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Full text of "Essai sur la nature, le but et les moyens de l'imitation dans les beaux-arts"

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Vet. F^.on: B. ISS? 



•'•t. 



'*^, 



ESSAI 

SUR L'IMITATION 



DANS LES BEAUX'ARTS. 



tmprimerit de 

®«Us ©i^oi, Véni, 

IMPQIMEUR DU ROI. 



ESSAI 



SUA 



LA NATURE, LE BUT ET LES MOYENS 



DE LIMITATION 



DANS LES BEAUX-ARTS. 



PAR M. QUATREMERE DE QUINGT. 




PARIS, 



TREUTTEL ET WÛRTZ, LIBRAIRES, RUE Dfe BOURBON , N» 17; 

A STRASBOURG ET A LONDRES, 

MÊME MAUOH Dl OOMMUICK. « 

4825. 



\ 



«\^v% 



PRÉAMBULE. 



L'imitation est quelque chose de si étendu et 
de si varié , quand on en considère les rapports 
et les effets, dans tout ce qui peut être du res- 
sort de la faculté d'imiter, faculté qui constitue 
un des caractères distinctifs de Thomme, qu'il 
faut désespérer d'avoir jamais un traité complet 
sur cette matière. 

On pourroit expliquer presque tout l'homme 
naturel et social par l'imitation. Qu'y a-t-il, en 
effet, soit dans ses habitudes, soit dans ses 
goûts, soit dans ses travaux, qu'on ne puisse 
rapporter à l'instinct imitatif? Embrasser dans 
son universalité la théorie de l'imitation , ce se- 
roit donc soumettre à une analyse infinie , tous 
les actes de la vie humaine , tous les objets qui 
entrent dans les rapports de l'existence sociafe. 

En restreignant l'idée d'imitation , ainsi que 
l'annonce le titre de cet essai , dans 1^ cercle de 
ce qu'on appelle les beaux - arts , oq voit déjà 
combien je suis loin d'avoir conçu le projet 



vj fRÉAMBULE. 

d'une de ces théories prétendues universelles, 
qui outre-passent les forces du génie de leurs 
auteurs, et Tétendue d'intelligence de leurs lec- 
teurs. 

Quelques métaphysiciens ( i ) , pour embrasser 
la théorie entière de l'imitation dans les beaux- 
arts , ont teinté d'en ramener toutes les notions 
à un principe général , mais si élevé, mais placé 
dans une région si jpeu accessible à la compré* 
hension du plus grand nombre, que ceux même 
qui croient y atteindre, n'y saisissent qu'une 
sorte de point de concentration , où le tout ab- 
sorbe ses parties. 

D'autres (2), se traînant en théoriciens sur les 
routes multipliées de l'analyse, se sont flattés de 
détailler, partie par partie, l'ensemble d'une 
doctrine générale, applicable dans chaque objet 
à chacun des beaux-arts : mais , en visant à l'u-^ 
niversalité , ils ont manqué l'unité : ils ont eu 
trop de pièces à réunir , pour en faire un corps ; 
et dans l'incohérence de leur ouvrage , les par- 
ties ^ ont pu produire un tout. 

(0 Kant. — (a) Sûlier. 



PRÉAMBULE. yij 

£q bornant une théorie générale de Timita- 
tion aux beaux-arts, si Ion prétend embrasser 
lensemble de chacun , ou les notions relatives à 
chacune de ses parties, le plan sera donc encore 
imm^jse , et la carrière à parcourir n aura près- 
que point de terme. 

En effet, chacun des b^ux-arts se présente à 
nous, dans sa région, particulière et distincte, à« 
peu -près comme un de ces états partiels, qui 
forme avec d autres, la totalité d'un même em* 
pire^ mais qui, pour être soumis aux lois géné- 
rales d'un gouvernement central, nen a pas 
moins ses coutumes , ses privilèges., ses lois d'ex« 
ception , et son caractère spécial imprimé par la 
nature. Qu on se figure donc ce qu il feudroit 
réunir d'études et de cpnnoissances , pour être 
en état de traiter à fond la théorie particulière 
de tous les beaux-arts , quand on a beaucoup de 
peine à approfondir celle dun seul. 

Ce n est pas quelque chose de fort simple que 
la théorie entière d un seul art. 

On n est pas plus tôt entré dans une semblable 
matière , qu au lieu d'une seule diéorie , on s V 
perçoit quil y en a plusieurs à embrasser, et de 



viij PIIËA.MBULË. 

fort diverses entre elles. Chaque ait produit 
dans ses ouvrages des impressions différentes , 
des effets très distincts, d où résultent des genres 
correspondants soit à des points de vue particu-» 
liers de son modèle, soit aux organes qu aux 
facultés du corps ou de lesprit, avec lesquels il 
est tenu d'être en*rapport. Un art, par exemple, 
selon la diversité des genres de ses ouvrages , s a- 
dresse il la raison, à l'imagination, au sentiment, 
au goût, à lorgane physique. Il y aura donc la 
théorie du raisonnement ou du bon sens, la 
théorie de Fimaginatiôn , celle du sentiment et 
de l'expression des passions, celle du goût ou 
des convenances, celle de la pratique executive, 
ou de la science. 

Ce que je viens de dire, annonce encot^ mieux 
que jene pourrois le faire entendre, cx>imbien je 
suis loin d'avoir voulu, sous l'expression générale 
d'imitation, comprendre des idées ou des recher* 
ehes aussi étendues. 

Mon dessein n'est pas de considérer les diffé* 
rents arts , en tant que modes d'imitation , dans 
la variété des ressofts particuliers à tous et à 
chacun , des études qu^ils exigent, dés réglés que 



PRÉAMBULE. ix 

lobservation ou lexpérience y ont fixées, des 
méthodes qui leur sont propres, des raisons qui 
en accélèrent ou en arrêtent la perfection, des 
causes de leurs impressions, etc., etc. 

LfOin de m'ètre proposé de parcourir un si 
grand nombre de routes^ que Ion pourroit com- 
parer aux rayons qui aboutissent à la circonfé- 
rence d'une théorie complète, je me suis (ion- 
tente, dans la première partie, ou celle qui a 
pour objet la nature de Fimitation, de me placer 
comme dans une espèce de centre, que je re- 
garde comme le point de départ de toutes les 
routes. Il m'a semblé que certaines notions pri* ' 
maires tout à -la «fois, et centrales, sur ce qui 
constitue le principe élémentaire de l'imitation 
propre des beaux-arts, n aroient jaibais été re- 
cueillies et rapprochées sous un seul point de 
Tue , de manière à fixer toutes les incertitudes 
de l'opinion, çt à lui donner Une règle invariable. 

Après avoir considéré l'imitation dans sa na- 
ture, il est impossi{>le de ne pas se demander 
quel doit en être le but véritable. G est là-dessus 
encore que des - idées incomplètes , résultats 
d'aperçus trop partiels, ont établi des doctrines 



X PIRÉAMBULE. . 

trop au-dessous de leur objet. J'ai cru devoir les 
diriger vers un but plus élevé, qui,- sans être 
exclusif, sans interdire la faculté de s arrêter à 
des points inférieurs, marquât au génie le point 
auquel il doit atteindre. Tel est le sujet de la 
seconde partie de l'ouvrage. 

Le but étant posé , reste à la théorie de faire 
connoitre les voies qui y conduisent. 

On a consacré la troisième partie au dévelop- 
pement des moyens de Vimitation. Mais dans le 
système de cet ouvrage , ce qu'on appelle ainsi , 
n a de commun que le nom , avec les moyens 
pratiques, techniques ou didactiques de chaque 
art. Les moyens dont on traitera , sont ceux qui 
dérivent de la nature même de l'imitation , et se 
rapportent à la nature de son but, ceux qui dé- 
pendent de l'action de l'esprit et de l'intelli- 
gence , ceux que le goût dirige suivant le génie 
propre à chaque genre d'imitation. Rien de re- 
latif à l'exécution, telle qu'on l'ion tend, selon le 
langage ordinaire, n'entré dans la théorie de 
cette espèce de moyens: Je me ferai entendre 
d'un seul mot , en disant qu'il s'y agit d^ moyens 
de Vimitation y et non de ceux de Fimitateur. 



PRÉAMBULE. • x j 

Je ne me dissimule pas ce que peut appréhen-* 
der , de la part de beaucoup de lecteurs , 1 ou- 
vrage d une théorie plus ou moins abstraite, en 
matière de beaux-arts. Les uns, en de tels sujets, 
veulent qu on leur présente de ces notions posi- 
tives, que Fesprit rattache facilement aux choses 
d'une expérience commune. Les autres, croyant 
qu'on ne doit parler des beaux -arts quen style 
fleuri, demandent à Fauteur, de ces aperçus 
brillants qui saisissent Fimagination , de ces 
phrases sonores, de ces tournures pittoresques, 
flatteuses pour Foreille et les sens , mais qui ne 
laissent aucune idée dans Fesprit. Que faire à 
cela ? Chacun , en traitant un sujet, y choisit un 
point de vue. Il doit y être fidèle , et par consé- 
quent sattendre que ses aspects ne cot^respon- 
dront pas à la position ou à la disposition de tous. 
Chaque matière a ses juges. C'€||| de ceux-là qu on 
doit ambitionner le suffrage. Peu importe leur 
nombre. 

Je prévois aussi une objection. On pourra de- 
mander à quoi une semblable théorie est bonne, 
et si elle peut servir à faire produire de meilleurs 
ouvrages. A cela voici quelle pourroit être ma 
réponse : 



xi} PRÉAMBULE. 

a Je pense que les beaux ouvrages des arts ont 
((plutôt donné naissance aux théories, que les 
« théories aux beaux ouvragées. Mais il y a de 
(( belles théories qui sont aussi en leur genre de 
«beaux ouvrages, et aiïxquelles bien des per- 
ce sonnes prennent plaisir. Ainsi on ne doit pas 
M plus demander à quoi sert une poétique, que 
u demander à quoi sert un morceau de poésie. » 



PREMIÈRE PARTIE 



DE LA NATURE DE LIMITATION 
DANS LES BEAUX-ARTS. 

Non rés, sed simUitudines ronim. 
CiCEB., De nat, deor., 1. 1, $. 27. 

PARAGRAPHE PREMIER. 

Définition du principe élémentaire de timitation dans 

les beaux-arts. 



• *• 



Après avoir restreint, comme on la vu dans le 
préambule, la théorie de Timitation a ce qu'on est 
convenu d appeler les beaux-arts , je me propose de 
resserrer encore ici le cercle des notions qui doivent 
faire lobjet de cette première partie. Loin de par- 
courir la circonférence, aussi variée qu'étendue, de 
la régioi) imitativé dans les ouvrages du génie , dont 
les effets nous touchent de tous côtés, cest dans le 
centre même du principe constitutif de Timitation 
propre des beaux-arts, que je prétends me renfermer. 
Je ne^me propose donc point, en traitant de la 
nature de [imitation , d en scruter les rapports secreU, 



1. 



2 DE LA NATURE 

par lanalyse des différentes sortes d'impressions que 
produisent ses œuvres, ni de dire tout ce quelle doit 
être pour être parfaite. Je veux rechercher seulement 
et montrer ce que Vimitation dans tes beaux^irts doit 
être, pour être imitation. 

Ainsi c^est son principe élémentaire, cest son ca- 
ractère intrinsèque, autrement dit, son essence, que 
je prétends mettre à découvert et développer. 

La faculté imitative est réellement caractéristique 
de rhomme; elle se mêle à tous ses actes, elle entre 
dans tous ses ouvrages ; elle lui appartient tellement, 
et à lui seul entre tous les êtres, quon pourroit le 
définir par cette propriété, en le nommant Yêtre imi- 
tateur. De là cette multitude de rapports divers sous 
lesquels on emploie le mot imitation; de là cette va- 
riété d^effets imitatifs qui se reproduisent dans tous 
les ouvrages de l'industrie humaine ; de là par con- 
séquent la nécessité d'isoler la théorie de Yin^ffation 
dans les beaux-arts , et de la soumettre à.une recherche 
particulière. 

Il faut, quatid on veut la définir, en dégager l'idée 
ou la notion , de celles qui caractérisent l'imitation 
propre des autres arts. Lliabitude où l'on est de 
confondre les propriétés inhérentes aux deux actions 
delà faculté imitative ,occasione toutes les méprises 
qui, de Fusage ou de la manière de parler, passent 
dans la manière de voir et de sentir, et qvii, après 
avoir faussé le jugement de ceux auxquels s'adressent 



DE l'imitation. 3 

les œuvres des beaux -aris, parviennent à tromper 
Tesprit , et à vicier le goût de ceux qui les produisent. 
Séparer, par une distinction claire, élémentaire, 
et incontestable dans sa simplicité même , le principe 
de limitation propre des beaux-arts , du principe des 
autres sortes d'imitation , ce n'est pas se livrer à une 
stérile analyse ; on verra au contraire que c est ou- 
vrir à la théorie une source féconde , sHl est vrai 
que de ses conséquences doivent dériver les lois du 
goût qui régissent les beaux-arts. 

Ce principe fondamental , jeJe réduis , dans sa plus 
simple expression , aux termes suivants : 

Imiter dans les beaux-arts^ c est produire la ressem-^ 
blance dune chose, mais dans une autre chose qui en 
devient [image. 

De cette définition on voit déjà sortir la différence 
essentielle qui existe entre Fimitation propre des 
beaux-arts, et les autres sortes d'imitation. 

Il appartient sans doute à chaque sorte d'imitation 
de produire certaines ressemblances. Mais si toute 
imitation produit des ressemblances , toute ressem- 
blance n'est pas pour cela nécessairement un produit 
de l'imitation. C'est ce qui se démontre de soi-même, 
par exemple, dans les œuvres de la nature, où l'on 
découvre le plus grand nombre de ressemblances , 
et des plus frappantes. Il suffit de nommer tous les 
objets qu'elle reproduit sans cesse. Le mot reproduire 
déprime oette £aucuité qu'elle a de donner l'être à une 



I. 



4 DE LA NATUllE 

multitude de corps organisés, qtii, se succédant avec 
les mêmes propriétés dans les mêmes formes, doivent 
par conséquent offrir souvent entre eux de grandes 
similitudes. Toutefois chacun sait qu'il n y a point là 
d'imitation. La nature n'imite pas; c'est elle que Ton 
imite. 

Uen est à peu près de même, des ressemblances 
qui existent entre les ouvrages de ce qu'on appelle 
l'industrie humaine. L'homme aussi donne l'être à 
des objets qu'il multiplie, en les reproduisant, pour 
satisfaire aux besoins de la société. Mais ces objets 
se ressemblent , sans pour cela faire naître en nous 
ni l'impression ni le plaisir , qui , dans l'imitation 
des beaux-arts, résultent des ressemblances qu'elle 
donne. 

Il est vrai de dire que l'idée de la similitude qui 
existe entre un épi et un épi , entre un firuit et un 
fruit du même arbre, ne nous affecte en rien. Nous 
ne recevons de même aucun sentiment agréable des 
innombrables ressemblances que l'on peut trouver 
entre tous les produits manufacturés des arts indus- 
triels. Chacun dira qu'il en doit être effectivement 
ainsi, parceque, dans le premier eleni pie, celui des 
productions naturelles, la ressemblance résulte d'une 
puissance organique , et que , dans le second , elle 
résulte d'une opération mécanique. 

Sans doute. Mais cela ne suffit pas. 

Pourquoi ces sortes de répétitions organiques ou 



DE L IMITATION. 5 

mécaniques n'éveilleut-eiles pas même en nous l'idée 
de ressemblance ou d'imitation, et sur- tout le sen- 
timent de plabir qui s'attache à cette idée ? 

La raison en est toute simple : c est qu'il y manque 
ce qui constitue la condition première de l'imitation ; 
je veux dire Yimage. ^ 

Tavoue que ceux qui connoissent la nature du 
procédé répétiteur de Fobjet , n y wojànt qu un ré- 
sultat mécanique, dédaignent de mettre le moindre 
prix' à une conformité qui n a pour eux aucun mé- 
rite. Mais ce jugement, c'est le savoir qui le porte. 
Or ici je trouve que le même jugement est porté, 
par le sentiment ou l'instinct de ceux-là même, qui 
ignorent le secret mécanique de la conformité. 

C'est que lobjet ainsi conformé dit à tous ce qu il 
est, et leur dit encore mieux ce quil nest pas. Or, 
ce qu il est , le voici : il est , moralement parlant , le 
même que son modèle, quoique, physiquement par- 
lant, il soit autre. Et ce qu'il n'est pas, on le voit 
encore mieux : il n est pas l'image de son modèle , il 
il'en est que la répétition. 

Voilà pourquoi l'espèce d'imitation qu'il faut ap- 
peler répétition , ne donne aucun plaisir (de la nature 
de ceux qui appartiennent à l'imitation des beaux- 
arts). En effet, le plaisir que produit la vue des 
œuvres de l'imitation, procède de l'action de com- 
parer. Il est certain que l'œil et l'esprit, dont Topé* 
ration est ici la même, veulent juger, veulent com<^ 



6 DE LA NATURE 

parer pour juger, et ne jouissent qua cette double 
condition. Si le plaisir est dans le jugement même 
que Ion porte entre lobjet à imiter et 1 objet imitant; 
si Famé jouit d autant plus, comme on le verra par 
la suite (paragraphe xv), quil y a plus à comparer 
et plus à juger, on comprend que, dans limitation 
par répétition identique, elle ne peut jouir de rien , 
puisque rien ne lavertit qull y ait quelque chose à 
comparer, qu'il y ait à juger quelque chose^ 

Tel est Tefifet essentiellement négatif et nul résul- 
tant, pour la faculté qui compare et pour celle qui 
juge, de toute ressemblance appelée identique , de 
toutes les manières de reproduire un objet par un 
objet qui ne sauroit passer pour en être Timage , 
puisqu'il se confond avec lui. 

Ainsi , que deux vases formés par le même calibre 
soient placés en pendant avec deux tables calquées 
lune sur lautré , il n arrivera à personne d'être frappé 
de la ressemblance des deux vases ni de la conformité 
des deux tables. Qu un peintre reproduise sur la toile 
une de ces tables surmontée de son vase , il y aura 
dans cette sorte de ressemblance une vertu nouvelle 
qui arrêtera nos yeux. C'est qu'on est averti, par la, 
certitude qu'en donne la toile ou le cadre, quii s'agit 
de Fîmage d'un objet. 

Si maintenant on veut supposer que la représen- 
tation du même obj*et , a lieu par leflfet d'un jeu d'op- 
tique , ou que le tableau est disposé de façon à nous 



DE l'imitatiok. 7 

cacher qu il e^t un ouvrage de peinture, comme on 
le pratique par cette sorte d'illusion qu^on appelle 
trompe^^Bil, iliarrive que Tidée d'image ne se présen- 
tant plus au spectateur, leffet de HipitatÎQn redevient 
nul à son égard. Rien ne lappelant à être juge , il 
na rien à comparer : dès -lors nul plaisir pour lui, 
puisque le principe du plaisir est dans le rapproche- 
ment, quil n'a pas pu faire, entre le modèle et son 
image. 

Or il ne peut y avoir ^p itapprochement semblable 
à opérer, qu'entre deux objets non seuleinent djvers, 
mais distincts , c est-à-dire qui qpus aver^^sent qu'ils 
sont divers. 

J'appelle identiques , dans Fimitation , tous les ob- 
jets qui ne se montrent point à nous comme divers; 
et l'on sent bien qu il ne s'agit pas de prendre ici les 
mots identité et diversité dans leur acception absolue 
et mathématique : je dirai même bientôt que , selon 
le sens rigoureux du mot, il n y a peut-être pas une 
seule idMiiité pbysique dans la natujre. Ce fait bien * 
constaté deviendra encore upe des bases de la théorie 
de Fimitation dans les beaux -arts, en contribuant à 
prouver /quel est Je jg^njre de ressemblance propre à 
leurs ouf^nges^ Oia appeUern do^c i4en tiquer les 
objets ii|MÎ .simplement paroisseni letre ^ comme sont 
les ouvrages produits .par tout procédé mécanique. 
Celte sorte didentité apparc\pce , qui occaefione la 
entre .4e$ objets similaires, est précisé- 



8 DE LA NATURE 

ment ce à quoi Fimitation des beaux-arts ne doit pas 
prétendre. Voilà la ressemblance, qui ne sauroit être 
sa fin. La répétition par image étant lopposé de la 
répétition par identité, toute imitation qui vise à 
celle-ci, tend à se dénaturer, par cela seul qu'elle 
vise à ne plus paroitre imitation. 

Cette notion parott peut-être trop simple pour 
qu'on ait besoin d'y insister; peut-être aussi, vu sa 
simplicité , la croiroit-on peu digne d être convertie 
en principe : toutefois, avant quon ait pu dévelop- 
per ce qu'elle renferme , je dois faire observer qu'un 
principe élémentaire est nécessairament simple , sinon 
il ne seroit plus un principe. 



'%/%^%f'%^»/^'\^%'%-\^%/^-%/%/^^^%/^ ^'*r^'*j'^'%-'%.-%r%-^/%/%,^'%/\/^^/%/^^^/^'%^\/^^/%/%^%/%/%'^/V%'^/%/^-%/\/X'\/\/%^/%/^ 



PARAGRAPHE IL 

* De [idée qu il faut se former de la ressemblance dam 

[imitation propre des beaux-arts. 

La ressemblance est sans doute la condition de l'i- 
mitation. Ces Jeux expressions et leurs idées se tou- 
chent de si près, qu'on prend souvent l'une pour 
l'autre dans le langage ordinaire. Ce n'est pas là 
qu'est le plus grand abus. Il consiste à confondre 
la ressemblance par image, ou celle des beaux-arts-. 



DE l'imitation. 9 

avec la similitude par identité , ou celle des arts mé- 
caniques. • 

Il importe à la théorie quon veut établir, de bien 
fixer aussi la nature de la ressemblance imitative , et 
les ^bornes où elle se renferme , tant il règne de mé* 
prises en ce genre de la part , soit de ceux qui croient 
augmenter, en letendant, le domaine de chaque 
imitation , soit de ceux qui pensent que le plaisir 
doit être d'autant plus grande que la ressemblance 
est plus homogène. Sur ce point, la nature des choses 
est encore bonne à consulter. On ne sauroit fouiller 
trop avant pour bien fonder. 

L'idée de ressemblance, en quelque genre que cf 
soit, emporte -t -elle la nécessité de conclure, que là 
où elle existe entre deux objets , il ne puisse y avoir 
entre eux aucune difSérence ? Personne ne l'entend et 
ne peut l'entendre ainsi; car si l'on prétendoit que 
telle dût être la définition de la ressemblance, on 
ne feroit autre chose que prouver, qu'elle ne peut pas 
exister. Les ouvragea mêmes de la nature , ou ce que 
nous avons appelé les résultats d'une puissance or- 
ganique (dans un genre donné), lorsque nous les 
trouvons doués de cette ressemblance qui en opère 
la confusion , ne nous paroissent tels , que par le fait 
de notre inattention. Vus ou de plus près ou avec plus 
dexamen , ils vont nous présenter de très grandes 
variétés. Ces variétés sont, même tellement nomr 
breuses, que l'expérience , d accord avec le raisonne- 



le * Î>E LA NATURE 

ment, nous force de reconnottre qu^il n^ a pas dans 
la nature , par exemple , deux feuilles entièrement 
semblables. 

On en dira autant de tous les produits mécaniques 
de l'industrie humaine. Nous pouvons la défier de 
donner, en quelque genre que ce soit , aux ouvrages 
qu'elle appareille avec le plus de soin , une complète 
ressemblance , tant sont multipliées les causes qui 
tendent à les diversifier. 

Uidée d'une ressemblance complète et absolue 
n'est donc , dans la spéculation , qu'une abstraction , 
et une chimère dans la réalité. S'il ne peut jamais 
être question que d'une ressemblance approximative, 
jusque dans les ouvrages dont la similitude résulte 
d'un principe organicpie ou mécanique , à {dus forte 
raison devrart-on le dire des ressemblances produites 
par une imitation , qui ne r^>éte point l'objet en réar 
lilé, mais seulement en image. 

CTest ici la distinction élétneotaire qu'il ne £auit 
jamais perdue de vue, en appréciant ia nature et les 
propriétés de la ress^nblaace , qu il M t donné à limi- 
tation de produire dans les lieaux-arts. 

Or , la notion fondamentale de cette e^éce xle res- 
semblance , nous est donnée par la notion d'image ; 
et cette notion est simple. . 

U suffit de dire que l'image nW antre chose cpi'une 
apparence de l'objet représenté. U y a entre l'objet .et 
son apparence, toute la différence qui sépare ce qui 



DE l'imitation. II 



est en e£fet de ce qui paroit être ; et ceci peut s'àp«- 
pliquer ausri à la ressemUance : celle qui appartient 
à limage n'est autre chose qu une apparence de res^ 
semblance. 

Gest la répétition identique d'un objet qui pro- 
duit la ressemblance qu on peut appeler réelle , et 
qui par cela même ne sauroit nous procurer de 
plaisir ; car on a déjà vu que le plaisir de la ressem- 
blance provient de la comparaison de deux objets. 
Mais dans les ressemblances par identité, il n est pas 
vrai , moralement parlant , qu'on voie deux objets ; 
on voit deux fois le même. 

U est au contraiire de Tessence de l'imitation des 
beaux-arts , de ne Csiire voir la réalité que par Vappa^ 
rence. Voilà les deux objets distincts. Le plaisir de la 
ressemblance va résulter du parallèle même de ce 
qui est le modèle , avec ce qui en est lapparence ou 
l'image. Dès que la condition de l'imitation est qu il 
y ait lieu à oomparaison > et dès que l'action de 
comparer cesse par la présence de rideniité, il faut 
que nous sachions que ce qui nous est olfert par 
l'imitation , nest qu'une apparence de lobjet. 

Et td est le camclère fondamental et élémentaire 
de la ressemblance qui appartient à l'image , c'est-à- 
dire à rœuvre de Fimitation dans les beaux-arts. 

Concluons que Fimitation ne seroit plus imita- 
lion , mais répétition identique , si elle pÊok propre 
à reproduire la ressemblance réelle de l'objet, c'est- 



12 DE LA NATURE 

à-dire à Je faire voir sous tous les rapports qui en 
constituent la réalité. Concluons que Timage, en tant 
qu apparence, ne peut donner de l'objet imité qu'une 
ressemblance incomplète, autrement dit, bornée à 
quelques unes de ses parties , de ses qualités , de ses 
propriétés. Concluons encore que Timage, par cela 
seul qu elle est image , ne peut produire ses ressem- 
blances que par et dans des éléments distincts de ceux 
du inodéle, et tels que Ion ne puisse point s y mé- 
prendre. Concluons enfin que la ressemblance imi-- 
tativèest celle qui nous force de voir un objet dans 
un autre afcjet, dans un objiet distinct, dans un objet 
nécessairement partiel , relativement à la totalité du 
modèle général. 

Sur ces conditions reposent le mérite et le plaisir 
de la ressemblance imitative. 

Le mérite^ parceque là, comttne on le verra, est 
la difficulté de Fart , et là est son succès , qui consiste 
à faire que nous ne puissions ni nous plaindre, ni 
nous apercevoir de ce qui manque à Fimitation pour 
être entière , et pour paroitre réalité. 

Le plaisir, parceque c est toutefois de la connois- 
sance que nous avons du manque de réalité dans 
Timage, que résulte Faction de comparer et celle de 
juger, qui sans cette connoissance nauroient pas 
lieu. 

Si la ressemblance imitative dans les beaux-arts , ne 
peut être qu^une ressemblance partielle et fictive de 



DE l'imitation. i3 

lobjet imité , et si elle ne peut se produire que par et 
avec des éléments distincts des éléments de cet objet , 
il faut reconnoltre que les conditions de l'imitation , 
loin d être le résultat d un système , ne sont que des 
faits observés , et puisés dans la nature des choses. 
Dès-lors il sera certain que toute image , ou tout ou- 
vrage des beaux -arts, contrariera plus ou moins la 
nature de Timitation , selon que lartiste aura plus ou 
moins tendu à y opérer lefifet de la répétition iden- 
tique, ou de la similitude réelle. 

Cependant nous ferons voir que deux procédés , 
distincts seulement par la diversité de leur erreur, 
tendent constamment à vicier dans ses éléments , li- 
mita tion propre des beaux-arts , à détruire sa valeur 
et y annuler le moyen de plaire , en affectant d aug- 
menter Tune et de multiplier lautre. 

Comme cest sur- tout contre ces deux procédés 
ennemis des beaux- arts quest dirigée cette théorie, 
je dois me hâter, en les faisant connottre, de mon- 
trer le résultat que je me propose d obtenir, et les 
rputes à suivre pour y parvenir. 

Le premier de ces procédés qu'il faut combattre , 
consiste à renforcer les ressources et leffet de Fespéce 
d'imitation ou de ressemblance, qui est le propre 
d un des beaux-arts en particulier, par laddition des 
ressources et des effets propres de l'imitation d'un 
autre art. (Voyez plus bas, paragraphe ix.) 

I^ second tend à dépouiller chaque art, autant 



l4 DE LA NATURE 

quil est possible , de cette partie de sa nature fictive 
et conventionnelle, qui le fait paroitre art^ en substi- 
tuant , par une fidélité adultère, le caractère de réa- 
* lité à celui d apparence , et la similitude par identité 
à la ressemblance par image^ ( Voyez plus bas , pa- 
ragraphe X. ) 

Mais avant dc/mettre dans tout leur jour les vices 
de ces deux procédés , et les moyens de séduction 
qui en résult^uat, il faut continuer de développer les 
principes quon vient d'établir, en théorie générale, 
par des applications plus directement appUquables à 
chacun des beaux-arts considérés en particulier; il 
feiut Cadre voir que la constitution de chacun d eux 
nous ramène aussi par force au. principe élémentaire 
de rjmitation ; en sorteque le principe de la définition 
générale de Fimitatioii , doit devenir encore celui de 
la définition de chaque mode imitatif propre à cha- 
cun des beaux-arts. 



DE l'imitation. i5 

■ 

PARAGRAPHE III, 

Que h ressemblance quil est donné à chaque.art de 
produire ne peut être que partielle. 

Jusqu'ici c est dans la nature même des choses , que 
nous avQBs essayé de chercher les principes élémen- 
taires de rimitatioB et de la ressemblance imitative^ 
principes desquels nous espérons &ire sortir les doc- 
trines et les régies de goût, qui pourront former la 
diéorie générale des beaux -arts. 

,11 convient maintenant de quitter la rjégion plus 
ou moins obscure des généralités , et , en arrivant k 
un ordre de notions moins abstraites , de démontrer 
que chacun des beaux-arts, considéré comme agent 
de rimitalkm , ne peut^en exercer qu une seule partie, 
et que,. par le fait seul de la restriction mise au pou- 
voir de son action , il constate 1 évidence des principes 
qui vienne»! d'être posés. 

lia seule division du domaine de Timitalion de la 
nature, entre les différents arts, est déjà une démon- 
stration de Timpossibilité^ ]K>ur chacun deux, d'ob- 
tenir l'identité ou la réaUté de ressemhlaace , qui 
s'appartient qu'à la répétition. 

Des idées coalises , qu'accréditent chez la plupart 



l6 DE LA NATURE 

des hommes certaines locutions vagues, perpétuent, 
en cette matière, les erreurs qui ne cessent de lobs*» 
curcir. Ainsi on répète que la nature est le modèle 
des arts : axiome aussi vrai qu il est insignifiant. 
Puis , ce qu on a dit des arts en général , on le redit 
de chaque art en particulier : et il n y a bientôt au- 
cune partie d'un art qui n'ait aussi la nature pour 
mfl^éle. 

Oui, 3ans doute; mais il faut alors restreindre le 
modèle de chaque art, autrement dit, de chaque partie 
dû domaine de l'imitation , à n'être aussi qu'une seule 
partie de la nature. 

Les différents arts d'imitation ne sont pas des in- 
ventions de l'homme , des créations de sa fantaisie , 
qu'il puisse étendre ou modifier à son gré; et les 
produits de ces arts ne sauroient se changer à sa vo- 
lonté. Chacun d'eux , soumis aux lois suprêmes de la 
nature des choses , ou de la nécessité, tient d'elle l'obli- 
gation d'être exclusivement en rapport avec tel ou tel 
ordre d'objets imitables , avec tel ou tel moyen ou in- 
strument d'imitation , avec telles ou telles qualités 
physiques ou morales , avec telle ou telle feicultéde nos 
sens ou de notre esprit; ajoutons qu'il y a aussi réci- 
procité de relation nécessaire entre chacune de ces 
choses, et chacun des beaux-arts. 

Les divers objets imitables se classent évidem- 
ment en deux genres principaux: il y a ceux qui 
tiennent à Tordre moral , et. ceux qui dépendent de 



DE l'imitation. 1^ 

Tordre physique ; les uns qui s adressent particulière- 
ment aux facultés de lame, les autres qui s adressent 
directement aux organes du corps. De là la princi- 
pale division des beaux -arts. 

Ces arts sont donc séparés entre eux par la diver- 
sité de leur modèle effectif, par la diversité de leurs 
instruments, par la diversité.^?s facultés ou des or- 
ganes que la nature a mis en corrélation obligée 
avec eux. 

De levidence de leur séparation résulte celle de 
Fimpossibilité où ils sont , chacun dans leurs attri - 
butions respectives, d ajouter à leur ressemblance 
imitative les moyens et les effets de la ressemblance 
imîtative d un autre. 

«Tai dit impossibilité , parceque si d une part , on 
avoue qu'en matière de goût, il n y a pas dabus qui 
ne soit physiquement possible, de lautre on doit re- 
garder comme moralement impossible tout ce qui est 
faux et vicieux. Mais la suite de cette discussion mon- 
trera qu'il y a aussi une sorte d'impossibilité matérielle 
ou défait, dans les mélanges d un art avec un autre, 
puisque, ainsi qu'on le verra, ce qu'on croit ajouter 
au pouvoir de l'imitation , ne tend qu'à l'affoiblir, et 
souvent à lannuler. 

J'en veux donner ici un exemple, et je le prendrai 
dans deux arts fort rapprochés entre eux. Je parle 
de la peinture et de la sculpture, qui ont toutes deux 
pour objet l'imitation des corps , et toutes deux s'a- 



l8 DE LA NATURE 

dressent au même organe, celui cle la vue. Voilà ce 
que ces arts ont de commun. Ce qui les sépare , c^est 
que Tun représente les corps parleur couleur ^ et Tau. 
tre par le relief de leurs formes. Cependant le modèle 
qui sert à chacun ^«ux réunit le relief et la couleur, 
et ces deux choses y sont si intimement fondues en- 
semble, quon ne les peut diviser que par la pensée. 

Toutefois Fart qui a pour soi la couleur ne peut 
pas aspirer au relief; et celui qui a la propriété du 
relief ne sauroit prétendre à la vérité de la couleur. 
Qu est-ce donc qui les empêche de réunir ces deux 
qualités? On peut en rendre beaucoup de raisons 
morales. J en veux donner une toute matérielle ou 
technique. 

La voici : c est que si Ion peut mettre de la couleur 
sur la figure du statuaire, cette couleur ne peut pas 
être celle du peintre» Qu on essaye, avec la plus grande 
habileté, détendre sur la tête sculptée les teintes de 
la tête coloriée, les éléments de lun et de lautre art 
vont sy opposer. La couleur du tableau n'est ce 
quelle est qu en tableau : qu on la transporte hors 
de la toile , elle perd tout , en perdant latmosphère 
factice , condition de son effet. A une tête peinte il 
faut un fond peint. La couleur artificielle sur un 
corps isolé ne pourra jamais paroître vraie , précisé- 
ment parceque tout ce qui lentourera étant réel ne 
pourra jamais servir qu'à la convaincre de faux. 

C est ainsi que Timitation s annuUe en voulant s ac- 



DE L^ÎMlTÀTiON. 19 

trottre ou se multiplier : c est ainsi que lart qui en- 
vahit la propriété dun autre perd la sienne; et pour 
avoir prétendu à être deux , il n est plus ni Tun ni 
lautre. 

J ai pris cet exemple, pàrcequ'il est à la portée du plus 
grand nombre , et que le résultat n en peut pas être 
contesté. L expérience étant malërielle, on ne sauroit 
réfuter ce dont les sens sont à-la-fois témoins et juges. 
Nous verrons cependant que , de Terreur don t on vient 
de parler, à une multitude d'autres erreurs qui ont 
lieu journellement dans le cercle des deux mêmes 
arts, la seule difiFérence est celle qui existe entre Fim-^ 
possible physique et l'impossible iQoral , c est-à-dire 
entre ce qui choque les sens, et ce qui blesse la raison. 
En vain, contre toutes les prétentions à la répétition 
identique des objets , contre la vaioe ambition de 
produire la réalité au lieu de lapparence imitative, 
invoque-t-on soit le goût, soit lautorité des ouvrages 
célèbres : le goût a iitie régie trop flexible , et le sceptre 
de lautorité paroit trop tyrannique. 

11 faut, en de tels sujets, pénétrer plus avant, et 
tacher de donner pour fondement aux régies, un 
principe qui repo^ sur lessence même des choses. 

Si en efifet les limites qui séparent le domaine de 
chaque art ont été fixées par la nature; si ce quon 
appelle ces limites, ou les séparations qui isolent 
chaque mode d'imitation , est précisément défini 
(comme on le développera plus bas) par les diver- 

a. 



20 DE LA Nature 

sites inconciliables du modèle imitable et du moyen 
imitateur, des qualités spéciales des objets, et des 
propriétés exclusives des organes, enfin des facultés, 
soit physiques, soit morales, appelées à juger les 
ouvrages des arts , que restèra-t-il à conclure de là , 
sinon que cest la nature^ ou la loi suprême, qui veut 
que chaque mode d^imitation reste sur le domaine 
séparé qui lui est assigné ? 

Que si ensuite, ces limites posées et reconnues 
pour invariables, lartiste les transgresse, n^importe 
de quelle manière et jusqu^à quel point, toute con- 
testation doit devenir inutile. Le fait est constant, 
et la loi qui doit le juger est irrévocable. De quelque 
façon que Tartiste ait cherché à cumuler et réunir, 
datis un seul et même ouvrage d'art, les moyens, les 
procédés , les objets , et les effets qui appartiennent 
à un autre mode d'imitation , pour affecter une res- 
semblance plus réelle, il a faussé la mesure, qui 6st 
celle de Timage , pour tomber plus ou moins dans 
Tidentité. Il a voulu tromper, il a trompé pour plaire^ 
il a dès-lors perdu tout droit et tout moyen de plaire 
à ceux qui demandent aux arts le charme de Timita- 
tion , et non la fraude de la contrefaçon. Qu il s'a- 
dresse à ceux qui veulent bien être trompés, ou qui 
méritent de letre, cest-à-dire aux ignorants. 



DELIMITATION. 21 



PARAGRAPHE IV. 

Que les conséquences de la définition et des notions 
précédentes s'appliquent à la poésie comme à la 
peinture. 

Oa a posé comme principe élémentaire de Timi- 
tation dans les beaux-arts , qu'imiter c'est produire la 
ressemblance d'une chose dans une autre chose qui 
en devient [image. 

Ayant distingué deux espèces de ressemblance, 
Tune identique qui n est dans le fait que la répétition 
de la chose par la chose même , lautre imitative qui 
est la répétition de la chose , dans une autre chose 
qui en est Timage, il doit résulter de cette distinc- 
tion, que ridée d'îmo^e sera celle qui caractérisera 
la ressemblance propre de Timitation appartenante 
aux beaux-arts. 

Mais pour que cette théorie soit générale , il faut 
que la définition de l'imitation , et les termes qui la 
constituent, puissent convenir à tous les beaux-arts, 
tant à ceux qui s'adressent aux sens, qu'à ceux qui 
s'adressent à l'esprit. 

Or il seroit possible que les mots de ressemblance j 
et sur -tout d'image^ fissent ici quelque difficulté. 



22 DE LA NATURE 

Image f pourroît-on dire, ne doit s'entendre que des 
ouvra{][es de la peinture et des arts graphiques. Si 
la ressemblance par image est celle qui parle aux 
yeux, peut-on faire entrée dans un principe élémen- 
taire, qu'on veut rendre commun à tous les arts, une 
condition qui ne doit être obligatoire que pour quel» 
quesuns? 

Je pourrois répondi*e que Temploi du mot image 
n'est pas inusité en poésie, et tout le monde en con- 
ïioit lacception métaphorique, empruntée à la pein- 
ture. Il est vrai qu'on ne donne ordinairement ce 
nom qu'à certaines conceptions de détail, à des lo-* 
çutions ou descriptiojns |)artieUes. Mais cet exemple 
suffira pour en autoriser l'emploi dans un rapport 
plus étendy , si l'on montre que les arts de la poésie , 
comme ceux du dessin , peuvent aussi produire les 
deux sortes de ressemblance identique ou imitative, 
qu'ils peuvent aussi affecter l'imitation de la réalité 
par la réalité, au lieu de s en tenir à une manière 
écjui valante de ce que nous appelons image. Il sera 
entendu seulement alors que les mots d^image ainsi 
que de réalité^ ne se prennent ici, comme le mot 
même d'imitation, en poésie, que sous un rapport 
d analogie, et dans un sens tout aussi vrai , mais d'une 
vérité moins matérielle qu'en peinture. 

On doit avouer que tous les genres de poésie .ne 
possèdent point au même degré la propriété imita- 
tjve; cette mesure dépend en général de l'espèce de« 



DE l'imitation. 23 

* 

«ujets qui entrent dans les attributions de chacun. 
Mais dès que la poésie traite des sujets (et ceux-là 
sans doute sont les plus nombreux) où il faut faire 
parler et agir des personnages, où il faut décrire 
par la parole les choses , les actions , les sentiments , 
et les moeurs , qui pourroit contester que lexpression 
de ces choses ne soit Teffet d'une imitation , morale-» 
ment entendue? Or lefiFet dune telle imitation est 
de produire une image morale, cVst-à-dire pour les- 
prit. Et si cela est incontestable, il Test également 
qu en poésie , il peut y avoir lieu , comme en pein- 
ture , de reproduire les objets , ou dans le sens de ce 
qui constitue la réalité , ou dans celui qui est propre 
de ïimage. 

Pour en donner un exemple entre beaucoup d'au- 
tres , qu'offrira la suite de cette théorie ( voyez par^ 
tie II, paragraphes), reproduire servilement dans le 
discours que Técrivain prête aux personnages qu'il 
fait parler , les pensées , les formules , les locutions 
banales, ou les termes d'un langage vulgaire, voilà 
ce que Ton prétend être la répâ:ition de la réalité , au 
lieu de la ressemblance imitative. Il est sensible par 
cet exemple , que la chose à reproduire par l'imita*- 
tion, c'est-à-dire ce discours, ne se reproduit pas 
dans une autre chose, c'est-à-dire dans un autre 
discours qui en devient l'iioage. Il est sensible qu il 
n y a plus là deux choses distinctes , notais deux fois 
la même chose. 



X 



^4 DE LA NATURE ^ 

C^est cequ OD appelle aussi copie; car copie, copia ^ 
ne signifie qu^un double. Dans le £ait , toute cette ana- 
lyse n est guère autre chose que Tinterprétation du 
mot copie et de son idée. On s en seroit même servi , 
si dans une matière où l'équivoque s'attache si faci- 
lement à chaque mot, lusage navoit point donné 
au mot copier, quelques emplois qui font confondre 
son idée avec celle d'imitation. , ^ * 

Pour étahlir la parité sur le point qui nous oc- 
cupe, entre la poésie et la peinture, après avoir 
montré comment, dans la première, la chose imitée 
peut cesser d être image , en n'étant que copie ou. ré- 
|)étition identique , il suffira de citer par anticipation 
(voyez partie III paragraphe 7) les ressources qua 
Fart du poète pour reproduire la ressemblance des 
choses dans d'autres choses qui en deviennent les images. 
Cçs ressources sont , par exemple , le choix des mots , 
des tournures , des idées , l'emploi du mètre et du 
rhythme , lexpression du langage des passions , la 
métaphore , Fallégorie , et toutes les variétés de style 
dont cet art dispose , comme d autant de moyens d'é- 
changer la réalité contre sa représentation , et, à vrai 
dire , la chose elle-même contre son image. 

Il ny a, comme on le voit, de différence que 
dans la nature de la chose à imiter, et dans la nature 
de la chose qui en devient Timage ; et cette différence, 
étant celle qui sépare Tordre de choses moral de 
Vordre physique, est aussi celle des arts eux-mêmes^ 



DE l'imitation. 2% 

On peut donc appliquer le principe élémentaire 
de rimitatlon à tous les beaux-arts , et le leur ap- 
pliquer dans les termes de notre définition , de ma*- 
nière que, lorsquMl s'agira des arts compris sous le 
nom de poésie, ce quon appelle image ^ condition 
nécessaire de toute imitation, ne sera (on la déjà 
dit) image, que pour les yeux de Tesprit, tandis que 
dans les arts compris sous le nom de peinture , ce 
quon nomme image, Test pour les yeux du corps. 

Je crois avoir fait assez comprendre pour le présent 
( voyez partie II , paragraphe 2 , où /e même sujet se re- 
produira) quel est le sens que je donne aux mots 
image ou ressemblance imitati ve , et aux mots réalité 
ou similitude identique. Mais Fidentité de ressem- 
blance devra s entendre , non pas seulement ( les mots 
pris au sens matériel) de celle quon obtient par le 
calque , le moule , ou le patron en fait d objets phy- 
siques , ni en fait de discours , de la redite purement 
textuelle et littérale, mais bien encore (selon Tesprit 
de la chose) de toute imitation qui annonce la pré- 
tention à paroitre ce qu'elle n'est pas. Or telle est 
celle où l'imitateur prétend pousser la similitude à 
un tel point, quelle fasse naître l'idée d'un emploi 
de procédé mécanique, ou d'une affectation de 
copie servile. C'est, «selon le sens moral de cette idée, 
que le vice de la similitude identique peut être com- 
mun à louvrage dû poète comme à celui du peintre. 

Nous appelons, par exemple, manière de similitude 



26 DE LA NATURE 

identique, celle du peintre, qui, sans avoir usé ni 
de calque , ni de pantographe , en reproduiroit dans 
son dessin Tambitieuse servilité , ou qui encore, au- 
roit employé (comme le faisoit Denner, de Nurem- 
berg) la, loupe pour Taider à répéter, sur la copie de 
sop modèle, la vérité minutieuse des poils et des 
pores de la peau. Nous appelons manière de simili- 
tude identique celle du sculpteur , dont la prétention 
est de faire croire sa figure moulée sur nature , quoi- 
qu'il n'ait pas e£6ectivement mis en œuvre le procédé 
du moulage. 

Eh bien! nous dirons la même chose, en poésie» 
des diverses sortes d'afifectation , soit de trivialité 
dans le langage et les pensées , soit de servilité dans 
rénumération des détails , soit de fidélité technique 
dans la description des objets corporels , ou des pro- 
priétés physiques, qui sont hors de la sphère de ses 
moyens (voyez partie I, paragraphe 9). 

On voit par conséquent que notre définition , d'a- 
près son développement, n'offre dans ses termes au- 
cune partie, qui ne doive s'appUquer à louvrage du 
poète, comme à celui du peintre, puisque Tun peut 
tout aussi bien que lautre , produire l'effet et faire 
naître lldée de la similitude identique, au lieu de 
l'effet et de l'idée de la ressemblaiice imitative , puis- 
que chacun peut reproduire la chose par la chose 
même, au lieu de son image. 

Mais, objectera-t-on encore, Tidée d'image, dans 



DE L*IMITÀTION. 27 

le sens sur-tout que nous avons déterminé, ne sau- 
roit comporter, quant aux arts qui s adressent à 
Tesprit , une application aussi rigoureusement sem- 
blable. Lespéce de confusion , qui , pour le sens mo- 
ral , peut résulter en poésie de lobjet imité avec Tob- 
jet imitant, ne sauroit être réprouvée comme celle 
qui a lieu dans Fimitation des corps , puisque le vice 
dont il s^agit , n acquiert pas le même degré d^évi- 
dence, que celui dont le sens physique est le juge. 

A cela je pourrois répondre que le vice seroit d'au- 
tant plus grave et plus contagieux , qull seroit plus 
difficile à combattre. 

Mais quoi donc ! n'y a-t-il de vice prouvé que par 
le sens physique? Tordre de choses moral n a-t-ilpas 
ses vérités et ses erreurs démontrées au sens moral et 
à Tintelligence? Quoi, le défaut de proportion, par 
exemple dans Fœuvre de Tesprit , ne seroit pas, en son 
genre, aussi réel, que le défaut de proportion dans 
louvrage matériel, et cela parceque la mesure du 
compas ne sauroit y atteindre? Mais on oublie que 
même dans l'imitation corporelle, Torgane ou Im- 
strument physique ne fait souvent que constater 
aux sens. Terreur ou le vice qui avoit été déjà saisi 
par Tesprit. 

C'est Tesprit ou le sentiment du vrai qui dénonce 
Tillusion captieuse' des 'arts graphiques, lorsqu'ils 
tendent à mêler ensemble leurs procédés respectifs 
mr un seul ouvrage ; et lorsque Torgane physique en 



2t8 DE LA NATURE 

démontre Timpossibilité (comme on Ta va au para- 
graphe précédent), il ne £eiitque ratifier larrét porté 
à lavance par Tesprit et le goût. 

Puisque lesprit suffit à condamner ce vice dans 
des arts qui ne s adressent ni uniquement ni direc- 
tement à lui, pourquoi le même juge seroit-il in- 
suffisant , quand il s'agit d'erreurs qui ont lieu dans 
son propre domaine, dans ce qui est particulière- 
ment de sa compétence ? Pourquoi ne condamneroit- 
on pas avec la même certitude, dans les arts de la 
poésie , ces doubles emplois de genres , ces mélanges 
en un seul ouvrage des propriétés de divers arts, si 
une telle cumulation produit pour lesprit , la même 
espèce de confusion , que celle dont les sens avouent 
la réalité dans les arts du dessin ; si enfin la ressem* 
blance par image s y trouve également détruite, par 
la prétention à la similitude identique? 

Qu'on n'objecte donc plus, sur ce point, les dif- 
férences de nature, entre les arts dlmitation morale, 
et les arts dlmitation corporelle. Ce qui est vrai de 
ceux-ci au physique, est vrai de ceux-là au moral; 
et nous allons voir que les séparations de chacun des 
genres d'imitation, ou des arts que l'on comprend 
sous le nom de poésie, sont, comme celles des arts 
d'imitation corporelle, très réellement insurmon- 
tables, s il est vrai quelles ne puissent être franchies 
que par les vices qui amènent la confusion dans Ti-* 
mitation , et dès-lors en détruisent le plaisir. 



DE L*IMITATI0N. :1g 



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PARAGRAPHE V. 

■ 

De la réalité des séparations placées par la nature entre 
les arts de la poésie comme entre ceux du dessin. 

PR£MJ£IIE PREUVE, 

Tirée de la diversité des facultés de Famé et de la diversité des 

qualités des objets imitables, 

lie domaine de limitation (on la déjà dit para- 
graphe 3 ) se divise en deux régions bien distinctes , 
celle des arts dont le modèle est dans la nature phy- 
sique, et celle des arts qui ont la nature morale pour 
modèle. Voilà la distinction réduite à sa plus simple 
expression ; et il suffit de l'indiquer. On ne prouve 
pas ce qui se démontre. 

Cependant il est assez naturel que Ton n^aperçoive 
pas les limites particulières à chaque art, avec au- 
tant de clarté que les deux grandes circonscriptions 
dont on vient de faire mention. Il arrive encore que 
Ion découvre mieux les barrières placées par la na- 
ture sur les confins de chacun des arts , dont le mo- 
dèle est plus ou moins matériel. Quelques unes de 
ces séparations sont tellement à la portée des sens, 
que sur certains points aucune confusion ne sau- 
roit avoir lieu. Chacun sait, par exemple, que la 



3o DE LA NATUBE 

peinture ne peut pas faire entendre ses personnages , 
que la réalité du mouvement, qui est le propre de 
Fart mimique , ne sauroit appartenir à la sculpture , 
que les images de la musique ne sont pas faites pour 
les yeux. Il est certain qu on n a point à prouver ces 
sortes dmcompatibilités; et, lorsqu'on les met en 
avant , c'est comme autant de prémisses démontrées 
d'une théorie propre à établir, par des déductions 
certaines, les titres de la propriété exclusive de cha-^ 
cun de ces arts , et les méprises ou usurpations réci- 
proques dont nous aurons aussi à parler. 

D autre part , lorsqu'il s'agit des arts qui ont la na- 
ture morale pour modèle, les confusions ou envahis- 
sements de propriété entre eux, ne paroissent point, 
au commun des hommes , être des violations aussi 
réelles. Pourquoi? C'est que les limites qui séparent 
les divers modes d'imitation, morale ou poétique, 
ne sont pas de nature à frapper les sens. Et puis, 
comme c'est à Fcsprit, au raisonnement, ou au sen- 
timent qu'il appartient de les fixer, on voit que de 
moyens cette sorte de critique offre à la subtilité pa- 
radoxale, pour éluder la rigueur d'une démonstra- 
tion qui ne peut être que morale. 

Toutefois nous avons taché de montrer, et nous 
croyons l'avoir fait (à la fin du paragraphe précédent)^ 
que la régie du vrai acquéroit, dans les matières d'i- 
mitation tributaires de l'esprit , une évidence mo- 
rale, équivalente en son genre à celle que les sens 



1)E LIMITATION. 3l 

nous forcent de reconnoitre dans Fimitation des cho- 
ses physiques ou corporelles. 

Montrons donc la réalité des barrières qui doivent 
exister entre les arts d'imitation morale, ou les diffé- 
rents genres de poésie ; et faisons voir que la nature 
y ayant aussi posé des limites, leur transgression, 
de quelque manière quelle ait lieu, est une trans* 
gression des lois naturelles qui ressent ce domaine 
de Fimitation. 

Pour constater les séparations que la nature a im- 
périeusement fixées entre chacun des arts du do- 
maine poétique ou de Fesprit, nous allons nous con- 
tenter de fûre ressortir Fentière similitude par la- 
quelle Fanalyse théorique rapproche ces arts de ceuK 
de Fimitation corporelle. 

Parmi les différences. sur lesquelles on a vu que se 
fondoient les limites qui divisent tous les arts , il faut 
placer au premier rang , la différence des organes et 
des facultés auxquels ils sont forcés de s adresser, 
et la différence des qualités inhérentes aux objets de 
chaque sorte d'imitation. 

Ainsi le premier fait, doù Fon déduit les sépara- 
tions naturelles entre chacun des arts du domaine 
de Fimjtation morale, est que notre ame se compose 
de facultés aussi différentes entre elles , que le sont 
entre eux les organes du corps. 

Le second fait est, que les objets qui sont la ma- 
tière de Fimitation morale, se composent de qualités 



3a DE LÀ NAtURE 

aussi distinctes entre elles , que le sont les propriétés 
des corps, et que ces qualités ont chacune, avec cha- 
que faculté de lame, une correspondance aussi ex- 
clusive , que Test celle des qualités physiques avec 
chacun des organes du corps. 

On a donné comme un premier fait, c est-à-dire 
comme un point hors de toute controverse, que 
notre ame se compose de parties différentes , qui en 
sont comme les organes séparés et distincts. Effecti-*- 
vement, il ny a personne qui ne recpnnoisse ces 
parties , sous les lioms d'intelligence , de raison , de 
sentiment , d^imagination , etc. ; noms qui expri- 
ment les^idées différentes que nous concevons de ces 
{acuités et de leurs opérations. Le langage ne les a 
discernées, que parceque leurs effets ne sauroient se 
confondre. Qui est-ce qui , en se rendant à soi-même 
le compte le plus superficiel de ces effets , ne reste 
pas convaincu^ que sentir est une autre chose qui^ 
maginer, que laction de comprendre est autre que 
celle de raisonner, que la faculté de discerner les 
rapports des choses ou leurs impressions, ne res-^ 
semble point du tout à la faculté de s en souvenir? 
Ceci n a rien qui tienne du système ; ce n est qu un 
fait observé et reconnu pour certain dan^ Tordre 
moral. 

Mais ce fait étant avoué, il s ensuit un autre aussi 
certain, cest qu'une de ces facultés ne peut faire 
qu^une seule, et toujours la même opération, ce qui 



DE l'imitation. 33 

est également assez reconnu, pour n avoir besoin 
que d être énoncé en ce moment. 

Or, qui ne voit là une entière parité entre ces fa- 
cultés morales, que nous appelons les organes de 
lame, et les organes physiques, qui sont les faculté 
du corps? 

Si lame , à Finstar du corps , a ses sens divers , ou 
des organes faciles à discerner et à séparer entre eux^ 
par la nature particulière et distincte de leurs opéra- 
tions, il doit y avoir nécessairement entre les arts de 
Fesprit ou les modes dlmitation morale, et les organes 
moraux qu on vient de reconnottre , des corrélations 
exclusives et spéciales à chacun. Cest-à-dire , par 
exemple^ que les différents genres qui divisent Fimi- 
tation poétique , auront la propriété d être chacun 
uniquement en rapport , soit avec la partie sensitive^ 
soit avec la partie Imaginative de Famé, soit avec sa 
partie rationelle. 

Il n y a certainement pas d ouvrage de Fesprit, 
quel que soit le degré d'imitation à lui propre , qui 
ne corresponde plus ou moins directement à Tune 
ou à Fautre des facultés dont 1 ame se compose. Pour 
en trouver la preuve , il suffit d^ouvrir tous les trai- 
tés de littérature, toutes les poétiques. Quel est leur 
principal objet, sinon, après avoir analysé et classé 
les différents genres dans Fart d'écrire, de fixer à cha- 
cun d eux son espèce particulière d'invention , de 
composition , de goût , de ton , de mouvement , de 

I. 3 



34 DE LA NATURE 

diction , de style, selon que chacun de ce^ genres est 
plus ou moins tributaire de Tuile ou lautre des fa- 
cultés de lame? 

Sans trop anticiper sur les corollaires de cette 
théorie , je peux faire encore observer, que tous les 
critiques, bien qu'ils ne déduisent pas leurs préceptes 
du principe élémentaire de Fimitation, tel que je Tai 
posé, nen arrivent pas moins au même résultat. 
Tous , guidés par Finstinct du vrai , par Fascendant 
des exemples et du suffirage de tous les temps , sont 
unanimes à condamner les méprises de g^nre , ou 
les impropriétés de caractère, qui en sont la suite. 
Mais ces méprises et ces impropriétés n ont point 
d autre cause, sinon que Fauteur s'est trompé sur 
Forgane de Famé , auquel il sW adressé , ou , ce qui 
est la même chose, dans le fond, sur les moyens 
imitatifs en rapport avec cet oi^ane. 

Ainsi les méprises, sur lesquelles tout le monde est 
d accord , ofifrent la preuve la plus incontestable de 
Fexistei^ce'distiiicte des fecultés de Famé, et des sépa- 
rations que la nature a établies entre elles. 

Le second fait , sur lequel repose Févidence de ces 
séparations entre les facultés de Famé , et pai* consé- 
quent entre les différents arts d'imitation morale, 
est (avons-nous dit) que les objets qui en sont la ma- 
* tière, ont, comme ceux de Fimitation physique, des 
qualités tout aussi distinctes entre elles, et dont le 
mélange est moralement impossible. 



DE l'imitation. 35 

Les principaux objets 4e rimitation morale, sa- 
voir ceux qui tombent le moins sous les sens , 
doivent être les affections de Tame, les sentiments, 
les idées , les rapports immatériels qui s attachent na- 
turellement aux sujets que la poésie affectionne. Or 
la liaison de c^ objets, avec les sujets que traite l^î- 
mitation poétique , impose à ces sujets la nécessité 
de correspondre exclusivement avec tel ou tel genre 
d'idées, de sentiments, de passions, etc. Ainsi la cor- 
rélation nécessaire de la nature des sujets traités par 
le poëte, avec la nature des objets principaux de son 
imitation, c est-à-dire des idées, des sentiments, des 
passions quil doit exprimer, est ce qui établit réelle- 
ment les séparations de genre en poésie , et sur les 
séparations qui existent entré les objets imitables. 

Il y a donc un ordre de sentiments , un ordre d af- 
fections ou de passions , un ordre d'idées que leurs 
qualités approprient à tel ou à tel ordre de sujets , et <' ^< 
par suite à tel ou à tel des arts de la poésie.' 

Pour faire sortir un moment , par quelque exem- 
ple, cette théorie de la région abstraite, on sait que 
le principal^ objet de l'imitation poétique , à laquelle 
on donne le nom de tragédie, est lexpression des 
deux sortes d'affections désignées par les noms de 
terreur et de pitié. Les sujets que traite le drame tra- 
gique, sont donc dans la nécessité de correspondre 
avec cet ordre d'affections, et, par conséquent, ces 
sujets auront des qualités aussi nécessairement dis- 

3. 



/ 



36 DE LA NATURE 

tinctes, que le sont entre elles les qualités physiques. 
Il est facile de s en convaincre , si Ton compare à Tob- 
jet de Timitation tragique, celui de Timitation co- 
mique, qui consiste dans lexpression des deux sortes 
d affections de gaieté et de malice, produites par le 
ridicule et la satire. Les qualités propres de lobjet et 
des sujets de cette sorte d art , sont évidemment sans 
connexion aucune avec les qualités qui appartien- 
nent à lobjet et aux sujets de la tragédie. 

; Cela étant, il nest au pouvoir ni de lun ni de 
laatre de ces deux arts , de s^approprier ce que la 
nature ne lui a point départi ; et nous verrons qu au- 
cun ne le peut faire en toute réalité, puisqu'il ne le 
fait qu'en renonçant à son être. 

S'il y a, pour chaque espèce dart de lesprit, un 
certain ordre de sentiments ou de passions qui lui 
soit propre , comme il y a un certain ordre de pro- 
priétés physiques, dont chacune correspond sépa- 
rément à chaque espèce d^arts des sens , on ne peut 
pas contester Texistence des mêmes séparations dans 
Tordre des idées qui constituent l'imitation morale. 
C^est-à-dire, qu'à ces idées, s attachent des qualités 
diverses ou contraires entre elles, dont la différence 
constitue aussi , entre les genres ou les arts de la poé- 
sie, le principe élémentaire de leur division. 

Ainsi le genre lyrique se distinguera de tout autre 
par l'élévation , et le genre pastoral par la simplicité , 
qualités dépendantes des sujets qu'ils traitent. Ainsi 



I 



DE l'imitation. 87 

le genre épique ne sauroit ni prêter ni emprunter à 
un autre Théroïque et le merveilleux , qui , dans 
Tordre des idées dont se compose sa nature, forment 
son caractère particulier. 

De quelque manière qu^on analyse ce qui consti- 
tue le modèle général de l'imitation morale , ou des 
arts de la poésie , on y trouvera , comme dans celui 
de Timitation physique , la même diversité de points 
de vue; on verra qu aucun art ne peut en embrasser 
plu^ d'un , parceque chacun est limité, dans un seul 
aspect, par les lois de sa nature; on se convaincra 
que ces lois sont fondées sur les séparations élémen- 
taires des facultés dp Tame , auxquelles chaque art 
est forcé de s adresser séparément, et sur les qualités 
des objets de Fimitation qui ne peuvent être réunies 
dans une seule et même image. Effectivement , comme 
on va le voir , Funité même de lame s'oppose à ce 
quelle puisse recevoir, de deux imitations à-la-fois, 
deux impressions simultanées, c'est-à-dire en un 
seul et même moment, et d'un seul et même art, dans 
un seul et même oi&vrage. 



38 DE LA NATURE 



PARAGRAPHE VI. 

Suite du même sujet. 

SECONDE PREUTE, 

Tirée du principe dumté de Ccune et de F unité de son action, doù 
résulte le principe d unité imitative, et dès^lors celui des sépor 
rations établies entre tous les arts. * 

La fausse idée qu'on se fait trop souvent de la na- 
ture de Timitation dans les beaux*arts, du genre, et 
plutôt encore de la mesure de ressemblance qu'il 
appartient à chacun de ces arts de nous donner, 
induit le grand nombre des hommes à penser, que 
plus de sortes de ressemblances un même art em- 
brasseroit , plus vif seroit le plaisir procuré par 
ses ouvrages. De là cette tendance à désirer, d'une 
part, et de l'autre à faire que les arts limitrophes , 
franchissant les bornes de leur domaine particulier, 
envahissent , et s'approprient plus ou moins , dans le 
patrimoine de leur voisin, quelque partie de la 
ressemblance imitative qui leur est refusée par la 
nature. 

Il est sensible que certains arts, soit parceque 
l'un aura pour son lot une partie du modèle com- 
mun ^ voisine de la part d'un autre , soit parceque 



DE l'imitation. 3g 

quelques uns , ou emploieront des instruments sem- 
blables , ou seront en rapport avec le même organe , 
ou stresseront, dans le régne moral sur-tout, à 
quelques fecultés de Tame que leur analogie rap- 
proche ; il est sensible , dis-je , que ces arts tenteront 
d^empiéter, d^une manière plus ou moins directe, 
sur le terrain d^autrui. 

J'ai déjà dit qu'il y avoit en ce genre des vols gros- 
siers que leur évidence rend moins dangereux (voyez 
le paragraphe précédent), et je n'entends point ici 
mettre en garde contre des larcins qui se trahissent 
d'eux-mêmes. Ces singeries vulgaires de la nature 
vivante, par le moyen de la couleur, du relief^ ou 
du mouvement, ne sauroient entrer dans notre 
théorie. Ce soQt tout au plus des caricatures de l'i- 
mitation. Les empiétements dont je veux parler, 
nont pas lieu aussi à découvert. Par exemple^ si la 
sculpture ne peut point dérober à la peinture la cou-r 
leur naturelle des objets , elle n'en a pas moins , trop 
souvent, la prétention de lui disputer l'espèce de 
sujets qui doivent leur vraie valeur à l'effet du co- 
loris ou de la perspective aérienne, et on a vu l'art 
du sculpteur tenter de fidre, avec de la pierre, des 
cieux , des lointains , et des paysages. Ainsi le peintre 
traitera des sujets qui ne valent et ne peuvent être 
compris que par le récit. Le poète dramatique fera 
des excursions sur le terrain de l'historien ou du 
poëte épique , etc. etc. 



4o DE LA NATURE 

Chacun croit ainsi aug^menter le plaisir, en éten- 
dant la mesure de la ressemblance, qui est le propre 
de son art , et chacun pense , en réunissant ce que la 
nature a séparé ( c^est-à-dire des qualités imitatives 
correspondantes à des organes distincts, à des fa- 
cultés dissemblables), présenter à Tame un surcroit 
de jouissance. 

Prouvons encore la réalité de ces séparations et la 
nécessité de les respecter, par le refus même de lame 
à se prêter au plaisir de ce double emploi dlmita- 
tion , et par Fim possibilité morale où nous sommes, 
de recevoir deux impressions à-la-fois, preuve dé- 
monstrative du vice de toute cumulation imitative, 
ou de tout autre moyen , pour opérer la ressem- 
blance entière dans Firaitation des beaux-arts. 

J^ai parlé dHmpossibilité morale. On Fa déjà dit; 
c^cst la seule dont il puisse être question dans les 
arts dont Timitation ne s^adresse. qu a Tesprit. Je vais 
maintenant plus loin. Quoique j'aie montré que dans 
Timitation propre de ceux qui s'adressent aux sens , 
certains mélanges entre eux sont physiquement im- 
possibles, toutefois comme les impressions de ces 
arts, bien qu'ayant l'organe physique pour intermé- 
diaire , aboutissent aussi au sens interne , il sera vrai 
dé dire que toute discussion en ces matières , se ter- 
mine toujours au tribunal de là raison, du senti- 
ment, et du goût. 

Ainsi il doit être convenu que généralement et le 



i 



DE l'imitation. 4» 

plus souvent, quand dans cette théorie on parle 
d'impossible, on* n'entend ipoint, que ce qu'on ap- 
pelle ainsi , le soit dans le fait positif et matériel. 
Sans. doute toute méprise, toute erreur est possible; 
on ne le sait que trop. Ce qu'on déclare impossible, 
c'est l'effet imitatif qu'on veut faire rés\ilter de sem- 
blables méprises ; c'est ce surcroit de ressemblance 
et de plaisir qu'on va chercher, et qu'on croit trou- 
ver, là où il nest point, et par des mélanges qui ne 
sauroient le produire. 

On entend ici et l'on appelle impossible dans son 
résultat, ou autrement dit d'un succès impossible, 
tout moyen qui sort du cercle de la véritable imi-* 
talion, telle qu'on la définie, tout ce qui ne peut 
se £sûre sans^blesser la raison et le goût, toute réu- 
nion d'arts qui n'a lieu qu'en contrariant les lois de 
leur nature. Ain&i ce n'est pas le fait de l'erreur qu'on 
appelle impossible; ou si on lui donne ce nom , c'est 
de la même manière qu'on dit impossible en mu- 
sique, un faux accord, quoiqu'il n'y ait rien de si 
possible qu'une discordance. 

Il faut donc ramener tout dans ces matières au 
sens moral. 

Quel que soit l'art dont il s'agisse , quelque moyen , 
quelque procédé qu'il emploie, à quelque organe cor- 
porel qu'il ^'adresse, c'est toujours à l'ame, comme 
on vient de le dire, qu'arrive en dernier resSort , son 
effet; c'est elle qui en est le juge définitif. Nous pou- 



42 DE LA NATURE 

voDS avancer, dans ce sens, que ce n^est pas Toeil 
qui voit, ni Toreille qui #ntend. Ces organes ne sont 
que des ministres faits pour transmettre les impres- 
sions des arts, à Tune ou à l'autre des facultés de 
lame qui en est le centime unique. 

L'unité de Tame est une de ces vérités dont nous 
trouvons en nous la facile démonstration. Elle se ré- 
vêle à tout instant , par Tunité de son action , dont les 
rapports mêmes de nos sens nous^ donnent sans cesse 
la preuve. Chacun de ces sens nous dit , qu il ne peut 
recevoir les impressions simultanées de plusieurs 
objets à-la-fois. Dans le fait , ni deux de nos sens ne 
peuvent être occupés activement ensemble, ni un 
seul ne peut être fortement affecté dans le même 
moment , par plusieurs ou seulement par deux sen- 
sations. Tai dit activement y parcequà la vérité cha- 
cun de nos sens est doué d'une &culté active, et 
dune vertu passive; et cest ainsi , c'est par Teffet de 
cette double propriété , que Ton voit conjointement 
deux objets éloignés Tun de Tautre. Oui ; mais il y a 
une grande différence de vision pour chacun d'eux. 
Il n y a d'intuition que pour un seul ; je n'en peux 
regarder qu un à-la-fois. Je peux entendre plusieurs 
sons ensemble : soit ; mais je n'en peux écouter qu un. 
Il y a pareille difiFérence entre sentir et odorer, entre 
toucher et palper. 

Nous reviendrons sur cette matière ( Voyez para- 
graphe vni, ci-après) lorsque nous traiterons de la 



t 



DE l'imitation. 43 

mesure dans laquelle divers arts peuvent, en cer-- 
tains cas donnés, concourir à un ouvrage commun. 
La manière dont on verra qu a lieu cette sorte d'asso- 
ciation , ainsi que la manière dont lame en jouit , 
ne feront que mieux prouver cette vérité, savoir que 
lame , ne jouissant de Tœuvre de l'imitation qu'en 
jugeant, ne pouvant juger que par une participa- 
tion active, et ne pouvant faire quune action à-la- 
fois, ne peut être touchée que par une seule image ^ 
c'est-à-dire par Feflet d'un seul mode d'imitation , 
ou d un seul art à<-la-fois. 

Ainsi le veut la constitution de notre ame , centre 
unique , oil aboutissent les sensations , et que cette 
unité empêche d'en éprouver ensemble deux , à un 
égal degré. 

On se fait souvent illusion sur laction de lame ; 
et la rapidité de cette action est cause qu'on n'en 
distingue pas les mouvements. L'ame, il est vrai, 
parcourt les objets qui s'offrent à elle , et passe avec 
une telle vitesse d'une sensation à une autre, qu'il 
semble y avoir simultanéité dans son opération , lors- 
que cependant il y a succession. Ainsi elle paroît 
réunir, dans un même acte d'intuition , la forme d'un 
corps et la couleur adhérente à cette forme ; mais 
elle ne peut jouir que l'un après l'autre , de chacun 
des effets particuliers à la forme et à la couleur^ 

Autre chose d'ailleurs pour l'ame est de recevoir 
les effets, autre chose est den jouir. La perception 



44 I>£ LA NATURE 

peut être rapide , la jouissance veut de Fattention de 
sa part. Aussi remarque*t-*on que cette rapidité de 
transition dont Tame est capable , n^a guère lieu qu à 
regard d^objets qui lui sont indifférents, dldées lé- 
gères , ou de sensations foibles. Cest ce qui nous; ex- 
pliquera (voyez paragraphe viii) quelle est Tespéce 
particulière des ouvrages mixtes, où plusieurs arts 
mettent en communauté leurs moyens. 

Mais le but de ce paragraphe étant d établir, avec 
plus d^évidence encore , la réalité des séparations , ou 
des barrières que la nature a placées entre chacun 
des.beaux-arts , on ne peut les rendre plus sensibles, 
qu en montrant comment lame , à laquelle chacun 
prétend plaire, ne peut jouir de deux effets à-la-fois, 
et par conséquent des impressions d une imitation 
double ou multiple. 

Or, cela résulte , comme on la vu , des plus sim- 
ples observations sur Faction habituelle de lame; 
et là est le principe incontestable de Funité de 
chaque art. Chacun ayant pour but de plaire à Famé, 
sll est Trai que deu^ plaisirs à-la-fois ne peuvent 
être goûtés par elle (de la manière qu on Fa ex- 
pliqué), il est clair que deux arts ne sauroient lui 
procurer également, et tout ensemble, le plaisir de 
Fimitation propre d!un seul. Il est clair que chacun 
doi||se présenter séparément à elle, cW-à-dire,à 
la partie de Famé correspondante à un seul mod|? 



I 



DE l'imitation. 4^ 

imitatif, c'est-à-dire par rentremise d un seul orgwe, 
c'est-à-dire par le moyen d un seul agent. 

Je le répète , autre chose est l'impression durable , 
autre chose est l'impression fugitive à laquelle il est 
facile de se méprendre. Sans doute dans la conversa- 
tion on saisit à- la-fois quelques paroles de deux per- 
sonnes, parlant ensemble; mais on ne suivra jamais 
deux discours prononcés au même moment. Lors- 
qu'on dit que César dictoit plusieurs lettres à-la-fois, 
ce n'est qu'une façon de parler. Le fait est physique- 
ment impossible. Seulement César avoit la faculté 
de passer facilement, lorsqu'il dictoit à deux secré- 
taires , d'une affaire à une autre. Mais encore faut-il 
dire que ce qu'il faisoit pour des lettres d'affaire, il 
ne l'eût pas fait pour deux plaidoyers à composer et 
à prononcer devant le sénat. 

Tout ce qui tend à nous prouver l'unité d'action 
de notre ame, et l'impossibilité où elle est de se di- 
viser, pour donner audience à deux sensations con- 
currentes , tend également à établir la règle d'unité 
d'imitation , soit que l'on considère en général l'imi- 
tation dans les propriétés respectives des arts entre 
eux, soit qu'il s agisse des éléments dont se com-^ 
posera l'ouvrage d'un seul art. Chacun avoue sans 
peine que Tunité est violée, là où l'ouvrage d'un seul 
art produit plus d'un sujet dans une composition , 
plus d'un intérêt dans une action , plus d'un caractère 



46 DE LA NATURE 

dans un personnage, plus d^un événement (prin- 
cipal) dans un'poëme, plus d'un trait d'histoire 
dans un tableau, plus d'un point de vue dans un 
site ou une perspective , etc. etc. C'est que Tame alors 
ne reçoit jque des impressions rompues et incohé- 
rentes. Elle passe plus ou moins promptement d'un 
objet à l'autre , mais elle ne peut en éprouver ni des 
effets entiers, ni une sensation complète. N'ayant 
point été assez activement affectée , ou elle n'a point 
joui , ou sa jouissance a été fbible. 

Que seroit-ce donc, si, se chargeant du double 
emploi de deux arts, un seul prétendoit l'affecter 
dans un seul genre d'ouvrage, par le concours in- 
discret de deux genres d'imitation , qui ne lui adres* 
seroient pas seulement deux discours , mais lui par- 
leroient deux langues à-la-fois? On conviendra que 
l'embarras et la confusion n'iroient pas en dimi- 
nuant. 

Je sais que lorsque la raison est contrainte de cé- 
der à ces preuves , il existe aussi un secret instinct 
qui s'y refuse. Cet instinct est celui de Tignorance , 
toujours portée à exiger des œuvres de l'imitation, 
d'être précisément ce que lui paroissent celles de la 
nature. Quoique l'analyse précédente ait prouvé que 
nous ne pouvons pas réunir dans un seul acte de 
vision, de perception, et de jouissance, les diverses 
propriétés réunies par la nature sur une seule créa- 
ture et dans un seul sujet , cependant comme la 



DE l'imitation. 4? 

rapidité de Topération des sens et celle de l'action 
morale semblent faire aisément un tout , de ces di- 
versités d'impression ^ on demande à Tart de nous 
fournir un agrégat semblable. On voudroit qu'il 
pût associer aussi sur un même être , dans une seule 
image, l'action du mouvement, les contours de la 
forme, la couleur qui parle aux yeux, comme le 
son de la voix à Foreille : car la nature nous donne 
tout cela dans un seul personnage. 

Mais on Fa déjà fait observer ; l'erreur est d'ap- 
pliquer l'universel à ce qui est partiel. Qui dit na- 
ture , dit modèle universel ; qui dit art , signifie 
image partielle. Ce quil faut appeler loi générale, 
dans la théorie de l'imitation, est le résultat de la 
volonté de la nature. Eh bien ; elle n'a pas voulu 
qu'un même art pût réunir deux propriétés spéci- 
fiques, deux qualités caractéristiques d'un mèn^e 
être : elle n'a pas voulu que deux de ces propriétés 
passent s'identifier sur une même image , sans s'en» 
tre-détruire ; elle na pas voulu que 4eux de nos sens 
pussent être occupés ensemble, etc. etc. C'est donc 
la nature qui a fixé les séparations de chacun des 
beaux-arts. 

On ne peut donc imiter la nature , qu'en se con- 
formant aax lois qu elle a imposées elle-même à l'i- 
mitation. Ce n'est plus l'imiter, ce seroit à peine la 
contrefaire, que de chercher à réunir plus ou moins, 
sur un seul objet, les diverses sortes de ressem- 



48 DE LA NATURE 

blances, dont elle a impérieusement divisé les lots 
entre tous les arts. Donc chaque art est moralement 
et physiquement . restreint à Funité d objet dans 
son imitation , comme à Funité de sujet dans son 
ouvrage (voyez le paragraphe suivant). 

A la nature seule appartient d être à-la-fois une 
et diverse, simple et composée, de réunir dans un 
seul être des qualités disparates, dans une seule 
action des incidepts divergents, dans un personnage 
des caractères contradictoires , de mêler en un tout 
homogène, toutes les oppositions de genre. C'est 
que la nature a des secrets pour sauver toutes les 
discordances: elle a des harmonies pour tous les 
contrastes; sa palette n'a point de couleurs enne- 
mies : aussi remarquons que les objets qu'elle réunit 
ne perdent rien de leur intqg^rité. Chez elle le tout a 
des parties, mais chaque partie est encore un tout. 
Ce qu'elle associe est composé sans être mêlé, est 
fondu sans se confondre; au lieu que l'art, s'il es- 
saie de disputera la nature son universalité , brouille 
ce qu'il assemble, tronque ce qu'il réunit, neutra- 
lise ce qu'il mélai^, et l'effet qu il prétçnd produire , 
par la fusion de propriétés ou de qualités opposées 
dans leurs éléments , se réduit à n en être que la con- 
fusion. 



*. . ■ 



DE l'imitation. 49 

PARAGRAPHE VII. 

De Cunité et de la variété imitatives. Des fausses notions 
qui résultent du malentendu de ces mots. 

De l'unité de lame, et de runité de son action, 
émane , comme conséquence nécessaire , le principe 
des différentes régies d unité , dont Tobservation im- 
posée par la nature à chaque mode imitatif, et à 
chaque ouvrage de l'imitation , est une des condi- 
tions de leur manière d être , et de leurs moyens de 
plaire. 

Mais cette unité de Tame , lorsqu'on la considère 
(voyez le paragraphe précédent) dans les effets même 
qui nous la révèlent , et Tunité de son action , quand 
on lobserve dans les impressions que nous recevons 
des objets, ne sont pas telles, et ne doivent pas ètve 
entendues dans un sens tellement rigoureux , qu en 
matière de goût , et en théorie d'art sur^tout , on as-* 
simile leur notion , à la notion , par exemple , du point 
mathématique ou de lunité numérique. 

On a reconnu déjà, que, par la faculté qu'elle a 
de passer rapidement d'un objet à un autre ^ lame 
nous semble douée du pouvoir de donner quelques- 
fois à ce qui est pluralité la valeur et leffet de [unité; 

1. i 



5o DE LA NATURE 

ce qui signifie qu^elle transforme en un tout, des 
parties éloigna ou distinctes. Mais cette faculté 
trouve aussi ses bornes , dans la distance ou la dif- 
férence des objets entre eux. Cest à la raison et au 
goût de les reconnoitre, et c'est en abusant ou de 
Tune ou de lautre , que se commettent les erreurs 
qu^il faut combattre. 

Si Ion abuse du raisonnement , pour restreindre 
par trop la notion de Funité dans Fimitation , en la 
rapprochant le plus qu il seroit possible de la notion 
d'unité, mathématiquement entendue^ on réduira tout 
arl y et tout ouvrage d art , à une nullité de moyens , 
à un unisson d effet , qui ne laisseront presque au- 
cune prise à lame, et rendront son action à peu 
près inutile. 

