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Full text of "Essai sur les fables indiennes et sur leur introduction en Europe : suivi du Roman des sept Sages de Rome, en prose publié, pour la première fois, d'après un manuscrit de la Bibliothèque Royale avec une analyse et des extraits du Dolopathos par Le Roux de Lincy pour servir d'introduction aux fables des XIIe, XIIIe et XIVe siècles"

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PRESENTED  TO 

THE    LIBRARY 

BY 

PROFESSOR  MILTON  A.  BUCHANAN 

OF  THE 
DEPARTMENT  OF  ITALIAN  AND  SPANISH 

1906-1946 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/essaisurlesfableOOIoisuoft 


ESSAI 

SUR 

LES  FABLES  INDIENNES 

SUR  LEUR  INTRODUCTION  EN  EUROPE, 

SUIVI    DO 

ROMAN  DES  SEPT  SAGES  DE  ROME 

EN  PROSE. 


imprimerie  te  3Jîault>e  et  ^îcnou  , 

Rue   Baillcul  ,  9  et  ». 


ESSAI 


LES  FABLES  INDIENNES 


SUR  LEUR  INTRODUCTION  EN  EUROPE 

PAR    A.     LOISELEUR    DESLONGCHAIYIPS 


KOMAN  DES  SEPT  SAGES  DE  ROME 

EN    PROSE 

POUB     LA     PREMIERE     FOIS,     D'iPKts     UJ     MANUSCRIT     DE     I.A      RI  Rl.un  11  I    ■  ■    t  IT1I 

AVEC      U»E     milSE.    ET      DBS     EXTRAIT-     DO       l'i'l, 

PAR    LE     ROUX     DE      LINCY 


POUR   SKIîVIR    D  IHTHODiTCTinv 

AUX  FABLES  DES  XIIe  XIIIe   ET  XIVe   SIÈCLES 

TUBLIÉES    PAR    M.    ROBEHT. 


PARIS. 
TEGHENER,     LIBRA1RI 

PLACE    DU     LOUTRE   ,     12. 

1839 


V& 


s*  S\ 


a  4 

» 


\   MONSIEUR 


LE  BARON  SILVESTRE  [)E  SACY, 


PAIR  DE  FRANCE  , 


GRAND  OFFICIER  DE    I.  ORDRE  KOYAL   DE  LA    LEGION-D  HONNEUR, 


SECRETAIRE  PERPETUEL 


l\cawmiî.   rovin  ors   ivscKirrioKS  n    bellu-li 


MuMM  \GK  DE  RESPECT  ET  DF.  RECONNAISSANCE, 


LOISELEUR  DESLONf.CHAMPS. 


ESSAI 


FABLES    INDIENNES 


SUK  LEUR  INTRODUCTION 

KiN  EUROPK. 


Depuis  long-temps  l'histoire  des  fictions  imagi- 
nées par  les  peuples  est  en  possession  d'exciter  à  un 
haut  degré  la  curiosité.  Un  docte  et  pieux  évêque 
n'a  pas  dédaigné  de  composer  un  traité  sur  l'o- 
rigine des  romans,  et,  de  nos  jours,  plusieurs 
sa vans  ont  publié  sur  ce  sujet  des  travaux  d'une 
grande  étendue  et  fort  feeommandables. 

Parmi  toutes  les  inventions  romanesques  nées 
d'une  imagination  féconde,  celles  qui  ont  l'Orient 
pour  pays  natal,  méritent,  sons  plus  d'un  rapport, 
d'attirer  l'attention.  Le  succès  obtenu  par  les  Mille 


4  ESSAI 

et  une  Nuits  dans  le  siècle  dernier,  succès  mérité 
qui  s'est  maintenu  jusqu'à  présent,  n'est  pas  le 
premier  que  les  fictions  de  l'Orient  aient  obtenu 
en  Europe.  Il  faut  remonter  jusqu'au  moyen  âge 
pour  trouver  l'époque  de  l'introduction  de  ces  fic- 
tions dans  les  compositions  romanesques  euro- 
péennes. C'est  un  examen  bien  curieux  à  faire,  et 
l'histoire  des  deux  recueils  de  contes  et  de  fables 
attribués  à  Bidpaï  et  Sendabad  peut  contribuer  à 
éclaircir  cette  question. 

Le  nom  de  Bidpaï  est  assez  généralement  connu, 
grâce  à  La  Fontaine.  Bidpaï  est  le  nom  d'un  philo- 
sophe indien ,  auquel  les  Persans  et  les  Arabes 
ont  attribué  un  recueil  d'apologues  intitulé  par 
eux  ,  Calila  et  Dimna  ,  recueil  très  célèbre  en 
Orient,  et  qui  a  été  traduit  en  latin  dès  le  xme 
siècle  de  notre  ère.  Également  importé  en  Oc- 
cident vers  la  même  époque,  \e  Livre  de  Senda- 
bad (qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  Voyages 
de  Sindbad)  eut  une  grande  célébrité,  sous  le  titre 
de  Roman  des  sept  Sages.  Les  recueils  d'apologues 
et  de  sentences  morales  étaient  bien  plus  recher- 
chés au  moyen  âge  qu'ils  ne  le  sont  aujourd'hui, 
et  les  nombreuses  imitations  des  livres  de  Bidpaï 
et  de  Sendabad  furent  alors  très  goûtées.  La  si- 
multanéité du  succès  de  ces  deux  livres,  et  le  rap- 
port de  leur  commune  origine,  m'ont  engagé  à 
réunir  dans  un  même  opuscule  L'examen  des  di- 


si  R  LES  FABLES  INDIENNES.  •• 

verses  traductions,  plus  ou  moins  infidèles,  par 
la  voie  desquelles  ils  sont  venus  de  l'Inde,  leur 
patrie,  jusqu'à  nous.  Plusieurs  savans  ont  déjà 
abordé  ce  sujet,  et  l'illustre  et  vénérable  doyen 
des  orientalistes,  M.  le  baron  Silvestre  de  Sacy,  a 
consacré  à  Bidpaï  plusieurs  excellentes  disserta- 
tions qui  m'ont  été  du  plus  grand  secours. 

Quelques  personnes  seront  peut-être  étonnées 
que  je  n'aie  point  associé  Lokman  à  Bidpaï  et  à 
Sendabad  ;  mais,  outre  que  le  recueil  du  fabuliste 
arabe  n'a  point  de  rapports  avec  les  deux  ouvrages 
dont  je  vais  m'occuper,  l'antiquité  et  l'origine  de 
son  recueil  sont  fort  contestées.  M.  Marcel,  édi- 
teur et  traducteur  des  Fables  de  Lokman,  les  re- 
garde, il  est  vrai,  comme  antérieures  à  celles 
d'fisope  ;  mais  M.  de  Sacy,  dont  l'opinion  est  d'un 
si  grand  poids  dans  cette  question,  n'hésite  pas  à 
les  considérer  comme  modernes  et  empruntées  à 
la  rédaction  grecque  des  fables  ésopiques. 


ESSAI 


BIDPAI. 

L'invention  de  l'apologue  se  perd  dans  la  nuit 
des  temps.  L'idée  de  cacher  un  précepte  utile  sous 
le  voile  de  l'allégorie,  et  de  rendre  plus  sensible 
une  vérité  morale  en  l'appuyant  sur  une  fiction 
ingénieuse ,  se  retrouve  chez  tous  les  peuples  de 
l'antiquité1;  mais  il  y  a  toute  apparence  que  c'est 
en  Orient,  et  peut-être  particulièrement  dans 
l'Inde,  qu'il  faut  chercher  l'origine  de  cette  in- 
vention. En  effet ,  dans  un  pays  où  parmi  les 
croyances  se  trouve  le  dogme  de  la  métempsy- 
chose  ,  où  l'on  attribue  aux  animaux  une  ame 
semblable  à  celle  de  l'homme,  il  était  naturel  de 
leur  prêter  les  idées  et  les  passions  de  l'espèce 
humaine  et  de  leur  en  supposer  le  langage  :  c'est 
ce  qui  a  lieu  dans  l'apologue  indien.  Les  combi- 
naisons les  plus  profondes  et  les  sentimens  les 

On  rencontre  plusieurs  apolo-  Pêcheur  forcé  d'avoir  recours  à  ses 
gués  ou  paraboles  dans  la  Bible.  fiiels  pour  prendre  des  poissons , 
( yoy.  les  Juges,  th.  ix,  vers.  8-15  ;  sourds  aux  sons  de  sa  flûte.  Enfin, 
tes  Mois,  liv.  Il,  th.  xn,  v.  i,  on  connaît  l'heureuse  citation  de 
I.  IN  ,  c.  xiv,  v.9.)  Le  poêmed'He-  l'apologue  des  Membres  révoltés 
siode,  intitulé  Les  Travaux  et  les  contre  l'Estomac,  faite  par  Mené- 
Jours,  nous  offre  la  fable  de  l'E-  nius  Agrippa,  pour  calmer  le  peuple 
pervier  et  du  Rossignol.  Dans  lié-  romain  mutiné.  (\o\.\Essai  sur 
rodote  (1.  I,  c.  cxli),  Cjtus,  pour  la  Fable  et  sur  les  Fabulistes, 
rappeler  aui  rois  leurs  devoirs,  par  M.  Walckenaer,  p.  i.\iv,  pre- 
iorsque  les  movens  de  persuasion  mier  volume  des  OEuvres  de  La 
>ont  inutiles,   récite  l' apologue  du  Fontaine.  Paris,  18'22;  in-8°.) 


SLR  LES  FABLES  INDIENNES.  7 

plus  délicats  y  sont  l'apanage  des  animaux.  Ce 
serait  peut-être  émettre  une  proposition  contes- 
table que  de  réclamer  exclusivement  en  faveur 
des  Indiens  l'honneur  d'avoir  inventé  l'apologue: 
on  ne  peut,  du  moins,  se  refuser  à  reconnaître 
qu'ils  jouissent  dans  ce  genre  d'une  haute  supério- 
rité, par  la  physionomie  toute  particulière  qu'ils 
ont  donnée  à  la  fable  et  au  conte.  Chez  les  Indiens, 
en  effet,  au  lieu  d'être  un  récit  isolé,  placé  par 
un  orateur  dans  un  discours  comme  exemple  et 
comme  moyen  de  persuasion  ',  l'apologue  est  un 
traité  complet  de  politique  et  de  morale,  et  a  reçu 
une  forme  que  l'on  peut  appeler  dramatique.  Dans 
les  livres  indiens,  une  fiction  principale  encadre 
plusieurs  fables  ou  contes  débités  par  les  premiers 
personnages  mis  en  scène  à  mesure  que  la  situa- 
tion amène  ces  récits  ;  ces  fables  sont  en  prose  et 
semées  de  vers  sentencieux ,  empruntés  aux  codes 
des  législateurs,  aux  légendes  héroïques  et  sacrées, 
aux  drames  et  aux  recueils  de  poésies  -. 

■  Esope  n'est  point,  comme  on  naer,  Essai  sur  la  Fable  et  sur 
sait,  l'auteur  du  recueil  de  fables  les  Fabulistes,  p.  iavi.'i 
qui  porte  son  nom.  Considérant  l'a-  =  Dans  la  sanscrit,  langue  anli- 
pologue  comme  un  puissant  moyen  que  et  sacrée  des  indiens,  Dres- 
de conviction,  il  l'employa  souvent,  que  tout  est  en  vers,  aussi  bien  les 
il  en  lit  sentir  toute  l'importance,  préceptes  des  législateurs,  que  \r- 
et,  sous  cerapport.il  a  mérité  d'en  aphorismesides  grammairiens ,  les 
être  regardé  comme  i'inventeur.Les  dogmes  des  philosophes  el  les  théo- 
Ingénieuses  Gelions  dont  il  avait  renies  iU'>  astronomes.  Le  mélange 
l'ait  un  fréquent  usage,  restèrent  de  prose  et  de  vers  ne  Bfl  rencontre 
dans  la  mémoire  des  hommes,  et  que  dans  les  ouvrages  d'une  très 
on  en  forma  des  recueils,  (Walcke-  liante  antiquité,  comme  les  Védat, 


8  KSSAl 

'  Il  existe  en  sanscrit  plusieurs  livres  de  ce  genre, 
mais  ils  n'ont  pas  tous,  à  beaucoup  près,  le  même 
degré  de  mérite  *.  Le  plus  remarquable  est  celui 
que  les  Persans  et  les  Arabes  ont  désigné  sous  le 
nom  de  Livre  de  Cailla  et  Dimna ,  et  qu'ils  at- 
tribuent à  un  philosophe  nommé  Bidpai.  L'histoire 
des  métamorphoses  de  ce  livre  célèbre ,  mainte- 
nant suffisamment  éclaire ie,  est  d'un  grand  inté- 
rêt pour  la  littérature  orientale ,  et  mérite  d'être 
exposée  avec  quelque  détail. 

Dans  la  première  moitié  du  vie  siècle  de  no- 
tre ère ,  le  fameux  Chosroès  ou  Khosrou  Nouchir- 
van ,  roi  de  Perse ,  ayant  entendu  vanter  plu- 
sieurs traités  de  morale  et  de  politique  écrits  en  lan- 
gue indienne,  chargea  un  savant  médecin  nommé 
Barzouveh,  et  qui  possédait  une  connaissance  ap- 
profondie de  la  langue  persane  et  de  la  langue  in- 

ou  dans  les  drames  et  les  recueils  intitulée  le  Trône  enchanté.  Les 

de  contes,  productions  qui  peuvent  contes  du  Perroquet  ont  été  traduits 

être  considérées  comme  modernes  en  persan,  sous  le  litre  de  Thouthi- 

rclativement    aui  grands    poèmes  nameh,  du  persan  en  anglais,  et 

héroïques ,  tels  que  le  Râmâyana  de  l'anglais  en  français  par  MfMa- 

Ct  le  Mnhàbhih ala.  rie  d'Heures.  (Paris,  1826,  in-8°.) 

1  Les  principaux  sont  le  Singlui-  Un  docte  prince  indien,    Radjah  - 

MM  -duàtrinsati ,    ou    le    trône  Kali-Krichna-Behader,  a  traduit  les 

cnrhanié;  le  Souka-saptaH,  ou  les  contes  du  Mauvais  Génie,  en  anglais, 

eontes du  Perroquet;  le Fe'fcîîa-pan-  d'après  une  version   en   bradjba- 

tehavinsati,  ou  les  contes  du Mau-  kha}  et  M.  Babington  en  a  publié 

rai; Génie,  et  le  grand  recueil  inti-  uni"  autre   traduction  faite  d'après 

tulé  Vrihat-kathâ.  LiSinghâsaaa-  le  tamoul,  et  sur  laquelle  on  peut 

dwùtrinsnli  est  a  la  portée  des  1er-       consulter  un  article  île  M.  Burnouf. 

leurs  français,  le  baron  l.escallier  dans  le  Journal  des  Savons,  d'a- 
en  ayant  donné,  d'après  la  version  vril  18Ô5.  Le  Vrihat-kathâ  n'a 
persane,  une  traduction  française,       pas  encore  été  traduit:   mais  il  en 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  ^ 

dicnne  ',  d'aller  dans  l'Inde  chercher  ce  trésor  de 
sagesse 9.  Barzouyeh  se  procura,  non  sans  peine, 
le  livre  qui  lui  était  nécessaire,  et  le  traduisit  en 
pehlevi,  l'ancien  langage  des  persans;  de  retour  à 
la  cour  de  Nouchirvan,  il  lui  offrit  le  recueil  d'apo- 
logues que  ce  prince  désirait  connaître,  et  que  le 
traducteur  avait  intitulé  Livre  de  Calilaet  Dimna, 
par  le  sage  Bidpai.  Il  avait  donné  ce  titre  h  son  ou- 
vrage, parce  que  les  deux  chacals,  nommés  Calila 
et  Dimna,  sont  les  personnages  les  plus  importans 
d'une  partie  considérable  du  livre3.  Le  roi,  satis- 


a  paru  une  analyse  dans  le  Quar- 
terly  Oriental  Magazine  de  Cal- 
cutta, 1824  et  1825.  Le  texte  san- 
scrit de  ce  dernier  recueil  sera  pu- 
blic incessamment  en  Allemagne; 
l'original  sanscrit  des  trois  autres 
est  aujourd'hui  fort  rare,  mais  il  en 
existe  des  traductions  dans  plusieurs 
des  dialectes  vulgaires  de  l'Inde. 

•  Il  semblerait  <jue  Barzouyeh 
était  Indien  de  naissance.  Au  com- 
mencement du  chapitre  du  Calila 
et  Dimna,  qui  renferme  une  no- 
tice sur  sa  vie,  censée  écrite  par 
lui-même,  on  lit  :  ■  Mon  père  était 

un  homme  de  la  classe  militaire,  et 
ma  mère  d'une  bonne  famille  de 
BrAhmanes.  •  (  Ealila  ami  Dimna 
or  the  Fables  of  Bidpai,  trowula- 
ted  from  the  aràbic  by  the  m. 
Windham  Enatchbull.  Oxford . 
1819;  in-8°,  p.  65.) 

»  Calila  ri  Dimna,  ou  Fables  de 
Bidpaï,  en  arabe,  précédées  d'un 
mémoire  svrVoriginedece  livre, et 
sur  les  diverses  t  feuiuctions  quien 


ont  été  faites  en  Orient;  par  M.  Sil- 
vestredeSacy.  (P.2etsuiv.  du  Mé- 
moire.)— Kalilaand  Dim.,  p.  ">. 
— Saint-Martin,  Biographie  univer- 
selle, art. Khosrou,  t.  XXII, p. 382. 
3  Silvestre  de  Sacy  ,  Mémoire 
historiq.,  p.  3.  — DHerbelot  a  dit 
que  le  livre  intitulé  Djawidan-khi- 
red   (  sagesse    éternelle) ,   était  la 
même  chose  que  le  Homayottn- 
nameh  qui  est  une  version  turque 
du  Calila  et   Dimna,   ce   qui    a 
donné   occasion    à   ceux   qui    ont 
parlé  après   d'Ilerbclot  du   Calila 
et  Dimna,  de  dire  que  la  version 
pehlevie  de  ce  livre  était  intitulée 
Djawidan-khired,  ce  qui  est  une 
erreur.  (Silvestre  de  Sacy,  Mai 
hist.,  p    10.)  Le    Djauidan-khi- 
red  est  un  recueil  de  préceptes  m 
raux    attribués    par  les   Persans  .. 
l'ancien  roi  Bouchenk,  traduit  en 

arabe   par  Hassan  ,   fils    de  Sahel 
et  insère  parAhouAli  Unned  Kbn- 

Hescowi&j  dans  un  ouvrage  d'une 
plus  grande  étendue,  intitulé  Aduh 


10  ESSAI 

fait  de  son  zèle,  lui  demanda  ce  qu'il  désirait  pour 
sa  récompense ,  lui  assurant  que  sa  requête  lui 
serait  accordée,  quand  même  il  demanderait  une 
partie  du  royaume.  «  Je  demande  au  roi,  dit  Bar- 
zouyeh,  d'ordonner  à  son  vizir  Buzurjinihr,  fils 
de  Bakhtégan,  d'employer  son  talent  et  la  force  de 
son  jugement,  en  même  temps  que  son  savoir  et 
son  imagination,  à  écrire  une  courte  notice  de  ma 
vie  et  de  mes  actions,  pour  être  placée  au  devant 
du  chapitre  contenant  l'histoire  du  lion  et  du  tau- 
reau :  cette  notice  ne  manquera  pas  de  m'élever, 
moi  et  ma  famille,  au  faîte  de  la  gloire,  et  de  per- 
pétuer notre  nom  dans  les  siècles  à  venir,  aussi 
long-temps  qu'existera  le  livre  qui  m'a  procuré  la 
faveur  du  roi !.  » 

La  demande  de  Barzouyeh  lui  fut  accordée,  et 
Burzurjmihr  composa  en  effet  le  chapitre  dans 
lequel  le  docte  médecin  est  censé  parler  lui-même 
et  rendre  compte  de  sa  naissance ,  de  son  éduca- 
tion et  de  sa  vie,  jusqu'à  l'époque  de  son  voyage 
dans  l'Inde. 

Les  rois  de  Perse,  successeurs  de  Nouchirvan, 
firent  conserver  précieusement  dans  leur  trésor 

alArab  ua  al  Foras,  préceptes  de  ■  Kalila  andDimna,  p.  44. — 

conduite  des  Arabes  et  des  Persans.  Silvestrcdc  Sacy,  Mc'm.  hist.,  p.  9. 

(Voyez  le  Mémoire  de  M.  Silvestre  —Extrait  du  Chah-nameh,  traduit 

de  Sacy  sur  le  Djawidan-khired ,  par  M.  de  Sacj ,  dans  le  v  vol.  des 

dans  les  Mémoire»  de  I  Académie  Notice*  et  extraits  de»  manuscrits 

1rs  imeriptions,  II'  série,  tom.  IX,  <le  la  Bibliothèque  du  Roi,  p.  152, 

II*  partie,  p.  I  et  suiv.  ,  \>-  partie. 


SUR   LES  FABLES  INDIENNES.  1  1 

le  Livre  de  Calila  et  Dimna,  jusqu'à  la  destruction 
du  royaume  de  Perse  par  les  Arabes  musulmans, 
sous  le  règne  de  Yezdeguerd  *.  Cent  ans  environ 
après  cette  catastrophe,  au  vme  siècle  de  notre  ère, 
Almansor2,  second  calife  abbasside,  ayant  entendu 
parler  du  Livre  de  Calila  et  Dimna,  conçut  un  vif 
désir  de  se  le  procurer,  et  parvint  à  force  de  recher- 
ches, à  trouver  un  exemplaire  de  la  version  pchle- 
vie, composée  par  Barzouyeh3.  Ce  livre  était  échappé 
par  bonheur  à  la  destruction  presque  complète  de 
la  littérature  persane,  sacrifiée  au  zèle  aveugle  des 
sectateurs  de  l'Alcoran,  dans  le  moment  de  la  con- 
quête *.  Un  Persan,  nommé  Rouzbeh,  plus  connu 
sous  le  nom  d'Abdallah  Ibn-AlmocahV\  et  qui 
avait  abjuré  le  magisme  pour  embrasser  la  reli- 
gion musulmane,  fut  chargé  par  le  calife  de  com- 
poser une  version  arabe  du  texte  pehlcvi,  et  publia 
son  ouvrage  sous  l'ancien  litre  de  Livre  de  Calila 
et  Dimna.  La  traduction  pehlevie,  sur  laquelle  avait 


•  Silvestre de Sacy, Mém.  hist.,  clido.  (Préface  des  contes  inédits 

p.  <).  —  Notices  et  extraits  des  des  Mille  et  une  Nuits,  traduits  par 

manuscrits, X, y.  109. — La  bataille  M.  de  Hammer,  p.  x\j.) 

de  Cadesiab ,  qui  dérida  du   sort  3  Notices  et  extraits  des  manu- 

de  l'empire  persan,  fut  livrée  ci;  scrits,  t.  \,  p.  98,  100. 

l'année  636.  4  silvestre  de  Sacy,  Mém.  hist., 

'  Il  fut  le  premier  calife,  dit  fhis-  p.  9eM0. 
tories  arabe  Massoudi,  qui  ordonna  s  i;t  non  Ïbn-Almocanna,  com- 
te traduire  en  arabe  des  ouvrages  me  on  a  écrit  quelquefois  .  mais  à 
persans  et  grecs,  parmi  lesquels  se  tort.  |  Silvestre  de  Sacy,  Not.  et 
trouvent  le  Calila  et  Dimna,  la  Lo-  r.n.  des  MSS.,  t.  X,  p.  100. — 
gique  cPAristote,  le<  Œuvres  de  Mém.  hist..  p.  10.) 
Ptolémée,  et  \et' Élément  d'Eu- 


12  ESSAI 

travaillé  Abdallah,  se  perdit,  comme  le  peu  de  mo- 
immens  de  la  littérature  persane  échappés,  dans  le 
moment  de  la  conquête,  au  zèle  destructeur  des 
premiers  musulmans,  et  qui  disparurent  pour  tou- 
jours, lorsque  des  traductions  en  arabe  et  en  per- 
san moderne  purent  en  tenir  lieu,  la  langue 
pehlevie  ayant  fait  place  à  l'arabe  et  au  parsi  '. 

11  est  donc  impossible  aujourd'hui  de  savoir  jus- 
qu'à quel  point  Abdallah  a  pu  s'écarter  du  texte 
pehlevi  qui  lui  a  servi  d'original.  Les  manuscrits 
de  la  version  arabe  offrent  d'ailleurs  des  varia- 
tions si  nombreuses,  que  M.  de  Sacy  présume  que 
ce  livre  a  subi  plus  d'une  interpolation 2. 

La  traduction  d'Abdallah  Ibn-Almocaffa  servi} 
de  texte,  vers  la  fin  du  vnie  siècle  de  notre  ère  ,  à 
un  poète  qui  mit  en  vers  le  Livre  de  Calila  et 
Dimna  pour  Yahya,  fils  de  Gialar  le  Barmécide,  et 
lut  richement  récompensé.  Une  autre  version  en 
vers  arabes,  dont  l'auteur  se  nommait  Abdalmou- 
min  Ben-Hassan,  est  intitulée  Dourr  al  liikem  ji 
amisul  alHind  wa  al  Adjem,  c'est-à-dire  les  Perles 
des  sages  préceptes,  ou  Fables  des  Indiens  et  des 


•  Silveslre  de  Sacy,  Mém.  Itist  ,  l'histoire   persane,  et  ses  tradm  - 

p.  O^et,  10.  —  Le  livre  de  Calila  et  lions  ont  été  une  des  sources  dans 

Dimna  n'est  pas  le  seul  qui  ait  été  lesquelles  a  puisé  Ferdoucy,  au- 

traduit  du  pehlevi  en  arabe  par  Abd-  leur  du   grand  poème  du  Chah- 

dlah  Ibn-Almocaffa.   Il  avait  aussi  nameh.  (Silveitre  de  Sacy,  Mém. 

traduit  en  arabe  les  principales  par-  hist.,  p.  13). 

tins,    peut-étrp    même     le  corps  "  Mém.  hitt.,o.  14. 
f-iitior  dp»  anciennes  légendes  df 


-l  1.   I  ES   l  \l-l  ES  INDU  NM  5. 

.-.    I  Ile  doit  contenir  environ   oeuf  mille 
distiques  '. 

Après  avoir  été  traduit  du  pehlevi  ou  persan 

ieo  en  arabe,  le  Livre  de  Calila  et  Dùnti 
de  1    :         a  persan  i      :    ne.  Nasr,  lil>  d'Ahn 
prince  Samanide   qui  régna  >ur  la  Perse  orien- 
tale de  (JU    hégire  301    a  943    hégire  331  .  or- 
donna au  poète  Roudéghi,  qui  vivait  a  ^a  cour,  de 

ire  en  vers   persans  le   Livre  de    Calila  et 
Ditana.  Roudéghi  se  conforma  aux  désirs  de 
maure,  et  DaulefrChah,  biographe  do  rap- 

porteque  l'émir  Nasr  récompensa  son  zèlee4  son 
talent  parle  présent  d'une  somme  de  80,000 
<•(■>  dai  -  ■  travail  de  Roudéghi  est  selontoute 

trence,  aujourd'hui  perdu  *. 
Il  n'enest  pas  de  mêmed'une  célèbre  version  du 
Livre  de  Calila  ei  Dîmna,  en  ;  ver- 

sion ayant  pour  auteur  Àbou'lmaah'  Nasrallafa  . 
qui  vivait   au  xir    si  H 

pour  le  plus  habile  »'t  le  plus  éloquent  des  écri- 
vains  de  soi)  temps5.  Elle  fut  comj  l'ordre 

d'Al  ou'lmodhaJTer  Babram-Chab,  sultan  de  la  dv- 


da  Sarr.  Mm,  Ktst         travail  .  qui  ne  fui  pa>  al 
F  •"•| 

>  Sil\e>tre  lieSai-v.  Mém.hist  .  \  .  .       ,>U  préface 

■t  :.'.'.—  Ab,u  liàzl  Bel-      ,   •  \  II.  de  S 

.  >izir  du  wèmtl  (MMttl  a-         \ot.  et  extraits  I 

nide,  a>aii  char^d  abord  un  au-       }•     - 
•  re  poêle,   nomme   IVkiki . 


I  i  ESSAI 

uastie  des  Gazno vides  l.  Ce  prince  était  un  protec- 
teur zélé  des  sa  vans  et  des  gens  de  lettres,  et  le  li- 
vre lui  est  dédié  par  Nasrallah  -. 

Plus  de  trois  siècles  après,  vers  Tan  900  de  l'hé- 
gire (J.-C.  1494) ,  la  version  de  Nasrallah  fut  ra- 
jeunie par  Hocéin  ben-Ali,  surnommé  Al-Yaëz  (le 
prédicateur) ,  et  qui  est  regardé  comme  un  des 
auteurs  les  plus  élégans  qu'ait  produits  la  Perse. 
Hocéin  ajouta  au  Livre  de  Cal  il  a  plusieurs  fables, 
ainsi  qu'une  introduction  de  sa  composition ,  et 
abandonnant  l'ancien  titre,  il  appela  son  ouvrage 
Anwari-Sohaili ( Lumières canopiques), faisant  allu- 
sion au  nom  de  son  protecteur  Ahmed  Sohaili 5, 
vizir  du  sultan  Abou'lghazi  Hocéin  Béhadur-Khan, 
descendant  de  Tamerlan.  Le  nouveau  traducteur 
trouvait  la  version  de  son  devancier  surchargée 
de  métaphores  et  de  termes  obscurs  ;  mais  malgré 
le  mérite  de  son  livre,  les  ornemens ,  conformes 
au  goût  persan,  qu'il  y  a  prodigués,  perdraient 

'  Bahram  -  Chah  régna  depuis  3  Hocéin  Vaéz,  dans  sa  préface, 

l'an  512  de  l'hégire  (Hl8de  J.-C.»  indique  lui-même  le  sens  figuré  du 

jusqu'à  l'an  548  ou  environ  (1159  litre  qu'il  a  adopté,  en  comparant 

de  J.-C).  —  Le  livre  de  Nasral-  l'émir  Sohaili  a  l'étoile  Sohaïl  ou 

lah  fut  composé,  à  ce  qu'il  parait,  Canope,  dont  le  lever  présage  le 

dans  les  premières  années  de  son  bonheur  et  la  puissance.  Il  adresse 

règne.  iSilveslre  de   Sacy,  Mcm.  a  l'émir  ce  vers  persan  : 

hist.,  p.  -'i"  ■  «Tu    es    vraiment    le  Canope; 

=  M.  Silve>tre  de  Saiy   n  donné  parfont  OU  tu  luis,  partout  où  lu 

dans  le  dixième  volume  <le>  Notices  parais  sur  l'horizon  .  tu  es  le  pré- 

et  extraits  rfesmanuscrits  une  no-  sage  du  bonheur  pour  tous  ceux  sur 

!ice  très  étendue  de  la  version  de  qui  tombe  l'éclat  de  ta  lumière.  » 

Nasi  illnh.  '  ftftm.Mlf.âe  M.  de  Sacy,  p.  44.) 


SI  H  LES  FABLES  INDIENNES.  I  •"• 

peut-être  beaucoup  en  passant  dans  une  langue 
européenne  '. 

Ce  qu'Hocéin  Vaèz  avait  liiit  pour  la  traduction 
de  Nasrallah  ,  on  entreprit  plus  tard  de  le  faire 
pour  la  sienne.  Vers  la  fin  du  xvic  siècle  de  notre 
ère,  l'empereur  de  Delhi  Akbar,  trouvant  que 
YAnwari-Sohdili  d'Hocéin  manquait  parfois  de 
clarté  et  de  précision,  et  qu'il  renfermait  encore 
trop  de  termes  arabes  et  de  métaphores  extrava- 
gantes, ordonna  à  son  vizir  Abou'lfazl  de  le  retou- 
cher,  ou  pour  mieux  dire  d'en  faire  une  nouvelle 
rédaction  -.  Abou'lfazl  obéit  h  l'ordre  de  son  sou- 
verain; son  travail  fut  achevé  en  l'année  999  de 
l'hégire  r>  (1590  de  J.-C.)etfut  public''  sous  le  titre 


•  Lcpassage  suivant,  dont  j'em- 
prunte la  traduction  à  M.  de  Sacy, 
et  qui  est  extrait  de  la  préface 
d'Hocéin  Vaèz,  renferme  le  juge- 
ment de  cet  écrivain  sur  la  version 
de  Nasrallali  ,  et  peut  donner  une 
idée  de  son  style  : 

«  Elle  (la  version  de  Nasrallah) 
est  assurément  écrite  d'un  stylo 
aussi  délicat  que  l'aine  qui  entre- 
tient la  vie,  et  aussi  frais  que  le  co- 
rail agréablement  coloré.  Ses  ex- 
pressMns  ravissantes  sont  comme 
les  gestes  séduisans  des  belles  auv 
lèvres  de  sucre  qui  font  naître  des 
passions  turbulentes,  et  ses  pen- 
sées, qui  raniment  la  vie,  sont 
comme  les  boucles  charmantes  des 
beautés  au  tendre  duvet  qui  capti- 

<' eut  les ctrurs... Cependant,  Comme 
I  auteur  a  employé  dos  termes  peu 
Usttei,    qu'A   a   orné  son  stylé  de 


toutes  les  élégances  de  la  langue 
arabe,  qu'il  a  cumulé  des  métapho- 
res et  des  comparaisons  de  toute 
espèce,  et  allongé  ses  pbrases  en 
les  surchargeant  de  mots  et  d'ex- 
pressions obscurs  ,  l'esprit  de  ce- 
lui qui  entend  la  lecture  de  ce  livre 
ne  jouit  pas  du  plaisir  que  devrait 
lui  procurer  la  matière  qui  y  est 
traitée  ,  et  ne  saisit  pas  la  quintes- 
sence de  ce  que  contient  le  chapi- 
tre qu'on  lit;  le  lecteur  lui-même 
peut  à  peine  lier  le  commence- 
ment dune  histoire  avec  la  fin,  et 
la  première  partie  d'une  histoire 
avec  la  dernière,  [flot,  cl  e.rlr.  des 
i/s.s. ,  t.  Xji»part.p.9&et99).> 

'  Voyez  un  passage  de  la  pré- 
face d'AbouïfazI  ,  cité  et  traduit 
par  M.  de  Sacy  dans  les  Ifottcu 
ei  e.rlr.  des  MSS.  ,  t.  X ,  p.  308, 

3   Not.  et  e.rlr..  t.  \  ,  p.  918 


IG 


!  SSA1 


d' Eyari-danich  (le  Parangon  de  la  science);  mais 
cette  nouvelle  version,  peut-être  plus  conforme  au 
goût  des  musulmans  de  l'Inde,  n'est  pas  moins 
exempte  que  l'autre  des  métaphores  outrées  et 
des  ornemens  bizarres  du  goût  persan  '. 

HocéinYaëz,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  avait  composé 
Y Amvari'Sohaïli  au  commencement  du  xe siècle  de 
l'hégire.  Dans  la  première  moitié  du  même  siè- 
cle, sous  le  règne  de  Soliman  Ier2,  YJiucari-So- 
haill  fut  traduit  en  turc  5,  par  un  professeur  d'An- 
drinople,  nommé  Ali-Tehélébi,  qui  dédia  son  livre 
au  sultan,  et  l'intitula,  en  raison  de  cette  dédicace, 
Homaijoun-nameli  (le  Livre  impérial). 

Long-temps  auparavant,  vers  la  fin  du  xic  siècle 
de  notre  ère,  le  Livre  de  Cailla  et  Dimna  avait  été 
traduit  de  l'arabe  en  grec  4.  L'auteur  de  celle  ver- 


.  Voyez  l'analyse  de  ÏEyari-da- 
nieh,  par  M.  Silvcstre  de  Sacy, 
dans  le  dixième  volume  des  Not. 
et  exlr.  de»  MSS  ,  t.  X,  p.  197 
et  suivantes,  lre  partie. 

>  Silvestrc  de  Sacy,  Mëm.  hist., 
p.  51. 

3  M.  de  Hainmrr  (Journal  asia- 
tique,Ul*  série,  t.  I,  p.  580)  cite, 
d'après  le  Tarikhi-gvzidf&'Hamd- 
nUah  Mestoufi, ,  une  traduction 
mongole  du  livre  de  Calilà  et  Dim- 
na, composée  par  Saïdeddin  Ifli- 
Uhareddin  Mohamed  Abinassr. 

4  n.ins  cette  version  grecque, 
les  noms  de  Calila  et  de  Dimna  ont 
été  changés  en  ceux  de  ÏTeçavmfc 
et  de  'I^/uXot-rr,;,  changement  dû, 


sans  doute,  à  l'erreur  du  traduc- 
teur grec  qui  aura  cru  que  le  mot 
Calila  Tenait  du  mot  iclil ,  qui  si- 
gnilie  couronne,  et  que  dimna  dé- 
rivait de  dimna,  signifiant  vestiges, 
(races.  (Silvestrc  de  Sacy,  Mon. 
hist.  ,  \).  55.  i  On  verra  plus  loin 
quelques  détails  sur  la  traduction 
latine  de  ce  livre  ,  composée  par  le 
P.  Poussiues.  Le  texte  grec  a  été 
publié  ensuite    avec    une   nouvelle 

\er-inn  latine,  a  Berlin,  en  1UU7 
par  Sébast.  Godel*.  Starck  ,  sous  le 
titre  suivant  :  Sjiccivtm  sapicïilia: 
Indorum  veterum,  i.  e.  Liber 
cthno-politicas  diclus  arabice  Ka- 
lila  oue  Dimna,  yraxe  ÏTeçewtwK 
xoù  'l/yr./.izr,:.   Les  prolégomènes 


SCR  LES  FABLES  INDIENNES.         17 

sion,  nommé  Siméon  Seth;ou  plutôl  Siméon,  fils 
de  Seth,  florissait  sous  les  empereurs  Michel  l)u- 
cas,  Nicéphore  Botoniate,  et  Alexis  Comnène.  Il 
paraît  avoir  i';iit  cette  traduction  par  l'ordre  du 
dernier  de  ces  empereurs,  moulé  sur  le  trône 
en  1081. 

On  ignore  la  date  d'une  version  du  Calila  et 
Dimna,  en  langue  hébraïque  ',  composée  sur  le 
texte  arabe,  et  que  le  Florentin  Doni  attribue  à  un 
rabbin  nommé  Joël 2. 

Ce  fut  sur  cette  version  hébraïque  que  Jean  de 


que  Starck  n'avait  pas  donués , 
ne  les  ayant  pas  trouvés  dans  le 
manuscrit  mit  lequel  il  avait  t'ait  son 
édition,  ont  été  publiés  a  part  en 
1780,  a  Upsal,  par  les  soins  de 
P.  l'ai).  Anrivillius.  Il  existe  plu- 
sieurs manuscrits  de  l'ouï  rage  de 
Siméon  Seth  dans  diverses  biblio- 
thèques, et  M.  de  Sinner  i  Préface 
de  Longus.  Paris,  1829;  in-8u, 
p.  xxx)  avait  annoncé  le  projet  d'en 
publier  une  nouvelle  édition.  La 
traduction  de  Siméon  Seth  parait 
être  l'original  d'une  ancienne  ver- 
sion italienne  aujourd'hui  fort  rare, 
et  qui  est  intitulée  Del  governo  de' 
Regnisotto  morali  cs<'ni])j  <li  ani- 
mait ra/jionanti  Ira  loro ,  (ratti 
]>rima  ilalla  lingita  Indiaua  in 
AgarcnadàLelioDemnoSaraceno, 
e  dall'  Agarena  nella  tirera  da  Si- 
mon Seto  filosofo  AnliochenOj  éd. 

ora  tradotti  'lui  GrecO  in  llaliano. 

Ferrara ,  pel  Qfammarelli,  1585. 

IS'oi.et  crir.,  \,  p.  46,  il''  partie.) 
■  Le  patriarche  KUed-Jesu,  dans 


son  catalogue  des  livres  écrits  en 
syriaque,  mentionne  une  version 
dulivredeCSoitlael  Dimna  eu  cette 
langue.  On  peut  consulter  au  sujet 
de  celte  version  syriaque,  aujour- 
d'hui complètement  inconnue  ,  le 
mémoire  historique  de  M.  de  Sacy 
sur  le  livre  de  Calila  et  Dimna, 
p.  55. 

=  SilvestredeSacy  ,  3b/.  et  extr. 
desMSS.,  t.  IX,  p.  401.— La  filo- 
sofia  morale del  Doni.  i  in  Venetia, 
1606,  p.  I  i.  Celle  version  que  Doni 
semble  avoir  eue  outre  les  mains, 
parait  aujourd'hui  perdue.  On  n'en 
connaît  jusqu'à  présent  qu'un  frag- 
ment assez  considérable  qui  l'ait  par- 
tie de  l'ancien  fonds  hébreu  de  la 
Bibliothèque  du  Roi,  sous  le  o  510, 
et  dont  M.  de  Snev  a  donné  l'ana- 
lyse dans  la  collection  que  je  viens 
de  eiler.  Les  noms  de  Calila 
Dimna  ont  été  conservés  dai  - 
version  hébraïque  .  mais  le  ;i 

BidpoX  a  disparu  pour  l'aire  plaie1 

.î  celui  lie  Si  ndabar. 


18  ESSAI 

Capoue,  juif  converti  à  la  foi  ci  1  ré  tien  ne,  composa 
entre  126*2  et  1278  ■ ,  une  traduction  latine  inti- 
tulée Guide  delà  vie  humaine,  ou  Paraboles  des 
anciens  Sages  2.  Cette  version  de  Jean  de  Capoue, 
comme  l'a  remarqué  judicieusement  M.  de  Sacy  3, 
est  d'une  grande  importance  dans  l'histoire  du 
Livre  de  Cailla  et  Dimna ,  parce  qu'elle  est  la 
source  de  laquelle  sont  dérivées  immédiatement 
ou  médiatement  plusieurs  autres  traductions  ou 
imitations  du  même  livre,  écrites  en  espagnol,  en 
allemand,  en  italien,  en  français,  et  peut-être  encore 
en  d'autres  idiomes,  et  que  c'est  probablement  par 
ce  canal  que  se  sont  répandus  les  contes  et  apolo- 
gues qui  tirent  leur  origine  du  Livre  de  Calila  et 
Dimna,  et  qu'on  rencontre  dans  les  recueils  de 
nouvelles  des  xivc  et  xve  siècles  \ 


.  Jean  de  Capoue  déclare  qu'il  a 
entrepris  son  travail  pour  obtenir 
la  prolongation  dcsjours  de  son  pro- 
tecteur le  cardinal  Mathieu,  cardinal 
diacre  du  titre  de  Sainte-Marie  m 
porticu,  et  neveu  du  pape  Nicolas 
III.  Il  avait  été  créé  cardinal  diacre 
en  1  -2(>-j  mi  1263,  et  fut  nommé  ar- 
chiprètre  de  Saint-Pierre  en  1 278,  et 
prolecteur  des  Frères  Mineurs  en 
127".).  Or,  comme  Jean  de  Capoue 
ne  lui  donne  pas  ces  deui  derniers 
titres,  il  est  probable  qu'il  n'en  était 
pas  encore  décoré.  (SilrestredeSacy, 
Not.et  extr.,i.  IX, p. 401.) 

^  Directorium  humaneviîe alias 
parabole  antiquorwn  Sapientwn, 
petit  in  fol.  gothique,  avec  ligures 
en  bois ,  sans  date  ni  lieu  d'impres- 


sion. V.  de  la  Sema  Santander 
(Diction,  ltibliogr.  choisi  du  \ve 
siècle,  t.  II ,  p.  578)  rapporte  cett* 
édition  a  l'an  1480.  M.  de  Sacy  pos- 
sède dans  sa  riche  collection  un 
exemplaire  de  ce  rare  et  précieux 
ouvrage  ,  qu'il  a  bien  voulu  me  com- 
muniquer.  Le  fragment  de  la  ver- 
sion hébraïque  faisant  partie  de  l'an- 
cien fonds  hébreu  de  la  Bibliothè- 
que du  Roi,  sous  le  n.  510,  com- 
mence avec  la  fable  de  l'Homme  et 
les  deux  Femmes  dans  le  troisième 
chapitre  du  Directorium  humane 
vite  ,  au  folio  5  recto  du  cahier  qui 
a  pour  signature  la  lettre  F.  (Not. 
etextr.,  t.  IX,  p.  420.) 

3  flot,  rt  <-.rtr.,\.  IX, p. 598. 

i  On   verra  plus  loin  que  la  tra- 


51  Et  l.KS  FABLES  INDIENNES.  19 

La  version  latine  de  Jean  de  Capoue,  de  même 
que  le  texte  hébreu ,  offre  une  singularité  en  ap- 
parence indifférente,  mais  qui  mérite  d'être  re- 
marquée, c'est  que  le  nom  de  Bidpaï  s'y  trouve 
remplacé  par  celui  de  Sendabar,  ce  qui  a  donné 
lieu  de  confondre  le  Livre  de  Cailla  et  Dimna  ave» 
\q  Livre  de  Sendabad ,  qui  en  est  fort  différent. 
M.  de  Sacy  pense  que  ce  changement  est  dû  à  une 
erreur  de  copiste.  Les  deux  noms  de  Bidpaï  et  de 
Sendabar  s'écrivanten  hébreu  avec  des  lettres  qui 
offrent  quelque  ressemblance,  les  copistes  ont  pu 
en  effet  substituer  au  nom  de  Bidpaï  celui  de  Sen- 
dabar, et  d'autant  plus  facilement  que  ce  dernier 
nom  leur  était  connu  par  le  roman  hébreu  intitule' 
Paraboles  de  Sendabar  '.  Peut-être  aussi,  comme 
nous  le  verrons  plus  bas,  cette  substitution  a-t-elle 
été  faite  à  dessein? 

Parmi  les  versions  du  livre  de  Jean  de  Capoue, 
en  langue  europénne,  je  remarque  d'abord  une 
ancienne  traduction  allemande  intitulée  Exemples 
des  Sages  de  raee  en  race,  ou  Livre  de  la  Sugcsse-. 


duclion  latine  de  Jean  de  Capoue  H  en  existe  trois  publiées  à  Lïm 

n'est  probablement  pas  la  première  en  1483,  1  Wiet  1485;  une  d'Am- 

qui  ait  été  composée.  bour^  ,  datée  de   I  184  ,  et  trois  de 

1  SilvestredeSacy,  Mot.etexlr.,  Strasbourg,  datées  de  1501,  1559 

t.  IX,  p.  403.  et  1545.  Les  gravures  en  bois  don; 

*  Beispiele    (1er     Wuisen  von  lYditioii  de  l-isr>  est  ornée,  parai<- 

geschleehi  su  geschlecht  ou  Das  sent  être  non  pas  une  copie,  mais 

llurh  def   Wvislteil.  La  première  une  imitation  de   Celles  du   Dut; 

édition  es)  sans  date,  et  les  biblio-  torium  humant  vite  de  lean  de 

graphes  la  rapportent  a  l'an  1  i7".  Gapoue,  Celte  édition  a  été  don:.' 


20  ESSAI 

Elle  est  attribuée  au  duc  de  Wurtemberg,  Eber- 
hard  Ier  '  ;  mais,  selon  toute  apparence,  elle  a  été 
faite  par  l'ordre  de  ce  prince,  et  tout  porte  à  croire 
qu'elle  dérive  du  Directorium  hiititàne  vite  de 
Jean  de  Capoue  2.  C'est  encore  à  cette  source  qu'a 
été  puisé  le  livre  espagnol  intitulé  Recueil  d'exem- 
ples contre  les  tromperies  et  les  périls  du  monde  5. 
Cette  dernière  version  n'est  probablement  pas 
la  seule  qui  ait  été  composée  en  espagnol.  L'exis- 
tence d'une  autre  traduction  castillane  plus  an- 
cienne, traduction  faite  sur  une  version  latine  an- 
térieure à  celle  de  Jean  de  Capoue,  et  composée 
sur  le  texte  arabe ,  a  été  signalée  par  le  P.  Sar- 
miento,dans  ses  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
de  la  poésie  et  des  poètes  espagnols  *,  et  par  don 


en  détail  par  A.  G.  Kœstner.  M. 
Schnuner  a  aussi  envoyé  à  M.  do 
Sacy  une  notice  de  l'édition  sans 
date.(2Vof.  et  extr.  (tes  MSS.,  t.  IX, 
p.  437-444.) 

■  CtJprineo  mourut  le  5  juin  1 525, 
après  un  règne  de  plus  de  soixante 
ans. I Biographie  universelle,  t.  LI, 
p.  271.) 

=  Silvestrc  de  Sacy,  Not.  et  exlr., 
t.  IX,  p.  445-446. 

3  Exemplariocontralos  engafio» 
ypeligrosdel  rrvundo.  La  première 
édition  do  ce  BTfeaété  faite  à  Iîur- 
gOS,en  1  49K,in-fol.,  par  Maestro  Fa- 
driqne  Meraan  de  Basilea.  m.  Pol- 
licer  y  Saforcada  qni  on  donne  une 
description  détaillée  dans  son  Essai 
d'une  bibliothèque  des  traducteurs 


espagnols j  indique  trois  autres 
éditions  de  ce  livre  :  deux  publiées 
à  Saragossc  en  1521  et  1547,  et 
une  d'Anvers,  sans  date.  Celte  der- 
nière et  celle  de  1547  offrent  un 
texte  dont  le  style  a  été  corrigé,  cl 
n'ont  point  de  figures  en  bois  Gom- 
me les  doux  plus  anciennes  (Not. 
et  extr.  des  MSS.,  t.  i\.  p.  456) 
Ce  livre  est  de  la  plus  grande  ra- 
reté, et  M.  de  Sacy  n'a  pas  pu  réus- 
sir à  se  le  procurer. 

4  Memorias  para  la  Irisloria  de 
lapoesia  ypoetas  espanoles,  toxno 
primera  de  las  obras  posthumas 
dcl  rcv".  P.  M.  Fr.  Martin  Sar- 
mientobenedictino.  Madrid,  1775. 
— Not.  et  extr.,  l.  IX,  p.  453. 


SI  B  LES  FABLES  INDIENNES.  ±\ 

Rodriguez  de  Castro, qui,  dans  le  premier  tome  de 
Bit  Bibliothèque  espagnole  l,  en  indique  un  manu- 
scrit appartenant  a  la  Bibliothèque  de  l'Escurial. 
D'après  une  conjecture  assez  plausible  du  P.  S;ir- 
miento,  cette  version  castillane  aurait  été  compo- 
sée en  1251  ,  par  l'ordre  de  l'infant  Alphonse , 
depuis  Alphonse  X,  surnommé  le  Sage.  Cette  tra- 
duction castillane  qui  n'a  pas  été  imprimée,  mais 
dont  l'existence  est  suffisamment  constatée  par  le 
témoignage  du  P.  Sarmienlo  et  de  Rodriguez  de 
Castro,  est  d'autant  plus  curieuse  qu'elle  révèle 
une  version  latine  composée  dès  la  première  moi- 
tié du  xiuc  siècle  2. 


i  Bibiioteca  espafiola.  Madrid, 
1786;  in-t. ►!.,  t*>  P",  p.  637  et  638. 

'  Don  Rodriguez  de  Castro,  dans 
M  ootice  il  un  manuscrit  de  cette 
version  castillane,  appartenant  à  la 
Bibliothèque  de  iFseurial,  nous 
apprend  que,  d'après  une  note  qui 
termine  le  manuscrit ,  le  Livre  de 
Calila  et  Dimna  a  été  traduit  de 
l'arabe  en  latin,  puis  mis  en  langue 
vulgaire  [romançado)  par  l'ordre 
de  l'infant  don  Alphonse  ,  lils  du 
roi  don  Ferdinand,  en  1-299 ,  de 
l'ère  d'Espagne,  ce  qui  réponde 
1361  de  J.-C.  Or  cette  date  doit 
être  inexacte,  puisqu'en  P2<>1  Al- 
pliouse-le-Sage  régnait  déjà  depuis 

Bfcul  ans,  comme  l'a  remarque  M.  île 

Sacy.  il  faut  donc  ou  admettre 
qu'il  y  a  faute,  et  lire  1289  (ce  qui 
répsnd  a  1251  de  notre  ère),  ousup- 
poser  que  la  date  de  1299  est  celle 
de  l'époque  ou   le  .manuscrit   i  êl 


copié,  et  non  de  la  rédaction  du  li- 
vre. Le  manuscrit  dont  a  parlé  le 
P.  Sarmicnto,  sur  la  foi  d'un  autre 
il  est  vrai,  portait,  suivant  losavanl 
bénédictin,  la  date  de  1589  de 
1ère  d'Espagne,  qui  répond  a  1351 
de  J.-C,  et  doit,  en  conséquence, 
être  erronée,  parce  qu'à  cette  époque 
il  n'y  avait  pas  un  infant  Alphonse, 
Bis  d'Un  roi  Ferdinand.  Le  P.  Sar- 
micnto croit  donc  qu'il  devait  j 
avoir  dans  le  manuscrit ,  1289,  CC 
qui  répond  à  1251  de  notre  ère. 
(Silvestre  de  Sacy,  Not.  et  ext., 
t.  IX,  p.  433  el  134.) 

On  peut  encore  consulter  au  su- 
jet du  manuscrit  de  l'Lscurial.  l'ou- 
vrage Intitulé  Oeiot  de  Bspafiolei 
BtnigradOS.  Londres,  1826;  t.  V, 
p.  is5.  .le  suis  redevable  de  .  • 
dernier  renseignement  a  l'obli- 
geance de  H.  Ferdinand  Dénie. 


22  ESSAI 

11  y  a  quoique  apparence  que  ce  fut  cette  der- 
nière version  castillane  qui,  à  son  tour,  servit  de 
modèle  pour  la  composition  d'une  traduction  la- 
tine, faite  par  l'ordre  de  Jeanne  de  Navarre,  femme 
du  roi  Philippe-le-Bel.  Au  commencement  du  xive 
siècle,  cette  princesse  chargea  un  savant  médecin, 
nommé  Raymond  de  Béziers  (Raymundus  de  Bi- 
terris),de  traduire  en  latin  un  manuscrit  espagnol  ' 
qui  renfermait  une  version  du  Calila  et  Dimna. 
Raymond  se  mit  à  l'œuvre;  il  n'acheva  son  travail 
que  plusieurs  années  après  la  mort  de  la  princesse 
qui  le  lui  avait  commandé,  et  il  eut  l'honneur  de 
présenter  son  livre  au  roi,  en  1313,  aux  fêtes  de 
la  Pentecôte.  Un  des  deux  manuscrits  de  cet  ou- 
vrage, appartenant  à  la  Bibliothèque  du  Roi,  est 
sans  doute  celui  qui  fut  offert  à  Philippe-le-Bel , 
comme  en  font  foi  la  beauté  de  l'écriture  et  des 
prnemens ,  et  plusieurs  miniatures  renfermant 
des  portraits  du  roi  et  des  princes  de  sa  famille  2. 

Une  traduction ,  en  langue  vulgaire ,  composée 
probablement  sur  la  version  latine  de  Raymond  de 
Béziers,   faisait   partie   de   la   Librairie   du  roi 

■  Si  l'on  en  croit  Raymond  de  de  Jean  de  Capoue.  Voyez  dans  les 

Béziers,  la  version  espagnole  qui  Notices  et  extraits  des  manuscrits 

lui  a  servi  de  modèle  aurait  été  faite  (t.  X,  IIe  partie,  p.  13) ,  la  notice 

d'après   une  autre  traduction  Lé-  de  l'ouvrage  de  Raymond,  par  M. 

braupje;  niais  M.  de  Sacy  pense,  au  Silvestre  de  Sacy. 
contraire,  que  le  livre  de  Raymond         "Ce  manuscrit,  qui  est  intitulé 

décèle  en  plusieurs  endroits  unori-  JAbcr  de  Dina  et  Kalila,  porte  le 

ginal  arabe.  Le  docteur  a  mis  en  ou-  n°  8604. 
tre  à  contribution  la  version  latine 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  23 

Charles  V,  ainsi  que  le  prouve  l'inventaire  de 
Gilles  Mallet  '  ;  mais  ce  manuscrit  est  malheu- 
reusement du  nombre  de  ceux  qui  se  sont  perdus*, 
Quant  aux  deux  ouvrages  que  Gabriel  Cottier 
et  Pierre  de  La  Kivey  s  publièrent ,  le  premier  en 
15565,  le  second  en  1579  '*,  ils  étaient  traduits  de 
deux  imitations  très  libres  du  Calila  et  Dimna , 
ayant  pour  type  la  version  latine  de  Jean  de  Ca- 
poue,  et  composées  par  Ange  Firenzuola  et  le 
Doui,  auteurs  florentins  du  xvie  siècle. 

C'est  en  1644,  pour  la  première  fois,  que  parut 


■  Item  ung  livre  de  Quilila  et  do 
Dymas,  moralités  à  propos  aux  es- 
tais du  mondes  rymé  et  hystorié. 
Lscripl  de  lettre  tonnée  à  deui  cou- 
lombes,  commençant  ou  11°  feuil- 
let qu'il  conviendra  et  ou  dernier 
trembler  pour  sa  mort,  et  est  si- 
gné du  roy  Jehan,  couvert  de  cuir 
vert  à  deux  fermaux  de  laton.  (In- 
ventaire  de  la  Bibliothèque  de 
Charles  V,  chambre  basse,  n°159, 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  du 
Roi,  n"  8354). 

>  La  Rivey  est  beaucoup  plus 
connu  comme  auteur  dramatique, 
et  son  théâtre  est  encore  aujour- 
d'hui recherché  des  curieux.  ("Voyez 
\  Histoire  de  la  poésie  française  au 
seizième  siècle  ,  par  M.  Sainte- 
Beuve.)  Ot\  doit  aussi  à  La  Uivey  la 
traduction  des  Faee'cieuses  uuicts 
de  Straparole. 

3  Plaisant  et  facétieux  discours 
sur  les  animaux.  Lyon  .  1656; 
in-iii.  Cet  ouvrage  est  la  traduction 
de  celui  de  Firqnzuola  qui  est  inti- 


tulé La  prima  veste  de  discorsi 
degli  animait ,  et  qui  se  trouve  à 
la  tête  du  recueil  imprimé  sous  le 
titre  de  Prose  di  M.  Agnolo  Firen- 
zuola, Fiorentino.  In  Fiorenza, 
1348;  in-8°. 

4  Deux  livres  de  filosofie  fa- 
buleuse j  le  premier  prins  des  dis- 
cours de  M.  Ange  Firenzuola,  Flo- 
rentin... le  second,  extraict  des 
traiclez  de  Sandebar,  Indieu,  phi- 
losophe  moral,...  par  Pierre  de  La 
Rivey,  Champenois.  Lyon,  1570; 
in-iG.  La  seconde  partie  do  l'ou- 
vrage de  La  Uivey  est  extraite  de 
celui  de  Doni  qui  a  pour  titre  La 
ftlosofia  morale  del  Doni  traita 
da  molli antichi  scrittori.  Ycnezia, 
155-2;  in-'i".  Wallon.  d;m>  mi  Dis- 

sertation  sur  les  Gesta  romanorutn 
(The  hisioii/  of  cnglislt  poetry. 
Londoii ,  1824  ;  vol,  l,  p.  c<  nviu) 
cite  de  ce  dernier  ouvrage  la  vei 
sion  anglaise  suivante  :  Donietmo- 
r ail  philosophie,  translated  from 
the  indian  longue    1570;  in   1 


±ï 


ESSAI 


une  version  française  des  Apologues  de  Bidpaï , 
faite  directement  d'après  une  langue  orientale. 
Le  Livre  des  Lumières  de  David  Sahid  l  est  la 
traduction  des  quatre  premiers  livres  de  YAnwari- 
Sohaili  (Lumières  canopiques) ,  c'est-à-dire  de  la 
version  persane  du  Livre  de  Calila  et  Dimna  -,  et 
cet  ouvrage  doit  être  signalé  parce  qu'il  a  fourni  à 
La  Fontaine 5  plusieurs  de  ses  belles  fables.  Plus  de 
vingt  ans  après,  en  166(>,  le  P.  Poussines,  savant 
jésuite,  donna,  sous  le  titre  $  Exemples  de  la  Sa- 
gesse desanciens  Indiens  %  une  traduction  latine  du 
Calila  et  Dimna,  composée  sur  la  version  grecque 


■  Livre  des  Lumières,  ou  la  Con- 
duite des  roys ,  composé  par  le 
sage  Pilpay,  indien  ;  traduit  en 
françois  par  David  Sahid  d'Ls- 
pâhan,  ville  capitale  de  la  Perse. 
A  Paris ,  chez  Siméori  Pig  !t,  1644  ; 
petit  in-8°.  M.  de  Sacy  (Notices  et 

r.rlraitsdrs  jtfSS.,  t.  IX,  p.  480) 
pense  que  l'orientaliste  Gaulmin  a 
eu  beaucoup  de  part  a  cette  publi- 
cation. 

L'ouvrage  de  David  Sahid  ou 
de  Gaûlmin  a  été  public  de  nou- 
veau à  Paris,  sans  nom  d'auteur, en 
1698 ,  S'iis  le  titre  suivant  :  Les 
Fables  de  Pilpay,  philosophe  in- 
dien, on  lu  Conduite  des  rois.  Le 
nom  du  traducteur  e-,î  supprimé 
dâi  -  cette  édition ,  ainsi  que  l'èpt- 
ire  dédicatouré  ,  et  le  style  de  l'avis 
an  lecteur  et  il"  la  traduction  a  été 
retouché  souyenl  fort  maladroite- 
ment. Les  mots  Fin  de  la  pre- 
mière partie  ,  qui  terminent  l'é- 


dition de  1044,  ont  été  suppri- 
mési  M .  de  Sacy  (Notices  et  extraits 
>lrs  MSS.,  t.  X  ,  p.  427)  signale 
une  troisième  édition  conforme  à 
la  précédente  et  intitulée  Les  Fa- 
bles de  Pilpay,  philosophe  indien, 
ou  la  Conduite  des  grands  et  des 
petits.  A  Paris  et  a  Bruxelles,  1698; 
in-1-2. 

»  Voyez  ci-dessus,  p.  14. 

3  Les  six  premiers  livres  desFa- 
blesdcLa  Fontaine, dont  iapremière 
édition  est  île  1668,  ne  renferment 
aucune  fable  orientale  ;  c'est  dans 
les  cinq  nouveaux  livres  de  Fables, 
publiés  pour  la  première  fois  en 
lf>7X  et  Ki70,  que  se  trouvent  les 
imitations  de  Bidpaï. 

î  Spécimen  Sapicntiœ  Indorum 
veterum.  Cette  version  latine  esl 
mis6  en  appendice  a  lasuiledu  pre- 
mier volume  île  l'Histoire  j/recque 
de  Michel  Paléologue,  par  Georges 
Pacbvnere.  Home;  1  vol.  in-folio. 


SU!   LES  FABLES  INDIENNES.  -  » 

deSiméonSeth.Le  grandvolume  in-folio  qui  recèle 
ce  travail  n'a  point  échappé  ii  la  curiosité  «lu  l>on 
La  Fontaine,  et  on  trouve  dans  son  recueil  j>lu- 
sieurs  fables  qu'il  n'a  ]>u  puiser  qu'à  celte  source  '. 
La  version  de  Y Homayoun-nameh  -  que  le  oé^ 
lèbre  traducteur  des  Mille  et  Nuits  avait  com- 
posée, ne  parut  qu'après  sa  mort5,  et  ce  ne  fut 


■  Le  Directorium  humanc  vite 
de  Jean  de  Capoue  est  un  livre 
beaucoup  trop  rare  pour  que  l'on 
puisse  croire  que  La  Fontaine  l'ait 
consulté.  Il  est  donc  bieu  plus  vrai- 
semblable que  c'est  d'après  la  ver- 
sion du  P.  Poussines  qu'il  a  com- 
posé plusieurs  fables  dérivées  du 
Calila  et  Dimna,e\  qu'on  ne  trouve 
pas  dans  le  Livre  des  Lumières  qui, 
ainsi  que  je  l'ai  dit  ,  n'offre  que  la 
traduction  des  quatre  premiers  cha- 
pitres de  I'  Inwari-Sohaïli.  La 
Fontaine  entretenait ,  selon  toute 
apparence,  des  relations  avec  le  sa- 
vant Huet,  précepteur  du  dauphin. 
Ce  dernier  s'était  occupé  d'un  travail 
de  comparaison  entre  le  Livre  des 
Lumières  et  la  version  latine  du 
P.  Poussines,  ainsi  que  le  prouvent 
des  notes  de  sa  rnain  écrites  en 
marge  d'un  exemplaire  du  premier 
de  ce--  deui  ouvrages  que  la  Biblio- 
thèque du  Roi  possède  sous  le 
ii''  i:  1063.  H  est  donc  très  possible 
que  La  Fontaine  ait  dû  au  docte 
Huet  l.i  connaissance  du  Spécimen 
SapientioB  Tndorum  retenait  qui 
>e  trouve  comme  noyé  dans  la  col- 
lection des  historiens  byzantins.  Re- 
marquons d'ailleurs  que  les  in-folio 

<  lle-tiadu;  tion-l  ititHNn  j  l'Invu:  al 


pas  la  paresse  duBon-Hommeaulant 
qu'on  pourrait  le  croire,  et  que  c'é- 
tait dans  le  latin  qu'il  lisait  Platon 
avec  tant  de  délices.  M.  UoberU.Es- 
sai  sur  les  fabulistes  qui  ont  pré- 
cédé La  Fontaine,  p.  ccxxu),  avait 
déjà  remarqué  que  plusieurs  sujets 
traités  par  La  Fontaine  ne  se  trou- 
vent pas  dans  le  Livre  des  Lumiè- 
res, mais  seulement  dans  le  troi- 
sième volume  des  Fables  de  Ili'/pa) 
traduites  par  Cardonne,  volume  qui 
n'a  paru  qu'en  1T7.S,  et  il  n'avaii 
pu  expliquer  ce  fail  qu'en  suppo- 
sant quedes  traductions  manuscri- 
tes avaient  été  communiquées  à  no- 
tre fabuliste;  niais  bien  que  je  ne 
veuille  pas  nier  absolument  la  pos- 
sibilité de  communications  de  ce 
genre  .  j"  crois  que  pour  les  Fables 
deBidpal  cette  supposition  est  tout 
à-fail  inutile. 

\  oyez  ci-dessus,  p.  16. 

3  Les  f  "on tes  et  Fables  indiennes 
de  Bidpat  et  deLokman,  tradui- 
tes d'Ali-  TcKëtebi-ben-Salehj  au- 
teur turr;truvrr  posthume ,  JXH 
M.  Galland.  Paris,  1754;  2  vol 
in-12. 

<m  a  remarqué  avec  raison  qui 
ce  titre  n'est  pas  exael .  puisque 
Lokman  n'est  pour  tien  dans  les  f,i- 


2(>  ESSAI 

que  long-temps  après  que  Gardonne  '  la  compléta. 
Enfin  la  série  des  traductions  du  livre  de  Calila 
et  Dimna,  en  langues  européennes,  est  close  par 
une  version  anglaise  ~,  et  par  deux  versions  alle- 
mandes 3,  composées  sur  l'édition  du  texte  arabe 


bles  de  l' Homayoun-namch.Nùs 
ce  n'est  point  l'éditeur  du  livre,  ni 
Galland  lui-même  qu'il  faut  accuser 
de  celte  bévue.  On  lit  dans  le  second 
volume,  p.  257  :  «  Quelques  fables 
de  Lokman,  que  je  vais  vous  con- 
ter, vous  feront  mieux  comprendre 
quelles  sont  les  douceurs  d'une 
amitié  réciproque.  »  M.  Dubeux  , 
mon  ami,  qui  a  bien  voulu,  à  ma 
prière,  examiner  ce  passage  dans 
quatre  manuscrits  turcs  de  l'iîb- 
mayoun-namehj  n'y  a  pas  trouvé 
le  nom  de  Lokman;  mais  il  est  très 
probable  que  par  suite  d'une  inter- 
polation duc  à  l'ignorance  d'un 
copiste,  ce  nom  se  trouvait  dans  le 
manuscrit  que  Galland  avait  sous 
les  yeux. On  remarque,  il  est  vrai, 
dans  Y Homayoxm-nameh  3  de  mê- 
me que  dans  V Anwaiï-Sohaïli , 
dont  le  livre  turc  n'est  qu'une  tra- 
duction, des  fables  étrangères  au 
Calila  et  Dimna;  mais  ce  sont  des 
apologues  qui  ne  font  point  partie 
du  recueil  de  Lokman. 

Le  travail  de  Galland  a  été  repro- 
duit avec  quelques  altérations  dans 
un  livre  imprimé  a  Hambourg,  en 
1750,  et  intitule  labiés  politiques 
et  morales  de  Pilpaï ,  philosophe 
indien,  ou  la  Conduite  dis  grands 
et  des  petits,  revues ,  corrigées  et 
augmentées  par  Charles  Mouton, 
secrétaire  et  maître  de  langue  de 


la  cour  de  S.  A.  S.  et  R.  Monsei- 
gneur l'évêque  de  Lubeck,  duc  de 
Slesvig-Holstein,  etc.  Quoique  ce 
titre  soit  celui  d'une  des  réimpres- 
sions du  Livre  des  Lumières,  M.  de 
Sacy,  qui  a  examiné  l'ouvrage,  a 
reconnu  que  c'est  la  traduction  de 
Galland,  et  non  celle  de  David  Sa- 
bid ,  que  Charles  Mouton  a  repro- 
duite(iVo/.e7  ex/r.,X,p.  450).  Cette 
prétendue  traduction  a  été  l'original 
d'une  version  en  grec  moderne  , 
publiée  à  Vienne  en  1783,  sous  le 
titre  de  M'j6oXo-)".xbv  rAix.o-izoli.Tix.ov 
Tiû  ttikitaUSoç  ;  Iv^cj  cpiXcao'oou,  h. 
~7i;TeùJMr,;  etçTÀvinu.ETepow  Sid'Aix.- 
tcv  jj.sra'yfaaôî'v. 

>  Contes  et  Fables  indiennes  de 
Bidpai  et  de  Lokman  ,  ouvrage 
commettre  par  feu  M.  Galland, 
cotitinuc  et  fini  par  M.  Cardonne. 
Paris,  1778  ;  3  vol.  in-12. 

'  KalUa  and  Dimna  or  the 
fables  of  Bidpai ,  translated  frotn 
the  arabic  by  the  rev.  Wittd- 
ham  Knatehbull.  Oxford,  1819; 
in-lS". 

ZCalila  und  Dimna,  eine  Reihe 
moralischer  und  politischer  Fa- 
beln  des  J'hilosophen  Bidpai,  aus 
dem  arabischen  iiberselzt  von  c. 
II.  Hoimboe. Christiania,  185:2. 

Die  Label n  Bidpai's,  aus  dem 
arabischen  von  Philipp  Ho///. 
Stuttgart,  1837  ;  in-18. 


SLU  LES  FABLES  INDIENNES.  '±~ 

que  M.  de  Sacy  a  publiée  en  181G,  édition  qui  est 

précédée  de  l'excellent  mémoire  historique  que 
j'ai  eu  souvent  occasion  de  citer. 

L'élude  des  productions  de  la  littérature  indienne 
ne  date,  comme  on  sait,  que  des  dernières  années 
du  xviiic  siècle ,  et  ce  n'est  même  que  depuis  vingt 
ans  que  cette  étude  a  fait  de  véritables  progrès  en 
Europe.  Jusqu'au  moment  où  l'on  a  commencé  à 
exploiter  celte  mine  si  riche  et  trop  long-temps 
ignorée,  l'original  indien  du  recueil  attribué  à  L»id- 
paï,  celui  d'après  lequel  le  médecin  Barzouyeh  avait 
composé  le  livre  intitulé  par  lui  Calila  et  Dimna, 
est  resté  enfoui  dans  l'Inde,  et  l'on  aurait  pu  douter 
de  l'authenticité  du  récit  qui  attribuait  aux  Indiens 
l'invention  de  ce  livre,  si  des  détails  offerts  par  le 
livre  même  n'avaient  ôté  foule  incertitude  à  cet 
égard  '.  aujourd'hui  le  doute  n'est  plus  possible  et 
les  travaux  de  l'illustre  Colebrooke  et  du  savant 
M.  Wilson  permettent  de  compléter  l'histoire  de 
cet  ouvrage  célèbre.  L'original  indien  du  Livre  de 
Calila  et  Dimna,  ou  des  labiés  de  Bidpaï,  est  écril 
en  langue  sanscrite  et  intitulé  Pantcha-tantra  (les 
cinq  sections),  ou Pàntcl  opâkhyâna*  (les  cinq  col- 
lections de  contes).  La  rédaction  actuelle  de  ce  livre 


■  SiIm'siic  do  Sacy,  Mém,  hist.  (tonal  translations  by  Boract 
p.  r>-7. — Nui  ires  et  extr.,  t.  X,  Hayman  Wilson.  ( Transactions 
p.  -iô.x,  l"  partie.  of  tlte    royal    Asiatic  suriety    of 

■  Analytical  account  ofthePan-  Great-Britain  and  Ireland.vol.  I. 
eha-tantra illustrated  with  oeea-  London,  W87;  in-  *  .) 


28  LSSA1 

n'est  probablement  pas  très  antérieure  à  l'époque 
où  Chosroès  Nouchirvan  envoya  dans  l'Inde  le 
médecin  Barzouyeh  ,  pour  qu'il  se  procurât  ce 
célèbre  traité  de  morale  et  de  politique  ',  Jusqu'il 
présent  il  n'a  été  ni  publié  en  sanscrit  ni  complè- 
tement traduit  dans  une  langue  européenne.  Seu- 
lement le  savant  indianiste  Wilson  en  a  donné  une 
analyse  avec  quelques  extraits  dans  le  premier 
volume  des  Transactions  de  la  société  asiatique  de 
Londres,  et  M.  l'abbé  Dubois  en  a  publié  à  Paris, 
en  1 826 ,  une  traduction  très  libre ,  composée  d'a- 
près trois  versions  appartenant  aux  langues  vul- 
gaires de  la  presqu'de  de  l'Inde 2. 


>  La  fable  du  premier  livre  du 
Pantcha-lantra  ayant  pour  titre 
le  Crabe  et  la  Cigogne,  renferme 
la  citation  d'un  passage  des  écrits 
astronomiques  de  Varàha-inihira. 
L'illustre  Colebrookc,  dont  les 
orientalistes  déplorent  la  perte  ré- 
cente ,  considère  celte  citation 
comme  la  preuve  de  l'antériorité 
des  écrits  de  l'astronome  à  l'égard 
du  Pantchu-iantru,  et  comme  un 
nouvel  argument  qui  s'ajoute  à 
ceux  qui  l'avaient  déterminé  à 
placer  l'existence  deVaràha-milii- 
ra  dans  le  v  siècle  de  notre  ère. 
(Préface  de  l'édition  de  VHitopa- 
désa  publiée  à  Sirampour,  p.  v  . 
Wilson,  Anàlytical  account  ofthe 
Pancha-tantra ,  p.  163.  — Préface 
du  Dictionnaire  sanscrit.  Calcutta, 
181*.»;  p.  xiv.)  Il  en  résulte  naturel- 
lement que  le  l'mitrha-tantra  a 
dû  recevoir  la  forme  qu'il  a  main- 


tenant vers  la  lin  du  ve  siècle ,  et 
que  la  renommée  de  ce  livre  s'é- 
tait répandue  promptement  hors 
de  l'Inde,  puisque  c'est  dans  le 
siècle  suivant  que  Nourchirvan  le 
lit  traduire  en  peblevi. 

*  Le  Pantcha  -  lanlra  ,  ou  les 
cinq  lluses,  fables  du  Brahme 
Vichnou  -  sarma  ;  Aventures  de 
Paramarta  et  autres  contes  ,  le 
tant  traduit  pour  la  première  fois 
sur  les  originaux  indiens,  par  M. 
l'abbé  J.  A.  Dubois,  ci-devant  mis- 
sionnaire dans  le  Meissour,  etc. 
Paris,  1826;  in-8°. 

«  Le  choix  que  nous  publions , 
dit  M.  l'abbé  1  » u  1  «i > is  dans  sa  pré- 
face, a  été  extrait  sur  trois  copies 
différentes  .  écrites  l'une  en  ta- 
rnoul,  l'autre  en  télougou,  et  la 
troisième  en  cannada,  sous  le  titre 
de  Panlcha-lantra  ,  qui  signifie 
les  cinq  ruses.  Nous  avons  tiré  de 


SUR   LES  FABLES  INDIENNES.  29 

Le  Pantcha-tantra  a  été  plusieurs  l'ois  imité  ou 
abrégé  dans  son  pays  natal,  et  il  n'est  peut-être  pas 
un  seul  des  idiomes  vulgaires  de  l'Inde  qui  n'eu 
possède  une  traduction  plus  ou  moins  exacte.  On 
en  a  cite  deux  imitations  en  sanscrit  même.  L'une 
est  intitulée  Kathâmrita-nidhi  ',  ou  Trésor  de  l'Am- 
broisie des  contes;  l'autre  ,  beaucoup  plus  célèbre 
et  bien  plus  répandue ,  a  pour  titre  Hitopadésa  ,  ou 
Instruction  salutaire.  Le  texte  de  ce  dernier  ouvrage 
a  déjà  été  imprimé  trois  fois  -  ;  et  la  dernière  édi- 
tion ,  due  aux  soins  de  MM.  de  Schlegel  et  Lassen, 
ne  laisse  rien  à  désirer  5.  Deuxsavans  indianistes, 
Charles  Wilkins  *  et  William  Jones8,  ont  publié  cha- 
cun une  traduction  anglaise  de  X Hitopadésa  ,  et 
M.  de  Schlegel  en  promet  une  que  l'on  attend  avec 
impatience.  V Hitopadésa  a  été  traduit  du  sanscrit 
en  persan,  sous  le  titre  de  Mofarrili-alcolouh ,  ou 

cet  ouvrage  tous  les  apologues  qui  en    1810,    n'est   pas  moins  incor- 

peuvent   intéresser  un  lecteur  eu-  recte  que  l'autre. 

ropéen,  el  bous  eu  avons  omis  plu-  i  Hitopadesas,  id  est  institu- 

Mcurs   autres  dont  le  sens  et    la  tio  salutaris.  Tcxlum  corfrf.  mss. 

inorale  ne  pouvaient   être  enlen-  collatis  recensuerunt...  A.  G.,  à 

dus  que  par  le  très  petit  nombre  de  Schlegel  el  Ch.  I.assm.  Bonnœ  ad 

personnes  versées  dans  les  usages  Rhenura,  1839;  in-4 

et  les    coutumes    indiennes    aux-  4  The  Beetapades  <>f  Veeshnoo- 

(juelles  ces  fables  font  allusion.»  sanna...  translated  from  an  an- 

P.  vin.)  dent manuscript  inthe  tantkreei 

iCtAébtook.e,Tranêlationsofth$  Umguage  with  explanatory  notes 

royal  msiatic  tociety ,  1.  I,  p.  12<k».  by  Charles  Wilkins.  Dath ,  i787; 

■■>  La  première  édition  publiée  a  in-8». 

Sirampour  en  1804,  par  Carey,  est  s  Hitopadésa  af  Vishnu-sar- 

trés  fautive  el  ne  se  recommande  man.  (Works  0 f  sir  William  Jo- 

queparune  préface  de  Colebrooke.  nM.Londoa,  1799;  in-4    roi  ¥1. 
!  1  lecodde  qui  a  paru  à  Londres 


VÊlecùmin        I   mjtj  ,  et  cette  demi  sîon 

a  été  Induite  en  hindoustani,   9oas  le  une  de 
Ekhlaki-ll mdi  * ,  ou  Ethique  indienne.   Une  antre 
version  hindoustanie  .  intitulée  Khired- 
VlUtnninateiir  de  f Entendement,  a  été  compos 
en  1803,  sur  VEtjari-danich,  c'est-à-dire  sur  la  tra- 
dw  lit >n  persane  d'Abou'lfazl. 

Après  avoir  énumeré  les  difïërentes  traductions 
<>n  imitations  de  l'original  des  Fables  «le  Bidpai  '. 
est-à-  lire  dm   Pantcha-unUra  .  tant  en  Kan  i 
orientale  qu'on  langue  européenne  .  je  i  rois  à  ; 
de  donner  un  court  précis  de  ce  livn 

1     Pantcha-UuUra,  ainsi  que  l'indique  ^n  titre, 
e>t  divise  en  cinq  sections   précédées  «l'une  in: 
dnction  qui  établit  un  lien  entre  le>  cinq  parties 
de  l'ouvrage.  Chaque  section  se  compose  d*un  i 

gue  principal .  dans  lequel  sont  encadres  d'autres 

<J                           .ie  cet  ouvrage  pri^a.   ar- 

dan>  les  Xotieti                   s  it*  »                   -ardu  Veda.  mais  tout 

manuscrits,  t.  \        39  «.via  est  fort  dou 

•    Vkhlaiji    B               f  Indian  bue»                        I 

•   Calcutta.   '  p.  u.  et 

h                               tke   %Uu-  .  réeis 

'.or  of  the    understanding,  de  I'idiIv».;   du   Pwttcka-tamtrti . 

i'd   ami    prepet  raposee  JM   ■      W    -        I  après 

I     I          v   11   I  i             H    La  BiNiotheqwe 

Calcutta.  1815.  du   I.                    uu  manuscrit  du 

du  nom  de  Bidptri  Pantrka-tantra  en  caractères  ru- 

Kartt,  MÙïi                 jl  (titfas.   nuis,  outre  que  U  lec- 

oe  nom   «lénifie  médecin  eompa-  tare  de  ce  manuscrit  est  très  fali- 

.  la  rapproché  en  coosé-  puante  .   il  offre  une  redacti 

quence  du  mot  MMaU  l'aidya  .  abresee  et  si   différente  de    celle 

qui  suroît  M.Wli         juejen'ea 

i  ■       :  ai  pu  tirer  qu'un  faible 


M  B  il  s  I  iBLES  IHDIElUtl  Si  3i 

apologues  récités  à  l'appui  d'une  moralité  par  i«-s 
personnages  de  la  ÊûSle  principale,  et  Bernés  de  vera 
sentencieux  '. 

Dans  l'introduction*,  Amara-sacti,  r<»i  de  Mi- 
hilaropya3  (Meliapour),  ville  de  l'Inde  méridionale, 
ayant  trois  fils  également  dépourvus  de  savoir  ci 
de  zèle  pour  L'étude,  convoque  ses  conseillers) 

leur  expose  les  inquiétudes  que   font    liailreen  lui 

l'ignorance  et  l'inapplication  <le  ses  enfans,  et  leur 
demande  le  moyen  «le  tirer  les  jeunes  princes  de 


■  J'ai  dit  plus  haut  (  royei  ci- 
dessus,  p.  "  i  qu  étaient 
empruntes  mi  productions  de  la 
littérature  indienne.  Je  forai  re- 
marquera "'tt casion, que  ')'"iv 

des  itam ea  <ln  premier   inre  du 

Pantcha-tantra  '  MS.  taltnga,  Fol. 

i  première  commençant 

pU    lei    m  itl  sanscrits   MOdlpom- 

I  .   la   -or, ni.lc  pu  liini/niila- 

tehdlatuun .  m  retrouvenl  dani  la 
renioii  arabe  da  Calila  et  Dimna, 
presque  sans  aucune  altération,  en 
dépit  do  l'infidélité  ordinaire  dea 
traducteur!  orientaux.  (Voy.  dans 
la  traduction  anglaise  intitulée  ha- 
Ma  and  Dimna  .  p.  89  el  90,  la 
phrase  qui  commence  ;>ar  :  Per- 
aona  wko  hm  t  no  i  m  rgy  of  eha- 
(ait  me  semble  d'au- 
tanl  plus  curieui  ,  nue  les  deux 
itancea   sanscrites   dont  y  parle 

■  ■lit  été  empruntées  par  le  i 

leur  du  Pantcha-tantra  au\  Cmna- 

it   Hlmrtri-llari  ,   frère  du 

^ iki.iin.iiliiv.-i ,  que  lui)  inp 
ifota  réeu  dam  le  tiède  qui 

■  i>n  cédé  notre  ère   Ge  ion1  le- 


stanee-  23  el  26  de  la  seconde 
Centurie.  Voyez  Bhartri-  Harii 
-  i.ricr.  edidii  /'.  à  Bohlen. 
Berolini,  W">  ;  in-4  ,  p.  '»<>.  41 , 
100,  ISG,  1S7.  ;   f>r,  la  pn 

-  deui  itancea .  dans  le  Pan- 
tcha-tantra me  parait  prouver  que 
fourrage  auquel  elles  ont  été  em- 
pruntéea  esl  antérieur  au  r*  siècle 
de  notre  ère,  époque  a  laquelle  m 
présume  que  le  Pantcha-tantra  a 

pu  étr<'  rédigé;   il  esl  permis  .ih,r< 

de  regarder  comme  fondée  l'opi- 
ni , ii  des  Indiens  sur  l'époque  ■>  la- 
quelle \  rrail  Bhartri-Hari. 

>  Wfison,  dnolyiical  aoeounl 
of  tht  Paneha-tantra,  p.  158, 
169. 

i  a  US.  lalinga  <t  l  HUopadé- 
sa.  pi. i' 'ut  la  scène  i  Pdiol(pou- 
tta.  \  ille  ou  l  "ii  reconnatl  la  Po- 
libothra  de   Ifégaslhènes  .    n  si 
dence    du    r^i   Sandracoptus   ou 
Tchandragoupta.  |  Voyei  la  1 1 
de  la  traduction   du  drame  sen« 
•.■m  intitulé  MouJra-Rdh 
j'.n  M    \\  il-,  ii 


32  ESSAI 

cette  mauvaise  voie.  Un  des  conseillers  lui  fait 
l'éloge  du  profond  savoir  du  Brahmane  Vichnou- 
sarma ,  et  l'engage  à  confier  à  ce  savant  homme 
l'éducation  des  jeunes  princes.  Le  roi  mande 
Vichnou-sarma ,  qui  promet  d'apprendre  en  six 
mois ,  aux  lîls  de  son  souverain ,  la  morale  et  la 
politique  (Niti-sâstra). 

