PRESENTED TO
THE LIBRARY
BY
PROFESSOR MILTON A. BUCHANAN
OF THE
DEPARTMENT OF ITALIAN AND SPANISH
1906-1946
Digitized by the Internet Archive
in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/essaisurlesfableOOIoisuoft
ESSAI
SUR
LES FABLES INDIENNES
SUR LEUR INTRODUCTION EN EUROPE,
SUIVI DO
ROMAN DES SEPT SAGES DE ROME
EN PROSE.
imprimerie te 3Jîault>e et ^îcnou ,
Rue Baillcul , 9 et ».
ESSAI
LES FABLES INDIENNES
SUR LEUR INTRODUCTION EN EUROPE
PAR A. LOISELEUR DESLONGCHAIYIPS
KOMAN DES SEPT SAGES DE ROME
EN PROSE
POUB LA PREMIERE FOIS, D'iPKts UJ MANUSCRIT DE I.A RI Rl.un 11 I ■ ■ t IT1I
AVEC U»E milSE. ET DBS EXTRAIT- DO l'i'l,
PAR LE ROUX DE LINCY
POUR SKIîVIR D IHTHODiTCTinv
AUX FABLES DES XIIe XIIIe ET XIVe SIÈCLES
TUBLIÉES PAR M. ROBEHT.
PARIS.
TEGHENER, LIBRA1RI
PLACE DU LOUTRE , 12.
1839
V&
s* S\
a 4
»
\ MONSIEUR
LE BARON SILVESTRE [)E SACY,
PAIR DE FRANCE ,
GRAND OFFICIER DE I. ORDRE KOYAL DE LA LEGION-D HONNEUR,
SECRETAIRE PERPETUEL
l\cawmiî. rovin ors ivscKirrioKS n bellu-li
MuMM \GK DE RESPECT ET DF. RECONNAISSANCE,
LOISELEUR DESLONf.CHAMPS.
ESSAI
FABLES INDIENNES
SUK LEUR INTRODUCTION
KiN EUROPK.
Depuis long-temps l'histoire des fictions imagi-
nées par les peuples est en possession d'exciter à un
haut degré la curiosité. Un docte et pieux évêque
n'a pas dédaigné de composer un traité sur l'o-
rigine des romans, et, de nos jours, plusieurs
sa vans ont publié sur ce sujet des travaux d'une
grande étendue et fort feeommandables.
Parmi toutes les inventions romanesques nées
d'une imagination féconde, celles qui ont l'Orient
pour pays natal, méritent, sons plus d'un rapport,
d'attirer l'attention. Le succès obtenu par les Mille
4 ESSAI
et une Nuits dans le siècle dernier, succès mérité
qui s'est maintenu jusqu'à présent, n'est pas le
premier que les fictions de l'Orient aient obtenu
en Europe. Il faut remonter jusqu'au moyen âge
pour trouver l'époque de l'introduction de ces fic-
tions dans les compositions romanesques euro-
péennes. C'est un examen bien curieux à faire, et
l'histoire des deux recueils de contes et de fables
attribués à Bidpaï et Sendabad peut contribuer à
éclaircir cette question.
Le nom de Bidpaï est assez généralement connu,
grâce à La Fontaine. Bidpaï est le nom d'un philo-
sophe indien , auquel les Persans et les Arabes
ont attribué un recueil d'apologues intitulé par
eux , Calila et Dimna , recueil très célèbre en
Orient, et qui a été traduit en latin dès le xme
siècle de notre ère. Également importé en Oc-
cident vers la même époque, \e Livre de Senda-
bad (qu'il ne faut pas confondre avec les Voyages
de Sindbad) eut une grande célébrité, sous le titre
de Roman des sept Sages. Les recueils d'apologues
et de sentences morales étaient bien plus recher-
chés au moyen âge qu'ils ne le sont aujourd'hui,
et les nombreuses imitations des livres de Bidpaï
et de Sendabad furent alors très goûtées. La si-
multanéité du succès de ces deux livres, et le rap-
port de leur commune origine, m'ont engagé à
réunir dans un même opuscule L'examen des di-
si R LES FABLES INDIENNES. ••
verses traductions, plus ou moins infidèles, par
la voie desquelles ils sont venus de l'Inde, leur
patrie, jusqu'à nous. Plusieurs savans ont déjà
abordé ce sujet, et l'illustre et vénérable doyen
des orientalistes, M. le baron Silvestre de Sacy, a
consacré à Bidpaï plusieurs excellentes disserta-
tions qui m'ont été du plus grand secours.
Quelques personnes seront peut-être étonnées
que je n'aie point associé Lokman à Bidpaï et à
Sendabad ; mais, outre que le recueil du fabuliste
arabe n'a point de rapports avec les deux ouvrages
dont je vais m'occuper, l'antiquité et l'origine de
son recueil sont fort contestées. M. Marcel, édi-
teur et traducteur des Fables de Lokman, les re-
garde, il est vrai, comme antérieures à celles
d'fisope ; mais M. de Sacy, dont l'opinion est d'un
si grand poids dans cette question, n'hésite pas à
les considérer comme modernes et empruntées à
la rédaction grecque des fables ésopiques.
ESSAI
BIDPAI.
L'invention de l'apologue se perd dans la nuit
des temps. L'idée de cacher un précepte utile sous
le voile de l'allégorie, et de rendre plus sensible
une vérité morale en l'appuyant sur une fiction
ingénieuse , se retrouve chez tous les peuples de
l'antiquité1; mais il y a toute apparence que c'est
en Orient, et peut-être particulièrement dans
l'Inde, qu'il faut chercher l'origine de cette in-
vention. En effet , dans un pays où parmi les
croyances se trouve le dogme de la métempsy-
chose , où l'on attribue aux animaux une ame
semblable à celle de l'homme, il était naturel de
leur prêter les idées et les passions de l'espèce
humaine et de leur en supposer le langage : c'est
ce qui a lieu dans l'apologue indien. Les combi-
naisons les plus profondes et les sentimens les
On rencontre plusieurs apolo- Pêcheur forcé d'avoir recours à ses
gués ou paraboles dans la Bible. fiiels pour prendre des poissons ,
( yoy. les Juges, th. ix, vers. 8-15 ; sourds aux sons de sa flûte. Enfin,
tes Mois, liv. Il, th. xn, v. i, on connaît l'heureuse citation de
I. IN , c. xiv, v.9.) Le poêmed'He- l'apologue des Membres révoltés
siode, intitulé Les Travaux et les contre l'Estomac, faite par Mené-
Jours, nous offre la fable de l'E- nius Agrippa, pour calmer le peuple
pervier et du Rossignol. Dans lié- romain mutiné. (\o\.\Essai sur
rodote (1. I, c. cxli), Cjtus, pour la Fable et sur les Fabulistes,
rappeler aui rois leurs devoirs, par M. Walckenaer, p. i.\iv, pre-
iorsque les movens de persuasion mier volume des OEuvres de La
>ont inutiles, récite l' apologue du Fontaine. Paris, 18'22; in-8°.)
SLR LES FABLES INDIENNES. 7
plus délicats y sont l'apanage des animaux. Ce
serait peut-être émettre une proposition contes-
table que de réclamer exclusivement en faveur
des Indiens l'honneur d'avoir inventé l'apologue:
on ne peut, du moins, se refuser à reconnaître
qu'ils jouissent dans ce genre d'une haute supério-
rité, par la physionomie toute particulière qu'ils
ont donnée à la fable et au conte. Chez les Indiens,
en effet, au lieu d'être un récit isolé, placé par
un orateur dans un discours comme exemple et
comme moyen de persuasion ', l'apologue est un
traité complet de politique et de morale, et a reçu
une forme que l'on peut appeler dramatique. Dans
les livres indiens, une fiction principale encadre
plusieurs fables ou contes débités par les premiers
personnages mis en scène à mesure que la situa-
tion amène ces récits ; ces fables sont en prose et
semées de vers sentencieux , empruntés aux codes
des législateurs, aux légendes héroïques et sacrées,
aux drames et aux recueils de poésies -.
■ Esope n'est point, comme on naer, Essai sur la Fable et sur
sait, l'auteur du recueil de fables les Fabulistes, p. iavi.'i
qui porte son nom. Considérant l'a- = Dans la sanscrit, langue anli-
pologue comme un puissant moyen que et sacrée des indiens, Dres-
de conviction, il l'employa souvent, que tout est en vers, aussi bien les
il en lit sentir toute l'importance, préceptes des législateurs, que \r-
et, sous cerapport.il a mérité d'en aphorismesides grammairiens , les
être regardé comme i'inventeur.Les dogmes des philosophes el les théo-
Ingénieuses Gelions dont il avait renies iU'> astronomes. Le mélange
l'ait un fréquent usage, restèrent de prose et de vers ne Bfl rencontre
dans la mémoire des hommes, et que dans les ouvrages d'une très
on en forma des recueils, (Walcke- liante antiquité, comme les Védat,
8 KSSAl
' Il existe en sanscrit plusieurs livres de ce genre,
mais ils n'ont pas tous, à beaucoup près, le même
degré de mérite *. Le plus remarquable est celui
que les Persans et les Arabes ont désigné sous le
nom de Livre de Cailla et Dimna , et qu'ils at-
tribuent à un philosophe nommé Bidpai. L'histoire
des métamorphoses de ce livre célèbre , mainte-
nant suffisamment éclaire ie, est d'un grand inté-
rêt pour la littérature orientale , et mérite d'être
exposée avec quelque détail.
Dans la première moitié du vie siècle de no-
tre ère , le fameux Chosroès ou Khosrou Nouchir-
van , roi de Perse , ayant entendu vanter plu-
sieurs traités de morale et de politique écrits en lan-
gue indienne, chargea un savant médecin nommé
Barzouveh, et qui possédait une connaissance ap-
profondie de la langue persane et de la langue in-
ou dans les drames et les recueils intitulée le Trône enchanté. Les
de contes, productions qui peuvent contes du Perroquet ont été traduits
être considérées comme modernes en persan, sous le litre de Thouthi-
rclativement aui grands poèmes nameh, du persan en anglais, et
héroïques , tels que le Râmâyana de l'anglais en français par MfMa-
Ct le Mnhàbhih ala. rie d'Heures. (Paris, 1826, in-8°.)
1 Les principaux sont le Singlui- Un docte prince indien, Radjah -
MM -duàtrinsati , ou le trône Kali-Krichna-Behader, a traduit les
cnrhanié; le Souka-saptaH, ou les contes du Mauvais Génie, en anglais,
eontes du Perroquet; le Fe'fcîîa-pan- d'après une version en bradjba-
tehavinsati, ou les contes du Mau- kha} et M. Babington en a publié
rai; Génie, et le grand recueil inti- uni" autre traduction faite d'après
tulé Vrihat-kathâ. LiSinghâsaaa- le tamoul, et sur laquelle on peut
dwùtrinsnli est a la portée des 1er- consulter un article île M. Burnouf.
leurs français, le baron l.escallier dans le Journal des Savons, d'a-
en ayant donné, d'après la version vril 18Ô5. Le Vrihat-kathâ n'a
persane, une traduction française, pas encore été traduit: mais il en
SUR LES FABLES INDIENNES. ^
dicnne ', d'aller dans l'Inde chercher ce trésor de
sagesse 9. Barzouyeh se procura, non sans peine,
le livre qui lui était nécessaire, et le traduisit en
pehlevi, l'ancien langage des persans; de retour à
la cour de Nouchirvan, il lui offrit le recueil d'apo-
logues que ce prince désirait connaître, et que le
traducteur avait intitulé Livre de Calilaet Dimna,
par le sage Bidpai. Il avait donné ce titre h son ou-
vrage, parce que les deux chacals, nommés Calila
et Dimna, sont les personnages les plus importans
d'une partie considérable du livre3. Le roi, satis-
a paru une analyse dans le Quar-
terly Oriental Magazine de Cal-
cutta, 1824 et 1825. Le texte san-
scrit de ce dernier recueil sera pu-
blic incessamment en Allemagne;
l'original sanscrit des trois autres
est aujourd'hui fort rare, mais il en
existe des traductions dans plusieurs
des dialectes vulgaires de l'Inde.
• Il semblerait <jue Barzouyeh
était Indien de naissance. Au com-
mencement du chapitre du Calila
et Dimna, qui renferme une no-
tice sur sa vie, censée écrite par
lui-même, on lit : ■ Mon père était
un homme de la classe militaire, et
ma mère d'une bonne famille de
BrAhmanes. • ( Ealila ami Dimna
or the Fables of Bidpai, trowula-
ted from the aràbic by the m.
Windham Enatchbull. Oxford .
1819; in-8°, p. 65.)
» Calila ri Dimna, ou Fables de
Bidpaï, en arabe, précédées d'un
mémoire svrVoriginedece livre, et
sur les diverses t feuiuctions quien
ont été faites en Orient; par M. Sil-
vestredeSacy. (P.2etsuiv. du Mé-
moire.)— Kalilaand Dim., p. ">.
— Saint-Martin, Biographie univer-
selle, art. Khosrou, t. XXII, p. 382.
3 Silvestre de Sacy , Mémoire
historiq., p. 3. — DHerbelot a dit
que le livre intitulé Djawidan-khi-
red ( sagesse éternelle) , était la
même chose que le Homayottn-
nameh qui est une version turque
du Calila et Dimna, ce qui a
donné occasion à ceux qui ont
parlé après d'Ilerbclot du Calila
et Dimna, de dire que la version
pehlevie de ce livre était intitulée
Djawidan-khired, ce qui est une
erreur. (Silvestre de Sacy, Mai
hist., p 10.) Le Djauidan-khi-
red est un recueil de préceptes m
raux attribués par les Persans ..
l'ancien roi Bouchenk, traduit en
arabe par Hassan , fils de Sahel
et insère parAhouAli Unned Kbn-
Hescowi&j dans un ouvrage d'une
plus grande étendue, intitulé Aduh
10 ESSAI
fait de son zèle, lui demanda ce qu'il désirait pour
sa récompense , lui assurant que sa requête lui
serait accordée, quand même il demanderait une
partie du royaume. « Je demande au roi, dit Bar-
zouyeh, d'ordonner à son vizir Buzurjinihr, fils
de Bakhtégan, d'employer son talent et la force de
son jugement, en même temps que son savoir et
son imagination, à écrire une courte notice de ma
vie et de mes actions, pour être placée au devant
du chapitre contenant l'histoire du lion et du tau-
reau : cette notice ne manquera pas de m'élever,
moi et ma famille, au faîte de la gloire, et de per-
pétuer notre nom dans les siècles à venir, aussi
long-temps qu'existera le livre qui m'a procuré la
faveur du roi !. »
La demande de Barzouyeh lui fut accordée, et
Burzurjmihr composa en effet le chapitre dans
lequel le docte médecin est censé parler lui-même
et rendre compte de sa naissance , de son éduca-
tion et de sa vie, jusqu'à l'époque de son voyage
dans l'Inde.
Les rois de Perse, successeurs de Nouchirvan,
firent conserver précieusement dans leur trésor
alArab ua al Foras, préceptes de ■ Kalila andDimna, p. 44. —
conduite des Arabes et des Persans. Silvestrcdc Sacy, Mc'm. hist., p. 9.
(Voyez le Mémoire de M. Silvestre —Extrait du Chah-nameh, traduit
de Sacy sur le Djawidan-khired , par M. de Sacj , dans le v vol. des
dans les Mémoire» de I Académie Notice* et extraits de» manuscrits
1rs imeriptions, II' série, tom. IX, <le la Bibliothèque du Roi, p. 152,
II* partie, p. I et suiv. , \>- partie.
SUR LES FABLES INDIENNES. 1 1
le Livre de Calila et Dimna, jusqu'à la destruction
du royaume de Perse par les Arabes musulmans,
sous le règne de Yezdeguerd *. Cent ans environ
après cette catastrophe, au vme siècle de notre ère,
Almansor2, second calife abbasside, ayant entendu
parler du Livre de Calila et Dimna, conçut un vif
désir de se le procurer, et parvint à force de recher-
ches, à trouver un exemplaire de la version pchle-
vie, composée par Barzouyeh3. Ce livre était échappé
par bonheur à la destruction presque complète de
la littérature persane, sacrifiée au zèle aveugle des
sectateurs de l'Alcoran, dans le moment de la con-
quête *. Un Persan, nommé Rouzbeh, plus connu
sous le nom d'Abdallah Ibn-AlmocahV\ et qui
avait abjuré le magisme pour embrasser la reli-
gion musulmane, fut chargé par le calife de com-
poser une version arabe du texte pehlcvi, et publia
son ouvrage sous l'ancien litre de Livre de Calila
et Dimna. La traduction pehlevie, sur laquelle avait
• Silvestre de Sacy, Mém. hist., clido. (Préface des contes inédits
p. <). — Notices et extraits des des Mille et une Nuits, traduits par
manuscrits, X, y. 109. — La bataille M. de Hammer, p. x\j.)
de Cadesiab , qui dérida du sort 3 Notices et extraits des manu-
de l'empire persan, fut livrée ci; scrits, t. \, p. 98, 100.
l'année 636. 4 silvestre de Sacy, Mém. hist.,
' Il fut le premier calife, dit fhis- p. 9eM0.
tories arabe Massoudi, qui ordonna s i;t non Ïbn-Almocanna, com-
te traduire en arabe des ouvrages me on a écrit quelquefois . mais à
persans et grecs, parmi lesquels se tort. | Silvestre de Sacy, Not. et
trouvent le Calila et Dimna, la Lo- r.n. des MSS., t. X, p. 100. —
gique cPAristote, le< Œuvres de Mém. hist.. p. 10.)
Ptolémée, et \et' Élément d'Eu-
12 ESSAI
travaillé Abdallah, se perdit, comme le peu de mo-
immens de la littérature persane échappés, dans le
moment de la conquête, au zèle destructeur des
premiers musulmans, et qui disparurent pour tou-
jours, lorsque des traductions en arabe et en per-
san moderne purent en tenir lieu, la langue
pehlevie ayant fait place à l'arabe et au parsi '.
11 est donc impossible aujourd'hui de savoir jus-
qu'à quel point Abdallah a pu s'écarter du texte
pehlevi qui lui a servi d'original. Les manuscrits
de la version arabe offrent d'ailleurs des varia-
tions si nombreuses, que M. de Sacy présume que
ce livre a subi plus d'une interpolation 2.
La traduction d'Abdallah Ibn-Almocaffa servi}
de texte, vers la fin du vnie siècle de notre ère , à
un poète qui mit en vers le Livre de Calila et
Dimna pour Yahya, fils de Gialar le Barmécide, et
lut richement récompensé. Une autre version en
vers arabes, dont l'auteur se nommait Abdalmou-
min Ben-Hassan, est intitulée Dourr al liikem ji
amisul alHind wa al Adjem, c'est-à-dire les Perles
des sages préceptes, ou Fables des Indiens et des
• Silveslre de Sacy, Mém. Itist , l'histoire persane, et ses tradm -
p. O^et, 10. — Le livre de Calila et lions ont été une des sources dans
Dimna n'est pas le seul qui ait été lesquelles a puisé Ferdoucy, au-
traduit du pehlevi en arabe par Abd- leur du grand poème du Chah-
dlah Ibn-Almocaffa. Il avait aussi nameh. (Silveitre de Sacy, Mém.
traduit en arabe les principales par- hist., p. 13).
tins, peut-étrp même le corps " Mém. hitt.,o. 14.
f-iitior dp» anciennes légendes df
-l 1. I ES l \l-l ES INDU NM 5.
.-. I Ile doit contenir environ oeuf mille
distiques '.
Après avoir été traduit du pehlevi ou persan
ieo en arabe, le Livre de Calila et Dùnti
de 1 : a persan i : ne. Nasr, lil> d'Ahn
prince Samanide qui régna >ur la Perse orien-
tale de (JU hégire 301 a 943 hégire 331 . or-
donna au poète Roudéghi, qui vivait a ^a cour, de
ire en vers persans le Livre de Calila et
Ditana. Roudéghi se conforma aux désirs de
maure, et DaulefrChah, biographe do rap-
porteque l'émir Nasr récompensa son zèlee4 son
talent parle présent d'une somme de 80,000
<•(■> dai - ■ travail de Roudéghi est selontoute
trence, aujourd'hui perdu *.
Il n'enest pas de mêmed'une célèbre version du
Livre de Calila ei Dîmna, en ; ver-
sion ayant pour auteur Àbou'lmaah' Nasrallafa .
qui vivait au xir si H
pour le plus habile »'t le plus éloquent des écri-
vains de soi) temps5. Elle fut comj l'ordre
d'Al ou'lmodhaJTer Babram-Chab, sultan de la dv-
da Sarr. Mm, Ktst travail . qui ne fui pa> al
F •"•|
> Sil\e>tre lieSai-v. Mém.hist . \ . . ,>U préface
■t :.'.'.— Ab,u liàzl Bel- , • \ II. de S
. >izir du wèmtl (MMttl a- \ot. et extraits I
nide, a>aii char^d abord un au- }• -
• re poêle, nomme IVkiki .
I i ESSAI
uastie des Gazno vides l. Ce prince était un protec-
teur zélé des sa vans et des gens de lettres, et le li-
vre lui est dédié par Nasrallah -.
Plus de trois siècles après, vers Tan 900 de l'hé-
gire (J.-C. 1494) , la version de Nasrallah fut ra-
jeunie par Hocéin ben-Ali, surnommé Al-Yaëz (le
prédicateur) , et qui est regardé comme un des
auteurs les plus élégans qu'ait produits la Perse.
Hocéin ajouta au Livre de Cal il a plusieurs fables,
ainsi qu'une introduction de sa composition , et
abandonnant l'ancien titre, il appela son ouvrage
Anwari-Sohaili ( Lumières canopiques), faisant allu-
sion au nom de son protecteur Ahmed Sohaili 5,
vizir du sultan Abou'lghazi Hocéin Béhadur-Khan,
descendant de Tamerlan. Le nouveau traducteur
trouvait la version de son devancier surchargée
de métaphores et de termes obscurs ; mais malgré
le mérite de son livre, les ornemens , conformes
au goût persan, qu'il y a prodigués, perdraient
' Bahram - Chah régna depuis 3 Hocéin Vaéz, dans sa préface,
l'an 512 de l'hégire (Hl8de J.-C.» indique lui-même le sens figuré du
jusqu'à l'an 548 ou environ (1159 litre qu'il a adopté, en comparant
de J.-C). — Le livre de Nasral- l'émir Sohaili a l'étoile Sohaïl ou
lah fut composé, à ce qu'il parait, Canope, dont le lever présage le
dans les premières années de son bonheur et la puissance. Il adresse
règne. iSilveslre de Sacy, Mcm. a l'émir ce vers persan :
hist., p. -'i" ■ «Tu es vraiment le Canope;
= M. Silve>tre de Saiy n donné parfont OU tu luis, partout où lu
dans le dixième volume <le> Notices parais sur l'horizon . tu es le pré-
et extraits rfesmanuscrits une no- sage du bonheur pour tous ceux sur
!ice très étendue de la version de qui tombe l'éclat de ta lumière. »
Nasi illnh. ' ftftm.Mlf.âe M. de Sacy, p. 44.)
SI H LES FABLES INDIENNES. I •"•
peut-être beaucoup en passant dans une langue
européenne '.
Ce qu'Hocéin Vaèz avait liiit pour la traduction
de Nasrallah , on entreprit plus tard de le faire
pour la sienne. Vers la fin du xvic siècle de notre
ère, l'empereur de Delhi Akbar, trouvant que
YAnwari-Sohdili d'Hocéin manquait parfois de
clarté et de précision, et qu'il renfermait encore
trop de termes arabes et de métaphores extrava-
gantes, ordonna à son vizir Abou'lfazl de le retou-
cher, ou pour mieux dire d'en faire une nouvelle
rédaction -. Abou'lfazl obéit h l'ordre de son sou-
verain; son travail fut achevé en l'année 999 de
l'hégire r> (1590 de J.-C.)etfut public'' sous le titre
• Lcpassage suivant, dont j'em-
prunte la traduction à M. de Sacy,
et qui est extrait de la préface
d'Hocéin Vaèz, renferme le juge-
ment de cet écrivain sur la version
de Nasrallali , et peut donner une
idée de son style :
« Elle (la version de Nasrallah)
est assurément écrite d'un stylo
aussi délicat que l'aine qui entre-
tient la vie, et aussi frais que le co-
rail agréablement coloré. Ses ex-
pressMns ravissantes sont comme
les gestes séduisans des belles auv
lèvres de sucre qui font naître des
passions turbulentes, et ses pen-
sées, qui raniment la vie, sont
comme les boucles charmantes des
beautés au tendre duvet qui capti-
<' eut les ctrurs... Cependant, Comme
I auteur a employé dos termes peu
Usttei, qu'A a orné son stylé de
toutes les élégances de la langue
arabe, qu'il a cumulé des métapho-
res et des comparaisons de toute
espèce, et allongé ses pbrases en
les surchargeant de mots et d'ex-
pressions obscurs , l'esprit de ce-
lui qui entend la lecture de ce livre
ne jouit pas du plaisir que devrait
lui procurer la matière qui y est
traitée , et ne saisit pas la quintes-
sence de ce que contient le chapi-
tre qu'on lit; le lecteur lui-même
peut à peine lier le commence-
ment dune histoire avec la fin, et
la première partie d'une histoire
avec la dernière, [flot, cl e.rlr. des
i/s.s. , t. Xji»part.p.9&et99).>
' Voyez un passage de la pré-
face d'AbouïfazI , cité et traduit
par M. de Sacy dans les Ifottcu
ei e.rlr. des MSS. , t. X , p. 308,
3 Not. et e.rlr.. t. \ , p. 918
IG
! SSA1
d' Eyari-danich (le Parangon de la science); mais
cette nouvelle version, peut-être plus conforme au
goût des musulmans de l'Inde, n'est pas moins
exempte que l'autre des métaphores outrées et
des ornemens bizarres du goût persan '.
HocéinYaëz, ainsi qu'on l'a vu, avait composé
Y Amvari'Sohaïli au commencement du xe siècle de
l'hégire. Dans la première moitié du même siè-
cle, sous le règne de Soliman Ier2, YJiucari-So-
haill fut traduit en turc 5, par un professeur d'An-
drinople, nommé Ali-Tehélébi, qui dédia son livre
au sultan, et l'intitula, en raison de cette dédicace,
Homaijoun-nameli (le Livre impérial).
Long-temps auparavant, vers la fin du xic siècle
de notre ère, le Livre de Cailla et Dimna avait été
traduit de l'arabe en grec 4. L'auteur de celle ver-
. Voyez l'analyse de ÏEyari-da-
nieh, par M. Silvcstre de Sacy,
dans le dixième volume des Not.
et exlr. de» MSS , t. X, p. 197
et suivantes, lre partie.
> Silvestrc de Sacy, Mëm. hist.,
p. 51.
3 M. de Hainmrr (Journal asia-
tique,Ul* série, t. I, p. 580) cite,
d'après le Tarikhi-gvzidf&'Hamd-
nUah Mestoufi, , une traduction
mongole du livre de Calilà et Dim-
na, composée par Saïdeddin Ifli-
Uhareddin Mohamed Abinassr.
4 n.ins cette version grecque,
les noms de Calila et de Dimna ont
été changés en ceux de ÏTeçavmfc
et de 'I^/uXot-rr,;, changement dû,
sans doute, à l'erreur du traduc-
teur grec qui aura cru que le mot
Calila Tenait du mot iclil , qui si-
gnilie couronne, et que dimna dé-
rivait de dimna, signifiant vestiges,
(races. (Silvestrc de Sacy, Mon.
hist. , \). 55. i On verra plus loin
quelques détails sur la traduction
latine de ce livre , composée par le
P. Poussiues. Le texte grec a été
publié ensuite avec une nouvelle
\er-inn latine, a Berlin, en 1UU7
par Sébast. Godel*. Starck , sous le
titre suivant : Sjiccivtm sapicïilia:
Indorum veterum, i. e. Liber
cthno-politicas diclus arabice Ka-
lila oue Dimna, yraxe ÏTeçewtwK
xoù 'l/yr./.izr,:. Les prolégomènes
SCR LES FABLES INDIENNES. 17
sion, nommé Siméon Seth;ou plutôl Siméon, fils
de Seth, florissait sous les empereurs Michel l)u-
cas, Nicéphore Botoniate, et Alexis Comnène. Il
paraît avoir i';iit cette traduction par l'ordre du
dernier de ces empereurs, moulé sur le trône
en 1081.
On ignore la date d'une version du Calila et
Dimna, en langue hébraïque ', composée sur le
texte arabe, et que le Florentin Doni attribue à un
rabbin nommé Joël 2.
Ce fut sur cette version hébraïque que Jean de
que Starck n'avait pas donués ,
ne les ayant pas trouvés dans le
manuscrit mit lequel il avait t'ait son
édition, ont été publiés a part en
1780, a Upsal, par les soins de
P. l'ai). Anrivillius. Il existe plu-
sieurs manuscrits de l'ouï rage de
Siméon Seth dans diverses biblio-
thèques, et M. de Sinner i Préface
de Longus. Paris, 1829; in-8u,
p. xxx) avait annoncé le projet d'en
publier une nouvelle édition. La
traduction de Siméon Seth parait
être l'original d'une ancienne ver-
sion italienne aujourd'hui fort rare,
et qui est intitulée Del governo de'
Regnisotto morali cs<'ni])j <li ani-
mait ra/jionanti Ira loro , (ratti
]>rima ilalla lingita Indiaua in
AgarcnadàLelioDemnoSaraceno,
e dall' Agarena nella tirera da Si-
mon Seto filosofo AnliochenOj éd.
ora tradotti 'lui GrecO in llaliano.
Ferrara , pel Qfammarelli, 1585.
IS'oi.et crir., \, p. 46, il'' partie.)
■ Le patriarche KUed-Jesu, dans
son catalogue des livres écrits en
syriaque, mentionne une version
dulivredeCSoitlael Dimna eu cette
langue. On peut consulter au sujet
de celte version syriaque, aujour-
d'hui complètement inconnue , le
mémoire historique de M. de Sacy
sur le livre de Calila et Dimna,
p. 55.
= SilvestredeSacy , 3b/. et extr.
desMSS., t. IX, p. 401.— La filo-
sofia morale del Doni. i in Venetia,
1606, p. I i. Celle version que Doni
semble avoir eue outre les mains,
parait aujourd'hui perdue. On n'en
connaît jusqu'à présent qu'un frag-
ment assez considérable qui l'ait par-
tie de l'ancien fonds hébreu de la
Bibliothèque du Roi, sous le o 510,
et dont M. de Snev a donné l'ana-
lyse dans la collection que je viens
de eiler. Les noms de Calila
Dimna ont été conservés dai -
version hébraïque . mais le ;i
BidpoX a disparu pour l'aire plaie1
.î celui lie Si ndabar.
18 ESSAI
Capoue, juif converti à la foi ci 1 ré tien ne, composa
entre 126*2 et 1278 ■ , une traduction latine inti-
tulée Guide delà vie humaine, ou Paraboles des
anciens Sages 2. Cette version de Jean de Capoue,
comme l'a remarqué judicieusement M. de Sacy 3,
est d'une grande importance dans l'histoire du
Livre de Cailla et Dimna , parce qu'elle est la
source de laquelle sont dérivées immédiatement
ou médiatement plusieurs autres traductions ou
imitations du même livre, écrites en espagnol, en
allemand, en italien, en français, et peut-être encore
en d'autres idiomes, et que c'est probablement par
ce canal que se sont répandus les contes et apolo-
gues qui tirent leur origine du Livre de Calila et
Dimna, et qu'on rencontre dans les recueils de
nouvelles des xivc et xve siècles \
. Jean de Capoue déclare qu'il a
entrepris son travail pour obtenir
la prolongation dcsjours de son pro-
tecteur le cardinal Mathieu, cardinal
diacre du titre de Sainte-Marie m
porticu, et neveu du pape Nicolas
III. Il avait été créé cardinal diacre
en 1 -2(>-j mi 1263, et fut nommé ar-
chiprètre de Saint-Pierre en 1 278, et
prolecteur des Frères Mineurs en
127".). Or, comme Jean de Capoue
ne lui donne pas ces deui derniers
titres, il est probable qu'il n'en était
pas encore décoré. (SilrestredeSacy,
Not.et extr.,i. IX, p. 401.)
^ Directorium humaneviîe alias
parabole antiquorwn Sapientwn,
petit in fol. gothique, avec ligures
en bois , sans date ni lieu d'impres-
sion. V. de la Sema Santander
(Diction, ltibliogr. choisi du \ve
siècle, t. II , p. 578) rapporte cett*
édition a l'an 1480. M. de Sacy pos-
sède dans sa riche collection un
exemplaire de ce rare et précieux
ouvrage , qu'il a bien voulu me com-
muniquer. Le fragment de la ver-
sion hébraïque faisant partie de l'an-
cien fonds hébreu de la Bibliothè-
que du Roi, sous le n. 510, com-
mence avec la fable de l'Homme et
les deux Femmes dans le troisième
chapitre du Directorium humane
vite , au folio 5 recto du cahier qui
a pour signature la lettre F. (Not.
etextr., t. IX, p. 420.)
3 flot, rt <-.rtr.,\. IX, p. 598.
i On verra plus loin que la tra-
51 Et l.KS FABLES INDIENNES. 19
La version latine de Jean de Capoue, de même
que le texte hébreu , offre une singularité en ap-
parence indifférente, mais qui mérite d'être re-
marquée, c'est que le nom de Bidpaï s'y trouve
remplacé par celui de Sendabar, ce qui a donné
lieu de confondre le Livre de Cailla et Dimna ave»
\q Livre de Sendabad , qui en est fort différent.
M. de Sacy pense que ce changement est dû à une
erreur de copiste. Les deux noms de Bidpaï et de
Sendabar s'écrivanten hébreu avec des lettres qui
offrent quelque ressemblance, les copistes ont pu
en effet substituer au nom de Bidpaï celui de Sen-
dabar, et d'autant plus facilement que ce dernier
nom leur était connu par le roman hébreu intitule'
Paraboles de Sendabar '. Peut-être aussi, comme
nous le verrons plus bas, cette substitution a-t-elle
été faite à dessein?
Parmi les versions du livre de Jean de Capoue,
en langue europénne, je remarque d'abord une
ancienne traduction allemande intitulée Exemples
des Sages de raee en race, ou Livre de la Sugcsse-.
duclion latine de Jean de Capoue H en existe trois publiées à Lïm
n'est probablement pas la première en 1483, 1 Wiet 1485; une d'Am-
qui ait été composée. bour^ , datée de I 184 , et trois de
1 SilvestredeSacy, Mot.etexlr., Strasbourg, datées de 1501, 1559
t. IX, p. 403. et 1545. Les gravures en bois don;
* Beispiele (1er Wuisen von lYditioii de l-isr> est ornée, parai<-
geschleehi su geschlecht ou Das sent être non pas une copie, mais
llurh def Wvislteil. La première une imitation de Celles du Dut;
édition es) sans date, et les biblio- torium humant vite de lean de
graphes la rapportent a l'an 1 i7". Gapoue, Celte édition a été don:.'
20 ESSAI
Elle est attribuée au duc de Wurtemberg, Eber-
hard Ier ' ; mais, selon toute apparence, elle a été
faite par l'ordre de ce prince, et tout porte à croire
qu'elle dérive du Directorium hiititàne vite de
Jean de Capoue 2. C'est encore à cette source qu'a
été puisé le livre espagnol intitulé Recueil d'exem-
ples contre les tromperies et les périls du monde 5.
Cette dernière version n'est probablement pas
la seule qui ait été composée en espagnol. L'exis-
tence d'une autre traduction castillane plus an-
cienne, traduction faite sur une version latine an-
térieure à celle de Jean de Capoue, et composée
sur le texte arabe , a été signalée par le P. Sar-
miento,dans ses Mémoires pour servir à l'histoire
de la poésie et des poètes espagnols *, et par don
en détail par A. G. Kœstner. M.
Schnuner a aussi envoyé à M. do
Sacy une notice de l'édition sans
date.(2Vof. et extr. (tes MSS., t. IX,
p. 437-444.)
■ CtJprineo mourut le 5 juin 1 525,
après un règne de plus de soixante
ans. I Biographie universelle, t. LI,
p. 271.)
= Silvestrc de Sacy, Not. et exlr.,
t. IX, p. 445-446.
3 Exemplariocontralos engafio»
ypeligrosdel rrvundo. La première
édition do ce BTfeaété faite à Iîur-
gOS,en 1 49K,in-fol., par Maestro Fa-
driqne Meraan de Basilea. m. Pol-
licer y Saforcada qni on donne une
description détaillée dans son Essai
d'une bibliothèque des traducteurs
espagnols j indique trois autres
éditions de ce livre : deux publiées
à Saragossc en 1521 et 1547, et
une d'Anvers, sans date. Celte der-
nière et celle de 1547 offrent un
texte dont le style a été corrigé, cl
n'ont point de figures en bois Gom-
me les doux plus anciennes (Not.
et extr. des MSS., t. i\. p. 456)
Ce livre est de la plus grande ra-
reté, et M. de Sacy n'a pas pu réus-
sir à se le procurer.
4 Memorias para la Irisloria de
lapoesia ypoetas espanoles, toxno
primera de las obras posthumas
dcl rcv". P. M. Fr. Martin Sar-
mientobenedictino. Madrid, 1775.
— Not. et extr., l. IX, p. 453.
SI B LES FABLES INDIENNES. ±\
Rodriguez de Castro, qui, dans le premier tome de
Bit Bibliothèque espagnole l, en indique un manu-
scrit appartenant a la Bibliothèque de l'Escurial.
D'après une conjecture assez plausible du P. S;ir-
miento, cette version castillane aurait été compo-
sée en 1251 , par l'ordre de l'infant Alphonse ,
depuis Alphonse X, surnommé le Sage. Cette tra-
duction castillane qui n'a pas été imprimée, mais
dont l'existence est suffisamment constatée par le
témoignage du P. Sarmienlo et de Rodriguez de
Castro, est d'autant plus curieuse qu'elle révèle
une version latine composée dès la première moi-
tié du xiuc siècle 2.
i Bibiioteca espafiola. Madrid,
1786; in-t. ►!., t*> P", p. 637 et 638.
' Don Rodriguez de Castro, dans
M ootice il un manuscrit de cette
version castillane, appartenant à la
Bibliothèque de iFseurial, nous
apprend que, d'après une note qui
termine le manuscrit , le Livre de
Calila et Dimna a été traduit de
l'arabe en latin, puis mis en langue
vulgaire [romançado) par l'ordre
de l'infant don Alphonse , lils du
roi don Ferdinand, en 1-299 , de
l'ère d'Espagne, ce qui réponde
1361 de J.-C. Or cette date doit
être inexacte, puisqu'en P2<>1 Al-
pliouse-le-Sage régnait déjà depuis
Bfcul ans, comme l'a remarque M. île
Sacy. il faut donc ou admettre
qu'il y a faute, et lire 1289 (ce qui
répsnd a 1251 de notre ère), ousup-
poser que la date de 1299 est celle
de l'époque ou le .manuscrit i êl
copié, et non de la rédaction du li-
vre. Le manuscrit dont a parlé le
P. Sarmicnto, sur la foi d'un autre
il est vrai, portait, suivant losavanl
bénédictin, la date de 1589 de
1ère d'Espagne, qui répond a 1351
de J.-C, et doit, en conséquence,
être erronée, parce qu'à cette époque
il n'y avait pas un infant Alphonse,
Bis d'Un roi Ferdinand. Le P. Sar-
micnto croit donc qu'il devait j
avoir dans le manuscrit , 1289, CC
qui répond à 1251 de notre ère.
(Silvestre de Sacy, Not. et ext.,
t. IX, p. 433 el 134.)
On peut encore consulter au su-
jet du manuscrit de l'Lscurial. l'ou-
vrage Intitulé Oeiot de Bspafiolei
BtnigradOS. Londres, 1826; t. V,
p. is5. .le suis redevable de . •
dernier renseignement a l'obli-
geance de H. Ferdinand Dénie.
22 ESSAI
11 y a quoique apparence que ce fut cette der-
nière version castillane qui, à son tour, servit de
modèle pour la composition d'une traduction la-
tine, faite par l'ordre de Jeanne de Navarre, femme
du roi Philippe-le-Bel. Au commencement du xive
siècle, cette princesse chargea un savant médecin,
nommé Raymond de Béziers (Raymundus de Bi-
terris),de traduire en latin un manuscrit espagnol '
qui renfermait une version du Calila et Dimna.
Raymond se mit à l'œuvre; il n'acheva son travail
que plusieurs années après la mort de la princesse
qui le lui avait commandé, et il eut l'honneur de
présenter son livre au roi, en 1313, aux fêtes de
la Pentecôte. Un des deux manuscrits de cet ou-
vrage, appartenant à la Bibliothèque du Roi, est
sans doute celui qui fut offert à Philippe-le-Bel ,
comme en font foi la beauté de l'écriture et des
prnemens , et plusieurs miniatures renfermant
des portraits du roi et des princes de sa famille 2.
Une traduction , en langue vulgaire , composée
probablement sur la version latine de Raymond de
Béziers, faisait partie de la Librairie du roi
■ Si l'on en croit Raymond de de Jean de Capoue. Voyez dans les
Béziers, la version espagnole qui Notices et extraits des manuscrits
lui a servi de modèle aurait été faite (t. X, IIe partie, p. 13) , la notice
d'après une autre traduction Lé- de l'ouvrage de Raymond, par M.
braupje; niais M. de Sacy pense, au Silvestre de Sacy.
contraire, que le livre de Raymond "Ce manuscrit, qui est intitulé
décèle en plusieurs endroits unori- JAbcr de Dina et Kalila, porte le
ginal arabe. Le docteur a mis en ou- n° 8604.
tre à contribution la version latine
SUR LES FABLES INDIENNES. 23
Charles V, ainsi que le prouve l'inventaire de
Gilles Mallet ' ; mais ce manuscrit est malheu-
reusement du nombre de ceux qui se sont perdus*,
Quant aux deux ouvrages que Gabriel Cottier
et Pierre de La Kivey s publièrent , le premier en
15565, le second en 1579 '*, ils étaient traduits de
deux imitations très libres du Calila et Dimna ,
ayant pour type la version latine de Jean de Ca-
poue, et composées par Ange Firenzuola et le
Doui, auteurs florentins du xvie siècle.
C'est en 1644, pour la première fois, que parut
■ Item ung livre de Quilila et do
Dymas, moralités à propos aux es-
tais du mondes rymé et hystorié.
Lscripl de lettre tonnée à deui cou-
lombes, commençant ou 11° feuil-
let qu'il conviendra et ou dernier
trembler pour sa mort, et est si-
gné du roy Jehan, couvert de cuir
vert à deux fermaux de laton. (In-
ventaire de la Bibliothèque de
Charles V, chambre basse, n°159,
manuscrit de la Bibliothèque du
Roi, n" 8354).
> La Rivey est beaucoup plus
connu comme auteur dramatique,
et son théâtre est encore aujour-
d'hui recherché des curieux. ("Voyez
\ Histoire de la poésie française au
seizième siècle , par M. Sainte-
Beuve.) Ot\ doit aussi à La Uivey la
traduction des Faee'cieuses uuicts
de Straparole.
3 Plaisant et facétieux discours
sur les animaux. Lyon . 1656;
in-iii. Cet ouvrage est la traduction
de celui de Firqnzuola qui est inti-
tulé La prima veste de discorsi
degli animait , et qui se trouve à
la tête du recueil imprimé sous le
titre de Prose di M. Agnolo Firen-
zuola, Fiorentino. In Fiorenza,
1348; in-8°.
4 Deux livres de filosofie fa-
buleuse j le premier prins des dis-
cours de M. Ange Firenzuola, Flo-
rentin... le second, extraict des
traiclez de Sandebar, Indieu, phi-
losophe moral,... par Pierre de La
Rivey, Champenois. Lyon, 1570;
in-iG. La seconde partie do l'ou-
vrage de La Uivey est extraite de
celui de Doni qui a pour titre La
ftlosofia morale del Doni traita
da molli antichi scrittori. Ycnezia,
155-2; in-'i". Wallon. d;m> mi Dis-
sertation sur les Gesta romanorutn
(The hisioii/ of cnglislt poetry.
Londoii , 1824 ; vol, l, p. c< nviu)
cite de ce dernier ouvrage la vei
sion anglaise suivante : Donietmo-
r ail philosophie, translated from
the indian longue 1570; in 1
±ï
ESSAI
une version française des Apologues de Bidpaï ,
faite directement d'après une langue orientale.
Le Livre des Lumières de David Sahid l est la
traduction des quatre premiers livres de YAnwari-
Sohaili (Lumières canopiques) , c'est-à-dire de la
version persane du Livre de Calila et Dimna -, et
cet ouvrage doit être signalé parce qu'il a fourni à
La Fontaine 5 plusieurs de ses belles fables. Plus de
vingt ans après, en 166(>, le P. Poussines, savant
jésuite, donna, sous le titre $ Exemples de la Sa-
gesse desanciens Indiens % une traduction latine du
Calila et Dimna, composée sur la version grecque
■ Livre des Lumières, ou la Con-
duite des roys , composé par le
sage Pilpay, indien ; traduit en
françois par David Sahid d'Ls-
pâhan, ville capitale de la Perse.
A Paris , chez Siméori Pig !t, 1644 ;
petit in-8°. M. de Sacy (Notices et
r.rlraitsdrs jtfSS., t. IX, p. 480)
pense que l'orientaliste Gaulmin a
eu beaucoup de part a cette publi-
cation.
L'ouvrage de David Sahid ou
de Gaûlmin a été public de nou-
veau à Paris, sans nom d'auteur, en
1698 , S'iis le titre suivant : Les
Fables de Pilpay, philosophe in-
dien, on lu Conduite des rois. Le
nom du traducteur e-,î supprimé
dâi - cette édition , ainsi que l'èpt-
ire dédicatouré , et le style de l'avis
an lecteur et il" la traduction a été
retouché souyenl fort maladroite-
ment. Les mots Fin de la pre-
mière partie , qui terminent l'é-
dition de 1044, ont été suppri-
mési M . de Sacy (Notices et extraits
>lrs MSS., t. X , p. 427) signale
une troisième édition conforme à
la précédente et intitulée Les Fa-
bles de Pilpay, philosophe indien,
ou la Conduite des grands et des
petits. A Paris et a Bruxelles, 1698;
in-1-2.
» Voyez ci-dessus, p. 14.
3 Les six premiers livres desFa-
blesdcLa Fontaine, dont iapremière
édition est île 1668, ne renferment
aucune fable orientale ; c'est dans
les cinq nouveaux livres de Fables,
publiés pour la première fois en
lf>7X et Ki70, que se trouvent les
imitations de Bidpaï.
î Spécimen Sapicntiœ Indorum
veterum. Cette version latine esl
mis6 en appendice a lasuiledu pre-
mier volume île l'Histoire j/recque
de Michel Paléologue, par Georges
Pacbvnere. Home; 1 vol. in-folio.
SU! LES FABLES INDIENNES. - »
deSiméonSeth.Le grandvolume in-folio qui recèle
ce travail n'a point échappé ii la curiosité «lu l>on
La Fontaine, et on trouve dans son recueil j>lu-
sieurs fables qu'il n'a ]>u puiser qu'à celte source '.
La version de Y Homayoun-nameh - que le oé^
lèbre traducteur des Mille et Nuits avait com-
posée, ne parut qu'après sa mort5, et ce ne fut
■ Le Directorium humanc vite
de Jean de Capoue est un livre
beaucoup trop rare pour que l'on
puisse croire que La Fontaine l'ait
consulté. Il est donc bieu plus vrai-
semblable que c'est d'après la ver-
sion du P. Poussines qu'il a com-
posé plusieurs fables dérivées du
Calila et Dimna,e\ qu'on ne trouve
pas dans le Livre des Lumières qui,
ainsi que je l'ai dit , n'offre que la
traduction des quatre premiers cha-
pitres de I' Inwari-Sohaïli. La
Fontaine entretenait , selon toute
apparence, des relations avec le sa-
vant Huet, précepteur du dauphin.
Ce dernier s'était occupé d'un travail
de comparaison entre le Livre des
Lumières et la version latine du
P. Poussines, ainsi que le prouvent
des notes de sa rnain écrites en
marge d'un exemplaire du premier
de ce-- deui ouvrages que la Biblio-
thèque du Roi possède sous le
ii'' i: 1063. H est donc très possible
que La Fontaine ait dû au docte
Huet l.i connaissance du Spécimen
SapientioB Tndorum retenait qui
>e trouve comme noyé dans la col-
lection des historiens byzantins. Re-
marquons d'ailleurs que les in-folio
< lle-tiadu; tion-l ititHNn j l'Invu: al
pas la paresse duBon-Hommeaulant
qu'on pourrait le croire, et que c'é-
tait dans le latin qu'il lisait Platon
avec tant de délices. M. UoberU.Es-
sai sur les fabulistes qui ont pré-
cédé La Fontaine, p. ccxxu), avait
déjà remarqué que plusieurs sujets
traités par La Fontaine ne se trou-
vent pas dans le Livre des Lumiè-
res, mais seulement dans le troi-
sième volume des Fables de Ili'/pa)
traduites par Cardonne, volume qui
n'a paru qu'en 1T7.S, et il n'avaii
pu expliquer ce fail qu'en suppo-
sant quedes traductions manuscri-
tes avaient été communiquées à no-
tre fabuliste; niais bien que je ne
veuille pas nier absolument la pos-
sibilité de communications de ce
genre . j" crois que pour les Fables
deBidpal cette supposition est tout
à-fail inutile.
\ oyez ci-dessus, p. 16.
3 Les f "on tes et Fables indiennes
de Bidpat et deLokman, tradui-
tes d'Ali- TcKëtebi-ben-Salehj au-
teur turr;truvrr posthume , JXH
M. Galland. Paris, 1754; 2 vol
in-12.
<m a remarqué avec raison qui
ce titre n'est pas exael . puisque
Lokman n'est pour tien dans les f,i-
2(> ESSAI
que long-temps après que Gardonne ' la compléta.
Enfin la série des traductions du livre de Calila
et Dimna, en langues européennes, est close par
une version anglaise ~, et par deux versions alle-
mandes 3, composées sur l'édition du texte arabe
bles de l' Homayoun-namch.Nùs
ce n'est point l'éditeur du livre, ni
Galland lui-même qu'il faut accuser
de celte bévue. On lit dans le second
volume, p. 257 : « Quelques fables
de Lokman, que je vais vous con-
ter, vous feront mieux comprendre
quelles sont les douceurs d'une
amitié réciproque. » M. Dubeux ,
mon ami, qui a bien voulu, à ma
prière, examiner ce passage dans
quatre manuscrits turcs de l'iîb-
mayoun-namehj n'y a pas trouvé
le nom de Lokman; mais il est très
probable que par suite d'une inter-
polation duc à l'ignorance d'un
copiste, ce nom se trouvait dans le
manuscrit que Galland avait sous
les yeux. On remarque, il est vrai,
dans Y Homayoxm-nameh 3 de mê-
me que dans V Anwaiï-Sohaïli ,
dont le livre turc n'est qu'une tra-
duction, des fables étrangères au
Calila et Dimna; mais ce sont des
apologues qui ne font point partie
du recueil de Lokman.
Le travail de Galland a été repro-
duit avec quelques altérations dans
un livre imprimé a Hambourg, en
1750, et intitule labiés politiques
et morales de Pilpaï , philosophe
indien, ou la Conduite dis grands
et des petits, revues , corrigées et
augmentées par Charles Mouton,
secrétaire et maître de langue de
la cour de S. A. S. et R. Monsei-
gneur l'évêque de Lubeck, duc de
Slesvig-Holstein, etc. Quoique ce
titre soit celui d'une des réimpres-
sions du Livre des Lumières, M. de
Sacy, qui a examiné l'ouvrage, a
reconnu que c'est la traduction de
Galland, et non celle de David Sa-
bid , que Charles Mouton a repro-
duite(iVo/.e7 ex/r.,X,p. 450). Cette
prétendue traduction a été l'original
d'une version en grec moderne ,
publiée à Vienne en 1783, sous le
titre de M'j6oXo-)".xbv rAix.o-izoli.Tix.ov
Tiû ttikitaUSoç ; Iv^cj cpiXcao'oou, h.
~7i;TeùJMr,; etçTÀvinu.ETepow Sid'Aix.-
tcv jj.sra'yfaaôî'v.
> Contes et Fables indiennes de
Bidpai et de Lokman , ouvrage
commettre par feu M. Galland,
cotitinuc et fini par M. Cardonne.
Paris, 1778 ; 3 vol. in-12.
' KalUa and Dimna or the
fables of Bidpai , translated frotn
the arabic by the rev. Wittd-
ham Knatehbull. Oxford, 1819;
in-lS".
ZCalila und Dimna, eine Reihe
moralischer und politischer Fa-
beln des J'hilosophen Bidpai, aus
dem arabischen iiberselzt von c.
II. Hoimboe. Christiania, 185:2.
Die Label n Bidpai's, aus dem
arabischen von Philipp Ho///.
Stuttgart, 1837 ; in-18.
SLU LES FABLES INDIENNES. '±~
que M. de Sacy a publiée en 181G, édition qui est
précédée de l'excellent mémoire historique que
j'ai eu souvent occasion de citer.
L'élude des productions de la littérature indienne
ne date, comme on sait, que des dernières années
du xviiic siècle , et ce n'est même que depuis vingt
ans que cette étude a fait de véritables progrès en
Europe. Jusqu'au moment où l'on a commencé à
exploiter celte mine si riche et trop long-temps
ignorée, l'original indien du recueil attribué à L»id-
paï, celui d'après lequel le médecin Barzouyeh avait
composé le livre intitulé par lui Calila et Dimna,
est resté enfoui dans l'Inde, et l'on aurait pu douter
de l'authenticité du récit qui attribuait aux Indiens
l'invention de ce livre, si des détails offerts par le
livre même n'avaient ôté foule incertitude à cet
égard '. aujourd'hui le doute n'est plus possible et
les travaux de l'illustre Colebrooke et du savant
M. Wilson permettent de compléter l'histoire de
cet ouvrage célèbre. L'original indien du Livre de
Calila et Dimna, ou des labiés de Bidpaï, est écril
en langue sanscrite et intitulé Pantcha-tantra (les
cinq sections), ou Pàntcl opâkhyâna* (les cinq col-
lections de contes). La rédaction actuelle de ce livre
■ SiIm'siic do Sacy, Mém, hist. (tonal translations by Boract
p. r>-7. — Nui ires et extr., t. X, Hayman Wilson. ( Transactions
p. -iô.x, l" partie. of tlte royal Asiatic suriety of
■ Analytical account ofthePan- Great-Britain and Ireland.vol. I.
eha-tantra illustrated with oeea- London, W87; in- * .)
28 LSSA1
n'est probablement pas très antérieure à l'époque
où Chosroès Nouchirvan envoya dans l'Inde le
médecin Barzouyeh , pour qu'il se procurât ce
célèbre traité de morale et de politique ', Jusqu'il
présent il n'a été ni publié en sanscrit ni complè-
tement traduit dans une langue européenne. Seu-
lement le savant indianiste Wilson en a donné une
analyse avec quelques extraits dans le premier
volume des Transactions de la société asiatique de
Londres, et M. l'abbé Dubois en a publié à Paris,
en 1 826 , une traduction très libre , composée d'a-
près trois versions appartenant aux langues vul-
gaires de la presqu'de de l'Inde 2.
> La fable du premier livre du
Pantcha-lantra ayant pour titre
le Crabe et la Cigogne, renferme
la citation d'un passage des écrits
astronomiques de Varàha-inihira.
L'illustre Colebrookc, dont les
orientalistes déplorent la perte ré-
cente , considère celte citation
comme la preuve de l'antériorité
des écrits de l'astronome à l'égard
du Pantchu-iantru, et comme un
nouvel argument qui s'ajoute à
ceux qui l'avaient déterminé à
placer l'existence deVaràha-milii-
ra dans le v siècle de notre ère.
(Préface de l'édition de VHitopa-
désa publiée à Sirampour, p. v .
Wilson, Anàlytical account ofthe
Pancha-tantra , p. 163. — Préface
du Dictionnaire sanscrit. Calcutta,
181*.»; p. xiv.) Il en résulte naturel-
lement que le l'mitrha-tantra a
dû recevoir la forme qu'il a main-
tenant vers la lin du ve siècle , et
que la renommée de ce livre s'é-
tait répandue promptement hors
de l'Inde, puisque c'est dans le
siècle suivant que Nourchirvan le
lit traduire en peblevi.
* Le Pantcha - lanlra , ou les
cinq lluses, fables du Brahme
Vichnou - sarma ; Aventures de
Paramarta et autres contes , le
tant traduit pour la première fois
sur les originaux indiens, par M.
l'abbé J. A. Dubois, ci-devant mis-
sionnaire dans le Meissour, etc.
Paris, 1826; in-8°.
« Le choix que nous publions ,
dit M. l'abbé 1 » u 1 «i > is dans sa pré-
face, a été extrait sur trois copies
différentes . écrites l'une en ta-
rnoul, l'autre en télougou, et la
troisième en cannada, sous le titre
de Panlcha-lantra , qui signifie
les cinq ruses. Nous avons tiré de
SUR LES FABLES INDIENNES. 29
Le Pantcha-tantra a été plusieurs l'ois imité ou
abrégé dans son pays natal, et il n'est peut-être pas
un seul des idiomes vulgaires de l'Inde qui n'eu
possède une traduction plus ou moins exacte. On
en a cite deux imitations en sanscrit même. L'une
est intitulée Kathâmrita-nidhi ', ou Trésor de l'Am-
broisie des contes; l'autre , beaucoup plus célèbre
et bien plus répandue , a pour titre Hitopadésa , ou
Instruction salutaire. Le texte de ce dernier ouvrage
a déjà été imprimé trois fois - ; et la dernière édi-
tion , due aux soins de MM. de Schlegel et Lassen,
ne laisse rien à désirer 5. Deuxsavans indianistes,
Charles Wilkins * et William Jones8, ont publié cha-
cun une traduction anglaise de X Hitopadésa , et
M. de Schlegel en promet une que l'on attend avec
impatience. V Hitopadésa a été traduit du sanscrit
en persan, sous le titre de Mofarrili-alcolouh , ou
cet ouvrage tous les apologues qui en 1810, n'est pas moins incor-
peuvent intéresser un lecteur eu- recte que l'autre.
ropéen, el bous eu avons omis plu- i Hitopadesas, id est institu-
Mcurs autres dont le sens et la tio salutaris. Tcxlum corfrf. mss.
inorale ne pouvaient être enlen- collatis recensuerunt... A. G., à
dus que par le très petit nombre de Schlegel el Ch. I.assm. Bonnœ ad
personnes versées dans les usages Rhenura, 1839; in-4
et les coutumes indiennes aux- 4 The Beetapades <>f Veeshnoo-
(juelles ces fables font allusion.» sanna... translated from an an-
P. vin.) dent manuscript inthe tantkreei
iCtAébtook.e,Tranêlationsofth$ Umguage with explanatory notes
royal msiatic tociety , 1. I, p. 12<k». by Charles Wilkins. Dath , i787;
■■> La première édition publiée a in-8».
Sirampour en 1804, par Carey, est s Hitopadésa af Vishnu-sar-
trés fautive el ne se recommande man. (Works 0 f sir William Jo-
queparune préface de Colebrooke. nM.Londoa, 1799; in-4 roi ¥1.
! 1 lecodde qui a paru à Londres
VÊlecùmin I mjtj , et cette demi sîon
a été Induite en hindoustani, 9oas le une de
Ekhlaki-ll mdi * , ou Ethique indienne. Une antre
version hindoustanie . intitulée Khired-
VlUtnninateiir de f Entendement, a été compos
en 1803, sur VEtjari-danich, c'est-à-dire sur la tra-
dw lit >n persane d'Abou'lfazl.
Après avoir énumeré les difïërentes traductions
<>n imitations de l'original des Fables «le Bidpai '.
est-à- lire dm Pantcha-unUra . tant en Kan i
orientale qu'on langue européenne . je i rois à ;
de donner un court précis de ce livn
1 Pantcha-UuUra, ainsi que l'indique ^n titre,
e>t divise en cinq sections précédées «l'une in:
dnction qui établit un lien entre le> cinq parties
de l'ouvrage. Chaque section se compose d*un i
gue principal . dans lequel sont encadres d'autres
<J .ie cet ouvrage pri^a. ar-
dan> les Xotieti s it* » -ardu Veda. mais tout
manuscrits, t. \ 39 «.via est fort dou
• Vkhlaiji B f Indian bue» I
• Calcutta. ' p. u. et
h tke %Uu- . réeis
'.or of the understanding, de I'idiIv».; du Pwttcka-tamtrti .
i'd ami prepet raposee JM ■ W - I après
I I v 11 I i H La BiNiotheqwe
Calcutta. 1815. du I. uu manuscrit du
du nom de Bidptri Pantrka-tantra en caractères ru-
Kartt, MÙïi jl (titfas. nuis, outre que U lec-
oe nom «lénifie médecin eompa- tare de ce manuscrit est très fali-
. la rapproché en coosé- puante . il offre une redacti
quence du mot MMaU l'aidya . abresee et si différente de celle
qui suroît M.Wli juejen'ea
i ■ : ai pu tirer qu'un faible
M B il s I iBLES IHDIElUtl Si 3i
apologues récités à l'appui d'une moralité par i«-s
personnages de la ÊûSle principale, et Bernés de vera
sentencieux '.
Dans l'introduction*, Amara-sacti, r<»i de Mi-
hilaropya3 (Meliapour), ville de l'Inde méridionale,
ayant trois fils également dépourvus de savoir ci
de zèle pour L'étude, convoque ses conseillers)
leur expose les inquiétudes que font liailreen lui
l'ignorance et l'inapplication <le ses enfans, et leur
demande le moyen «le tirer les jeunes princes de
■ J'ai dit plus haut ( royei ci-
dessus, p. " i qu étaient
empruntes mi productions de la
littérature indienne. Je forai re-
marquera "'tt casion, que ')'"iv
des itam ea <ln premier inre du
Pantcha-tantra ' MS. taltnga, Fol.
i première commençant
pU lei m itl sanscrits MOdlpom-
I . la -or, ni.lc pu liini/niila-
tehdlatuun . m retrouvenl dani la
renioii arabe da Calila et Dimna,
presque sans aucune altération, en
dépit do l'infidélité ordinaire dea
traducteur! orientaux. (Voy. dans
la traduction anglaise intitulée ha-
Ma and Dimna . p. 89 el 90, la
phrase qui commence ;>ar : Per-
aona wko hm t no i m rgy of eha-
(ait me semble d'au-
tanl plus curieui , nue les deux
itancea sanscrites dont y parle
■ ■lit été empruntées par le i
leur du Pantcha-tantra au\ Cmna-
it Hlmrtri-llari , frère du
^ iki.iin.iiliiv.-i , que lui) inp
ifota réeu dam le tiède qui
■ i>n cédé notre ère Ge ion1 le-
stanee- 23 el 26 de la seconde
Centurie. Voyez Bhartri- Harii
- i.ricr. edidii /'. à Bohlen.
Berolini, W"> ; in-4 , p. '»<>. 41 ,
100, ISG, 1S7. ; f>r, la pn
- deui itancea . dans le Pan-
tcha-tantra me parait prouver que
fourrage auquel elles ont été em-
pruntéea esl antérieur au r* siècle
de notre ère, époque a laquelle m
présume que le Pantcha-tantra a
pu étr<' rédigé; il esl permis .ih,r<
de regarder comme fondée l'opi-
ni , ii des Indiens sur l'époque ■> la-
quelle \ rrail Bhartri-Hari.
> Wfison, dnolyiical aoeounl
of tht Paneha-tantra, p. 158,
169.
i a US. lalinga <t l HUopadé-
sa. pi. i' 'ut la scène i Pdiol(pou-
tta. \ ille ou l "ii reconnatl la Po-
libothra de Ifégaslhènes . n si
dence du r^i Sandracoptus ou
Tchandragoupta. | Voyei la 1 1
de la traduction du drame sen«
•.■m intitulé MouJra-Rdh
j'.n M \\ il-, ii
32 ESSAI
cette mauvaise voie. Un des conseillers lui fait
l'éloge du profond savoir du Brahmane Vichnou-
sarma , et l'engage à confier à ce savant homme
l'éducation des jeunes princes. Le roi mande
Vichnou-sarma , qui promet d'apprendre en six
mois , aux lîls de son souverain , la morale et la
politique (Niti-sâstra).
Le docte Brahmane prenant sous sa direction
les jeunes princes, compose, pour leur usage, les
cinq chapitres du Panlcha-lantra. Par la lecture
de cet ouvrage, les facultés intellectuelles de ses
jeunes élèves s'étant développées à un haut degré
en six mois, le Pantcha-tantra acquit dans le
monde une grande renommée '.
Le premier et le plus étendu des cinq chapitres
du livre sanscrit est intitulé Milra-bhéda, ou la
Rupture de V amitié, et répond au cinquième cha-
pitre du Cailla el Dimna -. 11 a pour but de mettre
en garde les rois contre les artifices et les manœu-
vres perfides que des fourbes adroits emploient
pour parvenir à semer la division entre un prince
et ses amis les plus dévoués. Les personnages de
> Celle introduction ne se trouve mihr, ministre de Nouchirvan. Ces
pas dans le Calila cl Dimna. i-Wc trois chapitres sont en outre précé-
y est remplacée par un récit de la dés d'une introduction composée
mission de Barzouyeb dans l'Inde, par on auteur plus moderne. J'en
enquête du Livre de Calila et Dim- donnerai plus loin un précis.
no, par une dissertation d'Abdal- * Kalila and Dimna, p. 82 -
lahsnrce livre, et par une histoire 160. — Livre des Lumières, I"
'le Barzouyeb attribuée à Buzurj- chap., p. 47 — 141.)
si R LES FABLES ENDI1 3 I
l'apologue principal sont le roi lion Pingataca,\e
taureau Sandjivaca, son confident, et deux chacals
courtisans <lu lion , nommés Carataca et Damana-
ca , et dont les noms ont été altérés dans la version
arabe en ceux de Cailla et Dimua. Jaloux de la
faveur de Sandjivaca, ces deux chacals réussissent,
par leurs rapports calomnieux, à persuader au lion
que le taureau conspire contre lui , et au taureau
que le lion en veut à sa vie. La mort du malheureux
favori, tué par son maître , est la conséquence de
cette trahison.
Les contes ou apologues encadrés dans ce petit
draine sont au nombre de vingt-six1; mais je ne
signalerai ici que les plus intéressans, et surtout
ceux dont <>n retrouve des imitations dans les cou-
leurs italiens et français. Une des premières his-
toires intitulée Aventures de Déva-sarma* se com-
pose elle-même de plusieurs ineidèns ou épisodes.
Dans le premier"', Déva-sarma voit deux béliers
■ Tous les MSS. ne donnent pas duction de l'abbé bubois, p. 7G) el
exactement l»1 même nombre. dans les diverses traductions orien-
■■> \\ ilsiin. Anal, accowtà, p. 162. taies de ce livre. <»n le retrouve dans
— Kalila and J)inoia,p. 10G. — ' le roman dultenart (Robert, Essai
Livre des Lumières, p. 70. — . sur les fabulistes qui ont précédé
Contes et Fables indiennes, tra- LoFontaine, p. civi), d'où il a passi
duiles par Galland ri Car donne, dans un recueil intitulé Food <
t. 1, p. 310. e'parses, analysé par H. Robert
s M. Wilson énonce l'histoire de dans le même Essai i p. icvui). Je
Véva-sarma, sans en indiquer les rencontre dans le Calila n Dimna
épisodes. Celui des deux béliers se arabe el dans les versions pei
trouve dans le Pantcha-tantra et turque, un autre incident que
I 1/N. talinga , toi. 'i \ erso ; — ira- n'offre pas le seul MS. du Panteha-
34 LSSAI
lutter avec tant de rage , que la terre est arrosée
de leur sang. Un chacal s'approche pour lécher ce
sang, mais, au moment du choc, il se trouve pris
entre les têtes des deux béliers et écrasé sur la
place. Le second incident est un de ceux que les
conteurs français et italiens se sont plu particu-
lièrement à reproduire : — Une femme de mauvaise
conduite est battue par son mari , qui l'attache à
un pilier et se couche ensuite tranquillement. Lors-
qu'il est endormi, la prisonnière, délivrée par la
confidente de ses amours , court h un rendez-vous,
et son amie se met à sa place. Au milieu de la nuit,
le mari se réveille et adresse de nouveaux repro-
ches à celle qu'il prend pour sa femme. Furieux
de ne pas recevoir de réponse, il coupe le nez à la
malheureuse , puis se recouche et se rendort. Après
le rendez-vous, la femme vient reprendre sa place,
la confidente se sauve emportant son nez coupé ,
et le lendemain matin le mari voyant le visage de
sa femme sans blessure , croit que c'est un miracle
des dieux en témoignage de son innocence , et lui
demande pardon1. La femme au nez coupé rentre
lanlra que j'aie ;i ma disposition. suivie par M. Dubois soit moderne
C'est l'histoire , assez ignoble du et qu'elle ait mis à contribution la
reste, d'une vieille femme qui traduction d'Ali. (u'ifazl quiest assez
s'empoisonne elle-même en vou- répandue dans l'Inde,
lant empoisonner un jeune homme. ■ Ce conte se retrouve, plus ou
Le Pcmtcha-tantra , traduit par moins modifié dans le Décaméron
l'abbé Dubois . donne cette fable ; de BoccacefVII» journée, vm« non-
mais il est possible que la version velle ; dans le fabliau des Che*
SUR LES FABLES INDIENNES. 35
chez son mari qui est un barbier. Le matin, le
barbier demande à sa femme la boite à rasoirs;
elle lui donne un rasoir à la place , et il le lui
jetle avee colère. Elle crie aussitôt que son mari
lui a coupé le nez, et court porter plainte devant
le magistrat, qui condamne le barbier. Mais l)év;j-
sarma, qui a tout vu, parait et fait connaître la
vérité '.
Le conte qui suit l'histoire de Déva-sarma roule
sur une fiction indienne qui nous est familière,
grâce aux Mille et une Nuits et aux romans de
chevalerie. Un aventurier amoureux d'une prin-
cesse, s'introduit dans son palais au moyeu d'un
oiseau de bois, mis en mouvement par la magie ,
et se fait passer pour le dieu Vichnou 9. — La fable
veux coupés, par Gaério ( Fa- la traduction anglaise , composée
hliau.r de Legrand <r Aussi/. Pa- par M. Jonathan Scott).
ris. 1829; u>8° , t. II, p. 540); - Le Fetâla-yantchaomsati of-
(ians les Cent Nouvelles Nouvelles fre un conte qui dérive évidemment
(n. ôS.unc verge pour l'autre); de la seconde partie de celui-ci.
dans le recueil de Malcspini (Nov. (Voyez WJ.'//m/ Puchisi, translate ;
xi,); dans le conte de La Fontaine , by Rajah Salée- Krishen Behadw
iaiitu\èlaGagewedestroisCommè' Calcutta, 1834; p. 5 .)
res; et enfin dans une pièce de Mas- • Le Vrihat-Kathâ, ou grand ré-
sinier, intitulée le Gardien. ( Voyez cueil de contes, en renferme un
{'History of fiction, parDunlop, intitulé Histoire de la fondation
t. II, p. 315.) On le rencontre aussi de In ville du Pdtalipoutra , le
dans plusieurs recueils indiens, quel présente beaucoup de rapport
savoir : VHitOpadésa i the lire- avec celui dont je viens de parler,
topades, translatée by Wilkins, ainsi que l'on peut en juger par la
p. i r» i ), les Contes d'un Perroquet traduction allemande que m. Bro-
i Ibott-nameft.London,1801;p.98; ckhaus en a donnée. (Grilndung
traduction française de M» Marie der stadt Patalipatra und Gts-
d' Heures. Paris, 1826,p.96,)et le chichte der Vpahosa. Sanskrit
Behar-Danisch (t. II, p. 84 de unddtutseh von Hermann Bror*
36 ESSAI
suivante, intitulée ' les Deux Corneilles et le Ser-
pent , en renferme une autre ayant pour sujet la
Cigogne, le Crabe cl les Poissons2 , et que nous re-
trouvons en dernier lieu clans La Fontaine5, qui
l'avait empruntée au Livre des Lumières de David
Sahid. Mais le dénouement et le sens moral de la
fable indienne sont fort différensde ceux de la fable
française. Dans la première, la cigogne, après avoir
kaus. Leipzig, 1855; in-8°, p. 5.
— Voyez aussi le Quarterly Orien-
tal Magazine. Calcutta, in-8",
18-2 i; vol. 1 , p. 68). C'est évidem-
ment de cette fiction indienne que
dérivent le Cheval enchanté des
Mille et une Nuits ; l'Histoire de
Malék et deSchirine dans les Mille
et un Jours; celle de Mazeu dans
la continuation des Mille et une
.Yu/fs, traduite en anglais par M. Jo-
nathan Scott (London, 1811 ; vol.
VI , p. 285; ; et celle du Labou-
reur et du Char aérien dans l'ou-
vrage du même orientaliste, intitu-
lée Taies anecdotes and terrera
translatai from th:> aiïabic andthe
persian. (Snrewsbury, 1800; lvol.
in-8° , p. 7.) La licîion du Cheval
magique a pénétré de bonne heure
en Europe : elle fait le fonds du ro-
man (te Clamadès et Claremon-
de, composé vers la fin du im«
siècle par Adencs, et on la trouve
aussi dans l'Histoire des doux no-
bles et vin. iers Valeu-
tin et Orst la Bibliothè*
i.iai, 1777, p. 122
al suiv.) L'idée de pouvoir, avec le
la magie , se transpor-
ter rapidement d'un lieu dans un
autre , parait avoir singulièrement
séduit les Indiens, et presque tous
leurs conteurs s'en sont emparés. On
retrouve un char ou un cheval ma-
gique dans les Contes du Perroquet
(trad. angl.,, p. 115;— trad. franc.,
p. 1 Î5) ; dans ceux du Vétala (Bij-
tal Puchisi. Calcutta, 185i;p.55);
dans le Trône enchanté (conte in-
dien traduit du persan par Les-
callier. New-York, 1817; t. 1er,
p. l'.ll; ; et dans le Behar-danich.
(Voyez la traduction anglaise, t. II,
p. 288.) Le fameux Chevillard du
])<>n Quichotte est moins une imi-
tation qu'une critique plaisante de
la fiction orientale.
1 Les fables indiennes ne portent
pas de titre comme les nôtres : elles
commencent toutes par une stance
de deux vers qui résume le sujet de
la fable cl en énumère les person-
nages.
= Wilson, Anal, ace., p. 105. —
Kal. and Ditn., p. 115. — Livre
des Lumières, p. 92. — ■ Fables in-
diennes , I , p. 557. — Heetopades,
p. S 14.
3 Les Poissons ri le Cormoran,
La Fontaine, liv. X, lab. 4.
SLK li.> FABLES INDIENNES.
dévoré les poissons, est elle-même étranglée par
un crabe.
Trois fables après celle-ci, j'en rencontre une
bien curieuse, en ce que, malgré les altérations
qu'elle a subies, il me semble impossible de ne
pas reconnaître que c'est delà que dérive un des
chefs-d'œuvre de La Fontaine : les Animaux ma-
lades de la peste*. Une courte analyse suffira pour
le démontrer. — Un tigre, un corbeau et un cha-
cal, courtisans d'un lion, admettent, parmi eux,
un chameau qu'ils rencontrent dans la foret. A
quelque temps de là, le lion étant malade et de
grandes pluies avant empêché les serviteurs du lion
de se procurer du gibier, ils se voient menacés
de mourir de faim avec leur maître. Us pensent
alors a hier le chameau; mais craignant (pie le
lion ne veuille pas consentir à tuer un animal au-
quel il a accorde sa protection, ils s'avisent d'un
stratagème, et viennent, l'un après l'autre, s'offrir
au lion pour lui servir de pâture, ce qu'il refuse.
Le pauvre chameau vient offrir à son tour dese
dévouer pour le salut commun , et (oui atissiiùi !<■
tigre se jette sur lui et l'étrangle*.
• Liv. VI, fab. 1. La Fontaine (loin. Paris, 1050; p. 65.) Philel-
avaii probablement imité sa fable phe, qui écrivait dans la première
de la douzième de François Phi- moitié du x y* siècle, avait vrais
lelphe, laquelle est intitulée leLoup, Maniement puisé dans le i>i
ir Renard, et V in e. (Voyez les fa- rium humant rite de Jean d
blés dr Philelphe, poète latin, tr a- poue.
duites et moralisées par Jean Bail- \\\\- n t".;1 an 164
38 ess.u
Un peu plus loin, je trouve un autre apologue
traité par La Fontaine, la Tortue et les deux Oies \
( apologue qui n'est pas sans quelque rapport, ce
nie semble , avec celui du recueil ésopique qui a
pour titre l'Aigle et la Tortue'2), et une fable inti-
tulée l'Eléphant détruit par le Moineau, le Pivert,
la Mouche, et la Grenouille 3, qui rappelle la fable
si bien connue du Lion et du Moucheron 4. Les
Jeux fables indiennes que je viens de citer, of-
frent assez de ressemblance avec les apologues
ésopiques que j'en rapproche, pour que l'on puisse
croire que c'est dans l'Inde que se trouve l'origine
de ces derniers. Les matériaux qui ont servi à la
composition du Pantcha-tantra sont évidemment
beaucoup plus anciens que ce livre, et il est per-
mis de supposer que quelques fables indiennes on!
pu, de bonne heure, pénétrer en Perse, et de là
se répandre en Orient. Je n'insiste point sur cette
hypothèse, qui aurait besoin d'être confirmée par
études plus approfondies ; mais nous aurons
encore occasion de remarquer plusieurs exemple
Panlcha-lanira , trad. par l'abbé p. 234. — La Tortue et les deu.-
Dubois, p. 104. — Kalila and Canards, La Fontaine, X, 3.
Dimna, p. 158. — Livre des Lum., » Esope, M it.de Cora y, fable 01,
p. lis. — Fables ù tiennes, t. Il, p. 37.
p. 87. — Hcctopadcs,\). 202. 3 Wilson , Anal, ace, 104. —
■ Wilson, Anal, ace, 104. — Pantcha-tantra , trad. franc..
Pantcha-tantra, p. 109. — Kal. p. 85.
and D'un. , p. 146. — I.iv. des 4 La Fontaine, II, '.). — Esope,
Cum.,p. 124. — Fabl t indiennes, édit. de Coray, fable 146, p. SR.
t. M , p. 112. - //" topades
SI il LES FABLES INDIENNES. 30
de rapports entre les fables indiennes et celles du
recueil ésopique.
Je passe trois fables d'un intérêt médiocre, el
que n'a pas reproduites le Calila et Dimna , <t
j'arrive à un conte assez joli qui aurait mérité de
trouver place dans le livre arabe. Un roi d'Ayodhyà
(Aoude), nommé Pourouchottama, devient la dupe
d'un sramanaca , ou mendiant bouddhiste, qui ac-
capare toute sa confiance et lui persuade qu'il a
des entretiens secrets avec Indra , le roi du ciel.
Le premier ministre du prince, nommé Balabha-
dra, cherche inutilement a le désabuser. Un jour
le mendiant , pour convaincre l'incrédule , an-
nonce qu'il va partir pour le ciel, et le roi avec ses
courtisans l'accompagne jusqu'à sa cellule, où il
s'enferme. Au bout de quelque temps, Balabhadra
demande au roi quand doit revenir le saint homme.
« Prends patience, dit le roi, le sage, dans ce cas,
dépouille sa forme matérielle pour revêtir un corps
éihéréavec lequel il est enlevé au paradis d'Indra. »
— « Mais alors, réplique le ministre, mettons le
feu à la cellule, nous brûlerons la forme matérielle
du saint homme, et votre majesté aura dans sa
compagnie un personnage angélique. Je puis vous
citer un exemple analogue.
« La femme d'un Brahmane nommé Déva-sarma,
était au désespoir de n'avoir pas d'enfant Enfin .
par la vertu de certaines paroles magiques, elle
40 ESSAI
devint grosse ; mais quelle fut l'horreur des assis-
tans lorsqu'au moment des couches, au lieu de
l'enfant attendu avec tant d'impatience, on vit pa-
raître un serpent. La mère voulut qu'on le gardât;
elle le nourrit et l'éleva avec soin, et finit par de-
mander à son mari de chercher un parti pour son
fils. Le Brahmane, pour distraire sa femme de cette
idée, lui proposa de voyager. Il se mit en route
avec elle, et par un hasard heureux, il rencontra
un homme de la même classe que lui , qui con-
sentit à donner sa fille en mariage au serpent.
Déva-sarma retourna dans son pa^s avec la jeune
fille ! , le mariage eut lieu , et l'épousée remplit
parfaitement ses devoirs à l'égard du serpent son
mari, le nourrissant de lait pendant le jour, et le
tenant la nuit dans une grande corbeille. Une nuit,
elle vit paraître un homme dans sa chambre ; pleine
d'effroi, elle allait prendre la fuite, lorsque cet
homme lui fit connaître qu'il était son époux, ce qu'il
lui prouva en reprenant sur-le-champ sa peau de ser-
pent, puis la forme plus agréable d'un jeune et
beau garçon. Le malin Déya-sarma, qui avait tout
observé, s'empara de la peau du serpent avant
que les ('poux fussent levés, la brûla, et assura ainsi
;; son fils la conservation de sa nouvelle forme3 ».
i Le 'unie esl ici interrompu par « Wilson, .inal. acc.jp. 165-168.
un court apologue qui a pour ob- — Ce conte ne fait pas partie de
jet de prouver qu'on ne peut pas ceui «lu Calila ri JHmna, niais
échappera son destin. on le retrouve dans un autre recueil
. LES FABLES INDU KNES. îl
Le roi, persuadé par ce récit, fait mettre le feuà
la cellule, et le misérable imposteur périt dans les
liai un les.
La fable de Dharmabouddhi et Doucliiabouddhi
ou l'Honnête homme cl le Fripon1, qui vient peu
après le conte du Mendiant imposteur , a passé
dans le Calila et Dimna. Deux amis partent en-
semble pour aller chercher fortune : l'un des deux,
nomme Dharmabouddhi (esprit honnête), ayant
trouvé une bourse de mille dinars 2, dit à son ca-
marade qu'après une si bonne aubaine, il est inu-
indien dont il existe une version
persane. (Voyez le Trône enchanté,
traduit par Lescallier, 1. 1" , p. \ et
suiv.) Selon toute apparence, ii y a
fort long-temps que ce conte a passé
dans la langue persane, ei peut-être
aussi dans la langue arabe; car sans
cela, on serait fort en peine pour
expliquer comment on le rencontre
dans la nouvelle des l-'are'rieuses
mm7.sdeStraparolcdontvoicileson.-
mairc: Galiot roycP Angleterre eut
un fils nayporc lequel se mariapar
trois foi 's. e hii/iui ( perd u sa peu u de
porc devint un beau jeune fils, qui
fui appelé le roi' Porc. 1 1 Ie nuit, i"'
nouvelle.) Le novellicre italien ;i
malheureusement gâté ce conte par
des détails ignobles. Du reste , les
circonstances principales sontles mê-
mes el l'imitation n'est pas douteuse.
Ce <pii peut en outre ôter toute incer-
titude a cet égard, c'est que ce conte
n'est pas le seul que Straparole ail
emprunté ;i l'Orient. Le Ponte d '
Med'Aulnoy, intitulé lePrinceMar-
cassin [Cabinet <lrs /'l'es, t. IV,
p. 395), est une imitât ii ai delà nou-
velle italienne. Ilamilton a égale-
ment mis à profil Straparole, dans
l'épisode de son conte du Délier, qui
est intitule Histoire de Pertharite
et de Ferandine. (Voyez les Con-
tes d'Hamilton. Paris , Renouard ,
1820; t. I, p. 1-2.)
• Wilson, Aiml. arc., p. 169. —
/ia/. andDim., p. 151. — Lie de*
Lion.,]). 129. — Fables indiennes,
t. 11. p. 153. Cette fable est du
nombre de celles qui ont passé dans
le recueil de (unies el de fables inti-
tulé Délices de Verboquet le géné-
reux; 1623, in- IX, p. 41. On y
trouve aussi le conte du Nezcoupt
et celui de la Vieille empoison-
neuse. I x oyez les contes III e| 1\
du même recueil , et ci-dessus p.
r>r> el 54.)
» Le dinar est une pièce d'or dont
la râleur n'est pas bien connue.
19
« ESSAI
tile daller plus loin. Ils reviennent tous deux,
enfouissent la somme trouvée, et conviennent d'y
puiser ensemble au fur et à mesure de leurs be-
soins. Le lendemain, le second compagnon, nommé
Doachiabouddhi (cœur pervers), va déterrer les
dinars et les emporte. Quelques jours après, il va
trouver son camarade et lui propose d'aller en-
semble puiser au trésor commun. A la vue de la
place vide, le fripon accuse l'honnête homme, qui
l'accuse aussi de son côté, et tous deux vont porter
leur plainte devant le tribunal. « Avez-vous un té-
moin, demandent les juges? — Je n'ai pour témoin,
répond l'honnête homme, que l'arbre auprès du-
quel a été fait le dépôt, et j'espère qu'il rendra té-
moignage de la vérité. » Les juges consentent à
venir le lendemain sur les lieux; le fripon va
trouver son père et l'engage à se placer dans l'ar-
bre, dont le tronc est creux, afin de déclarer que
Dharmabouddhi est le coupable. Le père, qui ne
goûte nullement ce moyen , conseille à son fils
de songer aux inconvéniens que cette ruse pré-
sente, et raconte à ce sujet la fable d'une cigogne
qui , ayant attiré une mangouste pour détruire un
serpent dontle voisinage l'incommodait, fmitpar en
être victime '. Le fils insiste et le père a la faiblesse
■ Celte fable ne se trouve, à ce on ne la lit pas dans l'édition de
qu il paraît, dans presque aunin H. de Sacy ; mais la version persane
manuscrit du Calt'laei Dimna, car d'IIocéin Vaei (voyeï le Ltvre des
SUR LLS FABLES INDIENNES. i3
<le se prêter à ee qu'il désire. Le lendemain, le juge
se rend sur le lieu de la eontestation, l'arbre rend
témoignage contre l'honnête homme qui , soup-
çonnant quelque supercherie, fait mettre le feu a
l'arbre. Le malheureux qui s'y était caché , sort à
demi-brûlé en confessant la vérité, et le voleur est
conduit en prison '.
Après celte histoire, on trouve la jolie fable des
rats qui mangent le fer et des faucons qui enlèvent
les cnfans2, si connue sous le titre du Dépositaire
infidèle. La fable qui termine le premier livre du
Pantcha-tantra a pour sujet le Fils du roi et ses
compagnons 5, mais elle diffère entièrement de
celle qui porte le même titre dans le Calila et
Dimna. Un des incidens de la première est peut-
être le type de celle de X Anwari- Sofia ili, intitulée
le Jardinier et l'Ours {. Un singe domestique veu
chasser une abeille qui s'obstine à rester sur le
front du fils du roi qui est endormi, et n'y pouvar
réussir, il prend I'épée de son maître et coupe en
Lumières, p. 152) et la version la- positaire infidèle, La Fontaine,
tine de Jean de Capoue la donnent. IX, 1. — Une imitation de cette
(Voyez. Firenzuola , Diteorti degli fable se trouve dans un autre re-
animali; in Fiorenza, 1548, in-8°, cueil indien. (Voyez le Touthi-iit.
fol. 47 verso. — et Larivcy. Deux mrli, OU tesCbftfcl (Pwi Pcrroi/ur
Uvresdefil080fitfab\tleuse,pA5A.) p. 35 de la trad. angl.,etp. 67 d'*
• .u.s. talinga, fui. 10 verso, el la trad. française.
fol.il recto. 3 wilson, fatal, arc, 169.
« Wilson, Anal, ace , 109. — î Livreurs Lumières, p, !
Kal. and Dim. , p. ir>G. — Livre VOwtt al V Amateur des jardins,
det l.um. p. \7,i. — Fable» in- La Fontaine liv. VIII fab. 10
diennet, I II, p, 186. 1 < /><
44 ESSAI
deux du même coup et l'abeille et la tête du
prince.
Le deuxième chapitre du Pantcka-tantra, intitulé
Mitra-prâpti , ou Y Acquisition des Amis, répond
au septième chapitre du CalUa et Dimna arabe ,
et au troisième de la version persane et de la
version turque l. L'objet de ce chapitre est de dé-
montrer les avantages de l'association et de faire
voir que les êtres faibles doivent s'unir entre eux,
par les liens d'une amitié sincère, et s'entr'aider
dans les circonstances difficiles. Les personnages
du récit principal sont un rat, une corneille, une
gazelle, et une tortue, qui , en se prêtant un mutuel
secours, parviennent à se tirer d'affaire. La fable
de La Fontaine intitulée le Corbeau, la Gazelle,
la Tortue, et le Rat -, n'est autre chose qu'une inri-
«JSfaï.andDt'm., 192-216. — Idv. sous le titre du Muletier. Dans ce
des Lum., cil. III, 192-233. — Fa- petit conte, la femme d'un mar-
bles indiennes, ch. in, t. II, p. 260 chand, ayant une liaison amou-
h guiv. Ce chapitre devrait être le reuseavec an peintre, convient avec
sixième, niais le rédacteur du Calila celui-ci d'un signal pour leurs en-
et Dimna, après le cinquième chu- trevues. t n esclave du peintre dé-
pitre, en a iuséréun qui est proba- ,",lx''1' l'intrigue et trouve moyen
blement de sa composition , et qui de prendre la place de son maître,
renferme le jugement du chacal en se couvrant de ses habits, sans
Dimna, dont les rapports calom- que la femme se doute de rien. Par
nieui ont porté le lion à tuer son l'a- malheur, le même jour, le peintre
vori. i n il<"- contes de ce chapitre, va faire le signal convenu pour de-
intitulé /_/> Peintre , la Femme du mander un rendez-vous, ce <pii
marchand, et l'Esclave {Eal. and amène une explication entre lui e!
Dim., p. 165) offre quelques rap- sa maîtresse; il (liasse son valet,
ports avec le premier incident delà et cesse toute liaison avec la femme
ne nouvelle de la in journée du «lu marchand. (Voyez le Livre des
Décam anue par l'imita- Ewnièi i p. 167.)
tion que La Fontaine en a composée in XII, fab.15.
M R LES FABLES INDIENNES. I i
tation abrégée de ce chapitre, composée d'après le
Livre des Lumières de David Sahid, cl dont les
fables accessoires ont été élaguées. La première
des {aides de ce chapitre du Panlcha-iantra est celle
d'un oiseau à deux becs, dont l'un jaloux de l'au-
tre qui refuse de partager avec lui du nectar, avale
du poison, et (ait périr l'oiseau '. L'apologue bien
anciennement connu, intitulé les Membres et
l'Estomac , offre quelque ressemblance avec cette
faltle. Le Cailla et Dirnna ne la donne point, mais
on y trouve celle, qui a pour sujet le Chasseur, la
Gazelle, le Sanglier, cl le Chacal -, de laquelle dé-
rive en dernier lieu celle de La Fontaine qui est
intitulée le Loup et le Chasseur7'. La dernière des
huit Tables de ce chapitre ', celle de l'Éléphant dc-
livréde ses liens par un rat 5, est peut-être le type
de l'apologue ésopique du Rat et du Lion (i.
■ Wilson, Anal, ace, p. 171. — l'estimable vie dePàoini ( legram-
Pantcka-tantra, Irad. franc., p.37. mairien) fui détruite par un lion,
* wilson, Anal, ace, p. 172. — qu'un éléphant tua le sage Djaimini
fiai. "'"/ Hit»., p. 5103. — l.iv. quoiqu'il eût composé la MimansA,
desLum., p. 216.— .FoMes. indien- et qu'un alligator dévora, sur le
nés, t. II, p. 292. — Heetopades, borddelamer.l'harmonieui Pingala
p. 66. (auteur du premier traité de proso-
3 Liv. VIII, lab. 27. die. Quelle estime des botes féroces
h m. wilson dans son analyse ci --ans raison peuvent-elles faire
rite un passage de ce chapitre qui du génie? »
.' :ii allusion a des traditions eu- 5 Wils"ii, Anal. OCC. , p. 172, —
rieuses et peu connues. Le voici : Pantcha-tantra , trad. franc. .
- Celui qui dit : . le suis plein d'ai- p. 42.
mablee qualités et personne no doit GBsop», édit, i\c Coray. Fa-
■ re portée me faire de mal - tient ble 217, p. 140. — La Fontaine,
un propos ridicule. On raconte que H M
46 ESSAI
Le troisième chapitre du Pantcha - tantra est
intitulé Kâkoloûkika, ou l'Inimitié des Corbeaux et
des Hiboux. Il correspond au huitième chapitre du
Calila et Dimna arabe, et au quatrième de la ver-
sion persane d'Hocéin Vaëz et de la version tur-
que !. Le but moral du principal apologue est de
faire connaitre le danger de se fier à des inconnus
ou à des ennemis qui se couvrent du masque de
l'amitié. Le roi des corbeaux, jaloux de celui des
hiboux, forme le projet de détruire ses ennemis ,
et, pour y réussir plus sûrement, il charge un de
ses conseillers intimes de s'introduire parmi les
hiboux. Le corbeau y parvient au moyen d'une
ruse qui rappelle l'histoire de Zopyre. Dépouille''
de ses plumes , couvert de sang , il est trouvé au
pied d'un arbre par des hiboux qui le conduisent
à leur roi. Le nouveau venu gagne la confiance du
roi des hiboux en dépit des efforts de ses ministres,
et il fait connaitre aux corbeaux les moyens de
détruire leurs ennemis , qui finissent par être
étouffés dans la caverne qui leur sert de demeure.
La deuxième fable de ce chapitre, intitulée le Liè-
vre, le Moineau, et le Chat -', a fourni à La Fontaine,
par l' intermédiaire de David Sahid, une de ses
■ liai, and Dim., 210-258. — - WilspO, Anal, arc, p. 175. —
Liv. dus Lum., ch. iv, p. 23S-286. fiai, and Dim., p. 226. — Mo.
— Fables indiennes, cb. iv, t. II, des l.uiu., p. 264. — Fables t'n-
p, 3l6el (tiennes, t. II. p. 342.
SLR LES FABLES INDIENNES.
])lus jolies fables '. Elle est suivie d'un conte ass<
comique qui est arrivé jusqu'à nos recueils de l'a-
(('lies. Trois fripons rencontrent un Brahmane
chargé d'une chèvre qu'il vient d'aeheter pour un
sacrifice , el ils parviennent a lui persuader que
c'est un chien et non une chèvre qu'il porte sur
ses épaules. Le pauvre Brahmane croit que ses
yeux sont fascinés, et craignant d'être souillé par
le contact d'un animal immonde , il abandonne sa
chèvre que les voleurs emportent -.
Le cinquième apologue du même chapitre3 est
un des plus jolis , et surtout il est curieux en ce
qu'il nous offre le type du charmant conte de Se-
necé, intitulé la Confiance perdue. Un Brahmane
s'etant un jour endormi sous un arbre , rêve qu'il
voit un serpent à large tête roulé sur une fourmi-
lière à quelque dislance. En se réveillant , il conclut
du songe qu'il vient d'avoir , que le serpent est la
divinité du lieu , et qu'il réclame son tributVl'ado-
ration. Aussitôt il fait bouillir un peu de lait, le
> Le Chat, la Belette, rt le petit devis et plaisons cont' s, par lr.
lupin; La Fontaine, VU, 1(5. sr du Moulinet , comédien. Paris,
• Wilson, Anal. ace., p. 175. — Techener, 1829; in-18, p. se.
and Dim. , p. 25j. — Liv. (Comment l'espiègle gaigna par
l.uin. , p. 'i.Vi. — Fables in- gageure le drap d'un paysan.) —
nnes,i. il, p. 347. — Heeto- on le rencontre encore dans les
paries, p. 261. - Ce petit conte se («nies tartateaût Gueulette, qui
retrouve dans les/ inveiciist.suuicts l'avait emprunté à StrapaTole. [Ca-
du seigneur Slraparole ( I|c Nuit, binet des Fées, t. XXII, p. 109,
in nom.; édition de 1 7 "2<i, in-12, 5 Wilson. AnalytieaX OCO>
t I' '. p. 'i7i, et dans les l'acecieux p. 17('-:~
I SS A 1
porte, dans un vase, auprès de la fourmilière , et
adresse au serpent son oblation. Le lendemain, il
est aussi étonné que satisfait de trouver un dinar
ii la place du lait, et tous les malins même bonne
fortune. Malheureusement (Haut un jour forcé de
s'absenter , il chargea son fils de présenter l'obla-
tion à sa place. Le jeune homme ayant trouvé le
lendemain matin un dinar comme à l'ordinaire ,
en conclut que la fourmilière était pleine de pièces
d'or, et que le moyen de s'emparer dé ce trésor
était d'en tuer le gardien [. Sarmant d'un bâton, il
guetta le serpent , et le frappa sur la lëte pendant
qu'il buvait. Mais il manqua son coup, et l'animal
Curieux mordit le jeune imprudent qui mourut sur
la place. Le Brahmane à son retour apprit ce mal-
heureux événement2, et se rendit a la demeure du
serpent pour essayer de le fléchir; mais ses prières
furent inutiles : le serpent lui défendit de jamais
revenir, et lui donna comme dernière consolation
un joyau d'un grand prix. Le Brahmane prit le
joyau, mais pensant combien sa valeur était au
I résous de ce qu'il aurait pu gagner par un hom-
■ L'indication d'un trésor don- intitula Sigurd, tradition épique
née par la présence d'un serpent est selon l'Edda et les Mbclungs.
une superstition répandue chez les a La fableest ici interrompue par
Indiens, et que l'on retrouve chez un court apologue ayant pour but de
les peuples du Nord. Voyez dans prouver que la mort du jeunehomme
i Revue de» Deux Monde» «lu 1" esl une juste punition de sa mau-
1832, l'article de M. Ampère, vaige action.
SI B LES FABLES INDIENNES. 49
mage assidu, il ne cessa de déplorer l'imprudence
de son fils j.
Parmi les autres apologues du troisième cha-
pitre, je remarque le Mari, la Femme, et le Vo-
leur-, jolie fable si agréablement contée par La
Fontaine, et la Souris métamorphosée en fille*,
que l'on retrouve encore chez lui avec plaisir. La
fable du Livre des Lumières, dont celle de La Fon-
taine offre une traduction exacte, est parfaitement
conforme à celle du Calila et Dimna, mais celte
dernière diffère beaucoup de la fable sanscrite ori-
ginale. En effet, dans le Panlcha-tanlra , la souris
changée en fille par un Brahmane, trouve des ob-
jections à tous les partis qu'on lui propose, jus-
qu'au moment où elle aperçoit un rat; alors le
naturel la porte à prier son père adoptif de le lui
donner en mariage. En lisant la fable de La Fon-
• Wilson,. 1/irW. «ce, p. 176-178. indien se retrouvent dans celui-ci
Ce joli conte fait partie du recueil et dans celui de Marie de France. La
de Marie de France, poète du fable ésopiqne intitulée le Serpent
xme siècle, dont Legrand d'Aussy et le Laboureur (édit. de Coray,
a analysé les meilleures fables, et fab. 141, p. 85) est-elle une rédac-
dont M. Roquefort a donné le leite lion traditionnelle et altérée de ce
original. (Voyez pour celle fable-ci conte? Je sciais porté a le croire,
les Fabliaux traduits par Le- » Wilson, Anal, ace., p. 178. —
grand of Aussy, t. rV, p. 389, édit. Bal. atui Ditn. , p. 237. — Iàv.
de 1829, elles Poésie* de Marie des Lum., p. 359. — Fàblesindien-
>ie France, t. II. p. -2<>7.j Ces deux nés, t. II, p. 355. — La Fontaine.
publications étant postérieures à IX, 15. Délices deVerboquet^Ji.
Senecé , j'ignore où il a puisé son 3 Wilson, Anal. are., p. 178. —
conte intitulé La Confiance perdue. Sol. and Ditn., p. 244. - Liv.
ou le Serpent mangeur de Èaïmak des Lum., p. 279. Fables indien-
et le Pure son pourvoyeur. Les nés, t. Il, p. 586. — La Fontaine
principales circonstances du conte IX, 7.
4
50 ESSA[
laine , on verra quels sont les détails étrangers que
le rédacteur de l'ancienne version persane a intro-
duits dans l'apologue original; et, ce qui mérite
d'être remarqué , c'est que ces modifications dé-
rivent d'une source indienne : on en retrouve
l'idée dans un chapitre du grand poëme indien
intitulé Harivansa '.
Le quatrième chapitre du Pantcha-tantra estin-
ùluïé Labdlia-pranasana, ou De (a perte des choses
acquises, et correspond au neuvième chapitre du
Calila et Dimna -, où les douze fables de l'original
indien sont réduites à deux. L'apologue principal,
dont les personnages sont un singe et un animal
aquatique fWhulpnx, nommé makara , a pour objet
de prouver qu'on perd souvent par imprudence
un bien acquis avec peine. Parmi les douze fables
de ce chapitre, je remarque d'abord un conte qui
l'ait voir que les femmes indiennes, en dépit de
l'espèce de servitude à laquelle les condamne le
■ Harivansa, traduit parM. Lan- souris, et l'ermite, par le pouvoir
glois. Paris, 1835; in-'*", t. Il de sa dévotion, change la sou-
p. 180. Voyez aussi , au sujet d'une ris en chat : le nouveau chat
tradition juive qui semble se rap- ayant ensuite peur du chien de l'er-
porter a cet apologue, V Estai sur mite, est changé en chien, puis en
les fabulistes qui ont précédé La tigre. L'ingrat animal veut proliler
Fontaine, par M. lioberi, p. eewu. de sa force pour tuer son bienfai-
- L'Hitopadésa offre une fable leur, qui, d'un mot, lui rend sa
qui diffère beaucoup de celle du forme primitive. ( Heetopades ,
Pantcha-tantra. Une souris tom- p- 245.)
bicdu bec d'une corneille est ra- Kàl. andDim.,p. 258-208! —
massée par un ermite charitable; Fables indiennes, eh. v, t. III,
mais le chat veut dévorer la pauvre p. l-'il
si R LES FABLES INDIENNES. 51
législateur suprême Manon1, sont bien souvent
les maîtresses au logis, et soumettent leurs maris
à leurs caprices. Le ministre Vararoutchi souffre
qu'on lui rase la tête pour plaire à sa femme ; son
royal maitre Nanda laisse la sienne lui mettre une
bride dans la bouche, et sa capricieuse moitié,
montant sur son dos, le force à la promener ainsi
en hennissant comme un cheval "1.
La fable qui suit rappelle l'apologue ésopique
bien connu de V Ane velu de la peau du Lion 5.
Un blanchisseur , propriétaire d'un ane, le cou-
vre de la peau d'un tigre, pour effrayer ceux qui
viennent dans son champ ; mais l'âne se trahit
par son braiment , et il est battu par les g^n^ du
village '.
Je trouve un rapport frappant entre l'apologue
qui vient après celui-ci , et la fable ésopique intitu-
lée la Proie et l'Ombre. La femme d'un villageois
abandonne son mari pour suivre un galant, et
emporte avec elle tout ce qu'elle possède. Arrivée
au passage d'une rivière, elle se laisse persuader
> Voyez les Lois de Manou, p. 16), sous le titre du Vizir selle
liv. IX, st. 2 et 3. Les draines qui et bridé, et le Lai d\irislotc a sans
nous dévoilent la vie intérieure. doute la même origine. (Voyez les
nous offrent un tableau un peu en Fabliaux traduits par Leyraml
contradiction avec les ordonnances d'Aussi, t. I„ p. 2*73-281, édit. de
•lu législateur. de 1829.)
' C'est de ce conte (pie dérive 3 La Fontaine, V , -21. — Esope,
••■lui que Cudonne a publié dans cdil.de Coray. lab. 258, p. 169.
Mi Vélemgu de littérature orien- , Wilson, Anal. «ce. .p. 181.
taie 'Paris. 1770; in- 12. t. I,
32 ESSAI
de confier à son amant son avoir et ses vêtemens
pour les porter de l'autre coté, après quoi il vien-
dra la chercher. Le misérable, au lieu de tenir sa
promesse, se sauve en emportant le paquet, et la
pauvre femme, ainsi abandonnée, voit venir un
chacal , ayant un morceau de viande à sa gueule.
Le chacal apercevant un poisson au bord de l'eau ,
dépose ce qu'il tient pour s'emparer du poisson ;
mais cette nouvelle proie lui échappe, et un vau-
tour emporte le morceau de viande. La malheu-
reuse femme ne peut pas s'empêcher de rire de
cet accident, et le chacal lui dit : « Votre conduite
n'a pas été plus sage que la mienne ; car vous êtes
ici nue sur 1© bord dâ l'eau , et vous n'avez ni mari
ni galant l. »
Le cinquième et dernier chapitre est intitulé
Aparîkcliita- kâiiliva, ou la Conduite inconsidé-
rée, et a pour but de montrer le danger de la pré-
cipitation. Il correspond au dixième chapitre du
■ Wilson, Anal. ace. , p. 181. C. F. Matthœi. Lipsise , 1781 ;
— Il est à remarquer que la rédac- in-8° , p. 22.) La même remarque
tion ordinaire de l'apologue du s'applique à la fable de Lokman,in-
Chicn portant un morceau de titulée Le Chien et le Milan. (Fa-
viande s'éloigne un peu, pour les blés de Loqman , surnommé le
détails, de la fable indienne (voyez Sage, traduites de Varabe par
VEsopedc Cora;/ Jab.ïOV.V. 135), M. Marcel. Paris, 1805; in-18,
et que le rapport est bien plus sail- p. 125.) L'apologue du Ciiien qui
lant dans la même fable du recueil lftche sa proie pour l'ombre est cité
grec attribué ,i Syntipas. Miapz comme exemple dans la vie de Bar-
Syntipœ philosophi persœ fabulœ zouych duCa/i7a et Dimna. (Eal.
LXIl , grœcè et latine; edidit and lHm., p. 76.)
SUR LES FABLES IMHI.wi i j'ili
Cailla ei Dimna\ ou les douze fables de Forigi*
nal se trouvent réduites à deux.
Ce livre commence par une fable dont voici le
précis, et à laquelle se rattachent toutes les autres.