Si, laissant prendre trop de Uberté au goût, on 
généralise par trop la notion de Tunité , considérée 
moralement , et si on exagère le pouvoir de cette fa- 
culté qu a notre esprit de rapprocher et de combiner 
l€s objets , on forcera chaque art a sortir de son unité, 
pour devenir multiple , on forcera chaque ouvrage 
à nous présenter, non des images composées, mais 
des complications dWages, qi^, au lieu d*être un 
tout, seront plusieurs touts incohérents, sur lesquels 
l'attention de lame aura trop de peine à se fixer. 

De ces deux méprises , la première consiste à con- 
fondre ïunité avec Y uniformité; la seconde à prendre 
1 universalité pour ïunité. 



DE L UIITATION. 5l 

L'unifpiimîfé loin d'être Funité , en £Eiit d'art et d'i- 
mitation , en est au contraire lennemie. L'ame veut 
i unité, parcequelle veut, avant tout, que ce quon 
lui présente à voir ou à entendre soit clair et distinct, 
parceque la confusion est pour elle, un sujet de 
peine. La simplicité qui accompagne Funité est ce qui 
lui rend facile Faction de voir, de comparer, et de ju- 
ger. Mais cela signifie-t-il que Famé ne demande , par 
exemple, a la peinture que des figures rangées sur 
une ligne droite , à Farchitecture qu'une façade sans 
division et sans détails^ à Fart de la parole (|u un dis- 
cours sans mouvements , à Fart du chant que des 
accords à Funisson , au poëte qu'un drame sans ac- 
tion , des récits sans fiction , des compositions sans 
épisodes? Non sans doute. Elle appelle au contraire 
la variété à Faide de Funité. La variété est pour elle 
comme l'assaisonnement qui réveille et soutient son 
appétit. 

Il est facile aussi de reconnottre, par la notion bien 
simple de leurs, deux contraires , combien unité et 
universalité sont peu synonymes. Si pluralité est Fop- 
posé d'unité, l'opposé de l'unive/:se/est, comme on l'a 
déjà dit (au paragraphe précédent) , le partiel. Cest 
donc méconnottre , en théorie, l'unité imitative propre 
de chaque art , que de transporter la notion générale 
dart , à celle d un seul art^ ou cFattribuer à ses seules 
propriétés, le pouvoir de toutes celles qui appartien- 
droient à l'imitation universelle, si elle pouvoit avoir 

4. 



52 DE LA NATURE 

lieu . C est méconnoitre , dans la pratique , l'unité imi- 
ta tive, que de tenter de substituer k Tunité damage 
partielle, que donne une des faces de lobjet imi- 
table, luniversalité de tous ses points de vue; que 
de tendre à cumuler sur un seul ouvrage de Fart , 
au moyen d emprunts ou de larcins faits aux pro- 
priétés des autres , les qualités que la nature , ainsi 
quon la vu, a divisées et réparties entre tous. 

jtlasortirois aussi de lunité de mon sujet, dans ce 
peu de notions , si j^en trois dans l'universalité qu'elles 
ppurroient comporter. En iroliquant les deux prin- 
cipales méprises auxquelles donne lieu la notion de 
Funité imitative, jenai prétendu que jeter quelque 
lumière sur un point , auquel Féquivoque du lan- 
gage ajoute encore de Tobscurité , et en même temps 
faire bien reconnoitre le sens dans lequel j emploie 
ici les mots d unité imitative. . 

Or ici ce sens est celui qui appartient à Tidée géné-> 
raie dlmitation , plutôt qu a lacception particulière , 
au système imitatif , et non à louvrage de l'imitateur, 
à Fart enfin , plutôt qu a son œuvre. Non qu on mé- 
connoisse le genre particulier d'unité qui appartient 
à Fouvrage , et à laquelle est assujetti Fartiste , dans la 
composition , dans Fexécution de ses sujets , pour les 
rendre clairs , intelligibles , harmonieux k Fesprit et 
aux yeux. 

Mais la régie de ce genre d'unité est secondaire, et 
elle se trouve aussi nécessairement comprise dans le 



DE l'imitation. 53 

principe plus général de cette unité imiialive, qui est 
celle de Fart , considéré en abstraction , principe qui 
impose à chaque art ^l'obligation d'employer exclu- 
sivement dans ses œuvres, les moyens d exécution 
imitative qui sont de son ressort , et dans ses attri 
butions. 

Lie principe d'unité imitative , est celui qui veut 
que chacun des beaux-arts , et dans un même art , 
comme la poésie, chacun des genres que leur nom 
seul distingue, et que leur nature sépare l'un de 
l'autre , ne puisse appeler un autre art , un autre 
genre à son aide , dans son propre ouvrage , pour 
ajouter des ressorts étrangers à ses propres ressorts , 
pour accroître la part d'imitation qu'il a dans le 
modèle universel. 

Ce principe d'unité imitative, pour eu rendre lap- 
plication sensible par quelques exemples pris dans 
le technique , ou si Ion veut le matériel de quelques 
arts , est celui qui interdira au bas-relief du sculpteur, 
de prétendre aux efiFets des lointains ou de la per- 
spective du peintre; au personnage pantomime, de 
parler autrement que par gestes; à la peinture, de 
traiter dans un tableau plus d'un sujet. 11 est inutile, 
ce me semble , de faire voir que les conséquences du 
même principe s'appliqueront, pour chaque art, à 
sa partie la plus importante, la partie morale, qui 
comprend tout ce qui/ dans chacun, dépend de 
l'invention , du goût de composition , du choix des 



54 DE LA NATURE 

sujets, et de toutes les propriétés inhérentes à sa 
nature. 

J entends ici les novateurs se récrier contre ce 
système de restriction imitative, en^nyoquant contre 
cette rigueur, le besoin du plaisir de Li variété, gui, 
comme on la dit tout-à-rheure, est aussi un des 
besoins de lame , plaisir dont l'imitation ne sauroit 
se passer , et auquel lartîste est tenu sans doute de 
atisfaire. t 

Il faut donc dire qu il régne sur là notion de la 
variété , la même confusion d'idées , que sur celle de 
lunité; ce qui est fort naturel, tant une de ces no- 
tions est dépendante de lautre. Aussi ne voit-on autre 
chose que des efforts sans cesse renouvelés, pour 
produire la variété imitative , non par les moyens 
propres, et dans le cercle d un seul art , mais parle mé- 
lange des éléments hétérogène^ de plusieurs, comme 
si le génie se trouvoit trop à letroit dans un des do- 
maines partiels de Timitation, et circonscrit dans 
un horizon trop borné , pour y découvrir assez de 
moyens de variété , comme si ils y étoient épuisés. 

Cependant est-ce que la nature ne nous offre pas 
Tinfini dans chacune de ses parties , comme dans son 
tout? Y a-t-il ensuite un seul des domaines de chaque 
art, qui ne corresponde à une des parties ou des 
divisions de la nature? Si cela est, y a-t-il un seul 
art qui ne trouve Tinfini dtas lespace à lui départi^ 
et par conséquent où lartiste ne puisse mettre en 



DE l'imitation. 55 

œuvre dlnnombrables moyens de variété? A-t-on 
jamais pu , par exemple , assigner un terme à la va- 
riété imitative dese£fets, que le seul art de la peinture 
sait produire , par les seuls moyens de quatre cou- 
leurs, dans les seuls sujets que la nature met à sa 
disposition. 

Oui , comme chacun des beaux-arts a son unité 
imitative, chacun doit avoir aussi sa variété imita- 
tive^ qui y corresponde; mais elle n^ peut corres- 
pondre, qu autant que ses moyens sont restreints 
dans le même cercle d^unité d'art. ^ 

Il est tout simple que ceux qui mettent 1 univer- 
salité d'imitation à la place de lunité imitative, 
veuillent échanger la variété imitative, contre la 
diversité d'imitation. L'esprit paradoxal , en ces ma- 
tières , trouve fecilement un auxiliaire ou un refuge 
dans ces doubles emplois , que la routine du langage 
donne aux mots , à ceux sur-tout qui peuvent n'of- 
frir qu'un sens relatif. Et tel est le mot variété, que 
tantôt Tignorance , tantôt l'irréflexion , et plus sou- 
vent l'esprit de système , emploient , comme syno- 
nyme d'autres mots qui expriment ou une autre 
idée , ou la même idée , mais dans une toute autre 
mesure , et sous d'autres rapports. 

C'est pourtant en équivoquant sur la valeur des 
termes, que l'on en vient à prétendre que mélange , 
confusion, divergence, peuvent être de la variété^ 
parceque efifectivement il y a de la variété dans les 



56 DE LA NATURE 

productions où Ton trouve disparate et confusion. 
Mais pour que ces mots fussent plus ou moins sy- 
nonymes, il faudroit que sll y a yariétédans la con- 
fusion , il y eût aussi confusion dans la variété. Et 
voilà où lequivoque se trahit. Voilà ce qui établit 
la distinction entre les deux notions. 

Qui oseroit dire qu'il n y ait que de la variété , par 
exemple, dans ces combinaisons fantastiques de na- 
tures différentes , dont Fimagination se platf quel- 
quefois à créer des monstres ? Il y auroit , sans doute , 
variété d'espèces d animaux , dans un tableau qui 
nous représenteroit séparées , les créatures , quHo- 
race s'est plû à joindre par le récit, en faisant sa 
définition de la bizarrerie. Mais seroit-ce de la va- 
riété, et ne seroit-ce pas plutôt un chef-d'œt^vre de 
disparates et d'incohérences, que Fouvrage peint 
qui rassembleroit sous les yeux toutes ces espèces, 
pour en faire un seul être monstrueux et ridicule? 
Humano capiii.cervicem pictor equinam, etc. 

Voilà un double exemple de la variété imitative 
et légitime, qui n admet que des rapprochements 
naturels, et de cette variété abusive et factice , qui est 
la promiscuité, contre nature, d'êtres hétérogènes , 
laquelle ne produit que des monstreë. 

L'artiste ainsi trouve la variété, et il en trouve un 
fond inépuisable dans lemploi des seuls éléments , 
comme des seuls instruments de chaque art. Mais ce 
Il est plus de la variété , que celle qull cherche dans un 



I 



DE l'imitation. 67 

alliage des différentes natures darts. JTai dit alliage, 
parceque ce mot exprime précisément une idée très 
distincte de celle de réunion. L alliage tend à ne faire 
qu^ine matière de plusieurs. La réunion laisse chaque 
matière distincte. 

Or, FinfidéHté au principe d'unité et de variété 
imita tives, est, non pas, comme on va le voir, que 
divers arts concourrent à une composition qui peut 
être faite en société par plusieurs , mais quHls se mèlen t 
entre eux, et interviennent frauduleusement dans ce 
qui ne doit être Touvrage que d^un seul. 



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PARAGRAPHE (VIII. 

De la nature et de (esprit des réunions qui ont lieu 
entre plusieurs arts concourant à un ouvrage com^ 
mun , qu'on peut appeler d assemblage. 

On a eu lieu d'avancer déjà ( voyez le paragraphe vi) 
que Tame ne sauroit recevoir deux impressions à-la- 
fois, quelle nen reçoit plusieurs, que successive- 
ment , et que plus la succession est rapide , plus les 
impressions sont légères. 

Poiir s en convaincre , examinons ce qui se passe 
dans la région des sens. 



58 DE LA NATURE 

Chacun a pu observer que plus un grand nombre 
d^objets sera voisin de Toeil, moins la vue sera ca* 
pable d en embrasser beaucoup à-la-fois. A une plus 
grande distance, Toeil , non seulement en discernera 
davantage , mais il en pourra même fixer plusieurs 
collectivement. Pourquoi ? c est qu alors les objets, par 
le fait de 1 eloignement , perdent plus ou moins de leur 
individualité apparente , et forment des réunions ou 
des groupes. Mais alors aussi Tatténuation qu éprouve 
Fapparence de chaque objet , en diminue Fimpression 
sur lorgane. Telle est la nature des impressions si- 
multanées, c est-à-dire qui se succèdent rapidement. 
Ainsi dans le lointain d un paysage , on saisit comme 
un seul arbre , le groupe d arbres , dont gn n au(oit 
pu embrasser de plus près , les parties composantes , 
que Tune après Tautre. 

Je dois dire, À lavance, que ceci n infirme en rien 
le principe de Tunité d'impressions , unité nécessaire 
à la jouissance de Vàme , puisqu'il est évident que 
plusieurs objets ne parviennent à produire l'impres- 
sion qu'on appelle collective, que parcequ^ils se 
sont , le plus qu'il est possible , rapprochés de l'u- 
nité. 

Cest à dette espèce d'unité , c'est à former un tout 
ensemble de cette nature, que tendent, dans un ou* 
vrage fait en commun , les réunions d*arîs dont je 
veux parler. En cela consiste leur genre et leur mé- 
rite. Le plaisir qu'elles procurent, résulte de cette 



I 



DE l'imitation. Sg 

condition, sans laquelle, ou elles ne parviennent 
point à affecter lame, ou elles ne Pafifectent que 
d'un sentiment pénible et désagréable. 

Il y a entre ce qu'on appelle réunion d'arts , pour 
produire un ouvrage formé de plusieurs ouvrages , 
et ce que j'appelle mixtion des éléments de plusieurs 
arts, dans l'ouvrage propre d'un seul, la différence 
la plus sensible. 

Dans la réunion, chaque art reste lui-même, et 
sa portion de travail est distincte. Dans la mixtion 
de genres d'art , chacun se neutralise , et sa part d'ou- 
vrage se décompose. Dans la réunion , Tame peut 
jouir. du travail de chaque art, l'un après l'autre, 
par l'effet d'une transition plus ou moins rapide , et 
elle peut rapprocher en un tout , ce qu'elle a vu sé- 
parément. Dans la mixtion , et chaque partie et le 
tout lui échappent. 

Que la peinture , la sculpture , l'architecture, con- 
courent dans une galerie à l'ensemble de sa déco- 
ration , cet ensemble est leur ouvrage copimun , et 
leffet d'unité qui en résultera , sera la cause du plai- 
sir général que l'œil y éprouvera , bien qu'il ne lui 
soit pas possible de s arrêter à-la-fois sur un bas-relief 
et sur un tableau. 

Qu'au théâtre , la musique , l'action dramatique , 
la déclamation, concertent leurs moyens séparés 
dans une représentation commune, il y aura de 
même une impression produite par l'accord de ces 



6o DE LA NATURE 

moyens, et une autre qui sera lefifet de chacun 
dWx. Uame y jouit séparément, si elle veut, de 
chaque art, et simultanément de tous, en un point, 
et ce point qui çp est le lien commun, cest Thar^ 
monie générale. 

Sans doute , dans ces réunions dWts rapprochés 
entre eux pour coopérer à une œuvre d assemblage , 
il se trouve deux sortes d^unité. Il y a celle de lob- 
jet individuel et partiel , lorsqu^on le considère iso- 
lément , et il y a celle des objets vus ensemble , qui 
est Tunité collective, dont lefiet est de rassembler 
en un tout plusieurs êtres, pour nen composer 
qu^un seul. Mais cette dernière sorte d effet, et le 
plaisir quelle procure, proviennent de ce quêtant 
plusieurs , les ouvrages de ces arts n en font qu un , 
et non pas de ce que ces arts concertants sont divers, 
mais de ce qu ils font disparoitre leur diversité. 

U ne s^agit donc pas , dans les associations d arts 
vers un but commun, et pour un ouvrage collectif, 
qu'un seul art se complique de plusieurs autres, que 
des genrq^ distincts par des qualités incompatibles , 
prétendent s'identifier, puisquau contraire chacun 
y est tenu de rester ce qu il est. 

On se tromperoit encore, si Ion croyoit que 
chaque art augmente, par ce contact, soit son effet 
particulier , soit le plaisir que lame en attend , et 
que par une telle alliance il renforce sa propre vertu. 

Loin que le plaisir causé par les réunions d'arts , 



DE l'imitation. 6i 

en un commun ouvrage, provienne de ce que cha- 
cun de ces arts trouve dans le rapprochenient déjà 
défini, quelque chose qui accroisse sa portion de 
valeur imitative, et lui fasse acquérir cetta sorte de 
totalité de ressemblance, que la nature lui a refusée, 
on doit précisément tirer de là , les conséquences les 
plus opposées à cette opinion. 

Il est à remarquer en effet, que dans ces associa- 
tions, chaque art, sans perdre son caractère iqcli- 
viduel, qui le sépare d'un autre, perd néanmoins, 
le plus souvent , une partie de sa valeur spéciale et 
de son effet. Subordonné à une combinaison , dans 
laquelle il n'entre que pour sa part, il est tenu d'o- 
béir à la loi d une harmonie qui ne se rapporte 
pas uniquement à son intérêt , et ce régulateur gé- 
néral ne lui permet , ni de faire tout ce qu il peut , 
ni d'être tout ce quil voudroit. Il arrive donc à 
toutes les réunions darts, comme aux réunions 
d'instruments dans les symphonies , que chacun n'y 
coopère que par une partie de ses moyens. Or toute 
société impose la condition à qui contribue pour 
son contingent , de ne retirer qu une part de profit. 

Donc il n'est pas vrai que chaque art gagne ce 
qu'on croit, à se mettre en société, ni quil aug- 
mente, encore moins qu'il complète, la portion de 
ressemblance imitative qui lui manque. Loin de 
cela, il est contraint dy perdre plus ou pioins de 
la valeur qui lui est propre. Mais cette perte qui a 



62 DE LA NATURE 

réellement lieu , dans la valeur de chaque art socié'- 
taire , est compensée à Tégard du spectateur ou de 
Fauditeur , par une autre sorte de valeur , celle qui 
résulte du plaisir que donne l'ensemble , ou le mé- 
rite de lliarmonie générale. 

Un esuemple bien frappant de ceci , nous est donné 
dans lalliance de la musique et de la poésie sur le 
théâtre. On sait ce qu il y a d'affinité entre ces deux 
arts, soit par la nature des organes et des facultés 
auxquels ils sont tenus de s'adresser, soit à raison 
d une certaine parité dans les moyens intellectuels 
de leur imitation. Cependant, malgré ces points de 
contact , il na jamais été possible à ces deux arts , ni 
de se fondre, en un , ni de s entendre dans un par- 
tage ^al , ni mèqie à l'un , de s enrichir aux dépens 
de lautre. Et toujours on a vu l'un perdre, ce que 
lautre ne gagne point. 

Bien> des personnes s étonnent de ce que les chefs^ 
d'œuvre des lyriques anciens et modernes, n ex- 
citent point la verve de nos musiciens. On se plaint 
de ce que les habiles compositeurs ne marient point 
leurs savants accords , aux savantes conceptions de 
nos poètes dramatiques. On regréte enfin que les 
plus beaux v«^ ne s'allient pas aux plus beaux airs. 
Cet étonnement et ces regrets ne sont que lefïet de 
la méprise ordinaire sur la nature de limitation en 
général , et sur celle de la portion imitative qui est 
propre jde chaque art. 



I 



DE l'imitation. 63 

Mails y ce qui fait que les chefe-d œuvre de la poé- 
sie , ne peuvent pas devenir encore ceux de la mu- 
sique y c est qu ils sont déjà des chefs-d'œuvre com- 
plets dans leur genre ; c est qu ils ont déjà toute la 
plénitude de vertu imitative, c est-à-dire, tout ce 
qu'il faut pour que rien ne paroisse manquer à l'i- 
mage , pour quon ne puisse pas y croire un supplé- 
ment possible. Le musicien qui essaieroit de prendre 
ces chefe-d œuvre , pour thème de ses inventions , 
éprouvant lui-m^ne la difficulté de doubler, si Ton 
peut dire , par des images équivalentes en force ou 
en beauté , les images accomplies du poëte , se trou- 
veroit comme vaincu d avance , sans pouvoir com- 
battre. Son charme r^uleroit devant la vertu d un 
autre charme. 

Accordons un moment cette réunion sur un 
même sujet , et à un égal degré dans une exécution 
simultanée, des plus beaux morceaux de la poésie 
et de ceux de la musique, et admettons, ce qui est 
encore moins probable, que Famé pût suffire, c est- 
à-dire, prendre une part active à cette expérience. 
Voici ce qui arriveroit. L'espèce d'intimité des moyens 
d'exécution est telle entre les deux arts , que , comme 
(en les supposant ainsi rapprochés) il n'y auroit pas 
lieu à une succession assez-sensible et réeHe d'hnpreSr 
sions, l'ame, en place d'un double plaisir, éprouveroit 
un tourment double, de la dispute que les deux arts 
fctroient ^e son attention ; et obligée de ie partager , 



64 BE LA NATURE 

sans interruption , entre Tun et iautre , elle n*en re- 
cevroit, que des effets rompus y qui s annuleroient ré- 

É 

ciproquement. 

Aussi les exemples du passé , comme les faits mo- 
dernes, prouvent-ils quil faut, de toute nécessité, 
que Fun des deux arts cède la primauté. La musique 
dans les drames antiques n en fut que Taccompagne- 
ment. Aujourd'hui le drame est devenu laccessoire 
de la musique. Effectivement plus la musique ga- 
gnera de force, plus elle voudra des vers foibles, et 
plus elle aura de richesses à elle , moins il lui faudra 
de celles de la poésie. On ne met point de galons sur 
des broderies. 

J entends dire , que Ion prend plaisir à des spec- 
tacles, à des scènes, où les uns chantent, pendant 
que les autres dansent. Dabord ceci concerne deux 
cirganes divers. Mais quels sont les personnages qui 
s y adressent? ce sont ceux qu'on appelle choristes. 
A la bonne heure : il n y a pas là de quoi occuper 
lame activement , il n y a que des demi-impressions , 
étoiles ont dans la partie instrumentale, un lien qui 
les rassemble. Mais a-t-on jamais £ut chanter et dan- 
ser , en un même temps , le plus habile chanteur et 
le danseur le plus habile? lorsque vous êtes tout 
yeux , pouvez vous être tout oreilles ? Il n'y a per- 
sonne qui ne sache ce que fait souvent éprouver de 
contrariété , lalliance inopportune d'un grand mou- 
vement d'e£Gets décoratifs , avec la musique , lorsque 



DE l'imitation. 65 

trop de spectacle vient faire diversion à laction du 
chant. C'est que Famé alors veut et ne peut pas se 
partager entre les impressions de deux organes. 

Le principe d'unité de lame nous a prouvé la 
nécessité de l'unité d'imitation, et l'unité d'effet de 
limitation prouveroit, sll en étoit besoin, l'unité 
de l'ame. 

De là résulte , que quand plusieurs arts sont réu- 
nis dans un ouvrage commun ^ il faut, ou qu'ils se 
présentent à Tame de manière à lui procurer par 
des images distinctes , des impressions successives , 
ou que dans leur rapprochement, l'un s'efface pour 
laisser briller l'autre, ou que les effets de chacun 
soient assez fbibles, pour que semblables aux im- 
pressions d'objets éloignés, dont (comme on Ta déjà 
dit) la forme individuelle s'atténue par l'interposition 
de l'air, ils semblent s'identifier entre eux. Car, ainsi 
qu'on l'éprouve, là fisicilité qu'a l'ame de passer ra- 
pideiïient d'une image à une autre, ou de l'impres- 
sion d'un objet à celle d'un autre objet , facilité sur la- 
t|uelle se fonde le système' des réunions d'arts, tient 
précisément à ce qu'aucun des objets qu'elle par- 
court ainsi, n'est à lui seul capable de la fixer ni 
long-temps, ni entièrement. 

Aussi , dans ces cas , l'ame perd^Ue réellement en 
force et en qualité, ce qu'elle gagne en nombre et en 
diversité d'impressions. 

Tel sera généralement l'effet de toute combinaison 



1. 



66 DE LA NATURE 

d'arts associés pour de grands travaux de décoration, 
par exemple ^ ou de spectacles. Mais cet effet moral, 
on le remarque encore jusque dans Touvrage d'un art 
seul, qu^and la multiplicité de composition fait le 
caractère d'un tel ouvrage; comme lorsque la pein- 
ture, par un déploiement extraordinaire des res- 
sources du goût pittoresque, et des moyens de la 
couleur, prétend opérer dans de vastes enceintes, 
une telle réunion d'idées et d objets , un tel concours 
de figures , dégroupes , et de masses diversifiées , que 
leurs impressions s effacent à mesure quelles se suc- 
cèdent. On veut parler de ces iipixienses composi- 
tions suspendues dans les espaces aériens de nos 
pompeuses coupoles , où la peinture crut avoir 
agrandi toutes les sphères, et augmenté toutes les 
jouissances de Fart. Qui ne sait cependant, qui n'a 
pas éprouvé, quon peut recevoir une plus grande 
somme d'impressions, dune seule figure à la portée 
dé Fœil, que des cent figures dune coupole, qui 
chacune, en échappant plus ou moins ià Torgane 
de la vue, effleurent à' peine celui du sentiment? 

Jai cru devoir insister, en traitant de la nature 
de l'imitation , sur un point de théorie qui est l'ob- 
jet le plus ordinaire des méprises et des contradic- 
tions où Ton tombe, à raison de- l'habitude où Ton 
est, de confondre ce quon appelle. la réunion de 
plusieurs arts, concourant à uà ouvrage d'assem- 
blage, avec ce quil faut nommer le mélange des 



DE l'imitation. 67 

éléments de plusieurs, en un seul et même art. 

«Tai voulu faire bien comprendre quelle difiBé- 
rence il y a entre deux sortes d union, dont lune 
est légitime , et l'autre est adultère ; dont lune n^a 
pour objet aucune violatioû de propriété, ni aucune 
supercherie pour moyen , et dont lautre, établie sur 
le faux, dément elle-même le titre de son droit à 
lexistence. 

Jai dà sur- tout écarter Téquivoque du double 
emploi des mots , union on association y dans un sujet, 
non encore éclairci par la critique , avant d attaquer 
plus directement la. double erreur de lartiste qui , 
méconnoissant le principe élémentaire de Fimi- 
tation dans les beaux-arts, vise tantôt à multiplier 
les moyens imitatife de son art aux dépens des 
ressources propres d'un 'autre art (voyez le para- 
^aphe suivant) , tantôt à forcer 1^ mesure de res- 
semblance imitative qu'il lui appartient de donner,^ 
en cherchant ce prétendu surcroit dans un système 
de copie servilé, (voyez le paragraphe x.) 






68 DE LA NATURE 



PAÏIAGRAPHE IX. 

< 

Des moyens erronés par lesquels on détruit la vérité 
imitative de chaque art , en voulant la compléter ou 
[accroître. 

m. 

» 

PBEmÈRE ERREUR .DE l'aRTISTE. 

Elle consiste à chercher au-delà de son art un surcrcit de ressem- 
blance imitative dans les ressources dun autre art, 

La même théorie qui nous découvre la base sur 
laquelle reposent les conditions de Vimitation dans 
les beaux-arts , nous fait connoitre la cause princi- 
pale des erreurs qui portent à les enfreindre. 

Partagé entré deux désirs*, Fun de satisfaire la 
raison, en restant fidèle au principe élémentaire de 
Timitation, l'autre de contenter Tinstinct qui lui pré* 
fère souvent Tidentité , lartiste n est que trop sou- 
vent entraîné à confondre le plaisir vrai de Timi- 
tation avec le charme captieux de Fillusion , à sa- 
crifier au seul suffrage des sens, l'approbation de 
Fesprit et de Tintelligence. 

Sa première erreur (qui fait le sujet de ce para- 
graphe), consistera donc à chercher le moyen de 
procurer^ tantôt à son image , tantôt à son art même . 



I 



DE L*IMITÂTIOM. 69 

«in surcroit d'imitation pris dans des ressources qui 
leur sont étrangères. 

Nous avons avancé déjà ( voyez ci-dessus , para- 
graphe m), en analysant les éléments constitutif de 
chaque art, que jtoute ressemblance étoit forcée d être 
incomplète j et nous dirons bientôt, en revenant sur. 
ce sujet , que toute ressemblance imiiati ve est encore 
nécessairement^ctive. (Voyez paragraphe 10.) 

Avant de faire voir comment et par quels moyens 
ces deux prétendus dé&uts deviennent au contraire 
la cause des beautés et des plaisirs de Timitation , il 
faut mettre Fimitateur en garde contre les faux et 
vicieux correctif» , qu un zélé ignorant se croit auto- 
risé d'y apporter, d après Topinion mal entendue^ 
et plus mal définie , de Fespéce de communauté qui 
existe entre tous les arts. 

De ridée de cette communauté dérive générale- 
ment la tendance ambitieuse de rartiste, à remplir 
ce que j^appelle Yincomptet de ressemblance dans 
chaque mode dHmitation. Ainsi, diaprés Finterpré^ 
tation abusive du passage d'Horace, ut pictura poe^ 
'5ÎS (1)^ on concluera que ces deux arts, la peinture et 

■ ■ I ■ Il I ■ ■ ■ Il ■ ■ I II I I ■ * ■ I ■■■■!■ Il I II ■ Il ■ I 

(i) Horace, daa» ce paMa^e^ qa*on a Thabitude de tronquer, ne dit 
pat gënëralement ipie la poésie est en tout semblable à la peinture , 
encore moins le dit-il de la peinture par rapport à la podsie. Horace dit 
seulement, et sous un rapport très bomc, quil en est en poésie, comme 
en peintilre, où qnelques objets plaisant vus de loin et d'autres vus de 
près. Ut ffictura poeàs erit, <iuœ si propiùs stes. Te cajntt fnagisy et quœ- 
^am si longOu abstes. 



70 pE LA NATURE 

la poésie^ sont en droit de traiter les mêmes sujets, 
et dans les mêmes parties et sous les mêmes aspects; 
comme si, par exemple, il n^ avoit pas un beau 
physique, dont Timprcssion réelle est in transmis- 
sible par là parole, e.t un beau moral, dont la pein- 
ture , quelque génie quait le peintre, est inhabile à 
faire même soupçonner Tidée. 

On admire y et sans doute avec raison, les deux 
compositions de Poussin, où ce grand peintre a re- 
présenté la mort d'Eudamidas et celle de Germa- 
nicus. Mais le pinceau pouvoit-il rendre avec des fi- 
gures muettes, le beau moral de ces deux sujets? 
Dans le premier, on voit bien un malade dictant ses 
volontés dernières,, en présence de deux femmes af- 
fligées , chacune selon la dififérence de son âge. Mais 
comment la peinture, avec la seule pantomime qui 
constitue son langage, auroit-dle, pu instruire le 
spectateur du vrai motif de Taction, et lui révéler 
le trait si touchant d'amitié, qui fait .le beau> moral 
de ce testament ? Cvoit-oa encore. que le discours de 
Tacite trouve sa . Iraductioa , ou son équivalent , 
dans la dcènë du tableau de Germanicus mourant ? 

La peinture qui peut à peine faire voir queues per- 
sonnages parlent, au lieu dajouter à ses emplois, en 
traitait des sujets que le discours seul peut faire com- 
prendre^ trahit le secret de son insuffisance, bien 
loin d en corriger le défaut. 

On ne saurait trop montrer combien cette vaîna 



I 



DE LIMITATION. 7I 



ambition d étendre la sphère d'imitation de son art , 
induit souvent le peintre à se méprendre sur le 
choix des sujets qui y sont propres. Le théâtre ne 
laisse pas de contribuer à multiplier ses méprises. 
L'habitude d y voir des espèces de tableaux parlants , 
formés par Faction jointe au débit dramatique, fait 
croire à lartiste quil peut transporter les mêmes 
scènes sur la toile. Oui pour les yeux ; mais le ta- 
bleau est devenu muet, et alors les personnages ne 
peuvent plus nous instruire de ce qu ils sont et de 
ce qu'ils font. 

D autres fois on verra tel grand événement , pro- 
priété du génie de Thistoire, ou matière d^un poème, 
venir se rapetisser dans le cadre d un tableau. Mais 
comment y tient-il? Tronqué plutôt qu abrégé , et 
forcé de se concentrer dans lespace d^un seul mo- 
ment , le fait historique est devenu une énigme. Qui 
pourra deviner , dans ce raccourci d'espace et de 
temps, ce que, signifie tel sujet, dont Texplication et 
la valeur déj^ndent d'un ensemble d objets , d une 
succession d actions et de rappoi^ts moraux qui échap- 
pent au pinceau ? 

La peinture ne donne qu un moment unique de 
toute action : force a elle d'omettre ce qui précède 
et ce qui suit. Ainsi les sujets dont la représentation 
convient le mieux au genre de son imitation , sont 
les sujets simples , c est-à-dire peu compliqués dans 
leurs ressorts , peu variés dans leurs effets. Nous di- 



72 DE LA NATURE 

rons ailleurs en traitant des moyens de [imitation 
(voyez partie III , paragraphe 9 et 10), comment le 
peintre sait, en transportant ses sujets dans une 
sphère supérieure d'imitation morale , étendre la ma* 
tière et multiplier les ressorts de ses compositions. 
Mais il n est question , dans cette première partie , 
cpmmé l'indique son titre , que d établir ce qui con- 
stitue la nature de limitation en ellè-mèrae , et dans 
ses rapports avec chacun des beaux-arts ; objet qui ne 
peut être fixé que par Taoailyse des lois physiques 
et morales qui bornent la sphère dWtivité de cha- 
cun. Or, une de ces lois est celle qui interdit à lart 
du peintre^ Timitation positive des actions qui en- 
trent dans le domaine exclusif du narrateur, du poëte 
épique ou dramatique, par cela que la parole et le 
discours peuvent seuls en être les ii;iterprètes. 

Par suite de ces mêmes lois, le poëte se méprend 
également sur les moyens et les intérêts de son art, 
lorsqu'il lui demande de traiter certains sujets, dont 
l'imitation doit tirer sa principale valeur, de la pro- 
priété qu'a la peinture de parler aux yeux. 

Lessing a déjà remarqué que l'expression des dou- 
leurs corporelles , que la représentation des passions 
dépendantes du physique, font bien moins d'effet 
en récit qu'en marbre ou sur la toile. Effectivement 
le poëte peint mieux les affections douloureuses de 
Famé que les tourments des maux du corps: et la 
raison en est évidente ; c^est qu'il y a le discours et I9 



DE L'iMITAïJON, 73 

parole pour exhaler la plainte des peines intérieures , 
mais les angoisses et les tourments extérieurs ne pro- 
fèrent que des cris. Aussi le poëte dramatique grec 
fait-il x^rier Philoctéte sur la scène , et le poëte épique, 
faute de la réalité des sons , a-t-il recours à une com- 
paraison , qui substitue les mugissements du taureau 
aux cris de Laocoon. 

L'infériorité du poète à 1 égard du peintre, est tout 
aussi •sensible dans Timitation des objets, dont la 
propriété spéciale est de Vadresser à la, vue. Tout ce 
quil imaginera pour dérober à Fart de peindre le 
principe et la vertu de ses efiets sur nos sens, ne 
consistera qu en de f oibles équivalents , dus à un 
échange fort inégal d'impressions. Il remplacera l'as- 
pect dun soleil levant, dun ciel sans nuage, d'un 
site enchanté, par des idées plus ou moins analogues 
de candeur, d'innocence, de situation tranquille de 
lame , mises en corrélation avec les scènes de la na- 
ure;carce sontlà les vrais moyens du pocfc, moyens 
bien supérieurs à ceux du génie graphiquement des- 
criptif, dont je parlerai plus bas. Tout cela signifie, 
que le sentiment excité dans Tame par la sympa- 
thique liaison du moral ^|éc le physique , nous porte 
à nous figurer un site quelconque. Soit : mais chacun 
fera le paysage à sion gré ; et le poëte n'aura été peintre , 
en produisant cet effet sur notre imagination , que de 
la manière dont le peintre est poëte, lorsque son 
image est propre à inspirer au génie de l'écrivain 
d'heureux équivalents. 



74 DE LA NATURE 

Voilà dans le £ût à quoi se réduit cette commu- 
nauté si souvent citée , et si mal comprise entre la 
peinture et la poésie , et sur laquelle se fondent toutes 
les prétentions réciproques de chaque art , à s ap- 
proprier^ pour cohipléter ce qui lui manque, les 
moyens de ressemblance , que sa nature désavoue. 
( Voyez encore sur ce point , part. III , paragr. viii. ) 

On a considéré Tuniou de ces arts comme une vé- 
ritable communauté de biens, tandis quelle nest 
qn^un droit de partage dans le patrimoine univer- 
sel. Or, la communauté de biens suppose la faculté 
d'user des mêmes choses ; le droit de partage assigne 
à chacun la sienne Ainsi entendue, non seulement 
la communauté dont on parle, ne favorise point l'u- 
surpation , mais elle la prévient, en fixant les parts 
respectives du modèle commun , dans les limites 
quejious avons déjà reconnues; et la conséquencede 
ceci doit sur-tout s^étendre aux qualités distinctives 
des sujets qui appartiennent à lexécution de chaque ^ 

art, puisque c'est particulièrement dans le choix des f 

sujets, que s'opèrent les méprises et les confusions f 
de propriété, dont chacun pense vainement s'en- f 
richir. X • f 

Souvent en effet Fartiste s appauvrit par ses lar- / 
cins. Il est impossible que tel sujet , qui propre à un J 
art, deviendra fécond pour le génie, ne reste pas J 
stérile par la transplantation maladroite qu on en t 
fera. i 



DE LIMITATION. 76 

Pygmaiion dans Fextase de 1 amour, voit sa statue 
s'animer progressivement. Déjà la couleur de la chair 
qui se répand sur le marbre, apprend à Theureux 
amant et atl spectateur, la métamorphose qui s opère. 
Voila un sujet que la peinture seule est en état de 
rendre, pari^equelle peut très facilement, par des 
tons dé chair ^gradués, faire circuler lapparence de 
la vie sur le marbre. Qui le croiroit cependant? la 
sculpture sans couleur et sans mouvement (i), s'est 
aussi emparée de ce sujet, comme si elle pouvoit faire 
dire la même chose à un marbre blanc. Il y a plus , 
un fait aussi borné, et quioffre àspeinela matière d un 
Jocnologue^ a été mis sur le théâtre (2), où il est resté 
comme exempled^un choix d'action la plus impropre 
à la scène, puisqu'il ny a ni mouvement, ni intérêt, 
ni véritable péripétie. . ^ 

lia poésie est Tart qui occupe au milieu de tous 
le^ antres le plus vaste domaine. Bien sans doute 
n échappe entièrement à l'espèce d'universalité de son 
pinceau. Mais cet art éprouve . aussi, les restrictions 
que le langage lui-même é$t. forcé de subir, et la 
plupart dé ces restrictions résultent de ce que nous 
sivons â^ipelé l'impossibilité morale( voyez ci-dessus, 
paragraphe 7 ). Or, beaucoup .de sujets se refusent, 
iporelement parlant, au pinceau du poète; la faculté 
4e décw'eles objets et leurs qualités par le discours, 



^t 



(i) Groape de Falconet. 
(a) Par J. J. Rouâseau. 



76 DE LA NATDRE 

est souvent très insuffisante : et ç est cette insufQ.- 
sance qui pose la borne aux attributions de la poésie. 
Franchir ces limites, est de la part du poëte, usur- 
pation et violation du principe de Fimitation , qui 
veut qu'une chose soit représentée dans une autre chose 
qui nen est que [image. Si le propre de limage est 
d être incomplète, Timageque donne la poésie man- 
que à cette condition , quand le poète , forçant la 
mesure des moyens qu'il a de représenter par leurs 
analogues, certaines qualités des corps sur-tout, am- 
bitionne des moyens directs de description , qu il 
semble vouloir dérober à lart du peintre. 

Lessing a parfaitement démontré, dans son Lao- 
coon , que le poëte se trompe lorsqu'il croit pou- 
voir représenter les objets corporels , par le détail 
nécessairement successif de leurs parties , puisque 
ce détail-là même et cette succession des idées du 
discours, sont précisément ce qui s oppose à ce que 
les parties ainsi découpées et décomposées , produi- 
sent rimage d^un fout pour l'esprit, c'est-à-dire l'en- 
semble de la chose qu'il voudroit se figurer. 

De ce fait incontestable, il faut conclure que ce 
qui , dans la^nature physique , doit sa valeur à ce qu'on 
appelle l'ensemble des parties (et de ce genre est 
sur-tout cette beauté corporelle dont l'œil seul est 
juge), ne peut qu'échapper aux traits partiels et in- 
cohérents de la description poétique , lorsqu'elle s'at- 
tache au matériel de Tobjet; d'où Ton peut induire 



I 



DE l'imitation. 77 

encore , que dans de tels sujets le genre de descrip- 
tion appartenant à la poésie , est celui qui embrasse 
les rapports moraux , les détails de sentiment , les 
efFets qui ont prise sur lame , à laide d analogies et 
de transpositions, et au moyen de ces comparaisons, 
qui, nous ramenant au principe élémentaire de Timi- 
tation 9 upus font voir une chose dans une autre. Et 
tel fiit en cette matière le goût général de toute lan- 
tiquité. 

. Cependant plus d un poète moderne semble avoir 
pris à tâché d'accréditer le goût opposé , dans ce qu'on 
a appelé le style descriptif. 

On seroit tenté de croire que Jopinion de la com- ^ 
munauté abusive dont on a parlé, entre la poésie et 
la peinture, accréditée déjà par le mal-entendu des 
rapports qui existent entre ces arts , se seroit encore 
fortifiée par le fait d une influence réciproque de leurs 
ouvrages, influence devenue de nos jours 4>lus ac- 
tive , soit sur les écrivains, soit sur les artistes. 

J'ai parlé du penchant qu a trop souvent le peintre 
de transporter sur sa toile les sujets du poëte drama- 
tique, tels que la scène les fait voir. Qui nous dira 
qne plus familiarisé aussi avec les ouvrages et les ef- 
fets du pinceau , l'écrivain n'y contractepas rhabitude 
de cette sorte d anomalie poétique d'un goût pres- 
que inconnu à l'antiquité , et pour lequel on a , si l'on 
peut dire, créé à la poésie un nouvel emploi, sous 
le nom de poésie descriptive ? 



78 DE LA NATURE 

Le poëte atteint de ce goût, choisit de préference, 
tantôt les sujets qui sont du domaine de. la ma- 
tière, tantôt dans les rapports divers de Tobjet quil 
traite, ceux qui sont de nature à éveiller les sensplus 
que le sentiment. Rival impuissant du peintre, il af- 
fecte de calquer les découpures de ses images sur le 
patron de la réalité, de disputer au crayon I4 mul- 
tiplicité de ses traits, au pinceau la variété de ses 
teintes, de suppléer au total par lenumération ; et 
à lensemble des parties par leur dissection.; soins 
superflus d^une convoitise maladroite qui lui feit 
perdre ce qui lui appartient , pour courir après ce> 
qull n aura pas ! 

Qui ne voit qu^une telle manie dà*ive de lopinioii 
où Ton est , quW art peut ajouter à ses moyens ceux 
dun autre, et quil peut compléter la mesure de sa 
faculté imitative, par des emprunts faits pour dissi- 
muler son déficit de ressemblance ? 

D'habiles critiques avoient déjà combattu autrçn 
fois ce faux goût. Ils avoient montré que. la vraie 
manière pour le poëte de peindre les objets maté- 
riels, le spectacle de la nature et de ses e£Gets phyn J 
siques , n etoit , ni dans la froide méthode d^inven- f 
torier les détails, ni dans le^ procédés du démons^ J 
trateur, qui analyse les propriétés de la matière; f 
qu'elle consistoit au contraire dans Fart de ces heur f 
reuses transpositions, de ces échanges des images i 
physiques contre les idées morales qui leur corres- 



3 

f 



DE l'IMITATIOW. 79 

pondent, ef qui excitant en nous des afiections ana- 
logues et sympathiques, mettent (comme on Ta déjà 
dit) notre ame en corrélation avec l'impression des 
scènes de la nature sur^nos sens. 

Mais ce goût s'est reproduit de nos jours sous une 
forme plus positive et plus générale , non plus comme 
abus de détail dans le style , mais comme système 
poétique , et avec la prétention d^ètre un genre nou*» 
veau , une invention des temps modernes. 

Ce genre prétendu s appelle Romantique. 

Si Ton cherche à s^expliquer son nom , c^est-à-dire la 
signification du mot, dans son étymologie , il se forme 
de roman , espèce de conte ainsi nopimé de la langue 
Romane, parcequil prit naissance au temps pu rë^ 
gnoit cet idiome bâtard ; et de là le mot romanesque 
parfaitement semblable , à la désinence près , au mot 
roiiuinn'^ue qu^on a emprunté de l'anglois ou de Fal- 
mand, parceque romanes(]fue a déjà en françois une 
acception reçue, qui aurôit, dit-on, mal rendu Tidée 
du nouveau genre. 

On conviendra cependant que ce nom.donné chez 
nos voisins à un système de dransies, où Fauteur 
prend pour modèle Faction sans limites d^un roman , 
exprime assez bien ce genre de composition vraiment 
romanesque , ou romantique , comme oa voudra 
rappeler. /h 

Ce qu'il y a ici de plus difficile à comprendre , c^est 
<)u il puisse y avoir une manière de voir, de sentir, de 



8o DE LA MATURE 

penser, d'écrire, un genre nouveau enfin qui ayant 
eu besoin d'un nom, n'a pu en trouver un qui le ca-^ 
ractérise sans équivoque: car on ne sait si c'est le 
vague du mot qui se communique à l'idée, ou si ce 
ne seroit pas le défaut même de Tidée, et pour mieux 
dire du prétendu genre , qui empêcheroit de lui ap- 
pliquer un nom intelligible. De tout on peut dire 
avec Boileau : Ce que Pon conçoit bien s énonce clai^ 
rement. Si l'on dispute sur la signification du mot 
Romantique y et si chacun Tinterpréte diversement, 
c'est qu il y a beaucoup d obscur , d'indécis , et de 
trouble au fond de cette idée , ce qui est le propre 
des idées qui se forment dans la région nébuleuse de 
Timagination. 

Que dire en efGet d'une manière qu'on oppose , 
pour la distinguer, au goût classique? car voilà , toute 
négative qu'elle soit , sa définition la plus claire. Le 

goût romantique est Quoi? on ne vous dira pas 

ce qu'il est, mais ce qu'il n'est pas, c'est lopposé du 
classique. Qu'est-ce donc que le goût appelé classique ? 
C'est tout simplement celui qui régne depuis deux à 
(rois mille ans , celui qui a servi de modèle à tous les 
peuples de FEurope moderne, et selon lequel sont 
composés tous les ouvrages que le monde a jusqu'à 
ce jour admirés. 

On voit qu'il se présenteroit îq , contre la préten- 
due découverte , bien des objections , mai^ qui me 
feroient trop sortir de mon point de vue. Je ne ferai 



DE l'imitation. 8i 

que deux observations: i^ Comment une telle décou- 
verte a-t-elle échappé jusqu'ici à tant de siècles et 
à tant de nations? 2^ Ne seroit-ii pas possible quon 
prit pour découverte et nouveauté, une simple ma- 
nière de voir louche et fausse tout à-la-fois : une er- 
reur de resprit, que lamour du changement accrédite, 
et que Tambition d'une vaine originalité prétend re- 
vêtir des couleurs du génie? 

Lorsqu'on presse de ces questions les partisans de 
ce goût, ils le défendent précisément par les motifs 
qui doivent le faire condamner. On avoue que « c'est 
tf une ressource qui supplée , en poésie, à Tinspiration 
u morale chez les peuples vieillis ; que cette ressource 
*( est empruntée d'une nature physique invariable (i) ; 
u et qu'il n'y a plus à décrire chez ces peuples que la 
u nature qui ne vieillit jamais» , c est-à-dire , dans le 
sens de l'auteur, la nature physique invariable. 

Voilà donc , de l'aveu d'un sectateur de ce goût , 
le propre du prétendu genre romantique, c'est ïesprit 
cfescnp/i/appliqué plus en grand à la nature physique ; 
et voilà ce qui rattache cette digression au sujet que 
je traite, et à lobjet de ce paragraphe. 

J'ai déjà fait entendre, mais il me faut répéter ici, 
quelle est la vraie manière poqr la poésie de traiter 
la description des objets matériels. Comme lès arts 
du dessin, ou ceux qui parlent aux yeux, ont besoin 



(1) Voycs Ch. Nodier , préface de Trilby. 
1. a 



8j! de la AAïUttE 

le plus souvent de traduire Içs idées inorales eu fbrn^es 
physiques , la poésie, qui peint à lesprit , aime à con- 
vertir en impressions morales , les sensations corpo- 
relles. Elle désigne les objets matériels, plutôt par leur 
effet sur lame , que par leur action sur les sens , plutôt 
dans leur rapport avec les sentiments qu'ils produi-. 
sent , que dans celui de leur configuration visuelle. 
Son secret sur-tout est de transporter dans les espaces 
indéfinis de Tintelligence, qui en a[jrandit Fimage, 
les sujets que Fart du dessin ne peut nous présenter 
que dans 1 étroite enceinte d^un lieu donné. 

I^a poésie et lé style du genre appelé romantique , 
ont une toute autre prétention. I/écrivain, dans sa 
manie pittoresque , semble aspirer à la copie immé- 
diate et presque graphique des objets de la matière. 
Il s efforce de s attacher à leur réalité, comme s'il 
pouvoit sen prendre à Forgane visuel. Comme si • 
Fidéê de peinture appliquée à la poésie, n etoit pas 
une simple fiction du langage, il emprunte le^ yeux 
du peintre pour considérer la nature, et Fimagina^ 
tioh remplie de formes, de teintes, d'accidents de 
lumière , et autres effets physiques ,J1 se croit devant 
une toile , il rêve qu il a des crayons ou le pinceau 
en main, et se figure que des mots et des phrases 
vont faire sur Fauditeur Fimpression que la nature 
destine au spectateur. Il n y a là pas moins que la 
méprise d'un de nos sens contre un autre. La poésie 
sans doute a ses tableaux, mais ce sont des tableaux 



DÇ L^IUITATION. 83 

par métaphore; et comme il est interdit à Vœil de 
les voir, il est défendu au poète d aspirer à lemploi 
deléments qui n ont de valeur que par la visibilité. 

Si Virgile nous peint la nuit, cest par son effet 
général sur les créatures, il n'a pas la vaine préten» 
tion dé rivaliser avec le travail du paysagiste. Tantôt 
il feit dormir Thomme , les animaux , les vents; les 
flots de la mer; tantôt il placé le voyageur au mi- 
lieu de la forêt sombre , prêt à s^égarer à la lueut* 
douteuse du flambeau des nuits. 

Voulons -nous voir le même sujet? car voir est 
presque le mot propre , dans Tesprit du style roman- 
tique, tant on semble s Y étudier à recueillir les traits 
qui sont du ressort de la vue. Ici la nuit aura des ailes 
de gaze noire. Elle tapissera le ciel de crêpes junébres ^ 
et lés étoiles en sewnt les doux c/or^«. -^Ailleurs on 
vous fera voltiger de petits nuages ^ comme de légers fio^ 
cons de laine ^fuyant sur le disque argentin de la lune; 
le miroir du lac voisin réfléchira sa pâle figure, et les 
ondulations causées par la brise iki soir, en rideront l& 
tremblante surface. Ne croiroit-on pas qu on ait pris à 
tâche de détailler , en démonstrateur dV>ptique , un 
clair de lune par Claude Lorrain ? Est-ce le peintre qui 
a cru se traduire en récit , ou le poète a-t-il imaginé se 
feire peintre en second ? . 

Dans le prétendu genre dont je parle , oli diroit 
que la muse du poète aurait quitté sa lyre idéale, 
pour les instruments mécaniques de tous les arts 

6. 



i 



84 i>E I-A. NATUBE 

du dessin. Ce n^ést plus des objets même de là na-*- 
ture physique , que récrivain tire d'immédiates in*^ 
spirations , mais bien des imitations et des procédés 
imitatifs de lartiste. Son pittoresque est celui du 
«rayon , ses descriptions sont formelles , ses méta-r 
^hores sont techniques. Il allonge les corps en obé- 
lisques , les arrondit en coupoles y les creuse en calices. 
Il prétend modeler des formes, tracer des contours, 
profiler des lignes, projeter des ombres, grouper 
des masses. Il colore les fleurs de minium , peint le 
firmament d'outremer. Il drape les montagnes de 
neige , les coiffe de frimats ; il déroule les plis des 
nappes deau. Il passe des glacis sur laurore, et des 
demi-teintes sur le crépuscule. Ne craignez pas qull 
oublie les vapeurs de la perspective aérienne dans 
les fonds, ni les repoussoirs sur le devant de ses su- 
jets , ni le lichen ou la mousse des troncs dWbres^ 
ni le ton verdàtre ou la moisissure de la pierre tu- 
mulaire, ni la plante parasite de la ruine, ni les tons 
rembrunis de la tour, ni le jeu de la lumière dans 
ses vitraux, ni le balancement des ondes du lac, ni 
le reflet du peuplier qui se mire dans son cristal. 

On diroit qu on ait voulu épuiser le vocabulaire 
de lart de peindre à paraphraser des tableaux. 

Non cependant qu on ait la pensée de disputer à 
la poésie Texpressiou de certains effets extérieurs de 
la nature. Ce que Ion reproche à ce goût , c^est de 
s'attacher aux images tirées des objets matériels, au 



DE l'imitation. 85 

lieu de celles quil peut puiser dans les sentiments 
morauiL, de préférer les désignations, et, si Ton peut 
dire, les signalements des corps, aux impressions de 
Tame , les rapports bornés des êtres visibles , aux rap- 
prochements sans bornes du régne des idées ; c est 
Taffectation de parler aux sens une langue qui n est 
pas la leur, en refusant à Tesprit le langag^e "qui est 
le sien , de délaisser les ressorts de laction la plus di- 
recte sur. le cœur et Timagination , pour fatiguer sans 
fruit, et fausser les cordes dun instrument, rebelle 
à la main qui les touche, et inhabile à produire 
Teffet qu'on lui demande ; c est enfin de faire des- 
cendre la poésie des hauteurs d'où son génie dispose 
du monde intellectuel et moral , pour se venir me- 
surer à arme» inégales sur le terrain des réalités , 
avec des arts dont le propre est d'exprimer les formes , 
les couleurs des corps, et dont le but toutefois, en 
employant la matière dans s^ images, est de leséle 
ver à ces régions mêmes de lidéal , que le poëte semble 
avoir voulu déserter. 



d6 DE Là nature 



PARAGRAPHE X. 

Continuation du même sujet. 

SECONDE ERREUR DE L*ARTISTE. 

Elle consiste à chercher la vérité cn^defà des limite^ de chaque 
art, par un sj'stème Je copie servile^ qui etilève à F imitât ion 
ou à limage , cette partie fictive qui en fait f essence et le ca- 
rajetère, 

Vniw{ueimiterye^pr0(iuirekiresiembtaBcedunechose 
dans une autre chose (fui en devient Pimage^ ii est sen-r 
sible que rimiUCion propre des beaux<-arU n admet , 
et ne peut admettre que les apparences des ehoses. 
Or y toute apparence due à Tart est plus ou moins 
fictive. Autant doit-on en dire du genre de vérité qui 
appartient à la ressemblance imitative. C'est de la vé- 
rité, mais une vérité par fiction. {Exficto wsrum.) 
On a vu comment la prétention à une ressem- 
blance entière, interdite à Tirnage nécessairement par- 
tielle , porte Tartiste à convoiter hors du cercle de 
son art, des ressources étrangères , qull ne sauroit se 
rendre propres. Montrons maintenant, comment 
Fambition tout aussi illusoire d^une vérité mal en- 
tendue, pousse l'imitateur dans un excès opposé, et 
le retenant en-deçà des limites naturelles de son art , 



I 



DE l'imitation. Hj 

lui fait abdiquer une partie de ses avantages et de 
ses moyens. 

Cette autre erreur de Tartiste ne consistera plus à 
prétendre doubler ou multiplier les moyens de res- 
semblance propres de son art y par la cumulation abu- 
sive des moyens, ou des points de vue imitatiis d'un 
autre art; au contraire, resserrant, si Ton peut dire, 
le cercle de ses attributions, méconnoissant et la 
nature de l'imitation, et le caractère d'image qui 
la constitue, et 1 espèce de ressemblance qui appar- 
tient à tout ouvrage fictif, il ne visera, dans son hori- 
zon rétréci, qu'à identifier Vouvrage avec le ùiodèle 
individuel. Il affectera de l'en faire approcher au point 
de lui donner l'air d'y avoir été calqué. Il échangera 
(moralement parlant) le charme qui tient à ce quil 
y a de fictif dans l'apparence, contre le désenchan- 
tement d'une fausse vérité; enfin , la liberté de l'imi- 
tation contre la servilité de la copie. 

Voilà comment il arrive que de la même source , 
c est-à-dire , de la confusion des idées sur ce qui est le 
principe élémentaire de l'imitation , sortent deux er- 
reurs diverses , mais qui vont Tune et lautre aboutir 
au même vice, celui de ï identité, ou de la prétention 
à en produire leffet. 

Cette dernière méprise a lieu également dans les 
arts du dessin , comme dans ceux de la poésie; mais 
la poésie est peut-être l'art où elle se montre le plus 
à découvert, celui où Ion s'est le plus efforcé d« 



88 DE LA NATURE 

substituer Fidée de réalité Bervile dans les images , à 
celle de ressemblance imitativc. 

Cest par suite de cette prétention, que quelques 
uns ont essayé d^enlever entièrement à lart du poëte 
ces moyens fictifs, ressot*ts nécessaires dé son action 
imitative et du plaisir qu^elle procure. Les uns ont 
voulu rabaisser son langage au niveau de la prose , 
sous prétexte qu^il n^est pas naturel de s^exprimer 
par des paroles cadencées ou mesurées. Les autres lui 
ont contesté lemploi de ces conventions, dont lefFet 
est de modifier, dans une multitude de sujets , la vé- 
rité qui est celle de la réalité, et deTéchanger contre 
la vraisemblance poétique. 

Après avoir supprimé du langage de la poésie, le 
rhythme , le métré et la rime, on a fait des poëmes en 
prose , par égard pour ce qu'on appelle la vérité. 

Ailleurs on a contesté à Tépopée ses créations mer- 
veilleuses, sous prétexte qu'elles sont contraires aux 
lois de la nature physique , comme s'il n'y avoit pas 
la nature de l'imagination ; comme si elle n'étoit pas 
un don de la nature, cette faculté donnée à Thomme 
de créer^ à laide de la poésie, un monde d'images ri- 
vales de la réalité. 

On a tenté de bannir du théâtre ces conventions 
fictives, sans lesquelles l'imitation dramatique ne se- 
roit plu^ ni séparée, ni distincte dé la manière d'être 
positive du cours ordinaire des choses de la vie. On 
a prétendu que la nature n'étant assujettie à aucune 



I 



DE l'imitation. êg 

sorte d'unité ni de temps, ni d'action, ni de lieu, 
dans les événements qui se passent sur la scène du 
monde, l'art devoit faire comme elle, et procéder au 
théâtre dans une représentation l>ornée, comme elle 
agit dans ses opérations illimitées. Ainsi ou a vu des 
drames taillés sur la mesure d un corps d'histoire, en 
autant d'actes que Thistorien auroit fait de tomes. On 
a vu des actes de la .longueur d une pièce , des pièces 
divisées en journées, comme le Decameron de Bocace, 
des drames enfin devenir des romans dialogues. 

Non seulement le poëte dramatique dans son res- 
pect pour la réalité , ou ce que quelques uns prennent 
pour la vérité, a cru devoir multiplier les incidents, 
et presser, dans l'espace de quelques heures , des faits 
que la succession des années pouvoit seule dévelop* 
per ; mais pour s'identifier davantage avec son pré- 
tendu modèle, il s'est étudié à soumettre tous les 
détails aux yeux. De là ces pièces appelées depuis peu 
mélodrames, où, par de continuels changements de 
scènes et de décorations, on vous déroule tout le 
matériel d'ohjets, qui n aurôient dû se montrer qu'en 
récit abrégé; où Ton vous fait assister à des spec- 
tacles de meurtres, de jugements, de combats; où 
tout s'adresse à la vue, doù toute imitation morale 
s est retirée, pour faire place, dans l'expression vul- 
gaire des passions , à la ressemblance identique ; en 
sorte qu'un tel drame n'est plus qu'un ballet panto- 
mime expliqué par des paroles. 



go DE LA NATUHE 

Dirai-je qu'on « vu, par une sorte de représailles, 
cette autre imitalîoa de la nature, qui , dans l'action 
scénique , consiste à faire parler les gestes , à substi- 
tuer au langage articule des sons , les mouvements 
mesurés des corps , aller aussi , par lèie pour la vé- 
rité 9 jusqu'à donner de la voix à la pantomime et des 
paroles au danseur? 

On trouvera dans les compositions musicales du 
théâtre, plus de traces de cette manière dy consi* 
dérer l'imitation, quon ne pense. Le commun des 
hommes en effet y prend goût à ces sortes de con- 
ceptions, où l'art se mettant lui-mêm# en scène, est 
à-^la-«fbis le sujet et l'objet de la mMsique; je parle de 
ces semblants de concerts , de répétitions , de leçons 
de chant , de dé^is d ei(écution tant de fois reproduits 
sur le théâtre. Là on peut dire que l'imitation est 
tout-à-fait identique. (Voyez plus bas paragraphe XV.) 
L'emploi de certains instruments , comme des tam- 
bours dans une symphonie belliqueuse, des détona- 
tions d'armes à feu pour exprimer le, combat , du 
toonerrefactice pour peindre lorage^ rentre évidem- 
ment dans la même classe de méprises. A vrai dire, 
trop de bruit pour exprimer le bruit , trop de cris 
dans le chant pour rendre la passion , détruit l'effet 
de Fimitation. Plus le genre du sujet la place près 
de la réalité , plus il convient de respecter le peu d'es- 
pace qui l'en sépare. 

C'est encore par une fausse idée de vérité dans la 



i 



DK l'iMITATIOK. ' 91 

re$semklance imitalive propre de la musique , qu ou 
demande à racliou du jeu ce quHl faut attendre de 
Faotioii du chant» ci k Tintérèl du drame, ee que Tin* 
tërèt musical €6t appelé à remplacer. ( Voyra plus bat 
ibid, ) Le chanteur ne s'abuse^t-il pas aussi , lorsqu'il 
$e permet de mêler dèa\ paroles rhythmiques et mesu«>- 
rées du chanta les inflexions ou plutôt les écarts de 
la déclamatioii libre, rompant ainsi le charme de son 
art par un contraste qu^il prend pour une vérité, 
lorsqu'il n'est qu'une dissonance? 

Il n y a pas jusqua certains acteurs qui préten-r 
drent que la déclamation doit mépriser la mesure , 
et faire oublier les vers. La recherche affectée d'un 
naturel en-deçà de la nature de Timitation , leur fait 
confondre les nuances de chaque {;enre de simplicité : 
ils vont du simple au familier , et tombent dans le 
trivial. 

Il en e&t ainsi dece système dramatique auquel le 
génie sans règles du poète anglais a donné lappui 
de son exemple, si toutefois on doit donner le noni 
de système, à une manière d'imiter, produit dun 
instinct ignorant, que la nature désavouera, tant que 
la raison et le goût seront dans la nature. Le génie 
peut bien s'emparer d'un genre vicieux, sur- tout 
s'il trouve dans son irrégularité , cette sorte d'indér 
pendanee, qui, propice aux écarts de la pensée, en 
favorise quelquefois la hardiesse et loriginalité. Mais 
le vrai génie de l'imitation , celui qui est de tous les 



92 I>£ LA NATURE 

siècles , sera le génie soumis à la nature et libre dans 
les entraves de Fart. Or, peut-on qualifier ainsi ce 
goût de composition dramatique, où tous les extrêmes 
se trouvent confondus, où la bassesse du langage 
contraste avec Télévation des personnages, et la tri-> 
vialitédes images avec la recherche des pensées; où, 
pour parottre naturel , le poëte tragique descend jus- 
qu'à la familiarité de la plus basse comédie, et dans 
les passages successifs de ses tons opposés, tombe, 
avec brusquerie , du style épique au style des tré- 
taux? 

La muse de Fhistoire n est pas moins en butte aux 
méprises de ce faux zèle pour la vérité. On tie peut 
pas mettre en doute que le premier devoir de Tbis- 
torien , ne soit la véracité et la fidélité aux faits qu'il 
raconte. Mais la manière de les présenter rentre aussi , 
jusqu'à un certain point , dans le domaine de Timi* 
tation poétique; et Fart de mettre en lumière les 
causes des événements, de faire ressortir dans des 
portraits bien tracés , toutes les variétés des carac- 
tères, de donner aux récits la couleur, la vie, et le 
mouvement , est un art rival de celui du poêle et du 
peintre. Cependant on a contesté à l'historien le droit 
d user de ce genre de talent imitatif. On a voulu lui 
interdire lemploi de ces discours fictif , qui mettent 
en scène les personnages , et développent d'une ma- 
nière, en quelque sorte dramatique; les secrets res- 



UE l'imitation. 93 

sorts de la politique. On a enfin été jusqu'à prétendre 
que tout art devoit être banni des relations histori* 
ques, et qu^elles dévoient se borner à être des chro* 
niques et.de simples gazettes. 

Je dirai peu de choses ici des arts du dessin , pré* 
cisément parceque, sur ce point de critique, la ma- 
tière seroit très abondante , et parceque la seconde 
partie de cette théorie ramènera à leur égard le même 
genre de notions. Qull suffise de rappeler ces aber- 
rations du goût de certains temps , de certain^ écoles , 
où l'artiste crut être imitateur fidèle de la nature , en 
reproduisant, comme dans un miroir, les défectuo- 
sités qui n'étoient que celles de l'individu , dont il 
avoit fait son modèle, en ravalant les œuvres de l'imi- 
tation à n'être que des empreintes y des espèces de^c 
simile, dépourvus de beauté , et privés de toutes les 
cqnditions de la véritable imitation. 

Remarquons encore combien la contagion d'un 
iaux principe est subtile, et comment, sans qu'on y 
fasse attention , elle corrompt de proche en proche 
les œuvres d'un siècle ou d'une nation , dans l'esprit 
qui les produit, et dans le goût qui les encourage. 

Pourroit-on méconnoltre que c'est à cet esprit vrai- 
ment matérialiste, à ce goût purement sensuel, que 
sont dues , et cette indifférence , en peinture , pour 
le genre des sujets historiques , c'est-à-dire de ceux 
qui doivent avant tout parler à l'ame ou à l'intelli- 



94 BE LA NATUR& 

gence, et celte préférence donnée à un genre flétri 
dans Tantiquité par le nqm qu'on lui donna (i), genre 
devenu si cher aux temps modernes ^ geûre où les 
objets de la nature vulgaire, où tout ce qu'il y a de 
bas et d'ignoble dans letat de société, trouvent de si 
nombreux admirateurs , depuis que les sens ne de* 
mandent aux arts que les jouissances de la matière? 
L'efiBet de ce principe ne se trahit-il pas aussi par 
la prédilection qu'obtient depuis long^temps sur la 
scène, dirai*je la peinture, ou plutôt la réalité ab^ 
solue de ces sujets pris dans là fange des ruisseaux , de 
ces personnages ramassés ^u coin des rueS) ^t qu on 
transporte sur le théâtre , non plus avec le masqué 
de la caricature , qui en deviendroit au moins Timagé, 
et préteroit à la comparaison^ mais avec la turpitude 
* d une grossièreté si réelle , qu'on pourroit se dispenser 
d acteurs pour jouer de pareilles pièces, et encore 
plus d'auteurs pour les composer ? 

-» — — =— =- — ==-- — 

(i) Hhyparographie. Peinturé de vilenies. • 



DE LIMITATION. qS 

' PARAGRAPHE XL 

Qu il faut reconnaître dans chaque art quelque chose 
de fictif quant à la vérité y et quelque chose «fin- 
complet quant à la ressemblance. 

811 è8t vrai que chacun des beaux-arts ne peut 
embrasser qu'une partie de luniversalité du grand 
modèle et si chacun ne peut reproduire cette por- 
tion correspondante aux- moyens qui lui sont pro- 
pres , que dans ce qu'on appelle inlage, on est forcé 
de reconnoitre que Timitatiôn accordée par la nature 
«chaque mode imitatif , reste nécessairement incom- 
plète quant à la similitude , et encore fictive pour ce 
qui est de la vérité. 

Ces deux faits , dont les conséquences sont aussi 
importantes que nombreuses , ne sauroient être con- 
testés , dans tout ce qu'embrasse la région des sens 
physiques. Comme ^ par exemple, à la figure dessinée 
sous un point de vue, il manque sensiblement tous 
les autres points de vue ^ sous lesquels la même figure 
auroit pu être représentée; il est de même tout aussi 
sensible pour Tesprit , que certaines qualités , cer- 
taines propriétés dépendantes de la nature spéciale 
soit du modèle^ soit delà matière-, soit des instru- 



96 DE LA NATURE 

ments de tel ou tel art, manqueront à Tart dont le 
modèle, la matière et les instruments seront divers. 
Voilà ce qui fait ïincomplet de chaque art pour la 
ressemblance. 

Ce qui en £ait le caractère fictifs consiste dans la 
nécessité pour chacun, de ne pouvoir produire que 
lefifet apparent et simulé de la chose imitable, efifet 
qui s'oppose à celui de la chose même ou de la vérité 
absolue. Ainsi personne ne méconnoit la nature de 
cette vérité fictive, qui nous &it trouver du plaisir 
à voir le portrait d^une personne rendu par un mor- 
ceau de marbre blanc, ou fondu en bronze noir; à 
voir Facteur sur la scène nous représenter un être 
fort différent de lui ; à entendre le poète remplacer, 
dans son langage artificiel et mesuré^ la liberté du 
discours véritable, à entendre les sons des instru* 
ments, substitués aux effets du bruit réel, ou de lar- 
ticulation de la voix. Ce sont là tout autant de fic- 
tions que Ton ne sauroitméconnoltre.Toiit le monde 
est forcé den avouer Texistence, pour ce qui regarde 
la partie matérielle ou mécanique de tous les beaux- 
arts , puisque ce sont autant de faits dont le sens ex- 
térieur dépose. 

Mais reconnottre que chaque art , par suite des lois 
physiques de la nature , est borné à une imitation in- 
complète et fictive, c'est reconnoitre comme con- 
traire à la nature tout moyen d emprunt , par lequel 
un art, aux dépens d^un autre, sapproprieroit soit 



DE l'iMITATIOÎI. . 9^ 

un surcrait de ressemblance physique, soit uQr sur- 
plus de vérité pMitive. 

Ce qui est incontestable d après les lois physiques 
de Timitation , nous avons vu ( ci-dessus paragraphe 
IV ), qu'on ne sauroit non plus le contester dans 
Tordre des notions morales ou des qualités intelleic- 
tuelles, dont Tesprit est juge. 

Il faut donc montrer qu'en vertu des lois de là na- 
ture morale de limitation, chaque art est aussi ré- 
duit par les moyens quil tient d'elle, à ne produire 
qne des images fictives et incomplètes pour lesprit. 

Et , par exemple , dans quel art plus que dans Tart 
dramatique , se manifeste au goût et à Fintelligence, 
la nécessité de cette sorte de faux ou de ce fictif sur 
lequel repose la vraisemblance au théâtre? 

Peut-on donner un autre nom à cet arrajiigement 
tout-à-fait conventionnel auquel le poète est tenu 
de subordonner tous les faits , tous les incidents qui 
forment le fond de son sujet , ou pour mieux dire 
de sa fable ? Qu est-ce q|ie cet accord qu il se plaît à 
concerter entre les causes de levénement qu'il mo- 
difie, et les effets qu'il leur commande de produire? 
Q« est-ce que cette combinaison de formes , de traits 
contrastés , qu'il imagine entre tous les caractères 
quil trace, pour les faire valoir et briller l'un par 
l'autre? Qu est-ce que ce rapprochement de circon- 
stances ou de personnages , que le poète opère exprès , 
pour mettre l'auditeur au fait du sujet , par le récit 



I. 



y8 UE LA NATURE 

plus pu moins naturel de ses antécédents ? Qu%st-ccf 
que cette pratique plus factice encore, des prologues 
explicatif ,. chez les anciens, qui visèrent beaucoup 
moins qu'aujourd'hui , à la réalité d'illusion? Qu est- 
ce que tout cela , sinon un ensemble de procédés et 
de moyens fictifs dans le véritable sens du mot? 
Mais ce sujet sera traité plus en détail , à larticle des 
conventions ( part. III , paragraphe i v. ) 

Il n'est pas nécessaire de s étendre plus longuement 
sur les preuves de ce qui constitue \ incomplet de Timi- 
tation dans Tart dramatique. On sait comment , limité 
quil est par lespace et la durée ^ il lui est interdit de 
rendre la totalité des développements et des accom- 
pagnements réels de chaque sujet. A quelque degré, 
de quelque façon que le poète essaie de franchir les 
limites que lui donne la nature y et malgré toutes les 
ressources de la visibilité dans ses images , du langage 
dans ses acteurs, du mouvement dans ses figures, 
son action ne sera jamais qu'un abrégé d'action , son 
ensemble le fragment dun tflut, sa peinture une ré^ 
ductioa obligée de l'original. 

La poésie nafrative, dont le ressort semble tout 
embrasser, trouve pourtant (comme on la déjà d*t) 
d'invincibles obstacles à compléter lefifet^de ses ima- 
ges , lorsque , par exemjrfe , elle s attache à la descrip- 
tion soit des formes matérielles, soît de l'ensemble 
des corps , et de beaucoup de propriétés du monde 
visible. Faut-il faire remarquer, que ce quelle a de 



• DE L^lMlTAtlON. 9g 

fictifs se découTre moins encore dans ce qui comtitue 
son langage, dans la mesure ou la cadence des mots, 
que dans 1 emploi des formes de style étrangères à 
lexpression ordinaire dû discours , que dans Tusage 
des métaphores , dans Tintervention d'êtres imagi- 
naires 9 dans la création de certains caractères , de 
certains traits de physionomie morale, dont 1 original 
est par-tout et n est nulle part ? 

Aucun art considéré dans sa faculté imitative, ou 
celle de produire des ressemblances, n'offre plus sen- 
siblement^ que la musique, des images incomplètes^ 
et par des moyens ylus fictifs. 

Et de fait où est le modèle de la musique? Où le 
prend-elle ? Où nous est-il donné de le saisir pour y 
comparer son image? Peut-être ce modèle n'est- il 
lui-même qu'une fiction de Tartiste. Quel qu'il soit, 
ehacun sait que ta musique n exprime les sentiments 
ou les passions , que par lé langage inarticulé des 
sons, c'est-à-dire, par des équivalents toujours fort 
loin de la réalité du discours. Généralement, cet art 
n'a rien de fixe ni de fini dans ce qu'il représente. Il 
n'a aucun moyen positif de produire ses images*^ sous 
des traits qui nous forcent de tes reconnottre. Son se- 
cret est de nous mettre dans le point de vue de ce qu il 
ne peut pas montrer, et de nous déterminer à nous 
lé figurer nous-mèmes.Cest d^ctivement notre ima- 
gination, qui, comme sous la dictée d un programme, 
compose les tableaux dont il ne donne que Tidée. 

7- 



lOO DE LA NATURE 

Le pouvoir magique de Tart musical , est de nou9 
contraindre à donner une forme aux conceptions les 
plus indéfinies, a terminer par des contours le vague 
de ses esquisses , à échanger ses idées contre des sensa* 
tions , à traduire des sons fugîtife en images, et par 
des transpositions sans nombre^ à compléter en nous 
les effets d^une imitation , dont le succès dépend peut- 
être autant de celui qui les reçoit , que de celui qui 
les produit. 

Comme il est dans la nature d'une théorie, dont 
les nptions quoique distinctes sont contiguës , de 
paroitre ramener souvent le même sujet sous des 
aspects semblables, j^épargnerai d'autant plus vo- 
lontiers au lecteur les applications du sujet de ce pa- 
ragraphe aux arts graphiques, que les deux condi- 
tions imitatives dont je parle , y sont aussi faciles à 
distinguer dans ce qui est du ressort de Tesprit, 
que dans ce qui est tributaire des sens. Qui ne con- 
noit les bornes des propriétés nioï*ales et deâ instru- 
ments physiques des arts du dessin ? Qui peut igno- 
rer ce qu il y a de nécessairement incomplet dans les 
ressemblances quils produisent? Inutile, je pense 
aussi , de montrer ce qu^il y a de fictif dans les moyens 
de la peinture, qui na que des superficies pour 
rendre leffet de la rondeur et de la profondeur , des 
lignes fixes pour exprimer le mouvement , et qui , res- 
treinte dans lactlon à Tunité dHnstant , doit repré- 
senter ce qui nest déjà plus, si Fou peut dire, et ce 
qui n est pas encore. 



DE l'imitation. IOI 



Il n'y a rien à cet égard , de particulier pour la 
sculpture, qui n'ait déjà été dit ailleurs, ou qui ne 
rentre dans les notions particulières à la peinture. 

Mais l'instinct du grand nombre prend volontiers 
le change sur les deux points de théorie qui nous oc 
cupent , dans l'opinion qu'on se forme de la valeur 
imitative de lart orchestrique ou pantomime. Com- 
ment croire en effet qu'il manque quelque chose à 
la vérité absolue d'un art, qui nous ofiFre une imita- 
tion si voisine de l'identité ? Qu'y a-t-il là , dit-on , de 
fictif et d'incomplet? 

Heureusement pour cet art, on se trompe. Car si 
la ressemblance y étoit complète et la «vérité sans fic- 
tion , il cesseroit d'être art d'imitation. Disons donc 
où est l'erreur: c'est qu'op oublie ou qu'on ignore, 
que ce qu'il y a dans cet art de sensuel et de corpo- 
rel , à quoi beaucoup de gens s'arrêtent , n'est cepen- 
dant comme dans les autres arts , malgré la contiguité 
du modèle et de l'image, qu'un instrument représen- 
tatif, un moyen fictif dans sa réalité même, d expri- 
mer des idées , de produire des images immatérielles, 
de rendre les sentiments et les afiFections de l'ame, et 
que 'sinon, il n'y auroit que des tours de force ou 
d'adresse. Mais on ne s arrêtera pas à prouver ce qu'il 
doit y avoir d'incomplet dans un art qui a des gestes 
au lieu de paroles, qui est condamné au mouvement 
même pour donner l'idée du repos , comme la mu* 
sique ne peut rendre le silence qu'avec du bruil. 



I02 DE LA NATURE 

Chercher à soustraire plus ou moins chaque art, 
aux conditions que lui impose sa nature fictive, pour 
donner à son imitation ce qu^on croit être une exten- 
sion de vérité; 

Chercher à compléter plus ou moins ce qui man- 
que aux moyens naturels de l'imitation propre de 
chaque ait , pour y rendre la ressemblapce plus en- 
tière : . 

Tels sont les deux points auxqi^els ont visé et ten- 
dent continuellement d'ignorants novateurs. On a 
déjà fait connoitre et leurs efforts et leurs résultats. 
Comme c'est contre leurs tentatives que cette théorie 
se dirige, la suite donnera plus d'une occasion de les 
combattre. 

Il suffira d avoir puisé ici dans cet aperçu des 
deux conditions imposées aux arts par la nature de 
rimitatiou , la démonstration du vice et même du 
vide des prétentions , que l'ignorance che2 les uns , et 
l'impuissance du talent chez les autres , ife cèdent 
4'accréditer. 



t 



i>E l'imitation. io3 



PARAGRAPHE XIL 

Que ce qtiily a de fidif et dtincomplet dcms chaque 
art, est précisément ce qui le constitue art, et devient 
le ressort même du plaisir de Fimitation. 

Dès que, par la loi de nature , un art ne peut être 
autre chose qu une manière de saisir et de présenter 
un seul des aspects du modèle universel, rien de 
plus vain que tous les effprts de Tartiste pour don- 
ner à son image un surcroît de vérité ou un supplé- 
ment de ressemblance pris hors de la sphère de son 
imitation. De quelque façon qu'il emprunte, et de 
quelque part qu'il tiine ses ressources , soit par des mé- 
langes de genre, soit par des complications de res- 
sorts, soit par Taffectation d'une fiîlélité identique, 
soit par toutes les transpositions physiques ou mo- 
rales du régne de la réalité dans celui de l'imitation, 
l'erreur est la même , et son résultat sera par-tout 
semblable. Ce qu'on croit ajouter à la vertu imita- 
tive , est précisément ce qui la détruit , et en ce 
goare aussi le mélange des éléments les neutralise. 

Oui, c'est précisément cequ'il y a de fictif et d'm- 
complet dans chaque art, qui le constitue art. C'est 
de là qu'il tire sa principale vertu et Yeffet de son 



lo4 1>E LA NATURE 

action. C'est de là que vient le pouvoir quUl a de 
nous plaire. 

Il faut dire en effet qu a ce double défaut s^attaahé 
la condition du plaisir que nous recevons de Timi- 
tation. Cette condition est que Tame doit être avertie, 
et voir clairement, que si on a le projet de la séduire, 
on n a pas le moyen de la tromper (voyez plus bas 
au paragraphe xi v sur Y illusion ) , et que ce qu'on lui 
présente , est véritablement une chose qui est Timage 
d'une autre chose. Alors persuadée qu'on ne lui 
montre l'objet ou le sujet imitable que sous un seul 
de ses aspects, elle jouit d'autant plus, que captivée 
par l'art qui la concentre dans ce point de vue, ni 
elle ne désire, ni elle ne penseà soupçonner qu il y en 
ait un autre. 

Que l'on mette plus ou moins de réel à la place 
du fictif, dans Fœuvre de l'imitation , en la rappro- 
chant de Tidentité physique ou morale dont on a 
tant de fois parlé; que l'on complète de fait la res- 
semblance de chaque art, ou par un surcroît de 
vérité individuelle et vulgaire, ou par la cumula- 
tion de moyens dépendants d'un autre mode imi^ 
tatif ; qu'on remette , par exemple , au positif dans le 
langage, tout ce que lart avoit revêtu de la méta- 
phore poétique , que trouvera-t-on ? Le désenchan- 
tement de la réalité , substitué au charme de l'imi- 
tation. Il y aura, dit-on, le plaisir de la nature. Soit: 
piais, dans Tart, il ne s'agit pas de ce plaisir-là. Il 



ITE LIMITATION. lo5 

ne s^açit pas de celui qu on éprouve à voir la nature 
elle-même, et en elle-même, mais bieii la nature 
dans son image. Pour jouir de la nature, on n^a 
besoin ni des formes , ni des moyens de Fart. Apnu- 
1er lart, ou ce qui est la même chose,. leffet repré- 
sentatif de son image , c est faire ce que fait lenfant , 
lorsque brisant la glace , pour saisir sa propre appa- 
rence , il anéantit Tune en détruisant lautre. 