Le  docte  Brahmane  prenant  sous  sa  direction 
les  jeunes  princes,  compose,  pour  leur  usage,  les 
cinq  chapitres  du  Panlcha-lantra.  Par  la  lecture 
de  cet  ouvrage,  les  facultés  intellectuelles  de  ses 
jeunes  élèves  s'étant  développées  à  un  haut  degré 
en  six  mois,  le  Pantcha-tantra  acquit  dans  le 
monde  une  grande  renommée  '. 

Le  premier  et  le  plus  étendu  des  cinq  chapitres 
du  livre  sanscrit  est  intitulé  Milra-bhéda,  ou  la 
Rupture  de  V amitié,  et  répond  au  cinquième  cha- 
pitre du  Cailla  el  Dimna  -.  11  a  pour  but  de  mettre 
en  garde  les  rois  contre  les  artifices  et  les  manœu- 
vres perfides  que  des  fourbes  adroits  emploient 
pour  parvenir  à  semer  la  division  entre  un  prince 
et  ses  amis  les  plus  dévoués.  Les  personnages  de 

>  Celle  introduction  ne  se  trouve  mihr,  ministre  de  Nouchirvan.  Ces 

pas  dans  le  Calila  cl  Dimna.  i-Wc  trois  chapitres  sont  en  outre  précé- 

y  est  remplacée  par  un  récit  de  la  dés  d'une  introduction  composée 

mission  de  Barzouyeb  dans  l'Inde,  par  on  auteur  plus  moderne.  J'en 

enquête  du  Livre  de  Calila  et  Dim-  donnerai  plus  loin  un  précis. 
no,  par  une  dissertation  d'Abdal-         *  Kalila  and  Dimna,   p.  82  - 

lahsnrce  livre,  et  par  une  histoire  160. —  Livre  des  Lumières,    I" 

'le  Barzouyeb  attribuée  à  Buzurj-  chap.,  p.  47 — 141.) 


si  R  LES  FABLES  ENDI1  3  I 

l'apologue  principal  sont  le  roi  lion  Pingataca,\e 
taureau  Sandjivaca,  son  confident,  et  deux  chacals 
courtisans  <lu  lion ,  nommés  Carataca  et  Damana- 
ca ,  et  dont  les  noms  ont  été  altérés  dans  la  version 
arabe  en  ceux  de  Cailla  et  Dimua.  Jaloux  de  la 
faveur  de  Sandjivaca,  ces  deux  chacals  réussissent, 
par  leurs  rapports  calomnieux,  à  persuader  au  lion 
que  le  taureau  conspire  contre  lui ,  et  au  taureau 
que  le  lion  en  veut  à  sa  vie.  La  mort  du  malheureux 
favori,  tué  par  son  maître  ,  est  la  conséquence  de 
cette  trahison. 

Les  contes  ou  apologues  encadrés  dans  ce  petit 
draine  sont  au  nombre  de  vingt-six1;  mais  je  ne 
signalerai  ici  que  les  plus  intéressans,  et  surtout 
ceux  dont  <>n  retrouve  des  imitations  dans  les  cou- 
leurs italiens  et  français.  Une  des  premières  his- 
toires intitulée  Aventures  de  Déva-sarma*  se  com- 
pose elle-même  de  plusieurs  ineidèns  ou  épisodes. 
Dans  le  premier"',  Déva-sarma  voit  deux  béliers 


■  Tous  les  MSS.  ne  donnent  pas  duction  de  l'abbé  bubois,  p.  7G)  el 

exactement  l»1  même  nombre.  dans  les  diverses  traductions  orien- 

■■>  \\  ilsiin.  Anal,  accowtà,  p.  162.  taies  de  ce  livre.  <»n  le  retrouve  dans 
—  Kalila  and  J)inoia,p.  10G. —  '  le  roman  dultenart  (Robert,  Essai 
Livre  des  Lumières,  p.  70.  —    .  sur  les  fabulistes  qui  ont  précédé 

Contes  et  Fables  indiennes,  tra-  LoFontaine,  p. civi),  d'où  il  a  passi 

duiles  par  Galland  ri  Car  donne,  dans   un  recueil    intitulé    Food  < 

t.  1,  p. 310.  e'parses,   analysé  par   H.  Robert 

s  M.  Wilson  énonce  l'histoire  de  dans  le  même  Essai  i  p.  icvui).  Je 

Véva-sarma,  sans  en  indiquer  les  rencontre  dans  le  Calila  n  Dimna 

épisodes.  Celui  des  deux  béliers  se  arabe  el  dans  les  versions  pei 

trouve   dans  le  Pantcha-tantra  et  turque,  un  autre  incident  que 

I  1/N.  talinga  ,  toi.  'i  \  erso  ;  —  ira-  n'offre  pas  le  seul  MS.  du  Panteha- 


34  LSSAI 

lutter  avec  tant  de  rage ,  que  la  terre  est  arrosée 
de  leur  sang.  Un  chacal  s'approche  pour  lécher  ce 
sang,  mais,  au  moment  du  choc,  il  se  trouve  pris 
entre  les  têtes  des  deux  béliers  et  écrasé  sur  la 
place.  Le  second  incident  est  un  de  ceux  que  les 
conteurs  français  et  italiens  se  sont  plu  particu- 
lièrement à  reproduire  :  — Une  femme  de  mauvaise 
conduite  est  battue  par  son  mari ,  qui  l'attache  à 
un  pilier  et  se  couche  ensuite  tranquillement.  Lors- 
qu'il est  endormi,  la  prisonnière,  délivrée  par  la 
confidente  de  ses  amours ,  court  h  un  rendez-vous, 
et  son  amie  se  met  à  sa  place.  Au  milieu  de  la  nuit, 
le  mari  se  réveille  et  adresse  de  nouveaux  repro- 
ches à  celle  qu'il  prend  pour  sa  femme.  Furieux 
de  ne  pas  recevoir  de  réponse,  il  coupe  le  nez  à  la 
malheureuse ,  puis  se  recouche  et  se  rendort.  Après 
le  rendez-vous,  la  femme  vient  reprendre  sa  place, 
la  confidente  se  sauve  emportant  son  nez  coupé , 
et  le  lendemain  matin  le  mari  voyant  le  visage  de 
sa  femme  sans  blessure ,  croit  que  c'est  un  miracle 
des  dieux  en  témoignage  de  son  innocence ,  et  lui 
demande  pardon1.  La  femme  au  nez  coupé  rentre 


lanlra  que  j'aie  ;i  ma  disposition.  suivie  par  M.  Dubois  soit  moderne 
C'est  l'histoire  ,  assez  ignoble  du  et  qu'elle  ait  mis  à  contribution  la 
reste,  d'une  vieille  femme  qui  traduction  d'Ali.  (u'ifazl  quiest  assez 
s'empoisonne  elle-même  en  vou-  répandue  dans  l'Inde, 
lant  empoisonner  un  jeune  homme.  ■  Ce  conte  se  retrouve,  plus  ou 
Le  Pcmtcha-tantra  ,  traduit  par  moins  modifié  dans  le  Décaméron 
l'abbé  Dubois .  donne  cette  fable  ;  de  BoccacefVII»  journée,  vm«  non- 
mais  il  est  possible  que  la  version  velle  ;    dans    le  fabliau   des   Che* 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.         35 

chez  son  mari  qui  est  un  barbier.  Le  matin,  le 
barbier  demande  à  sa  femme  la  boite  à  rasoirs; 
elle  lui  donne  un  rasoir  à  la  place ,  et  il  le  lui 
jetle  avee  colère.  Elle  crie  aussitôt  que  son  mari 
lui  a  coupé  le  nez,  et  court  porter  plainte  devant 
le  magistrat,  qui  condamne  le  barbier.  Mais  l)év;j- 
sarma,  qui  a  tout  vu,  parait  et  fait  connaître  la 
vérité  '. 

Le  conte  qui  suit  l'histoire  de  Déva-sarma  roule 
sur  une  fiction  indienne  qui  nous  est  familière, 
grâce  aux  Mille  et  une  Nuits  et  aux  romans  de 
chevalerie.  Un  aventurier  amoureux  d'une  prin- 
cesse, s'introduit  dans  son  palais  au  moyeu  d'un 
oiseau  de  bois,  mis  en  mouvement  par  la  magie  , 
et  se  fait  passer  pour  le  dieu  Vichnou  9.  — La  fable 

veux  coupés,  par  Gaério    (  Fa-  la  traduction  anglaise  ,  composée 
hliau.r  de  Legrand  <r Aussi/.  Pa-  par  M.  Jonathan  Scott). 
ris.  1829;  u>8°  ,  t.  II,  p.  540);  -  Le  Fetâla-yantchaomsati  of- 
(ians  les  Cent  Nouvelles  Nouvelles  fre  un  conte  qui  dérive  évidemment 
(n.  ôS.unc  verge  pour  l'autre);  de  la   seconde  partie  de  celui-ci. 
dans  le  recueil  de  Malcspini  (Nov.  (Voyez  WJ.'//m/ Puchisi,  translate  ; 
xi,);  dans  le  conte  de  La  Fontaine  ,  by  Rajah  Salée- Krishen  Behadw 
iaiitu\èlaGagewedestroisCommè'  Calcutta,  1834;  p.  5  .) 
res;  et  enfin  dans  une  pièce  de  Mas-         •  Le  Vrihat-Kathâ,  ou  grand  ré- 
sinier, intitulée  le  Gardien. ( Voyez  cueil  de  contes,  en   renferme   un 
{'History  of  fiction,  parDunlop,  intitulé  Histoire  de  la  fondation 
t. II,  p.  315.)  On  le  rencontre  aussi  de  In  ville  du  Pdtalipoutra ,  le 
dans    plusieurs    recueils  indiens,  quel  présente  beaucoup  de  rapport 
savoir   :  VHitOpadésa    i  the    lire-  avec  celui  dont  je  viens  de  parler, 

topades,  translatée  by  Wilkins,  ainsi  que  l'on  peut  en  juger  par  la 

p.  i  r»  i  ),  les  Contes  d'un  Perroquet  traduction  allemande  que  m.  Bro- 

i  Ibott-nameft.London,1801;p.98;  ckhaus  en  a  donnée.  (Grilndung 

traduction  française  de  M»  Marie  der  stadt  Patalipatra  und  Gts- 

d' Heures.  Paris,  1826,p.96,)et  le  chichte   der    Vpahosa.    Sanskrit 

Behar-Danisch  (t.  II,  p.  84  de  unddtutseh  von  Hermann  Bror* 


36  ESSAI 

suivante,  intitulée  '  les  Deux  Corneilles  et  le  Ser- 
pent ,  en  renferme  une  autre  ayant  pour  sujet  la 
Cigogne,  le  Crabe  cl  les  Poissons2 ,  et  que  nous  re- 
trouvons en  dernier  lieu  clans  La  Fontaine5,  qui 
l'avait  empruntée  au  Livre  des  Lumières  de  David 
Sahid.  Mais  le  dénouement  et  le  sens  moral  de  la 
fable  indienne  sont  fort  différensde  ceux  de  la  fable 
française.  Dans  la  première,  la  cigogne,  après  avoir 


kaus.  Leipzig,  1855;  in-8°,  p.  5. 
— Voyez  aussi  le  Quarterly  Orien- 
tal Magazine.  Calcutta,  in-8", 
18-2 i;  vol.  1  ,  p.  68).  C'est  évidem- 
ment de  cette  fiction  indienne  que 
dérivent  le  Cheval  enchanté  des 
Mille  et  une  Nuits  ;  l'Histoire  de 
Malék  et  deSchirine  dans  les  Mille 
et  un  Jours;  celle  de  Mazeu  dans 
la  continuation  des  Mille  et  une 
.Yu/fs,  traduite  en  anglais  par  M.  Jo- 
nathan Scott  (London,  1811  ;  vol. 
VI ,  p.  285;  ;  et  celle  du  Labou- 
reur et  du  Char  aérien  dans  l'ou- 
vrage du  même  orientaliste,  intitu- 
lée Taies  anecdotes  and  terrera 
translatai  from  th:>  aiïabic  andthe 
persian.  (Snrewsbury,  1800;  lvol. 
in-8° ,  p.  7.)  La  licîion  du  Cheval 
magique  a  pénétré  de  bonne  heure 
en  Europe  :  elle  fait  le  fonds  du  ro- 
man (te  Clamadès  et  Claremon- 
de,  composé  vers  la  fin  du  im« 
siècle  par  Adencs,  et  on  la  trouve 
aussi  dans  l'Histoire  des  doux  no- 
bles et  vin.  iers  Valeu- 
tin  et  Orst  la  Bibliothè* 
i.iai,  1777,  p.  122 
al  suiv.)  L'idée  de  pouvoir,  avec  le 
la  magie ,  se  transpor- 
ter rapidement  d'un  lieu  dans  un 


autre ,  parait  avoir  singulièrement 
séduit  les  Indiens,  et  presque  tous 
leurs  conteurs  s'en  sont  emparés.  On 
retrouve  un  char  ou  un  cheval  ma- 
gique dans  les  Contes  du  Perroquet 
(trad.  angl.,,  p.  115;— trad.  franc., 
p.  1  Î5)  ;  dans  ceux  du  Vétala  (Bij- 
tal  Puchisi.  Calcutta,  185i;p.55); 
dans  le  Trône  enchanté  (conte  in- 
dien traduit  du  persan  par  Les- 
callier.  New-York,  1817;  t.  1er, 
p.  l'.ll;  ;  et  dans  le  Behar-danich. 
(Voyez  la  traduction  anglaise,  t.  II, 
p.  288.)  Le  fameux  Chevillard  du 
])<>n  Quichotte  est  moins  une  imi- 
tation qu'une  critique  plaisante  de 
la  fiction  orientale. 

1  Les  fables  indiennes  ne  portent 
pas  de  titre  comme  les  nôtres  :  elles 
commencent  toutes  par  une  stance 
de  deux  vers  qui  résume  le  sujet  de 
la  fable  cl  en  énumère  les  person- 
nages. 

=  Wilson,  Anal,  ace., p.  105.  — 
Kal.  and  Ditn.,  p.  115.  —  Livre 
des  Lumières,  p.  92. — ■  Fables  in- 
diennes ,  I  ,  p.  557.  —  Heetopades, 
p.  S  14. 

3  Les  Poissons  ri  le  Cormoran, 
La  Fontaine,  liv.  X,  lab.  4. 


SLK  li.>  FABLES  INDIENNES. 

dévoré  les  poissons,  est  elle-même  étranglée  par 
un  crabe. 

Trois  fables  après  celle-ci,  j'en  rencontre  une 
bien  curieuse,  en  ce  que,  malgré  les  altérations 
qu'elle  a  subies,  il  me  semble  impossible  de  ne 
pas  reconnaître  que  c'est  delà  que  dérive  un  des 
chefs-d'œuvre  de  La  Fontaine  :  les  Animaux  ma- 
lades de  la  peste*.  Une  courte  analyse  suffira  pour 
le  démontrer. —  Un  tigre,  un  corbeau  et  un  cha- 
cal, courtisans  d'un  lion,  admettent,  parmi  eux, 
un  chameau  qu'ils  rencontrent  dans  la  foret.  A 
quelque  temps  de  là,  le  lion  étant  malade  et  de 
grandes  pluies  avant  empêché  les  serviteurs  du  lion 
de  se  procurer  du  gibier,  ils  se  voient  menacés 
de  mourir  de  faim  avec  leur  maître.  Us  pensent 
alors  a  hier  le  chameau;  mais  craignant  (pie  le 
lion  ne  veuille  pas  consentir  à  tuer  un  animal  au- 
quel il  a  accorde  sa  protection,  ils  s'avisent  d'un 
stratagème,  et  viennent,  l'un  après  l'autre,  s'offrir 
au  lion  pour  lui  servir  de  pâture,  ce  qu'il  refuse. 
Le  pauvre  chameau  vient  offrir  à  son  tour  dese 
dévouer  pour  le  salut  commun ,  et  (oui  atissiiùi  !<■ 
tigre  se  jette  sur  lui  et  l'étrangle*. 

•  Liv.  VI,  fab.  1.  La   Fontaine  (loin.  Paris,  1050;  p.  65.)  Philel- 

avaii  probablement  imité  sa  fable  phe,  qui  écrivait  dans  la  première 

de  la  douzième  de  François  Phi-  moitié  du  x y*  siècle,  avait  vrais 

lelphe,  laquelle  est  intitulée  leLoup,  Maniement  puisé  dans  le  i>i 

ir  Renard, et  V  in e.  (Voyez  les  fa-  rium  humant  rite  de  Jean  d 

blés  dr  Philelphe, poète  latin,  tr a-  poue. 
duites  et  moralisées  par  Jean  Bail-  \\\\-  n     t".;1    an      164 


38  ess.u 

Un  peu  plus  loin,  je  trouve  un  autre  apologue 
traité  par  La  Fontaine,  la  Tortue  et  les  deux  Oies  \ 
(  apologue  qui  n'est  pas  sans  quelque  rapport,  ce 
nie  semble ,  avec  celui  du  recueil  ésopique  qui  a 
pour  titre  l'Aigle  et  la  Tortue'2),  et  une  fable  inti- 
tulée l'Eléphant  détruit  par  le  Moineau,  le  Pivert, 
la  Mouche,  et  la  Grenouille  3,  qui  rappelle  la  fable 
si  bien  connue  du  Lion  et  du  Moucheron  4.  Les 
Jeux  fables  indiennes  que  je  viens  de  citer,  of- 
frent assez  de  ressemblance  avec  les  apologues 
ésopiques  que  j'en  rapproche,  pour  que  l'on  puisse 
croire  que  c'est  dans  l'Inde  que  se  trouve  l'origine 
de  ces  derniers.  Les  matériaux  qui  ont  servi  à  la 
composition  du  Pantcha-tantra  sont  évidemment 
beaucoup  plus  anciens  que  ce  livre,  et  il  est  per- 
mis de  supposer  que  quelques  fables  indiennes  on! 
pu,  de  bonne  heure,  pénétrer  en  Perse,  et  de  là 
se  répandre  en  Orient.  Je  n'insiste  point  sur  cette 
hypothèse,  qui  aurait  besoin  d'être  confirmée  par 
études  plus  approfondies  ;  mais  nous  aurons 
encore  occasion  de  remarquer  plusieurs  exemple 

Panlcha-lanira ,  trad.  par  l'abbé  p.  234.  —  La  Tortue  et  les  deu.- 

Dubois,    p.    104.  —  Kalila  and  Canards,  La  Fontaine,  X,  3. 

Dimna,  p.  158. — Livre  des  Lum.,  »  Esope,  M it.de  Cora y,  fable  01, 

p.  lis.  —  Fables  ù  tiennes, t.  Il,  p.  37. 

p.  87.  —  Hcctopadcs,\).  202.  3  Wilson  ,  Anal,  ace,  104.  — 

■  Wilson,  Anal,  ace,  104.  —  Pantcha-tantra  ,    trad.  franc.. 

Pantcha-tantra,  p.  109. — Kal.  p.  85. 

and  D'un.  ,  p.   146.  —  I.iv.  des  4  La  Fontaine,  II,  '.).  —  Esope, 

Cum.,p.  124.  —  Fabl  t  indiennes,  édit.  de  Coray,  fable  146,  p.  SR. 
t.    M  ,   p.    112.     -  //"  topades 


SI  il  LES  FABLES  INDIENNES.  30 

de  rapports  entre  les  fables  indiennes  et  celles  du 
recueil  ésopique. 

Je  passe  trois  fables  d'un  intérêt  médiocre,  el 
que  n'a  pas  reproduites  le  Calila  et  Dimna  ,  <t 
j'arrive  à  un  conte  assez  joli  qui  aurait  mérité  de 
trouver  place  dans  le  livre  arabe.  Un  roi  d'Ayodhyà 
(Aoude),  nommé  Pourouchottama,  devient  la  dupe 
d'un  sramanaca ,  ou  mendiant  bouddhiste,  qui  ac- 
capare toute  sa  confiance  et  lui  persuade  qu'il  a 
des  entretiens  secrets  avec  Indra ,  le  roi  du  ciel. 
Le  premier  ministre  du  prince,  nommé  Balabha- 
dra,  cherche  inutilement  a  le  désabuser.  Un  jour 
le  mendiant ,  pour  convaincre  l'incrédule ,  an- 
nonce qu'il  va  partir  pour  le  ciel,  et  le  roi  avec  ses 
courtisans  l'accompagne  jusqu'à  sa  cellule,  où  il 
s'enferme.  Au  bout  de  quelque  temps,  Balabhadra 
demande  au  roi  quand  doit  revenir  le  saint  homme. 
«  Prends  patience,  dit  le  roi,  le  sage,  dans  ce  cas, 
dépouille  sa  forme  matérielle  pour  revêtir  un  corps 
éihéréavec  lequel  il  est  enlevé  au  paradis  d'Indra.  » 
—  «  Mais  alors,  réplique  le  ministre,  mettons  le 
feu  à  la  cellule,  nous  brûlerons  la  forme  matérielle 
du  saint  homme,  et  votre  majesté  aura  dans  sa 
compagnie  un  personnage  angélique.  Je  puis  vous 
citer  un  exemple  analogue. 

«  La  femme  d'un  Brahmane  nommé  Déva-sarma, 
était  au  désespoir  de  n'avoir  pas  d'enfant  Enfin  . 
par  la  vertu  de  certaines  paroles  magiques,  elle 


40  ESSAI 

devint  grosse  ;  mais  quelle  fut  l'horreur  des  assis- 
tans  lorsqu'au  moment  des  couches,  au  lieu  de 
l'enfant  attendu  avec  tant  d'impatience,  on  vit  pa- 
raître un  serpent.  La  mère  voulut  qu'on  le  gardât; 
elle  le  nourrit  et  l'éleva  avec  soin,  et  finit  par  de- 
mander à  son  mari  de  chercher  un  parti  pour  son 
fils.  Le  Brahmane,  pour  distraire  sa  femme  de  cette 
idée,  lui  proposa  de  voyager.  Il  se  mit  en  route 
avec  elle,  et  par  un  hasard  heureux,  il  rencontra 
un  homme  de  la  même  classe  que  lui ,  qui  con- 
sentit à  donner  sa  fille  en  mariage  au  serpent. 
Déva-sarma  retourna  dans  son  pa^s  avec  la  jeune 
fille  ! ,  le  mariage  eut  lieu ,  et  l'épousée  remplit 
parfaitement  ses  devoirs  à  l'égard  du  serpent  son 
mari,  le  nourrissant  de  lait  pendant  le  jour,  et  le 
tenant  la  nuit  dans  une  grande  corbeille.  Une  nuit, 
elle  vit  paraître  un  homme  dans  sa  chambre  ;  pleine 
d'effroi,  elle  allait  prendre  la  fuite,  lorsque  cet 
homme  lui  fit  connaître  qu'il  était  son  époux,  ce  qu'il 
lui  prouva  en  reprenant  sur-le-champ  sa  peau  de  ser- 
pent, puis  la  forme  plus  agréable  d'un  jeune  et 
beau  garçon.  Le  malin  Déya-sarma,  qui  avait  tout 
observé,  s'empara  de  la  peau  du  serpent  avant 
que  les  ('poux  fussent  levés,  la  brûla,  et  assura  ainsi 
;;  son  fils  la  conservation  de  sa  nouvelle  forme3  ». 

i  Le  'unie  esl  ici  interrompu  par  «  Wilson, .inal.  acc.jp.  165-168. 

un  court  apologue  qui  a  pour  ob-  — Ce  conte  ne  fait  pas  partie  de 

jet  de  prouver  qu'on  ne  peut  pas  ceui  «lu  Calila  ri  JHmna,  niais 

échappera  son  destin.  on  le  retrouve  dans  un  autre  recueil 


.  LES  FABLES  INDU  KNES.  îl 

Le  roi,  persuadé  par  ce  récit,  fait  mettre  le  feuà 
la  cellule,  et  le  misérable  imposteur  périt  dans  les 
liai  un  les. 

La  fable  de  Dharmabouddhi  et  Doucliiabouddhi 
ou  l'Honnête  homme  cl  le  Fripon1,  qui  vient  peu 
après  le  conte  du  Mendiant  imposteur  ,  a  passé 
dans  le  Calila  et  Dimna.  Deux  amis  partent  en- 
semble pour  aller  chercher  fortune  :  l'un  des  deux, 
nomme  Dharmabouddhi  (esprit  honnête),  ayant 
trouvé  une  bourse  de  mille  dinars  2,  dit  à  son  ca- 
marade qu'après  une  si  bonne  aubaine,  il  est  inu- 


indien  dont  il  existe  une  version 
persane.  (Voyez  le  Trône  enchanté, 
traduit  par  Lescallier,  1. 1" ,  p.  \  et 
suiv.)  Selon  toute  apparence,  ii  y  a 
fort  long-temps  que  ce  conte  a  passé 
dans  la  langue  persane,  ei  peut-être 
aussi  dans  la  langue  arabe;  car  sans 
cela,  on  serait  fort  en  peine  pour 
expliquer  comment  on  le  rencontre 

dans  la  nouvelle  des  l-'are'rieuses 
mm7.sdeStraparolcdontvoicileson.- 
mairc:  Galiot  roycP Angleterre  eut 
un  fils  nayporc  lequel  se  mariapar 
trois  foi 's.  e  hii/iui  (  perd  u  sa  peu  u  de 
porc  devint  un  beau  jeune  fils,  qui 
fui  appelé  le  roi'  Porc.  1 1  Ie  nuit,  i"' 

nouvelle.)  Le    novellicre  italien  ;i 

malheureusement  gâté  ce  conte  par 
des  détails  ignobles.  Du  reste ,  les 
circonstances  principales  sontles  mê- 
mes el  l'imitation  n'est  pas  douteuse. 
Ce  <pii  peut  en  outre  ôter  toute  incer- 
titude a  cet  égard,  c'est  que  ce  conte 
n'est  pas  le  seul  que  Straparole  ail 
emprunté  ;i  l'Orient.  Le   Ponte  d  ' 


Med'Aulnoy,  intitulé  lePrinceMar- 
cassin  [Cabinet  <lrs  /'l'es,  t.  IV, 
p.  395),  est  une  imitât ii ai  delà  nou- 
velle italienne.  Ilamilton  a  égale- 
ment mis  à  profil  Straparole,  dans 
l'épisode  de  son  conte  du  Délier,  qui 
est  intitule  Histoire  de  Pertharite 
et  de  Ferandine.  (Voyez  les  Con- 
tes d'Hamilton.  Paris ,  Renouard , 
1820;  t.  I,  p.  1-2.) 

•  Wilson,  Aiml.  arc.,  p.  169. — 
/ia/.  andDim.,  p.  151.  —  Lie  de* 
Lion.,]).  129.  —  Fables  indiennes, 
t.  11.  p.  153.  Cette  fable  est  du 
nombre  de  celles  qui  ont  passé  dans 

le  recueil  de  (unies  el  de  fables  inti- 
tulé Délices  de  Verboquet  le  géné- 
reux; 1623,    in- IX,  p.  41.   On  y 

trouve  aussi  le  conte  du  Nezcoupt 
et   celui  de  la  Vieille  empoison- 
neuse. I  x  oyez   les  contes  III  e|  1\ 
du  même  recueil  ,    et  ci-dessus  p. 

r>r>  el  54.) 

»  Le  dinar  est  une  pièce  d'or  dont 
la  râleur  n'est  pas  bien  connue. 


19 


«  ESSAI 

tile  daller  plus  loin.  Ils  reviennent  tous  deux, 
enfouissent  la  somme  trouvée,  et  conviennent  d'y 
puiser  ensemble  au  fur  et  à  mesure  de  leurs  be- 
soins. Le  lendemain,  le  second  compagnon,  nommé 
Doachiabouddhi  (cœur  pervers),  va  déterrer  les 
dinars  et  les  emporte.  Quelques  jours  après,  il  va 
trouver  son  camarade  et  lui  propose  d'aller  en- 
semble puiser  au  trésor  commun.  A  la  vue  de  la 
place  vide,  le  fripon  accuse  l'honnête  homme,  qui 
l'accuse  aussi  de  son  côté,  et  tous  deux  vont  porter 
leur  plainte  devant  le  tribunal.  «  Avez-vous  un  té- 
moin, demandent  les  juges? — Je  n'ai  pour  témoin, 
répond  l'honnête  homme,  que  l'arbre  auprès  du- 
quel a  été  fait  le  dépôt,  et  j'espère  qu'il  rendra  té- 
moignage de  la  vérité.  »  Les  juges  consentent  à 
venir  le  lendemain  sur  les  lieux;  le  fripon  va 
trouver  son  père  et  l'engage  à  se  placer  dans  l'ar- 
bre, dont  le  tronc  est  creux,  afin  de  déclarer  que 
Dharmabouddhi  est  le  coupable.  Le  père,  qui  ne 
goûte  nullement  ce  moyen ,  conseille  à  son  fils 
de  songer  aux  inconvéniens  que  cette  ruse  pré- 
sente, et  raconte  à  ce  sujet  la  fable  d'une  cigogne 
qui ,  ayant  attiré  une  mangouste  pour  détruire  un 
serpent  dontle  voisinage  l'incommodait,  fmitpar  en 
être  victime  '.  Le  fils  insiste  et  le  père  a  la  faiblesse 


■  Celte  fable  ne  se  trouve,  à  ce  on  ne  la  lit  pas  dans  l'édition  de 
qu  il  paraît,  dans  presque  aunin  H.  de  Sacy  ;  mais  la  version  persane 
manuscrit  du Calt'laei  Dimna,  car      d'IIocéin Vaei  (voyeï  le  Ltvre  des 


SUR  LLS  FABLES  INDIENNES.  i3 

<le  se  prêter  à  ee  qu'il  désire.  Le  lendemain,  le  juge 
se  rend  sur  le  lieu  de  la  eontestation,  l'arbre  rend 
témoignage  contre  l'honnête  homme  qui ,  soup- 
çonnant quelque  supercherie,  fait  mettre  le  feu  a 
l'arbre.  Le  malheureux  qui  s'y  était  caché  ,  sort  à 
demi-brûlé  en  confessant  la  vérité,  et  le  voleur  est 
conduit  en  prison  '. 

Après  celte  histoire,  on  trouve  la  jolie  fable  des 
rats  qui  mangent  le  fer  et  des  faucons  qui  enlèvent 
les  cnfans2,  si  connue  sous  le  titre  du  Dépositaire 
infidèle.  La  fable  qui  termine  le  premier  livre  du 
Pantcha-tantra  a  pour  sujet  le  Fils  du  roi  et  ses 
compagnons  5,  mais  elle  diffère  entièrement  de 
celle  qui  porte  le  même  titre  dans  le  Calila  et 
Dimna.  Un  des  incidens  de  la  première  est  peut- 
être  le  type  de  celle  de  X  Anwari- Sofia  ili,  intitulée 
le  Jardinier  et  l'Ours  {.  Un  singe  domestique  veu 
chasser  une  abeille  qui  s'obstine  à  rester  sur  le 
front  du  fils  du  roi  qui  est  endormi,  et  n'y  pouvar 
réussir,  il  prend  I'épée  de  son  maître  et  coupe  en 

Lumières,  p.  152)  et  la  version  la-  positaire   infidèle,    La   Fontaine, 

tine  de  Jean  de  Capoue  la  donnent.  IX,   1.  — Une  imitation  de  cette 

(Voyez.  Firenzuola  ,  Diteorti  degli  fable  se  trouve  dans  un  autre  re- 

animali;  in  Fiorenza,  1548,  in-8°,  cueil  indien.  (Voyez  le  Touthi-iit. 

fol.  47  verso.  — et  Larivcy.  Deux  mrli,  OU  tesCbftfcl  (Pwi  Pcrroi/ur 

Uvresdefil080fitfab\tleuse,pA5A.)  p. 35  de  la  trad.  angl.,etp.  67  d'* 

•  .u.s.  talinga,  fui.  10  verso,  el  la  trad.  française. 

fol.il  recto.  3  wilson,   fatal,  arc,  169. 

«  Wilson,   Anal,  ace  ,  109. —  î  Livreurs  Lumières, p,  ! 

Kal.  and  Dim. ,  p.  ir>G. —  Livre  VOwtt  al  V  Amateur  des  jardins, 

det  l.um.    p.  \7,i.  —  Fable»  in-  La  Fontaine  liv.  VIII  fab.  10 
diennet,  I    II,  p,  186.       1  <  />< 


44  ESSAI 

deux   du    même  coup  et  l'abeille  et  la  tête  du 
prince. 

Le  deuxième  chapitre  du  Pantcka-tantra,  intitulé 
Mitra-prâpti ,  ou  Y  Acquisition  des  Amis,  répond 
au  septième  chapitre  du  CalUa  et  Dimna  arabe  , 
et  au  troisième  de  la  version  persane  et  de  la 
version  turque  l.  L'objet  de  ce  chapitre  est  de  dé- 
montrer les  avantages  de  l'association  et  de  faire 
voir  que  les  êtres  faibles  doivent  s'unir  entre  eux, 
par  les  liens  d'une  amitié  sincère,  et  s'entr'aider 
dans  les  circonstances  difficiles.  Les  personnages 
du  récit  principal  sont  un  rat,  une  corneille,  une 
gazelle,  et  une  tortue,  qui ,  en  se  prêtant  un  mutuel 
secours,  parviennent  à  se  tirer  d'affaire.  La  fable 
de  La  Fontaine  intitulée  le  Corbeau,  la  Gazelle, 
la  Tortue,  et  le  Rat  -,  n'est  autre  chose  qu'une  inri- 

«JSfaï.andDt'm., 192-216. — Idv.  sous  le  titre  du  Muletier.  Dans  ce 
des  Lum.,  cil.  III,  192-233. — Fa-  petit  conte,  la  femme  d'un  mar- 
bles  indiennes, ch. in,  t. II, p.  260  chand,  ayant  une  liaison  amou- 
h  guiv.  Ce  chapitre  devrait  être  le  reuseavec  an  peintre,  convient  avec 
sixième,  niais  le  rédacteur  du Calila  celui-ci  d'un  signal  pour  leurs  en- 
et  Dimna,  après  le  cinquième  chu-  trevues.  t  n  esclave  du  peintre  dé- 
pitre,  en  a  iuséréun  qui  est  proba-  ,",lx''1'  l'intrigue  et  trouve  moyen 
blement  de  sa  composition  ,  et  qui  de  prendre  la  place  de  son  maître, 
renferme  le  jugement  du  chacal  en  se  couvrant  de  ses  habits,  sans 
Dimna,  dont  les  rapports  calom-  que  la  femme  se  doute  de  rien.  Par 
nieui  ont  porté  le  lion  à  tuer  son  l'a-  malheur,  le  même  jour,  le  peintre 
vori.  i  n  il<"-  contes  de  ce  chapitre,  va  faire  le  signal  convenu  pour  de- 
intitulé /_/>  Peintre ,  la  Femme  du  mander  un  rendez-vous,  ce  <pii 
marchand,  et  l'Esclave  {Eal.  and  amène  une  explication  entre  lui  e! 
Dim.,  p.  165)  offre  quelques  rap-  sa  maîtresse;  il  (liasse  son  valet, 
ports  avec  le  premier  incident  delà  et  cesse  toute  liaison  avec  la  femme 
ne  nouvelle  de  la  in  journée  du  «lu  marchand.  (Voyez le  Livre  des 
Décam  anue  par  l'imita-  Ewnièi  i  p.  167.) 
tion  que  La  Fontaine  en  a  composée  in    XII,  fab.15. 


M  R  LES  FABLES  INDIENNES.  I  i 

tation  abrégée  de  ce  chapitre,  composée  d'après  le 
Livre  des  Lumières  de  David  Sahid,  cl  dont  les 
fables  accessoires  ont  été  élaguées.  La  première 
des  {aides  de  ce  chapitre  du  Panlcha-iantra  est  celle 
d'un  oiseau  à  deux  becs,  dont  l'un  jaloux  de  l'au- 
tre qui  refuse  de  partager  avec  lui  du  nectar,  avale 
du  poison,  et  (ait  périr  l'oiseau  '.  L'apologue  bien 
anciennement  connu,  intitulé  les  Membres  et 
l'Estomac ,  offre  quelque  ressemblance  avec  cette 
faltle.  Le  Cailla  et  Dirnna  ne  la  donne  point,  mais 
on  y  trouve  celle, qui  a  pour  sujet  le  Chasseur,  la 
Gazelle,  le  Sanglier,  cl  le  Chacal  -,  de  laquelle  dé- 
rive en  dernier  lieu  celle  de  La  Fontaine  qui  est 
intitulée  le  Loup  et  le  Chasseur7'.  La  dernière  des 
huit  Tables  de  ce  chapitre  ',  celle  de  l'Éléphant  dc- 
livréde  ses  liens  par  un  rat 5,  est  peut-être  le  type 
de  l'apologue  ésopique  du  Rat  et  du  Lion  (i. 


■  Wilson,  Anal,  ace, p.  171.  —  l'estimable  vie  dePàoini  (  legram- 

Pantcka-tantra,  Irad. franc., p.37.  mairien)  fui  détruite  par  un  lion, 

*  wilson,  Anal,  ace,  p.  172. —  qu'un  éléphant  tua  le  sage  Djaimini 

fiai.  "'"/  Hit».,  p.  5103.  —  l.iv.  quoiqu'il  eût  composé  la  MimansA, 

desLum., p.  216.— .FoMes. indien-  et  qu'un  alligator  dévora,  sur  le 

nés,  t.  II,  p.  292.  —  Heetopades,  borddelamer.l'harmonieui  Pingala 

p.  66.  (auteur  du  premier  traité  de  proso- 

3  Liv.  VIII,  lab.  27.  die.  Quelle  estime  des  botes  féroces 

h  m.  wilson  dans  son  analyse  ci  --ans  raison  peuvent-elles  faire 

rite  un  passage  de  ce  chapitre  qui  du  génie?  » 

.' :ii    allusion  a   des  traditions   eu-  5  Wils"ii,  Anal.  OCC. ,  p.  172,  — 

rieuses  et  peu  connues.  Le  voici  :  Pantcha-tantra  ,    trad.   franc.  . 

-  Celui  qui  dit  :  .  le  suis  plein  d'ai-  p.  42. 

mablee  qualités  et  personne  no  doit  GBsop»,  édit,  i\c  Coray.   Fa- 

■  re  portée  me  faire  de  mal  -  tient  ble  217,  p.  140.  —  La  Fontaine, 

un  propos  ridicule.  On  raconte  que  H  M 


46  ESSAI 

Le  troisième  chapitre  du  Pantcha  -  tantra  est 
intitulé  Kâkoloûkika,  ou  l'Inimitié  des  Corbeaux  et 
des  Hiboux.  Il  correspond  au  huitième  chapitre  du 
Calila  et  Dimna  arabe,  et  au  quatrième  de  la  ver- 
sion persane  d'Hocéin  Vaëz  et  de  la  version  tur- 
que !.  Le  but  moral  du  principal  apologue  est  de 
faire  connaitre  le  danger  de  se  fier  à  des  inconnus 
ou  à  des  ennemis  qui  se  couvrent  du  masque  de 
l'amitié.  Le  roi  des  corbeaux,  jaloux  de  celui  des 
hiboux,  forme  le  projet  de  détruire  ses  ennemis  , 
et,  pour  y  réussir  plus  sûrement,  il  charge  un  de 
ses  conseillers  intimes  de  s'introduire  parmi  les 
hiboux.  Le  corbeau  y  parvient  au  moyen  d'une 
ruse  qui  rappelle  l'histoire  de  Zopyre.  Dépouille'' 
de  ses  plumes ,  couvert  de  sang  ,  il  est  trouvé  au 
pied  d'un  arbre  par  des  hiboux  qui  le  conduisent 
à  leur  roi.  Le  nouveau  venu  gagne  la  confiance  du 
roi  des  hiboux  en  dépit  des  efforts  de  ses  ministres, 
et  il  fait  connaitre  aux  corbeaux  les  moyens  de 
détruire  leurs  ennemis ,  qui  finissent  par  être 
étouffés  dans  la  caverne  qui  leur  sert  de  demeure. 

La  deuxième  fable  de  ce  chapitre,  intitulée  le  Liè- 
vre, le  Moineau,  et  le  Chat  -',  a  fourni  à  La  Fontaine, 
par  l' intermédiaire  de  David  Sahid,  une  de  ses 


■  liai,  and  Dim.,  210-258.  —  -  WilspO,  Anal,  arc,  p.  175.  — 

Liv.  dus  Lum.,  ch.  iv,  p.  23S-286.  fiai,  and  Dim.,  p.  226.  —  Mo. 

—  Fables  indiennes,  cb.  iv,  t.  II,  des  l.uiu.,  p.  264. —  Fables  t'n- 

p,  3l6el  (tiennes,  t.  II.  p.  342. 


SLR  LES  FABLES  INDIENNES. 

])lus  jolies  fables  '.  Elle  est  suivie  d'un  conte  ass< 
comique  qui  est  arrivé  jusqu'à  nos  recueils  de  l'a- 
(('lies.  Trois  fripons  rencontrent  un  Brahmane 
chargé  d'une  chèvre  qu'il  vient  d'aeheter  pour  un 
sacrifice ,  el  ils  parviennent  a  lui  persuader  que 
c'est  un  chien  et  non  une  chèvre  qu'il  porte  sur 
ses  épaules.  Le  pauvre  Brahmane  croit  que  ses 
yeux  sont  fascinés,  et  craignant  d'être  souillé  par 
le  contact  d'un  animal  immonde  ,  il  abandonne  sa 
chèvre  que  les  voleurs  emportent  -. 

Le  cinquième  apologue  du  même  chapitre3  est 
un  des  plus  jolis ,  et  surtout  il  est  curieux  en  ce 
qu'il  nous  offre  le  type  du  charmant  conte  de  Se- 
necé,  intitulé  la  Confiance  perdue.  Un  Brahmane 
s'etant  un  jour  endormi  sous  un  arbre  ,  rêve  qu'il 
voit  un  serpent  à  large  tête  roulé  sur  une  fourmi- 
lière à  quelque  dislance.  En  se  réveillant ,  il  conclut 
du  songe  qu'il  vient  d'avoir ,  que  le  serpent  est  la 
divinité  du  lieu ,  et  qu'il  réclame  son  tributVl'ado- 
ration.  Aussitôt  il  fait  bouillir  un  peu  de  lait,  le 


>  Le  Chat,  la  Belette,  rt  le  petit  devis  et  plaisons  cont' s,  par   lr. 

lupin;  La  Fontaine,  VU,  1(5.  sr  du  Moulinet  ,  comédien.  Paris, 

•  Wilson, Anal. ace., p.  175.  —  Techener,   1829;   in-18,    p.    se. 

and  Dim. ,  p.  25j.  —  Liv.  (Comment  l'espiègle    gaigna   par 

l.uin.  ,  p.   'i.Vi.  —  Fables  in-  gageure  le  drap  d'un   paysan.)  — 

nnes,i.  il,  p. 347.  —  Heeto-  on  le  rencontre  encore  dans  les 

paries,  p.  261.  -  Ce  petit  conte  se  («nies  tartateaût  Gueulette,  qui 

retrouve  dans  les/ inveiciist.suuicts  l'avait  emprunté  à  StrapaTole.  [Ca- 

du  seigneur  Slraparole  (  I|c  Nuit,  binet  des  Fées,  t.  XXII,  p.  109, 

in    nom.;  édition  de  1 7 "2<i,  in-12,  5  Wilson.  AnalytieaX   OCO> 

t   I'  '.  p.  'i7i,  et  dans  les  l'acecieux  p.  17('-:~ 


I  SS A 1 

porte,  dans  un  vase,  auprès  de  la  fourmilière  ,  et 

adresse  au  serpent  son  oblation.  Le  lendemain,  il 
est  aussi  étonné  que  satisfait  de  trouver  un  dinar 
ii  la  place  du  lait,  et  tous  les  malins  même  bonne 
fortune.  Malheureusement  (Haut  un  jour  forcé  de 
s'absenter  ,  il  chargea  son  fils  de  présenter  l'obla- 
tion  à  sa  place.  Le  jeune  homme  ayant  trouvé  le 
lendemain  matin  un  dinar  comme  à  l'ordinaire , 
en  conclut  que  la  fourmilière  était  pleine  de  pièces 
d'or,  et  que  le  moyen  de  s'emparer  dé  ce  trésor 
était  d'en  tuer  le  gardien [.  Sarmant  d'un  bâton,  il 
guetta  le  serpent ,  et  le  frappa  sur  la  lëte  pendant 
qu'il  buvait.  Mais  il  manqua  son  coup,  et  l'animal 
Curieux  mordit  le  jeune  imprudent  qui  mourut  sur 
la  place.  Le  Brahmane  à  son  retour  apprit  ce  mal- 
heureux événement2,  et  se  rendit  a  la  demeure  du 
serpent  pour  essayer  de  le  fléchir;  mais  ses  prières 
furent  inutiles  :  le  serpent  lui  défendit  de  jamais 
revenir,  et  lui  donna  comme  dernière  consolation 
un  joyau  d'un  grand  prix.  Le  Brahmane  prit  le 
joyau,  mais  pensant  combien  sa  valeur  était  au 
I résous  de  ce  qu'il  aurait  pu  gagner  par  un  hom- 


■  L'indication  d'un  trésor  don-  intitula  Sigurd,  tradition  épique 

née  par  la  présence  d'un  serpent  est  selon  l'Edda  et  les  Mbclungs. 

une  superstition  répandue  chez  les  a  La  fableest  ici  interrompue  par 

Indiens,  et  que  l'on  retrouve  chez  un  court  apologue  ayant  pour  but  de 

les  peuples  du  Nord.  Voyez  dans  prouver  que  la  mort  du  jeunehomme 

i  Revue  de»  Deux  Monde»  «lu  1"  esl  une  juste  punition  de  sa  mau- 


1832,  l'article  de  M.  Ampère,      vaige  action. 


SI  B  LES  FABLES  INDIENNES.  49 

mage  assidu,  il  ne  cessa  de  déplorer  l'imprudence 
de  son  fils  j. 

Parmi  les  autres  apologues  du  troisième  cha- 
pitre, je  remarque  le  Mari,  la  Femme,  et  le  Vo- 
leur-, jolie  fable  si  agréablement  contée  par  La 
Fontaine,  et  la  Souris  métamorphosée  en  fille*, 
que  l'on  retrouve  encore  chez  lui  avec  plaisir.  La 
fable  du  Livre  des  Lumières,  dont  celle  de  La  Fon- 
taine offre  une  traduction  exacte,  est  parfaitement 
conforme  à  celle  du  Calila  et  Dimna,  mais  celte 
dernière  diffère  beaucoup  de  la  fable  sanscrite  ori- 
ginale. En  effet,  dans  le  Panlcha-tanlra ,  la  souris 
changée  en  fille  par  un  Brahmane,  trouve  des  ob- 
jections à  tous  les  partis  qu'on  lui  propose,  jus- 
qu'au moment  où  elle  aperçoit  un  rat;  alors  le 
naturel  la  porte  à  prier  son  père  adoptif  de  le  lui 
donner  en  mariage.  En  lisant  la  fable  de  La  Fon- 

•  Wilson,. 1/irW. «ce, p.  176-178.  indien  se   retrouvent  dans  celui-ci 

Ce  joli  conte  fait  partie  du  recueil  et  dans  celui  de  Marie  de  France. La 

de  Marie    de    France,    poète   du  fable  ésopiqne  intitulée  le  Serpent 

xme  siècle,  dont  Legrand  d'Aussy  et  le  Laboureur  (édit.  de  Coray, 

a  analysé  les  meilleures  fables,  et  fab.  141,  p.  85)  est-elle  une  rédac- 

dont  M.  Roquefort  a  donné  le  leite  lion  traditionnelle  et  altérée  de  ce 

original.  (Voyez  pour  celle  fable-ci  conte?  Je  sciais  porté  a  le  croire, 
les  Fabliaux    traduits  par  Le-         »  Wilson,  Anal,  ace.,  p.  178. — 

grand  of Aussy, t.  rV, p. 389,  édit.  Bal.  atui  Ditn.  ,  p.  237.  — Iàv. 

de  1829,  elles  Poésie*  de  Marie  des  Lum., p. 359. — Fàblesindien- 

>ie  France,  t.  II.  p.  -2<>7.j  Ces  deux  nés,  t.  II,  p.  355.  —  La  Fontaine. 

publications  étant  postérieures   à  IX, 15.    Délices  deVerboquet^Ji. 
Senecé  ,  j'ignore  où  il  a  puisé  son         3  Wilson,  Anal.  are.,  p.  178.  — 

conte  intitulé  La  Confiance  perdue.  Sol.  and  Ditn.,  p.  244.     -  Liv. 

ou  le  Serpent  mangeur  de  Èaïmak  des  Lum.,  p.  279.     Fables  indien- 

et  le  Pure  son  pourvoyeur.  Les  nés,  t.  Il,  p.  586.  —  La  Fontaine 

principales  circonstances  du  conte  IX,  7. 

4 


50  ESSA[ 

laine ,  on  verra  quels  sont  les  détails  étrangers  que 
le  rédacteur  de  l'ancienne  version  persane  a  intro- 
duits dans  l'apologue  original;  et,  ce  qui  mérite 
d'être  remarqué ,  c'est  que  ces  modifications  dé- 
rivent d'une  source  indienne  :  on  en  retrouve 
l'idée  dans  un  chapitre  du  grand  poëme  indien 
intitulé  Harivansa  '. 

Le  quatrième  chapitre  du  Pantcha-tantra estin- 
ùluïé  Labdlia-pranasana,  ou  De  (a  perte  des  choses 
acquises,  et  correspond  au  neuvième  chapitre  du 
Calila  et  Dimna  -,  où  les  douze  fables  de  l'original 
indien  sont  réduites  à  deux.  L'apologue  principal, 
dont  les  personnages  sont  un  singe  et  un  animal 
aquatique  fWhulpnx,  nommé  makara ,  a  pour  objet 
de  prouver  qu'on  perd  souvent  par  imprudence 
un  bien  acquis  avec  peine.  Parmi  les  douze  fables 
de  ce  chapitre,  je  remarque  d'abord  un  conte  qui 
l'ait  voir  que  les  femmes  indiennes,  en  dépit  de 
l'espèce  de  servitude  à  laquelle  les  condamne  le 

■  Harivansa, traduit parM. Lan-  souris,  et  l'ermite,  par  le  pouvoir 

glois.    Paris,   1835;   in-'*",  t.   Il  de   sa  dévotion,  change  la    sou- 

p.  180.  Voyez  aussi ,  au  sujet  d'une  ris    en    chat  :  le    nouveau    chat 

tradition  juive  qui  semble  se  rap-  ayant  ensuite  peur  du  chien  de  l'er- 

porter  a  cet  apologue,  V Estai  sur  mite,  est  changé  en  chien,  puis  en 

les  fabulistes  qui  ont  précédé  La  tigre.  L'ingrat  animal  veut  proliler 

Fontaine, par  M.  lioberi,  p.  eewu.  de  sa  force  pour  tuer  son  bienfai- 

-  L'Hitopadésa  offre  une  fable  leur,  qui,  d'un  mot,  lui  rend  sa 

qui   diffère  beaucoup  de  celle  du  forme    primitive.     (  Heetopades  , 

Pantcha-tantra.  Une  souris  tom-  p-  245.) 

bicdu  bec  d'une  corneille  est  ra-  Kàl. andDim.,p.  258-208! — 

massée   par  un  ermite  charitable;  Fables   indiennes,  eh.  v,  t.   III, 

mais  le  chat  veut  dévorer  la  pauvre  p.  l-'il 


si  R    LES   FABLES   INDIENNES.  51 

législateur  suprême  Manon1,  sont  bien  souvent 
les  maîtresses  au  logis,  et  soumettent  leurs  maris 
à  leurs  caprices.  Le  ministre  Vararoutchi  souffre 
qu'on  lui  rase  la  tête  pour  plaire  à  sa  femme  ;  son 
royal  maitre  Nanda  laisse  la  sienne  lui  mettre  une 
bride  dans  la  bouche,  et  sa  capricieuse  moitié, 
montant  sur  son  dos,  le  force  à  la  promener  ainsi 
en  hennissant  comme  un  cheval  "1. 

La  fable  qui  suit  rappelle  l'apologue  ésopique 
bien  connu  de  V  Ane  velu  de  la  peau  du  Lion  5. 
Un  blanchisseur  ,  propriétaire  d'un  ane,  le  cou- 
vre de  la  peau  d'un  tigre,  pour  effrayer  ceux  qui 
viennent  dans  son  champ  ;  mais  l'âne  se  trahit 
par  son  braiment ,  et  il  est  battu  par  les  g^n^  du 
village  '. 

Je  trouve  un  rapport  frappant  entre  l'apologue 
qui  vient  après  celui-ci ,  et  la  fable  ésopique  intitu- 
lée la  Proie  et  l'Ombre.  La  femme  d'un  villageois 
abandonne  son  mari  pour  suivre  un  galant,  et 
emporte  avec  elle  tout  ce  qu'elle  possède.  Arrivée 
au  passage  d'une  rivière,  elle  se  laisse  persuader 

>  Voyez   les   Lois   de    Manou,  p.  16),  sous  le  titre  du  Vizir  selle 

liv.  IX,  st.  2  et  3.  Les  draines  qui  et  bridé,  et  le  Lai  d\irislotc  a  sans 

nous  dévoilent  la  vie   intérieure.  doute  la  même  origine.  (Voyez  les 

nous  offrent  un  tableau  un  peu  en  Fabliaux  traduits  par  Leyraml 

contradiction  avec  les  ordonnances  d'Aussi,  t.  I„ p. 2*73-281,  édit.  de 

•lu  législateur.  de  1829.) 

'  C'est  de  ce  conte  (pie  dérive  3  La  Fontaine,  V  ,  -21.  —  Esope, 

••■lui  que  Cudonne  a  publié  dans  cdil.de  Coray.  lab.  258,  p.  169. 
Mi  Vélemgu  de  littérature  orien-  ,  Wilson,  Anal.  «ce. .p.  181. 
taie    'Paris.    1770;    in- 12.    t.    I, 


32  ESSAI 

de  confier  à  son  amant  son  avoir  et  ses  vêtemens 
pour  les  porter  de  l'autre  coté,  après  quoi  il  vien- 
dra la  chercher.  Le  misérable,  au  lieu  de  tenir  sa 
promesse,  se  sauve  en  emportant  le  paquet,  et  la 
pauvre  femme,  ainsi  abandonnée,  voit  venir  un 
chacal ,  ayant  un  morceau  de  viande  à  sa  gueule. 
Le  chacal  apercevant  un  poisson  au  bord  de  l'eau , 
dépose  ce  qu'il  tient  pour  s'emparer  du  poisson  ; 
mais  cette  nouvelle  proie  lui  échappe,  et  un  vau- 
tour emporte  le  morceau  de  viande.  La  malheu- 
reuse femme  ne  peut  pas  s'empêcher  de  rire  de 
cet  accident,  et  le  chacal  lui  dit  :  «  Votre  conduite 
n'a  pas  été  plus  sage  que  la  mienne  ;  car  vous  êtes 
ici  nue  sur  1©  bord  dâ  l'eau ,  et  vous  n'avez  ni  mari 
ni  galant l.  » 

Le  cinquième  et  dernier  chapitre  est  intitulé 
Aparîkcliita- kâiiliva,  ou  la  Conduite  inconsidé- 
rée, et  a  pour  but  de  montrer  le  danger  de  la  pré- 
cipitation. Il  correspond  au  dixième  chapitre  du 


■  Wilson,  Anal.  ace. ,  p.  181.  C.  F.  Matthœi.  Lipsise ,  1781  ; 
—  Il  est  à  remarquer  que  la  rédac-  in-8° ,  p.  22.)  La  même  remarque 
tion  ordinaire  de  l'apologue  du  s'applique  à  la  fable  de  Lokman,in- 
Chicn  portant  un  morceau  de  titulée  Le  Chien  et  le  Milan.  (Fa- 
viande  s'éloigne  un  peu,  pour  les  blés  de  Loqman ,  surnommé  le 
détails,  de  la  fable  indienne  (voyez  Sage,  traduites  de  Varabe  par 
VEsopedc  Cora;/ Jab.ïOV.V.  135),  M.  Marcel.  Paris,  1805;  in-18, 
et  que  le  rapport  est  bien  plus  sail-  p.  125.)  L'apologue  du  Ciiien  qui 
lant  dans  la  même  fable  du  recueil  lftche  sa  proie  pour  l'ombre  est  cité 
grec  attribué  ,i  Syntipas.  Miapz  comme  exemple  dans  la  vie  de  Bar- 
Syntipœ  philosophi  persœ  fabulœ  zouych  duCa/i7a  et  Dimna.  (Eal. 
LXIl ,  grœcè  et  latine;     edidit  and  lHm.,  p.  76.) 


SUR  LES  FABLES  IMHI.wi  i  j'ili 

Cailla  ei  Dimna\  ou  les  douze  fables  de  Forigi* 
nal  se  trouvent  réduites  à  deux. 

Ce  livre  commence  par  une  fable  dont  voici  le 
précis,  et  à  laquelle  se  rattachent  toutes  les  autres. 

Un  banquier,  nommé  Manibhadra  ,  malgré  sa 
bonne  conduite  et  son  attention  à  s'acquitter  de  ses 
devoirs  religieux,  perd  tout  ce  qu'il  possédait  par 
un  revers  de  la  fortune ,  et  prend  la  résolution  de 
se  laisser  mourir  de  faim.  Pendant  la  nuit,  le  dieu 
des  trésors  lui  apparaît  sous  la  forme  d'un  men- 
diant de  l'ordre  àesDjaïnas,  et  l'engage  a  ne  pas  se 
désespérer.  «  Tu  as  toujours  honoré  les  dieux,  lui 
dit-il,  et  je  ne  t'abandonnerai  pas  :  demain  matin 

je  me  présenterai  à  toi  de  nouveau  sous  le  COSlmilc 

que  lu  vois  ;  prends  un  bâton ,  frappe-moi  sur  la 
tète ,  et  je  me  changerai  en  un  monceau  d'or.  » 

Le  lendemain  matin ,  le  banquier  se  rappelant 
cette  apparition ,  attend  impatiemment  le  person- 
nage annoncé  par  son  rêve.  Enfin  il  parait,  et 
après  un  coup  de  bâton  donné  par  Manibhadra  ,  le 
mendiant  est  changé  en  un  tas  «l'or.  Un  barbier 
que  la  femme  du  banquier  avait  fait  venir  pour  lui 
faire  les  ongles,  ayant  tout  vu,  s'imagine  sottement 
qu'il  suffît  de  frapper  sur  la  tête  d'un  mendiant 
djaina,  pour  obtenir  le  même  résultat  En  effet ,  il 
se  rend  au  couvent  voisin,  attire  chez  lui  plusieurs 


•  Kal.tmd  />/)/(..  p.  -_>r,.s--27.->.      !••  nr.o. 
Fablet  indiennes, ch   vi.  t.  III, 


."i  ESSAI 

religieux  sous  un  prétexte,  et  lorsqu'ils  sont  arri- 
vés, il  leur  donne  à  tous  de  grands  coups  de  bâ-, 
ton  sur  la  tête  ;  quelques  uns  tombent  morts  sur  la 
place,  les  autres  se  sauvent  en  jetant  les  hauts 
cris  ,  et  on  arrête  le  barbier  qui  est  condamné  à 
être  pendu  '. 

Le  deuxième  apologue  du  même  livre,  nous  offre 
un  récit  depuis  long-temps  populaire  en  Europe. — 
Une  mangouste2,  chargée  de  la  garde  d'un  jeune 
enfant,  se  jette  sur  un  serpent  qui  se  glissait  dans 
la  chambre  et  le  déchire  à  belles  dents.  La  mère 
qui  rentre  peu  de  temps  après,  s'imagine,  à  ia  vue 
du  sang  dont  l'animal  est  couvert,  qu'il  a  dévoré 
l'eiifanl .  et  tue  la  pauvre  mangouste  5. 

Une  fable  assez  plaisante  que  je  rencontre  un 
peu  plus  loin  est  peut-être  le  type  du  conte  si  connu 
des  Trois  souhaits.  —  Un  tisserand ,  nommé  Man- 
thara,  ayant  eu  son  métier  brisé  par  accident,  prit 
sa  hache  pour  aller  couper  du  bois ,  et  trouvant 
un  gros  arbre  sur  le  bord  de  la  mer,  il  se  disposa 


■  Wilson,  Anal,  ace,  p.  182. —  ,  La  mangouste  (Viverramungo) 

Pantcha-tantra,    trad.    franc.,  est  un  animal  du  même  genre  que 

p.  217.  —  Hcetopades,  p.  215.  —  l'ichneumon  des  Egyptiens. 

Contes  d'un  Perroquet ,  p.  148  de  3  Pantcha-tanlra ,  trad.  franc., 

la  trad.  angl.,  et  p.  217  de  la  Ira-  p.    206.  —  Wilson,  Anal.   ace. , 

duction    française.     —   L'histoire  185.  —  Kal.  and  Dim.,  p.  268. — 

du  derviche  Abounadar,  qu'on  lit  Fables  indiennes,  t.  III,  p.  43.  — 

dans  les  Contes  orientaux  du  comte  Ce  conte  se  trouve  dans  le  Livre 

de  Caylus,  est  une  imitation  de  cette  de  Synlipas,  d'où  il  a  passé  dans 

f;ible.  (Voyez  le  Cabinet  des  Fées,  le  fiowan  des  sept  Snr/es. 
vol.  \W,  p,  |50. 


SLH  LES  FABLES  INDIENNES.  •>•"> 

i  rabattre.  Gèt  arbre  servait  de  demeure  à  un  gé- 
nie ,  qui  s'écria  au  premier  coup  de  hache  :  «  Holà, 
cet  arbre  est  mon  logis,  et  je  ne  le  puis  pas  quitter. 
parce  que  je  respire  ici  la  brise  fraîche  de  la  mer.  » 
—  «  Mais  si  je  n'ai  pas  de  bois  pour  faire  un  autre 
métier ,  dit  le  tisserand ,  ma  famille  va  mourir  de 
faim.  »  —  «  Demande  toute  autre  chose  que  cet 
arbre,  répond  le  génie,  et  tu  seras  satisfait.  »  Notre 
homme  retourne  chez  lui  et  rencontre  le  barbier 
de  son  village ,  qui  cherche  à  lui  persuader  de  sou- 
haiter d'être  fait  roi.  La  femme  du  tisserand  le  dé- 
tourne de  ce  projet ,  et  lui  conseille  au  contraire 
de  garder  son  ancien  état ,  mais  de  demander  au 
génie  d'avoir  deux  télés  et  quatre  bras,  afin  de  faire 
le  double  de  besogne.  Le  malheureux  a  l'impru- 
dence de  suivre  ce  mauvais  conseil;  il  va  trouver 
le  génie  qui  exauce  son  souhait  ;  mais  à  son  retour, 
les  gens  du  village,  le  prenant  pour  un  lutin,  se 
jettent  sur  lui  elle  tuent  !. 

L'histoire  du  liràhmane  Soma-sarma  ~  qui  suit 
celle-ci ,  rappelle  celle  d'AInasehar  ,  frère  du  bar- 
bier, dans  les  Mille  et  une  Nuits  ,  ainsi  que  la  Lai- 
tière et  le  Pot  au  la  il  '. 


i  Wilson,  Anal,  ace, p.  193.  On  — Fables  indiennes j  i.  tu.  p.  50 

verra  plus  loin,  dans  I  analyse  du  —  Heetopadei,  p.  J'i7. 
/.ii  ic  de  Syntipas ,  les  imitations         3  Bonaventnre  Des  tvriors .  les 

de  ce  tonte.  Contes  ou  les  Nouvellesre'cre'at  ions 

WiUoii,  Anal,  arc.  p.  11)5. —  rt  joi/cit.r devis.   .Nom.  \in  .   I     1 

Panteha-tanira,  traduct.  franc     •    p.  141  .  édit.  de  i7r>.">;  in-12.  — 

p.  208.      liai,  and  Dim.,  p.  209.  La  Fontaine,  H?.  VII,  l'ai»   10 


56  h  >wi 

Un  Brahmane  avare,  nomme  Sonia-sarma , 
avait  recueilli  en  aumônes,  pendant  le  jour,  uni' 
jarre  pleine  de  farine.  En  rentrant,  il  pendit  cette 
jarre  à  un  clou,  immédiatement  au  pied  de  son  lit , 
afin  de  ne  pas  la  perdre  de  vue.  Pendant  la  nuil 
il  s'éveilla  ,  et  se  livra  aux  réflexions  suivantes  : 
«  Cette  jarre  est  pleine  de  farine  ;  s'il  survient  une 
disette,  je  la  vendrai  au  moins  cent  pièces  de  mon- 
naie. Avec  cette  somme  j'achèterai  un  bouc  et  une 
chèvre  ;  ils  feront  des  petits,  et  je  gagnerai  assez 
en  les  vendant  pour  me  procurer  une  couple  de 
vaches.  Je  vendrai  leurs  veaux  et  j'achèterai  des 
buffles  ;  avec  le  produit  de  mon  troupeau,  je  fini- 
rai par  avoir  un  haras  dont  je  tirerai  des  sommes 
considérables,  et  je  ferai  bâtir  une  belle  maison. 
Je  deviendrai  alors  un  homme  d'importance ,  et 
quelque  personne  opulente  viendra  m'olfrir  sa  fille 
en  mariage,  avec  une  riche  dot.  J'en  aurai  un  fils 
que  j'appellerai  de  mon  nom,  Soma-sarma.  Lors- 
qu'il commencera  à  se  t rainer,  je  le  prendrai  sur 
mon  cheval  en  le  plaçant  devant  moi;  aussi  lors- 
qu'il m'apercevra,  il  ne  manquera  pas  de  quit- 
ter le  giron  de  sa  mère  et  de  venir  à  moi.  J'appel- 
lerai sa  mère  pour  qu'elle  vienne  le  reprendre,  et 
comme  elle  ne  m'obéira  pas,  étant  occupée  des 
soins  de  son  ménage,  je  lui  donnerai  un  coup  de 
pied.»  En  disant  cela,  il  allongea  le  pied  avec  tant 
«le  violence  qu'il  cassa  la   jarre,  et    la   farine  s  Y- 


SliH   LLS  FABLES  INDIENNES.  57 

tant  répandue,  se  remplit  de  terre  el  <le  pous» 
sière,  de  sorte  qu'elle  lut  Complètement  perdue. 
Toutes  les  espérances  de  Soma-sarma,  s'évanoui- 
rent au  même  instant. 

Un  des  derniers  contes  présente  quelques  rap- 
ports avec  la  rencontre  que  fait  Sindbad  du  vieil- 
lard de  la  mer  pendant  son  cinquième  voyage  l. 
Un  ràkchasa  ou  mauvais  génie,  habitant  d'un  bois, 
arrête  un  jour  un  pauvre  Brahmane  qui  passait 
tranquillement  son  chemin,  et  se  plaçant  sur  ses 
épaules,  il  lui  ordonne  de  continuer  ainsi  sa  route. 
Le  Brahmane  épouvanté  n'oppose  aucune  rési- 
stance, mais  s'apercevant  que  les  pieds  de  son  in- 
commode compagnon  de  voyage  sont  d'une  mo- 
lcsse  extraordinaire,  il  lui  en  demande  la  cause, 
et  apprend  que  le  génie  a  fait  vœu  de  ne  jamais 
marcher.  En  passant  auprès  d'un  étang  le  génie 
ordonne  a  son  porteur  de  le  déposer  pour  qu'il 
fasse  ses  ablutions,  et  de  l'attendre  fidèlement.  Le 
Brahmane  obéit;  mais  pensant  que  son  maître  est 
hors  d'état  de  le  poursuivre  ,  il  cherche  son  salut 
dans  la  fuite2. 

Le  cinquième  chapitre  du  Pantcha-tantra  est 

«  Voyez  la  traduction  <les  Mille  duction  française  de  M.  Garchi  de 

et  une  .\iu7s,par  Galland  (83«  el  Tassy,  p.  2<i'i.i.  el  le  roman  É*oor- 

M'-  Nuits).  gien    de    THiriani .    analysé    pai 

•  Wflson,  Anal,  ace,  p.  100.—  M.  Brosse!  dans  le  Journal  aria 

Voyea  aussi  lé  roman  hindouslani  tique  *!«■  novembre  1855 
des  Iventunt  </<■    Kamrvp  (trn- 


.M>8  ESSAI 

le  dernier  de  l'ouvrage.  Le  Brahmane  Viehnou- 
sarma  demande  alors  aux  princes,  ses  élèves,  s'ils 
sont  suffisamment  instruits?  Les  princes  répon- 
dent qu'ils  sont  imbus  de  tous  les  devoirs  d'un 
souverain ,  et  le  roi ,  charmé  de  l'instruction  ac- 
quise par  ses  fils  dans  le  cours  de  six  mois,  com- 
ble le  docte  Brahmane  de  biens  et  de  faveurs  \ 

Le  Pantcha-lantra,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  fait  obser- 
ver, a  subi  de  grandes  modifications  en  passant 
dans  les  autres  idiomes  orientaux.  La  version  arabe 
intitulée  Calila  et  Dimna,  composée  elle-même  sur 
l'ancienne  version  pehlevie  de  Barzouyeh,  par 
Abdallah  Ibn-Almocaffa,  offre  plusieurs  chapitres 
entièrement  étrangers  à  l'original  sanscrit,  et  sur 
lesquels  il  est  à  propos  de  donner  quelques  dé- 
tails. En  tête  du  Calila  et  Dimna  se  trouve  une 
introduction  attribuée  à  un  personnage  appelé 
Behnoud,  fils  de  Sahwan,  et  plus  connu  sous  le  nom 
d'Ali,  lils  d'Alchah  Farezi.  M.  de  Sacy  ne  la  croit 
pas  fort  ancienne ,  se  fondant  sur  ce  qu'elle  ne  se 
trouve  ni  dans  la  version  persane  de  Nasrallah, 
ni  dans  la  version  grecque  de  Shnéon  Seth ,  ni 

1  La  traduction,  ou  plutôt  l'ex-  que  dans  le  Pantcha-lantra  san- 

Iraildu  Pantcha-lantra  public''  par  scrit  :  plusieurs  apologues  étrangers 

M.  I  alibi-  Dubois  (voyez  ci-dessus,  au  même  livre   ont  été  introduits 

p.  -28,  note),  diffère  notablement  dans  les  versions  en  langue  vulgaire 

de  l'analyse  de  M.  Wilson.  Dans  le  que  M.  Dubois  a  suivies,  et  d'autres 

premier  chapitre  où  Tanlia,  qui  est  apologues  de  l'original  ont  été  sup- 

vpul  traduit  avec  quelque  (''tendue,  primés,  c'est  une  rédaction  çqm- 

l' ordre  de*  râbles  n'est  pas  \c  même  plètemenl  différente. 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  39 

dans  la  traduction  hébraïque  attribuée  au  rabbin 
Joël  !.  Voici  en  peu  de  mots  la  substance  de  cette 
introduction,  d'après  la  traduction  abrégée  qu'en  a 
donnée  M.  de  Sacy. 

Alexandre  ,  après  avoir  soumis  les  rois  de  l'Oc- 
cident, tourna  ses  armes  victorieuses  vers  l'O- 
rient et  triompha  de  tous  les  souverains  de  la  Perse 
et  des  autres  contrées  qui  osèrent  lui  résister.  Dans 
sa  marche  pour  entrer  dans  l'empire  de  la  Chine, 
il  fit  sommer  le  prince  qui  régnait  alors  sur  l'Inde, 
et  qui  se  nommait  Four,  de  reconnaître  son  auto- 
rité et  de  lui  rendre  hommage.  Four,  au  lieu  d'o- 
béir, se  prépara  a  la  guerre.  Après  un  long  com- 
bat, dans  lequel  la  victoire  fut  chèrement  disputée, 
l'armée  indienne  fut  mise  en  déroute ,  et  son  roi 
périt  de  la  main  d'Alexandre.  Celui-ci  mit  ordre 
aux  affaires  du  pays,  et  après  en  avoir  confié  le 
gouvernement  à  un  de  ses  officiers,  qu'il  établit 
roi  a  la  place  de  Four,  il  quitta  l'Inde  pour  suivre 
l'exécution  de  ses  projets.  Mais  à  peine  fut-il  éloi- 
gné que  les  Indiens  secouèrent  le  joug  et  se  choi- 
sirent pour  souverain  un  homme  de  la  race  royale, 
nommé  Dabchelim.  Lorsque  le  nouveau  souverain 
se  vit  affermi  sur  le  trône,  il  exerça  sur  ses  sujets 
une  tyrannie  sans  bornes.  11  y  avait  alors  dans 
celle  partie  de  l'Inde,  un  Brahmane  nommé  l>id- 

Wi  moiré  historiqui    p.  15, 


60  ESSAI 

pai,  qui  jouissail  d'une  grande  réputation  de  sa- 
gesse, et  que  chacun  consultait  dans  les  occasions 
importantes.  Ce  Brahmane  chercha  par  ses  con- 
seils à  ramener  Dabchelim  à  la  vertu  ;  mais  le  roi, 
indigné  de  sa  témérité,  le  lit  jeter  dans  un  cachot. 
11  s'écoula  un  long  espace  de  temps  sans  que  Dab- 
chelim pensât  a  Bidpai.  Une  nuit  qu'il  cherchait 
inutilement  à  se  rendre  compte  de  quelque  pro- 
blème relatif  aux  révolutions  des  astres ,  il  se  res- 
souvint de  Bidpai ,  se  repentit  de  son  injustice,  et, 
faisant  venir  le  Brahmane ,  il  lui  ordonna  de  lui 
répéter  ce  qu'il  lui  avait  dit  la  première  fois.  Bid- 
pai obéit,  et  Dabchelim,  après  l'avoir  écouté  avec 
attention,  lui  déclara  qu'il  voulait  lui  confier  l'ad- 
ministration de  son  royaume.  L'administration  de 
Bidpai  fut  heureuse,  et  Dabchelim  désirant  ensuite, 
à  l'exemple  des  rois  ses  prédécesseurs ,  attacher 
son  nom  à  quelque  célèbre  ouvrage  de  morale, 
chargea  le  savant  conseiller  de  composer  un  livre 
qui  contint  les  préceptes  les  plus  importans  de  la 
sagesse.  Bidpai,  voulant  satisfaire  le  roi ,  se  livra 
pendant  un  an  à  la  méditation  avec  un  de  ses  dis- 
ciples et  produisit  ensuite  le  Livre  de  Calila  et 
Dimna  '. 

Après  cette  introduction,  vient  le  chapitre  iuti- 
tùU  «le  la  Mission   tir  B(irzoH\\e'h  dans  l'Inde.  Les 


SilveilredeSacy,  Mémoire his-      Dtmna,p.  1-32. 
torique    p.  16-22.       Kalila  and 


SI  R  I  ES  l  Ufl.KS  I.MHINM  S.  61 

différentes  traductions  du  Livre  de  Calila  et  Dimna 
présentent  dans  ce  chapitre  une  différence  as^c/ 
notable  relativement  au  motif  qui  détermina  le 
voyage  du  docteur  persan.  Suivant  presque  tous 
les  manuscrits  du  texte  arabe ,  d'accord  avec  la 
version  grecque  de  Siméon  Seth ,  et  avec  la  tra- 
duction persane  de  Nasrallah ,  ce  fut  Nouchirvan 
qui,  ayant  entendu  parler  avec  éloge  du  Livre  de 
Calila  ,  chargea  Barzouyeh  d'aller  dans  l'Inde 
chercher  ce  trésor  de  sagesse  '.  Au  contraire,  dans 
la  version  espagnole,  dont  un  fragment  a  été  pu- 
blié par  don  Rodriguez  de  Castro  ;  dans  la  traduc- 
tion latine  de  Jean  de  Capoue,  composée  d'après 
la  rédaction  hébraïque  du  rabbin  .ïool;  dans  la  tra- 
duction latine  de  Raymond  de  Béziers,  et  enfin  dans 
un  manuscrit  arabe  du  Calila  et  Dimna,  il  est  dit 
que  Barzouyeh,  ayant  lu  dans  un  livre  que  certai- 
nes montagnes  de  l'Inde  produisaient  une  herbe 
ayant  le  pouvoir  de  rendre  la  vie  aux  morts,  sol- 
licita du  roi  Nouchirvan  la  permission  d'aller  re- 
cueillir cette  herbe  merveilleuse  dans  le  pays  où 
on  la  trouvait;  arrivé  dans  l'Inde,  le  docte  méde- 
cin reconnut,  après  des  recherches  infructueuses, 
que  ce  n'était  là  qu'une  allégorie,  et  que  cette 
herbe  offrait  l'emblème  du  Livre  de  Calila  et 
Donna, dont  les  sages  préceptes  pouvaient  commu- 

1  Sitvestre  de  Sacy,  Mém.  &«'*/., p.  35 


<)*2  ESSAI 

niquer  aux  ignorant  une  nouvelle  existence  K  La 
même  tradition  se  trouve  dans  un  épisode  du  grand 
poëme  persan  intitulé  Cliah-nameli .,  épisode  quia 
pour  sujet  le  voyage  de  Barzouyeh 2. 

Le  troisième  chapitre  est  une  introduction  com- 
posée par  le  traducteur  arabe  Abdallah  Ibn-Almo- 
caffa.  Ce  morceau  est  parsemé  d'apologues  ingé- 
nieux, mais  qui  ne  sont  pas  empruntés  à  l'original 
sanscrit. 

La  vie  de  Barzouyeh  forme  le  quatrième  cha- 
pitre 5.  Cette  biographie,  qui  fut  composée  par  Bu- 


'  Silvestre  deSacy,  Mém.  hi$t., 
p.  22  et  23. 

*  Notices  et  extraits  des  MSS., 
t.  X,  p.  148. 

3  Ce  chapitre  renferme  plusieurs 
fables  étrangères  au  Pantcha-tan- 
tra.  Je  citerai ,  entre  autres ,  celle 
du  Voleur  qui  se  casse  le  cou  en  se 
jetant  du  haut  d'une  maison , 
croyant  sottement  pouvoir,  au 
moyen  d'un  mot  magique ,  être 
transporte  sur  un  rayon  de  la  lune. 
Cette  fable  se  retrouve  dans  la  Dis- 
cipline cléricale  (Disciplina  cleru 
i-alis)  de  Pierre  Alphonse,  ouvrage 
puisé  principalement  dans  des  au- 
teurs arabes,  et  qui  est  compilé  en 
partie  des  proverbes  de  philoso- 
phie et  de  leurs  chastoiemens,  et 
des  fables,  et  de  vers,  en  partie  de 
ressemblance  de  bestes  et  d'oy- 
seaux.  (Discipline  declergic  ,p.6.) 
L'auteur  était  un  juif,  né  à  Huesca, 
en  1062,  dans  leroyaumed'Aragon, 
et  nommé  Kabbi  Moisc  Sephardi.  Il 
:»e  convertit  a  la  foi  chrétienne  en 


1106,  et  fut  baptisé  dans  sa  ville 
natale  le  jour  de  la  fête  de  saint 
Pierre,  d'où  il  prit  le  nom  de  Pierre, 
auquel  il  ajouta  celui  d'Alphonse, 
le  roi  de  Castille  et  de  Léon ,  Al- 
phonse VI ,  lui  ayant  fait  l'honneur 
d'être  son  parrain.  (Biographie 
universelle,  t.  XXXIV,  p.  389). 
La  Disciplina  clericalis  a  été  pu- 
bliée pour  la  première  fois  en  1824, 
par  la  Société  des  Bibliophiles,  avec 
une  traduction  française  en  prose 
du  iv«  siècle ,  intitulée  Discipline 
de  clergic ,  et  avec  une  version  en 
vers,  ayant  pour  titre  Castoiement 
d'un  père  à  son  fils.  Une  première 
édition  du  Castoiement  avait  déjà 
été  publiée  en  1760  par  Barbazan. 
M.  Schmidt  a  fait  paraître  en  1827, 
à  Berlin  ,  une  nouvelle  édition  du 
texte  latin  plus  correcte  que  la  pré- 
cédente ,  et  qui  porte  le  titre  sui- 
vant :  Pétri  Alfonsi  Disciplina 
clericalis  ■  Zum  ersten  mal  her- 
ausgegeben  mit  rinleitung  und  an- 
merkungen,  von  Fr.  W.  Schmidt. 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  <>'* 

zurjmihr,  (ils  de  Bakhtégan,  à  la  prière  de  Bar- 
zouyeh  ,   et   dans    laquelle    il   est    censé   parler 
lui-même,  renferme  sur  ce  célèbre  médecin   et 
sur  l'époque  à  laquelle  il  a  vécu,  des  détails  d'un 
grand  intérêt.  Porté  par  goût  à  l'étude  de  la  méde- 
cine, Barzouyeh  s'y  livra  d'abord  tout  entier  dans 
le  but  de  se  rendre  agréable  à  Dieu;  puis,  frappé 
de  la  diversité  d'opinions  religieuses  qu'il  voyait 
régner  en  Perse ,  il  consulta  plusieurs  docteurs 
dont  les  réponses  ne  lui  semblèrent  point  satisfai- 
santes, et  renonçant  à  un  examen  qui  ne  pouvait 
lever  ses  doutes ,  il  résolut  de  se  consacrer  à   la 
pratique  de  la  vertu  et  de  renoncer  aux  plaisirs 
du  inonde.  Barzouyeh  s'étonnait  que  des  hommes, 
doués  de  raison,  négligeassent  leurs  véritables  in- 
térêts pour  ne   s'occuper  que   d'objets  frivoles: 
i  Quelques  satisfactions  sensuelles  qui  ne  durent 
qu'un  instant,  voila  pourtant,  se  disait-il,  ce  qui  oc- 
cupe toutes  leurs  facultés  et  les  détourne  de  soins 
bien  plus  importans.  »  Pour  faire  sentir  la  vanité 


Kin  beitray    zur  geschiclite    iler  est  le  vingt-dcuiième  du  livre  de 

romantischen  lilleralur.    Berlin,  Pierre  Alphonse,  le  tome  I",  p.  1  V) 

IK27;in-4°. Mis, dans  le  premier  vu-  de   l'édition    des    Bibliophiles,    la 

lumedc  l'ouvrage  'vaiiUÛèSpecimeru  page  70  de  l'édition  de  M.  Schmidt. 

ofearly  cnglish  romances, a  donné  elles  Fabliaux  de Legraud  d'Aussi 

une  analyse  de  l'ouvrage  de  Pierre  t.   III,  p.  *2r>3.  La  même  histoire 

Alphonse,   communiquée  par    M.  forme leeenttrente-siiiéme chapitre 

Douce.  Presque    tous    les    contes  du  recueil  de  contes  et  de  légendes 

de  la  Discipline  cléricale  ont  été  composé  en  latin  dans  le  nv  |M 

analyses    p.ir    Legrand    d'Aussy.  rie,  et  intitulé  Getta  romanorum. 


\  oyei  pour  celui  du  Voleur, 


qui 


64  ESSAI 

et  le  danger  des  plaisirs  du  monde ,  le  docteur 
persan  se  sert  d'une  allégorie  trop  singulière  pour 
être  passée  sous  silence.  «  On  ne  peut  mieux  assi- 
miler le  genre  humain  qu'à  un  homme  qui,  fuyant 
un  éléphant  furieux ,  est  descendu  dans  un  puits  ; 
il  s'est  accroché  à  deux  rameaux  qui  en  couvrent 
l'orifice,  et  ses  pieds  se  sont  posés  sur  quelque 
chose  qui  forme  une  saillie  dans  l'intérieur  du 
même  puits  :  ce  sont  quatre  serpens  qui  sortent 
leurs  têtes  hors  de  leurs  repaires  ;  il  aperçoit,  au 
fond  du  puits,  un  dragon  qui,  la  gueule  ouverte , 
n'attend  que  l'instant  de  sa  chute  pour  le  dévorer. 
Ses  regards  se  portent  vers  les  deux  rameaux  aux- 
quels il  est  suspendu ,  et  il  voit  à  leur  naissance 
deux  rats,  l'un  noir,  l'autre  blanc,  qui  ne  cessent 
de  les  ronger.  Un  autre  objet  cependant  se  pré- 
sente à  sa  vue  :  c'est  une  ruche  remplie  de  mou- 
ches à  miel  ;  il  se  met  à  manger  de  leur  miel ,  et 
le  plaisir  qu'il  y  trouve  lui  fait  oublier  les  serpens 
sur  lesquels  reposent  ses  pieds,  les  rats  qui  ron- 
gent  les  rameaux  auxquels  il  est  suspendu,  et  le 
danger  dont  il  est  menacé  à  chaque  instant,  de  de- 
venir la  proie  du  dragon,  qui  guette  le  moment  de 
sa  chute  pour  le  dévorer.  Son  étourderie  et  son 
illusion  ne  cessent  qu'avec  sou  existence.  Ce 
puits,  c'est  le  inonde  rempli  de  dangers  et  de  mi- 
sères; les  quatre  serpens,  ce  sont  les  quatre  hu- 
meurs dont  le  mélange  forme  notre  corps,  mais 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  6S 

qui,  lorsque  leur  équilibre  est  rompu,  deviennent 
autant  de  poisons  mortels;  ces  deux  rats,  l'un 
noir,  l'autre  blanc,  ce  sont  le  jour  et  la  nuit  dont 
la  succession  consume  la  durée  de  notre  vie;  le 
dragon ,  c'est  le  terme  inévitable  qui  nous  attend 
tous  ;  le  miel ,  enfin ,  ce  sont  les  plaisirs  des  sens 
dont  la  fausse  douceur  nous  séduit  et  nous  dé- 
tourne du  chemin  où  nous  devons  marcher  !.  » 
Avec  le  cinquième  chapitre,  intitulé  le  Lion  et  le 
Taureau,  commencent  les  rapports  du  Pantclia- 
tantra  avec  le  Calila  et  Dimna.  Ces  deux  livres 
offrent ,  entre  eux  ,  de  notables  différences ,  mais 
l'original  du  Calila  et  Dimna  en  pehlevi  ou  persan 
ancien  étant  perdu,  il  est  impossible  de  savoir 
quel  a  été  le  plus  infidèle  de  Barzouyeh  ou  d'Abd- 
allah Ibn-Almocaffa.  Quoi  qu'il  en  soit,  plusieurs 
apologues  ont  subi  des  modilicalions  considéra- 
bles; d'autres,  en  assez  grand  nombre,  ont  été 
omis  ;  quelques  autres  enfin  ont  été  ajoutés"2;  trois 


■  Silveslre  deSacy,  Ment   p.  20.  du  texte  grec,  publiée  par  M. Huis- 

—  On  retrouve  cette  allégorie  dans  sonade  dans  le  quatrième  volume 

le  roman  grec  intitulé  Histoire  de  de  ses  Anecdota  grœca,  p.    H2. 

liarlaam  et  de  Josaphat.  Ce  livre,  a  Nasrallah  ,  auteur  d'une  ver- 

attribué  à  saint  Jean  Damascèoe,  sion  persane  du  Calila  et  Dimna 

qui  vivait  au  vm  ■  siècle  de  mitre  reconnaît  que  plusieurs  des  chapi- 

cre  ,    renferme    plusieurs    apolo-  très  de  ce   livre  ne  faisaient  point 

gués    d'origine    orientale.    Voyez  partie  du  recueil  primitif.  Outre  les 

\'  Histoire  de  Barlaam  et  de  Joea-  prolégomènes ,  ces  chapitres  aj  m 

phat,  roy  des  Indes,  composée  par  tés  sont,  suivant  Nasrallall  : 

Sainet  Jeun    Itamaseene  et   tra-  Les    Wi'iitures  d'Iladh,  Raladli, 

duirte  par  Jean  de  Ifilly.  Paris,  Iraklit.  et  Kiharioun  ; 

1574;  in-l-J.  p.  ;»7  \erso;  cl  L'édition  Le  Moine  et  son  Hôte  . 