Un banquier, nommé Manibhadra , malgré sa
bonne conduite et son attention à s'acquitter de ses
devoirs religieux, perd tout ce qu'il possédait par
un revers de la fortune , et prend la résolution de
se laisser mourir de faim. Pendant la nuit, le dieu
des trésors lui apparaît sous la forme d'un men-
diant de l'ordre àesDjaïnas, et l'engage a ne pas se
désespérer. « Tu as toujours honoré les dieux, lui
dit-il, et je ne t'abandonnerai pas : demain matin
je me présenterai à toi de nouveau sous le COSlmilc
que lu vois ; prends un bâton , frappe-moi sur la
tète , et je me changerai en un monceau d'or. »
Le lendemain matin , le banquier se rappelant
cette apparition , attend impatiemment le person-
nage annoncé par son rêve. Enfin il parait, et
après un coup de bâton donné par Manibhadra , le
mendiant est changé en un tas «l'or. Un barbier
que la femme du banquier avait fait venir pour lui
faire les ongles, ayant tout vu, s'imagine sottement
qu'il suffît de frapper sur la tête d'un mendiant
djaina, pour obtenir le même résultat En effet , il
se rend au couvent voisin, attire chez lui plusieurs
• Kal.tmd />/)/(.. p. -_>r,.s--27.->. !•• nr.o.
Fablet indiennes, ch vi. t. III,
."i ESSAI
religieux sous un prétexte, et lorsqu'ils sont arri-
vés, il leur donne à tous de grands coups de bâ-,
ton sur la tête ; quelques uns tombent morts sur la
place, les autres se sauvent en jetant les hauts
cris , et on arrête le barbier qui est condamné à
être pendu '.
Le deuxième apologue du même livre, nous offre
un récit depuis long-temps populaire en Europe. —
Une mangouste2, chargée de la garde d'un jeune
enfant, se jette sur un serpent qui se glissait dans
la chambre et le déchire à belles dents. La mère
qui rentre peu de temps après, s'imagine, à ia vue
du sang dont l'animal est couvert, qu'il a dévoré
l'eiifanl . et tue la pauvre mangouste 5.
Une fable assez plaisante que je rencontre un
peu plus loin est peut-être le type du conte si connu
des Trois souhaits. — Un tisserand , nommé Man-
thara, ayant eu son métier brisé par accident, prit
sa hache pour aller couper du bois , et trouvant
un gros arbre sur le bord de la mer, il se disposa
■ Wilson, Anal, ace, p. 182. — , La mangouste (Viverramungo)
Pantcha-tantra, trad. franc., est un animal du même genre que
p. 217. — Hcetopades, p. 215. — l'ichneumon des Egyptiens.
Contes d'un Perroquet , p. 148 de 3 Pantcha-tanlra , trad. franc.,
la trad. angl., et p. 217 de la Ira- p. 206. — Wilson, Anal. ace. ,
duction française. — L'histoire 185. — Kal. and Dim., p. 268. —
du derviche Abounadar, qu'on lit Fables indiennes, t. III, p. 43. —
dans les Contes orientaux du comte Ce conte se trouve dans le Livre
de Caylus, est une imitation de cette de Synlipas, d'où il a passé dans
f;ible. (Voyez le Cabinet des Fées, le fiowan des sept Snr/es.
vol. \W, p, |50.
SLH LES FABLES INDIENNES. •>•">
i rabattre. Gèt arbre servait de demeure à un gé-
nie , qui s'écria au premier coup de hache : « Holà,
cet arbre est mon logis, et je ne le puis pas quitter.
parce que je respire ici la brise fraîche de la mer. »
— « Mais si je n'ai pas de bois pour faire un autre
métier , dit le tisserand , ma famille va mourir de
faim. » — « Demande toute autre chose que cet
arbre, répond le génie, et tu seras satisfait. » Notre
homme retourne chez lui et rencontre le barbier
de son village , qui cherche à lui persuader de sou-
haiter d'être fait roi. La femme du tisserand le dé-
tourne de ce projet , et lui conseille au contraire
de garder son ancien état , mais de demander au
génie d'avoir deux télés et quatre bras, afin de faire
le double de besogne. Le malheureux a l'impru-
dence de suivre ce mauvais conseil; il va trouver
le génie qui exauce son souhait ; mais à son retour,
les gens du village, le prenant pour un lutin, se
jettent sur lui elle tuent !.
L'histoire du liràhmane Soma-sarma ~ qui suit
celle-ci , rappelle celle d'AInasehar , frère du bar-
bier, dans les Mille et une Nuits , ainsi que la Lai-
tière et le Pot au la il '.
i Wilson, Anal, ace, p. 193. On — Fables indiennes j i. tu. p. 50
verra plus loin, dans I analyse du — Heetopadei, p. J'i7.
/.ii ic de Syntipas , les imitations 3 Bonaventnre Des tvriors . les
de ce tonte. Contes ou les Nouvellesre'cre'at ions
WiUoii, Anal, arc. p. 11)5. — rt joi/cit.r devis. .Nom. \in . I 1
Panteha-tanira, traduct. franc • p. 141 . édit. de i7r>.">; in-12. —
p. 208. liai, and Dim., p. 209. La Fontaine, H?. VII, l'ai» 10
56 h >wi
Un Brahmane avare, nomme Sonia-sarma ,
avait recueilli en aumônes, pendant le jour, uni'
jarre pleine de farine. En rentrant, il pendit cette
jarre à un clou, immédiatement au pied de son lit ,
afin de ne pas la perdre de vue. Pendant la nuil
il s'éveilla , et se livra aux réflexions suivantes :
« Cette jarre est pleine de farine ; s'il survient une
disette, je la vendrai au moins cent pièces de mon-
naie. Avec cette somme j'achèterai un bouc et une
chèvre ; ils feront des petits, et je gagnerai assez
en les vendant pour me procurer une couple de
vaches. Je vendrai leurs veaux et j'achèterai des
buffles ; avec le produit de mon troupeau, je fini-
rai par avoir un haras dont je tirerai des sommes
considérables, et je ferai bâtir une belle maison.
Je deviendrai alors un homme d'importance , et
quelque personne opulente viendra m'olfrir sa fille
en mariage, avec une riche dot. J'en aurai un fils
que j'appellerai de mon nom, Soma-sarma. Lors-
qu'il commencera à se t rainer, je le prendrai sur
mon cheval en le plaçant devant moi; aussi lors-
qu'il m'apercevra, il ne manquera pas de quit-
ter le giron de sa mère et de venir à moi. J'appel-
lerai sa mère pour qu'elle vienne le reprendre, et
comme elle ne m'obéira pas, étant occupée des
soins de son ménage, je lui donnerai un coup de
pied.» En disant cela, il allongea le pied avec tant
«le violence qu'il cassa la jarre, et la farine s Y-
SliH LLS FABLES INDIENNES. 57
tant répandue, se remplit de terre el <le pous»
sière, de sorte qu'elle lut Complètement perdue.
Toutes les espérances de Soma-sarma, s'évanoui-
rent au même instant.
Un des derniers contes présente quelques rap-
ports avec la rencontre que fait Sindbad du vieil-
lard de la mer pendant son cinquième voyage l.
Un ràkchasa ou mauvais génie, habitant d'un bois,
arrête un jour un pauvre Brahmane qui passait
tranquillement son chemin, et se plaçant sur ses
épaules, il lui ordonne de continuer ainsi sa route.
Le Brahmane épouvanté n'oppose aucune rési-
stance, mais s'apercevant que les pieds de son in-
commode compagnon de voyage sont d'une mo-
lcsse extraordinaire, il lui en demande la cause,
et apprend que le génie a fait vœu de ne jamais
marcher. En passant auprès d'un étang le génie
ordonne a son porteur de le déposer pour qu'il
fasse ses ablutions, et de l'attendre fidèlement. Le
Brahmane obéit; mais pensant que son maître est
hors d'état de le poursuivre , il cherche son salut
dans la fuite2.
Le cinquième chapitre du Pantcha-tantra est
« Voyez la traduction <les Mille duction française de M. Garchi de
et une .\iu7s,par Galland (83« el Tassy, p. 2<i'i.i. el le roman É*oor-
M'- Nuits). gien de THiriani . analysé pai
• Wflson, Anal, ace, p. 100.— M. Brosse! dans le Journal aria
Voyea aussi lé roman hindouslani tique *!«■ novembre 1855
des Iventunt </<■ Kamrvp (trn-
.M>8 ESSAI
le dernier de l'ouvrage. Le Brahmane Viehnou-
sarma demande alors aux princes, ses élèves, s'ils
sont suffisamment instruits? Les princes répon-
dent qu'ils sont imbus de tous les devoirs d'un
souverain , et le roi , charmé de l'instruction ac-
quise par ses fils dans le cours de six mois, com-
ble le docte Brahmane de biens et de faveurs \
Le Pantcha-lantra, ainsi que je l'ai déjà fait obser-
ver, a subi de grandes modifications en passant
dans les autres idiomes orientaux. La version arabe
intitulée Calila et Dimna, composée elle-même sur
l'ancienne version pehlevie de Barzouyeh, par
Abdallah Ibn-Almocaffa, offre plusieurs chapitres
entièrement étrangers à l'original sanscrit, et sur
lesquels il est à propos de donner quelques dé-
tails. En tête du Calila et Dimna se trouve une
introduction attribuée à un personnage appelé
Behnoud, fils de Sahwan, et plus connu sous le nom
d'Ali, lils d'Alchah Farezi. M. de Sacy ne la croit
pas fort ancienne , se fondant sur ce qu'elle ne se
trouve ni dans la version persane de Nasrallah,
ni dans la version grecque de Shnéon Seth , ni
1 La traduction, ou plutôt l'ex- que dans le Pantcha-lantra san-
Iraildu Pantcha-lantra public'' par scrit : plusieurs apologues étrangers
M. I alibi- Dubois (voyez ci-dessus, au même livre ont été introduits
p. -28, note), diffère notablement dans les versions en langue vulgaire
de l'analyse de M. Wilson. Dans le que M. Dubois a suivies, et d'autres
premier chapitre où Tanlia, qui est apologues de l'original ont été sup-
vpul traduit avec quelque (''tendue, primés, c'est une rédaction çqm-
l' ordre de* râbles n'est pas \c même plètemenl différente.
SUR LES FABLES INDIENNES. 39
dans la traduction hébraïque attribuée au rabbin
Joël !. Voici en peu de mots la substance de cette
introduction, d'après la traduction abrégée qu'en a
donnée M. de Sacy.
Alexandre , après avoir soumis les rois de l'Oc-
cident, tourna ses armes victorieuses vers l'O-
rient et triompha de tous les souverains de la Perse
et des autres contrées qui osèrent lui résister. Dans
sa marche pour entrer dans l'empire de la Chine,
il fit sommer le prince qui régnait alors sur l'Inde,
et qui se nommait Four, de reconnaître son auto-
rité et de lui rendre hommage. Four, au lieu d'o-
béir, se prépara a la guerre. Après un long com-
bat, dans lequel la victoire fut chèrement disputée,
l'armée indienne fut mise en déroute , et son roi
périt de la main d'Alexandre. Celui-ci mit ordre
aux affaires du pays, et après en avoir confié le
gouvernement à un de ses officiers, qu'il établit
roi a la place de Four, il quitta l'Inde pour suivre
l'exécution de ses projets. Mais à peine fut-il éloi-
gné que les Indiens secouèrent le joug et se choi-
sirent pour souverain un homme de la race royale,
nommé Dabchelim. Lorsque le nouveau souverain
se vit affermi sur le trône, il exerça sur ses sujets
une tyrannie sans bornes. 11 y avait alors dans
celle partie de l'Inde, un Brahmane nommé l>id-
Wi moiré historiqui p. 15,
60 ESSAI
pai, qui jouissail d'une grande réputation de sa-
gesse, et que chacun consultait dans les occasions
importantes. Ce Brahmane chercha par ses con-
seils à ramener Dabchelim à la vertu ; mais le roi,
indigné de sa témérité, le lit jeter dans un cachot.
11 s'écoula un long espace de temps sans que Dab-
chelim pensât a Bidpai. Une nuit qu'il cherchait
inutilement à se rendre compte de quelque pro-
blème relatif aux révolutions des astres , il se res-
souvint de Bidpai , se repentit de son injustice, et,
faisant venir le Brahmane , il lui ordonna de lui
répéter ce qu'il lui avait dit la première fois. Bid-
pai obéit, et Dabchelim, après l'avoir écouté avec
attention, lui déclara qu'il voulait lui confier l'ad-
ministration de son royaume. L'administration de
Bidpai fut heureuse, et Dabchelim désirant ensuite,
à l'exemple des rois ses prédécesseurs , attacher
son nom à quelque célèbre ouvrage de morale,
chargea le savant conseiller de composer un livre
qui contint les préceptes les plus importans de la
sagesse. Bidpai, voulant satisfaire le roi , se livra
pendant un an à la méditation avec un de ses dis-
ciples et produisit ensuite le Livre de Calila et
Dimna '.
Après cette introduction, vient le chapitre iuti-
tùU «le la Mission tir B(irzoH\\e'h dans l'Inde. Les
SilveilredeSacy, Mémoire his- Dtmna,p. 1-32.
torique p. 16-22. Kalila and
SI R I ES l Ufl.KS I.MHINM S. 61
différentes traductions du Livre de Calila et Dimna
présentent dans ce chapitre une différence as^c/
notable relativement au motif qui détermina le
voyage du docteur persan. Suivant presque tous
les manuscrits du texte arabe , d'accord avec la
version grecque de Siméon Seth , et avec la tra-
duction persane de Nasrallah , ce fut Nouchirvan
qui, ayant entendu parler avec éloge du Livre de
Calila , chargea Barzouyeh d'aller dans l'Inde
chercher ce trésor de sagesse '. Au contraire, dans
la version espagnole, dont un fragment a été pu-
blié par don Rodriguez de Castro ; dans la traduc-
tion latine de Jean de Capoue, composée d'après
la rédaction hébraïque du rabbin .ïool; dans la tra-
duction latine de Raymond de Béziers, et enfin dans
un manuscrit arabe du Calila et Dimna, il est dit
que Barzouyeh, ayant lu dans un livre que certai-
nes montagnes de l'Inde produisaient une herbe
ayant le pouvoir de rendre la vie aux morts, sol-
licita du roi Nouchirvan la permission d'aller re-
cueillir cette herbe merveilleuse dans le pays où
on la trouvait; arrivé dans l'Inde, le docte méde-
cin reconnut, après des recherches infructueuses,
que ce n'était là qu'une allégorie, et que cette
herbe offrait l'emblème du Livre de Calila et
Donna, dont les sages préceptes pouvaient commu-
1 Sitvestre de Sacy, Mém. &«'*/., p. 35
<)*2 ESSAI
niquer aux ignorant une nouvelle existence K La
même tradition se trouve dans un épisode du grand
poëme persan intitulé Cliah-nameli ., épisode quia
pour sujet le voyage de Barzouyeh 2.
Le troisième chapitre est une introduction com-
posée par le traducteur arabe Abdallah Ibn-Almo-
caffa. Ce morceau est parsemé d'apologues ingé-
nieux, mais qui ne sont pas empruntés à l'original
sanscrit.
La vie de Barzouyeh forme le quatrième cha-
pitre 5. Cette biographie, qui fut composée par Bu-
' Silvestre deSacy, Mém. hi$t.,
p. 22 et 23.
* Notices et extraits des MSS.,
t. X, p. 148.
3 Ce chapitre renferme plusieurs
fables étrangères au Pantcha-tan-
tra. Je citerai , entre autres , celle
du Voleur qui se casse le cou en se
jetant du haut d'une maison ,
croyant sottement pouvoir, au
moyen d'un mot magique , être
transporte sur un rayon de la lune.
Cette fable se retrouve dans la Dis-
cipline cléricale (Disciplina cleru
i-alis) de Pierre Alphonse, ouvrage
puisé principalement dans des au-
teurs arabes, et qui est compilé en
partie des proverbes de philoso-
phie et de leurs chastoiemens, et
des fables, et de vers, en partie de
ressemblance de bestes et d'oy-
seaux. (Discipline declergic ,p.6.)
L'auteur était un juif, né à Huesca,
en 1062, dans leroyaumed'Aragon,
et nommé Kabbi Moisc Sephardi. Il
:»e convertit a la foi chrétienne en
1106, et fut baptisé dans sa ville
natale le jour de la fête de saint
Pierre, d'où il prit le nom de Pierre,
auquel il ajouta celui d'Alphonse,
le roi de Castille et de Léon , Al-
phonse VI , lui ayant fait l'honneur
d'être son parrain. (Biographie
universelle, t. XXXIV, p. 389).
La Disciplina clericalis a été pu-
bliée pour la première fois en 1824,
par la Société des Bibliophiles, avec
une traduction française en prose
du iv« siècle , intitulée Discipline
de clergic , et avec une version en
vers, ayant pour titre Castoiement
d'un père à son fils. Une première
édition du Castoiement avait déjà
été publiée en 1760 par Barbazan.
M. Schmidt a fait paraître en 1827,
à Berlin , une nouvelle édition du
texte latin plus correcte que la pré-
cédente , et qui porte le titre sui-
vant : Pétri Alfonsi Disciplina
clericalis ■ Zum ersten mal her-
ausgegeben mit rinleitung und an-
merkungen, von Fr. W. Schmidt.
SUR LES FABLES INDIENNES. <>'*
zurjmihr, (ils de Bakhtégan, à la prière de Bar-
zouyeh , et dans laquelle il est censé parler
lui-même, renferme sur ce célèbre médecin et
sur l'époque à laquelle il a vécu, des détails d'un
grand intérêt. Porté par goût à l'étude de la méde-
cine, Barzouyeh s'y livra d'abord tout entier dans
le but de se rendre agréable à Dieu; puis, frappé
de la diversité d'opinions religieuses qu'il voyait
régner en Perse , il consulta plusieurs docteurs
dont les réponses ne lui semblèrent point satisfai-
santes, et renonçant à un examen qui ne pouvait
lever ses doutes , il résolut de se consacrer à la
pratique de la vertu et de renoncer aux plaisirs
du inonde. Barzouyeh s'étonnait que des hommes,
doués de raison, négligeassent leurs véritables in-
térêts pour ne s'occuper que d'objets frivoles:
i Quelques satisfactions sensuelles qui ne durent
qu'un instant, voila pourtant, se disait-il, ce qui oc-
cupe toutes leurs facultés et les détourne de soins
bien plus importans. » Pour faire sentir la vanité
Kin beitray zur geschiclite iler est le vingt-dcuiième du livre de
romantischen lilleralur. Berlin, Pierre Alphonse, le tome I", p. 1 V)
IK27;in-4°. Mis, dans le premier vu- de l'édition des Bibliophiles, la
lumedc l'ouvrage 'vaiiUÛèSpecimeru page 70 de l'édition de M. Schmidt.
ofearly cnglish romances, a donné elles Fabliaux de Legraud d'Aussi
une analyse de l'ouvrage de Pierre t. III, p. *2r>3. La même histoire
Alphonse, communiquée par M. forme leeenttrente-siiiéme chapitre
Douce. Presque tous les contes du recueil de contes et de légendes
de la Discipline cléricale ont été composé en latin dans le nv |M
analyses p.ir Legrand d'Aussy. rie, et intitulé Getta romanorum.
\ oyei pour celui du Voleur,
qui
64 ESSAI
et le danger des plaisirs du monde , le docteur
persan se sert d'une allégorie trop singulière pour
être passée sous silence. « On ne peut mieux assi-
miler le genre humain qu'à un homme qui, fuyant
un éléphant furieux , est descendu dans un puits ;
il s'est accroché à deux rameaux qui en couvrent
l'orifice, et ses pieds se sont posés sur quelque
chose qui forme une saillie dans l'intérieur du
même puits : ce sont quatre serpens qui sortent
leurs têtes hors de leurs repaires ; il aperçoit, au
fond du puits, un dragon qui, la gueule ouverte ,
n'attend que l'instant de sa chute pour le dévorer.
Ses regards se portent vers les deux rameaux aux-
quels il est suspendu , et il voit à leur naissance
deux rats, l'un noir, l'autre blanc, qui ne cessent
de les ronger. Un autre objet cependant se pré-
sente à sa vue : c'est une ruche remplie de mou-
ches à miel ; il se met à manger de leur miel , et
le plaisir qu'il y trouve lui fait oublier les serpens
sur lesquels reposent ses pieds, les rats qui ron-
gent les rameaux auxquels il est suspendu, et le
danger dont il est menacé à chaque instant, de de-
venir la proie du dragon, qui guette le moment de
sa chute pour le dévorer. Son étourderie et son
illusion ne cessent qu'avec sou existence. Ce
puits, c'est le inonde rempli de dangers et de mi-
sères; les quatre serpens, ce sont les quatre hu-
meurs dont le mélange forme notre corps, mais
SUR LES FABLES INDIENNES. 6S
qui, lorsque leur équilibre est rompu, deviennent
autant de poisons mortels; ces deux rats, l'un
noir, l'autre blanc, ce sont le jour et la nuit dont
la succession consume la durée de notre vie; le
dragon , c'est le terme inévitable qui nous attend
tous ; le miel , enfin , ce sont les plaisirs des sens
dont la fausse douceur nous séduit et nous dé-
tourne du chemin où nous devons marcher !. »
Avec le cinquième chapitre, intitulé le Lion et le
Taureau, commencent les rapports du Pantclia-
tantra avec le Calila et Dimna. Ces deux livres
offrent , entre eux , de notables différences , mais
l'original du Calila et Dimna en pehlevi ou persan
ancien étant perdu, il est impossible de savoir
quel a été le plus infidèle de Barzouyeh ou d'Abd-
allah Ibn-Almocaffa. Quoi qu'il en soit, plusieurs
apologues ont subi des modilicalions considéra-
bles; d'autres, en assez grand nombre, ont été
omis ; quelques autres enfin ont été ajoutés"2; trois
■ Silveslre deSacy, Ment p. 20. du texte grec, publiée par M. Huis-
— On retrouve cette allégorie dans sonade dans le quatrième volume
le roman grec intitulé Histoire de de ses Anecdota grœca, p. H2.
liarlaam et de Josaphat. Ce livre, a Nasrallah , auteur d'une ver-
attribué à saint Jean Damascèoe, sion persane du Calila et Dimna
qui vivait au vm ■ siècle de mitre reconnaît que plusieurs des chapi-
cre , renferme plusieurs apolo- très de ce livre ne faisaient point
gués d'origine orientale. Voyez partie du recueil primitif. Outre les
\' Histoire de Barlaam et de Joea- prolégomènes , ces chapitres aj m
phat, roy des Indes, composée par tés sont, suivant Nasrallall :
Sainet Jeun Itamaseene et tra- Les Wi'iitures d'Iladh, Raladli,
duirte par Jean de Ifilly. Paris, Iraklit. et Kiharioun ;
1574; in-l-J. p. ;»7 \erso; cl L'édition Le Moine et son Hôte .
()(> ESSAI
de ces derniers ont passé dans le recueil de La
Fontaine, qui les avait probablement puisés dans
la version latine du père Poussines l. Ces fables
sont : le Chat et le Rat'2, les Deux Perroquets , le
Roi, et soti Fils 3, la Lionne et l'Ours 4. La fable du
Cailla et Dimna, intitulée le Fils du roi. et ses
Compagnons, et que La Fontaine a empruntée éga-
lement à la traduction du P. Poussines 5> diffère
tellement de celle qui porte le même titre dans le
Le Voyageur et l'Orfèvre;
Le Fils du roi el ses compagnons.
Cette indication n'est pas com-
plète.
• Spécimen Sapientiœ Indorum
veterum. J'ai fait voir plus haut
(p. 25, note), qu'il était probable
que La Fontaine avait dû au sa-
vent Huet la connaissance de Ja
traduction latine du P. Poussines.
L'existence de cette version a pu
être révélée à notre fabuliste, par
les détails que le docte évêque,
dans sa Lettre sur V Origine des
Romans, donne sur la version
grecque de Siméon Seth et sur la
traduction latine du P. Poussines.
Les mêmes fables se trouvent dans
les Deux livres de filosofie fabu-
leuse de La Rivey ; mais l'examen
de cet ouvrage m'a convaincu que
La Fontaine n'y a pas puisé.
> La Fontaine, liv. VIII , f. 22.
— Spécimen Sapientiœ Indorum,
p. 008. — Kal. and Dim., f. 275.
— Fables indiennes, t. III, p. 62.
3 La Font. , liv. \, fab. 12.—
Spec. Sap. Ind., p. «500. — Kal.
and Dim. , p. 286. — Failles in-
diennes, t. III, p. 93. — Cette fa-
ble, bien qu'elle ne fasse pas partie
du Pantcha-tantra , est évidem-
ment d'origine indienne, puisqu'on
la retrouve dans le grand poème
sanscrit intitulé Harivansa. (Voyez
la traduction de M. Langlois , t. I.
p. OU.) M. de Sacy l'a publiée en
hébreu avec une traduction fran-
çaise , d'après le MS. de la Biblio-
thèque du Roi, qui renferme un
fragment de la version attribuée
au rabbin Joël. (Notices et extraits
desMSS., t. IX, p.45Iet suiv.) Il
en a donné aussi le texte persan,
d'après Nasrallah. (Ibid, t. X
p. 170.)
4 La Font. , liv. X , fab. 13. —
Spec. Sap. Ind., p. GI8. — Kal.
and Dim. , p. 340. — Fables in-
diennes, t. III, p. 187.
5 Le Marchand , le Gentil-
homme,le Pâtre, etleFils de roi.
La Font., liv. X, fab. 16. — Spec.
Sap. Ind., p. 010. — Kal. and
Dim. , p. 354. — Les Délices de
Verboquet le </<!néreux , p. 74.
— Fables in Hernies ,(. III, p. $49
— Voyez ci-dessus, p 13.
SUR LES FABLES INDIENNES. 07
Panteha-tantra, qu'elle peut être mise au nombre
des fables ajoutées. Je signalerai encore parmi ces
dernières, celle qui a pour titre le Voyageur et
l'Orfèvre l. Cet apologue offre une circonstance
curieuse dans l'histoire littéraire , c'est qu'on le
trouve raconté dans la chronique de Mathieu Paris2,
sous l'année 1195, comme une parabole que le roi
Richard Cœur-de-Lion , à son retour de la Pales-
tine, récitait en manière de reproche contre les
princes ingrats qui refusaient de s'engager pour la
croisade 5. C'était dans l'Orient que le roi Ri-
chard avait recueilli cet apologue , et cela nous
prouve que les fables du Cailla et Dimna jouis-
saient d'une sorte de popularité.
La version hébraïque ôaCatUa cl Dimna, attri-
buée au rabbin Joël est de la plus grande rareté, et
on n'en connaît jusqu'à présent qu'un manuscrit in-
complet dont M. de Sacy a donné l'analyse *. Mais
autant qu'on peut en juger par la traduction la-
tine que Jean de Capoue en a composée sous le
> Kal. and Dim. , p. 346. — apologue se trouve aussi dans les
Fables italiennes, t. III, p. 291. — Gesta Homanorum (t. II, p. l'il
Cet apologue est probablement in- delà traduction anglaise publiée
dien ; f>i ce <pii me le fait penser , par le révérend Charles Swan) , et
c'est qu'on le trouve dans la rédac- dans le poème anglais de Gower, in-
tioo du Panteha-tantra en langue liuûé Confessio amantis , lib. V.
vulgaire, traduite par U. l'abbéDu- s Dissertation on the Gesta llo-
l>"is. [Le Urahme , le Serpent , le manorum, p. CGXXYm (in the Ilis-
Tigre, le Voyageur , et V Orfèvre, toryofEnglish poetry, by Thomas
p. 121.) H arfon.LondonJ 1824; in-S..)
■ M'iihni Paris historiu. Lon- I Nbf. et e.rtr. des >/>>. I l\
dini. 1571; in-fol., p. 240-342. Cel p. 391 et suiv.
08 ESSAI
titre de Diredorium humane vite l, cette version
ne diffère du texte arabe que par l'absence de
l'Introduction dont j'ai donné l'analyse , et par
l'interpolation de deux contes a empruntés par le
rabbin au livre hébreu des Paraboles de Senda-
bar r\
De la traduction latine de Jean de Capoue, dérive,
comme on l'a déjà vu, la version espagnole intitu-
lée Recueil d'Exemples contre les tromperies et les
périls du monde \ et ce dernier livre parait être
à son tour la source où le Florentin Ange Firen-
zuola :i a puisé le sujet de la partie de ses œuvres
en prose, intitulée Première façon des Discours
des animaux 6. La version espagnole étant de la
plus grande rareté , il est impossible de savoir si
le traducteur castillan a donné à Firenzuola
l'exemple de l'infidélité; mais ce qu'on peut affir-
mer , c'est que le livre de l'auteur florentin n'est
• Voyez ci-dessus , p. 17 et 18. aux Paraboles de Sendabar pour
a Ces deux contes sont celui de les intercaler dans sa version du
la Pie (Diredorium, fol. 1^ i ver- Calila et Dimna , ait jugé à pro-
soi et celui la Femme et du Dro- pos d'y introduire aussi le nom du
guiste (Direct., fol. E3verBO). philosophe Sendabar, qui joue un
3Lacirconstaucedennterpulalion rôle important dans le roman bé-
dé ces deux contes daus la version breu qai porte son nom.
hébraïque du Calila et Dimna 4 Exemplario contra los enya-
fournit un moyen assez plausible fioa y peligros del mundo, (Voyez
d'expliquer la substitution du nom ci-dessus, p. 20.)
de Sendabar a celui de ISidpai, 5 Silvestrc de Sacy, Not. et exlr.,
dans celte même version bébrai- ix, p. 440.
que (voyez ci-dessus, p. 19). Il est 0 jM prima veste de discorsi
possible en effet «pie le rabbin Joël degii animali. (Voyez ci-dessus,
qui avait emprunté demi apologues i>- 23, note.)
Mit LES FABLES INDIENNES. 69
qu'une imitation des plus libres. Lesdeux chacals ; ,
Cailla et Dimna , sont devenus les deux moulons
Carpigna et Bellino ; la scène des fables est géné-
ralement transportée en Italie , et on y rencontre
des allusions à l'histoire italienne et à la mytho-
logie grecque.
J'y remarque en outre la fable ésopique de l'Ai-
gle et de l'Escarbot 2, fable étrangère au Cailla et
Dimna , de même qu'au Directorium humane
vite.
La Philosophie morale r' du Doni est encore un
ouvrage principalement puisé dans le Directorium
humane vile de Jean de Capoue, mais dont l'au-
teur parait avoir eu sous les yeux la version hé-
braïque du rabbin Joël, et la traduction espagnole
dont je viens de parler *. Cet ouvrage de Doni
est divisé en deux parties. La première , qui est
partagée elle-même en trois livres, comprend
Y Histoire du Lion, du Taureau, et des deux Chacals
(qui, dans le livre italien, sont devenus un mulet
et un âne), ainsi que le Procès de Dimna. Cette
première partie est présentée comme l'œuvre du
philosophe Sendabar. La seconde partie est divi-
> Lu traduction de Jean de Ca- éd. deCoray , lab. '2 , |>. 2. — La
poue porte duo onfmolta. Font., II, 8.
« l'rose lii M. A. l'irenzuola. 3 l.a Filosofta morale del /'<""
in Fiorenxa, 15'ix; in-8», fol. 33 (VoyezcldeBmi, p.95,«w
recto.— La Rlvey. Deux Uvrtsdé I Silvntre de Sacj '<■■' l
l'Umofi l'iiintii'iis e, p.72. -Esope, t. IX, p. 109.
70 ESSAI
sée en six traités; il n'y est plus question du roi
Dislès, ni de Scndabar; mais de Sforza, duc de
Milan, et de maître Dino, philosophe florentin. Les
fables de cette seconde partie ' sont la plupart em-
pruntées au Birectorium humane vite.
L'examen des imitations du Cailla et Dimna qui
dérivent de la version latine de Jean de Capoue,
m'a fait perdre un instant de vue les autres versions
en langue orientale du livre de Bidpaï. J'ai parlé
plus haut de deux traductions persanes du Livre
de Caiila, composées, l'une par Nasrallah2, l'autre
par Hocéin Vaëz , et qui est intitulée Anivari-So-
haïli 5. L'auteur de cette dernière version s'est
donné les plus grandes libertés. Les Prolégomènes
et la Vie de Barzouijck ont disparu et sont rempla-
cés par une introduction de l'invention d'Hocéin \
■ La Rivey en réunissant des ex- Livre des Lumières de David Sa-
traits de cette seconde partie à i'ou- hid et dans les Contes et Fables
vrage de Firenzuola dont j'ai parle indiennes, traduites par Galland
ci-dessus, en a forméses/)et<.z:/<rres et Cardonnc.M. de Sacy, qui en a
de Filosofie fabuleuse. (Voyez ci- donné une analyse dans son Mé-
dessus, p. 25.) M. de Sacy pense moire historique sur le Livre de
quelenomdeDmoestranagrammc Caiila et Dimna (p. 45), pense
de Doni. que l'idée de cette traduction a pu
» Voyez ci-dessus, p. 15 et les être suggérée a Hocéin par le Dja-
Notices et extraits, l. X , p. 94 et midan-hhired ou Testament de
suiv. Househenk. | Voj.lesNot.etextr. ,
3 Voyez ci-dessus , p. 14. L'An- t. \ , p. <r>, et ci-dessus, p. 9, note.)
wari-Soltaili a été imprimé deux Les chapitres supprimés par Hocéin
fois à Calcutta, en 1805 et en 1824. Vaëz ont reparu dans Y Li/ari-da-
II en a paru , en 1828, à Bombay, nich , c'est-à-dire dans la version
une édition lithographiée. persane d'Ahou'Ilazl. M'oyez ei-
4 On (ruine une traduction Cran- dessus, p. |5.)
çaise de cette introduction dans le
SUR LtS FABLES INDIENNES. 71
11 a de plus introduit dans son livre un grand
nombre de fables nouvelles, parmi lesquelles je
rencontre trois apologues ésopiques, le Rat et la
Grenouille ', l'Homme de moyen âge et ses deux
Femmes 2, et la Vieille et le Chat maigre 5, fable
qui n'est autre que celle du Rat de ville et du Rat
des champs '*. J'y remarque en outre l'anecdote
des Grues d'Ibycus 5; la fable intitulée la Tortue
et le Scorpion c, qu'on retrouve aussi dans le Be-
haristan deDjami7; le conte moral de Y Oppres-
seur puni par le ciel 8, emprunté au Gulistan de
Saadi u, et la fable intitulée le Paysan et le Ros-
signol l0, laquelle n'offre qu'un rapport bien éloi-
gné avec le Lai de l'Oiselet ". La Fontaine, qui,
■ The Anvari Soheily of Hussein
Vaez Kashefy, published by capt.
Charles Stewart and Moolvy Hus-
sein Aly. Calcutta, 1805, fol. 158
recto. — Contes et fables indiennes,,
trad. par Galland et Cardonne,
t. III, p. 87. — La Fontaine, IV,
11. — Fables d'Esope , édition de
Coray, p. 161.
* The Anvari Soheily, fol. 195
recto. — Fables indiennes , t. III,
p. 212. — L'Homme entre deux
âges, et ses deux maîtresses, ha
Fontaine, I, 17. — Esope, M. Co-
ray, |t.'.IH.
3 The Anvari Soheily, fol. 18
veno. — IÀvrc des Lumières,
p. 52. — Fables indiennes , t. 1 .
p. 134.
4 Esope, od. Coray, p. 196.
■ The anvari Soheily . fol. 162
recto. — Fables indiennes, t. III ,
p. 98. — Nouveau journal asia-
tique, t. XVI, p. 179.
6 The Anvari Soheily, fol. 47 roi
to. — Livre des Lumières, p. 107.
— Fables indiennes, t. II, p. 25.
7 Contes , fables et sentences ,
trad. par Langlès. Paris, 1788; in-
8", p. 5.
8 The Anvari Soheily, fol. 189
verso.
9 The Gùlistân, translated by
Gladwin. London,1808, in-8".
p. 48.
<o The Anvari Soheily, fol. 53
recto. — Livre des Lumières, p.
114. — Fable* indiennes , t. il .
p. 70.
" Fabliaux traduits par Le-
grand aVAussy . t. IV, p. Ï3
Disciplina clericalis édition des
72 ESSAI
ainsi que je l'ai dit, a eu souvent recours à la tra-
duction ou plutôt à l'abrégé de YAnwari-SQhaïli,m-
titulé Livre des Lumières l, y a pris, outre les fables
que j'ai déjà indiquées, les six qui suivent, savoir :
les Deux amis*, le Faucon et le Chapon r>, les Deux
pigeons * , l'Homme et la Couleuvre 5 , le Ber-
ger et le Roic', les Deux aventuriers et le Talis-
bibliophiles , t. I, p. 136; édit. de
Schmidt, p. G7. — (Voyez aussi
l'Histoire de Josaphat et de Bar-
laam, traduite par Jean de Bill y,
p. 43 verso, et le texte dans les
Anccdotagrœca de M. Boissonade,
t. IV, p. 79.) C'est dans ce dernier
roman , selon tonte apparence, que
Pierre Alphonse, auteur de la Dis-
ciplina clericalis, a puise sa fable
de l'Oiselet. Elle a passé encore
dans la Légende dorée (Golden Lé-
gende) de Caiton, fol. cccr.xxvxn,
b. — (Voyez la dissertation de War-
ton sur les GestaBornanorxtm, p.
ccxr., et la traduction anglaise pu-
bliée par le rév. Charles Swan, t.
II, p. 339 et 307.) — Je ne dois pas
omettre la citation de l'apologue de
l'Oiselet , faite par l'archevêque Tli-
gaud au roi saint Louis à l'occasion
di' ia mort de Louis de France.
(Voyez la Chronique de Bains, pu-
bliée par M. Louis Paris. Teche-
ncr, 1.S37 ; in-S", chap. xxxn, p.
236.)
■ Voyez ci-dessus, p. 24, 43, 45.
= La Fontaine, Mil, 11. —
Livre des Lumière?,, p. 224. —
Fables indiennes, t. II, p. 304.
3 La Font., VIII, 21.— l.ir.
des l.tun. . \>. U2. - Fables in-
du nnes, t. il, p. 59.
4 La Font., IX, 2. — Liv. des
Lum., p. 19. — Fables indiennes,
t. I, p. 77.
s La Font. , X , 2. — Liv. des
Lai m . , p. 204. — Fables indiennes,
t. II, p. 270. — Cette fable ne se
trouve pas dans le Calila et Dim-
na, cependant il cstprobable qu'elle
vient de l'Inde. La fable du Pant-
eha - tantra , traduit par l'abbé
Dubois, laquelle est intitulée le
Brahme, le Crocodile, l'Arbre,
la Vache, et le Renard , ne dif-
fère ni pour le fonds ni même
pour les détails , de celle d'Hocéin
Vaëz. Le quatrième conte de la
Discipline cléricale de Pierre Al-
phonse , en offre une rédaction très
abrégée. (Voyez l'édition des biblio-
philes, t. I, p. 47, et celle de
Schmidt, p. 45.)
(J La Font., X, 10. — Liv. des
Lum., p. 152. — Fables indiennes,
t. il , p. 21 i-225. Le dénouement
de la fable de La Fontaine est fort
différent do celui de la fahle orien-
tale; mais il est assez singulier que
la fahle, comme La Fontaine l'a con-
çue, offre des rapports frappaos
avec l'anecdote du sultan Mah-
moud de Gaznafa cl de son esclave
\\.i, (Voyez l'ouvrage de Ch.Stc-
wart, intitulée A Descriptive cata
SUR LES FABLES INDIENNES. 73
man '. La traduction turque de X Anwari-Sohaili ,
intitulée Homayoun-nameli, est une reproduction
assez fidèle du texte du livre persan et n'en dif-
fère que fort peu.
J'ai déjà dit quelques mots de deux imitations
du Panlchà-lanlra , composées dans l'Inde même
et en sanscrit. La première, intitulée Katliâmrila-
n idh ï ( Trésor de l'ambroisie des contes), est un abré-
gé dans lequel on a suivi l'original pour le récit ,
en diminuant la partie poétique. La seconde imita-
tion sanscrite, celle qui a pour titre Hitopadésa, ou
instruction salutaire , s'éloigne beaucoup de l'ori-
ginal, et deux vers de l'introduction de Y Hitopa-
désa , nous apprennent que ce livre est tiré du Pan-
tclia-lantra et d'autres ouvrages. Dans l'introduc-
tion, un roi de Pàtalipoutra, nommé Soudarsana,
honteux, de l'ignorance de ses fils, confie le soin
de leur instruction au Brahmane Vichnou-sarma
que nous avons déjà vu dans le Pantcha-tantra ,
figurer pour le même office, et qui fait successive-
ment à ses élèves quatre récits, formant les qua-
tre chapitres du livre, et dans lesquels sont ame-
nées un certain nombre de fables. Le premier cha-
pitre, intitulé Mitra-lâbha (l'Acquisition des amis),
\ogueof the oriental libraryofthe de Tassy, Paris, 1834; io-8°, p.
\tiir TippoojultanofMysore.Caia- 142.)
Iiri^c, isii'.t; in-4oj p. 57; et les ■ I.a Font., X, 14. — Un. dès
ivriiiutfs de limiini)). traduites Lum.tn, i\7>. Fables indiennes,
de Vhindoustani par M. Garcin 1. 1, p. 347.
7i ESSAI
répond au second du Peinte ha- ta ni ra , ei a de même
pour but de démontrer les avantages que procure
l'association aux êtres faibles; le second, qui a pour
titre Souhrid-bhéda (la Rupture de l'amitié), fait
connaître comme le premier chapitre du Pant-
cha-tantra, le danger de prêter l'oreille aux in-
sinuations des fourbes qui cherchent à semer la
discorde entre un prince et ses meilleurs amis ; le
troisième chapitre, intitulé Vigraha, et ayant pour
sujet la guerre des oies et des paons, démontre,
de même que le troisième chapitre du Panlclia-
tantra, le danger de se'fier à des inconnus; le
quatrième chapitre , intitulé Sandhi (la Paix) , n'a
de commun avec le Pantcha-lantra que quelques
fables. On voit que cet arrangement diffère nota-
blement de celui de l'original ; on remarque de
plus dans VHilopadésa un certain nombre de fa-
bles qu'on ne trouve pas dans le Pantcha-lantra ,
de même qu'il en est beaucoup de ce dernier ou-
vrage qui n'ont point passé dans Y Hitopadésa.
Plusieurs de ces fables nouvelles doivent être ci-
tées, parce qu'elles nous sont déjà connues par des
imitations. Je remarque d'abord la huitième fable
du premier livre , intitulée ! le Jeune Prince , le
' J'ai déjà dit plus haut pour le lils du marchand ayant vu de ses
Pantcha-lantra, que les fables in- propres ycui un étranger jouir des
diennes ne portaient pas de titre , charmes de son épouse, tomba dans
mais commençaient par une stance le désespoir ; craignez que votre
de deux vers. Cette fable-ci cnm- imprudence ne vous soit également
menée parla stance suivante : « F.e funeste.' »
SUR LES FABLES INDIENNES. 75
Marchand et sa Femme1, et dont voici l'analyse. Un
jeune prince , nommé Toungabala, en parcourant
un jour la ville confiée à son gouvernement, aper-
çoit une femme d'une beauté ravissante , et dont il
devient éperdument amoureux. Rentré chez lui, il
envoie sur-le-champ à cette belle une habile entre-
metteuse , chargée de plaider sa cause. Lavanyâ-
vati (c'était le nom de la dame) avait vu le prince
et n'avait pu se défendre de l'aimer ; mais ne vou-
lant pas confier son secret à l'entremetteuse , elle
lui déclare simplement que , fidèle à ses devoirs ,
elle obéira toujours à son mari quelque chose qu'il
lui commande. L'entremetteuse, vient rapporter le
tout au jeune prince , qui voit bien que c'est par
le mari qu'il faut obtenir la femme. D'après l'a-
vis de sa conseillère2, il admet le marchand, époux
de Lavanyàvati, au nombre de ses serviteurs, et
lui témoigne une entière confiance. Un jour, après
avoir fait une magnifique toilette, Toungabala dit
;i son confident : « A partir d'aujourd'hui, je veux
célébrer, pendant un mois, la fête de la déesse
Gauri , présente moi chaque soir une jeune fille de
bonne famille , et je l'accueillerai comme il con-
vient. »> Le soir même, le marchand amène une
jeune fille, et se cache pour voir ce qui va se pas-
1 llilopculesas id est Jnstilutio * L'entremetteuse raconte ici HOC
salularis. Ed. Schlegel et Lassen. table qui prouve qu'on obtient pai
p. 59.-— Tht llrvlopuilcs, transi. la IHM 08 qu'on ne pourrait BW
pff WUktn», p 77. se procurer par la force.
7<) ESSAI
ser. Toungabala, sans même prendre la main de
la jeune fille , lui donne une riche parure et des par-
fums , puis la fait reconduire aussitôt par ses gar-
des jusqu'à sa demeure. Le marchand, séduit par
l'attrait du gain, amène le lendemain sa jeune
épouse , et la présente au prince. Toungabala , re-
connaissant sa chère Lavanyâvatî , l'embrasse avec
transport et l'entraine sur un riche sopha. Le mal-
heureux marchand témoin de sa propre honte, dé-
plore son imprudenceet s'abandonne au désespoir '.
Dans la sixième fable 2 du même livre , une
jeune femme, surprise au milieu d'un tète-à-tête
amoureux par son vieil époux , se jette au cou du
bonhomme , l'accable de caresses et lui prend la
léte entre ses mains, afin de l'empêcher devoir
son amant qui s'échappe furtivement ".
• On verra plus loin, dans le Livre glaise des Gesta Romanorum, pu-
de Si/ndpas , une mauvaise imita- bliéc par le rév. Charles Swan ,
lion de ce joli conte. Londres, 1824; in-12, t. II, p. 100
» LTilopadesas id est Inst.sal., et 102.) — Voyez encore l'Hcpla-
p. 27. — The Heetopades,p. 52. me'ron delà reine de Navarre (nou-
3 Cette petite fable parait être le velle vie) , la xvie des Cent Nou-
type des contes vne et vme de la velles Nouvelles , le Recueil de
Discipline cléricale (Disciplina Bandello (Parte I, nov. xxm), ce-
clericalis) de Pierre Alfonse (édi- lui de Malespini (p. I, nov. xliv),
tion des bibliophiles, t. I, p. 59 et celui de Sabadino (ty>v. IV), les
03; édition de M. Schraidt, p. 48 Face'cieuses nuicts du seiginur
et 49. Voyez aussi les Fabliaux Straparole (Ve nuit, iv« conte, 1. 1,
de Lerjrand d'Aussy, t. IV, p. 188 p. 400, édition de 1720 , petit in-
de ledit, de 1829, in-8\) Ces deux 12), les Contes ded'Ouvillc (t. II,
contes ont passé dans le grand re- p. 215), et autres recueils de facé-
cueil intitulé Gcsta Romanorum , lies. — .Te ne dois pas oublier de
do nt ils forment les chapitres cxxn dire que. cette ruse , dont les récits
ri cxxni. (Voyez la traduction an- sont si -nombreux , se retrouve en
31 R LES FABLES INDIENNES. 77
La neuvième fable du second livre ' offre une
ruse de femme bien connue, grâce à Boccace. —
Une femme galante , entretenait en même temps
un commerce amoureux avec un juge et son fils.
Un jour qu'elle était en tête à tête avec le jeune
homme , le père vint lui rendre visite. Elle fait ca-
cher son jeune amant dans le grenier , et recevant
le juge , elle continue avec lui l'entretien qu'elle
avait commencé avec son fils. Survient le mari de
la dame. Sa femme l'aperçoit , et dit au juge :
« Prenez ce bâton , et sortez en témoignant une
grande colère. » Le mari, voit le juge sortir tout
furieux , et en demande la raison à sa femme. « Il
est irrité contre son fils , répond-elle , le pauvre
jeune homme , pour échapper au courroux de son
père , s'est réfugie dans notre maison , et je l'ai ca-
ché dans le grenier. Le père est venu le chercher
ici, et n'ayant pas pu le trouver , il est sorti fort en
colère. » Alors la femme l'ait descendre le jeune
homme du grenier et le présente il son mari. -
dernier lieu dans l'histoire des doute que l'a [tris Boccace pour
amours de madame et du coinlc de l'introduire dans son Dccame'ron
Guiclie. Voyez les Fragment de (VII* journée, vi« nouvelle). Le
lettres originales de Charlotte Eli- même conte est le iv de la Disci-
sabcih de Bavière, et la Moç/ra- pline cléricale de Pierre Alphonse
phic universelle , article de Phi- (t. I, p. 67), mais avec quelque
lippe d Orléans, t. WXII, p. 103. différence dans les détails. On le
• Jlilopadesas , p. (i(i. — The rencontre encore dans les Facéties
Ehetopades, p. 136. <la Poge ( Poggii florentini face-
* Ce conte se retrouve dans le ro- tiarwn libellus anicas. Londini,
moi grec de Syntipas (p. 39, édit. 1798, in-18, t. I, p. S73), dans
de BoiMomde) . et c'est la sans les SsrmosMi convivales de <;a>t
78 ESSAI
Je ne dirai qu'un mut de la traduction persane
de YHilopadésa, intitulée Mofarrih-Alcoloub (l'É-
lectuaire des cœurs) et composée par Tadjed-
din. Je ferai seulement observer, d'après le té-
moignage de M. de Sacy !, que le traducteur
musulman a presque partout supprimé ce qui dans
l'original à trait aux dogmes , aux rites religieux
et a la philosophie des indiens, et qu'il y a substi-
tué des idées et des expressions prises du ma-
hométisme. Ainsi dans la fable intitulée le Chas-
seur, la Gazelle, le Sanglier, le Serpent, et le Cha-
cal, fable que nous avons vue dans La Fontaine,
sous le titre du Loup et du Chasseur, le traducteur
persan représente le chacal , à la vue des trois
corps morts, récitant, en action de grâces, la fatiha
ou première surate de Y Alcoran. Le premier livre
est seul reproduit un peu fidèlement ; nombre de
fables des trois autres livres ont été supprimées.
Nous voici arrivés au terme de l'examen des di-
verses métamorphoses que le livre de Bidpaï a su-
bies. Nous avons vu comment ce recueil d'apolo-
gue avait été traduit du sanscrit en pchlevi J
(Basil., 1545; p. 21), dans le re- (Paris, Techcner, 1837) repose en-
cueil de Bandcllo (Parte secundo , tièrcmcntsur celte donnée.
nov. XI), et dans les Contes de • Notices et extraits des MSS.,
d'Ouville (t. II, p. 204). Il forme t. X, p. 239 et 241.
encore un incident de la comédie » Je dois faire ici une rectification
de Bcaumont et Fletcher, intitulée importante, relativement à l'auteur
les Femmes satisfaites (wemen île cette version pehlcvie. J'ai dit
pleasod), et la Force du PouUer p1ashaut,p.9,note, qneBarzouyeh
SUR LES FABLES INDIENNES. 79
ou persan ancien, dans le vie siècle de notre
ère; puis dans le vme, du pehlevi en arabe ,
de l'arabe en persan moderne quatre siècles plus
lard , de l'arabe en grec à la fin du xie siècle ,
et en hébreu peut-être vers le même temps ; de
l'hébreu en latin dans la seconde moitié du xm(
siècle, et du latin dans plusieurs des principales
langues de l'Europe. Quelques fabliaux, contes ou
nouvelles, nous ont offert des emprunts faits h lïid-
paï, et nous avons vu les obligations que lui a no-
tre fabuliste. Nous allons maintenant passer a
l'examen d'un livre non moins curieux.
était peut-être indien do naissance;
mais cette conjecture reposait sur
un passage de la traduction anglaise
du Calila et Dimna, lequel est pro-
bablement inexact : suivant la
traduction du même passage, par
M. de Sacy, Barzouyeh dit : Mon
père était du nombre des militaires
et ma mère d'une des principales
l'amilles des Mages. (Mémoire his-
torique, p. 20.)
&0 ESSAI
SENDABAD.
Le Livre de Sendabad est un roman oriental
dont il existe des traductions, ou, pour mieux dire,
des imitations dans presque toutes les langues eu-
ropéennes , et dans plusieurs langues asiatiques ,
et qui, sous le titre d'Histoire des sept Sages de
Rome y a obtenu un grand succès en Europe , du
xiue siècle au xvie l. Le renseignement le plus
ancien et le plus positif que nous possédions
sur ce livre, nous est fourni par Massoudi, histo-
rien arabe d'une grande autorité, lequel vivait au
xe siècle de notre ère 2. Dans sa chronique intitu-
luée Moroudj-alzeheb (les Prairies] d'or) , au cha-
pitre des Anciens rois de l'Inde , Massoudi parle
d'un philosophe indien, nommé Sendabad, contem-
> On sait qu'il n'existe aucun les des Voyages. Richard Hole a
rapport entre le Livre de Sendn- publié aussi sur les voyages de
bad et les Voyages de Sindbad- Sindbad une dissertation curieuse
le-Marin que Galland a intercales intitulée Remarks on the Ara-
dans sa traduction îles Mille et bimi Pfights Entertainment* ,in
une Nu ils, à la grande satisfaction which ihc oriyin of Sindbad's
des lecteurs; mais qui ne faisaient voyage» and other oriental fic-
point partie de son manuscrit. On fions is particularly considered.
peut consulter sur ce roman, con- London, 17î)7, in-N".
Bidéré sons le rapport des indica- • Massoudi mourut l'an 345 de
tions géographiques qu'il renferme, l'hégire, ou 956 de J.-C. (liiogra-
un mémoire de M. Walckenaer, in- phie universelle, tome XXVII,
séré dans le premier volume de page 389.)
l'année \H~>2 des Nouvelles arma-
SUR LES FABLES INDIENNES. 81
porain <lu roi Gourou1, et autour du livre intitulé
les sept Vizirs, le Pédagogue , le Jeune homme, et
la Femme du roi. « C'est, dit-il, l'ouvrage qu'on
appelle le Livre de Sendabad". » Ces mois indi-
quent nettement l'Inde comme la patrie du Livre
de Sendabad, et donnent à penser qu'il en exis-
tait du temps de Massoudi une traduction arabe ou
persane 8, bien connue alors, mais aujourd'hui
perdue ou du moins fort rare en Orient. Quoi qu'il
■ L'étude de la chronologie in-
dienne esl encore trop peu avancée
pour qu'on essaie de déterminer
même approximativement à quelle
époque ont pu vivre le roi Gourou
et Sendabad. Remarquons d'ail-
leurs que le court article de Mas-
soudi renferme probablement une
erreur. Sendabad y est nommé
comme l'auteur du livre, et nous
le retrouvons parmi les personna-
ges du roman , comme nous l'at-
testent la version hébraïque et la
version grecque. Pour expliquer ce
l'ait, il faudrait supposer que l'au-
teur du livre a décoré de son pro-
pre nom un sage qui , dans le ro-
man , joue un personnage fort ho-
norable.
L'auteur du Modjcmel - altc-
warikh (fol. 01, recto du MS.
persan iv> G'2 de la Rdjliofhèque
du Roi ) , noua apprend que le Li-
vre de Sendabad a été composé
sous la dynastie persane des Arsa-
cldes, laquelle commença 356 ans
avant J.-C. et finit ven l'an 2'23
de notre ère. (Langlès, traduction
française des Voyagesdi Sindbad-
le-Marin. Paris, 1814; in-18, p.
130. ) Un passage de l'historien
arabe Hamza Isfahani, dont je dois
la communication à l'obligeance de
M. Mullcr, confirme cette indica-
tion, d'où il résulterait que le Sen-
dabad-nameh , aurait été rédigé en
persan bien avant les fables de
Bidpaï, et, selon toute apparence,
d'après un original sanscrit , ou
d'après des traditions indiennes.
» Silvestre de Sacy, Notices et
extraits des manuscrits , t. IX ,
[). 404.
3 M. de Saey (Notices et ex-
traits , t. IX , p. '117) , pense que
c'est une traduction persane île ce
livre qui est désignée par le biblio-
graphe Badji-khalfa , sous le titre
de Sendabad-nameh. — Les deux
romans orientaux, intitulés, l'un
Histoire du prince Bakhtyar,
l'autre Les quarante Vizirs, repo-
sent sur la même donnée (pie le
Livre de Sendabad, mais n'en
son! pal des traductions. Il sera
question plus loin de ces deux ro-
mans.
82 ESSAI
en soit, l'article de l'écrivain arabe, malgré sa
brièveté, définit le sujet du livre dont il parle assez
clairement pour qu'on puisse y rapporter trois
ouvrages qui en dérivent, sans aucun doute, et qui
n'en diffèrent probablement pas pour le fonds. Ces
trois ouvrages sont le roman arabe intitulé His-
toire du Roi , de son Fils, de sa Favorite, et des
sept Vizirs ' ; le roman hébreu des Paraboles de
Sendabar - ; et le roman grec de Syntipas 3 ; dans
» Il est douteux , ainsi qu'on le
verra plus bas, qu'il y ait identité
entre le Livre de Sendabad men-
tionné par Massoudi et le roman
arabe que je viens de citer, roman
dont M. Jonathan Scott a donné
la traduction dans un volume qui a
pour titre : Talcs anecdotes and
letters, translated from Ihearabic
andthepersian. Shrewsbury, 1800;
in-8°. On peut allirmcr toutefois
que le roman traduit par M. Jo-
nathan Scott, est au moins une
imitation peu éloignée da livre ori-
ginal.
» Le nom de Sendabar est une
altération légère de celui de Sen-
dabad, altération due sans doule
à la ressemblance du D et de l'Il
dans l'alphabet hébreu. Le Mischlé
Sendabar (Paraboles de Sendabar)
a été imprimé à Constantinople, en
1616 1 comme l'a fait voir M. de
Ilossi (MSS. codices JTebr. J.-Ji.
de Rotsi, vol. I, p. l£4), et à
Venise, en 1644, 1568 et 1605.
Un exemplaire de celle dernière
édition ayant autrefois appartenu
à Gaulmin , et chargé de notes de
son écriture , se trouve aujour-
d'hui dans la Bibliothèque royale.
(Not. et extr., t. IX , p. 405.) Il
existe aussi dans le même établis-
sement un manuscrit des Parabo-
les de Sendabar, venant également
de Gaulmin, et portant le n" 510
de l'ancien fonds bébreu. M. de
Sacy a donné dans le Mémoire que
j'ai déjà cité une notice de ce ma-
nuscrit. Gaulmin avait fait une
traduction latine des Paraboles
qui est aujourd'hui perdue , à ce
que l'on croit. Groddeckius qui
connaissait ce travail , avait an-
noncé l'intention de le publier, ce
qui n'a pas eu lieu. (Groddeckius,
in Thcatro anonymorum Plac-
ciano, p. 708. — Silvestre de Sacy,
Notices et extraits, t. IX, p. 415.;
3 La Bibliothèque du Roi pos-
sède, sous le n° 2912 de l'ancien
fonds grec, un manuscrit du Livre
île Si/ntipas, écrit dans le xvi« siè-
cle, et dont l'existence avait été
signalée par Duverdicr, Montfau-
con , Il uct, et surtout par Du Cange
qui l'avait mis à prolit pour son
Glossarium ad scriptores médite
et infimœ Grwcitalis. M. Dacicren
a donné une notice dans le XLL
SUR LKS FA1U.ES indiennes. H.'i
lesquels un jeune prince, iaussemenl accusé par
une des femmes du roi, son père, d'avoir voulu
lui faire violence , est défendu par sept sages ou
philosophes qui raeontent une suite d'histoires
propres à mettre en évidence la malice et la per-
versité des femmes, ainsi que le danger d'une
condamnation sans preuves.
L'époque de la rédaction de ces trois romans
est inconnue, mais la date la plus récente que l'on
puisse assigner à la version hébraïque des Para-
boles de Sendabar est la lin du xne siècle x , et
l'on verra que cette rédaction est probablement
volume des Mémoires de V Aca-
démie des Inscriptions , et M. Bois-
sonade l'a publié sous le titre sui-
vant : ZTOTHLAX De Synlipa
et Cyri (Mo Andreopuli narratio
e codd. Pariss. édita a J". Fr.
Boisionade. Parisiis, 1828; in-l"2.
Cette édition a été faite d'après le
manuscrit analysé par M. Daeicr,
comparé avec on second manuscrit
du supplément grec. 11 avait déjà
paru en 1805, à Venise, une édi-
tion du roman de Syntipas, en grec
vulgaire , intitulée : BffuOoXo'yucàv
i'jvTÎ7vx tou œiXoGoçou , rà irXeïffra
lïïfùpvov, i/. tx; — izv./.r,; •yXwtttm
[y.ÊTacpp aiOs'v.
(tn sait qu'il n'y a aucun rapport
entre le roman de Syntipas el les
fables attribuées à un philosophe du
même nom , lesquelles ont été pu-
bliées pour la première fois par
M.iiilu'i . en n.si.
> Le rabbin Joël, auteur de la rai
sion hébraïque du Calila et Diinmi ,
traduite en latin par Jean de Ca-
pouc , sous le titre de Directorium
liumane vite (voyez cfe-dessus,
p. 17 et p. (>8) , a introduit dans
sa version demi contes empruntés
aux Paraboles de Sendabar. Cet
emprunt constate l'antériorité des
Paraboles de Sendabar a l'égard
du Calila et Dinina hébreu , an-
tériorité que prouve encore l'intro-
duction du ii in de Sendabar dons
le livre du rabbin Joël. Or, comme
on sait de date certaine que le I)i-
recloriiim liumane rite a été ré-
digé entre I2S2 et 127S , les Para-
boles de Sentiabar, étant antérieu-
res au l'aida et Diimia liélireu,
qui lui-même est antérieur au 1H-
reeforium tannons rite, doivent
être au pins tôt de la fin du sn«
siècle, el sont peut-être plus an-,
ciennes
84 ESSAI
plus ancienne. Les Paraboles de Sendabar %*ne
sont d'ailleurs précédées d'aucune préface , et l'on
ignore d'après quelle langue la traduction en a
été faite , bien qu'on puisse présumer que c'est
d'après l'arabe -.
Le roman grec de Syntipas commence par un
prologue en vers , où ce livre est annoncé comme
l'ouvrage d'un certain Andréopule , qui déclare
l'avoir traduit du syriaque3, et qui se qualifie d'ado-
rateur du Christ *. Ce prologue est suivi d'un court
avertissement en prose , où le rédacteur nous ap-
prend que c'est le Perse Mousos 5 qui a le pre-
mier écrit cette histoire pour l'utilité de ceux qui la
liront , ce qui prouve simplement qu Andréopule
■ Je suis redevable de détails
très étendus sur ce livre hébreu , à
la complaisance d'un jeune orien-
taliste, M. Richard, qui se propose
d'en publier une nouvelle édition ,
accompagnée d'une traduction fran-
çaise et d'un commentaire. Vu mon
ignorance de la langue hébraïque ,
ces renseignemens m'onlétédu plu-
grand secours.
* M. de Sacy (Sot. et exlr., t.
IX, p. 417) a remarqué que par-
mi les noms des sages qui ligurent
dans les Paraboles de Sendabar,
il en est plusieurs qui ne sont que
des noms de philosophes grecs al-
térés , ce qui décèlerait une origine
grecque. Mais je ferai observer que
les sages ne sont point nommés dans
le roman de Syntipas , et que les
noms d'Aristole. d'Kpicure et d'A-
pollonius sont assez connus des
rabbins, pour que le rédacteur de
la version hébraïque ait pu les in-
troduire dans son livre.
3 Aucun autre témoignage, à ma
connaissance, n'a confirmé l'exis-
tence de cette version syriaque, in-
diquée par Andréopule.
4 Ce prologue a été publié par
Mattha.'i,dans la préface de son édi-
tion des fables de Syntipas (p. vin),
et reproduit par M. Uoissonade dans
son édition du roman grec. Le ma-
nuscrit d'où Matthaii a tiré ce pro-
logue est, suivant ce savant, du xm^
ou du xivc siècle.
5 Peut-être ce roman avait-il été
mis en arabe ou en persan par un
musulman nommé Mousa? (Silvcstre
de Sacy, Mot. cl cxlr.,l. IX, p.
405.) '
SUR LES FABLES INDIENNES. 85
n'en savait i»as davantage, et ne conclut rien
contre l'origine indienne énoncée par Massoudi.
La version grecque d'Andréopule a été consi-
dérée, par M. Dacier *, comme le type de l'histoire
latine des sept Sages de Rome, mais diverses rai-
sons , qui seront énoncées en leur lieu , me por-
tent à croire que c'est à tort. Ce fut, selon toute
apparence, d'après le roman hébreu des Parabo-
les de Sendabar, qu'un moine de l'abbaye de Haute-
Sel ve * , nommé Dam Jehans, composa le livre
intitulé Historia septem Sapientum Romœ 3, livre
■ Mémoires de l'Académie des
Inscriptions , t. XLI, p. 550. —
M. Dacier n'ayant pas connu le li-
vre hébreu des Paraboles de Sen-
dabar, avait naturellement regardé
le Si/ntipas comme le type du livre
latin des sept Sages de Rome, le-
quel ne peut pas avoir clé composé
plus tard (pie la première moitié du
\nr siècle, et ce savant en avait
conclu que le roman grec était pro-
bablement du xic et qu'il avait été
apporté en Europe à l'époque des
croisades.
» Haute- Selve ou Haute-Seille
(Alta-Silvai , était une abbaye de
l'évêcbé de Nancy. (GalliaChris-
tiana, t. Mil, p. 1372.) Les fonda-
tions en furent jetées ( tvdifteare
cwpit) le 20 mai II 'i(t.
Les manuscrits de Y Historia
ttptem Seepientum Romet, après
avoir été sans doute assez communs,
comme on doit le penser d'après le
succès que le livre obtint, sont de-
venus de la plus grande rareté. On
en a signalé un exemplaire dans la
Bibliothèque de Berlin. (Kellcr, Li
romans des sept Sages; Tubingen ,
183(j; Einlcitung , p. xxxj) et la
Bibliothèque royale de Paris en pos-
sède un autre. Ce HIS. qui fait partie
de l'ancien fonds latin sous le
n" 850G , est de la seconde moitié
du xv1' siècle, par conséquent d'une
importance fort médiocre. Cepen-
dant l'absence de titre et quelques
légères différences que j'ai remar-
quées entre ce MS. et les éditions do
V Historia septem Sapientum, im-
primées à latin du w siècle, me por-
tent à penser que ce n'est pas une
copie d'une de ces éditions. Noyez
aussi dans la Notice de If. Daciet
i lUém.de l'Aead, des tn$e.,t, xli.
p. 532 et 658) la mention de déni
autres MSS. qui, selon toute appa-
rence, sont aujourd'hui perdus. I ne
indication vague, donnée par iluct.
dan- ion Traite de l'Origine du
8(> ESSAI
destiné à être traduit ou imité dans presque tou-
tes les langues de l'Europe. Une des premières
imitations françaises de ce roman latin date du
xme siècle et a pour auteur un trouvère nommé
Hébcrs ou Herbers, qui adopta l'ouvrage de Dam
Jehans pour thème d'un grand poëme intitulé Les
Sept Sages de Rome, mais plus connu sous le nom
de Dolopailios, et dont le héros est Lucinien, fils
deDolopathos \ roi de Sicile. Ce poëme, dont il
ne reste aujourd'hui que deux manuscrits, dont un
imparfait'-, est beaucoup plus étendu que l'ori-
ginal, auquel Herbers a ajouté plusieurs contes,
en développant d'ailleurs, à sa manière , ceux qu'il
romans, forait croire que le doclc
évêque connaissait d'anciens ma-
nuscrits du livre de Dam Jehans.
> C'est à tort que plusieurs savans
ont désigné sous le litre général de
J)i>lo])(itlii)s les diverses rédactions
du Livre des sept Sages, ce titre
ne pouvant convenir qu'au poème
d'Hcrbers. Cette distinclionesld'au-
taiitpliisesscntielle, quccepoémccsf
uuliv re tout-à-fait à part, qui n'estlo
type d'aucun autre. — Fauche! est le
premier qui ,dans sonouvrage intitu-
lé /.'i iiteil de l'Origine de lalangm
et poésie française rymeet romans,
ait donné sur le poème d'Herbers
quelques détails qui ont été repro-
duit- par Duverdier dans le IV' vo-
lume de sa Bibliothèque. (Voyez les
i >Eu vres de Claude Fauche! . Paris ,
1606; in-V\ p. 660.) Un extrait as-
-e/. étendu du Bolopalhos se trouve
dans le recueil intitulé Le Conser-
vateur, ou Collection de morceaux
rares et d'ouvrages anciens et mo-
dernes, élagues, traduits et refaits
entoutou en parité. (Janvier, 1760;
p. 17&-30&)
■•■ Le seul de ces deux manuscrits
qui soit complet, a autrefois appar-
tenu au fonds de la Sorbonne, et,
c'est celui sur lequel a été composé
l'extrait du Dolopathos, publié dans
Le Conservateur de janvier 17(J().
On l'a cru perdu pendant très long-
temps , mais M. Paulin Paris l'a
retrouvé à la Bibliothèque du Roi,
et c'est à sa bienveillante amitiéque
je dois la connaissance de ce pré-
cieux manuscrit. Il porte le n- ON] ,
Sorbonne. Le second, qui fait par-
tic «lu fonds de Cangé sous le n<*27,
est incomplet i la Bn.Ces deux ma-
nuscrits sont l'un et l'autre du
xiie siècle*.
si R LES FABLES INDIENNES. 87
a conservés '. C'est Herbers lui-même , qui , dans
sa préface , fournit, sur l'époque où il vivait et sur
le moine de Haute-Selve, le peu de détails que
l'on possède :
Uns blans moines de bêle vie
De Halte-Selve l'abeïe
A ceste histore novelée,
Par bel latin l'a ordenée.
Herbers le vcult en romans traire
Et de romans uns livre faire,
El nom et en la reverance
Del fils Felipe au roi de France
Locy c'on doit tant loer a.
Plus loin , ii la suite d'un long discours sur les
connaissances du jeune Lucinien, le poète dit :
Si comme Dans Jehans nous devise
Qui en latin l'islorc mist
Et Herbers qui le roman list
De latin en roman le truist 3.
Par les deux derniers vers du premier passage,
lesquels présentent, il est vrai, un peu d'ainlu-
> L'énorme différence que l'on xur etxiv1 siècles, traduire (fêtait
remarque entre Y llistoria septem imiter en se donnant toutes les H-
Sapientum et le poème d'Hcrbers, bertés possibles,
que ce trouvère prétend avoir Ira- * Roquefort De l'État de lapoe-
duit du livre latin composé par le sie française <m.i- m" et un* «iV-
motae de Hautc-Sclvc, pourrait des. Paria ,1811; in-S*, p. 178. —
faire penser que YHistoria septem Leroux de Lincy , Description di l
Sapiettfwm n'est point l'œuvre de MSS. qui renferment le roman de
Dam Jehans , et «pie le livre de ce 7Jn<f,p. xxxiv. — Le SES. de Cangé
dernier csi perdu; mais rien c'est el celui de la Sorbonne ofirenl ici la
moins probable. <>n sait (pie poui même leçon.
les poètes et les romanciers des xii 3 Roquefort, *Md, p. 175
88 ESSAI
guïté, Herbers semble désigner un prince nommé
Philippe, et lîls d'un roi Louis, comme son royal
protecteur , ce qui n'est applicable qu'il Philippe-
le-Hardi, successeur de Louis IX '. Or, le fils du
saint roi étant né en 1245 , on peut en conclure ,
avec M. de Roquefort, qu'un ouvrage composé
pour lui, dans sa jeunesse, a pu être terminé
vers l'an 1260, ou un peu plus tard. Mais il ré-
sulte d'une autre variante du même passage, cité
parFauchet -, qu'il s'agit ici, au contraire, d'un
prince nommé Louis, fils d'un roi Philippe, et alors
l'auguste personnage pour qui le trouvère aurait
composé son livre serait, ou bien le fils de Philippe-
le-Bel, depuis Louis X, ce qui est peu probable,
ou bien plutôt Louis, fils de Philippe-Auguste, «à
qui, du vivant de son père, les barons anglais of-
frirent la couronne, après la déposition de Jean-
sans-Terrc, et qui, en 1223, monta sur le trône
de France, sous le nom de Louis VIII \ Dans ce
dernier cas, la rédaction du Dolopalhos appartien-
> Le MS. de la Sorbonnc porte à Les vers de la lin offrent encore
la ftn : la variante qui suit :
Herbers define ici son livre, Hebers definc ici son livre.
Au bon roi Locys le livre A l'évesque du Meaux le livre
Cui Diex doint bonorensa vie. Qui Diex doint henor en sa vie.
Et ces vers semblent s'adresser 3 M. Paulin Paris, mon ami, qui
à saint Louis. a bien voulu, à ma pricre exami-
na citation de Fauchet porte : ner les deux variantes du passage
El nom et en la révérence d'Herbe», pense qu'elles peuvent
Del roi BiPhelippe de France l'une et l'antre désigner Lonis VIII.
Loeis qu'en «luit tant loer.
mk LES FABLES INDIENNES. 89
drait aux premières annéesdu xme siècle. Quant au
moine de Haule-Selve, il semble être désigné par
Herbers, dans les vers que je viens de citer, si non
comme un contemporain , du moins comme un
personnage dont le souvenir était encore récent,
et la date bien constatée de la fondation de l'ab-
baye «à laquelle il appartenait, ne permet pas de
reculer plus loin que la seconde moitié du
xnc siècle, l'époque de son existence.
J'éprouve encore plus d'incertitude relative-
ment «à un trouvère dont le nom est resté in-
connu, et qui composa probablement dans le cours
du xiu' siècle , non plus une imitation très libre ,
mais une traduction en vers ', assez fidèle, de YJIis-
toria septem Sapientum, qui fut aussi traduite en
prose -. De la version en vers français, composée
i Cette traduction vient d'être bliothèque du Roi et la Bibliothèque
publiée en Allemagne, par M. Kel- de l'Arsenal possèdent chacune un
1er, sous le titre suivant : Li romans exemplaire, la première sous Icn-
des sept Sages, nach (1er pari- 192, Y. 2 , la seconde, sous le n-
serhandschrift hcrausgegcbenvon 13009 belles-lettres A'ul réimprimée
If. A. Kellcr. Tubingen, 183(1; in- deux ans après en 149-4 , de même
•S". Cet ouvrage est précédé d'une à Genève. Cette traduction fran-
savante introduction. çaise imprimée est entièrement oon-
* La Bibliothèque du Roi possède forme dans tous les détails a Fllis-
plusicurs manuscrits du xiik siècle, toria septem Sapientum , ctpour-
renfermant cette version en prose, rait bien avoir été composée à la lin
qui est celle que publie M. Leroux du vvsièclesur une des éditions du
de Lincy. Elle diffère notablement livre latin. Le Style en a été rajeuni
de la version française en prose ren- dans l'édition suivante , dont j'ai
fermée dans l'édition gothique avec sous les veux un exemplaire appar-
figoreSj publiée à Genève en 1492, tenant à la Bibliothèque de T Ane-
in-4o, et intitulée Les sept Sages de nal : les sept Sages de Rotm
Romme. Cette édition, dont la Bi Histoire tfHoncianui empen
1)0
ESSAI
par le trouvère anonyme, dérive, selon l'opinion
très fondée de M. Ellis ' , une ancienne traduction
en vers anglais, dont ce savant a donné une bonne
analyse-, précédée d'une introduction. Une autre
version anglaise, en prose 3, parait dériver direc-
tement du texte latin. Il en est de même de la ver-
sion en prose, imprimée à Genève, en 1492 4.
Le roman des Sept Sages de Rome fut encore
traduit du latin en allemand5, en hollandais c et en
et de son fils unique, nommé
Dyoclecian. A Lyon, par Jean d'O-
gerolles , 1577; petit in-12. — Hon-
cianus est une pure et simple faute
d'impression; on lit ailleurs dans
le volume Poncianus, comme dans
l'édition de Genève. — M. Keller
cite encore l'édition suivante : les
sept Saiges de Romme , histoire
de Poncianus V empereur, quin'a-
voit qu'uny fils qui avoit à nom
Dyoclecian. Lyon, Oliv. Arnoullet;
in-4 , gothique. La dernière édi-
tion, à ma connaissance, est celle
d'Oudot : le Roman des sept Sages
de Rome. Troy es , Nicolas Oudot,
i662; in-8°.
• Spécimens of early english
metrical romances. London, 1811;
ïn-s , vol. III, p. 16.
2 The seven wisc masters, ibid,
p. 25-101 . — Weber en a publié le
texte dans le III« vol. de l'ouvrage
intitulé Mutrical romances of the
thirlecnlh , fnurtcenth and fif-
teenth centuries published fnnn
ancient manuscripls tcilh an
introduction OOlet uni n glo$SOr
ry i>n Henri/ Weber, Edimburgb,
1810, 5 vol. iu-8o.
3 Seven wise masters , W. Co-
pland, i™ édition sans date , mais
de 1548 à 1567, ouvrage souvent
réimprimé. lien existe une traduc-
tion en vers écossais , composée par
John Rolland, et imprimée à Edim-
bourg en 1578, 1592 et 1631 ;
in-8°.
4 Voyez la note 2 de la page 89.
5 Hyslorivon den sybenweysen
meystern. Ausburg, 1475; in-fol.,
65 feuillets.
Von densieben weisenmeistern.
Ausb.1474.
On trouvera dans l'introduction
mise par M. Keller en tête de son
édition du Roman des sept Sages,
en vers français, des détails très
étendus sur la traduction allemande
du roman latin et sur les nombreuses
éditions de ce livre ; mon ignorance
à peu près complète de la langue
allemande ne me permet pas de
m'engage! dans cet exposé.
G Die hyslorie uan die scuen
wi$e maanen uan Romen.Te Dclf.
i 'iS5; iu-'i ", Ggures en bois.
Hier beghini de historié van de»
SUR LES FADLES INDIENNES. !H
danois ', et chose singulière, il fui retraduit de l'al-
lemand en lalin par le jurisconsulte Modius, dont
le livre fut publié vers 1570 2. Modius, à ce qu'il
parait, ignorait l'existence de YHistoria septem
Sapienlum, qui avait cependant été imprimée plu-
sieurs fois dans le xvc siècle 5.
VII wiisen mannen van Rome.
Antw. N. de Leeu; in-4<>, figures
en bois.
• Voyez l'introduction de Keller,
p. XXXI.
a Ludus seplem Sapientum de
Aslrci régit wlolcscentis educa-
tione, periculiij libérations, insi-
gni exemplorwn amœnitçte ico-
mtin que elegantia Ulusiratus
tmtehac latino idiomate Un hircin
twnquam editut. Le livre porte à
la lin : Inijiiissinii l'raneofiirtitul
Mirinnii apUd Paulum Reffeler ,
itnpensis Sigistnundi Feyrabent.
l'etil in-13, sans date
3 J'ai sous les yeux deux de ces
éditions appartenant l'aneàla Biblio-
thèqueduRoi, l'autre à la Bibliothè-
que, de l'Arsenal , et dont je dois la
communication à la bienveillance de
mm. les conservateurs de ces éta-
blissemens. La première édition ,
celle de la Bibliothèque du Roi, est
un volume petit in-4° gothique, de
71 RndlietS, sans date ni lieu d'im-
pression . ne portant ni réclames
ni signatures ni chiffres, et par con-
séquent antérieure, selon toute ap-
parence, a I aimée 1480; elle n'a
point de liire particulier, ci porte
simplement en baul de la première
page: fnetpii historia septem Sa
pientwn Rome età la fin Explicit
historia seplem Sapienlum Rome.
Ilonorem Dei et Marie semperque
cole. Une table des histoires oc-
cupe la dernière feuille. M. Gui-
ebard, employé à la Bibliothèque
du Roi, et qui se livre avec zèle à
l'étude de la bibliographie du \v
siècle , pense que cette édition a
été imprimée en Allemagne, et, se-
lon toute apparence, à Cologne.
L'exemplaire de la Bibliothèque de
l'Arsenal porte le n° 131)08, c'est un
petit in-fol. de 40 feuillets, imprimé
a AJbi, en lettres romaines, mais
sans date, ne portant ni chiffres
ni réclames ; les signatures sont à la
main. Il porte en haut de la pre-
mière page : Incipil historia sep-
tem Sapienlum Rome , et à la lin
Explicit historia septem Sapien-
lumAlbieimpressaad ntorum >nn-
licrum virorum que emendatio-
nem. Cette édition ne diffère pas
pour le texte, de l'édition précédem-
ment citée; toutes deux n'ont ni
préface ni prologue, et commen-
cent par Poneianui rtgnaoit in
wbe Roma. Je dois à l'obligeance
de M. Th. Wrighl l'indication
dîme troisième édition sans date .
gothique, et queDibdin, dans une
note maouicrite, suppose avoir été
imprimée a Strasbourg par Cobui
.ci Eggestein ou Creussner.
92 ESSAI
L'Italie, et l'Espagne en dernier lieu, nous offrent
deux imitations du roman des Sept Sages, dont
l'une a servi de modèle à l'autre, mais X Histoire
du Prince Eraslus ', que l'auteur annonce comme
Les deux éditions suivantes sont
citées par les bibliographes. His-
toria septem Sapientum Romœ.
Col. J. Kolhof, 1490 ; in-4°, go-
thique, avec figures en bois. —
Sapientum septem Romœ Histo-
ria. Delfis, Ch. Sncllaert, 1495;
in-4°, figures en bois.
Le livre publié par Gérard Leeu,
à Anvers, en 1490, sous le titre de
Ilistoria de Calumnia novcrcali,
(petit in-4° gothique, figures en
bois), ne diffère point pour le fonds
de l'ouvrage précédent. Ce livre
porte en tête de la première vi-
gnette Historia Calumnic nover-
calis que septem Sapientum in-
scribitur r/uod ab iis sit refutata.
Le rédacteur, dans une courte pré-
face, avertit le lecteur qu'il s'est
contenté de retoucher le style de
l'IIistoria septem Sapientum et
de retrancher les noms des person-
nages qui ne conviennent pas aux
temps où ils étaient placés, que du
reste il n'a rien changé au fonds du
récit, mais que le titre d'Histoire
delà calomnie Wune marâtre lui
a paru plus convenable, à cause du
rapport de l'histoire avec celle de
Phèdre et d'Hippolyte, «le même
qu'avec celle de la femme de Puti-
phar et de Joseph, et de la chaste
Suzanne, faussemeut accusée par
les vieillards.
La Bibliothèque du Roi possède
sous le n° Y» 58 un exemplaire de
cet ouvrage que M. Dacier avait déjà
consulté pour sa notice du Livre
des sept Sages (Me'm. de VÂcad.
des Inscriptions, t. XLI) ; mais ce
savant qui ne connaissait pas les
éditions sans date de V Historia
septem Sapientum, n'ayant eu sous
les yeux que Y Historia calumnic
novercalis, a cru que nous n'avions
pas le texte du moine de Haute-
Selve, et cette erreur a été répétée.
' Li compassionevoli avveni-
menti d'Erasto, opéra dotta et
morale ~di greco tradotta in vol-
gare. Vinegia, 1542, 1551, 1552;
in-8°. Une autre édition imprimée
à Mantoue en 1 546, et citée par El-
lis,est intitulée Eraslo doppo molli
secoli ritornalo al fine in luce et
con somtna diligenza dal greco fe-
delmente tradotto in italiano. Cet
ouvrage fut presque aussitôt traduit
en français sous le titre suivant :
Histoire pitoyable du prince
Erastus, fils de Dioctétien, empe-
reur de Homme. Paris, 1565, in-18.
Ellis, dans son introduction (Spé-
cimens, etc., vol. III, p. 17), en
indique une traduction anglaise
composée par Francis Kirkman , et
publiée, en 1674, sous le titre qui
suit : Hislorg of prince Erastus
son to the emperor Diocletian and
those famons philotophers called
the tenon wise masters of Home.
Il existe eue. in- «lu livre italien la
traduction espagnole suivante: His-
toria del. principe Erasto hijodel
emperador Diortrziann traducida
SUR LES FABLES INDIENNES. 93
une traduction du grec, dérive au contraire très
évidemment du roman latin de Dam Jelians , ainsi
qu'on en verra plus bas la preuve.
L'analyse suivante du roman grec de Synlipas*,
comparé avec les Paraboles de Sendabar et avec
le roman arabe des Sept Vizirs; traduit par M. Jo-
nathan Scott, confirmera le témoignage du chro-
niqueur arabe Massoudi, relativement à l'origine
indienne du livre de Scndabad, et offrira l'occasion
de faire quelques rapprochemens curieux qui pour-
ront racheter le ridicule ou l'insignifiance de
quelques uns des contes de ce recueil.
Un roi de Perse, nommé Cyrus, avait sept fem-
mes, et aucune ne lui avait donné d'enfans. Après
avoir long-temps adresse des prières à la divinité
pour en obtenir un fils, il vit enfin ses vœux exau-
cés. Lorsque le jeune prince fut sorti de l'enfance,
on lui donna successivement plusieurs maîtres
avec lesquels il ne fit aucun progrès. Le roi prit
alors la résolution de confier l'éducation de son
de Italianopor Pedro Hurlado de sacrilior plusieurs conlcs à des scru-
ta P«ra. En Ambcres, 1573; iu-1'2. pules de délicatesse , je suis forcé
Le chevalier <le Rfailty a publié en do prendre pour base de cette ana-
1109 me nouvelle traduction Iran- lyse le roman grec de Synlipas.
caise de l'Histoire du prince Ercu- dont le texte a été publié par
(tu, d'après la version espagnole. M. Boissonade. (Voyez ci-dessus, p.
■ Aucune traduction des Para- 83.) Je me fais on plaisir de répéter
boles de Sendabar n'ayant encore ici que c'esl à la complaisance de
été publiée , et m. Jonathan Scott m. Pichard «pie je dois tous l<"> dé-
ayant cru à propos dans sa traduc- tails que je donne sur l.i version
ii<>n anglaise <hi roman des Sept hébraïque.
Yiiirs (voyez ci-di'ssus. p, S'2), de
!)4 ESSAI
lils à un philosophe, nommé Syntipas, qui s'enga-
gea à lui faire connaître, en six mois, toutes les
parties de la philosophie. Pour réussir dans son
entreprise , Syntipas fit construire une maison
vaste et commode, et sur les murailles des appar-
tenons il fit tracer la représentation de tous les
sujets dont il voulait orner l'esprit do l'héritier
royal. Lorsque tout fut prêt , il installa son élève
dans sa nouvelle demeure, et les progrès du jeune
prince furent tellement rapides, qu'au bout de six
mois il savait tout ce que le philosophe s'était en-
gagé à lui apprendre. La veille du jour fixé pour
la fin de l'éducation, le roi rappelle au philosophe
ses engagemens, et celui-ci lui promet de lui pré-
senter son fils le lendemain. Pendant la nuit, Syn-
tipas consulte les astres sur la destinée de son
élève, et voit avec étonnement et douleur que la
vie du prince est en danger, s'il est ramené à son
père avant sept jours au delà du jour convenu:
Le philosophe l'ait part de sa découverte «à son
élève ; dans leur embarras, ils conviennent ensem-
ble que le jeune prince se présentera à la cour le
lendemain, mais qu'il gardera le silence pendant
les sept funestes jours, et Syntipas se cache pour
échapper au courroux du roi. Le lendemain, le
jeune homme se rend au palais, mais, au grand
étonnement de son père et de ses courtisans, il
reste muel à toutesles questions qu'on lui adresse
SUR LES FABLES INDIENNES. '•>■>
Le roi, aussi désolé que surpris, ne sait que penser
de cet étrange événement. Une des femmes de Cy*
rus lui demande de lui confier le prince, elle l'em-
mène dans son appartement , et emploie les priè-
res et les caresses pour l'engager à rompre sou
silence obstiné. Tout est inutile. Elle essaie alors
de tenter son ambition. « Je vous enseignerai, lui
dit-elle, les moyens de vous défaire de votre père
et de régner à sa place, si vous consentez à m'é-
pouser. » Le prince, indigné, ne put contenir sa
langue : « Apprends, s'écria-t-il , qu'à présent je
ne puis te répondre; mais dans sept jours...» Cette
femme se voyant perdue n'hésite pas: elle déchire
ses vêtemens, se meurtrit le visage, et va se plain-
dre au roi de la brutalité de son tils '. (ivrusdans
sa colère condamne le prince a mort.
Le roi avait à sa cour sept conseillers ou philo-
sophes investis de toute sa confiance. Informés de
l'arrêt porté contre le jeune homme, ils ne purent
pas le croire coupable, et soupçonnant quelque
trahison de la part de l'accusatrice, ils eonvinréni
entre eux de passer chacun un jour entier auprès
du roi, et de faire tous leurs efforts pour fléchir
sa colère , dans la crainte que plus lard CyrUS ve-
nant il se repentir de la mort de son lils, ne les en
rendit responsables *.
1 Il n'est pas besoin de faire re- probablement tout a l'ait fortuit,
marquer le rapport de eel incident Tout ce début est à peu près le
avec l'histoire de Phèdre, rapport même dans la version hébraïque
9(> ESSAI
Celui ii qui était échu le premier jour se rendit
sur-le-champ au palais. « Sire, dit-il aCyrus après
s'être prosterné devant lui, un roi ne doit jamais
prendre aucune détermination avant de s'être
bien assuré de la vérité. Ecoutez, à ce sujet, le récit
que je vais vous faire *.
« Un roi , qui aimait les femmes avec passion ,
aperçut un jour une dame dont la beauté fit une
telle impression sur lui qu'il en devint éperdument
amoureux. Pour jouir de l'objet de ses vœux , il
éloigne le mari de cette belle personne, en le char-
geant d'une mission, et profitant de son absente,
il se rend chez cette dame. Il lui déclare son amour
et emploie inutilement les prières pour obtenir
qu'elle contente ses désirs. La dame lui repré-
sente l'indignité de l'action qu'il veut commettre,
et le roi, ne pouvant réussir à vaincre sa résistance,
se retire sans s'apercevoir qu'il a laissé tomber son
anneau2. Le mari, en revenant chez lui, découvre
à l'exception de quelques différences ne portent point de nom dans le
dans les détails. La scène est placée roman grec , tandis qu'ils sont , au
dans l'Inde, et le roi, qui se nomme contraire, nommés dans ïlfisloria
Bibur , choisit pour précepteurs de septem Sapientum Home. Aucun
son fils, sept philosophes qui por- des personnages ne porte de nom
tent presque tous des noms f:rccs dans ['Histoire des sept Vizirs
altérés , parmi lesquels on recon- traduite par M. Jonathan Scott,
naît ceux d'Apollonius , de Lucien, (Voyez ri-dessus, p. X-2, note.)
d'Aristote et d'Hippocrate. Senda- ■ Pour ce conte, comme pour les
bar, le premier des philosophes , suivans , je me suis borné adonner
finit par élre chargé définitivement une analyse ou j ai l'ail en sorle de
de l'éducation du jeuneprince.il n'omettre aucun détail important,
est à remarquer que les philosophes i Dans les Paraboles de Senda-
SUR LES FAILLES INDIENNES. 97
cel anneau auprès du lit, le ramasse, et reconnaît
qu'il appartient au roi. Convaincu par cette preuve
que Le prince a pénétré dans la chambre conju-
gale, il prend la résolution de s'abstenir de tout com-
merce avec sa femme. Au bout de quelque temps,
celte dame, à qui son mari avait caché ses soupçons,
el qui, de son côté, avait craint de l'entretenir de
l'amour du roi, blessée de la froideur de son
époux , s'en plaignit à son père et à ses frères.
Ceux-ci firent mander le mari devant le roi : « Sei-
gneur, dirent-ils , nous avons donné à cet homme
un champ à la condition de l'ensemencer, et il le
laisse en Iridié ; qu'il nous le rende, ou qu'il le cul-
tive selon son devoir. » — « Qu'as-tu à répondre
à cette plainte? » dit le roi. «. Seigneur, répondit
le mari, ils ont déclaré la vérité. J'avais jusqu'à
présent cultivé avec soin le champ qu'ils m'avaient
donnes mais un jour y ayant aperçu la trace d'un
lion , je n'ai plus osé en approcher. » — « Ne
crains rien, répliqua le roi : le lion est entré dans
ton champ, mais il n'y a fait aucun dommage et
n'y retournera plus , cultive-le connue aupara-
vant '.
har, le roi oublie la canne qu'il te- ■ Stmfaac , éd. do Boissonade,
naii a la main en entrant, Dans les p. 16. — ■ Le même eente Fait par-
■"l't Vizirs, le prince, qui a soupe tic des Pctraboiei <lr Srmlubar .
chez la daine, lait ses ablutions ainsi que du roman des stpt Vixirt,
avanl départir, et oublie sa bague el le> trois rédactions sont à peu
sons an des coussins du sopha.( Ta près conformes. Ce conte , qui est
(**, anecdotes mut letters, p 7-2. i un des trois analysés par M. Dacîei
98 ESSAI
Le premier philosophe , après avoir conclu de
cette histoire qu'il ne faut pas toujours s'en rap-
porter aux apparences, afin de mettre en garde le
roi contre la malice du sexe féminin, raconte l'his-
toire suivante : « Un marchand, curieux de savoir
ce qui se passait chez lui pendant son absence ,
acheta un perroquet qui avait le talent de rendre
compte de tout ce qu'il avait vu et entendu. Le
marchand le mit dans une cage , et lui ordonna
d'observer la conduite de sa femme tandis qu'il
irait vaquer à quelques affaires qui l'appelaient
hors de chez lui. Dus qu'il fut sorti , le perroquet
remarqua qu'un galant venait visiter la dame du
logis; il en instruisit le marchand à son retour.
Celui-ci témoigna, depuis ce moment, tant de froi-
deur à sa femme, qu'elle fut persuadée qu'il avait
pénétré le mystère; mais elle ignorait comment il
y était parvenu. Une esclave qui avait de l'expé-
rience et qui était dans le secret de sa maîtresse,
lui dit que sûrement le perroquet avait jasé. Il ne
s'agissait plus que de faire perdre tout crédit au
perroquet, en trouvant le moyen de le prendre
en faute. Or voici ce que la femme imagina. Quand
la nuit fut venue , elle suspendit l'oiseau endormi
pics d'un moulin à bras , et attacha au dessus de
(Mém. de VAcad. des Inscr., t. et traduit sous le litre de la Pan-
\ i.i . p. 540) , se retrouve dans le touflc du Sultan. (Voy. les Me'lan-
rerueil turc intitulé Adjâtb-èt- yes de littérature orientale , l. h
nicmrr , d'où Cardottne l'a extrait p. *.»
SUR LES FABLES INDIENNES. 99
la cage une éponge pleine d'eau ; puis , tournant
la meule avee rapidité , elle faisait passer par in-
tervalles une lumière devant l'oiseau. Le perro-
quet trempé de l'eau qui distillait de l'éponge,
étourdi du bruit, ébloui par la lumière , crut qu'il
avait fait cette nuit le plus violent orage. Il ra-
conta le lendemain son aventure au marchand
qui, sachant que la nuit avait été très calme, le
prit pour un fou, cessa d'ajouter foi à ses rapports,
et se raccommoda avec sa femme '. »
Ces deux récits détournent Cyrus du projet de
faire mourir son fils. Le lendemain, la femme
» 2uvTvicac,p.2i. — Ccconto,dont
j'ai emprunté l'extrait à M. Dacier
(M4m.de l'Acad. des Ins., t. XLI,
p. B50), est en outre l'un des pre-
miers dans les Mille el une Nuits,
traduites par Galland. Il se trouve
aussi dans les sept Vizirs (Taies,
anecdotes , etc., p. <J2), dans les
Paraboles de Sendabar et dans le
tKr&Èorium humant vite, de Jean
de Capoue, fol. E verso, d'où il a
• I.iiis les Discorsi degli ani-
mait de l'ircnzuola (1548 in-8» ,
p. 14) el dans les l)ni.r livres de
i'iloso/ir fabuleuse de La llivcy (p.
1 i.~>, voyez ci-dessus, p. 68el 83).
On le1 trouve encore dans le recueil
de Sansovino 1 Giom. Vil , nov.
x.j Je ne sais si je me trompe,
mais la présence du perroquet dans
ca petit conte . comme oiseau par-
leur ci intelligent , rue semble une
présomption eiiia\eunl une origine
indienne. Le perroquet joue un
rôle semblable dans plusieurs contes
indiens. A cette occasion _, je crois
faire plaisir au lecteur en citant un
quatrain sanscrit, élégamment tra-
duit par M. Chézy dans l'Anthologie
erotique d'Amarou.
l'heureux expédient.
Nuit de délices , où loin de tout
témoin indiscret , la jeune amante
a pu s'abandonner sans réserve aux
désirs du séducteur. Quelles ca-
resses ! quelles brûlantes expres-
sions!... Mais au point du jour
qu'aperçoit-elle? l'oiseau parleur qui
a tout entendu. O ciel ! et voici la
duègne qui survient, il va tout lui
redire pour sa bien-venue!
Que fait la rusée? elle détache à
l'instant de ses pendans d'oreilles
quelques rubis tranebans qu'elle
mêle adroitement avec les grains de
grenade préparés pour le déjeuner
du babillard , et trouve ainsi ïè
moyen de lui clore le bec à ja-
unis.
100 ESSAI
du roi ' cherche à le faire revenir de celte nou-
velle détermination, par l'histoire, fort insi-
gnifiante cependant , d'un foulon qui se noie en
voulant sauver son fds que le courant d'un fleuve
emportait -. Celte histoire produit l'effet désiré sur
le roi , qui , pendant les sept jours , joue ainsi le
rôle ridicule d'un homme qui change de résolu-
tion deux fois dans la journée.
Au moment où le jeune prince va être conduit
au supplice, le deuxième philosophe se présente de-
vant Cyrus , et demande la révocation de la sen-
tence. Il récite , dans celle intention , un premier
conte très insignifiant 3, suivi d'un autre mieux
imaginé qui a pour objet de prouver que l'esprit
des femmes est inépuisable en ruses. « Un officier
aimait passionnément une femme et en était aimé;
un jour que son mari était absent, l'amant envoya
sou esclave pour savoir si on voulait le recevoir;
l'esclave était jeune et bien fait , il plut à la dame ,
et la rendit inlidèle. L'officier ennuyé d'attendre
si long-temps son retour, et encore plus impatient
de voir sa maitresse, se rend chez elle. Au bruit de
son arrivée , la femme ne se déconcerta point et
• Le grec porle wai femme , la vieille traduction française.
et l'hébreu nadrah, jeune tille; = ïjvriîvaç, p. 24. — Paraboles
la traduction de M. Jonathan Scott de Sendabar. — Les sept Vizirs.
porle concubine. Ce n'est que dans (Taies, etc., p. 07.)
Y Historia septem Sajjientum Ro- 3 Les deux gâteaux. — 2uvtî-
mœ qu'elle est appelée regina , 7rx;,p. 20. — Paraboles de Senda-
reine, ou empereris, comme porte bar.
SLR LES FABLES INDIENNES. 101
lit cacher l'esclave dans son appartement intérieur.
L'amant est reçu , avec les démonstrations ordi-
naires de tendresse , mais la f'étc est troublée par
la nouvelle du retour du mari. Quelle ruse ima^ri-
giner? Si on fait entrer l'officier dans l'intérieur
de la maison , il y trouvera son esclave , et décou-
vrira ce qu'on veut lui cacher. Un expédient s'offre
tout à coup à la femme : « Mettez l'épée à la main,
dit- elle à son amant, feignez le plus violent cour-
roux , accablez-moi d'injures , et sortez sans rien
dire à mon mari. » L'officier joua parfaitement son
rolc Dès qu'il fut sorti, le mari, surpris et effrayé,
demanda a sa femme quelle était la cause de tout
cé fracas. « Cet officier, répondit la femme, est
entré ici à la poursuite de son esclave, que j'ai fait
caoher dans l'appartement intérieur, pour lesous-
traire à sa colère, et le refus que j'ai fait de le lui
livrer, m'a attiré les injures que vous avez enten-
dues. » Le crédule mari court aussitôt dans la rue
pour voir ce qu'est devenu l'officier, et dès qu'il
l'a perdu de vue, il revient trouver l'esclave : « Mon
ami, lui dit-il, tu peux t'en aller en paix, ton maî-
tre est déjà bien loin'. »
i Suvtmtoc , p. 29. — Ce conte pas douteuse. Il fait aussi partie
«l'int j'ai emprunté encore L'extrait des Paraboles de Sendàbar et du
à m. Dàcier, ne diffère en rien., roman des sept Vitirs. (Taies, eic,
pour le fond , de celui de la Fer- p. 77.) On a vu que c'est du LtVre
mtsrs et de ses deux Amans, dans de Syntipcu qu'il a passé dans le
VHitopadëia (voyez ci-dessus, p. Déeaméron, et de là dans d'autres
7" i, ainsi son origine indienne n'est livres facétieux.
102 ESSAI
Ces deux contes amènent un nouveau sursis, que
la femme du roi fait révoquer le lendemain au moyen
de l'histoire suivante : — Un jeune prince part pour
la chasse avec un des conseillers du roi son père. En
s'acharnant à poursuivre un onagre , il s'éloigne
de sa suite , et rencontre une lamie ou ogresse '
qui se présente a lui comme une princesse égarée.
il la prend en croupe, mais ayant bientôt occasion
de s'apercevoir du danger qu'il court, dans son ef-
froi, il élève ses regards vers le ciel : « Seigneur
Christ, dit-il, aie pitié de ton serviteur et délivre-le
de ce démon. » Aussitôt la lamie, s'élancant du che-
val, disparait sous terre, et le jeune prince retourne
au palais de son père, encore tout en émoi-. La
femme du roi termine son récit en présentant
cette aventure comme un piège tendu au jeune
prince par le ministre qui l'accompagnait, et elle
en prend occasion de s'élever contre les conseillers
de Cyrus.
Le troisième philosophe réplique par deux his-
toires dont la première a pour but de prouver que
des événemens très graves résultenl souvent d'une
cause très futile5. La seconde est curieuse en <<■
. Dans les Paraboles de Senda- par Galland (le Vizir puni),
bar la lamie est remplacée par un 3 Une querelle sanglante entre
démon femelle nomme Srliidah. deiu Pa78 voisins est occasionnée
îl-jvri-a;, p. 52.— Paraboles Par le vo1 dunG ruche à miel.
de Sendabar. — Les sept Vizirs SmMraç, p. T,7. — Les sept Vi-
Ifale» anecdotes, etc., p. 81).— «{«(Tal^etc., 88).
/ rs Mille et vvp Nuits , traduites
SUK LES FA1JLES INDIENNES. 103
qu'on en retrouve la trace dans l'Inde. La voici :
Un homme envoie sa femme au marché lui acheter
du riz. Le marchand auquel elle s'adresse fait ob-
server à cette femme que le riz se mange ordinai-
rement avec du sucre, et offre de lui en donner
gratuitement si elle consent à lui accorder un en-
tretien secret. La femme exige que le sucre lui soit
livré d'abord; et le mettant avec le riz dans une
serviette, elle confie le tout au garçon de bou-
tique, et suit le marchand dans son apparte-
ment. Pendant ce temps, le garçon ôte le sucre et
le riz et met de la terre à la place. La femme en
sortant prend la serviette sans y regarder et l'ap-
porte ii son mari qui est fort étonné de n'y trou-
ver (pie de la (erre. La femme se doute bien du
tour qu'on lui a joué, mais elle ne se trouble pas.
« Je me suis laissé tomber dans le marché , ré-
pond-elle à son mari, et mon argent s'est perdu.
Alors j'ai ramassé la terre à l'endroit de ma chute,
dans l'espoir, en criblant celte terre, de retrouver
mon argent ». Le benêt de mari trouve la raison
fort bonne , et perd son temps à cribler la terre
sans y rien trouver '. — Le troisième philosophe en
■ £'jv7Ï-a; , p. 40. — Paraboles Thouthi-nameh. Voyez la traduc-
de Sendabar. — Jean de Capoue, tion anglaise de ce dernier ouvrage
Directorium humaine vit», loi. F. intitulée The Tooti^nameh or taies
~> verso. Celte histoire se retrouve ofa parrot. Lohdon, 1801; in-8 .
dans le reeueil indien des Coules p. 126, et la traduction française
d'un Perroquet (Souka-Saptati), de m Marie d'Heures, p. 113. —
traduit en persan v>ns le litre de Ce mule est le second dont l'origine
10 ï ESSAI
terminant son récit fait observer que les ruses des
femmes sont inépuisables, et le roi révoque de nou-
veau sa sentence.
La femme du roi revient à la charge par une
histoire fort singulière dont voici l'analyse : Un
jeune prince part accompagné d'un des ministres
du roi son père , pour la cour d'un roi dont il va
épouser la fille. Pendant la route, le ministre, sous
un faux prétexte, abandonne le prince auprès d'une
source qui a la vertu de changer en femmes ceux
qui boivent de son eau, et, retournant à la cour,
il annonce au roi que son fils a été dévoré par un
lion. Le jeune prince, qui est resté seul, boit à la
source fatale, dont les effets se manifestent aussitôt.
Heureusement pour lui , il rencontre un paysan
qui consent à devenir femme à sa place , sous la
condition de reprendre au bout de quatre mois sa
forme naturelle. Le jeune homme se pend à la cour
du roi dont la fille lui est promise, et h son retour, il
élude par une supercherie l'accomplissement de la
promesse qu'il a faite au paysan; quant au ministre
coupable, il est mis à mort. — Après cette histoire
la femme du roi blâme de nouveau la conduite des
conseillers de son ('-poux l.
indienne ne peut pas se révoquer phosé fait l'heureuse rencontre d'un
en doute. génie qui le conduit a une aniro
■ ijt-rl-y.:, p. 43. — Dans source, par la vertu de laquelle son
les $ept yizirs [Taie», anecdotes, seieluîesl rendu. Ces deux sources
elr., p. 90), le prince métamor- rappellent les deux fontaines du
SUR LES FABLES INDIENNES. 105
Le philosophe auquel est échu le quatrième
jour, vient à son tour prendre la défense du jeune
prince par deux récits qui se retrouvent chez les
conteurs indiens, et dont le premier a été si singu-
lièrement défiguré par le traducteur grec, que la
pudeur de notre langue ne permet pas d'en donner
une version littérale. Le fils d'un roi avait un em-
bonpoint qui le rendait difforme '. Un jour qu'il
était au bain , le baigneur en le voyant nu se mit
à pleurer en pensant que l'héritier du trône serait
incapable d'avoir lui-même des héritiers. Le jeune
homme lui demande la cause de son chagrin, et le
baigneur lui déclare le fond de sa pensée. « Ap-
prends , lui dit le prince , que mon père veut me
marier, mais ayant conçu les mêmes inquiétudes
Boyardo , également douées de
vertus contraires. (Voyez l'Ortan-
do iiiHdinoralo, édition dePanizzi.
Londres, 1830; in-12, vol. II,
tant, m , st. 33 et 54, et les notes
p. 205.) Les deux arbres doués de
vertus contraires, dans le romande
Fortunatus, ont aussi quelque ana-
logie avec les deuv fontaines du
conte arabe. (Voyez les Riches 7s/*-
tfetiens <irs voyages et adventures
de Fortunatus , nouvellement tra-
duits d'espagnol en /ranpo<s,Paris,
1637, in-12.) — Dans les Paraboles
de Sendabar, ou ce conte ne fait
qu'un avec relui de la l.rnnie , le
prince, après sa métamorphose,
passe la nuii près de la fontaine
encharitée donl l'eau change !<•>
nommes m femmes el les femmes
en hommes. Le lendemain, il ren-
contre dans la forêt une troupe de
jeunes filles, il les aborde et leur fait
connaître son rang et son aventure.
