ce sont les notions. Mais elles partici-
pent encore à leur origine sensuelle et par suite variable, et surtout
particulière et propre à chaque homme. Par le travail du raison-
GRECS. — PLATON. — l'ACADÉMIE 503
nement Tesprit atteint encore certaines notions, qai n'ont plus
i*ien de variable : ce sont des vérités nécessaires , mais elles ne sont
que le plus bas degré de la science, la conntiissance discursive.
Au dessus des notions formées par la généralisation des qualités
sensibles, au dessus môme des vérités nécessaires démontrées, la
pure intelligence saisit et comprend les vérités nécessaires propre-
ment dites, les modèles même sur lef>quels toutes choses «ont for
mées, les essences des choses, les principes absolus de toute démons-
tration. Ce sont les idées.
Les idées sont ordre et harmonie. Elles ne sauraient être conçues
autrement: elles sont donc nécessaires. Je ne puis concevoir un
temps où elles n'étaient ou ne seront pas vraies. Elles sont donc
éternelles. Mais Tordre, l'harmonie, qui les règle, qui les fait ce
qu'elles sont, est à son tour une idée, l'idée supérieure à toutes les
autres: c'est Vidée du bien. Au fond elles ne sont rien autre chose
que cette même idée du bien, et si elles se distinguent, ce n'est
que par rapport aux choses variables dont elles sont les modèles,
mais en elles-mêmes, elles sont une seule et même idée.
Cependant ces idées qui sont en moi, ne viennent pas de moi«
elles sont au dessus de moi ; elles subsistent en dehors de moi,
puisqu'elles sont éternelles : elles subsistent en Dieu, elles sont
Dieu lui-même. Ainsi Dieu lui-même est intelligence et ordre. Il
est le bien subsistant.
Or quand j'aperçois ces idées, je sens bien que je ne les apprends
pas à ce moment là ; je les trouve en moi et elles s'offrent à moi
comme une réminiscence. Il faut donc que je les aie perçues autre-
fois. Et puisqu'elles ne sont qu'en Dieu, c'est en Dieu que je les ai
perçues, dans une vie antérieure, quand mon âme était en Dieu.
145. Métaphysique de Platon. — Sur la grande question de
l'être en général, Platon n'est ni avec Heraclite, pour lequel rien
n'est stable et permanent, mais tout s'écoule, sans que ce mouve-
ment universel ait une cause ni une fin; ni avec Parménide, pour
lequel riramuablc seul existe et le mouvement est impossible. Pla-
ton concilie les idées de l'un et du multiple, et déclare que l'être
renferme l'un et l'autre. Il appelle fini (îcspac,) ce qui est complet,
l'immuable, qui n'acquiert rien et ne perd rien, et infini (àipiTTov,)
ce qui est indéterminé, ce qui peut êt^e augmenté ou diminué.
5()4 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
C est en ce sens, directement opposé au sens moderne des àmi
mots, qa*il dit que tout se compose de fini et d'infini. L^élémat
infini (indéterminé), cest la matière, l'élément fini (dét^^ttia^.
o*est l'application, la réalisation de Tidée.
Il y a ici un souvenir manifeste des doctrines de Pjthagoft,
avec le même sens, ou à«peu-près, dans les mots « fini^ et € ïaÛBi t.
Si Tespace nous le permettait nous pourrions faire remarquer beas-
coup d'autres ressemblances entre ces deux, doctrines.
146. Oosmologie de Platon. — Le monde est formé d afa^
les idc^es. La matière est ôternelle. Mais Dieu y a mis Tord» «
Tharmonio, conformément à ses idées. C'est par bonté que Dient
tout disposé dans le monde ; c'est parce qu*il est le bien, qa'O \
tout ordonné pour le bien.
■
Platon no conçoit pas la matière comme une substance essenti4
lomont étendue, comme Ta fait plus tard Descartes ; pour loi !i
mat îfb-e est une pure passivitcf, uno capacité de recevoir toata
les formes. Klle n'est môme quelque chose qu'autant qaVlIe r«o:t
la forme des idées. C*est déjà en germe la théorie d'Aristote sarb
matière et la forme.
Cependant Platon croit que la matière est trop inférieure à I>i«
pour qu'il ait agi sur elle immédiatement. 11 a dû se servir é'mti
nature intermédiaire : c'est Vdme du monde. Peut-être par âœe
du monde n'entendait-il pas autre chose que les idées appliquées i
la matière. On comprendrait alors les passages dans lesquels il
parle du Lot/os qui est la raison divine, la parole de Dieu, et qii
lui aussi est comme l'intermédiaire par lequel Dieu a façonna k
monde.
147. Psychologie de Platon.— Platon parle de râmebun»ifie
comme du principe de la pensée, de la vie et du mouvement, axas
l'homme, et ne semble pas supposer qu'il soit nécessaire d*cJ
démontrer l'existence, ni même de dire ce qui nous amène à 1»
concevoir. L'âme tient tout à la fois au monde sensible et u
monde intelligible. Elle a quelque chose de variable puîsqo*ell«
éprouve des sensations, mais par sa participation aux idées elk
entre dans le monde éternel et elle est immortelle.
Pour exercer les différente degrés de sa connaissance, il faat
GRECS. — PLATON. — l'académie 505
qu'elle ait différentes facultés. E)le a donc la faculté de sentir ou de
percevoir les choses sensibles : ce sont les passions (&ni6u|JiTinH6v) .
ESlle a aussi la faculté d'abstraire et de généraliser, pour produire
les notions (6u[jl6;). Enfin pour saisir les idées, elle a Tintelli-
gence (voû^). C'est là ce que nous appellerions aujourd'hui les
facultés intellectuelles. Mais les mêmes puissances sont appétitives
et actives et dés lors on les voit remplir les fonctions de la sensibi-
lité et de la volonté. Les passions deviennent le principe de Vamour
animal ; le thumos devieAt le cœur, et fournit les êentiments
nobles dans ce qui est passager ; Vintelligence est alors tout à la
fois le principe de l'amour supérieur, de Vamour idéal, et la
volonté libre.
Déjà nous avons essayé en quelques mots (pag« 301) de défendre So-
crate et Platon de l'accusation que quelques philosophes contemporains
veulent faire peser sur eux, d'avoir méconnu la liberté de Fàrae humaine.
Nous devons ici expliquer plus longuement notre pensée.
Platon ne nie pas la liberté, au contraire il en parle plus d'une fois.
S'il n'en donne aucune démonstration, c'est que cette vérité n'avait pas
été attaquée de son temps. Quand il recommande la justice, la recher-
che du bien, la pratique de toutes les vertus et particulièrement la tem-
pérance, sans laquelle, dit- il, l'homme ne saurait être maître de lui-même,
il suppose la liberté. Il nous semble donc que pour l'accuser de fata-
lisme ou de toute autre doctrine analogue, il faudrait qu'il l'eût dit for-
mellement. Au contraire il définit l'âme « une substance qui a la faculté
de se mouvoir elle-même ».
Mais, dira-t-on, il enseigne que la vertu est une science, que dès qu'on
connaît le bien ou le veut, et que l'homme qui fait le mal ne fait pas
ce qu'il veut. — Nous ne voyons en tout cela que des exagérations de
mots, fondés sur cette intime persuasion, que l'homme est naturellement
fait pour le bien absolu, et que pour lui faire faire le bien, ilsuflit de le
lui munlrer. Mais ces paroles ne disent pas qu'en faisant le bien dès
qu'il le voit comme bien, l'iiomme ne le fasse pas librement.
148. Théodicée .de Platon. <— Nous l'avons dit déjà, Platon
conçoit Dieu sous Tidée du bien ; il rappelle quelquefois simplement
le Bien, Et comme l'idée du bien résume toutes les idées ; Dieu
résume en lui toutes les idées; il est la substance des idées.
Eternel, immuable et absolu comma les idées, il est souveraine-
506 HISTOIRB DE LA PHILOSOPHIE
ment parfait. Il est la beauté même et le principe de toute ps-
fection. Il est par là-méme la souTeraine intelligence et le pn-
cipe des intelligences, C'est par sa lumière que no8 intellige«e
▼oient les idées, comme nos yeux voient les objets corporels paria
lumière du soleil.
Dieu a disposé la matière selon les idées et formé le mon^
qu'il gouverne ensuite par une Providence attentive aux moindres
détails.
Dirons*nous que Platon conçoit Dieu comme libre ? Oui, %ar îî
dit formellement que Dieu a disposé le monde en vue du bien. Ih
pour entendre cette proposition dans le sens de la nécessité il fu>
drait que Platon l'eût affirmé ainsi. C'est ce qu'il n&pie
fait.
Il est vrai que Platon considère Dieu comme bon par essence et
faisant le monde parcequ*il est bon. Mais tous les théologien
catholiques disent la môme chose, sans vouloir faire entendre qœ
Dieu agisse nécessairement.
De plus, Platon est optimiste, et suppose que le mal qui est das
le monde, n'est qu'un moindre bien, rendu inévitable par la natoi^
même du contingent, qui ne peut posséder la perfection absolae;
mais en cela il veut comme plus tard Leibnitz, justifier la Pn>ri-
dence, et s*il pense que la présence du mal est inévitable, il ne dit
pas que le choix de tel bien soit nécessaire.
149. Esthétique de Platon. — L'esthétique, c'est-à-din k
théorie des sentiments, ou la théorie du beau, occupe une gnak
place dans la philosophie de Platon. Il avait pris de sou maître.
Socrate, cette haute estime du beau ; maison peut dire qu'il l'a mieux
co mpris, et surtout que l'idée qu'il en a est bien plus élevée.
Au plus bas degré se trouve le beau physique, la beauté qai
vient des formes, et Platon fait grand cas de cette beauté éî
reconnaît qu'elle attire l'Âme humaine; mais il croit que ce ne^
pas pour elle-même qu'on l'aime. Il pense que la beauté pliTsii^ce
n'attire Tâme que parce qu'elle reflète l'Ame. Donc la beaatê et
Tâme est supérieure à la beauté corporelle.
Cependant, au-dessus de la beauté de Tàme elle-même se troave
le monde des idées qui nous fournit le beau idéal, splendeur d^
/
GRECS. — PLATON. — l'ACADBMIB 507
ridée da bien, qui résume en elle tontes les idées, et dont Tattrait
excite tontes les grandes actions et particulièrement l'enthousiasme
qni en est le mobile. Mais ce n*est pas tout.
Par delà Fidée du bien, se trouve le bien en soi, réeletsubsistant,
le bien absolu et immuable en lui-même, substance dont les idées
ne sont que les images. Le bien en soi, c'est' Dieu lui-môme. Et
Platon déclare que Tàme tend à s'élever jusqu'à cet amour, bien
plus jusqu'à posséder par Tamour cette beauté absolue qui est
Dieu, et on sent que les expressions lui manquent pour dire ce
qu'il pressent du bonheur de celui qui arriverait à cet amour et à
cette possession.
150. Morale de Platon. — Fidèle aux principes de son
maître, Platon fait de la morale le but de toute sa philosophie.
La loi morale est pour lui l'idée du bien, et cette idée est chez lui
beaucoup plus détachée de Tldée de l'utile que chez Socrate.
L'ôtretend par sa nature à être tout ce qu'il peut être. 11 tend
donc ft la perfection. C'est ainsi que la volonté tend naturellement
vers le bien, que l'âme connaît par les idées. Donc la perfection
de l'àme c'est sa conformité aux idées, à l'idée du bien. Cette
conformité c'est la vertu. Ainsi considérée, en général, la vertu
s'appelle la yt^^tc^. Elle consiste à disposer tous ses actes selon
Tordre voulu par les idées. La justice dirige ainsi l'homme à
l'égard de lui-même, à l'égard de la société, à l'égard des choses
môme et à l'égard de Dieu.
Considérée dans ses rapports avec les facultés de l'àme la
justicct constitue trois vertus : la sagesse, qui est la justice de la
raison ; le courage^ qui est la justice du cour ; la tempérance,
qui est la justice de la sensibilité physique, ou des passions. La
jxi>stice proprement dite est la justice do la volonté, ou de l'âme
tout entière.
La justice doit être recherchée pour ello^môme^ et il vaut
mieux souffrir une injustice que de la commettre. Mais la justice
porte avec elle-même sa récompense ; seule elle donne le véritable
bonheur, et l'homme qui se livre à l'injustice est le plus malheu-
reux des hommes.
Bien plus^ toute injustice doit être punie, et le châtiment
508 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
purifie l'âme de la souillure que lui laisse la faute commise. D'oà
il suit que le coupable qui échappe au châtiment est plus mal-
heureux^que celui qui le subît ; car son âme reste dans le désordre
qui seul est la cause du malheur.
Obiservation. — Nous n'avons pu que résumer tr^-succinte-
ment ici les doctrines si fécondes de ce grand pliilosophe ; pour le
faire connaître dans tout son jour, il nous aurait fallu citer partoat
ses paroles. Mais l'espace nous manquait pour cela. En effet les
théories de Platon ne sont pas rangées dans un ordre classique;
elles sont présentées dans de nombreux dialogues, avec tonte
l'abondance de style que comporte ce genre d'écrits, en sorte que
pour citer textuellement une seule de ses pensées, il faudrait
souvent plusieurs pages*
Cependant nous essayerons de suppléer autant que possible &
cette lacune nécessaire en donnant ici l'analyse de deux de ses
dialogues que l'on peut compter parmi les plus beaux, et considérer
comme les plus capables de donner une idée exacte de la philoso-
phie de Platon.
151. Analyse de la République. — L'objet propre de ce dialogue,
au point de vue moral, c'est la justice, et si l'on en croit Platon lui-
même, ce n'est que pour mieux faire voir ce que doit être la justice dans
l'individu, qu'il la montre d'abord dans l'état. Mais il est facile de vwr
que Platon a voulu donner aussi son idéal du gouvernement.
Dans un préambule ordinaire à Platon, Socrate fait apparailre les
différents personnages et décrit la situation. Puis le dialogue s'engage.
L'ouvrage se compose de dix livres. Le premier livre est une sorte dln-
troduction où l'on cherche la définition de la justice. Thrasymaque la
définit < l'obéissance à la loi » et pour lui la loi n'est que l'intérêt da
plus fort. Socrate proteste et dit que la loi est en faveur du plus faible-
Mais Thrasymaque soutient que le chef du gouvernement ne cherche que
son propre intérêt, et que d'ailleurs l'homme injuste seul comprend sw
intérêts. Socrate veut montrer au contraire que la justice seule renil
heureux. Alors Glaucon donne le portrait de l'homme juste etdeniom
me injuste, et sous une forme ironique, il dit qu'il faut paraître juste
mais non pas vouloir l'être, car l'homme juste n'obtiendra que la tor-
ture et les verges ; il sera chargé de fers et mis en croix. Adiroante ré-
plique qu'on ne doit pas rechercher la justice en vue du bleu qu'elle
procure.
GRECS. — PLATON. — l'académie 509
Mais Socrate qui ne sépare pas ridée du bonheur de celle de la justice
reprend la démonstration de sa thèse et dit que Ton verra mieux la
justice dans l'homme, en la considérant d'abord dans l'Etat. Il expose
donc son Etat idéal.
La société s'explique par les besoins de chacun que personne ne
pourrait satisfaire s'il était seul. La première nécessité pour l'Etat c'est
de conserver son territoire. De là les guerriei-s. Il faut au guerrier le
courage, qui suppose une certaine colère, il lui faut ensuite l'agilltè et
la force. Son éducation doit être dirigée dans ce but. L'éducation com-
prend la gymnastique, qui exerce le torps, et la musique, qui met l'har-
monie entre les puissances de l'àme. C'est par la musique que l'éduca-
tion doit commencer. La musique doit exprimer la beauté de Tàme,
par la parole, l'harmonie et le rhythme. Platou exclut les poètes qui
faussent l'idée des dieux, en leur attribuant les passions des hommes.
La gymnastique comprend la nourriture et l'exercice du corps. Les
guerriers doivent mener une vie commune dans les camps, aux frais de
l'Etat, et ne posséder rien en propre. Ainsi le veut le bien de tous, et
la condition ne paraîtra point dure à ceux qu'on y aura accoutumés
dés leur enfance.
Les vertus nécessaires à la société sont: la prudence, chez les magis-
Irats; le courage, chez les guerriers; la tempérance, chez les merce-
. naires. La justice n'est que l'harmonie entre ces trois ordres.
Les vertus nécessaires à l'homme sont aussi: la prudence dans la
raison, le courage dans le cœur, la tempérance dans les passions, et la
justice qui est l'harmonie entre toutes les facultés.
Les femmes doivent recevoir la même éducation que les hommes,
prendre part aux mômes exercices, dont Platon essaye de justifier l'in-
onvenance, en disant que ce qiii est utile est honnête; les femmes des
guerriers doivent être communes à tous ; il ne faut pas que les enfants
connaissent leurs parents. . ^ u»
Tel est Vidéal. Pour y atteindre, il faut que les rois soient philoso-
phes Le philosophe se distingue des autres hommes en ce qu'U a la
science, tandis que les autres n'ont que l'opinion. Par la science, le phi-
losophe connaît le vrai bonheui et veut le faire partager aux autres,
mais il est incompris, et se voyant en butte à la haine II renonce h se
mêler aux affaires et jouit en paix de son repos.
("est ici. dans le VII' livre, que Platon expose sa théorie de la con-
naissance telle que nous l'avons donnée plus haut, mais U commence
par l'allégorie de la caverne, que nous devons citer, en 1 abrégeant
toutefois.
510 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
« Dans une caverne n'ayant qu'une seule ouverture, des prîaonnieR
m
sont enchaînés de manière à ne pouvoir pas même tourner la tète, en
sorte qu'ils ne voient q»n ce qui est en face d'eux, au fond de b a-
verne. Par derrière, un feu placé à quelque distance de l'entrée delà
caverne sert à les éclairer, et enti-e ce feu et la caverne est im chemin
où passent des hommes portant divers objets, et quelquefois pariani
entre eux. Les prisonniers voient les ombres de ces hommes ei enten-
dent l'écho de leurs voix. Ils sont forcément persuadés que ces ombres
sont des réalités et que c'est d'elles que viennent les voLx qu'ils enten-
dent.
< C'est là l'image de la condition humaine. La caverne, c'est le monde
sensible; le feu qui l'éclairé, c'est la lumière du soleil. » Et toutes nos
sensations ne sont que les ombres de la réalité.
« Qu'on détache un de ces captifs, qu'on le force de se lever et de
regarder vers la lumière. L'éblouîssement l'empêchera de discerner les
objets dont il voyait auparavant les ombres. Que répond ra-t-il donc, si
on lui dit que jusque là il ne voyait que des fantômes et que mainte-
nant il VD'.i les réalités? Il dira que ce qu'il voyait d'abord était bieo
plus réel. Ainsi fera l'homme que l'on essaye d'initier à la philosophie.
« Mais si on l'arrache à la caverne et qu'on le traine au dehors, il
résistera d'abord et entrera en fureur. Arrivé au grand jour il ne distin-
guera rien, mais peu-à-peu ses yeux s'accoutumeront et il finira par
pouvoir non seulement distinguer les objets, mais encore fixer le soleil
qui les éclaire. Alors il comprendra que tout ce qu'il voyait dans la ca-
verne n'était que l'ombre des réalités qu'il contemple à présent.
« Ramené parmi ses anciens compagnons, il leur dira ce qull com-
prend et 11 sera traité de fou.
Telle est la condition du philosophe parmi les autres homodes. I^^
seul connaît la vraie condition du bonheur, parce que lui seul a l*i<^
du bien. Il s'élève à cette idée par la dialectique qui consiste à com-
prendre ce qui doit être et a en donner raison. Il s'y prépare par l'étude
de toutes les sciences, mais avant de prétendre au gouvernement il doit
passer par toutes les épreuves et se montrer supérieur à tous. C^
alors qu'il est digne de commander ; car l'harmonie intérieure dont il
jouit lui-môme, il voudra la reproduire dans l'Etat.
Cet idéal de l'Ëtat parfait, gouverné par ceux qui sont les plus di-
gnes, c'est V Aristocratie,
Mais si l'harmonie est troublée, si la force l'emporte sur l'ordre (la
gymnastique, sur la musique), les gue.riers deviennent les maîtres et
font prévaloir leurs goûts. C'est la Timocratie. Tel est, par rapport a
loi-même, rhomm« ambitieux.
aRECS — PLATON. — i/aCADËMIE 511
Si la richesse prévaut, c'est l'Oligarchie, où il a'y a plus de justice,
de mœurs, de bonne-foî, ni de dévouement, mais la trahison, la corrup-
tion, la duplicité, legolsme.
L'amour excessif des richesses excite la haine entre le riche et le pau-
vre, et bientôt les riches dépouillés et massacrés abandonnent le gou-
vernement à la multitude. C'est la démocratie. Ici plus d'harmonie
entre les conditions diverses ; c'est le trouble, la confusion, l'anarchie.
Ht cela parce que les principes de l'éducation n'ont pas été observés,
parce que les sens de l'enfant n*ont pas été occupes par le beau et
l'honnête. « Sans se mettre en peine d'examiner quelle éducation a
formé celui qui se mêle des affaires politiques, on l'accueille avec
honneur, pourvu seulement qu'il se dise plein de zélé pour les Inté-
rêts du peuple ». Tel est le caractère de la démocratie. Oo le retrouve
dans l'homme livré à tous ses caprices, a II vit au jour la journée. Au-
jourd'hui il s'enivre, demain il ne boit que de l'eau ; quelquefois il se
dit philosophe, le plus souvent il est homme d'Etat ; il s'élance dans la
politique, parle et agit à tort et à travers. Aucun ordre, aucune loi ne
préside à sa conduite, et il ne cesse de mener cette vie qu'il appelle
libre, agréable et fortunée ». — « Voilà au natui*el la vie d'un ami de l'éga-
lité. » — « C'est un homme démocratique. »
Reste le gouvernement tyrannique» Il est engendré de la démocra-
tie, comme celle-ci l'est de l'oligarchie. C'est l'amour excessif de la
liberté qui en est la cause.
c •— Dans un Etat démocratique, vous entendrez dire de toutes parts
que la liberté est le plus précieux des biens; et que, pour cette raison,
quiconque est né de condition libre ne saurait vivre convenablement
dans un autre Etat. — Rien n'est plus ordinaire qu'un pareil langage. —
Or, c'est où j'en voulais venir. L'amour de la liberté porté à l'excès et
accompagné d'une indifférence extrême pour tout le reste ne change-t-il
pas enfin ce gouvernement, et ne rend-il pas la tyrannie nécessaire? —
Comment donc t — Lorsqu'un Etat démocratique, dévoré de la soif de
la liberté, trouve à sa tête de mauvais échansons qui lui versent la li-
berté toute pure, outre mesure et jusqu'à l'enivrer, alors, si ceux qui gou-
vernent ne sont pas tout-à-fait complaisants et ne donnent pas au peuple
de la liberté autant qu'il en veut, celui-ci les accuse et les châtie comme
des traîtres et des partisans de l'oligarchie. — Oui, certes.-— Ceux qui sont
encore dociles à la voix des magistrats, il les outrage et les traite d'hommes
.serviles et aans c-araetëre. Il loue et honore en particulier et en public les
gouvernants qui ont l'air de gouvernés et les gouvernés qui prennent l'air
d« goavemants. N'est-il pas inévitable que dans an pareil état l'esprit
512 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
de liberté s'étende à tout? — dominent cela ne serait-il pas? — ^h^
pénètre, dans les familles? Je veux dire, que le père s'accoatume à i»
ter son enfant comme son égal, aie craindre même ; que celui-^ sefsk
à son père, et n*a ni respect ni crainte pour les auteurs de ses pois.
' parce qu'autrement sa liberté en souffrirait. — C'est bien cela qui»-
rive. — Oui; et il arrive aussi d'autres misères telles que ceUesnâ: îke»
un pareil gouvernement, le maitre craint et ménage ses disciples; ceos-d
se moquent de leurs maîtres et de leurs surveillants. Ha i^ënénLia
jeunes gens veulent aller de pair avec les vieillards, et lutter avec es
en propos et en actions. Les vieillards, de leur côté, descendent aux mâiik
res des jeunes gens, en affectant le ton léger et l'esprit badin, et imitaatb
jeunesse, de peur d'avoir l'air fâcheux et despotique. — Tout à-iaiL •
Cette licence, qui est l'excès de la liberté, amène un excès cootru».
et c'est ainsi qu'à la démocratie succède la tyrannie, qui est le gs»
vemement fondé sur le caprice d'un seul. Les hommes oisifs et pi>j£-
gues excitent la multitude contre les riches. Ceux-ci sont obligés k
résister. Le peuple se choisit ui défenseur, qui devient biealùi ot
tyran. Dnns les premiers jours il sourit à tous; 11 est prodigue de pic-
messes* Mais il fait quand-même des mécontents, qui l'accusent de w
pas chercher les intérêts du peuple. Il les écarte, s'entoure de fa^
et bientôt tout doit plier sous sa volonté. Que si le peuple, voyant qa'iî
s'est trompé, veut secouer sa chaîne, il ne la rendra que plus looifie»
Voilà comment l'excès de la liberté amène la servitude.
Mais le tyran lui-même est-il libre? Non. Il obéit lui-même à ses po-
sions, qu'il ne sait pas maîtriser; il ne peut jamais rassasier ses désirs
11 vit dans une frayeur continuelle. Il est donc le plus malheureux àtè
hommes.
Ainsi, pour l'homme comme pour l'Etat, le bonheur se trouve àasâ
l'harmonie de toutes les puissances, dans la ^empérance, qui soumet les
désirs à la raison.
Ici Platon se justifie d'avoir exclu de sa Hépublique les artistes et les
poètes, parce que, dit-il, leurs imitations ne sont que les images ^
objets, qui eux-mêmes ne sont que les images des Idées. D'où il ^
qu'elles ne peuvent engendrer que l'erreur et détruire l'harmonie à»
Ames.
Enfin il se résume et conclut que la justice est l'harmonie de llios
me aussi bien que de l'état, et que le^ Institutions et l'éducatioa à<f^
vent coaoourir au même but: la justice qui seule donne le l^onhear.
Appréoiation. — H y a dans ce dialogue de grandes vérités ptiil^
sophiques, des détails de moeurs qui témoignent d'une grande ezpérievM
GRECS — PLATON — l'ACADÉMIB 513
des hommes, un fonds d'idées généreuses, un amour vrai de la justice.
Mais tout cela est gàlé par une application trop exclusive d'un principe.
La recherche du bien commun y efface complètement les droifs de l'in-
dividu et même de la famille, La famille et l'individu disparaissent de-
vant l'Etat. Ces exagérations sont généralement condamnées par tous
les vrais philosophes et les vrais politiques, et la République de Platon
a toujours été considérée comme une utopie. Mais si Ton fait abstrac-
tion do ce point de vue exclusif du bien commun, faussement compris,
et même de cette préoccupation excessive de trouver le bonheur dans
la justice; Il restera dans cet ouvrage des beautés que l'on ne saurait se
lasser dWmirer, surtout dans la description des défauts propres à cha-
cune des formes de gouvernement. 11 y a là une philosophie de lu po-
litique aussi vraie de nos jours qu'elle l'était du temps de Platon.
152. Analyse du Phèdon. — Dans ce dialogue, Platon expose Ten-
tretîen de Socrate avec ses disciples, le dernier jour de sa vie, dans sa
prison, au moment où il se disposait à boire la ciguë. Socratê parle de
l'immortalité de l'àme et en appuyé la croyance, par le raisonnement
et par le sentiment des hommes.
Ediécrate rencontrant Phôdon à Phlionte lui demande des détails sur
les derniers moment de son maître. Et d'abord le motif du retard de
trente jours après la condamnation. Phédon lui donne ce motif tel que
nous l'avons raconté dans la vie de Socrate. 11 commence ensuite sa
narration.
Au dernier jour on laissa entrer dans la prison de Socrate tous ses
amis, et plus tôt qu'à l'ordinaire. Il y avait neuf athéniens et cinq étran-
^rs. Platon n'y était pas.
Quand ils entrèrent, on venait d'ôter les fers à Socrate et ils trouvè-
rent auprès dé lui Xantlppe, sa femme, avec un petit enfant dans ses
bras. Socrate la renvoya bientôt et commença ainsi .
« L'étrange chose, mes amls*. que ce que les hommes appellent plai-
sir!» 11 .éprouve du plaisir à n'avoir plus les fers qui le faisaient souffrir
et il dit que la douleur et le plaisir, quoicfue si opposés, semblent se
tenir liés, et se succèdent toujours. Il explique à Ccbès pourquoi il a
traduit en vers les fables d'Ësope : il y était invité par des songes. Il le
charge de transmettre cette réponse à E venus, qui le lui avait fait de-
mander, et lui fait dire de se préparer à la mort. Simmlas s'en étonne
et Socrate démontre que, s'il n'est pas permis de se donner la mort, il
convient de l'accepter avec joie. Et d'abord, U n'est pas permis de se
donner la mort. Nous occupons un poste qu'il ne faut pas abandonner ;
et, semblables à des esclaves, nous sommes la propriété des dieux. En
33
514 HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
second lieu, le sage doit voir venir la mort avec joie. En effet, n a
ouir du commerce des dieux et des hommes les plus parfaits qui est
vécu autrefois. De plus le vrai philosophe apprend cliaque jour à las-
rir ; il lui serait donc ridicule de repousser la mort, quand elle zw^t
Le philosophe ne travaille que pour son Ame ; il ciierche à la Jep^
des liens du corps qui la gène. L'objet de l'Ame ce sont les idées: ^
,vrai, le beau, le bien ; toutes choses qui ne se voient pas des yeui»^-
corps et que l'âme voit d'autant mieux qu'elle est plus dégage ^ ^
matière. C'est donc après la mjrt que l'âme atteindra mieux son ol^
Donc les philosophes ne s'exercent qu*à mourir.
L*àme existe après la mort. Au dire des anciens, les âmes revienne
après la mort: donc elles vivent. Mais il faut examiner cette vérité »2-
tivement aux animaux et aux plantes, où nous voyons que la vie naît ife
la mort, comme la mort succède à la vie.
De plus notre âme en naissant apporte avec elle ces idées, dont ai'
se souvient à l'occasion, et qui ne sont qu'une réminiscence d'aûr* ^
antérieure, Donc elle existait avant cette vie; donc elle existera eafî'X
après la mort.
Cébès reconnaît que Socrate a démontré la préexistence de rani-
mais non son existence après la mort. Alors Socrate répète sa preuve
que la vie naît de la mort et ajoute que ce qui est simple ne peut sedir
soudre, ni se décomposer. Or l'àme est simple parce qu'elle conaait I#
idées. Le corps ne voit que le composé et le mobile, aussi il est com-
posé e* changeant; mais l'âme qui voit les idées, simples et immaabbs
doit être simple et immuable aussi. Elle est donc immortelle.
Il suit de là que les âmes qui n'ont pas aimé le corps, ni les choses «'
corps, en sortent pures et vont dans le séjour des dieux, contempla''''*
idées qu'elles ont aimées; mais les âmes qui ont aimé la matière.^
emportent quelque cose qui les alourdit et d'ailleurs elles redoutent 1«
monde intelligible ; c'est pourquoi elles errent autour des tombeaux f^
entrent ensuite dans des corps d'animaux semblables par leurs mœ^^^
aux mœurs qu'elles ont eues elles-même pendant leur vie.
Mais, dit Simmias, peut-être que l'âme n'est que l'harmonie du co^
Peut-être encore, dit Cébès, l'âme n'est que l'habit du corps, cl dero^^"^
que le corps use plusieurs habits, et en porte enfin un qu'il n'use F*-
ainsi l'âme après avoir animé plusieurs corps meurt avant d'avoii"'^
le dernier.
Ici Socrate met ses disciples en garde contre les vaines objections q^
viennent après la démonstration d'une vérité, puis il répond: quel'^**
ne peut être l'harmonie des éléments du corps^ si elle existe a^^ ^
GRECS — PLATON. — l'aCADÉMIE 515
corps, comme ils l'ont admis, d'après les idées ; que d'ailleurs, si l'âme
était une harmonie, les âmes méchantes, qui sont dans le désordre, se-
raient moins âmes que celles des justes; que de plus l'a me est souvent
en contradiction avec les tendances du corps ; et qu'enfin aous avons
conscience que l'àme commande au corps, ce qui ne saurait être le tait
de l'harmonie des éléments du corps.
Le contraire n'admet pas en lui son contraire : l'impair n'est pas pair;
le chaud n'est pas froid. De plus le contraire n'admet rien de ce qui
pourrait le rendre contraire. (3r l'àme est le principe de la vie du corps
Donc l'àme ne saurait admettre la mort : doue elle est immortelle.
Mais si l'àme est immortelle, elle demande qu'on la cultive non seule-
ment pour ce temps que nous appelons la vie, mais aussi pour toujours.
Or après la mort, l'àme n'emporte que ses vertus ou ses vices, qui
feront son bonheur ou son malheur, dès son arrivée aux enfers. Car,
l'on dit qu'après le trépas de chacun, le génie qui a été charcjé de lui
pendajit la vie, le conduit danst^n certain lieu où il faut que tous le9
morts se réunissent pour être jugés, afin que de là ils aillent dans les
enfers, pour le temps fixé, après lequel un autre guide, les ramène dans
celte vie.
Le chemin qui conduit dans l'autre monde n'est ni unique ni simple.
Un âme tempérante suit facilement son guide, mais celle qui est éprise
d'amour pour le corps ne le suit que malgré elle, et comme elle est
souillée de vices, elle ne trouve aucun ami dans le lieu où elle va.
Il y a plusieurs lieu x merveilleux sur la terre et elle n'est point telle
qa'on la décrit. D'abord si la terre est au milieu du ciel et de forme
sphérique, elle n'a pas' besoin d'air pour la soutenir, mais le ciel lui-
même et son équilibre la soutiennent. La terre est fort grande et il y
a plusieurs autres peuples' qui habitent des parties qui nous sont
inconnues. Une autre terre pure est en haut, dans ce ciel pur où sont
les astres, et que la plupart appellent l'ether. Notre terre n'en est qu'une
grossière image. Dans cette terre parfaite, tout est parfait. Les arbres,
les fleurs, les fruits, les montagnes y sont admirables. Les pierres pré-
cieuses y sont infiniment plus belles que les nôtres. L'air est là ce que
Font ici l'eau et la mer, et l'éther est pour eux ce que l'air est pour
nous, Leurs saisons sont tempérées ; ils vivent exempts de maladies ;
leurs sens sout plus délicats que les nôtres, d'autant que l'éther est plus
subtil que l'air. Ils ont des bois sacrés véritablement habités par les
dieux qui conversent avec eux. Telle est leur félicité.
Mais dans les cavités de notre terre sont des gouffres profonds et
51Ô HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
divers qui communiquent entre eux. Là coulent des fleuves de in e
de boue. Homère et tous les poètes appellent ces lieux le Tartare^ Tjh(
ces fleuves coulent ainsi dans des abîmes sans fond, el de&rpsdefi
jusqu'au milieu de la terre^ mais pas au delà, car la secoade isîvtM
dej/ient montante. Le plus extérieur de ces fleuves c'est TOcéan. A t^
posé est l'Achéron, qui forme le marais Achérusiade, où se rendeol ki
âmes des morts, jusqu'à ce qu'elles reviennent dans ce monde potf
animer des bètes. Entre ces deux fleuves coule le Puriphlé^éthon. Ai
Toppoié de celui-ci coule le fleuve Stygien qui forme le marais de
Styx, et qui est appelé par les poètes : le Cocyte.
Tous les morts sont jugés là où leur démon les conduit. Prâ bs
criminels incurables sont jetés dans le Tartare d'où ils ne sortent ja-
mais ; ceux qui ont commis des péchés expiables vont aussi dans y
Tartare, mais n*y restent qu'un an. Ceux qui ne sont que lègèresmi
coupables vont au marais Achérusiade, d'où ils sortent après un tetaps
pour recevoir la récompense de leurs vertus. Mais ceux qui ont pâsee
leur vie dans la sainteté vont directement dans celte terre pure^ où cesi
que la philosophie a sufllsamment puriûés habitent des demeures {das
admirables et plus délicieuses.
C'est donc une magnifique récompense que nous attendous. Et si Is
choses ne sont pas exactement ainsi, elles sont du motos à peo prK
et la chose vaut la peine d'être tentée. Dans tous les cas rhomme ^
a pris soin de son à me, qui l'a ornée par la tempérance, le courage, h
liberté et la vérité, est toujours prêt ù. faire ce fatal voyage. Votre too:
viendra à tous : aujourd'hui c'est pour moi.
Socrate dit ensuite à ses amis que la seule recommandation qu'A i^
à leur faire, c'est qu'ils soient fidèles à ses enseignements. Critoo i^a
demande comment il faut l'ensevelir et il répond agréablement : c Coo-
me vous voudrez, si je ne vous échappe pas. » Et il part de là pom
confirmer tout son discours, affirmant que son àme va quitter le eoifî»
pour aller dans le séjour du bonheur.
Après cela Phôdon raconte les derniers moments de son maitre comine
nous i*avons fait plus haut, dans la vie de Socrate.
153. Quelques autres dialogues. — Quand on a parlé deiai2(7«'
blique de Platon, il faut dire quelques mots des Lots. Ce dernier dîiit:
gue est une sorte de correctif du premier. Platon semble l'avoir écnS
par condescendance pour la faiblesse humaine, comme si ildéal àe a.
République était trop parfait pour la terre. La vérité est que ladoctrio'
des Lois est bien plus exacte, car elle consacre tout ce qu'il y a de i\stt\
dans la République, sans tomber dans les exagérations condanuuiik»!
qui déparent celle-ci.
ORBCS. — PLATON. — l'ACADÉMIE 517
Le Thééiète est un autre complément à la République en ce qu'il
donne aussi la théorie de la science, et y ajoute bien des considérations
que Ton ne trouve pas dans le premier. •
Le Gorgias se rattache aux deux précédents en ce qu'il montre que le
véritable orateur doit avoir pour but de persuader la justice.
Le Criton est une belle introduction au Phédon. Criton essaye de
persuadera Socrate de s'évader; il a préparé toutes choses pour cela;
mais Socrate veut obéir aux lois de son pays et préfère subir la mort
même injuste, plutôt que de ne pas accomplir les préceptes qu'il a tou-
jours enseignés.
Nous ne pousserons pas plus loin cette petite revue, C'est Platon lui-
même qu'il faut lire et ses œuvres sont heureusement sous la main de
tous.
154. Appréciation de la Philosophie de Platon. — Platon
reste fidèle à la doctrine de Socrate^ mais il la développe, l'appro-
fondit et en fait un système. C'est peut-être précisément dans cet
esprit systématique que se trouve le principe de ses erreurs. En
effet, parti de la théorie des idées, dans laquelle il y a une grande
vérité exagérée, il veut faire concorder tout le reste de sa doctrine
avec ce fondement. Aussi on a pu faire de ses différentes théories
le tableau suivant :
Connaissances. Idées, Notions, Sensations.
Univebs. Dieu, Ame du Monde, Matière.
Facultés de l'ame. Intelligence, Thumosy Passions.
Sièges DE ces fac Tète, Cœur, Ventre.
liOQiQCE. Apodictique, Ëpichérématique, Ënthymématique.
MoBALB. Amour du bien. Amour mélangé. Amour animal.
PoLrriQUE. Caste savante, Caste interméd. Artisans.
Toutes ces divisions se trouvent en effet dans Platon, et on sent
que pour les obtenir il faut quelquefois forcer un peu la nature.
Mais il est évident que Platon, considérant les idées comme les
types des choses devait avoir une tendance à la synthèse a priori.
Sa théorie des idées,, vraie dans le principe, poche par excô^.
D'abord après avoir appelé idées les notions nécessaires conçues
par Tâme a priori, il finit par y faire entrer tous les genres, qui
ne nous sont connus qné par Texpéricnce, comme Aristote Ta très
bien compris. Ensuite il s'est égaré dans Texplication qu'il a voulu
^nner de Torigine en nous de ces idées, et son erreur, manifeste
\
518 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
aux yeux d'Aristote, a jeté C5elui-ci, comme nous le verrons, dus
Texcôs contraire. Si Platon avait su restreindre les id^es aux «e-
les idées nécessaires, et voir comme Aristote qu'il n'j a de to-
ment nécessaire à priori que les premiers principes, sans doute iî
aurait mieux que son disciple ramené ces principes à la seule v!^
d'être, comme il a d'ailleurs ramené toutes les idées à l'idée dulâeê.
Mais une autre source d'erreur pour tous les philosophes awlea!
c'est qu'ils ne s'élevaient qu'avec peine à l'idée de la Création. î^
là encore l'explication des idées par une vie antérieure de TânMa
Dieu, do là Viddalisme de toute la doctrine de Platon où la mat^
est conçue comme une illusion.
Enfin cette même absorption du particulier dans Ton i verse! Ti
conduit dans cette utopie qu'il appelle l'idéal du gouvernement (^
les intérêts privés, la liberté, les affections les plus légitimes, fe
morale môme, tout est sacrifié à l'Etat.
Fîn dehors de ces deux excès, on peut dire que tout le reste des
doctrines de Platon, ainsi que la forme dans laquelle il les expose
est vraiment admirable.
155. Speusippe. — Le successeur de Platon, comme chefâe
l'Académie, fut Speusippe, son neveu, et marié à l'une de ses p^
tites filles. Pendant huit ans, il se fit transporter à rAcadémie,
car il était paralytique. Contrairement aux usages de ses mattns,
il faisait payer ses leçons. Se voyant à bout de forces, il céda la
direction de l'Ecole à Xénocrate. On ne connaît pas bien les câ^
constances de sa mort. Selon quelques-uns il aurait tennioé s^
souffrances et sa vie par le suicide.
Il ne nous reste que dos débris de sa doctrine et de ses nombreni
ouvrages, qu' Aristote acheta pour le prix de trois talents (envi-
ix)n 15,000 fr.).
Il paraît avoir modifié sensiblement les théories de son maître ft
y avoir môle les doctrines des Pythagoriciens, de l'Ecole d'Elôe«
de l'Ecole cynique.
Sous prétexte do ramener les sciences â l'unité, il déclare que
la connaissances des objets est tellement liée, que Ton ne saurait «
définir un seul, sans définir en môme temps tous les autres. Cnmme
Platon, il place le principe de la vérité dans la raison, mais il doane
GRECS. — PLATON. — l'ACÀDÉMIB 610
pins de réalité aux choses sensibles, et reconnaît une valeur scien-
tifique à l'expérience des sens. D'ailleurs toutes les idées de la raison
ne sont pour lui que l'unité et c'est l'unité elle-même qui est l'es-
sence des choses . Par suite le premier principe des choses n'est
plus le bien, mais l'unité. Pour lui, Dieu n'est plus le bien, mais
l'unité, et encore il n'est que l'unité qui se trouve dans les choses ;
en sorte que son Dieu n'est que Tâme du monde. Il ne lui accorde
pas môme l'intelligence : c'est une unité abstraite qu'Aristote appelle
un « non-être ». Aussi il disait que le bien n'est pas le principe
des choses, mais le terme de leur .développement, de même que
l'animal est plus parfait que le germe d'où il sort.
En morale il faisait consister la vertu ou le bonheur dans nne
sorte de milieu qui n'est ni le plaisir ni la douleur. On voit que
pour lui la vertu n'est pas la pratique de l'honnête et du juste,
mais bien cette sorte d'indifférence que nous avons déjà rencontrée
et que nous rencontrerons encore dans les théories philosophiques.
S'il mit en pratique cette indifférence, par son égoïsme et son
avarice, il fut assez voluptueux pour laisser croire que son cœur
n'était pas d'accord avec son esprit quand il disait que le plaisir
est un mal.
156. — Xénocrate. — Né à Chalcédoine, l'an 394, Xénocrate
fnt disciple de Platon et succéda à Speusippe comme chef de l'Aca-
démie. Il enseigna pendant vingt-cinq ans et mourut en 314. Son
esprit manquait de facilité et il se comparait lui-môme & un vase
d'une embouchure étroite, qui reçoit difficilement mais conserve
très-bien ce que Ton y met. 11 acquit une grande estime chez ses
concitoyens et même au dehors, par ses mœurs austères et par son
désintéressement.
-On n'a sur sa doctrine que quelques rares traditions par lesquel-
les on peut voir, qu'en conservant assez bien la morale de Platon,
il comprit mal le reste de sa philosophie, et en mêla les doctrines
avec celles de Py thagore . Il prit de celui-ci les symboles mathé-
matiques, appela Dieu la monade^ et la matière, qu'il confondait
avec l'âme du monde, la dyade. Il croit pouvoir exprimer par
différents triangles toutes le^ essences des choses, et représenter
Dieu par le triangle équilatéral, les génies par le triangle isoscôle
520 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
et les choses terrestres par le triangle ficalène. Ce0 formiikis»
thématiques remplacent pour lui les idées de Platon . Ansa fta
n'eét plus le Bien, mais Tlntelligence pure. Cependant il ne méca-
naît pas la liberté de Tàme humaine et dit que «c les philo6opi4
font volontairement ce que les autres hommes font par crainte •
Il enseigna aussi que le bonheur est la conséquence de la T«tsi
mais il croit qu*on ne peut possédera la fois les biens de Fâstf^
ceux du corps.
157. Polémon. — Né dans l'Attique, Polémon menait nue ^ia
fort dissolue, lorsqu'un jour, sortant d'une org^ie, la tête encœ?
couronnée de fleurs , il se montra tout-à- coup dans renceint^ ^
Xénocrate enseignait. Celui-ci, sans paraître Ta voir remanjo^.
fit un tableau si repoussant des suites funestes de rintempérui*
que Polémon rougit de son état, et, dès ce moment sattadta^
Xénocrate. 11 lui succéda même comme chef de rAcadémie,**.^
continua fidèlement les mêmes enseignements, s^attachaniàli
morale beaucoup plus qu'à la dialectique. Il composa plosieff!
ouvrages dont il ne nous reste rien. Il mourut à Athènes, tar
lan 272.
A Polémon succéda Cratês d'Athènes que Ton ne connaît pas
autrement. Avec lui on trouve Crantor de Soli, dans la Cili«»t
disciple de Xénocrate et de Polémon, dont le livre de rAfflich(r^
est qualifié de a livre d'or > par Cicéron, On lui attribne ausâ 0
commentaire sur Platon, qui aurait été le plus ancien.
— A ce moment la philosophie de Platon est déjà, bien efface *^
elle va bientôt s'efl'acer davantage avec Areésilas qui fut disàpî*
de Cranter et qui'fondala Moyenne Académie, et Sixee Camé(^f^
chef de lo, Nouvelle Académie, Mais avant de faire connaitw
cette décadence il nous faut parler des autres grandes écoles socrs'
tiques.
8.7 IRISTOTL-LILIClK.
158. Vie d'Aristoté. ^ Aristote naquit l'an 384, A Stagire*
petite ville de la Macédoine, k l'entrée du golfe du Strjmon, ix*
loin du mont Athos, et qui paraît avoir été au lieu où se troa^^
aujourd'hui le village de Stavro. Cette ville, avec son petit p(^
GRECS — AKISTOTE — LYCÉE 521
joua un rôle dans les guerres de Xerxès et pendant les guerres de
Philippe. Le père d'Aristote, Nicomaque, était médecin du roi
Âmjnf as, père de Philippe. 11 appartenait à la famille des Asclé-
piades, que l'on faisait descendre d'Esculape. Sa mère, Phœstis,
descendait directement d'une de ces familles de Chalcis, qui avaient
fondé la colonie de Stagire.
Il psM*aît qu'Aristote perdit sa mère de très-bonne heure, et
qu'il n'avait que dix-sept ans quand son père mourut. D futeonûé
aux soins d'un ami de sa famille, Proxône d'Atarnée,en Mjsie,qui
habitait alors Stagire, et lui en garda une reconnaissance qui se
manifestait encore longtemps après sa mort.
Lés premières études d'Aristote se firent à Stagire, probable-
ment en compagnie de Philippe. A l'^ge de dix-sept ans il vint à
Athènes. C'était le moment où Platon fit son second voyage en
Sicile, qui dura trois ans. Ce n'est donc qu'à l'Age de vingt ans, en
3Ç4, qu'il commença à suivre les leçons de Platon, et il les suivit
pendant seize ans, jusqu'en 348.
Pendant ce temps il ouvrit une école de rhétorique, dans laquelle
il luttait contre Isocrate, et la réputation qu'il y acquit le fit
envoyer en ambassade par les Athéniens auprès du roi Philippe.
Cest pendant son absence que Platon mourut.
A son retour, ne se croyant pas en sûreté à Athènes, comme
macédonien, il se rendit en Asie, auprès d'Hermîas, tyran d'Atar-
née, dont il épousa la fille, après que celui-ci eut été mis à mort
par Artaxerce. Il se retira alors à Mitylène, où il. demeura deux
ans.
En 343, Philippe lui confia l'éducation de son fils Alexandre.
Aristote instruisit son élève dans toutes les connaissances qu'il
possédait lui-môme : morale, politique, éloquence, poésie, musique,
histoire naturelle, physique, médecine. C'est à Pella dans le palais
appelé Nyphœum, qu'Aristote habitait alors avec son royal élève,
et quelquefois à Stagire, qu'il avait fait relever de ses ruines et
embellie de ses popres deniers. Il demeura auprès d'Alexandre
jusqu'en l'an 335, au moment où celui-ci se disposait à passer en
Asie.
Aristote se rendit alors à Athènes et ouvrit son école dans le
Lycée, gymnase situé auprès du temple consacré à Apollon Lycien.
522 HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
C^est de là que son école s^appelle le Lycée^ comme aussi paies
qu*Aristote avoit coutume d'enseigner en marchant, ses disci^
furent surnommés Pénpatéticieyis,
Aristote, dont Tesprit était éminemment ami de Tordre, eut bcù
d'imposer à son école une discipline maintenue par an chef sa
archonte que Ton renouvelait tous les dix jours. Des bai»|Qeâs
périodiques réunissaient de temps en temps tous ses disciples, e%
un article du règlement tracé par Aristote interdisait l'entrée (k
la salle du festin à tout convive dont la mise n'aurait pas été îsré-
prochahle.
Ses leçons avaient lieu le matin et le soir, et cesdeax leçons dg
chaque jour constituaient deux degrés dans son enseignement: Tes
pour les commençants et par là-méme accessihle à tous, et qui prit
pour cela le nom d'enseignement exotérique ; l'autre pour oesi
que des études précédentes avaient préparés à des études plus |»o>
fondes, et appelé pour cela acroamatique. Il n'y a pourtant jê&
lieu de croire que ce dernier enseignement fut secret ou ésotétiq^,
comme quelques-uns l'ont cru.
Aristote dirigea son école pendant treize ans et pendant »
temps il composa ces écrits nombreux dont la profondeur et l'exac-
titude étonnent d'autant plus que l'on fait plus de progrès dans ks
sciences.
Une grande intimité régna entre lui et son royal élève, jusqn'ae
moment où Alexandre fit périr CaUisthène qui était le neveu d'A-
ristote. A ce moment, sans doute, les rapports durent étce plff
gênés, mais c'est tout-à-fait injustement que l'on a accusé Aristoie
d'avoir été pour quelque chose dans la mort du conquérant. As
contraire il dut fuir devant la réaction quand son élève fut mort
Déjà cependant il avait dû quitter Athènes devant une accusati«ï
de sacrilège, parce qu'il avait élevé des autels à la mémoire de a
première femme et de son ami Hermias. On croit qu'il se retira
alors à Chalcis, laissant la direction de son école à son disciple
Théo{)hraste.
C'est à Chalcis qu'Aristote mourut, l'an 322, succombant, à ce
qu'on croit, à une maladie d'estomac, qu'il avait habilement com-
battue toute sa vie. Plusieurs l'ont accusé de s'être donné la
mort ; mais cette assertion, contredite par des historiens digs©
0RBC8. — ARISTOTB. — LYCÉE. 528
de foi 9 est encore opposée à la doctrine formelle d*Ari8tote contre
le suicide.
159. Travaux d'Aristote. — C'est à dessein que nous disons
a travaux » et non pas « écrits » d'Aristote. En effet ses écrits ne
sont pas seulement le fruit d'une puissante intelligence, la plus
vaste, la plus profonde et la plus sûre que le genre humain ait ja-
mais connue, mais ils résultent surtout d'une immense érudition
qui embrassa tout ce qui avait été écrit jusqu'à lui, et surtout d'un
travail d'observation personnelle et vraiment scientifique, sur les
animaux, les plantes, les phénomènes météorologiques. Les mathé-
matiques qu'il connaissait cependant très bien, sont la seule bran-
che des sciences alors connues, qu'Aristote n'ait pas traitée ; et
dans tout ce qu'il a observé, il J a certainement des lacunes inévi-
tables pour lui, mais ce qu'il en a dit est resté parfaitement exact,
quant aux phénomènes observés.
Par ses travaux sur la Nature, Aristote est le fondateur des
sciences d'observation ; par sa Logique, il est le législateur de tou-
tes les sciences ; par sa Métaphysique, il a posé les bases de toutes
les sciences à priori ; par le reste de ses travaux, il a placé la phi-
losophie dans ses véritables limites, mettant un frein aux hypo-
thèses antérieures, arrêtant les écarts de l'imagination à laquelle
Platon donnait un trop libre cours. Il y a sans doute moins de
poésie, et peut-être moins de grandeur dans les théories d' Aristote
que dans celles de son maître ; mais il y a certainement plus de
vérité, plus de méthode, plus de clarté, et souvent plus de profoii-
deur.
Voici la liste de ses écrits :
Ouvrages sub la. grammaire et les lettres
De VAH de la Rhétorique^ en 3 livres.
JShétoriqtce à Alexandre, (apocryphe).
De la Poétique (fragment).
Ouvrages sur les mathématiques.
De la Mécanique j sous forme de questions.
Dez lignes insécables^ contre Xénocrate.
524 HISTOIRE DE LÀ PHIL080PHIB
Ouvrages compris sous le nom de Logique ou Or^onon.
Catégories^ sur les termes.
De l'Interprétation^ sur la proposition.
Premiers Analytiques, en 2 livres, sur le syllogisme.
Derniers Analytiques, en 2 livres, sur la démonstration.
TojnqueSf en 8 livres, sur Tart d'argumenter.
Réfutations des Sophistes.
Ouvrages sur la' métaphysique.
Métaphysig^ue, en 14 livres.
Sur Xénophane, Zenon et Gorgias.
Ouvrages sur la physique ou sur la nature
Levons de physique, en 8 livres.
Du Ciel, en 4 livres.
De la Génération et de la Corruption^ en 2 livres.
Du Monde, à Alexandre (apocryphe).
Météorologie, en 4 livres.
Positions et noms des vents, fragment d'un ouvrage sur te
saisons,
Traité d'Acoustique (extrait).
Traité des couleurs.
Ouvrages sur les êtres vivants.
Traité des Plantes, en 2 livres (texte grec refait sur Tarabe).
Histoire des animaux, en 10 livres.
Des Parties des animaux, en 4 libres.
De la Génération des animaux, en 5 livres.
De la Vie (ou deTAme), irepl ^uj^yic, en 3 livres, plus lespeti»
traités appelés : par va naturalia.
De la Sensation et des choses sensibles.
De la Mémoire et de la Réminiscence.
Du Sommeil et de la Veille,
De la Divination par les songes.
De la Brièveté et de la Longévité de la vie.
De la Jeunesse et de la Vieillesse.
De la Vie et de la Mort,
De la Respiration
GRECS. — ARI8T0TB. — LYCÉE. 525
et les recueils de faits de toutes sortes.
Petit Recueil des récits surprenants,
57 sections de Problèmes^ ou questions.
OUVBAQES DE MORALE ET DE POLITIQUE.
Morale à Nicomaque, en 10 livres.
Grande morale, en 2 livres. 1 . i. , ^ j« • i
i rédigés par ses disciples.
Morale à Eudème, en 7 livres )
Sur les vertus et les Vices (fragment).
Politique, en 8 livres .
Economique, en 2 livres (le 2* est apocryphe).
De la Physiognomonie.
Aristote avait composé aussi un Recueil des constitutions poli-
tiques grecques et barbares, dont il ne nous reste rien, et plusieurs
autres ouvrages dont nous ignorons les noms,mais dont les auteurs
anciens nous ont conservé des fragments . On lui attribue aussi
des poésies et des lettres.
160. Histoire des ouvrages d' Aristote. "-^ Aristote^ en
mourant, avait légué ses écrits à Théophraste ; celui-ci les légua à
Nôlée, son disciple. Les parents de ce dernier, en ayant hérité les
portèrent à Sepsis, et les enfouiient pour les cacher. Plus tard ils
les vendirent, trôs-endommagés, à Apellicon de Téos, qui formait
une bibliothèque à Athènes, et qui en donna un grand prix. Après
la prise d'Athènes, Sylla les ût transporter à Rome où ils furent
revus et rétablis par un affranchi nommé Tjrannion, grammairien
et philosophe très estimé, puis placés dans la bibliothèque publique
d'Asinius Pollion. Plus tard Andronicus de Rhodes les publia, envi-
ron 2(X) ans après la mort d' Aristote.
Dès lors Cicéron les connut et les cita fort souvent ; plus tard
Pline ne fit guère que les traduire ou les résumer et Sénèque s'en
servit aussi. Mais ils ne furent guère répandus à Rome, A Alexan-
drie, au contraire, ils trouvèrent des commentateurs.
Les premiers pères de TEglise s'attachèrent de préférence à
Platon ; mais, à partir de St Augustin on commença à les connaî-
tre. Cassiodore et Boéce surtout donnèrent des versions de quel-
ques-uns.
Pendaiit ce temps les philosophes d'Alexandrie les portèrent
526 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
4
jusqii*en Perse où les Arabes les traduisirent, ponr les rapports
plus tard en Afrique et en Espagne, au moment oO TEUirope k»
avait oubliés. On les traduisit de Tarabe en hébreu et en latiii,^
c*est ainsi que la scholastique commença à les connaître.
Par les soins de St Thomas d'Aquin et du pape Eugéae IV, ffl«
traduction complète fut faite sur le texte grec, et dès lors AmtoU
devint l'instituteur de TEuropo. Tout ce qu'il y eut de philosopks
au moyen-âge se forma à l'école de celui qu'on appelait par excel-
lence le philosophe^ et c'est lui qui donna à la scholastique oêtIc
logique sévère, méthodique et môme pointilleuse, à force de voa-
loir être exacte et précise dans les termes. L'étude de la LogiqBS
et de la métaphysique fut pour tous ces hommes une gymnastique
intellectuelle qui leur assura une supériorité de raison que beao-
coup méprisent aujourd'hui parce qu'ils ne peuvent pas la cos.*
prendre. Mais le plus beau témoignage en faveur des écrit»
d'Aristote c'est qu'ils ont servi à former St Thomas d*Aquia, et
que celui-ci, à la lumière de la Foi catholique, a pu, sans sortir dâ?
principes d'Aristote, élever ce grand édifice philosophique q»
l'esprit humain ne cessera jamais d'admirer: cette somme théolo-
gique dont les données rationnelles sont tellement exactes, qne Ii
raison se détruit elle-même chac|ue fois qu'elle veut les contredire :
tellement profondes, que tous les progrès véritables accomplis par
la philosophie jusqu'à ce jour y sont comme prévus, et qa'o&
s'étonne de les y voir constatés en quelques lignes, après qu'on les
a découverts, là où on ne les avait jamais aperçus.
Que faut-il donc penser d'Aristote? Quelle était cette întelligenec
qui, avec si peu de secours antérieurs, est arrivée comme d*an seul
élan à cette hauteur sublime ! Cette intelligence qui a pu non-seo-
lement embrasser d'un regard toutes les connaissances de soa
temps et les systématiser, mais encore pénétrer si profondément
dans la vérité, que ses principes renferment et semblent lui avotr
indiqué d'avance tout le fruit des efforts de l'esprit humain pendant
plus de vingt siècles !
Ajoutons cependant qu'il faut bien connaître Platon pour coo-
prendre Aristote, comme il faut bien connaître Aristote ponr ne
pas s'égarer avec Platon^ et qu'enfin il faut étudier sôrieuadmaB^
St Thomas pour échapper aux erreurs où les deux premiers poor.
raient conduire.
GRECS. — ARISTOTB. — LYCÉE. 527
Disons mieux : Platon avait eJBTacé Thomme et le monde; Aristote
avait effacé Dieu; la Foi catholique qui affirme Dieu et ses œuvres,
dirigeant une intelligence comme ceUe de St Thomas a fait jaillir
de ces deux sources un immense fleuve de vérité.
Théorie de la connaissance. — Pour Aristote comme pour
Platon, la théorie de la connaissance est la base de tout le système
philosophique. Nous avons déjà dit plusieurs fois en quoi consistent
ces deux théories, ou plutôt en quoi elles diffèrent. Il sera pourtant
utile de présenter ici celle d'Aristote sous un jour plus complet.
La connaissance, dont le désir est naturel à l'homme, a un
double objet : les choses éternelles et les choses périssables. Les
premières ne tombent pas sous les sens, et les dernières se divisent
en sensibles et intellectuelles.
Les choses sensibles nous sont connues par la sensatiçn
(aid)7i<Tu) La présence de l'objet est nécessaire à la sensation
Ce qui fait que l'» la sensation ne dépend pas de nous ; 2° elle ne
donne que le présent ; 3° elle ne donne que le particulier. Mais
par suite aussi elle ne donne pas Terreur. Les sens ne nous trom-
pent pas.
Cependant l'imagination ( çavrao-ta ) conserve les percep-
tions sensibles. C'est que l'objet perçu dans la sensation a laissé
dans le sens l'empreinte de lui-môme, sans y rien laisser de la
matière qui le compose, comme le sceau laisse son empreinte
dans la cire, sans y rien laisser du fer dont il est fait. Aussi une
seconde perception semblable, une troisième, etc., sont bientôt
reconnues pour semblables et la série de toutes ces images sembla-
bles (cpavTàcr|xaTa) dégagées de ce qu'elles ont de particulier ,
fournit à l'intelligence un genre ou une espèce (etSoç).
Ainsi les idées ne sont pas des êtres séparés ; les genres et les
espèces n'existent que dans les individus.
Les idées ne nous sont pas innées ; nous les acquérons par
l'expérience, qui n'est que la série des sensations ou plutôt la série
des images sensibles fournies à la sensation. Le dégagement de
raniversel, le premier degré d'une connaissance supérieure à celle
des animaux, se fait par le procédé dialectique (SiaXexTwcûc)
et ne donne que l'opinion (Ulia),
528 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
La science est un degré supérieur à celui-là. Mais la ide^n
(CTctoTTT^jjLTi) uc se fait que par démonstration. Sou ol^étei
la conclusion nécessaire. La conclusifn s'obtient par le yfoék
logique(XoYtx(o;) Elle repose donc sur des principes, qui ^
vent être aussi nécessaires que les conclusions.
Les principes sont le point de départ des démonstratioss. Bi
sont donc indémontrables. L'âme les tire d'elle-même, paisqK la
sens ne les lui donnent pas. Cependant elle ne les apporte p)i s
naissant, puisqu'elle ne les connaît pas avant d'avoir perçi F
les sens. C'est donc l'esprit lui-môme qui les possède en puisse»
et qui les applique dans le raisonnement. On les met & décovî^*
par le procédé analytique (àvaWLxcic). Us sont lol^jet (ka
connaissance directe ( voT^Ta ); ils ne sont connus ni par Ja sta-
tion, ni par la science ; c'est l'intelligence (voûç) qui les coaa»-^
et cette connaissance constitue la sagesse ( vo^floL ) sapérieare^^
pensée discursive ( ©pivr^dic ou Stàvota ).
Les principes sont fondés sur l'opposition des contraires :eeqi:
est et ce qui n'est pas. Ils se résument donc dans le principe^
contradiction. «Rien ne peut, en môme temps,étre et n'être jâf*
Cependant les principes ne sont pas les mômes pour toutes )è
sciences; car il faut distinguer les objets éternels, des objets pérs-
sables. Dans les sciences des objets étemels les principes 9i»i^<^
qui est nécessaire et éternel ; dans les sciences des ol^ets pensa-
bles, les principes sont le cours ordinaire des choses, (tic sa '
Ainsi la théorie d'Àristote sur la connaissance n*est aullemeot sei-
suallste, comme on l'a dit trop souvent. M. Barthélémy Sabl-Haî»"'
dans son analyse de la Logique d'Aristote, justifie plelnemeot «^
théorie du reproche de sensualisme. Il remarque même qu'Anstote «'
jamais admis le fameux principe. Nihil est m intellectu quo<^*^*
prius fuerit in sensu, et de plus que lorsqu'il a comparé I'inteilif««*
à un tableau sans inscription (tabula rasa) c'était dans un tout a»'-''
sens que celui qu'on lui attribue. Aristote dit que Tentendeaieat l^
se penser lut-mème, et qu'alors l'objet de la pensée, identique au ^
cipe pensant, ressemble à une tablette sur laquelle il n'y aurait aitfQ*
écriture réelle.
Tout cela est vrai, mais 11 ne faudrait pas en conclure queiasp"^
GRECS — ARISTOTB — LYCÉE 529
la philosophie tout entière a vu dans Arîstote le contraire de ce qu'il
dit. S'il n'a pas formulé expressément le principe que tout ce quHl y a
dans VinteUigence lui vient de la sensation^ il a exposé une théorie
qui repose sur ce principe ; si c'est dans un autre sens qu'il a comparé
l'intelligence à la fameuse table vase, tous ses commentateurs ont bien
vu que cette expression rendait bien sa pensée sur l'intelligence nais-
sante. {*) Car il n'admet dans l'intelligence aucmie idée déterminée
avant la sensation, et les principes qu'il y découvre ensuite n'y sont
tout d'abord qu'en puissance et non pas en acte. Or c'est là précisé*
ment et uniquement ce rpi'Aristote combat dans la théorie des idée) de
Platon, considérée dans l'intelligence. Il combat d'ailleurs aussi et non
moins énergiquement l'existence des idées en dehors do l'intelligence,
Jes genres en dehors des choses et avant les choses, parce qu'il lui sem-
ble que Platon en fait des substances à part et indépendantes.
Nous reconnaissons avec M. Barthélémy Saint-Hilaire que Leibnltz
n'a rien changé à la théorie d'Aristote, qu'il croyait cependant corriger,
en ajoutant au fameux principe: excipe: nisi ipse tntellectus. Bien
plus, nous dirons que Leibnitz lui-même ne s'est pas exprimé plus clai-
rement qu'Aristote sur cette question, que comme lui il semble ne re-
connaître dans l'intelligence que la faculté de formuler les principes de
raison, tandis qu'il aurait pu trouver le véritable sens caché d'Aristote
et la vraie manière dont il faut entendre cette théorie, dans S. Thomas
d'Aquin, qui dit formellement que Vintellet des principes est une
habitude naturelle. Et S. Thomas, qui mieux que personne a compris
Aristote, ne croy«iit pas, en parlant ainsi, s'écarter de la doctrine du
philosophe.
1Ô2. La Logique d'Aristote. — Les six ouvrages que Ton
désigne sous le nom de Logique ou ôHOrganon^ forment uu tout
suivi et complet. Aristote les a conçus ainsi. Mais ce n*est pas lui
qui leur a donné les noms sous lesquels ils sont connus . Il les dé-
signe quelquefois par Méthode des procédés logiques (jjiéôoSoç tûv
yjd^iù^i) et plus souvent '\\ semble n'y voir autre chose que ce qu'il
appelle l'Analytique. Ces deux dénominations présentent l'ouvrage
à deux points de vue opposés. Le premier le désigne tel qu'il est
et comme devant servir de règle à l'intelligence qui poursuit la
(*) D'ailleurs cette môme comparaison se retrouve dans le traité d$ Vàme^ où
Il dit « L'intellect passif est d'abord comme une iabU raie, comme on le voit
dane la première enfance. »
34
530 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
science, par voie de démonstration ; le second desiffiie plntfii 1^
travail dn philosophe à la recherche de ces mêmes règles et à<
principes de la démonstration.
Ainsi guidé par son but et par sa théorie de la connaissais.
Aristote cherche d'abord ce qu'il y a de plus générai dans lesjfs-
cipes de la science, e'est^à-iiire, les .attributs possibles de rètre. o.
plutôt la classification générale de ces attributs; ce sont les Csîf
gories (KoLTr^vooiaiù
11 parait qu'Aristote lui-môme avait écrit aussi un traité des Calf">
rémeB et que Porphyre n'a fait qu'y suppléer, en se servant de h }^'^
physique et des Topiques^ parce que ce traité était déjà perdu.
Nous avons parié déjà des Catégories et des Catégorèmes, page ôSetiS
Vient ensuite le traité de r Interprétation (tîîoI Eouv/sii;! s^
traité du Langage, qui renferme la théorie de la Prt»p:«siiia
Aristote y traitait d*abord du Nom (ovo'j.a) et du Verl.o (cf;i3i)pâ>
de leur union dans le Discours (Aoyoc), c'est-à-dire de la Pw^«■
tion. Il i^marqueque toute proposition n'exprime pas unjug«2ni«*»'
et que par exemple l'optatif donne une proposition qui n'est ^
vraie ni fausse. Il ne veut parler que de la proposition énoBci^
tive. Celle-ci est affirmative ou négative, universelle ou partks-
Hère. Deux propositions peuvent être contraires ou contradictoire.
L'opposition peut tomber sur des propositions simple?, complexe^'
ou modales. Aristote traite assez longuement ces dernières. £a ^
«
mot, il dit à peu près tout ce que l'on a dit depuis sur la Proposi-
tion.
Après avoir éclairé les opérations de la raison sus les élém»^
du jugement et sur le jugement, Aristote va éclairer le travail^
la démonstration, qui n'est que l'enchaînement des jugements. &
d'abord il traitera du raisonnement en lui-môme, <1ii *vllorl53f
abstrait, ensuite il rappliquera i\ la démonstration réelle.
Les pre^niers Analytiques oftrent la théorie complète *iu5vL"
gisme avec une profondeur d*analyse qui étonne d'autant pla^
que rien d'analogue n'avait été fait avant lui, et que riea <«
mieux n'a été fait dep Us, si ce n'est que la Scolastique y a aji^iu
des formules, dont Aristote n'avait donné que l'idée ^rm^
re, en exprimant par des lettres chacune des propositions et «•»
variant ces lettrespour chaque figure. Dans un second chapi'*'*
GRECS. — ARISTOTE. — LYCÉE. 581
de ce premier livre, il parle des propriétés des syllogismes,
savoir : de la possibilité de donner h quelques-uns plusieure con-
clusions; ou de conclure le vrai, en un sens, de deux propositions
fausses ; de tirer d*un syllogisme une conclusion réciproque, etc. Il
traite ensuite de quelques sophismes, et enfin des formes de raison-
nement autres que le syllogisme : Tlnduction {l'KOLyiù^^^), TExemple
TwapàSeiYjxa), TAbduction (àr.oL-ftù^,), Tlnstance {evTra<nc) et TEn-
thjmème (èv9u[JL7i|jLa).
Aristote fait grand cas de Tlnduction et dit qu'elle constitue avec
le syllogisme les deux seuls moyens de savoir. L'induction consiste
pour lui h conclure le grand terme du moyen, par le petit. Mais il
faut pour cela que le petit terme repré^nte tous les individus com-
pris dans le moyen. Le syllogisme est en lui-même plus conoais-
sable. mais Tinduction est pour nous plus claire. Plus loin, dans
les derniers analytiques, il expliquera comment Tinduction est
seule capable de nous donner et nous donne, en effet, les majeures
indémontrables du syllogisme et les premiers principes.
L'Exen^ple diifère de Tinduction en ce qu'il ne part pas de tous
les individus compris dans le moyen, mais d'un quatrième terme
semblable au petit.
Exemple: C'est un mal de faire la guerre à ses voisins, comme
lorsque les Athéniens firent la guerre aux Thébains.
De môme c'est un mal pour les Thébains de faire
la guerre auxPhocéens qui sont leurs voisins.
Mais l'exemple diffère encore plus du syllogisme, car il conclut
du particulier au particulier, en passant par Tuniversel.
L'Abduction est un syllogisme dont la mineure n'est pas évidente
et où l'on prouve cette mineure avant d'amener la conclusion.
Aristote l'appelle ainsi parce que le raisonnement semble s'écarter
de son but.
L'Instance ou objection est un syllogisme dont la mineure con-
tredit la mineure d'un premier syllogisme et par conséquent obtient
une conclusion contradictoire.
L'Enthymôme n'est pas chez Aristote l'argument que nous dési-
g^nons aujourd'hui par le môme nom. Pour lui,c'est un raisonne-
ment qui ne conclut que d'une maniôrô probable, car il est fondé
532 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
sur un signe dont la présence peut n'être pas une raison sufflsaoîi
d'affirmer la chose signifiée.
Ici Aristote dit quelques mots qui sont le principe mêmedeiVi-
pîoi de l'observation dans les sciences naturelles. C'est que umfê
qualité présonto dans un être doit avoir un signe extérieur ^
qu'ainsi le signe peut servir h connaître la nature propre des cki^
'(cJUTLOVvOJULOVtîv) .
Dans les (Irrniers Aïinh/d'qifes, xVristote expose les principes
et les a])plicationsdela démonstration. Et d'abord toute déultJU^tra-
tion repose sur une vérité antérieureuieut connue, sans qne poar
cela hi. conclusion puisse u^re appelée une réminiscence, comis^
disait Platon ; car on peut connaître un principe général, sanse
<'onnaîtro toutes les applications particulières. Les principes (la-
vent être vrais et connus pour vrais. Sans cela il pourrait bieaj
avoir syllogisme, mais il n'y aurait pas démonstration.
On objecte que, s'il faut connaître les principes avant la déiûOK-
tration, la science est impussible, puisqu'il y a quelque chose q^n
n'est pas démontré. Aristote répond que toute science ne vient p*-*
de la démonstration, puisque les notions immédiates n'en vienne
pas. D'ailleurs vouloir que toutes les parties de la science soient
démontrées, c'est vouloir faire une démonstration circulaire, to
laquelle le principe sera tout à la fois plus connu et moins confia
que lui-même.
Après cela il conclut que ce qui est su par démonstration est w-
cessairement tel qu'on le sait ; que la démonstration ne porte qo*
sur l'universel, sur l'éternel, et qu'il ny a pas de science prop^^
ment dite des choses périssables.
La démonstration repose sur l'universel, or, par universel, il ^
faut pas entendre les idées, comme des espèces à part, isolées «k»
individus. L'universel n'est qu'un mot qui s'applique à plusieaff
objets, comme vrai de tous, et non par simple homonymie. I'
véritable universel ce sont les principes communs que toutes 1^
sciences emploient pour leurs démonstrations. Tels sont le pri»*
cipe de contradiction et cet autre qu'une chose est ou n'estps^'
Ces principes, ce n'est pas la science qui les démontre ; c'^t la
dialectique qui s'en occupe et les met en lumière, en pivcédas-
par interrogations contradictoires.
GRECS -ABISTOTB- LYCÉE 533
Parmi les sciences, les unes démontrent les causes des faits, les
autres démontrent seulement les faits. Et quand deux sciences do
ces deux ordres sont subalternes, celle du ^ïremior ordre est supé-
rieure à Tautre.
Le premier ordre de sciences prend ses démonstrations le plus
souvent dans le svllogisme de la première figure ; et le deuxième
ordre les y prend exclusivement. « Donc la première figure est la
forme suprême de la science ».
L'erreur vient principalement des fausses notions simples, puis
des sophismes, et enfin des sens qui font quelquefois défaut.
Si un sens vient à manquer, une partie de la science manquera
nécessairement aussi . Car tout savoir vient de la démonstration
ou de l'induction, La démonstration part du général ; l'induction
part des cas ^rticuliers . Mais il est impossible d'atteindre le gé-
néral autrement que par Tinduction qui a son point de départ dans
la sensation. Donc, si telle sensation manque, l'induction qui en
dérive manquera aussi, et la démonstration n'aura plus de base à
ce sujet.
On ne peut pas indéfiniment donner un attribut à l'attribut d'un
sujet, ni un sujet au sujet d'un attribut. 11 faut en dernière ana-
lyse trouver un sujet qui ne soit lui-môme l'attribut de rien. D'où
il suit qu'il y a des principes, et que tout n'est ipas démontrable.
La démonstration générale vaut mieux que la particulière.
La démonstration affirmative vaut mieux que la négative.
Cependant la démonstration négative est supérieure à la déuions-
tration par impossible.
La science qui donne à la fois le fait et la cause est supérieure
à celle qui ne donne que l'un des deux. Celle qui n'a pas de sujet
matériel l'emporte sur celle qui en a un. Celle dont le sujet est
plus simple l'emporte sur celle do'nt le sujet est plus complexe.
Dans le II* livre du mômp traité Aristote recherche l'applica-
tion de la démonstration aux objets de la science, et l'origine des
premiers principes. ^ !
La recherche de la science peut avoir pour objet : 1^ l'existence
de la chose ; 2^ sa cause ; B** si elle est; 4^ ce quelle est. Ces quatre
questions se réduisent à deux : l'existence et la cause. i^]
La connaissance par la définition n'est pas la connaissance par
534 HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
f
démonstration. Bien plus, elles s'excluent l'une Tautre. Car la dé-
finition peut servir de principe, et le principes ne se démontrent
pas. De plus la définition donne l'essence de la chose, la démonstra-
tion la suppose ; la démonstration démontre une chose d'une autre;
la définition n'attribue une chose qu'à elle-même.
Le syllogisme ne peut servir à définir.
La division pas plus que la définition ne peut ôti*e une démons-
tration. Elle ne donne rien de nécessaire: elle est môme moins dé-
monstrative que l'induction.
Enfin, la définition ne montre pas ce quV*^ la chose ; car elle
devrait démontrer en même temps que la chose est. La définition
donne l'essence. L'essence connue se confond avec la cause; et
chercher la cause d'une chose, c'est admettre que cette chose est.
Quand la cause et la chose môme sont identiques, il n'y a pas de
démonstration possible. C'est un principe qui ne se démontre pas
et qui doit être connu.
La cause peut être ou n'être pas simultanée à l'effet, mais le
terme moyen (c'est-à-dire la cause immédiate) est toujours simul-
tané. La cause simultanée est le plus souvent employée pour terme
moyen. Mais si Ton emploie comme moyen la cause non simulta-
née, elle lui est antérieure et dôs lors on peut conclure la cause de
l'effet qui Ta suivie, mais non Teffet de la cause.
Quelquefois les causes et les effets sont circulaires.
Aristote donne ensuite les régies de la définition qui consiste à
rechercher les attributs essentiels. Ceux-ci sont égaux à leurs su-
jets ou plus étendus qu'eux. Ces derniers pris à part ne suffisent
pas à la définition, mais pris ensemble il ne peuvent convenir qu*à
ce siget.
La première qualité d'une définition, c'est la clarté ; celle de la
démonstration, c*est la vérité.
L'existence de l'effet donne à connaître la cause et réciproque-
ment. Cependant dans le particulier on peut connaître l'effet sans en
connaître la cause. Mais dans la démonstmtion propi^ementdite un
seuleffetn'aqu'une seule cause, puisqu'on y considère la chose ensoi.
Et maintenant d'où viennent les premiers principes? comment
nous sont-ils connus ?
QRBOS* — ARISTOTB. —LYCÉE 53B
D'abord a il e^ absurae de penser que nous ayons (en naissant)
ces'principes>. Mais alors comment pouvons-nous les acquérir sans
connaissance préalable? C'est impossible. Il faut donc que nous
ajons une certaine faculté de les acquérir.
Or tous les animnux ont la sensibilité. Dans les uns la sensation
persiste, dans d'autres, non. Dans ceux-ci la connaissance ne va
pas au-delà de la sensation ; dans les première, au contraire, il y a
encore quelque modification dans Tâme. C'est la persistance de ces
modifications multipliées qui donne à certains animaux la raison
que d^autres n'ont pas. Ainsi> de la sensation vient la mémoire, de
la mémoire du môme fait répété vient l'expérience qui est une.
C'est de l'expérience que se forme le principe de l'art et de la
science.
« Ainsi ces principes ne sont pas précisément innés ; ils ne pro-
cèdent pas davantage de principes plus évidents qu'eux-mêmes ils
naissent de la sensation . »
C'est donc une nécessité pour nous d'arriver par induction à la
connaissance des premiers principes ; car c'est ainsi que la sensa-
tion elle-même arrive à nous donner le général. Mais parmi nos
facultés quelques-unes ne sont pas toujours vraies; la science et
l'intelligence seules sont éternellement vraies. Or il n'y a rien de
supérieur à la science^ que l'intelligence même, et les principes
sont plus évidents que les démonstrations. Donc il n'y a pas de
science pour les principes ; c'est l'entendement qui s'y applique :
c'est donc luiqui est le principe de la science.
L'objet des Topiques, selon Aristote lui-môme, est de trouver
une méthode qui nous mette en état de raisonner sur toute espèce
de sujets^ en partant de données probables, et sans nous contredire.
C'est-à-dire que Jes Topiques sont les lieux communs de la Logique,
qu'il ne faut pas confondre avec ceux de la Rhétorique.
Le syllogisme est dëmoyistratify lorsqu'il part de principes évi-
dents, dialectique, lorsqu'il part d'une opinion vraiment probable,
éristique, lorsqu'il part d'une opinion qui n'a que l'apparence de la
probabilité, sophistique, lorsqu'il semble çi'appuyer sur le probable
et n'en vient pas. •
Les objets de toute discussion sont les objets des jugements et
536 HISTOIRE DE LK PHILOSOPHIE
les objets des syllogismes . Tout cela équiyaut à autant de props^
tions. Or, toute proposition porte sur le genre, sur le propre «lar
Taccident, car la différence appartient au genre. Ladéfinitiï
elle-même n'est que le propre exprimant Tessence de la chose, là
propre n'exprime pas l'essence de la chose, mais ce qui lui ap^
tient, à elle seule. Le genre est ce qui se dit essentiellem^tdejifa
sieurs qui diffèrent en espèce. L'accident n'est rien de ces î:^
choses, mais il appartient à la chose. C'est aussi ce quipeatèw
on ne pas être dans une chose. C'est de ces éléments quesefon^
toutes les propositions.
Aristote a parlé ici des uni versaux , comme d'une chose déjà Gé-
quée ailleurs. Il dit ensuite que ces uni versaux: sont toujours daas w
catégorie et il énumôre les dix catégories, qu'il a exposées daî>lf
premier livre.
L'attribution est essentielle, quand le sujet et l'attribut m'
tous les deux dans la catégorie de la substance ; elle n'est qo'aeè-
dentelle, quand l'attribut est dans une autre catégorie.
Tja proposition dialectique est celle dont on peut raisonnaUeaK^^
discuter. 11 faut donc qu'elle ne soit ni évidente ni abeopâe. 1^
opinions dialectiques sont donc des opinions probables.
La question dialectique est une question pratique sur l^iueB^
les avis sont partagés.
La thèse est une opinion paradoxale soutenue par quelqoepliii'^
sophe illustre. Toute thèse est une question dialectique, maisaefi
réciproquement.
Ici Aristote répète qu'il ne faut pas discuter une question absar*
ou évidente et il y ajoute les questions immorales, en disant «js?
les unes et les autres méritent d'être non pas discutées maiseW-
tiées. Et il donne pour exemple de questions do cette naturel
deux suivantes: « La neige est-elle blanche? — Faut-il hoD«^-'
les dieux, faut-il aimer ses parens? »
« Il y a deux sortes de méthodes dialectiques : rinduction ^ ^
syllogisme. On a dit précédemment ce qu'est le syllogisme; Ylsès^
tion est un passage du particulier au général. » •— « Quatre in»*^
ments (opyavor) nous procureront des syllogismes et àesinàucik^-
1® choisir des propositions, 2^ préciser tous' les sens divers di»^
GRECS. — ARISTOTB. — LYCÉE. 537
néme chose, 3® découvrir les différences des choses, 4^ distinguer
les ressemblances. »
Dans le choix des propositions, il faut: prendre celles qui sont
appuyées de quelque autorité, ou celles qui leur sont identiques, —
faire des extraits des ouvrages écrits, — faire des divisions, des
classifications, — noter les opinions des auteurs.
On i)eut distinguer en général trois ordres de siyets : moraux,
physiques, logiques. En philosophie on cherche à les traiter avec
vérité ; en dialectique on se contente de la probabilité.
Pour le sens des mots, il faut : ne pas s'arrêter au mot, mais
aller à la signification, — regarder la chose et avec elle son con-
traire, — observer Thomonymie, les catégories, la dépendance des
genres, la synomymie.
La différence doit être cherchée dans les genres comparés entre
eux, voisins ou éloignés .
La ressemblance peut être cherchée dans des genres divers, ou
dans le môme genre.
La disiinction des divers sens des mots rend les raisonnements
plus clairs ; la connaissance des différences facilite la distinction
des essences ; la connaissance des ressemblances facilite les induc-
tions et les définitions.
Dans le II* livre, Aristote expose les lieux de l'accident considéré
en soi. Il expose comment on peut éviter Terreur sur l'accident en
y appliquant les quatre instruments dialectiques.
Dans le IIP livre, il traite de la préférence à donner aux choses
à raison de leurs accidents, et de l'usage que l'on peut faire de ces
distinctions dans la dialectique.
Le IV livre et le V exposent les Ueux du genre et du propre
comme éléments de la définition.
LeVr indique les défauts possibles de la définition et les précau-
tions à prendre contre ces défauts, dans la discussion.
LeYII% après avoir achevé de donner les conditions delà défini-
tion, par Texamen de Tidée du môme et du divers, résume toute la
Topique et amène le chapitre suivant et les Réfutations.
LeVIII", passant à la discussion pratique expose les règles géné-
rales de la demande et de la réponse, et donne des conseils prati-
ques dont voici le résumé succinct,
538 HISTOIRE DE LA PHILO SOPHIE
1^ Prendre rhabitude de faire des conversions de syllogisme».
Ici le mot conversion n'a pas le sens qu'Aristote lui a donné
d'abord ; car il l'explique en disant : réfuter une question au mo-
yen des autres et de leur conclusion. 2^ S'habituer à reconnaître
le pour et le contre. 3<* Faire provision d'arguments sur les ques-
tions le plus ordinaires. 4° Préparer à l'avance des définitions,
surtout sur les idées les plus ordinaires. 5*> S'exercer à faire naîti*
plusieurs assertions d'une seule. 6° Faire des récapitulations fré-
quentes de ses pensées, en évitant le plus possible les syllogisme^
universels. 7*> Les esprits peu familiarisés avec ces études doiveni
surtout s'adonner aux inductions ; les esprits déjà savants, aux
syllogismes. Il faut aussi s'habituer aux propositions et aux objec-
tions, les deux ressources fondamentales de la Dialectique. 8° En-
fin, il ne faut pas se commettre avec tous les adversaires : il eo
est avec lesquels on ne peut faire que de mauvais raisonnements.
Cette dernière pensée amené le traité suivant.
Le traité des Réfutations sophistiques, c'est-à-dire les l'essour-
ces communes employées par les sophistes ; il indique ensuite les
moyens de les combattre et d'en tirer des conclusions vraies et
loyales.
A la fin, en manière d'épilogue, il rappelle les questions résolues
dans toute sa Logique, et. fait remarquer que relativement à cette
étude, il n'y avait pas de travaux antérieurs. € Pour la Rhétori-
que, on s'en était occupé des longtemps et l'on avait produit beau-
coup do travaux. Pour la science du Raisonnement ai,ucQnivsàTef
nous n'avions rien d'antérieur à nos propres recherches, qui nous
ont coûté tant de peine et un temps si long. Si vous reconnaisseï
que cette science, où tout était ainsi à faire dès la base, n'est pas
demeurée trop en arrière des autres sciences, accrues par de suc-
cessifs labeurs, il ne vous reste à vous tous, ainsi qu'à tous ceux
qui viendront à connaître ce traité, qu'à montrer de l'indulgent
pour les lacunes de ce travail, et de la reconnaissance pour toutcj*
les découveHes qui y ont été faites. »
Notre résumé est déjà bien long et nous n'ayons fait qu'indiquer une
faible partie des richesses logiques que contient VOrganon, Nous avons
dû en omettre beaucoup ; car il n'ost pas possible d'abrésfer AristoU' :
il f^iudrait plutôt le développer.
GRECS. •«« àRISTOTB. -^ LYCÉE. 539
Nous avoDS suivi dans cette analyse l'ouvrage de M. Barthélémy Saint-
ililaire. la Logique d*Arisioi€y travail consciencieux que l'on lira
avec fruit, même on ayant sous les yeux l'ouvrage d'Aristole lui-môme.
163. Métaphysique d'Arîstote. — Ce qu*on appelle Méta-
physique dans Aristote n'est autre chose que la science des prin-
cipes, qui sert de fondement à toutes les sciences et les dirige
toutes. Il y expose et réfute toutes les opinions des anciens sur les
principes, et donne ensuite sa propre doctrine sur ce qu'il appelle
la philosophie première ou la science de Tétre. Il distingue la sub-
stancCy qui seule est l'être véritable, des accidents, qui sont dans
an autre. Les principaux accidents sont la qualité^ la quantité,
et les relations. L'être est un, et l'un est l'être. Mais l'unité réelle
.se trouve dans l'individu et non dans le genre, comme le voulait
Platon . Il faut distinguer encore dans l'être ; la puissance et
Yacte. L'acte, c'est Yexistence proprement dite et ensuite, c'est
Yopération, Le mouvement est le passage de la puissance à l'acte.
La puissance absolument parlant est la possibilité de tout acte ;
c'est la matière capable de recevoir toute forme . La perfection
est dans l'acte. Tout être en act^ qui possède quelque puissance
est imparfait. L'être parfait est acte pur. Ainsi l'être parfait n'a
rien de la matière. La puissance ne peut d'elle-même passer a
l'acte, elle a besoin pour cela d'une cause efficiente y laquelle
n'agit que pour un but qui est la cause .finale. Ainsi les quatre
principes des choses sont : la matière, la forme, la cause efficiente
et la cause finale.
Platon ajoutait une cinquième cause, Vidée, ou le modèle de la
chose, conçu par la cause efficiente. Aristote dit que l'idée de la
chose n'a pas d'autre réalité que la forme môme de l'objet. Ainsi
cette cinquième cause rentre dans la cause formelle.
De plus, il identifie la cause finale à la cause formelle^ parce que
l'acte de la chose en est tout-à-la-fois la forme et le but. Mais le
but ou la fin de l'être, c'est sa perfection, c'est le bien ; car tout
mouvement tend vers le mieux. Le bien est donc l'acte pur et im-
mobile. C'est donc le bien qui attire les puissances et les fait pas-
ser à l'acte : il est donc cause efficiente et motrice ou finale . Mais
déjà la cause formelle se confond ave« cette dernière, comme d'ail-
540 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
leurs le bien est la forme vers laquelle l'être tend. Donc le ^
qui est Vacte pur et immobile, est, tout àla fols, la forme, le m^
et le but de Têtre, et il ne reste d'autre cause avec lui que la ®
tière ou la puissance. Mais l'acte est antérieur et supérieur Ù
puissance : le parfait précède l'imparfait.
Ainsi la raison remontant de cause en cause, reconnaît aoeo^
première, qui est elle-même sans cause, un acte qui n'a jamaês
en puissance, un acte pur et subsistant.
De plus rimparfait tend vers le parfait : le minérfd vers k t?
gétal ; le végétal vers l'animal ; l'animal vers la vie huiDaiBe;i«
vie humaine vers la vie divine. Ainsi tout se meut et tout est si
par l'acte le plus parfait. Or l'acte le plus parfaîl c'est la pei»t
la pensée qui possède l'être et se possède elle-même et joBÎt à
cette possession, sans tendre à autre chose. Donc l'acte por«^
pensée : c'est la pensée de la pensée (vOT^o'éw^ vér,^'-?).
Ici nous atteignons la Théodicée.
164, Théodicée d'Aristote. ^ Aristote est le preiniar ^
ait donné de l'existence de Dieu une démonsti-ation régulière, fi«
pas qu'il crût cette démonstration nécessaire en principe [^
avons vu qu'il compte le devoir d'honorer Dieu parmi les «^
qu'il né faut pas discuter); mais sans doute parce qu'araut ^
quelques-uns avaient nié Dieu.
Il démontre l'existence de Dieu par la nécessité d'an preffi*^
moteur et par rantériorité du parfait sur l'imparfait.
Il y a du mouvement dans le monde. Tout mouvement S^^
bile procède d'un moteur. Ce moteur à son tour peut être mu?^
un autrer Mais on ne peut procéder ainsi h l'infini. Il faut (te^.*
river à un premier moteur qui n'est pas mu, à un premier mot^*'
immobile. C'est Dieu.
Ce moteur immobile ne meut pas par impulsion, car il v ^^^
réaction et par suite passivité dans le moteur immobile, die^^
meut toutes les créatures comme l'objet du désir meut Tâme, ^^
être mu lui-même ; il meut le monde par l'irrésistible attrait *
sa beauté.
C'est, là une conception magnifique, mais qui supix)se dans
créature une action spontanée, et libre ; ce qui n'est pas. Dieu ne b**
GRECS — ARISTOTB. — - LYCÉE 541
donc pas le monde par son attrait. D'un auire côté la difficulté faite
contre l'impulsion ne porte que sur l'impulsion de créature h créature
et de corps à corps. L'impulsion que Dieu donne au monde est une
création et ne souffre ni résistance ni réaction.
En établissant que nécessairement l'acte précède la puissance et
le parfait l'imparfait, comme aussi par Tidée de J'acte pur, aussi
bien que par Tidée de la pensée toujours eu acte de se i)enser elle-
même, Aristote démontre autant de fois Texistencc de Dieu .
Et en réunissant toutes ces notions diverses qui présentent Dieu
eomme acte pur, perfection absolue, bien suprême, forme, moteur
et fin de tout, cause première, moteur immobile, pensée de la pen-
sée, Aristote donne de Dieu une idée qui s'approche beaucoup de
celle qu'en donne Platon, si elle ne la dépasse pas.
Des mômes principes Aristote conclut que Dieu, parce qu'il est
■
rintelligence et Tintelligibile toujours en acte pcssède la jouissance
suprême, la suprême félicité, et la vie parfaite et éternelle.
Mais Aristote reste bien au-dessous de Platon dans la notion de
la Providence de Dieu. Platon en plaçant les idées en Dieu lui at-
tribue une connaissance éminente du monde. Aristote croit que
rintelligence parfaite ne saurait,sans déchoir, connaître l'imparfait.
Il dit donc que Dieu ne connaît pas le monde ; car s*il le connais-
sait il en subirait l'action, et rien n'est passif en lui.
Ici encore, il faut, pour répondre, la notion de la Création. Dieu con-
naît les créatures parce qu'il les fait ce qu'elles sont, et sans qu'elles
Ilnforment. Il les connaît donc sans être passif,
Aristote admet donc que tout bien dans le Monde vient de Dieu,
non pas parce que Dieu Y y fait par sa Providence, mais parce que '
le Monde tend vers Dieu et s'enflamme du désir de la perfection à
la vue de la perfection de Dieu.
S'il y a du mal dans le monde, il vient de la condition essentielle
de la matière, qui n*est pas en puissance de toute perfection. Ce-
pendant le monde est le meilleur possible, car il tend sans cesse
vera le mieux. Il y tend sans conscience et sans raison, mais d'une
manière conforme à la pensée et à la raison.
165. Cosmologie d' Aristote. — Le principe du monde est
donc toat à la fois Dieu et la matière. Cependant Aristote ne veut
542 HISTOIRE DE LA PUILOSOPHIB
pas que Ton admette deux pi'emiers principes ; car il en faudrait
admettre un autre supérieur aux deux. Aussi Dieu et la matière
ne sont pas pour lui deux principes réels : Tun est Yacte^ l'autre
est \di, puissance. Et la puissance est précisément ce qui n'existe
pas encore.
Cette notion de la puissance parait obscure d la plupart des commen-
tateurs modernes. Il est pourtant à remarquer que le Moyen-âge, à
rigoureux sur les principes, sur les notions et sur les distinotioos des
choses, n'y a vu aucune difficulté. Il devait donc entendre la puissance
dans un sens rationnel De fait il ressort de tous leurs dires que pour
eux comme pour Aristote la puissance n'est autre chose que ce que
nous appelons la possibilité. Or en la concevant ainsi on comprendrait
comment Âristole attribue une matière à tous les êtres contingents.
C'est qu'en efTel les formes contingentes ont besoin d'être possibles
pour être réalisées, et elles ne sont jamais réalisées au delà de leur
possibilité.
Mais la vraie difliculté qui demeure dans le système d'Aristole c'est
Torigine ei la raison suflisante des formes ou des actes qui constituent
le monde réel. Il les dislingue de Dieu et ne leur assigne aucane
origine.
Dans le monde physique, tout est composé de matière et ée
forme. La forme qui est Tacte de la chose est tout à la fois 1 exis-
tence de cette chose, le principe de son activité, le principe de sa
spécification, ce qui la constitue dans telle espèce. Aussi la forme
s'appelle chez Aristote : sïoo;, ou ÊVT£).syeia. La matière, qui
est la puissance (ou la possibilité) de la chose, n'est rien sans 1&
forme, mais elle la limite, la détermine, Tindividualise.
La même forme peut être reçue dans plusieurs matières et cons-
tituer ainsi plusieurs individus d'une même espèce. Le genre n'a
pas de forme réelle ; il n'est qu'une forme logique, une idée, un
mot. Chaque forme est tout entière dans tout le corps qu'elle cons-
titue et dans chaque partie de ce corps. Les formes sont inertes oc
minérales y végétatives, animales et rationnelles, La forme d'un
degré supérieur possède toutes les propriétés de celles qui lui sont
inférieures. Parmi ces formes , les unes sont vivantes , les
autres ne le sont pas. Celles qui sont vivantes prennent le nom
d*âme8. Il y a donc trois sortes d'àmes : végétative, animale,
GRECS. — ARISTOTE. — LYCÉE 543
ï\ umaine. Ailleurs Aristote en distingue cinq : nutritive, sensiliTe,
iTiotrice' appétitive et rationnelle. Mais ce ne sont là que des fa-
cultés et non plus des âmes proprement ditesl II y a des formes
périssables et des formes éternelles. Les premières commencent
par génération et pôrtssent par corruption. Les formes qui n'ont
d'activité que par leur composition avec la matière ne sauraient
subsister sans cette matière ; mais celles qui ont une activité
propre, indépendante de la matière peuvent subsister séparées.
Du nombre de ces dernières est Tâme humaine, qui par elle-
même saisit l'être en soi, et tend à le posséder. Ici nous arrivons
îi la psychologie et à Tétude de l'homme.
166. Anthropologie d' Aristote. — « L'homme est un animal
raisonnable, sociable et religieux. » Comme tous les animaux il
est composé d'une forme sensible et de matière. Mais cette forme
qui est i'âme, principe de la vie du corps, est tout à la fois végé-
tative, sensitive et rationnelle. Elle préside aussi bien à la nutri-
tion du corps, à son mouvement et à ses sensations qii'aux opéra-
tions intellectuelles . Comme toute forme elle est tout entière dans
le corps et dans chaque partie du corps. Ses opérations animales
n'ayant plus d'objet ni d'instrument, si elle vient à être séparée
du corps, ne peuvent demeurer en elle, si ce n'est comme en puis-
sance éloignée : mais ses opérations intellectuelles lui restent. Elle
peut donc subsister. Donc elle ne périt pas avec le corps. Donc
elle est immortelle.