Tel est le résultat de ce complément qu^on a la 
vaine prétention de donner à chaque mode imitatif , 
et il est le même dans tous ; seulement il sera plus 
frappant à Tégard de ceux qui sen prennent directe- 
ment à lorgane extérieur, par des moyens matériels. 

Introduisez , .par exemple , dans les décorations 
des scènes , la réalité au lieu de Timage des objets. 
Faites-moi voir par un percé réel au fond du tliéàtre, 
les montagnes du pays , et la mer avec des vais- 
seaux (i) voguant sur ses flots, en place de la pein^^ 
ture de cette perspective. Remplacez les toiles de 
fcuid, les/e?*me5 découpées des coulisses, par des 
arbres naturels, par des colonnes et des bâtisses 
solides , je ne saurois dire quel plaisir ce spectacle 
de réalités me procurera , mais ce que je peux as- 
surer, cest que je n aurai pas le plaisir qui doit ré- 
sulter de limitation . 

Supposons que dans les fictions pantomimes de 

(i) Comme aa tbëâtre de Lisbonne. 



I06 DE LA NATURE 

combats, de sièges , d^attaques ou d assauts , une réa- 
lité quelconque vînt à changer les combattants en gla- 
diateurs efïecttfe.... On m arrête ici, et Thumanité se 
révolte.... Eh bien , le bon goAt devra se révolter aussi 
contre ces apparences trop voisines de la chose ef- 
fective , lorsque des moyens d une illusion grossière 
viennent par trop heurter les sens. Ainsi ôp a vu au 
milieu des spectacles de sièges, dmcendies, préci- 
piter des mannequins dans les flammes, et Timita- 
tion se mentir à elle-même par un excès de vérité, 
jusqua faire accompagner ces chutes facti<^ par 
des cris réels , et cela lorsqu'il n'étoit permis de se 
iaire entendre qu aux yeux. 

On conçoit mieux , et Ion avoue plus volontiers 
ces défauts, lorsqu'il suffit du sens extérieur pour 
en juger. Cest pourquoi personne ne s avise de jus- 
tifier la menteuse illusion de ces statues peintes qui 
de loin surprennent Tinatteption du spectateur. Cha- 
cun sait que leffet de cette cumulation imitative , est 
nul , tant quUl est inaperçu , et peut-être plus nul en- 
core , dès qu on le découvre. Car c^est bien le cas de ' 
dire , Tant quon ne le sait pas , ce nest rien ; dès qu*on U 
sait , cest peu de chose. 

Cependant ce qu on s accorde à blâmer dans tous 
ces cas, comme détruisant, pour les yeux, Tessence 
même de l'imitation , en la dépouillant de ses attri- 
buts fictifs, on Fapptouve et on le fait pour Fesprit 



DE l'IMITATIOK. IO7 

dans les aris , et dans celles de leurs parties qui sont 
moins tributaires de la matière et des sens. 

Et font-ils autre chose^ qu amoindrir et annuler 
souvent la vertu de leur imitation , par lassociation 
soit d^une imitation étrangère , soit d'une réalité déS'^ 
enchanteresse, ceux qui se croîenllpermis (eomme 
nous Tavons fait voir précédemment) d?introduire 
par une alliance d'éléments incompatibles , le lan«< 
gage vulgaire dans une action héroïque ; ceux 
quj mêlent aux sentiments sublimes des plus tou* 
chantes portions, les circonstances burlesques des 
situations sociales du plus bas étage ; ceux qui veu- 
lent que tout puisse se faire et se dire en poésie et sur 
la scène , comme il se passe en réalité dans le monde; 
ceux qui pensent que la déclamation ne doit pas 
difSérer de la conversation , et Faction théâtrale de la 
fiimiliarité des onanières; ceux qui, dans les art^ du 
dessin , ne sachant point distinguer le vrai imitatif 
de la servilité du calqué , wudr4)ient que 1^^ fidélité 
du pantographe ou de la chambre noire , fût la me- 
sure de la vérité [nttoresque; ceux qui ne reconnois- 
sent d autre ressemblance que celle de l'art du por- 
trait , d'autre imitation de l'homme , que Timitatipon 
dun homme; ceux qui, se méprenant sur les no- 
tions de la variété imitative (voyez paragraphe vu), 
en placent le plaisir dans la promiscuité de genres ; 
ceux qui croient servir chaque art , en lui suppri- 



I08 DE LA NATURE 

mant la difficulté qu'il y a detre vrai dans des 
images qui ne sont que fictives , et de satisfaire corn-- 
plétement à la ressemblante avec des moyens propres 
à favoriser la dissemblance ? 

Que peut-il résulter de toutes ces tentatives? c'est 
que lorsqu'on civ>it ajouter à la vertu de Fart, par des 
ressoui^ces propres à augmenter Tidentité de limage 
avec son modèle , on efface plus ou moins l'apparence 
de cette ligne qui doit séparer la nature d'avec l'imi- 
tation ; et alors on n'a plus ni la vérité de lart , ni 
celle de la nature. En délivrant l'art des entraves qui 
forment la difficulté de son action , on le dispense de 
leffortquil doit £iire pour paroitre n'en point avoir 
besoin. En lui ôtant sa sujétion, on lui fait perdre 
le ressort de la résistance qui est la cause de sa force. 
C'est précisément comme si Ion afiFranchissoit le 
danseur des gènes de la mesure , tandis que le mé- 
rite comme le plaisir de la danse, résulte de cela 
même que son action esl soumise à cette gène. 

Étrange ignorance et singulière maladresse ! 

Comment ne pas voir que ce qui fait en chaque 
genre le mérite et le plaisir de l'imitation , c'est de 
ressembler , nonobstant la dissemblance , c'est de 
donner l'effet du réel et de l'objet, malgré ce qui 
lui manque pour être l'objet réel ; c'est de paroitre 
la chose elle-même par des moyens d'apparence dif- 
férents de la chose, et si distants d'elle; c'est de faire 
disparoitre jusqu'au soupçon de la contrainte sous le 



DE L'IMITATIOH. IO9 

joug même de la régie, de procurer le charme de Tai- 
sance au milieu des difficultés , de produire Timpres- 
sion du vrai avec les éléments du faux , de donner 
le privilège de la vie à ce qui nest qu une ombre , et 
du néant de la fiction faire sortir le miracle de 
1 existence ? 



PARAGRAPHE XIII. 

Comment et avec quoi cliaque art corrige ce qu'il y a 
de fictif en lui , et compense ce qu'il a cf incomplet. 

Dans des matières du genre de celles-ci, on ne sau- 
roit porter trop d attention à être clair, et à se faire 
bien comprendre. Des erreurs grossières sont tout 
près de vérités subtiles^ et une cloison presque trans- 
parente sépare souvent le raisonnable de labsurde. 

Ici, par exemple, le vrai et le faux semblent se 
toucher. Rien ne seroit plus facile à Tignorance oii 
à Tinattention , que d abuser des mots et de faire tout 
ensemble mentir lexpression à Fidée et Fidée à son 
expression. 

En effet , de ce que nous avons avancé sur la na- 
ture de Fimitation , sur Fintérèt qu elle a dans les 
beaux-arts, de ne pas cesser de paroi tre imitation; de 



klQ DE LA NATURE 

ce que nous prétendons ( comme nous tç développe-^ 
rons dans le paragraphe suivant)^ que Tillusian telle 
quon a Thabitude de len tendre, nest pas le but de 
Jimitation , qu'enfin, quelque chose de fictif et d'in^ 
complet doit £siire partie du caractère de chaque art, 
on pourroit, de ces notions, tirer les conséquences 
les plus étranges. 

Sans doute , on n entend pas qu il soit du devoir 
de lartjste de reqdre plus sensible encore qu il ne 
Test, ce défaut (i) inhérent à chaque mode d'imita* 
tion. On n entend point que lart doive faire parade, 
si Ion peut dire, de ce qui lui manque; que traître 
envers lui-même, il dénonce son impuissance, et 
mette lame en garde contre toute espèce de séduc- 
tion. 

Certes s'il ne s agissoit t{Ue de cela, la tâche de Far- 
tiste seroit facile. On ne -sait que trop combien il y 
a de moyens, et à la portée de tout- le monde, pour 
préserver les yeux et Fesprît de tout charme en ce 
genre. Cet art là n'a besoin ni de théorie ni de pré- 
ceptes. 

Cette sorte de conséquence ne seroit, comme on le 
voit bien, quune exagération ridicule, pour ne pas 
dire une parodie. 

Non seulement lartiste doit se garder de forcer la 
mesure de l'espèce d'invraisemblable, de fictif, et 

(i) Ce mot pris dans le sens convenu. 



I 



DE LIMITATION. lll 

d'Incomplet, qui est la condition* de son art, mais 
c est encore à en atténuer le r^ultat et Teffet sur le^ 
sens ou sur Vesprit, que doit viser son talent. 

J'ai déjà dit que ce qui faisoit le mérite et le charme 
de chaque art, cetoit de plaire, nonobstant ce qui 
est pour chacun un empêchement de plaire. Je vais 
dire maintenant comment chacun y réussit, malgré 
son obstacle , et par quel «ecret il en triomphe. 

Ce secret est connu de tout le monde, et cependant 
il n'y en a pas d^autre. 

Ce secret c'est la perfection ; et ce mot n'a pas be- 
soin d*explication , puisqu'il sert à caractériser tous les 
genres de qualités et de mérites qu'un ouvrage peut 
réunir. 

Oui, c'est la perfection qui doit compenser et qui 
compense en effet dans Tceuvre partielle de l'imita- 
tion, autrement dit dans Timage, tout ce que la na- 
ture réfuse à chaque art pour être ou pour parottre 
son égal. 

Cette perfection , lorsqu'elle existe dans un ou- 
vrage, devient l'indemnité de ce qui manque à chaque 
art. Telle est la valeur de cette indemnité , que non 
seulement nons ne pensons point ànous plaindre de 
ce qui manque, mai$ que nous ne nous en aperce- 
vons pins , ou que si nous venons à l'apercevoir c'est 
pour nous en applaudir. 

Non seulement la dureté de la matière dans une 
belle statue , et sa couleur noire ou blanche, ne nous 



tl2 DE LA NATURE 

choquent point, mais si nous y pensons , c^est pouf 
nous un plaisir de plus, et loin de nous plaindre de 
la dureté de la. pierre, nous desirons que ce soit la 
pierre la plus dure. Si ces figures entrent dans la toile, 
la perfection de Tharmonie et de la perspective vient 
efiFacer en nous Tidée de limite et de superficie. Mi 
les invraisemblances du chant ne nous touchent au 
théâtre, si le chanteur est excellent , ni les contraintes 
de Faction dramatique ne font sentir leur sujétion, 
si la perfection du langage des^passions est là, pour 
cacher tous les ressorts que le poète fait jouer. 

Chacun des beaux-arts trouve dans la perfection 
de ses seuls moyens , un correctif à l'imperfection 
prétendue de sa nature, une compensation à ce qull 
doit avoir de fictif, un supplément à ce qu^il a d'in- 
complet. Mais il faut Ta vouer, ce supplément c'est le 
gétiie qui le découvre, c est aussi le sentiment qui sait 
en jouir. La médiocrité trouve plus court de déro- 
ber ce qu elle ne peut acquérir, et Fignorance plus 
simple de s abandonner à la réalité des émotions gros- 

sieres. 

Il n y a personne toutefois qui n'ait reconnu cet 

empire de la perfection , qui n en ait sans le savoir 
éprouvé Faction dans quelque art que ce soit, et 
n'ait pu apprendre que cette action tire souvent sa 
force de Fimpuissance même que Fart doit dissimu- 
ler, de la difficulté qu'il lui faut vaincre? Un avan- 
tage de la poésie pour peindre, est précisément de 



DE l'imitation. ii3 

manquer de couleurs; cest que son mérite est* de 
n en avoir pas besoin. Est-ce que le prestige de ses 
tableaux ne consiste pas à les rendre sensibles, et 
Ion pourroit dire visibles, sans matière , sajis forme 
et sans coloris ? S'est-on jamais plaint que les traits 
des personnages tracés par les grands poètes restassent 
ignorés ou insaisissables ? Qui est-ce qui ne connoit 
pas Achille, Hector, Ulysse, Énée? Qui jamais dans 
les descriptions des batailles ou des enchantements 
du Tasse , s est aperçu que de tels tableaux man- 
quassent de mouvement ou de réalité? Qui donc a ja- 
mais douté de les avoir vus? 

Remarque- 1- on quHl y a de la matière dans les 
chcfe-d'oEiuvre de la sculpture? Y desire-t^^on laddi- 
tion de la couleur? Regrette-t-on que les belles scènes 
de la peinture ne se présentent à nous , que d'un côté, 
que ses figures soient immobiles? Quoi donc? Est-ce 
qu^ils ne volent pas, en fondant sur leur victime, ces 
deux ministres de la vengeance céleste, dans le ta- 
bleau d'Héliodore? Est-ce qu^on ne tourne pas au- 
tour de FAntiope du Corrége et de la Vétius du Ti- 
tien ? Manque-t-il des cris aux tourments de Laocoon 5 
ou Faccent de la plainte aux angoisses de Niobé? Qui 
est-ce qui a jamais entendu du bruit dans le chœur 
des spnges d'Atys , on n^a vu que du mouvement dans 
les pantomimes de Noverre? 

Eh bien ! à quoi chacun de ces arts doit-il ses pres- 
tiges? Il les doit précisément à ce qui lui manque 

i. 8 



Il4 I>£ LA KATURE 

ponr nous tromper. Il les doit à Teffort même qu'il 
fait pour suppléer à ce que sa nature lui refuse. Corn- 
ment donc lui reprocheroit-on des privations aux- 
quelles il doit ses richesses, et une impuissance qui 
devient la cause de son pouvoir? 

Heureuse impuissance ! on lui est redevable xies 
prodiges de lart. 

L artiste obligé de surveiller sans cesse le côté foible 
de son art, qui, comme le point attaquable dune 
place , exige qu'on y porte le plus de soin , use de 
tous ses moyens pour attirer notre attention du côté 
où il est le plus fort , et cette diversion , il Topère par 
la vertu d'une perfection qui ne peut appartenir qu a 
lart. Nous verrons en effet quil ay a point d'art, 
pour inférieur qu il soit à son modèle, sur beaucoup 
de points, auquel il ne soit donné de ie défier et 
même de le surpasser sur un seul. C'est que chacun^ 
par cela même quil est imitation, est libre de subor- 
donner son oeuvre à des combinaisons qui n'ont pas 
pu influer sur les opérations de la nature. C'est que 
l'art dans sa création bornée , en soumet l'intérêt à 
un seul point de vue, quand la nature dans Timmen- 
site des objets qu elle embrasse , néglige des recherche» 
de détail inutiles à son but. Mais ceci trouvera son j 
développement ailleurs. ( Voyez part. II y paragr. vu.) ■ 
J'en aurai dit toutefois assez, pour faire comprendre r 
d'avance, comment les plus heureux résultats de l'imi^J 
tation , dépendent de la fidélité à son principe éW 

/ 

7 



DE LIMITATION. l\*j 

nientaire, comment Tari devra la seule supériorité 
que ses images peuvent avoir sur la réalité , à cela 
même quelles restent dans les termes de leur nature ; 
comment Tartiste doit à ce quil y a de fictif et d'm- 
complçt dans son imitation, précisément ce qui en 
Élit la vertu; comment enfin il seléve au-dessus de 
son modèle , par la cause même qui devoit le fail-e 
rester au-dessous. 

Mais cela nous explique aussi comment et pour- 
quoi les ouvrages foibles, où manque la perfection 
de Fart, sont, ou du moins paroissent d'un efFet si 
inférieur à ceux de la nature , ont si peu d'action sur 
notre ame et sur nos sens , ce qui a fait dire avec rai- 
son , qu i7 liest point de degré du médiocre au pire. 

Que reste-t-il à cette statue dont le génie, le senti- 
ment, la science, n'ont ni créé le caractère, ni en- 
nobli Texpression, ni perfectionné les formes, sinon 
la froideur de son marbre ou la roideur de la ma- 
tière? Que re$te-t-il à ces compositions peintes, de 
figures sans motif, sans vérité d action, sinon le 
contre-sens de leur immobilité. Rien de plus plat 
pour les yeux quune peinture dont les lignes ne 
tournent point; rien de plus ipuet qu'une pantomime 
dont les mouvements n^expriment aucunes passions ; 
rien de plus vain que des sons concertés pour ne pro- 
duire que du bruit ; Wen de plus prosaïque que des 
vers qui n'ont pour eux que la mesure et la rime. 

Il n'appartient qu'à la perfection imitative, à celle 

8. 



Il6 DE LA NATURE 

que chaque art trouve dans ses propres liio^ns , de 
rétablir lequilibre entre lobjet imité et Tobjet imi- 
tant, entre 1 original et Timage. Tout autre expédient 
tiré de ressources empruntées ou dqfrobées, non seu- 
lement aggrave le défaut qu'il déguise, mais prive 
lart de la seule compensation qui peut le faire lutter 
avec succès contre la nature. 

Imiter la nature ce n'est pas la contrefaire. On ne 
sauroit donner dautres noms que ceux de contre- 
façon , de singerie ou de pawdie^ a cette vaine préten» 
tion de similitude identique, qui se ment et s échappe 
à elle-même. La réalité, la vie , le mouvement sont les 
-prérogatives de la nature; c'est par là qu'elle plait. Le 
privilège de lart est de n'avoir besoin pour plaire ni 
de vie, ni de réalité, et de plaire comme la nature, 
nonobstant tout ce qui lui manque pour être la na- 
ture. Son privilège est non de donner, mai^ de sup- 
pléer la réalité. 



DE LIMITATION. Il 



PARAGRAPHE XIV. 

De f illusion dans les œuvres de limitation. 

Tout ce qui vient d être établi sur la nature de 
rimitalion dans les beaux-arts, sur ce qu elle est, sur 
ce qu^elle n^est pas, sur ce qu on veut la forcei^, «ur 
ce quelle doit se refuser detre, s'applique si natu- 
rellement à nilusion , qu^on auroit pu se dispenser 
d en soumettre la notion à une discussion particu- 
lière. Peut-être même seroit-il difficile de ne pas y 
reproduire quelques unes des considérations précé- 
dentes. 

Cependant le mot illusion existe^ il n est pas syno« 
nymedVmitatton^ il exprime certainement une variété 
d'idée en cette matière. On lentend de plus d^une fa- 
çon. On iait souvent de cette qualité le but unique 
de Timitation , et des ouvrages de Fart; Or, c est cette 
prétention quil importe de réduire à sa juste valeur. 
Car en supposant qu'elleiut fondée, encore faudroit^ 
il convenir et du degré de Tillusion , et du moyen 
de la produire. Nul doute, d'après ce qui a déjà été 
développé, qu il ne puisse y avoir une illusion vi- 
cieuse , produit de Tignorance et du mensonge. Le 



Il8 DE LA NATURE 

mot même, qui, exprime cet effet ou cette vertu de 
limitatioq 9 doit faire aisément prendre le change 
sur sa signification: et cependant il se pourroit qu'il 
repfermât la meilleure explication de Tidce qu'il faut 
y attacher. 

Le mot illusion emporte effectivement avec soi 
ridée, que les ressemblances dues à Timitation nous 
trompent. Doù il sembleroit résulter que puisque 
nous aimons Tillusion , nous nous plaisons donc à 
être trompés/Cependant la théorie élémentaire de 
Timitation a mis hors de doute, que si Tobjet à imi- 
ter et son image viennent à se confondre, cette con- 
fusion , par cela qu elle nous dérobe la conscience de 
Timitation , en annule |^ur nous lefifiet et le plaisir. 
D où il semble aussi résulter, que né voulant point 
être trompés, nous ne devons pas vouloir de Tillu- 
sion. 

La tromperie seroit ainsi, d'une part, le chef- 
d^œuvre de Timitation, et de Tautre, elle en seroit le 
dissolvant. Comment concilier ces contradictions? 
Comment résoudre cette sorte de problème? Je Tai 
déjà fait entendre. Cest le mot lui-même qui nous 
en donne la solution, par Tidée seule de tromperie 
qui s'y attache. S'il y a deux genres de tromperie, 
il y aura aussi deux SQrtès d'illusion , et de-là Téqui- 
voque. 

On sait en effet quel est le double sens que la ju- 
risprudence elte-même nous fait reconnoltre dans le 



I 



DE l'imitation. I 19 

mot tromper, pris diversement, selon que Thomme 
trompé estxensé devoir sVn prendre à lui-même , de 
la méprise qu^il auroit pu éviter , ou bien à une force 
directe et étrangère à lui. I^ep^mier cas est celui de 
rhomme imprévoyant et mal habile qui à la guerre, 
en politique, en affaires, tombe dans certains pièges 
qui ne sont que des ruses légitimes, d'innocentes fi- 
nesses, et non des violations de droit , des machina- 
tions perfides. 

L^exemple du jeu expliiquera plus clairement ce 
sujet. 

Personne n ignore qu'il y a en ce genre des ma- 
nières de tromper légitimes ; cW ce qu'on appelle 
les finesses du jeu. Il y a aussi des moyens de trom- 
per illicites ; ce sont les supercheries du joueur. Dans 
Le premier cas , ou la tromperie a lieu selon les régies 
du jeu , autrement , dans ce cercle de conditions don- 
nées où Ton est convenu de se pouvoir tromper ré- 
ciproquement. Terreur qui pouvoit être évitée, est 
réputée la &ute de celui qui se laisse tromper. C'est 
de la nature du jeu. Dans le secodd cas, celui de la 
supercherie. Terreur a été inévitab^, puisqu'elle est 
du fait de la fraude, qui sort de la nature du jeu , et 
en est le néant. 

«rapplique ceci à Tillusion , en tant qu'on la consi- 
dérera comme jeu de l'imitation , et Ton va voir qu'^l 
peut y avoir erreur d'une part , sans qu'il y ait dol ou 
tromperie de Tautre. 



120 DE LA NATURE 

En effet , chaque art^ ou chaqiïe mode d'imitation 
joue, s'il est permis de dire, avec nous, une sorte de 
jeu, qui a ses régies et ses conditions, conditions aux- 
quelles nous devon^i si nous voulons qu'il les ob- 
serve, être soumis nous-mêmes. Pour que le jeu 
puisse se jouer, il faut bien que Tame s'y prête, et 
nous verrons que ce qu'on appelle conventions dans 
chaque art, n'est autre chose que la part de conces- 
sions auxquelles nous nous obligeons, et en vertu 
desquelles, si l'art n'a le droit de chercher à nous 
tromper que d'une certaine façon , que d'un certain 
côté, que par tels moyens convenus, nous aussi 
nous nexigerons pas d'autres effets que ceux qui 
dépendent de ces moyens , nous ne regarderons pas 
du côté défendu , et pour parler vulgairement , nous 
ne verrons pas le dessous des cartes. 

Dès que cette espèce de jeu de tromperies par res- 
semblance (c'est-à-dire l'illusion) doit, pour avoir 
lieu , reposer sur certains artifices d'une part, et sur 
certaines concessions où complaisances de l'autre, 
il est sensible qu'il pourra y avoir deux sortes d'il- 
lusion, l'une qt|i trompera en se conformant aux 
régies, l'autre qui les violera dans l'espoir de mieux 
tromper. Mais évidenùnent la première est la seule 
qui procure à l'esprit le véritable plaisir en ce genre, 
le plaisir du jeu. * ' 

En effet , les moyens de tromper qui caractérisent 
l'illusion légitime , sont tels , que nous sommes pré^ 



DE l'imitation. laj 

venus d'être ei| garde contre eux, et de nous dé- 
fendre de la surprise. Nous sommée à moitié dans 
le secret. Si Tame se laisse prendre elle se complaît 
dans sa méprise , parceque avertie du picge , il y avoit 
moyen pour elle de n^ pas tomber. 

Mais lartifice de trompçrie , qui est celui de Tillu- 
sion illégitime, manque toujours son but, sous le 
rapport de plaisir imitatif. Je veux dire que cette il- 
lusion-là plait d'autant moins qu'elle trompe plus. 
Si la supercherie est^maladroite , loin de séduire elle 
révolte ; elle repious^e au lieu d'attirer. Si la fraude 
est complètement cachée, si par des ruses étrangères 
au jeu , la déception a été entière , lame qui ne s'est 
aperçue de rien , n'a pu avoir le moindre soupçon 
de son erreur ni des moyens qui l'ont opérée. L'il- 
lusion est comme non avenue pour qui ne s'est pas 
douté de lartifice. 

Il importe donc au succès de l'illusion que son 
efiÇet ne soit pas immanquable , et ne puisse pas être 
complet. C'est pourquoi l'intérêt de chaque art, est 
de ne l'opérer qu'avec ses seuls moyens, moyens 
toujours insuffisants , pour substituer l'idée de réa- 
lité à i^elle d'image. Ce qui veut dire que chaque art 
est tenu de chercher à nous tromper, nonobstant 
tout ce qui semble devoir nous empêcher d'être 
trompés. A la condition de la difficulté est attaché 
le plaisir que nous trouvons à la voir vaincue. Telle 
est la cause de celui que donne l'illusion. 



122 DE LA NATURE 

Mais telle n'est pas celle du plaisir que la plu- 
part des hommes demandent aux • beaux-arts , et at- 
tendent de Timitation. Il ne £siut pas sVn étonner. 
Tout le monde nW pas habile à en jouir. Généra- 
lement , on doit dire que plus on a d'imagination , 
plus on a la capacité nécessaire pour remplir ce 
que nous avons vu devoir être Tespéce de déficit de 
chaque mode imitatif ; et plus aus^i on sait alors se 
contenter de Tillusion départie à chaque art. Cest 
qu effectivement le plaisir de Tillusion résulte , plus 
qu'on ne pense, dune sorte de travail par lequel 
l'esprit rachéve en lui-même l'ouvrage de lart. 

Au contraire, n apportant dans les jouissances qui 
demandent cette coopération qtte le sens externe , et 
encore un sens peu exercé, le plus grand nombre 
veut être non touché, mais heurté par les effets de 
l'art. Il faut à des organes grossiers une réalité en 
quelque sorte palpable, et plus l'imitation en ap- 
prochera , plus elle aura de prise sur la multitude. 

Quelques uns s'imaginent quon ajoute beaucoup 
à leffet des représentations dramatiques en dispen- 
sant tout-à-fait l'esprit de suppléer à ce qui peut 
manquer, pour opérer en lui une sorte de croyance 
à la réalité. On croit beaucoup faire en portant, jus- 
qu'au scrupule , lobservance du costume dans les 
moindres détails des habillements , des meubles, des 
lieux. Ou attache principalement , comme à la chose 
par-dessus tout importante, le plus grand soin au 



DE LIMITATION. 123 

jeu mécanique des décorations. Il est pourtant fort 
à croire quil nVxistoit pas à beaucoup près autant 
de susceptibilité sur ces objets dans la scène des 
anciens. Metastasio (i) me paroit avoir fort bien dé- 
montré que c étoit chez eux , au spectateur à prendre , 
plus quW ne croit , la peine de se figurer les chan- 
gements de scènes qui, dans le cours de la pièce, 
étoient indiqués à Tesprit plus qu aux yeux. Ce qui 
signifie qull y avoit beaucoup moins d'illusion par 
réalité, et beaucoup plus par imagination. 

Effectivement plus on donne à travailler aux senis, 
moins il y a de travail pour Tesprit. 

Ce que Metastasio a remarqué sur le matériel de 
la partie scénique du. théâtre des anciens , on peut 
le dire également de la composition et de la récita- 
tion de leurs drames. Ni le poëte ne croyoit devoir 
au spectateur, ni le spectateur n'exigeoit du poëte 
que la représentation répéta comme un miroir fi- 
dèle, tout ce qui auroit pu fadre croire à la présence 
de la' réalité. Trop souvent dans le cours même de 
la pièce , le poëte se montre lui-même ; trop souvent 
Facteur aussi sort de son rôle , en s adressant à 1 audi- 
toire, pour qu'il soit permis de croire que, selon Tes- 
prit de Tart, on ait jadis entendu Viraitation drama- 
tique autrement que celle d un tableau , dans lequel 
la peinture ne prétend pas aller jusqu'à tromper les 

(i) Ettratio eieir Arte poetica y chap. t, paç. i^y. 



f!24 DE LA NATURE 

sens, puisque si cet effet d^illusion avoit lieu celui 
de Part disparoîtroit. 

Quand on examine sous ce point de vue le sys* 
ième du théâtre des anciens, on est convaincu que 
Timitation y fut peut-être plus distincte de Tiden- 
tité, que dans tout autre genre. De la seule méthode 
d^une récitation toujours mesurée, toujours accom- 
pagnée d'instruments, il faut conclure qu'on ne 
pou voit pas, aussi facilement qu'avec la déclama- 
tion libre , se prêter à cette déception , dont lefFet se- 
roit de supposer que ce que lacteur dit ou fait, soit 
improvisé ou spontané. Là, plus évidemment que 
dans tout autre art,. la chose imitée ne se montroit 
que dans et par un^ autre chose qui en étoit l'image. 
Là, plus qu'ailleurs, on ne voyoit la nature qu'à 
travers 1 apparence et sous les formes de la fiction. 
Cest-à-dire que l'illusion y étoit ce qu elle doit tou- 
jours être, un effet que Fart produit sur imagina- 
tion ou le sens interne, en le forçant de se représen- 
ter la vérité des objets , nonobstant tous les ressorts 
fictifs et accompagnements étrangers qui pourroient 
l'en détourner. ^ 

Mais un tel efiet ne devoit résulter que de la ' 
puissance véritablement morale de l'art, qui consis- f 
toit en cela , que le poète donnoit à chaque situation f 
des personnages sa vérité locale, à chaque passion [ 
son lahgage propre , à chaque état, à chaque âge, ses | 
habitudes, ses mœurs, ses discours, et quenfio le 



-~«* 



DE l'imitation. 125 

débit et Taction se conformoient à toutes ces nuances. 
Or, cette illusion, malgré ce qui paroi troit avoir dû 
la contrarier, pouvoit être d'autant phis vive, que le 
sens extérieur y avoit moins de part , que Tart avoit 
eu plus de difficulté, et par conséquent Tesprit plus 
de mérite à franchir la distance, qui séparoit Tobjet 
à imiter du moyen d'imitation : car, comme nous le 
montrerons bientôt (voyez le paragraphe suivant), 
de cela, beaucoup plus qu^on ne pense, dépendent 
la valeur et TefFet de Tîmitation. • 

Ce qu on vient de dire du théâtre reconnu pour 
être le pays privilégié de toutes les illusions, com-« 
bien n^est-on pas autorisé k le dire des autres aits! 

S^il est vrai que chacun ne peut , au lieu de Tobjet 
réel , en donner que Timage , s'il est teni) de produire 
cette image dans une matière distincte de Tobjet, 
flous sommes tenus aussi réciproquement de n^ap- 
porter au jugement, ou ce qui est la même chose, 
à la jouissance de limitation, que la prétention de, 
voir une image produite par une matière étrangère 
à son modèle. Voilà le principe du jeu de Fillusion. 
Voilà quelles doivent en être de chaque côté les con- 
ditions. 

Nous avons déjà vu (au paragraphe précédent) 
que, du côté de Fart, une de ses principales obliga- 
tions étoit de racheter le défaut de sa«natière, et 
de compenser Tincomplet de la ressemblance, par 
la perfection iniitativc propre de ses moyens; que 



126 DE LA MATURE 

cette perJEection y lorsquVUe existe dans riinage , 
exerce sur nous un charme qui captive Fesprit, au 
point de Tempècher de remarquer ce qui manque à 
la ressemblance pour être complète. 

Mais lorsque, de notre côté, nous exigeons de 
chaque art qu'il reste ainsi lui-même, et en lui- 
même , nous nous prêtons aussi volontiers à lui fa- 
ciliter les moyens d'une action plus libre , sous les 
liens qui le contraignent. De là ce qu'on appelle les 
conventions de chacun. Ce sont des concessions que 
nous lui faisons, et elles tendent sinon à élargir, du 
, moins à rendre plus flexible le cercle de la chaîne 
où il est resserré. 

Je ne ferai que citer ici quelques unes de ces con- 
ventions, et uniquement pour en fixer Fidée. (Ce 
sujet sera traité plus au long dans la troisième partie. 
Voyez paragraphe m.) De ce nombre sont au théâtre 
les prologues, les scènes d'introduction, les confi- 
dents, les à-parte^ les monologues, etc.; tels sont en 
peii|ture les droits qu'a l'artiste de substituer la partie 
au tout , de changer l'ordre naturel des faits , de trans- 
poser les idées , et de métamorphoser les personnes. 

Il est encore d'autres concessions de détail faites à 
l'imitation. On les appelle des licences; et le mot in- 
dique assez qu'elles sont autant de permissions don- 
nées à un art de sortir accidentellement des entraves 
de sa règle , non pour la violer, mais pour en mieux 
suivre l'esprit, de simples exceptions dont l'objet est 



I 



DE l'imitation. I27 

de Faider à remplir les conditions auxquelles il est 
soumis. 

Mais ces facilités rendront aussi plus rigoureuse 
Tobligation qui lui est imposée de vaincre , sans Té- 
luder, l'obstacle à Tillusion quHl doit produire. Car 
non seulement il faut que Tobstacle existe, il faut 
encore , lorsque le génie a su le rendre inaperçu au 
se|||Épient , quil soit évident à la raison, et réel pour 
les sens. Il faut que j'en aie la certitude et que je puisse 
Tapercevoir. C'est, si Ton peut dire, un des enjeux 
de la gageure, et la cause du plaisir que j'aurai à là 
perdre. 

Si , se dépouillant en quelque sorte de sa personne 
pour. en revêtir une autre, l'acteur m'a fait croire un 
instant que j'ai vu un individu différent de lui y je 
jouis de ma méprise ; mais c est parceque je sais qu'il 
n'est pas celui que je crois voir, et parceque je con- 
nois la difficulté attachée à ce semblant de transfor* 
mation. Trop de réalité dans la ressemblance, avec le 
secours d'un masque, par exemple, afFaibliroit le 
genre d'illusion dont je parle , et en diminueroit le 
plaisir. 

Si cette statue , quoique de pierre ou de bronze , 
matière brute et immobile, ma fait presque croire 
à la réalité du mouvement, à la mollesse de la chair, 
mon esprit persistera d'autant plus volontiers dans 
cette erreur , que mon œil la lui dénonce. L'illusion 
de la vie et de laction a fait d'autant mieux son 



128 DE LA NATURE 

efifet, que jeconnois plus la dureté, Tiinmobilité de 
la matière. Il faut doue que je sache que ce que je 
vois est de la matière inerte. 

Quand le peintre dans un étroit espace renferme 
une vaste étendue, quand il me fait parcourir les 
profondeurs de Finfini, sur une surface plate, et 
fait circuler Pair et la lumière autour d'apparences 
sans relief, j'aime à m'abandonner à ses illu^ns. 
Mais je veux que le cadre y soit ; je veux savoir que 
ce que je vois n'est dans le fait qu'une toile, ou un 
fonds tout uni. 

Lorsque le chanteur au théâtre se charge de rem-;- 
placer par des sons mesurés les sons libres de la dé- 
clamation , qu'il se garde de rompre les liens qui as-^ 
sujettissent son débit à la contrainte sensible du 
rhythme et de la modulation ; car cest à l'obstacle 
ihême de $es liens et à leur gêne évidente , qu'est dû 
le plaisir de l'illusion , c'est-à-dire celui qu'on éprouve 
à retrouver l'accent vrai de la nature , dans Un lan- 
gage si distant du langage naturel. 

Que la musique de même ne me dérobe aucun de 
ces moyens qui sont les agents visibles et matériels 
de son exécution. Qu'elle ne me cache ni ses instru- 
ments ni son orchestre. Je veux que tout cela soit 
sous mes yeux , pour avoir le plaisir de le perdre de 
vue. Qu'on me laisse tout cet attirail désenchanteur, 
qui m'avertit de la fiction et de son artifice. Lart 
sera de me faire oublier l'artifice. Peu m'importe le 



DÉ L'iMITAtlON. 129 

lieu et son espace étroit. Plus ma vue sera bornée de 
toutes parts , mieux mon esprit s élancera clans les 
Irégions idéales que les magiques accords savent lui 
ouvrit*. 

Et je dirai la même chose au poète. Oui j^ai besoin 
d^iapercevoir aussi et les liens qui le captivent , et les 
entraves des ^régies qui le gênent, et le^ sujétions de 
toutes ces unités, qui lui rendent Tillusion difficile. 
Je veux qu^au théâtre , par lés seules ressources d'une 
imitation limitée dans la durée, dans lespace, dans 
laction , triomphant et de ces obstacles , et de la con- 
noissance que j Vn ai , il me force de voir ce qui n'est 
pas, et de croire le contraire de ce que je sais. 
' Quel intérêt , d'ailleurs , a-t-il d^in voquer, pour më 
séduire, les ressources d'une réalité maladroitement 
auxiliaire, cet art qui a le secret des véritables en- 
chantements, de ceux que produisent lexaltation 
des sentiments , la puissance de ladmiration , les 
ressorts de la sensibilité, les accents de la langue des 
passions? Voilà les moyens d'illusion du poëte. Il est 
vrai que cette illusion-là le génie seul sait la pro- 
duire, et que les sens seuls ne suffisent pas pour la 
recevoir. Il faut que les yeux de Tame y coopèrent. 
Aussi est-ce à ceux-là que le poëte dramatique doit 
sur-tout s'adresser , et l'illusion qu'il obtiendra par 
cette voie, sera plus efficace que celle des costumes 
et des décorations. 

Non que je voulusse priver les représentations 
ï- 9 



l3o DE LA NATURE 

• 

scéniques de tous les accessoires qui favorisent rac- 
cord du sens extérieur avec le sens interne. Tap- 
prouve, sans aucun doute, le concours des moyens 
et des effets décoratifs. Mais , je Tavoue , je préfère- 
rois les pièces dont le succès tiendroit le moins à ces 
ressources. J'aime que Tillusion résulte de lexpres- 
sion vraie des sentiments et des mœurs ^ plutôt que 
de la fidélité aux costumes. Je prise avant tout, sur 
la scène, cette peinture des caractères et des passions 
'qui n'a besoin ni d'optique ni de perspective. Et si 
au théâtre le propre de Tillusion est de nous enlever 
à nous-mêmes, j'aime mieux être ravi par la vertu 
du poëte que par l'artifice du machiniste.* 

On voit, comme je l'ai dit dès le commencement^ 
que la théorie de l'illusion s applique en grande par- 
tie les observations qui forment la doctrine de l'imi- 
tation. L'illusion n'en diffère effectivement, que 
comme en étant l'effet, et suivant plusieurs, le but. 
Mais sur ce dernier point il faut une explication. 

Elle ne sera ni longue ni difficile, maintenant 
quon s'est entendu sur la nature de l'imitation^ et 
sur les éléments qui la constituent. 

Ainsi on devra dire, Non, l'illusion n'est pas le 
but de Fimitation , si par illusion on veut entendre 
la tromperie qu un art opère au moyen d'emprunts 
abusifs faits à d'autres arts , ou par la confusion avec 
les éléments delà réalité, de quelque manière qu'ils se 
mêlent à ceux de l'imitation. Non , l'illusion n est pas 



DE l'imitation. i3i 

• 

le but de rimitation, $11 s agit de celle qui ambitionne 
de capter les sens, de surprendre lorgane extérieur, 
de substituer ridée de la réalité à la fiction de son image, 
et la similitude identique à la ressemblance imitative. 

Mais si le but de Hmitation est (comme on le dé-^ 
veloppera dans la partie suivante) de présenter aiix 
seqs et à lame, par lentremise de chacun des beaux- 
arts, des images qui, dans chacune des diverses ré^ 
gions imitatives, doivent nous donner lensemble 
d'une perfection et d'une beauté idéale, dont les mo- 
dèles particuliers n'i>ffrent point Fégal , il est certain 
que de telles images exerceront sur notre ame, une 
action assez puissante , pour y opérer le prestige mo- 
ral de l'illusioQ. Voilà le sens dans lequel on peut la 
considérer comme faisant partie des effets de Timita* 
tion , et coopérant à ce qui nous parottra en être le 
but définitif. > 

Toutefois il résultera de là plus clairement encore , 
que nUUsion légitime se produit par des voies, et vise 
à une fin tout-à-fait opposée à la fin et aux routes 
que se proposent et suivent Fignorance des uns en 
cette matière , et l'inadvertance des autres. 

L'erreur ordinaire est de croire que l'illusion , dans 
les ouvrages des beaux-arts, est due uniquement à 
nos sens^ que son action ne dépend que de ce qull 
y a de matériel ou detnécanique dans cette portion 
de ressemblance dévolue à chaque art , et correspon- 
dante à l'un ou à l'autre de nos organes. C'est par suite 



f32 DE LA NATURE 

de cette opinion commune au plus grand nombre^ 
qu^on tend à forcer ou à fausser le moyen de res- 
semblance ^ dans rintention de s^approcher au plus 
près de la réalité ou de Tidentité. 

Au contraire, le propre de Tillusion, dans les 
beaux-arts , n est pas de nous la faire voir cette réalité , 
mais de nous faire imaginer que nous la voyons ; n est 
pas de nous montrer ce qui est, mais de nous porter 
à en supposer lexistence, et de nous faire entendre 
ce que Ton ne nous dit pas. Toutefois on espérera 
vainement cet effet, si Ton n'a point de quoi y cor- 
respondre, cest-à*dire la faculté de sentir et celle 
d'imaginer. 

Oui, il faut le dire, nous concourons, bien plus 
qu on ne pense , à leffet d'une action qui reste nulle, 
si elle n'est pas réciproque ; et c'est à nous d'aider le 
pouvoir de l'illusion sur nous. Car, lorsque lart a pro- 
duit dans ses ressemblances la perfection qui doit 
suppléer à leur insuffisance, c'est encore à nous, 
c'est-à-<lire à notre imagination , à notre sensibilité ^ 
qu'il appartient de réaliser l'image et d'en rachever 
les traits. Le génie donne la substance , reste au sen- 
timent à l'élaborer et à la transformer. Voilà le der- 
nier secret de cette théorie. C'est par et pour le sens 
intérieur qu'il faut chercher et produire l'illusion. 
La véritable ne s'opère ni parMe moyen mécanique, 
qui n'est qu'instrument secondaire , ni pour Torgane 
physique qui se borne à être l'agent intermédiaire de 



DE l'imitation. i33 

son effet. Cest dire assez qu'on se trompe dans 
chaque art , lorsqu'on croit obtenir cet effet par les 
seuls moyens qui sont en rapport avec les sens. 

Croit-on, par exemple, que ce soit par le moyen 
de i onomatopée , par les effets accidentels de Thar- 
monie imitati ve dans quelques vers , par les détails 
mii^utieux du genre descriptif^ que la poésie est ré* 
putée être le pionde des illusions ? Est-ce à quelques 
consonnances flatteusesj>our Foreille, à quelques ren- 
contres de mots pittoresques, qu'elle doit ses pres- 
tiges ? Ou n'est-ce pas plutôt au pouvoir moral qu'elle 
a de s'emparer de notre ame, d'y produire à son gré 
l'image immatérielle de tous les êtres, d'y faire naître 
l'idée de toutes les beautés physiques ou intellec- 
tuelles , d'y exciter ces mouvements passionnés , qui 
nous transportent en présence de tous les objets, 
quelle sait nous faire voir, sans le secours d'aucune 
réalité? 

Ne seroit-ce pas en effet parcequ'elle manque de 
toute réalité, de toute apparence dans ses images, 
qu'elle produit le plus d'illusious? 

Croit-on que la valeur et le charme de l'illusion 
en musique , soient dus à ce que cet art imite la pa- 
role par dès sons, et le bruit par des effets bruyants? 
Ne sont-ils pas dus au contraire à ce que, par le se- 
cours de sons si étrangers souvent a la nature de 
ce qu'elle exprime , si distants de l'objet qu'elle re- 
présente, elle en produit pourtant en nous les plus 



l34 DE LA NATURE 

vives images, à ce que sans matière elle tious fait 
créer des'^corps, et sans paroles entendre des dis- 
cours, à ce que les paroles mêmes ne sont pour elle 
que le motif ou l'occasion ^ et non le sujet de ses 
conceptions? Et de là (pour le dire en pas£sint) la 
diversité des opinions sur Talliance de ,1a musique et 
du chant, avec les poëmes et les paroles, selon le 
plus oli le moins de faculté imaginative qu'on porte 
dan» la jouissance de cet art«Ici on tient à ce que le 
musicien ne soit, si Ton peut dire, que le traducteur 
des paroles : là on veut que les paroles ne soient que 
Tintérpréte de la musique. C'est qu'ici on a moins, 
et là on a plus d'imagination. Ici on demande da- 
vantage nUusion à la réalité; là on trouve davantage 
la réalité dans l'illusion. 

Il ne faut pas aller tou tefois jusqu a contester à Fart , 
quel qu'il soit , la partie d'illusion qui résulte naturel- 
lement pour lui de l'accord de sa matière ou de son 
mécanisme imttatif , avec la partie de la nature qui 
est son modèle. Sans doute il doit s'en prévaloir, ne 
seroit-ce qu'à l'égard de ceux sur lesquels Timpres-^. 
sion des sens est ou la seule ou la plus forte. Qui 
pourvoit nier que la rondeur efiGective ou la réalité 
du relief dans l'art du statuaire, ne soit un des élé- 
ments du plaisir de l'illusion que cet art peut pro- 
duire , que la couleur des corps , la dégradation des 
teintes , et le fuyant des deux perspectives , ne donnent 
4 la peinture de puissants moyens de séduction sur 



I 



DE l'imitation. i35 

les yeux ? Mais on conviendra aussi que Tharmonie 
des compositions, les hautes pensées, Tex pression 
des affections de Tame , la beauté des formes et le ca- 
ractère idéal, et bien d'autres qualités qur vont droit 
à Tame, disputent à l'impression du sens extérieur 
lefiet exclusif de Tillusion. Que sera-ce encore si, 
dans la part qulls ont à ce plaisir, les sens jouissent 
moins de ce que Timitatiou de Fart offre comme réel, 
que de ce qui lui manque en réalité, et de ce que le 
génie est tenu de faire pour y suppléer? 

Après avoir désabusé Tinstinct vulgaire de sa pré- 
tention à placer le mérite de Tillusion dans le com- 
plément de rimitation identique , nous sommes con- 
duits à un corollaire qui , sans ce qui précède, auroit 
pu sembler un paradoxe. Cest que chaque art doit son 
illusion , c'est-à-dire Teffet et la vertu entière des res- 
semblances que donne rimitation , précisément à ce 
qui empêche ces ressemblances d être absolues et 
complètes. 

Cest que chaque art doit son illusion, moins à 
cette portion de réalité , qui entre dans la nature et 
tient aux instruments matériels de son imitation, 
qua ce quil met à la place de l'entière réalité qu'il 
lui est refusé de produire. 

C'est que chaque art doit son illusion , beaucoup 
moins à son action sur les sens , qu'à celle qu'il exerce 
sur l'esprit. 

C'est que plus il y aura pour les sens dans laction 



l36 DE LA NATURE 

ou dans louvrage de 1 art , plus nilusion y sera 
bornée. 

De sorte que le mérite et le plaisir, soit de Timita- 
tion, soit de Tillusion qui Taccompagne, sont en 
raison directe de leloignement ou de la distance qui 
existe entre la réalité du modèle effectif, et les moyens 
imitatifs que Tart peut employer à produire son 
image. 

Mais ceci a besoin d un développement nouveau, 
pour fixer avec encore plus de précision et la valeur 
des termes, et le sens auquel doit être restreinte la 
notion abstraite qui vient d^ètre énoncée. (Voyez le 
paragraphe suivan t . ) 

PARAGRAPHE XV. 

* 

Que le plaisir de t imitation peut se mesurer sur la cUs^ 
tance qui, dans chaque art ou mode imitatif, et dans 
[ouvrage de chacun, sépare les éléments du modèle 
des éléments de tima^e. 

On a dit que plus il y a pour le plaisir des sens, 
dans un art ou dans son ouvrage , moins il doit y 
avoir pour le plaisir de Tame; et le paragraphe^ pré- 
cédent nous a fait voir, que leffet de l'illusion dé- 



DE l'imitation. l3j 

pendant' sur-tout de la puissance morale de fimita-' 
tion, et de notre propre coopération, l'ame est ré- 
duite à d autant moins d'activité, que l'imitation 
participe plus de Tidentité, et que Timage se borne 
plus à la répétition de la idéalité. 

Le paragraphe suivant appuiera cette doctrine par 
un. fait assez peu aperçu jusqu'ici , je veux dire par 
Féchelle comparative des rangs que Fopinion géné- 
rale assigne aux difierents arts, en raison des jouis-' 
sances qu'ils procurent. Mais la chose se prouve d elle- 
même encoi*e, par la simple analyse de la manière 
dont Famé jouit des œuvres de l'imitation. 

Deux sortes d'opérations font nécessairement par- 
tie de l'espèce de travail sans lequel , restant inerte ; 
elle n'éprouve aucun plaisir : car pour elle agir, en 
fait d'imitation , c'est jouir. 

La première de ces opérations , dont on a déjà parlé 
(au paragraphe I ), est celle par laquelle Famé juge 
des ressemblances que les arts lui présentent. Toute 
ressemblance de ce genre^ emporte avec soi l'idée de 
modèle et celle d'image. Le jugement que Famé porte 
entre ces deux choses , résulte du rapprochement 
qu^elle fait de l'une et de l'autre, et par conséquent 
de Faction, de comparer. Puisque Famé trouva du 
plaisir à l'imitation , c'est une preuve qu elle se; platt 
à faire des comparaisons. 

Nous avons déjà vu que Famé ne se plaisoit point 
à l'imitation prétendue ,-qui, n'étant qu'une répétition 



l38 DE LA NATURE 

de la chose imitable, redevient en quelque sorte la 
chose elle-même ; et il nous a paru que la vraie rai- 
son de ce manque de plaisir, étoit dans letat d^inac- 
tion où la laisse tout ouvrage réputé imitatif, qui 
ne donne aucun exercice à la faculté de comparer. 

Par suite de cette observation , ou si Foif veut de 
ce fait incontestable , il sera vrai que tout ouvrage 
dart, sans tomber dans Tidentité matérielle, mais 
seulement conçu dans son esprit, et exécuté de ma- 
nière à ne reproduire eue Tidée de la réalité positive 
d an modèle individuel , présentant à lame peu de 
rapports à combiner , peu de distances à rapprocher, 
exercera peu la faculté qu elle.a de comparer, et lui 
procurera la plus petite somme de plaisir. 

Dès-lors que le grand nombre de rapports à com- 
biner, de rapprochements à opérer, est ce qui donne 
le plus dactivité à la faculté dç lame qui jouit des 
ressemblances, par les comparaisons qu^elle fait, il 
sera certain que la plus grande somme de plaisir^ ré- 
sultera, pour elle, de louvrage ou du genre d'imita- 
tion-, qui offrira à Fart et à lame le plus de paral- 
lèles à faire et sur les points les plus éloignés. 

Ce plaisir, ou si Ion veut ce travail de com parai- 
sons ^i provient dans la jouissance que chaque art 
procure à Tame , non seulement de la distance qui 
sépare les éléments du modèle, des éléments de Fi- 
mage, mais aussi de la multiplicité de leurs rappro 



I 



DE l'imitation. iBg 

chements. Or, il est certain que, selon que dans cha- 
que mode imitatif, soit la matière de Timage, soit 
le moyen technique* de limitation , participent plus 
ou moins de la nature du modèle , il y aura une 
moindre ou une plus grande somme de diversités à 
saisir, de sujets de comparaison ou de travail, et 
par conséquent de plaisirs pour Famé. 

I^a seconde opération qui entre dans son travail , 
comme principe du plaisir qu elle reçoit de l'imita- 

■ 

tion , est celle dont le paragraphe précédent sur Til- 
lusion , nous a déjà révélé le secret. Je veux parler de 
cette action toute particulière de Timagination , lors- 
que exaltée par la perfection et la beauté de Fimage 
tout incomplète que puisse être sa ressemblance, 
(ainsi qu on Ta vu plus haut), lamese trouve comme 
forcée d'en rachever Yetfet , soit en suppléant à ce 
que l'imitation y a dû omettre, soit en secondant par 
une admiration sympathique la vertu fictive de Tart, 
de manière que nous nous prêtons nous-mêmes à 
donner tantôt delà pensée aux corps , tantôt un corps 
et de la couleur à ce qui n'existe qu'en idée. 

C est à cette coopération , ou à ses effets , que s ap- 
pliquent toutes les locutions métaphoriques qui ex- 
priment laction par laquelle nous nous disons ravis 
hors de nous , transportés en présence d'objets sans 
existence', par laquelle nous assistons aux scènes que 
nous ne voyons pas, nous tournons autour de ce 



l4o DE LA NATURE 

qui n^e8t qu en surface , nous voyons marcher ce qui 
est immobile , nous franchissons enfin de toute part 
les limites où chaque art a renfermé son image. 

Ces deux opérations qui procurent à lame le plai- 
sir véritable de Timitation, et en expliquent aussi la 
cause, consistent donc, de notre part, Tune à rap- 
procher Fimage du modèle, Fautre à compléter ou à 
rendre insensible ce qui manque à Fint^rité de la 
ressemblance. Dès-lors on voit comm'enjt la mesure 
du mérite de chaque mode imitatif , et du plaisir 
propre de chaque art, peut se régler sur la distance 
ou la différence qui séparent ses éléments imitatifs , 
desélémentsdelaportion de naturequiestson modèle. 

Ceci nous ramène toujours au principe élémen- 
taire qui constitue Fessence de Fimitation, selon la 
définition que nous en avons donnée. Là où se trouve 
Fidentité ou son esprit, là où le modèle et Fimage 
sont de nature à se confondre soit positivement, soit 
par Feffet d^un goût qui recherche avec excès Fappa- 
rence de la réalité, là cesse d^avoir lieu, ou na lieu 
que foiblement la double action de rapprocher pouv 
comparer, et de suppléer pour rachever. 

La recherche de la nature abstraite de Fimitation , 
autrement dit du principe générateur de ses effets, de- 
voit nous porter à en vérifier les conséquences , pour 
nous assurer de sa certitude, c^est-à-dire , pour voir 
si la cause et les effets se correspondent. Or , Feffet 
définitif de Fimitation, devant être le plaisir, nous 



/ 



/ 



dC l'imitation. i4i 

avons été conduits à reconnoitre que le moyen actif 
qui le procure, est la comparaison; mais la compa* 
raison nécessitant le rapprochement, Tidée de rap- 
prochement force d'admettre celle de distance entre 
le modelé et la manière d'imiter qui en produit Ti- 
mage, entre les éléments de Tobjet imitable et le$*élé- 
ments de Uobjet qui imite. 

Ce qu'il peut y avoir de vague dans cette notion ,' va 
tout de suite acquérir plus de précision , par la notion 
contraire , rendue sensible dans-des exemples qui fe- 
ront voir certains cas, où la distance imitativé dispa- 
roit et devient nulle, sans cependant que lartiste ait 
manqué aux lois de Timitation. 

Supposons donc que le sculpteur, qui a droit d'em- 
ployer à la représentation des corps toutes sortes de 
matières, imite en bois un tronc d'arbre, en pierre 
un rocher, en broiize un instrument métallique , on 
conçoit quHl n^ aura là par le fait et pour Foeil, au- 
cune distance entre la chose à imiter et la chose qui 
imite. On trouvera encore une extrême proximité 
entre Toriginal et Timage, dans certains ouvrages de 
peinture en tapisserie, où cet art rendant avec la ma- 
tière même dés étoffes de laine ou de soie colorée , 
les habillements de soie ou de laine des personnages, 
ne laisse , pour ainsi dire, aucune distance entre cette 
partie de Tobjet qu'il imite et son imitation. On a 
déjà fait connoitre (au paragraphe x) des cas assez 
nombreux , où sur la scène le poëte , le compositeur 



l42 DE LA NATURE 

de musique ou de ballet, prennent pour sujet de 
leur imitation , leur imitation elle-même, en nous 
représentant la représentation même d une pièce, la 
composition supposée du drame, la répétition simu-* 
lée des symphonies , des airs de chant , des pas de la 
danse. 

Je cite ces exemples comme à la portée de tout le 
monde, et sur-tout du sens extérieur, uniquement 
pour faire comprendre Tidée que j^attache, dans un 
cercle de théorie plus abstraite , à Fespéce de distance 
imitative qui existe entre tous les genres de modèles 
et tous les genres d'images , et pour faire sentir com^ 
ment le plaisir doit avoir des mesures différentes, se 
Ion les distances qui existent entre les éléments de l'i- 
mage et ceux du niodéle , et selon le nojnbre ou la 
différence des rapprochements que Tame doit faire. 

Mais ce qui se dit et se fait entendre clairement , 
lorsqu'il s agit de distance, de comparaison, de rap« 
prochement , entre Tobjet à imiter et Tobjet imitant, 
dans la région positive et matérielle des procédés 
imitatifs de chaque art , pourquoi ne le diroit-on pas 
et ne le coiuprendroit-on pas avec une égale clarté , de 
chacun des beaux-arts , considéré dans les proprié- 
tés , les qualités , om les moyens fictifs qui établissent 
une plus ou moins grande proximité entre le modèle 
et le mode d'imitation d^ chacun? 

Si donc une opinion généralement reçue, et qui 
n'a pas même besoin d'être prouvée , avoit consacré 



DE l'imitation. 143 

entre tous ces arts un certain ordre de préséance , 
dont les degrés seroient entièrement d'accord avec 
Téchelle des distances, qui séparent effectivement le 
mode imitatif propre à chacun , de la réalité de soy mo- 
djèle, ne seroit-on pas autorisé à reconnoitre dans cette 
graduation une sorte de fait, qui confirmeroit notre 
théorie sur la nature de Timitation , et sur la mesure 
du plaisir qu'il faut en attendre? f':' 



» 

i 

PARAGRAPHE XVI. 

Que le rang assigné par [opinion générale qfix diffé- 
rents arts entré eux, semble confirmé par cette théo- 
rie, et la confirme, 

• 

Quand on parle de rang entre les beaux-arts, ou 
d'une préséance de lun sur lautre, il ne sauroit être 
question dans cette théorie , d'une supériorité soit de 
valeur d'invention, soit de difficulté d'exécution, soit 
de méritçdela part de l'artiste, ni de disputer sur les 
goûts, ni de contester à chaque homme rinclinatioa 
qui le porte à mieux aimer un mode d'imitation 
quun autre. 

Dans lespéce d évaluation que Ion donne du plaisir 
attaché aux effets de chaque art , il ne s agit pas non 



i 



i44 i>^ ^^ Nature 

plus de ce que le grand nombre entend par plai- 
sir, c est-à-dire de la Jouissance des sens : on n en- 
tend parler quç de laction morale de Timitation. Par 
con^quent le degré de plaisir sur lequel on peut 
établir le rang dont il s'agit , ne doit être que le ré- 
sultat d'une mesure également morale et intellec- 
tuelle. 

Au reste , le sujet de ce paragraphe se borne à re- 
connoitre un fait, qui , s il coïncide avec celui quon 
4 reconnu dans le pars^raphe précédent , tendra à 
démontrer de plus en plus quelle est la nature de l'i- 
mitation , en prouvant , avec plus de clarté , que la 
somme de plaisir quelle procure, est en raison de la 
distance qui sépare les éléments d'un art , des élé- 
ments db son modèle. 

On convient généralement que la poésie a le pas 
sur tous les arts. Une sorte de suffrage universel lui 
accorde le premier rang. Toutefois il n'^a personne 
qui ne comprenne et qui ne sente que ce mode d'i- 
mitation est de tous le moins matériel , est le plus 
distant des objets sensibles , et aussi que la manière 
d'en jouir, ainsi que de ses images, est celle où les 
sens ont le moins de part. Il n'y a rien de lùoins ma- 
tériel que l'instrument imitatif de la poésie , savoir, la 
parole et lordonnance rhythmique et métrique des 
mots. On ne sauroit, à legard des objets du monde 
visible, imaginer une plus grande distance, entre ce 
•qu'elle peint, et sa manière de peindre. Cette distance 



I 



DE l'imitation. . l/{S 

est celle qui existe entre Tidée de la chose , et la vue 
de la chose. La poésie ne produit les images des ob- 
jets , que par des moyens abstraits et indirects , qui 
ne sauroient- nous les faire voir, qu'autant qu'elle 
nous oblige de nous les figurer. Elle ne peut s'àdres* 
SQT qua cette vue interne ^ à cet organe moral , sur 
lequel les images n'ont de prise, qu'en raison de lac- 
tivité qu elles y excitent* 

Il ny a certainement point d'imitation plus éloi- 
gnée de la réalité effective , et moins susceptible 
d'être confondue avec son modèle, que celle qui , em- 
brassant la nature entière, met à contribution le vi- 
sible et rinvisible , dont les combinaisons n ont ni 
terme de comparaison réel, ni cadre, ni mesure qui 
en bornent l'espace et la durée. 

L'imitation poétique est donc celle , qui , par sa di- 
stance d avec la réalité et par la variété des rapports 
qu'elle embrasse, fournissant à l'ame , dans l'exercice 
qu'elle lui donne, le plus de rapprochements à faire, 
le plus de compléments à opérer, doit occuper et 
occupe, comme l'opinion le confirme, ce que j'ap- 
pelle ici le premier rang dans lechelle imitative des 
beaux-arts. • 

S'il est vrai que le sentiment commun place la mu- 
sique dans cette échelle après la poésie , il est facile 
de se convaincre que cet ordre est conforme à celui 
que notre théorie assigne aux différents arts, selon 
que leurs moyens d'imiter et leurs images s'éloignent 



lO 



l46 J)£ LA «ATURE 

plus OU moins de la réalité, et que le plaisir y a plus 
besoin de Taction morale du sentiment. La musqué, 
à cela près de son impression physique sur Toreille, 
est certaifiemeni Fart qui ïe d|ispute à la poésie, dans 
la propriété quHl a de créer, par la seule combinai- 
son des sons , les images tout à-la^fois les plus variées 
et les plus immatérielles. Comme la poé^e , il nou« 
transporte dans une sorte de monde idéal , ou con ver* 
tissant en formes, en corps, en tableaux, de simples 
suites de chants, d'accords d'instruments, et d effets 
sonores, Timagination donne à. ses propres créations 
la valeur de Texistence. Aucun art n'a plus besoin, 
sans doute, que Taction du sentiment coopère à la 
vertu de ses images , supplée à ce qu'il y a de vague et 
d'indéfini , soit dans ce qui lui sert de modèle , soit 
dans ce qui en devient l'imitation. Aussi remarque* 
t-on que cet art est celui auquel sont le plus indif- 
férents les hommes privés d'imagination ou de sen- 
sibilité. 

I/usage se trouve d accord avec cette théorie iors*- 
qu'il place ensuite la peinture, qui imîte les corps 
par l'apparence linéaire et par la couleur des corps , et 
immédiatement après elle, I9 sculpture, qui, dans la 
représentation des corps , emploie lexistence même 
et 1^ réalité de la matière. On ne sauroit nier qu il n y 
ait , dans les ouvrages de ces arts une sorte de conti- 
guité effective, entre le modèle et ce qui en devient 
Timage. Cette propriété est ce qui les fait volontiers 



PE L^IMITATIO». l47 

admirer du vulgaire ou de Tinstinct grossier, tandis 
que ce qui fait leur valeur , et ce qui est leur vrai 
mérite , c*est bien moins de rendre les formes corpo- 
relles avec de la matière, que d'exprimer avec des 
corps, ce qu'il y a de plus immatériel'; c'est de re- 
présenter le moral par le physique, de rendre par 
des formes sensibles les idées intellectuelles , les affec^ 

■ 

lions de Tame; c'est de donner, non un corps à la 
pensée , mais la pensée aux corps. 

L'architecture , qui n'imite rien de réel ni de po- 
sitif, se classe toutefois à son rang dans cette échelle 
imitatîve , parceque sa propriété est d'employer la 
matière, ses formes, et les rapports de leurs pro- 
portions à exprimer les qualités morales ^ du moins 
celles que la nature met en évidence dans ses ou- 
vrages, et par lesquelles se produisef^t en nous les 
idées et les sensations corrélatives d ordre /d'harmo- 
nie, de grandeur, de richesse, d'unité, de variété, de 
durée , d'éternité ; en sorte que le matériel de lart , 
qui , pour le commun des hommes^ est l'objet d'une 
admiration sensuelle, ne doit être de la part de l'ar- 
tiste , qu'un moyen pour porter notre esprit à des 
jouissances intellectuelles. 

Les arts que l'on comprend ordinairement sous les 
noms d^orchestrique et de mimique ^ se classent, selon 
l'opinion générale, après les arts du dessin , et ce rang 
que leur donne aussi notre théorie , leur convient , 
par cela que , de tous les arts , ils sont ceux qui s'adres- 



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i\e. 



DE l'imitation. i49 

1 être qui imite. Lart s y distingue si peu de lartiste, 
que 1 artiste y devient Tart lui-même. Ce nVst pas 
seulement par des corps ^ qu'on y représente les 
corps , mais les êtres vivants y sont représentés par 
des êtres vivants. C'est avec la vie et le mouvement, 
qu'on exprime le mouvement et la nie. Dès-lors le 
plaisir de lesprit y est d'autant plus fpible, que celui 
des sens y est plus vif; et l'action de la comparaison 
y trouve d autant moins d'exercice quelles rappro- 
chements cessent d'y être possibles. Remarquons en- 
core à lappui de ceci , que ce genre d'art est l'art de 
prédilection de la multitude, et de ceux qui, dans 
les beaux-arts, mettent avant tout autre plaisir, celui 
de nihision des sens. 

Si l'on se permet de citer à la suite des beaux-arts , 
ce qu on n'est pas encore convenu d'appeler un art 
d'imitation , je veux dire le jardinage, sur-tout du 
genre irrégulîer, c'est pour faire voir que, dans l'es- 
prit de cette tnéorie , il se place de lui-même en de- 
hors de l'échelle imitative. Là effectivement, tous 
les éléments de ce qui constitue l'imitation dis- 
paroissent. L'idée même de répétition s'y fait à 
peine saisir. La prétendue image de la nature, n'y 
est autre chose que la nature elle-même. Les moyens 
de l'art sont la réalité. En effet, tout le monde 
sait que le mérite de son ouvrage , est qu'on ne se 
doute pas qu'il y ait de l'art. Â supposer un jardin 
parfait, dans le système du jardinage irrégulîer, on 



l5o DE LA lïATURE 

ne doit point se douter qu'on soit dans un lieu , sur 
un terrain composé par art. Quel plaisir (j'entends 
plaisir d'imitation) peut-il donc y avoir pour Tame, 
que rien navertit qu'il y a de limitation dans ce 
qu elle voit ? De quoi jouit*on dans un semblablç 
ouvrage? On jouit de la nature, dît-on. Mais autrç 
est le plaisir de la nature , autre celui de Fimitation. 
Autre est le plaisir que fait la peinture d'un paysage, 
autre celui du paysage en nature : ce qui £ait que ce 
prétendu art de jardinage est le moins art qu'il est 
possible , c est qu il donne le plus possible la réalité. 
Or, on ne sauroit prétendre à être tout à*la*fois réa- 
lité et imitation. 

• On voit pourquoi j'insiste sur le caractère inpmi-* 
tatif , ou plutôt anti-imitatif de cet art de faire les 
jardins. Ce n'est ni pour en nier Fagrément ni pour 
contester le genre d'habileté qu'il comporte. Ces deu^ 
points de vue n'entrent pour rien dans la recherche 
de la nature de Fimitation. Mais je n*ai pas trouvé 
d'exemple plus propre à £dre sentir , par la vertu des 
contraires , ce que doit être FimiUtion pour être imi* 
tation , de quelle espèce est le plaisir auquel elle se 
fait reconnoitre , quelle est Ferreur de ceux, qui, par 
une ambition mal entendue , cherchant à identifier 
Fimage avec son modèle, visent à échanger, autant 
que cela est possible^ Fefifet de la ressemblance contre 
celui de la réalité , et placent YHlusion matérielle des 
peqs, avant celle de l'espi^^it. 



DC l'imitation. i5i 



^fv%^f^^^^^^0^ %^mM^^ ^ ^Af%^^^^^ %^A^^^^^%/%'^>^»^^^%^/«/%^%^/»^<^.^ ^^%'%««/w»^^/*>4. 



PARAGRAPHE XVII. 

Que le rétulîai des noîions et des faits qui précédent, 
hous conduit à reeonnoitre ce qui doit éire le véritable 
but de f imitation. 

En terminant cetfé première partie , je ne sauroi^ 
mempècher de prémunir de nouveau le lecteur 
contre rinteq>rétation abusive qu'on pourroit faire 
du paragraphe précédent. Il importe beaucoup que 
le corrollaire auquel nous aurons été conduits , et 
qui doit servir de texte à la partie suivante y ne laisse 
aneune équivoque dans les esprits. 

Gemme je ne traite de Timitation , et ne prétends 
la foire considérer qu'en abstraction, c est-à-dire sous 
le point de vue de sa notion générale en théorie , et 
non sous celui qui la particularise dans la prati- 
que, on ne doit donner aux mots dont je me sers^ 
d autre sens que celui qui se rapporte à la nature 
d'une théorie abstraite, eest-à-dire de celle qui géné- 
ralise les notions. 

Ainsi il doit être bien entendu , que je prends ici 
«n théorie le mot imitation dans le sens d action ou 
de vertu imitative , et non dans le sens d ouvrage 



l52 DE LA NATURE 

d^art , ou d'objet imité. Remploie encore dans un sens 
général le mot modèle y qui^ selon lusage de Técole 
sur-tout, se dit de l'individu , ourde tout être parti- 
culier quon imite. Au contraire, on a vu que, selon 
lesprit de cette théorie, jai entendu par modèle 
cette portion du régne de la nature , soit morale, soit 
physique, qui forme exclusivement le domaine imi- 
tatif d'un seul art. On a dû entendre dès-lors dans 
le même sens, et appliquer à une notion généralisée, 
cette espèce de distance entre le modèle et son pro- 
cédé imitatif , dont le paragraphe précédent a fixé 
les proportions relatives pour chaque art. 11 a du 
paroitre clair que cette distance intellectuelle, est 
d'un tout autre genre que celle, par exemple, qu on 
découvre entre un portrait mal fait^et son original^ 
et qu'on appelle manque de ressemblance. 

Pour peu qu on voulût se méprendre sur le sens 
convenu que cette théorie affecte aux mots dont il 
s agit, on pourroit conclure que le mérite àSm ou- 
vrage d'imitation consistant dans la dissemblance, 
le mérite d'une figyre d'homme seroit qu'on la prit 
pour un tronc d'arbre. 

C'est ainsi qu'en appliquant à l'intelligence ^'uu 
ordre d'idées les notions d'un autre , en transpor- 
tant à un objet généralisé la mesure qui est celle de 
l'objet particulier, en néglij[eant d'entendre les locu- 
tions et les termes de l'auteur dans la signification 
qu'il leur donne, on pourroit travestir par un mal-en^ 



I 



DE l'imitatio». i53 

tendu continuel, la théorie la plus simple, obscurcir 
ce ^qu^elle a de plus clair, et en rendre les censé* 
quences absurdes ou ridicules. 

Il me semble donc que pour celui qui aura suivi 
cette théorie de la nature de l'imitation, dans ses pré- 
misses, ses déductions, et ses applications, il sera 
clair que la ressemblai^ce par identité ou la répétition 
de la réalité par la réalité, est le princi{)e ennemi du 
plaisir de Timitation, seit quon prenne cette notion 
dans ^ sens positif de Tabus, soit qu'on l'applique 
aux ouvrages conçus ou exécutés dans lesprit de 
cette méthode; que dès«lors louvrage produit par ce 
principe ou dans son esprit , ne sera propre à plaire 
qu a Tinstinct grossier , ou ne pourra jamais nous 
procurer d autre sorte de plaisir que celle qui s arrête 
aux sens. 

11 ne sera par conséquent pas moins clair, que le 
principe de la ressemblance par iikiage, qui repro- 
duit là chose dans une autre chose, et quon a posé 
comme élément de Timitation véritable, doit être 
celui d'une espèce de plaisir opposé au premier, 
en ce sens, qu on jouit de l'imitation d autant plus , 
que lesprit et l'intelligence y ont à faire plus de rap- 
prochements, et des rapprochements d'objets plus 
éloignés entre eux. 

Cela étant, il a dû résulter, soit de la notion élé- 
mentaire de l'imitation, soit des faits quon en à dé- 
duits relativement aux propriétés de chaque art, soit 






lS4 Z» l'A NATURE 

de Tanalyse des opérations de Famé dans la manidfÉ 
d'en jouir, que Tartiste , en chaque genre , doit bean* 
coup moins viser aux têkts matériels de cette action 
mécanique , qui s'adresse painlessus tout k linstinct 
ou au sens physique, qu a 1 effet moral de Taction in- 
tellectuelle, qui étend le pouvoir de lart fort au* 
delà des bornes de sa matière , et des impressions 
physiques. 

Dès qu'il est reconnu que chacune des deux ma- 
nières dlmiter a sa mesure particulière deg|laisir, 
dès qu on est forcé d'avouer que le plaisir augmente 
ou diminue , et dans les arts considérés en eux-mê- 
mes et dans chaque ouvrage d un art , selon le plus 
ou le moins de distance qui sépare le modèle, de son 
procédé imitatif , qui sépare les éléments de la réalité, 
des éléments de Fimage, et l'effet opéré, des moyens 
ou des instruments qui , l'eurent , il est nécessaire , 
qu'en tout genre , le plaisir de Fesprit et de PlnieUi*- 
gence l'emporte sur celui des sens. ^ 

Ainsi nous regarderons le piais^r comme étant 
aussi Fobjet et le but de l'imitation. Mais on voit que 
la valeur de ce plamret sa mesure augmenteront ou 
diminueront , selon Fun ou l'autre système de ressem- 
blance identique ou de ressemblance imitative, selon 
que Fouvrage, émanant plus ou moins de Fun ou de 
Fautre principe, ou se bornera à plaire à l'instinct, 
ou s'arrêtera aux sens, ou ne passera par les seM 
que pour arriver à l'ame; selon que Fartiste, se con- 



DE LIMITATiOff. iSS 

tentant d'un rapprochement plus ou moins effectif 
avec la réalité , fera éf ce rapprocbement Ve terme 
de ses efiForts , ou nWera de ce qu^il y a de réalité 
dans son modèle et de matériel dans ses moyens que 
pour s'élever à cette manière de voi»k mod/ile d en 
haut et en grand , pour en produire ces images gé- 
néralisées , dont Fesprit seul peut mesurer les rap- 
ports et recevoir les impressions. 

Il mesembbeafiamiiMMfttethflorie^ aprèsnous avoir 
£Edt découvrir^ dam la nature même de Timitation , le 
lien qui réunit tous les beaux -arts par un principe, 
commun , nous fdt encore fecoiinoUre en ^ux une 
tendance commune à tous vers le même objet, et 
noms conduit à la oonnoiiMance de ce qui doit être 
leur véritable hnt. 



F1f9 DE LA PflEMiÈRE PARTIE. 



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SECONDE PARTIE 



DU BU^ DE l'imitation DANS 
LÉS BEAUX-ARTS. 

Pôeta cum cepittabnlas, sibi 
Qaaerit quod nusquam est gentittm, reperit tamen. 
PLàUT., Pseudol.y act. I, se. !▼. 

PARAGRAPHE PREMIER. 

Que plaire est Cobjet de t imitation. — Des >deux genres 
de plaisir quelle produit. — Lequel des deux est 
son but. 

La nature en accordant à Thomme la £aiculté d'imi- 
ter, a sans doute entendu qu elle servit d abord à ses 
besoins. Cest à elle que Thomme doit de former ces 
premiers sons qu il apprend à modifier peu-à-peu , à 
mesure que son oreille lui transmet les rudiments du 
langage. Cest par elle que tous les actes quHl voit 
faire, deviennent ses actes, et qui! s'approprie les 
formes , lés mouvements , les accents , les habitudes 
de tout ce qui la précédé, pour les communiquer 
de même à ceux qui le suivront dans la carrière de 
la vie. 



DE l'imitation. i5'] 

La nature ayant en tout genre associé le plaisir au 
besoin , la faculté d^imiter devoit acquérir avec lac- 
croissement de Tétat de société , des développements 
nouveaux. Après qu^on Teut employé à fixer par les 
signes imitati£s des objets4'idée de ces objets, il ar- 
riva que des traits grossièrement tracés par et pour 
le besoin reçurent plus de perfection. Lorsque en- 
fin , quittant lentrave d'images figuratives, Técriture 
en fut venue au point de représenter les idées par 
des signes abréviatifs, ou par des traits arbitraires 
désignant non les choses, mais les sons des mots qui 
les expriment, Tart de répéter les formes des corps 
fut appliqué à un autre emploi , dont Tobjet princi- 
pal fut de plaire. 

Tout cela est trop connu , pour que je m^arréte 
ici à fsiire voir le berceau des arts d'imitation , dans 
les besoins de tous les genres de communication vque 
la société établit par degrés entre tous les hommes. 

Le plaisir de Timitalion succéda ainsi par-tout au 
besoin de l'imitation. 

Comme du besoin naquit le pk^sir, le plaisir à 
son tour créa , dans un autre état de choses , des 
besoins nouveaux. Ce furent en effet de véritables 
besoins, pour les peuples civilisés, que de perpé- 
tuer la mémoire des bienfaiteurs ou des bienfaits; 
que de porter les esprits, par la vue des monu- 
ments , aux idées d'immortalité ; que de fixer et de 
consacrer, dans un langage sensible, les opinions 



t 



l58 t}V BUT 

Morale» et les senthnefits teUgieun. C'est aimi, sans 
doute , ^e Ton peut donner à Timitatton des beaiii:-^ 
arts lin but aussi utile pour eux que pour la société. 

Toutefois ce point de vue ne sauroit entrer ni di- 
rectement ni nécessairement dans ufie théorie^ où Ton 
lie coBEsidère limitation qu'en elle-même. Il en est 
de cette théorie, comme d^une poétique, où, sans 
contester la fin morale de la poésie , qui doit tendre 
à rendre les hommes meilleurs , on se donne pour 
but de montrer comment et avec quoi on fait de bona 
poèmes , et non comment de bons pdèmes pcovent 
influer sur les mœurs des peuples. De même ici , ayant 
à faire comprendre ce que doit être l'imitation , en- 
visagée théoriquement dans sa nature, dans son but^ 
et dans ses moyens, nous n^avons pas dû joindre à 
ces Considérations celle de Faction morale que les 
leçons contenues dans les ouvrages de Fart exercent 
sur les affections et ks sendoients publics. 

Nous avons donc donné à Fimitation pour but ce- 
lui de plaire. Mais on verra que Fespéce de plaisir 
qui, selon notEiSy doit être sa fin, nest pas dénué de 
toute action^ sur le morai de lliomme. 

Et effectivement , pour entrer dans cette seconde 
partie,, pat lies notions qili ont terminé b prettiière , 
nous commencerons par rappeler ce qui a déjà été dit : 
savoir, que Finrftation è^ beaust-arts est capable de 
procurer plus d'une sorte de plaisirs, qui peuvent 
se graduer selon le plus ou le moins de part qu> 



DE l'imitation. iSg 

prennent les sens. Celui de9 sens procède nécessaire* 
ment dans chaque art y de cette partie qui le com- 
pose , laquelle , comme chez Thomme , est ce qu <Mi 
pourroit appeler sa substance physique. 

Il n^ a point d'art, ainsi qu'on la déjà piontré, 
qui ne s adresse plus ou moîiis directement à c^el- 
qu'un de nos organes extérieurs, et qui ne s*y adresse 
par quelque moyen plus ou moins d^^endant de la 
matière. Le plaisir que lorgane en reçoit est bien , si 
Toii reut, un des buts de chaque art, puisque, si ce 
plaisir- là n'avoit point lieu, l'action de lart seroit 
comme non avenue. Mais que ce but soit le véritable, 
c'est-àrdire le but essentiel et définitif de l'imitation, 
c est là une des méprises de Tignoranee ou de l'irré- 
flexion: autant vandroit prétendre que le plaisir 
produit par le boire et le manger est le but ou la fin 
de ce besoin. Gertainemeni ce n'est quun moyen de 
parvenir à un autre plaisir, celui de la santé , de la 
force et de l'emploi de nos facultés. 

Sass doute, le plaisir des sens doit accompagner 
l'action de l'imitation sur nous, mais de la manière 
dont la nature elle-même le fait entrer dans un autre 
ordre de choses , c esi-à«dive moins comme fin , que 
comme véhicule, lorsqu'elle en fait l'aiguillon des 
appétits , qu elle a placés sur toutes les routes qui 
mènent à l'accomplissement de ses desseins. 

De »é»e dans 1 «cUm. des be.ux..ul.; r.ttr»t d» 
la jouissance sensuelle ne doit que nous inviter et 



102 DU BUT 

• 

appelle physique^ c^est-à-dire que c^est un "plaisir 
moral. 

Moral en fait dlmitadoo , je Vaî déjà fait entendre,, 
ne s applique point à ce qu il peut y avoir d'utile aux 
mœurs dans les ouvrages de lart. Un drame pour- 
roit offrir les plus beaux exemples de vertu , mais 
présentés dans un système d'imitation vulgaire , et 
tellement rapprochée de la réalité, que son im- 
pression se trouvât réduite à celle du plaisir phy^ 
sique. 

Le sujet d'une peinture peut être une belle leçon 
de morale, et la manière dont il sera traité pourra 
ne nous faire éprouver que ce genre de plaisir qui 
s'arrête aux yeux. G est ce qui arriveroit , par exemple, 
dans la représentation de lapologuedu laboureur et 
de ses entants essayant de rompre le faisceau. Que 
la scène soit telle qu'elle nous fasse voir un intérieur 
de cabane pauvre et rustique, avec les costumes et les 
portraits de simples paysans, et que Teniejrs, si loii 
veut , en soit 1 auteur, cette imitation d un trait fort 
moral en soi , ne produira que le plaisir physique de 
l'imitation. Qu'on suppose la même scène exprimée 
par le peintre d'histoire , avec la noblesse des carac- 
tères , la beauté des formes, la variété 4^ expression» 
et des attitudes que le sujet peut comporter, l'esprit 
y jouira du plaisir moral de l'imitation. Il y |i plus, 
le même effet se produira jusque dans la représen- 
tation des faits marqués du caractère de la plus grande 




DE l'imitation. i63 

immoralité. Je ràe contenterai de citer le Massacre 
des Innocents de Raphaël. 