Ces jeunes filles prenant pitié de lui ,
l'engagent à se désaltérer de nou-
veau à la fontaine , l'assurant qu'il
recouvrera sa forme première, i'.n
effet . il n'a pas plus tôt bu, qu'une
seconde métamorphose a lieu. — il
y a toute apparence que le roniau
des sept Vizirs nous offre ici laré-
daction originale qui se trouve sin-
gulièrement altérée dans le grec el
dans l'hébreu.
> THv -j'àp TtÇ u!è( BaaiXéuc
Hv rh kûtoc ~a/ù; âu.a /.%'•. lùut-
. <■<: Ix -'■> jraj(0Uî u.r ■
âiOa'. Ta toutou ai
100 ESSAI
que toi, je désire, afin de savoir si je suis propre au
mariage, avoir la compagnie d'une femme, et je te
prie de m'en amener une. » Le baigneur, avide
d'argent, conçoit la malheureuse idée de pré-
senter sa propre femme, croyant son honneur fort
en sûreté avec le prince. Cette erreur ne dure pas
long-temps ; témoin en secret du tête-à-tête de sa
femme et du jeune homme, il voit des choses aux-
quelles il était loin de s'attendre, et de désespoir il
met fln à ses jours J.
Après avoir démontré le danger d'une action
inconsidérée , le même philosophe raconte une se-
conde histoire dont voici le précis : — Une jeune
femme dont le mari va partir pour un voyage , lui
fait promettre par serment de lui rester fidèle , et
jure de son côté de ne point souiller le lit nuptial.
Au jour fixé pour le retour , la femme va au de-
vant de son mari ; mais trompée dans son attente ,
elle ne le voit pas arriver. Pendant le chemin , un
jeune homme l'aperçoit , et charmé de sa beauté ,
il lui adresse sur-le-champ un aveu qu'elle re-
pousse avec indignation. Désolé de ce mauvais suc-
ces , le jeune homme va trouver une vieille entre-
metteuse qui lui promet de déterminer celle qu'il
aime à l'écouter. La vieille fait alors une espèce
« 2'jvt;.-o.; , p. 48. — Para- Femme du marchand dans l'Hi-
bolei île Sendâbar. — Cette his- topaddsa. (Voyez ci-dessus, p. 75.)
loire est une copie défigurée de C'est une de celles qui ont passé
«elle du jeune Prince et de Ut dans le Livre des sept Sage».
SUR LES FABLES INDIENNES.
lO-
dc gâteau dans lequel elle met une grande quan-
tité de poivre ; elle donne ce gâteau à manger à
une chienne et emmène l'animal avec elle clicz la
jeune femme quelle veut abuser. L'âcreté du poi-
vre ne tarde pas à faire pleurer les yeux de la
chienne, et la jeune femme qui le remarque en de-
mande la cause. «Cette chienne, répond la vieille,
est ma fille. Un jeune homme en était éperdument
épris; elle fut sans pitié; son amant la maudit de
désespoir, et sur-le-champ elle fut changé en
chienne. Maintenant elle déplore sa faute. » La
jeune femme, dupe de ce récit, raconte à la vieille
ce qui s'est passé entre elle et le jeune homme, et
déclare qu'elle consent ii le recevoir l. La vieille
• EuvTwraç , *p, 51. — Para-
bolea de Siuihihar. — Issaept \ i-
zirs (Tulrn, <7//rrv/ofCS,etC.,p.lOO).
— Disciplina clericalis, fab. xi.
Taris, 1824, vol. I, p. 75. Edit.
Schmidt, Berlin, 1827 , p. 51. —
Fabliaux traduite par Legrand
d'Aussi/, Mit. de 1829, vol. IV,
p. 50. — Gesla Romanornm, orcn-
ttrtainimg moral storics,transla-
téd from the latin i/y the ren.
Charles Suan. LondOD, 1824; in-
12, vol. I, page 120, eh. sxvui.
— Ce conte est indien ; on le trouve
dans le grand recueil intitulé Vri-
hat-liatlia, mais avec un dénoue-
ment plus moral et des circon-
stances fort différentes, ce qui me
lait juger a propos «l'en donner un
précis,
Le négociant Guhaséna, .sur le
point de partir pour un long voyage
de commerce , a des inquiétudes
sur la lidélité de sa femme qu'il
aime tendrement , et sa femme
conçoit , de son côté , les mêmes
craintes. Ils adressent des prières
au dieuSiva, qui leur apparaît en
songe et leur donne à chacun un
Ii il us rouge qui doit conserver sa
couleur et sa fraîcheur tant que
chacun des époux demeurera fidèle.
En effet . ils trouvent les (leurs a
leur réveil. Guhaséna se met en
roule : arrivé dans l'endroit ou ses
affaires L'appelaient, il l'ait la con-
naissance de quatre jeunes mar-
chands, qui . étonnés de voir celle
Heur de lotus toujours fraîche .
parviennent au milieu d'un ban-
quel ou les liqueurs spiritueosas
ne sont pas épargnées, a savoir Iù
108 ESSAI
s'éloigne fort satisfaite du succès de sa ruse et va
chercher l'amant qu'elle ne peut trouver nulle
part. Ne sachant que faire , elle s'avise de propo-
ser au premier venu qu'elle rencontre sur sa route
vérité ; et ils partent pour la ville où
demeure Dévasmità, femmede Gu-
haséna, se proposant bien de flétrir
la Heur de lotus. Une vieille prê-
tresse de Bouddha se charge d'être
leur entremetteuse. Elle va voir
Dévasmità et emmène avec elle une
chienne à laquelle elle a fait manger
des morceaux très assaisonnés. Le
poivre fait pleurer la chienne, ce
qui attire l'attention de Dévasmità,
qui en demande la raison. La vieille
lui répond que celte chienne dé-
plore les erreurs de sa vie précé-
dente: qu'avant de renaître chienne
elle était femme d'un Brahmane que
les affaires du roi obligeaient à de
fréquens voyages, et que, pendant
son absence , elle avait toujours ré-
prime les sentimens naturels à son
âge et à son sexe ; en conséquence,
elle était renée chienne , avec le
souvenir et le regret du passé. La
vieille ajoute qu'elle engage Dévas-
mità il ne pas demeurer sourde àla
voix delà nature. Dévasmità con-
sent à recevoir ses amans, mais
c'est pour les punir. Elle les en-
dort au moyen d'un breuvage
soporifique, et leur fait imprimer
sur le front la marque indélébile
d'un pied de chien. Pour mettre
son mari à l'abri du ressenti-
ment de ceux qu'elle a si mal-
traités, Dévasmità prend, ainsi que
iclaves, des habits d'homme .
et s'embarque pour l'Ile de Kataka,
où elle doit retrouver son mari et
les marchands qui y sont retournés
après le mauvais succès de leur ten-
tative amoureuse. En arrivant , elle
va porter plainte au roi , et réclame
les quatre personnages comme des
esclaves fugitifs. Ceux-ci furieux
invoquent le témoignage des gens
de leur profession pour prouver
qu'ils sont hommes libres, mais
Dévasmità prie le roi de leur faire
ôter leurs turbans, et on voit sur
leur front la marque de l'escla-
vage. La jeune femme raconte son
histoire au roi, et les coupables
sont forcés de payer chacun une
forte rançon. (Quarterly oriental
Magazine de Calcutta, 1824; vol.
II , p. 102-106.)
La métempsychose est une ex-
plication si naturelle du change-
ment de formes, qu'on ne peut
pas douter que l'histoire ne soit
indienne. Remarquons de plus avec
1 indianiste anglais, auteur de l'ana-
lyse du Vrihat-Kalhù, que la fleur
merveilleuse qui ligure dans ce
conte, et que l'on retrouve encore
dans un autre récit du recueil Iraduil
du sanscrit en persan , et intitulé
Thouthi-nameh (voyez la traduction
deM.Trébutien. Paris, 1825; in-8°,
p. 24) , paraît être L'origine d'une
fiction depuis long-temps répandue
en Europe , el à laquelle se rappor-
tent le Cor ou cornet à boire du
roman de Tristan (voyez les œu-
vres de Trcssan.l. III, p. 59; in-
8°, édition de 1822); la Itase du
si T. LES FABLES INDIENNES. 109
de lui procurer une bonne fortune. Cet homme
qui se trouve être justement le mari de la dame,
accepte et n'est pas peu étonné en entrant dans
la maison de se trouver chez lui et de reconnaî-
tre sa femme. La dame , sans se déconcerter ni
trahir sa surprise , se meta pleurer et accable son
mari de reproches. « J'étais instruite de ton retour,
lui dit-elle , et j'ai voulu t'éprouver. Ah ! je vois
bien que lu es indigne de mon amour. » Le pau-
vre mari s'excuse le mieux qu'il peut, et ne réussit
que difficilement à l'apaiser !. — Le quatrième p!ti-
losophccn terminant ce récit, en conclut que c'est
peine perdue que de vouloir lutter contre les arti-
fices des femmes.
Le même jour, la femme du roi menace de s'ém-
poisi m ner si le prince n'est | >as mis à mort, et elle lui
fait craindre on sort pareil à celui d'un sanglier
dont elle lui raconte l'histoire : — Un sanglier qui
avait l'habitude de manger les figues tombées d'un
figuier, trouve un jour un singe sur l'arbre. Le singe
lui jette quelques figues que le sanglier trouve bien
romande Perreforest;\n Coupe en- révérend Charles Swan , t. I. p.
chantée de L'Arioste (Roland fu- 340.)
ricux, chants ai h et suit) , sidéli- ■ L'idée do ce dénouement qui
flieusonent reproduite par noire La est le même dan» les Paraboles de
Fontaine; le fabliau du Court Mun- Sendabar et dans les aepi i'iiirs,
tel (voyea les Fabliaux traduite paratl empruotée soi Contée </'»<»/
l'in ' Legrandd àitesy,t.V ■. p.126, Perroquet. ( Voyes la traduction
150,151), et le Boixante-neuviè- anglaise, p. (i-2 , et la traduction
nu' eonte des Gesta Bomanorutn. française de M' Marie il Heures
(Voyea la traduction anglaise «lu p<79.)
110 ESSAI
meilleures que celles qu'il mangeait auparavant.
L'espérance d'en recevoir d'autres, le fait rester si
long-temps dans la même attitude que les veines de
son cou se gonflent au point de crever, et il meurt
suffoqué l.
Le lendemain, le cinquième philosophe pour
prouver «à Cyrus le danger de la précipitation , lui
raconte la fable d'un officier du roi qui, s'imagi-
nant que son chien a dévoré l'enfant confié à sa
garde, tue l'animal dans le premier transport de la
colère, et s'abandonne ensuite à des regrets inutiles
lorsqu'il reconnai que le sang dont le fidèle gar-
dien était couvert venait d'un serpent qu'il avait
tué2.
I Le même sage raconte ensuite une seconde
histoire , qui roule encore sur l'éternel thème de
la malice du sexe féminin : — Un homme livré à
■ Sùrrvkaç , p. 59. — Je n'au- reste est absolument semblable. La
mis pas donné l'analyse de cette fable du Singe et du Sanglier se
fable ridicule si les Paraboles de trouve aussi avec quelques ditié-
Sendabar n'offraient ici une rédac- rences dans les Contes et Fables in-
tion un pou différente, qui permet diennesde Bidpaï, traduites par
de reconnaître dans le Livre des Galland et Cantonne (t. III, p.
sept Sages une imitation de la fable 198).
que je viens de citer , laquelle con- * Suvrîaraî , p. 00. — Parabo-
tribuc I prouver, par conséquent, les de Scndabar. — Nous avons
que cette version latine a été faite déjà rencontré ce conte dans l'ana-
sur l'hébreu. Dans la fable liébrai- lysc du Pemtehtktontra. (Voyez
.pie, au lieu d'un sin^c, il cstques- ci-dessus , p. 54.) C'est encore un
tion d'un homme, travaillant dans de ceux qui ont passé dans le ro-
uncharnpetquivoyanlvenirunsan- man des sept Sages de Rome,
dier se réfugie sur un figuier. Le ebmrae on le verra plus loin.
SUK LES FABLES INDIENNES. 1 1 1
lu débauche et passionné pour les femmes, avant
entendu vanter la beauté d'une dame qui demeu-
rait dans son voisinage, a l'effronterie de s'intro-
duire riiez elle, et de la solliciter de répondre à
son amour; mais cette femme vertueuse et fidèle
a son mari refuse de l'écouter. Ces refus n'ayant
lit il qu'exciter au plus haut degré les désirs de
noire homme, il va tout aussitôt trouver une vieille
entremetteuse a laquelle il promet une somme
considérable si elle réussit à lui procurer un téte-
a-tète avec la femme qu'il aime. La vieille imagine
alors le stratagème suivant: « Allez au marché,
«lit-elle à l'amant, adressez-vous au mari de cette
femme, et âehetez-lui un manteau que vous m'ap-
porterez. » Il suit cette instruction de point en
point, et rapporte à la vieille un manteau qu'elle
brûle en trois endroits. Elle l'emporte avec
elle et va faire visite a la femme dont le mari
avait vendu ce manteau. Pendant le temps qu'elle
reste eliez celle femme, elle parvint «à déposer, à
son insu, le vêlement de drap, sous l'oreiller du
mari. A l'heure du diner, le mari rentre et veut se
mettre un instant sur son lit. En arrangeant son
oreiller, il trouve, dessous, le manteau, le re-
connaît, et croyant sa femme infidèle, il se jette
sur elle et la maltraite. La jeune femme, aussi sur-
prise qu'irritée , se réfugie « liez ses pareils, où la
vieille ne laide pas à l'aller trouver. « Je sais ce
i 12 ESSAI
qui vous est arrivé , lui dit-elle, de médians ma-
giciens ont causé tout cela ; mais je connais un sa-
vant docteur capable d'y porter remède. Venez le
voir chez moi; il rétablira la paix entre vous et
votre mari. » La pauvre femme donne dans le piège.
L'entremetteuse va prévenir l'amant , et le soir
même elle lui ménage une entrevue, dont il pro-
fite malgré la résistance de la femme. Après avoir
contenté ses désirs , le jeune homme manifeste à
la vieille son regret d'avoir troublé la paix d'un
bon ménage. « Soyez tranquille , réplique-t-clle,
voici ce que vous avez a faire. Allez au marché du
côté où se tient le mari. Il ne manquera pas de
vous parler de son manteau. Vous lui direz que ce
manteau, ayant été placé imprudemment près d'un
fourneau a été brûlé en trois endroits, et que vous
avez chargé une vieille de le faire réparer. Alors,
je paraîtrai comme par hazard; vous me cherche-
rez querelle , et j'avouerai que j'ai égaré le man-
teau. » La scène ainsi préparée réussit parfaitement.
Le mari, convaincu de son erreur, va demander
pardon à sa femme, qui consent, non sans peine, à
se réconcilier avec lui '.
■ Sovwcaç, p. 03. — Para- 1829). — Voyez aussi dans Apulée
boles de Sendabar. — les sept Fi- le conte des Pantoufles de PhiU-
zirs. (Taie», etc., p. 168.) — On sictère [le* Métamorphoses , trad.
retrouve ce conte dansles Fabliaux par M. Bétolaud, LU, p. -2u~>. Pa-
analysis par Legrand cPAussy ris, Panckoucke, 1835; in-8°).
tuberée, t. IV , p. 08, 6dit. de
SUR LES FABLES INDIENNES. 1 13
Le même jour, La femme du roi raconte l'his-
toire, assez singulière, d'un voleur réfugié dans un
bois, et qui parvient ii échapper au danger dont
le menacent un lion et un singe réunis contre lui '.
Elle en conclut, qu'avec l'aide de Dieu, elle triom-
phera du mauvais vouloir des conseillers du roi.
Le lendemain, le sixième philosophe vient à
son tour empêcher l'exécution de l'arrêt, et ré-
cite la fable suivante : — Un pigeon ayant fait, après
la moisson, une provision de blé, qu'il avait dé-
posée dans le trou d'un toit, était convenu, avec
sa ièmelle, de n'y pas toucher pendant l'été. Mais
la chaleur ayant desséché le grain, le pigeon s'i-
magina que sa Ièmelle avait secrètement puisé au
dépôt, et la tua dans un transport de colère. L'hu-
midité de l'automne ayant fait ensuite gonfler le
grain, il reconnut trop tard son erreur'2.
Cette fable, facilement applicable a la situation
du roi, est suivie d'un conte assez médiocre, où les
ruses des femmes sont encore mises en jeu \
La femme du roi, qui sait que le moment ai>-
prochc où le jeune prince pourra parler, menace
Cj rus de mettre fin à ses jours , si la sentence de
• 2<mwa; , p. 71. — Paraboles 551), d'où elle a passé dans les au-
fe ^rixinbar. Ires traductions orientales de ce
>Suvrt«ac, p. 75. — Paràbo- lûnre. (Voyiv Im Fable» tndieimê*,,
lai ds Smdabar. Cette feble t. III, p. 280.)
se trouve aussi dans le Calila et * L'Éléphant de miel. Swrfaac
Dimna arabe ( hal. and l)i»i.. y p, 78.
8
114 ESSAI
mort n'est pas exécutée '. Le roi le lui promet, et
le septième philosophe vient s'interposer à son
tour. Il débute par un conte fort comique, mais si
obscène qu'il est impossible de l'analyser autrement
que d'une manière très vague. — ■ Un homme avait
à ses ordres un démon par le secours duquel il
connaissait l'avenir. De tous côtés on venait le con-
sulter, et il avait fait des profits considérables. Un
jour, le démon dit à son hôte : « Je vais te quitter,
mais avant que je parte, tu peux former trois
vœux, ils seront accomplis. » Notre homme, après
avoir long-temps hésité, finit, «à l'instigation de sa
femme, par former un premier souhait, qu'il est
impossible d'énoncer dans notre langue 2. Ce pre-
mier souhait étant exaucé outre mesure 5, le mal-
heureux forme aussitôt le vœu d'être débarrassé
de ce qu'il a désiré, mais il y met tant de précipi-
tation qu'il commet une étourderie, que le troi-
sième souhait est employé à réparer4, de sorte
qu'au bout de ces trois vœux , il se retrouve dans
la même situation qu'auparavant r\
< Dans le grec, clic fait dresser 3 ... xxi, <xjj.a -ni tùyri oiùtoû ,
an bûcher; dans la rédaction hé- 8Xov r&oô(uc yiyovt i/.£<t-ov xoù ve-
braïque, elle se jette dans un tleuve, çpûv y.%\ fy^euv.
et les sages la sauvent. 4 Kat âua,... aÎTeTrat wapà Oeoù,
* II <5"s -yuvf,... or,<j( , «... cdiJcv /.ai è'aeutejwÔy; twv &s-^ewv. èx**"
%'ij.r. àfa7rri7i>c(oTspov ei; toù; àv- Si jy.sTa t&ùtwv ■/.%>. àirep eÎ/_ev àith
Ôpoiirou; ècri, % wo'vcv ri y.oiaàaOai •ytvânoc II Si ur.at.... ÇïirY.aov
itafet \j.i77. 'Yuvatxo;. Zrénaov oov tôv 8ibv toùç àîrc. ■yswrioêo); <tou 5p.
rôv 0;-,v iroXXoti< 6px"î Yïvioôai 4> /ei; Xafisîv. •
r<.i (râuaTt wu. " S Zvvriira; . p. S'». — Para-
Si R LES FABLES INDIENNES. 115
Le philosophe en conclut qu'il est dangereux de
prêter l'oreille aux conseils des femmes, et il ter-
mine par l'histoire suivante, où la prétendue per-
versité féminine est de nouveau mise dans tout son
jour. — Un homme avait juré de ne prendre de
repos et de ne s'établir dans son ménage , que
lorsqu'il serait parvenu à connaître toutes les ru-
ses et toutes les machinations des femmes. Il se
met en campagne , et après avoir formé un re-
cueil considérable de tous les artifices féminins ,
se croyant bien instruit de ce qu'il voulait savoir,
il se décide à retourner dans son pays. Arrivé
dans un endroit où un homme donnait un grand
repas, il y est admis en qualité d'étranger. Il prend
place ii table , et pendant le repas il rend compte
aux convives de l'objet de son voyage. Le mai Ire
de la maison , sans qu'on sache trop pour quel
motif, dit à sa femme d'emmener l'étranger avec
boles de Sendabar. — LesseptVi- d'Aussy, t. IV, p. 385, édit. de
zirs. {Talcs, p.7154.) Ce conte est 1829.) En lisant la fable des Trois
un nouvel emprunt fait à l'Inde, et Souhaitstinns La Fontaine, et le
il offre avec l'histoire du tisserand conte des Souhaita ridicules , par
Manlhara.dans le Patitclm-tantra, Perrault, on a bien delà peine à
un rapport incontestable. (Voyez ci- croire que tous deux n'aient pas eu
dessus, p. 54). On trouve sur le connaissant'!' de la fable de Marie de
même sujet, dans Marie de France, France. Le fabliau des Quatre Sou-
one jolie fable intitulée Dou vilain haitt Saint-Martin t dérive éyi-
./i<» ftrisl mi /bief, et <pii dérive pi i>- déminent du conte tle Syntipas, ou
bâillement d'une source orientale. de celui des Parabole$ de Scndu-
\.imv les Poésies de Marie de bar, et en a conservé toute l'obscé-
h'rnncr , publiées par M. tle Uo- nilé primili\c. (Fabliaux et Contes
quefort, t. il , p. 140, el les Fo- publies par Méon , t. IV. p, r>8<;.)
Maux traduite pur tegrand
116 ESSAF
elle et de lui servir une collation h part. La femme
passe dans une autre chambre avec son hôte , et
lorsqu'elle est seule avec lui, elle lui demande s'il
croit avoir recueilli toutes les malicieuses inven-
tions dont les femmes sont capables, et il répond
qu'il en est certain. « Voyons cependant , dit-
elle, si le tour suivant fait partie de votre réper-
toire :
« Un homme marié à une femme honnête et
vertueuse, déchirait les femmes à tout propos.
« Ne t'emporte pas contre toutes, lui disait sa
moitié, mais seulement contre les méchantes. » —
« Contre toutes , » répondait le mari. — « Ne dis
pas cela , répliquait-elle , puisque tu n'as pas été
malheureux sous ce rapport. » — « Si j'avais
affaire à une de ces mauvaises femmes , disait cet
homme, je lui couperais le nez. » Sa femme réso-
lut de lui apprendre à être plus circonspect. Cer-
tain jour son mari lui dit : « Je vais demain aux
champs, tu me prépareras mon diner, et tu me
l'apporteras. » La femme se rend au marché ,
achette des poissons , et va les semer ensuite de
côté et d'autre à l'endroit où son mari devait la-
bourer. En effet, le mari trouvant ces poissons, les
apporte à sa femme pour les lui faire cuire. Elle
apprête la table, et l'homme demande ses poissons.
« Quels poissons? » dit-elle. — « Ceux que j'ai trou-
vés dans mon champ, » répond le mari. Aussitôt
-I II LES IABLES INDIENNES. 1 17
cette femme appelle les voisins pour les prendre
ii témoins de la folie de son mari qui prétend avoir
trouvé des poissons clans un champ labouré. No-
ire homme persiste dans son dire; les voisins se
moquent de lui; il s'emporte: alors on ne doute
plus qu'il ne soit possédé du diable, on se jette
sur lui et on le lie. Trois jours se passent pen-
dant lesquels le mari s'entête; enfin, las de sa cap-
livité, il consent à donner raison à sa femme, et
elle lui ôte ses liens. « Maintenant, lui dit-elle, tout
ce <pie tu as soutenu était vrai; mais comme tu
prétendais que si lu avais une méchante femme
tu la tuerais, j'ai voulu te donner une leçon. Tu ne
pourras plus te vanter de l'emporter sur nous '. »
Après ce récit , la femme , jeune et jolie , fait
ii l'étranger de tendres avances, par, lesquelles
il se laisse séduire ; mais au moment où il va
embrasser son hôtesse, elle jette les hauts cris et
appelle au secours. 11 retourne au plus vile à sa
table, tremblant d'effroi à la vue de tous les con-
vives qui accourent. « Qu'est-il arrivé?» demande-
t-on. — « Cet étranger, dit la femme, a manque
de s'étrangler en mangeant, et je n'ai pu retenir
mes cris; mais cet accident n'a pas eu de suites -
i Etmtiroc, p. 9*2. — Dans le rapport avec le conlo de Syulipas.
fabliau intitulé des trois Femmes (Voyei les Fabliaux traduits pat
qui trouvèrent un anneau , le tout Leyrantl à? Aussi/, t. IV, p. 193,
imaginé pu la deuxième femme, édit. de 1829.)
pouraUraperBon Diari,offre quelque ■ Cel incident se trouve dans le
118 ESSAI
Après que les hôtes sont éloignés , la femme dit
à l'étranger : « Eh bien! ce que je vous ai raconté,
et ce que je viens de faire se trouvent-ils dans vo-
tre recueil. » L'autre est forcé de convenir qu'il
est impossible de connaître toutes les inventions
malicieuses du sexe féminin ; il jette son recueil au
feu *, et retourne dans son pays , où il se marie.
Ces récits du septième philosophe sauvent en-
core une fois le prince. Enfin, le huitième jour
arrive ; le jeune homme, qui peut alors parler sans
crainte, fait connaître à son père la cause de son
silence, et lui déclare toute la vérité. Le roi, plein
de joie de n'avoir pas cédé aux instigations de sa
femme , fait appeler les philosophes et leur dit :
« Si j'avais fait mourir mon fils pendant les sept
jours, qui aurait-il fallu accuser de cette mort:
moi, mon fils ou cette femme? » Les réponses des
philosophes ne satisfont point le roi , et le jeune
prince raconte, à ce sujet, l'apologue suivant. — Un
homme ayant invité à dîner plusieurs amis envoya
une esclave acheter du lait. Comme l'esclave re-
tournait au logis portant le pot plein de lait sur
recueil de conte intitulés Bahar- Scott. Shrewsbury, 1799; in-8",
dtmiéh (lé Jardin de la Science), t. II, p. 50.)
recueil écrit en persan , mais corn- > Zuvtmtoc , p. 88 - 97. —
posé, à ce qu il semble , d'après Voyez dans les Mélanges delilté-
des originaux indiens. (Voyez la rature orientale, par Cardonnc,
traduction anglaise , intitulée lia- le conte ayant pour litre le Philo-
har-danush , or garder* of Know- sophe amoureux (t. I,p. 22).
ledge, translatif! by Jonathan
sril LE8 FABLES INDIENNES. 119
sa tête , un milan louant dans ses serres un
serpent, passa au dessus d'elle. Le serpent, en se
débattant , laissa échapper son venin qui tomba
dans le pot L'esclave, ne se doutant de rien , ser-
vit le lait aux convives, et ils moururent empoi-
sonnés '. Le fils du roi demande aux philosophes
à qui ce malheureux événement doit être impute'';
une discussion s'engage à ce sujet, et le prince la
termine en disant que c'est le destin seul qu'il faut
accuser.
Cette fable est suivie de deux histoires racon-
tées par le jeune prince , et qui ont pour objet de
mettre en évidence le bon sens et la sagacité des
enfans. La seconde mérite d'être citée
Trois négocians, réunis en société, se rendent
dans un pays pour affaires de commerce, et se lo-
gent chez une vieille femme. Voulant aller au bain,
ils demandent à cette femme les objets néces-
saires, et, serrant leur or et leur argent dans trois
bourses, ils les donnent en dépôt à leur hôtesse, en
lui prescrivant de ne les remettre qu'à eux trois
■ SjvTt7taî, p. 109. — Les sept Pvehiti... tramlated bij Rajah
Vizirs. (Taies, etc., p. 196.) — Le Kalrr-hrishrn BehaduT.QAcaUa,
fond de ce conte , avec des circon- iH7,\ ; p, 84.) La fable ésopique in-
stances un peu différentes , se re- titalée le Dragon et l'Aigle (Apoî-
Irmnc dans le recueil sanscrit, inli- wù\ /.ai Aît;';. Esope de Coray ,
talé Vétâla-pantchavinsati, ou lab. 303, p. 198), offre aussi quel-
le ringt-etnq contes du mauvais que* rapports avee la fable indienne,
génie. (Voj6I la traduction anglaise mais moins (pie celle de Syntipa»;
composée d'après la rersion en U est à présumer cependant qu'elle
bradj-bhakha . et intitulée Bytal- dérive de la même source.
120 ESSAI
réunis. Us partent ensuite pour le bain, mais s'a-
percevant, à quelques pas de la maison, qu'ils ont
oublié un peigne , ils dépêchent un d'entre eux
pour aller chercher ce qui leur manque. Notre
homme, au lieu de demander un peigne, réclame
les trois bourses ; la vieille les refuse , mais sur
un signe d'assentiment que lui font , de loin , les
autres marchands , qui ne pensent qu'à l'objet
dont ils ont besoin, elle délivre l'argent au com-
pagnon qui l'emporte et se sauve. Les deux autres
marchands étonnés de ne pas voir revenir leur
associé, retournent sur leurs pas, et apprennent
de la vieille ce qui s'est passé. Furieux de la perte
de leur argent, ils conduisent leur hôtesse devant
le juge qui , d'après l'exposé des faits , condamne
la vieille à rendre aux marchands leur dépôt.
Elle s'éloigne en pleurant , et rencontre un en-
fant de cinq ans qui lui demande la cause de son
chagrin. Après quelque hésitation, elle lui raconte
en détail tout ce qui est arrivé. « Si vous voulez
me donner de l'argent pour acheter des noix,
dit l'enfant , je vous indiquerai un moyen sûr de
vous tirer d'affaire. » — « Très volontiers , » ré-
pond-elle. — « Eh bien! dit l'enfant, présentez-
vous devant le juge, et dites-lui : « Seigneur , je
reconnais que ces trois marchands m'ont confié
trois bourses remplies d'or et d'argenl , en nf or-
donnant de ne lis remettre qu'à eux trois réunis:
SUR LES FABLES INDIENNES. 12 1
la somme est prête ; qu'ils se présentent tous les
irois, et le dépôt leur sera remis. » La vieille suit
ce conseil ; le juge met les marchands hors de
cour, et apprenant qu'un enfant est l'auteur de ce
moyeu de défense, il donne cet enfant pour maî-
tre aux philosophes et aux rhéteurs f.
Le jeune prince raconte ensuite la longue et
singulière histoire d'un marchand qui parvient à
('(happer aux pièges que lui avaient tendus plu-
sieurs fripons. Toute ridicule que soit cette his-
toire, je crois à propos d'en donner un extrait.
Un marchand qui faisait le commerce des bois
aromatiques, ayant entendu dire que celle mar-
chandise était rare et recherchée dans une ville
qu'on lui nomma, fit un ballot de ce qu'il avait de
bois de ce genre , et se dirigea vers cet endroit.
Arrivé aux portes de la ville, il s'arrête avant d'y
entrer, afin de prendre des informations sur le prix
des marchandises qu'il apporte. Dans le courant
de la journée , il rencontre une esclave apparte-
nant à un des principaux habitans de la ville, et,
questionné par elle, il lui fait connaître le genre
» Iuvtît;»; , p. 118. — Celte contre deux marchands, t. I, p.
histoire est sans doute répandue 151.) Ce conte n'est pas non plus
60 Kuropc depuis assez longtemps, sans quelque rapportavccceluid'Ali
puisque je la rencontre dans le re- Cogia des Mille et une Nuits,
«oeil Intitulé Nouveaux Conte* à conte dans lequel un jeune enfant
rire, ou Récréations françaises. (ait également preuve d'une gnnde
Itnsterdam, 1757; -2 vol. in-i-2. sagacité.
(Jkgemmt tubtil du duc tfOsson»
122 ESSAI
de commerce auquel il se livre. L'esclave va ra-
conter ce qu'elle vient d'apprendre à son maître,
et celui-ci , homme rusé , ramasse sur-le-champ
tout ce qu'il a chez lui de bois aromatique , et le
jette au feu. L'odeur suave de ce bois arrive jus-
qu'au marchand, qui s'imagine d'abord que le feu
a pris au ballot qui renferme sa pacotille ; mais il
se rassure en voyant que ses craintes sont mal
fondées. Le lendemain de grand matin , il entre
dans la ville et rencontre l'homme dont il avait vu
l'esclave la veille , et qui lui demande ce qu'il ap-
porte dans sa balle. « Des bois aromatiques, » ré-
pond le marchand. — « Qui donc a pu, s'écrie cet
homme , vous donner le conseil d'apporter des
bois de ce genre dans notre ville: ils n'ont ici au-
cune valeur, et on les emploie en guise de bois
de chauffage. » — « On m'avait pourtant assuré
tout le contraire, » répond le marchand. — ■ « Ceux
qui vous l'ont dit vous ont trompé, » réplique le fri-
pon. Ces paroles causent au pauvre marchand le
plus vif chagrin. Le fripon, qui s'en aperçoit,
lui propose alors d'acheter sa pacotille : « Je vous
donnerai a la place, lui dit-il, un plat rempli de
telle marchandise que vous voudrez. » Sans pren-
dre d'autres informations, le marchand, étourdi
par cette mauvaise nouvelle, donne dans le pan-
neau , conclut l'affaire , et livre son ballot. Il s'é-
loigne ensuite e1 va se loger pliez une vieille femme
SUR. LES FABLES INDIENNES. Ï23
à laquelle il s'avise de demander le prix du bois
aromatique. « Il se vend au poids de l'or, répond
la vieille; mais je vous en préviens, méfiez-vous
des habitons de cette ville, ce sont des fripons qui
ne cherchent qu'à duper les étrangers. » Désolé
d'avoir été prévenu trop tard , le marchand sort
pour aller parcourir la ville ; il aperçoit trois hom-
mes travaillant, et se met à les regarder. Un des
trois se lève et lui dit : « Mon père, commençons
ensemble une discussion , et celui qui l'aura em-
porté sur l'autre dans la dispute obligera le vaincu
à lairc ce qu'il jugera à propos. » Le marchand
accepte: la discussion s'entame, et l'étranger vaincu
p;ir son adversaire, est condamné par lui à boire
les eaux de la mer. Déconcerté par ce surcroit de
mauvaise fortune, il cherche inutilement à inven-
ter quelque ruse qui puisse le tirer du piège ou le
rusé bouffon l'a fait tomber ; mais il n'en est pas
quitte encore. Un autre des trois fripons avait
perdu un œil , et celui qui lui restait était bleu.
Cet homme voyant que les yeux du marchand
sont de la même couleur que le sien , se lève et
dit à l'étranger. «Tu m'as volé un mes yeux", allons
devant le juge afin (pie ta sois condamne à me
ivslitucr l'œil que tu m'as dérobé. » Heureuse-
ment pour le marchand, il est rencontré par la
vieille qui parvient à obtenir des trois fripons de
laisser le marchand libre jusqu'au lendemain, cl
12 i ESSAI
l'emmène avec elle. Arrivée au logis, elle dit à son
hôte : « Je t'avais prévenu que les habitans de
cette ville chercheraient h te jouer quelques mau-
vais tours. Tu ne m'as pas écoutée, et tu en es vic-
time. Voici maintenant le seul moyen de te tirer
d'embarras. Tous les bouffons reconnaissent pour
maître un homme qui les surpasse tous en malice.
Le soir, ils vont le trouver, et chacun d'eux lui ra-
conte ce qu'il a fait dans la journée. Il te faut, en
conséquence , prendre des habits semblables à
ceux de ces gens-là, et aller secrètement te mêler
avec eux, en te tenant bien sur tes gardes de peur
de te laisser reconnaître. Les bouffons qui t'ont
dupé viendront tour à tour consulter leur maître ;
(Voûte bien ce qu'il leur répondra, et fais en sorte
de le graver dans ton esprit. Les objections qu'il
ne manquera pas de leur adresser, te fourniront
le moyen de sortir d'embarras. » Le marchand
suit le conseil de la vieille femme, se rend à l'en-
droit qu'elle lui indique , et voit d'abord arriver
l'homme à qui il avait vendu ses bois aromatiques.
Cet homme raconte au maître des bouffons l'af-
faire qu'il a conclue. « As-tu spécifié, lui dit le
maître, l'cspècede marchandise que tu dois lui don-
ner en échange?» — a Nullement, » répond l'homme.
— « Dans ce cas, réplique le maître, tu as commis
une grave étourderie ; car suppose qu'il vienne le
demander de lui donner un plat rempli de puce-
SUK LES FABLES INDIENNES. 125
roiis; que la moitié de ces pucerons soient maies
et l'autre moitié femelles, et qu'il y en ait de jau-
nes, de noirâtres et de bleus, comment pourras-
tu le satisfaire? » — « Cet étranger, réplique le
fripon, n'est pas capable d'avoir une idée sembla-
ble ; j'en serai quitte pour lui donner ou de l'or
ou de l'argent. » Le second bouffon vient ensuite
et fait connaître la condition qu'il a imposée au
marchand pour l'avoir vaincu dans la dispute.
« Tu t'es aussi fourvoyé, lui répond le maître; car
ton adversaire pourra te dire : «Je suis prêta boire
les eaux de la mer, mais commence par retenir
les fleuves et les rivières qui s'y rendent, après
quoi je m'acquitterai de mon engagement '; » tu
n'auras rien à lui répondre. » Arrive en dernier
lieu le borgne, qui raconte à son maître le tour
qu'il a joué. « Tu n'as pas été mieux inspiré que
les autres, lui dit le maître, car il peut venir h l'i-
dée de cet étranger de dire au juge : « Le seul
moyen de connaître la vérité est de faire arracher
l'œil à chacun de nous , afin que l'on puisse les
peser l'un et l'autre; s'ils sont du même poids, la
plainte est juste, et mon adversaire n'aura qu'à
emporter l'œil qu'il réclame : niais si l'un des deux
1 On reconnaît ici lo pari de d'Esope par le moine l'Ianude. qui
boire la mer fait par le philosophe écrivait au xiv siècle , pourrai!
Vu Unis dans une orgie, et la ruse bien être emprunté au roman de
que lui conseille Esope pour se tirer Si/tiH/xis.
d'embarras. Cet incident de la vie
12(> ESSAI
yeux est plus léger ou plus lourd que l'autre, je
demande que ma partie adverse soit punie et me
paie des dommages et intérêts. » Que feras-tu si ton
adversaire fait cette proposition? le pire qui puisse
lui arriver c'est de devenir borgne ; mais toi qui
l'es déjà , tu deviendras aveugle. » — « Une pa-
reille ruse n'entrera jamais dans la tête du mar-
chand , répond le bouffon. » Cependant l'assem-
blée se sépare, et le marchand se retire ayant bien
gravé dans sa tête les réponses du maître des bouf-
fons. Le lendemain, il ne manque pas de se servir de
ces trois moyens de défense contre les hommes
qui avaient entrepris de le duper, et les oblige à
lui payer des sommes considérables '.
Après cette longue conversation, le roi ordonne
d'amener la coupable. Il l'interroge ; elle confesse
tout. « Quel châtiment faut-il lui infliger? » demande
Cyrus à ses conseillers. Un d'eux propose de cou-
per les pieds et les mains à la malheureuse ; un
autre de l'ouvrir toute vivante et de lui arracher
le cœur, un troisième de lui couper la langue.
Celte femme répond par une fable assez ridicule,
mais dont le sens moral est qu'il vaut encore
mieux vivre mutilé que de mourir *. Les cruelles
propositions des conseillers sont rejetées par le
prince, qui est d'avis de raser la tète à la coupa-
Euvrnrac, p. 125. — Para- ■ Le Renard. SjvTÎ7raç , p. 143.
hoirs de Sendabm . Pan/bote» de Sefifiabar*
SUR LES FABLE6 INDIENNES. 1 27
ble, de la placer sur un âne, le visage tourné vers
la croupière, et de la promener ainsi par la ville,
eu faisant marcher devant elle deux crieurs char-
gés de proclamer pour quel crime elle subit ce
châtiment. Ce dernier avis est adopte !.
Le roi, charmé de la sagesse de son (ils, en lé
licite son docte précepteur, qui lui déclare, que si
le jeune homme a fait en peu de temps d'aussi
grands progrès , le roi en est surtout redevable à
l'astre qui a présidé à la naissance de son fds. Syn-
tipas raconte alors une histoire qui a pour but de
prouver que les prédictions astrologiques sont in-
faillibles, et que la meilleure éducation est inutile
il un enfant né sous une mauvaise ('toile-. Cette
histoire est suivie de plusieurs questions morales
que Cyrus fait à son fds, et qui sont résolues parle
prince de manière à contenter son père et la docte
assemblée.
J'ai fait remarquer dans le cours de cette ana-
lyse, que plusieurs contes" du Syntipas se retrou-
vent dans des recueils indiens, ce qui autorise à
penser que ces contes, et même le livre entier, saul
■ Dans [cm Paraboles de Senda- taFemmeetUManhand.(PA05.)
har, le Jeune prince demande et ob- — 1* /,,/î ,/l( ro' vt lc Baigneur.
ticnilagrAcc de son ennemie; dans (P.105.) -La Chienne. (P.106.)—
1rs sept Vizirs la favorite est jetée Le dénouement de la même histoire
:, lainor. (P.108.) -L'Officier du roi et ton
« Zwriiroc, p- 148. Chien. (P. HO.) - Le» Souhaits.
3 Ces eontes.au nombre de iicul", (P. Ht.) — Le second incident de
sont ÏOffleier, ton Esclave et la la ruse des fcmme». (P. H7. I
Ftffnma.fVoyec ci-dessus ,p.lOO).— Conoioes empoisonnes. (P.H8.)
128 ESSAI
quelques interpolations, sont venus de l'Inde, ainsi
que l'atteste Massoudi '. On sait que les conteurs
indiens ne se sont fait aucun scrupule de se piller
les uns les autres, et qu'il est telle fable que l'on
rencontre dans trois ou quatre recueils différons;
il se peut donc que l'auteur indien qui a composé
l'original présumé 2 du Livre de Sijnlipas ou de
Scndabad 5, ait puisé plusieurs de ses contes dans
un fonds plus ancien, auquel ont aussi puisé les
autres conteurs , ou bien que son livre étant anté-
rieur aux recueils qui existent aujourd'hui, ait été
mis à profit par les auteurs de ces recueils. Dans
tous les cas, l'opinion de M. de Bohlen, qui pré-
tend que les contes du Livre de Sendabad ont pu
pénétrer dans l'Inde avec l'islamisme4, opinion
avancée légèrement, est tout-à-fait inadmissible.
Plusieurs de ces contes ont le cachet indien ; il y
en a un qui repose sur le dogme de la métempsy-
> Voyez ci-dessus, p. 80, 81. glais dans le Quart erhj oriental
» Dans un mémoire inséré dans Afa(/a:t ne de Calcutta (vol.VI-VIII,
l'Almanach de Berlin de 1850, mé- 1820 et 1827), et je dois recon-
moire que je n'ai pas eu à ma dis- naître, que je n'ai pas été frappé du
position, mais qui est cité par rapport signalé par M. de Schlcgel;
M. Keller dans son introduction, un seul conte, dont je parlerai plus
M. de Schlcgel désigne le poëmc loin, oITre de l'analogie avec un de
sanscrit intitulé Dasa-koumara- ceux du roman arabe des tept Vi-
tcharita (ou les Aventures de dix sirs , traduit par M. J. Scott,
jeunes gens ) comme le type du 3 Le nom de Sendabad que le
Livre de Sendabad. J'ai lu labre- traducteur grec a changé en celui
gé en sanscrit du Dasa-koumara- de Si/nlipas, est peut-être un nom
tcharita, publié a Serampour à sanscrit altéré , mais je n'ose hasar-
la suite de YHitopadcsa, ainsi que der ;i cetégard aucune conjecture.
les extrait* étendus publiés en an- M)as allé Indien, II, 390.
SI R LES FABLES INDIENNES. 121)
chose ; deux autres se retrouvent dans le Panicltu-
tanlra dont l'antériorité à l'islamisme est un (ait
historique. Il se présente, en outre, une remarque
importante à l'aire, c'est que dans l'Inde, où des
préjugés consacrés par les législateurs offrent
une barrière presque insurmontable à l'envahisse-
ment des idées exotiques , la religion, les moeurs
et la littérature sont éminemment nationales et ne
se ressentent point du eontaet des autres peuples.
Les Indiens paraissent même exempts * de cet es-
prit de curiosité , de ce désir de connaître les
croyances religieuses et les productions littéraires
des Dations étrangères -, qui se remarque chez le/s
autres peuples, même chez les sectateurs de Maho-
met, et qui a distingué à un degré si émulent les
musulmans de l'Inde \ Nous avons vu cet esprit
■ On citera sans doute comme aux dialectes modernes , et encore
exception le célèbre Brahmane Ram- est-il à propos de remarquer que
mohun-Ruy qui avait appris le grec l'hindoustani qui s'est beaucoup
et l'hébreu, et qui avait composé enrichi d'emprunts laits à la litlor.
des livres de controverse. Mais il turc persane, est une langue formée
faut observer que la domination du mélange de l'ancien hindi avec
anglaise et les rapports avec les Lu- le persan et l'arabe, et parlée en ge-
ropéens, peuvent maintenant sin- uéral par des sectateurs de l'isla-
gulièrenieut modifier le caractère et misme.
les habitudes des Indiens. 3 Presque Ions les livres impor-
. Je ne crois pas qu'il existe dans tans de la littérature indienne ont
le répertoire de I antique Littéra- été traduits en persan dans l'Inde,
turc sanscrite aucune traduction ou Ces traductions ont, en général, été
imitation Composée par un Indien, composées par l'ordre des empereurs
d'après un original en langue étran gols de Delhi . ou des princes de
Pour rencontrer des traduc leur famille.
h nis de ce -''lire . il faut arriver
130 ESSAI
de curiosité se manifester chez les Persans , dès
le vie siècle de notre ère, et un voyage entrepris
par un docteur de cette nation , pour aller à la re-
cherche d'un traité de morale et de politique.
Leurs relations avec l'Inde remontaient probable-
ment à une date plus ancienne, et plus d'un apo-
logue , plus d'un conte indien avait pu circuler
dans l'Orient par cette voie. Les Indiens, au con-
traire, n'ont presque jamais rien emprunté à per-
sonne \ J'ajouterai, comme dernière preuve à
l'appui de l'origine indienne du Livre de Synli-
pas, que la forme même de ce livre , qui se com-
pose, comme on a vu, de plusieurs narrations liées
à un drame principal , est encore une présomp-
tion très forte en faveur de l'opinion que je sou-
tiens. L'existence d'un cadre où tous les contes
viennent se placer, d'un récit principal auquel se
rattachent des récits secondaires, est un caractère
tout-à-fait particulier du conte et de l'apologue
chez les Indiens *, et je ne le retrouve dans au-
cune des productions anciennes et authentiques
des littératures persane et arabe. Les recueils per-
■ Le zodiaque de douze signes M. Lctronne. (Revue des deux
est le seul emprunt fait par les In- Mondes, du 15 août 1837.) — Tou-
diens à un peuple étranger que l'on tefots M. de Schlegel ne partage pas
ait encore signalé, à maçonnais- l'opinion de M. Lelronne, et se pro-
sance. —Voyez le mémoire intitulé pose de la réfuter par un mémoire.
.Sur V Origine grecque des zodia- -, Voyez ci-dessus, p. 7.
ques prétendus égyptiens , par
si R L E S FA BLE S l [f DIE N N ES. 1 3 1
sans qui ont cette forme sont d'origine indienne
avouée , et les Mille et une Nuits ne peuvent pas
être objectées, puisque M. de Sacy, qui a reven-
diqué la plupart des contes de ce recueil comme
d'invention arabe, reconnaît que le cadre est beau-
coup plus ancien que le recueil lui-même f.
Les Paraboles de Sendabar, ainsi qu'on a pu le
remarquer, différent peu du Syntipas, et presque
ions les contes du roman grec se retrouvent dans
le livre hébraïque 2. Il n'est nullement probable,
à mon avis, que ce dernier prenne sa source dans
le grec. Le lieu de la scène placé dans l'Inde, et le
nom de Sendabar qui est celui de Sendabad, sauf
une différence légère, due peut-être à une erreur
de copiste , me portent h penser que c'est d'après
l'arabe que la version hébraïque a été composée.
M. Jonathan Scott, ainsi que je l'ai déjà dit, a tra-
duit un roman arabe aujourd'hui incorporé dans
les Mille et une Nuits, lequel offre le même su-
jet et presque les mêmes contes que le Syntipas.
Ce roman qui est intitulé Histoire du Roi, de sa
lùivorite, de son Fils, et des sept Vizirs, nous of-
fre-t-il le texte original du roman signalé par Mas-
soudi3, le Kétab Sendabad? C'est fort dou-
> JWo'motrej de l'Institut (Ara- sont étrangers un Syntipas , et, de
demie des Inscriptions ) , l. X . res quatre, il y en a deux qui ont
p, 40. |>"iir sujet la Révolte et la Mort
* Parmi les contes des Paraboles ,t Ibsalon.
'le Sendabar , quatre seulement i Voyez ei-dessu> p, 81 et 82.
1.32 ESSAI
teux ; je remarque en effet que deux contes, dont
l'origine orientale est incontestable , le Chien et
le Serpent, le Singe et le Sanglier, contes qui
font partie du Syntipâset des Paraboles de S end a-
bar, et qui se trouvaient probablement dans le
Kétab Scndabad, ne se lisent point dans l'ouvrage
traduit par M. Jonathan Scott '. Le roman des
sept Vizirs peut donc être considéré comme une
imitation ou comme une rédaction nouvelle du
Livre de Scndabad. Au reste, l'analyse des contes
étrangers aux Paraboles de S end a bar et au Synli-
pas, et qui se trouvent dans les sept Vizirs, con-
tribuera a prouver l'origine indienne de ce livre.
La série commence par une histoire racontée par
un des vizirs. — Un sultan , en se promenant un
jour, aperçoit un enfant qu'on avait exposé, et tou-
. Il existe encore une seconde Bengale , ont entre elles les plus
rédaction arabe du livre des sept grands rapports , et toutes deux
Vizirs , qui est celle que M. Ha* offrent des contes qui ne se trou-
birht a insérée dans le quinzième vent pas dans le grec. La rédaction
volume de sa traduction allemande arabe suivie par M. Habiclit est ,
des Mille et une Nuits. M. Ha- du reste, plus complète «pie celle
bicht l'a tirée d'un manuscrit copié de M. Jonathan Scott , et on y re-
en Egypte, dans l'année 1751 de marqué trois contes qui se trouvent
notre ère. M. Keller , qui a donné aussi dans le Syntipas , et que ne
l'analyse de la traduction de M. Ha- donne pas la traduction anglaise ,
bicht, dans son introduction au savoir: La Vieille et l' Enfant de
lloman dus sept Sages, serait cinq ans. (Voyez ci-dessus, p. 118.)
porté a croire que cette version — Le Marchand et les Fripons.
arabe a été faite sur le Syntipas ; (P.121.) — Le Renard. (P. 126. ) —
mais je pense que c'est fort dou- (Voyezi'mtroductiondeKelIer,p.x.)
teux. La rédaction du manuscrit Le roman des sept Vizirs se trouve
d'Egypte el celle du manuscrit de encore dans d'autres manuscrits des
M. Scott, lequel a été apporté du Mille et une Nuits.
SUR LES FABLES INDIENNES. 133
chc de compassion, il ordonne qu'on le ramasse, et
le lait élever. Lorsque l'enfant est devenu un jeune
lionune et que son éducation est terminée, le sul-
tan lui confie la garde de son trésor. Un jour il le
charge d'aller dans la chambre de sa favorite, lui
chercher un objet qu'il lui indique. Ahmed, c'était
le nom de l'orphelin, en entrant dans la chambre,
surprend la favorite avec un esclave , mais il fait
semblant de ne pas s'en apercevoir, et rapporte
au sultan ce que celui-ci avait demandé, sans dire
un mot de ce que lui-même a vu. La favorite crai-
gnant qu'Ahmed ne dévoile sa faute, s'empresse
d'aller l'accuser auprès du prince d'avoir voulu lui
Élire violence, et le sultan, dans sa fureur, se ré-
sout à taire mourir l'orphelin. Il appelle aussitôt
un esclave : « Rends-toi, lui dit-il, dans telle mai-
son et attends-y qu'un homme vienne te dire: « Ac-
complis les ordres du sultan. «Lorsque cet homme
se présentera, fais-lui sauter la tète, et tu remettras
ensuite cette tète dans une corbeille couverte à
un second messager. » L'esclave part , et lie sul-
tan donne la première commission à Ahmed qui
ne se doute nullement de l'accusation portée con-
tre lui et du sort qu'on lui destine. Sur son che-
min il rencontre l'esclave complice de la favorite,
occupé' à boire avec d'autres esclaves. Le misé-
rable, voyant Ahmed, lui demande ce qu'il va
faire, el veut le retenir afin d'irriter son maître
134 ESSAF
contre lui. Ahmed refuse, à cause de la commis-
sion qui lui a été donnée , et l'esclave propose de
s'en charger. Il se rend en effet à la maison qu'Ah-
med lui indique, et il n'a pas plus tôt dit à l'homme
qui attend : « Exécute les ordres du sultan, » que
celui-ci lui fait tomber la tête. Ahmed ne le voyant
pas revenir va lui-même à la maison indiquée ,
et l'esclave lui remet la corbeille que le jeune
homme rapporte au palais. La vue de la tête que
cette corbeille renferme amène une explication ,
et la coupable est mise à mort \
L'histoire d'un peintre, racontée par la favorite,
en preuve de la perversité des hommes, est
d'origine indienne. — Un peintre qui aimait beau-
> Taies , anecdotes , p. 53. —
Cette histoire ne diffère pas pour le
fond d'un conte dévot intitule* D'un
Roi qui voulut faire brûler le fils
de son sénéchal (voy. les Fabliaux
traduits par Legrand d'Aussy ,
t. V , p. 56, in-8° ) , seulement
la punition du traître , qui est l'effet
du hasard dans le conte oriental ,
est amenée dans le fabliau par
la volonté de Dieu , qui protège , à
cause de sa dévotion , le jeune
homme victime d'une calomnie. La
même légende se retrouve dans la
rédaction anglaise du recueil inti-
tulé Gesta Jtomanorum , dont elle
forme le chapitre xcvm. (Voyez la
dissertation de Francis Douce , pu-
bliée a la suite des Illustrations of
Shakspeare , ' . II, p. 412; et l'édi-
tion dc« Gesta Romanoruin publiée
parle rév. Charles Swan. Londres ,
1824, in-12, t. Ier, p. civ de l'in-
troduction. ) On rencontre encore
celte histoire dans les Ccntonovelle
anliche (Libro dinovclle et di bel
parlar yentile , in Fiorenza, 1572,
nov. lxviii , p. 75 , in-4°) , dans
les nouvelles de Giraldi Cinthio
( voyez la sixième nouvelle de la
huitième dizaine , dans le second
roi h tue des Cent excellentes nou-
velles de M. Jean-Baptiste Gi-
raldi O/nl h ien, mis d'italien en
français par Gabriel Chappuys ,
Tourangeau . Paris , 1 584, p. 115).
et dans l'histoire de sainte Elisa-
beth, raine de Portugal. (Voyez les
Anecdotes chrétiennes de l'abbé
Beyre, t. I" , les Deux Pages,
et la Biographie universelle , t.
XIII, p. 25. )
SUR LES FABLES INDIENNES. 135
coup les femmes, aperçoit un jour le portrait
d'une personne qui lui paraît ravissante de beauté,
et il parvient, à force de recherches, à savoir que
ce portrait est celui d'une chanteuse d'un vizir d'Is-
pahan. Il se met aussitôt en route, et arrivé dans
la ville, il apprend, au bout de quelques jours ,
par un apothicaire avec lequel il avait fait connais-
sance, que le sultan a en horreur les sorcières, et
qu'il les fait toutes enterrer vivantes dans une ca-
verne située hors de la ville. Ce renseignement lui
suggère une ruse , et il dresse aussitôt son plan.
Pendant la nuit il se rend au palais du vizir, s'in-
troduit dans les appartemens, et réussit à trouver
celui delà dame qu'il aime, et qu'il trouve endor-
mie. 11 tire son poignard et lui fait une légère
blessure à la main. La jeune femme se réveille,
et pleine d'effroi , à la vue d'un inconnu qu'elle
prend pour un voleur, elle le conjure de ne lui
faire aucun mal et lui donne un voile magnifique
orné de perles et de pierres précieuses. Notre
homme se retire, et le lendemain, déguisé en pè-
lerin, il va trouver le sultan, et lui déclare qu'ar-
rivé la veille près d'Ispahan à la chute du jour, il
a rencontré quatre sorcières qui l'ont entouré ,
mais qu'il a fait fuir en prononçant le sain! nom
de Dieu; qu'il a donné à l une d'elles un coup <le
poignard, et que cette femme, dans sa fuite, a Iai^<;
tomber un voile magnifique. Il présente alors le
1 36 ESSAI
riche tissu au suliau , qui le reconnaît à l'instant
pour en avoir fait présent a son vizir, et celui-ci
déclare l'avoir donné à la chanteuse. On la fait
venir; l'égratignure qu'elle a sur la main, prouve
au sultan la vérité de l'accusation , et il ordonne
que la coupable soit enfermée sur-le-champ dans
la caverne des sorcières. L'arrêt s'exécute ; mais
le peintre va trouver le gardien de la caverne , et
au moyen d'une somme considérable, il obtient de
lui qu'il rende la liberté h la jeune femme qu'il
emmène avec lui '.
L'histoire que raconte le cinquième vizir ,
offre quelque rapport avec un conte des Mille
et une Nuits , lequel vient de l'Inde. — Un
jeune homme ayant dissipé toute sa fortune est
obligé de prendre le métier de porteur. Certain
jour, un vieillard d'une ligure vénérable lui pro-
pose d'entrer :i son service: « Nous sommes, lui
dil-il, dix vieillards qui vivons ensemble dans la
même maison, et nous avons besoin de quelqu'un
pour nous servir. Seulement je te recommande
lorsque tu nous verras gémir et pleurer de ne faire
avenue question. » Le jeune homme observe très
exactement ta condition imposée, et sert fidèlement
> Tdlrs, anecdote» :,('!<.•., p. 108. 1ère pas pour le fond de l'histoire
— Le ri. nie indien intitulé "Bit- du peintre. (Voyez le Quartcrh/
loire de Nitambattati , et qui fait i)iintt<iï magasine tic Calcutta
partie «lu poème ayanl pour titre juin 1827.1
Dasd-lcouindra-tchatïta . ne difi-
SI R LES FABLES INDIENNES. 137
les vieillards qui finissent |>ar oiourrir l'un après
L'autre. Celui qui avait amené le jeune homme reste
le dernier , et lorsqu'il est près de son dernier mo-
ment , le jeune homme se hasarde «à le prier de sa-
tisfaire sa curiosité : « Mon fils, répond le vieillard,
je t'ai toujours aimé, et je craindrais pour toi un
sort pareil au mien. Garde-toi surtout d'ouvrir la
porte que voici. » Le vieillard meurt ; le jeune
homme, maitre de la maison, cède à la curiosité et
ouvre la porte inlerdite.il traverse un long passage
au bout duquel il se trouve au bord de la mer , et
un aigle blanc i le saisit et le transporte dans une
ile. Il y rencontre des jeunes filles qui le conduisent
ii leur reine, dont il devient l'époux. « Seigneur, lui
dit-elle, tout ici vous appartient, mais gardez-vous
d'ouvrir cetteporte que voici, vous auriez à vous en
repentir2 >. Le jeune homme passe sept mois dans
les plaisirs et dans la joie; mais au bout de ce temps,
sa fatale curiosité lui fait ouvrir la porte défendue:
il se trouve de nouveau dans un long passage qui
le conduit au bord de la mer , et le même aigle le
saisissant le transporte daiissamaison,oùillelais e
en proie aux regrets les plus vils \
i Dans les Mille et uneNuitt, van! la mythologie indienne , offre
!'■ trolgièi salender est transporté de grands rapports avee te roM.
par l'oiseau fabulera que les arabes «rite défense rappelle celle du
appellenl rokA, et dont ils paraissent conte de Barbe bU vu.
avoir puise l'idée dans les contes 3 TtUéS . munlotcs , rtc. |>. 116
indiens. Curimihi , oiseau gigan- ÏM Mille et tuie \tiits. ( llis
lesque et roi de ta vace ailée , sui- toire dufreisième têUtnder, nails
1 38 ESSAI
L'histoire qui suit est racontée par la favo-
rite. — Un marchand avait une femme très jolie
dont il était si jaloux qu'il la tenait toujours enfer-
mée. Un jour le fils du sultan en se promenant
voit cette charmante personne qui prenait l'air sur
la terrasse de la maison, et sa vue fait une grande
impression sur lui. Après avoir essayé inutilement
d'entrer , il lance avec une flèche un billet qui est
favorablement accueilli ; aussi est-il bientôt suivi
d'un autre billet accompagné d'une clef, et par le-
quel le prince annonce que cette clef est celle d'un
coffre dans lequel il doit s'introduire. Le fils du
sultan va trouver alors le vizir du roi son père ,
et obtient à force de prières que le ministre aille
vers le marchand et qu'il lui demande de recevoir
chez lui en dépôt un coffre rempli d'objets précieux
qu'il veut mettre en sûreté. La ruse réussit parfai-
tement; le marchand, flatté de la proposition du
vizir, ne fait aucune difficulté, et le jeune prince in-
troduit dans le coffre chez sa maîtresse en obtient
di! nombreuses entrevues. Sept jours se passent
de cette manière ; mais le huitième, le sultan ayant
demandé son fils , le vizir va trouver le marchand
au plus vite pour reprendre le coffre, et le mar-
chand le conduit chez lui. Le jeune prince, qui se
LVII à LXIl. — Voyez Y Histoire Calcutta, janvier et juin 1855) et Le
<le Snktidcva dans le l 'rihat-kathù traduction de 1 Hitopadcsa , par
(Qvaterly Orientai magasine de Wilkins, p. 129.)
SUR LES FABLES INDIENNES. 139
promenait dans la cour intérieure avec sa maî-
tresse, entendant venir quelqu'un, retourne au plus
vite à sa cachette, mais on n'a pas le temps de fer-
mer le coffre et les esclaves en l'emportant lovent,
le couvercle qui montre le jeune prince aux yeux
de tous. Le marchand honteux de sa disgrâce et
désespéré de ne pouvoir se venger, fait divorce
avec sa femme , jurant de ne plus se marier \
Le conte suivant est raconté par le sixième vizir.
Une jeune dame, dont l'amant a été arrêté et mis
en prison, va solliciter successivement, pour obtenir
sa liberté, l'officier de police, le cadi, le vizir, et
le gouverneur de la ville. Tous quatre charmés de
sa beauté lui font des propositions qu'elle ne re-
pousse pas. Elle leur donne un rendez-vous, et à
mesure qu'ils arrivent, elle les enferme, sous le pré-
texte d'une alerte , dans une armoire à comparti-
mens qu'elle a fait faire exprès. Elle se sauve en-
suite avec son amant, et le mari de la dame en ren-
trant chez lui trouve cette armoire d'où sortent des
voix et la fait porter au palais du sultan. On force
la serrure , et les malheureux pris au piège sortent
de leur retraite couverts de honte .
■ Talcs, anecdotes, etc., p. 131. de Jésus-€hriêt par la poursuite
— Ce conte se retrouve dans le amoureuse d'un jeune Romain. —
livre intitulé le* Compte* du monde Voyei ',l,;»' Im Délice» de Verbo-
(,i (mlnrvu.r , contenant liiij dis- quel le généreux , Paris. 1(i'2." .
court. Puis, 1683. Voyesle second in-18, p, 536.
conte ayant pour titre la Façon Foies, anecdotes, elCj p. 136.
qu'une Juifoe fut convertie à la foi Ce conte est éyidem m une
140 ESSAI
L'histoire suivante, racontée par la favorite, rap-
pelle l'anecdote de la pie voleuse. — Une pauvre
femme accusée d'avoir volé le collier d'une reine
, est mise en prison et durement traitée ; mais heu-
reusement le sultan aperçoit un jour une pie tenant
le collier entre ses pales , et reconnaissant l'injus-
tice de l'accusation, il fait rendre la liberté à la
malheureuse en lui demandant pardon '.
L'histoire du prince Bharam et de la princesse
Rumta , que raconte encore la favorite, est le der-
nier des contes étrangers aux Paraboles de Scnda-
bavet&u Sijntipas.
Il y avait jadis une princesse nommée Rumta ,
qui était si habile à monter à cheval et à lancer
la javeline qu'elle avait déclaré ne vouloir épou-
ser que le prince qui serait son vainqueur 2. Plu-
sieurs l'avait entrepris, aucun n'avait pu réussir.
Bharam, prince de Perse, éperdument amoureux
imitation défigurée du conte de la s'agit point d'une femme galante,
Belle Arouya , dans les Mille et majs d'âne femme vertueuse et
un Jours , et de celui de la Dame fidèle a son mari. Le rédacteur du
du Caire et de ses Galant, dans TOtDm des sept Vizirs a changé le
la Continuation des Mille et une sens mora] tlu conlc pour poUvoir
Nuits, par Bf. Jonathan Scott (voyez le placcr dans son cadre < _ Voje?
l'édition des Mille et une Nuits (l;ills 1(,s Fabuaux de Legrand
publiée par M. Destains. Paria 1822, cPAussy (t. IV, p. 246), celui de
in-8- ,t. VI, p. 285) , lesquels sont j0 dame qui attrapa un prêtre, un
tirés eux-mêmes d'un conte san- prévôt, et vnfexesiier*
serjk «lu Vrihat-kathâ ( Quarterly /v,/rs-, m,rrdotes, etc., p. 155.
Oriental magazine de Calcutta . » On se iifpelle que dans l' Or-
mars 1824, p. "I .) — Dans les trois lundo furioSO, lJradamante impose
rédactions persane, arabe et san- la même condition à ses amans.
sente que je viens de citer . il ne
SUR LES FABLES IMHI.WI S lit
de Rumta, avait succombe par une ruse de la
princesse, qui, voyant tout d'abord qu'elle avait
affaire «à un rude adversaire, avait levé sa visière
pour éblouir son amant par l'éclat de sa beauté.
Bharam, désespéré de son écbee veut à son tour
avoir recours à la ruse. Déguisé en vieillard, la figure
cachée par une grande barbe blanche, il se présente
sur le passage de la princesse et propose à une de
ses femmes de l'épouser, offrant de gratifier celle
qui accueillera sa demande de plusieurs beaux
joyaux. « Je donnerai un baiser à celle qui m'é-
pousera, ajoute-t-il, et je divorcerai ensuite. » La
princesse qui trouve la proposition singulière, dit
ii une de ses femmes d'accepter; et la même scène
se renouvelle plusieurs jours de suite, le faux vieil-
lard donnant chaque fois de beaux joyaux il la
jeune fille qu'il épouse. Enfin il prend fantaisie à
lUuiila de devenir à boh tour l'épouse du vieil-
lard ; Bharam se fait aussitôt connaître , et la prin-
cesse se résigne à son sort '.
J'arrive maintenant à L'examen du livre célèbre
au moyen âge sous le titre d'Histoire des sept Sages
de Rome-. Une analyse rapide suffira pour montrer
raie», anecdotes, etc.,p. 159. l'histoired' Mppomèneet Atalante.
— La ruse de Bharam a beaucoup < Historia teptem Sapientum
de rapport avec cette du prince Routai. Voyea ci-dessus , page 85.
Toungabala , dans an conte de Je me sers pour celte analyse in
de VHiiopadésa , que j'ai analysé texte latin et de ta traduction Bran
plus liant. (Voyez, page. 75.) Ce caise imprimée à Genève en 1492.
conte a aussi de l'analogie avei Le Boman des sept Soi
142 ESSAI
les rapports de ce livre avec les Paraboles de Sen-
dabar.
Dioctétien , fils de l'empereur de Rome Poncia-
nus, est confié, après la mort de sa mère, aux soins
de sept sages, qui relèvent dans un lieu retiré hors
de la ville. Le jeune prince passe dans cette retraite
seize années, pendant lesquelles il fait dans les
sciences des progrès merveilleux. Cependant l'em-
pereur son père s'est remarié a la fille du roi de
Castille. La marâtre porte une haine mortelle à
son beau-fils , qu'elle ne connaît point encore , et
l'empereur, à son instigation, ordonne aux précep-
teurs du prince , sous peine de la vie , de le lui ra-
mener le jour de la prochaine fête de Pentecôte.
Les sages consultent les astres sur le sort futur de
leur élève, et ils voient par leur science astrologi-
que, que si l'on mène à l'empereur, son fils, le jour
assigné, il périra de maie mort aux premiers mots
qu'il dira , et que si eux-mêmes n'obéissent pas,
ils auront la tête coupée. Le prince consulte les étoi-
les à son tour, et reconnaît que s'il peut pendant
sept jours, à partir du jour déterminé par l'empe-
reur, s'abstenir de parler , sa vie sera sauvée. Ses
précepteurs promettent de le garantir de mal pen-
dant les sept jours.
Dioclétien se rend à la cour, et l'empereur s'é-
a aussi été désigné sous le tilre de nuscritsde la Bibliothèque de l'Ar-
l.a maie maraslrc. (Voyez les ma- senal nn 232 et 233 , belles-lettres.
SU'. LES FABLES INDIENNES. 143
merveille grandement de voir son fils muet. La
reine qui se prend subi le nient d'amour pour lui,
persuade ii l'empereur de le lui confier , et fait au
jeune homme des propositions qu'il rejette sur
l'heure par escripl. Furieuse , elle se déchire le vi-
sage, elle accuse Dioclétien d'avoir voulu lui faire
violence, et l'empereur enjoint à ses archers de me-
ner le prince au gibet. Les sages font des représen-
tations ii l'empereur, qui ordonne alors de conduire
son fils en prison.
Le soir, quand la reine se trouve seule avec son
époux , afin de le déterminer à faire mourir le prince,
elle raconte la fable d'un vieux et beau pin que le
maître d'un jardin l'ail abattre pour conserver un
rejeton faible et tortu '. La reine termine en disant
que le sort du vieil arbre est réservé à l'empereur,
ce qui fait tant d'impression sur l'esprit du crédule
vieillard , que le lendemain il donne de nouveau
l'ordre de conduire le prince au supplice.
Le premier sage, nommé Pantillas, vient s'yop-
poser , et démontre à son maitre les dangers de la
précipitation par le conte d'uni) chevalier qui, à la
parole de sa femme, occist son bon lévrier qui avoii
abbatule dracon cl saulvé la vie à sou enfant, conte
que nous avons déjà vu dans les Paraboles de Scn-
VOJWI L'analyse composée par eteWIU of earhj eutjlish metrical
Ellis, de la rédaction en vers anglais Tommeu, MOOOd édition, Londoo,
intitulée Seven xvisemasters. (Spc- UHi, vol. III , p. 50.)
14 i
ESSAI
dabar, dans Sijnlipas, et dans le Pantcha-lunira '.
La reine revient à la charge le soir, et réussit à
persuader l'empereur par le conte suivant qui est
des plus ridicules.
Un sanglier était si terrible qu'il blessait à mort
tous ceux qui passaient par le bois où il se tenait ,
et l'empereur avait fait crier par tout son empire
qu'il donnerait sa fille en mariage à celui qui tue-
rait le sanglier. Un jeune pâtre profitant du mo-
ment où l'animal était gorgé de fruits, s'approcha
de lui en le caressant , et le tua d'un coup de cou-
teau-.— La reine ajoute que les sages ne llattent
■ Voyez ci-dessus, p. 54 et 110
l'analyse d'LMIis, p. 54, et les Fa-
bliaux de Legrand d'Aussy, t. I,
[i. 354. — Le conte du Chevalier et
du Lévrier a passe du Livre des
sept Sayes dans le recueil de San-
sovino (Giorn. XI, nov. i) et dans
la rédaction anglaise des Gesta Ho-
manorwn, àont il forme le ebopttro
uxii. (Voyezla dissertation de M.
ir. Douce sur ce recueil, à la suite
.les Illustrations of Shakspeare,t.
II, p. 570 et suiv.) M. Fr. Douce
remarque que la rédaction origi-
nale du Moucheron , de Virgi-
le , ressemblait, d'après l'esquisse
donnée par Donat , au conte des
Gesta Romanorwn. In berger
s'endort dans un endroit maréca-
geux ; 00 serpent s'approche et va
le mordre , lorsqu'un moucheron
le pique a la figure et l'éveille, il
porte machinalement la main à la
partie douloureuse et écrase lemou-
i héron ; nui: bientôt il b' aperçoit
qu'il a tué son bienfaiteur , et, pour
expier sa faute, il lui élève un mo-
nument.
M. Douce a rapproché encore de
ce. conte la célèbre tradition galloise
de Llewellyn le grand et de son
lévrier Gellert , tradition que l'on
rapporte à l'année 1205. (Voyez
.iu>->i Dunlop , TJittnrij of fiction ,
tom. il, p. 107.)
= Le bon moine de Haute-Selvc
M rappelait sans doute le san-
glier d'Erymanthe en écrivant
cette fable ; mais malgré les détails
étrangers qu'il y a introduits , je
crois remarquer quelque rapport
entre cette fable et celle des Pa-
raboles de Sendabar qui a pour
sujet l'Homme et le Sanglier.
I Voyez ci-dessus , p. 110; et l'ana-
lyse d'Ellis , p. 39. ) C'est un des
motifs qui me font penser que Dam
Jehans avait sous les yeux la version
hébraïque, cl non le livre deSynti-
pa$, comme l'ai aitpenséM.Dacîer
SUR LES FABLES INDIENNES. 1 18
de même l'empereur que pour le faire périr plus
tard.
Le lendemain, au moment où le jeune prince va
être conduit au supplice, le second sage, nomme'
Lentulus, vient à son aide, et pour prouver à l'em-
pereur qu'il est trompé par la reine , il lui raconte
l'histoire d'un vieux chevalier époux d'une jeune
dame qui toutes les nuits , lorsque son mari était
endormi prenait les clefs sous son chevet pour
aller trouver son ami par amours. Le vieux che-
valier, se réveillant une nuit, s'aperçoit que sa
femme n'est plus à ses côtés et que ses clefs ont
disparu. Il se lève, et va à la porte qu'il trouve
ouverte. 11 la referme au verrou, et se mettant
à la fenêtre , il attend le retour de sa femme.
Lorsqu'elle revient, il L'accable de reproches ci
d'injures auxquelles elle ne répond que par les
plus humbles supplications de la laisser rentrer. Le
mari reste inflexible et veut qu'elle soit arrêtée et
mise au pilori, suivant la coutume dupays.Ladame,
ne sachant plus à quel saint se vouer, menace le
chevalier de se tuer, et s'approchanl d'un puits
voisin, elle y jette une grosse pierre. Le mari en-
tendant ce bruit, craint que sa femme ne se soif
portée ii un acte de désespoir; il descend aussitôt,
sort, et sa femme qui s'est glissée derrière la porte,
la referme sur elle en rentrant. Le vieux, cheva-
lier emploie à son tour les prières, mais inutile-
1HS ESSAI
ment. Il ne tarde pas à être arrête par le guet, et
on le condamne au pilori '.
La reine pour détruire l'effet de cette histoire ,
raconte celle d'un père qui se sacrifie pour ses en-
fans. — Un chevalier qui avait deux filles et un fils ,
avant dissipe toute sa fortune s'introduit pendant
la nuit avec son fils dans la tour où sont renfermas
les trésors de l'empereur Octavien, et emporte une
quantité d'or considérable. Le lendemain , le gar-
dien du trésor s'aperce vant du vol et voyant une
brèche à la muraille, fait mettre à cet endroit une
grande cuve pleine de poix et de glu , et cachée
de manière qu'on ne puisse pas la voir. A quel-
que temps de là, le vieux chevalier , ayant dissipé
tout l'or volé, revient en chercher et tombe dansle
piège. Se voyant perdu sans ressources, il con-
jure son fils de lui couper la tête, afin qu'il ne soit
pas reconnu. Le malheureux jeune homme lui
obéit en gémissant, et emporte avec lui la tête cou-
pée. Le corps est tiré de la cuve le lendemain, traîné
sur la claie par la ville , puis pendu au gibet ; et
l'empereur ordonne aux gardes chargés de l'exé-
cution de remarquer la maison , où l'on entendra
■ Ce conte est emprunté à la de 1820), et Molière, d'après le
Discipline cléricale de Pierre Al- Décaméron deBoccace (VIIe joui -
phonsc (t. I , p. 81. Paris , 1824 ; née, iv' nouv.), a composé sur ce
in-12. Edit. de Schmidt, p. 53) ; sujet son excellente farce de Geor-
Legrand d'Aussy l'a analysé dans ges Dandin. (Voyezencore l'analyse
tes FeMiaux(%. III, p. 146, édit- d'Ellis, p. 19;)
STJB LES FABLES INDIENNES. 1 \~
des gémisscmens à la vue du corps trahie sur la
claie. En effet, les filles du vieux chevalier poussent
des cris douloureux à ce triste spectacle, mais leur
frère se fait une blessure sur-le-champ, et lorsque
les gardes entrent dans la maison, il leur dit que les
plaintes qu'ils ont entendues n'ont pasd' autre cause
que l'accident qui vient de lui arriver. — La reine,
en terminant, s'élève contre l'indigne conduite du
fds , qui jeta la tête de son père en une fosse sans
l'ensevelir ni en église ni en cimetière , et qui souf-
frit que le corps restât pendu au gibet l.
■ Une légende semblable se
trouve dans Hérodote (liv. II,chap.
121). Selon l'historien fjrcc dont
j'abrège le récit, Rhampsinitc , roi
d"ftgypte , ayant fait construire un
édifice en pierres destiné à rece-
voir ses trésors , l'architecte arran-
gea une des pierres avec tant d'art
que deux hommes , ou même un
seul , pouvaient facilement l'ôter. Il
mourut peu de temps après , mais
à ses derniers momens il confia son
secret à ses deux fils, qui ne tardè-
rent pas à en profiter, et emportè-
rent de si grosses sommes que le
roi s'en aperçut. Voyant BÇ9 riches-
tes diminuer, il (ait faire des pièges
qui sont placés par ses ordres antour
des vases qui renfermaient ses tré-
sors , et un des deux turcs y e>t
pris. Ne pouvant s'en tirer, il prie
Sun frère de lui trancher la tétc.
Celui-ci obéit , remet la pierre en
plan- , et retourne a sa maison .
emportant la tète avec lui. ï.e
lendttinaiu , le roi va \ imiter IOH
trésor et demeure frappé d'éfonne-
ment à la vue du corps sans tète.
Dans son embarras, il fait suspen-
dra le corps à la muraille et place
des gardes auprès , avec ordre de
lui amener celui qu'ils verraient
pleurer à ce spectacle. L'autre frère,
cédant aux prières de sa mère
forme le projet d'enlever le corps.
Il y réussit en eiret par le moyen
d'une ruse, et r.liauip-inite, furieux
de ne pouvoir réussir à connaître
la vérité , s'avise d'une chose in-
croyable. Il prostitue sa propre tille
dans un lien de déhanche , en lui
recommandant d'obliger ceux aux-
quels elle accorderai! ses faveurs à
lui dire ce qu'ils avaient rail en leur
vie de plu» siihtilcide plus méchant.
1 ,e \ Dieur échappe à ce piège par une
nouvelle ru-e , et le roi , désespérant
de s'emparer de lui , fait pubUei
qli'il lui pardonne .et il Unit par lui
donner sa lillc en mariage. I Tome
Il , p. '.r> et suiv. de la traductioi
de i ireher êdil de 1808
liS ESSAI
Le jeune prince est de nouveau condamné ; niais
le troisième sage, nommé Gaton, fait révoquer
l'arrêt par le conte de la Pique (pie) que pour dire
vérité, fui morte par la faulceté et menssonge delà
femme qui s'esloil meffaile vers sou mary , conte
qui n'est autre que celui du Perroquet dans les
Paraboles de Sendabar , dans Syntipas et dans les
Sept Vizirs '. La substitution d'une pie a un per-
roquet est toute naturelle, mais le dénouement du
conte mérite une attention particulière. Dans le
Syntipas, le marchand se contente de ne plus
ajouter foi aux discours du perroquet sans lui
faire subir de mauvais traitement, tandis que dans
Pausanias ( liv. IX, ch. 57), fait
au sujet du trésor d'Hyrieus , con-
struit par les deux fameux archi-
tectes , Agamède et Trophonius ,
un récit semblable , mais qui se
termine par la fuite d'un des voleurs
emportant la tête de l'autre. Le
dénouement rapporté par Hérodute
a reparudans le Dolopalhos d'IIer-
bers ( voyez le Conservateur de
janvier 1700, p. 194), et le trou-
vère y a ajouté plusieurs circon-
stances de son invention, dont une
entre autres a pu fournir à Boccace
un des incideus de la u« nouvelle
de la IIIe journée du De'caméron ,
comme Fauchet l'avait déjà remar-
qué. (OEuvres de feu M. Fau-chel.
Paris, 1010, p. 500.) La fille du
roi ayant marqué le voleur au front,
comme elle en était convenue avec
son père , il en va faire autant .i
tous les chevaliers endormis dans le
palais.
Le conte d'Herbers forme un des
incidens du vieux roman français
intitulé La description , forme et
l'histoire du très noble chevalier
Iierinus , et du vaillant et 1res
chcvalereux champion Aigres de
l'Aimant , son fils. ( Paris , Bon-
fons , in-4° ; voyez les Mélanges
d'une grande bibliothè<[ue , t. H,
p. 257 , 207 et suiv.) On le trouve
encore dans le Pecoronc de Sec
Giovanni (Giorn. IX, nov. i) , et
dans le recueil de Bandello ( Parte
I, nov. wv ). Lllis ( Spécimens ,
t. III, p. 43) a donné l'analyse du
même conte d'après la rédaction
anglaise du Livre des sept Sages.
■ Voyez ci-dessus , p. 98 , et
l'analyse d'Ellis , p. 64.
si B LES FABLES INDIENNES. 1 49
les Paraboles de Sendabar, de même que dans les
Sept Sages de Home, il tue le pauvre oiseau, et
c'est un motif de plus de considérer le livre hé-
breu comme le type du roman latin composé par
le moine de Haute-Selve.
La quatrième histoire racontée par la reine est
celle d'un roi frappé d'aveuglemeut par le ciel , en
punition du mauvais gouvernement de sept sages
auxquels il avait accordé toute sa confiance. D'a-
près le conseil d'un enfant, nommé Merlin \ le roi
(ait décapiter les sept sages, et recouvre la vue -.
— La reine en terminant ce conte qui est rempli
de détails bizarres, conseille à l'empereur d'être
en garde contre les précepteurs du prince.
Le quatrième sage, nommé Malquedrac, détruit
l'effet de cette histoire par celle d'une jeune femme
amoureuse d'un prêtre, et qui, voulant d'abord
éprouver la patience d'un vieux chevalier son
> Voyez sur Merlin le premier nés , trarf. pur GaUm / et Car
\nluiiic de l'ouvrage d'Ellis, intitulé donne, t. III, p. 330. La traduc-
Specimcns of early english ro- tion du GsHIa et Dtnma par Jean
mancet , p. 70. M. Francisque de Capoue, n'étant pas encore eom-
Michcl doit publier incessamment posée :i l'époque où le moi le
un travail tirs étendu rat Merlin. Haute - Sel\e écrirait (VOYOS ci-
• Voyei l'analyse d'Ellis, p. 68, dessus, p. 18), U n'a donc pu
( llcrowdes ami Merlin ). - M. lire M Conte que dam la rersion
Keller . dans son introduction ( p. hébraïque . et C'etl je crois une pre-
ezCTll) rapproche avec beaucoup BOmptiOD de pms en !;i\eiir de mon
de nisou ce conte de celui du Cuit- opinion, que Dam léhansaeoen-
/</ et Diurne), intitule Butoir* <i'l- posé son Bittoria teptem Sapim
ladh, <ie Baladh . </ imkht . si de twn . ""n d'après le grec mais
Kioatiomn [Ealilacmd Dimna d'après l'hébreu.
i ~>\\, -Otmtef rt fables intiitn
150 ESSAI
mari, fait abattre un arbre qu'il aimait particuliè-
rement, lue son chien favori et renverse la table un
jour de grand repas. Son vieil époux, sous prétexte
de diminuer la surabondance de sang qui la tour-
mente, la fait saigner jusqu'à ce que le cœur lui
manque '. — Le sage, à la fin de ce conte, fait au
roi l'éloge de la prudence du vieux chevalier, et
lui conseille de se défier de la reine.
Elle répond par un cinquième conte non moins
bizarre que celui dans lequel figure Merlin. — L'en-
chanteur Virgile-, entre autres ouvrages merveil-
leux, avait, par la puissance de son art magique,
produit un feu qui brûlait toujours, et auprès duquel
■ Voyez l'analyse de ce conte par
Legrandd'Aussy (Fabliaux, t. II I,
p. 165), et celle d'Ellis (Spéci-
mens , t. III , p. 53). — Cette his-
toire se retrouve dans les Contes
ou nouvelles récréations et joyeux
devis de Bonaventure Des Pe-
riers. Amsterdam , 1735 , t. III ,
p. 240, nouv. cxxvn.(V)u cheva-
lier aagé , qui fit sortir les gril-
lons de la tête de sa femme par
saignée , laquelle , avant , il ne
pouvoit tenir soubz bride, qu'elle
ne lui fist souvent des traits trop
gaillards et brusques. )
* Le moyen âge , qui a travesti
Jasun, Thésée et Hercule en che-
valiers, a fait du poète de Mantoue
un enchanteur , et lui attribua
nombre de prodiges et d'œuvres
magiques. Je n'entrerai point ici
dans l'examen de la légende de
Virgile , ni de son origine , ce qui
m'entraînerait dans de trop longs
détails. On peut consulter à ce sujet
l' Apologie pour les grands hommes
soupçonnés de magie , par G.
Naudé. Amsterdam, 1712, p. 459
et suiv. — Les Notices et extraits
des manuscrits, t. V, p. 255-255,
— Les Mélanges tirés d'une grande
bibliothèque , t. E , p. 181 et suiv.
— Les Faicls merveilleux de Vir-
gille , — YHistory of Fiction de
Dunlop (t. II, p. 130), la Vie
merveilleuse de Virgile ( The life
°f y'irgilius) , dans le IIe vol. de
l'ouvrage publié par M. Thoms, et
intitulé A collection of early prose
romances , volume où se trouve
une courte dissertation prélimi-
naire; et enfin un article de M. Le
Houx de Lincy, dans le Cabinet de
lecture du jeudi 29 octobre 1835.
M K LES TABLES INDIENNES. 151
étaient deux fontaines l'une chaude où les pauvres
se baignaient, l'autre froide de laquelle ils bavaient*
Entre le feu et les fontaines était une statue qui
portait sur le front cette inscription :
Celuy qui cy me frappera ,
De moy vengier tantostsera.
Un jour certain clerc ne pouvant s'imaginer
qu'une statue pût prendre vengeance de celui qui
la frapperait , lui porta un grand coup , et en même
temps, le feu s'éteignit et les fontaines se tari-
rent '.
Virgile avait en outre fait construire une tour
en haut de laquelle il avait placé autant d'ymages
qu'il y avait de province romaines. Chacune de
ces ymaycsoix statues faites par magie, tenait en sa
main une clochette qu'elle faisait sonner lorsque
la province qui lui était assignée se préparait à la
révolte, et les Romains aussitôt prenaient les ar-
mes -. Des rois qui voulaient secouer le joug des
• Voyez dans les Faicts merveil- qu'il a Consacré à la légende de
leux de Virgille le chapitre qui a Virgile ( introduction , p. ccvn),
pour titre : Comment Virgille fist offre à peu près les détails que noue
>ine lampe <nii tousiours ardait. venons de lire . mais le nom de
' Le plus ancien passage con- Virgile n'y est point prononcé. Vin-
cernant la construction magique cent de l'.eamais . dans un article
dont parle le moine de Hautc-Sclve sur Virgile de son Spéculum liis-
dans son conte, savoir la Tour des toriale (Duaci , UVi'i ; in -toi. . I.
Images j te trouve dans un manu- VI , c. lit , p. 103), parle île la
m rit ilu un' siècle, appelé MS.dc tour merveilleuse appelée Salvatio
FPeMOOfiiftner. Ce passage latin Homœ en termes qui donnent a
quia été publié par Docen et re- penser qu'il a eu comi.ii>s.iin , <|,
produit par >t KeQer dam l'article l'ancien passage lalrà dont je rien.«
1 ':>•! Iftll
Romains, formèrent le projet de détruire la tour
merveilleuse. Dans ce dessein, ils envoyèrent à
Rome quatre chevaliers, qui réussirent à persua-
der ;i rempereuT ( Ictavien que tous les trésors dé
Virgile étaient cachés sous la tour. L'empereur
donnant dans le panneau, chargea les chevaliers
de taire creuser sous la tour pendant la nuit, et ils
s'j prirent de telle sorte que la tour s'écroula
avec les statues :. Le lendemain, les Romains, fu-
de parler , et il ne semble pa; Lien
ricu que Virgile fût l'auteur
de cette construction matrique. Voi-
ci ce qu'il dit en commençant :
Creditvr etiam a fjuibusdam ab
irgQio) fw-turn illud mira-
rulum rjuod rlir/b'itur Salvatio
Tiorna , fftod inUr sfplem mira-
culu muruïi prirr, tntur.
mlumhistoriale, termina en
•»t érideanoMBl ;
TBistoria * Sapit nttvm , <-t
lauteur d<- ce dernier livre »*st peut
être au nombre de* gens crédule*
doat roulait | ntdeBcau-
\ai-. Le BOÎM de Haule - Selve
est-il le premier qui ait attribua a
■ la Tour dêt Int'i'j'i et \f
/ f c'est ce que j i-
■ n u de
Tilburv, qui da: - llier li-
m intituK- Otia irr,j,<r,
pimc /
fabl<*« «nrVirtril'v n»- parle ni du Feu
magitftt ni d* la /
et d'ailleur- il eti d oteai que la
■ique île r, •
• '<"ni'-re< anr
liède , ait pu être connue de Dam
Jeharis. L'n chapitre particulier, in-
titulé /fvure Yirrjitiui mode S
tio Bomm, est consacré a cet édifice
merveilleux dans la rédaetiea an-
VkrgSe.
ma volume du recueil
intitulé A votteetkmof tarif pntt
romance*, tditedbg W. J. Tkoms,
Bt lintroducti'.n, p. m et vm.
DM le chapitre un des Getla
ttortm il est qu-
image magiqae placée r -ar l'enchan-
teur Virgile au cet
qui f Jtre a I empereur
Titu- mrnis
< haqu<- j"Ur dan* la ville. V
la disserlati' n de Warton dans
// jUth }>■>■ in,, p. ce ;
et la traduction anglaise des Gesta
anorum .t. I . p. ix'j. ;
■ DtJ I ■ , ■ Saget
D de kellr-r,
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Tmir du image* est rempli
un immense mir
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' Mil'll.'i'i'.n - i k ' il i-ti lii
M||| un nu l.ilr/i |,i/. mi- 'l< li M
|.it|.,;i (Ju ■,,-,.i^., u| juif ili l.i 1,
f/iii«li f. il, iili ii.M- ,|i \ u^ili il ,!.
I Iii'I'.im- <|r- (.i.pmis .m, m «ju .,ii
lri.i^i.|u< •■_ i II. i,
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loi ESSAI
l'or fondu dans la bouche et l'enterrèrent vivant '.
La moralité est aussi bizarre que le récit lui-même.
Suivant la reine, la tour et les images représentent
le corps et les cinq sens naturels de l'empereur
que son fils et les sept sages tendent à détruire.
Le lendemain, le cinquième sage, nommé Joseph,
obtient un nouveau sursis en racontant l'histoire
du savant médecin Ypocras 2, qui, jaloux de la
science de son neveu Galien, l'assassina traîtreuse-
ment, et mourut lui-même peu de temps après de
chagrin et de repentir 3. Le sage menace l'em-
pereur d'un sort pareil s'il fait périr son fils
unique.
Le sixième récit de la reine, se compose de deux
dil-on , par ce miroir , combien
d'années chacun des princes , ses
lils , devait vivre. »
■ On reconnaît dans la dernière
circonstance de ce conte un souvenir
de l'histoire de Crassus. Les Parthes
ayant porté la tète du général ro-
main à leur roi , Orodès , celui-ci
lit couler de l'or fondu dans la
bouche de Crassus, en disant : Ras-
sasie-loi donc enfin de ce métal
donl tu as été si avide. »
Le conte de YUistoria septem
Sapientum se retrouve avec de
grandes modifications dans la pre-
mière nouvelle de la cinquième
journée du Pecorone de Ser Gio-
vanni. Crassus y figure , et le con-
leur italien cite Tite-Livc pour
parant de l'avarice du romain. Du
reste, l'enchanteur Virgile el toutes
les circonstances merveilleuses ont
complètement disparu. Il n'est plus
question de la tour des images ,
mais d'une tourduCapilole dont les
muraillesétaient décorées extérieure-
ment de plaques de métal sur les-
quelles se trouvaient gravés les
triomphes et les faits glorieux des
Romains. « Cette tour, dit l'auteur
italien , était considérée comme ce
qu'il y avait de plus précieux à
Rome. •
* Hipnocrate, de même qu'Aris-
tote , joue un rôle peu honorable
dans les contes du moyen Age.
(Voyez les Fabliaux traduits par
Lcgrand d'Aussy, t. I , p. 288).
3 Voyez l'analyse qu'Ellis a faite
de ce conte. ( Spccimens , t. 111,
p. H.
SL1\ LES FABLES INDIENNES. I > >
épisodes bien distincts. Le premier n'est autre
chose pour le fond que le conte ayant pour sujet
le Fils du roi et le Baigneur dans les Paraboles de
Sendabar et dans Syntipas, conte emprunté,
comme on l'a vu, aux Indiens '. — Un roi, enflé
merveilleusement et conlreffaijs tellement que les
femmes en avoient grant abfiominalion, dit à son
sénéchal de lui trouver, moyennant une somme
de mille florins, une belle femme pour passer une
nuit avec lui. Le sénéchal, par cupidité, détermine
sa propre femme à venir elle-même partager la cou-
che royale. Le roi qui la tiouve à son gré la garde,
et le sénéchal s'éloigne désespéré -.
Dans le second épisode, le même roi vient met-
tre le siège devant Rome, demandant que les corps
de saint Pierre et de saint Paul lui soient livrés.
Or il y avait à Rome, dans ce temps là, sept sages.
Ils prennent l'engagement de défendre la ville
pendant sept jours. En effet, les six premiers réus-
sissent par leurs discours h empêcher le roi de
donner l'assaut ; mais comme il veut h toute force
assaillir la ville le septième jour, le dernier sage,
au moyen d'un stratagème, jette l'épouvante parmi
les troupes ennemies qui sont mises en fuite, elle
« Voyez ci-dessus, p. 100. xi.vi verso) , et dans les Comptes
» Ce conte a passé dans le Novel- <lu moMfa avantureux .roiitemnii
Utu> de Massuccio (In Yenetùt . 1 i » ■ j discours. Paris , 1583, |»'tii
1539 tteonda parie, nov. XV. p. in-18, oompta èO*, p. 976.
1 56* ESSAI
roi est tué dans la déroute avec la plus grande
partie de ses chevaliers \
L'histoire racontée par le sixième maître, Cléo-
phas , roule sur un sujet bien connu, et dont les
imitations sont fort nombreuses. — Une femme
promet séparément à trois chevaliers de l'em-
pereur de passer la nuit avec eux, et chaque
chevalier s'engage a lui donner cent florins pour
prix de ses faveurs. Après avoir reçu les sommes
convenues , la misérable fait assassiner ses trois
amans par son mari, à leur entrée dans la maison,
et appelant un sien frère, elle le charge d'aller je-
ter ii la mer le corps d'un des chevaliers. Lorsque
son frère revient, elle lui persuade que le corps
est retourné de lui-même à la maison, et le frère
deux fuis de suite dupe de la même tromperie, em-
porte successivement les corps des deux autres
chevaliers, et brûle le dernier au milieu d'un bois
pour être bien sûr qu'il ne reviendra pas. Mais à
peine ce corps est-il réduit en cendres qu'un che-
1 Ces deux épisodes forment deux toire , dans les deux rédactions
histoires distinctes dans la version dont je viens de parler, est exposée
française en vers , publiée par M. un peu autrement que dans l'His-
Keller, de même mie dans la rédac- toria srptem Sapientum. Des rois
lion anglaise en vers analysée par barbares viennent assiéger Rome ;
M. Ellis (voyez pour la première un sage, nomme Janus, pour les
histoire le Roman des sept Sages repousser, s'avise d'un stratagème
(vers 1417 et suivans , p. 56), et fort singulier, ou pour mieux dire
pour la seconde le même ouvrage, fort ridicule , mais qui réussit , et
vers 234(i et suiv. , p. 92), et les Romains déposent leur empereur
l'analyse de M. Ellis (Spedmenè[ et mettent Janus à sa place.
i ni . p. 78 i. Celte seconde ni»-
>1 11 LES FABLES INDIENNES. 157
valier, conduit par sa mauvaise étoile, apercevant
ce feu , s'approche pour se chauffer. Notre homme
le prenant pour son revenant, le pousse dans le feu
et le brûle l. Quelque temps après, la femme, dans
un mouvement de colère accuse son mari , et tous
deux reçoivent le juste châtiment de leur forfait.
— Le sage invite le roi à ne pas prêter l'oreille
aux paroles trompeuses de la reine , et à profiter
de l'exemple du mari que les mauvais conseils de
sa femme portèrent à tuer les trois chevaliers.
1 Ce conte, ou pour mieux dire
la [iremière partie de ce conte , se
retrouve dans les Paraboles de Sen-
ilabar, tandis qu'on ne lit rien de
semblable dans la rédaction grec-
que, ce qui me confirme dans l'o-
pinion que I lli. s foire des sept Sa-
ges a été composée d'après l'hébreu.
Voici un précis du conte hébraïque
dont plusieurs passages sont un peu
obscurs, suivant M. Pichard, très
bon juge en cette matière et à qui
je dois l'extrait suivant : Une
femme fait monter chez elle des bos-
sus, joueurs dinstrumens ; ils boi-
vent et s'enivrent : la femme, en-
tendant son mari rentrer fait ca< bar
les bossus dans un endroit plein de
trous et de pièges ; et, troublés par
l'ivresse, ils tombent dans ces piè-
ges et sont étrangles. Après le de-
part de son mari, elle va pour les
tirer de leur cachette et se déses-
père de le, trouver morts. La ser-
vante appelle u ir, etsa maltresse
ollie a ce dernier de .se livrer a lui
s'il veut débarrasser la maison des
trois corps morts : le marche se
conclut, et le noir va jeter les bos-
sus dans le fleuve.
Le conte se termine de cette ma-
nière dans le texte imprimé des
Paraboles île Sendabar et dans
le manuscrit, mais il semble tron-
qué. Le dénouement qu'on lit dans
le conte de Y Histuria septem Sa-
pienturri a-t-il été imaginé par le
moine de Ilaute-Selve, ou ce der-
nier l'a-t-il pris ailleurs? Je serais
porté à faire celte dernière suppo-
sition, car les trois Bossus repa-
raissent, avec le dénouement dont je
viens de parler, dans le fabliau de
Durand, conteur, qui \ivail a la lin
du xiii" siècle. (Voy. les Fabliau.r
(rail, par l.cijrand d' Aussi/, t. IV,
p. 257-2('»3, édition de 1829, cl l'é-
dition de Menu, |. |, p. -2ïr>). Le
fabliau de Hugues Piaucèle . inli-
Ulléltatottr mi, roule sur le même
sujet. (Vojei Ltgrand d'Aussi/ .
t. IV. p. S64r366.)
M. Francis Douce, dans Sfl dis-
sertation sur le CUrieUI recueil de
Contes et de légendes, rédigé dans
le xivr siècle et Intitulé Gtlta /("-
1 -)S ESSAI
La septième et dernière nouvelle racontée par
la reine est certainement la meilleure de toutes.
Un roi était si jaloux de sa femme qu'il la tenait
enfermée dans un château fort où il demeurait
avec elle, ayant toujours le soin d'avoir ses clefs
sur lui. Or, il advint qu'une nuit, un chevalier vit
la dame en songe, en devint amoureux, et résolut
de parcourir le monde jusqu'à ce qu'il eût rencon-
tré l'objet de sa passion. Un autre songe avait of-
fert à la reine les traits du chevalier, et elle en était
devenue fort éprise. Après avoir parcouru plu-
sieurs royaumes, le chevalier arrive dans celui du
roi jaloux, et passant auprès de la tour où la reine
est enfermée, il reconnaît à mie fenêtre la dame de
ses pensées. Il se présente au roi, qui le prend à
son service en qualité de sénéchal , et le nouveau
venu gagne tellement la confiance de son maître
manorum, rapporte Yllisto ire des (rois Chevaliers ne fait pas partie
trois Bossus à celle du petit Bossu de toutes les rédactions du Livre
dans les Mille et une Nuits; niais des sept Sages,- on ne le trouve ni
je trouve bienplus d'analogie entre dans le roman français en vers, ni
ro dernier conte et les trois fabliaux dans la version anglaise analysée
suivans du recueil de Legrand par Ellis, ni dans X Histoire d'E-
d'Aussy, savoir : Le Sacristain de rastus. Il a été inséré dans la ré-
Clunu, le Prêtre qu'on porte , ou daction anglaise des Gesta Roma-
la longue Nuit , et le Sacristain. norum , dont il forme le chapitre
Le conte des trois Bossus se xxxi. ( Voyez la dissertation de
trouve encore dans Slraparole , Francis Douce, placée à la suite des
fVenuit, III* fable), d'où il a passé Illustrations ofShakspeare, t. II,
dans les Contes tartares de Giicu- p. 576 et suiv., et la traduction an-
lettc (Cabinet des Fées, t. XXI, glaise des Gesta Romanorum, par
p. loi). le Rév. Charles Swan. Londres.
Le conte de la Femme et des 1824; in-12, t. 1", p. t,xivni.)
SDK LES FABLES INDIENN1 s. 1 .V.»
qu'il lui persuade de lui laisser bâtir une habita-
tion auprès du château. En faisant construire
sa nouvelle demeure, le chevalier fait pratiquer un
souterrain ayant une entrée dans le château, et pour
s'assurer le secret, il met à mort l'ouvrier qu'il
avait employé 'i Par le moyen de ce souterrain, il
réussit à se procurer des entrevues avec la reine.
Un jour, que le roiet son sénéchal étaient ensemble
à la chasse, le roi reconnaît au doigt du chevalier
un anneau qu'il avait autrefois donné h la reine ;
c'était un cadeau fait par elle à son amant. Le séné-
chal s'aperçoit de la découverte de son maître, et
à son retour de la chasse , il se rend au plus vite
par son souterrain chez la reine et lui remet l'an-
neau. Le roi de son cote n'a rien de plus pre>s<-
que d'aller rendre visite à sa femme, pour éclair-
cir ses soupçons. Il demande à voir l'anneau gage
de sa tendresse, et demeure fort surpris lorsque la
reine le lui présente. A quelque temps de là , le
chevalier dit au roi qu'une belle dame, son amie
par amours, est venue de son pays le visiter, cl
> Lllistoire des sept Sages a pos de tuer le pauvre masson ,
«'•te rédige dans la première moitié pour 1*111—01' <1 'avantage «pie la
«lu xm« siècle. Dans la traduction chose ne seroit descouverle; toute-
française de l'imitation italienne l'ois, meu «le compassion , il chau-
de ce livre , intitulée Histoire gSÉde vouloir, et lui ayant fait de
du prince Erastus , on trouve beau* et grands presens. il le lit
ici une variante remarquable , emhanpier le jour niesine poursor-
«jui prouve que les ÉMMM avaient tirhors du paysde la Morce. • // l
perdu de leur barbarie : • I.e foire pitoyable (tu priweFra'Hii-
irentilhoinmc eut ipia^i pn>- Parte, 1579; p. 117.)
100 EssAr
qu'il a fait apprêter un banquet auquel il supplie
le roi d'assister. Le roi s'y rend en effet, et à la vue
de la dame du chevalier, il s'émerveille au dernier
point de la ressemblance de cette dame avec la reine ;
c'était elle en effet que le chevalier avait amenée
par son souterrain, et qu'il avait revêtue d'une
robe à la mode de son pays. A peine le repas est-il
terminé, que le roi retourne à sa tour au plus vite;
mais quelque diligence qu'il fasse, sa femme est en-
core rentrée avant lui, et tous ses soupçons se dis-
sipent. L'histoire se termine par le fait assez
étrange du mariage et du départ des deux amans,
en présence du prince qui cette fois, en retournant
dans son château, reconnaît trop tard qu'il a été
trompé '. — A la fin de son récit la reine engage
■ D'après un renseignement qui Mais le rapport me semble fort
m'est donné par M. Le Roux de éloigné. Une analogie bien plus évi-
Lincy, ce conte se trouve aussi dente avec l'IIisloire de la femme
dans le Z)ofopa{/u>sd'Herbcrs,oùil enlevée, du Roi, est offerte par
est combiné avec celui du vieu* le conte intitulé Histoire de Kama-
chevalier qui se laisse mettre à la ralzeman et de la Femme du
porte par sa femme. (Voy. ci-dessus. Joaillier. (Contes inédits des Mille
p. 145). Il a été analysé par Legrand et une Nuits, extraits de l'origi-
d'Aussy, qui l'a intitulé leCheva- nal arabe par M. de Ilammer, et
lier à la Trappe. (Fabliaux, t. III, traduits en français par M. Tré-
p. 150.) — Voyez aussi dans l'ana- butien. Paris, 1828; in-8°, t. III,
iyse des Sevcn wise masters , par p. 150). M. Dunlop (HistorijofFic-
Ellis (Spécimens, t. III, p. 80), lion, t. II, p. 107) a signalé aver
l'histoire intitulée les deux Rêves raison un rapport singulier entre
( the two dreams ). — M. Kcller le même conte du Livre des sept
(Einleitung, p. ccmth) arappro- Sages et l'intrigue du Miles glo-
ché ce conte de celui des sept Vi- riosus de Piaule. Les aventures du
zirs, où un jeune prince s'intro- vieux Calcndcr dans les Contes
duit dans un coffre chez sa mai- tarlares de Gueulette (Cabinet
tresse. ("Voyez ci-dessus, p. 158.) de* Fées, t. XXII , p. 73), reposent
SliK LES FABLES INDIENNES. 161
l'empereur à ne pas se laisser duper par les sages,
comme le roi par son sénéchal.