Nous avons dit ailleurs comment Aristote distingue les facultés
appréhensives et appétit ives de l'âme (page 282 et 301 ); l'intellect
e5«t passif en tant qu'il reçoit les formes intelligibles que l'in-
tellect agent tire des images sensibles. L'intellect agent seul est
sépamble et survit au corps.
La pensée étant pour Aristote le plus haut degré de l'acte, le
principe et la fin de toutes choses, la volonté est dirigée par l'intel-
ligence ; les principes de raison sont en même temps des principes
d'action, et l'action est comme la conclusion d'un syllogisme pra-
tique. Aussi il appelle indifféremment la volonté un intellect aj)pé-
titif ou un appétit intellectuel. Il reconnaît formellement dans
la volonté la faculté de choisir, mais seulement à l'égard du bien
544 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
contingent. Il appelle Yéleciion un ddsn' délibéré. Du reste il b'i
pas cru devoir traiter longuement cette question ; mais aucun pLD*
sophe ancien ne conçoit mieux que lui la vraie nature de la liberî:?.
Aussi St-Thomas n'a eu qu*à dévefopjKîr ses principes pour doRoef
de la liberté la notion la plus exacte et la plu>? profonde que r«T
puisse en donner. (Voyez p. 301 et 302.^
Aristote n'est pas moins exact sur la notion de l'amour qe.
n'est pour lui que Tactivité qui veut le bien d'autrui. D'où il oifr
dut que Tamour rend heureux, et qu'il est plus doux d'aimer <{v
d'être aimé, plus doux de faire du bien que d'en recevoir.
Pourquoi M. Fouillée qui expose avec complaisance cette théorie» a
y ajoutant celle de l'amitié, dit-îl ailleurs, dans la théodîcée c qu'Ans-
tote et Platon ne s'élevèrent pas à la vraie notion de l'Amour •? Ces
que M. Fouillée est préoccupa d'une notion exagérée de la liberté, no-
tion qui lui fait condamner souvent des théories exactes et même pi»
d'une fois remi>éohe de les entendre dans leur vrai sens, n eâl ^
qu'Aristolc n'a pas vu le vrai rapport entre Dieu et le monde, puisqull
a cru devoir coticaii',' ib ses principes que Dieu ne connaît paslemos*
de ; mais ii a conclu ainsi en partant des idées de l'acte et «le la puâ-
sance et non point c parce qu'il identifie le bien avec riatellt^en» ».
La théologie catholique aussi, d'accord avec la philosophie classiqtt*
dit: c que Dieu est acte pur, qu'en lui l'intelligence, la connaîssancie <^
l'amour sont un seul et même être, qu'il n'est pas une substance intel-
ligente, mais un acte subsistant d'intelligence », et pourtant la thêolopé
ne conclut pas de là que Dieu soit c une individualité à jamais absortiée
dans la conscience de soi, qui agit sur le monde sans penser le raood^ '
167. Morale d' Aristote. — La morale est la science qaidiri^
ractivitô humaine. Or, tous les actes des hommes, actions, désûi
pensées, tendent vers un bien. Le bien total de Thomine, ceslk
bonheur.
Ce bien ou bonheur complet n*est ni dans la volupté, ni datf h
richesse, ni dans la considéi*ation, comme Font dit quelques-aas-
D'autres ont admis un bien absolu. Or, le bien est e^sentieHemflît
relatif aux choses que Ion dit bonnes; il ne saurait être le m^
pour tous. Il n'y a donc pas de bien universel. Cependant il .^*
un bien supérieur et parfait; c'est celui que Ton désire pour Ist-
môme, qui est à lui-même sa an. Et ce bien encore, c'est le booheflf>
TtRECS. — ARISTOTB. — .LYCÉE 545
La vertu est l'harmonie de toutes les actions de Thomme avec
cette fiu derniùre de sou activité. Mais il faut distinguer les vertus
intellectuelles et les vertus morales ; les unes ont pour principe
Tintelligence, les autras la volonté; les premières ont pour objet le
vrai, les autres, le bien. Donc le désir et )a volonté doivent se por-
ter vers le bien, comme l'intelligence doit connaître le vrai. Mais
le bien lui-môme est connu par Tintelligence et déterminé par la
raison. Donc la vertu est l'harmonie de la volonté avec la raison.
La vertu, dans Tâme, n*est ni une passion, ni une faculté; car ces
deax choses ne sauraient nous rendre dignes de blâme, ni d'éloges.
Il reste donc que la vertu soit une habitude, une disposition, une
tendance, conforme à la raison. Et cette habitude nous dispose à
tenir toujours le milieu entre deux vices opposés : Texcôs et le
défaut. C'est dans ce milieu qu'est la vertu.
Le juste considéré en soi se confond avec son objet, qui est Vin-
térêt de tous. L'action qui procure cet intérêt est juste ^ et celle
qui le détruit est injuste L'habitude qui nous incline à agir dans
cet intérêt est la vertu de justice. Ainsi comprise, la justice pres-
crit toutes les vertus et les renferme toutes.
Aristote le premier distingue ]sl justice commutative et l&jus-
tiee distributive, et ajoute avec beaucoup de raison, que dans la
première on n'a aucun égard aux personnes^ quant à leur rang ou
leur mérite, tandis qu^ dans la seconde, c'est précisément de ce
mérite qu'il faut tenir compte.
Ici encore M. Fouillée, préoccupé de fonder le droit c sur l'égalité des
libertés » accuse Aristote de n'avoir donné que < des règles de justesse
dans l'échange et non des règles de justice dans les rapports des per-
sonnes». Notre réponse est déjà donnée, dans notre traité de Morale
(N« 16 et 29).
Pour juger les lois d'après l'idée de justice, Aristote remonte ft
Torigine de la société. La société est nécessaire parce que les
hommes ont besoin d'un échange mutuel de services et de produits.
Cet échange a besoin d'être réglé sur l'intérêt de tous, de manière
que l'égalité puisse s'établir entre des choses qui ne sont pas com-
parables en quantité. De là l'invention de la monnaie. Ainsi les
lois humaines ont pour objet de déterminer les règles de l'échange
35
54Ô HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
de tous biens, et leur principe est l'intérêt de tous. Les lois humai-
nes ont donc une loi supérieure à elles, une loi antérieure an droit
écrit : c'est le juste en soi, conçu par la raison. Et si une loi humaine
est contraire à la première, l'acte qu'elle permet n'en est pas moios
immoral. D'où il suit que Tii^ustice légale d'une action ne t&à
pas toigours injuste l'homme qui la fait ; la justice ou l'injostiee
de l'homme viennent du jugement qu'il porte lui-même sur son ac-
tion. L'équité n'est que ce sentiment conforma au droit naturel qai
supplée au droit écrit.
Ainsi en dernière analyse : l'action vient de la volonté ou de li
préférence, mais c'est l'intelligence qui détermine ce que Ton doit
préférer. L'homme préfère le bien comme il a jugé le vrai. La
préférence suppose un désir qui la sollicite, et ce qui excite ce dé-
sir c'est l'idée du bien inhérent à l'objet désiré. Enfin la volonté
fixe le choix. Et c'est là l'homme lui-môme, ajoute Aristote.
La prudence est pour Aristote une vertu purement iBteIl^^
tuelle, mais c'est la plus haute. Elle est l'attribut de rhomme
sage. Elle a pour objet de connaître ce qui est pour l'homme ai»
cause de bien ou de mal. C'est ainsi qu'elle préside à nos actions.
La prudence produit donc la sagesse, et la sagesse n'est que
l'art de vivre de manière à atteindre le bonheur.
Ainsi la morale est la science du bonheur et de la vertu, La po-
litique est l'art d'appliquer la morale.
168. Politique d' Aristote. — L'Etat est une association de
villages ; le village une association de familles ; la famille une ai-
sociation naturelle de l'homme et de la femme. Chacune de ces
associations a pour fin la satisfaction d'un besoin. Donc l'Etat 66t
un fait de nature et l'homme est fait pour la société.
D'ailleurs sa nature l'j pousse, et si l'homme en société est k
premier des animaux, il en est le dernier quand il a renoncé aux
lois et à la justice.
Mais l'Etat n'existe que par l'autorité d'un côté et l'obéissanod
de l'autre. C'est une harmonie que l'on retrouve dans toute la na-
ture et surtout dans l'homme où le corps est naturellement soumia
à l'âme. Et si le contraire a lieu chez les hommes corrompus, ils
iontk dans un état contre nature. On trouve aussi» selon la natoret
GRECS. — ARISTOTE. — LYCÉE 547
b supériorité de Thomme sur la femme, eb de Thomme en général
Bnr les animaux inférieurs.
Sur ces données Aristote conclut qu'il faudrait donner le com-
mandement à ceux dont le mérite est supérieur à celui de tous les
autres réunis. Et que si un seul homme avait à lui seul un mérite
BupArieur t celui de tous ses concitoyens, il faudrait lui donner le
pouvoir pour toujours.
L'Etat, c'est le corps politique d'où émane l'autorité, et dont
les membres s'appellent citoyens. Il a la souveraineté, c'est-à-dire
k droit de statuer sur les intérêts de tous. C'est la constitution qui
détermine et attribue la souveraineté et non pas la souveraineté
qui détermine la constitution.
Le citoyen est l'homme qui jouit du droit de voter à l'assamblée
piblique et de juger au tribunal. Tout homme n'est pas citoyen
eu tant qu'homme. Ainsi les enfants, ni les esclaves ne le sont jar
Juais ; les artisans même ne doivent pas l'être, a L'esclave, dit
Aristote, travaille pour un individu ; l'ouvrier ou mercenaire tra-
Tailld pour le public. » D'où il conclut que ni l'un ni l'autre ne
doivent prendre part au gouvernement, parce que leur vie tout
entière est déjà occupée ailleurs.
ici Aristote sacrifie forcément aux usages de son temps, et néaa<
moins il fait des eiTorts pour en sortir^ Il détruit d'abord les raisons que
Ton avait données avant lui pour justifier l'esclavage. Il en cherche de
nouvelles dans les conditions morales de Thomme esclave. Il croit lui
lecoDoaltre une inteUigence inférieure, incapable de se gouverner, et par
suite une volonté qui ^oit être dirigée par une autre intelligence. Mais
& la fin il reconnaît que cette distinction n'existe pas toujours et pose
lui-même ce dilemme : Si -l'esclave est capable de vertu, il oe diffère
pas de l'homme libre, et si l'on dit qu'il est incapable de vertu, il faut
aiouter qu'il n'est pas un homme. Cependant il a sa part de raison.
La civilisation chrétienne, avec sa patience qui ne brusque rien, mais
qui atteint sûrement le but, a tiré la conclusion et a peu-à-peu aboli
l'esclavage, Elle a aussi amélioré le sort des classes laborieuses, qu'elle
ae pouvait pas dispenser du travail, en rendant leur travail plus libre,
plus facile et plus fructueux. Mais les théories communistes modernes,
au nom de la liberlé, tendent à détruire cette œuvre, et ramènent à
l'esclavage tous les citoyens ensemble en voulant leur ôter et le choix
de leur tâche et la propriété du salaire gagné. L'Etat seul serait le
548 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
maître i il déterminerait la tâche, forcerait à l'accomplir, et pour qw
rien ne manquât aux conditions de l'esclavage antique, il aurait dn*
. de vie et de mort.
Que l'on ne jette donc pas trop la pierre à Aristote: il n'a bit qm
maintenir le fait accompli et encore il ei\ a sapé les bases, en montnil
ce qu'il avait d'injuste. Ceux qui le blâment veulent ramener ce nurai
mal, détruit par les conclusions tirées do ses principes.
D'ailleurs la vérité est qu'abstraction faite du droit de vie et de inc«rî,
l'esclavage n'est pas contraire à la loi de justice, et que si le Christia-
nisme est parvenu à l'arracher des mœurs de presque tout le genre
humain, c'est en introduisant la loi de charité. En effet, si un hooinie
peut vendre l'emploi de son temps pour quelques heures, il n'y a jur»
de raison pour qu'il ne puisse le vendre de même pour toute sa m
Et si le vainqueur peut exiger un travail de son prisonnier, quelle loi
de justice s'oppose à ce qu'il vende ce môme travail à un autre 4W
l'exigera à sa place 7 Donc si l'esclavage n'existe presque plus et [eol
chaque jour à disparaître, nous le devons à la «parole persuasive et eâ-
cace de N. S. Jésus-Ghrist : a Ainie^-vous les uns les autres. *
Aristote distingue ensuite les formes de gouvernement : moiuu^
chie, aristocratie, démocratie, et les trouve toutes justes, poorm
qu'elles procurent le bien commun. Il ne suffit pas, dit-il, d'ima-
giner un gouvernement parfait ; il faut surtout qu'il soit pratiqw
et d'une application facile. En politique, il n'est pas moins difficil*
de réformer que de créer. L'homme d'Etat doit viser à amélioner
l'organisation du gouvernement déjà constitué. Pour cela il doili
connaître les différentes constitutions et les meilleures lois.
Aristote examine alors les différents caractères que peuvent re*
vêtir les différentes formes de gouvernements, u Si l'Etat est »•
sez riche pour indemniser chaque citoyen du temps qu'il donne aai
affaires publiques, tous alors, surtout les pauvres, auront hâte d«
se rendre aux assemblées et aux tribunaux, et la multitude devieci
dra souveraine à la place des lois. Or dés que le peuple est muna^;
que, il rejette le joug de la loi et se fait despote. Cette démocraii«i
est, dans son genre, ce que la tjraunie est à la l'oyauté. C'est là dm !
déplorable démagogie. Ce n'est pas une constitution, d
Il examine de la même manière Toligarchie, et partout il troD^*
que le pouvoir dégénère en tyrannie si les classes les plus riche*
ou les plus pauvres sont au pouvoir, soit ensemble, soit sépart^»
GREOS. — ARISTOTB. — LYCÉE 549
D*oû il conclut que la meilleure constitution est celle où le pou-
roir est donné à la moyenne propriété. Mais il avoue que c'est ce
|a'on rencontre rarement; car partout, les plus riches par leurs
pessourceSy les plus pauvres par leur nombre, s'emparent du pou-
roir pour eux seuls.
Plus loin, examinant les causes des révolutions, il dit : « L'ob-
lervation démontre que la marche la plus habituelle des révolutions
ïans les démocraties est celle-ci : tantôt les démagogues, pour se
pendre agréables au peuple, arrivent à soulever les classes supé-
fieures de l'Etat par les injustices qu'ils commettent à leur égard,
BQ demandant le partage des terres ; tantôt ils se contentent de la
calomnie, pour obtenir la confiscation des grandes fortunes. Dans
Iles temps les plus reculés, quand le môme personnage était déma-
gogue et général, le gouvernement se changeait promptement en
IjTannie.. Presque tous les anciens tyrans ont commencé par être
liémagogues. A cette époque il fallait sortir des rangs de Tarmée
^op être démagogue ; aujourd'hui, grâce aux progrès de la rhéto-
ïique, il suffit de savoir bien parler pour arriver â être chef du
peuple. ï»
Il ne ménage d'ailleurs pas plus la monarchie que la démocratie.
[Car il veut que la loi gouverne et non l'homme. Il n'accepte la
ittonarchie que lorsque le mérite exceptionnel désigne un homme à la
loyauté.
I Dans toutes ces considérations sur les constitutions, Aristote ne
Ivoit que ce qui lui semble l'intérêt de tous et de plus il raisonne
FWmme si la constitution d'un peuple pouvait être élaborée après la
formation de la société. Dans les faits, la constitution se forme
avec le peuple lui-même et se dessine avec le temps et les circons-
tances. Toute constitution venue après coup, autrement que par
^ia force des choses, ne peut être qu'une cause de division et
de ruine.
I
169. Appréciation de la philosophie d' Aristote. — Il n'y
a que deux excès, avons-nous dit, dans la doctrine de Platon, mais
^ ces deux excès, si l'on en tire les conséquences : détruisent la
«cience en détruisant l'observation ; anéantissent la matière et ré-
duisent Dieu à une idée; ruinent toute l'activité individuelle, en
550 HI8T0IRB DE LÀ PHIL.080PHIB
réduisant rhomme à n*étre qu'an rouag'e dans l'Etat, et m
inutiles toutes ses belles théories morales, en rendant l&ai
impossible dans la société. Il j a là de qCioî faire pensera fis
sance de Thomme livré à lui-môme, paisqu'il pent sèsta^^
point môme lorsqu'il est doué d'un génie de premier ordreJi
reusement pour sa gloire, Platon n'a pas tiré les conséqosos
ses erreurs.
On trouverait peut-<^tre un plus grand nombre d'erwas»
Aristote, par abus du raisonnement, mais ces erreurs som p
sans conséquences. Son esprit est plus positif, il contrôieisî
par la raison et la raison par les sens, et malgré les teitoa
son esprit porté plus que tout autre à la démonstration, à lis
thèse, à la déduction et par conséquent à l'emploi de la nis»
préférera nier la raison ou du moins Teffacer par une origfe'
Buelle plutôt que de renoncer aux perceptions des sens. T«{«
est chez lui l'esprit d'exactitude et la réaction contieTidéa^
son maître.
Ainsi disposé il justifie le premier la méthode d obeemW
l'emploie habilement et heureusement, deux mille ans i^**^
Bacon vienne s'attiibuer la gloire d'avoir enseigné an ^^
main à se servir de ses facultés, comme il s'en était ^
servi.
Aussi, il y a moins de grandeur dans Aristote, que daDsPa*
mais il y a infiniment plus de vérités de détails, plus d'ordff^
méthode, plus de sûreté et en un mot plus de pratiqne. ^^
complément obligé de Platon, et à eux deux, ces esprits soF^
et étonnants ont fondé à tout jamais la vraie philosopte ^
ils l'ont fait, non certes sans les données de la Tradition pniî'
mais avec des données tellement eflacées, qu'en compar*°^ •
débris les flots de lumière qu'ils nous ont transmis, oa croifl^
sister à une nouvelle révélation.
Nous ne ferons par ressortir ici une seconde fois ce qnïi J^
faux dans les théorie^ d' Aristote sur la connaissance, ^^'
sur la Providence, sur la justice môme. Nos lecteors 5sr^ "-
ce qu'il faut en penser. Go sont des taches qui nous n'f^^\^
le génie lai-méme, quand il n'est pas éclairé par Dm»^ \
des lueurs qui ne sont que des ténèbfes.
GRECS — ARISTOTB. — LYCÉE 551
170. Théopbraste. — Le premier chef du Lycée après Aris-
tote fat Théopraste, né à Erôse, dans Tîle de Lesbos, vers 372,
et fils d'an foulon nommé Mélantas . D'abord disciple de Platon,
il fut ensuite le meilleur disciple et l'ami d'Aristote, Comme ses
maîtres, il eût à supporter la haine des partisans du polythéisme
et fat accusé d'impiété. 11 mourut à Athènes dans un Age fort
avancé.
Il continua et développa les travaux de sou maître, surtout en
histoire naturelle. Il nous reste de lui : les Caraétéres^ que notre
Labruyère a imités après les avoir traduits, un traité sur la senr
saiian et les choses sensibles j recueil des opinions de ses devan*
ciers ; des fragments d'une Métaphysique^ d'uH traité des Lois,
d'un livre sur la Piété; une Histoire des plantes; un traité des
Causes de la végétation; un traité des pierres ^ reste de nom-
breux ouvrages sur la minéralogie; enfin des fragments d'une
Histoire des animaux. Il avait écrit anssi des ouvrages de rhé-
torique.
Il est bien difficile, avec ce qui nous reste de ses ouvrages de
donner même un aperçu sur ses doctrines. Le caractère général de
sa philosophie semble avoir été à peu près celui de son maître,
avec moins de solidité dans les principes, une morale plus relâchée
et une certaine concession faite h, la faiblesse humaine dans la re-
cherche des raisons des choses. < Chercher, dit-il la raison de toutes
choses, c'est ruiner la raison et du même coup la science, d
De Théopraste, la direction du Lycée passa entre -les mains de
Straton de Lampsaque, mais avant lui on peut citer : Nicomaque,
fils d' Aristote, dont il ne nous reste rien, mais qui dut s'occuper de
philosophie, puisque son père lui dédia un de ses traités de mo-
rale ; EuDÈMB de Rhodes, ou de Chypre, qui traita le syllogisme
hypothétique, qu'Aristote avait négligé; Dicéarque de Messine, et
Aristoxéne le musicien, de Tarente, qui tous les deux renouve-
lèrent l'opinion que Tâme est Tharmonie des mouvements du corps ;
HfcRACLiDB de Pont, née à Héraclée, dans le Pont, en 338, qui,
disciple de Platon et ensuite d'Aristote, écrivit un traité des Cons-
• i
L
552 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
titutiotiê des fi (vers états, qui semble l'abrégé de cdni d'Arjï*
que nous avons perdu.
171 • Strftton de Lampsa^e. — Straton, né à Lampo^
fils d'Arcésilas, et disciple de Théophrasté, lui succéda & ^i
fut le chef du Ljcée pendant 18 ans. On dit qu*il enseigna h ^
losophie à Ptolémée Philadelphe. Ses nombreux écrits soos e^t
Tement perdus, on ne connaît ses doctrines que par les jagcsos
des auteurs anciens .
Il négligea la«iorale et la métaphysique pour se renfen&ff >^
la science de la nature. Aussi il disait que la pensée est iaisâ
chose que la sensation, et que la sensation est un mou ventât, f
logique, il est tellement nominaliste qu*il dit que le vrai oa kàs
ne sont que dans les mots.
Il dit n'avoir par besoin de Dieu pour expliquer le monde. Sa
lui tout se fait dans le monde par le développement des (i^*
naturelles à chaque être.
Aristote avait rejeté le vide de la nature ; Straton radmct^ai
seulement dans le monde et non pas au dehors, et encore H&i'
firme pas qu'il y soit. Il ne le voit que comme la conceptioaiTw
possibilité. Tandis qu'Aristote définit le lieu, « rinterralkecST
les limites extrêmes des corps », et le temps, « le nombre dnv^
vement. par antériorité et postériorité », Straton dit que k lis&^^
« l'intervalle entre le contenant et le contenu » et qae le ^
est « la mesure du mouvement et du repos ». Tout ceci S9f^^
avec cet autre principe que, pour Aristote, Tacte est leterseà
mouvement, tandis que, pour Straton, Tacte lui-môme «t aas^
vement.
En sommé Straton, n'est qu'un disciple dégénéré d'Aristow<î^*
rapproche d'Epicure.
Après Straton TEcole péripatéticienne fut dirigée par Ln^-
de Laodicée, en Phrygie, qui fut plus rhéteur que philosopha- "*
cite encore Ariston de Inlis, dans Tîle de Céos, et enfin CnnviJ^^
de Phasélis, en Lydie, qui devint chef de l'Ecole eu 15o- ^^ ^
célèbre par son ambassade à Rome avec Caméade et d'io^^
GRECS — PYRHON — SCEPTICISME 553
Babjlone, au nom de Athéniens. Il disait que les bonnes qualités
de Tâme valent incomparablement mieux que tous les biens des
corps, j compris le ciel et la terre.
S PTRRHON. - LE SGIPTIGI8II.
172. Pyrrhon. — Le premier qui ait osé ériger le scepticisme en
système, c'est Pjrrhon. Il naquit à Elis, où il florissait, vers Tan
340. Disciple d'Anaxarque d'Abdère, il voyagea avec lui ; il lut
aussi les livres de Démocrite, puis s'attacha à l'école de Mégare.
Tenu à Athènes, il trouva l'Académie dégénérée et en lutte avec
Aristote, à côté de la mollesse des disciples d'Aristippe et du rigo-
risme des cyniques. Ces contradictions jetèrent son âme dans le
doute et il crut y trouver la véritable sagesse.
Le sage, dit-il, en présence des affirmation contradictoires des
dogmatiques et des négations absolues des sophistes, doit s'abstenir
(eTclyeiv) Sa doctrine s'appelle donc l'sTto'/Vi , c'est la suspension
du jugement; elle se résume dans la maxime: oùSèv [xàXXov,
pas plus une chose qu'une autre ; ce qui constitue le doute pour
l'intelligence, l'indifférence pour le cœur et pour la volonté. Mais
son doute était purement objectif. Il ne doutait ni de lui-môme, ni
des perceptions de conscience, mais il ne voulait se prononcer en
rien sur la réalité des objets perçus par les sens. Il reconnaissait
les apparences; et les apparences en tant qu'apparences ne sont pas
contradictoires; mais il n'affirmait rien de la réalité, parce qu'il
lui aurait fallu admettre l'existence du contradictoire, ou trancher
une alternative qui lui paraissait insoluble, ou trop difficile à
résoudre.
Nous reconnaissons qu'il y a loin de là à la négation ou au doute
absolu des sophistes, mais nous n'irons pas jusqu'à dire avee M. Em.
Saisset (dans le Dict. de M. Franck) que « la gloire de Pyrrhon est
dans la conception forte et sérieuse de l'idée sceptique. » Non : admettre
les perceptions de conscience, les impressions des sens, et nier la réalité
objective des corps, qui seuls peuvent être la cause de ces impressions,
c'est renoncer à la raison. Ce n'est pas une gloire que d'en venir là.
Voici les dix raisons qu'il donnait de son doute, les fameuses
misons d* époque j SIxa Téuot, hnoyr^<;.
554 HISTOIRE DR LA PHILOSOPHIE
l"* La contradiction entre les diverses sensations des anÛBMi;
2*^ la contradiction entre les jagements portés par diTârsespff-
sonnes sur un môme objet ;
3"" la contradiction entre les jagements portés par la même pfi^
sonne en différentes circonstances ;
4"" la contradiction entre les jagements portés par an mémesess;
5"* les altérations qae subissent les choses matérielles ;
6® la yariabilité des lois et des usages ;
7"* les (Rangements que semblent offrir les choses, selon leur poeitks:
8® » B selon le mélange de leurs éléments ;
90 9 « selon les relations qu'elles ont entre eiks;
10* » » selon leur nouveauté^ leur rareté 00 lor
fréquence.
Quelques auteurs attribuent ces raisons aux disciples de Pjnto.
qui d'ailleurs n'écrivit rien.
173. Timon de Phlioete. — Le premier dîstciplede PjtA<»
fut Timon, né à Phlionte, dans le Péloponèse, vers le milles ds
m' siècle av. J.-C. D'abord danseur de théâtre, puis philoMph«»î^
fut disciple de Stilpon de Mégare avant de l'être de Pyrrhoo. Il
ouvrit plusieurs écoles en différents pays et vint enân seâierâ
Athènes, où il mourut dans un âge avancé.
11 avait écrit des comédies, des tragédies, des satires doat la
principale, appelée iSi7/^5 (S{XXoi),le fitsurnonmierle Stllograj^
c'était une satire en vers hexamètres contre tous les philosophes
excepté Pyrrhon et Xénophane ; et quelques traités philosc^
ques.
Sa doctrine, d'ailleurs conforme à celle de son maître, se foTtBi-
.lait ainsi : 1** Nous ne pouvons rien savoir sur la nature des choses;
nous n'en connaissons que les apparences; 2p nous devons do&cse
rien affirmer, ni rien nier des choses, mais seulement de l'état^
notre âme ; 3*^ cette abstention d'opinion et de parti nous procaiw*
la tranquillité de l'âme (aTapa^fa) , qui est le vrai bonheur.
Après Timon on* cite, comme disciple de Pjrrhon, Philû^»
l'Athénien, et quelques autres dont on ne connaît guère qo^ ^
noms.
GRECS. — EPICURE — EPICURIENS 655
Nous verrons le doute se reproduire bien des fois sous des for-
mes quelque peu diverses ; mais on ne peut pas dire précisément
que le scepticisme ait fait école.
S 9. IPICDRE- LIS IPIGUEIINS.
174. Vie d'Epicure. — Epicure naquit à Athènes, dans le
bourg de Gargette, l'an 341, d'une famille autrefoisillustre. Mais
son père tombé dans Tindigence s*en alla à Samos, où il se fit
maître d'école, tandis que sa mère exerçait la profession de chai^
meuse ou de devineresse. Après avoir lu les ouvrages d'Anaxagore,
d'Archélaûs et de Démocriie, il vint à" Athènes suivre les leçons de
Xénocrate et de Nausipbane. De retour à Sainos, il fut obligé de
quitter cette ville, à la mort d'Alexandre, et se réfugia à Colophon
avec son père. C'est là qu'il fonda son école. Il habita ensuite Mi-
tjlène et Lampsaque et vint en 305 se fixer à Athènes, où il ensei-
gnait dans son jardin. Il mourut de la pierre en 270.
Il avait écrit jusqu'à 300 ouvrages dont il ne nous restait rien,
lorsqu'on a découvert il y a quelques années dans les ruines d'Her-
culanum une partie de son traité sid* la Nature. On connaît
d'ailleurs ses théories par Diogène Laerce, Sextus Empiricus et
Lucrèce.
La facilité de son caractère, autant que le peu de sévérité de sa
doctrine, lui attirèrent beaucoup de disciples qui lui furent très
attachés et auxquels ils donna de grandes preuves d'aôection. Si
l'on ajoute à ces conditions les circonstances politiques dans les-
quelles il vivait, le dégoût de la vie qui dut s'emparer des âmes
des Grecs, lorsqu'aprôs la mort d'Alexandre ils se virent sans gloire
et sans sôcu rite, livrés aux changements qu'amenait les rivalités
des généraux du conquérant, on aura l'explication entière des
succès d'un philosophe qui venait prêcher l'indiff'érence pour tout
principe et la recherche unique du bien-être dans le calme de l'âme.
Fuir la douleur et la crainte, plus encor que rechercher le plai-
sir : tel était le but de la doctrine d'Epicure. Toutes les peines
morales viennent de l'ignorance des vraies conditions des choses.
De là la nécessité d'une nouvelle physique et d'une nouvelle logi-
que, capable de nous afi'ranchir de l'erreur et surtout des préjugés
556 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
superstitieux. II j avait donc trois parties dans sa théorie: la ca-
nonique ou logique, la physique et la morale.
175. Canonique d*Epicure. — Il ne vent pas de cette logi-
que embarrassée d'une multitude de rî^gles (la Logique d'Aristote),
mais un art simple et facile, résumé en trois principes de connais-
sance, et quatre régies pour chacun de ces principes.
Il n'j a, dit-il, d'autre critérium de vérité que les sematiom
(aiTÔTjdeic) les anticipations (TrooAr/itic) , et les j^assions (-iti^^l
Les sensations sont les impressions que nous recevons des objet* ;
les anticipations sont les conceptions de Tintelligence, les idées des
choses, acquises au moyen de la mémoire par les sensations répé-
tées ; les passions sont les plaisirs et les peines que nous éprouvons.
Les sensations sont produites par les corpuscules que les corps
émettent continuellement, qui atteignent nos organes et par le
moyen des nerfs communiquent à Tâme certaines impressions. Les
sensations ne peuvent être contrôlées ni par d'autres sensations, ni
par la raison, qui dépend elle-même des sensations. Il faut donc
admettre que les sens sont infaillibles. De là les quatre canoM
sur les sens.
1® Les sens ne trompent jamais.
2° L'erreur ne tombe que sur l'opinion.
3*» L'opinion est vraie quand les sens la confirment ou ne la con-
tredisent pas.
4** L'opinion est fausse quand les sens la contredisent ou ne la
confirment pas.
Les anticipations ne sont pas toutes les idées que Ton peut se
former des choses, mais seulement celles qui sont communes à tous
les hommes. Dans la pensée d'Epicure, ce mot semble désigner les
vérités de bon-sens. En voici les régies.
1° Toute anticipation vient des sons.
2° L'anticipation est la vraie connaissance et la définition même
d'une chose.
3"* L'anticipation est le principe de tout raisonnement.
4** Ce qui n'est point évident par soi-même doit être démontré
par l'anticipation d'une chose évidente.
Les ^o^^'on^ sont dans l'âme aussi bien que les anticipations;
GRECS — EPICURE ' — EPICURIENS 557
mais elles viennent aussi des sens. Ce qu'elles nous font connaître
ce sont les rapports entre les choses et nous, au point de vue de
noire bonheur. Elles sont donc aussi une source de connaissance ;
mais les règles qu'Epicure donne î\ leur sujet, sont des règles de
conduite et seront mieux placées dans sa morale.
A côté de ces sources premières de la connaissance, Epicure
admet la (hhnonstration ; mais il la réduit à une sorte d'induction
du signe à la chose signifiée . Il ajoute aussi comme règle une
sorte d*anticipation générale qu'il appelle \ équilibre. Cette loi de
l'équilibre peut se formuler ainsi : Toute chose a son contraire.
C'est par ce principe qu'il croit que le nombre des êtres immortels
est aussi grand que celui des mortels.
176. Physique d'Epicure. — Rien ne se fait de rien, dit-il ;
rien n'est créé, rien ne périt. Les corps se décomposent, mais
^ leurs éléments subsistent. Donc les éléments des corps sont éter-
nels. Ces éléments il les appelle atomes, c'est-à-dire insécables,
parce qu'il les suppose étendus, mais indivisibles. Le mouvement
leur est essentiel, et ce mouvement est rectiligne et vertical, sui-
vant la loi de la pesanteur. Mais dans ce mouvement il s'opère
une déviation, qu'Epicure attribue tantôt au hasard, tantôt à une
certaine spontanéité. Par suite de cette déviation les atomes se
rencontrent et s'agglomèrent selon leurs affinités naturelles. C'est
ainsi que se forment tous les corps. Si plus tard ces atomes se sé-
parent de nouveau, et si les corps se détruisent, c'est qu'une
force étrangère, vient s'interposer. Donc les atomes se meuvent.
Mais il ne peuvent se mouvoir qu'à la condition qu'il y ait du vide
entre eux. Il faut donc admettre le vide. Le vide est infini en
étendue, mais les atomes aussi sont en nombre inâni. Ainsi le vide
n'est complètement vide nulle part. Donc trois choses constituent
le monde : les atomes, le vide et le mouvement.
Il n'existe rien au delà. Tout est corps, et pour Epicure, corps
est synonyme d'être.
L'Ame elle-même est donc un corps, divisible comme les corps,
et par conséquent destinée à périr. Aussi, dit-il, nous la voyons
vieillir avec le corps après que nous l'avons vue passer de la fai-
blesse de l'enfance à la force de l'âge mûr. Elle est quelque chose
558 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
d'invisible et d*insaisissable, comme Tair, et d'actif comme le feo.
Les facultés de l'àme sont aassi de nature corporelle^ Là peoiée
est une sorte de sensation. La sensation proprement dite est juste
impression reçue par Tâme, mais cette impression, quoique ploi
subtile est de même nature que les impressions du corps. Cepeih
dant malgré la grossièreté de cette âme, Epicure admet on ne sait
pourquoi, un troisième principe dans Thomme ; c'est l'esprit, c'eA
le messager des impressions du corps A Tégard de rame.
Avec une pareille théorie physique, Epicure n'a pas besoin de
Dieu, pour expliquer le monde, aussi avertit-il qu'il donne dans
sa physique le moyen de se délivrer toutnà-la fois et des terreors
de la mort et de la crainte des dieux. Lucrèce, son fidèle întef-
prête, nous le montre osant le premier regarder en face la religion,
qui du haut du ciel montrait sa tête effrayante, et lui résister.
Cependant il croit qu'il y a des dieux. Ce sont des vapeurs im-
menses à forme humaine; ils ont cependant rintelligence, et exempts
des misères de la Io;t3, ils jouissent d'un bonheur parfait que riea
ne trouble que rien n'émeut, ni nos crimes ni nos vertas. 11 vent
pourtant qu'on les honore intérieurement ; mais il est inutile de
les prier : ils ne s'occupent pas de nous.
Yoil ce qu'Epicure appelle la vérité, la raison, la philosophie.
Cette doctrine est selon lui la vraie source du bonheur, avec la
morale que nous allons voir.
177. Morale d'Epicure. — Le souverain bien de Thomme,
c'est le plaisir (r^Sovr^). Mais le plaisir est de deux sortes : dans le
mouvement, ou dans le repos. Le premier consiste à éprouver des
sensations agréables, qui supposent un mouvement et qaelqnefois
un certain effort. Le second est l'absence de toute douleur, le repos
du corps et de l'âme. Voilà le vrai plaisir, le vrai bonheur : V^
sence de trouble (aTapaÇia).
La vertu consiste à savoir se conduire de manière à goûter ce
repos absolu. C'est d'abord la prudence, qui n'est que le calcul
des moyens propres à procurer le plaisir parfait. C'est ensuite la
force, qui nous fait mépriser toutes les craintes imaginaires ; là
justice^ qu'il faut observer pour éviter les ennuis que procure
l'injustice, et par laquelle les hommes se facilitent mutuellement
GRECS. — EPICURK — EPICURIENS 559
le bonheur ; c'est enfin la tempérance, qui n'est que la modéra-
tion dans les plaisirs, afin de[ne pas se rendre ineapablede les goû-
ter longtemps. Ces pour cela qu'il faut régler ses passions en sui-
vant les quatre canons que voici.
V* Prenez le plaisir qui ne doit être suivi d'aucune peine.
2® Fujez la peine qui n'amène aucun plaisir.
3<* Fuyez la jouissance qui doit vous priver d'une jouissance
plus grande ou vous causer plus de peine que de plaisir.
4® Prenez la peine qui vous délivre d'une peine plus grande, ou
qui doit être suivie d'un plus gran.d plaisir.
Conformément à cette morale, Epicure recherchait surtout les
plaisirs de l'esprit, vivait d'une manière extrêmement sobre, et
conseillait à son exemple de ne pas s'engager dans le liens du ma-
riage, pour n'avoir pas les soucis de la famille.
Nous sommes bien loin de Socrate et de Platon et môme d'Aris-
tote. Les idées ont disparu et, avec elles, les nobles croyances, les
grandes aspirations, l'amour de la vérité pour elle-môme, la science
et presque la certitude. Tout est matière. Jusqu'ici cependant
malgré les tendances de la théorie, la vie est encore honnête et il
j a encore quelque générosité et quelque dévouement. Mais nous
allons voir bientôt les disciples tirer les vraies conséquences des
principes, et s'abandonner aux plaisirs des sens, qui seront pour
eux le souverain bien.
Il n'est pas nécessaire que nous fassions ressortir la fausseté,
l'immoralité et l'impiété du système d'Ëpicure. Nous dirons plutôt
le bon côté ou du moins les résultats heureux de son observatjion
toute sensible. En étudiant de plus près la matière, Epicure lui
arracha plusieurs de ses secrets. C'est ainsi que le matérialisme
moderne et le positivisme ont fourni à la science de précieux ren-
seignements au point de vue des faits.
178. Les disciples d'Ëpicure. — Les premiers disciples
d*Epicure furent ses trois frères, Aristobule, Néoclès et Chérâ-
DÈME, qu'il aimait tendrement. Us ne paraissent pas s'être distin-
gués dans la philosophie. Le plus brillant de ses disciples, fut
560 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Métrodojie de Lampsaque, qui mourut avant lui. 11 avait écrit
plusieurs ouvrages dont il ne reste que les titres. On cite encore
PoLYEN de Lampsaque, Hermachus de Mitjlône, qu'Epicupe ins-
titua son héritier, en 270, puis Apollodore I'Epicurœx, dont les
ouvrages, au nombre, dit-on, de 400 sont entièrement perdus.
CoLOTÈs avait écrit un ouvrage avec ce titre : Qu'à suivre les
maximes des philosophes autres qu* Epicure on ne jouit pas de
la vie. Phèdre est nommé avec éloge par Cicéron. Philodèmb
avait écrit des ëpigrammes^ un Abrégé des opinions des philo-
sophes, une Rhétorique, un traité sur les vertus et les vices et
un autre sur la musique, dont les fragments qui nous restent font
penser que cet art y était considéré au point de vue moral. Enfin
Zénon TEpicurien, peut-être le même que celui de Sidon, nommé
par Diogône Laerce, est mentionné aussi par Cicéron.
On ne sait rien de bien précis sur la vie et les doctrines de tous
ces homiiir^s mais on connaît assez la réputation des Epicuriens,
dans l'antiquité, pour comprendre qu'au plaisir dans le repos,
recherché par Epicure, ils préférèrent le plaisir dayis le mouve-
ment, et qu'ils recherchèrent les plaisirs des sens plus que les
plaisirs de l'esprit. Tout le monde connaît Tépithôte qu'Horace se
donne à lui-môme, en répétant celle que l'on donnait aloi's à tous
les épicuriens.
Me pinguem et nitidum bene curata cute vises,
Quum ridere voles, Epicuri de grege porcum. (Epit. IV').
S 10. ZiROH. - Il POatlQUI.
179. Zénon. — On ne connaît pas la date de la naissance do
fondateur du Portique. On peut dire seulement qu'il mourut vers
Tan 264, après avoir vécu plus de quatre-vingt-dix ans. Il serait
donc né avant Epicure ; peut-être même a-t-il commencé à ensei-
gner avant lui. Zénon naquit .à Cittium, petite ville de Tile de
Cypre. Son père, appelé Mnasée ou Démée, était un riche marchand
et lui-môme exerça cette profession. Mais un naufrage lui ayant
fait perdre presque toute sa fortune, il se retira des affaires et se
tourna vers la philosophie. Il avait alors près de trente ans. Pen-
GRECS. — ZENON. — PORTIQUE. 561
ant dix ans, il suivit les leçons de Cratùs le cynique, dont il
pouvait la morale excellente, mais dont les mœurs le révoltèrent.
1 alla donc h Mégare suivre les leçons de Stilpon, qui lui donna
e goût de la dialectique, et cette disposition fut encore augmentée
>n lui par les leçons de Diodore Cronos. Revenu à Athènes il sui-
7\t les leçons des Académiciens Xénocrate et Polémon, et il ne dut
>as rester étranger à renseignement de Théophraste, qui florissait
alors, ou tout au moins, il dut lire les écrits d'Aristote, car on en
retrouve des traces nombreuses dans sa théorie, comme aussi on
y retrouve une partie de la doctrine d'Heraclite. Il se composa
avec tous ces éléments un système mal lié, où rien n'est entière-
ment nouveau, ce qui a fait dire à Cicéron que a Zenon inventa
des mots plutôt que des choses ».
Il établit son Ecole dans le riche portique d'Athènes, appelé
SToà 7coix(X7i (la Galerie peinte) et, par antonomase, StoA, d'où
est venu à son école le nom de Portique, et à ses disciples celui de
Stoïciens.
Il avait beaucoup écrit et Diogène Laérce nous a conservé les
titres d'un grand nombre de ses ouvrages, mais il ne nous en reste
que quelques rares citations.
Les auteurs qui ont parlé de son système lui ont souvent attri-
bué les doctrines de ses disciples^ et il devient très difficile de faire'
h chacun sa part. Nous donnerons donc en commun la doctrine des
Stoïciens, après avoir indiqué les principaux disciples de Zenon,
qui paraissent avoir contribué en quelque chose à modifier le
système.
180. Disciples de Zenon. — Parmi les premiers disciples
de Zenon on trouve d'abord Persée, de Cittium, que son maître
envoya à sa place auprès d' Antigone Gonatas, qui l'avait demandé
lui-même, en disant que le disciple serait aussi capable que le
maître et aurait en plus l'avaatage de la jeunesse; puis Hérillb
DE Carthaoe, qui donna à la morale un but absolu et un but rela-
I tif, et Cléanthb d'Assos, nî vers Tan 300. Celui-ci étant tombé
dans la misère se fit porteur d'eau et ne cessa pas de cultiver la
philosophie, travaillant la nuit pour vivre et étudiant ou écoutant,
pendant le jour^ les leçons de Zenon, que dans sa pauvreté il écri-
36
■
■
5ô2 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
vait sur des morceaux de brique, pour les conserver. Il pratiqua
sévèrement la morale de son maître et eut Thonneur d'avoir pour
disciple Chrjsippe, la colonne du Stoïcisme. Avec lui se trouvaient
auprès de Zenon Ariston de Chios chef de la secte des Aristo-
niens, qui rejetaient la logique et la physique, et Athénodore de
SoLi, qui suivait la même voie. Tous ces hommes paraissent avoir
transformé la doctrine de leur maître et même Favoir complétt^,
mais il manquait jusque là â, ce système une intelligence capable
d'en nouer toutes les parties, et Chrysippe vint heureusement ac-
complir cette mission .
Chrysippe, né à Soli, en Cilicie (et non à Tarse, qui était la pa-
trie de son père), vers Pan 280, était livré à Toisiveté et aux
plaisirs, lorsque la perte de son patrimoine le tourna vers la phi-
losophie. Il vint à Athènes et, après avoir entendu Cléanthe, il
suivit d'abord les leçons d'Arcésilas et de Lacyde, tous deux aca-
démiciens, puis il retourna au stoïcisme, dont il fut un si ferme
soutien, qu'un ancien a dit de lui : Ni Chrys'ppus fuissety Portt-
eus non esset, et qu'on le surnomma la colonne du Portique. Il
vint en effet rendre la vie au Stoïcisme qui se mourait ; mais il y
fit des changements si considérables que le stoïcien Antipater écri-
vit un ouvrage entier sur les différences entre Cléanthe et Chry-
sippe. Il mourut, selon ApoUodore, l'an 208 et selon Lucien,
l'an 199.
On dit qu'il avait composé plus de sept cents ouvrages; il ne
nous en reste que de rares fragments, sans titres.
Parmi ses disciples on cite Zénon de Tarse, et Diogéne de Ba*
BYLONE, que les Athéniens envoyèrent à Rome avec Carnéade et
Critolaûs (vers 155). Les principaux Stoïciens après eux furent:
Antipater de Sidon ou de Tarse (vers 142), Pan*«:tius de Rho-
des, qui tint école à Rome et dont Cicéron fait assez de cas, pour
le suivre dans son traitée?^ Officiis, et enfin Posidonius d'Apambb
disciple de Panaetius, qui établit une école à Rhodes, à la fin <^^
deuxième siècle avant J. 0.
De là le stoïcisme passa à Rome, où nous lui verrons des re-
présentants illustres, jusqu'au 12' siècle après J. C. D'abord 1^
deux Scipions, Lœlius, Caton d'Utique et Brutus. Plus tard An-
tistius Labéon et Sampronius Proculus, fondèrent la secte des
GRECS. — ZENON. — PORTIQUE 563
•reculiens. Enfin Sénôque, Epictète, Arrien et Marc-Aurèle, en
poudrent les doctrines, en les rapprochant davantage de la mo-
ale chrétienne, qui bientôt les éclipsa.
Cette philosophie qui dura cinq siècles, a été tour-à-tour admirée
t blAmée, parce qu*elle renferme en effet une opposition étonnante
le sagesse et d'orgueil, de vertu et de crime. Mais son esprit
l'impassibilité est resté si populaire que Ton dit encore vulgaire-
nent : « Vivre en philosophe », pour dire : « Vivre en Stoïcien » .
181. Doctrine des Stoïciens. — Zenon voulut être plus à la
portée de tous que Platon et qu'Aristote, plus facile qu'Antisthène.
K Les Cyniques, dit Sénôque, excédaient la nature ; Zenon se borna
h la vaincre. »
Le but de Thomme c'est la sagesse, et c'est la philosophie qui
nous enseigne à l'atteindre, La sagesse n'est autre chose que la
perfection. Mais ne pouvant jamais atteindre la perfection absolue,
l'homme tâche d'y tendre sans cesse. Il y a trois degi'és qui y con-
duisent : le jugement parfait, la science parfaite, la conduite par-
faite. De là les trois branches de la philosophie : Logique, Physique
et Morale.
182. Logique Stoïcienne. — Tout en disant que la raison est
la règle de toutes choses, Zenon rejeta les idées de Platon et s'en
tint à la théorie d'Aristote sur la connaissance, en lui donnant une
forme qui la rapproche de celle d'Epicure.
Ce sont les Stotciens qui les premiers ont proclamé le fameux
principe: Nikil est in intellectUyquod nqn prius/ue^nt in sensu ^
qu'Aristote n'avait pas formulé, mais qui résume assez bien sa
théorie. Ils dirent aussi nettement que Tâme est d'abord une table
rase.
Le principe de toute connaissance est dans la sensation. Mais
celle-ci n'est en quelque sorte que la matière première de la con-
naissance. Elle devient perceptioa, par le travail de l'esprit. Chry-
sippe ne veut pas qu'on explique la perception par la comparaison
de l'empreinte du sceau : la perception saisit toutes les qualités et
môme la substance de l'objet. Elle devient alors la vision corn-
préhensive (cpavraorta xaTaXT^icTWci^)". En voici les caractères dis-
tinctifs : l^ elle est produite par une chose qui existe ; 2^ elle est
564 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
conforme à cette chose et en exprime les propriétés, 3* elle ne
peut être produite par aucune autre chose. A ces signes on recon-
nait hv vérité de la perception. — Mais s'il j a des perceptions
qui ne sont pas produites par des choses réelles, à quoi reconnaîtra-
t-on que telle perception est produite par une chose qui existe!
Et puisqu'on ne connaît la chose que par la perception, comment
savoir si celle- i lui est conforme? Enfin, qui dira, dans ces condi-
tions, si elle ne peut être produite par aucune autre chose?
A la vision compréhensive vient s'ajouter V assentiment, qui la
convertit en connaissance. C'est un acte de l'esprit, spontané, vo-
lontaire et libre. Cependant nous verrons bientôt des assentiments
nécessités par l'évidence.
Enfin la réunion des perceptions solidement établies, et liées par
des raisonnements inébranlables constitue la science. Hors de là
c'est Topinion.
Zenon comparait ces trois degrés de la connaissance à la main
d'abord ouverte, qui ne saurait retenir les objets, ni les toucher
dans toutes leurs parties : c'est la sensation; puis fermée, et pouvant
les mieux saisir : c'est le jugement ; et enfin fermée et serrée par
l'autre main, de manière à ne pas laisser échapper ce qu'elle a saisi:
c'est la science.
A ces connaissances actuellement acquises par les sens, les SUÂ'
ciens io[gxi2i,ieni les anticipations (upoXTf/ieic), qu'ils définissaient:
« la conception naturelle de l'universel. » Ils entendaient par là
ces conceptions abstraites auxquelles on donne, sans recherche et
nécessairement, son assentiment, parce que, disaient-ils, elles sont
évidentes.
Enfin considérant que plusieurs de ces" jugements naturels sont
communs à tous les hommes, ils les concevaient comme constituant
la raison commune ou la droite raison.
Ainsi la pensée est à la fois passive et active : passive dans la
perception, active dans le jugement.
Mais le jugement (libre sans doute) porte souvent sur des idées
artificielles ou notions, qui se forment par l'analogie, la compo-
sition, la proportion, l'opposition, la transposition des parties, la
répétition, la privation.
GRKCS. — ZENON. — PORTIQUE 565
Ils admettaient la théorie du syllogisme ; mais n'y distinguaient
qae deux modes : le simple et le composé.
Ils combattirent les sceptiques en disant que le doute absolu est
impossible, et qu'il détruit dans Thomme toute activité et toute
morale.
183. Physique Stoïcienne. — Ils concevaient tout ce qui
existe, toute substance, comme composé d'un principe actif et d'un
principe passif, d'une cause et d'une matière , et ce composé ils
l'appelaient corps. Ils disaient donc que tout est corps.
Dans l'homme ils concevaient l'âme comme le principe actif, et
pour exprimer qu'elle est réelle, ils l'appelaient aussi corps ou ma-
tière. Mais cette matière était subtile et indivisible. Pour en ex-
primer l'activité, ils l'appelaient un feu; une étincelle du feu
divin, qui est l'éther, source de la lumière. Mais ils la reconnais-
saient intelligente et libre, et insistaient sur cette liberté.
tt Rien ne se fait sans cause, disaient-ils. » Les causes s'enchaî-
nent à l'infini: le passé contenait et déterminait le présent ;
le présent contient et détermine l'avenir. Les règles et les
lois de tontes choses, comme des linéament^s, sont contenues dans
les germes, dans les principes des choses et s'y développent néces-
sairement : telle est la raison universelle, principe, règle, cause de
tout ce qui est. Cette raison c'est Dieu ou la Nature : ces deux
noms sont équivalents pour eux. Souvent aussi ils l'appellent le
Destin.
Ailleurs ils semblent reconnaître le vrai Dieu ; car ils le con-
çoivent intelligent, tout puissant, et dirigeant tout par sa Provi^
dence. Et cette Providence, ils la démontraient par le consentement
ananime des peuples, par la notion du devoir et par le culte
qu'impose la loi morale.
Mais tout cela concorde avec le reste de leur théorie panthéiste.
Leur Dieu c'est l'âme du monde, et s'il dirige le monde, c'est
selon les lois nécessaires contenues dans les principes des choses.
Aussi ils accordaient parfaitement leur doctrine avec la mytholo-
gie, en disant: Dieu principe de vie s'appelle Zous ; dans l'Ether,
il est Athéné ; dans le feu, Héphaïstos; dans l'air, Hôra;'clansreau
Poséidon ; dans la terre, Cybèle,
5(36 HISTOIRE DK LA PHILOSOPHIE
Donc, leur Dieu, c'est la Nature, et leur Nature n'est que rie-
vitô du Monde. Le reste est la matière, éternelle d^aillears «sa
le principe actif. La môme Nature agit raisonnablement €(«-
cessairement dans le monde, en m:}me temps que comine i<sa
physique, et c'est elle aussi qui agit conime raison è»
riiomme.
L'univers n'est qu'un corps animé, dont toutes les parties ss^
liées et ne forment qu'un tout. L'Ame (raison et Dieu) qui le est |
est un feu qui s'allume et s'éteint tour à tour.
184. Morale Stoïcienne. — L'homme, comme tout être. ^
composé d'un principe actif et d'un principe passif. Ici c'est Fâae
et le corps. Or, dans tout être, selon les lois nécessaires de li py-
son universelle (Nature, Dieu) le passif est soumis à l'actif. H^-
en être de même de l'homme. Mais l'homme est libre. 11 doit dos
établir en lui librement l'ordre de la raison. « Vivre seka ii
raison. »
La vie de l'homme est donc une lutte de la liberté contre is
passions ; mais au lieu de dire avec Platon, qu'il faut maîaî*
les passions, les Stoïciens veulent les détruire. De làleurgra^
maxime : àvs-^ou xal aTcr^ou, sustine et obstine. D'ailleurs, s«^
frir n'est rien, car la douleur n'est pas un mal, et la verta®^^
seul bien. Et la vertu, c'est la liberté, la liberté recherchée ps^
elle-même.
Ce qui entrave la liberté est mauvais.
Ce qui augmente la liberté est bon.
Ce qui n'influe en rien sur la liberté est indifférent.
Dès lors les appétits du corps sont choses indifférentes pour le .^
qui sait ne s'y livrer que librement. Aussi Zenon et Ghrysipp^ùS*
autorisé to utes les débauches, môme celles qui révoltent la raiss-
parce qu'elles sont contre nature ; ils ont permis en outre la polj-
gamie et môme l'anthropophagie, selon les usages des peuple- 1
D'ailleurs la liberti^ étant à elle-même son principe et safîfli ^
sage ne relève que de lui-même. C'est un Dieu: plus qu'un Difa- \
car il a conquis lui-môme sa liberté. (*)
(*) Nous ne pouvons nous dispenser de remarquer ici que M. l"'i>®^
qui reproche aux Stoïciens de n'avoir pas eu la vraie notion de b^
berté, quoiqu'il leur attribue exactement la même doctrine que ^
GRECS. — ZENON. — PORTIQUE 567
Dos lors le sage peut tout faire sans faillir, par cela seul qu'il
est sage; carie crime est une folie. Il peut donc se donner la
mort ; il peut souiller son corps par las pratiques les plus honteu-
ses, sans altérer la pureté de son àme. Et tout cela, beaucoup de
stoïciens l'ont enseigné par le précepte et par Texemple.
Voilà l'abîme où est venue s'engloutir cette doctrine qui na-
guère proclamait la vertu comme le seul bien et enseignait & mé-
priser toutes les douleurs comme toutes les jouissances. Sénèque
lui-même, que nous verrons plus loin, et dont la morale est restée
bien plus conforme aux premières données des Stoïciens et môme
s'est épurée encore, sans doute au contact de l'esprit chrétien, qui
commençait à se répandre de son temps, n'a pas craint de conseil-
ler le suicide.
Et cet abîme est le terme naturel de la route tracée par ce double
principe ; qu'il faut anéantir la sensibilité, et que la liberté à con-
quérir est le seul but de la vertu.
185. Appréciation. — Si dans la doctrine stoïcienne on ne
considère que les grands principes, en laissant les dernières consé-
quences, on se trouve en présence d'une morale, austère sans doute,
mais praticable par les âmes grandes et fortes, d'une morale pure
et sablime; si l'on ne considère que les expressions et surtout le
sens des auteurs, on trouve dans cette doctrine l'affirmation de la
raison et de la liberté unie à la défense de la certitude des sens, on
y trouve une grande idée de Dieu et la démonstration de la Pro-
vidence, et l'on serait tenté de se croire déjà en plein Christianisme.
Mais, quand des principes on descend aux dernières conséquences
que les Stoïciens ont tirées eux-mêmes, on n'y voit plus que la
justification de tous les crimes unie à la prétention de la plus scru-
accepte pour lui-môme cette même doctrine puisqu'il dît {Htst, de la
phiL p, iOt); « Le devoir, c'est la liberté se prenant elle-même poui
nn »; et ailleurs (p. 180): «on n'était pas encore arrivé à considérer la
liberlé conmie étant ellc-mônie et par elle-même une fin » Enfin (p. 208)
il condamne St-Tliomas en ces termes : « Le Dieu de St-Thomas est
plutôt une nature parfaite, (ju'une volonté (jui se rond parfaite libre-
ment. »
^j^
508 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
puleuse vertu, on n'y voit plus que l'orgueil de Thomme, qDiia-
seulement veut s'égaler à Dieu en se déclarant indépendani à»
Lui, mais qui môme se croit supérieur à Dieu sous le trèrfci
prétexte que la perfection acquise librement est supérieure à dk
que Dieu possède par essence. Enfin, si, à travers les expressifs*
magnifiques de science et de vertu, et en dehors du sens des is-
teurs, on juge la nature môme de leur théorie d'après leurspropw
données, leur dogmatisme énergique s'écroule dans le scepticisK,
faute de base ; car leur prétendue raison vient des sens et n'a p*
plus de valeur scientique que les sensations, que rien nepeatTés^-
fier ; leur liberté n'est plus que la soumission à une néc^itéaTS-
gle ; leur Dieu n'est plus qu'une force mécanique dont les monît-
ments sont réglés par sa construction ; leur Providence, qs^
défendaient si bien, n'est plus que l'exercice nécessaire de c^
môme force mécanique ; et leur vertu, si sublime d'abord, De?:
plus qu'une prétention orgueilleuse qui consacre tous les vices.
Voilà le double aspect du stoïcisme, et la raison pourlaqu^^
a été si profondément admiré, par les uns, et si énergiqaeœ®^
condamné, par les autres.
3"* ÉPOQUE
DÉGADESGE DE LA PHILOSOPHIE 6RBGQDI
186. Caractère et division de cette époque. —I^?^
deur de la philosophie grecque ne dura guère qu'un siècle, w*
hommes de génie qui, tout en prenant des voies opposées, a^^^
enseigné à la raison à se connaître, ne trouvèrent pas des sac»^
seurs dignes d'eux. Dès le troisième siècle avant J. C. on ne »'
plus que des efibrts impuissants, et les doctrines nouvelles qi" I*
raissent, comme les philosophes qui essayent encore de conii^
par leurs travaux et de soutenir par leur érudition les doctrines "s
grands maîtres, sont bien dégénérés de cet éclat dont nous «^^
vu l^riller Platon et Aristote, et n'atteignent pas même à la ?"'•*''
sance d'observation et d'induction d'Epicure, ni à la force ^^ '^
lonté de Zenon.
GRECS. — NOUVELLE ACADÉMIE 569
Cependant quelques écoles et quelques hommes isolés méritent
d'être mentionnés.
Nous diviserons donc l'histoire de cette époque de décadence en
quatre paragraphes :
1** Nouvelle Académie, fondée par Arcésilas, vers 280, avantJ.C.
2** Les philosophes continuateurs, du !•' au V' siècle après J. C.
3<* Le nouveau scepticisme, fondé par ^Enésidème, au 1*' siècle,
aprôs J. C.
4® L'Ecole d'Alexandrie, fixée parPlotin, vers 250, après J. C.
Nous rattachons à cette dernière école le Gnosticisme et la
Kabbale.
§. 1 - HOUTILLI ACiDÉlII.
187. Caractère de cette école. — Pendant que Zenon en-
seignait avec un caractère très-affirmatif , il s'éleva à côté de lui
une école nouvelle qui sembla prendre à tâche de le combattre et
de combattre en môme temps toutes les écoles . C'est la Nouvelle
Académie qui à la vision compréhensive ou cataleptique de Ze-
non opposa son Acatalepsie, Ce mot désigne l'impossibilité de
distinguer la vision compréhensive de celle qui ne l'est pas, l'im-
possibilité de savoir si la perception est ou n'est pas conforme à
son objet. Les nouveaux académiciens se contentèrent d'abord de
battre en brèche toutes les théories et finirent par enseigner que
tout ce que nous savons n'est que vraisemblance, ou môme appa-
rence, et que nous ne pouvons rien affirmer sur la réalité des cho-
ses. C^est la théorie que Kant a exprimée plus tard en disant que
« nos connaissances sont purement subjectives. »
On distingue quelquefois la moyenne et la nouvelle Académie.
La moyenne, avec Arcésilas, aurait enseigné que la sagesse con-
siste dans le doute, et la nouvelle, avec Carnéade, aurait enseigné
que nous ne connaissons que la vraisemblance des choses et que
nos jugements ne sont que probables. Cette distinction ne nous pa-
raît pas assez fondée.
188. Arcésilas. — Arcésilas naquit à Pitane, en Eolie, vera
Tan 316. Il suivit les leçons de Théophraste, de Cranter, de Dio-
dore le Mégarien et de Pyrrhon, et étudia les livres de Platon, Il
570 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
eut à cœur de relever TAcadémie, tombée alors entre des m^
inhabiles, mais il n'en saisit que le côté négatif.
Il voulut, comme Socrate, procéder par questions, pourdéto
tous les- autres systèmes, et il exagéra la formule de Socraîaa
disant : « Je ne sais pas même si je ne sais rien. » Mais il nef^t
pas prendre cette parole avec le sens qu'elle pourrait offrir taiï
seule.
Les choses, selon Zenon, ne nous étant connues que par les^et
sations, il est impossible de vérifier si nos perceptions sont ooaK^
mes aux choses, et la vision cataleptique de Zenon manqae ^
fondement. Il proclamait donc ïacatalepsie. Il voulait direquM*
cune perception n'est certainement cataleptique ou comî>péb«
sive. Mais d'un autre côté on ne peut jamais affirmer que la t©*
qui paraît conforme à l'objet ne le soit pas. C'est ainsi qu'il*
savait pas s'il ne savait rien.
Sa théorie n'affirme donc pas absolument, comme iidéalisa^t
que nos idées sont purement subjectives et n'ont point dobp
extérieurs, mais elle dit que nos idées ne viennent pas excba^^
ment des choses présentes, et que la notion que nous en pw*"*
peut n'en être pas la reproduction .
■^^énon soutenait que le sage peut dans certains cas se fierifiï
représentations de son intelligence, Arcésilas lui opposait le réw,
le délire et surtout la diversité des opinions humaines. C'fstais^
que Zenon indiqua comme caractère des perceptions yi^-
<( qu'elles sont produites par l'objet». Mais Arcésilas dit que ce»
règle ne servait de rien, si un autre objet est capable de pKwnii*
la même perception. Alors Zenon ajouta ce dernier cara^îWr^*
la perception vraie : « qu'elle se montre telle qu'aucun autre obîff
ne saurait la produire. » Et Arcésilas accepta ce caractère eomï^
suffisant, se réservant d'en rendre la vérification impossible, ^
ses objections.
Il disait donc que le sage, ne pouvant atteindre avec certita*
le vrai, doit se contenter de la vraisemblance pour se coAduiî^'
mais qu'il ne doit jamais en faire le fondement de la science-
paraît par quelques textes des anciens qu'il aurait admis I^ ^^
rites de raison où la réalité objective n'entre pour rien.
ORECS. — NOUVELLE ACADÉMIE 571
189. Carnéade. — Arcésilas en mourant, en 241, laissa sa
doctrine à Lacydes de Cjrône, qui la professa jusqu'en 215. Il eut
pour successeurs Evandre puis Télècle et Hégésinus.
Carnéade né à Cyrône, en 214, ou 219 et mort en 131, recueil-
lit l'héritage d* Arcésilas des mains d'Hégésinus et le fit valoir
contre Chrjsippe. Aux théories serrées de celui-ci, il opposait les
subtilités du raisonnement et surtout du sorite, et rendait égale-
ment vraisemblables les propositions les plus contraires.
Plusieurs auteurs anciens ont cru que le doute de Carnéade et
d' Arcésilas n'était qu'une préparation à leur enseignement secret,
dans lequel ils professaient les vraies doctrines de Platon. Mais-
d'autres affirment le contraife,et en nous montrant,chez Carnéade,
la théorie dévelogpée deVacatalepsie, ils ajoutent qu'il alla jusqu'à
nier la certitude des vérités de raison; par exemple: que deux
quantités égales à une troisième sont égales entre elles. -Il aurait^
donc nié la possibilité de la science ; mais il est certain qu'il
admettait la vraisemblance , comme guide de la vie pratique.
190. Disciples de Garnéisde. — Biogène de Bâbylone n'est
connu dans l'histoire de la philosophie qne parce qu'il accompagna
son maître Carnéade et Critolaûs dans l'ambassade que les Athé-
niens envoyèrent à Rome, vers Tan 155. Il essaya d'ouvrir une
école dans cette ville, mais Caton, ayant entendu Carnéade soute-
nir successivement, devant la jeunesse romaine, la justice et l'in-
justice, et se faire applaudir dans les deux cas, conseilla de ren-
voyer au plus vite ce sophiste avec ses compagnons. On cite encore
Métrodore de Stratonice, qui avait laissé la doctrine d'Epicure
pour suivie Carnéade, Clttomaque de Carthage, dont le vrai nom
était Asdrubal, qui succéda à Carnéade. 11 avait écrit, dit-on, 400
volumes. Son disciple Philon de Larisse, florissait vers l'an 90 ;
il enseigna à Rome, où il eut pour auditeur Cicéron. Son doute
était sincère et répugnait, paraît-il, à son cœur ; car il désirait qu'on
lui démontrât la certitude.
Antiociius d'Ascalon, lui succéda peu de temps après, il ensei-
gna à Athènes, à Alexandrie et à Rome où Cicéron fut son disciple
et .«on ami. Nous n'avons rien de lui, mais ses doctrines sont sou-
vent citées par les auteurs coutemporains. Il semMe avoir voulu
572 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
concilier le stoïcisme avec les doctrines de Platon et d'Àm-
tote.
8 a.~ GONTINUATHN DIB 6&&11 DIS ICOLIS
191 . Nous arrivons au premier siècle après Jésus-Christ. U
Grèce, qui depuis longtemps (146) est province romaine, a pcrfe
avec la liberté, cet amour de la gloire, qui jusque-là lui avait éasè
la primauté sur tous les autres peuples, dans tous les genres è
de mérite. Les écoles de philosophie ne sont pas éteintes, tdmîs <%
y voit plutôt des rhéteurs, des compilateurs, que des penseurs <Sr
ginaux.
Cependant au milieu de cette multitude d'hommes médiocnt.
dont les noms nous sont parvenus, on trouve quelques vrais phï^
sophes, qu'il faut mentionner, non paa à raison de l'originalité di
leurs doctrines, mais h raison de l'importance de leurs tra-
vaux.
192. Plutarque. — Au premier rang de ces auteurs, se troon
Plutarque, né à Chéronée, en Béotiq, vers le milieu du I*' siècfe
après J. C. Ses Vies parallèles des grands capitaines de rantiq:iit<
et ses Œuvres philosophiques et morales sont connues de tout i*
monde. On trouve dans ces dernières des conseils excellents, (fe
appréciations fort justes, le plus souvent sous la forme du dialogue,
dans un style attrayant, semé d'anecdotes et de oomparaisos^
pleines d*à-propos.
La doctrine de Plutarque relève de Platon plus que de touteaa-
tre, mais il en rejette les excès; il se sert aussi d'Aristote, quoiqu'il
Testime moins. Il prend de même chezles épicuriens et chez les stoici<?Q*
ce qui lui semble bon, et combat les uns et les autres dans lenP
exagérations. L'esprit de sa doctrine morale est tout entier (to
cette phrase : « Un homme qui craint de s'enivrer ne jette pas s»
vin, il le tempère. Ainsi, pour prévenir le trouble des passions,!»'
ne faut pas les détruire mais les modérer. »
103. Apollonius de Tjane. — On a coutume de citer parioi
les philosophes de cette époque Apollonius de Tyane, en Cappa*
doce. On devrait plutôt le classer parmi les magiciens ou les illo*
minés. Il naquît sous le règne de Tibère, au commencement du 1''
GRB:CS. — CONTINUATION DES GRANDES ÉCOLES 573
siècle. Instruit dès sa jeunesse des leçons de Pjthagore, il résolut
de s'y conformer rigoureusement. Il s'abstenait de viande et de
vin, marchait nu-pieds, couchait sur la dure, laissait croître ses
cheveux. Après un silence de cinq ans, il voyagea en Asie, jusque
dansTInde, en Egypte, en Ethiopie, en Grèce et en Italie, pour s'ins-
truire des traditions et des mystères. A son retour il se signala
par de nombreux prodiges et fut honorcT comme un dieu. Sa mort
resta complètement inconnue.
Philostrate a écrit sa vie et s'est plus attaché aux actes mer-
veilleux qu'aux doctrines philosophiques de cet homme que les *
derniers défenseurs du paganisme opposèrent plus d'une fois à
Jésus-Christ, pour infirmer la conclusion tirée par les chrétiens,
des miracles de THomme-Dieu .
Quelques historiens ou philosophes modernes ont essayé de
découvrir un système philosophique dans ses doctrines, une sorte
de préparation à l'Eclectisme Alexandrin. Nous n'y voyons
qu'une doctrine morale semblable à celle de tous les législateurs
de l'Asie: Zoroastre, Manou, Confucius, et s'il y a chez Apollo-
nius une doctrine métaphysique, c'est encore celle des mômes
philosophes.
194. Dion Chrysosfome. — A la môme époque vivait Dion,
surnommé Chrysostome (bouche d'or) à cause de son éloquence.
Né à Pruse, en Bithynie, il fut d'abord rhéteur et sophiste, puis
rigide stoïcien, portant môme sur ses épaules une peau de lion,
comme les disciples d'Antisthône. Il nous reste de lui 80 discours,
où l'on peut puiser des renseignements utiles.
195. Lucien. — L'auteur si connu des Dialogues des Morts^
Lucien, naquit à Samosate, en Assyrie, vers l'an 120 de J.-C.
D'abord apprenti sculpteur, il devint philosophe, parce que son
maître l'avait" battu pour avoir cassé unetabledemarbre.il
écrivit d'abord un assez grand nombre de petits sujets de rhéto-
rique, où déjà son esprit railleur se montre avec la facilité de
son style ; et il les récita en public à Antioche, en Grèce, en
Italie et en Gaule ; mais il est surtout intéressant dans ses dialo-
gues, où il attaque sans ménagements, par l'arme du ridicule,
tous les défauts, les vices et les travers des philosophes. Il s'en
574 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
prend également à toutes les sectes et ne s'appuie guère que sur le
bon sens. Il discréditait ainsi tout à la fois le paganisme et h
philosophie antique,et préparait les voies à la religion chrétienner
qu'il ne connaissait pas.
196. Mentionnons encore son contemporain Maxime de Tyr,
dont les 41 dissertations renferment de nombreux renseignements,
et chez qui l'on aperçoit déjà une tendance au Néoplatonisme. Pour
lui le démon de Socrate est un des dieux inférieurs qui dirigent le
monde par Tordre de Dieu. Alexandre d' Aphrodise, ainsi
nommé de sa ville natale, Aphrodisias, en Carie, vivait à la fin du
2* siècle. Il est célèbre par ses commentaires d'Aristote, et précieux
par ses renseignements sur Thistoire de la philosophie. Mais le plus
important parmi ces compilateurs, c'est Diogène L aerce, qui nooB
a conservé,dans ses Vies, doctrines et sentences des philosophes
illustres, les catalogues de presque tous leurs ouvrages et souvent
les seuls documents qui nous restent sur leurs doctrines . Il était
surnommé iMertiuSy probablement parce qu'il était de Laérte, en
Cilicie. Ou ioiiore entièrement l'époque de sa vie, que les historiens
ont placée depuis le siècle d'Auguste jusqu'au IV* siècle après J. C.
Mais il est très-probable qu'il vécut à la fin du IP.
197. Oalien. — Médecin, historien et philosophe, Galien, qui
jouit au moyen-âge d'un autorité presque égale à celle d'Aristote,
mérite une mention spéciale. Né Tan 131 de notre ère, à Pergame
en Asie, il fut instruit dans toutes les sciences de son temps, parsoa
père Nicon, qui était un architecte distingué. Il fréquenta enm^nw
temps toutes les écoles de philosophie et, après avoir embrassé la
médecine, il vint à Rome, en l'an 164, et y demeura probablement
le reste de sa vie, jusqu'à un âge très-avancé.
La plus grande partie de ses ouvrages est perdue ; mais ce qa'il
en reste suffît pour lui mériter une place distinguée dans Thistoire
de la médecine, des sciences naturelles et même de la philosophie.
En métaphysique, il insiste sur la nécessité d'admettre une cause
efficiente et une cause finale de la Nature, et par suite il admet no
Dieu intelligent, tout-puissant, infiniment sage et Créateur du
monde^ et s'élève avec force contre ceux qui a croient que tout >e
fait sans Providence. » Cependant le mot Création n*a pas pour
GUECS. — CONTINUATION DES GRANDES ÉCOLES 575
lui le môme sens que pour nous. Il croit la matière éternelle et
déclare n'être pas de l'avis de Moïse, sur Tôtendue de la puissance
ie Dieu dans Tarrangement de la matière. Il dit très-bien que
a Dieu ne fait que ce qui est possible )), mais il étend trop Timpos-
Bîbilité .
Relativement h l'âme, il flotte entre Aristote et Platon, accepte
la définition du premier et les divisions, du second, et finit cepen-
dant par concevoir Tâme comme quelque chose de matériel, et par
suite n'en admet pas l'immortalité.
En morale, il prend pour point de départ la doctrine de Platon,
ridée du bien, ainsi que la division des vertus que nous appelons
cardinales ; mais il insiste sur cette théorie que tous les penchants
de rame, même de Pâme rationnelle, dépendent du tempérament.
Du reste il croit que l'exercice peut niodifier les dispositions natu-
relles, et ne rejette pas les influences mystiques.
Mais si la partie théorique de ses ouvrages n'offre rien de bien
neuf ni de bien solide, la partie historique est une mine précieuse
pour la connaissance des doctrines antérieures, surtout pour l'his-
toire du Stoïcisme.
198. Ptolémée. — Le célèbre astronome d'Alexandrie, Claude
Ptolémée, né vers l'an 110, n'est pas moins remarquable comme
philosophe. Ne pouvant lui consacrer tout l'espace que mériterait
sa doctrine philosophique, nous renvoyons à l'excellent article de
M. Th. H. Martin, dans le Dictionnaire de M. Franck, où nous
puisons ce que nous allons en dire. Sur les bases de la science et
sur les facultés de l'âme, aucune théorie ancienne ne nous paraît
plus rapprochée de la théorie classique actuelle.
L'élément principal de la pensée scientifique, c'est le jugement.
Dans le jugement, Ptolémée distingue: l'intellect^ qui juge; les
sens, qui lui servent d'instrument ; le raisonnement, qui est la
loi du jugement ; les faits sensibles , qui en sont la matière ; la
connaissance de la vérité, qui en est le but. Mais tout dépend de
la sensation et de l'intellect. La sensation atteint immédiatement
et sûrement les phénomènes sensibles actuels, mais non les objets
eux-mêmes ni leurs qualités permanentes. La sensation ne nous
trompe que quand nous lui demandons ce qu'elle ne peut pas nous
576 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
donner. Elle transmet à rintellcct qui ne peut rien sans elle^ ia
notion des phénomènes; mais la mdmoh^e et V imagination peu-
vent tenir lieu de sensation présente. C'est par là que Vtntellect
juge des sensations diverses d'un môme objet, selon le temps et
Torgane, et par suite des objets eux-mêmes et de leurs qualité»
persistantes. Il recueille et examine les témoignages divers d€«
sens, les compare et les juge. L'intellect a en outre son objet propre:
les notions universelles ^ qu'il atteint immédiatement et avec certi-
tude, mais toujours à propos de la sensation présente ou passée.
Les bêtes n'ont que les sensations, la mémoire et TimaginatioD.
L'homme seul a de plus la raison (Xoyo;), qui développe et discerne
ce qui était caché dans la mémoire. Si le langage intérieur de
Tâme procède sans méthode, ni raisonnement, l'intellect n'arrive
qu'à Vopinion (SéÇa) ou à la conjecture (sixaT^a). Mais s'il pro-
cède avec art, par des distinctions et des comparaisons métiiodi-
ques, fondées sur les différences et les ressemblances des objets, U
arrive à la science (eTriTnrjjXTi) à la compréhension {xaxi'hi'^).
Par Yinduction, il s'élève de choses particulières aux espèces et
aux genres; par la dédiiction, il redescend des genres et des esp^
ces aux choses particulières.
C'est donc dans l'intellect qu'est le critérium de la sensation.
Celle-ci n'atteint que les accidents fugitifs ; l'intellect atteint les
idées et les causes. La sensation ne donne que des à peu prés :
l'intellect atteint V exactitude. Ainsi les sens nous donnent la no-
tion de la circularité imparfaite ; l'intellect en tire la notion do
cercle parfait.
Ptolémée est moins exact sur la notion de l'âme qu'U déclare
invisible, insaisissable aux sens, mais divisible et composée d'air
de feu et d'ôther. Mais, môme sur ce point, il est intéressant à éto-
dier, au point de vue de la méthode.
Il ne l'est pas moins en logique et en métaphysique où il repro-
duit et développe Aristote.
199, Enfin à cette liste des philosophes Grecs des premiers si^
oies de notre ère, ^joutons encore Philostratb l'Athénibn et son
ouvrage, Vies des sophistes, qui nous fait connaître les philoao-
GRECS. — NOUVEAUX SCEPTIQUES 577
phes de cette époque; maïs il manque de critique C'est lui qui a
écrit la vie d'Apollonius de Tyane. Son ouvrage a dû ôtre achevé
Tan 217. Eunape, de Sardes, en Lydie, vivait dans le 4* siècle.
Outre ses Annales, politiques^ il a écrit les Vies des sophistes et
des philosophes de son temps. C'est un ardent défenseur du paga-
nisme. Stobèe (eÏEAN) de Stobi, en Macédoine a du naître vers 430.
Son Recueil d'extraits choisis^ sentences et préceptes nous fait
connaître plus de cinq cents auteurs, dont, pour . la plupart, les
Qîavres sont perdues .
g.!*- H9UYIA0X SCIPTiaCES.
200. — Dans le premier siècle de Tore chrétienne, à la suite de
la Nouvelle Académie, dont nous avons constaté l'indécision, le
scepticisme prit iftie forme nouvelle et fit école plus qu'aucune
autre doctrine à cette époque ; c'est pourquoi nous n'avons pas
voulu séparer les auteurs qui prirent part & ce mouvement. C'est
d'ailleurs le dernier effort de la philosophie pure, en Grèce, et le
spectacle de cette chute profonde a de quoi donner à réfléchir à
ceux qui veulent philosopher sans règle et sans guide. Ceci encore
était pour nous un motif de traiter à part le scepticisme empi-
riqtie ou nouveau scepticisme»
201. JEnésidème. — Le premier d'entre ces nouveaux scepti-
ques, iEnésidôme, naquit à Gnosse en Crète, probablement au
commencement du l*"" siècle de notre ère, et fonda son école à
Alexandrie. Il écrivit de nombreux ouvragjs, mais aucun ne nous
est parvenu, si ce n'est nn extrait des Discours Pyrrhoniens
(riuppwv'cov Xévot) qui se trouve dans la Bibliothêqne de
Photius.
^nésidômese place, ou prêt "înd se placer, exactement dans le
doute pyrrhonien, qui diffère de celui des sophistes et de celui de
la Nouvelle Académie. H ne nie rien : il doute.
Mais allant au-delà de Pyrrhon dans son argumentation, i^
^saye de faire du scepticisme un système régulier et parfaitement
logique.
Pour cela il attaque soit la légitimité des affirmations de la rai.
37
^ I
578 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
son en général, soit le principe de causalité. En cela il est plus
hsjdi que tous ses devanciers, et Ton peut dire avec M. Ëm. Saissei,
qu'il laisse peu à faire a Kant et à Hume, qui Tont suivi, celui-là
dans sa critique de la raison, celui-ci dans sa critique du principe
de causalité. 3extus Empiricus nous a conservé les argament^
d'^nesidôme contre le rapport de cause & effet : nous en parlerons
en traitant de cet auteur.
202. Agrippa. — A la suite d'^nésidème, on trouve dans le
môme doute Agrippa, dont Tépoque n'est pas plus certaine. Il a
dû vivre dans la deuxième moitié du 1*' siècle. Nous ne connais*
sons de lui que ses cinq motifs de doute , que nous avons déjà
énumérés, page 153. Les voici avec la manière dont ils sont com-
mentés par M. Em. Saisset {Dict. de M. Franck).
Le dogmatique rencontre cinq difficultés insolubles.
1<* Lacontradiction (Tpiico; ànb 8iaf o>y{a;] *
2^" Le progrès à Finûni (Tp^o; eU aneipov ex6aX)iùv)
3*» La relativité (Tpiiroc œnh tou itpi; ti);
4*» L'hypothèse (Tpiiwc uitoôenxic);
5^ Le cercle vicieux (xp&KO^ iiiWrîko^)
C'est-à-dire que : 1^, dès qu'un dogmatique pose un principe, oa
peut lui opposer que tous ne Tadmettent pas, et s'il se borne à
l'affirmer, il n'échappe pas & l'argument de la contradiction. Si,
2o, il invoque un principe plus général, on fera la môme objection,
et s'il en pose un autre plus général encore, on le poussera indéfi'
mment, 3° Il dira qu'il a atteint un principe premier, un princi-
pe évident. Alors on objectera que cette évidence n'est peut-être
que relative. Si, 4<>, il renonce à prouver, son principe restera no*
hypothèse. Si enfin, &*, il essaye une démonstration, il ne poorn
l'appuyer que sur un principe qui lui-même a besoin de démonstri'
tion ; et le voilà dans le cercle vicieux.
On voit qu'il y a dans les arguments d'Agrippa bien plus de
pénétration et de vigueur d'intelligence que dans les dix motifs
de doute de Pyrrhon, que nous avons pu résumer exactement «a
deux (page 153), et dont on peut voir le détail page 554,
Cependant, non content de la brièveté et de la solidité apparente
de cette argumentation, Agrippa voulut encore la resserrer. H
ramena donc tout le scepticisme A ce dilemme :
GRECS. — NOUVEAUX SCEPTIQUES 579
Par soî-môme ou par autre chose (è^ sairrou f[ èÇ éripou).
Intelligible par soi, c'est impossible, à raison des contradictions
des jugements, de la relativité de nos conceptions, du caractère
hypothétique de to^t ce qui n^est pas prouvé.
Intelligible par autre chose, c'est absurde, si rien n*est intelligi-
ble par soi. Ce serait un cercle vicieux ou un progrès & Tin-
fini.
fit TDaintenant nous reconnaissons sans peine, avec M. Em. Saisset,
que c simplifier ainsi les questions. c*est prouver qu'on est capable de
les approfondir i ; mais nous n'ajouterons pas avec lui c c'est bien mé-
riter de la philosophie i. C'est la détruire dirons-nous plutôt.
On peut répondre à Aggrippa : Comment savez- vous qu'il n'y a
pas de milieu entre les deux termes de votre dilemme? que faire
un cercle vicieux est une chose absurde? que le progrès à l'infini
est impossible, ou qu'il ne peut pas servir de fondement à un
principe, sinon parce que certaines vérités sont connues paf elles-
mêmes?
Ainsi le scepticisme est condamné à se détruire lui-môme dès
qu'il vent raisonner. La profondeur et la netteté ne lui servent de
rien; au contraire: mieux il se formule, plus ouvertement il prête
le flanc aux coups qui doivent l'abattre. Et s'il prétend triompher
encore de ce doute que nous jetons sur ses propres moyens de dé-
fense, il sera du moins obligé de se renfermer dans sou doute et de
se taire.
À cette école appartient aussi Antiochus db Laodicéb et son
disciple Ménodote de Nicomédie, puis le disciple de celui-ci, HA-
RODOTB DE Tarsb, qui fut le maître de Sextus Empiricus. C'est
tout ce que Ton sait d'eux.
203. Sextus Empirious. — On ignore le lieu et la date de la
naissance de Sextus, surnommé Vempiriqxîe, de ce qu^il faisait
partie de la secte des médecins appelés empiriques^ parce qu'ils
ne s'appuyaient que sur l'expérience, ne voulant pas comme les
méthodiques rechercher les causes des maladies. Il vivait ft Tarse
au commencement du nî* siècle.
580 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Il avait écrit des Mémoires empMques sur la médecine, des
Mémoires sceptiques, des Questions p7/rrhoniennes et un Traité
sur rârne. Il ne nous reste de lui que les Ilypoti/poses pi/rrh')-
iiiennes et son traiié Contre les mathématiciens.
Le second n'est guère que le développement du premier. L'on et
l'autre sont le résumé du scepticisme. Ils sont précieux pour les
renseignements qu'ils fournissent sur les pyrrhoniens, les stoïcien?
et les nouveaux académiciens. Soxtus cite aussi beaucoup de phi-
losophes des autres écoles, mais il paraît les connaître peu, et ne
tient pas compte de leur époque.
Sextus établit très-nettement la place qu'occupent les sceptiqoes
dans la philosopliie. 11 distingue: les dogmatiques, qui affirment
connaître la vérité ; les académiciens, qui nient la possibilité de
Tatteindre; les sceptiques, qui n'a/Iirment ni ne nieat rien à ce
sujet. Le scepticisme, dit-il, oppose le sensible h l'intelligible, et
conclut d'abord à la suspension du jugement i^'^w-ynf, ♦
puis à l'absence des passions (aTaoaçia) . Le sceptique ne dog-
matise pas, mais il dit : j'ai froid ; j'ai chaud. Il ne nie pas les
phénomènes ; il admet tout ce qui a/Tecto les sens et TimaginatioD;
mais il n'admet rien do plus. Il dit: Le miel me paraît doux,
mais il ne dit pas le miel est doux. Le phénomène est le critérium
du sceptique, pour la vie pratique; et le sceptique, par ce critérium,
observe les lois de la nature, suit les coutumes, et pratique les arts
selon les apparences connues.
Sextus reproduit les dix tropes ou motifs de doute de P^Trhon,
les cinq tropes d'Agrippa, avec le dilemme que nous svons fait
connaître. Il développe ces arguments d'une manière ingénieuse et
parfois subtile et sophistique.
Il donne aussi les arguments d'^Enésidème contre le principe de
causalité, ou plutôt contre les applications de ce principe. Ces a^
guments 8:>nt au nombre de huit.
1* Ce qu'on donne pour cause est une chose obscure, que ne con-
lirment pas les apparences.
2^ On choisit arbitrairement une cause entre plusieurs qui poa^
raient expliquer le fait.
3^ Ce qu'on donne pour cause ne rend pas compte de Tordre des
-çhénomènes.
GRECS — NOUVEAUX SCEPTIQUES 581
4^^ On veut expliquer ce qui n'apparaît point aux sens comme ce
qui 7 apparaît.
5* On rend raison des choses par des hypothèses.
6** On n'admet que les faits qui confirment les hypothèses.
7^ On admet des causes qui contredisent les faits et môme les
hypothèses admises.
8^ On rend raison d'un phénomène par un autre qui n*a pas
moins besoin d'ôtre expliqué.
Après léS arguments généraux en faveur du scepticisme, Sextus
passe aux arguments directs contre chacune des écoles dogmatiques
et contre leurs principales affirmations. Nous ne pourrions pas le
suivre dans les détails de sa critique : on pourra les lire dans Tar-
ticle Sextus du Dictionnaire de M. Franck, rédigé par M. Em.
Saisset.
Disons seulement qu'après avoir essayé de ruiner tous les crité-
riums de certitude donnés par les différentes écoles, et montré,
selon lui, qu'en toute hypothèse la vérité ne peut exister, et que
d'ailleurs les signes ne sauraient la représenter, il s'en prend aux
données de la physique et de la métaphysique. Il déclare que « les
sceptiques, fidôles aux croyances de la vie commune, reconnais-
sent les dieux et les honorent, » mais que spéculât! vement ils dou-
tent aussi bien des attributs de Dieu que de tout le reste, et il
apporte de nombreuses raisons de leur doute. Il donne ensuite de
nouveaux arguments contre l'existence des causes. Et ici nous
remarquerons que ses arguments ne tendent pas seulement à établir
l'impossibilité de connaître les causes, mais bien à démontrer que
rien ne peut avoir une cause. Il essaye de détruire de la môme
manière toutes les notions des anciens sur la matière et sur les
corps, sur le temps, l'espace et le mouvement. D'où il conclut que
la science physique est impossible. Enûn il essaye de ruiner de
môme la science de la morale en établissant Tirapossibilité de déter-
miner le souverain bien et l'art de bien vivre. Cependant il a soin
de rappeler que son doute ne porte que sur la science théorique et
non sur l'observation des lois morales.
En somme, les écrits de Sextus sont le mémorial complet du
scepticisme ; mais presque rien n'appartient & Sextus dans les
582 HI8T0IRB DE LÀ PHILOSOPHIE
argamentfl qu*il donne, et il manque d*ordre et de crltiqae dans la
partie historique qui n*en reste pas moins précieuse.
Nous ne prendrons pas la peine de réfuter son scepticisme: cot
une t&che que nous avons remplie d^avance, et plusieurs fois.
Ajoutons seulement qu*aprôs avoir déclaré formellement qu*U m
veut rien affirmer ni rien nier, en dehors des phénomènes» il argu-
mente de manière & nier absolument toute existence ou au moins
toute cause, vérifiant ainsi une fois de plus cette parole célèbre :
« On ne fait pas au scepticisme sa part. »
S 4. - ICail B'iLIXANDRII.
204. Caractère de cette école. — Nous touchons au terma
de la philosophie grecque. Les grandes écoles qui s'étaient affir-
mées si catégoriquement en des sens opposés ne sont presque plos
représentées et luttent en vain pour résister au fiot montant da
scepticisme qui tend à les envahir. D*ailleurs les quelques hommes
qui auraient pu les soutenir encore sont entrés dans la voie de
Férudition et par là dans celle des concessions mutuelles, et eoflo,
du syncrétisme, qui accepte et mêle toutes les données. La fusion
des systèmes s^opère et les esprits sont disposés à recevoir dm
théorie qui essayera de les concilier en prenant chez tous ce qui lai
paraîtra bon : ce sera V éclectisme. D'un autre cr^té, la raison, po^^
suivie jusque dans ses derniers retranchements et presque convain-
cue d'impuissance à atteindre la vérité, se révolte contre cette
condition qui lui est faite et cherche un nouveau point d*appai
dans l'inspiration : ce sera le mysticisme.
L'Ecole d'Alexandrie répond à cette double tendance. Elle met
Platon en première ligne, mais elle y joint souvent les autres théo-
ries grecques et surtout les doctrines de TOrient; elle «appuie
sur l'extase, c'est-a-dire la communication avec la divinité, pouf
obtenir le vrai, que la raison semble lui refuser. Cette demi^™
tendance pourrait bien aussi avoir pour cause cette recrudescent*
d'esprit religieux que le Christianisme a provoqué chez les défen-
seurs eux-m(>mes du paganisme, en les attaquant au tiom de 1«
religion seule d'abord, c'est-à-dire au nom d'une doctrine révélée.
L'Ecole d'Alexandrie porte donc plusieurs noms. Elle s'appeW*
ORBCS — ÉCOLE D'ALEXANDRIE 583
kussi le Néoplatonisme, rÉclectisme alexandrin» le Mysticisme
\.lexandrin.
Cette école ne se dessine bien qa*avec Plotin qui naquit Tan
206 ; mais on la fait remonter généralement & son maître Ammo-
Eiias Saccas, et à Potamon, maître de celui-ci, qui ont dû naîtra
tous les deux entre 150 et 170. Nous remonterons même plus
liaut et nous chercherons les premières sources de cette école dans
Philon le juif.
205. Philon le juif. — Philon, né vers l'an 30 av. J. C. à
Alexandrie, d'une famille sacerdotale étudia la Bible aussi bien que
les lettres et la philosophie grecques. Platon et Pythagore furent
ses auteurs favoris, si bien que Ton disait en voyant ses écrits :
Vel Plato philontzat, vel Philo platonizat. Il mourut, dit-on,
âgé de cent ans. Eusèbe et St-Jéréme disent que vers la fin de sa
vie il fut baptisé par St-Pierre, et Photius ajoute qu'il abjura
bientôt sa nouvelle foi, par suite de quelques mécontentements.
Sans doute rien ne confirme cette double allégation, mais l'absence
de toute allusion au Christianisme dans ses ouvrages, ne suffit pas
pour les faire rejeter, puisque ces ouvrages auraient été écrits
avant sa conversion et peut-être avant qu'il n'eût connaissance de
la religion chrétienne.
Tous ses écrits semblent n'être, au premier abord, qu'un com-
mentaire de Moïse; mais en les lisant on s'aperçoit qu'il suit aussi
Platon et Aristote. 11 a inauguré un système d*exégèse qui consiste
à ne voir, dans les faits racontés par la Bible, que des allégories
et des symboles, et il croit faire valoir davantage les livres sacrés
de sa nation en y montrant par des interprétations forcées les
théories physiques ou métaphysiques inventées par les philosophes.
Ses théories ne forment pas un système unique et ne s'accor-
dent même pas toujours entre elles. Tantôt il semble enseigner le
dualisme et tantét le panthéisme. Ici la matière est éternelle et
Dieu n'est que l'architecte du monde, ailleurs l'idée de création
ex nikilo ne lui semble pas exprimer assez combien tout vient de
Dieu, dont Faction, dit-il, n'est pas mesurée par le temps et s'exerce
de toute éternité; de Dieu, qui est dans tous les êtres, qui est tout.
Dieu, lumiôi'e éternelle, se réfléchit dans son Verâe^ qui est son
584 HISTOIRE DE LA PHIL08OPHIE
image. Ce Verbe ainsi émané de Dieu est une peraoniie»iiBeÂ|p»
tase, le fils premier-né (6 T:p<i)Téyovoc uti^), le Verhei^^vs.
Une seconde émanation est le Verbe prononcé, qui se maitfsï
par l'univers. On voit ici la Trinité catholique, qui était es^à^
ment connue des prtHres juifs, réduite à une forme panth^i
Philon fait de même pour les anges, dont il parle en pli»®
cndmits comme en parlaient les Juifs, et qu'il réduit ailte*
n'être que les idées de Platon .
Dans l'homme il distingue deux Âmes, dont l'une, j^w^'^^
réside dans le sang, et l'autre, rationnelle, siège des idées,tfifl*
émanation de l'essence divine. D'ailleurs, outre ces deux gsiîsS'
sances, par les sensations et par les idées, il en exige anetroL^itisf.
directement émanée de Hieu, communiquée à l'esprit comme £»
grâce, et par laquelle nous pouvons voir Dieu face à face, ^ ^|
qu'il est. Cette troisième connaissance, c'est la foi {^vr:^i'^ V-
est la reine des vertus. Qui ne reconnaît ici la doctrine cathoiiçuê.
mêlée aux théories de Platon.
11 n'est pas moins rapproché de la doctrine catholiqne^lorsç»
parlant de la liberté de l'homme il dit que seul Thomine, i^i*'
pendant de la loi de nécessité qui régit les êtres matériels, ^
capable de vertu et qu'à ce titre il est le plus beau temple 1*
Dieu possède sur la terre ; mais qu'à Dieu seul doit être ra;
tout ce qu'il y a de bon dans nos actions, parce que Dieu
nous donne la vertu de faire le bien, « par sa grâce, cette Tieir
céleste qui sert de médiatrice, entre Dieu qui donne et l'àn^ ^
reçoit. »
M. Franck, que nous avons suivi dans cet article, nous parattseû*
gérer beaucoup les contradictions qu'il y a dans Philoo. Mèm» •
nous en tenant exactement aux expressions pas lesquelles il le ^^^'^
nous trouvons Philon assez d'accord avec lul-mènie. C'est que ^
avons pour le juger la doctrine catholique, que M. Franck par**^
pns connaître assez bien, et la facilité avec laquelle nous faisons ci
corder ses théories sur l'âme et sur la liberté, nous fait croire qa^
pourrait peut-être expliquer de même la contradiction que nous a ■
sîî?nalée plus haut sur la matière, et absoudre Philon du ipnnihèis^^^
du dualisme. Cependant nous ne sommes pas étonnés que ses
qui n'étaient ni Juifs, ni chrétiens, y aient puisé Tun etrauU*
GRECS. — ÉCOLE D*ALEXANDRIE 585
206. Premiers Alexendrine. — Pour rapprocher PhiloQ de
Plotin, qui est réputé le vrai fondateur de TEcole d'Alexandrie, il
nous suffira de citer Numénius d'Apaméb, qui, dit M. Franck,
€ précurseur immédiat de FEcole de Plotin, admirait tellement les
écrits du philosophe juif (Philon), qu'il y cherchait, beaucoup
plus que dans Platpn lui-même, le véritable esprit du platonisme. )►
PoTAMON d'Alexandrie, vient ensuite, et Diogène Laêrce dit qu'il
fonda l'école éclectique. Le peu qui nous reste de ses ouvrages no
nous permet pas de savoir s'il emprunta queli^ue chose à Philon.
On place après lui Ammonius Saccas, ainsi surnommé parce qu'il
avait été portefaix. Il était chrétien et le seul livre qui nous reste
de lui est une Harmonie des Évangiles, Mais on sait qu'il avait
essayé d'accorder Platon et Aristote, et il passait pour avoir réussi.
Plotin le reconnaît pour son maître, Porphyre l'appelle a le plus
grand des philosophes contemporains » et Longin a la plus haute
intelligence qui ait paru ».
En même temps que Potamon, vivait aussi à Alexandrie Ahis-
T0BUI.E le juif, qui continua les théories de Philon,
Ainsi FEclectisme Alexandrin, qui apparaît comme une sorte
de renaissance à la fin de la philosophie grecque, n'est pas l'œuvre
pure et simple des méditations philosophiques de Plotin, ni même
un simple électisme des systèmes précédents de la Grèce unis aux
systèmes de l'Orient ; c'est un retour à la Tradition primitive par
l'intermédiaire d'un juif ; c'est encore une fois une corruption, un
nouveau tissu d'erreurs, que la raison livrée à elle-même a tirées de
la vérité révélée.