Au reste , si je me sers du mot moral, pour en 
opposer ndée à celle de physique et de matériel , ce 
sera jusqu'à ce que le développement de cette théorie, 
sur le but véritable de rimitalioù , m'ait mis à même 
d'y substituer un autre mot, mais dont l'emploi, 
non encore défini, seroit peut-être ici prématuré. 



PARAGRAPHE II. 

Comment y selon [esprit de cette théorie y on doit encore 
entendre Cidée de réalité ou didentitédans [imitation , 
et celle du plaisir qui en résulte. 

Si, comme on Ta vu (dans la première partie dé 
cet ouvrage), Temploi de la réalité considérée soit 
en elle-même , soit dans les moyens mécaniques de 
répétition qui lui appartiennent , annule Felïet de 
Timitation qui doit être celle des beaux-arts, et par 
conséquent est contraire à sa nature, on ne sauroit 
se refuser aiix conséquences de ce fait reconnu pour 
constant, c'est*à-<lire aux analogies qui en sont la 
dépendance. 

En théorie rien n'est plus dépendant de ce qu'on 
appelle la nature d'une chose, que ce qu'on ap- 
pelle son espiH^ De la nature de cette chose dérivent 



II. 



l64 DU BUT 

les lois générales cfe son être ou de sa constitution^ 
Tel sera, par exemple, pour chaque pays, pour 
chaque peuple, le caractère que les causes natu- 
relles lui impriment. L^esprit de ce peuple résultera 
ensuite de ce caractère, et se peindra dans les raœur» 
et les opinions. 

Il en est de même des beaux-arts, quand on a dé- 
couvert le principe naturel de limitation , on peut 
être certain que ce qu'on appelle son esprit; partici- 
pera d^une manière plus ou moins évidente de la na- 
ture de sou principe. Ce qui signifie que les mêmes 
notions trouvent, dans la recherche de cet objet secon- 
daire, les mêmes applications, avec la seule différence 
qui distingue les lois positives de la nature, davec 
les régies moins rigoureuses du goût. 

Ainsi les notions dHdentité^ de réalité ^ de proximité, 
que nous avons appliquées dans le sens simple et po- 
sitif, à toute imitation prétendue, où la chose se trouve 
reproduite dans une chose qui n'en est que la répétition, 
ces notions, dis-je, nous trouvons'qu^elles convien- 
nent également, mais seulement dans le sens figuré 
ou relatif, à ce genre dlmages dont Tesprit est de 
nous représenter les objets tels qu'ils sont, sans pré- 
tendre nous faire rien voir ou concevoir au-delà : et 
le plaisir qui résulte d'une semblable imitation, est 
celui que nous appelons le plaisir des sens. 

Cela étant bien entendu, lorsque, par les consé- 
quences de notre théorie, nous empigf ons les mots 



DE l'imitation. i65 

de ressemblance identique y on peut prendre cette no- 
tion , non plus dans le sens de répétition de la réalité 
par la réalité, mais dans le sens d'une imitation qui en 
fait nattre Tidée, qui aspire à n être qu'une espèce de 
miroir ou facsimile des choses et des objets. C'est-à-dire 
qu'on est en droit de prendre simplement ces mots et 
ces idées , dans leur esprit , et selon le sens convenu , et 
non plus selon la rigueur grammaticale des termes. 

Quoique, dans ce qui précède, on ait souvent 
raisonné, en vertu d*une liaison nécessaire entre la 
nature de rimitation , et ce qui en est l'esprit, on a 
cru devoir fixer ici avec plus de précision encore, 
ce point de théorie , pour éviter l'abus d'une manière 
d'entendre les choses dont il s'agit, dans un sens qui 
seroit par trop matériel. 

Je prétends, par exemple , qu une action est repré- 
sentée dans le système de l'identité, ou dan^ l'esprit 
de la réalité, lorsque l'imitateur poète ou peintre, 
en raconte ou en reproduit les détails et les circon- 
stances , de façon à en faire bien recohnoître la vérité 
matérielle, mais en se bornant à ce simple caractère, 
et sans que rien puisse porter notre esprit à y saisir 
aucun rapport sur les causes morales du fait, sur les 
affections propres à y répandre de l'intérêt, sur les 
effets qui lui donneroient de l'importance. 

Mais j'aime mieux encore m'arrêter à Tidée de por- 
trait , idée que j'aurai plus tard l'occasion de prendre 
pour démonstration en sens inverse ^ de ce qui doit 



l66 DU BUT 

« 

être 1^ but de rimitation. ( Foyez ce qui est dit sur f^ 
fet du portrait , au paragraphe suivant. ) 

Celui qui peint un portrait, ne se propose autre 
chose, sinon défaire reconnoitre tel ou tel individu 
dans son image. Pour y parvenir, il setudie à répé- 
ter avec une extrême précision les traits particuliers, 
les défectuosités mêmes de son modèle. Ainsi, Teloge 
ordinaire d'un portrait [cest lui-même)^ définit mieux 
qu'on ne pourroit le faire, Fesprit d identité j de répé- 
tition, de réalité propre à ce genre d'image; ces mots 
ainsi entendus et pris hors de leur sens positif, on 
les applique en théorie générale, soit à Timitation, 
soit à son ouvrage, selon que le plaisir y reposera 
plus ou moins sur des sensations plus ou i^ins res^ 
treintes aux effets physiques. 

Effectivement, pour ne pas quitter la comparai- 
son , il n y a rien de plus borné que le plaisir, qui en 
général résulte d un portrait. Si Ton veut bien faire 
abstraction de tout ce que les affections particulières 
et publiques , ou le talent du peintre y ajoutent d'inté- 
rêt , il est certain que Tesprit et Timagination prennent 
peu de part à ce genre d'imitation. C'est que véritable^ 
ment les rapprochements à faire, y sont peu nom«* 
breux, et le travail de Tesprit de comparaison y est 
très peu actif. 

Concluons de cet exemple , auquel chacun en ajou- 
tera facilement beaucoup d'autres , que Timitatioa 
qui s'exerce dans la sphère la plus bornée par la réa^ 



DE l'imitation. 167 

filé, est celle qui se prête le plus au plaisir que nous 
àvoos appelé le plaisir des sens, le seul, à vrai dire, 
que le vulgaire demande aux arts , et le seul aussi 
q u il en reçoive. 

Par vulgaire, il feut entendre ici et tous ceux dont 
1 esprit n a point été cultivé, ou ne Ta point été en ce 
genre, et tous ceux chez qui la partie sensuelle a pris 
lempire sur les autres facultés. Voilà ce qui nous 
explique la vogue de ces spectacles , où le vulgaire 
dont je viens de parler, court chercher en tout genre 
des impressions tellement voisines de celles de la 
réalité , qu il n^ & presque aucune comparaison à 
faire. 

Voilà ce qui nous explique la prééminence donnée 
dans certains temps à certains genres d imitation , à 
certaine classe de sujets, qui ne peuvent afFecter que 
les sens, et n^ont besoin pour être goûtés ni dlma- 
gination ni d^intelligence. 

Et voilà ce qui nous explique comment, dans ces 
mêmes temps, on voit<iélaisser les genres dMmitation, 
de sujets et d ouvrages , dont les modèles et les com- 
paraisons sont hors de la portée de ce vulgaire. 

Nous ne voulons pas inférer de cecf , que le plaisir 
des sens doive être exclu du cercle des plaisirs de 
Timitation. Le précédent paragraphe a dit assez 
comment et à quel titre il devoit y entrer. Nous pré- 
tendrons seulement que Tespéce de ce plaisir, par 
sa contiguïté avec les impressions de réatité et diden^ 



l68 rDU BUT 

tité^ qui sont les pluâ contraires à la nature de Timi- 
tation, est essentiellement propre à la détourner de 
son but. 

Nous conclurons donc que rimitation qui ne 
nous présente les objets que dans Tesprit de la réa- 
lité , étant celle qui produit le plaisir borne des 
sens, ce plaisir ne sauroit être la fin véritable des 
beaux-arts. 



PARAGRAPHE III. 



De la supériorité du plaisir de l* esprit dans l'imitation , 
sur celui qui ne s adresse quaux sens. 



Pour bien apprécier ce que doit être le but de 
rimitation, ic est-à-dire le genre de plaisir auquel 
elle doit tendre, il faut se rendre compte encore de 
ce plaisir, non plus en lui-même, mais dans ses ef- 
fets et j entends ses effets utiles. • 

On sait déjà de quelle utilité je veux parler, et 
quil ne peut être- question, dans cette théorie, ni 
d'utilité politique, ni de celle. qui se rapporte à la 
morale. ... 

L'effet utile du plaisir de limitation , doit consister 
dans ce que nous acquérons par elle , en connais- 



; 



DE l'imitation. 169 

sances, en sensations, en idées, en images, autre^ 
ment dit, dans ce qui augmente le domaine de notre 
intelligence, enrichit notre esprit de conceptions 
tiouvelles, ouvre à notre imagination des routes sans 
nombre vers des points dé vue sans terme. 

Or, je demande à limitation bornée au plaisir des 
sens , dans le choix de ses sujets et dans la manière 
de les représenter, je lui demande quels sont ses 
efiets utiles, qu est-ce que m^apprennent ces images 
qui se contentent de flatter mes yeux. Je demande 
ce qu^elles me montrent que je ne connoisse déjà, 
ce qu'elles me font apercevoir au-delà de leur mo- 
dèle , quelles impressions dépendantes de 1 art elles 
me communiquent ; en un mot , quelle acquisi- 
tion ce genre d'imitation peut me promettre ou me 
faire espérer. 

Il vous donne , me dira-t-on , ce que vous donne 
la' nature dont il est le portrait. Je réponds. Non. Il 
ne me le donne point , précisément parcequ'il n'en 
est que le portrait, et parcequ'un portrait n'est 
qu'une partie de la ressemblance de l'objet naturel , 
et n'en offire qu'un seul aspect; parcequ'une telle 
image ainsi limitée, et qui ne peut faire sortir mon 
imagination du cercle de la réalité, ne me donne 
que du fini', en place de l'infini, auquel Tame as- 
pire. 

Il n'en faut pas douter, ce que nous devons exiger 
de l'imitation des beaûx-arts , c est de satisfaire cet 



170 DU BUT 

appétit qua notre ame, d'impressions illimitées, de 
sensations toujours renaissantes, c est-à-dire iné- 
puisables dans leurs effets , comme Test la nature 
dans ses combinaisons. Telle est la jouissance que 
nous demandons à Tart; et telle ne sauroit être celle 
d'une imitation dont la propriété se rédujit à nous 
montrer les pbjets , précisément et uniquement com- 
me ils se montrent par-tout, et en tout temps à nous. 
11 y a dans cette imitation , qu^on me passe Texcès de 
la comparaison , quelque chose qui appartient à celle 
de cet animal dont Tinstinct est de répéter les mou- 
vements et les sig;nes extérieurs des actions qull voit, 
sans en comprendre la raison et le motif, sans en 
soupçonner le principe intelligent. 

Est-ce là tout ce qu'on attend de Timitation? Et 
paierons-nous de notre admiration un résultat aussi 
stérile pour Tesprit? 

Et cependant, y a-t-il autre chose à dire de l'ou- 
vrage de Fart, lorsque, borné à n être que le miroir 
deTobjet, il ne peut, à Tinstar du miroir, rien ajou- 
ter, rien retrancher, rien corriger, rien modifier, rien 
perfectionner, rien génc^raliser, et que dans la vérité 
il ne nous donne, moralement parlant, rien , puis- 
qu'il ne nous donne qu'une seconde fois la chose, 
et que, selon Tesprit du principe de l'imitation, il 
tend à être , le moins qu'il est possible , imitation ? 

On a déjà eu l'occasion de dire ( voyei^ part. I , pa- 
ragraphe IV ) ce qu'on doit penser de tout if stèm» 



^ 



DE l'imitation. 171 

d'imitation, daos lequel on ne feroit que wpéter 
3oit des mœurs vulgaires , soit des locutions triviales, 
soit les lieux communs du langage populaire ^ soit les 
scènes prises dans les ba» étages de la société , soit des 
images qui ne présentent que Tindividualité des per- 
sonnes et des corps , toutes représentations qui ne 
peuvent passer que pour autant de copies , dont le 
t]^e et les épreuves sont par-tout, au lieu d'être de 
vrais originaux , dans le sens propre ou figuré de 
ce mot; car il n y a de vraiment original , que ce dont 
on ne peut pas montrer le modèle. 

Copie, que me veux-tu? puis-je lui dire. Quel be* 
soin ai-je de tes apparences , quand leyr réalité m'est 
indifférente? Quelle valeur peut avoir pour moi cette 
image dont je dédaignerois le modèle , lorsque rien 
sur-tout n y compense la privation de toutes les pro- 
priétés que la nature lui refuse? 

Qu(elle que puisse être dans de pareils ouvrages la 
part du plaisir sensuel , si ce devoit être là le but de 
rimitation , y auroit-il , je le demande , de quoi mettre 
un si haut prix à ses oeuvres? Une telle fin vaudr oit*-* 
elle la peine qu'elle coûte? A quelque degré même 
qu'arrivât l'exécution de semblables travaux , pour» 
roit-on se dispenser d'en ranger les résultats , parmi 
ces produits d'une industrie dispendieuse , frivoles 
inventions du luxe, destinés à être l'aliment d'une 
curiosité plus frivole encore? 

Je n ai pas besoin sans doute de désigner plus clai<- 



ïp DU BUT 

rement les œuvres de l'imitation auxquelles je pré- 
tends appliquer ces considérations. Lesprit du lec- 
teur a dû se porter vers ces productions dune cer- 
taine école de peinture, aussi remarquable par le 
précieux , le fini technique et la fidélité des tons , que 
par Tinsignifiance des sujets , la bassesse des formes , 
des expressions , des personnages et la nullité d'inven- 
tion. Sans contester tout ce qu'il y a soit de difficulté, 
soit d'habileté , soit de mérite dans ces images d^une 
nature vulgaire, je me contenterai de faire observer 
quels sont ceux qui s'y plaisent le plus. Présentez un 
tableau de Teniers et un tableau de Poussin à qe vul- 
gaire dont j'ai parlé plus haut ; vous ne doutez pas 
lequel des deux aura la préférence. 

Il y a toutefois quelque distinction à faire sur ce point 
de critique , c'est-à-dire sur le plus ou le moins d'es- 
time due aux ouvrages, dans lesquels l'art est borné 
à cette vérité locale, partielle, ou individuelle que je 
prétends n'être pas le but définitif de Timitlation. Et 
d'abord il faut distinguer ce qu'on appelle genre ^ 
en fait d'imitation , de ce qu'il faut appeler style ^ 
goût , manière. Ainsi les tableaux flamands sont des 
tableaux de genre qui, en nous présentant la plus 
grande perfection du mécanisme de l'art , n'ont tou- 
tefois que la prétention de parler aux yeux sans rien 
dire à Tesprit. Voilà les ouvrages dont le plaisir n'est 
pas celui qu'il faut demander uniquement à Tiniita- 
tion. Mais il n y a rien de plus à exiger d'ouvrages 



DE LIMITATION. lyS 

qui ne promettent et ne peuvent rien donner de plus. 

Il en est d autres, quoique destinés à un emploi 
plus relevé, dont la manière et le goût sont loin d y 
répondre. Jen citerois de toutes les époques. Mais, 
pour mé faire mieux entendre, je m'arrêterait ceux 
dfis premiers temps de Tart non encore perfectionné. 
Dans ces ouvrages , malgré tout le charme de naïveté 
et de ^implicite qui leur est propre, on découvre en- 
coreune nouvelle preuve de ce que nous avançons: 
savoir, que ce qu'on est trop souvent porté à prendre 
pour le but de Timitation , ne lest pas , puisque le 
plaisir de cette vérité individuelle n'existe, dans les 
productions de ce temps, qu'à défaut de celui que 
Tart n avoit pas encore eu les moyens de produire. 

Si en effet on veut bien achever le parallèle , on y 
trouvera la démonstration de ce qu on vient d avan- 
cer. Qu à ces ouvBages conçus et exécutés dans l'es- 
prit du portrait qui consiste à rendre ce qui est , tel 
quil est, (je parle de ceux du quinzième siècleVpar 
exemple), on compare les ouvrages du seizième si^le 
(tels que ceux de Michel-Ange, de Raphaël, et de 
leurs écoles), il ne sera pas difficile de prendre une 
idée claire et distincte de Tespècé de plaisir que je 
prétends devoir être le but véritable de l'imitation. 

Que sont ces peintures des premiers temps du 
renouvellement de Fart? Des portraits sans doute 
fidèles des hommes de cette époque. Physionomies , 
attitudes, ajustement, caractère, forme et expression , 



174 ^^ BHT 

tout est Firoage exacte des person nages existants alors , 
d'après la manière d^ètre réelle, la mode des habille* 
ments , des costumes et des accessoires du temps. Eh 
bien ! ces peintures n ont eu pour les contemporains, 
et n ont encore pour nous (à part Tintérèt que Tan-* 
cienneté leur donne), d'autre valeur que celle qui 
appartient à la répétition de ce qu'on voit; Fimpres- 
sion quelles font, n*est autre que celle du portrait 
11 n'y arien de plus à en attendre, et l'imagination la 
plus vive leur demanderoit en vain un autre plaisir. 
Les sujets même d'histoire soit ancienne , soit étran* 
gère au pays, les personnages de quelque siècle ou 
de quelque nation qu'ils soient censés être , assujettis 
à la même localité de costume , à la même réalité de 
portrait , ne sauroient tirer le spectateur de ce point 
de vue borné , et quelques utiles leçons que lartiste 
y puisse recevoir, ces ouvrages nous laissent vides 
d'idées, d'impressions, d'images, d'affections , et de 
désirs. 

Transportons^nous à un siècle de là, devant les 
œuvres de l'art entièrement développé. Quel autre 
monde Raphaël et les grands maîtres de son âgenous 
découvrent ! Que d'idées et d'images qui nous se- 
roient inconnues , si l'imitation n'avoit point atteint 
son but i quel autre genre de vérité et dans quelle autre 
sphère s'est-elle révélée à l'artiste ! quelle nouvelle ma- 
nière de voir la nature , en a pour nous agrandi le 
domaine l GiomUen d'aliments nouveaux pour Vi^ 



I 



DE L^ÎMITATION. 1^5 

magination , d objets de connoissances et d*observa- 
tipns pour le^rit , de suje|g féconds pour la critique 
du goût! quelle source intarissable de plaisirs pour 
Tintelligence et le sentiment! que de créations enfin 
dont nous devons Texistence à cette imitation, non 
pas celle qui se borne à nous montrer ce qui est réel , 
mais celle qui',, à laide de ce qui est, nous montre ce 
qui n^est réellement pas ! 

, Je laisse à porter la même mesure de critique dans 
tous les beaux«-arts , et je me contente d'y faire aper- 
cevoir le même résultat. 

Quelles sont en effet les oeuvres dont la succession 
d^ années et des siècles n a pu encore ni scruter tous 
lesmmtes, ni dénombrer toutes les beautés, ni épui* 
ser ladmiration? Quelles sont les conceptions soit 
épiques , soit dramatiques , dont on reçoit , avec des 
impressions inépuisables , des plaisirs toujours nou- 
veaux ? Quelles sont les productions du ciseau qu^on 
revoit sans cesse, comme si on ne les ayoit jamais 
vues ; parceque lesprit y découvre de quoi y décou- 
vrir toujours? 

Pour moi, je n hésite point à dire que ce sont les 
ouvrages conçus dans ce genre d'imitation dont on 
ne peut pas montrer le modèle. 



176 D.U BUT 



PARAGRAPHE IV. 

• . 

Ce que c'est que Cimitation dont on ne peut pas montrer 
^ le modèle, et ^uel nom on lui donne. 

Le poète y dit Plaute , lorsqu'il se met à composer y 
cherche ce qui n'est nulle part , et cependant il le trouve. 
Qu'est-ce que Plaute entend par chercher, et par trou- 
ver ce qui nest nulle part? 

La réponse à cette question, contient 1 élément 
de notre théorie, sur ce qui est le but de riniita- 
tion. 

On est, je crois, d^accord, diaprés tout ce qui pré- 
cède, que plaire, et par conséquent plaire le plus 
qu^il est possible, est le terme auquel tend l'imitation; 
que le plaisir le plus ^and ne saurait être celui des 
sens, mais bien celui de Tesprit, autrement dit celui 
que procure Tintelligence ou Timag^ination. Or, com- . 
me on le voit , ce qui est Tobjet du plaisir physique ou 
sensuel , est de nature à êtrexencontré en tout temps, 
en tous lieux , par Torgane des sens , et par Tinstinct 
qui le conduit : et ce qui est Tobjet du plaisir moral 

m 

OU intellectuel, ne sauroit être ni cherché ni trouvé 
que par ce sens intérieur qu'on appelle le génie. 



DE l'imitation. 177 

Il y a en effet pour chaque gfenre d art , un modèle 
que Tartistè trouve par-tout, et qu'il n'a point même 
la peine de chercher ; ce modèle est Ja réalité; et on' 
connoit la manière de le reproduire , par une confor- 
mité plus ou moins sensible. Il y a pour le copiste la 
r^Utédes actions: c'est de suivre, par exemple, dans 
leur représentation, sans modification aucune, ou* 
ce queThistoire en rapporte, ou ce que Ton a vu arri- 
ver, et de la manière qu'il est arrivé. Il y a la réalité 
des discours, dont l'imitation consistera dans la co- 
pie, servile des formes banales, du langage familier. 
Il y a la réalité des moeurs et des caractères, dont le 
type et l'emprante peuvent être répétés sans aucun 
des changements , propres à les faîr^ mieux ressor- 
tir. Il y a la réalité des personnes et des physiono- 
mies , don t l'art du portrait nous donne suffisamment 
l'idée. Il y a enfin autant d'espèces de, réalités que 
d'espèces d'objets imitables en chaque genre. Ainsi 11 
y aura en peinture la réalité des sites et^ des points 
de vue, c^Ue des costumes, des formes, des expres- 
sions, etc. Mais j'en ai dit plus qu'il n'en faut pour 
être compris. • . 

On a fait as3^ entendre (voyez paragraphe ii),- 
que le plaisir produit par cette sorte d'imitation qui 
reste dans l'esprit de la réalité, étoit en tout genre le 
plus foible de tous. 

, Il paroit que ce n'étoit pas là le plaisir que Plante 
prétendoit procurer à ses auditeurs ; car il en auroit 

I. ja 



IjS DU BUT 

trouvé le sujet par-tout. Or, it en cherdioit un 
dont le sujet et Tobjet n'étoient nulle part. Qu'est-ce 
à dire? Le voici , cest qu^il se donnoit pour modèle 
en composant ses pièces de théâtre , une action dont 
les éléments et les détails tous vraisemblables , ne se 
pou voient trouver nulle part réunis dans un fstii vrai 
et réel: cest-à-dire quil mettoit dans la bouche de 
ses acteurs des discours conformes à leur situation 
convenue , discours dont il n avoit dû la vérité h 
personne , mais bien à une observation générale du 
langage expressif des affections de Famé : c'est-à-dire 
qu'il mettoit ei^ jeu et en opposition dans les ressorts 
de sa fable 9 des caractères dont la physionomie n'é- 
toit celle xl^aucun particulier; qull donnoit enfin 
1 être à des personnages que tout le monde croyoit re;- 
connoitre, et dont nul n^aui^oit pu montrer en réa- 
lité loriginal , original inconnu au poëte lui-^mème. 

Le poëte a donc eu raison de dire que ce quil 
cherchoit, nexistoit nulle part. C'est ce qn^on peut 
dire de toute invention ; et voilà peut-être la jpeiUeure 
distinction à faire entre les mots inventer et trouver. 
Ce qui existe peut se trouver. On n'invente que ce qui 
n existe pas. 

11 pourroit y avoir peu de justice à presser d^une 
argumentation trop gramipiaticale cette sorte de sy- 
nonymie , qui repose sur une notion de goût qua le 
sentiment ne doit se flatter de faire entendre quau 
sentiment. Quoiqu'on puisse objecter, qu VnMnffr, 



DE l'imitation. 179 

au sens simple , signifiant la même chose que trou'- 
ver y ce qui est lobjet de la recherche, doit de toute 
nécessité être quelque part, je nen persiste pas 
moins à prétendre que si Ion veut ^e rendre compte 
de la chose cherchée par le poëte, on peut encore 
laisser à ses paroles la rigueur de leur sens littéral. 

En efiet , ce qu'il cherche, cest une action où tout 
concoure vers un but, à laquelle se mêlent des in- 
térêts et des discours conformes au sujet, dont les 
personnages soient placés dans des situations propres 
à exciter la curiosité, où les caractères trouvent des 
oppositions qui les fassent valoir, où toutes les cir- 
constances, tous les incidents, se mêlant sans se 
confondre, entretiennent la variété, et produisent 
Tunité dUmpression , dont il s est proposéTeffet. 

Eh bien, cest ce tout, c'est cet ensemble de res« 
soVts , c est ce concei*t harmonieux de rapports ^ que 
la nature ne lui présentera jamais, dont il attendroit 
vainement d'elle un modèle complet et en toute réa- 
lité , et qui n existe nulle part. Voilà cependant ce qu'il 
trouve. Quodnus quam est gentium, reperit tamen. 

Et ce qu'il trouve ainsi , ce n'est pas un de ces êtres 
capricieux , fruits d'une imagination déréglée et que 
Ion range dans la classe des rêves ou des monstres. 
Ce qu'il trouve, non seulement n'est pas hors des 
lois de la nature, mais en est au contraire l'esprit 
<t le sommaire : car ce que chacun prend ordinaire- 
ment pour la nature^ est fort loin de répondre à ce 



la. 



i8o ou BUt 

nom , dès quHl faut entendre par là , non tout ce quf 
est comme il est, mais ce qui est tel qu^il peut ou doit 
être. Taiit de choses, ainsi quon le dira par la suite, 
existent dans la nature comme exceptions à ses lois* 
générales, quon est forcé de convenir que tout ce 
qu elle produit en détail , n est pas toujours lexpres- 
sion fidèle et entière de sa volonté ; en sorte que Té- 
tude de la nature en fait d'imitation, consiste moins 
dans la recherche particulière d^une réalité indivi- 
duelle et stérile , que dans lobservation des-prîncipes 
féconds d^un modèle idéal et généralisé. 

Or, il faut dire ici d'avance ( voyez ci-après , para- 
graphe VI ), que ce que l'artiste doit chercher, il ne 
le trouve que dans ce modèle général qui n'est véri- 
tablement nulle part , en tant qu il est général. Ce qui 
est individuel et particulier peut se trouver par-tout, 
et toujours se montrer aux sens; mais on ne sauroit 
saisir qu'avec la pensée ou l'action de lesprit , l'uni- 
versel et le génëraL 

Ce général, en fait d'imitation ne peut être défini 
que par l'intelligence , et ne peut être imité que par 
le génie. 

Et voilà le mot de lenigme de Plante. C'est que, 
dans tout art , ce qui est du domaine de Fintelligence , 
du sentiment ^t du génie, ^n'existe réellement nulle 
part, n'a ni corps, ni lieu, nest tributaire d aucun 
sens ; et celui qui le trouve ne sauroit indiquer t>ù il 
en a vu le modèle. 



I 



DE l'imitation. l8l 

Ce que le génie trouve, et qu on appelle invention ^ 
il nous le montre tout trouvé dans ses ouvrages , 
mais il ne nous enseigne point à le découvrir; autre^ 
ment le génie s^enseigneroit. La seule chose que nous 
puissions faire, c'est de deviner sa route, en épiant 
ses pas , et d'établir sur l'analyse de ses effets la théo- 
rie systématique de Timitation. 
. Car remarquons que ce que le poète nous a dit de 
l'opération mystérieuse de son esprit dans ses in yen: 
tions, tout autre artiste nou$ le dira lui-même, ou 
nous rapprendra par les œuvres de son génie. 

Si l'on demandera Phidias où il a trouvé la grande 
conception et le caractère sublime de son Jupiter, il 
vous répond de même nulle part. Car qu'est-ce que 
ce modèle renfermé , dit-il , dans les deux vers d'Ho- 
mère? Et s'il y étoit ou s il y est, pourquoi d'autres 
avant et depuis Phidias , ne l'y ont'-ils pas vu. 

Si Zeuxis fait de son Hélène une beauté accomplie , 
ou nous raconte qu on lui avoit procuré cinq des 
plus belles femmes delà ville. Admettons ce fak. Quoi 
donc, un de ces modèles de moins ou tout autre à 
leur place ^ lHéléne n'eût pas été un ouvrage achevé? 
Et pourquoi tant d'autres pdntres, avec les mêmes 
moyens, n ont-ils pu avant et depuis 2euxis , arriver 
à la même beauté? Ils n'avoient pas le même génie, 
dira-t-oh. Qu'est-ce donc alors qu un modèle en réa^ 
Uté , s'il faut encore le génie pour Fimiter ? Qui nous 
dira si c est le modèle qui fait voir l'iniage de lâf beauté 



l82 DU BUT 

au génie , ou si c^est le génie qui voit sa propre idée 
dans le modèle. 

Non , ce que cherche et ce que trouve le génie de 
lartiste, n'est nulle part. En veut-on la preuve dans 
un fait quon ne sauroit contester ? Posez dans Tinii- 
tation du corps humain, le modèle qu il vous plaira 
choisir. Soumettez-le à la copie la plus exacte de tous 
les dessinateurs dii monde. Eh bien ! vous aurez au- 
tant de différences dans les copies, quil y aura de 
copistes. Preuve certaine qu'outre le modèle local et 
individuel que chacun contemple , chacun en a en- 
core un autre en soi , qu'il consulte et qu il imite. 

Qu'est-ce donc enfin qu'on cherche et qu'on trouve, 
quoiqu'il n existe nulle part ? 

Ce ne peut être qu'une chose dont lexistence sera 
immatérielle. Ce ne peut être que cette idée du vrai, 
du beau , du convenable , du parfait, dont la nature 
fournit sans doute les éléments à llmitateur, mais 
qu'elle ne peut lui présenter réalisée ^ comn»e type 
complet pour l'imitation, parceque la nature, ainsi 
qu on le redira , n'a rien fait en vue de l'imitation. 

Ce ne peut être , en chaque genre, que Timage d^un 
tout, dont le génie découvre lès éléments, les coor- 
donne, les perfectionne par letude, la science et l'ob- 
servation , au gré et dans les intérêts de l'imitation ; 
c'est-à-dire dans, le dessein de porter l'ouvrage fS\rt an 
seul point, à ce degré de perfection généralisée qui 
puisse délier le modèle individuel de la nature. 



► DE l'imitation. i83 

Il y a donc une manière d'imiter la nature partielle- 
ment dans un modèle qui est partout. C'est celle d'où 
résulte uniquement le plaisir que les sens trouvent 
à des ressemblances qui ne s élèvent point au-dessus 
de la réalité des objets. C'est cette imitation qui donne 
à l'esprit le moins de travail qu'il est possible pour 
juger, qui laisse l'imagipation oisive, où le sentiment 
a peu de part, le raisonnement peu d'exercice , qui a 
pour partisans le vulgaire , et le plus grand nombre 
de ceux , chez lesquels l'organe extérieur est seul à re- 
cevoir les impressions des arts. 

Et il y a une manière d'imiter la nature dans ce 
quelle a de général, cW-à-dire dans. ce modèle qui 
n'est ni local ni individuel, qu on ne saisit en aucun 
lieu séparé, ni en entier sur aucun objet distinct, 
parcequ'il réside dans la région supérieure et invi- 
sible des principes , des causes , et de cette raison in- 
telligente , véritable source de tous les effets qui 
agissent sur les facultés de notre ame. 

Cest cette imitation dont l€s oeuvres ne sont Ti- 
mage d'aucun objet, qu'on puisse dire réel, puis- 
^'elle se forme par les études de l'artiste, et se ma- 
jûfeste dans ses productions, à l'aide d'un ensemble 
d'idées, de formes, de rapport^, de perfections qu au^ 
cune réalité ne pourroit nous montrer réunies aur 
un seul être, en un seul sujet. 

Cest enfin cette imitation qui ne se conçoit qu'en 
et que l'on appelle idéale. 



l84 DU BUT 

Ainsi semble s'établir entre les notions déjà déve^ 
loppées, et celles qiii en seront la conséquence, une 
concordance tellement réciproque qu'elles pourront 
se- servir respectivement de preuves. Si d'une part, 
ce qu'on a reconnu comme corollaire de la théorie 
sur la nature àe l'imitation (savoir que le plaisir 
quelle doniie, e»t en raisoif de la distance qui. la 
sépare de la réalité) nous a conduit à regarder Fi- 
déal comme devant produire le plus haut degré de 
plaisir, et dès-lors être le but définitif des* beaux 
arts, d autre part^ ce que nous serons forcés à recon- 
noitre de supériorité dans le plaisir de l'image idéale, 
nous confirmera la vérité du corollaire précédent. 

S * ' 

PARAGRAPHE V. 

De CidéaL-r- Définition de ce mot. — Du sens quon 

doit y attacher, 

' Op entend et l'on interprète souvent d'une ma- 
nière aussi incomplète qu'abusive le mot iV/ea/, sur- 
tout dans lapplication qu on en fait aux arts d'imi- 
tation corporelle, c'est-à-dire à ceux dont le modèle 
appartient en partie^ et semble à quelques uns appar* 
tenir en entier , au règne de la matière. 
Jje mot idéal étant formé du mot idée^ qui exprime 



DE l'imitation. i85 

sans doute ce qu^il y a de moins matériel , on sïma- 
^ne qu'il ne doit jamais se trouver associé aux mots 
qiy désignent , soit les corps, soit leurs images : comme 
si limitation des corps n'embrassoit que des rapports 
matériels: comme si les propriétés et les qualités de 
ces corps ne tenoient pas par phis d'un point à un 
<H*dre moral et intellectuel ; comme si leurs impres- 
sions étoiont de nature à ne pouvoir s'adresser qu'au 
sens externe. 

' Les acceptions diverses du mot idéal, nont pas 
laissé aussi que de jeter quelque confusion dans ce 
sujet. On prend e£Eectivemedt parfois ce mot, daiis 
le sens dHmaginaire , de chimérique; et comme, en 
tout genre, il se donne , ainsi que chacun sait, de ces 
productions inventées parle caprice, badinages d'une 
imagination fsintastique , et auxquelles on applique 
le nom d'idéal , ce nom parolt à plusieurs synonyme 
de tout ce qui est faux ou contre nature. 

Par une inconséquence assez étrange, ceux qui re- 
poussent de la théorie des arts du dessin , la notion 
de Tidéal, ne font aucune difficulté d'associer ce mot 
à celui de beau ou de beauté. Ainsi tout le monde 
s'accorde à dire le beau idéal. Si cependant idéal de- 
voit signifier quelque chose qui fût ou contre nature, 
ou hors de la nature, le beau qu'on appelle ainsi,' 
ne seroit donc ni vrai ni naturel , ce que personne 
sans>doute n'entend et ne veut faire entendre. Mais 
s'il y a quelque chose qui soit conforme à la nature 
et à la vérité , et qu'il soit permis d'appeler idéal , je 



l86 DU BUT 

demanderai pourquoi ce seroit le privilège du beau. 
( Voyez plus bas à la fin de ce paragraphe. ) . 

Il est clair qu il y a malentendu dans tout ced^ 

Uétymolbgie , en nous indiquant la formation des 
mots , ne donne pas toujours la clef de leur vraie si- 
gnification : cependant lorsqu^un nu>t porte avec soi 
d'une manière sensible, Tempreinte du type qui Fa 
formé, il est diffipilede se méprendre sur son sens 
propre, et sur la notion qu'il exprime. 

IdécU Q^est pas, à proprement parler, un. mot for- 
mé d'un autre. C'est ladjectif d'idée. Ainsi la manière 
d'entendre le substantif, nous donnera celle dexpli* 
quer son adjectif. Idée venue du latin idea et du grec 
•blbc ne veut dire autre chose qu'image. Ces deux mots 
expriment l'un et l'autre , et sou ven t indistinctènoMit ^ 
les notions des choses qui se gravent dans notre es^ 
prit ( car il a fallu emprunter à la matière de quoi 
exprimer lopération la plus immatérielle). Les mots 
idée et image étant synonymes , quelques métaphysi- 
ciens ont proposé d'en déterminer la variété , en ap« 
pliquant le mot idée aux notions des objets intellec-* 
tuels , et te mot image aux notions des objets corpo- 
rek. Mais cette distinction ne se rapporteroit qu'à 
l'objet des notions y et non à la foculté de ks rece- 
voir. 

Idéal est done l'adjectif dont on se sert pour dési- 
gner et caractériser, soit les notions qui existent déns 
l'espsit ou l'eBlendement , sait ks ouvrages dans les- 



DE l'imitation. 187 

quels semble être entrée plus particulièrement , ou 
Topération de l'esprit , ou l'emploi des moyens intel- 
lectuels j5roprés à faire naître des impressions autres 
que- celle du sens physique. 

De quelque manière qu on explique la formation 
des idées (et je déclare ne pas prétendre effleurer 
même cettequestion) tout le monde est d'accord que, 
Tesprit de chacun reçoit de chaque objet, de chaque 
genre d objets , ou de rapports d objets , des notions ou 
ce qu'on appelle des idées fort différentes , selon les 
fecultés morales des individus , et l'on est d'accord 
aussi, queselon la diversité des facu Ités physiques, l'im- 
pression des sens produit dans l'esprit de chacun , des 
images fort difierentes du même objet , ou du même 
genre soit d'objets soit de rapports. 

Nous reconnoissôns donc deux principes d'action 
divers dani la formation des idées: cehii de l'esprit, 
et celui des sens. 

Nous reconnoissôns aussi et par le raisonnement 
et par l'expérience, que certains hommes reçoivent 
autrement que d'autres, les impressions des objets, 
les reçoivent avec plus ou moins de force ou de vi- 
vacité, de légèreté ou d'étendue ; que ces impressions 
produisent chez les uns plus que chez les autres , des 
rapprochements nombreux , variés ^ simples, com- 
posés, source de ces combinaisons auxquelles, selon 
le genre e^la nature des ouvrages qui en résultent, 
on donne des noms différentt. 



l88 DU BUT , 

Il n y a personne qui ne sok à même de recon- 
noitre que selon la mesure des facultés de chacun , 
le même objet, dans quelque région physique ou mo- 
rale qu'il réside, va être envisagé par Tun sous un 
point de vue borné , par Taùtre sous un aspect étendu , 
et sous les rapports les plus variés. 

Que le même fait soit vu et raconté par deux 
hommes d'une intelligence diverse , on a peine à con* 
cevoir la difiPérence des deux récits. Cest que Fhomme 
borné n'a vu dans Faction , que ce qui en est le ma-» 
tériel , et Fautre a saisi dans les circonstances du fait, 
et dans le rapprochement des effets avec leurs causes , 
ce qui attache Fesprit, ce qui excite la curiosité et 
soutient Fintérèt. Il y aura de la vérité dans Fun et 
Fautre récit. Mais la vérité de Fun bornée à la forme 
extérieure de Faction, est stérile. La vérité de Fautre 
sera féconde en impressions, comme la source d'où 
elle émane. 

Ceci nous montre la différence des ouvrages où 
domine le principe daction de Fesprit et de l'intel- 
ligence, davec ceux où il manque; et ces oui^rages 
à>leur tour nous font comprendre par leurs effets, 
la différence des deux manières de recevoir les impres- 
sions des choses , et des deux facultés d'en produire les 
images. 

Il est fort naturel que l'ouvrage qui émane de la 
faculté de recevoir un grand nombre d'idées, de les 
élaborer sous le plus grand nombre de rapports , et 



DE l'imitation. iS^ 

ftous les rapports les plus étendus, que cet ouvrage 
mis en opposition avec celui que produit la faculté 
bornée à la simple réalité des choses, ait été appelé 
du nom qui exprime les éléments dont il se compose, 
c'est-à-dire les idées ou les images par excellence. Car 
quoiqu'il y ait , à proprement parler, idée dans tout 
ouvrage d'art, on appelle ouvrage sans idée , et par 
suite , artiste dépourvu d'idées , l'ouvrage et l'artiste 
qui ne produisent que des impressions foibles , com- 
munes et bornées dans un très petit cercle. On ap- 
' pelle au contraire homme riche d'idées , ouvrage fort 
d'idéÇj composition pleine dldées , l'homme , l'ou- 
vrage , la conception , qui se font remarquer par la 
puissanlDe de lesprit et de la faculté morale. 

Et comme idée, selon la définition métaphysique 
du mot, ^t la notion gravée dans l'esprit, tc/éa/ ap- 
pliqué aux œuvres de Fimitation, Résigne la qualité 
caractéristique de l'ouvrage , en tant que produit par 
le principe des notions qui appartiennent au travail 
de l'eisprit et de l'intelligence. 

La liaison de nos sens et de notre esprit est telle, 
et telle est la connexion qui existe entre les ope- 
rations de l'une et de l'autre de ces facultés, que 
la raison humaine doit renoncer à en expliquer le 
mystère. Mais la théorie des beaux arts 'ti'a pas be- 
soin de cette solution; il lui suffit de reconnoitre' ce 
double fait, qu'il y a une action propre des sens, et 
une qui est propre de Tesprit , dans la formation des 



igo DD BUT 

idées. Dès-lors , en laissant de côté toute question sur 
Forigine des idées , notre théorie d'accord avec le 
langajge, qui est une sorte de raison* universelle , re^ 
connoit, dans les œuvres de Timitation , comme dans 
la double faculté dont le concours leur est nécessaire ^ 
deux esépces de qualités qui les divisent en deux 
classes. 

Les ouvrages dé la première classe , produits par- 
ticulièrement par Faction des sens, ont pour modèle 
positif et exclusif l'œuvre individuel de la nature, et 
il est de Tessence de cette manière d'imiter, de se con- 
former à ce qu'elle prend pour son modèle , sans pré- 
tendre y rien ajouter, en rien retrancher, y rien chan- 
ger. C'est Fimitation dans le monde des réalités. 

Les ouvrages de la seconde classe sont spéciale^ 
ment le produit de cette faculté de rintelligence^ qui 
leur donne pour modèle , non seulement ce que le 
sens extérieur voit dans la réalité, mais ce qui ne 
peut être découvert que par cet organe scrutateur 
des causes et des raisons de la nature , dans la for- 
mation des choses et des êtres. Comme un semblable 
modèle n'existe matériellement nulle part, et que 
l'esprit qui le copie est aussi celui qui le découvre, 
on a donné £|ux ouvrages qui en sont le résultat ^ les 
noms de création, d'invention. C'est Fimitation dans 
le monde des idées. C'est [imitation idéale. 

Ainsi idéal signifiera ce qui est composé , formé, 
exécuté ^ans l'imitation des beaux-artS , par la vertu 



DE L*IMITATION. 191 

de cette fiiculté qu^a Thomme, de concevoir en e$^ 
prit, et de réaliser ce qu^il a conçu, cesl^-dire un 
tout tel que la nature ne le lui présentera jamais en 
réalité. 

Il est £acile de voir maintenant, combien on a tort 
d^appliquer la notion de Tidéal ( comme on a trop 
Tusage de le faire dans les arts du dessin ), uniquement 
aux ouvrages qui comportent limitation du beau , 
j^entends de la beauté corporelle bornée, soit aux 
figures juvéniles, soit aux figures de femme. L'idée 
de beau ou de beauté, ainsi restreinte, resserreroit Fi- 
déal dans un cercle trop étroit. Il y a une sorte de 
beau corporel qui appartient à tous les âges , même 
les plus éloignés de celui où brille le charme de la 
beauté vulgairement entendue. L'usage de toutes les 
langues le prouve. On dit un beau vieillard, comme on 
dit un beau jeune homme. GTest que Tidée de beauté se 
compose de celle de la perfection, propre à chaque 
chose, à chaque être; cest pourquoi chaque espèce 
d'objets, chaque sorte de qualité pouvant avoir sa 
perfet:tioQ , peut aussiavoir son idéal. La laideur aura 
le sien comme la beauté; un satyre dans louvrage de 
lart , comme une Vénus. On peut feire de Thorrible 
idéal. Le Satan du paradis perdu est du genre le plus 
idéal qu'on puisse concevoir ; mais son caractère n'est 
pas de ce beau idéal corporel que Fimagination joiiyt 
à la jeunesse , quand elle veut se figurer ou représen- 
ter un ange. Il y a de même en poésie un idéal pour 



19^ DU BUT 

toutes les qualités les plus opposées entre elles. S^il j 
a Tidéaldu courag^edans Achille , Thersite nous offK 
Tidéal de la lâcheté. * /. 

PARAGRAPHE VI. 

Que limitation idéale procède d'une étude généralisée de 

la nature. 

Entre toutes les idées ou notions qui se forment 
dans notre esprit, une des ^ premières, des plus fa- 
ciles à recevoir, et dont Tapplication a le plus d em- 
ploi, est, sans doute,. celle qu'on désigne par le mot 
individualité. On ne sauroit dire la même chose de 
ridée ou notion opposée , celle de généralité. . 
. Comme Tœil commence à voir par détails , avant 
d'embrasser Tensemble , ainsi Tesprit dans ses opéra** 
tions particularise avant de généraliser. Ce qui a lieu 
dans le travail habituel de Tintelligence d'un homme, 
est arrivé en grand dans les travaux successifs de l'es- 
prit humain. C'est ainsi que peu-à-peu et par degrés, 
le travail de l'imitation , en tout genre , s'est élevé de 
l'observation particulière à la cojQnoissance générale , 
et du simple au composé. 

« Ceci semble exiger une explication :..car on pour- 
roit croire que le simple doit ici se trouver dans. le 
général qui produit l'ensemble., et que le composé 



DE l'imitation. igS 

doit appartenir à ce qui est détails. L explication est 
dans les mots çux-mêmes. Or, nous ne parlons point 
ici de Touvrage, mais uniquement du travail de Timi- 
tation , de Topération de Tesprit. Il est certain que 
le premier procédé de cette opération , qui est celui 
de FinStinct, sadresse toujours dans le travail de 
Fimitation , à ce qui est partiel ou individuel, et dès- 
lors se renferme dans le cercle le plus étroit ; c'est pour 
cela que Tidée de simple s'y applique. Dès-lors Tidée 
de composé convient à ce travail de Tesprit et de Tin- 
telligence qui embrasse les grands rapports des ob-l 
jets, et leurs points de vue les plus étendus, travail 
d où résulte Timitation généralisée. 

Il n'est point nécessaire d'aller se perdre dans là 
nuit des temps , pour apprendre comment a com^ 
mencé l'imitation. Des essais divers ont pu établir, 
selon les pays, quelques difiBérences dans son point 
de départ , et dans la direction de sa marcbe ; et nous 
le ferons remarquer sur-tout pour Fart chez lés Grecs 
(voyez ci -dessous paragraphe x); mais cet exposé 
historique de la cause originaire, qui constitua sur 
l'idéal le système imitatif de la Grèce, ne contredira 
point ce qu^on avance ici de la marche naturelle de 
Fesprit, dans ce travail d'observations successives pro- 
cédant du particulier au général, et dont plus d^un 
ouvrage grec nous montre également les effets. 

Au reste ces effets se manifestent journellement 
sous nos yeux, dans les travaux des élèves et des 

1. i3 



194 ^^ Bur 

eommençants. Il est certain qu en grand , ôômiïne en 
petit, et à quelque point dVibservationqu on se place, 
on remarquera que Tiniitaleur prend d abord pour 
modèle , Tindividuel ou le partiel. Son premier, son 
unique soin est, àTépoquedonton parle, de rendre le 
résultat de son imitation , lé plus semblable qu'il est 
possible à son original, sans s'inquiéter qu songera 
s'informer de ce que cet original pourroit avoir de 
défectueux ou d'imparfait. 

Effectivement , juger des qualités et des défeuts de 
Findividu, ou du modèle particulier, exigé et fait 
supposer la connoissance du genre , Ou du modèle 
général. Or, cette connoissance n'arrive qu'à la suite 
de nombreuses comparaisons, toujours dues à une 
expérience néces«ai(«ment tardive. 

En suivant , soit par le raisonnement , soit dans les 
exemples, la marche des opérations de l'esprit * on 
comprend que cette expérience , acquise enfin par le 
parallèle d un grand nombre de modèles , dut laire 
apercevoir à l'imitateur. 

Que rextréme fidélité à rendre la réalité d'un seul 
modèle, pourroit bien n'être qu une ^ilrème infidé^ 
Uté envers la nature ; 

Que la nature n'a voit pu destina ni préparer a^- 
cun êtra en tant qu'individu , aiicune chose en par- 
ticulier , à servir les intérêts de l'imitation ; 

Que dans lorganisation des créatures et la direc- 
tion des cfaosfss humaines , l'ordonnateur Mxprème 



DE L'iMITATIOff. 19^ 

aToii dû avoir d autres points de vue , que ceux qui 
se rappprteut à Tëtude ou aux besoim de Tart ; 

Que dès-lori Tartiste devoit chercher la régie dl- 
mitation de la nature , et le principe de la perfection 
à laquelle il aspire , non dans le détail toujours va- 
riable de la créature individuelle, subordonné^ à 
lanc de conditions étrangères au but de lart, mats 
bien dans lensemUe du système , ou du type original 
de la création, que la vue bornée des sens est ino^ 
pable dé saisir. 

Dès que la ccmnoissapce des moyens propres de 
Fart, et des lois de la nature, dans la production res- 
pective de leurs ouvrages , eut appris à bien difioer-* 
ner le particulier du général , à voir Je premier par 
le second , et dans le second , c^est-*à-dire a rapporter 
Tépreuvé individuelle à son type originaire , Fidéal 
prit naissance. 

Il fut par conséquent reconnu que dans la région 
matérielle ou celle des corps, aucun individu ne 
pouvoit réunir lensemble de perfections extérieures 
qui se rapportent à chacune de ses parties , et que la 
nature s^est plu à distiîhuer plus ou moipf inégale* 
ment entre tous. (Voyez le paragraphe suivant. ) U 
fut reconnu que dans la région morale, on attîen- 
droit aussi inutilement d'un seul carictère , Tuni* 
versalité des qualités dont notre esprit peut se for- 
mer ridée , qu^on cfaercfaeroit ra vain dan^ un seul 

homme , le composé par£akit de tous les mérites dpnt 

i3. 



igG DU BUT 

chacun est diversement pourvu. Il fut reconnu que 
dans le cours naturel des choses, les sujets d^action 
historique propres à Timitation poétique, ne peuvent 
jamais se présenter au poète, avec cet accord de cir- 
constances, et cet ensemble de conditions néces* 
saires à lefifet que Fart du poète est tenu de produire. 
On comprit enfin que k nature n ayant point à don- 
ner à rimitation , et ne lui devant point un modèle 
^prfait et complet dans le sen^ de Tart, c^étoit au 
génie de lartiste à compléter lui-même, par une 
savante combinaison , les qualités du modèle parti- 
culier. 

Voilà ce que fit le véritable imitateur: et il ne put 
le faire, qu^en généralisant, par une observation 
étendue, Tétudede la nature, et en la réduisant en 
système. Or, ce système n est autre chose que le type 
idéal de Timitation , type formé non sur tel ou tel 
ouvrage isolé de la nature , mais sur la généralité 
des lois et des raisons qui se manifestent dans Funi- 
versalité de ses œuvres. 

Ce ne fut donc plus Touvrage particulier, mais la 
raison générale du suprême Ouvrier, qui devint le 
vrai régulateur des opérations de Fart, et voilà com- 
ment Fimitation idéale doit passer pour être, par ex- 
cellence, Finfttation de la nature. Si on passe pour 
Fimiter, lorsqu'on ne fait que se régler sur une de ces 
productions partielles , qui ne son t sou vent que des dé- 
viationsdeson plan, ne Fimite-t-on pas beaucoup plus^ 



DE l'imitation. 197 

et beaucoup mieux , en s^appropriant le principe 
même de ses lois, et en 1 étudiant dans Tensemble de 
Tordre universel où elles sont gravées? 

On conçoit que dans ce nouveau cours detudes 
imitatives , Tesprit de Thomme dut rechercher, non 
pas seulement, si telle ou telle production de la na- 
ture platt, mais encore pôurqudi elle plait. Il fut né- 
cessaire d'interroger la cause de ce plaisir, soit dans 
la corrélation de nos sensations avec chacun des ob- 
jets créés, soit dans la conformité de leurs propriétés, 
avec la fin principale qui leur est affectée. 

Mais la nature , comme on le dira par la suite avec 
plus de détail, en donnant à ses créatures une mul- 
titude de fonctions diverses, na point pu se propo- 
ser pour fin, ni unique ,^ ni même principale, celle 
de nous plaire, dans le sens où nous entendons le 
plaisir qui résulte de Timitation. Ce fut au contraire 
en concentrant tous ses moyens sur ce seul point , en 
les dirigeant vers ce but unique, que lart devint 
en quelque sorte rival de la nature. 

Avant d entrer plus avant dans la recherche de la 
notion de Tidéal , et d'en faire connoitre plus particu- 
lièrement le principe, c'est-à-dire avant d'indiquer à 
l'intelligence les routes que parcourt le génie pour y 
arriver, j'ai eu besoin de détruire les fausses impres- 
sions que le mot d'idéal fait naître dans l'esprit de 
plusieurs , et de combattre les conséquences abusives 
que le malentendu de cette notion , induit à en tirer, 



198 DU ÉUt 

toit ceux qui interprètent le mot dans un sens trop 
rétréci) soit ceux qui n'apportant à cette sorte de 
critique, que les lueurs de Timaginatiôn , se refusent 
à toute analyse théorique en matière de goût et de 
sentiment. 

Ces derniers sont sur^tout ceux qui , considérant 
ridéal sous le rapport borné de *ce qu'ils appellent 
le beau , voudroient non qu'on leur dise ce que c'est, 
mais qu'on leur enseignât le moyen pratique de le 
produire. Or, cette notion pratique ne sauroit étte 
communiquée par aucune autre voie que par celle 
des exemples. C'est dire assez qu'elle est hors du pou- 
voir de l'écrivain. 

On n'a pu avoir ici cf autre objet , que de faire con- 
nôitre l'idéal dans son principe et dans ses effets , 
comme étant le terme définitif des efforts de l'art, et 
le véritable but de l'imitation. 



DE L'HilTATIOn. I99 



« 

PARAGRAPHE VU. 



De f infériorité . des ouvrages de Cart comparés à ceux 
de la nature y s^it n*a recours au modèle idéal de 
l'imitation. 



La méprise où Ton tombe sur la notion de Fidéal 
dans Timitation, dérive d'une autre méprise trop 
commune sur le sens qu'il faut donner au mot no^ 
iure. 

Tout ce qui existe , sans doute existe dans la naturf » 
qui est le tout; mais la nature, pour rimitation^ 
n'existe pas réciproquement dans chaque objet. £11^ 
n'y existe pas plus que le tout dans sa partie. Ceft 
cependant sur cette confusion d'idées que se fondent 
certaines mani^*es de voir, de raisonner, et de seqtir. 
Cet objet, dit- on , cet être , cet individu^ sont dans la 
nature: donc ce sont des objets naturels, donc ei) 
imitant un objet naturel, j'imite la nature. Voilà le 
raisonnement qu'on &it. Si on l'applique par exemple 
aux arts du dessin « il est constant que toute imita^ 
tion produite en vertu de ce raisonnement, 9^n l'imi- 
tation d'un individu. 



/ 200 DU BUT 

^ Mais nous avons déjà dit , et tout le monde le sait , 
que la nature (lorsqu'on se rend compte de tout ce 
qui est entré dans ses desseins) ne s Y étoit nullement 
proposé de créer à Timitation que.Thomme pourroit 
fiaire de ses ouvrages, des modèles parfaits pour Tart. 
U seroit par trop ridicule de penser quelle ait jamais 
visé à ce point. Tout d ailleurs nous apprend le conr 
traire. La seule diversité apparente des qualités phy- 
siques entre les créatures , et de leurs conformations 
extérieures, nous démontre que la nature ayant pour 
fins principales la procréation ou la reproduction, 
et la conservation des êtres, a subordonne cette 
double fin à des moyens équivalents , et dont la pro- 
digieuse efficacité ne s*est jamais démentie. Cette im: 
mense élaboration, elle Ta soumise à des principes 
d action perpétuels , inaltérables , mais aussi à une 
multitude de ressorts secondaires , qui agissent dans 
le sens général de sa volonté, ou de sa régie, et pro- 
duisent toutefois un nombre infini de divergences^, 
lesquelles sont probablement entrées dans Fordon- 
nance à nous inconnue de son dessein. 

G est en étudiant la nature, non point partielle- 
ment et en détail , mais dans Tensemble de ses plans, 

« 

que nous parvenons à reconnoitre ce qui est, ou non , 
conforme à ses lois générales, que pénétrant le secret 
de ses intentions , nous saisissons à-la-fois , et le prin- 
cipe d ordre qui domine tout le système de la créa- 



i 



DE l'imitation. 201 

tion ^ et les raisons des irr^ularités qu'on remarque • 
dans. les créatures. 

Or, les irrégularités dont on parle , sont com- 
munes à tous les genres d'ouvrages de la nature. 

« Dans ce qui concerne les corps organisés (dit un écri- 
« vain moderne (i ), la nature semble mépriser les in- 
u dividuSy et n'accorder sa protection quà [espèce, n Les . 
individus doivent donc être pour nous des moyens 
d'étudiée l'espèce ; et c'est par l'espèce qu'il faut ap- 
prendre à rectifier l'individu. Que feroit lartiste.qui 
se borneroit à imiter un individu? Il y poùrroit trou- 
ver quelque chose, de la nature, mais point la nature. 
Car la nature , en fait d'organisation des corps , en a 
subordonné la génération à une multitude de causes 
secondaires , qui ne sauroient produire l'expression 
entière de sa volonté, en sorte qu il faut souvent re- 
garder Tindividu dans son rapport avec l'espèce, 
comme lexception qui ne sert toutefois qu à confir- 
mer la règle. 

Mais, dira l'imitateur, l'individu que j'imite, je 
ne. l'ai pas pris au hasard. J'ai d abord écarté dans 
le choix que j'ai fût, tous les individus difformes ou 
mal conformés; ensuite j'ai pris pour modèle celui 
qui m'a semblé le mieux fait. 

Eh bien ! lui répondrai-je , vous avez donc reconnu 



(i) M. Say., \£conom. polit. y fom. II, pa||[. i43< 



à 



101 DU BUT 

que la nature dont vous vôu» proposez Hmitation , 
n existe pas dans tout individu , quoique cet indi* 
vidu soit naturel. Puisque vous choisissez un entre 
plusieurs, c'est apparemment en vertu de quelque 
règle qui vous dirige. Oui , dites-vous , j'ai comparé , 
j ai rapproché plusieurs modèles , la comparaison a 
été mon régulateur. Mais; répondrai-je encore, vous 
ne faites que redire la même chose en d'autres mots. 
Vous avez comparé, et vous avez jugé, voilS tout. Ce 
que je demande, cest d'où vous avez tiré la règle de 
votre jugement. Tous êtes forcé de dire que c'est du 
raisonnement et du sentiment. C'est cela même, et 
efiectivemént y a t-il d'autre juge et d'autre régula- 
teur de nos jugements sur les oeuvres de la nature , 
que le sentiment du beau , guidé par l'expérience de 
ce qui est utile, c'est-à-dire par le raisonnement^ le- 
quel nous fiait discerner dans chaque objet de la créa* 
tion , en quoi il se rapproche , en quoi il s'éloigne du 
dessin originel de la nature , de ce type dont chaque 
créature porte l'empreinte , quoique la perfection de 
cette empreinte y soit plus ou moins altérée en détail 
par les causes secondes? 

Si Ion est forcé den venir à ce résultat, je dirai 
que ce résultat n est autre chose que le principe théo* 
rique de Tidéal dans Timitation. 

Mais ce dont il faut encore dissuader le plus grand 
nombre des hommes , c'est qu il y ait et qu'il puisse 
y avoir une seule créature parfaite ; qu'on puisse ja- 



«A»_.-i 



DE l'imitation. 2o3 

mais rencontrer un individu capable d offrir à Tart 
un modèle entièrement conforme à ce que Fart doit 
se proposer. 

C'est que dans la vérité la nature et Fart ont une 
fin différente, et que, considérée sous le rapport de 
cette fin , leur perfection respective n'est pas la même. 

Sans doute c'est bien par les oeuvres de la nature, 
que nous pouvons concevoir, et que Fart peut réa- 
liser dans ses productions^ les idées d'ordre, d'har- 
monie, de proportion, de régularité, qui sont les élé- 
ments du beau , éléments dont Fimitation doit faire 
la combinaison. Mais il paroit que pour parvenir à 
ses fins, et pour faire remplir à ses créatures les 
fonctions qu elle leur assigne , la nature n'a pas eu 
besoin de départir à chacune , la totalité des perfec-» 
lions extérieures que l'ouvrage de l'art réclame. Il 
parottroit même que l'harmonie dont le grand tout 
nous révèle les secrets, ne seroit, comme celle des 
sons, qu'un mystérieux accord de savantes discor- 
dances. Si cela est , peut-être une répartition inhale 
de qualités ou de perfections entre les êtres , est-elle 
entrée dans les vues de la nature. Peut-être ce que 
nous sommes portés à prendre pour des irrégula- 
rités vues en détail , n'est-il que la condition néces- 
saire de la Suprême régularité qui règne dans l'en- 
semble. 

Nous trouvons, j'en conviens, plus ou moins de 
plaisir aux ouvrages séparés de la nature , selon que 



204 DU BUT 

chacun réunit un plus ou moins grand nombre des 
perfections , dont la totalité forme Ce que nous appe- 
lons le type complet de la beauté. Mais jusque dans 
les êtres les plus défectueux, les plus détournés par 
Faction des causes secondaires, de la régularité que 
lart ambitionne , il ne restera pas moins de quoi ad- 
mirer une multitude de qualités en rapport avec les 
fins de la nature. 

La forme extérieure des créatures nest en effet 
que la moindre partie , n'est que Tenveloppe des mer- 
veilles infinies que comprend Forganisation des corps. 
Cette forme extérieure , si défectueuse quon voudra 
la supposer, nVn sera pas moins /dans cet état même 
de difformité, pourvue d'immenses avantages sur tout 
ce que l'art pourra produire de plus r^^lier. La vie, 
le mouvement, la sensibilité, et ce principe d'intelli- 
gence qui meut le corps le plus imparfait , chacune 
de ces choses peut défier toutes les perfections de Ti- 
mitation. 

Lart, dans l'imitation des corps , ne peut disposer 
que de cette forme extérieure, c'est-à-dire de ce 
qu'il y a de moindre , comparé aux merveilles de l'in- 
térieur des corps, qui sont hors de sa portée. Que 
dirons-nous du sentiment et de la pensée , dont il ne 
peut rendre autre chose, que les signes et de foibles 
apparences? 

* Dans une lutte si inégale avec la nature ,- que de- 
viendra limage de Fart, si elle est réduite à n'être que 



DE l'imitation. 2o5 

celle de Findividu , soit que le hasard en ait ofiFert le 
modèle à Tartiste , soit même que celui-ci en ait fait 
le choix? Puisqu'il est constant qu^aucun individu 
n a été produit et ne sauroit Têtre ( diaprés le système 
de la nature), avec cette réunion complète des per- 
fiM^tions extérieures^ dont Tart est tenu de réaliser Ten- 
semble dans son image, il faut bien accorder queTou- 
vrage fait diaprés un modèle unique, le cédera à la na- 
ture. Il le lui cédera d^abord de toute la distance qui sé- 
pare la matière inerte d'avec Tètre vivant , et ensuite de 
tout l'intervalle que nous voyons exister entre l'indivi- 
du , considéré comme épreuve partielle et imparfaite, 
et ce qui est le type universel de toute perfection. 

La nature et Tart dans la formation de leurs ou* 
vrages, n'ont presque aucun point de rapprochement. 
En effet, la nature a mille fins diverses, quand l'art 
n^en a qu'une. Même inégalité dans leurs moyens. 
C'est une grande méprise à l'imitateur de croire que 
parcequ'il s'approprie une des parties de la nature , il 
puisse en revêtir ^us les rôles et prétendre à la rem- 
placer. Un des privilèges de l'être naturel est de pou- 
voir nous plaire, bien qu'il soit loin de réunir toutes 
les qualités extérieures. Ainsi les corps doués de la 
vie, et qu'anime Tintelligence , nous plairont par 
mille côtés tout-à-fait sans rapport avec ceux d'où 
procède la peifection des formes. 

Au contraire il est bien certain que les corps créés 
par Tart, n'ont qu'un seul côté par où ils puissent 



2o6 DU BUT 

nous plahre, c^est celui de leur forme ou de leur ap« 
parenoe. Et dans le fait ces sortes de créatures- là 
n ont aucun autre objet à remplir. Llndividu en» 
corequll soit jugé par le statuaire , mal proportionné, 
ou d^une forme indigne de l'imitation , ne laisse pas 
de satis&ire aux devoirs sans nombre pour lesquels il 
est créé. Mais à quoi sert la statue que ses dispro- 
portions ont rendue défectueuse? T a-t41 quelque 
chose de plus inutile que Foufrage de Fart, s'il 
manque à l'obligation de plaire? 

La fin nécessaire et unique de Fart , étant de pro- 
duire des ouvrages qui plaisent, et par les seuls 
moyens qui sont à sa disposition , c'est Ji chercher 
et à trouver ces moyens que l'artiste doit tendre. Or, 
il les cherchera où il ne les trouvera point, s'il les 
demande^ uniquement au modèle individu, que la 
nature n a pas pu destiner à plaire , de la manière 
dont une statue nous platt. C'est donc la nature elle- 
même qui dit à Fartiste de 1 étudier aUleurs, et de 
Fimiter autrement que dans et pa»un seul modèle, 
ccst«à-dire par les procédés du copiste , sous peine 
de Toir Fouvrage de Fart inhabile à supplier la 
moindre comparaison avec son original. 

Rappelons encore ici ce qui a été dit plus haut , 
sur le désavantage qu éprouve l'ouvrage de Fart 
contre celui de la nature: c'est que si Fêtre naturel 
a des défeuts d un côté corespondant au ressort d'un 
art , ces défauts seront souvent rachetés par des beau- 



DE l'imitation. I07 

lés , dâtis un aspect qui correspond à un autre art. 
Ainsi le modék individuel n'eut-il sur sa copie forcée 
d'être incomplète , que Tavanta^ de compenser, par 
exemple, le vice de la forme par le charme de la 
couleur, on voit quel intérêt Tart réduit à Tun des 
deux aspects, aura d^ porter la totalité des perfec- 
tions qui y sont relatives , perfections dont le mo- 
dèle idéal pourra seul lui révéler le principe et lui 
fournir les moyens d exécution. 



^i'%^^^^^^^%^^ ^n^^0*^^^^^%^/%^^»^^/%^/%*%^^^v%,%f%^*,'%fm^^^^^^^^>^^%, 



PARAGRAPHE V!ÏI. 

Continuation du même sujet. 

Ce ^ on vient de dire a un rapport natureUement 
^us sensible avec les arts du dessin quavec les autres 
arts. Le mot sensible est ici le mot propre , puisque 
efiectîvemcnt les principes de la théorie de Tidéal 
trouvent y dans rinutation des corps , certains exem- 
pies qui tombent sous les sens. Aussi se :sert«-on vo- 
lontiers des teseaples de ce genre pour pendre cette 
tbéorie plus claire* 

Ibutefois il nègne à cet é^d une oonfermitié par» 
£siite entre tous les arts. Qu'un art , par la nature et 
les nioyaw de son imitation propre , appartienne à 



2o8 DU BUT 

la région des corps et de la matière, ou que, dépen- 
dant plus particulièrement de Faction de Tesprit, il 
tienne au monde moral , comme le font les difiFérents 
genres de poésie; il y a toujours, pour chacun , un 
double modèle dans la nature , et de la part encore 
de chacun , il y aura lieu à méprise sur ]'idée qu'on 
attachera, et sur le sens quon donnera au mot na- 
ture. 

I^ poète confond tout aussi souvent que le peintre, 
ridée de la nature , bornée à Tindividualité, avec cette 
autre idée de la nature considérée dans sa généralité. 
Tout aussi souvent il se persuadera que Tunique 
objet de son imitation doit être de contre&ire lex- 
pression des vices, des passions, des ridicules^ de 
tracer le tableau des actions et des choses humaines , 
de dessiner le caractère de ses personnages , unique- 
ment diaprés un original tel qu'il laura connu , tel que 
le hasard des circonstances , où les récits de Thistoire 
le lui donnent, tel que les causes locales où les 
mœurs de son âge le lui présentent. 

Mais pour se produire dans un autre ordre de 
choses, le genre derreur sera le même, et il est aussi 
facile de s'en convaincre. 

Si, comme on la démontré, la nature physique 
ne donne point à l'imitation des corps , de modèles 
accomplis et parfaits , dans le sens et selon les inté- 
rêts de lart , pourquoi , dans la nature morale , en 
seroit-il autrement de tous les sujets qui forment le 



I 



1>£ LIMITATION. 209 

tlomaine de la poésie ? Est-ce que cette puissance que 
nous appelons du nom de providence , dispose , dans 
le cours des a£Bsiires du monde , les événements , leurs 
causes, leurs incidents, leurs résultats, dans la vue 
que le poëte épique ou tragique y trouve Toriginal 
tout taillé, si Ton peut dire , pour son art, de l'action 
dont il doit ou mettre le récit en chants, ou montrer 
le spectacle en scènes ? 

Qu on déroule dans l'histoire la suite de tous les 
faits anciens ; qu'on examine, en voyant ce qui se 
passe sous nos yeux , soit les événements contem-k 
porains, soit les traits les plus remarquables, soit les 
rôles des personnages les plus distingués par leur 
caractère et leur position sur ce théâtre dont nous 
sommes les spectateurs^ peut-on supposer que rien 
de tout cela ait été façonné ou disposé par le moteur 
des choses humaines, dans la vue de procurer des 
modèles aux poêles? T trouverons-nous le moindre 
sujet susceptible d entrer avec toute sa réalité histo- 
rique, dans la composition même la plus étendue? 

11 en est donc des sujets propres à la poésie, comme 
de ceux du peintre. La nature des choses ne sauroit 
les procurer au poëte tout faits pour son art. Mille 
circonstances s'y trouvent mêlées, qui les rendent 
inimitables , ou qui , dans Timitation , en détruiroient 
Tefiet et la vérité. L'histoire nous donne une totalité 

qui^'a que faire avec lensemblede l-art: et. la plus 

I. * 14 



210 DU BUT 

grande des méprises , est de croire que la vérité de 11- 
mage est Ja même que celle de la réalité. 

Odî, il y a uile sorte de vrai qui se change en 
faux par Timitation , comme il y a une sorte de faux 
qui devient pour Tart le plus haut degré du vrai. 

Je m'explique. Lorsqu'il est dans la nature des 
obligations du poète, de rassembler en un point, 
c est-à-dire dans un espace donné par les facultés vir 
suelles de Tesprit, ce que le hasard des événements 
a désuni et dispersé en temps divers, en plusieurs 
lieux, en incidents sans cohérence entre eux, ce ser« 
manquer à la véiité propre de lart , que de procéder 
à l'exposition d'une action , comme y procède Thisto- 
rien. C'est qu avant de m'amuser Thistorien doit m'io- 
struire. Il y a pour lui bien djautres soins que celui de 
plaire^ A supposer qu'il manque d'agrément dans 
son récit, ce récit, par son exactitude et précisément 
même parcequ'il n'a pas cherché à plaire , me proi- 
curera un très grand plaisir, celui qui résulte de la 
véracité, dé l'utilité, etc. , qui scmt le but de Thisr 
toire. Mais le but de la poésie est de plaire , et comme 
elle ne me doit la vérité qu avec le plaisir, c'est à elle 
de chercher dans les faits de l'histoire, le point de 
vue qui se prête à cette alliance. Inhabile qu elle est 
a s'approprier la réalité et la totalité des choses, si 
elle ne sait point transformer cette sorte de vérité, 
elle manquera tout à-la-fois à la fidéUte histonîgue. 
et à sa première obligation , qui est celle de plaire. 



DE L*IMITATIO]N. 211 



Il y a réciproquement une sorte de faux (et <^'en 
^roit un réel pour rhi$torien), qui devient pour la 
poésie, le seul vrai quelle doive ambitionner. Il con- 
siste dans ce système, au moyen duquel récrivain 
poétique négligeant les détails, pour mieux saisit' 
lensemble , et laissant le matériel des faits et des 
choses, pour ce qui en est Tesprit, ramène à leui* 
principe ou à leur poifit de vue central, les traits 
épars de son sujet, et au lieu d^une revue de parties 
sucessives qui excéderoient les limites de son art , et 
s y entre*détruiroient, sait en faire un tout nouveau, 
qu'il réduit à la plus grande valeur d'expression ei 
de signification. 

Le poète qui méconnott ce genre de vérité ainsi 
transformée, méqonnoit la nature et le but de sou 
Vt, et de la même manière que le peintre, lopsqu^il 
se flatte (comme on Fa vu au paragraphe précédent), 
de trouver la vérité des corps dans leur réalité vU 

suelle et dans Tindlvidualité des créatures. 

» 

J'entends ici lobjection ordinaire. 

Ce que la nature fsiit, dit^on, pourquoi la poésie 
né le feroit*eUe point ? Pourquoi Tart ne représente- 
roit4i p«s les sujetB^, ou les actions y ou les caractères ^ 
tels qu'ils se comportent dans la réalité , avec leurs 
disparates ^ leurs : irr^ularités , et avec ce mélailge 
daccidems et de circonstances, qui ap^artietit à I4 
réalité des choses P i 

Pourquoi? On la d^a dit plus d une fois. C est que 

14. 



21'i DU BUT 

Fart n est pas la nature, et na pas ses moyens. CW 
que lespace et le temps qui appartiennent à la nature, 
ne sont point à la disposition du poëte. Cest qii^en 
prétendant suivre la nature sur le terrain des réali- 
tés, le poète quitte celui des fictions , et cesse detre 
poëte. Bien plus, ce que le poëte, soit pour la scène, 
soit dans son récit , a cru prendre pour le modèle d*un 
seul genre d'imitation poétitjue, étoit effectivement 
le modèle de plusieurs arts distincts entre eux ; et ce 
quil a. pris pour le sujet d^une seule action , devoit 
être la matière de plusieurs. Il y avoit peut-être dans 
ce trait d'histoire, de quoi faire, selon les aspects 
qu'il renferme, une tragédie, un poëme, un conte, 
un roman. C'est à chaque art dy prendre sa portion 
de modèle, et de savoir suppléer , par ses moyens, ce 
qui manque à Tintégralité que la nature refuse à cha- 
cun en particulier. Elle-même nous dit que, si elle fait 
des drames, elle ne les a pas plus destinés à notre 
scène, que ses tableaux pour nos toiles et nos cadres, 
et pas plus que ses individus à devenir des statues. 

Prétendre embrasser dans l'imitation la totalité ou 
la réalité des sujets et des objets naturels, avec des 
moyens bornés de toute part, c'est vouloir rester en 
tout point inférieur à la nature. 

Ily a donc nécessairement pour le poëte comme 
ppur le peintre deux modèles, dont l'un est eomme 
l'ame de l'autre. C'est-à-dire que tout ce qui entre 
dans le cercle d'imitation de chaque genre de poésie , 



f 



DE l'imitation. 2i3 

a aussi une vérité de réalité pour les sens , et une vé- 
rité d'abstraction ou de généralisation pour resprit. 
Or, cette dernière vérité , celle qui appartient en 
propre au génie de chaque art , est la seule qui puisse 
élever la puissance des moyens de Timitation , au ni- 
veau de ceux du grand modèle , la seule qui donne 
à Timagé la capacité de rivaliser avec la nature. 

On parlera (dans la troisième partie), avec plus 
de détail , de ce que Ion poùrroit appeler le méca* 
nisme de Hdéal, lorsque, traitant des moyens qu a 
limitation pour y parvenir, on montrera par quels 
procédés chaque art est tenu de refaire , de recom^ 
poser, de modifier tous les sujets, et leurs éléments, 
et leurs apparences et leurs formes. (Voyez part. 111, 
paragraphe ix. ) 

.Te veux placer ici d'avance Tobjection singulière 
que Ton fait à cette théorie: je dis singulière , parce- 
que , loin de laffoiblir, elle la corrobore. 

On prétend en e£Eet que ce que nous exigeons de 
rimitation, a lieu véritablement dans les ouvrages 
même que nous condamnons, puisque Fefifet du 
vice de répétition identique est physiquement im*^ 
possible à réaliser ; en sorte , ajoute»t-on , qu il est 
inutile de recommander au poète de faire ce qu'il ne 
sauroit se dispenser de faire, et par conséquent ce 
qu'ij fait toujours plus ou moins. 

Sans doute. Mais c'est sur le plus ou le moins que 
roule toute la question ; et ce plus bu ce moins dé^ 



2l4 I>U BUT 

pend encore de la manière d'entendre cette théorie, 
dans Tesprit de la chose, plutôt que selon la lettre^ 

On sait bien que jamais Timitation ne peut se cal- 
quer entièrement, suivant la rigueur des termes, sur 
quelque modèle que ce puisse être. Prendre servile- 
ment au pied de la lettre , et ces notions, et les termes 
dont on use pour les rendre sensibles , seroit manque 
de bonne foi , ou manque de bon sens. Lorsqu'on 
parle d'imitation identique, de répétition de la réa^* 
lité, dans les ouvrages de la peinture, on n entend 
pas faire prendre ces mots dans un sens phis positif, 
que celui qu'on exprime par l'idée de miroir de& ob- 
jets. Toutes ces locutions doivent être prises au fi- 
guré, et le défaut dont on parle n'est pas moindre, 
quoiqu'on puisse prouver qn'il n'y a rien de calqué 
dans l'image , rien de mécanique dans son effet. 

Nous avouons aussi que sur la scène , ou lillusion 
par identité peut arriver au degré le plus sensible, il 
n existera, mêpié dans les ouvrages les plus em- 
preinte de ce vice, qu'une approximation de réalité. 
Jusque dans ces pièces irrégulières quant aux plans, 
fausses à force d'affectation de vérité , et d où la pré- 
tention à la réalité d'action sranble exclure lart et 
l'imitation , Fauteur n'a pas pu certainement s'empê- 
cher de faire encore beaucoup de compositions avec 
son modèle. Il a été forcé d'élaguer, d^a^aler Jbien 
des choses , d'en modifier beaucoup d'autres , pour 
les faire entrer dans le cadre moral de> sa compost^ 



DE l'imitation. 'il5 

lion. Cela n^empèchera point que Touvrage ne passe 
pour être fait dans le système de Tidentité, dans Pes- 
prit de la réalité; et qui le méconnoitre , s'accusçroit 
lui-même d'être incapable de concevoir une seule 
idée dans la région de la théorie. 

Toutefois^ en prenant pour ce qu'elle vaut, la jus 
tification de la fausse imitation que Ton combat * 
en accordant que , même dans les ouvrages qui sont 
moralement entachés de son défaut, Fauteur a cer- 
tainement dû faire une partie des sa<3rifices , et subir 
une partie des sujétions , qui tendent à modifier et à 
changer les éléments de la réalité effective de ce qu'il 
a pris pour modèle; qu'en résultera-t-il? G'est que, 
dans la vérité, il n'y a aucun moyen d'Imiter, sans 
avoir plus ou moins recours au système de Hdéal , 
et que tout artiste fait plus ou moins dldéal sans s'en 
douter. 

Disons aussi qu'il y a effect^ement plus d un degré 
dans Fidéal : et l'on en conviendra aisément , si Ion 
accorde que la liotion d'idéal est l'opposé de la no- 
tion de réalité. Il est clair que l'intervalle qui , dans 
la théorie comme dans la pratique des ouvrages de 
Fart , sépare ces deux points de la ressemblance îmi- 
lative, offrira à l'artiste des degrés divers , c est-à-dire 
des moyens diversement gradués, de* produire plus 
ou moins Tespéce de plaisir que nous avons vu être 
le but véritable de l'imitation. 



2l6 t)D BUT 



PARAGRAPHE IX. 



En quoi l'ceuvre de t imitation peut surpasser [ouvrage 

de la nature, ^ 



En donnant le plaisir pour but à Timitation , nous 
avons déjà dit, et nous ne saurions trop le redire, 
qu^il y en a de deux sortes ; lun , le plaisir des sens , 
plaisir borné dans son principe et ses effets , Fautre, 
qui est le plaisir de Tesprit, et dont la source est iné- 
puisable, dont les effets sont infinis. 

Il est facile d apprécier la différence de ces deux 
plaisirs. Ce qui précède a pu en rendre raison, a dû 
expliquer comment e{ pourquoi Timitation, lors- 
qu'elle reste dans les termes du réel et de tlndividuet, 
ne sauroit satisfaire à ce que ta meilleure partie de 
nous exige d'elle: car ce que le sentiment et le goût 
lui deimandent, c est qu'elle soutienne le parallèle 
avee la nature. Or, dans le système de Timitation in* 
dividuelle, le parallèle ne peut être quau désavan- 
tage de Tart , s'il est vrai que le plaisir que procure 
cette imitation , ne peut pas s'élever au-dessus de ce- 
lui, dont un portrait, en quelque genre que ce soit, 
nous donne la mesure. 



DE l'imitation. 217 

Qu'importe, répondra-t-on , rimitation , qui est 
celle du portrait, si elle nous retrace avec une entière 
fidélité les traits ou le caractère d'un homme , par 
exentple , nous plaira toujours, parceque ce qui nous 
plait dans les arts , cest avant tout cette propriété 
qu'ils ont de reproduire notre image. 