Le septième maitre Joachim, sauve encore une
fois le prince, par l'histoire de la femme laquelle
rompisl les dents et le visage, coupa les oreilles et
osla les génitif à son mary quand il fut mort, lequel
estoit mort pour l'amour d'elle. Ce conte est celui
de la matrone d'Ephèse ', défiguré par des détails
ignohles.
encore sur la même donnée. (Voyez
aussi le Novéllino de Massuccio,
i\ parte, noe. sx).
> L'histoire de la Matrone fl' Ê-
filii'sr que rapporte Pétrone dans
son Satyricon , «■sl-i-llo rie l'inven-
tion de cet écrivain ou plus an-
ciénne que lui, Du bien encore >■>(-
elle fondre sur un fait véritable?
M. Dacier qui a publié sur ce sujet
une curieuse dissertation insérée
dans le tome XLI des Mémoires de
l'Académie des inscriptions, se
fondant sur l'examen d'nn bas-relief
qui parait offrir la représentation
dé l'histoire de la Matrone d'E-
phèse, et qui a été découvert à
Rome parmi les ruines du palais
dé Néron , pense que cette histoire
était ciinnueavaiit Pétrone et qu'elle
Faisail peut-être partie dos His-
toires Milr'sirnnrs . traduites du
i Itistide parSisenna éldont
il V trouva un exemplaire dans
l'équipage d'un officier dé l'armée
deCrassus,aprèsIa bataillé perdue
par ce général contre les Parthes.
'*' "' de VAcad. des fnscr., t.
M' p. 594 . B95.) L'opitïi le
M. Dacier serait tout à fait hors de
doute si la fable de la Matronr
d'Éphèse, qui fait partie de celles
du manuscrit de Perrotli et que l'on
attribue à Phèdre , pouvait être
considérée comme l'œuvre de ce
fabuliste; mais l'authenticité de ces
apologues est une question trop
obscure pour que je pense à l'exa-
miner, et je me contenterai de ren-
voyer au mémoire de M. Yander-
bourg, intitulé Observations svr
les Fables récemment publiées à
Naples rt attlibuéH à Phèdre.
(Mém. île VAcad. 'les fnse., t. Mil,
p. 316 et suiv. nouvelle série.)
Quoi qu'il en soit, le récit de Pé
trône est reproduit dans un ou-
vrage intitulé Policratiéés; sivede
IS'itni* Curialium . et composé par
léan de Sarisbéri, mort évoque de
Chartres en H8S. Les copies du
Poltcroitctiâ-dovanl être plus esta
mimes au ita« siècle que les exem-
plaires de Pétrone , M. Dacier pense
que l'ouVragé de Jean de snisberi
et le canal par lequel cette histoire
s'est répandue. C'est là probable
nient que l'a puisée le moine de
62
ESSAI
Le huitième jour, le jeune prince dévoile la vé-
rité. Il raconte ensuite une longue histoire qui se
compose de deux contes bien distincts, dont le ro-
mancier a jugé a propos de ne faire qu'un seul.
Dans le premier, un jeune homme, nommé Alexan-
dre, entendant le chant d'un rossignol, dit à son
père que l'oiseau lui annonce par son chant qu'il
deviendra tel maistrc et si gr mil seigneur, que son
père lui présentera humblement l'eau pour laver
les mains, et que sa mère en révérence lui tiendra la
serviette pour les essuyer. Le père furieux mène son
Haute-Selve pour l'insérer dans son
Historia septem Sapicntum, mais
il a défiguré le récit original. Un
anonyme , auteur d'un recueil de
fables en vers latins hexamètres et
pentamètres, la plupart imitées
d'Esope, avait déjà inséré cette his-
toire dans son livre , et plus tard
Lustache Deschamps, poète du xive
siècle, la reproduisit sinon avec
l'élégance qui distingue Pétrone,
du moins avec une simplicité qui
n'est pas sans charmes. (Afe'm.
de VAcad., t. XLI, p. 527.) Il était
réserve au bon La Fontaine de sur-
passée I auteur latin. Saiut-Evre-
:nond a aussi traité le même sujet,
et Lamothe et Fuselier en ont
composé des comédies, l'un pour le
Tln'iln-l rainais, l'autre pour 10-
péra-Comique. L'histoire de la Ma-
trone est encore racontée dans un
fabliau fort obaène du recueil de
Meon (t. III, p. 462), et elle fait
partie des Cento Novelle Anliche.
Voyez le hibro </.' NovfUe et di bel
parlar gentile, in Fiorenza, 1572,
nov. r.vi, p. 56,01 l'édition publiée
à Milan en 1825, nov. lix, p. 77.)
Ce serait prendre une peine inutile
que d'examiner si l'histoire de la
Matrone est vraie ou feinte, il est plus
probable que c'est une légende
orientale , cl selon toute apparence
elle a beaucoup voyagé, si l'on doit
considérer comme dérivant de cette
source le conte chinois dont le père
du Ilaldc a publié une traduction
française dans le troisième volume
de sa Description historique de la
Chine (p. 4o.S;, et que Voltaire
s'est approprié dans son Zadig
(chap, il, le Nez coupe'). Le coule
•lu Tailleur et de sa Femme dans
['Histoire de la Sultane de Perse
cl des ViiiTi, traduite du turc par
l'élis de Lacroix, et celui de Dhou-
mini , dans le Uasa- koumùrn-
tçharita. (Quarterly oriental Ma-
gazine de Calcutta, juin 1827), se
rattachent peut-être encore à celte
fiction.
SUR u;s FABLES INDIENNES. I <>•'*
lîls à la mer et l'y jette ; mais l'enfant se sauve a la
nage. 11 rencontre on vaisseau dans lequel on le
reçoit, et il se rend en Egypte. Là, ayant donné au
roi l'interprétation du cri de deux corbeaux, il ob-
tient en récompense la main de la princesse (il le du
roi, et monte sur le trône d'Egypte après la mort
de son beau-père. 11 mande alors à la cour son
père et sa mère, et sa prédiction s'accomplit '.
Cette dernière circonstance ne vient qu'à la fin
de la longue histoire racontée par le prince, el
elle est précédée d'un second épisode que j'ai cru
à propos d'analyser séparément. Alexandre, lé hé-
ros du conte précédent, avani d'épouser la fille
du îoi d'Egypte, se rend à la cour de l'empereur,
qui le prend à son service en qualité d'écuyer, et
il se lie d'amitié Intime avec Louis, iiis du roi de
France, comme lui écuyer de l'empereur. Les
deux amis, par un hasard singulier, se ressem-
blaient à tel point qu'on les prenait souvent l'un
pour l'autre. Louis devient epei duement amou-
reux, de la princesse Florentine, tille de l'empe-
reur, et son ami favorise et protège leurs amours.
■ Ce conte, ainsi que Fareatturapié l fïoi . "Yl, 864 ri pronoBticoeuni'
M. Relier t Introduction du Ho- plido. Obtcu nwttai nui, Hadrid,
mandes srpl Sages, p. ccxxixj, 1777. Kcller , ainleitung . p.
rappelle L'hiitoa* «le Joseph dans coxxxa.) Voyei aussi l'anal
la (tvni'sr. On le rctmiivi" dan- le- ce < 'iil<' puMirr par Ellis il apiv.
< iiiin facette Staffs . de Sansoi kio la N daolion anglaise i Spt > < '"< m
| Giom. NU. imv. iv..), cl dan- I. III . p. M, |
if- oonvelteg de Lope de Vega
164 k.ss.w
Malheureusement la mort du roi d'Egypte force
Alexandre à repartir, et le secret de Louis ne
tarde pas a être découvert. Guy, fds du roi d'Es-
pagne, dévoile publiquement à l'empereur la
liaison coupable de son écuyer et de la princesse,
et il jette le gage de bataille. Louis le ramasse en
protestant de son innocence ; mais n'étant pas de
force à se mesurer contre un aussi rude adver-
saire que Guy, il n'a d'autre ressource que d'aller
en Egypte, implorer le secours d'Alexandre. La
ressemblance des deux amis leur offre un moyen
dont ils ne font confidence à personne. Alexandre,
fort et robuste , va se présenter sous le nom de
Louis pour combattre l'accusateur , et Louis, qui
reste en Egypte , épouse la princesse ; mais tous
les soirs, en se couchant, il place au milieu du lit
une épée nue '. Alexandre, vainqueur de Guy, vient
■ L'histoire du héros Scandinave, merveilleuse , el Sigurd accompa-
Sigurd, el de son compagnon d'ar- gne son beau-frère dans celle expé-
ma , Gunar, offre ici quelque rap- dition ; mais nul autre que lui et
port avec celle des deux amis. son cheval Grani , ne peut traverser
« Sigurd, dit H. Ampère, dont le feu enchanté qui entoure la de-
j'emprunte le récit, arrive dans un meure de Brunhilde. Que faire?
pays où il fait amitié avec deux Lui et Gunar changent de /'orme.
frères, Gunar et Bogni , qu'on Sigurd ainsi transformé parait de-
appeUeanssi la Nifflungs. il épouse vant Brunhilde, qui est obligée de
leur hbui , Gudruna ; mais i e n'est se soumettre à celui qui a triomphé
qu'après que leur mère a donné à de l'épreuve du feu. Cependant elle
Sigurd un breuvage magique qui s'étonne que ce puisse être un autre
loi fait perdre le souvenir des ser- q»e Sigurd.
mens qu'il a prêtés S Brunhilde. « Sigurd passe trois nuits près de
Bientôt après , Gunar veut lui- Brunhilde ; mais , respectant tel
même aller conquérir cette vierge droits tic «m frère d'armes . il
SUR LES I IlBLBS INDIENNES. !<>•>
reprendre son trône etsa femme. Celle-ci que l'é-
trange conduite de l'homme qu'elle prenait pour
son mari aVait surprise, en demande le motif
à son véritable époux qui a la faiblesse de lui décla-
rer la vérité. La reine furieuse donne à son mari
un poison qui fait naître sur son corps une lèpre
horrible*. Chassé par ses sujets qui ne veulent pas
d'un lépreux sur le trône, Alexandre vient cher-
cher un refuge près de Louis qui, grâce à son
ami, avait épouse la princesse Florentine, et était
devenu empereur après la mort de son beau-père.
Le malheureux lépreux se fait connaître à son
ami parlemoyen d'un anneau qu'il lui envoie. Aus-
sitôt Louis vient ii lui, et désespéré de son étal, il
assemble les médecins les plus habiles et les con-
jure; d'employer tous les remèdes, de leur art pour
guérir Alexandre. Tous déclarent que le mal est
sans ressource ; mais une voix du ciel annonce à
place entre elle et lui son épée nue, roman anglais de Tristan (Tris-
et remet pure, à Gunar , l'épouse trem), analyse par \\ aller Scott , le
qu'il lui a conquise, » (Sigurrf , roi Marc rencontre un jour Tristan
tradition épique salon VEdda et et la belle îseult donnant à côté
les Xicbrlutif/s; Revue des Deux l'un tle I autre dans un bois; mais.
Mmiilrs du I" M)ÛI tS,"-2.) i la Mie d'une epee <]ue le hasard
Oui- le conte des Mille et une a placée entre mu, il s'éloigne,
rVMto>inUtalé Aladdin ou ta Lampe persuadé que son honneur n'a rien
merveilleuse. Aladdinfait, pendant souffert. I Voyez la traduction
la nuit, transporter par un p'-nie , française </e Walter Scott . l'urne.
dans sa chambre, la prineassedont 1830, t. i r. p.~î.) UparaUqu'ao.
il est amoureux , et en entrant dans trefois . en vlleuia_'i!e . I '< pre était
le lu de ta princesse, il place entre no nage reçu dans i,- mai
••Ile e| lui mi salue nu. Dans le pai smbaSOadem
loti F,s:v\i
Louis que le sang de ses deux eniaus jumeaux
versé sur les plaies d'Alexandre lui rendra la
santé. Louis n'hésite pas à employer cette cruelle
ressource ; elle réussit en effet parfaitement, et les
jeunes enfans sacrifiés sont rendus miraculeuse-
ment à la vie. Alexandre est remis en possession
de son royaume, et sa coupable épouse reçoit le
châtiment qui lui est dû l. C'est alors seulement
• Cet épisode offre, sous d'autres
noms, l'histoire romanesque d' Ami-
ens et Amilius , l'Oreste et le Pi-
lade du moyen-âge. Amicus et Ami-
lius étaient, suivant la chronique,
deux chevaliers de la cour de Char-
lemagne, morts le même jour, en
774, dans la guerre contre Didier,
roi des Lombards. (Voyez le Spécu-
lum ïlistoriale de Vincent de Bcau-
vais, lib. XXIII, c. 162, p. 956,
et les Acta Sanclorum , Oct. t. VI,
p. 1*24 , in-fol. ) L'histoire roma-
nesque d' Amicus et Amilius est le
sujetd'un petit poème latin en hexa-
mètres, qui se trouve a la Biblio-
thèque du Roi, dans nu manuscrit
du xiii'- siècle, sous le n 5718,
fol. 38-45. La Bibliothèque du Uni
possède encore un manuscrit éga-
lement du xine siècle , renfer-
mant une rédaction latine, en prose,
de la même histoire. (Voyez le nP
3880, fol. 116-430.) M. Fauriel ,
qui a bien voulu, plus d une lois ,
dans le cours de mes recherches ,
m'édairerde ses conseils , considéra
la légende d 'Amilius et d'Amiens
comme très ancienne et comme une
des premières qui aient été rédigées
en latin; il se rappelle même entre
autres mentions de cette légende
dans les écrivains provençaux , en
avoir rencontré une qui prouve que
dès le xii» siècle cette légende
étaitdevenue populaire dans le midi
de la France. C'est sans doute d'a-
près la rédaction latine qu'a été
composé le vieux roman français
intitulé Miles et Amys. Ellis a don-
né un extrait de celte histoire d'a-
près une version manuscrite en vers
anglais (Spécimens , vol. III, p.
5'JO, Amys and AmylionJ; et une
analyse du vieux roman français
m été publiée dans la Bibliothèque
des Romani, de décembre 1778.
On trouve une imitation de la
légende des Deux amis dans un
autre roman plusieurs fois réim-
primé, et qui est intitulé Hystoire
de Olivier de Castille et de Arlus
d'Algarbe , son loyal compaignon.
( Voyez, l'analyse de ce roman dans
Les Mi:Uni(/is lires d'une yr<iml<
BfoieotMgtto, t.E, p. T9 et suiv.)
Je dois à la bienveillance de M.
Fauriel l'indication du roman espa-
gnol suivant , dont le sujet et les
penonnagei sont les mêmes , et qui
est inlilulé llistoria de '".s mtljy
noble» y vaiientes cavalleros OU
SUR LES FABLES INDIENNES. 107
que le romancier amène le dénouement au moyen
de la prédiction accomplie.
Après cette histoire, on précède au jugement
de la reine, qui est condamnée à être brûlée vive
avec un jeune garçon trouvé parmi ses chambriè-
res '. L'empereur meurt quelque temps après, et
Dioclétien son fils lui succède. Le roman se ter-
mine par Yepylogalion et narration des notables
qui se peuvent comprendre en ce livre à chescwi
profitables.
La rédaction que je viens d'analyser est, comme
je l'ai dit, celle de Yllistoria septem Sapienlum
Romœ'2, livre composé à ce que je présume, d'a-
près les Paraboles de Sendaàar* , mais dont il
n'existe malheureusement aucun manuscrit du
xiu° siècle 4 qui permette de reconnaître si l'ou-
vrage n'a point subi de changemens ni d'interpo-
lations. Cette rédaction se trouve reproduite très
veros de Castilla , y Artus de trième nuit des Facécieusrs ; nuirls
Algarve , y de sus maravillosas de Straparole (t. Ie', p. 268).
y grandes hazanas. Cnvipursta * Voy. ci-dessus , p. I 19, 1T>7.
pnr cl BachiUer Pclro de ht Fin- 3 J'ai dit plus haut ( p. 83) que
retfa. Con licencia. En Madrid a la date la plus récente que l'on pul
costa de don Pedro Joseph Alonso assignera ce roman hébreu était la
y Padilla librern de Camara de S. fin du xir siècle, el qu'il était sans
M., I vol. in-18. — Cette édition doute plus ancien. C'est 00 que
est Motfente, niais il en existe prn- contribue S prouver la supposition
hahlenient de plus anciennes. Le très probable que je fais qu'il n sen i
livre espagnol pourrait bien cepen- de type a rilislorht srptrm <<i/iirn-
«lant n'être qu'une traduction du tnvi liomtv . livre composé a la lin
vieui roman français. du xtv siècle du au commencement
■ Lé même incident se retrouve du mit*.
doill le premier coule de l.i on ■ i Voyez PÎ-dVssuS |> s'' note
I()8 ESSAI
fidèlement dans la version française en prose,
imprimée à Genève en 1492, et intitulée les sept
Sages de Rome. L'IIistoria calumniœ novercalis ',
le Ludus septem Sapientum de Modius-, et la ver-
sion allemande en prose 3, n'en diffèrent nulle-
ment pour le nombre, l'ordre et le fond des contes.
La version en vers, publiée par M. Keller4, se
distingue de la rédaction précédente par quelques
différences. Outre que l'ordre des contes n'est
point le même, la septième histoire que récite
la reine dans la première rédaction, celle de la
Femme du Boi enlevée , est récitée par un sage
1 Voyez dans l'introduction (ein-
leitung) du Romandes sept Sages,
par M. Keller, p. xxxiv , la liste
des histoires, et ci-dessus, p. 92,
note.
» Voyez ci-dessus p. 91. — Le
traducteur n'a changé que les noms
et le lieu de la scène : l'empereur
Poncianus a été métamorphosé en
nu roi de Chaldée nommé Gordius,
dont le fils s'appelle Astreus ; le
premier sage chaldécn a seul con-
servé son nom de Paneillas , les
autres s'appellent Piexaspes , Mne-
inoii, Athersatha, Oroiile, Goltriu-,
et Zamolxis. Dans la quatrième
histoire de la reine, le roi, aveuglé
par une punition du ciel.se nomme
Zoroastrc , et les indignes conseil-
lers qui l'ont égareront des mages,
nans le cinquième récit, également
fait par la reine, le prince qui,
par cupidité, fait détruire les sta-
tues magiquei , est un roi d'Egypte
nommé Sésosis. Podalire figure
dans le cinquième conte des Sages
comme assassin de Machaon , au
lieu d'Hippocrate meurtrier de son
neveu Galien. Les trois chevaliers
assassinés , de la, sixième histoire
des Sages, sont devenus trois satra-
pes. Enfin, dans la septième his-
toire racontée par la reine, celle de
La Femme enlevée, la scène est à
Sparte , et le perfide ravisseur est
Paris , amant de la belle Hélène ,
épouse de Ménélas. Du reste, pour
ce conte comme pour les autres ,
les détails sont identiquement les
mêmes que ceux du Roman des
sept Sages , et non modifiés , ainsi
que pourraient le taire présumer les
changemens de nom que je viens
d'indiquer.
3 Voyez l'introduction de M.
Keller, p. Ixwvj.
4 Voyez ci-dessus , p. 89, note 1.
SUR LES FABLES INDIENNES. 16!)
dans la version en vers à la place <lu conte des
Trois Chevaliers assassinés, qui ne se trouve pas
dans celte même version, et le second épisode de
Y Histoire duRoi et delà Femme du Sénéchal, forme
un conte à part, exposé d'une manière un peu dif-
férente. Des rois barbares viennent assiéger Rome;
un sage, nommé Janus,pour les repousser, s'avise
d'un stratagème fort ridicule, mais qui réussit, et
les Romains déposent l'empereur et mettent Janus
it sa place. Cette bistoire est racontée par l'impé-
ratrice, qui en prend occasion de s'élever contre
les sept sages. Enfin, des deux épisodes dont se
compose le récit du jeune prince, dans VHistoria
septem Sapientum, le premier, celui de la l'inlir-
tion accomplie, est le seul qu'on lise dans le texte
publié par M. Relier. Les mêmes remarques s'ap-
pliquent ii une version française en prose, dont il
existe plusieurs manuscrits, un entre autres du
xme siècle ', et ii la version en vers anglais ana-
lysée parEllis-, laquelle ne diffère de la version
française en vers que par l'ordre des contes.
Le poème composé au xme siècle par le trou-
vère Herbers, et intitulé Dolopathos ou les sept
< Ce manuscrit porte le n° 7974. ttpt Sagu <^n proie, et iU offrent
M. Dacicr en a tire le conte de la entre eui de notables différences.
Miitiouf. (Mr'ni. de. l'Acad. des M. Le ROUX de I.inrv en a l'ail I <>!>-
True. . i. \u, p. 537) — La Bi- jet d'une notice spéciale,
bu'othèque du Roi possède un grand » Voye? ci-dessus, p, 90, notes
nombre de MSS. de V Histoire de» i el 9
170 LSSAI
Sages de Rome, n'a de commun avec le livre
original que le sujet et quatre contes : le Chien et
le Serpent l, le Trésor du roi'2, le Mari mis à la
porte 5, et le Chevalier à la trappe *, encore les ra-
conte-t-il avec d'autres détails, et Fauchet5 avait
déjà remarqué qu'Herbers avait introduit dans
le deuxième conte un incident qui rappelle la ruse
du muletier dans la ne nouvelle de la III0 journée
du Décaméron. Un des autres contes analysés dans
le recueil G que j'ai déjà cité, roule sur le sujet qui
a fourni plus tard à Shakspeare son drame du
Marchand de Venise. Les personnages du poëme
d'IIerbers sont Dolopalhos, roi de Sicile , et Lu-
cinien, son fils, qu'il envoie à Rome sous la garde
du philosophe Virgile.
L'Histoire piloijable du Prince Eraslus 7 , que le
traducteur italien annonce comme composée sur
l'original grec, a au contraire très évidemment
pour original le livre des sept Sages de Rome*.
Parmi les onze contes :' empruntes à ce dernier
< Le Conservateur, janvier 17f>0, P- 204.
p. 191, in-12. (Voyez ci-dessus, 7 LA c.ompassioncvoli aveeni-
p. 143.) menti d'Erasto. Voyez ci-dessus,
=■ Und., p. 194. (Voyez ci-dessus, p. 92. — On trouve dans la liiblio-
p. i4<>. ) thèqiir des Romans (octobre 1775,
3 Voyez ci-dessus, p. 145. premier volume) une analyse du
4 Voyez ri-de,sus, p. 158, — et roman d'Erastus.
l'analyse du Dolopathos par M. Le 8 Kllis avait déjà fait cette rcmar-
Hoiix de Lincy. que. (Spécimens nf early eri(/lish
t Œuvres de feu M. Claude Metriral romances , III , p. 18.)
Imirliri , p. 560. 0 I.c Gentilhomme romain et
6 Le Conservateur janv. 1760, tonCMen. (Voyez ci-dessus, p. #4Ï
SUR LES l\VBLi;s INDIENNES. l~l
ouvrage, par l'auteur de Y Histoire du prince Eras-
lus, il eu est deux seulement qui dérivent du Sifn-
tipas1. L'auteur italien s'est efforcé , à ce qu'il
semble, de dissimuler son plagiat en introduisant
dans son livre quelques contes, en intervertissant
l'ordre des anciens, en donnant de nouveaux noms
aux personnages-, et en faisant quelques change-
mens dans ses récits. Je suis d'ailleurs porté à
croire que Y Histoire d'Erastus n'a point été com-
posée sur le livre des sept Sages imprimé , mais
sur une version française manuscrite, et ce qui me
le fait penser, c'est que le dernier conte se com-
pose simplement de la Prédiction accomplie, et ne
comprend pas deux histoires mêlées ensemble
comme dans les éditions du livre des sept Sages;
le conte du Roi de Perse trompe par les philoso-
phes, donne lieu à la même observation.
Le roman des sept Sages de Rome a eu des
continuations ou branches, dont l'ait partie, entre
autres, le romande Cassiodorus, roman compose,
suivant l'opinion très fondée de M. Paulin Paris,
— Le vieux Pin et le. jeune Pin. losophes. (P. 155.) — Le Colosse
(P. 143.) — Hippocrateei son Ne- de hViode». | P. 151.) - l.a Preiiie
veu. (P. 154,) — Le Pasteur et le lion accomplie. (P. 168.)
Sanglier. (P. îi'i.) — l.c vieux . l, Gentilhomme romain et
Chevalier et sa Femme. (P. I 19.) sonl'hien, —le Pasteur et le Sm-
— Le Roi d'Angleterre, les Sages glier.
ci Merlin, (p. I4J>.) te Trésor du ■ L'impératrice, qui n'est pu
roi d'Egypte. \ P. 146.) — l.a nommée dam lu autrei veniew
Femme enlevée, ( P. 158.) /.'■ porle le nom d' Iphroditia dut
liai de Perse trompe pur !,s plii EraStUS
1~2 ESSAI
entre 1226 et 1247, peut-être vers le même temps
que le livre des sept Sages de Borne, et qui en a
été rapproché. L'article que M. Paulin Paris a con-
sacré au roman des sept Sages dans son examen
des manuscrits français de la Bibliothèque du Roi \
olïre un très bon exposé des continuations de ce
roman, ce qui me dispense d'en parler.
Mon travail sur le livre de Sendabad ne serait
pas complet si je ne disais pas un mot du roman
turc des Quarante Vizirs, et de Y Histoire du prince
Bakhtyar. La date de la composition du premier
de ces livres est à peu près déterminée. On ap-
prend par la préface du roman des Quarante Vi-
zirs, que ce livre a été composé sous le règne du
sultan Mourad, fils de Mohammed, fils de Baye-
zid, c'est-a-dire d'Amurath II, qui monta sur le
trône en 1422, il l'âge de dix-huit ans, et mourut en
1451 ; l'auteur turc déclare en outre qu'il a com-
pose' son ouvrage d'après un roman arabe ée
Chéikh-zadé-, intitulé Livre des quarante Matinées
et des Quarante Soirées r>. Autant qu'on peut en
1 I. m Manuscrits français de la zadé comme l'auteur turc; ruais il
Bibliothèque du Roi, par M. Pau- paraît au contraire que ce nom est
Un l'aris. Tome le», p. lOOctsuiv. celui de l'auteur arabe. Voyez les
Paria, ix.-,r,, in-8,. —Voyez à ce Coûtes turcs en langue turque,
sujet la Description des MSS. «les extraits du roman intitule 1rs
tept Saget de Home, par M. Le Quarante Vizirs, par feu M. JH-
IS"IU ,l'' ••'"IV- letête. Paris, 1812. in-4«. Les AH
IVlis de Lacroix, auteur de la premières pages de la traduction
traduction Française du livre des oui seules été imprimées.
Quarante Vizirt donne Cheikh- ^Hikaialarbaïnsebahwamésa
si IR LES I amis rNDIl \si.s. 17'i
juger par le choix des contes traduits en français
par Pétis de Lacroix, sous le titre d'Histoire de la
sultane de Perse et des Vizirs, ainsi que par ceux
qui ont été traduits depuis par M. Edouard Gaul-
tier ', l'auteur n'a guère emprunt*' au Livre de
Sendaùad que le cadre de son roman et quelques
fables ; il n'en résulte pas pour cela qu'il soit l'in-
venteur des autres contes, il y a tout lieu de croire,
au contraire, que le rédacteur arabe ou turc les a
puisés à des sources plus anciennes. La traduction
<le Pétis de Lacroix étantà la portée de tout le monde,
il serait superflu d'en donner une analyse; je me
contenterai de quelques observations. La première
histoire, celle du Cheikh Chehabeddin Béretrètrvé
dans le conte espagnol intitulé et Coude Lûctinur,
d'où l'abbé Blanchet a tin; son Doyen de Badajoz .
L'histoire du grand écuyer Sqddyq* a passé dans
les Facécieuses nuicts de Straparole ' ; l'histoire
du Santon Barsisa ' , est , comme l'a reinar-
■ Ces contes ont été insérés par finette dtéewHt IVavailliri, tiàbher
M. E. Gaultier dans le premier de son frire BtniHan . pour le
volume de ion édition des Mille et trouver menteur, perdit la infini
une Nuits» Pari», t.S'j-2, sept vol. ris de ton mari/ tt s'<n détourna
in-S". au logis avecla teste d'un taureau
'Contet et Apologues orientante, ayant tes cornes dorées <'t toute
p. tii . honii ut in mu t . \' nonte.
i la Sultane </<■ Perse et les Voyes aussi la traduction anglaise
Visirs, Contes (tires. Paû , 1707, des Gssta. Itêmetnorum , par Ch.
in-42 . p. 77. Swan . t. il. p. in.
4 hotte, femme de Lueafsr Contes tures , p. 2$6.
llbani de Bergame, cuidont poi
174 KSSAI
que M. Dunlop ', le type du fabliau intitulé Del'Er*
mite que Le Diable trompa avec un coq et une poule-;
l'histoire du sofi de Bagdad qui promet à un sultan
de lui faire voir le prophète Elie 5, rappelle la fable
<lu Poge Jt, dont La Fontaine a tiré celle du Char-
latan'0, et la fable du Mari, de l'Amant, et du Vo-
leur, citée au milieu de l'histoire d'Àqschid G , of-
fre un rapport marqué avec la ve nouvelle de la
Xe journée du Décaméron 7. L'histoire du Tail-
leur et de sa femme * offre beaucoup d'analogie avec
celle de Dlwuminî dans le poëmc indien intitulé
Dasa-komnùra- tcharila'0 . Enfin le conte du Roi,
du Sofi, et du Chirurgien 10 se trouve dans le re-
cueil latin intitulé Gesla Romanorum ll.
Parmi les contes traduits par M. E. Gauttier 12,
i Jlistory of Fiction, t. III, p. ; La présence de ce conte dans
369. le Décaméron prouve que l'origi-
* Fabliaux traduits par Le- nal arabe des Contes turcs des
grand d'Aussy. Paris, 1829 , l. V, quarante Vizirs est antérieur au
p. 179. — M. Dunlop fait rcmar- nvc siècle, ou que son auteur a
quer avec raison que le célèbre puisé dans quelque recueil oriental
romande Lewis intitulé Le Moine, plus ancien. Le conte est probable-
est fonde sur la même idée que le ment indien , car on le retrouve
conte oriental. dans les Contes du mauvais Génie.
3 Omtes turcs, p. 257. ( Bytal-l'ucltisi , p. G9.)
4 Asinuserudiendus. PoyiiFlo- 8 Contes turcs, p. 107.
rentini far.ct iaru m libellus unicus. 9 Voy. le Ouartrily oriental ma-
Londini, IT'.fH, in-18, t. I, p. 258. yazinc de Calcutta, de juin 1827.
Voyez les imitations de cette fable >» Contes turcs, p. 59K.
dans le second volume , p. 257 el " T. II. p. 70 de la traduction
>uiv. anglaise.
5 Liv. VI,fab. xix. " Les Milleet une Nuits. Paris
<.C<mtri turcs, p. 299, l«22, t. I".
Ml; LES FABLES INDIENNES. I T .'i
je remarque \e Jardinier, sou Fils, et l'Ane, fable
qui a passé dans le recueil du Poge1, dans plu-
sieurs livres facétieux et dans le recueil de notre
célèbre fabuliste2; le Bûcheron et le Génie, qui,
sans aucun doute, a servi de modèle au Bclplwgor
de Machiavel r\ et le Boi changé en Perroquet, joli
conte que l'on retrouve dans les Mille et un Jours \
et qui a été primitivement emprunté aux conteurs
indiens 5.
L'Histoire du prince Bakhtyar, ou des dix Vizirs.
» Poggii Flor. facet. Londini ,
1798, t. I, p. 101. Voyez les imi-
tations de celle fable dans le second
volume, p. 99 et suiv.
> La Font., liv. III, fab. W, t.
I", |>. 1t>:>; édition de M. Robert.
3 Ce conte , attribue aussi a
Itrcvio , parut pendant sa vie et
sous son nom en 1545 ; il ne l'ut
publié sous le nom de Machiavel
qu'en 1.Vj«» , environ dix-huit ans
apns la mort de cet historien,
( luuilop, Hittoty of Fiction, t. II.
p. 411.)
A Histoire du prince tadlallah,
'.ils <lr Uin-thloc. , mi de Moitsscl.
Jours LVII-LIX.
s Ce COOte M retrouve, en effet .
MJH aucun rhan-ement important,
parmi ceu\ du Troue enchanté (t.
1" , p. ISO i, recueil persan traduit
du livre MBMril intitule Sintjlni
stiuti - ila tilrinsiili. Cette tietion
étant folldé6 sur le domine de la
métempsychoee . son Migine in
dienne ne peut pas <kre douteuse
On la rencontre d'ailleurs, présentée
a\ ei (I autres détails , dans le recueil
.•.anscril qui a pour litre Yrihat-
iuitlui. (Voyez le Uua ri erly oriental
viagaziia //cC, ihuttd. mars ISi"i. |
Je ne dot) pas non plus oublier de
dire que l'histoire du roi change en
perroquet fait partie des coules du
roman intitule l.e Voyage et les
Aventure» des trois princes ,i,
Sarendip, traduits du persan (par
le chevalier île Muilly ). Paris,
171'.). in-l'_\p.;s7.Cc roman est une
traduction , ou pour mieuv dire une
imitation, non point d'un recueil
persan , mais d'un Ih re italien dont
l'origine persane est Tort probable.
et qui a pour titre l'crryrinayyin
di tic giovani fiylivoli del re il*
:■, ri ndippo. l'eropru </i M. C/iris-
tofbro iriucnodella l'ersiunantll
Italiauu lingua trapporlato In
Venetia. 1684: in-is
176 f.ss.u
laquelle existe à la fois en arabe ' , en persan - ,
et en turc z' , n'a de commun avec les Paraboles de
Sendabar et avec le roman des sept Vizirs que le
sujet qui s'y trouve même développé d'une manière
tout-à-fait différente.
Un roi de l'Inde, nommé Azadbakht, rencontre
un jour la fille d'un de ses vizirs, dont il devient
sur-le-champ amoureux , et sans le consentement
du père, il l'épouse le jour même. Le vizir outragé
forme un complot contre le roi, et réussit à le
chasser de son trône. Azadbakht est forcé de cher-
■ La continuation des Mille et
une Nuits , traduite de l'arabe par
domChavis, et rédigée par Cazotte,
renferme l'histoire du prince Bakh-
tyar , d'après la rédaction arabe ,
mais singulièrement défigurée com-
me les autres contes orientaux pu-
blias par Cazotte. (Voyez \cCabinct
de» F<>'r>s, t. XL.) Une traduc-
tion plus exacte fait partie de
la continuation des Mille et une
Nuits, publiée en 1806 par feu
M. Caussin de Perceval. (Voyez le
tome VIII de la collection , p. 221 et
sui\.; M. Gustave Knœs qui déjà ,
on 1805, avait publié une disserta-
tion sur le roman du prince lïakh-
tyar, en a publié le texte en 1807.
i Histnria Derem Vezirorum cl/ilii
régit Azud-harht.... Gœltengœ,
1S07; in-8".) La même histoire a
éléMSli traduite en anglais d'après
domChavis et Cazotte, en allemand
"I <-ii danois. (Voyez l'introdiiriimi
de M. Keller, p. si.)
a Le texte persan a été publie
avec une traduction anglaise , sous
le titre suivant : Bakhlyar-nameh
or story of prince Bakhtyar , and
the ten Viziers. A séries of persian
taies, from a MS. in the collection
of sir IV. Ouseley. London, 1801 ;
in-8". Il en existe une traduction
française intitulée : Bakhtyar-na-
meh, ou le Favori de la fortune ,
conte traduit du persan par M-
Lescallier. Paris. 1805, in-8°. —
M. Edouard Gaultier a aussi public
une traduction française du Bakh-
lyar-nameh dans le VI« volume
de son édition des Mille et une
Nuits.
3 Voyez dans le Journal asiatique
de mars 1827, l'article de M. Amé-
dée Janbert, intitulé Notice et
extrait de la version turque du
Rakhli/ar-nameh , d'après le ma-
muerif en raractères ou'igouru
ijufl possède la Bibliothèque ho-
'iléiennc d'O.rford.
SUR LES FABLES INDIENNES. 177
cher une retraite chez le roi de Perse , et pendant
sa fuite , la reine , qui était enceinte, met au monde
un fils qu'ils sont contraints d'abandonner près
d'une fontaine, après avoir placé une bourse rem-
plie d'or auprès de lui. Azadbakht, avec le se-
cours de Chosroès, ne larda pas a triompher des
rebelles. Le fils qu'il avait été forcé d'abandonner
était tombé entre les mains de quelques brigands
qui l'avaient élevé parmi eux. Devenu grand , il
embrasse le métier de brigand, et dans une rencon-
tre avec les troupes d' Azadbakht il est fait prison-
nier. Charmé de sa beauté, le roi lui accorde la vie,
l'admet parmi ses officiers, et lui accorde une
grande confiance. Mais un jour, à la suite d'une
orgie, le jeune homme plongé dans l'ivresse la
plus complète, pénètre dans les appartenions se-
crets du palais et tombe endormi sur le lit du roi.
Azadbakht, le trouvant dans son appartement,
soupçonne aussitôt une liaison coupable entre la
reine et son favori, et les vizirs, jaloux de ce der-
nier, engagent la reine à lui imputer de coupables
tentatives. Condamné à mort, le jeune homme pro-
teste de son innocence, et pendant dix jours il ra-
conte au roi chaque jour une histoire qui lui fait ob-
tenir un >ursis, quoique les vizirs insistent auprès
du roi pour qu'il soit mis ;i mort. Enfin, le onzième
jour, au moment où il va monter sur l'échalaud. il
est reconnu par un des voleurs qui l'ont élevé el
178 ESSAI
qui le réclame comme son iils. Une explication a
lieuàce sujet de vaut le roi, qui reconnaît le fils qu'il
avait perdu, et fait pendre les vizirs à sa place.
On voit que ce cadre ' diffère notablement de
celui des sept Visirs, puisque les ministres, loin
d'être les défenseurs de l'innocent, sont au con-
traire ses accusateurs, et que tous les récits sont
faits par l'accusé. Aucun des contes placés dans ce
cadre n'a de rapport avec ceux que l'on a vus pré-
cédemmen .
' Le recueil de contes écrit en des apparte'mens intérieurs , prou-
langue tamoule, et intitulé Ala- vent leur innocence et désarment
keswara - Kalhà , ofïre quelque la colère du roi en racontant un cer-
rapport , pour le cadre , ayee 17ns- tain nombre d'histoires. (Voyez le
luire du prince Bakhtyar. Dans Catalogue des Manuscrits du co-
ce recueil, les quatre ministres du loncl Mackenzie, par M. Wilson
roi d'Alakapour étant accusés faus- Calcutta , 1828; t. Ier, p. 220.)
«cment d'avoir violé le privili 5ge
SUR LES FABLES im.ii \\i:s. 17!)
RÉSUMÉ.
Le Livre de Sendabad est originaire de l'Inde.
Il a été, selon toute apparence, traduit du sanscrit
en persan, du persan en arabe, et de l'arabe en
syriaque : cette version syriaque paraît avoir été
l'origine du Syntipas grec.
Une version hébraïque du Livre de Sendabad,
intitulée Paraboles de Sendabar, faite probable-
ment sur l'arabe, a servi de type au livre latin com-
posé dans les dernières années du xue siècle ou
au commencement du xmV.sous le titre à'Histo-
ria septem Sajiiniium Romœ, par Dam Jehans .
moine de l'abbaye de Haute-Selve.
De ce livre latin dérivent quatre traductions ou
imitations principales bien distinctes :
l°La traduction française intitulée Les sep! Sa-
ges de Rouir, imprimée à Genève en i ii)2, ri plu-
sieurs fois réimprimée; laquelle traduction est une
reproduction fidèle du texte latin des versions al-
lemande, hollandaise et danoise paraissent être
aussi d'exactes reproductions de VHistoria septem
Sapientum) ;
±" La version française en vers ayant pourauteur
un trouvère anonyme , etdontla version anglaise,
dément en vers, ne diffère que par l'ordre des
contes (la version française en prose, publiée par
180 ESSAI SUR LES FABLES INDIENNES.
M. Leroux de Lincy, se rapproche plus de la ver-
sion en vers que du texte latin);
3° Le poëme d'Herbers intitulé Dolopathos , et
composé ou dans' les dernières années de Philippe-
Auguste, ou vers la fin du règne de saint Louis;
4° Le roman italien intitulé Histoire du prince
Erastus, qui parait dériver delà version française
en vers, et qui a été traduit en espagnol, en fran-
çais, et en anglais.
Les rédactions en langue orientale qui existent
aujourd'hui sont au nombre de quatre :
1° Le livre hébreu des Paraboles de Scndabar,
type de YHistoria seplem Sapientum Romœ, et dont
le roman grec de Syntipas diffère peu ;
2° L'Histoire des sept Vizirs en arabe, traduite en
anglais par M. Jonathan Scott, et en allemand par
M. Habicht sur deux manuscrits différons, mais
qui ne paraissent pas offrir deux rédactions bien
distinctes;
3° Le roman turc des quarante Vizirs, qui n'a
guère emprunté au Livre deSendabadque lecadre ;
4° L'Histoire du prince Baklityar , qui est moins
une imitation du Livre de Sendabad qu'un autre
roman composé sur une donnée analogue.
Arrivé au terme de cet opuscule, qu'il me soit
permis d'exprimer un douloureux regret, c'est de
ne pouvoir pas offrir ce livre au savant illustre
qui avait bien voulu en accepter la dédicace. La
mort vient de nous enlever M. Silvestre de Sacy ,
et personne plus que moi n'a lieu de déplorer la
perte de l'homme éminent qui prêtait à mes tra-
vaux l'appui de sa généreuse bienveillance.
SOMMAI m
L'ESSAI SUR LES FABLES INDIENNES.
MDPAI.
Caractère particulier de l'apologue indien, p. 6 et 7. — Li-
vre de Caîila et Dimna , p. 8. — Il est apporté de l'Inde par
llarzouych au vr siècle de notre ère et traduit en pehlevi, p. !•.
— Il est traduit en arabe par Abdallah, p. 11; — en persan mo-
derne par INasrallab, p. 13; — par Hocéin Vaëi, sous le litre
iVAnwari-Sohaïli, p. 14 ; — par Aboulfazl, sous le titre tfEyan-
danich, p. 15; — en turc, souslctitrcde Tlomayonn-nmneh , p. 16;
— en grec par Siméon Seth , ibid. ; — en hébreu par le rabbin
.Toel , p. 17 ; — en latin par Jean de Capouc, sous le titre de Di-
rrctorium humanœvitœ,\>. 18; — enallemand, p. 19; — en espa-
gnol, p. 20 et 21 ; — en latin par Raymond de Béziers, p. 22:
— en italien et en français d'après la version de Jean de Gàpotté
p. 23; — en français d'après VÂnwari-Sohaïli, p. 24; — en la-
lind'aprèslegroc, ibid. — en français, d'après I' ' Homayoan-nameh ,
par Gèlfond et Cardonne,p. 25; — en EtngMBet en allemand ,
p. ?♦;.
184 SOMMAIRE DE L'ESSAI
Original sanscrit du Calila et Dimna, p. 27. — Il est intitulé
Pantcha-tantra , ibid. — Abrégé du Pantcha-tantra, intitulé
tlitopadésa , p. 29; — autres versions orientales de ce livre,
p. 30.
Le Pantcka-tantra divisé en cinq chapitres, p. 30; — intro-
duction , p. 31 ; — premier chapitre , p. 32 et suivantes ; —
deuxième chapitre, p. 44 et suivantes; — troisième chapitre,
p. 46; — quatrième chapitre, p. 50; — cinquième chapitre,
p. 52. — Détails sur le Calila et Dimna, p. 58 et suivantes. ■ —
Fables empruntées au Calila et Dimna, par La Fontaine, p. 66.
— Détails sur la version hébraïque et sur la version latine de
Jean de Capoue , p. 68 ; — sur les versions italiennes , p. 68 et
69; — sur la version persane, intitulée Ânwari-Sohdïli, p. 70
et 71. — Fables empruntées par La Fontaine à la traduction de
V Anwari-S ohaïli , intitulée Livre des Lumières, p. 72. — Détails
sur Y Hitopadésa , p. 73 et suivantes.
SENDABAD.
Livre dé Sendabad, originaircde l'Inde , p. 80. — Il eu existe
trois traductions ou imitations en arabe, en hébreu et en grec ,
p. 82. — Détails sur ces trois traductions, p. 83 et 84. — La
version hébraïque est intitulée Paraboles de Sendabar- elle est le
type du livre latin des sept Sages de Rome, p. 85. ■ — Herbers en
fait une imitation intitulée Dolopathos, p. 86 et 87. — Époque
présumée de la composition de ces deux ouvrages, p. 88 et89- —
Le livre latin des sept Sages de Rome esl traduit en vers français
SUR LES FABLES INDIENNES. 185
et en prose française, p. 89; — en anglais, p. 90; — en alle-
mand, en hollandais et en danois, ibid.; — en italien et en espa-
gnol, p. 92.
Analyse de la rédaction grecque, intitulée Syntipas,y. 93 et
suiv. ; — Introduction, ibid. — L'Anneau du roi, p. 96. —
Le Marchand et le Perroquet, p. 98. — Le Foulon et son Fils , p.
100. — L' Officier, son Esc/ave et la Femme, ibid. — Le Fils du
Roi et la Lamie, p. 102. — La Femme cl le Marchand, p. 103.
— Le jeune Prince et le perfide Ministre , p. 104. — Le Fils du
Roi et le Baigneur, p, 105. — La jeune Femme, la Vieille et la
Chienne, p. 106. — T^e Singe et le Sanglier, p. 109. — V Officier,
le Chien et le Serpent, p. 1 10. — Le Manteau, p. 1 1 1 . — Le Vo-
leur, le Lion et le Singe, p. 113. — Le Pigeon et sa Femelle, ibid.
— Les trois Souhaits, p. 114. — Les Ruses des femmes, p. 115.
— Les Convives empoisonnés, p. 118. — Les trois Négocions,
la Vieille et l'Enfant, p. 119. — Le Marchand et les Fripons,
p. 121. — Conclusion du Livre de Syntipas,p. 127. — Origine
indienne, p. 128.
Les Paraboles de Sendabar, p. 131. — L'IIistoire des sept
Vizirs, est-elle leLivredc Sendadad, ibid. — Analyse tics contei
des sept Vizirs, p. 132. — Ahmed V Orphelin, ibid.- — Le Pein-
tre, p. 134. — Le Jeune homme et les Vieillards, p. 136. — Le
Fil' du Sultan et la Femme du Marchand, p. 138. — Les quatre
Amans dupés, p. 139. — Îm Pie voleuse, p. 140. — Bharam et
Rumta, ibid.
Analyse du livre des sept Sages de Rome, p. 141.— Les
Deux Pins, p. 143. — Le Chevalier, le Chien , et le Serpent, ibid '.
— Le Pâtre et le Sanglier, p. 144- — Tm Femme enfermée, ou le
Mari mis à la porte, p. I 46. — Le Trésor du Rot, p. I 16. —
186 SOMMAIRE DE L'ESSAI , ETC.
Le Marchand et la Pie, p. 148. — Le Roi , les sept Sages, et
Mer-lin, p. 149. — Le vieux Chevalier et sa Femme, ibid. — La
Tour des images , p. 151. — Hippocrate et Galien, p. 154. — Le
Roiet la Femme du sénéchal, p. 155. — La Femme et les trois Che-
valiers assassinés, p. 156. — La Femme enlevée, ou le Chevalier à
la Trappe, p. 158. — La Matrone, p. 161. — La Prédiction
accomplie, p. 162. — Les deux Amis, p. 162. — Conclusion du
livre des sept Sages, p. 167. — Il a été composé d'après les Pa-
raboles de Sendabar} ibid. — Détails sur les diverses rédac-
tions de ce livre, p. 168. — Dolopathos, p. 169. — Histoire du
prince Emstus, p. 170. — Branches du roman des sept Sages,
p. 171. — Les quarante Vizirs, p. 172. — Histoire du prince
Bàkhtyar, ou les dix Vizirs, p. 175. — Résumé, p. 179.
ADDITIONS ET CORRECTIONS
Page 24, ligne 4, au lieu de traduction, lisez traduction abrégée.
Page 25, note 3, à la fin de Valinéa qui commence par : On a remar-
qué avec raison, ajoutez : Depuis la rédaction de cette note, j'ai reconnu,
en examinant un manuscrit autographe de la traduction des Fables de
lliilpa'i parGalland, lequel appartient à la Ililiothèque du Roi, que le nom
de Lokman ne s'y trouve pas, et que c'est, selon toute apparence, une
interpolation de l'éditeur.
P. 2G , I. 45 de la note de la deuxième colonne, au lieu de IliXirâtôo;;
faiïtû, lisez niknâiSoi 'Iv^oû.
Page 67, ligue G, à la fin de la note 2, ajoutez Masenius a reproduit
cette fable dans son ouvrage intitule Palœslra dramatica, public à Co
logneen 1657. Voyez les Noti ce» littéraires et politiques sur l'Allemagn*
par M. Saint-Harc-Girardin. Paris, 1885, în-8°, p. 834 et suiv.
Page 70, I. 8 de la note 4, au lieu de traduction , lisez introduction.
Page 82, 1.5/cfp. 92, 1. 15 et 25 de la note de la première colonne, au
un de fonds, lisez fond.
Page 88, I. 4 delà note de la deuxième colonne, au lieu de un Meaui
Usez de Heaux.
Page 107, 1. 18 de la oote t. ajouien Voyez encore le> Fantasies I
tfere Soie (par Pierre Gringore. Paris, 1516, in-4° gothique, premiel
folio de la lettre k et suiv.)
Page 188, I. <" de la note de la deuxième colonne, ou lieu de 183 >
lisez 1835.
Page 189, oote l, ajoutez à la fin : route la première partie de '
ii* nouvelle de la iv nuitde Straparole (tome ï, page 281,édit. de l
in-12) offre .-ni<<» beaucoup d'analogie avec le conte krabe.
ROMAN
DES SEPT SAGES.
ANALYSE ET EXTRAITS
DE DOLOPATHOS
L'histoire littéraire détaillée que M. Loiseleur
Deslongchamps a donnée du Roman des se pi Sages,
dans l;i première jiartiede ce volume, me dispense
de revenir sur ce sujet. Pour compléter cette his-
toire, j'ajouterai quelques nouvelles recherches re-
latives aux différentes versions du Roman des sept
Sages, envieux français , et je donnerai une des-
cription étendue des manuscrits de ces versions
que j'ai eus entre les mains. Ces manuscrits sont
au nombre de vingt, tous antérieurs au xvi° siècle,
et lV\ann n particulier que j'ai l'ait de chaque vo-
lume, m'a permis de reconnaitre trois rédactions
évidemment copiées les nues sur les autres. Deux
de Ces rédactions sont antérieures à la troisième;
et il est assez difficile de prononcer laquelle des
deux a précédé l'autre. La rédaction qui se trouve
le plus souvent dans les manuscrits du xiue siècle
est celle que j'ai choisie pour établir mon texte ;
malheureusement elle est toujours incomplète ,
c'est-à-dire que le septième sage, au lieu de ra-
conter une histoire, annonce à l'empereur que le
jeune prince , son fils , a retrouvé la parole ; et
que le jeune prince, au lieu de réciter l'apologue
de la Prédiction accomplie , s'en remet au juge-
ment de Dieu. Comme on le voit , l'une de ces
versions est le complément de l'autre, et j'ai dû
me servir de cette double rédaction pour former
un texte entier du Roman des sept Sages. J'y suis
parvenu en me servant , pour le texte , du numéro
1672 Saint-Germain, et pour les variantes et le
complément du numéro 7974. Ces deux manu-
scrits du xnie siècle appartiennent l'un et l'autre
à la Bibliothèque royale. La troisième version ne
se trouve que dans des manuscrits du xiv° siècle ;
elle parait avoir été modifiée pour se trouver ainsi
plus en rapport avec les suites du Roman des sept
Sages qui , sous le titre d'Aventures de Markes ,
de Fiseus son (ils, de Lorain et de Cassiodore, corn-
posèrent une série d'aventures très longues, très
diffuses, mais dont l'ennui est quelque peu com-
pensé par certains récits empruntés à l'Orient, et
imités, sous des noms divers , par les conteurs
français , italiens ou anglais des xvc etxvie siècles.
Ces rédactions ne portent plus le titre de Roman
des sept Sages de Rome, mais celui d'Histoire de
la mate marastre. Presque toujours on y voit le
jeune prince ayant pour compagnon d'étude Mar-
kes, fils de Caton, l'un des sept sages, et le héros
de la plus ancienne des suites de notre roman.
Cette rédaction curieuse se distingue par plusieurs
apologues empruntés à l'Orient et par une version
de Y Histoire des assassins *. Plus que toute autre,
elle peut servir à prouver que le Roman des sept
Sages fut apporté en Europe, dans les premières
années du xui° siècle, par les Croisés qui se ren-
dirent maîtres de Gonstantinople. J'ai fait con-
naitre, par de courtes analyses, les histoires qui
différaient de celles que j'ai publiées3 ; quant aux
suites du Roman des sept Sages, on peut voir à ce
sujet la description des manuscrits, n° m.
lime reste quelques mots à dire relativement
Vbyê* />/)/« bat la description des mamucrUs, r»° \.
Voyez lu description des manuscrits nn v.
VI
aux manuscrits du poème d'Herbers le Dolopathos
dont j'ai aussi donné une analyse et de nombreux
extraits. Ces manuscrits sont beaucoup plus rares
que ceux de la version en prose du Roman des sept
Sages; je n'ai eu sous les yeux qu'un seul texte com-
plet , mais heureusement d'une parfaite exécution.
Il se trouve dans un ancien manuscrit de la Biblio-
thèque de Sorbonne, aujourd'hui à la Bibliothèque
royale, et porte le numéro 351 Sorbonne.
C'est un volume petit in-folio relié, en maroquin
rouge , sur vélin , à deux colonnes, et sans minia-
tures. Il paraît avoir été écrit à la fin du xme siècle.
Outre le Dolopathos il contient, l°la Vie des Pères
//ermites ; 2° une Petite Chronique des rois de
France ; 3° la Passion de Notre Seigneur Jésus-
Ckrist ; 4° le Roman de Reaudeous , par Robert de
Blois. Quant à l'autre manuscrit de la Bibliothèque
royale , numéro 27 Cangé, qui contient aussi un
texte fort incomplet du Dolopathos > nous l'avons
décrit ailleurs '.
i Voyez le Roman de Brut, publié a Houen, fiiez Ed. Frère. Descrip-
tion (/es Vkmuseriu p. \\ij.
DESCRIPTION DES MANUSCRITS
ROMAN DES SEPT SAGES.
MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE.
I.
N° 1672. Saint-Germain.
Un volume petit in-f° , vélin , ancienne reliure
en veau, à deux colon., miniat., xme siècle.
Il contient :
1° Le Roman des sept Sages de Rome, f° i° r°.
2° Le Roman de Marques, le fils Caton , 1° 31 r°.
.T Miracles de Notre-Dame, par Gautier de Coinsy, f°117
r°. Les premiers feuillets manquent.
Ce texte du Roman des sept Sages est celui que nous avons
publié. Voici l'ordre dans lequel sont les différentes histoires:
1 . La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
8. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Ausillcs. — Ilippocrate et son Neveu.
5 i.i Reine. — La Tour du Trésor.
<i. I.nntulles. — La Femme entérinée ilans nue tour.
7 Ln Reine. - Le Roi et In Femme du sénéchal.
s ftalquidart U Tors. — Le vieux Chevillai el n jeanc Femme
VHJ DESCRIPTION
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
■10. Caton. — Le Bourgeois et sa Pie.
1 1. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Marâtre, son Beau-Fils, et les deux Cousins.
13. La Reine. — La jeune Fille , son Père , et l'Amant.
II.
N° 7974.
Un volume petit in-4°, vélin , relié en veau ra-
cine , à deux colonnes , xme siècle. (Ce volume a
appartenu à Jean Sala , poète du xvie siècle, et au
cardinal Mazarin.)
Il contient :
i° Le Roman des sept Sages de Rome, f° 1 r«.
2° La Conquesle de Constantinople , par Geoffroy de Vil-
lehardouin , f° 47 r".
Cette chronique célèbre, imprimée plusieurs fois, mais assez
incorrectement, vient d'être publiée de nouveau avec beaucoup
de soin par M. P. Paris, pour la Société de l'Histoire de France.
— 1 vol. in-8. — Voyez relativement à ce texte, les prolégomènes
de .M. P. Paris, page xxxi.
3° Le Roman ou la Chronique de Turpin, f° 141 r°.
4° Chronique de Normandie , lr" partie , 1° 176 v°.
Celte version du Roman des sept Sages est différente de celle
que nous publions: elle nous a servi pour les variantes et pour
l'appendice ni.
DES MANUSCRIT S. IX
Voici l'ordre des histoires :
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Augustes. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
G. Lentillus. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
H. Malcuidars li Iious. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Caton. — Le Rourgeois et sa Pie.
H. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
V2. Jessc. — La Matrone.
13. La Reine. — Genius et les sept Rois païens.
14. Meron. — Le Chevalier à la trappe.
Le Fils de l'Cmpereur. — La Prédiction accomplie.
III.
N° 0767.
Un volume in-folio, maximo vélin, relu'' en
maroquin , aux armes, écrit à deux colonnes .
miniatures.
Voici l'ordre des histoires dans le Roman des sept Sages :
1. La Reine. — Les deux Pins.
'2. I{<iii,illns. - |,o Chevalier et le Serpent
8. La Reine. - Le Paire et le Sanglier.
4. Antilles. — Hippocrate et son \e\eu
.• La Reine. La Tour du Tréaor.
X DESCRIPTION
6. Lentulles. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Manonidas li Tors. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Catons. — Le Bourgeois et la Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Matrone.
13. La Reine. — Genius et les sept Rois païens.
14. Mereneus. — Le Chevalier a la trappe.
Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
M. T. Paris, t. I, p. 109 de son ouvrage sur les manuscrits
français de la Bibliothèque du Roi, a consacré à ce volume la
notice suivante1 :
Ce précieux manuscrit fut exécuté en 1466, comme le prouve la men-
tion suivante, écrite à la lin du volume : « L'an mil cccclxvi fut escript
« cest rommant par Micheau Gonneau , prebtre deinourant à Crosant. »
— Michel Gonneau, qui a fait plusieurs autres copies , a exécuté celle-ci
pour un prince de la maison de Bourbon, et suivant toutes les apparences
pour Jean, fils du duc Charles 1er, et duc de Bourbon lui-même, de 1436
à 1488. Ses armes (de France au cottice de gueule) , sont peintes dans
la première vignette soutenues par deux sirènes ; dans un autre compar-
timent on voit, autour d'un sagittaire, la devise : Je déussc mourir. Puis
au folio 96, on remarque un écusson de Bourbon-la-Marche, écarteléd'Ar-
magnac-Rhodez (d'argent au lion de gueule écartelé de gueule au \éo-
pard lionne d'or). Ce dernier écu a sans doute été peint quelques années
après l'exécution du manuscrit, car il doit être celui de Catherine d'Ar-
magnac, mariée seulement en 1484 à Jean II , et morte en 1486.
Dp Iran II, ce livre passa à son fils Pierre II, duc de Bourbon , dont
■ Les manuscrits /rainais de la Bibliothèque i/n Roi, etc.. pat
y. Paris, iii-H". ittifi. paris, Tecbpner
DKS MANUSCRITS. XI
Ja mention se lit aussi sur la dernière feuille de garde : « Ce li\ r<-
« nomme Marques, est à très hault et très puissant prince monseigneur
« Pierre , duc de Bourbonnoys et d'Auvergne , conte de Clerinont , de
• I urest et delà Marche et de Gien, vicomte de Cariât et de Murât,
« seigneur de lieaujeulois , de Hourbon-Lanceys et d'Anonay , per et
« chambrier de France , lieutenant-général du roy et gouverneur du
« Languedoc. Signé Robertet. • Et plus bas est dessiné le gonfanon du
duc avec les mots ■ Bourbon. Espérance.'
Les premiers mots de cet énorme volume sont : t A Romme ot uiiem-
« pereur qui ot nom Deoclicns ; il ot une femme, de cette femme ly fu
« reniez un hoir, » etc.
On voit que c'est ici le célèbre Jiom an des sept Sages, traduit en fran-
çais du grec, mais plus anciennement composé en syriaque, en arabe, et
même en sanscrit, sous des noms différens, etc
Le premier conte est celui du Pin et du Pineau, le seizième et dernier
est celui du Corbeau et <lr la Corbe, débité par le jeune prince. Le roman,
comme on doit l'espérer, Bail par le supplice de L'impératrice. « t'y fine
« le livre des sept Sages de homme et de la Maraslrc qui fut arse
• et commence le livre de Marques de Romme , comment Diocleciens
f régna après la mort de son père en grant paijnne, si comme vous
« orre's. »
Celte première branche des sept Sages se termine au folio 17
Quand a la seconde brandie . le titre inexact que je viens de tran-
scrire a trompé Imis ceai qui ont parlé des imitations de Syntipoi. Il fal-
lait mettre non pas comment Dyocletiens mais bien cofnmeni le fils de
Dgorietiens , car le père nejoue de rôle que dans la première branche,
proprement celle des sept Sages, et quand au Bis, l'élève des sept sages de
cette première brandie , il agit seul dam la seconde et dans une partie de
la troisième ; mais il n'est désigné personnellement «pie dans cette der-
nière sous le nom de Fiseus.
i .1 branche de Marques, un peu plus compliquée e>i la première
-mie des ii /'' Sages, Marques, iils de Caton, esl nommé sénéchal di
X.1J DESCRIPTION
Rome par le tils de l'empereur Dioclétien. Le prince se souvient des
services que lui ont rendu les sept sages ; il les fait asseoir à table au-
près de lui , il pousse le respect jusqu'à les servir lui-même chaque
jour. Cela déplaît à la jeune impératrice dont les philosophes avaient
pourtant conseillé le mariage ; l'ayant choisie , dit malicieusement l'his-
toire, comme la meilleure de son sexe. A force de blandices, elle parvient
a décider son époux, d'abord à ne plus servir les sept Sages , ensuite à
faire ôter leur table de son impériale présence. Qu'arriva-t-il ? Du mépris
des sept sages, l'empereur passe au mépris de la sagesse; il suit les
caprices de sa femme, il gouverne en tyran ses peuples. Marques le sé-
néchal seul lutte encore avec avantage contre le mauvais génie de l'im-
pératrice ; celle-ci, de concert avec ses femmes, met tout en usage pour
obtenir la disgrâce de son antagoniste ; elle parvient à le rendre sus-
pect ; enfin il est sur le point de perdre la vie. Alors commence les his-
toires. L'impératrice débute par celle du « Damoiseau de Romme qui
« fut déçu par son escuier qui lui embla son annel. » En tout il y a
douze contes terminés par le récit du supplice de l'impératrice et de la
réhabilitation des sept sages. « Ici fini le romman de la vie et Marques
• le séneschal de Romme. — Ci commence le livre de l'empereur Fiseus
t qui fut fils à Vempcreur Dijoclesien , quiot moult à faire tant comme
« il vesqui en ce siècle. » (F° 60.)
La branche de Fiseus est la continuation de la précédente. Fiseus, ici
nommé pour la première fois, est encore ce même fils de Dioclétien sauvé
de sa marâtre par les sept sages , puis garanti par eux des embûches
de sa propre femme. Au début du livre , Marques est encore sénéchal de
Rome , mais les sept sages changent de caractère : ils deviennent en-
vieux et perfides ; ils veulent renverser le crédit absolu de Marques sur
l'esprit de l'empereur. Fiseus meurt; Marques qui avait épousé Laurine,
sœur de l'empereur de Constantinople , donne naissance à Laurin , héri-
tier de l'empire d'Orient, et devient lui-même, à force de prouesses,
roi d'Aragon. Au milieu de leurs caravanes, Marques et Laurin vont
faire risite au roi Arthur de Bretagne ; ils joutent avec les chevaliers de
la Table ronde; perdent ou retrouvent leurs femmes ou leurs mies; enlin
DES MANUSCRITS. Xflj
vivent heureux et contens. La partie la plus saillante de cette bran-
che, d'ailleurs assez insipide, est la révolte des sept sages contre I i-
seus, qui leur a fait crever les yeux. Voici l'explicit (folio 196): cCÏ/'/-
€ le livre de Marques le séneschal et de Laurins son fils , empereur
i de Conslantinoble. — Ci commence le livre de Cassidorus , empereur
c de Constantinoble comme s'ensuit. »
Cassidorius est lils du bon chevalier Holyenon et petit-lils de Lau-
rin , dont les prouesses sont racontées dans la branche précédente. De-
venu, par succession, empereur de Constantinople , il est vivement pressé
de se marier par les douze princes de l'empire. Il hésite long-temps ;
mais sur ces entrefaites , les douze princes lisent dans les astres que la
femme de Cassidore devait être l'occasion de leur mort. Ils mettent donc
tout en usage pour empêcher le jeune empereur de quitter le célibat.
Par malheur pour eux , Cassidore, au milieu de ses belliqueux voyages,
g' arrête chez un prince de Syrie, nommé EdipUS ; il tombe amoureux de
sa lille Eelcana, à laquelle il promet de s'unir. Mais de retour à Cons-
tunlinoplc, il oublie ses sermens , et les douze princes le déterminent ;i
ne pas tenter la redoutable épreuve du mariage. C'est alors que paraît
toutes les nuits , dans une vision, la lille d'Ldipus ; elle vient le sommer
de tenir sa parole , et, pour l'y déterminer, elle lui fait chaque fois une
histoire. Le jour venu , les princes racontent à leur tour une aventure
dont la morale est contraire à celle du récit nocturne. Enfin la princesse
l'emporte ; Cassidorus la fait couronner impératrice. Mais ce n e>t pas
tout, une nouvelle intrigue se noue entre les douze princes contre l'em
perear ; Helconus, son lils , tente alors de publier le secret de la oonspi-
ralion, en racontant des histoires qu'ils réfutent par autant d'autres
jusqu'à ce que leur trahison soit reconnue et leur supplice ordonné. Je
n'ai l'ail qae parcourir rapidement cette longue Série d'apOlogMB et d'aven-
tures romanesques : puis ce que j'en dis suffira, sans doute pour éveil
1er la curiosité des amateurs de Nouvelles et de Contes : ils trouveront
dans Cassidorus MM mine . pour ainsi dire, inépuisable.
Cette branche, lapins longue des sii . se pourrait jusqu'au folio 551
En voici l'explicit: • Cj fini les livres de cassidorus. si parierons après de
XIV DESCRIPTION
. Pelyarmenus de Romme , comment il avoit pourchacié vers Dyalogus
« son frère le bastard , de mettre à mort les deux enfans petits à l'em-
« pereur son père. »
Pelyarmenus et Fastidorus étaient frères d'Helcanus , dont la branche
précédente a raconté les premières aventures. Il parvient dans celle-ci à
esquiver toutes les embûches que ne cesse de lui tendre le vaillant el
déloyal Pelyarmenus. Celui-ci s'empare de la couronne impériale de
Rome après Fastidorus son frère , et cependant Cassidorus leur père , le
véritable empereur, fait ses pèlerinages, devient manouvrier, enfin est
mis à mort par la trahison de la femme d'un châtelain qu'il avait con-
verti. Cette cinquième branche finit au folio 491 , verso : « Cy finit le
« livre deCassidorus (lisez Pelyarmenus) de Romme et de Constantinoble,
« et après commence li derrains de ses enfans. •
La sixième et dernière branche raconte en effet l'histoire des quatre
fils de Cassidorus , nommés Kanor , Sicor , Doraor et Rusticor. Kanor
finit par être empereur de Rome, et le roman se termine par ces mots :
€ Si veuil or faire fin de cette bistoire , laquelle plaise et souffise à mon
« très chier seigneur devant nommé , pour lequel j'ai travailla1 et pené
« en ce qu'il ne preigne pas regartà ceulx qui ne sont pas convenables en
€ mes comptes, mais à cellui Kanor qui par son sens et par sa proesce,
« à l'aide de Dieu et de ses amis, revient à ce qui porveu li estoit des le
« commencement du monde,... si comme vous avez oi par devant. »
Mais ce seigneur devant nommé n'est nulle part nommé dans notre
manuscrit. Or c'était Hugues de Chatillon auquel fut dédié la dernière
branche du roman de Cassidore, dans la première partie du xnre siècle .
comme nous l'atteste un exemplaire conservé à la Bibliothèque du Roi
sous le ii' 7534. Hugues, qu'on y voit désigné sous le nom du comte de
Saint-Pol, jouit de ce comté durant les années 1220 à 1247 , c'est donc
dans cet intervalle que fut , pour la première fois, transporté dans no-
tre langue le dernier tiers de cette vaste composition romanesque. Ce
fait est important a constater. Il ne faut pas rependant en conclure que
les parties précédentes fussent, antérieurement ou du moins à la même épo-
que , connues en i renée. Le soin que l'écrivain de Hugues de Cbitillon
DES MANUSCRITS. \>
apporte à nous initier aux événernens qui préparent la narrai ion , prouve
au contraire que les aventures de Marques et de Fiseus étaient alors
parfaitement ignorées. Mais il faut encore ici convenir que l'invention de
tout le récit, quelles que soient la langue et la nation qui puissent s'en
faire honneur , est bien antérieure au ime siècle.
IV.
N° 6849.
Un volume in-f°, maximo vélin, deux colonnes,
une miniature, vignettes et initiales; fin du w
siècle. Relié en maroquin rouge , aux armes de
France. — (Ancien n° 478.)
Il contient :
1° le Livre des Merveilles, f°.
2° Le Roman des sept Sages de Rome, f°.
Le Livre des Merveilles, dit M. P. Paris , est , suivant toutes
les apparences, la traduction paraphrasée de quelque roman d'o-
rigine grecque, ou même orientale. C'est une collection de contes
et d'apologues récités dans une intention pieuse et morale à un
jeune homme du nom de Félix, que son père fait voyager, afin
de lui donner à mieux connaître l'histoire du monde , de la so-
ciété, de la religion et de l'éternité
Les contes finissent avec la vie de Félix, qui tombe malade djans
une abbaye, et meurt sous les habits monastiques.
Quant à la version des sept Sages de Rome, elle est semhl.i-
• Les Manuscrits <lc lu Hihliothrijur >ln Roi, I. M , p, nr.-l I ,
\VJ DESCRIPTION
ble à celle que nous publions; seulement le style est rajeuni.
Voici l'ordre dans lequel se trouvent les différentes histoires :
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Antilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Lenhdle. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Maulcuidars. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Caton. — Le Bourgeois et sa Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Marâtre, son Beau-Fils , et les deux Cousins.
13. La Reine. — La Jeune Fille, son Père, et l'Amant.
V.
N° 7069.
Un volume petit in-f°, vélin, relié en veau à l'N,
couronné sur le dos, écrit sur deux colonnes,
\ive siècle , miniature.
Il contient :
1° Le Trésor de Brunetto Latini, f° 12 r°.
2° La Chronique de Turpin, en français, f° 146 r°.
3° Histoire de la mâle Marrastrk, ou des sept Sages i»k
Rome la cité, f° 162 r°.
i Knsfiijnoment de Sapience, f° 190 v°.
DES MANUSCRITS. XV1J
6° Le Livre du Gouvernement des rois et des princes, de
Gilles de Rome, i'° 1 94 r°. — Gy fenist le livre du Gou-
vernement des rois et des princes, que frères Gilles de
Rome, de l'ordre Saint-Augustin, a fait. Lequel livre
maistre Henry de Gauchi a translaté de latin en françois,
par le commandement Phelippon , le noble roy de
France.
6°Enseignemens de Médecine, f° 268 v°.
Voici le titre des histoires qui se trouvent dans cette rédaction
du Roman des sept Sages , et l'ordre dans lequel ces histoires
sont placées :
1. La Reine. — Les deui Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pitre et le Sanglier.
4. Anxilles. — HippocrAte et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
<;. ( atiot. — Le Rourgeois et sa Pie.
7. La Reine. — Le Père, sa seconde Femme . el son Vils.
s. Lentulus. — La Matrone.
M. La Reine. — La folle Nourrice.
10. Jessé. — Histoire d'Anthenor, roi d Arabie.
tl. La Reine. — Exemple «lu mal genre.
19. Mnrtins. — Cardamuni le sénéchal
18. La Reine. — Histoire de Makesiu qui l'omn cd»l
1 1, Mii'k'-s i'i Home. — Le Chevalier à la Trappe.
i.e i ils (le l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
On voit que dans cette rédaction du Romtin des sept Sa^rs%
plusieurs histoires sont différentes de celles que nous avons
imprimées. Ainsi après l'histoire du Bourgeois tt de lu Pir, on
trouve le récit d'une aventure qui est aussi dans le Geste R
XV11J DESCRIPTION
norum. Un empereur d'Orient a un fils déjà grand; il épouse
une jeune femme, en secondes noces, et il est tué par son fils qui
devient amoureux de sa belle-mère. Cette aventure commence
au folio 174 r°. Elle est suivie du conte de la Matrone. On trouve
après, une imitation assez curieuse du jugement de Salomon. Elle
commence au folio 177 et est intitulée la Folle nourrice. Au
folio 179 v° est VTIistoire d'Anthcnor, roi d'Arabie, qui, ayant
épousé une femme déjà veuve et mère d'une fille, est trompé par
cette femme qui parvient à le persuader de donner pour épouse à
l'empereur, la fille qu'elle avait eue de son premier mariage, plu-
tôt que sa propre fille.
Après ce conte vient Y Exemple du mal genre, f° 181 r°.
Un chevalier chrétien ayant été fait prisonnier, pendant les
guerres saintes, inspira de l'amour à la femme du Soudan ; elle
eut un fils du chevalier chrétien, et mourut. Le Soudan fit élever
l'enfant avec soin, et ce dernier, parvenu à l'âge de vingt ans, se
fit tant aimer des grands du royaume, que ceux-ci vinrent trouver
le soudan, et lui demandèrent de céder le royaume à son fils. Le
Soudan, plein de fureur, fit jeter le prince dans une prison et le
menaça de la mort; mais ce dernier, aidé par les grands du
royaume, tua le Soudan et prit sa place.
Au f° 182 r°, est V Exemple de Cardamum le Sénéchal :
Cnrdamum, sénéchal du roi de Babilonne, fut chargé par son
souverain de la garde de sa fille unique, tandis que ce souverain
était en guerre avec un de ses voisins. Cardamum, voyant la
jeune fille belle et sage, voulut la faire instruire dans la loi des
Sarrasins; mais la jeune fille refusa d'écouter les exhortations
païennes cl préféra la loi du Christ. Elle décida même Cardamiirn
à changer de religion. Le Soudan revenu dans ses états, présenta
DES MANUSCRITS. XIX
à la jeune fille, comme devant être son mari, le prince contre
lequel il était en guerre; mais la jeune fille refusa, et resta pure
devant le Seigneur. Le soudan, son père, mourut de désespoir.
Au f° 184, r°, se trouve l' Exemple de Haquesin qui tomme
occist. Cette histoire fort courte n'est autre que le récit des moyens
employés par le Vieux de la Montagne pour décider ses sujets fi-
dèles à assassiner les chrétiens; la voici :
C'est vroy que ils sont aucuns grans seigneurs, en terre de Sarrazins,
qui font prendre potis enfans de demy an , et les font norrir à une femme ,
dedens cisternes , là où ilz ne pueent veoir nul déduit , ne nul esbanoy.
Et quant il sont si grant qu'ilz sevent bien entendre à ce que en leur
dit , si a on osteus fais en telle manière que ilz sont dedens terre. Et poêl-
on vcoir de celui autres manières qui sont noble et plains de tous déduis
si comme de praiaus et de gardins et de nobles vergiers. Et donc y sont
dames et damoisclles cl chevaliers qui se déduisent el esbanoient et chan-
tent, et font la greigneur joye que on peut faîte. El donc les tmdntdlz
enfans que on nourrist en ces cisternes. Lors demandent quel geot ce
sont qu'ilz voyent si noblement maintenir. Cilz qui les cnlmduiscut . si
leur dient que ce sont cilz qui oui occis les Cresliens. El donc sont en
mont grant malaise de savoir en quel manière ilz peussent venir à telle
joie que chascuns convoite par nature. Lors dicnl leur maistre que nul
ne puel là venir devant ce (pie il/, aient aucun Crestien occis. Et donc
sont mont en grant dément de ce taire, m que quant ce rienl qu'ils
■ont granl et parcréU, si s'en aident ainsi comme je vousdirvf; Qiant il
avient que grant meule de Cresliens \iencnl en la terre de .1 lu-ru saletn
el il y en a aucuns qui BOienl dnuté des Sara/ins. dont prennent ce- ll.i
kesuu dont j'ai desus dit, et puis les envoyeni m meeaage aui Cttotîens
et leur dist OD que il de\enl occire. Il ainsi font il tiiurtrir le> Cresliens
par ceula maleurem < tout je vous il ci mute.
XX DESCRIPTION
VI.
N° 7519.
Un volume petit in-f°, parchemin , reliure mo-
derne , en veau ; deux miniatures ; à deux colon-
nes. — Fin du xme siècle.
11 contient :
1° Le Roman des sept Sages de Rome, f° 1 r°.
2° Le Roman de Marquez de Rome, f° 25 v°.
Cette version du Roman des Sages est semblable à celle du
n° 7974. Les histoires s'y trouvent dans l'ordre suivant :
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Auguslus. Hippocrale et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Lentulus. — La Famé enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Malquidas le Roux. — Le vieux Chevalier et la jeune Fcmmi
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Caton. — Le lîourgeois et la Pie.
il. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Matrone.
13. La Reine. — Genius et les sept Rois sarrasins.
14. Merrous. — Le Chevalier à la Trappe.
Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie
.
i»L.S MANUSCRITS. XXIJ
VII.
N° 7534.
Un volume in-f°, parchemin , relié en parche-
min , écrit sur deux colonnes. — xmc siècle.
Il contient :
1° La Bible en vers français, f'° n.
2° Assumption Nostre Dame, f° lxi r°.
3° Orison Nostre Dame, f° lxvi r°.
4° Du Plait de Sapience et de Folie, f°Lxxv°.
5° De Phisike, f° lxxiii r°.
6° De Karlemaine le bon roi (Chronique.de Turpin),
f°cxvnir0.
7° Roman d'Eracle l'empereur, en vers, 1° cxxx r°.
8° La Prière que Dex fist, f° clvii v°.
9° Vers sur la mort, f° clxxi r°.
10° L'Image du monde, f° clxxiii r°.
tl° Roman de Carité, f° ccxxi.
12° Roman des Philosophes, par il/ors de Cambray ,
f° ccxxxi r°.
13° Bestiaire d'amour, par Guillaume, f° cclii v°.
14° «es Sept Sagks de Rome, en prose, f3 cclxxxuv0.
16 Roman de M:irkes de Rome, t'° cclxxxxvi r°.
Ces deui derniers ouvrages sonl incomplets: le premier feuil-
let du Roman des sept Siii/c-s manque.
Celle rédaction du Roman des sept Sages ressemble assers au
texte que nous publions; seulement, après l'histoire de .Merlin,
■n trouve deui des histoires analysées plaidant, d'après léma-
V\ii DESCRIPTION
nuscrit 7069. On n'y trouve pas le conte de h Matrone d'E-
phcse, et vers la fin, le manuscrit qui est incomplet, s'arrête au
moment où le jeune prince commence à parler.
Voici l'ordre des histoires :
1. La Reine. — Les deux Pins.
'2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Augustes. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Tulles. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Malcuidas li Tors. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Caton. — Le Bourgeois et sa Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Marâtre, son Beau-Fils, et les deux Cousins.
13. La Reine. — La jeune Fille, son Père, et l'Amant.
VIII.
N° 9675.
Un volume in-f°parvo, sur papier, demi-reliure
en papier. — xv° siècle.
Il contient :
1° Traicté d'entre Charles , roy de France et le duc de
Bourgogne, 1° 1 .
2° Ordonnances laites en l'eschiquier de Normandie, tenu
DES MANUSCRITS. \\ll|
a Rouen, au ternie dePasques mil iiij c. soixante-trois.
f° 8 r°.
3° Ordonnances du duc de Brabant, de 1463, f° 23 r°.
4° Offres faites par ceux de Gand au duc de Brabant, en
1453, f°29.
5° Histoire des sept Sages de Rome, f° 40.
6° Histoire de Barlaam, Josaphat et Avenir, saints lin-
mites, f° 71 r°.
7° Le Miroir de lame, f° 100 r°.
8° La Vie de saint Anthoinc de Pade (Padoue), en vers ,
f° 113 r°.
9° C'est la complainte des trois Estas de France, de la
mort du roy Charles dernier passé, avec ses e'pitaphes .
(Charles VII), fû 122 r°.
10° Les Fainctesdu monde, f° 136 r°.
11° Significations moult notables et beaux de la messe,
f° 152 r°.
12° La Condamnacion de messire Loys de Luxembourg,
jadis connétable de France, f° 170 r°.
13° L'Eschelle de Charité, f° 177 r°.
14° C'est le trespassemont Nostre Dame et son assumption,
f° 194 r°.
I". Incipit compassio Béate Marie circa cracem, etc., I
205 r°.
1 »l Conte devol, en vers, I 21 2 r .
r, Modèle de confession, avec prières en latin, î° 222 i- .
is Louanges et prières à la Vierge, en latin, i 22»; ? .
1!» Le Jeu des échecs moralises, l 232 i .
20 Hvstoires d'Herode. <!«• Judas el <!«• Pilate, i 280
XXIV DESCRIPTION
21° Discours de la prinse de Constantinople parles Turcs,
en 1453, f> 28.
22° Lettres patentes du roy par lesquelles il décharge les
habitans de la ville de Rouen de Fimpos de vij de-
niers par livres sur les marchandises et denrées cy
déclarée, f° 300 r°.
23° Traicté de la paixd'Arras, en 1435, f° 305.
Cette rédaction du Roman des sept Sages, écrite à la fln du
xve siècle et mise en français de cette époque, est la même que
celle du manuscrit 7974, avec lequel nous avons collationné no-
tre texte; seulement les histoires ne sont pas dans le même or-
dre. Le scribe a commencé par quelques lignes qui rattachent
l'histoire des sept Sages aux annales apocriphes de la France;
voici ce début :
Jadis, après la destruction de Troye la grant , fut par une nourrice
saulvé Marcomeris filz de Priamus et frère de Paris ; et fut par la dite
nourrice aporte à Rome, et depuis en Constantinopole, et fut roy de France.
Et print par mariage la fille du roy do Cartage qui moult estoit noble
dame, sage et de bon gouvernement Et durant leur mariage, eurent ung
filz de belle venue. Et lui estant de l'eage de sept ans, ou environ, la
dame alla de vie à trespas. Après le trespassement de laquelle, le dit em-
pereur et roy manda en Constanlinnpole où il estoit, les sept sages de
Rome, c'est assavoir liaucilas , Lentulus , Cathon, Manquidas , Gesse,
Aussire , Merons , etc.
Voici l'ordre des histoires :
1. La Reine. — Les deux Pins.
i. Baucillas. — LcChcvalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal
\. Avril!,-. Hippocrate et «on. Neveu,
DES MANUSCRITS. \W
5. La Reine. — Le Pâtre elle Sanglier.
6. Malquidas. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
8. Lentulus. — Le vieux Chevalier et la jeune Femme.
9. La Reine. — Genius et les sept Rois sarrasins.
10. Cathon. — Le Bourgeois et la Pie.
11. La Reine. — La Tour du Trésor.
12. Jesié. — La Matrone.
13. La Reine. — La Magie de Virgile.
14. Meros. — Le Chevalier à la Trappe.
Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
Cette version est terminée par le combat singulier du jeune
prince et de Frichart, cousin de l'impératrice coupable. Ce der-
nier est vaincu.
IX.
N° 10024.
Un volume in-f° sur papier, reliure ancienne
en bois. — Fin du xv( siècle.
11 contient :
1° Voyage de Mandeville, f° 1 r°.
2° Histoire des sept Sages de Rome, 1' 89 r°.
Cette rédaction du Roman des sept Sages est la copie d'un
manuscrit plus ancien. Les histoires sont d ms le même ordre que
dans le manuscrit n° 7974. Les derniers feuillets manquent
Ordre d<-s histoires :
I. La Reine. — Los deux Pins.
) BauciUtu. — La Chevalier et le Serpent,
XX VJ DESCRIPTION
5. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Âuxilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Lentilles. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Melcuidras le Roux. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme».
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Cathon. — Le Rourgeois et sa Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Matrone.
13. La Reine. — Genius et les sept Rois sarrasins.
1-i. Mérous. — Le Chevalier à la Trappe.
Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
X.
N° 13. Lavalière. (olim 4096.)
Trois volumes grand in-f°, vélin , minatures ,
reliés en maroquin rouge. Ils sont écrits en lettres
de forme , en caractère de la fin du xme siècle, sur
trois colonnes , et enrichis de 252 miniatures ,
et d'un grand nombre de lettres tournures, en or
et en couleur. (Ce manuscrit a appartenu à l'amiral
«le Graville, dont il porte les armes qui sontMalet-
Graville, mi-parties de Balsac-Enlrague.) (Catalo-
gue Lavalière, t. II, p. 034.)
Ce manuscrit contient :
J Le Roman des sept Sages de Rome, l 1, f I r°.
DES MANUSCRITS. XX VI f
2" Le Roman de Marques, de Rome.
3° Le Roman de l'empereur Fiséus, fils de Dyoclétien em-
pereur.
4° Le Livre de Laurens , fils de Marques, sénéchal de
Rome.
5° Le Livre de Cassiodorus, empereur de Constantinoble.
6° Histoire de Pelyarmenus, de Rome.
7° Du dernier fils des enfans de Cassiodorus.
Relativement à toutes ces suites du Roman des sept Sages,
voyez plus haut, page x. Voici comment sont placées les his-
toires du Roman des sept Sages :
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucilas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Aucilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Lentulus. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Maucuidas li tors. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
10. Caton. — Le liourgeois et la Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
13. Jessé. — La Matrone.
13. La Reine. — Genius et les sept Rois sarrasins
1 i Mereneus. — Le Chevalier à la Trappe.
Le i ils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie,
XXV1IJ DESCRIPTION
XI.
N° 48. Lavalière. (olim 672.)
Un volume in-f° parvo ; vélin ; miniature ;
xme siècle ; reliure ancienne , en veau.
Il contient :
1° Le Livre de Doctrine, f° 1 r°.
2° Le Livre du Gentil et des trois Sages , le Livre qui est
de la loy au Juif, le Livre qui est de la loi à Creslien ,
le Livre de la loi au Sarrazin, 1° 60 v°.
3° Le Roman des vii Sages de Rome, f° 119 r°.
Cette rédaction du Roman des sept Sages diffère peu de celle
que nous publions. Cependant on n'y trouve pas l'histoire imitée
de la Matrone d'Ephèse. Mais le jeune prince, au lieu d'en ap-
peler au jugement de Dieu, raconte l'histoire de la Prédiction
accomplie.
Voici l'ordre dans lequel se trouve les histoires :
1 . La Reine. — Les deux Pins.
L2. Bauxillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Ancilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
G. Lentulles. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
s. Vakptdas. - \x vieux Chevalier ci sa jeune Femme.
9. la Roino La Tour «1rs images, ou la Ma^iede Virgile.
DES MANUSCRI l s. X\l\
10. Coton. Le Bourgeois et sa Pie.
il. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Marâtre, son Beau-Fils , et les deux Cousins.
13. La Reine. — La Jeune Fille, son Père, et l'Amant.
Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
XII.
N° 62. (Compiégne).
Un volume petit in-f°, vélin sur deux colonnes,
ancienne reliure en bois ; imparf. — xui° siècle.
Il contient :
i. Le dit des philosophes, en vers. — Les premiers feuil-
lets manquent.
ii. Chronique de l'Histoire de France, en prose, f° 25 r°
imparfaite.
m. La Chronique de Turpin, f° 39 r°.
iv. Fragment sur l'Histoire «le France, contenant princi-
palement l'Histoire des ducs de Normandie, l 12 r°
v. Explication de la messe, en prose latine, I 59 r°.
vi. Roman des sept Sages pe Rome, f° 02 r°.
mi. Roman de Marquez de Rome, f° 81 r°.
vin. Contes dévots, en vers, f° 135 r ; imparfaits.
ix. Moralités, en prose et en vers, f° 145 r°.
x. Les Quatre ftgefti moralité ru prose, f3 M9r .
m. Lettres du prêtre Jean, f 156-1
mi. Extraits de saint Augustin, en français, f i57r°.
xiii. Fragmens du Roman de la Pouce, f ms i
XXX DESCRIPTION
Cette version ne diffère pas de celle que nous publions d'après
le manuscrit S. G. 1672. Il manque une histoire dans Cette rê-
daction.
Voici comment sont placées les histoires :
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucilîas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Auxilles. — Hippocrate et son Neveu;
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
G. Lantuîus. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Malquidars li Tors. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Tour des images, ou la Magie de Virgile.
10. Caton. — Le Rourgeois et sa Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Marâtre, son Reau-Fils, et les deux Cousins.
13. La Reine. — La jeune Fille , son Père , et l'Amant.
XIII.
N° 1659. (S. Gcrm.)
Un volume petit in-4° sur \vlin, relié en feois ,
à deux colonnes. — xuie siècle.
Il contient :
1° La Vio des pères Hermites, en vers, f° i r°.
2° La Passion N.-S.-J.-Ch., en vers, 1° cv r°.
3° Les quin/o Signes, en vers, f° cxvm v°.
4° Roman i>ks bepi S,m;ks dk Homk, en prose, f° cxm i
l)i:s MANUSCRITS. XXX |
ô° Fragment d'un poème moral, 1° cxxxvi r°.
<> Dit des Contraires as famés, 1° cxlvii r°.
1J Dit des Complexions, fo cl r°.
8° Epistre d'Aristote à Alexandre sur la médecine, f° cl r.°.
9° Réflexions religieuses et morales, {° clviii.
Ce texte du Roman des sept Sages est semblable à celui du
n° 7974 dans lequel nous avons pris nos variantes et L'appendice
n° 1 ; mais il est copié d'après un manuscrit plus ancien. Les
histoires un peu abrégées sont placées dans l'ordre suivant ■
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Augustes. — Ilippocratc et son Neveu.
>. La Reine. — La Tour du Trésor.
C). Lentulle. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
s. IHalquidars U Itmiz. — Le vieux Chevalier et la jeune Femme
'.). La Reine. — La Tour des images , ou la Magie de Virgile.
10. Chaton. — Le Bourgeois et sa Pie.
11. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
12. Jessé. — La Matrone.
18. La Reine. — Genius et les sept Rois payens.
\'i. Malqus. — Le Chevalier à la Trappe.
I.o Fils de l'Empereur. — La Prédiclion accomplie.
XIV.
V-27'i bis. (A'-' Dame).
Un volume petit in-4°, vélin . relie en parche-
min , deux colonnes. — Xiir siècle.
XXX1J DESCRIPTION
11 contient :
1° Proverbes de Marcolf et Salomon, f° 1 r.
2° L'Evangile as famés, 1° 2 r°.
3° Des Famés, des Dex et de la Taverne tout ensemble,
f° 4 r°.
4° De la Dame aux deux chevaliers, f ° 4 v°.
5° De la Damoiselle qui vouloit voler, f° 5 v°.
6° Des Proverbes Seneke le philosophe, f° 6 r°.
7° Ci commencent proverbes ruraux et wulgaires, f° 10r°.
8° Le Pater noster, en vers, f° 14 r°.
9° La Vie du monde, f° 14 v°.
10° La Description et plaisance des religions, par Rois de
Cambray, f° 15 v°.
1 1° Du Pape, du Roi et des maunoies, en vers, f° 17 r°.
12° Les Foires de Champaignes et de Brie, fû 17 v°.
13° Ce sont li roiaumes et les terres des quex les marchan-
dises viennent à Bruges et en la terre de Flandres,
c'est à savoir les choses qui en siventci-après, f°18v°.
14° Ce sont les menières de poissons que on prant en la
mer, f° 19 r°.
14° Ci commence de Groingniet et de petit, f° 19 v°.
15° Des mesdisens, f° 20 r°.
16° Ci commence la confession Renard et son pèlerinage.
17° C'est de Karesme le félon et de Charnage le baron, f°
25 r°.
18° Isopet, en français, f° 26 r°.
19° Le Roman des sept Sages de Rome, f° 46 r°.
20° Du Vilain à la c... noire, f° 70 r°.
21° Fabliau de Morel, P 70 v°.
DES MAM SCttl I S. \\\ll|
ri Marguet convertie, 1° 73 r.
23° De l'Kscuier qui voulait épouser douze femmes, f° 7") r-.
24° Du Chevalier qui lésait parler les , P 77 v°.
25° La Châtelaine de Vergi, f° 84 r°, imparfait.
26° La Vie de saint Patrice, f° 97 r°.
27° Les quinze Signes, f° 104 r°.
28° Dialogue des trois Vis et des trois mors, f° 106 v°.
29° Le Reclus de Molien, f° 110 r°.
30° Roman de Charité, f° 132 v°.
31° LeLaisderOiselet, f° iél r°.
Ce lai a clé imprimé par Méon, t. II des Fabliaux el Contes,
p. 1 14. — Au sujet de l'origine de ce charmant apologue, royez
la première partie de ce volume, p. 71, note II.
32° De l'Art d'aimer, f° 156 r°.
Celte rédaction du Romans de sept Saga contient 1rs iiièinr-
histoires que celle du n» 7974.
Voici l'ordre dans lequel ces histoires smn placées :
I . La Reine. — Les deux Pins.
•2. liaucilas. — Le Chevalier et le Serpent.
:\. La Reine — Le Pâtre et le Sanglier.
i. Anxilles. — Uippocrate et son Neveu.
.">. La Reine. — La Tour du Trésor.
o. Lenlulus. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du iteéchal
8. Maucuidas H 7'ors. - Le viciu ( '.hevalicr cl lajevne Femme
'*. La Reine. - La Magie ée Virgile.
in. Cathons. — Le Bourgeoii el la Pie
I I . ia Reine Le Roi el lee tapi s i
18. Jtué, i.i Matrone.
m.
WK1V DESCRIPTION
13. La Reine. — Genius et les sept Rois païens.
14. Mereus. — Le Chevalier à la Trappe.
Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L'ARSENAL
XV.
S" 232. ( B. L. F.).
Un volume in-4°, vélin, reliure en veau; minia-
ture. — xve siècle.
Il contient :
1° Le Roman des sept Sages de Rome, sons le titre de la
MALE MARRASTRE, î° i T°,
2' De Sapience, f5 58 r°.
Cette rédaction de la Maie Marrastre est postérieure à celledu
numéro suivant, dont elle semble être In copie; on y trouve la
même orthographe et les mêmes fautes. Voici l'ordre dans lequel
se trouvent les histoires :
\. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent
3. La Reine. - Le Pâtre et le Sanglier.
4. Anxilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
ih;s >t aniscli i s. xxxv
6. Colon. — Le Hourgeois et sa Pie.
7. La Reine. — Le Père, sa seconde Femme, ri son Fils.
s. I.intulus. — La Matrone.
9. La Reine. — La folle Nourrice.
K). Jessé. — Histoire d'Anthenor, roi d'Arabie.
11. La Reine. — Exemple du Mal genre.
12. Lentulus. Cardamum le sénéchal.
13. La Reine. — Histoire de Hakesin.
14. Marques. — Le Chevalier à la Trappe.
15. Le Fils de l' Empereur. — La Prédiction accomplie
XVI.
N» 233. ( B. L. F.).
Un volume in-4°, paft&femin , relié en parche-
min. — Fin «lu \iv' siècle.
Il contient :
1° Roman des sept Sages de Rome, sous le titre de Lk
Livre de la fausse Marastre, t'° 1 i
2U De Sapience, f 56 r°.
Cette version du Roman dis sept $pgt . esl Semblable à celle
du manuscril da roi, n° 7060, d'après lequel nous avons analysé
plusieurs histoires, Marfces, fils deCaton, esl élevé par les sepl
v.igcs n\cc !<• lil1- (!<• l'empereur; il s'emploie pour délivrer son
compagnon.
\ oui l'ordre >l njs lequel sonl placées les différentes histoires
i . La Reine. ' es deui ein-
\XXVJ DESCRIPTION
■2. Baucillas. - Le Chevalier et le Serpent.
'). La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
\. Anxilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Caton. — Le Bourgeois et sa Pie.
7. La Reine. — Le Père , sa seconde Femme , et son Fils
8. Lentulus. — La Matrone.
9. La Reine. — La folle Nourisse.
10. Jessé. — Histoire d'Anthenor, roi d'Arabie.
11. La Reine. — Histoire du mal genre m^sart,
12. Lentullus. — Cardamum le sénéchal.
13. La Reine. — Histoire de Uakesin.
14. marques. — Le Chevalier à la Trappe.
15. Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
XVII.
N°245. (B. L.F.).
Un volume petit in-f° sur papier , relié en veau.
— xve siècle.
Il contient :
1° Le Roman des sept Sages de Rome, 1'° 1 r°.
2° Le Débat et Contestation de l'Amoureux et de la Mort,
f° 57 r°.
3° Le Roman de Pierre de Provence et de la belle Mague-
lone, f° 60 r°.
4° Expose'' des Droits royaux , tiré des différentes ordon-
nances, f° 109 v .
DES M\Nl SCKl 1S. WW1J
5° La Connoissance de quel garde de cliasteaux et villes
appartient à l'office deconnestafile, f 125 v .
6° C'est l'ordonnance de la question du Cliàtel de Paris,
f 118 v' et dernier.
Au 1" 10!) r°, à la lin de Pierre de Provence et de la belle Jla-
guclonue, on lit : Explicit le Roman de Pierre, jîls du comte de
Provence, et de Maguelone, fille du roy Magulois, rotj de Naplcs.
— Deo gracias. Par la main de Jehan du Maconnay, chausse-
tier, demeurant à V..., le seeons de novembre MCCCCLXXI.
Le texte du Romandes sept Sages contenu dans ce manuscrit
est la copie d'une version plus ancienne; on y trouve les mêmes
histoires, à l'exception d'une seule, que celles qui sont dans le
in.iniiM'rit que nous avons publié. Voici l'ordre dans lequel ces
histoires sont placées :
1. La Reine. — Les deux Pina
-1. Bazille. — Le Chevalier et le Serpent.
8. La Reine. — Le Paire et le Sanglier.
't. Anxilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
6. Lentulus. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme de son sénéchal.
s Malmidas li Tors. — Le vieux Chevalier et sa jeune Femme
'.I. I.a Heine. — La Magie de Virgile.
Kl. tVifon. — Le Bourgeois et sa Pie.
1 1. i.a Reine. Le Roi el les sepl Sages
13, Jtué. La Marâtre, -on Beau-Fils, ei les deux Cousins
vvvVIIJ DESCRIPTION
XVIII.
N° 246. (B. L. F. ).
Un volume in-4°, vélin, relié en veau, à deux
colonnes. — • xme siècle.
Il contient :
1° Le Roman des sept Sages de Rome, f° 1 r°.
2J Le Roman de Marques, sénéchal de Rome, f° 33 r".
Cette version du Roman des sept Sages est une des plus an-
ciennes qne j'ai vues; malheureusement elle n'est pas complète,
c'est-à-dire plusieurs contes manquent. Voici dans quel ordre
sont placés ceux qui s'y trouvent :
1. La Reine. — Les deux Pins.
2. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpenl.
3. La Reine. — Le Pâtre et le Sanglier.
4. Auxilles. — Hippocrate et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésor.
(>. Lenlulus. — La Femme enfermée dans une tour.
7. La Reine. — Le Roi et la Femme du sénéchal.
8. Mauquidas. — Le vieux Chevalier et la jeune Femme
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
in. Martins. — Le Chevalier à la Trappe.
1 1 . Le Fils de l'Empereur. — La Prédiction accomplie.
DES M\>l S» KITS. XXXIX
XIX.
.Y '2 17. (B. L. 1\).
Un volume in-f° sur vélin , relié en parchemin ,
êi ■: il sur deux colonnes; miniatures. — xive siècle.
Il conlient :
1° Le Roman de Marke, fils deCaton et sénéchal de Kome,
P 1 r°.
2° Le Roman de Laurin , le fils de Markes le sénéchal,
f 56 r°.
3° Histoire de Jules César, d'après Lucain , avec ce titre :
Chi commence li htoire de Julhis César, que Jehans de
Tuym mist enromans, f° 205 r°.
Ce volume contient les suites du Roman des sept Sages dont
j'ai parlé plus haut, page x.
XX.
N°283. (B. L. R).
1 n volume in-r\ vélin, relié en veau; minia-
tures; quatre colonnes. — xnr siècle.
Ce volume est imparfait: une grande partie des miniatures i
été coupée. H contient 365 feuillets, --.nis v comprendre quatn
Xl INSCRIPTION
feuillets préliminaires sur lesquels on trouve un calendrier avec une
indication des meilleurs remèdes à prendre, chaque mois de l'année.
On peut iixer la date du volume avec ce calendrier; il devait
servir pour cent ans , et au f° 2, v°, on voit qu'il était calculé
depuis l'année MCCLXYIII jusqu'en MCCCLXVI1I. Ce ma-
nuscrit était donc terminé en 1268, puisqu'au verso du qua-
trième de ces folios préliminaires, on trouve la table des matières
contenues dans ce volume, avec l'indication des feuillets. Ces
feuillets sont numérotés au verso. Voici la table des matières :
Chi poet lire qui set, et oïr comment les estoires del libre gisent en
ordre, li uns après lesaltres. Li premiers ou H livres commenche, chou est
des oevres Dieu et de ses jornées, comment il fist les coses et totes créa-
tures qui sont en ciel et en terre. Si poet-on oïr comment il cria ses.
angles.
1. f° .ij. Apres vient l'estoire d'Àdan.
.vj. Apres vient l'estoire de Noe et de l'arche..
.viij. Après vient l'estoire d'Abraham.
.x. Après orés l'estoire d'Isaac.
.xij. Après vient l'estoire Jacob.
.xiiij. Après vient l'estoire Joseph.
.xxij. Après vient l'estoire de Moyses.
.xxxv. Après vient de David et de Salomon.
.xxxix. Après ' ient de Joachim et d'Anna.
.xlj. De Nostre-Dame et de son (il.
.1. De la Traïson Judas.
.lvi. Li Regret de Nostre-Dame et de le croit
.lix. De la Chançon David (en vers).
■2. lxij. Delà Magdalaine (prose).
3. .lxiij. La Passion saint Jehan ewangclisle.
I. lxvi. La Passion saint Jake.
Uviij. Le l'as-ion saint Jehan Baptiste
DES MAMSCKIIS.
6. .Ixix. Le Passion saint Pierre (prose;.
7. .Ixx. Le Passion saint Paul.
8. .Ixxj. Le Passion saint Andrieu.
!). .Ixxiiij. Le Vie de saint Nicolaï.
11). .Ixxviij. Le Vie de saint Jehan bouce d'or.
|1. .lxxx. De Vespasianus l'empereur.
12. .Ixxxviij. De saint Julien.
l~>. c. De saint Brandan.
14. .cv. De saint Grégoire.
15. .exiij. De Moyses le Mordriseur.
1(>. .cxiiij. De sainte Taysis.
17. .cxviij. De Marie d'Lgipte.
19. .cxxv. De sainte Kateiine.
'20. .cxxix. De sainte Margherite.
SI. .cxxxi. De Tumbéor Noslre-Dame.
22. .cxxiiij. De Jonas et de la Balaine.
23. .cxxxv. De l'Abeesse que Diable engroissa.
24. .cxxxvj. Del Clerc qui mût por plege le Crucelis.
25. .cxxxvij. De le Empereis qui garist les lieprous.
26. .cil. De saint Ypolite.
27. .cxli. Del Diable qui se fist clerc et devin.
28. .cxliiij. Del unicorne.
*2!>. .cxlv. Del Disputison de l'aine et de cor*.
80. .cxlviij. De Lucidairc.
51. .dix. Del Jor del Jugement.
38, .rlxi. La Table de le mapemonde.
35. .rlxiiij. L'Image du monde el le mapemonde.
34. clxxxiiij. Le Nature d'eslans.
36. .dxxxv. De philosophe et de moralité.
36. .cciij. I.e Bestiaire.
B7. .ccxvij. I.e Lapidaire.
33 ciwij. De Juda- Ma.lialteiiv
i'.t i r|\t\ ,| ||, . m, s(,.is i.i Rovi
Xlj
Xlij 1)KSCRIPTI0>
40. .cclxxxvïj. De Charlon sans rime.
41. .cciciiij. De l'Ordre de cevalerie.
42. .ccxcvj. Del Honor as dames.
43. .ccxcix. Del Honor des princes de terre.
44. .cci. Del Cronikes de France.
45. .cccxix. De la Déesse d'Amor.
46. .cccxxij. De Cristal et de Clarie.
47. .cccxlvj. De Melion.
48. .cccxlviij. De Lay del trot.
49. .cccxlix. De Aristote.
50. .ceci. De Cante pleure.
51. .cccli. De Doctrinal.
52. .ccclij. Les Dis de drois.
53. .ccliij. De Surgie.
54. .ccclsv. De sire Rambier.
.lvij. De la mort Nostre-Dame.
.cxxij. De sainte Juliane.
Au bas du même feuillets, on lit :
CHI SONT ESCR1T LES FIGURES QUARTES IL V A d'oR ET DE COI.OR. DES
FIGURES d'oR I A IL LX.
Et DES FIGURES DE COLOR I A IL .iUj. XX ET xiiîj.
Chi livres fu fais et escript Van mil .ccxlv. (1245) aussi qu'il est
escrii au feuillet, cxxiii .ij. (182) à .i. cel. n.
Cette note écrite ;iu riv' siècle est inexacte et les vers aux-
quels elle se rapporte, font seulement connaître la date de la com-
position de Y Image du Monde, qu'on trouve dans ce recueil.
Voici ces vers qui sont à la colonne lrt du f" 182, v<>.
Quant premerainement fu fais
<il livres, à l'aparission
i»ks mwi BCHI i - ^liij
i h i an del Incarnation
Mil et CC et .\lv. ans (1245. |
Ces vers n'en sont [tas moins curieux; ils lixent, suivant nou>,
la date de l'un des plus curieux de nos vieux poèmes français.
Cette version du Roman des sept Sages est l'un des plus an-
ciens textes. Elle contient le même nombre d'histoires que celle
du manuscrit de la Bibliothèque du Hoi n° 7974.
Voici l'ordre datas lequel elles sont placées :
I. La Reine. — Les deux Pins.
'1. Baucillas. — Le Chevalier et le Serpent.
3. La Reine. — Le Pâtre elle Sanglier.
4. Anxilles. — Hippocrale et son Neveu.
5. La Reine. — La Tour du Trésoi
<;. f.cntuiiis. — i.a Daim enfermée dm une tour.
7. La Reine. — Le Uni et la Femme du sénéchal.
s. Mult/uidurs li lors. Le vieux Chevalier et sa jeune Femme.