207. Plotin. — Plotin naquit en l'an 205 de J.-C, àLycopolis,
dans la haute Egypte. La première fois qu'il entendit Ammonius
à Alexandrie, il s'écria: « Voilà l'homme que je cherchais ». Il
avait alors vingt-six ans. A l'âge de 40 ans, il vint à Rome où sa
réputation lui valut l'amitié de Gordien. Porphyre son disciple
qui a écrit sa vie le présente comme un homme extatique et inspiré
Il mourut à Rome, l'an 271.
Ses écrits, composés sans plan et sans style, furent rédigés en
51 livres et distribués en six Ennëades^ par Porphyre.
Reconnaissant que. dans la théorie de Platon, les sens n^attei-
586 HI8T0IRB DB LA PHIL080PH1B
gnent que les phénomènes et que la raison manque de poimd'f
pni, Plotin a recours à nn autre mode de connaissance qntf
r extase. Dans toute connaissance rationnelle, il y a encore dnâi
ou dyade^ distinction du sujet connaissant et du scget oonno. Par
arriver à Tunité parfaite, l*Ame doit s'élancer hors d'eUe-mâK
s'oublier elle-même et tout ce qui l'entoure, c'est Textase (bcncK'
la simplification (àirX(0(nc),dans laquelle on ne voit plusqoel'i^
de sa contemplation qui est Dieu . Alors elle se dirige yers lai p-
l'amour et quand elle le possède, elle en jouit dans Vunifiea^
(evci>9i;), qui est l'absorption en Dieu.
Dieu, selon Plotin, est l'Un ou le Bien. C'est l'unité abjefe
renfermant en elle-même éminemmeat tout ce qui est, saas ^
rien de ce qui est ceci ou cela. On ne peut pas dire qu'ilest^àa?
le sens ou nous le disons des choses ; mais encore moins peairoo
dire qu'il n'est pas; car rien n'est sans lui. On ne peut pa« (fi»
qu'il se connaît, car il est absolument simple, mais il a nue iflbs*
tion pure de lui-mdme, qui est au-dessus de la connaissance et 9^
fait qu'il n'a pas besoin de se connaître.
Mais Dieu qui est l'Un est aussi le Bien, et comme tel il ^^^
dro non par besoin, ni par nécessité, ni par liberté, malsptf ^
mode supérieur à la nécessité et & la liberté, parce qu'il est le fitf-
Il engendre d'abord le plus parfait, avant de descendre à l'impts^
fait. Il engendre d'abord un être égal & lui, qui ne se sépare p*
de lui, c'est Tintelligence. l'ensemble des idées ; c'est le Fib,*
premier né. Vient ensuite, l'activité, l' Ame ou l'Esprit, le démioi?*'
que le Verbe engendre de lui-môme. Et ces trois émanations*
sont pas trois dieux, mais trois hypostases d'un même Dtô&* ^^
Dieu en trois personnes explique la science et le monde, ^^
raison ne saurait l'expliquer. C'est un mystère que l'esprit s«-^'
par intuition, dans l'extase.
Ct s trois hypostases sont éternelles et il n'y a entre e\\es([^^^^
antériorités d'origine L'une n'est pas la cause de l'autre : dl« ^
est le principe. Si elles différent entre elles, c'est infiniment p^^''''
Plotin dit môme qu'elles sont infimes.
Remarquons à ce sujet que IMotiu est le premier à employer c« *-
dans le sens que nous lui donnoos aujourd'hui. Jusqu'à luil«"*
infini signifiait indéterminé, indéfini ou incomplet, et le moi F
représentait la perfection déterminée, achevée.
GRECS. — ÉCOLE D'ALEXANDRIE 687
•
Le monde procède de Dieu, selon Plotin, comme les personnes
divines . Il emploie pour exprimer cette procession du monde les
mots création, émanation^ irradiation, etc., mais toujours il dit
assez nettement que cette production du monde est dans la nature
de Dieu qui est le bien. Donc il semble faire le monde éternel et
nécessaire. Cependant il cherche à distinguer autant que possible
la procession des deux hjpostases divines^ de la procession du
monde. La première s'accomplit sans mouvement dans l'éternité;
la deuxième s'accompUt avec mobilité pour les choses, dans Tespace
et dans le temps. Il prétend aussi que cette procession est parfaite-
ment libre du côté de Dieu ; quoique Dieu ne puisse choisir de no
pas faire le monde, ni même de le faire autre : Le monde, tel qu'il
est, est imparfait ; mais d'abord il est de sa nature d'être ce qu'il est,
et d'ailleurs, par la loi de convers,'on ou de retour, chaque être
remonte vers son principe, ainsi le monde lui-môme tend à retour-
ner vers Dieu, et là il obtiendra tonte la perfection désirable. Ainsi
le monde, imparfait en lui-même, est parfait dans son principe et
parfait dans son terme : tel est l'optimisme de Plotin. D'ailleurs le
monde ne saurait être placé ni dans l'espace qui n*est rien, ni dans
la matière qui vient de Dieu avec la forme. Donc le monde est en
Dieu.
Plotia a été compris biea diversement par les historiens, et on a quel-
que peine à reconnaître le même auteur dans les différentes analyses
qulls ont données de ses ouvrages. C'est qu'il est très-obscur, qu'il af-
fecte les expressions de Platon, dans des théories qui sont tirées de
Philon et par conséquent de Moïse. Il est donc facile d'entendre ses
doctrines dans un sons panthéiste, et c'est en effet le jugement qu'en
portent la plupart des historiens, mais on peut aussi, en ayant soin de
ne pas forcer le sens de ses paroles, le placer beaucoup plus près de
la vraie doctrine philosophique. C'est ce que nous avons fait ; et nous
Bommes heureux de nous rencontrer celte fois, comme nous nous ren-
conterons ailleurs, avec M. Fouillée, que nous combattons quelquefois.
Nous ne saurions décider, après mûr examen de la question, si Plo-
tin fut réellement panthéiste, dans sa pensée, autant que les autres néo-
platoniciens. Il nous «érable au contraire que Ton pourrait mettre sur
le compte de l'expression tout ce qu'il y a d'erroné dans ses théories.
208. Amélius. — Le plus remarquable des disciples de Plotin
588 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
serait Amblius d*Etrarie. Son maître lui-même déclarait qu*îl
entrait mieux dans le sens de ses idées que tous ses autres disci-
ples. Il avait écrit près de cent ouvrages; mais il ne nous en
reste rien. Cette perte est d*autant plus regrettable que li vrai
sens de la doctrine de Plotin nous reste encore caché. Apr^s la
mort de son maître, Amélius se retira à Apamée, où il mourut.
209. Porphyre . — Porphyre naquit à Tjr en 232, et porta
longtemps le nom de Malkh (roi). Il reçut d'abord les leçons d'Ori-
gône le païen, disciple d'Ammonius Saccas, en môme temps que
Plotin, puis de Plotin lui-même, à Rome. Il avait aussi- suivi h,
Athènes les leçons de Longin, qui lui avait fait connaître Platon.
Il ne demeura que quatre ans avec Plotin, qui l'envoya respirer
un autre air en Sicile, parce qu'il a'vait voulu se suicider. Quaud
il revint à Rome en 273, Plotin était mort et Amélius s'était
retiré en Syrie. "On le considéra donc comme le successeur de Plo-
tin, à Rome, tandis qu'Amélius continuait son école dans TOrient.
La secte orientale pratiqua la théurgie, qui fut toujours repoussée
par Porphyre ; ce qui lui valut le nom de philosophe^ tandis que
les disciples d* Amélius étaient qualifiés de merveilleux et de
divins.
Porphyre passa de Rome en Sicile, où il habita longtemps, mais
on ne sait ni le lieu ni la date de sa mort. Il, parvint à un Age
très avancé, et ne mourut pas avant l'an 302, puisqu'il rédigeait
alors la vie de Plotin.
Il avait écrit plus de cinquante ouvrages, dont la plupart sont
perdus. Le plus important était son traité contre les chj*étiens, qui
lui valut après sa mort une statue érigée par ordre du Sénat.
Les quelques ouvrages et fragments qui nous restent de lui ne
permettent pïis de saisir sa doctrine dans son ensemble. Il y a bien
m
des obscurités, des contradictions au moins apparentes. Il paraît
avoir gardé les théories de Plotin, mais avec un sens plus nette-
ment panthéiste. Son troisième principe, Tâme, ne fait qu'un avec
le monde. C'est le Dieu des stoïciens.
210. Derniers AlezandrinB. — Jamblique, son disciple,
qui, né à Chalcis, enseigna à Alexandrie, donna une autre forme
à son panthéisme et commença cette série d'émanations de dieux
GRECS. — ÉCOLE d'aLEXANDRIE 589
inférieurs, qui pour Plotin et Porphyre sont les anges et les
démons, et pour lui deviennent tout autant de démiurges ou do
créateurs du monde. Il pratiqua largement la théurgie, et ses disci-
ples lui ont attribué un grand nombre de prodiges .
Le premier alexandrin marquant que nous rencontrons après
Jamblique, c'est Proclus, né à Bjsance en 412 ; il conserve toutes
les théories de Plotin, mais il les approfondit et les raisonne
davantage ; il fait un plus grand nombre d'emprunts à Aristote ;
et comme il nous reste de lui plusieurs ouvrages importants, il
offre une ample matière à Tétnde de la philosophie néoplatoni-
cienne. Notre cadre ne nous permet pas d'entrar ici dans les dé-
tails des nuances qui existent entre ses doctrines et celles de Plotin.
On peut Ure à ce sujet l'article fait par M. J. Simon, dans le Diction-
naire de M Franck, mais il ne faut pas prendre à la lettre la forme
dpnt l'auteur a revêtu les pensées de Proclus, par suite d'idées pré-
conçues, et surtout son appréciation sur l'extase, où il voit la négation •
de la liberté.
En même temps que Proclus, vivait Olympiodore, dont il nous
reste quelques écrits intéressants, publiés par Cousin, et après lui,
Damascius, qui paraît avoir rapproché les doctrines néoplatoni-
ciennes, de la vérité alors enseignée et répandue par TEglise ca-
tholique, quoiqu'il fût ennemi déclaré de la religion chrétienne. Il
fut le dernier des philosophes grées ; car un édit de l'empereur
Justinien ferma Técole d'Athènes en 529. Damascius se retira à
Alexandrie, où il mourut ignoré.
311. Le Gnosticisme et la Kabbale. — A TEcole d'Alexan-
drie se rattachent par la méthode et par le fond des doctrines le
Gnosticisme et la Kabbai^.
Le Gnosticisme se manifesta presque en môme temps dans un
grand nombre d'écoles qui ne s'accordaient que sur Timportance
qu'elles donnaient à la gnose, sorte de science mystique, qu'elles
prétendaient tenir par tradition et par révélation. On^ compte
parmi les Gnostiques, Simon le magicien, Cèrinte, Saturnin, Basi-
LiDE, Yalentin, Marcion et Manès, le fondateur de la secte des
manichéens, qui tous furent combattus par les Pères de l'Eglise,
comme des hérétiques, parce que la plupart étaient chrétiens et
590 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
que d^ailleurs ils entraînaient des chrétiens dans ieurs sectes. I/e
doctrine n*est qu*une variété de l'Eclectisme alexandrin, et tinta
même esprit qui régnait aloi'iff
La Kabbale est une doctrine analogue, une tradition qQ« ^
Juifs prétendaient tenir d*Abraham et d^Adam lui-même, etdia
laquelle ils interprétaient la Bible dans un sens allégorique.
On trouvera assez de détails sur ces deux systèmes dans le A>
tionnatre de M. Franck. Mais nous remarquerons que M. D»^
déclare peu exactes les analyses que M. Franck a données (fe^
Kabbale dans son ouvrage spécial sur ce siget.
PHILOSOPHIE CHEZ LES ROMAINS
212. Obserratian. — Les Romains n'eurent pas dephiloeop^
propre ; elle leur vint toute faite des Grecs et ils la conserver»^
presque +eUe qu'ils l'avaient reçue. D'ailleurs cette condition ntft
pas, à Rome, pjur la philosophie seule. Leur langue, â'altfN
sœur de la langue grecque, s'imprégna de plus en plirt desforsfi
de celle-ci; leur littérature n'en fut jamais que Timitation ; kfif
religion était la môme, sauf les noms qu'ils donnaient tf^
dieux.
Dans le principe le peuple romain, occupé sans cesse par It
guerre, semble* n'avoir pas môme eu le temps de réfléchir, e^^
n'est pas étonnant qu'on n'y trouve aucune trace des efforts i^b*
rels de la raison pour se rendre compte des choses. Quand 1^
immenses conquêtes leur eurent fait des loisirs, lorsque 9nt^
leur domination sur la Grèce eut amené ft Rome cette mnltit*^
d'esclaves d'affranchis et d'hommes libres, dont toute l'occ&p^
était d'enseigner les arts libéraux, les Romains aussi prirent god(^
la philosophie; il fut de bon ton de connaître la langae greeqn^^
de la parler, et le peuple-roi lui aussi voulut savoir les raisoBS^^
choses.
213. Sourees de la philosophie chesles Romains.— ^'''^
avons vu déjà qu'en l'an 155, Carnéade, Diogène de Bohyl^
eiCrilolaûs furent envoyés en ambassade à Rome parlai
d' Athènes, et que là ils essayèrent de fonder des écoles de pbilo*^
PHILOSOPHIE CHEZ LES ROMAINS 591
►liie. Quoique leur séjour j ait été de courte durée, on peut croire
u'ils donnôreat aux Romaias uae idée géaérale des théories
philosophiques de la Grèce, car le premier était de la nouvelle aca-
Lémie, le second était stoïcien, et le troisième péripatéticien. D'jà,
/an 167, Thistorien philosophe Po/yôe, amené prisonnier à Rome,
:>û il demeura jusqu'en l'an 151, était Fami de Scipion TAfricainet
dans le même temps Pancetius de Rhodes, jouit aussi de l'amitié
de ce grand homme et établit une école à Rome avant de devenir
la chef du Portique. Mais ce fut surtout après la réduction de la
Orôce en province Romaine, en Fan 146, que commença cette
immigration de grammairiens, de rhéteurs, et de philosophes, par
lesquels la jeunesse romaine fut instruite dans les arts des Grecs.
Vers l'an 87, Philon de Larisse, philosophe de la nouvelle Acadé-
luie, vint aussi s'établir à Rome et fut Tun des maîtres de Cicé-
ron, qui entendit aussi l'épicurien Phèdre, les stoïciens 3)iodote
et ^iiuseif le péripatéticien Staséas.
214. Philosophes romains. — L^lius et Scipion paraissent
avoir été les premiers d*entre les Romains qui se soient occupés de
philosophie. Oaton Fancien était Fennemi de ces spéculations.
Après eux il faut arriver jusqu'à Cicéron pour trou ver avec lui
PisoN, CoTTA, Velléius, Balbus, et Pompée, puis Pomponius
Atticvs et M. Brutus, qui sont signalés comme ayant aimé Fé-
tnde et la sagesse. Excepté Cicéron, qui s'attacha de préférence &
la nouvelle Académie, tout en faisant un choix de tout ce qui lui
paraissait bon dans les autres doctrines, tous ces hommes parais-
sent avoir été stoïciens. Nous ne les connaissons d'ailleurs que par
les sentiments que Cicéron leur prête.
La doctrine épicurienne trouva un illustre représentant à Rome
dans Lucrèce, qui né l'an 95, se donna lamort,l'an 44, avant J.-C.
Son poème de Natura rerum, étant le principal monument qui
nous reste des théories d'Epicure, nous n'en dirons rien, car nous
ne pourrions que répéter ce que nous avons dit en parlant de ce
dernier. Pline, le naturaliste, né Fan 23 après J.-C. et mort
pour 8*ôtre trop approché du Vésuve, Fan 79, paraît avoir partagé
les mômes opinions.
Le stoïcisme fut représenté à Rome, après J.-C, par Sènèqub,
502 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
EiMCTÈTE, Arrien deNicomédie, et Marc-Aurèi.k. NousdevoH
en parler un peu plus longuement, après avoir donné qaeiqaii
détails sur l'œuvre pliilosophique de Cicéron, le plus iUiisire de
philosophes romains.
215. Cîcéron. — Mardis Tiilihis, surnommé Cicero, né Tm
lOG avant J.-C. à Arpinum, ville du Latium, est assez coniiB
comme orateur et commo homme d'Etat, pour que nous nous dis-
pensions do nous étendre sur sa biographie. Nous avons dit pins
haut quels furent ses maîtres on philosophie. Il suffît d'avoir b
quelques-uns de ses discours pour savoir qu'il fut prôteuret cof^K
qu'il sauva Rome de la guerre civile ; il le répète assez son vent
En lisant son BriUuSy on voit que pour peindre l'idéal deTorateur,
sous le nom d'Hortensius, il fait son propre portrait, et daasss
écrits philosophiques, il fait comprendre, quand il ne le dit pas
formellement, que personne avant lui n'avait traité ces matières ea
latin. D'où. Ton peut conclure que chez lui l'amour de la glâre
l'emportait sur Tamour de la vérité. Sans ce défaut, il eut été aa
grand philosoplre: la conviction lui ayant manqué^ il n'a été qu'ua
éclectique, 11 mourut victime de la haine d'Antoine, l'an -13
av. J.-C.
Ses ouvrages philosophiques . — Nous ne dirons rien ici d«
ses œuvres littéraires. Ses œuvres philosophiques, qu'il composa,
pour iainsi dire à temps pardu, ou plutôt pendant que les malheurs
politiques l'empC^chaient d'exercer son influence oratoire au Sénat
ou au Forum, ne manquent pas d'intérêt, quoique dépourvus dV
riginalité. D'ailleurs s'ils sont faibles pour les doctrines et si k
demi-scepticisme de la nouvelle Académie s'y fait sentir quelquefai?,
ils rachètent cette double imperfection par les grilces delaformeet
par l'abondance des documents historiques. Quoique sous ce d*.^
nier rapport ou ne puisse pas le suivre aveuglément, Cicéroa est
pourtant d'un grand secours, et certains auteurs ne nous &«ii
presque connus que par lui. Malheureusement beaucoup de s*s
ouvrages sont perdus.
Il avait écrit: Hortensius seu de Philosophta; c'était une
exhortation à la philosophie,dont saint Augustin fait le plus grand
éloge ; de Consolatione; de Oloria ]de VirtutibiM; Epistola ai
ROMAINS — CICÉRON 593
Cœsarem, de ordinanda Republica, Tous ces ouvrages sont
entièrement perdus.
D nous reste quelques fragnaents des traités : de AugurnSy de
Fato, de Jure civiliy et des traductions du Pro^o^ora* et du Timée
de Platon.
Les traités de Leçibus et de Republica nous sont parvenus mu-
tOés.
Enfin il nous reste en entier : de Divinationey en deux livres ;
de Natura deorum, en trois livres ; Tusculanarum dïsputatio-
num libri quinque : de Finihus honorum et malorum^ en cinq
hYTes] Academicorum lïbrt quatuor; de Amiticia;de Senectute;
de OffUnis libri très; Paradoxa stoicorum sex, Ce]^endù,ïLi\e8
Académiques présentent des lacunes . Cicéron en avait fait deux
éditions, l'une en quatre livres et Tautre en deux : il nous reste le<
deuxième livre de la première et le premier de la seconde.
Excepté le de Officiis tous les traités de Cicéron ont la forme du
dialogue ; mais ce n*est pas le dialogue de Platon, qui ressemble à
une conversation animée : ce sont plutôt des suites de discours
interrompus seulement par quelques questions, ^comme dans les
débats de la tribune.
En écrivant ces ouvrages, Cicéron avait pour but avoué, d'expo-
ser en latin la philosophie des Grecs, et d'initier ainsi la jeunesse
romaine à ces hautes méditations. Les doctrines qu'il a exposées
ne lui appartenaient donc pas, mais il les a faites siennes, d'abord
par un choixjudicieux et ensuite par la disposition des matériaux.
U est inutile de faire ressortir le mérite du style, qui pourtant n'a
pas toigours, dans ces matières, la clarté ni l'élégance que l'on
admire dans ses discours.
Sa doctrine. — Pour Cicéron la philosophie est la science des
choses divines et humaines et de leurs principes. Comme les
grandes écoles de la Grèce, il la divise en Logique, Métaphysique,
Physique et Morale. Sur la question de l'origine des idées, il flotte
entre Platon, Aristote et Carnéade ; mais il est l'adversaire déclaré
d'Epicure et de ses idées images.
Relativement à la certitude il expose les arguments pour et
contre des anciens et se prononce pour la théorie du probabilisme,
quoique dans le 2* livre des Académiques il démontre assez bien
38
594 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
que retrancher au jugement la faculté de discerner le Yrai,c«i
ôter en même temps la possibilité de discerner le wset
blable.
ÇPll n'a d'ailleurs que peu de chose sur les procédés logiqDes,ittiL
comme il emploie le plus souvent la définition, la dirisioD é d
déduction, il offre en plusieurs endroits des idées nettes et pnci»
sur ces éléments de la méthode.
Une source de certitude à laquelle il est très-attaché et qnlli*
en lumière plus qu'aucun de ses prédécesseurs, c'est raotorit^ ^
témoignage, et en particulier du consentement universel.
Il ne paraît pas tenir beaucoup aux questions de métâphra^»
générale, aussi ses arguments sur la nature de Dieu et air li
nature de l'âme manquent de force et même de convictioo.
Il croit aux dieux sur le consentement unanime despeaplâs:^
s'élève jusqu'à la notion d'un seul Dieu, sans être trôs-pnéeis sitf *
point. Il admet de la môme manière la Providence. Maison^B
reproche de ne pas se prononcer lui-môme assez nettement.^
cette question, après avoir fait parler les philosophes des difféwB*
écoles. On a dit avec raison que son traité de Naturalkor^^
commence et finit par un peut-être.
Il définit l'homme : un être composé d'une âme inteUigeo^ <<
d'un corps périssable et faible {Homo ex anima constat, f^^'
pore caduco et infirmo)^ devançant ainsi de dix-huit siècle? J
définition de M. de Bonald, avec une expression plus compldt^-
L'Ame est immatérielle, intelligente, active et libi*e. Il d^^^''
môme cette dernière qualité de l'Ame humaine.
Enfin l'Ame est immortelle, et Cicôron croit aux récompe^ï*^^
aux peines futures.
Sa morale est fondée sur les lois de l'honnôte qu'il disÛop^ *
l'utile, tout en soutenant que l'honnôte amène naturellement ap^**
lui sa récompense, et que rien n'est vraiment utile que ce qia ^
honnête.
En politique il suit à peu près en tout les opinions d'Aristottf; ^
mieux que lui se prononce pour une forme de gouvernement où i>
monarchie, l'aristocratie et la démocratie se tempérant i**
l'autre.
ROMAINS — CICËRON 505
216. Analyse du traité DE FINIBUS bonomm et malorom.
[écrit à Tusculura, après la mort de sa fille et adressé à Brutus.)— D'a-
près Texplication que Cicéron donne lui-même de l'objet de son dialo-
gue, on a traduit son titre par celui-ci : des vrais biens et des vrais
-wn^aux, c'est-à-dire, des biens qui sont la fin de tous les autres et pour
Lesquels on recherche tous les autres, et des maux qui sont le plus à
craindre et que l'on cherche à éviter en évitant tous les auties.
Le dialogue est divisé en cinq livres. Dans le I*% L. Torquatus expo-
se la doctrine d'Epicure sur la fin de l'homme ou le souverain bien,
«ians le 11% Gicéron combat cette doctrine; dans le III'M. Caton expose
les théories des stoïciens sur le même sujet, et Gicéron le réfute dans
le IV«, enfin dans le V* Pison est censé exposer la doctrine d'Âristote^
mais c'est celle de Gicéron, c'est-à-dire un mélange d'Aristote et de
Platon.
Cicéron commence par réfuter les objections de ceux qui ne veulent
pas que Ton écrive en latin les idées philosophiques exprimées d'abord
en grec.
Il entre ensuite dans son sujet, comme s'il rapportait une conversa-
tion, dont il introduit les interlocuteurs.
S'il n'aime pas Epicure, ce n'est pas à raison de son style sans orne-
ment, mais à cause de la fausseté de ses opinions.
Epicure ne (ait que de rares changements à ta doctrine de Démocrite
et encore il gâte ce qu'il touche.
n pose en principe les atomes, dans le vide infini, se mouvant
d'un mouvement étemel et formant par leur adhésion tout ce que nous
voyons. Ce n'est là qu'un principe matériel, et Epicure ne dit rien du
principe formel, ni de la cause efficiente.
Il croit que les atomes sont attirés en bas par leur propre poids.
Mais pour les faire se rencontrer il suppose puérilement une petite
déclinaison, qui n'est pas possible dans son système et qui d'ailleurs
n'explique pas la formation du monde.
Il emprunte tout à Démocrite et pourtant s'élève contre lui.
Epicure n'a pas de logique il supprime les définitions.
— Alors Torquatus entreprend de justifier Epicure. Il soutient l'évi-
dence du principe que le souverain bien est dans le plaisir, et ajoute
que ce principe ne supprime pas la vertu et assure le bonheur.
Et d'abord le souverain bien est celui qui ne se rapporte à aucun
autre et auquel tous les autres se rapportent. Or, tout être vivant cher-
che le plaisir et fuit la douleur. Mais le vrai plaisir n'est pas dans le
chatouillement des sens ; car ce plaisir ne peut durer toujours. Donc le
596 HISTOIRE DB LÀ 'PHIL080PH1B
w
vrai plaisir c'est l'absence de toute douleur. Le phQosophe épicamii
craint ni les dieux, ni la mort, ni la maladie, qui est tolérai <jit
peu de durée, et il jouit des voluptés présentes ou des yoloptéspas
Tandis que celui qui est d'une opinion contraire est sans cesse a ps
à la crainte sans espoir de soulagement.
La vertu selon Epicure, nous enseigne à vivre heureux. La f^**
nous délivre des préjugés et des craintes, nous faitdistiogaerkspiiJ»
naturels et faciles de ceux qui ne le sont pas, et nous aifraDG]Ktss
des désirs qui tourmentent Tàme. La tempérance donne le «-*'
notre àme et nous fait mépriser des plaisirs éphémères dont tes as»-
quences amènent de longues douleurs. Le courage nous faitafcfif
les terreurs de la mort. Lajw^fioe nous met à Tabri des soupçc»*
haines, des châtiments, et nous concilie l'amour de nos semblabteË*
toutes les vertus nous font préférer les plaisirs de l'esprit, qui ^
toujours à ceux du corps qui ne sont que momentanés.
Torquatus fait ensuite le tableau du bonheur du sage qui vit sate«
maximes. ^
— Dans le second livre, Cicéron réfute la morale d'Bpicnre fSi
contradiction de ses propres principes, par la fausseté de lear afffa"
tion à la morale, par leur inutilité pour donner le bonheur.
Epicure ne définit pas le plaisir et quelquefois comme le tïIi^
le fait consister dans les impressions agréables, tandis qu'aillcoK i '
confond avec l'absence de douleur. Or il est évident que ce s»' ^
deux choses différentes, puisque l'une a des degrés et l'autre ■*'
pas. Pour établir son principe, il donne en exemple les antewnx^^
enfants. Mais qui ne voit que les animaux et les enfants ne chfl*^
pas l'absence de douleur, ou le plaisir dans le repos, mais ^
plaisir dans le mouvement? D'ailleurs les .enfants cherchent plB^"
comervation d'eux-mêmes que le plaisir. Ainsi Epicure se iroa^ *'
la nature du souverain bien.
Son erreur vient de ce qu'il veut juger du bien par les sens. <**
sens jugent des impressions actuelles, mais la raison seule î*'
prononcer sur la sagesse qui enseigne à rechercher le vrai biea
excluant la raison, Epicure dégrade l'homme et le rabaisse »u ni^^'^
des brutes. Tandis que la raison qui e^t le privilège de Tbonus^
fait désirer de connaître l'enchaînement des choses, rattache l'^^
au présent, le porte à s'unir en société, et lui fait aimer ses seaiW»^
en lui apprenant qu'il n'est pas né seulement pour lui. loals poa^ ^
siens et pour sa patrie. Tout cela c'est l'amour de l'ordre» qo* ^*
loi de l'honnête et le principe des quatre vertus dont Torquatos^J*
ROMAUHS — CICÉRON B97
lie bien est bien par luUmème, et si la vertu n'est bonne que par
on utililé» il ne saurait y avoir d'hommes de bien. Les grands hom*
nés que nous présente l'histoire n'ont pas été des sectateurs du plaisir.
Pratiquer la vertu par crainte de la peine n'est pas être vertueux.
Bnfin cette doctrine, qui reconnaît la douleur comme le plus grand
Les maux, ne saurait en affranchir : elle ne peut donc pas donner le
K>nheur.
Dans le troisième livre, Clcéron commence par remarquer que la ré-
utation des stoïciens sera nvpins simple et moins facile que celle d'Ëpl-
sure, parce que de tous les philosophes, les stoïciens sont ceux qui ont
fait le plus de mots nouveaux et Ton peut dire de Zenon, qu'il a plu-
tôt inventé des mots que des choses.
Après avoir introduit M. Caton et engagé avec lui la conversation
sur le souverain bien, il le fait parler ainsi.
D*abord le but premier de tout animal est sa propre conservation.
Le plaisir n*est pas par lui-même un motif d'action ; les connaissances
et les arts sont dignes d'être recherchés pour eux-mêmes, et le plus
formel objet d'avei'sion pour Tesprit, c'est le faux. Il suit de ces prin-
cipes naturels quil y a des choses estimables et de choses méprisables.
Rechercher les premières et fuir les secondes, c'est vivre selon la na-
ture. C'est de ces principes que la raison s'élève à l'idée de l'honnête,
que l'âme recherche ensuite plus que tout le reste.
L'honnête seul est le principe de toutes les vertus, seul il donne le
bonheur vrai.
Le bien c'est ce qui est parfait de sa nature. Il est connu par la
raison. C'est sa propre excellence qui le fait appeler bien, et il n'a
point de degrés.
L'honnête est le seul bien. Ici Caton interroge la conscience univer-
selle pour lui faire avouer ce principe. Il met ensuite en opposition la
doctrine des péripatéticiens et celle des stoïciens sur le plaisir et la
douleur, et dit que, selon la doctrine de ces demiers,la douleur ne dimi-
nue pas le bonheur, et que la durée n'ajoute rien à la vie heureuse.
Après une étude longue et subtile sur les choses indifférentes et parmi
elles sur les choses à préférer ou à rejeter, il termine en témoignant
son admiration pour cette doctrine et conclut que le sage est vraiment
roi; riche, beau, libre et heureux et que seul il possède tous ces biens.
Dans le quatrième livre, Gicéron dit que, sans répondre directement,
il va exposer la doctrine de Platon et de Speusippe, d'Âristote et de
Théophraste.
Et d'abord pourquoi Zenon ne s'est-il pas contenté de ce qu'ils avaient
598 HISTOIHE DE LA PHILOSOPHIE
dit ? N'avaient-ils pas parlé de tout avec méthode, avec justesse, i^
éloquence, tandis que les Stoïciens parlent froidement et sèches»^'
N'avaienl-lls pgis fait en logique toutes les distinctions nécessaires^ l^
stoïciens n*ont pas même traité toutes les questions qu'ilsaTai€9t i
bien résolues. On en peut dire autant et plus de' la physique
Enfin sur le souverain bien, ils avalent dit déjà, et plus compléteoiiei.
qu*il consiste à vivre selon la nature. Ils avaient distingué les ^
naturels de l'âme et ceux du corps, et étaient entrés dan^ iwaucw?^
détails et avaient conclu que l'homme porte en lui-môme les priodie
qui rinvitent à ne rien faire que ce qui est honnête.
Pourquoi Zenon a-t-il rompu avec la tradition, et que TOolal^
rejeter de leurs principes ?
Clcéron, par des questions successives passe en revue tons les pis-
cipes communs aux deux doctrines et montre que la différence sortts
ces points n'existe guère que dans les mots.
1! demande comment il peut se faire que,partant des mômes prindp»
les stoïciens* arrivent à des conclusions si différentes; pourquoi ils bis
sent de côté le corps et ne reconnaissent pas que la souffrance est (f
posée au bonheur; pourquoi, ayant posé en principe que l'être cherd»
sa conservation, ils lui ordonnent ensuite de ne conserver qu'une j»'**'
de lui-même.
Clcéron combat alors directement le principe stoïcien, «qu'il n'y'
pas d'autre bien que l'honnête». Il commence par nier la propœiîioB:
« tout ce qui est bien est louable » et dit qu'Aristote ne l'accorder»'
pas. Donc, conclut 11, Zenon part de principes qui ne sont pas attar-
dés. Qu'importe ensuite que tout s'enchaîne dans sa doctrine.
Après avoir relevé une fois le peu de différence entre Zenon et ra-
ton ou Arlstote, et essayé de montrer la fausseté de cette légère ^
rence qui consiste- à ne pas admettre de degré dans la sagesse, Cîcir<*
termine ce quatrième livre en réfutant la théorie stoïcienne, que toote
les fautes sont égales.
Le cinquième livre est une éloquente exposition de la théorie n»-
raie d'Aristote, faite par Pison, à Cicéron, en préaence de son fr»*
Quintus, de son jeune cousin Lucîus et de Pomponîus Atticus. W^
quité ne nous offre rien de plus complet ni de plus exact sur la qa^^
du souverain bien. Nous regrettons d'être obligé de l'écourter.
Pison montre d'abord rapidement,raais brillamment, que l'Kcole ^
patéticlenne a traité toutes les questions et les a traitées â fond
Sur le souverain bien, Il distingue deux doctrines. Tune exotén*!*'
l'autre réservée aux Initiés.
ROMAINS — CICÉRON 599
D'abord le souverain bien est la loi suprême de la vie : l'ignorer c*est
donc ignorer l'art de vivre. Mais tout art a son objet hors de lui-même.
AJnsi le souverain bien est hors de la vertu et avant la vertu, parce '
Qu'il en est le principe. D faut donc pour le connaître rechercher les
mobiles naturels de nos actes.
Or ces mobiles sont, selon les diverses opinions des philosophes : la
volupté, l'absence de douleur, les premiers besoins de la vie, lesquels
par une double considération ont fourni six opinions sur le souverain
bien, sans compter ceux qui adoptent plusieurs de ces mobiles à la fois.
De ces opinions, deux sont insoutenables, deux autres ont été déjà
traitées. Pour les autres, il faut dire d'<ibord que, de quelque manière
qu'on établisse le souverain bien, dès qu'on n'y comprend pas l'honnête,
on bannit de la vie les devoirs, les vertus et l'amitié. Celles qui mêlent
à rhonnéte la volupté ou l'absence de douleur déshonorent l'honnêteté
qu'elles veulent consacrer. Restent donc les stoïciens qui ont pris toutes
leurs opinions d'Àristote et de Platon et n'ont fait qu'en changer les
termes. Pison va donc exposer la doctrine péripatéticienne.
Tout animal s'aime lui-même et travaille à sa conservation et à son
perfectionnement. Il ne désire donc que ce qui est conforme à sa nature
et à sa nature propre, dans laquelle cependant il y a des biens com-
muns. C'est ainsi que le souverain bien est unique et quoique différent
pour chacun il est cependant, en un sens général, le même pour tous :
la parfaite intégrité de son être. Il y a contradiction à dire qu'un
homme ne s'aime pas, et absurdité à prétendre qu'il s'aime en vue de
quelque autre objet.
Or la nature de l'homme est double: âme et corps. Pour l'un et pour
l'autre il y a des actes conformes à leur nature. L'&me surtout a des
vertus naturelles et d'autres volontaires. Celles-ci sont plus propre-
ment appelées vertus. C'est la prudence, la tempiérance, la force, la
justice.
Ainsi la nature nous prescrit de nous aimer nous-mêmes, corps et
ûme, et par là d'aimer la vertu, et de la préférer aux avantages du corps.
Cette tendance naturelle est d'abord vague faute de connaissance mais
elle se développe peu à peu. Une force intérieure nous pousse à chercher
notre perfection. On cache ses défauts corporels ; on recherche la beauté
du corps, la santé, la force. Tout cela mérite d'être estimé. Mais
l'homme ne désire pas moins de connaître, et les cfTorts d'un grand
nombre prouvent que la science est estimable pour elle-même L'acti-
vité est aussi dans la nature, et le repos n'est accepté que par
force.
600 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Cependant la nature qui a si bien disposé toutes choses en noas, fm
la perfection du corps, a seulement ébauché la vertu en nous doo&fi!
de faibles notions de tout ce qui est grand. C*est à nous delesdè»
lopper. L'honnête mérite d'être recherché non seulement pour Boa«
propre perfection, mais poijr son excellence propre. Quelle adimrati«
n'excitent pas les exemples d'une vertu sublime ! Or les auteurs de i&
actes les ont accomplis en s*oubliant eux-mêmes, et quand mas )si
admirons nous n'avons en vue que leur propre beauté. El detiwleste
Vertus, les plus éclatantes sont les vertus sociales» dans lesqaelte »
réunissent toutes les vertus, sans se confondre toutefois.
Tous les devoirs sont inspirés par la vertu et tous les autres bk^si^
rapportent au souverain bien. Aussi le sage est toujours tas-
reux.
Gicéron. après une courte interruption, insiste sur cette dernière P*
sée et essaye de démontrer à Pison qu'il se contredit, quoiqoe sa
principe et sa conclusion soient séparément acceptables. Tandis fpatki
les stoïciens tout est logique quoique le principe soit faux. Si U ^sti
seule est un bien, le sage est heureux môme dans sa douleur; çi^s^ s
douleur est un mal, comment le sage dans la douleur pourra-t-B être
heureux.
Pison répond que la diflérence entre Zenon et ses niiaitres neà ^
dans les mots. Mais d'ailleurs rien n'empêche d'appeler hcurcose a»
vie où il y a quelques afflictions, comme la moisson est très-teiw''*
avec une mauvaise herbe. Ainsi la sagesse rend heureux, n^^
avec quelques peines, et un sage peut être plus heureux (fp^'^
autre.
Voilà ce qu'il faut prouver dit Gicéron. Et là-dessus U arrête ta «8-
versation.
217. Analyse du traité DE OFFIGUS. (adressé par Gicéron à ^
fils, alors à Athènes, l'an 4i.) ^ Cet ouvrage se compose de trois UrTÇ
dont le premier traite de Vhonnête, le deuxième rfc Vutilet ^to ^
sléme de la comparaison de V honnête et de V utile.
Au début Gicéron explique à son ûld le motif qui le fait écrire; î^
rappelle ses ouvrages précédents sur la philosophie, le service ^'^^
rendu en mettant en latin les doctrines des Grecs, les droits qu'il ci^^
* avoir à écrire, et il exhorte son fils à lire ses ouvrages.
Le premier sujet qu'il veut traiter avec lui, c'est le devoir. Ces^
pratiquer le devoir que consiste l'honnêteté de la vie. Aussi ce saj^^
été traité par tous les philosophes; mais il y a plusieurs écoles, ^
droit den parler n'appartient qu'aux stoïciens, aux académiciens et >^
ROMAINS. — CICÉRON
001
pripaléticiens. pav3c que seuls ils metteiU l'honnête avant tout. Il
suivra donc les stoïciens, mais sans renoncer à sou jugement propre.
Il annonce la définition des devoîrs,mais il se contente de les distinguer
du souverain bien et de les diviser.
Il ne traitera pas ici de la connaissance des vrais biens, mais des pré-
ceptes particuliers qui doivent régler toutes les actions de la vie.
On distingue le devoir parfait, rectum, xaTopGwjxa, et le devoir moyen,
xaOTixov. 11 divisera son ouvrage d'après les trois questions dePanétius:
!«» L'acte à faire est-il honnête; 2* est- il utile; 3M'acte qui parait utile
n'est-il pas opposé à l'honnête.
Ici, pour en venir à l'idée de l'honnête, Cicéron remonte au principe
stoïcien exposé dans le traité de finibus, l'instinct de la conservation,
et le désir innÀ de sa propre perfection. D'où il conclut que l'homme
doit poursuivre l'honnête, parce qu'il possède la raison.
Il y a quatre sources de l'honnête : la prudence, la justice, la force
et la tempérance.
L'objet de la prudence c'est la vérité. Nous y avons un penchant
inné. Mais il faut éviter deux excès:!® croire vrai ce qui ne l'est
pas; 2" consacrer trop de temps aux questions spéculatives, et négliger
les affaires. Tout le prix de la vertu consiste dans l'action.
La vertu gardienne de l'ordre social se divise en deux : la justice et
la bienfaisance.
La première loi de justice est de ne nuire à personne, si l'on n'y est
- forcé par une attaque injuste ; la seconde, d'user comme d'un bien com-
mun de ce qui est à tous, comme d'un bien propre de ce qui est à soi.
Or la nature ne détermine pas les biens privés : ils viennent d'une
ancienne occupation, comme lorsqu'on s'est établi le premier sur une
terre sans maître ; ou de la victoire, comme les conquêtes faites à la
guerre; ou d'une loi» d'un contrat, d'une condition acceptée, ou du sort.
D'où il suit qu'il faut respecter la propriété de chacun.
Le fondement de la justice est la bonne foi , qui consiste à être
sincère dans ses paroles et fidèle à ses engagements.
Il y a deux sortes d'injustice : celle que l'on fait, et celle que l'o»
laisse faire, pouvant l'empêcher. Quelquefois la crainte est la cause de
l'injustice, plus souvent c'est la cupidité. La cupidité elle-même est
inspirée par l'amour des jouissances, par l'ambition. On laisse faire le
mal par la crainte des inimitiés, ou du travail, et par négligence, ou
parce qu'on a le cœur porté à d'autres occupatfbns.
Les circonstances peuvent rendre injuste une action qui est juste en
elle-même. Un devoir supérieur dispense de raccomplissement d'un
39
602 HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
devoir inférieur. L'interprétation malicieuse de la lettre de U laipe^
aussi devenir une injustice et justifier ce proverbe: Summum jv?.»^»-
ma injuria.
11 faut préférer la paix à la guerre, et faire celle-ci avec modèratkB.
Gicéron remarque ici que, par générosité, on a adouci l*expr^dQ. a
nommant l'ennemi hostia (hôte, étranger). La guerre doit avoir es
causes justes. Il faut à l'exemple de Réguius garder la bonne foi méoi
envers ses ennemis. 11 faut observer la justice même envers les &^
ves. Des deux manières de commettre l'injustice: la violenoec^ii
fraude, la dernière e^it la plus odieuse, et lin justice la plus crinuae&
est celle qui s'enveloppe des dehors de la probité.
11 faut pratiquer la bienfaisance de manière à n*ôtre nuisible à ps*-
sonne; observer les limites de sa propre fortune et l'avantage nûâ»
celui à qui on accorde un bienfait.
De préférence nous devons faire du bien à ceux qui le méritent im«>i
par leurs mœurs, par leulr attachement, parleurs services, par teoR
relations de parenté avec nous. Viennent ensuite nos coacitoyem e^
enfin tous les hommes.
La force ou grandeur d'âme doit avant tout être juste eilesstaSàm
la définissent avec raison : La vertu combattant pour Téquité. B ^
difficile à une âme forte de ne pas se laisser emporter au-delà de U
justice, parce qu'elle poursuit la gloire.
LJue âme véritablement grande recherche avant tout ce qui est lieiB
et honnête, et affronte toutes les difficultés. Elle méprise ce qui ^^
l'envie du vulgaire et ne se laisse.ni arrêter par la crainte, ni détoon)^
par la convoitise.
C'est un préjugé que de mettre la gloire militaire au dessus ââ
mérite civil. Cicéron se donne lui-même en exemple.
La force dont il est question ici réside dans l'àme, mais elle exige ^^
forces du corps ; il faut donc exercer celui-ci pour le rendre capal^
d'obéir à l'esprit et k la raison. Mais il faut surtout s'exercer i ^
sagesse et ne pas se laisser emporter avec tiMnérité. La grandeur d'ifl>'
ainsi réglée évite, à la guerre, toute cruauté Inutile, et ne va passant
motif au devant des périls, et dans les affaires civiles, elle cherche avssi
tout le bien commun ; si elle doit punir, elle le fait avec justice et ai^
colère. Enfin dans la vie privée, la grandeur d'âme nous fait acquén^
la fortune et nous apprend à la conserver et à en user pour le bieo ^
tous. *
La tempérance qui commande le respect de soi-même et deaautff*-
comprend la bienséance ou le décorum, qui se confond presque •^'^
ROMAINS — CICBRON (503
'honnête. ËUe consiste k mettre toutes nos actions en rapport avec
'excellence de notre nature, comme les poètes observent les bienséances
ittéraires en faisant parler leurs personnages selon le caractère de
ïtiacun d'eux. Elle règle les mouvements du corps et surtout ceux de
•âme, elle soumet leç appétits à la raison. Elle enseigne la décence
ians les jeux et dans les paroles ; elle nous fait mépriser les plaisirs des
sens, pour rechercher les plaisirs de Tàme, plus en rapport avec notre
nature. Mais elle n'est pas la même pour tous et chacun doit y garder
son naturel. C'est d'après ce principe que chacun doit choisir son genrt^
de vie.
Les devoirs de bienséance diffèrent aussi selon les âges et les condi-
tions, et la conduite d'un jeune homme Ae doit pas être celle d'un vieil-
lard, ni la conduite d'un simple particulier celle d'un magistrat.
N'écoutons pas les cyniques, qui nous reprochent d'attacher aux noms
une honte qui n'est pas dans les choses. Il est contraire à la pudeur
de faire ou même de dire en public ce qu'on peut faire sans honte en
secret.
Même attention pour les gestes et pour les vêtements : que rien en
nous ne soit efféminé ; mais il est bon de donner au visage un teint
viril et à tout le corps une propreté sans affectation. Il faut même
exercer sa voix et sa diction pour ne pas choquer ceux qui nous écou-
tent. La maison même doit être en rapport avec le rang de celui qui
roccupe.
A la bienséance il faut joindre Tà-propos. C'est l'art de ne rien faire
et de ne rien dire qui ne soit à sa place. Cicéron discute ensuite la
convenance des professions. Il les distingue en libérales et serviles, et
parmi les dernières il en trouve d'odieuses et de viles. Le commerce
n'est pas noble s'il se fait en petit ; fait en grand, il n'est pas absolu-
ment blâmable; mais le meilleur moyen d'accroître sa fortune, c'est
l'agriculture.
Ayant achevé de traiter de ce qui est honnête, Cicéron compare entre
eux le différents devoirs de cette classe, et déclare que les devoirs qui ont
pour objet l'action et la vie sociale ont le pas ^r les devoirs qui n'ont
pour but que la science. Cependant, les devoirs de la pudeur remportent
sur les intérêts mêmes de l'Etat, si toutefois il est permis de supposer
une pareille opposition. Enfin, l'ordre des devoirs est celui-ci : les dieux,
la patrie, les parents, les autres hommes.
Dans le second livre, Cicéron étudie comme mobiles de nos actions
les besoins de la vie, la gloire et la fortune: en un mot Yuitle. Rien
dans le monde ne nous est aussi utile ou aussi nuisible qu3 les hommes,
et d'ailleurs rien n'est vraiment utile que ce qui est honnête.
004 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
L'homme a besoin de la société ; dés lors le plus utile pour loi ces
de se concilier la bienveillance des autres. Pour cela îl faut se fait
aimer et non se faire craindre.
La gloire repose sur trois bases : l'amour, la confiance et radmir&tio:
du peuple. L'amour se gagne par les bienfaits; la confiance, parla
prudence; l'admiration, par les grandes qualités. Mais tout cela iMt
être uni à la vertu, et principalement à la justice. L'éloquence empkFyée
à défendre les innocents est aussi un excellent moyen d'acquérir l'estime,
dans le jeune âge. Plus tard on emploiera les bienfaits, soit par if
services personnels, soit par des dons d'argent ; mais il faut y gardf
une juste mesure entre l'avarice et la prodigalité.
Il faut aussi rendre service à l'Etat; mais on ne doit jamais cb^die
à paraître servir le peuple au détriment de la République.
L'économie domestique et le soin de sa j^anté sont aussi des bi«i^
qu'il convient de poursuivre.
Enfin, dans la comparaison de l'utile à l'utile, les biens de râmedoè
vent passer avant les biens du corps.
Le troisième livre compare Vutile à Vhonnéte. En principe, rutilite
ne peut pas exister en dehors de l'honnêteté. L'opposition ne peut «Hie
qu'apparente, et si la vertu semble contraire à un autre avantage, 3
faut i^uivre la maxime stoïcienne : « Le tort fait à autrui est plus ccù-
traire à la nature que la souffrance, la pauvreté ou la mort. » L'bonoéte
est le seul bien désirable on au moins le plus désirable en soi.
L'honnête homme n'hésite jamais entre son devoir et son intérêL
D'ailleurs, dès qu'une chose est honteuse, elle ne peut servir nos intérêts.
Ces analyses, déjà trop longues pour notre ouvrage, sufiisent à faire
connaître les doctrines de Cicéron, mais ne peuvent donner une idée
exacte de l'intérêt qu'offrent les écrits philosophiques de Cfoèit».
Nous ne pouvions pas reproduire les exemples, les auecdotes, les deuils
historiques dont ces traités sont semés et qui en rendent la leetore
aussi attrayante qu'utile. Le fond de la doctrine y est à peu prés sans
reproche, car Cicéron ne tombe jamais dans les excès des écoles qnll
prend pour guides, et partout c'est le bon-sens qui parle, avec le secoors
d'une riche érudition et d'une profonde expérience.
218. Sébèque. — Lucius Annœus Seneea naquit à Cordoo»,
en Espagne, l'an 2 après J.-C. 11 était flls de Sénôque le Rhétear,
qui l'amena à Rome encore jeune. 11 se livra tour-à-tour au bs^
peau et à la philosophie. Sur une accusation que Ton croit calom-
nieuse, il fut exilé par Claude et rappelé, Tan 47, par Agrippioe
ROMAINS — SÉNÈQUE 605
qui lui confia ainsi qu'à Burrhus, l'éducation d^ son fils Néron-
Leurs efforts parurent d'abord couronnés desuccès,chez leur royal
élève; mais l'amour et la jalousie prirent bientôt le dessus et Né-
ron ne fut plus qu'un monstre. Sénôque s'abandonna à la crainte,
au point d'écrire au Sénat pour justifier Néron d'avoir fait assas-
siner sa mère. Cette basesse ne le mit pas à l'abri des coups du
cruel empereur. En vain il lui offrit tous ses biens, en se retirant à
lacampagne, ne mangeant que des fruits qu'il cueillait lui-môme et
ne buvant que l'eau qu'il puisait lui-môme à la source, pour n'être
pas empoisonné. Un centurion vint lui apporter l'ordre de s'ouvrir
les veines. Alors Sénôque fit appel à sa pbilosopbie et accepta la
mort en stoïcien. Il avait 64 ans. C'était l'an 66,
Dans ses écrits, Sénôque se montre stoïcien dans toute la force
du terme. Il s'est peu occupé de la partie spéculative, mais on
peut voir, par ce qu'il en dit, qu'il pense au fond comme le Porti-
que et que son Dieu, dont il exalte la providence, n'est autre
chose que l'âme du monde, comme l'âme n'est pour lui qu'un com-
posé d'éléments subtils.
11 traite plus longruement la morale et là il exagère môme les
excès des stoïciens. Le sage est libre en vivant selon la nature ; il
est Tauteur de sa vertu ; il se suffit & lui-môme et se montre supé-
rieur au monde parce qu'il en méprise les peines aussi bien que
les plaisirs . D'ailleurs il sait quitter la vie quand il ne peut plus
la régler à son gré. C'est ainsi que Sénôque recommande le suicide
comme le suprême exercice de la liberté.
Cependant, à côté de ces exagérations fâcheuses on peut lire avec
fruit une profonde analyse du cœur humain et des passions, et
surtout relativement à la bienfaisance et à l'amour du genre
humain, des doctrines bien supérieures aux principes de la philoso-
phie païenne, et qui laissent voir Tinfluence naissante du christia-
nisme.
Les écrits de Sénôque qui nous sont parvenus sont : Consola-
tion à Hetvia; id. à Polyhe; ici, à Marcia; de la Constance dtc
sage; du Repos et de la retraite du sage; de la Tranquillité de
Vâme; de la Vie heureuse; de la Colère^ en 3 livres; de la Clé-
, menée, en 2 livres; des Bienfaits^ en 7 livres; et les Lettres d
Lnctlius, au nombre de 124.
606 HISTpIRB DB LA. PHIL080PHIB
On y trouve aussi quelques pièces de vers et une facétie a^K
peu digne, sur la mort de Claude, qui a pour titre Apocofoqm*-
tose, et que pour l'honneur de Sénôque nous voudrions ne pat
trouver dans ses œuvres.
219. Epîctète. — On ne connaît pas la date de la naissance k
de la mort d'Epictète. Né à Hiérapolis en Phrjgie, il était esdl&v»
d'Epaphrodite, lui-môme affranchi de Néron. Il appartient donc à
la deuxième moitié du premier siècle de notre ère. On cite de Isi
nu trait qui montre jusqu'à quel point il pratiqua la doctnnedii
Rtofciens. Un jour que son maître Epaphrodite s'amusait à Ini ton-
dre la jamhe, il se contenta de lui dire plusieurs fois : « Vous aile?
la casser. » Le maître continua et la jambe se rompit en eiet.
Alors Epictôte ajouta : « Je vous avais bien dit que vous la car
seriez. »
Affranchi par son maître, Epictète enseigna la philosophie à
Rome, et lorsque Domitien eut chassé tous les philosophes, en ^K
il se retira à Nicopolis en Epire^ où la jeunesse romaine allait
l'entendre.
Il est probable qu'Epictôte n'a rien écrit, mais Arrien.son disci-
ple, nous a transmis ses enseignements, dans son EncTiiridion 63
Manuel d'Epiotêtej et dans les Entretiens <V Epictète^ oavw^
dont il ne nous reste que les quatre premiers livres des huit dont il
se composait.
Le Manuel d'Epictrie est un court résumé de ses maximes. D est re-
dire eu langue grecque, en (orme de scnlences et presque sans oHrr
On n'y trouve que des conseils moraux basés sur les théories des stoï-
ciens, mais avec des adoucissements qui les rapprochent de la morale
chrétienne. En voici les pensées principales.
Les actes de notre àme dépendent de nous : ils sont libres ; les hie»
extérieurs ne dépendent pas de nous. C'est faute de faire cette distîDC-
tion que Ton s'afllige quand on n'a pas les biens extérieurs.
Il ne faut désirer que ce que l'on peut obtenir. On ne doit j>as m-
blier, en aimant, que Ton aime des choses périssables.
Los obstacles naturels et inévitables n'enlèvent rien à notre lit;ertc
conforme à la nature, et l'homme sage ne veut rien que selon la natur>'
On ne saurait justement être fier de la beauté des choses que lot;
possède: cette beauté n'est pas on nous.
ROMAINS — ÉPICTÈTE 607
La vie est comme ua voyage sur mer. où il faut être sans cesse aux
ordres du patron et tout quitter pour lui obéir.
Régloas nos désirs sur les événemeats, et ne ctierchons pas que les
événements se règlent sur nos désirs.
Toute pert? de bien est une restitution. Ton Ûls est mort; tu Tas
rendu. Usons de nos biens comme le voyageur use d'une hôtellerie.
< Il vaul mieux mourir de faim exempt de crainte et de chagrin, que
<le vivre dans l'abondance avec le trouble dans Tâme ; il vaut mieux
aussi que ton esclave soit mauvais, que toi malheureux. »
« 8i tu veux faire des progrès dans la vertu, aie le courage de passer
pour un imbécile et pour un insensé. >
« Souviens-toi que tu es ici bas comme sur un théâtre, pour y jouer
lerôle qu'il a plu au maître de te donner. 9
£n présence des présages, il faut dire: « Quels que soient les évcue-
ments, il dépend de moi d'en tirer un avantage. »
« Que la mort soit sans cesse devant tes yeux. Par ce moyen tu
n'auras aucune pensée basse et tu ne désireras rien avec trop d'ar-
deur. »
Quand un malheur nous frappe disons-nous à nous-mômes ce que
nous dirions à un autre en pareil cas : a C'est le sort de l'humanité, »
« O homme 1 considère d'ubord ce que tu veux entreprendre ; examine
ensuite ta nature, pour voir si le fardeau que tu t'imposes e^t propor-
tionné à tes forces. »
« Tous les devoirs se mesurent en général par les rapports qui lient
les hommes entre eux. C'est ton père ? ton devoir est d'en prendre soin,
de lui céder en tout, de souffrir ses réprimandes et ses mauvais traite-
ments. Mais ce père est méchant! Qu'importe? La nature t'avait-elle
lié nécessairement à un bon père *? Non, mais à un père. Ton frère t'a
fait une injustice? remplis tes devoirs envers lui, et ne considère point
ce qu'il a fait, mais ce que tu dois faire et ce que la nature exige
de toi. 9
«Sache que le principal fondement de la religion est d'avoir des opi-
nions •droites snr les dieux; de croire qu'ils existent, qu'ils gouvernent
le monde avec autant de justice que de sagesse; d'être persuadé que tu
dois leur obéir, et te soumettre sans murmurer à tous les événements,
comme étant produits par une intelligence infiniment sage. »
<i Garde le silence le plus souvent ; ne dis que les choses nécessaires,
et toujours en peu de mots. Ne nous entretenons jamais de choses fri-
voles mnis gardo:is-nou.s surtout de parler des hommes, soit pour
les blr^mer, soit pour les louer, ou pour les comparer entre eux. »
^8 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIB
« Si l'on le rapporte que quelqu'un a mal parlé de toi, ne l'ames
point à te justifier; réponds seulement: «Il n'a pas connu m^ aaL«!
défauts, car il aurait dit encore plus de mal de moi. »
« 8i cette action est mauvaise, ne la fais point ; et si elle est Inxm
que t'importe le blâme de ceux qui te condamnent injustement? •
220. Coup-d'œil général. — La philosophie grecque pTWtï
ses fondements dans une tradition trop altéi-ée a fait de xaiff
efforts pour relever Thomme moral. Le besoin de vérité etdebka
a fait surgir des travaux souvent dignes d'admiration, et Bieo a
même suscité plus d'une fois des hommes de génie, pour arrêta h
décadence de Tesprit humain. Malgré cela, la philosophie livT«
k elle-même n'a pu que ralentir la marche descendante; elle n'a pa
Tarréter. Les plus nobles élans vers la vérité ont ohaaii «a
scepticisme; la notion du vrai Dieu n'a jeté que de rares laenrs «
le peuple est demeuré dans son polythéisme abject, où, sei»h
parole énergique de Bossuet, a tout était Dieu excepté Dieu la-
méme. r> Le matérialisme règne sur les intelligences et sur I»
cœurs; la morale d'Epicure est devenue universelle; les belles tli»-
ries des stoïciens sur la vertu n'ont pas introduit la justioe ^
l'honnêteté dans les mœurs. Bien plus» les plus grands phiJosopliff
eux-mêmes n'ont pas su s'affranchir de ce vice contre nature qsi
fut la plaie du monde païen, et Socrate et Platon n'échappent pa^
à ce reproche. Les esclaves, beaucoup plus nombreux que te§
hommes libres, sont traités avec moins de respect que les hèies, et
le suicide souille souvent à la fin une vie consacrée à enseigner le?
plus belles théories morales. L'humanité a donc besoin d'une ré^
hôration; la raison est presque effacée et une nouvelle révélatica
est nécessaire pour la ramener dans sa voie.
C'est alors, au milieu de l'attente universelle, loi'sque tous? 1*
yeux sont tournés vers le Rédempteur promis dès le commencemeot
qu'apparaît THomme-Dieu.
Avec les enseignements et les exemples de Jésus-Christ, et siI^
tout avec la force que seul il communique à la volonté, la raïs»
humaine va prendre un nouvel essort et discernant désormaU,
sans incertitude, la vérité d'avec Terreur, le beau d'avec le Mé.
le bien d'avec le mal, elle pourra mettre à profit tous les efforts de
siècles précédents et les multiplier dans leur résultats , par rie-
L28 CHRÉTIENS 609
-troduction des doctrines de l'Evangile. Ce sera la vraie philosophie
olassique, désormais sûre d'elie-mômey poar tous ceux qui la cher*
olieront d^ bonne-foi. Ce sera la, philosophie catholique.
S! l'on veut plus de développement à cette thèse que tous Ae faisons
qu'indiquer ici, on pourra lire avec fruit VHisioire de VEglise de
M. l'abbé Darras, tome IV% p. 163-194. On y trouvera une démonstration
complète de l'impuissance de la philosophie païenne» de la dégradation
universelle à cette époque et du besoin que le monde avait d'un ré-
dempteur, même au simple point dé vue de la raison.
2* PÉRIODE
PHILOSOPHIE DU MOYEN AGE
221 . Division. — Nous comprenons sons ce titre, non-seule-
ment le mojen-âge proprement dit, mais encore* les premiers siô-
des chrétiens. C'est pourquoi nous diviserons cette période en
trois époques, comme il suit :
1^ Philosophie des huit premiers siècles chrétiens.
.2<> Philosophie scolastique.
3*^ La Renaissance. Décadence de la Scolastique.
PREMIÈRE ÉPOQUE
PHILOSOPHIE DES HUIT PBEHIESS 8IÎGLIS (MBÉTifllS
222. Dmsion. — Ce que nous devons surtout considérer ici
c'est la philosophie chrétienne, comme ayant emprunté à la phi-
losophie grecque tout ce que celle-ci avait de vrai, comme Tajant
corrigé par les données de la Révélation chrétienne, comme ayant
préparé la philosophie scolastique . Mais il convient de mettre en
regard les recherches de la philosophie non classique à cette môme
époque, c'est-a-dire les travaux des derniers philsopbes païens et
ceux des hérétiques, qui fournirent aux Pères de l'Eglise Tocca-
sion d'exposer leur philosophie. A la fin nous rencontrerons les
Arabes et nous exposerons, en un seul article, tous leurs systèmes,
pour ne plus y revenir. Donc huit paragraphes :
1 . Philosophie du Nouveau Testament.
610 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
2. Philosophes catholiques des !•*, 2* et 3. siècles.
3. Philosophes païens et hérétiques du môme temps ,
4. Philosophes catholiques des 4^ et 5« siècles.
5. Philosophes païens et hérétiques du même temps.
6. Philosophes catholiques des 6% T et 8* siècles.
7. Philosophes païens et hérétiques du môme temps.
8. Philosophie des Arabes.
,S I. — PKILOSIPHII DU lODTSAD TISTHIBIT
223. Obsenration. — Lorsqu'au commencement de cette k»
toire, nous avons exposé brièvement la philosophie de l'Afica
Testament sous le titre philosophie de la Bible, nous arioiis par
but de montrer que les Juifs eurent une philosophie, qui pcmr ^
moins méthodique que celle des Grecs, ne fut pas moins com^'&
au point de vue des vérités reconnues, au contraire .
Ici notre pensée est toute différente, nous ne voulons pas ise-
trer que l'Evangile emploie quelquefois le raisonnement et ftr>
de la philosophie ; nous voulons établir que la somme des Téîv
tés reconnues et démontrées par la philosophie classique ch£z k
peuples chrétiens a été introduite dans le monde par la prédicat
de TEvangile.
Et d'abord tout ce qu'il y a de vérité aflSrmées dans les lin»
de l'Ancien Testament,- sur Dieu, sur l'âme humaine et sur ii
morale, était resté presque entièrement la propriété des Juifs, ^^
les Grecs avaient même eifacé par leurs discussions le peu que i^
Tradition leur en avait apporté. Sidoncnoos retrouvons les mèœsî
vérités affirmées hautement par les Pères de l'Eglise, nous a®-
mes autorisés à en faire honneur à la prédication de rEvangileqsi
* répandit dans le monde les livres de l'Ancien Testament aussi Ma
que ceux du Nouveau.
Après cela il est inutile de rechercher en détail ce que le Noi-
veau Testament renferme de plus que l'Ancien, comme véritis
philosophiques ; il est inutile de remarquer que Dieu y est moatï*
avec plus de précision, dans sa nature et surtout dans la Triait
de ses personnes,qu'on y voit surtout éclater davantage son aiû«r
pour les hommes, qu'il s'y rapproche davantage des hommes ^
l'évanqilb 611
s'en laisse approcher avec plus de confiance, et qa*ayec un culte
plus spirituel, la morale devient aussi plus haute, car Ton y voit
non-seulement recommandées, mais pratiquées, des vertus que
Tancien monde n'avait pas m§me conçues ; nous voulons dire la
charité et la chasteté .
G*est ainsi que le ChrisHanisme a réformé et presque créé la
vraie philosophie.
En effet, nous Tavons amplement démontré par tout ce qui
précède, la philosophie n'a pas découvert les vérités qu*elle
démontre, quoiqu'elle puisse les découvrir, et hien plus, livrée à
elle-même, elle n'a pas su garder intact le dépôt qu'elle avait reçu
de la Tradition.
324. Vérités philosophiques rappelées par rËvang^Ie. --
L'espace nous manque pour développer cette thèse et pour donner
tout ce qu'on pourrait prendre de vérités dans le Nouveau Testa-
ment et dans T Ancien, mais quelques citations suffiront pour
démontrer que la philosophie classique actuelle a puisé dans
l'Evangile beaucoup plus que dans Platon, et que, si quelquefois
elle a emprunté aux philosophes païens quelques-uns de leurs
arguments, pour mieux faire voir que la vérité est toujours d'ac-
cord avec la raison, elle ne leur a jamais emprunté les vérités
elles-mêmes. Voici donc quelques-unep des vérités que renferme
l'Évangile :
Il n'jaqu'un seul Dieu {Marc, xii, 29, et ailleurs) ; Il est
esprit {Joan. iv, 24.). Dieu seul est bon {Imc, xvin, 19) ; Dieu
seul est sage (Rom . x vi, 27) ; Dieu est saint et trois fois saint ;
il est tout-puissant (Apoc, iv, 8) ; Il est lumière (I Joan. i, 5) ;
Il est vérace (Joan. nr, 33) : Il est fidèle à sa promesse (I Cor, i,
9). C'est îô Dieu de patience et de consolation ; le Dieu d'espé-
rance et de paix (Rom. xv passim) ; le Dieu riche en miséricorde
(Eph. Il, 4) ; Il nous a aimés le premier (I Joan iv, 19). C'est
Dieu qui a créé toutes choses (Heb. m, 4).; C'est Dieu qui fait tout
en nous, qui nous donne le vouloir et le faire. (Philip, ii, 13). On
sent qu'avec la diffusion deFÉvangile, le paganisme va disparaître:
le nom dieux au pluriel, si souvent répété dans l'Ancien Testa-
ment, n'est pas employé une seule fois dans le Nouveau.
612 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
Dieu est Père, Verbe et Saint-Esprit, et ces trois ne wat^iB
(I Joan. V, 7). Enfin, pour tout résumer en un mot, S«BtJ«
i^oute : Dieu est charité (I Joan. iv, 8).
a Au commencement était le Verbe... et le Verbe était D»-
Tout a été fait par lui. . . Il est la lumière qui éclaire toat k«»
à son entrée dans le monde. . . Et le Verbe s'est fait chair, «s»
habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire... C'est de» F
nitude que nous avons reçu la grâce » (Joan\ i, pasâml 0»
besoin les premiers chrétiens avaient-ils de recoarir ft îto
après ces paroles ? Et certes, on n'accusera pas StJeandete»^
puisées dans Platon, comme on a voulu voir un souvenir de Pii*
dans les théories catholiques des Pères de l'Église.
M. Fouillée tient même que Texpression lurren de lumvu, qoets*
chantons à la messe, dans le symbole de Nicée, a été e^DpnB^'
Plotin. C'est pour mieux appuyer sa théorie générale, que le ^
catholique 8*est développé par les données de la philosophie ^^
Nous sommes d'un avis tout opposé, comme nous Tavons dit (Mi^
ici en particulier nous fesons remarquer que TEvangile dit : Iku»^
est (I. Joan, i, 5) et ailleurs elle en dit autant du Verbe de D*
Erat lux vera quœ ilîun^nat omnem /lomtncm. N. S. Jésuy^
lui-même dit: Ego sum lux mundi {Joan vit, 12). Or on ai^ ?"
selon la doctrine de l'Evangile, le Verbe procède du Père, fl ^
lumière de lumière, et d'ailleurs il est dit au livre de la Sagesse (^
Candor est lucis œiernœ. Nous ne voyons donc pas que le coa^
Nicée eût besoin d'emprunter cette idée à Plotin. C'est plutôt ceis**
qui, venu deux siècles après S. Jean, la lui a empruntée.
En rectifiant l'idée de Dieu, l'Évangile rectifia aussi fid* *
l'homme, il rappela que Dieu l'a créé à son image {Gen. i, -"
qu'il l'a créé immortel {Sap. ii, 23) et surtout il donna à Vti^
une haute idée de lui-même et l'ennoblit à ses propres yeax»^*
disant que Dieu lui-môme s'est fait homme (Joan, i, 14). ^
même temps il lui disait : « Tous les hommes ne sont que t^
cendre » (EccU, xvii, 31) et le Verbe « s'est annéanti ea *
nant semblable aux hommes » (Philip, n, 7). C'était lepré»'^
en môme temps et de la dégradation et de l'orgueil, les dcnî
contre lesquels la philosophie antifiue s'était montrée plus ^"^
santé.
PREMIER SIÈCLE CHRÉTIEN 613
Aussi la morale de T Evangile surpasse de beaucoup tout ce que
les hommes avalent pu concevoir de plus noble. Il ne suffit plus de
pratiquer simplement la justice, il faut aimer son prochain comme
soi-même, et ce commandement marche de pair avec celui qui
ordonne a'aimer Dieu (Matth, xxii, 40). Bien plus l'observation
deTamour du prochain enferme Tobservation de la loi toute entiôrOy
(Galat, v. 14) et la loi s'accomplit dans Tamour, (i?om. xiii, 10).
n faut s'aider mutuellement,porter les fardeaux, les uns des autres
(Qalat. VT, 2) et cet amour il faut Tavoir même à l'égard des
plus petits, {Matth. x et xxv) qu'il faut en outre craindre de
scandaliser (Ma^^A. xvm, 6). Cette, loi nouvelle condamne en
cela toutes les lois païennes, qui livraient l'esclave, Tenfant et la
femme à la merci du chef de famille. Aussi, le mariage devient
un lien sacré, qu'il n'est pas permis de rompre; on lui rend sa sainteté
première et on défend non-seulement les actes, mais les désirs
môme qui sont contraires à cette sainteté. (Marc, x, 12;
Matth. V, 28 : Matth. xix, 8). Enfin pour faire contrepoids à
la honteuse dépravation des mœurs païennes, TËvangile déclare
louable et possible la virginité (Matth. xix, 12), et ses disciples
ont démontré par les faits, qu'elle est possible et excellente.
Voilà quelques-unes des données nouvelles que l'Evangile a
apportées à la philosophie, et voilà le secret de la supériorité de
nos doctrines philosophiques sur celles des temps anciens.
C'est ce travail de la raison, sur les vérités enseignées par Dieu
au genre humain, que nous allons maintenant suivre, dans les
siècles chrétiens.
S 2. PHILOSIPHIS GATHOLiaOlS DIf K n-, \W SltCLIS
225. Observation. — Laissant de côté, dans le 1** siècle, VEpître de
S. Barnabe et le Pasteur d'Hermas, dont le fond est entièrement thèo-
logique, il est d'usage de perler dans les histoires de la philosophie
des ouvrages de S. Denys l'Âreopagite. Mais depuis deux cents ans on
semble être convenu de les rejeter comme apocryphes, et de les attri-
buer à un moine du V* siècle, comme aussi de nier sans autre forme
que S. Denys rAréopagite soit le même que S. Denys le 1" évèque de
Paris. C'est ainsi que M. Franck et M. Fouillée, dont les ouvrages sont
lèeents disent encore : le faux Denys VXréopagite, et regardent comme
614 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
démontrée la non-authenticité des ouvrages qui portent ce nom. '
c'est le contraire qui est aujourd'hui victorieusement démontré, ^ ^
puis les travaux de Tabbé Darboy, qui fut depuis archevêque «le ^
et qui est mort victime de la Commune en 1871, et après les noaîd^
confirmations qu'a apportées à cette thèse M. Tabbé Darras, daos ?*
Histoire de VEglise, il n'est plus permis de douter que S. DenyslAp*-
pagite ne soit le même que S. Denys, 1" évoque de Paris, et qK *^
ouvrages qui nous sont parvenus sous son nom ne soient réelteŒ*^
l'œuvre de ce même J3enys, juge de l'Aréopage, que S. Paul convertit.
C'est pourquoi nous rétablissons à leur place ces ouvrages que ^^
s'accordent à considérer comme ayant une grande importance, oui^ 4^
tous renvoyaient au cinquième siècle.
22. S. Denjs FAréopagite. — Nous savons- par les A'^
des Apôûres (xvii, 34) que Denys était juge & l'Aréopage ^^
St Paul vint y annoncer le Dieu inconnu, et qu'il fut un de «si
qui se convertirent. Il raconte lui-môme dans une lettre à *
Poljcarpe, qu'étant à Héliopolis en Egypte, avec ApoUopbtf^'
alors son ami, ils furent témoin de Téclipse de soleil, qai so^^^
contrairement à toutes les lois astronomiques, à la mort de ^■•^
Jésus-Christ. Il avait alors environ vingt-cinq ans. Coarerti pla^
tard par St-Paul, il fut envoyé en Gaule par le pape SU:\éii^
et reçut le martyre à Paris, l'an 119.
Les ouvrages que nous avons de lui sont : de la Hiérâfty
céleste, de la Hiérarchie ecclésiastique, des Nom dirim.
Théologie mystique et dix ^e^^r^^.Lebut de ces écrits était de c^
battreles erreurs des hérétiques d'alors et particulièrement celte*
Simon le Mage, mais il déclare lui-raôme qu'il ne veut pas i^^
polémique, mais établir si bien la vérité qu'elle se soutienne P^
elle-même contre toutes les erreurs. Aussi ses livres forment b
sorte de somme théologique d'autant plus intéressante à consflit*
qu'elle nous donne la doctrine des premiers chrétiens. N^^*'*
pouvons dire ici que quelques mots de sa philosophie.
a Avant tout, dit-il, il faut proclamer que Dieu, essence sap
mè, a fait acte damour en donnant à toute chose leur^'f
propre, et en les élevant jusqu'à l'être, car il n'appartient qn*
cause absolue et à la souveraine bonté d'appeler à la pâr<i«P*
tion de son existence les créatures diverses, chacune au deg^
elle en est naturellement capable. »
PREMIER SIÊOLE CHRÉTIEN 615
a L^infini dans son excellence reste supérieur à tous les êtres :
Tanité surémlnente échappe nécessairement à toute conception;... .
nature suprême, intelligence incompréhensible, parole inénarrable
sans liaison, sans entendement, sans nom ; elle n'existe point à la
façon des autres existences : auteur de tenter choses, cependant
elle n'est pas de la façon dont les autres êtres subsistent parce
qu'elle surpasse tout ce qui est. »
S. Denys a ici l'intention évidente de combattre Simon le mage, qui
faisait créer le monde par dés Eons inférieurs à Dieu et en révolte
contre lui. Et pourtant c'est sur ces textes, et sur d'autres tout-à-falt
analof^iics, que M, Bouchiité. dans le Dictionnaîre de M. Franck, ac-
cuse S. Denys de n'être pas entièrement catholique et d'admettre au
dessus de la Trinité, un autre Dieu supérieur, comme les Alexandrins.
Il doune ensuite une série de propositions résumées d'après les ouvra-
fCes de S. Denys, et, bien qu'il les rédige avec la pensée préconçue
qu'elles sont hérétiques, nous avons le regret, de lui dire quê^ même tel
qu'il le présente, S. Denys n'est pas hérétique; à plus forte raison ne
l'est-il pas dans ses propres paroles. .
De plus S. Denys dit, il est vrai, que les exemplaires des choses pré-
existent eu Dieu et sont en lui dans une simple et suressentielle union,
il dit aussi que le mal n'est qu'une privation ; mais il n'a pas pris ces
théories dans les Alexandrins; au contraire, ceux-ci n'ont écrit qu'après
lui, et s'il a fait entrer dans la théologie catholique les théories de
Platon, il ne les a pas empruntées à Plotin.
M. Fouillée va plus loin encore dans son affirmation que S. Denys
suit les doctrines néoplatoniciennes, cil n'est, dit- il, aucun dos termes
fes plus hardis de Plotin qui ne soit accepté par Denys et mt^me exa-
géré encore. > Nous avons déjà répondu à cette accusation. Mais voici
encore un texte de S. Denys lui-même, pour clore le débat.
« Dieu est célébré tantôt comme unité suprême, à raison de sa
simplicité, de son absolue indivisibilité.... ; tantôt comme trinité,
pour exprimer cette suréminente fécondité des trois personnes,
d'où tire son origine et son nom toute paternité au ciel et sur la
terre. Il est loué ici comme auteur souverain de tout, parce qu'ef-
fectivement toutes choses ont reçu Têtre de sa bonté créatrice ; là
comme sagesse et beauté, parce que les êtres, s'ils conservent leur
nature dans sa pureté originelle, sont pleins de divine harmonie et
de 'beauté céleste. Enfin, il est excellemment nommé notre ami.
616 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
parce qu*une des personnes divines daignai, se faire véritablement
homme, rappeler à soi et s'unir rinfirmité humaine ; miraculease
alliance, où deux substances se rencontrent dans le seul Jésos. »
(Des Noms divins, a, \,)
C'est contre la doctrine gnostique des éons que saint Deo js
expose la hiirarchie céleste des neuf chœurs des anges, non cepen-
dant d'aprôs des conceptions philosophiques, mais d'après TEcri-
ture Sainte et la Tradition.
227. Deuxième siècle. — Saint Justin, né à Sichem, en
Palestine, fut d'abord philosophe Platonicien et se convertit au
christianisme à la suite d'une conversation avec un prêtre chrétîeB,
qui luiconseilla la lecture delà Bible. Nous avonsdelui une Exhor^
tation atix Gentils, dans laquelle il démontre l'absurdité du
polythéisme et l'immoralité dont les dieux des Grecs donnent
l'exemple ; deux Apologies, dans lesquelles il montre avec beaa-
odup d'éloquence, l'ii^justice des lois portées alors contre les chré-
tiens. Il reçut le martyre. Tan 167.
Nous devons citer, parmi les ouvrages orthodoxes, le Discours
contre les grecs, de Tatien, qui, d'abord disciple de saint Jnstin,
devint plus tard hérétique. Dans cet ouvrage, Tatien montre le
ridicule du prétexte des Grecs qui refusaient de lire les Saintes
Ecritures et d'étudier le Christianisme, parce que, disaient-ils,
tout cela venait des Barbares. Il établit que les Grecs avaient tout
emprunté aux peuples qu'ils appelaient barbares : leurs arts, leur
religion et leur philosophie. Comparant ensuite la doctrine chré-
tienne à celle des Grecs, il fait voir que la première est seule rai-
sonnable et vraiment morale .
AthénaoorQ écrivait aussi à la môme époque une Apologie,
où l'on peift voir one exceilento réfutation du polythéisme et de
cette erreur des Grecs qui appelaient athées tous ceux qui ne
reconnaiss9.ient qu'uii seul Dieu.
Herhus de la. même époque nous a laissé un livre intitulé
Les philosophes raillés, AïoiTupiAoc t(5v eÇ(i> f iXo^i^v ,
où l'on peut voir une satire sprituelle des absurdités émises par
les philosophes païens.
S. iRftNftB, né dans l'Ionie, vers l'an 120, fut d*abord disciple
TROISIÈME SIÈCLE CHRÉTIEN 617
de saint Poljcarpe, qui l'envoya en Gaule auprès de saint Pothin,
évêrjue de Lyon. 'Il succéda à celui-ci. Tan 178, et mourut martyr,
l'an 202. De son ouvrage Contre les hér(^si€s, il ne nous reste
que la traduction latine, en 5 livres, et des fragments du texte
{?rec. On y voit la réfutation des doctrines gnostiques de Marcion
et deValentin. Sa philosophie est aussi profonde que solide, pleine
de grandes idées et riche d'expression. Il ramone au sens catholi-
que plusieura des théories de Platon.
228. Troisième siècle. — Saint Clément d'Alexendrie, né à
Athènes ou à Alexandrie, et converti au catholicisme par saint Pan-
tène, lui succéda comme chef de TEcole chrétienne d'Alexandrie,aprôs
avoir été ordonné prêtre. Profondément versé dans toutes les connais-
san^ces de son temps, il ne crut pas devoir renoncer à la philosophie
en devenant chrétien, au contraire il s'en servit comme dhme base
pour amener les infidèles à la foi chrétienne. Fuyant lapersécu-
tion de Sévère, en 202, il se retira en Cappadoce, puis revenu à
Alexandrie, il y mourut martyr, Tan 217, sous l'empereur Cara-
calla. 11 nous reste de lui : Exhortation aux Gentils, le Péda
gogure et les Stromates (tapisseries), plus des fragments de plu-
sieurs autres ouvrages, avec un opuscule intitulé: Quel riche sera
sauvélp Les Stromates en huit livres,sont un répertoire précieux
de pensées religieuses et philosophiques, recueilies dans tous les
auteurs : V Exhortation réfute une fois de plus le paganisme et en
inspire l'horreur par le tableau qu'elle en fait et en le comparant à
la religion chrétienne. Le Pédagogue,en trois livres, nous montre
rexcellence de la morale chrétienne, avec Jésus-christ pour modèle.
Lui aussi prend dans Platon tout ce qui peut s'accorder avec la
doctrine chrétienne, et môme dans un ouvrage intitulé Hypo-
tgposes, dont il ne nous reste que des fragments, il essaya d'accor-
der entièrement Platon avec Jésus-Christ.
Tertullien, né à Carthage, vers l'an 160, était fils d'un païen.
Après une jeunesse passée dans le désordre il se convertit à l'âge
de 30 ans, et instruit déjà dans les lettres profanes, il étudia dès
lors les livres sacrés et les ouvrages de saint Justin et de saint
» Irénée. La vivacité de son tempérament en fit d'abord un
■. vaillant çithlète du Christianisme et plus tard un ardent fauteur de
40
■
L
618 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
ThcTésie de Moatanus, dans laquelle il se jeta par exa^rafios k
l'esprit d'austérité. Il mourut vers Tan 245.
Parmi les 30 ouvrages qui nous restent de lui, on remaïqae:
YAjyoloffétique, qui est une défense des chrétiens, adressée i
Septième Sévère. Après plusieurs autres motifs, il apporte o
faveur des chrétiens cette raison que, si Ton tolère la R&*
Sophie on doit tolérer le Christianisme, qui ensei^e les mto
vertus morales. Dans son livre Contre les Juifs j il fait voir ce
la religion chrétienne n*est que la perfection de la loi de Maa,
telle que l'avaient annoncée les prophètes. Dans son livret
rA77ie, il dit que Tâme de Thomme est naturellemeiit chré-
tienne, parce que tout homme qui juge selon la i*aison recoaiû'î
la vérité du Christianisme, ei entre autres choses, il remarqne qs:.
dans le malheur,on invoque Dieu au singulier et non au plnrid. ci
qu'un romain dans la détresse ne tourne pas ses jeux vei?^
Capitole, mais vers le Ciel. Dans ses écrits contre les hérétique?-
réfute les doctrines gnostiques d'Hei^mogène, de Marcion et <3f
Valontin, ainsi que les théories dualistes des anciens philosopb^.
dans lesquels il comprend Pjthagoro, Platon et les StoîcieBS. ^^
y remaniuo l'argument de la Prescription, qu'il emploie contre
les hérétiques, dans le livre qui porte ce nom, où il leur tfit
qu'ils viennent trop tard pour enseigner une vérité nouvelte. ^
traités de morale : de Fuga, de Monogam'ay de Eœhortatia^
castitaiis, renferment bien des préceptes exagérés à côté de bea^
coup de maximes digues d'être étudiées.
Il ne faudrait pas, pourtant, comme M. Artaud, dans le Dictionnaire ^
M. Franck, lui faire un crime de sa langue philosophique ou Ihéokfi-
que, qu'il était obligé de créer, et où, suivant les expressious des <k^
niei*s philosophes grecs, il emploie certains mots dans un sens ^
opposé à celui que nous leur donnons aujourd'hui. Par exemple. ^
mol corptis^ qui est pour lui synonyme de substantia, d'où il coodt»
Quis negahit Deum co}yus essey si sjnritu^^ estf
OïliGKNK, un des plus illustres des Pères de l'Eglise et i^ot-^tr?
celui qui a le plus écrit, nous laisse malheureusement quelqaaJ
doutes sur sa persévérance dans la foi chrétienne. Né à Alexan-
drie, Tan 185, il était fils de S. Léonide, qui mourut martjr »*
Sévère, Tan 202. Jeune encore, il savait TEcriture Sainte \^
TROISIÈME SIÈCLE CHRÉTIEN 619
cœur, et son pore allait respectueusement baiser sa poitrine pen-
dant qu'U dormait. Il n'avait que dix-huit ans quand l'évoque
d'Àlexandrie,Dâmôtrius,l6 chargea de diriger récoled'Aiexandriey
après S. Clément. On accourait en foule pour Tentendre^ et le
peuple sortant de ses conférences allait s'offrir au martyre. Lui-
môme fut mis en prison. Tan 240, et souffrit pour la foi de Jésu»-
Chrlsty mais on ne voulut pas le mettre à mort, espérant le vaincre.
Il mourut à Tjp, l'an 254.
Ses ouvrages se divisent en bibliques, apologétiques, dogmati-
ques et moraux. Plusieurs ne nous sont pas parvenus, mais ce qui
nous en reste est de la plus haute importance, au point de vue de
la religion. Il se montre comme philosophe, principalement dans
son traité Contre Celse^ où suivant pas il pas les ol^ections de ce
philosophe païen contre la religion chrétienne, il le réfute avec un
calme et une sérénité de stjle, qui contraste avec le langage pas-
sionné de son adversaire ; et dans son livre des Principes^ dont
nous n'avons plus qu'une traduction latine, qui est pleine de fautes
et renferme plusieurs opinions hérétiques, dont quelques anciens
ont essayé de le disculper, les attribuant à ses disciples. Cependant
Origône fut déposé du sacerdoce et excommunié, par un concile
provincial tenu à Alexandrie. D protesta par une lettre aux égli- *
ses d'Egypte, disant qu'on ne devait pas le rendre responsable des
interpolations faites dansises écrits. Il est donc probable qu'Origône
n'a jamais professé les erreurs que l'on trouve dans son livre des
principes ; seulement, plusieurs hérétiques s'en sont prévalus.
Ainsi sa vraie doctrine philosophique nous manque, et nous n'expo-
serons pas celle que l'on donne sous son nom.
En terminant ce paragraphe sur les philosophes catholiques des trois
premiers siècles de l'EgUse, nous ne pouvons nous empêcher de pro-
tester d'abord d'une manière générale contre la tendance, que manifes-
tent les articles consacrés à ces premiers Pères, dans le Dictionnaire
de M. Kranck, à interpréter dans un sens non orthodoxe des paroles
qtif le sont parfaitement dans le sens de leurs auteurs» et à faire dériver
leur enseignement des tliéories néoplatoniciennes ou gnostiques; ensuite
contre celle phrase de M. Fouillée, qui tend à faire considérer la religion
cHrétienne comme un simple éclectisme philosophique : a Soit directe-
ur ment, dtt-ll . soit indirectement, l->laton exerça sur le christianisme
620 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
« Tinfluence la plus incontestable. Les Pères grecs le proclamait er
« mêmes, Ce christianisme compréhensif des premiers Pères ne ponfli*-
« manquer de fondre en une même doctrine philosophique toutes te
« vérités éparses chez les anciens philosophes. » Et pour établir «
qu'il avance, il apporte en preuve un texte de saint Justin et ua auiR
de saint Clément d'Alexandrie, qui signifient et même disent tout i^
contraire. < Tout ce (jui a été enseigné de bon par tous les philoaopitfi
dit saint Justin, nous appartient à nous chrétiens. Tous les hunuoes
participent au Verbe divin, dont la semence est implantée dans l»""
Ame. . . . (î'est en vertu de cetts raison séminale, dérivant du Verfe
que les anciens saf^es ont pu, de temps à autre» enseigner de b^fe
vérités. .. Car tout ce que les philosophes ou les législateurs ont dito:
trouvé de bon, ils le devaient à une vue ou connaissance partielle <!«
Verbe. Socrate , par exemple, connaissait le Christ d'une c€iiâi*î
manière, parce que le Verbe pénètre toute chose de son influence. •
Voilà pourquoi les doctrines de Platon ne sont pas tout-à-fail contraiw
à celles du Christ, bien qu'elles ne soient pas absolument semblable-^-
Tous ceux qui ont vécu selon le Verbe sont chrétiens, bien qu'ils ai»-
été regardés comme athées; tels étaient Socrate et Uéiaclite chw I*
Grecs, et parmi les barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaêl. Eb«'
ainsi que beaucoup d'autres. » Et saint Clément dit : s Semblables .ms
bacchantes qui ont dispersé les membres de l^enthée. les diverses secift?
de philosophie, soit grecque, soit barbare, éparpillent en fragia^oi*
l'indivisible lumière du Verbe divin. » Voilà les preuves de M. Fouilla
11 nous semble que ces textes disent, au contraire, que les cbrétie«5
seuls possèdent la vérité complète, parce qu'ils la tiennent d'une révé-
lation immédiate du Verbe, au lieu que les philosophes n'en possé^^^
que les fragments qui leur sont dévoilés par la raison, cominunieatit)*
naturelle du Verbe.
Nous remarquons en passant, à propos de ces textes, que 6. i^
devait avoir sur Heraclite d'autres données que nous, et que surtout h
ne voyait pas en lui, comme M. Fouillée, le précurseur de la théorie «i"
devenir.
M. Fouillée n'est pas plus heureux quand il essaye de montrer qu*^
théologie des premiers Pères dérive des théories platoniciennes. ^
textes qu'il apporte sont le plus souvent calqués sur des textes ^
rKcriture Sainte, dont les auteurs, môme les plus récents, ue pJ^*
pas pour avoir étudié Platon. La place nous manque pour citer en «o*
tler les textes nombreux que nous avons recueillis pour justifier not»
assertion, disons seulement que, dans l'Ecriture, Dieu est appelé ^
PAlENS ET HÉRÉTIQUES DU PREMIER SIÈCLE 621
ahsconditus (I^aï. xlv, 15), invisibilis (Col. I. !5), incomprehensibtlis
cogiiatu Jer. xxxii, 10) et que le Verbe de Dieu est appelé imarjo
Dei invisibilis (Col. I, 15), spiendor gloriœ et figura substantiœ ejus
(Heb. I, 13), candor lucis œternœ (8ap. 7. 26). Ailleurs Dieu est qua-
lifié àQ supergloriosus (Dan, m, 53) snperlaudabilis %i superexaltatus
{Dan. m, 54), Deus deorum (Deut. X, 17 et alibi) rex magnu8 super
omnes Deos (Ps. 94, 3). Cent autres paroles en disent autant que
B. Justin, S. Clément, Origène, et & Denys, dans les textes cités par
M. Fouillée.
Si donc, comme nous l'avons admis précédemment, les premiers Pè-
res de TËglise ont fait des emprunts à Platon, c'était pour montrer la
rationabilité de leur foi, mais non pas pour la créer. Quant aux néo-
platoniciens et aux gnostiques, bien loin qu'ils leur, aient emprunté
quelque chose, ils les ont combattus, et ce sont ces derniers qui ont
emprunté leurs termes à Philon le juif, à S. Denys, à S. Justin, à
8. Clément et même à Origène, sans compter Ammonius Saccas, qu'ils
reconnaissent pour leur maître et qui était chrétien.
5 8. PHILOSOPHIS PilINS IT RiRiTIQOIS DES K n«, IT III* SliCLIS
229. Premier siècle. — On trouve dans le premier siècle les
philosophes païens dont nous avons déjà parlé : Apollonius de
Tyane, Sénèque et Epictôte, et avec eux le juif Philon, qui nous
avait paru avoir fourni lesprincipes vrais d'où les Néoplatoniciens
et les Gnostiques ont tiré leurs erreurs.
Dès le milieu de ce siècle, le gnosticisme se montre avec Simon
LE MAGE ou le magicien^ qui d'abord philosophé essaya de se
faire disciple de Jésus-Christ, croyant acquérir ainsi le don de faire
des miracles. On sait comment S. Pierre refusa avec indignation
l'argent qu'il» lui offrait pour obtenir ce pouvoir. Il renonça dès
lors à la foi chrétienne, et chercha désormais à nuire à TEglise
naissante. Il professait publiquement la magie et faisait des pro-
diges qui lui attirèrent de nombreux partisans. Comme doctrine,
il admettait deux principes, Dieu et la matière, qu'il regardait
comme éternelle, et plaçant son Dieu supérieur dans une inaction
absolue, il faisait émaner de lui une multitude de génies qu'il
appelait ."Eons^ aicovsc.Ces ^Eons avaient formé le monde, en se
révoltant contre Dieu, et le plus divin d'entre eux résidait dans sa
personne.
622 HISTOIRE DB LÀ PHILOSOPHIB
Gèrintue. de la même époque igoutait à cette doctrine q«ii
Diett des Jaifs, Jéhovah, n'était qae l'un des .^SaoSn
Basiudb pensait comme Cérinthe et shootait qae Jésos, dav»
passion s'était substitué Simon le Cjrénéen, qai avait été cndfit
à sa place. Il imagina aussi plusieurs signes cabsJifltiques et ^
sieurs talismans numériques, entre autres le fameux mot sSco^
qui représente en grec, le nombre 365.
230. Deuxième siècle. — Ici nous trouvons Philoo de Bilfti*
Plutarque, Arrien, Celse^ Galien, Lucien, Apulée, MaximedeTjr,
Diogène Laérce, et Ptolémée, que nous connaissons déjà*
Saturnin, Cerdon et Valentin continuent les erreois <te
gnostiques. Ce dernier semble avoir systématisé davantage la
doctrines. — Dans le Plérôma (plénitude), habite la diviniU,
avec les JEons émanés de lui, formant quinze couples de gésîfi
mâles et femelles. Ils forment trois ordres superposés, et sont le
principes de plusieurs générations. Jésus-Christ et TEsprit-Sii^
sont les derniers descendants du premier couple : Buthos (la pr^
fondeur) eiJEnnoia (rintelligence) . Celui des aeons qui a faitk
monde, ûer de son ouvrage, a voulu se faire passer pour Diea.
C'est pour cela qu'il a envoyé des prophètes aux Juifs. Les aatr»
génies qui dirigent les astres; suivant son exemple, se soai ^
adorer par les païens. C'est alors que pour remédier an mal, Disa
fit naître deux autres »ons, le Christ et le Saint-Esprit. Le Càrtft
prit un corps aérien, qui n'ajant que Tapparence d'on cf^
humain, ne fit que passer par le sein de Marie. D'ailleurs ilarai^
comme tout homme, deux âmes, l'une animale, l'autre spiritaeBe.
A son baptême dans le Jourdain, Jésus fut rempli da S. Esprit
qui lui donna la vertu de faire des miracles, et dès ^rs il ensetgi^
qu'il ne fallait plus adorer le Dieu des Juifs, 'mais le P^r ^
espnt et en vérité. Les autres ssons, irrités, soulevèrent codIi*
lui les Juifs . Mais son corps, impassible, ne souffrit pas dans !«
crucifiement.
Nous avons donné cette doctrine uniquement pour faire ^^
combien il serait peu rationnel de chercher une doctrine pïabf^
phique sérieuse dans les théories des gnostiques. C^ absolu
conceptions, qui propagées avec ardeur, désolèrent TEglise vi^
païens et hérétiques du troisième siècle 623
pante, fournlreat du moins aux Pores de TEglise l'occasion de
préciser par écrit le dogme catholique, qui jusque là ne se trans-
jnettait que par tradition.
Nous no parlerons pas longuement de Marcion qui aux théories
do Cordon joignit une morale d'une austérité exagérée ; ni de Mon-
TAN, qui se donnait pour une incarnation du Sb-Esprit, et dont la
morale sévère gagna Tertullien ; ni de Tatien, que nous avons vu
d'abord orthodoxe et qui plus tard adopta les erreurs de Valentin
et de Marcion. Comme ce dernier il proscrivait le mariage et
l'ùsage de la viande et du vin . C'est pourquoi les Tatianistes
furent aussi appelés Encratites et Hydroparastes .
231. Troisième siècle. — C'est l'époque de Philostrate, d'Am-
monius Saccas, de Plotin, de Longin et de Porphyre, comme phi-
losophes païens.
Au premier rang des hérétiques do co siècle se présente Tertul-
lien, pour la seconde moitié de sa vie, et comme sectateur do
Montan ; puis les Origénestes, qui s'appuyaient du nom d'Ori-
gêne pour enseigner que les âmes humaines sont crJées depuis le
comnaencement du monde, que Jésus-Christ n'est fils de Dieu quo
par adoption, et que l'enfer ne durera pas éternellement.
Les Manichéens regardaient comme leur chef Manès, né en
Perse, vers 240, élevé dans la religion ot les sciences des mages,
et qui dans un âge déjà, mûr embrassa le christianisme. Mais
bientôt il se fit une doctrine à lu^ mHange de magismo, de gnosti-
cismo, de philosophie grecque, av3c quelques restes de vérités
chrétiennes, et lui aussi se donna pour le Saint-Esprit, comme
l'indique d'ailleurs le nom qu'il avait pris (Manachem, conso-
latour,comme le mot grec napix^Y^xoc.) Son vrai nom était Gubric
Ses nombreux .disciples se divisèrent bientôt, et Théodoret en
comptait jusqu'à 70 sectes.
Le Manichéisme dans son ensemble enseigne qu'il y a deux
principes dés choses, Fauteur du bien et l'auteur du mal, Dieu et
Satan. Les esprits ou les âmes sont l'œuvre de Dieu; mais les
corps sont l'œuvre de Satan. Cependant tous les êtres corporels
ont une âme, et c'est ainsi qu'ils participent en quelque chose du
bien. Mais les œuvres du corps sont mauvaises. C'est pourqu«)i il
624 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
condamnait le mariage, et permettait les Yoloptés contre natniv.
Quelques-uns défendaient de couper un brin d'herbe on de caeillir
un fruit pour ne pas faire souffrir l'âme de la plante, d*aataQt plo»
que, selon la doctrine de la métempsjchose qu*Us admettaient,
cette âme pouvait être celle d'un homme, peut-être d'un parent oa
d'un ami. Cependant les auditeurs pouvaient cultirer les plantes
et tu^r les animaux^ et les élus pouvaient s'en nourrir, car en la
mangeant ils en rachetaient les âmes .
Les Manichéens se répandirent d'abord en Asie, puis en Afrique
et en Espagne ou ils prirent le nom de Priscillattistes, On les
revoit plus tard, sous le nom de Bulgares, envahir le nord de
l'Italie et le sud de la Finance. Loi^squ'Albi devint leur principal
siège ils furent appelés Albîgeo>s,ei toutes les hérésies qui, comme
ces derniers, ont plus tard promené dans la France et T Allemagne
l'incendie et le meurtre, sortent de la môme souche.