Nous ne contestons ni Fexistence ni la légitimité de 
ce goût , qui est peut-être le ressort premier de Fimita* 
tion. Il est en effet impossible que Thomme ne rap- 
porte pas à lui ce qui vient de lui ; or l'imitation est 
un résultat de son instinct; mais ce même instinct 
qui le porte à se faire le centre et le but des œuvres 
de Part , finiroit aussi par trop rétrécir le cercle , et 
réduire par trop la somme de nos plaisirs. 

Oui sans doute, Thomme aime à se voir représenté 
par les œuvres de Fart. Mais comment et à quelle 
fin? C'est mal apprécier ce goût^ que d'imaginer qu il 
nous suffise de rencontrer dans les images des arts, 
de simples miroirs réflecteurs de la réalité qui est 
toujours sous nos yeux. Cet homme que nous pre^ 
nons plaisir à voir, parceque nous trouvons du profit 
à nous y étudier, soit dans l'expression de nos senti- 
ments et de nos passions , soit dans les mouvements 
de notre ame , soit dans l'harmonie de nos formes 
extérieures, cet homme-là n'est pas celui dont cha- 
cun peut voir par^tout ou l'original ou la copie; mais 
bien celui que l'art de Tidéal a généralisé, dont il a 
modifié ou façonné Timage, non d'après ce quon 



ai8 DU BUT 

appelle la nature d'un modèle, mais d après ce que 
j ^appelle le modèle de la nature. 

Or, la nature dont il s agit ici, ne tombe pas sous 
les seris de chacun. In visibk à la fois et présente, elle 
est en tous lieux , et n est nulle part. Elle se montre 
par-tout au génie qui sait la voir, et par-tout elle 
échappe à- qui n a qfue les yeux du copiste. 

Ce qu'il faut dire enfin , c est que puisqu'il y a deux 
manières de considérer la nature, lune dansledétail 
de ses ou vrages , lautre dans Tensemble de son œuvre; 
Tune dans lepreuve partielle de Tindividu , Tautre 
dans le type de Tespèce; Tune dans les productions 
soumises à Faction des causes secondaires, l'autre 
dans rintention des lois primitives dont le principe 
se manifeste à Tintelligence ; il y a aussi deux modèles 
pour Timitation. Il y a le modèle qui produit Timita- 
tion d'un homme, et celui qui produit Timitlition de 
Yhomme. On voit qu'entre ces deux modèles et entre 
leurs imitations, il se trouvera la différence que notre 
esprit met entre le genre et lespèce^ entre l'espèe^et 
Tindividu. 

Il est donc de fait, et philosophiquement évident, 
que ridée de nature, en tant qu'idée qui embrasse 
le général , correspond à l'idée de genre ou à celle 
d'espèce, et non à l'idée d'individu. Ainsi l'^rl ne 
prend réellement la nature pour modèle , que quand 
il la considère et l'imite dans la sphère des propriétés 
qui constituent l'être vu en général, ou pris collée- 



DE l'imitation. 2lfj 

ti veulent. Alors, et seulement alors, louvrage em- 
preint, si Ton peut dire, dans le type moral ou 
physique,' soit de Tidée, soit de la forme générale, 
l'emporte sur louvrage produit d après Tépreuve par- 
tielle et individuelle, parceque la nature a refusé à 
celle-ci la propriété dexprimer la totalité des per- 
fections , qui nVxistent que dans le dessin original , et 
qu'une étude généralisée peut seule découvrir et s'ap- 
proprier. 

L'imitation déjà si inférieure , comme on Ta vu , 
à la réalité individuelle de la nature, quand elle ne 
vise qu'à se mesurer avec le réel et avec l'individu , 
n a donc d'autre ressource pour rivaliser avec la vertu 
de ce ipodéle, et pour le surpasser, que d'invoquer à 
«on aide cet autre procédé imitatif , qui est le privi- 
lège de l'art. Et c'est ici qu'il faut se rappeler ce qui 
a déjà été dit , savoir que l'art , n'étant point la nature , 
doit agir par d'autres voies. Certes il n'y a rien de 
commun entre leurs créations. Ija nature ne s'est pas 
conduite dans ses œuvres , d'après les procédés et les 
mét}iodes de l'art. L'art ne sauroit réciproquement 
prendre pour réglç, ce qui le détourner oit de la per- 
fection à laquelle il peut atteindre* 

Mais cette perfection il ne la doit pas moins à la 
nature. J^le seule lui fournit legarmespour la vaincre , 
elle seule lui indique le côté par lequel il doit l'at- 
taquer, et le terrain sur lequel elle lui cédera l'avan- 
tage. 



:i!20 DU BUT 

Ce terrain est ce|ui dé Fidéal. 

C est là que Fartiste , abandonnant le stérile do- 
maine de la réalité , où les hommes , les faits , les ob- 
jets né se montrent que tels qu'ils sont, parvient à 
nous créer comme un nouveau monde, oi\ les objets 
se font voir tels que la nature nous dit qu'ils pour* 
roient être. C est là que toutes les existences s agran- 
dissent et s'ennoblissent, par l'échange qui s'y fait 
des vérités d'imitation particulière , contre cette vé- 
rité abstraite et généralisée qui les comprend'aussi. 
\ Voilà en quoi consiste le secret, et se manifeste la 
vertu de l'idéal. Tous les grands ouvrages des arts , 
en chaque genre, nous répètent ces leçons. 

Le poëte s est-il contenté de nous faire le portrait 
d'un héros ou d'un guerrier, par le récit, servile- 
ment détaillé, de ses actions ou des circonstances 
historiques de sa vie? Non, il a au contraire ras- 
semblé sur son personnage, et réuni , comme en 
feisceau, les traits *^Ies plus prononcés d'une va- 
leur indomptable, pris dans le caractère, plus en- 
core que dans l'histoire de son sujet, et alors il nous 
a peint moins un héros, que l'héroïsme. L'écrivain 
dramatique en use de même à l'égard de la peinture 
des événements dont il compose sa fable, sous le 
nom de tel ou tel autre personnage : car ^ il faut le 
dire , c'est bien moins le trait particulier de telle ou 
telle histoire qui devient son sujet, que la passion 
même dont ce trait lui donne l'occasion de dévelop- 



DE l'imitation. 221 



per les effets. Dans ce point de vue, qui est celui de 
Fidéal, le ])eFSonnage épique ou dramatique n^est 
que le prète-nôm du poëme ou de la pièce. 

Selon ce système , Tindividuel disparoit sous la 
forme du général. I^e fait positif ou le personnage 
Téel n est , pour le poëté , que le moyen d'une inven- 
tion ou d une action qui nous retracera soit Tesprit 
dun siècle, soit le caractère d'un peuple. (Voyez 
partie III , paragraphe ix. ) De ces traits dispersés , où 
ne se peignent que partiellement et incomplètement 
les vices ou les vertus de quelques hommes, il. fait 
sortir la peinture générale de Thumanité. Au lieu du 
portrait d'un être criminel ou vertueux, il fait le ta- 
bleau du crime ou de la vertu. Ce n'est plus Achille , 
Oreste, Gléopâtre, Phèdre, Mahomet, etc. C'est l'or- 
gueil , la vengeance , l'amhition, l'amour, le fanatisme 
quil vous a peints, en rassemblant et généralisant 
les caractères de ces passions, caractères dont la na- 
ture lui a fourni les traits élémentaires , et dont aucun 
individu n auroit pu lui offrir ni l'ensonble ni l'en- 
tière expression. 

Et le poète comique fait-il autre chose dans les ta* 
bleaux quil nous présente des ridicules, des travers, 
des défauts de Thomme en société? Trop souvoiton 
prend ces tableaux pour des portraits , et Ion s'ima- 
gine que le poëte na fait, ou n'a dû faire qu une co- 
pie de certains originaux connus de son temps , ou 
que le hasard lui a fait observer.. Oui, ce peut être 



222 pu BUT 

pour lui , comme il y en a pour le peintre , des objets 
d^étude séparée, et de cette étude peut résulter aussi 
Fensemble d une image abstraite et généralisée. Qui 
ne connott et qui ne distingue pas, dans le genre du 
paysage, par exemple, ces études de points de vue, 
de sites reproduits à la chambre noire, ei qui, selon 
la talent de lartiste , peuvent ou rester ce qu on ap- 
pelle des vues , où devenir des compositions idéales ? 
Voilà ce que Ton confond habituellement. L^étude 
séparée de Tindividu est sans'd^ute nécessaire, mats 
pour arriver à la science de letre général. Ce qu on 
prétend donc, c^est que cette étude nVst et ne d6it 
être aussi quun moyen po^ir le poète, de nous ot* 
frir sur la sc^ne, Tidée complète d'un vice ou d'un ri* 
dicule, au lieu de se borner à la peinture isolée de 
quelque action, de quelque trait emprunté à un seul 
modèle. 

Plaute et Molière vont nous présenter un exemple 
de la difiBérence que je veux rendre sensible, dans la 
manière dont chacun d eux a tracé le caractère de 
son avare. Si M. Scklegel (i) ; qui en a fait le parai-» 
léle, a voulu dire que YEuclion de Plaute est plus, 
simple, que Taction où son avace est mis en jeu, a 
beaucoup moins de ressorts variés que celle de Mo^ 
lière, que le fait dun trésor caché, source unique 
des inquiétudes d'Euclion , domine dans toute la pièce, 



(i) Court dt litténaturc dmmatitfU9^ tome II, page a5a. 



DE l'imitation. 323 

en produit le dénouement, et lui donne lavantage 
d^une plus grande unité d'objet, on sera très disposé 
à être de son avis. Le titre même de la pièce auroit 
pu apprendre encore au critique cité, que Plante en 
l'intitulant le trésor^ ou, comme nous dirions, la cas- 
sette, fia pas eu la prétention de faire une peinture 
fort étendue , mais seulement un portrait (Tauare. 

Tout ce que M. Scklegel reproche à Molière, 
prouve aussi que, malgré quelques traits empruntés 
à Plante, le poëte françois a conçu une toute autre 
idée« Son intention ne fut pas de nous donner, dans 
une des manies qui rendent Tavare ridicule, un 
seul point de vue comique. Au contraire, en soumet* 
tant son personnage aux principales épreuves qui en 
font ressortir le vice, en nous montrant tous les actes 
de sa vie intérieure et domestique entachés de cette 
passion sordide, il prouve qu'il voulut nous présen-» 
ter la peinture de l'avarice. 

Et voilà en quoi Fœuvre de limitation peut sur<- 
passer louvrage de la nature, vu dans ce qu il a d'in* 
dividuel et de particulier. Car au moral comme au 
physique, la nature montre à nos yeux et rend sen-* 
sible ce qui appartient à Tindividu ^ elle ne découvre 
qu'è^ lesprît ce qui appartient au général. Chacun 
connoit quelque avare, et chacun a observé en détail 
quelque trait particulier d avarice. Il falloit, pour ar^ 
river à Tidéal en ce genre, non pas seulement réunir 
sur un seul , les ridicules de plusieurs, mais par une 



y.2^ DU BUT 

étude approfondie du cœur humain, saisir jusque 
dans toutes les contradictions et toutes les physio- 
nomies du vice, ce qu'il a de plus caractéristique, 
de plus propre à nous £adre voir, non la personne d'un 
avare , mais lavarice personnifiée. 

Ainsi, Fêtre individuel fait place à Texistence gé- 
néralisée, qui nest le propre de personne, et dont 
aucun être ne nous peut présenter le modèle ef- 
fectif. 

Nulle part cette théorie ne devient plus sensible, 
que dans ce qui regarde Timitation des corps, ainsi 
que la suite nous le montrera; nulle part aussi on 
ne se trompe plus' facilement, parceque dans au- 
cun art la réalité des modèles partiels ne peut avoir 
autant d'influence sur l'imitateur. Dans aucun genre, 
Tindividuel ne se présente avec autant de pouvoir de 
séduction. C'est en vain cependant que lartiste atten- 
droit d'un individu lentière expression d'une seule 
des qualités corporelles , dont il voudroit fixer et 
rendre le caractère. Il aura pu d'après un seul indi- 
vidu représenter, par exemple , un homme fort. Mais 
où le statuaire Glycon aura-t-il trouvé le modèle de 
la force? Ce modèle que nous voyons aujourd'hui 
dans son Hercule , pourquoi ne s est-il plus repré- 
senté dans aucuR individu vivant? C'est qu'il ne s'y 
étoit jamais trouvé, c'est qu'il ne s^y trouvera jamais. 
Le génie qui sait, par les combinaisons de l'art, rs^- 
sembler dans un tout, ce que la nature a réparti, 



DE LIMITATION. 225 

)[>eiit seul la surpasser sur ce points et il crée Tidéal 

de la force. 
Autant doit-on en dire de chaque qualité des corps. 

LWtiste fera une belle figure, si Ton veut, d'après 

une belle personne; mais cette personne, pour avoir 

de la beauté , ne sera pas la beauté même, et la figure 

qui en sera le portrait, ne pourra pas nous donner 

une image de cette qualité complète, si elle est faite 

d'après un modèle nécessairenient incomplet. 

Ceci 4&e tend pas (on Ta déjà dit) à exclure des 
travaux de Tartiste 1 étude du modèle individuel^ 
puisque cest, au contraire, par les observations 
de détail ou particulières, quon parvient au gétié-- 
rai, cest-à-Klire à Tidéal. Ceci tend à montrer que 
Tartiste, par le secours de lart, doit faire ce que la 
nature n'a point fait, parcequelle n a point eu appa- 
remment besoin de le faire ; comme nous lexplique la 
différence de but. (Voyez paragraphe vi.) La nature 
dut porter ses soins à ordonner Fimmensité, Tinfidi, 
la totalité. L'art ne donne les siens qu'à ce qu'il y a 
de plus borné, à un seul ouvrage et à un seul genre 
de plaisir. Là est sa seule supériorité, et c'est à quoi 
il lui est interdit de renoncer, puisque, s'il y renonce, 
il se dessaisit du seul avantage qu il ait sur la naturçy 
dans ce qui constitue la 'forme extérieure des corps. 

Ce point de vue , véritable but de l'imitation , le 
seul digne des beaux*arts , n'est autre chose, comm« 

I. 45 I 



226 DU BUT 

on Fa vu dans le$ paragraphes précédents, que le 
système de Tidéal. 

Ce système que le sentiment avoit employé, long-- 
temps avant que le raisonnement eût essayé de Fana- 
lyser, ne place point Tartiste, ainsi que quelques yns 
semblent le croire, hors du cercle de la nature. Loin 
de cela, il en aggrandit pour lui Thorizon , en décou- 
vrant à son esprit , par leffet d^une étude généra- 
Usée , les mystères de ce beau et de ce vrai , que les 
sens tous seuls ne sauroient pénétrer. Car*l'idéal, 
loin d être Topposé du vrai , n'est en chaque genre , 
que le plus haut degré de la vérité, celui d'oà Ion 
embrasse les objets, dans leur plus grande étendue, 
pour en donner Timage la plus complète. 

C'est par la vertu de ce système , que se révèle à 

V 

l'imitateur le secret de cette sorte de perfection ca- 
chée aux yeux du vulgaire , dans la généralité des 
êtres. C'est lui qui ouvre à l'artiste le dépôt des lois 
universelles de la nature, et le conduit à la source des 
impressions profondes que produit l'enthousiasme 
du beau intellectuel, par l'entremise des sens. 

C'est par lui que l'art des sons devient l'interprète 
des plus hautes pensées, que de simples rapports de 
lignes manifestent les lois de la création , que l'ac- 
cord des belles proportions élève Tesprit jusqu'au 
créateur, et qu'un seul ouvi:age de l'art, aussi borné 
dans ce qui en est l'objet ou en fait la matière, que 
la nature est illimitée , parvient , au moyen de ce qui 



DE l'imitation. 227 

en est le principe et en devient l'esprit, à produire 
sur tous les homme et dans tous les temps , un de 
ces effets que la nature elle-même pourroit liii en- 
vier. 



-»/^<V^/W%%/%«%%/%^^IV»<'%/»»*^V*/^^/»<^i'»/%»%**<%^»'^/*^*''%^<*'' 



PARAGRAPHE X. 

De la cause originaire qui introduisit en Grèce et y 
perpétua fe style idéal dans les œuvres de l'art. 

Quand on se rend compte des différentes accep- 
tions du ^ot idéal , et des rapports divers sous les- 
quels sa notion peut être envisagée dans le domaine 
de Timitation, il faut y reconnoitre encore un em- 
ploi très borné sans doute, mais qui n'est pas sans * 
une connexion assez sensible avec ce qui est Fobjet 
de nos recherches. Cet emploi est celui de signe fi- 
guratif, dont.la propriété, en quelque sorte gramma- 
ticale, est aussi de généraliser l'expression des objets 
par l'abréviation de leurs formes. 

Le signe en âFfet est.une image sommaire ou rac- 
courcie , comme l'image est le signe développé de 
tout objets de tout sujet, de toute action. Le signe 
est par conséquent une sorte d'idéal, et, mathéma- 
tiquement parlant, il est la représentation la plus gé- 
néralisée d'une chose, en tant que cette représenta- 
is. 



228 DU BUT 

tion est évidemment Topposé de celle qui particularise 
la même chose par ses détails. 

L aperçu de cette notion naura rien d étranger à 
notre théorie , si elle peut contribuer à nous rendre 
compte avec clarté^ du principe et de Tesprit qui dès 
lorigine guidèrent en Grèce les premiers pas de Timi- 
tation vers son véritable but, et donnèrent à Fart la 
plus heureuse direction. 

Il est en effet remarquable que, né de Técriture par 
signes figuratifs, c'est-à-dire hiéroglyphiques ou sym- 
boliques , dont il brisa bientôt les entraves , Tart , dans 
son premier âge, ne put s'exercer qu'à rendre, avec 
ta plus grande simplicité déformes, les idées les plus 
abstraites et les plus généralisées. On ne sauroit e|i 
douter, quand on voit pendant quelle suite de siècles 
(celle des siècles héroïques) il eut à répéter et à mo- 
difier progressivement des figures qui , au lieu d'être 
la représentation vraie des choses, n'étoient que lex- 
pression plus ou moins conventionnelle des idées ou 
des rapports de ces choses. 

Les froides conventions du signe figuratif s'étoient 
peq)étuées dans ces premières figures. J^ais bientôt l'i- 
mitation acquérant plus d'indépendance, la chose ou 
ridée signifiée céda la place, dans Timagination des 
hommes , à Tobjet qui' n'en devoit être que l'expres- 
sion. Ce qui n'avoit été que le caractère sensible d'une 
idée abstraite, reçut de la crédulité, une existence., 
une personnalité imaginaire, il est vrai, mais qui 



DE L'IMIIATION. 22Q 

D^en fut que. plus dWcord avec Tesprit de rimitation. 
Le peuple corporiflant dans son imagination. les ob- 
jets, de lancienne écriture symbolique , on fit des 
hommes réels, de ce qui n avoit été que des lettres ou 
des sigdes plus ou moins arbitraires. Ce fut le second 
pas de Tart et peut-être le plus important dans la car-^ 
rière de Tlmitation. 

Ces signes devenus hommes ou êtres réputés vi* 
vants dans rimitation, leurs figures conservèrent quel- 
que chose du caractère inimitatif et de la simplicité 
de leur type originaire. Cette tradition de goût et de 
manière continua d^ rendre sensible le principe 
d une existence abstraite, d'une nature fort éloignée 
du principe de Tidentité. Obligé de s'exercer , non 
comme il est arrivé ailleurs , à représenter des indi- 
vidus connus, réels, ou ayant réellement existé, selon 
le goût ou dans le setis du portrait , niais des êtres 
fantastiques , imaginaires ou poétiques , Fart ne fut 
tenu qu'à cette sorte d'imitation conventionnelle^ 
qui , philosophiquement parlant , étoit idéaie, puis- 
qu'elle ne devoit tendre à donner limage de personne 
en particulier. 

Tel fut, dans 1 exacte vérité, le second style d'imita- 
tion des premières écoles de la Grèce. Un très grand 
nombre de leurs ouvrages, parvenus jusqua nous^ 
dépose, dans une manière uniforme et commune à 
toutes les productions, de Vinfluence du principe 
abstrait qui avoit présidé à la naissance de l'imitation. 



23o DH^BUT 

On Ty reconnoit sur- tout à une ab$ence systématique 
rie détails dans les formes, à un style de dessin roide 
et rectiligne, à la monotonie des physionomies, au 
manque absolu d^expression dans les têtes, de va- 
riété daiis les mouvements. Alors aucun caractère 
propre ne faisoit distinguer, selon la diversité des 
sujets, ni les personnes, ni les conditions, ni les 
âges. Alors, et long-temps encore après, on ignora 
Fart de la ressemblance qui constitue le genre du 
portrait; car Pline nous apprend qu^à cette époque, 
et jusqu^au siècle de Lysistrate, c'est-à-dire celui 
d'Alexandre , on ne chérchoit dans les portraits 
que la beauté des formes (i). 

Enfin lorsque loubli du signe primitif, ou de la 
manière des figures qui lui avôient dû la naissance; 
eut effacé dans les œuvres de Timitation , lempreinte 
de ce goût qu'on peut grammaticalement appeler 
abstrait ou idéal , c est-à-dire lorsque le signe et son 
équivalent, eurent fait place à des images conçues 
dans un autre ordre d'idées, et d après la personni- 
fication poétique, comme lorsque la science devint 
Minerve y la lumière Apollon , etc. , le besoin d'un 
autre genre d'idéal s'empara du génie des artistes, et 
ouvrit a l'imitation la carrière infinie des espaces où 
la poésie l'a voit devancée. 

Guidé par elle et enhardi par son exemple, larl 
se créa un nouveau monde où l'imagination del'ar- 

(i) Quam pulcherrimas facere studehant. 



DE l'imitation. aSi 

liste se plut à réaliser avec des formes et des corps 
les inventions du pouëte. Dans ce pays des abstrac-^ 
tions furent transportés sansdoute touslessentimentç, 
toutes les passions de Ihomme , et aussi tous les traits, 
tous les attributs corporels de Thumanité. Mais ces 
êtres naturels et à-la-fois surnaturels, hommes «t 
dieux tout ensemble, pour être représentés d'une 
manière conforme à la croyance établie, durent sur- 
passer les simples mortels, en perfection , ^i beauté, 
en force, en dignité. 

La poésie avoit certainement emprunté aux pre- 
miers signes de lecriture figurative, le motif origi- 
naire de ses inventions mythologiques. Mais on com- 
prend comment, tout-à-fait libre des sujétions de la 
matière, dans la procréation des êtres dont il peupla 
son olympe, le poète dut promptement enchérir sur 
ses modèles. Aussi le voit-on s^élancer de suite dans 
les espaces illimités de Tidéal, et défier Fœuvre du 
ciseau et du pinceau d égaler jamais les propor- 
tions qu^il sut donner aux dieux. Ce fut vérita- 
blement la poésie qui constitua leur nature surhu- 
maine par la configuration Imaginative qu elle leur 
donna, par la facilité quelle eut d^établir entre eux 
et les hommes , cette prodigieuse distance de dimen- 
sions et de facultés, dont Homère a en quelque sorte 
fixé les. degrés relatifs à chaque divinité. 

Obligé à son tour de puiser aux sources de Tidéal 
poétique , forcé de se mettre d accord avec les inven*- 



232 DU BUT 

dons du poète, Tartiste n eut d^autre moyen de riva«- 
liser avec elles, que de produire une perfection cor- 
porelle, qui fut elle-même une abstraction, c'est-à- 
dire une imitation de Thomme, vu hors de la sphère 
rétrécie de Tindividualité^ et ainsi , propre à devenir 
l'image detres privilégiés qu'on ne put assimiler à 
aucun homme considéré en particulier ; et telle est 
à-la-fois la définition et lliistoire du style qu il faut 
appeler style d'imitation idéale. 

Il fut sur-tout une conséquence de cette religion 
polythéiste qui, après avoir employé les signes dana 
le sens grammatical du rapport que le$ lettres ont avec 
les mots, fut par suite tenue de donner progressive- 
, mentaux figures, le caractère qui devoit lesconvertir 
en images purement corporelles, et faire servir leurs 
formes à exprimer les plus abstraites créations de 
Tintelligence. 

Ce nouvel empire de la religion siir les arts, dû 
sans doute à la révolution quHls contribuèrent eux- 
mêmes à y opérer, produisit réciproquement Tin- 
fluence des arts sur la religion. Au lieu d«n être 
comme ailleurs les esclaves, ils en devinrent les mi- 
nistres et Içs interprètes. Au fond chaque divinité 
grecque avec ses formes poétiques et ses attributs my- 
thologiques , devint un composé d'idées abstraites , 
de propriétés générales, que lart ne pou voit rendre 
sensibles aux yeux , intelligibles à Tesprit , sans 
l'entremise d'un style d'imitation idéale ou généra- 
lisée. 



DE l'imitation. a33 

Il faut donc remarquer que ces êtres imaginaires , 
auxquels le sigtie abstrait de I écriture figurative avoit 
donné naissance, reçurent ensuite des fictions abs- 
traites de la poésie, une nouvelle existence : mais sub- 
ordonnés depuis dans les développements successifs 
de l'art, à un autre ordre d'idées , ils ne firent qu'é- 
éhanger la qualité abstraite de signe, contre celle 
d'image également abstraite; c'est-à-dire le caractère 
d'écriture idéale, grammaticalement parlant, contre 
celui d'une imitation qui fut contrainte d'être, poéti- 
quement parlant , idéale. 

Ce court exposé peut suffire pour rendre compte 
des causes dt ce goût idéal dans tous les arts de la 
Grèce, et à différentes époques ; phénomène singu- 
lier, unique dans l'histoive de tous les peuples, et 
auquel l'babitude et la tradition qui nous ont fami- 
liarisés avec ses effets , empêche de faire assez d'atten- 
tion. Car, comme il est certain que nous devons ce 
goût d'imitation et toutes ses conséquences à la Grète, 
U est certain également , qu'aucune autre nation du 
monde ancien n'en a soupçonné 1 existence^ et qu au- 
cune nation moderne n'auroit pu réunir la moindre 
des conditions nécessaires à sa découverte et à son dé- 
veloppement. 

En Grèce , au contraire , tout ayant contribué à le 
faire naître , tout concourut à Vétendre , et à le rendre 
commun aux ouvrages mêmes qui sembloient de<o 
voir y être plus étrangers. L'artiste étant obligé de 



234 DU BUT 

former, et le peuple étant habitué à voir, dans les si- 
mulacres des Dieux , les images les plus abstraites de 
la nature humaine, on fit naturellement participer 
au privilège de ce style, quoiqua différents degrés, 
les effigies de beaucoup d autres personnages d'un 
rang inférieur. Tel fut enfin Tempire de Fidéal sur 
les sens et sur lesprit, qu^il se communiqua même à 
la représentation des simples mortels. 

C est qu^il est de lessence d'un principe élevé dans 
Fimitation, d exhausser ce qui est petit, comme il ap- 
partient au goût rapetissé, d'abaisser ce quil y a de 
plus grand. 

PARAGRAPHE XL 

Caractère de tidëal démontré et rendu sensible dans les 

ouvrages de Fart antique. 

Il me semble que les ouvrages de Tart antique , 
dans les nombreux monuments qui nous en sont 
parvenus, offrent à la théorie qu on a mise en avant^ 
un appui et une autorité, d'autant plus irrécusables, 
que les écrivains contemporains nous en ont eux-mê- 
mes ( comme on le verra dans le paragraphe suivant ), 
développé le principe , et en ofat étendu les consé- 
quences à tous les arts. 

Il est indubitable , que nulle part et en aucun 



DE l'imitation. 235 

temps, Timitation du corpshumain n a trouvé, comme 
elle en rencontra qhei les Grecs , de circonstances 
et de causes aussi favorables à son étude: On peut 
croire encore que jamais pareil concert entre la na- 
ture, le but, et les moyens de l'imitation , ne se re- 
produira dans les arts d'aucun peuple. N y eût-il que 
cette action si puissante d'une religion fondée sur le 
besoin de représenter les Dieux sous les formes hu- 
maines, on conçoit que, dans un pays où toutes sortes 
dUnstitutions mettoient Tartiste à portée d étudier à 
toute heure le corps de l'homme , cela seul dut suffire 
pour porter les esprits à la recherche et à la décou- 
verte d'un système qui, en établissant plus d'un de- 
gré de perfection , dans l'imitation des corps, dut fixer 
par l'idéal le rangsuprèmeque réclamoient les images 
de la Divinité. 

£n suivant dans l'histoire de l'art antique la route 
tepue par les artistes grecs , pendant une longue suite 
de siècles, on a vu comment très naturellement ils 
durent être conduits*au vrai but de l'imitation. Après 
avoir reconnu que l'individu le plus' mal conformé 
dans la nature, avoit sur sa copie fidèle, l'immense 
avantage de la réalité, du mouvement et de la vie , on 
ne put manquer de s'apercevoir que l'art, par cela 
seul qu'il ne crée que des apparences de formes iner- 
tes , avoit le pouvoir de modifier ces apparences et 
d'en régulariser les formes , en les rapportant à un 
seul but, celui de plaire. 



a36 DU BUT 

Lorsque la nature , comme on la dit plus haut , a 
soumis la forme de ses productions particulières à 
une multitude decauses secondaires qui les éloignent 
de la perfection du dessin g[énéral et du type origi- 
naire, lartiste en Grèce, instruit par les leçons *d une 
ëtiide généralisée, de ce désavantage propre à Fin* 
dividu, vit le côté foible de la nature, et lui opposa 
tous les avantages qui* sont particuliers à lart. 

Libre dans la génération de ses ouvrages ^ maître 
de confronter chaque partie des corps , chaque dé- 
tail de chaque partie du modèle individuel,* à For* 
donnance générale du modèle universel , lartiste 
put porter l'œuvre de son imitation , à ce complet de 
perfection extérieure , que la nature a négligé. Il put 
ainsi donner à tous les rapports de formes, tous leurs 
genres d'harmonie, à toutes les proportions , tous 
leurs degrés de régularité, à tous les caractères , toutes 
leurs variétés d expression. Par leffet de cette étude 
systématique , Fart sembla en Grèce avoir refait et 
réordonné la nature, au profit et dans l'intérêt de 
Timitation . Mais ce fut , comme cela est sous-entendu , 
avec Taide même de la nature. Car c est toujours elle 
qui par les défauts autant que par tes beautés de ses 
créatures, donna jadis à lartiste Tidée de la perfec- 
tion absolue ou relative des formes du corps humain. 

On ne sauroit se refuser à croire à Texistence de 
ces études et de leurs résultats , lorsqu'on examine 
les ouvrages de lart des Grecs. Toutefois ce qui nous 



DE l'imitation. 2ij 

importe le {ilus , c'est de nous assurer qu'ils ne furent 
pas dus au hasard de quelque talent particulier, mais 
bien à ce que j'appeUe un système , système connu 
de tout le monde, devenu classique, et commun k 
tous les art». 

Or, c'est bien déjà ce que nous apprend Aristote, 
lorsqu'il nous désigne, dans une classification vrai<^ 
ment systématique, les trois degrés du style imitatif' 
des trois artistes Polygnote , Denis , et Pauson , dont le 
premier représentoit les hommes plus beaux qu'ils 
ne sont, xp^^rrovc, le second tels qu ils sont ôfioM\ic, et le 
troisième moins beaux qu il& ne sont x^^^^c* 

Que peut signifier la distinction de ces trois de» 
grés? Bien autre chose sii4|[^ que 1 étude du corps 
humain ayant été soumise à une échelle de compa- 
raisons aussi variées qu'étendues, le résultat de cette 
étude avoit fait voir Thomme tel qu'il auroit pu être^ 
selon les lois générales de la nature , tel qu'il se trouve 
généralement être, en tant que soumis à l'action des 
causes qui Fempèchent d'atteindre à la perfection 
absolue , et tel qu'il est trop souvent , o'est-à^ire le 
plus éloigné de cette perfection extérieure , qui est 
la fin que l'art doit se proposer. 

Il feut en efiet expliquer ici Aristote et les termes 
qu'il emploie, de la manière que non seulement le goût 
et le sentiment, mais la raison et le bon sens nous 
présentent. Il faut lentendre, dans le sens où nous 
entendrions celui qui se serviroit des mêmes termes^ 



238 DU BUT 

pour caractériser les trois goûts de dessin de trois 
de nos écoles modernes ; comme par exemple de le- 
cote romaine, où le caractère du dessin s^est élevé 
au plus haut, de lecole vénitienne, dont le style est 
resté au niveau du genre du portrait, et de lecole 
flamande , si bien connue par le caractère vul- 
gaire qui rabaisse, au dernier degré, l'imitation de 
rhomme. C est certainement dans le même sepaque 
Sophocle disoit: Tai peint les hommes tels quils de^ 
vroient être, et Euripide les peint tels quils sont. On sait 
effectivement (i) qu^Euripide rabaissa de beaucoup 
sur la scène la dignité des caractères et des mœurs 
héroïques , et que ses personnages montrent souvent 
des mœurs vulgaires. ^^ 

Voyons maintenant jusqu'à quel point les ouvrages 
de Fart antique, correspondent et à cette doctrine 
des écrivains grecs , et au résultat de Tanalyse théo- 
rique de Tidéal,- qui nous a présenté comme but de 
limitation , non ce qui est comme il est, mais ce qui est, 
comme ilpourroit ou devroit être. 

Qui n a pas été frappé du caractère des statues an- 
tiques, sur-tout si on le compare à celui du plus 
grand nombre des statues modernes, auxquelles lan- 
tique n a pas servi de régulateur? Qu on veuille bien 
se rendre compte des impressions que^ont les œu- 
vres du ciseau des Grecs , avant qu on y soit familia- 

, (i) Voyez Schleo^el, tome T, page 227. 



DE l'imitation. îSg 

risé. Qii'y remarque- 1- on? Quelque chose de si 
simple, de si épuré dans les contours, de si purgé de 
détails minutieux, qu'on a souvent pris cette sim^ 
plicité pour de la froideur, cette pureté pour de la 
roideur. On y remarque une grandeur de style qui 
parolt aller au-delà de la nature , un accord systé- 
matique de formes qui ressemble à une convention 
arbitraire, un ensemble de rapports et de propor- 
tions fixées avec une régularité que la méthode seule 
peut donner, et toujours cette absence de parties ac«* 
cidentelles qui détruisent la forme générale. C'est par- 
ticulièrement dans les têtes que ces caractères de- 
viennent encore plus évidents pour tout le monde. 
Il suffit de se rappeler ici ce principe général de pro- 
fils presque rectilignes , de nez carrés , de sourcils 
angulaires ; d'yeux profondément enchâssés , . de 
bouches et de lèvres articulées, de contours uni- 
formes, et ces expressions d'où la grâce et la régula- 
rité des formes ne sont jamais bannies. Aussi a-t-on 
souvent remarqué que les personnes étrangères aux 
connoissances de Tart, ou qui nen ont point scruté 
'les raisons, trouvent les plus belles têtes antiques 
privées de ce qu'elles croient être la vie et l'expression, 
dont elles n ont conçu Tidée que sur des modèles 
particuliers, ou d après le genre du portrait, genre 
qui caradiérise les ouvrages d'un certain goût mo- 
derne. ^ 
' La manière d être et le genre d'imitation indivi- 



u4o DU BUT 

dueUe sont effectivement beaucoup plus a la portée 
de Tinstinct, beaucoup plus eu rapport avec le goût 
de ceux qui ne jugent que par les sens. Quelque 
chose qui saisit davantage l'ignorant , par la copie 
'de toutes les petitesses dont il est facile d'être juge, 
je ne sais quoi de grimaçant dans lexpression des 
physionomies, un style vulgaire de détails qui tient 
du portrait, jusque dans les figures qui ne sont le 
portrait de personne, un goût d'imitation servile, 
un manque absolu de système et de méthode dans 
la disposition des formes , voilà ce qui caractérise une 
certaine manière moderne , que je n ai opposée ici à 
celle de Tantique, que pour mieux faire saisir ce en 
quoi consiste le caractère de celle-ci. J ajouterai que 
cette différence chez les modernes, a dû nécessaire- 
ment résulter de la différence d études, et du peu de 
moyens d'observer ou de comparer les éléments va- 
riables et dispersés , d^où émane la connoissance gé- 
néralisée du corpshumain. 

Ce qui frappe donc le plus dans la sculpture an- 
tique des Grecs, c'est que la figure humaine y porte 
l'empreinte d'un type qu'on croiroit avoir dû être le 
type originaire de l'espèce. Ce qu'on est tenté de penser 
de la sculpture moderne dont on a parlé, c'est que, 
comparativement parlant, la figure humaine y seroit 
l'image d'une sorte de race dégénérée. * 

Cela ne signifie pourtant rieri autre chose, sinon 
quedans la sculpture antique on reconnolt Vhomme , 



DE LIMITATION. 24? 

cest-à*dire leice généralisé, et que la sculpture mo* 
derpe ne nous donne Tidée que d^un hommenu de letre 
individu, cVst-à-dire borné à la valeur de ce qu^on 
peut appeler une épreuve secondaire et imparfeite. 

Les Grecs firent Thomme tel qu'il pourroit ou de* 
vroit être. Les modernes lont fait tel qull est, ou tel 
quil paroit être. Les Grecs ayant étudié la figure 
humaine dans Tespéce , ont iipité la nature; les mo- 
dernes ne l'ayant étudiée que dans Tindi vidu ne sont 
point arrivés jusqu'à la nature. Imiter la nature, cest 
se conformer à ses lois générales , à ses raisons pri-- 
mordiales, à sa volonté primitive, c est-à-dire aux 
principes d où découle la science de lorganisation et 
de rharmonie des corps. On n imite point la nature 
lorsque, méconnoissant Tensemble de ses lois, on 
prend pour règle de sa volonté ce qui en est les excep- 
tions, autrement dit , ces déviations que les accidents 
soit de la génération , soit de beaucoup d au très causes , 
opposent au développement régulier de Tindividu. 

Si les caractères que Ion vient d'esquisser, et dont 
Tévidence frappe tous les yeux , sont généralement 
ceux de la sculpture antique, et très particulièrement 
ceux des statues , que tout le monde reconnoit pour 
être du genre idéal; si le style propre de cette imi- 
tation du corps humain , est bien certainement celui 
qui offre Timage opposée à celle de portrait ou d'in- 
dividu, il faudra reconnoftre que le résultat visible 
et sensible des ouvrages de lart , est le même que ce- 

I. ]6 



a42 Dû toOT 

lui des notions théoriques ^t de l'atialyisê iiléta|>hy- 
sique de Fîdéal telles que nous le» avons pr^écédem^ 
ment dontiëes. 

Je sais qqon a coutume d^expliquer Ddëal^ dan» 
le^ ouvragées de tous 1^ arts, pat Une notion en ap- 
{yarence plus simple. C'est, dit-on, le produit du 
géuie. D^accord, et je suis loin de le contester ; mais^ 
revient aussitôt cette autre question : Quelle est To-^ 
pération dû génie ? On ne peut la définir que par la 
recherche des yoles et des moyens quHl emploie, et 
des effets qui en résultent. Telle a été la méthodequ on 
a déjà suivie, et qui le sera encore dans la troisième 
partie de cet ouvrage. 

Nous aurons donc atteint le but d'aussi près qu'il 
est possible, si nous avons montre que Tidéal, dans 
Timitatiôn des beaux-arts , est une manière de consi- 
dérer et de Faire voir les objets dans le point de vue 
général qui seul correspond à Tidée de nature; que 
ce point de Vue, résultat de la science à-^la-fois et du 
aenttment, n est aperçu que par Tintelligence en théo- 
rie , et ne peut être saisi datas la pratique^ que pat 
Tœil intérieur de Tartiste, qui rapporte à un modèle 
plus relevé et plus parfait que celui de Tindividn ou 
de la réalité) Touvrage qu'il se prdpôse de créet*. 



DE L*IMITAtION. ^43 



^0*^f^m^^f*^^/%f%f^mM^%n*%>'*^*%^*v%/^^%m^^^f^m/^%^f*^'%/%/^^^^%^^0%'^t/%ii%/^%,'%/%/%^0%^'%/^%^t%^^ 



S XII. 

• 

Que ta notion de r idéale telle que cette théorie la donne, 
est daccord avec celle qu'en ont donnée les écrivains 
de Pantiquité. 

La théorie de ndéal, telle que nous la présentons, 
repose sur des notions tirées de la nature même de 
la chose , et sur des £aits ou des exemples irrécu- 
sables. Elle a encore lavanta^j^e d avoir pour soi les 
téttioignages des écrivains de Fantiquité , et Taccord de 
leur suffrage avec celui des artistes. Il nous parolt 
donc utile de comparer sur ce point la doctrine spé- 
culative des philosophes, qui jadis étoient remontés 
aux causes , avec la pratique executive , doiit les ef- 
fets , constatés par les monuments de Tart , coïnci^ 
dent parfaitement avec les documents de la théorie. 

Nous ne citerons que quelques passages de deuk 
écrivains philosophes , mais les plus célèbres de Fan- 
tiquité par leur génie , leur goût , leurs connolssances 
variées dans les arts, Cicéron et Platon, qui nous 
paroissent avoir conçu , avec une grande clarté, et 
ei.pUqué de même, en quoi consiste Tidéal. 

Il y a sur-tout un passage de Cicéron , très remar- 
quable sur ce sujet, et qui pourroit servir àJa-fois de 

i6. 



244 ^^ ®UT 

texte et de corollaire à une théorie complète en cette 
matière. 

L écrivain romain annonce qu^il veut tracer le mo- 
dèle d'un orateur tel qu'il n^ on a peut-être jamais 
eu: (0 ^'^ summo oratore fingendo y talent informabo 
qualisfortassenemofuit. C est-à-dire qu'il se propose 
de montrer ce qu'est la perfection en ce genre, quoi- 
qu'il sache bien qu'on n'en trouvera que des ti^aits 
séparés et divers , selon les qitalités qui distinguent 
chaque orateur. « Je pose pour principe (continue-t- 
u il) qu il n y a rien de beau en aucun genre, qui n ait 
M au-dessus de soi quelque chose de plus beau, qu'on 
u peut imiter, comme d après un original inaccessible 
u à nos sens, mais que lesprit seul et la pensée peu- 
u vent embrasser. » Quod neque oculis, neffue auribus, 
neque ullo sensu percipi potest, cogitalione tantum et 
mente ùomplectimur. 

Cicéron donne à entendre par là , non pas que, par 
exemple , tel ou tel modèle particulier manque de 
beauté, mais qu au-dessus de tout bel objet, pour 
beau qu'il soit^ il y ^ toujours un type de beau in- 
tellectuel, que nx2us trouvons par la force de l'in- 
telligence. Or, c'est là ce que nous entendons par jdéal. 

Cela devient plus sensible encore par lexemple 
qu'en donne Cicéron. 

11 ajoute : a Phidias , lorsqu'il faisoit la statue de 

(i) Cic.y Orst.' ad Marc, Bruhan, J. u. > 



DELIMITATION, ^45 

« Jupiter ou de Miif&rve , ne Texécutoit pas d après 
« un individu qu'il eût sous les yeux , pour en tirer 
«la ressemblance, mais au fond de son ame résidoit 
*c un type d'une beauté supérieure, qui fixoit ses re- 
« gards, dont la vue dirigeoit son art et conduisoit sa 
*t main, n Neque enim ille ariifex ( Phidias ) ciimface" 
retJovisformam autMinervœ, contemplabaturaliqvem 
à quo similitudinem ducerét, sed ipsius in mente inside^ 
bat species eximia quœdàm, quam intuens, in eâque de* 
fixus, ad illius similitudinem artem manumque diri- 
gebat. 

Imaginer, comme quelques uns ont paru le croire, 
quePhidias, dans le sens qu on donneàce passage, fai- 
soit ses statues sans consulter aucun modèle vivant , 
quHl n'avoit aucun égard à ce qui constitue le vrai dans 
limitation du corps humain, qu enfin il travailloit, 
comme nous Je dirions aujourd'hui, c/epmd'^t/^^ c'est 
certainement une supposition contraire à toute vrai* 
semblance, et aujourd'hui complètement démentie 
par lautoritéla plus positive. Tout lemoïide sait qu'on 
possède dans les restes des statues du Parthénon , 
des ouvrages qui sont ou de Phidias ou de son école, 
et où* l'imitation du vrai est portée au plus haut point. 

Mais ensuite cest se refuser à entendre, dans 
ce qua dit Cicéron, ce qu'il a Voulu dire. II ne 
sagit ici ni de principe ni de^ règles pour l'art de 
faire des statues, mais d'une comparaison propre à 
éclaircir l'idée de cet original intellectuel dont il a 



246 DU BUT 

parlé. Cicéron savoit bien que^c'est par Tétude des 
corps qu on parvient à les imiter. Il ne pouvoit pas 
supposer que cette étude eût été inutile à Phidias. 
Mais il çavoit aussi que dans son application à Ti- 
mitation du corps humain, cette étude étojt de 
deux genres ; et son pas^e le prouve , par cela seul 
qu il pose avec évidence les deux modèles de cette 
imitation. Car lorsqu'il dit que Phidias ne faisoit pas 
Jupiter ou Mjnçrve d'aprè$ un modèle dont il rendit 
la ressemblance, il donne bien à penser quil cou-* 
noissoit le genre de l'imitation particularisée. • 

Ceux qui conclueroient de là, que Phidias n^au- 
roit usé d'aucun modèle vivant sans restriction , £aute 
d'embrasser l'ensemble de la phrase, en manque-^ 
roient le sens. Ce sens est déterminé par les mots ati^ 
quem et par e quo similitudinem duceret. AUquem dé- 
signe un individu seiil , ou un modèle particulier , 
R. similitudinem duceret signifie inuter dans le genre 
du portrait ou de Timitafion particularisée. Or, voilà 
ce que Phidias ne se donnoit ni pour sujet ni pour 
objet, quand il faisoit les statues de Jupiter ou de 

Afinerve. 

Cicéron a spécifié le genre d'imitation individuelle 
auquel ne se bomoit pas le travail de Phidias; je dis 
auquel ne se bornait pas y paroeque préiendl*e qu^on ne 
fait pas la copie ou le portrait d'un modèle ^ul , n est 
pas prétendre que l'on ne se sert d aucun modèle. 
Mais comme il a ainsi pai&itement indiqué le genre 



DE l'imitation. 24? 

d'iinitaticm iocUvidueUe^ qui netoit point celui di| 
Jupiter ou dé là Minerve de Phidias, il caractérise 
plus cUirement encore le genre de Timitation idéale , 
reconnu pour avoir été celui de ce& ouvrages, et . 
dans lequel brilla sur^tout ce grand artiste, imitation 
qui ne pou voit trouver son véritable modèle, que 
dans le type de beauté et de perfection , que Tartiste 
s etoit procuré par ses études et son génie , et qu il ne 
pouvoit voir qu'en idée. 

On ne sauroit mieux s'expliquer sur cepoint, que 
ne le £)it Cicéron, dans ce qui suit immédiatement: 
Ut igiiur in formis etjk^uris est aliquid perfectum et ex- 
cetlens, cujus ad cogitatam specifm imiiçmio referun^ 
turea qvm mbowlos ipsa cadunt, sic, etc. « Gomme 
« pour ce qui regarde les tarmes des corps, il existe 
« un type supérieur de perfection , à l'exemple idéal 
M duquel on confronte les objets <{ui s adressent aux 
« yeux ; de même, etc« n 

Ainsi , d après Gicéroa , nous ne pouvons point n^ 
pas fapporter les imagesextérieui^es des choses, à une 
autre image mentale , qui eBt notre point de compas • 
raison. 

Je pense que cette dactrine d/s l'idéal peut être vé* 
rifiée par un seul £ût que nou^ avons rapporté plus 
haut ( part. U, paragraphe iv ), savoir, que le même 
làadéle copié par autant d'artistes qu'on voudra le 
suppoiser, o£Brira, dans chaque copie , autant de dis* 
semblances que de cepisies. 0^ dit ordinairement, 



248 pu BUT 

» 

pour rendre raison de ce fait, que cela vient de ce que 
chacun a sa manière de voir. Ce qui signifie que cha- 
cun ne voit comme il voit , qu'en vertu de quelque 
cause qui le détermine à voir ainsi. Or, ce principe 
déterminant , peut-il être autre chose, que l'habitude 
de rapporter Timitation de ce qu'on voit, à la régèe 
que Ion s'est faite, aux objets de comparaison que 
nous reproduit la mémoire ou l'imagination ? 

» Platon , (continue Cicéron) donne le nom d* idées k 
« ces types primordiaux. Il prétend qu ils ne naissent 
(( point en nous, mais qu'ils résident de tout temps 
a dans l'intelligence et la raison , tandis que tout le 
a reste est fugitif et périssable. Donc il faut avoir re- 
« cours à ridée primitive et originale du sujet qu'on 
« veut traiter, n Idest ad ultimam sui generis formam 
speciemque redigendum. C'est-à-dire quil faut géné- 
raliser. (Voyez part. III, paragraphe v et vi. ) 

Nous avons rapporté à dessein tout ce passage, 
pour montrer , que ce que nous appelons idéal , 
dans les ouvrages de Fart antique , étoit senti ,* en-' 
tendu et défini par les philosophes de l'antiquité , 
comme on lèsent aujourd'hui, comme nous l'avons 
entendu^ et défini; que la notion de ridéal,>dans son 
application aux arts, étoit celle d'un ouvrage, dans 
lequel l'artiste avoit rapporté et confronté le modèle 
sensible et effectif, au modèle intellectuel , c'est-à- 
dire, au type de beauté et de perfection absolue, qui 
résidoit dans son esprit ; que ce type intérieur étoit 



DE l'imitation. , ^ 249 

le régulateur de-son art, artem manumque dirigebat, 
le point de comparaison du modèle en réalité, et ser- 
voit à en redresser les irrégularités , à en corriger les 
imperfections. 

On ne sera pas étonné, sans doute, que Platon, 
dans un passage que Ton va citer, établisse la même 
doctrine, celle qui prétend donner pour but principal 
à limitation, non le modèle que les yeux saisissent, 
ou la réalité , mais celui qui ne sauroit se trouver in- 
dividuellement dans la nature. 

La figure idéale dont Platon parle , est aussi pour 
lui lobjet d'une comparaison quHl emploie à faire 
comprendre l'intention qu'il eut , en traçant le 
plan de sa République. Ce qui montre qu^on s'est 
presque toujours ti^ompé , en prenant dans un sens 
positif ce projet de gouvernement , qu'il assure n a- 
voir élevé en idée^ que comme une sorte de type 
plus sensible , auquel il se propose de confronter son 
système de justice et de vertu. Or, ce système, il le 
donne comme le maximum d'une perfection au-des-» 
sus des forces humaines^. ' 

• « Qu avons-nous fait, ( dit-il') (i), sinon tracer ici 
« l'idée d'un gouvernement par&it? En aurions-nous 
t« moins raison , quand nous serions hors d'état de 
i* prouver qull est possible de le réaliser? » 

Et il ajoute : u Estimeriez-vous moins habile , celui 



(i)Pi4T. , Rep.^h. 5. 




m "' ^ " i »^ « i« 



tSe ou 'but 

nqui, après avoir fait la figure d'un hoQini? 44iM 
a la plus grande perfection de formes, ne pourroit 
« pas vous prouver la po^ibilité de cette perfect(Ç4i 
K dans la nature? » (pi^ ^vamv. ) 

Dooc Platon croyoit qu il y avoit une perfection 
de formes impossible à rencontrer, c est'-à-'diro dosit 
aucun homme ne sauroit en particulier oi^ir Iç inch 
déle; et ce quHl pensoit à«oet égard*» d^aprèf le rti« 
sonnement, lui avoit été prouvé aussi par Te^ipé^ 
rience des ouvrages dWt de son temps. Qr, cette 
opinion n'est pas seulement {pour nous aujourd'hui 
une vue de Tesprit et de la théorie. Il n'est personne 
qui ne sache et ne répète que telle belle statue grec* 
que, parvenue jusqu'à nous^ peut défier la 'nature ^ 
considérée dans les individu^ , et qu'il est impossible 
d en trouver un seul, qui arrive à la perfection dont 
Fart nous a présenté l'image. 

On voit donc que la théorie de lantiquité j sur 
cette matière, est la ïnéme que celle dont nous avon^ 
donné le développement, et que le mot idéal dont 
nous nous servons , est l'équivalent de CQ§iMa spieeim 
de Cicéron. L'une et l'autre locution eicpriment ce 
modèle intérieur, ou ce type de perfection propre de 
chaque chose, type qui ne tombe ps^s en réalité &ous 
nos sens , dont les études de la nature npus léviU^t 
l'existence, et auquel nous devons rapporter, dans 
l'imitation , les objets sensibles et particuliers qui sont 
sous nos yeux. 



DE l'imitation. ' aSi 

Senéque a énoncé la même opinion lorsqu'il a dit 
que le modèle du peintre peut étire extérieur et intérieury 
que f extérieur est celui qUi s adressent ime, tandis que 
^intérieur est dam sa mémoire ou dans son imagination. 

Et lel est aussi celui du poète, modèle qui selon 
Plante n'existe nulle part, et que cependant il trouve. 
Quod nusquam est geniium repériez tamen. 

Or , ce modèle , pour n'être nulle part , n'est pas 
hors de la nature ni hors de la vérité, si de tout ce 
qu'on a dit ^ on est en droit de conclure que l'idéal 
peut être considéré comme étant seul la nature, et 
seul la vérité, en tant quen lui seul on découvre la 
nature prise en grand et la vérité vue d'en haut. 



»%'^(yv^v > ^^^ w ^»v»»^>»%'i»»i^^>o»»^^»%^^wp' 



PARAGRAPHE XIII. 

Que t idéal dans la théorie ne doit être expiiqtié ^u'à 
fintetUgenoe , et ne peut titre que pmr tanafyse 
mtionnette. 

L'explication que cette théorie a doniiée de Tidéal , 
et la conséquence qu'il n'est en définitif que la nature 
vue en général ou en grand , et la vérité conMàrée de 
péus haut, pourront satisfaire les^ hommes dont l'es- 
prit ne demande à une théorie, que oe qui peM se 
déduire des%noyeiis de laiialyse rationnelle. Or, de 



352 DU BUT 

tels moyens sont de pâture à n être saisis que par Tin- 
telligence et par voie de raisonnement. 

Cependant ce qù on appelle idéal dans les beaux- 
arts , a sur-tout la propriété de saisir Fimagination , 
d'exalter Fadmiration , d'émouvoir le sentiment. Et 
ce qui est vrai pour celui qui produit de tels effets 
dans ses ouvrages, «restëgalement àTégardde celui 
cpii les reçoit. 

De là doit résulter chez le plus grand nombre, une 
certaine manière vague et indéfinie d entendre Tidéal , 
manière dont on ne sait comment se rendre compte, 
et qu'on ne peut soumettre à aucune explication. 

La chose est toute simple. 

La notion de Tidéal dans les opérations de l'artiste, 
et dans la décomposition des ressorts qui le pro- 
duisent, peut être soumise à une recherche analy- 
tique, qui en découvre à Tesprit les moyens par leurs 
effets , les effets par leurs moyens. C'est là l'œuvre 
de la théorie, et cette théorie ne prétend et ne peut 
s'adresser qu'à la partie rationnelle de l'ame. Toutefois 
cette partie ou cette faculté, si on laime mieux , est 
précisément celle qui est la moins exercée (et cela doit 
être ) chez ceux qui ont cultivé cette autre faculté de 
l'ame à laquelle on donne les noms d'imagination 
et de sentiment. 

Or, ce que l'imagination et le sentiment de chacun 
demanderoient , ce seroit qu on leur expliquât ce que 
c'est que Tidéal dans le sens où chacun 4'imagine , et 
comme chacun le sent. 



DE l'imitation. 253 

A cela je ne vois qu'une réponse, c'est qu'il n y a 
que Timaginadon ou le sentiment qui puissent se 
charger d'une semblable explication. 

Mais qu'est-ce que c'est qu'une explication du sen- 
timent par le sentiment, et des impressions de l'ima- 
gination par l'imagination ? ^ 

Je ne connois rien qui ressemble plus à un cercle 
vicieux , que Tèxplication de la chose par la chose 
elle-même. . ^ 

Et c'est bien ce qui arrive à ces prétendues théories 
sentimentales ou imaginatives , qui, au lieu d'expli- 
quer une notion, ne font que la paraphraser, qui^ 
par d'heureuses conjonctions d'idées ou de mots , 
substituent d'ingénieux aperçus , des esquisses lé* 
gères , à la chose qu'il fialloit montrer, à l'ensemble 
qu'il falloit tracer. On avouera que le sentiment se 
platt à ces sortes de leçons, qui sont en harmonie 
avec lui. Mais si l'on cherche le résultat de ces le- 
çons, il sera nul. Premièrement parceque le sentiment 
n'est pas ''plus l'instrument de l'appréhension , qu'il 
n'est Torgane de l'enseignement. Secondement parce- 
que la théorie du sentiment ne peut apprendre qu'à 
sentir et non à connoitre. 

Voilà pourquoi tout ce qu'on a dit et écrit par 
l'inspiration du sentiment , ou par Timpulsion de 
l'imagination sur l'idéal , n'a jamais pu produire une 
notion claire à l'esprit et à l'intelligeiice. 

Il faut dire que, comme il est dans la nature du 



»S\ DU BUT 

tentiment, de ne pouvoir être ni analysé ni défini, 
il est i^alement dans sa nature de ne pouvoir rien 
analyser, rien définiri 

Ainsi Tidéal ^ en tant qute ses effets émanent du 
sentiment, et s'y adressent ^ ne peut pas être expU«- 
qué. Si la faculté rationnelle^ sortant du cercle dt 
ses attribations , veut se charger d'être auprès du 
sentiment Tinterpréte de ses impressions , elle se 
trompe d'auditeur , elle parlera à qui ne saura Ten*^ 
tendre. 

Toute théorie a pour objet d'enseigner. On n'en- 
sei^e que ce qu'on peut prouver^ On ht prouve 
qu'à la raison ou à rtntelligence. Que si l'on de*- 
mimde au raisonnement de se charger de convaincre 
le sentiment , le sentiment demandeira l'explication 
de dlàque explication , la preuve de chaque preuve. 
Il y à , en toute ittfttiè<^> un termeà tout raisonnement» 
que la théorie doit respecter^ et qu'on ne peut sans 
Impi^dence essayer de franchir. 

lii est linsoluble. An^-delà on ne va plus. C'est là 
ligne mathématique. G'e^t^ si l'c^n veut , la région du 
monde imaginaire ûà le raiédnnement nous quitte^ 
où l'on ne peut plus être suivi de personne. C'est aussi 
^Ue d'Icare ^ où lès ailes dé l'esprit l'abandonnent 
tfop souvent.... PûUéi ^uos.... ùrdens ewsxiî tàd Mhêrà 

Nous ne noui^ httMt^erôns point dans ces roUtes 

périlleuMs,et nous bbtnant à tenir uneroute moyenne 



DE L'iMITATION. 255 

( inter utrumque viam)^ nous continuerons d^indiquer 
à Finlelligence , selon lobjet et dân« 1 esprit de cette 
théorie, les moyens par lesquels Timitation nous 
apprend elle-même quelle peu t parvenir à son but. 



FIN DE LA 6EG0KDB PAllTIR. 



■« % '%^^%>'K^/m/%^^%^%^/%/%^'*/^f%-%/%/*^^^r%t%r*.^f\/w%^\^,-%/%^rv^%r\n^i'W%^%/%^%^%,^^^%.'^^ %f% '%^^^ %/^^-%/%/^ 



TROISIEME PARTIE 



DES MOYENS DE L*lMITATION 
DANS LES BEAUX-ARTS. 



Non tam inventa a praeceptoribas 
qaam cum fièrent observata. 

QviHTiL., Orat.y lib. yiII,proein. 

PARAGRAPHE PREMIER. 

Ce qu il faut entendre par moyetis de [imitation^ selon 
[objet et [esprit de cette théorie. 

Si ridéal, comme on croit Tavoir montré, est le vé- 
ritable but de Timitatipn , telle qu on Ta définie, cW 
parcequ'il en est le but le plus élevé. 

Libre à chacun, sans doute, de considérer Timi- 
tation sous un* aspect moins haut ou moins étendu , 
et d arrêter son talent ou son admiration à quelque 
point inférieur plus à la portée soit de ses facultés , soit 
de ses goûts. 

Même liberté à legard de renseignement ou des 
théories. Il est en ce genre aussi bien des degrés; et 
comme chacun peut se borner à n'apprendre qu'une 
partie d un art, chaque théorie n'est tenue aussi qu'à 



DE%'lMITAT10N. 257 

être en rapport avec le degré de savoir qui est le 
terme des études de son élève. 

Il n^en est pas ainsi dune théorie qui a là préten- 
tion detre générale et abstraite, c est-à-dire d embras- 
ser son sujet en lui-même, sans aucune application 
à tel ou tel point de vue particulier. S'il s agit d'imi- 
tation dans une semblable théorie, on ne sauroit se 
dispenser d en montrer le but définitif, autrement 
dit celui au-delà duquel, il n'y a plus rien à aper- 
cevoir. 

Ainsi Fobjet de nos recherches notis ayant placés 
dans lordrç d'idées , qui sont celles de la théorie spé- 
culative, et la nature abstraite de Timit^tion nous 
ayantconduit à reconnoitre Tidéal , comme étant son 
but abstrait, on comprend que les moyens dont il 
nous faut parler, dans cette troisième partie^ seront 
fort différents de ceux dont on joint ordinairement 
ridée à celle d exécution pratique, et dont les leçons 
s^appliquent souvent plus à la partie matérielle, qua 
la partie intellectuelle de l'imitation. 

L'idée de moyen^ dans son rapport avec les arts, 
emporte avec soi, je lavoue, celle â^exécuiion. 

Mais ce qu'on appelle exécution n'emporte pas 
exclusivement, en théorie d art ^l'idée de pratique ou 
de mécanisme, et la diversité des traités denseigne- 
meA en chaque genre nous le prouve. 

Il y a l'enseignement élémentaire des procédés ou 
des moyens pratiques. La mesure de cette sorte d en- 
'• «7 • 



258 DES MOYeI^ # 

seignement et des moyens d exécution qui y correis*^ 
pondent, est celle des écoles primaires ou pratiques, 
est celle que donnent les rudiments de tcbaque art, 
les préceptes de la grammaire, de récriture, etc. ; c est 
renseignement uniquement en rapport avec Tins- 
trument. 

Il y a pour ciiaqu^e art un d^ré supérieur d^en- 
seignement. Il comprend cette sorte dé moyens 
d'exécution, qui ont Heu dans la région de Tintelli- 
gence, et qui sont donnés à lartiste pour être tout 
à-la*fois les ministres de ses pensées, et les conduc- 
teurs de Tinstrument qu il sait employei^ Il suffit de 
dire que tes moyens de cette classe sont ceux qui 
forment la matière des dififiérents traités, que dlià- 
biles écrivains ont multipliés, sur Tart poétique, sur 
la rhétorique, sur les arts du dessin , sur ceux de la 
scène ou du théâtre. 

Ainsi cette seule division nous montre dans ren- 
seignement de chaque art, des moyens d'exécution 
pratique, et des moyens d'exécution morale, c'est-à- 
dire des moyens dépendants de Tinstrument tech- 
nique, et des moyens dépendants de instrument 
intellectuel. 

Mais dans ces deux degrés d enseignement^ nous 
voyons que les divers moyens dont ils prescrivent 
l'emploi , ne sont en rapport qu'avec chaque art en 
particulier et s'adresseut à l'imitateur. 

La théorie de l'imitation , telle que nous l'avons 



DE l'imitation. 269 

considapée , c'est-à-dire dans une beaucoup plus 
grande circonfiéreùce que celle de la théorie de cha- 
que art, exige aussi que les moyens que nous lui 
donnerons pour répondre à sa nature , et parvenir à 
son but , embrassent des rapports plus généraux , plus 
étendus , que ceux qui appartiennent à lexécution de 
chaque mode imitatif. Le genre d exécution que ces 
moyens comporteront, sera celui qui «'éloignera le 
plus de ridée de pratique, et s adressera le moins 
directement à Timitateur. Ce seront les moyens de 
rimttation. 

Les moyens que nous disons être ceux de l'imita- 
tion , et qui doivent conduire à ^on but , n'auront 
donc point de ressemblance avec les moyens d'exé-^ 
cution plus ou moins positivie , que renseignement 
de chaque art fournît à lartiste ; mais chacu n y pourra 
trouver l'analyse des ressources que Tintelligence et 
le génie savent se rendre propres , et que les exem- 
ples puisés dans les ouvrages font seuls connoitre. 

Dans le fait les moyens dont nous allons traiter , 
ne sont guère autre chose que les conditions , néces- 
saires à limitation , pour arriver à son but , qui est l'i- 
déal. Dès-lors ils doivent dériver d'un ordre de no- 
dons en rapport avec celles de la iBn qu on a déjà in- 
^quée. 

Les fausses doctrines accréditées jusqu'à ce jour 
sur l'idéal , dans l'imitation , sont cause que souvent 
&isant de lldéâl à son insu, comme on l'a déjà dit, 

»7- 



26o DES MOYENS 

lar liste pèche contre Tharmonie du système dans 
lequel il s^est placé, et que tantôt à une composi- 
tion idéale , il applique le genre d une exécution par* 
ticularisée, tantôt il dément, par sa composition , le 
caractère du sujet ^u'il traite , tantôt il fait contras- 
ter entre eux, dans le même ouvrage, les éléments 
d'un genre dlmitation , avec les éléments d*un autre. 

Cest faut« de bien connoltre les moyens ou les 
conditions de Timitation considérée dans le but au- 
quel elle doit tendre; cest faute de comprendre la 
nature des conventions d'où Tidéal dépend , et la force 
des conséquences qui en résultent, que Tartiste com- 
met souvent, dans ses ouvrages, les disparates lès 
plus choquants. En sorte qu on verra Tun viser au 
but sans en prendre les routes, lautre entrer dans 
la route sans se douter Vlu but ou elle conduit. 

L esprit matérialiste qu'on est habitué à porter dans 
tout ce qui est du ressort des beaux arts, Fidée bor- 
née à la jouissance des sens, résultat d'une doctrine 
qui rapporte tout à l'organe extérieur, ont fait perdre 
de vue la nature morale de l'imitation. Delà ces 
théories pratiques qui ramènent tout à une exécu- 
tion dont les moyens ne doivent être saisis que par 
l'œil , doivent en quelque sorte être à la^portée de la 
main. On arrive ainsià méconnoître l'esprit des con- 
ventions sur lesquelles repose là véritable imitation. 
On oublie que l'imitation n'est elle-même qu'une 
con ventioq dont l'idéal est le point ie plus élevé. 



DE l'imitation. 261 

C'est donc dans ces conventions que nous. trouve- 
rons les moyens véritables de Fiinitation considérée 
sous le point de vue général qui est celui de cette 
théorie. 

PARAGRAPHE U. 

De ce quon appelle convention, entendue comme moyen 
et imitation. — Des conventions pratiques et des eon^ 
veniions théoriques. 

Au paragraphe xiy, qui traite de Tillusion, dans la 
première partie de cet ouvrage, il a déjà été dit, sur 
ce qu'on appelle coni;en2ion dans Timitation des beaux 
arts , un mot qui peut-être en donne l'explication 
tout à-la-fois la plus vraie et la plus sensible. 

En comparant l'action de chaque art , dans ses 
rapports avec nous, à une sorte de jeu qui a ses régies, 
et qui cesseroit de se jouer, si de part ou d'autre on 
cessoit de s'y conformer, nous avons montré qu'il y 
avoit de même entre l'imitation et l'homme , des con- 
ditions réciproques , qui sont les ressorts de cette es- 
pèce de jeu , ou les moyens de le jouer. Le but de ce 
jeu n'est pas le gain , mais le plaisir ; et ce plaisir peut 
être, comme le gain, légitime ou illégitime. Gequi 
rend le gain illégitime est aussi ce qui annule le jeu« 



262 DES MOYEKS 

Ce qui annule le plaisir dans Tiniilation est aussi ce 
qui tend à fausser d^un côté ou de Tautre, les con* 
ditions, sous la foi desquelles ïe&et doit êlre opéré 
et reçu. 

L'usage a donné le nom de conventions aux diffé- 
rentes sortes d'accord qui ont lieu entre Tiftiitation 
et rhomme, et que la nature seule des choses y a 
établies. Les convetitions sont, théoriquement par- 
lant, les moyens de Timitation^ puisque sans elles, 
son action ne sauroit avoir lieu. Aussi sont-elles ex- 
trêmement nombreuses. 

Presque tout , en fait d art , repose sur des conven- 
, tiobs , s'il est vrai que tout art est lui-même une véri- 
table convention. 

On se rappelle, par exemple, que nous avons déjà 
représenté lés beaux arts , comme placés autour de 
leur commun modèle, dans une position, qui ne 
permet à chacun d en embrasser qu^un seul côté , 
qu'un seul aspect. Cette position bornée, de laquelle 
résulte l'impossibilité physique ou morale de repro- 
duire dans l'image la totalité du modèle, est précisé- 
ment ce qui nécessite les moyens de convention, 
établis entre chaque art et nous ; leur effet est d'em- 
pêcher que ce qui manque à l'imitation pour être 
complète , ne nous en fasse sentir l'imperfection, et 
n'en affoiblisse par trop Fimpression. 

D{4à , selon le degré d'imitation plus ou moins po« 
sitive ou idéale , affectée aux ouvri^ges , deux classe» 



DE l'imitation. 263 

principales de conventions. Celles de la première 
classe comprennent les moyens nécessaires à lexis- 
tence ou à Taction de, chaque art. Dans la seconde 
classe on comprend les conventions d'un ordre su- 
périeur, au moyen desquelles Timitation de chaque 
art parvient à son but le plus élevé. 

Les conventions de la première classe peuvent 
former deux divisions assez distinctes. Il y a les cofti- 
vwtions qu il faut appeler pratiques , conditions de 
Fexistence même de tout art. Il y a ce qu'on peut ap- 
peler les conventions théoriques, conditions de l'ac- 
tion propre de chaque art. 

On s arrêtera peu, tant elles sont à la portée de 
tout le monde, sur les conventions pratiques. Il faut 
bien qu'il soit convenu de tous, par exemple, de ne 
pas exiger de la peinture la rondeur des objets , ou 
de représenter plus d'un Instant d'une action. C'est 
en vertu de semblables conventions qu on ne de- 
mande pas au statuaire la couleur des corps, quon 
permet à la pantomime de ne s'exprimer que par des 
gestes, qu'on ne doit pas se plaindre si la musique 
au théâtre fait tout dire, tout faire, et mourir même 
en chantant; si les Grecs et les Romains sur la scène 
parlent* françois; si l'acteur en conversant se tourne 
vers le spectateur , plutôt que vers son interlocuteur. 
Tout le monde entend ces sortes de conventions , et 
une multitude d autres semblables qui tiennent aux 
Cléments matériels de chaque art. Elles mériteroient 



2fi4 DES MOYENS 

même à peine qu on en fit mention , si leur existence 
nécessaire^ aussi bien que leur emploi incontestable, 
n'étoient le principe, et comme le point de départ 
d autres conventions théoriques, qui tendent à élar- 
gir pour chaque art le cercle de son imitation, et 
qui, plus ou moins justiciables du goût , font le sujet 
de tou^ les traités didactiques ou critiques. 

L'art dramatique est celui qui peut le mieux en 
donner Tidée. 

Ainsi cest par suite des conventions théoriques, 
qu'il est donné à cet art de pouvoir développer une 
action, de la représenter en un lieu, de renfermer sa du- 
rée dans un temps réglé. Voilà ce que l'on exige de l'art. 

Voici, d'un autre côté, ce que lart exige en se con- 
formant à ces trois sortes d'unités. 

Il demande que, par unité d'action , on n entende 
pas un fait isolé, dénué de circonstances, et réduit 
a la sécheresse, de Funité positive. Il demande qu'un 
fait principal et dominant puisse se présenter accom-. 
pagné de faits auxiliaires, ou d'incidents nécessaires 
au développement de l'intérêt, réunis par un nœud 
sensible, tendants à un b'ut unique. Dans l'esprit de 
cette convention , l'idée d'unité est celle d'un tout 
composé de parties, mais limitées en nombre et en 
étendue, par la mesure de notre attention, par celle 
des facultés de notre esprit, et de sa capacité à saisir ce 
qu'on lui présen te, selon qu'il est simple ou compliqué. 

L'art demande aussi de nous <|uelque$ concessions 



DE l'imitation. 265 

9ur Tobservance de Y unité de lieu, et nous lui en fai- 
sons, pourvu que les changements de lieu ne soient 
pas des voyages , pourvu qu un drame ne sorte pas 
de ses limites naturelles, à la façon de ces peintures 
gothiques , où Ton voyoit une histoire répartie en 
plusieurs tableaux dans un seul cadre. 

Les conventions sur Vunitë de temps sont de même 
nature. On ne sauroit fixer, avec le cadran ou le 
clepsydre, la durée qui devroit être, dans la réalité, 
celle de Faction véritable dont Tart ne nous donne 
qu'une apparence fictive,. apparence toutefois assu- 
jettie sur la scène à un temps donné. La convention 
a lieu ici entre le temps de la repi;ésentation fictive, 
et la durée présumée de Faction supposée effective. 
Il s^agit d'un accord à faire entre les deux sortes 
de durée. Si Ion donne à Fart une certaine lati- 
tude, c'est à condition de rester dans les termes du 
vraisemblable ; et si Fimagination se prête à ne pas 
vouloir compter de rigueur, il doit être entendu 
qu'on n'abusera point de sa complaisance, et qu%ne 
représentation en cinq actes ne sera pas Fexposé 
chronologique des actions d'un héros ou d'un siècle. 

J'ai pris pour exemple des conventions que j ap- 
pelle théoriques, celles qui se rapportent aux repré- 
sentations dramatiques , parceque, s'il n'y en a pas 
de mieux connues, il n'en est pas non plus où la 
théorie ait plus de peine à concilier des intérêts sou- 
vent opposés , et qui se combattent sur la ligne quel- 



U66 DES MOYENS 

quefois douteuse, qui sépare la vérité effective de la 
vérité imitative. 

Il est dans la nature de ces sortes de conventions , 
que Ion puisse toujours disputer sur le vrai point , 
où le goût établit laccord des deux opinions. D^une 
part on traitera de faux et de contre ni^ture dans Ti- 
mitadon , tout ce qui n'offrira pas Iç portrait fidèle 
de la réalité; de Tautre on abusera des conventions 
pour en élargir indéfiniment le cercle , aux dépens 
même de la vérité qu'on cherche. On oublie que U 
seul objet des conventions est de servir à diminuer 
Tobstacle qui s'oppose à l'imitation et non pas à Té- 
luder ou à le renverser. Or, c est ce qu on fait de part 
et d'autre, soit en forçant lefïet des conventions, soit 
en affectant de s'en passer. 

L usage du prologue ou celui des confidents, usage 
qui donne lieu aux notions préliminaires que réclamç 
Fintelligence du sujet, est du nombre des conven- 
tions autorisées par la théorie dramatique. On en a 
souvent abusé sans doute ; mais un abus encore plus 
grave est celui du remède imaginé par quelques uns, 
et qui consiste à donner au drame des antécédents 
du genre de ceux qui appartiennent à Thistoire ou 
au roman ; en sorte qu'une pièce de théâtre n'est plus 
un tableau limité dans son espace , mais une peinturç 
qui se déroule sans fin. Pour éviter l'jnvraisfsmblancç 
légère dune convention indispensable, on dissout 
les ressorts qui constituent l'œuvre de l'art coinme 



DE L'iMITATIOIf. 367 

être fictif, et on le ramène à cette realité, qui se passe 
dérègles et de conventions, parceque effectivement 
elle se passe d art. Comme il n^ a d art que par les 
conventions , il ne se fait de conventions que pour 
lart. 

Les conventions ainsi entendues, ont donc pour 
objet de donner à chaque sorte dlmitation la facilité 
de produire ses efiets , d^agrandir la sphère de son ac* 
tion, autant que le permet sa nature, sans sortir des 
bornes que lui prescrit sa constitution physique ou 
morale. 

Les conventions que j ai appelées pratiques et théo- 
riques , pour les distinguer de celles qu^on appellera 
poétiques^ ont pour arbitres le jugement et lé goût 
Lorsque le jugement ou le bon sens exigent de part 
ou d'autre des concessions, il appartient ensuite au 
goût de les ratifier, par un emploi convenable. Ici 
comme ailleurs labus est tout près de Tusage. Il n^ 
a pas une seule convention établie en faveur de lart, 
quon ne puisse faire tourner contre lui, et contre 
Tespéce d'illusion qu'il faut à-la-fois favoriser et res- 
treindre; car onaffoiblit le pouvoir délimitation, 
soit lorsqu'on lui demande, soit lorsqu'on lui refuse 
trop d'illusion. 

La théorie générale des conventions considérées 
dans le point de vue que nous venons de faire aper- 
cevoir, c'est-à-dire comme moyens réciproquement , 
établis entre l'imitation et l'homme, pour augmenter 



:268 DES MOYENS 

et faciliter l'action de Tune et la jouissance de Tautre, 
seroit sans doute le sujet d'un traité aussi nouveau 
qu^intéressant. Une multitude d'observations de goût ^ 
et de préceptes utiles y trouveroit place. Mais cette 
sorte de critique n'est point entrée dans le plan qu'on 
s est tracé. 

Je n'ai prétendu tirer et faire tirer de ce peu de 
mots, d'autre conséquence , que celle qui force de re- 
garder les conventions, comme des moyens de Timi- 
tation, et parmi elles, certaines conventions comme 
appartenant à la plus haute région de la théorie. Je 
ne me suis arrêté sur la première classe des conven- 
tions, que pour arriver à traiter d'une manière qui 
les fit mieux apprécier pour ce quelles sont, je veux 
dire comme moyens les plus en rapport avec l'imi- 
tation considérée dans son but définitif, les conven- 
tions que j ai appelées conventions poétiques. 

Quant au mot poétique , je n entends point cette épi- 
thète comme signifiant cevqui appartient aux arts de 
la poésie. On sait d'ailleurs assez qu'il y a-de la poé- 
sie dans tous les arts. Poétique ici est synonyme de 
fictif et par Conséquent de méthaphorique. 



DE l'imitation. 269 



VV^'^/V^ */%<%■•»/*»» /^'V»*'V%/%i'^^K^-%/m/%'%^^«<^»^%^»^)^^<^%^</^%»^^^^»%/%^/%«%^^^- 



PARAGRAPHE III. 

Des conventions poétiques, ou des moyens généraux et 
communs à tous les arts, qu emploie [imitation pour 
parvenir à tidéaL 

Les conventions dont il a été parlé dans le para- 
g[raphe précédent , ont pour objet de rendre ou pos- 
sible ou facile à chaque art, iexécution des sujets 
ou la représentation des objets qui entrent dans la 
sphère particulière de son action. Comme ces con- 
ventions, ainsi qu'on Fa vu, sont spécialement les 
moyens propres de cette même action , restreinte à ce 
qui constitiie sa part d'imitation , il est de même né- 
cessaire qu il y ait un autre ordre de conventions plus 
étendues , c'est-à-dire de moyens plus généraux , don- 
nés à l'action imitative , considérée dans tous les arts, 
et dans ce qui se rapporte au but le plus élevé, qu elle 
doit se proposer d atteindre. 

Je donne à ces dernières conventions le nom de 
poétiques. Elles diffèrent des premières par leur éten- 
due, par leur importance, et aussi par leur nature. 
Car lorsque celles-ci reconnoissent, comme on la dit, 
pour arbitres le jugement et le goût , les conventions 



«> 



370 DES MOTESS 

poétiques ne sont guère soumises qu^au tribunal du 
sentiment et de Timagination. 

Toute convention, en fait dart, a pour fin une 
sorte dWcommodement entre ce qu il faut appeler la 
réalité, ou la manière d^ètre positive des choses, soit 
faits , soit discours , soit formes des corps , et ce qu on 
doit regarder comme le moyeu donné à Fimitateur; 
pour opérer la représentation de ces choses. Le fé~ 
sultat de cet accommodement est une permission , 
accordée à Fart , de changer plus ou moins ce qui lui 
sert de modèle , de s^écart^r plus ou mmns du i^éel 
et du positif, ,dans l'intérêt même de l'imitation , et 
par conséquent du plaisir que nous lui demandons^ 

Les conventions poétiques sont celles qui donnent 
à lartiste le plus de moyens et les plus étendus, pour 
opérer, dans lobjet ou dans Ib sujet de son imitation , 
ces grands changements par lesquels il dispose libre- 
ment et de son modèle et de la manière ^e le repré- 
senter. Lorsque les conventions pratiques ou théori-- 
ques se bornent à certaines mutations de détail , à quel- 
ques omissions, additions ou modifications dans quel- 
ques-unes des parties de Tobjet imitable , les conven- 
tions du genre poétique, par les dbangemeots qu eUes 
font subir au fond comme à la forme de chaque ob- 
jet , en embrassent la totalilsé , et donnent à Fartistt 
la facuké de transformer les choses , les actions , les 
personnes, et leurs discours ^ au gré d'un autre ordrt 



DE l'imitation. 271 

de convenanceè, dans les intérêts d^une autre espèce 
de vérité, j^ Voyez plus bas paragrapUe vu. ) 

Lorsqu'on examine les conventions pratiques 
et théoriques, soit dans le besoin qui leur donne 
Tètre, soit dans leurs e£Fets, on comprend que leur 
principe est bien le même pour tous les arts, puis*- 
qu'il est une condition de Texistence de Timitation. 
Quant aux efiGets , ils sont tdlement particuliers à 
chaque art , qu ils varient selon les procédés de cha- 
cun. Il en est, ce me semble, autrement des convten- 
tiôns poétiques. Noii seulement leur principe est 
commun à tous les arts, mais leurs conséquences 
s'appliquent à tous, sans aucune autre variété que 
celle qui tient à la diversité du genre de leurs images. 
Tous en reçoivent également le droit d échanger, dans 
la conception, Tinvention et lexécution de leurs su-* 
jets, les apparences, la manière detre, les formes 
extérieures, enfin les éléments du monde des réali- 
tés, contre lés éléments dont se compose le monde 
idéal auquel le génie donne lexistence. 