()(>  ESSAI 

de  ces  derniers  ont  passé  dans  le  recueil  de  La 
Fontaine,  qui  les  avait  probablement  puisés  dans 
la  version  latine  du  père  Poussines  l.  Ces  fables 
sont  :  le  Chat  et  le  Rat'2,  les  Deux  Perroquets ,  le 
Roi,  et  soti  Fils 3,  la  Lionne  et  l'Ours  4.  La  fable  du 
Cailla  et Dimna,  intitulée  le  Fils  du  roi.  et  ses 
Compagnons,  et  que  La  Fontaine  a  empruntée  éga- 
lement à  la  traduction  du  P.  Poussines  5>  diffère 
tellement  de  celle  qui  porte  le  même  titre  dans  le 


Le  Voyageur  et  l'Orfèvre; 

Le  Fils  du  roi  el  ses  compagnons. 

Cette  indication  n'est  pas  com- 
plète. 

•  Spécimen  Sapientiœ  Indorum 
veterum.  J'ai  fait  voir  plus  haut 
(p.  25,  note),  qu'il  était  probable 
que  La  Fontaine  avait  dû  au  sa- 
vent Huet  la  connaissance  de  Ja 
traduction  latine  du  P.  Poussines. 
L'existence  de  cette  version  a  pu 
être  révélée  à  notre  fabuliste,  par 
les  détails  que  le  docte  évêque, 
dans  sa  Lettre  sur  V Origine  des 
Romans,  donne  sur  la  version 
grecque  de  Siméon  Seth  et  sur  la 
traduction  latine  du  P.  Poussines. 
Les  mêmes  fables  se  trouvent  dans 
les  Deux  livres  de  filosofie  fabu- 
leuse de  La  Rivey  ;  mais  l'examen 
de  cet  ouvrage  m'a  convaincu  que 
La  Fontaine  n'y  a  pas  puisé. 

>  La  Fontaine,  liv.  VIII  ,  f.  22. 

—  Spécimen  Sapientiœ  Indorum, 
p.  008.  — Kal.  and  Dim.,  f.  275. 

—  Fables  indiennes,  t.  III, p.  62. 
3  La  Font.  ,  liv.  \,  fab.  12.— 

Spec.  Sap.  Ind.,  p.  «500.  —  Kal. 
and  Dim.  ,  p.  286.  —  Failles  in- 


diennes, t.  III,  p.  93.  —  Cette  fa- 
ble, bien  qu'elle  ne  fasse  pas  partie 
du  Pantcha-tantra ,  est  évidem- 
ment d'origine  indienne,  puisqu'on 
la  retrouve  dans  le  grand  poème 
sanscrit  intitulé  Harivansa.  (Voyez 
la  traduction  de  M.  Langlois  ,  t.  I. 
p.  OU.)  M.  de  Sacy  l'a  publiée  en 
hébreu  avec  une  traduction  fran- 
çaise ,  d'après  le  MS.  de  la  Biblio- 
thèque du  Roi,  qui  renferme  un 
fragment  de  la  version  attribuée 
au  rabbin  Joël.  (Notices  et  extraits 
desMSS.,  t.  IX,  p.45Iet  suiv.)  Il 
en  a  donné  aussi  le  texte  persan, 
d'après  Nasrallah.  (Ibid,  t.  X 
p.  170.) 

4  La  Font. ,  liv.  X  ,  fab.  13.  — 
Spec.  Sap.  Ind.,  p.  GI8.  —  Kal. 
and  Dim. ,  p.  340.  —  Fables  in- 
diennes, t.  III,  p.  187. 

5  Le  Marchand  ,  le  Gentil- 
homme,le  Pâtre,  etleFils  de  roi. 
La  Font.,  liv.  X,  fab.  16.  —  Spec. 
Sap.  Ind.,  p.  010.  — Kal.  and 
Dim. ,  p.  354.  —  Les  Délices  de 
Verboquet  le  </<!néreux ,  p.   74. 

— Fables  in  Hernies ,(.   III, p.  $49 

—  Voyez  ci-dessus,  p    13. 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  07 

Panteha-tantra,  qu'elle  peut  être  mise  au  nombre 
des  fables  ajoutées.  Je  signalerai  encore  parmi  ces 
dernières,  celle  qui  a  pour  titre  le  Voyageur  et 
l'Orfèvre  l.  Cet  apologue  offre  une  circonstance 
curieuse  dans  l'histoire  littéraire ,  c'est  qu'on  le 
trouve  raconté  dans  la  chronique  de  Mathieu  Paris2, 
sous  l'année  1195,  comme  une  parabole  que  le  roi 
Richard  Cœur-de-Lion ,  à  son  retour  de  la  Pales- 
tine, récitait  en  manière  de  reproche  contre  les 
princes  ingrats  qui  refusaient  de  s'engager  pour  la 
croisade 5.  C'était  dans  l'Orient  que  le  roi  Ri- 
chard avait  recueilli  cet  apologue ,  et  cela  nous 
prouve  que  les  fables  du  Cailla  et  Dimna  jouis- 
saient d'une  sorte  de  popularité. 

La  version  hébraïque  ôaCatUa  cl  Dimna,  attri- 
buée au  rabbin  Joël  est  de  la  plus  grande  rareté,  et 
on  n'en  connaît  jusqu'à  présent  qu'un  manuscrit  in- 
complet dont  M.  de  Sacy  a  donné  l'analyse  *.  Mais 
autant  qu'on  peut  en  juger  par  la  traduction  la- 
tine que  Jean  de  Capoue  en  a  composée  sous  le 

>  Kal.  and  Dim.  ,  p.  346.  —  apologue  se  trouve  aussi  dans  les 

Fables  italiennes,  t.  III,  p.  291. —  Gesta  Homanorum  (t.  II,  p.   l'il 

Cet  apologue  est  probablement  in-  delà  traduction  anglaise   publiée 

dien  ;  f>i  ce  <pii  me  le  fait  penser ,  par  le  révérend  Charles  Swan) ,  et 

c'est  qu'on  le  trouve  dans  la  rédac-  dans  le  poème  anglais  de  Gower,  in- 

tioo  du  Panteha-tantra  en  langue  liuûé  Confessio  amantis ,  lib.  V. 
vulgaire,  traduite  par  U.  l'abbéDu-         s  Dissertation  on  the  Gesta  llo- 

l>"is.  [Le  Urahme  ,  le  Serpent ,  le  manorum,  p.  CGXXYm  (in  the  Ilis- 

Tigre,  le  Voyageur ,  et  V Orfèvre,  toryofEnglish  poetry,  by  Thomas 

p.  121.)  H  arfon.LondonJ  1824;  in-S..) 

■  M'iihni  Paris  historiu.  Lon-  I  Nbf.  et  e.rtr.  des   >/>>.    I    l\ 

dini.  1571;  in-fol.,  p.  240-342.  Cel  p.  391  et  suiv. 


08  ESSAI 

titre  de  Diredorium  humane  vite  l,  cette  version 
ne  diffère  du  texte  arabe  que  par  l'absence  de 
l'Introduction  dont  j'ai  donné  l'analyse ,  et  par 
l'interpolation  de  deux  contes  a  empruntés  par  le 
rabbin  au  livre  hébreu  des  Paraboles  de  Senda- 
bar  r\ 

De  la  traduction  latine  de  Jean  de  Capoue,  dérive, 
comme  on  l'a  déjà  vu,  la  version  espagnole  intitu- 
lée Recueil  d'Exemples  contre  les  tromperies  et  les 
périls  du  monde  \  et  ce  dernier  livre  parait  être 
à  son  tour  la  source  où  le  Florentin  Ange  Firen- 
zuola :i  a  puisé  le  sujet  de  la  partie  de  ses  œuvres 
en  prose,  intitulée  Première  façon  des  Discours 
des  animaux 6.  La  version  espagnole  étant  de  la 
plus  grande  rareté  ,  il  est  impossible  de  savoir  si 
le  traducteur  castillan  a  donné  à  Firenzuola 
l'exemple  de  l'infidélité;  mais  ce  qu'on  peut  affir- 
mer ,  c'est  que  le  livre  de  l'auteur  florentin  n'est 

•  Voyez  ci-dessus ,  p.  17  et  18.  aux  Paraboles  de  Sendabar  pour 
a  Ces  deux  contes  sont  celui  de  les  intercaler  dans  sa  version  du 
la  Pie  (Diredorium,  fol.  1^  i  ver-  Calila  et  Dimna ,  ait  jugé  à  pro- 
soi  et  celui  la  Femme  et  du  Dro-  pos  d'y  introduire  aussi  le  nom  du 
guiste  (Direct.,  fol.  E3verBO).  philosophe  Sendabar,  qui  joue  un 
3Lacirconstaucedennterpulalion  rôle  important  dans  le  roman  bé- 
dé ces  deux  contes  daus  la  version  breu  qai  porte  son  nom. 
hébraïque    du   Calila    et   Dimna  4  Exemplario  contra  los  enya- 
fournit  un  moyen  assez  plausible  fioa  y  peligros  del  mundo,  (Voyez 
d'expliquer  la  substitution  du  nom  ci-dessus,  p.  20.) 
de  Sendabar  a  celui  de  ISidpai,  5  Silvestrc  de  Sacy, Not.  et exlr., 
dans  celte  même  version  bébrai-  ix,  p.  440. 
que  (voyez  ci-dessus,  p.  19).  Il  est  0  jM  prima  veste   de  discorsi 
possible  en  effet  «pie  le  rabbin  Joël  degii  animali.  (Voyez  ci-dessus, 
qui  avait  emprunté  demi  apologues  i>-  23,  note.) 


Mit  LES  FABLES  INDIENNES.  69 

qu'une  imitation  des  plus  libres.  Lesdeux  chacals ; , 
Cailla  et  Dimna ,  sont  devenus  les  deux  moulons 
Carpigna  et  Bellino  ;  la  scène  des  fables  est  géné- 
ralement transportée  en  Italie ,  et  on  y  rencontre 
des  allusions  à  l'histoire  italienne  et  à  la  mytho- 
logie grecque. 

J'y  remarque  en  outre  la  fable  ésopique  de  l'Ai- 
gle et  de  l'Escarbot 2,  fable  étrangère  au  Cailla  et 
Dimna ,  de  même  qu'au  Directorium  humane 
vite. 

La  Philosophie  morale  r'  du  Doni  est  encore  un 
ouvrage  principalement  puisé  dans  le  Directorium 
humane  vile  de  Jean  de  Capoue,  mais  dont  l'au- 
teur parait  avoir  eu  sous  les  yeux  la  version  hé- 
braïque du  rabbin  Joël,  et  la  traduction  espagnole 
dont  je  viens  de  parler  *.  Cet  ouvrage  de  Doni 
est  divisé  en  deux  parties.  La  première ,  qui  est 
partagée  elle-même  en  trois  livres,  comprend 
Y  Histoire  du  Lion,  du  Taureau,  et  des  deux  Chacals 
(qui,  dans  le  livre  italien,  sont  devenus  un  mulet 
et  un  âne),  ainsi  que  le  Procès  de  Dimna.  Cette 
première  partie  est  présentée  comme  l'œuvre  du 
philosophe  Sendabar.  La  seconde  partie  est  divi- 


>   Lu  traduction  de  Jean  de  Ca-  éd.  deCoray  ,  lab.  '2  ,  |>.  2.  —  La 

poue  porte  duo  onfmolta.  Font.,  II,  8. 

«   l'rose  lii  M.  A.  l'irenzuola.  3  l.a  Filosofta  morale  del  /'<"" 

in  Fiorenxa,  15'ix;  in-8»,  fol. 33  (VoyezcldeBmi,  p.95,«w 
recto.— La  Rlvey.  Deux  Uvrtsdé         I  Silvntre  de  Sacj    '<■■'    l 

l'Umofi  l'iiintii'iis e, p.72.  -Esope,  t.  IX, p.  109. 


70  ESSAI 

sée  en  six  traités;  il  n'y  est  plus  question  du  roi 
Dislès,  ni  de  Scndabar;  mais  de  Sforza,  duc  de 
Milan,  et  de  maître  Dino,  philosophe  florentin.  Les 
fables  de  cette  seconde  partie  '  sont  la  plupart  em- 
pruntées au  Birectorium  humane  vite. 

L'examen  des  imitations  du  Cailla  et  Dimna  qui 
dérivent  de  la  version  latine  de  Jean  de  Capoue, 
m'a  fait  perdre  un  instant  de  vue  les  autres  versions 
en  langue  orientale  du  livre  de  Bidpaï.  J'ai  parlé 
plus  haut  de  deux  traductions  persanes  du  Livre 
de  Caiila,  composées,  l'une  par  Nasrallah2,  l'autre 
par  Hocéin  Vaëz ,  et  qui  est  intitulée  Anivari-So- 
haïli 5.  L'auteur  de  cette  dernière  version  s'est 
donné  les  plus  grandes  libertés.  Les  Prolégomènes 
et  la  Vie  de  Barzouijck  ont  disparu  et  sont  rempla- 
cés par  une  introduction  de  l'invention  d'Hocéin  \ 

■  La  Rivey  en  réunissant  des  ex-  Livre  des  Lumières  de  David  Sa- 

traits  de  cette  seconde  partie  à  i'ou-  hid  et  dans  les  Contes  et  Fables 

vrage  de  Firenzuola  dont  j'ai  parle  indiennes,  traduites  par  Galland 

ci-dessus, en  a  forméses/)et<.z:/<rres  et  Cardonnc.M.  de  Sacy,  qui  en  a 

de  Filosofie  fabuleuse.  (Voyez  ci-  donné  une  analyse  dans  son  Mé- 

dessus,  p.  25.)  M.  de  Sacy  pense  moire  historique  sur  le  Livre  de 

quelenomdeDmoestranagrammc  Caiila  et  Dimna  (p.   45),    pense 

de  Doni.  que  l'idée  de  cette  traduction  a  pu 

»  Voyez  ci-dessus,  p.  15  et  les  être  suggérée  a  Hocéin  par  le  Dja- 

Notices  et  extraits,  l.  X  ,  p.  94  et  midan-hhired  ou    Testament    de 

suiv.  Househenk.  |  Voj.lesNot.etextr. , 

3  Voyez  ci-dessus ,  p.  14.  L'An-  t.  \ ,  p.  <r>,  et  ci-dessus,  p.  9,  note.) 
wari-Soltaili  a  été  imprimé  deux  Les  chapitres  supprimés  par  Hocéin 
fois  à  Calcutta,  en  1805  et  en  1824.  Vaëz  ont  reparu  dans  Y Li/ari-da- 
II  en  a  paru  ,  en  1828,  à  Bombay,  nich  ,  c'est-à-dire  dans  la  version 
une  édition  lithographiée.  persane  d'Ahou'Ilazl.    M'oyez   ei- 

4  On  (ruine  une  traduction  Cran-  dessus,  p.  |5.) 
çaise  de  cette  introduction  dans  le 


SUR  LtS  FABLES  INDIENNES.  71 

11  a  de  plus  introduit  dans  son  livre  un  grand 
nombre  de  fables  nouvelles,  parmi  lesquelles  je 
rencontre  trois  apologues  ésopiques,  le  Rat  et  la 
Grenouille  ',  l'Homme  de  moyen  âge  et  ses  deux 
Femmes  2,  et  la  Vieille  et  le  Chat  maigre  5,  fable 
qui  n'est  autre  que  celle  du  Rat  de  ville  et  du  Rat 
des  champs  '*.  J'y  remarque  en  outre  l'anecdote 
des  Grues  d'Ibycus  5;  la  fable  intitulée  la  Tortue 
et  le  Scorpion  c,  qu'on  retrouve  aussi  dans  le  Be- 
haristan  deDjami7;  le  conte  moral  de  Y  Oppres- 
seur puni  par  le  ciel  8,  emprunté  au  Gulistan  de 
Saadi  u,  et  la  fable  intitulée  le  Paysan  et  le  Ros- 
signol l0,  laquelle  n'offre  qu'un  rapport  bien  éloi- 
gné avec  le  Lai  de  l'Oiselet  ".  La  Fontaine,  qui, 


■  The  Anvari  Soheily  of Hussein 
Vaez  Kashefy,  published  by  capt. 
Charles  Stewart  and  Moolvy  Hus- 
sein Aly.  Calcutta,  1805,  fol.  158 
recto.  —  Contes  et  fables  indiennes,, 
trad.  par  Galland  et  Cardonne, 
t.  III,  p.  87.  —  La  Fontaine,  IV, 
11.  —  Fables  d'Esope ,  édition  de 
Coray,  p.  161. 

*  The  Anvari  Soheily,  fol.  195 
recto.  —  Fables  indiennes ,  t.  III, 
p.  212.  —  L'Homme  entre  deux 
âges,  et  ses  deux  maîtresses,  ha 
Fontaine,  I,  17.  —  Esope,  M.  Co- 
ray, |t.'.IH. 

3  The  Anvari  Soheily,  fol.  18 
veno.  —  IÀvrc  des  Lumières, 
p.  52.  —  Fables  indiennes ,  t.  1  . 
p.  134. 

4  Esope,  od.  Coray,  p.  196. 

■  The  anvari  Soheily  .  fol.  162 


recto.  —  Fables  indiennes,  t.  III , 
p.  98.  —  Nouveau  journal  asia- 
tique, t.  XVI,  p.  179. 

6  The  Anvari  Soheily,  fol.  47  roi 
to.  —  Livre  des  Lumières,  p.  107. 
—  Fables  indiennes,  t.  II,  p.  25. 

7  Contes  ,  fables  et  sentences  , 
trad. par  Langlès.  Paris,  1788;  in- 
8",  p.  5. 

8  The  Anvari  Soheily,  fol.  189 
verso. 

9  The  Gùlistân,  translated  by 
Gladwin.  London,1808,  in-8". 
p.  48. 

<o  The  Anvari  Soheily,  fol.  53 
recto. —  Livre  des  Lumières,  p. 
114.  —  Fable*  indiennes  ,  t.  il . 
p.  70. 

"  Fabliaux  traduits  par  Le- 
grand  aVAussy  .  t.   IV,  p.  Ï3 
Disciplina  clericalis    édition  des 


72  ESSAI 

ainsi  que  je  l'ai  dit,  a  eu  souvent  recours  à  la  tra- 
duction ou  plutôt  à  l'abrégé  de  YAnwari-SQhaïli,m- 
titulé  Livre  des  Lumières  l,  y  a  pris,  outre  les  fables 
que  j'ai  déjà  indiquées,  les  six  qui  suivent,  savoir  : 
les  Deux  amis*,  le  Faucon  et  le  Chapon  r>,  les  Deux 
pigeons  * ,  l'Homme  et  la  Couleuvre  5 ,  le  Ber- 
ger et  le  Roic',  les  Deux  aventuriers  et  le  Talis- 


bibliophiles ,  t.  I,  p.  136;  édit.  de 
Schmidt,  p.  G7.  —  (Voyez  aussi 
l'Histoire  de  Josaphat  et  de  Bar- 
laam,  traduite  par  Jean  de  Bill  y, 
p.  43  verso,  et  le  texte  dans  les 
Anccdotagrœca  de  M.  Boissonade, 
t.  IV,  p.  79.)  C'est  dans  ce  dernier 
roman ,  selon  tonte  apparence,  que 
Pierre  Alphonse,  auteur  de  la  Dis- 
ciplina clericalis,  a  puise  sa  fable 
de  l'Oiselet.  Elle  a  passé  encore 
dans  la  Légende  dorée  (Golden  Lé- 
gende) de  Caiton,  fol.  cccr.xxvxn, 
b. — (Voyez  la  dissertation  de  War- 
ton  sur  les  GestaBornanorxtm,  p. 
ccxr.,  et  la  traduction  anglaise  pu- 
bliée par  le  rév.  Charles  Swan,  t. 
II,  p.  339  et  307.)  — Je  ne  dois  pas 
omettre  la  citation  de  l'apologue  de 
l'Oiselet ,  faite  par  l'archevêque  Tli- 
gaud  au  roi  saint  Louis  à  l'occasion 
di'  ia  mort  de  Louis  de  France. 
(Voyez  la  Chronique  de  Bains, pu- 
bliée par  M.  Louis  Paris.  Teche- 
ncr,  1.S37  ;  in-S",  chap.  xxxn,  p. 
236.) 

■  Voyez  ci-dessus,  p.  24,  43,  45. 

=  La  Fontaine,  Mil,  11.  — 
Livre  des  Lumière?,,  p.  224. — 
Fables  indiennes,  t.  II,  p.  304. 

3  La  Font.,  VIII,  21.—   l.ir. 

des  l.tun. .  \>.  U2.  -  Fables  in- 
du nnes,  t.  il,  p.  59. 


4  La  Font.,  IX,  2.  —  Liv.  des 
Lum.,  p.  19.  —  Fables  indiennes, 
t.  I,  p.  77. 

s  La  Font. ,  X ,  2.  —  Liv.  des 
Lai  m . ,  p.  204. —  Fables  indiennes, 
t.  II,  p.  270.  —  Cette  fable  ne  se 
trouve  pas  dans  le  Calila  et  Dim- 
na,  cependant  il  cstprobable  qu'elle 
vient  de  l'Inde. La  fable  du  Pant- 
eha  -  tantra  ,  traduit  par  l'abbé 
Dubois,  laquelle  est  intitulée  le 
Brahme,  le  Crocodile,  l'Arbre, 
la  Vache,  et  le  Renard ,  ne  dif- 
fère ni  pour  le  fonds  ni  même 
pour  les  détails ,  de  celle  d'Hocéin 
Vaëz.  Le  quatrième  conte  de  la 
Discipline  cléricale  de  Pierre  Al- 
phonse ,  en  offre  une  rédaction  très 
abrégée.  (Voyez  l'édition  des  biblio- 
philes, t.  I,  p.  47,  et  celle  de 
Schmidt,  p.  45.) 

(J  La  Font.,  X,  10.  —  Liv.  des 
Lum.,  p.  152. —  Fables  indiennes, 
t.  il ,  p.  21  i-225.  Le  dénouement 
de  la  fable  de  La  Fontaine  est  fort 
différent  do  celui  de  la  fahle  orien- 
tale; mais  il  est  assez  singulier  que 
la  fahle,  comme  La  Fontaine  l'a  con- 
çue, offre  des  rapports  frappaos 
avec  l'anecdote  du  sultan  Mah- 
moud de  Gaznafa  cl  de  son  esclave 
\\.i,  (Voyez  l'ouvrage  de Ch.Stc- 
wart,  intitulée  A  Descriptive cata 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  73 

man  '.  La  traduction  turque  de  X Anwari-Sohaili , 
intitulée  Homayoun-nameli,  est  une  reproduction 
assez  fidèle  du  texte  du  livre  persan  et  n'en  dif- 
fère que  fort  peu. 

J'ai  déjà  dit  quelques  mots  de  deux  imitations 
du  Panlchà-lanlra ,  composées  dans  l'Inde  même 
et  en  sanscrit.  La  première,  intitulée  Katliâmrila- 
n  idh  ï  (  Trésor  de  l'ambroisie  des  contes),  est  un  abré- 
gé dans  lequel  on  a  suivi  l'original  pour  le  récit , 
en  diminuant  la  partie  poétique.  La  seconde  imita- 
tion sanscrite,  celle  qui  a  pour  titre  Hitopadésa,  ou 
instruction  salutaire ,  s'éloigne  beaucoup  de  l'ori- 
ginal, et  deux  vers  de  l'introduction  de  Y  Hitopa- 
désa ,  nous  apprennent  que  ce  livre  est  tiré  du  Pan- 
tclia-lantra  et  d'autres  ouvrages.  Dans  l'introduc- 
tion, un  roi  de  Pàtalipoutra,  nommé  Soudarsana, 
honteux,  de  l'ignorance  de  ses  fils,  confie  le  soin 
de  leur  instruction  au  Brahmane  Vichnou-sarma 
que  nous  avons  déjà  vu  dans  le  Pantcha-tantra , 
figurer  pour  le  même  office, et  qui  fait  successive- 
ment à  ses  élèves  quatre  récits,  formant  les  qua- 
tre chapitres  du  livre,  et  dans  lesquels  sont  ame- 
nées un  certain  nombre  de  fables.  Le  premier  cha- 
pitre, intitulé  Mitra-lâbha  (l'Acquisition  des  amis), 

\ogueof  the  oriental  libraryofthe  de  Tassy,  Paris,  1834;  io-8°,  p. 

\tiir  TippoojultanofMysore.Caia-  142.) 

Iiri^c,  isii'.t;  in-4oj  p.  57;   et  les  ■  I.a  Font.,  X,  14.  —  Un.  dès 

ivriiiutfs  de  limiini)).  traduites  Lum.tn,  i\7>.      Fables  indiennes, 

de  Vhindoustani  par    M.  Garcin  1. 1,  p.  347. 


7i  ESSAI 

répond  au  second  du  Peinte  ha-  ta  ni  ra ,  ei  a  de  même 
pour  but  de  démontrer  les  avantages  que  procure 
l'association  aux  êtres  faibles;  le  second,  qui  a  pour 
titre  Souhrid-bhéda  (la  Rupture  de  l'amitié),  fait 
connaître  comme  le  premier  chapitre  du  Pant- 
cha-tantra,  le  danger  de  prêter  l'oreille  aux  in- 
sinuations des  fourbes  qui  cherchent  à  semer  la 
discorde  entre  un  prince  et  ses  meilleurs  amis  ;  le 
troisième  chapitre,  intitulé  Vigraha,  et  ayant  pour 
sujet  la  guerre  des  oies  et  des  paons,  démontre, 
de  même  que  le  troisième  chapitre  du  Panlclia- 
tantra,  le  danger  de  se'fier  à  des  inconnus;  le 
quatrième  chapitre ,  intitulé  Sandhi  (la  Paix) ,  n'a 
de  commun  avec  le  Pantcha-lantra  que  quelques 
fables.  On  voit  que  cet  arrangement  diffère  nota- 
blement de  celui  de  l'original  ;  on  remarque  de 
plus  dans  VHilopadésa  un  certain  nombre  de  fa- 
bles qu'on  ne  trouve  pas  dans  le  Pantcha-lantra , 
de  même  qu'il  en  est  beaucoup  de  ce  dernier  ou- 
vrage qui  n'ont  point  passé  dans  Y Hitopadésa. 

Plusieurs  de  ces  fables  nouvelles  doivent  être  ci- 
tées, parce  qu'elles  nous  sont  déjà  connues  par  des 
imitations.  Je  remarque  d'abord  la  huitième  fable 
du  premier  livre ,   intitulée  !  le  Jeune  Prince ,  le 

'  J'ai  déjà  dit  plus  haut  pour  le  lils  du  marchand  ayant  vu  de  ses 

Pantcha-lantra,  que  les  fables  in-  propres  ycui  un  étranger  jouir  des 

diennes  ne  portaient  pas  de  titre ,  charmes  de  son  épouse,  tomba  dans 

mais  commençaient  par  une  stance  le  désespoir  ;   craignez  que  votre 

de  deux  vers.  Cette  fable-ci  cnm-  imprudence  ne  vous  soit  également 

menée  parla  stance  suivante  :  «  F.e  funeste.'  » 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  75 

Marchand  et  sa  Femme1,  et  dont  voici  l'analyse.  Un 
jeune  prince  ,  nommé  Toungabala,  en  parcourant 
un  jour  la  ville  confiée  à  son  gouvernement,  aper- 
çoit une  femme  d'une  beauté  ravissante  ,  et  dont  il 
devient  éperdument  amoureux.  Rentré  chez  lui,  il 
envoie  sur-le-champ  à  cette  belle  une  habile  entre- 
metteuse ,  chargée  de  plaider  sa  cause.  Lavanyâ- 
vati  (c'était  le  nom  de  la  dame)  avait  vu  le  prince 
et  n'avait  pu  se  défendre  de  l'aimer  ;  mais  ne  vou- 
lant pas  confier  son  secret  à  l'entremetteuse  ,  elle 
lui  déclare  simplement  que ,  fidèle  à  ses  devoirs , 
elle  obéira  toujours  à  son  mari  quelque  chose  qu'il 
lui  commande.  L'entremetteuse,  vient  rapporter  le 
tout  au  jeune  prince  ,  qui  voit  bien  que  c'est  par 
le  mari  qu'il  faut  obtenir  la  femme.  D'après  l'a- 
vis de  sa  conseillère2,  il  admet  le  marchand,  époux 
de  Lavanyàvati,  au  nombre  de  ses  serviteurs,  et 
lui  témoigne  une  entière  confiance.  Un  jour,  après 
avoir  fait  une  magnifique  toilette,  Toungabala  dit 
;i  son  confident  :  «  A  partir  d'aujourd'hui,  je  veux 
célébrer,  pendant  un  mois,  la  fête  de  la  déesse 
Gauri ,  présente  moi  chaque  soir  une  jeune  fille  de 
bonne  famille ,  et  je  l'accueillerai  comme  il  con- 
vient. »>  Le  soir  même,  le  marchand  amène  une 
jeune  fille,  et  se  cache  pour  voir  ce  qui  va  se  pas- 

1  llilopculesas  id  est  Jnstilutio  *  L'entremetteuse  raconte  ici  HOC 

salularis.  Ed.  Schlegel  et  Lassen.       table  qui  prouve  qu'on  obtient  pai 
p.  59.-—  Tht  llrvlopuilcs,  transi.        la  IHM   08    qu'on  ne  pourrait    BW 

pff  WUktn»,  p  77.  se  procurer  par  la  force. 


7<)  ESSAI 

ser.  Toungabala,  sans  même  prendre  la  main  de 
la  jeune  fille ,  lui  donne  une  riche  parure  et  des  par- 
fums ,  puis  la  fait  reconduire  aussitôt  par  ses  gar- 
des jusqu'à  sa  demeure.  Le  marchand,  séduit  par 
l'attrait  du  gain,  amène  le  lendemain  sa  jeune 
épouse ,  et  la  présente  au  prince.  Toungabala ,  re- 
connaissant sa  chère  Lavanyâvatî ,  l'embrasse  avec 
transport  et  l'entraine  sur  un  riche  sopha.  Le  mal- 
heureux marchand  témoin  de  sa  propre  honte,  dé- 
plore son  imprudenceet  s'abandonne  au  désespoir  '. 
Dans  la  sixième  fable  2  du  même  livre ,  une 
jeune  femme,  surprise  au  milieu  d'un  tète-à-tête 
amoureux  par  son  vieil  époux  ,  se  jette  au  cou  du 
bonhomme ,  l'accable  de  caresses  et  lui  prend  la 
léte  entre  ses  mains,  afin  de  l'empêcher  devoir 
son  amant  qui  s'échappe  furtivement  ". 


•  On  verra  plus  loin,  dans  le  Livre  glaise  des  Gesta  Romanorum,  pu- 

de  Si/ndpas ,  une  mauvaise  imita-  bliéc  par  le  rév.   Charles  Swan  , 

lion  de  ce  joli  conte.  Londres,  1824;  in-12,  t.  II,  p.  100 

»  LTilopadesas  id  est  Inst.sal.,  et  102.)  —  Voyez  encore  l'Hcpla- 

p.  27. —  The  Heetopades,p.  52.  me'ron  delà  reine  de  Navarre  (nou- 

3  Cette  petite  fable  parait  être  le  velle  vie) ,  la  xvie  des  Cent  Nou- 

type  des  contes  vne  et  vme  de  la  velles  Nouvelles  ,   le   Recueil  de 

Discipline   cléricale  (Disciplina  Bandello  (Parte  I,  nov.  xxm),  ce- 

clericalis)  de  Pierre  Alfonse  (édi-  lui  de  Malespini  (p.  I,  nov.  xliv), 

tion  des  bibliophiles,  t.  I,  p.  59  et  celui  de  Sabadino  (ty>v.  IV),  les 

03;  édition  de  M.  Schraidt,  p.  48  Face'cieuses    nuicts  du  seiginur 

et   49.  Voyez  aussi  les  Fabliaux  Straparole  (Ve  nuit,  iv«  conte,  1. 1, 

de  Lerjrand  d'Aussy,  t.  IV,  p.  188  p.  400,  édition  de  1720 ,  petit  in- 

de  ledit,  de  1829,  in-8\)  Ces  deux  12),  les  Contes  ded'Ouvillc  (t.  II, 

contes  ont  passé  dans  le  grand  re-  p.  215),  et  autres  recueils  de  facé- 

cueil   intitulé  Gcsta  Romanorum ,  lies. —  .Te  ne  dois  pas  oublier  de 

do nt ils  forment  les  chapitres  cxxn  dire  que.  cette  ruse  ,  dont  les  récits 

ri  cxxni.  (Voyez  la  traduction  an-  sont  si -nombreux  ,  se  retrouve  en 


31  R  LES  FABLES  INDIENNES.  77 

La  neuvième  fable  du  second  livre  '  offre  une 
ruse  de  femme  bien  connue,  grâce  à  Boccace.  — 

Une  femme  galante  ,  entretenait  en  même  temps 
un  commerce  amoureux  avec  un  juge  et  son  fils. 
Un  jour  qu'elle  était  en  tête  à  tête  avec  le  jeune 
homme  ,  le  père  vint  lui  rendre  visite.  Elle  fait  ca- 
cher son  jeune  amant  dans  le  grenier ,  et  recevant 
le  juge ,  elle  continue  avec  lui  l'entretien  qu'elle 
avait  commencé  avec  son  fils.  Survient  le  mari  de 
la  dame.  Sa  femme  l'aperçoit ,  et  dit  au  juge  : 
«  Prenez  ce  bâton ,  et  sortez  en  témoignant  une 
grande  colère.  »  Le  mari,  voit  le  juge  sortir  tout 
furieux  ,  et  en  demande  la  raison  à  sa  femme.  «  Il 
est  irrité  contre  son  fils ,  répond-elle ,  le  pauvre 
jeune  homme ,  pour  échapper  au  courroux  de  son 
père ,  s'est  réfugie  dans  notre  maison  ,  et  je  l'ai  ca- 
ché dans  le  grenier.  Le  père  est  venu  le  chercher 
ici,  et  n'ayant  pas  pu  le  trouver ,  il  est  sorti  fort  en 
colère.  »  Alors  la  femme  l'ait  descendre  le  jeune 
homme  du  grenier  et  le  présente  il  son  mari.  - 

dernier   lieu   dans   l'histoire    des  doute   que  l'a   [tris  Boccace  pour 

amours  de  madame  et  du  coinlc  de  l'introduire  dans  son    Dccame'ron 

Guiclie.  Voyez  les  Fragment  de  (VII*  journée,    vi«  nouvelle).   Le 

lettres  originales  de  Charlotte  Eli-  même  conte  est  le  iv  de  la  Disci- 

sabcih  de  Bavière,  et  la  Moç/ra-  pline  cléricale  de  Pierre  Alphonse 

phic  universelle ,  article  de  Phi-  (t.   I,  p.  67),    mais   avec  quelque 

lippe  d Orléans,  t.  WXII,  p.  103.  différence  dans  les  détails.  On  le 

•  Jlilopadesas  ,  p.  (i(i.  —  The  rencontre  encore  dans  les  Facéties 
Ehetopades,  p.  136.  <la  Poge  (  Poggii  florentini  face- 

*  Ce  conte  se  retrouve  dans  le  ro-  tiarwn  libellus  anicas.  Londini, 
moi  grec  de  Syntipas  (p.  39,  édit.  1798,  in-18,  t.  I,  p.  S73),  dans 
de  BoiMomde) .    et  c'est  la  sans  les  SsrmosMi  convivales  de  <;a>t 


78  ESSAI 

Je  ne  dirai  qu'un  mut  de  la  traduction  persane 
de  YHilopadésa,  intitulée  Mofarrih-Alcoloub  (l'É- 
lectuaire  des  cœurs)  et  composée  par  Tadjed- 
din.  Je  ferai  seulement  observer,  d'après  le  té- 
moignage de  M.  de  Sacy  !,  que  le  traducteur 
musulman  a  presque  partout  supprimé  ce  qui  dans 
l'original  à  trait  aux  dogmes ,  aux  rites  religieux 
et  a  la  philosophie  des  indiens,  et  qu'il  y  a  substi- 
tué des  idées  et  des  expressions  prises  du  ma- 
hométisme.  Ainsi  dans  la  fable  intitulée  le  Chas- 
seur, la  Gazelle,  le  Sanglier,  le  Serpent,  et  le  Cha- 
cal, fable  que  nous  avons  vue  dans  La  Fontaine, 
sous  le  titre  du  Loup  et  du  Chasseur,  le  traducteur 
persan  représente  le  chacal  ,  à  la  vue  des  trois 
corps  morts,  récitant,  en  action  de  grâces,  la  fatiha 
ou  première  surate  de  Y  Alcoran.  Le  premier  livre 
est  seul  reproduit  un  peu  fidèlement  ;  nombre  de 
fables  des  trois  autres  livres  ont  été  supprimées. 

Nous  voici  arrivés  au  terme  de  l'examen  des  di- 
verses métamorphoses  que  le  livre  de  Bidpaï  a  su- 
bies. Nous  avons  vu  comment  ce  recueil  d'apolo- 
gue  avait  été  traduit  du  sanscrit    en  pchlevi  J 


(Basil.,  1545;  p.  21),  dans  le  re-  (Paris,  Techcner,  1837) repose  en- 

cueil  de  Bandcllo  (Parte  secundo ,  tièrcmcntsur  celte  donnée. 

nov.  XI),   et   dans  les  Contes  de  •  Notices  et  extraits  des  MSS., 

d'Ouville  (t.  II,  p.  204).  Il  forme  t.  X,  p.  239  et  241. 

encore  un  incident  de  la  comédie  »  Je  dois  faire  ici  une  rectification 

de  Bcaumont  et  Fletcher,  intitulée  importante,  relativement  à  l'auteur 

les  Femmes  satisfaites    (wemen  île  cette  version  pehlcvie.  J'ai  dit 

pleasod),  et  la  Force  du   PouUer  p1ashaut,p.9,note,  qneBarzouyeh 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  79 

ou  persan  ancien,  dans  le  vie  siècle  de  notre 
ère;  puis  dans  le  vme,  du  pehlevi  en  arabe , 
de  l'arabe  en  persan  moderne  quatre  siècles  plus 
lard ,  de  l'arabe  en  grec  à  la  fin  du  xie  siècle , 
et  en  hébreu  peut-être  vers  le  même  temps  ;  de 
l'hébreu  en  latin  dans  la  seconde  moitié  du  xm( 
siècle,  et  du  latin  dans  plusieurs  des  principales 
langues  de  l'Europe.  Quelques  fabliaux,  contes  ou 
nouvelles,  nous  ont  offert  des  emprunts  faits  h  lïid- 
paï,  et  nous  avons  vu  les  obligations  que  lui  a  no- 
tre fabuliste.  Nous  allons  maintenant  passer  a 
l'examen  d'un  livre  non  moins  curieux. 


était  peut-être  indien  do  naissance; 
mais  cette  conjecture  reposait  sur 
un  passage  de  la  traduction  anglaise 
du  Calila  et  Dimna,  lequel  est  pro- 
bablement inexact  :  suivant  la 
traduction  du  même  passage,  par 


M.  de  Sacy,  Barzouyeh  dit  :  Mon 
père  était  du  nombre  des  militaires 
et  ma  mère  d'une  des  principales 
l'amilles  des  Mages.  (Mémoire  his- 
torique, p.  20.) 


&0  ESSAI 


SENDABAD. 

Le  Livre  de  Sendabad  est  un  roman  oriental 
dont  il  existe  des  traductions,  ou,  pour  mieux  dire, 
des  imitations  dans  presque  toutes  les  langues  eu- 
ropéennes ,  et  dans  plusieurs  langues  asiatiques , 
et  qui,  sous  le  titre  d'Histoire  des  sept  Sages  de 
Rome  y  a  obtenu  un  grand  succès  en  Europe  ,  du 
xiue  siècle  au  xvie  l.  Le  renseignement  le  plus 
ancien  et  le  plus  positif  que  nous  possédions 
sur  ce  livre,  nous  est  fourni  par  Massoudi,  histo- 
rien arabe  d'une  grande  autorité,  lequel  vivait  au 
xe  siècle  de  notre  ère  2.  Dans  sa  chronique  intitu- 
luée  Moroudj-alzeheb  (les  Prairies]  d'or) ,  au  cha- 
pitre des  Anciens  rois  de  l'Inde ,  Massoudi  parle 
d'un  philosophe  indien,  nommé  Sendabad,  contem- 


>  On  sait  qu'il  n'existe  aucun  les  des  Voyages.  Richard  Hole  a 
rapport  entre  le  Livre  de  Sendn-  publié  aussi  sur  les  voyages  de 
bad  et  les  Voyages  de  Sindbad-  Sindbad  une  dissertation  curieuse 
le-Marin  que  Galland  a  intercales  intitulée  Remarks  on  the  Ara- 
dans  sa  traduction  îles  Mille  et  bimi  Pfights  Entertainment*  ,in 
une  Nu  ils,  à  la  grande  satisfaction  which  ihc  oriyin  of  Sindbad's 
des  lecteurs;  mais  qui  ne  faisaient  voyage»  and  other  oriental  fic- 
point  partie  de  son  manuscrit.  On  fions  is  particularly  considered. 
peut  consulter  sur  ce  roman,  con-  London,  17î)7,  in-N". 
Bidéré  sons  le  rapport  des  indica-  •  Massoudi  mourut  l'an  345  de 
tions  géographiques  qu'il  renferme,  l'hégire,  ou  956  de  J.-C.  (liiogra- 
un  mémoire  de  M.  Walckenaer,  in-  phie  universelle,  tome  XXVII, 
séré  dans  le  premier  volume  de  page  389.) 
l'année  \H~>2  des  Nouvelles  arma- 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  81 

porain  <lu  roi  Gourou1,  et  autour  du  livre  intitulé 

les  sept  Vizirs,  le  Pédagogue ,  le  Jeune  homme,  et 
la  Femme  du  roi.  «  C'est,  dit-il,  l'ouvrage  qu'on 
appelle  le  Livre  de  Sendabad".  »  Ces  mois  indi- 
quent nettement  l'Inde  comme  la  patrie  du  Livre 
de  Sendabad,  et  donnent  à  penser  qu'il  en  exis- 
tait du  temps  de  Massoudi  une  traduction  arabe  ou 
persane  8,  bien  connue  alors,  mais  aujourd'hui 
perdue  ou  du  moins  fort  rare  en  Orient.  Quoi  qu'il 


■  L'étude  de  la  chronologie  in- 
dienne esl  encore  trop  peu  avancée 
pour  qu'on  essaie  de  déterminer 
même  approximativement  à  quelle 
époque  ont  pu  vivre  le  roi  Gourou 
et  Sendabad.  Remarquons  d'ail- 
leurs que  le  court  article  de  Mas- 
soudi renferme  probablement  une 
erreur.  Sendabad  y  est  nommé 
comme  l'auteur  du  livre,  et  nous 
le  retrouvons  parmi  les  personna- 
ges du  roman ,  comme  nous  l'at- 
testent la  version  hébraïque  et  la 
version  grecque.  Pour  expliquer  ce 
l'ait,  il  faudrait  supposer  que  l'au- 
teur du  livre  a  décoré  de  son  pro- 
pre nom  un  sage  qui ,  dans  le  ro- 
man ,  joue  un  personnage  fort  ho- 
norable. 

L'auteur  du  Modjcmel  -  altc- 
warikh  (fol.  01,  recto  du  MS. 
persan  iv>  G'2  de  la  Rdjliofhèque 
du  Roi  ) ,  noua  apprend  que  le  Li- 
vre de  Sendabad  a  été  composé 
sous  la  dynastie  persane  des  Arsa- 
cldes,  laquelle  commença  356  ans 
avant  J.-C.  et  finit  ven  l'an  2'23 
de  notre  ère.  (Langlès,  traduction 
française  des  Voyagesdi  Sindbad- 


le-Marin.  Paris,  1814;  in-18,  p. 
130.  )  Un  passage  de  l'historien 
arabe  Hamza  Isfahani,  dont  je  dois 
la  communication  à  l'obligeance  de 
M.  Mullcr,  confirme  cette  indica- 
tion, d'où  il  résulterait  que  le  Sen- 
dabad-nameh ,  aurait  été  rédigé  en 
persan  bien  avant  les  fables  de 
Bidpaï,  et,  selon  toute  apparence, 
d'après  un  original  sanscrit ,  ou 
d'après  des  traditions  indiennes. 

»  Silvestre  de  Sacy,  Notices  et 
extraits  des  manuscrits  ,  t.  IX  , 

[).  404. 

3  M.  de  Saey  (Notices  et  ex- 
traits ,  t.  IX  ,  p.  '117) ,  pense  que 
c'est  une  traduction  persane  île  ce 
livre  qui  est  désignée  par  le  biblio- 
graphe Badji-khalfa ,  sous  le  titre 
de  Sendabad-nameh. — Les  deux 
romans  orientaux,  intitulés,  l'un 
Histoire  du  prince  Bakhtyar, 
l'autre  Les  quarante  Vizirs,  repo- 
sent sur  la  même  donnée  (pie  le 
Livre  de  Sendabad,  mais  n'en 
son!  pal  des  traductions.  Il  sera 
question  plus  loin  de  ces  deux  ro- 
mans. 


82  ESSAI 

en  soit,  l'article  de  l'écrivain  arabe,  malgré  sa 
brièveté,  définit  le  sujet  du  livre  dont  il  parle  assez 
clairement  pour  qu'on  puisse  y  rapporter  trois 
ouvrages  qui  en  dérivent,  sans  aucun  doute,  et  qui 
n'en  diffèrent  probablement  pas  pour  le  fonds.  Ces 
trois  ouvrages  sont  le  roman  arabe  intitulé  His- 
toire  du  Roi ,  de  son  Fils,  de  sa  Favorite,  et  des 
sept  Vizirs  '  ;  le  roman  hébreu  des  Paraboles  de 
Sendabar  -  ;  et  le  roman  grec  de  Syntipas  3  ;  dans 


»  Il  est  douteux  ,  ainsi  qu'on  le 
verra  plus  bas,  qu'il  y  ait  identité 
entre  le  Livre  de  Sendabad  men- 
tionné par  Massoudi  et  le  roman 
arabe  que  je  viens  de  citer,  roman 
dont  M.  Jonathan  Scott  a  donné 
la  traduction  dans  un  volume  qui  a 
pour  titre  :  Talcs  anecdotes  and 
letters,  translated  from  Ihearabic 
andthepersian.  Shrewsbury,  1800; 
in-8°.  On  peut  allirmcr  toutefois 
que  le  roman  traduit  par  M.  Jo- 
nathan Scott,  est  au  moins  une 
imitation  peu  éloignée  da  livre  ori- 
ginal. 

»  Le  nom  de  Sendabar  est  une 
altération  légère  de  celui  de  Sen- 
dabad, altération  due  sans  doule 
à  la  ressemblance  du  D  et  de  l'Il 
dans  l'alphabet  hébreu.  Le  Mischlé 
Sendabar  (Paraboles  de  Sendabar) 
a  été  imprimé  à  Constantinople,  en 
1616 1  comme  l'a  fait  voir  M.  de 
Ilossi  (MSS.  codices  JTebr.  J.-Ji. 
de  Rotsi,  vol.  I,  p.  l£4),  et  à 
Venise,  en  1644,  1568  et  1605. 
Un  exemplaire  de  celle  dernière 
édition  ayant  autrefois  appartenu 
à  Gaulmin ,  et  chargé  de  notes  de 
son  écriture ,   se    trouve    aujour- 


d'hui dans  la  Bibliothèque  royale. 
(Not.  et  extr.,  t.  IX ,  p.  405.)  Il 
existe  aussi  dans  le  même  établis- 
sement un  manuscrit  des  Parabo- 
les de  Sendabar,  venant  également 
de  Gaulmin,  et  portant  le  n"  510 
de  l'ancien  fonds  bébreu.  M.  de 
Sacy  a  donné  dans  le  Mémoire  que 
j'ai  déjà  cité  une  notice  de  ce  ma- 
nuscrit. Gaulmin  avait  fait  une 
traduction  latine  des  Paraboles 
qui  est  aujourd'hui  perdue  ,  à  ce 
que  l'on  croit.  Groddeckius  qui 
connaissait  ce  travail ,  avait  an- 
noncé l'intention  de  le  publier,  ce 
qui  n'a  pas  eu  lieu.  (Groddeckius, 
in  Thcatro  anonymorum  Plac- 
ciano,  p.  708.  —  Silvestre  de  Sacy, 
Notices  et  extraits,  t.  IX,  p. 415.; 
3  La  Bibliothèque  du  Roi  pos- 
sède,  sous  le  n°  2912  de  l'ancien 
fonds  grec,  un  manuscrit  du  Livre 
île  Si/ntipas,  écrit  dans  le  xvi«  siè- 
cle, et  dont  l'existence  avait  été 
signalée  par  Duverdicr,  Montfau- 
con  ,  Il  uct,  et  surtout  par  Du  Cange 
qui  l'avait  mis  à  prolit  pour  son 
Glossarium  ad  scriptores  médite 
et  infimœ  Grwcitalis.  M.  Dacicren 
a  donné  une  notice  dans  le  XLL 


SUR  LKS  FA1U.ES  indiennes.  H.'i 

lesquels  un  jeune  prince,  iaussemenl  accusé  par 

une  des  femmes  du  roi,  son  père,  d'avoir  voulu 
lui  faire  violence ,  est  défendu  par  sept  sages  ou 
philosophes  qui  raeontent  une  suite  d'histoires 
propres  à  mettre  en  évidence  la  malice  et  la  per- 
versité des  femmes,  ainsi  que  le  danger  d'une 
condamnation  sans  preuves. 

L'époque  de  la  rédaction  de  ces  trois  romans 
est  inconnue,  mais  la  date  la  plus  récente  que  l'on 
puisse  assigner  à  la  version  hébraïque  des  Para- 
boles de  Sendabar  est  la  lin  du  xne  siècle  x ,  et 
l'on  verra  que  cette  rédaction    est  probablement 


volume  des  Mémoires  de  V Aca- 
démie des  Inscriptions ,  et  M.  Bois- 
sonade  l'a  publié  sous  le  titre  sui- 
vant :  ZTOTHLAX  De  Synlipa 
et  Cyri  (Mo  Andreopuli  narratio 
e  codd.  Pariss.  édita  a  J".  Fr. 
Boisionade.  Parisiis,  1828;  in-l"2. 
Cette  édition  a  été  faite  d'après  le 
manuscrit  analysé  par  M.  Daeicr, 
comparé  avec  on  second  manuscrit 
du  supplément  grec.  11  avait  déjà 
paru  en  1805,  à  Venise,  une  édi- 
tion du  roman  de  Syntipas,  en  grec 
vulgaire  ,  intitulée  :  BffuOoXo'yucàv 
i'jvTÎ7vx  tou  œiXoGoçou  ,  rà  irXeïffra 
lïïfùpvov,  i/.  tx;  —  izv./.r,;  •yXwtttm 
[y.ÊTacpp  aiOs'v. 

(tn  sait  qu'il  n'y  a  aucun  rapport 
entre  le  roman  de  Syntipas  el  les 
fables  attribuées  à  un  philosophe  du 
même  nom  ,  lesquelles  ont  été  pu- 
bliées pour  la  première  fois  par 
M.iiilu'i  .  en  n.si. 

>  Le  rabbin  Joël,  auteur  de  la  rai 


sion  hébraïque  du  Calila  et  Diinmi , 
traduite  en  latin  par  Jean  de  Ca- 
pouc  ,  sous  le  titre  de  Directorium 
liumane  vite  (voyez  cfe-dessus, 
p.  17  et  p.  (>8) ,  a  introduit  dans 
sa  version  demi  contes  empruntés 
aux  Paraboles  de  Sendabar.  Cet 
emprunt  constate  l'antériorité  des 
Paraboles  de  Sendabar  a  l'égard 
du  Calila  et  Dinina  hébreu ,  an- 
tériorité que  prouve  encore  l'intro- 
duction du  ii  in  de  Sendabar  dons 
le  livre  du  rabbin  Joël. Or,  comme 
on  sait  de  date  certaine  que  le  I)i- 
recloriiim  liumane  rite  a  été  ré- 
digé entre  I2S2  et  127S  ,  les  Para- 
boles de  Sentiabar,  étant  antérieu- 
res au  l'aida  et  Diimia  liélireu, 
qui  lui-même  est  antérieur  au  1H- 
reeforium  tannons  rite,  doivent 
être  au  pins  tôt  de  la  fin  du  sn« 
siècle,  el  sont  peut-être  plus  an-, 
ciennes 


84  ESSAI 

plus  ancienne.  Les  Paraboles  de  Sendabar  %*ne 
sont  d'ailleurs  précédées  d'aucune  préface ,  et  l'on 
ignore  d'après  quelle  langue  la  traduction  en  a 
été  faite ,  bien  qu'on  puisse  présumer  que  c'est 
d'après  l'arabe  -. 

Le  roman  grec  de  Syntipas  commence  par  un 
prologue  en  vers ,  où  ce  livre  est  annoncé  comme 
l'ouvrage  d'un  certain  Andréopule ,  qui  déclare 
l'avoir  traduit  du  syriaque3,  et  qui  se  qualifie  d'ado- 
rateur du  Christ  *.  Ce  prologue  est  suivi  d'un  court 
avertissement  en  prose  ,  où  le  rédacteur  nous  ap- 
prend que  c'est  le  Perse  Mousos  5  qui  a  le  pre- 
mier écrit  cette  histoire  pour  l'utilité  de  ceux  qui  la 
liront ,  ce  qui  prouve  simplement  qu  Andréopule 


■  Je  suis  redevable  de  détails 
très  étendus  sur  ce  livre  hébreu ,  à 
la  complaisance  d'un  jeune  orien- 
taliste, M.  Richard,  qui  se  propose 
d'en  publier  une  nouvelle  édition  , 
accompagnée  d'une  traduction  fran- 
çaise et  d'un  commentaire.  Vu  mon 
ignorance  de  la  langue  hébraïque  , 
ces  renseignemens  m'onlétédu  plu- 
grand  secours. 

*  M.  de  Sacy  (Sot.  et  exlr.,  t. 
IX,  p.  417)  a  remarqué  que  par- 
mi les  noms  des  sages  qui  ligurent 
dans  les  Paraboles  de  Sendabar, 
il  en  est  plusieurs  qui  ne  sont  que 
des  noms  de  philosophes  grecs  al- 
térés ,  ce  qui  décèlerait  une  origine 
grecque.  Mais  je  ferai  observer  que 
les  sages  ne  sont  point  nommés  dans 
le  roman  de  Syntipas ,  et  que  les 
noms  d'Aristole.  d'Kpicure  et  d'A- 


pollonius sont  assez  connus  des 
rabbins,  pour  que  le  rédacteur  de 
la  version  hébraïque  ait  pu  les  in- 
troduire dans  son  livre. 

3  Aucun  autre  témoignage,  à  ma 
connaissance,  n'a  confirmé  l'exis- 
tence de  cette  version  syriaque,  in- 
diquée par  Andréopule. 

4  Ce  prologue  a  été  publié  par 
Mattha.'i,dans  la  préface  de  son  édi- 
tion des  fables  de  Syntipas  (p.  vin), 
et  reproduit  par  M.  Uoissonade  dans 
son  édition  du  roman  grec.  Le  ma- 
nuscrit d'où  Matthaii  a  tiré  ce  pro- 
logue est,  suivant  ce  savant, du  xm^ 
ou  du  xivc  siècle. 

5  Peut-être  ce  roman  avait-il  été 
mis  en  arabe  ou  en  persan  par  un 
musulman  nommé  Mousa?  (Silvcstre 
de  Sacy,  Mot.  cl  cxlr.,l.  IX,  p. 
405.)  ' 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  85 

n'en  savait  i»as  davantage,  et  ne  conclut  rien 
contre  l'origine  indienne  énoncée  par  Massoudi. 
La  version  grecque  d'Andréopule  a  été  consi- 
dérée, par  M.  Dacier  *,  comme  le  type  de  l'histoire 
latine  des  sept  Sages  de  Rome,  mais  diverses  rai- 
sons ,  qui  seront  énoncées  en  leur  lieu ,  me  por- 
tent à  croire  que  c'est  à  tort.  Ce  fut,  selon  toute 
apparence,  d'après  le  roman  hébreu  des  Parabo- 
les de  Sendabar,  qu'un  moine  de  l'abbaye  de  Haute- 
Sel  ve  * ,  nommé  Dam  Jehans,  composa  le  livre 
intitulé  Historia  septem  Sapientum  Romœ  3,  livre 


■  Mémoires  de  l'Académie  des 
Inscriptions ,  t.  XLI,  p.  550. — 
M.  Dacier  n'ayant  pas  connu  le  li- 
vre hébreu  des  Paraboles  de  Sen- 
dabar, avait  naturellement  regardé 
le  Si/ntipas  comme  le  type  du  livre 
latin  des  sept  Sages  de  Rome,  le- 
quel ne  peut  pas  avoir  clé  composé 
plus  tard  (pie  la  première  moitié  du 
\nr  siècle,  et  ce  savant  en  avait 
conclu  que  le  roman  grec  était  pro- 
bablement du  xic  et  qu'il  avait  été 
apporté  en  Europe  à  l'époque  des 
croisades. 

»  Haute- Selve  ou  Haute-Seille 
(Alta-Silvai ,  était  une  abbaye  de 
l'évêcbé  de  Nancy.  (GalliaChris- 
tiana,  t.  Mil,  p.  1372.)  Les  fonda- 
tions en  furent  jetées  (  tvdifteare 
cwpit)  le  20  mai  II  'i(t. 

Les    manuscrits  de  Y  Historia 

ttptem  Seepientum  Romet,  après 
avoir  été  sans  doute  assez  communs, 
comme  on  doit  le  penser  d'après  le 

succès  que  le  livre  obtint,  sont  de- 


venus de  la  plus  grande  rareté.  On 
en  a  signalé  un  exemplaire  dans  la 
Bibliothèque  de  Berlin.  (Kellcr,  Li 
romans  des  sept  Sages;  Tubingen , 
183(j;  Einlcitung ,  p.  xxxj)  et  la 
Bibliothèque  royale  de  Paris  en  pos- 
sède un  autre.  Ce  HIS.  qui  fait  partie 
de  l'ancien  fonds  latin  sous  le 
n"  850G ,  est  de  la  seconde  moitié 
du  xv1'  siècle,  par  conséquent  d'une 
importance  fort  médiocre.  Cepen- 
dant l'absence  de  titre  et  quelques 
légères  différences  que  j'ai  remar- 
quées entre  ce  MS.  et  les  éditions  do 
V Historia  septem  Sapientum,  im- 
primées à  latin  du  w  siècle,  me  por- 
tent à  penser  que  ce  n'est  pas  une 
copie  d'une  de  ces  éditions.  Noyez 
aussi  dans  la  Notice  de  If.  Daciet 
i  lUém.de  l'Aead,  des  tn$e.,t,  xli. 
p.  532  et 658)  la  mention  de  déni 

autres  MSS.  qui,  selon  toute  appa- 
rence, sont  aujourd'hui  perdus.  I  ne 
indication  vague,  donnée  par  iluct. 
dan-  ion  Traite  de  l'Origine  du 


8(>  ESSAI 

destiné  à  être  traduit  ou  imité  dans  presque  tou- 
tes les  langues  de  l'Europe.  Une  des  premières 
imitations  françaises  de  ce  roman  latin  date  du 
xme  siècle  et  a  pour  auteur  un  trouvère  nommé 
Hébcrs  ou  Herbers,  qui  adopta  l'ouvrage  de  Dam 
Jehans  pour  thème  d'un  grand  poëme  intitulé  Les 
Sept  Sages  de  Rome,  mais  plus  connu  sous  le  nom 
de  Dolopailios,  et  dont  le  héros  est  Lucinien,  fils 
deDolopathos  \  roi  de  Sicile.  Ce  poëme,  dont  il 
ne  reste  aujourd'hui  que  deux  manuscrits,  dont  un 
imparfait'-,  est  beaucoup  plus  étendu  que  l'ori- 
ginal, auquel  Herbers  a  ajouté  plusieurs  contes, 
en  développant  d'ailleurs,  à  sa  manière ,  ceux  qu'il 


romans,  forait  croire  que  le  doclc 
évêque  connaissait  d'anciens  ma- 
nuscrits du  livre  de  Dam  Jehans. 

>  C'est  à  tort  que  plusieurs  savans 
ont  désigné  sous  le  litre  général  de 
J)i>lo])(itlii)s  les  diverses  rédactions 
du  Livre  des  sept  Sages,  ce  titre 
ne  pouvant  convenir  qu'au  poème 
d'Hcrbers.  Cette  distinclionesld'au- 
taiitpliisesscntielle,  quccepoémccsf 
uuliv  re  tout-à-fait  à  part,  qui  n'estlo 
type  d'aucun  autre.  —  Fauche!  est  le 
premier  qui  ,dans  sonouvrage  intitu- 
lé /.'i  iiteil  de  l'Origine  de  lalangm 
et  poésie  française  rymeet  romans, 
ait  donné  sur  le  poème  d'Herbers 
quelques  détails  qui  ont  été  repro- 
duit- par  Duverdier  dans  le  IV'  vo- 
lume de  sa  Bibliothèque.  (Voyez  les 
i >Eu  vres  de  Claude  Fauche! .  Paris , 
1606;  in-V\  p. 660.)  Un  extrait  as- 
-e/.  étendu  du  Bolopalhos  se  trouve 
dans  le  recueil  intitulé  Le  Conser- 


vateur, ou  Collection  de  morceaux 
rares  et  d'ouvrages  anciens  et  mo- 
dernes, élagues,  traduits  et  refaits 
entoutou  en  parité.  (Janvier,  1760; 
p.  17&-30&) 

■•■  Le  seul  de  ces  deux  manuscrits 
qui  soit  complet,  a  autrefois  appar- 
tenu au  fonds  de  la  Sorbonne,  et, 
c'est  celui  sur  lequel  a  été  composé 
l'extrait  du  Dolopathos,  publié  dans 
Le  Conservateur  de  janvier  17(J(). 
On  l'a  cru  perdu  pendant  très  long- 
temps ,  mais  M.  Paulin  Paris  l'a 
retrouvé  à  la  Bibliothèque  du  Roi, 
et  c'est  à  sa  bienveillante  amitiéque 
je  dois  la  connaissance  de  ce  pré- 
cieux manuscrit.  Il  porte  le  n-  ON] , 
Sorbonne.  Le  second,  qui  fait  par- 
tic  «lu  fonds  de  Cangé  sous  le  n<*27, 
est  incomplet  i  la  Bn.Ces  deux  ma- 
nuscrits sont  l'un  et  l'autre  du 
xiie  siècle*. 


si  R  LES  FABLES  INDIENNES.  87 

a  conservés  '.  C'est  Herbers  lui-même  ,  qui ,  dans 
sa  préface ,  fournit,  sur  l'époque  où  il  vivait  et  sur 
le  moine  de  Haute-Selve,  le  peu  de  détails  que 
l'on  possède  : 

Uns  blans  moines  de  bêle  vie 
De  Halte-Selve  l'abeïe 
A  ceste  histore  novelée, 
Par  bel  latin  l'a  ordenée. 
Herbers  le  vcult  en  romans  traire 
Et  de  romans  uns  livre  faire, 
El  nom  et  en  la  reverance 
Del  fils  Felipe  au  roi  de  France 
Locy  c'on  doit  tant  loer  a. 

Plus  loin  ,  ii  la  suite  d'un  long  discours  sur  les 
connaissances  du  jeune  Lucinien,  le  poète  dit  : 

Si  comme  Dans  Jehans  nous  devise 
Qui  en  latin  l'islorc  mist 
Et  Herbers  qui  le  roman  list 
De  latin  en  roman  le  truist  3. 

Par  les  deux  derniers  vers  du  premier  passage, 
lesquels  présentent,  il  est  vrai,  un  peu    d'ainlu- 

>  L'énorme  différence  que  l'on  xur  etxiv1  siècles,  traduire  (fêtait 

remarque  entre  Y  llistoria  septem  imiter  en  se  donnant  toutes  les  H- 

Sapientum  et  le  poème  d'Hcrbers,  bertés  possibles, 

que  ce  trouvère  prétend  avoir  Ira-  *  Roquefort  De  l'État  de  lapoe- 

duit  du  livre  latin  composé  par  le  sie  française  <m.i-  m"  et  un*  «iV- 

motae   de  Hautc-Sclvc,   pourrait  des. Paria ,1811; in-S*, p.  178. — 

faire  penser  que  YHistoria  septem  Leroux  de  Lincy  ,  Description  di  l 

Sapiettfwm  n'est  point  l'œuvre  de  MSS.  qui  renferment  le  roman  de 

Dam  Jehans  ,  et  «pie  le  livre  de  ce  7Jn<f,p.  xxxiv. —  Le  SES.  de  Cangé 

dernier  csi  perdu;  mais  rien  c'est  el  celui  de  la  Sorbonne  ofirenl  ici  la 

moins  probable.  <>n  sait  (pie  poui  même  leçon. 

les  poètes  et  les  romanciers  des  xii  3  Roquefort,  *Md,  p.  175 


88  ESSAI 

guïté,  Herbers  semble  désigner  un  prince  nommé 
Philippe,  et  lîls  d'un  roi  Louis,  comme  son  royal 
protecteur ,  ce  qui  n'est  applicable  qu'il  Philippe- 
le-Hardi,  successeur  de  Louis  IX  '.  Or,  le  fils  du 
saint  roi  étant  né  en  1245  ,  on  peut  en  conclure  , 
avec  M.  de  Roquefort,  qu'un  ouvrage  composé 
pour  lui,  dans  sa  jeunesse,  a  pu  être  terminé 
vers  l'an  1260,  ou  un  peu  plus  tard.  Mais  il  ré- 
sulte d'une  autre  variante  du  même  passage,  cité 
parFauchet  -,  qu'il  s'agit  ici,  au  contraire,  d'un 
prince  nommé  Louis,  fils  d'un  roi  Philippe,  et  alors 
l'auguste  personnage  pour  qui  le  trouvère  aurait 
composé  son  livre  serait,  ou  bien  le  fils  de  Philippe- 
le-Bel,  depuis  Louis  X,  ce  qui  est  peu  probable, 
ou  bien  plutôt  Louis,  fils  de  Philippe-Auguste,  «à 
qui,  du  vivant  de  son  père,  les  barons  anglais  of- 
frirent la  couronne,  après  la  déposition  de  Jean- 
sans-Terrc,  et  qui,  en  1223,  monta  sur  le  trône 
de  France,  sous  le  nom  de  Louis  VIII  \  Dans  ce 
dernier  cas,  la  rédaction  du  Dolopalhos  appartien- 


>  Le  MS.  de  la  Sorbonnc  porte  à  Les  vers  de  la  lin  offrent  encore 

la  ftn  :  la  variante  qui  suit  : 

Herbers  define  ici  son  livre,  Hebers  definc  ici  son  livre. 
Au  bon  roi  Locys  le  livre  A  l'évesque  du  Meaux  le  livre 
Cui  Diex  doint  bonorensa  vie.  Qui  Diex  doint  henor  en  sa  vie. 
Et  ces  vers  semblent  s'adresser  3  M.  Paulin  Paris,  mon  ami,  qui 
à  saint  Louis.  a  bien  voulu,  à  ma  pricre  exami- 
na citation  de  Fauchet  porte  :  ner  les  deux  variantes  du  passage 
El  nom  et  en  la  révérence  d'Herbe»,  pense  qu'elles  peuvent 
Del  roi  BiPhelippe  de  France  l'une  et  l'antre  désigner  Lonis  VIII. 
Loeis  qu'en  «luit  tant  loer. 


mk  LES  FABLES  INDIENNES.  89 

drait  aux  premières  annéesdu  xme  siècle.  Quant  au 

moine  de  Haule-Selve,  il  semble  être  désigné  par 
Herbers,  dans  les  vers  que  je  viens  de  citer,  si  non 
comme  un  contemporain ,  du  moins  comme  un 
personnage  dont  le  souvenir  était  encore  récent, 
et  la  date  bien  constatée  de  la  fondation  de  l'ab- 
baye «à  laquelle  il  appartenait,  ne  permet  pas  de 
reculer  plus  loin  que  la  seconde  moitié  du 
xnc  siècle,  l'époque  de  son  existence. 

J'éprouve  encore  plus  d'incertitude  relative- 
ment «à  un  trouvère  dont  le  nom  est  resté  in- 
connu, et  qui  composa  probablement  dans  le  cours 
du  xiu'  siècle  ,  non  plus  une  imitation  très  libre  , 
mais  une  traduction  en  vers  ',  assez  fidèle,  de  YJIis- 
toria  septem  Sapientum,  qui  fut  aussi  traduite  en 
prose  -.  De  la  version  en  vers  français,  composée 


i  Cette  traduction  vient  d'être  bliothèque  du  Roi  et  la  Bibliothèque 

publiée  en  Allemagne,  par  M.  Kel-  de  l'Arsenal  possèdent  chacune  un 

1er,  sous  le  titre  suivant  :  Li  romans  exemplaire,  la  première  sous  Icn- 

des  sept  Sages,  nach  (1er  pari-  192,  Y.  2  ,  la  seconde,  sous  le  n- 

serhandschrift  hcrausgegcbenvon  13009  belles-lettres  A'ul  réimprimée 

If.  A.  Kellcr.  Tubingen,  183(1;  in-  deux  ans  après  en  149-4  ,  de  même 

•S".  Cet  ouvrage  est  précédé  d'une  à   Genève.  Cette  traduction    fran- 

savante  introduction.  çaise  imprimée  est  entièrement  oon- 

*  La  Bibliothèque  du  Roi  possède  forme  dans  tous  les  détails  a  Fllis- 

plusicurs  manuscrits  du  xiik  siècle,  toria  septem  Sapientum  ,  ctpour- 

renfermant  cette  version  en  prose,  rait  bien  avoir  été  composée  à  la  lin 

qui  est  celle  que  publie  M.  Leroux  du  vvsièclesur  une  des  éditions  du 

de  Lincy.  Elle  diffère  notablement  livre  latin.  Le  Style  en  a  été  rajeuni 

de  la  version  française  en  prose  ren-  dans  l'édition  suivante  ,  dont  j'ai 

fermée  dans  l'édition  gothique  avec  sous  les  veux  un  exemplaire  appar- 

figoreSj  publiée  à  Genève  en  1492,  tenant  à  la  Bibliothèque  de  T Ane- 

in-4o,  et  intitulée  Les  sept  Sages  de  nal  :   les  sept  Sages   de  Rotm 

Romme.  Cette  édition,  dont  la  Bi  Histoire  tfHoncianui   empen 


1)0 


ESSAI 


par  le  trouvère  anonyme,  dérive,  selon  l'opinion 
très  fondée  de  M.  Ellis  ' ,  une  ancienne  traduction 
en  vers  anglais,  dont  ce  savant  a  donné  une  bonne 
analyse-,  précédée  d'une  introduction.  Une  autre 
version  anglaise,  en  prose  3,  parait  dériver  direc- 
tement du  texte  latin.  Il  en  est  de  même  de  la  ver- 
sion en  prose,  imprimée  à  Genève,  en  1492  4. 

Le  roman  des  Sept  Sages  de  Rome  fut  encore 
traduit  du  latin  en  allemand5,  en  hollandais c  et  en 


et  de  son  fils  unique,  nommé 
Dyoclecian.  A  Lyon,  par  Jean  d'O- 
gerolles ,  1577;  petit  in-12. —  Hon- 
cianus  est  une  pure  et  simple  faute 
d'impression;  on  lit  ailleurs  dans 
le  volume  Poncianus,  comme  dans 
l'édition  de  Genève.  —  M.  Keller 
cite  encore  l'édition  suivante  :  les 
sept  Saiges  de  Romme ,  histoire 
de  Poncianus  V empereur,  quin'a- 
voit  qu'uny  fils  qui  avoit  à  nom 
Dyoclecian.  Lyon,  Oliv.  Arnoullet; 
in-4  ,  gothique.  La  dernière  édi- 
tion, à  ma  connaissance,  est  celle 
d'Oudot  :  le  Roman  des  sept  Sages 
de  Rome.  Troy es ,  Nicolas  Oudot, 
i662;  in-8°. 

•  Spécimens  of  early  english 
metrical  romances.  London,  1811; 
ïn-s  ,  vol.  III,  p.  16. 

2  The  seven  wisc  masters,  ibid, 
p.  25-101 .  —  Weber  en  a  publié  le 
texte  dans  le  III«  vol.  de  l'ouvrage 
intitulé  Mutrical  romances  of  the 
thirlecnlh ,  fnurtcenth  and  fif- 
teenth  centuries  published  fnnn 
ancient  manuscripls  tcilh  an 
introduction  OOlet  uni  n  glo$SOr 
ry  i>n  Henri/  Weber,  Edimburgb, 


1810,  5  vol.  iu-8o. 

3  Seven  wise  masters  ,  W.  Co- 
pland, i™  édition  sans  date ,  mais 
de  1548  à  1567,  ouvrage  souvent 
réimprimé.  lien  existe  une  traduc- 
tion en  vers  écossais ,  composée  par 
John  Rolland,  et  imprimée  à  Edim- 
bourg en  1578,  1592  et  1631  ; 
in-8°. 

4  Voyez  la  note  2  de  la  page  89. 

5  Hyslorivon  den  sybenweysen 
meystern.  Ausburg,  1475;  in-fol., 
65  feuillets. 

Von  densieben  weisenmeistern. 
Ausb.1474. 

On  trouvera  dans  l'introduction 
mise  par  M.  Keller  en  tête  de  son 
édition  du  Roman  des  sept  Sages, 
en  vers  français,  des  détails  très 
étendus  sur  la  traduction  allemande 
du  roman  latin  et  sur  les  nombreuses 
éditions  de  ce  livre  ;  mon  ignorance 
à  peu  près  complète  de  la  langue 
allemande  ne  me  permet  pas  de 
m'engage!  dans  cet  exposé. 

G  Die  hyslorie  uan  die  scuen 
wi$e  maanen  uan  Romen.Te  Dclf. 
i  'iS5;  iu-'i ",  Ggures  en  bois. 

Hier  beghini  de  historié  van  de» 


SUR  LES  FADLES  INDIENNES.  !H 

danois  ',  et  chose  singulière,  il  fui  retraduit  de  l'al- 
lemand en  lalin  par  le  jurisconsulte  Modius,  dont 
le  livre  fut  publié  vers  1570 2.  Modius,  à  ce  qu'il 
parait,  ignorait  l'existence  de  YHistoria  septem 
Sapienlum,  qui  avait  cependant  été  imprimée  plu- 
sieurs fois  dans  le  xvc  siècle  5. 


VII  wiisen  mannen  van  Rome. 
Antw.  N.  de  Leeu;  in-4<>,  figures 
en  bois. 

•  Voyez  l'introduction  de  Keller, 

p.  XXXI. 

a  Ludus  seplem  Sapientum  de 
Aslrci  régit  wlolcscentis  educa- 
tione,  periculiij  libérations,  insi- 
gni  exemplorwn  amœnitçte  ico- 
mtin  que  elegantia  Ulusiratus 
tmtehac  latino  idiomate  Un  hircin 
twnquam  editut.  Le  livre  porte  à 

la  lin  :  Inijiiissinii  l'raneofiirtitul 
Mirinnii    apUd    Paulum    Reffeler  , 

itnpensis  Sigistnundi  Feyrabent. 
l'etil  in-13,  sans  date 

3  J'ai  sous  les  yeux  deux  de  ces 
éditions  appartenant  l'aneàla  Biblio- 
thèqueduRoi,  l'autre  à  la  Bibliothè- 
que, de  l'Arsenal ,  et  dont  je  dois  la 
communication  à  la  bienveillance  de 
mm.  les  conservateurs  de  ces  éta- 
blissemens.  La  première  édition , 
celle  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  est 
un  volume  petit  in-4° gothique,  de 
71  RndlietS,  sans  date  ni  lieu  d'im- 
pression .  ne  portant  ni  réclames 
ni  signatures  ni  chiffres,  et  par  con- 
séquent antérieure,  selon  toute  ap- 
parence,  a  I  aimée  1480;  elle  n'a 
point  de  liire  particulier,  ci  porte 
simplement  en  baul  de  la  première 
page:  fnetpii  historia  septem  Sa 
pientwn  Rome  età  la  fin Explicit 


historia  seplem  Sapienlum  Rome. 
Ilonorem  Dei  et  Marie  semperque 
cole.  Une  table  des  histoires  oc- 
cupe la  dernière  feuille.  M.  Gui- 
ebard,  employé  à  la  Bibliothèque 
du  Roi,  et  qui  se  livre  avec  zèle  à 
l'étude  de  la  bibliographie  du  \v 
siècle ,  pense  que  cette  édition  a 
été  imprimée  en  Allemagne,  et,  se- 
lon toute  apparence,  à  Cologne. 
L'exemplaire  de  la  Bibliothèque  de 
l'Arsenal  porte  le  n°  131)08,  c'est  un 
petit  in-fol.  de  40  feuillets,  imprimé 
a  AJbi,  en  lettres  romaines,  mais 
sans  date,  ne  portant  ni  chiffres 
ni  réclames  ;  les  signatures  sont  à  la 
main.  Il  porte  en  haut  de  la  pre- 
mière page  :  Incipil  historia  sep- 
tem Sapienlum  Rome  ,  et  à  la  lin 
Explicit  historia  septem  Sapien- 
lumAlbieimpressaad  ntorum  >nn- 
licrum  virorum  que  emendatio- 
nem.  Cette  édition  ne  diffère  pas 
pour  le  texte,  de  l'édition  précédem- 
ment citée;  toutes  deux  n'ont  ni 
préface  ni  prologue,  et  commen- 
cent par  Poneianui  rtgnaoit  in 
wbe  Roma.  Je  dois  à  l'obligeance 
de  M.  Th.  Wrighl  l'indication 
dîme  troisième  édition  sans  date . 
gothique,  et  queDibdin,  dans  une 
note  maouicrite,  suppose  avoir  été 
imprimée  a  Strasbourg  par  Cobui 
.ci    Eggestein  ou  Creussner. 


92  ESSAI 

L'Italie,  et  l'Espagne  en  dernier  lieu,  nous  offrent 
deux  imitations  du  roman  des  Sept  Sages,  dont 
l'une  a  servi  de  modèle  à  l'autre,  mais  X Histoire 
du  Prince  Eraslus  ',  que  l'auteur  annonce  comme 


Les  deux  éditions  suivantes  sont 
citées  par  les  bibliographes.  His- 
toria septem  Sapientum  Romœ. 
Col.  J.  Kolhof,  1490  ;  in-4°,  go- 
thique, avec  figures  en  bois. — 
Sapientum  septem  Romœ  Histo- 
ria. Delfis,  Ch.  Sncllaert,  1495; 
in-4°,  figures  en  bois. 

Le  livre  publié  par  Gérard  Leeu, 
à  Anvers,  en  1490,  sous  le  titre  de 
Ilistoria  de  Calumnia  novcrcali, 
(petit  in-4°  gothique,  figures  en 
bois),  ne  diffère  point  pour  le  fonds 
de  l'ouvrage  précédent.  Ce  livre 
porte  en  tête  de  la  première  vi- 
gnette Historia  Calumnic  nover- 
calis  que  septem  Sapientum  in- 
scribitur  r/uod  ab  iis  sit  refutata. 
Le  rédacteur,  dans  une  courte  pré- 
face, avertit  le  lecteur  qu'il  s'est 
contenté  de  retoucher  le  style  de 
l'IIistoria  septem  Sapientum  et 
de  retrancher  les  noms  des  person- 
nages qui  ne  conviennent  pas  aux 
temps  où  ils  étaient  placés,  que  du 
reste  il  n'a  rien  changé  au  fonds  du 
récit,  mais  que  le  titre  d'Histoire 
delà  calomnie  Wune marâtre  lui 
a  paru  plus  convenable,  à  cause  du 
rapport  de  l'histoire  avec  celle  de 
Phèdre  et  d'Hippolyte,  «le  même 
qu'avec  celle  de  la  femme  de  Puti- 
phar  et  de  Joseph,  et  de  la  chaste 
Suzanne,  faussemeut  accusée  par 
les  vieillards. 

La  Bibliothèque  du  Roi  possède 
sous  le  n°  Y»  58  un  exemplaire  de 
cet  ouvrage  que  M.  Dacier  avait  déjà 


consulté  pour  sa  notice  du  Livre 
des  sept  Sages  (Me'm.  de  VÂcad. 
des  Inscriptions,  t.  XLI)  ;  mais  ce 
savant  qui  ne  connaissait  pas  les 
éditions    sans  date  de   V Historia 
septem  Sapientum,  n'ayant  eu  sous 
les  yeux  que  Y  Historia  calumnic 
novercalis,  a  cru  que  nous  n'avions 
pas   le  texte  du  moine  de  Haute- 
Selve,  et  cette  erreur  a  été  répétée. 
'  Li  compassionevoli   avveni- 
menti  d'Erasto,   opéra    dotta  et 
morale  ~di  greco  tradotta  in  vol- 
gare.  Vinegia,  1542,  1551,  1552; 
in-8°.  Une  autre  édition  imprimée 
à  Mantoue  en  1 546,  et  citée  par  El- 
lis,est  intitulée  Eraslo  doppo  molli 
secoli  ritornalo  al  fine  in  luce  et 
con  somtna  diligenza dal greco  fe- 
delmente  tradotto  in  italiano.  Cet 
ouvrage  fut  presque  aussitôt  traduit 
en  français  sous  le  titre  suivant  : 
Histoire    pitoyable     du     prince 
Erastus,  fils  de  Dioctétien,  empe- 
reur de  Homme. Paris,  1565,  in-18. 
Ellis,  dans  son  introduction  (Spé- 
cimens, etc.,  vol.  III,  p.  17),  en 
indique    une    traduction   anglaise 
composée  par  Francis  Kirkman  ,  et 
publiée,  en  1674,  sous  le  titre  qui 
suit  :   Hislorg  of  prince  Erastus 
son  to  the  emperor  Diocletian  and 
those  famons  philotophers  called 
the  tenon  wise  masters  of  Home. 
Il  existe  eue. in-  «lu  livre  italien  la 
traduction  espagnole  suivante:  His- 
toria del. principe  Erasto  hijodel 
emperador  Diortrziann  traducida 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  93 

une  traduction  du  grec,  dérive  au  contraire  très 

évidemment  du  roman  latin  de  Dam  Jelians ,  ainsi 
qu'on  en  verra  plus  bas  la  preuve. 

L'analyse  suivante  du  roman  grec  de  Synlipas*, 
comparé  avec  les  Paraboles  de  Sendabar  et  avec 
le  roman  arabe  des  Sept  Vizirs;  traduit  par  M.  Jo- 
nathan Scott,  confirmera  le  témoignage  du  chro- 
niqueur arabe  Massoudi,  relativement  à  l'origine 
indienne  du  livre  de  Scndabad,  et  offrira  l'occasion 
de  faire  quelques  rapprochemens  curieux  qui  pour- 
ront racheter  le  ridicule  ou  l'insignifiance  de 
quelques  uns  des  contes  de  ce  recueil. 