C'est qu'une idée, une théorie vraie ou fausse, dès qu'elle es^
admise par un grand nombre, ne reste pas une vaine spéculation:
elle produit ses effets, et son activité est plus grande encore, quand
elle prend une forme religieuse. Ainsi l'intérêt, aussi bien que U
raison, nous fait un de voir de ne pas rester indifférents au xdoctrino^
philosophiques ou religieuses. La recherche et la défense de la vérit'^
ne sont pas une simple satisfaction de l'intelligence : elles sont Ia
première condition de la vie heureuse; car Terreur ne saurai^
engendrer que le désordre et la ruine.
§. 4. PHILOSOPHES CATB9LIÛUES DES IT< et T« Sl&CLES.
232. Quatrième siècle. — Lactance, né ?i Sicca, en Nunydi<?,
selon les uns et selon d'autres à Firmium, en Italie, a été surnommé V
Cicéronchrëtien,kQd,n^eàeYê\é^^ii edesonî^tyle. I)*abord paû^n, il
fut choisi par Dioclétien pour enseigner la rluHorique à Xicomédie.
Voulant, comme tous les hommes lettrés de son temps, attaquer !<■
christianisme, ilTétudia et se convertit. C'était vers Tan 300. D^s
lors il se mit à écrire pour la défense de son nouveau culte. Ver<
318, Constantin le nomma précepteur de son fils Crispus. Il mou-
rut à Trêves en 325 ou en 327. Ses ouvra^'-es, |>lns remaninabli'
par la forme que par le fond, et selon saint .lérômc « plus puis-
QUÂTRIËMB SIÈCLE CHRÉTlBN 62B
lants à détruire Terreur qu*à affirmer la vérité » sont : les Insti"
niions divines^ en 7 livres ; un abrégé de cet ouvrage ; le traité
le la Colère de Dieu le traité de VOi(,vrage de Dieu et celui de
a Mort des persécif.tetcrs.
Dans ses Institutions divines^il renverse d'abord le polythéisme
)t établit l'unité de Dieu ; il indique les sources deTidolatrie, et
es trouve dans Toubli des traditions ; il critique tous les systèmes
)hilosophiques et montre que leur sagesse est fausse ; il expose la
)hilosophie chrétienne, comme la seule vraie; il montre que Jésus^
!!îhrist seul a enseigné la vraie justice ; il fait voir que le culte
îhrétien est le seul raisonnable ; enfin il établit la vraie doctrine
lur la fin de Thomme, et donne à ce sujet le dogme chrétien. Te]
)st son plan et l'objet des sept livres de son ouvrage. On en voit
'importance. Il est fâcheux que la solidité du fond ne corresponde
}Sk sa la perfection do laforme.
Le court mais solide ouvrage de Firmicus Matbrnus, de Errore
profanarum religtonum, nous intéresse particulièrement en
3ô qu'il prouve d'abord que toutes les mjthologies ne sont que des
altérations de la vérité qu'enseignent les Livres Saints, et s'ap-
puie ensuite sur ces mêmes fables pour démontrer que le genre
fin main connaissait d'avance la divinité de Jésus-Christ.
EusÉBE, évêque de Césarée, en Palestine, né vers l'an 270, est
L'un des plus érudits des écrivains chrétiens. Parmi ses nombreux
ouvrages, deux surtout intéressent la philosophie et surtout l'his-
toire de la philosophie : la Préparation évangélique et la Dé-^
tnonstration évangéliqxie. C'est là qu'Eusôbe nous a conservé
me multitude de fragments d'auteurs anciens dont les écrits sont
perdus.
S. Atiivnase, évéque d'Alexandrie (né en 296 et mort en 373),
Tôs-illustre par sa défense du dogme catholique de la Trinité,
contre les Ariens, nous a laissé deux ouvrages d'une grande portée
philosophique : le traité contre les Gentils ^ où il montre que le
mganisme a ses racines dans un secret attachement de l'homme
jour lui-môme, qui le porte h se substituer à Dieu, et le traité de
''Incarnation^ où il fait voir que le christianisme nous mène vers
le vrai Dieu en nous détachant de nous-mêmes .
626 HI8T0IRB DE LA PHILOSOPHIE
Noas ne pouvons qae nommer S. Hilaire, évôqae de Paâ&
que S. Jérôme appelle le Wiône de l'éloquence latine; S^fir
siLEy archevêque de Côsarée, en Cappadoce; S. Cyrille, arckw
que de Jérusalem; S. Grégoire de NAzrANZE, mort ea ^
S. Grégoire de Nisse, mort en 396. Leurs écrits, qui ses^ ^
tout théologiques, renferment cependant bien des questions traàâ
philosophiquement. Il faut en dire autant de S. Ambroiss, «^
qu'on Tait surnommé le Platon chrétien, et de S. Jban CffiiTHii-
TOME, qui nous a laissé cependant un traité de la ProxÀéevi.
Nommons encore Rupin, dont les traductions fareat Ioagtem|i i>
principale voie par laquelle TOccident connut les oBUvres ^
Pères grecs.
233. Cinquième siècle. — S. Jérôme, né l'an 330 ou ^I.^
Stridon en Dalmatie, et mort à Bethléem, on 420, appartis^»
autant au quatrième siècle, qu'au cinquième. Ses travaux, tsï
importants pour la science ecclésiastique, ne se rapportent pas 'ii»^
tement à la philosophie, mais il faut reconnaître en lui le v^ls-ba
esprit philosophique. Plus qu'aucun autre jusqu'à lui, il pos5^
et emploie la critique historique, la philologie, et TobserTstii
géograpique. L'érudition dont il nourrit ses ouvrages en re»^^
lecture très instructive..
S. Augustin, né àTagaste, en Afrique, l'an 354, peut pasff^
à bon droit pour le plus grand philosophe do l'époque qui ***
occupe, en môme temps qu'il est sans contredit un des plus iil^î^
docteurs de l'Eglise. Elevé par sa pieuse mère, Ste Monique, to
la religion chrétienne, il se laissa de bonne heure entraîner à&
les erreurs des manichéens, et ce ne fut qu'à l'âge de trente-in*
ans, que les larmes de sa mère, les paroles de S. Ambroise, ^^
lecture de l'Ecriture Sainte, gagnèrent son âme déjà fatigaé0 |tf
le vide de la doctrine qu'il suivait. Il revint donc au catholicisfa^
et fut baptisé par S. Ambroise. Plus tard, l'évoque d'Hippoae Ftf"
donna prêtre et enfin le désigna comme son successeur. Il moen^
l'an 430, au moment où les Vandales assiégeaient la ville d'Hif-
pone. Les travaux de son épiscopat sont immenses ; mais ^
n'avons à parler ici que de sa philosophie.
Les nombreux écrits de S. Augustin sont à peu près tous à câS*
CINQUIÈMB SIÈCLE CHRÉTIEN'^ 627
froltar pour un philosophe ; mais plasiears ont un caractère plus
particulièrement philosophique. Nous n*indiquerons que ces der-
oiers.
Le premier en date paraît être le traité de Ordine, dans lequel
il expose une sorte de plan d'études, qui servit à la fameuse divi*
sion des sept arts lihéraux dont nous aurons à parler plusieurs fois.
Viennent ensiùte les trois livres Contra Academicos, les traités
de Beta vita^ de Immortalitate ammce, de Quantitate animoSy
de MfMÎca, de Magistro et les deux livres des Soliloquer. 11 dut
composer plus tard les traités de Libero arbitrio^ de Vera relî^
ffione, de Moribtis JScclesiœ, en môme temps qu*il écrivait ses
disputes Contre FatMttis et les ManichéenSy qu'il disputait par
lettres contre les païens Maxime, Looginien, etc., et contre plu-
sieurs hérétiques. Citons encore le traité e:?^ Natura contra Mani-
chœos et enfin la Cité de Dieu et les Confessions.
Tout le mojen Âge attribuait aussi & S.Augustin: Liber de
Grammatica, Principia rhetorices, Principia dialecticœ, et
Categoriœ decem. On considère aujourd'hui ces ouvrages comme
apocryphes, mais il est plus probable qu'ils furent seulement in-
terpolés plus tard, et qu'ils appartiennent, en efiet, à S. Augustin,
dont ils offrent parfaitement la méthode et le style.
Sa philosophie est une heureuse alliance de Platon et d'Aristote.
11 ne les suit pas comme ses maîtres, mais il accepte leurs théo-
ries, quand il les trouve d'accord avec sa raison éclairée par la foi.
S'il est vrai, dîWl, que Platon ait le premier parlé des idées, il
n*a inventé que le mot: la chose existait avant lui et devait être
connue.
Saint Augustin ne dit pas précisément que ces idées nous soient
innées^mais il dit expressément qu'elles ne nous sont pas fournies par
les sens et que nous les voyons & la lumière de la raison. Cette
raison n'est pas propre à quelqu'un de nous, mais elle est la même
pour tous, c'est une communication de la lumière indéfectible dont
le foyer est en Dieu. Jusque-là il n'est question que des premiers
principes ou des notions absolues: Quant aux genres et aux espè"
ces, qui portent aussi le nom d'idées, il reconnaît que Dieu leS
voit en lui-même en faisant le monde, et que dès-lors elles son^
étemelles en lui, et qu'elles y sont la vérité même. Mais en admet
628 HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
tant que les idées générales doivent logiquement précéder ^s
pensée de Dieu, il déclare que Dieu a aussi les idées desiaâTO
et qu'ainsi, avec la raison en général, la raison personndle I»
que homme subsiste aussi en Dieu de toute éternité, comme o®«
par lui ; car Dieu ne saurait voir le tout sans en voir ea wm
temps toutes les parties. On voit bien que cett3 théorie a^fis»
Platon et Aristote et ne suit servilement ni l'an ni Tautre.
Avec les idées de Platon, saint Augustin accepte ausi ^ ^
bres des Pythagoriciens, mais ce mot notnbre a chez Ini ds sff
plus large et plus philosophique il est synonyme à^ ordre et<fei«
et se confondant avec l'idée, y ajoute la perfection p«r I^
monie.
On trouve répandues ça et là dans les divers ouvrages de ffï
Augustin, toute une théodicée et toute une psychologie. Noas s*
dirons rien parce qu'il nous faudrait répéter ce que^contienaeot ts
traités . C'est-à-dire qu'il est entièrement classique.
Il est vrai qu'en les prenant à la lettre, certaines expressions «tes*
Augustin peuvent présenter un sens faux ; mais, quand on Ht un *ït«*
on ne doit pas interpréter une seule de ses paroles en dehors àt te^
les autres. Sur ce point et sur quelques autres nous aurions là» »
reproches à faire à l'article de M. Bouchilté sur saint Augustin dâff t*
Dictionnaire de M. Franck ; mais n'ayant pas le temps de reprois^
ses paroles et de les réfuter nous ne dirons pas ce que nous avoflsàfe
reprocher.
Nous ne ferons^que nommer Salvien, prêtre de Marseille, %^
né sur les bords du Rhin, a écrit vers 420 son livre De Onhen>
tione Deij où il veut raffermir/ dans Tespémnce et dans la fffls
la justice de Dieu, les chrétiens découragés par le^ invasions ^
barbares .
g 5. PHILOSOPHES païens KT HiRÉTlÛDIS DES 4«BT »« SllCH'
234. Quatrième siècle. — Jamblique, Thémistius, Li^'*
Nius, Julien l'Apostat, vivaient pendant cesiOcle. Ils apparti?^*
nent tous à TEcole d'Alexandrie. C'est alors aussi qu*EuNAPB^r^
vait sa Vie des philosoxihes.
Les principaux hérétiques de ce siècle sont Donat et SM-'
SIXIÈME SIÈCLE CHRÉTIEN 629
Leurs erreurs eurent un grand retentissement, surtout la dernière,
qui, niant la divinité du Verbe de Dieu et par suite de Jésus-
Christ, sapait la religion chrétienne par sa base . Les désordres
sociaux causés par les Ariens sont incalculables, et on ne peut en
avoir une idée qu'en se reportant aux guerres civiles qu'alluma le
protestantisme au xvi« siècle. En dehors de ce point de vue moral,
ces erreurs ne sont pas du ressort de la philosophie.
235. Cinquième siècle. — La philosophie païenne se meurt.
A peine peut-elle citer quelques noms inconnus : Nèmèsius, Hié-
RocLÈs et Proclus, tous de l'Ecole d'Alexandrie. Ce dernier peut
être considéré comme un illuminé ou un magicien, plutôt que
comme un philosophe. Il s'intitulait Vhiërophante de l'univers,
et se donnait pour être l'un des anneaux de la chaîne hermétique.
C'est à Constantinople qu'il enseignait.
On compte dans ce môme siècle plusieurs chefs hérétiques :
Pelage, Nestorius, Eutychès, sont les plus renommés. Leurs
erreurs portant sur la grâce, sur *la maternité divine de la
Ste Vierge, et sur les deux natures que Jésus-Christ réunit en une
seule personne, n'intéressent que très indirectement la philosophie.
L'erreur des pélagiens j touche de plus près, en ce qu'elle prétend
soustraire la liberté de l'homme à toute action de Dieu. Pendant
le môme temps, et comme réaction, les Prédbstinatiens, effa-
çaient au contraire, devant l'action de Dieu, toute liberté d^ins
l'homme.
S«. PgILOSÛPBES CATHOLiaUlS DIS «•. 7*. IT 8« BliCLIS
236. Sixième siècle. — C'est ici que commence la prépara-
tion à la Scolastique. Marcianus Capella écrivait vers 490 une
sorte d'encyclopédie, intitulée Satyricon, qui fut longtemps le
manuel des écoles. Elle traite des sept arts libéraux, que l'on dis-
tinguait alors ainsi :
Le Trivium: Grammaire, Rhétorique, Dialectique.
Le Quadrivium: Arithmétique, Musique, Géométrie, Astro-
nomie.
BoÈCE, né à Rome en 470, consul sous Théodoric, puis victime
de la barbarie de ce roi, qui le ût mourir dans les tourments, en
690 RI8T0JRB DE LA PRILOBOPHIB
526, écrivit des commentaires sur la logique d'Arijriote, èaAi
traduisit plusieurs livres, et sur YUagoge de Porphjre. C«
dans sa prison de Pavie qu'il écrivit le traité de Const^àtim
philosophiœ^ en 5 livres.
Dans son commentaire sur Vlsagoge de Porphyre, il traite k
question des universaux, qui divisa si longtemps les plûkK^
du mojen-&ge, et la résout d'avance d^une maaière parfûta&cc
exacte, et tout-à-fait comme saint Thomas la résolut plus t^rd-Ls
genres ne sont pas des êtres à part, mais ils ne sont pas nos ]ài
de pures conceptions de l'esprit, car ils sont renfermés avec is^
leur compréhension dans chsicun des individus.
Cassiodore, né en Calabre, vers 470, fut ministre du roi T^
doric, et quitta la cour assez à temps pour éviter le sort de sa
ami Boêce. Il alla fonder en Calabre le monastère de Yiviâs é
y mourut &gé de près de cent ans. Là, il avait fondé une liïh-
thôque, et lui et ses moines copiaient des livres. Il nous a iBM u
traité de Septem disciplinis (des sept arts libéraux), resté lo^
temps classique, et un livre de Anima.
A cette même époque son ami Epipkane le scholastiquetor
duîsait les historiens de l'Eglise: Théodoret, Socrate eiSo:^
mène^ et saint Grégoire de Tours, écrivait son histoire de Frafi^e
où les Francs sont considérés comme les instruments de Dieu : Gti^
Dei per Francos, C'est aussi l'époque du pape saint Grégoirtk
Grande du mystique Jean Climaque^ et du poète Venance f^
iunaty tous illustres en leurs genres, mais dont les écrits ne ties-
nent qu'indirectement à la philosophie.
237. Septième siècle. — Saint Isidorb de SàvitLS, tm
surnommé parce qu'il était évéque de cette ville, et mort ea &^
nous a laissé entre autres ouvrages: 20 livres à^Origines et Etf
moiogieSf et une Chronique ou histoire du monde, où bieo dtf
pages intéressent le philosophe.
238. Huitième siècle. — Le Vénérable Bëdb, né ei
Angleterre, en 672, prôtre et moine, mort en 735, nous a laissé m
grand nombre d'ouvrages, qui furent très utiles de son temps, ee
sont des abrégés sur chacune des connaissances d'alors.
Saint Jean Dama scène, né à Damas, succéda à son père dans b
HËRËTIQUBSDU HU ITIÈME SIÈCLE 631
charge de ministre du calife de Damas. Mais tombé en disgrâce,
pnis rappelé, il se retira dans le monastère de Saint- Sabas, et fut
ordonné prêtre. Il mourut en 760. Ses ouvrages môme de- théolo-
gie^ offrent un caractère philosophique. Les principaux sont: de
Fide orthodoa3a,Dialectica^Physica et fnstitutiones pr^mœ. On
les suivit longtemps dans les écoles.
9 I. — PHIL0S9PHIS PAimS IT HtRÉTIQUlS DES 6e. 7e IT Se SltCLIS
239. Sixième siècle.- La philosophie païenne ne compte
guère dans ce siècle que Simplicius, commentateur d'Aristote et
Damasoius, le dernier des philosophes grecs.
Le grammairien hérétique Jean Philopon commente quelques
traités d'Aristote et écrit quelques livres.
Les hérésies nouvelles sont nombreuses 'mais sans importance.
Les principales hérésies des siècles précédents comptent encore
quelques adeptes.
240. Septième siècle. — La philosophie païenne est éteinte ;
les hérésies nouvelles ne font que paraître, mais c'est le moment
où Mahomet publie son Coran (622) et se gagne des cro^a^^^ par le
sabre. Son livre est un ramassis de toutes les traditions et de tou-
tes les conceptions précédentes. Il puise tout à la fois dans la Bible
et dans le .Taimud, chez les chrétiens et chez les hérétiques, et
môme dans les fables de l'Orient. Sa doctrine au point de vue phi-
losophique, reconnaît un seul Dieu^ et ordonne de le prier; mais
elle enseigne le fatalisme et tout en refusant Tusage du vin per-
met un usage immodéré des voluptés sensuelles. La femme j est
esclave ; on y permet la polygamie, et l'on y recommande de tuer
les chrétiens. De plus, si Ton en juge par les résultats, on peut
dire que cette religion anéantit chez l'homme tout amour du
travail.
241. Huitième siècle. — La seule hérésie remarquable à
cette époque est celle des Iconoclastes ou briseurs d'images, qai^
appuyés par les empereurs grecs, détruisirent les œuvres de l'art,
et arrêtèrent pour longtemps l'art lui-même.
632 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
S 8. PflILOSOPflll BIS ARABES.
242. Commencements. — Peu de temps après la mûr x
Mahomet (632), il s'éleva parmi les Arabes plusieurs sectes, la
expliquaient diversement le Coran, et on trouve déjà, chaz ^
sieurs d'entre elles, bon nombi'e de distinctions assez sabtilâ, ^
font prévoir quel sera leur esprit philosophique. Le premier sii^
de division fut la question de la liberté de Thoinine. Les À'û^r>
Taffirmeut ; les Djaharites la soumettent fatalement A ractioai*
Dieu; les Motazales se placent dans un certain milieu, plas^
des Radrites.
Ainsi, les esprits étaient déjà préparés à la philosophie qaaodl^
califes Abbasides, Al-Mansour (775), Haroun-al-Rasohid i8CR^i«'
Al-Mamoun (833) firent traduire des ouvrages grecs et fondèi^'-
des bibliothèques et des écoles. Aristote fut la principale soaw
où les Arabes puisèrent leur philosophie, et Tintroduction des tbf^
ries rationalistes força les croyants à fonder une sorte de théi^
gie raisonnée, pour défendre les doctrines du Coran ; ce fut ^
Calâm ou la parole, dont les sectateurs s'appellaient motfc^^-
lemCn.
Deux écoles surtout furent célèbres dans la philosophie : ceilr
da Bagdad, du ix* au xi' siècle, et celle de Cordoue, pendas-
le xii* et le xin*.
243. Ecole de Bagdad. — Le premier représentant de cett;
école fut Kkndi ou Alkendi qui Jouissant d'une science universel'
fut chargé par le calife Al-Mamoun de traduire les œuvres d'Are-
tote.
Al-Farabi, médecin, mathématicien et philosophe, mort Tas
95Q effaça par ses travaux les écrits originaux d'Al-Kendi, et ^^
des commentaires sur Aristote. Il a laissé une sorte d'abrégé àa
sciences, une comparaison des doctrines de Platon avec c^
d' Aristote, et plusieurs ouvrages de morale. Il suit partoati*
doctrines d' Aristote, et on voit déjà chez lui une tendance à b
doctrine d'Averroès sur l'intellect actif.
Ibn-Sina ou, comme on prononçait alors Aben-Seina, d'oâ ^
mojen-àge a fait Avicenne, fut le plus illustre docteur de Téee^
I.KS ARABES 033
de Bagdad. Niî Tan 930, il était déjà renommé comme myecin et
comme piiilosophe, à l'Age de dix-sept ans. Il mourut Tan 1037,
épuisé par la bonne chère et la débauche plus encore que par ses
nombreux travaux.Ses deux principaux ouvrages sont Al-Schefa
(la Guérisun), espèce d'eue jclopédie, Al^-Nadja (\dkDSW\vfxncé)^
abt^gé du premier, et le Canon ^ traité de logique. Sa doctrine est
généralement conforme h celle d'Aristote,. mais il l'expose avec
plus de clarté et de précision, surtout dans la classification des
sciences. Averroès lui re^che de suivre quelquefois les motecal-
lemin et d'admettre le panthéisme, dans sa Philosophie orien^
talef qu'il regarde comme la seule vraie exposition de ses propres
pensées.
Qazalt, plus connu sous le nom de Ai.-Gazrl, né Tan I03S et
mort l'an 11 II, est remarquable par son entreprise de ruiner la
«
philosophie, en faveur de la foi musulmane. Dans ce but, il expose
d'abord loyalement dans un premier ouvmge, Mahacid al-fald-
sifa (les Tendances des philosophes) toutes les doctrines péripaté-
ticiennes, et ensuite dans son Tehâfot al-faldslfa ( Destruction
des philosophes), il ess}»je de les renverser. Pour cela, il met en
doute d'abord les données des sens et de la conscience, et semble
tomber dans le scepticisme ; mais il en sort par le mysticisme.
Enfin dans un ouvrage intitulé Base des croyances^ que nous
n'avons plus, il établissait la religion musulmane.
Lorsqu'il veut combattre les philosophes au sujet du principe de
causalité, il soutient une théorie, qui ressemble à celle des causes
occasionnelle s j car il affirme que Dieu opère séparément dans
l'homme, par exemple, le boire et l'étanchement de la soif.
Averroès etTofaïl lui reprochent des contradictions et l'accusent
de mauvaise foi dans son attaque des philosophes. Quoiqu'il en
soit, son scepticisme apparent porta un coup mortel & la philoso-
phie, et l'école de Bagdad disparut.
244. Ecole de Oordoue. — Le premier nom remarquable
que Ton rencontre dans l'Ecole de Cordoue est celui de Ibn-Badja,
plus connu sons le nom corrompu d*AvEN-PACE. Il mourut à Fez
en Afrique, l'an 1138, dans un ag3 pau avancé. Avec plusieurs
Lonvrages de médecine, il avait écrit plusieurs traités philosophi-
41
634 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
qaés et des commentaires sur Aristote, que ses compatriotM
maient beaucoup. Sa philosophie est spécialement dirigée contre
le mysticisme de Gaz&li, et pour lui la science s*acquiert Bâtuiel-
lement par Tunîon de Yintellect passif à Vinteliect actif, D^à
ce dernier mot représente assez nettement une sorte de raison uni-
verselle subsistante. Il trace longuement et arec des vues mondes
assez justes les degrés et les efforts par lesquels h solitaire s'élève
à cette science.
ToFAïL ou Ibn-Tofaïl, son disciple, né vers 1105, fut lami du
roi de Maroc, Yousouf, et lui présenta Averroôs, dont nous allons
parler, comme capable d'exécuter conformément à sa demande,
une analyse compléta d'Aristote. Cherchant avec la plupart de ses
compatriotes le mode d'union de l'Ame avec Tintellect actif, il
composa pour expliquer sa pensée sur la marche à suivre, une
sorte de roman philosophique, où il met en scène, en dehors de
toute Influence de la société, un homme qui, né sans père ni mère,
s'élève par lui-môme à tous les degrés de la connaissance. C'est le
solitaire de son maître, perfectionné,
Ibn-Roschd (autrefois Aben-Roschd), plus connu sons le nom
latinisé d'AvERROKS, fut le plus illustre des disciples d\\ven-Pace,
et de tous les philosophes arabes. Né à Cordoue, vers Tan 1120,
il se livra de bonne heure à l'étude de toutes le seiences, y acquit
une grande réputation, et tour k tour en grande faveur ou en dis-
grâce auprès des rois de Maroc, qui commandaient alors & Cordoae,
il mourut à MaVoc, l'an 1198.
Malgré ses nombreux voyages, nécessités par ses fonctions de
gouverneur de Séville, il écrivit un grand nombre d'ouvrages it^
importants, sur la médecine, sur les mathématiques et surtout sur
la philosophie d'Aristote, dont il a commenté presque tons les
écrits, en donnant plusieurs fois jusqu'à trois commentaires, dif-
féremment conçus, d'un même ouvrage. Le texte original de ces
écrits ne nous est pas parvenu, mais il nous en reste des tradac-
tiens en hébreu et en latin.
A l'imitation de ses maîtres, Averroès suit Aristote et ne cbtf^
che qu'à l'expliquer, mais c'est dans ce travail d'explication qa'il
se fait souvent une doctrine à lui. Comme les autres arabes U
cherche à concilier la matière avec Dieu, en donnant des àm^
LKS JUIFS DU MOYEN AOK '535
ÎBielligentes aux astres, pour les faire servir d^intermédiaires entro
Dien et le inonde; comme son maître Aven-Pace fIbn-Badja), il
rejette le mysticisme et n'a recours qu'à la science, bien plus il
paraît dédaigner la morale.
n s'est attaché spécialement à éclaircir la doctrine de Tintellect
actifetde Tintellect passif d'Aristote; il admet une double influence
du premier sur le dernier. D'abord, dans l'exercice des sens, Tin-
tellect actif forme les espèces intellectuelles et les imprime à l'in-
tellect passif, qui devient ainsi l'intellect acquis, et, dans un
degré supérieur de connaissance, Tintellect acquis, faisant abstrac-
tion de toutes les formes qu'il a reçues s'élôve jusqu'à la contem-
plation directe de l'intellect actif universel, et celui-ci l'informe de
telle manière que l'intellect passif disparaît. D'après cette théorie
Averroès enseigne que l'immortalité est le privilège de l'âme uni-
verselle, et que l'âme personnelle n'étant que l'intellect passif,
périt avec le corps. Cette doctrine fut vivement combattue par
Albert le Grand et par saint Thomas, et la lutte dura longtemps
sur ce point entre les thomistes et les averroîstes, parce que ceux-
ci croyaient interpréter ainsi la vraie pensée d'Aristote, au styet
de Tâme séparée, et n'attribuant comme lui l'immortalité qu'à
rinteliect actif, ils lui prêtaient leur opinion sur l'unité et l'uni-
versalité impersonnelle de cet intellect.
Pour toute la philosophie des Arabes, nous avons suivi, quoique en
gardant notre liberté de jugenfent, les excellents et consciencieux arti-
cles qu'y a consacrés M. Munk, dans le Diptionnaire de M. Franck, où
Ton pourra lire avec intérêt des détails qui ne pouvaient entrer
ici.
245. Les Juifs. — Nous ne saurions terminer cet article sans
dire quelques mots des Juifs qui, à cette époque^ s'occupèrent de
philosophie. L'exemple des arabes fit naître d'abord chez les Juifs,
vers la fin du vui** siècle, la secte des Karaîtes fondée par Anan
BEN David, qui, rejetant les traditions rabbiniques, n'acceptait
que le texte de l'Ecriture et prétendait l'expliquer par la raison.
De leur côté les talmudiques^ furent obligés de s'instruire de la
philosophie, et le rabbin Saadia le premier (892-942) écrivit pour
la défense de la raison, sans rejeter la révélation. Son Li'ore des
636 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
croyances et des opinions est intéressant pourrhistoireife*
philosophie juive à son époque.
Au XI* siècle, on trouve en Espagne, avant les arabes, k>
Ibn-Gebirol. qui passa pour musulman sous le nom d'AvicEBK'^
et dont Touvrage Source de ia rie est cité ])1''. leurs îotfjs
Albert le Grand et saint Thomas. Il adopta les thêvjries d'ArisKî*
et ne concevant que Dieu seul comme une forme pui'e, ilattr.ki-
Tâme une matière, avec la forme.
Toutes ses idées ne furent pas suivies, mais lesdcctriflCsdA!*
«tote furent eui brassées avec ardeur par les Juifs d'Espa^»*
bien que Juda Hallevi, crut devoir faire une in>action et êcr.Tï
en forme de dialogue une défense de la religion juive, reûfërsBWî
la réfutation de la philosophie.
Au milieu de la lutte de c^ double courant d'idées, parut MftSf
ben Maïraoun, connu sous le nom de Maimonidk, né à CorA's?'
Tan 1135, et mort au vieux Caire en 1204. La persécation W*^
el-Moumen le força d*abord à simuler Tislamisme, tant qu'il l»**^
Cordoueet plus tard Fez, mais enfin il put s'embarquer pour S»J-'
Jean-d'Acre, visiter Jérusalem et se rendre en Egjpte. Ces»
qu'il acquit une grande célébrité comme médecin. Il s'était iostm-
profondément de la philosophie des Arabes, ayant pour maitrt 2^
disciple d'Aveu-Pace, et déjà en Espagne et dans le Maroc ila^'
écrit plusieurs traités.
Ses ouvrages portent sur le Talmud, sur la philosophie et stf
la médecine. Il y fait preuve d'une grande érudition et d'nn^P*'
fonde intelligence. Albert le Grand et Saint Thomas lecitentaT*
respect.
Sa philosophie ne s'écarte pas de la foi et cherche à lai conciluf
la raison; mais peu-étre, dans cet effort, suit- il plus soa^^^
prétendue raison que la foi aux divines Ecritures, essayant dexpû*
quer naturellement la- plupart des miracles.
Ses théories sont d'ailleurs celles d'Aristote, telles qu'on ^
trouve commentées par les Arabes ; comme eux il insirte sur ^
distinction des deux intellects et professe que seul l'intellect a^
survit au corps. Ce principe lui fait rejeter la résurrection ai
corps, pour la vie future.
Se fondant sur la môme doctrine, sa morale a pour but la^
Lk SCOLASTIQUB
637
naissance parfaite de Dieu. Mais comme il prétend qu'on n'y peut
arriver que par la science, il condamne toutes les pratiques ascé-
tiques et ne veut que le perfectionnement de Tintelligence ; ce qui
suppose la connaissance de toutes les sciences ; mais les sciences
ne s'acquièrent que par un travail opiniâtre, qui suppose une vo-
lonté ferme, libre de toute passion et une bonne santé. Ainsi tout
s'enchaîne et il y a des degrés successifs dans la vertu.
Nous ne pouvons pas entrer dans l'analyse de son grand ouvrage,
More nebouchtm (le Guide des égarés), où ceux qui veulent approfon-
dir tout à la fois la langue hébraïque et les théories de^ Juifs pourront
puiser abondamment. Il y a aussi des vues philosophiques pleines d*in-
lérèt. On en peut lire un résumé dans le Diciionnaire de M. Franck.
Après Maimonide le mouvement continua en faveur de la philo-
sophie* Presque tous les livres des arabes et ceux de Maimonide
lui-même furent traduits en hébreu ; il y eut aussi des livres ori-
ginaux, mais aucun de ces auteurs ne se fit une grande renommée.
DEUXIÈME ÉPOQUE
PHILOSOPHIE SCOIASTIQUE
' 246. Division. — La philosophie scolastique, dont lo carac-
tère général est Tunion, autant que faire se peut, des théories d'Aris-
tote avec les données de la foi chrétienne, ne nous offre pas de
distinction d*écoles. Sans doute, il y eut des luttes soutenues de
part et d'autre avec vigueur, par de nombreux champions, mais
elles portaient sur des questions de détail, et ne saumient fournir
matière à une division historique. Nous nous contenterons donc de
suivre Tordre des siècles, en distinguant cependant, comme on le
fait généralement, trois âges, dont nous ferons autant, d'articles
séparés.
!•'• âge. Les commencements, ix', xV xi' et xu« siècles.
2* âge. L'apogée, xiu« siècle.
3« âge. Le déclin, xiv« siècle.
d38 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
S 1. LI8C0IIK9GIIIIT8DILA SCILiSTIQUL (Ile, Xt.XIietIEn^
247. Neuvième siècle. — Dès la fin da haitiôme 8idcle,Cbt
leitagne avait fait des efforts pour développer en France Fét»
des lettres et des sciences . Sons son impulsion plasieois ètà
s'étaient ouvertes, et lui-môme en avait fondé une dans so&pslii
Alcuin, d'York, né en 734, en fut le premier directeur ei da iis
étendit son influence dans tout le rojaume. On se mit parwai a
recueillir et à réviser les manuscrits, et le goût des études déni
général . Après avoir dépensé à cette œuvre toute son actîY^
Alcuin, sentant le besoin de repos, obtint la permission deseï^-
rer dans Tabbaje de Saint Martin de Tours, où il mourut a î^
Il avait écrit un triitéde Ratione animœ^ un autre de Virt^
et titiis et plusieurs dialogues sur la grammaire, Ja rhéteriqKf'-
la dialectique. Son style toujours élégant est aussi nourri (ibF
losophes et des poètes grecs et latins, que des Pères de rEgii^c.
Raban-Maur, disciple d'Alcuin, devint plus tard archevéqaei
Mayence, et répandit en Allemagne l'étude des lettres latine* «a
philosophie. Il mourut en 856, âgé de quatre-vingts ans. On a^
lui un traité de Universo, où se trouvent bien des renseigneœ»^
sur l'état des connaissances à cette époque, et plusieurs opasc»^
philosophiques qui ne sont que des. commentaires sur ArLstote.
De son vivant, le moine Gottescalc suscita des disputes et -fe
troubles en enseignant sur la prédestination une erreur qui enf^
la négation de la liberté humaine et de la justice de Dieo. D^^
condamné dans un concile, tenu par Raban-Maur, à Majencc, ^
■
dans un autre, tenu par Hincmar de Reims.
Jean Scot Erigéne, ainsi nommé parce que l'Ecosse etll^
lande* se disputent sa «naissance, dirigea l'école palatine, s*
Charles le Chauve ; mais il ruina sa renommée par son W^
sur l'Euchâiristie, qu'il regardait comme un simple souTenif»'
Jésus-Christ et de son sacrifice. De plus, chargé decomlatP
Gottescalc, il écrivit un livre sur la prédestination, où liio^^'
dans l'erreur opposée. Enfin son principal ouvrage, deDiv^^^
nattirce, n'est pas exempt d'erreurs. — Il distingue ; 1^ lao*^
qui n'est pas créée et qui crée ; 2^ la nature qui est créée et ^
SCOLASTIQUB. -r X' SIÈCLE 639
crée; 3^ la nature qui est créée et qui ne crée pas. 4^ la
nature qui n'est pas créée et qui ne crée pas.La première,
c'est Dieuy le créateur incréé ; la seconde, ce senties causes pre-
mlôre», les idées, que Dieu a créées et déposées dans le Verbe ; la
troisième, c'est le monde, qu'Erigène suppose créé de toute éter-
nité, parce que, dit^-il, un commencement dans Tacte créateur
serait un accident en Dieu ; enfin, la quatrième, c'est Dieu consi-
déré comme fin de toute créature. Dans la longue exposition de
toutes ces théories, Erigène refuse toute durée à l'innocence d'Adam
et d'Eve ; il nie l'éternité des peines de l'enfer, et entend dans un
sens figuré bien des affirmations de TEcriture. Il ne nous paraît
pas avoir enseigné le panthéisme, mais plus tard Amaurj de
Chartres et David de Dinan abusèrent de l'équivoque de ses expres-
sions pour autoriser leur doctrine panthéiste.
Nous devons encore mentionner dans ce siècle Photius, patriar-
che de Constantinople, et le premier promoteur du schisme grec.
Instruit dans toutes les connaissances de son temps, il écrivit plu-
sieurs ouvrages dont le plus important, le Myinobiblon^ intéresse
surtout la philosophie et renferme en grand nombre des extraits
cl'ouvrages que nous ne connaissons que par lui.
248. Dixième siècle.. — Le dixième siècle compte un certain
nombre d*historiens, des poètes et des troubadouis, mais la philo-
sophie n'y est représentée que par quelques arabes. Cependant un
seul nom suffit à défendre ce siècle contre l'accusation d'igno-
rance.
Gërbert, né à Aurillac en Auvergne, au commencement du
X* siècle, devenu pape en 999, sous le nom de Silvestre 11^ après
avoir été archevêque de Ravenne, et mort en 1003, était instruit
dans toutes les connaissances de son temps.
Ayant fait dans sa jeunesse un voyage en Espagne, il en rap-
porta les commentaires des Arabes sur Aristote et plusieurs des
écrits de ce philosophe. On ne sait si c'est de la môme source qu'il
apprit la numération décimale, mais il est certain qu'il fut le pre-
mier k l'enseigner et a la répandre en France, avec les chiffres
dont nous nous servons encore et que nous appelons chiffres ara-
hes. L'origine de ces chiffres est une question restée pour le mo-
ment sans réponse.
640 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
Gerbert parait aussi avoir inventé les sphères armiliaires; il
s'en servait dans ses démonstrations astronomiques, dans Técole
épiscopale de Reims, qu'il dirigea longtemps avec éclat etsaoeës.
Il fit beaucoup pour se procurer les ouvrages ancien^ qu'il
n'avait pas et fonda ainsi une biblfothôque^ où il réunit beanooap
do livres dont plusieurs se sont perdus depuis, mais dont proba-
blement un bien plus grand nombre nous manqueraient sans lui.
Il excita par tous les moyens le goût des études, écrivit sous forme
de lettres plusieurs petits traités et en un mot fit revivre les écoles.
Nous n'avons de lui qu'un seul ouvrage philosophique : il est
intitulé : de liationali et ratione xUi (du raisonnable et du rai-
sonner). Ce n'est qu'une question de logique, où il établit à la
demande de l'empereur Othon m, que faire usage de la raism
est accidentel à l'homme qui est essentiellement raisonnable^ et
que, l'accident pouvant servir d'attribut à la substance, c'est ainsi
que ratione uti peut être attribué au sujet ralionalis^ quoique
l'extension des deux termes soit la même.
249. Onzième siècle. — Le onzième siècle qui vit briller, en
Orient, A"vicenne et Al-Gazel, s'ouvrit en Europe par Thérésiede
Bkhenger, renouvelée de Scot Erigône,sur l'Eucharistie (1047),et
qui tint long-temps les esprits en émoi. Condamné par plusieurs con-
ciles, en 1050, 1055, 1059, 1078, Bérenger se rétract i chaque foi?
et revint autant de fois à ses erreurs. On croit qu'il se rétracta
définitivement et sincèrement, peu de temps avant sa mort, qui
arriva en 1088. Il était né à Toura, vera l'an 1005. En dehors de
son hérésie, il fut considéré comme un savant philosophe, trè«
versé dans les lettres anciennes ; mais dans son amour pour la
science il exagéra les droits de la raison, et c'est cet esprit d'indé-
pendance, qui en le jetant dans l'erreur, fit le malheur de sa vie
et rendit inutiles toutes ses connaissances. On cite de lui cette
parole : « Sans doute, il faut se servir des autorités sacrées quand
il y a lieu, quoiqu'on ne puisse nier,çans ab8urdité,cc fait évident,
qu'il est infiniment supérieur de se servir de la raison pour décou-
vrir la vérité. » — On n'est plus chrétien avec un pareil principe.
?]t pourtant c'est précisément & cause de ce principe que TEcolo
moderne estime Bérengar ; elle le regarde, à cause de cela, comme
I
I
SCOLASTIQUB — Xl" SIÈCLE - 641
le précurseur de la philosophie indépendante, dont elle se glorifie.
Mais Tidépendance qni n'a plus de règle n*est pas la liberté; c'est
le désordre.
En môme temps vivait le bienheureux Lanfranc, de Pavie, né
en .1005 et mort en 1087. Il se distingua dans la controverse con-
tre Bérenger, sur TEucharistie. Il se montra utile à la philosophie
et aux études littéraires par la fondation d'une école longtemps
fameuse, au monastère du Bec, dont il fut le prieur. Il y forma
aussi une riche bibliothèque. Il eut pour disciple et pour ami
S. Anselme, dont nous parlerons bientôt, et qui lui succéda, d'abord
comme prieur du Bec, et ensuite comme archevêque de Cantorbéry.
Les ouvrages qui nous restent de lui ne disent rien de sa philoso-
phie.
Ts'ommons encore S. Pierre Damien, né a Ravenne, "vers 1005
et mort en 1072, à Faênza. D'abord religieux puis abbé du monas-
tère de Fontavellana, il fut promu en 1057 à la dignité de cardi-
nal, évéque d'Ostie, mais il résigna bientôt sa charge, pour se
retirer dans la solitude . Il connaissait la philosophie et les lettres
antiques, mais il préférait chercher la sagesse dans les Livres saints
et manifestait quelques craintes sur Tenvahissement de l'esprit
philosophique. Nous verrons cette pensée se développer davantage
dans le siècle suiva nt.
Pendant ce temps Constantinople comptait parmi ses plus illus-
tras philosophes Michel Psellus, dont le rôle politique fut
remarquable et qui concourut h établir définitivement le schisme
grec, avec le patriarche Michel Cérulaire. Né à Constantinople en
1018 et mort en 1079, Michel Psellus nous a laissé des Mémoires
historiques très précieux, sur son siècle. II était ardent platonicien
et eut pour adversaire Taristotélicien Xiphilin, son ami. Mais l'un
et l'autre se contentèrent du rôle d'initiateurs, et ne firent pas
avancer la philosophie. Les ouvrages de Michel Psellus ne sont
que des résumés.
Vers la un de ce siècle, en 1080, un ecclésiastique de Paris,
chanoine de Compiègne, sur la vie duquel nous n'avons aucun ren-
seignement, RosGELiN, commença la fameuse dispute sur les uni'
versaux. Il fut l'auteur du Nomlnalisme. Cette doctrine consiste
à dire que les genres etles espèces ne sont que des noms, et qu'il
642 HISTOIRB DB LA PHILOSOPHIE
n'exUte nulle part une sabstaaoe qai soit, pftP extmpk, h !*e
ou la plante^ en général. Si Roacelin 8*en fat tena là, cm asi
paAsé par dessus l'exagération de ses termes, et on rannit m
doute laissé dira ; mais il transporta sa doctrine dans le mi^
de la Saint Trinité, et disant que les trois personnes âlTias'
sont que des manières d^ôtre d'une même substance, il pi^
que le Pore et le Saint-Esprit se sont incamés aussi bien ^*'*
Fils. Saint Auselme fut le premier à Tattaquer et après Im Oé-
laume de Champeaux soutint une théorie entièrement coDtnôe^
fut le chef des réalistes. Nous verrons la que qaereDfi &*
long-temps, même après la mort des deux hommes qai T^^
soulevée.
m
Le nom le plus illustre de ce siècle est celui de Saint Axsfliff
Né à Aoste, en Piémont, l'an 1033, il fut d'abord disciple de Li>
franc, au monastère du Bec, en Normandie, lui succéda «a»
prieur, devint plus tard abbé de la môme maison, et enfia 1^
succéda encore comme archevêque de Cantorbérj, Safenn:*^
rirtfendre les droits de l'Eglise, contre les empiétements de HeanT.
roi d'Angleterre, lui valut un exil de trois ans, qu'il pas» f"-
France; puis il revint en Angleterre, où il mourut l'an 1109.
Les principaux de ses ouvrages sont: le -iMonologifin^, '[^'
fit paraître d'abord, sans nom d'auteur, sous le titre : Exem^^*
meditandi de rationc fidei^ eileProslogium, publiée d'abord***
le titTO : Fides quœrey^s intellectiim, Ort peut citer enwffc^
traités de fîde Trinttatîs, contre Roscelin, et de Grammti^
contre le nominalisme. Enfin dans les deux livres deCasu diak-'
et de Libéria arbîtno, il traite de la liberté de l'homme, àeYori^^
du mal, de la grâce et de la prédestination.
Dans la question des unlversaux, il se montre réaliste^ d*^'^
sens do Platon, mais il n'a pas une doctrine suffisamment pr^^*
Ce qui rend surtout S. Anselme célèbre, dans l'histoire ài^
philosophie, c'est, en général, la profondeur de sa métapbj*i<l^'
uu peu obscure dans le style, et en particulier sa dfJmonstrs^^*
parement métaphysique de V existence de Dieu. La voici, ^
qu'elle se trouve dans le Prosloçium :
« L'ignorant lui-môuie^ est obligé de convenir qa il a i^^*
SC0LA8T1QUE * XI* SIÈCLE Ô4d
InteUigence l'idée d'an être aa-dessus daquel on ne saurait rien
imaginer de pins grand, parce que, lorsqu'il entend énoncer cette
pensée, il la comprend, et que tout ce que Ton comprend est dans
l'intelligence. Or, sans aucun doute, cet objet au-dessus duquel on
ne peut rien concevoir n'est pas dans l'intelligence seule ; car, s'il
n*était que dans VintelUgenc€y on pourrait au moins supposer
qu'il est aussi dans la réalité ; et cette nouvelle condition consti-
tuerait un être plus grand que celui qui n'a d'existence que dans
la pure et simple pensée. Si donc cet objet au-dessus duquel il
n*est rien existait seulement dans Tintelligence, il serait cependant
tel qu'il y aurait quelque chose au-dessus de lui, conclusion qui no
saurait être légitime. 11 existe donc certainement un être au-dessus
duquel on ne peut rien concevoir, ni dans la pensée, ni dans la
réalité. »
Saint Anselme crojait avoir réduit, par là, à leur plus simple
expression les arguments qui démontrent l'existence de Dieu, mais
il perdait de vue la condition hypothétique de toute conception
a priori ; ce qui rendait son argument insuffisant. (Voyez notre
Theodicéey N*> 18.)
Nous préférons l'argument platonicien que Saint Anselme avait
donné dans son Monologium: «L'immense variété des biens,
dit-il, ne peut subsister qu'en vertu d'un principe de bonté, un et
universel, à l'essence duquel tous participent plus ou moins
Celui-ci est nécessairement tel par lui-même, et aucun être ne
Test autant que lui. Il est donc souverainement bon, et en consé-
quence, souverainement parfait. 9 — « En argumentant de même
<le la grandeur inhérente à chaque être, on arrive nécessairement
à un principe de grandeur, et, par conséquent, de bonté absolue.
La qualité d'être aussi, qui appartient à toutes les individualités»
se résout incontestablement en un principe absolu d'être..... La
gradation des êtres selon leur dignité ne peut pas créer une hié-
rarchie sans terme ; elle exige nécessairement une dignité supé-
rieure à toutes les autres Cette puissance suprême, cause de
son existence propre, ne peut être venue après elle-même, ni être
inférieure à elle-même. Direz-vous qu'elle fut faite de rien et du
néant? En passant même par l'absurdité d'une telle conclusion, il
faudrait alors dire que le néant lui-même est cause Force est
donc de conclure que cette puissance existe d'elle-même, -n
644 HI'STOIRB DE LA PHILOSOPHIE
Un moine de Marmoutiers, nommé Gaunilon, répondit à
Saint Anselme, par son Livre en faveur de V ignorant {Liber pro
insipientej, qui ne manque pas de sagacité, mais qui no mon^
pas assez le faible de l'argument. Aussi S. Anselme répondit, «i
g'adressant cette fois au catholique, et crut triompher de soo
adversaire.
Nous n'admettons pas avec M. Bouchitté (Dict. de M. Franck, art.
Gaunilon) que cet argument revienne à la question soulevée par Kaat,
de < la légitimité du passage du subjectif à Tobjectif » et que dès iors
c la subtilité scolastique dût méconnaître la portée b d'un argument
dont la solution était réservée à <( une psychologie plus avancée ». La
psychologie n'a rien à voir en celte affafre, mais bien la plus pure méta-
physique; il n'y est pas question du passage du subjectif à l'objectif, li
de la légitimité de nos afllrmations sur les objets de notre pensée,
Saint Anselme ne raisonnait pas de la pensée à son objet, ni du liait
intellectuel à sa cause, comme plus tard Descartes ; il analysait une
idée conçue à priori et.prëtcndait, sans avoir établi la réalité de Vobjet de
cette idée, conclure à la réalité de tout ce que cette Idée renferme, ou-
bliant nous l'avons déjà dit, la condition tout hypothétique de son point
de départ .
250. Douzième siècle. — Le douzième siècle s'ouvre an
milieu de la querelle du nominalisme et lui fournit nn nouveau
défenseur du Rëaiasme, qui en sera comme le chef. C'est Gviir
LAUMBDE CHAMPEAUX, né au village de ce nom, près de Melnn.
Il commença à en enseigner vers Fan 1100, à Paris, où il eol
pour disciple le célèbre Abailard . Mais celui-ci étant devenu son
adversaire, Guillaume se retira en 1108 dans un faubourg de
Paris, où il fonda en 1113 Tabbaye de Saint-Victor, et il y reprit
son enseignement. Devenu plus tard évoque de Châlons, il mou-
rut Tan 1121.
11 ne nous reste riea des ouvrages de Guillaume de Ghampeaux.
et quelque intérêt que nous eussions à étudier le réalisme dans
son chef, nous en sommes réduits pour apprécier cette question â
l'exposition que nous en fait Abailard, el dont nous pouvon»
justement suspecter l'exactitude, outre qu'elle n'offre rien de pi^
cis.
Le Réalisme commença sans doute par affirmer rexisieDCtf
réelle et substantielle des espèces et] des genres et finit par euiei-
SCOLASTIQUR — XlT SIÈCLB 645
gner, que les espèces et les genres existent seuls véritablement;
la source de Tinclividualité n'étant qu'un accident, qui s'ajoute à
l'essence do Totre. Bientôt on en vint à supposer une substance, ou
comme on disait, une entité spéciale pour chaque propriété des
Atres. Il y eut la veiiu caléfactive, la vertu réfrîgérente, comme
la vertu dormiiive.
C'est que sous son apparente futilité, la question du réalisme et
du nominalisme embrasse la philosphie tout entière, et avec elle
les sciences et les arts, par les tendances que donnent aux esprits
les différentes solutions, et parles conclusions si diverses que Ton
en a tirées. Cependant, à vrai dire, la question est plus simple
qu'on n'a bien voulu la faire, quoique depuis Platon jusqu'à nos
jours elle semble à plusieurs \Mre restée sans réponse. Nous ver-
rons bientôt que Saint-Thomas Ta nettement tranchée.
Pierre Abailard (ou Abéîard) né en 1079 à Palais, près de
Nantes et mort en 1142 est plus fameux par les vicissitudes de
sa vie que par son talent, qui était remarquable. Doué d'un esprit
souple et profond, mais indépendant, il ne sut accepter les doctrines
d'aucun de ses maîtres, Roscelin, Guillaume de Champeaux,
Anselme de Laon ; il les quitta tous promptement, et se mit à
enseigner sans avoir appris. Sa parole facile et la nouveauté de
ses conceptions lui attirèrent de nombreux auditeurs. Mais d'abord
son attachement pour la fameuse Héloise le força de s'exiler en
Bretagne : à son retour il voulut enseigner là théologie, mais les
erreurs que l'on remarqua dans ses doctrines, et dans lesquelles ii
eut pour adversaire Saint-Bernard, lui valurent plusieurs condam-
nations, et, après s'être rétracté plusieurs fois, il finit par se
retirer au monastère de Cluny ou il montra la sincérité de sa con-
version par la pratique de toutes les vertus chrétiennes.
Jusqu'en 1836, les ouvrages d'Abailard que l'on connaissait por-
taient presque exclusivement sur la théologie. Ce fut Cousin qui
publia alors plusieurs opuscules de lui, dont Je but est tout philo-»
sophique. Les principaux sont: Dialectique j Sic et non, un frag-
ment sur les Genres et les espèces et des gloses sur plusieurs
livres d'Aristote . Mais on p3ut voir l'esprit philosophique d'Abai-
lard dans ses autres ouvi'ages : Introduction à la théologie^
Théologie chrétienne^ etc.
fS4(i HISTOIRE DE LA PHIL080PHIK
Son esprit incline à mettre la raison an dessus de la foi; il n
môme jusqu^à dire que Ton doit croire, non parce qae telle eitb
parole de Dieu, mais parce que Ton 8*est conyainca qae la ete
est ainsi. Son admiration pour les anciens lui faisait préférer Pb-
ton h Moïse, au point de dire que celui-là. montre mieux la boau
de Dieu que celui-ci. En Théodicée, il a professé par araa:^
l'optimisme de Leibnitz. £n morale il prétendait qae facû
n'ajoute rien à Tintention, considérait le péché originel comme vm
peine f et non comme une coulpe, et enfin regardait la grâce comae
n'étant autre chose que Tencouragement de Texemple.
Mais la théorie capitale d'Abailard, pour son temps, fut k
CoNCEPTUALiSME . C'était selon lui un milieu entre le aomiaali^iEf
et le réalisme, et il enseignait ainsi que les universaux ne soat ë
des mots ni des choses, mais des conceptions de l'intelligence, f^
mées par la réunion de ce qu'il y a de commun entre plusiesR
êtres. 11 est naturel de penser, que Roscelin, n^avait pas tosIi
dire autre chose, quoiqu'il s'exprimât autrement. C'était di»ie k
nominaiisme qui triomphait avec Abailard. En ce point il soivui
Aristote, quoique dans plusieurs autres questions il fût plus rap-
proché de Platon. Toutefois sa doctrine n'est pas encore rexpret-
sion exacte de la vérité ; car elle n'indique pas dans les choses le
fondement de nos conceptions universelles, comme l'avait déjà £ût
Boèce et comme devait le faire plus tard S. Thomas.
Avant Abailard et en môme temps que lui, nous trouvons, daai
une doctrine opposée, Gilbert de la Porrèe, né vers 1070 et
mort en 1154. Il soutint le réalisme et le poussa plus loin q»
Guillaume de Champeaux. D'abord chancelier de l'église de CllS^
très il assista, en 1140, à la condamnation d'Abailard, mab
devenu évéque de Poitiers, en li 42, il enseigna loi-même pis*
sieurs erreurs qui procédaient de son réalisme, et fut condamné par
UQ concile tenu à Reims, en 1148, où Saint Bernard soutint encûiT
la foi catholique. Il disait conformément à ses principes réalistei.
que la divinité est réellement distincte de Dieu^ qu'elle of
réellement distincte des trois personnes divines^ et que pv
suite ce n'est pas la nature divine^ mms seulement le seconde
personne qui s^est incarnée^ et enfin que tous les attributs dt
Dieu se distinguent réellement de Dieu lui-même. U m<»ti«
SCOLASTIQUB — XII* SIÈCLE 647
d'ailleurs comme Abailard cet esprit de prétendue indépendance
philosophique, qui renonce à tout guide.
Ainsi Tesprit des distinctions subtiles, qui s'emparait de toute
l'Ecole, menaçait le dogme catholique, et la philosophie elle-même
celle d'Aristote surtout, qui semblait en fournir le germe, porta
un instant la peine des méfaits que lui faisaient commettre se»
maladroits interprètes. En effet les premières années du treizième
'siècle nous montreront une multitude d'erreurs condamnées sous
le nom générique d'Aristotélisme, et dès la un du douzième nous
allons voir plusieurs hommes de mérite se défier de la philosophie
scolastique et recommander la méditation et la prière. C'est Je
injsticisme chrétien, que les vrais philosophes catholiques n'ont
jamais méprisé. Le premier théologien que nous allons rencontrer
dans cette voie, c'est Saint Bernard.
Saint Bernard, né en 1091, dans le village de Fontaine, eu
Bourgogne, d'une famille noble, quitta de bonne heure le monde
et entra dans l'abbaye de Citeaux, près de Dijon-; plus tard il
fonda le monastère de Clairvaux, près de Bar-sur-Aube, dont îl
fut le premier abbé, et il y mourut, l'an 1153. Nous l'avons vu
déjà veiller à la conservation de la foi catholique, contre Abailard
et Gilbert de la Porrée ; il réforma Tordre de Citeaux ; il fut l'ins-
tigateur des Croisades ; il est regardé comme le dernier des Pères
de l'Eglise, et honoré comme un de ses docteurs.
Sa philosophie, qu'il n'a pas exposée directement dans ses écrits
est celle de l'Eglise catholique, et s'il se sert de la raison pour
défendre la foi, on sent qu'il craint les empiétements des doctrines
philosophiques qui plus d'une fois avaient engendré de son temps
des erreurs théologiques . Aussi on voit qu'il préfère l'Ecriture
Sainte à Platon et à Aristote, et la méditation et la prière aux
subtilités de la dialectique. Cette directiqn d'esprit est ce qu*on
appelle le mysticisme ; mais il ne s'agit pas ici de cette prétendue
extase où l'imagination s'abandonne à ses rêves, comme dans
l'école d'Alexandrie ; c'est l'Âme humaine se livrant à l'action
directe de Dieu et goûtant la vérité par le cœur plus qu'elle ne
l'approfondit par la raison. C'est la pensée qu'exprimera plus tard
l'auteur de Ylmitation: « Cupio magis sênttre fiompunciionem
qtuim scire ejus definitionem, »
648 IIISTOIEB DE I.A PHILOSOPHIE
C'est cette disposition d'esprit et de oœur qni donne teift»
charme à son style, d'ailleurs tout rempli des expressions de ïï/R'
ture. Une seule citation fera comprendre sa manière d'cnvisa^
les questions philosopliiciues. Après un court préambale, il v-^a
mence ainsi son traitô de diligendo Deo : « VultU ergo i «
au dire, quare et qiwmodo diîigendus sit Dens f Et t^
Causa diligcndi Deum, Deus est; modus^ sine mododiUsm-
Est-ne hoc satis ? Fortassis ntique, sed sapienti. > Noos a ^
sayons pas de traduire, de peur d'ôter quelque chose an p^
de cette pensée.
Le pape Eugène III avait été religieux de Clairvani: Su»
Bernard lui adresse son Wxxede Consideratione, pourreng^»
veiller à sa propre perfection et au salut de tous, dans la M»i^
charge dont il venait d'être honoré (1145V, il Tinvite à se cas*
dérer comme le serviteur de tous, selon la parole de X. S. i^
Christ : « Voici, lui dit-il, la voix du Seigneur dans rEvaag*
Les rois des nations dominent sur elles ; quil «V» sùtt p^
ainsi paryni vous. Il est donc évident que la domination est u»^
dite aux apôtres..* . Voila ce qui vous est défendu ; voyons a ^^
vous est ordonné : Que celui qui est le plus grand juxrm «*
devienne comme le plus petit , et que celui qui préside t^
comme le serviteur, »
Selon M. Fouillée, S. Bernard, dans ce passage a résiste i^*
éloquence à Tesprit profane de domination et d'usarpaUofi I»
animait alors la papauté. » Nous ne voyons nuMement à^ossf
paroles le sens que leur prête M. Fouillée, et nous ne pensoBSp*
qu'aucun théologien y ait jamais vu autre chose qunne recoB^
dation d'humilité chrétienne et de douceur dans le commandem»!.
Cependant, tandis que Saint Bernard essayait de dôtouratf ^
esprits des excès de la forme scolastique, un autre docteur p<*^
les fondements de la théologie scolastique .
Pierre Lombard, ainsi surnommé parce qu'il était né pi* *
Novare, en Piémont, après avoir enseigné à Reims, fo^ '^
d'une chaire & Paris, et devint évoque de cette ville, en H^^*
mourut en 1160. Son ouvrage intitulé iS^w^^n^mrwmWri?»^^*''^'
qui lui valut le titre de Maître des Sentences, est un cours ^
plet de théologie, où les matières sont disposées avec métbo<i^'
SîCOLASTigUE — XII* SIKCLK 649
fut longteraps le manuel de tous les étudiants, et le texte des
leçons de tous les docteurs. On y voit plus que dans aucun ouvrage
des siècles précédents Tunion de la philosophie et de la foi, pour
onstituor la théologie. Il recherche, cite, explique et compare les
textes de l'Ecriture, les sentiments des Pores, et les analyse, &
l'aide de la métaphysique et de la logique.
Nous reconnaissons volontiers celte union, mais nous ne voyons pas
pourquoi M. l^Vanck, ou M. Houchitté, l'auteur de Tarticle Lombard
[Pierre), dans son dictionnaire, et mort avant l'impression de la
seconde édition que nous citons, en prend occasion de s'élever contre
a le dédain de certains esprits de nos jours, pour la raison humaine et
pour la philosophie. » Jamais les tl)éologiens catholiques n'ont dédai-
gné la philosopîiie, et l'Eglise a été la première à défendre les droits de
la raison humaine attaquée par les Traditionalistes. Mais la pensée de
Tauleur de cet article, maintenu par M. Franck, porte plus loin. 11 vise
l'indépendance et même la supériorité de la raison, vis-à-vis de là foi
et c'est là que nous sommes obligé de le condamner. La Foi a son
domaine ; la Raison a le sien ; elles s'unissent dans la Théologie; mais
la foi y reste toujours supérieure. Et même dans la philosophie pure,
son histoire nous a montré jusqu'ici et elle nous montrera encore, que,
lorsque la raison veut marcher sans guide, elle marche en aveugle ot
s'égare.
Mais Touvrage de Pierre Lombard n'obtint pas l'assentiment
de tous, et amena plusieurs esprits h se jeter davantage dans
Tesprit mystique, à l'exemple de Saint Bernard. Les trois chanoi-
nes de Saint Victor, Hugues, né en Flandre, mort h Paris en 1140,
et Richard, né en Ecosse, mort on 1173, réagirent contre la dia-
lectique, firent Téloge de la contemplation, et s'élevèrent contre
Pierre Lombard et son aristotélisme. Avec eux, Jean de Salisbury
évoque de Chartres, mort en 1180, condamnait l'abus de Targu-
mentation, mais il restait partisan d'Aristote et de la littérature
ancienne.
Ce siècle, déjî\ si tourmenté par tant d'hérésies et de luttes phi-
losophiques, fut encore bouleversé par les Vaudois, qui, sous pré-
texte de pauvreté évangélique, se séparèrent de l'Eglise catholi-
que et défigurèrent plusieurs de ses dogmes, et par les Albigeois,
qui renouvelaient les erreurs des Manichéens. Les uns et les
autres se livraient au meurtre et au pillage. Enfin, les dernières
650 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
années de ce siècle virent encore renaître le panthéisme, dans les
théories d'AMAURY de Chartres et de David db Dinan, qui toa.«
deux semblent avoir puisé leurs erreurs dans Scot Erigône. Mais
ici le panthéisme est formel . Le premier dit : « Tout est Dieu et
Dieu est tout, o Le Créateur et la créature sont une même chose.
Le second, après avoir distingué la pensée comme essence de Dieu
et des âmes, et la matière comme substance des corps, finit par
identifier la matière et la pensée^ et, par conséquent, le monde
avec Dieu.
Disons encore, pour compléter l'histoire des études à cette épo-
que, que rUniversité de Paris était alors si florissante qa*aii
auteur contemporain, Rigord, dans sa Vie de Philippe Auguste,
dit : « Nous ne lisons point que ni Athènes, ni TEgjpte, ni aucune
autre école du monde aient jamais eu un concoui*s d'étudiants plai
noftibreux. » Cette émulation venait surtout des privilèges dont
les étudiants étaient favorisés, privilèges- qui donnaient à des
hommes du peuple une considération égale à celles des nobles.
C'est ainsi que se préparaient, lentement, mais sûrement, la fusion
des classes et l'égalité des conditions.
— C'est dans le douzième siècle que vivait Averroès, le pins
grand des philosophes arabes.
S l. L'AP06tl DE LA SGOLASTiaUl (XIII^ SlICLI)
2oL Les Aristotéliciens. — Au commencement du treizième
siècle on donna le nom d'Aristotéliciens à des hommes qui, s*ap-
puyaut sur les principes d*Aristote, enseignaient une foule d'er-
reurs. En voici quelques-unes :
Erreurs sur Dieu:
€ En Dieu il n'y a point de Trinité, parce qu'elle est incompa-
tible avec sa simplicité parfaite. »
« Dieu ne connaît rien que lui-même. »
« Dieu ne connaît pas les futurs contingents, parce que ce sont
des choses particulières et que Dieu, connaissant par sa vertu
intellective, ne peut connaître ce qui est particulier. »
Erreurs sur Cdme:
a L'entendement humain est étemel, parce qu'il n'a point de
SCOLASTIQUE — XIII* SIÈCLE 651
matiôre, par laquelle ilsoitea puissance, avant que d'ôtre en acte. »
€ L'intellect actif est une substance supérieure et séparée. »
a Les intelligences supérieures créent les âmes raisonnables,
sans le mouvement du ciel ; les intelligences inférieures créent les
âmes végétatives et sensitives, à Taide du mouvement du ciel. »
« La volonté ne se meut point par elle-môme, mais par les corps
célestes. »
(( La volonté est de soi indéterminée comme la matiôre, mais
elle est déterminée par le bien désirable, comme la matiôre par
l'agent .
<i La volonté est nécessitée par la connaissance, et Thomme ne
peut s'abstenir de ce que lui dicte la raison ; ainsi on poche par
passion, mais non parja volonté. »
Erreurs sur le monde :
a Le monde est éternel, quant aux espèces qu'il contient. >
a Le philosophe doit nier simplement la création du monde,
parce qu'il s'appuie sur dés raisons naturelles : mais le fidèle peut
nier l'éternité du monde, parce qu'il s'appuie sur des causes sur-
naturelles. »
a La création est impossible, mais il faut croire le contraire
diaprés la foi. >
Erreurs sur la Théologie:
« Il n'j a point d*état plus excellent que de s'appliquer à la
philosophie, d
« Les philosophes seuls sont les sages du monde . »
4c La loi chrétienne empêche d'apprendre. »
Ces erreurs et plusieurs autres furent condamnées par l'évoque
de Paris en 1277. Déjà, dès 1215, pour des motifs semblables, on
avait défendu de lire les livres d'Aristote, excepté la Logique ;
mais cette défense dura peu.
252. Vue générale du XIII' siècle. — C*est donc parallèlement
et dans le môme temps, que l'erreur et la vérité se développaient,
sortant des principes d'Aristote. Dans le môme siècle, les ouvra-
ges du grand philosophe furent condamnés et atteignirent leur
plus haut degré d'influence. C'est le grand siècle du moyen-âge,
qui s'ouvre avec Innocent III, qui vit se fonder les ordres de Saint
François d'Assise et de Saint Dominique ; c'est le siècle de Saint
652 HISTOIRE DB LÀ PHILOSOPHIE
Louis ; c'est le plus beau *temps de Tarchitecture ogivale ë
l'art purement chrétien ; c'est le siècle de Saint Thomas. & i
cr)ntrastc, c'est aussi le siècle de Roger Bacon, qui lut iiiieai i
son homonjme François Bacon, le vmi promoteur de la sdei
moderne.
Dans ce mémo siècle l'Eglise tint trois conciles œcuraêuiqnes,
\\' de Latran, en 1215, le i'»* de Lyon, en 1245, le ii* de Lvo
en 1274.
Pierre de Blois, qui mourut en 1200, laissait un Traité d
Sciences; Guibï.AUME d'Auxerre, mort en 1230, écrit nneSoiAa
de Théologie ; Alexandre de Halès, mort en 1245, a écrits*
une Somync tht^ologique, et exposé les Sentences de Pierre Ua
bard ; Vincent dk Beauvais, mort en 1264, nous alai»'û
sorte d'encyclopédie sous le titre de Spéculum majtUf « *
Bibliothecn mundi, continens spécula quatuor: doctn'fià^
historinlej naturale et ynoraley in libres xxxii distributa.
Dans le même temps Guillaume d*Acvergnf, ou Guilla»»
de Paris f mort en 1249, et surtout S. Bon aventure, ffiort ««
1274, réagissaient cont)*e l'esprit des discussions scolastiqies ^
tournaient les esprits vers la contemplation, et l'on peut attribsf
une influence analogue à S. Antoine de Padoue, franel^a^
mort en 1231, et à S. Raymond de Pennafort, général d« A^j
nicains, mort en 1275. Avec ce dernier, Saint Pierre NoM
fonda, en 1223, Tordre de la Merci, pour la rédemption des
tifs, œuvre semblable h celle de Tordre de la Trinité, foB^|
1199, par Saint Jean de Matha et par Saint Félix de Valois.
Nous devons parler plus longuement d'Albert le Graod eî|
son disciple Saint Thomas, qui furent les lumiôi*es de la tb^
et de la philosophie, puis de leur émule Duns Scot, ainsi q'*]
Roger Bacon.
Enfin, pour que rien ne manque à la gloii'c de .c^ sièdc»'j
dans ce temps encore que Marco Polo, de Venise, mort » !•
fit son voyage dans Tlnde et dans la Chine et en écrivit larrf»^
Celte rapide esquisse doit suffire pour montrer qu'au mo«
les ténèbres n'étaient pas aussi épaisses qu'on a bien voulait'
et que Tintelligence humaine pouvait se développer h l'ai^
la domination du christianisme et de FËgllse.
8C0LASTIQUB — Xlll" SIÈCLE 653
253. Albert le Grand. — Albert, que ses contemporains et la
postérité ont surnommé le grand, à cause de son savoir immense,
appartenait à la famille des comtes de BoUstadt. Il naquit à
Lawingen, en Souabe, Tan 1193 ou, selon d'autres, Tan 1205.
Possédant à fond les écrits d'Aristote et des Arabes, il se livra
avec ardeur à Tétude des sciences naturelles et môme de Falchi-
mie, en môme temps qu'il enseignait la philosophie. Entré Tan
1222 dans Tordre des Frères Précheuirs, il fut chargé d'enseigner
successivement à Hildesheim, à Fribourg, à Ratisbonne, à Stras-
bourg, à Cologne et à Paris. Le plus illustre de ses disciples, S.-
Thomas, suivit ses leçons dans ces deux derniôras villes. Devenu
évoque de Ratisbonne, en 1260, il résigna bientôt sa charge,
comme incompatible avec ses travaux scientifiques, et se retira
dans son couvent, à Cologne. Cependant il en sortit pour prêcher
une croisade en Autriche et m\ Bohême, et après la mort de S,
Thomas, il vint à Paris défendre la doctrine de son disciple, que
plusieurs attaquaient. Il mourut en 1280.
La liste de ses ouvrages semt trop longue ; ils remplissent 21
volumes in-folio. Il y a des Commentaires sur Aristote, sur
V Ecriture Sainte^ sur S, Denys Varëopagite, et sur les Sen-
tences de Pierre Lombard; une Somme théologiqùe^ un Abrégé
de théologie^ etc.
Sa doctrine philosophique est celle d'Aristote, moins ses erreui-s.
Elle brille plus par l'érudition que par roriginalité ; mais elle ne
manque pas de profondeur, ([uoiqu'ello n'atteigne pas, h ce point
de vue, celle de S. Thomas. Plus que tout autre il contribua à
mettre en honneur la philosophie d'Aristote, en montrant, par
l'emploi qu'il en fit, qu'on ne devait pas imputer à cette doctrine
les erreurs de ceux qu'on appelait les Aristotéliciens. Il fit con-
naître aussi les travaux des Arabes, qu'il cite assez, souvent. En
résumé, il donna une base solide aux études et en étendit le cadre,
en môme temps que l'intéi^^t qu'il donnait à ses leçons inspirait
le goût de la science à des milliers d'auditeurs.
254. Saint Thomas d'Aquin. — Reconnu comme le plus
grand des théologiens, par ses contemporains, qui le surnommèrent
ï>octor angelicus^ par la postérité, qui l'appelle VAngc de
054 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
l'Ecole, et par l'Eglise, qui, au Concile de Trente, miti»&««
tMologlqw: à crtté de l'Ecrituro Sainte, dans la salle des dAl^-
lions, S. Thomas d'Aquin serait aussi le plus grand des phi"
sophes, si les doctrines qu'il nous a transmises n*(5taient pa?, «
grande partie, empruntées à Aristoto ou inspin>es par se? ^''^
Ainsi le mérite sans égal des œuvresdeS. Thomas, au point de y*-
^•ilosophique revient en partie à Aristole et, par lui, à Plat'»"
J»^ *e. Il y a ajouté les données de la foi catholique, te A<-
^ Socrav. '-es de l'Eglise, ses propres méditations et il a Ws
triiies des Pe. '<le fruit de la révélation divine et da îà*
ensemble ce dou^. ce chef-d'œuvre qui s'appelle ajuste t;^
humain pour en faire -ime du savoir de l'humanité dae? te
la Somme, car il est la. sou. a pu, depuis, éclaircir qnel-joa
questions les plus élevée». On • ft un point de vue pprfèn*
points laissés dans l'ombre, se placox . ' '., (Je sa doctrine et a
pour certaines analyses ; mais l'ensemb.- ^'ondementw*»!-
presque totalité de ses détails demeure comme le . -reux qm s:.
lable de toute philosophie et de toute théologie. Heu. oir f*
le cpmprendre ! car plusieurs l'ont dédaigné faute de la>. ^
pris ; et ce livre qu'il écrivit, comme il '« dit Im-m.J- ;^
les commençants ., à été banni des xîlasses aujourd hu., «"
trop au-dessus des intelligences frivoles de notre ^m^l^\^^
gue et son style ne sont plus en rapport avec "«^re <:ullare . ^
lectuelle. Peut-être, avec notre langue française, formée ^
dialectique de l'Ecole, où elle a puisé une clarté sa^ n«
pouvons-nous mieux dire ce qu'a dit S. Thomas, mais à co«r ^
en dehors des vé.-ités que seule peut fournir 1 expérience, no^^^^
possédons que tré8-p3u de vérit^-s qui ne soient pas, expUui
ou implicitement, dans la Somme de S. Thomas.
Thomos, fils de Landolphe de Sommacle, comte d Afi"- "«1
l'an 1226, au château de Rocci Sccca, prés du Mon*-';'^'"' \,
le royaume de Naples. Ayant fait ses premières études ct^^^
religieux bénédictins du Mont^Cassin, il voulut entrer dansl
de S. Daminiquo, mais sa famille lui fit une violente opp«>^ ^
11 triomphade tous les obstacles et parvint à sortir de 1 1" _
vint d'abord à Paris, puis à Cologne où il reçut les ^^^-^^^,
le Grand, qu'il suivit encore à Paris. Son caractère 8ilen«« ^^
ami de la solitude, sa démarche un pe:: lourde causée p»
SGOLASTIQUE — - Xlll* SIÈCLE 655
embonpoint assez marqué pour son âge, le firent surnommer par
ses condisciples a Bosmutus Siciltœn; ce qui montre un jugement
peu favorable pour son intelligence. Mais un jour, Albert le Grand,
qui jusque-là 'paraissait partager l'opinion de ses disciples sur
Thomas, l'ayant interrogé, celui-ci répondit d'abord par un défi-
nition, et ensuite il trouva dans cette môme définition la réponse à
toutes les difiîcultés que son maitre put lui faire sur le môme sujet.
C'est alors qu'Albert^ transporté d'admiration, s'écria, en parlât
àtous ses auditeurs: a Vos vocatishunc bovem mutum,sed olimiste
talem mvgitum dabit^quodin toto mictido sonahit, » La prédic-
tion s'est largement réalisée. S. Thomas après avoir refusé tous
les honneurs ecclésiastiques, quitta la France pour enseigner
dans plusieurs villes d'Italie, notamment à Naples, et comme il
se rendait au concile de Lyon, en 1274, il mourut dans l'abbaye de
Fosse-neuve, près de Frosinone, dans le diocèse de Terracine. Sa
piété et sa science lui valurent, 50 ans après sa mort, les honneurs
delà canonisation, en 1323. Et comme on objectait qu'il n'avait
pas fait de miracles, le pape, Jean XXII, répondit : « Quoi scinp-
sit aiHiculos, tôt miraotcla fecit. »
Après cet éloge si mérité, il semble que nous devrions exposer
longuement ici les œuvres et la doctrine de Saint Thomas; mais
ses œuvres sont extrêmement nombreuses, elles remplissent
jusqu'à 23 volumes in-folio ; et poui» exposer sa doctrine il nous
faudrait redire ici, avec une terminologie difi*érente, presque tou*
ce que renferme notre cours de philosophie. D'ailleui*s nous avons
déjà, dans ce même cours, fait connaître la théorie de Saint Tho-
mas sur chacune des principales questions, avec sa terminologie.
Nous ne donnerons donc qu'une vue d'ensemble.
Les œuvres de Saint Thomas renferment des Commentaires sur
les principaux écrits d'Aristote, des Comme7itaires sur l'Ecriture
Sainte, et notamment la Catena aurea^ commentaire suivi, sur
l'Evangile, où s'enchsdnent en s'expliquant mutuellement un nom-
bre incalculable de pensées exclusivement empruntées aux Pères
de l'Eglise ; des Commentaires sur les sentences de Pierre Lom-
bard; la Somme théologique, son chef-d'œuvre et le chef-d'œuvre
des ouvrages de ce genre ; la Somme philosophique ou contre le^
Gentils, dans laquelle il expose et démontre sur Tàme et sur Dieu»
656 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
toutes les vérités que les païens auraient. pu connaître, en àéhc^
do VEcriture Sainte. On y trouve en outre plusieurs Oj>?^#^^*'-*'
sur diverses questions do philosophie et de théologie.
Sou principal ouvrage, la Somme thf^ologiqitCj qui, tout ei
s'appuyant sur la foi, invoque perpétuellement la raison, soitpoir
pénétrer plus avant dans les mjstéres, soit pour en montrer b
convenance, est divisée ainsi : Après un préambule sur la Docim'
sacrée, qui est la théologie, Saint Thomas ♦ divise son suje* «
trois parties : P de Dieu et de là créature; 2** du movt'efnertt A^ h
créature raisornable vers Dieu; 3*^ de Jésus-Christ qui est iiMr?
voie pour aller à Dieu.
La première partie embrasse trois traités : 1** de Dieu consi»^^:^
dans son essence et dans ses attributs ; 2* de Dieu dans la distioî-
tion des trois personnes divines ; 3° de la jirocession des créato'p^
de Dieu, et en particulier des hnges et de rhomme, considm?
dans leur nature et dans leurs facultés. C'est dans ce dersiff
traité que se trouve la psychologie de Saint Thomas, conime a
théodicée se trouve dans le premier, car toutes les question?.^
sont traitées aussi bien au point de vue de la raison seufe qu'sT
point de vue de la foi. Le traité de la Trinité, lui-même, secïble
un traité purement philosophique, et celui qui ne remarquerait
pas le seul 2^01 nt où la conséquence n'est pas du ressort de la rai-
son pourrait croire que le mystère de la Sainte Trinité s'y trouve
démontré. Il n'en est rien, mais du moins, il y est mag-nifiqueîiie-ît
exposé. On peut lire, pour s'en convaincre, l'éloquent rés'ic'
qu'en a donné le père Lacordaire,' dans une de ses Coufth-ences d?
rs'otre-Dame, à Paris.
La deuxième partie traite do la fin de l'homme et des mov^n*
par lesquels l'homme y tend ou s'en éloigne. On y trouve les t^«-
sidérations les plus profondes et Jes plus exactes sur la fin, î=nr Li
béatitude, qui est la fin dorniOrede l'homme, sur les actes humain*
et sur tous les éléments qui concourent k lojf former, sur la moni-
lité de ces mêmes actes, sur les passions qui souvent les inspires^
sur les habitudes en général et spécialement sur les vertus et 55:
les vices, sur le péché, sur les lois morales et sur la grâce qo:
nous aide tl les accomplir.
Après ces considérations générales, comprises dans la parti*
SC0LA8TIQUB - XUl" SIÈCLE 657
Bip^elée prima secundœ , Saint Thomas pa0se> dans la, secunda
secundœ, à Texameti détaillé des actes conformes ou contraires à
chacune des vertus théologales et morales. Il achève cette partie
par l'étude des conditions particulières ou spéciales faites par
Dieu à quelques hommes et des devoirs propres à chacun de ces
états, tels que la prophétie, Textase, le don des miracles, la vie
contemplative ou la vie active, Tépiscopat et la vie religieuse.
La troisième partie traite 1<» de Jésus-Christ dans le mystère de
son Incarnation, et dans tous les actes de sa vie mortelle; 2? des
Sacrements, en général et en particulier; S*» de la résurrection et
de l'immortalité hienheureuse, fruit des mérites de Jésus-Christ,
qui nous sont appliqués par les sacrements.
Voilà une bien faible idée des richesses intellectnelles,philosophi-
ques et religieuses, renfermées dans la Somme de Saint Thomas,
un résumé bien insuffisant à faire soupçonAer môme ce qu'il j a de
vérités profondes et sublimes autant que solidement établies dans
ce résumé de la théologie catholique. On ne saurait imaginer,
d'avance, ce que l'âme humaine tout entière, rintelUgence, le
cœur, la volonté, peuvent gagner à cette étude, et combien large-
ment on est payé, à la fin, des quelques efforts que l'on a dû faire
pour s'initier h ces doctrines. Car il y a quelques efforts, même
pour les esprits les mieux doués, et d'ailleurs il est indispensable
d'emprunter, au moins pendant quelques années, le secours d'un
maître vraiment capable. Mais une fois que l'on est parvenu à
marcher seul, dans ces voies difficiles, quoique larges et bien tra-
cées, on y trouve chaque jour des vérités que l'on n'avait pas
aperçues tout d'abord.
Il nous reste encore à faire connaître les théories de Saint Tho-
mas sur des questions alors très agitées et dont on semble ne plus
comprendre aujourd'hui ai le sens ni la portée. Nous voulons
parler de la question des universaux^ de la théorie des idées^images
et àiVi principe de l'individuation, Mais,pour ne pas nous répéter,
nous les exposerons en parlant de Roger Bacon, qui combat sur
tous ces points la doctrine de Saint Thomas et nous semble pour-
tant plus d'accord avec celui-ci qu'il ne le pense lui-même.
255. Rogner Bacon. — Le nom de Bacon a quelque chose do
prédestiné; les deux hommes fameux qui l'ont porté se ressemblent
658 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
tellement qa'on les confondi^ait, s'ilb n'araient Téca à pb ^
trois siècles de distance Tun de Tautre.
Roger Bacon, né en 1214, près d'Ilchester, da&s le comW é»
Sommerset , en Angleterre , étudia d'abord dans roaiveRi^
d'Oxford, dont Tesprit tranchait déjà sur les autres écoles de «
temps, et semblait préférer les sciences physiques à la phik^fi*
Après ayoir puisé là une tendance à mépriser la science des*
temps et à se tourner vers Texpérience, Roger Bacon vintàPsrA
et au lieu d'y suivre les leçons des maîtres de cette univcrsi-'t
célèbre, il se fit le disciple d'un alchimiste, dont il nous »w<
lui-môme le portrait intellectuel et moral et qu'il nonune Pie^
de Maricourt. Avec son esprit indépendant et novateur, Rcfff
Bacon eut tort de se faire religieux •, il entra dans l'ordre ds
franciscains. Aussi c'est de son ordre même que lui vinrent loasa
les persécutions qu'il endura, quand il eut commencé à déaigî®
publiquement la philosophie, les maîtres illustres qui l'enseigniitf
alors et l'Eglise elle-même, et quand il émit plusieurs dociiûs
contraires à la foi catholique.
Pendant de longues années et à diverses reprises, il Inî ^*
défendu d'écrire et d'enseigner ; mais il trouva de puissante p
tecteurs, qui lui firent rendre pour quelque temps la libeHé- U
fut d'abord Guy de Foulques, devenu pape, en 1265, sous leip-*
de Clément IV, par l'oindre duquel il écrivit sesidées, dans r^>p*'
majus, VOpus minus et VOpus tertium, et quelques années apns
la mort de celui-ci, Raymond Gaufredi, général des Franciscsui»?-
en 1292. Mais Roger Bacon n'avait plus que deux ans à vivre e
laissa inachevé l'ouvrage qu'il commença alors, âgé de soiiM^^
dix-huit ans. Il mourut vers l'an 1294.
Ses nombreux ouvrages que l'on s'efforça de faire disparai»^
après sa mort ne nous sont parvenus qu'en lambeaux. On p^^
voir, dans ce qui reste, que Koger Bacon devança son épwi*
Quoique vivant avant la renaissance, il en possède déjà lesqw
lités et les défauts. Il proclame l'inutilité du syllogisme et vacte
l'observation qui, dit-il « s'étend jusqu'à la capse, qu elle décou-
vre. » Pour lui, la science vraie est celle qui a une utilité praiif ?
qui s'applique à la cjnstructioii des maisons, à la fabrication o^
machines destinées à au^^raenter la puissance de l'homme. li ^^^
SCOLASTIQUB. — Xlll* 8IÊCLB 68ft
mande avant tout Tétude des langues savantes, Thébrea, le chai-
déen, l'arabe, le grec : il savait lui-même ces langues. Il professe^
aussi une haute estime pour les mathématiques. Il relève autant
qu'il le peut la puissance de la raison, qui est pour lui une perpé-
tuelle révélation de Dieu et par conséquent aussi divine que 1&
foi. Mais c'est en cela précisément qu'il va trop loin. Il rejette toute
autorité philosophique et va jusqu'à dire que rapprobation univer-
sellement donnée A Aristote est une marque certaine de l'erreur de
ces doctrines, tandis qu'ailleura il veut retremper la science chré-
tienne aux sources grecques. En un mot, il se montre le précurseur de
la science contempoi*aine, mais aussi du libre examen. PIqb habile
h détruire qu'à édifier et semblable à sou futur homonyme, il est
non pas un réformateur, mais un réformiste. On doit cependant
reconnaître que s'il n'a pas inventé, comme on l'a dit souvent,, la
boussole, les lunettes, la poudre à canon et peut-être la Tapeur,, il
les a, du moins, entrevues de loin et en a deviné les puîssants
effets.
Sur la question des univeraaux, il croit dire autrement et mieux
que Saint Thomas, en repoussant tout à la fois le nominalisme et
le réalisme et en soutenant que l'individu seul est réel ; que le
monde est fait pour des individus et non pour l'homme uni ver-
Sv^l, et que cependant les idées universelles ne sont pas seulement
dank"* l*i'^^^llio®ûC8,mais qu'elles expriment les caractères par lesquels
les ÎQQ^'^iJus se ressemblent. En sorte que l'individu est l'être lui-
même et J*®^P^^® ®^^ ^'^ ^^PP^^^ entre plusieura êtres. Or, c'est
précisément ^^^^ ^^ ^^^^ *ï^® Saint Thomas avait tranché la
question en diss'^'^* Que l'espèce n'a pas d'existence réelle en dehors
de l'individu mais que tous les caratôres dont l'ensemble constitue
l'espèce ?o trouvent diXns chaque individu.
Cette manière de résoudre la question de l'espèce et de l'indi-
vidu amenait nécessairemeni, la solution du principe d'individua-
tion Tous les philosophes ont plus ou moins distingué, en des
termes différent», la forme et la matière, et ils ont attribué à l'une
ou à l'autre le principe de Texistence ; mais il en soi*tait toujours
une sorte do panthéisme. La scolastique, après Aristote, attribuait
l'acte à la forme et la passivité à la raatiOre, et en môme temps
la forme était l'ensemble des caractères spécifiques ; la matière, là
660 HISTOIRB DE LA PHILOBOPHIK
limite de la forme et par suite le principe de rindiTidn&Uci
Roger Bacon^ rejetant toutes ces théories, déclara que rinditiiË
est individu parce qu'il existe; Tétre étant essentiellement ^1^:-
duel. C'était arrêter la question avant son terme, mais bob H
résoudre. Mais d'un autre côté ce n'était pas s'écarter beane»?
de la théorie de Saint Thomas, qu'il prétendait combattre, et -îii,
tout en enseignant que la matière individualise la forme en a
limitant, enseigne aussi formellement que les êtres a)nt (-^
individuellement et non en espèces, qu'un seul acte de la nh±
du créateur produit simultanément la matière et la forme de cbr
que individu, et finit par dire que ce qui distingue un indi^^^
d'un autre, c'est son étendue et Tespace qu'il occupe, etqne «îî?
limite lui vient de sa matière.
Quoi quMI en soît, nous ne pouvons admettre avec M. Emile Ouj^
(Dict. de M. Franck), que la solution de Roger Racon « ruine la tlao-
rie des formes substantielles simplifie les questions de la sens»
en les séparant des hypothèses métaphysiques et supprime les sp«^
tions de TEcole sur les substances séparées. » Non, la science nep»
se séparer de la métaphysique ; il laut bien, bon gré malgré, qa«*
ai!irme quelque chose des substances et des causes de tous les ^^"
mènes dont elle étudie les lois, et les substances séparées donl part"*
l'Ecole ne sont rien autre chose que les âmes humaines. Nous ce F^
sons pas qu'on ait encore supprimé cette « spéculation ».
Roger Bacon combat aussi, dans Saint Thomas et daBSwa'
l'Ecole, la théorie des idées-images. Il déclare qu'il n'y * r^
d'intermédiaire entre l'objet connu et l'ilme qui le connaît, etq
ridée qui se forme en nous à mesure qu'un corps agit sur nf^^
est un acte de l'âme provoqué par l'action de Tobjet, et non pft^s
image de l'objet servant de moyen pour le connaître. Icien^'
nous sommes convaincu qu'abusant de l'équivoque des mots, RV
Bacon, comme plus tard ArnauM de Port-Rojal, prê^ ^ ^^\
Thomas et aux scolastiques une théorie qui n'est pas lalear. i^
avons exposé, page 283, la théorie de Saint Thomas sur ïi'^^^'
gence, et nous avouons n'avoir jamais vu dans les espèces «^^^
bles^ ni dans les espèces intelligibles y dont il parle, riôfl qj^'
semble à cet intermîidiaire, à catte idée-image qu'on lai pi^^-
apparences sensibles de Saint Thomas sont l'eftet immédi*
SCOLASTIQUE — XIII" SIÈCLE 661
'action d'un corps sur les sens, et les apparences intellig'ibles
;ont le résultat de Fabstraction, qui ôte à cette perception le temps
ït le lieu, ^abstrahendo ab hic et nunc », et ne laisse plus, en
)résence de Tintelligence, que runi\ersel, qui seul est de son
i^ssort .
Ainsi, nous Tavons dit, et nous ne pouvons que le répéter^ en
terminant ce numéro, Roger Bacon a Tesprit de François Bacon,
^ue nous verrons plus tard ; il comprend mal ses contemporains,
ôt il les méprise, parce qu'il leur trouve des torts qu'ils n'ont pas.
C'est encore, de nos jours, le défaut de l'Ecole expérimentale : elle
ne voit pas que nous pratiquions avant elle tout ce qu'il y a de
bon dans sa méthode, et que, dans cette môme méthode, elle s'ar-
rête en chemin, tandis que nous en atteignons le terme.
256 . Duns Scot. — Jean Duns Scot, né en 1274, en Irlande
ou en Ecosse, peut-être môme en Angleterre, étudia' à l'université
d'Oxford et fut reçu docteur à Paris, en 1307. Il se mit aussitôt
à y enseigner et devint bientôt la lumière de Tordre des Francis-
cains, auquel il appartenait. Appelé à Cologne, il j mourut en
1308, âgé seulement de trente-quatre ans. Il laissait cependant de
nombreux écrits et des disciples enthousiastes, qui soutinrent long-
temps son opposition à Saint Thomas. Ses œuvres forment 12 vrolu-
xnes in-folio. On y remarque principalement ses Commentaires
sur le Ma£tre des Sentences, qu'il écrivit pour réfuter Saint
Thomas.
Ce qui distingue la j^hilosophie de Duns Scot, c'est d'abord le
réalisme, puis le principe d'individuation et enfin l'importance
qu'il donne à la volonté, contrairement à Saint Thomas, qui fait
plus de cas de l'intelligence. Le reste de ses divergences avec le
docteur angélique dérive presque toujours de ces trois chefs.
Ayant d'abord affirmé que l'universel est un être, parce que le
non-être ne saurait être conçu, il suppose dans chaque être une
entité particulière qui est son espèce ; mais; en môme temps, il y
voit une autre entité, comme principe de son individuation, c'est
Vhœccéité , Etre ceci ou cela est une entité positive ^ qui n'est ni
la forme, ni la matière, ni môme l'union de l'une et de l'autre.
Ses adversaires lui reprochèrent d'avoir multiplié, sans motif, les
êtres. Entia non stmt multipîïcanda prœter necessitatem»
662 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Contrairement à Saint Thomas qui semblait dire, malgré »
théorie de l'Ame séparée et de sa subsistance distincte en cetétst
que les âmes, étant de môme espèce, ne se distinguent les m&^
autres que par leur union avec des corps' distincts, Duns Scft p*
en principe que Tâme est une force avant conscience d'ellMB^'*
et qui possède par elle-même sa j^articularité . Et comme Ha^'^"
dualité de TÂme se voit surtout dans ses actes de volonté, ildern
mettre plus en relief la volonté, et placer le bonheur dans la '^^
lonté et non dans rintelligence. C'est ce qu'il fit. De là tontes la
disputes entre les thomistes et les scotistes sur la béatitadc, &
l'éternité, sur la liberté, la grâce et la prédestination.
L'éternité est simulta^iée, pour Saint Thomas ; elle est^i*'^
sive, pour Scot; et cependant, par une sorte d*incoDS^Bas».
Saint Thomas croit et déclare qu'en dehors de la foi on ne peatpM
démontrer la non-éternité du monde, et Scot démontre qo« «
monde n'est pas éternel, par des raû^ons qui ne sont Talal»
qu'autant que l'éternité est simultanée et non successive. Surcée
question la philosophie classique donne raison à Scot contre b^fi-
Thomas et démontre que le monde ne saurait être éterod, p^
qu'il a des Successions; mais en môme temps elle donne raison
Saint Thomas poutre Scot sur la nature de réternité.
Il est une autre question aussi où Scot à toujours eu raison, o^
ne dirons pas contre Saint Thomas, mais contre les ancîens thoiai^
mais cette question n*est pas philosophique. C'est le dogme deliiû^
culée conception de la Sainte Vierge, que l'Eglise a défini le 8 D^^
bre 1854. 11 fut longtemps affirmé par lés scotistes et nié par l« ^
mistes, qui allèrent probablement jusqu'à Interpoler la Somyne, poo^
faire entrer leur erreur. En effet les preuves apportées par M. »™
Lâcha f, pour établir que cette thèse n'est pas de Saint Thomas, bo^*
paraissent au moins très- fortes, sinon pèremptoires.
Selon Scot, la volonté divine est antérieure à la vérité et à
loi morale. Le bien est bien parce que Dieu le veut ainsi, l^^
philosophie classique n'est pas avec lui : elle déclare que la r*^
du bien se trouve dans l'essence même de Dieu et que Die^
saurait ehanger la loi morale éternelle, pas plus que se change
Ini-méme.
SCOLASTIQUE — XIV» SIÈCLE 663
Nous ne saurions terminer Tétude de ce siècle sans nommer
[IA.YMOND LuLLE, de Palma, île de Majorque, né en 1235, auteur
ie VA7's magnUy sorte de mécanisme logique, moyennant lequel
iea propositions et les syllogismes se montraient tout faits à Toeil
îu lecteur qui avait soin d'en mouvoir les cercles et de les placer
i'aprôs la question posée. Ses efforts pour convertir les Arabes lui
font plus d'honneur que son art. 11 fut lapidé par les mahométans
&i mourut martyr à Bougie, en 1315.
SS.DiCLIN.DK LA SGOLASTIÛDS (I1T« SliCll).
257. Théologiens scolastiques. — Le seul nom remarqua-
ble que Ton puisse encore citer dans le quatorzième siècle est celui
de Guillaume d'Ockam. Né à Ockam, dans le cçmté de Surrey,
en Angleterre, il se fit franciscain, fut disciple de Duns Scot et *
devint plus tard son adversaire. Sa mort eut lieu en 1347. 11 res-
suscita le nominalisme, dans un sens analogue à celui de Roger
Bacon; ce qui ne rempôche pas d'attaquer Saint Thomas en même
temps que Duns Scot. 11 condamne aussi la théorie des idées-images,
dans le môme sens que Roger Bacon. Jusque là il reste dans la
vérité, et son seul tort est de voir dans S, Thomas une théorie
qu'il u*a pas émise. Mais il tombe lui-môme dans une grave erreur,
quand, tirant les conclusions des principes de Duns Scot, il déclare
que € Dieu pourrait décréter bien ce qui est mal. » Plus que tout
autre il contribua à répandre ce principe que Leibnitz appellera
plus tard le principe de moindre action et qu'il exprime de deux
manières : Entia nonsunt multiplicanda,prœter necessi totem. »
ou autrement : « Frustra fit perplura qiwd fieripotest per pau-
ciora, )) Mais ces principes sont plus anciens que lui. 11 s'en ser-
vait contre le réalisme.
Avec lui, DuuAND de Saint Pourçain, mort en 1332, soutint les
mêmes doctrines.
A la môme époque Jban Buridan, qui vivait encore âgé de
plus de soixante ans en 1358, soutint aussi le nominalisme. A
l'imitation de Raymond Lulle; il essaya de donner des règles pour
trouver les moyennes, dans les syllogismes, et on nomma son art
le pont-aux'ânea , Il attaque ïa théorie de la liberté d'indiffé-
664 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
rence, mais c'est pour en conclure le fatalisme, ou aa ïïim z
déterminisme très-prononcé. C'est sans dout^ en exposant ôe^i^
voix sa théorie qu'il faisait rargument qui Ta rendu célèis*î
qu'on appelle Vâne de Buridan. Cet argument n'est pas to a
ouvrages. Le voici : a Un âne se trouve, ayant égalemes: lia
et soif, entre un boisseau d'avoine et un seau d'eau. Qaefertt-:
Les deux attractions sont les mêmes. S'il se décide pourmiESB
d'abord, ou pour boire, c'est qu'il a le libre arbitre. Sm ^
mourra de faim et de soif, entre un boisseau d'avoine et Qfi««
d'eau. »
Citons encore Walter Burleigh, qui dans sa théarie à«
universaux essfiye de se placer entre Duns Scot et GuiUus^
d'Ockam. Il apporte sur cette question quelques raisons aenvtf
Thomas de Bradwardin, archevêque de.Cantorl^épj, confonit^
liberté avec la volonté nécessaire. Ses opinions furent condaiBBàs
en 1348. Jean Wiclbff enseigna la môme erreur an miliea^
beaucoup d'autres, et ameuta contre les évoques le peuple ec te
seigneurs. L'archevêque de Cantorbôrj fut massacré. Condâ^a
en 1392, Wicleff mourut la même année.
258. Théologiens mystiques. — Toutes ces dicassions 9Si
fin et les erreurs qui les accompagnaient amenèrent une r^^
Jean Tauler, né à Strasbourg en 1290, dominicain, et illBàtft
prédicateur, mort en 1361, essaya de détourner les esprits <fc^
disputes stériles en les dirigeant vers la pratique des vertus cbK-
tiennes, par l'union de l'âme avec Dieu. Quoiqn'efl ^
M. Franck, nous ne trouvons rien que de trôs-catholique, riea »
néoplatonicien, dans le mysticisme de Tauler.