Cet échange ne peut avoir lieu , que par certaines 
opérations de Tart , qui consistent à recomposer tous 
les objets ou sujets de Timitation, en vue et dans Tin- 
tention du nouveau rôle qu'ils sont appelés à joaer. 
( Voye^ plus bas , les paragraphes vu et suivants. ) 

Le poëte , daHs quelquerégron positive qu'il prenne 
son sujet, est tenu de réordonner le fond, le plan^ 



272 DES MOYENS 

Tensemble , et les détails des faits qu il veut traiter, de 
donner une autre physionomie aux personnages , un 
autre caractère aux lieux , d autres rapports aux cir- 
constances, de mettre les causes et leurs effets dans 
des points de vue qui en fassent mieux saisir le rap- 
prochement; il doit, non trahir la vérité, mais l'ha- 
biller, si Ton peut dii:e, de nouvelles apparences 
conformes aux conventions poétiques de Timita- 
tion. 

I^e peintre a le même droit de refaire (comme on 
le montrera plus bas) tout ce qui est dans le domaine 
du visible, c^est-à-dire de recomposer les formes, les 
contours , les rapports et les proportions des corps ; 
den modifier lés effets et les couleurs, de changer 
les lieux de chaque scène, les mouvements de cha- 
que action, les traits de chaque expression, en un 
mot, d^échanger un genre de vérité locale, indivi- 
duelle et bornée , contre un genre de vrai , vu de plus 
haut et plus en grand. 

Les conventions élémentaires et théoriques sont 
de légères déviations de la réalité des choses. Les 
conventions poétiques sont les moyens d^en opérer le 
changement moral. 

On comprend que les opérations par lesquelles a 
lieu cette sorte de recomposition ^ dépendant du ta- 
lent et du génie de l'artiste, elles se lient nécessaire- 
ment dans Texécution, à ces facultés qui sont avant 
tout un don de la nature , facultés auxquelles letudc 



DE L*IMITAT1ÔN. 373 

tt là théorie peuvent ajouter, sans jamais y suppléer. 
Il y a donc toujours dans ces sortes d'enseignement, 
une partie réellement interdite à la théorie pratique 
de Tart. Tout ce gui tient soit aux arts de lindus* 
trie, soit à la partie mécanique des arts de Timita- 
tion , peut se réduire en régies, peut être enseigné et 
appris* Mais au-delà commence la théorie spécula^ 
tive, dont les leçons ne s adressent qu a Fintelligence. 
Cette théorie remonte aux principes d où émanent 
les régies, elle na rien de dogmatique. Les moyens 
qu'elle découvre à Tartiste, sont frfutôt des lumières 
qui 1 éclairent dans son action , que des instruments 
pour agir. 

Dans lefeit, nous ne dirons point à Fartiste ni ccHn* 
ment, ni avec quoi, ni par quel secret il arrive à 
Fidéal. Ce sera lui-même au contraire qui nous le 
dira. En apprenant de lui , dans les ouvrages où 1 on 
rencoqtre les qualités qu\ constituent Tidéal , et ce 
qu il s'est abstenu, et ce qu il s'est efforcé de faire, et 
ce qu il a fait , nous nous bornerons à exposer le ré- 
sultat évident que la plus simple analyse nous prouve 
être celui des combinaisons de son esprit. Non tàm 
inventa a prœceptoribus quàm cum fièrent observata. 
QuiNTiL., Orat,, i 8,, Proem. 

Partant du principe déjà posé, que toute conven- 
tion est un moyen de changer plus ou moins la réa- 
lité du modèle, en faveur de l'imitation, il nous a 
semblé que, par rapport à Fidéal, la convention k 

i. i8 



274 DES MOYENS 

laquelle il doit sur-tout son effet et sa vertu, étoitla 
recomposition du modèle lui-même. 

Dès'lors il est nécessaire que cette recomposition 
consiste à dégager Tobjet ou le sujet imitable, de tout 
ce qui est soit contraire, soit simplement étranger à 
Teffet que Tartiste se propose, aux impressions que 
son imitation doit produire, au genre de plaisir qui 
en est le but. 

Les opérations du génie et de Tintelligence que la- 
nalyse de la théorie peut saisir, définir et rendre sen- 
sibles, pour expliquer cette recomposition , semblent 
pouvoir se réduire à deux principales , qui sont Tune 
Yaction de généraliser, Tautre 1 action de transformer 
ou de transposer. 

Nous verrons que c^est sur ces deux grandes con«- 
ventions que la théorie peut fonder, co^lme c'est par 
elles qu'elle peut expliquer l'opération de Tidéal dans 
les œuvres de limitation. . . 



bE L'rMITATION. i-jS 



PARAGRAPHE IV. 

- j 

De {action de généraliser considérée comme moyen de 
parvenir à [imitation idéale dqns les. Qu'orages de là 
poésie^ . , 

•- ' ■ • . . ' ■ 

r 

Le premier des inôyens qû^emploie Tesprit, etque 
Tesprit peut le plus focilement s expliquer, dans cette 
sorte de reconlposition que Tiinitation fait de son 
ttiodéle pour parvenir à Tidéal , est celui qui résulte 
de Faction de généraliser, ai^tion propre de Imtel- 
ligence, actioil qu'elle peut appliquer à tous les arts^ 
et dont la notion a déjà reçu ( voyez la partie précé- 
da] te) quelques développements qui en abrégeront 
\t\ l'interprétation. 

LHdée dé généralisation , dans son application à Tart 
d'imiter, à ses opérations , à ses œuvres , est une idée 
fort simpR et fort claire, sûr -tout si on la rap- 
proche de ridée contraire ^ ou celle de particularisa-- 
tion. . 

Particulariser en imitation, c'est exprimer un su- 
jet, cest représenter un objet, non pas précisément 
partie par partie, ce qui en feroit plutôt supposer la 
décomposition, mais dans ce que le sujet ou Tobjet 

i8. 



27^ I>ES MOYENS 

a de particulier^ d^individuel, c'est-à-dire dans ce 
<]uî le fait distinguer de tous les autres. 

Généraliser, en fait d'imitation, c'est exprimer un 
sujet, c'est représenter un objet, non pas seulement 
dans ce qui en est Tensemble, mais bien plutôt dans 
4e caractère qui constitue le genre de cet objet. De 
sorte que l'objet particularisé est celui qui, selon 
Vbrdre de choses dont il dépend , appartient à l'in- 
dividu plus qu à l'espèce , à l'espèce plus qu'au genre. 
C'est le contraire à l'égard de l'objet généralisé. 

Toifs les sujets, tous les objets de l'imitation peu- 
vent être considérés par l'artiste, de la même manière 
qu'ils frappent l'esprit ou les yeux du commun des 
hommes. Il y a des hommes, et c'est le très grand 
nombre, qui n'apercevant, dans ce qu'il y a<le plus 
vaste et de plus étendu, que les petits détails, ou le 
côté qui est le plus en rapport avec des connoissances 
bornées et une vue courte, rapetissent ainsi à leiïr 
mesure , l'idée ou l'image de chaque chose. Il en est 
d'autres qui savent non seulement embrasser la to- 
talité des mêmes objets dans leur plus grande cir- 
conférence , et voir les grandes choses en grand , 
mais encore ramener les plus petites au grand prin- 
cipe dont elles dépendent, et faire sortir d'un sujet 
particulier, les vues les plus générales. 

Cette faculté morale , appliquée à l'imitation , 
est donc indubitablement celle qui tend à agrandir 
toutes les images, en cela que fondées par cette opé* 



DE L'IMITATICTN. 277 

Tation de Tesprit , elles acquièrent la propriété de si- 
gnifier un beaucoup plus grand Aombre d^idée^, ou 
des idées d qn ordre beaucoup plus relevé , que celles 
qui s attachent à Timage du même sujets lorsqu il est 
vu sous le rapport borné d une seule partie, et avec 
le caractère de Tindividualité* 

La poésie ou l'art d'écrire, possède au plus haut 
point la propriété de généraliser, soit par Tétendue il- 
limitée des images dont elle dispose , soit par le secret 
qu'elle a de les réduire le plus qu'il est possible. Car 
on généralise un sujet, tantôt en y ajoutant, taslàl 
en Tabr^eant. 

Abréger, dans le sens que cette théorie comporte , 
ce nWt pas diminuer la substance d'un sujet, c^st 
au contraire en renfermer la valeur dans le moindre 
volume. 

Montesquieu a dit de Tacite: // abrège lout parce^ 
quil voit tout. Voilà lopération idéale. C'est paijceque 
le génie a tout embrassé , qu'il, peut tout restreindre. 
Lorsque llécrivaip vulgaire vous traîne de détails en 
détails , qui dans leur succession sefiFacent l'un par 
l'autra^ Fesprit qui généralise , vous place souvent 
d'un seul trait , et comme par enchantement , à ce. 
point élevé d'où votre vue saisit le tout. 

U y a en e£Fet toujours dans chaque genre de. 
sujet , une pensée capitale qui comprend toutes les. 
autres ; il y a un point de vue que le génie découyie, 
et auquel les autres aspects sont subordonnés* 



378 ^^^ MOTEmS 

Certains genres de poésie comportent par-dessus 
tous, la propriété de généraliser les sujets , c^est-à-dire 
de leur enlever le caractère qui seroit propre à les 
particulariser. Tel est le genre lyrique, et aucun ne 
rend plus sensible lopération intellectuelle dont on 
a parlé, celle qui recom{(ose la substance d*un sujet, 
pour en agrandir Timage. On diroit que souvent le 
sujet de Iode n est pour le poëte , que ce qu'est à Fo-^ 
rateur le texte quHl met en avant de son discours , et 
que par un privilège qui lui est propre, plus sa ma« 
tîère est petite, plus sa conception devient grande. 
Quoi de plus léger, de plus insubstantiel que tous 
les sujets de la lyre de Pindare ? Un prix à la lutte, à 
la course du char, ou à pied. Mais il suffit du nom 
d'un vainqueur, de celui de sa ville, du fleuve qui 
Tarrose, pour ouvrir à Fin vention du poëte, ces es- 
paces sans limites, dans lesquels il élève le fait le 
plus lv>rné, au niveau des plus grands événements. 
Si Faction de généraliser consiste à éloigner d'un su«* 
jet Fapparence. individuelle qui le particularise , ja- 
mais poëte nY a excellé autant que Piudare.^ 

Nul genre de poésie nest plus idéal que celui de 
Fode; ce qui nous fait voir là connexion naturelle 
de la notion de Fidéal , avec la méthode de générali- 
ser. Ce procédé, qui appartient à nntelligence comme 
à Fimagination , est celui du philosophe autant que du 
poëte, et certes aucun écrivain na porté plus loin 
que Platon Fart de généraliser^ en rattachant presque 



DE L*IMITATION. 279 

toujours à une seule idée, à un s^ul principe les plus 
nombreuses questions. 

Ce qu'il faut penser en efifet de l'action de généra^ 
User, c'est que son objet était de rassembler beaucoup 
et de beaucoup réunir, elle ny parvient quen sim- 
plifiant. Simplifier et généraliser seront donc syno- 
nymes. Bossuet peut réduire en un irolume ton his- 
toire universelle, parcequ'iL a su ramener la diversité 
des faits , et des révolutions de tous les empires , à l'i- 
dée la plus simple, à un fait général qui embrasse tous 
les autres. On a détaillé depi;ys en cent volumes l'his- 
toire des hommes et des peuples, et l'on a pro\luit 
de l'universalité sans unité, de la multiplicité sans 
ensemble. 

Il est souvent difficile à Thistorien de généraliser le 
sujet de ses récits ; aussi l'histoire et lart de l'écrire 
ne se considèrent pas comme nécessairement soumis 
aux conventions doù résulte TidéaL Quelques his- 
toriens , il est vrai, ont été assimilés aux poètes , lors- 
qu'ib ont pu se dégager des sujétions que la va- 
riété des détails historiques leur impose. Mais quant 
aupoëte , il est libre de cette servitude, et cAmme il 
lui appartient d'asservir Thistoire à son art , c'est sur- 
fout par l'action de généraUser soit la matière de son 
sujet, soit les caractères de ses personnages, qu'il 
élèvera ses inventions dans la r^ion de l'idéal. 

I^ poëte doit choisir sans doute pour objet de ses 
chants , un sujet célèbre et important; mais plus il 



à8o D£S MOYENS 

alKmdera^en détails et en drconstances , plus il lût 
sera nécessaire de le resserrer dans un point de vue 
qui en ofFre la plus simple expression^ Loin que 
tout dire fiit un moyen de généraliser, ce seroit au 
contraire celui de tout particulariser. Le génie qui 
conduisit Homère dans la création de ses épopées^ 
lui avoit révélé le secret de cette théorie. Avec quel 
art il a su généraliser son sujet, dans chacun de ses 
poëmes , en dirigeant vers un point saillant, et dans 
un but unique, autant que simple , tous les ressorts 
de Faction épique, et ^ faisant ressortir de chaque 
partie, ridée mère, le motif moral de lensemble. 

C'est en effet de Faction de généraliser , que dé-« 
pend ce mérite de totalité , moralement entendue ; 
qui seul donne un corps aux récits de Tépopée, qui 
fait du poème une sorte de miroir concentrique , où 
tout se rassemble, au lieu d'être un verre à facettes , 
où tout se diyi^, se morcelle et se particularise. 

On aura de cette double manière de Voir et de mon« 
trer les objets dans limitation poétique, un exemple 
bien sensible, en comparant te poëme du Tasse et 
celui d^rioste. I^ premier a su lier en un tout fais* 
torique, c'est-à-dire à un des plus grands événements 
de la guerre des Croisades , et rapporter à un seul 
fait, mais fécond en beaux exploits, Tensemble des 
intérêts, des mœurs, des caractères, des passions , des 
vertus, et des vices d'une époque mémorable, et son 
poëme, «orte de monument posthume à la gloire de 



DE l'imitation. i8i 

ce siècle, semble en être devenu Fbistoire. Arioste 
s'est plu à étendre et à dépecer, si Ton peut dire, par 
un système inverse , tout ce qui pouvoit devenir 
le tableau historique d'une autre époque non moins 
célèbre. Son poème au lieu d'un plan tissu par lart 
de recomposer les £sits, n'offre qu une succession de 
morceaux cousus, de récits sans cohérence, d actions 
qui se suivent sans s'en<ihatner ; promené de parti* 
cularité en particularité , le lecteur arrive jusqu'au 
bout , sans avoir élé nulle part , sans avoir pu saisir* 
un point de Centre à la composition. Ce sont des; 
parties sans un tout; et le poëme d'Arios te semble 
être la cbroniqu€)fversifiée des aventures de ce temps. 

Telle est la différence entre Faction de généraliser 
qui compose un tout, et l'action de particulariser qui' 
le décompose. 

Plus sont bornés l'espace et la durée où le poëte 
est tenu de renfermer Timage des événements qui 
forment son sujet, plus il sera forcé d user du pro- 
cédé qui le généralise, parceque, ainsi qu^on la dit, 
ce procédé en sftnplifiant est aussi un moyen abré- 
viateur. Nul n éprouve plus le besoin d'en faire usage, 
que le poëte dramatique. Les événements, tels que 
l'histoire les présente , sont remplis de diversités et 
de contrariétés. La conduite des hommes , la direc- 
tion des affaires , les qualités des personnages et de 
leurs caractères , ne sont, le plus souvent, dans la réa-^ 
lité , qu'un mélange assez confus de (ontradictions^ 



a8l DES MOYENS 

que rhistoire peut prendre le temps de démêler, pour 
nous faire discerner le vrai. 

' Mais Tart qui n^a ni le temps ni les moyens de se 
livrer à ce genre de critique^ qui ne s'empare des 
faits, des choses, et des personnes historiques, que 
pour en composer des tableaux susceptibles de plaire, 
cet art, dis-je, est obUgé de se placer dans tous les 
sujets, à ce point de distance qui fait perdre de vue 
les discordances de leurs accessoires. 11 est tenu de 
redonner aux personnages lunité de caractère , aux 
actions la simplicité de direction , aux passions Tu- 
niformité d'impulsion; et il est tenu dans cette re- 
composition , démettre en-dehors tous les ressorts de 
Faction scénique , qui restent ordinairement cachés 
sur le théâtre du monde. 

Or le poëte n arrive à ce but , qu'en sacrifiant tout 
ce qui n'est que détails dans l'histoire, en généralisant 
tout ce quelle particularise ; et c'est ainsi qu'il donne à 
tout une existence de convention , c est-à*dire con- 
forme à l'imitation , conforme à la nature d actions 
qui doivent s accomplir ( en vertu de la fiction imi- 
tative) sans le secours du temps, et des ressorts na- 
turels qui font mouvoir les choses humaines. 

L art de généraliser étant celui qui réduit les choses 
et les notions des choses à leur principe, # leurs élé- 
ments, et qui, en les simplifiant par la suppression 
des détails ou des notions subalternes , en fait mieux 
saisir à Tesprit la valeur et Tétendue, on comprend 



DE I^'lMITATION. 283 

combien il importe au poète de soumettre à ce pro- 
cédé Texpression des caractères de ses personnages. 
Ce quon appelle le caractère des hommes, est, 
dans le jeu des afiEsùres et des intérêts poliUqùes, ce 
quHl y a de plus intéressant à faire connoitre. Il faut 
que Timage qu en présente la scène, nous mdntre bien 
à découvert le moteur principal d^événements ; qui 
doivent passer aussi rapidement sous nos yeux. Le 
premier intérêt du poëte, est donc de dégager ce mo- 
teur des agens accessoires qui embarrasseroient le jeu 
de la machine dramatique ; et c'est par Feffet de cette 
opération, que le caractère des personnages acquiert 
undegféde franchise, d'évidence et d énergie, qui 
ne peut jamlSiis avoir lieu dans la réalité. 
• En s écartant sur ce point comme sur bien d autres , 
de la fidélité à la^ttre de Thistoire , le poëte se con- 
tente d'être fidèle à son esprit. Toute autre véracité 
de sa part trahiroit la vérité générale, à laquelle seule 
il doit prétendre , et qui est celle de Timitation. Lors- 
qu'il généralise les traits dont se compose la physio- 
nomie morale de ses personnages, il ne fait autre chose 
que ce que nous voyons faire au statuaire, lorsque 
plus d une sorte de convenance l'oblige à supprimer 
les détails des corps , dont il veut faire mieux briller 
les formes caractéristiques , ou lorsque le caractère 
du sujet lui commande de mettre, par une savante 
exagération , la nature de son héros en rapport avec 
la violence de l'action qu'il exécute. Il faut bien don- 



384 DES MOT&iKS 

ner à Hercule une force de musculatu re idéale, quand 
on lui fait étouCFer le lion de Néniée. 

Plus on comprendra que Topération de généraliser 
est une àti principales conventions de Tintitàtion « 
convention à laquelle la nature même des choses as^** 
servit lartiste , plus on sera persuadé quHl est néces^ 
saire , en employant ce moyen , d'en bien connoltré 
les conséquences. On est porté à croire que beaucoup 
d erreurs ont eu lieu, faute de concevoir à quoi cette 
convention engage. Or, une des premières conditions 
qu.elle impose à Tartîste est de ne pas se rétracter à vo* 
loi^té , de ne pas démentir dans une nertie de Ton* 
vrage, le système où il s'est place dans une autre. 

Qui pourroit dire combien de défauts^d'^armonie, 
combien de disparates, dont on ne sait souvent pas 
sVxpliquer la cause , trouvent leur ^son dans Tigno*' 
rance où est lartiste des conséquences auxquelles il 
se soumet à son insu ? 

Je pense que lespéce de controverse qui régne 
toujours centre les deux genres de drames que j^ap- 
pelle Tun régulier, lautre irrégulier, nauroit jamais 
eu lieu , si on avoit compris que les drames du der^ 
nier genre, c'est-à-dire à la manière de Shakspeàr, 
ne sont que la réunion monstrueuse de deux imita-^ 
tions antipathiques , de deux principes contraires. 
Car, lorsque dans ces pièces de théâtre On trouve 
porté au plus haut point, le système de généralisa* 
lion dans les caractères , dans lexpression dite pasr 



DE l'imitation. a85 * 

lion», dans notention morale du sujet, oti y voit 
poilssé jusquail ridicule le procédé contraire qui 
tend k particulariser Faction par des incidents bur- 
lesques, les personnages par des locutions triviales, 
et^^effet total par un morcellement de petits détails » 
indignes de toute espèce d^mitation. 

Certes nous ne croirons jamais que Shakspear ait 
produit exprès ces inconvenances, et que ce soit par 
système et par étude réfléchie , qu il ait opéré de telles 
mésalliances. Le génie d'une part le portoit au su- 
blime, llgnorance de Tart, de sa nature, de soii but, 
de^ses moyens (c'est-à-dire de sa théorie) le poussoit 
de l'autre, |)ar la force d'un penchant alors invin- 
ciMe, Vers les écarts, que, par aine aberration d es- 
prit bien moins excusable , on a depuis essayé de lé- 
gitimer et de convertir en genre: comme si le faux 
pouvok jamais devenir un gcni^e, el être autre chose 
que le néant de la vérité. 

Lorsqu'on envisage les œuvres de limitation sous 
les deux rapports que sa théorie nous force d'y dé- 
couvrir, on ne sàifroit comprendre qu'on puisse ad- 
mettre comme légitime et naturel dans un art , ce 
,qui révolteroit la raison autant que les yeux dans un 
autre. Qui ne seroit choqué de voir dans les arts du 
dessin, cet alliage bizarre du mode d'imitation particu- 
tftrisée jusqu'à l'expression des objets de détail les plus 
vulgaires , avec le mode d'imitation généralisée qui 
Apure tous tes sujets , et qui élève leur image dans les 



* 286 DES MOYENS 

régions. de Tidéal? Qui pourroit supporter dans utl 
tout ensemble, une réunion de tels contrastes, aussi 
rapprochés qu ils le sont dans le^représentations scé^ 
niques du poëte anglois ? 

Qu'il y ait des genres de poèmes libres et burlas- 
ques , qui tirent de ces contrastes-là Feffet d une sorte 
de plaisanterie, que de telles oppositions font naître, 
on comparera ces ouvrages aux caprices pittoresques^ 
dont un pinceau ingénieux cherche quelquefois à 
nous amuser. Mais qu*y a-t-il à conclure de la paro- 
die, si ce nest qu'il est dans sa nature de se placer 
hors de la nature , comme le sont toutes les mons- 
truosités ou les caricatures ? 

L'imitation , comme la nature ^ a aussi ses ex-^ 
ceptions qui , comme telles et par cela qu'elles sont 
' exceptions, confirment les régies. Or, la première 
régie de toute imitation est l'unité de genre dans un 
même ouvrage. Et cette unité doit r^ner sur-toul 
dans l'observance des conventions qu'on a adoptées. 

La principale est celle qui détermine le degré danflf 
lequel le sujet se trouve placé, de manière à appar^ 
tenir à l'imitation positive et particularisée, ou à l'i- 
mitation idéale et généralisée. 

Il n'y a point de genre d ouvrage , si réduite que 
semble sa mesure, qui n*ait droit de prétendre à 11- 
déal , et où ne puisse avoir lieu la méprise qui tend à y 
confondre les éléments des deux degrés d'imitation. 

On ignore , par exemple , que l'apologue appartient 



DE L'iMItATIOrf. 287 

à Tidéal par le genre de fiction et de transposition 
qui le constitue , bien que les personnages y soient 
pris le plus volontiers dans la classe des animaux» 
Ce n est pas le plus ou le moins de grandeur ou d'im- 
portance des êtres mis en scène , qui autorise ou non 
remploi de Tidéal. L^apologue est idéal parcequ il est 
une convention imaginative, qui consiste non à ra- 
baisser letre transposé jusqu^à Tanimal, mais au 
contrairctà élever Tanimal jusqu'à Thomme. Or, cest 
manquer à Tesprit de cette convention , que de don- 
ner aux personnages fictif» de cette sorte de drame, 
une individualité trop marquée , soit par la 'fidélité 
des petits détails zoologiques , spit par des naïvetés 
de description , qui substituent, dans rimagination , 
lâA^éalité de Tètre à la fiction du rôle. Quelque charme 
qu'on trouve aux conceptions du fabuliste français, 
il faut reconnottre qu'il a souvent , par son exécu- 
tio]\, dépouillé lapologue de son costume idéal. 



a88 DES MOYENS 



*l<"ii^'^'^'^'^^''>^'%^'%^^' ^ ^ ^ ni't^ ^ <' V%^ < VV% -> r»-V%'»^ . ^ < ^-> ir V% '»f»^- WV%-W »^ i >rl< m '»» ^ 



PARAGRAPHE V. 

De [action de généraliser dans les ouvrages des arls du 
dessin — et dans [imitation du corps humain, 

à 

L action de généraliser , considérée comme opérar 
don dePinteiligence , est particulièrement de la nature 
de celles dont la métaphysique se charge d^analyser 
les éléments et de développer les notions. La science 
de la métaphysique est principalement la science 
des opérations de Tesprit; et Ion nVst point étonné 
de la voir intervenir, comme juge nécessaire et défi- 
nitif^ dans une multitude de questions qui s élèvent 
soit 9ur la conception , soit sur le^ moyens d'ei^^u* 
tion des ouvrages d art , dont Timitation s adresse sur- 
tout à Fesprit. Mais s'il s^agit de ceux qui emploient 
les formes des corps et la matière , on semble croire 
que parceque les sens en reçoivent l'impression , ces 
arts peuvent se soustraire au tribunal de la métaphy- 
sique , comme si les impressions des sens pouvoient 
être expliquées même matériellement , sans le con- 
cours des sciences morales. 

J'avoue que la recherche des opérations de Tintel- 
ligence qui généralise» nest guère entrée jusqu'ici 



DE l'imitation. 289 

dans la théorie des arts du dessin (i ). Mais c'est par- 
ce<Jue cette théorie elle-même n'a guère été généra- 
Usée. Lobservation critique ne sexerce d'ordinaire 
que partiellement dans le cercle isolé de chacun des 
beaux arts. Pour peu qu'on les embrasse tous , par 
une étude plus étendue, on saperçoit que tous ont 
entre eux des principes communs, de certain^ lois 
générales, d'où résulte, dans leurs modes séparés d'i- 
mitation, une action semblable, et qui ne diffère que 
par la diversité des organes auxquels elle s'adresse. 
On voit clairement alors que l'action qui généra- 
lise, est la même dans les ouvrages des arts du des- 
sin, que dans ceux des arts de la poésie. Oui il ap- 
partient à la même opération de rintelligence, de 
généraliser des formes comme des idées , les images 
des»corps comtne les conceptions de l'esprit, la re- 
présentation des objets de la matière, comme l'ex- 
pression de la pensée et des rapports du monde moral. 
L'action de généraliser procède d'une des facul- 
tés instinctives de notre esprit^ et nous ne disons 
presque rien sans y avoir recours. Ainsi le langage 
ne vit que d'abstractions, c'est-à-dire d'idées gé- 
néralisées. Cest par nécessité, et souvent sans s'en 



(i) Dëja dans un récueirpëriodiqae {Us Archives tittéraim) noas 
donnâmes , il y a dix-huit ans , en plusieurs articles , un essai de cett« 
théorie , où nous prétendîmes que l'idéal consistoit particulièrement 
dans Taction de généraliser. 

ï. 19 



290 DES MOYENS ' 

douter, que Fartiste aussi, dans son langage par 
formes, met en œuvre un procédé qui est celui de 
Tinstinct autant que de Tintelligence; et Ton a déjà 
fait observer (part. II, parag. x) que dans le pre« 
mier âge de 1 art^ l'imitation par signes avoit été une 
sorte d'idéal, en tant qu'elle procédoit par images 
du geni*e le plus abstrait. U y a par conséquent un 
idéal quon peut appeler grammatical, et il y a Ti- 
déal de la poésie. On ne fait ici mention du premier^ 
que pour mieux caractériser le second. Aussi croit-* 
on inutile de remarquer que si , dans les beaux arts, 
tout idéal poétique résulte de laction de générali- 
ser, toute opération qui généralise ne produit pas 
réciproquement Fidéal, dans le sens poétique des 
beaux arts. 

Quoi qu'il en soit, laction de généraliser, appli-^ 
quée aux arts du dessin, s'exerce sur la composition 
des sujets, comme sur la représentation du corps 
humain. 

Quant à la composition , le but de cette action 
sera, comme dans les conceptions du poëte, de ré- 
duire les sujets les plus étendus à leur expression 
tout à*la- fois la plus simple et la plus énergique. Il 
ne faut pas séparer ici l'idée de simple de l'idée de 
fort.' Le vrai mérite de toute pensée est sans doute 
dans sa simplicité; mais on entend que cette sim- 
plicité soit celle qui en augmente l'énergie. 

La peinture sait , tout comme le discours, faire ex- 
primer par un petit nombre de figures, ce que des figu- 



DE l'imitation. 291 

IT8 multipliées ne feroient qu affoiblir. Elle a aussi 
son laconisme de formes , comme la poésie du langage 
a celui des mots, dans ces axiomes célèbres, qui pas- 
sent pour être les abrégés de la sagesse des siècles. 
N'est-ce donc pas en peinture une sorte de som- 
maire d'un traité théologique, que cette composi- 
tion de Raphaël , où la Religion est vue au-dessus 
des nuages, indiquant, d'un geste dirigé vers la 
terre, que le livre fermé qu'elle tient, et qui est celui 
de la connoissance des choses divines, reste interdit 
à la curiosité des mortels? 

Si la propriété de réduire tout à ses moindres ter- 
mes, et par la plus grande simplicité de moyens, 
est un des ressorts de l'action poétique, qui généra* 
lise les conceptions de l'écrivain , elle appartiendra 
dans le même sens aux compositions du peintre, et y 
produira les mêmes efiets. On n'entend point que 
la manière dont le poëte aura généralisé sa concep- 
tion, puisse être celle du peintre qui voudroit traiter 
le même sujet. La parité dont on parle , qui est celle 
demoyen, de vertu, d'effet, doit se considérer systé- 
matiquement, et non dans les applications particu- 
lières. On montrera , plus en détail par la suite, que 
l'action de généraliser tenant au procédé de transfor- 
mation, il y a, pour chaque art, une classe d'abstrac- 
tions et de métaphores inhérentes à son mécanisme^ 
et qui sont intraduisibles dans un autre art. 

Ce qu on prétend ici , c'est que chaque art use à 

19- 



292 DES MOYENS 

sa manière et a le droit d'user ainsi de ce procédé, 
au moyen duquel le peintre peut concentrer dans le 
moindre nombre de traits pour les yeux,* ce que le 
poète abrège dans le plus petit nombre dHdées pour 
1 esprit. Si la puissance infinie du Créateur est rendue 
par la sublime concision des mots qui en généralisent 
l'idée, fiai lux: le peintre, qui a représenté le Père 
éternel débrouillant le chaos, a redit d'une autre 
manière aux yeux la même pensée; et l'immensité 
du pouvoir de la création a trouvé, dans la simpli- 
cité de cette composition , la même énergie d'expres- 
sion. 

On pourroit multiplier ces exemples, et chacun 
en ajoutera. Il a suffi, je crois, de ce peu de traits, 
pour caractériser l'opération essentielle de l'esprit de 
lartiste dans presque toutes les compositions, à part 
le plus ou le moins de succès , selon le degré de talent 
ou de génie qu'il a. Car, on Fa déjà dit, l'opération 
dont il s'agit est bien plus obligée qu'on ne pense; 
en sorte que le génie ne consiste pas toujours à gé- 
néraliser, mais à tirer de cette opération, les beaux 
effets qu'on admire chez les grands maîtres; c est-à- 
dire ces parties simples de composition , et riches de 
pensée, qui, par une savante et ingénieuse abrévia- 
tion , deviennent les équivalents d'un ensemble , dont 
la totalité eût excédé les limites de Fart. 

Le peintre sait donc généraliser de deux manières 
les sujets les plus nombreux, les plus abondants en 



DE l'imitation. agB 

particularités, c^est-à-dire les ramener à la simple ex- 
pression d'un seul aspect , fécond pour le sentiment 
ou Timagination. Tantôt il échange Fefïet physique et 
matériel de la scène, contre Timpression morale de 
certaines situations, qui deviennent pour le spectateur 
rinterpréte de ce que les yeux ne peuvent point lui 
dire: tantôt il renforce leffet même de la scène par 
la suppression des détails qui diviseroient beaucoup 
trop Inattention . 

Deux grands peintres ont traité chacun, dans Tun 
et lautre de ces deux'systèmes de généralisation , une 
de ces scènes dont la variété et Timmensité semble- 
roient devoir exiger la plus grande multiplicité def- 
fets, de détails, et de particularités. 

Raphaël peignit une fois un incendie. Ce qu^on voit 
le moins dans son tableau , c'est le feu, les flammes, 
et la fumée. Mais voici ce qu'on y voit, et qui sans 
doute vaut mieux ; c'est l'expression des plus tou- 
chantes situations ; un vieillard enlevé par son fils du 
milieu des flammes ; un jeune homme s'échappant du 
foyer de Tincendie par-dessus un mur ; une mère qui, 
du haut de ce même mur, va jeter son enfant au ber- 
ceau , dans les bras du père , qu'on voit se hausser sur 
la pointe des pieds, pour le recevoir. L'enfant va 

tomber Sera-t-il reçu?.... Ainsi le peintre, dans les 

positions diverses et les différents âges de ses person- 
nages, vous donne ^ au lieu du spectacle que pou- 
voient produire aux yeux les effets physiques de Tm- 



!Î94 D^^ MOYENS 

cendie, limage morale de toutes les terreurs dont 
un tel fléau peut être la cause. 

Dans une scène d'une autre nature, et la plus vaste 
de toutes , le déluge universel , Nicolas Poussin a fait 
voir comment le génie qui simplifie en généralisant, 
peut donner a un petit nombre d'objets cette valeur 
infinie, qui force Timagination et le sentiment de 
restituer à Timage ce que le défaut d'espace ne lui a 
pas permis de retracer. Car comment le peintre pour- 
roit-il montrer l'universalité du déluge, VOmnia pon- 
tus erant?..,. D'autres ont cru satisfeire à Tesprit d'un 
sujet si étendu, en y multipliant les épisodes et toutes 
les sortes de formes sous lesquelles la mort et la 
destruction purent atteindre leurs victimes. Voici 
le tableau du Poussin . « Un ciel qui pèse sur les eaux et 
«que la foudre sillonne avec effort; un soleil sans 
«clarté; une barque où quelques hommes luttent 
« contre les flots, un arbre, un rocher, un reptile^ 
*t seuls restes des règnes de la nature, avec une der- 
« nière famille exhalant le dernier soupir du genre 
«humain.» (i) 

Ce peu de descriptions doit donner lldée du genre 
de convention , au moyen de laquelle, les scènes les 
plus considérables peuvent être réduites dans les me^ 
sures bornées de chaque art, et dégagées de leurs 
détails, sans perdre de leur valeur. Disons même que 

(i) Sur une des opérations distinctivvs da génie ^ par M. Gnérin. 



DE l'imitation. 295 

cette espèce de concentration est précisément ce qui 
en augmente la force et 1 énergie. La suite nous mon- 
trera comment Faction de généraliser les sujets et le^ 
compositions se trouve liée à une autre action, celle de 
transformer et de transposer. (Voyez parag. vn et ix. ) 

On comprend plu^ facilement Faction de généra-** 
liser, et son effet, dans cette partie appelée composi- 
tion, et où Tartiste, si souvent obligé d élaguer les dé- 
tails qui offusqueroient Faction principale , généra- 
lise , sans le savoir , alors qu'il fait ressortir soit le 
point de vue capital du sujet , soit ce qui en est le prin- 
cipe, soit ce qui et| devient la conséquence. Toutes 
ces opérations ont lieu en procédant du composé au 
simple, et en ramenant toutes les idées d'un sujet à 
une idée principale qui comprend les détails (comme 
le genre comprend Tespéce. ) 

Mais on a plus de peine à concevoir la même opé- 
ration, et à s en rendre compte dans Timitation pro- 
prement dite du corps humain. Là, en effet, le sujet 
de limitation parott simple. Là aussi le modèle se 
présente avec un ensemble fecile à comprendre, et à 
définir. Cependant cet ensemble est un composé de 
parties, et toutes ces parties (comme on la déjà dit) 
sont fort loin d'ofPrir dans l'individu , l'harmonie 
complète d où résulte la beauté corporelle. L'artiste 
est donc obligé de soumettre toutes les formes de 
l'individu à une critique de comparaison, qui repose 
sur la connoissance d'un type absolu de perfection. 



296 DES MOYENS 

Voilà que Topération de généraliser trouve encore 
ici à s exercer. Quel que soit , en effet, l^objet sur le- 
quel elle s exerce, son action est toujours la même, 
puisqu'elle consiste principalement à ramener toute 
idée, comme toute image particulière, à son principe 
générateur^ à ce qu on appelle genre. 

L exemple déjà tiré de l'idée de portrait , c est-à-dire 
d^image particularisée, va nous montrer en parallèle 
cequ est rimagegénéralisée. Opposons à la tèieporlrait, 
une tête de sculpture grecque représentant une divi- 
nité. ( Voyez. part. II, paragraphe xi. ) Je ne veux que 
retracer ici des traits caractéristiques déjà décrits, (i) 
et sur lesquels il suffit de rappeler Tattention. NW- 
il pas vrai qu il existe entre ces deux têtes une diffé- 
rence , telle, que Toeil le moins expert ne s'y mépren- 
dra jamais ? N'est-il pas certain que la plus belle tète 
portrait se trouveroit entièrement en désaccord (si on 
veut se prêter à cette transposition ) avec le corps soit 
d'un Apollon soit d'une Vénus antique? Mais tout 
le monde conviendra qu'il en seroit de même d'une 
tête de Vénus et d'ÂpoUon antique, sur le corps d'une 
statue faite dans le goût moderne, c'ést-à-dire de na- 



(i) On se rappelle que tout ce qui entre dans les éléments d*une 
imitation minutieuse y est supprimé. Les poUs des sourcils disparoissent 
pour laisser mieux se dessiner Tarcade de Toeil. Le globe de l'œil n y a 
point de prunelle , le nez y a une forme angulaire , les cheveux et la 
barbe y sont traités par masses factices et composées. Le tout est réglé 
d'après une symétrie parfaite , et tout contour y est purgé des détails 
accidentels qui dans Iwdividu interrompent sa régularité , etc. 



DE l'imitation. 297 

ture modèle dont on a parlé. (Part. II, paragraphe xi.) 
D'où peut naître ce désaccord? si non de ce que lun et 
lautre ouvrage procède de deux systèmes opposés et 
inconciliables. 

QuY a-t-il donc dans ces deux manières d^imiter 
le corps humain, et d'où provient leur diversité? Le 
voici: Dans Tune chaque partie du corps, chaque 
forme , chaque muscle ont été imités avec toutes les 
irrégularités de détail, toutes les particularités acci- 
dentelles que les hasards de la génération et mille 
autres causes font intervenir dans tous les corps. 
Qui ne sait combien il est ordinaire que la forme 
donnée par lossature et la musculature soit déna- 
turée , altérée et modifiée par la peau , par le tissu 
cellulaire , par le plus ou le moins d'embonpoint dans 
chaque individu ? Et qui ne sait encore que les rap- 
ports de toutes les parties du corps entre elles, rap- 
ports d où résultent la beauté et l'harmonie des pro- 
portions, dépendent d'un nombre infini de causes et 
de circonstances qui en arrêtent ou en modifient le 
développement? Bien de plus ordinaire dans Timi- 
tation du corps humain , que cette manière qui con- 
siste à eit reproduire les formes, le dessin^ les pro- 
portions, ou les rapports^ tels que le modèle indivi- 
duel les présente à lartiste. C'est limitation dans Fidée 
de portrait. 

L'autre manière a déjà été décrite et analysée 
(part. II, paragraphe xi), et je m arrêterai d autant 



2qS des moyens 

moins ici à en faire sentir la diflBérence, qu^elle s'an- 
nonce elle-même à lesprit, commeà la vue, ps^r une 
opposition de style indubitable. 

Qu on se rende compte en idée de ce qui est écrit 
si lisiblement pour les yeux dans les statues du style 
antique. N'est-on pas obligé d'avouer qu'une certaine 
grandeur de formes y exclut toutes les petitesses ac- 
cidentelles, quune juste combinaison de rapports 
entre les parties, y produit un certain concert de pro- 
portions, qui semble faire la régie d'après laquelle le 
Créateur aurait constitué la nature humaine, avant 
qu'elle fût soumise aux accidents que la génération, 
le travail , la pauvreté, les maladies y ont introduits? 

Qu'est-ce donc que ce style qui nous offre préci- 
sément le contraire de celui où les formes du dessin, 
les proportions sont copiées dans l'esprit du portrait^ 
si ce n'est le style d'imitation qui généralise la forme 
et la proportion du corps humain , et par la vertu 
duquel l'ensemble se trouve ramené de l'existence 
particulière d'individu, à lexistence abstraite d'esr 
péce et de genre ? 

Mais cette figure d'homme ainsi généralisée, est 
précisément celle à laquelle nous avons vu (part. Il, 
paragraphe xi) qu'on donne la qualification de 
figure idéale. 

Il sera dès-lors certain quen théorie, idéal et génér 
ralisé seront , jusqu a un certain point, synonymes , 
parcequ'ils expriment le même effet, quoique l'ana- 



DE L'iMITATIOM. 299 

lyse de ces deux notions nous prouve que Tune dé- 
rive de lautre, el que Taclion de généraliser est cer- 
tainement le moyen quemploie Tesprit de Timita- 
teur pour parvenir à Tidéal. 

Ainsi il y a une convention poétique , en vertu de 
laquelle lartiste, dans Timitationdu corps humain , 
recompose aussi ce qui lui sert de modèle. Et cette 
recomposition n^aég[alementlieu qu^autantquonuse 
du même procédé employé par les autres arts. Cela si- 
gnifie, quant au dessin , qu^il faut généraliser la forme 
du modelé individuel, nécessairement imparfait, 
par la science du modèle abstrait , qui est le type 
même de la perfection des corps, ou la loi de la na- 
ture. 

Or ce type de perfection corporelle (quoiquUl s a- 
gissè de corps et de matière) n est pas un être que 
Fon puisse trouver quelque part individuellement, 
qui puisse être saisi isolément par lorgane physique 
seul. C^est un être composé dont l'observation et la 
science, Timagination et le sentiment rassemblent 
les parties. Ce type de perfection est, pour Fimitation 
de rhomme physique , ce que sont , pour les arts d'imi- 
tation immatérielle qui embrassent Thomme moral, 
et cette règle du beau , du vrai, sur laquelle le poète 
trace le caractère des personnages , et cette connois- 
sance de notre ame, d après laquelle il mesure lefiet 
des passions , de leur expression , et des sensations 
que nous en recevons. 



3oo DES MOYENS 

Dans tout ce qui est imitation , il y a , sans doute, 
une partie pour lorgane physique, et Ton ne sauroit 
neir que nos sens ne soient appelés à recueillir un 
grand nombre d'observations utiles à Fart. On ne 
prétend donc pas que tout, dans l'imitation généra- 
lisée du corps humain , soit exclusivement du ressort 
des moyens intellectuels. Il est indubitable que c'est 
sur des corps que l'observation s'exerce, et avec le 
secours des yeux. Mais il s'agit de savoir ce qui éclaire 
l'observateur dans ses recherches, et ce qui conduit 
l'opération de sa vue. 

Or, quand on se rend compte et du genre de Fob* 
servation , et de la nature de l'opération , et de son 
résultat dans les ouvrages de l'art, on est oblige d'a- 
vouer que ce type régulateur des formes du corps 
humain , que ce modèle général donné à l'imitation, 
ne sont autre chose qu'un système, ou, si l'on veut, 
une science dont l'objet est de connoitre les raisons 
générales desquelles dérivent la règle de la confor- 
mation humaine, les principes de l'organisation de 
chaque membre relativement à sa fin , et les lois de 
l'harmonie communes à toutes les œuvres du Créa- 
teur. 

Si tels sont les éléments de la science qui devient 
la règle ou le type de l'imitation du corps humain, 
on avouera que ces éléments ne sont ni aussi pal- 
pables ni aussi visibles aux seuls yeux du corps, 
qu'on se l'imagine quelquefois, en réduisant le tout, 



DE L IMITATION. 3oi 

par une explication trop matérielle, à la seule action 
du sens extérieur. 

En effet, on a fort habituellement recours, pour 
expliquer ce qu'on appelle Tidéal dans l'imitation du 
corps humain, à certains procédés qui semblent ré- 
duire Topëration de Tartiste à quelque chose de po- 
sitif et de pratique. J'espère montrer que ces expli- 
cations ne sont en définitive, que des formules du 
discours, dont TefiFet est de substituer à Faction 
presque indéfinissable de Tintelligence et de Timagi- 
nation , certaines définitions , sur lesquelles les sens 
paroissent avoir plus de prise. (Voyez le paragraphe 
suivant. ) 



PARAGRAPHE VI. 

De ce qnon a coutume d'appeler choix de formes , et 
réunion de beautés éparses, dans les ouvrages de 
Fart. — Analyse de ces deux notions. 

On a eu déjà loccasion de parler des méprises qui 
ont lieu dans lemploi du mot idéal ( voyez partie II, 
paragraphe v), sur-tout lorsqu'il s applique aux ou- 
vrages de lart. Telle est celle qui consiste à en res- 
treindre la notion au beau corporel. Le plus grand 



3o2 DES MOYENS 

nombre des hommes en commet une autre, c^est de 
considérer Fidéal , comme exclusivement en rapport 
avec les ouvrages des arts du dessin, et avec les for- 
mes du corps humain. De là certains systèmes restric- 
tifs , qui tendent à expliquer le style idéal, les opéra- 
tions dont il dépend , les efiets qui en résultent, par 
des moyens en apparence tributaires des sens, par 
des notions de procédés positif^ et en quelque sorte 
pratiques. 

On ne sauroit mieux faire sentir le défaut de ces 
explications, qu^en montrant Tidéal comme appar- 
tenant aux conceptions de lart du poète, autant 
qUaux inventions des arts du dessin. Il faut bien 
alors donner à la définition des opérations d'où il ré- 
sulte, la propriété d'être appliquable aux purs ou- 
vrages de lesprit, comme à ceux où Fart s exerce 
sur la matière et sur les corps. 

C'est ce que j'ai tâché de faire comprendre dans 
les deux paragraphes précédents, où j'ai montré le 
même effet, produit dans les arts des deux genres, 
par la même faculté de l'esprit, par la même action 
de généraliser. 

11 faut achever de le prouver, en faisant voir que 
les deux manières d expliquer l'opération de Tidéal , 
telle que quelques uns ont Thabitude de la concevoir 
et de l'exprimer à legard des arts du dessin , ne sont 
autre chose que l'interprétation de l'action même de 
^néraliser, ou , si l'on veut, la périphrase de ce pro- 



DE l'imitation. 3o3 

« 

cédé intellectuel. Si je prouve ensuite que les deux 
procédés quon prétend y substituer, devroient être 
aussi ceux que le poète seroit forcé d employer comme 
le peintre, il faudra reconnoitre que Topération de 
Fidéal dans limitation des corps, est fort loin d'être 
soumise y comme Texplication que Ton- en donne 
tendroit à le faire entendre, au seul pouvoir des 
sens, à la seule action d'un travail positif et phy- 
sique. 

Ces deux procédés par lesquels quelques uns se 
flattent d expliquer d'une manière plus sensible, et 
en quelque sorte matérielle, l'opération de l'idéal 
dans les œuvres de Tart, consistent (dit-on) dans 
Taction de choisir y d'une part , et dans l'action de réunir^ 
de l'autre : c'est ce qu'on appelle choix de formes et 
réunion de beautés éparses. 

Essayons de nous rendre compte des notions de 
ces deux procédés. 

Quant à ce qu'on appelle choix déformes, lorsque 
l'on apprécie toutes les parties d'une figure faite dans 
le style idéal, il est certain qu'en la comparant à 
une figure exécutée dans le style d'imitation indivi- 
duelle, la notion déformes choisies exprime assez 
bien l'effet de la première. A l'égard de la seconde il 
n'y a pas eu évidemment lieu au choix dont on parle, 
la seule définition qu'on en a donnée l'indique. 

Ainsi l'idée que fait naître le style idéal dans une 
figure, est assez bien représentée par les mots choix 



3o4 DES MOYENS 

de formes. Cette locution n'est toutefois quuue 
métaphore qui exprime une action bien moins sen- 
sible et matérielle qu'on ne pense. Effectivement ^ (on 
en a déjà dit quelque chose part. II, paragraphe vu) 
ce qu on appelle ici choisir, et qui paroitroit pouvoir 
être une opération simple et facile, lanalyse qu'elle 
comporte nous force d'en traduire l'idée et Faction 
qui s ensui t, par l'idée de comparer et laction dç j uger. 
A coup sûr, choisir c'est juger entre plusieurs choses , 
quelle est la meilleure ou la pire. 

Mais pour juger où est le meilleur, il faut efl 
avoir préalablement la connoissance. Or, si pour 
choisir le beau il faut déjà l'avoir trouvé ( car le con- 
noltre cest lavoir trouvé) comprend-on bien ce que 
c'est que cette opération qui , pour choisir^ c'est-à- 
dire pour juger où est le meilleur, auroit besoin d'une 
opération préalable qui eût fait connoitre à Fartiste 
ce qu'il cherche. 

Il est sensible que cette notion , lorsqu'on la prend 
dans un sens positif, n'est qu'un cercle vicieux, par- 
ceque, comme on Fa dit, (part. II, paragraphe vu) 
il faut, pour juger, un point de comparaison qui est 
la régie ou la loi. Or, dès que choisir est juger, on 
demande où est la règle de lartiste, pour prononcer 
entre les formes du corps humain^ quelles sont les 
bonnes, les meilleures, et les pires. 

Nous avons déjà fait entendre (voyez partie II, 
paragraphes vi et x) comment avoit pu jadis se 



DE l'ïmitatton. 3o5 

Former cette régie , quelles furent les causes qui la 
firent chercher, et les moyens de parallèles nom- 
breux qui conduisirent à sa découverte; et nous avons 
fait voir que cette loi ou régie des jugements dans 
Taction de choisir, fut la science même des principes 
de l'organisation du corps humain, la connoissance 
des raisons générales de la nature. 

Mais il semble qu'il a du résulter des développe- 
ments théoriques et historiques , dans lesquels nous 
sommes entrés sur cette matière, que ce prétendu 
choix déformes, soit qu'on Tenteude en théorie géné- 
rale , soit qu on en fasse 1 application partielle à l'exé- 
cution de tel ou tel ouvrage donné, ne fiit pais plus 
jadis , qu il ne peut 1 être aujourd'hui , le produit 
isolé d'un artiste, le résultat d'un travail individuel. 
Le simple bon sens nous dit que ce choix par lequel 
on explique le moyen et leffet de l'idéal, ne dépen- 
doit pas , pour chaque figure, des chances d'une en- 
quête plus ou moins heureuse de modèles trouvés 
par l'artiste , ni du hasard de ses jugements dans la 
comparaison du grand nombre des parties , qui dé- 
voient composer un tout. 

Lldée de choix ne pouvant être qu une idée systéma- 
tique, rentre évidemment dans lopération du goût, 
de l'intelUgence et du génie, et cette opération qu'on 
voudroit soustraire au principe moral , se refuse au 
contraire bien plus qu'on ne croit à toute explication 
pratique, sur-tout quand on veut la particulariser. 

I. ao 



3o6 DES MOYENS 

Qu'entend-on en effet par ce choix, qui devroit , 
dans la pratique habituelle de Fart, résulter d^une 
confrontation à faire matériellement par lartiste, de 
toutes sortes de corps, déformes, de parties? 

Entend-on que Tartiste ne puisse produire la figure 
qu il doit exécuter ni même la concevoir, que par le 
moyen d'une confrontation effective d'autant de mo- 
dèles ou d'individus qu'il lui en faudra , pour s assu- 
rer qu il a trouvé à y compléter le choix de toutes les 
perfections partielles et de détail ? Mais si on le prend 
ainsi, et si Ton veut que la chose ne puisse autre- 
ment avoir lieu, ce ne sera pas sérieusement que 
nous ferons voir le ridicule d'une telle perquisition 
de modèles' en tout temps et en tout pays, mais sur- 
tout dans nos mœurs , dans Tétat physique et moral 
de nos sociétés. Quelle sing[uhère idée on se fiormeroit 
des arts du dessin, et de leur imitation , si Ton faisoit 
ainsi dépendre le succès des ouvrages , d'un concours 
fortuit de modèles appropriés aux sujets qui doivent 
être traités ! 

Entend-on que, dans cette opération de choix, 
l'artiste puisse se borner (comme cela se pratique 4e 
plus souvent) à un seul modèle, mais sous la condi- 
tion de ne pas s'y conformer en tout, c est-à-dire, en 
y prenant le beau qui peut y être, et en y remplaçant 
ce qu'il y trouvera de moins beau ov de défectueux. 
Mais il est clair, dans cette hypothèse, que l'artiste 
faisant cette opération sur le vu d'un seul individu, 



DE l'imitation. 3o7 

$era forcé de confronler les formes du corps qui est 
sous ses yeux , avec les formes d autres corps qu'il ne 
voit point , et que sa mémoire ou son imagination 
lui retracent. Eh bien, alors lopération du choix pré- 
tendu ne résulte plus d'une action matérielle et sen- 
sible, d'une comparaison qu'on puisse dire réelle ou 
positive. Elle rentre nécessaipement dans la sphère 
des opérations de Tintelligence ou de Timagination. 
De quelque manière qu'on veuille s expliquer l'ac- 
tion de choisir, elle procédera toujours de laconnois- 
sance acquise de ce qui constitue la beauté et la per- 
fection des formes du corps. Or, cette connoissance 
est en théorie^ comme pour la pratique, le principe 
générateur de l'idéaL Donc l'idée de choix dans son 
application à Timitat^on des formes corporelles, n'est 
quune expressioir figurée de lopération, par laquelle 
l'artiste feit l'emploi des connoissances acquises en 
cette partie de Timitation. Donc cette opération est du 
domaine de l'intelligence, plus encore que des sens 
qui lui servent d'agents. 

J'arrive à l'autre procédé par lequel on prétend 
expliquer, comme dépendante de l'action physique 
des sens , lopération de l'idéal , et qu on appelle réu-^ 
nion de beautés éparses. 

Le beau idéale ditH>n , est la réunion des beautés de 
forme partiellement réparties sur plusieurs individus 
dans la nature, mais recueillies et rassemblées par l'art 
sur une seule figure. 



2Q. 



3o8 DES MOtEWS 

Rien de plus vrai que cette explication , si on eïi^ 
tend qu elle doive rester dans les termes d une défi- 
nition abstraite. Comme d'une part il n'y a point de 
beauté ou de perfection qui n'appartienne en détail 
à la nature, et quil est constant que Fartiste ne peut 
(sans absurdité) être censé trouver quelque chose 
hors de là nature; comme aussi ^ d autre part, il ne 
^Y rencontrera jamais un individu complètement 
beau et parfait relativement à Fart, si la puissance de 
Timitation est parvenue à composer le complément 
de cette perfection , il est certain que cet ouvrage of- 
frira une réunion de beautés, qui n'existent que 
diversement réparties entre tous les êtres vivants. 

Ce fait admis, comment Fart y sera-t-il parvenu? 
Le raisonnement et l'histoire nous disent qu un sem- 
blable résultat ne peut point encofte avoir été jadis, 
celui d'une opération particulière due aux efforts iso- 
lés de chaque artiste. On comprend combien il seroit 
impossible d avoir à sa disposition la collection de 
modèles nécessaires, pour obtenir unesemblable réu- 
nion : et puis les faits eux-mêmes démontrent que ce 
fut Vœuvre du temps , de l'expérience , de beaucoup 
d'essais successifs, d'un nombre infini d observations, 
constamment rapportées à un centre d études et de 
combinaisons , d où naquit cette science de l'idéal , 
que les Grecs nous ont transmise. 

Voilà comment on peut concevoir que s'est opérée 
dans chacun des beaux ouvrages de Fart antiqiie, 



DE l'imitation. 3o9 

non pas une réunion accidentelle de parties emprun- 
tées par tel ou tel artiste à plusieurs modèles, ou 
choisis ou donnés par le hasard, mais bien une re- 
composition des formes deVindividu , selon les divers 
caractères des sujets , et diaprés les lois de la nature. 
Or, une telle opération ne put être qu^un système. Et 
voilà comment y en s^appropriant ce» système étudié 
dans ses principes, dans ses conséquences et dans les 
exemples qui lexpliquent, chacun procède encore 
aujourd'hui , sans se rendre compte de la marche de 
son esprit, et arrive plus ou moins près du but, 
selon sa mesure de talent et d^intelligence. 

Ce n est pas ainsi, jen conviens y que 1 entendent 
certains critiques. Ce qu'ils appellent réunion de beau* 
tés éparseSy est, à leur avis, une opération tout-à-fait 
usuelle, purement pratique, à la portée de chacun, 
et au moyen de laquelle on produit le beau idéal. 
Selon eux cette réunion doit s'expliquer comme elle 
se fait, c'est-à-dire, dans un sens littéral et positif. 
Elle doit être une véritable agrégation de parties dé- 
tachées, empruntées à divers individus, ou modèles 
efifectife , dont l'un fournit la beauté partiellequi man* 
quoit à l'autre. 

Il nous semble au contraire que cest précisément 
cette manière d expliquer ainsi la chose au matériel , 
qui dénonce l'erreur de l'explication, en dévoilant 
l'impossibilité de l'exécution. 

Dès qu'on cesse d'entendre le procédé de la réu- 



3lO DES MOYENS 

nion dont il s agit , comme Teffet d un systèmeen théo> 
rie, et comme émanant dans lemploi pratique qu en 
fait 1 artiste, de la faculté intelligente, plutôtqUe dfune 
opération positive, je demande si Ton en conçoit bien 
lexécution, en tant que physiquement possible. 

Quand on supposeroit mis à la disposition d'un 
artiste, autant de modèles choisis , qu'il y a de parties 
dans le corps humain, se figure-t-on comment il 
pourroit y en imitant de chaque modèle une partie , 
composer de leur assemblage une seule figure? Com- 
prend-on, comment, s'il s^agissoit dy procéder par 
une semblable division, il parviendroit à cette unité 
de formes , de caractère , de proportion , première 
condition du beau? Comment une véritable barmo* 
nie pourroit-elle sortir d'une aussi nombreuse collée»- 
tion de disparités? 

Qu'on ne nous cite pas ici ce quon raconte des 
cinq modèles de Zeuxis ( i). Cette histoire n est peut- 



(i) On a déjà eu occasion ( partie n, paragrajphe ir) d'ëleyer qpiel- 
qae doute sur Tbistoire des cinq modèles de Zeuxis , et sur leur em- 
ploi dans la formation d'une beauté parfaite. Il y a deux choses à con> 
sidérer dans cette anecdote diversement racontée par les ëcrirams : le 
fait en lui-même , et la notion théorique qui s*y attache. 

Quant au fait, on ne sauroit en prouver ni en contester la réalité. Il 
y a ainsi sur plus' d'un objet , plus d'm sorte de contes , qui se foixt 
par-tout , d'autant plus naturellement , q«e Topinion qw leur sert de 
fondement, est de nature à se produire en tout temps et eu tous 
lieux. 

Nous trouvons déjà les éléments et du fait en question , et de Vopir 



DE l'imitation. 3ii 

être qu'une allégorie sensible de la réunion idéale, 
que la vraie théorie de Fart et sa pratique enseignent. 
Quand Lucien, pour décrire la beauté de Pantbée, 
en compose le portrait avec les parties séparées, 



nion qui put en sug^rérer le récit , dans le dialo(rae , où Xénoplion in- 
troduit Socrate conversant avec le peintre Parrhasius (Xekoph. , Memo- 
rahiliay lib. IV, ch. x.), et où le pelbtre convient que comme on ne 
sauroit trouTer un tenl modèle complètement^bien forme, lorsqu'on 
▼eut faire une belle figure , où réunit sur un seul corps les plus belles 
parties de plusieurs corps. Or Parrhasius et Zeuxis étoient contem- 
porains. 

Le fait des cinq modèles de Zeuxis n*est peut-être que l*apoIogue de 
la doctrine de Parrhasius. Je dis apologue , parceque rien ne fut plu^ 
naturel que de bâtir sur quelqu'une de ces locutions d* école , une his- 
toire mêlée de vrai et d'ima(pnaire, pour donner de la consistance à une 
simple notion théorique. 

Aussi troave*t-on plus d'une variante à cette histoire. Selon Pline , la 
chose serctit arrivée à Agrigente, pour le tableau d'Hélène , que Zeuxis 
destinoit an temple de Jnnon Lacinia. Denys d'Halicamasse rapporte 
le même fait ; mais selon lui il eut lieu à Grotone. Cest aussi dans la 
même viUc que Qcéron place cette anecdote , avec certaines particula- 
rités , qui nous font voir quelle fut chez les Grecs la facilité qu'eurent 
les artistes de faire les parallèles , d'où devoit résulter la science de l'i- 
déal , dans l'imitation des corps. 

Le résultat le plus réel de tous ces récits, est, d'une part, la doctrine 
de l'imperfection des modèles individuels ; de l'autre , la théorie de l'art 
de généraliser, opération de l'intelligence , mais dont le travail systéma- 
tique a lieu, par une combinaison que l'esprit est forcé de rendre sen- 
sible dans le langage, en empruntant à la matière l'idée de réunion et 
d'assemblage de parties , idée que l'on est trop souvent porté à prendre 
dans le sens de cette réalité , qui a pu donner naissance à riiistoire des 
cinq modèles de Zeuxis. 



3l2 D£S MOYENS 

qu'on vantoît dans la Sosandre de Gaiamis, dans la 
Lemniène de Phidias , dans la Vénus de Praxitèles et 
dans celle d'Alcamènes, appelée la Vénus aux -jar- 
dins, ce n'est là qu une comparaison hyperbolique 
de Técrivain. Privé qu'il est du moyen de faire parler 
aux yeux l'image du beau corporel, il a recours à 
cet assemblage imaginaire, pour forcer le lecteur de 
se former Tidée d'une bieauté complète, par le sou- 
venir de différentes bleautés partielles. Mais Lucien 
comme statuaire (et il lavoit été dans sa jeunesse) 
se seroit bien gardé de réaliser sur une figure, cette 
réunion positive des belles parties de statues, dont 
il invite son lecteur à composer rassortiment intel- 
lectuel. 

Que seroit en efiFet un tel ensemble entendu «naté- 
riellement et dans le sens de la réalité? Il seroit un 
chef-d œuvre de discordances. Le beau de chaque par- 
tie dun tout, y dépend, plus qu'on ne peut le dire, 
des rapports qui lunissent à ce tout , rapports qu'on 
ne sauroit jamais transporter avec la partie séparée < 
de son ensemble. De beaucoup de belles parties prises 
à diverses figures, et en les supposant copiées avec 
la plus grande exactitude, on pourroit faire une très 
ridicule figure. La vérité est qu'une belle figure doit 
avoir été conçue, imaginée, composée pour elle- 
même, et doit être faite sans le secours d'aucune 
sorte de réunion entendue comme effective et réelle^ 



DE l'imitation. 3i3 

Autrement elle ne seroit qu un assemblage de beaux 
fragments. 

Si le peintre Eupompe répond au statuaire I^ysippe, 
que le modèle qu^il avoit à suivre dans ses études^ 
devoit être la multitude , et que là il trouveroit à 
imiter la nature , dixisse demonstratâ hominum multi- 
tudinCy naturam ipsam imitandam esse (Plin. I. 34* )> 
il n en tend pas , sans doute , que lartiste doive prendre 
pour modèle dans un ouvrage donné, chacun des 
individus d'une multitude , c'est-à-dire, y en choisir 
autant que sa figure auroit de parties, (car où ce * 
nombre s arrêteroit-il?) Eupompe a entendu d'abord 
que l'artiste devoit étudier son art dans les oeuvres de 
la nature, plutôt que dans les ouvrages des artistes 
et de ses maîtres; ensuite qu'il devoit, comme eux, 
étudier la nature dans le plus grand nombre pos- 
si|>le dlndividus. En efïet, dans le trait cité par 
Pline, il n'est pas question de la part de Lysippe, 
d une figure à faire, mais du genre d'études à embras- 
ser. Or, on le répète, c'est ce genre d'études si facile 
en Grèce, qui fit arriver l'art à la perfection idéale. 
Eupompe donnoit donc, en peu de mots, à Lysippe 
le secret, et lui enseignoit les moyens de généraliser 
l'imitation. 

On ne sauroit ainsi admettre comme positive et 
réellement applicable à la pratique de Fimitation, 
une réunion de parties prises, c est-à-dire, copiées 



V 



\ 



3l4 DES MOYENS 

sur difïerents individus, pour en composer une seule 
figure. Il est bien vrai que dans le travail de lexécu* 
tion , nous voyons lartiste après qull a conçu , in- 
venté, arrêté le genre, le caractère, la forme et 
Fensemble d'une figure, en soumettre Timitation 
executive et les détails , à Fobservation et à la com- 
paraison de différentes parties de modèles, qui lui 
parottront appropriées à celles de 1 être qu'il doit 
produire. Oui, sans aucun doute, Fartiste usera de 
plusieurs modèles , mais non pas pour imaginer sa 
figure; car elle existoit déjà, et devoit exister tout 
entière dans son imagination; et ainsi il y avoit eu 
déjà de sa part un travail de choix et de réunion né- 
cessairement fait en idée par son esprit. Sans cela les 
modèles qu'il rassembleroit pour l'aider dans sa créa- 
tion , ne seroient propres, par leurs différences, qua 
l'empêcher de Fopérer. Nouvelle preuve que la plus 
grande partie de ces opérations est toute d'intelli- 
gence, et explique plutétles procédés de la pratique^ 
qu elle ne se laisse expliquer par eux. 

Allons en effet plus loin. Que fait Fartiste lorsque 
dans l'exécution de ce qu'il a conçu , il use de plu- 
sieurs modèles? Copie-t-il exactement, réunit-il dans 
une imitation fidèle, les parties choisies de chacun, 
telles qu'il les voit en réalité, telles que l'on puisse 
retrouver les originaux dans leurs copies? Il est 
certain que Fartiste cherche dans les modèles, des 
vérités que Fêtre vivant peut seul inspirer, il leur 



DE l'imitation. 3i5 

demande des indications de détails et de formes , des 
rapports de proportions , des impressions de senti- 
ment, de mouvement, d'harmonie, de beautés par- 
tielles, qu'il assimile au type qoe son imagination 
s^est formé. Mais il le fait par des procédés qui échap- 
pent à toute analyse. Qui sauroit dire sHl transforme 
la substance de ce qu'il a conçu, dans la substance 
de ce qull voit, ou si c'est le contraire? 

Ce travail, très souvent réciproque, et que le lan* 
gage a de la peine à rendre sensible , est de telle na- 
ture que, l'ouvrage terminé, l'artiste peut souvent 
montrer les divers modèles qui lui auront servi, 
sans <^'on y reconnoisse ce qu^il y aura imité. Cela 
est si vrai, que les mêmes modèles imités par un autre, 
dans le même sujet de figure^ vont donner en ré- 
sultat d^autres formes, d^autres réunions de parties, 
d^autres efiFets de teinte et de couleurs. C'est qu'il en 
est de cette élaboration par laquelle chacun trans- 
forme ce qu^il imagine^contre ce quHl voit , ce qu'il 
voit contre ce qull imagine, comme, dans un autre 
ordre de choses, de ces assimilations physiques, se- 
cret de Topéralion naturelle de Torgane digestif, et 
qu'aucune théorie ne peut complètement analyser. 
Ici de même Tanalyse métaphysique est en défaut. 

Si Fartiste voit en imagination sa figure , telle qu'il 
a la volonté a^elle qu^il désespère toutefois de Texé* 
cuter, que lui manque-t-il pour la réaliser aussi 
promptement et aussi complètement qu'elle a été 



3l6 DES MOYEÎSS 

créée dans sa pensée? Il ne lui manque qu^un moyen 
d exécution aussi rapide qu elle. Mais qu importe le 
temps à Fobjet en discussion ? Qu'importe que Phi- 
dias soit des années à rendre visible Fidéal de son 
Jupiter? S^il ne leût pas, dès Torigine, conçu dans 
son ensemble, s'il ne Teût pas formé en idée, s'il ne 
leût pas vu velut tonantem, tous les procédés pré- 
tendus positifs de choix de formes , de réunion de 
beautés, n^auroient jamais pu lui en sugg[érer le ma- 
jestueux aspect, lui en faire exécuter la magnifique 
composition. 

Il est donc vrai de dire avec Cîcéron ( voyez part. II, 
paragraphe Xll) que Tartiste indépendamment de 
tous les moyens d'imitation qui sont comme ses in- 
struments matériels, (et de ce nombre est le mo- 
dèle quila sous les yeux) doit avoir encore un mo- 
dèle intérieur pour diriger son art et sa main , qui 
artem manumque dirigat, et vers lequel tendent les 
yeux de son esprit, quem intuens in eaque defixus, 
pour réaliser cette perfection idéale qui est le but de 
limitation. 

Nous avons déjà montré que ce modèle intérieur 
expliqué par l'analyse théorique, ne peut être que le 
résultat des observations, des comparaisons, des com- 
binaisons de tout genre, dont se forme la science de 
l'imitation du corps humain. Mais cetiRcience , pour 
s'appliquer à des corps , n'en fut pas moins soumise 
dans ses études, et ne l'est pas moins dans son ensei- 



DE l'imitation. 317 

gdement, à toute raction de TinteUigence. Fixée jadis 
par le génie, elle ne peut encore aujourd'hui être 
apprise et produira ses effe^, que par les facultés les 
plus rares de lesprit, et les ressorts les plus subtils 
du sentiment. 

Il sera donc clair, que ce qu'on appelle choix de 
formes y réunion de beautés, appliqué à la configur» 
tion imitative du corps humain , entre nécessaire- 
ment dans la recomposition du modèle individuel, 
comme moyen d en généraliser la forme, mais comme 
moyen soumis à laction de Tintelligence^ beau- 
coup plus qua celle de^ sens et de Texécution pra- 
tique. 

Cela étant, il restera pour constant, que ces deux 
locutions sont, comme beaucoup d autres, des for- 
mes que le discQurs emprunte aux objets sensibles, 
pour faire comprendre l'opération qui généralise Ti- 
mitation du corps humain , c'est-à-dire , la ramène de 
1 étude de llndividu , à celle du genre, et de l'expres- 
spon d'unebeauté particulière, au caractère d un beau 
universel. 

Il a été dit au commencement de ce paragraphe , 
que ce qui doit encore empêcher de donner à ces 
deux locutions , usuelles dans l'exercice des arts du 
dessin , une signification aussi positive , que quelques 
uns le pensent , c'est lemploi qu'on en peut faire, et 
quon en £aiit aussi , en les appliquant aux arts de la 
poésie. Si en effet l'opération de choisir et de réunir 



3l8 DE3 MOyE]!«S 

est celle du poëte .comme du peintre, avec cette dif«- 
£erence, que les objets dont le premier fait le choix 
et la réunion, existent la plupart dans Tordre de 
choses moral , 'et ne sont accessibles qu a lesprit, ce 
simple parallèle nous prouvera que laction (fe choisir 
et de réunir, est une action propre de Tintelligence , 
§t qui tend aussi à généraliser les sujets de Timitation 
poétique. 

S'il s^agit de Topération de choisir, il y a certaine- 
ment autant de diversités entre les êtres ou les objets 
du monde moral, qu entre ceux du domaine de la 
matière , et par conséquent une égale obligation au 
poëte, de faire des parallèles et des rapprochements, 
sans toutefois le concours d'aucune mesure posi- 
tive , d'aucun procédé matériel. 

311 doit , par exemple , faire penser, agir et parler 
sur la scène, des pei:so&nag/es de tout état, de tout 
âge, de tout pays, de tout caractère, s'il doit peindre 
les passions qui sont les moteurs des grand» événe- 
ments, et donner à chacune le langage qui lui con- 
vient, croit-on qu'il n'y ait pas lieu aussi, dans cette 
imitation, à cAoïstr entre une multitude de figures et 
de formes morales , plus variées peut-être entre elles , 
que ne le sont les configurations des corps? 

Quels modèles effectifs , quels points de compa- 
raison fixe se seront présentés à Fauteur tragique ? 
Quels moyens aura-t-il eu de saisir en réalité, d'étu- 
dier dans l'action de leur mécanisme, les ressorts des 



DE l'imitation. 3l9 

inlérèts et des intrigues, et leur mélange avec les com- 
binaisons de la politique? Lui aura-t-il fallu assister 
aux luttes du Forum , aux débats des conseils ^ aux 
réunions des conspirateurs, pour y faire sur la réa» 
lité même , le choix des caractères , des pensées , des 
mouvements , des discours qu'il devra prêter à ses 
acteurs ? Certes cette prétention ne serait que ridi- 
cule. 

Où le poète trouvera*t-^l donc à faire le choix de 
* ses modèles? Ce sera dans les études qu'il aura &ites 
du cœur humain, dans les observations qu'il aura 
recueillies sur les causes et les effets des passions , 
dans l'examen raisonné des conséquences que l'ex- 
périence apprend à tirer des événements, tels que 
l'histoire ancienne ou contemporaine les fait con- 
noitre, enfin, dans les ouvrages même, où cette 
sorte d'imitation a été mise en pratique par 1 art de 
généraliser. 

Il en sera de même de cette autre opération idéale 
qu'on désigne également dans l'imitation poétique, 
par le mot de réunion. 

Oui le poète cumu le aussi sur tel ou tel personnage , 
et y combine un ensemble de traits relatifs au carac- 
tère' de la passion, du vice, ou du ridicule qu'il veut 
exprimer. Mais devrons nous supposer que chacun 
de ces traits sera emprunté à un être effectif ancien 
ou moderne, à un fait râel ou historique? Achille, 
Agamemnon, Ulysse, ne pourront-ils faire dans un 



320 DES MOYENS 

poëme que des actions racontées d'eux, par une tra^^ 
dkion certaine, ou prises deTliistoire d'autres guer- 
riers véritables? Le jaloux, l'hypocrite, le joueur, 
c'est-à-dire, chacun des sujets de la comédie, ne 
devra-t-il comporter quun assortiment de détails 
ridicules, compilés et rassemblés par le poëte, mais 
d'après une notoriété qui leur serve de garantie? 
Comment le poëte procéde-t-il donc à cette réunion ? 
Comme l'artiste la fait dans la composition de sa 
figure. , . 

Il étudie non tel ou tel individu de la société où 
il vit, mais les penchants, les habitudes, les mœurs 
de la société en général^ les foiblesses humaines, 
leurs principes et leurs effets. Fort de ces études et 
de ses observations, il trace les tableaux de la vie 
humaine, moins d'après les portraits de quelques 
uns, que d'après le caractère original de V homme. 
Aussi l'imitation de cet homme est -elle de tous les 
temps et de tous les pays. Et lorsque l'on voit dispa- 
roitre de la scène ces images éphémères de quelques 
physionomies particulières , de quelques usages tem- 
poraires, de quelque ridicule local, les peintures 
dont nous parlons ne vieillissent jamais, parce- 
qu'elles ont été véritablement faites d'après 1| nature. 

Nous n'étendron^ pas davantage, sur ce point de 
critique, le parallèle des arts de la poésie avec ceux 
du dessin. Il suffit d'avoir aperçu cette conformité 
pour se convaincre que choisir et réunir , dans les 



*DE l'imitation. 321 

beaux-arts, loin de comporter Fidée d'une opération 
toute pratique, et qui s exerce matériellement sur les 
objets , emporte au contraire Tidée d'une action de * 
Tintelligence qui ne peut s'expliquer que métaphysi- 
quement. 

Et cela est encore plus vrai, quoiqu'on en puisse 
dire, de l'action de réunion, bien quelle paroisse 
s'offrir sous un aspect plus dépendant des sens. 

Que Ion considère les beaux ouvrages antiques,. 
QÙ brille le style idéal , après qu'il nous ont con- 
vaincus quils ne sont l'imitation isolée d'aucun in- 
dividu en particulier, ils nous prouvent qu'ils ne 
sont pas davantage l'imitation matériellement collec- 
tive de parties positivement empruntées à plusieurs. 
L'artiste qui feroit, selon ce qu'il faut appeler la 
réalité d'une copie, et composeroit ainsi une figure 
formée du démembrement de plusieurs modèles ef- 
fectifs, n'y produiroit pas une imitation générali- 
sée , il ne feroit qu'une collection d'individualités. 
Enfin,ceuxquiseflatteroientd expliquer danslesarts 
du dessin, Tiniitation idéale par la notion dune réu- 
nion positive de parties d'individus, préalablement 
choisies et fidèlement exprimées, ont-ils été jusqu'au 
bout de leur théorie? Ont-ils compté les parties qui au- 
roient besoin d'être choisies , relativement au genre 
de la figure, .et qu'il faudroit ensuite réunir? le 
nombre des parties du corps humain , comme on l'a 
déjà fait entendre, est pour ainsi dire infini. Chaque 



322 DES MOYENS 

grande partie se compose de parties plus petites ^ 
qui en contiennent de plus petites encore ; de sorte 
qu'on ne voit pas où s^arrèteroit dans cette opération, 
prise au sens positif et pratique , cette action de choisir 
et de réunir. 

Concluons que Tidéal de Timitation consiste par- 
ticulièrement en cela, que les ouvrages où on lad- 
mire, ne sont et ne peuvent être ni Texpressiqn d au- 
cun individu, d aucun objet en particulier, ni la réu- 
nion positivement entendue des parties de divers 
objets ou individus. 

Concluons que les notions de choix et de réunion 
sont des notions véritablement abstraites, que les mots 
qui les expriment ne sont que Texpression figurée 
d'une opération de Tintelligence, qui en. ce genre, 
comme dans tous les autres, emploie nécessairement 
l'entremise des sens. 

JEt de là l'erreur, lorsqu'on force l'explication d un 
côté ou de lautre. Car, comme on ne pourroit pré- 
tendre, sans absurdité, que les sens n'entrent' pour 
rien dans l'estimation des rapports et le travail des 
parallèles qu exige l'action de généraliser, on ne peut 
que tomber dans la déraison, en excluant de ce tra- 
vail Torgane de l'intelligence et des facultés morales , 
pourn y admettre d'autres agents, que ceux des sens, 
et d'autres combinaisons que celles d un ordre maté- 
riel et physique. ' 



i 



DE l'imitation. 323 



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PARAGRAPHE VIL 

De t action de transformer ou de transposer^ considérée 
comme moyen de limitation idéale soit dans les in- 
ventions de la poésie , soit dans les formes de son 
langage. 

On a vu qu€ pour faire sortir les objets et les su- 
jets que traite rimitation , de la région vulgaire des 
réalités, etjes élever dans celles de Tidéal, il y avoit 
obligation au poëte et à Tartiste, de les recomposer. 
(Voyez paragraphe iiî.) 

On a fait voir que le premier moyen d'opérer cette 
recomposition , étoit d^échanger la forme et Texi- 
stence particulières des choses , contre une existence et 
une forme généralisées, et Ton a montré que les lo- 
cutions usitées par lesquelles on prétend se définir 
les procédés delartiste ^ dans la manière de produire 
Tidéal , n etoient que des espèces de figures, tendantes 
à exprimer, d'une manière plus sensible , lopération 
de Tintelligence qui généralise. 

En se rendant compte de Taction de généraliser, en- 
tendue comme moyen propre à recomposer les objets 
et les su j ets de l'imitation, on ad û s'apercevoir que cette 



ai. 



3j!4 des moyens 

action a une liaison intime avec celle de transformer 
et de transposer. Cependant il y a aussi entre elles 
des différences essentielles. En effet, si tout ce qu'on 
généralise, subit une sorte de transformation , tout 
ce qu'on transforme n'est pas nécessairement généra- 
lisé; car, un objet peut aussi être changé de forme, 
en passant de Tordre d'images ou d'idées générales, à 
Tordre d'idées ou d'images particulières. 

Disons encore que l'action de généraliser semble 
s appliquer uniquement à ce qui constitue la nature 
même des êtres, Tessence des choses, le caractère 
propre des personnes, enfin à ce qui les change ou 
les modifie dans leur individualité; tandis que 1 ac- 
tion de transformer ou de transposer embrasse, 
dans les opérations de Tartiste qui vise à Tidéal , 
et une plus grande diversité de points de vue, 
et des rapports beaucoup plus nombreux. Tels sont, 
par exemple , tous les changements qui entrent dans 
la composition des sujets, et qui résultent des ac- 
compagnements qu'on donne aux personnages, de 
Tassociation des êtres fictifs ou allégoriques, et de 
toutes les combinaisons imaginatives, dont Teffet 
est de contribuer sans doute à généraliser l'objet de 
Timitation, mais par des procédés très distincts, et 
que Tanalyse théorique doit développer séparément. 
Aussi verrons-nous que ce second moyen de re- 
composiiion, qu on peut appeler métaphorique , nous 
donnera lieu de parcourir un beaucoup plus grand 



DE LIMITATION. 325 

nombre d observations critiques , de procédés usuels , 
et d'une nature beaucoup moins abstraite. 

On peut avancer que la poésie n^est autre chose 
que Tart de transformer tous les objets par la ma- 
nière de les représenter, de transformer les idées 
dépendantes de ces objets, et jusqu'aux éléments du 
langage qui expriment ces idées. Poésie dans son sens 
étymologique est synonyme de fiction; et la fiction 
nest au fond qu^un moyen de transposition. Car 
comme il n'est pas donné à Fhomme de créer, au- 
trement qu en produisant de nouveaux assemblages , 
onnesauroit,en quelque genre que ce soit, assembler 
deuxchosesquineletoientpas, sans transporter Tune 
ou lautre, et quelquefois toutes les deux. 

Les créations de Tépopée consistent presque tou- 
jours dans la transposition que le poëte fait de Ses 
personnages, de leurs circonstances, de leurs ac- 
. tlons. Ce qu'on appelle le merveilleux n'appartient en 
propre à ce genre de poésie, le premier de tous , et 
le plus essentiellement métaphorique, que parcequ^il 
est le ressort le plus puissant et le plus actif de 
la transposition que doit subir le sujet du poème. 