Un  roi  de  Perse,  nommé  Cyrus,  avait  sept  fem- 
mes, et  aucune  ne  lui  avait  donné  d'enfans.  Après 
avoir  long-temps  adresse  des  prières  à  la  divinité 
pour  en  obtenir  un  fils,  il  vit  enfin  ses  vœux  exau- 
cés. Lorsque  le  jeune  prince  fut  sorti  de  l'enfance, 
on  lui  donna  successivement  plusieurs  maîtres 
avec  lesquels  il  ne  fit  aucun  progrès.  Le  roi  prit 
alors  la  résolution  de  confier  l'éducation  de  son 

de  Italianopor  Pedro  Hurlado  de  sacrilior  plusieurs  conlcs  à  des  scru- 
ta P«ra.  En  Ambcres,  1573;  iu-1'2.  pules  de  délicatesse  ,  je  suis  forcé 
Le  chevalier  <le  Rfailty  a  publié  en  do  prendre  pour  base  de  cette  ana- 
1109 me  nouvelle  traduction  Iran-  lyse  le  roman  grec  de  Synlipas. 
caise  de  l'Histoire  du  prince  Ercu-  dont  le  texte  a  été  publié  par 
(tu, d'après  la  version  espagnole.  M.  Boissonade. (Voyez  ci-dessus,  p. 
■  Aucune  traduction  des  Para-  83.)  Je  me  fais  on  plaisir  de  répéter 
boles  de  Sendabar  n'ayant  encore  ici  que  c'esl  à  la  complaisance  de 
été  publiée  ,  et  m.  Jonathan  Scott  m.  Pichard  «pie  je  dois  tous  l<">  dé- 
ayant cru  à  propos  dans  sa  traduc-  tails  que  je  donne  sur  l.i  version 
ii<>n  anglaise  <hi  roman  des  Sept  hébraïque. 
Yiiirs  (voyez  ci-di'ssus.  p,  S'2),  de 


!)4  ESSAI 

lils  à  un  philosophe,  nommé  Syntipas,  qui  s'enga- 
gea à  lui  faire  connaître,  en  six  mois,  toutes  les 
parties  de  la  philosophie.  Pour  réussir  dans  son 
entreprise ,  Syntipas  fit  construire  une  maison 
vaste  et  commode,  et  sur  les  murailles  des  appar- 
tenons il  fit  tracer  la  représentation  de  tous  les 
sujets  dont  il  voulait  orner  l'esprit  do  l'héritier 
royal.  Lorsque  tout  fut  prêt ,  il  installa  son  élève 
dans  sa  nouvelle  demeure,  et  les  progrès  du  jeune 
prince  furent  tellement  rapides,  qu'au  bout  de  six 
mois  il  savait  tout  ce  que  le  philosophe  s'était  en- 
gagé à  lui  apprendre.  La  veille  du  jour  fixé  pour 
la  fin  de  l'éducation,  le  roi  rappelle  au  philosophe 
ses  engagemens,  et  celui-ci  lui  promet  de  lui  pré- 
senter son  fils  le  lendemain.  Pendant  la  nuit,  Syn- 
tipas consulte  les  astres  sur  la  destinée  de  son 
élève,  et  voit  avec  étonnement  et  douleur  que  la 
vie  du  prince  est  en  danger,  s'il  est  ramené  à  son 
père  avant  sept  jours  au  delà  du  jour  convenu: 
Le  philosophe  l'ait  part  de  sa  découverte  «à  son 
élève  ;  dans  leur  embarras,  ils  conviennent  ensem- 
ble que  le  jeune  prince  se  présentera  à  la  cour  le 
lendemain,  mais  qu'il  gardera  le  silence  pendant 
les  sept  funestes  jours,  et  Syntipas  se  cache  pour 
échapper  au  courroux  du  roi.  Le  lendemain,  le 
jeune  homme  se  rend  au  palais,  mais,  au  grand 
étonnement  de  son  père  et  de  ses  courtisans,  il 
reste  muel  à  toutesles  questions  qu'on  lui  adresse 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  '•>■> 

Le  roi,  aussi  désolé  que  surpris,  ne  sait  que  penser 
de  cet  étrange  événement.  Une  des  femmes  de  Cy* 
rus  lui  demande  de  lui  confier  le  prince,  elle  l'em- 
mène dans  son  appartement ,  et  emploie  les  priè- 
res et  les  caresses  pour  l'engager  à  rompre  sou 
silence  obstiné.  Tout  est  inutile.  Elle  essaie  alors 
de  tenter  son  ambition.  «  Je  vous  enseignerai,  lui 
dit-elle,  les  moyens  de  vous  défaire  de  votre  père 
et  de  régner  à  sa  place,  si  vous  consentez  à  m'é- 
pouser.  »  Le  prince,  indigné,  ne  put  contenir  sa 
langue  :  «  Apprends,  s'écria-t-il ,  qu'à  présent  je 
ne  puis  te  répondre;  mais  dans  sept  jours...»  Cette 
femme  se  voyant  perdue  n'hésite  pas:  elle  déchire 
ses  vêtemens,  se  meurtrit  le  visage,  et  va  se  plain- 
dre au  roi  de  la  brutalité  de  son  tils  '.  (ivrusdans 
sa  colère  condamne  le  prince  a  mort. 

Le  roi  avait  à  sa  cour  sept  conseillers  ou  philo- 
sophes investis  de  toute  sa  confiance.  Informés  de 
l'arrêt  porté  contre  le  jeune  homme,  ils  ne  purent 
pas  le  croire  coupable,  et  soupçonnant  quelque 
trahison  de  la  part  de  l'accusatrice,  ils  eonvinréni 
entre  eux  de  passer  chacun  un  jour  entier  auprès 
du  roi,  et  de  faire  tous  leurs  efforts  pour  fléchir 
sa  colère  ,  dans  la  crainte  que  plus  lard  CyrUS  ve- 
nant il  se  repentir  de  la  mort  de  son  lils,  ne  les  en 

rendit  responsables  *. 

1   Il  n'est  pas  besoin  de  faire  re-       probablement    tout    a   l'ait    fortuit, 
marquer  le  rapport  de  eel  incident  Tout  ce  début  est  à  peu  près  le 

avec  l'histoire  de  Phèdre,  rapport      même  dans  la  version  hébraïque 


9(>  ESSAI 

Celui  ii  qui  était  échu  le  premier  jour  se  rendit 
sur-le-champ  au  palais.  «  Sire,  dit-il  aCyrus  après 
s'être  prosterné  devant  lui,  un  roi  ne  doit  jamais 
prendre  aucune  détermination  avant  de  s'être 
bien  assuré  de  la  vérité.  Ecoutez,  à  ce  sujet,  le  récit 
que  je  vais  vous  faire  *. 

«  Un  roi ,  qui  aimait  les  femmes  avec  passion , 
aperçut  un  jour  une  dame  dont  la  beauté  fit  une 
telle  impression  sur  lui  qu'il  en  devint  éperdument 
amoureux.  Pour  jouir  de  l'objet  de  ses  vœux ,  il 
éloigne  le  mari  de  cette  belle  personne,  en  le  char- 
geant d'une  mission,  et  profitant  de  son  absente, 
il  se  rend  chez  cette  dame.  Il  lui  déclare  son  amour 
et  emploie  inutilement  les  prières  pour  obtenir 
qu'elle  contente  ses  désirs.  La  dame  lui  repré- 
sente l'indignité  de  l'action  qu'il  veut  commettre, 
et  le  roi,  ne  pouvant  réussir  à  vaincre  sa  résistance, 
se  retire  sans  s'apercevoir  qu'il  a  laissé  tomber  son 
anneau2.  Le  mari,  en  revenant  chez  lui,  découvre 


à  l'exception  de  quelques  différences  ne  portent  point  de  nom  dans  le 

dans  les  détails.  La  scène  est  placée  roman  grec  ,  tandis  qu'ils  sont ,  au 

dans  l'Inde,  et  le  roi,  qui  se  nomme  contraire,  nommés  dans  ïlfisloria 

Bibur ,  choisit  pour  précepteurs  de  septem  Sapientum   Home.  Aucun 

son  fils,  sept  philosophes  qui  por-  des  personnages  ne  porte  de  nom 

tent  presque  tous  des  noms  f:rccs  dans  ['Histoire    des  sept    Vizirs 

altérés  ,  parmi  lesquels  on  recon-  traduite    par    M.   Jonathan  Scott, 

naît  ceux  d'Apollonius  ,  de  Lucien,  (Voyez  ri-dessus,  p.  X-2,  note.) 

d'Aristote  et  d'Hippocrate.  Senda-  ■  Pour  ce  conte,  comme  pour  les 

bar,   le  premier  des  philosophes  ,  suivans  ,  je  me  suis  borné  adonner 

finit  par  élre  chargé  définitivement  une  analyse  ou  j  ai  l'ail  en  sorle  de 

de  l'éducation  du  jeuneprince.il  n'omettre  aucun  détail  important, 

est  à  remarquer  que  les  philosophes  i  Dans  les  Paraboles  de  Senda- 


SUR   LES  FAILLES  INDIENNES.  97 

cel  anneau  auprès  du  lit,  le  ramasse,  et  reconnaît 
qu'il  appartient  au  roi.  Convaincu  par  cette  preuve 
que  Le  prince  a  pénétré  dans  la  chambre  conju- 
gale, il  prend  la  résolution  de  s'abstenir  de  tout  com- 
merce avec  sa  femme.  Au  bout  de  quelque  temps, 
celte  dame,  à  qui  son  mari  avait  caché  ses  soupçons, 
el  qui,  de  son  côté,  avait  craint  de  l'entretenir  de 
l'amour  du  roi,  blessée  de  la  froideur  de  son 
époux ,  s'en  plaignit  à  son  père  et  à  ses  frères. 
Ceux-ci  firent  mander  le  mari  devant  le  roi  :  «  Sei- 
gneur, dirent-ils ,  nous  avons  donné  à  cet  homme 
un  champ  à  la  condition  de  l'ensemencer,  et  il  le 
laisse  en  Iridié  ;  qu'il  nous  le  rende,  ou  qu'il  le  cul- 
tive selon  son  devoir.  »  —  «  Qu'as-tu  à  répondre 
à  cette  plainte?  »  dit  le  roi.  «.  Seigneur,  répondit 
le  mari,  ils  ont  déclaré  la  vérité.  J'avais  jusqu'à 
présent  cultivé  avec  soin  le  champ  qu'ils  m'avaient 
donnes  mais  un  jour  y  ayant  aperçu  la  trace  d'un 
lion  ,  je  n'ai  plus  osé  en  approcher.  »  —  «  Ne 
crains  rien,  répliqua  le  roi  :  le  lion  est  entré  dans 
ton  champ,  mais  il  n'y  a  fait  aucun  dommage  et 
n'y  retournera  plus ,  cultive-le  connue  aupara- 
vant '. 

har,  le  roi  oublie  la  canne  qu'il  te-         ■  Stmfaac ,  éd.  do  Boissonade, 
naii  a  la  main  en  entrant,  Dans  les      p.  16.  — ■  Le  même  eente  Fait  par- 

■"l't  Vizirs,  le  prince,  qui  a  soupe        tic  des   Pctraboiei   <lr    Srmlubar  . 

chez  la  daine,   lait  ses  ablutions  ainsi  que  du  roman  des  stpt  Vixirt, 

avanl  départir,  et  oublie  sa  bague  el  le>  trois  rédactions  sont  à  peu 

sons  an  des  coussins  du  sopha.(  Ta  près  conformes.  Ce  conte ,  qui  est 

(**, anecdotes  mut  letters,  p  7-2.  i  un  des  trois  analysés  par  M.  Dacîei 


98  ESSAI 

Le  premier  philosophe  ,  après  avoir  conclu  de 
cette  histoire  qu'il  ne  faut  pas  toujours  s'en  rap- 
porter aux  apparences,  afin  de  mettre  en  garde  le 
roi  contre  la  malice  du  sexe  féminin,  raconte  l'his- 
toire suivante  :  «  Un  marchand,  curieux  de  savoir 
ce  qui  se  passait  chez  lui  pendant  son  absence , 
acheta  un  perroquet  qui  avait  le  talent  de  rendre 
compte  de  tout  ce  qu'il  avait  vu  et  entendu.  Le 
marchand  le  mit  dans  une  cage ,  et  lui  ordonna 
d'observer  la  conduite  de  sa  femme  tandis  qu'il 
irait  vaquer  à  quelques  affaires  qui  l'appelaient 
hors  de  chez  lui.  Dus  qu'il  fut  sorti ,  le  perroquet 
remarqua  qu'un  galant  venait  visiter  la  dame  du 
logis;  il  en  instruisit  le  marchand  à  son  retour. 
Celui-ci  témoigna,  depuis  ce  moment,  tant  de  froi- 
deur à  sa  femme,  qu'elle  fut  persuadée  qu'il  avait 
pénétré  le  mystère;  mais  elle  ignorait  comment  il 
y  était  parvenu.  Une  esclave  qui  avait  de  l'expé- 
rience et  qui  était  dans  le  secret  de  sa  maîtresse, 
lui  dit  que  sûrement  le  perroquet  avait  jasé.  Il  ne 
s'agissait  plus  que  de  faire  perdre  tout  crédit  au 
perroquet,  en  trouvant  le  moyen  de  le  prendre 
en  faute.  Or  voici  ce  que  la  femme  imagina.  Quand 
la  nuit  fut  venue ,  elle  suspendit  l'oiseau  endormi 
pics  d'un  moulin  à  bras ,  et  attacha  au  dessus  de 

(Mém.  de  VAcad.  des  Inscr.,  t.  et  traduit  sous  le  litre  de  la  Pan- 

\  i.i  .  p.  540) ,  se  retrouve  dans  le  touflc  du  Sultan.  (Voy.  les  Me'lan- 

rerueil   turc    intitulé   Adjâtb-èt-  yes  de  littérature  orientale  ,  l.  h 

nicmrr ,  d'où  Cardottne  l'a  extrait  p.  *.» 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  99 

la  cage  une  éponge  pleine  d'eau  ;  puis ,  tournant 
la  meule  avee  rapidité ,  elle  faisait  passer  par  in- 
tervalles une  lumière  devant  l'oiseau.  Le  perro- 
quet trempé  de  l'eau  qui  distillait  de  l'éponge, 
étourdi  du  bruit,  ébloui  par  la  lumière  ,  crut  qu'il 
avait  fait  cette  nuit  le  plus  violent  orage.  Il  ra- 
conta le  lendemain  son  aventure  au  marchand 
qui,  sachant  que  la  nuit  avait  été  très  calme,  le 
prit  pour  un  fou,  cessa  d'ajouter  foi  à  ses  rapports, 
et  se  raccommoda  avec  sa  femme  '.  » 

Ces  deux  récits  détournent  Cyrus  du  projet  de 
faire  mourir  son  fils.  Le  lendemain,  la  femme 


»  2uvTvicac,p.2i. — Ccconto,dont 
j'ai  emprunté  l'extrait  à  M.  Dacier 
(M4m.de  l'Acad.  des  Ins.,  t.  XLI, 
p.  B50),  est  en  outre  l'un  des  pre- 
miers  dans  les  Mille  el  une  Nuits, 
traduites  par  Galland.  Il  se  trouve 
aussi  dans  les  sept  Vizirs  (Taies, 
anecdotes  ,  etc.,  p.  <J2),  dans  les 
Paraboles  de  Sendabar  et  dans  le 
tKr&Èorium  humant  vite,  de  Jean 
de  Capoue,  fol.  E  verso,  d'où  il  a 
•  I.iiis  les  Discorsi  degli  ani- 
mait de  l'ircnzuola  (1548  in-8» , 
p.  14)  el  dans  les  l)ni.r  livres  de 
i'iloso/ir  fabuleuse  de  La  llivcy  (p. 
1  i.~>,  voyez  ci-dessus,  p.  68el  83). 
On  le1  trouve  encore  dans  le  recueil 
de  Sansovino  1  Giom.  Vil ,  nov. 
x.j  Je  ne  sais  si  je  me  trompe, 
mais  la  présence  du  perroquet  dans 
ca  petit  conte .  comme  oiseau  par- 
leur ci  intelligent ,  rue  semble  une 

présomption  eiiia\eunl  une  origine 
indienne.    Le    perroquet   joue    un 

rôle  semblable  dans  plusieurs  contes 


indiens.  A  cette  occasion _,  je  crois 
faire  plaisir  au  lecteur  en  citant  un 
quatrain  sanscrit,  élégamment  tra- 
duit par  M. Chézy  dans  l'Anthologie 
erotique  d'Amarou. 

l'heureux   expédient. 

Nuit  de  délices ,  où  loin  de  tout 
témoin  indiscret ,  la  jeune  amante 
a  pu  s'abandonner  sans  réserve  aux 
désirs  du  séducteur.  Quelles  ca- 
resses !  quelles  brûlantes  expres- 
sions!... Mais  au  point  du  jour 
qu'aperçoit-elle?  l'oiseau  parleur  qui 
a  tout  entendu.  O  ciel  !  et  voici  la 
duègne  qui  survient,  il  va  tout  lui 
redire  pour  sa  bien-venue! 

Que  fait  la  rusée?  elle  détache  à 
l'instant  de  ses  pendans  d'oreilles 
quelques  rubis  tranebans  qu'elle 
mêle  adroitement  avec  les  grains  de 
grenade  préparés  pour  le  déjeuner 
du  babillard  ,  et  trouve  ainsi  ïè 
moyen  de  lui  clore  le  bec  à  ja- 
unis. 


100  ESSAI 

du  roi  '  cherche  à  le  faire  revenir  de  celte  nou- 
velle détermination,  par  l'histoire,  fort  insi- 
gnifiante cependant ,  d'un  foulon  qui  se  noie  en 
voulant  sauver  son  fds  que  le  courant  d'un  fleuve 
emportait  -.  Celte  histoire  produit  l'effet  désiré  sur 
le  roi ,  qui ,  pendant  les  sept  jours ,  joue  ainsi  le 
rôle  ridicule  d'un  homme  qui  change  de  résolu- 
tion deux  fois  dans  la  journée. 

Au  moment  où  le  jeune  prince  va  être  conduit 
au  supplice,  le  deuxième  philosophe  se  présente  de- 
vant Cyrus ,  et  demande  la  révocation  de  la  sen- 
tence. Il  récite ,  dans  celle  intention ,  un  premier 
conte  très  insignifiant 3,  suivi  d'un  autre  mieux 
imaginé  qui  a  pour  objet  de  prouver  que  l'esprit 
des  femmes  est  inépuisable  en  ruses.  «  Un  officier 
aimait  passionnément  une  femme  et  en  était  aimé; 
un  jour  que  son  mari  était  absent,  l'amant  envoya 
sou  esclave  pour  savoir  si  on  voulait  le  recevoir; 
l'esclave  était  jeune  et  bien  fait ,  il  plut  à  la  dame , 
et  la  rendit  inlidèle.  L'officier  ennuyé  d'attendre 
si  long-temps  son  retour,  et  encore  plus  impatient 
de  voir  sa  maitresse,  se  rend  chez  elle.  Au  bruit  de 
son  arrivée ,  la  femme  ne  se  déconcerta  point  et 

•    Le   grec   porle  wai  femme ,  la    vieille    traduction    française. 
et  l'hébreu   nadrah,  jeune  tille;  =  ïjvriîvaç,  p.  24. —  Paraboles 

la  traduction  de  M.  Jonathan  Scott  de  Sendabar.  — Les  sept   Vizirs. 

porle  concubine.  Ce  n'est  que  dans  (Taies,  etc.,  p.  07.) 
Y Historia  septem  Sajjientum  Ro-  3  Les  deux  gâteaux.  —  2uvtî- 

mœ  qu'elle   est  appelée    regina  ,  7rx;,p.  20. —  Paraboles  de  Senda- 

reine,  ou  empereris,  comme  porte  bar. 


SLR  LES  FABLES  INDIENNES.  101 

lit  cacher  l'esclave  dans  son  appartement  intérieur. 
L'amant  est  reçu ,  avec  les  démonstrations  ordi- 
naires de  tendresse ,  mais  la  f'étc  est  troublée  par 
la  nouvelle  du  retour  du  mari.  Quelle  ruse  ima^ri- 
giner?  Si  on  fait  entrer  l'officier  dans  l'intérieur 
de  la  maison ,  il  y  trouvera  son  esclave ,  et  décou- 
vrira ce  qu'on  veut  lui  cacher.  Un  expédient  s'offre 
tout  à  coup  à  la  femme  :  «  Mettez  l'épée  à  la  main, 
dit- elle  à  son  amant,  feignez  le  plus  violent  cour- 
roux ,  accablez-moi  d'injures ,  et  sortez  sans  rien 
dire  à  mon  mari.  »  L'officier  joua  parfaitement  son 
rolc  Dès  qu'il  fut  sorti,  le  mari,  surpris  et  effrayé, 
demanda  a  sa  femme  quelle  était  la  cause  de  tout 
cé  fracas.  «  Cet  officier,  répondit  la  femme,  est 
entré  ici  à  la  poursuite  de  son  esclave,  que  j'ai  fait 
caoher  dans  l'appartement  intérieur,  pour  lesous- 
traire  à  sa  colère,  et  le  refus  que  j'ai  fait  de  le  lui 
livrer,  m'a  attiré  les  injures  que  vous  avez  enten- 
dues. »  Le  crédule  mari  court  aussitôt  dans  la  rue 
pour  voir  ce  qu'est  devenu  l'officier,  et  dès  qu'il 
l'a  perdu  de  vue,  il  revient  trouver  l'esclave  :  «  Mon 
ami,  lui  dit-il,  tu  peux  t'en  aller  en  paix,  ton  maî- 
tre est  déjà  bien  loin'.  » 


i  Suvtmtoc  ,  p.  29.  —  Ce  conte  pas  douteuse.    Il  fait  aussi  partie 

«l'int  j'ai  emprunté  encore  L'extrait  des  Paraboles  de  Sendàbar  et  du 

à  m.  Dàcier,  ne  diffère  en  rien.,  roman  des  sept  Vitirs. (Taies,  eic, 

pour  le  fond ,  de  celui  de  la  Fer-  p.  77.)  On  a  vu  que  c'est  du  LtVre 

mtsrs  et  de  ses  deux  Amans,  dans  de  Syntipcu  qu'il  a  passé  dans  le 

VHitopadëia  (voyez  ci-dessus,  p.  Déeaméron,  et  de  là  dans  d'autres 


7"  i,  ainsi  son  origine  indienne  n'est      livres  facétieux. 


102  ESSAI 

Ces  deux  contes  amènent  un  nouveau  sursis,  que 
la  femme  du  roi  fait  révoquer  le  lendemain  au  moyen 
de  l'histoire  suivante  : — Un  jeune  prince  part  pour 
la  chasse  avec  un  des  conseillers  du  roi  son  père.  En 
s'acharnant  à  poursuivre  un  onagre ,  il  s'éloigne 
de  sa  suite ,  et  rencontre  une  lamie  ou  ogresse  ' 
qui  se  présente  a  lui  comme  une  princesse  égarée. 
il  la  prend  en  croupe,  mais  ayant  bientôt  occasion 
de  s'apercevoir  du  danger  qu'il  court,  dans  son  ef- 
froi, il  élève  ses  regards  vers  le  ciel  :  «  Seigneur 
Christ,  dit-il,  aie  pitié  de  ton  serviteur  et  délivre-le 
de  ce  démon.  »  Aussitôt  la  lamie,  s'élancant  du  che- 
val, disparait  sous  terre,  et  le  jeune  prince  retourne 
au  palais  de  son  père,  encore  tout  en  émoi-.  La 
femme  du  roi  termine  son  récit  en  présentant 
cette  aventure  comme  un  piège  tendu  au  jeune 
prince  par  le  ministre  qui  l'accompagnait,  et  elle 
en  prend  occasion  de  s'élever  contre  les  conseillers 
de  Cyrus. 

Le  troisième  philosophe  réplique  par  deux  his- 
toires dont  la  première  a  pour  but  de  prouver  que 
des  événemens  très  graves  résultenl  souvent  d'une 
cause  très  futile5.  La  seconde  est  curieuse  en  <<■ 

.  Dans  les  Paraboles  de  Senda-  par  Galland    (le   Vizir  puni), 

bar  la  lamie  est  remplacée  par  un  3  Une  querelle  sanglante  entre 

démon  femelle  nomme  Srliidah.  deiu  Pa78  voisins  est  occasionnée 

îl-jvri-a;,  p.  52.—  Paraboles  Par  le    vo1    dunG    ruche   à  miel. 

de  Sendabar.  —  Les  sept  Vizirs  SmMraç,  p.  T,7.  —  Les  sept  Vi- 

Ifale»  anecdotes,  etc.,  p.  81).—  «{«(Tal^etc.,  88). 
/  rs  Mille  et  vvp  Nuits ,  traduites 


SUK  LES  FA1JLES  INDIENNES.  103 

qu'on  en  retrouve  la  trace  dans  l'Inde.  La  voici  : 
Un  homme  envoie  sa  femme  au  marché  lui  acheter 
du  riz.  Le  marchand  auquel  elle  s'adresse  fait  ob- 
server à  cette  femme  que  le  riz  se  mange  ordinai- 
rement avec  du  sucre,  et  offre  de  lui  en  donner 
gratuitement  si  elle  consent  à  lui  accorder  un  en- 
tretien  secret.  La  femme  exige  que  le  sucre  lui  soit 
livré  d'abord;  et  le  mettant  avec  le  riz  dans  une 
serviette,  elle  confie  le  tout  au  garçon  de  bou- 
tique,  et  suit  le  marchand  dans  son  apparte- 
ment. Pendant  ce  temps,  le  garçon  ôte  le  sucre  et 
le  riz  et  met  de  la  terre  à  la  place.  La  femme  en 
sortant  prend  la  serviette  sans  y  regarder  et  l'ap- 
porte ii  son  mari  qui  est  fort  étonné  de  n'y  trou- 
ver (pie  de  la  (erre.  La  femme  se  doute  bien  du 
tour  qu'on  lui  a  joué,  mais  elle  ne  se  trouble  pas. 
«  Je  me  suis  laissé  tomber  dans  le  marché  ,  ré- 
pond-elle à  son  mari,  et  mon  argent  s'est  perdu. 
Alors  j'ai  ramassé  la  terre  à  l'endroit  de  ma  chute, 
dans  l'espoir,  en  criblant  celte  terre, de  retrouver 
mon  argent  ».  Le  benêt  de  mari  trouve  la  raison 
fort  bonne ,  et  perd  son  temps  à  cribler  la  terre 
sans  y  rien  trouver  '. — Le  troisième  philosophe  en 

■  £'jv7Ï-a;  ,  p.  40. —  Paraboles  Thouthi-nameh.  Voyez  la  traduc- 

de  Sendabar.  —  Jean  de  Capoue,  tion  anglaise  de  ce  dernier  ouvrage 

Directorium  humaine  vit»,  loi.  F.  intitulée  The  Tooti^nameh or  taies 

~>  verso.  Celte  histoire  se  retrouve  ofa  parrot.  Lohdon,  1801;  in-8  . 

dans   le  reeueil  indien  des  Coules  p.  126,   et  la  traduction  française 

d'un  Perroquet  (Souka-Saptati),  de  m    Marie  d'Heures,  p.  113. — 

traduit  en  persan  v>ns   le  litre   de  Ce  mule  est  le  second  dont  l'origine 


10  ï  ESSAI 

terminant  son  récit  fait  observer  que  les  ruses  des 
femmes  sont  inépuisables,  et  le  roi  révoque  de  nou- 
veau sa  sentence. 

La  femme  du  roi  revient  à  la  charge  par  une 
histoire  fort  singulière  dont  voici  l'analyse  :  Un 
jeune  prince  part  accompagné  d'un  des  ministres 
du  roi  son  père ,  pour  la  cour  d'un  roi  dont  il  va 
épouser  la  fille.  Pendant  la  route,  le  ministre,  sous 
un  faux  prétexte,  abandonne  le  prince  auprès  d'une 
source  qui  a  la  vertu  de  changer  en  femmes  ceux 
qui  boivent  de  son  eau,  et,  retournant  à  la  cour, 
il  annonce  au  roi  que  son  fils  a  été  dévoré  par  un 
lion.  Le  jeune  prince,  qui  est  resté  seul,  boit  à  la 
source  fatale,  dont  les  effets  se  manifestent  aussitôt. 
Heureusement  pour  lui ,  il  rencontre  un  paysan 
qui  consent  à  devenir  femme  à  sa  place ,  sous  la 
condition  de  reprendre  au  bout  de  quatre  mois  sa 
forme  naturelle.  Le  jeune  homme  se  pend  à  la  cour 
du  roi  dont  la  fille  lui  est  promise,  et  h  son  retour,  il 
élude  par  une  supercherie  l'accomplissement  de  la 
promesse  qu'il  a  faite  au  paysan;  quant  au  ministre 
coupable,  il  est  mis  à  mort.  —  Après  cette  histoire 
la  femme  du  roi  blâme  de  nouveau  la  conduite  des 
conseillers  de  son  ('-poux  l. 

indienne  ne  peut  pas  se  révoquer  phosé  fait  l'heureuse  rencontre  d'un 

en  doute.  génie  qui  le  conduit  a  une  aniro 

■  ijt-rl-y.:,    p.  43.    —    Dans  source,  par  la  vertu  de  laquelle  son 

les  $ept  yizirs  [Taie»,  anecdotes,  seieluîesl  rendu.  Ces  deux  sources 

elr.,  p.   90),  le  prince   métamor-  rappellent   les  deux    fontaines   du 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  105 

Le    philosophe   auquel  est  échu  le  quatrième 

jour,  vient  à  son  tour  prendre  la  défense  du  jeune 
prince  par  deux  récits  qui  se  retrouvent  chez  les 
conteurs  indiens,  et  dont  le  premier  a  été  si  singu- 
lièrement défiguré  par  le  traducteur  grec,  que  la 
pudeur  de  notre  langue  ne  permet  pas  d'en  donner 
une  version  littérale.  Le  fils  d'un  roi  avait  un  em- 
bonpoint qui  le  rendait  difforme  '.  Un  jour  qu'il 
était  au  bain ,  le  baigneur  en  le  voyant  nu  se  mit 
à  pleurer  en  pensant  que  l'héritier  du  trône  serait 
incapable  d'avoir  lui-même  des  héritiers.  Le  jeune 
homme  lui  demande  la  cause  de  son  chagrin,  et  le 
baigneur  lui  déclare  le  fond  de  sa  pensée.  «  Ap- 
prends ,  lui  dit  le  prince  ,  que  mon  père  veut  me 
marier,  mais  ayant  conçu  les  mêmes  inquiétudes 


Boyardo ,  également  douées  de 
vertus  contraires.  (Voyez  l'Ortan- 
do  iiiHdinoralo,  édition  dePanizzi. 
Londres,  1830;  in-12,  vol.  II, 
tant,  m  ,  st.  33  et  54,  et  les  notes 
p.  205.)  Les  deux  arbres  doués  de 
vertus  contraires,  dans  le  romande 
Fortunatus,  ont  aussi  quelque  ana- 
logie avec  les  deuv  fontaines  du 
conte  arabe.  (Voyez  les  Riches  7s/*- 
tfetiens  <irs  voyages  et  adventures 
de  Fortunatus ,  nouvellement  tra- 
duits d'espagnol  en /ranpo<s,Paris, 
1637,  in-12.) —  Dans  les  Paraboles 
de  Sendabar,  ou  ce  conte  ne  fait 
qu'un  avec  relui  de  la  l.rnnie  ,  le 
prince,  après  sa  métamorphose, 
passe  la  nuii  près  de  la  fontaine 
encharitée  donl  l'eau  change  !<•> 
nommes  m  femmes  el  les  femmes 


en  hommes.  Le  lendemain,  il  ren- 
contre dans  la  forêt  une  troupe  de 
jeunes  filles,  il  les  aborde  et  leur  fait 
connaître  son  rang  et  son  aventure. 
Ces  jeunes  filles  prenant  pitié  de  lui , 
l'engagent  à  se  désaltérer  de  nou- 
veau à  la  fontaine  ,  l'assurant  qu'il 
recouvrera  sa  forme  première,  i'.n 
effet .  il  n'a  pas  plus  tôt  bu,  qu'une 
seconde  métamorphose  a  lieu.  —  il 
y  a  toute  apparence  que  le  roniau 
des  sept  Vizirs  nous  offre  ici  laré- 
daction  originale  qui  se  trouve  sin- 
gulièrement altérée  dans  le  grec  el 
dans  l'hébreu. 

>    THv    -j'àp   TtÇ  u!è(  BaaiXéuc 

Hv  rh  kûtoc  ~a/ù;  âu.a  /.%'•.  lùut- 
.  <■<:    Ix  -'■>  jraj(0Uî  u.r  ■ 
âiOa'.  Ta  toutou  ai 


100  ESSAI 

que  toi,  je  désire,  afin  de  savoir  si  je  suis  propre  au 
mariage,  avoir  la  compagnie  d'une  femme,  et  je  te 
prie  de  m'en  amener  une.  »  Le  baigneur,  avide 
d'argent,  conçoit  la  malheureuse  idée  de  pré- 
senter sa  propre  femme,  croyant  son  honneur  fort 
en  sûreté  avec  le  prince.  Cette  erreur  ne  dure  pas 
long-temps  ;  témoin  en  secret  du  tête-à-tête  de  sa 
femme  et  du  jeune  homme,  il  voit  des  choses  aux- 
quelles il  était  loin  de  s'attendre,  et  de  désespoir  il 
met  fln  à  ses  jours J. 

Après  avoir  démontré  le  danger  d'une  action 
inconsidérée ,  le  même  philosophe  raconte  une  se- 
conde histoire  dont  voici  le  précis  :  —  Une  jeune 
femme  dont  le  mari  va  partir  pour  un  voyage ,  lui 
fait  promettre  par  serment  de  lui  rester  fidèle ,  et 
jure  de  son  côté  de  ne  point  souiller  le  lit  nuptial. 
Au  jour  fixé  pour  le  retour ,  la  femme  va  au  de- 
vant de  son  mari  ;  mais  trompée  dans  son  attente , 
elle  ne  le  voit  pas  arriver.  Pendant  le  chemin ,  un 
jeune  homme  l'aperçoit ,  et  charmé  de  sa  beauté , 
il  lui  adresse  sur-le-champ  un  aveu  qu'elle  re- 
pousse avec  indignation.  Désolé  de  ce  mauvais  suc- 
ces  ,  le  jeune  homme  va  trouver  une  vieille  entre- 
metteuse qui  lui  promet  de  déterminer  celle  qu'il 
aime  à  l'écouter.  La  vieille  fait  alors  une  espèce 

«  2'jvt;.-o.;  ,    p.  48.    —   Para-  Femme  du  marchand  dans  l'Hi- 

bolei  île  Sendâbar. —  Cette  his-  topaddsa.  (Voyez  ci-dessus,  p.  75.) 

loire   est  une  copie   défigurée   de  C'est  une  de  celles  qui  ont  passé 

«elle  du   jeune    Prince  et   de  Ut  dans  le  Livre  des  sept  Sage». 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES. 


lO- 


dc  gâteau  dans  lequel  elle  met  une  grande  quan- 
tité de  poivre  ;  elle  donne  ce  gâteau  à  manger  à 
une  chienne  et  emmène  l'animal  avec  elle  clicz  la 
jeune  femme  quelle  veut  abuser.  L'âcreté  du  poi- 
vre ne  tarde  pas  à  faire  pleurer  les  yeux  de  la 
chienne,  et  la  jeune  femme  qui  le  remarque  en  de- 
mande la  cause.  «Cette  chienne,  répond  la  vieille, 
est  ma  fille.  Un  jeune  homme  en  était  éperdument 
épris;  elle  fut  sans  pitié;  son  amant  la  maudit  de 
désespoir,  et  sur-le-champ  elle  fut  changé  en 
chienne.  Maintenant  elle  déplore  sa  faute.  »  La 
jeune  femme,  dupe  de  ce  récit,  raconte  à  la  vieille 
ce  qui  s'est  passé  entre  elle  et  le  jeune  homme,  et 
déclare  qu'elle  consent  ii  le  recevoir  l.  La  vieille 


•    EuvTwraç ,  *p,   51.    —   Para- 
bolea  de  Siuihihar.  —  Issaept  \  i- 

zirs  (Tulrn,  <7//rrv/ofCS,etC.,p.lOO). 

—  Disciplina  clericalis,  fab.  xi. 
Taris,  1824,  vol.  I,  p.  75.  Edit. 
Schmidt,  Berlin,  1827  ,  p.  51.  — 
Fabliaux  traduite  par  Legrand 
d'Aussi/,  Mit.  de  1829,  vol.  IV, 
p.  50. — Gesla  Romanornm,  orcn- 
ttrtainimg  moral  storics,transla- 
téd   from  the  latin  i/y  the  ren. 

Charles  Suan.  LondOD,  1824;  in- 
12,  vol.  I,  page  120,  eh.  sxvui. 

—  Ce  conte  est  indien  ;  on  le  trouve 
dans  le  grand  recueil  intitulé  Vri- 
hat-liatlia,  mais  avec  un  dénoue- 
ment plus  moral  et  des  circon- 
stances fort  différentes,  ce  qui  me 
lait  juger  a  propos  «l'en  donner  un 
précis, 

Le  négociant  Guhaséna,  .sur  le 


point  de  partir  pour  un  long  voyage 
de  commerce  ,  a  des  inquiétudes 
sur  la  lidélité  de  sa  femme  qu'il 
aime  tendrement ,  et  sa  femme 
conçoit ,  de  son  côté ,  les  mêmes 
craintes.  Ils  adressent  des  prières 
au  dieuSiva,  qui  leur  apparaît  en 
songe  et  leur  donne  à  chacun  un 
Ii  il  us  rouge  qui  doit  conserver  sa 
couleur  et  sa  fraîcheur  tant  que 
chacun  des  époux  demeurera  fidèle. 
En  effet .  ils  trouvent  les  (leurs  a 
leur  réveil.  Guhaséna  se  met  en 
roule  :  arrivé  dans  l'endroit  ou  ses 
affaires  L'appelaient,  il  l'ait  la  con- 
naissance de  quatre  jeunes  mar- 
chands, qui  .  étonnés  de  voir  celle 
Heur    de   lotus    toujours    fraîche   . 

parviennent  au  milieu  d'un  ban- 
quel  ou  les  liqueurs  spiritueosas 

ne  sont  pas  épargnées,  a  savoir  Iù 


108  ESSAI 

s'éloigne  fort  satisfaite  du  succès  de  sa  ruse  et  va 
chercher  l'amant  qu'elle  ne  peut  trouver  nulle 
part.  Ne  sachant  que  faire ,  elle  s'avise  de  propo- 
ser au  premier  venu  qu'elle  rencontre  sur  sa  route 


vérité  ;  et  ils  partent  pour  la  ville  où 
demeure  Dévasmità,  femmede  Gu- 
haséna,  se  proposant  bien  de  flétrir 
la  Heur  de  lotus.  Une  vieille  prê- 
tresse de  Bouddha  se  charge  d'être 
leur  entremetteuse.  Elle  va  voir 
Dévasmità  et  emmène  avec  elle  une 
chienne  à  laquelle  elle  a  fait  manger 
des  morceaux  très  assaisonnés.  Le 
poivre  fait  pleurer  la  chienne,  ce 
qui  attire  l'attention  de  Dévasmità, 
qui  en  demande  la  raison.  La  vieille 
lui  répond  que  celte  chienne  dé- 
plore les  erreurs  de  sa  vie  précé- 
dente: qu'avant  de  renaître  chienne 
elle  était  femme  d'un  Brahmane  que 
les  affaires  du  roi  obligeaient  à  de 
fréquens  voyages,  et  que,  pendant 
son  absence ,  elle  avait  toujours  ré- 
prime les  sentimens  naturels  à  son 
âge  et  à  son  sexe  ;  en  conséquence, 
elle  était  renée  chienne ,  avec  le 
souvenir  et  le  regret  du  passé.  La 
vieille  ajoute  qu'elle  engage  Dévas- 
mità il  ne  pas  demeurer  sourde àla 
voix  delà  nature.  Dévasmità  con- 
sent à  recevoir  ses  amans,  mais 
c'est  pour  les  punir.  Elle  les  en- 
dort au  moyen  d'un  breuvage 
soporifique,  et  leur  fait  imprimer 
sur  le  front  la  marque  indélébile 
d'un  pied  de  chien.  Pour  mettre 
son  mari  à  l'abri  du  ressenti- 
ment de  ceux  qu'elle  a  si  mal- 
traités, Dévasmità  prend,  ainsi  que 
iclaves,  des  habits  d'homme . 
et  s'embarque  pour  l'Ile  de  Kataka, 
où  elle  doit  retrouver  son  mari  et 


les  marchands  qui  y  sont  retournés 
après  le  mauvais  succès  de  leur  ten- 
tative amoureuse.  En  arrivant ,  elle 
va  porter  plainte  au  roi ,  et  réclame 
les  quatre  personnages  comme  des 
esclaves  fugitifs.  Ceux-ci  furieux 
invoquent  le  témoignage  des  gens 
de  leur  profession  pour  prouver 
qu'ils  sont  hommes  libres,  mais 
Dévasmità  prie  le  roi  de  leur  faire 
ôter  leurs  turbans,  et  on  voit  sur 
leur  front  la  marque  de  l'escla- 
vage. La  jeune  femme  raconte  son 
histoire  au  roi,  et  les  coupables 
sont  forcés  de  payer  chacun  une 
forte  rançon.  (Quarterly  oriental 
Magazine  de  Calcutta,  1824;  vol. 
II ,  p.  102-106.) 

La  métempsychose  est  une  ex- 
plication si  naturelle  du  change- 
ment de  formes,  qu'on  ne  peut 
pas  douter  que  l'histoire  ne  soit 
indienne.  Remarquons  de  plus  avec 
1  indianiste  anglais,  auteur  de  l'ana- 
lyse du  Vrihat-Kalhù,  que  la  fleur 
merveilleuse  qui  ligure  dans  ce 
conte,  et  que  l'on  retrouve  encore 
dans  un  autre  récit  du  recueil  Iraduil 
du  sanscrit  en  persan  ,  et  intitulé 
Thouthi-nameh  (voyez  la  traduction 
deM.Trébutien.  Paris,  1825;  in-8°, 
p.  24)  ,  paraît  être  L'origine  d'une 
fiction  depuis  long-temps  répandue 
en  Europe  ,  el  à  laquelle  se  rappor- 
tent le  Cor  ou  cornet  à  boire  du 
roman  de  Tristan  (voyez  les  œu- 
vres de  Trcssan.l.  III,  p.  59;  in- 
8°,  édition  de  1822);  la  Itase  du 


si  T.  LES  FABLES  INDIENNES.  109 

de  lui  procurer  une  bonne  fortune.  Cet  homme 
qui  se  trouve  être  justement  le  mari  de  la  dame, 
accepte  et  n'est  pas  peu  étonné  en  entrant  dans 
la  maison  de  se  trouver  chez  lui  et  de  reconnaî- 
tre sa  femme.  La  dame ,  sans  se  déconcerter  ni 
trahir  sa  surprise , se  meta  pleurer  et  accable  son 
mari  de  reproches.  «  J'étais  instruite  de  ton  retour, 
lui  dit-elle ,  et  j'ai  voulu  t'éprouver.  Ah  !  je  vois 
bien  que  lu  es  indigne  de  mon  amour.  »  Le  pau- 
vre mari  s'excuse  le  mieux  qu'il  peut,  et  ne  réussit 
que  difficilement  à  l'apaiser  !. — Le  quatrième  p!ti- 
losophccn  terminant  ce  récit,  en  conclut  que  c'est 
peine  perdue  que  de  vouloir  lutter  contre  les  arti- 
fices des  femmes. 

Le  même  jour,  la  femme  du  roi  menace  de  s'ém- 
poisi  m  ner  si  le  prince  n'est  |  >as  mis  à  mort,  et  elle  lui 
fait  craindre  on  sort  pareil  à  celui  d'un  sanglier 
dont  elle  lui  raconte  l'histoire  :  —  Un  sanglier  qui 
avait  l'habitude  de  manger  les  figues  tombées  d'un 
figuier,  trouve  un  jour  un  singe  sur  l'arbre.  Le  singe 
lui  jette  quelques  figues  que  le  sanglier  trouve  bien 

romande  Perreforest;\n  Coupe  en-  révérend    Charles  Swan  ,  t.  I.  p. 

chantée  de  L'Arioste  (Roland  fu-  340.) 

ricux,  chants  ai  h  et  suit) ,  sidéli-  ■  L'idée  do   ce  dénouement  qui 

flieusonent  reproduite  par  noire  La  est  le  même  dan»  les  Paraboles  de 

Fontaine;  le  fabliau  du  Court  Mun-  Sendabar  et  dans  les  aepi  i'iiirs, 

tel  (voyea  les  Fabliaux  traduite  paratl  empruotée  soi  Contée  </'»<»/ 

l'in '  Legrandd  àitesy,t.V  ■.  p.126,  Perroquet.    (  Voyes  la   traduction 

150,151),  et  le  Boixante-neuviè-  anglaise,  p.  (i-2 ,  et  la  traduction 

nu'  eonte  des  Gesta  Bomanorutn.  française  de  M'  Marie  il  Heures 

(Voyea  la  traduction  anglaise  «lu  p<79.) 


110  ESSAI 

meilleures  que  celles  qu'il  mangeait  auparavant. 
L'espérance  d'en  recevoir  d'autres,  le  fait  rester  si 
long-temps  dans  la  même  attitude  que  les  veines  de 
son  cou  se  gonflent  au  point  de  crever,  et  il  meurt 
suffoqué  l. 

Le  lendemain,  le  cinquième  philosophe  pour 
prouver  «à  Cyrus  le  danger  de  la  précipitation ,  lui 
raconte  la  fable  d'un  officier  du  roi  qui,  s'imagi- 
nant  que  son  chien  a  dévoré  l'enfant  confié  à  sa 
garde,  tue  l'animal  dans  le  premier  transport  de  la 
colère,  et  s'abandonne  ensuite  à  des  regrets  inutiles 
lorsqu'il  reconnai  que  le  sang  dont  le  fidèle  gar- 
dien était  couvert  venait  d'un  serpent  qu'il  avait 
tué2. 
I  Le  même  sage  raconte  ensuite  une  seconde 
histoire ,  qui  roule  encore  sur  l'éternel  thème  de 
la  malice  du  sexe  féminin  :  —  Un  homme  livré  à 


■  Sùrrvkaç ,  p.  59.  — Je  n'au-  reste  est  absolument  semblable.  La 

mis  pas  donné  l'analyse  de  cette  fable  du  Singe  et  du  Sanglier  se 

fable  ridicule    si  les  Paraboles   de  trouve  aussi  avec  quelques    ditié- 

Sendabar  n'offraient  ici  une  rédac-  rences  dans  les  Contes  et  Fables  in- 

tion  un  pou  différente,  qui  permet  diennesde  Bidpaï,  traduites  par 

de  reconnaître  dans  le  Livre  des  Galland  et  Cantonne  (t.  III,  p. 

sept  Sages  une  imitation  de  la  fable  198). 

que  je  viens  de  citer ,  laquelle  con-  *  Suvrîaraî  ,    p.  00.  —  Parabo- 

tribuc  I  prouver,  par  conséquent,  les  de  Scndabar.  —   Nous  avons 

que  cette  version  latine  a  été  faite  déjà  rencontré  ce  conte  dans  l'ana- 

sur  l'hébreu.  Dans  la  fable  liébrai-  lysc  du  Pemtehtktontra.  (Voyez 

.pie,  au  lieu  d'un  sin^c,  il  cstques-  ci-dessus ,  p.  54.)  C'est  encore  un 

tion  d'un  homme,  travaillant  dans  de   ceux  qui  ont  passé  dans  le  ro- 

uncharnpetquivoyanlvenirunsan-  man    des   sept   Sages  de  Rome, 

dier  se  réfugie  sur  un  figuier.  Le  ebmrae  on  le  verra  plus  loin. 


SUK    LES   FABLES   INDIENNES.  1  1  1 

lu  débauche  et  passionné  pour  les  femmes,  avant 
entendu  vanter  la  beauté  d'une  dame  qui  demeu- 
rait dans  son  voisinage,  a  l'effronterie  de  s'intro- 
duire riiez  elle,  et  de  la  solliciter  de  répondre  à 
son  amour;  mais  cette  femme  vertueuse  et  fidèle 
a  son  mari  refuse  de  l'écouter.  Ces  refus  n'ayant 
lit  il  qu'exciter  au  plus  haut  degré  les  désirs  de 
noire  homme,  il  va  tout  aussitôt  trouver  une  vieille 
entremetteuse  a  laquelle  il  promet  une  somme 
considérable  si  elle  réussit  à  lui  procurer  un  téte- 
a-tète  avec  la  femme  qu'il  aime.  La  vieille  imagine 
alors  le  stratagème  suivant:  «  Allez  au  marché, 
«lit-elle  à  l'amant,  adressez-vous  au  mari  de  cette 
femme,  et  âehetez-lui  un  manteau  que  vous  m'ap- 
porterez. »  Il  suit  cette  instruction  de  point  en 
point,  et  rapporte  à  la  vieille  un  manteau  qu'elle 
brûle  en  trois  endroits.  Elle  l'emporte  avec 
elle  et  va  faire  visite  a  la  femme  dont  le  mari 
avait  vendu  ce  manteau.  Pendant  le  temps  qu'elle 
reste  eliez  celle  femme,  elle  parvint  «à  déposer,  à 
son  insu,  le  vêlement  de  drap,  sous  l'oreiller  du 
mari.  A  l'heure  du  diner,  le  mari  rentre  et  veut  se 
mettre  un  instant  sur  son  lit.  En  arrangeant  son 
oreiller,  il  trouve,  dessous,  le  manteau,  le  re- 
connaît, et  croyant  sa  femme  infidèle,  il  se  jette 
sur  elle  et  la  maltraite.  La  jeune  femme,  aussi  sur- 
prise qu'irritée  ,  se  réfugie  «  liez  ses  pareils,  où  la 
vieille  ne  laide  pas  à   l'aller  trouver.  «  Je  sais  ce 


i  12  ESSAI 

qui  vous  est  arrivé ,  lui  dit-elle,  de  médians  ma- 
giciens ont  causé  tout  cela  ;  mais  je  connais  un  sa- 
vant docteur  capable  d'y  porter  remède.  Venez  le 
voir  chez  moi;  il  rétablira  la  paix  entre  vous  et 
votre  mari.  »  La  pauvre  femme  donne  dans  le  piège. 
L'entremetteuse  va  prévenir  l'amant ,  et  le  soir 
même  elle  lui  ménage  une  entrevue,  dont  il  pro- 
fite malgré  la  résistance  de  la  femme.  Après  avoir 
contenté  ses  désirs ,  le  jeune  homme  manifeste  à 
la  vieille  son  regret  d'avoir  troublé  la  paix  d'un 
bon  ménage.  «  Soyez  tranquille ,  réplique-t-clle, 
voici  ce  que  vous  avez  a  faire.  Allez  au  marché  du 
côté  où  se  tient  le  mari.  Il  ne  manquera  pas  de 
vous  parler  de  son  manteau.  Vous  lui  direz  que  ce 
manteau,  ayant  été  placé  imprudemment  près  d'un 
fourneau  a  été  brûlé  en  trois  endroits,  et  que  vous 
avez  chargé  une  vieille  de  le  faire  réparer.  Alors, 
je  paraîtrai  comme  par  hazard;  vous  me  cherche- 
rez querelle  ,  et  j'avouerai  que  j'ai  égaré  le  man- 
teau. »  La  scène  ainsi  préparée  réussit  parfaitement. 
Le  mari,  convaincu  de  son  erreur,  va  demander 
pardon  à  sa  femme,  qui  consent,  non  sans  peine,  à 
se  réconcilier  avec  lui  '. 


■    Sovwcaç,   p.  03.  —    Para-  1829).  —  Voyez  aussi  dans  Apulée 

boles  de  Sendabar.  —  les  sept  Fi-  le  conte  des  Pantoufles  de  PhiU- 

zirs.  (Taie», etc.,  p.  168.)  —  On  sictère  [le*  Métamorphoses ,  trad. 

retrouve  ce  conte  dansles  Fabliaux  par  M.  Bétolaud,  LU,  p.  -2u~>.  Pa- 

analysis  par   Legrand   cPAussy  ris,  Panckoucke,  1835;  in-8°). 

tuberée,  t.  IV  ,  p.  08,  6dit.  de 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.        1  13 

Le  même  jour,  La  femme  du  roi  raconte  l'his- 
toire, assez  singulière,  d'un  voleur  réfugié  dans  un 
bois,  et  qui  parvient  ii  échapper  au  danger  dont 
le  menacent  un  lion  et  un  singe  réunis  contre  lui  '. 
Elle  en  conclut,  qu'avec  l'aide  de  Dieu,  elle  triom- 
phera du  mauvais  vouloir  des  conseillers  du  roi. 

Le  lendemain,  le  sixième  philosophe  vient  à 
son  tour  empêcher  l'exécution  de  l'arrêt,  et  ré- 
cite la  fable  suivante  :  —  Un  pigeon  ayant  fait,  après 
la  moisson,  une  provision  de  blé,  qu'il  avait  dé- 
posée dans  le  trou  d'un  toit,  était  convenu,  avec 
sa  ièmelle,  de  n'y  pas  toucher  pendant  l'été.  Mais 
la  chaleur  ayant  desséché  le  grain,  le  pigeon  s'i- 
magina que  sa  Ièmelle  avait  secrètement  puisé  au 
dépôt,  et  la  tua  dans  un  transport  de  colère.  L'hu- 
midité de  l'automne  ayant  fait  ensuite  gonfler  le 
grain,  il  reconnut  trop  tard  son  erreur'2. 

Cette  fable,  facilement  applicable  a  la  situation 
du  roi,  est  suivie  d'un  conte  assez  médiocre,  où  les 
ruses  des  femmes  sont  encore  mises  en  jeu  \ 

La  femme  du  roi,  qui  sait  que  le  moment  ai>- 
prochc  où  le  jeune  prince  pourra  parler,  menace 
Cj  rus  de  mettre  fin  à  ses  jours  ,  si  la  sentence  de 


•  2<mwa; ,  p.  71.  —  Paraboles  551),  d'où  elle  a  passé  dans  les  au- 

fe  ^rixinbar.  Ires  traductions  orientales  de  ce 

>Suvrt«ac,  p.  75.  —  Paràbo-  lûnre.  (Voyiv  Im  Fable»  tndieimê*,, 

lai   ds   Smdabar.       Cette  feble  t.  III,  p. 280.) 

se  trouve  aussi  dans  le  Calila  et  *  L'Éléphant  de  miel.  Swrfaac 

Dimna  arabe  (  hal.  and  l)i»i..  y  p,  78. 

8 


114  ESSAI 

mort  n'est  pas  exécutée  '.  Le  roi  le  lui  promet,  et 
le  septième  philosophe  vient  s'interposer  à  son 
tour.  Il  débute  par  un  conte  fort  comique,  mais  si 
obscène  qu'il  est  impossible  de  l'analyser  autrement 
que  d'une  manière  très  vague.  — ■  Un  homme  avait 
à  ses  ordres  un  démon  par  le  secours  duquel  il 
connaissait  l'avenir.  De  tous  côtés  on  venait  le  con- 
sulter, et  il  avait  fait  des  profits  considérables.  Un 
jour,  le  démon  dit  à  son  hôte  :  «  Je  vais  te  quitter, 
mais  avant  que  je  parte,  tu  peux  former  trois 
vœux,  ils  seront  accomplis.  »  Notre  homme,  après 
avoir  long-temps  hésité,  finit,  «à  l'instigation  de  sa 
femme,  par  former  un  premier  souhait,  qu'il  est 
impossible  d'énoncer  dans  notre  langue 2.  Ce  pre- 
mier souhait  étant  exaucé  outre  mesure  5,  le  mal- 
heureux forme  aussitôt  le  vœu  d'être  débarrassé 
de  ce  qu'il  a  désiré,  mais  il  y  met  tant  de  précipi- 
tation qu'il  commet  une  étourderie,  que  le  troi- 
sième souhait  est  employé  à  réparer4,  de  sorte 
qu'au  bout  de  ces  trois  vœux ,  il  se  retrouve  dans 
la  même  situation  qu'auparavant  r\ 

<  Dans  le  grec,  clic  fait  dresser  3  ...  xxi,  <xjj.a -ni  tùyri  oiùtoû  , 

an  bûcher;  dans  la  rédaction  hé-  8Xov  r&oô(uc  yiyovt  i/.£<t-ov  xoù  ve- 

braïque,  elle  se  jette  dans  un  tleuve,  çpûv  y.%\  fy^euv. 
et  les  sages  la  sauvent.  4  Kat  âua,...  aÎTeTrat  wapà  Oeoù, 

*  II  <5"s  -yuvf,...   or,<j( ,  «...  cdiJcv  /.ai  è'aeutejwÔy;  twv  &s-^ewv.    èx**" 

%'ij.r.   àfa7rri7i>c(oTspov   ei;  toù;    àv-  Si  jy.sTa  t&ùtwv  ■/.%>.  àirep  eÎ/_ev  àith 

Ôpoiirou;  ècri,  %  wo'vcv  ri  y.oiaàaOai  •ytvânoc II  Si  ur.at....  ÇïirY.aov 

itafet  \j.i77.  'Yuvatxo;.  Zrénaov  oov  tôv  8ibv  toùç  àîrc.  ■yswrioêo);  <tou  5p. 

rôv  0;-,v  iroXXoti<  6px"î  Yïvioôai  4>  /ei;  Xafisîv.  • 

r<.i  (râuaTt  wu.  "  S  Zvvriira; .    p.  S'».  —  Para- 


Si  R  LES  FABLES  INDIENNES.  115 

Le  philosophe  en  conclut  qu'il  est  dangereux  de 
prêter  l'oreille  aux  conseils  des  femmes,  et  il  ter- 
mine par  l'histoire  suivante,  où  la  prétendue  per- 
versité féminine  est  de  nouveau  mise  dans  tout  son 
jour.  —  Un  homme  avait  juré  de  ne  prendre  de 
repos  et  de  ne  s'établir  dans  son  ménage ,  que 
lorsqu'il  serait  parvenu  à  connaître  toutes  les  ru- 
ses et  toutes  les  machinations  des  femmes.  Il  se 
met  en  campagne ,  et  après  avoir  formé  un  re- 
cueil considérable  de  tous  les  artifices  féminins , 
se  croyant  bien  instruit  de  ce  qu'il  voulait  savoir, 
il  se  décide  à  retourner  dans  son  pays.  Arrivé 
dans  un  endroit  où  un  homme  donnait  un  grand 
repas,  il  y  est  admis  en  qualité  d'étranger.  Il  prend 
place  ii  table  ,  et  pendant  le  repas  il  rend  compte 
aux  convives  de  l'objet  de  son  voyage.  Le  mai  Ire 
de  la  maison ,  sans  qu'on  sache  trop  pour  quel 
motif,  dit  à  sa  femme  d'emmener  l'étranger  avec 

boles  de  Sendabar.  —  LesseptVi-  d'Aussy,  t.  IV,  p.  385,  édit.  de 

zirs.  {Talcs,  p.7154.)  Ce  conte  est  1829.)  En  lisant  la  fable  des  Trois 

un  nouvel  emprunt  fait  à  l'Inde,  et  Souhaitstinns  La  Fontaine,    et  le 

il  offre  avec  l'histoire  du  tisserand  conte  des  Souhaita  ridicules ,  par 

Manlhara.dans  le  Patitclm-tantra,  Perrault,  on  a  bien  delà  peine  à 

un  rapport  incontestable. (Voyez ci-  croire  que  tous  deux  n'aient  pas  eu 

dessus,  p.  54).  On  trouve  sur    le  connaissant'!'  de  la  fable  de  Marie  de 

même  sujet,  dans  Marie  de  France,  France.  Le  fabliau  des  Quatre  Sou- 

one  jolie  fable  intitulée  Dou  vilain  haitt  Saint-Martin  t  dérive  éyi- 

./i<»  ftrisl  mi  /bief, et  <pii  dérive  pi  i>-  déminent  du  conte  tle  Syntipas,  ou 

bâillement  d'une  source  orientale.  de  celui  des   Parabole$  de  Scndu- 

\.imv  les  Poésies  de  Marie  de  bar,  et  en  a  conservé  toute  l'obscé- 

h'rnncr  ,  publiées   par  M.  tle  Uo-  nilé  primili\c.  (Fabliaux  et  Contes 

quefort,  t.  il ,  p.  140,  el  les  Fo-  publies  par  Méon  ,  t.  IV.  p,  r>8<;.) 
Maux    traduite     pur    tegrand 


116  ESSAF 

elle  et  de  lui  servir  une  collation  h  part.  La  femme 
passe  dans  une  autre  chambre  avec  son  hôte ,  et 
lorsqu'elle  est  seule  avec  lui,  elle  lui  demande  s'il 
croit  avoir  recueilli  toutes  les  malicieuses  inven- 
tions dont  les  femmes  sont  capables,  et  il  répond 
qu'il  en  est  certain.  «  Voyons  cependant ,  dit- 
elle,  si  le  tour  suivant  fait  partie  de  votre  réper- 
toire : 

«  Un  homme  marié  à  une  femme  honnête  et 
vertueuse,  déchirait  les  femmes  à  tout  propos. 
«  Ne  t'emporte  pas  contre  toutes,  lui  disait  sa 
moitié,  mais  seulement  contre  les  méchantes.  »  — 
«  Contre  toutes ,  »  répondait  le  mari.  —  «  Ne  dis 
pas  cela ,  répliquait-elle ,  puisque  tu  n'as  pas  été 
malheureux  sous  ce  rapport.  »  —  «  Si  j'avais 
affaire  à  une  de  ces  mauvaises  femmes ,  disait  cet 
homme,  je  lui  couperais  le  nez.  »  Sa  femme  réso- 
lut de  lui  apprendre  à  être  plus  circonspect.  Cer- 
tain jour  son  mari  lui  dit  :  «  Je  vais  demain  aux 
champs,  tu  me  prépareras  mon  diner,  et  tu  me 
l'apporteras.  »  La  femme  se  rend  au  marché , 
achette  des  poissons ,  et  va  les  semer  ensuite  de 
côté  et  d'autre  à  l'endroit  où  son  mari  devait  la- 
bourer. En  effet,  le  mari  trouvant  ces  poissons,  les 
apporte  à  sa  femme  pour  les  lui  faire  cuire.  Elle 
apprête  la  table,  et  l'homme  demande  ses  poissons. 
«  Quels  poissons?  »  dit-elle. — «  Ceux  que  j'ai  trou- 
vés dans  mon  champ,  »  répond  le  mari.  Aussitôt 


-I  II  LES  IABLES  INDIENNES.  1  17 

cette  femme  appelle  les  voisins  pour  les  prendre 
ii  témoins  de  la  folie  de  son  mari  qui  prétend  avoir 
trouvé  des  poissons  clans  un  champ  labouré.  No- 
ire homme  persiste  dans  son  dire;  les  voisins  se 
moquent  de  lui;  il  s'emporte:  alors  on  ne  doute 
plus  qu'il  ne  soit  possédé  du  diable,  on  se  jette 
sur  lui  et  on  le  lie.  Trois  jours  se  passent  pen- 
dant lesquels  le  mari  s'entête;  enfin,  las  de  sa  cap- 
livité,  il  consent  à  donner  raison  à  sa  femme,  et 
elle  lui  ôte  ses  liens.  «  Maintenant,  lui  dit-elle,  tout 
ce  <pie  tu  as  soutenu  était  vrai;  mais  comme  tu 
prétendais  que  si  lu  avais  une  méchante  femme 
tu  la  tuerais,  j'ai  voulu  te  donner  une  leçon.  Tu  ne 
pourras  plus  te  vanter  de  l'emporter  sur  nous  '.  » 
Après  ce  récit ,  la  femme ,  jeune  et  jolie ,  fait 
ii  l'étranger  de  tendres  avances,  par,  lesquelles 
il  se  laisse  séduire  ;  mais  au  moment  où  il  va 
embrasser  son  hôtesse,  elle  jette  les  hauts  cris  et 
appelle  au  secours.  11  retourne  au  plus  vile  à  sa 
table,  tremblant  d'effroi  à  la  vue  de  tous  les  con- 
vives qui  accourent.  «  Qu'est-il  arrivé?»  demande- 
t-on. —  «  Cet  étranger,  dit  la  femme,  a  manque 
de  s'étrangler  en  mangeant,  et  je  n'ai  pu  retenir 
mes  cris;  mais  cet  accident  n'a  pas  eu  de  suites  - 


i  Etmtiroc,  p.  9*2.   —  Dans  le  rapport  avec  le  conlo  de  Syulipas. 

fabliau   intitulé  des  trois  Femmes  (Voyei  les  Fabliaux  traduits  pat 

qui  trouvèrent  un  anneau , le  tout  Leyrantl  à? Aussi/,  t.   IV,  p.  193, 

imaginé  pu  la  deuxième  femme,  édit.  de  1829.) 

pouraUraperBon  Diari,offre quelque  ■  Cel  incident  se  trouve  dans  le 


118  ESSAI 

Après  que  les  hôtes  sont  éloignés ,  la  femme  dit 
à  l'étranger  :  «  Eh  bien!  ce  que  je  vous  ai  raconté, 
et  ce  que  je  viens  de  faire  se  trouvent-ils  dans  vo- 
tre recueil.  »  L'autre  est  forcé  de  convenir  qu'il 
est  impossible  de  connaître  toutes  les  inventions 
malicieuses  du  sexe  féminin  ;  il  jette  son  recueil  au 
feu  *,  et  retourne  dans  son  pays ,  où  il  se  marie. 

Ces  récits  du  septième  philosophe  sauvent  en- 
core une  fois  le  prince.  Enfin,  le  huitième  jour 
arrive  ;  le  jeune  homme,  qui  peut  alors  parler  sans 
crainte,  fait  connaître  à  son  père  la  cause  de  son 
silence,  et  lui  déclare  toute  la  vérité.  Le  roi,  plein 
de  joie  de  n'avoir  pas  cédé  aux  instigations  de  sa 
femme ,  fait  appeler  les  philosophes  et  leur  dit  : 
«  Si  j'avais  fait  mourir  mon  fils  pendant  les  sept 
jours,  qui  aurait-il  fallu  accuser  de  cette  mort: 
moi,  mon  fils  ou  cette  femme?  »  Les  réponses  des 
philosophes  ne  satisfont  point  le  roi ,  et  le  jeune 
prince  raconte,  à  ce  sujet,  l'apologue  suivant. — Un 
homme  ayant  invité  à  dîner  plusieurs  amis  envoya 
une  esclave  acheter  du  lait.  Comme  l'esclave  re- 
tournait au  logis  portant  le  pot  plein  de  lait  sur 

recueil  de  conte  intitulés  Bahar-  Scott.  Shrewsbury,  1799;  in-8", 

dtmiéh  (lé  Jardin  de  la  Science),  t.  II,  p. 50.) 

recueil  écrit  en  persan ,  mais  corn-  >    Zuvtmtoc  ,     p.    88  -  97.  — 

posé,  à  ce  qu  il  semble ,  d'après  Voyez  dans  les  Mélanges  delilté- 

des  originaux  indiens.   (Voyez  la  rature  orientale,   par  Cardonnc, 

traduction  anglaise ,  intitulée  lia-  le  conte  ayant  pour  litre  le  Philo- 

har-danush ,  or  garder*  of  Know-  sophe  amoureux  (t.  I,p.  22). 
ledge,   translatif!    by    Jonathan 


sril  LE8  FABLES  INDIENNES.  119 

sa  tête ,  un  milan  louant  dans  ses  serres  un 
serpent,  passa  au  dessus  d'elle.  Le  serpent,  en  se 
débattant ,  laissa  échapper  son  venin  qui  tomba 
dans  le  pot  L'esclave,  ne  se  doutant  de  rien  ,  ser- 
vit le  lait  aux  convives,  et  ils  moururent  empoi- 
sonnés '.  Le  fils  du  roi  demande  aux  philosophes 
à  qui  ce  malheureux  événement  doit  être  impute''; 
une  discussion  s'engage  à  ce  sujet,  et  le  prince  la 
termine  en  disant  que  c'est  le  destin  seul  qu'il  faut 
accuser. 

Cette  fable  est  suivie  de  deux  histoires  racon- 
tées par  le  jeune  prince  ,  et  qui  ont  pour  objet  de 
mettre  en  évidence  le  bon  sens  et  la  sagacité  des 
enfans.  La  seconde  mérite  d'être  citée 

Trois  négocians,  réunis  en  société,  se  rendent 
dans  un  pays  pour  affaires  de  commerce,  et  se  lo- 
gent chez  une  vieille  femme.  Voulant  aller  au  bain, 
ils  demandent  à  cette  femme  les  objets  néces- 
saires, et,  serrant  leur  or  et  leur  argent  dans  trois 
bourses,  ils  les  donnent  en  dépôt  à  leur  hôtesse,  en 
lui  prescrivant  de  ne  les  remettre  qu'à  eux  trois 

■  SjvTt7taî,  p.  109.  —  Les  sept  Pvehiti...  tramlated  bij  Rajah 
Vizirs.  (Taies,  etc.,  p.  196.) — Le  Kalrr-hrishrn  BehaduT.QAcaUa, 
fond  de  ce  conte ,  avec  des  circon-  iH7,\  ;  p,  84.)  La  fable  ésopique  in- 
stances un  peu  différentes ,  se  re-  titalée  le  Dragon  et  l'Aigle  (Apoî- 
Irmnc  dans  le  recueil  sanscrit,  inli-  wù\  /.ai  Aît;';.  Esope  de  Coray  , 
talé  Vétâla-pantchavinsati,  ou  lab.  303,  p.  198),  offre  aussi  quel- 
le ringt-etnq  contes  du  mauvais  que*  rapports  avee  la  fable indienne, 
génie.  (Voj6I  la  traduction  anglaise  mais  moins  (pie  celle  de  Syntipa»; 
composée  d'après  la  rersion  en  U  est  à  présumer  cependant  qu'elle 
bradj-bhakha  .  et  intitulée  Bytal-  dérive  de  la  même  source. 


120  ESSAI 

réunis.  Us  partent  ensuite  pour  le  bain,  mais  s'a- 
percevant,  à  quelques  pas  de  la  maison,  qu'ils  ont 
oublié  un  peigne ,  ils  dépêchent  un  d'entre  eux 
pour  aller  chercher  ce  qui  leur  manque.  Notre 
homme,  au  lieu  de  demander  un  peigne,  réclame 
les  trois  bourses  ;  la  vieille  les  refuse ,  mais  sur 
un  signe  d'assentiment  que  lui  font ,  de  loin ,  les 
autres  marchands ,  qui  ne  pensent  qu'à  l'objet 
dont  ils  ont  besoin,  elle  délivre  l'argent  au  com- 
pagnon qui  l'emporte  et  se  sauve.  Les  deux  autres 
marchands  étonnés  de  ne  pas  voir  revenir  leur 
associé,  retournent  sur  leurs  pas,  et  apprennent 
de  la  vieille  ce  qui  s'est  passé.  Furieux  de  la  perte 
de  leur  argent,  ils  conduisent  leur  hôtesse  devant 
le  juge  qui ,  d'après  l'exposé  des  faits ,  condamne 
la  vieille  à  rendre  aux  marchands  leur  dépôt. 
Elle  s'éloigne  en  pleurant ,  et  rencontre  un  en- 
fant de  cinq  ans  qui  lui  demande  la  cause  de  son 
chagrin.  Après  quelque  hésitation,  elle  lui  raconte 
en  détail  tout  ce  qui  est  arrivé.  «  Si  vous  voulez 
me  donner  de  l'argent  pour  acheter  des  noix, 
dit  l'enfant ,  je  vous  indiquerai  un  moyen  sûr  de 
vous  tirer  d'affaire.  »  —  «  Très  volontiers ,  »  ré- 
pond-elle. —  «  Eh  bien!  dit  l'enfant,  présentez- 
vous  devant  le  juge,  et  dites-lui  :  «  Seigneur ,  je 
reconnais  que  ces  trois  marchands  m'ont  confié 
trois  bourses  remplies  d'or  et  d'argenl ,  en  nf or- 
donnant de  ne  lis  remettre  qu'à  eux  trois  réunis: 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.         12 1 

la  somme  est  prête  ;  qu'ils  se  présentent  tous  les 
irois,  et  le  dépôt  leur  sera  remis.  »  La  vieille  suit 
ce  conseil  ;  le  juge  met  les  marchands  hors  de 
cour,  et  apprenant  qu'un  enfant  est  l'auteur  de  ce 
moyeu  de  défense,  il  donne  cet  enfant  pour  maî- 
tre aux  philosophes  et  aux  rhéteurs  f. 

Le  jeune  prince  raconte  ensuite  la  longue  et 
singulière  histoire  d'un  marchand  qui  parvient  à 
('(happer  aux  pièges  que  lui  avaient  tendus  plu- 
sieurs fripons.  Toute  ridicule  que  soit  cette  his- 
toire, je  crois  à  propos  d'en  donner  un  extrait. 

Un  marchand  qui  faisait  le  commerce  des  bois 
aromatiques,  ayant  entendu  dire  que  celle  mar- 
chandise était  rare  et  recherchée  dans  une  ville 
qu'on  lui  nomma,  fit  un  ballot  de  ce  qu'il  avait  de 
bois  de  ce  genre ,  et  se  dirigea  vers  cet  endroit. 
Arrivé  aux  portes  de  la  ville,  il  s'arrête  avant  d'y 
entrer,  afin  de  prendre  des  informations  sur  le  prix 
des  marchandises  qu'il  apporte.  Dans  le  courant 
de  la  journée ,  il  rencontre  une  esclave  apparte- 
nant à  un  des  principaux  habitans  de  la  ville,  et, 
questionné  par  elle,  il  lui  fait  connaître  le  genre 

»  Iuvtît;»;  ,    p.   118.  —  Celte  contre  deux  marchands,  t.  I,  p. 

histoire   est  sans   doute  répandue  151.)  Ce  conte  n'est  pas  non  plus 

60  Kuropc  depuis  assez  longtemps,  sans  quelque  rapportavccceluid'Ali 

puisque  je  la  rencontre  dans  le  re-  Cogia  des   Mille    et   une  Nuits, 

«oeil  Intitulé  Nouveaux  Conte*  à  conte  dans  lequel  un  jeune  enfant 

rire,  ou  Récréations  françaises.  (ait  également  preuve  d'une  gnnde 

Itnsterdam,  1757;  -2  vol.  in-i-2.  sagacité. 
(Jkgemmt  tubtil  du  duc  tfOsson» 


122  ESSAI 

de  commerce  auquel  il  se  livre.  L'esclave  va  ra- 
conter ce  qu'elle  vient  d'apprendre  à  son  maître, 
et  celui-ci ,  homme  rusé ,  ramasse  sur-le-champ 
tout  ce  qu'il  a  chez  lui  de  bois  aromatique  ,  et  le 
jette  au  feu.  L'odeur  suave  de  ce  bois  arrive  jus- 
qu'au marchand,  qui  s'imagine  d'abord  que  le  feu 
a  pris  au  ballot  qui  renferme  sa  pacotille  ;  mais  il 
se  rassure  en  voyant  que  ses  craintes  sont  mal 
fondées.  Le  lendemain  de  grand  matin ,  il  entre 
dans  la  ville  et  rencontre  l'homme  dont  il  avait  vu 
l'esclave  la  veille  ,  et  qui  lui  demande  ce  qu'il  ap- 
porte dans  sa  balle.  «  Des  bois  aromatiques,  »  ré- 
pond le  marchand. —  «  Qui  donc  a  pu,  s'écrie  cet 
homme ,  vous  donner  le  conseil  d'apporter  des 
bois  de  ce  genre  dans  notre  ville:  ils  n'ont  ici  au- 
cune valeur,  et  on  les  emploie  en  guise  de  bois 
de  chauffage.  »  —  «  On  m'avait  pourtant  assuré 
tout  le  contraire,  »  répond  le  marchand.  — ■  «  Ceux 
qui  vous  l'ont  dit  vous  ont  trompé,  »  réplique  le  fri- 
pon. Ces  paroles  causent  au  pauvre  marchand  le 
plus  vif  chagrin.  Le  fripon,  qui  s'en  aperçoit, 
lui  propose  alors  d'acheter  sa  pacotille  :  «  Je  vous 
donnerai  a  la  place,  lui  dit-il,  un  plat  rempli  de 
telle  marchandise  que  vous  voudrez.  »  Sans  pren- 
dre d'autres  informations,  le  marchand,  étourdi 
par  cette  mauvaise  nouvelle,  donne  dans  le  pan- 
neau ,  conclut  l'affaire ,  et  livre  son  ballot.  Il  s'é- 
loigne  ensuite  e1  va  se  loger  pliez  une  vieille  femme 


SUR.  LES  FABLES  INDIENNES.  Ï23 

à  laquelle  il  s'avise  de  demander  le  prix  du  bois 
aromatique.  «  Il  se  vend  au  poids  de  l'or,  répond 
la  vieille;  mais  je  vous  en  préviens,  méfiez-vous 
des  habitons  de  cette  ville,  ce  sont  des  fripons  qui 
ne  cherchent  qu'à  duper  les  étrangers.  »  Désolé 
d'avoir  été  prévenu  trop  tard ,  le  marchand  sort 
pour  aller  parcourir  la  ville  ;  il  aperçoit  trois  hom- 
mes travaillant,  et  se  met  à  les  regarder.  Un  des 
trois  se  lève  et  lui  dit  :  «  Mon  père,  commençons 
ensemble  une  discussion  ,  et  celui  qui  l'aura  em- 
porté sur  l'autre  dans  la  dispute  obligera  le  vaincu 
à  lairc  ce  qu'il  jugera  à  propos.  »  Le  marchand 
accepte:  la  discussion  s'entame,  et  l'étranger  vaincu 
p;ir  son  adversaire,  est  condamné  par  lui  à  boire 
les  eaux  de  la  mer.  Déconcerté  par  ce  surcroit  de 
mauvaise  fortune,  il  cherche  inutilement  à  inven- 
ter quelque  ruse  qui  puisse  le  tirer  du  piège  ou  le 
rusé  bouffon  l'a  fait  tomber  ;  mais  il  n'en  est  pas 
quitte  encore.  Un  autre  des  trois  fripons  avait 
perdu  un  œil ,  et  celui  qui  lui  restait  était  bleu. 
Cet  homme  voyant  que  les  yeux  du  marchand 
sont  de  la  même  couleur  que  le  sien ,  se  lève  et 
dit  à  l'étranger.  «Tu  m'as  volé  un  mes  yeux",  allons 
devant  le  juge  afin  (pie  ta  sois  condamne  à  me 
ivslitucr  l'œil  que  tu  m'as  dérobé.  »  Heureuse- 
ment pour  le  marchand,  il  est  rencontré  par  la 
vieille  qui  parvient  à  obtenir  des  trois  fripons  de 

laisser  le  marchand   libre  jusqu'au  lendemain,  cl 


12 i  ESSAI 

l'emmène  avec  elle.  Arrivée  au  logis,  elle  dit  à  son 
hôte  :  «  Je  t'avais  prévenu  que  les  habitans  de 
cette  ville  chercheraient  h  te  jouer  quelques  mau- 
vais tours.  Tu  ne  m'as  pas  écoutée,  et  tu  en  es  vic- 
time. Voici  maintenant  le  seul  moyen  de  te  tirer 
d'embarras.  Tous  les  bouffons  reconnaissent  pour 
maître  un  homme  qui  les  surpasse  tous  en  malice. 
Le  soir,  ils  vont  le  trouver,  et  chacun  d'eux  lui  ra- 
conte ce  qu'il  a  fait  dans  la  journée.  Il  te  faut,  en 
conséquence ,  prendre  des  habits  semblables  à 
ceux  de  ces  gens-là,  et  aller  secrètement  te  mêler 
avec  eux,  en  te  tenant  bien  sur  tes  gardes  de  peur 
de  te  laisser  reconnaître.  Les  bouffons  qui  t'ont 
dupé  viendront  tour  à  tour  consulter  leur  maître  ; 
(Voûte  bien  ce  qu'il  leur  répondra,  et  fais  en  sorte 
de  le  graver  dans  ton  esprit.  Les  objections  qu'il 
ne  manquera  pas  de  leur  adresser,  te  fourniront 
le  moyen  de  sortir  d'embarras.  »  Le  marchand 
suit  le  conseil  de  la  vieille  femme,  se  rend  à  l'en- 
droit qu'elle  lui  indique ,  et  voit  d'abord  arriver 
l'homme  à  qui  il  avait  vendu  ses  bois  aromatiques. 
Cet  homme  raconte  au  maître  des  bouffons  l'af- 
faire qu'il  a  conclue.  «  As-tu  spécifié,  lui  dit  le 
maître,  l'cspècede  marchandise  que  tu  dois  lui  don- 
ner en  échange?» — a  Nullement,  »  répond  l'homme. 
— «  Dans  ce  cas, réplique  le  maître,  tu  as  commis 
une  grave  étourderie  ;  car  suppose  qu'il  vienne  le 
demander  de  lui  donner  un  plat  rempli  de  puce- 


SUK  LES  FABLES  INDIENNES.  125 

roiis;  que  la  moitié  de  ces  pucerons  soient  maies 
et  l'autre  moitié  femelles,  et  qu'il  y  en  ait  de  jau- 
nes, de  noirâtres  et  de  bleus,  comment  pourras- 
tu  le  satisfaire?  »  —  «  Cet  étranger,  réplique  le 
fripon,  n'est  pas  capable  d'avoir  une  idée  sembla- 
ble ;  j'en  serai  quitte  pour  lui  donner  ou  de  l'or 
ou  de  l'argent.  »  Le  second  bouffon  vient  ensuite 
et  fait  connaître  la  condition  qu'il  a  imposée  au 
marchand  pour  l'avoir  vaincu  dans  la  dispute. 
«  Tu  t'es  aussi  fourvoyé,  lui  répond  le  maître;  car 
ton  adversaire  pourra  te  dire  :  «Je  suis  prêta  boire 
les  eaux  de  la  mer,  mais  commence  par  retenir 
les  fleuves  et  les  rivières  qui  s'y  rendent,  après 
quoi  je  m'acquitterai  de  mon  engagement  ';  »  tu 
n'auras  rien  à  lui  répondre.  »  Arrive  en  dernier 
lieu  le  borgne,  qui  raconte  à  son  maître  le  tour 
qu'il  a  joué.  «  Tu  n'as  pas  été  mieux  inspiré  que 
les  autres,  lui  dit  le  maître,  car  il  peut  venir  h  l'i- 
dée de  cet  étranger  de  dire  au  juge  :  «  Le  seul 
moyen  de  connaître  la  vérité  est  de  faire  arracher 
l'œil  à  chacun  de  nous ,  afin  que  l'on  puisse  les 
peser  l'un  et  l'autre;  s'ils  sont  du  même  poids,  la 
plainte  est  juste,  et  mon  adversaire  n'aura  qu'à 
emporter  l'œil  qu'il  réclame  :  niais  si  l'un  des  deux 

1    On  reconnaît   ici  lo  pari  de  d'Esope  par  le  moine  l'Ianude.  qui 

boire  la  mer  fait  par  le  philosophe  écrivait    au   xiv    siècle  ,    pourrai! 

Vu  Unis  dans  une  orgie,  et  la  ruse  bien  être  emprunté  au  roman  de 

que  lui  conseille  Esope  pour  se  tirer  Si/tiH/xis. 
d'embarras.  Cet  incident  de  la  vie 


12(>  ESSAI 

yeux  est  plus  léger  ou  plus  lourd  que  l'autre,  je 
demande  que  ma  partie  adverse  soit  punie  et  me 
paie  des  dommages  et  intérêts.  »  Que  feras-tu  si  ton 
adversaire  fait  cette  proposition?  le  pire  qui  puisse 
lui  arriver  c'est  de  devenir  borgne  ;  mais  toi  qui 
l'es  déjà ,  tu  deviendras  aveugle.  »  —  «  Une  pa- 
reille ruse  n'entrera  jamais  dans  la  tête  du  mar- 
chand ,  répond  le  bouffon.  »  Cependant  l'assem- 
blée se  sépare,  et  le  marchand  se  retire  ayant  bien 
gravé  dans  sa  tête  les  réponses  du  maître  des  bouf- 
fons. Le  lendemain,  il  ne  manque  pas  de  se  servir  de 
ces  trois  moyens  de  défense  contre  les  hommes 
qui  avaient  entrepris  de  le  duper,  et  les  oblige  à 
lui  payer  des  sommes  considérables  '. 

Après  cette  longue  conversation,  le  roi  ordonne 
d'amener  la  coupable.  Il  l'interroge  ;  elle  confesse 
tout.  «  Quel  châtiment  faut-il  lui  infliger?  »  demande 
Cyrus  à  ses  conseillers.  Un  d'eux  propose  de  cou- 
per les  pieds  et  les  mains  à  la  malheureuse  ;  un 
autre  de  l'ouvrir  toute  vivante  et  de  lui  arracher 
le  cœur,  un  troisième  de  lui  couper  la  langue. 
Celte  femme  répond  par  une  fable  assez  ridicule, 
mais  dont  le  sens  moral  est  qu'il  vaut  encore 
mieux  vivre  mutilé  que  de  mourir  *.  Les  cruelles 
propositions  des  conseillers  sont  rejetées  par  le 
prince,  qui  est  d'avis  de  raser  la  tète  à  la  coupa- 

Euvrnrac,  p.   125.  —  Para-  ■  Le  Renard.   SjvTÎ7raç ,  p. 143. 

hoirs  de  Sendabm .  Pan/bote»  de  Sefifiabar* 


SUR  LES  FABLE6  INDIENNES.  1  27 

ble,  de  la  placer  sur  un  âne,  le  visage  tourné  vers 
la  croupière,  et  de  la  promener  ainsi  par  la  ville, 
eu  faisant  marcher  devant  elle  deux  crieurs  char- 
gés de  proclamer  pour  quel  crime  elle  subit  ce 
châtiment.  Ce  dernier  avis  est  adopte  !. 