Jean Charlier, connu sous le nom de Gerson, du village ^^
était né, en 1362, dans le diocèse de Reims, suivit la même r^
Deveim chancelier de l'université de Paris, il employa tooâ s*
efforts à* réformer les mœurs et les études dans le clei^tS ^
bouleversé par le grand schisme. Ses avis fondés sur les prihci?*
gallicans n'ayant pas été suivis aii Concile do Constance, il ?°*'
le concile et se retira à Lyon, dans^ le couvent des Célestins. C^
là qu'il écrivit ses livres ascétiques. 11 y mourut en 1459 *
exposa et recommanda la théologie mystique, comme sapén^^"*
à la théologie spéculative. Elle consiste à «saisir Dieu par ï^l
SOOLASTIQrE — XlV SIÈCLE 665
plutôt que par l'intelligence et à se laisser guider par la foi plus
que par la raison. C'est le mysticisme chrétien. M. Jourdain, qui
veut quand même (Dict, de M. Franck.) y voir le mysticisme
alexandrin, s'étonne d'abord que Gerson ait pu avec cet esprit
tourné vers la contemplation se livrer avec tant d'activité à la vie
publique. Cette union de la vie active à la vie contemplative est
ordinaire chez les Saints. Plus loin le môme M. Jourdain exposant les
principes théoriques de Gerson sur la théologie mystique, donne
comme théorie propre du chancelier l'exacte théorie des facultés
de Fârae d'après Saint-Thomas, et ne cesse pas d'y voir les prin-
cipes d'un mysticisme qu'il s'efforce de trouver différent de la foi
catholique dans ces conséquences. Le seul point sur lequel Gerson soit
réellement dans l'erreur^ c'est l'origine arbitraire qu'il donne à
l'idée du bien, en disant après Duns Scot et Ockam : a Dieu ne
veut pas certaines actions parce qu'elles sont bonnes ; mais elles
sont bonnes parce qu'il les veut. » Malgré cette erreur Gerson
jouit encore d'une réputation de piété incontestable. Plusieurs l'ont
cru l'auteur de V Imitation de Ji^sns-Christ, que l'on attribue
plus généralement à Thomas a Kempis, chanoine régulier dor
Cologne, né en 138), mort en 1 171, ou encore à Gersen, bénédic-
tin piémontais, qui vivait dans le xiii* siècle.
Nous ne saurions passer sous silence rapprêciation, que donne
M. Fouillée, de riniilatioii do Jcsus-Chrîst. Après avoir appelé co livre
« l'admirable expiession d'un .mysticisme populaire » et en avoir indiqué
exactement le cnraclère, « dans le soufïle d'une piclé ardente (jui préfère
à îa science l'amour. » Il ajoute : « Mais quelque admirable que soit ce
« livre par la connaissance do la vie contemplative, il est loin de don-
c ner une idée exacte et complète de la vie réelle, surtout de la vie
c civile et politique. C'est la morale du religieux qui a (ait vœu d'obéis-
•
c sance, plutôt que de l'homnie et du citoyen libre. » Et après avoir
cité encore deux pensées de ce livre, il dit « C'est l'idée du droit qui
a est ici repoussée, c'est le commerce des hommes qui est rejeté, c'est
a le dégoût delà vie sociale qui est inspiré. Une telle doctrine encou-
a rage la tristesse et l'inertie: préoccupée du seul soin de rai)procher
a l'homme et Dieu, elle reste îndifTérente aux grandes injustices socia-
e les. Par cela même, elle exprimait fidèlement le véritable esprit du
a moyen-âge. » C'est cette appréciation qui est à nos yeux a une grande
« injustice ». Injuste envers le livre, injuste envers le moyen-tige
M. Fouillée se montre plus encore injuste envers tous les catholiques
66ti HISTOIRE DK LA. PHILOSOPHIE
qui font profession de piélé. Car tous lisent et reliseat riuiircifc'
tous en inspirent leurs pensées et leurs actes, et pourtant, qui, sika
((u'euîc, exerce tous les devoirs de la vie réelle, de la vie civile et P'i-
tique ? qui, mieux qu'eux se montre iiomme et vraiment lib^' <t-
mieux qu'eux respecte le droit d'autrui, et travaille à réparer pari*
charité les a grandes injustices sociales d. Les hommes qui pas*
leur vie dans les cercles, les cafés, les théâtres, les maisons de corni|:-
tion, les bals, et autres fêtes mondaines, sont-ils donc plus ntaesâ^
société que ceux qui soignent les malades et les vieillards dans k*
hospices, qui instruisent gratuitement les enfants des pauvres, se ass-
tentant d'obtenir en retour, de la société, un morceau de pain «ss»-
sonné d'injures; qui consacrent leur vie tout entière à opérer le r»?-
prochement entre les classes riches et les classes pauvres, dont la ^
sociale moderne développe l'antagonisme ?
Il faut citer encore parmi les mystiques de ce temps, Srso.
bénédictin de Constance, mort en 1365, et Jean Rysbrobck, aifls
nommé du lieu de sa naissance près de Bruxelles, en 1293, ©^^
en 1387, qui tous doux suivirent de plus près les doctriaes*
Maître EcKART, mort en 1328, et comdamné en 1329, aveew
Beghards, dont il avait été le docteur.
Les Beghards, ou Beggards étaient dans le principe, des reli-
gieux, particuliôremeiit de Tordre deSt François, qui faisaient p^i"
fession d'une vie plus austère et plus contemplative. lis sW^
gnirent bientcVt de nombreux laïques qui vivaient en oommoD t
suivaient les mômes pratiques. On les interdit mais ils n® ^^^
rent pas se séparer et remplirent bientôt l'Europe de leurs clamô"^
contre le pape et les évoques.
Leurs erreurs partaient toutes d'un seul principe. Ils se d^^
parvenus à un tel degré de perfection par la seule contemplatif'
que tout leur était permis, sans qui leur fut possible de P<^*[^"
Par là-môme ils se disaient indépendants de Téglise, et ajoaUifi"'
que la vertu n'est imposée qu'aux imparfaits, aussi bien ([^
culte extérieur, tandis que les parfaits pouvaient sans eru»
donner à leur corps toutes les satisfactions*
259. Obsenration sur la Soolastique. — Née da mélao?'
ou plutôt de l'accord, de la foi avec la philosophie grecqoe «
principalement avec la philosophie d'Aristote, la Scolastiqo^ *
SCOLASTIQllK — XlV SifeCI.B 665
pl'iUt que par l'intoUigËnce et à sa laisser gaider par la foi plus
que par la raison. C'est le mysticisme chrétien. M, Jourdain, qui
veut quand mâme (Dict, de M. Franclt.) y voir le mysticisme
a)e:taadrin, setonno d'abord que Gersoa ait pu avec cet esprit
tourné vers la contemplation se livrer avec tant d'activitii a la vie
publique. Cette uoion do la vie active ft ia vie contoraplative est
ordinaire chez les Saints. Plus loin lo mûmoM. Jourdainexposantles
principes théoriques de Gerson sur ta théologie mystique, donne
comme théorie propre du chancelier l'exacte tliéoiîp des facultés
de l'Ame d'après Saint-Thomas, et ne cesse pas d'y voir les prin-
cipes d'un mysticisme qu'il s'ell'oree de trouver différent de la foi
catlioliquedansccsconséqnences. Le seul pointsur lequel Gerson soit
réellement dans l'erreur, c'est l'origine arbitraire qu'il donne ù
l'idée du bien, en disant après Dans Si;ot et Ockam : « Dieu ne
vent pas certaines actions parce qu'elles sont bonnes ; maïs elles
sont bonnes parce qu'il les veut, n Malgré cette erreur Gerson
jouit encore d'une réputation de piétù incontestable. Plusieurs l'ont
cm l'auteur de l'Imitation de Ji'xxs-C/irist, que l'on attribue
nlua a'énôralement A TltOMAS a Krmpis. (;hn.nfiin« r/'O'ulier de,
bénédic-
a donne
r Indiqué
il prÉFôre
e soit ce
de don-
i d'obéis-
li-oil qui
pprocher
le grande
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"•Z"
G68 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
3* ÉPOQUE
LA RENAISSANCE — REINE DE LA SGOLASTI^FE
(XY« et XYl* SIÈCtBS)
2C0. Coup-d'œil général. — Le concile de Fiorenœds^
l'un des buts était la réunion de Téglise grecque h régliaebl»
amena en Italie plusieurs savants grecs, en 1438. La prisî If
Constantinople en 1453, fit affluer dans l'occident bonnoœ^
d'autres savants qui apportèrent avec eux les ouvrages cm\^
des anciens, que l'on ne connaissait qu'en partie,et excitèrent bk
curiosité nouvelle pour la langue grecque et pour la lii tcralaw ^
la philosophie païennes. On commença à opposer Platon à An?-
tote, puis on méprisa l'autorité des anciens et on voulut coitftnjtf*
à neuf toute la philosophie, sur les seules données de la lai*^-'
Cette disposition d'esprit pénétra dans les questions de (vi : ^
rejeta l'autorité de l'Eglise et les passions aidant on prcctoa^
libre examen et la réforme. Ce fut le protestantisme commencé a
1517. Mais quand on eut rejeté tout ce que l'on savait jaeqB*^^
et qu'il fallut édifier, les uns s'abandonnèrent à leurs propres oufr
ceptions et firent un rationalisme panthéiste, les autres s'appa.^^
rent su^ l'expérience et fondèrent le naturalisme, les aatres p>
dant le sens de la foi, sans s'appuyer sur l'église, tombèrent ^'
l'illuminisme. Ainsi la vérité sembla un instant disparaître; b^j-*
l'observation prit bientôt le dessus et il en sortit la philosoplu»!
moderne.
Ce sont ces divers principes de mouvement philosophique h^
nous serviront & diviser cette époque.
Nous ne pouvons pas donner beaucoup d'étendue à rexposiii^t *
tous ces efforls divers de la pensée humaine, quoique plusieurs niént<**
d'être approfondis. Nous conseillons à ceux qui désirent plus de déa
et qui n'ont pas le temps de faire de longues recherches, la lecture o
articles du Dictionnaire de M. Franck qui traitent des hommes o*'
nous allons parler. Ils y trouveront des détails suffise ni s et if^l'^-
tion généralement exacte de tous ces systèmes, quelquefois latnJ* ^
études entièrement neuves et que l'on ne trouve pus ailleurs.
RENAISSANCE — XV ET XVI* SIÈCLES 669
261. Grecs venus en Occident. — Gémiste Pléthon^ né à
Constantinjple, vînt au concile de Florence en 1438 et employa
sa présence en Italie h faire connaître ses doctrines philosophi-
ques. Il soutenait avec ardeur les doctrines des alexandrins et se
montrait peu chrétien. C'est lui qui inspira à Côme de Médicis la
fondation de l'Académie de Florence.
Jean Bessarion, né à Trébizonde en 1389, vint aussi en Italie
en 1438, et s'étant, dans le concile, prononcé pour les latins, il
fut créé cardinal. Il mourut à Ra venue en 1472. Il était disciple
de Pléthon et se montra platonicien très-exalté.
Georges Scholari, plus connu sous le nom de Gennadtus, né à
Constantinople vint aussi au concile de Florence en 1438. Forte-
ment attaché aux doctrines d*Aristote et, par là même, ennemi de
Gémiste, il fit brûler le livre de ce dernier sur les Lois^ de
Platon.
Georges de Trébizonde, né dans Tîle de Crète, en 1396, vint
en Italie en 1430 et mourut à Rome en 1486. Il soutint une lutte
trôs-vive contre Platon, qu'il attaqua dans un livre intitulé : Corn-
paraison d'Aristote et de Platon, Il avait publié plusieurs tra-
ductions de divers ouvrages d'Aristote.
Théodore Gaza, né à Thessalonique, vint en Italie en 1429 et
mourut dans les Abruzzos en 1478. Il donna aussi des traductions
d'Aristote.
m
262. Premier mouvement de renaissance — Le cardi*
nal Nicolas de Cdsa, né à Cuss, près de Trêves, en 1401, et
mort à Todi, dans TOmbrie, en 1464, était un savant modeste. Il
essaya de remettre en honneur le système pythagoricien, que la
torre tourne autour du soleil . Sa philosophie est platonicienne
mêlée de données d'Aristote et de Pythagore. La connaissance
dos objets sensibles ne nous vient que par une double image et ne
donne que des opinion», mais la connaissance de Tinfini ramène
tout à l'unité.
Laurent Valla, né à Rome, en 1406, mort à Naples, en 1457,
est surtout remarquable comme promoteur de la renaissance des
lettres anciennes, mais il est cité avec estime par Leibnitz, comme
philosophe. Il écrivit contre la scolastique.
670 -HISTOIRE DE LA. PHIL080PHIB
Marsile P'icin, né à Florence, en 1433, mort en 1490, fs: *
plus ardent disciple de Gémiste Pléthon, et, qdoi(iu'il fut î««»i^,
on peut dire que, dans ses ouvrages et môme dans ses prédicatu^^
le chrétien disparaît pour faire place au platonicien. 11 se kt^
contre Aristote .de l'interprétation donnée à ses pensées par »
commentateurs, Alexandre d'Aplirodise et Averroés, sur Y'mmL^
talité de Tâme.
Ange Politien, (Cino de Monte pulciano), né en 1454,'morlà
Florence, en 1494, no mérite d'être cité que par ses tradactioss è
Platon et d' Aristote. 11 favorisa aussi la renaissance des lettres.
Jean Pic de la Mirandole, né en 1463, près de Mod^ne, ffic-rt
en 1494, à Florence. Il n'est remarquable quo par sa brillaa''
mémoire et sa précoce érudition. A l'Age de vingt-trois ans ilp»-
posa de soutenir neuf cents thèses de ornai re scibili. Il cssaw
de concilier Platon et Aristote, mais il manquait tout à la fois è
matériaux et de génie. Il estimait fort la kabbale et en tirait ïï^
sorte de mystique chrétienne.
François Pic de la Mirandole, son neveu, mort, assagi»* ^^
1533, suivit les traces de son oncle, mais avec moins de taleat G
a écrit la biographie de son oncle et celle de Jérôme Savonarole.
Juste-Lipse, né à Isch, près de Bruxelles, en 1547, et morts
1606, travailla, de concert avec Casaubon et Scaliger à U
renaissance des lettres anciennes. On peut le citer aussi coMffie
philosophe, pour trois de ses ouvrages où il se montre stoïcien ^
recherche surtout un but moral; mais sa politique est doutense.î'
ayant changé trois fois de religion, il finit par n'en avoir aucaa^-
Nicolas Taurel, né à Montbéliard, en 1517, et mortà AWjî'î
en 1606, essaya d'accorder la philosopliie et la théologie, en disast
que l'une s'adresse à l'intelligence, l'autre à la volonté, etqu^.
par conséquent, elles ne peuvent être en opposition. Il attaqQ^i^
Aristote sur sa théori3 de la connaissance passive, disant que»
connaissance est le fruit de l'activité de l'Ame et que la raison ^
innée.
263. Le Protestantisme. — Martin Luther, né à EiBlebe*?
en Saxe, Tan 1483, devint chef du protestantisme en 1517,*^
mourut en 1546. D'abord il combattit Aristote autant que V^^^'
RENAISSANCE — XV* ET XVI* SIÈCLES 671
mais par l'influence de MéJanchthon, il en vint à estimer ce philo-
sophe et Tûônae i\ l'appeler acutissimum hominem^ Cependant il
lui reprochait sa doctrine sur la liberté; car on sait que Luther
enseignoit que le libre arbitre n'existe pas dans Thomme, et que
Dieu punit les méchants du mal qu'il leur a fait faire. La doctrine
de Luther n'est nullement philosophique,c'est un mysticisme poussé
à l'excès, dans lequel riiomme n'est que l'instrument absolument
passif de la grâce de Dieu. D'ailleurs il ne permet pas que l'on
raisonne ses principes : il faut les admettre sur parole, sous peine
de s'attirer ses anathômes.
SI quelqu'un s'avisait de nous objecter que l'Eglise en tait autant,
D DUS répondrions que l'Eglise permet que l'on se rende, compte de son
autorité divine et qu'elle donne des preuves de cette autorité; ce que
Luther n'aurait pas pu faire.
364 Tendances rationalistes — Pomponace, né à Mantoue
en 1462, moi t en 1524, était partisan d'Aristote. Il trouvait des
oppositions entre la foi et la philosophie, mais ne voulait aban-
donner ni l'une ni l'autre. Son esprit rationaliste, ne l'empêchait
pas de croire à l'astrologie, selon le préjugé de son temps.
Erasme, né vers 1466, à Rotterdam mort en 1536, fut le pro-
moteur do l'esprit philosophique moderne, dans son indépendance
de la religion, aussi bien que du mou vement littéraire . Il défendit
la liberté contre Luther, dont il. approuvait cependant la réforme,
mais à un point de vue purement rationaliste.
Il faut citer ici comme vivant à la môme époque Machiavel, né
à Florence en 1469, mort en 1527,qui n'a traité qu'aune seule ques-
tion, mais une question éminemment philosophique, la politique.
C'est dans son livre du Prince^ qu'il expose sa théorie. L'état
principe et fin de toute politique. Tous les moyens sont bons pour
sauver l'Etat. Il faut employer la force et môme la ruse là où la
loi ne suffit plus. Sa théorie est indépendante de toute religion.
Alexandre Piccolomini, né fi Sienne en 1508,mort en i578,fut
le premier à écrire la philosophie on langue vulgaire : ce qui fut
alors un grand scandale. Il était partisan d'Aristote ; sa philoso-
phie est classique et il reste chrétien ; mais lui aussi veut philoso-
pher en dehors de la foi .
672 HISTOIRE DE LA PUILOSOPUIB
François Piccolomini, né à Sienne, en 1520, mort en 1^
s'occupa surtout de morale, Il a écrit : Universa philosophia '
morihus, et dos commentaires sur Aristote.
lierre de la ramôo, ou Ramus, né ù. Cuth, dans le Vennasd^
en 1515, est un des hommes 1 es plus saillants de oQite èpi>|»
B^abord catholique, il se fit protestaat en 15G1, et périt dans i'
massacre de la St Barthelemj^ en 1572, victime d'un eaas:.
personnel, Jacques Charpentier.
Après avoir fait des prodiges de courage et de persévérance, pûsr
s'instruire, trsvaillant la nuit pour lui-môme, tandis qu'il ^rrù*
comme domestique au coUôg-e der Navarre, pendant le jour, ilpa^
vint à pouvoir prétendre au grade de docteur, et présenta prsî
thèse la proposition suivante : « Qiiœcumque ah AristoteU dtrh
smt çominentitia esse. Que tout ce qu'a dit Aristote n'es: •]«
fausseté. » La seule proposition souleva une tempête ; mais Rsmss
la défendit, niant imperturbablement tous les principes que là
opposaient ces hommes qui ne savaient s'appujer que sur Aristo^i.
si bien qu'il reout le bonnet de docteur.
A partir de ce moment sa vie n'est qu'une longue lutte ccm'Ji
toutes les écoles de son temps, avec des alternatives de reveK et
de brillants succès. Pendant ce temps, il réforma la grammairea'
la rhétorique, la logique, les mathématiques, et il en aurait fâiî
autant pour le reste des arts libéraux, sans les luttes civiles qai
survinrent. En 1562, il fut chassé de Paris avec les calviniste?.
Rentré en 1563,il s'attira pous toujours la haine de Jacques Char-
pentier, en le dénonçant au conseil privé du roi, comme ne sachact
pas les mathématiques qu'il était chargé d'enseigner, comn:e îe>
tour royal, et comme exigeant un salaire de ses écoliers. Charpet-
tier jura de se venger, et plusieurs fois il essaya de le faûv
assassiner. Il y parvint enfin, en 1582, au milieu du massacre de
la Saint-Barthélémy.
La principale réforme de Ramus portait sur la logique. Rge-
tant les formules abstraites d'Aristote comme inutiles pour li
recherche de la science et l'usage de la vie, il revient à là diale^
tique de Platon, dont le principe est inné dans la raison, et qui sfi
perfectionne par l'art et la pratique. Cette pratique consiste dans
l'étude des raisonnements tol^i qu'ils ont été faits par les phila»-
RENAISSANCE — JiV ET XVI« SIÈCLE 673
phes et les orateurs. On voit ici une tendance à la méthode d'ob-
servation ; mais nous avouons que, pour le cas, elle nous .paraît
déplacée. Il fut le premier à diviser la logique, comme le fit
depuis Port-Rojal, en « idées, jugements, raisonnements et
méthode. »
Grotius (Hugo de Groot), quoique venu beaucoup plus tard,
dans le seizième siècle, doit être placé ici, à cause de son esprit
rationaliste. Dans son livre de jure helli et pacis, il étudie le
droit naturel, comme principe de toutes les lois et surtout de ce
que Ton a appelé depuis le droit des cens. Le droit naturel est
conforme à la droite raison, qui, à son, tour , est conforme à la
nature raisonnable ; et, comme celle-ci est l'œuvre de Dieu, le
droit naturel n'est autre que la volonté de Dieu. Grotius a ainsi
donné Texemple de la philosophie du droit. Né à Delft, en Hol-
lande, en 1583, il mourut en 1G45.
205. Tendances sceptiques . — Michel de Montaigne, né
en Périgord, l'an 1533, mort en 1595, ne voit partout que con-
tradiction et mal, et par une sorte d'indifférence égoïste, il n'es-
saje pas môme de chercher la vérité ni le bien, et dit : « Que
sais-je ? » Cette disposition d'esprit se manifeste dans ses Essais j
ouvrage où il parle de tout et de tous, mais surtout de lui-môme,
racontant, avec un style sympathique qui lui est propre, ses ver-
tus et ses vices, sans se blâmer de ces derniers. Nous "verrons plus
loin ce qu'en dit Pascal, dans son Entretien avec M. de Sacy,
Pierre Charron, prêtre et prédicateur en renom, de son temps,
montre aussi une grande tendance au scepticisme qui n'est que de
rindifférenc.IlnaquitàParis,enl541,etmourutfrappéd'a|rpoplexio,
en 1(303. Dan son livre de la Sagesse^ il peint les faiblesses de
l'homme, impuissant à connaître la vérité, ce qui d'ailleurs lui
paraît de peu d'importance. Il semble confondre l'âme avec le cer-
veau et l'homme avec la hôte. Il ne fait d'ailleurs aucun usage
des vérités religieuses ; il avertit lui-mômo qu'il veut s'en tenir à
la philosophie.
Sanchkz, juif, né en Portugal, vers 1555, reçu médecin à Mont-
pellier, en 1573, mort en 1632, passe peut-être à tort pour scepti-
que. Il attaque la méthode soolastique, et c'est en ce sens qu'il
674 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
intitule son livre: « De la très noble science qui consiste à aT^^:
qu'on ne sait rien. Tractatus de imiltum nohUi^ et pnm*^^
versait scïentia, quod mhilsci(ur)>. Dans Je coure de ronvrasti
se montre le précurseur de Bacon, en professant Tinatilité da 5fr
logisme et la nécessité do recourir à l'observation. Il cis^
beaucoup les faiblesses de rintellig^ence humaine, et c'est là pî^
blement ce qui l'a fait regarder comme sceptique.
2G6. Tendances mystiques et panthéistes. — Jean Rk:-
CHLiN, né dans le duché de Bade, en 1455 et mort en 15?2, i^
professeur, puis avocat et remplit plusieurs charges publiqne. D
professait que la philosophie vient de la Révélation et de 1* ^
baie, et que Platon et Pythagore, aussi bien que Zoroastre, '^
puisé leurs doctrines dans la Bible et chez les Hébreux. Il a éfft
de Verho mirifico et de Arte cabalistica,
Philippe Bombast de Hohonheim, connu sous le nom de Paw-
CELSE, né à Einsiedeln, en 1493, et mort en 1541, était mé^'^ i
et porta son mysticisme jusque dans la médecine. Toute sa p^'"' '
Sophie est dans la physique. Il distingue le macrocosme, qui ^^' ;
monde, le microcosme, ou Thomme, et Dieu. Uarckcpvm, pn^ \
cipe d'harmonie, réunit ces trois ordres, et il prétend eneiplil^^ ;
tous les détails, par une communication directe avec Diea. ^ 1
système est un mélange d'astrologie, d'alchimie et de pbilos>p
grecque, fondus dans le christianisme.
Cardan, né h Pavio en 1501, mort en 1576, était méd»
naturaliste, mathématicien et philosophe, et se distiniruaparp !
sieurs découvertes dans les sciences ; mais il s'abandonne m^^ ,
à une sorte d'hallucination. Son système philosophique repriwsi
le panthéisme stoïcien, mais il le conçut successivement sods^j.-
férentes formes. 11 démontre la simplicité de l'Ame et son iralao^
talité; mais il déclare que ces dogmes, vrais en théorie, sontM*-
gereux dans la pratique, à cause des guerres de religion Ay^^
suscitent.
Michel Servei^ né à Yillanueva, en Aragon, en 1509, par<^'*
rut toute l'Europe, dans une sorte de besoin d'enseigner 8on i**
du monde, sorte de panthéisme chrétien. Repoussé par les pP>***
tantfi aussi bien que par les catholiques, il s'attira la ^^^^
RENAISSANCE — XV« ET XVI* SIÈCLES 675
Calvin, qui finit par le saisir à Genève, et profitant des lois alors
existantes, le fit brûler vif comme hérétitjue. Tan 1553, Son pan-
théisme était ainsi conçu : Dieu y Tun absolu, fait émaner de lui
les idéesy dont Jésus-Christ est le centre, et forme par elles les
choses. Jésus-Christ n'est pas Dieu, mais il est le médiateur entre
Dieu et l'homme, comme centre du monde idéal.
GiORDANO Bruno, né à Noie, en 1548, se fit dominicain puis
sortit de l'ordre et changea plusieurs fois de religion ; mais dominé
par les théories néoplatoniciennes, il conçut un panthéisme mysti-
que, dans lequel Dieu, d'abord simple puissance, devient variété
et contraste et se résout dans Tunité vivante. Avec cela il a quel-
ques grandes vues sur la réforme des études, mais pas assez de
de méthode. N'ayant paâ voulu rétracter ses erreurs, le Saint-Of-
fice le condamna comme hérétique et le livra au bras séculier, qui
le fit brûler vif, l'an 1598.
La mort de Giordano Bruno est devenue un des grands arguments de
l'impiété moderne contre l'Eglise. Nous ne répondrons pas à ses atta-
(\\xes, parce qu'on Ta fait plusieurs fois, dans des livres spéciaux, et
parce que pour donner nos raisons, il nous faudrait un volume: il
s'agit en efTet de rétablir les droits de la vérité, et ces droits sont
aujourd'hui entièrement méconnus; il faudrait ensuite rétablir la vérité
historique des procédés do l'inquisition. A ce sujet nous ne relèverons
pas les insinuations malveillantes que M. Franck emprunte & Bayle,
pour les imprimer dans cet article. Mais nous ne pouvons accepter que
*'0P fasse de Giordano Bruno un martyr de la liberté, et presque de la
vérité. Quoi qu'en dise M. Franck, ce n'est pas la liberté, mais la rai-
son qui découvre la vérité, dans les questions qui ne sont pas déjà
résolues par la Révélation, et la liberté ne consiste pas à pouvoir impu-
nément professer des doctrines aussi immorales et aussi antisociales
qu'elles sont fausses, impics et blasphématoires. Et d'ailleurs nous ne
voyons pas qu'aujourd'hui plus qu'alors un Etat laisse mettre en ques-
tion le principe même qui sert de base à sa vie sociale. Ce principe
était alors le christianisme, la religion catholique, dans le pays où
Bruno fut puni. Les protestants, 1î\ où ils régnaient, ne le tolérèrent
pas, et Calvin n'avait pas mieux traité Servet.
Vamni, (Pompée Ucilio) né à Naplcs en 1586, professa aussi
dans ses Dialogues sur la Nature^ reine et déesse des mortels y
un panthéisme naturaliste. Il fut condamné par le Parlement de
676 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Toulouse et brûlé vif, après avoir en la langue coupée, l'anE'
Ces cliîHiments nous font frémir aujourd'hui, parce qiie noos tîiHs
avec douceur tous les coupables, mais, pour lea expliquer, il feii»
reporter au temps oii ils ont eu lieu et voir qu'ils étaient dansfss
de cette époque. On croyait alors que, pour détourner ducnai
fallait non seulement punir de mort les criminels, mais encore '^W'
l'imagination et effrayer par l'aspect des souffrances. Duresi«'-ï*
parfaitement avéré que l'Eglise n'était pour rien dans le choix a ^*
l'application de la peine, lorsqu'elle déclarait un homme » obstliî^'»^
l'hérésie. » Observons encore que, sur trois châtiments de ce geartia
l'histoire de la philosophie nous force à mentionner, le tribunaJdf Hs/^
sition n'eut à se prononcer qu'une seule fois, et ne fit qu'* dèclâî^ «-
culpabilité. Le premier est tout entier h la charge de CiilvJnetàtspf
testants; le dernier, à celle du Parlement de Toulouse, qui proaaifî»
sentence et la fit exécuter. *
Jacob BoEFiM, né en 1575, près de Gorlitz, où il exerça ^
sa vie la profession de cordonnier, se distingua cejfenàast^^''^
doctrine basée sur riiluminisme et écrivit plusieurs ouvras^
Comme plusieurs des panthéistes de son époque^ il âistinp^ ^^■
principes des choses : Dieu, la nature cause et la nature effet, s
ajoutant aussi que Dieu est tout cela à la fois.
Robert Fludd, né à ^Milçfate, dans le comté de Kent, en l'^-
médecin, mort à Londres, en 1037, professait unpaDthéi?ro«^.*
tique qu'il appuyait sur la Kabbale et faisait ainsi venir»
Révélation primitive. Pour lui, la création est éteniei^eot ^
comment il l'entend: Dieu renferme en lui tous les contraires ^
une parfaite identité, et la production des choses n'est qne^**^
ration de ces principes.
Jean Baptiste Van Helmont, né à Bruxelles en 1577, jn(S*'^
1641, fut aussi un médecin mystique, bien qu'il ait recoiDiB*^-
rexpérience. Il méprise la scolastique et particulièremenn^-*/ ';
gisme, ainsi que l'autorité des anciens. Gomme Paracelse.il }^
tend voir on Dieu Varchœurm ou principe de tous les phénoJOi-
do la nature. Comme Robert Fludd, il croyait avoir découvert^
panacée et un breuvage d'immortalité. Cependant maJ^^^" ^
minisrae, Texpérience lui fit faire plusieurs découvertes cliiiûi'l^^i
C'est lui qui le premier a nommé les gax^y dont il seniWôâ ••
pris le nom, du'mot allemand Geisû, esprit.
RENAISSANCE — XV'ETXVl' SIÈCLE 677
François Van Helmont, ûls de Jean Baptiste, né à Vilvorde,
en 1618, mort en 1690, suivit la profession et les principes de son
père. Il fut médecin, alchimiste, chercha la pierre philosophale,
i'élixir de vie, et professa un panthéisme mystique.
267. Tendances expérimentales. — En tête des hommes
qui à cette époque travaillèrent à faire progresser la science en
recoui*ant à l'observation nous devons citer le chanoine Copernic
qui a attaché son nom au système astronomique définitivement
adopté par les modernes. Il avait puisé ce système dans les livres
de Philolaûs, et, de son temps, le cardinal de Cusa s'était prononcé
pour le môme système ; mais Copernic le fit sien par les nouvelles
observations qu'il y ajouta. Il était né à Thorn en Prusse, Tan
1473, et mourut Tan 1543, au moment où il venait de recevoir
son livre de Revolutionibus orhium cœlestimriy qu'il n'avait pas
voulu publier plus tôt.
Télbsio, né à Cosenza, en Calabre, l'an 1508, mort en 1588,
s'en prit aursi à la méthode scolastique et à Aristote et recommanda
l'observation.. Mais lui-môme pratiquamal cette dernière méthode,
car il n'a laissé qu'un système basé sur des hypothèses, avec des
tendances au naturalisme.
Cesalpini né à Arezzo,en Toscane, Tan 1510, mort en 1603,
était médecin de Clément VIII et professeur de la Sapience, à
Rome. Il pressentit la ^découverte. d'Harvey et parle de la circula-
da sang ; mais il ne connut que la circulation pulmonaire. Comme
Vaniui, il croit à la génération spontanée, et avec des idées justes
il a un langage presque panthéiste. Il plaçait l'âme dans le cœur.
Galilée, né à Pise, en 15G4, mort en 1(342, avait d'abord été
destiné à la médecine, mais il pôféra s'adonner aux mathémati-
ques. Professeur à Pise, puis à Padoue et à Florence, il se fit
remarquer' par des idées nouvelles et par d'importantes découver-
tes en physique. Mais il fut surtout combattu pour son système
astronomique. Comme Copernic, il enseignait que la terre tourne
autour du soleil. Les opposants lui objectèrent, fort mal d propos,
les textes prétendus contraires de l'Ecriture Sainte, et au lieu de
répondre que la Bible ne dit rien à ce sujet, il voulut lui aussi
s'appuyer sur l'Ecriture Sainte. C'est ce qui permit à ses ennemis
678 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
de le faire condamner. Il avait alors soixante-dix ans. Oa le pr.
de la liberté d'enseignor et il fut oblige de s'enfermer dans lepilr-
de TArchevôque de Sienne, et plus tard, dans su propre maLv!
avec défense d'y recevoir des personnes pour leur coramnaH^f
ses théories.
Nous avons sous les yeux les pièces du procès» dans un livre ^
n'est certes pas favorable au Saint-Oflice, pas môinc à la théolOcfJê.aa
l'K^lise, et ce que nous venons d'en dire résulte pour nous dfô ôo<^
ments contenus dans ce livre môme (Galilée, sa vie et s^fs rrarî*:.
par le Dr. M. Parchappe).
Le mal, dans cette afifaire, vint d'abord de Pesprit départi, par leq^
les professeurs qui jusque là avaient enseigné Topiaion contraire, fi^*^»
aveuglés par ce préjugé, appuyé de l'amour-propre, et ne vireai fJ»
que Galilée avait raison. Le même préjugé leur fit pr:îndre pour^f
affirmation formelle en leur faveur des textes de rEcrilure sainte, T-^
s*adressantà tous devaient parler le langage de tous, mais qai ne dis*'
rien pour ni contre l'un ou Taulre des deux systèmes. Les théal'>;«*
se laissèrent ti*omper par leurs dires, et la question ayant élé anm^
de part et d'autre sur le terrain théolo;?iqu3, il se trouva ea eïeltil^
charge de Galilée, des propositions condamnables, qui n'étâieol I-*^
d'abord dans son cœur, que le besoin de se défendre lui suggéra nwl»
propos et dans lesquelles son système lui-même se trouva envflopp*
Ces circonstances expliquent suffisamment la sentence et menr »
sévérité avec laquelle elle fut exécutée, contre un homme vleai^
malade, et en mettant PEglise hors de cause, elles ne pernieUenl p«
qu'on l'accuse d'avoir voulu en cela étouffer le libre examen, daosuK
question purement scientifique.
Campanella, né en Calabre, Tan 15G8, mort à Farisen 16^ft
quoique dominicain, attaqua la scolastique et Aristote. H ^oalEt
lui aussi baser la philosophie sur l'observation, mais il recouDî^**
sait en môme temps comme source de connaissance la révélatiifO-
Cependant sa Cité du soleil^ sorte de roman politique, n'offre.?»'''^
qu'une religion rationaliste. Ses adversaires le firent eondam»^^
comme coupable tout à la fois contre TEtat et contre la reli^'i'>«?^
il demeura en prison à Naples pendant vingt-sept aus.Urbaifl^"
le môme pape que Ton accuse d'avoir été dur pour Galilée, »^^
réclamer, comme pour le juger lui-même; ensuite il le fit év^c
Campanella vint en France et Richelieu raccueiilit k Paris.
PÉRIODE MODERNE 679
Kepler, né à Weil, dans le Wurtemberg, en 1571, mort à
atisbonne, en 1030, peut être considéré comme le premier pro-
oteur de la philosophie de la science, et c'est à ce titre que nous
mentionnons. On sait que ses titres de gloire sont relatifs à
astronomie, où il a découvert les trois lois qui portent son nom,
, bien d'autres faits, lois et instruments inconnus avant lui. Sa
[lilosophie de la science est essentiellement religieuse. Il fait tout
snir de Dieu et rapporte tout à Lui ; il pratique et recommande
, prière ; mais sa religion est une religion naturelle et rationaliste ;
?atiquement il était protestant.
3« PÉRIODE
PHILOSOPHIE MODERNE
268. Division. — ^ Les esprits étant préparés, comme nous
snons de le voir, à se séparer de la tradition des écoles, pour
»faii*e la philosophie et la science,deux hommes,sans se connaître,
; chacun dans son sens donnèrent la dernière impulsion à cette
indance, et la philosophie moderne fut fondée. Le premier carac-
!re de cette philosophie fut T indépendance, mais un mouvement
I sens inverse s'opéra bientôt,et on allia Tindépendanoe de la raison
recune érudition plus étendue et plus prof onde que jamais. Chacun
} ces deux éléments fournit ses propres excès, et engendra diffé-
élites erreurs; mais pour ceux qui ne rompirent pas avec la
adition catholique, ce double élément rationel et expérimental
it une source de solides progrès, et après leur avoir donné la vraie
éthode philosophique, mit en Ijimiôre les données désormais
Mouises de la philosophie classique .
Trois siècles presque entiers ont été employés à ce travail,
ous diviserons donc d'abord cette période en trois siècles et, dans
lacun de ces siècles,nous distinguerons en autant de paragraphes
8 principales écoles qui s'y développèrent.
G80 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIK
XVI? SIECLE
§.•1. LIS RlrOBlATIURSfiACON ITDKSCAITIS
209. Bacon — François Bacon,fils de Nicolas Bacon,gaJ^à
sceaux do la reine Elisabeth, naquit à Londres, Tan 1561, ai«
études au collège de la Trinité à Cambridge, et dès l'âge de «e
ans crut reconnaître le vide de la philosophie scolastiqnc. U ^
d*abord attaché à Tambassade d'Angleterre, en France, maisâjsù
perdu son pore, à Tâge de vingt-ans, et se trouvant sans fortoK, ^
se mit à l'étude du droit et exerça la profession d'avocat. Ai'A»'^
vingt-cinq ans il préludait à son grand œuvre philosophique jarD^^
brochure intitulée : Temporis partv^ maœimti^ fLa plus gfifc-
production du temps) . On voit dans ce titre qu'elle opinion il ^^^^
de lui-même.
"En 1592, il fit partie de la chambre des communes. Il éiâi ^-^
avocat au conseil extraordinaire de la reine. C'est en cette ^'^
lité qu'il consentit à se faire l'accusateur public du comte à^^
dont il avait peu auparavant sollicité et obtenu l'appui. Mî8
cette lâche adulation ne lui servit de rien du vivant d'EJisate^-
Il fut plus heureux sous Jacques l'*', en appuyant ses pn^k^*»
dans la chambre des communes et peut-être par la publicati*^^ *
1605 d'un' essai en anglais de l'ouvrage qu'il fit paraître en 1^^=
De Digniiate et Augmentis scient i arum, Jacques 1" 1« ^^^
conseiller ordinaire du roi, le revêtit successivement de plQ»'i^
charges et enfin en 1618, il le fit grand chancelier et h^iTonàe ^^'^
lam, et plus tard, en 1621, vicomte do Saint-Alban, avec ii?'2
riche pension* Il avait déjà publié, en 1620, son Novumorf^rim
destiné selon lui, à remplacer Vorganon d'Aristote.
Mais sa félicité et sa gloire ne durèrent pas longtei»p5. AtfB'^
en 1621 d'avoir vendu la justice et d'avoir apposé le sceau i«P
aux concessions intéressées du duc de Buckingham, i^ ^^'^^^
coupable, et, privé de sa charge, il fut frappé d*une amefl^^"^
40,000 livres sterling et enfermé dans la tour de Londres- U ^'
dont il avait couvert l'honneur en renonçant à se défendre, le ^^"'
vra bientôt, mais il dût le laisser dans la vie privée. C'fis^ ^
XîV SIÈCLE— BACON 681
qu*il écrivit plusieurs autres ouvrages et revit ceux qu'il avait
déjà publiés. Il mourut en 1G2G, instituant par son testament
plusieurs fondations en faveur de l'avancement des sciences;
mais sa modique fortune ne permit pas de remplir ses intentions.
Bacon s'était distingué comme jurisconsulte, comme orateur et
comme historien. Mais c'est sirtout comme philosophe que la pos-
térité lui a fait jusqu'à ces derniers temps une auréole de gloire
dont on est bien revenu aujourd'hui.
Pour Bacon, la philosophie n'est que la science de la nature,
niais il croit que cette science peut atteindre un degré tel que
l'homme puisse dominer la nature et la trapsformer à son gré.
C'est dans ce but qu'il entreprend la réforme philosophique qu'il
appelle Instauratio magna* C'est le titre de son grand ouvrage,
mais il n'en a écrit que les deux premières parties. Les quatre au-
tres que l'ouvrage devait avoir sont à peine indiquées dans ses
opuscules. Il nous suffira done de donner une courte analyse des
deux premières parties, dont nous avons déjà indiqué les titres.
Le traité de la Dignité et de V Accroissement des sciences est divisé
en huit livres. Dans le premier, Bacon montre historiquement combien
tous les grands hommes ont fait cas de" la science et le profit qu'ils en
ont retiré. Au commencement du second il exhorte le roi à favoriser les
6tudes et indique surtout la fondation de plusieurs écoles et bibliothè-
rfucs. Puis il entre en matière et divise la science, selon les trois facul-
tés de l'esprit : mémoire, imagination, raison ; d*où il tire la division de
la science en histoire^ poésie et philosophie . L'histoire se divise à son
tour eu naturelle et civile; et à côté de cette dernière se trouiîcnt
l'histoire ecclésiastique et l'histoire littéraire. L'histoire naturelle, on
prenant ce mot dans un sens plus étendu qu'on ne le fait aujourd'hui,
5e subdivise encore en histoire des générations, des vrétergénéi*aiions
3t des arts. Nous ne sommes là encore qu'au deuxième chapitre du
icuxième livre qui en a treize, et Bacon s'en va ainsi jusqu'à la fin de
l'ouvrage, divisant et subdivisant, toujours avec le même arbitraire et
avec peu d'utilité.
Le Novum organum a la prétention, comme l'indique son litre d 3
t-em placer la logique d'Aristote et de donner aux hommes un nouvel
instrument pour découvrir les secrets de la nature. Il se divise en deux
parties : pars destruens et pars astruèns. C'est-à-dire que la première
partie est destinée à renverser les fausses méthodes, et, dans la pensée
082 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
(le Hacon, toutes les méthodes suivies jusque là étaient finisses; l: ^t-
xiênie partie a pour but d'enseigner la nouvelle mélhoile, la seak me
l'induclion basée sur réllmination.
!• ^Jariie. La logique employée jusque-là est inutile el mêiiK» m^'^t
n l'avancement des sciences. Le syllogisme n'enseigne queceqwFJ
r.ail déjà et ne peut servir à inventer. Il faut une mèlboiie d'iovcoi/.
C'est l'induction. Mais l'induction elle-même a élé mal praliquco j^îî^'
présent. Après une observation trop rapide, on s'élève des doimaS '^
sens aux principes généraux, On conclut donc d'une manière anUcipé?
C'est pourquoi Bacon appelle les princiiies ainsi conçus, des aniici^
tions de la nature. La véritable induction ne doit se faire qa'aprfe»^
observations multipliées dans lesquelles on s'assure des opérations i3
nature, et l'on découvre les eauses et les essences réelles des ebsa
Les principes ainsi découverts sont les interprétations de lanaturt.
Il reste cependant encore un obstacle à faire disparaître : ce sont fcs
causes d'erreurs. Bacon les trouve dans les préjugés qu'il appclk«i^
idoles. Nous avons indiqué aiUeurs la classification qu'il en doimeX*«i
d'abord le préjugé commun à tout le genre humain {idola tribuf), ^
liacon explique ainsi : « L'esprit n'est pas eomme un miroir plaa ijs
reflète les images des choses telles qu'elles sont, mais comme un mirwf
(l'une surface inégale, qui confond sa propre figure avec les figures'*^
objets qu'il représente. » C'est ensuite le préjugé personnel {idoli «K
eus), sorte d'idole enfermée dans la caverne obscure de rintelligencft'-^
à laquelle l'homme sacrifie souvent la .vérité. C'est encore le préjap
contracté dans les relations sociales (idola fort), où les mots tiensfSî
souvent la place des choses. C'est enfin le préjugé d'école (idola t*co-
m'), qui nous fait prendre pour l'expression de la vôrilé les syslèc^
imaginés par les philosophes. Les systèmes des philosophes pèchent ^'^
trois manières : ils sont sophistiques lorsqu'ils ramènent tout à uce
opinion préconçue ; empiriques, quand ils s'appuient sur un naml'f»
insufflsant d'observations ; superstitieux, quand ils mêlent à la «o"^
de prétendues révélations.
Toutes ces causes d'erreurs unies à l'emploi de fausses méthodes f®
retardé les sciences, d'autant plus que la philosophie Tiaturelle <*
négligée et que Ton avait un respect excessif de Vantiquité,
Il faut donc rassembler en plus grand nombre d'expériences, les ^^^^^
choisir et les disposer selon la vthûtable édielle, qui permettra des e»?-
ver, par degrés continus, des faits aux axiomes inférieurs, de ceifl-^
d'autres plus élevés et enfin aux plus généraux. L*esprit s'élance taV
vite: il faut, non pas lui donner dos ailes, mais lui attacher da pl^^^^
XVII* SIÈCLE — BACON 683
2* parité. Le but do la science est d'augmenter la puissance de Thom-
me, en lui permettant de produire de nouvelles natures. Pour cela il
faut connaître les formes, c'est-à-dire, les essences des choses, et les
causes qui les produisent. Ces deux sortes de recherche sont l'objet de
la métaphysique et de la physique.
Tel .est le but de la science ; mais pour l'atteindre, il faut donner
secours»: l* aux sens, par une bonne histoire naturelle (Bacon entend
par ce mot la connaissance de toutes choses et de leurs qualités) ; 2'» à
la mémoire^ par des tables méthodiques, où tous les faits observés
seront classés de manière à faciliter l'induction ; 3» à la raison^ par
l'usage de la méthode inductive. Les tables dont il est ici question ser-
vent à mettre en évidence la forme d'une qualité. Il faut t» la table
d'essence et de présence, où Ton inscrit tous les faits dans lesquels
cette qualité se trouve ; 2» la table de déclinaison et d'absence, où
doivent entrer tous les faits où la qualité ne se trouve pas, tandis que
l'analogie, fait supposer à priori qu'elle devrait y être ; 3« enfin la table
de degrés et de comparaison, où l'on note les dififérents degrés de cette
môme qualité dans les dlJDTérents faits où elle se trouve. C'est au moyen
de ces observations que Bacon croit arriver sûrement à exclure tout ce
qui n'est pas la qualité cherchée et finalement à découvrir l'essence de
cette qualité. Nous ne pouvons pas le suivre dans la prem^tère et la
deuanème vendange, dans les instances solitaires, les instances du
rayon Qi les instances du cercle, ni dans celles du jour ou du crépus-
cule, etc.
Il y a certainement du bon dans les règles de méthodes indi-
quées par Bacon. Mais d'abord il les gâte lui môme, par ce style
imagé jusqu'au ridicule ; il poursuit un but plus que téméraire : la
transmutation des natures ; il dénigre tous ses prédécesseurs et
prêche la méthode d'observation, en la donnant comme sienne,
lorsque tous les savants l'employaient sans lui ; il veut appliquer
à toutes les sciences une méthode qui n'est logique que pour les
sciences du contingent; enfin cette méthode, excellente enelle-môme,
il l'environne de tant de précautions inutiles, qu'il retarde les scien-
ces, au lieu de les faire avancer .
Les ouvrages de Bacon restèrent longtemps inconnus, ailleurs
qu'en Angleterre, et toutes les grandes découvertes se firent sans lui.
Il essaya lui-môme l'application de sa méthode, mais elle ne
l'empêcha ni do rêver l'impossible et l'absurde, comme de prolon-
()cS4 HISTOIRKDE LA PH I L O S (> IMI l K
gcr indéfiniment la vio d'un hommo, de lui conserver la jeat^
de multiplier ses forces physiques, etc, ni de se tromper bxB ^
fois dans ses conclusions. Et si dans la recherche de la natnKi
la chaleur, il est arrivé avec sa méthode ù. quelque chose ^
approche de la vérité ; il a méprisé le télescope, le mieroscopî, «
même les simples lunettes destinées h corriger la vue; iU»fe*
que la lune n'est pas un corps solide et que les étoiles ne sont.*
des flammes ; enfin il a rejeté comme une pure imaî?inatio& itf^
tùme de Copernic.
Si Ton veut s'édifier davantage sur le compte de Bacon, ^s^s
qu'à lire ses» œuvres, et on pourra le juger à sa juste valeur ^
môme s'aider do Joseph de Maistre (jui le rabaisse un pea actfe*-
sous de zéro.
Mais, nous l'avons dit en commençant, cette rectification &^
plus guère nécessaire aujourd'hui : on est bien revenu dô l'»!»'
ration de commande que Ton professait pour Bacon.
270. Descartes.— René Descartes naquit îl la Haie, en Tonn*
l'an 1596. Ayant fait ses études au collège de la Flccbe, àin:-
alors par les Jésuites, il en sortit plein d'incertitude sur toat o^
qu'on lui avait enseigné. Après avoir vécu quelques tempsàl*^*
il prit du service dans les armées du prince de Nassau» et ei «^
tit au bout de quatre ans ; il se retira en Hollande, en 1629» «P
avoir visité une partie de l'Europe. H vivait alors dansuBOft*
plùto solitude, n'entretenant des relations qu'avec le père Meff^
qui le tenait au courant des travaux de ses contemporains ^^ ^
objections que rencontrait sa méthode, publiée en 1637. Efl l<î"
il se rendit auprès de la reiue Christine, en Suède, et mouW^^
Stockholm en 1650. Ses restes furent rapportés à Paris, dix-^
ans après, et déposés à Sainte Geneviève du Mont.
Son Discours de la Méthode renferme toute son oeuvit? W'^
sophique et presque toute sa philosopliie. Nous en donncroos d*
analyse. Il publia en outre : les Méditations sur la philo^r^
première^ les Passions, un traité de V Homme, et qiielfine? ^'^
sur la physique.
271. Analyse du Discours de la Méthode pour bien conduira ^
raison et chercher la vérité clans les science.''. — O discours. ^"" '
XVll' SIÈ€LB — DESCARTES 685
fran«:ais, parut pour la première fois à Ley(U% en 16-^. Il ne renferme
pas de division proprement dite, mais Descartes avertit lui-môme que
« s*il semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer
en six parties. »
!• PARTIE. Diverses considérations sur les i?cienc€8. a Le bon sens
est la chose du monde la mieux partagée, car chacun pense eu ôtrc si
bien pourvu, que ceux môme qui sont plus difliciles à contenter en
toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n*en
ont. » D'où Descaries conclut ([ue la raison est naturellement égale en
tous les hommes, et que la diversité des opinions vient de ce que nous
conduisons nos pensées pas diflférentes voies. « Car ce n*est pas assess
d'avoir Tesprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. » Il ne
croit pas que son esprit soit plus parfait que ceux du commun, mais il
pense avoir eu beaucoup dheur de ce que les circonstances lui ont fait
trouver une méthode par laquelle il a le moyen d'augmenter par degrés
sfi connaissance. Il en a déjà recueilli de tels fruits qu'it ne croit pas
pouvoir mieux faire que de continuer à marcher dans celte voie.
En publiant ses idées il pourra voir s'il se trompe, et son dessein
n'est pas d'enseigner la méthode que chacun doit suivre, mais seule-
ment celle qu'il a suivi, et cette connaissance pourra ôtre utile i quel-
ques-uns, sans ôtre nuisible à personne.
Nourri aux lettres dès son enfance, il avait un extrême désir de les
apprendre, croyant y trouver la connaissance claire et assurée de tout
ce qui est utile à la vie. Mais à la fin do ses études, Il changea d'opi-
nion, malgré la célébrité de Tépoie où il avait étudié et l'estime que l'on
y. faisait de lui, pour ses succès.
Cependant il ne laissait pas d'estimer les exercices des écoles : il en
connaissait les avantages: il avait donné assez de temps aux latigues,
à l'éloquence, aux mathématiques, qui lui plaisaient surtout, « à cause
do la certitude et de l'évidence do leurs raisons », .11 révérait « notre
Ihêologîe, et prétendait autant qu'aucun autre à gagner le ciel. » Quant
à la philosophie, qu'il voyait cultivée par les plus excellents esprits, il
s'apercevait qu'on y dispute encore toutes les questions et en concluait
que tout y est douteux, sans avoir la présomption d'espérer trouvp.r
mieux que les autres. Enfin les autres sciences, empruntant leurs prin-
cipes de la philosophie, ne pouvaient ôtre solides.
C'est pourquoi, dès que l'âge le lui permit, il abandonna ses maîtres
pour n'étudier qu'en lui- même et dans le grand livre du monde. Il se
mit donc à voyager, mais partout il trouva la môme incertitude, et
l'extravagance de plusieurs coutumes lui apprit à no rien croire trop
6S6 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
fermement de ce qui n'est appuyé que sur l'opinion commune. IlseaÊi
donc à rentrer en lui-même et ce moyen lui réussit beaucoup mieox.
2" PARTIE, — ' Règles de la méthode. Etant en Allemag:ne, etn^jï^i
d'autre occupation que de réfichir, il vit d'abord qu*une œuvre cwyi
et exécutée par un seul vaut mieux que celle où plusieurs hommes est
Ira vaille. 11 ne croyait pas que Ton dût renverser tout d'un awp l»-
dre établi, pour bâtir sur de nouveaux fondements; mais il cnit dévot
ôler de son esprit toutes les opinions qu'il avait reçues jusque là, pcnir
les remplacer par de meilleures. Cependant il ne se donne pas en oed
comme un modèle, a La seule résolution de se défaire de toates Is
opinions qu'on a reçues auparavant en sa créance n'est pas im eim-
pie que chacun doit suivre. Et le monde n'est quasi composé que de
deux sortes d'esprits auxquels il ne ne convient aucunement » Savar
ceux qui se croient plus habiles et ceux qui se croient moios hàltSs
que les autres. Pour lui il ne trouvait personne dont les opinions fes-
sent préférables à celles des autres et se trouvait ainsi contraint d^efltl^
prendre lui-même de se conduire. Mais il résolut d'aller lentcmeot
La Logique lui semblait plus propre à expliquer à autrui ce qiie l'oa
sait, ou môme à parler de ce qu'on ne sait pas. L'analyse des anôBB
géomètres et l'algèbre des modernes lui semblaient trop ahstraiiaci
trop attachées aux figures ou aux chiffres. Il lui sembla dooe de^
« chercher quelque autre métliode qui, comprenant les avanlas» de
trois fût exempte de leurs défauts. » Pour cela il crut avoir assK<^
quatre préceptes suivants, pourvu qu'il fût fidèle à les obscner.
{" règle. Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, quli ne ù
connût évidemment telle.
2* règle. Diviser les difllcullès en autant de pai-cellcs qu'il serti'
requis pour les mieux résoudre.
3* règle. Conduire par ordre ses pensées, en commençant pa^ ^
objets les plus simples.
4* règle. Faire partout des dénombrements entiers, au iM)iiit d'tlr^
assuré de ne rien omettre.
Ensuite comme direction générale do ses études, il pritmoièlesar
les mathématiques et s'efforça d'en suivre la marche. Il arri\*a alnaâ
se démontrer des vérités qui lui paraissaient auti-efois très diffifil^
Mais après s'être exercé quelque temps sur les mathémaliqnes, U *''
qu'avant d'aller plus loin et se porter sur les autres sciences, ^
devait d'al}ord asseoir solidement sa philosophie. Cependant U f^^
devoir différer ce travail, parce qu'il n'avait alors que vingt-trois aos,
'M PARTIE, i— Règles morales de provision. Avant d'alwltresonï^
XVII" SIÈCLE — DBSCARTBS 68>
pour le reconstruire, on a soin de se pourvoir d'un autre pour alten-
dro; ainsi, afin de n'ôtre pas irrésolu dans ses actes, pendant qu'il le
serait dans ses jugements, il se forma une morale par provision, con-
sistant en quatre maximes.
1** Obéir aux lois et coutumes de son pays, retenant constamment la
religion en laquelle Dieu lui avait fait la grâce d'être instruit dès son
enfance, et suivant d'ailleurs les opinions les plus modérées, sai^^ s'en-
gager en rien pour Ta venir.
2* Etre ferme et résolu dans ses actions, autant qu'il le pourrait,
sans dévier de la voie qu'il aurait une fois choisie, quoique douteuse' ;
imitant en cela le voyageur égaré dans une forêt, qui ne doit ni s'ar-
rêter, ni changer de direction ; car par ce moyen, s'il n'atteint pas son
but, du moins il sortira de la forêt et pourra reconnaître son chemin.
3" Tâcher plutôt à se vaincre qu'à vaincre la fortune, et à changer
ses désirs plutôt que l'ordi-c du monde. (C'est la maxime d'Epictète :
'ne vouloir que ce qui dépend de nous, et c'est en ce sens que Descar-
tes rexpUque.)
4* Enfin passant en revue les diverses occupations des hommes, Il en
conclut que la meilleure, pour lui. était d'employer sa vie à cultiver sa
raison, comme il avait commencé h le faire.
Ne gardant donc que ces maximes et se débarrassant de tout le reste
de ses opinions, il se remit à voyager, et il lit ainsi pendant neuf ans,
sans avoir pris aucun parti- sur les questions que l'on a coutume de
discuter, sans môme «ivoir cherché encore les fondements d'une philo-
sophie plus certaine que la vulgaire.
Il se retira donc dans la solitude *el s'efforça de mériter l'estime que
l'on commençait ù avoir pour lui.
• 4* PARTIE. Preuves de l'existence de Va me et de l'existence de Dieu,
Tour mieux découvrir la vérité il prend le parti de rejeter comme faux tout
ce en quoi il pourrait imaginer le moindre doulc, afin de voir s'il ne
lui resterait point après cela quel(iuc chose en sa créance qui fut entiè-
rement indubitable. Il rejette donc tout ce qui vient du témoignage des
sfns, parce qu'ils nous trompent quelrpiefois ; il rejette les démonstra-
tions, parce qu'il y en a qui s'y égarent; il rejette toutes les affirma-
tions de son esprit, parce que ces mêmes pensées peuvent nous venir
dans le rôve, et qu'alors elles sont fausses. « Mais aussitôt après je pris
garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il
fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et
remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et
R! assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques
0^ HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
D'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que le pouvais U rfceë
sans scrupule ppui* le premier principe de la philosophie que ie ^*
chais. »
Dès lors qu'il pense, il peut bien feindre qu'il n'a pasdecorp5,<iB*
monde n'existe pas et qu'il n*est dans aucuu lieu; mais il ne paît itft
dre pour cela qu'il n'est pas, et au contraire s'il ne pensait pas a»
poyrc^it pas concevoir qu'il est, D'où il conclut : je suis une soistas*
dont toute l'essence est de penser et qui pour être n'a pas besoin à'*
lieu, ni no dci)end d'aucune chose matérielle. Ainsi l'àme es» distisa
du corps, et plus aisée à «connaître que le corps.
Il croit donc avoir trouvé une proposition certaine et, des qelWs
ciu'il lui voit, il conclut a que les choses que nous concevons fort da»*
nient et fort distinctement sont toutes vraies. »
Mais voyant que douter est imparfait et que- c'est une plasptsk
l)er{ection de connaître que de douter, il se demande d'où il a pris l^
de cjuclque chose de plus parfait que lui. Pour tout le reste qui d«^
pas au dessus de lui, il peut le tenir de lui-même, si ces choses saiî
et du néant, c'est à-dire, de son imperfection, si elles ne sont pa* ^
rjclêc d'un être plus parfait que lui ne peut venir ni du néant, m*
lul-mcmc ; car dans les deux cas, quehiue chose naîtrait de rien- ^
toute idée de perfection ne peut venir que d'un être parfait rédfefiK»
existant. Donc Dieu existe. Kien de ce qui est imparfait n'est eale»;
il n'a rien de corporel ; et de plus s'il existe quelque autre cb&s» 9*
lui, cela vient de lui, dépend de sa puissance et ne peut suljôisktii
moment sans lui.
Les vérités mathématiques sont* certaines, parce qu'elles sont évi«KO*
tes, mais rien en elles ne nous assure de l'oxis^onco de leurol^etï^
lieu que l'existence est comprise dans l'idée de l'être parfait. La ui»-
culte que Ton éprouve à le connaître vient de ce qu'on ne s'élève pas»
dessus des choses sensibles. Et malgré la maxime des écoles,!'*" •
a rien dans l'entendement qui n'ait premièrement été dans le sens
<*st certain que les idées de Dieu et de l'àme n'y ont jania/s été,
Toutes les autres choses que nous estimons certaines sont nioios
taincs que l'existence de Dieu et « cela môme que j'ai tantôt pt^ ?
une règle, à savoir, que les choses que nous concevons très claire
et très distinctement sont toutes vraies, n'est assuré qu'à caiis* ']
Dieu est pu existe, et qu'il est un être parfait, et que tout ^ 1
est en nous vient de lui. » « Mais si nous ne savions point que tcw
qui est en nous de réel et de vrai vient d'un être parfait et in^*- ^
claires et distinctes que fussent nos idées, nous n'aurions a»»
raison qui nous assurât qu'elles eussent la perfection d'être vraies.
XVll* SIÈCLE — DBSCARTE8 689
— On remarquera ici im cercle vicieux dont 11 nous parait difficile
d'absoudre Descartes. Appuyé sur le principe de l'évidence, il a demon-
Irê Texistence de Dieu et maintenant il dit que l'évidence n'existe
qu'antant que l'on sait déjà ([u'elle vient de Dieu. Ce défaut de logi-
que vient s'ajouter au défaut de base ; car dés le point de dépai t, on
aurait pu objecter : Comment savez-vous qae ce qui est évident est
vrai ?' Comment savcz-vous que doufer est imparfait et que savoir est
plus parfait? Vous répoudrez que c'est évident. Mais celte évidence
elle-même manque de base et si vous la prenez pour iK)înt de départ,
comment pouvez vous forcer le sceptique à l'accepter*? Et d'un autre
côté, si vous l'acceptez, pourquoi ne pas lui reconnaître tout son
domaine et rejeter le témoignage des sens ?
5* PARTIE. — Ordre des questions de physique que Vauteur a exa-
minées. Ici Descartes résume sommairement son Traité du hionde et
de la lumierCy qu'il n'osa pas publier, de son vivant. Il n'ose affirmer
que Dieu a créé le monde selon la description qu'il en donne, il dît
mèniQ qu'il est plus probable que Dieu l'a fait tout d'un coup tel qu'il
est ; mais il insiste sur son hypothèse et donne à comprendre que pour
lui cette hypothèse est l'expression de la réalité. Or il suppose que Dieu
crée seulement de la matière, sans aucune qualité seconde, et du mou-
vement, qu'il maintient dans des lois constantes, et il dit avoir montré
comment ces deux principes suffisent à produire tout ce que nous
voyons, tel que nous le voyons, avec les plus menus détails. Ces détails
rtnt été trouvés faux, par la science moderne, mais il devance cette der-
nière dans son principe, par l'idée d'une évolution lente, et on sent
qu'il y tient.
Parlant ensuite de son traité de V Homme, il expose surtout la struc-
ture du cœur et la circulation du sang, citant la découverte de Ilarvey,
qui était récente alors. Il analyse plus brièvement le reste de ce môme
traité, et indique son opinion que les bêtes ne sont que des machines,
ainsi cpic la distinction de l'àme humaine et du corps.
6* PARTIE. Ce qu'il faut pour avancer dais la vérité, et quélle^i
raisons Vauteur a eues d'écrire» Au début de cette sixième partie,
Dwcartes, donne ix entendre que l'exemple de Galilée, qu'il ne nomme
pas, et dont il fait comprendre qu'il partageait l'opinion sur le mouve-
ment de la terre, en disant qu'il ne la partageait pas, l'ont fait renoncer
à publier les deux livres (lu'il vient d'analyser. Mais il a cru devoir
faire connaître les questions do physique qu'il y avait résolues, car au
lieu de cette philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles, on
en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la foi-ce des
Ô90 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
actions du feu, de l'air nous les pourrions employer à tocîl?
usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maiteJ
possesseurs de la nature.
— Ici Descartes se rencontre avec Bacon, mais avec mm «
témérité.
Il désire une entente entre les savants pour se communiquer l««'^
rionccs. Il indique l'ordre dans lequel on doit faire ces expériences: {S
de commencer par les plus obvies. Mais pour celles qui viSBc^
ensuite, il ne peut les faire tout seul et c'est en grande partie m
cela qu'il s'est décidé à dire quelque chose de ses précédente i^*
vertes, outre qu'il craignait en ne disant rien des ouvrages qu"3 5^
écrits, et dont on connaissait l'existence, il ne fut taxé d'erreur.
Il a écrit en français, pour être compris de tous, pensant qac»^
qui savent le latin ne le mépriseront pas pour cela. Enfin 'ùnW^
par ambition, ni par vaine gloire, mais pour acquérir des connais
ces de la nature, utiles pour la médecine.
Nous ne dirons rien ici des autres théories philosopWqa»*
Descartes, sur les idées innées, où il pensait comme pl^ ^
Leibnitz, sur les causes occasionnelles où il devança Malebn»-
che, sur la divisibilité de la matière, etc. Nous avons M^
naître toutes ces opinions en leur lieu dans notre cobk
philosophie. Ajoutons cependant que Descartes enseigne f'^^''*''*'
ment que \q jugement est un consentement de la volonté ^^^
l'erreur vient de ce que la volonté affirme précipitamment &1
rintelligence n'a pas vu.
S 2. — ECOLE DE BACON. — SENS DALI SU-
272. Hobbes. — Thomas Hobbcs naquit à Malmcsbury,^
le comté de With, en Angleterre, en 1588. Il àiaiiûlsd'anBin^
tre. Il montra une intelligence précoce et sos études qo u
l'université d'Oxford furent achevées à l'âge <î'3 dii-hn'^ ^:
C'est en 1642 qu'il publia son traité de Cive. Après avoir ?#-
en 1650 un IVaité sur la nature humaine, il publia ^n^
en 1651 son Léviathan, dans lequel il traite non plus dncio. i
mais de la cité. Il publia encore une Logique ; de Corpor >
Homine ; il y ajouta plus tard sa Biographie, en vers la •
mourut en 1679. ^
XVII' SIÈCLE — HOBBBS 691
Il divise la philosophie en logiqi^y philosophie première ^ phy-
si que et politique. Tout cela est pour lui le perfectionnement de
la science, le fruit naturel do nos facultés, mais il n'y voit que
des corps, et soutient que Dieu et Tâme ne sont pas du domaine
de la philosophie. Les corps seuls sont des substances ; Dieu n'est
que l'étendue indéfinie et Tâme n'est qu'une apparence sans réa-
lité; raisonner c'est additionner et soustraire. Il veut dire que c'est
ajouter ou retrancher un élément à une idée précédente. L'erreur
que l'on peut commettre dans ce calcul, vient des mots que Ton
emploie sans les connaître, La vérité elle-même est dans les mots,
non dans les choses. Nous ne connaissons pas les choses elles-mê-
mes, mais seulement les idées que nous en avons.
a La nature de l'homme, dit Hobbes, est la somme de ses facul-
tés. » Il distingue ces facultés en physiques et morales, mais il
les suppose toutes dans un môme sujet, qui est le corps, quoiqu'il
dise : les facultés de l'esprit. Dans ces dernières il distingue les
facnltés principes de conception, des facultés principes d'affection.
Les premières se développent dans un mouvement qui va des
organes au cerveau, les secondes, dans un mouvement de la tète
au cœur. Hoblxîs ne reconnaît pas la volonté : il la confond avec
le sentiment. Il ne voit donc que deux facultés morales : l'intelli-
gence et la sensibilité, et encore sa théorie de l'intelligence mène
droit au scepticisme : car rien ne permet d'affirmer des choses dont
nous ne connaissons que les images ; et sa théorie du sentiment,
outre qu'elle n'est au fond qu'une théorie do la sensation, ramène
l'idée du bien à l'agréable. Ce qu'il appelle volonté n'est que le
mouvement produit par une sensation plus agréable, et ce qu'il
nomme liberté c'est le pouvoir d'exécuter ce mouvement. Et il a
soin d'expliquer sa pensée on disant que la liberté n'est que
l'absence d'empêchement, la possibilité de se mouvoir dan l'espace,
la possibilité et non la puissance ^ la facilité et non la force.
Enfin il déclare expressément que tous ces mouvements sont
nécessités par la causalité première de Dieu.
Pour mettre l'homme en rapport avec Dieu et lui recommander
de l'honorer, Hobbes a recours à la foi, car il reconnaît que sa
philosophie ne saurait l'y conduire.
Ce qu'on a le plus remarqué dans Hobbes, c'est sa théorie poli-
692 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
tirjuo. Elle ost fondée sur sa théorie morale. L'homme n'est a
que par le plaisir : il n^agit donc que par intérêt personnel Ln
donc d'ôtro naturellement sociable, Thomme est naturelte'
Vennemi de son semblable, La guerre est donc l'état (kuata:^
D'où il suit que le droit naturel, c'est le droit da plu^ fort Mi:
l'homme ne saurait être lieureux dans cette guerre perpétadk.
il cherche donc la ;paix. Or pour obtenir cotte paix, ils6 iseîfl
société, il code une partie de son droit absolu sur toutes cto
et cette cession doit être mutuelle et faite selon une juste wiape?
sation. C'est le coyitrat^ ou l'échange des droits. C'est decee*
trat que dérivent la justice et l'injustice, qui n'existait'nt p
auparavant. Celui qui viole ce contrat renonce à la paix, cl^:-'
suite au bopheur ; mais comme du mémo coup il trouble lapau
de tous les autres, il faut que ceux-ci aient des moyens dclcffit*-
cher d'agir ainsi. De h1 le pouvoir civil, qui n'est que la l'^*-
mise au service de la loi du contrat. Le pouvoir civil, selon H->
bes a besoin d'ôtro le plus fort, et c'est pour cela qu'il le F'^'^
dans la monarchie absolue, dans laquelle le souverain reçoit tp-
et ne doit rien à personne. Tout oe qu'il ordonne devient jusit-*
qu'il défend devient iryuste; ce qu'il déclare vrai devient tj*
il dispose des personnes et des biens ; il représente tous k^^-'^^
yens; il est la cité vivante. C'est le Ldviafhan. Et ce p^'»^
que le souverain tient du peuple est inaliénable, sausqao''
feerait plus absolu et perdrait toute sa force pour faire resp^ -
la paix.
. On a accusé Hobbes d'étro on contradiction avec lûi-^*^^*®*^
concluant du principe du contrat à la monarchie alîsomo.||
trouvons au conti'airc que sa conséquence est très-légiti^"^
dans ses principes, il ne saurait y avoir aucune ^^'^"^^ ' '^ ',, ,
paix assurée, en dehors de ce pouvoir absolu et ^"^^^^"^ "^..^^
seul.- Le pouvoir résidant en tous, et surtout capaMe uc m^^ ■
tion, serait une menace perpétuelle contre la paix, c t
hommes dont le seul mobile est l'intérêt personnel.
278. Gassendi, — Pierre Gassendi, ou plutôt Gassend, n^^|J^^
en 1592, au village de Champtercicr, près de i^io"®-.^^,^^.^^ii
brillant élève au collège de Digue et à l'Upivoreité d'Aii'
'
XVir SiftCLK — GASSKNDl 093
jrit le ï)onnet de docteur à Avignon. Chanoine de Digne avant
iV'tre dans les ordres, il fut ordonné prêtre en 1017. Il obtint
ilors la chaire de philosophie à Tuniversité d'Aix , et ne
l'occupa que six ans. Il fit alors plusieurs voyages â Paris où il
3onnut Descartes et en Angleterre où il fut mis en relation avec
Hôbbes. Plus tard le cardinal de Richelieu lui fit accepter ia
3liairo de mathématiques au collège rojal de France. Par raison
:îe santé il revint en Provence habita, Aix, Digne et Toulon, et
Bt après un quatrième vojago, à Paris pour achever son ouvrage
sur Epicure, il mourut à Digne en 1655.
Il avait suivi et soutenu activement les nouvelles découvertes
on physique, publié, dans sa jeunesse, une condamnation d'Aristoto,
adiessé des objections h Descartes,sur ses Méditations^ mais son
principal ouvrage no fut publié qu'après sa mort en 1658. Ani-
madversiones in deciynum lihrum Diogenis Laertii, de vita^
morihus^ placitisque Epicurii.
Faisant dériver des sens toutes les connaissances, Gassendi
avait fait connaître sa philosophie dans ses objections & Descar-
tes; mais quand il voulut exposer sa théorie, lui qui avait rejeté
rautorité d'Aristote, et qui même était allô trop loin dans ce sens,
crut devoir s'appuyer de l'autorité d'un ancien et choisit Epicure.
Dnns ce but, il s'efforça de démontrer qu'on Tavait jusque là mal
compris, et après l'avoir réhabilité avec beaucoup d'érudition, H
s'efforça de faire revivre ses théories physiques, en se séparant de
sa morale^ et de tout ce qui, dans sa doctrine, était contraire h la
foi catholique. Il voulut concilier la théorie des atomes avec le
dogme de la création, probablement parce que ce système lui
paraissait plus commode pour expliquer les lois physiques, qu'une
ol>servation mieux entendue faisait alors découvrir chaque jour'.
Mais le caractère propre de sa philosophie est dans le sensua-
lisme, qui fait venir des sens toutes connaissances. Cette doc-
trine exagérée servit du moins de contrepoids à Tidéaliâme de
Descartes, en affirmant à priori la certitude des perceptions four-
nies par les sens et par la conscience, tandis que.Descartes Vou-
lait tout faire dériver des conceptions évidentes de la raison.
Aussi ce dernier créait un monde dans son imagination, tan-
dis que Gassendi découvrait les lois du monde réel.
694 HISTOIRE DB LA PIIILOSOPIIIK
274. Locke. — Jean Locko, naquit à Wrin;:*ton, danslef^jï
de Bristol, en 1G32, il fit ses études au coHl-jô de AVestiDb5V
puis à l'université d'Oxford . Il prit goût à la philosophie, [or i
lecture des écrits de Descartes. Partaprcant la fortune et i-
revers du comte de Shaftesbury, il occupa diverses chaw par-
ques, s'exila avec lui en Hollande, revint dans sa patrie:'*
Guillaume III, d'Orange, et sa santé ne^'lur permettant pli* ^'
remplir les devoirs de la charge qu'il occupait, il seat^-
Oates, dans le comté d'Essex, et y mourut. Tan 17Q4, dans ifc
sentiments de piété qu'il manifesta publiquement.
Il laissait plusieurs ouvrages de philosophie, d'éducation, i
religion et autres, dont le principal est Y Essai sur Ventendt^
humain. Divisé en quatre livres, il traita : 1° des notions ina^:
2o des idées ; 3° des mots ; 4° de la connaissance. Dans le p^-
mior livre, il [combat la théorie des idées innées, admises \^
Descartes . Il essaye de démontrer que ni les idées spéculative! e
les idées pratiques ne sont innées, pas même dans leurs élémenU:
que ces idées que l'on considère comme innées ne sont ni premit»
ni universelles. Dans le deuxième livre, il suppose l'àme naissait:
comme une table rase et s'efforce de montrer [la formatiofl ^
toutes les idées, par la sensation, pour les choses extérieures, «<
par la réflexion^ pour les opérations de l'âme.
Toutes les idées ainsi acquises, il les appelle simples^ ^t ^
admet en outre de composées, formées par combinaison àea pt-
miôres. Cette théorie n'est donc pas le sensualisme pur: ces
l'empirisme. Dans le troisième livre, il traite avec beaucoup **
sagacité, pour son temps, les rapports du langage et de la pens^'*-
Il attribue au langage plusieurs erreurs et en indique les rem^^
en môme temps qu'il exalte l'importance du langage, sans tombÈf
à ce siget dans les exagérations où tombera Condillac. l>^^'
quatrième livre, 11 traite de la légitimité de nos connaissance**
reconnaît deux sources de certitude : l'intuition et la démonstra-
tion. Ici dans l'exposition de sa théorie il semble ne pas reconnaît^
le monde extérieur comme objet de la connaissance intuitive, m*^
ailleurs il dit nettement sa pensée à ce sujet et admet par intuitifs
Texistence de l'âme et l'existence du monde, et par démonstratioD
l'existence de Dieut Cependant, si empirique qu'il soit, il ^^
XVIl'^ SIÈCLE — ARNAULD 695
les hjpothôses en physique, à la condition de les vérifier par des
expériences, et il dit aussi, qu'en présence des événements surna-
turels, Texpérience doit se taire devant l'autorité du témoignage.
Ainsi Locke n'est tombé ni dans le scepticisme ni dans l'empi-
risme absolu, où devait le conduire son principe. Mais son prin-
cipe n'en est pas moins faux, car il conduit logiquement & nier
tout à la fois et le monde et Dieu ; car l'ôtre,et surtout l'être infini,
ne tombent pas sous l'expérience .
g 8. - IGOLI DE DI8GARTIS.
275. Arnauld de Port-royal. — Antoine Arnauld, le ving-
tième des vingt-deux fils de l'avocat Antoine Arnauld, naquit' à
Paris, en 1G42. L'abbé de Saint-Cjran, tristement fameux dans
l'histoire 4u jansénisme, le détourna du barreau et le poussa vers
l'état ecclésiastique. Arnauld fut reçu docteur de la Sorbonne, en
1643. La môme année, sous l'inspiration de Saint-Cyran et de
Jansénius, il écrivit son livre de la Fréquente communion^ qui
lui suscita bien des persécutions, et fit de lui un chef de parti. Il
fut rayé de la Sorbonne en 1643, eut quelque repos après la paiœ
de \Clëment VII, en 1669,mais en 1679, craignant Louis XIV, il
quitta la France, et se retira dans les Pays-bas. Il mourut à
Liège, en 1694.
En philosophie, il était cartésien, quoiqu'il ait adressé au père
Mersenne des Objections contre les Méditations de Descartes, et
l'infiuence des théories de ce dernier se fait sentir partout dans les
écrits d' Arnauld. Il écryfit contre Malebranche, le livre des Vraies
et des fausses idées, où il combat la théorie des idées-images,
plutôt que celle de la vision en Dieu, Mais son principal titre
comme philosophe c'est VArt de penser, connu sous le nom de
Logique de Port-royal, qn'il écrivit, dit-on, en huit jours, avec
l'aide de Nicole, et que le duc de Chevreuse dut apprendre eu
quatre jours, après l'avoir résumé en quatre tableaux.
276. Analyse de l'ART DE PENSER. — Après un petit avis, où
l'on expose roccasion de la composition de cet ouvrage, on trouve deux
discours de Nicole, Tua «où Ton fait voir le dessein de celte nouvclis
logique », l'autre a contenant la réponse aux principales objections que
l'on a faites contre cette logique.»
696 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
U définit ensuite la logique, c l'art de bien conduire sa raiâûaâagb
connaissance des choses, tant pour s'instruire soi-même que pcsr a
instruire les autres », et donne ensuite la division de rouvragc « <pt-
tre parties, et les raisons de cette division.
1« Partie. Réflexions sur les idées ou sur la première opértâtsi
de Vespritt qui s* appelle concevoir. Les idées sont le fondenienti
toute la logique et on peut les considérer : 1*» selon leur nahme rt k*
origine ; 2* selon la principale différence des objets qu'elles repreae-
tent ; 3* selon leur simplicité ou composition; i*» selon leiu-éteaàM»
restriction ; 5° selon leur clarté et oljscuritê, ou distinction et confias»,
a Le mot dHdée est du nombre de ceux qui sont si clairs ^'^ ^
\icui les expliquer par d'autres, parce qu'il n'y en a point deplasc^
et de plus simples.» Il s'efforce surtout de les distinguer des iffii|es.i^
montre très-bien que souvent une idée très-distincte n'a qu'un* îsa^
confuse, comme un polygone de mille angles ; que nouscon«v«DstBs-
bien des choses que nous ne saurions imaginer: la pensée, par extoN^
D'où il conclut que toute parole correspond à une idée, et plus Wa. <l*
les idées ne sont pas arbitraires comme les mots, et sontauMdesr
que les mots. Passant ensuite à l'origine des idées, il combat la ilwfirii
de Gassendi, qui les fait venir des sens, et cite le fîimeux principe et
Descartes, t Je pense , donc je suis », pour établir que les idées d'cti«a
général « de la pensée et du moi ne viennent pas des sens.
« Tout ce que nous concevons est présenté à notre esprit, ou eoms?
manière de chose, ou comme chose modifiée.» De Ih les noms svk^^-
tifs et les noms adjectifs ou connotaiifs. Il insiste sur la Jisti*^
Jtion des substances et des modes. Il expose les catégories d'AiisMi«.
déclare qu'ell s sont très peu utiles et essaye de les remi^acer par ^
autres, en ajoutant que l'étude des catégories accoutume les hoiwK**
se payer de mots. Viennent ensuite quelques règles logiques «r k*
signes.
Il distingue ensuite les idées abstraites des idées de parties s^b^
blés d'un môme objet, puis les idé^s générales, particulières ou ««^
Itères, où il définit la compréhension et Vétendue des idées. UcVi^
assez longuement les cinq universaux de Porphyre : le genre, l'esp*^!
la dififérence, le propre et l'accident. Parlant des termes comptei^^
distingue l'addition explicative, de l'addition déierminatirt, <* ^
équivoques où Ton peut tomber dans les termes complexes. U^ "^
sont claires ou t^scures pour difTôrentes causas, mais surtout parc* f^
nous attribuons aux choses les modifications que nous éprooroos p
elles : il en donne do nombreux exemples, et en prend occasioo «
démontrer plusieurs vérités religieuses et momies. La confusioo ^
XV 11" SIÈCLE — ARNACLii 097
aussi des mots mal compiîs. d'où la nécessité de définir. On dlslingiie
la définition des choses d'avec la définition des mots. Ces dernières
sont arbitraires, ne peuvent être contestées et peuvent toujours servir,
de principes. Faute de faire ces définitions on dispute sur des mots
Oans les discussions il faut toujours substituer mentalement la défini-
tion au nom que l'on emploie. Mais il ne faut pas tout définir : ce serait
souvent inutile, ou même impossible. Il ne faut pas, sans raison, chan-
ger les définitions rerues, ni employer un mot dans un sens trés-éloigné
de l'usage, ou contraire à l'étymologie. Enfin les définitions de noms ne
.sont arbitraires que pour soi-même, quand on expose sa propre doctrine.
mais non dans Texposition des termes employés par un autre. Ici l'au-
teur fait remarquer .que bien des locutions prennent par l'usage ou par
les circonstances un sens qu*elles n'ont pas par elles-mêmes, et il ert
donrM) plusieurs exemples.
2* PabTie. Réflexions que les hommes ont faites sur leurs juge-
ments. Ces jugements sont des prépositions composées principalement
de norps^ de pronoms et de verbes. Peut-être est-ce à la grammaire
d'en traiter, mais cette étude est certainement utile à la logique. Les
nom.s sont des mots destinés à signifier tant les choses que les maniè-
res de choses. Les premiers s'appellent noms substantifs, les autres,
quand ils marquent en même temps le sujet auquel ils conviennent,
s'appellent noms adjectifs. Les manières conçues par abstraction, sans
les rapporter à un sujet, s'expriment par des noms substantifs. Au con-
tra! re, ce qui est de soi substance peut-être conçu comme dans ui
sujet et s'exprime par un adjectif comme humain ; alors ces adjectifs
dépouillés de leur rapport avec tout sujet, redeviennent substantifs,
comme humanité. Certains noms, comme rot, philosophe^ passent poui'
substantifs et sont de vrais adjectifs. Certains adjectifs, sont pris subs-
tantivement et expriment un sujet universel, comme le rouge et Ir-
le blanc.
Les pronoms tiennent la place des noms, mais ne font pas le mv^me
efTet sur l'esprit. Ils présentant comme voilée la chose que le nom
découvre. (3n évite ainsi de répéter le nom; ce qui serait ennuyeux.
De \h l'invention des pronoms personnels, relatifs, et autres. Le ]>ro-
pre de ce dernier est de lier au sujet ou à l'attribut une proposition
Incidente. Arnauld remarque ici que la conjonction française qv<* esi
un vrai pronom relatif. D indique la même fonction pour l'article j^roc
0, r,, t6, et en prend occasion de répondre au ministre Jean Claude,
sur son explication du text^ : C^ct est mon corps, gui est livré pour
rmts.
G98 HISTOIRE DE LA PHII.OSOPHIK
^'. ^
En traitant du verbe, Arnauld ne fera que répéter ce qui a éik
rians la Grammaire générale. C'est de la sienne qu'il veut fL-.r '
mais il ne le dit pas. hc verbe est un mot dont le princîpeU uêa'jec:
de 8i(/nifier V affirmation. Il exprime en outitî le désir, la pri^rr »
commandement, mais ce n'est qu'en changeant d'inflexion et de iB*3è
IjC verbe être seul, qu'on appelle substantif, est demeuré dans la sis:-
plîcitê de son sens principal, et on a pris l'habitude de joindre «i ^^
seul mot le verbe et l'attribut. On a môme joint quelquefois le s^iH
lui-môme aux deux autres termes. On a fait entrer aiissi dans un scim
mot l'idée du temps « au regard duquel on affirme. » Ici Arnauld «ri^
que la définition d'Aristote : Vox sigm/lcans eu m, tempore, et pin^
sieurs autres fondées sur le même point de vue. Et après avoir juslile m
propre définition, il la complote ainsi : « Vax significans af/lrmany
nem, cum designatione personœ, nximeriet tempoi^îs. Enfin îl rPiDi'-
que que môme dans les jugements négatifs, le verbe n'exprîm«f î**
l'allirmation. — Nous n'avons pas le temps d*obser\-er ici en qy'
Arnauld se trompe lui-môme avec tous ses devanciers sur la dèûm'ôoi
du verbe, ni en quoi notre définition (p. 58) est plus exacte. Noo^ '"
ferons peut-être bientôt dans un ouvrage spécial.
Arnauld expose ensuite la théorie des propositions. Il ne distin.r»-
pas la proposition du jugement. La distinction des propositions e:/ ^
elles est donnée d'après les scolastiques, ainsi que les diverses opp»»-'-
tions des propositions, savoir: les contradictoires, les contraire^, \-
."^ubconii'aij'es ei les subalternes. Les propositions sont simples »; ?
(•omi)Osées. Il y en a de simples qui paraissent compoîiêes et qui n-^ ^> ■
que cuinplexes. Cette complexité peut être dans le sujet ou dans 1*1»!!^
luit. Les incidentes sont explicatives ou déterminatives ; pour en jur»
il faut avoir plus d'égard au sens qu'îi l'expression. Une propci-N-^ti ^
peut être fausse .seulement dans ses termes complexes. Dans les pie[*.-
sitions appelées modales, l'erreur peut tomber uniquement sur le niti^i' .
Sur ce sujet, Arnauld donne tonte la théorie scolastiquc, et fait de lufi •-
sur les différentes ési)éces de pr^)positions complexes. Les chaj'itiv>
suivants sont plus pratiques et renferment de judicieuses observîiii -^s
sin* les cas où il est difficile de reconnaître le sujet ou d'eo apprt-ritf
l'extension, comme aussi sur les propositions où le verbe est \t-uI iIîh
signifie. Il parle ensuite de la division, de la tléfinition, de la rt>n\«"-
sion (les iwoposilions : tout cela d'après les scolastiques.
.'l' PARTIE. Du raisonnement, dùeila partie Iraile du raisonnement 1 1
«le toutes ses règles, ainsi que des autres arguments qui i>euvent sr
ramener au syllogisme, et enfin des lieux de grammaire, de lo^que et
XVll* SIÈCLE — ARNAULD 699
de métaphysique. En tout celaAroauld n'a d'aiitre mërite que celui de
la clarté, car le fonds, sauf les exemples, en est entièrement emprunté
aux scolastiques, ou à Aristote, qu'il condamne cependant toutes les
fois iju'il le peut, non seulement dans quelques opinions erronées, qu'il
a^soin de choisir comme exemples de faux raisonnements, mais encore
pour le fonds même de sa logique, qu'il lui emprunte tout entière. Enfin
cette partie se termine par l'examen des faux raisonnements ou sophis-
nies que nous avons résumés, page 143 et 144.
40 PARTIE. De la méthode. Nous connaissons par intelligence les
premiers principes, à raison de leur évidence. D'autres vérités nous
sont connues par la foi en l'autorité d'un autre, ou par la raison^ mais
avec quelque 'doute: c'est alors Vopinion; et enfin par la misonet avec
une entière conviction: c'est la science. Les pyrrhoniens ont nié la
science, mais ils n'ont jamais été bien persuadés de leur doctrine^ Que
si l'on peut douter si l'on dort ou si l'on veille, si les choses existent,
au moins on ne saurait douter que l'on pense, et celui qui sait qu'il
pense est certain qu'il est. Les choses qui nous sont connues par l'esprit
sont plus certaines que celles qui nous sont connues par les sens. Il
y a des choses que nous connaissons clairement , il y en a d'autres qui
sont obscures, mais que nous espérons éclaircir ; enfin 11 y en a qu'il
est impossible de connaître avec certitude. Au premier genre appartient
ce qui est connu par démonstration ; au deuxième les matières philoso-
phiques, mais il faut avoir soin d'en exclure tout ce qui est du troi-
sième, ce qui est au-dessus de nous: comme ce qui tient de l'infini
que nous ne saurions comprendre. Il y a cependant des choses incom-
préhensibles dans leur maolère, qui sont certaines dans leur existence,
par exemple: Dieu, l'éternité, la divisibilité de la matière. — Il n'est
peut-être pas inutile de remarquer que, pour cette dernière chose,
Arnauld la présente d'une manière qui la rend non seulement incom-
préhensible, mais absurdî. « Quel moyen de comprendre, dit-il,.... que
le plus petit grain de blé enferme en soi autant de parties, quoique à
proportion plus petites, que le monde entier! » Et comme il a tant fait
que d'affirmer la divisibilité à l'infini de la matière, il s'efTorcc de la
(lêmontrer par des raisons mathématiques.
« La méthode est l'art de bien disposer une suite de plusieurs pen-
sées, ou pour découvrir la vérité quand nous l'ignorons, ou ^wur la
prouver aux autres quand nous la connaissons déjà. » Il y a deux sortes
(le méthodes : Vanalyse ou méthode de résolution, ou encore méthode
ïl'invenlîon ; la synthèse ou méthode de composition, ou encore méthode
tle doctrine. « On ne traite pas d'ordinaire par analyse le corps entier
7()() HISTOIRE UK LA l'Hl L OSO F>inK
(rime science» mais on s'en sert seulement ]x>ur résoudre giid^s^
lion. D — On voit qu'Arnauld n'a pas encore la vraie notioiii
in/'lhode analyti(jue, l)ien qu'il s*aide d'un manuscrit de Desearw •
il'im autre de Pascal. — Toutes les questions sont ou de moucii
rhoses. Dans les questions de choses, on cherche : i* les causes fark
ellets ; 2"» les effets par les causes ; 3" le tout par les parties; ? ■*
partie par le tout et quelque autre partie. La première choseàfabt?
rie bien concevoir la (juestion proposée. L'inconnu que l'on d8W
doit être manifesté par les conditions posées, et ce sont cesfc«nàiîi*
qu*il faut observer sans en ajruter de nouvelles. Or l'analyse coia*
dans rcxamen des conditions connues de la question àrès»^
Arnauld en donne pour exemple la pi-euvo de rimraortalité ôe I2»
donnée par Uescarles. L'analyse aussi bien que la synthèse va daew»
à l'inconnu, mais la i>remièrc prend les conditions connues dfflsi
chose même à connaître, au lieu que la synthèse les prend da^fif
vérilés plus /jrcnéralcs. « Ces deux méthodes ne diflërent qaccoaiK-^
chemin qu'on (ail en montant d'une vallée en une montagne, de t*
que l'on fait en descendant de la montagne dans la vallée.» Eata*
nant ce deuxième chapitre, Arnauld cite les quatre rendes de la flâtliâ^
de IJescartes, comme pouvant être utiles pour se garder de len^'
surtout dans l'analyse, quoiqu'elles soient générales pour toutes»^''
»ie méthodes.
Il traite ensuite de la synthèse, qu'il appelle méthode de cùKifos^^
<• Kllc consiste principalement à commencer par les choses tes ?♦
î?én«'Malos et les plus simples, pour passer aux moins générales <<*
plus réimposées. )> T«'lle est surtout la méthode des géomètres, «*
laquelle on observe trois choses en général.
1' .V<? Inifiper avcui^o amhignité dans le^ termes. De là les œ»
fions.
:i* yéioblir les raisonnements que sur des principes claire f^^'
dcnis. l)iî là les axiomes.
;!" Prouver de monsi rôti cernent toutes les concîusionji. Cest 1**
des théorèmes.
Kt de ces trois chefs on peut tirer les cinq règles suivantes:
K lièfjle ]iouv les définitions, !• Ne laisser aucun des lenw^
peu ol)sci]rs ou érjuivoques, sans le déÛnir. 2» N'employer dW"**'
définitions qu»* des termes parfaitement connus et déjà expliqués.
" Rèrjle pour les ((j'iomes. S" Ne demander en axiomes 'î^'*^
choses parfaitement évidentes.
'< Ri'fiîcfi povr Irfi drw oust rations, 4* Prouver toutes le» prt'P^'""
XVU» SIECLE — PASCAL 701
un peu obscures, en n'employant à leur preuve que les définitions qui
uuront précédé, ou les axiomes qui auront été accordés, ou les pro-
positions qui auront déjà été démontrées, ou la construction de la
rfiose mémo dont il s'agrira, lorsqu'il y aura quelque opération à (aire.
5* N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant d'y subs-
tituer mentalement les définitions qui les restreignent et qui les expli-
«pieiit. » — Toutes ces règles sont prises de l'Art de persuader^ de
Pascal. — Après avoir, dans les chapitres suivants, développé toutes
CCS règles, Arnauld se résume, répète ces mêmes régies et y en ajoute
Iroîs : une pour les axiomes : « Recevoir pour évident ce qui n'a besoin
que d'un peu d'attention pour être reconnu véritable; » et deux pour
la tnéthode : 7* « Traiter les clioses autant qu'il se peut, dans leur
ordre naturel, en commençant par les plus générales et les plus sim-
ples, et expliquant tout ce qui appartient à la nature du genre avant
que de passer aux espèces particulién^s. 8" Diviser, autant qu'il se peut,
chaque genre en toutes ses espèces, chaque tout en ses parties, etcha-
r[iie difficulté en tous ses cas, »>
Hnfin dans les cinq derniers cliapitres, Arnauld parle de ce que.
nous connaissons ])ar la foi, soit humaine suit divine. Il justitie en la
précisant la croyance à l'histoire, aux miracles et aux événements
prédits.
277. Nicole. — Pierre Nicole, né à Chartres*, en 1025,
iDOil à Paris, en 1G95, mérite d'être mentionné pour sa partici-
patiou à VArt de penser^ pour son Essai (h, morale ^ et surtout
comme directeur des petites écoles où il forma tant d'hommes
remarquables. Racine on particulier. 11 était moins janséniste et
I)eut-êtr0 plus cart 'sien ([u'Aniauld, ce qui ne Tempêcha pas de
.«s'occuper activement dos Provinciales de Pascal. Cependant
avant de mourir il se sépara d'Arnauld sur la question de jansé-
nisme. Il avait écrit aussi plusieurs autres traités oO Tesprit de
relig"iou Teraporte sur Tesprit philosophique.
278. Pascal. — Quoi(][uc Pascal se montre peu favorable îi
la pliilosophie et qu'on ne puisse i»as trop le regarder comme un
cartésien, il convient cependant d'en parler ici j et de le rapprocher
de ses amis Arnauld et Nicole, puisqu'il était comme eux
solitaire de Port-Roi/aL
Biaise Pascal, fils d'K tienne Pascal, second président de la
••our des aides, en Auvergrie, naquit à Clermont, Tan 1023, Son
702 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
pore quitta sa charge et vint s'étahlir h Paris, pour mieux socet-
per de l'éducation de ses enfants, et il fit luî-mônie l'éducati'^^
Biaise son unique fils. On sait comment Pascal trouva t^at «si
à l'Age de douze ans, une partie des éléments de la g-éométrie, «r
la seule définition que son p5re lui avait donnée de cette scie&s
Il iut bientôt plus avancé que ses maîtres en mathématiqaes ; il
s'occupa beaucoup des nouvelles théories physiques : démontra k
pesanteur de l'air et son action dans lo baromètre et daos I»
pompes; fit construire une machilie arithmétique qui, époi^si
santé et dés lors il no s'occupa plus que de religion. Il écrivit Is»
Provinciales^ contre la morale des Jésuites, d. Tinstiganct
d'Arnàuld et de Nicole, et il paraît avoir cité de bonne foi ài^
textes que ses amis lui donnaient tronqués. Il préparait ïïêê
démonstration de la religion catholique et ce sont les idées qa^i^
écrivait dans ce but sur des bouts de papier, qui recaeillîes apr^
sa mort ont formé l'ouvrage si connu sous le nom de Peraées.
Trois morceaux détachés qui semblent avoir été destinés toas y
trois à entrer dans la préface d'un traité sur le Vide^ anqad i*
travaillait, sont devenues les trois opuscules connus sous ces tro@
titres : De V autorité en matière de philosophie ; de fEspri^
géométriqiie ; de V Art de persuader. C'est dans le dernier qs«
Pascal donne les régies de la définition, du raisonnement et âe
la méthode, telles qu'Arnauld les lui a empruntées et que bo65
avons déjà fait connaître. La pensée principale du premier de es
opuscules est que V autorité, excellente en .théologie, n'a rien i
voir dans la philosophie ni dans les sciences physiques ; et il
reproche à ses contemporains de faire précisément le contraire.
C'est pour n'avoir pas suivi aveuglément les plus anciens que qo«
pères ont pu faire quelque progrès dans les sciences ; nous &d
devons donc espérer d'avancer qu'à la même condition. Les ancteas
vivaient daus la jeunesse du monde ; nous profitons de lear expé-
rience : c'est donc nous qui sommes les anciens ; et c'est fain
injure à la raison humaine que do la déclarer incapable de
progrès.