9. La Reine. — La Magie de Virgile.
ni. raton. — Le Bourgeois et sa Pie.
I I. La Reine. — Le Roi et les sept Sages.
\-2. .h:\sr. Lj Matrone.
i i Muras. — Le Chevalier a la Trappe.
Le Fils de l' Lmpereur. Le Prédiction accomplie.
Ces nombreux manuscrits du Roman <l<'^ sep(
Sages que j'ai pu i<»us examiner, oe sonl pas les
seuls dans lesquels se trouve cette vieille histoire:
\liv
DESCRIPTION
les différentes bibliothèques de France et des au-
tres pays de l'Europe en fourniraient encore plu-
sieurs versions, et je terminerai ma notice par
quelques indications bibliographiques qui com-
pléteront mes recherches à ce sujet.
Dans l'ouvrage d'Hœnel (Librorum manuscrip-
torum qui in Bibliothecis Gattiœ, Helvetiœ, Belgii ,
Britanniœ M., Hispaniœ , Lusitaniœ asservantur.
Lipsiœ, 183o, in-4°), je trouve les notes suivantes :
Colone 244. Bibliothèque de Montpellier, n° H. 436. Roman des sept
Sages ; sœc. xiv. membr. 8. (Ex. Lib. Orat. Coll. Treco Pithoeani.)
Co!. 892. Bibliothèque de Middle Hill , en Angleterre. Roman de Man-
de Rome. 2. Exempl.
L'éditeur du Dit de Droit, pièce en vers français du xhk siècle (Char-
tres, mai 1834, in-8° de 16 pages), a donné la description du manuscrit
de la bibliothèque de Chartres qui renferme l'ouvrage qu'il publiait ; il a
dit à ce sujet :
Ce manuscrit forme un volume, petit in-4,j, de 142 feuillets, qu'une
main récente a cotés, sans doute pour garantir ce curieux recueil de nou-
velles mutilations semblables à celles qu'il parait avoir éprouvées prédé-
demment. Ce manuscrit, sur parchemin, appartenait autrefois à la Biblio-
thèque du chapitre de l'Eglise de Chartres, ainsi que l'attestent et l'ins-
cription que porte la première page où se lisent ces mots : Ex Biblw-
thcca capituli canonici , et la reliure en parchemin du volume sur les
plats duquel se trouve l'empreinte de la Sainte Chemise. Transporté au-
jourd bui dans la bibliothèque publique de la ville, il est coté !»!• '.
il parait avoir été écrit dans la seconde moitié du kiii' siècle.
Ce reeueil contient les ouvrages sùivans :
i Fragment d'un ouvrage en prose sur les vertus, is feuillets, à deux
mlonnes, de :>'r| li.'ne-;i \g jui^e.
DES MANUSCI'.I I s. v|\
'2° Fragment du Roman des SBPT Sages dk Home, en pBOSI 8 fn II
1 ETS, A DEUX COL.
r» Fragment du Roman de Dolopathos, en vers, 18 feuillets.
Ces deux fragmens ont subi de nombreuses mutilations, plusieurs
feuillets sont déchirés par la moitié ; quelques autres ont été entièrement
.irradiés.
4° Fragment de la Vie de sainte Marguerite, en vers, 4 feuillets de 3r»
vers chacun. Le premier feuillet manque.
5» Ci comence le Ilomcnz de Sapience (c'est la Bible abrégée et mise
en vers par Ilerman).
<><> La Prière Nostre Dame, en vers, 4 feuillets.
"o Le Dit de Droit.
8° Fragment d'un feuillet appartenant a une pièce qui a été arracher
presque totalement du manuscrit et qui se termine par ces mots : Fxpli-
cit de la Vielle Amberée.
9" Fables en vers. (Ces fables.au nombre de 38, sont curieuses et gé-
néralement bien versifiées ; elles me paraissent antérieures à celles que
M. Robert a publiées. Files ont été imprimées, a un petit nombre d'exem-
plaire, pas l'éditeur du Dit de Droit. Chartres, 1834, in-8°.
Dans le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de Berne (Cata-
logus Codicum Mss. Bibliothecœ Bernensis, etc., etc., curante J.-R. Sin-
rbb. Berna, 1772, i'»-N, 3 vol.), je trouve les indications suivantes:
T. III. Dcscript. du manuscrit n" 864, ln-4», p. 384. 9 ■ Ll Rovar
des sept Sages, prosa.
T. III. Description du manuscrit n" 888, in-i . p. 889. 3. Ll Rova>
dis sept Sages, en prose.
ROMAN DES SEPT SAGES.
UOMAN
SEPT SAGES.
CI COMMANCE Ll LIVRES DES .VU. SAGES DE HOME ET
DE l'eMPERERIZ QUI PAU SON BARAT VOLT FE1RE
DESTRUIR1 LE FILLZ L*EMPERBBUD BON FILLABTRE.
Il ot jadis .i. emperere à Rome qui ot non Diocliciens.
Il ot eu fa m m p. D'ieellp femme li In remès i. hoir. Li em-
pereres fu vieuz etli enfez ont bien .vij. ans. Liempereres
apela les vij Bages, chaucua par non : Seingnetirs, dist-il,
dites-moi aa quel <!<• vus ge baillerai mon 611, por apren-
dre1 el endoctriner et enseignier. li ainrnezel li plus
ii j i ■ m . / (m '-m Saget de Rom< parères
a ■mini!- . devant toi /j<>i demander au i/«cl 11 boitera son fil: /*■/
Ifliirti lltfï
l ■
2 ROMAN
riches et li mieuz emparante?, parla premier ; et fu chanuz
et aiisint blanc comme noif. .i. lonc , .i. grelles, et ot non
mesures Baucillas. 11 se torna vers l'emperéeur et parla :
Sire, dist-il, vos le me bailleroiz, ot ge li feré savoir tout
ce que ge sai et tout ce que mi compaingnon sevent , en
•vij. anz. Après se leva li seconz : il ne lu mie ne trop
grant, ne troppetiz; il fu de gentill forme et de belle taille,
et fu entremeslez de chavés ', si que pins i avoit de blans
cheveus que de noirs; et ot non Anxilles. Cil dist à l'em-
peréeur : Sire, à moi le bailleroiz et ge li feré savoir tout ce
que ge sai et tout ce que mi compaingnon sevent, en .vij.
anz. Après se leva li tierz : et fu megres et petiz et blonz . a
uns cheveus crespes, et otnon Lantulles. Cil dist à l'empe-
réeur: Sire, quanque ge sai et quanquc mi compaignon se-
vent, li feré ge savoir dedenz .v. anz, si le me bailliez. Li
quarz si s'est levez em piez ; et ot non Malquidras li tors 2. et
fu uns parlieres, uns gabieres , et volentiers escharnissoit
genz. Cil dist à l'emperéeur : Sire, à moi le bailleroiz, ge
ne puis pas dire que ge liface savoir la science à mes com-
paingnons, mes quanque ge sai ge li feré savoir en .iiij.
ans. Après se leva li quinz et ot non Chatons de Rome ;
de belle aaige estoit et fu entremeslez d<- chavés3. Cil apela
l'empereur et dist : Sire, à moi le bailleroiz, se ilvosplest.
Ge ne di mie que geli face savoir tout ce que mi compain-
■ Vahhmi il In entremêliez de chiennes. Bique le blanc passoit le noir.
MS. da Roy 7974.
= \it\. Malcuidarz li mus. (Id.)
. Vah. Et fu entremêliez de chiennes que li noirpassoiert le blanc. (Id.)
DES shl' I SAGES. 3
gnon sevent, quar je ne conois p as 80jq sens, ae sa ma-
nière, ne sa contenance; mes quanqne ge sai ge li t<n
savoir et aprendre volantiers, au plus tost que il porra i«-
tenir. Apres se leva li sistes et cil ot non Jessé : Sire, disl-
il à l'emperéeur, entendez ça. et cil ont les cheveus plus
jaunes que cire merrie, etrecercelez par derrières, et oui
les ieulz plus vers que .i. faucon muez, ci le nez bien droit
et Itien assis, et lu gros par les espaules1, et u'ot ne barbe,
ueguernon. Cildist à l'emperéeur "- : Vos me bailieroiz vos-
ire fïuz à aprendre et à doctriner et ge m'en entremesfré
tant que vos m'en loeroiz, jusques au cliief de trois ans.
Adonc se leva le setiesme et out non Merons \ Cil dist à
l'emperéeur : Sire, ge vosrequierque vos me merisicz mon
«se, que ^c ai mis en vos, tote ma vie. Mailliez moi
VOSJtre lilz à aprendre et a doctriner , et ge nus <|iiii tout
mon servis* «( si If ni'atiroiz mont Itien nieri.
Là empereres respont * a loz nuiil humblement: Sein-
gneurs, vostre menas de «•<• que mqs me requêtes de mou
pieu, je ne départirai pascestecompaingnie. Il prend son til
parla main et dist : Te le baille a vos loz. Il IVnelimni ei
chaucun endroil soi, l'en rendirent .v. e. mercis; Li sage
emmenèrent L'enfant en consistoire ovesques mis Cest .i.
lieu i h l'en lient lesestroiz conseuz de Home. Si prennent
\ \i. M .irllcs pai les i gtét i M
/ I US porte I I -m l>i irrr.
I "i non Natino. (Id. i
, ii endroit prenl li empirera ion /.' par in main
mj. tagetpor aprendre si pour doct\ têingmit
4 UOMAN
conseuz entre eus que il ne le leroient mie à Rome que H
n'oïst par aventure, aucune vilene parole, ou de borjois, on
de chevalier, ou il entendist, ou de garçon ou do vilein. '
Li .vij. sage esgarderent .i. vergier hors de Rome, à une
liue près de Rome ; et tenoient ce vergier une liue , en toz
senz.
Ce vergier 2 estoit planiez de toz les bons arbres et de
totesles bonnes fonte'mes qu'en séusl deviser. El milieu de
ce vergier, si esgarderent .i. biau lieu et convenable. Si ifont
1ère une grant meson qarrée et planèéive et fort et merveil-
leuse et convenable ; et chambres derreres et loges devant.
Et quant la meson fut tête et aparsomée 3, li sept sage en
.iiij. parties de la meson firent peindre les .vij. arz 4.
Il firent 1ère le lit au vallet à .i. des corgnons de la
meson, si que il pooit veoir les .vij. arz 5. Li sage com-
mencièrent à aprendre l'enfant et à doctriner ; et quant li
.i. le laissoit, li autres le prenoit, et enseingnoit du mien/.
que il pooit, ne ne savoit. Einsint le lindrent .iij. ans6 et
i \ in. Car il i porroilbien aucune mauvaise parole île borjoise, ou de
rliamhcricre, ou de mauves garçon aprendre. (Id.)
» Ci endroit est le jardin ou h .\ij. Sage ont amené l'enfant put
aprendre seu, et pour lui bien endoctriner <ï leur pooir.
3 Vab. El par sourie. (Id.)
4 Imitation du Syntipas. A oyez la première partie de ce volume .
page 94.
sVaf'.. Premièrement astronomie, après nigromanee, musique, anime-
tique, reclorique, dialectique el gramaire. IL tirent Gens le lit au vallet
en .i. des anglez de la sale. (Id.;
li N u;. .\ij. anz. (Id.)
m;s M. M SAGES. 5
tant que il se soûl bien connoîstre es .vij. arz. En après
ces .iij. anz, le tindrent il mont grand terme et tant que il
desputoit jà à eus ton/, de toute clergie. A tant parlèrent
entr'eus ensamble et l'essaièrent en tel manière. Il/, pris-
trent douze fueilles d'ierre' , si en mistrcnt souz chascun
quepolde son lit .iiij. et quant li liz fu fez, le valès se cou-
cha et ne se prist garde de ce ; et quant ce vint au matin,
que il lu esveillez , si garda à mont et à val, et à destre et
i senestre. Li sage se merveillièrentde ce que il le virent
si esbahi; si li demandèrent que il avoit ne oï, ne véu \
El il respondi : Certes, seigneurs, ge le vos dirai : ou la
couverture de ceste maison est abessiee, ou terre est sur-
montée , ou mon lit est hauciez. Li sage regardèrent li anz
l'autre, ei dirent mit ensamble que sages estoit.
Ne demora pus longuemeut que li baron ei li bauthome
de Home vindrent à l'emperéeur et li disrent : Sire , nos
nos merveillons muitque vos ne vos mariez; que vos avez
assez grant terre et grant lennemcnt de coi .iij. enfans
ou -iiij., se vos les aviez, seroient riche home. Prenez
l'aine.
Li empereres lu vieuz et pensa à ce qu'il n'avoit c'un
hoir; et après sa pensée, respondi: Je la prendroietoien-
liers, se ele esioii quise ei vos vos en voliez entremestre;
que ausi n'ege que .i. hoir.
i \ un. .w]. (Vieilles d'ierre, -i en mirent deeoui i bascon peooul de ion
lit .iiij. Id.
■ v» h. si L'apelèrenl el li demandèrenl qu'il avoit ol, neveo, ne >enin
ei qu ii tau detsl i Id. i
0 R0>1 * N
Li baron ' la quistrent eila li amenèrent. Li empereres h*
vil belle etgente. Si li fist l'en entendant2 qu'elle estoit de
hante gent. Li parant à la damoiselle li donerent et li empe-
reres la prist volentiers, ans us et au coustumes du pais et
de la terre. Li empereres l'ama mult et elle lui. Il avint
.i. jor que l'empereres et l'empereriz furent à .ii. seul à
seul, en .i. chanbre. L'en avoit bien dist à l'empereriz que
li empereres avoit .i.'fill, et que se il estoit morz , li hoir
qui istroient de lui seroient hoir de l'empire de Rome3.
Sire, dist l'empereriz à l'emperéeur, se vos avés .i. fill, ausi
est-il miens comme vostre ; par aventure, n'en aron nos
jamès pins. Sera il toziors en mu(c)e? Il a jà .vij. ans que
vos me préistez, ne onques ne le vi; je le véisse mult vo-
lentiers. Sire, par la foi que vos me devez , envoyez le
quarrc > — Dame , dist l'empereres , je l'envoieré demein
quarre. — Sire, fet-ele, votre mercis, quar g'é moût grant
désir de lui veoir.
Li empereres^ apella .ii. messages : Alez, montez et si
me saluez les vij. sn^es, et si leur dites que je leur maug
ni h baron de /.'"/;<< p-reenr une t/amoi-
tele qu il li eut qui$e pur rspouser.
\ w\. El il li lireni entendre i M. i
3 V*n. En ecle chambre où il estoient misl l'empereriz l'emperéeur a
i e on (Id.)
4 Vah. V«ni- avez i omi <p>( empiré tout rostre aage; onr-ques n'eusles
i .mi mestres, ne tant entroduteurs comme vour avez ore. (Id;)
perêrêt ij. m«$êajei devant lui, pour envoie)
■ sun fill.
DES SKI» I 6 ACE S. 7
que il s'en viengnenl etque il m'ameinent mon lill. Quar
je veil savoir et esprover combien il soi , de tant de
lerme oome ils l'ont tenu à escole. Li message s'en retor*
aèrent et s'en vont là où il quidèrenl trover les .vij. sag
11 descendirent au pié de la sale. Li sage lef reçurent a
grafit joie : Li emperere(s) vos mande saluz; et si voz
mande que vos veingniez à cort, à tout son fill ; quar il
vueut savoir que il set, de tant de tens comme vos l'avez
tenu à escole. Etil respon(d)ent: Volentiers. Lijors passa,
la nuiz vint. Quant li sage ore^nt) soupe, la lune luisoit clerc
et belle.
Li .vij. sage ' et le fds l'emperéeur descendirent de la
sale contreval, elvergier. Li .vij. sage esgardèrenl contre -
val en la lune et esloiles, et cliacuns garda bien parlitenienl
en la lune et estoâlles , et virent les eoMteUatioas et les
muaiiees du cor/.. Et quant il orent regardé longuement, si
parla mesures Chatons el dit à ses eampaigaons : Li empe-
reres nos mande et son lilz ausi ; se nos i nions , el nos li
menons, a la première parole que il dira il mora.ei nos ausi
serommes destruil ; ice voie bien , ce dist Chatons, en U
lune. Li autre sage i gardèrent ausi, et virent que voirs es*
toiL li li «allez esgarda en une claire estoille qui,tembloîi
estre à .ij. toisses pies de la lune. Il apella ses mestres et
leur tlist : Véez vos ce que je \«>i en celle estoile clere? Il
resjpondirenl : Qu'i véez- vos? Je voi . fet-il,que se je me
puis tenir de parler \ij. jorst que je Beralgarii de mort et
< endroit ritni i, \i|. taje et le fil Ventpereew el jar,iiti |»nn
aprendre et /»" garder en la lune et ettoMet
8 ROMAN
vos ausi. Li sage escoutèrentce que li valiez ot dit, et gar-
dèrent en l'estoile, et virent que voirs estoit : Par foi, il dist
voir, fel misires Baucillas ; or nos convient conseil prendre
entre noz. — Par foi, dist li valiez, je vos conseillère en bonne
foi : vos véez bien que se je ne vueil morir, que il me con-
vient tenir . v i j - jorz de parler. Et vos estez .vij. Poi s'aura
cliascuns de vos de sens et de mémoire en li, se il ne me
puel passer .i. jor par parole et guérir de mort, moi et lui.
Certes, dist Baucillas, je passerai moult bien le mien. — Et
je le mien, fist eliaucuns. Einsint le certifièrent, et li valiez
leur dist :Or confient que cliaucunsviegne à son jor, à Rome,
car autrement ne porroie je eslre garantiz de mort, ne vos
ausi ; vos seroiz à une liuc ', ci près. Seigneur, vos savez bien
que je arai grant anui, poi Dieu ! or pensez de moi ; je me
met en vostre menaie. » A tant sont parti li .vij. sage elde-
sevré; et reviennent en la sale, et firent bêle chière aus mes-
sages. Mais seur toz les autres, estoit li valiez pensiz 2 tant
que ce vint au matin que li jors fu biaus et clers, le vallès
se leva ; ses palleiroiz fu alornez et le palefroi son mestre.
Cil mestre estoit cil qui leur avoit Ici venir ce que mestier
leur fu, tant corne il oient sejorné iluec.
Li empereres joinne 3 s'en va ei s'en part, malt dure-
^ ai.. Or conviendra que chascuns viegne ;i son jour, qnani aulremenl
ne |»irroit o-tipet vous seroiz à une vile CÎ près, au bore Saint Marlin. (Ici. ;
Va*. Et pensa toute nuit et tout le jour. (Id.y
i Ci m'. nui , se départit valiez le fill l'emgeréeui des .vij. sagesses
meUre$} mull grant duel se sont, ri vient « « ,, /;, ,, emperéeur </w«
; m mi mandé pat le conseil de ■>" famé qui ir vouloit vcoir.
DLs MPI SAGES. 0
ment ploranl, de sesmestre, et s'en vînt ;i Home mult plo-
ranl et durement pensis. Li .vij. sage remeinslrent el bois
seinl Martin. Li empereres oï dire que son lill venoîl , el
si monte et fet monter une partie de ses genz <'t vet encon-
tre son fill.
Li empereres ' ala encontre son fil; si le salue et le
prent par le menton et le liesse et acole. El cil l'encline
et les autres barons ensement : il vienent au pié de la
sale, si desrendent. Li empereres prent son fil par la main :
si montèrent à mont, li empereres demande a son fill com-
ment il li esta ?Et cil li encline, sanz mot respondre : Com-
ment, fet li empereres, biau filz, ne parleras-tu pas à moi?
I.i empereres apele son mestre despensier qui estoit venus
o lui : Gommenl . dist-il, veici que mes fils ne parole? il
:i este ;i maie escole, je cnil qu'il a perdu la parole et là
reson. El cil li respont: 11 parloit hui matin, toutes maniè-
res de paroles. L'empereriz oi dire que li valiez esioii \e
mis et qu'il ne parloit mie ; si en a granl joie. Elle s'atoma
des pins chiers garnemens qu'elle a ci vienl eu la sale, o
granl oompaignie de dames el de damoiselles. Li empereres
el li chevalier se luriicrcnl vers l'empereri/.. Elle vient en-
tre eux : Sire; Paii elle, est ce vostre lilz ? — Oil, lait li
empereres , mes il ne parole mie. — Sire . s'il (impies parla,
bailliez le i , je le ferai parler. Rfull bien par loi. fait
li empereres, je le VOS OtTOIj el je s.ii lui II <|llc je le baillai
au .vij. sn-es bien parlent. L'empereriz le prent par la mein;
ii i mil ni i ii'i ii i ni/1, i , i , \ , ,11 "iiii • •>"!' i< I ii ii btttt <i aecolle
el il lui.
10 ROMAN
il ni voloit pas aler:Alez o lui, distliempereres. Li valiez
se leva sus et vet ol'einpereriz, en ses chambres. L'cinpe-
reriz fist traire les dames et les damoiseles en une autre
chambre, et entre li et le vallet s'asistrent sor une cheuche
d'une coûte pointe coverte, et d'un drap de soie '.
L'empereriz * fesgarda et le voult faire entendre à soi ;
si li dist : Biaux douz amis, biaux douz frères, entendez à
moi : Je ai mult bien oï parler de vos. Par le grant bien
et par le grant sens qui en vos est, vos aim, et por la grant
anior que j'ai en vos, ai je porchacic que vostre père me
prist à faîne ; et je vous ai gardé mon pucelage, si que il
n'ot onques part en moi. Or si vueil que vos m'amez et je
amerai vos. Lors li gita ses braz au col, et il se tnt arriéres,
elle le prent (par le) menton. Si le volt beiser; et lors se
tret aiicore plus arriéres : Comment , fait elle, biaux douz
amis, vos ne parlerez mie à moi , ne ne me feroiz ne joie,
ne déport ;. Cil qui voloit garder à l'onor son père et a la
seue nieisnie, si ne sonna mot. Et quant l'empereriz 4 vil
ce, qu'elle ne treroit parole de lui, ne qu'il ne diroit mot.
si giete sa mein au drap que elle ayoit veslu et à .i. peliçon
< Var. Et s'asirent sus une coustcpoictc mult riche, couverte d'un drap
de soie. (Id.)
n Iroit est l'empereriz en sa chambre, lui et sonfillastre, seul à
seul, ion lit ,quar elle le veut f ère parler.
3 Vu:. Ne ne feroiz joie. (Id.) Cette variante explique le sens du mol
déport.
4 Cest l'empereriz guideront ses dras et set- cheveu* , quand elevii le
oarlet m parltroit pas a lui. et jeta wn cri /«mr faire venir la gent
il lui.
DES SEPT SAGES. 1 1
(Vermine qui mult durement estoit riches et à la chemise
que «•!<• avoit vestue ; si se descire tresqueen mi le piz et
ancore, comme malvezie etmaleureuse, et comme malea-
ginneuse et [»laino de mal art , et de maie guile , \
mains contreval sa face qui mult esloil bêle , et a ses che-
vciis, si en deront une grant partie et ameine ses mains
eontrevai sa face qui estoit belle et coulouréc si l'eegra-
tine el fiel toute sanglante. Et quant elle lut einsi mal
atornée et ainsi laidement , si giette .ii. eriz. Liempereres
ol lescrizlaiz et hideusaset tristres, etli baronqui laestoient
en la sale. Si s'en viennent celé part, en la chancre. Et
quant Ii empereres vit sa famé eïnsit atirée, si fu iriez :
Gomment , dist Ii empereres, qui vos a einsint atrriée ' ? —
Par loi . dise-elle, <i^i déables que vos véez ci. Par .i poi
qu'il ne m'a eslranglée. Se vos ne lussiez si tosl venuzau
cri, je fusse occise et morte , ou il eus! l'ait de moi sa vo-
lenté. il ne vos es! liens, c'est un vil deable; l'êtes le lier.
— .là , par mon chicl. dis! Ii empereres . garde n'en serai,
ne ne renieindra plus ovee moi. Il Ici venir les bediaus qui
servent des genz destruire: -Me/., fet-il, destruiez - moi
icsini qui mon iil devoi! eslre. |.i bediaus rcspoudeni : >>.>s
ferons vostre commandement a.
Il issenl hors de la cliainhre \ m entrent en la sale mi h
i \ au. Qoant liempereret mi I mal atornée celé que ii tant ai i. si fu
iriM ri .nisi eonan bon <iu iena. i Id. i
Imitation do Syntlpajj Popes la première partie de ce rolame, p
• < < ;»i i iirni .i| bediaut !>■ /<// l emptritw pour im mener rfeirrufn
' nu ,lr i ii I iiulri itr In . /mi let aspauli ^
12 ROMAN
haut homme furent, mont esbâhi de celé merveille du (il
l'emperere qu'il ont veue avenir ■; sien sontvenuzàl'empe-
rere et li dient : Sire, nos nos merveillons moût de ce que
vos volez einsint vostre fdl destruire. Mes metez ceste
chose en respit jusque à demein et lors, selonc l'esgart de
vostre cort, soit jugiez '. Je l'otroi, disl li empereres, adone.
et solïerrai le jugement de ma cort. Adonques apelle les
serjanz et ci lor commande sor les elz de lor testes que il
suit avaliez en sa chartre, qu'il ne s'enfuie, ne qu'il ne s'en
eschape. Tantost comme li empereres otainsint commandé
;i ses serianz il lu faiz. Mes desus loz les autres, lu l'empe-
reriz dolanie de ceste chose, et correciée, et marrie de ce
que li valiez est respitez à destruire. Ele pansa et rima et
mormela ainsi faiterement toute jor tresqu'à la nuit. Molt ot
eu son cuer grant errour, car elle ne cuide ore jamès re-
couvrer si bon point de lui destruire comme elle avoit fel
devant ci comme ele avoit porchacié. Ainsint pansa tant que
vint a la nuit que li empereres s'en vint couchier. L'em-
pereriz li list mult maie chière : Qui est-ce, Dame, fait li em-
pereres, que avez vos? quele chière faites vos? dites moi
vostre pansé que vos avez.— Certes, sire, ge le vos dirai :
vos estes mort, vos estes destruit. Venuz est celui par cui
vos serez déséritez et perdiez terre, qui est vostre fil. —
> Vai». !.i haut home de lu terre fQrenl irié de ce que il orcntveu avenir,
et de ce queli emperieres voioit fereson lilz destruire. Si en furent mult
esbahi, ne -<• Borent cornent ee'pooitestre avenu. fld.)
\ ib. Hetez en respit jusque à demain de vostre Blz destruire <i lors
par !•' jugement de vostre mil, l'ode/, w il a mesfet. | Id,
DES MU SAGES. 13
Mes fill ! — Vostre (il/. , vouement, dis-je, s'il vos en puist
ainsint avenir comme il fist au pin do son pineau. — El
oommenl avint-il au pin de son pineau, fet li empereres '
— Par foi , je le vos dirai volontiers.
En cette ville' ot .i. borjois qui avoit un vergier. CM
vergier estoitgranz et biaus et planteiz de bons arbres.
I us h milieu de ce vergier avoit .i. pin qui estoit si grand
et si biaus, et si droiz et si alingniez que nus plus. Li
prendons fistquerre des meillors terres que pot trouver et
mestre au pié du pin. En après un poi de tens trespassc.
M pins s'esgaja <'t vint à volant*', si (pin mit se merveil-
liôiont. De l'osgajement du pin leva .i. petit piniaus d'u-
nes des maistres racines. Si vint à volante le pciis piniax
nmlt durement. Entre ce9 choses, li borjois entra <'ii si n
vergier, <-i si vit le | > î 1 1 < ■ : 1 1 1 levé du grant, si en ni grant
joie; si fisi querre de la meillor terre que l'on pot trover
el la list mestre an pi<; du petis pinel; et li piniaus vint à vo-
lenté, et tant que lipreudonsfu alez en sa marchandise, si
demora longuement. El quanti! fut revenus, la première
chose que il fist, si ala en son vergier voir son petit pi-
neau, si !<• \ii ton par une branche du grant pin. Si apela
son jardignier: Qu'est ce? comment vace?porcoi est tors
mes petiz pineaus?— Sire fait li jardiners, en ne vëei vos
porcoi? Nenilvoir, dist li preudons. — Sire, gelé vos di-
rai. Esgardez contre mont, si verrez que la branche d«> ce
i <i endroit ni le vergier ou le i»" est, ri le iirtit pinel qui est ilrmz
/•■ granl pin auquel il doitta force
1 4 ROMAN
grant pin le lient et qu'il ne puet aleren avant.— Copez la,
dist li borjois. — Sire, fait-il, volantiers. Il prent la coigniée
et met l'eschiele en haut , et fiert , et refiert tant qu'il a la
branche copée. Et quant il l'ot copée, li preudons s'escria :
Cope encore, fai li voie. Etcil respont: volantiers, sire, à
vostre commandement.
Or, sire, fet li empereriz, ' est ja li granz pins por son pe-
tit pineau, tondu et bertodé et enlédiz ancore jà plus, car
li pineaus vint à volante et s'esgaja mult et de resgajement
de li et de sa force si souleva une des maistres racines du
grant pin. et quant li grant pins ot perdu une de ses mais-
tres racines, si sécha de celé partie , et lu sanz fueilles et
sanz verdor de celé part, et li prcudon(s) vint à son vergier,
et il vit le petit pineau qui fu grans et biaus et vint à vo-
lante. Et vit qu'il seurmontoit parbiauté le grant pin et vit
que li granz fu séchiez d'une partie, si distà son jardinier :
Qu'est ce, fait-il, di moi porcoi cist grant pins est séchiez?
— Porcoi, sire, dist li jardiniers; ce fait l'onbre de vostre
petit pineau qui l'a einsint sormonté en toutes choses. —
Or le cope du tout, dist li borjois, or endroit, véaut moi.—
Sire, volantiers, dist li jardiniers. 11 prent la coignie si le
cope etdetranche tresque entre.— Or, sire, dist l'empere-
riz, or est li pins copez et est à honte livrez por celui qui
est issus <le lui. Et autresint doit chascuns dire de vostre
fil qui est et lu de vous, qui vos vient jà a mal et toute la
m et tout li empires en est jà contre vos; et se painent
• Ci endroit eopeHjordinierfsJ la grant i>i>< ]>nr i amor ée son petit
pinel qui /» avoit tolue sa force ci </'<e il m mi tewmonté.
DES M.i'i SAGES. I '>
muli durement de vosdeserlter et de vos mettre aval. Kt vos
estiez hier en midi bon point de vos adelivreret de mettre
vos hors de peine, et a toz iorz mes. Et por ce que vos ne h
l'eistes, quant vos en venistes en leu et en aise, si vos en
put ausint avenir comme il fist au pin de son pineau. —
Par mon ehief, dist li empereres, il ne m'en avindra pas
• liiiMiii, '-ai' il mora le matin.
A tant remestrentles paroles jusque le matin; et quant li
empereres lu levez, si apela ses sers : Alez, l'ait-il, traie/
non lil de la jeoille, si le destituiez ; par mon chief, se vos
ne le faites, vos i morroiz de la mort dont il doit morir. Li
ciï i-espondirent : A vostre commendement. Il traient le
valiet de la cliartre. Les portes lurent overtes, et la sud
SWple des baroos de la terre, et des chevaliers. Il virent
que li lerf amenèrent le valiet; mit cil qui le virent en
oreni pesance à lorseuers. Cil L'ameinnenl par mi la rue.
A tant e/. vos que li premiers des sages vient. Il encontre
le vallelque li serf menoient pandre. Li uns ne sonna mot
a l'autre. .Messire Lancilas s'en passe outre et vient au pie
du degré de la sale, si deseeul ; assez lu qui s. heval
prist. il s'en monte les degrez à mont, el vient en la sah'
el toueverenaperéeuretdial : Sire, Diex vos doinl hou jor.
— .la Dex ne vos beneie, dist li empereres, assez i a por coi,
et je le vos dirai : Je vos avoie haillie mou lil a endoctri-
ner et a aprendre , a vos el a vos compaiognons comme a
celz que ge moût amoie et eu qui je me Soie. Nos l'avei
tenu |iar iij. auz. La première doctrine que \os li avei
apris, si est que vos li avez lolue la parole ; la seconde qu'il
VOUI prendre ma lamine aloive;c| des autres maitvesses
10 ROMAN
teches il a assez. Por coi je le faz destruire. Comme il sera
deslruiz, sachiez que vos morrez après; et vos et vos com-
paingnons. — Sire, dist mesires Baucillas, vos dites qu'il a
perdue la parole; pur ce n'a il mie mort deservie. Or est
graindes reson que l'on li face mult de biens que l'en ne
fist onques; et si volloit prendre vostre famé par force et il
fust veritez, por ce n'a il mie mort déservie; mes l'en le
devroit tout courocier. Mes sauve vostre grâce, et sauve
vostre parole, et sauve vostre révérance, je ne cresrai nui
qu'il le s'en pensast onques. — ïl n'y a si mal qui ne père,
comme celle qui est toute dessirée, et toute eschevelée, et
tote mal alornée. — Ha ! sire, dist Baucillas, ele ne le porta
pas en son cors .ix. mois', et se vos, enceste manière, le vo-
lez destruire, por le dist de sa marrastre, et mal mener, si
vos en puisse avenir ainsint comme il fist au chevalier de
son levreier. ■ — Gommant avint-il au chevalier de son le-
vreier? — Par foi je le vos dirai volentiers; mes je ne l'vos
diroiemie, se vos ne respitez vostre fill de mort; car ein-
çoiz que je le vos eusse conté, seroit-il mort, s'il ne vau-
droit néant mes contes. — Par foi, dist li empereres, et
je le respitenii; envoiez le querre. » Mesage coururent
qui rameinnent le vallet arrière; quant il oï la novelle,
il otgrantjoie. Li vmIIcz retome arriers et s'en vient par
devant l'emperéeur, ei. li encline.Etliserjantle remetenten
la joiole arrière, aval. Et quant il orentee l'ait, li empereres
apelle Baucillas par son non et li disi : Or dites. — Certes,
l;iit-il, vol an tiers.
1 ms. H- 797 i. noire MS. portail ; Elle nela porta pas en son propre cors.
DES SI l'i SAGES. 17
Il avinl jadis \en ceste vile, par un .i. jor qui est apelez
If roi «les (lienienclies, c'esl te j<>r «le la Trinité , que mit
chevalier se doivent déduire sur lor clnvaus et pendre les
escnz au eos. El si avinl que li chevalier de teste vile s'alé-
reni déduire es pivz; et li prez estoient joste la meson à .i.
vavasor. La meson estoit close de mtirzviez et anciens et
crevés. Et il estoit riches et manenz , et avoit un petit en-
fant en bercel, de sa lame. Li enfès avoit .iij. norrices. La
première servoit de l'aletier, et la seconde du baignier, et la
tierce des dras remuer et de concilier. Li vavasors avoit
un lévrier bel et grant et isnel, si que à toute riens J que il
couroit il ateignoit, et lot qant que il ateignoit il prenoit.
Li lévriers estoit si bons que nus plus; et li chevaliers l'a-
moit tant que nulle riens née il n'ainoit tant. Li vavasors
s'en est issuz sor son cheval, l'espée ceinte, l'escu au col,
la lance cl poing, avec les autres. Et la dame lu issue hors
de la porte, sur le pont torneiz. El entre ces choses, les
norrices orent aporle reniant dedanz le bercel, au pie du
mur, et s'en furent montées par desuz le degré, conlreinoiu ,
as aqiiarniaus (. Li chevalier commencèrent a béorder les
uns contre les autres, .i. serpenz se lu norriz cl mur. Li
serpent m la noise et la tumulte des escuz et des lames
( i endroit est ir chevalier qui avoit le '""i lévrier, ju'U amoit
huit comme Hom i>"t (mur ton lévrier.
Cette histoire esl imitée du Pantcha-tantra, di* Syntipaa, ci de Sen
i iii.u Voyei la première partie de ce volume j pagea54et IfO.
\ m. Qui a toute* lea choies nu il coroil ataignoit. (Id.)
i x w i.t montèrent aus creniaus du mur parle Id
18 ROMAN
et des chevax; si s'en merveilla, car il n'avoit mie ce apris,
ne acouslumé. Si leva la teste, et se mist hors mult viste-
ment; si s'en vint par nne des crevaces du mur, en la cort
au vavasor, et en la porprise qui mult iert belle. Si s'en
vint maintenant vers le bercel, où li enfes estoit laissiez de
ses norrices. Li lévriers estoit sor le soil de la sale, et ot oï
la noise desbohordeors. Si vint le serpensgrant et gros; et
estoit hideus et porpris de rouse coulor. Venimus estoit il
en loz les manbres de lui. Li lévrier, quant il le vit venir
vers le bercel, si fiert des piez à la terre, et grate mult du-
rement ; et s'en vient vers le serpent, si le prent par mi le
gros du ventre. Li serpenz lieve la teste, si le prent par mi
le col, au denz , si que le sang en issi. De la doulor et de
l'angoisse que li lévriers senti, et de la morsure du serpent,
et de la doulor du venin qui encore le grieve plus, si es-
truie par derriers soi le serpent , par desus le bercel , et li
lévriers après, par desus le bercel '. Et li bercels torne
tantost de desos desus. Mes itant ot d'avantage que li dui
chevecel du bercel ci eut si haut, que li vis à l'anfant n'a-
désa mie à la terre. Et la bataille recommance du serpeni
et du lévrier; et tantôt li serpenz s'en volt aler et départir
du lévrier. Mes li lévriers le prent par mi le gros du cors,
par itelle partie où il l'avoit devant pris, mult fulenesse-
ment. Et li serpanz lieve la teste; si le prant mult aigrement,
en ecle partie du coste où il avoit devant ce mors. Et li
lévriers crie de sa doulor qu'il senti ; si le restruie par
■ Vat\. El puis retorne au Migrent, el il saut par desus le bercel, et
le lévrier après. I M)
DES SEP1 SAGES. 19
Iimis le lierccl, el li serpanz s'en cuide akr, et li levriei -
saut :iv;mt '.
Si recommencé ' la meslëe d?éls .ij. et la bataille, ei que
toi li bercels eâl sanglant, à trcstoute la place, et l'erbe
ensenglantëe. Et en la fin de la meslée, li lévriers le pranl
pat mi la teste, si l'estraint de son pooir, si l'ocit. Si ol li
lévriers si grant ire an soi, por ce que il avoit si ledement
navrez, qu'il ne le volt mie à tant lessier; ainz le tronçonne
en .iii. tronçons, si le lesse. Ai tant de la niellée qui i 04
este, lu le bercel ensenglantez et tretoute la place; et li lé-
vriers, que du sang, que du venin, fu Iaizethideuset anflez
et ensanglantez. H s'en entra maintenant en la sale et se
coucha et commança à crier et à brère, et à devostrer soi
parmi bans et par mi liz, e! par cou verl lire et par mi la terre;
et crioil et liulloit mull durement . comme cil qui estoil
destrôiz malt aigrement de mal. 11 fu vespres basses; el
holionleiz des chevaliers remesi . et cliascun s'en ala à
si.ii ostel et a son herbérjage, si comme il dévoient l'aire.
Les oorricès vindrent conlreval lesdegrez du mur, ei virent
le bercel tôrn'é et tout sanglant, éi la place toute sanglante;
et vinrent vers le lévrier qui crioil el huloit el braoit. Si
quidèrenl qu'il fust enragiez èl hors du sens, el qu'il etfsi
raillant manigié et estranglé, por ce qu'il te virent sanglant,
el si lailel si liiilcus. Si comnieiicièrenl a crier cl a bain-
■ \'wi. Le lévrier crîa de la doleur qu'il senti si res&illi pai de
le bercel, -i ijin" li briers en Futouz sanglant. (Id.
■ii est /,« bataille du lévrier ci du terpent , ih>
\ entrer equièrmt, lesta bercel àl'anfant
20 UOMA>
lor paumes et descirer lor cheveus, et disrent : Ha ! lasses l
lasses! clietives! que ferons nos? fuions nos en. Cist con-
saus fnst tost pris, et fièrent des piez à terre , si s'en vont.
En ce qu'eles passoient la porte, si trovèrent la dame sor
le pont. Quant la dame les vit si effraées, si laides et si
hideuses, si leur demande qu'elles avoient? El elles li
respondirent ensemble : que li lévriers estoit enragiez,
si avoit mort son enfant et estranglé. A iceste parole , la
dame giete un cri et se paume. Ele ot esté une pièce en
paumoison, et quant ele fu revenue, ses sires vint sus son
cheval, l'escu au col, et ot déduit et boordé avec les autres.
Il vit sa lame qui li dist que ses lévriers qu'il amoit tant,
estoit enragiez, et avoit son enfant mengié et dévoré par
maie manière : certes, fait li sires, ce poise moi. Il s'en
passe par desus le pont torneiz, et s'en vient en la cort, aval,
et descent. Il fu assez assez qui son cheval tint, et son escu
et sa lance. Li lévriers connut le cheval son seigneur, et
pensa que ses sires estoit venuz. Il l'oï parler, et saut en
piez, si malades comme il estoit et si sanglant. Il vit son
seigneur, si s'en vient vers lui, au plus tost qu'il onquespot,
et li sailli en mi le piz, devant.
Li sires ' fu mult durement irez et courociez des novelles
de son enfant que li lévriers avoit mort ; si tret l'espée, si li
cope la teste. Li sires baille l'espée à essuier à un vallet, et
s'en vet tantostvers la sale, si regarde vers le bercel, si le
. Ci endroit est li chevaliers qui a copé la teste à son lévrier
qu'il amoit tant , porcequ'il cuidoit qu'il eust mengié son fil , pour le
cri à la dame.
DES mJ'I SAGES. 21
vit loiit sanglant et la place toute sanglante. Si s'en revient
celé part, si troeve les .iij. tronçons du serpent. Si se mer-
veille mult durement, et se saigne; si s'abessa, et met la
main au bercel, si le torne ce desoz desus. Si a trové ren-
iant vivant. Si apele la dame par mult grant ire, et pUlsors
genz qui estoit venuz veoir celé merveille; il lor monstre
la merveille du serpent qui estoit tronçonnez en troiz. Kl
regarde vers le lévrier; et sot de vérité que li lévriers s'es-
toit combatuz au serpent, pour l'enfant garantir. Sise torne
vers la dame et dist : Ha! dame, mon lévrier m'avez fait
tuer pour ce qu'il avoit vostre enfant garanti de mort. Si
vos ai créue, si n'ai pas fait que sage, mes itant, sachiez
que de ce que je vosaicreue, et que je ai fetpar vos, et par
vostre conseil , nus ne m'en donra la penance, ge meis-
mes l'en prendrai. Il s'asict et sefet deschaucierà .i. de ses
valiez, et cope les avan piez de ses chauses, sanz regarder
lame, ne fil, ne héritage, ne or, ne argent, ne richeses
qu'il eust, si s'en vest en essil, pour le corrout de son lé-
vrier, si que nus ne pot savoir où il estoit alez. — Or, sire,
dist mesires Baucillas à l'emperéor, ainsint ala il de ce
chevalier qui lu perduz parle conseil de sa famé. Ainsi
vos dis-ge bien que se vos, par le conseil vostre famé, vos-
tre lil destruiez, sanz conseil prendre a vos barons et à vos
homes que ge voici asemblez, si \<>s en puise ainaiic ave-
nir comme il lisi au chevalier de Bon lévrier. — ■ Par mon
chief, disi li empareras, il oe m'en avandra pas ainsioc, Be
l>ie\ plesi , car il ne inorra pas ainsi ne. Sire, disi nie-
sircs Baocilas, v. c. merci/, et vos iei-.Pi/ que sages; car
lout M n les vms liarroil el \os inaiidiroil . Il lu tari el la
11 ROMAN
cori se départi. Les portes lurent maintenant closes et li
emperères vint à l'emper(er)iz; ele fu irée por ce qu'elle ne
pot acomplir son bon, ne sa volante, si fist mavèsechière.
Li emperères la regarde; il la vit belle et gentc et blanche
et joinne; si la regarda mult visieument, et com plus la re-
garda, plus esprist des'amor. Si l'apela et li dist : Dame,
qu'avez vos? — Ha! sire, dist-ele, com je suis corrodée ;
non mie por moi, mes por vostre perte qui est grant, et por
vostre grant dommage et por vostre grant avillance que je
vois qui vos nest et qui vos sort. — Dame, por coi? — De
ce deable que vos appelez filz, quiestvenuz por nosdese-
riter. Si vos en puisse il avenir ainsi comme il fit au sen-
glier qui fu pris en gratent. — Comment, dist li emperères,
lu il pris, en gratent; dites le moi. — Par loi, je le vos dirai .
llotencestpaïs1, une forest grant et merveilleuse, et plan-
teives de fruit et de bochage. Un (s) sengliers se fu noriz en
celle forest ; il fu granz et pa(r)creus et fiers et orgueilleux,
que nus n'osoit aler celle part en la forest où.li senglier;-
feust. Kn mi la forest avoit un prael ; au milieu de ce prael,
si ot un alier qui fu grans et merveilleus, et bien chargiez
d'aHes meures. Li sengliers si venoit chacun jor saouler
lue fois un pasteur ot adirée une seue besle, sise fu férue
en la forest. Li pasteurs vint celle pari, soz cel alier, si con-
voita les alies (pic il vit à la terre si meures; si s'abesse et
■ Ci e$i li alier, et le pastor qui rampe contre mont, pour lu pnom
i)t $ehgHei qui est detoz venus, poui mengier h's alies.
c.ctic lii--S'>i il imitée du Syntipas. Voyez la première partie de ■•
volume, pages 109, i i i
DES SI. M SA< '
les commence à cueillir tant qu'il en ot empli un de ses
girons. Et entrementre qu'il emplissoit l'autre , à tant es
vos le sanglier ! Li paslors ot paour, quant il vit le sanglier,
si s'en volt aler. Mes il vit le sanglier si aprochier de lui que
il sut bien que fuir ne valoit riens. Si regarda l'alier con-
tremont, si monte sus, einsint comme il pot mielz. Li san-
gliers vint vers l'alier, si commença à mengier; s'il se mer-
veille multdurement de ce qu'il ne pot aulretant iroverde-
alies comme il soloit fairedevant.il regarde contremont ,
si voit le pastor sor l'alier. Si fu iriez et commença à ma-
chier et à escumer; et commença ses .ij. piez à aiguisier
contre la terre; si fiert dedenz contre l'alier, si que tout
en trenbla li arbres. Il fu avis à celui qui estoit desus , qui
deust brisier par mi. 11 regarda vers terre, si vit que li sen-
tiers n'ot que mangier. Il met la main à son giron , si le
destache el let chaoir les alies. Et li sengliers commence
;i mengier; et quant il ot mangié, cil relesce aler l'autre
giron , et li sengliers commence à mengier. Et en ce qu'il
enlendoit mult à mengier, li pastors se tinta une des main-,
à la branche, et l'autre mist sor le dos au senglier, et com-
mence à grater. Le senglier se sent saous, sise tarqui sus
ses ij. pic/, derrière, et puis de cens devant ; et cil com-
mence a grater, et se tint a la branche remuement, et si ii
met u main sor l'autre el eomincncc ;ï grater. Et le sen-
glier se couche , el cil du grater; el li sengliers clol les
ieulz, ei (il descent souef de l'arbre, el ne cesse mm do
grater. Il vit que li sangliers ot les el/ elos, si li mièvre le
ieli et la tête de sa cote, si grate fort à la senestre main.
si Iraisi le cOUtel de la gaine 0 la désire main . Li pastels lu
"24 ROMAN
lois et verlueus, et ne s'espoanta mie; si le liert très par mi
outre le cors, eu droit le cuer. Si recueure et fiert autre-
lois, très par mi outre la eoraille, trèsqu'au cuer, sil'ocist.
Li pasteurs s'en ala qui à celle t'ois, ne voult plus fere , ne
despecier, ne porter an les pièces. l
Or , Sire , dist l'empereriz , avez vos or oï corne li sen-
gliers qui estoit si forz et si vielz, et si granz et si fiers, est
morz en gratant, et .i. chaistis pasteurs qui riens ne savoit,
l'a ocis, autresint est-il de vos. Or voi je que cil sage, par
lor blande parole et par lobe, vos vuellcnt destruire et
deseriter. — Parmonchief, l'ait liemperères, vos dites voir;
mais sachiez, je ne les en crerai mie , car il morra le ma-
tin. L'empereriz respond : Sire, vos dites bienetque sajes.
V t;intlessèrent très qu'à lendemain qui ne parlèrent plus.
Au matin, se levali emperères; si furent les portes overtes,
et luit li huis; et li paies ampli de contes, de vicontesetde
vavasseurs. Et maintenant, li emperères apele ses sers :
Alez , fait-il , et si prenez mon fill , et si le destruiez 2 —
Sire, volanliers. Cil firent son commandement, et quant
il l'amenèrent par devant lui, si lui demandèrent: Sire,
de quel mort morra? Il respondi au sers : Pandez-le. Il
respondirent : Volontiers. Il s'en partirent; et en ce qu'il
avalèrent les degrezde la sale, et il entrèrent en la rue,
le cri lieve de la gent qui pitié avoient du vallet qui aloil
• Ci parole du paslur qui est descendu» de l'orbe pour tuer le sen-
<jiicr </u» est endormi detos l'orbe, iî le grate " une im-in <i de Vouin
te tue de son coutel.
> Vab. si le menez destruire. <i<l i
DES SIll'l SAGES. -•'»
;i sa destruction. A tant es vos un des sages qui ses mesires
estoit; et avoii non Auxillcs '. Et regarde sou desciple « 1 1 ■ « -
l'en menoit à sa destruction; si en olgrant pitié, si s'en
passe outre , si hurle le cheval des espérons tant qu'il vint
au degi ■(■/ .de la* salle. Il décent et s'en vet devant l'empe-
reur, si le salue. Li emperères ne li respontmîe a son sain,
ançois le commance durement à menacier et dist : Je vos
avoir baillié mon lillsicomrneà dame Dieu, à aprendreetà
enseingnier, si comme vos m'aviez encouvant; et vos li avez
lolete la parole. Par celui qui Dex avon, mar l'avez fet.
Je vos en rendrai le guerredon. — Sire, fait mesires Au-
xilles, bienai oi une partie des choses, comment clessunt
alées. Li inautalenz n'est mie por ce qu'il ne parole , antre
chose i a. Mes se vos volez en ceste manière, destraire vostre
(ill, si vos en puise il avenir comme il avini à Ypocras de son
neveu. — là commant l'en avint-il, dist li emperères? — Par
loi, je le vos dirai mult volanliers ; mais se je le vos avon
commandé à. dire , vostre flll seroit ainzeoi/ destruittoi
bêlement que je l'eusse coule: si ne vaudrait mes dires rien/ .
Mes se vous le volez respiter, je le vos diroie, etquand.je
l'aurai dit, si en lestes vostre volante. — Celles, fait li empe-
rères, je l'ostroi, je le respiti rai volanliers. Asm/ i otmesajes
qui cm m cni, pour ramener le vallet arrière. Et en ce qu'il
s'en venoil par devant L'empei eenr el pardevanl son mesln.
il lor anclina; il lii mené/ en sa geolle. Mesires Anxillr-
commença son conte.
v m. m tvoil non lugusta i «i
Va» Mettre kugiutei i « i
20 ROMAN
Sire \Ypocras fui li plus sages mires que Peu peust trovet
en toutes terres. De tout son lignage il n'ot que .i. neveu
À celui neveu ne volt il riens aprendie de son sens, n<
riens dire. Neporquaul li vallès se porpansoit que aucun«
chose li convenoit il savoir. Si enlendoit et metoit s'en
tente de son pooir. Et tant fist qu'il se descovri vers so
oncle1. Ypocras regarda et vit qu'il sot assez. Ne demor
guères que nouvelles li vindrent que li rois de Hongri
avoit .i. fill malade; si manda Ypocras que il venistà li. 1
il li manda qu'il n'i pooit aler, mes il li envoieroit un sic
neveu. Il a comandé à son neveu que il s'atort , et il s':
torne; et il charge son neveu somer3. Et il erra tant que
vint en Hongrie, au roi. L'en li a amené l'enfant devant.
le regarde et esgarde le père et regarde la mère. Il prai
la mère, si la maine à une part, et lor demande lui i
d'euls trois. L'en li moslra trestoules ; et quant il les i
veues, il pensa mult parfondement, en son cuer, et les pr<
vit encore une autre foiz, et apela la roine : Dame, dist-.
qui fill est cil enfes ? de quel home fu il engendré? — Sir
ilcstmesfillzetfilzdemonseingnor. —Dame, je crois bifl
qu'il est vostre filz , mes il n'est mie filz de vostre seit
■ Ci paroles a" Ypocras et de son neveu au quel il ne veut ri
apprendre de son sens.
Pour l'origine de celte histoire, voyez la première partie de ce volun.
page (54.
■' Var. Si entendi moult et y mist grant entente. Et tant tist q
en sol et qu'il descouvri à son oncle Ypocras son sens. (Id.)
3 Var. il commanda son neveu ;i atorner e1 licharja i m, min
ii < i i-i qu il s en alast avec les mes igi I
h! s MCI SAG1 S. li
ç;iiettr. — sire, si est, dist la roine. — Non est, dame, etsé vos
ne médites antre chose , je m'en irai. — Sire, se je savaie
que vus le me deîssiezé certes, je vos Ferolé feregratol
honte. — Dame, <list-il, je m'en irai, car s»- je ne sai la vc-
rhé, je ne li donroie mie la gnarison. Il s'en part <'t com-
mance à trosser1. Quant la roine voit ce, si le rappelle ri
li dist: Sire, je le vos dirai, etpor Dieu, gardezque n'en soit
parole. — Dame, non sérail. — Sire, ilavint que li quens de
Natal nr vint par eest païs, si herberga o mon seihgneur; et
tant qu'il me plut, si qu'il jut o moi et engendra ce vallet.
Sire, ponrDeu, or n'en parlez jà. — Non ferai-je,dame; il
est avoltre, je li ferai poison àavoltre: donne/ lia mengîer
char dé bnef. Il tirent son commandement; tantost comme il
m ol mnrigié , si gari. Quant li rois vit qne ses lïlz esloil
gari/, BÎdone a «fini de SOn avoir. Kt s'en revint à son oncle
Ypocrasli demanda : As-tn l'enfant gari? ( >il. Sire.- Que
li donas-tu? — Chardebuef.- Dont estoifril avoltres?
Sire, voire. Sages es, dist Ypocras. Tantost, pensa Y pocrat
félonie et niautalant vers son neveu ettralson. Il a pela : I
niés, dist-il , venez après moi, en eel verrier. Il enlrèrenl
ens, par le guichet; el quani il tarent en milieu: Dell dis i
Ypocras, eom je sens nue bone herbe. Cil s;mt axant, si s'a
jeuoilie , si l.i quesl et li :i| t.rle, et li dist : Sire, vit/ la ci.
El il la prent en sa main : Vi irs est, dis-il, liians niés. Il a(ll
encore plus avant : ( Ire en seul , fait-il, encore nue meilloi
Cil vient avant, si s'agenoillc pour cueillir la. V puera s se lut
bien appareilliez et trel un coustel, si vient après le vallei
\ \i Lors s'en purl el cornai uça •' i rolloi le cbief. I
28 ROMAN
si lefiert, si l'ocist par mi tout ce. Encore fist-il plus: il
prist Irestouz les livres qu'il avoit, si les ardi. Si fuel mal
de la mort; si ot menoison : ce sont li mesage de la mort.
11 fist querre un tonnel d'un mui , si le fait amplir de la plus
clere fontaine que l'en puest trouver ; si fait les fonz per-
cier en .c. leus, si il fist .c. broches'; si i mist poudre
an dedanz, environ chaueune broche, si mande plusorz
genz et de ses amis : Seingnor, fait-il , je sui à la mort;
ge ai menoison. Esgardez; ai-ge ce tonnel ampli delà
plus clere fontaine que l'en peust trover. Or traez tous les
doiz. Et chascun trait le sien, et s'il n'en oissi onques goûtes
d'eve 2 : or poez veoir , fet Ypocras , que ge puis ceste fon-
taine estangchier, si que point n'en puet oïssir. Pourquoi
germe ele en ce tonnel ? Et moi ne puis estangchier. Or
puis ge bien savoir que je me muir. El voir dist-il ; ne de-
mora mie lontterm-.ne que il fu morzet trespassez. — Ore,
dit messires Auxilles à l'emperéor, or est Ypocras mort et
son neveu mort , par la main de son oncle et ses livres ars.
— Certes, fait li emperères. riens ne li grevast; ainz fust re-
sons et biens, s'il éust apris son neveu et lessié ses livres. —
Autretel volez-vous fere, quant .i. sol fil que vous avez,vokiz
destruire, pour le dit de sa marâtre. Si savez bien que vos
estes vielz et debrisieiz, et si n'en aurez jamès plus et se
vos en ceste manière le volez destruire, si vos en paisse
avenir si comme il fist à Ypocras de son nevou.— Parmun
■ Var. Et y lit mettre .c. broches. (Id.) .
> V*n. Or en Irï-ez toutes les bruches. — Volenticrs , font cil. .Meir.lei.mt
les iraimi . mes il n'en i--i goate d'eaue. ' M
DES SEM SAGES. 29
chief, distli emperères, il ne m'en avenra ja ainsi . se De\
|)lcsi : car il ne morra mes Inii. — Sire , dist Auxilles , v.
c. merci/. Aiiisim rcmcsirenl tirés que à la nuit; et quant
la nuii vint, les portes du paies lurent closes, li empereur
vint à l'empereri/; ele fist moult maie chière; et ot leselz
uids do ploror. Li emperères Pa'peia et li dist: Dame,
•l'ave/ vos? dites moi que vos avez? — Sire, je ai assésire et
inautalanl. — Dame, pour coi? — Sire, mes dires ne me pro-
fiterait rien ; mes toutes voies , me poise que vos onques
me préistes por si tost lessier. — Dame , somes nos ore an
lessier? —Oïl , quejen'esgarderai mie vostre abessement,
ne vostre avillance, car jesai bien que vos estes à terre per-
dre.— Dame, coinmant? — Sire, que je voi bien que tuil li
bOBke de vostre terre vos courent se ure ; et por celui que
\<r apelezfill, que il veulent' (qu'il ait la terre et l'empire.
Kl se ce avient que vos le souffriez, si vos en puisse avenir
si comme il lisl à celi qui gita la teste son père en la lon-
gaÎDgne. — Pourcel Sire qui Diex a non, qui lu cil, disi li
emperères, qui listée? K'empereriz respont : Sire, qu'an
avez vos afaires nule riens, ce sai'-ge bien. — Je veil
que vos le dies, dit li emperères , por savoir le. — Sire,
dist ele, volaniiers, pour savoir se vos i prandriez espcrc-
nienl. — Or diles donc? — Sire, volaniiers.
Sire ', ilôt en cesle ville, un emperéeur qui Ot DOuOUie-
. Ce Ml '• /"''■ ir /i" 7'c' vont effondrer la for OtHttoà . por mh-
blir '/'■ mm avoir.
i i première \ cr^i.ii de celle histoire m trouva doua Hérodote Voyti
.1 m lujet la premièN partie de ce v< lume . p 1 17,
30 KOMAN
viens qui ama plus or et argent que antre chose. 11 en aùna
tant que il en ot amplie toute lator dn croissant. Si ot .ii.
sages remès en ceste ville. Li .y. en furent alez en conquest.
De ces .ii. sages qui furent remès, li uns en fu si larges et
si despenderes, qu'il mestoit en donner tout ce qu'il avoil,
et ce qu'il ne pooit meesme avoir, et acréoit en plusieurs
leus; li siens n'estoit véez à nului. Il avoit .i. (il et .ii. filles
et se vestoit moult richement, et tenoit son cors chier, et
ses enfanz. Li autres des sages estoit chiches et si avers
qu'il ne vouloit riens despendre; et si augeleus que tout ce
(]ii'il (avoit) il gardoitet estreiguoit moult durement. A celui
ltaillaOthevienssatoràgarderclson trésor. A l'autre sage
en pesa moult, quile vosist bien avoir en garde, qu'il estoit
h songneus de plusors choses. Si se pansa une nuit, cl
prist .ii. pis , si apelle son fill : Ça vien , tien cest pic et
gc ceslui; si irons en lator du creissant ; etsi fesonstani
que nos antrons anz; si prenons assez de l'avoir et si nous
• m aiscrons et aquiterons. — Voire, Sire, dist li valiez,
ce ne ferons nos mie; il n'est plus de honte que cesir;
que ferions nos, se nos i estions trové' ? — Fil , fait-il ,
îçe n'avendra jà que l'en nos i truisse: gc veil que lu
i veingnes. — Sire , dist ii , gc l'en- \<>stre volante. Il fit
espès; lune ne luit , n'esloilo ne parut. H s'en vonlcch
part, et viennent au pie de la tor; et piquèrent lanl et mail-
lièreot qu'il entrèrent enz. Si viennent à l'avoir, si se char-
gèrent; si emportèrent en Lor girons tant comme il enporeni
plus porter. Et lessèrenl lors pis. Il s'en vinrent à loi
\'\r.. Efotu ci nostre lifrna^o scricus mora ni boniz. (id.)
DES SI l'I SAGES. 'I
mesoas, »t sfen deschargèreol de l'avoir qu'il portoient.
Lendemain ckauca et vesti Ba mesriie , et list redreâer
M-s mesons (]iii estoient eliaoites. Li sages qui ^ardoit
la tor, ala venir tout <'u tt>f la tor, et neuve le per-
mis; etdavitdedanz enceinste1, si entra en/, sitrovales
pis, si esgarda que |'en ôt porté de l'avoir l'emperébr, une
pallie I! s'en isl loi/. an ières, sanzfcre unisse. Si s'envieni
i son ostel, si tel querre une chaudière à teinturier; il la
!et aporter devant le pertuis de la tor, et fait fere une fosse
moult forant et moult merveilleuse; si i fet la chaudière
enfuir et prent iduz de la plus fort qu'il onques pot trover,
et glaise de mer, et poiz clplon;et l'ail tout fondre ensenlile.
i que la chaudière lu toute phine. Puis prani petites ver-
gettea, si les mîsl par desus la chaudière, puis la rue\iv
par desus ; si s'en \et ». Ne déniera ^ueres que li sapées
[es Dl despendu tout ce que il m apbrlé'j si u\,i mes
que descendre, car il 01 tenu grttift eorzj ei l'ait ^rant
despens. Une nuit, si rapela son lill et li dist : Fill, list-il.
dons ;i l;i tor eneore, au roi. — lia ! Sire, dist li valiez, non
ferons !. — Si ferons, «lit li pères, nions i àncofC', une au-
ire foiz. — Sire, fait le vallel a son pen\ luirai vnl.intin-
h \<>^ euinnianderoi/. — Alone an . de par heu ! Il lu
NU il i l;ul , e| lis! espes. Il Se llietenl à l:i voir. |.i ju'-i <-
\ m-., li sages i|iii arott la tour an garde, fini a la tour, ji mi savoii
|tw riens ni .1 1 > ■ikIi.isi . il la \ii ladement esfondrée, et tronra le pei
h- ld
PuU priai brenehetet <'i petitei vergetés; m mîsl >'■
i iiamiirir i'i la couvri de terre par desus : pin- - .mi ala ld
\ m- .\\ni • sire . dis! le \ il'. ;,. i i ,i
:V2 ROMAN
avant et li fuiz après; cl tant que il viennent devant la lor.
Li pères marche avant, si chiet en la chaudière; et i avint
très qu'à la gorge ; et il senti que la gluz et la glaise et la
poiz et le pions li serrent si les menbres que il n'en pot
nul trèreàli. Il cria bêlement. — Ha ! biaus fuis, je sui morz.
— Et li vallet respont : Non n'estes, biau père, que ge vos ai-
derai. Li valiez s'abesse à4* chaudière. — Ha ! biaus fillz,
distli pères, ce ne puetestre; biaus fdz, se tui chiez, tu es
morz. — Que ferai-ge dont? irai-ge querre aide. — Neveil,
mes ge te dirai que tu feras : copes moi la teste. — Avoi !
biaus père, ce ne ferai-ge mie. Ainz irai querre aide. —
Ce ne puet estre; fait tost, ainçois que autre gent viengnent;
que puisque la teste sera ostée de moi, ne serai-ge conneuz,
ne mes lingnages n'en aura jà reproche. Cil s'abesse o l'ar-
meure qu'il avoil aportée, si li cope la teste, si l'emporte.
Si lu iriez et esbahiz qu'il la gita en son fossé aval '. Les
filles sorent ce, si orent grant doel; si furent moult do-
I an tes.
Au malin % li sages se leva et s'en vet à la tor et regarde,
et vit celui en la chaudière; et vit qu'il ot la teste copée.
Siapeleses serjanz, si l'en list trère. Garda l'en à destre ,
garda l'en à senestre, sus etjus,/nès ne pot estre conneuz.
Li sages fist prendre .ii. chevax, si les fist lier par les piez
au queues, si les fist trainer par mi Rome 3, et command.i
i Var. Puis fu si esbahiz que il lu jela en une des fosses son père. (Id. >
Ci est li perei qui est choit dedenz la chaudière , qui cuidoit ciifrc
el trésor, et son (ill ilcsus qui lui aoupo la teste <jui nu soit conneuz.
• Vat.. Lon fisl Usages prendre .ij. chevax, si le list lier par les fiiez bus
queues . et le list irainer par mi Rome. (H.)
bEs si.i'i sages. 33
: 1 1 1 serjanz que en l'ostel où il verroient duel 1ère, tornas-
sent et les préissent. Il ot .ii. valiez sus les chevax et heur-
tèi l 'lit par mi Rome, et avant et arrière , tant qu'il vinrent
par devant l'ostel au sage que l'en trainnoit. Li valiez es-
toit enz, et les .ii. filles oissirent hors. Quant eles virent loi-
père trainer, si commencièrent à brère et à crier. Li valiez
vit qu'il ne se porroit mie tenir de plorer, si se fiert d'un
costel par mi la cuisse. Cil qui aloient enprès le mort que
l'en trainoit , entrèrent anz et demandèrent le seingneur.
Li valiez respondi qu'il iert en la vile. — Q'ont donc ces
dainoiseles qui crient? — Seingneur, donc ne véez vous
que ge me sui navrez en la cuisse , d'un costel ' ? — C'est
voirs, firent il. Alant se partent de l'ostel et suirent celui
«pie l'en trainoit ; si le menèrent hors de Rome , si l'en-
foïrent. — Ore, sire, fait l'empereriz, li filz lu riches hom
de ee dont li pères est morz à honte. Ore, sire , la leste son
père por coi n'enfoït il en .i. cimetière? moût li fut ore po
<le bras, ne de piez , ne de teste, quant il ot l'avoir. Autre
tel di ge de vostre filz. Il se porchace commant il puisse
esire emperères. Et puis qu'il aura toute la terre, moult li
sera pou de vos, ne li chaudra quel pair! vos alliez ; ne quel
voie vos leingnoiz. Et se vos ainsi le fêtes (pie vos veilliez
errer au conseil au sages, ne croire vostre fils ' , si vos cm
puisse avenir ausi comme il list à celui de qui la teste fu
• V*n. Ktque ont donques ces nueeles qui «.i crient '.' -seigneur, ne mc/
vous que je BM .suis nu\ r«v BD IftOÉBM il un OOOBlal I Mavoient pour que j<-
no tusse afolez, nu morz. (Id.)
Vil Et M vous ainsinl le tcles que \rnis ne me >euillie/ croire. (M.)
i
34 ROM v.\
gitée en la longaingne. — Par mon chief, distli emperères,
je n'en crerai jà nul, se Dex plest! si ne m'atorneront mie
einsi, car il morra le matin. L'empereriz respont : Sire,
Dex vos en doint force et vertu. C4ele nuit passèrent ain-
sint, jusqu'à lendemain que les sales lurent overtes. Et li
emperères lu levez; la sale ampli des hauz barons de
Rome. Li emperères apelle ses sers : Alez en la joole,
traiez mon fil hors, si le destruiez. — Sire, vostre comman-
dement sera fet. Il avalent aval et le traient à mont, et s'en
viennent par devant l'emperéour, si li demandent : Sire,
de quel mort mora-il? — Enfouez le tout vil". Cil s'en pas-
sent outre, et avallent les degrez de la sale contreval, et en-
meinnentle vallet moult vilenement, parmi la mestre rue,
et s'en vont ainsint parmi Rome. A tant ezvos an de ses
mestres, et ot non Lantules ; il ancontra son deciple; li val-
iez li enchna , li sages en ot pitié. Si s'en vient la grant
anbleure de son palefroi, et vient au degré de la sale, et
descent de son cheval. Chascun li escria : Ha .'mestre, or
pansez de vostre deciple. II s'en monte les desgrez contre-
mont, et s'en vient devant l'emperéeur, si le salue : Sire,
Dex vos gart et vos doint bon jor. Li emperères respont
au salu qui li a dit : Jà Dex ne vos beneie. — Avoi ! fet
messires Lantules, pourcoi dites vos ce? — Ge le vos di-
rai, fait ii emperères, je vos avoie baillie mon fil à apren-
dre et à endoctriner, et la première doctrine que li avez
faite, si est que vos li avez la parole toluc; l'autre qui
veult prendre ma famé à force. Mes jà Dex ne vos
in doint joïr; et bien sachiez que tantost comme il
sera morz, vos morroiz après, et seroiz destruit ense-
DES SEP1 8AGJ s. 33
ment. — Sire, fait Lantules, soffrez que je responde :
de la parole rendre, <■<• «si en Deu; de rostre rame
prandre à force, ce est fort à croire, s se vos voir/
rostre fill destraire en ceste manière, s;m/. achoison
sanz jugement de vos barons, si vos en puise ainsint avenir
comme au riche home vavaseur d<> sa lame. — Comment
li an avint-il, dit liemperères,jele veil savoir. — Sire ge
ne le vos dirai mie, se vos ne faites respiter vostre iil de
la mort où l'en le meine, qnar quant que ge diroie ne me
profiteroit riens, s'il ostoit destruiz; mes festes le respiter
et je h' vos dirai volantiers. — Certes, dit li emperères, je
l'ostroi. Bien assez fu qui corrut por le vallet; l'en le res-
pila. Et quant il vit son mestre, si li enclina, et a lVmpc-
réeor ainsint. Mes sires Lantules commence son conte.
Sir»- ', il ot .i. riche vavaseur, en ceste vile, qui estoh de
haut linnaje et de grantgent; si n'ot point de famé ne <r«-n-
fant qui deusl tenir ->"ii héritage après lui. Si ami vindrent
a lui et li distrent qu'il préist famé de coi il éusl qui tenist
son tenement, après lui; et il lor dist qu'il la prendrait vo-
lantiers, quéissenl la. Il la quistrent. il lu vieil el remès
<•( afcz; et ele fu luit- etjoiene ri blonde. Ele vint el il ala
ta m l qu'à poinnes pol il aler au moustier. Ele n'ot de li nul
déport, «i tant qu'ele ama eu la ville .i. autre borne. Or
•ii il et us et costume à Rome,quesenus,ne nulle estoii
' ■ si li nchf Immr vt su /'mur ./mi Viw r!ni<>ir «•/ jniit lu jh
ttoti 'iif, j, h, 1(1 , s. quida qu
Or trouve celte histoire dans la Discipline de I 1 jujel
ta première partie de ce volume, pagei l
36 ROMAN
prise errant, par mi Rome, puis que eoevre feu fustsonez. ja
ne fnst de si haut parage, ne si bien enparentez , qu'il ne fust
estoiez, jusqu'à matin que li sage estoient venu au consis-
toire. Adonques si estoit fustez par mi la vile. Et tant que
la famé à vavasor ama, en la vile, et qu'ele ot pris plet à
son ami. Une nuit, il fist moult espès icele nuit. Ele jut o
son seigneur. Et tant qui li menbra de la convenance
qu'ele avoit fet à son ami '. Ele se lieve de delez son sein-
gneur, et aval les degrez contreval, et desferme l'uis. Ele
truva son ami; si le commance a acoler et àbesier maues-
sent. Et la jalusie si entre el cuer au seigneur; il se lieve,
si comme il pot, si avala les degrez contreval; si les oï
conseillier ensemble; il fu iriez, si ferme l'uis. Si s'en vient
à la fenestre, en haut, si escrie : Ha! dame, or vos ai-ge
trovée mauvessement. JàDexnevosen doint joïrde la foi et
de la desloiauté que vos me portez. — Ha! sire, merci, ja
vos dis-ge que j'estoie malade. — Ha! dame, riens ne vos
valt, quar ge ai oi vostre lechéeur o vos. — Ha ! sire, certes
non feistes ; aiez de moi m*rci. — Certes, dame, je le vi.
Ne vos valt riens.— Ha! sire, pour Dieu, aiez pitié de moi;
jà sonera cuevre feu maintenant. — Certes, dit-il, ge le
voldroie jà! — Ha! pour Deu, sire, jà seroie-je morte et
destruite, car je seroie demain fustée, par mi Rome, et tuit
mi parent en auroient honte et reproche. — Dahaiz ait qui
en chaut, dit-il. lleuques devant , ot un puis d'antiquité :
. v tu. La dame Eunl et djfl ;> md leigneoi que ele estoit malade.
DES SI M ^M.ES. -T7
Par foi, sire, dit la dame, se vos ne m'ouvres, or endroit,
l'uis, ge me lerai chaoir el puis. — Certes, dame, moult te
voldroie. — Certes, sire, vos ne me verroiz jamès. Il fesoit
moult espcs, si que li .i. ne voit l'autre. Il avoit une grant
pierre devant l'uis; ele la liève à son col, si en vient droi-
tement au puis: Sire, fetele, cuer ne puet mentir. A Dieu
soiez vos commandez. Et ele lest la pierre chaoir el puis:
Ha ! seinte Marie! dist li vavaseurs, ma famé est morte ; jà
ne fesoie-je mie, se por li chastier non, etpor lui espoan-
ter. Ele s'en vint près de l'uis ; et il dévale les degrez, si
desferme l'uis; si en vient contre val, au puis. Et en ce
qu'il regardoit el puis, pour savoir s'il oilt, et il l'apeloif a
haute voiz : Belle suer, estes vos morte? Et ele s'en entre en
la meson, si ferme l'uis, si s'en vient au fcnestres et dist :
iNennil, l'ait ele, mauves leehienvs, vos voudriés ure, que
ge lusse el puis, mes je u'i sui pas. Or est esprovée vostre
lecherie et vostre mauvestiej n'cstoie je pas assez bêle <i
assez gentils fane. — Ha! bêle, douce suer, ouvres ne
l'uis; jà ai-ge si grant joie de vos que je cuidoie que lus-
sir/ aorte. — Ha] mauves vilains, si m'aist Dex, \"s ni
enterrotz ! — Ha ! bêle suer, jà sonera maintenant cuei iv-
fcus, et se je sui ci trovez, ge serai pris et mis en la jaole,
et demain si snai fu(s)tez. — Ce vetl-ge veoir, fei <-le, ge
ne demant plus; jà venront It-s eachauguetes el les 1 4
geni <-i verront quel vie vos me menez «'i tvei menée, grani
pièce a <!<• tens. Atant ez vos que cuevre feu ^<>ua meinte-
nant. A tant ei vos que les guetes viennent de la vile , ti
le praimeiit, en ce que cueuvre feu Bonoit;il distrentà
la dame jà n'oimes m^ bon parler de là vilenie vostrt
38 ROMAN
seingnor. — Ha ! seingneurs, fetele, or poez savoir que ge
l'ai celé toute ma vie, et tant comme ge poi, et je ne le veill
plus souffrir, ne celer, car vos ne savez pas la vie que il
m'a fait traire. — Par foi, dame, font lesguetes, et nos l'en-
menrons ja mes que cucvre feu soit sonez '. — Seingnors,
dist ele, biau m'en est. Et cuevre feu lesse à sonner, et il le
prennent et le meinent il à tor, comme cil qui irie estoient
de celé chose % et il fu très qu'à lendemain que il fu fustez
par mi la cité. Ore sire3 atorna bien la dame son sein-
gneur. Et avez vos oï ceste traïson et ceste deslaiauté que
la dame mena à son seingneur. Encore vos menra ceste
noauz, se vos la créez de vostre fil occire et destruire. —
Par mon chief, ditli emperères,onquesde si tratresse famé
n'oï mes parler. — Sire, or vos i gardez, fait messiresLan-
tules. — Par mon chief, fait li emperères, il ne mora mes-
hui, dist li emperères, ne par mon commandement. A tant
le lessèrent ester jusq'au soir. Les portes furent fermées. Li
emperères vint à l'empereriz. Ele fu irrée et moult mauta-
lentive. Li emperères li demande qu'ele a : Sire, fait-ele,
je sui la plus dolereuse riens qui vive; et je m'en irai le
matin. — Non fe rois, dame, ainz remeindroiz, se Dieux
plèst, et vos. — Sire, ge ne remaindrai pas; car au matin
sui-ge au chacier; si m'en i veil mielz aler à honor que
à honte, car ge sui de grant linnage et joenne famé; et
i X\r\. Et nous l'enmenrons meintenant que cuevre feu sera sonnez.
(Id.)
3 Vak. Et l'cnuiaiiirnlenla tour, comme cil qui pire en estoient. (fd.)
S w.. ftrc, Sire, dist Lentollu» à l'emperéeur. (Id.)
h! x SEPT BACU 5. 39
vms ne volez riens croire que je vos die. El por ce que vos
ne me volés croire, si vous en puise avenir ainsinl comme
il lisi a celui qui livra sa famine au gros roi. — Commant,
pour la foi que je «loi a heu, qui lu cil qui livra Ba famé an
gros roi? — Pour avoir? — Dites le moi, certes il m'est
a\ is qui oe l'amoit gnieres; por Dieu, dame, or le me dites.
— Sire, que me valtmon dire; vos ne vol»'/ unie chose
lairepour mon dire. — Dame, si ferai, se Dexplest! L'em-
pererii commance.
— Sire ' ilôt en Puile .i. roi qui estoit sodomites. Il des-
daingnoit lame seur toutes riens. Il n'en avoit cure de
mile, ja tant ne fast belle. Et tant que il anfla et que il
entra en une grant maladie et anfla si que luit li menbre
li repostrenl dedans lui. Et tant qu'il manda .i. fusicîen.
Cil vient a lui ; il esgarda et vil s'orine. — Diva ! fet li rois,
garde bc tu me porras garir; je le donrai terre el avoir,
tant comme toi plera. — Sire , granz merciz, et ge vos g -
rirai moult bien. A tant s'entremet de lui si durement . uni
le li-l desenfler et li doua pain d'orge el eve de fontaine ,
tant qu'il desenfla touz, et que li membre B'aparurent. l.i
mires dis! qui li convenoit une famé : De par Dieu ! I, s[ li
ge la ferai querre. Il apela son seneschal : Querez
moi, dist-il , une lame. — lia! sire, merci, j-' ne la pouroic
trouver, que l'en cuide que \"s soiez aiiisint enflez comme
' CM est crlui </i<i livra «i famr <vi ■/> - I sa VOlmtt, /*»iw
<-f pour or.
■iti- eti imii^ du SynUpai el àt» Panbohi ii»> scihi.il>. u I
la première partit d volomi |
40 K03IAN
vos soliez estre. — Donez lui avant, .xx. mars, fait li rois,
de ma rente, que vos nel'aiez. Il vint à sa famé, et li dist:
Dame, il vos convient gaaingnier .xx. mars. — Comment,
sire? — Vos gerrez avec le roi, an nuit solement. — Ha !
sire, merci. Certes, se Dex plest, non ferai. — Si ferez ,
fet-il, ge le voscommant. — Ha ! sire, fet-ele, je ne le
feroie, pour terre mengier. — Dame, fet-il, à fere l'estuet. —
Ha ! sire, plus dure honte que souffrestes, pour Dieu merci.
— Dame, dame, qui gaainguier ne veut, perte li viengne. —
Vostre parole ne valt riens, sire , de par Dieu ! vos feroiz
de moi vostre plésir. Quant il fu anuitié, li senescax vint à
son seingneur, en la chambre où couchoit. Li rois li de-
mande : Avez vos fait ce que ge vos dis ? — Sire, oïl, mes
je ne veil mie que l'en la voie, por ce qu'ele est gentil famé.
— De par Dieu ! fet li rois. Li seneschaux meismes estaint le
cierge et fet les genz départir. Il vient à sa famé , si l'a-
meine, ele se despueille, si s'élance joste le roi. Il ferme'
la chambre sor els. Li rois jut o la dame, tant qu'il fu
près de jor, et en fist sa volante. Li seneschaux vint à la
chambre , si la desferme ; si dist au roi : Sire, dormez vos ?
— Seneschaux, nennil, dist li rois. — Sire, i convient que
celé dame s'en ant, qu'ele ne soit aperceue. — Par mon
chief ! fet li rois, non fera, qu'ele me plest. — Sire, ge avoie
en convenant à ses amis, que jà ne seroit séu quant ele s'en
iroit. — De par Deu ! fet li rois, ele me plest encore. Li
seneschaux se départi de la chambre, et atendi tant qu'il
fustjorgrant, et que prime dejorsona; lors vint à la chambre,
i Vab. Liseneschaus ferma la chambre seareuls. (1*1.)
DLS SEPT s.vu.s. i I
et dit : Dame, levez vos, il est bien tens. — Par mon chief !
dii li rois, non fera ancore. Li seneschaux fu irriez ; il eu-
vre une des fenestres, ear il ne pooit plus endurer, et la
roic du soloil luitsor els .ii. — Ha! sire, l'et li seneschaux,
merci, ce est ma famé. Li emperères se liève en son séant,
si regarde le senesehal et regarde la dame. En ce qu'il les
ot regardez ensamble , si fu iriez. Si appelle le senesehal :
Mal cuivers, mal traites, por coi la me baillas-tu ? mauves
lierres puant ! — Ha ! sire , pour Dieu ! merci , por gain-
gnier les .xx. mars. — Par mon chief! dit li rois, par con-
voitise vos estes honniz. Hors, hors, tost, de ma terre; par
celui sire qui Dieux a non , se vos i estes trovez, quant je
serai levez je vos ferai sachier les ieuz et trainer à queue
de cheval, par toute ma terre. Li seneschax foui hors de la
terre , et li rois maria la dame bien et bel, en son pais. —
Or, sire, fait l'empcrei iz, dont n'avez vos oï et entendu ce
que je vos ai dit: avez vosoï que li seneschaus list par con-
voilisse d'avoir. Et regardez comment il en est avenu/.: il
est deseiitez à toz jors ei sa laine est bien mariée. Autresi
devez vos bien et sagement prendre garde de vos, car vos
estes ausin couvoileux d'escouler et d'oïr les paroles a ces
sages. -— Mi bien saeliiés que je le \<>i et aperçois que con-
voitise \<>s vaincra , et que eu seroiz essilliez et chaitis et
honleus soi- terre. De moi ne m'esmoi g<" mie, car mi ami
me marieront richement et bien. Orsi vos eu conviengne
bien , car se vos ne vus gardez , cil qui riens n'i ont , m»
qui riens ni doivent avoir, en seront seigneur. — Par mou
chief] non seront, dist li emperères. car ge vos di que nul
riens ne le puest destorner, ne garantir qu'il ne muin
\1
ROMAN
demain. — Certes , sire , vos feroiz que sages , se vos le
faites ainsi. A tant lessèrent lor parlement et se dormi-
rent et se reposèrent très qu'à landemein que li emperères
fu levez. Les portes furent overtes , li paies ampli des
plus hauz barons de la terre. Li emperères apele ses sers :
Alez, et si prenez mon fill et si le destruiez. — Sire, à
vostre commandement. Il s'en avalent en la jeole , si l'en
ameinent sus. Il s'en viennent par devant l'emperéor, et
li demandent : Sire , de quel mort morra il ? Li empe-
rères dist: Je veil que il soit enfoiz en terre. — Sire, vo-
lanliers. Il s'en passent outre et s'en entrent en la rue.
Atant ez vos que uns de ses mestres vient qui avoit non
messires Malquidarz li torz '. Il ot pitié de son deciple, et
s'en vient au pie du degrez de la sale ; il descent. Assez fu
qui son cheval tint. Il s'en vient devant l'emperéor et le
salue. Li emperères ne li rant mie son salu, ainz le maudit.
Li sages rcspont : Por coi me mal dites vos? — por ce que
ge vos avoie baillié mon fill si comme à Deu 2 ; et il volt
prendre ma famé à force; et por ce , vueille, que l'en sache
que je faz lui destruire. — Ha ! sire , por Dieu merci ! se
vos, sanz Iejugemant et sans conseil de vos barons le des-
truiez, si vos en puise ainsint avenir comme il fist au viel
ancien riche home de sa famé. — Gommant li en avint-
il , dist li emperères. ' — Certes je le vos dirai volantiers,
■ Vin. Il s'en alèrenten lajaole, eU'cnmenèrentpar devant l'empcréeur,
contrcval les degrez. Et s'en aloient par mi les rues de Rome , et tuit cil qui
le veoient en avoient grant pitié. A tant es vous que ses mestres vint qui
avoit non Malcuidarzli roua. (Id.)
• Et ai volt prendre ma famé à force. (Id.)
DES SEPT SAGES. 13
mes se vos volez que ge Le vos die, si laites vostre lil res-
piler. — Certes, fait li emperères, de l'ancien sage orai-ge
volantièrs; card'estrange manière fu sage et vielz, et ge en
voldroie volantièrs oïr comment sa famé le déçut. — Sire ,
ele ne le déçut mie , car il s'en garda bien comme sages.
— Or dites , fait li emperères. — Envoie/, dont querre
vostre fill. — Volantièrs. Assez qui fu courut. Il le ramai-
nent arriéres, et il encline à Femperéour et à son mestre.
il le remelent en la joole. Messires Malcuidarz commence
son conte :
J Sire , il ot en ceste ville, un sages viel de grant aage ; il
ot moult riche terre et moult bone. Si ami vinrent devant
li et li distrent qu'il preist famé. Et à paine verrez jà si viel
home qui volantièrs ne praingne joene famé. Il lor dist
qu'il la queissent, et il la prangdroit volantièrs. Et il la
quistrent belle et joene et avenant de cors, et bloie. Li
sages en ot eu .ii. des lames. 11 fu auques vielz et ses aages
passez. La dame fu environ son seingneur .i. an que cli-
ques folie ne fist, jà soit ce que ele en eusi grant talant.
Aueliief de l'an, si vint au mostier, et s'asist joste sa mère
et parla d'un et d'el; et dist : Dame, je n'ai aulsoulazde
mon seingneur, que dire, que taisir. Sachiez que je \cil
amer. — Eiu, fille , ce ne feras-tu pas. — Certes, dame.
si ferai. — Vels tu fere mon conseil? — Certes, dame*,
• Dites le moi; car de l'ancien sage orroieje volentien la de. (Id.)
• Cieti u tagti ancien qui fit tafowntteingHiitr dt .ii. bras, pour et
1/1/ 'Wc oouloii amer aire de \ui.
Voyez au sujet de ce oonte^ la première partie dei e volume, page I 18
kï roman
«mil. — Ge vueil que tu essaies avant, ton seingneur. — Vo-
lontiers.— Et de coi 1* essaieras-tu? — D'une seue hante
qu'il aime plus que toz les autres arbres de son jardin; si
la couperai, si verrai qu'il en fera, se Dex plest! ne rae
tuera mie. — -La mère respont : de par Deu, mes ce poisse
moi. A tant s'en partent. La dame s'en vient à son ostel, et
demande où ses sires estoit, et l'en li dist qu'il estoit alez
esbatre, n'avoit gueres, sor son palefroi , après son veneur
au chiens. Ele apelle .i. sien serjant : Va, si pren celé co-
gnie, sivien après moi. — Volantiers, dame. Il s'en vient
el vergier. Ele vient à l'ante : Cope moi , fet ele , ceste
liante. — Ha ! dame, non ferai. — Si feras , ge (te) le com-
mant. — Certes, dame, non ferai, car c'est la bonne ante
mon seingneur. — Baille moi celle cognie. Ele la prenten
sa mein, et commença à ferirà destre et à senestre, tant
qu'elle l'a coupée. Et cil la tronçonna et ele la commence
à aporter '. Et en ce qu'elle l'aportoit, ses sires vient; il la
regarde et li dist: Gommant, dame, où preistes vos ceste bû-
che 2? — Certes, sire, or endroit que je vingdu moustier ; l'en
me dist que vos estiez alez joer au chiens, sor vostre palefroi,
et jesai bien que vos estes frilleus, et çaienz n'avoit point de
bûche, si en alai en cel vergier, si copé ceste hante. —
— Dame, je cuit que c'est ma bone hante? — Certes, sire,
je ne sai. Li sires descent, si troeve qu'ele fu copée : Ha !
dame, fait-il, moult malemcnt servi m'avez; ce est ma bone
' Vat». Et cil la tronçonna, puis li commanda à aporter.
> Vak. Il regarda les tronçons de l'ente et les fueilles elles branches;
m lu tous esperduz, puis dist: où preis tu ceste branche?
iu.s Sl.PI SACF.S. i .
hante que j'avoie si chière et que je tant anioie , et vos
l'avez oopée. — Ha! sire, ge ne m'en pris garde, et je le lis
pour ce que je savoie bien que vos vendriez toz moilliez,
et touz en pléuz. — Dame, je le lerai à tant ester, pour ce
que vos le feisles por moi. A tant le lessèrent très qu'à lan-
demein. La dame revint au moustier et vint à sa mère.
L'une salua l'autre. La mère li demanda commant il li
estoit, et ele dist : Mult bien; j'ai mon seingnor essaie. —
Copas-tu l'ante? — Ouil. — El qu'en dist-il? — Certes, il
n'en fist mie grant senblant qu'il fust corrouciez. Certes,
dame, or veil je amer. — Non feras, belle douce fille, lesse
ester ceste folie. — Certes, dame, si ferai, je ne m'enten-
droie mie. — Belle fille, dès que tu ne t'en veuls tenir, or
te dirai que tu feras. — Et coi, dame? — Essaie le encore.
— Certes, dame, volantiers. — Et de coi l'essaieras-tu? —
Ge le vos dirai, fet sa lille : mes sires a une levrière que il a
(•lus chière qne riens née ; il ne soulferroit pas que nus de
ses serjanz la ramuast de joste le fou, ne que nus la pensfl
se il non; ge l'oeirrai aneore annuit. — De par Deu, fait
la mère '. A tant s'om partent. La dame s'en vint en sa me-
son. 11 lu tart; li feus fu biaus et ardoit eler, et li lit fu-
rent bien part- de belles contes pointes, de bianx tapi/. ; et
la dame ffl voslue d'une pelice d'eseurous toute l'reselie.
Li sires vint des elians ' ; ele se leva contre lui, si li oste M
chape, si li volt oster ses espérons ri s*ob< m moult à li, et
aporte .i. mantel d'escarlate force, ei li met a iei espaolea
■ V»n. Jp Iniirni encore nuit. Je l'ottoi, * i i — t li niere H
\ «i Mi'iniiMi.ini vint h ^ircs de chtctai
46 HOMAN
et apareille une chaière, el li sires si asiet ; d'autre part s'a-
siet la dame sor une sele. Et li chien vindrent de toutes
parz, si s'en montèrent sus ses liz ; et la levrière vient, si
s'asiet sor le peliçon à la dame ' ; la dame esgarde .i. des
boviers qui fu venuz de la charrue. Si ot .i. costel à sa
ceinture. La dame saut, si prant ce costel et fiert celé le-
vrière, si l'ocit, si que li peliçons lu ensanglantez , et li
foiers. Li sires regarde celle merveille : Qu'est ce, dame,
fait-il, commant fustes vos si hardie que vos osâtes ocirre
ma levrière? — Commant, sire, donc ne véez vos, chacun
jor, commant il atornent voz liz; il ne passera jà .iii. jorz
qui ne nos coviengne fere buée, por vos chiens; par la
mort Dieu ! je les occirroie avant, toz, de mes meins, que il
alassent ainsint par ceanz. Or regardez de ma pelice que
je n'avoieonquesvestue, qu'eleele est atornée ? cuidiez vos
que ge n'en soie irriez ? Li vielz sages respondi : Certes ,
dame, mal avez esploitie et mau gré vos en sai, mes je le
lerai ore ester, à ceste foiz, que je n'en parlerai plus. — Par
foi , sire , dist la dame, vous ferez de moi voslre plesir,
car ge sui toute vostre. Certes, sire, moult me repant que
je l'ai fait; que je sai bien que vos l'amiez inout, si me
poisse de ce que ge vos ai fait trop irie. Lors commence à
plorer. Si lessa ester tant que vint a lendemein, qu'elevint
au moustier, à sa mère. La mère la vit venir, si la salue, et
ele lui. La mère li demande : Dites moi, bêle fille, commant
vos estuet?— Dame, bien ; or vos di-ge de vérité que je
■ Vab. Et la lissclc au seigneur se coucha sus la pelice à la dame, qui
tonte fresche estnit. Quant ele vit ce, ele lu mult corrodée.
l>i s mm 8AG1 S. 47
Mil rimer. Ha! bêle lille, si ne t'en pourroies tenir? —
(.nies, dame, non. — Belle douce fille, jà me sui-ge tenue
i(i/ lesjorzde ma vie, à ton père, conques folie ne fis, ne
talantn'en oi. — lia! dame, il n'est mie si de moieomme
il estoitde vos, car mes pères cstoit joennes, quant VOS le
préistes; si eustes voz joies ensemble, mes je n'ai du mien
ne soulaz, ne déport. Si me convient à porchacier. -- Et
qui ameroies tu?— Certes, je le vos dirai: le provoire de
ceste vile qui m'en a requisse et proiée. — Le provoire de
ceste vile, dist la mère! — Certes voirs est, ge ne voldroie
pas amer chevalier ; c:ir il se venleroient à la gent et gabe-
roienl de moi, et me demanderaient mes gajesàengajer. —
Diva! car fai ancoremon conseil, dist la mère. — Etcommant,
damé ?- Essaie le ancore? — Essaier tant, fait la fille !-
Voire, je le te lo, par mon chief, car tu ne verras jà m mile
vangance, ne si cruel corne de viel home. Dame volan-
liersje le ferai vostre conseill. — Ore de coi L'essaiéras-tu,
fait la daine. — Certes, dame, il sera joedi, le jor de Noël,
si tendra messire grant cort , que mit li vavassor de ceste
Ville seront. Et je me Serai assise, au chief de la table,
en une chaière. En ce que li premiers mes sera asis, ^,-
mêlerai mes des es franges del tablier, si me lèverai, si
livrai tout adouc a nini. I.t aiusiii! aurai essaie mon sein-
gnorpar.iii. foi/.. — Orva,fel la mère, Dex te doint bien
feic ! Celé s'en paît a itant , si s'en vienl a sou OStel; ,-lr
rvi u bien sonseingnor el un mit bel. a tant que li jora
de iNiiei n î ii t . la vavasor de Rome furent venuz et des da-
mes îss,/. Les tables Iiiichi mises el b tabliers, el les sa-
liers, ci li coustel; el il s'asistrent. I i sires sala seoir el la
48 ROMAN
dame se rasist au chief de la table, en une chaière. Li ser-
gent aportent le premier mes sor la table , et la savor. Et en
ce que li vallet commancèrent à tranchier, la dame entor-
teilla ses clés es franges du doublier ; ele se liève, si fait
.i. grant pas arrières, si viennentlesescueles, si espandent.
Li sires fu iriez, la dame oste ses clés qui estoient entorteil-
liesel doublier: Dame, fait li sires, vos avez malementes-
ploitie. — Par ma foi, sire, je n'en poi mes. J'aloie quérir
vostre coutiau et vostre tablier qui n'estoit mie sor table,
si m'en pesoit. — Ore , dame, de par Dieu, or nos aportez
autres doubliers. La dame fait aporter autres; et l'en aporte
autres mes; il mengèrent antor nuit , lieement. Li sire ne
fist mie senblant de s'ire. Et quant il orent assez men-
gié, et li sires les ot moult annorez, il se départirent. Li si-
res soffri celé nuit, tant que vint à lendemain ; li sires vint
à la dame: Dame, vos m'aveznait .iii. entretes mauvèses,
se je puis vos ne me ferez pas la quarte. Ce vos fet faire
mauves sanc ; à seingnier vos estuet. Il mande le seingneur,
si fait fere le feu ; en ce que li feus fu grans, il vient à la
dame : Qu'est-ce, sire, fet ele, que volez vous fere? — Os-
te(r) vostre mauves sanc1. Si li fait eschaufer le destre braz
au feu; quant il fu bien chauz, li seignierres i fiert, et li roic
vole grans , hors du braz , et une flamme en oissi , comme
une bestumes, tant que li sens vermaus vint. 11 la fait es-
i Vxn. Dame, fct-il, je vous vueil faire seignier. — Ha ! sire, fct-ele,
je ne fui onques saigniée, en ma vie. — A fere, fet li sires, l'cstust, car les
entretes mauvi'ses que vous m'avez fêtes, vous a fet à fere mauvais sanc
Tantôt la fist despoiller, voulut OU non, le destre braz. (Id.)
hl S MPI SAGES. '«!>
tanchierei li fait l'autre braz de la robedespoillier. La dame
commence a crier, riens ne li valt; il li refait eschaufer ej
li seingneurs i fiert. Autre tel oissi de celui braz comme de
l'autre, tant que li vermeus Banc eu ist. Quant li vermeus
sanc vint, li sages la list estangcfaier et la fet porter es »on
lit, en sa chambre. Ele commanee à crier et mande sa mère,
et ele i rinl ; et quand la vit, si dist: lia! a ! dame, morte
sui. — Gommant, fille? — Daine, il m'a fait seingnier des .ii.
braz. — Ore, belle fille, as-tu ore talant d'amer? — Certes,
je non. Jà scroie ge morte ! — Fille, je le te disoie bien ,
tu ne verras jà si cruel home , comme le viel. — Certes,
dame, je n'amerai jamès. — Par foi, belle fille, tu feras
< Mimne Bage. Ore sire, fait Bfaucuidarz li torz, dont ne
lu il Bages? S;i famé li lisi .iii. antretes', la première de
Tante, la seconde de la levrière, la tierce «lu mengier espan-
ilre; la quarte fust ancore plus laide qu'ele eust anime le
provoire de la vile. Autresint vos di-ge de rostre Famé
Ele vos veiisL 1ère une mauvesse entiete, que velt que \ 06
ociez votre fil/. Esgardez commantli sages lisi, ne se vanga
il bien? — Li emperères respont: Oïl.- Sire, l'ait messires
Bfalcuidarz li torz, ne crée/, donl mie voslre famé, de quan-
qu'ele vos dira. — Par mon chief fait li emperères, non fe-
rai-ge; sachiez qu'il ne morra meshui. A tant lessèrem
jusqu'à lendemain : il lu tari; les portes de la sale lurent
fermées, Li emperères vint à l'empereriz i ele lu irée et cor-
rouciée el matalantive. Li emperères la regarde et li de-
mande: Que avez vos? -Quoi, sire, je sui moult dotante
\ wi sa fime li ii-i trois entrailes letlw Id
50 ROMAN
de ce que estes entrez en si grant convoitise de bêles pa-
roles fausses et tratesses oïr. Et pour ce ne fu il mie mer-
veille se Crassus H emperères convoita or et argent, ne s'il
morut par ceste convoitise. — Comment en fu il morz? or le
me dites et contez. — Foi que vos me devez, que vaut mon
conter, ne mon sens, ne mon savoir? se ge le vos ai conté
que vos n'en retenez riens. — Dame, certes, si ferai, or
dites. — Sire, Dieux le vos doint.
— Sire ', ilôt en ceste vile, .i. clerc qui otnon Vergile, et
fu bon clers de touz les .vii. arz. Il sot mont de nigromance ;
etparnigromance fist-il, en ceste vile, un feu qui tozjorz ar-
doit, que les povres famés qui avoient lor petiz anfanz , no
pooient entrer ciliés ces riches homes, ne en cesautes torz,
ne en ces autes sales, qui dormoient très qu'à tierce, de joste
le feu , si i prenoient le feu a. Au desus, si avoit .i. home
tregité de coivre qui tenoit .i. arc de coivre et une sajete, si
avoit bien entesse; el col de cel home, s' avoient lestres qui di-
soient: Qui me ferra, je tresraijà. En ceste ville, siot.i. clerc
de Lonbardie à escole; et estoit genlis hom et riches. Il vint
vers ce feu, et regarde vers l'orne tresgité , et vit les lestres,
si les conut bien qu'il li ot escrit : Qui me ferra, je treraijà.
■ Ci est Virgile qui fet .i. feu par igromance; et au mileu de ce feu
À. home tresgeté de coivre qui tient .[.arc en sa mein, tout entese, et
fet mult grant semblant detrère; et est tout droit emrni le feu.
Au sujet de cette histoire et de la magie prétendue de Virgile, voyez la
première partie de ce volume, pages 150, 151.
• Vak. Et ces povres famés qui ces petiz enfanz avoient, quant eles
ne pooient entrer chiés ces riches homes, en ces hautes mesons, qui dor-
ment jusques à tierce, jouste leur famés, à cel feu se chaufoient, et pre
uoientde levé chaude à leur enfanz haignier. (Id.)
DF.S MN BAG1 S 11
H demande a sescompaiujjUons : rYrai-ije .1. hiau cop? —
Sire, otiil, si vos plest. Et il le fiert et il Iret, et il fiert el feu
rt li Inis estafat. —Sire , dist l'emperori/. , dont ne fist il
pechié ? — Certes, dame. — Ouil, voire, fet ele , caries po-
\res lamines y prenoient feu; voirs est , sire. Ancore fist il
plus, cm il fist par nigromance, sus les pilers de marbre, .i.
miréor par coi cil de ceste vile véoient ceus qui votaient
\* niràRome, pormal fere. Et tantost comme il véoientque
aucune terre voloit révéler contre Rome, si mandoient les
communes des viles, si s'armoient etaloient sor celé terre,
si la destruisoient. Tant que li rois de Puile en lu iriez, et
qu'il asembla ses homes de su terre, si lor demanda conseil
que il l'eroit de Rome < ] 1 1 ï si inrloil sa terre a mal, et qu'il
esloient BôtlgiCft, et rendoient Uni a l'ouiie. Illetiques 61 .iii.
bachelere qui frère festoient* Li uns d'euls se leva et parla :
Par loi , sire , se vos nos voir/ douer du \nMrf, nos aha-
irions |q tliréor. — Par foi , fait li rois, ge vos donre (oui
quanque vos demanderez; se vos vole/ chastiaux . s.- mis
VOteZ \iles. se vos vole/, rentes. El il rCSpondenl : N08 nos
mettrons £a voBtre inanoie. — Grenl merci/, dit lirois li
ein/. ne/, parla : Sire, or nos letes amplir .iii. OOSierei d'or. —
Certes vdlautieri» 11 furent ampli , et il les font mettre ea
une charreste fort à .iii. rhevax. Il arueilliient |or oirre
loiil droit a Home. Kn ce| lent, CrflSttfl BStOÎI einperéres.
qui BlOult esloit c onvoileiis d'or aquei re. Il vinrent si tari
qu'il se prisirent garde que nus n'issoit hors de limite V
une des portes, si eiiloiivu! 1111 des COterei d'or. e| a la se-
conde l'autre, el a la tierce l'autre. El lors se vonl berbei
gier en 1 1 vile, et Breni graai deapena, celle nuit.
■ ri ROMAN
A lendemein, quant li empegères lu levez , si viennent
à lui et le saluent, et li distrent: Sire, nos somes devinéor
et trouvéorde trésors; si somes venuz à vos, que nos sa-
vons bien qu'an vostre terre en a assez. — Bien soiez vos
venuz, fait li emperères, vos remeindroiz à moi. — Sire,
volantiers, mes nos an voulons avoir la moitié de ce que nos
troverrons , et vos l'autre. Li emperères respont : Ge l'os-
troi , car je n'i puis riens avoir, se par vos non. — Sire ,
fait li ainz nez, ge songerai an nuit, et demain vous dirai
que j'aurai trové. — Par foi, fait li emperères , je l'ostroi.
Et il s'en alèrent as ostiex, et furent moult à aise, celle
nuit , tant que vint à lendemein. Il vinrent à l'emperéor :
Sire, je ai songié un petit trésor à la porte devers Puille. —
Cari allons, fait li emperères. — Par foi, sire, volantiers.
Il vient là , et grant compaingnie de gent ovec lui , que il i
avoit mené pour véoir. Et commencièrent à piquier là où
li devins dist. H n'orent guières piquié, quant il trovèrent
cel trésor. Li emperères le fait trère hors d'ilueques; et fu
si partiz que li emperères en ot la moitié et li deus frères
l'autre. Li emperères en fu moult liez que moult le con-
voita. Li secons dist qu'il songeroit ausinc. Et il si (ist;
et trova le sien costerez. Li emperères se loa moult d'eus ,
et dist: Par foi, fisl-il, or sai-ge bien que vos estes vé-
ritables.— Parfoi,font-il, ce est noianz; nos en avons son-
gié .i. si grant que à poine le porroient trère luit li cheval
de vostre cort. — Et où est-il? feit li emperères. — Par foi,
font-il, desoz ce miréor. — Ce, fait li emperères, ne ferai-^»-
i Ci sont les .ij. frèrrs qui parlent à l'cmvnirr, Orassuê.
DES MSM SAGES.
a nul Puer, que ge le miréourféisse abastre où nos réons toi
(tus qui mal veulent 1ère on ceste terre. — Si respondi-
rent cil : de ce n'avez vos garde , car nos L'estançonneroufl
si bien qu'il ne porra chaoir. — De par Dieu ! doriques i
lune/. , le malin, fait li empërères. — Sire , volantiers. — Il
prennent congié à lui, et s'en vont à lor oatel.
1 Quant vint à lendemein , il s'en viennent au miréor, et
commencent à piquier, et firent estançon que qu'il estèrent
la terre, par desouz le miréour ; il chevèrent loz jorz el
tant que le miréor lu desl'ouiz; il ne tint que a l'^tan-
çonnement. Et tant que vint la nuit; il s'em partirent,
et li ovrier autresint. Quant il fut mie nuit, il aportè-
rent le l'eu , el le metenten l'estançonnemant; et ilardi
dedenz, et il estoupèrent fors. Et quant il virent que
li feus lu bien espris , il se mirent a la voir, il a'orrent
mit' granmanl erré, que li miréors chéi, el que li pilera de
marbre peçoia par mi. Il le virent bien chaoir; si sfen par-
tirent à grent joie. Et tant que vint à lendemain, M haut ba-
ron «le la terre s'asemUèrent au miréor: il esgardèrenl
(pie, par la convoitise l'emperéor, estoitehaoii le miréor. I i
empërères i vint; il fu moull meuli de celle grent perte;
il list qnerre les devineors , nies il ne porenl estre tro\e.