Dès que Faction de ce sujet se trouve , par une 
intervention quelconquede puissances surnaturelles, 
soumise à une direction tout-à-fait étrangère à celle 
dçs choses humaines, dans leur cours ordinaire^ il 
faut bien que les êtres historiques ou réels, mis en 
rapport dans une autre sphère d'existence avec de$ 



326 DES MOYEKS 

êtres imaginaires ou sur-humains, se trouvent pla» 
ou moins transformés eux-mêmes , et quMls échangent 
les quahtés d une condition ordinaire y contre des pro- 
priétés d'une nature plus éminente. 

L'emploi du merveilleux fut-il jadis le principe 
ou l'effet d'un système de poésie idéale? On pourroit 
faire la même question sur le style des figures de di- 
vinité^ chez les anciens. Mais quelque puisse être la 
réponse à celle-ci , nous savons que l'imitation des 
formes du corps, se trouva d'accord avec le besoin 
de montrer la divinité sous les formes corporelles- 
De même lusage de faire agir les dieux avec les mor- 
tels dans les inventions épiques, dut nécessiter un 
certain concert de qualités communes entre eux. On 
transporta aux personnages humaifis , une partie des 
caractères de force et de grandeur, qu'on attribuoit 
aux habitants de l'Olympe. De là cet hyperbole poé- 
tique, dont éprouvoit l'impression celui qui, lisant 
HomèiT , voyoit ses héros sous la dimensioil de géants. 
Cet effet doit résulter de la convention , en vertu de 
laquelle , le poëte est tenu de transporter l'idée de ses 
personnages , dans une région supérieure à celle de 
l'état ordinaire des choses humaines. 

L'action de transformer et de transposer plus ou 
moins les personnes et les actions, est tellement 
propre à la poésie, et constitue si naturellement la 
nature de ses moyens imitatifs, que cest par là qu'on 
explique le mieux ce besoin qu'a le poëte, de choisir 



DE L IMITATION. 3^7 

les sujets qui se perdent dans le lointain des temps 
et des lieux. 

Ceux qui s^étonnent de ce quW ne fait pas de 
poèmes sur les événements contemporains, sont 
ceux qui ignorent que la poésie est un art, et que 
tout art est une fiction. Si Ton entend que tout sujet 
peut devenir poétique, cest que Ton sous-entend 
que tout sujet peut subir une transformation quel- 
conque. Ce n est pas la versification qui fait le poëme, 
et pour être écrite en vers, une histoire n'en reste- 
roit pas moins ce qu'elle est. Or, il faut avouer, 
qu'en ce genre, il y a une réalité qiii oppose, un ob- 
stacle moral à l'emploi de la fiction. Cette réalité est 
celle des faits dont on a été témoin, des personnes 
que nous connoissons immédiatement. Comme la 
Vérité historique à laquelle le poëte est soumis, n est 
jamais que conventiotinelle, le poëte n'exige aussi de 
nous qu'une croyance de convention. Mais encore 
£aiut-il qu'une trop grande certitude ne repousse point 
cet accord de notre part. Comment se prêter à croire 
le contraire de ce qu'on sait et de ce quon voit? 

C'est pourquoi, pendant long-temps, nos poètes 
se refusèrent à faire paroitre sur la scène les traits 
d'histoire moderne , et Racine demanda grâce pout* 
le sujet contemporain de sa tragédie de Bajazet, en 
faveur de l'éloignement des lieux. 

On ne peut effectivement méconnoitre la justesse 
de ce goût, qu autant quon méconnoit ce qui con- 



328 DES MOYENS 

8titue Fartificc poétique. Le goût pour les pièces his-^ 
toriques trop modernes, et les sujets contemporains, 
a évidemment sa source dans la méprise dont on a 
tant de fois parlé , qui porte à confondre Timitation 
avec IHdentité, à exiger de Timage qu^elle soit la réa- 
lité, à échanger le plaisir intellectuelde Tesprit, contre 
la jouissance matérielle des sens. Cest au même pré- 
jugé qu^il faut attribuer Fusage qui sVst si fort accré- 
dité en même temps dans la peinture, de ces sujets 
appelés de genre ou d histoire bourgeoise, genre en- 
tièrement en rapport avec Tesprit du portrait, et dès- 
lors opposé à celui de Tidéal. 

Ainsi avons-nous vu que dans Tun et lautre art , 
plus la puissance de l'imagination, et avec elle. Tac- 
tion du plaisir moral, se sont afïbiblies , plus lartiste 
s'est trouvé obligé de se réduire a la vérité positive 
et matérielle, qui dispense de Tesprit autant pour 
jouir que pour inventer. 

Quels moyens de transformation dans les per* 
sonnes, de transposition à Tégard des lieux, peuvent 
employer le poëte et Tartiste lorsqu'ils' représentent 
des sujets, dont la réalité ou repousse les moyens de 
la fiction , ou en désenchante lemploi ? Sans doute 
il ne s agit pas de nier la possibilité physique de cet 
emploi. Trop d exemples nous apprennent combien 
il est facile de mêler, en peinture,' par un amal- 
game indiscret y les éléments de la fiction ou de 
rallégorie à ceux de la réalité historique, et Ton 



DE l'imitation. 32(J 

traitera plus bas dé cet abus. Nous n entendons parler 
ici de possibilité, que sous le rapport moral de con- 
venance et de gQÛt. Mêmes observations à 1 eg^ard de la 
poésie. Que n'a pas tenté le génie moderne en fait d'al- 
liances semblables , tendantes à introduire soit le style 
de la réalité, c est-à-dire la prose (i), dans les inven- 
tions les plus fictives, soit la pompe du style le plus 
idéal dans les conceptions du sujet le plus vulgaire (2), 
comme pour désennoblir 1 épopée, tantôt^ dans la 
forme de son langage, tantôt par la nature de son sujet? 
n faut convenir qUe le poëte dramatique non seule-, 
ment fait, mais est obligé de faire de ces asssociations 
plus ou moins incohérentes , à l'égard des sujets d'his- 
toire contemporaine qu il traite. Or ce n est pas là le 
moindre vice de ces sortes de sujets ; et rien n en dé- 
montre plus l'inconvénient que cette nécessité d'ana- 
chronismes révoltants, de démentis donnés à ce que 
' tout le monde sait, par l'emploi seul de personnages 
et de faits controuvés , que l'auteur substitue aux faits 
et aux êtres véritables. 

Mais toutes ces méprises ne sont elles-mêmes que 
de nouvelles preuves de ce qu'on a avancé, savoir, 
que l'art dramatique vit de fictions , et que ces fictions 
reposent sur la transformation et la transposition 
( voyez paragraphes m et iv). 



(1) Télémaque. 

(3) Poëme d*H«rmann et Dorothée de Goethe. 



33o DES MOYENS 

Le poêle useroit en vain du droit de transformer 
ses personnages et de transposer les événements, ma- 
tière de son sujet, dans les espaces d'un monde plus 
ou moins idéal , si bornant là son pouvoir et mécon- 
noissant les conditions du privilégequon luiaccorde, 
il établissoit lui-même entre ce qui devient le fond , 
et ce qui doit être la forme de son invention, c'est- 
à-dire le style, un désaccord propre à démentir Tesprit 
de ce système. Une conception dont lefFet est de re- 
lever dans notre esprit la nature et lexistence des 
personnages , si elle se trouvoit contredite par un 
langage bas et commun, offriroit ce genre de dis- 
sonnance, auquel s attache lé ridicule, qui nait dans 
la parodie de Tunion grotesque des deux contraires. 
Cette méprise, il faut la vouer, est plus rare dans les 
ouvrages de la poésie, que dans ceux des arts du des- 
sin , où nous verrons ( voyez les paragraphes vili 
et XIII ) que Tidée d'une communauté de moyens 
mal entendue, entre le poëte et le peintre, produit 
les plus fréquentes disparates eutre l'invention et 
son exécution. 

En poésie il est difficile quje la transposition admise 
pour la conception générale de l'ouvrage , n'amène 
pas comme une conséquence nécessaire, le genre de 
^transposition ou de transformation que doit aussi 
subir le style, pris selon cette acception qui com- 
prend le choix des idées, et l'emploi des mots , et ce- 
lui des tournures de la phrase. 



I 



DE l'imitation. 33l 

Le langage simple est déjà par lui-mèmç, presque 
tout composé de figures: on ne sauroit s exprimer 
sans en employer, et le mot figure est encore une ex- 
pression yi^ur^e ou métaphorique.^ 

Mais la poésie n'est qu un assemblage de toutes les 
sortes de figures , parmi lesquelles on distingue celles 
de mots, celles de diction , celles de pensée. Voilà les 
principaux moyens de transposition qui s offrent au 
choix du poëte, pour assortir son style au genre de 
sa conception. Le style quon appelle figuré, parce- 
qu il repose sur Temploi habituel de toutes les figures , 
est celui qui convient aux sujets du genre idéal. 

On n'a pas la prétention d entrer ici dans le détail 
infini de tout ce qui constitue ce qu on appelle les 
tropes du style poétique. Le but de ce paragraphe a 
été de faire voir combien le poëte peut employer 
de moyens pour recomposer les sujets dans le sens 
de Tidéal, et que ses moyens de recomposition, tant 
pour le fond que pour la forme, il les trouve dans 
Part de transformer ou de transposer. D où il résulte 
qu on peut les ramener presque tous à Fidée générale 
de métaphore. 



332 DES MOYENS 



PAIkAGRAPHE VIII. 

Sur la diversité d emploi des moyens métaphoriques^ 
selon la différence des arts. — Des méprises qui ont 
lieu en ce genre ^ sur-tout dans les arts du dessin. 

L^actîon de transformer ou de transposer est cer- 
tainement commune à tous les arts, et est pour tous 
un moyen de parvenir à Tidéal y leur but commun. 
Mais les ressorts de cette action, c^est- à-dire les 
moyens de la produire, diffèrent d'un art à lautre , 
selon la nature particulière de chacun. Cest faute 
d'avoir égard à cette diversité de nature, et par con- 
séquent de moyens, quMl se commet habituellement 
les plus nombreuses méprises, en peinture sur-tout, 
ou dans les arts du dessin. II suffira de faire con- 
noitre par quelques observations critiques , la source 
de ces confusions. 

Choisissons , par exemple, entre les figures du style 
poétique , celles qui sont les plus ordinaires , telles 
que la métaphore, la comparaison et Thyperbole. 
Pourquoi le poëte en use-t-il aussi fréquemment? 
Cest parceque privé des moyens visuels de la pein- 
ture , il pst forcé, pour nous rendre sensibles les qua- 



DE l'imitation. 333 

lités des objets , de recourir aux équivalents du maté- 
riel qui lui manque. 

Ainsi la métaphore qui substitue Tidée de Tobjet 
physique et sensible à Tidée de Têtre moral, ou ab- 
strait, devient pour la poésie une sorte de peinture, 
qui s adresse aux yeux de Timagination , et semble 
donner du corps aux choses les plus incorporelles. 

Cest parceque la poésie ne sauroit nous montrer 
rhomme furieux, qu elle fait sortir des éclairs de ses 
yeux : C est parcequ'il ne Itii est pas donné de faire 
briller Téclat et la blancheur d'un beau teint , qu^elle 
réunit sur de belles joues des lys et des roses. Lors- 
qu'elle ne peut nous faire voir Thomme effrayé qui 
fuit, elle donne des ailes à ses pieds. 

La vertu de la métaphore provient en grande par- 
tie , de leffet de la comparaison qui en est , dans un 
certain sens, inséparable. La comparaison a la pro- 
priété de nous aider à saisir les qualités d'un objet 
moins connu et moins sensible, en portant notre es- 
prit vers la perception des qualités plus sensibles d'un 
objet mieux connu. 

Voilà pourquoi les comparaisons sont prises ordi- 
nairement dans le domaine physique, pour s'appli- 
quer aux choses de Tintelligence, et le plus souvent 
encore, dans le cercle des objets les plus communs, 
ou à la portée du plus grand nombre. Le courage se 
compare au lion , la prudence au serpent, la douceur 
à lagneau. Les passions du cœur sont des orages; 



334 DI^S MOYENS 

les connoissances de Fesprit desjumières, la colère 
est un bouillonnement, la discorde s arme de flam- 
beaux, le chef d'un état est un pilote, les rois s^ap- 
pellent pasteurs d'hommes, etc. 

S'il s agit de décrire les objets matériels, et sur-tout 
ceux dont la valeur est dans leur grandeur , la poésie 
est impuissante à en tracer les dimensions ; c'est alors 
que le poëte se trouve obligé d'employer l'exagéra- 
tion ou rhyperbole. Lorsque l'image du peintre ar- 
rive à l'imagination par les sens , celle du poëte ne 
parvient aux sens que par l'imagination ; il faut donc 
la contraindre de s'élever à la hauteur de l'objet. De 
là les comparaisons prises des chênes , des monta- 
gnes , de l'océan, du soleil, des tempêtes. Mais, on le 
voit, ce n'est pas |)ar choix, c'est par nécessité que 
la poésie recourt aux moyens de Thyperbole meta* 
phorique. . 

Les arts du dessin éprouvent à leur tour, et la 
même obligation , et le même besoin de recourir, pour 
rendre leurs idées, à femploi de la métaphore, et 
l'on développera dans la suite leurs moyens à cet 
égard (voyez paragraphe xi et xiv). Ce dont il s agit 
ici , c'est de montrer qu'ils ne sauroient user du plus 
grand nombre des figures poétiques , ou du moins en 
user de la même manière que la poésie , et dans les mê* 
mes sujets qu elle, parceque les métaphores ont une 
vertu qui dépend du langage propre de chaque art» 

Celles, par exemple, qui en poésie ont pour objet 



I 



DE l'imitation. 335 

de rendre sensible à Tesprit, ce que la parole se 
refuse à mettre sous les yeux , ne seront plus des mé- 
taphores, G est-à-dire des transformations, mais elles 
se réduiront à netre que des doubles emplois, dans 
les images dun art dont la propriété est de faire 
voir la réalité des corps, et Fapparence des mouve- 
ments. Pourquoi donner des -ailes à cet homme que 
je vois courant et fuyant , à ce vaisseau dont les voiles 
sont enflées? Pourquoi des serpents sur cette tète qui 
exprime déjà Tenvie? Les qualités positives et visibles 
des objets , la peinture sait les rendre sans aucune 
allusion interprétative. Quel besoin a-t-elle de cu- 
muler, dans leur représentation , la chose visible, et 
celle qui est faite pour suppléer à la visibilité ? Pour- 
quoi expliquer ce qui s'entend de soi-même, sur- 
tout quand lexplication est moins claire que la chose 
quelle explique ? 

Que le poète pour retracer à l'imagination les sen- 
sations délicieuses d'un beau matin , humide de ro- 
sée,, en compare l'effet à celup d'une jeune beauté 
parée de fleurs , dont les doigts de rose laissent échap- 
per des perles; que réciproquement le réveil de la 
beauté soit comparé au charme de l'aurore , et à la fraî- 
cheur d'un beau matin, on comprend que chacune 
de ces transpositions est pour le poète un supplément 
aux couleurs qui lui manquent. Ainsi l'on^pplaudit 
à toutes ces comparaisons, qui sont autant d emprunts 
faits par un ordre de choses a un autre, pour rem- 



336 DES MOYENS 

placer le secours des yeux; et Ton trouve bon que, 
dans la stance d'Arioste, la vierge modeste et la rose 
matinaleéchangententreelles leurmaintien pudique, 
et leurs feuilles non écloses. * 

Mais dans le tableau d'un soleil levant, dans un 
paysage où le peintre dispute en quelque sorte à la 
nature le charme de la couleur, Tefifet de la lumière 
naissante , et de la fraîcheur de la rosée , que voudroit 
dire et que viendroit faire la figure d'une jeune fille 
dont la main sémeroit des perles? Cette figure ne 
scroit là que le signe d'un beau matin. Mais à quoi 
bon le signe, quand on a sous les yeux la chose si- 
gnifiée (i). 

Le défaut le plus ordinaire des images ou transpo- 
sitions empruntées au poëte dans les tableaux du 
peintre, est un désaccord inévitable pour les yeux et 
la raison, entre l'objet représenté réel et celui qui ne 
doit en être que le suppléant. Comme le peintre na 
que des corps pour exprimer les êtres incorporels, 
on conçoit que l'objet qui a pu être métaphorique en 
poésie , doit facilement cesser de letre , revêtu qu il 



(i) Qa'on ne dise pas que Poussin Ta fait ainsi. Le sujet du tableau 
où il a placé l'Aurore semant des perles en avant du char du soleil , est 
tout allégorique. L'objet du passage n*est pas de représenter l'effet d*ua 
soleil leyan^Le tableau si^ifie la brièveté du cours de la vie. Tout y 
est emblématique; et rAui;()re, le Soleil, avec les dernières Heures enve» 
loppées déjà des ombres de la nuit , n« sont là que des symboles qui disent 
que la vio n'est qu'un jour. 



\ 



DE l'imitation. SS^ 

est en peinture , d'une figure visAle et réelle pour 
les yeux. 

Le poète a un privilège spécial dans Teniploi de 
ses figures méta{)horiques ; c'est qu'il n'est tenu de 
donner à aucun des êtres qu'il transforme ou qu'il 
transpose, ni mesures réelles ni proportions déter- 
minées. Quelle est la taille des héros d'Homère, de • 
ses Dieux , ou des personnages allégoriques qui in- 
terviennent dans ses tableaux? Le poëte peut toutasso- 
eier , tout rapprocher , parceque les rapports de ses 
combinaisons, n'admettent ni compas ni échelle de 
proportion. Comme il fait du soleil un géant qui par- 
court sa carrière , il fait des yeux de sa belle autant 
de soleils. Il réunit tous les extrêmes. Il n y a pour 
lui rien d'impossible, rien de démesuré, parceque 
pour lui il n'y a ni espace ni dimension. 

Au contraire si le peintre veut s'approprier de 
semblables métaphores, les limites et les mesures 
matérielles de l'espace où il est tenu de les renfermer, 
sont là pour leur donner le démenti. Il est soumis 
aux lois de la proportion et de l'optique, qui n ad- 
mettent ni écarts ni disparates. La seule apparence 
de réalité dans les corps , va faire évanouir limage 
poétique. Voilà que la métaphore cesse d'exister, 
parcequ'elle est devenue visible , et pour avoir pris 
un corps, elle a disparu. 

Qu'Ânacréon comparant lamour à l'abeille, le 
fasse voltiger autour de la rose, qu'il lendorme sur 



338 DES MOYENS 

son sein , mille idées légères, et fécondes en allusions 
délicates, vont se mêler à Timage du poëte; car de 
combien de manières ne peut-on pas la voir, tant 
qu elle se soustrait à la vue? Un peintre Ta emprun- 
tée à la poésie , et il a mis sous nos yeux un petit 
enfant couché dans le calice d^une rose. Je laisse a 
juger ce que cette apparence de réalité offre d'inco- 
hérent par ses rapprochements contre nature, et de 
bizarre pour la raison. Le poëte, dit-on, la bien 
imaginé. Sans doute, répondrai-je, son amour pevt 
se nicher dans le calice d'une fleur, comme dans le 
sourire ou dans les yeux de sa belle. C'est que la rose 
d'Anacréon n^est pas une plante, c est que son amour 
n^a point de corps. 

Le discours, même le plus ordinaire, comme on 
l'a déjà dit (voyez le paragraphe précédent) se com- 
pose d'une multitude de locutions figurées ou méta- 
phoriques. Tout langage puise son action dans la 
faculté des transpositions, c'est-à-dire d'emprunts 
réciproques entre les images du monde matériel, et 
les idées du monde intellectuel; et trop souvent Fart 
du dessin se trompe , en réalisant les abstractions qui 
appartiennent à l'art dû discours. L'erreur de tra- 
duire en réalité pour les yeux, ce que le discours 
n adresse qu'à l'imagination , peut quelquefois gâter 
les plus belles compositions. 

Le beau tableau de Goriolan par Poussin n en of- 
friroit-il pas un exemple. 



DE l'imitation. SSg 

Si Véturie, dans Tite-Ltve,pour émouvoir le gé- 
néral irrité, corporifie la ville de Rome et la repré- 
sente dans le deuil et dans les larmes , Timage de cette 
ville personnifiée se peint à Timagination sous d'im- 
menses proportions , ou du moins sous des dimen- 
tions arbitraires. Que fera le peintre empruntant 
cette image?. Quelle stature lui donnera-t-il? Poussin 
a , je crois , mieux £ait de donner à sa figure de Rome ; 
la même proportion que celle des autres, personna- 
ges. Mais aussi elle n'est là qu'une femme ^ale à 
toutes les autres. La métaphore a perdu de son effet, 
parceque Fimage a trouvé sa mesure. Le génie poéti-^ 
que delà peinture eût peut-être demandé que la comr 
position restât ici^dans les termes du geilre historique. 

Ce qui fait en partie le charme et la valeur de la 
métaphore du poëte, c'est qu'en tant que fiction de 
l'imagination, elle n'acquiert de consistance aussi, 
que celle qu'elle reçoit du gré de l'auditeur. On sait 
très bien qu il ne faut pas prendre ces figures au pied 
de la lettre, et réellement on est plus frappé de ce 
qu elles doivent faire comprendre , que de ce qu elles 
font entendre, de ce qu'elles veulent dire, que de ce 
qu elles disent en ef£et. 

Si le génie de la mort verse sur une ville désolée 
l'urne de la contagion , si l'adverse fortune épuise tous 
ses traits sur sa victime, si elle présente au mourant 
le calice de la douleur, si le maître des humains est 
représenté au milieu de deux vases, où il puise les 



aa. 



34u DES MOrENS 



biens et les maux, rien de positif ne fixe mon esprit 
sur des formes déterminées, sur un signe, dont la 
réalité le détourne de la chose signifiée: et aussi je 
n'exige pas de précision dans de semblables rapports. 
Lorsque la métaphore du discours au lieu de laisser 
mourir un personnage, ou de nous le représenter 
mort , substitue à une idée banale ou à une image 
iminobile, Taction de descendre, ou de faire des- 
cendre rhomme au tombeau , rien ne donne de forme 
précise au personnage, ni dVxistence soit à laction 
soi^^au lieu; rien de fini dans Timage, qui reste sous 
le voile et dans le vague indéterminé d'une locution 
générale. Un simple changement d article devant le 
mot tombeau, en particularisant la figure du dis- 
cours, la rendroit nulle ou ridicule. Il ne sagiroit que 
de dire descendre dans un tombeau. Eh bien, ce ri- 
dicule est celui de Touvrage de lartiste, qui forcé 
par la matière de son art, de particulariser la même 
image, nous a fait voir, en toute réalité, (i) son per* 
sonnage descendant quelques degrés, qui aboutissent 
à un sarcophage. Ici le poétique de Timage a disparu 
avec Tidéé qui la rendoit générale. Ce qui auroit dû 
se prendre au sens figuré, est forcé de redescendre 
au sens simple. Le moral est devenu matériel , et le 
sculpteur a remis en prose, sans s en douter, Tirnage 
qu'il croyoit avoir dérobé à la poésie. 



(i) Mausolée du maréchal de Saxe à Strasbourg 



DE l'imitation. 34ï 

Pour Éaire comprendre combien sont fréquentes 
dans4es arts du dessin, ces sortes de méprises, il 
ne faut que rappeler ici toutes les compositions de 
mausolées, ou, empruntant au poëte et à Torateur 
ces métaphores , dans lesquelles la mort se présente 
sous toutes sortes d^idées plus ou moins terribles et 
pathétiques, ces prosopopées qui réveillent et font 
sortir les morts du tombeau , et une multitude de lo- 
cutions qui personnifient letrépas ou son action des- 
tructive, Tartiste s est permis de mettre sous les yeux , 
de hideuses allégories , qui, en révoltant les sens , ont 
fermé à ces images désenchantées par la réalité , le 
chemin du cœur et de Fimagination. 
' J'ai déjà parlé (voyez part. I, paragr. IX ) de lam- 
bition mal entendue, d être autrement qu il ne le fau t , 
poëte en peinture , et peintre en poésie. Sans xloute on 
pourroit aussi mal entendre Fesprit de cette critique, 
si Ton se figuroit, qu^elle signifie, qu'il ny a pas de 
poésie en peinture, et que la poésie n'a pas ses ta- 
bleaux. Oui, chaque art a ses moyens de transposi- 
tion ou de métaphore, mais chacun ne les doit puiser 
que dans la nature du langage qui lui appartient. Les 
divers arts sont comme autant d'idiomes différents 
qui ont chacun leur génie particulier. On sait que ce 
qui est poétique dans l'esprit d'une langue, perd très 
souvent cette vertu, et devient prosaïque et quelque^ 
fois ridicule , si on le transporte mot à mot dans une 
autre. Il en va de même d'un art à un art, lorsque 



* 
1 



342 DES MOTEHS 

Vardste se fait traducteur littéral d'images, quHl trans- 
porte dans une région qui nest pas la leur, avec 
rtiabillement même qui les y i^end encore plus étran- 
gères. 



PARAGRAPHE IX. 

De Faction de transformer et de transposer considérée 
comme moyen d'imitation idéale dans tes arts du 
dessin. 

Ce qu'on vient de dire ne tend point à enlever aux 

arts du dessin la faculté métaphorique, à les priver 

de Faction de transformer ou de transposer , privi* 

lége du génie poétique, moyen puissant dé rimita- 

ion idéale , et ressort commun à tous les arts. 

Je me propose au contraire de faire recoqnottre 
aux arts du dessin, une beaucoup plus grande éten- 
due de pouvoir qu'on ne leur en accorde ordinaire- 
ment, dans Tempire de la noétaphore; et déjà Ion a 
vu ( paragraphe v) que si Faction de généraliser les 
formes , et les images des corps est paiement leur 
partage, cette action n y produit aussi tout son effet, 
qu autant qu elle est liée à celle qui transforme et 
transpose les personnes, les faits, et les choses de toute 
nature. 

Ce que j ai contesté aux arts du dessin dans le pa* 



DE l'imitation. 343 

ragraphe précédent, ce n'est pas Fusage de la méta- 
phore, mais seulement l'emploi de certains moyens 
métaphoriques qui ne sauroient l'être pour eux : ce 
n'est pas de pouvoir changer Tapparence des choses^ 
mais c'est de prétendre y opérer cet effet par des pro- 
cédés qui n'y changent rien, ou n'y changent qu'à 
contre sens. 

J'ai en vue maintenant de combattre les préven- 
tions de ceux qui, dans Timitation des corps, rame- 
nant tout à la matière , regardent comme violation 
de la vérité, tout changement d'apparence opéré sur 
tes objets et les sujets, que le système métaphorique 
de l'art peut atteindre et modifier. 

Rien de plus général et de plus répandu que cette 
sorte de répugnance à la métaphore dans les arts du 
dessin. On s'imagine que leur imitation^ dès qu'elle 
emploie les formes corporelles, doît se renfermer 
dans les bornes de la réalité matérielle. Comme on 
vit en société continuelle avec presque tout ce qui 
compose les modèles physiques de ces arts , on se fa- 
miliarise à une manière d'être et de voir qui s'iden- 
tifie avec les habitudes de l'instinct, et l'on ne veut 
admettre xl'imitation , que celle dont l'instinct aussi 
reçoit l'impivssion. Ainsi le commun des hommes se 
refuseà reconnoitre comme légitime et permis, dans 
l'image des personnes et des sujets , tout changement 
qui peut être dû à la métaphore du style de dessin 
idéal, aux transpositions de l'allégorie, aux conven- 



344 Ï^ES MOYENS 

lions sur lesquelles nous verrons que se fondent les 
divers styles de composition, qui entrent dans les 
moyens de limitation idéale. 

Bien entendu que Tinstinct dont on parle , préten- 
dra d'une manière encore plus absolue, soustraire à 
tout changement métaphorique les sujets qui ap- 
partiennent à la classe des, faits récents ou modernes, 
des personnages contemporains, ou doués d'une no- 
toriété constante, enfin de toutes les choses aux- 
qu'elles s'attache la connoissance quon a de leur 
réalité. 

Toutefois ceux qui se montrent ainsi difficiles d'une 
part, trouvent bon de lautre, ou du moins cQnsen-^ 
tent que les mêmes hommes, les mêmes faits, les 
mêmes choses changent de formes sous le pinceau 
de l'écrivain , revêtent d'autres apparences , emprun- 
tent d'autres couleurs ^ s'allient aux créations mer- 
veilleuses des êtres imaginaires. 

C'est qu effectivement tout le monde reconnoit 
dans l'art d'écrire deux degrés de style et de compo- 
sition très distincts, et consacrés par Tusage, sous 
les noms de genre simple ou prosaïque et de genreyï- 
^lireou poétique, selon que Técrivain , par la manière 
de traiter ses sujets, les destine principalement ûu à 
satisfaire la raison, ou à flatter l'imagination. 

Si donc on conteste aux arts du dessin la même li- 
berté, c'est quon méconnoit en eux la double pro- 
priété quils ont aussi, d'user à l'égard des sujets de 



DE l'imitation. 345 

leur imitation, tantôt d^un style prosaïque, tantôt 
d'un style poétique, en rapport plus ou moins di- 
rect, l'un avec les sens, l'autre avec l'esprit. 

ïja source de cette prévention (on l'a dit tléja) est 
dans la fausse idée que la plupart se font de Tespèce 
de vérité qui appartient à Timitation, en la confon- 
dant avec celle qui est le propre de la réalité. On 
oublie que tout art est plus ou moins fiction , et que 
toute fiction consiste dans l'échange d'un semblant 
quelconque avec la réalité. On oublie que pour 
être matériel, le modèle des arts du dessin n'offre 
pas moins les faces les plus diverses à l'œil de l'es- 
prit, comme à celui du corps, et que ce qu'il a de 
matériel peut toujours y devenir, par le génie de la 
métaphore , la traduction des plus hautes concep- 
tions de l'intelligence. Et dans le fait ^ de semblables 
changements n'altèrent aucunement la vérité. L'ar- 
tiste ne fait au contraire qu'échanger, une espèce de 
vérité contre une autre. Dès que le point de vue du 
sujet est transposé, la vérité ne peut s'y conformer, 
qu'en se transformant aussi. 

Voilà tout le secret de cette théorie ; ot il est a))- 
plicable au^arts du dessin , comme à ceux de la 
poésie. 

Dans les fictions du poëte , qui ne sont autre chose 
que des réalités transformées, il y a vérité, mais vé- 
rité transposée d'un ordre de choses à un autre. De 
même pour l'artiste. Lorsqu'il assujettit son sujet aux 



346 DES MOYENS 

transformations qu^il comporte , nous y trouverons 
la vérité, mais il nous faudra mettre dans le point de 
vue où elle se montre. Cela veut dire qu'il convient 
de voir et de juger de tels sujets, avec les yeux et se- 
lon l'esprit que la métaphore demande, de la ma- 
nière enfin dont nous jugeons les œuvres du poëte. 

Tout le monde est d'accord que l'imitation scé- 
nique ; par exemple, repose sur un échange plus 
ou moins sensible, de la vérité réelle des faits et des 
personnages, contre la vérité fictive de leur image, 
(voyez partie I, paragraphe X et partie II , paragra- 
phes VIII et IX ) et que le poëte ne pourroit être co- 
piste fidèle de la première, sans manquer à celle qii'U 
doit à son art : .et Ion est convenu aussi que la vérité^ 
non celle qui tient au texte de l'histoire , mais celle 
qui en est l'esprit, n'existoit pas moins sur la scène ^ 
lorsque le génie du poëte avoit su la saisir ailleurs 
que dans la réalité des détails , et la forcer de se trans- 
former, pour entrer dans le cadre de son action épi- 
que ou dramatique. 

C'est bien ce qu'il fait, sans doute, lorsque, par la 
vertu métaphorique de l'abstraction, il se borne tan- 
tôt à nous décrire les effets de la politic^ dans leurs 
cau^s, le résultat des actions par les passions qui en 
furent les mobiles, tantôt et réciproquement à £eûre 
ressortir de quelque catastrophe ou de quelque évé- 
nement mémorable, la suite des principes secrets et 
des agents multipliés qui en furent les vrais auteurs. 



DE l'imitation. 347 

Loin qu'alors on Faccuse dWoir trahi la vérité par 
cet échange d aspect^ on le louera de lavoir fait 
briller par cela même d'un éclat plus vif. C'est ainsi 
que Polyeucte devient la peinture la plus vraie âe 
rétablissement du christianisme, quoique tous les 
faits de la pièce soient controuvés. C'est ain^i que, 
différant davec l'historien pour le détail des faits, 
Fauteur de Britannicus passera pour être aussi véri- 
dique dans son genre, que Tacite dans le sien. 

Il arrive der même que tel poëme avec ses fictions, 
ou peut-être par ses fictions, nous donne une idée 
plus claire de certains événements , et de certains 
personnages une ressemblance plus frappante, qu'il 
nous peint mieux lesprit de tel siècle, la physiono- 
mie de tel homme, que ne pourroit le faire la chro- 
nique la plus scrupuleuse en détails. La Henriade, 
par exemple , pourroit contenir une aussi grande 
somme de vérités, quant à la valeur, que le journal 
de l'Étoile; et le poëme du Tasse autant que l'histoire 
de Guillaume de Tyr. 

Cels^ signifie simplement , qu'il y a plus d'une sorte 
de vérités à imiter dans le modèle multiforme de la 
nature. Selon la face de lobjet que Ion considère, eu 
selon la manière de le considérer, c'est-à-dire de lui 
appliquer un procédé d'imitation ou un autre , on 
trouvera à opter entre le vrai positif de la réalité , et 
le vrai conventionnel de l'imitation. Cependant faute 
de connottre et de sentir ces diverses manières d'être 



j 



348 DES MOYENS 

vrai, Ton accuse soit lart, soit lartiste, de falsifier et 
de tromper, lorsque soi-même on se trompe et sur 
Touvrage qu^il faut juger, et sur le point de vue qui 
lui convient, et sur la régie qui doit être celle du ju- 
gement. 

J ai déjà fait entendre pourquoi Fart de peindre 
doit prêter plus facilement à cette confusion et à ce 
conflit, c^est qu ayant sans doute son mode prosaïque 
et son mode poétique, Tun et lautre cependant s'a- 
dressent par force et de prime abord aux sens phy- 
siques, et puis sont obligés encore de s^ adresser 
avec tous les attributs de la matière. 

Qui pourroit toutefois contester à cet art dans ses 
compositions le droit, s'il est vrai qu^il en ait les 
moyens , de transformer à son gré dans leurs images y 
les choses, les personnes , et les actions ? 

Mais quoi? N'avons-nous pas vu, que cet art peut 
représenter les objets dans Tun ou Tautre des deux 
systèmes, de Timitation positive, ou de l'imitation 
idéale? Me sait-il point, par les ressources qui lui sont 
propres, transporter aussi tous les sujets d'unpionde 
dans un autre? Oui sans doute cet art peut comme 
la poésie, recomposer tous les faits selon leur point 
de vue intellectuel ou moral. Il peut comme elle 
multiplier les plus simples, réduire les plus multiples, 
démêler dans les plus compliqués, ce qui en est le 
point principal, et les ramenant à leur plus simple 
expression, faire prendre à ce qui nen est qu'une 



DE l'imitation. 349 

partie, la valeur du tout. Il a donc la faculté dé 
transposer les actions de Tordre physique ^ à Tordre 
moral. 

Mais faut-il prouver qu'il a, comme Tart du poëte, 
toutes sortes de moyens propres à transformer les 
choses et les personnes, à embellir leurs apparences 
et agrandir leurs proportions? Ignore-t-on, quen 
vertu de cette correspondance établie entre le phy- 
sique et le moral , il peut forcer notre esprit à con- 
cevoir de| grandes idées, notre ameà éprouver de 
nobles sentiments, notre intelligence à saisir de grands 
Rapports , par Teffet seul de la grandeur des formes, 
de la pureté de leurs contours, de Tharmonie de 
leur ensemble? Et, dira-t-on, quand Tartiste échange 
ainsi dans ses ouvrages , les moyens dWpression 
matérielle, contre ceux d'une action morale^ qu'il 
falsifie, qu'il trompe, qu'il induit en erreur? 

C'est dans Tintérêt de la vérité morale , que le poëte 
ap{lielle l'hyperbole à l'appui des images dont il a 
besoin d'agrandir les traits dans notre imagination. 
C'est poiir. satisfaire à cette vérité, que réduit à ne 
pouvoir nous peindre le grand homme que par les 
pensées, les discours , les actions qu'il lui prête, il en 
amplifie l'expression , au niveau du caractère qu'il 
veut rendre sensible. 

Eh bien , c'est aussi dans Tintérêt de la même vérité, 
que Tartiste opère sur l'extérieur de l'homme et la 
configuration des corps , certains changements ana- 



35o 0ES MOYENS 

logues et qui se rapportent au même but. Il n y a 
de différence, qu'en ce que les idées en poésie , sont ce 
qui peut nous faire deviner les formes des choses et 
des personnes, et que les formes en peinture sont 
pour cet art , des signes corrélatifs aux idées quUl doit 
nous faire concevoir. 

Ainsi quand Tune , à Taide de ses conceptions mé- 
taphoriques, et des figures du langage poétique, 
augmente en idée 1 énergie d^un personnage , par les 
actions qu elle lui fait faire , rehausse la valeur de ses 
sentiments dans lexpression qu elle leur donne, en- 
noblit ses pensées par un choix de paroles et de dls# 
cours ; Tautre opère sur le même personnage des 
changements de forme, de physionomie, de pro- 
portion , qui , dans son langage , deviennent les équi- 
valents des métaphores du poète. 

Or ces changements seront encore plus néces- 
saires, et commandés plus impérieusement à Fart, 
qui , tenu de s adresser à lesprit par les yeux du corps, 
ne rend sensibles les qualités morales , qu avec Ten- 
tremise des organes , et au moyens des formes de la 
matière 

Car ce qu'on ne sauroit trop dire à ceux qui se 
plaignent de ces interversions d'un certain ordre de 
choses sensibles, c'est quil n'y a point en peinture, 
c'est-à-dire pour les yeux, de grandeur dame avec 
un petit corps ; c'est qu'il n'y a point de vertu avec 
une stature débile. De grands et beaux sentiments 



/ / 



i 



DE LIMITATION. 35l 

n habitent point dans des formes mesquines. Point 
de héros, en statue, sous un extérieur vulgaire. 

De là cette nécessité aux arts du dessin , de changer 
dans tous les sujets , quels qu'ils soient, dont on veut 
rendre le beau moral, et d^ changer autant dans la 
forme des personnages , que par le style de la com- 
position , les éléments de Texistence réelle et maté- 
rielle, contre ceux d'une existence conventionelle et 
idéale. Or, tout changement physique est plus ou 
moins sensible aux yeux. 

CesC-à-dire que dans les arts du dessin toute mé- 
taphore devient plus ou moins métamorphose. 

J ai dit plus ou moins; et en effet les changements 
que 1 artiste peut faire subir aux actions et aux per- 
sonnes, dans la manière d'en représenter les images, 
comportent des degrés très nombreux. Peut-être 
même sèroient-ils sans nombre, si Ton prétendoit 
mettre en compte les nuances que le génie de chacun 
peut rendre sensibles , dans lexpression variable de 
tous les sujets. 

Mais nous allons réduire à trois procédés princi- 
paux, qui sont ceux qu'emploie le plus souvent Ti- 
mitation idéale, les différents moyens de tranforma- 
tion dépendants des arts du dessin. Ces trois moyens 
métaphoriques consistent dans ce qu'on appellera 
style de composition histori€fu€y style de composition 
aUégoriquCy style de composition symbolique. 



352 DES MOYENS 



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PARAGRAPHE X. 

De taction de transformer par le style de composition 

historique. 

Le style de composition historique/entendu comme 
moyen métaphorique de l'imitation dans les ouvrages 
du dessin , n exigera qu^un petit nombre d^observa- 
tions critiques. Ce genre de composition admettant 
aussi remploi delallégorie, on trouvera dans les pa- 
ragraphes suivants des notions qu^il sera facile de lui 
appliquer. 

Mais il faut d abord bien donner à connoitre, quel 
est le sens propre qu il convient d^appliquer ici au 
mot historique, selon lanalyse de notre théorie, et 
même selon lusage actuel des arts. Il désigne ordi* 
nairement cette division de la peinture qui traite les 
grands sujets , et il établit dans I art du peintre cette 
même distinction de valeur et de supériorité , qui 
nous a paru séparer Timitation du genre idéal , d'avec 
celle qu^on appelle du genre vulgaire. 

Dans ce sens, le peinti^e d'histoire est au peintre 
de genre, ce quest un tableau de Raphaël à un ta- 
bleau de Teniers. Quoiqu'il soit probable que le nom 



DE L^lMÏTAtlON. 3S3 

de peintre d^histoine, en opposition à celui de peintre 
de genre, soit venu de Thabitude qua le premier de 
représenter des sujets et des personnages qui sont du 
domaine de Thistoire ^ on doit toutefois se garder de 
croire qu on refuse le titre d'historique ^ au tableau 
qui exprime des sujets pris dans d^autres catégories^ 
telles qucT celles de la poésie ou de la fable. De fait , 
et selon Tusage de Técole , le mot historique appliqij^ 
soit au genre des sujets, soit au caractère du dessin^ 
soit à la nature et au style de la compositioti , ^ dé» 
finit mieux négativement, en disant qu il exprime 
tout sujet, tout dessin, toute inventioti et compost^ 
tioB , qu^on peut regarder comme différant, et sou<^ 
vent comme Topposc de ce qu^on appelle genre 
(sous-entendu vulgaire^ commun , trivial , ou borné 
au goût d^imitation de la réalité). 

Cela doit suivre pourfaire entendre, que , co|isi'»> 
déré comme moyen de Timitation idéale, le style de 
composition historique, ne peut se manifesta quWee 
l'aide dé la métaphore, et en vertu dune transfor- 
mation quelconque des éléments de la réalité. 

L'action de transformer, qui appartient au style de 
composition historique, pour être moioiB absolue 
que celle des deux autres styles dont on traitera pur 
la suite 5 nen est pas moins Faction propre du génie, 
de Fimitation. Le peintre n y a pas moins le droit 
et le pouvoir de changer les apparences des sujets. 
A regard mâme de^çeux qu'il puisb dans les reciti 

1. a3 



354 J>^^ MOYENS 

les plus cei'tains , dans les narrations les plus véri^ 
cliques , il ne lui est pas moins nécessaire d^en recom* 
poser la substance , d en changer les détails . et les 
circonstances. Son premier soin doit être d'agrandir 
les proportions, d embellir la physionomie de toas 
les personnages. 

Si le style historique ne va pas dans les change- 
ments qu il y opère, jusqua la fiction absolue, qui 
est le privilège des autres styles (voyez le paragraphe 
suivant), si la métaphore n'y arrive pas jusqu a la mé- 
tamorphose , c est que le genre de cette composition 
est en rapport avec la raison , autaiït qu'avec Timagi- 
nation. Son caractère qui est celui de grandeur, de 
noblesse, de dignité, semble participer du goût de 
1 éloquence, plutôt que du goût de la poésie. Mais on 
se gardera de croire que 1 artiste , peintre dhistoire, 
doit se borner, dans son genre , au simple rôle d'his- 
torien , et se contenter de cette, sorte de véà*ité qu'on 
demanda par-dessus tout à l'histoire. On a déjà dit 
plus d'une fois, comment cest l'esprit et non la 
lettre de cette vérité, qui est lobjet de son imita- 
tion. 

N'oublions pas en effet que ce qu on appelle ici 
composition , pour se conformer au langage ordi- ' 
naire, devroit plutôt, selon le point de vue de notre 
théorie, se nommer recomposition: car soit qu il gé« 
néralise, soit qu'il transforme son sujet, lartiste ne 
le fait, qu'en substituant une manière detre plus ou 



DE l'imitation. 3Ô5 

moins fictive à celle de la réalité. Bien qu^il retrace 
j'image des personnages les mieux connus dans 
rhistoire , il ne sera teilu , d'aucune manière , à cette 
fidélité de portrait qui afiFbibliroit Timpression du 
style historique. Si Alexandre est décrit par les his- 
toriens comme étant d'une petite taille, le genre de 
vérité du styleliistorique, n exigera pas qu'on le fasse 
voir au milieu de ses compagnons d armes sous une 
proportion rapetissée. Le peintre par un faux res-*- 
pect pour la vérité, ne représentera point Annibal 
borgne, et le maréchal de Vendôme bossu. 

La nuance qui distingue te style de la composition 
historique ) est celle qui tietit le milieu pour la forme 
ou pour le dessin j entre la manière d'être vulgaire, et 
celle , qui , par la pureté et le caractère d une beauté 
abstraite^ est censée être lattribut des êtres surnatu- 
rels, créations libres de Vimagination poétique, dans 
un ordre de choses surhumaines. 

Ce style n exclut pas l'intervention des personnages 
allégoriques, lorsque sur*tout ces personnages, par 
le fait des croyances établies , font partie du sujet 
traité, ou en sont lobjet, selon lopinion reçue. On 
veut désigner ici tous ces traits d'histoire sainte , dans . 
lesquels se mêlent , par exemple , des visions miracu- 
leuses, des apparitions d'anges ^de saints ou de per- 
sonnages mystiques. L accession de ces êtres phis ou 
moins imaginaires à la scène ou à Faction historique, 
se considère comme historique elle-même. L artiste 

a3. 



356 DES MOYEN& 

alors n'est pas obligé de changer le caractère et les 
formes des personnages humains ^ pour en mettre 
1 apparence d accord avec celle des êtres surnaturels. 
Il n en est pas ainsi » comme on le verra , des comr 
positions dont rallëgorie est le sujet ou le moteur 

• 

principal ) et. où elle devient, par suite de la convenu 
tion adoptée y le ressort essentiel et actif d'une mar 
chine poétique, dont le merveilleux assujettit tout le 
reste à se mettre d'aGCord, c^est-ànlire àsubir^n chan^ 
gement total d^apparence. (Voyer les deux parar 
graphes suivants. ) 

Je crois en avoir <lit asftez pour faireen tendre , que 
le style de composition historique 3e définit , par U 
Idature habituelle de» sujets qui lui appartiennent^ 
comme devant tenir un certain milieu entre le genre 
du vrai positif, et celui du vrai idéal. Aussi verra*tr 
on qu^il nesauroit admettre, dans toute leur étendue^ 
certaines conventions doù résulte néc^saireme^t 
la recomposition absolue et Tentièce transforma- 
tion du sujet. De ce nombre est la nudité meta? 
phorique ou poétique, qui est sur-tout une conven- 
tion propre de la sculpture, et dont la peinturé ne 
doit pas faire indistinctement emploi^ dans tous, les 
sujets du genra historique. 



y 



DE l'imitation. 357 

PARAGRAPHE XI.* 

De Cwtion de transformer ou de transposer par le style 
de compoMtian allégorique (i). 

De tous les moyens métaphonques , par lesquels les 
arts du dessin peuvent idéaliser les personnages et 
les sujets, aucun ne donne à Tartiste plus de liberté 
pour en changer les apparences , quç le style de com*^ 
position appelé aUégor^ue. lie genre de celle qu on 
a nommée historique est tenu à une plus grande ré^ 
serve. La région où se placent ses personnages, quoi* 
que supérieure à celle des réalités, reste au-dessous 
de ndétfl. C'est à-peu-près le même degré qu'occupe, 
ainsi quon Ta déjà dit, le style élevé de la prose ou 
de l'éloquence par rapport à la poésie. Quant au 
genre décomposition symbolique, il a moins la pro* 
priélé,. comme on le verra plus bas, de représenter 
les choses ou les personnes, que celle dt les fsùre 
G<mcevotr ou imaginer par des signes de conven- 
tion. ' 



(i) Par composition allégorique on n*entend point celle dont la seule 
allégorie forîneroit le sujet, mais celle où on Femploie comme ressort 
propre à clMUiaer Fe^piit <st 1 «ppareiice d*«n # ujet hUtorique. 



358 DES MOYENS 

La composition allégorique participe aussi de cette 
propriété, cVsl-à-dire qu'elle s'adresse, pour Tintel- 
ligence des sujets qu'elle euibrasse, autant à l'esprit 
qu'aux yeux, s'il est vrai que lallcgorie, comme on 
la définit, en montrant ane chose, en siguifie une 
autre, et tantôt, sous l'apparence d'une figure inria* 
ginaire, désigne un personnage réel, tantôt, sous la 
forme d'un corps, exprime une pensée 'ou l'idée la 
plus abstraite. 

La composition allégorique dans les ouvrages des 
arts du dessin , change ou transforme les sujets , de 
deux manières, c'est-à-dire en tout, ou en partie. 

Selon la première manière, la totalité du sujet 
éprouve la transformation sur -tout à l'égard des 
personnages. C'est ce que la sculpture nous montre 
dans 'un grand nombre de statues antiques, dont 
l'apparence entièrement transformée , métann^rphose 
les divers personnages en Mws, en Mercure, en Apol^ 
Ion. Ce fut jadia un moyen poétique donné à 1 ar- 
tiste, de représenter les qualités morales sous des 
formes corporelles. Hercule signifia la force et le 
courage, Minerve la prudence, Vénus la grâce. Il 
en est de même d^ conceptions de 1 allégorie mo* 
derne : elles offrent à la transformation des per- 
sonnes, un assez^grand nombre d'images indicatives 
des vertus qui les distinguent. Telles sont les allégories 
de la justice, de la libéralité, de la douceur, etc. 

lies actions sont aussi fecilemeiit soumises à 1^ 



DE l'imitation. 35$ 

transformation totale. En ce genre, lallégorie pro- 
cède d'une opération particulière de Tartiste , qui 
parvient à réduire Timage d'un fait, d'un événement, 
aux cléments des causes , ou à l'idée sommaire des 
effets que Tart peut personnifier. Le pouvoir de la 
composition allégorique va jusqu'à rendre sensibles 
et faire parler clairement aux yeux , des idées morales 
qu'on croiroit ne pouvoir être exprimées que par le 
discours. 

Les moyens qu'emploie la calomnie pour tromper 
un prince ignorant , les eflfets de la crédulité qui en* 
courage la délation, la m^rt de l'innocent, le re- 
pentir tardif qu'amène la révélation de la vérité, 
Apelles a su faire entendre tout cela, en le montrant 
dans sa belle composition allégorique, dont Lucien 
nous a donné ^ description , et dont un dessin de 
Raphaël a restitué Fimage. 

Il y a un système de composition allégorique qui , 
appliqué aux sujets les plus étendus, et sur-tout les 
plus nombreux en figures , opère leur repripsentation 
en procédant par voie de réduction. L'artiste qui en. 
use^ doit ou saisir l'idée dominante d'une action , ou 
s'attacher au personnage principal du sujet, en cu- 
mulant sur sa personne , par un caractère généra- 
lisé, toutes les idées particulières dont ce sujet peut 
offrir la réunion. GeUe sorte d allégorie pour roi t 
sappeler collective. Le passage du Rhin par l'arméç 
française , se trouve exprimé dans l'intention de cettQ 



36o DES MOYENS 

métaphore > par la seule -fisnire de Louis XIV foulant 
aux pieds le fleuve personnifié. 

Lart du sculpteur emploie avec le plus de oomplai- 
sance cette métaphore collective, à la représentation 
des villes, def provinces, des ïiations, et de tout ce 
qui emporte avec soi Tidée de ii^ultitude dans les per* 
sonnes, et d'une grande étendue dans Fespace du sujet. 

La sculpture en effet est Tart qui expritneroit le 
moins de choses, s^il ne lui ëtoit donné de compen* 
ser, par la valeur significative de ses images, ce qui 
leur manque en valeur narrative. Cest pourquoi 
aucun n^a plus hesoiu, ^our se faire entendre, du 
truchement de la composition allégorique, qui 
malheureusement a trop souvent besoin de trucho^ 
ment elle-même. Mais c^est au génie de 1 artiste 
à trouver dails les ressources de iPléal , les Vrais 
moyens de rendre la métaphore intelligible , en fer» 
çant Tesprit du spectateur, de se prêter à Theureuse 
transposition qui échange la réalité des objets, eontf# 
leur image allégorique. 

Inhabile à narrer les actions dans leurs détails et 
dans les circonstances accessoires, privée des dons de 
la couleur, et des effets que la peinture emploie pour 
étendre et multiplier les espaces où elle place ses 
sujets , la sculpture a encore recours à une fiction 
qui lui est propre , et par laquelle eet art fait sup^ 
poser que ses figures , dans le genre de com{>osition 
SU bas-relief, deviennent les caractères personnifiési 



DE l'imitation. 36i 

d^une espèce cTécriture figuFati ve. Dans ce système , 
on comprend combien lartiste éprouve le besoin dV 
Voir recours à ces conventions métaphoriques , qui 
recomposant les éléments de laction k exprimer, la 
reproduisent en abréviation, sous ses traits les plus 
caractéristiques. Or telle est la propriété de toute 
composition allégorique. 

Ce genre de conventicfns plus particulier à la sculp- 
ture qu^à la peinture 9 nom^ montre comme étant né- 
eêssaires au langage de cet art, toutes les ressources 
qui tendent à c^nger dans les personnages, ce (pi*on 
appelle leur costume, et ce que j'appelle la manière 
d'être du portrait, en un pnot tout ee qui particula^ 
fisc un sujet. Delà, con^me on le verra dans la suite 
(paragraphes xvi et xvii), Tobligatidn d employer avec 
le style de dessin idéal, soit la nudité poétique, soit les 
ajustements et les habillements consacrés par les arts 
de l'antiquité. 

On vient de dire que l'allégorie peut transformer 
en entier l'objet de la composition du peintre ou du 
sculpteur, en substituant aux personnages réels, des 
personnages fictifs , en s'emparant des actions et des 
sujets , pour les métamorphoser, changer leur suhr 
stance, et les transposer tantôt de Tordre moral à 
Tordre physique, tantât et réciproquement de la 
r^lon des réalités dans celle des êtres intellectuels. 

Disons maintenant comment le système de com-* 
position allégorique donne lieu de transposer ou de 



362 DES moyehs 

transformer les sujets de rimitation^ d une maDÎère 
moins absolue. Cette manière consiste dans Tinter^ 
Tention des personnages fictif ou allégoriques, et 
dans leur association avec les personnages histo- 
riques ou réels , c^est-à-dire ceux que Ton a vus être 
Tobjet du genre de composition , dont on a traité dans 
le paragraphe précédent. On se souvient que le degré 
assigné à ce genre, dans l\)rdre des changements 
qu'y opère la métaphore^ ^t un degré in termiédiaire, 
pour la conception et pour le style des formes , entre 
le naturel et le poétique , entre le réel et Fidéal. 

Je crois avoir assez fait entendre , que le genre de 
composition historique, quoiqu'il comporte moins 
l'emploi des fictions allégoriques , n'en a pas moins sa 
poésie et ses métaphores , ne laisse pas aussi d user 
du pouvoir de transformer les personnages, et la 
nature des sujets qui lui sont propres. Il y a dans la 
série des transformations un assez grand nombre de 
degrés. L'artiste sait appliquer aux sujets historiques 
des moyens de métaphore, qui ne sont pas pour cela 
des allégories. Les seules variétés de caractère qui 
résultent déformes plus ou moins nobles, d'ajuste- 
ments plus ou moins distingués , de fonds et d^ac- 
cessoires plus ou moins riches , changent déjà Tas* 
pect de toute action ,,^ans en changer la nature..C'est 

* 

ainsi que dans l'art de se vêtir, on peut changer de 
vêtements sans se travestir. Généralement la meta- 
phore historique ne tend pas à changer complètement 



DE l'imitation. 363 

Tapparenoe des êtres : elle reste dans le vraisemblable, 
dans le probable ^ et se contente d^embellir Tordre na- 
turel des choses. 

Lorsque le style de composition allégorique s'in- 
troduit dans les sujets historiques , il exige de Tartiste 
<]u'il en change davantage les apparences, tl faut 
alors qu'il rehausse d'autant plus la proportion de 
ses personnages , qu'il embellisse leurs formes , qu'il 
ennoblisse leur action , leurs gestes , leur conte- 
nance, et qu*il élève le caractère de tous les accessoires. 

C'est dire assez, que, s'il veut rester fidèle à ce qui 
constitue la réalité des lieux , des temps, des moeurs, 
des costumes , et à tout ce qui particularise le sujet 
de sa composition , l'emploi des êtres allégoriques n'y 
peut trouver place sans une dissonance révoltante. 
Le désaccord sera d'autant plus grand, que plus 
sensible sera la différence du costume entre les per- 
sonnages réels du sujet ^ et les êtres imaginaires de 
lall^orie. Voilà ce qui empêche d'admettre l'allé- 
gorie dans les sujets modernes, par exemple, dont 
on ne croit pas être libre de transformer les appa- 
rences, par un changement absolu de costume; et 
voilà, dès qu'on est maître de le faire , ce qui exige 
leur transformation , lorsqu'on admet dans de telles 
compositions , les êtres personnifiés de l'allégorie. 

En effet, qui ne voit que pour rendre l'allégorie 
insignifiante ou ridicule, il suffiroit, dans lapplica* 
tion qu'on en suppose à un sujet moderne , ou de faire 



364 T>V:S MOYENS 

prendre à Tètre allégorique le coftume en person- 
nage réel, ou de laisser subsister entre les deux sortes 
de personnages, la diversité de leur apparence res- 
pective? Il y auroit dans le premier cas nullité d^al- 
légorie, par le manque de caractère visible : dans k 
second, il y auroit disparate et ambiguïté^ parov 
que deux genres d'apparences contradictoires se dis* 
puteroient Texistenee du sujet/ C'est pourquoi, dans 
toute composition de sujets , où des êtres allégoriques 
concourent à une action historique, et figurent awc 
des étrés soit modernes, soit donnés par Thûtoire, 
rharmonie morale, disons même le seul bon sens en 

* 

cette partie, veulent que le costume (et Ton entend 
par là toute là manière d'être) des personnages ré» 
pûtes réels, se rapproche le plus qu'il est* possible^ 
de celui des personnages imaginaires Ou poétiques. 

Nous ferons encore n^eux sentir (voyes le piar»» 
graphe suivant), par quelques exemples, l'incompat 
tibilité de ces deux éléments ainsi mélangés dans un 
même sujet. . 

Quelques uns ont objecté contre cette décision n^ 
lati veaux arts du dessin, lautorité des poètes, qui, 
disent-ils, associent librement dans leurs inventions 
les êtres allégoriques aux êtres hiAoriques et menait 
modernes, sans s'inquiéter de l'assortiment di^ leurs 
costumes, ni sans s'assujettir à mettre d'accord, par 
la deseriptîoii , les différences de manière detre qui 
existent en tre eux. On ne voit pas, ajoute-t«ou^ que 



DE l'imitation. 365 

le poète, sll fait accompagner le personnage histo- 
rique par Mars ou Minerve , par exemple, soit obligé 
de nous prévenir que son héros , quoique moderne, 
porte le casque, les armures, ou les costumes <les 
temps héroïques* 

Le lecteur a déjà lu plus d^une fois, dans tout ce 
qui a été dit des différences entre les moyens imitati& 
de chaque art, la réponse à cette objection. En vain 
le poëte prendroit-il à tâche , dans une description ex* 
presse, de choquer 1 esprit parles différences extérieu- 
* res de costume ou d'apparence, entre ses deux ordres 
de personnages, il ne lui seroit jamais possible défaire 
acquérir à ces différences en poésie , leffet de leur 
contradiction en peinture. Admettons Tinlention y 
bien peu probable sans doute, de rendre sensible cette 
sorte de disparate. De la part du poëte elle n aura de 
prise que sur Timagination ; en peinture elle bles«- 
sera Timagination et les yeux. Dans la métaphore 
pittoresque toute poésie est une poésie visible. Les 
êtres en peinture sont poétiques, ou cessent de Têtre, 
par leffet de la forme corporelle. Or, tout désaccord 
du genre dont il s'apt,nest pas seulement un défaut 
de goût, mais est encore un &ux matériel. 

La comparaison établie sur ce point, entre le poëte 
et le peintre manque, non pas de justesse, mais de 
raison. Ce n est pas là que doit avoir lieu le parallèle. 
Car ce qui correspond à ce qu on appelle le costume 
matériel des figures du peintre , c est le costume moral 



366 DES MOYENS 

des personnages du po^le, autrement dit, les mœurt 
de ceux qu^il fait agir ou parler. Or, il n Y a aucun 
doute que le poète, en associant à des êtres allégo- 
riques, ou pris dans la région idéale, les personnages 
historiques ou réputés réels , ne soit tenu de les mettre 
d*accord, en élevant les discours, les sentiments, les 
manières dagir de ceux-ci, au niveau des conve- 
nances prescrites par Tordre de choses ou de per- 
sonnes dans lequel il les transporte. 

Mais les sentiments, les discours, les manières 
dagir en poésie, sont les corrélatifs du caractère, 
des formes et des costumes en peinture. . 

Ainsi l'on doit dire que dans les compositions al- 
légoriques , soit celles où la totalité du sujet éprouve 
la transformation poétique , soit celles où elle n'a 
lieu que par Tassociation des êtres allégoriques avec 
les êtres historiques, le peintre ne change pas plus 
les personnes et les actions , lorsqu'il leur donne . 
d'autres corps et d autres formes, que ne le £ait le 
poëte dans ses conceptions idéales. Non , mais il les 
change autrement*, il les change selon les moyens 
propres de son art , et en vue dM'organe avec lequel 
cet art est forcé de correspondre. 



DE l'imitation. 867 






PARAGRAPHE XII. 

De quelques convenances à observer dans la composition 

allégorique. 

^ Les personnages allégoriques que les arts d'imita* 
tion inlroduisent dans leurs compositions, pour en 
transformer les sujets, sont ou les divinité du paga- 
nisme, que les traditiQns de lantiquité onten quelque 
sorte naturalisées dans notre poésie, ou ces êtres 
imaginaires qiie de tout temps Tabus du latigage a 
créés , auxquels Timitation s est plue de donner des 
formes corporelles , à lexistence desquels cependant, 
aucune croyance n'attribue de réalité, et qui ne sont^ 
que des abstractionâ personnifiées. 

Ce sont ces derniers êtres que Ton appelle par- 
ticulièrement allégoriques.. Quoique différent» des 
premiers ils se sont pour la plupart, sous d autres 
dénominations, identifiés avec les divinités païennes. 
La, prudence, la science, la victoire, la force ^ la 
justice, la valeur, la beauté, la grace<, les dons d^ 
Tesprit, les propriétés et les effets physiques, ont dû 
très naturellement prendre, dans Timitation des arts 
du dessin , les traits., les formes, les caractères et les 



368 DES MOYENS 

ressemblances des anciennes divinités. Sous le pin- 
ceau et le cizeau de Tarliste moderne. Minerve^ 
Mercure, Hercule, Mars, Thémis, Apollon, les 
Muses, les Grâces^ les Nymphes et les Naïades ont 
prêté leurs formes , à toutesies qualités intellectuelles 
qu^exprime le langage , et pour lartiste il n^ a aucune 
différence entre la sagesse de Tallégorie , et la IVIinervè 
de la fable. 

Ainsi le mythologique ancien et Tallégorique mo- 
derne doivent se confondre entre eux, lorsqu'il s'agit 
de leurs images. Si, comme on Ta vu au jMiragi-aphe 
précédent, Tàrt du dessin a le droit et le pouvoir de 
transformer les sujets historiques par le moyen de 
rallégariei et si les figures de Fallégorie moderne re^ 
semblent à celles de la mythologie , on doit itifiérer dt 
là, que l'artiste est d autant plus obUgé de faire prendre 
à ses personnages réels , lorsqu'il les associe aux per^ 
sonnages fictifs dont le modèle est donné par ranti«> 
quité, le costume, la manière détre et les camctèrss 
antiques, sous peine de faire démentir une partie de 
sa composition par 1 autre. 

Ceci nous conduit, cotnme on le voit, à discuter les 
reproches que quelques critiques ont adressés k Y^n* 
ploi de ce qu'ils appellelit les figures du paj^nisme^ 
dans les sujets modernes. 

Puisque le m3rthologique ti Tallégorique tnodmsc 
se contoodentnécessairemencentrfeeux^etsepreniiéfii 
lun pour Fatttrt dans Tiiaitalion oorporelle, la cri^ 



DE L^ltalTATlON. 869 

tiqiié de l^abbé Dubos contre Temploi des figures du 
paganiSme dans les sujets ou événements qui, dit-il, 
ont eu lieu depuis l'extinction de cettereligion ( 1 )^ ne saù- 
l'oit être admise sans distinction, ni restriction. En 
effets lexclusion qu on donneroitaux êtres de la my-^ 
thologie, parceque leu^ croyance n existe plus, em- 
porteroit aussi , dans les arts du dessin , Texclusion des 
êtres allégoriques qui en ont pris les formes , les attri- 
buts et toutes les apparences. L'abbé Dubos ne paroit 
pas avoir voulu pousser jusque-là sa théorie. Mais 
le dé£aiut de distinction en cette matière , semble prou- 
ver qu'il ne setoit pas rendu compte de la différence 
de valeur des figures allégoriques , selon la circon- 
stance où on les emploie, et selon la manière de les 
employer. Oui, l'alliance des dieux du paganisme, 
présentés pour tels et sous leur propre nom ^ par \t 
poète , avec les personnages d'un sujet çhétien , est une 
sorte de monstre d'incohérence, qui blesse l'imagi- 
nation et répugne. à la raison. Autant sans doute on 
en diroit du peintre, qui^ dans un tableau consacré 
h quelque trait propre de la religion chrétienne , fe- 
roit intervenir et mejtroit en action les êtres de la 
mythologie païenne. Mais entre un sujet chrétien et 
un sujet qui appartient à un pays ^ à un temps, où 
régne le christianisme, la différence est grande. Les 
choses humaines, les actions et les personnes histo- 

T I 1 - ^ ■ ... , ■ . ■■ ■ „ ■ » ■ 

(i) Réflexions critiques sur U poésie et la peiatare , tom. T, sect* a4.. 



370 UE9 MOfENi» 

riques, peuvent toujours être coûndérées |>ar Fart, 
abstraction faite de la religion. Le héros du poêle 
et du peintre peut toujours être transformé |>ar la 
métaphore ^ et transposé dans un ordre de choses ima-; 
ginair^s, quelle que soit la relig;ion de soii temps et 
de son pays , sans que la croyance religieuse s en of- 
fense, si ces sortes de transpositions n^ont point de 
rapport avec elle. 

Qr^ la distinction quW vient de faire est dictée 
par la convetiance du goût, quand elle tie le seroit 
pas par Tesprit même du christianisme. 

La reUgiqn chrétienne dont Fesprit doit repousser 
lalUage profiane des fictions mythologiques avec sei 
croyances, et autant dans la con\position du poète que 
dans celle du peintre, ne laisse pasd'approuver et de 
permettre , m Tégard des représentations et des ima- 
ges qu'elle admet , 1 emploi des figures allégoriques^ 
où les vertus personnifiées , par exemple , se mon- 
trent sous toutes les formes de lancienne sculptul^ 
mythologique. C est en vertu de la même tolérance 
que la représentation du père éternel , des anges et 
d autres êtres mystérieux , a pu emprunter les formes 
données par lart des Grecs à toutes les ^sortes de 
créations du paganisme. 

En revenant à la question de goût et de canire- 
nance, nous dirons donc que là nesi point Terreur 
de lartiste, lorsque, en supposant toutes les condi- 
tions du sujet observées, il mélange. les êtres allego- 



DE L*IMITAT10N. 371 

riqueÉf avec les personnages bistoriques. Sdn- erreur 
consistera le plus souvent à ne point savoir assortir 
le style, le caractère et le goût des un$ avec celiii des 
autres. Or , on a vu que c'est au personnage historique 
à revêtir, autant qu'il est possible ^ les apparences de 
Tordre de cboses allégorique, puisque le personnage 
allégorique ne pourroit cbanger d'apparence, quen 
cessant detre allégorique en peinture. 

Uh exemple frappant du vicieux emploi de Tallé- 
gorie, dans un sujet dont les personnages bistoriques 
ne pouvoient pas changer dapparence ou de cos- 
tume, est celui du tableau dé ta galerie dé Marie de 
Médicîs , où Rubens s'est permis d'dssocier soiis la 
forme positive du Mercure de la fable, lé messaget* 
porteur de l'emblème de la paix , à deiix cardinaux 
doqt l'un persuade, et lautre dissuade la reine d*ae-^ 
oepter le rameau d'olivier. Il y a ici double contra- 
diction , l'une entre le caractère mythologique dé 
Mercure représenté nu^ et la manière d'être des deux 
pel^sOnnàges revêtus du costume d une des princi* 
paies dignités du christianisme , l'autre entre lé genre 
tout- à -fait métaphorique des deux êtres allégori- 
ques, la prudence et la paix, et le genre d'imitation 
toute positive des personnages qui accompagnent la 



^ reine. 



Pour mieux foire entendre l'esprit de cette théohie, 
je dois dire que Rubens n'est pas, aussLsouvent qu'on 
se platt à le eroire, tombé dans ce genre d'incobë- 

24. 



^72 DES MOYENS 

reace. Non seulement le plus grand nombre desta^ 
bleaux de sa galerie en est exempt, mais le système 
général qui a présidé aux compositions de cette série 
de sujets historico- poétiques ^ s^accorde, plus qu'on ne 
pense, avec celui que je cherche à rendre sensible. 

Dans le plus grand nombre de ces tableaux , sans 
y compter toutefois ceux qui ne renferment que des 
portraits, Marie deMédicis, depuis son enfance, dont 
Tinstruction est l'ouvrage de Minerve, de Mercure, 
et des Grâces, jusqua sa mort, est toujours repré- 
sentée selon un système de composition abstraite et 
idéale. Le peintre n^ a jamais exprimé d action posi- 
tive et matérielle. Toutes les compositions expliqui^es 
par les personnages qui semblent y prendre uire 
part plus ou moins active , ont uniquement pour 
sujet, soit les motifs et les résultats des entreprises de 
la reine, soit les causes et les effets des actes de son 
gouvernement et de ses conseils. Les diverses circon- 
stances de Tépoque orageuse où elle vécut, sont ren- 
dues sensibles non par ces détails , qui font voir les 
Êiils dans leur réalité, mais p^r lesimages métapho- 
riques des passions qui présidèrent aux événements. 
Dans le fait, Mi^ie n'agit jamais d'une aetion maté- 
rielle ; au contraire, toutes les situations où le peintre 
la placée avec des personnages métaphoriques, ne 
donheùt lieu de sa part qu'à une action allégorique. 
, Généralement, hors quelques incon vetiances, telles 
que celle qu'on a fait remarquer plus haut , à part Ie^ 



DE l'imitation. 873 

Style de dessin fort peu idéal, et ce penchant qui 
porta le grand coloriste à la manière incorrecte et un 
peu vulgaire du portrait, Rubens pourroit être cité 
comme ayant donné dans la plupart des composi- 
tions de sa galerie, le vrai modèle de la manière qui 
convient au système de la transformation des sujets 
historiques par le mélange de lallégorie, et à la mé- 
thode de généraliser ainsi les actions, en échangeant 
leur aspect réel et positif^ ccmtre le point de vue 
doù Ton peut considérer leurs causes et leurs ef- 
fets politiques, leurs résultats et leurs rapports géné- 
raux. 

Je ne sàurois donc m^empêcher de combattre en- 
core Tabbé Dubos, qui dans ses réflexions critiques y 
né me parôit s^ètre jamais proposé les considérations 
relatives à Fimitation généralisée, Il p«ise que le ta- 
bleau dé Caccouchement de Marie^e Médieis, plairoit 
davantage y siftubens^ au lieu du génie et des figures al' 
tégoriques qui entrent dans la composition^ y avoitfait 
paroitre celles des femmes de ce temps-là qui pouvoient 
assister aux couches de la reine, etc. 

Gela ne signifie autre chose; sinon que Rubens 
auroit pu concevoir et exécuter ce sujet dans le sys- 
tème de la réalité. Qui en doute? et qui douteroit 
encore, que comme grand peintre de portrait, il 
auroit pu faire de la réunion des femmes de ce temps- 
là, une scène domestique, offrant uti auti^ genre 
d'intérêt ?^ais ces. femmes poit raïf n auroient expri-* 



374 ^^' MOYENS 

nié là qu^une idée particulière. Rubens voulut au 
contraire faire entendre par ses fîjjures allégoriques, 
êtres collectifs , signes d'idées générales, lunivorsalîté 
des sentiments' et des affections publiques, c'est-à- 
dire Teffet politique et moral que devpit produire 
la naissance d'un héritier du trône, détruisant les 
espérances des fauteurs de discorde. Il devoit donc 
prendre le parti de la composition allégorique. Celui 
que Tabbé Dubos auroit voulu y substituer, neût 
donné qu'une scène de la vie privée de Marie <le 
MédiciSi Ajoutons à la louange de Rubeps dans ùê 
tableau, qu'il n'y a ni démenti le système de Timage 
allégorique^ ni afiGoibli sa vertu sur l'esprit, par au- 
cun mélange de personnages supposés réels, ou ap#- 
partenanf au système opposé. 

Lèbnin, daps les plafondq de la galerie de Ver^- 
sailles, a représenté les traits principaux de la vie de 
Louis }(IV , avec encore plus de convenaqo^ pourle 
système allégorique, soil pour ce qui regarde la con^ 
ceplion, soit dans la partie de lexécutioft que ce 
genre réclame. Mais c'est que le style «t le goût de 
dessin de ce peintre , étoiént plus d'accord que la ma- 
nière de Rubens, avec le goût poétique et idéal de 
lallégorie. 

Je n'ai cité ces exeipples que pour faire uiem 
comprendre en quoi lartiste manque, et comment il 
se conforme aux convenances de la compositien aU 
légorique. Ija première condition doit dbnc être, 



DE L^IMITATION. 875 

4anque le sujet pernyet le mélange d^ndividiis sup-* 
•posés de nalure différente, d'assortir et de concilier 
leur caraclère , leurs formes , et leur apparence , en Re- 
haussant, autant quHl se peut, la manièro d'être des 
personnages réels , au niveau de celle des personnages 
poétiques; opérati^, qui, comme on la dit, ne sau- 
roit être réciproque , puisque si Ton rabaissoit lappar 
rence de ceux-ci au niveau du caractère vulgaire de 
ceux-là , Tallégorie cessant d'ét|« visible n'existeroit 
plus. 

Mais il est un autre ordre de convenances à suivre, 
pour effectuer cet accord (et Ton nVntend parler ici 
d^aucun de ces Aiérites qui tiennent au talent, à la 
science et au sentiment de lartiste), il s agit unique- 
ment d une régie de goAt , qui veut que le personnage 
poétique ou allégorique, lorsqu-on le feit participer 
aux actions humaines , ne soit figuré ni dans des atti- 
tudes vulgaires, ni avec une pantomime qui exprime 
trop leffbrt, ni dans des mouvements inconciliables 
avec la dignité extérieure. Hors quelques sujets al- 
iégeriques dont le propre seroit de signifier, par Tac- 
tion même des personnages, Teffort et le mouve- 
ment , il convient ordinairement de les montrer dans 
deis attitudes tranquilles, avec une physionomie 
calme, avec des gestes modérés. 

Cest le seul moyen (1) qu'ait lé langage par signes 
4!or^orels , de donner aux yeux et à fesprit, ridée de 

■ 1*1 t . I II ■ ■■ ■— plains.. III I ■■ ^ I II ■■ ■ — » 

(1) On ne parle ici que de Faclion. 



376 I>ÊS MOYENS 

la haute intelligence , de la supériorité de puissance 
des êtres, qu^on doit regarder comme au-dessus de 
rhumanhé. Et cW^insj que les anciens ont toujours 
conçu et représenté en action leurs divinités , soit 
seules, soit associées aux mortels. 



PARAGBAPHE XIII. 

Pout^quoi l'emploi de (allégorie moderne a moins de 
valeur y et fait moins d effet en poésiç quen peinture. 

Les abstractions morales, résultats nécessaires des 
formes du discours, sont devenues la source des 
personnifications allégoriques, que les arts du dessin 
emploient comme signes des idées générales, quUls 
ont aussi le besoin d^exprimer. 

On a fait voir que la plupart de ces signes dé- 
voient avoir de grands rapports avec les créations 
du paganisme, créations qui, pour avoir obtenu jadis 
de la croyance religieuse force^ dVxistence cor|>o- 
relie , n en sont pas nioins> considérées comme le ré* 
sultat de la même opération de Tesprit, dans la for* 
mation du langage. > x 

Cest pourquoi les figures allégoriques modernes, 
forcées d'emprunter pour les yeux , les formes des 



DE L'ililTATION- 377 

êtres mythologiques, ont perpétué dans nos arts un 
grand nombre d'images 4)u de signes/ qui n ont fait 
que changer de iiom. 

Comment n'en auroit-il pas été ainsi dans les 
langues modernes et dans leur poésie ? Le propre 
de la poésie est de tout animer, de donner à tout un 
corps y une orne, un esprit^ un visage; cest-à-dire de 
transformer tout , de tout personnifier. De là ce 
nombre infini de tropes , de figures , de métaphores, 
^e signes allégoriques, qui souvent ne sont propres 
qu'au discours, et perdent leur vertu, comme on Fa 
montré ( paragraphe ix ) , lorsqu'on les transporte 
dans une autre sphère d'imitation. 

I^ poésie moderne n'a pas laissé encore d'adopter,' 
comme la fait la peinture, et de mettre au nombre 
de ses moyens métaphoriques,' certaines images my- 
thologiques , qui , par le fréquent emploi que le lan- 
gage en fait, sont reçues comme des synonymes de 
mots ou de locutions , ayant pour objet d^exprimer 
des notions ou dà qualités morales. Ainsi Mars, Vé- 
nus, TAmour, les Grâces, etc. , sont devenusdesimples 
mots, des expressions d usage , dans le vocabulaire 
poétique; et peut-être n y a-t-il d'autre restriction à 
leur emploi , que pour ce qui regarde les . sujets re- 
ligieux , à raison des convenances dont il a été parlé 
dans le paragraphe précédent. \ ' 

De cet emploi de métaphores, dérivées du paga-^ 
nisme, mais aujourd'hui considà^ies cojnme de sim- 



378 , DES MOTENS 

pies locutions synonymes, auxquelles, id'aprè^ Tha- 
bitudequ\>p en a, Tesprit na^aobe aucune image, 
on a voulu inférer pour le poète, le droil d'employer 
le nieryeiUei|xderantiquepiytholo§;ie, comme ressort 
principal de Tépopée, e| 4^ faire repar<rftTç les dieux 
delà fable, en tant que moteMrs et instruments <fe 
Factiou poétique. Mais la simple rai^QU ne tarda pas 
à se révolter, sur-tQut à Tégard des ^ujet$ chrétiens, 
contre riptervention activa de ces puissances détruites 
dans rppîpion gép^rf^le , par les croyances du chi)i^ 
tianisme. La même raison i^it comprendre aussi, qu a 
rexception de quelques badinages poétiques sans imr 
portance, ou de certains sujets que Timagination em* 
prunte à l'histoire des t^pips et des peuples païens , 
il ne pou voit pas être permis au poëte, dans un su-? 
jet depoqu? lupderuc, d'employer comme moteurs 
* d'uue puissance suruatureUe^ des êtres déchu| de 
toute cf-oyance, de la part de ceux sur If^uels p^ 
prétend les faire agir ; TiiiOMçnce de leur actioa , de^ 
vaot au moins être crue possible par ceux qui soQt 
censés devoir 1 éprouver. 

Le respect du ayx mystères et aux dogmes du cbris^ 
tiauisme , la nature si différente d'une religion qui 
ne parle point aux sens , le petit nombre d'êtres surnan 
turels qu elle permet de personnifier, le danger de lan-» 

« 

thropomorphisme, tout cela contribua eucore-à tf^Ur^ 
dre très difficile lemploi d'un merveilleux tiré des 
crpyançes chrétiwoes, k moins de faire > camme Ta 



DE l'imitation. 879 

hit MiltoB , UB poëme dent le merveilleux poétique 
mi lé surnaturel est , si l'on peut dire, le sujet unique, 
le sujet méaM, 911 lieu de n en être que le ressbrt auxi- 
liaire. 

Cepeqdant, eomme toute poésie vit de fictions, 
<»mmeie poète, sur-tout dans les créations deJa 
lapse éfuque , a besoin , Sf Ion Boileau , de mettre 
tout en usage pour nous enefïaniêr, on chercha quel- 
^'autiw ma^CB de sul^ordonner Faedon et ses res- 
sorts, les événements et l^ur leoars, à quelque cause 
tur^fiturelle à^lft^foie, et sensible; mai^ de semUa* 
blés causes ne sauroient avoir eu poésie, coiqme en 
peinture, le pouvoir de saisir Fimaginption , sans le 
secours de la transformation , et de la personnificar 
tioin socis des formes oorpowlles. 

Le poète invoqua donc lallégorie moderne. Il crut 
pouvoir faire agir avec autant <(e succès que l^peintre, 
et, comme lui, mettre en scène la sagcM^ au lieu et 
Minerve, la vplupté en place deV^us, suhstittier 
ia Discorde, les yices, et les vertus , aux datés mytho- 
logiques qui les perspniiifioient. Il prut que les noms 
des qualités morales, des phénonyénes physiques, 
dés principes actiCs de la nature, remplacerojent les 
êtres qui les repirésentoient autrefois dans Timaginar 
tk>n. 

Toutefois on ne mit que des noms à la place des 
corps; mais des noms qui dans le discours ne rappel-* 
lent point de formes , sont iqcapabks de|Nmluire des 



38o DES MOYENS 

images. Dès-lors rien pour l'imagination. Ces êtres 
allégoriques o eurent qu^une existence nominale, et 
tout au plus grammaticale. Leurs physionomies sans 
couleur, leurs formes sans contour échappent aux 
yeux de Tesprit; ces prétendues créations, loin de 
répandre la vie et le mouvement dans les composi* 
tions du poète, y ont jeté le froid de leur propre 
nature restée métaphysique. . . 