Dans son Entretien avec M, de Suc//, Pascal décrit admirable-
ment le stoïcisme d'Epictète et le scepticisme de Montaigne, et
XVIT* SÏÈCLE — PASCAL 703
dit qu'il trouve gfpand avantage à les lire tous les deux ; car l'un
C8t I3 correctif de l'autre. Epictcte est, de tous les philosophes,
celui qui a le mieux connu les devoirs de riiorame. Il lui recom-
mande une soumission ahsolue à la volonté de Dieu, qui fait tout
^avec sagesse; et de plus il lui enseigne h accomplir ses devoirs
liuniblement et dans le secret. Mais à côté de ces lumières, ce
grand esprit avait aussi de Torgueil. Il croyait que Fhomme peut
faire tout bien par lui-mOme et se rendre parfait librement et
par ses seules facultés. Ce qui le conduit à d^autres erreurs,
comme, que Tàme est une portion de la substance divine ; que la
douleur et la mort ne sont pas des maux, et que Ton peut se tuer
quand on ne sait plus souffrir les maux de sa position. Montaigne
est chrétien, mais il a voulu chercher une morale fondée sur la
i*aison et il est tombé dans le doute universel. Il n'ose rien assurer,
rien affirmer, pas môme son doute, et il dit : « Que sais-je » Il
bat en broche tous ceux qui affirment ou nient en leur demandant
des preuves de leur, affirmation. Par ce moyen il abaisse à ses
propres yeux la raison dénuée de la foi et la force à reconnaître sa
faiblesse. Mais avec ce môme principe il ne connaît pas les droits
de la morale et ne la pratique que par coutume et pour faire
comme les autres. Ce sont les deux voies qui doivent se parta-
ger les hommes, en dehors de la foi. La révélation seule fait
connaître à l'homme sa force et sa faiblesse : force qui vient de
Dieu, faiblesse qui vient de la nature et du péché.
On a souvent opposé la pliilosopliie de Pascal, dans ses petits opus-
cules, à celle qu'il montre dans ses Pensées ^ et eu a dit que dans les
premiers écrits il défend avec force les droits do la raison humaine,
tandis qu'il rabaisse celte môme raison jusqu'à l'anéantir, dans ses
Peni<ées, Il nous semble qu'on aurait pu voir dans les Pensées mènie
la raison de cette apparente contradiction. Elle vient de ce mélange de
grandeur et de faitilesse que Pascal reconnaît dans l'homme et sur
lequel il insiste, en disant que la religion seule est capable de diriger
l'homme, parce ({ue seule elle lui montre tout à la fois sa grandeur et
son néanc.
M. Fouillée présente la mùme opposition, mais il la présente autre-
ment. 8elon lui Pascal reconnaît la matière comme infiniment grande
inir l'étendue, mais il l'anéantit devant la pensée, pour anéantir ensuite
celle-ci devant la charité. En effet, voici une d(s pensées de Pascal,
701 HISTOIRE DU LA PHIL080PU1K
(|irn cite : « De tous les corps ensemble, on n'en saurait laire wssà
« une petite peusée: cela est impossible, et d'un* autre ordre. Detw
<f les corps et esprits, ou n'en saurait tirer on mouvement de toi
•( charité: cela est impossible et d'un autre ordre. » Jusque U%
Fouillée a raison. Mais croirait-on que M. Fouillée condamne ce tm-
siènie ordre dont parle Pascal, l'ordre de la charité, et l'appelieta
mysticisme du moyen-àge? Sans doute Pascal était janséniste, tout k
monde le sait, mais la doctrine que M. Fouillée lui reproche eoioat
janséniste est la pure expression de lu doctrine catholique sor la^
Ce n'est pas parce qu'il dit que « Dieu fait tout en nous, parsâgtè»*
et que « nous ne l'aimons que s'il se fait aimer de nous » que Paol
est janséniste ; pas plus qu'il ne « reloml)e, eu niéconnaisiaut bo(r
liberté naturelle et persotmelle, dans une morale de plaisir et dinléièl»
parce qu'il dit que Dieu se fait aimer par Tattrait de sa grâce, par ^
attrait spirituel. Enfin M. Fouillée reproche à Pascal de considérer b
foi ei la charité comme des dons surnaturels. C'est encore one foisb
pure doctrine catholique, et M. Fouillée la lui reproche comme v»
doctrine personnelle- Enfin, s'appuyant sur le texte si connu de Pâscii
« Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute Ja janspraàaff-
« Un méridien décide de la vérité Le droit a ses époques P^'
* santé justice qu'une rivière borne ! Vérité en deçà des PfTéu&>
« eri*eur au delà. » M. Fouillée en conclut que Pascal n'admettait •■ bi
morale naturelle, ni droit naturel, » et après avoir cité avec bon&f
celte autre pensée : « Il faut que la justice de Dieu soit énorme cooioi?
« sa miséricorde : or, la justice contre les réprouvés est moins i'oorae
" et doit moins choquer que la miséricorde envers les élus, »iï. « Ki«ï"*
ajoute : « Ainsi c'est le Dieu bon qui choque Pascal ! Qu'est-ce dont
alors en définitive que son Dieu? » — Son Dieu, répondroos-oon*
encore, c'est le Dieu de l'Eglise catholique, et l'erreur de Pascal 0'-"^
nullement dans ces textes. Oui, Dieu est plus étonnanf, quand «/ ^
donne lui-même aux élus, après leur avoir donné la grâce mr^^*'
relhf pour mériter cette récompense surnaturelle, que loraqu'H jw^'
justement ceux qui ont abusé de sa grâce et méprisé le sang <l« ^
Fils.
Non, quoi qu'en pense la rationalisme moderne tout " l'amour»
Dieu et des hommes » (jue les bommes pourront fondai sur " i« '^^■'^'
aimant et aimable, le vrai principe de cet universel amour > u'aUeJoani
jamais la hauteur d'un seul acte d'amour surnaturel. Cela est iinpo*"
ble, répéterons-nous avec Pascal, c'est d'un autre ordre.
Nous prions le lecteur de ne pas se méprendre sur notre |)eubeC' tn
XVJI'^ SIECLE — B068UBT 703
lisant ce qai précède. Ce n'est pas Pascal v ({Q« nous :avcms voulu
(léfeodre, c'est la doctrine catholiciue. Quant à Pascal^ bien» qu'il soit-
pour nous un grand esprit et un grand cœur, nons ne conseillerons •
j;i tuais la lecture de ses écrits» pas même de ses Pensées; car outre
l*e8|jfit janséniste qui s'y manifeste plus d'une fois, il y règne' un esprit
lie doute qui peut faire beaucoup de mal; et la prétenkion dé donner la-
fui par ie seul secours de la raison nous a tonjoisrs paru une grande
erreur. Or malgré le surnaturel qu'on lui reproche, l'onvrage de Pascal
Hsl fondé sur cette prétention.
279. Bo88uet« — Jacques Bénigne Bossaet naquit a Dijon, en
\627, d'une famille distinguée dans le parlement de Bourgogne.
Il lit brillamment ses études au collège de Nayarre, à PAvis.De
toutes les branches des connaissances il ne néglig)e&que les 'mathé-
matiques, qu*il regardait comme inutiles à la religion j D*abord
évoque de Condom, en. 1^9, il résigna cette charge en' 1(^70 -pour
se livrer tout entier à l'éducation, du Dauphin. C'est pour'* son-
royal élève qu'il écrivit tous les traités philosophiques que nous i
avons de lui : lu Loffique, le traité de la Connaissance dé Meu
*'t de soi'tnéme, le traité du Libre arbitre^ aussi bien que lé
Discours sur l'histoire universelle. Nous ne dirons rien de ses
autres ouvrages ; ils sont nombreux et connus. L'éducation du
Dauphin fut achevée en 1681, et Bosguet fut alors nommé évéque .
de Meaux. Il mourut de la pierre en 1704. Son influence fut très-
p^rande, et malheureusement il n'en usa pas pour défendre la vraie
doctrine, dans l'assemblée du clergé de France en 1682. Sa philo-
sophie est entièrement classique ; elle dérive de la scola^ique et
de Descartes ; il la présente avec simplicité et clarté; mais ort
dirait qu'il cherche à éviter d'être profond, si bien qu'il n'a rien
d original, lui qui est si grand dans ses autres écrits.
'^80. Analyse du traité de la connaissance de dieu etdb soi-
MÊME. — a La sagesse» dit-il d'abord> consiste à connaître Dieu et à se
connaitre soi-même. La connaissance de .nous-mômes nous doit élever
<i la connaissance de Dieu. » De là. la division de son traité en deuxi..
parties: 1% connaissance de soi-même; 2% connaissance de Dieu.
Hossuet étudie dans l'homme : 1" l'àrne, 2' le corps, 3o Tunion des deux
\Ai chapitre de l'àme divisé en vingt paragraphes traite successivenieut
•l"S opérations sensilives, puis des opérations intellectuelles.
Dans les premières il étudie d'abord les cinq sens, et lait remarquer
706 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
que ce sont là des facultés de l'àme^ quoique leurs instnimeats sdes
dans le corps« Les eensations sont accompa^ëes de pl4Ùsir oaài^'^^
leur. Le plaisir est un sentiment agréable, qui convient à la oater?
la do.uleur est un sentiment fâcheux, contraire à la nature. — Bos^
no distinguait pas les sentiments des sensations — Outre les dsi^»
il y a dans l'âme un sens commun qui réunit les perceptions descir
autres, plus Vim^ginaiion, qui reproduit les images des objets abststi
Puis viennent les passionSy qui sont l'attraction et la répuisioo a^^
par le plaisir e^t la douleur. Bossuet les énumèrc et les classe foœ*
Aristote et saint Thomas, en les attribuant à Tappelit irascihif ^w
concupiscible. Enfin comme eux encore il résume toutes les pass*
dans l'amour.
Dana les opérations intellectuelles, dont l'objet est le ^'Tai, coom »
réputé tel, il distingue Ventendement et la volonté. L'eniendemeait is
l'esprit, la raison, le jugement, est la lumière que Dieu nous a *wKe
pour nous conduire. Entendre, c'est discerner le vrai du faux, lo^
dément redresse les erreurs des spns ; c'est lui qui juge des chees
perçues par les sens, et surtout de Tordre. C'est le premier jngw»»'
porté sur de fausses apparences, et non la perception des seas.
qu'un second jugement redresse. L'entendement juge aussi des choses
qui ne tombent pas sous les sens. L'imagination, en créant ûes is^
fausses, peut nuire à l'entendement : il ne faut pas la laisser domiotî
La mémoire se rattache à l'Imagination. L'emploi de ces diverses facei-
tés produit les trois opérations: entendre, juger, raisonner, ^l>^i''^î
est une action par laquelle nous voulons le bien et fuyons km^
choisissons les moyens pour parvenir à Tun et éviter l'aotre. Ce <!«'
est désiré pour l'amour de soi s'appelle fin. Nous voulons ainsi nf*-'
sairement le bien en général, et librement les biens particuliers- l*
libre arbitre est le pouvoir de choisir une chose plutôt qu'une và^
C'est ce qui nous rend dignes de louange ou de blâme, selon que d^
faisons bien ou mal. On use bien ou mal de sa liberté : le bou u^^^
s'appelle «er/w, le mauvais s'appelle vice. Les principales veriosspfl.
la prudence, la justice, la force et la tempérance. Les passioos noiP*
portent au vice, et ce n'est pas la raison qui les guide; "wis elle' '
guider la volonté. Enfin toutes Ces facultés ne sont que la mèmean^
en iant qu'elle fait telle ou telle chose.
Le corps est organique, c'est-à-dire composé de parties de dincre
nature, qui ont différentes fonctions. Il a ivois mouvements A v^^^'^-
rel, «le haut en bas; un autre viiaL de nourriture et d'accroisseo^
le troisième animal^ excité par ccrlains objets. Nous ne pouvons P
J
XVII* SIÈCLE — B0S8UBT 707
suivre Bossuet dans la description de toutes les parties du corps, si
brève qu'elle soit pour un pareil sujet. On en a souvent admiré Texac-
tUude.
Là me et le corps sont étroitement unis. Le corps est un par la cor-
respondance de ses parties et l'àme lui est unie dans son tout, comme
à un seul organe. Si difficile que soit la question de l'union de l'àme et
du corps, on en voit quelque chose dans les opérations de Tune et de
l'autre. L'unie est visiblement assujettie au corps par les sensations ;
mais elle le meut par la volonté. C'est parce qu'elle est sensllive que
l'àme peut et doit être unie à un corps. La volonté n'a naturellement
aucun pouvoir sur le corps, et le corps ne peut naturellement rien sur
l'àme ; mais, parce qu'elles sont unies, ces deux substances sont dans
une mutuelle dépendance : a co qui est une espèce de miracle perpé-
tuel. » — On voit ici l'inspiration de Descartes. — L'union de l'âme et
du corps se voit dans ses effets. Les sensations sont attachées à des
mouvements des nerfs. Les nerfs sont ébranlés par les objets du dehors
qui frappent les sens. Cet ébranlement des nerfs frappés par les objets
se continue jusqu'au dedans de la tète et du cerveau. Le sentiment est
attaché à cet ébranlement des nerfs. Mais l'âme qui est présente à tout
le corps, rapporte le sentiment qu'elle reçoit à l'extrémité où l'objet
frappe. Quelques-unes de nos sensations se terminent à un objet ; les
autres, non. Cependant, ce qui se fait dans les nerfs, n'est ni senti ni
connu ; pas plus que ce qu'il y a dans l'objet qui le rend capable de les
ébranler, ni ce qui se fait dans le milieu par où l'impression de l'objet
vient jusqu'à nous. En sentant nous apercevons seulement la sensation
elle-même, mais quelquefois terminée à quelque chose -que nous appe-
lons objet. Les sensations servent à l'âme à s'instruire de ce qu'elle
doit rechercher ou fuir, pour la conservation du corps qui lui est uni.
Mais cette instruction serait imparfaite, ou plutôt nulle, si nous n'y
joi|:nions la raison. Enfin les sens nous font encore connaître toute la
nature.
Dans ce qui. suit, Bossuet essaye d'expliquer ce que fait le corps dans
l'imagination et on y voit une ébauche de la théorie de l'association
des idées, théorie alors peu connue. Faisant ensuite la même élude
physiologique sur les passions, il ébauche aussi la théorie de l'action
réflexe ; mais il montre trop de confiance en l'hypothèse des esprits
animaux,
«c Voyons maintenant dans le corps ce qui suit les pensées de 1 ame.
C'est ici le bel endroit de l'homme.» Ici l'âme est libre, elle commande,
parce qu'elle est plus noble, et le corps lui obéit promptement. Mais
708 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
que fait le corps dans les opérations intellectuelles ? D'abord Ilntellî-
gence, la connaissance delà vérité, n'est pas une suite de l'ébranleoient
nerveux, et la preuve en est que la vérité, comme telle, ne blesse
jamais, si vive qu'elle soit, et qu'elle n'éprouve pas de changeuieot,
comme les sensations, dépendant l'intelligence ne s'exerce qu'avec*
l'aide do la sensation et d? l'imagination. Là volonté, loin d'être sous
la dépendance des organes, leur commande, et par là devient maîtresse
de6 passions. On voit le môme empire de l'àme sur le corps dans l'ai-
tention, qui est une application volontaire de notre esprit sur un objet:
mais dans cet acte l'àme se sert du cerveau, parce quelle a besoin d^.-^
images sensibles.
Après cela il n'est pas difficile de distinguer les mouvements corpo-
rels, des opérations de l'àme, quoique ces deux cboses soient liée>
ensemble. Tout ce qui se fait dans le corps depuis les organes Jusqu'au
cerveau et depuis le cerveau jusqu'aux orgeines, apparlient au corps ;
mais la sensation, la connaissance et le commanlemcnt de la volonl«'>
sont de l'àme.
Dans le quatrième chapitre, Bossuet traite de Dieu, créateur de
l\ime et du corps, et auteur de la vie. L'homme est l'ouvrage d'un
grand dessein et d'une sagesse profonde. L'àme d'abord, avec sa tripb*
faculté de connaître la vérité, de l'aimer et de sentir ce qui aflei-le le
corps auquel elle est unie, est admirablement disposée pour sou bon-
heur. Le corps lui aussi, destiné à procurer à l'àme des sensations el à
lui servir d'instrument pour ce qu'elle veut faire, n'est pas moins bien
disposé pour sa double lin. — C'est la première preuve de l'existen'-e
tic Dieu. — A ces admirables facultéâ vient se joiudre^a raison. Elle a
pour objet les vérités éternelles, qui sont Dieu même, où elles sont
toujours subsistantes et parfaitement entendues. — Deuxième preuve
de l'existence de Dieu.
Cependant l'àme n'est pas parfaite, et par rimjxîrfection de son intel-
ligence, elle connaît qu'il y a ailieui-s une intelligence parfaite.
C'est ainsi quelle s'élève jusqu'à Dieu, par la connaissance d'elle-mèinc.
et en le connaissant elle se sent capable de Taimer ; elle y vuit qu'elle
est faite à l'image de Dieu. Celte ressemblance s'opère en elle d'abonl
par la connaissance de la vérité et elle s'achève par une volonté droite.
De là, si elle fait réflexion sur sou corps, l'àme se connaît supérieure à
lui et apprend que c'est par punition ([u'elle en est devenue r.aptivc.
tandis qu'elle devait'le gouverner. Knliu dans cette connaissance d'elle
même el de Dieu, l'àme voit tous ses devoirs.
Comme "appendice à son truite, Bossuet, dans le cinquième chapilK-.
XVir SIKCI.K — IJOSSÏJET 701»
>arlc de la di/férence entre Vhomv^e et la héte. Et d'abord, les liom-
nos onl voulu donner du raisonnement aux animaux, pour excuser leurs
«ntlmenls dégradés, et ils en donnent deux arguments : 1" Les animaux
ont toutes choses aussi convenablement que l'homme; 2" ils sont sem-
blables aux liomraes dans leurs organes.
Hossuet répond, ([ue, si les animaux iont tout convenablement, ils
lie connaissent pas cette convenance. Celte même convenance se retrouve
lans touto la nature, ce qui montre quelle est l'œuvre d'une haute
ntolligenco, ^imis non qu'elle agisse avec raison. En second lieu, si les
tnininux nous ressemblent par les organes, ils ne nous ressemblent pas
[)ar le raisonnement : ils n'apprennent pas ; on les dresse à faire certai-
les choses, mais sans connaisse'! nce de cause. Cle qui distingue surtout
rame humaine et l'élève au dessus des bêtes, c'est qu'elle connaît Dieu,
ie bien, les vérités éternelles, l'ordre du monde, la perfection de Dieu,
l'amour qu'elle lui doit, les récompenses ou les peines qui lui sont
réservées. Les animaux n'inventent rien. L'homme invente parla réfle-
Kion, par la liberté, et c'est ce qui produit lant de diversité entre les
hommes. Les animaux sont soumis à l'homme, ils n'ont pas de raison-
nement et l'on ne sait pas oii s'arrête la ressemblance entre leurs orga-
nes et les nôtres.
Il y a deux opinions sur le principe des mouvements des animaux;
L'opinion la plus commune et la plus ancienne suppose dans les ani-
maux un instinct, qui est une sorte de sentiment. L'autre opiiiion à
peine indiquée par deux auteurs précédents a pris un peu plus de vogue
depuis M. Descartes, qui attribue les mouvements des animaux à un
pur mécanisme. Selon la première opinion, les animaux ont une âme
sensitive, et leur instinct n*est que le plaisir et la douleur que la nature
a attachés pour eux à certains objets. Mais on objecte que,si les animaux
ont une âme, elle doit être sans étendue et indivlsii^le et dès lors spiri'
tuelle et immortelle. On répond qu'elle ne serait spirituelle qu'avec
rintelligence, qu'elle ne possède pas. Elle n'est donc pas un corps» sans
être un esprit. Dans la seconde opinion, il n'y a pas d'âme, mais seule-
ment une force mise en mouvement par les impressions des corps et
qui meut les membres en retour. D'ailleurs les esprits changeant de
nature avec les différents mélanges des humeurs, les animaux seront,
plus ou moins vifs. On objecte que cette opinion ne satisfait pas le sens
commun, et ses partisans répondent que, si peu de personnes la com-
prennent, c'est que peu savent s'élever au-dessus des préventions des
sens et de l'enfance.
Rn finissant, Bossnet résume les facultés de l'âme et surtout la- eon-
710 HISTOIRE DE LA P FIILO SOPHIE
naissance des idées, où il trouve la connaissance de Dieu et le déâr i»
rîmmorlalilé ; il en conclut que Tâme est immortelle et tennice ja-
une exhortation à vivre pour la vie future.
281. Malebranche. — Nicolas Malebranche, fils de Nieolif.
secrétaire du roi, naquit à Paris, en 1638. A caase de satrts-fâi-
ble santé, son éducation se fit presque entièrement dans sa znaûsi,
et il n'en sortit que pour faire sa philosophie au ooll^ deli
Marche, et suivre les cours de théologie à la Sorbonne. Enti^ àv
la congrégation de l'Oratoire, il ne s'occupa d'aboni que de tra-
vaux do critique et d'érudition, mais la lecture du TrmUà
rhomme, do Descartes, lui révéla sa vocation philosophique. CeA
après dix années d'études qu'il publia la Eecherche de la Mté,
Plus tard il publia les Méditations méiaphy^'ques et chréU»-
nés, et les Entretiens sur la métaphysique et sur la reliçi»>
Il mourut d'épuisement en 1715.
Malebranche est cartésien par la méthode et par le principe ii«
l'évidence, et môme il tient en si grand honneur la rne intaitin
de la raison qu'on lui a reproché de n'avoir pas toigours maiotesa
la distinction de Tordre naturel et de Tordre surnaturel. Arnaok
et Bossuet le combattirent sur ce point.
Il analyse l'homme comme Bossuet, et par conséquent, il wit
la philosophie classique, mais plus qu'un autre il insiste sor b
nécessité de maîtriser les passions, de s'arracher & la dépeodaaee
du corps et de l'imagination, pour se livrer à la raison et à Dies.
Ici vient la vue de l'entendement pur, qui n'est autre que la vision
en Dieu, Dieu possède en lui les idées de toutes les choses qull &
faites ou qu'il peut faire, et ces idées sont Dieu lui-même. Dies
lui-même se manifeste continuellement à notre Âme par Tidée de
l'infini, qui est Tidée de Dieu, et c*est dans cette idée toujours
présente à notre intelligence que nous voyons, non pas tdutei
choses, comme on le fait-dire & Malebranche, mais seulement le?
idées des choses, les essences des choses, les vérités étemelles.
Cependant chacune de ces idées ne se montre actuellement & notn
entendement pur, qu'à mesure que nous éprouvons le sentiment de
la présence de l'objet réel de cette idée ; et ce sentiment, c'est
Dieu lui-même qui le produit en nous, à mesure que Tol^et »
trouve présent ; car les créatures n'agissent pas les unes sur te
autree.
, XII' SIÈCLE — MALEBRANCHB T^ll
Telle est la théorie de Malebranche sur l'intelligence, théorie que l'on
a appelée de la vision en Dieu. Malebranche lui-même n'est pas tou-
jours aussi précis, ni toujours aussi près de la vérité. Bien des fois on
pourrait croire, qu'il parle d'une vue directe de Dieu, en qui nous ver-
rions toutes choses ; ailleurs il semble dire que nous y voyons non
seulement les idées universelles, mais encore les corps^ pris dans le
parlictiUer. Nous croyons avoir résumé exactement la pensée dé Male-
bi>anche, et ainsi entendu/ on voit qu'il n'est pas loin de la théorie
classique. Il s'en écarle cependant, d'abord en ce qu'il n'attribue rien
aux sens et â la perception des objets, ensuite, en ce qu'il parait enten-
dre son idée de l'infini, d'une vue actuelle et continue,, tandis qu'il
devrait la réduire à une conception habituelle.
• Malebranche est plus exact dans rafl3pmation de runiversalitô
de la raison. Quand nous voyons une vérité de raison, nous voyons
en môme temps que tous les autres hommes la voient ou doivent
la voir comme nous. D'où vient cette conviction, sinon de ce que
noua voyons que la raison est commune à tous et que nous la pui-
sons tous à la môme source ? Cette raison c'est le Yerbé de Dieu,
qui éclaire tout homme. C'est pourquoi elle est infaillible.
Nous croyons que Malebranche est parfaitement classique dans
sa théorie de la volonté et de la liberté^ mais les expressions dont
il se sert^ rapprochées de sa tliéorie sur l'indépendance des créa-
tures entre elles et leur dépendance absolue de Dieu, ont fait dire
à quelques-uns que Malebranche supprime la liberté,* quoiqu'il
l'affirme et l'explique absolument comme saint Thomas. M. Bouil-
lier, est de cet avis^ dans le Dictionnaire de M. Franck, et M.
Fouillée va plus loin. Non seulement il dit que Malebranche a des
principes qui nient la liberté, mais il croit môme que ces principes
niônent logiquement au panthéisme.
La philosophie de Malebranche nous offre, outre la vision en
Dieu, deux autres théories célèbres : ce sont les caicses occasion-
nelles et Voptimisme, Malebranche semble dire assez formelle-
ment, que le corps n'agit pas sur l'âme, ni l'Âme sur le corps, et
môme qu'aucune créature n'agit sur aucune créature, mais que*
Dieu fait tout en tous les êtres. Mais peut-ôtre qu'on a exagéré
ici la pensée de Malebranche. Sa véritable pensée est peut-ôtre.
tout entière dans ce passage : ^( Il n'y a qu'une seule cause qui soit
712 HISTOIRE DK LA PUM.OSOPHIE
vraiment cflwsa, et Ton ne doit pas sHmaginèr que ce^oi ^mtft
un efSei en soit la véritable cause. Dieu ne peut môme «kdbiB'
quer ft^i jHiiwiance aux créatures ; il n'en i)eut faire de vériufe
causes; il n'en peut faire des dieux. » Cette pensée n offre rt
par elle-même qui ne soit très-juste, et eUe ne s'écarte pas de k
théorie classique qui, ne donnant qu'à Dieu seul la cauialiiêp
mière, appelle les créatures des causes secondes. Cesi peet-t»
<*e qu'entendait Malebranche par causes occasionnelles,
Ënân Malebranche croit que Dieu, en se déterminant àcàûi&'
parmi tous les mondes possibles celui qu'il a fait, a choisi «b
qui manifesterait le mieux ses attributs, celui dont /« loiif''^'
raies seraient les plus simples^ celui qui, moins parfait peat-«K
en lui-même, permettrait à Dieu de suivre en le créant de^r^*'^
plus parfaites. Tel est son optimisme.
288. Fénelo». — François de Salignac de la Mothe-FêadA
Hé aa oliAt«a«i de ce nom, dans le Périgord, l'an 1650, ti ^
études Ki*abord à Cahors, puis & Paris, au collège du Pkssis,f'
enfin à Saint Sulpice, pour la théologie. Ordonné prêtre eD I07i
il voulait aller dans les missions du Canada, puis dans eelk^'-^^
Levant, mais il eu fut deux fois détourné par sa famille. EnH"<
l'archevêque de Paris le chargea de diriger la maison des no*^
les catholiques, et c'est pour elles qu'il écrivit son traita ^'
r Education des filles. Chargé par le roi, sur la propositioa àf
Bossuet, d*uae mission en Saintonge, pour convertir les protêt
tants» il no voulut aucun appareil ifiilltaire, et réussit par sa(i>)^
ceur. C'est ea 1688 qu'il fut chargé de l'éducation da doe ^
Bourgogne, pour lequel il écrivit le Télémaque, et le traité*
l'Existence de Dieu. Neuf ans après, il devint archevêque éi
Cambrai, et c'est là qu'il écrivit les Maximes des Saints, qni^
attirèrent une si violente polémique de la part de Bossuet, M l^i
procurèrent l'occasion de montrer sa parfaite soumission wx
«lécrets du Saint-Siège. Presque en même temps on vit éclater.^
patience et sa soumission à la volonté de Dieu, lorsqu'au k(^*
dévora sa bibliothèque et ses manuscrits. La publication de «^
Télémaque, faite par un secrétaire infidèle, lui attira la disgf^
de Louis XIV, et il dut vivre dans l'isolement. Son disciple, l^'^*
XVU* SIÈrCLB — PÉNELON 7J3
de Bourj^ogne, ne Tabandonnaj ornais/ mais il moôf ut avant lui.
Fénelon mourut lui-môme à Cambrai, Tan 1715, neuf mois avant
le roi.
La philosophie de Fénelon est tout à la fois cartésienne et clas-
sique, et elle n*oiFrirait rien de particulier, sans la réfutation de
Toptimisme de Malebranche et de son système sur la grâce, et sans
le quiétisrne condamné avec les Maximes des Saints.
Dans la Réfutation du système du P, Malebranche, sur la
nature et la grâce, Fénelon partant du principe admis par Tora-
torion, que Dica est déterminé invinciblement à créer le meilleur
mondé possible, démontre que dès lors le monde devient nécessaire
et éternel, inséparable de la perfection divine, et Dieu lui-même.
Il réfute aussi une autre opinion du P. Malebranche, selon laquelle
la Providence de Dieu ne s'étendrait qu'aux lois générales. Il
défend aussi énergiquement la liberté contre les théories du P. Male-
branche, qui malgré lui semblait les anéantir.
Dans le livre des Maxiyties des Saints, Fénelon pousse trop
loin la doctrine tout-ù-fait catholique du pur amour de Dieu, et
contrairement & son intention il prêche Tanéantissei^ent de Tacti-
vité humaine, dans un acte perpétuel d'amour' de Dieu, d*oû il
veut qu'on exclue tout retour sur soi-même, et où Dieu fait tout,
sans que l'Ame s*en occupe. C'est le quiétisme, qui fut condamné
à l'instigation de Bossuet.
283. Analyse du Traité de l'Existence de dieu. — Dans la
pensée de Fénelon, ce livre n'était que Tébauche d'un grand
ouvrage qu'il n'acheva pas. Il se compose de deux parties:
l** Partie: Vexistence de Dieu démontrée par les merveil-
les de la nature.
Chapitre premier. Aspect général de l'univers» — a Je ne
peux ouvrir les yeux sans admirer l'art qui éclate dans toute la
nature : le moindre coup-d'œil suffît pour apercevoir \^ main qui
fait tout. 9
Lpi connaissance de Dieu par son idée est une voie plus courte et
plus sûrcp mais elle n'est pas accessible à tous, tandis que l'autre
voie, moins parfaite, montre Dieu dans ^es oeuvres, aux esprits
les plus médiocres. Si tous les hommes ne voient pas cette démons-
40
714 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
tration sensible, c'est que les passions les préoccupent et les abeor-
bent. Car toute la nature montre l'art infini de son auteur. «Qii»»i
je parle d'un Art, je veux dire un assemblage de moyens cboisii
tout exprès pour parvenir à une fin précise : c'est un ordre, un des-
sein suivi ; le Hasard est au contraire une cause aveugle et néces-
saire, qui ne prépare, qui n'arrange, qui ne choisit rien, et qai n'a
ni volonté ni intelligence. Or, je soutiens que l'Univers porte k
caractère d'une cause infiniment puissante et industrieuse ; je sou-
tiens que le Hasard ne peut avoir formé ce tout.»
Après avoir ainsi exposé sa proposition, Fénelon rappelle ks
comparaisons des anciens : comment des lettres jetées ao hasard
ne sauraient jamais composer l'Iliade ; comment, en entendant nae
Ijelle harmonie, on ne pourrait penser que le vent agite au hasard
les cordes des instruments, etc. «Qui est-ce qui a suspendu ce globe
de la terre ?» Sa stabilité, quand tout passe sur elle, sa fécondité
que rien n'épuise, les avantages et les charmes qu'offrent lùème^
ses inégalités, la séparation même de ses divers produits, qui oblige'
les hommes h se connaître : tout cela montre le dessein de la
Providence.
Chapitre deuxième. — Les priiicipales merveilles de fUm-
r^s.— L'air,laterreet l'eau, sont trois mondes distincts,mai8 on ne
saurait les séparer sans les détruire. Tout ce que la Terre produit.
se corrompant, rentre dans son sein, et devient le germe d'une nou-
velle fécondité. Cette mère nous rend avec usure plus d'épis qu'elW
n'a reçu de grains. Les fieurs, les fruités les bois des arbres, l«
marbres et autres pierres que la terre recèle dans ses entrailles,
tout cela est pour la commodité de l'homme. L'eau, ce corps liquida
clair et transparent, est assez fiuide pour parcourir la terre avec
rapidité, et se laisser parcourir par les poissons, tandis qu'elle est
assezden8epoursoutenirlespoissonsetlesvaisseaux,assezlouTdepour
mouvoir des machines par son poids, assez légère pour s'élever en
vapeur au-dessus de nos têtes et retomber en pluie, jusque snr les
haute3montagne8,d'oùelleredescendra.Elledésaltôreleshommes,l€S
animaux et les campagnes ; et l'Océan, rendez-vous de toutes le*
rivières, est aussi le rendez-vous de tous les peuples, qu'U semble
séparer.' L'air, assez substil, assez transparent, pour que la lumière
des étoUes placées à des distances infinies, le traverse en un inê-
XVII« SIÈCLE — FÉNKLON 715
•
tant, et pour ne pas nous.asphixier comme Teau, est pourtant
assez dense pour porter les nuages, pour faire avancer les vais-
seaux et tout chasser devant ses tempêtes qui purifient notre
séjour. Tandis que ce fluide échappe à tous les regards sa compo-
sition n'a pas échappé au génie de Thomme. « Un gaz mortel uni
à lin gaz actif et dévorant, tels sont les éléments de l'air.
Séparés, ils eussent donnés la mort ; réunis, ils alimentent la vie.
Quel est celui qui les a mesurés avec tant de justesse que les plus
légers changements dans leur proportion anéantiraient tout ce qui
existe sur le Globe ? >; a Vojez-vous ce feu qui paraît allumé dans
les astreSy et qui répand partout sa lumière ? Yojez-vous cette
flamme que certaines montagnes vomissent, et que la Terre nourrit
de soufre dans ses entrailles? ce même feu demeure paisiblement
caché dans les veines du cailloux, et il j attend à éclater, jusqu*à
ce que le choc d*un autre corps l'excite, pour ébranler les villes et
les montagnes. L'homme a su l'allumer et l'attacher à tous ses
usages Les Anciens admirant le feu, ont cru que c'était un
trésor céleste que Thomme avait dérobé aux Dieux.»
« Il est temps d'élever nos yeux vers le Ciel. Quelle puissance
a construit au-dessus de nos têtes une si vaste et si superbe voûte?»
Quelle variété admirable, quelle régularité, quelle exactitude dans
le cours des astres. Le soleil par son rapprochement successif des
deux pôles suffît aux deux hémisphères. Plus grand, ou plus rap-
proché, il embraserait la terre : plus petit, ou plus éloigné, il la
laisserait glacée et stérile. Tout cet ordre admirable du monde
prouve l'action d*un Dieu infiniment sage et infiniment puissant.
Féuelon termine ce chapitre par l'examen de Timmensité des astres
et des merveilles des infiniments petits, et il trouve avec raison
que Dieu n'est pas moins admirable dans ces derniers êtres que
dans les autres.
Chapitre troisième. Les animaux. — Par un instinct admirable,
les animaux recherchent ce qui leur est utile et fuient ce qui leur
est nuisible. Que l'on attribue, si Ton veut, à une sorte de raison-
nement leurs admirables industries, ou qu*on les fasse venir de
l'iustihct, on n'y verra pas moins une sagesse admirable qui a tout
prévu, tout ordonné. Et les fonctions nutritives ! Quoi de plus beau
qu*une machine qui se répare et se renouvelle elle-même ? El le
7Î0 HIBTOIRB DE LA PHILOSOPHIE
sommeil qui suspend tous les mouvements extérieurs poarûr^
ser la nutrition ! Et la reproduction, la conservation des es^»^
tandis que tous les individus périssent ! Que pensera it -on d^ask*
loger qui saurait faire des montres qui d'elles-mêmes en prodoi^i^
d'autres, k Yinûm ? La génération est une merveille qu'âflc^ii»^^
tème n'a pu expliquer. Là-dessus, Fênelon revient à rinstiid a
animaux et remarque que, malgré quelques fautes, il estififii^^
ble, et que, de quelque façon qu'on l'explique, il n'en reste pasis^
une merveille opérée par le créateur. Il semble adopter l'ùfj^i
de Descartes, que les bêtos n'ont pas d'âme.
Chapitre quatrième. I/'Aomme.— D'abord daas le corps, qai^
pitri de boue, quelle merveilleuse construction : les os, les d0î*.
les muscles disposés pour concourir aux mômes fins. La yeu\^
recouvre les chairs, rend agréable à voir un objet qui ferait fe*"
reur. Les artères et les veines sont les canaux du sang, qoi a«*
la chair comme les rivières arrosent la terre. Tout« la cbarpei*
de l'édifice, les organes internes, les membres et les organes à»
sens, tout est admirablement construit pour l'entrietien de h y»
et pour le service de l'âme.
Mais Tâme elle-même est bien plus belle que le corps. Ell« b's^
point matière : la matière ne peut penser. Et pourtant c^ ^
êtres si dissemblables sont si intimement unis dans rhomffl^
Quelle main a pu lier ces deux extrêmes ? Leur dépendeace (^
mutuelle. L'empire de Tàme est souverain, sur le corps, et ^
tant Tâme elle-même en reçoit des impressions et souffre des é^
leurs du corps. Et l'esprit en lui-môme est bien plus admi»^-
Il a l'idée de l'infini; il ne connaît le fini que dans l'idée del'iBfc
Ses idées sont universelles, éternelles et immuables. Et d'on asu?
côté, que de faiblesse dans ce môme esprit! que d'ignorance, qne off-
reurs ! Mais les idées sont la règle immuable de nos jugements, U
raison est la même dans tous les hommes de tous les siècles et detos
les pays. Cette raison qui réside dans l'homme, c'est Diea m^**-
L'unitédont j'ai une idée très-exacte, puisqu'elle est le fos"*^
ment de tous les rapports nuinériques, qui sont si certains, rnoi^*
que je n'ai jamais perçue par mes sens, est encore une preuTô «
Texistence de Dieu. Cette idée me montre d'abord qu'il j a ^
substances qui ne sont pas matérielles, et de plus qu'il v a ^^
XVII* SIÈCLE — FÈNBLON 717
substance parfàitemeiit une, source de cette idée que j'ai de l'unité
parfaite.
L'imperfection que je vois dans mon âme me prouve qu elle
n'est pas par elle-même, qu'elle dépend de quelqu'un, et cette
dépendance m'aifirme encore qu'il y a un Dieu.
Le bon vouloir que je trouve quelquefois en moi et qui ne m'est
pas essentiel, puisque je puis vouloir le mal, me dit encore qu'il
est un être souverainement bon, qui est l'auteur de mon bon vou-
loir. Cependant, mon vouloir m'appartient, et l'on ne peut s'en
prendre qu'à moi si je ne veux pas ce qu'il faut vouloir; je ne suis
pas contraint dans mon vouloir ; je ne suis pas nécessité non plus ;
je veux parce que je veux : je suis libre. C'est cette exen^ption de
contrainte et de nécessité, qui me rend blâmable quand je faâs mal,
louable quand je fais bien. Cette liberté dépendante me prouve qu'il
y a une liberté parfaite dont je ne suis que l'image,
Chapitre cinquième. Ré fiUation des Epicuriens. — Certains
philosophes objectent que la nature n'est pas l'œuvre d'un dessein
prémidité. L'homme, disent-ils, se sert des choses qu'il trouve
dans la nature, mais ce n'est pas à dire qu'elles soient faites pour
cet usage. Ainsi le villageois grimpe au sommet d'une montagne
par des pointes de rochers, ou s'abrite dans une caverne ; en ne
peut pas dire pour cela que ces choSes aient été faites dans ce but.
C'est le hasard qui a formé lu, nature, et l'homme l'emploie
telle qu'il la trouve .
Fénelon réfute cette objection par l'exemple d'une maison où
tout est disposé à propos et dont on ne saurait dire en l'examinant
que les détails en aient été fournis par le hasard .
Mais on objecte encore que les atomes dans leur mouvement
éternel peuvent prendre un nombre infini de combinaisons ;
chacune de ces combinaisons peut arriver par hasard, aussi bien
celle que nous admirons, que les autres. Ainsi, l'Iliade est une des
combinaisons innombrables que peuvent fournir les lettres qui la
composent. Cette combinaison a donc pu venir à Son tour, ansai
bien qu'une autre.
Fénélon répond d'abord qu'un nombre infini est impossible. Or
si le nombre infini était réalisable, toutes les combinaisons possi-
bles des atomes s'y rencontreraient. Mais cet infini ne peut pas
718 HISTOIRE DE LA PfllLOSOPBIE
être. Si Ton voyait surgir tout-à-coup an palais dans bk
ddserte, on pourrait encore supposer que le hasard a pn proàr»
le monde. Mais cela n'est pas. D'ailleurs, comment suppjsff k
atomes éternels ? L'éternel est parfait, les atomes ne le miTs
Et comment admettre un mouvement essentiel dans 1» av)i!i«
lorsque nous voyons si souvent les corps en repos? D'ailte/is
mouvements que nous voyons dans les corps sont tr^vaRâfeB
ils n'ont donc rien d'essentiel. Enfin le mouvement sappî® si
premier moteur. Mais encore, avec Je mouvement esseuty «
rectiligne que supposent les Epicuriens, aucune agrgrégatic«a«<
atomes n'est possible. Le clinamen qu'ils font interTeoIr es
contradictoire à leur principe du mouvement essentiel. Al^arfe
en cela, ils sont ridicules, quand de ce clinamen ils font bïcî
l'Âme intelligente et la liberté.
Ainsi l'univers et l'homme sui'tout sont l'œuvre d'ondêSKU
suivi et démontrent Dieu .
2" PARTIE. L* existence deBîeit démontrée par les idées in*-^-
lectuelles. « Il me semble que la seule manière d'éviter t'^
erreur est de douter sans exception de toutes les choses dansfe
quelles je ne trouverai pas une pleine évidence. » Je me défie â*
des préjugés, des impressions des sens, de tous les êtres qoej^»'
cru apercevoir. Peut-être bien ai-je été jusqu'ici dans un r^^*
dans une longue illusion ; je veux donc douter jusqu'à ce f[^}'
trouve quelque chose d'invincible. « 0 raison ! où me jetez-vsu*
où suis-je ? »
Mais j'ai beau vouloir douter, je ne puis douter que moi v
doute, je suis. Le doute est une pensée ; la pensée ne pont c\y^
fait du néant. Voilà qui est pour moi une idée claire et c\i^*''
Une idée claire est uno règle qui me force à juger. ^g\^P
pousser le doute jusqu'à contredire mes idées claires. Les ii-
claires sont ma raison et la raison de tous. Si cette vmon étii
fausse, l'Esprit qui l'aurait faite serait encore créateur et toav
puissant. La vérité, c'est l'être, et si rien n'est vrai àhnsso^^
intelligence elle-même n'existe pas. Mais qu'est-ce qu'un nénï'
qui doute? Donc, si je pense j'ai quelque portion de vériHî'^^
que portion d'être, et d'ailleurs l'être créateur et tout-puissaût»
^,us8i parfait, Il est donc vrai : donc il ne me trompe pas.
XVI1« SIÈCLE — FÉNBLON 719
Ainsi douter des vérités évidentes est une erreur aussi grande
que de croire légèrement à celles qui ne le sont pas. Or, je trouve
ainsi quatre vérités certaines : 1° je pense, puisque je doute; 2^ je
suis un être dont la nature est de penser ; 3^ une môme chose ne
peut, tout ensemble, exister et n'exister pas ; 4© je puis affirmer
d'crne chose tout ce qui est clairement renfermé dans l'idée de cette
chose. — On voit que jusqu'ici Fénelon suit Descartes pas à pas.
Ces quatre vérités, voilà mon bien. Mais je suis bien pauvre.
Je connais ce que j'appelle moi, et rien au delà. Peut-être que
rien n'existe de ce que je crois apercevoir. Et ce moi que je con-
nais qu'est-il ? Ai-je toujours été ? ai-je commencé? Il y a toute
apparence que j'ai commencé. Mais alors, me suis-je fait moi-
même? C'est impossible. Tout vi^ donc à me demander : Suis-je
par moi-môme ou par un autre ?
Chapitre deuxième. Preuves métaphysiques de V existence de
Diexi. — i« preuve. L'être qui est par lui-môme possède la suprême
perfection. L'être communiqué, si parfait qu'on le suppose, sera
toujours inférieur à l'être par soi. Or, il est manifeste que je ne
suis pas cet être parfait. Je ne sui^ donc pas par moi-même. Je
suis par autrui, et celui qui m'a fait passer du néant à l'être, doit
être par lui-môme. Voilà donc la première vérité qui luit à mes
yeux. Mais quelle vérité ! celle du premier Etre!
2' jir<?wî5^. L'idée de l'Infini est en moi. Elle est précise; elle
n'est ni confuse, ni négative. Cette idée est en môme temps celle
de la perfection, de la bonté, de l'être infiniment bon et parfait.
Cette idée, je ne l'ai prise ni de moi-même,., ni du néant. Donc,
l'Etre infini existe et c'est lui que je vois, quand je conçois l'infini.
3* j3rewî?e. J'ai aussi l'idée d'un être nécessaire. Je le conçois
comme existant nécessairement, parce qu'il est infini ; je ne puis
le concevoir comme n'existant pas. C'est encore une idée claire,
qui ne peut être qu'une vérité. Donc l'être nécessaire existe.
Chapitre \xomJ^£ù&, Réfutation du Spinosisme, — Mais il reste
une difficulté ; la voici: Il est vrai, dit-on, que j'ai l'idée de l'infini
et-que cette idée suppose un infini réel. Mais cet ôtre infini n'est-il
pas l'univers lui-même? Des ôtres en nombre infini, dans une éten-
due infini, toujours unis dans un même tout, sans pouvoir en sortir,
et formant par là-même un tout indivisible, constituent bien un
720 HIBTOIRB DE LÀ PHILOSOPHIE
ôtre infini. Et de plas lo moayement des parties n'empéée
rimmobilite du tout & cause de son inanité : il est donc mBaà
De plus^ par le nombre infini des êtres qu'il contient, il
toutes les perfections : c'est donc TEtre parfait.
Voilà la difficulté ; mais elles s'évanouit en l'examinant dep;
En effet, le tout n'est que l'ensemble des parties, et, si toatesl
parties sont changeantes, le tout est changeant avec eDes. L'i
que Ton fait bouillir dans un vase bien fermé, ne change ptf<
lieu, comme mouvement externe, mais elle change de lies
toutes ses parties, et par suite le tout change d'un moai
interne. L'univers ainsi conçu serait donc changeant eioeH
drait pas à l'idée de l'être parfait.
• De plus, dans ce tout, les parties seraient distinctes et le tMT.i
serait pas simple. Pour qu'il fut simple il faudrait qnc
partie fut le tout, et que toutes les parties fassent la même]
Ainsi l'air serait l'eau, l'eau serait la terre, etc. Donc Finii
manque d'unité et ne peut être infini.
Ce composé ne pourrait exister par soi; car il faudrait que d*
que atome exist&t par lui-môme. Mais alors, il serait paiitic â
infini, tandis que dans i'hjpothèse, la perfection résulte de !>
semble. Il est k remarquer que tout composé est borné, pant
qu'on peut toijgours supposer une de ses parties absentes, sang<^
les autres soient détruites. Pour les mêmes raisons, nne i^^
d'êtres infinis ne répond pas à Tidée de Finfini. Car ils seax^
ipfjië distincts et indépendants et par suite l'absence dan oià
plusieurs ne détruirait pas les autres, mais détruirait l'infinité à
tout. En sorte que oet infini pourrait cesser d'être infini.
Chapitre quatrième. Le la nature des idées. « En un sens iw
idées sont moi-même ; car elles sont ma raison ; quand une prop
sltiôn est contraire à mes idées, je trouve qu^ello est contraire^
tout moi-môme, et qu'il n'j a rien en moi qui n'j résiste, s Mii?
mon esprit est changeant et mes idées sont immuables. Elles ai
sont donc pas moi. Elles ne sont pas non plus ces êtres partics-
liers qui païuîssent autour de moi, pour la même raison. €epe>^
dant elles sont toujours vraies : elles ont donc nn oljet r^
«Quoi donc! mes idées seront-elles Dieu? Supérieures à m»
esprit, elles ^nt universelles, immuables, subsistantes» étemete*
XVll* SIÈCLE — FÉNBLON 721
C est donc Dieu que je vois dans mes idées. Le Dieu qui mé fait
ôtre est l'auteur et Tobjet de ma pensée.
Mais alors d'où rient que mes idées sont imparfaites, distinctes^
comment s'appliquent-elles à des objets bornés, à des individus ?
L'être qui est par lui-môme renferme en lui la plénitude de l'être
non par multiplicité, mais par totalité intensive. En ce sens il
voit en lui une infinité de degrés de perfection, modèles de natures
possibles, qu'il est libre de tirer du néant. Voilà la source des vrais
universaux, des genres, des différences et des espèces. La percep-
tion de ces degrés de l'être de Dieu, ce sont nos idées, et celles-ci
sont imparfaites, parce que Dieu ne nous montre pas tous les degrés
infinis d'être qui sont en lui. C'est ainsi que nos idées sont un
mélange de Tinfini et du fini. Nos erreurs ne viennent pas de nos
idéee^ mais de la précipitation du jugement qui ne les consulte pas.
• Mais comment Dieu se rend-il présent à Y Ame ? par quelle image?
C*é6t sans moyen et sans image, mais par lui-*mÔme, car seul il est
par soi et dês-lors intelligible par soi; l'Etre infini est présent à tous.
Quant à l'être individuel. Dieu qui le fait ôtre lui donne une intel-
ligibilité propre^ mais comme mon intelligence n'est pas plus faite
pour cet être que pour un autre, etque^i'ailleurB nous n'avons tous
deux qu^nn être sans cesse emprunté, c'est Dieu qui en créant mon
intelligence lui donne cet être pour objet actuel. — Jusqu'ici Pêne-
Ion suit MalelH*anche et nous pensons que c'est bien la pensée
exacte de oe dernier qu'il expose.
Chapitre cinquième. Nature et attributs de Diett. — Mais je
ne connais pas encore assez l'Etre premier. Je l'ai appelé infini ;
mais ce mot est superflu. Qui dit «Etre» dit tout. Je ne puis pas
mieux l'appeler Esprit, sans le limiter. Il possède éminemment ce
qu^l y a de positif dans Tîntelligence, mais sans les limites. Il pos-
sède éminemment l'être de tous les êtres.
L'être qui est par lui-même est un ; car le composé ne peut être
parfait. Il ne saurait y avoir deux êtres parfaits ; fun excluant la
perfection absolue de l'autre. Dieu est infiniment simple ; il
est éternel, immense ; il sait tout ; il connaît les êtres tels qu'ils
sont : or, ils né sont que par lui, c'est donc en *lùi^môme qu'il les
connaît. Tous ces attributs, Fénelon les démontre longuement
par toutes les idées qui précèdent, et termine par une prière. « G
722 HISTOIRE DB LÀ P1IIL080PUIS
bonté qui n'dtcs pas moins inûnie, que les autres perfectionné»
mon Dieu, pardonnez les bégaiements d'une lang'ue qui ne peè
s'abstenir de vous louer, et les défaillances d'un esprit qo« ^5
n'avez fait que pour admirer votre perfection . >
S 4. GARTiSin s DISSIDENTS
284. Spinoza. — Baruch Spinoza (ou Spmosa),né à km^
dam. Tan 1632, d'une famille de juifs portugais, reçut uae àJi*
tion soignée,mais son maître Van den Ënde^passait poureosàgiff
l'athéisme à ses élèves. Après avoir étudié avec ardeur la théols-
gio et la physique, il lui Descartes et y puisa les principes de a
philosophie. Dès lors il douta des doctrines de la sjnagogoa,**
évita la société des rabbins. Ceux-ci, ne pouvant le raaeia,
essayèrent de le faire assassiner, mais le coup n'ayant pas ^^
ils l'excommunièrent. Spinoza quitta Amsterdam, se fit polissf
de verres pour les lunettes et devint très-habile dans cet art. Il
partageait son temps entre ce travail et Tétude. Atteint depbtki-
sie, depuis sa jeunesse, il vivait très-sobrement, et ft^ait ^
manières douces et paisibles. A ce moment il admettait toate»
religions, comme également capables do procurer le saint. 11 i^
changé son nom de Baruch, contre celui de Benediot, probableas»
parce qu'il s'était fait baptiser. Les auteurs ne sont pas dac«!«
sur ce point. Il refusa les dons d'argent qu'on voulut lai faiï*î*
même une chaire de philosophie. L'apparition de son Traité tk^"
logico'politiqae lui suscita de nptnbreux opposants. L'oavras*
fut interdit et circula sous divers faux titres, pour donaef
change. Spinoza avait publié auparavant une Démomiratio^^
principes de Descartes^ en latin, comme le traité théol^^l^e.
mais l'échec de ce dernier le dégoûta et il ne publia plas"*-
Spinoza mourut en 1677.
C'est après sa mort, mais la môme année, que parut ea tttiA
Y Ethique, d'abord écrite en hollandais. C'est le plus imp(ffta»t<l^
ses ouvrages, et celui ou se trouve son panthéisme.
Toute la philosophie de Spinoza découle de sa méthode W^
et celle-ci dérive de Descai-tes. liaissant de côté, comme '\^
saute pour la science, la connaissance par simple otu-di^^i ^^ ™
XVII* SIÈCLE — SPINOZA 723
ea^periefiee-vague^ il rejette également la raisonrdiscursive^
c'est-à-dire le pur raisonnement qui ^e démontre pas ses principes
et n'accepte que la raison qui parlr^n principe clair et évident
et en voit toutes les conséquences. Le point de départ de ce pro-
cédé c'est ï intuition-immédiate y dont l'objet premier est l'être
parfait, ou la substance, Véti^e en soi, conçu par soi.
Ainsi Spinoza ne veut employer, pour arriver à la connaissance
de la vérité, que la raison pure et le raisonnement basé sur l'intui-
tion de la raison. Il rejette l'expérience. Sa forme est toute géo-
métrique et il prétend déduire mathématiquement^ de l'idée de
Tôtre en soi, tout le développement dont l'être est capable. Mais
quoi qu*il veuille faire^ il est obligé de prendre dans son expérience
des idées qu'il donne comme conçues à priori. C'est une première
contradiction, et elle ruine son système ; car il montre par là la
nécessité de consulter l'expérience ; et dès qu'on la consulte, il
faut accepter d'elle tout ce qu'elle donne. Voici maintenant son
système.
La substance, ou l'être en. soi, est essentiellement être; elle est
donc sans négation, elle est infinie.
Elle se -détermine cependant elle-même et se manifeste par des
attributs qui la représentent tout entière. Ces attributs sont des
infinis relatifs, en ce sens qu'ils expriment tout un point de vue de
la substance. De plus ils sont en nombre inâni, pour représenter
tout l'être de la. substance.
Enfin les attributs eux-mêmes se manifestent dans des modes
finis, mais en nombre infini. Si les modes étaient infinis, les attri-
buts eux-mêmes deviendraient la substance, et s'ils n'étaient pas
en nombre infini, ils ne représenteraient pas les attributs d'une
infinité relative.
Substance, attributs et modes, sont distincts mais inséparables.
S'il en manquait un seul, tout disparaîtrait. Tout cela est éternel.
C'est Dieu lui-même.
J'entends par Dieii^ dit-il, un être absolument infini, c'est-à-dire
une substance coiistituée par une infinité d'attributs infinis, dont
chacun exprime une essence éternelle et infinie.
De cette infinité d'attributs, nous n'en connaissons que deux:
la pensée et l'étendue. En sorte que, pour nous, Dieu est un être
infiniment pensant et>infinimont étendu.
- I
724 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
L'attribut de la pensée se développe en an nombre infisi s
modes ; ce sont les Âmes qui pensent.
L'attribut de l'étendue, ^g iféveloppe on un nombre iaMûà
modes ; ce sont les corps.
Ainsi l'univers n'est autre chose qu'une infinité de w^mztf
infinis de modes exprimant Tinônité des attributs infinis del^i
et dont BOUS ne connaissons que les esprits et les corps, les lo! :^
les autres en nombre infini.
Tout ce développement divin est absolument nécessaire* Oa n j
peut rien retrancher ni ajouter; on n'y peut mémo rien chu^
sans bouleverser le tout. En sorte que tout est ncc^^aire et qi£
la liberté est impossible, aussi bien en Dieu que dans rhomme.
L'Ame humaine, en effet, est une pensée, une pensée qui s'aSrsr,
dont l'objet est le corps lui-môme- En sorte, que Spinoza d^fiii»
l'Ame «l'idée du corps». Le corps passe par tous les modes qal
doit représenter et l'âme conçoit et pense ces modes, elle a
est la conception. C'est ainsi que Vàme a conscience d'elle^aéîse;
car il est de l'essence de la pensée do se penser elle-même. Mâf
en outre, elle s'affirme et cette affirmation, c'est la volonté, c'es
l'idée acte. Ne demandez pas à Spinoza d'autre liberté pour Tài».
Et pourtant Spinoza construit sur de pareilles données une th^
rie morale. Il* conçoit Dieu comme la perfection absolue; cha^s!
attribut de Dieu, comme une des formes de cette perfection, d»r
que mode d'être comme une expression finie de l'un des attril^
et par suite comme une perfection relative et limité. Ainsi, chinai
être est dans un certain degré" de bien. Le bien de l'Ame, lapesscg
est supérieure à l'étendue, qui est le bien du corps. L'Ame elk^
même est d'autant plus parfaite que l'objet de sa pensée est plis
parfait. Donc, pour être parfaite, elle doit penser Dieu, elle ri«l
vivw avec Dieu. Et Spinoza ajoute, nous ignorons sur quelpri^
cipe, qu'elle doit aimer Dieu.
Et en eflfet, il est étrange de voir l'auteur de ce monstmeoi
sj8tême,épris, de bonne foi, d'un amour ardent opur ce Dieu-tout,
ce Diea-univers, qu'il conçoit, qu'il forme lui-même.
A la théorie morale de Spinoza se joint une théorie politique,
dont les principes et les premières conclusions sont les principes
ot les qonclusions de Hobbes. Mais Spinoza croit y voir de aérieii-
ses différences.
Xir SIÈCLE — LRTBNITZ 725
Le droit se mesure à la puissance de chaque ôtre; car toute
nature tend à faire tout ce qu'elle peut. Dès lors la força seulo
légitime toute action, et on a tous les droits dès qu'on est le plu4
fort. De ces principes il fait dériver comme Hobbes, une mon^r*
chie absolue, aveccettediiférence, qu'il déclare la pensée ind4pe<H
dante du monarque, et que, de plus, le droit du souverain n'est pas
absolu, mais seulement proportionné & sa puissance. Et SpiiM»9a 90
eonsole et console ses adeptes en disant que Tlntérêt même do mo«
Barque l'empêchera d'abuser tyranniqueme(it de son pouvoir.
Voilà je Spinozisme tout entier. II. part d'une définition Ik^bir
traire; rejette sans motifs la principale source de nos coaqMs-
sances; donne de Dieu une notion contradictoire : l'^tendijb^
pensante, le simple-composé, etc. ; enfin, il nie la liberté morate et
rend la morale impossible, tout en voulant la soutenir.
285. Leibnitz. — Gottfried Wilhelm Leibnitz (il a souvent
signé lui-même Leibniz) naquit à Leipzig, en 1016. Ajant pQrdu
son gère dès Tâge de six ans, il perdit sa mère pendant qu'il
suivait les cours de l'université. Il dirigea donc lui-môipe ses
études et dès sa plus tendre enfance il se nourrissait (Je la lecture
des livres nombreux qui composaient la bibliothèque de son père.
Il tomba d'abord sur les anciens, les admira et s'imprégna de
leur stjle et de leurs idées: c'étaient surtout Platon, Aristote,
St- Anselme et St-Thomas. Plus tard, il lut Bacon, Campanella,
Kepler et Galilée, et c'est ainsi qu'il acquit une sorte d'érudition
universelle. Il menait de front toijtes les sciences, mais son esprit
était particulièrement tourné vers les mathématiques. Il essaya
de transporter dans la philosophie la rigueur des démonstrations
géométriques. On le voit dans le de Arte comblnatoria, écrit en
1665, où il s'efforce de donner des règles pour découvrir à priori la
vérité ou la fausseté d'une proposition.
Voulant faire sa carrière de la jurisprudence, il fut reçu docteur
en droit à Altdorf, refusa, par esprit d'indépendance, la chaire
qu'on lui offrait dans cette \ille, et se ûxJBi, à Nuremburg. Lft il
s'affilia à la confrérie occulte de la Rose-Croix, il se fit initier à
l'alchimie, et apprit ce que l'on savait alors de chimie.
De 1667 ft 1672, nous trouvons Leibnitz à la cour de l'électeur
^ I
72d HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
de Mayenee, Jean Philippe. Il écrit alors sur la p}iiIc»«opî=>. :
jurisprudence, la politique, défend Aristote et Saint-Thuoiuâ, îi
en condamnant les abus de la scliolasti<[ue. Dans le même tei^icJ
fait des recherches de physic[ue et de mécanique ( Theoria ;iît.f>
ahstracH, Theoriamotus concrctî), où, rectifiant Descartes, ii Hr
blit les bases de la dynamique. Descartes avait cru que la qj^niv
de mouvement, mesurée par le produit de la masse par Jâ vite?^.
reste constante dans la nature, Leibnitz démontra que ce qoi et
constant c'est la force, dont la mesure est le produit de la msa»
par le carré de la vitesse. Il avait alors vingt-cinq ans (IdTlu
Venu à Paris, en 1672, il y étudia «la profonde g-éométriep âT«
Hayghens, lut les ouvrages de Pascal, qui l'étonnèrent et lai «m
rent une horizon nouveau, discula théologie avec Arnauld, etp.i-
tique, avec Colbert. Il voulut détourner Louis XIV de ses prcj^s
contre r Allemagne et rengager à prendre l'Egypte, maiss^piy-
jets furent repousses. Pendant ce temps il travaillait h perfeîtiat-
ner la machine arithmétique de Pascal et posait les bases da ci-
cul infinitésimal. Colbert voulut le faire entrer dans TAcadc:^
française, mais il refusa pour rester protestant.
En 1676, le duc Jean Frédéric de Brunswick Luneboni^ l£
conûa la charge de bibliothécaire de Hanovre. Avant de s'y read»
il fit un second voyage à Londres, où il connut le chimiste Bojk
le mathématicien Goliins et le savant Oldenbourg. Il éehan^
aussi des lettres avec Newton^ alors à Cambridge.
Newton et Leibnitz se partagent la gloire du calcul infini tésiaial
quHls trouvèrent tous les deux sans se connaître. Il paraît déiots-
tré aujourd'hui que Newton inventa en 1665 la théorie des fia-
anonSy mais ne la publia qu'en 1687, tandis que Leibnitz avàtt
acquis par une lettre une idée de la découverte, la développa ci
publia son calcul différentiel en 1684. Avant ces deux géoi^
Fermât, Wallis, et Cavallieri, et après eux Jacques Bernouilli, «<
Jean Bernouilli, peuvent revendiquer leur part dans le mérité cs
cette riche découverte.
Leibnitz s'installa à Hanovre en 1677, et y de meura quarante
ans. Il écrivit alors Thistoire de la maison de Brunswick Lao^
bourg, dans laquelle il emploie le premier la géologie, la lingul»-
tique et l'archéologie; et^ s'il s'y trompe quelquefois, il a du ukhi^
XVir SlfcCLR — LEIBNITZ * 727
le mérite d'avoir inauguré cette voie. Cependant l'ouvrage est
resté inachevé.
Il s'occupait alors de réformes politiques ; de toutes parts on lui
demandait des conseils; Pierre le Grand le nomma son conseiller
de justice, avec une pension de mille thalers. Fier de cette con-
fiance Leibnitz se mit à l'œuvre et posa les bases de tout ce qui
s'est fait plus tard pour la civilisation de.la Russie. Il tenta aussi
de réunir les églises protestantes à l'Eglise catholique, et il eut
pour cela des relations suivies avec Bossuet ; mais il ne comprît
pas que la seule conciliation possible était de faire passer les pro-
testants au catholicisme.
Il mourut à Hanovre, en 1716.
286. Philosophie de Leibnitz. — Le caractôre dominant de
sa philosophie est un vaste éclectisme. Il prend chez tous quelque
chose de bon, mais il a aussi un fonds entièrement personnel. Il
n'a nulle part exposé l'ensemble de son système : il faut le cher-
cher dans un grand nombre de dissertations, en latin, en français,
ou en allemand, dans ses lettres et surtout dans deuK ouvrages
importants : Nouveaux essais sur l'entendement humain\ qu'il
écrivit pour corriger Locke, et la Théodtcée, On a aussi la Mona-
doloffie, résumé, précieux qu'il écrivit pour le prince Eitgône.
Pour la méthode, Leibnitz est cartésien, en ce sens que, comme
Descartes, il procède des principes évidents aux vérités que la
raison peut en déduire. Cependant, il emprunte aussi à Bacon,
et reconnaissant que le principe de contradiction et la déduction
ne donnent que le possible, il cherche un autre principe dans la
raison pure et trouve celui de la convenance ou de la raison suf-
fisante, dont il se sert comme du levier universel de la philoso-
phie.
« Rien ne peut être sans une raison suffisante et tout ce qui a sa
raison suffisante existe. » C'est Platon et Saint Thomas s'ajoutant
à Aristote.
De ce principe Leibnitz déduit le principe du meilleur et tout
son optimisme, ainsi que la loi ne continuité, ou, en d'autres
termes, le principe que la nature ne fait point de saut. Le
médiocre n'a pas de raison d'être, dit Leibnitz, quand le meilleur
788 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
est possible, et Thiatus ou le vide entre les degrés d«s éticiû
pas de raison suffisante, dés que la continuité est possiUe.
Cette méthode est essentiellement ratiocnelle et dedoetive ; mi
Leibnitz ne négligea pas les expériences, dans les sciences pkjir
quesi
287. CoAmolo^ie. Monadisme. Harmonie prééfabfie. -
Descartes, en donnant pour essence à la matière féiendnf, k
pouvait y voir d'autres phénomènes que le ^nouvementf ei ctoj^
pouvoir les déduire à priori des lois de la mécanique.
Leibnitz accepta d'abord cette théorie ; mais bientôt il eo o*
prit Terreur et déclara que le vice radical du cartésianisme, c*
une fausse notion de la substance. En effet Tétendae sq^
ifuelqviç chose d'ét^ndu^ %i de plus elle ne saurait ôtre cov«
^mioa la source du mouTement, lequel suppose une Uw f
peut Qu qui se ment.
Jjeibnitz suppose donc Tespace peuplé de 'forces simpiés^ qti
appelle des monades. Elles sont de quatre espèces.
l^ les monades nues^ éléments de la matière;
^ les âme^ des bêtes ;
^ les esprits finiSy les Âmes humaines ;
4^ la n^nade suprême^ Dieu,
«t selon la loi de continuité, il n'j a pas de passage brosqae àf»
«spèoe h l'autre^
Toutes ces moHades sont des forces simples, incorraptibto, 4^
pe peuvent périr que par annihilation ; toutes possèdest plus a
ipoins Vappétition et la perception. L'appétition est une lo^
d'effort interne qui les modifie et les développe ; la perceptioa ^
i^tQ propriété qu'elles ont de représenter en eUes-^m^'
quoiqu*à différents degrés, tout l'univers. Cependant tout cel»*'^
puremeat ii^terBe et les monades n'ont aucune action mv^B»^
^is au^si toift s'y fait dans une harmonie univeneUes^'*
loi établie par Dieu.
lies per^eptioms ne différent que par la clarté et la conseil
Daas lies monades de la i^atière, les perceptions sont obscures i»
ifoonsoientes; les f^uy^ des bétes ont quelques perceptions <^^'
les Ames humaines en ont un plus grand nombre declaii^^^^
,XII* SIÈCLE — LEIBNITZ 729
bâuiooup â'iAoonscientdS ; Dieu n*a que des idées adéquates. L*ap-
pétition de chacune est dans les mômes proportions.
Ainsi, pour Leibnitz^ les oorps sont des composés d*âmes incons-
cientes. L'étendue des corps résulte de la réunion de ces éléments
saas étendue, grâce à leur résistance, qui les empoche de se compé^
nétrer. L'espace n'est que la relation des monades entre elles, et le
temps est la relation successive de leurs modifications.
IjCS âmes des bêtes sont préformées depuis la création, niais
\iuv8 perceptions l'estênt inconscientes jusqu'à la naissance de la
bjte, dont le germe existait aussi préformé dans un autre être. Ces
Ames sont indestructibles^mdÀB non pas immortelles, car Timmor-
talité suppose la persistance de la conscience , et de la person-
nalitêy conditions qui sont le propre des âmes douées de raison.
Uâme hicmaine est aussi une monade ; elle a toutes les facul-
tés des Âmes des bêtes, et comme cellcsKïi elle vit en grande partie
de la consécution, fruit de la mémoire, Mais elle a de plus la rai-
son^ par où nous connaissons les vérités nécessaires, ce qui nous
fait connaître Dieu et nous rend capables de liberté.
Dans ses Nouveaxiœ essais sur l'entendement humain, Leib-
nitz s'efforce d'établir, contre Locke, que notre esprit met du sien
dans nos connaissances, et que, s'il n'a pas d'idées innées, au sens
de quelques cartésiens excessifs^ il se possède au moins lui-môme,
avec la perception du nécessaire. Il complète donc ainsi le principe
aristotélicien de Locke : (kNihil est in intellectu quod non priiis
fuerit en sensu nisi ipse intellectus. Descartes d'ailleui*s
avait déjà dit : «Je ne me persuade pas que l'esprit d'un petit
enfant médite dans le ventre de sa mère, sur les choses métaphj^
siques Il a les idées de toutes les vérités qui de soi sont connues,
comme les personnes adultes les ont lorsqu'elles n'y pensent
point. 1^ Et Leibuitz dit à son tour : «Les sens, quoique nécessaires
pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants
pour nous les donner toutes Les sens ne nous donnent point
ce que nous portons déjà avec nous Les idées et les vérités
nous sont innées comme des inclinations, des dispositions^ des hahi-
tildes, ou des virtualités naturelles, »
Les principes innés de la raison que Leibnitz admet, sont d'abord:
Le principe de contradiction ; Rien ne peut être et ne pas
être en môme temps. Puis. 47
730 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Le principe de la raison suffisante : Rien n'existe sans »
raison suffisante et tout ce qui a sa raison suffisante existe. B^
principe comprend, à son tour :
Le principe de la cause efficiente : Tout ce qui est oaseffci
a une cause.
Le principe de la cause finale : Tout ce qui est (»u sefaiii^i
ou se fait en vue d*une fin.
Le principe de coyitinuitë : La nature ne fait point de sMt«.
Le principe de moindre action : Tout se fait dans l omwf'
par les voies les plus courtes (avec le moins de temps et de fuitfi.
Le j)rincii}e des indiscernables : 11 ny a pas deux êtres »»»•
lunient pareils et indiscernables.
Remarquons ici que ces principes dont on fait lioniieur à wi'"
nitz, comme les ayant mis en lumière le premier, étaient employa»
par les scolastiques. Il suffit de lire Saint-Thomas i>our s*
convaincre.
Lrt /f^er^t^ est le caractère propre de Tâme humaine daas s^'
activité. L'âme est spontanée et intelligente ; les act«s «luU^
peut faire sont contingents : c'est assez, selon Leihnitz, pi*
constituer Tacte libre Les monades matérielles ont aussi ute
activité spontanée, pour des actes contingents, mais elles agiS^
sans conscience. Une î\me est d'autant plus libre qu'elle voit du^^
ce qu'elle a à faire. Dieu seul est parfaitement libre. La li»'^
ne suppose pas rindifférence ; car la détermination dans cesco*''"
tions n'aurait pas de raison suflisante. Dieu lui-même n'est pi-
indifférent, en agissant ; il voit le plus grand bien et il le ^*i^-
prescience et la providence de Dieu n'enlèvent rien à notre U^^'
car Dieu sait ce que nous ferons, mais il sait que nous le ^^^
librement. De môme il est l'auteur de notre activité et des condi-
tions dans lesquelles nous agissons : donc il nous fait agir libre»»'
— Cette théorie, qui est presque celle de saint Thomas, o*'*
que cependant d^une condition que le saint docteur donne cùos^
la raison de notre liberté : c'est le choix. Leibnitz, au contraire,^
déterministe, et il devait l'être, en vertu de son système des nw^
des et de V harmonie j^réetablie,
Leibnitz ayant posé que les monades sont sans influence les ^^
sur les autres et que tout se fait en elles en temps et lien conTfiii'
XV1I« SIÈCLE — LBIBNITZ 731
bles, selon rharmonie déterminée par les lois posées par Dieu au
commencement, suppose, d'accord avec ses principes, que l'ftme et
le corps sont sans action réciproque, mais éprouvent des modifi-
cations harmoniques, qui se rencontrent toujours, comme deux
horloges bien réglées marquent la même heure, quoique leurs
mouvements soient indépendants.
288. Analyse de la Theodioée de Leibnitz. — Ce mot, dans la
jiensée de l'auteur, signifie justification de Dieu. Plus tard, à la sulle
fie Victor Cousin, on l'a pris dans le sens de théologie naturelle. Le
litre de l'ouvrage, qui en indique assez le but, est: Essai de théodicée
sur la bonté de Dieu, la liberté de Vhommê et l'origine du vial.
Préface. Il est utile de se faire une conviction réfléchie sur la nature
de Dieu. On se fait une fausse idée de la prescience et de la providence
de Dieu. C'est un fatalisme dangereux qui mène à ne plus se croire
responsable. De plus c'est une erreur impie qui fait Dieu l'auteur du
faal et le montre méchant ou impuissant, Leibnitz croit avoir dans
son système de bonnes réponses à toutes les objections contre Dieu, et
principalement à celles que Bayle a pris plaisir à renouveler dans son
Dictionnaire. Il écrit d'ailleurs à la demande de la reine de Prusse, Sophie
Charlotte. Il écrit en français, parce que Bayle a écrit en cette langue,
et afin qne l'ouvrage soit lu par ceux qui en ont le plus besoin.
Discours de la conformité de la foi avec la raison. C'est une sorte
d'introduction. Bayle avait exagéré les difficultés, non pour rester dans
le doute, mais pour confondre la raison. Leibnitz déclare fausse et dan-
gereuse cette manière de raisonner: il ne peut pas y avoir contradiction
entre la raison et la foi : l'une et l'autre sont un don de Dieu. La plu-
part des objections ne sont que des apparences de vérités que Ton prend
il tort pour démontrées. La foi ne contredit que nos erreurs et nos
préjugés.
Première paiHie. LeibDitz expos 3 d'abord les difficultés: 1» la liberté
parait néceesaire pour que l'homme soit responsable : mais elle parait
impossible, si Dieu sait d'avance ce que fera l'homme et surtout s'il
pourvoit à tout dans le monde, de manière que rien n'arrive que par sn
volonté. 2" Dieu parait rejpousable du. mal que font les hommes, s'il
est Tauteur de leurs actions, ou même si simplement il permet le mal,
pouvant l'empêcher. Leibnitz répond d'abord à la 2* objection, par sa
théorie de Voptimisme, et ensuite à la 1% par sa théorie détermmisie
lie la liberté.
I. Dieu, infiniment intelligent, bon et puissant, a dû créer le meilleur
des mondes qu'il conçoit ; sans quoi son acte n'eut pas eu de raison
snffîsanle.
732 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
En effet, dans ce monde : les maux sont plas rares qtie les \ka&', ^
mal physique est une nécessité de la condition des créatures ië^
les ; le bonheur des méchants, daus cette vie, sera com^asé pi? >
bonheur des bons, dans l'autre. D'ailleurs, le mal résulte de ruipff^
tion des créatures : c'est une limiiaUon ; sa eau-se n'est pas e[^^^
mais déficiente. Dieu ne le veut pas antt^cef/e^nmen^ mais fùH«5>^t-
ment, comme impliqué dans le monde, même le meilleur.
Mais, dit -on. Dieu, étant la cause de tout ce qu*i) y a de k^ <^'
l'action mauvaise, concourt au mal. Non, répond Leibnitz; paspte^s
le courant du fleuve qui est la seule cause de lout le mouTeraest de
bateaux qui flottent sur lui, n*cst la cause du retard des pluskKii^i^
les plus légers.
II. Dieu, dit-on encore, prévoit infailliblement tous nos actes; ^
nous ne sommes iias libres. Leibnitz répond. Dieu est cerlsin qaaB-fl
agirons ainsi, mais que nous agirons librement.
Mais encore. Dieu ne prévoit pas seulement nos actes; il tes wfî*.^
les préordonne. — Oui, sans doute, dit Leibnitz, Dieu nous dë^&^
.en nous donnant des raisons d'agir, et la pleine Indifférence qœ f^
rêve, comme une condition de la liberté est chimérique, imfMTSsiife ^
absurde.
Mais nous nous sentons libres. -— Ouï, au seul sens raisonnais *^
mot. L'àme est un automaie spirituel. On e^l libre par cMa sedf-*
agit spontanément et avec inlelligencc. L'acte peut être délenniB^F^'
des raisons; il suffit que le contraire ne soit pas impossible poorçîf
l'on soit libre.
Le sophisme paresseux, par lequel on prétend rester dans llnâfi."''
sous prétexte que ce qui doit arriver arrivera, est absurde. C^r af
doit arriver, doit arriver parce que nous ferons ce qu'il faut pour cà-
Quant à nous, sans savoir ce qui doit arriver, nous exécoleroEs »
volonté présomptive de Dieu, en faisant toujours le mieux.
Mais enfin, où est le mérite ? — Les actes déterminés n'en soaip*
moins bons ou mauvais, et nous en sommes responsables, paref<P^
sont nôtres. Il est donc juste qu'une connexion étroite attad^eàv^
mauvaise action sa jieine, à toute bonne action sa récompense. (^^'
l'harmonie préétablie entre les causes efllcîentes et les causes fio^
Deuxième partie. Bayle pose en principe que Dieu n'a pas jw^lw)*
augmenter sa béatitude en créant; d'où 11 conclut (à tort) qa'iî * *
tout créer pour le bonheur de l'homme. — Leibnitz rèponi: Qtt'«3î^
que l'homme dans l'uni vei-s ? Les autres créatures sont inférieures i^
Infiniment plus nombreuses. Le tort de Bayle est d'assimiler Dieoisf
XVII' SIÈCLE — LBIBNIT2 733
bienfaiteur humain: c'est de Vanthropomorphismc, Dieu ne devait pas
pour rendre l'homme heureux, diminuer le bien de l'ensemble. — Ici,
c'est Leibnitz qui a tort, en voulant réfuter Bayle. Le nombre des créa-
tures non raisonnables n'est pas un motif pour les préférer à l'homme.
Dieu a (ait Thomme pour Lui-même, et tout le reste pour l'homme.
Bayle va jusqu'à accepter le manichéisme pour expliquer la part faite
au mal dans le monde. Non, dit Leibnitz, il n'y a pas de principe du
mal, qui n'est qu'une privation inhérente à l'essence limitée de la
créature.
Bayle accepte en Dieu tantôt la nécessité absolue, et tantôt la doctrine
que sa volonté est la seule cause do la distinction du bien et du mal.
Leibnitz nie que Dieu agisse nécessairement d'une nécessité métaphy-
sique, mais il croît qu'il agit librement avec la nécessité morale de
produire le mieux. Quant à ceux qui croient que Dieu a établi le bien
et le mal, par un décret arbitraire, ils déshonorent Dieu ; ils* lui ôtent
le titre de bon ; car tout ce qu'il aurait pu faire eut été également bon.
La justice, à son tour, n'est pas un choix hasardeux en Dieu. A la
vérité. Dieu ne doit rien aux créatures, mais il se doit à Lui-même de
les diriger avec justice et avec bonté.
Mais les nécessités métaphysiques limitent la puissance de Dieu et le
soumettent à un fatum, — Non car ces nécessités sont Tessence même
do Dieu.
On dit encore: Si Dieu fait le meilleur possible, il fait donc d'autres
dieux. — Non, le meilleur possible n'est pas le parfait ; îl est créé, et
comme tel il n'est ni éternel ni se suffisant à lui-mômo.
Enfin, si l'on dit qu c Dieu n'est pas libre, parce qu'il doit faire le
mieux, c'est qu'on veut une chimérique liberté d'indiftérence, plus
impossible encore en Dieu que dans l'homme; car il faudrait que la
suprême raison so déterminât sans raison.
Troisième partie. Le m,al physique a souvent pour cause le mal
moral ; il en est le châtiment, il est donc le fruit de notre liberté et
n'enlève rien à la lK)nté de Dlen.
L D'abonl le mal physique n'csc en général qu'une forme du mal
métaphysique, c'est-à-dire, de l'imperfection essentielle des créatures.
Les monstres, qui sont tels vus en particulier, doivent contribuer à la
beauté de l'ensemble ; les bouleversements terrestres et même plané-
taires rentrent dans l'ordre.
Mais le» hommes et les animaux souffrent. — Les animaux souffrent
moins qu'on ne pense; car ils n'ont pas la réflexion. El l'homme serait
conteut de son sort, s'il était sage, lies joies de l'homme de bien corn-
734 HISTOIRE D£ LA PHILOSOPHIE
pensent ses peines; et la peine elle-même est rassaisonnemenl ilupj:
sir. La mort même, lort redoutable pour les païens est pourlecluëiiî
l'aurore d'une vie plus heureuse que celle-ci.
II. Ainsi le mal physique n'offre pas de difficulté, s'il est mérité, !te'
îilors surtout on nie que nous soyons libres. — Sommes nooi wMli-
t/ents t doués d*une activité sjjontanéef nos actes sont-ils contint
Oui. Donc nous sommes libres. Kt en effet : Notre intelligence es*, a^
rieure à celle des animaux : elle a des perceptions disli^ictes; eliîp»
peser les raisons. Notre àme est spontanée comme toute monad*; ^
iVf^M toute seule, puisqu'elle ne reçoit rien du dehors. Enfin im^-
sont contingents; c'est certain ; mais nous ne sommes pas \1s-3-tb*
ces actes dans une eomplète indifférence.
La théorie de la liberté d'indifférence est absurde; elle détruit If*-
on gagne tout à la rejeter. Pour être déterminée par les bj«1î?«**
raisons, Tâme n'est pas cependant soumise au fatum; carcesruKB-
elle les veut, elle les fait siennes; c'est la vraie liberté. C'est ae*-
liberté de Dieu. Il ne lui convient nullement d'agir sans raison. D ^
selon le pi^incipe de la convenance. 11 pourrait faire autrement. ÏS'
il fait ainsi pour faire le mieux.
Cette convenance n'est pas élastique. C'est une affaire de n^'- ''
ce qui choque la raison ne saurait être convenable. Bayle a donc w
de demander pourquoi Dieu n'a pas fait qu'une coupure nous fût afi*
ble. Ce qui met la vie en dang^er ne doit pas être accompagna 'J'î*
plaisir trompeur, ni d'une funeste indiirérence. — On ne poumil j»
généraliser ce principe. Les plaisirs des sens sont souvent tromprtis.fi
est vrai que quand ils sont nuisibles ils sont accompagnés de doutec».
mais bien souvent il est trop tard. Aussi Leibnitz a raison de dire »■
leurs que la douleur n'est pas pour faire éviter le péril préseul etqo»
a coutume de servir plutôt de châtiment de ce qu'on s'est engagé ^
le mal, et d'admonition pour n'y par retomber une autre fois.
Dieu a trouvé convenable de faire des lois : la raison ne peut se ^'O''^*
plaire dans le désordre. Ici Leibnitz discute longuement et soutient «^*^
proposition que les lois du mouvement ne sont ni nécessaires ni ^P
cîeuses, mais convenables.
Dieu voit tout d'un seiU regard : ce tiui est libre, il le voit ^'^0- ^
certain n'est pas toujours nécessaire ; le libre n'est pas la même à^
que l'incertain. Quant à l'action de Dieu sur la créature, coinp''*'
coumie Spinosa, elle détruit la liberté. Leibnitz craint mèoieqo^'^
théorie cartésienne de la création continuée ne mène à la tiégatioQ^
la liberté. Mais il admet cette doctrine pour le fonds, en Ces!
XVII* SIÈCLE — LEIBNITZ 735
Dieu agit pour continuer l'être à chacune des créatures, et s'il leur
donne en même temps la substance avec les accidents, l'essence avec
SCS modes, la nature avec ses opérations, il est certain que, suivant la
priorité de raison d'être, la nature est toujours avant ses opérations, et
({u*ainsî c'est toujoura elle qui en est la cause. Ou voit par là comment
la créature peut être cause du péché.
I^eibnitz répond ensuite à des objections de détails que Bayle tire de
cette théorie.
8i l'âme peut changer les accidents des choses, elle a la.puissauce
créatrice. — Non, dit Leibnitz, personne ne pense que disposer en dif-
fêrens sens une cire molle soit employer la force créatrice. C'est un
abus de mots.
SI l'àme était la cause de ses pensées et de ses volitions elle en con-
naîtrait la nature ; or elle ne la connaît nullement. Elle ne peut dire
comment se forment ses idées et ses sentiments, ni juger, ni aimer de
telle manière, quand elle veut. — Non, dit Leibnitz, il n'est pas néces-
saire que l'àme connaisse tout cela pour le faire, pas plus que la goutte
d'huile qui s'arrondit sur l'eau ne connaît la géométrie.
L'ouvrage se termine par un intéressant dialogue de Laurent Valla
sur l'accord de la prescience et du libre arbitre, et Leibnitz donne à ce
dialogue une suite pour mieu.K expliquer la difticullê selon ses théories
optimistes.
289 Appréciations de la philosophie de Leibnitz. Il ,y a
de la grandeur, de la vérité et quelques éclairs de génie dans la
philosophie de Leibnitz ; mais il y a aussi des excès de système. On
ne saurait rejeter absolument aucune de ces théories, mais on ne
saurait noû plus en admettre aucune sans la corriger^ et souvent il
est difficile de préciser le point jusqu'oi) on peut le suivre et oà
Ton doitTabandonner; car les questions qu'il traite touchent toutes
aux mystères qu'offi'cnt à notre intelligence les rapports du fini
avec Tinfini.
On a pu voir que sa théorie de la connaiss^ance et presque la
nôtre : dans sa théorie des monades, on peut accepter comme une
vérité à peu près certaine la simplicité des éléments du corps,
mais on ne saurait penser avec lui que les monades n*ont aucune
action Tune sur l'autre, ni que toutes ont des perceptions ; sur la
question de la liberté il est plus difficile de dire où s*arréte la
vérité des principes déterministes, mais il est généralement
i\ (5 HISTOIRE D£ LA. PHILOSOPHIE
reconnu aujourd'hui quô la liberté ne consiste pas h, agir sais nn^
mais au contraire avoc raison ; cependant on n*admet pas qoela
motifs soient déterminants par cux-mômes : ifs le deTicnDeot psr
le choix de notre volonté libre, qui laisse quelquefois le meiEear
pour suivre le pire.
Enfin l'optimisme lui-même semble fondé en raison jusque a
certain point et notre raison se plaît à penser que Diea fait tiKttes
choses dans dos vues d*une sagesse infinie, et que le mal que ne-
ferme le monde est dans les conditions mômes du monde tel qi»
Dieu l'a choisi; mais on n'oserait pas afiirmer que ce monde est le
meilleur possible, encore moins que Dieu ne pouvait en choisir qb
autre. St-Thomas, par exemple, cherche et trouve des raisons dt
convenance à toutes les œuvres de Dieu, mais il ne dit pas qu'il
ïCy avait rien de mieux. C'est qu'en effet la perfection des étra
créés est dans Tordre de l'indéfini, et cet ordre n*a pas de limite
extrême autre que l'infini lui-même. En sorte qu'aucune créatare
ne saurait être la plus parfaite possible, en restant simple créature.
Mais la vie surnaturelle, communiquée à une créature, la ptefe
dans un ordre au-dessus duquel rien n'est possible, et, danscetordre,
N. S. Jésus-christ qui réunit dans une seule personne la Divinité
et l'humanité est certainement l'œuvi'e la plus parfaite possible de
la puissance et de l'amour de Dieu. Avec cela notre monde est le
meilleur possible.
290. Wolf. — Jean Chrétien Wolf né à Breslan, en 1670,
professeur à l'université de Halle, en 1707, puis à celle de Mar-
bourg en 1723 et enfin encore à Halle, en 1740, mourut dans cette
dernière ville en 1754, Il appartient donc au dix-huitiôme sîècK
plutôt qu'au dix-septième; mais nous n'avons pas voulu le sêpartf
de Leibnitz, dont il fut le continuateur et en quelque sorte l'initia-
teur de sa philosophie.
Cartésien dans sa jeunesse, puis disciple de Leibnitz^ il se noarrit
des doctrines de ce dernier et s'attacha à les répandre en j mettant
l'ordre et la méthode qui faisaient le fond de son esprit. Il annût
voulu conduire l'enseignement philosophique avec la précision et
la certitude que comporte la géométrie. Il a tracé une classifica*
tion des sciences, ou mieux un plan d'études philosophiques et il
XVll* SIÈCLE — HUBT 737
dispose les branches de la philosophie dans Tordre que nous avons
gairi pour notre cours. 11 eut de nombreux disciples et sa philoso-
phie a régné en Allemagne jusqu'à Kant. Ses nombreux ouvrages,
qui remplissent 23 volumes in-4°, traitent par ordre toutes les
parties de la philosophie. Ils sont écrits en partie en allemand et
surtout en latin «
29t. Bayle. »— Piefre Bayle, né à Cariât, dans le comté do
Poix, Tan 1647, était fils d'un ministre calviniste. Dans le coui*s
de ses études, qu'il acheva à Toulouse, chez les Jésuites, il se con-
vertit au catholicisme ; mais les instances de sa famille le ramenè-
rent aux pratiques plus faciles de Calvin. Il se rendit alors à
Genève, et après avoir été précepteur dans plusieurs maisons, puis
professeur de philosophie à l'université calviniste de Sedan, il
passa en même temps que Jurieu, dont il était le collègue, à Rot-
terdam, lorsque ruuiversité de Sedan fut supprimée. Là les intri-
gues de Jurieu parvinrent à le faire destituer, et Bayle se réjouit
do son indépendance. Atteint d'une affection de poitrine, il mourut
la plume à la main, en 1706.
Il laissait de nombreux ouvrages, dont le principal est le Dic-
tionnaire historique et critique. Toutes les questions philosophi-
ques y Bont traitées et mises en doute. II trouve partout des rai-
sons pour et contre et semble se plaire à prendre la raison en
défaut. II dit quelque part que les faiblesses de la raison doivent
nous inviter à soumettre notre entendement à la foi, mais ailleurs
il déclare que sa mission est seulement d'assembler, des doutes. Il
avait beaucoup lu Montaigne, dans sa jeunesse, et peutrètre aussi
«la honte de paraître inconstant» puisqu'il avait deux fois changé
de religion, lui faisait dire, que le meilleur mioyen de ne jamais se
mettre eil contradiction avec soi-même, c'est de ne jamais rien
affirmer.
Nous avons vu comment Leibnitz, qui cependant faisait grand
cas de son intelligence de sa logique et de son érudition, a essayé
de répondre à toutes les difficultés soulevées par Bayle^
292. Httet. — Pierre Daniel Huet, évoque d'Avranches, pré-
cepteur du Dauphin, fils de Louis XIV, était né à Caen, en 1630i
et mourut h, Paris en 1721. On s'accorde à le considérer comme
738 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
très-énidit et habile écrivain. Mais ileat le tort d*exagérer les^
faiblesses de l'esprit humain et d'ôter à nos facultés tonte certi-
tude naturelle, pour mieux soumettre, pensait-il, la raison à la
foi. Cette erreur se montre déjà dans sa Démonstration érany-
lique^ qui d^ailleurs renferme des matériaux excellents ; mais elle
pamît dans tout son jour, dans le Traité de la faiblesse deVesprit
humain. Son système ne peut se soutenir, puisque, si rien n'est
certain en dehors de la foi, le fait lui-môme de la révélation deTÎcfll
indémontrable et la foi n*a point de base. Aussi, dans notre sièck.
quand les Traditionalistes ont renouvelé Terreur de Huet, l'Eglise
a pris la défense de la raison méconnue.
Cependant tout n'est pas à dédaigner dans la critique que fait
révoque d'Avranches des systèmes philosophiques, et particulière-
ment dans la Critique de la i^hilosophie cartésierine, on troaT<»
relevées bien des erreurs que Descartes avait posées comme prin-
cipes de sa philosophie, et ses arguments y sont plus d'une fois
justement condamnés. Kn effet, comme le dit H uet, notre exis-
tence personnelle n'est pas le premier objet de notre connaissance :
nous la connaissons par la raison et non par la perception ; la
preuve de la spiritualité de Tàme telle que la donne Descartes est
insuffisante ; Tâme n'est pas mieux connue que le corps : le moi
n'est pas tout entier dans la pensée ; certaines idées dérivent des
sens : etc. Mais à son tour Huet à tort contre Descartes dans plu-
sieurs autres propositions : par exemple, que l'évidence est une
marque incertaine de la vérité, ou que l'idée de l'infini dérive do
fini.
ft. s.- PflILOSOPBBS lOtALISTIS.
293. La Rochefoucauld. — François YI, duc de la Roche-
foucauld, prince de Marsiilac, naquit en 1613. Naturellement
mélancolique, il fut jeté par les circonstances plutôt que par goiM
dans les luttes et les intrigues de cour qui amenèrent la Fronde. Il
s'y distingua par son activité et sa bravoure, mais après la p&ii
il regretta de s'être livré à ce qu'il appelait « un métier pour les
sots et les malheureux, dont les honnêtes gens et ceux qui se trou-
vent bien ne se doivent point mêler. » Rentré dans la vie privée,
XVll» SIÈCLE — LA ROCHEFOUCAULD 739
il écrivit ses Mémoires et ses Maximes, sans cesser d'entretenir
un commerce d'amitié et de relations suivies avec tout se qui se
distinguait alors par le talent ou par la naissance. Il mourut en
1780, entre les bras de Bossuet.
On s'accorde généralement à dire que La Rochefoucauld fonde
systématiquement la morale sur Tégoïsme, qu'il ne donne pas
d'autre mobile à nos actions que la vanité et l'intérêt, et quelques-
uns vont môme jusqu'à trouver ses théories appuyées sur des prin.
cipes matérialistes. Nous croyons ce jugement exagéré, et il nous
semble que La Rochefoucauld, faisant un livre de critique de
mœurs, plutôt que de morale, n'a voulu peindre que les défauts du
c<eur humain, et particulièrement les .vices qu'il voyait dominer
autour de lui. Il est vrai que sa philosophie dérive de Locke, mais
elle n*est pas précisément matérialiste. Quand à sa théorie morale
citons les pensées les plus incriminées et nous verrons s'il n'est pas
possible de les absoudre du reproche de fatalisme et même
d'égoîsme.
« La nature fait le mérite, la fortune le met en œuvre . »
(Maxime 153). « Nos qualités sojit presque toutes à la merci des
occasions.» (Maxime 170). « Notre sagesse n'est pas moins à la
merci de la fortune que nos biens » (Maxime 323). — En expli-
r[uant œs maximes, et les autres qui leur ressemblent, l'une par
l'autre, on les réduira à une pensée très-vraie ; savoir : que le
mérite i*éel reste caché tant que les circonstances ne le découvi*ent
pas, et que l'homme vertueux doit sa vertu au milieu dans lequel
il a vécu plus encore qu'à sa raison et à sa volonté.
<c La philosophie triomphe des maux passés et des maux à
venir ; mais les maux présents triomphent d'elle » (Maxime 22)
Si l'on admet quelques exceptions à cette pensée, elle restera pro-
fondément vraie.
€ Toutes nos vertus ne sont qu'un art de paraîtres honnêtes i>
(Premières pensées, n^ 54) < Les vertus se perdent dans l'intérêt
comme les fleuves se perdent dans la mer » (Maxime 171). a La
vertu n'irait pas si loin, si la vanité ne lui tenait compagnie «
(Maxime 200). — Qu'on entende ces paroles comme l'expression-
d'un fait assez général, et non comme la formule d'nne loi, et Ton
ne poarra s'empêcher de reconnaître qu'elles sont malheureuse-
ment trop vraies.
740 HISTOIRE DB LA PHILO0OPHIB
a L'amitié la plus désintéressée n'est qu'un commerce oâ b^
amour-propre se propose toujours quelque chose à gagB®. •
{Maxime 83) « Il n'y a pas de passion où l'amour de sol-afef
régne si puissament que dans l'amour » (Maœ, 2&7) «llcne?tà
véritaUe amour comme de l'apparition des esprits : tout k wsm
en parle, mais peu de gens l'ont vu » {Maœi'fne 76).
« Notre repentirn'est pas tant un regret du mal que noas»T<^
fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver » (Max.W'
€ Les passions les plus violentes nous laissent qnelquef(i^ si
relâche, mais la vanité nous agite toujours. » {Majt, 443).-
Tout cela s'explique encore comme constatation d'un fait.
« Le mal que nous faisons ne nous attire pas tant c.
persécution et de haine que nos bonnes qualités » {Mot, -'
« Il n'est pas si dangereux do faire du mal à la plupart âa
hommes que de leur faire trop de bien » {Max. 238) — ^^
est l'homme au cœur bon et dévoué qui n'a éprouvé plus ài^-
fois la triste réalité de ces deux pensées . Non pas précisém^î
que les hommes détestent chez les autres les bonnes qoali*
comme telles, ni qu'ils puissent concevoir de la haine a»
bienfait reçu, considéré comme bienfait ; mais parce qn* ^
bonnes qualités des autres prennent aux yeux de beaucoup »
apparences du vice ou au moins de Terreur, ou môme smm^
nuire à nos intérêts ou choquer nos sentiments ; c'est en «ft
qu'on les déteste. Ou encore, lorsqu'on a fait du bien à quelqa^s
et q'i'oiî est obligé de s'arrêter, celui-ci ne voit plus le hkn^^^
lui a fait, mais seulement celui qu'il n'obtient pas. De là <*we
aversion qui s'appelle justement ingratitude.
Ailleurs, La Rochefoucauld exagère sans doute l'influcaec*
physique sur le moral, mais il n'y a pas moins bcaûcosp^
vrai sous cette pensée excessive : « La force et la faibles» *
l'esprit sont mal nommées, elles no sont, en effet, q«e)a ^°^^
la mauvaise disposition des organes du corps. x> Il est facile*
constater, en eifét, que si le tempérament ne fait pas te^fl*^
le caractère, ce qui serait un fatalisme matérialiste, il y ^ *^
moins pour beaucoup. La volonté ne peut se porter que 8or '
que l'âme connaît, et il est une force d'àme que ne cobb^'^
jamais celui qui a le tempérament lymphatique, comD^*'*
j
XYU* SIÈCLE -r^ LA BRUYÈRE 741
11 est une doaceur de caractère dont n'dproavera jamais le
sentiment celui qui par constitution est fougueux. Par le môme
principe, il est des Ames qui ne sauraient prendre une résolution
énergique, et d'autres qui se décident avant d'avoir réfléchi ^
Ainsi tout en reconnaissant que l'âme humaine est capable
d*antre3 vertus que celles que lui prête Laroche foucaud, nous ne
saurions condamner absolument la critique qu'il fait de l'égoisme
dos hommes. Ce vice existe, en eâet, dans l'Âme humaine ; on
peut le corriger, mais la plupart n*y songent môme pas, et
plusieurs, s'ils y songeaient, n'auraient pas le courage de l'entre-
prendre et le plus souvent n'auraient pas la persévérance
nécessaire pour l'achever.
294. La Bruyère. — A côté de La Rochefoucauld nous devons
placer La Bruyère, quoique le seul livre qu'il nous a laissé ne soit
pas un livre do philosophie, moins encore que les Maximes du
premier.