Il ie senti engingnié. I.i haut home de la terre li deman-
dèrent polir ini il avuil ce lait ; il ne lor SOI • | m • respondtv.
se par la cunvoilisse de lor non. Il le praimeul et li ineste
> ri mi Crauui U tmperèrei que M baron '/'• Boum oui prit pot
dÛOnortt ■: i <mt mis i. /no* MUT le initie, et U fondent Vor > n lu
I m , >■ qu'il avoit tant eonvoitié Cor par
nui ncr ,\lmt /"'i i
ItnMAN
.i. Imissus le ventre, parla grant ire qu'il av oient, pour la
perte qu'il avoient fait. Si prannent or fondu, etli coulent
par mi la bouche, et par mi les eulz et par mi les orilles,
par mi le nez; si H distrent: Or vosis , or convoitas , or
auras, et d'or morras. En ceste manière l'ocistrent. Ore ,
sin\distrempereriz à l'emperéor, ore est cist morz à grant
honte. Liemperères respont : Certe, dame, voire. — Certes,
sire ; or poez vos savoir que .ansint morroiz vos. — Avoi !
daine, fait liemperères, que est ce que vos dites? — Cer-
tes, sire, je vos di voir, dont n'est ce bien semblant que
vos estes si convoisteus d'oïr et de retenir les paroles à ces
sages; car vos en perdroiz la terre et la corone et vostre
vie , pour .i. pautonnier que vos apelez filz, que vos avez
fet norrir. Dahaiz ait filz qui quiert le desheritement son
père. — Or ne vos en courociez pas, fait li emperères, que
par la foi que vos doi , il ne vos déshéritera pas , car il
morrn le matin. — Certes, sire, ne vos en poist mie, ge ne
vos en croi pas. — Dame, sachiez que si fera. Elle res-
pont : Sire , Dieux vos en doint bon talent. A tant lessè-
rent très qu'à lendemain qui fu grant jor, que li emperères
se liève ; les portes furent overtes, et li paies ampli des ba-
rons de la terre. Li emperères apele ses sers : Alez , pre-
nez mon fill, si le destruiez. — Sire, volanliers. Cil des-
cendent aval, en la jeole , et le iraient à mont, ei l'en
amainm -ni. Il passent par devant l'emperéour. Li sers le
menèrent si tost, et si vilainemant que onques ne li lut à
encliner à son père. Il s'en avalent les degrez de la saie, et
s'en entrent eu ta rue. Ainsi le mainnent vilainement
par mi les mes de Home. A tant es vos que uns des ses
ht s m. M 5AG1 B,
pestrea vient et 01 non Chaton d€ Rome, «il qui list le*
livres par coi li enfant sont doctrine ancore a escole. Il
vint monlt boue oirre ; et quant '1 vil son disciple, si en ot
grant pitié de ce qu'en le demenoit ainsint; si t'en) passe
outre mont boue oirre, si en vient au pié du de^re de la
sale, il descent; assez lu qui son cheval tint. Il s'en monta
coatpemont lea degrés , et en vient devant L'emperéor, si
le salue. L'emperères ne li rant mie son salu , ainz li disl
honte et folie , et le menace de son pooir : Je vos avoie
bail lié mon til à aprendre, et vos li avez la parole tolete ; et
ma lame qu'il vouloit prendre à force \ — Sire, fait mi sires
Chatons, de la parole ne di-je mie qu'il ait perdue, car se
i festoit qu'il l'eust perdue, maugré nos en devriez savoir;
mes dr rostre lame qu'il voloil prendre par force, si corn
elle vos l'et entendant, et riens ne n'est, de ce vosdevez \<^
i itnsi illici'. Et SC vos ne le l:iil<-s ainsi comme je vos dis, si
\o> en puiser avenir si comme il list as bourjoisdesa pie.—
eommant a vint il , failli emperères, au bourjoisde sa pie?
Par foi, ge le vos dirai moult volantiers, mes mes dires
■e vaudrait riens, se voste fils estait mors] Gestes le res|>lter,
et je le vos dirai. — Et je le respiterai, fait li emperères. —
Sue, or l'envoie/, donques querre. — Volantiers. Il le com-
mande ;i ramener : Mesa^ier eourent <pii raineiiereni le
vallet. Il s'en vient pardevanl l'enipeieum i t DM <le\ant le
oestre; li valiez l'encline, et li serf le metent en la jeole.
Mes sires Chatons commence son conte
Suc . fait-il, ilotenceste \ile..i. bourjois qui avoil >
l i . si I- !, WJOii </ui lu fit m Oit . <i'" '"<"»»"•' *d f<i'
<pt Me fetoit Cette histoire est une Imitation Set livrai de SyaHpH
of> ROMAN
pie qui disoit ce que l'en )i demandeit que il avoit véu,
qu'oie parloit moult bien la langue romainne. Et la faîne
au bourjois n'esteit mie sages, qu'ele amoit en la vile. Et
quant li preudons venoit dehors, la pie li disoit ce que ele
avoit véu, et sovent avenoit que la pie li disoit voir au pre-
dome, que li amis sa famé i avoist esté. Et il l'en créoit
moult bien, qu'ele ne savoit mentir, ains disoit à son sein-
gneur toz jorz ce qu'ele véoit. Tant que li sires fu hors en
sa marchandise; il ne revint pas celé nuit; la dame manda
son ami. La pie estoit enunecageenhautattachiée,enune
perche , en mi le porche de la meson. Et cil vint très qu'à
l'uis, et n'osa entrer anz, pour la pie. Si manda la dame, ele
vin t à lui : Dame, dist-il , ge n'ose antrer anz, por la pie, qu'ele
lediroit à vostre seingnor. — Venez avant, fet-elle, g'en
panseré bien. — Dame , dist-il, volantiers. Il s'en passe ou-
tre et vient en la chambre. La pie le regarde, si le conut
bien, car froiterie li avoit fait aucune foiz, si s'escria : Ha !
sire, qui en la chambre estes repos, por coi n'i venez vos
tant comme mes sires i est? A tant se tut; et la dame s'a-
pansa de maie guille. Quant il fu anuitié, eleprantsacham-
berière, si li baille .i. grant plomme plein d'eve et .i. cierge
tout aidant, et .i. maillet de fust. Quant vint vers la mie-
nuit, oie la fet monter sur la meson, ileuc endroit où la pie
estoit ; si commance à férir du maillet sur les essanles ; et
quant oie avoit assez féru, si reprenait le cierge, le boutois
par entre les essanles, que la clarté on venoit à la pie, enmi
<i île Sf mlal)iir. Voyez à ce snjo» la première partie <!<• ce volume, pages !)S
h i M.
DES -I l'i BàGl 8. M
l<s cul/. Après si prenoit le plomme et vendit l'ose sus la
pie. Et tele vie mena de si au jor; et quant il lu ajornez, si
descent, le maillet en sa main, et le cierge en l'autre. Li amis
à la dame s'en ala.
1 Ne demora guères que li sires vint. Il vint tout droit à sa
pie: Amie, dist-il,conment vous est? menjastes vous Irai? —
Sire, li amis ma dame a été céenz, en nuit, toute nuit, et
géu o lui ; n'a guères qu'il s'en parti. Je l'en vi ore droit aler
par ri. Li sires regarda la dame de félons eulz. Lors retorna
mis la pie, et li dist : Certes, belle douce amie, ge vos en
croi moult bien. — Sire, jàa il à nuit, fetsi maie nuit, et pi eu
toute nuit; et a tonné, etesparti, et fait de moult grain es-
CTOÎ8 ; et li espar/, me venoit en mi les eulz. Pou s'en fault
que ge n'ai esté morte. Li sires regarda la dame, et la dame
lui : Par la foiqnejedoi Dieu, du me, dist li sires, il afetmoult
belle nuit, annuit. et moût clere. — Certes, sire, ça mon
fet, *e dist la dame, une des plus belles el des plus elères
de l'an. Li sires demanda à ses voisins et il distrent autiv-
sint qu'il avoit fet moult belle nuit. Li sires fu irés; la dame
le \ii en ire. et vit bien son point qn'ele pot parler, si dis! :
Seingnor, orpoezvooirde coi mi sires m'a tozjora blaamée
et férue et chaciée, qu'il créoil sa pie de quan qu'ele di-
soit. Or androit, li disi-ele que mes amis a an oui jeu avec
moi; certes ele menl ausint bien comme ele avoit fet da
tens. l.i sire lu irez de ce que la pie li avoil menti de la
Id 1 1 1 . 1 1 n 1 1 1 < • la vignette on lit Molemeol ntte rubrique : Ci est in
riniwiirif ■<<■ qui ',, meton m droU tejria, bat nu M dSm
maillet et vtru ni- , ,-i boule trmi 1rs ftcaultt
5N ROMAN
nuit; sicuide que ausint li mantil-ele de sa famé. 11 vient
à sa pie : Par mon chief! fait-il, vos ne me mentiroiz jamès.
Si la prant, si li ront le col.
Quant il ot ce fait, il fu si esbahiz que nus plus. Il regarda
la cage où la pie estoit ; et regarde contremont les essanlles,
si les vit desaouées. Il prant une eschiele , si monte sus la
meson, si vit le plomme que la chamberière i ot porté et vit
la cire dégoûtée desus les essanlles, et regarde que la cou-
verture fu toute desavoiée, et vit le grantpertuis par où elle
botoit le cierge tout ardant ; si s'apensa de la traïson que sa
lame li avoit fête ; si commença à fere son duel : Hilas! fait-il,
pour coi l'ai-ge tuée? Por coi crui-ge ma famé? Il s'en de-
valle jus, si chace sa famé hors de sa meson; si se com-
mence à demanteretà destordre ses poinz ensemble. Ore
sire, fait mes sire Chatons à l'emperéour, se cist se fust por-
veuz avant, ne gardez, il n'eust pas sa pie tuée. Or s'en re-
pent, or fait son duel ; ore a sa famé forz chaciée pour ce
qu'il avoit creue c'ocise avoit sa pie par son conseil. Et
autresint voi-ge et oi que l'empereriz se travaille commanl
vostre filz soit destruiz ; et se vos la créez de sa destruction,
sanz autre conseil oïr, si vos em puist avenir si corne ilfist
au borjois de sa pie. Li emperères dist : Par mon chief, il
ne m'en avandra pas ainsint; car je ne la crerai mie. Il ne
niitrra meshui. — Sire, dist mestres Chatons, vos feroiz un
des savoirs que vosonques féissiez : l'en ne doit pas ocire son
anfant pour le dist de sa marrastre.
A tant lessèrent ester tant que vint le soir, que les por-
tes du paies lurent fermées; li emperères vint à l'empe-
reriz. YAc fist mauvèse chière que bien parut à son sem-
I»LS MPI IAG1 B. 59
bUal , qu'ele esloit corroucie. Li emperères la regarda qui
moult l'amoit : Dame, fait-il, que avez vos? vos semblez bien
(Jainc irrée. — Certes, sire, ge m'en irai le matin, à mes amis;
car je sui de moult haut parage. — Dame, pour coi? dites
le moi. — Par foi, sires, je sai bien que vos serez déshéri-
tez, car vos ne volez croire nul conseil; et pour ce que vos
non volez nul croire, si vos en puisse avenir comme il fist au
roi llerode qui tant tint en despit le conseil de sa famé, par
le conseil des sages que il en perdit la veue. — Commant, dist
li emperères, la perdi il? ce voroi-jeoir. — Aque fere le vos
diroie-je? Que vos n'en feriez riens. — Par mon chief, dame,
vos le diroiz. — Certes, sire, fait-elle, volantiers. — Dame,
or dites donc?— Sire, fait-elle, il ot .i. amperéeur à Rome,
qui ot non llerode, et si avoit .vii. sages, si corne il a an-
ii>re. Mes ilavoient tel coustume mise en ceste vile, et en
cest pais, que quiconques songoit songe , s'il venoit au sa-
Krrs, si lor aporloit .i. bossant d'or, et lor disoit son songe;
et il lor disoient ce qu'en pooit avenir. Si avoient tant de
l'argi'iilci de l'or qu'il sormonloienl l'emperéorde richesi v
Kl li emperèreg avoit tel maladie en soi , que quant il voloit
ismi hors des portes de Kome, il avugloit. Eli avoit essaie
par peintes foiz, et ne pooit issir. Tant que il apela .i. jor
ses gages : Seingnora, dist*il,car me dites ce que jr deman-
derai. Et il respoudirent s Wlanlirrs. — Pour coi, fait-il.
in'avuglentlioil, quant je vucil GRSSftl hors de Home?— -Siiv,
de ce ne YOS Savons nos pas reapoadre . sans terme. —
Gommant, fait-il, eovient-il terme! Sure, onil. Et je
Le vos doing très qu'a .iiii. jorz.— Sire, mis plus tr<s que
.viii. jorz. Et il lor donne il se départent. Si m mêlent pas
60 ROMAN
lessier en lonc séjor. Il porohacièrent et enquistrent con-
seil à meintes genz , tant qu'en lor dist que uns enfès es-
toit en la terre qui n'avoit eu point de père, et avoit à non
Mellin. Si se mestent à la voie, et s'en vont celé part où il
lor avoit esté enseingné; et tant qu'il le trovèrent hors de
Rome , où il s'estoit niellez o ses compaingnons qui li re-
prochèrent qu'il estoit nez sans père. Et li sages s'arestè-
rent et li demandèrent commant il avoit à non?Etlianfant
ont dist Mellin. Illuecques maintenant, vint .i. preudome
au sages qui estoit esgarez d'un songe qu'il avoit songié, et
portoit .i. bessant d'or en sa mein. Et Mellin li vint à Pan-
contre et si dist : Je sai bien que tu quiers et que tu deman-
des, et que tu aportes. Et li sage escoutent : Tu as songé un
songe dont tu es esgarez, si en vas à Rome au sages, si lor
diras ce que tu as songié, et lor donras .i. bessant que tu
portes et il te diront ton songe. Mes je te ferai mieulz,queje
te dirai ton songe, et enporteras ton bessant. Tuas son-
gié que en mi ton foier, avoit une si grant fontaine que tuit
cil de ton voisinage en estoient servi et abuvré. La fontaine
senefie .i. grant trésor qui est desouz ton foier; et vas, si le
fué, que tu et ta lingnie, se tolu ne t'est, toi et eulz en seroiz
riches. Li preudome vient en sa meson, et les sages, et li
valiez avec. Li preudome mende des ovrics et fait fouir,
et fuéent tant qu'il trovèrent le trésor. Moult en i otà grant
planté. Et li sages em pristrentà lor volante, tant comme il
voldrent, et au vallet en offrent , mes il n'en vot riens pran-
dre. Li sage s'en partent et enmennent le vallet à cls. Et
quant il furent hors de la vile, il demandèrent au vallet, s'il
saurait rendre reson au r<»i Hérode por coi la veue li trou-
ni s si.PT SAGES. <il
Moit, quanL il voloit issir hors de Rome, elil lotir dist: Ouir.
Il amenèrent le vallet devant l'emperéor. Au tonne que li
jors tu pris de respondre , li uns d'euls parla.
Sire', nos somes venuz à nostre jour pour respondre por
coi la veue vos trouble, quant vos volez issir hors de Rome.
— Voirs est , dist li emperères, or dites donques. — Sire ,
nos vos avons amené cest anfant qui respondra pour nos. — •
Prenez vos seur vos quan qu'il dira ? fet li emperères. —
Sire, ouil. — Or die dont, dit li emperères. — Sire, fait Mel-
lins, menez moi en vostre chambre; ileuques parlerai à
VOS. et le vosdiriaipor coi la vette vos troble, quant vos vo-
lt/, issir hors de Rome ; ileques le vos dirai. — Volantiers,
fait li emperères. Li emperères le mainne en sa chambre,
par la mein, et li dit li emperères: Or dites.- — Sire, volan-
tiers. Ici Melin; lors comanco son conte.
Sire \ Ici SfelHns, souz vostre lit où vos gissez, si a une
chaudière qui bout à grantundes, et i a .vii. deables. Et tant
comme celle chaudière i sein et cil .vii. boulions i soient,
ne poez issir de Rome, que vos puissiez veoir chemin, ne
connoistre voie, ne sentier. Kl se vos usiez la chaudière,
sans les boulions estaindre , vos avei perdu la vene —
> Ci est le rois Uerodcs qui a >i'tn<</t: les .\ij. tagvs, pour dettuuulrr
pour coi il mui/loit , i/iiant il issoit hors de Rome. Il (Icvuuutcrent terme
de respondre.
Au sujet d lie histoire el de l'enchanteur Merlin (MelHnt), royea la
premttn partie de ce volu , page 1 i'1
Il M, Huis qut li .\jj. smjr mil mneue nu roi llerode /»• ur
reajxmdri </c leur four, pourquoi II avugUtit quant n issoit fhrt de
Rome,
02 UOMA N
Par foi, fet li emperères, biaax douz frère, or convientque
vos me conseilliez.— Certes, sire, fet Mellins, si feré ge vo-
lantiers ; sire festes oster le lit , et faites fouir. Li emperè-
res mande des genz très qu'à .xx. homes, et fait fouir de-
soz ce lit ; et tant qu'il trovèrent celle chaudière. Et li sage
i furent et plusorz genz qui virent celle merveille , et es-
gardèrent celle chaudière qui bouloit. Li emperères apella
le vallet et dist : Or voi-ge bien que tu es veritex; orveil-
ge desore annavant errer par ton conseil, et par ton scuz
fere quan que je feré; et feré ge quanque tu me conseil-
leras.
Sire ', fet Mellins, or faites ces genz fouir de céanz tan-
tost. Et il si fist meinlenant. Il s'en alèrent tuit, puisque
l'emperère l'avoit commandé : Sire, dist Mellins, vos véez
bien ces boulions qui boullent, ce senefie .vii. déables que
vos avez, chacun jour, o vos — Ha ! Dieux, fait li emperè-
res, qui sont il? Les pouroi-ge oster en suz de moi? — Cer-
tes, feit Mellins, ouil. — Puis les je véoir, fet li emperères,
ne baillier? — Certes, ouil. - Et qui sont-il? bianx dous
amis, nomez les moi. — Sire, volantiers: par foi, ce sunt li
.vii. sages que vos avez ensemble, o vos. Il sont de vostre
terre plus riche qne vos n'estez. Si ont misse une cous-
tume par coi la terre est perdue et cuivertie ; qu'il ont
une coustume mise en vostre terre , que se vos homes,
quel qui soient, chevalier ou bourjois, songe .i. songe, il
convient par fine force qu'il viengne au sages, etaporte .i.
< Ci est Mellins qui devise à l'emperère des .vij. bouillons de la
chaudière, et dit que rc sont .vij. dcables qui sont dedenz la chaudière
qui boitent.
DKS SEPT SAGES. 63
bessant d'or ou d'argent en sa mein , et lor dongnent; et
après li dient son songe. Et cil l'esponncnt. Et s'en autre-
ment le fesoient, il cuideroientestre honni ; einsint lor ont
fet li sages entendant. Et pour ce que vos l'avez einsint
soffert, en estes vos perdus et avez troublée la veue, à l'ois-
sir hors de la vile de Rome.
' Mes or prenez le plus viel et li fêtes la teste couper; et
li graindresdes boulions acoisera. — Par foi, dist li empe-
rères, et je le ferai. Il le fait amener le plus veil à la force
de ces homes, et li fet la teste couper; et li graindres des
boulions estaint, et apese, et acoise. Et quant il vit ce, si
lit les autres amener et prendre,
2 Si fet li emperères prendre les .vii. sages et lor fet les
testes couper, enprès les espaules, à tresluit ensenble. Et
luit li .vii. boulions acoisent, si queTcve devint toute froide
et toute série : Par loi, sire, dist Mellins, orpoez la chau-
dière oster et laver dedenz vos meins, et tretout vostre cors.
Li emperères Ilerode list ainsint comme Mellins li avoit
dist ; et la chaudière fu ostée et la fosse remplie ; et li liz
Y emperères fu refez, si comme il souloit devant: Sire, fait
Mellins, orpoez monter et ehevauehier horz de Rome. —
Par mon chief, fait li emperères, si ferai geet voschevache-
roiz o moi. Et Mellins dist: Sire, volantiers. Les selles fu-
rent mises; li emperères monte, et Mellins monte, et des
Liions de la terre , et ehaucuns des borjois après, pour
■ < i fn li cmptTcrcs de Home OOfMT la (este à À. des .vij. vu
trcKiiinuimlrnirnt de Mrllin.
( i r\i !,■ roi Ilerode qui fet couper lei tetles à touz Ut vij ma. <
par Pamofietfemi m Hellin
<>i roman
véoir colle grant merveille. Bien avoit .x. anz que li empe-
rères n'avoit issu hors de Rome et volt la porte passer; et
Mellins fu dejouste lui : Sire, fait-il, vos iroiz avant. Li em-
perères hurte le cheval et passe la porte. Onques mes
nus ne vit si grant joie comme li emperères ot. Il prent
Mellins, si l'acole et le retient o lui. Cil qui amèrent l'em-
peréoren orent joie, quant il virent que il ot sa veue enté-
riné , si comme il souloit : Ore, sire, fait li empereriz à
l'emperéor, avez-vos oï ceste aventure qui avint des .vii.
sages qui avoient avuglé l'emperéor par lor lobe , et par
lor guille qui créoit trop. Et vos les créez les vos, et del
vos destruire et de vos tollir l'empire , si vos en puisse ave-
nir comme il fist à l'emperéor Herode. — Par la foi que doi
vos, fait li emperères, ce ne m'en avendra jà, car je ne les
croi pas tant que ge em puisse ma terre perdre, pournule
parole que il dient, ne que g'en soie avuglez. Et l'empe-
reriz respont : Dex vos en gart ! Et tant passèrent celle
nuit, tant que ce vint à landemein.Li emperères fu levez et
l'empereriz ; les portes furent overtes; et li paies ampli de
chevaliers qui estoient venuz véoir le jugement l'emperéor
de son 61. Et li emperères apelle ses sers : Alez, fait-il et si
me destruiez mon fil, et si l'osiez hors de la jeole. El cil
répondirent : Volantiers. Il en alèrent en la jeole, si l'en
ameinent amont: Gardez, fet li emperères, que vosnere-
lornez. Il ont dit : Sire, volantiers. Il s'en passent par mi la
sale, et avallent les degrez de la sale, et s'en passent moult
toslpar mi la rue. Et mes sires lessé vient maintenant, si les
encontre ; i osle .i. annel d'or qu'il avoit en son doi, si le
donne nu mfstrfs des sers, et li proia qu'il alast delaiant.
DES SKPT SAGES. 65
Il s'en part d'eus et s'en vient au plus tost qu'il pot , vera
la sale l'en\peréour, et monte les degrez contremont et
vient devant l'emperéor, si le salue. Li emperères ne res-
pont p:is à sa volante, ainz li dist que lui ne sauve mie ,
que lui n'amoit-il mie: Ge vos baillai mon (il à aprendre
et à enseingnier, ausint comme à Dieu, et trop me fioie en
vos. Vos li avez la parole tolete, et ma famé volt il , la nuit
première, prendre à force; et la descira eteschevela laide-
ment.— Sire, fait messires Jessé, ne soiez pas si dure(me)nt
courouciez, car sages hom atempre son courage; commant
le savez-vos? — Commant, fait li emperères, gela vis esche-
velée et descirée laidement. — Vos ne véistes que ce que
sa marastre dist — Non voir, fet li emperères, mes je la
croi bien. — Et pour ce qne vos la créez , si volez vostre
lilz destruire, sanz !<• jugement de vos barons. Et se vos
einsi le ïetes, si vos en puise avenir comme il fist au cheva-
lier de son lilT — Gommant aviut-il, fetli emperères, au che-
valier de son iil? — Gommant, fet mestre Jessé, ainzsoit
seroit vostre iii destruiz que je l'eusse dist, ne conté. |Mès
renvoiez querre vostre fil/, et ge le vos dirai volantiers .
et moult nos plera. Li emperères l'otroie, el renvoie querre
son ni/. Et li sert l<' rameinent el le mestenl . par le com-
mandement l'emperéor, eu la jeole, el mestre .l<-ssé çom-
mance son conte.
Sire' , fait-il, amperéor, il avint que uns chevaliers ricins
i \ partit dteette histoire, le texte du manuscrit da Km WIÂ dans lequel
nous avons copié lot variantes, diffère enlièremenJ décelai que """s pu-
blions. .Nous donnons cette différence, après notre texte; en appendice,
5.
(i(i ROMAN
de terre ama une damoiselle, la plus belle riens qui fust
onqucs. Et il l'ama tant comme nus pot plus amer famé.
Tant afermèrent lor amors qu'eles furent moût entérinés ,
mes la damoisele estoit moult fière, et tant qu'il avintque
il fist de lui son plésir. Et conçut la damoisele et ot un en-
tant de lui , et fu malle. Li enfès fu nez et crut moult et
amanda , et devint tant bêle riens que ce estoit mervelle
à véoir. Il avint que la mère au vallet fu morte, et moult
en fu dolanz li chevaliers. Et demora grant pièce sanz
lame, et toutes voies li enfès amanda et crut. Li cheva-
liers prist une autre famé. Ele cueilli moult le vallet en hé,
pour sa biauté, et pensa , s'ele avoit enfant du chevalier, que
cil seroit sires sor touz. Et commance à blâme mestre sor
cel enfant : et disoit souvent au chevalier qui li avoit fet do-
mages de ses homes et d'autre choses. Li chevaliers estoit
espris de sa lame que il créoit quanqu'clle disoit, et cueilli
son fillz en haine, pour l'amor de sa famé. Li valiez avoir
.ii. cousins moult biaux.de la seror sa mère qui morte es-
toit, mes moult estoient loing de la terre. Li chevaliers
avoit une cope d'or à coi il buvoitqui bien valoit .xl. livres.
Ses filz avoit une huche à sa meson, où il mestoit ses choses.
La niarnstre s'apensa de grant liaison: une nuit, fu cou-
chiez li valiez, et s'endormoit. Et la marratre vient au lit au
vallet dont elle avoit la clef, et prent la clef de sa huche
et i met la coupe, et remet arriéres la clef à son chevés. La
nuit ala cl le jour vint; et quant ce vint au disner et l'en
demanda la coupe au seigneur, l'en n'en pot pout trover.
Li rhcvalier.-> lit irriez et dist: Querez partout. — Sire, dist
In daine et la mesgnie, nos avons par tout quia , ne point
1>ES SEPT SAGES. 67
ne trovons. — Demandez, dist la dame, à vostre fill, s'il en
sest nulles nouvelles. Et il li demande; et dit que nennil ,
se Dieu li aist : Sire, dist la dame , véez en sa chambre. —
Ovrez, dist li chevaliers, vostre huche. — Sire, volantiers ,
l'ait li valiez. Il ovri la huche et tu la cope trovée toute
esquachiée : Sire, dist la dame, or poez véoir des belles
anfances vostre fil. Vos ne m'en voliez tout avan croire. —
Par mon chief ! fait li chevaliers, je aim mielz que il soit
lost destruitquetart. Alez, fait-il à .iii. de ses valiez, noiez
mon fil, car je n'ai que fere de larron. Il le prennent et
l'emmenèrent conques ne lessièrent desrenier sa parole ,
et le mainent à unegrant fosse d'une rivière , si li lient .ii.
pierres au col, si le noient. Il repérèrent moult effraé du
pechié qu'il avoient fet. Il avint que li noiez avoit .ii. ne-
\< us de la serour sa mère qui le venoient veoir; il encon-
u rient les .iii. sergenz qui le mal avoient fet, et Guidèrent
que l'eussent véu. Li uns d'eus saut en la rivière, de peor
si fu noiez, et li autre duittornèrenten fui. Cil les prislrent,
et lor demandèrent : Que avez-vos qui ci estes effraé ? Il
traient les espées et dient: Dites voir ? Li uns d'eus dist :
Je n'en mentirai jà ; nos avons fait putes evres , car nos
avons noie, parle commandement du chevalier, son fil por
sa marratre qui le haoil, et toute jor l'ancusoit vers son
père. — Il dist voir, dist li autres. Ne demande/, mie se cil
furent dolant de lour cousin qui noie? estoitg il ocisirrnt
les .ii. scijans et li tiers fu noie. Il s'en vont el chalel et
iiiouiriii les degrexta la Baie; et trouvent le chevalier ei sa.
lame, si oeislrenl cl l'un et l'autre, ci sYn ivioi lièrent en
lor pais; aintint venchierent le noie. Por ce, si vos lo que
68 IlOMAN
vos ne créez mie la marrastre vostre fil, que mal ne vos en
viengne dont Dieux vos gart. — Par seinte croix! fet li
emperères, mes filz ne morra mes hui. Li jorz passa , et
la nuit vint, et li emperères s'ala couchier avec sa famé ;
ele fist moult lede chière et fist semblant déplorer; et tire
ses cheveus, et bat son piz , et dist : Lasse ! que ferai ? —
Qu'avez vos, dame, fait li emperères. — Que ge ai , fet ele,
ge voudroie estre morte, ge veil mieulz morrir que ge vos
voie honnir et desehériter. Vos créez ces vii. deables qui
chauciin jor, vos enchantent; vostre fil est muz, ne jamès
ne parlera. Vos le devriez mielz amer mort que vif; quant
plus vivra et plus grant honte vos fera ; je me dout moult
qu'il ne bet à vostre traïson et à vostre deseritement, par
le conseil des .vii. deables que vos tenez entor vos. —
Dame, fet li emperères , ne soiez pas si corrouciée , car il
mora demein. — Sire, fetl'empereriz, se vos ainsint ne le
festes , comme vos dites, si vos en puisse ainsint avenir
comme il fist au preudome de ville de sa fille. — Gommant
l'en avint il? fait li emperères. — Ge le vos dirai , fet ele.
Il avint que .i. home de ville, si avoit une moût belle fille
et li lessoit fere à sa volante, i n'en chatioit point ; et tant
que plusors valiez li allèrent entor ; et lessoit li uns de lui
son talent. Et tant qu'ele retint .i. fill et fil grosse. Quant li
pères sot ce, si la bat, et la prant, et traine souvent et menu.
Ne riens ne li valoit;ele s'apensa d'une grant traïson, coin
mal enguineuse et mal enseingnie ; et vient à son ami et li
dist :Biaus amis, je sui de vos grosse; se mes pères estoit
morz, sesgranz lenemenz nos reviendroit. Ou vos ne parlez
jamès à moi, ou vos fêtes ma volante. —De coi , fait ses
T)KS SEPT SAGES. 69
amis. — Mes pères ira demein au marcliiè, et moura einz
jor ; et vos soiez appareilliez en cel buisson, si i'ociez : si
aurons tout, moi et vos; et l'en dira que ce auront fait lar-
ron. — Il n'est riens, tel ses amis, que ne lace pour vos.
Il l'espia au m:ilin . si l'ocisl. Or, sire , fet l'empereriz , ot
ci bone norreture ! que vos en semble ? — Par lui ! ht li
emperères, ce fu la malle norreture et la norreture au
deable. — Or pensez à vostre norreture , et gardez qui ne
vos aviengne ainsint. — Vos le verroiz bien , l'et li empe-
rères, qu'il en sera au matin.
La nuit passa, et li jorz vint. Li emperères apella ses
sers : Alez , fait-il , maintenant, et si pendez mon fill. Cil
font son commandement) <'t le tr;iient de la jeoleei l'em-
mainent. Este vus qu'il ancuntrenl mestres Merun, le dar-
rien des .vii. sages. Kl ses deciples li anelineni : Seingnors,
fet messires .Menons, alez-vos .i. puu délaient, tant que
{j'aie parlé a IVmpeieour, et tenez, je vus duing .iii. bes-
sanz d'or. Et cil si funt. Et mestres Meruns s'en vet au
plus tost que onques pot, et moula les degrés de la sale* et
salue l'einperère. Et li emperères dis! : Pomi je ne vos salu
mie; commanl vos doi-ge vos ne vos eompainguos amer?
quant vos avez toluela parole a mon fill. Et je cuiduie que
\<>s IrnsciiignisitiZ, et apieisie/ ce que vos saviez. — Sire.
fet mestres Meruns, tout Cfi nVsi pas perdu qui ^i>{ em
péril. Donne/, moi .ii. dons que je vos demander.' sajjZ
riens du vostre et je vos dirai joeuses uovelles. — Joie,
it-i li emperères, ammeroie-je moult, car je sui mouli
troublez. Et je vos iloing les .ii.dons.— (.raiii menas, Iii
mestre Mérous : li premiers dons que \ os m'avez dont-, si
70 ROMAN
est que vos ranvoiez querre vostre (fil). Et li amperères le
fest tantost envoier querre. Li autres, fet Merrons, si est
que vos ne parlez à vostre famé devant demein. — Et je
l'ostroi, fet li amperères. Li valiez revint par devant son
père et son meslre, si leur encline, et li sers le mestent en
la jeole, et li amperères apella mestre Merons : Dites moi
les joieuses nouvelles. — Volantiers, sire, or entendez.
• Sachiez que je estoie er soir à l'eir des estelles , que
vostre fils parlera demein. Fêtes moi garder, et me coupez
la teste, se je ment. — Il parlera, fet li amperères, je n'oi
onques si grant joie en ma vie, comme j'auroie, se il par-
loit. — Et vos l'auroiz sanz faille, fet mestres Merons. Ge
vos lo que vous anvoiez querre voz sages; aucune chosses
vos diront-il. — Volantiers, fet li amperères. Il les envoie
querre, et il viennent. Li amperères leur conte ce que mes-
tres Merrons li avoit dist, et chacuns d'euls dit qu'il
avoit veu , le soir devant, ce que Merons avoit veu,
i|iic ses filz parleroit demein; et se ce n'estoit voirs,
que li amperères leur face couper la tète à chacun. Li am-
perères a moût grant joie de ce qu'il ment. Adont se leva
mestres Chatons , et dist à l'empereur : Ouez , sire ; vostre
filz est li plus sages hom qui onques fust en Rome de son
aa#e. Nos l'essaiamcs ;i la mes. m ou nos l'apréimes : et li
méinics .iiii. fueilles d'ierre. sous les .iiii. qu^pouz de son
lit, oii il irisoit. Et il nos dit que la terre estoit levée,' ou
la rfrtivr'rlinv nhessièe. Kt plus, sire : quant vos nos man-
■ Ol'WiMsi ■ n ,..■;,// âlai àVm ■■ i soà' fîti pcèrtetv
DES SEPT SAM -.s. 71
dastes que nos vos amenissons vostre 611, il -arda avec nos
el cors des estoilleset nosdisi: Seingneurs, mes pères me
mande et jesai bien que j'auré assez a nui. Et se jemelieng
de parler .vii. jors, il me convanra mourir. Sire, ce mees-
mes véismes nos que il disoit voir, et il nos dit , moult em
ploranî. : Ore petit porra chaueuns de vos , s'il ne peut res-
poistier .i. jor. Demandez leur se s'est voir que je dis. —
Emperères, fet chauscuns, voirs est, et il set quanque nos
savons. — Par foi ! fet li amperères , vos me testes moult
grant joie; donez-moi conseil. ■ — Volantiers, sire, nos vos
conseillons que vos façoiz crier par Rome que tuit li haut
home et li sage soient demein à vostre cort; et faites vostre
lilz bellement apareillier. — Volantiers. IVtli amperères
son ban crier et son filz apareillicr, à los des .vii. sages. Et
le fet servir de boucs viandes dont il n'avoit guières eu
pieca. Li sage alèrent a leur osiel; li amperères se tint de
parler a sa laine , si comme il avoil an couvant très qu'an
matin. Mes sachiez q'onques famé ne fu plus a malesse
qu'ele lu, celle nuit ; 61 l£ I qui ce pnvoil
estre. Et criuii. el uoq
iiens, que il \
i-slre .Mckiii. La jorne;' ! M .
ariz |>eusa <t sonja qu'a lui veiioieiil bcsi.^ de plu-
seui-N inaineres (]iii la voloiet devourer; el porioinl eliau-
cune de ces besles «mi la langue, leu peur lui ardoir. i\lo
s'es\rilla cl lii inouï espu\ rie, el pansa bien que niai li
\ cudreil, mes nés;, N(,ii ,[,■ »• tit-1 pari. Le jour vint, li enipe-
rères se leva 8.1 vint en la sale. Il ses liuz lu levez, et
v.siu/, il apareillie/.. Ll disl au s.is <|in destruirr le vim-
72 ROMAN
loient : Seingneurs, Dieux vos doint mielz fere que fet ne
m'avez. Quant il oïrent parler, si furent tuit esbahis et
distrent : Sire, pour Dieu merci , dont ce a fet vostre maie
marrastre; Dieux la vos ostroit sans guerredon. Estes vos
.i/des sers qui s'en vientàl'emperéour, etlidisl :Sire, vos
ne savez? — Et quoi , fet liamperères. — Sire, vostre fiulz
parole. — Puel ce estre voirs, fet li amperères. — Sire,
voirs est. — Par foi! fet-il, je oi merveilles. En demantres
ampli la sale des .vii. sages et des sénateurs de Rome, et
des gentix et des poissanz homes de Rome. Et s'emerveil-
loient moût pour quoi il sont mandé. Et mestres Merrons
fu délivrés, et li amperères commande qu'on li ameint son
611. II vint avant moult biaux et mont bien atornez ; mes la
pavor qu'il avoit .vii. jorseue, etlamesesseliavoilrnoutmal
fet et moult l'avoit descoulouré. Et la sale fu toute pleinne:
il salue son père et dist : Sire , bon jor vos doint Dieux
et mau jor doint à ma marastre pour qui je eu tant de mal
que par pou que je ne sui morz. Liamperères cornt encon-
tre son fill, et le si! • ci I besse am plorant, et dit : Biaux
fill merci» pal •! ,( iuar j'aigrant
- Sire, dist li .. ,; Dii :>ar-
el je ( i f;iz par .i. couvenant que vos me les. ii oit
an vostre cort. Les gent l'amperéour plouroient de joie < ,
de pitié : Par foi, feit li amperères, biaux filz, je l'ostroi
par I*' jugement de mes haux barons qui ci sont, et des
.vii. sages, selonc ce qu'il esgarderont dfe droit. — Sire, fet
Je| filz, grant mereiz. Vos dites que loiaux et que preudon
— Sire, fet li ànfès, fêtes venir vosin: lame cm pleine
cort.— Volontiers, fet li amperères. Il la mande et ele vient
DES SEPT SAGES. 73
en pleine sale. El li valiez dit, oiant touz : Sire, l'êtes es-
couter, voiant ma marastre. — Volantiers, fet li amperères.
11 s'asieent luit, et li enfès cotnmance sa parole et son dit :
'Biaus père, escoutez-moi, et tuit li autre après. — Vo-
lantiers, fait li emperères. — Biaux sire, je sui vostre fiulz
et sui nez de la riens que vos onquesplus amates; vos me
meistes à escole à mes mestres les .viî. sajes qui m'ont
bien et m'ont bel moui apris ; et sevent bien commani il
m'est de mon sens. Se je ne me fusse tenuz de parler .vii.
jorz, ge eusse esté morz. Et li uns des .vii. sajes se liève et
conte tout ce qui esloit avenu du fill l'emperéour, si corne
il eat devant dit. Et li autre dient:Sirc, il est voirs. —
Bien vos en eroi, fet li amperères, séez vos. Et li enfès re-
eommanec et dist : Sire, quant vos m'éustes mandé que je
venisse à \os, ge i ving, niés je ne parlai pas, car je fusse
morz. Yéez-ci vostre famine qui me prist par la mein et me
mena en sa chambre ; et ge dis, oiant vos dames , vos
feistes toute la chambre vuidier. Et nos reinessimes tout
seul à seul, moi et vos. Vos me préisles par le col, et me
voulsistes baissier. Je me très arriéres, sanz parler. Vos
me déistes : Bia\ amis, irae/. mis en ça, car vostre pèjçes
est yieulz, et ge yeil de vos 1ère mon ami: sachiez que je
vos ai gardé mon pucelage. Si me uès arieres, comme
cil qui vouloit garder l'amor son père. Vos me tresistes
vers vos .iii. l'oiz ; ge m'en parti comme saçes, vos leinain-
StteS, connue lole, et descirasles voslie robe cl esgl alinas-
< i 1 1 min i m: jut fdemperè/rea fti nntoir, totomi tout .<"" borM
/un la /ni/MDi ./i/ c/c (■/ /,•*/. dcaon nnjnnl p<\ im hotmis
74 ROMAN
tes vostre vis , et criastes, et déistes que ge vos voloie ef-
forcier et estrangler; et vos clamastes à mon père. Il me
fist martire assez, si comme il apert; et se ne fustli sens de
mes mestres , ge eusse esté destruit. Biaus père, ge me
claim à vos, et à touz les barrons qui ci sont, de ceste trais-
tresse marâtre qui vos vouloit honnir, et moi destruire. Si
vos demant droit de son cors que vos laites autant de lui, se
li droiz de vostre cort les garde , comme ele vouloit fere
de moi. Et s' ele le vouloit noier, je sui prez de monstrer
ou par juise, ou par bataille, si corne vostre cort esgar-
dera. Li emperères rougist et taint de mautalant; et li
barron sont tuit esbahi : Par l'ame mon père, par l'ame
men mère, ge tendrai droit. L'cmpereriz fu toute esbahie
et dist : Sire, ne le créez mie. C'est .i. deables forsenez ; il
ne set qu'il se dit ; ce ne fait pas à croire. Certes i vos asOs-
tera ancore, ce est un mauves crestien : voirement me vo-
sistes vos fere force, et me descirastes ma robe et oseheve-
lastes, et me vousistes honnir, et vostre ainsint. — Sire, fet
le filz à l'emperéour, je sui apareillioz de' moustrer par
bataille contre .i. chevalier, que r'estvoirs que jedi; et ele
ment comme traistréisse qu'oie est. — Scingnors , fet li
amporères, conseilliez moi. A tant se lieve .i. sénateurs
de Rome et dist : Sire empi'rèrrs , £e lé voioië , s'il vos
plesoit, que vos méissiez pés en ceste' Cnôsè ; que laiHe
<lioM- est :i prover entre vostre lilz et vnsire famé. Li
uns dieht que e'evf voirs. et li .•iittrc ne si arordont mie.
Commant , fet li emperères , j'ai promis droit à fere ; se
mes fiuz lu destruit, ge n'eusse jamès joie, ainz lusse honni
i toz jorz. Ancore aime je mieulz mon fil l qui est de ma
Di if sir i s.u.ks. 75
char, que ma famé. Et si comme Dieux est droitureus, si en
soit il an droit. — Ainsint en puisse il avenir, fait ses fiulz.
A tant se liève .i. moût bon chevalier qui estoit cosins au
iil l'einperéour ; et dist : Sire emperères, oez et tuit cil qui
si sont : Sire emperères, fet li chevalier, vostre fill a esté en
grant paor en granl mesese ; et merveille est qu'il n'est morz.
Je sui apareilliez por mostrer le pour lui, contre .i. cheva-
lier, cors à cors, qu'il qu'il soit, que ce estvoirsque vostre
iilz dist ; et si comme vos estes loiaus emperères, tenez li
droit, se ge faill. — De droit, fait li emperères, si soie-ge
honniz. L'empereriz trenibloit de paor et d'angoisse. Estes
vos i. chevalier qui estoit des parens sa famé ; et se leva,
\oiaiit touz les barrons et dist : Sire emperères, je suiapa-
reilliez de illustrer par bataille , cors à cors , contre .i. che-
valier, que ce est mensonge que vostre fiulz dist , et que
c'est voies que vostre lame dist. T:mtot fu ostroié l:i bataille,
d'un paît et dautre. — Ce est, fet li emperères, sanz res-
poitier; aie z-vos armer, .le ne mcngeré mes tant que et
gtfra feCi Eu troblée la cort et moult lu merveilleuse «le
eeste avantiire. Que vos feroie-je loue conte? là chevalier
armé vinreut el lurent mis ansemble. Et mont lii Itien gardé
li clums de hauz homes. I.i ainperères list -aider son (il!
«rime part et s;, femme d'autre. I.i rans lu bien le/: et tuit
proieni mcire seingneur que il li envoi.isi vraie denioiis-
trance. I.i «lui chevalier s'eiiirenconirerent par grant ire
et par moult granl force, et hurtèreni leschevax désespé-
rons; et s'antrehurtèrenl des lames sor lesesenz par si
granl vertu que li mis porte l'autre à terre. El furent an-
medui a pi»-. Li chevaliers au Iil/ l'emperéour remonl soi
76 ROMAN DES SEPT SAGES.
son cheval, et tret l'espée. Illeuc fisl nostre sires si grant
demonstrance qu'onques Ii chevaliers à l'ampereriz ne sot
asever à son cheval , einz tu si esbloïz qu'il ne vit nule
gouste, ne nulle clarté. Li chevaliers au filz l'emperéour
hauce l'espée et le fiert tel cop sor le hiaume, qui li deront
les laz, et que li hiaume chiet àterre; et cil qui lu esbloïz chiet.
Li chevaliers au filz l'emperéor met pié àterre, ethauce l'es-
pée, et le fiert du plat de l'espée, siquil'estoune tout et li dist:
Clamez vos vaincuz. Cil ne sonna mot ; et li chevaliers au
filz l'emperéour hauce l'espée et le fiert si qui li enbati très
qu'es dauz; et cil chiest morz. Et lors dist li chevaliers au
fils l'emperéor : Sire emperères, fêtes droit : vos véez bien
commant il est. Et li amperères parole et dit , oiant toz :
Venez avant, fause ampereriz, et treistresse, qui moi et
mon fil voliez honnir. Il la fist venir et garder et fisl fere
.i. grant feu, dehorz la cité. Et il lu tost fez. 11 monta et
fet monter ses gens et ses barrons, et a fet mener l'ampe-
reriz au feu. Et quant elefu au feu, si dit, oianz touz: Je voi
bien, fet ele, que je suialée et que Dieux est droiturieus. Et
dit : Sire amperères, sachiez et vos etvostre baron, que je
:ii eu tort vers voslre filz , si comme vostre sires l'a mos-
tré. Tanstot comme ele ot ce reconneu, liunperères la fist
mesure el feu, et la fist ardoir. Et furent ansamble tant
conme il vesquirent, entre li et son fils. Après l'amperéour,
fu son till :imperères, tant comme il vesqui.
APPENDICES
AU ROMAN DES SEPT SAGES.
U'I'INIHŒS. 79
l
APPENDICE PS 1.
EXTRAIT DU MS. Dl ROI N° 7974 , F" 31 R° , COL. I' ".
A tant es vous l'autre sage venu qui ot nom Jessé, et des-
cendi au degré de la sale, de son palefroi ; assez fu qui li
tint. Puis monta contremont , et puis salua l'emperière et
les autres barons. Après dist à l'emperéeur : Sire , moult
me merveil de vous qui sages hons estes , quant vous ,
pour Le dit d'une lame, volez vostre fiïz destruire , sanz
jugement. Sachiez, vos l'êtes la plus grant merveille que
feist mes si hauz hons, comme vous estes. Et sachiez que
vous en estes moult blâmez de vos barons et d'autres genz.
quant vous tant créez l'empereriz. Sachiez qu'ele ne aime
pas vostre euneur, ne vostre bien, quant ele ainsint vostre
(il/, veult destruire et ocirre. Si pri à Dieu que ausi vous
en aviegne-il conme il (ist à .i. visconte qui jà lu, qui
morut de duel de ce que il avoit .i. pou bléciée sa famé,
el police, d'un eoustel. — Comment lu ce, biau sire? dites
le mol, par amitié.- - Sire, je le dirai volentiers; mes que
li enl'ès soit respitie/ «le mort. — Amis, dit liemperières, si
sera il , car cest. essample vueil je oïr et retenir. Lors dist
a ses srrjaii/. : Kamenez-nioi mon lilz. Et cil l'ont tautosi
ramené , i ai il n'avoient pas grant talent de lui destruire ,
iih-s la volenié li'iir seigneur leur couvcnoit l'ère. I.i enfès
lu ramené-/,, là sages parla et devisa ainsint s;i parole.
80 APPENDICES.
Entendez-moi , sire emperières, dit li sagW : Il ot jadis
.i. vicomte en Loherainne, ' qui avoit une famé que il moult
amoit et ele lui, par samblant. Moult plesoit à la dame
quanque li sires fesoit, et moult plesoit au seigneur quan-
que la dame fesoit. Et tant que .i. jour avint que li sires
tenoit en sa main .i. coustel qui novelement li avoit esté
douez, dont il voloit doler .i. boudon. La dame lança sa
main celé part , tant que par meschéance avint que li cous-
tiax la trencha .i. pou, el pouce. Si commença à seignier .i.
pou; et quant li sires vit ce, si en ot si très grant duel qu'il
en fu landemain morz. Bien sachiez qu'il ne li avint pas
de grant sapience; trop avoit feble cuer, quant pour tel
chose morut. Li cors fu apareilliez et enseveliz , si conme
il dut. Si ami l'enportèrent, et la dame en fist merveilleus
duel. Li cors fut portez au moustier, dehors la vile, où il
avoit .i. cimetière nouvel. Quant le servise fu chanté, si
l'enterrèrent. Le jour meismes qu'il i fu portez la dame
soupire etpleure moult forment, sus la fosse, et dit que ja-
mès ne partira d'ilec desci à la mort, car pour s'amour est-
il mort. Or vcult ele morir pour lui. Ses lignages vint à li
qui moult la blâmèrent, et la prirent à reconforter et li di-
rent: Pour Dieu! dame, ce ne feroiz vous mie, car l'ame
n'iauroit jà preu, ainz en seroit trop pire, etvous meesmes
en seriez vers Dieu trop corrociée. Mes prenez bon cuer,
car vous estes juene dame et bêle , et de grant lignage qui
fera du tout à vostre volenté. Puis que cist est morz n'i a
■ Voyez nu sujet de cette histoire, In première pnrtie de ce volume ,
page 161.
APPENDICES. Si
nul rccovrier, ce sachiez. — Soigneurs , ce dil la daine ,
vous parlez de néent, car bien sachiez que de ci ne me
mouvrai, pour chose qui aviegne , dès ci là que je soie
morte; car pour L'amour de moi, fu il mort. Or vueil-je
morir pour lui. Quant cil virent que la daine ne se mou-
vroit pour proière , ne pour chose que il li déissent, si la
lessièrent ileques toute seule; mes ainçois li firent une
loge seur lui, bien couverte et bien fermant; à tant s'en
partirent, et la dame remest. L'en li aporla busche dont ele
lit l'eu. A celui jour que cil viscuens fu morz, avoit en cel
pais .iii. chevaliers qui estoientrobeeur et larron; et moult
:tvoient la terre et la marche gastée et essilliée , mes ne
pooient eslre ne pris, ne retenu. Celui jour lurent pris par
granl effort de gent ; liez en furent les genz, car moult l'e-
ient de maus. La justise dis! que jà garde n'en feroit , ne
cm prison ne seroient mis. Meintenant les menèrent aus
fourches, si furent penduz.
Un autre chevalier avoit en ceste vile qui avoit merveil-
leuse terre, et moult fesoità redouter, car n'i eust pendu
larron, ne traiteur qu'il ne li convenist, la première nuit,
garder aus fourches. Moult estuit cil lie/ périlleus . mes il
en tenoit moult granl terre. Si li convient, celé nuit, gar-
der ces trois larrons ans fourches. Bfeintenanl s'apareitla
et arma moult bien ; après monta seur SOO «lésiner, et s'en
ala droitement as fourches, touzseus. Ilec s'eatut et \i: les
trois larrons pendu/, l'uni lu ilee que il iert bien mie nui/..
Il lesoil moiill grant froil , Car ce fil environ la Saint An-
drieu, «pie il fet moult granl yven la chevalieraqui gardât
les trois larrons, regarda vers le cimetière ou la daine es-
(i.
82 APPENDICES
toit qui gardoit son seigneur; et vit la clarté du feu que ele
avoit alumé. Lors se pourpensa qu'il iroit au feu, et chau-
feroit ses mains au feu , avec la dame. Lors hurta cheval
des espérons et vint celé part. Quant il fu à la loige , si des-
cend! et atacha son cheval par dehors , puis dist à la dame
qu'ele le lessast entrer léenz. La dame fu toute esbahie;
si li dist que il n'i enlerroit pas : Dame , dist H chevaliers ,
n'aiez doute de moi, car je ne ferai chose qui vous desplese;
ne ne dirai nule vilenie. Je sui li chevaliers qui garde les
trois larrons, et sui vostre voisin. — Sire , dit la dame, dont
poez vous bien entrer céenz. A tant li ouvri son huis et
il entra enz. Puis ala au feu chaufer, car moult avoit eu
granl froit. Quant il fu bien eschaufez, si en fu moult plus
aaise. Li chevaliers regarda la dame ; ele fu bêle et colorée
comme rose. Si li dist : Dame, forment me merveil de vous
qui estes gentis famé, et bêle, et de bons amis, et bien
porriez encore, se vostre plésir estoit, avoir .i. riche home
et poissant qui vous tendront à grant enneur. Et vous gi-
siez ci, lez cestc bière ! sachiez que pour plourer, ne pour
doloser, ne pour chose que vous en sachiez 1ère, ne puet
jamès revivre. Si fêtes que foie de ci ester et de cesl cors
garder, car ce ne vous puet néent valoir. — Sire , fet la
dame , pour Dieu merci , messires fu morz pour l'amour
de moi. Et sachiez que je vueil morir por lui ; ne jamès de
ci ne partirai , tant comme je vive. — Dame , dit ii cheva-
liers, ce ne tien-je mie à sens; bien vous em porriez en-
core repentir, faut a cil chevaliers ilecjues demoré, et tant
parlé a la dame, que uns des larrons li fu emblez, car ses
lignages l'en por ta. Li chevaliers prist a la dame congié et
APPENDICES. 83
s'en revint droit nus fourches ; et quant il y lu , si regarda
amont et ne vit que .ii. des larrons. Lors lu moult esbahiz,
et bien sot que ses lignages l'en ot porté. Or ne set-il que
fere , ne cornent soi conseilliez Lors se pourpensa qu'il
iroit arière, a la daine, pour conseil querre, savoir seele li
porroit doner par coi il poist garantir sa terre , qu'il n'en
fust achoisonnez, et qu'il ne la perdist. Li fiez estoit tiex
(jue se il em perdoitnus, il estoit déshéritez et essilliez.
Meintenant brocha le destrier et s'en revint à la dame , si
li conta s'aventure. Dame : dist-il. pour Dieu, mal bailliz
sui et destruiz , car .i. des larrons m'a esté emblez, en de-
mentiers que je ai esté à vous. Si sai bien, se je aten la jus-
tise, que je ai tout perdu. Or vieng ci demander conseil ,
que vous le me doigniez par amours et par guerredon. La
dame respondi meintenant au chevalier : Sire, se vous vo-
liez 1ère a mon conseil et moi amer, et prendre à lame ,
tel chose vous feroie que ja n'en perdriez vostre lié , ne la
montante d'un denier. — Dame, , dist li chevaliers , je en
ferai tout a vostre lus.
— Sire, dist la dame, or entendez : véez-ci mon seigneur
qui ier lu enterrez. Certes il ne mua onques en la terre ,
m ne blesmi. Desterrons le meintenant, et le portons aus
fourches; et soit penduz en leu de celui qui a esté cmhlez.
— Dame, Ici li chevaliers, moult avez bien disl ; je eo fe-
rai tout a vostre comnani. Meintenant desterrèrent le cors
et l'emportèrent droit à ces fourches. Quant il y sont venu,
si dist li chevaliers a la dam»': Dame, se Dex megarl.je
ne le poudroie pour riens cl monde ; car se je le pendoie ,
tout jorz mes eu seroie plus eoiiai/.. Sire, disi la dame.
S4 APPENDICES.
de coi parlez-vous? je ne quier jà que vous i metez la
main ; car je le pendrai volentiers, pour l'amour de vous. —
Dame , fet li chevaliers , moult avez bien dit. La dame qui
ot lessié le grant duel , et le grant plour , prist la hart , si
la laça entour le col à son seigneur; moult lu tostsescuers
muez et changiez. La dame monta ans fourches et pendi
son seigneur. Après dévala jus, et dist au chevalier: Sire,
cist est penduz ; or n'avez-vous garde soit connéuz. —
Non , voir, fet li chevaliers , mes il i a une autre chose
que vous ne cuidiezpas; car li autres avoit une plaie en
la teste que l'en li fist au pendre ; se les genz s'en aperce-
voient demain, quant il vendront ci, mal seroie bailliz. —
Si le navrez , dit ele, n'avez-vous bone espée trenchant?
si l'en ferez parmi la teste, tant qu'il ait grant plaie ;et se
il vous plest, je l'en ferrai. La dame prist l'espée, si en feri
son seigneur par mi la teste si merveilleus cop qu'ele li
fistune grant plaie : Sire, dit-ele, cist est navrez. — Dame,
voire, fet li chevaliers, mes encore i a une autre chose : li
autres avoit brisiées .ii. des denz de la gueule. — Sire >
dist-ele , si li brisiez , ou se vous volez , je li briserai. La
dame prist une grosse pierre , si em brisa à son seigneur
les (Icnz, en la gueule. Et quant ele ot ce fet , si s'en dé-
vala des fourches. Lors vint au chevalier, si l'aresona :
Sire, fet ele , forment pris vostre amour, quant je ai mon
seigneur pendu. — Voire , dit li chevaliers, orde desloiaus,
l'en vous devioit ardoir eouiine orde lecherresse et larre-
m-w. JoU avez ore oublie celui qui ier lu morz et enter-
rez pour l'amour de vous; mauvese fiance y porroie avoir,
lloniz soi! qui en mauvè&e lame se fie. Quant la dame oï
U'I'I Ni.,'; i - 95
< de parole, si lii esbahie que ele ne sot que dire, ne que
respondre. Or est ele cliéoiste entre deus selles. Ore sire ,
dist li sages à l'emperéeur, autresi vous servira la vosire
lame, se vous ne vous en gardez. Vous la créez miex que
vostre veue; si vous em porroit bien mesavenir; ne créez
pas vostre lame par sa parole, car vous orroiz prochaine-
ment vostre (ilz parler. Lors si sauroiz qui aura tort , ou
lui ou la dame. — Dex,dit li emperières, se je pooie savoir
qui auroit tort, ou lui ou ma feme, certes je en feroie si
cruel jugement comme mi baron sauroient esgarder. —
Sire, dit li sage, de ce ne doutez jà, car bien partans l'or-
rois. — Par loi , dist li rois , donques sera si respitiez jus-
'|ii'' demain. — A tant s'en torna li sages et fu moult joianz
de ce que li enfès fu respitiez. Li emperières remest moult
peosmdl l'cnipeicri/ d'autre part, qui moult estoit dolente
de ce que li emperières n'avoit fet joustice de son fil. Lors
s'alerviit concilier jusques lendemain, que li emperièivs
se leva, et la dame ausi.Lle apela l'emperéeur, si li dist :
Sire, savez-vous por coi l'en fet la leste ans fox ? — Dame,
fet il , nenil. ^)uant ele l'oï, si fist.i. faus ris, et li dist: Sire,
je le vous dirai , car je le sai par aueloritr ; im> \<>us ne
VOlet nul bien entendre que l'en voi^die. — Dame , J'et-il,
m faraf : mes OT me dites pour coi l'en fet la leste ans fox? —
Sire , dist ele, volentiers.
Sire, Kome fu moult gnerrOiée jadis; car .vii. rois paiens
l'avoient Mite en tcle manière < 1 11* il voloient avoir la
diaièie s.iini Père, et l'aposlele inetre à tonnent et a
mort, et tonte < Tesii.-iiié ilestinire. Li (pieiuuns dfl la vile
em prist conseil minent il en porroienl eflptoitfar > entre les
Sfi APPENDICES.
Sarrazins. Lors avoit à Rome .i. home viel et ancien qui
parla et dist : Seigneurs, entendez-moi : .vii. rois paiens
nous ont céenz asis, et vuelent ceste cité destruire, et nous
déshériter; se vous me voliez croire, je vos diroie mon
pensée. Nous somes céenz .vii. sages et somes gentilhome
et de haut parenté; chascuns des sages gart son jour, que
li paien ne nous puissent grever, ne entrer en la vile ; et
qui ce refusera si soit pris et justisiez. Il l'ont volentiers
toit otroié et desfendirent la vile .vii. mois que onques n'i
porent entrer, ne riens mesfere. Mes vitaille failli à ceuls
de denz, si leur ala moult mauvèsement.
Un jour en vindrent à Genus .i. des mestres sages, et
pour celui Genus dit l'en jenvier, .i. mois qui est devant
février. Li autre sage li ont dit : Sire, il est hui vostre jour
que vous devez desfendre Rome contre les Sarrazins. —
Seigneurs, ce dit Genus, tout est en Dieu qui nous vueille
secourre et aidier, et maintenir crestienté ; et nous doint
force et victoire contre nos anemis. Savez que je vous
vueil conmander que demain soiez mit armé conme
pour combatre. Et je ferai .i. engin si merveilleus pour es-
poanterles Sarrazins. Il respondirent qu'il feroient sa vo-
lonté. Lors fist Genus faire i. vestement, et le fist tain-
dre en arrement; puis fist querro queues d'escureus plus
d'iio millier; et les fist atachier à eel vestement et y fist
lire .ii. viaires moult lez, dont les langues furent ausi ver-
meilles comme charbons qui art. Ice In tenu à moultgrant
merveille, et desus fist fere .i. mireoir qui resplendissoit
contre I»' jour, [cil Genus se leva .i. matin, si se vesti
moult bien de re| engin, et puis monta en la tour du ries-
APPENDICES. 87
tant qui moult estoii haute, et porta avec lui deux espées.
Quant il se lu bien apareiliiez, si se mût à l'un des cre-
niaus <lc la tour, devers les Sarrazins. Lors eonmença à
férir des .ii. cspées et à 1ère une escremie et une si fière
bataille que li feus et les estancelles voloient des espées. Li
Sarrazin regardèrent celé merveille, par col engin, si en
furent forment espoanté, ne ne savoient que ce pooit estre.
Lors dist uns hauz lions des Païens: Li DiexdesCrestiens
est à unit descenduz jus à terre, pour sa gent secourre.
Mar a vous acointiée ceste guerre. Tuit serons mort et
ocis et afolé. A tant se mirent à la voie, et lessièrent le
siège de Rome et s'enfuirent, pour l'engin que il virent.
Moult firent grande folie, car riens n'i eussent perdu. Quant
cil de Rome 1rs en virent foïr, lors corurent après. Moult
• •m navrèrent et ocirenl etgrant avoir i conquirent. Antre
si fêtes vus, sin-, vous menez une autre tele note conme
cil qui joue à la pelote: qmiiit il la tient, tantost la giete a
son compaignon.il m'est avis qu'il est bien musait, quanti!
la lient et il la giete et après la redemande, ce tien- je à fo-
lie. Autresi fêtes vous: vous samhlez l'enfant quant il pleine
et l'en ii baille la mamelle , tantoel se test. Autresinl fêtes
VOUS vous estes une heure en .i. corage et une autre en
antre. Cil .vu. Bage vous déçoivent par leur art et par leur
m. Dont vous morroiz à honte, et ce sera à bon droit.
quant vous ne me volez croire de chose que je vous die. Jà
vastes vous bien la prouvance de vostre fils qui me list toute
sanglante el nie deSCÎrama robe. Ce poistes vous bien oïr
et veoir, et que atendez-vous que vous ne m'en venchiei?
Dame, dist li emperières, voiravei dk; lesancvi-je bien
88 APPENDICES.
et vostre robe descirée. Or n'atendrai-je plus, car je vueil
qu'il soit orendroit destruiz. Or oez de la desioial : Diez la
confonde! qui tant set de barat et d'art, qu'ele se deffen en-
contre les .vii. sages, ettouz leur diz met à néent. Lors
s'aïra H emperières et dit que ses filz ne vivra plus. Lors
dit à ses sers : Prenez le moi, et je meismes irai avec vous,
si le verrai destruire. Il queurent meintenant conme cil
qui ne l'osèrent véer, ne desdire ; si leur em pesa il. A tant
es vous que li autres mestres qui estoit apelez Meron,
vint devant la sale et descendi. IN'estoitpas de grant âge;
il n'avoit que .xxviii. ans, et savoit touz les .vii. ars ; sages
estoit et courtois. Il salua l'emperéeur moult cortoisement,
après l'aresona et li dist : Rois emperières, moult me mer-
veil dont vous avez tant de corage : une heure estes en .i.
corage et autre en autre. Vous n'estes pas estables; trop es-
tes tornanz. Si hauz lions conme vous estes ne deust pas
estre si muables. Une heure volez vostre filz ocirre; autre
heure, le volez respitier : vous en créez moult fol conseil.
Si pri à Dieu qui onques ne menti, que il vous en aviegne
ausi conme il fist à celui qui mieulz croit sa famé que ce
qu'il véoit. i — Certes, dit li emperières, il lu musarz, car
ce me seroit moult fort à croire. — Cornent fu ce? biaus
douz amis, dites le moi. — Sire, ce dit li sages, je ne le
vous dirai pas, se vous ne respiliez vostre filz de mort,
jusque demain prime , sanz plus. — Par Dieu! dit li em-
perières, je ne sai que dire, car ma famé veult mon (ilz
faire darnpinT, et vous le volez sauver. Orne sai-jequi a
droit, ne qui toit, ou vous ou li; ou qui le fet pour bien,
ou qui le fet pour mal. — Sii<-, fet li sages, vostre famé a
u'iT.Nmu.s. 8!)
tort qui vostre filz veult en tele manière destruire. Mes
vous en orroiz partans l'achoison et sauroiz toute la vérité.
— Pcx, dist li emperières, se je pooie savoir qui auroit tort,
<>u lui ou ma famé, le loial jugement de Rome en feroie,
ne le lesseroie pour toute France. — Sire, dit li sages, vous
l'orroiz prochainement, et n'en doutez mie, car il ne puet
plus demorer; mes respitiez l'enfant. — Or le souferrons,
dist li emperièros, por l'amour de vous, mes je vueil vostre
essample oïr. — Sire, volentiers.
El reaume de Monbergier1 lu jadis .i. chevalier moult
proisie d'armes et moult erranz; et moult estoit riches
lions ei poissanz. Cil chevaliers jut une nuit, en son lit; il
sonja qu'il ainoit une hele dame , niés ne sot pas dont ele
estoit. te de quel terre fors <pie tant que s'amour le des-
iraignoit. Il sot moult bien que se il véoit la dame, il la
connestroit. Meintennnt la dame sonja que ele amoit le
chevalier ensenient, niés ne solde quel terre il estoit nez,
ne de quel contrée, mes que s'amour la destraignoit. là
chevaliers s'apareilla, et charcha deus sonmiers d'or et
d'argent ; et puis se mist à la voie pour querre celé dame
que il avoit songiée, ne il ne sot quel part aler, ne où il en
pon ni oir novelle. Einsint erra bien trois semaines, que
mile chose ne trouva de ce qu'il aloit querant et tout jourz
esperoil qu'il trouveroit celé dame, Tant erra qu'il vint en
Hongrie, une terre moult riche. lotstela mer trova .i.
chaslel qui fu clos de mur doul la tour iert haute et fort
là sires eni cil chastiaus estoit , fu haïz de ceuls du pais.
VweiAU <ii|f| (loin coule l.i pn-iiiicri' |i.irlir Ho ro \n|iimc y*zr I *.s
90 APPENDICES.
Une famé avoit moult bêle ; el pais n'avoit sa pareille de
biauté. Li sire l'amoit tant qu'il en estoit jalons, etl'avoit
enfermée en la tour qui estoit si haute et si fort conme
l'en pooit deviser. La dame i fu enclose , ne n'en issoit ne
jour ne nuit. En la tour avoit huis de fer bien barrez. Li
sires emportoit les clés tôt jourz , avec lui, car il ne s'en
fiast en nului. Cil chastelains avoit grant guerre que uns au-
tres hauz lions li fesoit, qui li destrui(soit) et gastoit sa terre.
Es vous le chevalier venu dedenz la vile : si conme il i en-
troit , si regarda seur destre , devers la tour, si vit la dame à
la fenestre. Si tost comme il la vit, si sot bien que ce estoit
la dame qu'il avoit songiée. Lors conmença à chanter .i.
son d'amour, et à bien petit que ele ne l'apela, mes n'osa
pour son seigneur. Li chevaliers entra ei chastel, et trouva
le seigneur qui se séoit sus .i. perron. Cil descendi , puis
le salua moult courtoisement et li clist : Sire, je sui .i. che-
valier qui auroie mestierde gaaingnier; si ai moult de vous
oï parler : recevez moi , se il vous plest , et je vousserviré
moult volenliers; car je n'ose en mon pais demorer, pour
ce que je y ai .i. chevalier ocis. — Bien soiez vous venuz,
dit ii sires, car je vous recevrai moult volontiers, et en ferai
grant joie; car je ai grant mestier de soudoiers; car ci
après sont mi anemi qui me gastent ma terre.
Li sires, lefisthebergieren la vile, chiez.i. hourjois riche
home. Li chevaliers fu cortois et hirges. Que vous iroie-je
contant? Tant fist li chevaliers par ses armes, et par sa
proesce, que il prist les anemis à cel haut home, et afina
la guerre du tout ù sa volenté. Moult l'a ma li sires et ho-
nora; etli abandona son trésor elle fist seneschal de toute
APPENDICES. 91
«a terre, luit cil dou pais l'amèrent, quant il leur ot leur
guerre aquitée. .1. jouraloitli chevaliers déduisant par mi
la vile , et tant qu'il vint devant le chastel , là où la dame
estoit : si tost conme la dame le vit , si le connut. Tantost
prist .i. gros jon crues dedanz; si le lança, si que le gros
chiei' en coula jus et le gresle desus. Li chevaliers le prist
et le trouva crues. Lors se pourpensa que ce estoit sene-
fiance que il pourohaçast comment il entrast en la tour et
parlast à la dame. Einsintlessa bien .viii. jorz li chevaliers
que de riens n'en avoit parlé , tant que vint .i. jour qu'il
apela son seigneur, si li dist : Sire , par amours , donnez-
moi une place jouste celé tour, où je començasse une me-
sun , là où je me deduiroie plus privéément; et mon har-
nois y metroic. — Amis , dist li sires , bien le vous otroi :
fêtes par tout vostre plésir et voslre volenté. Quant cil oï
ce, si fu moult liez. Tantost iist mander charpentiers et
maçons, et iist fere celé meson qui moult lu bêle et riche;
et lu joignant à celé tour où celc dame estoit. Chambres et
soliers y ot assez. Cil chevaliers se porpensa cornent , ne par
quel manière il poïst parler à la dame qui en la tour estoit.
I iusint avint que en la vile avoit .i. maçon qui n'estoit
pas du pais. Li chevaliers s'ac-mita de lui et li dist : Amis.
me porroie-je lier en toi d'une chose que je te dirai, que
tu ncmViiriivisscs. — Certes, sire, dist li maçons, oïl: bien
vous me poei dire ^purement vostre volonté; car jà par
moi n'en seroiz ençu&ez,, ne descouvor/.. — Amis, dit li
chevaliers, Ul as moult bien dit , et je te fêté riche home.
Soi m que j«' te TUeil dire ? Je aime eele dame qui est en
i ele tour; bj voudroie que tu la tour me perçasse si soutil-
î>'2 APPEMHŒS.
meut que nus ne le poist apercevoir; et fai tant que je
puisse à la dame parler. — Sire, dist li maçons, ce vous
ferai je oien. Lors apareille son afère, et perça celé tour si
bien et si soutilment que il vint tout à son droit , là où la
dame estoit.
Quant il ot ce fet, si s'en revint au chevalier et li dist:
Sire, or poez aler à votre amie quant vous plera, car je ai
la voie bastie et fête. Quant li chevaliers oï ce , si fu moult
liez ; mes de ce fist-il trop grant cruauté qu'il ocist le ma-
çon , car il doutoit que par aventure ne le descouvrist et
encusast , car bien voloit celer son afere et couvrir. Il
monta amont toute la ruelle , ainsint corne le maçon l'avoit
fête. Et quant il fu amont, si souzleva l'entableure qui fu
faite par soutilleté , et entra enz , et vit la dame qui estoit
si bêle et si gente que ce estoit merveilles à regarder.
Quant la dame vit le chevalier, si en otgrant joie, car bien
sot que ce estoit , ses amis celui que ele avoit songié, si li
dist : Sire, bien soiez-vous venuz. Li chevaliers li respondi :
Dame, vous aiez bone aventure, comme ma dame et m'amie
et la riens el monde que plus aing. — Sire, si faz-je vous,
ce dit la dame, plus que nul autre. Li chevaliers l'acole et
Im'sp, si conme chevaliers doit fere s'amie. Leur plésir et
tettf volenté firent comme gent qui moult s'entre amoient.
Li chevaliers n'osa plusilecdemorer; car il crémoit que li
sires ne venist, si prist congié à la dame etli dist : Dame, ne
vous plait-il, m'en covient aler; car je ai doute de vostre sei-
gneur; mes je revenrai si tost conme je aurai lesir. — Sire,
dist la dame, à vostre volenté. La dame li donna au départir,
par amors, .i. anel d'or dont la pierre estoit moult riche.
API'KMMŒS. 93
A tant son torna li chevaliers par rni la ruelle, si conme
il estai! yciiiiz, et referma bienTentabléure ; puis ala es-
banoier el bore , et trouva le seigneur à la dame. Si vint
( ( |r pari el le salua, et li sires li dist que Lien fust il ve-
nuz. Puis le fist de lez lui seoir, et parlèrent de maintes
choses. Li sires regarda el doi au chevalier, si connut son
anel qu'il avoil donc à sa lame. Quant il l'ot aperceu, si se
merveilla moult et pensa que ce estoil ses aneaus, et moult
lu esbahiz. xMès ne le vost mie entercier; car il ne voloit
pas 1ère honte au chevalier. Tout maintenant s'en estd'ilee
lornez. Quant le chevalier vit ce, si s'en retorna d'autre
paît, et monta par mi l'entableure, en la tour où la dame
estait et li jeta l'anel. La dame le prist et le mist en sa
bourse, et cil s'en torna. Li sires monta en sa tour qui
rnoult estoit fort et haute; si y avoit des huis de 1er. Li
Sires les desferma, puis prist les des ; car il ne s'en hast en
uelui, et s'en vint à la dame. Si la salue, et s'asist jouste
li el h demande comment il li est : Sire, let la dame, il
m'est assez mauvèsement, car je sui ci toute seule et m'a-
vez, enfl nuée en teste tour, comme se vous n'eMSSiez em-
blée ; si eu sui moult doleule el eorroeiee. — lia ! (lame, ne
VOUS rulirroeiez, ne n'en suiez doleule. carce ai-je Ici |m,|h
la graut amor que je avoie en vons. — Sire, let la dame, à
SOVfrir le me convient ; mes sachiez qu'il ne rfi'esl pas bel.
Li sire-, dist ;| |;, dame ; Ou esl li aniaus a la riche pierre
cpie je vous douai? — Sire, dist la dame, que en avez-vous
a fore? je le gNréirai OlOUlt bien. l'ar fui! dame, dil-il.
je le \ciiil vcoir. - Sire, dist-ele, puisqu'il vous plesl, si
le vciidiz. Mcinlcnanl le très! la dame de s'auinosnière ,
94 APPENDICES.
si le nionstra à son seigneur. Quant li sires le vit, si
se merveilla moult que ce pooit estre, car celui que li
chevaliers avoit ensondoi, sambloit mieulx celui que riens
du monde. Lors dist en son cuer que assez sont aneausqui
s'entre resamblent. Celé nuit jut li sires avec sa famé, en
la tour, à grant déduit. A landemain, se leva matin et ala
au moustier oïr messe, et li chevaliers ensement avec lui.
Quant le servise fu fine , 'e seigneur apela son soudoier
moult courtoisement : Amis, dit-il, venez en avec moi, el
bois, chacier et déduire. — Sire, dit-il, je ni puis aler ; car je
ai oies noveles de mon pais, que ma pès est fête et que mi
ami la m'ont pourchaciée ; et une moie amie m'en a nove-
les aportées. Si vous pri el requier que vous mengiez en-
nevois avec moi, et me teigniez compaignie. — Certes, fet
li hauz lions, moult volentiers, quant il vousplest. Lorsfist
li sires apareillier ses genz et ses chiens, et s'en ala chacier
elbois.Li chevaliers se pourchaça de viandes, et fist appa-
reillier moult biau mengier. Lors s'en monta en la tour, et
fist la dame descendre, et la mena en sa meson,et la fist des-
vestirde sa robe; puis li fist vestir une bêle robe qu'il avoit
de son pais aportée. Nus ne l'avoit encore veue, car il ne
l' avoit encore pas montrée ; si la list vestir à la dame , et une
moult bêle chape fourrée, et li fist mètre aneaus d'or et d'ar-
gent en ses doiz. Moult fu celé dame desguisiée. A tant es
vousveniile seigneur du bois, qui avoitehacié; le mengier
fu apareillie ne ni ot que délaver. Li soudoiersala encontre
son seigneur, et l'amena avec lui , en sa meson. Tout fu
apresté; les tables furent mises, l'eve fu donée, si asirent
au mengier.
APPENDICES. 95
Li soudoiers fist le seigneur mengier avec la dame. Li
sires la regarda assez, toutadès, et se merveilla moult que
ce pooit estre , car ele resambloit inieulx sa famé que riens
du monde. La dame le semondoit et esforçoit de mengier;
m«'s il ne pooit mengier, tant estoit esbahiz; mes la tour
qui esroit fort le decevoit ; car il ne euidast tele traïson pour
riens née. Moult pensa et dist en son cuer, que assez sont
laines qui s'entreresambleut et de cors, et de façon, et de
chière, ausi conme de l'anel qu'il vit el doi au chevalier,
qui resambloit celui qui sa famé avoit. Li soudoiers fist
moult bêle chière et moult honora son seigneur. Li sires
demanda qui estoit celé dame? Li soudoiers respondi : Sire,
» !c est de mou p;iïs , une moie amie qui m'a aportées no-
veles que mi ami ont fête ma pès et pourcliaciée ; si m'en
convient prochainement aler. A tant ont celé parole lessiée
ester; Quant il orent mengié a leur volenté , les tables fu-
reni OStée. Li sires prist congié, si s'en ala; car moult li
estoit tari qu'il véist sa famé , pour celé qu'il avoit veue en
la meson au BOudoier. Quant li chevaliers vit que li sires
si n lu tornez, lois list la dame devestir de celé robe et li
tist vestir la seuc, puis l'en envoia parmi la nulle. Celé
sou/leva l'entableure, si cuira en la tour, lu li mi .s vint aus
huis, m desferma l'un après l'autre, tant qu'il vint amont,
ru la tour, et vil sa lame. Si en Otmouit grant joie, ci moult
forment se merveilla de celé qu'il avoit lessieequi forment
liresambla. Gelé uuitjut avec safeme, en la tour, a grant
joie ci .1 grant déduit; mes je ne cuit pas qu'il l'ait lon-
guement; car le chevalier pourchaça landemain, et loa
une aefoù il mist ses ni"v\ tout ce que il voloit mener en
î)0 APPENDICES.
son pais. Li sires se leva bien malin, et ferma bien sa tour,
et lessa sa famé gisant, et ala à l'églyse, etlisoudoiez ala
en la tour, et fist la dame descendre et la fil moult bien vestir
et apareillier. Après revint à son seigneur, si li proia et dist
que li donast s'amie à lame, celé qu'il list mengier avec lui ;
car il ne l'avoit pas espousée , mes or li venoit à talent
qu'illa préist à famé : Certes, dit li sires, ce ferai-je volen-
tiers. Dui chevalier alèrent pour la dame querre et rame-
nèrent au moustier. Li sires prist sa famé par la main et la
dona au soudoeir. .1. chapelain chanta la messe et espousa
la dame au chevalier. Quant le servise fu finez , il issirent
hors du moustier. Li soudoiers enmena la dame au ri-
vage, où il avoit la nef lessiée. Quant il furent luit venuz,
si prist le chevalier congié au seigneur et le conmanda à
Dieu , etli sires lui. Li soudoiers entra en la nef et li sires
prist sa famé, si li bailla par le poing; bien en dut perdre
son soulaz , quant en tele manière li a livrée. Li marinier
empaindrent en mer, et li sires s'en retorna à sa tour et
desferma les huis et monta amont. Il regarda avant et arière,
mes il ne trouva pas sa famé. Lors fu si esbahiz qu'il ne se
sot conseillier. Moult fu espoantez. Lors se conmença à
démonter et à plorer ; mes ce fu à tart au repentir. Par la
foi que je vous doi, sire emperières, aussi ouvrez vous et
en tel manière. Celé faine vous argue, si que vous la créez
mieul/que vostre veue. Et sachiez que vous orroiz demain
votre filz parler. Lors si sauroiz li quex aura tort, ou vostre
famé ou lui. — Dex , dit li emperières, si je pooie la vérité
savoir li quex auroit tort, ou lui, ou ma famé, le loial juge-
ment de Home en feroie, ne le leroie pour riens du monde.
APPENDir.KS. 97
— Vous l'orroiz, dist li sages, demain parler, sans l'aille,
< ai il De puet plus demorer. — Par saint Denis, dist li rois,
dont ne ne morra il luii mes; et de ce sui-je moult liez que
je l'orrai demain parler; car ce est la riens el monde, que je
plus désir.
A tant s'en torna li sages, et la dame lu moult dolente et
< sperdue. Or ne set ele que dire, mes bien sel que ele sera
honnie) puisque li enfès parlera. Li emperières ala celé
nuit coudrier; ausi (istl'empereiizqui moult iert dolente.
Si tost conme il vit le jour, il se leva pour oïr messe ; et
moult li estoil tart qu'il oïst son filz parler. Tuit li baron
s'atornèrent et apareillièrem moult richement , car il sa-
v lient que li enfès devoit parler celui jour. Dames et che-
valière ei liorjiiis s'acesinèrent plus bel. Car moult orent
grant joie de <cl enfant <pii parler devoit. Li .vii. sage alè-
renl au inuiisiier, ei OOOUll biau s'apareillierenl. Quant la
messe lu chantée, il s'asamblèrcnt , si s'arestèrenl en une
bêle place» devant le moustior. Li duides sagesalèrent poul-
ie d;iintiise|. Lj enfès lu moult bien veçluz ,i moult estoil
genz et biaus. Lj sage l'amenèrent en la place, devant son
père. Uec fil asis, seur .i. perron. La noise et li cri/ lu
grau que l'en ni oist pas Dieu louant. Li enfès s'est age-
noilliec, tant que li puepless'acoisa. Lors se leva en estant,
et parla si haut que mil le porenf oïr, ei disi ;i sdii père :
Sire, p0UI Dieu inerei, VOUS OSteS à grant toit COITOCiez vers
moi; cai \>>us poezbien croire et savoir que mouli estoit
granl l'actyoiaon pour coi je ne parloie; car nousvéismes
en la lune, toute la some (pie se je parlasse, ne tant ne
quant; pour riens je ne me tenisse que je déisse tel chose
7-
98 APPENDICES.
par aventure, dont je lusse honizetmi mestretuit .vii. des-
truit. Et biau douz père, vous voliez 1ère ausi conme uns
hauz bons fistqueje oï conter, qui jeta son filz en la mer,
porce qu'il dit qu'il seroit encore plus hauz lions que son
père, et en greigneur ennenr monteroit. Lors dist li empe-
rières : Biax fils , il est bien droiz que nous oiens le vostre
essample, car chascun des sages a dit le sien, pour l'amour
de vous; si leur devez savoir moult bon gré de ce qu'il vos
ont tant sauvé ; et moult se sont pour vous pené et tra-
veillié. Lors dit li enl'ès : Je le vous dirai.
Il lu jadis .i. riche vavasourquiavoit un fil moult cortois,
et moult sage. Si avoit bien entour .xii. ans. .1. jour se mi-
rent en .i. batel , le père et le fil , et nagièrent par mer, por
aler à .i. reclus qui estoil seur .i. rochier. Tant que sus
euls, comencièrent à crier .ii. corneilles, et au chief du
batel s'arestèrent : Ha ! Diex , dit li pères à son fil, que
pueent ore dire cil oisel? — Par toi, biau père, dit li enles,
je sai bien que il dient. H dient que je monterai encore si
hautement, et serai em or. m hauz homs que vous seriez
forment liez, sejedaignoie tant soufrir que vous me tenis-
siez mes manches, quant je devroie laver mes mains; et ma
mère seroit moult liée, se ele osoit tenir la touille où je es-
: oie. Quant li pères oï ce , si en fu moult corrociez, et
en ot grantduel au cuer: Voire, dit-il, si monteroiz plus
haut de moi. Par mon chief! je laiissferai vostre argument.
Lois prîst son !ilz , si le jeta en la mer. Li pères s'enala,
nàjânt en >ou al'ere, et lessa son enfant eii la mer, en t<-l
manière. Li nfès sdvbît des ùons nbstre seigneur ;; si re-
;i Dieu de bon cuer, et L)ex oï sa prière , car il ariva à
WM'I NDW I S. 99
une roche qui estoit en la mer. lleques fu trois jourz que
Oiques ne but, ne ne menja, ne vil, ne n'oï mile riens
De mes les oisiaua qui H disoient et crioient en leur lan-
gage, que mar a'esmaieroit, car il auroit partans secours.
A tant es vous i. peschéeur qui vint ccle part, droit a
lui, si conme Dieu plot. Quant il vit cel enfant, si en fu
moult liez. Maintenant le mist en son batel et l'enmena
(oui droit à .i. chastel qui est oit moult fort; .xxx. luies es-
toit loing de cel port où son père le jeta en mer. Cel pes-
chéeur vendi cel enfant au senescbal de cel chastel , .x\.
marz d'or en ot. Li seneschaus l'ama moult, et sa lame
ensement, car li enfèa estoit si bians , et si coui'iois , et si
riables que tOUZ li mondes l'amoit. Adont avoil en Bel
pais, .i. roi qui moult estoit pensis el dolcnz, car nuis oi-
siaus crioient sear lui , chaseun jour, «'i de&ênoienl s-i gram
diirl queoe estoit une merveille; ei tout adès suioieni le
roi partout là <>u il aloit. là au mostier, ei quant il menjoit,
tout jourz crioient seur lui. Li rois se merveilloit moult
que oe | >ooit estre, uns mis De li savoil à dire que ce pooil
Méfier. I. jor, manda li rois tout son baroàge, pour ceste
merveille savon . se aucuns !i sauroil a dire que ce porroii
tenefier. Li baron de la terre y aièrenl tuit. Li seneschaus
disi ;i la laine que , •!■■ v voloit alcr : Sirr. disl l;i daine , de
par Dieu. -- ll;i ! sire , dist li enfès, lessiez-moi avec vous
iter. \inis , <iist H senesohaus . volentiers. A. tant s'ed
wnèreni el errèrent tani qu'il vindrenl a la rouit, ou toit
baron estoieni venux <-i asambles. 1m quant li roi- \u
que t »iu luifiu venu; si parla en baul . «i dis! a ses barons
qui la furent atambté : Sei( ueur, dit-il, s.- nus de vous m
100 APPENDICES.
savoit à dire pour coi cil troi oisel crient seur moi , je li
donroie la moitié de mon réaume , et ma fille à famé. Li
baron se turent tuit, si qu'il n'i ot .i. qui mot sonast fors le
perillié damoisel qui vint avec le seneschal. Cil en apela
son seigneur : Sire, dist-il , se li rois me tenoit couvent ,
si corne il a devisé, je li diroie bien pourcoi cil oisel crient
et mainent tel martire. — Amis, le savez vous ? dist li se-
neschaus ; car se li oisel ne s'en aloient, vous n'en seriez
jà creuz. — Sire, dist li enfès, je li dirai moult bien. Lors
s'est liseneschauz levez em piez, et dit au roi : Sire, se vous
voliez tenir le covenant que vous avez devisé , véez ci .i.
enfant qui vous diroit bien pour coi cil oisel crient desus
vous. — xVmis, dist li rois, je l'otroi bien.
Lors s'est li damoisiax levez , et touz li barnages le re-
garda, car moult estoitbiaus. Lors parla li enfès et dist :
Entendez, sire rois, et tuit vostre baron. Véez vous là sus
ces oisiaus qui crient et demainent tel rage? Savez-vous
quex oisiaus ce sont? C'est une corbeet .ii. corbiaus. Véez
vous cel grant corbel qui est là touz seus; il a bien tenue
celé corbe .xxx. anz, puis la lessa; si vous dirai cornent.
L'autre anleva une moult grant chierre ; celé année, si la
guerpi pour le tans félon. La corbe remest esguarée et quist
ailleurs sa guarison. La terre où ele estoit, remest dé-
serte ; ele se torna par povreté à cel autre corbel qui la
jeta du félon tans. Or est leviel corbel revenu qui la veult
avoir. Mes cil la li chalange et dit qu'il ne l'aura, se droiz
n'est; car il la doit avoir qui l'a du félon tant getée etgua-
rantie, qu'ele fust morte s'il ne fust. Or en sont venuz à
jugement à vous, que vous leur laciez bon et lëal : car ausi
APPENDICES. 101
tosi conme vous leur auroiz l'et le jugement, li qtiex li«
cloil avoir, ii s'en départiront. — Certes, dit li rois, cil qui du
félon tans l'a {jetée , la doit avoir. Toit li baron si sont
acordé et (lient que li autres n'i a nul droit, quant il l'a
guerpi ou lV'lon tans; car il ne remaint mie en lui qu'ele
n'est morte.
Quant le viel corbel oï ce jugement, si jeta .i. si dolereus
cri que tu il s'en merveillièrent; si s'en ala ; et li autre dui
s'en alèrent d'autre pari, grantjoie fesant. Quant li rois vit
ce , si en lu moult liez et tuit li baron tinrent l'entant à sage.
Li rois li tint bien covenant, car sa tille li a donée et l'éri-
tage, si comme il li avoit devisé ainçois; rois tu puiscoro-
iii ■/.. Tuit h baron l'ennorèrent et amèrent moult. Einsi fu
tant que .i. jour, se porpensa si remembra de son père et
de sa mère qui Forent otaén en granl povreté <'t s'enl'oï-
rent de leur terre, et vautrent en celui païs dont leur tilz
estoil rois, liée furent au bourc Saint Martin. Li lil/. savoit
bien leur repère. .1. jour apela .i. sienserjanl et li dist :
Sez-tuquejetevueil commander? Ilcovientquetumefaces
.i. mesage secréement. — Sire, dist li lerjanz, moult vo-
lentiers. Va . dit li rois . au Plesséiz , ai demanderas
.1. home qui aovelemeni y csi venuz, qui a non dirait le
fils I bierri. ( «elui me salueras et li diras que li juenes rois
doit venir pur Uec, <'t veult demain disner avec lui. — Sire,
ce disi li messages, je li dirai bien. Loi se miafl cil à la
voie fi erra tant qu'il vint au Plesséb : ei demanda le preu-
dome que ses Bires li ol enseignie tant qu'il le trouva. Il 1<'
ilu.i iiimiiIi lui. Apns dis( : Sire, li juenes mis vous salue
et vous mande qu'il se veull demain disner avec vous. —
102 APPENDICES.
Amis, dit li preudons, bien soit-il venuz; mes de ce sui-
je moult dolenz, que je ne li ai que douer; mes ce que
je porrai avoir sera en son commandement. A landemain
vint li rois en la vile, et descendi en l'ostel son père, car
bien Tôt demandé et enquis. Quant li rois descendi, son
père li corut à l'estrier, car ne sot pas que ce fust son filz.
Mes li rois ne le vost soufrir ; mes le fist tenir a .i. autre.
Quant li rois fu descenduz, l'eve fu donée. Li serjant la
portèrent pour laver. Li pères vint au roi, si vost tenir ses
manches; mes li rois ne le vost pas soufrir. La mèreaporta
la toaille ; mes li rois ne vost essuier ses mains, ainz la fist
a .i. autre serjant baillier.
Quant li rois vit ce, si dist à son père : Beau père, or est
bien avenu ce que je vous dis, quant vous me jetastesen la
mer. Sachiez jesui vostre filz. Moult féistes grant cruauté.
Or poez-vous apercevoir se je vous dis vérité. Quant li
pères Toi, si fu moult esbahiz et pensis. Lors se tint moult
à engignie, Autre si voliez-vous fere, bi;ni père, de moi ;
ce m'est avis, qui me voliez ocirre et destruire sanz juge-
ment; ne je n'avoie pas mort deservie, ne que cil qui lu
irebuchiez en lamer.Cuidiez-vousque se je seurmontasse
et venisse , par aucune aventure, à plus haute enneur de
vous, que je pour ce vous grevasse? Certes nenil. Ainz me
lessasse ardoir que je l'éisse vers vous chose que je ne
deusse. Bien est voirs que ma dame me pria que je aveques
li me couchasse; mes je ne le féisse, ainçois me lessasse
desmembrer.— Fu-ce voirs? dame, dit li emperières :'<
l'empereriz. Gardez-vOUS que vous ne me meniez mie. —
Suc oïl, disl la dame, oïl por ce que je doutoie et avoir
\l'l'EM)li Lb. 103
poour qu'il ne vous destruisist, et qu'il ne vous tolist
l'empire.
haine, dist li emperières, bien vous estes jugiée, quant
vous L'avez reconnéu; bien avez mort déservie. Or auroiz
tel martire comme il atendoit à avoir que vous li aviez
pourehacié, et si n'i avoit courpes. Lors a ses barons ape-
lez : Seigneurs, dist-il, niez, l'êtes .i. feu delivremont, si
ardez ceste desloial qui si grant desloiauté voloit fere de
mon enfant destruîre, à si grant tort. — Sire, font li baron,
volcntiers. Lors firent meinlenant fere .i. grant feu et puis
gelèrent enz la maie dame, liée reçut déserte de sa grant
irafeon. Li corsfu en petit d'eure (inez. L'ame ait cil qui
l'a deservie! Einsint vont à maie (in cil qui traïson quiè-
icni el pourchacent. Et leur en rent Diex déserte, qui pas,
ne ment , tele comme il doivent avoir.
APPENDICE N- 2.
K.XTRAIT DU ROMAN DBS SI.Pï BAGBS RI ROMI . Dintld A
GBNBY] i \n .m. « < ci i wwij. i.i: .winj. IOUB DE siay.
I vol.. in-1", <;0TH. — MBI.. m i bRSBNAl N° 1309, in- 'i
i ce loi/., lui ung empereur qu'avoil trois clievalicrs, les
queux il avoit Hm<t sus tons. El <'n celluy temps, en la cité
de Romme, ayoil ung chevalier ancien el fort vieux , le-
quel prist a femme nue jeune damoiselle très belle, la-
quelle il aymoil el lenoit mouli cuièrement, ains) commen)
104 APPENDICES.
vous aymés l'emperière vostre femme. Ceste dame chan-
toit mélodieusement bien et doulcement, et tellement que
par son doulx chanter, elle faisoit venir pluseurs hommes
en la maison de son mary, et estoit désirée et solicitée de
pluseurs. Advint un jour, qu'elle estoit sur les loges et ga-
leries de la maison, de la part du chemin publique, et vit
ceulx qui passoient , pour se monstrer et faire regarder,
elle chanta sy doulcement que tous prenoient grant plaisir
de la ouyr. D'aventure à l'eure, par là passa ung chevalier
de la court de l'empereur, et escoutant celle doulce voix,
il lève ses yeux sus elle, et la regarda affectueusement,
tellement que subitement il fut surpris de son amour, et en-
tra en la maison. Puis la commence soliciter d'amours, en
disant : Quoy vous porroye-je donner ? et vous dormes
une nuyt, avec moy. ■ — Elle respont, sans grant délibéra-
tion : Sire, vous me donrés cent florins. — Or me dites,
fait le chevalier, quant je viendray? et alors je vous donrnx
ces florins. Elle dit : Sy tost que j'auray la opportunité du
temps , je le vous fairay savoir. Le jour suyvaut, ceste
femme, en celluy lieu, se mist à chanter comme par avant,
et à celle heure, ung chevalier passa par la rue, qu'estoit
de la court de l'empereur, qui fut surpris de son amour,
et lequel, pour dormir avec elle, luy promistcent florins;
auquel elle promist faire scavoir le temps qui viendrait
ver elle. Le tiers jour suyvant, ung aultre chevalier passa
par devant la maison; et fut fait et promis comme au*
aullresqu'avoient tous convenus donner cent florins. Ches-
<un de ces trois chevaliers, sans si avoir l'un de l'aiiltrc
parlèrent à la daine secrètement, comme dit est. Mais ceste
APPENDICES. 1 OH
dame pleyne de cautelle, et grant malice, vint a sou mary
el luy dit : Sire , je tous ay à dire aucune chose en se-
crest, et vous prie que vous me créez; et se vous le faites,
nostre povreté sera fort supportée. — O ma dame , dit le
mary , très volentiers ton secrest tiendray celé, et de mon
pouvoir je Iairay ce que tu conseillieras. — Je vous dis,
t'ait-elle, que trois chevaliers de la court de l'empereur
sont venus a moy, l'un après l'aultre, et sans scavoir l'un
de l'aultre, et chescun de eux m'a présenté cent florins.
Que voussemble-t-il que je doy faire, sans estre congneue,
ne decelée?Etne vous semble-t-y pas que cent florins du
i lu scun nous lacent grant secours, tant pour nous habiliter
i omiih pour nostre vivre?— Certes ouy, dit le mary, pour
t : i ut j acompliray tout ce que tu conseilleras. — Elle res-
|i"iit : Je donne cestuy conseil que je les iairay venir l'ung
après l'aultre. là quant l'un sera entre'1 en la maison, a
tout les cent florins, vous serés derrier la porte à tout vos-
tre glayve bien Branchant, et le mectrés à mon. Et par
;nns\ . Bans estre COgnuene charnellement, les cent florins
seront nostres. - — O ma femme ires chière et bien armée,
j'ay gmnt paOUr que un sy grant ma) ne se puisse pas bien
«eler pourquoi aou6 en portions estre pugnyseï morir hon-
teusement? — Ne vous doublés, dii-elle, je coinmencerav
le euvre et vous la niectra\ a exécution seurenieni , el
ne \ ueilles point avoir de crainte. Quant le chevalier vit le
grant courage de sa femme, laquelle vouJoft faire l'euvre
toute seule, et qu'elle n'en l'aisoil point de double, il plisl
edtrage d'acomptyr ce qui fut entrepris Incontinanl la
daine lit venu l'un des chevaliers, el a lelle heure : lequel
106 APPENDICES.
ne se oblia pas, mais vint en la maison et frappa à la porte.
La dame luy dit : Avés-vous aporté cent florins? — Le
chevalier respont que ouy et que sont tout contens. Elle
ouvra la porte; quant il fut dedens, le mary frappe desus
et le occist. Puis semblablement fut fait au secund che-
valier; puis au tiers, et les corps de ces hommes furent re-
traist en une chambre secrète. Et puis dit le chevalier
murtrier : O ma femme, se ces corps sont trouvés en nostre
maison, nous serons mis à mort très honteuse; et il est im-
possible qu'on ne face poursuyte et inquisition par la
court de l'empereur, pour scavoir que ces chevaliers sont
devenus. — Sire, dit la femme, j'ay commencé cesluy af-
faire, je le mectray à bonne fin, ne vous doubtés de rien.
Geste femme avoit un frère qu'estoit champion et garde de
la cité, lequel fut demandé par elle secrètement, quant il
aloit de nuyt, avec ses compagnions. Etainsyqui passoit,
elle le prist à part et luy dit : O mon très chier frère! je l'ay
à dire aucun grant secrest lequel tu tiendras soubz confes-
sion. Quant il fut en la maison , le mary le repceust gra-
cieusement. Et puis quant il eust fait ung petit de colla-
cion, la dame sa seur luy dit : O mon frère très chier! voy
(v la cause pourquoy je vousay demandé: c'est pour avoir
de vous conseil et aide. — Dys moy hardiement, fait le
frère, ton cas, et je te ayderay de tout ce que je pourray; et
te lie de moy. Mon frère , dit-elle, hier entra céans par
bonne amitié ung chevalier, mais après aucunes paroles
injurieuses, il tomba en débast avec mon mary, lequel
quant plus n'en pouvoit soustenir, ilz se mirent à se frapper
tellement quecelluy chevalier fut occist par mon mary. et
M'I'KMIK I - 107
est mort en une chambre, près de nous. Pourqnoy, mon
frère, il n'est vivant au monde auquel nous ayons si granl
confiance comme en vous; et se cestuy corps mors selreuve
en nustre maison, nous serons mors et défiais, Et ceste
Femme ne fit mencion se non de l'un de ces chevaliers
mors. — Je te diray, fait le frère : met le en un sac, et je
le porteray en la mer, tellement que jamais n'en sera nou-
velle. Ceste femme fut très joyeuse de ces paroles, et mist
le corps du premier chevalier dedens le sac, et son frère
le chargea et légèrement le porta jusques à la mer, et le
gecta dedens. Puis relorne en la maison et dit : Ma seur,
donne-moy boire <le hou vin, car j'ay Lien faite la besoi-
gne. Elle le remercya grandement. Puis entra en la cham-
bre où estoient les COrps <le deulx aultres mois: puis par
une plainte faillie et de granl admiracion, va dire : O mon
frère! en vérité le corps que vous avésgecté en la mer est
retorné. Hou son frère le champion fut merveillieux, et
puis dit de grant courage : Remest-le au sac et j'essayerai
si retornera, ou sy ressucitera. Et ainsy il porta le corps
dn second chevalier, pensant que ce fut le premier. Et le
porta jusqnesà la rive delà mer, et puis luymisi une pierre
bien peyssante an col ,et le gecta eus. Puis tome a sa seor
• •[ ln\ dit : Maintenant doiine-nio\ boire de bon vin, car
je l'a\ fait tombé s) parfont que jamais ne retornera. —
Dieu en soit loué, dit-elle. Puis tanlost ceste femme entra
GO la chambre, et se mifil à ïaimliv plus tort «pie paravant.
0l dist, eu se inerveillant : Je VOye, lh'eu ! que cesluv chc-
a'estoit pas mort. O no] dolente! que doy-je faire, ne
dire ' cestuy homme est retourné , et est en la chambre.
108 APPENDICES.
Le champion fut plus esbays que jamais, et tout plein d'ad-
miracion, va dire : Sainte Marie! que veult ce dire? S'il est
ainsy comme tu dis , ce n'est pas ung homme , mais est
ung dyable. Je l'ay gectéen la mer premièrement; je luy
ay pendu une pierre au col secundement , et maintenant
il est ressucité! Donne le moy pour la tierce foy, et le mest
au sac , et j'essaieray sy retournera. La femme luy charga
le corps du tiers chevalier, cuydant le champion que fut
le premier et le porta hors de la cité, en une petite forest,
où il fit grant feu et puis mist dedens celluy corps , pour le
brûler. Et quant il estoit quasy reduyt en cendres, il eust
nécessité de se purgier, et ala ung petit loing du feu et à
.celluy movement, là arriva ung chevalier qui venoit en
la cite , pour jousler le jour suivant. Et faisoit grant froit :
lequel, pour se eschauifer, s'approcha. Et car encores n'es-
loit pas jour; quant il vit le feu, il descendit du cheval et
s'eschauffa. Le champion cuyda que ce fut toujours celuy
qu'il avoit tant porté, et luy dit : Quel es-tu? Celluy respont:
Je suis noble et chevalier. L'autre respont : Tu es ung
dyable, non pas chevalier, car premièrement je t'ay gecté
en la mer; secundement, la pierre au col, je te fys noyer;
liercement je t'ay f;iit brûler en cestuy feu ; et pensoye
que tu fusses tout en cendres reduy; et je voy que tu es
y ci vif à tout ton cheval. Puis, sans dire aultre chose, il
mist le chevalier au feu et son cheval. Et vint en la mai-
son de sa seur et luy dit : Maintenant donne-moy boire
du nieillifiii vin, car fie puis que j'ay mist au l'eu cesiu\
homme il se trouva vif, à tout son cheval, lesqueux j'ay mis
an feu pour la secuode l'oy. tellement que tu en seras as
APPENDICES. 109
seuréc. Et luy raconia tout ce qu'il avoit fait. Dont la femme
percéut bien que son frère avoit occist unganltre chevalier.
Alors elle Le festoya le mieux qu'elle peut. Et après qu'il
eiisi bien beu, il s'en ala. Après peu de temps, eut desbat
entre cestuy chevalier et sa femme, tellement que le mary
luy donna une bonne bu fie dont elle fut fort indignée et
mal contente. Puis après, devant pluseurs, se commence
plendre de son mary et le mauldire , et ainsy comment la
ire de la femme monte, elle ne laisse rien à dire, tant soil
chose dangereuse , ceste femme, par reprouche, va dire :
0 inauldit homme et misérable ! tu me veulx occire et
mectre ;i mort, comme tu as occis et multrié les trois che-
valiers de L'empereur. Quant 1rs gons ouvrent les paroles
de ceste femme, incontinant on mistla main sus tous deux,
et furent mis en prison. Et quant la femme fut devant l'em-
pereur, elle recogneusl tout L'affaire, comment son man
occist lesdis trois chevaliers, et comment il en avoyent eu
trois cent Dorins. Puis après que leur procès fut mit, formé,
et conclus par sentence de juge, ils furent condampnés à
estre treynés à la queuhe «les cbevaulx, comme traistres
el multriers, par la cité . el puis estre pondus au gibet, où
il/, furent incontinant menez. El par ainsj le maistre mist
lin en sa aarracion, el dit à L'empereur : Sire, avez-vous
bien entendu ce quej'ay dit? — Ouy, en vérité, dit l'em-
pereur, je confesse devant Dieu que ceste femme fut la pire
el plus cruelle de toutes les aultres, el laquelle fut bien
digue de prendre mort à grant vitupère , quant elle soli-
cita et que ainsy compellit son marj a faire homicide, el
puis le trahit. — Lu vérité, fait le maistre . vous di
J10 APPENDICES.
craindre et douter qui vous adviendra pis qu'à ceux , se
par les persuasions et paroles de vostre femme, laquelle
conseille la mort de vostre seul filz, vous mectes en effait
ce qu'elle désire. Leroy respont : Mon filz ne mourra point
pour cestuy jour et de ce ne te doubte point. Le maistre
très contens et joyeux, le remarcya humblement; et après
le congié pris, s'en ala.
ANALYSE DE DOLOPATHOS.
ANALYSE
DE DOLOPATHOS
POEME FRANÇAIS EN VERS DU XIIIe SIÈCLE
PiR HKRBF.RS.