Le  roi,  charmé  de  la  sagesse  de  son  (ils,  en  lé 
licite  son  docte  précepteur,  qui  lui  déclare,  que  si 
le  jeune  homme  a  fait  en  peu  de  temps  d'aussi 
grands  progrès  ,  le  roi  en  est  surtout  redevable  à 
l'astre  qui  a  présidé  à  la  naissance  de  son  fds.  Syn- 
tipas  raconte  alors  une  histoire  qui  a  pour  but  de 
prouver  que  les  prédictions  astrologiques  sont  in- 
faillibles, et  que  la  meilleure  éducation  est  inutile 
il  un  enfant  né  sous  une  mauvaise  ('toile-.  Cette 
histoire  est  suivie  de  plusieurs  questions  morales 
que  Cyrus  fait  à  son  fds,  et  qui  sont  résolues  parle 
prince  de  manière  à  contenter  son  père  et  la  docte 
assemblée. 

J'ai  fait  remarquer  dans  le  cours  de  cette  ana- 
lyse, que  plusieurs  contes" du  Syntipas  se  retrou- 
vent dans  des  recueils  indiens,  ce  qui  autorise  à 
penser  que  ces  contes,  et  même  le  livre  entier,  saul 

■  Dans  [cm  Paraboles  de  Senda-  taFemmeetUManhand.(PA05.) 

har,  le  Jeune  prince  demande  et  ob-  —  1*  /,,/î  ,/l(  ro'  vt lc  Baigneur. 

ticnilagrAcc  de  son  ennemie;  dans  (P.105.)  -La Chienne.  (P.106.)— 

1rs  sept  Vizirs  la  favorite  est  jetée  Le  dénouement  de  la  même  histoire 

:,  lainor.  (P.108.)  -L'Officier  du  roi  et  ton 

«  Zwriiroc,  p- 148.  Chien.  (P.  HO.)  -  Le»  Souhaits. 

3  Ces  eontes.au  nombre  de  iicul",  (P.  Ht.)  — Le  second  incident  de 

sont  ÏOffleier,  ton  Esclave  et  la  la  ruse  des  fcmme».  (P.  H7.    I 

Ftffnma.fVoyec  ci-dessus  ,p.lOO).—  Conoioes  empoisonnes.  (P.H8.) 


128  ESSAI 

quelques  interpolations,  sont  venus  de  l'Inde,  ainsi 
que  l'atteste  Massoudi  '.  On  sait  que  les  conteurs 
indiens  ne  se  sont  fait  aucun  scrupule  de  se  piller 
les  uns  les  autres,  et  qu'il  est  telle  fable  que  l'on 
rencontre  dans  trois  ou  quatre  recueils  différons; 
il  se  peut  donc  que  l'auteur  indien  qui  a  composé 
l'original  présumé  2  du  Livre  de  Sijnlipas  ou  de 
Scndabad 5,  ait  puisé  plusieurs  de  ses  contes  dans 
un  fonds  plus  ancien,  auquel  ont  aussi  puisé  les 
autres  conteurs ,  ou  bien  que  son  livre  étant  anté- 
rieur aux  recueils  qui  existent  aujourd'hui,  ait  été 
mis  à  profit  par  les  auteurs  de  ces  recueils.  Dans 
tous  les  cas,  l'opinion  de  M.  de  Bohlen,  qui  pré- 
tend que  les  contes  du  Livre  de  Sendabad  ont  pu 
pénétrer  dans  l'Inde  avec  l'islamisme4,  opinion 
avancée  légèrement,  est  tout-à-fait  inadmissible. 
Plusieurs  de  ces  contes  ont  le  cachet  indien  ;  il  y 
en  a  un  qui  repose  sur  le  dogme  de  la  métempsy- 

>  Voyez  ci-dessus,  p.  80,  81.  glais  dans  le   Quart erhj  oriental 

»  Dans  un  mémoire  inséré  dans  Afa(/a:t  ne  de  Calcutta  (vol.VI-VIII, 

l'Almanach  de  Berlin  de  1850,  mé-  1820  et  1827),    et  je  dois  recon- 

moire  que  je  n'ai  pas  eu  à  ma  dis-  naître,  que  je  n'ai  pas  été  frappé  du 

position,   mais    qui    est    cité  par  rapport  signalé  par  M.  de Schlcgel; 

M.  Keller  dans  son   introduction,  un  seul  conte,  dont  je  parlerai  plus 

M.  de  Schlcgel  désigne  le  poëmc  loin,  oITre  de  l'analogie  avec  un  de 

sanscrit   intitulé  Dasa-koumara-  ceux  du  roman  arabe  des  tept  Vi- 

tcharita  (ou  les  Aventures  de  dix  sirs  ,  traduit  par    M.  J.   Scott, 
jeunes  gens  )   comme  le  type  du  3  Le  nom  de  Sendabad  que  le 

Livre  de  Sendabad.  J'ai  lu  labre-  traducteur  grec  a  changé  en  celui 

gé  en  sanscrit  du  Dasa-koumara-  de  Si/nlipas,  est  peut-être  un  nom 

tcharita,    publié  a  Serampour  à  sanscrit  altéré  ,  mais  je  n'ose  hasar- 

la  suite  de  YHitopadcsa,  ainsi  que  der  ;i  cetégard  aucune  conjecture. 
les    extrait*  étendus  publiés  en  an-  M)as  allé  Indien,  II,  390. 


SI  R   LES  FABLES  INDIENNES.  121) 

chose  ;  deux  autres  se  retrouvent  dans  le  Panicltu- 
tanlra  dont  l'antériorité  à  l'islamisme  est  un  (ait 
historique.  Il  se  présente,  en  outre,  une  remarque 
importante  à  l'aire,  c'est  que  dans  l'Inde,  où  des 
préjugés  consacrés  par  les  législateurs  offrent 
une  barrière  presque  insurmontable  à  l'envahisse- 
ment des  idées  exotiques ,  la  religion,  les  moeurs 
et  la  littérature  sont  éminemment  nationales  et  ne 
se  ressentent  point  du  eontaet  des  autres  peuples. 
Les  Indiens  paraissent  même  exempts  *  de  cet  es- 
prit de  curiosité ,  de  ce  désir  de  connaître  les 
croyances  religieuses  et  les  productions  littéraires 
des  Dations  étrangères  -,  qui  se  remarque  chez  le/s 
autres  peuples,  même  chez  les  sectateurs  de  Maho- 
met, et  qui  a  distingué  à  un  degré  si  émulent  les 
musulmans  de  l'Inde  \  Nous  avons  vu  cet  esprit 


■   On  citera  sans  doute  comme  aux  dialectes  modernes ,  et  encore 

exception  le  célèbre  Brahmane  Ram-  est-il  à  propos  de  remarquer  que 

mohun-Ruy  qui  avait  appris  le  grec  l'hindoustani  qui  s'est    beaucoup 

et  l'hébreu,   et  qui  avait  composé  enrichi  d'emprunts  laits  à  la  litlor. 

des  livres  de  controverse.  Mais  il  turc  persane,  est  une  langue  formée 

faut  observer  que  la  domination  du  mélange  de  l'ancien  hindi  avec 

anglaise  et  les  rapports  avec  les  Lu-  le  persan  et  l'arabe,  et  parlée  en  ge- 

ropéens,  peuvent  maintenant  sin-  uéral  par  des  sectateurs  de  l'isla- 

gulièrenieut  modifier  le  caractère  et  misme. 

les  habitudes  des  Indiens.  3  Presque  Ions  les  livres  impor- 

.  Je  ne  crois  pas  qu'il  existe  dans  tans  de  la  littérature  indienne  ont 

le  répertoire   de  I  antique   Littéra-  été  traduits  en  persan  dans  l'Inde, 

turc  sanscrite  aucune  traduction  ou  Ces  traductions  ont,  en  général,  été 

imitation  Composée  par  un  Indien,  composées  par  l'ordre  des  empereurs 

d'après  un  original  en  langue  étran  gols  de  Delhi .  ou  des  princes  de 

Pour  rencontrer  des  traduc  leur  famille. 
h  nis  de  ce  -''lire  .  il  faut   arriver 


130  ESSAI 

de  curiosité  se  manifester  chez  les  Persans ,  dès 
le  vie  siècle  de  notre  ère,  et  un  voyage  entrepris 
par  un  docteur  de  cette  nation ,  pour  aller  à  la  re- 
cherche d'un  traité  de  morale  et  de  politique. 
Leurs  relations  avec  l'Inde  remontaient  probable- 
ment à  une  date  plus  ancienne,  et  plus  d'un  apo- 
logue ,  plus  d'un  conte  indien  avait  pu  circuler 
dans  l'Orient  par  cette  voie.  Les  Indiens,  au  con- 
traire, n'ont  presque  jamais  rien  emprunté  à  per- 
sonne \  J'ajouterai,  comme  dernière  preuve  à 
l'appui  de  l'origine  indienne  du  Livre  de  Synli- 
pas,  que  la  forme  même  de  ce  livre  ,  qui  se  com- 
pose, comme  on  a  vu,  de  plusieurs  narrations  liées 
à  un  drame  principal ,  est  encore  une  présomp- 
tion très  forte  en  faveur  de  l'opinion  que  je  sou- 
tiens. L'existence  d'un  cadre  où  tous  les  contes 
viennent  se  placer,  d'un  récit  principal  auquel  se 
rattachent  des  récits  secondaires,  est  un  caractère 
tout-à-fait  particulier  du  conte  et  de  l'apologue 
chez  les  Indiens  *,  et  je  ne  le  retrouve  dans  au- 
cune des  productions  anciennes  et  authentiques 
des  littératures  persane  et  arabe.  Les  recueils  per- 


■   Le  zodiaque  de  douze  signes  M.  Lctronne.    (Revue  des  deux 

est  le  seul  emprunt  fait  par  les  In-  Mondes,  du  15  août  1837.)  —  Tou- 

diens  à  un  peuple  étranger  que  l'on  tefots  M.  de  Schlegel  ne  partage  pas 

ait  encore  signalé,  à  maçonnais-  l'opinion  de  M.  Lelronne,  et  se  pro- 

sance.  —Voyez  le  mémoire  intitulé  pose  de  la  réfuter  par  un  mémoire. 
.Sur  V Origine  grecque  des  zodia-  -,  Voyez  ci-dessus,  p.  7. 

ques   prétendus   égyptiens  ,    par 


si  R  L  E  S  FA  BLE  S  l  [f  DIE  N  N  ES.  1  3 1 

sans  qui  ont  cette  forme  sont  d'origine  indienne 
avouée ,  et  les  Mille  et  une  Nuits  ne  peuvent  pas 
être  objectées,  puisque  M.  de  Sacy,  qui  a  reven- 
diqué la  plupart  des  contes  de  ce  recueil  comme 
d'invention  arabe,  reconnaît  que  le  cadre  est  beau- 
coup plus  ancien  que  le  recueil  lui-même  f. 

Les  Paraboles  de  Sendabar,  ainsi  qu'on  a  pu  le 
remarquer,  différent  peu  du  Syntipas,  et  presque 
ions  les  contes  du  roman  grec  se  retrouvent  dans 
le  livre  hébraïque  2.  Il  n'est  nullement  probable, 
à  mon  avis,  que  ce  dernier  prenne  sa  source  dans 
le  grec.  Le  lieu  de  la  scène  placé  dans  l'Inde,  et  le 
nom  de  Sendabar  qui  est  celui  de  Sendabad,  sauf 
une  différence  légère,  due  peut-être  à  une  erreur 
de  copiste  ,  me  portent  h  penser  que  c'est  d'après 
l'arabe  que  la  version  hébraïque  a  été  composée. 
M.  Jonathan  Scott,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  a  tra- 
duit un  roman  arabe  aujourd'hui  incorporé  dans 
les  Mille  et  une  Nuits,  lequel  offre  le  même  su- 
jet et  presque  les  mêmes  contes  que  le  Syntipas. 
Ce  roman  qui  est  intitulé  Histoire  du  Roi,  de  sa 
lùivorite,  de  son  Fils,  et  des  sept  Vizirs,  nous  of- 
fre-t-il  le  texte  original  du  roman  signalé  par  Mas- 
soudi3,  le    Kétab    Sendabad?    C'est    fort   dou- 

>  JWo'motrej  de  l'Institut  (Ara-  sont  étrangers  un  Syntipas  ,  et,  de 

demie  des  Inscriptions  )  ,   l.   X  .  res  quatre,  il  y  en  a  deux  qui  ont 

p,  40.  |>"iir  sujet  la    Révolte  et  la  Mort 

*  Parmi  les  contes  des  Paraboles  ,t  Ibsalon. 
'le    Sendabar  ,   quatre  seulement  i  Voyez  ei-dessu>    p,  81  et  82. 


1.32  ESSAI 

teux  ;  je  remarque  en  effet  que  deux  contes,  dont 
l'origine  orientale  est  incontestable ,  le  Chien  et 
le  Serpent,  le  Singe  et  le  Sanglier,  contes  qui 
font  partie  du  Syntipâset  des  Paraboles  de  S  end  a- 
bar,  et  qui  se  trouvaient  probablement  dans  le 
Kétab  Scndabad,  ne  se  lisent  point  dans  l'ouvrage 
traduit  par  M.  Jonathan  Scott  '.  Le  roman  des 
sept  Vizirs  peut  donc  être  considéré  comme  une 
imitation  ou  comme  une  rédaction  nouvelle  du 
Livre  de  Scndabad.  Au  reste,  l'analyse  des  contes 
étrangers  aux  Paraboles  de  S  end  a  bar  et  au  Synli- 
pas,  et  qui  se  trouvent  dans  les  sept  Vizirs,  con- 
tribuera a  prouver  l'origine  indienne  de  ce  livre. 
La  série  commence  par  une  histoire  racontée  par 
un  des  vizirs.  —  Un  sultan ,  en  se  promenant  un 
jour,  aperçoit  un  enfant  qu'on  avait  exposé,  et  tou- 

.   Il  existe  encore  une  seconde  Bengale ,  ont  entre  elles  les  plus 

rédaction  arabe  du  livre  des  sept  grands  rapports  ,  et   toutes  deux 

Vizirs  ,  qui  est  celle  que  M.  Ha*  offrent  des  contes  qui  ne  se  trou- 

birht  a  insérée  dans  le  quinzième  vent  pas  dans  le  grec.  La  rédaction 

volume  de  sa  traduction  allemande  arabe  suivie  par  M.  Habiclit  est  , 

des  Mille  et  une  Nuits.    M.  Ha-  du  reste,  plus  complète  «pie  celle 

bicht  l'a  tirée  d'un  manuscrit  copié  de  M.  Jonathan  Scott ,  et  on  y  re- 

en  Egypte,  dans  l'année  1751  de  marqué  trois  contes  qui  se  trouvent 

notre  ère.  M.  Keller  ,  qui  a  donné  aussi  dans  le  Syntipas  ,  et  que  ne 

l'analyse  de  la  traduction  de  M.  Ha-  donne  pas  la  traduction  anglaise , 

bicht,  dans  son  introduction   au  savoir:   La  Vieille  et  l' Enfant  de 

lloman   dus    sept   Sages,  serait  cinq  ans.  (Voyez  ci-dessus,  p.  118.) 

porté  a   croire   que    cette   version  —  Le  Marchand  et   les  Fripons. 

arabe  a  été  faite  sur  le  Syntipas  ;  (P.121.) — Le  Renard.  (P.  126. ) — 

mais  je  pense  que  c'est  fort  dou-  (Voyezi'mtroductiondeKelIer,p.x.) 

teux.  La  rédaction  du  manuscrit  Le  roman  des  sept  Vizirs  se  trouve 

d'Egypte  el  celle  du  manuscrit  de  encore  dans  d'autres  manuscrits  des 

M.  Scott,  lequel  a  été  apporté  du  Mille  et  une  Nuits. 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  133 

chc  de  compassion,  il  ordonne  qu'on  le  ramasse,  et 
le  lait  élever.  Lorsque  l'enfant  est  devenu  un  jeune 
lionune  et  que  son  éducation  est  terminée,  le  sul- 
tan lui  confie  la  garde  de  son  trésor.  Un  jour  il  le 
charge  d'aller  dans  la  chambre  de  sa  favorite,  lui 
chercher  un  objet  qu'il  lui  indique.  Ahmed,  c'était 
le  nom  de  l'orphelin,  en  entrant  dans  la  chambre, 
surprend  la  favorite  avec  un  esclave ,  mais  il  fait 
semblant  de  ne  pas  s'en  apercevoir,  et  rapporte 
au  sultan  ce  que  celui-ci  avait  demandé,  sans  dire 
un  mot  de  ce  que  lui-même  a  vu.  La  favorite  crai- 
gnant qu'Ahmed  ne  dévoile  sa  faute,  s'empresse 
d'aller  l'accuser  auprès  du  prince  d'avoir  voulu  lui 
Élire  violence,  et  le  sultan,  dans  sa  fureur,  se  ré- 
sout à  taire  mourir  l'orphelin.  Il  appelle  aussitôt 
un  esclave  :  «  Rends-toi,  lui  dit-il,  dans  telle  mai- 
son et  attends-y  qu'un  homme  vienne  te  dire:  «  Ac- 
complis les  ordres  du  sultan. «Lorsque  cet  homme 
se  présentera, fais-lui  sauter  la  tète,  et  tu  remettras 
ensuite  cette  tète  dans  une  corbeille  couverte  à 
un  second  messager.  »  L'esclave  part ,  et  lie  sul- 
tan donne  la  première  commission  à  Ahmed  qui 
ne  se  doute  nullement  de  l'accusation  portée  con- 
tre lui  et  du  sort  qu'on  lui  destine.  Sur  son  che- 
min il  rencontre  l'esclave  complice  de  la  favorite, 
occupé'  à  boire  avec  d'autres  esclaves.  Le  misé- 
rable, voyant  Ahmed,  lui  demande  ce  qu'il  va 
faire,  el  veut  le   retenir  afin  d'irriter  son   maître 


134  ESSAF 

contre  lui.  Ahmed  refuse,  à  cause  de  la  commis- 
sion qui  lui  a  été  donnée ,  et  l'esclave  propose  de 
s'en  charger.  Il  se  rend  en  effet  à  la  maison  qu'Ah- 
med lui  indique,  et  il  n'a  pas  plus  tôt  dit  à  l'homme 
qui  attend  :  «  Exécute  les  ordres  du  sultan,  »  que 
celui-ci  lui  fait  tomber  la  tête.  Ahmed  ne  le  voyant 
pas  revenir  va  lui-même  à  la  maison  indiquée , 
et  l'esclave  lui  remet  la  corbeille  que  le  jeune 
homme  rapporte  au  palais.  La  vue  de  la  tête  que 
cette  corbeille  renferme  amène  une  explication , 
et  la  coupable  est  mise  à  mort  \ 

L'histoire  d'un  peintre,  racontée  par  la  favorite, 
en  preuve  de  la  perversité  des  hommes,  est 
d'origine  indienne.  —  Un  peintre  qui  aimait  beau- 


>  Taies ,  anecdotes ,  p.  53.  — 
Cette  histoire  ne  diffère  pas  pour  le 
fond  d'un  conte  dévot  intitule*  D'un 
Roi  qui  voulut  faire  brûler  le  fils 
de  son  sénéchal  (voy.  les  Fabliaux 
traduits  par  Legrand  d'Aussy  , 
t.  V ,  p.  56,  in-8°  ) ,  seulement 
la  punition  du  traître ,  qui  est  l'effet 
du  hasard  dans  le  conte  oriental , 
est  amenée  dans  le  fabliau  par 
la  volonté  de  Dieu  ,  qui  protège  ,  à 
cause  de  sa  dévotion  ,  le  jeune 
homme  victime  d'une  calomnie.  La 
même  légende  se  retrouve  dans  la 
rédaction  anglaise  du  recueil  inti- 
tulé Gesta  Jtomanorum  ,  dont  elle 
forme  le  chapitre  xcvm.  (Voyez  la 
dissertation  de  Francis  Douce  ,  pu- 
bliée a  la  suite  des  Illustrations  of 
Shakspeare ,  ' .  II,  p.  412;  et  l'édi- 
tion dc«  Gesta  Romanoruin  publiée 


parle  rév.  Charles  Swan.  Londres , 
1824,  in-12,  t.  Ier,  p.  civ  de  l'in- 
troduction. )  On  rencontre  encore 
celte  histoire  dans  les  Ccntonovelle 
anliche  (Libro  dinovclle  et  di  bel 
parlar  yentile ,  in  Fiorenza,  1572, 
nov.  lxviii  ,  p.  75  ,  in-4°) ,  dans 
les  nouvelles  de  Giraldi  Cinthio 
(  voyez  la  sixième  nouvelle  de  la 
huitième  dizaine ,  dans  le  second 
roi  h  tue  des  Cent  excellentes  nou- 
velles de  M.  Jean-Baptiste  Gi- 
raldi O/nl h  ien,  mis  d'italien  en 
français  par  Gabriel  Chappuys  , 
Tourangeau .  Paris ,  1 584,  p.  115). 
et  dans  l'histoire  de  sainte  Elisa- 
beth, raine  de  Portugal.  (Voyez  les 
Anecdotes  chrétiennes  de  l'abbé 
Beyre,  t.  I"  ,  les  Deux  Pages, 
et  la  Biographie  universelle  ,  t. 
XIII,  p.  25.  ) 


SUR   LES  FABLES  INDIENNES.  135 

coup  les  femmes,  aperçoit  un  jour  le  portrait 
d'une  personne  qui  lui  paraît  ravissante  de  beauté, 
et  il  parvient,  à  force  de  recherches,  à  savoir  que 
ce  portrait  est  celui  d'une  chanteuse  d'un  vizir  d'Is- 
pahan.  Il  se  met  aussitôt  en  route,  et  arrivé  dans 
la  ville,  il  apprend,  au  bout  de  quelques  jours , 
par  un  apothicaire  avec  lequel  il  avait  fait  connais- 
sance, que  le  sultan  a  en  horreur  les  sorcières,  et 
qu'il  les  fait  toutes  enterrer  vivantes  dans  une  ca- 
verne située  hors  de  la  ville.  Ce  renseignement  lui 
suggère  une  ruse ,  et  il  dresse  aussitôt  son  plan. 
Pendant  la  nuit  il  se  rend  au  palais  du  vizir,  s'in- 
troduit dans  les  appartemens,  et  réussit  à  trouver 
celui  delà  dame  qu'il  aime,  et  qu'il  trouve  endor- 
mie. 11  tire  son  poignard  et  lui  fait  une  légère 
blessure  à  la  main.  La  jeune  femme  se  réveille, 
et  pleine  d'effroi ,  à  la  vue  d'un  inconnu  qu'elle 
prend  pour  un  voleur,  elle  le  conjure  de  ne  lui 
faire  aucun  mal  et  lui  donne  un  voile  magnifique 
orné  de  perles  et  de  pierres  précieuses.  Notre 
homme  se  retire,  et  le  lendemain,  déguisé  en  pè- 
lerin, il  va  trouver  le  sultan,  et  lui  déclare  qu'ar- 
rivé la  veille  près  d'Ispahan  à  la  chute  du  jour,  il 
a  rencontré  quatre  sorcières  qui  l'ont  entouré  , 
mais  qu'il  a  fait  fuir  en  prononçant  le  sain!  nom 
de  Dieu;  qu'il  a  donné  à  l  une  d'elles  un  coup  <le 
poignard,  et  que  cette  femme,  dans  sa  fuite, a  Iai^<; 
tomber  un  voile  magnifique.  Il  présente  alors  le 


1 36  ESSAI 

riche  tissu  au  suliau  ,  qui  le  reconnaît  à  l'instant 
pour  en  avoir  fait  présent  a  son  vizir,  et  celui-ci 
déclare  l'avoir  donné  à  la  chanteuse.  On  la  fait 
venir;  l'égratignure  qu'elle  a  sur  la  main,  prouve 
au  sultan  la  vérité  de  l'accusation  ,  et  il  ordonne 
que  la  coupable  soit  enfermée  sur-le-champ  dans 
la  caverne  des  sorcières.  L'arrêt  s'exécute  ;  mais 
le  peintre  va  trouver  le  gardien  de  la  caverne ,  et 
au  moyen  d'une  somme  considérable,  il  obtient  de 
lui  qu'il  rende  la  liberté  h  la  jeune  femme  qu'il 
emmène  avec  lui  '. 

L'histoire  que  raconte  le  cinquième  vizir  , 
offre  quelque  rapport  avec  un  conte  des  Mille 
et  une  Nuits ,  lequel  vient  de  l'Inde.  —  Un 
jeune  homme  ayant  dissipé  toute  sa  fortune  est 
obligé  de  prendre  le  métier  de  porteur.  Certain 
jour,  un  vieillard  d'une  ligure  vénérable  lui  pro- 
pose d'entrer  :i  son  service:  «  Nous  sommes,  lui 
dil-il,  dix  vieillards  qui  vivons  ensemble  dans  la 
même  maison,  et  nous  avons  besoin  de  quelqu'un 
pour  nous  servir.  Seulement  je  te  recommande 
lorsque  tu  nous  verras  gémir  et  pleurer  de  ne  faire 
avenue  question.  »  Le  jeune  homme  observe  très 
exactement  ta  condition  imposée,  et  sert  fidèlement 

>  Tdlrs,  anecdote» :,('!<.•.,  p.  108.  1ère  pas  pour  le  fond  de  l'histoire 

—  Le  ri. nie  indien  intitulé   "Bit-  du  peintre.  (Voyez  le  Quartcrh/ 

loire  de  Nitambattati  ,  et  qui  fait  i)iintt<iï  magasine  tic  Calcutta 

partie  «lu  poème   ayanl   pour  titre  juin  1827.1 
Dasd-lcouindra-tchatïta .  ne  difi- 


SI  R   LES  FABLES  INDIENNES.  137 

les  vieillards  qui  finissent  |>ar  oiourrir  l'un  après 
L'autre.  Celui  qui  avait  amené  le  jeune  homme  reste 
le  dernier  ,  et  lorsqu'il  est  près  de  son  dernier  mo- 
ment ,  le  jeune  homme  se  hasarde  «à  le  prier  de  sa- 
tisfaire sa  curiosité  :  «  Mon  fils,  répond  le  vieillard, 
je  t'ai  toujours  aimé,  et  je  craindrais  pour  toi  un 
sort  pareil  au  mien.  Garde-toi  surtout  d'ouvrir  la 
porte  que  voici.  »  Le  vieillard  meurt  ;  le  jeune 
homme,  maitre  de  la  maison,  cède  à  la  curiosité  et 
ouvre  la  porte  inlerdite.il  traverse  un  long  passage 
au  bout  duquel  il  se  trouve  au  bord  de  la  mer ,  et 
un  aigle  blanc  i  le  saisit  et  le  transporte  dans  une 
ile.  Il  y  rencontre  des  jeunes  filles  qui  le  conduisent 
ii  leur  reine,  dont  il  devient  l'époux.  «  Seigneur,  lui 
dit-elle,  tout  ici  vous  appartient,  mais  gardez-vous 
d'ouvrir  cetteporte  que  voici,  vous  auriez  à  vous  en 
repentir2  >.  Le  jeune  homme  passe  sept  mois  dans 
les  plaisirs  et  dans  la  joie;  mais  au  bout  de  ce  temps, 
sa  fatale  curiosité  lui  fait  ouvrir  la  porte  défendue: 
il  se  trouve  de  nouveau  dans  un  long  passage  qui 
le  conduit  au  bord  de  la  mer  ,  et  le  même  aigle  le 
saisissant  le  transporte  daiissamaison,oùillelais  e 
en  proie  aux  regrets  les  plus  vils  \ 

i  Dans  les  Mille  et  uneNuitt,  van!  la  mythologie  indienne ,  offre 

!'■  trolgièi salender  est  transporté  de  grands  rapports  avee  te  roM. 

par  l'oiseau  fabulera  que  les  arabes  «rite  défense  rappelle  celle  du 

appellenl  rokA,  et  dont  ils  paraissent  conte  de  Barbe  bU  vu. 

avoir  puise  l'idée  dans    les  contes  3  TtUéS .  munlotcs ,  rtc.  |>.  116 

indiens.    Curimihi  ,   oiseau  gigan-  ÏM  Mille  et    tuie    \tiits.  (  llis 

lesque  et  roi  de  ta  vace  ailée ,  sui-      toire  dufreisième  têUtnder,  nails 


1 38  ESSAI 

L'histoire  qui  suit  est  racontée  par  la  favo- 
rite. —  Un  marchand  avait  une  femme  très  jolie 
dont  il  était  si  jaloux  qu'il  la  tenait  toujours  enfer- 
mée. Un  jour  le  fils  du  sultan  en  se  promenant 
voit  cette  charmante  personne  qui  prenait  l'air  sur 
la  terrasse  de  la  maison,  et  sa  vue  fait  une  grande 
impression  sur  lui.  Après  avoir  essayé  inutilement 
d'entrer ,  il  lance  avec  une  flèche  un  billet  qui  est 
favorablement  accueilli  ;  aussi  est-il  bientôt  suivi 
d'un  autre  billet  accompagné  d'une  clef,  et  par  le- 
quel le  prince  annonce  que  cette  clef  est  celle  d'un 
coffre  dans  lequel  il  doit  s'introduire.  Le  fils  du 
sultan  va  trouver  alors  le  vizir  du  roi  son  père , 
et  obtient  à  force  de  prières  que  le  ministre  aille 
vers  le  marchand  et  qu'il  lui  demande  de  recevoir 
chez  lui  en  dépôt  un  coffre  rempli  d'objets  précieux 
qu'il  veut  mettre  en  sûreté.  La  ruse  réussit  parfai- 
tement; le  marchand,  flatté  de  la  proposition  du 
vizir,  ne  fait  aucune  difficulté,  et  le  jeune  prince  in- 
troduit dans  le  coffre  chez  sa  maîtresse  en  obtient 
di!  nombreuses  entrevues.  Sept  jours  se  passent 
de  cette  manière  ;  mais  le  huitième,  le  sultan  ayant 
demandé  son  fils ,  le  vizir  va  trouver  le  marchand 
au  plus  vite  pour  reprendre  le  coffre,  et  le  mar- 
chand le  conduit  chez  lui.  Le  jeune  prince,  qui  se 


LVII  à  LXIl.  —  Voyez  Y  Histoire  Calcutta,  janvier  et  juin  1855)  et  Le 
<le  Snktidcva  dans  le  l 'rihat-kathù  traduction  de  1 Hitopadcsa  ,  par 
(Qvaterly  Orientai  magasine  de      Wilkins,  p.  129.) 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  139 

promenait  dans  la  cour  intérieure  avec  sa  maî- 
tresse,  entendant  venir  quelqu'un,  retourne  au  plus 
vite  à  sa  cachette,  mais  on  n'a  pas  le  temps  de  fer- 
mer le  coffre  et  les  esclaves  en  l'emportant  lovent, 
le  couvercle  qui  montre  le  jeune  prince  aux  yeux 
de  tous.  Le  marchand  honteux  de  sa  disgrâce  et 
désespéré  de  ne  pouvoir  se  venger,  fait  divorce 
avec  sa  femme ,  jurant  de  ne  plus  se  marier  \ 

Le  conte  suivant  est  raconté  par  le  sixième  vizir. 
Une  jeune  dame,  dont  l'amant  a  été  arrêté  et  mis 
en  prison,  va  solliciter  successivement,  pour  obtenir 
sa  liberté,  l'officier  de  police,  le  cadi,  le  vizir,  et 
le  gouverneur  de  la  ville.  Tous  quatre  charmés  de 
sa  beauté  lui  font  des  propositions  qu'elle  ne  re- 
pousse pas.  Elle  leur  donne  un  rendez-vous,  et  à 
mesure  qu'ils  arrivent,  elle  les  enferme,  sous  le  pré- 
texte d'une  alerte ,  dans  une  armoire  à  comparti- 
mens  qu'elle  a  fait  faire  exprès.  Elle  se  sauve  en- 
suite avec  son  amant,  et  le  mari  de  la  dame  en  ren- 
trant chez  lui  trouve  cette  armoire  d'où  sortent  des 
voix  et  la  fait  porter  au  palais  du  sultan.  On  force 
la  serrure ,  et  les  malheureux  pris  au  piège  sortent 
de  leur  retraite  couverts  de  honte  . 


■  Talcs,  anecdotes,  etc.,  p.  131.  de  Jésus-€hriêt  par  la  poursuite 

—  Ce  conte  se  retrouve  dans  le  amoureuse  d'un  jeune  Romain. — 

livre  intitulé  le*  Compte*  du  monde  Voyei  ',l,;»'  Im  Délice»  de  Verbo- 

(,i (mlnrvu.r  ,  contenant   liiij   dis-  quel   le  généreux  ,  Paris.   1(i'2."   . 

court. Puis,  1683.  Voyesle second  in-18,  p,  536. 

conte  ayant  pour  titre  la  Façon  Foies,  anecdotes,  elCj  p.  136. 

qu'une  Juifoe  fut  convertie  à  la  foi  Ce  conte  est  éyidem m   une 


140  ESSAI 

L'histoire  suivante,  racontée  par  la  favorite,  rap- 
pelle l'anecdote  de  la  pie  voleuse.  —  Une  pauvre 
femme  accusée  d'avoir  volé  le  collier  d'une  reine 
,  est  mise  en  prison  et  durement  traitée  ;  mais  heu- 
reusement le  sultan  aperçoit  un  jour  une  pie  tenant 
le  collier  entre  ses  pales ,  et  reconnaissant  l'injus- 
tice de  l'accusation,  il  fait  rendre  la  liberté  à  la 
malheureuse  en  lui  demandant  pardon  '. 

L'histoire  du  prince  Bharam  et  de  la  princesse 
Rumta ,  que  raconte  encore  la  favorite,  est  le  der- 
nier des  contes  étrangers  aux  Paraboles  de  Scnda- 
bavet&u  Sijntipas. 

Il  y  avait  jadis  une  princesse  nommée  Rumta , 
qui  était  si  habile  à  monter  à  cheval  et  à  lancer 
la  javeline  qu'elle  avait  déclaré  ne  vouloir  épou- 
ser que  le  prince  qui  serait  son  vainqueur  2.  Plu- 
sieurs l'avait  entrepris,  aucun  n'avait  pu  réussir. 
Bharam,  prince  de  Perse,  éperdument  amoureux 

imitation  défigurée  du  conte  de  la  s'agit  point  d'une  femme  galante, 
Belle  Arouya ,  dans  les  Mille  et  majs  d'âne  femme  vertueuse  et 
un  Jours ,  et  de  celui  de  la  Dame  fidèle  a  son  mari.  Le  rédacteur  du 
du  Caire  et  de  ses  Galant,  dans  TOtDm  des  sept  Vizirs  a  changé  le 
la  Continuation  des  Mille  et  une  sens  mora]  tlu  conlc  pour  poUvoir 
Nuits,  par  Bf. Jonathan  Scott  (voyez  le  placcr  dans  son  cadre  <  _  Voje? 
l'édition  des  Mille  et  une  Nuits  (l;ills  1(,s  Fabuaux  de  Legrand 
publiée  par  M.  Destains.  Paria  1822,  cPAussy  (t.  IV,  p.  246),  celui  de 
in-8-  ,t.  VI,  p.  285) ,  lesquels  sont  j0  dame  qui  attrapa  un  prêtre,  un 
tirés  eux-mêmes  d'un  conte  san-  prévôt,  et  vnfexesiier* 
serjk  «lu  Vrihat-kathâ  (  Quarterly  /v,/rs-,  m,rrdotes,  etc.,  p.  155. 
Oriental  magazine  de  Calcutta  .  »  On  se  iifpelle  que  dans  l' Or- 
mars  1824,  p.  "I .)  — Dans  les  trois  lundo  furioSO,  lJradamante  impose 
rédactions  persane,  arabe  et  san-  la  même  condition  à  ses  amans. 
sente  que  je  viens  de  citer  .  il  ne 


SUR  LES  FABLES  IMHI.WI  S  lit 

de  Rumta,  avait  succombe  par  une  ruse  de  la 
princesse,  qui,  voyant  tout  d'abord  qu'elle  avait 
affaire  «à  un  rude  adversaire,  avait  levé  sa  visière 
pour  éblouir  son  amant  par  l'éclat  de  sa  beauté. 
Bharam,  désespéré  de  son  écbee  veut  à  son  tour 
avoir  recours  à  la  ruse.  Déguisé  en  vieillard,  la  figure 
cachée  par  une  grande  barbe  blanche,  il  se  présente 
sur  le  passage  de  la  princesse  et  propose  à  une  de 
ses  femmes  de  l'épouser,  offrant  de  gratifier  celle 
qui  accueillera  sa  demande  de  plusieurs  beaux 
joyaux.  «  Je  donnerai  un  baiser  à  celle  qui  m'é- 
pousera, ajoute-t-il,  et  je  divorcerai  ensuite.  »  La 
princesse  qui  trouve  la  proposition  singulière,  dit 
ii  une  de  ses  femmes  d'accepter;  et  la  même  scène 
se  renouvelle  plusieurs  jours  de  suite,  le  faux  vieil- 
lard donnant  chaque  fois  de  beaux  joyaux  il  la 
jeune  fille  qu'il  épouse.  Enfin  il  prend  fantaisie  à 
lUuiila  de  devenir  à  boh  tour  l'épouse  du  vieil- 
lard ;  Bharam  se  fait  aussitôt  connaître ,  et  la  prin- 
cesse se  résigne  à  son  sort  '. 

J'arrive  maintenant  à  L'examen  du  livre  célèbre 
au  moyen  âge  sous  le  titre  d'Histoire  des  sept  Sages 
de  Rome-.  Une  analyse  rapide  suffira  pour  montrer 

raie»,  anecdotes,  etc.,p.  159.  l'histoired' Mppomèneet  Atalante. 
—  La  ruse  de  Bharam  a  beaucoup  <  Historia  teptem    Sapientum 

de  rapport  avec  cette  du  prince  Routai.  Voyea  ci-dessus ,  page  85. 

Toungabala  ,   dans  an  conte  de  Je  me  sers  pour  celte  analyse  in 

de  VHiiopadésa  ,  que  j'ai  analysé  texte  latin  et  de  ta  traduction  Bran 

plus  liant.  (Voyez,  page.  75.)  Ce  caise  imprimée  à  Genève  en  1492. 

conte  a  aussi  de  l'analogie  avei  Le  Boman  des  sept  Soi 


142  ESSAI 

les  rapports  de  ce  livre  avec  les  Paraboles  de  Sen- 
dabar. 

Dioctétien ,  fils  de  l'empereur  de  Rome  Poncia- 
nus,  est  confié,  après  la  mort  de  sa  mère,  aux  soins 
de  sept  sages,  qui  relèvent  dans  un  lieu  retiré  hors 
de  la  ville.  Le  jeune  prince  passe  dans  cette  retraite 
seize  années,  pendant  lesquelles  il  fait  dans  les 
sciences  des  progrès  merveilleux.  Cependant  l'em- 
pereur son  père  s'est  remarié  a  la  fille  du  roi  de 
Castille.  La  marâtre  porte  une  haine  mortelle  à 
son  beau-fils ,  qu'elle  ne  connaît  point  encore  ,  et 
l'empereur,  à  son  instigation,  ordonne  aux  précep- 
teurs du  prince ,  sous  peine  de  la  vie ,  de  le  lui  ra- 
mener le  jour  de  la  prochaine  fête  de  Pentecôte. 
Les  sages  consultent  les  astres  sur  le  sort  futur  de 
leur  élève,  et  ils  voient  par  leur  science  astrologi- 
que, que  si  l'on  mène  à  l'empereur,  son  fils,  le  jour 
assigné,  il  périra  de  maie  mort  aux  premiers  mots 
qu'il  dira ,  et  que  si  eux-mêmes  n'obéissent  pas, 
ils  auront  la  tête  coupée.  Le  prince  consulte  les  étoi- 
les à  son  tour,  et  reconnaît  que  s'il  peut  pendant 
sept  jours,  à  partir  du  jour  déterminé  par  l'empe- 
reur, s'abstenir  de  parler ,  sa  vie  sera  sauvée.  Ses 
précepteurs  promettent  de  le  garantir  de  mal  pen- 
dant les  sept  jours. 

Dioclétien  se  rend  à  la  cour,  et  l'empereur  s'é- 

a  aussi  été  désigné  sous  le  tilre  de  nuscritsde  la  Bibliothèque  de  l'Ar- 
l.a  maie  maraslrc.  (Voyez  les  ma-      senal  nn  232 et  233 ,  belles-lettres. 


SU'.  LES  FABLES  INDIENNES.  143 

merveille  grandement  de  voir  son  fils  muet.  La 
reine  qui  se  prend  subi  le  nient  d'amour  pour  lui, 
persuade  ii  l'empereur  de  le  lui  confier ,  et  fait  au 
jeune  homme  des  propositions  qu'il  rejette  sur 
l'heure  par  escripl.  Furieuse ,  elle  se  déchire  le  vi- 
sage, elle  accuse  Dioclétien  d'avoir  voulu  lui  faire 
violence,  et  l'empereur  enjoint  à  ses  archers  de  me- 
ner le  prince  au  gibet.  Les  sages  font  des  représen- 
tations ii  l'empereur,  qui  ordonne  alors  de  conduire 
son  fils  en  prison. 

Le  soir,  quand  la  reine  se  trouve  seule  avec  son 
époux ,  afin  de  le  déterminer  à  faire  mourir  le  prince, 
elle  raconte  la  fable  d'un  vieux  et  beau  pin  que  le 
maître  d'un  jardin  l'ail  abattre  pour  conserver  un 
rejeton  faible  et  tortu  '.  La  reine  termine  en  disant 
que  le  sort  du  vieil  arbre  est  réservé  à  l'empereur, 
ce  qui  fait  tant  d'impression  sur  l'esprit  du  crédule 
vieillard  ,  que  le  lendemain  il  donne  de  nouveau 
l'ordre  de  conduire  le  prince  au  supplice. 

Le  premier  sage,  nommé  Pantillas,  vient  s'yop- 
poser ,  et  démontre  à  son  maitre  les  dangers  de  la 
précipitation  par  le  conte  d'uni)  chevalier  qui,  à  la 
parole  de  sa  femme,  occist  son  bon  lévrier  qui  avoii 
abbatule  dracon  cl  saulvé  la  vie  à  sou  enfant,  conte 
que  nous  avons  déjà  vu  dans  les  Paraboles  de  Scn- 

VOJWI  L'analyse  composée  par  eteWIU  of  earhj  eutjlish  metrical 
Ellis,  de  la  rédaction  en  vers  anglais  Tommeu,  MOOOd  édition,  Londoo, 
intitulée  Seven  xvisemasters.  (Spc-       UHi,  vol.  III ,  p.  50.) 


14  i 


ESSAI 


dabar,  dans  Sijnlipas,  et  dans  le  Pantcha-lunira  '. 

La  reine  revient  à  la  charge  le  soir,  et  réussit  à 
persuader  l'empereur  par  le  conte  suivant  qui  est 
des  plus  ridicules. 

Un  sanglier  était  si  terrible  qu'il  blessait  à  mort 
tous  ceux  qui  passaient  par  le  bois  où  il  se  tenait , 
et  l'empereur  avait  fait  crier  par  tout  son  empire 
qu'il  donnerait  sa  fille  en  mariage  à  celui  qui  tue- 
rait le  sanglier.  Un  jeune  pâtre  profitant  du  mo- 
ment où  l'animal  était  gorgé  de  fruits,  s'approcha 
de  lui  en  le  caressant ,  et  le  tua  d'un  coup  de  cou- 
teau-.—  La  reine  ajoute  que  les  sages  ne  llattent 


■  Voyez  ci-dessus,  p.  54 et  110 
l'analyse  d'LMIis,  p.  54,  et  les  Fa- 
bliaux de  Legrand  d'Aussy,  t.  I, 
[i.  354. — Le  conte  du  Chevalier  et 
du  Lévrier  a  passe  du  Livre  des 
sept  Sayes  dans  le  recueil  de  San- 
sovino  (Giorn.  XI,  nov.  i)  et  dans 
la  rédaction  anglaise  des  Gesta  Ho- 
manorwn,  àont  il  forme  le  ebopttro 
uxii.  (Voyezla  dissertation  de  M. 
ir.  Douce  sur  ce  recueil,  à  la  suite 
.les  Illustrations  of  Shakspeare,t. 
II,  p.  570  et  suiv.)  M.  Fr.  Douce 
remarque  que  la  rédaction  origi- 
nale du  Moucheron  ,  de  Virgi- 
le ,  ressemblait,  d'après  l'esquisse 
donnée  par  Donat  ,  au  conte  des 
Gesta  Romanorwn.  In  berger 
s'endort  dans  un  endroit  maréca- 
geux ;  00  serpent  s'approche  et  va 
le  mordre  ,  lorsqu'un  moucheron 
le  pique  a  la  figure  et  l'éveille,  il 
porte  machinalement  la  main  à  la 
partie  douloureuse  et  écrase  lemou- 
i  héron  ;  nui:  bientôt  il  b' aperçoit 


qu'il  a  tué  son  bienfaiteur ,  et,  pour 
expier  sa  faute,  il  lui  élève  un  mo- 
nument. 

M.  Douce  a  rapproché  encore  de 
ce.  conte  la  célèbre  tradition  galloise 
de  Llewellyn  le  grand  et  de  son 
lévrier  Gellert  ,  tradition  que  l'on 
rapporte  à  l'année  1205.  (Voyez 
.iu>->i  Dunlop  ,  TJittnrij  of  fiction  , 

tom.  il,  p.  107.) 

=  Le  bon  moine  de  Haute-Selvc 
M  rappelait  sans  doute  le  san- 
glier d'Erymanthe  en  écrivant 
cette  fable  ;  mais  malgré  les  détails 
étrangers  qu'il  y  a  introduits ,  je 
crois  remarquer  quelque  rapport 
entre  cette  fable  et  celle  des  Pa- 
raboles de  Sendabar  qui  a  pour 
sujet  l'Homme  et  le  Sanglier. 
I  Voyez  ci-dessus  ,  p.  110;  et  l'ana- 
lyse d'Ellis ,  p.  39.  )  C'est  un  des 
motifs  qui  me  font  penser  que  Dam 
Jehans  avait  sous  les  yeux  la  version 
hébraïque,  cl  non  le  livre  deSynti- 
pa$,  comme  l'ai  aitpenséM.Dacîer 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  1  18 

de  même  l'empereur  que  pour  le  faire  périr  plus 
tard. 

Le  lendemain,  au  moment  où  le  jeune  prince  va 
être  conduit  au  supplice,  le  second  sage,  nomme' 
Lentulus,  vient  à  son  aide,  et  pour  prouver  à  l'em- 
pereur qu'il  est  trompé  par  la  reine  ,  il  lui  raconte 
l'histoire  d'un  vieux  chevalier  époux  d'une  jeune 
dame  qui  toutes  les  nuits ,  lorsque  son  mari  était 
endormi  prenait  les  clefs  sous  son  chevet   pour 
aller  trouver  son  ami  par  amours.  Le  vieux  che- 
valier, se  réveillant  une   nuit,  s'aperçoit  que  sa 
femme  n'est  plus  à  ses  côtés  et  que  ses  clefs  ont 
disparu.  Il  se  lève,  et  va  à  la  porte  qu'il  trouve 
ouverte.   11  la  referme  au  verrou,   et  se  mettant 
à  la  fenêtre  ,  il  attend  le  retour  de  sa  femme. 
Lorsqu'elle  revient,  il  L'accable  de  reproches  ci 
d'injures  auxquelles  elle  ne  répond  que  par  les 
plus  humbles  supplications  de  la  laisser  rentrer.  Le 
mari  reste  inflexible  et  veut  qu'elle  soit  arrêtée  et 
mise  au  pilori,  suivant  la  coutume  dupays.Ladame, 
ne  sachant  plus  à  quel  saint  se  vouer,  menace  le 
chevalier  de  se  tuer,  et  s'approchanl  d'un  puits 
voisin,  elle  y  jette  une  grosse  pierre.  Le  mari  en- 
tendant ce  bruit,  craint  que  sa  femme  ne  se  soif 
portée  ii  un  acte  de  désespoir;  il  descend  aussitôt, 
sort,  et  sa  femme  qui  s'est  glissée  derrière  la  porte, 
la  referme  sur  elle  en  rentrant.  Le  vieux,  cheva- 
lier emploie  à  son  tour  les  prières,  mais  inutile- 


1HS  ESSAI 

ment.  Il  ne  tarde  pas  à  être  arrête  par  le  guet,  et 
on  le  condamne  au  pilori  '. 

La  reine  pour  détruire  l'effet  de  cette  histoire , 
raconte  celle  d'un  père  qui  se  sacrifie  pour  ses  en- 
fans.  —  Un  chevalier  qui  avait  deux  filles  et  un  fils , 
avant  dissipe  toute  sa  fortune  s'introduit  pendant 
la  nuit  avec  son  fils  dans  la  tour  où  sont  renfermas 
les  trésors  de  l'empereur  Octavien,  et  emporte  une 
quantité  d'or  considérable.  Le  lendemain  ,  le  gar- 
dien du  trésor  s'aperce vant  du  vol  et  voyant  une 
brèche  à  la  muraille,  fait  mettre  à  cet  endroit  une 
grande  cuve  pleine  de  poix  et  de  glu ,  et  cachée 
de  manière  qu'on  ne  puisse  pas  la  voir.  A  quel- 
que temps  de  là,  le  vieux  chevalier ,  ayant  dissipé 
tout  l'or  volé,  revient  en  chercher  et  tombe  dansle 
piège.  Se  voyant  perdu  sans  ressources,  il  con- 
jure son  fils  de  lui  couper  la  tête,  afin  qu'il  ne  soit 
pas  reconnu.  Le  malheureux  jeune  homme  lui 
obéit  en  gémissant,  et  emporte  avec  lui  la  tête  cou- 
pée. Le  corps  est  tiré  de  la  cuve  le  lendemain,  traîné 
sur  la  claie  par  la  ville ,  puis  pendu  au  gibet  ;  et 
l'empereur  ordonne  aux  gardes  chargés  de  l'exé- 
cution de  remarquer  la  maison ,  où  l'on  entendra 


■    Ce  conte  est  emprunté  à  la  de  1820),  et  Molière,  d'après  le 

Discipline  cléricale  de  Pierre  Al-  Décaméron  deBoccace  (VIIe  joui - 

phonsc  (t.  I ,  p.  81.  Paris ,  1824  ;  née,  iv'  nouv.),  a  composé  sur  ce 

in-12.  Edit.  de  Schmidt,  p.  53)  ;  sujet  son  excellente  farce  de  Geor- 

Legrand  d'Aussy  l'a  analysé  dans  ges Dandin.  (Voyezencore  l'analyse 

tes  FeMiaux(%.  III,  p.  146,  édit-  d'Ellis,  p.  19;) 


STJB    LES    FABLES   INDIENNES.  1  \~ 

des  gémisscmens  à  la  vue  du  corps  trahie  sur  la 
claie.  En  effet,  les  filles  du  vieux  chevalier  poussent 
des  cris  douloureux  à  ce  triste  spectacle,  mais  leur 
frère  se  fait  une  blessure  sur-le-champ,  et  lorsque 
les  gardes  entrent  dans  la  maison,  il  leur  dit  que  les 
plaintes  qu'ils  ont  entendues  n'ont  pasd' autre  cause 
que  l'accident  qui  vient  de  lui  arriver.  —  La  reine, 
en  terminant,  s'élève  contre  l'indigne  conduite  du 
fds ,  qui  jeta  la  tête  de  son  père  en  une  fosse  sans 
l'ensevelir  ni  en  église  ni  en  cimetière ,  et  qui  souf- 
frit que  le  corps  restât  pendu  au  gibet  l. 


■  Une  légende  semblable  se 
trouve  dans  Hérodote  (liv.  II,chap. 
121).  Selon  l'historien  fjrcc  dont 
j'abrège  le  récit,  Rhampsinitc  ,  roi 
d"ftgypte  ,  ayant  fait  construire  un 
édifice  en  pierres  destiné  à  rece- 
voir ses  trésors ,  l'architecte  arran- 
gea une  des  pierres  avec  tant  d'art 
que  deux  hommes  ,  ou  même  un 
seul ,  pouvaient  facilement  l'ôter.  Il 
mourut  peu  de  temps  après  ,  mais 
à  ses  derniers  momens  il  confia  son 
secret  à  ses  deux  fils,  qui  ne  tardè- 
rent pas  à  en  profiter,  et  emportè- 
rent de  si  grosses  sommes  que  le 
roi  s'en  aperçut.  Voyant BÇ9  riches- 
tes  diminuer,  il  (ait  faire  des  pièges 
qui  sont  placés  par  ses  ordres  antour 
des  vases  qui  renfermaient  ses  tré- 
sors ,  et  un  des  deux  turcs  y  e>t 
pris.  Ne  pouvant  s'en  tirer,  il  prie 
Sun  frère  de  lui  trancher  la  tétc. 
Celui-ci  obéit ,  remet  la  pierre  en 
plan- ,  et  retourne  a  sa  maison  . 
emportant    la  tète  avec   lui.   ï.e 

lendttinaiu  ,   le   roi    va    \  imiter  IOH 


trésor  et  demeure  frappé  d'éfonne- 
ment  à  la  vue  du  corps  sans  tète. 
Dans  son  embarras,  il  fait  suspen- 
dra le  corps  à  la  muraille  et  place 
des  gardes  auprès  ,  avec  ordre  de 
lui  amener  celui  qu'ils  verraient 
pleurer  à  ce  spectacle.  L'autre  frère, 
cédant  aux  prières  de  sa  mère 
forme  le  projet  d'enlever  le  corps. 
Il  y  réussit  en  eiret  par  le  moyen 
d'une  ruse,  et  r.liauip-inite,  furieux 
de  ne  pouvoir  réussir  à  connaître 
la  vérité  ,  s'avise  d'une  chose  in- 
croyable. Il  prostitue  sa  propre  tille 
dans  un  lien  de  déhanche  ,  en  lui 
recommandant  d'obliger  ceux  aux- 
quels  elle  accorderai!  ses  faveurs  à 
lui  dire  ce  qu'ils  avaient  rail  en  leur 
vie  de  plu»  siihtilcide  plus  méchant. 
1  ,e  \  Dieur  échappe  à  ce  piège  par  une 

nouvelle  ru-e  ,  et  le  roi  ,  désespérant 

de  s'emparer  de  lui  ,  fait  pubUei 

qli'il  lui  pardonne  .et  il  Unit  par  lui 

donner  sa  lillc  en  mariage.  I  Tome 
Il ,  p.  '.r>  et  suiv.  de  la  traductioi 
de  i  ireher   êdil   de  1808 


liS  ESSAI 

Le  jeune  prince  est  de  nouveau  condamné  ;  niais 
le  troisième  sage,  nommé  Gaton,  fait  révoquer 
l'arrêt  par  le  conte  de  la  Pique  (pie)  que  pour  dire 
vérité,  fui  morte  par  la  faulceté  et  menssonge  delà 
femme  qui  s'esloil  meffaile  vers  sou  mary ,  conte 
qui  n'est  autre  que  celui  du  Perroquet  dans  les 
Paraboles  de  Sendabar ,  dans  Syntipas  et  dans  les 
Sept  Vizirs  '.  La  substitution  d'une  pie  a  un  per- 
roquet est  toute  naturelle,  mais  le  dénouement  du 
conte  mérite  une  attention  particulière.  Dans  le 
Syntipas,  le  marchand  se  contente  de  ne  plus 
ajouter  foi  aux  discours  du  perroquet  sans  lui 
faire  subir  de  mauvais  traitement,  tandis  que  dans 


Pausanias  ( liv.  IX,  ch. 57),  fait 
au  sujet  du  trésor  d'Hyrieus  ,  con- 
struit par  les  deux  fameux  archi- 
tectes ,  Agamède  et  Trophonius , 
un  récit  semblable  ,  mais  qui  se 
termine  par  la  fuite  d'un  des  voleurs 
emportant  la  tête  de  l'autre.  Le 
dénouement  rapporté  par  Hérodute 
a  reparudans  le  Dolopalhos  d'IIer- 
bers  (  voyez  le  Conservateur  de 
janvier  1700,  p.  194),  et  le  trou- 
vère y  a  ajouté  plusieurs  circon- 
stances de  son  invention,  dont  une 
entre  autres  a  pu  fournir  à  Boccace 
un  des  incideus  de  la  u«  nouvelle 
de  la  IIIe  journée  du  De'caméron  , 
comme  Fauchet  l'avait  déjà  remar- 
qué. (OEuvres  de  feu  M.  Fau-chel. 
Paris,  1010,  p.  500.)  La  fille  du 
roi  ayant  marqué  le  voleur  au  front, 
comme  elle  en  était  convenue  avec 
son  père ,  il  en  va  faire  autant  .i 


tous  les  chevaliers  endormis  dans  le 
palais. 

Le  conte  d'Herbers  forme  un  des 
incidens  du  vieux  roman  français 
intitulé  La  description ,  forme  et 
l'histoire  du  très  noble  chevalier 
Iierinus  ,  et  du  vaillant  et  1res 
chcvalereux  champion  Aigres  de 
l'Aimant ,  son  fils.  (  Paris  ,  Bon- 
fons  ,  in-4°  ;  voyez  les  Mélanges 
d'une  grande  bibliothè<[ue ,  t.  H, 
p.  257  ,  207  et  suiv.)  On  le  trouve 
encore  dans  le  Pecoronc  de  Sec 
Giovanni  (Giorn.  IX,  nov.  i) ,  et 
dans  le  recueil  de  Bandello  (  Parte 
I,  nov.  wv  ).  Lllis  (  Spécimens , 
t.  III,  p.  43)  a  donné  l'analyse  du 
même  conte  d'après  la  rédaction 
anglaise  du  Livre  des  sept  Sages. 

■  Voyez  ci-dessus ,  p.  98  ,  et 
l'analyse  d'Ellis  ,  p.   64. 


si  B  LES  FABLES  INDIENNES.  1  49 

les  Paraboles  de  Sendabar,  de  même  que  dans  les 
Sept  Sages  de  Home,  il  tue  le  pauvre  oiseau,  et 
c'est  un  motif  de  plus  de  considérer  le  livre  hé- 
breu comme  le  type  du  roman  latin  composé  par 
le  moine  de  Haute-Selve. 

La  quatrième  histoire  racontée  par  la  reine  est 
celle  d'un  roi  frappé  d'aveuglemeut  par  le  ciel ,  en 
punition  du  mauvais  gouvernement  de  sept  sages 
auxquels  il  avait  accordé  toute  sa  confiance.  D'a- 
près le  conseil  d'un  enfant,  nommé  Merlin  \  le  roi 
(ait  décapiter  les  sept  sages,  et  recouvre  la  vue  -. 
—  La  reine  en  terminant  ce  conte  qui  est  rempli 
de  détails  bizarres,  conseille  à  l'empereur  d'être 
en  garde  contre  les  précepteurs  du  prince. 

Le  quatrième  sage,  nommé  Malquedrac,  détruit 
l'effet  de  cette  histoire  par  celle  d'une  jeune  femme 
amoureuse  d'un  prêtre,  et  qui,  voulant  d'abord 
éprouver  la  patience  d'un  vieux  chevalier  son 

>   Voyez  sur  Merlin  le  premier  nés  ,   trarf.  pur  GaUm  /   et  Car 

\nluiiic  de  l'ouvrage  d'Ellis,  intitulé  donne,  t.  III,  p.  330.  La  traduc- 

Specimcns  of  early  english  ro-  tion  du  GsHIa  et  Dtnma  par  Jean 

mancet ,   p.   70.  M.    Francisque  de  Capoue,  n'étant  pas  encore  eom- 

Michcl  doit   publier   incessamment       posée  :i    l'époque  où  le   moi le 

un  travail  tirs  étendu  rat  Merlin.  Haute  -  Sel\e    écrirait    (VOYOS   ci- 

•  Voyei l'analyse  d'Ellis, p.  68,  dessus,  p.   18),  U  n'a  donc  pu 

(  llcrowdes  ami   Merlin  ).    -  M.  lire  M   Conte  que  dam    la  rersion 

Keller  .  dans  son  introduction  (  p.  hébraïque .  et  C'etl  je  crois  une  pre- 

ezCTll)    rapproche  avec    beaucoup  BOmptiOD  de  pms  en  !;i\eiir  de  mon 

de  nisou  ce  conte  de  celui  du  Cuit-  opinion,  que  Dam  léhansaeoen- 

/</  et  Diurne),  intitule  Butoir*  <i'l-  posé  son  Bittoria  teptem  Sapim 

ladh,  <ie  Baladh  .  </  imkht .  si  de  twn  .  ""n  d'après  le  grec     mais 

Kioatiomn    [Ealilacmd  Dimna  d'après  l'hébreu. 
i    ~>\\,    -Otmtef rt fables intiitn 


150  ESSAI 

mari,  fait  abattre  un  arbre  qu'il  aimait  particuliè- 
rement, lue  son  chien  favori  et  renverse  la  table  un 
jour  de  grand  repas.  Son  vieil  époux,  sous  prétexte 
de  diminuer  la  surabondance  de  sang  qui  la  tour- 
mente, la  fait  saigner  jusqu'à  ce  que  le  cœur  lui 
manque  '.  —  Le  sage,  à  la  fin  de  ce  conte,  fait  au 
roi  l'éloge  de  la  prudence  du  vieux  chevalier,  et 
lui  conseille  de  se  défier  de  la  reine. 

Elle  répond  par  un  cinquième  conte  non  moins 
bizarre  que  celui  dans  lequel  figure  Merlin. — L'en- 
chanteur Virgile-, entre  autres  ouvrages  merveil- 
leux, avait,  par  la  puissance  de  son  art  magique, 
produit  un  feu  qui  brûlait  toujours,  et  auprès  duquel 


■  Voyez  l'analyse  de  ce  conte  par 
Legrandd'Aussy  (Fabliaux,  t.  II I, 
p.  165),  et  celle  d'Ellis  (Spéci- 
mens ,  t.  III ,  p.  53).  —  Cette  his- 
toire se  retrouve  dans  les  Contes 
ou  nouvelles  récréations  et  joyeux 
devis  de  Bonaventure  Des  Pe- 
riers.  Amsterdam ,  1735  ,  t.  III , 
p.  240,  nouv.  cxxvn.(V)u  cheva- 
lier aagé  ,  qui  fit  sortir  les  gril- 
lons de  la  tête  de  sa  femme  par 
saignée  ,  laquelle  ,  avant ,  il  ne 
pouvoit  tenir  soubz  bride,  qu'elle 
ne  lui  fist  souvent  des  traits  trop 
gaillards  et  brusques.  ) 

*  Le  moyen  âge  ,  qui  a  travesti 
Jasun,  Thésée  et  Hercule  en  che- 
valiers, a  fait  du  poète  de  Mantoue 
un  enchanteur  ,  et  lui  attribua 
nombre  de  prodiges  et  d'œuvres 
magiques.  Je  n'entrerai  point  ici 
dans  l'examen  de   la  légende  de 


Virgile ,  ni  de  son  origine ,  ce  qui 
m'entraînerait  dans  de  trop  longs 
détails.  On  peut  consulter  à  ce  sujet 
l' Apologie pour  les  grands  hommes 
soupçonnés  de  magie  ,  par  G. 
Naudé.  Amsterdam,  1712,  p.  459 
et  suiv.  —  Les  Notices  et  extraits 
des  manuscrits,  t.  V,  p.  255-255, 
— Les  Mélanges  tirés  d'une  grande 
bibliothèque ,  t.  E  ,  p.  181  et  suiv. 
—  Les  Faicls  merveilleux  de  Vir- 
gille  ,  —  YHistory  of  Fiction  de 
Dunlop  (t.  II,  p.  130),  la  Vie 
merveilleuse  de  Virgile  (  The  life 
°f  y'irgilius)  ,  dans  le  IIe  vol.  de 
l'ouvrage  publié  par  M.  Thoms,  et 
intitulé  A  collection  of  early  prose 
romances  ,  volume  où  se  trouve 
une  courte  dissertation  prélimi- 
naire; et  enfin  un  article  de  M.  Le 
Houx  de  Lincy,  dans  le  Cabinet  de 
lecture  du  jeudi  29  octobre  1835. 


M  K  LES  TABLES  INDIENNES.  151 

étaient  deux  fontaines  l'une  chaude  où  les  pauvres 
se  baignaient,  l'autre  froide  de  laquelle  ils  bavaient* 
Entre  le  feu  et  les  fontaines  était  une  statue  qui 
portait  sur  le  front  cette  inscription  : 

Celuy  qui  cy  me  frappera  , 
De  moy  vengier  tantostsera. 

Un  jour  certain  clerc  ne  pouvant  s'imaginer 
qu'une  statue  pût  prendre  vengeance  de  celui  qui 
la  frapperait ,  lui  porta  un  grand  coup ,  et  en  même 
temps,  le  feu  s'éteignit  et  les  fontaines  se  tari- 
rent '. 

Virgile  avait  en  outre  fait  construire  une  tour 
en  haut  de  laquelle  il  avait  placé  autant  d'ymages 
qu'il  y  avait  de  province  romaines.  Chacune  de 
ces  ymaycsoix  statues  faites  par  magie,  tenait  en  sa 
main  une  clochette  qu'elle  faisait  sonner  lorsque 
la  province  qui  lui  était  assignée  se  préparait  à  la 
révolte,  et  les  Romains  aussitôt  prenaient  les  ar- 
mes -.  Des  rois  qui  voulaient  secouer  le  joug  des 

•  Voyez  dans  les  Faicts  merveil-  qu'il  a  Consacré  à  la  légende  de 

leux  de   Virgille  le  chapitre  qui  a  Virgile   (  introduction  ,  p.  ccvn), 

pour  titre  :  Comment  Virgille  fist  offre  à  peu  près  les  détails  que  noue 

>ine  lampe  <nii  tousiours ardait.  venons  de   lire  .  mais   le  nom  de 

'  Le  plus  ancien  passage  con-  Virgile  n'y  est  point  prononcé.  Vin- 

cernant  la    construction    magique  cent  de  l'.eamais  .  dans  un  article 

dont  parle  le  moine  de  Hautc-Sclve  sur  Virgile  de  son  Spéculum  liis- 

dans  son  conte,  savoir  la  Tour  des  toriale  (Duaci ,  UVi'i  ;   in -toi.  .  I. 

Images j te  trouve  dans  un  manu-  VI  ,  c.  lit  ,  p.   103),  parle  île  la 

m  rit  ilu  un'  siècle,  appelé  MS.dc  tour  merveilleuse  appelée  Salvatio 

FPeMOOfiiftner.   Ce  passage    latin  Homœ  en  termes  qui  donnent  a 

quia  été  publié  par   Docen  et  re-  penser  qu'il   a  eu  comi.ii>s.iin ,    <|, 

produit  par  >t   KeQer  dam  l'article     l'ancien  passage  lalrà  dont  je  rien.« 


1  ':>•!  Iftll 

Romains,  formèrent  le  projet  de  détruire  la  tour 
merveilleuse.  Dans  ce  dessein,  ils  envoyèrent  à 
Rome  quatre  chevaliers,  qui  réussirent  à  persua- 
der ;i  rempereuT  (  Ictavien  que  tous  les  trésors  dé 
Virgile  étaient  cachés  sous  la  tour.  L'empereur 
donnant  dans  le  panneau,  chargea  les  chevaliers 
de  taire  creuser  sous  la  tour  pendant  la  nuit,  et  ils 
s'j  prirent  de  telle  sorte  que  la  tour  s'écroula 
avec  les  statues  :.  Le  lendemain, les  Romains,  fu- 


de  parler  ,  et  il  ne  semble  pa;  Lien 
ricu  que  Virgile  fût  l'auteur 
de  cette  construction  matrique.  Voi- 
ci ce  qu'il  dit  en  commençant  : 
Creditvr  etiam  a  fjuibusdam  ab 
irgQio)  fw-turn  illud  mira- 
rulum  rjuod  rlir/b'itur  Salvatio 
Tiorna ,  fftod  inUr  sfplem  mira- 
culu  muruïi  prirr,  tntur. 

mlumhistoriale,  termina  en 
•»t  érideanoMBl  ; 
TBistoria  *  Sapit  nttvm  ,  <-t 

lauteur  d<-  ce  dernier  livre  »*st  peut 
être  au  nombre  de*  gens  crédule* 
doat  roulait  |  ntdeBcau- 

\ai-.  Le  BOÎM  de    Haule  -  Selve 
est-il  le  premier  qui  ait  attribua  a 
■   la   Tour  dêt  Int'i'j'i  et  \f 
/  f  c'est  ce   que  j  i- 

■      n  u  de 
Tilburv,  qui  da:  -  llier  li- 

m  intituK-  Otia  irr,j,<r, 
pimc   / 

fabl<*«  «nrVirtril'v  n»- parle  ni  du  Feu 

magitftt  ni  d*  la  / 

et  d'ailleur-  il  eti  d  oteai  que  la 

■ique  île  r,  • 

•  '<"ni'-re<  anr 


liède  ,  ait  pu  être  connue  de  Dam 
Jeharis.  L'n  chapitre  particulier,  in- 
titulé /fvure  Yirrjitiui  mode  S 
tio  Bomm,  est  consacré  a  cet  édifice 
merveilleux  dans  la  rédaetiea  an- 

VkrgSe. 

ma  volume  du  recueil 

intitulé  A  votteetkmof  tarif  pntt 

romance*,  tditedbg  W.  J.  Tkoms, 

Bt  lintroducti'.n,  p.  m  et  vm. 
DM  le  chapitre  un  des  Getla 
ttortm  il  est  qu- 
image  magiqae  placée r -ar l'enchan- 
teur Virgile  au  cet 
qui   f  Jtre  a  I  empereur 

Titu-  mrnis 

<  haqu<-  j"Ur  dan*  la  ville.     V 
la  disserlati'  n    de    Warton     dans 
//  jUth  }>■>■  in,,  p.  ce  ; 

et  la  traduction  anglaise  des  Gesta 
anorum  .t.  I    .  p.  ix'j.  ; 
■  DtJ  I  ■  ,  ■  Saget 

D  de  kellr-r, 
P    ! 

Tmir  du  image*  est  rempli 
un  immense  mir 

'      r  tout  ((■  qui 

■itr<  eai. 


i  |  i  |  Il     i  i  i      INMKNNI  153 

rieux  •!<•«  <•  <l<-  :t  it<  ,    < m j ->i  ■  rtmtdel  emiierfttii   i  I 

UUUT  l«     punir  «l<-     .1    «  ii|ii<lil<:,    il     lui  %,  i    <  puni    .|. 


■iMr  magujiM  pou/rail  biew 

,'.  i  <jui   l<- 

l    ',()!  >l< l,ll<  I 

re  '1  \ i<  i  .Hi'îi  m     .  Oh  r -» i* 

11'  i,j.i/in'i     'I'     'I  udi  \<: 
fl|Ui    li<     l.nt   ijui     i  r 

llll  |,.if   lui  «Ion     M  |    .'.  . 
•  I,i,i  il  "  mil  l.i  nl.iiiMi  «  ri   1  : 
ij.i  Al"  i.ni'ln      .i  ..ni     pl.i'  -      |UJ     M 

■  pturc  un  ruin/ii  d»tu  lequel 

I  ..ni    v.n  ,    ;i    l.i    ilrl.ii.- 
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|      l'.ul    ■'    l.l'' 

i(.'n,|i.ini     «I   ii  m    (.'.'m .ni  Mm 
que  l<-  immii'    '!<•    Ifaul 

'  Mil'll.'i'i'.n  -  i  k  '  il  i-ti  lii 
M|||  un  nu  l.ilr/i  |,i/.  mi-  'l<  li  M 
|.it|.,;i  (Ju  ■,,-,.i^.,  u|  juif  ili  l.i  1, 
f/iii«li    f. il, iili  ii.M-  ,|i     \  u^ili        il    ,!. 

I  Iii'I'.im-  <|r-    (.i.pmis        .m, m    «ju  .,ii 

lri.i^i.|u< •■_    i  II.    i, 

m    ,  n    lj I]    !•  <  u'  il  iliiilu;.     '. 

in  iii, ii.iii. i,i  .m.  ri  til<-nii'    i  bl 
il  un  i  l,i  ,  .ili<  r  •  |  •  j  i  .illi  «  ii  l'.ii' 

I I  qui  -.i/i  |,.n  h 

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loi  ESSAI 

l'or  fondu  dans  la  bouche  et  l'enterrèrent  vivant  '. 
La  moralité  est  aussi  bizarre  que  le  récit  lui-même. 
Suivant  la  reine,  la  tour  et  les  images  représentent 
le  corps  et  les  cinq  sens  naturels  de  l'empereur 
que  son  fils  et  les  sept  sages  tendent  à  détruire. 

Le  lendemain, le  cinquième  sage,  nommé  Joseph, 
obtient  un  nouveau  sursis  en  racontant  l'histoire 
du  savant  médecin  Ypocras  2,  qui,  jaloux  de  la 
science  de  son  neveu  Galien,  l'assassina  traîtreuse- 
ment, et  mourut  lui-même  peu  de  temps  après  de 
chagrin  et  de  repentir  3.  Le  sage  menace  l'em- 
pereur d'un  sort  pareil  s'il  fait  périr  son  fils 
unique. 

Le  sixième  récit  de  la  reine,  se  compose  de  deux 


dil-on  ,  par  ce  miroir  ,  combien 
d'années  chacun  des  princes ,  ses 
lils ,  devait  vivre.  » 

■  On  reconnaît  dans  la  dernière 
circonstance  de  ce  conte  un  souvenir 
de  l'histoire  de  Crassus.  Les  Parthes 
ayant  porté  la  tète  du  général  ro- 
main à  leur  roi ,  Orodès  ,  celui-ci 
lit  couler  de  l'or  fondu  dans  la 
bouche  de  Crassus,  en  disant  :  Ras- 
sasie-loi donc  enfin  de  ce  métal 
donl  tu  as  été  si  avide.  » 

Le  conte  de  YUistoria  septem 
Sapientum  se  retrouve  avec  de 
grandes  modifications  dans  la  pre- 
mière nouvelle  de  la  cinquième 
journée  du  Pecorone  de  Ser  Gio- 
vanni. Crassus  y  figure  ,  et  le  con- 
leur  italien  cite  Tite-Livc  pour 
parant  de  l'avarice  du  romain.  Du 
reste,  l'enchanteur  Virgile  el  toutes 


les  circonstances  merveilleuses  ont 
complètement  disparu.  Il  n'est  plus 
question  de  la  tour  des  images , 
mais  d'une  tourduCapilole  dont  les 
muraillesétaient  décorées  extérieure- 
ment de  plaques  de  métal  sur  les- 
quelles se  trouvaient  gravés  les 
triomphes  et  les  faits  glorieux  des 
Romains.  «  Cette  tour,  dit  l'auteur 
italien  ,  était  considérée  comme  ce 
qu'il  y  avait  de  plus  précieux  à 
Rome.  • 

*  Hipnocrate,  de  même  qu'Aris- 
tote ,  joue  un  rôle  peu  honorable 
dans  les  contes  du  moyen  Age. 
(Voyez  les  Fabliaux  traduits  par 
Lcgrand  d'Aussy,  t.  I ,  p.  288). 

3  Voyez  l'analyse  qu'Ellis  a  faite 
de  ce  conte.  (  Spccimens ,  t.  111, 
p.  H. 


SL1\   LES  FABLES  INDIENNES.  I   >  > 

épisodes  bien  distincts.  Le  premier  n'est  autre 
chose  pour  le  fond  que  le  conte  ayant  pour  sujet 
le  Fils  du  roi  et  le  Baigneur  dans  les  Paraboles  de 
Sendabar  et  dans  Syntipas,  conte  emprunté, 
comme  on  l'a  vu,  aux  Indiens  '.  —  Un  roi,  enflé 
merveilleusement  et  conlreffaijs  tellement  que  les 
femmes  en  avoient  grant  abfiominalion,  dit  à  son 
sénéchal  de  lui  trouver,  moyennant  une  somme 
de  mille  florins,  une  belle  femme  pour  passer  une 
nuit  avec  lui.  Le  sénéchal,  par  cupidité,  détermine 
sa  propre  femme  à  venir  elle-même  partager  la  cou- 
che royale.  Le  roi  qui  la  tiouve  à  son  gré  la  garde, 
et  le  sénéchal  s'éloigne  désespéré  -. 

Dans  le  second  épisode,  le  même  roi  vient  met- 
tre le  siège  devant  Rome,  demandant  que  les  corps 
de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  lui  soient  livrés. 
Or  il  y  avait  à  Rome,  dans  ce  temps  là,  sept  sages. 
Ils  prennent  l'engagement  de  défendre  la  ville 
pendant  sept  jours.  En  effet,  les  six  premiers  réus- 
sissent par  leurs  discours  h  empêcher  le  roi  de 
donner  l'assaut  ;  mais  comme  il  veut  h  toute  force 
assaillir  la  ville  le  septième  jour,  le  dernier  sage, 
au  moyen  d'un  stratagème,  jette  l'épouvante  parmi 
les  troupes  ennemies  qui  sont  mises  en  fuite,  elle 


«  Voyez  ci-dessus,  p.  100.  xi.vi  verso) ,    et  dans  les  Comptes 

»  Ce  conte  a  passé  dans  le  Novel-  <lu  moMfa  avantureux  .roiitemnii 

Utu>  de    Massuccio  (In  Yenetùt .  1  i  »  ■  j  discours.  Paris ,    1583,    |»'tii 

1539   tteonda  parie,  nov.  XV.  p.  in-18,  oompta  èO*,  p.  976. 


1 56*  ESSAI 

roi  est  tué  dans  la  déroute  avec  la  plus  grande 
partie  de  ses  chevaliers  \ 

L'histoire  racontée  par  le  sixième  maître,  Cléo- 
phas ,  roule  sur  un  sujet  bien  connu,  et  dont  les 
imitations  sont  fort  nombreuses.  —  Une  femme 
promet  séparément  à  trois  chevaliers  de  l'em- 
pereur de  passer  la  nuit  avec  eux,  et  chaque 
chevalier  s'engage  a  lui  donner  cent  florins  pour 
prix  de  ses  faveurs.  Après  avoir  reçu  les  sommes 
convenues ,  la  misérable  fait  assassiner  ses  trois 
amans  par  son  mari,  à  leur  entrée  dans  la  maison, 
et  appelant  un  sien  frère,  elle  le  charge  d'aller  je- 
ter ii  la  mer  le  corps  d'un  des  chevaliers.  Lorsque 
son  frère  revient,  elle  lui  persuade  que  le  corps 
est  retourné  de  lui-même  à  la  maison,  et  le  frère 
deux  fuis  de  suite  dupe  de  la  même  tromperie,  em- 
porte successivement  les  corps  des  deux  autres 
chevaliers,  et  brûle  le  dernier  au  milieu  d'un  bois 
pour  être  bien  sûr  qu'il  ne  reviendra  pas.  Mais  à 
peine  ce  corps  est-il  réduit  en  cendres  qu'un  che- 

1  Ces  deux  épisodes  forment  deux  toire  ,   dans  les   deux    rédactions 

histoires  distinctes  dans  la  version  dont  je  viens  de  parler,  est  exposée 

française  en  vers ,  publiée  par  M.  un  peu  autrement  que  dans  l'His- 

Keller,  de  même  mie  dans  la  rédac-  toria  srptem  Sapientum.  Des  rois 

lion  anglaise  en  vers  analysée  par  barbares  viennent  assiéger  Rome  ; 

M.  Ellis  (voyez  pour  la  première  un  sage,  nomme  Janus,  pour  les 

histoire  le  Roman  des  sept  Sages  repousser,  s'avise  d'un  stratagème 

(vers  1417  et  suivans ,  p.  56),  et  fort  singulier,  ou  pour  mieux  dire 

pour  la  seconde  le  même  ouvrage,  fort  ridicule ,  mais  qui  réussit ,  et 

vers  234(i    et  suiv.  ,  p.  92),   et  les  Romains  déposent  leur  empereur 

l'analyse  de  M.  Ellis  (Spedmenè[  et  mettent  Janus  à  sa  place. 
i   ni .  p.  78  i.  Celte  seconde  ni»- 


>1  11  LES  FABLES  INDIENNES.  157 

valier,  conduit  par  sa  mauvaise  étoile,  apercevant 
ce  feu ,  s'approche  pour  se  chauffer.  Notre  homme 
le  prenant  pour  son  revenant,  le  pousse  dans  le  feu 
et  le  brûle  l.  Quelque  temps  après,  la  femme,  dans 
un  mouvement  de  colère  accuse  son  mari ,  et  tous 
deux  reçoivent  le  juste  châtiment  de  leur  forfait. 
—  Le  sage  invite  le  roi  à  ne  pas  prêter  l'oreille 
aux  paroles  trompeuses  de  la  reine  ,  et  à  profiter 
de  l'exemple  du  mari  que  les  mauvais  conseils  de 
sa  femme  portèrent  à  tuer  les  trois  chevaliers. 


1  Ce  conte,  ou  pour  mieux  dire 
la  [iremière  partie  de  ce  conte ,  se 
retrouve  dans  les  Paraboles  de  Sen- 
ilabar,  tandis  qu'on  ne  lit  rien  de 
semblable  dans  la  rédaction  grec- 
que, ce  qui  me  confirme  dans  l'o- 
pinion que  I  lli. s  foire  des  sept  Sa- 
ges a  été  composée  d'après  l'hébreu. 
Voici  un  précis  du  conte  hébraïque 
dont  plusieurs  passages  sont  un  peu 
obscurs,  suivant  M.  Pichard,  très 
bon  juge  en  cette  matière  et  à  qui 
je  dois  l'extrait  suivant  :  Une 
femme  fait  monter  chez  elle  des  bos- 
sus, joueurs  dinstrumens  ;  ils  boi- 
vent et  s'enivrent  :  la  femme,  en- 
tendant son  mari  rentrer  fait  ca<  bar 
les  bossus  dans  un  endroit  plein  de 
trous  et  de  pièges  ;  et,  troublés  par 
l'ivresse,  ils  tombent  dans  ces  piè- 
ges et  sont  étrangles.  Après  le  de- 
part  de  son  mari,  elle  va  pour  les 
tirer  de  leur  cachette  et  se  déses- 
père de  le,  trouver  morts.  La  ser- 
vante appelle  u ir,  etsa  maltresse 

ollie  a  ce  dernier  de  .se  livrer  a  lui 
s'il  veut  débarrasser  la  maison  des 
trois  corps    morts  :    le   marche  se 


conclut,  et  le  noir  va  jeter  les  bos- 
sus dans  le  fleuve. 

Le  conte  se  termine  de  cette  ma- 
nière dans  le  texte  imprimé  des 
Paraboles  île  Sendabar  et  dans 
le  manuscrit,  mais  il  semble  tron- 
qué. Le  dénouement  qu'on  lit  dans 
le  conte  de  Y Histuria  septem  Sa- 
pienturri  a-t-il  été  imaginé  par  le 
moine  de  Ilaute-Selve,  ou  ce  der- 
nier l'a-t-il  pris  ailleurs?  Je  serais 
porté  à  faire  celte  dernière  suppo- 
sition, car  les  trois  Bossus  repa- 
raissent, avec  le  dénouement  dont  je 
viens  de  parler,  dans  le  fabliau  de 
Durand,  conteur,  qui  \ivail  a  la  lin 
du  xiii"  siècle.  (Voy.  les  Fabliau.r 
(rail,  par  l.cijrand  d' Aussi/,  t.  IV, 
p.  257-2('»3,  édition  de  1829,  cl  l'é- 
dition de  Menu,  |.  |,  p.  -2ïr>).  Le 
fabliau  de  Hugues  Piaucèle  .  inli- 
Ulléltatottr  mi,  roule  sur  le  même 

sujet.  (Vojei  Ltgrand  d'Aussi/  . 
t.  IV.  p.  S64r366.) 

M.  Francis  Douce,  dans  Sfl  dis- 
sertation sur  le  CUrieUI  recueil  de 
Contes  et  de  légendes,  rédigé  dans 
le  xivr  siècle  et  Intitulé  Gtlta  /("- 


1  -)S  ESSAI 

La  septième  et  dernière  nouvelle  racontée  par 
la  reine  est  certainement  la  meilleure  de  toutes. 
Un  roi  était  si  jaloux  de  sa  femme  qu'il  la  tenait 
enfermée  dans  un  château  fort  où  il  demeurait 
avec  elle,  ayant  toujours  le  soin  d'avoir  ses  clefs 
sur  lui.  Or,  il  advint  qu'une  nuit,  un  chevalier  vit 
la  dame  en  songe,  en  devint  amoureux,  et  résolut 
de  parcourir  le  monde  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rencon- 
tré l'objet  de  sa  passion.  Un  autre  songe  avait  of- 
fert à  la  reine  les  traits  du  chevalier,  et  elle  en  était 
devenue  fort  éprise.  Après  avoir  parcouru  plu- 
sieurs royaumes,  le  chevalier  arrive  dans  celui  du 
roi  jaloux,  et  passant  auprès  de  la  tour  où  la  reine 
est  enfermée,  il  reconnaît  à  mie  fenêtre  la  dame  de 
ses  pensées.  Il  se  présente  au  roi,  qui  le  prend  à 
son  service  en  qualité  de  sénéchal ,  et  le  nouveau 
venu  gagne  tellement  la  confiance  de  son  maître 


manorum,  rapporte  Yllisto ire  des  (rois  Chevaliers  ne  fait  pas  partie 

trois  Bossus  à  celle  du  petit  Bossu  de  toutes  les  rédactions  du  Livre 

dans  les  Mille  et  une  Nuits;  niais  des  sept  Sages,-  on  ne  le  trouve  ni 

je  trouve  bienplus  d'analogie  entre  dans  le  roman  français  en  vers,  ni 

ro  dernier  conte  et  les  trois  fabliaux  dans  la   version  anglaise  analysée 

suivans    du   recueil    de    Legrand  par  Ellis,  ni  dans  X Histoire  d'E- 

d'Aussy,  savoir  :  Le  Sacristain  de  rastus.   Il  a  été  inséré  dans   la  ré- 

Clunu,  le  Prêtre  qu'on  porte ,  ou  daction  anglaise  des  Gesta  Roma- 

la  longue  Nuit ,  et  le  Sacristain.  norum  ,  dont  il  forme  le  chapitre 

Le    conte   des  trois   Bossus  se  xxxi.    (  Voyez    la  dissertation   de 

trouve   encore    dans    Slraparole  ,  Francis  Douce,  placée  à  la  suite  des 

fVenuit,  III*  fable),  d'où  il  a  passé  Illustrations  ofShakspeare,  t.  II, 

dans  les  Contes  tartares  de  Giicu-  p.  576 et  suiv.,  et  la  traduction  an- 

lettc  (Cabinet  des   Fées,  t.  XXI,  glaise  des  Gesta  Romanorum,  par 

p.  loi).  le  Rév.  Charles  Swan.  Londres. 