Jean de la Bruyère, né à Dourdan, en 1639, et mort à Versail-
les en 1096, fut d'abord trésorier dans la généralité de Caen, puis
chargé d'enseigner Thistoire au duc de Bourgogne, auquel il resta
attaché toute sa vie, en qualité d'hommes de lettres, avec une
pension de mille écus.
Sortant peu, mais observant beaucoup, il écrivait en rentrant
chez lui les remarques qu'il avait faites, et en môme temps il tra-
duisait les Caractères de Théophraste. D'abord, il ne fit qu'ajouter
quelques-unes de ses propres pensées à la suite de cet ouvrage,
mais en 1687 il publia son propre travail sous le titre de Caractères.
On y trouve un fond de critique de mœurs souvent aussi triste
que dans La Rochefoucauld, mais on y voit plus facilement le
correctif à côté du sentiment ou du jugement trop sévère. Il y a
de plus une haute estime de la philosophie pratique à côté d'un
certain mépris pour la spéculation, une condamnation très-nette et
très-spirituelle des esprits forts qui, faibles en réalité, se vantent
de ne pas croire en Dieu, et La Bruyère donne pour cela les preu-
ves de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'Ame, en les
empruntant à Descartes.
295. Cumberland. — Vers la izfôme époque, Richard Cum-
berland, né à Londres en 1632, pasteur, puis évoque anglican,
742 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
mort à Péterborough en 1718, écrivait soq traité de Legihut
naturcey où il s'efforce de relever les notions morales, abaissa
par Hobbes ; il cherche le fondement des lois morales dans la
nature humaine et les reconnait antérieures à tonte convention,
ayant pour auteur Dieu lui-môme, et pour sanction le bonheur ou
le malheur de Tindividu ; mais il les fait consister dans la bien-
veillance dont nous devons être animés les uns pour les autres et
dans cette bienveillance il trouve la raison et la forme de tons nus
devoirs publics et privés. Il inaugure donc la morale du sentiment
que nous verrons se développer, pendant le dix-huitiôme sièi'le,
chez da^itres auteurs dont le plus connu est Adam Smith.
XVIIP SIÈCLE
s 1 EGOLK SENSCALISTE
296. Condillac. - Etienne Bonnot de Condillac, né à Grenoble
en 1715, d'une famille de robe, fut ainsi que son frère, l'abbé
Mably, destiné h l'état ecclésiastique, et quoiqu'il n'en ait pas
exercé les fonctions, cette profession cependant l'arrêta dans les
écarts où aurait dû le jeter son système sensualiste. Il connut
Diderot et J. J. Rousseau, mais il ne les suivit jamais dans lears
erreurs religieuses. Après avoir été sans trop de succès le précep-
teur de l'infant duc de Parme, il entra à l'Académie. Il mourut en
1780, dans l'abbaye de Flux, près Beaugency, dans l'Orléanais,
dont il était bénéficier.
Ses principaux ouvrages sont : VEssai sur VoHgine des con-
naissances humaine, où il ne fait qu'expliquer Locke, reconnais-
sant avec lui comme source de nos idées les sens et le tra\iail de
l'dme sur ses propres perceptions, et le Traité des sensatiofiSf où
il devient absolument sensualiste, ne reconnaît pas d'autre faculté
à l'âme que la sensibilité, et dit que les idées ne sont que des sen-
sations transforynëes^ niant ainsi l'activité de l'âme, qu'il avait
reconnue d'abord.
On a aussi de lui le Traité des systèmes ^ un Traité des ani»
maux, une Histoire générale des hommes et des empires^ une
XVir SIÈCLE — CONDILLAC 743
Logique^ écrite à la demande du roi de Pologne, en 1777, et un
Cours (V études pour Vinstruction du prince de Parme.
Condillac a surtout traité dans ses ouvrages Torigine de nos
connaissances, et il a tellement généralisé cette question, qu elle
embrasse toute sa philosophie.
D'abord simple disciple de Locke, il admit son principe que
Tâme est une table rase, et pour expliquer, avec lui> les idées par
les sens et la réflexion, il lit intervenir le langage. C'est dans les
mots eux-mémeb qu'il trouve le principe de Tabstraction, de la
généralisation, du jugement et du raisonnement, en un mot de
tout ce que Locke appelle la réflexion. Il confond le moyen avec la
cause, et c'est ainsi qu'il a pu prononcer cette parole devenue
célèbre : « Une science n'est qu'une langue bien faite, b
Après avoir assigné au langage la fonction d'engendrer la pen-
sée, il fait venir le langage lui-môme d'une création lente et suc-
cessive obtenue par l'humanité après mille essais imparfaits, tels
que le langage d'action d'abord, puis les cris inarticulés, puis
quelques articulations simples, etc. Le langage parlé proprement
dit ne serait arrivé ainsi qu'après de nombreuses générations.
Telles étaient les théories de Condillac dans son Essai sur V ori-
gine des confiai ssances humaines^ c'est-à-dire dans sa première
philosophie.
Mais dans son Traité -des sensations il va beaucoup plus loin.
11 s'eâorce de ramener à un seul les deux principes admis par
Locke, et donne la sensation non seulement comme la source de
nos connaissances et môme de toutes nos opérations, mais encore
comme le principe de toutes nos facultés . Supposant d'abord une
statue ayant les mômes organes que nous et douée d'un esprit en-
core dépourvu de toute idée, il lui présente une rose et il prétend
que la statue la sent et s'aperçoit de l'impression reçue, que cette
impression lui plaît, qu'elle se la rappelle, la désire et se plaint de
ne plus ravoir, en compare le parfum avec les autres odeurs qu'on
lui fait sentir. Condillac agit de môme pour tous lesauti*es sens et
bientôt il conclut que, par la seule sensation, sa statue fait tout ce
que nous faisons. Il ne s'aperçoit pas que dès le principe il fait
faire & cette statue des actes dont elle n'a pas la faculté d'après
l'hypothèse.
744 H18T01KB DE LA PHIi.080PUlK
Voici comment il analjse Yûme et expose la géoéiitioadeiB
facultés.
« Lorsqu'une campagne s'offre & ma vue, je voii io«t ^
premier coup d'œil et je ne discerne rien encore. Maisqosfid fei
regarde un seul, les autres sont comme si je ne les Toyais ptaîi^
parmi tant de sensations, il semble que je n*en éproare qn'oie.»
« Ce regard est une action par laquelle mon œil tend à Tobj^ t«
lequel il se dirige : par cette raison, je lui donne le noœd'tf^f^
tifrn, et il m'est évident que cette direction de TorgaBe est tente l>
part que le corps peut avoir à Tattention. Quelle est dooc li p^
de l'Ame ? Une sensation que nous éprouvons comme si ^ t^
seule. V) « Uattention que nous donnons à un objet n'est to,^
la part de l'Âme, que la sensation que cet objet fait surnoos. i
a Comme nous donnons notre attention à un objet, ooo5 pri-
vons la donner à deux à la fois et nous disons qaentK^ ifi
comparons.... Lq. comparaison n^esi donc qu'une double itî£&-
tion : elle consiste dans deux sensations qn'on éprouve, cûbubs ri
on les éprouvait seules, et qui excluent toutes les autres. »
« Nous ne pouvons comparer deux objets qu'ausâtM »*
n'apercevions qu'ils se ressemblent ou qu'ils diffèrent. Or, afff-
cevoir des ressemblances ou des différences, c'est juger. Uji^
ment n'est donc encore que sensation. »
« La réflexion n'est qu'une suite de jugements qui se fooi I*
une suite de comparaisons ; et, puisque dans les comparaistHâ ^
les jugements, il n'y a que des sensations, il n'y a aossi qos*
sensations dans la réflexion. » La réflexion qui réunit dan» ^
seule image les qualités séparées dans plusieurs preBd i^^
àHmagi nation. « Lorsqu'un jugement est renfermé dans an »at«i
on le peut prononcer comme une suite du premier, et c'est ceqû*
entend par faire un raisonnement. Ce n'est autre chose qa«P
noncer deux jugements. Il n'y a donc que des sensations da»**
raisonnements. » Ainsi toutes les facultés de Ventendeni^^
renfermées dans la faculté de sentir.
a En considérant nos sensations comme représentatiTâS, s^^
venons d'en voir sortir toutes les facultés de rentendemeni ^
nous les considérons comme agréables ou désagréables, s<wstf
verrons naître toutes les facultés qu'on rapporte A la volonté- ■**
XVIII* SIÈCLE — CONDILLAC 745
Condillac décrit \dk privation et le besoin^ puis le malaise et Vin-
quiétvde qui eu résultent. Vient ensuite le désir, qui n'est, selon
lui, que la direction de nos facultés vers Tobjet dont nous sommes
privés ; la j}a*«ém n'est qu'un désir tourné en habitude. S'il s'y
j6int le jugement que nous obtiendrons l'objet désiré, c'est Y espé-
rance ^ et, si nous jugeons qu'il n'y a pas d'obstacle, nous disons :
Je veux. On est dans l'usage d'entendre par volonté a une faculté
qui comprend toutes les habitudes qui naissent du besoin. »
« Enfin le mot pensée, plus général encore, comprend dans son
acception toutes les facultés de rentendement et toutes celles de
la volonté. Car, penser c'est sentir, donner son attention, compa-
rer, juger, réfléchir, imaginer, raisonner, désirer, avoir des .pas-
sions, espérer, craindre, etc.
4C Nous avons expliqué comment les facultés de l'âme naissent
successivement de la sensatioîi ; et on voit qu^elles ne sont que
la sensation, qui se transforme, pour devenir chacune d'elles. »
Telle est la doctrine de Condillac, nous l'avons prise dans sa
Logique, où il l'expose avec plus de brièveté, mais c'est celle
qu'il avait donnée dans le Traité des sensations. Nous ne pen-
sons pas qu'il soit nécessaire de la réfuter : on voit facilement que
Condillac confond les phénomènes où l'âme est active avec ceux où
l'âme est passive, et si l'on se rappelle notre analyse des facultés
de l'âme on comprendra facilement qu'une fois que l'on a confondu
l'attention et la sensation, on doit ramener à la sensation toutes
les autres opérations intellectuelles. La chose est moins facile pour
la volonté, mais celui qui ne voit pas Vacte qui distingue regarder
de voir, peut très-bien confondre le désir avec la sensation et la
volonté avec le désir.
Il ne faudrait pas conclure de ce qui précède que Condillac ait
été matérialiste; Au contraire, il redresse Locke qui avait dit :
« Nous ne pouvons pas savoir si Dieu ne pourrait ^pas donner la
pensée â la matière, » et il répond que, sans connaître la nature
de l'âme, il suffit de savoir que la pensée est une, pour conclure que
son 8(\jet doit être un. Bien plus, on a dit, avec quelque raison,
que le système de Condillac doit conduire à l'idéalisme ; car, si
tout est sensation, quel moyen avons-nous d'affirmer que l'objet
48
74G HISTOIRB DE hk PHILOSOPHIE
(le nos sensations est réel et existe au dehors de noos? £t,eflci$,
Diderot remarque que Berkeley prend ses principes chez CondiEi'-
297. Helvétius. — Claude Adrien Helvétius, né à Paris, a
1715, et mort dans la môme ville en 1771, se montre auFsi Mtï^
meut sensualiste que Condillac ; mais ce qui lui appartient dâ»»
philosophie, c'est sa théorie morale, quoique le fond <K* <»îtet^
rie appartienne A Epicure. L'ouvrage où il expose cette d«<r»
est intitulé: de V Esprit. Ce livre eut un immense succès à «•
apparition, mais il fut condamné par Tautorité, et HelTétios dst
s'exiler quelque temps en AngleteiTe. A son retour, il trouva »
nombreux antagonistes et il écrivit le Traité de rhomnie,Y^
défendre les principes qu'il avait émis dlabord. Voici ces prinf;p»;
Tout est sensation dans l'homme. ÎS'il est plus parfait qtfi»
animaux, ce n'est que par la délicatesse de ses organes. Lessen»*
tiens excitent les passions, et les passions sont Tunique pricci»
de nos actions. La liberté n'est qu'un mot vide de sens. L'honffl*
n'agit et ne peut agir que pour rechercher le plaisir et fuir la à»-
leur: l'intérêt personnel est toute sa loi. La vertu n'est qu'uB nos:
dont on décoixî les qualités utiles des choses ou de celui qui ^^
les rocherchor. L'amour filial, l'amour de la patrie, le dévouemest
quel qu'il soit, n'est qu'un calcul d'intérêt, un mode d'action àï
lequel on trouve son plaisir.
Toutefois celui-là seul est appelé vertueux, dont le plaisir i*^
sonnel concorde avec l'intérêt des autres. Celui-là est injaste qfi
ne voit pas cet accord et nuit aux autres en cherchant son pla*'-
Et encore cet accord, Helvétius ne le fait pas venir d'uue volontt
libre, mais d'une disposition des passions, et cette disposition vi«^
selon lui, de l'éducation.
Toutes les âmes sont égales et c'est l'éducation seule, c'est-à^ii^
le milieu dans lequel on se trouve et les habitudes queronypre»»
qui fait naître la diversité qui existe enti'e les hommes. Twit*
réduit à développer uniformément toutes les passions, sans qcs
l'une l'emporte sur l'autre.
Telle est la théorie morale qui découle logiquement du sensu»*
lisine, et encore on sent que l'autour fait des concessions ft l'«-^*r^
commun; car rien dans ses principes ne justifie le sacrifict' «1° "
exige de notre plaisir dans le but de favoriser l'intérêt d autrn:-
XVIII* SIÈCLE — ÉCOLE SBNSUAL18TE 747
298. D'Holbach. — Paul Thyri, baron d'Holbach, né a Hil-
desheim, en 1723, mort à Paris, le 21 Janvier 1789, est plus
remarquable comme ennemi de la religion, que comme philosophe.
Aprôs avoir rendu quelques services à Ja science et à l'industrie
par des traductions d'ouvrages allemands, il se fit Tamphytriou
des encyclopédistes. Diderot, d'Alembert, Marmontel, J.-J. Rous-
seau » et les autres se réunissaient chez lui et s'encourageaient
mutuellement à poursuivre l'œuvre commune que dirigeait Vol-
taire. Mais le baron d'Holbach ne se contentait pas de cette action
indirecte. Il écrivit pour sa part plus de vingt-cinq pamphlets anti-
chrétiens, sans compter les œuvres de plus longue haleine, telles
que le Christianisme dévoilé et le Système de la nature. Ces
deux ouvrages furent condamnés par le Parlement, ainsi que plu-
sieurs autres de moindre importance. On croit que c'est lui qui a
écrit le Bon sens du curé MesUer, ouvrage que quelques-uns
ont attribué à Voltaire.
Le premier de ces trois écrits est une impudente diatribe contre
le dogme et la morale du christianisme, que l'auteur s'efforce de
montrer comme faux, inutiles et nuisibles. Les deux autres profes-
sent l'athéisme le plus révoltant, et prétendent démontrer la faus-
seté de chacun des attributs de Dieu.
Enfin, dans le Système social^ d'Holbach essaye de tracer des
règles morales et politiques en dehors de toute religion.
Sa philosophie, si l'on peut ravaler jusque là le nom de cette
science, était toute matérialiste.
Cependant ses contemporains s'accordent à le réprésenter comme
un homme simple et bon, « faisant le bien sans espoir de récom-
pense. »
299. Lamettrie. — Julien Offroy de Lamettrie, né à St-Malo
en 1709, mort à Berlin, en 1751, fut aussi ennemi de la religion
que d'Holbach, quoiqu'il n'ait écrit aucune attaque directe contre
elle, mais plus matérialiste que lui. Il était médecin des gardes, et
s'étant aperçu pendant une njaladie qu'il fit, au siège do Fribourg,
que ses facultés morales s'affaiblissaient avec ses organes, il en
conclut que la pensée n'est qu'un produit de l'organisation. Il écri.
vit donc V Histoire nainrelle de Vâme, où il expose cette doctrine.
748 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
Son livre fut vivement blâmé et il perdit sa place. Il pnUii ^'1
contre les médecins la Politique du médecin de MachiarA^i
Tobligea à se réfugier à Lejde, pendant que son livre tuit kil
publiquement. Un autre livre, intitulé Y Homme machi^i^, eci
môme sort à Lejde et l'auteur dut quitter la Holland\ II» re-
dit en Prusse, où il devint familier avec Frédéric, il nk^rs.
Berlin, pendant qu'il sollicitait son retour en Finance, |ar Te*
mise de Voltaire.
300. Bonnet. — Charles Bonnet, né à Grénôve, en 17"2'\ a
mort dans la même ville en 1793, sans avoir quitté h S&t,
appartient à l'école sensualiste, par la théorie des idée5, naiâba
de participer à l'esprit irréligieux de son école, il se monirt péi
d'amour pour Dieu, dont il voit l'action en toutes choses. Co-
dant il est plutôt théiste que chrétien.
Le caractère propre de sa philosophie consiste d'abord â ^
séparer jamais Tâme du corps, et môme à vouloir étudier ïisè
dans le corps. Il n'admet pas la conscience et croit que nœsEt
connaissons Tâme que par les modifications qu'elle imprifl» ^
corps. Les idées ont leur principe dans les mouvements d€siixe
nerveuses. Il étudie longuement ces fibres et croit qu'il j en â e*
pour chaque variété de sensation. De plus, il croit expUq»? ^
mémoire par ce fait qu'une fibre déjà mue d'une certaine maBifit
reprend ce môme mouvement avec plus de facilité, à une secass
impression de l'objet, et c'est à cette mobilité que l'àme iwoa»^
une impression répétée, et la distingue de celle qui se prëea^
pour la première fois.
C'est la réflexion, c'est-à-dire Tapplication volontaire de 1'**
aux idées sensibles, qui produit les idées abstraites, etcdkwx
môme les plus spiritualisées, viennent des sens.
L'âme est une force active, et son activité s'exerce sur elle-nfes'
et sur le corps. Bonnet appelle liberté l'activité elle-mâstte *
volonté chacune des déterminations de cette activité. I*» ^cIû*'
est excitée par le plaisir et la douleur, par le jeu des fibres. Ai*
selon Bonnet, la volonté ne s'exerce que par la connaissance, ^c3
il suit que plus un homme a de connaissance plus il a de liberté-
Voilà ce que l'on trouve dans V Essai analytique sur lei f^^
XVir SIÈCLE — VOLTAIRE 749
tés de Vdme^ ouvrage qui* commence, comme, celui de Condillac,
par la supposition d'une statue vivante, dont Bonnet sépare ou
réunit les différents sens, pour étudier les idées qui dérivent de
chacun d'eux ou de plusieurs combinés.
Dan sa Palingënësie j^àilosophiqtiey Bonnet expose que l'âme
n'est jamais sans un corps et qu'à la mort elle reste unie à un corps
nouveau qui existait déjà, pendant la vie, renfermé dans le corps
calleux du cerveau. Il se développe alors de nouveaux organes
dans ce corps d'une nature très-subtile, et d'ailleurs, celui-ci garde
les tracefde ses impressions antérieures. L'homme commence cette
' nouvelle vie dans l'état intellectuel et moral où il se trouvait à la
fin do celle-ci, de manière qu'il y a toujours prçgrôs, sans solu-
tion de continuité.
Il admet une évolution semblable chez les animaux et croit que
Dieu n'a^créé d'abord que des animaux imparfaits, qui renfermaient
en germe les espèces plus parfaites et d'où celles-ci sont sorties
" après plusieurs séries da perfectionnements, séries qui correspondent
chronologiquement aux révolutions terrestres.
ga. 8E!fSDALlSll PRATIOni
301 . Voltaire. — Il n'est aucun nom dans l'histoire de la phi-
losophie et des lettres qui excite à la fois autant de mépris et
autant d'admiration que celui de Voltaire. On a dit que l'on pour-
rait extraire de ses ouvrages un livre de piété, en môme temps
qu'on y trouve les plus horribles blasphèmes contre Jésus-Christ.
Ajoutons que l'on peut en extraire aussi une théodicée parfaite-
ment orthodoxe, une défense de la liberté, une apologie de la raison,
un traité de la loi morale naturelle, et mille autres théories philo-
sophiques excellentes, à côté des sarcasmes contre Dieu et sa pro-
vidence, d'un sensualisme qui détruit la possibilité même de la
liberté, qui nie la raison, et la moralité, à côté d'un cynisme
impudent qui glorifie le crime et vilipende la vertu. M. Beraot,
dans sa Philosophie de Voltaire, sans être un ennemi du chris-
tianisme et tout en blâmant Voltaire de n'avoir pas respecté notre
religion et de n'avoir pas vu ce qu'elle renferme de vrai, essaye de
IteW
7W HISTOIRE DB Lil PHILOSOPHIE
le justifier de tous les autres reproches et s'efforce d>n hmf
promoteur de la raison, le défenseur de la justice^ l*apôtre ôê b
liberté. Sans doute, c'est là le masque dont Voltaire a coaTatt
tdche infâme qu^il s'était donnée, mais au nom de la raîsosa il i:^
qua tout ce qui est saint et raisonnable, et le triomphe de larai^
(lu'il prétendait poursuivre n'était que la ruine de TEgrlise eâ «
la religion chrétienne. Pour exécuter ce plan, il fallait ^ dm:^
les airs d'un philosophe de bon-sens, et c'est ce qu'il a fait ; si3
il fallait surtout mentir et se moquer, et il n*a pas failli ie^
double tâche.
François-Marie Arouet, qui ne prit que plus tard le am 'J
Voltaire, était fils d'un receveur de la chambre des comptes; se«
Châtenay, près de Paris, le 20 février 1694, il ne fut baptisé^*
le 22 novembre . Comme il faisait ses études au collège Lo«ïis->
Grand, sous la direction des jésuites, un de ses maîtres, -le pèa
Le Jay, lui prédit, à ce que nous apprend Condorcet, qu'U
le coryphée du déisme. L'abbé de Châteauneuf, son onde, Tm
duisit dans le monde, notamment chez Ninon de l'Enclos, «i <c
apprit à faire peu de cas de la religion. Emmené en HoUaiide,p>**
l'ambassadeur, il s'en fit renvoyer pour une intrigue amooreose. A
son retour, son père le chassa de la maison paternelle. 11 Afaâ
écrit jusque-là des pièces fugitives et il s'occupait déjèLdelaHm-
ri ade et an Siècle de Louis XIV, Accusé d'être l'aatear (Tu
pamphlet contre Louis XIV, il fut mis à la Baille. Il èen-
vait alors Œdipe et le poème de la Ligue, Le duc d'Orléans fe^î
mettre en liberté. La première représentation à'Œdipe^ qniesî
lieu en 1718 le réconcilia^ avec son père. Quelques années plus tard
(1724) il vit J.-J. Rousseau et se brouilla pour toigours arec lai
Il blessa par des paroles inconvenantes et par une satire le cber»*
lier de Rohan et le duc de Bourbon. Le premier le fit battre pv
ses valets et le second le fit mettre à la Bastille . En sortant, 3
fut exilé et passa en Angleterre, où il fréquenta sartont les /re^
thinkers (libres-penseurs), et il en rapporta cinq tragédies,' ^
Temple du ffodt, V Histoire de CharlesXIIet les Lettres anglaise
Comme ce dernier ouvrage attaquait le gouvernement français, a
arrot du Parlement le fit brûler par la main du bouireau, et Vol-
taire s'en alla en Prusse, où commencèrent ses relations»^
XVlll* SIÈCLE — VOLTAIRE 751
Frédéric II ; il revint bientôt de la Prusse ; mais il y retourna
plus tard chargé d'une naission qui réussit. En 1746, il parvint,
après plusieurs refus, à entrer dans l'Académie, en protestant do
son attachement à la religion. Mais bientôt, devenu odieux à tous,
il se retira à la cour du roi de Prusse. Il y acquit une grande
influence, qu'il conserva pendant quelque temps en méprisant les
Français; mais ayant écrit contre le savant Maupertuis, une
satire intitulée Akakia, il se brouilla avec le roi, qui fit brûler
son livre par la main du bourreau. Comme il fuyait la cour, le roi
le fit arrêter à Francfort, et on le retint pendant ti'ois mois, jusqu'à
ce qu'il rendit sa décoration et son brevet de pension. Il vint alors
en Savoie, habita quelque temps les Délices, prôs do Genève et
finit par se fixer àFerney. Pour apaiser l'animad version publique.
il se confessa et communia, en feignant d'ôtre malade. Il avait
déjà joué la même comédie en 1723.
Rentré à Paris en février 1778, il y fut accueilli triomphale-
ment, se fit recevoir franc-macon le 7 avril et mourut le 30 mai,
après avoir répondu au curé de St-Sulpice qui l'invitait à recon-
naître la divinité de Jésus-Christ : « Hélas! laissez-moi mourir
tranquillenjent. » On lui refusa la sépulture ecclésiastique, mais
l'abbé Mignot, son neveu, abbé commanditaire de Scelliêres, dans
le Jura, le fit enterrer dans son abbaye. En 1791, ses restes furent
transportés au Panthéon.
Seç ouvrages, sauf un petit nombre n'ont pas pour objet la phi-
losophie. C'est surtout dans ses lettres que Ton peut voir ce qu'il
en pense, malgré le double aspect que nous avons déjà signalé dans
ses doctrines. Il est facile déjuger, par l'acharnement qu'il y met,
que les lettres où il dit et répète : « Ecrasons l'infâme, » en par-
lant de la religion, sont celles qui expriment son véritable dessein
et que celles où il expose une philosophie appuyée sur le bon-sens
ne sont qu'une arme défensive et quelquefois môme indirectement
offensive.
On ne peut donc pas dire que Voltaire fût matérialiste, ni athée;
il était avant tout, et par-dessus tout, impie et ennemi déclaré du
christianisme. C'était le but unique et avoué de toute sa philoso-
phie, dans laquelle on trouve ça et la bien des théories exactes,
des pensées justes et nouvelles, de même qu'on trouve dans sa vie
752 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
quelques actes de bienfaisance pour pallier les ingratiUidei bb-
tuelles de son mauvais cœur. Et encore il ne serait pas impos&i^
de démontrer que toutes les réhabilitations auxquelles il tnnili
pendant de longues années avaient un tout autre but qnel&^a-
faisance, et qu'il s'agissait surtout de trouver en défaut les ji?-
ments rendus au nom de la religion, ou par un gouvenieiiMBi^
les lois étaient basées sur le christianisme.
302. Nous ne pouvons que nommer ici, à la suite de leor cfcfl.
les encyclopédistes, qui ne virent dans la philosophie qu'an mom
de combattre ce que leur école appelait « la snperstitioo a ^
tyrannie » c'est-à-dire, la religion et le pouvoir.
Diderot, né à Langres en 1712, mort en 1784, était on i^^
universel ; il commença TEncyclopédie avec d'Alembertetrachen
seul. Il se montrait nettement matérialiste et athée, et mèae i
enseignait ces doctrines avec une sorte d'enthousiasme.
D'Alembert, né à Paris en 1717, mort en 1783, était m m»^
maticien de premier ordre, émule d'Euler et supérieur &LagTUê^
Il a laissé des travaux nombreux et profonds sur la idKcanfçae:
mais son style fait qu'on ne le lit plus. Il travailla avec Diders^^
Y Encyclopédie, mais il abandonna cet ouvrage avant qu'il ^ "^
achevé. Il en écrivit surtout le Discours prélhninaire, Qoi ««
une classification des sciences d'après Bacon . Il est sensiali^
mais il distingue essentiellement l'esprit de la matière.
Saint-Lambert, né en 1716, près de Nancy, mort en 1W3» ^
l'auteur du poème des Saiso77s . Il se crut philosophe et écriîH »
Cathéchisme philosophique à l'usage desenfants. C'est un éfiOf»*
et ennuyeux recueil de disertations matérialistes et athées, ^^
mêlées de dialogues immoraux et d'anecdotes licencieuses. ^^
dans cet ouvrage qu'il définit l'homme, a Une masse organisée el
sensible, qui reçoit de tout ce qui l'environne et de ses besoiflc»
esprit dont il est si fier. » Il ne prêche d'ailleurs que les pW*^
des sens, nie la vie future et indique le suicide comme suprto'
consolation. Heureusement les enfants auxquels ce livre est des-
tiné en l'ont jamais lu et ne le liront jamais.
^ XVlir SIÈCLE — CLARKB 753
S 8. THI0RII8 AMINilS PAR L'IGOLK glKSDALISTE
303. Clarke. — Samuel Clarke, né à Norwicb, en 1675, mort
en 1729, est avant tout un théologien anglican, mais il faut le
remarquer aussi comme philosophe, parce que toute sa vie il com-
battit les conclusions matérialistes de Técole de Locke. Il défendit
la spiritualité, la liberté et l'immortalité de Tàme. Il attaqua
l'athéisme de Hobbes et le panthéisme de Spinoza. C'est dans ce
doable but qu'il publia sa Démonstration de l'existence et des
attributs de Dieu, et son Discours sur les devoirs immuables
de la reli ci on naturelle , Il n ^appartient à aucune école et ses
arguments n*ont rien de bien nouveau. Il se montre partisan de la
preuve a priori, par l'idée de l'être nécessaire, mais en réalité
Tensemble de son argument est a posteriori, i^rnsque le fond en est
ainsi conçu : 1^ Quelque chose a existé de toute éternité, puisque
quelque chose existe acgourd'hui; 8® Un ôtrô indépendant et
immuable a existé de toute éternité, car le monde n'a pas en soi la
raison de son existence ; 3^ Cet être indépendant, immuable et
étemel existe par lui-môme, car il ne peut être sorti du néants ni
avoir été produit par aucune autre cause.
Le seul argument qui lui soit propre est malheureusement une
erreur, et c'est cet argument qui fait toute Toriginalité de sa phi-
losophie. Clarke l'avait emprunté à Newton ; le voici : Nous con-
cevons nécessairement un espace sans bornes et une durée sans
limites. Or la durée et l'espace ne sont pas des substances ; ce sont
des propriétés qui ne sauraient exister sans un sujet. Il existe donc
un être réel, sans limites comme Tespace, infini en durée comme
le temps, dont l'espace et le temps ne sont que les attributs . Cet
être, qui est le substratum de Tespace et du temps, c'est Dieu.
Leibnitz combattit cette erreur, mais Clarke ne fit que s'attacher
davantage à sa théorie. Nous ne prendrons pas la peine de la réf u->
ter: nous avons suffisamment montré ailleurs que l'espace et le
temps ne sont pas réellement infinis et que dans cette abstraction
où nous les vojons indéfinis, ils ne sont autre chose que la possibi-
lité de faire durer des êtres et de placer des corps. Ce ne sont pas
lât des attributs de Dieu, que nous concevons nécessairement comme
simple, sans étendue et sans durée.
754 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
IDfiLlSIK
304. Berkeley. — Georges Berkeley, aaqazt à Kilkm, a
Irlande, devint évéque de Cloyne, et mourut à Oxford, ea IT33,
Berkeley se rattache à Clarke en ce sens que comnie lui il tom^x
le matérialisme qui résultait de l'école de Locke ; il se rauadi? i
Hume, dont nous allons parler, en ce que^ pour mieux éu-lir
Texistence des esprits, il a cru devoir nier la réalité objective u#
perceptions sensibles, refuser la causalité efficiente à. tout oljc.
physique et réserver pour les esprits seuls cette causalité, soeli-
nant que dans les phénomènes corporels il y a succession coostaiM,
mais non causalité constatée. David Hume n'a eu qa*à faire â
pas de plus pour nier toute causalité et nier ainsi les esprits ass
bien que les corps. Par là aussi Berkeley se rattache à Téole
empirique anglaise et au positivisiûe français, qui, depais les tn-
vaux de John Stuart Mill sur Berkeley, commenceat à recounaitre
celui-ci comme leur chef.
Les principaux ouvrages de Berkeley sont la Théorie de U
vision et le Traité sur les principes de la connaissance hu-
maine. Il a écrit aussi plusieurs dialogues.
Si la doctrine de ces ouvrages ne paraît pas la môme au preoii^
abord, on peut reconnaître en l'approfondissant qu'elle se résaaa
dans les trois théories suivantes, avec un enchaînement qui moatre
que Berkeley avait élaboré tout son système avant de rien éeriJ^.
V Dans les perceptions acquises de la vue, Pextôriorité, la dis-
tance et la grandeur, que nous affirmons des objets, . ne sont pas
des perceptions directes du sens de la vue, mais des jngemeat»
rapidement obtenus par l'interprétation des signes natui^ls, eteett»
interprétation ne vient ni de Tinstinct, ni de la raison, maû de
l'expérience.
2^ Les notions générales conçues comme idées abstraites, ne sont
rien autre chose que des idées concrètes d'objets individnels, daai
lesquelles nous laissons dans l'ombre toutes les conditions parti-
culières .
S^ L'extériorité des objets de nos peroeptions ne consiste pas sa
XVIII' SIÈCLE — HUME 755
un substrat de qualités sensibles, quelque chose qui, sans ôtre une
sensation, nous donne nos sensations; rextérioritô consiste en ce
que nos sensations se présentent en groupes unis par une loi per-
manente^ indépendamment de nos volontés.
La conclusion de tout cela est que la matière n'existe pas, et
que les idées que nous avons des phénomènes sensibles ne sauraient
nous venir que d'un esprit qui les produit en nous selon certaines
lois d'association. Que ces idées n'étant pas toujours actuelles en
nous, ne subsistent donc pas en nous, et cependant ne doivent pas
cîesser d'être quelque part, sans quoi elles ne pourraient pas reve-
nir. Il faut donc qu'elles subsistent dans un esprit qui les possède
toujours, qui en est le lieu indispensable, et qui les cause en nous.
Cet esprit c'est Dieu. — C'est par cet argument que Berkeley
croyait démontrer l'existence de Dieu et ruiner à tout jamais le
onatérialisme et l'athéisme . Il ne fit qu'amener le scepUcisme et
3on homologue le positivisme.
8GIPTIG18MI
305. Hume. — David Hume naquit à Edimbourg en I71I. Il
^int en France de bonne heure, mais trop pauvre pour vivre à
Paris, il se fixa dans les environs de Reims et de la Flèche. Ses
premiers ouvrages. Traité de la nature humaine et Essais de
nor aie et de poli tique y n'eurent aucun succès. Il les publia en
Angleterre, quelques années plus tard, avec ses Essais sur l'en-
endement humain^ xadÀs sans autre résultat. Sa réputation com-
aença avec la publication de ses Recherches sur les principes de
noralCf et ne fit que s'accroître par ï Histoire des révolutions
l'Angleterre, Il mourut à Edimbourg en 1776.
Hume dérive de Locke, en ce qu'il n'admet aucune idée de rai-
*
on, et fait tout dériver de l'expérience du sens ; il continue et
éveloppe Berkeley en ce qu'il porte contre l'esprit, contre le moi^
% négation que celui-ci faisait tomber sur la matière. On pour-
ait dire aussi qu'il dérive de Pyrrhon, d'Arcésilas, de Sextus
împiricus, et de tous les sceptiques anciens, car il appepte^pres-
ue les mômes arguments et arrive aux mômes conclusions ; mais
756 HISTOIRE DR LA PHILOSOPHIE
il ne paraît pas s'être beaucoup appuyé sur eax, ni peat^trebin
rendu compte de leur doctrine. Enfin, en morale, il dérire de Hat
cheson dont nous allons parler, en ce qu'il fait du bien l'objet (fis
sentiment et non d'une idée.
Hume a conscience de son scepticisme et il le donne conusfl îi
science certaine . Tandis que la philosophie dogmatique préui^
connaître ce que les choses sont en elles-mômes, la scieaoB qa:
propose Hume, et qui est le scepticisme, ne prétend saToir qae«
que les choses sont pour nous et en nous. Et cette science pn»-
ment subjective, non seulement il la croit certaine, mais il pîé-
tend Tappujep sur ce que « nous ne saurions la sou pçonoer d'être
chimérique, sans tomber dans un scepticisme qui détoiinit e
même temps toute spéculation et toute morale. » Et comme oai
fixé les lois des révolutions planétaires on doit pouvoir fixerleskê
de notre intelligence. Il se montré donc le précurseur de Kant.
Or voici, selon lui les lois de l'intelligence : Les états de con-
science sont de deux sortes : 1° les impressions ou peroeptioos l^
tuelles ; 2® les idées, qui ne sont que des impressions plus faille*-
C'est là comme l'étoffe dont l'âme fait l'assortiment et le méha^
Ces états de conscience se relient par les lois de Vassociaiion d«
idées f lesquelles sont fondées sur un triple rapport: 1° Ja ressem-
blance; 2° la contiguïté de temps et de lieu ; 3^ la successif
constante, qu'il appelle aussi succession nécessaire : c^est ce qo^
nous appelons le rapport de causalité. Il avait d'abord admis a«si
le contraste, qu'il rejeta plus tard, comme n'étant que la resseai-
blance.
Hume n'admettant pas d'autres principes de nos pensées aepfio»
rien dire de la substance. En effet, avec ces données il peutai>
mer les perceptions actuelles et la succession habituelle àe ncs
idées, succession d'après laquelle telle perception suit toi^ours »
môme nécessairement telle autre perception, comme la percepiioa
de lumière suit celle du soleil ; mais ce n'est là pour lai qn ^^^
succession nécessaire, fondée sur une loi de notre intellig^^^» '^'^
une habitude, et de laquelle on ne saurait inférer que l'un swt "
cause et l'autre l'effet. Car, dit-il, les sens ne nous donneflt nea
de la cause ni de l'effet, mais seulement l'expérience de leur *fl^-
cession constante, et la raison ne pouvant conclure que de Ti'
XVIll* SIÈCLE — HUME 757
que & ridentique, sortirait d'elle-même, si elle concluait de Teffet
h la cause, puisque la cause et TefTet ne ne sont pas identiques .
Donc nous ne saurions affirmer la substance, sinon comme une
simple association de phénomènes, et ici, ce que Berkeley n'avait
dit que de la matière, Hume le dit du moi.
Ainsi, pour Hume, TAme, le moi, est « un faisceau, une collec-
tion de différentes perceptions, qui se succèdent Tune à Tautre
avec une rapidité incroyable. )) Et il s'efforce de démontrer par
l'expérience que nous ne percevons pas plus notre propre causa-
lité que celle des corps extérieurs, sous le très-faux prétexte que
nous ne percevons pas la nature de Tiiifluence de notre âme sur
nos membres. Reste à conclure que tout ce qu'il y a de permanent
sous la mobilité perpétuelle de nos impressions et de nos idées,
c'est la nécessité ou nous sommes de conduire nos pensées de tel
objet à tel autre. Et cette nécessité, cette contrainte intérieure
n'est autre chose que l'habitude , qui « donne à Tesprit une faci-
lité à accomplir quelque action ou à concevoir quelque objet, et en
second lieu lui imprime une tendance ou une inclination & le
faire. » L'induction par laquelle nous attendons les mômes effets
après les mômes causes, n'est qu'un fait de l'habitude produite
par la répétition des mômes successions de phénomènes.
De tout cela Hume conclut, à tort, que toute notre science des
choses n'est qu'une probabilité, une croyance. Ce ne serait pas
môme cela, si ses théories étaient vraies. Car si rien ne nous donne
l'idée de cause, d'où pourrions nous prendre que nos impressions
ont pour cause, môme probablement, les choses réelles.
Enfin, comme il se rejette sur la croyance^ après avoir détruit
tout principe de connaissance objective, il se rejette sur le sens
morale qu'il emprunte à Hutcheson, pour trouver une philosophie
pratique après en avoir sapé toutes les bases. En effet, il a nié la
réalité du moi, la réalité du monde, et pour les mômes raisons
la réalité de Dieu, et il dit ensuite : « La morale n'est pas
l'objet de Tentendement, mais du sentiment ; le bien est senti
comme le beau : le bien est le beau moral ; il y a un sens un ins-
tinct moral. » Et cet instinct moral, corollaire de l'habitude qui
nous fait associer les idées, détermine aussi la succession de nos
Bictions. sans que la liberté intervienne.
758 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
lORiLI DC SINTIIINT
306. Hufcheson. — François Hutcbeson, né dans le juxia
rirlande, en 1694, après avoir étudié à Glascow, en Ecosse, osm
une école à Dublin, et devint, à l'âge de 35 ans, professeorirsfr
versité de Glascow, où il mourut en 1747. Il fut le précurseï' *
TEcole écossaise, qui ne se dessina bien qu'avec Reid, mus il «
distingue surtout par sa morale sentimentaliste, dans laqaeSf il
continue Cumberland et précède Adam Smith .
Il a écrit en latin, un Abrégé de logique^ une Métaphi/uff,
un Abrégé de philosophie morale^ et en anglais trois m*J?
ouvrages sur sa théorie morale, dont le priiTcipal est ; St/stèw^
philosophie morale.
Sa logique est celle de l'Ecole, ainsi que sa métaphj?iqB« ; «
psychologie est celle de Locke ; mais sa morale s'en distingnfis*
il la fait dériver d'une faculté dont il n'a pas parlé dans soa ao*-
Ijse des facultés de l'âme. Cette faculté nouvelle c'est le fc*
'inoral,
a Je désigné, dit-il, par le nom àesens interne^ la faculW q^
nous avons d'apercevoir le beau, l'ordre, l'harmonie, etparfcfl*^
de sens moral, cette détermination à approuver les affectionSi »
actions, ou les caractères des êtres raisonnableb qu'on oi^^
vertueux . »
Le sens moral, aussi bien que le sens tnierfie dont parie Hcf-
cheson, est inné ou instinctif, et universel. Et il s'appuie sur ces
conditions pour dire que le sens moral, est la loi morale quisetn-
duit parla bienveillance naturelle que nous éprouvons les onspoet
les autres. Sa théorie politique, qu'il essaye de fonder sur sâi^^
rie morale, est exactement celle de Cicéron;maisil serapproche»
Rousseau, en niant l'origine divine du pouvoir et en le ^^
venir du peuple avec les limites que suppose cette dernière ongio^-
Nous ne dirons qu'un mot de Home, qui continue les théories
Hutcboson, et de Ferogson, qui adme*; & la fois le principe ffl^^'
de Hol)bes et d'Helvétius, l'intérêt ; celui de Cumberland et ^
XVII* SIÈCLE — ADAM SMITH 759
Hutcheson, la bienveillance; et y, ajoute le perfectionnement de
soi-même. Il formule ainsi toute la morale dans ces trois lois :
1*» la loi de conservation personnelle ; 2° la loi de société ; 3<* la loi
de progrès,
«
307 Adam Smith. — Adam Smith, né à Kirkaldj, en Ecosse,
l'an 1723, fut professeur à l'Université de Glascow, et mourut en
1790. Il se rattache à l'école de la morale du sentiment, par sa
Théorie des Sentiments moraux^ et il est compté parmi les écor
nomistes les pins distingués, par ses Recherches sur la nature et
les causes de la richesse des nations. Il fut aussi, par son ensei-
gnement oral, un des chefs de l'Ëcole écossaise ; mais il ne publia
rien sur ces questions et brûla presque tous ses papiers avant de
mourir .
Suivant de près son maître Hutcheson, il fonde la morale sur la
sf/mpathiCy ce penchant irrésistible qui nous fait partager les
joies et les peines d'autrui. Il analyse ce sentiment, eu recherche
minutieusement les applications, et croit démontrer que tous les
actes louables ont pour principe cette tendance naturelle. Il s'ef-
force d'établir d'abord que les jugements moraux que nous portons
sur les actions des autres précèdent ceux que nous portons sur
nous-mêmes, et croit que c'est de la vue des actions d'autruL et
du sentiment qu'elles nous inspirent que nous tirons la notion du
bien et du mal.
Bien plus, pour apprécier la moralité de nos actes, nous avons
besoin de nous supposer spectateura. Dès lors nous appelons hon-
nêtes les actions qui attirent notre sympathie et déshon notes, celles
qui nous sont antipathiques. La raison n'a pas autre chose à faire
que de recueillir les cas particuliers et de les généraliser pour for-
muler des lois morales, que nous confions ensuite à la mémoire,
pour servir de règle à nos jugements moraux.
De cette môme sympathie et de la reconnaissance naturelle
qu'éprouve la personne obligée envers la personne qui l'oblige,
Adam Smith tire la notion du mérite et du démérite. De îà aussi
l'origine du remords, et de la joie d'une bonne section accomplie.
Cependant il fait plus de cas de l'appréciation de notre conscience
personnelle, pour nos propres actes, que de toutes les apprécia*-
760 HISTOIRE DE LA PHIL080PHIS
lions d'au irai, pourvu que nous les examinions en speelstic»
partial et éclairé. La conscience alors lui représente I1iuiu^<
Dieu lui-môme.
Toute cette théorie morale du sentiment, quelque nonç» ■
donne à ce dernier, pèche par la base. Elle prcftd l'effet ^ *
cause. En effet, ce sentiment, s'il existe, doit avoir un pnsà
supérieur, et la sympathie que nous éprouvons pour nue t-aa
bonne ne peut venir que de ce que, préalablement, nos? h^
jugée bonne. Il faut donc chercher ailleurs l'idée du bienetdiia
La théorie économique d'Adam Smith est longuement M f^
fondement traitée, dans les Recherches^ dont nous avons pf^
Adam Smith y traite l'origine de la richesse, la nature du a?^
et sa véritable source qui est le travail, les théories préw-i^
d'économie politique et enfin les revenus de l'Etat. Le pHi *
choses vient tout entier du plus ou moins de travail qu'elles ei:?*
pour se iea procurer ; donc la vraie source de la richesse û<§^?
dans le sol, mais dans le travail. De plus le droit deprop»^
repose essentiellement sur le trayail personnel. Enfin letrATai.ff
encore le plus sûr moyen d'améliuration morale de l'homn».
Après avoir longuement étudié ces propositions, en les appoP*
de mille exemples, Adam Smith cherche les moyens d'amaî**
le travail et les trouve dans cette double loi : division et liberté'-
travail. Il profite de cette loi pour soutenir et louer peut-^*^
mesure, la constitution anglaise basée sur le self-gover^^^^^'
dans lequel le rôle de l'Etat est presque effacé. On peat Inlwp
cher plus encore de s'être trop attaché â cette tendance v»i0^
anglaise, que nous appelons le côté pratique^ qui cortfww
rechercher en toutes choses que l'utile.
S s. LIS ÉC0N0II8TIS
308. Quetnay. — François Quesnay né à Mercy {ktQOO^
dans le département de Seine et Oise), en 1694, mortàlW
1774, est le fondateur de l'école des économistes.
Contrairement à Adam Smith, que nous venons de voir,
qui vint après lui, il pensait que l'unique sonrce dericbess*
XVllI* SIÈCLB — MONTESQUIEU 761
le travail agricole, qui donne d*abord la nourriture et l'entretien
de Touvrier et ensuite un excédant qu'il appelait produit fiet. Le
traTail industriel était déclaré improductif. D'où il concluait que
seul le produit net doit supporter Timpôt, mais aussi que le pro-
priétaire foncier doit seul prendre part aux affaires, et assurer
d'ailleurs à l'industriel la liberté du travail. C'est de ce principe
incomplet que sortirent d'abord la ruine des maîtrises et des juran-
des et ensuite la concurrence. Il était d'ailleurs partisan de la
monarchie absolue, qu'il regardait comme un gouvernement pater-
nel^ tandis qu'il ne vojait que licence et désordre dans les démo-
craties.
309. Montesqaieu. — Charles de Secondât; baron de la Brode
et de Montesquieu, naquit au chAteau de la Brôde^ prés de Bor-
deaux en IÔ89. Il était président à mortier & Bordeaux^ lorsqu'il
ût paraître sans nom d'auteur les Lettres persanes, qui commen-
cèrent sa gloire littéraire, le firent entrer à l'Académie et furent
cependant le seul motif pour lequel le cardinal de 'Fleurj. s'opposa
d'abord à sa' présentation. Ayant résigné sa charge il visita
rAllemagne, l'Italie, la Suisse, la Hollande et l'Angleterre. Après
son "retour, il publia les Considérations sur les causes de la
grandeur et de la décadence des Romains^ et quatorze ans plus
tard, en 1748, V Esprit des lois^ auquel il avait travaillé vingt
ans. Il mourut en 1755. Il avait publié plusieurs autres ouvrages
dont les uns se rapportent à ceux que nous avons nommés, et les
autres son purement littéraires.
V Esprit des lois est divisé en 31 livres, dont chacun renferme
de 3 & 4& chapitres, quelquefois très-courts. Montesquieu j traite
d'abord des lois en général, puis des lois dans leur rapport avec les
principes du gouvernement, avec la force ofifensive et défensive,
avec la liberié politique et civile, avec la nature du climat et
même du terrain, avec les mœurs du peuple, avec le commerce,
avec l'usage de la monnaie, avec le nombre des habitants, avec la
religion établie, avec la nature de leurs objets, et enfin des chan-
gements que les lois ont subis en France.
Il est impossible de donner l'analyse des innombrables questions
traitées dans cet ouvrage et de la manière plus ou moins exacte
dont elles sont résolues. On y remarque un grand esprit d'égalité
49
762
HISTOIRE DE LÀ PHILOSOPHIE
et de liberté pour tons ; mais bien des fois cet esprit d'indépendance
est poussé trop loin, etTouTrage se ressent de Fesprît qui régnait
en France au moment où il fut écrit, quoique Montesquieu n'ait
jamais été Tami des encyclopédistes. Quelques autres exagérations
viennent des idées mêmes de Tauteur.
* Par exemple voici une pensée à laquelle il tient tr^p exclusive-
ment ; « Les lois doivent être tellement propres au peuple pour
lequel elles sont faites, que c'est un très-grand hasard si celles
d'une nation peuvent convenir à une autre. » Saisi de cette pen-
sée il va jusquà dire : a II semble, humainement parlant, que ce
soit le climat qui a prescrit des bornes à la religion chrétienne et
à la religion mahométane. » Disons cependant que Montesquieu
défend très-souvent la religion catholique, quoiqu'il ait contre elle
des phrases assez malheureuses, et que l'on puisse juger par ses
paroles qu'il estimait que toutes les religions sont bonnes, pomvn
qu'eUes conviennent au climat et aux mœurs du pajs.
Une doctrine qui est propre à Montesquieu, c'est que le prin-
cipe, c'est-à-dire l'agent moteur du gouvernement républicain, c'est
la vertu, tandis que Vhonneur est \e principe de |la monarchie ; il
veut donc que les lois d'une monarchie aient pour mobile rhonuenr
et celles d'une république, la vertu, qu'il a soin d'expliquer dans
le sens de vertu politique.
En économie politique il a à peu près les mômeUdées qu'Adam
Smith, sur l'importance du travail.
En résumé, V Esprit des lois, est un livre plein d'observations
précieuses, mais qu'il faut lire avec circonspection ; il a puissam-
ment contribué à l'introduction de la nouvelle constitution de la
France et de la législation moderne. Or il y a eu dans cette réforme
beaucoup de bien à côté de beaucoup de mal.
310 Hably. — Gabriel Bonnet de Mablj, frère atné de Con-
dillac, et ecclésiastique comme lui, mais sans aller au-delà dusous-
diaconat, naquit à Grenoble en 1709. D'abord partisan du pouvoir
absolu, tant qu'il fut l'aide et le conseil du ministre cardinal de
Fleury, il devint démocrate quand il se fut brouillé avec son pro-
tecteur.
Dès ce moment, non seulement il se nourrit des historiens
XVIII' SIÈCLE — J.-J. ROUSSEAU 763
et latins, mais encore il voyagea en Grèce et en Italie, poar aller
paiscr à sa source l'esprit républicain. C'est de là qu'il apporta les
mots^ devenus depuis si magiques, de patrie, deciûot/eriy de sott-
veraineté du peuple. Mais il croit devoir fonder le bonheur du
peuple sur le mépris des richesses ; et dès lors il réprouve non
seulement le luxe, mais encore le commerce, l'industrie et les arts,
et veut rendre les citoyens égaux dans la pauvreté, et dans l'igno-
rance, unie à Tabsence de sentiments. 11 repousse l'instruction
développée comme une source d'inégalHé, et pour la môme raison
il ne veut pas d'autre sentiment que celui du besoin. En consé-
quence il veut abolir la propriété personnelle. Pour accomplir ce
programme, il trouve et propose la communauté. Toutes ces doc-
trines se manifestèrent dans le Droit public de VEurope, et dans
plusieurs autres ouvrages de politique et d'histoire qu'il publia
dans la suite. Il ne prévoyait pas la révolution mais il appelait de
tous ses vœux le ce renversement de la vieille machine. » Il mou-
rat en 1785.
311. J.-J. Rousseau. — Né à Genève, en 1712, d'un pauvre
artisan, Jean-Jacques Rousseau perdit sa mèie en naissant et fut
bientôt privé de son père . D'abord protestant, il se convertit en
apparence au catholicisme, pour trouver une ressource contre sa
misère. 11 fut tour-à-tour, apprenti, valet de chambre, sémina-
riste, truchement d'un moine quêteur, employé au cadastre, pro-
fesseur de musique^ précepteur, secrétaire d'ambassade, composi-
teur musicien, puis commis de caisse et enfin écrivain philosophe.
Doué d'un esprit droit, mais guidé par le seul sentiment et livré
de bonne heure aux passions sensuelles, il offre dans ses opinions
le contraste qui existait dans son âme. Sentant dans son cœur la
honte de sa misère, les remords de ses fautes et de certaines
actions indignes, comme d'avoir exposé ses enfants à Thospice,
etd*un autre côté apercevant dans sa raison Tidée du beau, et
dans son cœur Tamour du bien, il prit en haine la société, qu'il
regardait comme la cause de ses malheurs et se mit & rêver une
réforme.
Mais il faut faire deux parts dans sa philosophie. Les théories
spéculatives sont généralement belles et nobles. Il attaque le
764 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
matérialisme et l'athéisme et yamôme jusqu'à se preadrec:
vrai enthousiasme pour TEvangile. Mais quand de la spéc&lii'
il passe à la pratique et qu'il traite la morale et la pulit^:-
tombe dans les doctrines les plus avilissantes pourlaaatareUut
et ne voit plus qu'un monde dans lequel I)ieu n'est pour ria.
Selon lui, les hommes vivaient d'abord sépai*és, sans riacan i*
de famille ni d'amitié, mais en paix les uns avec les autre?. i3
qu'après de nombreuses générations, un « contrat social » 122
vint, qui fut l'origine des lois, de la propriété, de rin^galitérf^
la guerre. Aussi le progrés qu'il rêve n'est pas un progrès ^^^
lectuel et moral ; il en exclut les lettres, les arts, les sdeae»'
même l'industrie, et ne cherche qu'une répartition égale <k? '*a
et une vie plus libre et plus simple, imposée par le» lo:«. l^
serait le maître absolu, le dépositaire de toutes les vd(aA '
propriétaire de tous les biens, qu'il cédei*ait cependant *
citoyens, légitimant ainsi leur propriété et changeant en ^
ce qui n'était auparavant qu'une usurpation. La soareraisô*'-
peiiple est indivisible, inaliénable et infaillible, parcequA^
la volonté générale. En sorte que rêvant l'égalité et la liberté. >
ne propose que le despotisme et l'esclavage, puisque son pw^
législatif n'a aucun contrepoids, et de plus il ne peatobtc-
aucune stabilité, car, la souveraineté du peuple étant inaliéo*
Rousseau déclare formellement que les lois formulée» p»^*
représentants ou commis^ n'ont aucune valeur sans la ratifieàî^
du peuple, et que de plus le peuple peut rompre quand il^*^^
pacte qu'il a conclu.
Ici il dit que le législateur doit avoir la force de transforiDtf ^
nature humaine ; ailleurs il veut que les lois respectent les ^
du pays, et plus loin il dit que j}eut-étre l'esclavage est néee^''
pour donner plus de loisir aux hommes libres afin de leur ^"^
tre de maintenir leur liberté. Tantôt il déclame contre la ^^
chie, tantôt il affirme que la démocratie est impossible pooî *
hommes et que des dieux seuls pourraient se gouverner ainsi, fî"^
tout en proclamant la liberté absolue de la conscience en m»^
de religion, il crée une religion déiste et veut que la ^v&W^^
soit obligatoire sous peine de mort.
Ajoutons que Rousseau nous trace dansson j&mt7f,lepla'i'^^
XVIII* SIÈCLE — LES ÉCONOMISTES 765
éducation gelon la nature, avant tout négative, et sans Dieu jus-
qu'à vingt ans, comme le vrai idéal de Téducation. C'est bien le
corollaire obliçé de son Contrat social.
Les principaux ouvrages de Rousseau sont : Discours sur Vori'
gine et les fondements de V inégalité parmi les hommes ; Dis-
cours sur l'économie politique ; Emile, otc de Véducation ;
I^rofession de foi du vicaire savoyard ; Contrat social.
Il mourut en 1778.
312 . Price. — Richard Price, plus remarquable en ce qu'il
défendit les droits de la raison et les notions a priori , contre Locke
et contre Hutcheson, est aussi compté parmi les politiques écono-
mistes de cette époque. Né en Angleterre, en 1723^ il mourut
en 1791.
313. Prîcstley. — Joseph Priestley est aussi un partisan des
idées nouvelles, mais il fut surtout théologien calviniste, adver-
saire de Reid, et matérialiste déclaré. Né en 1733, il mourut
en 1804.
314. Turgot. — x\nne Robert, Jacques Turgot, connu comme
ministre des finances de Louis XVI, fut aussi un philosophe digne
d'attention. Né à Paris en 1727, il mourut en 1781. Il appartient
à l'École des économistes et peut être considéré comme Tun des
fondateurs de la science de l'économie. Il partageait les idées de
Quesnay sur le travail agricole, mais il accordait plus d'importance
que lui à l'industrie. Il fut aussi partisan de toutes les libertés et
il écrivit dans V Encyclopédie des articles assez remarquables,
entre autres l'article Existence, où, partant des principes de Locke,
il constate le moi, et fait sortir de l'idée du moi celle de la réalité
des objets extérieurs. L'espace nous manque pour analyser ici
son projet de constitution, qui s'il eut été adopté aurait amené en
France toutes les réformes nécessaires, sans les ruines et les hon-
tes qui les ont accompagnées par la Révolution.
315. Condorcot. — Marie Jean Antoine Nicolas Caritat,
marquis de Condorcet, naquit en 1743 h Ribemont, en Picardie,
et mourut en 1794, dans un cachot de Bourg-la-Reine où
l'avait jeté la Convention. 11 était très habile mathématicien et
766 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
appartenait aux encyclopédistes aussi bien qu^aai écoosa»'
Comme ses amis il écrivait contre la a superstition et ktjnissi:
C*ebt là surtout ce qu'il attaque dans son Esquisse dtun iéès,^
historique du progrès de V esprit humain^ en môme temps '^'.
y enseigne la perfectibilité indéfinie, en développant les iffe?è
Price, de Priestlej et de Turgot, et en supposant que rbumâiûïci
commencé par l'état sauvage et ne s'est élevée que gradodkaes
et lentement à la vie sociale.
«
S 6- -SCOLI iCOSSÀlSI
316. Reid. — Thomas Reid, né en 1710 à Stncèss^i
Ecosse, était fils d'un ministre presbytérien, et fut destiaé »
mômes fonctions, Après avoir étudié à l'Université d'Abente
où il eut pour maître le professeur Georges Tumbull, donlksidéa
offrent les tendances de l'Ecole écossaise, il f ut bibliothécaireF P*
pasteur d'une petite paroisse, plus tard professeur à Aberdeen,»
il publia les Recherches sur l'entendement humain, et eaflii
l'université de Glascow, où il succéda à Adam Smith, to*
chaire de philosophie, et publia les Essais sur les facultés /«*•
lectuelleSf et les Essazs sur les facultés actives. Il mourut en 11»
Après avoir, comme il l'avoua lui-môme, embrassé Yidêê^
de Berkeley, Reid en aperçut le défaut dans le scepticifloftê*
Hume qui n'en est que le développement, et ne pouvant se d^
à douter de tout, il commença à ne plus vouloir douter ^ ^
matière, puis s'étant aperçu que toute cette théorie reposait ^'
celle des idées représentatives, il commença à se demandera*
principe avait quelque évidence, s'il était bien certain qne»^
esprit ne voit les choses que dans ses propres idées qui en «o*
les images, et après avoir cherché pendant quarante anfllé^^^"®*
de ce principe, il vit bien que son seul point d'appui était l'eproi*
des philosophes. Bien plus cette hypothèse de l'idée intennédiai»
entre les corps et notre intelligence n'explique rien, et u'aw»*
raison d'être. Distincte de l'arae et des objets, cette idée doit ê^
une substance, elle est donc matière, ou esprit, ou 1^ ^^'^ .
fois. Matière, quelle union peut elle avoir avec notre âme?^"'
• XVIir SIÈCLE — RBID 767
el rapport a-t-elle avec les corps, et pourquoi ne pas admettre
ssitôt dans Tun et l'autre cas la communication directe et immé-
tte de notre âme avec les objets? enfin esprit et corps, il y a
itradictioh. Reid prit donc le parti de nier tout intermédiaire
tre l'objet perçu et Tesprit qui perçoit, et déclara que la percep-
ption sensible est un fait primitif, aussi certain que la conscience
qui est aux vérités empiriques ce que sont les axiomes aux
.ences de démonstration.
Le fait de la perception porte avec lui-môme l'assurance de la
ilité extérieure de Fobjet .perçu. De môme les perceptions de
ascience portent avec elles l'assurance de notre ôtre personnel qui
bsiste identique sous la succession des phénomènes internes.
Reid attaque aussi la théorie du jugement donnée par Locke.
) jugement n'est pas, au débuts le résultat d'une comparaison,
âme ne commence pas par des notions abstraites qu'elle compa-
rait ensuite pour produire le jugement ; car comment conclurait-
le à l'existence réelle des deux éléments comparés? Au contraire
tme commence par affirmer immédiatement et dans l'ensemble
ncret de tous leurs éléments l'existence réelle des choses qu'elle
>rcoit.
Enfin il attaque encore dans Locke la théorie de la table rase et
ettant en lumière ces vérités a pnon que nous trouvons toujours
côté des données expérimentales, il en montre les caractères
universalité, d'immutabilité, d'antériorité, et en conclut qu'elles
mi les lois fondamentales de Tintelligence, le fruit spontané de
. raison.
Tout ce qui précède est tiré des Recherches sur V entendement
umatn ; nous avons donné déjà, page 285, le reste des théories
3 Reid que l'on trouve dans les Essais sur les facultés intellec-
lelles et sur les facultés actives.
Reid s'est placé plus près de la vérité que tous les philosophes
Il dix-huitième siècle ; il a môme apporté quelques lumières aux
}nnées précédentes de la philosophie classique, mais, à notre
via, il s'esjb trop contenté du simple bon sens, comme point de
ôpart et n'a pas suffisamment approfondi les bases de sa théorie.
Nous ajouterons donc quelques mots pour le compléter et pour com-
léter notre propre doctrine.
Tes
H18T01RB DB LA PHIL080PH1B
Un enfant ouvre spontanémeat les yeux : aussitôt U se prahiitte
son sy.^tême nerveux et dans son cerveau un inouTemeM osaBataF.!
vibratoire (peu importe), qui pour le vulgraire ne ressemble en riaib
couleur, mais qui est pour le savant l'impression colorée toutaiw'
L'àme. qui vit dans le corps et qui en ressent (nous ne savons «omet
peu importe) toutes les impressions, éprouve une modification l«s»^
ris, et aussitôt elle se connaît ainsi impressionnée. C'est uo ji«^
primitif, concret et indivisible. Jusque là rien de nommé, rien àe»-
tinct d'une autre impression, puisque nous supposons que c'est la p^
mière;par conséquent, nulle noUon encore de la couleur, ni d« lô
couleur, quoique l'impression porte avec elle tous les caraclère p
serviront plus tard k la faire distinguer.
Mais l'enfant détourne tant soit peu la direction de ses yeax :Ux^
spontanément) : aussitôt l'impression change. Les yeux reprenneat Iff
première direction : la première impressfon reparaît, n ne bndn F»
longtemps à l'enfant pour qu'U lasse cette induction naturelle, qœ lis-
pression lui arrive par les yeux. Et presque en même temps fl jogaa
aussi qu'il y a hors de lui, dans cette direction quelque chose qui lui cas
cette impression. Surtout lorsqu'en fermant les yeux, il nevenafis
rien et qu'en les dirigeant autrement l'impression variera aussi.
Un certain nombre d'opérations de cette nature, jointes à l'allooclK-
ment de la main, qui ne perçoit rien de ce que perçoivent les ywa <<
comparées avec les perceptions de l'ouïe, qui ne cessent presque janas
de se manifester, lui donneront bientôt la notion de couleur, de résis-
tance et de son.
Et quand les trois sortes d'impressions lui viendront du mêmepcis^
extérieur toutes les fois qu'U y emploiera ses organes, et cesscrant*
se produire dès que ses organes seront dirigées sur un autre fdaL
comment pourra-t-il ne pas conclure que là est l'objet cause des to-
pressions qu'il éprouve? Et qu'importe après cela que la matière n't\
pas de ressemblance avec l'esprit? qu'importe que les notions de conteur,
d'étendue, de son, n'aient rien de commun avec les qualités premier»
ou secondes, que nous appelons de ces noms. Ce que l'àme sait, méa
avec peu d'expériences, c'est que telle impression distincte de tdte
autre, lui vient de là et non d'ailleurs.
Voilà ce nous semble la vraie réponse quil faut faire pour arrêter
enfin la discussion (mal fondée a notre avis) des idées représentatîTts.
Les objets sont les causes de nos impressions. Ces impressions ne res-
semblent en rien à leurs causes, et nous ne connaissons les objets q»
par les impressions qu'ils font sur nous. S'ensuit-il que nous œ m-
XVllI* SIÈCLE — RBID 769
naissons pas les objets eux-mêmes et que nous ne saurions rien en
affirmer? Nullement. Nous pouvons affirmer nos impressions; nous
pouvons par suite en affirmer la cause, et la concevoir comme un être
réel, parce que telle est la condition naturelle de notre âme, qui porte
en elle la conception habituelle de l'être. L'application successive de
nos sens à un même point nous dit assez que là est l'objet cause de
toutes les impressions qui nous viennent de ce point, et tout ce que
nous croyons pouvoir légitimement affirmer des* objets nous vient d'une
expérience analogue.
J'affirme que tel corps a telle étendue, parce que j'éprouve que jus-
que là il me résiste et ne me résiste pas au delà de cette étendue. Et
c'est là ce que je veux dire quaad je dis qu'il a telle étendue. J'affirme
qu'il a telle couleur, parce qu'il fait sur moi l'impression distincte dont
j'entends désigner la cause par le nom de cette couleur. £t ainsi de
tous les autres cas.
Qu'il ne soit donc plus question d'idées images^ ni ô*idées représen-
tatives, opposées à la perception immédiate des objets. Percevoir les
objets c'est recevoir d'eux les impressions qu'ils font sur notre àme,
par l'intermédiaire des sens, et les termes d'idées représentatives, chez
les auteurs classiques qui les ont employés, n'ont jamais signifié autre
chose. Kt dire que nous ne connaissons les choses que par leurs idées,
c'est dire que nous ne les connaissons que comme causes des idées
qu'elles ont engendrées en nous par les impressions que nous en avons
reçues. Cette connaissance est complète quand nous les jugeons
d'après toutes les impressions que nous pouvons en recevoir ; elle est
incomplète quand nous ne le leur avons pas demandé tout ce qu'elles
pouvaient nous donner, sous tous leurs aspects.
C'est ainsi qu'on ne connaît la structure des plantes, que depuis qu'on
les a étudiées minutieusement au microscope. Mais, complète ou incom-
plète, l'idée que nous avons d'une chose est vraie, tant que nous n'en
affirmons que les causes des impressions que nous avons reçues. Elle
serait erronée, si, par simple analogie, ^nous en affirmions autre chose.
Et comment douter de la réalité des choses ou de la réalité de leurs
propriétés, quand elle est ainsi justifiée ? Un pareil doute nous parait
impossible à la nature humaine. Et loin qu'on puisse objecter la folie
et le rêve, comme on l'a fait tant de fois, nous trouvons une confirma-
tion de notre certitude dans ces désordres mêmes. L'insensé et l'homme
qui rêvent donnent une réalité aux impressions qu'ils éprouvent parce
que Tàme humaine ne saurait oublier l'idée d'être, affirmer une modifi-
cation sans substance, ni un effet sans cause, pas même pendant le
sommeil ou la folie.
770 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
Après Reid, nous trouvons Oswald et Beattie, qui ont
l'Ecole écossaise et plus que leur maître rejettent les wk
métaphysiques et s'appuient sur les principes univc
reconnus par le sens commun^ sans vouloir en rechercher la i
timité.
317. Dugald Stewart. — Né en 1753, mort en 1828,
Stewart appartient déjà au dix-huitième siècle. Il soutint
ment et développa les théories de TEcole écossaise, dont fl ôr
chef après Reid. Il eut la joie do voir les doctrines de s»
et les siennes s'introduire en France, où elles rempheérset
philosophie sensualiste et où elles sont restées classiques
rUniversité.
Ses principaux ouvrages sont; Eléments de la philosopi^^i^
V esprit humain^ et Philosophie des facultés intellectucliei^
morales de lliomme.
Plus que Reid, il tend h commencer la philosophie parl'fî*'
des phénomènes de Fâme et même à s'arrêter aux phénomèsa
sans s'occuper de leur sujet qui est Tâme.
Pour expliquer comment nous attribuons à un objet eîténss:
les qualités perçues ' par notre âme, Locke et Reid s'étaifiî
appuyés sur la vieille distinction des qualités premières eus
qualités secondes. Dugald Stewart en fait trois classes: *
qualités mathématiques : étendue et forme ; les qualités premiers,
dureté ou molesse, poli ou raboteux ; les qualités semés-
' couleur, chaleur, etc. Il croit que les qualités mathômatiqta
portent avec elles un caractère évident d'extériorité, et qnô *'
autres nous paraissent extérieures paCrce quo nous les rapF"
tons & celles-là.
La question qui occupa le plus Dugald Stewart est *celle »
V association des idées. Il y distingue deux modes principao^»
l'association que l'on peut appeler spontanée, qui se fait stfs
effort, et l'association volontaire, qui est le Jruit de rattenfa*.
Dans le premier ordre^ il place les associations par analogie, pa^
opposition, ou par rapport do temps et de lieu ; dans le deaii^
celles qui sont fondées sur les rapports de cause À effet, de iiioj«*
k fin, de prémisse fe conclusion, ou réciproquement. Mais àa^
XVIll« SIÈCLE — DUGALD-8TBWART 771
tout cela il a en vue les suites d'idées et non les associations des
idées telles que nous les avons conçues et exposées, page 274,
C'est-à-dire qu'il considère l'ordre dans lequel nos pensées
s'enchaînent lorsqu'elles deviennent actuelles, tandis que nous y
vojons d'abord la connexion que nous leur avons donnée en les
mettant en mémoire. Aussi il n'est pas étonnant que Dugald
Stewart trouve bien indirect et presque nul le pouvoir que nous
avons sur ces associations et qu'il dise que nul effort de l'esprit
ne peut directement évoquer une pensée absente. Dans notre
théorie au contraire, Tintelligence a tout pouvoir pour associer
Be% idées, de manière que telle idée soit ensuite presque infaillible-
ment appelée par telle autre.
Remarquons d'ailleurs, que dans la théorie de Dugald Stewart
le terme « évoquer une idée » est impropre, car au point de
vue où il se place, l'âme ne peut chercher à évoquer que des
mots dont elle entrevoit ou conçoit distinctement l'idée. En effet,
pour chercher à se "rappeler une idée, il faut au moins l'entrevoir,
et dans ce cas, on peut dire que l'idée est déjà présente et qu'on
ne cherche plus que les mots qui l'expriment. Et tous les efforts
que fait Dugald Stewart, pour tracer des lois au souvenir, et
expliquer comment nous parvenons à force de volonté à nous
rappeler un fait oublié, n'aboutissent qu'à une théorie incomplète
d'une faible importance spéculative : au lieu que de notre point de
vuç nous avons tracé la génération môme de la mémoire, expliqué
du môme coup toutes les lois du souvenir, et donné les moyens de
le soumettre d'avance à notre volonté. Quand nous avons mis
en mémoire des idées, avec la conception d^un rapport qui les
nnit, tant que l'habitude de cette triple conception n'est pas
effacée, par un trop long espace de temps, il est certain que l'une
ne se présentera pas sans l'autre à notre souvenir.
Remarquons cependant que la mémoire offre quelque chose de
semblable à la terre, qui féconde mieux les plantes sauvages que
celles que nous cultivons. Les associations d'idées qui se font
spontanément, et sur des rapports très-accidentels, semblent plus
tenaces que celles que nous formons volontairement, avec tout le
secours des rapports métaphysiques.
Dugald Stewart n'est pas très-heureux quand il considère
772 HISTOIRE DB LA. PHILOSOPHIE
ensuite les associations d'idées comme des causes d'erreor. h
effet il sort de la question et ne s'aperçoit pas qu'il est es ^
dans les considérations actuelles et conscientes de eeftvp
rapports insuffisants à conclure, tandis que, dans la question iiTl
traite, les rapports sont inaperçus quoique vraiment casses ^
suites dldées.
Il distingue la mémoire, ou plutôt le souvenir, de l'assœiatioi
des idées: mais il l'en distingue trop. Dans notre sens les a»-
ciations des idées sont les principes môme de la mémoiie et dr
souvenir ; dans le sien, le souvenir et l'association des idées scit
une seule et môme chose, comme fait psjcholog"ique. Et sidissli
mémoire il y a de plus le jugement que le fait a existé, c*e?ta3l
veut bien appeler mémoire le souvenir des faits jugés et t«s.<
pour certains, et association des idées la réminiscence de plnsesfi
idées autrefois perçues ensemble, et dont le rapprochemeat qei *
été un fait autrefois, n'a plus dans le cas qu'une importance théo-
rique.
Dugald Stewart a creusé pour son compte, et un peu plnspe-
fondement, un sol que d'autres avait déjà entr'ou vert; on je^
revenu après" lui; nous y avons aussi employé nos efforts, i^
l'espace nous manque pour dire tout ce que nous y avons towr^.
et quand nous le dirions, il y resterait encore de précieux tfésors
enfouis. Car à notre point do vue la loi de Tassociation des idi^
doit expliquer la parole et la pensée elle-même, dans rhomm*:
bien plus elle doit excuser bien des actes matériellemeflt coop**
blés, et rabattre l'orgueil que Ton pourrait concevoir degesboûftes
actions.
97. I40LB GRITiaUL-IAIIT.
318. Kant. — Emmanuel Kant, né à Kœnisberg, en iTi*^
était fils d'un sellier,qui lui enseigna surtout le sentiment religi»^»
le sentiment du devoir, l'amour du travail et l'horreur àa w^
songe. Il fut professeur dans sa ville natale, qu'il ne quitta jan»*^»
et sa vie ne fut troublée par aucun événement. Il n'eut pa^^^
à souffrir de l'envie, malgré la réforme totale qu'il voulut apporta
dans la philosophie. Il mourut en 1804.
XVIII' SIÈCLE — KANT 773
Jusqa*en 1759, les écrits qu*il publia, excepté ses thèses poar
)bienir le titre de professeur, roulent exclusivement sur des ques-
tions de physique d'astronomie et de météorologie. A partir de ce
noment au contraire presque tous ses écrits sont philosophiques,
nais il n'a pas encore conçu son système. Ce n'est qu'en 1770,
ians sa dernière thèse, qu'on en voit le germe, et c'est en 1781
ju'il fit paraître la Critique de la raison pure^ et 1788, la Criti^
^[ue delà raison pratique. Dans cet intervalle et après, jusqu'en
L798, où il renonça à ses cours, il publia un grand nombre d'écrits,
ibnt les principaux sont : Critique du jugement^ Eléments inéta-
oliysiques de la science de la nature ^ Eléments métaphysiques
"le la doctrine du droit. Eléments métaphysiques de la doctrine
ie la vertUy Critique de la religion dans les limites de la sim^
pie raison. Ce dernier ouvrage lui attira au moins un blâme, sinon
une condamnation, et il dut promettre d'être plus réservé sur ce
point, à l'avenir.
Pour mettre un terme à l'opposition entre les affirmations des
dogmatiques, et le scepticisme, que Hume venait de renouveler,
Kant entreprend de faire la critique de la raison . Au fond c'est
l'idée qu'avaient eue déjà, après bien d'autres. Descartes, Locke,
Berkeley et Hume, mais Kant procède autrement et avec une mé-
thode plus complète. 11 se pose un double but :
1*^ Déterminer la part de la raison dans la connaissance, et com-
battre ainsi l'erreur de l'empirisme.
2^ Discuter la valeur des affirmations de la raison, et mettre
ainsi un terme aux disputes entre Jes dogmatiques et les sceptiques,
trop absolus, les uns dans leurs affirmations, les autres dans leurs
négations.
Et d'abord il y a dans notre connaissance deux sortes d'éléments,
Les uns nous sont fournis par les sens, et ils sont empiriques. Les
3t,utres sont de l'ordre rationnel. Il faut déterminer ces derniers.
Voilà ce que personne n'avait fait.
Dans la morale, au contraire, rien n'est empirique, car tout y
porte le caractère de l'universalité. Tout y est donc rationnel.
Il est facile de démontrer l'existence dès éléments rationnels
dans notre connaissance,mais il faut surtout en déterminer la
valeur. La raison rend l'expérience possible, puisque celle-ci seule
774 HISTOIRB DB LA PHILOSOPHIE
ne donnerait que des faits particnliers et séparés ; mais dis i
spéculations métaphysiques, la raison pure ne peut rien
sur des objets qui dépassent Texpérience, et que TintuitioD ne»:tf
montre pas, La raison pratique au contraire s'impose à todi;
volonté ; elle a donc une valeur objective. Il s'ensait qne h la
morale est vraie ; mais dès lors la liberté, l'immortalité de rm
la Providence de Dieu son^ vraies aussi. Tel est le plan géfléni*
la philosophie de Kant.
« Notre siècle, dit-il, est le siècle de la critique; rien m p>*
s'y soustraire, ni la religion avec sa sainteté, ni la législatioaa^
sa majesté. » Il réclame donc le libre examen, la libre eipos/i»
de toutes les doctrines, môme fausses ou pernicieuses. C^est à II
raison et non aux gendarmes de les redresser. Tel est son e^
d'indépendance.
Voici maintenant comment il développe ses pensées.
319. Critique de la raison pure (ou théorique, oa spéeali*
tive) . — L'exercice des sens est nécessaire à la connaissance p*
lui fournir les matériaux de la pensée, mais seul il ne saurait saf-
fire à expliquer môme l'expérience. En effet, les sens ne àm^
que le particulier, toujours contingent. Donc l'universel n'en viest
pas, le nécessaire non plus. Or il y a des connaissances ^
l'objet est universel et nécessaire, témoins les mathématiqo«i *
sens commun. Il faut donc à ces connaissances des éléments a&v»
que ceux qui nous sont fournis par les sens. Bien plus, reipôrifi»*
elle môme en a besoin . Seule, elle serait sans lien, sans ow^-
Les principes nécessaires ne viennent donc pas de rexpéricoo^
puis que seuls ils la rendent possible.
Il faut donc distinguer dans la connaissance les éléments fl^
teriori et les éléments a joriori. C^est là la matière et hfor^
de la connaissance. Il convient de dégager Tune de Tautreet»
reconnaître dans les trois facultés spéculatives les éléments*
riori. Ces trois facultés sont la sensibilité, Tentendement et u
raison. Nous aurons ainsi Vesthétique transcendante^ la lo^V^
transcendante et la dialectique transcendante.
C'est par cette triple étude que Kant se propose de distlngo^'
la réalité de l'apparence, le phénomène du noximène. Car, dit-il
XVIlT* SIÈCLE — KANT 775
les choses ne nous sont connues qu'à travers les formes que leur
imposent nos facultés, et, si nous étions faits autrement, nous les
verrions autrement. Je veux, dit-il encore, introduire en philoso-
phie une révolution analogue à celle qu'a introduite Copernic en
astronomie. Tandis qu'avant lui on supposait le soleil tournant
autour de la* terre, il a montré qu'avec les mômes apparences, la
terre tourne autour du soleil. Jusqu'ici on a cru que l'intelHgence
se règle sur les choses ; supposons au contraire que les choses se
règlent sur notre intelligence, du moins quant à la connaissance
que nous en avons.
SENSiBir.rrÉ. Les perceptions du sens iatimeet des sens externes
nous offrent des éléments particuliers et variables, et des éléments
universels. Ces derniers constituent la nature de la sensibilité, ils
ne peuvent venir que de cette faculté, ils senties conditions subjec-
tives de nos perceptions . Ces éléments sont le temps et Yespace,
Nous voyons universellement et nécessairement dans le temps
tous les faits de sensibilité interne, et de plus nous voyons dans
l'espace tout ce qui nous arrive par les sens. Voilà les, données a
pri07n, ou les formes de la sensibilité. D'où il suit que nous ne
pouvons pas affirmer que le temps et l'espace soient dans les cho-
ses, ni qu'ils aient une réalité hors de nous. — Cette théorie est
étrange, au premier abord, mais quand on considère que nous ne
pouvons concevoir le temps et l'espace, ni comme finis, ni comme
infinis, ni môme comme indéfinis, on serait tenté de dire que Kant
a peut-être raison. Cependant on ne saurait admettre que le temps
et l'espace n'aient aucun fondement dans les choses.
Entendement. On peut se reporter à la page 60, pour voir en
détail les données a priori et subjectives auquelles Kant donne le
nom de Catégories de V entendement , Ainsi c'est notre entende-
ment qui impose aux choses la singularité ou la pluralité, Taffir-
mation ou la négation, la relation de cause à effet, celle d'accident
à substance, etc. Kant ajoute que toutes les affirmations formulées
par notre entendement supposent a priori ces trois principes que
nous imposons aux choses : lo Tout phénomène a sa raison dans un
autre; 2^ tous les phénomènes sont en harmonie mutuelle ; 3o sous
tous les phénomènes, la môme quantité de substance ou de force
persiste. C'est ce que Leibnitz appelait le principe de la raison
776 HISTOIRE DK LA PBILOBOPHIB
suffisante» le principe de Tharmonie réciproque, le priBdpe ai
permanence de la force. D*où il suit que les relations hamoBifft
que nous supposons entre toutes les pai-ties de raniTos i^ Ia
liaison nécessaire ne sont que des formes subjectives dt li?*
entendement, et que la science positive n'est possiUe qw il»
les limites de Texpérience et selon les formes de la s«osibiii'i(
de l'entendement.
Raison. Les données de la sensibilité et de l'entendementfBïif
avec leurs éléments a priori, laissent encore subsister I» diwRSi
dans la connaissance. La raison ramène tontes ces données à Vu tr.
Telle est sa forme subjective. C'est la recherche de cette aaii
du principe premier, de V inconditionnel de l'absolu, qnie^
dre la métaphysique. Ainsi le principe premier de ce qai sep*
en nous s'appelle Vâme ; le principe premier de tons les phéwaf*
nés naturels s'appelle le monde ; le principe premier de ïési A
du monde s'appelle Dieu, Voilà les éléments naturels deUnd^
les idées qui constituent la métaphysique.
Mais la métaphysique pure est-elle possible ? Non dit Kâit
Les idées de la raison sont supérieures à l'expérience, elles ks®^
pas intuitives et la raison ne dit rien sur leur réalité olyectiTe.li
s'efforce donc de ruiner la psychologie rationnelle, en ^^
qu'elle ne peut, de la simplicité et de l'unité de la pensée, ainitf
la simplicité de l'Ame. Il veut ruiner aussi la cosmologie raH^*-
nelle, dans laquelle il trouve des antinotnies, c'estrà-diw, »
questions sur lesquelles on peut également soutenir les deoi ec^
tradictoires : la thèse et Y antithèse. Deux de ces antinomies»*^
mathématiques. 1» Le monde est-il limité dans le temps et à^
l'espace ? Oui et non. 2" Le monde est il divisible en parti» 8*
pies, ou est-il divisible à l'infini ? Les deux peu vent encow sext
tenir. Pour résoudre ces deux antinomies, Kant rejette à 1»'*
la thèse et l'antithèse, disant que le temps et l'espace soùi »
formes de la sensibilité. Les deux autres antinomies sont ép^
ques. P thèse : Il existe une liberté morale ; a^vtithèse lûn^
qu'un déterminisme physique. 2° thèse : Il existe un être uéc*
saire : antithèse : il n'y a que des êtres contingents. W ^
accorde, pour les deux questions, lathôse et l'antithèse, daniâ*
pointi^de vue différents.
XVILI* SIÈCLE — KANT 777
Sur la liberté, Kant dit : Sous, les apparences de nos acte»,
enchaînés par les rapports nécessaires de cause & effet, il y a la
réalité de notre caractère morale qui seul est libre, tandis que
les motifs et les mobiles dont Tensemble détermine notre caractère
engendrent nécessairement tous nos actes. C'est - ainsi que Kant
croit démontrer tout à la fois que celui qui connaîtrait tous nos
motifs et nos mobiles pourrait calculer notre vie future, comme
on calcule une éclipse de luiie, et que cependant nous pouvons être
libres. Quand à démontrer la liberté elle-même, il croit ne pouvoir
le faire que par la raison pratique. Enfin il essaje de détruire la
théologie rationnelle (spéculative) . Contre la preuve téléologi^
que ou des causes finales^ il dit que nous ne connaissons pas tout
l'univers, et que d'ailleurs, dans ce que nous en connaissons, le
bien ne nous révèle pas assez Dieu, et le mal nous le cache trop.
Pour détruire l'argument des causes efficientes, il dit que cettQ
preuve suppose l'identité entre la nécessité et la perfection et, dès
lors retombe dans la preuve de saint Anselme. Enfin, il rejette
cette dernière preuve, la preuve ontologique, parce que, dit-il,
nous ne pouvons pas passer de l'idée qui est dans notre entende-
ment à l'objet qui est en dehors, et pour affirmer, comme un attri-
but, l'existence nécessaire de l'être parfait, il faut d'abord poser
que cet être parfait est réel hoi*s de notre pensée.
Après avoir battu en brèche toute ces grandes vérités, au nom
de la raison théorique, il va les affirmer toutes au nom de la raison
pratique.
320. Critique dé la raison pratique. — La raison prati-
que impose le devoir, sous forme de principes universels. « Agis
toujours de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse revêtir
la forme d'un principe de législation universelle. » L'universalité
de ces principes fait leur obligation. C'est \ impératif catégorique
qui s'impose à toutes les volontés, comme à des puissances auto^
nomes. Partant de cette idée, Kant réfute toutes les théories
morales précédentes, basées sur l'éJucation (Montaigne), sur la
dqnstitution civile (Mande ville, hollandais, né en 1670), sur la
sensation (Epicure), sur le sens moi*al (Hu^heson), sur la tendance
k la perfection (Wolf et les stoïciens), sur la volonté de Dieu
778 HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
(Crusius, allemand, né en 1712, après Dans Scot et Goilhuime
d'Ockam).
L*objet des lois morales, quoique non connu par rintaition est
supposé par ces lois mômes. Elles sont obligatoires, donc elles
sont possibles. Donc Vâme est libre. Elles supposent aussi l'idée
du bien, qui produit dansTâme le sentiment moral, mofjilesubje :-
tif de la vertu, La vc^u est désintéressée, mais elle rend digne
du bonheur. L'union des deux est le souverain bien (vertu et
bonheur).
Le premier élément du bonheur c'est la sainteté, qui est Yidéal
de la vertu. . Mais cet idéal ne peut être atteint dans un temp^
limité ; c'est un progrès indéfini, qui suppose Vimmortnlité de
Vdme ,
Le souverain bien est l'harmonie de la moralité et du bonhetir.
Or,cette harmonie ne peut être réalisée que par la cause du monde,
et cette cause doit être intelligente. Elle suppose donc ïexistence
de Dieu. Dès lors la loi morale est la volonté de Dieu. C'est la
religion.
321. Critique du jugement. — Après avoir écrit la critique
de la raison pratique, Kant s'aperçut qu'il avait omis la critiqu*^
de deux espèces de jugements: \q jugement esthétique, qui porte
sur le beau et le sublime, ôt \e jugement téléologique^ qui porte
sur la finalité. Il écrivit donc la Critique du jugement, destinée à
prendre place entre les deux premières.
Et d'abord, pour donner du beau une idée complète, il le définit
à quatre points de vue différents. P Le beau est l'objet d'une
satisfaction libre de tout intérêt. Par conséquent, Tidéo du bean
est indépendante de l'existence de l'objet. 2<* Le bean est ce qui
platt universellement sans concept. C'est-à-dire que nous n'en
jugeons pas d'après une idée préconçue, mais seulement par la
satisfaction simultanée de Timagination et du jugement (par la
variété dans l'unité). 3« La beauté est la forme de la finalité d'un
objet, en tant qu'elle est perçue sans représentation de fin. C'est-
à-dire que nous voyons dans la beauté une convenance qui nous
paraît faite à dessein^ s^ns que nous nous arrêtions k considérer
le but. A"* Le beau est ce qui est reconnu sans concept comme
XVIll* SIÈCLE — KANT 779
l'objet d'une satisfaction nécessaire. Cette satisfaction est néces- -
saire par son universalité, surtout puisqu'elle ne repose pas sur
une idée universelle.
Telle est, pour Kant, l'idée du beau, objet du jugement esthé-
tique, et distinct de la perfection, objet d'un jugement esthétique
et logique tout à la fois, qui suppose un concept a 2iriori.
Le sublime est aussi l'objet d'un jugement esthétique, mais,
contfaipement au beau^ il suppose un désaccord entre l'imagina-
lion et la raison, en ce sens qu'il étonne Timagination et contente
la raison. Le sublime e^i niathématiqiœ ou dynamique^ selon
qu'il a pour fondement la grandeur ou la puissance. Mais ce juge-
ment doit être aussi sans concept préalable, pour rester dans Tordre
esthétique. Il y a d'ailleurs un sublime logique et un sublime
moral. Cependant, quoique distincts les jugements esthétiques et
les jugements moraux sont liés ensemble et concourent au même
but; mais les derniers impliquent l'idée d'obligation et supposent
un objet réel, tandis que les premiers ne sont que des formes
svbjectives de nos facultés, sans objets réels.
Dans les jîiffeme7its téléologiques, ou jugements sur la finalité
des choses, Kant distingue \dk finalité intérieure ou immanente^
et la finalité relative, La première nous paraît comme l'objet
direct d'un dessein de la nature, la seconde comme un moyen d'at-
teindre ce dessein premier. C'est ainsi qu'en voyant les êtres orga-
nisés nous jugeons nécessairement que toutes leurs parties sont
disposées dans un but déterminé. Ce jugement est nécessaire ; mais
Kant ne lui donne aucune réalité objective : c'est encore une forme
subjective de notre intelligence.
Ici Kant fait la critique de toutes les théories relatives aux
causes finales, le hasard d'Epicure, le panthéisme de Spinoza,
r&me du monde des stoïciens, la cause intelligente de tous les
théistes ; il croit qu'aucune de ces théories ne peut s'établir à
rexclusion des autres, parce que le mécanisme qui engendre les
deux premières ne rend pas compte du concept de la finalité, et
que le principe des causes finales qui sert à établir les deux autres
n'a qu'une valeur subjective, propre à la constitution de notre
entendement. Mais il pense que. dans l'entendement divin, la fina-
lité et le mécanisme se confondent dans un principe unique, inac-
cessible à notre intelligence, et où l'opposition disparaît.
780 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Pour les mômes raisons il rejette spéciilativementlaear^
d'une fin dernière de toutes choses, et refuse à cette <hD«^
une certitude objective, mais, encore une fois, il trouve la :<!?sî
de cette fin dernière, de Dieu principe et fin de tout, dan? «sa
morales.
Dans ses autres ouvrages intitulés Eléments nu:*t'^php\^'
Kant essaye d'établir une théorie de la matière ù« l^TBÎtô'
priori et il opte pour une combinaison de forces attfS'^î^^ '
répulsii'ies, qui selon lui, n'exigent pas le vide ; puis 'û ié^
de déterminer la métaphysique des mœurs, ou les lois locnk
qu'il déclare ne pouvoir être fondées que sur la raison. le?*
principe du droit est celui-ci : « Agis de telle sorte que k ^^
usage de ta volonté puisse subsister avec la liberté de toas. > ^
droit positif doit être fondé sur le droit naturel. Dan? « ^'
nier, Kant distingue le droit inné et le droit acquis, ^^
celui-ci, le droit-privé et le droit public, lequel se ?ubdivis»
son tour en droit politique, droit des gens et droit cos^^f^'''
tique.Touie cette métaphysique du droit est pleine de vueslaK*
et comme, après tout, Kant est un homme de bien, iJ ne i^"'^
pas, dans les détails, des principes d'une saine morale, apF*
vant les réformes amenées en France par la RévolutiuJ, œ^î-'^*
damnant le meurtre juridique de Louis XV^I; mais sa ^^
manque de base. Au fond, il ne voit qu'une chose dans fe^'^*
sauvegarder la liberté do tous ; mais quelle est réteuda* ^^ *
liberté ? quelles en sont les limites ? C'est ce qu'il ne sanrait i^^
et ce qu'on ne dira jamais tant qu'on définira le droit, «lali^^
de chacun prise pour fin par la liberté des autres. »
Ce qui distingue, selon Kant, les dévoilas de vertu desik^fc^
de droit, c'est qu'on peut nous contraindre à ceux-ci, tandis ^b*
ne saurait nous contraindre à ceux-là, quoique nous noasvrec*
naissions également obligés intérieurement . Les devoirs de ^^
nous sont imposés par la raison, -et c'est leur concept a jjnôn^ji
produit nécessairement en nous le sentiment tnoral, la eonsi^'^'
morale, V amour des hommes, le 7'espect de soi-même. Laffi^*
physique de la vertu nous enseigne à développer en ^^'^s-''^
conditions subjectives ; sous sa forme didactique, elle aousJ*^
connaître les devoirs de vertu et sous sa forme (tscétiq^^- ^"^
nous exerce à les pratiquer.
XV.III' SIECLE — KANT 781
Enfia dans un ouvrage spécial, Kant soumnaet à la critique le
christianisme lui-mAme. Il ne veut pas môme savoir s'il est
révélé ou non. Il le juge au point de vue moral et se croit en droit
do le rejeter s'il no résiste pas à cet examen de la raison. Il en
accepte les dogmes et môme ce qu'il appelle les légendess c'est-à-dire
les faits évangéliques, mais seulement comme propre, à dévelop*
per le sentiment moral, sans leur attribuer aucune vérité certaine.
322. Appréciation. — Kant nous offre la plus vivante démons-
tration de ce principe désormais constaté par l'histoire de la pensée
humaine, qu'il ne faut pas prendre au sérieux le scepticisme. C'est
la théorie sceptique de Hume qui inspira à Kant la pensée de faire
la critique des facultés de l'âme, et une fois entré dans cette voie,
il n'en est sorti qu'avec une contradiction, après avoir traité d'il-
lusion tout ce que le genre humain avait perpétuellement affirmé.
Sans doute quelques dogmatiques avaient mis de la témérité dans
leurs affirmations : mais était-ce une raison pour que l'affirmation
universelle du genre humain pût ôtre mise en doute. Et si nous
admettons une fois avec Kant que la raison théorique n'a aucune
portée objective, comment savons-nous que nous sommes soumis
à la loi du devoir ? Sur quoi peut reposer cette obligation ? Avant
de conclure de l'idée du devoir à la réalité de son objet et des
autres conditions qu'elle suppose, ne faudrait-il pas soumettre
cette loi elle-même à la critique ? Et si on soumet l'idée du devoir
à cette épreuve, après avoir accepté en principe que la connais-
rance théorique n'a point d'objet, croit-on que cette loi morale en
sortira intacte ? Et si la loi morale est douteuse, que deviendront
les affirmations que l'on veut appuyer sur elle seule ? Nous allons
voir en effet le développement des théories de Kant amener le
dernier terme de l'absurde.
Cependant, ce grand esprit aurait pu faire mieux. Il y aval
en lui l'étoffe d'un grand philosophe : il n'a créé qu'un système
négQ.tif dont la limite extrême est le néant. Nous ne conseillerons
donc pas aux jeunes gens la lecture de ses œuvres malgré les nom-
breuses observations de détail et les analyses profondes qui s'y
trouvent mêlées aux erreurs, par ce que le système, dans la
rigueur apparente de sa logique, pourrait exercer sur eux un
mirage troinpeur et les séduire. Et les dangers de cette séduction
782 IIISTOIRK DE LA PHILOSOPHIE
sont rendus manifestes par Tengouement qu'excita le Fj?'c^«f.'
Kant, et par les théories qui en sortirent.
La philosophie de Kant suscita en Allemaime une vérit*;
révolution dans les idées, et si quelques-uns l'attaquèrent s??
acharnement, un bien plus grand nombre crut qu'on ue pw^i-'
plus désormais se livrer à des réflexions philosophiqne ^
prendre pour base la Critique de la raison. Parmi cfô coît-*'^'
disciples, plusieurs se tinrent dans les limites posées pï e
maître ; quelques-uns en tirèrent des conséquences Jja.'die^
firent école. IVous ne citerons que ces derniers, qui sont, au ik»
en partie, du dix-neuvième siècle, mais dont les svstôiiJfê à^i}^
ôtre exposés ici pour compléter celui de Kant.
323. Fichte. — Jean Théophile Fichte; naquit an villagïi
Rammeneau, dans la haute Lusace. en 17G2, et mourut à B^
en 1814. Fils d'un simple artisan, il dut son éâuc^iioR à I«5îiBf
que fit de ses heureuses dispositions le baron Miltitz. A la ^
de ses études, il fut précepteur particulier, puis professffi
lénaet enfin à Berlin, pendant roccupation de l'armée française
Le premier ouvrage de Fichte est Y Essai dCtine criUq*''^ ^^
toute révélation, que l'on crut d'abord être de Kant, et qe» »-
valut l'amitié et les attentions de ce philosophe. Il publia plasttK
Idée de la théorie de la science, et Fondement de la thêmif*
la science. Puis : Leçon sur la tnission dxi- savant, et tmi'-^
PhUosopliie du droit sans compter les Discours et pto^R
autres ouvrages moins importants.
Les titres seuls de ces ouvrages indiquent assez combien bw'^
trine de Fichte dérive de celle de Kant. Mais nous verrons ffii*^
cette origine en analysant la doctrine* de Fichte.
Kant, en faisant la critique de la connaissance, en avaittaituB^
forme subjeoiivo, et de plus, en s'appuyant sur la loi morale, i
n'avait pa< . :■ . •'» d'affirmation objective antérieure ù celle w *
liberté de l'-:.\ . ■. ^.'ette idée va devenir plus absoluedans FicW*.
C'est la f/it: ;ao de la science, non vulgaire, mais piiilosopM"^*
que Fichte e:iii'<?prend. La science doit ôtre une et former un ''^•
Elle doit donc avoir un principe un et absolu sansleque/ vienoii
serait certain. Ce principe doit renfermer en lui-même la«Jû''
XVII* SIÈCLE — FICHTB 783
et la forme d6 sa connaissance et les tenir de lui-même . Ce principe,
il le trouve dans le moz , qui se pose lui-môme dans tout jugement.
Je suis moi, dit-il, a^a. Ce principe est le plus incontestable de
tous.