Dans Le prologue ', Herbers , auteur du poème
de Dolopalhos, se nomme et raconte comment dom
Jehans, boa moine de l'abbaye de Haute-Selve, tra-
duisit en langue latine, une histoire d'une liante an-
tiquité et composée par des nations païennes : et
moi, ajoute Herbert, \e veux la traduire en romau,
au nom et en l'honneur de Philippe, i ils du roi de
France Louis, que Von doit tant louer '. À pris ces
détails, le trouvère ajoute quelques réllexions sur la
science des anciens clercs et sur les lions exemples
!■"••. foi Extrait* iiui suivant eett anatytt. Extrait, n i
• I .■ : fa pr< ■ de et oolim ■ t> 85 <i M
8
J I 4 ANALYSt
que l'on puisait dans leurs écrits ; il dit que les
clercs qui vinrent après ne les imitèrent pas; puis
il commence le récit :
Sous le règne du puissant empereur Auguste, vi-
vait un roi de Sicile, nommé Dolopathos, qui était
riche et puissant. Il n'en fut pas moins accusé par
ses ennemis, de mal gouverner ses états, et forcé de
venir à Rome justifier sa conduite. Le César, ayant
envoyé en Sicile des ambassadeurs, connut bientôt
la vérité, car Dolopathos était chéri de son peuple,
et l'on regrettait seulement qu'il eût perdu sa
femme, et que nul roi de sa race ne put lui succéder.
Auguste, après avoir puni les accusateurs, voulut
récompenser Dolopathos et lui donner pour femme
une de ses parentes. Le roi de Sicile épousa donc
la fille d'une sœur d'Auguste, et s'en revint dans
ses états. Dolopathos déjà vieux se plaignait de n'a-
voir pas d'enfans et consultait les philosophes qui
lui répondaient sagement que Dieu seul était le
maître en cette affaire , quand la reine conçut et
mit au monde un fils très beau, qui fut appelé Lu-
cinien. Après avoir laissé son enfant entre les mains
des nourrices jusqu'à l'âge de sept ans , suivant l'u-
sage de tous les gentilshommes , Dolopathos fit
venir son fils , le trouva beau et ne chercha plus
qu'un homme digne de l'élever. Il se rappela cette
sentence de Platon : « Les peuples seraient plus
heureux si les rois étaient philosophes, et si les
DE D0LOPATHOS. 1 15
philosophes étaient rois '. » Dolopallios partageant
cette idée , voulut rencontrer un sage instruit dans
les sept arts libéraux. A cette époque vivait à Rome
un philosophe très fameux ; il se nommait Virgile.
Outre la poésie, il connaissait toutes les sciences ,
et même il se mêlait un peu de magie. Dolopathos
envoya donc son fils à Virgile, sous la conduite de
quatre sénateurs , pour être instruit dans les sept
arts libéraux. Ceux-ci trouvèrent le poète assis sur
une chaire; il était vêtu d'une riche chape fourrée,
et il apprenait la grammaire aux fils des plus hauts
barons-. Virgile prit avec lui le jeune Lucinien qui
prolita des Leçons de son maître, et fut bientôt très
habile dans toutes les sciences de physique et de
belles-lettres; il en lit même un résumé contenu
dans un petit livre. Lucinien eut encore la connais-
sance de l'astrologie, et put assez bien lire aux astres
pour prévoir que ses condisciples , envieux de son
/ 1 voit Dolopathot i pense
hum h vint m cueT et tn pente
i.a çmttnee qu'ans '<"/<•> tHett itist .
Platon ki maint bon livre fist.
Oui ilixt </» " i/ranl nise srroient
1 1 \ gom m n roi devinoieni
Philosophé , et s'iront un roi
Si H philosophe erent roi.
l)..,,.r.T....N . i li(.. MS. Sort «1.
. \ «,,■,■. lr\ Wsttroits . m S,
116' ANALYSE
savoir, tenteraient de l'empoisonner. Invité par eux
à un grand repas, au moment où la coupe fatale lui
fut offerte, il découvrit la trahison qui tourna au
détriment de ses auteurs.
Lucinien resta chez son maître sept années pen-
dant lesquelles il continua de s'instruire. Ayant un
jour consulté un livre d'astrologie judiciaire, qu'il
trouva dans le cahinet d'étude de Virgile, Lucinien
tomba tout à coup sans connaissance, après avoir
poussé un grand cri. Les domestiques et les voisins
accoururent aussitôt, enfoncèrent la porte et trou-
vèrent le jeune Lucinien étendu sans connaissance
sur le pavé de la salle. Ils le crurent mort; mais
avant tàté son front et sa poitrine, ils s'aperçurent
qu'il respirait encore. Par hasard un clerc qui sa-
vait bien la médecine, se présenta. Il s'aperçut
qu'un violent chagrin était la cause du mal : « Quand
« la douleur frappe le cœur, le sang reflue vers lui
« et quitte les membres. Ce sang arrête les fonc-
« tions de la vie , gonfle le cœur, l'échauffé , em-
« pêche la respiration et fait perdre à l'homme toute
« connaissance. Ainsi était Lucinien, quand le mé-
« decin arriva. Ce dernier demanda de l'eau froide et
« de l'eau chaude qu'on lui apporta aussitôt; faisant
« relever Lucinien, il lui trempa les pieds et les mains
« dans l'eau froide, et fit ainsi redescendre le sang.
« Puis il prit une laine blanche et neuve, la trempa
« dans l'eau chaudeetla mit sur la poitrine de Luci-
DE DOLOPATHOS. 1 17
« nicn, pour y rappeler la chaleur. Bientôt le sang
« s'éloigna du cœur, et refluant dans les veines , il
« prit son cours naturel. Ainsi agissent ceux qui sont
« savans ; le médecin présenta de bonnes épices
« odoriférantes au nez et à la bouche de Lucinicn,
■ ci !c rappela ainsi à l'existence l.»
Quand il lut rentré dans sa maison, Virgile apprit
de son élève, que, sans les secours du médecin, il l'au-
rait probablement trouvé mort : Mais qui vous a
frappé ainsi, demanda Virgile ? — Maître, reprit
Lucinien, ma mère est morte. — Comment le sa-
vez-vous.' Je l'ai lu dans cet ouvrage d'astrologie.
Virgile , avant confirmé cette triste nouvelle au
jeune prince, lui donna des consolations et de bons
préceptes pour sa vie future. En outre, il apprit au
jeune homme qu'il allait bientôt retourner près de
son père qui s'était remarié. Il lui lit prévoir de
grands dan-ers, et il exigea la promesse qu'il ne
parlerait pas, jusqu'au jour OÙ ils se retrouveraient
ensemble. Après quelques observations, Lucinien,
ne pouvant douter de la sagesse de son maître ,
lui jura de suivre ponctuellement ses avis. A peine
ils avaient Qui de parler, que des messagers du roi
Dolopathos m présentèrent chez \ irgile; avec l'or-
die d'emmener le jeune prince. Après:de tendres
adieux entre Virgile et son «'lève, les envoyés du
1 M ht F. rlimit . n I
118 ANALYSE
roi se mirent en route avee Lucinien. Pour distraire
le jeune homme, ils lui parlèrent de la cour, de la
reine, et des fêtes qui l'attendaient. Mais ne rece-
vant aucune réponse, ils crurent bientôt que Lu-
cinien était muet. Saisis d'un violent désespoir, les
envoyés voulaient mourir (car ils craignaient la co-
lère du roi), et le jeune prince eut grand peine à
leur faire comprendre par gestes et par écrits, qu'il
intercéderait pour eux auprès du roi. Ayant ap-
pris l'arrivée du jeune prince, tous les habitans de
Païenne se préparèrent à le recevoir, et sortirent
de la ville en habits de fête, pour marcher à sa ren-
contre. Le roi lui-même, avec sa cour, alla jusqu'à
deux lieues et demie au devant de son fils; et quand
ils furent réunis, des cris de joie et les instrumens
des ménestrels saluèrent les embrassemens du père
et de son fils. Lucinien parut sensible à toute l'allé-
gresse que manifestaient les Siciliens en le voyant;
mais, fidèle au serment qu'il avait fait à son maître,
il ne prononça pas un seul mot. Si une dame le sa-
luait, il s'inclinait noblement, souriait, mais ne par-
lait pas. Dolopathos ne fut que peu surpris du si-
lence que garda lejeune prince, pendant les fêtes qui
occupèrent tout le jour de son arrivée. Le matin du
second jour, l'empereur se fit conduire dans la cham-
bre où Lucinien reposait encore, et il lui parla longue-
ment de sa nouvelle femme , des soins du royaume,
de son âge, el des devoirs que son successeur aurait
DE DOLOPATHOS. 119
bientotà remplir. Le jeune prince l'écouta avec émo-
tion, mais ne répondit pas un seul mot. Effrayé d'un
tel silence, Dolopathos insista, et ne tarda pas à se
convaincredumalheurqu'il redoutait. Il mena grand
deuil, accusant et sa destinée et le philosophe Vir-
gile , mais le jeune prince, écrivant sur un parche-
min, l'assura de son respect et de son amour. Do-
lopathos pleura et gémit, refusa les consolations
que les grands de sa cour cherchaient à lui donner.
Il avait d'ailleurs annoncé au peuple le couronne-
ment de son fils qui devait avoir lieu ce jour même.
Cependant on lui conseilla d'avoir plus de cou-
rage, de retarder pendant sept jours le couron-
nement du jeune prince , et d'essayer si les plaisirs
et la joie pourraient quelque chose sur le mutisme
de Lucinicn. Dolopathos écoutant cet avis, se rendit
près de la jeune reine, à laquelle il fit part de ses
projets. Celle-ci approuva la proposition et promit
au roi, qu'au bout de sept jours, elle lui rendra
•00 iils bien parlant . Aussitôt la reine Ordonna aux
belles jeunes lilles qui l'entouraient d'aller irouv< i
Lucinien et de le séduire par leurs caresses* Celles-
ci, fort 'empressées d'obéir, se parèrent de leurs plus
l»eau\ vèleinens, et se rendiren: auprès du jeune
prince. Elle dansèrent autour de lui, jetèrent des
llcurs sur sa lue, essayèrent eiitin tous les moyens
connus de séduction. Efforts inutiles ! le jeune
homme sourit , mais resta indifférent. Surprise de
120 ANALYSE
tant de froideur, la reine voulut elle-même tenter
l'aventure. Elle était jeune et belle; elle joignit en-
eore à ses attraits naturels une riche parure, et.
alla trouver Lucinien. Ayant cherché par tous les
moyens à exciter son amour, elle ne fut pas plus
heureuse que ses compagnes; mais, plus sensible,
elle se laissa séduire par la beauté du jeune indif-
férent. Après maints efforts inutiles, elle rejoignit,
pleine de dépit, ses compagnes , et versa des larmes
abondantes : Pourquoi tant de faiblesse , dit l'une
de ces filles ? à quoi bon regretter l'amour de ce
muet insensible ? c'est votre ennemi : le roi , son
père, doit le couronner au lieu des enfans que vous
aurez; faites qu'il n'en soit pas ainsi : accusez-le
d'avoir voulu attenter à votre honneur. La reine ,
encore irritée, retourna près de Lucinien, la che-
velure en désordre, le visage plein de sang, les vè-
temens déchirés, et elle poussa des cris affreux. On
accourut au bruit; Dolopathos, lui-même, se joignit
aux gens du palais ; il fut bien surpris de voir la
reine ensanglantée et les vèlemens en désordre.
Celle-ci raconta au roi le prétendu affront qu'elle
avait subi, et le roi, d'après le conseil des juges,
condamna son fils à être brûlé l. Au moment où le
roi répétait l'ordre de mettre son fils sur le bûcher,
on vit paraître, assis sur une mule toute blanche,
. Voyêt les txtraitt, r»° •'#.
bK DOLOPATHOS. 121
un vieillard dont la barbe tombait plus bas que la
poitrine. Il tenait dans sa main une branche d'oli-
vier; il descendit près du roi, et le salua ainsi que
toute sa cour. Ce dernier lui demanda avec poli-
tesse d'où il venait, ce qu'il cherchait, et quelle
était sa patrie : Je suis , répondit-il , un des sept
sages de Rome. Il y a long-temps que je voyage; je
vais errant par tous les pays, et dans toutes les cours
où l'on me retient volontiers, caronpeut apprendre
avec moi beaucoup de choses, et je sais bien faire
un jugement. — Hélas , reprend le roi, pourquoi
mes barons ne sont-ils pas aussi sages que vous!
M. lis toute science est bannie de ma terre. — Beau
sire , reprit le vieillard , je voudrais savoir quelle
faute a « oramis ce bel enfant que vous avez con-
damné au feu? Quant ou eut raconté au sage l'his-
toire du jeune Lucinien, le sage répliqua : ('/est là
un mauvais jugement, je veux vous le prouver par
un exemple. Alors le vieillard raconta I histoire
d'un pauvre chevalier qui était sorti, confiante un
chien la garde de son enfant encore au berceau. Le
chevalier de retourdaus sa demeure, vovaut le ber-
ceau renversé a terre, et la gueule du chien toute
saaglante, ne douta pas que ce dernier n'eût dévoré
sou Gis, et tirant sou épée, il tua le chien Bdèle
qui venait d'étrangler un serpent prêt à lancer
son dard sur le lils endormi tranquillement dans
son berceau. Cette histoire, dont nous nous cou-
122 ANALYSE
tentons d'indiquer le sujet, parce qu'elle est ra-
contée plusieurs Ibis dans ce volume, est développée
par le trouvère qui n'a pas manqué de lui donner
la couleur de son époque.
Cette histoire fait suspendre la mort du jeune
prince jusqu'au lendemain ; mais les hommes sages
n'ayant pu trouver dans leur livre aucune loi en sa
faveur, le jour suivant, Lucinien est reconduit au
bûcher et va subir sa peine , quand le deuxième
sage arrive et raconte l'histoire suivante :
« Un roi ayant un riche trésor en confia la garde
à un chevalier qui , après avoir accompli sa charge
pendant longues années, et se sentant vieux, de-
manda au roi son maître à se retirer dans sa famille.
Celui-ci le combla de bienfaits et consentit à le laisser
partir. Le vieux chevalier avait plusieurs enfans et
beaucoup de serviteurs: il était libéral, et tout l'or
qu'il tenait de la générosité de son maître fut bientôt
dépensé. 11 lut contraint d'engager sa terre, et il
devint pauvre. Ayant pris à part son fils aîné, il lui
demanda s'il aurait le courage de venir avec lui, à la
tour, pendant la nuit, d'y pratiquer un trou, et, par
ce moyen, de gagner une autre fortune. Le fils n'hé-
sita pas un seul instant, et , guidé par son père qui
connaissait parfaitement la tour, il pratiqua aisé-
ment une ouverture par laquelle son père entra, et
eut bientôt recomposé sa fortune. Le roi s'aperçut
de la diminution de son tfrésoc; par Le conseil d'un
DE DOLOPA TIIOS. 123
sage aveugle , il lit allumer un feu de paille, et la
fumée qui s'échappait par le trou mal fermé, lui in-
diqua la cause de cette diminution ; par le conseil
du même sage, il lit placer au bord du trou une
cuve pleine de résine, dans laquelle devait rester le
voleur. Cet événement ne larda pas. Le vieillard
ayant voulu entrer comme d'ordinaire, tomba dans
la cuve dont il ne put jamais se tirer. Pour sauver
l'honneur de sa famille, il décida son fils à lui couper
la tète. Ce dernier obéit, et il fut impossible de con-
naît re le voleur. Le roi retourna vers son aveugle,
qui lui dit : Prenez le corps, faites-le traîner par les
i nés, et ceux qui viendront pleurer sur ce corps,
doivent être 1rs pareils du voleur. Le roi suivit ce
CODéeil : toute la famille du vieillard accourut, et le
loi put faire saisir les coupables; mais le (ils aine,
ayant COUpé sa main, la montra au roi et lui dit :
(Test pour cela que ma famille pleure , et non pour
ce corps qui nous est indifférent. Le roi retourna en-
core vers son aveugle qui lui dit : Votre larron est
habile et brave; difficilement vous parviendrez à l<
prendre; cependant, écoutes-moi : pendes le corps
sans tête, faites-le garder par quarante chevaliers ,
dont vingt auront des armes blanches, et v in- 1 des
armes n. lires. I .v roisuivil ee conseil. Le iils ne man-
qua pis de saisir L'occasion de retrouver le corps
de st. n père, mais il usa d'adresse : avant revêtu une
armure moitié Main lie, moitié noire, il se présenta.
1 24 ANALYSE
de nuit, au milieu des gardiens, auxquels il eut grand
soin de ne jamais montrer qu'une partie de ses
armes, ce qui fit croire aux chevaliers que citait
un des leurs. Le fiis emporta le corps de son père
qu'il s'empressa d'enterrer avec la tète qu'il avait
conservée. Le roi, encore déçu, retourna auprès du
vieillard qui lui dit de célébrer un grand tournoi ,
et que le vainqueur sera le coupable qu'il cherche;
en outre , il lui conseilla de promettre sa fille au
plus brave et. de faire coucher dans son palais tous
les chevaliers : sois convaincu , ajoula-t-il , que le
voleur ira séduire ta fille ; mais qu'elle ait soin ,
quand il viendra, la nuit, de le marquer au front
avec une couleur que je vais te donner. Les conseils
du vieillard furent suivis; et ce qu'il avait pensé ar-
riva. Mais le chevalier, s'étant aperçu de la ruse,
parvint à voler la boîte à la jeune fille, et il marqua
au front tous les autres concurrens et. même le roi.
Le lendemain, il fut impossible de savoir qui avait
été dans la chambre de la princesse ; enfin, l'aveugle
avant encore inventé un autre expédient, dit au roi:
L'homme auquel un enfant présentera un couteau
est celui que vous cherchez. Mais le lilsdu vieillard,
sedoui;mt delà ruse, acheta un pel it oiseau de bois,
et quand il vit l'enfant se diriger vers lui pour le
désigner, il offrit à cet enfant d'échanger son petit
oiseau avec le couteau, et l'enfant accepta. Le roi
croyait enfin tenir celui qu'il cherchait', mais lèche-
DE DOLOPATHOS. l*2.:i
valier lui montra l'échange. Surpris de tant d'ha-
bileté, l'aveugle conseilla au roi de donner sa fille
en mariage à cet homme si plein d'adresse; le roi
suivit son conseil. »
Ce conte bizarre renferme deux parties, l'histoire
du chevalier qui veut cacher le crime de son père
et celle de la jeune liile qui marque au iront son sé-
ducteur. L'origine de la première partie remonte
à la plus haute antiquité, puisqu'on la trouve dans
Hérodote '. Quant à l'autre partie, Boccace l'a prise
dans nos vieux romanciers. Le récit du Décaméron
a servi de modèle a dillérens conteurs, et enfin il a
été rajeuni de nouveau par notre La Fontaine.
Cependant le jeune Lucinien, conduit pour la
troisième lois au supplice, allait mourir quand sur-
vint le troisième sage de Rome qui raconta l'histoire
suivante :
« Il y avait à Home un roi fort âgé qui laissa
bientôt le trône à son iils, jeune homme sans expé-
rience, ni sagesse, A peine celui-ci commençait-il à
régner, que des ennemis nombreux lui liront la
guerre et mirent le siège devant Rome. Lue grande
famine ne tarda pas à se faire sentir, et le roi as-
sembla tous ses conseillers, damoiseaux aussi jeunes
et aussi peu sages (pie lui. L'un deux, le meilleur
ami du roi, donna le conseil de ne pas laisser dans
i \<n/r. pluj haut, la première partie oh a volume, ;> iit> </ i ta
126 ANALYSE
la ville un seul homme âgé qui ne fut pas en état
de porter les armes. Le roi approuva cette propo-
sition et donna l'ordre cruel de mettre à mort tous
les citoyens âgés de Rome, quels que fussent d'ail-
leurs leur sexe et leur rang. Il fallut obéir. Ce fut
un spectacle digne de pitié , ajoute le trouvère, que
de voir les fils égorger malgré eux , ou leur père
ou leur mère. Il y eut un jeune homme qui refusa
d'obéir à cette loi; il emmena son père et le cacha
dans un souterrain où il avait soin de lui porter sa
nourriture. Cependant tout allait de mal en pire à
la cour du roi des Romains. Tous ces jeunes gens
n'ayant pas un seul vieillard pour les conseiller, se
livrèrent à tous les vices et à toutes les mauvaises
pensées. Le damoisel qui avait sauvé son père, et
qui était guidé par lui, se distinguait des autres et
seul donnait au roi quelques sages avis. Le roi l'es-
tima beaucoup, et il fut puissant à la cour. Tous les
autres jeunes gens devinrent ses ennemis ; et se
doutant que le damoisel n'avait pas tué son père ,
ils donnèrent au roi le conseil de tenir une cour plé-
nière à laquelle chacun serait forcé d'amener son
ami le plus cher, son plus grand ennemi, son meil-
leur serviteur, et son meilleur jongleur. Quand le
damoisel eut connu la volonté du roi, il alla trou-
ver son père qui lui dit : Conduis à la cour ton
chien, ton âne, ton petit enfant et ta femme. Le
jouvencel obéit, et quand il arriva au palais, qui re-
j>k iioi.oi'A nios. 127
ternissait des inslrumens de musique, là ne, dres-
sant les oreilles, se mit à braire avec tant de force
que tout le palais en résonna. Cette suite lit beau-
coup rire le roi, auquel le jeune homme expliqua
que le chien était son meilleur ami, Fane son plus
Utile serviteur, et son fils le plus adroit jongleur :
quant à mon plus grand ennemi, ajoute le damoi-
sel, j'ai amené ma femme., elle que j'ai tant servie
et tant aimée. Celle-ci ayant entendu ces paroles,
lut aussi étonnée que furieuse, et se souvenant du
vieillard : Oh! combien je suis malheureuse, s'é-
eria-t-ellc! pourquoi suis-je vivante encore, quand
celui (pie j'aime tant, me regarde comme son enne-
mie. Ohl le voleur, le plus voleur de tous les hom-
mes, et qui devrait être pendu. Moi qui depuis si
long-temps garde SOUS la terre son père vieux, chenu
61 presque pourri. — Bon roi, dit aussitôt le damoi-
sel, n'a-t-cllo pas un grand amour pour moi, cette
femme qui pour un seul mot que j'ai dit à tort ou à
raison, livre un secret qui peut causer ma mort? Le
roi admira la sagesse du jeune homme, et voulut
que son père vint à la cour. Il combla ce deruiei
«le bienfaits et ne se gouverna plus que par ses con-
seils '. ..
Le quatrième sage1 vint à son tour, et il raconta
l'histoire suivante :
« Un riche seigneur avait une lilie belle, savante
1 - h ttraiH a ■
128 ANALYSE
et adroite, mais cruelle et intéressée. Elle avait ap-
pris l'art de nécromancie (magie) , et résolut d'en
faire usage à l'égard des nombreux amans qui la
poursuivaient. Elle laissa donc chacun d'eux par-
tager sa couche, en promettant d'épouser celui qui
parviendrait à l'embrasser, mais faisant payer cent
marcs d'or à tous ceux qui dormaient. Elle plaçait
chaque nuit, sous l'oreiller desgalans, une plume en-
chantée qui les plongeait dans le plus profond som-
meil. Un damoisel ayant une première fois dépensé
inutilement cent marcs, résolut de tenter encore
l'aventure , et chercha les moyens de se procurer
l'argent nécessaire. Il avait parmi ses vassaux un
homme très riche , qui l'avait insulté et auquel il
avait fait couper le pied. L'homme riche n'oublia
jamais une telle offense. Ayant appris que son
jeune maître avait besoin d'argent, il olfrit de lui
prêter la somme qu'il désirait, à condition que si
au jour de l'échéance, le bachelier manquait à
son engagement, lui , son vassal, aurait le droit de
lui couper une livre de chair. Le jeune seigneur
accepta cette condition, et muni de son argent, il
se rendit chez la jeune fille intéressée. Il fut bien
accueilli, on mit la plume enchantée sous son
oreiller. Mais le bachelier se souvenant de la pre-
mière épreuve, ne se coucha pas aussi vite, et eut
le soin de bien battre son oreiller pour qu'il ne fût
pas si doux. La plume enchantée tomba et le jeune
I>K DOLOPAÏHOS. î 29
homme fit semblant de dormir. Pleine de confiance
dans son talisman, la jeune lille vint se placera côté
du damoisel qui se réveilla bientôt et contraignit
la rebelle à devenir sa femme. La jeune fille
aima beaucoup son mari, et ils vécurent dans les
plaisirs et la richesse. Cependant le bachelier ou-
blia rengagement qu'il avait pris avec son vassal, et
laissa passer le terme fixé pour le paiement. Heu-
reux de sa vengeance, l'homme riche demanda la
livre de chair et refusa tout l'argent qu'on lui of-
frit en compensation. L'affaire ayant été portée
devant le roi, celui-ci consulta les plus sages de sa
cour; mais la convention existait, il fallait qu'elle
soit exécuter. La jeune femme, adroite et sensée,
se rendit au tribunal, et après avoir offert dix mille
mares au terrible créancier, que celui-ci refusa,
elle lit étendre un. drap blanc à terre, y fit coucher
son mari, et elle dit : Allons, vassal, prends ta livre
de chair, mais la livre, ni plus ni moins; et si tu te
trompes, malheur à toi, car lu seras écorché vif et
i<s membres seront naines par la ville. Le créan-
cier-eut peur et refusa; on le contraignit de paver
mille livres à son seigneur, pour lui apprendre à ré-
clamer ce qu'il n'osait pas accepter '.
Le lecteur a facilement reconnu dans celte hi-
stoire l'un des incidens du fameux draine de Shaks-
I l I , illli II ' I).
130 ANALYSE
peare intitulé, le Mai chaud dt yeiiùe. Sans aucun
doute, l'auteur anglais n'a pas connu le poëme
d'Herbers; et pourtant ce trouvère peut être consi-
déré comme ayant fourni au tragique anglais la
terrible péripétie de son drame ; voici comment :
le récit du trouvère fut imité par les compilateurs
d'un livre écrit en latin, probablement dans les
premières années du xive siècle, et qui servit de
modèle aux conteurs des différens pays de l'Eu-
rope, principalement à ceux d'Angleterre et d'Ita-
lie. Ce recueil, auquel on a donné le nom de Gesta
Romaîsokum l, contient des contes empruntés à la
littérature sacrée, aux traditions orientales et aux
fables romanesques admises par les peuples de l'Eu-
rope, pendant le moyen âge. Ce livre traduit, ou
plutôt imité, dès le xve siècle, par les écrivains an-
glais, fut très populaire en Grande-Bretagne, et les
contes qui s'y trouvent, ont été le sujet de quelques
ballades. C'est ainsi que l'bistoire analysée plus
. On peut consulter au sujet du Gesla Roinanorurn : Warton,the
Uistoryof english poelry , front the close ofthe eleventh to the commen-
cement of the eighteenth century. To which are prefixed three disser-
tations : 1. of the oriyin of romantic fiction in Europe. 2. On the in-
troduction of learning into England. 3. On the Gesta Homanorum.—
In four volumes. London, 1824, m-8. — T. \, p. clxxvii.
Douce (F.) Illustrations of Shakspeare , 2 vol. in-S.
Gesla Domanorum , or entertaining moral stories etc., translated
from the latin, with apreliminary observations and copious notes. By
therev. Charles Swan. In two volumes. Ijondon, 1824, in-12.
Dl D0LOPATHOS. 181
haut, qui fait partie de la rédaction anglaise du
(iesla Romanorum, lut rendue populaire par une
ballade qui servit probablement de modèle à Shaks-
peare. Sans aucun doute, le drame du poète an-
glais est supérieur au récit que nous avons analysé;
mais pour le juger convenablement , il ne faut pas
oublier la différence des mœurs et des époques qui
séparent les deux poètes. La punition infligée au
vassal par son seigneur, nous semble cruelle et di-
minue l'horreur que nous inspire l'homme à la
livre de chair. Mais cette punition n'était pas une
vengeance, et les lecteurs du moine deHaute-Selve,
habitués au régime féodale, à ses violences, ne
trouvaient d'étrange dans ce récit, que l'aveugle
désir du riche vassal, voulant à tout prix se venger
d'une peine qu'il avait peut-être méritée. L'origine
de ce conte est oriental; dans plusieurs composi-
lions indiennes, on trouve des personnages qui con-
seillent ii des conditions du même genre. La pensée
de faire jouer un pareil rôle à un juif, est le résul-
tat des idées (pie Ton avait au moyen Age, sur
ot peuple maudit des chrétiens el persécuté par
eux.
Voici l'histoire racontée par le cinquième sage de
Home :
« Il \ eut jadis à Rome un mi puissant qui, at-
taqué pai' ses ennemis, assembla tousses vasseanv
el si- mit en marche pour défendre êtes états. Il «tan
132 ANALYSE
accompagné de son jeune (ils qui chevauchait, ayant
un autour sur le poing. L'armée passa devant la
maison d'une femme veuve et très pauvre; elle n'a-
vait qu'un fils qui la nourrissait de son labeur. Ce
dernier possédait une seule poule qu'il aimait beau-
coup. Le (ils du roi ayant aperçu la poule qui cher-
chait sa pâture, lança son autour sur cette proie
qui fut bientôt saisie par l'oiseau carnassier. Le fils
de la veuve, craignant pour la vie de sa poule, tua
l'autour. Le fils du roi en fut tellement irrité, qu'il
tira son épée et fendit la tète au fils de la veuve.
Celle-ci voyant son enfant mort, courut près du roi,
et , navré de la plus affreuse douleur, elle demanda
vengeance : Je n'avais que lui, dit-elle, tu dois m'é-
couter. Le roi fut juste et débonnaire, il répondit:
Je marche contre mes ennemis, et j'ai dans ce mo-
ment beaucoup d'affaires; si tu veux attendre mon
retour, je te promets une bonne justice. — Et si tu
ne reviens pas, répliqua la veuve, qui me la fera? —
Mon successeur, dit le roi. Mais la veuve reprit : 11
n'aura cure des malheurs advenus sous ton règne ;
rends-moi justice à l'instant; Dieu t'en saura gré, car
je suis veuve et pauvre. Le roi s'arrêta donc, et,
quand il sut que son fils était le coupable, il dit à la
veuve :Ton fils était ton seul appui, si tu veux, je
te donnerai le mien, ou je le condamnerai à mourir.
La veuve ayant réfléchi qu'en prenant la vie du
jeune prince, elle ne rendrait pas son fils à l'exis-
DF DOLOPATHOS. 133
tence, consentit à rester près du roi, (jiii la combla
de bienfaits ' ».
Cette histoire, connue celles qui la précédèrent,
retarda la mort du jeune Lucinicn, mais pour un
jour seulement. Le lendemain il lut ramené devant
le fatal bûcher; alors parut le sixième sage de Rome
qui parla en ces termes :
« Un homme, après avoir pendant longues années
exercé le métier de voleur, devint très riche. Il chan-
gea de vie et étonna beaucoup ses voisins qui con-
naissaient toute son histoire. Il avait trois fils aux-
quels il conseilla de prendre un état; mais après s'être
consultés, cesjeunes gens décidèrent qu'ils feraient
comme leur père et voleraient. Ils résolurent de
s'emparer d'un très beau cheval qui appartenait à la
reine, et, pour cela, ils s'avisèrent d'un stratagème
qui ne leur réussit pas. L'un d'eux se cacha dans
l'herbe que l'on apportait au cheval, et ses frères at-
tendirent en dehors. La nuit venue, le voleur sella,
brida le cheval, et sortit avec, pour rejoindre sesfrè-
i ts ; mais, arrêtés par les gardes de la reine, les trois
jeunes gens furent conduits devant elle. Ayant re-
connu les lils du voleur devenu honnête homme, la
reine lit appeler ce dernier, et lui dit ce qui était ar-
rivé. Ilsn'ont pas voulu suivre mesconseftsj répondit
l'Ancien voleur, ils doivent être punis. L;i reine qui
' I n>/i : Im F ri ni >l< . nn 7.
I 34 ANALYSE
l'aimait beaucoup lui dit : Tu peux racheter tes en-
ians : raconte-moi trois des aventures les plus ex-
traordinaires qui te soient arrivés. — J'y consens,
dit le père, et il commença: Etant jeune, je me trou-
vais à la tète de cent compagnons hardis et forts.
Nous entendîmes parler d'un géant riche en or et
en argent, qui demeurait seul au milieu d'un bois.
Nous allâmes dans sa maison, et pendant qu'il était
absent , nous nous emparâmes de toutes ses ri-
chesses. Mais en sortant, nous fûmes attaqués par le
géant et dix de ses compagnons. Vaincus et attachés
ensemble, le géant nous conduisit dans sa demeure,
et là, commença à nous manger les uns après les
autres. Je l'aurais été comme les autres; mais je
parvins à faire croire au géant que j'avais une
grande science médical, et que je le guérirais d'un
mal qu'il avait sur les yeux. Il consentit à se livrer
à moi et à s'étendre par terre. Je pris alors un
grand bassin d'huile bouillante, le versai sur la tête
du géant et lui fit perdre la vue. Mais le géant se
releva, courut après moi, et bien qu'il fut aveugle,
il m'aurait infailliblement pris, à force de chercher
dans sa demeure où j'étais enfermé, si je n'étais par-
venu à me réfugier au haut d'une échelle. Ayant re-
marqué que le géant n'ouvrait sa porte que pour
laisser sortir ses brebis qui gagnaient toutes seules
leurs pâturages, et qu'un sort jeté sur elles empê-
chait de se perdre ou d'être volées, j'ouvris le ventre
DE DOLOPATIIOS. 135
à la plus grasse de toute et je m'enveloppai dans sa
peau. Mais avant de laisser sortir ses brebis, le géant
aveugle les comptait, et chaque jour, retenait la plus
grasse pour son repas. Je fus arrêté pour celte rai-
son pendant six jours de suite; enfin, le septième
jour, bien enveloppé dans une peau de brebis, je
parvins à échapper au géant. Quand je fus hors de
sa demeure, je me sentis joyeux, et je le raillai de
s'être laissé aveugler par moi et de n'avoir pas su
me tenir enfermé : Ami , répondit-il, tu as fait une
bonne ruse et je dois t'en récompenser. Tirant de son
doigt un anneau d'or, il me le jeta. Cet anneau était
lourd et valait au moins trente besans. J'eus envie
de le posséder; mais j'en fus puni, carie géant avait
jeté un charme sur cet anneau qui ne pouvait plus
quitter mon doigt et qui disait sans cesse : « Je suis
là, je suis là ». Le géant courut vers moi, et je
m'empressai de fuir : il était grand et long, et se
heurtant aux arbres, il tombait sans cesse, car il
avait douze coudées de haut; mais se relevant bien
vite, le géant recommençait à courir après moi. fout
enfuyant, je pris la résolution de eoupcnnon doigt;
l'ayant donc placé dans ma bouche, je le fendis avec
mes dents et je le jetai au géant; par ce moyen
je lui échappai , non sans avoir eu grand peur.
Cette aventure, je crois, mérite bien que l'on me
rende un de mes fils; pour les deux autres, je vous
dirai ce qui m'advint . avant de quitter la forêt
136 ANALYSE
Sorti des mains du géant, continue l'ancien voleur,
jerrai, deux jours, au milieu d'une grande forêt ha-
bitée par des lions, des ours, des dragons; et je ne
trouvai qu'une cabane près de laquelle trois voleurs
avaient été pendus; j'y entrai et vis, devant un
grand feu, une femme avec son enfant; elle pleurait:
je lui demandai où j'étais, et si il n'y avait pas d'au-
tres habitations. Non, reprit-elle, à plus de trente
lieues environ ; j'ai été, la nuit, enlevée d'auprès de
mon mari et conduite ici par des mauvais esprits que
les gens appellent E stries '. Il m'ont ordonné de
faire cuire mon enfant qu'ils doivent manger cette
nuit. Je promis à cette femme de venir à son aide,
et de délivrer son enfant; c'est pourquoi étant sorti,
je décrochai l'un des trois pendus, et le portant à
la femme, je lui ordonnai de le faire cuir, au lieu de
son enfant, et je conduisis ce dernier dans la forêt,
où je le cachai dans le creux d'un chêne. La nuit ve-
nue, les Es tries ne tardèrent pas à descendre des
montagnes ; elles ressemblaient à des guenons.
Quand la chair de pendu fut cuite, elles se la parta-
gèrent avec une grande voracité. Le plus grand de
ces génies interrogea la femme pour savoir si c'é-
tait bien l'enfant qu'elle leur avait donné à manger.
Elle répondit, que c'est bien son fils; mais le génie,
ayantquelqueméfiance, envoya trois Estries avec des
• Speetrt , fantîmir , vampire.
DE DOLOPATHOS. I .'V7
couteaux pour rapporter un morceau delacliair des
trois pendus. Alors je me mis à la place de celui que
j'avais ôté, et l'un des génies coupa un morceau de
ma cuisse ; je souffris beaucoup toute la nuit. Ren-
dez-moi mon autre fils et je vous dirai la fin de cette
histoire. Quand les Estries m'eurent ainsi coupé un
morceau de la cuisse, je descendis de l'arbre où je
m'étais pendu, et j'élanchai avec ma chemise le sang
qui coulait à flots de ma blessure; je regagnaile lit
que je m'étais fait près de la maison, et j'eus à sup-
porter d'horribles souffrances. Les génies, après
avoir fait rôtir les trois morceaux de chair qu'ils
venaient de couper, se mirent à les manger ; dès
que la maîtresse eut goûté de ma chair : Oh! dit-elle,
(jue celle-là est bonne et fraîche ; il y a long-temps
que je n'en n'ai eu de pareille ; bien vile allez-moi
chercher le corps de ce pendu , nous le mangerons
toutaussitôt. Quand j'entendis ces paroles, je quittai
de nouveau mon lit et j'allai me remettre avec les
autres pendus. Aussitôt, les trois méchans esprits
s'emparèrent de moi, et tirant mon corps par les
pieds, ils me déchirèrent impitoyablement les bras,
les épaules et le dos, au milieu des broussailles et des
épines, et me jetèrent, ainsi couvert de blessures,
aux pieds de leur maîtresse. Les esprits voulaient
me couper en morceaux, quand je ne sais ce qu'ils
aperçurent, mais ils prirent la fuite. Resté seul avo
la mère el l'enfant, nous quittâmes ces lieux, et,
138 ANALYSE
après avoir marché quarante jours, soutirant la fa-
tigue et la faim, nous atteignîmes la maison de la
jeune femme. Je vous ai dit trois histoires, rendez-
moi mes fils. La reine acquitta sa promesse1.
Le dernier récit des sept Sages de Rome , ap-
partient aux traditions populaires de notre histoire;
c'est l'origine que les romanciers attribuent à l'il-
lustre Godefroi de Bouillon. Une expédition aussi re-
marquable que la première croisade ne pouvait man-
quer de fixer l'attention des trouvères; et comme
introduction au récit qu'ils devaient composer sur
les guerres saintes, ils débitèrent une fable dont l'o-
rigine est difficile à connaître , mais qui paraît em-
pruntée au génie de l'orient.
Un damoisel fort bien élevé , rempli de talens el
de vertu , aimait avec une telle passion la chasse ,
qu'il y consacrait une grande partie de sa vie. Un
jour il s'égara, el après avoir long-temps cherché à
rejoindre ses chasseurs , il arriva au bord d'une
claire fontaine dans laquelle se baignait toute seule
une jeune et belle fée. Epris du plus violent amour,
le chasseur oublia tout, et s'étant emparé d'une
chaîne d'or qui faisait le pouvoir de la tée , il la re-
tira de l'eau , la couvrit de ses vêtemens et lui de-
manda de l'épouser. Moitié violence, moitié plaisir,
la jeune fée consentit , et les deux amans passèrent
■ Voyez Un Extraits . n S.
DE DOLOPATHOS. 1 3M
toute lanuit au bord de la fontaine, après a voir donné
et reçu les plus douces caresses. La jeune fée con-
naissait parfaitement le cours des astres ; jetant ses
regards aux cieux , elle ne tarda pas à s'aperce-
voir qu'elle donnerait le jour à six (ils et une fille.
Elle le dit à son époux, et fut tout épouvantée.
Le damoisel la rassura, la couvrit de baisers, et le
jour venu , l'ayant placée sur son coursier , il la
mena dans son palais. Ses vassaux le reçurent avec
une grande joie, lui et sa nouvelle épousée qu'ils
ne connaissaient pas. Mais la mère du damoisel
jeta les hauts cris, et supplia son (ils de renvoyer
cette femme. Voyant que toutes ses remontrances
étaient inutiles, elle se résigna et fit semblant d'a-
gréer sa bru. Elle l'entoura de soins, de préve-
nance, et sous prétexte qu'elle était enceinte, clic
éloigna d'elle toute autre personne ; elle seule et
ses afïidés pouvaient approcher la jeune fée, qui ne
tarda pas à mettre au monde six lils et une lille,
ayant au cou une chaîne d'or. La mère du damoi-
sel les reçut , et comme la jeune fée ne pouvait
rien voir, à cause de ses souffrances, cette marâ-
tre mit à leur place sept petits chiens ; puis confiant
les fils nouveau-nés à un serviteur, elle lui or-
donna de les porter dans la forêt et de les tuer. Le
serviteur obéit ; mais arrivé dans la foret, il trouva
ces enfans si beaux qu'il n'eut pas le courage de
frapper. U les posa sous un arbre, pensant bien que
1 40 ANALYSE
les bêles sauvages lèraient d'eux leur pâture- Un
sage vieillard, qui habitait seul au milieu des bois ,
rencontra les enfans, les recueillit, et les éleva près
de lui, pendant sept années. Quant au chevalier,
sa mère lui ayant montré les sept petits chiens, lui
fit connaître que c'était là le fruit de ses amours
avec la prétendue fée : Tu disais qu'elle était fée ;
beau-fils , à sa progéniture il est facile de reconnaî-
tre sa nature. Le damoisel irrité , prit sa femme
dans une grande haine, et l'ayant fait placer dans
un trou où elle restait enfouie jusqu'aux mamelles,
il ordonna à ses gens de laver tous leur mains sur
sa tète, de les essuyer avec ses cheveux ; et il vou-
lut qu'elle hit nourrie avec le pain des chiens du pa-
lais. La fée endura sept années de pareilles injures,
ce qui altéra beaucoup sa grande beauté, ajoute le
naïf trouvère. Cependant élevés par Je philosophe
au milieu des bois, ses enfans, nourris avec le lait
des bètes sauvages , s'occupaient à chasser et rap-
portaient au vieillard les oiseaux qu'ils avaient pris.
Un jour que leur père vint à chasser dans la forêt ,
il aperçut les beaux enfans qui portaient tous une
chaîne d'or à leur cou. Il prit plaisir à les regarder,
mais ceux-ci l'ayant vu, disparurent aussitôt Ren-
tré dans son palais, le chevalier raconta son aven-
ture à sa mère : celle-ci ayant fait venir le serviteur
qu'elle avait chargé de tuer les enfans, lui ordonna,
sous peine de la vie , de courir flans le bois , de lui
DE DOLOPATHOS. 141
apporter les chaînes d'or que ces enfans portaient
à leur cou. Le serviteur obéit; il trouva les enfans
dans le bois, jouant au bord d'une onde claire et
pure , où les six frères no lardèrent pas à se jeter ,
après avoir détaché leur chaîne d'or, et avoir pris la
forme de beaux cygnes blancs. Le serviteur s'appro-
cha de la jeune fille qui gardaient les chaînes , s'en
empara, et voulut aussi prendre celle que la jeune
lille portait à son cou , mais elle parvint à lui échap-
per. Le serviteur rapporta les chaînes d'or à sa maî-
tresse, qui manda aussitôt un orfèvre et lui ordonna
de briser ces chaînes et d'en faire une coupe. Ce
dernier voulut obéir , mais il lui fut impossible de
rompre un seul des anneaux : c'est pourquoi il lit
une coupe avec un autre or et la présenta à la mère
du chevalier. Les jeunes (ils de la fée , ayant perdu
leur chaîne d'or, ne pouvaient plus reprendre leur
forme humaine. Ils allaient tout le jour, poussant des
cris plaintifs; fatigués de vivre sur le même lac , ils
prirent leur vol, et arrivèrent près du château de
leur père , dans un étang fort beau, qui se trouvait
à l'entrée. La jeune fille les avait suivis. Le cheva-
lier qui était à la fenêtre de son château ne tarda
pas ii remarquer ces nouveaux hôtes, et voulut qu'ils
fussent bien traités et bien nourris. La jeune 611e re-
prit quelquefois sa forme humaine , et s'introduisit
dans le château; elle eut pitié de sa mère, suris la
connaître, et partagea souvent son pain avec elle. 1 iés
142 ANALYSE
gens du château ne lardèrent pas à remarquer cette
enfant, et son amour pour la fée malheureuse, et les
caresses que lui prodiguaient les heaux cygnes,
quand elle leur portait à manger. Plusieurs ajou-
taient que cette enfant resemblait à la fée, et le
chevalier avait un grand plaisir à regarder l'enfant.
Un jour il l'appela ; celle-ci s'approcha volontiers:
le chevalier remarqua la chaîne d'or attachée à son
cou, et, se souvenant de la fée qu'il avait eu pour
femme : Enfant , dit-il, d'où es-tu née ? quel est ton
père? quelle est ta mère ? pourquoi, matin et soir,
portes-tu à manger aux cygnes qui acceptent volon-
tiers de ta main leur nourriture? La petite tille pleura
et répondit : Sire, Dieu seul pourrait vous dire com-
ment hommes ou femmes naissent sans père, ni mère:
et pourtant il est véritable que je n'en eus jamais ;
je sais bien que ces cygnes, qui viennent près de
moi , sont mes frères : et la jeune fille continua à ra-
conter, en pleurant, toute son histoire. La vieille
mère du chevalier et son fidèle serviteur écoutaient
ce récit ; ils frémirent, et ne doutèrent pas que la
vérité ne soit bien vite connue, aussi la vieille donna
Tordre de tuer la petite fdle. Un jour donc qu'elle
sortait du château, le sergent courut après elle, l'é*
pée haute et tout prêt à la frapper , quand le sei-
gneur chevalier parut tout à coup. Otant l'épée au
serviteur -.Pourquoi vouloir tuer cette enfant, s'é-
cria-t-il ? Le vassal épouvanté, tomba aux genoux du
DE DOLOPATIIOS. 143
maître et lui raconta toute l'histoire- Le chevalier,
plein de fureur, courut chez sa mère qui lui avoua son
crime. On manda bien vite l'orfèvre, et ce dernier fut
obligé de rendre compte des chaînes d'or qui lui
avaient été confiées. Il avoua sa ruse, et déclara que
n'ayant jamais pu rompre un seul des anneaux,
il avait fait la coupe avec un or différent. Il rap-
porta les chaînes qui furent remises à la jeune fille.
Bientôt les cygnes blancs reprirent leur forme hu-
maine, excepté un seul, parce que l'orfèvre, en es-
sayant son travail, avait altéré l'un des anneaux. Ce
cygne blanc accompagna toujours l'un de ses frè-
res, qui devint un grand et illustre chevalier, car ce
fut lui qui tint le duché de Bouillon, et fit la con-
quête de Jérusalem l.
Cette belle légende qui paraît empruntée à l'O-
rient, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, fut. aux
xne et xme siècles très populaire en Europe. Non
seulement les trouvères fiançais en tirent le sujet
de leurs chants, mais en Allemagne et en Flan-
dre, elle se reproduisit sous des formes diver-
ses ; et les frères Grimm dans leur livre sur les
\ traditions populaires de V Allemagne1 , ont donne
< Voyez les Extraits , n" 9.
' Traditions allemandes recueillies cl publia > pur l< U frères (ïriinm .
traduites par ftf, Theil. Paris. 18:is . "i-S, 9 vol. T. II, pages M'I à
■MH.
144 ANALYSE
plus de huit récits différons, tous relatifs à ce sujet
Le fameux poëme allemand du Lohengrin, dont il
existe plusieurs rédactions, est composé avec cette
fable, ainsi que notre vieux poëme du Chevalier au
Cygne, qui commence les récits romanesques con-
sacrés à Godefroy de Bouillon '.
Après l'histoire du Chevalier au Cygne, Virgile
lui-même vient au secours de son élève, et dans le
but de prouver l'innocence de Lucinien, il raconte
l'histoire suivante : J'avais un compagnon d'étude,
fils de sénateur et très grand clerc en philosophie;
il était si savant qu'il refusa toujours de se marier,
malgré les instances de ses parens et de ses amis, à
cet égard. Fatigué des sollicitations nombreuses de
ces derniers, il fit venir un sculpteur, et lui de-
manda de représenter en marbre la plus belle
femme qu'il pourrait imaginer. Le sculpteur ayant
travaillé avec beaucoup de soin, réussit à produire
la représentation d'une femme incomparablement
belle. Le fils de sénateur, l'ayant montrée à ses
parens, leur dit : Quand j'aurai trouvé une femme
pareille à cette statue, je l'épouserai. Un jour il
arriva que des voyageurs qui revenaient de la Grèce,
ayant vu la statue, se mirent à genoux devant elle.
> Au sujet du Chevalier au digne, voyez l'Introduction du second
volume de la CunoNinrB nnriB i>f. Pbilippb HodsrM, publiée par M. H
baron de Heiflemberg. Bruxelles, \H~.W, in-'t".
DE DOLOPATHOS. 1 45
On leur demanda pourquoi ils adoraient cette image ?
Nous venons d'un pays, dirent-ils, où une femme
dont celte statue est la parfaite ressemblance, nous
a comblé de bienfaits. Nous ne savons si elle est
dame ou damoiselle, car elle vit inconnue dans une
tour. Surpris de cette aventure, le jeune sénateur
partit aussitôt pour la Grèce. En débarquant sur le
rivage, il vit la tour où la belle inconnue était enfer-
mée. Celle-ci, paraissant à la fenêtre, apprit au jeune
homme qu'elle était mariée au roi du pays, qui,
jaloux de ses charmes, la gardait toujours empri-
sonnée. Le sénateur, ayant fait connaître à la dame
l'objet de son voyage, ne tarda pas à se lier avec le
roi de la Grèce, et à obtenir de lui la permission de
construire une tour en face de celle où la jeune
dame était enfermée. Le Romain fil encore pra-
tiquer un souterrain qui lui facilita L'entrée de la
tour opposée à la sienne, et il put aisément obtenir
l'objet de son amour. Le roi ne soupçonna pas la
ruse. Bien plus, le Romain jouissait de tous les
meubles qui appartenaient au roi, sans que ce dernier
pùtcomprendre comment cela se faisait. Ainsi étant
allé voir l'étranger son ami , il reconnut chez lui
ses échecs ; il courut bien vite a la tour : mais le
Romain , passant par le souterrain, replaça les
échecs avant que le roi ne lût arrivé* In autre jour,
invite par son ami à un splendide repas, il reconnut
boule sa vaisselle, et sur les épaules du Romain, l>
1 i() ANALYSE
manteau qu'il avait donné à sa femme : il courut
encore à la tour, mais il vit les couteaux et les
bassins à leur place, et le manteau qu'il avait donné
était près de la dame. Le repas terminé , sa
femme elle-même entra chez le Romain. Ne pou-
vant en croire ses yeux, le roi courut à la tour;
mais la dame y était avant lui, et le raillant avec
douceur, elle l'accusa de perdre l'esprit. Il lui ra-
conta son étrange aventure ; mais la dame le dis-
suada, et le conseilla de reconduire le Romain qui
venait de lui annoncer son départ. En effet, un
vaisseau à la voile, attendait le Romain qui s'y em-
barqua avec la femme du roi. Ce dernier les ac-
compagna trois jours , et il revint dans ses états.
Il fut sur le point de mourir de dépit, en apprenant
son malheur. Le Romain conduisit sa maîtresse
dans sa demeure; et quand le roi vint réclamer
sa femme, il lui montra la statue, en disant que les
dieux avaient infligé cette punition à l'infidèle. Le
nouveau possesseur de la dame en fut aussi très
jaloux; il l'enferma dans une tour dont il garda lui-
même la clef. La jeune dame n'en chercha pas moins
d'autres amours, et un jour que son amant dormail
à ses côtés, elle sortit, alla trouver un galant, et ne
revint que fort tard , au point du jour. Mais le Ro-
main s'était éveillé et attendait l'infidèle à la fenêtre.
Quand elle revint, il refusa de la laisser entrer;
celle-ci, qui connaissait sa faiblesse, s'approcha d'un
DE DOLOPATHOS. 147
puits , y jela une pierre, et se cacha au bas de la
tour. Le Romain sortit pour aller au secours, ne
doutant pas du désespoir de sa maîtresse; mais
celle-ci monta vite à la tour, après avoir fermé la
porte, et refusa l'entrée au jaloux, qui fut obligé de
promettre à sa maîtresse de ne plus la tenir enfer-
mée, et qui, le lendemain, abattit la prison qu'il
lui avait faite '.
Herbers finit son poème en nous racontant le
triomphe de Lucinien, son couronnement, son rè-
gne, pendant lequel il fut converti au christianisme
par des apôtres de la foi. Herbers dit que Virgile,
en mourant, tint si ferme dans sa main le livre où il
avait écrit toutes les sciences, qu'il fallut bien le
laisser partir avec lui J.
> Nos lecteurs ont facilement reconnu, dans cette histoire, deux contes
qui se retrouvent, mais séparés , dans le Roman des sept Sages et dans
plusieurs autres compositions. Voyez à ce sujet la première partie de ce
volume, pages 145 et 158; et dans le Roman des sept Sages, en prose,
pages 35 et W».
* Herbers define ici son livre ;
Au bon roi Loeys le livre.
Cui Dex doint honor. en sa \ ta
S' aucuns est ki , par envie ,
Parolt de rien k'il est dite .
f.art raison à ceu k'il dirait.
Vilains iert ki en nicsdiroil
Li li\ n M Ml fWl de savoir ;
Toute listoire est de voir
Oui la taoroil pot mantcrasc,
1 48 ANALYSE
J'ajouterai quelques observations sur l'œuvre
que je viens d'analyser, et qui, sous plusieurs rap-
ports, est digne de fixer l'attention.
Die cornant l'anchanteresse
Phitomissa ki tant savoit ,
Le prophète ki tant valloit,
Samuelain resuscitait
De lai où. il iert le gittait 1
Et se die par kel raison
Li anchantéor Pharaon
De lor verges couluevres firent ?
Et cornant les rainnes issirenl
De la palu ? commant avinl
Que l'aiguë de Nille devint,
S'ansi com dist Sainte Escriture ?
Et die par keille aventure
Circé transfigurait ausis
Toz les compaignons Ulissis?
Sains Augustins le dist , por voir .
Qui mult par fut de grant savoir
Si est la fins de ceste ystoire ,-
Bien saichiez k'ellc est tote voire.
Qui ne la vuelt croire sel' laist ;
Je sui cil ki à tant s'an taist.
Et à celle ki l'ait escrite ,
Daingno Diex faire tel mérite
Que la joie de Paradis
Que Dex ait ses amis promis ,
Li doinst en la fin de sa vie ,
Et vos toz k'i l'avez oie. Amen
E-rpiiril h'ir
M DOLOPATIIOS. 149
Composé dans le milieu du xme siècle, le poème
d'Herbers résume plusieurs parties de la littérature
romanesque; ainsi l'une des principales données
appartient aux traditions bibliques, car l'accusa-
tion portée contre le jeune Lucinien ressemble
assez à l'histoire de Joseph pour avoir été copiée
sur elle. Cependant le récit biblique a pu modifier
celui des livres orientaux, sans avoir pour cela servi
de modèle. Quant à l'imitation des aventures d'U-
lysse dans l'antre de Polyphème, elle a pu être di-
rectement empruntée par le trouvère à V Odyssée
d'Homère, car elle était mieux connue en France ,
au xme siècle, qu'on ne le croit communément. Le
rôle que Herbers lait jouer au poêle Virgile est en
rapport avec les traditions romanesques admises au
xiii« siècle : depuis cent années environ , le chantre
d'Ence était le héros d'une légende merveilleuse et
bizarre, dont les inoidens se multipliaient suivant
le goût ou les connaissances des chroniqueurs et
des poètes qui la racontaient. Difficilement ou pour-
rait expliquer l'origine et les causes de cette légende;
mais elle obtint une célébrité européenne, et le
moine de llaute-Selve, en mêlant le nom de Virgile
à l'histoire des sept Sages , ne faisait qu'ajouter à
son œuvre un élément de succès. De plus, il ratta-
chai! sou poëme à la littérature nationale et cheva-
leresque de son temps, «-M v plaçant une légende qui
donnait une origine merveilleuse à l'une des plus
loO ANALYSE
grandes familles féodales de l'Europe, à la famille
de Godefroy de Bouillon. On le voit , toutes les
parties de la littérature romanesque de cette époque
se retrouvent dans Dolopathos , car le trouvère n'a
pas oublié le gai fabliaux qu'il place, peut-être avec
malice, dans la bouche du cygne de Mantoue. Il faut
dire cependant que dans l'imitation libre, et peut-
être supérieure au modèle, qu'il a faite du roman
latin des sept Sages, il a eu tort de supprimer l'his-
toire racontée par l'impératrice, en réponse à celle
de chacun des sept sages, histoire dont le but était
de prouver le contraire de ce que ces sages avan-
çaient. C'était un ingénieux moyen de piquer la
curiosité du lecteur. Quoi qu'il en soit, les élémens
divers dont le poëme d'Herbers se compose ont été
mis en œuvre avec beaucoup d'art; et le trouvère a
toujours fait preuve, sinon d'une haute intelligence,
au moins d'une ingéniosité très remarquable. Il
raconte bien, et c'est une grande qualité dans
un livre qui se compose de douze récits différons.
Certains épisodes ont principalement fixé mon atten-
tion, et je les regarde comme des modèles de notre
vieille poésie. Je citerai principalement la scène où
l<s femmes de la jeune reine, et cette princesse elle-
iiiriue, font tous leurs elïbrs pour séduire Lucinien1.
Il y a dans ce récit quelque chose de voluptueux,
\ oyez le» B&traiU nu \.
DE DOLOPATHOS. loi
d'oriental, qui ne se trouve pas commuiiéinentdaiis
les poésies françaises du moyen âge. Herbers était
un homme qui possédait toute la scienee de son
époque ; certains auteurs classiques, grecs et la-
tins, lui étaient familiers, comme le prouvent plu-
sieurs passages de son roman. On peut croire qu'il
savait l'hébreu ou même l'arabe, et le conte de la
Livre de Chair qu'il a imité le premier en Occident,
les connaissances médicales qu'il se plaît à montrer
et dont nous avons cité un exemple curieux, et les
contes orientaux qu'il aime à reproduire , justi-
fient suffisamment cette conjecture. En résumé, le
poëme de Dolopathos, et par son exécution, et par
les modèles qu'il a fournis à plusieurs grands écri-
vains dilïerens d'époque et de nation, méritait qu'on
le fasse connaître : je regrette de n'avoir pu entière-
ment le publier.
EXTRAITS DE DOLOPATHOS.
EXTRAITS
DE DOLOPATHOS
1) HEllItERS.
ExiKAIT N° 1, F" 299, COL. 1"
A peines puet perdre sa peinne
Qui sert preudome et qui s'en peinne
Del lot fere sa volenté ;
Mes on n'en trueve pas plentè.
Ghascun jor H mondes empire,
Hui est mauves et demain pire.
Trop pert proesce de son non ,
Ne trovons mes se mauves non.
Et neporquant, se je pooie ,
IVIult volcntiers me pencroie,
Se je me savoie entremetre ,
Q'en .i. romanz péussc metre
Une estoirc auques ancienne
Oui estrô est de genl paieiuir.
Iji ystoire csi ri bone el I>«1«- .
EXTRAITS
Tozjors devroit estre novele;
Car j.unèz ne doit devenir
Celé dont grans biens puet venir.
.1. blans moinnes de bone vie,
De Haute-Selve l'abaïe,
A ceste estoire novellée;
Par biau latin l'a ordenée.
Herberz la velt en romanz trère,
Et del romanz .i. livre fere,
El non et en la révérence
Del filz Phelippe au roi de France
Looy, c'om doit tant loer !
Car li filz Deu le volt doer
De proesse et de vasselaige.
Mult est vaillanz de son aaigo ;
Ne je ne puis nului véoir
Où ma peine puist muez seoir.
Por s'onnor encomencerai,
Ceste estoire enromancerai .
Mult seré lie et à grant èse,
Se je di chose qui li plèse.
Lonc l'estoire, me doint voir dire
Cil ki de tôt est mestre et sire !
Seingnor, au tons anciennour ,
Estaient clerc de grant valour.
Toute lor estude metoieot
En ce dont ils s'entremetoient.
Qu'il en déisscnl vérité,
El toute la prospérité
DE DOLOPATHOS. I '■'*
De qanq'à barons aveuoit.
Cornent chascuns se maintenoit
Et les oevres ke il fesoit;
Cornent li roi se conbaitoient.
De ce se souloienl pener
Qu'essample péussent doner
A ceus ki après eus venissent,
El ke il autretel féissent.
Cil bon clerc mult se travcillèrent,
Mes grans honors i gaaignèrent;
Q' a près lor mors flrent la genl
.iii. ymaiges d'or et d'argent,
Et corne Dex les aorèrent,
Por le grant sens q'en aus trovèrent ;
Saige clerc furent et séné.
Maint autre se sont puis pèné
D'autretel 1ère comme il firent ;
M. lis fors de lor manière issirenl,
Car lor estuides atornèrent
As mençonges k'tl controvèrent.
Il lessièrent la vérité,
Et si disiront la fausseté.
Cbascun son vouloir en fesoit
Tout cinsi comme li plcsoit.
Mon petit sens vueil esprover,
Se je puis tant en moi trovei
1 58 KX TRAITS
Que l'ystoire ne soit périe,
Qui tant est de grant seignorie.
Vérité dire, se je puis,
Selonc ce k'en l'estoire truis.
Et se je n'en faz bien ma rime,
Ou consonant ou léonime,
Nus hom porce mal n'i entende,
Emçoiz li proi ke il m'amende
Jusc'à tant k'il oient la Gn.
Car se je bien mueure de fin,
Je n'en dois pas estre repris ,
Se d'aucune chose mespris.
En la fin doit-on loer l'uevre ,
Et ce ke bon est bien se prueve.
Extrait n° 2, F1 318, col. I1
A icel tans à Rome avoit
Un philosophe ki tenoit
La renoraée de clergie.
Sages fu et de bonc vie;
D'une des citez de Sezile
Fu nez ; on Papeloit Virgile ;
La cité Mantue ot à non.
Virgile fu de grant renon :
Nus clers plus de lui ne savoit ;
Por ce si grant renon avoil,
Onkes poêles ne fu lex
S'il cré. M k'il ne fus! r'un^ |)e\.
1)1 DOLOPATIIOS. 1f>9
Le roi de Virgile souvient,
Et dit qu'envoier li covient :
Il velt q'avec sei le reteingne,
Des ars l'entrcdiue et enseigne.
De ce parlèrent seur mengier,
Et souvent font lors mes changier.
Ne sai porqoi vos devisasse
Toz les mes, ne porqoi musasse :
Cornent il vindrent un à un ;
Mes ge vos devis toi à un,
G'onkes cort plenière ne vi
Où lui fuissent si bien servi.
Mult ot li rois longue mesniée ,
Preuz et cortoise et enseigniée.
De .iiii. contes fet messaiges,
Des plus vaillans et des plus saigos,
En cui il ot greingneur liance ;
Car se fust folie et enfance,
Se son seul enfant otroiast
A gent où il ne se fiast.
Ne poist plus loiax avoir,
iMult riches dons et grant avoir,
Et son fil envoie Virgile.
Einsoizk'il issent de la vile,
Lear a dit: Seigneur, vos iroiz
A Virgile, si li diroiz
Que mon seul enfant li envoie :
Je me fi mult en lui et «roi.
Se ne m'i créasse el Baissé,
160 EXTRAITS
En nul sens ne li envoiasse.
Or li dites ke je li proi,
Por toz les Dex en cui je croi,
Que mon fil me garten tel guise,
Por guerredon et por servise,
Qu'ennui ne maxne li aveigne;
Et toz les .vij. arz li apreignc,
Tant ont li mesaige entendu
A leur voie, ke descendu
Sont à Rome, à l'ostel Virgile.
Il ne vivoit mie de guile,
De barat, ne de mauvestié.
Plus courtois, ne plus afetié
Ne convint, en nule manière.
Assiz estoit en sa chaière :
Une riche chape forrée,
Sans manche, avoit afublée;
Et s'ot en son chief un chapel
Qui fu d'une mult riche pel.
Tret ot arrier son chaperon.
Li enfant de maint haut baron,
Devant lui, à terre séoient,
Qui ses paroles entendoicnl.
Et chascun son livre tenoit,
Einssi comme il Icscnseignoil.
DE DOLOPA rHOS. 101
Exi RAI I N" 3, F" 32i, COL. 1' .
Kntor Virgile otjà esté,
Et par yver et |)ar esté,
Luceniens .vij. ans entiers.
Et tant oi apris volentiers
Que trop fu bon cler à devise,
Si rnm dans Jehuis nos devise
Qui en latin l'estoire niisl ;
Et Herbers ki le romans fist,
De latin en romauz le trest.
Ce fu el tenz que la fleur nest,
El mois de mai, une ve<prée:
La fuelle pet t, et la rousée
Monte scur l'erbe ki verdoie;
Que li rossignox moine joie
Et fet si douce mélodie.
,Fà n'iert si longuement oie
Qu'ele doie grever ne nuire.
\ irgiles lu aie/, iléduire,
O lui meine .ij. COmpaigDOIlS
Dont ge ne s.ii nuiiin les noas ;
Assez ot belle compaingnie.
Lucinicns n'i ala mie.
lùnz est entrez en nue chambré :
D'astrenomie li remenbre.
Sun huis ferme, son livre pris)
Que ses roestres Virgiles Bst.
H>2 EXTRAITS
Toute sa pensée i a mise,
Les reugles en cerche à devise.
Quant il ot toute l'art léue,
Li sans et la color l'en mue ,
Li cuers li faut, et tuit li membre :
Souvins, en mi leu de la chambre,
Chiet pasmez, sus le pavement.
.1. cri gitasi hautement,
Si orrible et si dolerex
Que luit cil furent poerex,
Qui la voiz en ont antendae :
Mult avoit mestier d'ajue.
Adonc sailli sus la mesniée
Toute esbaihie et corrouciée :
Et li voisin i acorrurent
Qui dolent et esbahi furent;
Et demandent ke cenefle
Celé voiz k'il orent oïe.
Plus longuement ne s'atargièrent
L'uis de la chambre pécoièrcnt.
Lucenien i ont trové
Si malade et si agrevé
Q'envers gist, sus le pavement.
A lui viennent haslivement :
Corne home mort gésir le virent ;
Le Iront et le |>iz li sentirent,
Merveille se desconforlèieni
Que point d'aleine n'i trovèrenl
Mes .i. pou de chaleur avoil
ni DOLOPATHOS. 163
Entor le eue? ki ce movoil
Et pooisoit miilt febleirieht;
Tint plurent por lui tendi fiin-ui
Là lu venu/., par aventure,
.i. saiges clers ki la nature
Ue lisiipie toute savitit.
El conoit, lues ke il le voit,
Ke par la dolour de tristesre
Li est venue tele destresce.
Quant la dolor le nier argue,
Le sang ki del cuer se remue,
Et des menhres à lui atret,
Et cil sans l'esperit ne lel
ISSUZ, n'alei la voie droite,
Por la voie k'il trueve eStroite,
Dont l'et cil sans le ciier enfler.
Et en tel manière esch tufer,
Puis ke li espirs lors n'en vieil!,
Que l'orne pasmer en convient :
lssi estoit Lucenienâ.
Dont vint li bons fisicîéna :
Froide eve et ch unie a demandée,
Ele li fusl tost aportée.
Lucinien list liait lever,
El les picy. et les meins laver
lie celi eve ki tu Ironie ;
La froideur la cbalor n froide
Et la froide eve ravetitue
La chalor ki esl descendue .
(il EXTRAITS
A lui tret le sanc et apele.
Puis prant lainne blanche et neveUe
En l'eve chadete l'a mise ,
Deseur le piz li a assize,
Si comme .i. enplaistre frist.
Por ce la chaleur i assist,
Qui le sanc de! cuer remuaist
Et par les veines s'avoiaist ,
Et ralaist en son droit estaige ;
Issi le font cil ki sont saige.
Puis prent espices glorieuses ,
Soeffleranz, et précieuses ;
Mult bien et bel s'en entremis!,
A la bouche et au nez li mist,
Por l'esperite fors atrère,
Et por le chief conforter fère.
Tôt maintenant k'il ot ce fet,
Li sanz en son droit leu se tret ;
La color li est revenue,
Ses mains et ses manbres remue.
Dont se dresce, si c'est assiz ;
Esbabiz fu et mult pensiz,
Quant il a tant de gens véues,
Qui là furent por lui venues.
El bien punit sa mesestance
\ son vis et à sa semblant i
DE DOLOPATHOS. 1 65
Extrait >u 4, f° 348, col. 2.
Dolopalhos se réconforte,
Tote s'espérance estoit morte.
Moult loe le conseil et prise,
Et dist ke bons est à devise ;
Et moult mcrcie la reine,
Moult grand guerredon l'en destine.
Et de s'amor moult l'asséure :
Par tout ces Dex li dit et jure
Que son reigne li partira,
Tote la moitié l'en dorira,
Se la parole li puet rendre
Séurcment s'i puet ,-itendre.
La reine reniant en meinne,
Moult ce travaille et moult ce poinne.
I,i rois a ces barons mandé
Et toz ceuz de la cort commandé :
JuSC'à .Vll.jors envient atemlte.
Car il ne puet or pas entendre
A Lucenicn coronner ;
D'autre chose l'estuel penei .
Une autre besoigne a & feré
Qne tout premier li COvienl ti-i «• ;
El puis ke li rois le commande,
\'i i si hardi ki n'atande.
1,.i reine l'en fan I en meinne :
Grant travail i mel et granl pein,
Qu'elc puisse covenl tenu
16<) EXTRAITS
Ses damoiseles fel venir,
A ver eles l'acompaigna.
Et si lor disl et enseigna
Que tôt son voloir li féissent,
Et tôt lorpooir i méissent.
Par toute la cité manda
A li venir, et comanda
Les plus cortoiscs damoiseles
Les muez dancenz et les plus Jm-Ic- :
Toutes celés ki muez chanloienl .
Et ki plus douée voiz avoient.
Biax joax lor donc et promet :
0 ses damoiselles les met.
Vestir les fet apertement ;
Prie et commande douccmeiil
Et par amor et parmenaice,
Que chascune son pooir iai< •<■.
Tout adès, par jor et par nuit.
Onkes ne lor griet ne ennuil
De déduit et dejoiefere,
Tout ce par c'om puet home alrere .
Et l'ère plus enlalcnte
D'amors et de sa voleoté.
\ule honte ne les reteigm ;
Chascune entre ces braz l'e$traingne,
\ loi s'otroil chascune et doigue,
De toul en tout s'i abancjpignc.
Les damoiseles li olroieni ;
Ki pni ce ke plus bêles soient .
DE DOLOPATHOS. I fi~
Se vcslent moult apertemenl
Kt lacent envoisiéement.
Moult bien s'al'etent et atirent.
A moult grant joie le servirent
Si corn la reine romande ,
N'i a nule ki i entande.
Vilenie ne lait ne honte,
Tout ce keà tel oevre monte,
Font nuit et jor, et soir et main.
Séurcment metent lor main
Par tout, et aval el amont.
Chascunc le bese et semonl
\u geu d'amors et de desduil ;
Mes De l'ont |i;is truve bien duil
Ne d'acoler, ne de besfer,
Ne de cointe damé àiesier.
Devant loi dancenl el envoisent,
De joie fere ne se misent :
Toz les déduit li l'ont olr
Par corn pas) borne resjolr :
Gigues el harpes el vicies.
Et les plus comtes damoiselea
Li donenl chapiai el Borates :
Roses et lis el viotetes
Li pcndcnl environ son lit.
Toute la joie el te <lelii
Li fonl trestoutei el li donenl ;
168 EXTRAITS
De tout en tout s'i abandonenl.
La reine nièisrnetnent
S'en entremet moult durement,
Por ce q'au roi l'a encovent.
Fors vins li fet boivre sovent,
Por eschaufer et esmovoir
A joie et à parole avoir;
Car cil ki ont assez béu
Sont plus de legier decéu,
Et plus parolent volcntiers.
Cil ce gardoit en dementiers.
Mes la garde i est moult grevainne,
Moult est grant tonnent et grant peinue
De vivre entre ces ennemis.
Cil est entre les serpanz mis
Qui moult le poignent et travaillent.
Et qui de toutes pars l'asaillenl ;
Il gisl el feu, «'I il a art mie.
Je cuit ke je faz vilenie
Qant serpanz apel daraoiseles
Qui tant errent plesanz et bdes,
Corn ne pot mieux vaillans trovei ;
Mes ge le puis per de prover,
Per ce le prouvera por voir :
Li serpenz a plus de savoir
Que nule besle par nature.
I le Lesmoigne li escniure.
Ausi esl la famé trop saigi .
F.l p;ir nature el par USaige,
DE DOLOPATHOS 1 (>9
D'ome décevoir et atrère
For son bon et son voloir fere.
Moult set famé d'engin et d'art.
C'est li fens ki tout cuit et art.
Entre eles est Luceiniens,
Bien le tienent en lor liens ;
En lui ne truevent nul confort.
Ne cuit k'il ait céans si fort,
Ne si durs ki ne fust ploiez,
Et contre eles amoloiez ;
Qu'eles estaient à devise
Si très bêles, q'à nulc guise,
Ne porroit-on trover ne querre
Lor parnillcs, en nulc terre
Bien savoient à chief *enir
De tout ce ki puet avenir
\ ..moi , cl si s'en penoient
De tout le muez k'eles pooient
Luceinien lu de graot force :
Durement se peine et esforce
Qu'il ne soil en tin decéui.
Il esl moult bien aparcéui
Qu'eles fonl tool ce par conseil ;
El de ce le plus me merveil
Qo'eles nel' poeent décevoir.
Il conoisl bien ci set de voir,
Que lune sel plus d'arl ke nus.
Mes ne viiclt pas estre conclus ;
Em7 se garde monll saigcmenl ,
170 EXTRAITS
Et maint en son proposcment
Que, por la graice et por l'amor
l><l roi son père et son seignor,
Et por eus prover et savoir
S'il puet tant de vertu avoir,
Toute lor volentè fera,
Ne jà por ce ne parlera ;
Fors tant k'il ne souferra mie
Le geu ki torne à vilenie.
Moult sera liez en son eoraige,
Se il, ki juennes est d'aaige,
Puet restraindre sa volenlé
Dont maint viellart sont assoté.
Bien set s'il est de ce vencuz.
Que perciez sera ses escuz,
Ses haubers rons et démailliez ;
Et ce dont tant s'est travailliez.
Aura puis moult put de durée.
Faussez sera, sanz demorée,
Le don ke son mestre ot promis
Moult i a bien son pensé mis,
Et si ce maintient lieement
Entr'eles et cortoisemeot,
Et rit, et fet moult bêle ehière,
Et Bueffre toute lor manière,
Leur dit, et leur geu, et lor fet.
Fors ce ki à dire ne Tel.
\ dénie ne vuelt il 1ère,
Ne parole n'en pijel-mi lui.
M ItOI.Ol'AÏ HO IT1
En nul M'ns, n'en nule devise.
.Ij. jnl's i onl lui peiline H1IM\
Gastée li ont et perdue ;
hsi est la chose avenue.
La roïne est formeni dolente
Kant ele pert einssi s'en tente,
Et la grant peine kYle i met.
Dedenz son cuer dit el promet
Que de son cuis li Fera don,
Toute s'i metra à bandoh,
Einz k'ele n'ait sa volenté.
Bien a le cuer optalenté
Que Luceinien parler faice .
Et por le roi, et poi sa praire ;
< >u ele parler le fera,
< Mi jajnès liée ne sera.
Puis ke famé enprenl nne chose,
Moult à envi/, dort, ne repose,
Tant k'ele en puist à çhief venir,
Que q'après en doie avenir.
La reine ki moull ce prise,
\ ceste chose eissi emprise :
\<T lera pas à tant alei .
i >n iinit moult bien de li pai lei
Trop eri bêle outre mesure :
Blonde es toit sa chevelénrc ;
Front f)t pi un, ri sorril/ h
\~?
EXTRAITS
Ses vis ne fu mie retis ;
Que flors de lis, ne fleur de rose
A son vis semblast nule chose.
Eulz riant, nés tel par devise ;
Petite bouche bien assize.
Ele estoit moult plesanz de vis,
Et de son cors. Tant vos devis
Q'ainz nule famé ne fut née
Qui de cors fust si bien formée.
ÏVe fu trop grans, ne trop petite ;
De si boin point fu à eslitc,
Coin nus hons vos sauroit retraite,
Nus ne la sauroit muez portraire.
Trop fu apertement vestue
D'une chemise estroit cousue,
En braz, et par les pans fu léc,
Déliée, blanche et ridée.
Pelice ot lègièn et sanz manche ;
La char k'ele ot bcle et blanche
Par mi la manche li paroit.
D'un vermeil samis cote avoit,
Et mantel et d'un drap défrise
Donl la pane ne fu pas grise,
Mes toute de dus d'erminetes
Déliées, blanches el netes.
En alaiches et en lassiax
< )i Hors entre tes à oisiax.
Li mantiax fu de granl valor :
\ esluz estoil d'une color,
DE DOLOPATMos 17:'»
De tantes colors i a voit
Que nus bons dire nel' savoit.
Et sj erent si entrelaciées,
Et par tel meslrie afetiées,
Que cil fust perduz ou deffez
.lamés tic\ ne fust cootrefez.
Li mantiax moult bien li avint
Et tiex f'u com à li covint.
Trop fu vestue a portement
Trop li sist bien avenanment.
Et ele iert toute desliéo,
Ets'estoit d'un fil d'or tresciée,
Mes si bel crin plus reluisoient
Que li ors dont trecié estoient.
Car il estoient crespé et tor.
I-- f i son chief ol .i. cercle d'or,
Pierres précieuses et chièrres,
A flors de diverses manières.
Moult tu cortoise et afetiée
Et de parler bien enseigniée.
Et si vair eul ce rerno Voient
Qui si doucement regardoienl ;
C'estoitavis k'il Iresperçaisseol
Quel ke chose k'il esgardaissenl
Saichiez, se vos le véissiez,
l'or voir à certes cuidissiez
Qu'ele fust bêle ke llcleimn-
Por (in Paria sonfri tel peinae.
l-insi vestue et ascemée,
lïi EXTRAITS
S'en estdedenz lu chambre entrée
Les damoiseles s'en issirent
Tôt maintenant k'eles la virent.
La reine la chambre ferme,
Qui moult estoit ccrteine et ferme
Des engins et des (Jars d'amors.
Se bien ne se garde à ces tors
Luceiniens, jà iert mal mise
La promesse k'il ot promise.
Car ele le tient à s'escole.
Doucement le bese et acolc,
Entre ces braz soef l'eslraint,
Durement l'engoisse et destrainl.
Ele ne tient pas la main cote.,
Met par tout la met et envoie
Lai où plus eschaufer le cuide ;
Grant peinne i met et grant estuide,
Nu à nu le bese et àtouche.
Sachiez ke la mains et la bouche
Ont moult de pooir à leile oevre.
Toute s'abandone el dèscàevre,
Mes Luceinien la refuse.
Ele n'esl pas por ce confuse
Einçoiz a pressé plus l'cnfan-t,
De tant comme il plus ce deffant.
Einssi l'a pressé sanz séjor,
El destrainl per nuit et per jor.
DE DQliOPATHOS 17')
Mes ne s'esl pas apercéue
Jusq'à tant qu'ele est deçéue ;
Ele le cuiduii décevoir,
Par son senz el par sun savoir,
Par sa joie et par son soulaz :
Mes ore est chêne en ces la/.,
Amors fera de li juslise,
Qui moult durement la juslise
Ele li est el cuer entrée,
Or li fera paier entrée.
Elle tient el cil n'en a cure,
Tant li est plus aspre et plus dur<
I, i dolors ki d'aniors II \irnl :
Maugrè li amer li envient
Por la biaute k'eu lui vèoit,
.sa .^r.iiit bianté le decevoit ;
Car ge ne cuit c'onkes nature
Féist plus bêle créature.
Ne sai por quoi jel' vus devis
!><■ menbres, «le cors et de \ is,
Et d'eux el de cheveleure,
Fu il trop biax, outre mesure.
Qanl la reine voil 5a 1 1
Dont ne sel ele k'clc I lice.
Car tant per est cleie el \erineille
Qu'ele ineisine s'en merveille;
Tant la perdestraint durement
( !e k'ele sent lot nuellielli .
Sa 'lui ki tant est lemlic ■ i lilanclie.
176 EXTRAITS
Son col, et son piz, et sa hanche.
Et plus l'estraint et plus le bese,
Tant est ele plus à uialese !
Qant ele plus n'en puet avoir ;
Et tant vos di ge bien de voir,
Q'amors la destraint si et donte
Que point ne li souvient de honte.
Bien vousist fere apertement
Ce ke cil deffent durement
Et bien le soufrist, ; anz mentir,
Se cil lé vousist consentir.
Ore est la reine sorprise
D'amors qui trop l'art et atise.
Li rois de son fil li demande,
Et ele H dit k'il amende ;
Bien cuide q'cncor parler doie
Moult en perra li rois grant joie,
Ne fust si liez por nul avoir.
La reine ne puel avoir
Kepos, car amors la destraint.
A l'enfant revient et l'estraint ;
Entre ces braz soef le prent ,
Com plusl'enbraiceel plus l'esprent ;
Son douzami le nomme et clame'
N'est pas en son senz ki trop ainniic.
Cil croit k'ele soit forsenée,
(,);int il la voit si eschaufée
\ maleseen est, et senz donte
A .ii. mains loing de lui la boute
m DOLOPATHOS. 177
Coin plus la boute et plus revient,
Car de line amor li souvient,
Oui si la destraint et enguisse
Qu'ele ne set ke 1ère puisse.
Grant duel en a et grant contrère,
Qanl il ne well son voloir fere.
Dolanteen esl el trespansée.
D'autre Those s'esl porpansée:
Par berbeel par proposement,
Velt fere son enchantement.
Sessorz et ces charmes atrempre
Et ces herbes trible et destrempre ;
O le vin li velt 1ère boire,
r,c ilii el conte li estoire,
Qu'il set tout, par astronomie,
Qant k'ele fet, si n'en boil mie.
Ne li charmes ne li puct fere
Chose ki li viegne à contrère.
Quant la rolne a ce vèn
(tue par ce oe l'a decéu,
Mont par esl «'le trop dolente.
Ele plore el si se dément* :
Ha ! fet ele, lasse, chétive,
Dolente, por coi ^ 1 1 î - j < ■ vive ?
Trop soi decéue el sorprise ;
Trop m'a cil mai d'amors esprise.
.l'aini, celui ki de moi n'a cure ;
Mil ! i isse ! quele aventure.
le l'uni el il ne m'aime une ;
178 EXTRAITS
Bien m'a amors morte et traie,
S'einsi me dure longuement.
Mes ge ne puis véoir cornent
Ce me puist longuement durer,
Car ge neP porroie endurer.
Volentiers l'entroublieroie,
Mes entroublier nel' porroie;
Car ki bien ai mine antièrement
N'oublie pas legièrement.
Et ge l'aim de tôt mon pooir ;
Et si ne puis chose véoir
Par qoi ma volentei en aie,
C'est la chose ki plus m'esmaic
Herbes, ne poisons, ne racines,
Ne charoies, ne médecines
Ne m'i pueent néant valoir,
C'est ce ki plus m'i fet doloir.
Ne force ne m'i puet aidier :
Je ne puis contre lui tencier,
En nul senz, n'en nule manière,
Se ge n'esploit par tnà proîèrè
Dont ne puis ge pas csploiiicr,
Amors le me fetcovoilier.
Nuit et jor, or esprovcrai
Se par proière exploiterai.
\ tant est en la chambre entrée,
Tote dotante et esploree.
I rop lort le destrainl et alise
Pine amor Ki l'art el justise.
Di. bOLOPAÎHOS 179
Ele oe lesse ne réponse ;
Plus lu vermeille .'une rousë.
Après li clost Fuis et ferma ;
A celui vint qu'elo ;ira;i,
En plorant, dist : Amis, merci !
C'est vostre amie ki est ci,
C'est celé ki vos sert et aimnie.
A vos ce plaint, à vos ce clame,
Or li fêtes de vos droiture.
Ele a si mise en vos sa cure,
Sensetpooir, pensée et cuer,
Que sanz mort, ne puet à nul l'uer,
Eschaper de vostre prison,
Se par vos n'en ai guerison.
Vos estes sa mort et sa rie,
Aiez merci de vostre amie!
Car se vos merci n'en aVez,
Outréemenl morte m'avez.
Et nel' tenez à vilenie
Ce qu'ele vos requiert ei prie.
Ce tet fere amors el commande,
Vos savez bien k'ele demande:
Douez li cornent k'il iviegnc,
Ou mis soufrez k'ele le preigue.
Moullz II dis) plus ke je ne «Il :
i>les onkes cil ne respomli,
Einz (ei niés la sorée oreille*.
La roïne trop se merveille
<Mn si le voit hcl el ipei l
ISO EXTRAITS
Tote s'esbaihist et espei t ;
Et li sans del vis li remue,
D'angoisse tremble, et si tressuo.
Ele le prent et si Pembraice,
Vers soi l'estraint, et si l'enlaice.
Jà en féist tôt son voloir
Qui q'après s'en déust douloir.
Se trop bien ne se desl'endist
Cil ki, por ce, nul mot ne dist.
Ne li vaut on nule manière,
Enging, ne force, neproière.
Tant est ele plus desconfite
El plus dolente et plus afflite.
La reine granl duel demeinne ;
En la seuc chambre demeinne,
A ces daimoiseles menées
Qui plus turent de li privées,
Et ki toz ces conseuz savoinii
Bien seivenl, kant eles la voient,
Qu'ele iert dolente et ennuieuse
Toute pensive et engoissotue ;
Lor dist: Por Deu ! consilliez moi,
Por Deu ! le vos requier eUproi ;
Il n'est riens ke je vos celaisse,
Je BUi toute dolante et lasse.
A mon seignor covent avoie
Que son (ilz parlant li rendroie :
DE DOLOPATHOS. 181
Assez i ai grant peine mise,
(le ne puel es Ire en Mlle guise,
Toute j'ai m;i peinne perdue:
En mon laz soi prise etchéuo.
>l;iiivescment m'i soi gardée ;
Sa biauté m'a teile atornée,
Que je ne sai ke fere doie ,
S'il ne volt, jamais n'aurai joie.
Il est ma vie, et c'est m'amors :
C'est mes deduiz, c'est mes confors;
Sa grant biauté m'a decéue,
Kl la douseur de sa char nue
Que ge sentoie nucmcnt.
< a- me gemble reraiemenl
Q'el monde n'a si bêle chose
Mes CUerS ne dort. De repose :
.l'en pert le boivre et le mengicr,
Je cuit por lui le sen chaingier.
Je ne voi riens ki ne m'auuit.
Je pens à lui et soir et nuit.
Je li ai dit et tel savoir.
Ne \eit de moi merci avoir.
!Ve m'i valt rienz esforcemenz,
IN'erbe, ne jus, n'cncli.inteineii/..
Ne |iroère ne m'i valt rien.
I inçoii me despit ausi bien
Que s.- j'estoie une trouée.
Ou en Cour, ou en molin née.
Ni' prise m. mi m.i hautesec,
182 EXTRAITS
Ne ma biaulé, ne ma proesce,
Ne m'ennor, ne ma gentillise.
Et s'amor m'a einsi sorprise;
Et plus fuit, et ge plus le chaz,
Ne m'i vaut néant mes porehaz.
Sa biauté m'a si prise à Paim
Com plus me het et ge plus l'aim.
Vos ki d'amors oï avez,
Conseilliez moi, se vos savez.
Ma grant dolor dite vos ai,
Car ge conseiller ne me sai ;
Et ce sai ge moult bien de voir.,
Nuns nel' porroit de ce movoir.
.là n'en auré ma volente,
Tant ai-ge plus grant dolente
Que jai de moi merci n'aura,
Ensi morir me eovendra.
Je inorrai pot lui sanz doutance.
De vivre n'ai nule espérance.
Se je ma volenté avoie,
Ne me chaudroit sege moroie
La reine a fet sa clamoi
^i com celé ki pur anioi
\iiiune desmesureeuienl .
Mmiit parole à li folémenl .
El responl une damoisele :
Vvoi ! foie chose, fel ele.
Dl DOLOPATHOS. I S.!
Desloiax, dolente et chetive,
La plus chctive riens ki vive!
Vils créature et forsenée
Et honteuse et maléurée.
Moult as or bien ton laz tendu
Qui à tel home as entendu ;
A .i. tronc ki parler ne puet,
Qui pot parler ne se remucl
Ne ke se il estoit de fust.
.\c cuit c'onkes mes dame fust,
Par .i. tel home, decéue,
Il ne se crolle ne remue !
Ha! chétive, es-tu oubliée*:'
.là es-tu plus bêle ke fée
Gentis dame de haut paraige,
l'or qui pensez si graatoutraige?
Moult nie merveil dont ce te vient :
S'il fust tex comme à toi envient.
■là certes ne m'en merveillasse :
Mes ainçois le te ronseillaisM .
Oestui ne doit lu pas amer :
.là ton ami nel' dois rlamer,
Car il n'est mie tes amin».
Einz est tel limitez ennemis.
Il te tondra totfl la terre ;
Li rois |ior ce l'envoi,! qoerre :
!*•»! ce l'a-il têt amenai
Que son reigne li vetl doner.
i.i ci reigne ne pat tiras,
(84 EXTRAITS
Ne li enfant ke lu auras ;
Il le fera encor grant honte.
Et de s'amor à toi ke monte,
Puis ke il n'a cure de toi.
Se il n'avoit cure de moi,
Auroie-ge donc de lui cure ?
N'aie par sa maie aventure.
Il t'a sorprise et decéue,
Torne ton coreige et remue :
Geste amor atome à haine,
Je n'i voi autre médecine.
Se tu me croiz, dame seras,
Et ton voloir partout feras.
Bêle dame, mon consoil croi :
Li prince, et li conte, et li roi
Seront en ton paies demain :
El tu te lèveras bien main ,
Si coin tu seus, te vestiras ;
Devant Luceinien iras
Toute seule, sanz compagnie.
Garde bien kc ne lessier nue.
Devant li ront ta vesiéure,
Kl ta blonde eheveléure.
Descire ta faice et ton vis.
Tout einsi corn ge i<' des vis;
Forment à liante voi/ Pescrie
Et nos le vendrons en aie.
Nos vestéures ramperons,
Vos faices i ^gratinerons.
DE DOLOPATHOS. 185
Si haut crierons à ,i. l'es,
Que tout en mouvrons le paies.
Si dirons kc il te tenait,
El à force te demenoit
Por fere de toi son délit ;
Et vouloit corrompre le lit
Son père, maleoit gré rien.
Soies hardie, el bien le tien;
.Muiax est, jà ne parlera.
Tes pères li rois i sera,
Ti frère et ti autre parant;
Qui bien sont en la cort parant.
Et li nostre amin i seront
oui volentiers nus aideront.
Ne puis tut dire, ne fe traire
Les grans max ke h loe à faire
Celé ki assez en sa Voit.
La reine ki ore avbil
Kn l'enfanl 9a pensée mise.
Tant ke trop l'amoil à dc\ ise
Eu .1 son coraige lornè,
Kl à Ce sou ruer atoi ne
Que sa mort voudrait et sa honti
si l'uni li escrrture conte,
En pou d'oure esl famé muée;
S'amor a moull pou de durée,
Pâme se chainge en pelil d'eure :
186 hXTKViïS
Orendroit rit, orendroit plore,
Or chace, or fuit, or het, or aimme,
Famé est li oisiax seur la ramme,
Qui or descent, et or remonte.
.\e vuel fere plus lonc aconte:
La roïne malin selieve,
Mauves conseil mainte foiz grieve ;
Ce croit, ke celé li consoille.
Moult bien se vest et apareille :
Devant Luceinien en vient,
.Fà fera plus k'il ne convient :
N'a pas l'enfant aresonné,
Onkes .i. mol n'i ot sonné.
De ces cheveuz trère ne fine,
As ongles son vis esgratine
Tant ke li sans cuevre sa faice,
Et ne li chaut ke de li faice.
Sa riche roube a dérompue,
Tant ke sa char pert toute nue.
A haute voiz requiert aie.
Toute la sale est estormie ;
Ses damoiseles à li corrent,
"i comme celés la se dirent
Oui h''. ni pas h nuise abessiée,
Mes i-slevee et essauciée.
< » f 1 1 fors de! senz, crienl et braieol .
Lui cbevez rompent e4 detraient;
Granl noise el granl temolte fonts
l/i-ui vis el leui robes desfonb
DE DOLOPATHOS. I K~
La dame, comment pol ce fere ?
Qui i<T rsiuit si deboaere.
Q'est la grans aniors devenue':'
Teil haine dont est venue?
Si grant hontaige pur qui fel P
Que li a li enfès forfet ?
Jer l'amoîl el or le het tant '
Nule faim- rcsuii n'entent.
Fors (Ici senz l'estuct devenir,
S'ele ne puet à ehicl venir
l><- fere ce k'ele a en pensse.
Fox est que dit q;ui U<> il pense !
FI pales sont tuit amassé
Li roi, li prince et li chasé,
Et li baron de la contrée.
Une besoigne onl afinée
Dont li nus ol li- jili-l tenu ,
l'or ce i t nient luit venu.
Mien oivnt tint l.i noise oie.
Mes ne se\ent ke M-iielic
Il le sauront |iioiiieinenieiil :
i-.i reine vial fièrement
Qui toute lu ensanglantée
De salit, et toute esrhe\elee.
Que deci as piei h dégoule,
Rompue lu sa roube toute,
\usi i mu s'olc lusi balue.
188 EXTRAITS
As piez le roi s'est estendue,
Voiant toz ceuz ki la estoient.
Qant li baron eiosi la veoient,
Dolent en sont et à malese,
N'i a nul ke il ne desplese.
Tantost l'a li rois sus drescié
Et dist : Ke vos a corrouciée?
Gardez ke nel' me celez mie
Qui vos a fet tel vileine,
Ma douce suer, ma mie chière.
La roïne fet mate chiere ;
En plorant sangloute et soupire
Semblant fet k'ele nel' puct dire.
Famé a moult tost lerme trovée,
Et grant mensonge controvée.
Moult seit bien sa parole faindre
Famé, kant ele se volt plaindre.
La reine respont au roi :
Biaus sire, por amor de toi,
Et por l'enncur, et pur ta grâce,
Et drois est ke ton vouloir faice.
Ton fil en ma chambre en menai,
Mi- lui honorer me penai :
Mes damoiselles, sans sejor,
Menoienl feste nuit et jor ;
Car volentiers l<- le rendissenl
Lie et parlant, s'eles poissent.
DE DOLOPATHOS. 1K!)
Munit grant Icesce et mouli grant joie,
Por l'amor fie vos, en avoie.
Qant gel' pooie esbanoier.
Je le fesoie dosnoier
A mes cortoises damoiseles,
As plus vaillans, et as plus bêles
Tant ke ge sai eerteinnement
Qu'il ce faint tout veraiemi-m
N'a pas la parole perdue
Por chose ki soit avenue ;
Onkes voir ne se desconforte,
Ne por sa mère ki est morte
Ne por mestre k'il ait eu,
Hui l'ai-ge bien apercèu.
Sire, « n ma chambre le gardoie ;
Toute seule entrée i estoie,
Por lui déduire et esjoîr,
Vos me polstes bien oïr,
Qant il me list crier et hrére
Son voloir ciiiila de moi 1ère.
Onkes nus bons ne vit maufe.
Si tirant, ne m eschanfé !
sire, ge oel1 vos consentit .
Mes il me iist ses cox sentir.
Morte m'éUSt cl eSSÏlliée,
Car il m'a toute combrisièe,
Se nies pneeles ne veiiissenl.
Ki s'eies ne me rescoossissent.
N'eschapaisse por nul pooii :
190 EXTRAITS
Ce poez vos moult bien savoir.
Trop m'a vileinnement batue,
Ma char et ma robe rompue,
Mes braz, et mon piz, et mon cors,
Tout ke li sans pert par defors.
Et mes puceles ensement
A tretiées vileinnement.
Qant vit k'il à moi ot failli,
Tôt maintenant les asailli ;
Vos poez bien apertemenl
Véoiren nos Pesprovement.
Et puis ke la chose est provée,
Ne querez autre demorée,
Mes fête nos droite venjain <•.
Ce ne fist il pas par enfance,
Qu'il a assez cors et aaige,
Si la fct par son grant oulraigc
Je di por voir et bien le sai,
Car ge l'ai prové à l'essai.
Vileinnement nos a treciées,
Et bien nos en fussons vengiées.
Nul mal ferc ne li volsimes
Fors q'à vos clamer nos venimes,
Et as barons ki céans sont.
Oui le forfet entendu nul.
Dire en doivent le jugement ,
Et vos feroiz le veWgeriient.
DK POLOPATHOS. 191
Kxikah in" 5, f° 387, col. 2.
Quant il esgardent vers le plain,
El virent .i. hbmé venant,
(ii.inl et bien (et et avenant.
Vicuz lu et blans com nois negiée ;
Sa blanche barbe avoit treciée,
\ une tresec f'u tresciez.
Devant le roi s'est adresciez,
Seur .i. cheval noir comme meure;
11 ne s'arreste, ne demeure,
Einz chevache, grant aléure,
Par mi la presse ki inoutl dure
Tant ke devant le mi descent;
\ oie li firent plu^ de .C.
Langue ot legière et esmolue:
Certoisemenl le roi salue,
Et les barons, et la rdlne,
Et des q'en terre les encline.
Li rois son salu li rendi ;
Et cil dist : Biaus sire, OT me ili
Ceste gent por qu'es! assemblée
A cil hons mile chose emblée ?
Por quel tort, on pôr quel droiture
Morra si bêle créature
Com gc voi lai, devant cel feu?
Li rois responl : Sire, par Detl '
1^2 EXTRA J PS
C'est mes filz ; puis li a conte
Cornent à l'escole ot esté.
Et si li conta le couvine
Et la clamor de la reine ;
Et cornent les genz l'ont jugie,
Puis dist li rois : Sire, or vuel gie
Que vos me dites vérité,
Quex hons et de quel naïté
Vos estes, et ke vos querez ?
Dont venez vos et où irez?
Et cil respont : Sire, por voir,
Je sui uns hons de grant savoir,
De la cité de Rome nez.
Traveilliez me soi et pcnez
Tant kejesui .i. des. VII. saiges.
.Ma costume est et mes usaiges
Que ge vois à rois et as contes
Qui volentiers oient mes contes.
Je sai dire maintes noveles
Et aventures vielz et novelles.
Et si lor ai conté et dit
Meint bon essample et maint bel dit.
Et s'il vos plesl à escouter,
.1. essample vos vuel mostrei
Viel et de grant subtilité.
Li rois en ot grant volenté,
Et chascun por oïr ce cpise,
Vi ot .i. seul ki féist noise.
Moult volentiers fti escoule/ :
DE DOLOBATHOS. ^ 93
.1. petit fu en hait nionleiz,
Et dist : Seigneur, ça en arrière,
Estoitli tens d'autre manière.
Et Rome la noble cité
N'iere pas de tel dignité,
De tel non, ne de telc honor.
Neporqanl si avoit scignor,
.1. roi ki moult iere preudons,
Ne me souvient or de son non;
Mors fu, kant il ne pot plus vivre.
Son roiaume quitc et délivre
Lessa .i. suen fil k'il avoit,
Enfant ki moult petit savoit.
Terre ki pe*l son bon leigBâl
Ne conquiert ne pris, ne honnor,
Ne bon prévos, ne bon major ;
Après mauves a l'on piaf.
Icil enfès fu rois de Rome,
Et li Romain furent si home.
Mes après la mort de son père,
Li sordi guerre mouli ambre':
D'une trop forte genl à devise
De toutes pars fu Ronn assise
N'osoienl i^sir li Romain,
Nejor, ne nuit, ne soir, ne main
Et tant i 0( Il o|y. w(é .
El par yver, e| pu « -sic.
Que cil dedens orenl, MM l.iille,
Petil de blé h il<> rstailte.
i3.
194 EXTRAITS
Durement à malese estoietit,
Por la poor ke il avoient.
Tant corn plus giele et plus estraint:
La poors tant fort les destraint
Qu'il mistrent le roi à reson,
Qui moult par estoit jeunes bons.
Li rois ses barons apela ;
Cil à cui il se conseilla
Ierent près tuit de son aaige,
.Vestoient mie granment saige.
Qant .i. avugle l'autre meinne
/Moult se conduent à grant peinne ;
Bien pueent andui tresbuchier.
Cil ke li rois avoit plus chier
Li conseilla ke, dedenz Rome,
Ne lessaist nés .i. seul viel home,
Se son cors ne pooit desfendre.
Li vicz hons welt ausi despendre,
Et ausi bien boit et menjue
Com li juenes ki bien s'ajue.
Cil rois ûst son comandemenl,
Par sa terre comunémenl,
Que tuit li viellart ocis fussent
Qui de lor cors pooir n'eussent ;
Les vielles dames ensement.
Et fu en son commandement,
Se lor enfans nè's ocioient,
hl DOLOPA l nos. 195
Qu'il méismcs ocis seroient.
Là ot dolor trop dolerouse,
Qant li enfès refuser n'ose
Qu'à ses mains n'ocie son père.
Tel i ot ki ocit sa meire
D'espée ou de miséricorde ;
Car pitié ne miséricorde
N'en avoicntà nul endroit.
Ou fust à tort, ou fust à fl roi t.
Ocis furent tuit cil d'aaige
Qui de Home icrent li plus saige.
Mes k'il i ot .i. jovencel,
Gentil et cortois damoisel,
Qui son père ocirre ne pot,
l'or la pitié qu'au cuer en oi ;
Einz le garda en une fosse,
Mes nus lions ne sot ceste chose,
Fors sa famé ki li jura
Que j'àjor, ne l'encusera.
Einsi le (ist vivre soi terre.
Après fu pès de celé guerre.
•Ne ilemora pas longuement
Li rois se maintint folement ;
Q'en tote la terre de Rome,
N'avoit remeis ke ce vie] borne
Et li juene li cooseilloienl
Quel que chose ke il routaient ;
19G EXTRAITS
Les folies et les luxures,
Les max et les envoisèures.
Sa terre estoit mal atornée
Et sa gent à dolor menée.
Nus n'i tenoitloi ne droiture,
Ne fesoit reson ne mesure.
Li plus fors les foibles batoient,
Et lor avoir à tort prenoient.
Nuns n'i fesoit droit, ne justise ;
Com plus estoit preuz en malice,
Plus estoit prisiez et amez,
Et plus estoit sires clamez.
N'a Dieu n'i portoiton honor ;
Car genz ki n'ont point de seignor,
Ont tost Dieu arrière gité,
Que tote font lor volenté,
N'i metent mie grant pensée.
Mal estoit la gent ordenée,
Et luit cil qui à cort estoienl ;
Car entr'euz trestoz ne savoient
Une cause déterminer,
Ne .i. plet, ne .i. jugement finer,
Li jovenciax ki par pitié
Avoit son père respitié,
Estoit à cort, com gentis hons,
Mes n'estoit pas de grant rehon :
Cortois estoit et debonere.
Qant k'il véoit à la cort ton-
Disoit son père coïement,
DE I>OI.Ol'\ I Nos. 197
I- 1 cil li dissoit jugement.
Droit et reson li enseignoit
De tout ce q'à cort avenoit :
Et cil aprenoit volentiers
Qui moult estoit preuz et entiers.
Sanz vilenie et sanz desroi.
Tout redisoit devant le roi,
Qant il véoit ke mestiers eire.
Tant se pena en tel manière,
Que moult mist le roi à mesure
Tant k'il fist reson et droiture ;
Lessa le mal et la folio ,
Et amenda auques sa vie.
Li rois l'ama, et chier le tint,
Volentiers o soi le retint .
N'i ot nul ke il amast tant,
Tant fust hauz, ne de noble geçt,
Por ces genz et lui conseiller,
En fist son mestre conseillin
Deseur toz ot la sciguoric,
Mes moult en orenl granl eo?ie
Cil qui à cort esté avoieut;
Moult sont dolant kanl il le v..imi
Si bien estrc de sonseignoi .
Et k'il venoil à teile honor,
Et il estoiènl nus arriéra.
Dont pensèrent bu quel manière
Le porroient arrière mètre?
N'' pai donei . ne pai promette
198 EXTRAITS
N'en pooient venir à chief ;
Dolent sont et moult lor est grief
De ce k'il est si très avant ;
Entr'euz en parolent sovant.
Ce ne sai-je cornent avint,
Mes de son père lor souvint.
Et pensèrent q'encor vivoit.
Par son père tout ce savoit :
Bien pensent s'encor ne l'éust,
Jà par son sens tant ne séust ;
Et bien saichiez se il osassent
Volentiers au roi le niellassent.
Bien savoient certcinement
Que li rois l'amoit Bnement,
Et moult avoit grant seignorie:
Por ce si n'en parlèrent mie,
Et por ce ke il nel' savoient
De voir, mes il lemescréoient.
Cil est fox ki pledoie et tance
De ce dont il est an doutance.
Li anviousplus ne parlèrent,
Mes autre chose porpansèrent
Par coi il cuidièrent de voir
Lui et son père décevoir.
Bien cuident trover ocoison.
Ils ont mis le roi à raison;
A lui parlèrent doacemanl .
DE DOLOI'ATHOS. 199
Et dient moult très liautemanl
Que, par cortoisie et par grâce,
Une feste à ces barons faice,
Et tiegne cort large et plenière,
Lieeraent et à bêle chière.
Et nuns, ke de lui terre tiengne,
Ne soit si hardis k'il n'i viegne,
Et s'amaint son plus chier ami
Et son plus félon ennemi,
Et de ces serjans lo meillor,
Et son miax vaillant jugléor.
I,i rois le vuelt et otroia ;
Por ces bans barons anvoia.
Qant la novele orent oie
Li uns i amena s'amie,
Ou sa famé, ou son ami.
Ou sou plus félon ancmi
Mcnoit celui cui plus haoit ;
Aucun sert ki bien lo servoit
Menoit por son meillor serjant.
Des jugleurs i ot il tant,
Et des mcnestrez, ce nie semble,
C'onkes nuns n'an vit tant ansamfcle.
I.i damoiïiax ki saiges fut.
\iiiiiis kc cil fiissi'iil vt'ii ii ,
A son père parler ala.
I>c celé cort conté li a;
ComanI ele ierl devise.
I i vérité li a contée,
200 EXTRAITS
Et kant li pères l'ot oïe,
Bien aperçut la tricherie.
Filz, dist-il, di me vérité:
Tu as à celé cort esté ,
Est il nus hons ki ait anvie
De tes oevres, ne de ta vie?
Cil respont : Biax père, oil, luit.
Pou an i ait, si com je cuit,
Que grant anvie ne me port,
Bien ameroient tuit ma mort.
Filz, dist li pères, bien lou croi ;
Mes anfès, por vos et por moi
Est ceste chose devisée,
Grant félonnie ont porpansée.