Le  conte  de  la  Femme    et  des  1824;  in-12,  t.  1",  p.  t,xivni.) 


SDK  LES  FABLES  INDIENN1  s.  1  .V.» 

qu'il  lui  persuade  de  lui  laisser  bâtir  une  habita- 
tion auprès  du  château.  En  faisant  construire 
sa  nouvelle  demeure,  le  chevalier  fait  pratiquer  un 
souterrain  ayant  une  entrée  dans  le  château,  et  pour 
s'assurer  le  secret,  il  met  à  mort  l'ouvrier  qu'il 
avait  employé  'i  Par  le  moyen  de  ce  souterrain,  il 
réussit  à  se  procurer  des  entrevues  avec  la  reine. 
Un  jour,  que  le  roiet  son  sénéchal  étaient  ensemble 
à  la  chasse,  le  roi  reconnaît  au  doigt  du  chevalier 
un  anneau  qu'il  avait  autrefois  donné  h  la  reine  ; 
c'était  un  cadeau  fait  par  elle  à  son  amant.  Le  séné- 
chal s'aperçoit  de  la  découverte  de  son  maître,  et 
à  son  retour  de  la  chasse ,  il  se  rend  au  plus  vite 
par  son  souterrain  chez  la  reine  et  lui  remet  l'an- 
neau. Le  roi  de  son  cote  n'a  rien  de  plus  pre>s<- 
que  d'aller  rendre  visite  à  sa  femme,  pour  éclair- 
cir  ses  soupçons.  Il  demande  à  voir  l'anneau  gage 
de  sa  tendresse,  et  demeure  fort  surpris  lorsque  la 
reine  le  lui  présente.  A  quelque  temps  de  là ,  le 
chevalier  dit  au  roi  qu'une  belle  dame,  son  amie 
par  amours,  est  venue  de  son  pays  le  visiter,  cl 

>  Lllistoire  des  sept  Sages  a  pos  de  tuer  le  pauvre  masson  , 
«'•te  rédige  dans  la  première  moitié  pour  1*111—01'  <1  'avantage  «pie  la 
«lu  xm«  siècle.  Dans  la  traduction  chose  ne  seroit  descouverle;  toute- 
française  de  l'imitation  italienne  l'ois,  meu  «le  compassion ,  il  chau- 
de ce  livre  ,  intitulée  Histoire  gSÉde  vouloir,  et  lui  ayant  fait  de 
du  prince  Erastus  ,  on  trouve  beau*  et  grands  presens.  il  le  lit 
ici  une  variante  remarquable  ,  emhanpier  le  jour  niesine  poursor- 
«jui  prouve  que  les  ÉMMM  avaient  tirhors  du  paysde  la  Morce.  •  //  l 
perdu  de  leur  barbarie  :  •  I.e  foire pitoyable  (tu  priweFra'Hii- 
irentilhoinmc eut    ipia^i    pn>-  Parte,  1579; p.  117.) 


100  EssAr 

qu'il  a  fait  apprêter  un  banquet  auquel  il  supplie 
le  roi  d'assister.  Le  roi  s'y  rend  en  effet,  et  à  la  vue 
de  la  dame  du  chevalier,  il  s'émerveille  au  dernier 
point  de  la  ressemblance  de  cette  dame  avec  la  reine  ; 
c'était  elle  en  effet  que  le  chevalier  avait  amenée 
par  son  souterrain,  et  qu'il  avait  revêtue  d'une 
robe  à  la  mode  de  son  pays.  A  peine  le  repas  est-il 
terminé,  que  le  roi  retourne  à  sa  tour  au  plus  vite; 
mais  quelque  diligence  qu'il  fasse,  sa  femme  est  en- 
core rentrée  avant  lui,  et  tous  ses  soupçons  se  dis- 
sipent. L'histoire  se  termine  par  le  fait  assez 
étrange  du  mariage  et  du  départ  des  deux  amans, 
en  présence  du  prince  qui  cette  fois,  en  retournant 
dans  son  château,  reconnaît  trop  tard  qu'il  a  été 
trompé  '.  —  A  la  fin  de  son  récit  la  reine  engage 

■  D'après  un  renseignement  qui  Mais  le  rapport  me    semble   fort 

m'est  donné  par  M.  Le  Roux    de  éloigné.  Une  analogie  bien  plus  évi- 

Lincy,   ce  conte  se  trouve    aussi  dente  avec  l'IIisloire  de  la  femme 

dans  le  Z)ofopa{/u>sd'Herbcrs,oùil  enlevée,  du  Roi,  est  offerte  par 

est    combiné  avec  celui  du  vieu*  le  conte  intitulé  Histoire  de  Kama- 

chevalier  qui  se  laisse  mettre  à  la  ralzeman  et   de   la   Femme  du 

porte  par  sa  femme.  (Voy.  ci-dessus.  Joaillier.  (Contes  inédits  des  Mille 

p.  145).  Il  a  été  analysé  par  Legrand  et  une  Nuits,  extraits  de  l'origi- 

d'Aussy,  qui  l'a  intitulé  leCheva-  nal  arabe  par  M.  de  Ilammer,  et 

lier  à  la  Trappe.  (Fabliaux,  t.  III,  traduits  en  français  par  M.  Tré- 

p.  150.) —  Voyez  aussi  dans  l'ana-  butien.  Paris,  1828;  in-8°,  t.  III, 

iyse  des  Sevcn  wise  masters ,  par  p.  150).  M.  Dunlop  (HistorijofFic- 

Ellis  (Spécimens,  t.  III,  p.  80),  lion,  t.  II,  p.  107)  a  signalé  aver 

l'histoire   intitulée  les  deux  Rêves  raison  un  rapport  singulier  entre 

(  the  two  dreams  ).  —  M.  Kcller  le  même  conte  du  Livre  des  sept 

(Einleitung,  p.  ccmth)  arappro-  Sages  et  l'intrigue  du  Miles  glo- 

ché  ce  conte  de  celui  des  sept  Vi-  riosus  de  Piaule.  Les  aventures  du 

zirs,  où  un  jeune  prince  s'intro-  vieux    Calcndcr   dans   les    Contes 

duit  dans  un  coffre  chez  sa  mai-  tarlares  de   Gueulette    (Cabinet 

tresse.  ("Voyez  ci-dessus,  p.  158.)  de*  Fées,  t.  XXII ,  p.  73),  reposent 


SliK  LES  FABLES  INDIENNES.  161 

l'empereur  à  ne  pas  se  laisser  duper  par  les  sages, 
comme  le  roi  par  son  sénéchal. 

Le  septième  maitre  Joachim,  sauve  encore  une 
fois  le  prince,  par  l'histoire  de  la  femme  laquelle 
rompisl  les  dents  et  le  visage,  coupa  les  oreilles  et 
osla  les  génitif  à  son  mary  quand  il  fut  mort,  lequel 
estoit  mort  pour  l'amour  d'elle.  Ce  conte  est  celui 
de  la  matrone  d'Ephèse  ',  défiguré  par  des  détails 
ignohles. 


encore  sur  la  même  donnée. (Voyez 
aussi  le  Novéllino  de  Massuccio, 
i\   parte,  noe.  sx). 

>  L'histoire  de  la  Matrone  fl' Ê- 
filii'sr  que  rapporte  Pétrone  dans 
son  Satyricon  ,  «■sl-i-llo  rie  l'inven- 
tion de  cet  écrivain  ou  plus  an- 
ciénne  que  lui,  Du  bien  encore  >■>(- 
elle  fondre  sur  un  fait  véritable? 
M.  Dacier  qui  a  publié  sur  ce  sujet 
une  curieuse  dissertation  insérée 
dans  le  tome  XLI  des  Mémoires  de 
l'Académie  des  inscriptions,  se 
fondant  sur  l'examen  d'nn  bas-relief 
qui  parait  offrir  la  représentation 
dé  l'histoire  de  la  Matrone  d'E- 
phèse, et  qui  a  été  découvert  à 
Rome  parmi  les  ruines  du  palais 
dé  Néron  ,  pense  que  cette  histoire 
était  ciinnueavaiit  Pétrone  et  qu'elle 
Faisail  peut-être  partie  dos  His- 
toires   Milr'sirnnrs .    traduites   du 

i  Itistide  parSisenna  éldont 
il  V  trouva  un  exemplaire  dans 
l'équipage  d'un  officier  dé  l'armée 
deCrassus,aprèsIa  bataillé  perdue 
par  ce  général  contre  les  Parthes. 
'*'  "'  de  VAcad.  des  fnscr.,  t. 
M'    p.  594  .  B95.)    L'opitïi le 


M.  Dacier  serait  tout  à  fait  hors  de 
doute  si  la  fable  de  la  Matronr 
d'Éphèse,  qui  fait  partie  de  celles 
du  manuscrit  de  Perrotli  et  que  l'on 
attribue  à  Phèdre ,  pouvait  être 
considérée  comme  l'œuvre  de  ce 
fabuliste;  mais  l'authenticité  de  ces 
apologues  est  une  question  trop 
obscure  pour  que  je  pense  à  l'exa- 
miner, et  je  me  contenterai  de  ren- 
voyer au  mémoire  de  M.  Yander- 
bourg,  intitulé  Observations  svr 
les  Fables  récemment  publiées  à 
Naples  rt  attlibuéH  à  Phèdre. 
(Mém.  île  VAcad.  'les  fnse.,  t. Mil, 
p. 316  et  suiv.  nouvelle  série.) 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  récit  de  Pé 
trône  est  reproduit  dans  un  ou- 
vrage  intitulé  Policratiéés;  sivede 
IS'itni*  Curialium  .  et  composé  par 
léan  de  Sarisbéri,  mort  évoque  de 
Chartres  en  H8S.  Les  copies  du 
Poltcroitctiâ-dovanl  être  plus  esta 
mimes  au  ita«  siècle  que  les  exem- 
plaires de  Pétrone  ,  M.  Dacier  pense 

que  l'ouVragé  de  Jean  de  snisberi 

et  le  canal  par  lequel  cette  histoire 
s'est  répandue.  C'est  là  probable 
nient   que  l'a  puisée  le  moine  de 


62 


ESSAI 


Le  huitième  jour,  le  jeune  prince  dévoile  la  vé- 
rité. Il  raconte  ensuite  une  longue  histoire  qui  se 
compose  de  deux  contes  bien  distincts,  dont  le  ro- 
mancier a  jugé  a  propos  de  ne  faire  qu'un  seul. 
Dans  le  premier,  un  jeune  homme,  nommé  Alexan- 
dre, entendant  le  chant  d'un  rossignol,  dit  à  son 
père  que  l'oiseau  lui  annonce  par  son  chant  qu'il 
deviendra  tel  maistrc  et  si  gr mil  seigneur,  que  son 
père  lui  présentera  humblement  l'eau  pour  laver 
les  mains,  et  que  sa  mère  en  révérence  lui  tiendra  la 
serviette  pour  les  essuyer.  Le  père  furieux  mène  son 


Haute-Selve  pour  l'insérer  dans  son 
Historia  septem  Sapicntum,  mais 
il  a  défiguré  le  récit  original.  Un 
anonyme ,  auteur  d'un  recueil  de 
fables  en  vers  latins  hexamètres  et 
pentamètres,  la  plupart  imitées 
d'Esope,  avait  déjà  inséré  cette  his- 
toire dans  son  livre ,  et  plus  tard 
Lustache  Deschamps,  poète  du  xive 
siècle,  la  reproduisit  sinon  avec 
l'élégance  qui  distingue  Pétrone, 
du  moins  avec  une  simplicité  qui 
n'est  pas  sans  charmes.  (Afe'm. 
de  VAcad.,  t.  XLI,  p.  527.)  Il  était 
réserve  au  bon  La  Fontaine  de  sur- 
passée I  auteur  latin.  Saiut-Evre- 
:nond  a  aussi  traité  le  même  sujet, 
et  Lamothe  et  Fuselier  en  ont 
composé  des  comédies,  l'un  pour  le 
Tln'iln-l  rainais,  l'autre  pour  10- 
péra-Comique.  L'histoire  de  la  Ma- 
trone est  encore  racontée  dans  un 
fabliau  fort  obaène  du  recueil  de 
Meon  (t.  III,  p.  462),  et  elle  fait 
partie  des  Cento  Novelle  Anliche. 
Voyez  le  hibro  </.'  NovfUe  et  di  bel 


parlar  gentile,  in  Fiorenza,  1572, 
nov.  r.vi,  p.  56,01  l'édition  publiée 
à  Milan  en  1825,  nov.  lix,  p.  77.) 
Ce  serait  prendre  une  peine  inutile 
que  d'examiner  si  l'histoire  de  la 
Matrone  est  vraie  ou  feinte,  il  est  plus 
probable  que  c'est  une  légende 
orientale ,  cl  selon  toute  apparence 
elle  a  beaucoup  voyagé,  si  l'on  doit 
considérer  comme  dérivant  de  cette 
source  le  conte  chinois  dont  le  père 
du  Ilaldc  a  publié  une  traduction 
française  dans  le  troisième  volume 
de  sa  Description  historique  de  la 
Chine  (p.  4o.S;,  et  que  Voltaire 
s'est  approprié  dans  son  Zadig 
(chap,  il,  le  Nez  coupe').  Le  coule 
•lu  Tailleur  et  de  sa  Femme  dans 
['Histoire  de  la  Sultane  de  Perse 
cl  des  ViiiTi,  traduite  du  turc  par 
l'élis  de  Lacroix,  et  celui  de  Dhou- 
mini ,  dans  le  Uasa-  koumùrn- 
tçharita.  (Quarterly  oriental  Ma- 
gazine  de  Calcutta,  juin  1827),  se 
rattachent  peut-être  encore  à  celte 
fiction. 


SUR  u;s  FABLES  INDIENNES.  I  <>•'* 

lîls  à  la  mer  et  l'y  jette  ;  mais  l'enfant  se  sauve  a  la 
nage.  11  rencontre  on  vaisseau  dans  lequel  on  le 
reçoit,  et  il  se  rend  en  Egypte.  Là, ayant  donné  au 
roi  l'interprétation  du  cri  de  deux  corbeaux,  il  ob- 
tient en  récompense  la  main  de  la  princesse  (il le  du 
roi,  et  monte  sur  le  trône  d'Egypte  après  la  mort 
de  son  beau-père.  11  mande  alors  à  la  cour  son 
père  et  sa  mère,  et  sa  prédiction  s'accomplit  '. 

Cette  dernière  circonstance  ne  vient  qu'à  la  fin 
de  la  longue  histoire  racontée  par  le  prince,  el 
elle  est  précédée  d'un  second  épisode  que  j'ai  cru 
à  propos  d'analyser  séparément.  Alexandre,  lé  hé- 
ros du  conte  précédent,  avani  d'épouser  la  fille 
du  îoi  d'Egypte,  se  rend  à  la  cour  de  l'empereur, 
qui  le  prend  à  son  service  en  qualité  d'écuyer,  et 

il  se  lie  d'amitié  Intime  avec  Louis,  iiis  du  roi  de 
France,  comme  lui  écuyer  de  l'empereur.  Les 
deux  amis,  par  un  hasard  singulier,  se  ressem- 
blaient à  tel  point  qu'on  les  prenait  souvent  l'un 
pour  l'autre.  Louis  devient  epei  duement  amou- 
reux, de  la  princesse  Florentine,  tille  de  l'empe- 
reur, et  son  ami  favorise  et  protège  leurs  amours. 


■  Ce  conte,  ainsi  que  Fareatturapié  l  fïoi .  "Yl,  864  ri  pronoBticoeuni' 

M.  Relier  t  Introduction  du  Ho-  plido.  Obtcu  nwttai  nui,  Hadrid, 

mandes  srpl  Sages,  p.   ccxxixj,  1777.         Kcller ,   ainleitung  .    p. 

rappelle  L'hiitoa*  «le  Joseph  dans  coxxxa.)  Voyei  aussi  l'anal 

la  (tvni'sr.  On  le  rctmiivi"  dan-  le-  ce  <  'iil<'  puMirr  par  Ellis     il  apiv. 

<  iiiin facette  Staffs .  de  Sansoi kio  la  N daolion  anglaise   i  Spt >  < '"< m 

|  Giom.    NU.  imv.    iv..),  cl    dan-  I.   III .  p.  M,  | 

if-  oonvelteg  de  Lope  de  Vega 


164  k.ss.w 

Malheureusement  la  mort  du  roi  d'Egypte  force 
Alexandre  à  repartir,  et  le  secret  de  Louis  ne 
tarde  pas  a  être  découvert.  Guy,  fds  du  roi  d'Es- 
pagne, dévoile  publiquement  à  l'empereur  la 
liaison  coupable  de  son  écuyer  et  de  la  princesse, 
et  il  jette  le  gage  de  bataille.  Louis  le  ramasse  en 
protestant  de  son  innocence  ;  mais  n'étant  pas  de 
force  à  se  mesurer  contre  un  aussi  rude  adver- 
saire que  Guy,  il  n'a  d'autre  ressource  que  d'aller 
en  Egypte,  implorer  le  secours  d'Alexandre.  La 
ressemblance  des  deux  amis  leur  offre  un  moyen 
dont  ils  ne  font  confidence  à  personne.  Alexandre, 
fort  et  robuste ,  va  se  présenter  sous  le  nom  de 
Louis  pour  combattre  l'accusateur ,  et  Louis,  qui 
reste  en  Egypte ,  épouse  la  princesse  ;  mais  tous 
les  soirs,  en  se  couchant,  il  place  au  milieu  du  lit 
une  épée nue  '.  Alexandre,  vainqueur  de  Guy,  vient 


■  L'histoire  du  héros  Scandinave,  merveilleuse  ,  el  Sigurd  accompa- 

Sigurd,  el  de  son  compagnon  d'ar-  gne  son  beau-frère  dans  celle  expé- 

ma  ,  Gunar,  offre  ici  quelque  rap-  dition  ;  mais  nul  autre  que  lui  et 

port  avec  celle  des  deux  amis.  son  cheval  Grani ,  ne  peut  traverser 

«  Sigurd,  dit  H.  Ampère,  dont  le  feu  enchanté  qui  entoure  la  de- 

j'emprunte  le  récit,  arrive  dans  un  meure  de   Brunhilde.   Que   faire? 

pays  où  il  fait  amitié  avec  deux  Lui  et  Gunar  changent  de  /'orme. 

frères,  Gunar  et    Bogni ,  qu'on  Sigurd  ainsi  transformé  parait  de- 

appeUeanssi  la  Nifflungs.  il  épouse  vant  Brunhilde,  qui  est  obligée  de 

leur  hbui  ,  Gudruna  ;  mais  i  e  n'est  se  soumettre  à  celui  qui  a  triomphé 

qu'après  que  leur  mère  a  donné  à  de  l'épreuve  du  feu.  Cependant  elle 

Sigurd  un  breuvage  magique  qui  s'étonne  que  ce  puisse  être  un  autre 

loi  fait  perdre  le  souvenir  des  ser-  q»e  Sigurd. 
mens   qu'il  a  prêtés  S    Brunhilde.  «  Sigurd  passe  trois  nuits  près  de 

Bientôt   après ,     Gunar   veut  lui-  Brunhilde  ;    mais ,   respectant    tel 

même  aller  conquérir  cette  vierge  droits    tic   «m    frère   d'armes  .    il 


SUR  LES  I  IlBLBS  INDIENNES.  !<>•> 

reprendre  son  trône  etsa  femme.  Celle-ci  que  l'é- 
trange conduite  de  l'homme  qu'elle  prenait  pour 
son  mari  aVait  surprise,  en  demande  le  motif 
à  son  véritable  époux  qui  a  la  faiblesse  de  lui  décla- 
rer la  vérité.  La  reine  furieuse  donne  à  son  mari 
un  poison  qui  fait  naître  sur  son  corps  une  lèpre 
horrible*.  Chassé  par  ses  sujets  qui  ne  veulent  pas 
d'un  lépreux  sur  le  trône,  Alexandre  vient  cher- 
cher un  refuge  près  de  Louis  qui,  grâce  à  son 
ami,  avait  épouse  la  princesse  Florentine,  et  était 
devenu  empereur  après  la  mort  de  son  beau-père. 
Le  malheureux  lépreux  se  fait  connaître  à  son 
ami  parlemoyen  d'un  anneau  qu'il  lui  envoie.  Aus- 
sitôt Louis  vient  ii  lui,  et  désespéré  de  son  étal,  il 
assemble  les  médecins  les  plus  habiles  et  les  con- 
jure; d'employer  tous  les  remèdes,  de  leur  art  pour 
guérir  Alexandre.  Tous  déclarent  que  le  mal  est 
sans  ressource  ;  mais  une  voix  du  ciel  annonce  à 


place  entre  elle  et  lui  son  épée  nue,  roman  anglais  de  Tristan  (Tris- 

et  remet  pure,  à  Gunar  ,  l'épouse  trem),  analyse  par  \\ aller  Scott ,  le 

qu'il  lui  a  conquise,  »   (Sigurrf  ,  roi  Marc  rencontre  un  jour  Tristan 

tradition  épique  salon  VEdda  et  et  la  belle  îseult  donnant  à  côté 

les  Xicbrlutif/s;    Revue  des  Deux  l'un  tle  I  autre  dans  un  bois;  mais. 

Mmiilrs  du  I"  M)ÛI  tS,"-2.)  i  la  Mie  d'une  epee  <]ue  le  hasard 

Oui-  le  conte  des  Mille  et    une  a  placée  entre  mu,    il   s'éloigne, 

rVMto>inUtalé  Aladdin  ou  ta  Lampe  persuadé  que  son  honneur  n'a  rien 

merveilleuse.  Aladdinfait,  pendant  souffert.    I  Voyez    la     traduction 

la  nuit,  transporter  par  un  p'-nie  ,  française  </e  Walter  Scott .  l'urne. 

dans  sa  chambre, la  prineassedont  1830,  t.  i  r.  p.~î.)  UparaUqu'ao. 

il  est  amoureux  ,  et  en  entrant  dans  trefois  .  en    vlleuia_'i!e  .  I '<  pre  était 

le  lu  de  ta  princesse,  il  place  entre  no  nage  reçu  dans  i,-  mai 

••Ile   e|    lui    mi   salue    nu.     Dans  le  pai   smbaSOadem 


loti  F,s:v\i 

Louis  que  le  sang  de  ses  deux  eniaus  jumeaux 
versé  sur  les  plaies  d'Alexandre  lui  rendra  la 
santé.  Louis  n'hésite  pas  à  employer  cette  cruelle 
ressource  ;  elle  réussit  en  effet  parfaitement,  et  les 
jeunes  enfans  sacrifiés  sont  rendus  miraculeuse- 
ment à  la  vie.  Alexandre  est  remis  en  possession 
de  son  royaume,  et  sa  coupable  épouse  reçoit  le 
châtiment  qui  lui  est  dû  l.  C'est  alors  seulement 


•  Cet  épisode  offre,  sous  d'autres 
noms,  l'histoire  romanesque d' Ami- 
ens et  Amilius ,  l'Oreste  et  le  Pi- 
lade  du  moyen-âge.  Amicus  et  Ami- 
lius étaient,  suivant  la  chronique, 
deux  chevaliers  de  la  cour  de  Char- 
lemagne,  morts  le  même  jour,  en 
774,  dans  la  guerre  contre  Didier, 
roi  des  Lombards.  (Voyez  le  Spécu- 
lum ïlistoriale  de  Vincent  de  Bcau- 
vais,  lib.  XXIII,  c.  162,  p.  956, 
et  les  Acta  Sanclorum ,  Oct.  t.  VI, 
p.  1*24  ,  in-fol.  )  L'histoire  roma- 
nesque d' Amicus  et  Amilius  est  le 
sujetd'un  petit  poème  latin  en  hexa- 
mètres, qui  se  trouve  a  la  Biblio- 
thèque du  Roi,  dans  nu  manuscrit 
du  xiii'-  siècle,  sous  le  n  5718, 
fol.  38-45.  La  Bibliothèque  du  Uni 
possède  encore  un  manuscrit  éga- 
lement du  xine  siècle ,  renfer- 
mant une  rédaction  latine,  en  prose, 
de  la  même  histoire.  (Voyez  le  nP 
3880,  fol.  116-430.)  M.  Fauriel , 
qui  a  bien  voulu,  plus  d  une  lois  , 
dans  le  cours  de  mes  recherches  , 
m'édairerde  ses  conseils ,  considéra 

la  légende  d 'Amilius  et  d'Amiens 
comme  très  ancienne  et  comme  une 
des  premières  qui  aient  été  rédigées 
en  latin;  il  se  rappelle  même  entre 


autres  mentions  de  cette  légende 
dans  les  écrivains  provençaux  ,  en 
avoir  rencontré  une  qui  prouve  que 
dès  le  xii»  siècle  cette  légende 
étaitdevenue  populaire  dans  le  midi 
de  la  France.  C'est  sans  doute  d'a- 
près la  rédaction  latine  qu'a  été 
composé  le  vieux  roman  français 
intitulé  Miles  et  Amys.  Ellis  a  don- 
né un  extrait  de  celte  histoire  d'a- 
près une  version  manuscrite  en  vers 
anglais  (Spécimens  ,  vol.  III,  p. 
5'JO,  Amys  and  AmylionJ;  et  une 
analyse  du  vieux  roman  français 
m  été  publiée  dans  la  Bibliothèque 
des  Romani,  de  décembre  1778. 

On  trouve  une  imitation  de  la 
légende  des  Deux  amis  dans  un 
autre  roman  plusieurs  fois  réim- 
primé, et  qui  est  intitulé  Hystoire 
de  Olivier  de  Castille  et  de  Arlus 
d'Algarbe ,  son  loyal  compaignon. 
(  Voyez,  l'analyse  de  ce  roman  dans 
Les  Mi:Uni(/is  lires  d'une  yr<iml< 
BfoieotMgtto,  t.E,  p.  T9  et  suiv.) 
Je  dois  à  la  bienveillance  de  M. 
Fauriel  l'indication  du  roman  espa- 
gnol suivant  ,  dont  le  sujet  et  les 
penonnagei  sont  les  mêmes  ,  et  qui 
est    inlilulé   llistoria   de  '".s  mtljy 

noble»  y  vaiientes  cavalleros  OU 


SUR   LES  FABLES  INDIENNES.  107 

que  le  romancier  amène  le  dénouement  au  moyen 
de  la  prédiction  accomplie. 

Après  cette  histoire,  on  précède  au  jugement 
de  la  reine,  qui  est  condamnée  à  être  brûlée  vive 
avec  un  jeune  garçon  trouvé  parmi  ses  chambriè- 
res '.  L'empereur  meurt  quelque  temps  après,  et 
Dioclétien  son  fils  lui  succède.  Le  roman  se  ter- 
mine par  Yepylogalion  et  narration  des  notables 
qui  se  peuvent  comprendre  en  ce  livre  à  chescwi 
profitables. 

La  rédaction  que  je  viens  d'analyser  est,  comme 
je  l'ai  dit,  celle  de  Yllistoria  septem  Sapienlum 
Romœ'2,  livre  composé  à  ce  que  je  présume,  d'a- 
près les  Paraboles  de  Sendaàar* ,  mais  dont  il 
n'existe  malheureusement  aucun  manuscrit  du 
xiu°  siècle  4  qui  permette  de  reconnaître  si  l'ou- 
vrage n'a  point  subi  de  changemens  ni  d'interpo- 
lations. Cette  rédaction  se  trouve  reproduite  très 

veros   de  Castilla  ,    y  Artus   de  trième  nuit  des  Facécieusrs ;  nuirls 

Algarve  ,  y  de  sus  maravillosas  de  Straparole  (t.  Ie',  p.  268). 
y  grandes    hazanas.    Cnvipursta  *  Voy.  ci-dessus  ,  p.  I  19,  1T>7. 

pnr  cl  BachiUer  Pclro  de  ht  Fin-  3  J'ai  dit  plus  haut  (  p.  83)  que 

retfa.  Con  licencia.  En  Madrid  a  la  date  la  plus  récente  que  l'on  pul 

costa  de  don  Pedro  Joseph  Alonso  assignera  ce  roman  hébreu  était  la 

y  Padilla  librern  de  Camara  de  S.  fin  du  xir  siècle,  el  qu'il  était  sans 

M.,  I  vol.  in-18. —  Cette  édition  doute    plus    ancien.    C'est   00   que 

est  Motfente,  niais  il  en  existe  prn-  contribue  S  prouver  la  supposition 

hahlenient    de    plus  anciennes.  Le  très  probable  que  je  fais  qu'il  n  sen  i 

livre  espagnol  pourrait  bien  cepen-  de  type  a  rilislorht  srptrm  <<i/iirn- 

«lant    n'être  qu'une   traduction  du  tnvi  liomtv .  livre  composé  a  la  lin 

vieui  roman  français.  du  xtv  siècle  du  au  commencement 

■  Lé  même  incident  se  retrouve      du  mit*. 

doill  le  premier   coule  de   l.i   on  ■  i  Voyez  PÎ-dVssuS    |>    s''     note 


I()8  ESSAI 

fidèlement  dans  la  version  française  en  prose, 
imprimée  à  Genève  en  1492,  et  intitulée  les  sept 
Sages  de  Rome.  L'IIistoria  calumniœ  novercalis  ', 
le  Ludus  septem  Sapientum  de  Modius-,  et  la  ver- 
sion allemande  en  prose  3,  n'en  diffèrent  nulle- 
ment pour  le  nombre,  l'ordre  et  le  fond  des  contes. 
La  version  en  vers,  publiée  par  M.  Keller4,  se 
distingue  de  la  rédaction  précédente  par  quelques 
différences.  Outre  que  l'ordre  des  contes  n'est 
point  le  même,  la  septième  histoire  que  récite 
la  reine  dans  la  première  rédaction,  celle  de  la 
Femme  du  Boi  enlevée  ,  est  récitée  par  un  sage 


1  Voyez  dans  l'introduction  (ein- 
leitung)  du  Romandes  sept  Sages, 
par  M.  Keller,  p.  xxxiv ,  la  liste 
des  histoires,  et  ci-dessus,  p.  92, 
note. 

»  Voyez  ci-dessus  p.  91.  — Le 
traducteur  n'a  changé  que  les  noms 
et  le  lieu  de  la  scène  :  l'empereur 
Poncianus  a  été  métamorphosé  en 
nu  roi  de  Chaldée  nommé  Gordius, 
dont  le  fils  s'appelle  Astreus  ;  le 
premier  sage  chaldécn  a  seul  con- 
servé son  nom  de  Paneillas  ,  les 
autres  s'appellent  Piexaspes  ,  Mne- 
inoii,  Athersatha,  Oroiile,  Goltriu-, 
et  Zamolxis.  Dans  la  quatrième 
histoire  de  la  reine,  le  roi,  aveuglé 
par  une  punition  du  ciel.se  nomme 
Zoroastrc ,  et  les  indignes  conseil- 
lers qui  l'ont  égareront  des  mages, 
nans  le  cinquième  récit,  également 
fait  par  la  reine,  le  prince  qui, 
par  cupidité,  fait  détruire  les  sta- 
tues magiquei ,  est  un  roi  d'Egypte 


nommé  Sésosis.  Podalire  figure 
dans  le  cinquième  conte  des  Sages 
comme  assassin  de  Machaon ,  au 
lieu  d'Hippocrate  meurtrier  de  son 
neveu  Galien.  Les  trois  chevaliers 
assassinés ,  de  la,  sixième  histoire 
des  Sages,  sont  devenus  trois  satra- 
pes. Enfin,  dans  la  septième  his- 
toire racontée  par  la  reine,  celle  de 
La  Femme  enlevée,  la  scène  est  à 
Sparte  ,  et  le  perfide  ravisseur  est 
Paris ,  amant  de  la  belle  Hélène  , 
épouse  de  Ménélas.  Du  reste,  pour 
ce  conte  comme  pour  les  autres , 
les  détails  sont  identiquement  les 
mêmes  que  ceux  du  Roman  des 
sept  Sages  ,  et  non  modifiés ,  ainsi 
que  pourraient  le  taire  présumer  les 
changemens  de  nom  que  je  viens 
d'indiquer. 

3  Voyez  l'introduction    de    M. 
Keller,  p.  Ixwvj. 

4  Voyez  ci-dessus  ,  p.  89,  note  1. 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  16!) 

dans  la  version  en  vers  à  la  place  <lu  conte  des 
Trois  Chevaliers  assassinés,  qui  ne  se  trouve  pas 
dans  celte  même  version,  et  le  second  épisode  de 
Y  Histoire  duRoi  et  delà  Femme  du  Sénéchal,  forme 
un  conte  à  part,  exposé  d'une  manière  un  peu  dif- 
férente. Des  rois  barbares  viennent  assiéger  Rome; 
un  sage,  nommé  Janus,pour  les  repousser, s'avise 
d'un  stratagème  fort  ridicule,  mais  qui  réussit,  et 
les  Romains  déposent  l'empereur  et  mettent  Janus 
it  sa  place.  Cette  bistoire  est  racontée  par  l'impé- 
ratrice, qui  en  prend  occasion  de  s'élever  contre 
les  sept  sages.  Enfin,  des  deux  épisodes  dont  se 
compose  le  récit  du  jeune  prince,  dans  VHistoria 
septem  Sapientum,  le  premier,  celui  de  la  l'inlir- 
tion  accomplie,  est  le  seul  qu'on  lise  dans  le  texte 
publié  par  M.  Relier.  Les  mêmes  remarques  s'ap- 
pliquent ii  une  version  française  en  prose,  dont  il 
existe  plusieurs  manuscrits,  un  entre  autres  du 
xme  siècle  ',  et  ii  la  version  en  vers  anglais  ana- 
lysée parEllis-,  laquelle  ne  diffère  de  la  version 
française  en  vers  que  par  l'ordre  des  contes. 

Le  poème  composé  au  xme  siècle  par  le  trou- 
vère Herbers,   et  intitulé  Dolopathos  ou  les  sept 


<  Ce  manuscrit  porte  le  n°  7974.  ttpt  Sagu  <^n  proie,  et  iU  offrent 

M.  Dacicr  en  a  tire  le   conte  de  la  entre  eui   de  notables  différences. 

Miitiouf.  (Mr'ni.   de.  l'Acad.    des  M.  Le  ROUX  de  I.inrv  en  a  l'ail  I  <>!>- 

True. .  i.  \u,  p.  537)  —  La  Bi-  jet  d'une  notice  spéciale, 

bu'othèque  du  Roi  possède  un  grand  »  Voye?  ci-dessus,  p,  90,  notes 

nombre  de  MSS.  de  V Histoire  de»  i  el  9 


170  LSSAI 

Sages  de  Rome,  n'a  de  commun  avec  le  livre 
original  que  le  sujet  et  quatre  contes  :  le  Chien  et 
le  Serpent l,  le  Trésor  du  roi'2,  le  Mari  mis  à  la 
porte  5,  et  le  Chevalier  à  la  trappe  *,  encore  les  ra- 
conte-t-il  avec  d'autres  détails,  et  Fauchet5  avait 
déjà  remarqué  qu'Herbers  avait  introduit  dans 
le  deuxième  conte  un  incident  qui  rappelle  la  ruse 
du  muletier  dans  la  ne  nouvelle  de  la  III0  journée 
du  Décaméron.  Un  des  autres  contes  analysés  dans 
le  recueil G  que  j'ai  déjà  cité,  roule  sur  le  sujet  qui 
a  fourni  plus  tard  à  Shakspeare  son  drame  du 
Marchand  de  Venise.  Les  personnages  du  poëme 
d'IIerbers  sont  Dolopalhos,  roi  de  Sicile ,  et  Lu- 
cinien,  son  fils,  qu'il  envoie  à  Rome  sous  la  garde 
du  philosophe  Virgile. 

L'Histoire  piloijable  du  Prince  Eraslus 7 ,  que  le 
traducteur  italien  annonce  comme  composée  sur 
l'original  grec,  a  au  contraire  très  évidemment 
pour  original  le  livre  des  sept  Sages  de  Rome*. 
Parmi  les  onze  contes  :'  empruntes  à  ce  dernier 

<  Le  Conservateur,  janvier  17f>0,  P-  204. 
p.  191,  in-12.  (Voyez  ci-dessus,  7  LA  c.ompassioncvoli  aveeni- 

p.  143.)  menti  d'Erasto.  Voyez  ci-dessus, 

=■  Und.,  p.  194.  (Voyez  ci-dessus,  p.  92.  —  On  trouve  dans  la  liiblio- 

p.  i4<>.  )  thèqiir  des  Romans  (octobre  1775, 

3  Voyez  ci-dessus,  p.  145.  premier  volume)  une  analyse  du 

4  Voyez  ri-de,sus,  p.  158,  —  et  roman  d'Erastus. 

l'analyse  du  Dolopathos  par  M.  Le  8  Kllis  avait  déjà  fait  cette  rcmar- 

Hoiix  de  Lincy.  que.  (Spécimens  nf  early  eri(/lish 

t    Œuvres  de  feu    M.  Claude  Metriral  romances ,  III ,  p.  18.) 
Imirliri ,  p.  560.  0  I.c   Gentilhomme  romain    et 

6  Le  Conservateur    janv.  1760,  tonCMen.  (Voyez  ci-dessus,  p.  #4Ï 


SUR  LES  l\VBLi;s  INDIENNES.  l~l 

ouvrage,  par  l'auteur  de  Y  Histoire  du  prince  Eras- 
lus,  il  eu  est  deux  seulement  qui  dérivent  du  Sifn- 
tipas1.  L'auteur  italien  s'est  efforcé ,  à  ce  qu'il 
semble,  de  dissimuler  son  plagiat  en  introduisant 
dans  son  livre  quelques  contes,  en  intervertissant 
l'ordre  des  anciens,  en  donnant  de  nouveaux  noms 
aux  personnages-,  et  en  faisant  quelques  change- 
mens  dans  ses  récits.  Je  suis  d'ailleurs  porté  à 
croire  que  Y  Histoire  d'Erastus  n'a  point  été  com- 
posée sur  le  livre  des  sept  Sages  imprimé  ,  mais 
sur  une  version  française  manuscrite,  et  ce  qui  me 
le  fait  penser,  c'est  que  le  dernier  conte  se  com- 
pose simplement  de  la  Prédiction  accomplie,  et  ne 
comprend  pas  deux  histoires  mêlées  ensemble 
comme  dans  les  éditions  du  livre  des  sept  Sages; 
le  conte  du  Roi  de  Perse  trompe  par  les  philoso- 
phes, donne  lieu  à  la  même  observation. 

Le  roman  des  sept  Sages  de  Rome  a  eu  des 
continuations  ou  branches,  dont  l'ait  partie,  entre 
autres,  le  romande  Cassiodorus,  roman  compose, 
suivant  l'opinion  très  fondée  de  M.  Paulin  Paris, 

—  Le  vieux  Pin  et  le.  jeune  Pin.  losophes.  (P.  155.)  —  Le  Colosse 
(P.  143.) —  Hippocrateei  son  Ne-  de  hViode».  |  P.  151.)  -  l.a  Preiiie 
veu.  (P.  154,)  —  Le  Pasteur  et  le  lion  accomplie.  (P.  168.) 
Sanglier.  (P.  îi'i.)  —  l.c  vieux         .  l,    Gentilhomme  romain  et 

Chevalier  et  sa  Femme.  (P.  I  19.)        sonl'hien,  —le  Pasteur  et  le  Sm- 

—  Le  Roi  d'Angleterre,  les  Sages      glier. 

ci  Merlin,  (p.  I4J>.)  te  Trésor  du         ■  L'impératrice,  qui  n'est  pu 
roi  d'Egypte.   \  P.  146.)  —  l.a     nommée  dam  lu  autrei  veniew 
Femme  enlevée,  (  P.  158.)      /.'■      porle  le  nom  d'  Iphroditia  dut 

liai  de  Perse  trompe  pur  !,s  plii  EraStUS 


1~2  ESSAI 

entre  1226  et  1247,  peut-être  vers  le  même  temps 
que  le  livre  des  sept  Sages  de  Borne,  et  qui  en  a 
été  rapproché.  L'article  que  M.  Paulin  Paris  a  con- 
sacré au  roman  des  sept  Sages  dans  son  examen 
des  manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  Roi  \ 
olïre  un  très  bon  exposé  des  continuations  de  ce 
roman,  ce  qui  me  dispense  d'en  parler. 

Mon  travail  sur  le  livre  de  Sendabad  ne  serait 
pas  complet  si  je  ne  disais  pas  un  mot  du  roman 
turc  des  Quarante  Vizirs,  et  de  Y  Histoire  du  prince 
Bakhtyar.  La  date  de  la  composition  du  premier 
de  ces  livres  est  à  peu  près  déterminée.  On  ap- 
prend par  la  préface  du  roman  des  Quarante  Vi- 
zirs, que  ce  livre  a  été  composé  sous  le  règne  du 
sultan  Mourad,  fils  de  Mohammed,  fils  de  Baye- 
zid,  c'est-a-dire  d'Amurath  II,  qui  monta  sur  le 
trône  en  1422,  il  l'âge  de  dix-huit  ans,  et  mourut  en 
1451  ;  l'auteur  turc  déclare  en  outre  qu'il  a  com- 
pose' son  ouvrage  d'après  un  roman  arabe  ée 
Chéikh-zadé-,  intitulé  Livre  des  quarante  Matinées 
et  des  Quarante  Soirées  r>.  Autant  qu'on  peut  en 


1  I. m  Manuscrits  français  de  la  zadé  comme  l'auteur  turc;  ruais  il 

Bibliothèque  du  Roi,  par  M.  Pau-  paraît  au  contraire  que  ce  nom  est 

Un  l'aris.  Tome  le»,  p.  lOOctsuiv.  celui  de  l'auteur  arabe.  Voyez  les 

Paria,  ix.-,r,,  in-8,.  —Voyez  à  ce  Coûtes  turcs  en  langue  turque, 

sujet  la  Description  des  MSS.    «les  extraits    du  roman  intitule    1rs 

tept  Saget  de  Home,  par  M.  Le  Quarante  Vizirs,  par  feu  M.  JH- 

IS"IU  ,l''  ••'"IV-  letête.  Paris,  1812.  in-4«.  Les  AH 

IVlis  de  Lacroix,  auteur  de  la  premières  pages   de  la  traduction 

traduction  Française  du  livre  des  oui  seules  été  imprimées. 
Quarante  Vizirt   donne   Cheikh-         ^Hikaialarbaïnsebahwamésa 


si IR  LES  I  amis  rNDIl  \si.s.  17'i 

juger  par  le  choix  des  contes  traduits  en  français 
par  Pétis  de  Lacroix,  sous  le  titre  d'Histoire  de  la 
sultane  de  Perse  et  des  Vizirs,  ainsi  que  par  ceux 
qui  ont  été  traduits  depuis  par  M.  Edouard  Gaul- 
tier ',  l'auteur  n'a  guère  emprunt*'  au  Livre  de 
Sendaùad  que  le  cadre  de  son  roman  et  quelques 
fables  ;  il  n'en  résulte  pas  pour  cela  qu'il  soit  l'in- 
venteur des  autres  contes,  il  y  a  tout  lieu  de  croire, 
au  contraire,  que  le  rédacteur  arabe  ou  turc  les  a 
puisés  à  des  sources  plus  anciennes.  La  traduction 
<le  Pétis  de  Lacroix  étantà  la  portée  de  tout  le  monde, 
il  serait  superflu  d'en  donner  une  analyse;  je  me 
contenterai  de  quelques  observations.  La  première 
histoire,  celle  du  Cheikh  Chehabeddin  Béretrètrvé 
dans  le  conte  espagnol  intitulé  et  Coude  Lûctinur, 
d'où  l'abbé  Blanchet  a  tin;  son  Doyen  de  Badajoz  . 
L'histoire  du  grand  écuyer  Sqddyq*  a  passé  dans 
les  Facécieuses  nuicts  de  Straparole  '  ;  l'histoire 
du    Santon   Barsisa  '  ,  est ,    comme  l'a    reinar- 


■  Ces  contes  ont  été  insérés  par  finette dtéewHt  IVavailliri,  tiàbher 

M.  E.  Gaultier  dans   le   premier  de  son  frire  BtniHan  .  pour  le 

volume  de  ion  édition  des  Mille  et  trouver  menteur, perdit  la  infini 

une  Nuits»  Pari»,  t.S'j-2,  sept  vol.  ris  de  ton  mari/  tt  s'<n  détourna 

in-S".  au  logis  avecla  teste  d'un  taureau 

'Contet  et  Apologues  orientante,  ayant  tes  cornes  dorées  <'t  toute 

p.  tii .  honii ut       in    mu t .  \'   nonte. 

i  la  Sultane  </<■  Perse  et  les  Voyes  aussi  la  traduction  anglaise 

Visirs,  Contes  (tires.  Paû ,  1707,  des  Gssta.  Itêmetnorum ,  par  Ch. 

in-42  .  p.  77.  Swan  .  t.  il.  p.  in. 

4  hotte,    femme   de  Lueafsr  Contes  tures ,  p.  2$6. 

llbani  de  Bergame,  cuidont  poi 


174  KSSAI 

que  M.  Dunlop  ',  le  type  du  fabliau  intitulé  Del'Er* 

mite  que  Le  Diable  trompa  avec  un  coq  et  une  poule-; 
l'histoire  du  sofi  de  Bagdad  qui  promet  à  un  sultan 
de  lui  faire  voir  le  prophète  Elie  5,  rappelle  la  fable 
<lu  Poge  Jt,  dont  La  Fontaine  a  tiré  celle  du  Char- 
latan'0, et  la  fable  du  Mari,  de  l'Amant,  et  du  Vo- 
leur, citée  au  milieu  de  l'histoire  d'Àqschid  G ,  of- 
fre un  rapport  marqué  avec  la  ve  nouvelle  de  la 
Xe  journée  du  Décaméron  7.  L'histoire  du  Tail- 
leur et  de  sa  femme  *  offre  beaucoup  d'analogie  avec 
celle  de  Dlwuminî  dans  le  poëmc  indien  intitulé 
Dasa-komnùra- tcharila'0 .  Enfin  le  conte  du  Roi, 
du  Sofi,  et  du  Chirurgien  10  se  trouve  dans  le  re- 
cueil latin  intitulé  Gesla  Romanorum  ll. 

Parmi  les  contes  traduits  par  M.  E.  Gauttier  12, 


i  Jlistory  of  Fiction,  t.  III,  p.  ;  La  présence  de  ce  conte  dans 

369.  le  Décaméron  prouve  que  l'origi- 

*  Fabliaux  traduits  par  Le-  nal  arabe  des  Contes  turcs  des 
grand  d'Aussy.  Paris,  1829 ,  l.  V,  quarante  Vizirs  est  antérieur  au 
p.  179.  —  M.  Dunlop  fait  rcmar-  nvc  siècle,  ou  que  son  auteur  a 
quer  avec  raison  que  le  célèbre  puisé  dans  quelque  recueil  oriental 
romande  Lewis  intitulé  Le  Moine,  plus  ancien.  Le  conte  est  probable- 
est  fonde  sur  la  même  idée  que  le  ment  indien  ,  car  on  le  retrouve 
conte  oriental.  dans  les  Contes  du  mauvais  Génie. 

3  Omtes  turcs,  p.  257.  ( Bytal-l'ucltisi ,  p.  G9.) 

4  Asinuserudiendus.  PoyiiFlo-  8  Contes  turcs,  p.  107. 
rentini  far.ct iaru m  libellus unicus.  9  Voy. le  Ouartrily  oriental  ma- 
Londini,  IT'.fH,  in-18,  t.  I,  p.  258.  yazinc  de  Calcutta,  de  juin  1827. 
Voyez  les  imitations  de  cette  fable  >»  Contes  turcs,  p.  59K. 

dans  le  second  volume  ,  p.  257  el  "  T.  II.   p.  70  de  la   traduction 

>uiv.  anglaise. 

5  Liv.  VI,fab.  xix.  "  Les  Milleet  une  Nuits.  Paris 

<.C<mtri  turcs,  p.  299,  l«22,  t.  I". 


Ml;  LES  FABLES  INDIENNES.  I  T  .'i 

je  remarque  \e  Jardinier,  sou  Fils,  et  l'Ane,  fable 
qui  a  passé  dans  le  recueil  du  Poge1,  dans  plu- 
sieurs livres  facétieux  et  dans  le  recueil  de  notre 
célèbre  fabuliste2;  le  Bûcheron  et  le  Génie,  qui, 
sans  aucun  doute,  a  servi  de  modèle  au  Bclplwgor 
de  Machiavel  r\  et  le  Boi  changé  en  Perroquet,  joli 
conte  que  l'on  retrouve  dans  les  Mille  et  un  Jours  \ 
et  qui  a  été  primitivement  emprunté  aux  conteurs 
indiens  5. 

L'Histoire  du  prince  Bakhtyar,  ou  des  dix  Vizirs. 


»  Poggii  Flor.  facet.  Londini , 
1798,  t.  I,  p.  101.  Voyez  les  imi- 
tations de  celle  fable  dans  le  second 
volume,  p.  99  et  suiv. 

>  La  Font.,  liv.  III,  fab.  W,  t. 
I",  |>.  1t>:>;  édition  de  M.  Robert. 

3  Ce  conte  ,  attribue  aussi  a 
Itrcvio  ,  parut  pendant  sa  vie  et 
sous  son  nom  en  1545  ;  il  ne  l'ut 
publié  sous  le  nom  de  Machiavel 

qu'en  1.Vj«»  ,  environ  dix-huit  ans 
apns  la  mort  de  cet  historien, 
(  luuilop,  Hittoty  of  Fiction,  t.  II. 
p.  411.) 

A  Histoire  du  prince  tadlallah, 
'.ils  <lr  Uin-thloc. ,  mi  de  Moitsscl. 
Jours  LVII-LIX. 

s  Ce  COOte  M  retrouve,  en  effet . 
MJH  aucun  rhan-ement  important, 
parmi  ceu\  du  Troue  enchanté  (t. 
1"  ,  p.  ISO  i,  recueil  persan  traduit 
du  livre  MBMril  intitule  Sintjlni 
stiuti  -  ila  tilrinsiili.  Cette  tietion 
étant    folldé6   sur  le  domine    de   la 

métempsychoee  .  son   Migine   in 


dienne  ne  peut  pas  <kre  douteuse 
On  la  rencontre  d'ailleurs,  présentée 
a\  ei  (I  autres  détails ,  dans  le  recueil 
.•.anscril  qui  a  pour  litre  Yrihat- 
iuitlui.  (Voyez le  Uua ri erly oriental 
viagaziia //cC, ihuttd.  mars  ISi"i.  | 
Je  ne  dot)  pas  non  plus  oublier  de 
dire  que  l'histoire  du  roi  change  en 
perroquet  fait  partie  des  coules  du 
roman  intitule  l.e  Voyage  et  les 
Aventure»  des  trois  princes  ,i, 
Sarendip,  traduits  du  persan  (par 
le  chevalier  île  Muilly  ).  Paris, 
171'.).  in-l'_\p.;s7.Cc  roman  est  une 
traduction  ,  ou  pour  mieuv  dire  une 
imitation,  non  point  d'un  recueil 
persan  ,  mais  d'un  Ih  re  italien  dont 

l'origine  persane  est  Tort  probable. 

et  qui  a  pour  titre  l'crryrinayyin 
di  tic  giovani  fiylivoli  del  re  il* 
:■,  ri  ndippo.  l'eropru  </i  M.  C/iris- 
tofbro  iriucnodella  l'ersiunantll 
Italiauu  lingua  trapporlato  In 
Venetia.  1684:  in-is 


176  f.ss.u 

laquelle  existe  à  la  fois  en  arabe  ' ,  en  persan  - , 
et  en  turc  z' ,  n'a  de  commun  avec  les  Paraboles  de 
Sendabar  et  avec  le  roman  des  sept  Vizirs  que  le 
sujet  qui  s'y  trouve  même  développé  d'une  manière 
tout-à-fait  différente. 

Un  roi  de  l'Inde,  nommé  Azadbakht,  rencontre 
un  jour  la  fille  d'un  de  ses  vizirs,  dont  il  devient 
sur-le-champ  amoureux ,  et  sans  le  consentement 
du  père,  il  l'épouse  le  jour  même.  Le  vizir  outragé 
forme  un  complot  contre  le  roi,  et  réussit  à  le 
chasser  de  son  trône.  Azadbakht  est  forcé  de  cher- 


■  La  continuation  des  Mille  et 
une  Nuits  ,  traduite  de  l'arabe  par 
domChavis,  et  rédigée  par  Cazotte, 
renferme  l'histoire  du  prince  Bakh- 
tyar  ,  d'après  la  rédaction  arabe  , 
mais  singulièrement  défigurée  com- 
me les  autres  contes  orientaux  pu- 
blias par  Cazotte.  (Voyez  \cCabinct 
de»  F<>'r>s,  t.  XL.)  Une  traduc- 
tion plus  exacte  fait  partie  de 
la  continuation  des  Mille  et  une 
Nuits,  publiée  en  1806  par  feu 
M.  Caussin  de  Perceval.  (Voyez  le 
tome  VIII  de  la  collection  ,  p.  221  et 
sui\.;  M.  Gustave  Knœs  qui  déjà  , 
on  1805,  avait  publié  une  disserta- 
tion sur  le  roman  du  prince  lïakh- 
tyar,  en  a  publié  le  texte  en  1807. 
i  Histnria  Derem  Vezirorum  cl/ilii 
régit  Azud-harht....  Gœltengœ, 
1S07;  in-8".)  La  même  histoire  a 
éléMSli  traduite  en  anglais  d'après 
domChavis  et  Cazotte,  en  allemand 
"I  <-ii  danois.  (Voyez  l'introdiiriimi 
de  M.  Keller,  p.  si.) 


a  Le  texte  persan  a  été  publie 
avec  une  traduction  anglaise  ,  sous 
le  titre  suivant  :  Bakhlyar-nameh 
or  story  of  prince  Bakhtyar ,  and 
the  ten  Viziers.  A  séries  of  persian 
taies,  from  a  MS.  in  the  collection 
of  sir  IV.  Ouseley.  London,  1801  ; 
in-8".  Il  en  existe  une  traduction 
française  intitulée  :  Bakhtyar-na- 
meh,  ou  le  Favori  de  la  fortune  , 
conte  traduit  du  persan  par  M- 
Lescallier.  Paris.  1805,  in-8°. — 
M.  Edouard  Gaultier  a  aussi  public 
une  traduction  française  du  Bakh- 
lyar-nameh dans  le  VI«  volume 
de  son  édition  des  Mille  et  une 
Nuits. 

3  Voyez  dans  le  Journal  asiatique 
de  mars  1827,  l'article  de  M.  Amé- 
dée  Janbert,  intitulé  Notice  et 
extrait  de  la  version  turque  du 
Rakhli/ar-nameh  ,  d'après  le  ma- 
muerif  en  raractères  ou'igouru 
ijufl  possède  la  Bibliothèque  ho- 
'iléiennc  d'O.rford. 


SUR   LES    FABLES  INDIENNES.  177 

cher  une  retraite  chez  le  roi  de  Perse ,  et  pendant 
sa  fuite ,  la  reine ,  qui  était  enceinte,  met  au  monde 
un  fils  qu'ils  sont  contraints  d'abandonner  près 
d'une  fontaine,  après  avoir  placé  une  bourse  rem- 
plie d'or  auprès  de  lui.  Azadbakht,  avec    le  se- 
cours de  Chosroès,  ne  larda  pas  a  triompher  des 
rebelles.  Le  fils  qu'il  avait  été  forcé  d'abandonner 
était  tombé  entre  les  mains  de  quelques  brigands 
qui  l'avaient  élevé  parmi  eux.  Devenu  grand ,   il 
embrasse  le  métier  de  brigand,  et  dans  une  rencon- 
tre avec  les  troupes  d' Azadbakht  il  est  fait  prison- 
nier. Charmé  de  sa  beauté,  le  roi  lui  accorde  la  vie, 
l'admet  parmi  ses  officiers,   et  lui  accorde  une 
grande  confiance.  Mais  un  jour,  à  la  suite  d'une 
orgie,  le  jeune  homme  plongé  dans  l'ivresse  la 
plus  complète,  pénètre  dans  les  appartenions  se- 
crets du  palais  et  tombe  endormi  sur  le  lit  du  roi. 
Azadbakht,    le    trouvant  dans  son  appartement, 
soupçonne  aussitôt  une  liaison  coupable  entre  la 
reine  et  son  favori,  et  les  vizirs,  jaloux  de  ce  der- 
nier, engagent  la  reine  à  lui  imputer  de  coupables 
tentatives.  Condamné  à  mort,  le  jeune  homme  pro- 
teste de  son  innocence,  et  pendant  dix  jours  il  ra- 
conte au  roi  chaque  jour  une  histoire  qui  lui  fait  ob- 
tenir un  >ursis,  quoique  les  vizirs  insistent  auprès 
du  roi  pour  qu'il  soit  mis  ;i  mort.  Enfin,  le  onzième 
jour,  au  moment  où  il  va  monter  sur  l'échalaud.  il 
est  reconnu  par  un  des  voleurs   qui  l'ont  élevé  el 


178  ESSAI 

qui  le  réclame  comme  son  iils.  Une  explication  a 
lieuàce  sujet  de  vaut  le  roi,  qui  reconnaît  le  fils  qu'il 
avait  perdu,  et  fait  pendre  les  vizirs  à  sa  place. 

On  voit  que  ce  cadre  '  diffère  notablement  de 
celui  des  sept  Visirs,  puisque  les  ministres,  loin 
d'être  les  défenseurs  de  l'innocent,  sont  au  con- 
traire ses  accusateurs,  et  que  tous  les  récits  sont 
faits  par  l'accusé.  Aucun  des  contes  placés  dans  ce 
cadre  n'a  de  rapport  avec  ceux  que  l'on  a  vus  pré- 
cédemmen . 


'  Le  recueil  de  contes  écrit  en  des  apparte'mens  intérieurs ,  prou- 
langue  tamoule,  et  intitulé  Ala-  vent  leur  innocence  et  désarment 
keswara  -  Kalhà  ,  ofïre  quelque  la  colère  du  roi  en  racontant  un  cer- 
rapport ,  pour  le  cadre ,  ayee  17ns-  tain  nombre  d'histoires.  (Voyez  le 
luire  du  prince  Bakhtyar.  Dans  Catalogue  des  Manuscrits  du  co- 
ce  recueil,  les  quatre  ministres  du  loncl  Mackenzie,  par  M.  Wilson 
roi  d'Alakapour  étant  accusés  faus-  Calcutta  ,  1828;  t.  Ier,  p.  220.) 
«cment  d'avoir  violé  le  privili 5ge 


SUR  LES  FABLES  im.ii  \\i:s.  17!) 

RÉSUMÉ. 

Le  Livre  de  Sendabad  est  originaire  de  l'Inde. 
Il  a  été,  selon  toute  apparence,  traduit  du  sanscrit 
en  persan,  du  persan  en  arabe,  et  de  l'arabe  en 
syriaque  :  cette  version  syriaque  paraît  avoir  été 
l'origine  du  Syntipas  grec. 

Une  version  hébraïque  du  Livre  de  Sendabad, 
intitulée  Paraboles  de  Sendabar,  faite  probable- 
ment sur  l'arabe,  a  servi  de  type  au  livre  latin  com- 
posé dans  les  dernières  années  du  xue  siècle  ou 
au  commencement  du  xmV.sous  le  titre  à'Histo- 
ria  septem  Sajiiniium  Romœ,  par  Dam  Jehans  . 
moine  de  l'abbaye  de  Haute-Selve. 

De  ce  livre  latin  dérivent  quatre  traductions  ou 
imitations  principales  bien  distinctes  : 

l°La  traduction  française  intitulée  Les  sep!  Sa- 
ges de  Rouir,  imprimée  à  Genève  en  i  ii)2,  ri  plu- 
sieurs fois  réimprimée;  laquelle  traduction  est  une 
reproduction  fidèle  du  texte  latin  des  versions  al- 
lemande, hollandaise  et  danoise  paraissent  être 
aussi  d'exactes  reproductions  de  VHistoria  septem 
Sapientum)  ; 

±"  La  version  française  en  vers  ayant  pourauteur 
un  trouvère  anonyme ,  etdontla  version  anglaise, 

dément  en  vers,  ne  diffère  que  par  l'ordre  des 
contes  (la  version  française  en  prose,  publiée  par 


180  ESSAI    SUR  LES    FABLES    INDIENNES. 

M.  Leroux  de  Lincy,  se  rapproche  plus  de  la  ver- 
sion en  vers  que  du  texte  latin); 

3°  Le  poëme  d'Herbers  intitulé  Dolopathos ,  et 
composé  ou  dans' les  dernières  années  de  Philippe- 
Auguste,  ou  vers  la  fin  du  règne  de  saint  Louis; 

4°  Le  roman  italien  intitulé  Histoire  du  prince 
Erastus,  qui  parait  dériver  delà  version  française 
en  vers,  et  qui  a  été  traduit  en  espagnol,  en  fran- 
çais, et  en  anglais. 

Les  rédactions  en  langue  orientale  qui  existent 
aujourd'hui  sont  au  nombre  de  quatre  : 

1°  Le  livre  hébreu  des  Paraboles  de  Scndabar, 
type  de  YHistoria  seplem  Sapientum  Romœ,  et  dont 
le  roman  grec  de  Syntipas  diffère  peu  ; 

2°  L'Histoire  des  sept  Vizirs  en  arabe,  traduite  en 
anglais  par  M.  Jonathan  Scott,  et  en  allemand  par 
M.  Habicht  sur  deux  manuscrits  différons,  mais 
qui  ne  paraissent  pas  offrir  deux  rédactions  bien 
distinctes; 

3°  Le  roman  turc  des  quarante  Vizirs,  qui  n'a 
guère  emprunté  au  Livre  deSendabadque  lecadre  ; 

4°  L'Histoire  du  prince  Baklityar ,  qui  est  moins 
une  imitation  du  Livre  de  Sendabad  qu'un  autre 
roman  composé  sur  une  donnée  analogue. 


Arrivé  au  terme  de  cet  opuscule,  qu'il  me  soit 
permis  d'exprimer  un  douloureux  regret,  c'est  de 
ne  pouvoir  pas  offrir  ce  livre  au  savant  illustre 
qui  avait  bien  voulu  en  accepter  la  dédicace.  La 
mort  vient  de  nous  enlever  M.  Silvestre  de  Sacy  , 
et  personne  plus  que  moi  n'a  lieu  de  déplorer  la 
perte  de  l'homme  éminent  qui  prêtait  à  mes  tra- 
vaux l'appui  de  sa  généreuse  bienveillance. 


SOMMAI  m 


L'ESSAI  SUR  LES  FABLES  INDIENNES. 


MDPAI. 


Caractère  particulier  de  l'apologue  indien,  p.  6  et  7.  —  Li- 
vre de  Caîila  et  Dimna  ,  p.  8.  —  Il  est  apporté  de  l'Inde  par 
llarzouych  au  vr  siècle  de  notre  ère  et  traduit  en  pehlevi,  p.  !•. 

—  Il  est  traduit  en  arabe  par  Abdallah,  p.  11;  —  en  persan  mo- 
derne par  INasrallab,  p.  13;  —  par  Hocéin  Vaëi,  sous  le  litre 
iVAnwari-Sohaïli,  p.  14  ; — par  Aboulfazl,  sous  le  titre tfEyan- 
danich,  p.  15; —  en  turc,  souslctitrcde  Tlomayonn-nmneh ,  p.  16; 

—  en  grec  par  Siméon  Seth  ,  ibid.  ;  —  en  hébreu  par  le  rabbin 
.Toel ,  p.  17  ; — en  latin  par  Jean  de  Capouc,  sous  le  titre  de  Di- 
rrctorium  humanœvitœ,\>.  18;  —  enallemand,  p.  19;  —  en  espa- 
gnol, p.  20  et  21  ;  — en  latin  par  Raymond  de  Béziers,  p.  22: 

—  en  italien  et  en  français  d'après  la  version  de  Jean  de  Gàpotté 
p.  23;  —  en  français  d'après  VÂnwari-Sohaïli,  p.  24;  —  en  la- 
lind'aprèslegroc,  ibid. — en  français,  d'après  I' '  Homayoan-nameh , 
par  Gèlfond  et  Cardonne,p.  25;  —  en  EtngMBet  en  allemand  , 

p.  ?♦;. 


184  SOMMAIRE    DE    L'ESSAI 

Original  sanscrit  du  Calila  et  Dimna,  p.  27.  —  Il  est  intitulé 
Pantcha-tantra ,  ibid.  —  Abrégé  du  Pantcha-tantra,  intitulé 
tlitopadésa  ,  p.  29;  —  autres  versions  orientales  de  ce  livre, 
p.  30. 

Le  Pantcka-tantra  divisé  en  cinq  chapitres,  p.  30;  —  intro- 
duction ,  p.  31  ;  —  premier  chapitre  ,  p.  32  et  suivantes  ;  — 
deuxième  chapitre,  p.  44  et  suivantes;  —  troisième  chapitre, 
p.  46;  —  quatrième  chapitre,  p.  50; — cinquième  chapitre, 
p.  52.  — Détails  sur  le  Calila  et  Dimna,  p.  58  et  suivantes.  ■ — 
Fables  empruntées  au  Calila  et  Dimna,  par  La  Fontaine,  p.  66. 
—  Détails  sur  la  version  hébraïque  et  sur  la  version  latine  de 
Jean  de  Capoue  ,  p.  68  ;  —  sur  les  versions  italiennes  ,  p.  68  et 
69;  —  sur  la  version  persane,  intitulée  Ânwari-Sohdïli,  p.  70 
et  71.  — Fables  empruntées  par  La  Fontaine  à  la  traduction  de 
V  Anwari-S  ohaïli ,  intitulée  Livre  des  Lumières,  p.  72.  —  Détails 
sur  Y Hitopadésa  ,  p.  73  et  suivantes. 


SENDABAD. 


Livre  dé  Sendabad,  originaircde  l'Inde  ,  p.  80. — Il  eu  existe 
trois  traductions  ou  imitations  en  arabe,  en  hébreu  et  en  grec  , 
p.  82. —  Détails  sur  ces  trois  traductions,  p.  83  et 84. —  La 
version  hébraïque  est  intitulée  Paraboles  de  Sendabar-  elle  est  le 
type  du  livre  latin  des  sept  Sages  de  Rome,  p.  85.  ■ — Herbers  en 
fait  une  imitation  intitulée  Dolopathos,  p.  86  et  87.  — Époque 
présumée  de  la  composition  de  ces  deux  ouvrages,  p.  88  et89-  — 
Le  livre  latin  des  sept  Sages  de  Rome  esl  traduit  en  vers  français 


SUR  LES  FABLES  INDIENNES.  185 

et  en  prose  française,  p.  89;  —  en  anglais,  p.  90;  —  en  alle- 
mand, en  hollandais  et  en  danois,  ibid.; —  en  italien  et  en  espa- 
gnol, p.  92. 

Analyse  de  la  rédaction  grecque,  intitulée  Syntipas,y.  93  et 
suiv.  ; — Introduction,  ibid.  —  L'Anneau  du  roi,  p.  96. — 
Le  Marchand  et  le  Perroquet,  p.  98.  —  Le  Foulon  et  son  Fils  ,  p. 
100.  —  L' Officier,  son  Esc/ave  et  la  Femme,  ibid.  —  Le  Fils  du 
Roi  et  la  Lamie,  p.  102.  —  La  Femme  cl  le  Marchand,  p.  103. 

—  Le  jeune  Prince  et  le  perfide  Ministre  ,  p.  104.  —  Le  Fils  du 
Roi  et  le  Baigneur,  p,  105.  —  La  jeune  Femme,  la  Vieille  et  la 
Chienne,  p.  106. — T^e  Singe  et  le  Sanglier,  p.  109. —  V Officier, 
le  Chien  et  le  Serpent,  p.  1 10.  —  Le  Manteau,  p.  1 1 1 . —  Le  Vo- 
leur, le  Lion  et  le  Singe,  p.  113. — Le  Pigeon  et  sa  Femelle,  ibid. 

—  Les  trois  Souhaits,  p.  114.  —  Les  Ruses  des  femmes,  p.  115. 

—  Les  Convives  empoisonnés,  p.  118.  —  Les  trois  Négocions, 
la  Vieille  et  l'Enfant,  p.  119.  —  Le  Marchand  et  les  Fripons, 
p.  121.  —  Conclusion  du  Livre  de  Syntipas,p.  127. — Origine 
indienne,  p.  128. 

Les  Paraboles  de  Sendabar,  p.  131.  —  L'IIistoire  des  sept 
Vizirs,  est-elle  leLivredc  Sendadad,  ibid.  —  Analyse  tics  contei 
des  sept  Vizirs,  p.  132. —  Ahmed  V Orphelin,  ibid.- — Le  Pein- 
tre, p.  134.  —  Le  Jeune  homme  et  les  Vieillards,  p.  136.  —  Le 
Fil'  du  Sultan  et  la  Femme  du  Marchand,  p.  138.  —  Les  quatre 
Amans  dupés,  p.  139.  —  Îm  Pie  voleuse,  p.  140.  —  Bharam  et 
Rumta,  ibid. 

Analyse  du  livre  des  sept  Sages  de  Rome,  p.  141.—  Les 
Deux  Pins, p.  143. —  Le  Chevalier,  le  Chien ,  et  le  Serpent,  ibid '. 

—  Le  Pâtre  et  le  Sanglier,  p.  144- —  Tm  Femme  enfermée,  ou  le 
Mari  mis  à  la  porte,  p.    I  46.   —   Le   Trésor  du    Rot,  p.    I  16.  — 


186  SOMMAIRE    DE    L'ESSAI  ,    ETC. 

Le  Marchand  et  la  Pie,  p.  148.  —  Le  Roi  ,  les  sept  Sages,  et 
Mer-lin,  p.  149.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  Femme,  ibid.  —  La 
Tour  des  images ,  p.  151.  —  Hippocrate  et  Galien,  p.  154.  —  Le 
Roiet la  Femme  du  sénéchal,  p.  155.  —  La  Femme  et  les  trois  Che- 
valiers assassinés,  p.  156. — La  Femme  enlevée,  ou  le  Chevalier  à 
la  Trappe,  p.  158.  —  La  Matrone,  p.  161. —  La  Prédiction 
accomplie,  p.  162.  —  Les  deux  Amis,  p.  162.  —  Conclusion  du 
livre  des  sept  Sages,  p.  167.  —  Il  a  été  composé  d'après  les  Pa- 
raboles de  Sendabar}  ibid.  —  Détails  sur  les  diverses  rédac- 
tions de  ce  livre,  p.  168.  —  Dolopathos,  p.  169.  —  Histoire  du 
prince  Emstus,  p.  170. —  Branches  du  roman  des  sept  Sages, 
p.  171.  —  Les  quarante  Vizirs,  p.  172.  —  Histoire  du  prince 
Bàkhtyar,  ou  les  dix  Vizirs,  p.  175.  —  Résumé,  p.  179. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


Page  24,  ligne  4,  au  lieu  de  traduction,  lisez  traduction  abrégée. 

Page  25,  note  3,  à  la  fin  de  Valinéa  qui  commence  par  :  On  a  remar- 
qué avec  raison,  ajoutez  :  Depuis  la  rédaction  de  cette  note,  j'ai  reconnu, 
en  examinant  un  manuscrit  autographe  de  la  traduction  des  Fables  de 
lliilpa'i  parGalland,  lequel  appartient  à  la Ililiothèque  du  Roi,  que  le  nom 
de  Lokman  ne  s'y  trouve  pas,  et  que  c'est,  selon  toute  apparence,  une 
interpolation  de  l'éditeur. 

P.  2G ,  I.  45  de  la  note  de  la  deuxième  colonne,  au  lieu  de  IliXirâtôo;; 
faiïtû, lisez  niknâiSoi  'Iv^oû. 

Page  67,  ligue  G,  à  la  fin  de  la  note  2,  ajoutez  Masenius  a  reproduit 
cette  fable  dans  son  ouvrage  intitule  Palœslra  dramatica,  public  à  Co 
logneen  1657.  Voyez  les  Noti  ce»  littéraires  et  politiques  sur  l'Allemagn* 
par  M.  Saint-Harc-Girardin.  Paris,  1885,  în-8°,  p.  834  et  suiv. 

Page  70,  I.  8  de  la  note  4,  au  lieu  de  traduction ,  lisez  introduction. 

Page 82, 1.5/cfp.  92, 1.  15  et  25  de  la  note  de  la  première  colonne,  au 
un  de  fonds,  lisez  fond. 

Page  88,  I.  4  delà  note  de  la  deuxième  colonne,  au  lieu  de  un  Meaui 
Usez  de  Heaux. 

Page  107,  1.  18 de  la  oote  t.  ajouien  Voyez  encore  le>  Fantasies  I 
tfere  Soie  (par Pierre  Gringore.  Paris,  1516,  in-4° gothique,  premiel 
folio  de  la  lettre  k  et  suiv.) 

Page  188,  I.  <"  de  la  note  de  la  deuxième  colonne,  ou  lieu  de  183  > 
lisez  1835. 

Page  189,  oote  l,  ajoutez  à  la  fin  :  route  la  première  partie  de  ' 
ii*  nouvelle  de  la  iv  nuitde  Straparole  (tome  ï,  page  281,édit.  de  l 
in-12)  offre  .-ni<<»  beaucoup  d'analogie  avec  le  conte  krabe. 


ROMAN 

DES  SEPT   SAGES. 


ANALYSE  ET  EXTRAITS 

DE     DOLOPATHOS 


L'histoire  littéraire  détaillée  que  M.  Loiseleur 
Deslongchamps  a  donnée  du  Roman  des  se  pi  Sages, 
dans  l;i  première  jiartiede  ce  volume,  me  dispense 
de  revenir  sur  ce  sujet.  Pour  compléter  cette  his- 
toire, j'ajouterai  quelques  nouvelles  recherches  re- 
latives aux  différentes  versions  du  Roman  des  sept 
Sages,  envieux  français ,  et  je  donnerai  une  des- 
cription étendue  des  manuscrits  de  ces  versions 
que  j'ai  eus  entre  les  mains.  Ces  manuscrits  sont 
au  nombre  de  vingt,  tous  antérieurs  au  xvi°  siècle, 
et  lV\ann  n  particulier  que  j'ai  l'ait  de  chaque  vo- 
lume, m'a  permis  de  reconnaitre  trois  rédactions 
évidemment  copiées  les  nues  sur  les  autres.  Deux 

de  Ces  rédactions  sont  antérieures  à  la  troisième; 


et  il  est  assez  difficile  de  prononcer  laquelle  des 
deux  a  précédé  l'autre.  La  rédaction  qui  se  trouve 
le  plus  souvent  dans  les  manuscrits  du  xiue  siècle 
est  celle  que  j'ai  choisie  pour  établir  mon  texte  ; 
malheureusement  elle  est  toujours  incomplète  , 
c'est-à-dire  que  le  septième  sage,  au  lieu  de  ra- 
conter une  histoire,  annonce  à  l'empereur  que  le 
jeune  prince  ,  son  fils  ,  a  retrouvé  la  parole  ;  et 
que  le  jeune  prince,  au  lieu  de  réciter  l'apologue 
de  la  Prédiction  accomplie ,  s'en  remet  au  juge- 
ment de  Dieu.  Comme  on  le  voit ,  l'une  de  ces 
versions  est  le  complément  de  l'autre,  et  j'ai  dû 
me  servir  de  cette  double  rédaction  pour  former 
un  texte  entier  du  Roman  des  sept  Sages.  J'y  suis 
parvenu  en  me  servant ,  pour  le  texte ,  du  numéro 
1672  Saint-Germain,  et  pour  les  variantes  et  le 
complément  du  numéro  7974.  Ces  deux  manu- 
scrits du  xnie  siècle  appartiennent  l'un  et  l'autre 
à  la  Bibliothèque  royale.  La  troisième  version  ne 
se  trouve  que  dans  des  manuscrits  du  xiv°  siècle  ; 
elle  parait  avoir  été  modifiée  pour  se  trouver  ainsi 
plus  en  rapport  avec  les  suites  du  Roman  des  sept 
Sages  qui ,  sous  le  titre  d'Aventures  de  Markes , 
de  Fiseus  son  (ils,  de  Lorain  et  de  Cassiodore,  corn- 
posèrent  une  série  d'aventures  très  longues,  très 


diffuses,  mais  dont  l'ennui  est  quelque  peu  com- 
pensé par  certains  récits  empruntés  à  l'Orient,  et 
imités,  sous  des  noms  divers ,  par  les  conteurs 
français  ,  italiens  ou  anglais  des  xvc  etxvie  siècles. 
Ces  rédactions  ne  portent  plus  le  titre  de  Roman 
des  sept  Sages  de  Rome,  mais  celui  d'Histoire  de 
la  mate  marastre.  Presque  toujours  on  y  voit  le 
jeune  prince  ayant  pour  compagnon  d'étude  Mar- 
kes,  fils  de  Caton,  l'un  des  sept  sages,  et  le  héros 
de  la  plus  ancienne  des  suites  de  notre  roman. 
Cette  rédaction  curieuse  se  distingue  par  plusieurs 
apologues  empruntés  à  l'Orient  et  par  une  version 
de  Y  Histoire  des  assassins  *.  Plus  que  toute  autre, 
elle  peut  servir  à  prouver  que  le  Roman  des  sept 
Sages  fut  apporté  en  Europe,  dans  les  premières 
années  du  xui°  siècle,  par  les  Croisés  qui  se  ren- 
dirent maîtres  de  Gonstantinople.  J'ai  fait  con- 
naitre,  par  de  courtes  analyses,  les  histoires  qui 
différaient  de  celles  que  j'ai  publiées3  ;  quant  aux 
suites  du  Roman  des  sept  Sages,  on  peut  voir  à  ce 
sujet  la  description  des  manuscrits,  n°  m. 
lime  reste  quelques  mots  à  dire  relativement 


Vbyê*  />/)/«  bat  la  description  des  mamucrUs,  r»°  \. 
Voyez  lu  description  des  manuscrits    nn  v. 


VI 

aux  manuscrits  du  poème  d'Herbers  le  Dolopathos 
dont  j'ai  aussi  donné  une  analyse  et  de  nombreux 
extraits.  Ces  manuscrits  sont  beaucoup  plus  rares 
que  ceux  de  la  version  en  prose  du  Roman  des  sept 
Sages;  je  n'ai  eu  sous  les  yeux  qu'un  seul  texte  com- 
plet ,  mais  heureusement  d'une  parfaite  exécution. 
Il  se  trouve  dans  un  ancien  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque de  Sorbonne,  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque 
royale,  et  porte  le  numéro  351  Sorbonne. 

C'est  un  volume  petit  in-folio  relié,  en  maroquin 
rouge ,  sur  vélin ,  à  deux  colonnes,  et  sans  minia- 
tures. Il  paraît  avoir  été  écrit  à  la  fin  du  xme  siècle. 
Outre  le  Dolopathos  il  contient,  l°la  Vie  des  Pères 
//ermites  ;  2°  une  Petite  Chronique  des  rois  de 
France  ;  3°  la  Passion  de  Notre  Seigneur  Jésus- 
Ckrist  ;  4°  le  Roman  de  Reaudeous ,  par  Robert  de 
Blois.  Quant  à  l'autre  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
royale  ,  numéro  27  Cangé,  qui  contient  aussi  un 
texte  fort  incomplet  du  Dolopathos >  nous  l'avons 
décrit  ailleurs  '. 

i  Voyez  le  Roman  de  Brut,  publié  a  Houen,  fiiez  Ed.  Frère.  Descrip- 
tion (/es  Vkmuseriu   p.  \\ij. 


DESCRIPTION    DES    MANUSCRITS 


ROMAN  DES  SEPT  SAGES. 

MANUSCRITS  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  ROYALE. 
I. 

N°  1672.  Saint-Germain. 

Un  volume  petit  in-f° ,  vélin  ,  ancienne  reliure 
en  veau,  à  deux  colon.,  miniat.,  xme  siècle. 

Il  contient  : 

1°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  f°  i°  r°. 
2°  Le  Roman  de  Marques,  le  fils  Caton ,  1°  31  r°. 
.T  Miracles  de  Notre-Dame,  par  Gautier  de  Coinsy,  f°117 
r°.  Les  premiers  feuillets  manquent. 

Ce  texte  du  Roman  des  sept  Sages  est  celui  que  nous  avons 
publié.  Voici  l'ordre  dans  lequel  sont  les  différentes  histoires: 

1 .  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 
8.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Ausillcs.  —  Ilippocrate  et  son  Neveu. 

5  i.i  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

<i.  I.nntulles.  —  La  Femme  entérinée  ilans  nue  tour. 

7  Ln  Reine.    -  Le  Roi  et  In  Femme  du  sénéchal. 

s  ftalquidart  U  Tors.  —  Le  vieux  Chevillai  el  n  jeanc  Femme 


VHJ  DESCRIPTION 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 
■10.  Caton.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 
1  1.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Marâtre,  son  Beau-Fils,  et  les  deux  Cousins. 

13.  La  Reine.  —  La  jeune  Fille ,  son  Père ,  et  l'Amant. 

II. 

N°  7974. 

Un  volume  petit  in-4°,  vélin ,  relié  en  veau  ra- 
cine ,  à  deux  colonnes ,  xme  siècle.  (Ce  volume  a 
appartenu  à  Jean  Sala ,  poète  du  xvie  siècle,  et  au 
cardinal  Mazarin.) 

Il  contient  : 

i°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  f°  1  r«. 
2°  La  Conquesle  de  Constantinople  ,  par  Geoffroy  de  Vil- 
lehardouin ,  f°  47  r". 

Cette  chronique  célèbre,  imprimée  plusieurs  fois,  mais  assez 
incorrectement,  vient  d'être  publiée  de  nouveau  avec  beaucoup 
de  soin  par  M.  P.  Paris,  pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France. 
—  1  vol.  in-8.  —  Voyez  relativement  à  ce  texte,  les  prolégomènes 
de  .M.  P.  Paris,  page  xxxi. 

3°  Le  Roman  ou  la  Chronique  de  Turpin,  f°  141  r°. 
4°  Chronique  de  Normandie ,  lr"  partie ,  1°  176  v°. 

Celte  version  du  Roman  des  sept  Sages  est  différente  de  celle 
que  nous  publions:  elle  nous  a  servi  pour  les  variantes  et  pour 
l'appendice  ni. 


DES    MANUSCRIT  S.  IX 

Voici  l'ordre  des  histoires  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Augustes.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

G.  Lentillus.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

H.  Malcuidars  li  Iious.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 
10.  Caton.  —  Le  Rourgeois  et  sa  Pie. 
H.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 
V2.  Jessc.  —  La  Matrone. 

13.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  païens. 

14.  Meron.  —  Le  Chevalier  à  la  trappe. 

Le  Fils  de  l'Cmpereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 


III. 


N°  0767. 

Un  volume  in-folio,  maximo  vélin,  relu''  en 
maroquin  ,  aux  armes,  écrit  à  deux  colonnes  . 
miniatures. 

Voici  l'ordre  des  histoires  dans  le  Roman  des  sept  Sages  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

'2.  I{<iii,illns.     -  |,o  Chevalier  et  le  Serpent 

8.  La  Reine.    -  Le  Paire  et  le  Sanglier. 

4.  Antilles.  —  Hippocrate  et  son  \e\eu 

.•  La  Reine.      La  Tour  du  Tréaor. 


X  DESCRIPTION 

6.  Lentulles.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Manonidas  li  Tors.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

10.  Catons.  —  Le  Bourgeois  et  la  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Matrone. 

13.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  païens. 

14.  Mereneus.  —  Le  Chevalier  a  la  trappe. 

Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 

M. T.  Paris,  t.  I,  p.  109  de  son  ouvrage  sur  les  manuscrits 
français  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  a  consacré  à  ce  volume  la 
notice  suivante1  : 

Ce  précieux  manuscrit  fut  exécuté  en  1466,  comme  le  prouve  la  men- 
tion suivante,  écrite  à  la  lin  du  volume  :  «  L'an  mil  cccclxvi  fut  escript 
«  cest  rommant  par  Micheau  Gonneau ,  prebtre  deinourant  à  Crosant.  » 
—  Michel  Gonneau,  qui  a  fait  plusieurs  autres  copies ,  a  exécuté  celle-ci 
pour  un  prince  de  la  maison  de  Bourbon,  et  suivant  toutes  les  apparences 
pour  Jean,  fils  du  duc  Charles  1er,  et  duc  de  Bourbon  lui-même,  de  1436 
à  1488.  Ses  armes  (de  France  au  cottice  de  gueule) ,  sont  peintes  dans 
la  première  vignette  soutenues  par  deux  sirènes  ;  dans  un  autre  compar- 
timent on  voit,  autour  d'un  sagittaire,  la  devise  :  Je  déussc mourir.  Puis 
au  folio  96,  on  remarque  un  écusson  de  Bourbon-la-Marche,  écarteléd'Ar- 
magnac-Rhodez  (d'argent  au  lion  de  gueule  écartelé  de  gueule  au  \éo- 
pard  lionne  d'or).  Ce  dernier  écu  a  sans  doute  été  peint  quelques  années 
après  l'exécution  du  manuscrit,  car  il  doit  être  celui  de  Catherine  d'Ar- 
magnac, mariée  seulement  en  1484  à  Jean  II  ,  et  morte  en  1486. 
Dp  Iran  II,  ce  livre  passa  à  son  fils  Pierre  II,  duc  de  Bourbon  ,  dont 


■  Les  manuscrits   /rainais   de  la  Bibliothèque  i/n   Roi,    etc..  pat 
y.  Paris,  iii-H".  ittifi.  paris,  Tecbpner 


DKS    MANUSCRITS.  XI 

Ja  mention  se  lit  aussi  sur  la  dernière  feuille  de  garde  :  «  Ce  li\  r<- 
«  nomme  Marques,  est  à  très  hault  et  très  puissant  prince  monseigneur 
«  Pierre ,  duc  de  Bourbonnoys  et  d'Auvergne ,  conte  de  Clerinont ,  de 

•  I  urest  et  delà  Marche  et  de  Gien,  vicomte  de  Cariât  et  de  Murât, 
«  seigneur  de  lieaujeulois ,  de  Hourbon-Lanceys  et  d'Anonay  ,  per  et 
«  chambrier  de  France ,  lieutenant-général  du  roy  et  gouverneur  du 
«  Languedoc.  Signé  Robertet.  •  Et  plus  bas  est  dessiné  le  gonfanon  du 
duc  avec  les  mots  ■  Bourbon.  Espérance.' 