Jusque là tout est juste, mais Fichte va plus loin, et déclare que
le moi est cause de lui-même, en prenant conscience de lui-même ..
qu il est cause-effet, fait-action, acte-fait. Voilà Terreur fondée
sur un abus de mot, sur Téquivoque du mot poser. Tout le reste
va dériver de ce faux principe.
Le moi pose primitivement son propre être ; c'est son premier
acte, et par un acte suivant, le moi oppose mi moi absolu un
non^moi absolu. Le non-moi est le second principe, qui n'est
absolu que dans sa forme, tandis que le moi est absolu dans sa
forme et dans sa' matière. Mais le caractère absolu, même incom-
plètement, du non-moi est la contradiction du caractère entière-
ment absolu du moi, et pour résoudre cette contradiction, il faut
un troisième principe, absolu seulement dans sa matière, et qui
est celui-ci : Le moi divisible (matière et forme) s'oppose à
lui-même et dans lui-même un non-moi indivisible j et ils se
limitent ainsi réciproquement. C'est cette limitation qui n'est
absolue que dans sa matière.
Ces trois principes sont : Taffirmation, la négation et la limita-
tion, ou, en d'autres termes, la thèse y V antithèse ^i la synthèse.
En résumé : le moi et le non-moi se déterminent réciproque-
ment, proposition complète et absolue, dans laquelle l'analyse
découvre les deux suivantes : 1° Le non-moi détermine le moi ;
c'est le principe de la philosophie théorique, ou de la connais-
sance, dans laquelle le moi semble passif à l'égard des objets ;
2** le moi détermine le moi; c'est le principe de la philosophie
pratique, ou de la volonté, dans laquelle le moi se montre comme
la seule réalité absolue, et nous apprend que le monde est son
œuvre, son idéal réalisé, qui n'a d'existence que dans le moi.
Telle est là doctrine de Yidéalisme critique ou du stubjectivisme
absolu, dans laquelle disparait l'ombre de réalité que la critique
de Kant avait laissée aux choses .
Nous ne sommés plus ici en présence du scepticisme, qui s'abste-
nait de prononcer un jugement, c'est la négation absolue des
sophistes. Un pas de plus dans cette» théorie va tout réduire au
7H4 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
néant, bi même ce pas est nécessaire; car déjà dans les donatiâ'.'
Mchte, le moi n*est. pas, mais il se fait, il devient chaque foi^^s'i
prend conscience de lui-même.
Le moi, absolu et pris en soi, est sans étendue et sans xitamT^
ment; c'est un point mathématique. Eprouvant le besoin ^m
développer il s'élance dans un mouvement cent rif âge vers riate,
mais il est rejeté sans cesse vers lui-même par l'impossibilité d'a^fe-
teindre ce but, quoique la résistance même active et rencwvtf^s
ses efforts. C'est dans ce mouvement que le »*oe prend consci^ace
de lui-même et du fion-moif qui vient de lui*
Quelle force d'imagination, et, le dirons nous, quelle toléra»»
de l'absurde ne faudra-t-il pas pour sortir de ces données et
dans la vie réelle? pour individualiser ce moi absoln et
moi, tout aussi absolu que lui, et accepter en pratique la distû»-
tion des personnes? ponr déterminer après cela les rapports eatpe
les hommes, poser les limites du droit, en un mot écrire b»
morale complète, qui dans la pratique règle toutes choses conm^
dans un monde réel. C'est pourtant ce que Fichte a osé faire, ^'oa*
ne le suivrons pas dans ses raisonnements, parce que nous ne sau-
rions ni les justifier, ni les présenter avec une apparence de logique.
Fichte a lui-môme et successivement tiré toutes les conséqaea-
ces qui découlent de son système, au point de vue moral. D'abori.
sa morale est celle de Kant, seulement, il accentue davantage ssr
cette pensée que la liberté est la fin derni(}re de Chomme-
L'homme est une fin pour lui-môme et pour les autres. Plus tard,
dans le traité de la destinatiori de Vhomme, il prend la loi morale
comme une force mystique, qu'il appelle la foi, et déclarajit U
science a absolument vide, » il dit : la loi morale nous fait croire
aux réalités qu'elle suppose. C'est la doctrine de Kant, mai^ avec
une tendance mystique. Ce mysticisme devient bientôt un jmui-
théisme idéaliste, et le moi humain est remplacé par le moi diviu,
activité pure, sans substance et sans personnalité ; moins que cela,
dans les derniers écrits de Fichte, Dieu n'est plus que Tensemble
des actes inspirés aux hommes par sa pensée. Et Ton trouve da]is
un de ses derniers ouvrages cette parole insensée : « Toute concep-
tion religieuse qui personnifie Dieu, je l'ai en horreur et je la coo-
sidère comme indigne d'un être raisonnable, »
XVIir SIECLE — CHELLING 785
Quant aux conséquences logiques du système de Vidéalisme
subjectifs Schellîag et Hegel vont se charger de les tirer.
324. Schellîng. «— Eréderic Guillaume Joseph de Schelling,
naquit à Lôonberg, dans le Wurtemberg, en 1775. Ilfut condisci- '
pie de Hegel à Tubhigue, et disciple de Fie hte à léna. H enseigna
successivement à léna, à Wurtzbourg, à Munich et enfin à Berlin
où il succéda à Fichto et à Hegel. Si nous le plaçons avant ce
dernier, c'est que par son système il le précède naturellement. l\
mourut en 1854, aux bains de Ragatz, en Suisse.
Après une série d'ouvrages où il restait assez d'accord avec
Fichle, Scbelling publia le Système de Vidéalisme transcendan-
talj où sa pensée, jusque là à peine ébauchée se manifeste complè-
tement. Quand nous disons qu'elle se . manifeste, il ne faut pas
entendre par là qu'elle soit clairement exposée, au contraire ; il
faut une sorte de nécessité, comme celle qui nous oblige en ce
moment, pour s'imposer la rude tâche de lire, de comprendre, et .
d'analyser un pareil ouvrage, où la pensée principale est noyée
dans un déluge de propositions aussi nuageuses qu'abstraites et
qui pour la plupart choquent le sens commun, après môme qu'on
en a lu la prétendue démonstration rigoureuse.
Le point de départ de Schelling est celui de Fichte. Le principe
de la connaissance philosophique c'est le moi. Voici comment.
« Toute connaissance repose sur l'accord d'un objectif Skwec un
subjectif. » L'objectif en général c'est la nature; le subjectif c'est
le moi. Dans la connaissance le siget et l'objet sont inséparables
et identiques, et pour avoir la raison de cette identité, il faut la
détruire. De là les deux manières de philosppher. La première,
celle des.sciences naturelles, pose d'abord l'objectif, et recherche
comment le subjectif s'accorde avec lui ; l'autre, celle de la phi-
losophie transcendantale, prend le subjectif comme élément premier
et se demande comment l'objectif vient s'accorder avec lui.
La philosophie transcendantale commence donc par le doute
universel de la réalité de l'objectif. Mais notre nature affirme
quand même, par un préjugé fondamental, qu'il y a des choses
hors de nous, et la tâche de la philosophie transcendantale est de
montrer la nécessité de ce préjugé, en partant du subjectif seul.
786 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
La seule proposition première et absolument connue est la pro-
position : Je suis. Cette autre: Il y a des choses hors de moi^ ne
peut ôtpe certaine que par son identité avec la première.
Ainsi la philosophie transcendantale n'a pas à démontrer rexL$-
' tence des choses, mais seulement que c'est un préjugé naturel et
nécessaire d'admettre comme réels les objects extérieurs. C'est son
premier caractère. Le second consiste à séparer d'abord les deux
propositions : Je suis ; et II y a des choses hors de moi, pour mieux
en montrer l'identité. Elle n'a donc pour object direct que le subjec-
tif," ou pour mieux dire la connaissance en tant que subjective, et
ce subjectif j devient sans cesse objectif.
De ce point de vue, il faut démontrer la possibilité de la science,
ou soit : Comment les représentations subjectives peuvent s'accor-
der parfaitement avec des objets existants, qui en sont tout-à-faii
indépendants; et d'un autre coté: Comment la pensée seule peut
modifier un objectif, de telle sorte qu'il s'accorde parfaitement
avec elle. Ces deux problèmes constituent, l'un la philosophie
théorique, l'autre là philosophie pratique, la conscience et la
liberté.
Mais ces deux problèmes offrent une contradiction qui ne peut
être résolue que dans une philosophie supérieure, à la fois théoi i-
que et pratique, dans la philosophie transcendantale. Ici nous trou-
vons le principe absolu de toute production dans la volonté. La
même activité est productive sans conscience dans le monde, et
productive avec conscience dans l'acte libre. Telle est la raison de
l'harmonie préétablie entre la conscience et la nature.
Mais où est le principe de cette double activité? La philosophie
transcendantale, nous -montre dans l'activité esthétique, dans l'art,
cette double forme de l'activité, avec et sans conscience.
Ce n'est là que l'introduction et en quelque sorte le plan du sys-
tème. Voin maintenant une idée des développements.
D'aboixl, il faut à la connaissance un principe suprême, qui
concilie l'objectif avec le subjectif. Ce principe doit être incondi-
tionnel, pour ne dériver d'aucun autre. Or les jugements analy-
tiques, comme dans les propositions identiques, sont seuls connus
inconditionnellement: par exemple : A = A. Mais ici il n'y a pas
de connaissance réelle, car il n'y a rien d'objectif affirmé. Le pre-
XVIII" SIÈCLE — SCHELLING 787
inior principe doit donc ôtre une proposition synthétique pour être
une connaissance réelle. Mais les propositions synthétiques ne
sont pas inconditionnelles, ou certaines par elles-mômes. Il y a ici con-
tradiction, à moins de trouver une proposition à la fois analytique
et synthétique, à moins de trouver le point où le sujet et Tobjet sont
une seule et môme chose. Cette condition est remplie dans le moi
prenant conscience de lui-môme, dans la proposition: Moi=^moiy
où le sujet et l'objet sont identiques. C'est Tintuition pure, dans
laquelle lé sujet s'objective lui-môme à lui-môme, produisant et
pTOduit. C'est le postulat de la philosophie; le principe indémontra-
ble, parce que l'intuition est libre. La liberté est notre principe
unique et le monde objectif n'est que la limitation de notre liberté,
qui d'elle-môme est une virtualité infinie. Le moi agit sur la
limita et pour cela elle doit être réelle ; mais en môme temps le moi
se voit limité par elle et dés lors elle est idéale. La limite est donc
dépendante et indépendante du^moi. C'est une contradiction, dont
la solution se trouve dans l'analyse de la conscience et de la liberté,
selon la philosophie transcendantale.
Au premier moment de son histoire philosophique le m,oi sujet-
objet, mais sans avoir conscience de lui-môme, s'élance hors de
lui-même, dans un effort vers Tinfini. Au deuxième moment, il se
sent limité, mais il n'aperçoit que la limitation : c'est là sensation :
c'est la vue de l'objet. Au troisième moment, le moi s'aperçoit
sentant, c'est-à-dire sujet. Telle est la première époque de This-
toire de Tintelligence. Schelling compare ces trois moments au
magnétisme, à l'électricité et au galvanisme, voulant montrer
par là, que les lois de la nature sont les mômes que celles du
moi,
A la deuxième époque, le moi prend conscience du temps et de
l'espace, par la double perception du sens intime et des sens
externes. Puis il prend conscience de sa causalité et se reconnaît
comme sujet produisant son objet. Et lorsque cette activité lui
est apparue comme un échange infini de productions et de percep-
tions, dans un cercle fini, le moi prend conscience de la nature
organique.
A la troisième époque, l'intelligence entre dans la réflexion, où
se produisent l'abstraction et le jugement, et où le moi tend à se
788 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
reconnaître comme intelligence, à s'abstraire de Tobjet, ei an
fondre la notion avec Tobjet. Mais pour acbever cette abstrjc'i'.
transcendantale, il laut avoir recours à un acte absoln, liai ^
dans le domaine de la philosophie pratique,
Jusqu'ici le moi avait tout produit nécessairement et aï-
conscience, désormais il produira avec conscience et libresa!
C'est le postulat de la conscience qui est rabstraction abso-œ -
moi. Ici le moi se saisit comme principe de l'idéal et cornus P^^-
cipe du réel. De là procède la lutte qui constitue la philos^p^
pratique .
L'acte de la volonté est dans le temps, dès lors il a quelqneck*
de nécessaire. Cette contradiction ne peut s'expliquer que par sa*
double condition de la volonté : l'une positive, par laquelle ^^
est le fruit de Tintelligence ; l'autre négative, par laquelle élis*
peut être sans une autre intelligence. Ainsi, rintelligence sappJ*
un monde d'intelligences.
Cherchant ensuite à faire naître, à priori, des mêmes donfi^
la morale et la politique, Schelling s'efforce de mettre un frdfiâsi
excès de la liberté, sans autre instrument que la liberté elle^w*
De U sa théorie du progrès indéfini se développant nécessaiffli^'
dans l'histoire. Et le principe de ce progrès indéfini, il letr«^-
dans une sorte de destin-providence, qu'il appelle Tidentité ai*'
lue du subjectif et de lobjectif, de Tinconscient et du consci»^
un principe qui n'est ni sujet, ni objet, ni tous les deux à i* ^*'*
qui ne peut arriver à la conscience. C'est ainsi qu'il se repi«s®^
Dieu, « cet absolu identique, auquel ne peut s'appliquer ««■'
attribut emprunté aux choses de Tintelligence ou de la liberté, q-
ne peut donc jamais être l'objet de la connaissance, qui wp^
être l'objet que de l'hjpothèse éternelle sur laquelle repose raeti^^'-
la foi. » C'est à ce dernier terme que Schelling arrive, à^ ^
Philosophie de V absolu^ laquelle devait compléter la Philo^r*
de la nature^ comme celle-ci avait complété Vldéalisme tr^
cendantaL
Partir de la conscience du moi, et en déduire à priori unêt*^
tome de phénomènes reproduisant exactement le inonde, lesàffl^'^'
Dieu : tel était le problème que Schelling s'était charge àt r«^-"
dre. Nous ne croyons pas utile de démontrer qu'il oel^F^
XVIII* SIÈCLE — HEGEL 789
résolu. D'ailleurs, quand môme ses proposition seraient rigoureuse-
ment enchaînées, elles ne donneraient jamais qu'une hypothèse, et
et il nous faut expliquer des réalités.
325. Hegel. — Georges Guillaume Frédéric Hegel né à Stutt-
gard en 1770, étudia la théologie protestante à Tubingen, avec
Schelling. Il enseigna à léna puis à Nuremberg, à Heidelberg et
enfin à Berlin, où il succéda à Fichte. Il mourut du choléra en
1831 .
D'abord sincèrement attaché au système de Schelling, Hegel
publia plusieurs ouvrages pour combattre les systèmes opposés ou
pour en tirer les conséquences. Le dernier et le plus important de
ces ouvrages est la Phénoménologie de V esprit y sorte d'histoire
du développement intellectuel, selon le système de Tidéalisme
absolu. Plus tard il commença à se faire un système à lui, dont
il exposa les premiers linéaments dans sa Logique et dans Vency-
clopédie des sciences philosophiques ^ei qu'il montre achevé dans
la Philosophie de V histoire, VEsthët îque et la Philosophie de
la Religion, qui sont des leçons publiques,
La Logique de Hegel n'a rien de commun avec ce qu'on appelle
communément de ce nom, du moins dans le fond de sa pensée.
Pour lui c'est la scienccj de Tidée, qui est la raison pure, Dieu
dans son éternelle essence. Le premier principe n'est plus comme
pour ce qu'il appelle < la logique de Tentendement, » le principe
de contradiction ; c'est le principe de Tidentité des contraires. Telle
est la logique absolue ou transcendante.
Hegel, en effet, rejette l'absolu qui semble résider hors du monde
et hors de l'esprit humain. Pour lui l'absolu est immanent au
se monde,il est la raison môme,quî se réalise elle-môme,qui est réelle
parce qu'elle est raison, toujours vivante et mobile, essentielle-
ment en mouvement, à la fois nécessité et liberté, ou plutôt conci-
liation entre Tune et l'autre, conciliation entre l'être et le néant:
c'est le devenir. Rien n'est, absolument parlant : tout devient ;
u Dieu n*est pas : il se fait. »
Ce devenir absolu, principe de toutes choses se développe éter-
nellement, dans un rhythme ternaire sans cesse répétée. C*est le
passage perpétuel du non-étre h l'être et de Tôtre au -non-ôtre ;
790 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
c'est \sk thèse, V antithèse et la si/nthèse formale suprême (kb
raison, fondement de toute logique, et forme de tonte Mk:
c'est ridée enveloppée et en puissance, puis Tidée réalisée^ e^
le retour de Tidée réalisée à Tétat d'idée en soi. Le type ée tf
rhjthnie, c'est la Trinité.
Cetto loi logique se manifeste encoi-e dans le monde : fi^
absolue, inconsciente, que Hegel appelle Yiàée concrète, se dé^r
loppe par la pensée et constitue la nature, puis, revenant à eîk-
même, elle prend conscience de soi et constitue l'esprit.
Tout cela est la genèse de Dieu qui s'opère dans le mowte ^
s'achève dans l'esprit humain. .
Hegel, loin de reculer devant l'absurdité de ses théori», »
défendu son principe de Vidcntité des contraires, disant qnee'*
là le secret du progrès universel, de la pensée et de la Tie. Pffl-
ser, c'est unir des idées différentes, dans une seule idée ([é fe*
concilie ; vivi*e c'est passer d'un contraire à l'autre, par une acti»
qui les domine. En uît mot sa théorie identifie toutes choses ^
proclame Vidcntité de V identique et du no7i identique,
• 11 est évident que ce perpétuel devenir ne peut BO^tet q»^
d'une manière nécessaire ; mais Hegel n'hésite pas à qualifiôf ^
libre cette nécessité. Le mouvement se manifeste à^Bhofà èsa
le temps et l'espace et prodint la matière. Ses combinaison pro-
duisent les astres, puis les êtres organisés, les plantes et les ani-
maux et enfin les hommes où l'activité libre prend consciew*
d'elle-même. Mais l'individu humain sent sa liberté limita par ^
liberté des autres et comprend qu'il ne possède qu'une partie d*
cette liberté universelle, qui fait toutes choses nécessaireœ^J»^
mais qui est libre parce qu'elle fait tout d'elle-même. Aioà 1*
liberté de Hegel n'est qu'un déterminisme absolu.
Mais sa théorie politique ajoute encore si c'est possible à ceU«
désolante théorie psychologique, L'Etat est « la substance de T^
dividu; » c'est-à-dire que chaque citoyen n'est qu'une manif^***'
tion, un accident, par rapport à l'Etat. L'individu est ssLCVé ^f
un autre individu ; mais l'Etat a tout pouvoir sur chacun S^^-
Rien n'est bien, que ce que l'Etat ordonne; rien n'est mal, qo^ ^
que l'Etat défend. Et l'Etat se personnifie dans son chef, qiÂ
devient Y Etat fait ho^nme.
XVlll' SIÈCLE — HÉGBL 791
Mais à leur tour les états plas faibles sont sommis au caprice
des états plus forts . La nation victorieuse est toujours meil^
leure que la nation vaincue .
Enfin au dessus des états se trouve l'humanité dont les desti-
nées vont s'accomplissant et se manifestent dans les arts, où
l'osprit pénétrant la matière la forme à son image, et cela à diffé-
rents degrés. Au plus bas de ces degrés se trouve Parchitecture,
qui n*exprime que Tidée inconsciente et produit le sentiment de
l'immobile infini. L'idée devient plus visible dans la statuaire,
quoique l'âme n'y pai'aisse pas. Celle-ci se montre dans la peinture
par Tex pression du regard ; mais pn n'en voit qu'un moment.
Juisqu'ici Tart est seulement objectif. Le sentiment plus animé
et plus mobile se manifeste dans la musique ; mais il est encore
ioMt subjectif , l\ faut donc un art qui concilie l'un et l'autre:
c'est la poésie.
Tandis que le sentiment esthétique, mis en acte par l'art,
représente le divin au dehors, le sentiment religieux le représente
au dedans de l'homme. Mais la religion qu'il produit est fille de
l'imagination. Elle se représente Dieu comme un être extérieur à
l'humanité et au monde. C'est une dualité qui ne pouvait être que
provisoire. Dans l'Orient l'infini domine et inspire la crainte et
l'obéissance passive ; en Grèce les dieux ont la forme humaine,
quoique le Destin rappelle l'infini. Enfin le christianisme est la
synthèse de la religion de l'infini et de la religion du fini ; fruit
de l'union du génie oriental et du génie grec, il adore un dieu-
homme. C'est la plus haute expression du sentiment religieux.
Hé^^el croyait probablement avoir rendu, par ce blasphème, un
éclatant hommage à la religion chrétienne, en l'expliquant selon
son système. Cependant il ne s'arrête pas là. Il conçoit quelque
chose de supérieur à la religion chrétienne ; c'est la science du
devenir, qu'il appelle la philosophie. Là, plus d'autorité extérieure
à l'esprit humain ; Thomme ne se soumet qu'à lui-même. Il n'y a
plus distinction entre celui qui commande et celui qui obéit;
rhomme s'adore lui-même ; Car il reconnaît sa pensée comme
Tessence même des choses.
Qu'on ne s'étonne pas après cela de trouver parmi les disciples
de Hegel : le docteur Strauss, qui dans sa Vie de Jésus ^ soutient
792 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
que la vie de Jésus-Christ est un mythe, quMi faut remplacer par
ua Christ idéal, par Thumanité divinisée ; Feuerbach, qui ne veut
pas qu'on dise : « Que la volonté de Dieu soit faite » mais « que
la volonté de Thomme soit faite » ; car c'est la volonté de l'homme
qui est, dans son essence, la loi même et la fin de Tunivers. Dieu
n'est pour lui que l'homme idéalisé, tel qu'il [doit être, tel qu'uD
jour il sera.
Nous croirions faire injure à nos lecteurs si nous entreprenions
de réfuter Hegel et ses disciples, soit dans leurs blasphèmes^ soit
dans leurs absurdités.
On aura peut-être remarqué que le dix-huitième siècle ne ren-
ferme presque rien de classique, dans les théories que nous avons
exposées. C'est que les philosophes classiques qui enseignaient
alors s^en sont tenus aux doctrines précédentes, sans essaverde
présenter des théories nouvelles.
• CONCLUSION
Nous avons entrepris d'écrire l'histoire de la philosophie, dans
le but de démontrer : 1° qu'il y a unis philosophie classique,c'est-Â-
dire un ensemble de doctrines philosophiques qui n'ont pas cessé
d'ùtre enseignées dans la suite des siècles par Timmense msgorité
des philosophes, et surtout par ceux dont les doctrines sont plus
d'accord avec le sens-commun ; 2° que cet ensemble de théories a
toujours constitué à toutes les époques une véritable science, dont
les données acquises sont restées stables, n'ont été contretlites que
par des individualités, et, dans tous les cas, n'ont jamais été
péremptoirement réfutées ; 3^ enfin, que cet ensemble de théories
qui composent la philosophie classique est bien celui que nons
avons exposé dans notre cours, sauf les données nouvelles que
nous avons pu y ajouter sans nous mettre en contradiction avec
les données anciennes.
Pour achever ce travail il nous aurait fallu continner Thistoirs
de la philosophie et passer en revue les travaux du dix-neuviôme
siècle . Mais pour le faire selon les proportions que nous avons
données aux époques pr^^cédentes, il nous faudra encore un volume
rtt nous nous réf^ervons <le lo publier plus tard si l'on accueill*»
favorabloraent celui-ci.
^
TABLEAU GHRONÛLOGIQDE
DE L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
î. AVANT JÉSUS-CHRIST
Boms ëes pUiowphM
M0Ï8E
? Wyasa (les Védas)
t Sanchonîaton
L'auteur des Kings
Thalès
Pittaeus...
Bias
Soîon.
aéobub
Myson
aéobule
Ghiloti
Pérlandre
Epiménide • .
Simonide
Phaléas
KÉNOPHANË ,
Atiaximandre
Lao-tseu..
Pytiiagobe.. . ,
Phérécyde w
Alcmcon
Anaximène
CONFUCIUS
Parménide
yfeng-tseu ,
Bouddha
Ojahia . . . ,
Dates
tfa leur nâisianM
Lieu et de leur mort loolts
de lenr natsiMce ou date connae et Systènes
• de lenr vie
Bgypte. ....... 1725—1605
Inde..;. ? 120Q panthétemc,
Phénicie ? 1 200. polytliéisme.
Chine ? 1200 naturalisme.
y-ilet 610—548 sage, ionien.
Mltylène 600 sage.
Priène . 600 »
Athènes 64d— 559 m
Llnde 600 »
Chênes 600 »
Lacédémone. . . 600 »
Laeédémone. . . 600 )>
Corinthe 600 »
Crête 600 »
C608 600 i>
Chalcédoine.... 600 y>
Colophon ...... 620—530 éléate.
Milet .610—547 ionien.
Chine 605— . ratiooftlisle.
Samos... 600—520 Ec italique,
Syros... 600-r ionien.
Crotonc 5» siècle italique.
Milet 560—500 ionien.
Chine 551— moraliste.
Eléc 553—450 ôléate.
Chine 500 moraliste.
Inde .500 bouddhiêtne.
Inde ; r>00 djain$97ne.
' **l%.^*.
794
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Anaxagorc , . Clazomène
Leucippe Abdère
Diogène Apollonie
1 iéinocrite Abdère
Heraclite Ëphèse
Zenon Eléo
KiTipêdocIe Agrigente
(iorgias I^ontium
Mélissus Saines
Tiinée Locres
Ocellus Lucanie ,
Archélatis Milet
SOCRATE Athènes
Philolaûs Crotone
Protagoras Abdére
Diagoras Mélos
Ilippuis Elis
Crilon. Athènes
Prodicus Iulis
Th rasymaqiie Chalcédoine . . .
Euthydéme Chio
Simon Athènes
Xéiiophon - Atlique ...^...
Soc rate le jeune Athènes
EuCLiDE Mègîire
( iéhès Thèl)es
IMiédon Elis
Esrhinp Athènes
Archytas Tarente
Fi.ATON A thènes
Aniisthène-* Athènes
Arislippe* Cyrène
Métrodore Chio
Diogène Sinope
Arété Athènes
Siieusippe Athènes
Menippe Phénicîe
Xènocrale Chalcédoine. .
Kiibulide Milet
Arîstote Stagyre
Anaxarque Abdère
500—428
ionien.
500—
atomistc.
500—460
ionien.
494—
atomistf'.
5* siècle
ionien.
490—410
èléat^.
490—420
ionien.
485—380
sophiste.
450
éléate.
475-^
italique.
5* siècle
italique.
470— 4Ï0
Ionien.
470—400
morale.
6* siècle
italique.
44i
sophiste.
5« Siècle
"»
436
»
460—390
socratique.
430
sophiste.
42t>
u
420
»
450— 38U
socratique.
445—354
*
440— 38n
o
440—
mégarique.
400
i>
41K)
socratique.
434—
•
430—348
italique.
430-347
Académie.
422-
cynique.
380
cyfénaîque.
420—337
atomiste.
414—
cynique.
360
eyrénaTque.
347
platonicien.
3i0
cynique.
394—31 i
platonicien.
4* siècle
mègarique.
384—322
Lycée
375—325
atomîslc.
TABLEAU CHRONOLOOIQUS
795
Théopttraste Lesbos
Niconiaque ;...,. • .•...;.;.:..,.
Pyrrhon Elis.
Arîstippe le jeune Athènes:
Nausfphane Téos. . . . ... . .
Eu'iême • Rhodes',
Dicéarque Messine
Aristoxène *. Tarente
Kpicurb Athènes
Annicéris Cyréne
Héraclîde Pont
Stîlpon. Mégare
Bérose Babylone
Théodore Cyréne
Dîodore Gronos Carie
Evhémère.l *f Sidie
Aristobule Athènes
Néoclès »
(^hérédéme. »
Mélrodore Lampsaque.. .
Straton Lampsaque. . .
Zenon Cittium
Polyén Lampsaque. . .
Moschus. Syracuse
Oratès Athènes
Arcésilas Pltane
Crantor. . : Soli
Hermachus Mitylène
Fersée
Hérille Carthage
Lycon Laodicéc
Lacyde Cyréne *
Cléanthe. Assos
Apollodore (réplcurien)
Ariston Chio
Ariston Céos
Athénodore Soli
Chryslppe Soli
Evandre
Timon Fhlîonte
Télècle
372—286
péripaléticien.
340
Sce'pfitisme,
330
cyrénaïque.
4» siècle
atoniiste.
' — —
péripatétlcîen.
•
»
311—270
Matérialisine
3(K)
cyrénaïque.
338—
pérîpatétîcien.
300
mégarique.
300
300
cyrénaïque.
300
mégarique.
300
Evhémérisme
300
épicurien.
300
»
300
»
-275
»
286
péripaléticien.
—264
Portique.
épicurien.
280
272
académicien.
316—
nouv.Académ
272
académicien.
270
épicurien.
s'oîcien.
— —
péripatélicien.
-215
nouv. academ.
300-
stoïcien.
épicurien.
stoïcien.
péripatétlcîen.
stoïcien.
280—200
»
—190
nouv. academ.
250—
sceptique-.
-170
nouv. acad.
796
HISTOIRE PB LA PHILOSOPHIB
ZénoD * . Tarse
Hégésii^us
Diogène. Séleucie . .
Carnéads GyrèDC, . .
Critolaûs
Polybe (Grec)
Antipater , . . Sidoa
Metrodore Stratonice.
Lielius Rome
Panœtius Rhodes.. . .
Scipion {le 2* africain) Rome <
Clitomaque Carthage ..
Posidonius Apamée. . •
PhlloD Larîsse ....
Antiochus , . • Ascaloo. . .
CiCERON, Arpinum, .
Lucrèce
U. APRES JESUS-CHBIST
Phllon Alexandrie. . . .
Sènèque Cordouc
Apollonius de Tyane
Simon le mage Sairarie
S. Denys Athènes.... ....
Kpictète Phrygle
.^nésidème Crète
Cérinthe
Agrippa
Basilldc Alexandrie ....
Dion Ghrysostome
S. Justin Sichem
Tallen •. . Assyrie
Athénagbre Athènes
Hcrmias
Saturnin
Gerdon
Valentia
Antiochtis Laodicée ;
Ménodott • Nicomùdie ....
Hérodote Tars ?
200
sUHcieD.
—150
nouv, acad.
155
stolcieo.
214—
Douv. acad.
155
péripatélideii.
-151
DOUV. acad«
142
stolcieo.
•^^ mm^
nouv. aead.
^ —
stolcicB.
130
»
-129
»
^ —
nouv. acad.
100
stolcieo.
90
nouv. acad.
80
»
106—43
>
95-44
^ptcuneo.
«IST
30tî.-50tp.
{uif éclectique
2— C6
stofcien.
7 3-770
magicien.
1*' siècle
gnostî({uc
8—119
my8t,chréUe&
60
stoïcien.
1" siècle
nouv. acept.
»
gnostique.
»
douv. scept.
—130
gnostique.
B
stoïcien.
-167
apolog. chréx.
2* siècle
âpolog. chr^.
t
apoiôg. chrét.
b
apolog. chrèt.
D
gnostique.
»
gnostîque.
»
gnostique.
»
nouv. sccpt.
2>
nouv. scept.
1>
oouv. scept.
TABLEAU CURONOLOGlQUJfi
797
^nion Alexandrie .« . .
inionius-Saccas
stobule
se.
ulée
xime de Tyr
3gène Laëi'ce
rien Nîcomédie ....
Dlémée Alexandrie .. . .
cien : . . . . Samosate
Irénée Grèce
irc- Auréle Rome. ........
Clément Alexandrie. . . .
ii-lullien . . . . , Carthage
exandrc d' Aphrodlse Aphrodisie. . . .
m-tseu Chine
•igène Alexandrie. . . .
[ûlostrate Athènes
LOTiN LycopoUs
niélius Ëtrurie
orphyre Tyr
anés Perse
oxlus Ëmplricus.
uséhe Césarée
imbliqiie Chalcis
rius Alexandrie
actancc Numidie
irmicus Maternus
. Atlianase Alexandrie. .. ^
hémistlus Paphlagonie. . .
ibanius .' Anlioche
. Hilaire de PoUiers
. Basile de Césarée
>. Grégoire de Nazianze
ullen l'Apostat Constantinople
îuuape Sardes
>. Grégoire de Nysse
jes deux Douât
1. Ambroise Gaule
L Jean-Chrysostomc Anlioche
iufin Aquitaine
2* siècle
éclectique.
»
éclectique.
»
juif éclect.
»
épicurien.
»
hist. phU.
»
hist. phU.
»
hist. phil.
105—
stoïcien.
110-
•?120—
sceptique.
120-202
apolog. chrét.
121—180
stoïcien.
—217
apol. chrét.
160—245
apoL chr.(hér)
comm. d'Aris.
—200—
logicien.
185—251
—217—
hist. phil.
205—271
éclectique.
éclectique.
232—302
éclectique.
240—274
gnotique.
3* siècle.
nouv. scept
270—
apolog. chrét.
3* siècle.
éclectique.
270-336
hérétique.
—327
apolog. chrél.
apolog. chrét.
296-373
dogra. cath.
4« siècle.
aristotélicien.
314—390
rhéteur.
—367
dogm. cath.
329—379
»
328—389
9
331—362
néoplatonic.
4" siècle.
hist. phil.
—396
dogm. cath.
4« siècle.
hérétiques.
340—397
dogm. cath.
3i4— 407
»
350—395
traducteur.
708
HISTOIRB DE LA PHILOSOPHIE
S. Jéràme StrîdoQ 330— lihJ
S. Augustin Tagaste 354—430
Salvien Marseille 420
Slobée (Jean) Macédoine 430—
412—
-132
420
—451
490
470—528
470—568
529
529
—660
—636
Proclus Bysance
Pelage G. Bretagne • . .
Nestorius Syrie
Eiitychès ? Gonsiantinoplc
Marcianus Ca^ïella Madaure
Olympiodore Alexandrie ....
Boéce Rome
Cassiodore Galabre
Simplicius ; Cilîcîe
Damascius I»amas
Jean Phllopon Alexandrie. . . .
S. Isidore de Se ville Carthagène.. . .
Mahomet Mecque 570-622-632
Bédcêrable (le vén) Angleterre .... 672—735
S. Jean Damascène Damas 676 — 760
Alcuin... York 734—804
Anan ben David Juif 8* siècle
Raban Maur — 856
Gottescalc 9* siècle
Scot Erigène
Al-Kendi Bagdad
Saadta
Al-Farabi Bagdad
Gerbert AurlUac
Avtcennv Bagdad 980 — 1037
Tdiéou-tseu,.,. Chine....; 1000
Bérenger Tours 1 005— 1 088
Avicebron Juif li« siècle
B. Lanfranc Pavie 1005—1087
S. Pierre Damien Ravenne 1005—1072
Michel Psellus Conslantinople 1018—1079
Xiphilln »
ROSCELIN Bretagne 1080
S.Anselme Aoste 1033—1109
Gaunilon de Marmoutiers. . ,
Jt'r^a Ilallevi : il' siècle
.\'-Ga^eï Bagdad 1058— lllt
éclff 1 1-
hérètif?
édect. ^
r
9
833
895—942
—950
—1003
ratiooaB*
BCObstiq«
pantba^
arisioi^
arisloUfiô^
pflQtbéistr
héréli^
scolasJi^-
i
piatoDfei*
ai
D(
•
apol. ]^^
TABLEAU CHONOLOGIQUK 79V*
Guillaume DE CiiAMPE AUX —1121 réalisle.
Axen-pace Ck)rdoue. —1138 rationaliste.
Hugroes de S. Victor —1140 mystique.
Abailard... Palais... 1071>— 114? conceptualiste.
Gilbert de la Porrée 1070— 1 154 réal. hérét.
S. Bernard 1091—1153 rayst. chrét.
Pierre Lombard Novare.. 1 100 — 1 160 mag. sententiarv m
Richard de S. Victor.. .'. —1 173 mystique.
Jean de Salisbury , .* —1 180 mystique.
Tofaïl Gordoiie. 1 105— aristotélicien .
AVBRR0È8 Gordoue. 1120—1198 comm, d*Ariêtotc.
Les Vaudois 12" siècle hérétiques.
X^es Albigeois d t>
Amaury de Chartres » panthéiste.
David de Dinan » panthéiste.
Maimonldc Cordoue 1135-1204 rationaliste.
Tsioud'hi Ghine. . . —1 200— dualiste.
Pierre de Hlois T. . . . —1200 scolastique.
Guillaume d'Auxerre —1230 scolastique.
Alexandre de Halès —1245 doct irrefragabili.<
Guillaume d'Auvergne —1249 scolastique.
Vincent de Beauvais — 1261 »
S. BONAVENTURE Fidenza. —1274 doct. serapîiicui?.
Albert le Grand 8ouabe.. 1 193 —1280 scolastique.
S. Thomas d* Aquin 1226—1274 doct. angeliciis.
Roger Bacon 1214—1294 doct. mirabilis.
Raymond Lulle 1235—1315 doct. illuminatvi*.
DUNS 8C0T 1274—1308 doct. subtilis.
Eckart —1328 myst. hérétique.
Durand de S aint-Pourçain —1 332 doct.resoluttssim us
Walter Burleigh — — scotiste.
Guillaume d*Ockam , —1347 doct. invincibilis^.
Thomas de Brad wardin — — déterministe.
Jean Buridan 1296—1358 nominaiiste.*
Jean Wîcleflf. — — hérétique.
Jean Taoler 1290—1361 myst. chrétien.
Suso Italie... —1365 myst. hérétique.
Jean Ruysbroeck 1293-^1387 »
Gerson 1362—1429 myst. chrétien.
Thomas a Kempis , 1380 -1471 »
Gémiste Pléthon —1438— platonicien.
8()0 H18T01RB DB LA PHILOSOPHIE
Bessarion TrébUondo.. . . 1380-1173 pW**"
G«nnadius Constantlnoplc —1138- iristowS»
Georges de Tréblzonde 1396—1186 •
Théodore Gaza ■ — '*^* '
Nicolas de Cusa lM)i-»61 pUloiwa
Laurenr Valla Rome. 1406—1157 »
Marsile Klein Florence 1U3— 1499 •
Ange Politien 1454-1194 éetedif*
Reuchlin Bade 1455-1522 kaM*
Pomponace Mantouc 1462-102» «!«»«*
Jean Pic delà Mirandole.. 1463-U94 W«m»
Krasme Rotterdam.... 1466—1536 i^iae»
Machiavel Florence 1460-1527 iwUtn*»
Copernic Prusse 1473-1543 olwrt*
François Pic de la Mirandole Italie —1533 éd«l^
Luther Bisleben 1483-1546 prowri-»
l>aracelsc Einsiedeln . . . . 1«3-I5U niystil»
cardan Pavie...'. 1301-1576 pwtk-^
Télésio Galabre 1508-1588 ote«' J
Alexandre Plccolominl Sienne... 1508— Uî» '*'**'
Servet Aragon 1509-1553 pintt**»
Uamus Cuth_ 1515-1572 pl»W*»
Uesalplnl Arezzo 1519-1603 ûteenj
François Piccolomini Sienne 1520—1684 laU*
Montaigne Pèrigord 1533-19» ^^
Charron l^aris 1541-1603 W»««l«
Juste Llpse BruMlles 1517-1606 sUJld»
Nicolas Taurel MontbéUard.. . 1547-1606 filaWK»
Giordano Bruno Noie 1518-1598 pan*^
Bacon (François) Londras 1561-1626 tmb>M>-
Galilée Pise 1561-1612 obMrwt
Campanella Calabre 1568-1639 ob^
Kepler Wurtemberg.. 1571-1030 «U»^
Uobert'Mudd MUgate 1.574-1637 pan*»*
Boehm «orUtz 1575- PW«»-J
Sancheï Portugal 1562-1632 seepU)»
J.-B. Van Helmonl BruxeUeS 1177-16» pa»""- '
Grotlus Hollande 158:^-l645 pW*
VaniQl Naples 1586-WI9 I«">"Vr
llobbes Malmesbury... 1588-1679 «n**^
Gassendi Wgne 1592-IC;^ ''P'"^-
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
801
Dbscabtss
La HochefoucauUl
François Van Helinont .
Pascal
Nicole
Bossuet %.
Huet
Locke...
Spinoza.
FuflFendorf ,. . . .
Gumberland
Malebranche
Newton
La Bruyère
Lbibnitz
Bayle
Fénelon
Buffier
ShaCtesbury
Gudworth
Le Père André
Clarke ,. ...
Woll
Berkeley
Swedenborg
Montesquieu
HutchesoD.
Voltaire
Quesnay
Home
Lamettrie
Mably
Rbid
Hume
Diderot
J . J . Rousseau
Coudiliac
UelvéliiH
Saint-Lambert
D'Alembert
Bonnet
Touraine 1596—1650
Paris 1613—1780
Vilvorde 1618—1600
Clermont 1623—1602
Chartres 1625—1695
Dijon 1027-1704
Caen 1630—1721
Bristol 1632—1704
Amsterdam .. . 1632—1677
Saxe 1632—1694
Londres 1632—1718
Paris 1638—1715
Grantham 1642-1727
Paris 1645—1696
Leipzig 1646—1716
Garlat 1647—1706
Périgord 1651—1715
Pologne 1661—1737
Londres 1671—1713
Aller 1617—1688
Châteaulin. . . . 1675—1754
Norwich 1675—1729
Breslau 1679—1754
Irlande 1684—1753
Stockholm.... 1688—1772
Bordeaux 1689—1775
Irlande 1694—1747
Châtenay 1694—1778
Mercy 1694—1774
Kames 1690—1782
St-Malo 1709—1751
Grenoble 1709—1785
Ecosse 1710—1795
Edimbourg.... 1711—1776
Langres 1712--1784
Geoève 1712—1778
Grenoble 1715—1780
Paris 1715—1771
Nancv 1716—1803
¥
Paris 1717—1783
Gonèvo 1720—1793
doute mélhod.
moraliste ;
panth. myst.
cartésien,
cartésien,
cartésien,
traditional.
empirique,
panthéiste,
phil. du droit,
sentimental,
cartésien,
observateur,
moraliste.
monadisme,
sceptique,
cartésien,
précurs. d. écos.
sentimental.
médiat, plast.
ontologiste.
espace divin.
leibnitzien.
idéaliste,
illuminé,
politique,
sentimental,
déiste.-
économiste .
sentimental,
matêrialislo.
économiste.
éc. énofif^aise.
sceptique,
malérialis!*'.
économisle.
sonsualisN'.
sensualiste.
matérialiste,
sensualiste.
sensual. physiol.
51
802
HISTOIRE DB LA PHILOSOPHIE
F'rii^e Angleterre.. . .
d'Holbach HiWesheim . . .
Adam Smith Ecosse
Kax T Kœnisherg
Forfjiison Perth
Turgot l'aris
Priestley Leeds
Boscowich i Haguse
Condorcet Picardie
Saint-Martin Amboise
Dugald-Stewart Edimbourg . . .
Fichte Lusace
1 lêgol Stuttgard
SchoUing Wurtemberg. .
1723—1791
1723—1789
172:}— 179C>
172 i— 18)1
1724—1716
1727—17451
1733—1804
17'il— 1787
1713—170 i
174.3—1803
1753—1828
1762—1814
1770—1831
1775—183 4
athêt .
sentiia^u»!
critirUmt
sentimeQ*-iL
écoaomUt-?.
inona4lt<>
êcon »-fl">*i-
é<*oc5sais-
itlentîîé. i-^^'*
idéalisme, *r'
■vATUUV»— —
TABLE DES MATIÈRES
EN FORME DE RESUME
Pages
Introduction. — l. De la science en général,
La science est la connaissance raisonnée des lois des èlres. 5 — 7
2. Division de la science,
La science est divine ou humaine; celle-ci est naturelle ou
urnaturelie 7— 0
3 . Classification des sciences humaines 9—11
Tableau synoptique 12— 13
GÉNÉRALITÉS
1. Objet de la philosophie.
Il a varié avec les époques. Aujourd'hui, c'est l'àme et Dieu. 15— 16
2. Définition de la philosophie.
Elle a varié avec l'objet. Pour nous,' la philosophie est la
science naturelle de Vàme et de Dieu ; 16— 18
3. Utilité y importance j nécessité de la philosophie,
La philosophie est utile à tous, importante pour plusieurs
et nécessaire à la société 19— 20
4. Rapports de la philosophie avec les autres
sciences,
^Supérieure par son objet, elle les dirige toutes par la méthode,
vivifie les sciences noologiques, et dirige le se. cosmologiques. 20— 22
5. Méthode à suivre en philosophie ,
On a suivi Thypothése, l'autorité, la déduction, Tinduction.
11 faut rejeter l'hypothèse et employer les autres à propos. . . . 22— 25
804 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
fi. Division de la philosophie.
Klle a varié avec sod objet. Nous adoptons celle-ei : Géné-
ralités, Logique, Métaphysique. Psychologie, Thèodicée,
Morale, Uîstoii'e
h»\
^wî
»
%^
• • •
LOOIQUE
Généralités. — I. Objet de la logique.
Il a peu varié. C'est aujourd'hui la vérité de la pensée.
2. Définition de la logique.
Diverses défiaitions. La nùtre est : Science de la vérité à.^
la pensée • • • • ^ '
3. Importance de la logique.
La logique naturelle ne suffit que dans les cas simples
4. De la méthode qui convient à la logique.
L'observation n'y a pas d'objet. La méthode de raison pure
suffit ^'-^
5. Division de la logique.
Elle a peu varié jusqu'à nos jours. Divisions innombrable
aujourd'hui. Nous la divisons en : abstraite, subjective, objec-
tive, démonstrative ^'""^
6. De la vérité objet formel de la logique.
La vérité est la conformité de la pensée avec son objet
intentionnel ^^
LOGIQUE ABSTRAITE
Définition. La logique abstraite est la science de la vérité
de la pensée dans ses rapports avec elle-même
Chap. l". — LA PENSÉE EN BLLE-MÔMB. — ABT. 1" "
Nature de la pensée. La^^pensée est une Information de l'âme.
DUS ses diverses formes, perception, conception, \ixgemeai,
hypothèse, conséquence, raisonnement, elle est toujours : l»
conception d'un fait
TABLK 805
Pages
\RT. 2*. ^ Bitekents oonatituUfti de la pensée. Eté-
enta essentielê; sujet, nature, existence du Uit. Eléments
cessoirea circonstances 40
1. Définition des idées.
On l*a donnée sous quatre points de vue: objet quelconque. ,
>iet nécessaire^ connaissance actuelle, connaissance habi-
elle. Pour nous, les idées sont des conceptions habituelles,
i des habitudes intellectuelles U-« 43
2. Propriétés des idées.
Communes, spéciales, particulières. Vérité. Identité, Ana-
>gie. Opposition, Dépendance, Extension, Compréhension. . . 41— 47
3. Moyens pour déterminer l'extension et la corn*
réhension.
Définition, Division, Classification 47— 53
4. Qualités des idées.
Intrinsèques : clarté, distinction, composition, relation ;
xtrinsèques : subjectives, objectives, originelles 53— W
5. Origine des idées.
Les idées contingentes sont acquises ; les idées nécessaires
ont innées 56— 57
6. Des idées dans leurs rapports avec la pensée.
Elles y sont: sujet, verbe, attribut ou complément. Catégo-
ies d*Aristote, et d'autres auteurs 58— 61
ART. 3*. — Union des éléments de la pensée.
1. Union des éléments de la pensée.
Le sujet et l'attribut sont unis dans l'idée de leur identité,
exprimée par le verbe 62— 65
2. Différentes formes de la pensée.
Conception, Jugement, Hypothèse 65—66
3. Propriétés des pensées.
Le jugement est particulier ou universel, analytique ou syn»
thétique, catégorique ou conditionnel ou alternatif, affirmatif
ou négatif, circonstancié. — La vérité du jugement découlé de
la vérité des idées 67— 71
806 HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIB
h»
Chap. II. — EXPRESSION DE LA PENSÉE.— A&T. 1*'. Impor-
tance et nécessité de l'expression de la pensée. L'es-
pression sensible de la pensée est nécessaire poar la faire nattre,
pour la faire revivre et pour l'exprimer '
Art. 2*. — Nature de l'expression de la pensée.-
Langage.
1. Du langage et de ses différentes fortnes.
Le langage est l'expression de la pensée. Il est d'acîiofi.
parlé, écrit. L'écriture est idéographique ou phonétique;
celle-ci est syllabique ou alphabétique
2. Instruments du langage.
La parole et l'écriture. Langues "mortes ou vivantes ; ana-
lytiques ou synthétiques
3. Origine du langage.
JJe fait, l'homme n'a pas inventé le langage, et on doute
qu'il eût pu le faire ; pour l'écriture, il y a doute des deux côtés.
Art. 3*. — Lois du langage.
•Règles de la signification des mots ; trois sens pour un mot;
trois sortes de lois ; trois branches dans la science du laogaîc-
1. Terminologie.
Science des termes, en tant qu'ils expriment une idée; termes
simples, composés ou complexes ; sens propre, figuré, combiné;
sens matériel ou formel ; distributif ou collectif, divisé ou
composé '^•' "
2. Logique du langage.
Science des lois de la proposition. La proposition est l'ex-
pression d'une pensée. Eléments, propriétés, distinction des
propositions ^
3. Grammaire,
Science des modifications des mots. Flexions et combinaisons
modificatlves. Deux parties dans la grammaire : Cllnologie e^
Syntaxe, ^
Chap. in. — RELA.TI0XS ENTRB LES PENSÉES. — AualOgie. ^^
opposition, conversion, équivalence, connexion ^
TABLE 807
Pages
Art. t*'. — Nature .et fondement de la connexion
.es pensées.
Deux pensées logriquemeut connexes sont vraies ou fausses
n iTiônie temps. Cette connexion est fondée sur les rapports :
e cause et efTet, loi et phénomène, espèce et individu. Ces
rois rapports sont une identité logique 87— 92
Art. 2*. — Manifestation et affirmation de la oon-
lexion logique des pensées. — Raisonnement.
Le raisonnement affirme l'identité logique de deux jugements
Impies. Ses éléments sont : principe, moyenne, conclusion. —
-iaisonnements probables, basés sur l'analogie ; raisonnements
certains, basés sur l'identité logique. — Identité, Déduction,
[nduction. Tous les trois sont fondés sur l'identité logique... 92 — 98
Art. 3*. —Expression du raisonnement. — Syllogisme.
1. Du syllogisme en général.
Ce mot signifie raisonnement. Ses éléments sont : grand
terme, moyen terme petit tei'me, majeure , viineure, conclu-
s/on. Le syllogisme met en évidence le raisonnement. — Loi •
unique du syllogisme : que les trois termes soient manifestés
comme logiquement identiques 98—100
— Exposition algébrique de la pensée et du raisonnement.. tOÏ — tOô
— Le syllogisme est l'expression de l'induction et de la
déduction. W5— ! OG
— Le syllogisme est utile et embarrassant 107—108
Appendice. Règles du syllogisme d'après Aristoie et les
scholastiques. Régies, modes, figures, résumé 108— 1 15
1. Des différentes formes du sgllagisme.
Entliymème. Epîchércme, Prosyllogisme, Sorite, Syllogisme
conditionnel. Syllogisme disjonctif, Conclusion conditionnelle,
Dilemme 115—118
Art! 4«. — Connexion oomplexe des pensées. —
Méthode. — La méthode est l'ordre logique des connaissan-
ces. Il n'y en a qu'une pour chaque ordre 118— 1 20
1. Diverses formes de la méthode, — Analytique
et synthétique.
Double direction sur une môm/B voie 121—123
808 HISTOIRE DB LA PHIL080PHIB
La vraie méthode en philosophie n'ast pas exclusive l^"
1. Instrumenta de la méthode
Analyse :ObservatioD, expérimentation, induction, classifici'
tion ; Synthèse : Conceptions premières, définitions, diviaioa.
déduction **^^
3. Méthodes à employer dans les différents ordres de
sciences.
Synthèse, pour les sciences dont les lois sont nécessaire :
Analyse pour celles dont les lois sont contingentes ^^'^
«
LOGIQUE SUBJECTIVE
Définition. La logique subjective est la science de la vérité
f '
de la pensée, dans ses rapports avec le sujet pensant '*'
Deux sortes de relations subjectives : l'une essentielle, i<^
autres logiques.
Chap. L — KBJLATIOM SUBJBCTIVB SSS|KNTIBLI.K. — COM-
cience de la pensée. Elle doit être claire et distincte ^^^^^*'
Chap. II. — RELATIONS LOGIQaES DE LA PENSÉE AVEC f OX
SUJET. — Doute, hypothèse, probabilité, certitude '^
La certitude est un acte nécessaire de l'àme. Elle existe, ne
peut se démontrer ; mais n'a pas besoin de démonstratioa... ^^^
Chap. in. ^ SOURCES DES DIVERSES RELATIONS hOGlQV^
DU SUJET PENSANT AVEC SA PENSEE. — La peusée est produite
par son objet intentionnel, .ou par Tàme. De là les sources
objectives et les sources subjectives. Les premières donnent
la certitude. — La certitude est métaphysique, logique, phy-
sique ou morale '*'''" '^
l(k;ique OBJKcnvK
Définition. La logique objective est la science de )a vêriti-
de la pcn.sée dans ses rapports avec son objet. — Double oii/*-^'
essentiel et intentionnel. Le premier est toujours identique »
la pensée :
TABLK 809
Chap, I. — Sources de la vérité et de l'erreur. — Les
sources objectives engendrent nécessairement une pensée
vraie. Les sources subjectives n'engendrent logi [iieinent que
Terreur 141—1 42
Diverses classifications des erreurs 14rj— I \ \
Chap II. —Manifestation Ije la vérité d'une pensée.—
Evidence. C'est l'objet intentionnel manifesté â l'àme. Elle
est la cause de la certitude 1 45
Evidence métaphysique, logique, physique» morale. Témoi-
£^nage, autorité, histoire 146—151
Scepticisme, probabilisme, critérium de la certitude 152—157
LOGIQUE DÉMONSTRATIVE
Définition. — La logique démonstrative est la science de
la communication des pensées 158
Chap. I". — De la communication des pensées,kn elle-
même. — l^our faire naître une pensée chez un autre, il faut
lui en manifester l'objet 158—159
Chap. Il'- Action, de la communication des pensées. —
Elle fait naître une pensée semblable, avec sa valeur logi-
que. Vraie, elle instruit; fausse, elle tue l'intelligence 160
Chap. III. — Condition de l'action de la parole. —
Dans l'enseignant : science, talent d'exposition, art d'attirer
l'attention et de gagner les cœurs. Dans l'enseigné: intelligence,
connaissances préalables, attention, dispositions du cœur ICI- 1G2
MÉTAPHYSIQUE
Généralif es. — 1 . Fondements de la métaphysique.
Deux connaissances : a priori et a posteriori. L'objet de
.a première, c'est le nécessaire abstrait, relatif et hypothétique.
Mais appliquée à un point de départ réel la science a priori
devient réelle 163—166
2. Objet et définition de la métaphysique.
Elle a varié avec les temps et les auteurs. Pour nous, elle
est la science des lois nécessaires des êtres. 167—168
. 810 TABLE
3. Importance et nécessité de la ynétapht/sique.
Sans la connaissance a priori l'expérience ne saurait ook»
«lonner la science '
4. Méthod-e et division de la inétaphysique.
La science a priori se fait par déduction. KUe compreod
pour nous VOn loloQÎe générale et spéciale ^ *
ONTOLOGIE GÉNÉRALB
Ghap. V' — De l'être en général. — L'être ne peut «
définir. Ses principes se réduisent à Vessence, les élémenti
et la raison 8uffls»ante, L'essence se détermine par les atlribote
et les modes ï'^""''
Kt re simple, composé ou complexe. Substance et modificati«.»«. ^"^*
Kaison sufllsante : intrinsèque ou extrinsèque ''^*
Ghap. II. — Degrés d*ètre ou entité de l'être. — P<»'
sibilité : intrinsèque ou extrinsèque ; existence: a se ou ofc
aliOf nécessaire ou contingente, substantive ou accidentelle ^^^"^
Acte : physique, logique ou moral; Acte pur *
Application de ces principes *8^^
Chap. III. — Propriétés de l'être. — Unité, Vérité,
Beauté, Bonté. — Perfection, imperfections ^*''"*
Chap. IV. — Relation des êtres. — Relations métaphy-
siques, physiîîues, logiques, morales. — Identité, dépendance,
connexion, génération .^ I^'^
Chap. V. — Lois des êt^es. — La loi *e«t la règle des
relations. Lois métaphysiques, physiques, logiques, morales WM*"
ONTOLCXilE SPÉCIALE
Chap. l" — De l'être nécessaire. — Son es:-:ence: il ne
peut pas ne pas être. Ses attributs: a se, nécessaire, iiifiûi.
éternel, unique, simple, immuable, omniscient, lout-puissaDt.
-// est l^-^
1/inani dns mathématiciens ^M indéfini ^'-'*
TABLE ^11
Gliap. II. — Uk l'Être continuent. — Son essence: il peut
e pas êtie. Ses attributs: il est ab aho.contîngent, fini, tem-
orel, non unique, simple ou composé,changeant;il peut n'a-
oir ni connaissance ni activité; d'ailleurs sa connaissance et
on activité sont limitées « « 203--20i
Relations des êtres contingents. Le temps, Tespace, le
mouvement ne sont que des l'elations. v 205—207
La matière n'est pas divisible indéfiniment. Ses éléments
premiers ne sont pas étendus 208—212
PSYCHOLOGIE
Généralités. Objet : Le moi, ou i'àme. Définition : La psy-
chologie est la science de Tàme. Méthode : analytique. Ins- •
\rument: la conscience 213—214
Chap. !•' — Faits ou phénomènes db l'ame, — Les faits
appartiennent au corps seul, ou à Tàme seule, |ou au corps et
à l'àme. Ces derniers sont des impressions ou des mouve-
menté. Les impressions produisent les sensations et \qs per-
ceptions. Les mouvements sont instinctifs ou volontaire$. . . . 215 — 218
Les faits de V&me seule sont: sentir^ connaître^ agir 218—224
Chap. II. *- Facultés de l*ame. — Sensibilité, Intelli-
gence, Activité. — Chacune de ces facultés peut être déter-
minée par des habitudes ; celles-ci sont naturelles, infuses,
acquises 224—230
AaT. 1*' — Sensibilité. Faculté de sentir. Les sensations
ressemblent aux sentiments et en différent. La sensibilité est
donc physique ou morale. Elle est toujours passive. Il y a
influence réciproque entre cette faculté et les autres 231—253
\, Sensibilité physique.
Faculté d'éprouver des sensatlons.il lui laut: les organes du
corps, les instruments do transmission» la sensibilité de l'àme.
Son but est la cohservation et le développement du corps. —
Il y a des habitudes de sensibilité 234-239
2. Sensibilité morale.
Facnllc d'éprouver des sentiments. Elle est tout entière
dans l'àmc. Son objet, c'est le beau connu. Son but, de faciliter
l'accomplissement du devoir. Elle a aussi des habitude», — Le
812 TABLK
fjoût est le sentiment habituel du beau. Les p€i^sionssonl*ki
sentiments habituels violents. — Les sentiments procurent te
hunheiiv ou le inàUteur 22^^
Art. 3«. — InteUigenoe.
Faculté de connaître. — Passive par elle-ménid, elle se déve-
loppe avec liberté. Elle s*exerce par les impressions du corps,
par celles de Tàme et par les habitudes intellectuelles. Cellesr
l'i constituent sou développement, et pi-oduisent ses difTèreols
degrés de perfection ^^^^
Ses éléments sont : les sens, la coîiscience et la raison.
Celle-ci est une habitude naturelle *^^
1. De la perception.
C'est l'inforiiiatîon actuelle de l'àme par un objet. Elle eaft
essentiellement exacte. Elle esltnrerne ou eœterne. Elle sup-
pose donc la conscience et les sens ^'^
2. De l'attention,
(i'est Tacte par lequel l'àme se livre à son Inlonnàtion.
Elle est le fruit de rinlelUgence et de l'activité, instinjctirt
ou volontaire -^
3. De l'analyse.
C'est l'acte par lequel l'àme décompose ses perceptions pour
s'informer de leurs éléments, — C'est une attention multipliée. ^^-^
4. De l* abstraction.
C'est l'acte de l'àme qui considère séparément un élément
inséparable d'un être. — C'est une attention séparée....... ••• ^*'
5. De la comparaison. |
C'est l'acte par lequel l'àme considère simultanément /«s
éléments de deux objets afin d'en percevoir les éléments com-
muns et les éléments propres. — C'est une attention douW^,
après analyse et abstraction
6. De la généralisation.
C'est l'acte par lequel l'àme considère comme un seul objet
les éléments communs à plusieurs êtres. — C'est rabstraction
à sa deuxième puissance ,
7. De la conception.
Information de l'àme déterminée par elle, ou considérée en
dehors de sa cause. Elle est actuelle ou habituelle
TABLE 813
8. Des idées.
(^ sont des habitudes intellectuelle;*. Elles sont naturelles
et innée*, infuses ou acquises 268 — 272
9. De Vimagination,
Elle est reproductive ou créatrice. Celle-ci est le fruit de
Vassociatton des idées 273 — 275
10. Du jugement.
C'est Tadhésion de l'ûme à sa pensée. — C'est un acte de
l'àme; peut-être un acte de volonté, mais de volonté nécessaire. . 275—277
\\. Du raisonnement.
C'est Tadhésion de l'àme à l'identité logique de deux pensées.
C'est un jugement 277
12. Du souvenir et de la mémoire.
Le souvenir, reproduction d'une information antérieure^
avec conscience de sa précédente production, est spontané,
instinctif ou volontaire. La mémoire, pouvoir de se souvenir.
n'est pas une faculté, mais l'ensemble de nos habitudes intel-
lectuelles. Elle est facile, tenace, prompte. Il ya la mémoire
des images, des mots, des idées 278 — ^280
Tableau résumé de Tintelligence 281
Appendice. Principales théories sur les facultés intellectuelles 282—288
Art. 3« — ActiTité. Faculté d'agir. Seule elle «st une fjiculté
proprement dite. Elle s'exerce sur l'àme et sur lecpijfps, avec
ou sans réflexion .-^-^^TT. 288—289
1 . De l'activité corporelle ofj^fiy^ique .
Faculté qui permet h l'àmpjp^g mouvoir son corps. Elle
suppose la mobilité du ccuj|^g Inconsciente, elle prend le nom
de force vitale. Gons(U^^^ ^^j^ préside à tous les arts, par
les habitudes y ' 289—291
2. De Vacu^^^^ spontanée.
C'est l'acU^^^ déterminée par l'àme elle-même. Elle existe •
en nouy^uigque nous sommes libres. Mais elle offre un
"^y^^nsondTble ^'-^^^^^
^De V activité instinctive.
^est l'activité excitée par une attraction. Elle existe aussi, ^^^^^^
,u seule, où avec la liberté ";
tiU TABLE
■I. 1>F Inactivité volontaire.
C'est celle qui produit ua icte coauu prealablennit :
peul être nécertaire ou libre
5, De l'activité libre ou de la likerté.
*;'esl ceiJe qui, produit ^}oalanÉnM>nt et sans oénssU •
aclB cooDU d'avance. C'est la faculté de diouir. Qlesl«
conséquence de la rjisoa ; mais elle ce peut 3'eiernr<|« *
les biens contingents ou relatifs '
On donne quatre sens au mot liberté. On l'a smusni m! ^
déOnle '
La liberté e:iiste. Elle est attestée par la toaacitnct iodin-
duelle et par la conacfence unireraelle
Le fatalisme et le déterminisme, qui nient la liliMt* tif*-
gneoi à la conscience, i la morale, A la rie sociale, i 1* i"^
et à la bonté de Dieu
La liberté est ueruine aussi bien que la prescieoee ëà»
et que sa providence. Il ne faut pas chercher k lîeo qw "^
uolt
appendice. Principales théories sur l'activité
(^hap. ni. - Natueb de l'amb. Lame nous est «iW»
dier ^ "^»f !«"«. C'eat le mt>i. Four la connaître iUwl*
'•"-■«Êtne. pe"«"' ;^*£%^^«' ""■ *
2. Nature de ^'dw^'^TNi^
3 . Distinction d/> l'J
««J- /a
"rt^wj
TABLE 815
voulu expliquer leui s rapports par différents systèmes :
•*t occasionnelles, harmonie préétablie, animisme, vita-
'iBi médiateur plastique, orqanicisine, kxxGun rtecessys-
.-! ne peut se soutenir 311-^^15
fn^iOrandettr et destinée de Vâme.
nvi dessus des autres créature:} par ses facultés, l'àme doit
j .6 monde à Dieu. Elle ne pérît pas avec le corps: elle
j.3i;«mortelle 3i6
THÉODIGÉE
lé
^néralitéa. Son o/>;ef. c*est Dieu connu natureilemeot.
jéfiniiion est donc : Science naturelle de Dieu, Elle a pour
^ument toutes les scleneea, mais avant tout la métaphy-
9. Sa certitude est plus absolue que celle des autres
'^ aces. Sa méthode, c'est la déduction, sauf pour la preuve
^'existence de Dieu 317—318
^,RT. l*"' — Idée de Dieu. C'est l'idée d'un être supérieur
uel, créateur de toutes choses. Elle est dans la raison,
-^Is elle n'apparaît que par l'éducation. Elle se développe par
^révélation, par la philosophie et parla théologie. On la
jve partout et dans tous les temps. Il y a de fausses Idées
3leu * 318—821
IBT. 2*. — Exiatenoe de I)iett.
3n en donne quatre preuves principales : la nécessité d'une
jue première, le consentement unanime des peuples, l'ordre
Udonde, l'idée de rinûni. — La preuve purement métaphy-
'>a'est qu'une illusion 321—326
rpt, \ *- ilb^tributs de Dieu.
distingue dS ontologiques. Dieu est l'être nécessaire, étemel,
Vt substance sans accident, simple, un et unique,
""."*;', Sensé ; Ilest • 327—330
'srede famé. %^gctuels. Dieu sait tout ; il est la vérité môme. .
ae, Sentimentalisme, « , 330—332
i^^isme s.^. Dieu est libre, juste, bon, et celaioftni-
532-333
! et du corps, mais
.' 3l(UJI!
816 TABLK
Atiributa de causalité. Dieu est la cause première ; il est
tout puissant ; il consente tout SS-"
Abt. 4*. — Rapports entre Dieu et le inonde — Créa-
tion et ProTidenoe.
Création, Dieu fait toutes choses de rien, — l>es systèmes
opposés ne peuvent se soutenir S*-^
Providence, Les choses ne sont qu'autant que Dieu les tsal
être ; il les fait donc ce qu*elles sont : donc il les gouverne.—
Les systèmes opposés ont contre eux la métaphysique et le
témoignage du genre humain 3î*-^
La religion est donc une loi nécessaire, et quand tout nous
atteste que Dieu a révélé une religion surnaturelle, nous
devons la suivre ^ ^''^
On oppose au dogme de la Providence : t" la liberlé lie
l'homme 2" l'existence du mal. Mais l'opposilioa n'est qu'ap-
parente. L'action de Dieu n emi)éche pas la liberté. Le mal
physique est un bien, ou 11 vient de l'homme ; le mal moral
vient de l'homme ^^'^^
MORALE
Généralités. La morale a pour objet les actes humains,
qui sont régis par la lot morale, et la morale elle-même est
la science de cette loi "
Chap. i". — De i.a loi mokalk en général •
Art \". — Définition de la loi morale.
C'est la règle du bien dans les actes libres. Elle règlp caf.
actes en les laissant libres.
JtMiî
Art. 2* — Nature de la loi moralb. La loi morale est
un motif déterminant. Les motifs de nos déterminations sont:
les sensations, les sentiments, Tintérèt, le bien absolu. *^
dernier seul est la loi morale ^'^''
Il y a de fausses idées de la loi morale. — L'essence du
bien est dans la conformité de l'acte avec sa fin. On distln^e
la loi de justice et la loi de charité. La justice est commu-
laiive ou distributive •
3i5-5»«
J
TABLE 817
Pau--
'n
A UT. :i^ — Action de la loi morale sur les aotes libres.
ja loi morale agit par obligation. Elle n'oblige que par la
'onscienoe morale. Vraie ou fausse, c'est toujours la con-
Kîicnce qui oblige. Maïs il faut l'éclairer Il is— ;j.)0
Le droit est la légitimité d*un acte. Le devoir est l'obliga-
tîon de faire un acte. — Le droit vient de la propriété, qui
ïeule le détermine. Le devoir vient du droit d'autruî. Le pou-
voir est une conséquence du droit 350— ;ir>:^
Art. 4* — Existence de la loi morale. Elle est attestée
par la conscience universelle et par la raison 353 — 35 'i
Art 5* ~ Origine de la loi morale. Elle est nécessaire
ou positive, La première est absolue, la seconde n'oblige qu'à
cerlaioes conditions 35'i— ;{-,«
Abt. G' — Sujets de la loi morale. La loi morale a pour
sujet l'acte qu'elle régit et par là même le sujet de cet acte,
et les habitudes qui prédisposent à l'acte. — Actes humains,
ou libres, acies de Vhomme, ou instinctifs. — Moralité
abstraite ou matérielle, moralité formelle de l'acte 35G*-35«
f lahitutles morales. Vertus et V ices 358— îTTil
Art. 7« — Sanction de la loi morale. La sanction arrête
la violation de la loi. Elle est essentielle ou positive. La pre-
mière agit métaphysiquement, la seconde, par influence siur
la sensibilité. — On distingue la sanction de la conscienco^
celle de la nature, celle de la société, celle de Dieu 361— 3fi5
Mérite et démérite. Connexion morale entre un acte et sa
récompense ou son châtiment. Le mérite est foadé sur la per-
fection de l'acte. Du mérite naît la responsa])ilité«' 365-<»3r>x
Chap. IL — LOIS MORALES DANS LEURS ESPÈCES. LolS SUr
les choses, sur nous-mêmes, sur nos semblables et à l'égard
de Dieu 30^
Art. 1" ~ Lois relatives aux choses, on aux êtres
privés de raison. Les choses n'ont point de droits : l'homme
n'a donc point de devoirs envers elles, pour elles-mêmes.
Mais il a des droits sur elles par la propriété, et dès lors les.
autres hommes ont des devoirs envers lui, relativement à ces
choses. — La propriété a plusieure origines légitimes, et c'est
la propriété qui régie les lois sur les choses 308— 370
fjO -
S18 TABLE
1*1
Art. 2» ^ Lois morales des actes envers soi-môse.
Comme s'appartenant à lui-même, l'homme a des droits sur
Iiii-mème ; mais comme appartenant à Dieu et à la Société,
il a tics devoirs envers soi-même ST-'i
Art. 3* ~ Lois morales des actes enirers ses sem-
blables. Les droits d'un homme siu* un autre ne peovnit
rlir qulmlirocts. Ils viennent île lapaforni/ê, de la^rojwtVîr,
il«; \ix soumission volontaire ^^'*-
Envers sa famille, Thommo a des droits et des devoirs qui
vMiient selon la condition à'vjioxix^ de père, de fiU^ ou de
frère ^»~"
Envers sa patrie y rhomine a des droits et des devoirs
«lotorminés par la constitution. C<^lle-cî prend différentes for-
luos, mais elle doit toujours être fondée sur les droits de tous, ^i-*^
Envers le genre humain, l'homme a des droits négatifs de
justice, des droits positifs de charité, des devoire de justice et
diï charité '^''"'
Art. i" — Lois laorales des aotes envers Dieu.
L'homme est la propriété absolue de Dieu. Il n'a donc j>c>i«l
de droits vis-à-vis de lui. Il a tous les devoirs possibles. Tdle
est la base de la religion naturelle et de la religion surnatureiic
• |ne Dieu a révélée et qui se trouve dans l'Eglise catholique-- '"'^'
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
Généralités. Celte histoire doit exposer les dévelopiHîmenLs
successifs de la philosophie classique, et même les systèmes
non-classiques, pour en indiquer l'influence sur la vraie do
trine. Elle a pour objet les hommes, leurs doctrines, et la cri-
ti<juc de ces doctrines. — Elle ofl*re des difficnltéè, mais elle
»'st très importante pour rectifier les fausses idées «*onçac3
dans l'étude de la philosopliie classique. lAçrilre d'écoles '"îi
préféra ble
!• PÉRIODE. — PIIIUJSOPUIE ANCIENNE
l'HILOSOPlIIE DES HEBREUX
Connaissant la vérité par la révélation, les hébreux ont
«:opendant connu la philosophie, et plus exuctomeut qu«' !«''
.•Mitres peuples aneîen.^. On en trouve la preux e dans I» ^'^''''-
TABLE 319
Pages
lU ont eu quelques sectes disâUlentes: les pïiarisiens^ les
.<a'Jucéeiis, les essémens 'J8*i — ^'j^
PHILOSOPHIE DES C|IALDÉEXS
On a peu de documents sur leur philosophie. Elle était tra-
ditionnelle. Les fragments de Bérose attestent une corrup-
tion de la révélation primitive. Les OracleB chaldéens sont
apocryphes :W3— ;W S
PHILOSOPHIE DES PHÉNICIENS
Peu de documents. Le fragment de Moschus, et celui de
Siinchontaton attestent une philosophie traditionnelle V3nant
«l'une altération de la révélation primitive -^9 'i — 3î>8
PHILOSOPHIE DES ÉGYPTIENS
■ liocuments plus nombreux mais peu dignes de foi, pour la
plupart. Les fragments de ManéUion et de la Vieille chro-
niqxui^ nous donnent une théogonie et une costrogonie évi-
demment prise d'une tradition altérée, peut-être même d'une
fausse traduction de la Bible. Le Rituel funéraire nous pré-
stMile une morale assez pure '. 39^:— iO*2
PHILOSOPHIE DES PERSES
Leui-s livres sacrés composant le Zend-Aireata nous ofTrent
luie théogonie ot une cosmogonie fort semblables à celles des
pouples précédents, avec des traces évidentes de la tradition
primitive altérée. Commencement de péychoiogie. Morale
assez pure. L'identité de Zoi'oas^7*e laisse des doutes protonds. i(W— ii)G
PHILOSOPHIE DES INDIENS
Les livres sacrés appelés Vécfas et leurs commentaires nous
offrent encore une théogonie et une cosmogonie panthéiste
évMemment prises de la Révélation. 4<Kî— ilU
Ici commencent les systèmes philosophiques :
Le Mimansa est un traité de morale védique 41 1
#
I^ Védania est une théologie védique il I— il '2
Le Sanhhya est une philosophie rationaliste et athée Wl
\.o Yoga esl une philosopWe mystique déiste 112
32C) TABLE
Le Syaya est une logique assez subUle
Le Veiséschika est une physique atomîstique. ^^^
Le Djainisme est une religion hétérodoxe par rapport aus
Vf>das. quoique le fonds en diffère peu '
li(» Bouddhisme est aussi une religion opposée aux Védas.
KUe renferme évidemment des données juives et ra^mc chré-
tiennes. La mo raie en est presque clirétienne ''^'
IMIILOSOPHIE DES CHINOIS
Documents assez nombreux, mais tronqués et obscurs. U^
Uvics sacrés ou Kings et les livres classiques Sse-chou offrent
une doctrine traditionnelle, avec des traces *très- visibles delà
II- t*
Hévèration. Dieu y est appelé Ciel ou Raison '"''
Lao-iseu est un théologien et un moraliste, qui met l*»
7'aison au-dessus de tout; mais la raison est Dieu. Il con-
naît la Trinité «
(^onfncius est un moraliste assez orthodoxe. Il a fondé ane
sorte lie religion philosophique ®"*
13* tj*
Mencius, son disciple, et autres plus récents '•'^
.?
PHILOSOPHIE DES CELTES OU G.VULOIS
Haros documents, dans les Mystères des Dardes et \^
Triades. Religion prise d'une tradition altérée '
Conclusion. Tous ces peuples anciens ont reconnu ^tUÂ
et par raison: un Dieu maître de tout, auteur du monde; Is
liberté ; la loi morale; les récompenses et les peines dansun<
vie future
PHILOSOPHIE DES GRECS
Tas plus que celle des autres peuples, la philosophie des
(Jrccs n'est l'œuvre de Thomme seul. Les doctrines myiho-
loffiqnes, les dires des sept sages, nous en montrent Torigin*'
dans la Révélation , ^^'
1" ÉPOQUE. — Les oommonoements de la philosophie
£n^eo<iue.
1 . Ecole Ionienne.
J 'nies, indique leau comme princii>e du monde; AuaJ"'-
'iuandre, Tindéterminé. qui n'est autre chose que le chaos-
i
TABLK 821
Pages
^^lérécyde, le chaos; Ancucimène, Tair; Ancucagore, liutel-
grence et les honiéomérie^ ; Dlogène d*Apolloni€, un air Intel-
i^ent ; Heraclite un feu toujours renaissant, et ia guerre
es contraires; Archélaûs, le feu et l'eau; Empédocle, le
?L\x, l*air, Teau et la terre. Mais plus qu'aucun autre phi-
r>sophe ionien il a des souvenirs d'une révélation : la grâce,
R péché originel, le sacrifice pour le réparer 133— -i i6
2. Ecole italique.
Pytfiagore, Alcméon, Ttméet Ocellus, PhUolaûs, Archy-
€is enseignent en commun que les principes des choses sont
es limitants et l'intervalle, Uni et infini, pariait et imparfait,
monade et dyade; que tout est harmonie ou nombre, même
l 'àme, la vertu et Dieu 447—455
3. Ecole éléatique.
Xénophane enseigne que Dieu seul est Têtre vrai; le monde
n'est qu'un objet d'opinion. Parménide ne voit qu*un seul
Atre indivisible; le monde est une illusion des sens. Pour
XénoTit Tunité seule existe ; la divisibilité et le mouvement
sont impossibles 455—161
4. Ecole atomistique,
Leucippe et Démocrite ne voient d'autre principe que les
atomes, le vide et le mouvement. L'àme et les dieux sont
matière. Métrodore, Anaxarque et Nausiphane continuent
<!es doctrines et inclinent au scepticisme. 461—466
5. Les sophistes,
Gorgtas prétend que rien n'existe. Protagoras ne reconnaît
que des sensations sans objet: il ne sait passai y a des dieux.
Diagoras nie la Providence. Prodicvs est l'auteur de l'apolo-
gue d'Hercule. Hippias, Thrasymaque et Euthydème, sou-
tiennent, comme les autres, le pour et le contre 466—473
Par toutes ces écoles, la philosophie en deux cents ans a
produit tous les systèmes; mais elle ne lésa pas inventés : ils
ne sont que de fausses interprétations des données tradition-
nelles 473—475
'2< ÉPOQUE. — Les grandes écoles greoqfuee.
1. SocrOte.
Il tourne la philosophie vers l'étude de l'a me et vers la morale,
«il meurt victime de son enseignement. Sa méthode est Y agonie
0*.»
S22 TARLB
«
OU la maïeuttque. Il accepte les donnés des sens, de lacoD-
science et de la raison; démontre l'âme et Dieu et affirme U
liberté guidée par l'amour du bien ^"^
2. Les disciples immédiats de Socrate.
Stmon le cordonnier, Socrate le jeune, fils de Sœrate, et
Criton, son ami, continuent les enseignements du maître. —
Xénophon mieux que tout autre nous fait connaître sa doc-
trine, surtout dans ses Mémorables. Eschine écrit aussi des
dialogues. iVi^rfon et AféneVèmp dirigent une école *^^
3. Ecole cynique,
Aniisthène, Diogène Cratés^ Hipparchia^X Ménippe don-
nent l'exemple de Tamour des souffrances et de la pawvref^,
pour donner plus de prix à la vertu, qu'ils déclarent le seal
bien
«•/
4. Ecole cyrénaXque^
Arisiippe, puis sa fiUe Arèté et le fils de celle-ci, Xrw-
tippe le jeune, enseignent -que le vrai bien est le plaisir dans
le repos; Annicéri» veut un plai^r plus positif ; Théodore
ne cherche que le contentement, déclare que tout est permis
au sage et professe l'atliéisme ; Ephémère Teut démontrer (px
les dieux ne sont que des hommes auirefoîs illustres ^^
5. Ecole mégariqtte.
Euclide voit te bien dans Tunîté seule, nie le monde et se
fait appeler dxspuieur. Euhulide n'est fameux que par ses
sophismes. l^ttlpon ne reconnaît comme vraies que les propo-
sitions identiques, et comme souverain bien. rimpassMîté.
Diodore Cronos déclare impossible tout contingent et dît que
tout est nécessaire
6. Platon, — L'Académie,
Platon suit la méth ode de Socrate et développe sa doe-
trine. Au-dessus des sensations et des notions qiû ea
viennent, il reconnaît les idées, subsistantes en Dieu, où
l'âme les a perçues et dont elle a la réminiscence. Tout est
composé de fini et d'infini (indéfini), de forme (idée) et ^
matière (passivité). La matière est façonnée par l>iea sdôo
ses idées. L'àme est sensible et intelligente, libre et im*
morielle. Dieu c'est le bien absolu, le beau absolu, le ^'^
absolu. Sa morale est fondée sur la i^erfection à laquelle râi«e
l£-i?
TABLB 823
• Pages
id librement mais naturellement. Les vertus sont la sagesse,
courafire, la tempérance et la justice 499—50»
\.nalyse de la République. Idéal d'une société constituée
ion les idées 509— 5i:i
analyse du Phédon. Dernier entretien de Socrate, sur Tira-
>rtalitè de l'àme 5i;^5l7
SpcMsippe, mêle Platon à Zenon. U confond le bien avec
mité. Gomme Ajitisihéne, il dit qae le plaisir est nn mal.
înocrate se rapproche de Pythagore; Polémon, Cratès,
^antor et bien d'autres continuent Platon et s*en écartent
ju à peu 518—^20
7. Aristote. — Le Lycée
Arlstote créa presque la logique et les sciences d'observa-
on. La connaissance vient des sensations ; les idées ne sont
as Innées : l'intellect les découvre par le procédé dialec-
ique. La science est le fruit de la démonstration qui pai*t des
remiers principes, 520 — 52î»
Analyse de la Logique d'Aristote, formée par les Catégories,
tiéorie des tei*mes. V Interprétation, théorie de la proposi-
ion, les premiers Analytiques, théorie du syllogisme, les
lerniers Analytiques, théorie delà démonstration, les Topi-
jues, théorie des lieux de logique, et les Réfutations des
wphistes 529—538
Dans sa métaphysique, XriRlote crée cette science; dans sa
théodicée, il est inférieur â Platon, mais il démontre mieux
l'existence et les attributs de Dieu, sauf la Providence qu'il ne
reconnaît pas 539—5^1
Les principes des choses sont la matière (pure passivité)
et la forme (acte de la chose). L'homme est composé de mdme
et c'est l'âme qui est sa forme. Elle est séparable et immor-
telle 5il— 5ii
Le but de la volonté, c'est le bonheur. La vertu est le
moyen qui y conduit 54 i— 546
Son idéal politique est fondé sur le bien commun administré
par les fortunes moyennes, pour éviter les excès de la tyran-
nie, de l'oligarchie et de la démagogie 5 16—5^19
Théophraste a écrit les Caractères et continué les travaux
lie son maître. Nicomaque, Eudéme, Dicéarque, Aristoaséne,
Héracltde sont peu connus 551
Siraton se rapproche du matérialisme 552
*^24 TABLE
• •»
8. Pyrrhon, — Les épicuriens.
\\ déclare que le sage doit s'abstenir de se proiioneer sur
la réalité des choses, mais se conduire selon les apparen-
<:es, et d'ailleurs vivre tranquille. Timon soutient les méises
'loctrines »^'
9. Epicure, — Les épicuriens,
Kpicure ne voit d'autre source de connaissance «pie les
sens, les anticipations et les passions. Les principes des
lUres sont les alonies, le vide et mouvement. JL'àme est un
•'orps; elle est mortelle. Les dieux ne s'occupent pas de
nous. Le souverain bien, c'est le plaisir, loi vertii c'est la
prudence à se le procurer. AristobulCy Né€>clé8, et Chéré-
>fvme ses frères, puis MétroJore, Polyen^ Herman-us, ifol-
fodore, Colotés, Phùire, Philodème et Zenon repicurien
suivent la mémo doctrine *^
10. Zenon, — Le Portiqtie
/fénon et ses disciples Persée, HériUet Cléanth^y Arikto^,
.^ihènodore ei sartout Ckrysippe ^ puis Zenon tle Tarse ,
Diooène de Babylone, Antipater , Panetius et Posidonivs
ont contribué à tonder la doctrine connue sous le nom d**
!<toïci8me. Leur logique est presque celle d'Epicure ; Us ?
ajoutent la* théorie de la vision compréhensive et font
intervenir la volonté dans le jugement. La raison est le
principe de tout, mais elle est unie au monde qu'elle méat,
par une force tout- à-la-fois intelligente et nécessaire. C'fôt
une forme du panthéisme. Le seul bien, c'est l'exercice
de la liberté, et, dans ce qui ne dépend pas de nous, la soumis-
sion volontaire aux lois de la nature, qui sont les lois d«
lo raison,
'.\* ÉPOQUE. — Décadence de la philosophie greo^jne.
1. Nouvelle académie.
Arcésilas oppose à Zenon sa théorie de l'incomprébensi-
l)ilité des choses, et dit que le sage doit se conduire d'apte
la vraisemblance, sans rien affirmer sur la réalité des ehosfô»
Carnéade soutint contre Chrysippe la même théorie. H '^^
suivi par Diogène de Babylone^ Métrodore de Siraioiuce,
CUtomagxie, Philon de Larisse et Antio<:hu'^
^»
i
TABLE 825
Pages
[2. Continuation des graiides écoles.
^turar^ue est platonicien ainsi i[W Apollonius de Thyane ;
)n Chrysostome est cynique; Lucien rit de tous les systèmes;
ilien, le médecin, incline vers Aristote; Piolcmèe se tient
tre Aristote et l'iaton. Philostrate, Kunayte él Stobée écrî-
it rhistoire de la pliilosophie 572—577
3. Nouveaux sceptiques,
^'Enésidème et Agrippa renouvellent le scepticisme de Pyr-
hon, avec de nouveaux arguments, qui consistent surtout à
«jeter toute notion première. An ^ioc/iiis de Laodicèe, Ménodote
ii Hérodote de Tarse le suivent. Seœtus Empiricus nous
ransmet leurs arguments 577—58'^
4. Ecole d'Alexandrie,
Elle a ses racines dans Philon le juif, qui mêle Platon et
Moïse, et dans son disciple Aristobule le juif. KUe se forme
avec Numênius, Potamon et Ammonius Saccas, C'est Plotin'
«lui la fixe. C'est un système tout à la fois platouioien, oriental
et chrétien. C'est un panthéisme, un éclectisme et un mysti-
cisme. Amélius, Porphyre otJamblique suWcni Plolin. Pro-
dus, Olympiodore et Damascius luttent en vain pour soutenir
cette doctrine 582—581*
Le Gnosticisme et la Kabbale sortent du mysticisme
Hlexandrin 589— 59(j
PHILOSOPHIE CHEZ LES ROMAINS
Instruits par Carnéade, Dîogène de Babylonc et Critolatïs,
en même temps que par Polybe, puis par Panœtiasct Philon
de Larisse, les Romains n'ont pas de philosophie propre et
comptent peu de philosophes 590— 595i
Cicéron a beaucoup écrit, il cite tous les systèmes, adopte
les doctrines de la nouvelle-académie, mais il est dans un bon
éclectisme 592— 594
Analyse du traité de Finibus, sur le vrai bien. Il réfute
Kpicure et Zenon et semble préférer Aristote qu'il corrige... . 595— 6(»0
Analyse du de Officiis, sur les devoirs. L'honnête l'emporte
sur l'utile et d'ailleurs Thonnètc seul peut être vraiment utile 600— OUi
^énéque est stoïcien, presque chrétien (luelquefois, mais il
conseille le suicide GOi— 6(»0
8*io TABLB
h
tpictète dans son Manuel que son disciple Arrien nous a
transmis semble n'avoir d'autre but que celui d^flOranchir la
liberté humaine de toute Influence extérieure ®^"^
^ PÉRIODE. — PHILOSOPHIE Di: MOYEN-AGE
1* ÉPOQUE. — Les huit premiers sièoles Ghrétiens.
1. Philosophie du nouveau te&tament,
L'Evangile vient renouer la tradition et rappeler les vérilt*:^
ijue la philosophie avait efifacées. Il ne faut pas chercher ail-
leurs les soudes de la philosophie des Pères de TEglise, qui
n'ont rien pris aux Alexandrin. Au contraire, ceux-ci ont em-
prunté à l'Evangile *'"'^'
2. Philosophes catholiques des 1% 2^ et 3* siècles.
Les o'uvres que Ton attribue à SuDenys l'Aréopagite soni
bien de lui. H est orthodoxe et n'a rien d'Alexandrin, au con-
traire il combat Simon le magicien ^' '
St-Justin, Tatien, Aihénagore et IJerniias déiendenlia
religion chrétienne contre les païens. St-Irénée la délend
contre les hérétiques ^''
iSt-Clêmeni d'Alexandrie, Tcrtullien et Origène fondent
la philosophie catholique. Mais Tertullien devient hérétique. ê11-«1
3. Philosophes païens et hën^tiques des i% 2* et 5*
siMes,
Pendant la vie de Sénèque, d'Epictète et de Fhilon, 5imon
le magicien, Cérinthe et Banlide enseignent le gnosticisme 6*
Du vivant de Plutarque, Arrien. Celse, Galien, Lucfeo, PIo-
iciuée, etc., Saturnin^ Cerdon et Valenttn prêchent leur pan-
théisme gnostique ^
Au temps de Philostrate, d'Ammonius Saecas de Plotin, de
Longln et de Porphyre, Tertullien devient Monianisie, ^es
origénistes paraissent et Manès enseigne son dualisme gnos-
tique, doctrine des ManichéenB
4. Philosophes catholiqtires des 4*^ et 5' siècles.
Lactance, Firmicus Mater7ius, Eusèbe, St-AHianaaif «*
|)ien d'autres docteurs développent la philosophie catholique et
la théologie ^'^^
St-Jêrômej et St-Augu8tin font de grands travaux dans l«
môme sens et Salvten justlQe la Providence..... ^^"^
TABLE 827
^ Pages
5. Philosophes pa lens et hérétiques des 4* et J*" siècles.
A côté de Jainblique^ TkémisUus, Libanius et Julien
l'Apostat, ou trouve Donat et Ariuf», qui prêchent leurs héré-
sies 0 >8— tô, j
Tandis que la philosophie païenne se mexiri avec Némésiiis,
Htérocîès et Proclus, Pelage, Nesioriu8e\ Eutychès divisent
lin temps les chrétiens ♦îvW
G. Philosophes catholiques des tf«, 7* et 8' siècles,
Marcianus Capella, Boùce et CassiodorCy posent les fonde-
ments de la Scolastique 0;M)— 630
Ils sont suivis par Si-Isidore de Séville, le vénérable Ffède
et Si-Jean Damascène 03^— fx/1
7 . Philosophes païens et hérétiques des 6^, 7* et S*"
siècles,
Simplicius et Damascius voient mourir la f^hilosopiiie
grecque. Jean Plnlopon commente Aristote. Mahomet publie
le Coran. — Les Iconoclastes détruisent les œuvres d'art. . . . h'M
8. Philosophie des Arabes,
Al-Kendi, Al-P^arabi, Avtcenne et Al-Ga?el de Técole de
Bagdad ; puis Aven-Paee, Tofatl et Averroès de l'école de
Cordoue traduisent et commentent Avistote 632—035
Les Juifs suivent cette* impulsion, Anan-ben-Davidy Saadia,
Xvicebron, Juda Hallevi et Maimonide attaquent ou défen-
dent tour-â-tour la raison 03ô^'j:i7
2« Ki>0QUE. — PhilOBophio Scolastique (!()•, 11'. 12' siècle).
Alcuin ouvre l'école palatine auprès de Charlemagne; Raban-
iV/aur l'imite en Allemagne; Scoi Erigcne incline au pan-
théisme ; Photius écrit son Myriobiblon (>38— 639
Gerberi (Sylvestre II) illustre à lui seul le 10* siècle 630—640
Bérenger parle contre TEucharistie et met la raison au des-
sus de la foi ; Lan franc le combat ; S. Pierre Damien redoute
la philosophie ; Michel Psellus prêche Platon et Xiphihn,
Aristote. Roscelin met au jour le nominahsnie. S. Anselme,
se montre métaphysicien. Gauntlon attaque sa preuve de
l'Etre parfait 640-6^1
Guillaume de Champeauœ enseigne le Réalisme; Ahailard
imagine le Conceptùalismei Gilbert de la Porrée est réaliste
jusqu'à l'hérésie ; S, Bernard prêche le mysticisme chrétien,
iandis que Pierre Lombard inaugure la tliéologîe scolastique.
828 • TABLE
Mais Hwjues et Richard de 8t- Victor, ainsi que Jeanik
Salisbttry préfèrent la contemplation. C'est le siècle loarmeoté
par les Vaudois et les Albigeois y et où Daotd de Dinan et
Amnury de Chartres i*enouvellent le panthéisme ^'^
1. L" apogée de la Scolastique (13* siècle).
Ce siècle voit condamner les Aristotéliciens et triompher
Aristote, avec S. Thomas. C'est le grand siècle chrétien. <>a y
irouve Pierre de Blois^ GtiiUaume il'Avucerre, Alexandre "'e
flalès, Vincent de Beauvais, tous grands philosophes et
grands théologiens. Au dessus d'eux règne Albert le GramK
lît son disciple, 5. Thomas d*Af/uin, écrit son immorlclk
Somme, qui le place au dessus de tous. Roger Bacon se
tourne vers l'expérience, tandis que Guillaume d'AuvertjK^,
St-Bonaventure et d'autres recommandent la contemplalioD.
A la lin de ce sièolf, Dans Scox, avec sa dialectique subtiic
a raison quelquefois contre S. Thomas lui-même ^^
2. Dcch'n de la Scolastique (li* siècle^.
La Scolastique continue avec Guillaume d'Ocham^ qui res-
suscite le nominalismc, ^insï que Durand de Saint-Poitr':fii*K
avec Jean Buridan.el Walter Burleigh, Thomas de Brad-
wardin et Wicle/f nien t la liberté *^^
Jean Tauler, Gerson et Thomas à Ketnpts prêchent ie
mysticisme clirétîen, tandis que Maiti*e Echart, Suso et Ruys-
broech le poussent jusqu'à l'hérésie ^^"^
:i« ÉPOQUE. — La renaissance (15* et 16«siècles\ Les grecs
venus de Torient, Pléthon, Bessarton, Gennadius, Georges d€
TréUizonde et Théodore Gaza ramènent les idées païennes.
Nicolas de Cusa, Laurent V alla, yîarsileFicin^ Ange PoliîieH,
les deux Pic de la Mirandole, Juste Lipse et Taurel, suivent
ce mouvement
Luther inaugure le protestantisme. Pompayiace, Erasme,
Machiâvely les deux Piccoiomin/, Ramus et Grotiusprétcreoi
la raison à la foi ^"^*
Montaigne, Charron et Sanche^ inclinent vers le scepti-
cisme. Reuddin, ParaceUe^ Cardan, Servet, Bruno, Vanini,
Bochm, Fludd et les deux Van Helmont enseignent un pan-
théisme mystique
Copernic, Ttlesio, Cesalpini, Galilée, Campanellaei KéfW^
recourent à l'observation
829 TABLE
Pages
3* PÉRIODE. — PHILOSOPHIE MODBHNB
XVn* 8IBCLB
1. Les réformateurs , — Bacon et Descartes,
Bacon croit donner à l'esprit humain un nouvel organe en
traçant les règles derinduction.Ilpenche vers le matérialisme.
Analyse de son Novum organum. 680^—684
Descaries trouve dans la eonscienee seule et dans Tévidence
la certitude première. Analyse de son Discours sur la mé-
rhoçjle 681—690
2. Ecole de Bacon. — Sensualisme.
Hobbea ne volt partout que des corps; Gassendi essaye de
réhabiliter Epicnre; Locke ne voit d'autre principe à nos con-
naissances que la sensation et la réflexion 690—695
3. Eiole de Descartes.
Arnauîd adopte les théories de Descartes. Analyse de VArt
de penser ou Logique de Port Royal, 695—701
Vicole et Pascal suivent les mêmes voies. Analyse de VEn-
tretien de Pascal avec Sacy 701—705
Bossuet est cartésien, mais plus classique. Analyse du Traité
de la connaissance de Dieu et de sot-même 705—710
MaJebrancJie crée la théorie de la vision en Dieu, l'occa-
Monaliêfne et Voptimisme 710—712
F(^neIon, cartésien et classique. Analyse daTraitéde l'ecets-
tence de Dieu 712—722
i. Cartésiens dissidents,
Spinoza crée un panthéisme métaphysique. Leibniiz con-
çoit le monadisme, le déterminisme eiV optimisme, KndX^s^
de sa Théodicée 722—736
Wolfmit Xieibnitz; Bayle est sceptique; Huet n'a de certi-
tude qu'en la fol 736—738
5. Philosophes moralistes.
^ La Rochefoucauld fait la critique des mœurs et attribue à
l'amour propre toutes nos actions; La Bruyère est moins
systématique ; Cum^rland ne volt d'autre loi morale que la
bienveillance naturelle 738—742
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ï
TABLE i)
XVIII* SIKCl-B
1 . Ecole sensiialiste .
Condillac ne voit dans 1 ame humaine que des sensaiion>
transformées; llélvetius ne reconnaît que le pïaisir coniiBt'
mobile de nos actes; d'Holbach est matérialiste et surtoui
athée ; Lamettrie ne met pas de différence entre l'homn» et
la plante, ou môme la machine; Bonnet, seosoaliste. est
pourtant relig^ieux, mais d'une religion naturelle '^"'
2. Sensualisme pratique.
Voltaire serait simplement un déiste s'il n'était avant lonl
l'enDemi acharné de la religion catholique. Ses amis, Diderot,
d'Alembert et Saint-Lambert^ sont plus matérialistes et plus
athées que lui '^"^
3. Théories amenées par V école sensualiste,
Clarke suppose Dieu substratum de l'espace; Berkeleu
n'est certain que des esprits; Hume doute de tout et attaqn«*
particulièrement la notion de cause '"
4. Morale du sentiment,
Hutcheson, Home et Fergufon suivent Cumberland;>4fl'<ï'''
Smith remplace la bienveillance par Ia sympathie comme \o\
morale de nos actes; de plus il indique le travail comme seui<?
source de la richesse '
5. Les Economistes.
Quesnay recommande surtout le travail agricole; Monte-
squieu essaye de fonder les lois politiques sur les mœurs et
les climats; Mably répand l'idée de la souveraineté du peuple*.
J. J, Rousseau tondo la société sur un contrat: Price et
Priet^iley prêchent le progrés; Turgot est un écononilsle
assez classique ; Condorcei veut un progrès indéfini par^i ^e ^
l'état sauvage
6. Ecole écossaise,
Reid fonde la logique sur le bon sens et la philosophie
entière sur la psychologie. — Développement de notre propre
théorie. — Dugald Stetvari étudie surtout V Association det ^
idées
7. Ecole crîttqxfe,
Kant ne voit pas le moyen d'affirmer quelque chose au nom
d^» l;i raison théorique; mais il croit pouvoir affirmer, <?oflîO«'
i