Par ce nos cuident décevoir ;
Binz tiz, il cuident, tut de voir,
Que tu doies faire de mi,
A la cort, ton millor ami ;
Et cuident ke mener m'i doies,
A lors cuers grant joie feroies.
Biax filz il cuident lot de voir.
Par ce te cuident décevoir,
Por ce ke tu ne me tuas.
Nier mie selonc lor pansée,
.l'ai autre chose porpansée :
Mus autremanl t'atbtneraj,
\c loi vaudra rien lor an* ie
DE ftOLOPATHOS.
Q'à celé curt n'irai-je mie.
N'iert pas selonc lor volenté :
Tant com Dex me donra santé.
Te dourai-ge conseil par m'arme.
Ton chien et ton asne et ta famé
Et ton petit anfant manras ;
Tôt deerrain à cort vcnras,
Si te maintien moult saigement.
Bien li enseigne et belemant
Lequel il manroit por ami,
Et lequel por son anemi ;
Lequel por son sergent ailler
Et lequel por son jugléor.
Et cornant il le provera,
Qant à la cort venuz sera ;
Si ke jà n'an sera repris,
Mostrè li ot et bien api is.
Li pères ansi li conseille,
Et li damoiaiax s'apareille,
Qui moult ot bien lot retenu.
Tuit estoient à cort \euu :
Ces violes retenlissoient,
Cil tymbre et cil tabor sonoient,
Quant li ,isnus la nuis «il.
A merveilles s'an esbaihi ;
Cil asiles est moult Colle liesle
l a i oe tant, liève la teste,
->oi
202 EXTRAITS
Les oreilles contremont dresce,
Et rechaingne, par tel destresce,
Que toz li pallais an resonne,
Par pou ke toz ne les estonne.
Por esgarder i acorrurent
Tuit cil ki an la sale furent,
Et tuit li baron de la cort ;
Li rois méismes i acort.
Ne se pot de rire tenir,
Qant il le vit ansi venir.
Et quant sui anemi lou voient,
Qui tel anvie li portoient,
Qu'il vient à cort si faitemant,
Dolant an furent duremant.
Bien sevent k'il sont decéu
Maintenant k'il l'orent vcu.
An gab ont la chose atornèe
Et dient : Bien est atornée
La cors et bien adrecie ;
Moult par sera bien consillic
Par celui ki son asne amoinne,
Moult i fait li rois bone poinne.
Ce ke li aimons ont dit
Prisa li rois moult très |ictit.
Bien pansa k'il o'amenoit mie
Le chien el l'asne par folie ;
Vucune raison i antant.
DE DOLOPATHOft 203
Li damoisiax esploita tant
Qu'il vient tôt droit devant le roi.
Li rois li demande por eoi
Il avoit amené son chien ?
Sire, fait-il, jeP dirai bien :
Gis chiens est mes loiax amis,
A moi amer a son cuer mis ;
Il vient par tôt lai où je vois,
Soit an rivière, soit an boix.
.Ta péril ne refusera,
Ne por péor nel' laissera.
Toz jors est avec moi son wel :
Bien prent .i. lièvre, ou .i. ehcvreul,
Parrain ou serf, on atre beste ;
Ne jà sanz moi n'an fera feste
N'avuee moi dolant ne sera.
Se jel' bat il le souferra ;
Et se par aucune ocoison,
Le chasoie fors de maison,
Jai si fort bâta ne l'aoroie.
Se doucement l<- rapeloie,
Que volen tiers ne revenist,
Et ke il ne me detenist
Larron ou lof, s'il le réoit,
s'il avoil force el il pooit.
Je ili bien c'onkes ne trovai
Plus fin iirnin, ne plus ferai,
[fe auns si com jecuide el i roi
Biai doui sur, lui il au roi,
204 KXIIUITS
Mes asnes est mes bons serjans :
Bien os dire devant ces genz,
Serjans ai aut plus de cent,
Plus loial ne plus mal soffrant,
De cestui n'oi-je onkes nul jor.
Travillier le fas sanz séjor ;
Au matinet au bois l'anvoi,
Dous fois ou trois venir l'an voi ;
.là n'iert lassez si duremant
Qu'à molin ne port le fromanl,
Ets'an raporte la farine.
C'est uns serjans c'onkes ne tine ;
Merveille puet soufrir grant peinne.
Les barrons porte à la fontainne,
Toz plains les raporte an maison ,
Ansi fait chascune saison.
.là por ce, de vin ne beura,
Ne plus chaut chaperon n'aura.
S'il a del foinc ou de l'avoine,
Moult li sera poc de se poinne ;
Ou de l'cstrain, ou de l'espaille,
Il ne li chalt, mais k'il no faille ;
Ne ne li chaut c'on sor lui mêle,
Soit bêle chose, ou orde, ou ne te.
Et por ce ne pue je snvnir
Qui fiui^t meillor sergent avoir?
\ ni'ii semble ke jugléor
|>K HOIOI'ATIIOS.
Ne puisse amener nueillor
Que cest mien enfant ke j'amain ;
Tout ce e'on li met en sa main
Vuelt-il dedanz sa bouche mètre,
El de tout ce vuet entremetre
De qant k'il ot et il voit faire.
Tôt vuelt reconter et retraire :
Et s'il nel' set, ne nel' puet dire,
Je ne m'an puis tenir de rire,
Qant j'oi les merveilles k'il dist.
Or chante, or plore, or jue, or rist,
Or vuelt la chose, or n'eu vuet mie,
Nel' fait par nule tricherie,
Ne mal, ne barat, n'i autant,
N'il ne demanda nr ne argent.
Ne je n'aim tant nul jugléor !
Et por mon eanemio pior
S'ai ci ma feme amenée.
Gui j'ai tant servie et amée.
Qant celé ot la parole oie,
Moult lu dolante et eabtikie,
Por pou n'est de duel fonenée ;
El kant ele c'est porpaoséa
Del' veillait k'elc bien savuil.
Et k'elc tant gardé avoil.
Donc se lança devant Uni roi,
\ poinnes ot, si com je croi,
Li sires s.i raison |née,
Qanl la dame s'est escriée:
-20! fi
20G EXTRAITS
Hai ! fet ele, com sui chaitive I
Dolante ! por qoi sui-je vive?
Qant cil me fait tel deshonor
Cui j'ai portée tele honor.
Il rae tient ci por anémie,
Et je cuidoie estre sa mie.
Li lerres plain de traison !
Ainz si lerres ne fut nus bons,
On le déust avoir pandu ,
Lou viel porrit ! lou viel chanu !
De son père lou viel puant,
Lou desloial viellarl truant,
Oui on déust avoir lardé,
Que j'ai si longuemant gardé
An une fosse, desoz terre.
— Bons rois, fait-il, ci devez querre
Loial amor et bone foi :
Ceste a moult grant amors vers moi ;
Moult me par ainme loialmant,
Qant por .i. mot tôt soulemant
Que j'ai dit, à droit ou à tort,
Voldroit ke vos m'eussiez mort !
Ne par li ne remanra mie
Et disoit k'ele estoit m'àmie
Bien est famé mal aureie,
S'nmors a trop poc de durée.
Famé samble couchet à vaut
Qui se chainge el mue vivant.
Li rois ilit k'il <•<• dit vnii .
DE DOI.OPATHOS. '2D7
De son sans et de son savoir
Se niervcilla moult durement ;
Et bien parut (ot erranmanl
Que de lui avoient anvic
li millor de sa conpaignio.
N'an volt plus parole tenir :
Amis, fait il, fai moi venir
Ton père, se tu l'as ancor ;
Ne pues avoir millor trésor.
Fai Ion venir segurémant,
Amoinne le, jel* te cornant,
Je voil k'il soit àceste eorl.
Et li fllz por le père cort,
Devant le roi le l'ait venir.
Et li rois le fist retenir
A grant feslc, et à grant honôT.
De sa terre le fist seignor ;
Tôt fist selonc son jugemant
Et selonc son comandemant.
Les gcnz revinrent à mesure,
Et firent raison et droiture.
La terre fist an pais tenir
El fist la cort à droit venir ;
An poc de tans ot ratornée
La gent ki m, il ion- .iloinéc
•208 EXTRAITS
Extrait n° 6, f° 394, col. 2.
Quant un home de grant aaige
Ki bien sambloit cortoiset saige,
Virent venir, par avanture,
Sor .i. mulet, grant ambléure.
Riche hernois ot à devise ;
Bien fu vestuz selon sa guise.
A mulet le fraint abandone,
Tôt par mi la presse randone ;
Onkes n'i ot règne tenue.
Lou roi Dolepatho salue,
Premiers, et puis sa conpaignie.
Li rois, k'il n'a tallant k'il rie,
Li rant son salu doucemant.
Cil li demande saigemant
Cui est cil biax anfèsk'il voit ,
Et por coi ardoir le devoit ;
Et por coi toutes ces gens viennent,
Et por coi si vilment le tiennent?
Li rois, ki de parfont sospire,
Rcspont : Il est mes fdz, biaz sire
.Va pas plus de .x. jors k'il vint
D'escole, trop li mesavint.
\ mais est, ne sai cornant,
S*an suis dolans trop duremant,
Por ce kc (ilus d>anfans n'avoie;
Mon règne douer li volloie.
1)1. DOLOl'ATIIOx 20(J
La roine me vit duel faire,
Si me promis!, coin debonaire,
Que bien parlant le me randroit
Nesaise elle a tort ou droit.
Dedans sa chambre le mena
Et moult dist k'elle ce pena ;
Or s'en plaint dolereusemant,
Et dit ke veraiemant
Qu'à force volt à li gésir,
.Mais il n'an pot avoir loisir.
Et je doi faire grant jostiee
l>c tel oimaige et de tel vice.
Mi baron ont fait jijgein.mi
Qu'il doit morir, à tel tonnant.
Sel' me convient ausi soulïir.
( >r revoit je de vos oïc
Qui vos estes el de kel terre,
Et kel chose vos venez (pierre?
Cil respont : Suc, an venir,
Nei sui de Rome la elle,
A ma robe le poei savoir,
.lann plus mon s.iii/. ke mon avOil
Uni des .vii. saigea suis de von :
El si vos di-je bien, por voir,
.l'ai donne conseil à maint home.
Or endroit revien ci '!<• Homme .
M lllilc. lois il esté lisse/ ■
210 EXTRAITS
Plus a de quarante ans passer
Que par le païs vois errant,
Et vois aventures querant.
Et les barons ki me retienent,
Des aventures ki avienent
Voil je la vérité savoir.
Et ce vos di-je bien, por voir,
Onkes puis ke de Rome issi,
Ne vi-ge père ki ansi
Delivrast son fil à tormant,
Ci ait trop félon jugemant.
Selonc decrez et loi cui-je
Que tei baron ont tortjugie:
Bien i puéent avoir mespris,
Je cuit k'il aient antrepris.
Un example te conterai,
Par coi bien le te mosterrai ;
Et par foi conter le te doi,
Car an cort de duc ne de roi,
Ne me sovient ke onkes fuisse
Que tel rante ne li déusse ;
Volantiers la te voil paier.
Ceste gent me fai apaier
Tant ke je puisse estre escoutez.
Dont est .i. poc en hait montez ;
Volentiers l'escouta li rois
Et li baron et li borjois.
DE D0L0PATH08. 211
Il comansa apertemaiit
Et parla moult très saigemant,
Et dist : Jadis estoit uns hons,
Uns chastelains de grant renon.
Moult fu riches de grant avoir,
De quanke preudons doit avoir.
i\'ot d'anfans, an mon sovenant,
C'une fille moult avenant,
De lame loial espousée.
Fou après ce k'ele fu née,
Avint ke morte fu sa mère.
Par le comandemant dou père
Alait la pucele à escolle ;
Ne se maintint mie corn folle,
\riMnz aprisl Bani et savoir
Que muez valt de nul autre avnn
D'armes ne se savuit dcsfandre;
Sanz et savoir voloit apramlr<>
Par coi desfandre ce Sëtisl,
S'an aucun tans besoin:; aust.
D'apanrc s'est moult travilliéc,
La |ioinne i fut bien emploie ;
Car ele sot tant de clergie,
l>is us et de philosophie,
Ou'ele sot l'art d'anrhantemant .
Sanz maistre et sanz ansignemant,
C'onkeS nus hons ne Peft iprist.
Puis avint kr s, m |l(.n. prisl
I Us ni, i\ dont inoiir le rnvinl ;
±\t EXTRAITS
La pucelle devant lui vint.
Qui moult lu prouz , cortoise et saige:
Tôt son mueble et son eritaige
Li ait li pères créanteit,
Tôt li mist à sa volanteit.
Mors fu, celle la terre tint ,
Qui moult saigemant se contint •
Et mist an son proposemant
Q'ausi seroit moult longemant
Que jai ne se marierait ;
An nul sanz mari n'averoit
S'il moult grant richesse n'avoit,
Et si riches com elle n'estoit,
Ansi li vint an son coraige,
Et s'il n'estoit de grant paraig<\
Moult tu riche la damoisele,
Saige et plaisans, cortoise et bêle,
Et moult fut de giant renoraée.
Li haut baron de la contrée
Por sa biauté la requerroicnt.
Et por l'avoir k'an li savoient
La proièrent de mariaige.
Et celc ki moult estoit saige
Prenoit tôt cecfom li dnnoit
Et sanz r nuire le rcccvoit ;
N'estoit uns lions ki la pri.isl
Une s'amor ne li olroiasl,
Et son cors par tej corenant
Que ,c. mars li fjpnast avant
m DOLOPATHOS. 2t3
Puis l'éust one nuit antière ;
l i s'an icele nuit première
An tesist cil sa volanteil,
La dame a voit acréanteil
Que landemain l'espouseroit,
Et sa l'aine loia\ seroil.
De loi son poor au féisl ,
Et se faire ne li poist,
Perd ut a voit .c. mars d'argent.
A li venaient mainte gent
Que par tel covanl li donoienl ;
!\ut à nul avee li gesoient,
Vlais plus n'. m pooienl .ivoir,
\nsi perdoienl lor avoir.
Elle savoit enchantemant,
Si enchantoit si dnremant,
l'ai .1. charme k'ellc savoit,
l'ne plumme kc elle avoit .
Donc c'estoit moult très grant merveille:
Mûris ne l'avoit desoz s'oreille
Quejai ce croliaist, ne méust,
Tint COm sur la plumme géusl :
Ainz dort jusr'à la matinée,
( >u tant qu'elle en estoil ratée.
Maint home an lurent déeéul
<.tui de li/ h orenl géut.
Mniili bien dormoienl en loi lit .
N'en ivoicnl unie délil :
\mm ronquisl mnull jranl ivoii
ï2H EXTRAITS
Uns damoisiax de grant savoir,
Jantis et de haut paranteit,
Mais n'avoit pas grant richeteit,
Com nobles hons d'armes vivoit ;
Ne por quant sor quant qu'il avoit
Prist ai enprunt .c. mars d'argent;
Par tel point et par tel covent
Le présentait à la pucele.
Celle ki moult fut saige et bêle ,
Fist grant joie del damoisel.
En .i. vergier moult riche et bel
Fist la pucele apareillier
.1. bel lit souef d'oreillier ;
Molz de coûtes et de blans dras
Qui ne n'iere petis, n'eschars,
Fu toute an mi la chambre pointe.
La pucele ki fut moult cointe,
Et li vallés ki moult biaxfut,
Se couchèrent tôt nul à nut.
Celle ki fut bien an pansée,
La plume n'ot pas oubliée,
Ainz l'a misse soz l'oreillier.
Li damoisiax cuidait veillicr
Et de li faire son délit.
A pninnes fut antrcz el lit,
Q.int il s'an dormit fermement ;
Kt si dormit ajnLieremenl ,
IH. DOLOPA TIIOS. -1\:>
La nuil, jusqu'à demain à prime,
Que la damoisele méisme
Li dist : Biax sire, or vos levez,
Vos avez moult esté grevez ;
Mes lier avez de bien mangier.
Cil cuidait de duel enragier ;
Sus ce levait moult angoissoz,
Pansiz, dolanz et corresos.
San part c'onkes n'i prist congiè ;
Ne sai s'il ot la nuit songiet,
Mais à son hostel vint toi droit,
Kl jurait c'ancor i perdrait
.C. mars, ansi l'ait créanteil,
On il fcroit sa volonteit
De celi ki tant par est belle.
Elle perdroil non de pucele,
Se jamais le pooit tenir,
Quoi k'il an soit à avenir.
Mais ne set où il puisse prandre
.C. mars d'argent, sans terre vaiidn-
.1. moult riche home ot cl |m^
Et cil estoit ces serf naïs.
Au damoisel avoit tainut.
Ne sai de coi l'ot correciet;
Mais li damoisiax s'en vcnjail
Si bien c'uns des piez h tranoha.il
Or aloil cil à une eacbaee.
< A damoisel besoigne fih •
Poi --.i vola n toi I potchasciei :
-2!(> extraits;
Venus est à cel eschacier
Por amprunter .c. mars d'argeut.
11 li prestait par tel covent
Que dedans .i. an li randroit,
Ou se ce non, il le prandroit,
Jai n'en farroit vaillant .i. pois,
A tel mesure et à tel pois,
Del sanc et de la char celui ;
Ansi créantent ambedui.
Li eschaciers n'oublia mie
Le mal, ne la grant félonie ;
Il n'amoit point; del damoisel
Kones letres et bon sècl
bit tesmoignaigc an ot avant :
Bien ont deviseit lor covant,
Et moult le Grenl bien escrire
Li eschaciers .c. mars li livre;
Li damoisiax en ot grint joie,
.Maintenant se mist à la voie.
Venuz est à la damoisele
Qui tant estoit plaisanz et bêle,
Saige, cortoise, bêle et gente.
Les .c. mars d'argent li présante
Elle les pranl moult lieinaiil.
Kl list riche apain-illeinaiil.
Firent l« jor jusq'â la nuit,
Ne rtiidiez p is >\i\c lor .muii
i»l DOLOPATHOS. 21
Bien fut li lis fais à devise :
La plume ;il SOI l'oreillier mise
La damoisefle cointemanl,
Qui faite est par anchanlemant ;
l'uis li dist : Sire, alez Concilier.
A damoîsel fu bel et chier,
Car moult desiroit les soulaz
Del' ci tenir antre ses braz.
Venuz est au lit liéemant :
Ne se couchait pas plainnemanl ,
De la nuit devant li sovint,
Ains pansait ke ceu li avint,
Par le lit ke trop molz estoit,
Que toute nuit dormît avoit.
Conques ne se pni esveilliei
Dont remuait il l'oreillier ;
si COm il li' tome et réunie.
Par avanture est lois chêne
La plume, mis ne s', in perçu) .
Puis ce couchait el lit cl jul
A aisse el .1 granl seignorie ;
\'a pansait ne dormiroil mie
Celle nuit, Milnil il veillier,
Moult lort ce vouloil travillier
Dont s'atoroàil et recovrtl ,
\ ses d0UI in. nus ses cul/ OUI ni
"i s'andorl moult M sera grief,
Son oreillier misl soi son i hi< i
El list semblant ke il dormis!
•1 1 S EXTRAITS
La pucele ces dras fors mist,
Qui ne s'est pas apercéue,
Lez lui se coucha toute nue,
Et la chandoile fu estainte.
Saichiez ke de saint ne de sainte
Ne fut li damoisiax si liez :
Moult fut joians et esveilliez.
Vers li se torne, et il l'anbraice.
La pucele ne set ke faice,
Quant ele sent k'il ne dort mie ;
Moult fut dolante et esbaihie,
N'ait pooir k'ele ce desfande.
Cil li quiert son dete et demande
Qu'il n'ait voloir de plus atandre.
Celle ki ne se pot desfandre
Et jureit l'ot et créanteit,
Son plaisir et sa volonteit
Li soffrit tôt anlieremant.
Dont fisent debonairemant,
Celé nuit, ke moult s'antramèrent,
Et landemain si s'espousèrent,
Au los de lor meillors amis.
Bien r'ot cil son k'il i ot mis
Riches fut de grant seignorie.
Mais moult an orenl grant anvic
Trestuit icil fie la contrée,
Qanl il la virent espousée,
I>E DOLOPATIIOS. 1 \\)
Or lui riches li damoisiax,
Or ot assez chiens et oisiax,
Et desduit, selonc son voloir.
An oublil et an nonchaloir
Mist les .c. mars à l'eschacier ;
Mais muez li venist porchascier,
Car li eschaciers point n'en ainum- .
Après le terme, au roi se clame
Li eschaciers del damoisel ;
Les letres mostre et le séel
Et le tcsmoing k'il en avoit,
Et prie au roi ke il envoit
Au damoisel, save sa graicc,
Qu'il vingne à curt, et droit li face
De ce k'il li doit par raison.
Li rois estoit moult saiges hoin
Et moult estoît bons justiciers.
Bien persul kr li eschaciers
llaioii le damoisel de mort.
ÎVe porquant ne volt faire tort,
Ainz li mandait qu'à cort venist
De l'eschacier li souvenist.
Et del covant k'à lui avoit.
Tantost com li damoiseii voit
Le mcsagier le roi ki vient.
De l'eschacier li resouvient.
Quant il ot oïl le mes tige,
Moult lu dolans an son coratga ;
< .1 ml poor Ol cl mu 'vcdloiisc.
-:-° EXTRAITS
La chose fut moult peritlouse.
Li rois moult grant poor li fait,
Et bien savoit k'il ot mesfait,
Et mal son covenant tenut,
Qant il n'avoit l'avoir rendut.
Dont prist assez or et argent.
Et chevaliers et autre gent ;
Et grant torbe de ces amis,
A la droite voie s'est mis,
Richement et à bel conroi.
Et vint à cort devant lo roi.
Li eschaciers tint le saiel
Et les letres au damoisel ;
Li cyrografes fut léus
Et li covans reconéus.
Li damoisiax n'en menti onkes,
El li rois comandait adonkes
As barons, et kc il dèissent
Jugemant et raison féissent.
Li baron firentjugemant,
Et dissent tuit outréemanl
Q'ansi com li escris enseigne,
Li eschaciers dcl vallet praigne,
Se tant ne vuek d'avoir donnei
Que cil li voille pardoner.
Munit ol li escbactei • gi anl joiê^
Trop li est tart ke celui voie
•Moiii Li le piei li tranchait.
I i rois près de lui approchait
DE DOLOI'VIIIOS. -221
El dist : Eschaciers, biax unis,
Il c'est toz an ton voloir mis,
Car en pranl .iic. mars d'argent.
Cil dist : Foi kejedoi totegent,
Biax sire rois, nel' fera m ,
Je n'an pan rai argent ne or.
Tuit lui prièrent doucemanl ;
Mais il jura Irop duremanl
Que por hom rien ne feroit,
Son droit covant bien li tanroit.
Li damoisiax dolanz estoil,
Car de la mort se redoutoil :
El sui ami dolant estoienl
l>rl jugemant c'oït avoienl,
Que cruiers iert outre mesure.
Ks vos à tant, par aventure,
Sa famé ki d'anchantemanl
Sa voit trop merveillousemant;
< loin chevaliers estoit restue.
( lOrtoisemant le r. >i salue ;
En fais, en diz et en raison
Cuidièrenl ke ce fust .1. hom.
.le ne cuit k'en l.i corl éusl
\ul home ki le conéust ;
Ne ses m. uis ne 1.1 conut,
Dnkes nuns hom ne s'aperçul
l.i rois, ki bien lui enseignies .
Li «lisi : Biax sire, bien i eignieii
Demanda li dont il CStoil .
*222 EXTRAITS
Et de quoi il s'antremetoit?
Et quel chose il aloit quérant ?
Elle li respoiiciit errant,
Et dist k'elle iere uns chevaliers
Saiges hons et bons consilliers.
Nez estoit de lontaigne terre ;
Plus lontaigne ne covient querre,
Car çou est en la fin dou monde.
N'est nule art dont bien ne responde
S'il trueve ke riens li demansl,
Et de plait et dejugemant.
A merveilles s'an esjoït
Li rois, kant tel parole oït.
Dejoste lui tantost l'assist,
Et la parole oïr li fist
Del vallet et de l'eschascier.
Droit jugéor etjustisier
Fist li rois de lui erranmant ;
Tôt lu mis an son jugemant.
Li damoisiax fut moult dolans,
Li eschaciers liez et joians.
La dame ot oï la novele,
Diiucemant l'eschacier apcle,
Et dist : Amis, antant à moi :
Selonc le jugemant le roi,
Et des barons et de la coil,
Pue- tu pi nuire à quoi k'iltoil.
El selonc l'eseril kc joli loi,
Des oï el de la char <lr Im
DE DOLOPATHOS. ±1'.\
Le poiz de .c. mars, loi à droil ,
Bien lou pues panre or endroit.
Or me di ke i gaaingneras?
Bien puel tstre tu ocieras
Cel damoisel, et je si croi,
Certes aulre gaaing n'i voi.
Mais ce seroit moult grant damaiges,
Mais, dous amis, or soiez saiges :
Muez te vient panre grant avoir ,
Prant .m. mars, si feras savoir.
Li eschaciers dist non feroit,
.X. m. mars pas n'an panroit ;
Qu'il se vouloilde lui vangier.
Celle dist dont : Voil je jugier
Cornant tu dois ta dete panre.
An mi la sale fist cstarnlre
.1. blanc drap, sor lou pavemant.
Le damoisel toi nuemant
Fist de sa robe despoil) ier,
Kl les mains et les piezlier.
Sur le blanc drap conebiei le tist,
\ P. m Marier dist k'il préisl
Coatel ou autre ferremanl .
Et alast tôt deliv remaol
Prandre de lui toi MB droil pois :
Mais n'. m presisl raillant .i. pois,
Ne pins ne mains, s(. s, m drcfl non
Toi son droit praigfle par raison ;
F.t bien praigne garde à ces mains
2*24 EXTRAITS
Qu'il n'en praigoe ne plus ne mjtins
Que tant eom li vailles li doit,
Car se li sans cl drap paroit,
Ne tnnt com une goûte monte,
Li malx et li duelz et la bonté
Sor l'eschacier repaireroit.
Par la cité detrais seroil,
Et si seroit ars ou pnndus,
Et ses paraiges confondus ;
Et perdroit tôt quant k'il avoil.
Li eschaciers entant et voit
Que tel sen lance est trop grevainne ,
Trop doute la honte et la poinne,
Et dist : Sire, por Deu merci !
C'est voirs, li damoisiax gist ci ;
Mais ci ait trop grief jugemant,
Cnr nuns n'est, fors Deu souleniaul.
Que si justcmnnt lou presisl
Qu'acune riens ni mcspresist.
Or faites bien et cortoisie,
Et moi et lui salvez la vie.
Antre moi et lui pas metez,
Por Deu vos an antremetez.
Com mon signor lou servirai,
Volantiers don mien li don rai i
Tant dist la dame et tan! fist,
Que ces maris in. m;irs an |irisl.
Et si lu bien de l'eschacier
Moult sut bien son proul porchacierj
DE DOLOPATHOS. 225
(Qu'elle en droit li en ol ... livres :
Ensi fut ces maris délivres
Par tel sanz et par tel manière.
An son ostel revint arrière.
ExTKA.IT N° 7, F° 403, COL. 2.
Signor, fait-il, cnlandez moi :
Lonc tans ait k'an Home ol .i. roi
Preudome, ki moult sot de guerre.
Anemis ot, dedans sa terre,
Qui grant damaige li faisoienl,
Par force sa terre prandoient.
Cil riches rois ce porpansail :
Son ksi seniont et assamblait
Ses chevaliers et ses amis,
Por aler sor ces anemis.
Grant assamblée fait dejans,
De chevaliers et de serjans,
Et armes bones et eslites.
Par mi .n. villetes petites,
Convint passer l'osl à droiture.
Qui s'an aloit grant aléure.
Une povre famé manoil
En la ville, ki raaintënoil
Une poure maisoncenete,
Estroite et baisse et petitete.
.1. (il avoit tant soulemant,
i5.
226 EXTRAITS
Qui moult la gardoit doucemant
De ceu ke gaaignier savoit.
Une soûle géline avoit,
De toutes bestes n'avoit plus,
N'ot vaillant .v. s. an tous hus.
Par devant son huis trespassèrent
Li oz et cil ki la menèrent ;
Et si passoit li (ilz le roi
Qui menoit moult riche conroi.
Sor son poing .i. ostor de mue,
Devant l'uis la famé, a véue
La géline par avanture ,
Qui aloit querant sa pasture.
Li ostors se débat et sache,
Li fiz le roi la ligne saiche,
El si gete vers li l'ostor
Qui, de plain vol, sanz autre tor,
S'i encharnait dedans les paus.
Mais de ceu ne fut mie baus,
Li filzà la dame veuete ;
Qant morir vit sa gclinete,
Ce fut sa grant mésaventure,
Celé part vient grant aléure ,
Le bon ostor fiert, si le tue.
Li fiz le roi trestoz tressue,
Del fuerre ait l'espée saichie,
El la teste li ait tranchié ;
Onkes raison n'i antaodit ,
Jusc'à braier le porfamlit.
DE DOLOPATHOS. 227
Quant la mère vit son fil mort,
S'elle ot grant duel n'ot mies tort.
Or ait perdut kant k'ele avoit,
Trop a grant duel , kant mort lo voit.
Après le roi s'est escorcie,
Toute dolante et esmarrie ;
Et si sanglout et si sospire,
A painnes puet .i. sol mot dire.
Vielle estoit et de povre force,
Et toutes oures tant s'enforce,
Et tant ait lou harnais séut
Qu'ele ait lou roi a conséut.
Com famé dolante s'esorie,
Et an plorant merci li crie,
Et dist : Par ta bone avanture,
Rois, de celui me fai droiture
Qui m'a tolue toute ma joie,
.1. soûl anfant ke jou avoîé ;
Rois, tu m'an dois justise faire.
Li rois fut douz et débonaire,
Moult très doucemant ta regarde,
Et dist : .1. petilet le t,m)<-,
Je sui or moult anbesoingrn'oz,
Moult sui nneor p0r esloigniez,
Et si vois sor mes anemis ;
Mais foi kc doi toi nus ,imis,
Droite v.injance t';ui ferai.
Tantôt ke revenus serai.
Gui fait ele: Si t'.m ïrks,
228 EXTRAITS
Que venjance ne in'an ferais ;
Légièrement puet avenir
Que tu ne porras revenir.
Qui me feroit donkes venjance? —
Bone famé, tu dis anfanee,
Fait li rois, cil te vangerait
Qui de mon reigne rois serait ;
Car jel' voil et si le cornant.
Celle respont : Sire, cornant
Vangerait la desconvenue
Qui à ton tans est avenue !
Voir, je ne cuit k'il en ait cure,.
Et se s'avient par avanture,
Dites moi kel grei ne qel graice
Vos saurai-je de tel menaice?
Que par vos ne la puis avoir,
Jà ne vos quier nul grei savoir ;
Et si me dites or en droit
Me poez moult bien faire droit.
Li rois dist : Greit ne m'an sauraiz
Quant par autrui justise aurais.
Celle dist : Dont me fai venjance
Nel' mètre pas en antcndancc.
Se faice ke vuelz q'autres faice,
Grant loz en auras et grant graice,
Et Dex t'an saura grei par m'arme T
Caï povre sui et veve famé.
Por ton honor et ton loange,
Et por Deu propremant me vange ;
DE DOLOPATHOS. 229
Jelou teproi poramistiez.
Li rois en ait moult grant piliez,
Et bien vit k'ele avoit raison,
Àinz puis n'i quist autre ocoison.
Son ost toraande à herbergier
Et fist ses haus barons logier,
Et enquist ki fist le mesfail
Tant k'il sout ke ces (ilz l'ot fait.
Moult fut cil rois bons chevaliers,
Et trop par fut bons justiciers,
Et moult fut plains de grant savoir.
Quant il ot bien anquis lo voir,
Dont apella la veve faîne :
Je te ferai droit, bone dame,
Fait-il, n'an mantiroie mie,
Qui c'an ait duel ne qui c'an rié.
< >r autant bien à ma parole,
Garde kc tu ne soies folle,
Et tu sez bien lot le covine.
Li ostors tuait la gélinc,
Et tes anfès l'os tor tuait,
Onkes puis m se remuait.
Or soit li uns por l'autre mis ?
Tes filz estoit moult tes amis,
Pur lui une chose te part
Bien pue/ panre la meillor part.
Bien sai el à droil et à torl
Que li miens filz a le tien mort ;
El se tu vuez |e I Virai .
230 EXTRAITS
Ou por ton fil le te donrai ;
Toz sera tiens oulréemant ,
Tôt fera ton comnndemant :
Corne rneire te servirait
Que jà à sa vie ne te faudrait.
Del tôt à ton voloir l'auras
Si longuemant com tu vivras :
La veve famé se porpanse,
Bien li vient en cuer et en panse
Que se li fiz le roi moroit
Jai por ce li siens ne vivroit ;
Et par lui n'éust elle mie
Tel lionor ne tel signorie ;
Dont li ait la mort pardoneit.
Li rois li ait lou sien floneit,
Et saichiez k'elle fist savoir,
Or fut dame de grant avoir ;
Car li fiz le roi l'enmenait
De li honrer se penait.
De tôt fut fait à sa devise,
Hiclie robe ut et vaire et grise ;
Bien ot mueit son duel à joie.
Por ses sinces ot dras de soie,
Kt por <.;i bordele i. pallais.
lit: D01.0PATH0S. 231
Extrait n° 8, f° 407, col. 2.
Un essample te conterai,
De ceu vers vos m'aquitcrai
Que par dete lo vos dirai.
Antandre me faites, biax sire ,
Car bien est gastée et perdue
Parolle ki n'est antandue.
Li rois li fist faire silance;
Et li saiges lions ancomance,
Et bien sot dire sa raison,
Et dist : Jadis estoit uns hons
Apers et biax ki par lai nie
Atornait son cors et sa vie.
Omecides estoit et lerres;
Assez avilit de tez confrères
Qui compaignie li faisoient,
El par nui! et par jors ambloient.
En la contrée e!l i\ provinces
Conistables estoit et princes,
Et mais très de la conpaignië,
De toz avoit la sei'gbbrie.
Moult très grani avoïï àma'àsoië'nt ;
En citei pas ne deth'orôienj .
M'a bore, n'a ville, n'a cha^tel :
bien esloienl ah i. trope)
Lx, ou .iiii. xx, on cenl.
Par ces bois alojent mussant,
232 EXTRAITS
Par ces roches et par ces valx ;
Armes avoient et chevax,
Si vivoient an tei manière.
Cil ki lor conistables iere
Sa voit assez de lor langaiges.
Bien savoit gaitier les passaiges,
Et les chemins, et nuit et jor,
Sanz repouser, et main et soir,
Mûmes et famés ocioit,
Et nuit et jor les espioit.
Ansi ot sa jovente useie ;
Toute i ot mise sa pansée,
Et sa poissance et son savoir,
Et conquis i ot grant avoir.
Trop fut riches outre mesure
De terres et de tenéures,
De deniers et d'argent et d'or ;
Moult amassait riche trésor.
N'est pas merveille s'on mesfail,
Mais qui ne laisse son mesf;iit
Dont est la chose trop grevainne.
Une pansée nette et sainne,
Si com Deu plot, au cucr li vint.
De soi mèismes li soviol :
Bien sut uinrir lu ÇOVenQJt,
Et selonc ce jugiez seroil
Q'an cest siècle avoit laboureil.
N'ai plus targiel ne demoreit,
Ne lut plus an loi < onpaigmc
DE DOLOPATHOS.
Et ne maintint plus celle vie;
Ains les laissait et si s'an vint,
Trop preudons et loiaux devint,
Et moult fist por Deu volentiers :
Bien tint la voie et les gantiers
De justice et de loiauteit.
Qant en lui virent tel bonteil
Si voisin ki le conissoient,
Et ses maies oevres savoient,
Moult ce merveillent duremant.
Li uns dist à l'autre : Cornant
Est cis hons si tost convertis'.''
Ansi par estoit panrertis,
M. mit preudome ait à tort tueit ;
An pouc d'oure ait son cuer mueit?
Cil hons amandail tant sa vie
Qne de mil mal 11'avinl ,m\ ie.
Longement s'an estoit tenus
Tant ke moult l'ut viel/ devenu! ;
Riches hons ierl et moull sa voit.
De sa lame .iii. lis avoit,
Kt ilist, se croire le voluient ,
(Mie preudome et loial seroient.
Dont lor pria k'M apresissenl
V 1 1 i-i 1 1 istier, kel k'il vosstssenl :
Kt tel ait pat coi il séuss.nt
Ain no bien el preudome fassent
\pifi ssciil sam et savoir;
Kl préissenl de son ai oit
233
234 EXTRAITS
Chascuns d'alx la tierce partie,
Et s'an inenaissent nette vie.
Cil anfant ansamble parlèrent :
En la fin à ceu s'acordèrenl
Que chascuns tel mestier volloit
Que lors pères avoir souloit.
Autre oevre faire ne vouloient ,
A cestui tuit troi s'acordoient.
Li pères ki moult les amait,
Selonc son pooir, les blasmait ;
Dist k'il faisoient grant folie,
Que si très perillouse vie
Et si dolerouse enlisoient ;
Bone et séure le laissoient,
Ne jà bien ne lor avenrait.
Et bien seit k'il lor covenrait
Soffrir maint mal et mainte painne,
Car c'est une oevre trop viiainne.
Ne jamais séur ne seront,
Tant corn si faite oevre tanront.
Cil respondent k'il ne voloient
Autre labor, cesti feroient;
Bien en cuident venir à chief.
Li pères jurait par son chief,
Puis ko croire ne le voloient,
Jà point de son avoir n'auroient.
Mais fors de son ostel alaissenl,
Tôt fust lor quant ke il gaJgnuflSBDj :
V menassent novel ivoil
DE DOLOPATHOS». 235
Que jai part n'i vouloit avoir.
Cil furent sot et anvoisiet ,
Ansi ont lor père laissict,
De sa parolle n'orent cure;
Ains pansent ke par nuit oscure
Ambleront .i. bon pallefroi
Qui estoit à la eort d'un roi.
La roïne norrit l'avoit;
Kl monde si très bon n'a voit,
Ne nul ne si bel, ne si gent,
Ne presist pas or ne argent.
Qui ambler vuelt autrui avoir,
De barat !i covient savoir.
Saigement s'an doit antrenn 1 1 <•
Et grantestude i covient untic;
Et quant il muez gaitier se cuide
Si puet il bien perdre s'e.slmle.
Bien enqaierenl toi lu co\ ine
Del bon pallefroi! la roïne ;
Bien seivent qui lo garde cl niainnc
Et k'il mangoil herbe et avoine;
Carc'esloil as herbes noveUes*
Bien en anquiseut laa novelles :
El quele garde i estoil,
El il»- quele herbe plus osanjoit,
De merveille Se porpansèrenl
El par trop bel bacal l'amblèvant
<.>.ini bien orenl la chose anqoise,
l'ne torse de l'orbe «.ni prise
236 EXTRAITS
Dont li chevax mnngier souloit
Que d'autre goûter ne volloit;
l-or mains net frère i ont amlox,
La torse lievent à lor cols :
Moult duremant furent chargiet
Vandre la portent à marchiet.
A marchiet fut venuz la garde,
Cil ki le bon pallefroit garde,
Ansi com venir i souloit.
Vit l'erbe qu'acheter volloit,
Que cil a voient aporteie,
Delivremant l'ait acheteie;
En l'cstable porter la fist,
Devant le pallefroit la mist.
!Ve la garde ne s'apcrsut
De celui ki en l'erbe jut.
Qant ses chevax ot abevrez,
Etdoufuerre l'en ot donnez.
Si com cil ki moult l'amait,
De son estable l'uis fermait.
S'alait dormir, kant il fut tans,
\'i alait mie trop partans.
Et kant la gent fut andormie,
Li lerres ne se tarjait mie,
Oui dedans l'erbe avoit géut.
Bien ot son oirre porvéut,
Et frain et esperoo et selle.
A pallefroit, vienl si Ifantelie :
Le poiii.il laice et met le frain,
DE BOLOPÀTHOS.
El la sambue et le lorain
Qui valloit .i. riche trésor,
Car toz es toi 1 d'argent et d'or;
Nés les clochetes ki pandoient.
Qui cleremanl retantissoient,
Ait toutes de cire estoupeics,
Et bien les ait aiivollcpécs.
Ne volloit pas k'elles sonaissent,
Que par lou son ne l'ancusaissent.
Rois, or autant ce n'est pas fable :
Dont desfcrmait l'uis de Pestablc,
Maintenant se mist à la voie,
Ne cuidet pas ke nuns les voie.
As autres vint ki l'atandoient,
Qui fors des murs reniez estoient ;
De ceu li fut trop méchéut
Que les gardes l'orenl veut ,
Qui par nuit la citeit gardoient;
Tant le chacièrent que le voient
Les autres frères qui ratandeiit.
Cil asaillenl, cil ee desfandenl ;
Les gardes tant se nmhailirent,
Et tant alèrent et laril firent,
Que tuil .iii. furent pris li frère
Qui ne vorrent croire Im pète;
Trop lor nieschail duicin.itil ,
Ci ot mal ancoinaiiremaiit :
Telz cuide autrui ftamaige faire
Que li mil/ sur lui an repaire.
■rxi
238 EXTRAITS
Cil .iii. frère furent sorpris,
Tuit .iii. furent loiet et pris
Et raeneit devant la roïne.
Qant ele ot anquis lor covine,
Et elle sot k'il furent frère ;
Moult par esloit bien de lor père,
Par maintes fois l'avoit servie;
Por ceu ne soffrit-elle mie
Qu'il fussent maintenant pandut,
Ains ait soffert et atandut,
Tant k'elle ot le père mandeit.
A ces cergenz ait comandeit,
Sor lor eulz, k'il bien les gardaissent ,
An une chartre les gitaissent;
Assez orent quant c'aus covient.
Li pères à celle cort vient;
La roïne li ait conteit
C'an prison sont si iii giteit.
A larrecin repris estoient,
Son palefroit ambleit avoient;
Or les vuet toz .iii. faire pandre,
Mais por t'amor ai fait atandre,
Doner te covient grant avoir,
Ou autrement ne's puet avoir.
Cil dist: Dame, ne vos poist mie:
Mon consoil, ne ma compaignie
Ne vorrent il tenir, ne faire;
Car je vos di bien tôt sans faille,
Le valissant d'une maaillr
I>E DOLOPATHOS. 239
Ne vos endonroie je mies.
Por vet kil menaissent telz vies
Sor les deviez desaichirr.
La roïne ot celui moult chier,
Car doneit li ot main bel don ,
Or L'an vuelt randrc guerredon :
Je's volloie, fait elle, pandre
Tes .iii. Olz , or les te voil randre.
Mais de tant les rachèterais :
Trois aventures me diras
Les plus grans c'onkes t'avenissent ,
Que plus grant paor te fèissent.
Li pères respondit à tant :
Bien les puis racheter de tant;
Trop grant cruautcit feroie
Se de tant ne les rachetoie»
Teil perde n'est pas trop grevainne
Se je's r'ai por si poc de painne ;
Et si se gardent de folie ,
Bien iert ma poinne amplole.
Vielz sui, n'ai incstier ke je mente,
Car j'ai usccic ma jovente :
Veritei fine vos dirai ,
Jà d'un sol mot n'an m.iiitir.ii.
A tans ke haichclers Qgtoie .
.C. rompaignons 1, nions avoie ,
Fors h hardis el combattant*
'MO EXTRAITS
Dire oïmes c'uns joians *
Biches de merveiliox trésor,
De deniers et d'argent et d'or,
Manoit dedans une fourest.
Et bien saichiez, si eom Dex est,
Qu'à .xx. lues de sa maison
Ne demoroit famine ne hons.
Plus sont de villes ke lors n'iere ;
Ne sont mais genz de tel manière ,
Et se il sont petit an est.
Tuit armeit, par mi la forest,
Et par mi les landes alames
Tant ke la fort maison trovames,
Mais lui ne trovames nos pas ;
Saichiez ke ce n'est mie gas.
Moult an fumes liet et joiânt ;
Trestot l'ivoir à cel joianl
Presimes et tôt l'anpoi lames ;
A moult grant joie retornaimes.
Séurcmant an reveniens,
Et grant avoir en raportiens ;
De lui ne nos prenienz garde,
Qant, en l'antrèc d'une angarde,
Lui dissime nos corrul soure,
Tuit fusmcs pris en petit d'oure.
Onkes contre alz ne nos tenismes,
Ne 'U'slandre ne nos poïsmes.
Grant esloient comme malfez,
Fors et irons cl escliaiifez.
DE DOLOPATHOS.
Ansi fusmes par ans surpris,
Que tuit fusmes loiet et pris.
Nés fiel dire fas je grant honle,
Nos estiens .c par droit coule,
Cil n'iere ke .x. soulemant,
Que ci nos menèrent vilmant.
Moult fumes ilolant et il liet,
Qant fumes tuit pris et loiet;
Si nos partirent, par esgart,
Chascuns en ot .x. en sa part.
Et je fui en la part celui
Cui nos aviens fait anui.
Ce fut por ma mésaventure.
Car tôt bâtant, grant alèurc,
Nos an menait, les mains liées,
Trop par soffrimes grant bachiées
Et qant en sa maison venimes,
Moult grant avoir li promesimes
Por nos venir à réansnii ;
Il disi kejai n'an parlas! lion.
\nlc rèanson n'an paoroil,
Ainz disl ko toz nos maingeroit.
Voir vos (h à mon sovenanl :
Toz les plus granz m-isi devant,
Et (lepesait tôt menhreà inanbre.
VèsdeçOU moult bien nie remanlu.
Qu'il les cuistan une chaudière;
roi les manjait au tel manière,
El m me I'm île tutu mangiei ,
24
iG
242 EXTRAITS
Par poc ke ne duisse enragier.
Moi méismes mangier volloit,
Mais des raalz des eulz ce douloit.
Je li dis ne m'océist raie,
Car ce seroit trop grant folie ;
Ansi corn Dex volt m'avisai,
Moult bien li dis et devisai
Que je trop bons mires estoie ;
Del mal des eulz le gariroie,
Que mal ne dolor n'i auroit,
Jamais nul jor tant com vivroit ;
Jà por ce riens ne m'an donast,
Mais ke la mort me pardonast.
De joie comansaità rire,
Qant tel parole m'oit dire ;
Et cuidait ke je voir déissc.
Si me priait ke tost fesisse ;
Es euz trop grant dolor avoit,
Et dist qu'à moult grant poinne voit.
Je diz c'aus euz li geteroie
.1. couliceke je feroie,
Où grant poine covenoit mètre.
Il me priait de I'antremetre
Et del faire haslivemant ;
Et préisseséuremant,
A plaotéis et à grant foison,
De qant ke fust en sa maison,
Trcstol ceu ke m'eust niéstier.
El je pris fl'oile .i. grant scslicr,
DE DOLOPA i nos 2 t'A
Soffrc et aluin, et chalz et sel ;
Et si pris suie et une et cil,
Et tôt çou ke jou savoir
Que plus mal faire li pooie.
Et bien saichiez, se j'onkes pou,
Je n'en i mis mies trop pou;
Ainz en i mis moult largement,
Et fis boillir moult longemant.
lions cui malz griève et ampire
Ainme moult santeit et desirre,
Et croit qant ke li mires dist ;
Se n'i mist onkes contredit
An chose ke je li desisse,
Ainz me priait ke je feâisàe
Ma mesdecine isncllement ;
Tôt souferrait moult bonement.
Tantost com je l'ot antandut,
Couchicr le fis, tôt estandut,
Si ke ses dos fut devers terre.
Dont alai ma paelle qnn rr
Où j'ou deslampré ma colin1.
La veriteil vos ;in voil dire :
l^a paelle fut toute plainne,
Si com je la portai à painne,
Et cil à sa dolor pansoit.
Qui anveu sor terre gisoil ;
Poi vi dolor ne s'.i|ior^ul.
Je ring loi droîl lai où il jut,
\n granl aventure me mis,
244 EXTRAITS
Hardiemant m'an nntremis.
La paelle li ait versée,
Sor eulz et sor teste adentée,
Qui tote estoit d'oille boillant.
Qui donkes lou véist dolant?
Et degiter et duel grant faire
Et ki l'oïst crier et braire?
Il cuidast ke ce fussent tor.
Ne vossisse por .i. mui d'or,
Q'adonc me tenist à ces mains ;
Et saichiez bien ke c'est del mains
Ne sai por coi jel' vos devis :
Q'antor son col, n'antor son vis,
Ne remest an nule manière
Ne char sainne, ne pel antiere,
Qu'ele fut eschaudée toute.
N'onkes puis des eulz ne vit gote:
Or furent pior ke devant,
Car par derrière et par devant
Li furent luit li nerf retrait,
Trop li donai fellon entrait ;
Et saichiez se paor n'eusse
De lui venir à aise fusse.
Mais moult très grant paor avoie,
Quant crier et braire l'ooie,
Et jel' véoie vutrillier,
])o%\[or el destandillier,
DE DOLOPÀTHOS. 2-1;
Et démener trop grant dolor.
Lors par oi ge si grant poor,
Quant je le vis lever de terre,
Et quant je soi k'il venoit querre
Une trop desloial masue
Qui à un fust estoit pandue.
Par sa maison m'aloil querant,
Et sus et jus aloit ferant.
Bien saichiez k'à malaisse estoie :
De laians issir ne pooie ,
N'i avoit c'une soûle entrée.
Et celle estoit moult bien fermée.
N'an issise por nule chose ;
De haus murs fut sa maison close.
Mussant aloie d'angle en angle,
Je n'avoie pas trop la jangle;
Qant vers moi venir le véoie,
A paione soupirer osoie,
N'aliéner, se moult petit non.
Ansi fui par sa maison,
Et il me cercha longemant,
Tant que je vis outréemanl
Que vers lui garir ne pooie,
Ne por foïr n'cschaperoie.
Par une eschiele au toit montai ;
A un des chevrons me getai,
Par andouz les braz ni'i pandi :
Lai demorai et atandi,
lui pandiant, an ici manière,
246 EXTRAITS
.1. jor et une nuit anlièrc
Tant ke je dui estre estancliiez ;
Par pot ke n'oi les braz tranchiez,
Trop i soffri de mal assez.
Et quant je par fui si lassez
Que plus ne me pou soustenir,
A terre me covint venir.
Par delez lui mussant aloie ;
Antre ces brebis me couchoienl .
Dont il avoitbien .m. et plus.
Ansi aloie et sus et jus ;
Je sai de voir ke bien savoit
Q'ancor en sa maison m'avoit,
tët ke pas eschapez n'estoie,
Et se par mi l'uis n'enchapoic,
N'en eschaperoieautremant.
Por ce se gardoit duremant,
Car moult estoit felz et entiers.
Petit estoit ses huis ouvers,
S'il ne l'ovroit por ces berbis
Qui, par mi les leus enherbis,
Aloient paislrc chascun jor,
Et revenoient sanz pastor ;
Il lesavoitsi bien charmées
Conkes n'estoient destorbées
Ne par besle, ne par larron,
Bien revenoient en maison ;
Il n'en perdoit onkes ffès une:
Kl se ne sai par quel fortune ,
1)1 DOLOPATHOS. 247
Par art, ou par anehantement.
Chascun jor, en rantéemant,
A Pissir del huis les contoit,
Une et une si les santoit ;
La plus grase et la plus pesant
Retenoit à son esciant.
N'estoit nuns jors, tant fust géune,
C'a tôt le mains n'en mangast une;
Mais si bien charmer les savoit
C'onkes por ceu mains n'en avoit.
Qui contre mort se vuelt tanser ,
Maintes chose li stuet panser;
Et je qui la mort redoutoie,
De maintes choses m'an pansoie.
Bien oi oit kant k'il dissoit
Et véoie qant k'il faisoit.
Je me pansai que je querroie
.1. mouton et si m'ancloroie
Dedans la pel, et je si Gs.
.1. grant mouton cornutocis,
Et si m'anclos dedans la pel ,
Moult m'atornai et bien et bel ;
Par grant paor m'an antrcmi-i .
O les autres berbis me mis ,
Por issir à la matinée.
Moult ot bien sa portr fermée .
Mais li guiches tut antrovers
Et je lui de la pel covers ;
Trestoutes les berbis contail .
EXTRAITS
Une à une les atestail,
Si com il faisoit chascim main.
Et qant je ving desoz sa main,
Par la lainne me sozlevait;
Qant grais et pesant me trovait,
Si dist je n'en iroie mie,
Ains li feroie compaignie.
De moi son vantre farsiroit,
Por son mengier me retenroit :
Ansi fui, le jor, retenus,
Mais ne sot ke fui devenuz.
Par 1'estable me quist assez,
Tant ke de querre fut lassez.
Maugreit mien li fis compaignie.
Mais as mains ne me tint il mie :
Lendemain m'atornai ensi,
Mais onkes por çou n'en issi ;
Ains me retint an tel manière.
El si me regitait arrière,
Si k'il me dut faire crever.
Mais il ne me pot pas trover,
Qant il me rccuidait tenir;
Je le vi bien vers moi venir,
Car .vii. fois me retint ensi,
De jor en jor c'ains n'en issi
El je par .vii. loi* le gabai
< l n loi adès li eschapai.
\ oirs esloil el bien le savoir
( l'autrem ml issii n\m popie
DE DOLOPA.THOS. 249
i
A derrains ma pel vesti,
Muez ke je pou m'i en coisi ;
Si me remis droit à la voie
Mais moult très grant péor avoie.
Il me santit et atestait,
An mi la voie me gitait,
Et dist ke mal l'euf me manjassenl,
Ne revenir ne me laissaient ;
Tantes fois m'avoit retcnul
Ne nuns biens ne l'en iert vcmil ;
Ne savoit ke je devenoie
Trop deloiaux moutons estoie.
Ne s'estoit ancor apersus
Que par moi fust si decéus.
Gant je fui de ses mains délivre"..
Qui me donast .x. .m. livres
Ne me foisl-il si joiant.
Et qanl je fui loins del joiant
Le git d'une pierre menue,
Si lou gabai de sa véue
Que je tollue li avoie ;
El de qu'eschapez estoie,
finies foiees, île ces mains.
Il me dist : Amis, eYsl .ici m.iuis.
Fait ais trop befe ticherie.
M. mis seroil el gms » ilonie
S'aucun bel don de moi n'avoic .
.lai de moi nul bien ne di rotes ;
Riches lions sm/ de granl Ircsoi
2S0 EXTRAITS
De son doit traist .i. anel d'or,
Devant moi le gittait à terre ;
.là vers lui ne la laisse querre,
Car duremant le redoutoie,
Ne tant ne qant ne le créoie.
Gros fut li anels et pésans
Muelz valloit de .iiii. besans.
Qant jel' vi, s'an oi grant anvie,
De trop covoitier est folie ;
Jel' covoitai et si lou pris,
Et en .i. de mes dois le mis ;
Puis m'an ting je moult por musart,
Car li joians savoit une art,
Cui Dex doignetmale santeit!
S'avoit l'anel si anchanteit,
De mon doit traire non pooie,
Et tôt adès huchant aloie :
.le sui sai, sire, je sui sai.
Li joians vers moi s'adrescai ,
Qui des eulz goûte ne véoit,
Lai venoit où ma vois ooit,
Et je à mon pooir le i'uoie,
Qui an fuant adès huchoie.
\ ces grans chaignes se hurtoit,
Par mi ces boissons s'abaitoit
lit chèoit ansi corn uns trons ,
Cal moult par estoit grans et Ions;
XV. bons [liezavoit de haut,
Moull avoit lost saillit .i. saut ;
DE BOL0PATHOS. "2'il
Bien sai, se il m'éust véul,
Moult tost m'éust aconsént.
Je vis ke pas n'cschaperoie,
Que ma vois tenir ne pooie,
Ne l'anel traire de mon (loi ;
Et il estoit si près de moi.
Tôt an fuiant me porpansai,
De mon doit tranchier m'avisai ;
Moult fait cui poors de mort loche.
Je boutai mon doit en ma boche
Si ke li anels fut dedans,
Tôt par mi lou tranchai as dans.
L'anel et le doit li gctai,
En tel manière en esch.ipai;
Si m'an reving plus tost ko pni.
Certes maintes poors i <>i
ESn l'aventure ke j'ai dite.
.1. de mes hlz me clamés quite ;
El por les autres .ii. r'avoir.
Vos dirai k'il m'avint, de voir.
Aiiruis c'an mon manoir renisse
Ne fors de la fores! ississe.
I)<vl joianl délivrez estoie ;
I ihemin, ne santier ne tenoie
\ mis fuoie par mi ces Iw.iv,
\iim coin cil me fnsl au dos.
Se savoie k<l i» ni j'alaisse,
252 EXTRAITS
.Ne kel partie je tornaisse.
Sor les plus haus arbres montoie,
Et sor ces montaignes rarapoie,
Por esgarder se je véisse
Voie par où del bois issise,
Ou recet lai où habitast
Qui de cel bois fors me gitast.
Puis dessandoie en ces valées
Qui par nature ièrent chavées
Et parfondes jusq'an abisme.
Moult doutoie de moi meïsme;
Grant duel et grant pooravoie,
Et à trop grant dolor montoie
Les hautes montaignes agues
Qui paroient desor les nues.
Lai n'aloie-je pas lou cors :
Lou et lyeon, leopart et ors,
Seinglier, bugle, asne salvaige,
Tors dragons et serpant volaige,
Souterel et mouton et monstre
Me venoient trop à l'ancontre;
Saichiez ke grans paors m'an vient,
Toutes les fois k'il m'an sovient.
Por la grant paor ke j'avoie,
Me samble ancor ke je les voie.
Ansi alai .ii. jors antiers,
Tant k'il m'avint ke uns gantiers
Me menait an une fontaigne ;
Jamais n'ierl jors nf m'an soveingne
M D0L6PATB0S. 253
Des mais ke solfrir me covinl,
Et des merveilles k'il m'avinl.
.11. jars et .iiii. nuis geunai,
Conkes de fuir ne finai.
Et kant en la montaigne ving,
A moult grant poigne me sosting;
Jà estoit près de la vesprée.
Dont regardai en la vallée
Qui parfonde estoit et oscure;
Loingde moi vi, par aventure,
Fumée ki estoit de feu.
Moult bien me pris garde del leu,
Je ne vois pas perdre ma voie.
Ansi com del mont avalloie,
A piet del mont an .i. pandant
Lai trovai .iii. larrons pandant.
De novel estoient pandut ;
Cliaoir m'estot tôt cstandut,
Car je les vi soudainemant
Et je caidai vcraiemant,
Ouït je les vi pandanl à l'ust,
Cancana joians près de moi fasl
Qui toz .iii. pandus les éusi.
Et ausi pandre mcdéust.
N'est merveille se paor oi ;
Je m'estors au plus ke je poi,
El besoigne Ion me tist faire.
Je m'.iti aini vers im repaire
Où j'o la fumée v.n,
"2.Î4 EXTRAITS
Bien oi droite voie tenue.
Lai trovai une maisonnete,
Et vi dedans une famete
Qui .i. anfant au feu tenoit.
Dolantemant se maintenoit;
N'i avoit c'ous .ii. soulemant,
J'antrai léans tôt erranmant.
Premieremant la saluai,
Et doucement li demandai
S'elle avoit autre conpaignie,
Et por Deu ne m'an mantist mie ;
Combien de ville Ions estoie,
Elle dist , se Dex li donst joie.
De fine veriteit sa voit
Que ville, ne chastel n'avoit
A .xxx. luees en tôt sans.
Por poc k'elle n'issoit dou sans;
Elle ploroit moult tanremant.
Je li respondi bellemant
Qui l'avoit laians amenée?
Elle respont toute esplorée,
Et si sospiroit moult sovant ;
Si me dist ke, la nuit devant,
Se dormoit delez son marit :
Lai vinrent malvais esperit
Que ces gens apclent B stries.
Moult li fissent de fclonnies;
El li et son anfant amblèrent,
En relie maison l'enporièrenl.
DE DOLOPATHOS. 288
Celle nuit venir ce dévoient,
Et bien comandeit li avoient
Qu'ele mesist son anfant cuire,
Cui k'il déust grever, ne nuire;
La nuit le dévoient maingier.
Je cuidai bien le sans chaingier,
Qant tel chose li oï dire.
Lors n'avait tallantde rire,
Et elle an plorant le me dist.
Moult grant pitiez au cuer m'en pris! :
Je dis ke tant li aideroic,
Li et l'enfant delivreroie.
Certes moult estoic lassez,
Maintenant me fui porpansez :
Je n'avoie cure de moi,
Tant par estoic en grant effroi.
Si com je poux muez m'atornai :
Grant aléure retornai,
Tôt corrant et toz cslaissicz,
Lai où j'ai les larrons laissiez.
Qui estoient pandul à l'arbre;
Je les trovai plus frois ke marbre.
Li plus grans iert en mi pandus,
Dont ne fui pas trop espenlus :
Jel' dépandi, si l'anportai,
La dame dis et anortai
Que maintenant le mesisl cure
El por ceu k<- ses Hz ne mare,
Le me donast el jel' manrote
250 EXTRAITS
Tel leu ke bien le saveroie.
Elle l'otroinit volentiers;
Je pris l'enfant en dcmentiers,
En .i. chaigne chaveit le mis,
Por faire ceu ke je promis,
(v)ue chavez iere par nature ;
Puis m'an reving grant aléure,
Por lafammeteconsillier.
Le larron li fis detaillier,
Et mètre cuire maintenant.
Et ele, grant duel démenant,
Le fist et toute espoerie,
Lai ne fis plus de démorée.
Je doutai k'elles ne venissent,
Ne vos pas k'clle me véissent.
Près de l'oslel m'alai seoir,
Car je les voloie véoir.
Ceu saichiez k'an tel leu séoie,
Que de fors et dedans véoie;
Moult par estoic bien assis.
Adès estoic à ceu pansis
Que les merveilles esgardaisse,
Et la bone fammelle aidaisse
Oui dotante iert etesbaibje,
S'elle éust mestier de m'aie.
Moult bien m'an estoic BÛchiez ;
.Lu estoil li soûlas couchiez ,
Près ière de uui^ asseï ie.
Les gènes ru- tardèrent mie,
DE DOLOPATHOS. 257
Ne me covinl gaires atandre;
Des montaignes les vi dessandre
Anviron, drues et espesses;
Je cuidai ce fussent singesses.
Trop grant temulle demenoient,
Ne sai quel chose trainoient,
Après elles, tôle sanglante.
K\ regarder mis grant entente,
Mais ceu kc fui ne poi savoir.
Et tant vos di-je bien, por voir :
An la maison tôles antrèrent,
Grans feu de laignes alumèrent :
Moult ardoit li feux durèmant.
Elles prisent lot erranmant
Ceu q'ellcs trainct avoient,
Toi .lu-un mi le devoroient
Gom féissent chien enragiel ;
A.n poc d'oure l'orenl mangiel,
N'i missent mie longemanl.
Après ne larjait pas granmanl
Que la char del larron fui cuite.
Lai poissiez véoir grant luite :
De tosl mangier secombaitoicnt,
Si corne louf se rechiognoteot.
Plus tost l'ont maingié k'eles poKDl
Et nequcdant toales en oreot.
La plus grani d'eles estoil dame;
Celle apellail la bone laiinin-
El ilisl kc vt-rileit li die,
258 EXTRAITS
Bien gart k'ele ne mante mie :
Se c'est ces filz k'eles ont maingié,
Ou c'elle lor avoit changiet?
Elle respont ces filz estoit.
L'estrie dist k'elle mantoil
Com orde vielle pautonière,
Et dist c'uns des trois larrons iere,
Si com elle cuide de voir.
Et por ceu k'ele en vuelt savon
Veriteit et droite novelle,
Les .iii. plus hardies apele
Et dist : Or tost isnellemant
As forches, et si vos cornant
Que m'aporteiz, sans demorée,
De chascun une charbonée ;
Je voil savoir s'elle dist voir. .
Maintenant me covint movoir :
La bone famé aidier dévoie,
Li et Pant'ant salver voloie,
Et je volanticrs m'en penai.
Onkes de corre ne linai
Tant kc je ving as .ii. pandus,.
Tôt an mi me fui estandus
Ausiment com li lerres fust.
Bien me ting, as .ii. mains, à lïisl
Tantost les .iii. estnes vinrent
Qui an lor mains les coutiax tindrenl:
Des naiges as larrons copèrent,
De ma cuisse une pièce ostèrent ;
in iioLoiwïiios. "259
Jamais n'ierl jon ke il n'i paice
Tantosl se metent au repaire,
Les .iii. pièces en ont portées
Et à lor maislre prcsantécs ;
Muni .min goffrir me ootint.
Geste aventure ansi avint :
Mon autre iil an voil avoir,
Et por l'autre vos dirai voir.
Moult fui navrez dcstroitemant,
Et moult me dolui duremant.
De cel arbre où je pandi
Jus à la terre dessnndi:
Por eslanchier faire ma plaie,
Copai lou tiwel de ma braic.
Et ma chemise an dctranchai ;
N'onkcs point (Ici aanc n'enstanchai,
Oui sordail coin d'une fonlainne.
Trop soufri de mal el de painnd;
Et bien saichiez keje pansoie
A ceus ke délivrer voloie,
Tant ke de moi DM nie cliaioit.
Li sans ki de moi avalloit ,
Li gcuners et li teiUiere,
Li pansers el li travcillieis
Megrevoient tr<»|» amremadfc;
Neporqant plus îsneUemsIql
Que je pou, et en tel manièri
260 EXTRAITS
Keving à la maison, arrière ;
En mon leu me r'alai seoir
K'ancor les voloie véoir.
Qant je fui en mon leu assiz
Moult à malaisse et moult pansiz,
Bien m'an doit ancor sovenir;
Dont vi la maistresse tenir
La pièce ke de moi tranchièrenl
Celles ki si fort me blescièrent,
Et les .ii. pièces des larrons,
Jetait par desor les charbons ,
Toutes crues les asaiail :
lie, fait-elle, quel char ci ait!
Qant elle tint la moie pièce ;
Et dist ke moult avoit grant pièce
Que n'avoit mangiet de si bone ,
A une autre essaier la done.
Les .iii. compaignes rapellait,
Et dist : Or tost retornez lai,
Je vos pri ke moult vos basiez;
Le larron an mi m'aportez.
La chars an est et bone et belle,
Toute est ancor fresche et novele,
Si la mangerons or androit.
As forches m'an r'alai tôt droii,
Qant j'oi celle parolle oïe,
Bien eusse mestier d'aic!
N'estoit pas ma plaie eslanchie.
Moult oi de mal et de haschie ;
DE DOLOPATIIOS. 261
Mais onkes por ceu n'antandi,
Awec les autres me pantli.
Estes vos les .iii. pautonnières
Qui moult ierent cruelx et fières,
Oui, tôt corrant, me vinrent qucrre;
Par les piez me traïssent à terre,
Onkes de riens nem'esparnièrent.
.lusc'à la maison m'ansacln'èrent
Par chavox, par piez, et par mains;
Bras, espaules, et dos, et rains
Covint hurter à mainte espine ,
Por poc n'ou rompue l'eschine.
Et moult vilmant me traînèrent,
As piez la maistre me gitèrent.
Bien m'an puet ancor remambrer,
Jai me vouloient desmanhrer ;
Tantost m'eussent devoreit,
Jai tant pou n'éust demoreit,
Qant je ne sai kel chose virent,
Ne sai s'elles les colx oïrent,
Ou ce ke fut rertainnemant.
Mais je vos di bien vrairmanl
Que maintenant s'esvanolrenl ;
De la maison toutes issirent,
Assez anportèrentdel toit.
Car li maniez les anportoit ;
Et lirrnl, par nu li forest,
rropgrant noise et tropgrani tampest,
Eu tel manière m»' laissièrent,
•262 EXTRAITS
Onkes arrière ne repaireirent.
N'onkes la mère n'adesèrent,
Ne de son anfant ne gostèrent.
Moult cstoit de la nuit alée,
Ne tarsait gaires la jornée ;
Maintenant ke je vi le jor,
.le n'oi cure de lonc sejor ;
La mère et l'enfant anmenai,
Trop oi mal, et trop me penai.
Petites jornées faisoie,
Car duremant navrez estoie ;
Et si moroie trop de fain,
Ne mangoie ne char, ne pain ;
Ne trovoie ville ne gent.
Par le bois aloie mangant
Herbes et foilleset racines.
Et colloie sor les espines ;
Les prunelles kant les trovoie.
De celles grant teste faisoie.
.XL. jors <ilai ensi,
C'onkes de la forest n'issi.
Et tant alames, toutes voies.
Que travers bois, ke travers bue-.
Que nos venimcs au repaire.
Moult oi de mal e| de contraire,
Poi la rame tanl me penaj
Q'à s, ,n ostel la ramenai)
El -on .inl.iiit s. iin et hailn I
Dame, di; l-il, pai apusiiei .
de hoi.oi'A iii<>> 263
Trois aventures vos ai dites,
Or me clameiez mes .iii. (iz qui tés.
La mine ki moult l'amait,
Ses anfans quites li clamait,
El se li donait grant avoir.
Et li anfant firent savoir
K'avec lor père s'en r'alèrent,
.N'onkes puis nule fois n'amblèrent.
Extrait n° 9, f° 424, col. lrc.
Rois, fait-il, .i. damoisiax fut
Ki par noblesrc et par vertut
Doit bien estre apellez geottz.
Moult s u v ; 1 1 1 1 estoil antaulis
D'alcr en bois et en rivière :
Moult estoit de bone manière.
Moult amoit braeliès et lévriers.
Et venéors et braconniers.
Brahons et loirniers avoil ;
Des chiens et des oisiax savoil,
El si estoit adès premiers
Ses brachès et ses loimters
\cmi[)l,iit, por aler chacier,
Les iiiillors maistres por tressiei
Descoaplèrent li Irenéor.
Il sist sor .i. grant cliacèoi .
Le COI à COl, l'espée s, unie
Dont m. unie heste "i atainli .
264 EXTRAITS
A par issir d'une tranchie,
D'un cerf plus blanc ke nois negie
Ont sui chien trovée la trasche,
Moult fut bone et bêle la chasce;
Car li cerf se mist à la fue,
Li uns corne li autres hue.
Cil chien si doucemant glatissent,
Que les forés en retentissent.
Li damoisiax chevalche après,
C'est cil ki plus le suit de près.
Li blans cers ses tertres savoit
Es corne .x. broches a voit;
Moult estoit vielz, et grans et gros.
Ses cornes gete sor son dos,
Et si s'anfuit, teste levée,
Par la plus espesse ramée.
Li damoisiax plus tost k'il puet,
Le suit tant q'à force l'estucl
Demorer, et li cerf s'anfuit;
La trasce en suient li chien tuit.
La forés fu espesse et drue,
Tote ait sa maisnie perdue,
Et si ne seit où si chien sont.
Kcmeiz fut en .i. val parfont,
Le cheval des espérons broclii',
A^sez sovant mist cor an bouchi
Ses i hiens et sa maisnie apcle,
Doal il ne seit nule novele;
Mais il n<- <.nt tant haut corner
L>E BOLOPA THOS. 265
Que nul au puist à lui torner.
Auiont et aval esperone,
Li valx et la forez resonne,
A la vois del cor, moult sovant.
Tant chivauche arrier et ayant,
Par la forest, à quel ke painne,
Qu'il s'an bat sor une fontainne
Dont l'aiguë cort et sainne et bêle,
Blanche et nete sor la gravelle.
Lai trovait baignant une fée
De ces dras toute desnuée,
Toute soûle, sanz conpaignie.
Avenans fut et eschevie,
De bras et de cors et de vis :
Tôt à .i. mot le vos devis ,
Ains plus belle rien ne fu neie,
Li damoisiax l'ait esgardëe;
Qant il l'ait si belle vcue,
Li sans et la color li mue.
Ses chiens oublie et sa mai nie,
De li avoir ail grant aime.
Car sa grant biantéil le sorprisl.
Celle ki garde ne s'an prist,
El ke nule rien ne SaTOit,
Une cheaigne k'elle ayait,
De lin or, laissait sor la i îye
Ht cil i m Qne amors en rive,
Saut avant, la chaaigne i |iriM
ii damoiselle rai s.hjj,
266 EXTRAITS
La chaaigne estoit sanz doute
Sa vertu et sa force toute:
N'ot pas pooir de soi desfandre.
Li damoisiax, sans plus atandre,
La traist de l'aiguë tote nue
Et de ces dras l'ait reveslue.
Les chiens et le cerf oubliait,
D'amors la requist et proiait,
Et dist ki la prendroit à famé
Riche seroit et haute dame.
La pucele an prist la fiance,
La séurteit et faliance,
A icel tans plus n'en faisoient :
.Mais puis ke ûanceit estoienl,
Se portoit li uns l'autre honor,
Loiauteitet foi et amor.
La nuit sor la fontainne jurent,
Onkes d'iluec ne se reruurent ;
Si fut elle despucelée,
Que prox fut et saige et senée.
Sor l'erbe fresche ki verdoie
Li damoisiax rnoinne sa joie.
\ mie nuit, la damoiselle
Oue perdut ot non de pucellc,
Au cors des estoiles esgarde ;
\c lut pas folle ne musarde,
Par nature assez .m savoil ;
Kl \ii ke consèul avoîl
\ I. li/. il une damoiselle
DE DOLOPATIIOS 2<>7
Son signor on dist l;i novclle.
Mais moull an l'ut cspoanlèe.
Li sires l'ait reconfortée,
Doucemant l'acolle et aribrase;
Les eulz et la bouche et la faice
Li baisse savorousemanl.
[celle nuit prcmieremant
Ensi sor la t'ontainne jurent ;
Au milinet moult matin murent,
Sor son chacéor l'ait levée,
A son chastel l'en ait portée.
Ancontre lui c.ort sa maisnie
Qui moull an futjoieuse ci lie;
Moult l'ont grant (este de la dame ,
Qant il sevenl k'elle est sa famé;
Grant leste et grant joie dèmaineni,
De li honorer moult se p;iinnonl.
Li damoisiax ol arieor mère .
Mais il n'.ivoit triais point de père.
El kant sa mère sol el vôil
Que ees ti/ celle dame avoit
A rame prise el espousée,
Por pou n'est ti,- duel fotsenèe.
De on lil estoit dame loiite ;
Moult durement crient ei redoute
Que sa tarda se soii dél toi dame.
Tins ke ces li/ l'ail prise à famé.
l'el duel en ail el lèl .un ic
Por pou k'ele n .ut pprl la rie
268 EXTRAIT S
Grant mal pause et grant traison :
Ele ait rais son fil à raison ,
Moult li blasrae le mariaige
Et moult li messist el coraige ;
Volantiers feroit c'ele onques poisl
Tel chose par coi l'an liais t.
Onkes n'en pot à chief venir
Cil n'en vuet parole tenir,
Ains dist : Dame , n'en parlez plus
Car elle est ma dame et ma drus;
Ne puis pas autre famé avoir.
La mère vit et sot de voir
Que n'i porroit descorde mètre,
Ne pordoner, ne por prometre;
Et ses fiz mal greit l'en savoit ,
Por ceu ke parleit en avoit.
Dolante en fut en son coraige :
Grant fcllonie et grant outraige
Pansait, mais elle nel' dist mie.
Trop est plainne de grant anvie
Et farsie de traïsson;
Atandre vuelt leu et saison ,
A celé fois n'en puet plus faire ,
Traitre fut el deputaire.
A sa brus mostrait belle chière :
Samblant list kc moult l 'avoit chiere,
Moult doucemant la doctrinoit ,
1 ime si fille l'anseignoil ,
El moult li (lorloit grant honoi ,
l)ï. DOLOl'ATHOS. 209
Ne li pooit porter greignor ,
Car autrement faire ne l'ose.
Fa use amors est trop maie chose;
Telz lieil ki fait sanblanl d'amer.
Moult ot fellori cuer et amer
La vielle, mais la damoiselle
Fut moult simple, cortoise et belle :
Et por ceu k'cle esloit eusainte
Li fut .i. pou la collor tainte.
Chascun jor plus grosse devint,
Jusc'à jor ke li termes vint
D'afanter ceu dont grosse estoil.
Sa Mine ki s'anlremetoil
De li servir par liaison,
Ne volt k'elc aust se li non
De bailles à l'anfanlemanl.
Tôt sol à sol privéenianl
Forent andoi, en une chambre.
Li cuers et li cors et li manlu.
Figent moult mal à la meschine .
Qant vint à point de la gesine.
Grant dolor soffrir li covinl,
Car si com deu en ti I Lm t vint ,
Se délivrait la damoiselle
De .vi. fdz et d'une puccllc;
Fi en l'escors sa malle seure
Que plus lui doloîax kc maere.
Cil .vij. anl.int trop bel cstoienl;
Une chaaigne d'or avoienl
270 EXTRAITS
Chascuns, autor son col fermée
Que nature li ot donée.
Qant la vielle les anfans voit,
Qui tant de mal en li avoit ,
Et de sa brus avoit anvie,
Bien fist ke niortez anémie.
Celle estoit malaide et grevainne,
Por la dolor et por la painne
Qu'ele avoit soffert et aue,
Ne s'an a pas aparcéue.
Toz les .vii. anfans li anblait,
Por les .vii. anfans assamblail
.VII. chaaillons k'elle savoit,
D'une braichete k'elle avoit,
Qui furent ncil celé semainne;
Geu ne fut mie trop grant painne,
Faire le pot legierement.
.1. sergent prist privcemcnt,
En cui elle fiance avoit,
Que son covine tôt savoit.
Les anfans comandeit li ail,
Moult très doucemant le priait,
Sans noise faire, et sans lancier,
Jurer li fist et (lancier
Quejai ne lai rancuseroit;
Et les .vii. anfans porterai I
An tel leu où jai nc's verront,
Estranglcituu nOret sfn.nl.
Li sergans les anfans an porte,
DE DOLOPATHOS. 271
Muuii coïemant passe la porte ;
En la forest parfonde vient.
De la dame bien li sovient
Et de ce ke jureit avoit;
Les .vii. anl'ans si très biax voit
Qu'il ne seit cornant les ossie ;
Moult li samble grant fellonie
S'il les ocist en tel manière.
Tant pansait avant et arrière
Que soz .i. arbre les laissait,
Onkes .i. soûl n'en adeasail ;
El pansait ke bestes venroienl,
Ou oisel ki les mangeroient.
Vers sa dame seroit délivres
Ne lor l'esist mal poi .m. Inrcs.
Ansi desoz l'arbre les laisse
Toz .vii. laissiez an une EÉÎSSeJ
Kolx est qui de Deu se deacorde,
Moull est plains de miséricorde.
Cil qui lisl tôle criatui.-
El ki lisl. boma à Sa limire,
Toi tist ci di' lui se prant gavdr<
Mais ce tist il i ir gtanl esgardej
Et dclivreii de mesestance
L'orne k'il lisi en si samblancb,
A sa Bgure el à sa fai
('.'ai if créature ne feic ■
Toi puet, el toi seit, el i<>i voit.
Les anfans ke li sers ,w oii
H.1'1 EXTRAITS
Laissiez soz l'arbre, regardait.
Par sa grant pitiet esgardait,
Ne volt son oevre fust périe
Qu'il avoit faite et estaublie.
An cel bois .i. viel home avoit,
Philosophe ki moult savoit;
Moult fut de grant subtiliteit.
Autre ville ne autre citeit
Por estudier ne volloit,
De clergie se traveilloit.
D'une fosse ot faite maison,
Lai gissoit chascune saison.
Par les bois s'aloit desduisant
Et ou desduit estudiant.
Si com Dex volt ansi avint
Cil vielz hom à cel arbre vint;
Desoz l'arbre les anfans trueve,
Liez fut et joiaus de tel oevre.
En la fosse avec lui les mist,
Moult doucemant s'an anlremist,
Moult les .iiinii , moult les chérit.
.Vil. ans les gardait et norrit,
Com ces anfans les norrissoit,
De lait de serve les passoil ;
La cervc avoit teile alornce
Que de la fosse cstoit privée.
Des anfans à tant me tairai,
De la vielle vos parlerai,
Qui aspre fut et felloii rnss.
i»i DQLOPATHOS. 37$
Plus ke tygre ne lèounessc.
Les anfans charjait .i. sergent,
Onkes nel' surent autre gent.
Maintenant son fil apcllait,
La veriteitbieu li cellait ,
La mensonge li fist entandre :
() lilz, fait elle, bouche tandre,
Onkes croire ne me vossis ,
Mal greit mien ta lame presis,
Moult as l'ait bêle engenréure;
Or vien véoir sa portéure,
Acouchiée est et délivrée
De ce dont elle iert encombrée.
Au lit à la fée le mainne
Qui trop iert malaide et grevainne
Et de ceu ne se prenoit garde;
Les chaaillons voit et esgarde,
La vielle desloiax li monstre
Et dist : Biax fiz, ce sont ti monstre
Dont ta famé c'est délivrée.
Tu dissoies k'elle estoit fée ;
Biax lilz doux, à sa portéure
Puet on couoistre sa nature.
Ce dist la vielle desloiax ;
Trop fut dolans li damoisiax,
Bien euidoit ke voir li déisl,
Dont li [triait qu'elle préist,
Privéement s<-\ anroiast
An tel leu où cl les noiasl.
18.
274 EXTRAITS
En tel leu furent envoieit
Que maintenant furent noiet.
Moult set famme, et moult est hardie
D'outraige faire et de follie ;
Puis c'a certes s'an antremet,
Plus volontiers aimme et si fet
D'une mensonge ke d'un voir
Et la follie c'un savoir.
N'est hons vivans ki tant séust
Que famé ne le decéust,
S'a certes pener s'an volloit.
Li damoisclz ki tant souloit
Servir et honorer la feie,
Plus kc riens nule ki fust neie,
Et de si grant amor l'amoit
Q'amie et dame la clamoit,
Par la traïson de sa meire
Qui fut fellonnessc et amère,
L'acoillit en trop grant haine.
Ne laissait pas por la gesine,
N'onkes ne s'an volt escondire ;
Sans plus targier et sanz plus dire,.
G'onkes ne volt parole oïr,
Maintenant la fist cnfoïr
An son pallais, jnsq'as matnéfes
Que elle avoit blanches et bêles.
Bien fut sa grant amor chaingie,
Qu'il comandait à sa raaisnie,
Que grant, ne petit, ne menor
DE DOLOPATIIOS. 275
Ne li portassent point d'onnor.
Et comandnil tote sa gcnt,
Qu'escuier, garson et sergent,
Tuil sor son chief lor mains lavassent,
A ces chevox les essuaissent
Qui tant estoient cler et sor
C'esloit avis k'il lussent d'or.
A grant honte la fist traitier,
Qu'il comandait au panetier
Que del pain as chiens fust péue,
Trop fut en grant vilteit tenue.
Moult duremant s'an mervilloient
Totes les gens ki la véoicnt,
Mais il n'an pooient plus faire.
Celle qui tant fut debonairc
Soffrit tel painne et tel tormant
.VII. ans toz plains anticreraant ;
Si ot delerouse gésinc.
En .vii. ans a moult grant termine
A tel famé ki mal andure.
Useie fut de vestéure,
Porrie fut et deschiriéc,
Et moult lu la dame muée:
Sa color lu tainte et pâlie,
Sa blanche ebars tote nerefe.
Del grant mal k'ele ot sostcntil
durent si crin noir devenu!.
Perdue ot toute sa color ,
l'or 1.1 painne et por la dolor.
276 EXTRAITS
Le vis ot paile et anosseit;
Si vair oil furent anfosseit;
Sa gorge fu et maigre et tainte,
Sa grant biautez fut tote estainte.
En tôt son cors k'elle ot si bel,
N'ot mais ke les os et la pel,
N'en bras, n'en mains, n'en autres membres.
Elle n'ot pas géut en chambres,
Trop fut sa granz bialtez périe,
Grant merveille estoit de sa vie.
Si enfant en la forest furent ;
Par .vii. ans mangièrent et burent
Le lait de la cerve savaige.
Jai aloient par le boscaige,
Etbestes et oisiax prenoient,
Au philosophe repairoient
Qui d'aus norrir ne se fîngnoit ;
Moult doucement les ensignoit.
Si corn Dex volt, .i. jor avinl
Li pères en la forest vint,
0 ses chiens si com il souloit ;
Ferrain ou cerf chacier voloit.
Querant aloit par la forest,
Si com drois de chacéor est.
A trespasser d'une viez voie,
Vit les anfans démener joie.
Entor son col chascuns avoit
Chaaigne d'or ; kantil les voit,
.Moult très volentiers les esgarde.
DE DOLOPATIIOS. 277
Tantost corn il s'an prannent garde,
Si s'an fuient, et cil les chace.
Qui moult l'ut liez de telle trasce,
S'aucun en poïst retenir ;
Mais ne volrentà lui venir,
N'il n'en pot .i. sol aconsure
Onques ne's linaitde porsure,
Tant k'il ne sot k'il dcvenisscnt,
Ne quel part lor voie tenissent.
Li sires en maison revint ;
L'aventure ki li avint
Dist à sa meire et à sa gent.
La vielle apelait le sergent,
Tote dolante et esbaihie
Por l'aventure c'ot oie.
An une chambre, an receleie,
Veriteit li ait demandée
S'il les aufans ocis avoit.
Cil respondit ke bien savoit
C'ossis ne les avoit il pas ;
Mais bien cuidoit c'a nés lo pas
Qu'il les laissait, morir déussent,
Et kejai ne se reméussenl
De l'arbre où il les Ot laissiez.
An une faisse toz laissiez :
liai ! dist la dame, mal fessis,
Qant maintenant ne's océis,
Tu nos as mors et décru».
Car lu/ .vii. 1rs .ni Inn véil7
278 EXTRAITS
Mes Gz ki fut en la forest ;
Certes, certes mallemantest.
Maintenant te covientniovoir.
Les chainnes te covient avoir.
Tant te covient les anfans querre
Par bois, par haies, et par terre,
Q'an aucun leu les troveras,
Les chaaignes m'aporteras,
Ou soit à droit, ou soit à tort ;
Se tu ne's as nos somes mort.
Paor de mort est moult grevainnc ;
Li serjans se mist an la poinne
De querre par nuit et par jor ;
Tant alait et quist, sanz sejor,
Par espès boix, et par santiers ;
Ains ne finait .iii. jors antiers, v
Jor et nuit, an nule manière.
Au qart jor, truève une rivière
Dont l'aiguë fut parfonde et clère,
Lai ce baignoient li .vi. frère ;
An sanblance de cignes cstoienl,
Par celé aiguë ce deduisoient.
Et lor suer sèoit sor la rive,
La plus aperte riens ki vive;
Les chaaignetcs d'or gardoit,
Sor la rive les alandoit.
Li serj.ms vit la pucelete,
Au tor son col sa chaanelc ;
Le* autres chaeneleg vnil
DE DOLOI'A I NOS.
Que sa dame porter devoit,
Qui joste la pucele estoient.
A geu dont si frère juoient
Esloit la pucèle antandue,
Ne s'en est pas aparçèue,
Tant kc cil les chaaincs prist ;
En tel manière la sorprist
Que il les .vi. chaainetes ot ;
Mais celi tollir ne li pot ,
Entor son col estoit fernoeie.
Elle est an la forest antrée
Si k'il ne sot k'ellc devint ;
Moult liez et moult joians revint.
Les .vi. chaaigncs aportail ,
A sa dame les présentait
Si ke n'uns hons nel' vit ne ^ol.
La vielle, plus tost k'ele pot,
Ait .i. sien orfèvre mandeit ,
Proiel li ait et comandeil
Que, pur s'amor el por sa graiee ,
Que des chaaigncs d'or li laisse
.1. hanap moult isnelcmcnt.
Loez an iert moult richement :
Mais gart ke nel' saielic QUI hom,
Ne faine nule, se je non.
Et cil li créante et atroie ;
Maintenant ce met à la roie.
An sa forge Ion feu alume .
De son martel flerl sor l'anclnrae :
279
280 EXTRAITS
Une chaaigne ait et feu mise,
Mais ne la pot, an nule guise ,
Par feu ne par martel brisier.
Por ceu ce li covint brisier,
Totcs .vi. les i asaiait,
Ains nés une n'an pessoiait,
Fors ke de l'une .i. sol anel
Esgruraait .i. poc dou martel.
Qant il vit c'a chief n'en vanroit,
IVe ke nule oevre n'an feroit,
Dolans fut et si l'an pesait.
Donc prist autre (or), si le pesait,
.1. hanap an fist maintenant;
Moult très bel et moult avenant.
A pois ke les chaînes furent
Qui par le feu ne se remurent,
Tant k'il les poist dessolder.
Les chaaincs fist bien garder,
Et le hanap porta sa dame.
La desloiax la maie famé
Bien l'enfermait an son escrio,
Ains n'en but d'aiguë ne de vin;
Onkcs par li vins n'i antrait,
N'orne ne famme nel' mostrait.
Ansi fut fait et avenut
Que oigne furent deveuul
Li .vi. frère, par tel minière,
Ne porent repairicr arrière,
Poi les chàaignës k'il n'a voient
I)K DOLOPATIIOS. 281
Qui de si grant vertut cstoienl ;
Ne porent home devenir,
Ansi lor covint sostenir.
El moult grant dolor dcmenoient,
Comc cigne criant aloient,
Lor aventure complaignant.
Tant s'alèrent ensi plaignant,
Une hore avant et l'autre arrière;
Que il en haïrent la rivière.
Ne lor plot plus à sejorner,
D'ilueqes se volrent lomer.
Ensamble ont lor voie atornée ,
En cigne fut lor suerz muée :
Cigne et famme estre pooit,
Por ce ke la chaaigne avoil;
Si frère n'en avoient point.
Tuit ensamble ce sont enpoint ;
Les piez estandent et le ool,
Haut sont en l'air monté à vol.
Tant volèrent tuit .vij. ansambh-
C'un estanc virent, ce me samhlr,
Grant et parfont ri délitablc,
Et bel et clor, et covenahlr
A lor nature et à lor hués,
En l'eslanc s'abaissicrent Inès.
Li leus lor délitait et sist ;
Et li chastim lot père Bis)
Si près, ko par desoz la toi
\n cor roi I l'aiguë tôt antoi
282 EXTRAITS
Li chastiax sist an une roche ;
Li aiguë jusc'à mur s'aproche,
La roche fut dure et naïve,
Haute et large jusc'à la rive,
Et sist sor une grant montaigne
Qui samble qu'as nues se teigne.
El chastel n'avoit c'une entrée;
Trop riche porte i ot fermée
Qui sist sor la roche entaillie.
De celle part fut la chaucie ,
Li fossez et li rolléis,
Et si fut li pons levéiz.
Si estoit assiz li chastiax
Que parrière ne mangoniax
Ne li grevast de nulle part;
Par nul anging, ne par nul art
Nel' poist-on adamaigier,
Tant k'il eussent à maingier
Cil ki del chastel fussent garde,
N'eussent de lot le monde garde.
.Moult fut estroi le li antreie,
Qu'ansi fut faite et compasseie,
Par devant la haute montaigne ;
I covient c'uns solx hom i veigne,
.l.ii dui n'i vauroient ansamble.
D'autre part devers l'aiguë samble,
Por ccu k'il siet en si haut mont,
Qu'il doie chéoir en .i. muni.
Df tant mm uni trait d'un quarrel
]>E DOLOPATHOS. 2H3
N'aprochait nuns hons lochastel.
Il i ot portes colléisces,
Bailles, fossez et murs et lices,
Trestot fut an roche antailliet.
Moult i ot ferut et taillict
Ançoiz ke li chastels fust fais ;
Onkes lelz ne fut contrefaiz
Trop par fut fors et bien assiz.
De cel chastel trop vos devis
C'onkes nuns chastels muez ne sist,
Moult fut bons maislrcs ki le fist.
Sor la roche ki fut pandans,
Grant fut et large par dedans.
Trop i ot riche herberjaige;
En la tor ot moult riche estaige,
Bien fut herbergiez tôt entor.
Li pallais sis! presl de la toi
Qui moult fut bans ot bons el leia
Li estaoble forent deleis,
Greniers et chambra et cuisines ;
Moult i ot riches ollieincs.
Moult fut la sali* grans et larg
Maint fort escul il mainte large
Et mainte lance; et maint espiel .
El bon cheval et bon apid
Dont li fer sonl bon et traneli.ini.
Et m.ïint bon col Iviiideit d'argent
Avoit pandul par lu pallaie.
Le devise] k tant ras loia,
284 EXTRAITS
Trop fut biax li leus et li estres.
Vers l'estanc furent les fenestres ,
Lai fut li sires apoieis;
Ne sai c'il estoit annuiés,
Mais, an pansant, l'aiguë esgardoit,
An esgardant, les cignes voit
Qui estoient et bel et gent.
Dont comandait tote sa gent
Que moult doucemant les véissenl ;
Annui, ne mal ne lor féissent
Par coi riens les espoantaissent.
Del pain et del bief lor gilaissent
Tant ke del leu fussent priveit.
Bien furent li cigne arriveit,
Li sires les vit volentiers.
Ses demeis pains et ces antiers,
Et char et poissons lor gittoicnt
La maisnie, kant il mangoienl.
Bien sorent Tore del mangier;
Sans apeller, et sanz huchier ,
Moult furent priveit devenut.
.1. et autre, grant et menut
Aucune chose lor gittoient;
Moult volentiers les esgardoient ,
Après le pain, corre et noer , .
Et l'un d'ausà l'autre jouer.
La suer ki la chaaigne avoit,
Quant le chastel près de li voit ,
A *<m roloir faine devint.
DE DOLOPATHOS. 288
Toute soûle, el chastel s'an vint ;
Et alait del pain demandant
Et l'amosne à l'uis atandant.
Del relief son père vivoit,
Del pain cl de ceu k'il avoit.
Toute riens tant à sa nature :
An nul scnz, n'an nulle aventure,
Ne connissoit elle son père,
Ne ne savoit ki fust sa meire ;
Ne porqant qant c'on li donoit,
Et tôt ceu q'à ces mains tenoit
Portoit sa mère maintenant;
Ceu k'elc avoit de remenant
A ces .vi. frères le portoit.
Grant chose et grant merveille estoit
Qu'ele ploroit moult tanremant,
Por la poinne et por le tonnant
Qu'ele li véoit soustenir.
N'onkcs ne s'an pooit tenir;
Por li deincnoil moult grant duel,
Ne ja ne s'an méust snn vuel
Se por ses frères n'en méust,
N'cstoit nunsjors qu'elle n'éust
Del pain assez et del rilliet.
Moult estoient joiant et liet
Li cigne, kant il les vcoient,
Encontre lui luit esvoloient,
Grant reste et granl joie menant;
Si manjoient son remenant
286
EXTRAITS
En son giron et en sa main.
Chascunjor, à soir et à main,
De li grant joie demenoient,
Et de lor elles l'acolloient.
Elle les baissoit doucement
Et acolloit estroitemant.
Bien sot k'il estoient si frère,
Encor ne eonissoit sa mère.
Ghascune nuit, lez lui dormoit;
Par nature si fort l'amoit
Por nul rien ne s'en tenist
Que, chascuue nuit, n'i venist
Dormir; grant piliet en avoit,
Et nule raison n'i savoit
Par coi i metoit si sa cure ;
Mais chascuns trait à sa nature.
Les gens ki el chastel estoient,
Chascun jor, ensi le véoient
Del chastel à l'estanc dessandre.
Bien véoient les cignes prandre
Ceu ke de sa main lor donoil;
Et le duel k'elle demenoit,
De lez sa mère, nuit et jor,
Qui vivoit an si grant dolor.
(irant et petit se mervilloient,
• Et li plusors antr'auz disoient
K'à merveille sambloit la fêe,
\ jor k'elle fut amenée;
Rstoil ele de tel Faitare,
DE DOLOPATHOS. 287
De vis, de neis et de figure.
Qant li chastelains la véoit,
Moult très volentiers Pesgardoit;
De li regarder et véoir
Ne se tenist, por nul avoir,
Onkes ne s'en poïst tenir.
.1. jor laflst à lui venir;
Li anfès volentiers i vint,
Ansi com aventure avint.
La chaaigne d'or ait véue
K'antor lo col avoit pandue.
Adonc li inanbrait de la feie
K'à famé ot prise et espousée,
Cui il trovait à la fontaine,
Cor li faissoit soffrir tel poinne;
Ne se provoit pas com amis.
Puis ait l'enfant à raison mis
Et dist : Fille, dont iès tu née?
De quel terre et de quel contrée?
Ais tu mais ne peirc, ne meire,
Ne parant, ne seror, ne frère?
Et cornant puct cou avenir
Que tu fais les cignes venir
A toi, et maingier, en ta main,
Qant tu vuelz, au soir et à main?
l.i anfès plore et si soupire
C'a painnes puct .i. sol mot dire;
Qant cleait son père entandat,
Km sospirant, ait resporuliii.
"188 EXTRAITS
Et dist : Sire, se Dex me voie,
Tôt séurement vos diroie.
Se par nature pooit estre
Que hons ne famme déust nestre
Et sanz père et sans mère avoir ;
Que je n'oi onkes tôt, por voir,
A nul jor, ne père, ne mère.
Mais ce sai ge bien, ke mi frère
Sont H cigne tuit .vi. germain,
Que si bien vienent à ma main.
Onkes ne vi, ke je séusse,
Père, ne mère ke j'eusse.
Puis li ait dit et raconteit
Cornant norrit orent esteit
Del lait de la cerve salvaige ;
Et cornant furent el boscaige,
.VII. ans, où gardez les avoit
Li vielz maistres ki tant savoit.
Et cornant cil les mal baillit
Qui les chaainnes lor tollit ,
Qu'elle gardoit sor le rivaige;
Et la painne et le grant damaige
Que si frère por çou soffroient ,
Por les cbaaignes k'il n'avoient,
Soslenoient si dures painnes
Que perdut orent forme humainne,
Et cigne estoicnt deveniit.
Et cornant il ierent venut
Demorer <lcsnz le cliastel ,
DK ftOïiOPÀTHOS. 289
Por l'estanc k'il virent si bel.
La vielle ki tant ot d'anvie,
Ki plainne fut de féllonnie,
Celle ki lot le mal savoit,
Qui tôt le mal bastitavoit,
Estoit en la salle parrine
Où celle contoit son covine
A son père, devant les gens.
Les parolles ot li sergens
Qui bien sot la veriteit toute;
An demantiers ke il escoute
L'anfant, vers la dame regarde ;
La dame ki bien s'an prist garde,
Kegarde vers lui ansimant,
A malaise sont duremanl ;
Car il s'an santoirnt côrpabfè.
Bien sevent ke ce n'est pas fable
Que la pucelete raconté;
l'or la poor et pbr la houle
Qui de lor conscience estoîerit,
Eu esgardant coïor muoient.
Et s'il en fussent mescrèot,
Moult fussent lost aperséal ;
Mais ouns bons ne's en mescréoil
l'or ceu ne s'en apcrcevoh.
.lu biens ne mail n'iert si COTCI -
C'an aucun tans ne si.il oUTéfs;
Dex seil lot, et voil <-t entanl .
Moull doucement soffre el ataui ;
*9-
290 EXTRAITS
Et jai soit ceu ke il atande ,
Nuns ne fait bien ke il ncl' rande
Le loierdçbonairement ;
Et se il atant longuemant
A panre del mal la venjance,
Geu fait-il par sa grant soufrance
S'il ne ce vange anès le pas,
Por ceu ne lor pardone il pas.
Bien en set panre vangement
A son voloir séuremant.
Por celui ki lou pechié fait ,
Se vange Dex de son mesfait ;
Jai n'iertsi longuement celiez
Li malx k'il ne soit révéliez.
Par lui méisme se descnevre
Li peschiez et la malvaise oevre ;
Dex volt ke ceu fust reveleie
Qui .vii. ans ot esteit celeie.
La vielle fut moult esperdue,
Quant sa parolle ot entendue.
Adont li vint an son coraigc
Trop grant dolor et trop grant raige ;
Et pansait c'oscirre fcroit
L'anfant, s'elle onkes pooit.
Maintenant le sergent apele,
Qui bien ot oït la novelle ;
Tant li dist ke il otriait
Que, se leu et pooir an ait,
Il l'ocirrait sanz plus atandre.
DE DOLOPATMOS. 291
l,i puceletejone et tandre,
Un jor, del chastel dcssandoil,
Qui de tôt ceu ne se gardoil ;
A ses frères aler vuuloit,
Tôt ansi com elle souloit.
Li sergens après li alait,
Si com li enfès avalisât,
Lait li cergens a conséue,
Dont sachait lors l'espée nue ;
Qantele vit traite l'espée,
Duremant fut espovantèe.
En fut torne et cil après
Qui la suoit tost et de près.
Ez vos à tant granl alèure
Le chastelain, par avarilure.
Qui toz souz paranqui venoit.
Li sergens l'espée tenoit :
Li chastclainz lez lui s'acoste
Qui des mains l'espée lui OSte;
Del plat li done grant colleie,
Ansi ait de mort délivrait
Celi ki grant paor avoit.
Qaol li sergeni son sigoor writ,
Moult parail de mort grant dotaoce .
Car li sires vers lui s'avance
Et disi ke veriteit li die :
l'or coi volloil tollir la vu-
\ cel anfant, an tel maniera?
Li scrjans fis! dotante chien
IVl EXTRAITS
La veriteit li ait conteie,
Si com la chose fut aleie;
La fin et l'ancomancement
Tôt li ait dit outréemant :
Cornent li enfant furent neit,
Cornent el bois furent porteit,
Et cornent lor chaainetes ol ,
Cornant l'anfant ocjrre volt;
Et dist, sor le péril de s'arme,
Que ceu li fist faire sa dame.
Moult parfut corresiezli sires,
Qant de sa mère oit ceu dire ;
Arrière enmainne le sergent.
En la salle, devant sa gent,
Trovait la vielle desloial
Qui si fut farsie de mal.
Il ne l'ait mie saluée,
Ains sacliait del fuère l'espée,
Et dist ke veriteit li die.
.Moult ot grant poor île sa vie,
Qant ele vit l'espée nue ;
Veriteit li ait conéue.
Li chastelains li dist, por voir,
Que les chaainnes vuelt avoir ;
Celle dist: Biaz douz fiz, merci !
Poi Dell, •><■ tu vuelz, si m'oci.
Pechict feras si tu me tues,
M.iis les chaaignes 90O( perdues
Car j'en lis une cope faifè;
DE DOLOPÀTHOS.
Ocirre me |>uez et desfaire.
La cope puez-tu bien avoir;
Se li orfèvres me < I i s t voir.
Les chaiaignes as-tu perdues,
Ne puecnt maisestre randues.
Li sires l'orfèvre mandait,
Moult doucemant li comandait
Que des chaaignes voirli die.
Li orfèvres n'en mentit mie,
Bien rceonut c'ancor les ot;
Et se li dist c'onques n'en pot,
Par feu, ne par martel desfaire,
N'ouïtes nulle rien n'en pot faire.
Dont les randital chastelain
Qui ne fut pis lis à vilain ,
Car moult bien li guerredonait.
Il les priai <'t si les douait
V celui qui grant joie en ot.
Maintenant plus losJ kvile pot,
Droit à l'estaUC, s'en est cuiruc ;
Et quant li signe; Ton! Tèue,
Contre lui se sont avallel.
Lai ot baissiel et accollet.
Sa chaaigne rant à chascuo,
Tuit devinrenl home fors .i.
Celui nu la chaaione esloty,
Donl li orfèvres lu isiel aVQil
.1. anelel lanl soulemanL
l'or ieu ne |i<ii outréemanl
•1<X\
2!M EX TRAl'l S
En forme d'oine revenir
Por rien ki poï'st avenir,
Ains puis à nul jor de sa vie ;
Mais tôt adès fist conpaignie
A l'un de ses frères par toi,
N'est pas raison kc nus en dout.
Cil ne ne fut puis ce signes non,
Riais cil fut moult de grant renon
A cui il fut acompagnies ;
Chevaliers fui bien enseiguies,
Toz jors mais serait an mémoire,
Car il est escrit en l'istoire;
L'istoire est et veraie et digne.
Ce fut li chevaliers ou cigne
Que proz fut et de grant savoir.
Et cil fut li cignes, por voir,
Qui les chaainnes d'or avoit
A col de coi la nef traioit
( >ù li chevaliers armez fert,
Qui tant fut de bone manière;
Puis tint de Boillon la duchiel.
Moult furent cil del chastel liel,
.loic firent tel coin il durent.
Li enfant lor père conurenl,
El lor père ous ausimant.
Nuis plus largier, loi ci laimiciit
Alèrent defolr la fée
Qui lel doloroi endurée.
Sains li firenl ei oignemani
1)1 DOLOPATHOS. 29S
Et riches apaireiltananl ;
Tant fut servie et honorée
Que sa color fut recovrée.
Moult ot gent cors et simple chière ;
Et li sires la tint plus chière
C'onkes mais jor ne l'ot ternie
La dcsloi.il vielle chanue,
La fause paulonnière hérite
Fut moult dotante et descontile.
A son fil quiert merci et prie,
N'est pas drois ke sa mère ocie.
Et cil respont k'il ne savoit
S'elle sa mère esteit avoil ;
.Ne croit pas ke sa mère fusl
Que tel outraige fait éust.
Et dist bien puel eslre sa mère.
Mais foit ke doit l'arme son père
.lai por cen quîte ae seroil :
Tonte nue l'anfueroil
Si COm elle fut enfoïe;
Et si seroit toute sa vie,
Que jamais n'an seroit délivre.
Tant jor coin elle éust à vivre;
S'or devoit devenir enntraite.
Taotosl coin la feie an fut traite,
La malle vielle i anfolrenl ;
La dolor sostenir li Brenl
Que la feie avoil sostenne.
Or fut an Li fosse cliéue
29<) EXTRAITS DE DOLOPATHOS.
Qu'elc avoil por autrui t'oïe;
En la fosse l'ut anfoïe
Et bien li dut on anfoïr.
fin.
TABLE
DE LA SECONDE PARTIE.
wiv mit ie> différens manuscrits du Roman des sept Sages ei du poème
de Dolopathos page iij
riptiou des manuscrits du Roman des - ♦ • ^ »t Sages qui sonl ;i la
Bibliothèque du Roi mj
Description îles manuscrits du Roman des sept Sages qui ><>ni à la
Bibliothèque de l'Arsenal ixxh
autres manuscrits du Romandes sept. Sages et de Dolopathos . \liij
Roman des sept Sages, en prose t
appendices au Roman des sept Sages 77
appendice n° 1 7!»
appendice u° 2. toa
analyse de Dolopathos, p ëme français en vers du khi1 siècle, pai
Herbers 113
: xtraits <le Dolopathos i;,:t
: vli.nl ir I I
1 tirait 11 ■- 1 -,s
Extrait n :< > |,,|
Extrait d° i i, .
298
Extrait n > 191
Extrait n° 6 t208
Extrait ir 7 325
Extrait n° 8 -j:h
Extrait n° 'J 265
ri\ pr r.A r \ ri i.
University of Toronto
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DO NOT
REMOVE
THE
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THIS
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