Les  premiers  mots  de  cet  énorme  volume  sont  :  t  A  Romme  ot  uiiem- 
«  pereur  qui  ot  nom  Deoclicns  ;  il  ot  une  femme,  de  cette  femme  ly  fu 
«  reniez  un  hoir,  »  etc. 

On  voit  que  c'est  ici  le  célèbre  Jiom an  des  sept  Sages,  traduit  en  fran- 
çais du  grec,  mais  plus  anciennement  composé  en  syriaque,  en  arabe,  et 
même  en  sanscrit,  sous  des  noms  différens,  etc 

Le  premier  conte  est  celui  du  Pin  et  du  Pineau,  le  seizième  et  dernier 
est  celui  du  Corbeau  et  <lr  la  Corbe,  débité  par  le  jeune  prince.  Le  roman, 
comme  on  doit  l'espérer,  Bail  par  le  supplice  de  L'impératrice.  «  t'y  fine 
«  le  livre  des  sept  Sages  de  homme  et  de  la  Maraslrc  qui  fut  arse 

•  et  commence  le  livre  de  Marques  de  Romme ,  comment  Diocleciens 
f  régna  après  la  mort  de  son  père  en  grant  paijnne,  si  comme  vous 
«  orre's.  » 

Celte  première  branche  des  sept  Sages  se  termine  au  folio  17 

Quand  a  la  seconde  brandie .  le  titre  inexact  que  je  viens  de  tran- 
scrire a  trompé  Imis  ceai  qui  ont  parlé  des  imitations  de  Syntipoi.  Il  fal- 
lait mettre  non  pas  comment  Dyocletiens  mais  bien  cofnmeni  le  fils  de 
Dgorietiens ,  car  le  père  nejoue  de  rôle  que  dans  la  première  branche, 
proprement  celle  des  sept  Sages,  et  quand  au  Bis,  l'élève  des  sept  sages  de 
cette  première  brandie ,  il  agit  seul  dam  la  seconde  et  dans  une  partie  de 
la  troisième  ;  mais  il  n'est  désigné  personnellement  «pie  dans  cette  der- 
nière  sous  le  nom  de  Fiseus. 

i  .1  branche  de  Marques,  un  peu  plus  compliquée  e>i  la  première 
-mie  des  ii  /''  Sages,  Marques,  iils  de  Caton,  esl  nommé  sénéchal  di 


X.1J  DESCRIPTION 

Rome  par  le  tils  de  l'empereur  Dioclétien.  Le  prince  se  souvient  des 
services  que  lui  ont  rendu  les  sept  sages  ;  il  les  fait  asseoir  à  table  au- 
près de  lui ,  il  pousse  le  respect  jusqu'à  les  servir  lui-même  chaque 
jour.  Cela  déplaît  à  la  jeune  impératrice  dont  les  philosophes  avaient 
pourtant  conseillé  le  mariage  ;  l'ayant  choisie ,  dit  malicieusement  l'his- 
toire, comme  la  meilleure  de  son  sexe.  A  force  de  blandices,  elle  parvient 
a  décider  son  époux,  d'abord  à  ne  plus  servir  les  sept  Sages ,  ensuite  à 
faire  ôter  leur  table  de  son  impériale  présence.  Qu'arriva-t-il  ?  Du  mépris 
des  sept  sages,  l'empereur  passe  au  mépris  de  la  sagesse;  il  suit  les 
caprices  de  sa  femme,  il  gouverne  en  tyran  ses  peuples.  Marques  le  sé- 
néchal seul  lutte  encore  avec  avantage  contre  le  mauvais  génie  de  l'im- 
pératrice ;  celle-ci,  de  concert  avec  ses  femmes,  met  tout  en  usage  pour 
obtenir  la  disgrâce  de  son  antagoniste  ;  elle  parvient  à  le  rendre  sus- 
pect ;  enfin  il  est  sur  le  point  de  perdre  la  vie.  Alors  commence  les  his- 
toires. L'impératrice  débute  par  celle  du  «  Damoiseau  de  Romme  qui 
«  fut  déçu  par  son  escuier  qui  lui  embla  son  annel.  »  En  tout  il  y  a 
douze  contes  terminés  par  le  récit  du  supplice  de  l'impératrice  et  de  la 
réhabilitation  des  sept  sages.  «  Ici  fini  le  romman  de  la  vie  et  Marques 
•  le  séneschal  de  Romme.  —  Ci  commence  le  livre  de  l'empereur  Fiseus 
t  qui  fut  fils  à  Vempcreur  Dijoclesien ,  quiot  moult  à  faire  tant  comme 
«  il  vesqui  en  ce  siècle.  »  (F°  60.) 

La  branche  de  Fiseus  est  la  continuation  de  la  précédente.  Fiseus,  ici 
nommé  pour  la  première  fois,  est  encore  ce  même  fils  de  Dioclétien  sauvé 
de  sa  marâtre  par  les  sept  sages ,  puis  garanti  par  eux  des  embûches 
de  sa  propre  femme.  Au  début  du  livre ,  Marques  est  encore  sénéchal  de 
Rome  ,  mais  les  sept  sages  changent  de  caractère  :  ils  deviennent  en- 
vieux et  perfides  ;  ils  veulent  renverser  le  crédit  absolu  de  Marques  sur 
l'esprit  de  l'empereur.  Fiseus  meurt;  Marques  qui  avait  épousé  Laurine, 
sœur  de  l'empereur  de  Constantinople ,  donne  naissance  à  Laurin ,  héri- 
tier de  l'empire  d'Orient,  et  devient  lui-même,  à  force  de  prouesses, 
roi  d'Aragon.  Au  milieu  de  leurs  caravanes,  Marques  et  Laurin  vont 
faire  risite  au  roi  Arthur  de  Bretagne  ;  ils  joutent  avec  les  chevaliers  de 
la  Table  ronde;  perdent  ou  retrouvent  leurs  femmes  ou  leurs  mies;  enlin 


DES    MANUSCRITS.  Xflj 

vivent  heureux  et  contens.  La  partie  la  plus  saillante  de  cette  bran- 
che, d'ailleurs  assez  insipide,  est  la  révolte  des  sept  sages  contre  I  i- 
seus,  qui  leur  a  fait  crever  les  yeux.  Voici  l'explicit  (folio  196):  cCÏ/'/- 
€  le  livre  de  Marques  le  séneschal  et  de  Laurins  son  fils  ,  empereur 
i  de  Conslantinoble.  —  Ci  commence  le  livre  de  Cassidorus ,  empereur 
c  de  Constantinoble  comme  s'ensuit.  » 

Cassidorius  est  lils  du  bon  chevalier  Holyenon  et  petit-lils  de  Lau- 
rin  ,  dont  les  prouesses  sont  racontées  dans  la  branche  précédente.  De- 
venu, par  succession,  empereur  de  Constantinople  ,  il  est  vivement  pressé 
de  se  marier  par  les  douze  princes  de  l'empire.  Il  hésite  long-temps  ; 
mais  sur  ces  entrefaites ,  les  douze  princes  lisent  dans  les  astres  que  la 
femme  de  Cassidore  devait  être  l'occasion  de  leur  mort.  Ils  mettent  donc 
tout  en  usage  pour  empêcher  le  jeune  empereur  de  quitter  le  célibat. 
Par  malheur  pour  eux  ,  Cassidore,  au  milieu  de  ses  belliqueux  voyages, 
g' arrête  chez  un  prince  de  Syrie,  nommé  EdipUS  ;  il  tombe  amoureux  de 
sa  lille  Eelcana,  à  laquelle  il  promet  de  s'unir.  Mais  de  retour  à  Cons- 
tunlinoplc,  il  oublie  ses  sermens  ,  et  les  douze  princes  le  déterminent  ;i 
ne  pas  tenter  la  redoutable  épreuve  du  mariage.  C'est  alors  que  paraît 
toutes  les  nuits  ,  dans  une  vision,  la  lille  d'Ldipus  ;  elle  vient  le  sommer 
de  tenir  sa  parole  ,  et,  pour  l'y  déterminer,  elle  lui  fait  chaque  fois  une 
histoire.  Le  jour  venu  ,  les  princes  racontent  à  leur  tour  une  aventure 
dont  la  morale  est  contraire  à  celle  du  récit  nocturne.  Enfin  la  princesse 
l'emporte  ;  Cassidorus  la  fait  couronner  impératrice.  Mais  ce  n  e>t  pas 
tout,  une  nouvelle  intrigue  se  noue  entre  les  douze  princes  contre  l'em 
perear  ;  Helconus,  son  lils ,  tente  alors  de  publier  le  secret  de  la  oonspi- 

ralion,  en    racontant    des    histoires   qu'ils  réfutent  par  autant  d'autres 
jusqu'à  ce  que  leur  trahison  soit  reconnue  et  leur  supplice  ordonné.  Je 
n'ai  l'ail  qae  parcourir  rapidement  cette  longue  Série  d'apOlogMB  et  d'aven- 
tures romanesques  :  puis  ce  que  j'en  dis  suffira,  sans  doute  pour  éveil 
1er  la  curiosité  des  amateurs  de  Nouvelles  et  de  Contes  :  ils  trouveront 

dans  Cassidorus  MM  mine  .  pour  ainsi  dire,   inépuisable. 

Cette  branche,  lapins  longue  des  sii  .  se  pourrait  jusqu'au  folio  551 
En  voici  l'explicit:  •  Cj  fini  les  livres  de  cassidorus.  si  parierons  après  de 


XIV  DESCRIPTION 

.  Pelyarmenus  de  Romme  ,  comment  il  avoit  pourchacié  vers  Dyalogus 
«  son  frère  le  bastard ,  de  mettre  à  mort  les  deux  enfans  petits  à  l'em- 
«  pereur  son  père.  » 

Pelyarmenus  et  Fastidorus  étaient  frères  d'Helcanus  ,  dont  la  branche 
précédente  a  raconté  les  premières  aventures.  Il  parvient  dans  celle-ci  à 
esquiver  toutes  les  embûches  que  ne  cesse  de  lui  tendre  le  vaillant  el 
déloyal  Pelyarmenus.  Celui-ci  s'empare  de  la  couronne  impériale  de 
Rome  après  Fastidorus  son  frère  ,  et  cependant  Cassidorus  leur  père  ,  le 
véritable  empereur,  fait  ses  pèlerinages,  devient  manouvrier,  enfin  est 
mis  à  mort  par  la  trahison  de  la  femme  d'un  châtelain  qu'il  avait  con- 
verti. Cette  cinquième  branche  finit  au  folio  491 ,  verso  :  «  Cy  finit  le 
«  livre  deCassidorus  (lisez  Pelyarmenus)  de  Romme  et  de  Constantinoble, 
«  et  après  commence  li  derrains  de  ses  enfans.  • 

La  sixième  et  dernière  branche  raconte  en  effet  l'histoire  des  quatre 
fils  de  Cassidorus ,  nommés  Kanor ,  Sicor ,  Doraor  et  Rusticor.  Kanor 
finit  par  être  empereur  de  Rome,  et  le  roman  se  termine  par  ces  mots  : 
€  Si  veuil  or  faire  fin  de  cette  bistoire  ,  laquelle  plaise  et  souffise  à  mon 
«  très  chier  seigneur  devant  nommé ,  pour  lequel  j'ai  travailla1  et  pené 
«  en  ce  qu'il  ne  preigne  pas  regartà  ceulx  qui  ne  sont  pas  convenables  en 
€  mes  comptes,  mais  à  cellui  Kanor  qui  par  son  sens  et  par  sa  proesce, 
«  à  l'aide  de  Dieu  et  de  ses  amis,  revient  à  ce  qui  porveu  li  estoit  des  le 
«  commencement  du  monde,...  si  comme  vous  avez  oi  par  devant.  » 

Mais  ce  seigneur  devant  nommé  n'est  nulle  part  nommé  dans  notre 
manuscrit.  Or  c'était  Hugues  de  Chatillon  auquel  fut  dédié  la  dernière 
branche  du  roman  de  Cassidore,  dans  la  première  partie  du  xnre  siècle  . 
comme  nous  l'atteste  un  exemplaire  conservé  à  la  Bibliothèque  du  Roi 
sous  le  ii'  7534.  Hugues,  qu'on  y  voit  désigné  sous  le  nom  du  comte  de 
Saint-Pol,  jouit  de  ce  comté  durant  les  années  1220  à  1247  ,  c'est  donc 
dans  cet  intervalle  que  fut  ,  pour  la  première  fois,  transporté  dans  no- 
tre langue  le  dernier  tiers  de  cette  vaste  composition  romanesque.  Ce 
fait  est  important  a  constater.  Il  ne  faut  pas  rependant  en  conclure  que 
les  parties  précédentes  fussent,  antérieurement  ou  du  moins  à  la  même  épo- 
que ,  connues  en  i  renée.  Le  soin  que  l'écrivain  de  Hugues  de  Cbitillon 


DES    MANUSCRITS.  \> 

apporte  à  nous  initier  aux  événernens  qui  préparent  la  narrai  ion ,  prouve 
au  contraire  que  les  aventures  de  Marques  et  de  Fiseus  étaient  alors 
parfaitement  ignorées.  Mais  il  faut  encore  ici  convenir  que  l'invention  de 
tout  le  récit,  quelles  que  soient  la  langue  et  la  nation  qui  puissent  s'en 
faire  honneur ,  est  bien  antérieure  au  ime  siècle. 

IV. 

N°  6849. 

Un  volume  in-f°,  maximo  vélin,  deux  colonnes, 
une  miniature,  vignettes  et  initiales;  fin  du  w 
siècle.  Relié  en  maroquin  rouge ,  aux  armes  de 
France.  —  (Ancien  n°  478.) 

Il  contient  : 

1°  le  Livre  des  Merveilles,  f°. 

2°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  f°. 

Le  Livre  des  Merveilles,  dit  M.  P.  Paris ,  est ,  suivant  toutes 
les  apparences,  la  traduction  paraphrasée  de  quelque  roman  d'o- 
rigine grecque,  ou  même  orientale.  C'est  une  collection  de  contes 
et  d'apologues  récités  dans  une  intention  pieuse  et  morale  à  un 
jeune  homme  du  nom  de  Félix,  que  son  père  fait  voyager,  afin 
de  lui  donner  à  mieux  connaître  l'histoire  du  monde ,  de  la  so- 
ciété, de  la  religion  et  de  l'éternité 

Les  contes  finissent  avec  la  vie  de  Félix,  qui  tombe  malade  djans 
une  abbaye,  et  meurt  sous  les  habits  monastiques. 

Quant  à  la  version  des  sept  Sages  de  Rome,  elle  est  semhl.i- 

•   Les  Manuscrits  <lc  lu  Hihliothrijur  >ln  Roi,  I.  M  ,  p,  nr.-l  I  , 


\VJ  DESCRIPTION 

ble  à  celle  que  nous  publions;  seulement    le  style  est  rajeuni. 
Voici  l'ordre  dans  lequel  se  trouvent  les  différentes  histoires  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Antilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Lenhdle.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Maulcuidars.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

10.  Caton.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Marâtre,  son  Beau-Fils ,  et  les  deux  Cousins. 

13.  La  Reine.  —  La  Jeune  Fille,  son  Père,  et  l'Amant. 

V. 

N°  7069. 

Un  volume  petit  in-f°,  vélin,  relié  en  veau  à  l'N, 
couronné  sur  le  dos,  écrit  sur  deux  colonnes, 
\ive  siècle ,  miniature. 

Il  contient  : 
1°  Le  Trésor  de  Brunetto  Latini,  f°  12  r°. 
2°  La  Chronique  de  Turpin,  en  français,  f°  146  r°. 
3°  Histoire  de  la  mâle  Marrastrk,  ou  des  sept  Sages  i»k 

Rome  la  cité,  f°  162  r°. 
i    Knsfiijnoment  de  Sapience,  f°  190  v°. 


DES    MANUSCRITS.  XV1J 

6° Le  Livre  du  Gouvernement  des  rois  et  des  princes,  de 
Gilles  de  Rome,  i'°  1 94  r°.  —  Gy  fenist  le  livre  du  Gou- 
vernement des  rois  et  des  princes,  que  frères  Gilles  de 
Rome,  de  l'ordre  Saint-Augustin,  a  fait.  Lequel  livre 
maistre  Henry  de  Gauchi  a  translaté  de  latin  en  françois, 
par  le  commandement  Phelippon ,  le  noble  roy  de 
France. 

6°Enseignemens  de  Médecine,  f°  268  v°. 

Voici  le  titre  des  histoires  qui  se  trouvent  dans  cette  rédaction 
du  Roman  des  sept  Sages ,  et  l'ordre  dans  lequel  ces  histoires 
sont  placées  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deui  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pitre  et  le  Sanglier. 

4.  Anxilles.  —  HippocrAte  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 
<;.  (  atiot.  —  Le  Rourgeois  et  sa  Pie. 

7.  La  Reine.  —  Le  Père,  sa  seconde  Femme .  el  son  Vils. 

s.  Lentulus.  —  La  Matrone. 

M.  La  Reine.  —  La  folle  Nourrice. 

10.  Jessé.  —  Histoire  d'Anthenor,  roi  d  Arabie. 
tl.  La  Reine.  —  Exemple  «lu  mal  genre. 

19.    Mnrtins.  —  Cardamuni  le  sénéchal 

18.  La  Reine.  —  Histoire  de  Makesiu  qui  l'omn cd»l 

1 1,  Mii'k'-s  i'i  Home.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

i.e  i  ils  (le  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 

On  voit  que  dans  cette  rédaction  du  Romtin  des  sept  Sa^rs% 
plusieurs  histoires  sont  différentes  de  celles  que  nous  avons 
imprimées.  Ainsi  après  l'histoire  du  Bourgeois tt  de  lu  Pir,  on 
trouve  le  récit  d'une  aventure  qui  est  aussi  dans  le  Geste  R 


XV11J  DESCRIPTION 

norum.  Un  empereur  d'Orient  a  un  fils  déjà  grand;  il  épouse 
une  jeune  femme,  en  secondes  noces,  et  il  est  tué  par  son  fils  qui 
devient  amoureux  de  sa  belle-mère.  Cette  aventure  commence 
au  folio  174  r°.  Elle  est  suivie  du  conte  de  la  Matrone.  On  trouve 
après,  une  imitation  assez  curieuse  du  jugement  de  Salomon.  Elle 
commence  au  folio  177  et  est  intitulée  la  Folle  nourrice.  Au 
folio  179  v°  est  VTIistoire  d'Anthcnor,  roi  d'Arabie,  qui,  ayant 
épousé  une  femme  déjà  veuve  et  mère  d'une  fille,  est  trompé  par 
cette  femme  qui  parvient  à  le  persuader  de  donner  pour  épouse  à 
l'empereur,  la  fille  qu'elle  avait  eue  de  son  premier  mariage,  plu- 
tôt que  sa  propre  fille. 

Après  ce  conte  vient  Y  Exemple  du  mal  genre,  f°  181  r°. 
Un  chevalier  chrétien  ayant  été  fait  prisonnier,  pendant  les 
guerres  saintes,  inspira  de  l'amour  à  la  femme  du  Soudan  ;  elle 
eut  un  fils  du  chevalier  chrétien,  et  mourut.  Le  Soudan  fit  élever 
l'enfant  avec  soin,  et  ce  dernier,  parvenu  à  l'âge  de  vingt  ans,  se 
fit  tant  aimer  des  grands  du  royaume,  que  ceux-ci  vinrent  trouver 
le  soudan,  et  lui  demandèrent  de  céder  le  royaume  à  son  fils.  Le 
Soudan,  plein  de  fureur,  fit  jeter  le  prince  dans  une  prison  et  le 
menaça  de  la  mort;  mais  ce  dernier,  aidé  par  les  grands  du 
royaume,  tua  le  Soudan  et  prit  sa  place. 

Au  f°  182  r°,  est  V Exemple  de  Cardamum  le  Sénéchal  : 
Cnrdamum,  sénéchal  du  roi  de  Babilonne,  fut  chargé  par  son 
souverain  de  la  garde  de  sa  fille  unique,  tandis  que  ce  souverain 
était  en  guerre  avec  un  de  ses  voisins.  Cardamum,  voyant  la 
jeune  fille  belle  et  sage,  voulut  la  faire  instruire  dans  la  loi  des 
Sarrasins;  mais  la  jeune  fille  refusa  d'écouter  les  exhortations 
païennes  cl  préféra  la  loi  du  Christ.  Elle  décida  même  Cardamiirn 
à  changer  de  religion.  Le  Soudan  revenu  dans  ses  états,  présenta 


DES    MANUSCRITS.  XIX 

à  la  jeune  fille,  comme  devant  être  son  mari,  le  prince  contre 
lequel  il  était  en  guerre;  mais  la  jeune  fille  refusa,  et  resta  pure 
devant  le  Seigneur.  Le  soudan,  son  père,  mourut  de  désespoir. 
Au  f°  184,  r°,  se  trouve  l' Exemple  de  Haquesin  qui  tomme 
occist.  Cette  histoire  fort  courte  n'est  autre  que  le  récit  des  moyens 
employés  par  le  Vieux  de  la  Montagne  pour  décider  ses  sujets  fi- 
dèles à  assassiner  les  chrétiens;  la  voici  : 

C'est  vroy  que  ils  sont  aucuns  grans  seigneurs,  en  terre  de  Sarrazins, 
qui  font  prendre  potis  enfans  de  demy  an ,  et  les  font  norrir  à  une  femme  , 
dedens  cisternes  ,  là  où  ilz  ne  pueent  veoir  nul  déduit ,  ne  nul  esbanoy. 
Et  quant  il  sont  si  grant  qu'ilz  sevent  bien  entendre  à  ce  que  en  leur 
dit ,  si  a  on  osteus  fais  en  telle  manière  que  ilz  sont  dedens  terre.  Et  poêl- 
on vcoir  de  celui  autres  manières  qui  sont  noble  et  plains  de  tous  déduis 
si  comme  de  praiaus  et  de  gardins  et  de  nobles  vergiers.  Et  donc  y  sont 
dames  et  damoisclles  cl  chevaliers  qui  se  déduisent  el  esbanoient  et  chan- 
tent, et  font  la  greigneur  joye  que  on  peut  faîte.  El  donc  les  tmdntdlz 
enfans  que  on  nourrist  en  ces  cisternes.  Lors  demandent  quel  geot  ce 
sont  qu'ilz  voyent  si  noblement  maintenir.  Cilz  qui  les  cnlmduiscut  .  si 
leur  dient  que  ce  sont  cilz  qui  oui  occis  les  Cresliens.  El  donc  sont  en 
mont  grant  malaise  de  savoir  en  quel  manière  ilz  peussent  venir  à  telle 
joie  que  chascuns  convoite  par  nature.  Lors  dicnl  leur  maistre  que  nul 
ne  puel  là  venir  devant  ce  (pie  il/,  aient  aucun  Crestien  occis.  Et  donc 

sont  mont  en  grant  dément  de  ce  taire,  m  que  quant  ce  rienl  qu'ils 
■ont  granl  et  parcréU,  si  s'en  aident  ainsi  comme  je  vousdirvf;  Qiant  il 

avient  que  grant  meule  de  Cresliens  \iencnl  en  la  terre  de  .1  lu-ru  saletn 
el  il  y  en  a  aucuns  qui  BOienl  dnuté  des  Sara/ins.  dont  prennent  ce-  ll.i 

kesuu  dont  j'ai  desus  dit,  et  puis  les  envoyeni  m  meeaage  aui  Cttotîens 

et  leur  dist  OD  que  il  de\enl  occire.  Il  ainsi  font  il  tiiurtrir  le>  Cresliens 

par  ceula  maleurem  < tout  je  vous  il  ci  mute. 


XX  DESCRIPTION 


VI. 


N°  7519. 

Un  volume  petit  in-f°,  parchemin ,  reliure  mo- 
derne ,  en  veau  ;  deux  miniatures  ;  à  deux  colon- 
nes. —  Fin  du  xme  siècle. 

11  contient  : 

1°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  f°  1  r°. 
2°  Le  Roman  de  Marquez  de  Rome,  f°  25  v°. 

Cette  version  du  Roman  des  Sages  est  semblable  à  celle  du 
n°  7974.  Les  histoires  s'y  trouvent  dans  l'ordre  suivant  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Auguslus.  Hippocrale  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Lentulus.  —  La  Famé  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  — Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Malquidas  le  Roux.  —  Le  vieux  Chevalier  et  la  jeune  Fcmmi 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 
10.  Caton.  —  Le  lîourgeois  et  la  Pie. 

il.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Matrone. 

13.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  sarrasins. 

14.  Merrous.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie 


. 


i»L.S  MANUSCRITS.  XXIJ 

VII. 

N°  7534. 

Un  volume  in-f°,  parchemin  ,  relié  en  parche- 
min ,  écrit  sur  deux  colonnes.  —  xmc  siècle. 

Il  contient  : 
1°  La  Bible  en  vers  français,  f'°  n. 
2°  Assumption  Nostre  Dame,  f°  lxi  r°. 
3°  Orison  Nostre  Dame,  f°  lxvi  r°. 
4°  Du  Plait  de  Sapience  et  de  Folie,  f°Lxxv°. 
5°  De  Phisike,  f°  lxxiii  r°. 
6°  De  Karlemaine  le  bon  roi  (Chronique.de  Turpin), 

f°cxvnir0. 
7°  Roman  d'Eracle  l'empereur,  en  vers,  1°  cxxx  r°. 
8°  La  Prière  que  Dex  fist,  f°  clvii  v°. 
9°  Vers  sur  la  mort,  f°  clxxi  r°. 
10°  L'Image  du  monde,  f°  clxxiii  r°. 
tl°  Roman  de  Carité,  f°  ccxxi. 
12°  Roman  des    Philosophes,    par    il/ors  de  Cambray  , 

f°  ccxxxi  r°. 
13°  Bestiaire  d'amour,  par  Guillaume,  f°  cclii  v°. 
14°  «es  Sept  Sagks  de  Rome,  en  prose,  f3  cclxxxuv0. 
16    Roman  de  M:irkes  de  Rome,  t'°  cclxxxxvi  r°. 

Ces  deui  derniers  ouvrages  sonl  incomplets:  le  premier  feuil- 
let du  Roman  des  sept  Siii/c-s  manque. 

Celle  rédaction  du  Roman  des  sept  Sages  ressemble  assers  au 

texte  que  nous  publions;  seulement,  après  l'histoire  de  .Merlin, 

■n  trouve  deui  des  histoires  analysées  plaidant,  d'après  léma- 


V\ii  DESCRIPTION 

nuscrit  7069.  On  n'y  trouve  pas  le  conte  de  h  Matrone  d'E- 
phcse,  et  vers  la  fin,  le  manuscrit  qui  est  incomplet,  s'arrête  au 
moment  où  le  jeune  prince  commence  à  parler. 

Voici  l'ordre  des  histoires  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

'2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Augustes.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Tulles.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Malcuidas  li  Tors.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

10.  Caton.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Marâtre,  son  Beau-Fils,  et  les  deux  Cousins. 

13.  La  Reine.  —  La  jeune  Fille,  son  Père,  et  l'Amant. 

VIII. 

N°  9675. 

Un  volume  in-f°parvo,  sur  papier,  demi-reliure 

en  papier.  —  xv°  siècle. 

Il  contient  : 

1°  Traicté  d'entre  Charles ,  roy  de  France  et  le  duc  de 

Bourgogne,  1°  1 . 
2°  Ordonnances  laites  en  l'eschiquier  de  Normandie,  tenu 


DES  MANUSCRITS.  \\ll| 

a  Rouen,  au  ternie  dePasques  mil  iiij  c.  soixante-trois. 

f°  8  r°. 
3°  Ordonnances  du  duc  de  Brabant,  de  1463,  f°  23  r°. 
4°  Offres  faites  par  ceux  de  Gand  au  duc  de  Brabant,  en 

1453,  f°29. 
5°  Histoire  des  sept  Sages  de  Rome,  f°  40. 
6°  Histoire  de  Barlaam,  Josaphat  et  Avenir,  saints  lin- 
mites,  f°  71  r°. 
7°  Le  Miroir  de  lame,  f°  100  r°. 
8°  La  Vie  de  saint  Anthoinc  de  Pade  (Padoue),  en  vers , 

f°  113  r°. 
9°  C'est  la  complainte  des  trois  Estas  de  France,  de  la 

mort  du  roy  Charles  dernier  passé,  avec  ses  e'pitaphes . 

(Charles  VII),  fû  122  r°. 
10°  Les  Fainctesdu  monde,  f°  136  r°. 
11°  Significations  moult  notables  et  beaux  de  la  messe, 

f°  152  r°. 
12°  La  Condamnacion  de  messire  Loys  de  Luxembourg, 

jadis  connétable  de  France,  f°  170  r°. 
13°  L'Eschelle  de  Charité,  f°  177  r°. 
14°  C'est  le  trespassemont  Nostre  Dame  et  son  assumption, 

f°  194  r°. 
I".   Incipit  compassio  Béate  Marie  circa  cracem,  etc.,  I 

205  r°. 
1  »l    Conte  devol,  en  vers,  I    21 2  r  . 
r,    Modèle  de  confession,  avec  prières  en  latin,  î°  222  i-  . 
is   Louanges  et  prières  à  la  Vierge,  en  latin,  i    22»;  ?  . 
1!»   Le  Jeu  des  échecs  moralises,  l    232  i  . 
20  Hvstoires  d'Herode.  <!«•  Judas  el  <!«•  Pilate,  i    280 


XXIV  DESCRIPTION 

21°  Discours  de  la  prinse  de Constantinople  parles  Turcs, 
en  1453,  f>  28. 

22°  Lettres  patentes  du  roy  par  lesquelles  il  décharge  les 
habitans  de  la  ville  de  Rouen  de  Fimpos  de  vij  de- 
niers par  livres  sur  les  marchandises  et  denrées  cy 
déclarée,  f°  300  r°. 

23°  Traicté  de  la  paixd'Arras,  en  1435,  f°  305. 

Cette  rédaction  du  Roman  des  sept  Sages,  écrite  à  la  fln  du 
xve  siècle  et  mise  en  français  de  cette  époque,  est  la  même  que 
celle  du  manuscrit  7974,  avec  lequel  nous  avons  collationné  no- 
tre texte;  seulement  les  histoires  ne  sont  pas  dans  le  même  or- 
dre. Le  scribe  a  commencé  par  quelques  lignes  qui  rattachent 
l'histoire  des  sept  Sages  aux  annales  apocriphes  de  la  France; 
voici  ce  début  : 

Jadis,  après  la  destruction  de  Troye  la  grant ,  fut  par  une  nourrice 
saulvé  Marcomeris  filz  de  Priamus  et  frère  de  Paris  ;  et  fut  par  la  dite 
nourrice  aporte  à  Rome,  et  depuis  en  Constantinopole,  et  fut  roy  de  France. 
Et  print  par  mariage  la  fille  du  roy  do  Cartage  qui  moult  estoit  noble 
dame,  sage  et  de  bon  gouvernement  Et  durant  leur  mariage,  eurent  ung 
filz  de  belle  venue.  Et  lui  estant  de  l'eage  de  sept  ans,  ou  environ,  la 
dame  alla  de  vie  à  trespas.  Après  le  trespassement  de  laquelle,  le  dit  em- 
pereur et  roy  manda  en  Constanlinnpole  où  il  estoit,  les  sept  sages  de 
Rome,  c'est  assavoir  liaucilas ,  Lentulus ,  Cathon,  Manquidas ,  Gesse, 
Aussire ,  Merons ,  etc. 

Voici  l'ordre  des  histoires  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

i.  Baucillas.  —  LcChcvalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal 

\.  Avril!,-.       Hippocrate  et  «on.  Neveu, 


DES  MANUSCRITS.  \W 

5.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  elle  Sanglier. 

6.  Malquidas.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

8.  Lentulus.  —  Le  vieux  Chevalier  et  la  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  sarrasins. 

10.  Cathon.  —  Le  Bourgeois  et  la  Pie. 

11.  La  Reine. —  La  Tour  du  Trésor. 

12.  Jesié.  —  La  Matrone. 

13.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

14.  Meros.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 

Cette  version  est  terminée  par  le  combat  singulier  du  jeune 
prince  et  de  Frichart,  cousin  de  l'impératrice  coupable.  Ce  der- 
nier est  vaincu. 

IX. 

N°  10024. 

Un  volume  in-f°  sur  papier,  reliure  ancienne 
en  bois.  —  Fin  du  xv(  siècle. 

11  contient  : 
1°  Voyage  de  Mandeville,  f°  1  r°. 
2°  Histoire  des  sept  Sages  de  Rome,  1'   89  r°. 

Cette  rédaction  du  Roman  des  sept  Sages  est  la  copie  d'un 
manuscrit  plus  ancien.  Les  histoires  sont  d  ms  le  même  ordre  que 
dans  le  manuscrit  n°  7974.  Les  derniers  feuillets  manquent 

Ordre  d<-s  histoires  : 

I.  La  Reine.  —  Los  deux  Pins. 

)    BauciUtu.  —  La  Chevalier  et  le  Serpent, 


XX  VJ  DESCRIPTION 

5.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Âuxilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Lentilles.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Melcuidras  le  Roux.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme». 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

10.  Cathon.  —  Le  Rourgeois  et  sa  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Matrone. 

13.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  sarrasins. 
1-i.  Mérous.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 

X. 

N°  13.  Lavalière.  (olim  4096.) 

Trois  volumes  grand  in-f°,  vélin  ,  minatures  , 
reliés  en  maroquin  rouge.  Ils  sont  écrits  en  lettres 
de  forme ,  en  caractère  de  la  fin  du  xme  siècle,  sur 
trois  colonnes ,  et  enrichis  de  252  miniatures , 
et  d'un  grand  nombre  de  lettres  tournures,  en  or 
et  en  couleur.  (Ce  manuscrit  a  appartenu  à  l'amiral 
«le  Graville,  dont  il  porte  les  armes  qui  sontMalet- 
Graville,  mi-parties  de  Balsac-Enlrague.)  (Catalo- 
gue Lavalière,  t.  II,  p.  034.) 

Ce  manuscrit  contient  : 

J    Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  l   1,  f    I  r°. 


DES   MANUSCRITS.  XX VI f 

2"  Le  Roman  de  Marques,  de  Rome. 

3°  Le  Roman  de  l'empereur  Fiséus,  fils  de  Dyoclétien  em- 
pereur. 

4°  Le  Livre  de  Laurens ,  fils  de  Marques,  sénéchal  de 
Rome. 

5°  Le  Livre  de  Cassiodorus,  empereur  de  Constantinoble. 

6°  Histoire  de  Pelyarmenus,  de  Rome. 

7°  Du  dernier  fils  des  enfans  de  Cassiodorus. 

Relativement  à  toutes  ces  suites  du  Roman  des  sept  Sages, 
voyez  plus  haut,  page  x.  Voici  comment  sont  placées  les  his- 
toires du  Roman  des  sept  Sages  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucilas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Aucilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Lentulus.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Maucuidas  li  tors.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

10.  Caton.  —  Le  liourgeois  et  la  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 
13.  Jessé.  —  La  Matrone. 

13.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  sarrasins 
1  i     Mereneus.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

Le  i  ils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie, 


XXV1IJ  DESCRIPTION 

XI. 

N°  48.  Lavalière.  (olim  672.) 

Un   volume    in-f°  parvo  ;   vélin  ;    miniature  ; 
xme  siècle  ;  reliure  ancienne ,  en  veau. 

Il  contient  : 

1°  Le  Livre  de  Doctrine,  f°  1  r°. 

2°  Le  Livre  du  Gentil  et  des  trois  Sages ,  le  Livre  qui  est 
de  la  loy  au  Juif,  le  Livre  qui  est  de  la  loi  à  Creslien , 
le  Livre  de  la  loi  au  Sarrazin,  1°  60  v°. 

3°  Le  Roman  des  vii  Sages  de  Rome,  f°  119  r°. 

Cette  rédaction  du  Roman  des  sept  Sages  diffère  peu  de  celle 
que  nous  publions.  Cependant  on  n'y  trouve  pas  l'histoire  imitée 
de  la  Matrone  d'Ephèse.  Mais  le  jeune  prince,  au  lieu  d'en  ap- 
peler au  jugement  de  Dieu,  raconte  l'histoire  de  la  Prédiction 
accomplie. 

Voici  l'ordre  dans  lequel  se  trouve  les  histoires  : 

1 .  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

L2.  Bauxillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Ancilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

G.  Lentulles.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

s.  Vakptdas.    -  \x  vieux  Chevalier  ci  sa  jeune  Femme. 

9.  la  Roino        La  Tour  «1rs  images,  ou  la  Ma^iede  Virgile. 


DES   MANUSCRI  l  s.  X\l\ 

10.  Coton.        Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 
il.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Marâtre,  son  Beau-Fils  ,  et  les  deux  Cousins. 

13.  La  Reine.  —  La  Jeune  Fille,  son  Père,  et  l'Amant. 
Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 

XII. 

N°  62.  (Compiégne). 

Un  volume  petit  in-f°,  vélin  sur  deux  colonnes, 
ancienne  reliure  en  bois  ;  imparf.  —  xui°  siècle. 

Il  contient  : 

i.  Le  dit  des  philosophes,  en  vers. — Les  premiers  feuil- 
lets manquent. 

ii.  Chronique  de  l'Histoire  de  France,  en  prose,  f°  25  r° 
imparfaite. 

m.     La  Chronique  de  Turpin,  f°  39  r°. 

iv.  Fragment  sur  l'Histoire  «le  France,  contenant  princi- 
palement l'Histoire  des  ducs  de  Normandie,  l    12  r° 

v.      Explication  de  la  messe,  en  prose  latine,  I    59  r°. 

vi.    Roman  des  sept  Sages  pe  Rome,  f°  02  r°. 

mi.   Roman  de  Marquez  de  Rome,  f°  81  r°. 

vin.  Contes  dévots,  en  vers,  f°  135  r  ;  imparfaits. 

ix.    Moralités,  en  prose  et  en  vers,  f°  145  r°. 

x.     Les  Quatre  ftgefti  moralité  ru  prose,  f3  M9r  . 

m.    Lettres  du  prêtre  Jean,  f   156-1 

mi.  Extraits  de  saint  Augustin,  en  français,  f  i57r°. 

xiii.  Fragmens  du  Roman  de  la  Pouce, f   ms  i 


XXX  DESCRIPTION 

Cette  version  ne  diffère  pas  de  celle  que  nous  publions  d'après 
le  manuscrit  S.  G.  1672.  Il  manque  une  histoire  dans  Cette  rê- 
daction. 

Voici  comment  sont  placées  les  histoires  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucilîas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Auxilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu; 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

G.  Lantuîus.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Malquidars  li  Tors.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Tour  des  images,  ou  la  Magie  de  Virgile. 

10.  Caton.  —  Le  Rourgeois  et  sa  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Marâtre,  son  Reau-Fils,  et  les  deux  Cousins. 

13.  La  Reine.  —  La  jeune  Fille ,  son  Père  ,  et  l'Amant. 

XIII. 

N°  1659.  (S.  Gcrm.) 

Un  volume  petit  in-4°  sur  \vlin,  relié  en  feois  , 
à  deux  colonnes.  —  xuie  siècle. 

Il  contient  : 

1°  La  Vio  des  pères  Hermites,  en  vers,  f°  i  r°. 

2°  La  Passion  N.-S.-J.-Ch.,  en  vers,  1°  cv  r°. 

3°  Les  quin/o  Signes,  en  vers,  f°  cxvm  v°. 

4°  Roman  i>ks  bepi  S,m;ks  dk  Homk,  en  prose,  f°  cxm  i 


l)i:s    MANUSCRITS.  XXX  | 

ô°  Fragment  d'un  poème  moral,  1°  cxxxvi  r°. 

<>    Dit  des  Contraires  as  famés,  1°  cxlvii  r°. 

1J  Dit  des  Complexions,  fo  cl  r°. 

8°  Epistre  d'Aristote  à  Alexandre  sur  la  médecine,  f°  cl  r.°. 

9°  Réflexions  religieuses  et  morales,  {°  clviii. 

Ce  texte  du  Roman  des  sept  Sages  est  semblable  à  celui  du 
n°  7974  dans  lequel  nous  avons  pris  nos  variantes  et  L'appendice 
n°  1  ;  mais  il  est  copié  d'après  un  manuscrit  plus  ancien.  Les 
histoires  un  peu  abrégées  sont  placées  dans  l'ordre  suivant  ■ 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Augustes.  —  Ilippocratc  et  son  Neveu. 
>.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

C).  Lentulle.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

s.  IHalquidars  U  Itmiz.  —  Le  vieux  Chevalier  et  la  jeune  Femme 

'.).  La  Reine.  —  La  Tour  des  images ,  ou  la  Magie  de  Virgile. 

10.  Chaton.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 

11.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 

12.  Jessé.  —  La  Matrone. 

18.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  payens. 
\'i.  Malqus.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

I.o  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiclion  accomplie. 

XIV. 

V-27'i  bis.  (A'-'  Dame). 

Un  volume  petit  in-4°,  vélin  .  relie  en  parche- 
min ,  deux  colonnes. —  Xiir   siècle. 


XXX1J  DESCRIPTION 

11  contient  : 
1°  Proverbes  de  Marcolf  et  Salomon,  f°  1  r. 
2°  L'Evangile  as  famés,  1°  2  r°. 
3°  Des  Famés,  des  Dex  et  de  la  Taverne  tout  ensemble, 

f°  4  r°. 
4°  De  la  Dame  aux  deux  chevaliers,  f °  4  v°. 
5°  De  la  Damoiselle  qui  vouloit  voler,  f°  5  v°. 
6°  Des  Proverbes  Seneke  le  philosophe,  f°  6  r°. 
7°  Ci  commencent  proverbes  ruraux  et  wulgaires,  f°  10r°. 
8°  Le  Pater  noster,  en  vers,  f°  14  r°. 
9°  La  Vie  du  monde,  f°  14  v°. 
10°  La  Description  et  plaisance  des  religions,  par  Rois  de 

Cambray,  f°  15  v°. 
1 1°  Du  Pape,  du  Roi  et  des  maunoies,  en  vers,  f°  17  r°. 
12°  Les  Foires  de  Champaignes  et  de  Brie,  fû  17  v°. 
13°  Ce  sont  li  roiaumes  et  les  terres  des  quex  les  marchan- 
dises viennent  à  Bruges  et  en  la  terre  de  Flandres, 
c'est  à  savoir  les  choses  qui  en  siventci-après,  f°18v°. 
14°  Ce  sont  les  menières  de  poissons  que  on  prant  en  la 

mer,  f°  19  r°. 
14°  Ci  commence  de  Groingniet  et  de  petit,  f°  19  v°. 
15°  Des  mesdisens,  f°  20  r°. 

16°  Ci  commence  la  confession  Renard  et  son  pèlerinage. 
17°  C'est  de  Karesme  le  félon  et  de  Charnage  le  baron,  f° 

25  r°. 
18°  Isopet,  en  français,  f°  26  r°. 
19°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  f°  46  r°. 
20°  Du  Vilain  à  la  c...  noire,  f°  70  r°. 
21°  Fabliau  de  Morel,  P  70  v°. 


DES    MAM  SCttl  I  S.  \\\ll| 

ri    Marguet  convertie,  1°  73  r. 

23°  De  l'Kscuier  qui  voulait  épouser  douze  femmes,  f°  7")  r-. 

24°  Du  Chevalier  qui  lésait  parler  les ,  P  77  v°. 

25°  La  Châtelaine  de  Vergi,  f°  84  r°,  imparfait. 

26°  La  Vie  de  saint  Patrice,  f°  97  r°. 

27°  Les  quinze  Signes,  f°  104  r°. 

28°  Dialogue  des  trois  Vis  et  des  trois  mors,  f°  106  v°. 

29°  Le  Reclus  de  Molien,  f°  110  r°. 

30°  Roman  de  Charité,  f°  132  v°. 

31°  LeLaisderOiselet,  f°  iél  r°. 

Ce  lai  a  clé  imprimé  par  Méon,  t.  II  des  Fabliaux  el  Contes, 
p.  1 14.  —  Au  sujet  de  l'origine  de  ce  charmant  apologue,  royez 
la  première  partie  de  ce  volume,  p.  71,  note  II. 

32°  De  l'Art  d'aimer,  f°  156  r°. 

Celte  rédaction  du  Romans  de  sept  Saga  contient  1rs  iiièinr- 
histoires  que  celle  du  n»  7974. 

Voici  l'ordre  dans  lequel  ces  histoires  smn  placées  : 

I .  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

•2.  liaucilas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

:\.  La  Reine  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

i.   Anxilles.  —  Uippocrate  et  son  Neveu. 

.">.   La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

o.   Lenlulus.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  iteéchal 

8.  Maucuidas  H  7'ors.    -  Le  viciu  (  '.hevalicr  cl  lajevne  Femme 
'*.   La  Reine.    -  La  Magie  ée  Virgile. 

in.  Cathons.  —  Le  Bourgeoii  el  la  Pie 

I I .  ia  Reine       Le  Roi  el  lee  tapi  s  i 
18.  Jtué,      i.i  Matrone. 

m. 


WK1V  DESCRIPTION 

13.  La  Reine.  —  Genius  et  les  sept  Rois  païens. 

14.  Mereus.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 


MANUSCRITS  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  DE  L'ARSENAL 

XV. 

S"  232.  (  B.  L.  F.). 

Un  volume  in-4°,  vélin,  reliure  en  veau;  minia- 
ture. —  xve  siècle. 

Il  contient  : 
1°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  sons  le  titre  de  la 

MALE  MARRASTRE,  î°  i  T°, 

2'  De  Sapience,  f5  58  r°. 

Cette  rédaction  de  la  Maie  Marrastre  est  postérieure  à  celledu 
numéro  suivant,  dont  elle  semble  être  In  copie;  on  y  trouve  la 
même  orthographe  et  les  mêmes  fautes.  Voici  l'ordre  dans  lequel 
se  trouvent  les  histoires  : 

\.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent 

3.  La  Reine.    -  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Anxilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 


ih;s  >t  aniscli  i  s.  xxxv 

6.  Colon.  —  Le  Hourgeois  et  sa  Pie. 

7.  La  Reine.  — Le  Père,  sa  seconde  Femme,  ri  son  Fils. 
s.   I.intulus.  —  La  Matrone. 

9.  La  Reine.  —  La  folle  Nourrice. 

K).  Jessé.  —  Histoire  d'Anthenor,  roi  d'Arabie. 

11.  La  Reine.  —  Exemple  du  Mal  genre. 

12.  Lentulus.  Cardamum  le  sénéchal. 

13.  La  Reine.  —  Histoire  de  Hakesin. 

14.  Marques.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

15.  Le  Fils  de  l' Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie 

XVI. 

N»  233.  (  B.  L.  F.). 

Un  volume  in-4°,  paft&femin  ,  relié  en  parche- 
min.  —    Fin  «lu  \iv'   siècle. 

Il  contient  : 

1°  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  sous  le  titre  de  Lk 

Livre  de  la  fausse  Marastre,  t'°  1  i 
2U  De  Sapience,  f  56  r°. 

Cette  version  du  Roman  dis  sept  $pgt  .  esl  Semblable  à  celle 
du  manuscril  da  roi,  n°  7060,  d'après  lequel  nous  avons  analysé 
plusieurs  histoires,  Marfces,  fils  deCaton,  esl  élevé  par  les  sepl 
v.igcs  n\cc  !<•  lil1-  (!<•  l'empereur;  il  s'emploie  pour  délivrer  son 
compagnon. 

\  oui  l'ordre  >l  njs  lequel  sonl  placées  les  différentes  histoires 

i .  La  Reine.       '  es  deui  ein- 


\XXVJ  DESCRIPTION 

■2.  Baucillas.    -  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

').  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

\.  Anxilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Caton.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 

7.  La  Reine.  —  Le  Père  ,  sa  seconde  Femme  ,  et  son  Fils 

8.  Lentulus.  —  La  Matrone. 

9.  La  Reine.  —  La  folle  Nourisse. 

10.  Jessé.  —  Histoire  d'Anthenor,  roi  d'Arabie. 

11.  La  Reine.  —  Histoire  du  mal  genre  m^sart, 

12.  Lentullus.  —  Cardamum  le  sénéchal. 

13.  La  Reine.  —  Histoire  de  Uakesin. 

14.  marques.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

15.  Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 


XVII. 

N°245.  (B.  L.F.). 

Un  volume  petit  in-f°  sur  papier  ,  relié  en  veau. 
—  xve  siècle. 

Il  contient  : 

1°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  1'°  1  r°. 

2°  Le  Débat  et  Contestation  de  l'Amoureux  et  de  la  Mort, 
f°  57  r°. 

3°  Le  Roman  de  Pierre  de  Provence  et  de  la  belle  Mague- 
lone,  f°  60  r°. 

4°  Expose''  des  Droits  royaux  ,  tiré  des  différentes  ordon- 
nances, f°  109  v  . 


DES    M\Nl  SCKl  1S.  WW1J 

5°  La  Connoissance  de  quel  garde  de  cliasteaux  et  villes 
appartient  à  l'office  deconnestafile,  f  125  v  . 

6°  C'est  l'ordonnance  de  la  question  du  Cliàtel  de  Paris, 
f    118  v'  et  dernier. 

Au  1"  10!)  r°,  à  la  lin  de  Pierre  de  Provence  et  de  la  belle  Jla- 
guclonue,  on  lit  :  Explicit  le  Roman  de  Pierre, jîls  du  comte  de 
Provence,  et  de  Maguelone,  fille  du  roy  Magulois,  rotj  de  Naplcs. 
—  Deo  gracias.  Par  la  main  de  Jehan  du  Maconnay,  chausse- 
tier,  demeurant  à  V...,  le  seeons  de  novembre  MCCCCLXXI. 

Le  texte  du  Romandes  sept  Sages  contenu  dans  ce  manuscrit 
est  la  copie  d'une  version  plus  ancienne;  on  y  trouve  les  mêmes 
histoires,  à  l'exception  d'une  seule,  que  celles  qui  sont  dans  le 
in.iniiM'rit  que  nous  avons  publié.  Voici  l'ordre  dans  lequel  ces 
histoires  sont  placées  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pina 

-1.  Bazille.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

8.  La  Reine.  —  Le  Paire  et  le  Sanglier. 

't.  Anxilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

6.  Lentulus.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  de  son  sénéchal. 

s  Malmidas  li  Tors.  —  Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme 

'.I.  I.a  Heine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

Kl.  tVifon.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 

1 1.  i.a  Reine.       Le  Roi  el  les  sepl  Sages 

13,  Jtué.       La  Marâtre,  -on  Beau-Fils,  ei  les  deux  Cousins 


vvvVIIJ  DESCRIPTION 

XVIII. 

N°  246.  (B.  L.  F.  ). 

Un  volume  in-4°,  vélin,  relié  en  veau,  à  deux 
colonnes.  — •  xme  siècle. 

Il  contient  : 

1°  Le  Roman  des  sept  Sages  de  Rome,  f°  1  r°. 

2J  Le  Roman  de  Marques,  sénéchal  de  Rome,  f°  33  r". 

Cette  version  du  Roman  des  sept  Sages  est  une  des  plus  an- 
ciennes qne  j'ai  vues;  malheureusement  elle  n'est  pas  complète, 
c'est-à-dire  plusieurs  contes  manquent.  Voici  dans  quel  ordre 
sont  placés  ceux  qui  s'y  trouvent  : 

1.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

2.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpenl. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  et  le  Sanglier. 

4.  Auxilles.  —  Hippocrate  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésor. 

(>.  Lenlulus.  —  La  Femme  enfermée  dans  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  la  Femme  du  sénéchal. 

8.  Mauquidas.  —  Le  vieux  Chevalier  et  la  jeune  Femme 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

in.   Martins.  —  Le  Chevalier  à  la  Trappe. 

1 1 .  Le  Fils  de  l'Empereur.  —  La  Prédiction  accomplie. 


DES  M\>l  S»  KITS.  XXXIX 


XIX. 


.Y '2 17.  (B.  L.  1\). 

Un  volume  in-f°  sur  vélin  ,  relié  en  parchemin  , 
êi ■:  il  sur  deux  colonnes;  miniatures. —  xive  siècle. 

Il  conlient  : 

1°  Le  Roman  de  Marke,  fils  deCaton  et  sénéchal  de  Kome, 

P  1  r°. 
2°  Le  Roman  de  Laurin ,  le  fils  de  Markes  le  sénéchal, 

f  56  r°. 
3°  Histoire  de  Jules  César,  d'après  Lucain ,  avec  ce  titre  : 

Chi  commence  li  htoire  de  Julhis  César,  que  Jehans  de 

Tuym  mist  enromans,  f°  205  r°. 

Ce  volume  contient  les  suites  du  Roman  des  sept  Sages  dont 
j'ai  parlé  plus  haut,  page  x. 

XX. 

N°283.  (B.  L.  R). 

1  n  volume  in-r\  vélin,   relié  en  veau;  minia- 
tures; quatre  colonnes.  —  xnr  siècle. 

Ce  volume  est  imparfait:  une  grande  partie  des  miniatures  i 
été  coupée.  H  contient  365  feuillets,  --.nis  v  comprendre  quatn 


Xl  INSCRIPTION 

feuillets  préliminaires  sur  lesquels  on  trouve  un  calendrier  avec  une 
indication  des  meilleurs  remèdes  à  prendre, chaque  mois  de  l'année. 
On  peut  iixer  la  date  du  volume  avec  ce  calendrier;  il  devait 
servir  pour  cent  ans  ,  et  au  f°  2,  v°,  on  voit  qu'il  était  calculé 
depuis  l'année  MCCLXYIII  jusqu'en  MCCCLXVI1I.  Ce  ma- 
nuscrit était  donc  terminé  en  1268,  puisqu'au  verso  du  qua- 
trième de  ces  folios  préliminaires,  on  trouve  la  table  des  matières 
contenues  dans  ce  volume,  avec  l'indication  des  feuillets.  Ces 
feuillets  sont  numérotés  au  verso.  Voici  la  table  des  matières  : 

Chi  poet  lire  qui  set,  et  oïr  comment  les  estoires  del  libre  gisent  en 
ordre,  li  uns  après  lesaltres.  Li  premiers  ou  H  livres  commenche,  chou  est 
des  oevres  Dieu  et  de  ses  jornées,  comment  il  fist  les  coses  et  totes  créa- 
tures qui  sont  en  ciel  et  en  terre.  Si  poet-on  oïr  comment  il  cria  ses. 
angles. 

1.  f°    .ij.  Apres  vient  l'estoire  d'Àdan. 

.vj.  Apres  vient  l'estoire  de  Noe  et  de  l'arche.. 

.viij.  Après  vient  l'estoire  d'Abraham. 

.x.  Après  orés  l'estoire  d'Isaac. 

.xij.  Après  vient  l'estoire  Jacob. 

.xiiij.  Après  vient  l'estoire  Joseph. 

.xxij.  Après  vient  l'estoire  de  Moyses. 

.xxxv.  Après  vient  de  David  et  de  Salomon. 

.xxxix.  Après  '  ient  de  Joachim  et  d'Anna. 

.xlj.  De  Nostre-Dame  et  de  son  (il. 

.1.  De  la  Traïson  Judas. 

.lvi.  Li  Regret  de  Nostre-Dame  et  de  le  croit 

.lix.  De  la  Chançon  David  (en  vers). 
■2.        lxij.  Delà  Magdalaine  (prose). 
3.       .lxiij.  La  Passion  saint  Jehan  ewangclisle. 
I.        lxvi.  La  Passion  saint  Jake. 

Uviij.  Le  l'as-ion  saint  Jehan  Baptiste 


DES     MAMSCKIIS. 

6.  .Ixix.  Le  Passion  saint  Pierre  (prose;. 

7.  .Ixx.  Le  Passion  saint  Paul. 

8.  .Ixxj.  Le  Passion  saint  Andrieu. 
!).  .Ixxiiij.  Le  Vie  de  saint  Nicolaï. 

11).  .Ixxviij.  Le  Vie  de  saint  Jehan  bouce  d'or. 

|1.  .lxxx.  De  Vespasianus  l'empereur. 

12.  .Ixxxviij.  De  saint  Julien. 

l~>.  c.  De  saint  Brandan. 

14.  .cv.  De  saint  Grégoire. 

15.  .exiij.  De  Moyses  le  Mordriseur. 
1(>.  .cxiiij.  De  sainte  Taysis. 

17.  .cxviij.  De  Marie  d'Lgipte. 

19.  .cxxv.  De  sainte  Kateiine. 

'20.  .cxxix.  De  sainte  Margherite. 

SI.  .cxxxi.  De  Tumbéor  Noslre-Dame. 

22.  .cxxiiij.  De  Jonas  et  de  la  Balaine. 

23.  .cxxxv.  De  l'Abeesse  que  Diable  engroissa. 

24.  .cxxxvj.  Del  Clerc  qui  mût  por  plege  le  Crucelis. 

25.  .cxxxvij.  De  le  Empereis  qui  garist  les  lieprous. 

26.  .cil.  De  saint  Ypolite. 

27.  .cxli.  Del  Diable  qui  se  fist  clerc  et  devin. 

28.  .cxliiij.  Del  unicorne. 

*2!>.  .cxlv.  Del  Disputison  de  l'aine  et  de  cor*. 

80.  .cxlviij.  De  Lucidairc. 

51.  .dix.  Del  Jor  del  Jugement. 

38,  .rlxi.  La  Table  de  le  mapemonde. 

35.  .rlxiiij.   L'Image  du  monde  el  le  mapemonde. 
34.         clxxxiiij.  Le  Nature  d'eslans. 

36.  .dxxxv.  De  philosophe  et  de  moralité. 
36.  .cciij.   I.e  Bestiaire. 

B7.  .ccxvij.    I.e  Lapidaire. 
33  ciwij.    De  Juda-  Ma.lialteiiv 

i'.t  i  r|\t\  ,|      ||,  .     m,     s(,.is  i.i    Rovi 


Xlj 


Xlij  1)KSCRIPTI0> 

40.  .cclxxxvïj.  De  Charlon  sans  rime. 

41.  .cciciiij.  De  l'Ordre  de  cevalerie. 

42.  .ccxcvj.  Del  Honor  as  dames. 

43.  .ccxcix.  Del  Honor  des  princes  de  terre. 

44.  .cci.  Del  Cronikes  de  France. 

45.  .cccxix.  De  la  Déesse  d'Amor. 

46.  .cccxxij.  De  Cristal  et  de  Clarie. 

47.  .cccxlvj.  De  Melion. 

48.  .cccxlviij.  De  Lay  del  trot. 

49.  .cccxlix.  De  Aristote. 

50.  .ceci.  De  Cante  pleure. 

51.  .cccli.  De  Doctrinal. 

52.  .ccclij.  Les  Dis  de  drois. 

53.  .ccliij.  De  Surgie. 

54.  .ccclsv.  De  sire  Rambier. 
.lvij.  De  la  mort  Nostre-Dame. 
.cxxij.  De  sainte  Juliane. 

Au  bas  du  même  feuillets,  on  lit  : 

CHI     SONT    ESCR1T     LES  FIGURES    QUARTES    IL    V     A     d'oR     ET    DE   COI.OR.    DES 
FIGURES  d'oR  I  A  IL    LX. 

Et  DES  FIGURES  DE  COLOR   I    A    IL   .iUj.    XX   ET  xiiîj. 

Chi  livres  fu  fais  et  escript  Van  mil  .ccxlv.  (1245)  aussi  qu'il  est 
escrii  au  feuillet,  cxxiii  .ij.  (182)  à  .i.  cel.  n. 

Cette  note  écrite  ;iu  riv'  siècle  est  inexacte  et  les  vers  aux- 
quels elle  se  rapporte,  font  seulement  connaître  la  date  de  la  com- 
position de  Y  Image  du  Monde,  qu'on  trouve  dans  ce  recueil. 
Voici  ces  vers  qui  sont  à  la  colonne  lrt  du  f"  182,  v<>. 

Quant  premerainement  fu  fais 
<il  livres,  à  l'aparission 


i»ks   mwi  BCHI  i  -  ^liij 


i  h  i  an  del  Incarnation 

Mil  et  CC  et  .\lv.  ans  (1245.  | 

Ces  vers  n'en  sont  [tas  moins  curieux;  ils  lixent,  suivant  nou>, 
la  date  de  l'un  des  plus  curieux  de  nos  vieux  poèmes  français. 

Cette  version  du  Roman  des  sept  Sages  est  l'un  des  plus  an- 
ciens textes.  Elle  contient  le  même  nombre  d'histoires  que  celle 
du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  du  Hoi  n°  7974. 

Voici  l'ordre  datas  lequel  elles  sont  placées  : 

I.  La  Reine.  —  Les  deux  Pins. 

'1.  Baucillas.  —  Le  Chevalier  et  le  Serpent. 

3.  La  Reine.  —  Le  Pâtre  elle  Sanglier. 

4.  Anxilles.  —  Hippocrale  et  son  Neveu. 

5.  La  Reine.  —  La  Tour  du  Trésoi 

<;.  f.cntuiiis.  —  i.a  Daim  enfermée  dm  une  tour. 

7.  La  Reine.  —  Le  Uni  et  la  Femme  du  sénéchal. 

s.  Mult/uidurs  li  lors.        Le  vieux  Chevalier  et  sa  jeune  Femme. 

9.  La  Reine.  —  La  Magie  de  Virgile. 

ni.  raton.  —  Le  Bourgeois  et  sa  Pie. 

I I.  La  Reine.  —  Le  Roi  et  les  sept  Sages. 
\-2.  .h:\sr.        Lj  Matrone. 

i  i     Muras.  —  Le  Chevalier  a  la  Trappe. 

Le  Fils  de  l' Lmpereur.        Le  Prédiction  accomplie. 


Ces  nombreux  manuscrits  du  Roman  <l<'^  sep( 
Sages  que  j'ai  pu  i<»us  examiner,  oe  sonl  pas  les 
seuls  dans  lesquels  se  trouve  cette  vieille  histoire: 


\liv 


DESCRIPTION 


les  différentes  bibliothèques  de  France  et  des  au- 
tres pays  de  l'Europe  en  fourniraient  encore  plu- 
sieurs versions,  et  je  terminerai  ma  notice  par 
quelques  indications  bibliographiques  qui  com- 
pléteront mes  recherches  à  ce  sujet. 

Dans  l'ouvrage  d'Hœnel  (Librorum  manuscrip- 
torum  qui  in  Bibliothecis  Gattiœ,  Helvetiœ,  Belgii , 
Britanniœ  M.,  Hispaniœ ,  Lusitaniœ  asservantur. 
Lipsiœ,  183o,  in-4°),  je  trouve  les  notes  suivantes  : 

Colone  244.  Bibliothèque  de  Montpellier,  n°  H.  436.  Roman  des  sept 
Sages  ;  sœc.  xiv.  membr.  8.  (Ex.  Lib.  Orat.  Coll.  Treco  Pithoeani.) 

Co!.  892.  Bibliothèque  de  Middle  Hill ,  en  Angleterre.  Roman  de  Man- 
de Rome.  2.  Exempl. 

L'éditeur  du  Dit  de  Droit,  pièce  en  vers  français  du  xhk  siècle  (Char- 
tres, mai  1834,  in-8°  de  16  pages),  a  donné  la  description  du  manuscrit 
de  la  bibliothèque  de  Chartres  qui  renferme  l'ouvrage  qu'il  publiait  ;  il  a 
dit  à  ce  sujet  : 

Ce  manuscrit  forme  un  volume,  petit  in-4,j,  de  142  feuillets,  qu'une 
main  récente  a  cotés,  sans  doute  pour  garantir  ce  curieux  recueil  de  nou- 
velles mutilations  semblables  à  celles  qu'il  parait  avoir  éprouvées  prédé- 
demment.  Ce  manuscrit,  sur  parchemin,  appartenait  autrefois  à  la  Biblio- 
thèque du  chapitre  de  l'Eglise  de  Chartres,  ainsi  que  l'attestent  et  l'ins- 
cription que  porte  la  première  page  où  se  lisent  ces  mots  :  Ex  Biblw- 
thcca  capituli  canonici  ,  et  la  reliure  en  parchemin  du  volume  sur  les 
plats  duquel  se  trouve  l'empreinte  de  la  Sainte  Chemise.  Transporté  au- 
jourd  bui  dans  la  bibliothèque  publique  de  la  ville,  il  est  coté  !»!•  '. 
il  parait  avoir  été  écrit  dans  la  seconde  moitié  du  kiii'  siècle. 

Ce  reeueil  contient  les  ouvrages  sùivans  : 

i  Fragment  d'un  ouvrage  en  prose  sur  les  vertus,  is  feuillets,  à  deux 
mlonnes,  de  :>'r|  li.'ne-;i  \g  jui^e. 


DES    MANUSCI'.I  I  s.  v|\ 


'2°  Fragment  du  Roman  des  SBPT  Sages  dk  Home,   en  pBOSI    8  fn  II 

1  ETS,    A    DEUX   COL. 

r»    Fragment  du  Roman  de  Dolopathos,  en  vers,  18  feuillets. 

Ces  deux  fragmens  ont  subi  de  nombreuses  mutilations,  plusieurs 
feuillets  sont  déchirés  par  la  moitié  ;  quelques  autres  ont  été  entièrement 
.irradiés. 

4°  Fragment  de  la  Vie  de  sainte  Marguerite,  en  vers,  4  feuillets  de  3r» 
vers  chacun.  Le  premier  feuillet  manque. 

5»  Ci  comence  le  Ilomcnz  de  Sapience  (c'est  la  Bible  abrégée  et  mise 
en  vers  par  Ilerman). 

<><>  La  Prière  Nostre  Dame,  en  vers,  4  feuillets. 

"o  Le  Dit  de  Droit. 

8°  Fragment  d'un  feuillet  appartenant  a  une  pièce  qui  a  été  arracher 
presque  totalement  du  manuscrit  et  qui  se  termine  par  ces  mots  :  Fxpli- 
cit  de  la  Vielle  Amberée. 

9"  Fables  en  vers.  (Ces  fables.au  nombre  de  38,  sont  curieuses  et  gé- 
néralement bien  versifiées  ;  elles  me  paraissent  antérieures  à  celles  que 
M.  Robert  a  publiées.  Files  ont  été  imprimées,  a  un  petit  nombre  d'exem- 
plaire, pas  l'éditeur  du  Dit  de  Droit.  Chartres,  1834,  in-8°. 

Dans  le  catalogue  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Berne  (Cata- 
logus  Codicum  Mss.  Bibliothecœ  Bernensis,  etc.,  etc.,  curante  J.-R.  Sin- 
rbb.  Berna,  1772,  i'»-N,  3  vol.),  je  trouve  les  indications  suivantes: 

T.  III.  Dcscript.  du  manuscrit  n"  864,  ln-4»,  p.  384.  9 ■  Ll  Rovar 
des  sept  Sages,  prosa. 

T.  III.  Description  du  manuscrit  n"  888,  in-i  .  p.  889.  3.  Ll  Rova> 
dis  sept  Sages,  en  prose. 


ROMAN  DES  SEPT  SAGES. 


UOMAN 


SEPT    SAGES. 


CI  COMMANCE  Ll  LIVRES  DES  .VU.  SAGES  DE  HOME  ET 
DE  l'eMPERERIZ  QUI  PAU  SON  BARAT  VOLT  FE1RE 
DESTRUIR1     LE  FILLZ    L*EMPERBBUD    BON     FILLABTRE. 


Il  ot  jadis  .i.  emperere  à  Rome  qui  ot  non  Diocliciens. 
Il  ot  eu  fa  m  m  p.  D'ieellp  femme  li  In  remès  i.  hoir.  Li  em- 
pereres  fu  vieuz  etli  enfez  ont  bien  .vij.  ans.  Liempereres 
apela  les  vij  Bages,  chaucua  par  non  :  Seingnetirs,  dist-il, 
dites-moi  aa  quel  <!<•  vus  ge  baillerai  mon  611,  por  apren- 
dre1  el  endoctriner  et  enseignier.  li  ainrnezel  li  plus 

ii  j     i  ■  m  .  /  (m  '-m    Saget  de  Rom<  parères 

a  ■mini!- .   devant  toi     /j<>i  demander  au  i/«cl  11   boitera  son  fil:  /*■/ 

Ifliirti  lltfï 

l  ■ 


2  ROMAN 

riches  et  li  mieuz  emparante?,  parla  premier  ;  et  fu  chanuz 
et  aiisint  blanc  comme  noif.  .i.  lonc  ,  .i.  grelles,  et  ot  non 
mesures  Baucillas.  11  se  torna  vers  l'emperéeur  et  parla  : 
Sire,  dist-il,  vos  le  me  bailleroiz,  ot  ge  li  feré  savoir  tout 
ce  que  ge  sai  et  tout  ce  que  mi  compaingnon  sevent ,  en 
•vij.  anz.  Après  se  leva  li  seconz  :  il  ne  lu  mie  ne  trop 
grant,  ne  troppetiz;  il  fu  de  gentill  forme  et  de  belle  taille, 
et  fu  entremeslez  de  chavés  ',  si  que  pins  i  avoit  de  blans 
cheveus  que  de  noirs;  et  ot  non  Anxilles.  Cil  dist  à  l'em- 
peréeur :  Sire,  à  moi  le  bailleroiz  et  ge  li  feré  savoir  tout  ce 
que  ge  sai  et  tout  ce  que  mi  compaingnon  sevent,  en  .vij. 
anz.  Après  se  leva  li  tierz  :  et  fu  megres  et  petiz  et  blonz  .  a 
uns  cheveus  crespes,  et  otnon  Lantulles.  Cil  dist  à  l'empe- 
réeur: Sire,  quanque  ge  sai  et  quanquc  mi  compaignon  se- 
vent, li  feré  ge  savoir  dedenz  .v.  anz,  si  le  me  bailliez.  Li 
quarz  si  s'est  levez  em  piez  ;  et  ot  non  Malquidras  li  tors 2.  et 
fu  uns  parlieres,  uns  gabieres  ,  et  volentiers  escharnissoit 
genz.  Cil  dist  à  l'emperéeur  :  Sire,  à  moi  le  bailleroiz,  ge 
ne  puis  pas  dire  que  ge  liface  savoir  la  science  à  mes  com- 
paingnons,  mes  quanque  ge  sai  ge  li  feré  savoir  en  .iiij. 
ans.  Après  se  leva  li  quinz  et  ot  non  Chatons  de  Rome  ; 
de  belle  aaige  estoit  et  fu  entremeslez  d<-  chavés3.  Cil  apela 
l'empereur  et  dist  :  Sire,  à  moi  le  bailleroiz,  se  ilvosplest. 
Ge  ne  di  mie  que  geli  face  savoir  tout  ce  que  mi  compain- 

■  Vahhmi  il  In  entremêliez  de  chiennes.  Bique  le  blanc  passoit  le  noir. 
MS.  da  Roy  7974. 
=  \it\.  Malcuidarz  li  mus.  (Id.) 
.  Vah.  Et  fu  entremêliez  de  chiennes  que  li  noirpassoiert  le  blanc.  (Id.) 


DES  shl'  I    SAGES.  3 

gnon  sevent,  quar  je  ne  conois  p  as  80jq  sens,  ae  sa  ma- 
nière, ne  sa  contenance;  mes  quanqne  ge  sai  ge  li  t<n 
savoir  et  aprendre  volantiers,  au  plus  tost  que  il  porra  i«- 
tenir.  Apres  se  leva  li  sistes  et  cil  ot  non  Jessé  :  Sire,  disl- 
il  à  l'emperéeur,  entendez  ça.  et  cil  ont  les  cheveus  plus 
jaunes  que  cire  merrie,  etrecercelez  par  derrières,  et  oui 
les  ieulz  plus  vers  que  .i.  faucon  muez,  ci  le  nez  bien  droit 
et  Itien  assis,  et  lu  gros  par  les  espaules1,  et  u'ot  ne  barbe, 
ueguernon.  Cildist  à  l'emperéeur  "-  :  Vos  me  bailieroiz  vos- 
ire  fïuz  à  aprendre  et  à  doctriner  et  ge  m'en  entremesfré 
tant  que  vos  m'en  loeroiz,  jusques  au  cliief  de  trois  ans. 
Adonc  se  leva  le  setiesme  et  out  non  Merons  \  Cil  dist  à 
l'emperéeur  :  Sire,  ge  vosrequierque  vos  me  merisicz  mon 
«se,  que  ^c  ai  mis  en  vos,  tote  ma  vie.  Mailliez  moi 
VOSJtre  lilz  à  aprendre  et  a  doctriner ,  et  ge  nus  <|iiii  tout 
mon  servis*  «(  si  If  ni'atiroiz  mont  Itien  nieri. 

Là  empereres  respont  *  a  loz  nuiil  humblement:  Sein- 
gneurs,  vostre  menas  de  «•<•  que  mqs  me  requêtes  de  mou 
pieu,  je  ne  départirai  pascestecompaingnie.  Il  prend  son  til 
parla  main  et  dist  :  Te  le  baille  a  vos  loz.  Il  IVnelimni  ei 
chaucun  endroil  soi,  l'en  rendirent  .v.  e.  mercis;  Li  sage 
emmenèrent  L'enfant  en  consistoire  ovesques  mis  Cest  .i. 
lieu  i  h  l'en  lient  lesestroiz  conseuz  de  Home.  Si  prennent 

\  \i.     M    .irllcs  pai    les  i     gtét     i  M 
/  I  US  porte  I  I -m  l>i irrr. 

I    "i  non  Natino.  (Id.  i 
,  ii  endroit  prenl  li  empirera  ion  /.'  par  in  main 
mj.  tagetpor  aprendre  si  pour  doct\  têingmit 


4  UOMAN 

conseuz  entre  eus  que  il  ne  le  leroient  mie  à  Rome  que  H 
n'oïst  par  aventure,  aucune  vilene  parole,  ou  de  borjois,  on 
de  chevalier,  ou  il  entendist,  ou  de  garçon  ou  do  vilein.  ' 
Li  .vij.  sage  esgarderent  .i.  vergier  hors  de  Rome,  à  une 
liue  près  de  Rome  ;  et  tenoient  ce  vergier  une  liue ,  en  toz 
senz. 

Ce  vergier  2  estoit  planiez  de  toz  les  bons  arbres  et  de 
totesles  bonnes  fonte'mes  qu'en  séusl  deviser.  El  milieu  de 
ce  vergier,  si  esgarderent  .i.  biau  lieu  et  convenable.  Si  ifont 
1ère  une  grant  meson  qarrée  et  planèéive  et  fort  et  merveil- 
leuse et  convenable  ;  et  chambres  derreres  et  loges  devant. 
Et  quant  la  meson  fut  tête  et  aparsomée  3,  li  sept  sage  en 
.iiij.  parties  de  la  meson  firent  peindre  les  .vij.  arz  4. 

Il  firent  1ère  le  lit  au  vallet  à  .i.  des  corgnons  de  la 
meson,  si  que  il  pooit  veoir  les  .vij.  arz  5.  Li  sage  com- 
mencièrent  à  aprendre  l'enfant  et  à  doctriner  ;  et  quant  li 
.i.  le  laissoit,  li  autres  le  prenoit,  et  enseingnoit  du  mien/. 
que  il  pooit,  ne  ne  savoit.  Einsint  le  lindrent  .iij.  ans6  et 

i  \  in.  Car  il  i  porroilbien  aucune  mauvaise  parole  île  borjoise,  ou  de 
rliamhcricre,  ou  de  mauves  garçon  aprendre.  (Id.) 

»  Ci  endroit  est  le  jardin  ou  h  .\ij.  Sage  ont  amené  l'enfant  put 
aprendre  seu,  et  pour  lui  bien  endoctriner  <ï  leur  pooir. 

3  Vab.  El  par  sourie.  (Id.) 

4  Imitation  du  Syntipas.  A  oyez  la  première  partie  de  ce  volume . 
page  94. 

sVaf'..  Premièrement  astronomie,  après  nigromanee,  musique,  anime- 
tique,  reclorique,  dialectique  el  gramaire.  IL  tirent  Gens  le  lit  au  vallet 
en  .i.  des  anglez  de  la  sale.  (Id.; 

li  N  u;.  .\ij.  anz.  (Id.) 


m;s   M. M    SAGES.  5 

tant  que  il  se  soûl  bien  connoîstre  es  .vij.  arz.  En  après 
ces  .iij.  anz,  le  tindrent  il  mont  grand  terme  et  tant  que  il 
desputoit  jà  à  eus  ton/,  de  toute  clergie.  A  tant  parlèrent 
entr'eus  ensamble  et  l'essaièrent  en  tel  manière.  Il/,  pris- 
trent  douze  fueilles  d'ierre'  ,  si  en  mistrcnt  souz  chascun 
quepolde  son  lit  .iiij.  et  quant  li  liz  fu  fez,  le  valès  se  cou- 
cha et  ne  se  prist  garde  de  ce  ;  et  quant  ce  vint  au  matin, 
que  il  lu  esveillez  ,  si  garda  à  mont  et  à  val,  et  à  destre  et 
i  senestre.  Li  sage  se  merveillièrentde  ce  que  il  le  virent 
si  esbahi;  si  li  demandèrent  que  il  avoit  ne  oï,  ne  véu  \ 
El  il  respondi  :  Certes,  seigneurs,  ge  le  vos  dirai  :  ou  la 
couverture  de  ceste  maison  est  abessiee,  ou  terre  est  sur- 
montée ,  ou  mon  lit  est  hauciez.  Li  sage  regardèrent  li  anz 
l'autre,  ei  dirent  mit  ensamble  que  sages  estoit. 

Ne  demora  pus  longuemeut  que  li  baron  ei  li  bauthome 
de  Home  vindrent  à  l'emperéeur  et  li  disrent  :  Sire  ,  nos 
nos  merveillons  muitque  vos  ne  vos  mariez;  que  vos  avez 
assez  grant  terre  et  grant  lennemcnt  de  coi  .iij.  enfans 
ou  -iiij.,  se  vos  les  aviez,  seroient  riche  home.  Prenez 
l'aine. 

Li  empereres  lu  vieuz  et  pensa  à  ce  qu'il  n'avoit  c'un 
hoir;  et  après  sa  pensée,  respondi:  Je  la  prendroietoien- 
liers,  se  ele  esioii  quise  ei  vos  vos  en  voliez  entremestre; 
que  ausi  n'ege  que  .i.  hoir. 

i  \ un.  .w].  (Vieilles  d'ierre,  -i  en  mirent  deeoui  i  bascon  peooul  de  ion 
lit  .iiij.    Id. 

■  v» h.  si  L'apelèrenl  el  li  demandèrenl  qu'il  avoit ol,  neveo,  ne  >enin 
ei  qu  ii  tau  detsl  i  Id.  i 


0  R0>1  *  N 

Li  baron  '  la  quistrent  eila  li  amenèrent.  Li  empereres  h* 
vil  belle  etgente.  Si  li  fist  l'en  entendant2  qu'elle  estoit  de 
hante  gent.  Li  parant  à  la  damoiselle  li  donerent  et  li  empe- 
reres la  prist  volentiers,  ans  us  et  au  coustumes  du  pais  et 
de  la  terre.  Li  empereres  l'ama  mult  et  elle  lui.  Il  avint 
.i.  jor  que  l'empereres  et  l'empereriz  furent  à  .ii.  seul  à 
seul,  en  .i.  chanbre.  L'en  avoit  bien  dist  à  l'empereriz  que 
li  empereres  avoit  .i.'fill,  et  que  se  il  estoit  morz  ,  li  hoir 
qui  istroient  de  lui  seroient  hoir  de  l'empire  de  Rome3. 
Sire,  dist  l'empereriz  à  l'emperéeur,  se  vos  avés  .i.  fill,  ausi 
est-il  miens  comme  vostre  ;  par  aventure,  n'en  aron  nos 
jamès  pins.  Sera  il  toziors  en  mu(c)e?  Il  a  jà  .vij.  ans  que 
vos  me  préistez,  ne  onques  ne  le  vi;  je  le  véisse  mult  vo- 
lentiers. Sire,  par  la  foi  que  vos  me  devez ,  envoyez  le 
quarrc  >  —  Dame  ,  dist  l'empereres  ,  je  l'envoieré  demein 
quarre. — Sire,  fet-ele,  votre  mercis,  quar  g'é  moût  grant 
désir  de  lui  veoir. 

Li  empereres^  apella  .ii.  messages  :  Alez,  montez  et  si 
me  saluez  les   vij.  sn^es,  et  si  leur  dites  que  je  leur  maug 


ni  h  baron  de  /.'"/;<<  p-reenr  une  t/amoi- 

tele  qu  il  li  eut  qui$e  pur  rspouser. 
\  w\.  El  il  li  lireni  entendre  i  M.  i 

3  V*n.  En  ecle  chambre  où  il  estoient  misl  l'empereriz  l'emperéeur  a 
i  e  on    (Id.) 

4  Vah.  V«ni-  avez  i omi  <p>(  empiré  tout  rostre  aage;  onr-ques  n'eusles 
i  .mi  mestres,  ne  tant  entroduteurs  comme  vour avez  ore.  (Id;) 

perêrêt   ij.  m«$êajei  devant  lui,  pour  envoie) 

■    sun  fill. 


DES  SKI»  I    6  ACE  S.  7 

que  il  s'en  viengnenl  etque  il  m'ameinent  mon  lill.  Quar 
je  veil  savoir  et  esprover  combien  il  soi ,  de  tant  de 
lerme  oome  ils  l'ont  tenu  à  escole.  Li  message  s'en  retor* 
aèrent  et  s'en  vont  là  où  il  quidèrenl  trover  les  .vij.  sag 
11  descendirent  au  pié  de  la  sale.  Li  sage  lef  reçurent  a 
grafit  joie  :  Li  emperere(s)  vos  mande  saluz;  et  si  voz 
mande  que  vos  veingniez  à  cort,  à  tout  son  fill  ;  quar  il 
vueut  savoir  que  il  set,  de  tant  de  tens  comme  vos  l'avez 
tenu  à  escole.  Etil  respon(d)ent:  Volentiers.  Lijors  passa, 
la  nuiz  vint.  Quant  li  sage  ore^nt)  soupe,  la  lune  luisoit clerc 
et  belle. 

Li  .vij.  sage  '  et  le  fds  l'emperéeur  descendirent  de  la 
sale  contreval,  elvergier.  Li  .vij.  sage  esgardèrenl  contre - 
val  en  la  lune  et  esloiles,  et  cliacuns  garda  bien  parlitenienl 

en  la  lune  et  estoâlles ,  et  virent  les  eoMteUatioas  et  les 
muaiiees  du  cor/..  Et  quant  il  orent  regardé  longuement,  si 
parla  mesures  Chatons  el  dit  à  ses  eampaigaons :  Li  empe- 

reres  nos  mande  et  son  lilz  ausi  ;  se  nos  i  nions  ,  el  nos  li 
menons,  a  la  première  parole  que  il  dira  il  mora.ei  nos  ausi 

serommes  destruil  ;  ice  voie  bien  ,  ce  dist  Chatons,  en  U 
lune.  Li  autre  sage  i  gardèrent  ausi,  et  virent  que  voirs  es* 
toiL  li  li  «allez  esgarda  en  une  claire  estoille  qui,tembloîi 
estre  à  .ij.  toisses  pies  de  la  lune.  Il  apella  ses  mestres  et 
leur  tlist  :  Véez  vos  ce  que  je  \«>i  en  celle  estoile  clere?  Il 
resjpondirenl  :  Qu'i  véez- vos?  Je  voi .  fet-il,que  se  je  me 
puis  tenir  de  parler  \ij.  jorst  que  je  Beralgarii  de  mort  et 

<     endroit  ritni  i,   \i|.  taje  et  le  fil  Ventpereew  el  jar,iiti  |»nn 
aprendre   et  /»"  garder  en  la  lune  et  ettoMet 


8  ROMAN 

vos  ausi.  Li  sage  escoutèrentce  que  li  valiez  ot  dit,  et  gar- 
dèrent en  l'estoile,  et  virent  que  voirs  estoit  :  Par  foi,  il  dist 
voir,  fel  misires  Baucillas  ;  or  nos  convient  conseil  prendre 
entre  noz. —  Par  foi,  dist  li  valiez,  je  vos  conseillère  en  bonne 
foi  :  vos  véez  bien  que  se  je  ne  vueil  morir,  que  il  me  con- 
vient tenir  . v i j -  jorz  de  parler.  Et  vos  estez  .vij.  Poi  s'aura 
cliascuns  de  vos  de  sens  et  de  mémoire  en  li,  se  il  ne  me 
puel  passer  .i.  jor  par  parole  et  guérir  de  mort,  moi  et  lui. 
Certes,  dist  Baucillas,  je  passerai  moult  bien  le  mien.  —  Et 
je  le  mien,  fist  eliaucuns.  Einsint  le  certifièrent,  et  li  valiez 
leur  dist  :Or  confient  que  cliaucunsviegne  à  son  jor,  à  Rome, 
car  autrement  ne  porroie  je  eslre  garantiz  de  mort,  ne  vos 
ausi  ;  vos  seroiz  à  une  liuc  ',  ci  près.  Seigneur,  vos  savez  bien 
que  je  arai  grant  anui,  poi  Dieu  !  or  pensez  de  moi  ;  je  me 
met  en  vostre  menaie.  »  A  tant  sont  parti  li  .vij.  sage  elde- 
sevré;  et  reviennent  en  la  sale,  et  firent  bêle  chière  aus  mes- 
sages. Mais  seur  toz  les  autres,  estoit  li  valiez  pensiz 2  tant 
que  ce  vint  au  matin  que  li  jors  fu  biaus  et  clers,  le  vallès 
se  leva  ;  ses  palleiroiz  fu  alornez  et  le  palefroi  son  mestre. 
Cil  mestre  estoit  cil  qui  leur  avoit  Ici  venir  ce  que  mestier 
leur  fu,  tant  corne  il  oient  sejorné  iluec. 
Li  empereres  joinne 3  s'en  va  ei  s'en  part,  malt  dure- 


^  ai..  Or  conviendra  que  chascuns  viegne  ;i  son  jour,  qnani  aulremenl 

ne  |»irroit  o-tipet  vous  seroiz  à  une  vile  CÎ  près,  au  bore  Saint  Marlin.  (Ici.  ; 

Va*.  Et  pensa  toute  nuit  et  tout  le  jour.  (Id.y 

i  Ci  m'. nui ,  se  départit  valiez  le  fill  l'emgeréeui  des  .vij.  sagesses 

meUre$}  mull  grant  duel  se  sont,  ri  vient  «  «  ,,  /;, ,,     emperéeur  </w« 

;  m  mi  mandé  pat  le  conseil  de  ■>"  famé  qui  ir  vouloit  vcoir. 