Ce derpier mot rend compte de la différence' de 
destinée des êtres allégoriques modernes, en poésie* 
ou dans la peinture. Cest qu^aû fond le langage ne 
suffit pas pour donner aux idées abstraites, avec la 
vie et un corps, cette faculté active et virtuelle, qui 
permet den faire en poésie un ressort puissant des 
choses humaines. L art sur- tout,. qui ne peut pas 
faire voir de semblables êtres, a besoin qu une cause 
indépendante de lui , y fasse croire. La religion seule 
par son culte, ses dogmes , ses doctrines , ses signes 
et ses images, produit cette foi publique,: à laide de 
laquelle , la conception métaphysique ^acquiert noe 
consistance, qui permet à Timagination de lui attri- 
buer Texistence physique. . * 

Les personnages de lallégorie purement morale , 
ont donc dans Templpi qu en fait la poésie Moderne, 
Tinconvénient de ne pas exister pour Timagination. 
Ils ne sont Tobjet dWcu ne croyance positive, ou 
même fictive. Non seulement on ne sait pas qulls 
existent ,%Bais on sait qnils n'existent pas , et qu'ils 



PE l'imitation. 38i 

ne peuvent pas exister.,On ne sauroit guère en con- 
séquence leur faire jouer un rôle, ni leur attribuer 
une action, que lesprit admette , même comme con- 
ventionnelle, c'est-à-^irê comme poétiquement vrai- 
semblable. 

Mais , dit-on , la même critique devroit les atteindre 
dans les arts du dessin , et la part ^ue le peintre leur 
donne aux choses humaines, en les y faisant concou- 
rir, est donc également inadmissible. Nous répon- 
drons oui, si lH>n en appelle au raisonnement et au 
jugement de Tesprit. Mais c'est que le peintre a d^a- 
bord pour lui le jugement des yeux ; et il a un moyen 
de faire croire à lexistence des êtres qu*il crée, c'est 
de les montrer revêtus déformes corporelles , chacun 
avec leur figure caractéristique, chacun mis en mou- 
vement, et chacun coopérant à une action. On voit 
la Vengeance poursuivant le crime, la Religion sou- 
tenant Tinnocence. On voit la Discorde agiter se$ 
torches, TEnvie ses serpents, le Temps fuir à tire- 
d'aile , la Calomnie broyer ses poisons, TAmour ai- 
guiser et lancer ses flèches, etc. 

Ajoutons encore que la personne all^orique, dans 
la composition du peintre, est fort loin de jouer un 
rôle aussi actif, aussi étendu, et qui exige autant de 
puissance, que celui dont le poète épique la charge, 
en lui donnant la direction suprême des événements 
du poërae. Son intervention en peinture , se borne 
tantôt à une action particulière, tantôt à une coopé- 



382 DES MOYENS 

ration que Tesprit du âpecUteur doit 60u»-entendre. 
Fort souvent rallégorie morale du peintre, n'esl 
qu une explication plus ou moins cpnventionnelli^ 
du sujet auquel on lassocie; et son sens nVst encore, 
dans bien des cas, que celui d un signe embléma- 
tique ou symbolique, conune on vd le voir dans le 
paragraphe suivant. 



^^f^/% '%^^^^W^'^/*/%,'*^^ ■%'%^^^*%^^^f^^09^^^ »««^ 



PARAGRAPHE XIV. 

De l'aeiion de Iran^rmer tes sujeii et Ih pêhfonnafféâ 
par l'effet de la compoiition symbolique {i). 

Là màiiièi'e et Tart de transformer les persôhnages 
réels étl êtres tnëtapboriques , par le style de compo* 
sition qtie j ai appelé allégorique , la mesure , laccord 
et les côtlditions de cette sorte de métamorphose , tout 
cela exigeroit sans doute lin bien plus grand nombre 
de CoùSidéra^ons diverses, si Ton faisoit un traité 
sut* cette matière. Mais je n^ai prétendu qu^indi- 



rfk 



(i) Par conposidoii symbolique cdi «ntetld, noii èéllè ijiil n» serùtt 
<]a'une rëttnion de symboles, mais celle dont les attributs, on ènlbléBM» 
symboliques, déterminent le système et la signification. 



DE L'iMItATlON. 383 

quer la quelques unes des sources où les beaux-arts 
puisent, chacun selon les facultés inhérentes à sa 
tiature, les moyens variés d^arriver au Lut de Timi- 
tation, et aussi quelques unes des méprises qu^utie 
communauté mal entendue leur fait commettre. 

Le lecteur ne doit pas oublier que notre théorie y 
en tant que purement spéculative, ne fait jamftis en- 
trer dans les moyens de chaque art , ceux qui tiennent 
au talent d'exécution , et au don individuel di; g^î^ 
de lartiste^ «génie qui peut singulièrement ou modi- 
fier les conséquences des, principes, ou atténuer les 
défauts d'un emploi de métaphores vicieux en sol. 
Qui pourroit en effet défier le poëte dc^tirer de 1 allégo- 
rie morale des modernes'^ un parti capable d eti corri^ 
ger Tinsignifiance? Qui ne sait aussi quen peinture 
le sens et la propriété significative dont cette uHé- 
gorie est susceptible, dépendent beaucoup du carac- 
tère plus ou moins idéal , que Tartiste saura lui don- 
ner dans une exécution qui dépend de lui ? 

CTest pourquoi j aurois été mal compris^ dans ce 
que j'ai dit du genre de composition allégorique de 
Rubens, appliquée à son histoire métaphorique de 
Marie de Médicis, si I on a voit cru qu'en rapprou»- 
vaut sous le rapport du système de conception gé- 
nérale , j'en approuvois également lé goût de dessin et 
d ajustement, le style, le caractère, et les détails 
d exécution. î 

Rien ne ilemande plus d'intelligence de la pal*t dt 



384 DES MOYENS 

1 artiste , que l'emploi d^une sorte de langage, figu- 
ratif, dont içs éléments sont très souvent variables, 
arbitraires, et sujets à équivoque. Cet inconvénient 
deviendra plus sensible encore si 1 artiste (^ comme 
la fait quelquefois Rubens) est lui-même Tinventeur 
des allégories , auxquelles il attache le premier une 
signification , que lusage n a pas eùcore consacrée. 

Il en sera de même des symboles, qui font une 
partie distincte du langage allégorique. 

La composition que j''appelle symbolique (parce- 
que c'est à Temploi des symboles qu^elle doit sur* 
tout sa vertu métaphorique) participe encore plus 
particulièrement de la nature et de Tesprit de»l écri- 
ture. On peut dire que ses personnages , dans le sens 
où elle les emploie, sont en quelque sorte des carac- 
tè^s hiéroglyphiques , destinés à parler à Tesprit , par 
les signes abrégés de l!image des objets. 

Cestà la sculpture, considérée soit en grand dans 
les statues ou les ornements de Tarchitecture*, soit en 
petit dans les médailles ou les monnoies, que con- 
viennent spécialement, et lemploi des symboles, et 
lusage de 1 écriture symbolique. Quoique la peinture 
en puisse user , et en use aussi , cependant il y a sur 
Tusage qu'elle en fait, une observation de goût et de 
convenance qu'il ne faut pas négliger. 

La voici. Les symboles dans leur rapport avec les 
figures auxquelles on les associe, ne peuvent être re- 
gardés que comme des signes figuratifs ; je veux dire , 



DE l'imitation. 385 

représeiUant d^ chMes-doBt rimage estipuiwmenc 
inleilecluelle. C'est pourquoi ae devant pas afFectep 
les, apparences trop formelles de 1 exigence réelle,' 
leur emploi se trouve n^eux d'accord avec le» arts 
que leur matièreprive de la ressource deft couleurs.^ 
dont. on sait que Teffet «st de donnercatix objete le sem- 
blant de la vie et de la réalité. 
. Par e!<etnple dans^n deses4ableaus., représentant 
Moïsesauvé des eaux, Nicolas Poussin s'est plq à 
revêtir des couleurs de la vie; la tête' de femtné di»# 
spliînx, symbole sur lequel s'appuie, comme daiif 
la statue antique, la figure atlégimque^du^ Nil per- 
sonnifié. La saine critiqué peut se permettre de voir là 
une méprjse. Le sphinx à corps deKon et à tête de 
femme ,^ ne fut jadis qu'un des signes emblématiques 
de récriture hiéroglypliique; et cet être entièrement 
chimérique pour nous , ne fut pas réputé plus réel 
dans Tan tique Egypte. Si s(>n existence n'y fut jamais 
reconnue même poétiquement probable, le pinceau 
ne deVoit'il pas s'abstenir de donner à un symbole 
factice, -lapparen^ce la plus sensible de Fexistenee 
animée? Quelque opinion quon adopte à cet ^ard, 
on voit que ce qui peut faire difficulté eu peinture, 
va de droit en sculptnre , par cela que le sphinx , tout 
de marbre, ne sauroit produire la Aiême incohérence 
d'idées , ni ce mélange hétérogène xie la matière inerte 
avec l'être vivant. 

La raison qui fait emplqyer les symboles dans la 

I. s5 



386 DIS MOYENS. 

sculpture et la gravure ev médailles, détermine 
ses la valeur de leur sens , et ce sens doit fixer la ma- 
nièrèdè les Anployer de la part de Tartîste, et de les 
considérer de la part du spectateur. Tantôt signes 
des idées, tantôt suppléments conventionnels de la 
forme des objets, et tantôt portion ou simple abré* 
viation de leurs images, ils n ont souvent^ dans les 
compostltoBs^ d'autre raison de«e trouver ensemble, 
^e celle qui associe les caractènes de Técritiite* Leur 
•«oexistence est purement intellectuelle, .et leur rap- 
prochement n'est que de convention. 

De là 1^ d^ut de proportion corrélative, repro- 
ché par certains critiques aux objets que lart emploie. 
Mais le moindre raisonnement fait comprendre, que 
ces .disproportions tiennent à la nature méipe d'un 
genre, qui n admet poipt les figures des corps pour 
elles-mêmes, mais pour ridée quelles peuvent ren- 
dre sensible. Il est clair qu'il ne sauroit y avoir de 
rapports proportioniiels possibles , entre des signes 
qui embrassent les. formes de tous les êtres existants, 
depuis celle d'ua moucheron^ jusqu'à ceUedu globe 
terrestre. 

Le symbole en tant que signe conventionnel , n'a 
pas toujours besoin dans lapparence qui lui est at- 
tribuée, de ce qui constitue Timitation effective de 
la réalité; bien plus, cest que souvent il se contre* 
diroit lui*méme , s'il en ambitionnoit par trop la res« 
samblance. Associé aux figures allégoriques dont il 



DE l'imitation. 387 

renforce et expHqué la signification , il impose aussi 

«1 caractère de ces figures, lobligation d^une manière 
être abstraite on généralisée, c'est-à-dire, comme 
on Ta déjà définie, opposée au caractère de cette 
imitation particularisée , qui vise à feire croire à la 
réalité de Findividu. Or ceci s'applique à toutes les 
figures, soit celles qui de leur nature sont allégo- 
riques, soit celles que le rapprochement et lassôcia^ 
tion des personnages all^oriques tend à idéaliser. 
On a déjà fait connotere Timportance de cette obli- 
gation d'harmonie. 

Elle existe de même à l'égard des personnages 
quels qu'ils soient, qui reçoivent de l'application 
qu'on leur fait des attributs symboliques , la même 
propriété métaphorique. Car on sait que les sym- 
boles qui caractérisent les qualités morales , les idées 
abstraites de personnages abstraits eux-mêmes , tels 
que la balance dans les mains de la justice, le gou- 
vernail, la massue, le glaive qu'on donne à l'admi-^* 
nistration, à la force, au pouvoir, s appliquent éga« 
lement, par manière de métaphore, à la représenta- 
tion, des hommescélèbres, des individus vivants, réels 
ou historiques. 'C'est ainsi que la tondre fut jadis 
placée dans la main de Périclès, pour exprimer Ma 
tertn foudroyante de son éloquence. Tous lesjours 
encore on accompagne les images des hommes re- 
nommés par leur savoir ou leur l&lent, des symboles 
reconnus pour appartenir aux sciences et aux arts. 

a5. 



388 DES MOYEl^S t 

' Évidemment leffiet physique et moral de cet ac- 
compagnement d'attributs symboliques, dans ^ 
composition des personnages réeb ou historiques^ 
est de donner à leur apparence une signification 
métaphorique. J'ai dit évidemment^ et ce mot doit ici 
se prendre au sens simple. Car pour que Teffiet intel- 
lectuel du c^ymbole ait lieu , il faut que la vue de Tes- 
prit ne soit pa^ contredite par celle du corps. Ce qui 
signifie, qu'il faut que le sens de la métaphore frappe 
avant tout les yeux. Mois la métaphore^symbolique 
ne peut devenir visible, qu autant que la figure, ac- 
compagnée de l'attribut métaphorique, en interprète 
clairement l'idée, qu'autant qu'elle s accorde visible- 
ment avec lui. ^ , ' 

Or, cet accord ne deviendra sensible que par la 
correspondance de goût, de style, et de caractère 
entre les deux objets. Tout est.ici corr^atif. Il y a 
action morale du signe symbolique sur la figure 
qu'il doit désigner, et semblable réaction de la figure 
mise en rapport avec le symbole, sur sa signification/ 
J ajoute qu'il est plus facile encore à la figure de^ dé- 
terminer, pour le spectateur, le sens du symbole si 
souvent sujet à double entérite, qu'il ne Test au signe 
symbolique naturellement équivoque , de faire bien 
connoitre le sujet, soit de la figure ^soit de la conipo-^ 
sition dont ellefait partie. D'où il faut conclure quil 
doitappartenir beaucoup plus au style idéal doiiné 
à la statue , par exemple , de métaphoriser le signe 



DE LIMITATION. 889 

symbolique y qu^au symbole d'allégoriser la statue. 

liOrs donc quune figure à laquelle on donne des 
attributs symboliques^ nW ni conçue ni traitée 
dans le style idéal , qui tend à en changer 1§ costume 
et Fapparence vylgltres, Tattribut reprenant le sens 
simple attaché à sa forme naturelle, perd la faculté 
de signifier ce qu on avoit attendu de sa présence et 
de son emploi. Ainsi un sculpteur fit un jour la sta-» 
tue de Molière. Pour désigner Fart du poëte, et f^ 
gardant cet art, selon la métaphore du la%age, 
comme le miroir de la vie civile, il imagina de £aire 
tenir à son personnage, habillé selon la fidélité du 
costume moderne ( et bourgeois ) , un miroir de' 
forme moderne aussi. La figure ne donnoit d autre 
idée que celle dun marchand miroitier, et on Tap-' 
peloit ainsi. 

Autant en arriveroit à toutes les figurés et com- 
positions dans le genre d'imitation vulgaire, aux- 
quelles on ajouteroit de^ attributs symboliques em- 
pruntés à toutes les choses usuelles de la vie; comme 
la balance, la houlette, la bride, la roue, legouvernail , 
et tant cHutres dont Timage n'est susceptible d'acqùé-^ 
rir un sens moral, dans les représentations des per- 
sonnes , que par le concours du style idéal a£Fecté à 
leur manière detre. 

i : On conçoit , je pense , sans qu'on le dise , qu'il en 
ira^e même à T^ard de la signification des animaux 
symboliqjues , associés aux figures ou compositions 



390 DES MOYENS 

des persanneft, dont on yeut désigoer le$ qualité» 
Qiorales , par le rapport qu^ont ces qualités avec les 
propriétés instinctives de divers animaux. 11 faut aussi 
que la foune métapborisée des personnages apprenne 
au spectateur, que les animaux Ile ^nt là, que dans 
le sens de la métaphore symbolique^ Or , leur signi- 
fication morale , c est-à-dire Tacception dans laquelle 
on doit la prendre , dépend uniquement en pareils 
cas, de rapcord visible de style et de caractère qui 
régneAi entre Tacoessoire et le personnage principal 
de la composition. Le caractère de ce dernier est ce 
qui fixera le sens du premier. GW par là que notre 
imagination se trouve portée à concevoir, par-exem- 
plé , qu'une jeune fille avec une brebis , signifie la 
douceur ou Tinnocence ; que cette femme avec une 
balance, veut dire la justice ou légalité, qui n'est 
jamais que la justice. 

Que faut-il dans Timitation par les formes des 
corps, pour que les deux figures auxquelles on aura 
aHecté ces deux sortes d attributs, au lieu d'être la 
douceur et la justice, ne soient plus qu une borgère 
et une marchande? Il suffit de leur doiHer une 
forme vulgaire, et un .costume qui ae soit point 
idéal. 

La s^ule différence du positif à Tidéal, dans la 
style, le caractère, et le costume des figures quon 
prétend rendre allégoriques, fait monter on des* 
cendre l'idée qu on s en forme , élève leur fignifica^ 



DE l'imitation. 391 

Cioii jusqu^à la région morale de$ être intellectuels, 
ou la ravale à lemploi det clioeet vulgaires. Et cet 
efifet a lieu presque machinalement ; il tient wk seul 
instinct du spectateur, à cette vertu sympathique 
qui établit une cm*pélation nécessaire , entre les objets 
visuels et les choses de rintelligence. 

Gomme fapparence et la ferme extérieure de la 
figure, accompagnée d^un symbole, en ratifient ou 
en contredisent le 9eo» , renforcent ou neutralisent 
VéSet du signe desoi*méme ari>itraire, et comme on 
■a, vu qu'il y avoit une sorte de réciprocité d'action 
entre eux , sinon pour les yeux , du moins pour Tes- 
[M*it, il faut cependant avertir que cette réciprocité 
n'a lieu ici , que de la manière dont on l'a fiiit en- 
tendre pour Tallégocie personnifiée. Gela veutdireque 
le symbole reçoit du style idéal de la figure qu'il ac- 
compagne , son sens intellec^el , mais ne teiuroit le 
communiquer à celle qui m^mqueroit de ce style ; et 
lorsque le genre vulgaire de la figure rabaisse au sens 
simple l'idée du symbole, Tidée du symbole neaau- 
roit élever au sens métaphorique laspect de cette fi- 
gure. D'où il résulte , que toute intervention de signe 
symbolique sera non seulement déplacée, mais même 
réputée non avenue, dans toute composition traitée 
selon le goût de l'imitation positive et vulgaire. 

La composition symbolique, entendue comme 
moyen d'exprimer les idées morales ou abstraites , 
et comma art de transformer ks sujets et les per- 



392 DES MOYENS 

sonnages , rentre , ainsi qu on Ta vu , jusqu a un 
certain point , dans le système de 1 écriture figura- 
tive. Ainsi considéré, Temploi des symboles et du 
système de composition qui en dérive, ne sauroît 
convenir également ni à tous les sujets, ni à tous 
les arts. Destiné^ à remplacer l'expression naturelle 
des idées et des objets, dans les arts et les su jets qui 
ont peu de moyens de s'expliquer, le symbole, sou- 
vent à double sens pour les yeux , n'offirira que d'ob- 
scures énigmes dans les arts , qui , par le discours et 
les paroles, peuvent rendre toute idée claire^ «en-< 
siUe, et significative. 



* ■ 

PARAGRAPHE XV. 

Pourquoi la métaphore symbolique a peu 4e valeur 
# en poésie, 

4jSl sculpture est lart , dont les moyens ont le moins 
d'étendue, s'il s'agit de la représentation des actions, 
le moins de variété dans celle des personnageis. Pri- 
vée de la ressource des couleurs et de leurs efifets, 
bornée au plus petit nombre de figures dans les sta- 
^tues , et d aspects dans les bas-reliefs , cet art est celui 
qu4 . diroit le moins de choses ,' s'il ne sa voit - com<i> 



•>< 



DE L*IMITATIOK. SgS 

penser par la valeur de ses images, ce qui leur manque 
en diversité , et leur faire regagner par la vertu d^une 
signification collective^ ce quelles ne sauroient ac- 
quérir en nombre, eu étendue, en qualités narra- 
tives. Voilà pourquoi cet art le plus laconique de 
tous , cberche à rassembler sous un petit nombre de 
signes, la plus grande masse d'idées, et à produire 
la plus forte impression avec le moins de moyens. 
Comme le style de dessin idéal ou généralisé , 'est 
celui qui donne des individus la plus baute idée, et 
que ce style n^acquiert toute sa valeur, que dans 
l'expression delà beauté des corps, la sculpture a be- 
sorn , plus que la peinture, de représenter la nudité, 
mais cette nudité poétique et réellement métapho- 
rique,. dont on parlera plus bas (voyez les para- 
graphes suivants) ainsi que d autres moyens , par 
lesquels on parvient à changer Tapparence vulgaire 
des choses, contre leur apparence idéale. 

IjC secret de cet art, est de dire d autant plus, qu il 
parle moins; et ce secret est, comme on la va, celui 
de Tallégorie qui signifie plus de choses qu'elle n'en 
montre: c'est le secret de toute métaphore, de toute 
fiction, qui porte l'esprit fort au-delà de l'objet qui 
est sous les yeux. 

Ce n'est pas du gré de l'artiste , c'est bien souvent 
par force, que la sculpture en grand comme. eu pe- 
tit , use de ces ressourses. J'appelle sculpture en petite 
ce qu on appella^ par exemple , gravure en médaille. 



394 ^^^ MOYENS 

Là tans les moyens iniilati& de Tant sont circon- 
scrits dans les plus petits espaces , et réduits à la 
moindre dimension ; et par opposition , les sujets à 
représenter, seront fréquemment les événements les 
plus considérables y les plus abondants en circon- 
stances. Il faut donc souvent y concevoir et y ex- 
primer ces sujets , avec le moins de figures qu^il est 
possible. 

Mais dans Timitation corporelle, TcKpi^ession de 
beaucoup d^idées , sous peu de figures, n appartient 
qu aux conceptions métaphoriques; et comme, entre 
toutes celles de ce genre , la conception symbolique 
nous a paru avoir la propriété la plus spéciale pour 
réduire au minimum de Timage , Tidée intellectuelle 
ou morale la plus étendue , les symboles sont deve-^ 
nus les caractères propres de Fécriture figurative des 
médailles. 

Mais plus le langage symbolique est nécessaire, dans 
bien des cas, à Tart qui privé de beaucoup d^autres 
moyens d expression, ne peut souvent sVxprimer que 
par signes , plus il doit être inutile à Fart qui trouve en 
soi toutes les ressources possibles^ pour parler à Tes- 
prit , qui peut exprimer toutes les idées morales , et ies 
moindres nuances de ces idées, dont la propriété 
même est de ne pouvoir rien adresser à lorgane vi- 
suel , de ne pouvoir s en fiiire comprendre , lorsque! 
s agit d^objets matériels , qn avec 1 aide des images iib- 
fellectueUes. Et cet art est la poésie. 



DE l'imitation. 39$ 

Aussi remarquons-nous que dans ranliquité , les 
poêles eo personnifiant à leur ^ré tout ce qu'ils vou* 
loient rendre sensible, et en usant souvent de la 
personnification allégorique, ont très rarement fiût 
intervenir les desciriptions symboliques dans leurs 
images. Outre que ces descriptions d attributs et d'em- 
blèmes sont froides par elles-mêmes, et ne peuvent 
pas domer de mouvement au discours , elles ont 
encore Tînoonvénieiit d'y être obscures et énigma- 
tiques. 

Sans doute il y a dans la poésie certains traits emr 
pruntés aux images et aux propriétés des corps , qui 
peuvent faire pour l'esprit un tableau significatif, 
expressif, ingénieux, et que Fart du peintre ne sau- 
roit reproduire , sans en détruire la vertu morale, 
précisément parcequ'il leur donne la valeur de la 
réalité; en sorte que ce qui sera. noble dans la pein- 
ture idéale du poète , peut devenir ridicule dans la 
poésie corporelle du peintre. 

Lorsque Horace , par exemple , nous veprésente la 
peine tardive (au pied boiteux) poursuivant le crime, 
cette allégorie a l'avantage detre expressive, sans 
que son image nous choque par une di£Gormité na-^ 
turelle, dont les yeux seuls pourroient se plaindre. 
Je ne sais quel artiste s'est abusé un Jour, jusqu'à 
traduire littéralement, en image visible, l'allégorie 
du poète, et je laisse à penser quelle impressioa fait 
sur le spectateur, la figure de la Peine, se traînant 
après le criminel , avec une jambe de bois. 



396 DES MOYENS 

Mais, au ridicule près, Horace n'auroit-il pas ré- 
ciproquQOient commis la même méprise , lorsque 
dans son ode à la Fortune , il semble s être plû à £aire, 
comme pour les yeux, une composition symbolique 
des personnages dont il accompagne la volage déesse? 
Si quelque chose peut prouver combien les attributs 
symboliques deviennent équivoques en description, 
cest celle de la Nécessité portant dans sa main de 
bronze, des clous, des coins, sans oublier les cram- 
pons et le plomb fondu. 

Effectivement cette description a exercé la critique 
déplus d^une sorte de commentateurs, qui se sont 
divisés d'opinion non sur le sens des mots, mais sur 
remploi des choses qu'ils expriment. 
. Quelques uns ont prétendu que le poète avoit 
emprunté sa composition symbolique, d'un tableau 
de la Fortune au temple d'^ntium. Hypothèse pour 
hypothèse, j'ai merois mieux croire que sa figure de 
la Nécessité lui auroit été inspirée par une statue, et 
peut-être de bronze, ce quindiqueroient les mots 
manu g estons fihenâ. 

Le propre de la nécessité, est de donner de la 
fixité aux choses, d'assujettir, en les contraignant à 
subir la loi de la force, les éléments de toute espèce 
de combinaison. On conçoit que le génie symbo* 
lique, pour faire parler aux yeux cette idée ab- 
straite, lui aura cherché quelques images prises dans 

des objets sensibles et des mieux connus; comme les 

S 



DE l'imitation. 397 

clous qui donnent de la stabilité à la charpente, les 
coins qui disjoignent violemment , ou forcent les ma- 
tériaux d'adhérer entre eux , les crampons avec scel- 
lement de plomb, qui assui*ent leur réunion. Par-quel 
autre genre de moyens le statuaire auroit-il pu expli- 
quer le sens ou le sujet desa figure? 

Mais le poëte, qui en moins de^mots encore, que 
n'en demande l'énumération des symboles du sculp-- 
teUr, pouvoit nous fsiire saisir, et datis son actioa- 
sur les choses humaines, et dans ses effets sur leur 
destinée , tout le pouvoir de la nécessité, qui^ dès-lors 
pouvoit porter notre esprit aux consid^érations les 
plus graves, aux idées les plus sévères , que fait-il en; 
essayant de la représenter avec des attributs maté- 
riels? Il fait de son art le truchement équivoque d'un* 
autre arh II échange la valeur des idées contre. celle 
des mots. Il laisse«rimpression morale de la chose, 
pour n en saisir que le signe. Il ne nous peint plu» 
la Nécessité mais seulement sa statue. « 

La déesse Fortune avoit aussi comme chacun le* 
sait, ses attributs symboliques, et Horace auroit pu 
paiement décrire, et son globe, et sa roue, et son> 
gouvernaiL Mais Horace n'a-t-il pas été bien plus 
vraiment poète, quand efa quatre vers, il nous donne 
l'idée de ce pouvoir, qui du néant fait sortir le der-: 
nier des mortels , et change en funérailles les plus 
superbes triomphes? Voilà les vrais peintures de. la 
poésie. Voilà les grands rapprochements qull lui 



398 DES MOYENS 

appartient de faire, et dont les autres arts ne peuvent 
pas lui dérober le secret. Pourquoi donc iroît-eile 
leur emprunter des moyem d*expression y qui chez 
eux ne sont que les suppléments , ou les foibles équi- 
Talents de la propriété que la nature leur refiise? 
Méprise vraiment ridicule! Cest préCnrer l%iéro- 
glyphe à Técriture. C'est substituer au don de la pa- 
role , la ressource impar&iite du sourd et muet, pour 
se faire entendre. 

Quand on conteste à Tart dont le langage peut 
tout animer, cette traduction morte des signes mat* 
tériels d^n autre art, qui seul peut faire parler les 
symboles aux yeux , on n^entend point blâmer les 
comparaisons que la poésie a Thabitude de prendre 
dans le régne des choses corporelles. 

On a suffisamment montré (voyez part. III, para- 
graphe VIII ) que la comparaison étoit un des moyens 
métaphoriques de la poésie. Mais c^est ici le lieu de 
dire quel abus on peut en faire, lorsque Ton mé- 
connolt le but de la comparaison , dans le choix des 
objets qui en deviennent la matière. Cet abus est 
oelui quon a reproché à quelques poètes modernes, 
qui se sont plus à en prendre les sujets, soit dans 
waî cercle trop rétréci d^usages à la portée d^un petit 
nombre , soit dans un certain ordre d objets mé<ai«- 
niques ou de procédés industriels, trop peu connus. 
Car il arrive alors que la comparaison qui doit ser- 
vir d*expliGation, a besoin d'être expliquée elle-même. 



DE l'imitation. ^ 899 

Il en sera ainsi , et encore à plus forte raison de 
remploi des signes symboliques en poésie. Car le 
symbole^ daiis son premier emploi, je veuxdirtf 
celui qu en fait Timitalion matérielle , a déjà un sens 
conventionnel et d emprunt, qui, lorsque Tartiste a 
su le rendre clair, exige toutefois de Tesprit ce genre 
de travail Iranspositify dont Tefifet est de faire voir ou 
concevoir une chose , sous lapparence d'une autre. 
Maintenant lorsque le symbole est employé de la s^ 
conde main, si Ton peut dire, Fesprit se trouve forcé 
à une double transposition , qui est celle de l'image du 
poëte à celle du sculpteur, et de celle-ci à. la réalité. 
Or, comme le sens extérieur n'entre pour rien dans 
ce travail , qui doit être tout entier d'intelligence , la 
confusion y devient d autant plus facile, que l'œil 
ne peut ]>as apprécier la nature des objets. C'est ce 
qui est arrivé aux symboles de la Nécessité d'Ho- 
race; ik sont devenus une énigme pourlescommei^ 
tateurs. 

Quelques uns, faute de voir en réalité le genre de 
clous appelés Irabales, la forme des coins, et celle du 
crampon recourbé (uncus), qui se scelle avec le plomb 
fondu, ont voulu que tous ces objets fossent des 
inatruments de supplice. Il n'est guère probable au 
contraire qu en supposant une statue de bronzi», ter 
n«nt dans sa main de grands clous et des coins ^ 
ayant à cdté d'elle de grands crampons de métal , ac- 
con^pagnée du vase où Ton fiûsoit fondra le plomb» 



4oo DES MOYENS 

le spectateur ait pu se méprendre sur la nature de 
ces accessoires , sur leur rapport avec Tart de là bâ- 
tisse y avec ridée de solidité qu'ils font naître , et 
dès«lers àvcSc le sens métaphorique que le caractère 
de la figure devoit rendresensible. 

Mais lé poète qui ne peut faire voir les choses 
symboliques , qu'en idée , et qui n'en sauroit donner 
( sans ridicule ) une description technique, ajoutant 
à Tobscurité morale dusymbole, Tin visibilité de l'ob- 
jet même dont il est emprunté, ne produit quun 
signe sans valeur appréciable , une image qui ne dit 
rien à Tesprit. 



PARAGRAPHE XVI. 

Sur quelques moyens poétiques exclusivement propres 
des arts du dessin, — - De la nudité poétiquement con^ 
sidérée, \ ^ 



Chacun des beaux -arts a sans aucun doute un 
même droit à la métaphore, mais non à la, même 
espèce de moyeqs métaphoriques. Le droit ici re- 
posant sur le pouvoir, on a vu que le genre de trans- 
formation de voit dépendre des moyens de transfor- 
mer propres à chaque art, de lobj et auquel cet art 
les applique , de Torgane qui en reçoit Timpression.* 



DE l'imitation. 4oI 

En vain donc le peintre et le pèëte croiroient-ilè avoir 
le droit d'user des mêmes éléments métaphoriques, 
si la nature refuse à un de nos organes le plaisir et 
Imlelligence^ dont elle accorde lusage et le privilège 
à un autre. 

L expression directe et absolue du beau corporel ^ 
ne peut s adresser qu aux yeux , dans les œuvres de la 
nature, comme dans ceux de Fimitation. Les paroles 
et les Êgures du poète ne peuvent jamais en donner 
qu'une idée vague et sans application. Tous les dé- 
tails descriptifs des beautés d'un individu produi- 
ront autant d'individus divers, dans rimàginatipn 
de ceux qui liront ces détails. On trouve entreil des- 
cription du beau corporel et son imitation , la difie- 
rence qqe chacun connoit entre le signalement d'aune 
personne, et son portrait. 

Ainsi il y a une valeur métaphoriqye attachée à 
l'image des corps qui sont la matière de l'imitation 
des arts du dessin , et l'on a taché de faire comprendre 
les régies et les convenances à observer , dans l'em- 
ploi du système métaphorique qui est approprié à 
ces arts. 

Il me faut toutefois faire encore mention de quel- 
ques autres moyens métaphoriques qui leur appar- 
tiennent, et sur l'emploi desquels il régne assez de 
contradictions, dans l'opinion du plus grand nombre 
des hommes. Je veux parler de l'emploi de la nu- 
dité, considérée comme moyen poétique, et de Fem- 

I. a6 ' 



4o2 OIÈS MOYENS 

ploi des vêtements ou ajustements qui n ont pluâ 
cours dans les usages modernes. 

La nudité employée et considérée comnie moyen 
métaphorique , dans les sujets historiques que traitent 
la peinture et la sculpture, a quelque chose, on le 
comprend , qui peut selon les temps , les pays, et les 
mœurs, blesser certaines opinions, même sous le irap* 
port du goût. 

Il faut d'abord s'^itendre sur un point principal, 
en cette matière, et qui ne sauroit éprouver dé dif- 
ficulté : C'est que si les arts du dessin ont pour objet 
élémentaire Timitation des corps , et si entre tous les 
corp^ celui de Thomme ne peut point ne pas étne la 
matière la plus générale, la plus spéciale de leurs 
études , il est certain que leur iii teraire cette imitation ^ 
seroit leur refuser lexistence. Cest effectivement ce 
qui est arrivé par- tout où, n'importe en vertu de 
quelle cause, l'imitation du corps humain a été ou 
proscrite ou découragée. Il ne peut donc pas être 
question , par-tout où Ion veut qu'existent les arts 
du dessin, de leur contester ce qui est la condition 
de leur existence. 

Aussi ceux-là même qui selévent contre Temploi 
de la nudité, c'est-à-dire de l'imitation du corps 
humain, dans les sujets que nous appelons histo- 
riques , Faccordent-ils dans tous les autres sujets , où 
la nudité ne contredit point la manière d'être habi- 
tuelle des personnages, qui, comme ceux de la fable^ 
par exemple, sont lobjet des compositions de l'art. 



DE l'imitation. 4o3 

Ce n*e$t point non plus ici le lieu d apprécier les 
objections qu une morale plus ou moins austère > 
pourroit élever contre Ja représentation indiscrète 
ou licencieuse (de la nudité, ^ous conviendrons qu il 
est des sujets d'où le plus simple sentiment des con- 
venances doit proscrire lemploi du nu ; et quant à ce 
qu'on appelle image licencieuse , nous croyons que 
la morale et le bon goût doivent s^accorder à en , 
condamner lexécution et la vue. Il est clair que 
nous n entendons parler ici de Timitation du nu, 
que sous- le rapport philosophique , qui en fait une 
dtô parties nécessaires du langage imitatif par formes 
' corporelles. 

Disons donc, que de quelque manière que Vu- 
sage en soit admis dans les opinions des peuples , soit 
comme intimement lié, tel qu'il le fut chez les anciens ^ 
à la religion et à toutes 4es institutions sociales, soit 
simplement, tel qu il Test chez les peuples modernes , 
comme luxe de la Société, et occupation ou plaisir 
de Tesprit, il nest jamais possible de désintéresser, 
si Ton peut dire, les arts qui emploient les formes 
du corps , au point de les faire renoncer aux moyens 
qu'ils ont de plaire, tant le besoin de plaire devient 
naturellement le but ou le ressort de leur action. 

Or, comment lart de Fa sculpture surt-tout, ne 
mettroit-il pas au premier rang de ses obligations , ce 
qui est le premier de ses mérites, savoir de produire 

et de réaliser les impressions de beauté, d^e propor- 

26. 



») 



4o4 DES MOYENS 

don, d'harmonie , dont Fadmirable organisation du 
corps humain est le sujet inépuisable ? 

Si Ton a été forcé de reconnoitre que Tœuvre du 
peintre et du sculpteur a, comme celui du poëte, 
sa sphère poétique, pourroit-on ne pas y comprendre 
ti lexpression du beau visible attaché à la perfection 
des corps? Y a-t^il en effet un moyen plus puissant 
de faire naître en nous , par le charme de Taccord des 
lignes et des grâces de la forme, des idées analog^ues 
à celles que la poésie sait produire, par tous les moyens 
métaphoriques du style , des pensées, et des images 
même qu'elle emprunte à des temps et à des opinions 
qui n existent plus? 

. On. n'a point contesté au poëte, lorsque les con- 
ditions de son sujet s'y prêtent, de mettre à con- 
tribution les créations mythologiques de l'antique 
poésie, quoiqu'elles soient hors des opinions des mo- 
dernes et contraires à leur croyance , par cela que na- 
turalisée avec la poésie, elles appartiennent à un 
système de métaphores devenu universel. 

Il doit en être de même pour lartiste (sauf aussi 
à lui d observer, comme on la déjà dit, les conve- 
nances prescrites par certains genres de sujets): j'a- 
joute qu'il y a, en sa faveur, quelques considérations 
particulières. • 

Au fond y on peut soutenir que dans l'emploi que 
le sculpteur, par exemple, fait de la nudité appli- 
quée à l'effigie d'un personnage moderne, il n'em- 



DE l'imitatiou. 4o5 

prunteTéellement rien aux temps passés, ni à d autres 
peuples; puisqu^enfin le corps humain , et son imi- 
tation sont de tous les temps et de tous les pays. 

Mais, dit-on, ce qu'il emprunte, cW un usage, 
cW une pratique qui nest plus en rapport avec 
letat actuel de nos mœurs sociales. Car il assimile 
ainsi la représentation d'un personnage moderne, à 
celle que les Grecs et les Romains fajsoient dje leurs 
contemporains, par une convention qui étoit bien 
plus d'accord avec leurs moeurs , qu'elle ne peut 1 être 
a^vec les nôtres. 

On avouera ici deux choses. L'une , que la nudité, 
dans les pays dont on parle, étoit beaucoup plus 
autorisée par d^nciens usages ; que dès-lors la statue 
portrait dun personnage, représenté nu, ofFroit 
moins d'opposition avec Tétat des opinions habi- 
tuelles, qu'elle ne peut en souffrir dans nos climats; 
l'autre , que le goût pour les œuvres de l'imitation 
singulièrement favorisé alors par toutes sortes de 
causes, devoit bien plus encore accréditeur l'emploi de 
la nudité. 

Mais que conclure de là? Rien, sinon que cet em- 
ploi doit être aujourd'hui moins général, parceque 
lopinion s'y refiise davantage, et qu on est plus porté 
à s y refuser, parcequ'il est moins général. 

Uy a cependant, pour en autoriser 1 usage chez les 
peuples modernes, une assez forte raison, qui se tire 
de la nature même des rapports de Timitation ave^ 



4o6 DES MOYENS 

les peuples et les usages de notre temps. Ces usines 
peuvent bien prescrire des cQnditions à remplir, des 
convenances à. observer, et on est loin de nier la 
soumission que l'imitation leur doit. Mais d^'autre 
part, dès^ue Fart a obtenu la. fruité de se dévelop-» 
per, il n'est plus possible de le forcer de renoncer 
( comme cela fut en Egypte, par exemple) à ce qui 
constitue sa projpriétë essentielle, c est-à-dire celle de 
représenter la vérité des corps, et sur*tout celle du 
corps humain. S'il se trou voit donc que les vête- 
ments d'usage dans certains temps et certains pays, 
vinssent à cacher ou à travestir le modèle de Fart , au 
poin t de dérober à Fartiste toute vérité de nature et d'i- 
mitation , en le réduisant à la nullité de la copi^ iden- 
tique (comme on le dira au paragraphe suivant) , ce 
seroit pour la sculpture particulièrement, une re&-> 
source indispensable, que celle d'imiter ce qui n'est 
jamais soumis aux caprices de la mode, je veux dire 
les formes même du corps (à moins de convenances 
ordonnées par la nature du sujet. ) 

La nudité alors devient une véritable métaphore, 
une transposition poétique de Fart , pourvu que 1 ar^ 
tiste y observe les conditions qui la rendent telle , et 
dont on parlera tout-à-Fheure. 

Or, n'en doutons pas , il en fut de même chez les 
anciens. 11 s'en faut de beaucoup que la nudité^ quoi- 
que certains usages y eussent plus habitué leurs yeux , 
et que leur climat aussi en eût plus favorisé la vue. 



DE L ^MITATIOIf. 4<>7 

ait jamaU été ttdmise par le fait, dans les tisages de 
la vie civile, des emplois, des fonctions et des céré- 
monief religieuses. Mille exemples nous prouvent 
qu'elle fu t employée par les artistes dans le seul intérêt 
de Tart , et comme une manière métaphorique ou de 
généraliser le personnage , ou d en exprimer les qua- 
lités morales par les qualités physiques , auxquelles 
il est vrai de dire qu'on mettoit alors plus de prix 
qu'aujourd'hui. 

Il résulte de ce rappr4>chement, que la nudité est 
seulement pour nous et dans nos moeurs , uhe con*^ 
vention plus poétique encore, une métaphore plus 
hardie, et qui, dès-lors, doit s'employer avec plus 
d'égards et de réserve. 

En définitive, cettç convention tient comme toutes 
les autres , k la distinction des deux mmnes d'imita- 
tion dont on a tant de fois parlé. 

Faire voir les hommes tels qu'ils sont, soit dans 
leur forme individuelle, soit sous les formes et avec 
les dehors des usages locaux de chaque âge, de chaque 
pays, cest l'imitation vulgaire, oti si Ton veut, pro-* 
sa'ique de lar t. Les^ire voir tels qu'ils pourroient être, 
ou tels que les convenances d'unopdre supérieur d'exi^ 
stence permet de les imaginer, c'est ce qui constitue 
en grande partie le langage poétique de l'imitation 
des corps. 

La nudité, dans la représentation des personnages 
contemporains ou d'histoire moderne ( lorsqli'aucune 



4o8 DES M0T£I9S 

convenance particulière n y répugne ), mais coDsi* 
dérée en théorie générale, est donc tout simplement 
une convention du genre de celles, qui composent le 
style idéal ou poétique 4es arts du dessin. 

Tavouerai que cW Couvent la fisiule de Tartiste, 
si le public ne comprend pas toujours ce qu^il y a 
de métaphorique , dans Temploi de la nudité appli- 
qué à certains sujets. En effet , ce n^est qu'à Taide 
du style ou du caractère idéal , qu elle acquiert la 
propriété de donner une grande idée, c'est-à-dire une 
image généralisée des personnages; tandis que le style 
ou le caractère d'imitation vulgaire, soit dans Thom- 
me, soit dans son costume, ne tendent qu'à en parti- 
culariser Timage, et à la retenir dans la classe «des 
portraits. 

Que doit dire , que doit faire entendre le statuaûre , 
lor^u'à legard d'un personnage soit d'histoire mo-^ 
derne, soit contemporain, il emploie dans son ef- 
figie le système de la nudité? Il doit déclarer par la , 
que la célébrité acquise par ce personnage, la fkit^ en 
quelque façon , sortir du cercle étroit de la société par- 
tielle dont il étoit membre ; que dès^lors il transporte 
à l'homme physique la valeur de cette existence plus 
. générale , que la renommée donne à l'homme moral 
' ou à ses qualités. C'est véritablement la manière la 
plus claire de faire dire par les signes corporels , que 
tel homme a cessé d'être l'individu de tel lieu y de tel 
temps, et qu'il est devenu l'homme de tous les âges 
et de tous les pays. 



DE l'imitation. * 4û9 

.Mais ce que dit le systènïe métaphorique de la 
nudité, dans la statue dont ont parle, il ne faut pas 
qu^il soit contredit ^ar un principe ou un goût d exé- 
cution qui y soit opposé. Or, ce sera quelquefois Tar- 
tiste lui-même , qui , sans le vouloir, annulera la mé- 
taphore qu'il employa sans s en douter. On sait que 
c'est ce qui est arrivé à la statue d'un poète célèbre 
représenté nu , et dont Tar tiste se plut à faire une sorte 
d'étude d'anatomie, plutôt qu'un monument honori- 
fique (i). 

Il feiut en ce genre , qu'à un système métaphorique 
se joigne un style idéal. Que si lartiste néglige cet 
accord , il n'aura point C^it une statue nue, mais une 
figure déshabillée. 

Je dois prévenir ici quelques feiusses conséquences 
que Ion pourroit tirer de cette théorie , eri rappli- 
quant indistinctement à la peinture comme à la 
sculpture. Quoique les deux arts aient i|ne multi- 
tude de conventions communes entreeux , cependant 
on tonçoit , qu'en raison des difilorences techniques 
ou matérielles , qui distinguent leurs moyens et leurs 
effets, certaines métaphores ou transpositions dans 
l'apparence des personnes et des sujets, peuvent 
mieux convenir à Fun , et convenir moins à Tautre. 

Ainsi la nudité considérée comme moyen de gé* 
néraliser, dans une statue isolée, la représentation 



(i) Statqe de Voltaire^ par PîçalU. 



4lO DES MOYENS 

(Tun personnage y pourroil n avoir plus la même ver- 
tu, employée par un autre/art qui a beaucoup plus 
de nioyens de particulariser, et dont il ne sauroit le 
plus souvent abandonner Temploi. Or , tel est le cas 
où se trouve nécessairement l'art du peintre, par 
TefFet de la couleur qu^il ajoute à la forme, par 1 V 
vantageméme de la localité k laquelle tient son sujet, 
et encore par tous les accessoires de vérité partico* 
lière^ dépendants de cette localité. 

Le personnage représenté par la statue nue, B^ha- 
bite aucun lieu dans Touvrage de Tart; il n^est en 
rapport avec plein qui puisse contredire sa manière 
d'être. Lors même que le sujet de composition.traité 
en bas -relief peut recevoir, ainsi que le tableau du 
peintre, plusieurs sortes d'accompagnements, tou- 
jours est-il vrai que le sculpteur , s'il reste dads les li- 
mites de son art , est tenu de se resserrer dans des 
termes, physiquementet moralement parlant, bien 
moins jBsivorables au développement de tout ce qui 
tendroit à particulariser ses représentations. 

On avoue que le peintre aussi est le maître de se 
restreindre, dans les images qui sont de son ressort, 
à une moindre mesure de vérités particulières, et par 
conséquent de sujétions historiques. Mais on com- 
prend qu'il nest guère. dans son intérêt de se con- 
former en cela volontairement, aux conditiona que 
la nécessité impose à la séulpture. Lorsqu'il use des 
moyens naturels d'un art, qui lui offre infinimept 



DE l'iMITATIOIï. 4ii 

plus de ressources descripUves ou narratives , il con- 
tracte lobligation .d'observé plus fidèlement les rap^ 
ports vrais et naturels , qui doivent exister entlre les 
parties de sa composition. Ainsi le peintre ne sera plus 
maître d'introduire arbitrairement, contre la vérité 
historique, la nudité dans la figure d'un personnage, 
lorsqu'il restera fidèle à cette raèipe vérité , dans les 
autres figures du tableau. Car lor^u'il se permet de 
telles disparates , il détruit^ quoi qu'il puisse fiiire d'ail- 
leurs, lunicé de sa scène , en y établissant un double 
ordre de choses , de temps , de mœurs , et de manière 
d'être, qui répugne jhx yeux et blesseia raison; Qu'il 
renonce dans le tout à l'expression deia vérité histo-» 
rique, ou qu'il s'y soumette dans chaque partie de 
ce tout. C'est le cas de lui dire avec Horace, Auife^ 
mam sequere aut sibi convenieniia fingei 

Pour excuser ces disparates (et elles sont très fré- 
quentes dans les tableaux) on ne manque guère de 
dire que le peintre a voulu Cuire briller son savoir dans 
1 étude du nu. Mais l'excuse n'est pas redevable , car 
ce n est pas pour lui que lartiste est censé faire ses ou- 
vrages ; et la raison ne doit pas payer les frais de sa 
Vanité. 

On cherche aussi à justifier ces anomalies en pein*> 
ture , par des exemples tirés précisément des ouvrages 
de la sculpture , et même dé la gravure antique , c'est* 
à-dire des médailles et pierres gravées , qui ne peuvent 
jamais représenter les sujets qu'en abrégé ou en rac- 



4ia DES MOYENS 

courci , et qui ont besoin d'une convention particu- 
lière , dont la peinture n'est poinl admise à se pré- 
valoir. 

Enfin on dit que Tartiste a toujours le droit de 
renoncer , par intérêt pour Tart ^ au système de fi- 
d^ité ou de réalité historique ; c'est ce dont nous 
sommes d'accord ; et toute notre théorie ne tend qu'à 
établit^ ce droit , quoiqu à différents degrés et avec des 
conditions diverses. Mais cette concession repose sur 
d^autres principes, et sur d autres raisons <]ue celles 
qu^on allègue souvent en faveur de lemploi de la nu- 
dité, en lui dœinant des nlotiâ|^ vraisemblance ou 
factices ou fûmes. 

J'en donnerai pour preuve ce qui a été dit de la 
nudité du groupe de Laocoon , sujet si souvent 
controversé. 

Laocoon, disent les uns, étoit prêtre d'Apollon; 
il faisoit un sacrifice lorsque les serpents l'assail- 
lirent. L'artiste a donc péché contre la vérité et contre 
la vraisemblance, en représentant nu un grand prêtre 
dans lexercice de ses fonctions. 

Selon les autres, lartiste a pu avoir le droit de 
changer le moment et le lieu de la scène. Comme 
l'usage , disent-ils , vouloit qu'avant le sacrifice le 
prêtre se purifiât dans le bain , on a pu supposer que 
cet instant fut celui où Laocoon se vit attaqué par 
les serpents. 

D'autres enfin font à l'objection de la nudité, line 



j DE l'imitation. 4i3 

i-époDse encore plus évasive. C'est que Laocooi^ et 
ce qu'on appelle son histoire ^ n'étant peut-^tre que 
des sujets fabuleux , l'artiste n etoit point obligé de 
traiter historiquement un fait imaginaire. 

Laissons cette futile controverse. 

T^e sculpteur du Laocoon Fa fait nu, parcequ'il 
n'étoit ni annaliste^ ni historiographe de la guerre de 
Troie ; il l'a fait nu parcequ il a mieux aimé être l'his- 
torien de la nature, et des impressions qu' une scène 
aussi tragique pouvoit produire. Laocoon est nu par- 
ceque, sans la nudité , Mrtiste n auf oit pu représenter 
que foiblement, ce spectacle dé terreur et de pitié, 
qu excite la contraction de toutes les parties d'jin 
corps en proie à toutes les douleurs; parceque les 
nœuds et les morsures des serpents auroient 
moins de prise, et produit moins d'effet pour 
spectateur, sur un corps habillé. Laocoon enfin est 
nu , parceque l'artiste eut beaucoup moins en vue 
de perpétuer le souvenir de la mort tragique , sup- 
posée véritable du grand prêtre des Troyens , que de 
montrer la puissance de Timitation et le triomphe 
de lart , dans l'expression des plus cruelles angoisses 
de l'ame et du corps. 

Tel est l'effet de ce genre de métaphore, par la- 
quelle les arts du dessin savent échanger le fait par- 
ticulier d'une histoire locale, contre une scèoe gé- 
nérale de la nature physique et morale , en combat 
avec le pouvoir de l'inexorable destinée. 



I 



4l4 I>KS MOYENS 

Maintenant (pour revenir aux convenances par- 
ticulières à la peinture dans Temploi de la nudité) 
dirons-nous que le peintre pourroit user de la même 
liberté que le sculpteur , dans la représentation du 
même sujet? Nous répondrons, Oui, si, se renfer- 
mant dans la simplicité du sujet réduit à ses moin- 
dres élémmts, il le sépare de tout ce qui pourroit, 
en le particularisant, lui redonner uii caractère his- 
torique. Mais sil fait entrer dans la scène de son 
tableau, par les moyens plus multipliés de son art, 
tous les accessoires de local iH, de réalité, de détails 
historiques qu'il peut, et si Ton veut, qu'il doit com- 
porter; s'il peint la catastrophe de Laocoon saisi au 
milieu de son sacrifice, dans le temple de Minerve, 
on présence de nombreux assistants , sujet sans doute 
fécond en motils d'intérêt^ d'action , et d expression, 
sera^'t-il également libre de représenter nus Laocoon 
et ses enfants ? Seroit-il d*accord avec les plus simples 
convenances , de faire voir dans Faction même d une 
cérémonie religieuse , le seul grand-prètre sans vètc» 
ment; car dans notl*e hypothèse il ne sauroit être 
question de représenter nus tous les aissistants? 

Le simple bon sens répondra , Non. Pourquoi? Par- 
ceque le fait , sujet du groupe , et les personnages 
objets de sa composition , généralisés dans l'ouvrage 
isolé du sculpteur, vont se retrouver particularisés 
dans le tableau du peintre. 

Dans le groupe du statuaire, Tindividu nominale 



DE l'imitatio^. 4i5 

le prêtre , ou le sacrificateur ont disparu , avec tous 
les accompagnements de la scène historigue , pour 
faire place au seul spectacle de là nature souffrante; 
et ce système idéal de généralisation devient ici , 
moins par goût que par nécessité, celui de Fart qui 
ne pouvant, vu la limitation de ses moyens, rendre 
les actions nombreuses en détails et en circonstances, 
doit chercher dans une autre sphère d'impressions, 
lequivalent de ce que la nature lui refîise. 

Dans le tableau tel qu^il a été décrit au contraire , 
la nature seule du sujet Voppose à un^ action ainsi 
généralisée. Le temple , Tautel , la victime , les victi-» 
maires, les assistants, sont autant d'éléments, qui 
particularisent nécessairement la scène, et la sou- 
mettent aux conditions de la vérité ou de la vrai- 
semblance historique. Or, représenter Laocoon nu , 
c'est*à-dire dans un système idéal et de convention , 
au milieu d'accompagnements et d'assistants repré^ 
sentes dans le système positif de la vérité historique, 
c^est dire aux yeux deux choses contradictoires. C'est 
prétendre quon croie tout ensemble, et quon ne 
croie pas au fait représenté. C'est faire qu'il soit tout 

«Qsemble vrai et faux. 

« 

Âut famam sequére aut sîbi convenientia finge. 



4l6 . DES MOYENS 



<m^m^^\^*t%^/*/W%'^'%,^t%.^^*/%/%^%/\f%0%/^-^ 



PARAGRAPHE XVII. 

Continuation du même sujet. — De Pajustement idéal 
ou des costumes et habillements antiques transportés 
dans les sujets modernes. 

Ed fait d^imitation corporelle, ainsi qu^on Ta déjà 
dit, il n^ ^ point de métaphore sans métamorphose. 
Les Grecs ^ nos instituteurs et nos modèles, nous ont 
transmis sur cet objet la leçon et lexemple, dans «tous 
leurs ouvrages. 

On slmagine souvent que ce qui nous semble 
poétique ou métaphorique , dans la manière d^être 
des personnages ou des sujets de la sculpture an* 
tique, est dû simplement aux usages du temps, et 
n^est que la fidèle répétition de ce qui étoit sous les 
yeux de chacun. Cependant ce qui a été dit dans le 
paragraphe précédent, sur la nudité de leurs statues, 
doit donner à connottre que cette nudité fut^ bien 
plus fréquemment qu'on ne pense , une simple con- 
vention de Tart, en dépit des convenances sociales. 
Ainsi , lorsqu'on invoque les usages gymnastiques , 
et les jeux du cirque, pour autoriser chez eux rem- 
ploi de la nudité, on dit vrai, pourvu quon nen tire 



DÉ l'imitation. 4'7 

d'autre conséquence, sinon que les yeux plus"hàbi<«* 
tués à Ift nudité, dévoient en trouver l'application 
plus naturelle dans les ouvrages du ciseau. Mais de 
ce qu on a voit beaucoup d'occasions , par exemple , de 
faire nues les statues d'athlètes , il ne s ensuit pas que 
cetoit comme athlétiques ou g[ymnastiques , qu'on 
faisoit les statues de tant d'autres personnages repré- 
sentés nus. Ce n'étoit pas même par allusion aux 
usages du stade ou du gymnase , qu'on figuroit, ou 
entièrement ou à demi nus, des princes , des guer- 
riers y des orateurs , des philosophes /des poètes , etc. 

La nudité, dans le plus grand nombre de ces ou- 
vrages, étoit une vraie métaphore poétique; et il scf- 
roit facile de prouver que la cause de son emploi , 
n'existoit pas toujours dans les institutions civiles. 
Qui ne voit que le même génie qui avoit rempli le 
monde d'êtres surnaturels, ne dut pas tarder à leur 
associer des hommes divinisés, dont Fart fut chargé 
aussi de fixer le caractère? Il se forma ainsi plusieurs 
classes de personnages réputés divins , auxquels l'a-^ 
dulation ne put pas manquer d'assimiler les hommes 
célèbres. Tel fut, dans la réalité, le vrai principe des 
métaphores dans l'art des statues. 

Tantôt on changea Homère, Périclès, Alexandre, 
en divinités; tantôt on fit les statues des personnages 
vivants, dans le goût héroïque, c'est-à^lire selon la 

manière d'être des temps les plus anciens. Voilà ce qui 

I. 27 



V 



4i8 ^KS MOYENS 

explique Temploi de U nudité dans la représentation 
des personnages conte^nporains ou historiques, chez 
les Grecs. Mais une semblable explication est elle- 
même la preuve , que cette nudité n'étoit réellement 
qu'une transformation , une métaphore poétique de 
Fart , et non la copie des usages civils. 

On ne manquera pas , sans doute , d'objecter que 
cette métaphore, tenant aux opinions des Grecs, 
tenoit donc aussi à une raison , qui n en est plus une 
pour nous, puisque nous n avons plus les mêmes 
opinions. Mais il y a à cela une réponse, que nous 
ferons encore plus bas, en l'appliquant à une objec- 
tion plus positive encore; c'est que toute métaphore 
poétiqueétant une fiction de l'imagination , se rencon- 
trera toujours, quant aux éléments , et à i esprit qui 
l'inspire , avec la métaphore poétique d'un autre teiAps 
ou d'un autre pays. De quelque opinion plusou moins 
réelle qu'émanent les fictions de l'art, elles ont toutes 
une source commune dans l'imagination , dans les be^ 
soins de l'esprit humain. Ainsi il n y a point d'agent ou 
de ressort poétique, en fait d'art, qui ne se rencontre 
dans les mêmes combinaisons et dans les mêmes ef^ 
fets , avec les usages poétiques des Grecs. Mais cette 
conformité d'emploi nous sera beaucoup plus na- 
turelle encore, puisque nous tenons des Grecs et de 
leurs traditions , tous les éléments poétiques de nos 
arts , en sorte qu il est vrai de dii« des moyens mé-* 
taphoriques, en tout genre, que nous les employons, 



DE l'imitation. 4^9 

non point comme Gxecs, mais simplement comme 
poétiques ; et c est ainsi que nos artistes sont auto* 
risés à user de la nudité. 

On fait ordinairement de plus sérieuses difficultés 
aux artistes y sur lemploi de ce qu'il est d'usage 
d appeler le costume antique, ou les formes d'ha«- 
billemeiits grecs ou romains , apjJiqués aux sujets 
modernes. 

Sur ce point, comme sur celui de la nudité, nous , 
ne pouvons que répéter ce que le bon sens indique , 
savoir que, dans les représentations des personnages 
et des sujets, il en est qui ne sont jamais susceptibles 
d éprouve/ ces cbangeanents d'apparence, quun co»> 
tume idéal ou étranger ne pourroit leur faire subir, 
sans les rendre tout-à-fait méconnoissables. Le seul 
sentiment des convenances suffit, pour tracer lecercle 
des sujets dont on veut parler ici. 

Mais cette concession préliminaire une fois £siite, 
reste, pour tous les autres sujets, la question de 
goût qu il s agit dé discuter sous ses rapports géné- 
raux : car on ne prétendra pas entrer ici dans tous 
les cas particuliers. 

Et d abord on reconnoitra comme fort naturel , le 
penchant qui porte le commun des hommes à vou- 
loir qu on représente toujours les personnes, dans les 
ressemblances qu'on en fait , avec tous les détails et 
toutes les particularités de costume qui aident à les 
faire reconnoitre; et s il ne s'agit que de portraits 



i 



420 DES MOYENS 

de particuliers pour des particaliers , la critique du 
goût n a que faire d'y intervenir. 

Cependant le mênie penchant exigera la même 
espèce de fidélité, dans les images des personnages 
célèbres, auxquels la reconnoissance ou Tadrairation 
publique élève des monuments. Or c^est ici que com- 
mence le débat entre le système de Timitation posi- 
tive , et celui de Timitation idéale. 

Oui , le plaisir que Ton trouve dans les statues- 
portraits des personnages modei^oes ou contempo- 
rains, à retrouver tous les détails de leui's habits, de 
leurs accessoires de coifïîire ou d'habillement, est 
précisément de la même nHure que celui de Tin- 
stinct qui demande la réalité à Fimitation. C'est Je 
plaisir de la multitude ignorante, qui s'en prend 
toujours à ce qu'il y a de moindre dans les ouvrages 
de l'art, comme la 4|ritique du cordonnier, dans le 
tableau d'Apelle , s'en prenoit à la semelle de la 
chaussure. 

Or, ce qu'on vient d'avancer se prouve par la nature 
même des costumes ou des habits modernes, qui, si 
on les met en parallèle avec ceux de l'antiquité , ex- 
pliqueront , non seulement pourquoi l'imitation 
donne, mais encore pourquoi elle est forcée de don- 
ner à ceux-ci la préférence, sur-tout en sculpture. 

Si l'on se rappelle ce que nous avons dit, dans la 
première partie de cet ouvrage , sur ce qui est le prin- 
cipe opposé de l'imitation , c est-à-dire la répétition 



DE l'imitation. 4^1 

identique de tout objet qui peut être reproduit, à 
Taide démoules, de patrons, de mesures, il n'est 
pas difficile de voir, que la forme de chacun de nos 
vêtements , et de chacune de leurs parties , résultant 
d'un patron uniforme, la copiequ en fera le sculpteur, 
ne saureit s empêcher de les répéter d'une manière 
mécanique , sans art et sans talent , puisque le procédé 
de la mesure ou du compas y suffît, pour en opérer 
la ressemblance. * 

On parle ici principalement de la sculpture, cet 
art qui , reproduisant les formes des objets , ^ns leur 
couleur, n a, dans un corps géométrique, autre chose 
à rendre que sa forme; en cela différent de la pein- 
ture, qui trouve encore, en de tels sujets, à expri- 
mer rharmonié des tons , Teffet de la lumière ou de 
Tombre. 

Tout est donc symétrique, compassé, uniforme 
dans nos vêtements. Mille habits ne donneront ja- 
mais que mille fois le même habit. 

Sans entrer ici dans une analyse exacte et uhe 
description , soit du système d'habillement de l'anti- 
quité, soit de ses formes et de ses pratiques, il suffit 
aux notions que nous en prétendons tirer , de dire 
qu'il étoit presque en tout lopposé du système mo- 
derne^ puique en général il consistoit dans une étoffe 
d'une très grande ampleur, et libre, c'est-à-dire à 
laquelle Fart du tailleur ne donnoit aucune forme. 
Elle enveloppoit le corps, et s'y ajustoit avec <|es 



4a2 DES MOYENS 

diversités dépendantes ou du goût de chacun , on 
du hasard (cause naturelle en ce genre) qui en mul- 
tiplioit les combinaisons , et faisoit jouer les plis de 
letoffe de tant de manières, que mille habits pro- 
duisoient mille jets de draperies tous dififiérents. 

Cette sorte de vêtement étoît donc naturelle, en 
tant que Fart n'en façonnoit ou nen contraignoit 
pas les formes. Or voilà ce qu'est la nature à Tégard 
d'une étoffe ou d'une draperie. Puisque telle esc la 
nature en ce genre , lart qui Timitoit , avoit donc en 
ce genre la nature pour modèle. 

L art qui doit imiter des habits ou des étoffes arti- 
ficiellement décoil|>ées sur un patron , n a donc pas 
en ce genre la nature pour modèle. 

Voilà pourquoi l'imitation réclame Temploi dlia- 
billements , qui , d'une part , soient favorables au dé- 
veloppement des beautés du corps , et de l'autre 
puissent servir de matière à l'imitation. 

L'imitation aura donc le droit d'user des formes 
de draperies, qui constituoient plus ou moins l'ha- 
billement des anciens : et cela pour deux raisons. 

La première se fondera sur l'esprit même de la mé- 
taphore, qui , comme on l'a vu , peut souvent trans- 
porter et person nages et sujets d'un pays dans u n a u tre. 
Or, rien n'empêche l'assimilation que l'art peut fiiire, 
quand le sujet en est bien motivé d'ailleurs , d'un 
personnage moderne avec quelques grands hommes 
de l'antiquité; et ce rapprochement ne peut avoir 



DE l'imitation. 4^3 

lieu y que par un emprunt judicieux de quel(|ues ap- 
parences des costumes antiques. Ainsi le bon goût 
n a jamais désapprouvé dans de grands jnonuments, 
comme sont les statues équestres de nos rois , en 
luronze, Temploi des parties de Thabillement mili- 
taire ou héroïque des anciens. Ces choses sont du 
domaine allégorique des arts du dessin. 

La seconde raison , ou la trouve dans la définition 
même , qu'on a faite de la natui:» et du système des 
étofifes servant jadis d'habillement. Car^ tout en con« 
venant qu elles formoient ce que nous appellerions 
la mode des anciens , nous avons reconnu qu elles 
fpparlenoient aussi à une mode plus générale, c'est- 
à-dire à la mode universelle de la nature. Et de là 
les méprises qui ont lieu , et où tombent les censeurs 
du goire métaphorique, que nous appelons l'ajus- 
tement idéal. C'est que, ou il faut renoncer à draper 
une figure avec des étoffes libres, et telles que les 
veut l'imitation, ou il faut la faire ressembler à celles 
qu'on reconnoit, pour être habillées à la grecque ou 
à la romaine. 

Ainsi on se souvient que la sculpture , il y a peu 
d'années , prétendoit coiffer les portraits , ce qu on * 
appeloit à la romaine, avant que la mode en fut 
venue; et toutefois ce netoit pas pour faire des che- 
veux à la romaine, mais pour les faire naturels. 

L'art emploie donc l'ajustement antique , non 
comme antique^ mais comme naturel , non parce- 



424 DES MOYENS 

qu'il a ^té employé par les Grecs ou les Romains^, 
mais parce que l'imitation (en tant qu'imitation) ne 
peut pas en employer d'autre, non-pas tant même 
encore parcequ^il est d'accord avec le style méta- 
phorique , que piirceque le costume moderne est 
anti-imitatîf. 

Cela étant , lorsqu'une nation confie à la sculpture^ 
le soin de perpétuer le souvenir de ses exploits et de 
ses grands hommes, son intérêt )ui commande de 
veiller sur le goût et le genre d*imitation d'ouvrages, 
qui^ en inspirant le respect pour les images qu'elle 
consacre, doivent témoigner aussi auprès des âges 
futurs , en faveur de l'époque uui les vit élever. • 

Il y auroit en cette matière un assez grand nombre 
de considérations que je suis fort loin de vouloir 
parcourir. J'en veux toutefois faire valoir une qui 
sort de la nature même du sujet, et dont chacun sera 
facilement juge. 

Quand l'habillement des anciens n eut pas été aussi 
favorable à l'imitation qu on vient de le voir, aussi 
flexible à toutes les inventions de l'art, il faut dire en- 
core qu il eut pour les ouvrages de la sculpture (consi- 
dérés dans le rapport de leur destinée à venir) un avafi- 
tage particulier. Peut être est-ce au principe même de 
la variété compatible avec son ajustement, qu'aura été 
due, en dépit du goût pour le changement si natu?^ 
rcl aux hommes, cette longue stabiUté de mode^ de 



DE e'imitation. * 4^5 

pratique et d'usage, qui contraste si singulièl'enient 
avec les habitudes de Thabillement moderne. Nous 
ne voyons pas que pendant un long cours de siècles , 
la manière d'être habillé ait subi jadis de change- 
ment sensible; et lorsqu'on en juge par les monu- 
ments de fart , les variétés qu'on remarque dans 
l'ajustement des personnages, n'appartiennent qua 
l'imagination de l'artiste, parcequ'il y a toujours à 
imaginer, dans la disposition dune étoffe libre et 
naturelle. 

On peut donc conclure de là, que les représen- 
tations plus ou moins fidèles des habillements^ n^é- 
toient pas sujettes aux caprices de la mode, qui 
auroit pu, au bout de Quelques années, les faire pa- 
roitre surannées , et enfin étrangères à la nation 
même dont elles étoient l'ouvrage. 

Mais lexpérience des temps et des mœurs mo- 
dernes, nous offre des résultats absolument con« 
traires. Les différentes modes d'habillement qui se 
sont succédé eu Europe , depuis le renouvellement 
des arts, établissent entre les portraits faits pendant 
une période de trois siècles, des contrastes tels, quil 
n en existe pas de plus frappants , entre les habille- 
ments des contrées les plus étrangères les unes aux 
autres. L'on sait toutefois combien s'est accrue encore 
la mobilité de la mode, depuis qu'un mouvement 
plus précipité, imprimé au commerce par le luxe, et 



426 ^ DE8 MOYENS 

au luxe par les subdivisions du commerce , a £ait 
mettre au nombre des intérêts commerciaux , les fré- 
quents changements dans les formes des choses les 
plus usuelles, telles que les habits et leurs accese 
soires. Un très court espace de temps suffit , pour voir 
leurs formes vieillies devenir un objet de risée sur 
les portraits 9 où un art imprévoyant setoit plu à les 
fixer. Telle est aujourdliui la fréquence de ces mu- 
tations, qu^une statue (on peut Taffirmer) seroit une 
entreprise trop longue , pour que la mode selon la- 
quelle un personnage auroit été ébauché, subsistât 
encore lorsqull seroit question de le terminer. 

Disons^ donc hardiment que la fidèle représenta- 
tion de nos modes en sculptiAe , ne prépare que des 
« 

sujets de ridicule, non seulement aux générations 
futures, mais aux hommes de notre. âge, puisque 
Tefifet de Tesprit de mode , est de rendre ridicule ce 
qui n est pas conforme au goût du jour. 

Ajoutons, comme conséquence de ceci , que la du- 
rée de ces modes est trop fugitive , pour que leur re- 
présentation puisse être du moindre intérêt aux âges 
à venir, et leur offrir le moindre sujet d'instruction. 
On conçoit qu on puisse examiner avec quelque profit 
des formes d'habillement^ qui ont duré assez long- 
temps, pour se mettre en rapport avec beaucoup du* 
sages , et d'où Ion puisse tirer quelques explications 
de certains détails que Thistoire néglige. Mais qu^ 



.- * 



DE LIMITATION. 4^7 

intérêt prendre à ces modes éphémères^qui meurent 
en naissant, qui se succèdent sans se survivre y qcd 
ne témoignent que de la fécondité de Tesprit de fri- 
volité. 

Certes sHl appartient à quelque art , ou à quelque 
partie de Timitation^ de tenir registre d^aussi futiles 
objets, ce n'est pas sans doute à Tart que sa nature 
destine à traverser les siècles , à porter aux âges futurs 
les témoignages du goût , de Tesprit , des sentiments 
du peuple qui en £ait le dépositaire de sa gloire. 

li'art de la sculpture, comme Ta dit Hemsterhui$( i ), 
doit parier à la postérité la plus reculée ; par c^çnsé- 
quent il doit parler la langue de la nature. Et voilà 
pourquoi (continue-t-il), il lui est interdit de traiter 
un grand nombre de sujets qui ne tiennent qu'à des 
opinions passagères, à des modes locales; et de ce 
genre sont les habillements , qui ne sont propres qu'à 
quelques siècles et à quelques pays. 

Il doit donc y avoir, et il y a réellement poÉpI^ arts 
du dessin , et sur-tout pour la sculpture un costume 
monumental. 

Ce costume seroit-il tel , qu'on ne puisse le regarder 
que comme propre des Grecs et des Romains , il seroit 
déjà, par cela même, assez en rapport, c'est-à-dire 
moralement d accord avec les conventions poétiques ; 

' Herasleih. Uebcr die Biidhaurry , tome I, page 5i. 



4^8 DES MOYENS 

d'abord comme ayant appartenu long-temps à des 
peuples célèbres , et qui ont propagé dans tout Tuni- 
vers le plus beau langage dlmitation que les hommes 
aient parlé; ensuite comme participant essentielle- 
ment à toutes les qualités du genre idéal ; enfin comme 
étant devenu une sorte de convention universelle 
dans l'Europe entière. 

' Toutefois on est loin de prétendre que Tartiste, 
dans des compositions de sujets ou de personnages 
modernes , doive se faire, sans mesure et sans choix, 
le copiste exact des particularités et des détails du cos- 
tume grec ou romain. Trop de fidélité à cet ^aM> 
sortîroit même des obligations d'un système, dont le 
but est de généraliser Tobjet de la représentation. 
Je ne nie donc pas , qu'on puisse abuser de la mé- 
taphore, en la rendant par trop identique avec ce 
qu'elle doit se contenter d'indiquer. Car si l'on em- 
prunte au costume grec ou romain, des apparences 
de co4Nl|me, ce nest pas dans la vue de fisiire une il- 
lusion entière, ou de produire un anachronisme. 
D'autre part il faut répéter que l'ajustement purement 
idéal, et sans aucune intention de rapprochen^ent 
avec le costume antique , a aussi une partie que les 
critiques ont souvent le tort de confondre avec lui. 

C'est , il faut le dire en finissant, sur ce point limi- 
trophe entre deux abus , qu ont lieu de part et d'autre, 
et la méprise des artistes et l'équivoque des censeurs. 



^ Ljï. 



DE l'imitation. 4^9 

Les uns ont souvent le tort défaire au lieu d*idéal , du 
grec trop positif et du romain trop rdknain ; les autres 
se trompent plus fréquemment encore et prennent 
pour romain ou pour grec, tout ajustement qui dans 
le fait est idéal par sa nature, et peut par conséquent 
être le costume de tous les pays et de tous les temps. 



FIN. 



I 



TABLE 



DES PARAGRAPHES 

CONTENUS DANS CET OUVRAGE. 



Préambule. Page v 

PREMIÈRE PARTIE. 

DE LA NATURE DE l'iMITATION DANS LES BEAUX-ARTS. 

Paragr. I. Définition du principe élémentaire de Timi- 
tation dans les beaux-arts. i 

Paragr. II. De Fidée qu'il faut se former de la ressem- 
blance dans l'imitation propre des beaux-arts. S 

Paragr. III. Que la ressemblance qu'il est donné à chaque 
art de produire, ne peut être que partielle. i5 

Paragr. IV. Que les conséquences de la définition et des 
notions précédentes , s'appliquent à la poésie , comme 
à la peinture. 12 

Paragr. V. De la réalité des séparations placées par la 
nature entre les arts de la poésie , comme entre ceux 
du dessin. 

PREMIÈRE PREUVE 

Tirée de la diversité des facultés de lame et de la diversité des 
Qualités des objets imitables. 20 

Paragr. VI. Suite du même sujet. 

SECONDE PREUVE 
Tirée du principe de l'unité de l'ame et de luDÎté de son action , 



TABLE. 43l 

d'où résulte le principe d'unité imitative , et dés-lors celui des 
séparations établies entre tous les arts. Pa^c 38 

Paraga. VII. De Tunité et de la variété iniitatives. Des 
fausses notions qui résultent du malentendu de ces 
mots. 49 

Paragr. VIII. De la nature et de Tesprit des réunions qui 
ont lieu entre plusieurs arts concourant à un ouvrage 
commun, qu'on peut appeler d'assemblage. 67 

Paragr. IX. Des moyens erronés par lesquels on détruit 
la vérité imitative de chaque art , en voulant la com- 
pléter ou l'accroître. 

PREMIBRE ERREUR DE l'aRTI^E. 

Elle consiste à chercher au - delà de son art un surcroît de res- 
semblance imitative dans les ressources d'un autre art. 6H 

Paragr. X. Continuation du même sujet. 

SECONDE ERREUR DE l'aRTISTS. 

Elle consiste à chercher la vérité en -deçà des limites de chaque 
art , par nn système de copie servile , qui enlève à rimitation 
on à l'image, cette partie fictive qui en fait l'essence et le 
caractère. 86 

Paragr. XI. Qu'il faut reconnoître dans chaque art quel- 
que chose de fictif quant à la vérité, et quelque chose 
d'incomplet quant à la ressemblance. 95 

Paragr. XII. Que .ce qu'il y a de fictif et d^incompkt dans 
chaque art, est précisément ce qui le constitue art, et 
devient le ressort même du plaisir de Fimitation. io3 



432 TABLE. 

Paragr. XIII. Gomment et avec quoi chaque art corrige 
ce qu'il y a de fictif en lui et compense ce qu'il a d'in- 
complet. P^gc 109 

Paragr. XIV. De l'illusion dans les œuvres de l'imitation. 1 1 7 

Paragr. XV. Que le plaisir de l'imitation peut se mesurer 
sur la distance qui, dans chaque ;irt ou mode imitatif , 
et dans l'ouvrage de chacun, sépare les éléments du 
modèle des éléments de l'image. i36 

Paragr: XVI. Que le rang assigné par l'opinion générale 
aux différents arts entre eux, semble confirmé par cette 
théorie , et la confirme. i43 

Paragr. XVII. Que le résultat des notions et des faits 
qui précédent, nous conduit à reconnoitre ce qui doit 
être le véritable but de l'imitatiqn. iSi 

SECONDE Partie. 

DU BUT DE l'imitation DANS LES BEAUX -ARTS. 

Paragr. I. Que plaire est l'objet de l'imitation. — Des 
deux genres de plaisir qu'elle produit. — Lequel des ^ 
deux est son but. 166 

Paragr. II. Gomment, selon l'esprit de cette théorie, on 
doit entendre l'idée de réalité ou d'identité dans l'Imi- 
tation , et celle du plaisir qui en résulte. i63 

Paragr. III. De la supériorité du plaisir de l'esprit dans 
l'imitation , sur celui qui ne s'adresse qu'aux sens. 168 

Paragr. IV. Ce que c'est que l'imitation dont on ne peut 
pas montrer le modèle , et quel nom on lui donne. 176 

Paragr. V. De l'idéal. — Définition de ce mot. — Du 
sens qu'on doit y attacher. i84 



% 



TABLE. 433 

Parigr. VI. Que Timitation idéale procède d'une étude 
généralisée de la nature. ^^Q^ 192 

Paragr. VII. De l'infériorité des ouvrages de Fart cotn- 
parés à ceux de la nature , s'il n'a recours au modèle 
idéal de l'imitation. 199 

Paragr. VIII. Continuation du même sujet. 207 

Paragr. IX. En quoi l'œuvre de l'imitation peut sur- 
passer l'ouvrage de la nature. 216 

Paragr. X. De la cause originaire qui introduisit en Grèce 
et y perpétua le style idéal dans les œuvres de l'art. 227 

Paragr. XI. Caractère de l'idéal démontré et rendu sen- 
sible dans les ouvrages de l'art antique. a34 

PARAGR. XII. Que la notion de l'idéal , telle que cette 
théorie la donne, est d'accord avec celle qu'en ont 
donnée les écrivains de l'ant^luité. ^43 

Paragr. XIII. Que l'idéal dans la théorie ne doit être 
expliqué qu'à l'intelligence , et ne peut l'être que par 
l'analyse rationnelle. 35 1 

TROISIÈME PARTIE. 

DES MOYENS DE l'iMITATION DANS LES BEAUX-ARTS. 

Paragr. I. Ce qu'il faut entendre par moyens de l'imita- 
tion , selon l'objet et l'esprit de cette théorie. a 56 

Paragr. II. De ce qu'on appelle convention , entendue 
comme moyen d'imitation. — Des conventions prati- 
ques et des conventions théoriques. a6i 

Paragr. III. Des conventions poétiques j ou des moyens 
généraux et communs à tous les arts y qu'emploie l'imi- 
tation pour parvenir à l'idéal. 269 

38 



434 iahle.. 

Paraoh. IV. De Paction de gënëraliaer considérée cx>nime 
moyen de parvenir à Fimitation idéale — dans les ou- 
vrages de la poésie. Page 275 

Paraor. t. De Faction de généraliser dans les ouvrages 
des arts du dessin -^ et dans Fimitation du corps ha- 
main. a8d 

Paragr. VL De ce qu'on appelle choix déformes et réw 
nion de beautés éparses , dans les outrages de Fart. — 
Analyse de ces deux notions. 3oi 

Paragr. VII. De Faction de transformer ou de transposer» 
considérée comme moyen de l'iroitatiou idéale soit dans 
les inventions de la poésie , soit dans les formes de son 
langage. 323 

Paragr, VIII. Sur la diversité dVmpioi des moyens mé- 
taphoriques , selon la difi#ence des arts. — - Des mé* 
prises qui ont lieu en ce genre , sur-tout dans les arts 
du dessin. 332 

Paragr. IX. De Faction de transformer et de transposer, 
considérée comme moyen d^imitation idéale dans les 
arts du dessin. 342 

Paragr. X. De Faction de transformer par le style de 
composition historique. 352 

Paragr. XI. De Faction de transformer ou de transposer 
par le style de composition allégorique. ZSj 

Paragr. XII. De quelques convenances à observer dans 
la composition allégoricpe. 367 

Paraor. XIII. Pourquoi l'emploi de Fallégorie moderse 
a moins de valeur et fait moins d'effet en poésie qu^en 
peinture. 376 



,>v 



TABLE. * 435 

Paragr. XIV. De Faction de transformer les sujets et les 
personnages par l'effet de la composition symbolique. P. 38a 

Paragr. XV. Pourquoi la métaphore symbolique a peu 
de valeur en poésie. Sga 

Paragr. XVI. Sur quelques moyens poétiques exclusive* 
ment propres des arts du dessin. — De la nudité poéti- 
quement considérée. 4^0 

Paragr. XVII. Continuation du même sujet. — De l'ajus- 
tement idéal ou des costumes et habillements antiques 
transportés dans les sujets modernes. 4>^ 



FIN DE LA TABLE. 



V 



«• ♦*• 



*• 



s 



ESSAI 



NiTtîHE, IJS. BUT ET LES MOYENS 

1»F. LIMITATION 
LES BEAUX 

fît U.gUlTneHEREDB QITINCT 




'irnuiKfH (H) KOI, 



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