DLs  MPI    SAGES.  0 

ment  ploranl,  de  sesmestre,  et  s'en  vînt  ;i  Home  mult  plo- 
ranl et  durement  pensis.  Li  .vij.  sage  remeinslrent  el  bois 
seinl  Martin.  Li  empereres  oï  dire  que  son  lill  venoîl  ,  el 
si  monte  et  fet  monter  une  partie  de  ses  genz  <'t  vet  encon- 
tre son  fill. 

Li  empereres  '  ala  encontre  son  fil;  si  le  salue  et  le 
prent  par  le  menton  et  le  liesse  et  acole.  El  cil  l'encline 
et  les  autres  barons  ensement  :  il  vienent  au  pié  de  la 
sale,  si  desrendent.  Li  empereres  prent  son  fil  par  la  main  : 
si  montèrent  à  mont,  li  empereres  demande  a  son  fill  com- 
ment il  li  esta  ?Et  cil  li  encline,  sanz  mot  respondre  :  Com- 
ment, fet  li  empereres,  biau  filz,  ne  parleras-tu  pas  à  moi? 
I.i  empereres  apele  son  mestre  despensier  qui  estoit  venus 
o  lui  :  Gommenl  .  dist-il,  veici  que  mes  fils  ne  parole?  il 
:i  este  ;i  maie  escole,  je  cnil  qu'il  a  perdu  la  parole  et  là 
reson.  El  cil  li  respont:  11  parloit  hui  matin,  toutes  maniè- 
res de  paroles.  L'empereriz  oi  dire  que  li  valiez  esioii  \e 

mis  et  qu'il  ne  parloit  mie  ;  si  en  a  granl  joie.  Elle  s'atoma 

des  pins  chiers  garnemens  qu'elle  a  ci  vienl  eu  la  sale,  o 
granl  oompaignie  de  dames  el  de  damoiselles.  Li  empereres 

el  li  chevalier  se  luriicrcnl  vers  l'empereri/..  Elle  vient  en- 
tre eux  :  Sire;  Paii  elle,  est  ce  vostre  lilz  ? —  Oil,  lait  li 
empereres ,  mes  il  ne  parole  mie.  —  Sire .  s'il  (impies  parla, 
bailliez  le i ,  je  le  ferai  parler.      Rfull  bien  par  loi.  fait 

li    empereres,  je   le  VOS  OtTOIj   el  je  s.ii  lui  II  <|llc  je  le  baillai 

au  .vij.  sn-es  bien  parlent.  L'empereriz  le  prent  par  la  mein; 

ii  i  mil  ni  i  ii'i  ii  i  ni/1,  i ,  i ,  \  ,  ,11  "iiii  •  •>"!'  i<  I    ii  ii  btttt  <i  aecolle 
el  il  lui. 


10  ROMAN 

il  ni  voloit  pas  aler:Alez  o  lui,  distliempereres.  Li  valiez 
se  leva  sus  et  vet  ol'einpereriz,  en  ses  chambres.  L'cinpe- 
reriz  fist  traire  les  dames  et  les  damoiseles  en  une  autre 
chambre,  et  entre  li  et  le  vallet  s'asistrent  sor  une  cheuche 
d'une  coûte  pointe  coverte,  et  d'un  drap  de  soie  '. 

L'empereriz  *  fesgarda  et  le  voult  faire  entendre  à  soi  ; 
si  li  dist  :  Biaux  douz  amis,  biaux  douz  frères,  entendez  à 
moi  :  Je  ai  mult  bien  oï  parler  de  vos.  Par  le  grant  bien 
et  par  le  grant  sens  qui  en  vos  est,  vos  aim,  et  por  la  grant 
anior  que  j'ai  en  vos,  ai  je  porchacic  que  vostre  père  me 
prist  à  faîne  ;  et  je  vous  ai  gardé  mon  pucelage,  si  que  il 
n'ot  onques  part  en  moi.  Or  si  vueil  que  vos  m'amez  et  je 
amerai  vos.  Lors  li  gita  ses  braz  au  col,  et  il  se  tnt  arriéres, 
elle  le  prent  (par  le)  menton.  Si  le  volt  beiser;  et  lors  se 
tret  aiicore  plus  arriéres  :  Comment ,  fait  elle,  biaux  douz 
amis,  vos  ne  parlerez  mie  à  moi  ,  ne  ne  me  feroiz  ne  joie, 
ne  déport  ;.  Cil  qui  voloit  garder  à  l'onor  son  père  et  a  la 
seue  nieisnie,  si  ne  sonna  mot.  Et  quant  l'empereriz  4  vil 
ce,  qu'elle  ne  treroit  parole  de  lui,  ne  qu'il  ne  diroit  mot. 
si  giete  sa  mein  au  drap  que  elle  ayoit  veslu  et  à  .i.  peliçon 

<  Var.  Et  s'asirent  sus  une  coustcpoictc  mult  riche,  couverte  d'un  drap 
de  soie.  (Id.) 

n  Iroit  est  l'empereriz  en  sa  chambre,  lui  et  sonfillastre,  seul  à 
seul,  ion  lit  ,quar  elle  le  veut  f ère  parler. 

3  Vu:.  Ne  ne  feroiz  joie.  (Id.)  Cette  variante  explique  le  sens  du  mol 
déport. 

4  Cest  l'empereriz  guideront  ses  dras  et  set- cheveu* ,  quand  elevii  le 
oarlet  m  parltroit  pas  a  lui.  et  jeta  wn  cri  /«mr  faire  venir  la  gent 

il    lui. 


DES  SEPT   SAGES.  1  1 

(Vermine  qui  mult  durement  estoit  riches  et  à  la  chemise 
que  «•!<•  avoit  vestue  ;  si  se  descire  tresqueen  mi  le  piz  et 
ancore,  comme  malvezie  etmaleureuse,  et  comme  malea- 
ginneuse  et  [»laino  de  mal  art ,  et  de  maie  guile  ,  \ 
mains  contreval  sa  face  qui  mult  esloil  bêle  ,  et  a  ses  che- 
vciis,  si  en  deront  une  grant  partie  et  ameine  ses  mains 
eontrevai  sa  face  qui  estoit  belle  et  coulouréc  si  l'eegra- 
tine  el  fiel  toute  sanglante.  Et  quant  elle  lut  einsi  mal 
atornée  et  ainsi  laidement  ,  si  giette  .ii.  eriz.  Liempereres 
ol  lescrizlaiz  et  hideusaset  tristres,  etli  baronqui  laestoient 
en  la  sale.  Si  s'en  viennent  celé  part,  en  la  chancre.  Et 
quant  Ii  empereres  vit  sa  famé  eïnsit  atirée,  si  fu  iriez  : 
Gomment ,  dist  Ii  empereres,  qui  vos  a  einsint  atrriée  '  ?  — 
Par  loi .  dise-elle,  <i^i  déables  que  vos  véez  ci.  Par  .i  poi 
qu'il  ne  m'a  eslranglée.  Se  vos  ne  lussiez  si  tosl  venuzau 
cri,  je  fusse  occise  et  morte  ,  ou  il  eus!  l'ait  de  moi  sa  vo- 
lenté.  il  ne  vos  es!  liens,  c'est  un  vil  deable;  l'êtes  le  lier. 
—  .là  ,  par  mon  chicl.  dis!  Ii  empereres  .  garde  n'en  serai, 
ne  ne  renieindra  plus  ovee  moi.  Il  Ici  venir  les  bediaus  qui 

servent  des  genz  destruire:  -Me/.,  fet-il,  destruiez  -  moi 

icsini  qui  mon  iil  devoi!  eslre.  |.i  bediaus  rcspoudeni  :  >>.>s 

ferons  vostre  commandement a. 

Il  issenl  hors  de  la  cliainhre  \  m  entrent  en  la  sale  mi  h 

i  \  au.  Qoant  liempereret  mi  I  mal  atornée  celé  que  ii  tant  ai i.  si  fu 

iriM  ri  .nisi  eonan  bon  <iu  iena.  i  Id.  i 

Imitation  do  Syntlpajj  Popes  la  première  partie  de  ce  rolame,  p 
•  <  <  ;»i  i  iirni  .i|  bediaut  !>■  /<//  l  emptritw  pour  im  mener  rfeirrufn 

'  nu  ,lr  i  ii     I  iiulri  itr  In  .  /mi  let  aspauli  ^ 


12  ROMAN 

haut  homme  furent,  mont  esbâhi  de  celé  merveille  du  (il 
l'emperere  qu'il  ont  veue  avenir  ■;  sien  sontvenuzàl'empe- 
rere  et  li  dient  :  Sire,  nos  nos  merveillons  moût  de  ce  que 
vos  volez  einsint  vostre  fdl  destruire.  Mes  metez  ceste 
chose  en  respit  jusque  à  demein  et  lors,  selonc  l'esgart  de 
vostre  cort,  soit  jugiez  '.  Je  l'otroi,  disl  li  empereres,  adone. 
et  solïerrai  le  jugement  de  ma  cort.  Adonques  apelle  les 
serjanz  et  ci  lor  commande  sor  les  elz  de  lor  testes  que  il 
suit  avaliez  en  sa  chartre,  qu'il  ne  s'enfuie,  ne  qu'il  ne  s'en 
eschape.  Tantost  comme  li  empereres  otainsint  commandé 
;i  ses  serianz  il  lu  faiz.  Mes  desus  loz  les  autres,  lu  l'empe- 
reriz  dolanie  de  ceste  chose,  et  correciée,  et  marrie  de  ce 
que  li  valiez  est  respitez  à  destruire.  Ele  pansa  et  rima  et 
mormela  ainsi  faiterement  toute  jor  tresqu'à  la  nuit.  Molt  ot 
eu  son  cuer  grant  errour,  car  elle  ne  cuide  ore  jamès  re- 
couvrer si  bon  point  de  lui  destruire  comme  elle  avoit  fel 
devant  ci  comme  ele  avoit  porchacié.  Ainsint  pansa  tant  que 
vint  a  la  nuit  que  li  empereres  s'en  vint  couchier.  L'em- 
pereriz  li  list  mult  maie  chière  :  Qui  est-ce,  Dame,  fait  li  em- 
pereres, que  avez  vos?  quele  chière  faites  vos?  dites  moi 
vostre  pansé  que  vos  avez.—  Certes,  sire,  ge  le  vos  dirai  : 
vos  estes  mort,  vos  estes  destruit.  Venuz  est  celui  par  cui 
vos  serez  déséritez  et  perdiez  terre,  qui  est  vostre  fil.  — 

>  Vai».  !.i  haut  home  de  lu  terre  fQrenl  irié de  ce  que  il  orcntveu  avenir, 
et  de  ce  queli  emperieres  voioit  fereson  lilz  destruire.  Si  en  furent  mult 
esbahi,  ne  -<•  Borent  cornent  ee'pooitestre  avenu.  fld.) 

\  ib.  Hetez  en  respit  jusque  à  demain  de  vostre  Blz  destruire  <i  lors 
par  !•'  jugement  de  vostre  mil,  l'ode/,  w  il  a  mesfet.  |  Id, 


DES  MU    SAGES.  13 

Mes  fill  !  —  Vostre  (il/. ,  vouement,  dis-je,  s'il  vos  en  puist 
ainsint  avenir  comme  il  fist  au  pin  do  son  pineau.  —  El 
oommenl  avint-il  au  pin  de  son  pineau,  fet  li  empereres  ' 
—  Par  foi ,  je  le  vos  dirai  volontiers. 

En  cette  ville'  ot  .i.  borjois  qui  avoit  un  vergier.  CM 
vergier  estoitgranz  et  biaus  et  planteiz  de  bons  arbres. 
I  us  h  milieu  de  ce  vergier  avoit  .i.  pin  qui  estoit  si  grand 
et  si  biaus,  et  si  droiz  et  si  alingniez  que  nus  plus.  Li 
prendons  fistquerre  des  meillors  terres  que  pot  trouver  et 
mestre  au  pié  du  pin.  En  après  un  poi  de  tens  trespassc. 
M  pins  s'esgaja  <'t  vint  à  volant*',  si  (pin  mit  se  merveil- 
liôiont.  De  l'osgajement  du  pin  leva  .i.  petit  piniaus  d'u- 
nes des  maistres  racines.  Si  vint  à  volante  le  pciis  piniax 
nmlt  durement.  Entre  ce9  choses,  li  borjois  entra  <'ii  si  n 
vergier,  <-i  si  vit  le  |  >  î  1 1  <  ■  :  1 1 1  levé  du  grant,  si  en  ni  grant 
joie;  si  fisi  querre  de  la  meillor  terre  que  l'on  pot  trover 
el  la  list  mestre  an  pi<;  du  petis  pinel;  et  li  piniaus  vint  à  vo- 
lenté,  et  tant  que  lipreudonsfu  alez  en  sa  marchandise,  si 
demora  longuement.  El  quanti!  fut  revenus,  la  première 
chose  que  il  fist,  si  ala  en  son  vergier  voir  son  petit  pi- 
neau,  si  !<•  \ii  ton  par  une  branche  du  grant  pin.  Si  apela 
son  jardignier: Qu'est  ce?  comment  vace?porcoi  est  tors 
mes  petiz  pineaus?—  Sire  fait  li  jardiners,  en  ne  vëei  vos 
porcoi?  Nenilvoir,  dist  li  preudons.  —  Sire,  gelé  vos  di- 
rai.  Esgardez  contre  mont,  si  verrez  que  la  branche  d«>  ce 


i  <i  endroit  ni  le  vergier  ou  le  i»"  est,  ri  le  iirtit  pinel  qui  est  ilrmz 
/•■  granl  pin  auquel  il  doitta  force 


1 4  ROMAN 

grant  pin  le  lient  et  qu'il  ne  puet  aleren  avant.— Copez  la, 
dist  li  borjois. — Sire, fait-il,  volantiers.  Il  prent  la  coigniée 
et  met  l'eschiele  en  haut ,  et  fiert ,  et  refiert  tant  qu'il  a  la 
branche  copée.  Et  quant  il  l'ot  copée,  li  preudons  s'escria  : 
Cope  encore,  fai  li  voie.  Etcil  respont:  volantiers,  sire,  à 
vostre  commandement. 

Or,  sire,  fet  li  empereriz,  '  est  ja  li  granz  pins  por  son  pe- 
tit pineau,  tondu  et  bertodé  et  enlédiz  ancore  jà  plus,  car 
li  pineaus  vint  à  volante  et  s'esgaja  mult  et  de  resgajement 
de  li  et  de  sa  force  si  souleva  une  des  maistres  racines  du 
grant  pin.  et  quant  li  grant  pins  ot  perdu  une  de  ses  mais- 
tres racines,  si  sécha  de  celé  partie  ,  et  lu  sanz  fueilles  et 
sanz  verdor  de  celé  part,  et  li  prcudon(s)  vint  à  son  vergier, 
et  il  vit  le  petit  pineau  qui  fu  grans  et  biaus  et  vint  à  vo- 
lante. Et  vit  qu'il  seurmontoit  parbiauté  le  grant  pin  et  vit 
que  li  granz  fu  séchiez  d'une  partie,  si  distà  son  jardinier  : 
Qu'est  ce,  fait-il,  di  moi  porcoi  cist  grant  pins  est  séchiez? 
—  Porcoi,  sire,  dist  li  jardiniers;  ce  fait  l'onbre  de  vostre 
petit  pineau  qui  l'a  einsint  sormonté  en  toutes  choses.  — 
Or  le  cope  du  tout,  dist  li  borjois,  or  endroit,  véaut  moi.— 
Sire,  volantiers,  dist  li  jardiniers.  11  prent  la  coignie  si  le 
cope  etdetranche  tresque  entre.— Or,  sire,  dist  l'empere- 
riz,  or  est  li  pins  copez  et  est  à  honte  livrez  por  celui  qui 
est  issus  <le  lui.  Et  autresint  doit  chascuns  dire  de  vostre 
fil  qui  est  et  lu  de  vous,  qui  vos  vient  jà  a  mal  et  toute  la 

m  et  tout  li  empires  en  est  jà  contre  vos;  et  se  painent 

•  Ci  endroit eopeHjordinierfsJ  la  grant  i>i><  ]>nr  i  amor  ée  son  petit 
pinel  qui  /»  avoit  tolue  sa  force  ci  </'<e  il  m  mi  tewmonté. 


DES  M.i'i    SAGES.  I  '> 

muli  durement  de  vosdeserlter  et  de  vos  mettre  aval.  Kt  vos 
estiez  hier  en  midi  bon  point  de  vos  adelivreret  de  mettre 
vos  hors  de  peine,  et  a  toz  iorz  mes.  Et  por  ce  que  vos  ne  h 
l'eistes,  quant  vos  en  venistes  en  leu  et  en  aise,  si  vos  en 
put  ausint  avenir  comme  il  fist  au  pin  de  son  pineau.  — 
Par  mon  ehief,  dist  li  empereres,  il  ne  m'en  avindra  pas 
•  liiiMiii,  '-ai'  il  mora  le  matin. 

A  tant  remestrentles  paroles  jusque  le  matin;  et  quant  li 
empereres  lu  levez,  si  apela  ses  sers  :  Alez,  l'ait-il,  traie/ 
non  lil  de  la  jeoille,  si  le  destituiez  ;  par  mon  chief,  se  vos 
ne  le  faites,  vos  i  morroiz  de  la  mort  dont  il  doit  morir.  Li 
ciï  i-espondirent  :  A  vostre  commendement.  Il  traient  le 
valiet  de  la  cliartre.  Les  portes  lurent  overtes,  et  la  sud 
SWple  des  baroos de  la  terre,  et  des  chevaliers.  Il  virent 

que  li  lerf  amenèrent  le  valiet;  mit  cil  qui  le  virent  en 
oreni  pesance  à  lorseuers.  Cil  L'ameinnenl  par  mi  la  rue. 

A  tant  e/.  vos  que  li  premiers  des  sages  vient.  Il  encontre 
le  vallelque  li  serf  menoient  pandre.  Li  uns  ne  sonna  mot 
a  l'autre.  .Messire  Lancilas  s'en  passe  outre  et  vient  au  pie 

du  degré  de   la  sale,  si   deseeul  ;  assez    lu  qui  s. heval 

prist.  il  s'en  monte  les  degrez  à  mont,  el   vient  en   la  sah' 

el  toueverenaperéeuretdial  :  Sire,  Diex  vos  doinl  hou  jor. 

—  .la  Dex  ne  vos  beneie,  dist  li  empereres,  assez  i  a  por  coi, 

et  je  le  vos  dirai  :  Je  vos  avoie  haillie  mou  lil  a  endoctri- 
ner et  a  aprendre  ,  a  vos  el  a  vos  compaiognons  comme  a 

celz  que  ge  moût  amoie  et  eu  qui  je  me  Soie.  Nos  l'avei 

tenu  |iar    iij.  auz.   La  première  doctrine  que   \os   li    avei 

apris,  si  est  que  vos  li  avez  lolue  la  parole  ;  la  seconde  qu'il 
VOUI  prendre  ma  lamine  aloive;c|  des  autres  maitvesses 


10  ROMAN 

teches  il  a  assez.  Por  coi  je  le  faz  destruire.  Comme  il  sera 
deslruiz,  sachiez  que  vos  morrez  après;  et  vos  et  vos  com- 
paingnons.  —  Sire,  dist  mesires  Baucillas,  vos  dites  qu'il  a 
perdue  la  parole;  pur  ce  n'a  il  mie  mort  deservie.  Or  est 
graindes  reson  que  l'on  li  face  mult  de  biens  que  l'en  ne 
fist  onques;  et  si  volloit  prendre  vostre  famé  par  force  et  il 
fust  veritez,  por  ce  n'a  il  mie  mort  déservie;  mes  l'en  le 
devroit  tout  courocier.  Mes  sauve  vostre  grâce,  et  sauve 
vostre  parole,  et  sauve  vostre  révérance,  je  ne  cresrai  nui 
qu'il  le  s'en  pensast  onques.  —  ïl  n'y  a  si  mal  qui  ne  père, 
comme  celle  qui  est  toute  dessirée,  et  toute  eschevelée,  et 
tote  mal  alornée.  —  Ha  !  sire,  dist  Baucillas,  ele  ne  le  porta 
pas  en  son  cors  .ix.  mois',  et  se  vos,  enceste  manière,  le  vo- 
lez destruire,  por  le  dist  de  sa  marrastre,  et  mal  mener,  si 
vos  en  puisse  avenir  ainsint  comme  il  fist  au  chevalier  de 
son  levreier.  ■ —  Gommant  avint-il  au  chevalier  de  son  le- 
vreier?  —  Par  foi  je  le  vos  dirai  volentiers;  mes  je  ne  l'vos 
diroiemie,  se  vos  ne  respitez  vostre  fill  de  mort;  car  ein- 
çoiz  que  je  le  vos  eusse  conté,  seroit-il  mort,  s'il  ne  vau- 
droit  néant  mes  contes.  —  Par  foi,  dist  li  empereres,  et 
je  le  respitenii;  envoiez  le  querre.  »  Mesage  coururent 
qui  rameinnent  le  vallet  arrière;  quant  il  oï  la  novelle, 
il  otgrantjoie.  Li  vmIIcz  retome  arriers  et  s'en  vient  par 
devant  l'emperéeur,  ei.  li  encline.Etliserjantle  remetenten 
la  joiole arrière,  aval.  Et  quant  il  orentee  l'ait,  li  empereres 
apelle  Baucillas  par  son  non  et  li  disi  :  Or  dites.  — Certes, 
l;iit-il,  vol  an  tiers. 

1  ms.  H-  797  i.  noire  MS.  portail  ;  Elle  nela  porta  pas  en  son  propre  cors. 


DES   SI  l'i   SAGES.  17 

Il  avinl  jadis  \en  ceste  vile,  par  un  .i.  jor  qui  est  apelez 
If  roi  «les  (lienienclies,  c'esl  te  j<>r  «le  la  Trinité  ,  que  mit 
chevalier  se  doivent  déduire  sur  lor  clnvaus  et  pendre  les 
escnz  au  eos.  El  si  avinl  que  li  chevalier  de  teste  vile  s'alé- 
reni  déduire  es  pivz;  et  li  prez  estoient  joste  la  meson  à  .i. 
vavasor.  La  meson  estoit  close  de  mtirzviez  et  anciens  et 
crevés.  Et  il  estoit  riches  et  manenz  ,  et  avoit  un  petit  en- 
fant en  bercel,  de  sa  lame.  Li  enfès  avoit  .iij.  norrices.  La 
première  servoit  de  l'aletier,  et  la  seconde  du  baignier,  et  la 
tierce  des  dras  remuer  et  de  concilier.  Li  vavasors  avoit 
un  lévrier  bel  et  grant  et  isnel,  si  que  à  toute  riens J  que  il 
couroit  il  ateignoit,  et  lot  qant  que  il  ateignoit  il  prenoit. 
Li  lévriers  estoit  si  bons  que  nus  plus;  et  li  chevaliers  l'a- 
moit  tant  que  nulle  riens  née  il  n'ainoit  tant.  Li  vavasors 
s'en  est  issuz  sor  son  cheval,  l'espée  ceinte,  l'escu  au  col, 
la  lance  cl  poing,  avec  les  autres.  Et  la  dame  lu  issue  hors 
de  la  porte,  sur  le  pont  torneiz.  El  entre  ces  choses,  les 
norrices  orent  aporle  reniant  dedanz  le  bercel,  au  pie  du 
mur,  et  s'en  furent  montées  par  desuz  le  degré,  conlreinoiu , 
as  aqiiarniaus  (.  Li  chevalier  commencèrent  a  béorder  les 
uns  contre  les  autres,  .i.  serpenz  se  lu  norriz  cl  mur.  Li 
serpent  m  la  noise  et  la  tumulte  des  escuz  et  des  lames 

(  i  endroit  est  ir  chevalier  qui  avoit  le  '""i  lévrier,  ju'U  amoit 
huit  comme  Hom  i>"t  (mur  ton  lévrier. 

Cette  histoire  esl  imitée  du  Pantcha-tantra,  di*  Syntipaa,  ci  de  Sen 
i  iii.u    Voyei  la  première  partie  de  ce  volume  j  pagea54et  IfO. 
\  m.  Qui  a  toute*  lea  choies  nu  il  coroil  ataignoit.  (Id.) 
i  x  w    i.t  montèrent  aus  creniaus  du  mur  parle  Id 


18  ROMAN 

et  des  chevax;  si  s'en  merveilla,  car  il  n'avoit  mie  ce  apris, 
ne  acouslumé.  Si  leva  la  teste,  et  se  mist  hors  mult  viste- 
ment;  si  s'en  vint  par  nne  des  crevaces  du  mur,  en  la  cort 
au  vavasor,  et  en  la  porprise  qui  mult  iert  belle.  Si  s'en 
vint  maintenant  vers  le  bercel,  où  li  enfes  estoit  laissiez  de 
ses  norrices.  Li  lévriers  estoit  sor  le  soil  de  la  sale,  et  ot  oï 
la  noise  desbohordeors.  Si  vint  le  serpensgrant  et  gros;  et 
estoit  hideus  et  porpris  de  rouse  coulor.  Venimus  estoit  il 
en  loz  les  manbres  de  lui.  Li  lévrier,  quant  il  le  vit  venir 
vers  le  bercel,  si  fiert  des  piez  à  la  terre,  et  grate  mult  du- 
rement ;  et  s'en  vient  vers  le  serpent,  si  le  prent  par  mi  le 
gros  du  ventre.  Li  serpenz  lieve  la  teste,  si  le  prent  par  mi 
le  col,  au  denz  ,  si  que  le  sang  en  issi.  De  la  doulor  et  de 
l'angoisse  que  li  lévriers  senti,  et  de  la  morsure  du  serpent, 
et  de  la  doulor  du  venin  qui  encore  le  grieve  plus,  si  es- 
truie  par  derriers  soi  le  serpent ,  par  desus  le  bercel ,  et  li 
lévriers  après,  par  desus  le  bercel  '.  Et  li  bercels  torne 
tantost  de  desos  desus.  Mes  itant  ot  d'avantage  que  li  dui 
chevecel  du  bercel  ci  eut  si  haut,  que  li  vis  à  l'anfant  n'a- 
désa  mie  à  la  terre.  Et  la  bataille  recommance  du  serpeni 
et  du  lévrier;  et  tantôt  li  serpenz  s'en  volt  aler  et  départir 
du  lévrier.  Mes  li  lévriers  le  prent  par  mi  le  gros  du  cors, 
par  itelle  partie  où  il  l'avoit  devant  pris,  mult  fulenesse- 
ment.  Et  li  serpanz  lieve  la  teste;  si  le  prant  mult  aigrement, 
en  ecle  partie  du  coste  où  il  avoit  devant  ce  mors.  Et  li 
lévriers  crie   de  sa  doulor  qu'il  senti  ;  si  le  restruie   par 

■  Vat\.  El  puis  retorne  au  Migrent,  el  il  saut  par  desus  le  bercel,  et 
le  lévrier  après.  I  M) 


DES  SEP1    SAGES.  19 

Iimis  le  lierccl,  el  li  serpanz  s'en   cuide  akr,  et  li  levriei  - 
saut  :iv;mt  '. 

Si  recommencé  '  la  meslëe  d?éls  .ij.  et  la  bataille,  ei  que 
toi  li  bercels  eâl  sanglant,  à  trcstoute  la  place,  et  l'erbe 
ensenglantëe.  Et  en  la  fin  de  la  meslée,  li  lévriers  le  pranl 
pat  mi  la  teste,  si  l'estraint  de  son  pooir,  si  l'ocit.  Si  ol  li 
lévriers  si  grant  ire  an  soi,  por  ce  que  il  avoit  si  ledement 
navrez,  qu'il  ne  le  volt  mie  à  tant  lessier;  ainz  le  tronçonne 
en  .iii.  tronçons,  si  le  lesse.  Ai  tant  de  la  niellée  qui  i  04 
este,  lu  le  bercel  ensenglantez  et  tretoute  la  place;  et  li  lé- 
vriers, que  du  sang,  que  du  venin,  fu  Iaizethideuset  anflez 
et  ensanglantez.  H  s'en  entra  maintenant  en  la  sale  et  se 
coucha  et  commança  à  crier  et  à  brère,  et  à  devostrer  soi 
parmi  bans  et  par  mi  liz,  e!  par  cou  verl  lire  et  par  mi  la  terre; 
et  crioil  et  liulloit  mull  durement  .  comme  cil  qui  estoil 
destrôiz  malt  aigrement  de  mal.  11  fu  vespres  basses;  el 
holionleiz  des  chevaliers  remesi .  et  cliascun  s'en  ala  à 
si.ii  ostel  et  a  son  herbérjage,  si  comme  il  dévoient  l'aire. 
Les  oorricès vindrent conlreval  lesdegrez  du  mur,  ei  virent 
le  bercel  tôrn'é  et  tout  sanglant,  éi  la  place  toute  sanglante; 
et  vinrent  vers  le  lévrier  qui  crioil  el  huloit  el  braoit.  Si 
quidèrenl  qu'il  fust  enragiez  èl  hors  du  sens,  el  qu'il  etfsi 
raillant  manigié  et  estranglé,  por  ce  qu'il  te  virent  sanglant, 

el  si  lailel  si  liiilcus.  Si  comnieiicièrenl  a  crier  cl  a    bain- 

■  \'wi.  Le  lévrier  crîa  de  la  doleur  qu'il  senti     si  res&illi  pai  de 
le  bercel,  -i  ijin"  li  briers  en  Futouz  sanglant.  (Id. 

■ii  est   /,«  bataille  du  lévrier  ci  du  terpent ,  ih> 
\  entrer equièrmt,  lesta  bercel  àl'anfant 


20  UOMA> 

lor  paumes  et  descirer  lor  cheveus,  et  disrent  :  Ha  !  lasses  l 
lasses!  clietives!  que  ferons  nos?  fuions  nos  en.  Cist  con- 
saus  fnst  tost  pris,  et  fièrent  des  piez  à  terre ,  si  s'en  vont. 
En  ce  qu'eles  passoient  la  porte,  si  trovèrent  la  dame  sor 
le  pont.  Quant  la  dame  les  vit  si  effraées,  si  laides  et  si 
hideuses,  si  leur  demande  qu'elles  avoient?  El  elles  li 
respondirent  ensemble  :  que  li  lévriers  estoit  enragiez, 
si  avoit  mort  son  enfant  et  estranglé.  A  iceste  parole ,  la 
dame  giete  un  cri  et  se  paume.  Ele  ot  esté  une  pièce  en 
paumoison,  et  quant  ele  fu  revenue,  ses  sires  vint  sus  son 
cheval,  l'escu  au  col,  et  ot  déduit  et  boordé  avec  les  autres. 
Il  vit  sa  lame  qui  li  dist  que  ses  lévriers  qu'il  amoit  tant, 
estoit  enragiez,  et  avoit  son  enfant  mengié  et  dévoré  par 
maie  manière  :  certes,  fait  li  sires,  ce  poise  moi.  Il  s'en 
passe  par  desus  le  pont  torneiz,  et  s'en  vient  en  la  cort,  aval, 
et  descent.  Il  fu  assez  assez  qui  son  cheval  tint,  et  son  escu 
et  sa  lance.  Li  lévriers  connut  le  cheval  son  seigneur,  et 
pensa  que  ses  sires  estoit  venuz.  Il  l'oï  parler,  et  saut  en 
piez,  si  malades  comme  il  estoit  et  si  sanglant.  Il  vit  son 
seigneur,  si  s'en  vient  vers  lui,  au  plus  tost  qu'il  onquespot, 
et  li  sailli  en  mi  le  piz,  devant. 

Li  sires  '  fu  mult  durement  irez  et  courociez  des  novelles 
de  son  enfant  que  li  lévriers  avoit  mort  ;  si  tret  l'espée,  si  li 
cope  la  teste.  Li  sires  baille  l'espée  à  essuier  à  un  vallet,  et 
s'en  vet  tantostvers  la  sale,  si  regarde  vers  le  bercel,  si  le 

.  Ci  endroit  est  li  chevaliers  qui  a  copé  la  teste  à  son  lévrier 
qu'il  amoit  tant  ,  porcequ'il  cuidoit  qu'il  eust  mengié  son  fil ,  pour  le 
cri  à  la  dame. 


DES  mJ'I    SAGES.  21 

vit  loiit  sanglant  et  la  place  toute  sanglante.  Si  s'en  revient 
celé  part,  si  troeve  les  .iij.  tronçons  du  serpent.  Si  se  mer- 
veille mult  durement,  et  se  saigne;  si  s'abessa,  et  met  la 
main  au  bercel,  si  le  torne  ce  desoz  desus.  Si  a  trové  ren- 
iant vivant.  Si  apele  la  dame  par  mult  grant  ire,  et  pUlsors 
genz  qui  estoit  venuz  veoir  celé  merveille;  il  lor  monstre 
la  merveille  du  serpent  qui  estoit  tronçonnez  en  troiz.  Kl 
regarde  vers  le  lévrier;  et  sot  de  vérité  que  li  lévriers  s'es- 
toit  combatuz  au  serpent,  pour  l'enfant  garantir.  Sise  torne 
vers  la  dame  et  dist  :  Ha!  dame,  mon  lévrier  m'avez  fait 
tuer  pour  ce  qu'il  avoit  vostre  enfant  garanti  de  mort.  Si 
vos  ai  créue,  si  n'ai  pas  fait  que  sage,  mes  itant,  sachiez 
que  de  ce  que  je  vosaicreue,  et  que  je  ai  fetpar  vos,  et  par 
vostre  conseil ,  nus  ne  m'en  donra  la  penance,  ge  meis- 
mes  l'en  prendrai.  Il  s'asict  et  sefet  deschaucierà  .i.  de  ses 
valiez,  et  cope  les  avan  piez  de  ses  chauses,  sanz  regarder 
lame,  ne  fil,  ne  héritage,  ne  or,  ne  argent,  ne  richeses 
qu'il  eust,  si  s'en  vest  en  essil,  pour  le  corrout  de  son  lé- 
vrier, si  que  nus  ne  pot  savoir  où  il  estoit  alez.  —  Or,  sire, 
dist  mesires  Baucillas  à  l'emperéor,  ainsint  ala  il  de  ce 
chevalier  qui  lu  perduz  parle  conseil  de  sa  famé.  Ainsi 
vos  dis-ge  bien  que  se  vos,  par  le  conseil  vostre  famé,  vos- 
tre lil  destruiez,  sanz  conseil  prendre  a  vos  barons  et  à  vos 
homes  que  ge  voici  asemblez,  si  \<>s  en  puise  ainaiic  ave- 
nir comme  il  lisi  au  chevalier  de  Bon  lévrier.  — ■  Par  mon 
chief,  disi  li  empareras,  il  oe  m'en  avandra  pas  ainsioc,  Be 

l>ie\  plesi ,  car  il  ne  inorra  pas  ainsi  ne.        Sire,  disi  nie- 

sircs  Baocilas,  v.  c.  merci/,  et  vos  iei-.Pi/  que  sages;  car 

lout  M  n les  vms  liarroil  el   \os  inaiidiroil .  Il  lu  tari  el  la 


11  ROMAN 

cori  se  départi.  Les  portes  lurent  maintenant  closes  et  li 
emperères  vint  à  l'emper(er)iz;  ele  fu  irée  por  ce  qu'elle  ne 
pot  acomplir  son  bon,  ne  sa  volante,  si  fist  mavèsechière. 
Li  emperères  la  regarde;  il  la  vit  belle  et  gentc  et  blanche 
et  joinne;  si  la  regarda  mult  visieument,  et  com  plus  la  re- 
garda, plus  esprist  des'amor.  Si  l'apela  et  li  dist  :  Dame, 
qu'avez  vos?  —  Ha!  sire,  dist-ele,  com  je  suis  corrodée  ; 
non  mie  por  moi,  mes  por  vostre  perte  qui  est  grant,  et  por 
vostre  grant  dommage  et  por  vostre  grant  avillance  que  je 
vois  qui  vos  nest  et  qui  vos  sort.  —  Dame,  por  coi?  —  De 
ce  deable  que  vos  appelez  filz,  quiestvenuz  por  nosdese- 
riter.  Si  vos  en  puisse  il  avenir  ainsi  comme  il  fit  au  sen- 
glier  qui  fu  pris  en  gratent.  — Comment,  dist  li  emperères, 
lu  il  pris,  en  gratent;  dites  le  moi.  —  Par  loi,  je  le  vos  dirai . 
llotencestpaïs1,  une  forest  grant  et  merveilleuse,  et  plan- 
teives  de  fruit  et  de  bochage.  Un  (s)  sengliers  se  fu  noriz  en 
celle  forest  ;  il  fu  granz  et  pa(r)creus  et  fiers  et  orgueilleux, 
que  nus  n'osoit  aler  celle  part  en  la  forest  où.li  senglier;- 
feust.  Kn  mi  la  forest  avoit  un  prael  ;  au  milieu  de  ce  prael, 
si  ot  un  alier  qui  fu  grans  et  merveilleus,  et  bien  chargiez 
d'aHes  meures.  Li  sengliers  si  venoit  chacun  jor  saouler 
lue  fois  un  pasteur  ot  adirée  une  seue  besle,  sise  fu  férue 
en  la  forest.  Li  pasteurs  vint  celle  pari,  soz  cel  alier,  si  con- 
voita les  alies  (pic  il  vit  à  la  terre  si  meures;  si  s'abesse  et 

■  Ci  e$i  li  alier,  et  le  pastor  qui  rampe  contre  mont, pour  lu  pnom 
i)t  $ehgHei  qui  est  detoz  venus,  poui  mengier  h's  alies. 

c.ctic  lii--S'>i il  imitée  du  Syntipas.  Voyez  la  première  partie  de  ■• 

volume,  pages  109,  i  i  i 


DES  SI. M    SA<  ' 

les  commence  à  cueillir  tant  qu'il  en  ot  empli  un  de  ses 
girons.  Et  entrementre  qu'il  emplissoit  l'autre  ,  à  tant  es 
vos  le  sanglier  !  Li  paslors  ot  paour,  quant  il  vit  le  sanglier, 
si  s'en  volt  aler.  Mes  il  vit  le  sanglier  si  aprochier  de  lui  que 
il  sut  bien  que  fuir  ne  valoit  riens.  Si  regarda  l'alier  con- 
tremont,  si  monte  sus,  einsint  comme  il  pot  mielz.  Li  san- 
gliers vint  vers  l'alier,  si  commença  à  mengier;  s'il  se  mer- 
veille multdurement  de  ce  qu'il  ne  pot  aulretant  iroverde- 
alies  comme  il  soloit  fairedevant.il  regarde  contremont , 
si  voit  le  pastor  sor  l'alier.  Si  fu  iriez  et  commença  à  ma- 
chier  et  à  escumer;  et  commença  ses  .ij.  piez  à  aiguisier 
contre  la  terre;  si  fiert  dedenz  contre  l'alier,  si  que  tout 
en  trenbla  li  arbres.  Il  fu  avis  à  celui  qui  estoit  desus  ,  qui 
deust  brisier  par  mi.  11  regarda  vers  terre,  si  vit  que  li  sen- 
tiers n'ot  que  mangier.  Il  met  la  main  à  son  giron  ,  si  le 
destache  el  let  chaoir  les  alies.  Et  li  sengliers  commence 
;i  mengier;  et  quant  il  ot  mangié,  cil  relesce  aler  l'autre 
giron ,  et  li  sengliers  commence  à  mengier.  Et  en  ce  qu'il 
enlendoit  mult  à  mengier,  li  pastors  se  tinta  une  des  main-, 
à  la  branche,  et  l'autre  mist  sor  le  dos  au  senglier,  et  com- 
mence à  grater.  Le  senglier  se  sent  saous,  sise  tarqui  sus 
ses    ij.  pic/,  derrière,  et  puis  de  cens  devant  ;  et  cil  com- 
mence a  grater,  et  se  tint  a  la  branche  remuement,  et  si  ii 

met  u  main  sor  l'autre  el  eomincncc  ;ï  grater.  Et  le  sen- 
glier se  couche ,  el  cil  du  grater;  el  li  sengliers  clol  les 
ieulz,  ei  (il  descent  souef  de  l'arbre,  el  ne  cesse  mm  do 

grater.  Il  vit  que  li  sangliers  ot  les  el/  elos,  si  li  mièvre  le 

ieli  et  la  tête  de  sa  cote,  si  grate  fort  à  la  senestre  main. 

si  Iraisi  le  cOUtel  de  la  gaine  0  la  désire  main .  Li  pastels  lu 


"24  ROMAN 

lois  et  verlueus,  et  ne  s'espoanta  mie;  si  le  liert  très  par  mi 
outre  le  cors,  eu  droit  le  cuer.  Si  recueure  et  fiert  autre- 
lois,  très  par  mi  outre  la  eoraille,  trèsqu'au  cuer,  sil'ocist. 
Li  pasteurs  s'en  ala  qui  à  celle  t'ois,  ne  voult  plus  fere ,  ne 
despecier,  ne  porter  an  les  pièces.  l 

Or  ,  Sire  ,  dist  l'empereriz  ,  avez  vos  or  oï  corne  li  sen- 
gliers  qui  estoit  si  forz  et  si  vielz,  et  si  granz  et  si  fiers,  est 
morz  en  gratant,  et  .i.  chaistis  pasteurs  qui  riens  ne  savoit, 
l'a  ocis,  autresint  est-il  de  vos.  Or  voi  je  que  cil  sage,  par 
lor  blande  parole  et  par  lobe,  vos  vuellcnt  destruire  et 
deseriter. —  Parmonchief,  l'ait  liemperères,  vos  dites  voir; 
mais  sachiez,  je  ne  les  en  crerai  mie ,  car  il  morra  le  ma- 
tin. L'empereriz  respond  :  Sire,  vos  dites  bienetque  sajes. 
V  t;intlessèrent  très  qu'à  lendemain  qui  ne  parlèrent  plus. 
Au  matin,  se  levali  emperères;  si  furent  les  portes  overtes, 
et  luit  li  huis;  et  li  paies  ampli  de  contes,  de  vicontesetde 
vavasseurs.  Et  maintenant,  li  emperères  apele  ses  sers  : 
Alez  ,  fait-il ,  et  si  prenez  mon  fill ,  et  si  le  destruiez  2  — 
Sire,  volanliers.  Cil  firent  son  commandement,  et  quant 
il  l'amenèrent  par  devant  lui,  si  lui  demandèrent:  Sire, 
de  quel  mort  morra?  Il  respondi  au  sers  :  Pandez-le.  Il 
respondirent  :  Volontiers.  Il  s'en  partirent;  et  en  ce  qu'il 
avalèrent  les  degrezde  la  sale,  et  il  entrèrent  en  la  rue, 
le  cri  lieve  de  la  gent  qui  pitié  avoient  du  vallet  qui  aloil 

•  Ci  parole  du  paslur  qui  est  descendu»  de  l'orbe  pour  tuer  le  sen- 
<jiicr  </u»  est  endormi  detos  l'orbe,  iî  le  grate  "  une  im-in  <i  de  Vouin 
te  tue  de  son  coutel. 

>  Vab.  si  le  menez  destruire.  <i<l  i 


DES  SIll'l    SAGES.  -•'» 

;i  sa  destruction.  A  tant  es  vos  un  des  sages  qui  ses  mesires 
estoit;  et  avoii  non  Auxillcs  '.  Et  regarde  sou  desciple  «  1 1  ■  «  - 
l'en  menoit  à  sa  destruction;  si  en  olgrant  pitié,  si  s'en 
passe  outre  ,  si  hurle  le  cheval  des  espérons  tant  qu'il  vint 
au  degi  ■(■/ .de  la*  salle.  Il  décent  et  s'en  vet  devant  l'empe- 
reur, si  le  salue.  Li  emperères  ne  li  respontmîe  a  son  sain, 
ançois  le  commance  durement  à  menacier  et  dist  :  Je  vos 
avoir  baillié  mon  lillsicomrneà  dame  Dieu,  à  aprendreetà 
enseingnier,  si  comme  vos  m'aviez  encouvant;  et  vos  li  avez 
lolete  la  parole.  Par  celui  qui  Dex  avon,  mar  l'avez  fet. 
Je  vos  en  rendrai  le  guerredon. —  Sire,  fait  mesires  Au- 
xilles,  bienai  oi  une  partie  des  choses,  comment  clessunt 
alées.  Li  inautalenz  n'est  mie  por  ce  qu'il  ne  parole  ,  antre 
chose  i  a.  Mes  se  vos  volez  en  ceste  manière,  destraire vostre 
(ill,  si  vos  en  puise  il  avenir  comme  il  avini  à  Ypocras  de  son 
neveu. — là  commant  l'en  avint-il,  dist  li  emperères? — Par 
loi,  je  le  vos  dirai  mult  volanliers  ;  mais  se  je  le  vos  avon 
commandé  à. dire ,  vostre  flll  seroit  ainzeoi/  destruittoi 
bêlement  que  je  l'eusse  coule:  si  ne  vaudrait  mes  dires  rien/ . 

Mes  se  vous  le  volez  respiter,  je  le  vos  diroie,  etquand.je 

l'aurai  dit,  si  en  lestes  vostre  volante. —  Celles,  fait  li  empe- 
rères, je  l'ostroi,  je  le  respiti  rai  volanliers. Asm/  i  otmesajes 
qui  cm  m cni,  pour  ramener  le  vallet  arrière.  Et  en  ce  qu'il 

s'en  venoil  par  devant  L'empei  eenr  el  pardevanl  son  mesln. 

il  lor  anclina;  il  lii  mené/  en  sa  geolle.  Mesires  Anxillr- 
commença  son  conte. 

v  m.    m  tvoil  non  lugusta     i  «i 
Va»   Mettre  kugiutei     i  «  i 


20  ROMAN 

Sire  \Ypocras  fui  li  plus  sages  mires  que  Peu  peust  trovet 

en  toutes  terres.  De  tout  son  lignage  il  n'ot  que  .i.  neveu 

À  celui  neveu  ne  volt  il  riens  aprendie  de  son  sens,  n< 

riens  dire.  Neporquaul  li  vallès  se  porpansoit  que  aucun« 

chose  li  convenoit  il  savoir.  Si  enlendoit  et  metoit  s'en 

tente  de  son  pooir.  Et  tant  fist  qu'il  se  descovri  vers  so 

oncle1.  Ypocras  regarda  et  vit  qu'il  sot  assez.  Ne  demor 

guères  que  nouvelles  li  vindrent  que  li  rois  de  Hongri 

avoit  .i.  fill  malade;  si  manda  Ypocras  que  il  venistà  li.  1 

il  li  manda  qu'il  n'i  pooit  aler,  mes  il  li  envoieroit  un  sic 

neveu.  Il  a  comandé  à  son  neveu  que  il  s'atort ,  et  il  s': 

torne;  et  il  charge  son  neveu  somer3.  Et  il  erra  tant  que 

vint  en  Hongrie,  au  roi.  L'en  li  a  amené  l'enfant  devant. 

le  regarde  et  esgarde  le  père  et  regarde  la  mère.  Il  prai 

la  mère,  si  la  maine  à  une  part,  et  lor  demande  lui  i 

d'euls  trois.  L'en  li  moslra  trestoules  ;  et  quant  il  les  i 

veues,  il  pensa  mult  parfondement,  en  son  cuer,  et  les  pr< 

vit  encore  une  autre  foiz,  et  apela  la  roine  :  Dame,  dist-. 

qui  fill  est  cil  enfes  ?  de  quel  home  fu  il  engendré?  —  Sir 

ilcstmesfillzetfilzdemonseingnor.  —Dame,  je  crois  bifl 

qu'il  est  vostre  filz ,  mes  il  n'est  mie  filz  de  vostre  seit 

■  Ci  paroles  a"  Ypocras  et  de  son  neveu  au  quel  il  ne    veut  ri 
apprendre  de  son  sens. 

Pour  l'origine  de  celte  histoire,  voyez  la  première  partie  de  ce  volun. 
page  (54. 

■'  Var.  Si  entendi  moult  et  y  mist  grant  entente.  Et  tant  tist  q 
en  sol  et  qu'il  descouvri  à  son  oncle  Ypocras  son  sens.  (Id.) 

3  Var.   il  commanda  son  neveu  ;i  atorner  e1  licharja  i   m, min 
ii  < i i-i  qu  il  s  en  alast  avec  les  mes  igi       I 


h!  s  MCI     SAG1  S.  li 

ç;iiettr. — sire, si  est,  dist  la  roine. — Non  est,  dame,  etsé  vos 
ne  médites  antre  chose ,  je  m'en  irai.  —  Sire,  se  je  savaie 
que  vus  le  me  deîssiezé  certes,  je  vos  Ferolé  feregratol 
honte.  —  Dame,  <list-il,  je  m'en  irai,  car  s»- je  ne  sai  la  vc- 
rhé,  je  ne  li  donroie  mie  la  gnarison.  Il  s'en  part  <'t  com- 
mance  à  trosser1.  Quant  la  roine  voit  ce,  si  le  rappelle  ri 
li  dist:  Sire,  je  le  vos  dirai,  etpor  Dieu,  gardezque  n'en  soit 
parole. — Dame,  non  sérail. —  Sire,  ilavint  que  li  quens de 
Natal nr  vint  par  eest  païs,  si  herberga  o  mon  seihgneur;  et 
tant  qu'il  me  plut,  si  qu'il  jut  o  moi  et  engendra  ce  vallet. 
Sire,  ponrDeu,  or  n'en  parlez  jà. —  Non  ferai-je,dame;  il 
est  avoltre,  je  li  ferai  poison  àavoltre:  donne/ lia  mengîer 
char  dé  bnef.  Il  tirent  son  commandement;  tantost  comme  il 
m  ol  mnrigié  ,  si  gari.  Quant  li  rois  vit  qne  ses  lïlz  esloil 
gari/,  BÎdone  a  «fini  de  SOn  avoir.  Kt  s'en  revint  à  son  oncle 
Ypocrasli  demanda  :  As-tn  l'enfant  gari?  (  >il.  Sire.-  Que 
li  donas-tu? —  Chardebuef.-  Dont  estoifril  avoltres? 
Sire,  voire.  Sages  es,  dist Ypocras.  Tantost,  pensa  Y  pocrat 
félonie  et  niautalant  vers  son  neveu  ettralson.  Il  a  pela  :  I 

niés,  dist-il  ,  venez  après  moi,  en  eel  verrier.  Il  enlrèrenl 

ens,  par  le  guichet;  el  quani  il  tarent  en  milieu:  Dell  dis  i 
Ypocras,  eom  je  sens  nue  bone  herbe.  Cil  s;mt  axant,  si  s'a 

jeuoilie  ,  si  l.i  quesl  et  li  :i|  t.rle,  et  li  dist  :  Sire,  vit/  la  ci. 
El  il  la  prent  en  sa  main  :  Vi  irs  est,  dis-il,  liians  niés.  Il  a(ll 
encore  plus  avant  :  (  Ire  en  seul  ,  fait-il,  encore  nue  meilloi 

Cil  vient  avant,  si  s'agenoillc  pour  cueillir  la.  V  puera  s  se  lut 
bien  appareilliez  et  trel  un  coustel,  si  vient  après  le  vallei 

\  \i     Lors  s'en  purl  el  cornai  uça  •'  i  rolloi  le  cbief.    I 


28  ROMAN 

si  lefiert,  si  l'ocist  par  mi  tout  ce.  Encore  fist-il  plus:  il 
prist  Irestouz  les  livres  qu'il  avoit,  si  les  ardi.  Si  fuel  mal 
de  la  mort;  si  ot  menoison  :  ce  sont  li  mesage  de  la  mort. 
11  fist  querre  un  tonnel  d'un  mui ,  si  le  fait  amplir  de  la  plus 
clere  fontaine  que  l'en  puest  trouver  ;  si  fait  les  fonz  per- 
cier  en  .c.  leus,  si  il  fist  .c.  broches';  si  i  mist  poudre 
an  dedanz,  environ  chaueune  broche,  si  mande  plusorz 
genz  et  de  ses  amis  :  Seingnor,  fait-il ,  je  sui  à  la  mort; 
ge  ai  menoison.  Esgardez;  ai-ge  ce  tonnel  ampli  delà 
plus  clere  fontaine  que  l'en  peust  trover.  Or  traez  tous  les 
doiz.  Et  chascun  trait  le  sien,  et  s'il  n'en  oissi  onques  goûtes 
d'eve 2  :  or  poez  veoir ,  fet  Ypocras ,  que  ge  puis  ceste  fon- 
taine estangchier,  si  que  point  n'en  puet  oïssir.  Pourquoi 
germe  ele  en  ce  tonnel  ?  Et  moi  ne  puis  estangchier.  Or 
puis  ge  bien  savoir  que  je  me  muir.  El  voir  dist-il  ;  ne  de- 
mora  mie  lontterm-.ne  que  il  fu  morzet  trespassez. —  Ore, 
dit  messires  Auxilles  à  l'emperéor,  or  est  Ypocras  mort  et 
son  neveu  mort ,  par  la  main  de  son  oncle  et  ses  livres  ars. 
—  Certes,  fait  li  emperères.  riens  ne  li  grevast;  ainz  fust  re- 
sons et  biens,  s'il  éust  apris  son  neveu  et  lessié  ses  livres.  — 
Autretel  volez-vous  fere,  quant  .i.  sol  fil  que  vous  avez,vokiz 
destruire,  pour  le  dit  de  sa  marâtre.  Si  savez  bien  que  vos 
estes  vielz  et  debrisieiz,  et  si  n'en  aurez  jamès  plus  et  se 
vos  en  ceste  manière  le  volez  destruire,  si  vos  en  paisse 
avenir  si  comme  il  fist  à  Ypocras  de  son  nevou.—  Parmun 

■  Var.  Et  y  lit  mettre  .c.  broches.  (Id.)    . 

>  V*n.  Or  en  Irï-ez toutes  les  bruches.  —  Volenticrs ,  font  cil.  .Meir.lei.mt 
les  iraimi .  mes  il  n'en  i--i  goate  d'eaue.  '  M 


DES  SEM    SAGES.  29 

chief,  distli  emperères,  il  ne  m'en  avenra ja  ainsi .  se  De\ 
|)lcsi  :  car  il  ne  morra  mes  Inii.  —  Sire  ,  dist  Auxilles ,  v. 
c.  merci/.  Aiiisim  rcmcsirenl  tirés  que  à  la  nuit;  et  quant 
la  nuii  vint,  les  portes  du  paies  lurent  closes,  li  empereur 
vint  à  l'empereri/;  ele  fist  moult  maie  chière;  et  ot  leselz 
uids  do  ploror.  Li  emperères  Pa'peia  et  li  dist:  Dame, 
•l'ave/  vos?  dites  moi  que  vos  avez?  —  Sire,  je  ai  assésire  et 
inautalanl. — Dame,  pour  coi?  —  Sire,  mes  dires  ne  me  pro- 
fiterait rien  ;  mes  toutes  voies ,  me  poise  que  vos  onques 
me  préistes  por  si  tost  lessier.  —  Dame ,  somes  nos  ore  an 
lessier?  —Oïl ,  quejen'esgarderai  mie  vostre  abessement, 
ne  vostre  avillance,  car  jesai  bien  que  vos  estes  à  terre  per- 
dre.—  Dame,  coinmant? —  Sire,  que  je  voi  bien  que  tuil  li 
bOBke  de  vostre  terre  vos  courent  se ure  ;  et  por  celui  que 
\<r  apelezfill,  que  il  veulent' (qu'il  ait  la  terre  et  l'empire. 
Kl  se  ce  avient  que  vos  le  souffriez,  si  vos  en  puisse  avenir 
si  comme  il  lisl  à  celi  qui  gita  la  teste  son  père  en  la  lon- 
gaÎDgne.  —  Pourcel  Sire  qui  Diex  a  non,  qui  lu  cil,  disi  li 
emperères,  qui  listée?  K'empereriz  respont  :  Sire,  qu'an 
avez  vos  afaires  nule  riens,  ce  sai'-ge  bien.  —  Je  veil 
que  vos  le  dies,  dit  li  emperères ,  por  savoir  le. —  Sire, 
dist  ele,  volaniiers,  pour  savoir  se  vos  i  prandriez  espcrc- 
nienl.  —  Or  diles  donc?  —  Sire,  volaniiers. 

Sire  ',  ilôt  en  cesle  ville,  un  emperéeur  qui  Ot  DOuOUie- 

.  Ce  Ml  '•  /"''■  ir  /i"  7'c'  vont  effondrer  la  for  OtHttoà  .  por  mh- 
blir  '/'■  mm  avoir. 

i  i  première  \ cr^i.ii  de  celle  histoire  m  trouva  doua  Hérodote  Voyti 
.1  m  lujet  la  premièN  partie  de  ce  v<  lume  .  p    1 17, 


30  KOMAN 

viens  qui  ama  plus  or  et  argent  que  antre  chose.  11  en  aùna 
tant  que  il  en  ot  amplie  toute  lator  dn  croissant.  Si  ot  .ii. 
sages  remès  en  ceste  ville.  Li  .y.  en  furent  alez  en  conquest. 
De  ces  .ii.  sages  qui  furent  remès,  li  uns  en  fu  si  larges  et 
si  despenderes,  qu'il  mestoit  en  donner  tout  ce  qu'il  avoil, 
et  ce  qu'il  ne  pooit  meesme  avoir,  et  acréoit  en  plusieurs 
leus;  li  siens  n'estoit  véez  à  nului.  Il  avoit  .i.  (il  et  .ii.  filles 
et  se  vestoit  moult  richement,  et  tenoit  son  cors  chier,  et 
ses  enfanz.  Li  autres  des  sages  estoit  chiches  et  si  avers 
qu'il  ne  vouloit  riens  despendre;  et  si  augeleus  que  tout  ce 
(]ii'il  (avoit)  il  gardoitet  estreiguoit  moult  durement.  A  celui 
ltaillaOthevienssatoràgarderclson  trésor.  A  l'autre  sage 
en  pesa  moult,  quile  vosist  bien  avoir  en  garde,  qu'il  estoit 
h  songneus  de  plusors  choses.  Si  se  pansa  une  nuit,  cl 
prist  .ii.  pis  ,  si  apelle  son  fill  :  Ça  vien ,  tien  cest  pic  et 
gc  ceslui;  si  irons  en  lator  du  creissant  ;  etsi  fesonstani 
que  nos  antrons  anz;  si  prenons  assez  de  l'avoir  et  si  nous 
•  m  aiscrons  et  aquiterons. — Voire,  Sire,  dist  li  valiez, 
ce  ne  ferons  nos  mie;  il  n'est  plus  de  honte  que  cesir; 
que  ferions  nos,  se  nos  i  estions  trové'  ?  —  Fil ,  fait-il , 
îçe  n'avendra  jà  que  l'en  nos  i  truisse:  gc  veil  que  lu 
i  veingnes.  —  Sire  ,  dist  ii  ,  gc  l'en-  \<>stre  volante.  Il  fit 
espès;  lune  ne  luit ,  n'esloilo  ne  parut.  H  s'en  vonlcch 
part,  et  viennent  au  pie  de  la  tor;  et  piquèrent  lanl  et mail- 
lièreot  qu'il  entrèrent  enz.  Si  viennent  à  l'avoir,  si  se  char- 
gèrent; si  emportèrent  en  Lor  girons  tant  comme  il  enporeni 
plus  porter.   Et   lessèrenl  lors   pis.   Il  s'en  vinrent  à  loi 

\'\r..  Efotu  ci  nostre  lifrna^o  scricus  mora  ni  boniz.  (id.) 


DES   SI  l'I    SAGES.  'I 

mesoas,  »t  sfen  deschargèreol  de  l'avoir  qu'il  portoient. 
Lendemain  ckauca  et  vesti  Ba  mesriie ,  et  list  redreâer 
M-s  mesons  (]iii  estoient  eliaoites.  Li  sages  qui  ^ardoit 
la  tor,  ala  venir  tout  <'u tt>f  la  tor,  et  neuve  le  per- 
mis; etdavitdedanz  enceinste1,  si  entra  en/,  sitrovales 
pis,  si  esgarda  que  |'en  ôt  porté  de  l'avoir  l'emperébr,  une 
pallie  I!  s'en  isl  loi/. an  ières,  sanzfcre  unisse. Si  s'envieni 
i  son  ostel,  si  tel  querre  une  chaudière  à  teinturier;  il  la 
!et  aporter  devant  le  pertuis  de  la  tor,  et  fait  fere  une  fosse 
moult  forant  et  moult  merveilleuse;  si  i  fet  la  chaudière 
enfuir  et  prent  iduz  de  la  plus  fort  qu'il  onques  pot  trover, 
et  glaise  de  mer,  et  poiz  clplon;et  l'ail  tout  fondre  ensenlile. 
i  que  la  chaudière  lu  toute  phine.  Puis  prani  petites  ver- 
gettea,  si  les  mîsl  par  desus  la  chaudière,  puis  la  rue\iv 
par  desus  ;   si    s'en   \et  ».    Ne  déniera  ^ueres   que    li    sapées 

[es  Dl  despendu  tout  ce  que  il  m  apbrlé'j  si  u\,i  mes 
que  descendre,  car  il  01  tenu  grttift  eorzj  ei  l'ait  ^rant 
despens.  Une  nuit,  si  rapela  son  lill  et  li  dist  :  Fill,  list-il. 
dons  ;i  l;i  tor  eneore,  au  roi. — lia  !  Sire,  dist  li  valiez,  non 
ferons  !. —  Si  ferons,  «lit  li  pères,  nions  i  àncofC',  une  au- 
ire  foiz. —  Sire,  fait  le  vallel  a  son  pen\  luirai  vnl.intin- 

h  \<>^  euinnianderoi/.  —  Alone  an  .  de  par  heu  !  Il  lu 
NU  il  i      l;ul  ,    e|  lis!    espes.   Il   Se    llietenl  à  l:i  voir.   |.i  ju'-i  <- 

\  m-.,  li  sages  i|iii  arott  la  tour  an  garde,  fini  a  la  tour,  ji  mi  savoii 
|tw  riens  ni  .1 1 > ■ikIi.isi .  il  la  \ii  ladement  esfondrée,  et  tronra  le  pei 
h-     ld 

PuU  priai  brenehetet  <'i  petitei  vergetés;   m  mîsl  >'■ 
i  iiamiirir  i'i  la  couvri  de  terre  par  desus  :  pin-  -  .mi  ala     ld 
\  m-    .\\ni  •  sire  .  dis!  le  \  il'.  ;,.  i  i  ,i 


:V2  ROMAN 

avant  et  li  fuiz  après;  cl  tant  que  il  viennent  devant  la  lor. 
Li  pères  marche  avant,  si  chiet  en  la  chaudière;  et  i  avint 
très  qu'à  la  gorge  ;  et  il  senti  que  la  gluz  et  la  glaise  et  la 
poiz  et  le  pions  li  serrent  si  les  menbres  que  il  n'en  pot 
nul  trèreàli.  Il  cria  bêlement. —  Ha  !  biaus  fuis,  je  sui  morz. 
— Et  li  vallet  respont  :  Non  n'estes,  biau  père,  que  ge  vos  ai- 
derai. Li  valiez  s'abesse  à4*  chaudière.  — Ha  !  biaus  fillz, 
distli  pères,  ce  ne  puetestre;  biaus  fdz,  se  tui  chiez,  tu  es 
morz. —  Que  ferai-ge  dont?  irai-ge  querre  aide. —  Neveil, 
mes  ge  te  dirai  que  tu  feras  :  copes  moi  la  teste.  —  Avoi  ! 
biaus  père,  ce  ne  ferai-ge  mie.  Ainz  irai  querre  aide.  — 
Ce  ne  puet  estre;  fait  tost,  ainçois  que  autre  gent  viengnent; 
que  puisque  la  teste  sera  ostée  de  moi,  ne  serai-ge  conneuz, 
ne  mes  lingnages  n'en  aura  jà  reproche.  Cil  s'abesse  o  l'ar- 
meure  qu'il  avoil  aportée,  si  li  cope  la  teste,  si  l'emporte. 
Si  lu  iriez  et  esbahiz  qu'il  la  gita  en  son  fossé  aval  '.  Les 
filles  sorent  ce,  si  orent  grant  doel;  si  furent  moult  do- 
I  an  tes. 

Au  malin  %  li  sages  se  leva  et  s'en  vet  à  la  tor  et  regarde, 
et  vit  celui  en  la  chaudière;  et  vit  qu'il  ot  la  teste  copée. 
Siapeleses  serjanz,  si  l'en  list  trère.  Garda  l'en  à  destre , 
garda  l'en  à  senestre,  sus  etjus,/nès  ne  pot  estre  conneuz. 
Li  sages  fist  prendre  .ii.  chevax,  si  les  fist  lier  par  les  piez 
au  queues,  si  les  fist  trainer  par  mi  Rome  3,  et  command.i 

i  Var.  Puis  fu  si  esbahiz  que  il  lu  jela  en  une  des  fosses  son  père.  (Id.  > 
Ci  est  li  perei  qui  est  choit  dedenz  la  chaudière  ,  qui  cuidoit  ciifrc 
el  trésor,  et  son (ill  ilcsus  qui  lui  aoupo  la  teste  <jui  nu  soit  conneuz. 

•  Vat..  Lon  fisl  Usages  prendre  .ij.  chevax,  si  le  list  lier  par  les  fiiez  bus 
queues .  et  le  list  irainer  par  mi  Rome.  (H.) 


bEs  si.i'i  sages.  33 

: 1 1 1  serjanz  que  en  l'ostel  où  il  verroient  duel  1ère,  tornas- 
sent  et  les  préissent.  Il  ot  .ii.  valiez  sus  les  chevax  et  heur- 
tèi  l 'lit  par  mi  Rome,  et  avant  et  arrière  ,  tant  qu'il  vinrent 
par  devant  l'ostel  au  sage  que  l'en  trainnoit.  Li  valiez  es- 
toit  enz,  et  les  .ii.  filles  oissirent  hors.  Quant  eles  virent  loi- 
père  trainer,  si  commencièrent  à  brère  et  à  crier.  Li  valiez 
vit  qu'il  ne  se  porroit  mie  tenir  de  plorer,  si  se  fiert  d'un 
costel  par  mi  la  cuisse.  Cil  qui  aloient  enprès  le  mort  que 
l'en  trainoit ,  entrèrent  anz  et  demandèrent  le  seingneur. 
Li  valiez  respondi  qu'il  iert  en  la  vile.  —  Q'ont  donc  ces 
dainoiseles  qui  crient? —  Seingneur,  donc  ne  véez  vous 
que  ge  me  sui  navrez  en  la  cuisse  ,  d'un  costel  '  ?  —  C'est 
voirs,  firent  il.  Alant  se  partent  de  l'ostel  et  suirent  celui 
«pie  l'en  trainoit  ;  si  le  menèrent  hors  de  Rome  ,  si  l'en- 
foïrent. —  Ore,  sire,  fait  l'empereriz,  li  filz  lu  riches  hom 
de  ee  dont  li  pères  est  morz  à  honte.  Ore,  sire  ,  la  leste  son 
père  por  coi  n'enfoït  il  en  .i.  cimetière?  moût  li  fut  ore  po 
<le  bras,  ne  de  piez  ,  ne  de  teste,  quant  il  ot  l'avoir.  Autre 
tel  di  ge  de  vostre  filz.  Il  se  porchace  commant  il  puisse 
esire  emperères.  Et  puis  qu'il  aura  toute  la  terre,  moult  li 
sera  pou  de  vos,  ne  li  chaudra  quel  pair!  vos  alliez  ;  ne  quel 
voie  vos  leingnoiz.  Et  se  vos  ainsi  le  fêtes  (pie  vos  veilliez 
errer  au  conseil  au  sages,  ne  croire  vostre  fils  ' ,  si  vos  cm 
puisse  avenir  ausi  comme  il  list  à  celui  de  qui  la  teste  fu 

•  V*n.  Ktque  ont  donques  ces  nueeles  qui  «.i  crient '.'  -seigneur,  ne  mc/ 
vous  que  je  BM  .suis  nu\  r«v  BD  IftOÉBM  il  un  OOOBlal  I  Mavoient  pour  que  j<- 
no  tusse  afolez,  nu  morz.  (Id.) 

Vil    Et  M  vous  ainsinl  le  tcles  que  \rnis  ne  me  >euillie/  croire.  (M.) 

i 


34  ROM  v.\ 

gitée  en  la  longaingne. — Par  mon  chief,  distli  emperères, 
je  n'en  crerai  jà  nul,  se  Dex  plest!  si  ne  m'atorneront  mie 
einsi,  car  il  morra  le  matin.  L'empereriz  respont  :  Sire, 
Dex  vos  en  doint  force  et  vertu.  C4ele  nuit  passèrent  ain- 
sint,  jusqu'à  lendemain  que  les  sales  lurent  overtes.  Et  li 
emperères  lu  levez;  la  sale  ampli  des  hauz  barons  de 
Rome.  Li  emperères  apelle  ses  sers  :  Alez  en  la  joole, 
traiez  mon  fil  hors,  si  le  destruiez.  —  Sire,  vostre comman- 
dement sera  fet.  Il  avalent  aval  et  le  traient  à  mont,  et  s'en 
viennent  par  devant  l'emperéour,  si  li  demandent  :  Sire, 
de  quel  mort  mora-il? —  Enfouez  le  tout  vil".  Cil  s'en  pas- 
sent outre,  et  avallent  les  degrez  de  la  sale  contreval,  et  en- 
meinnentle  vallet  moult  vilenement,  parmi  la  mestre  rue, 
et  s'en  vont  ainsint  parmi  Rome.  A  tant  ezvos  an  de  ses 
mestres,  et  ot  non  Lantules  ;  il  ancontra  son  deciple;  li  val- 
iez li  enchna ,  li  sages  en  ot  pitié.  Si  s'en  vient  la  grant 
anbleure  de  son  palefroi,  et  vient  au  degré  de  la  sale,  et 
descent  de  son  cheval.  Chascun  li  escria  :  Ha  .'mestre,  or 
pansez  de  vostre  deciple.  II  s'en  monte  les  desgrez  contre- 
mont,  et  s'en  vient  devant  l'emperéeur,  si  le  salue  :  Sire, 
Dex  vos  gart  et  vos  doint  bon  jor.  Li  emperères  respont 
au  salu  qui  li  a  dit  :  Jà  Dex  ne  vos  beneie.  —  Avoi  !  fet 
messires  Lantules,  pourcoi  dites  vos  ce?  —  Ge  le  vos  di- 
rai, fait  ii  emperères,  je  vos  avoie  baillie  mon  fil  à  apren- 
dre  et  à  endoctriner,  et  la  première  doctrine  que  li  avez 
faite,  si  est  que  vos  li  avez  la  parole  toluc;  l'autre  qui 
veult  prendre  ma  famé  à  force.  Mes  jà  Dex  ne  vos 
in  doint  joïr;  et  bien  sachiez  que  tantost  comme  il 
sera  morz,  vos  morroiz  après,   et   seroiz  destruit  ense- 


DES  SEP1    8AGJ  s.  33 

ment.  —  Sire,  fait   Lantules,   soffrez  que  je  responde  : 
de   la  parole  rendre,  <■<•  «si  en  Deu;  de  rostre  rame 

prandre  à  force,  ce  est  fort  à  croire,  s  se   vos  voir/ 

rostre  fill  destraire  en  ceste  manière,  s;m/.  achoison 
sanz  jugement  de  vos  barons,  si  vos  en  puise  ainsint  avenir 
comme  au  riche  home  vavaseur  d<>  sa  lame.  —  Comment 
li  an  avint-il,  dit  liemperères,jele  veil  savoir.  — Sire  ge 
ne  le  vos  dirai  mie,  se  vos  ne  faites  respiter  vostre  iil  de 
la  mort  où  l'en  le  meine,  qnar  quant  que  ge  diroie  ne  me 
profiteroit  riens,  s'il  ostoit  destruiz;  mes  festes  le  respiter 
et  je  h'  vos  dirai  volantiers.  — Certes,  dit  li  emperères,  je 
l'ostroi.  Bien  assez  fu  qui  corrut  por  le  vallet;  l'en  le  res- 
pila.  Et  quant  il  vit  son  mestre,  si  li  enclina,  et  a  lVmpc- 
réeor  ainsint.  Mes  sires  Lantules  commence  son  conte. 

Sir»-  ',  il  ot  .i.  riche  vavaseur,  en  ceste  vile,  qui  estoh  de 
haut  linnaje  et  de  grantgent;  si  n'ot  point  de  famé  ne  <r«-n- 
fant  qui  deusl  tenir  ->"ii  héritage  après  lui.  Si  ami  vindrent 
a  lui  et  li  distrent  qu'il  préist  famé  de  coi  il  éusl  qui  tenist 
son  tenement,  après  lui;  et  il  lor  dist  qu'il  la  prendrait  vo- 
lantiers, quéissenl  la.  Il  la  quistrent.  il  lu  vieil  el  remès 
<•(  afcz;  et  ele  fu  luit-  etjoiene  ri  blonde.  Ele  vint  el  il  ala 
ta  m  l  qu'à  poinnes  pol  il  aler  au  moustier.  Ele  n'ot  de  li  nul 
déport,  «i  tant  qu'ele  ama  eu  la  ville  .i.  autre  borne.  Or 
•ii  il  et  us  et  costume  à  Rome,quesenus,ne  nulle  estoii 

'     ■  si  li  nchf  Immr  vt  su  /'mur  ./mi  Viw  r!ni<>ir  «•/  jniit    lu  jh 

ttoti  'iif,  j,  h,  1(1 ,  s.  quida  qu 
Or  trouve  celte  histoire  dans  la  Discipline  de  I  1  jujel 

ta  première  partie  de  ce  volume,  pagei  l 


36  ROMAN 

prise  errant,  par  mi  Rome,  puis  que  eoevre  feu  fustsonez.  ja 
ne  fnst  de  si  haut  parage,  ne  si  bien  enparentez ,  qu'il  ne  fust 
estoiez,  jusqu'à  matin  que  li  sage  estoient  venu  au  consis- 
toire. Adonques  si  estoit  fustez  par  mi  la  vile.  Et  tant  que 
la  famé  à  vavasor  ama,  en  la  vile,  et  qu'ele  ot  pris  plet  à 
son  ami.  Une  nuit,  il  fist  moult  espès  icele  nuit.  Ele  jut  o 
son  seigneur.  Et  tant  qui  li  menbra  de  la  convenance 
qu'ele  avoit  fet  à  son  ami  '.  Ele  se  lieve  de  delez  son  sein- 
gneur,  et  aval  les  degrez  contreval,  et  desferme  l'uis.  Ele 
truva  son  ami;  si  le  commance  a  acoler  et  àbesier  maues- 
sent.  Et  la  jalusie  si  entre  el  cuer  au  seigneur;  il  se  lieve, 
si  comme  il  pot,  si  avala  les  degrez  contreval;  si  les  oï 
conseillier  ensemble;  il  fu  iriez,  si  ferme  l'uis.  Si  s'en  vient 
à  la  fenestre,  en  haut,  si  escrie  :  Ha!  dame,  or  vos  ai-ge 
trovée  mauvessement.  JàDexnevosen  doint  joïrde  la  foi  et 
de  la  desloiauté  que  vos  me  portez.  — Ha!  sire,  merci,  ja 
vos  dis-ge  que  j'estoie  malade.  — Ha!  dame,  riens  ne  vos 
valt,  quar  ge  ai  oi  vostre  lechéeur  o  vos. —  Ha  !  sire,  certes 
non  feistes  ;  aiez  de  moi  m*rci. —  Certes,  dame,  je  le  vi. 
Ne  vos  valt  riens.— Ha!  sire,  pour  Dieu,  aiez  pitié  de  moi; 
jà  sonera  cuevre  feu  maintenant.  —  Certes,  dit-il,  ge  le 
voldroie  jà!  —  Ha!  pour  Deu,  sire,  jà  seroie-je  morte  et 
destruite,  car  je  seroie  demain  fustée,  par  mi  Rome,  et  tuit 
mi  parent  en  auroient  honte  et  reproche.  —  Dahaiz  ait  qui 
en  chaut,  dit-il.  lleuques  devant ,  ot  un  puis  d'antiquité  : 


.  v tu.  La  dame  Eunl  et  djfl  ;>  md  leigneoi  que  ele  estoit  malade. 


DES  SI  M   ^M.ES.  -T7 

Par  foi,  sire,  dit  la  dame,  se  vos  ne  m'ouvres,  or  endroit, 
l'uis,  ge  me  lerai  chaoir  el  puis.  — Certes,  dame,  moult  te 
voldroie.  —  Certes,  sire,  vos  ne  me  verroiz  jamès.  Il  fesoit 
moult  espcs,  si  que  li  .i.  ne  voit  l'autre.  Il  avoit  une  grant 
pierre  devant  l'uis;  ele  la  liève  à  son  col,  si  en  vient  droi- 
tement  au  puis:  Sire,  fetele,  cuer  ne  puet  mentir.  A  Dieu 
soiez  vos  commandez.  Et  ele  lest  la  pierre  chaoir  el  puis: 
Ha  !  seinte  Marie!  dist  li  vavaseurs,  ma  famé  est  morte  ;  jà 
ne  fesoie-je  mie,  se  por  li  chastier  non,  etpor  lui  espoan- 
ter.  Ele  s'en  vint  près  de  l'uis  ;  et  il  dévale  les  degrez,  si 
desferme  l'uis;  si  en  vient  contre  val,  au  puis.  Et  en  ce 
qu'il  regardoit  el  puis,  pour  savoir  s'il  oilt,  et  il  l'apeloif  a 
haute  voiz  :  Belle  suer,  estes  vos  morte?  Et  ele  s'en  entre  en 
la  meson,  si  ferme  l'uis,  si  s'en  vient  au  fcnestres  et  dist  : 
iNennil,  l'ait  ele,  mauves  leehienvs,  vos  voudriés  ure,  que 
ge  lusse  el  puis,  mes  je  u'i  sui  pas.  Or  est  esprovée  vostre 
lecherie  et  vostre  mauvestiej  n'cstoie  je  pas  assez  bêle  <i 
assez  gentils  fane.  —  Ha!  bêle,  douce  suer,  ouvres  ne 
l'uis;  jà  ai-ge  si  grant  joie  de  vos  que  je  cuidoie  que  lus- 
sir/  aorte. —  Ha]  mauves  vilains,  si  m'aist  Dex,  \"s  ni 
enterrotz  !  —  Ha  !  bêle  suer,  jà  sonera  maintenant  cuei  iv- 
fcus,  et  se  je  sui  ci  trovez,  ge  serai  pris  et  mis  en  la  jaole, 
et  demain  si  snai  fu(s)tez. —  Ce  vetl-ge  veoir,  fei  <-le,  ge 

ne  demant  plus;  jà  venront  It-s  eachauguetes  el  les  1 4 

geni  <-i  verront  quel  vie  vos  me  menez  «'i  tvei  menée,  grani 
pièce  a  <!<•  tens.  Atant  ez  vos  que  cuevre  feu  ^<>ua  meinte- 
nant.  A  tant  ei  vos  que  les  guetes  viennent  de  la  vile  ,  ti 
le  praimeiit,  en  ce  que  cueuvre  feu  Bonoit;il  distrentà 
la  dame    jà  n'oimes  m^  bon  parler  de  là  vilenie  vostrt 


38  ROMAN 

seingnor.  —  Ha  !  seingneurs,  fetele,  or  poez  savoir  que  ge 
l'ai  celé  toute  ma  vie,  et  tant  comme  ge  poi,  et  je  ne  le  veill 
plus  souffrir,  ne  celer,  car  vos  ne  savez  pas  la  vie  que  il 
m'a  fait  traire. — Par  foi,  dame,  font  lesguetes,  et  nos  l'en- 
menrons  ja  mes  que  cucvre  feu  soit  sonez  '.  —  Seingnors, 
dist  ele,  biau  m'en  est.  Et  cuevre  feu  lesse  à  sonner,  et  il  le 
prennent  et  le  meinent  il  à  tor,  comme  cil  qui  irie  estoient 
de  celé  chose  %  et  il  fu  très  qu'à  lendemain  que  il  fu  fustez 
par  mi  la  cité.  Ore  sire3  atorna  bien  la  dame  son  sein- 
gneur.  Et  avez  vos  oï  ceste  traïson  et  ceste  deslaiauté  que 
la  dame  mena  à  son  seingneur.  Encore  vos  menra  ceste 
noauz,  se  vos  la  créez  de  vostre  fil  occire  et  destruire.  — 
Par  mon  chief,  ditli  emperères,onquesde  si  tratresse  famé 
n'oï  mes  parler.  — Sire,  or  vos  i  gardez,  fait  messiresLan- 
tules.  — Par  mon  chief,  fait  li  emperères,  il  ne  mora  mes- 
hui,  dist  li  emperères,  ne  par  mon  commandement.  A  tant 
le  lessèrent  ester  jusq'au  soir.  Les  portes  furent  fermées.  Li 
emperères  vint  à  l'empereriz.  Ele  fu  irrée  et  moult  mauta- 
lentive.  Li  emperères  li  demande  qu'ele  a  :  Sire,  fait-ele, 
je  sui  la  plus  dolereuse  riens  qui  vive;  et  je  m'en  irai  le 
matin. — Non  fe rois,  dame,  ainz  remeindroiz,  se  Dieux 
plèst,  et  vos.  —  Sire,  ge  ne  remaindrai  pas;  car  au  matin 
sui-ge  au  chacier;  si  m'en  i  veil  mielz  aler  à  honor  que 
à  honte,  car  ge  sui  de  grant  linnage  et  joenne  famé;  et 

i  X\r\.  Et  nous  l'enmenrons  meintenant  que  cuevre  feu  sera  sonnez. 
(Id.) 

3  Vak.  Et  l'cnuiaiiirnlenla  tour,  comme  cil  qui  pire  en  estoient.  (fd.) 
S  w..  ftrc,  Sire, dist Lentollu» à l'emperéeur.  (Id.) 


h!  x  SEPT    BACU  5.  39 

vms  ne  volez  riens  croire  que  je  vos  die.  El  por  ce  que  vos 
ne  me  volés  croire,  si  vous  en  puise  avenir  ainsinl  comme 
il  lisi  a  celui  qui  livra  sa  famine  au  gros  roi.  —  Commant, 
pour  la  foi  que  je  «loi  a  heu,  qui  lu  cil  qui  livra  Ba  famé  an 
gros  roi?  —  Pour  avoir?  —  Dites  le  moi,  certes  il  m'est 
a\  is  qui  oe  l'amoit  gnieres;  por  Dieu,  dame,  or  le  me  dites. 
—  Sire,  que  me  valtmon  dire;  vos  ne  vol»'/  unie  chose 
lairepour  mon  dire. — Dame,  si  ferai,  se  Dexplest!  L'em- 
pererii  commance. 

—  Sire  '  ilôt  en  Puile  .i.  roi  qui  estoit  sodomites.  Il  des- 
daingnoit  lame  seur  toutes  riens.  Il  n'en  avoit  cure  de 
mile,  ja  tant  ne  fast  belle.  Et  tant  que  il  anfla  et  que  il 
entra  en  une  grant  maladie  et  anfla  si  que  luit  li  menbre 
li  repostrenl  dedans  lui.  Et  tant  qu'il  manda  .i.  fusicîen. 
Cil  vient  a  lui  ;  il  esgarda  et  vil  s'orine. —  Diva  !  fet  li  rois, 
garde  bc  tu  me  porras  garir;  je  le  donrai  terre  el  avoir, 
tant  comme  toi  plera.  —  Sire ,  granz  merciz,  et  ge  vos  g  - 
rirai  moult  bien.  A  tant  s'entremet  de  lui  si  durement .  uni 

le  li-l  desenfler  et  li  doua  pain  d'orge  el  eve  de  fontaine  , 

tant  qu'il  desenfla  touz,  et  que  li  membre  B'aparurent.  l.i 

mires  dis!  qui  li  convenoit  une  famé  :  De  par  Dieu  !  I,  s[  li 

ge  la  ferai  querre.  Il  apela  son  seneschal  :  Querez 

moi,  dist-il ,  une  lame.  —  lia!  sire,  merci,  j-'  ne  la  pouroic 

trouver,  que  l'en  cuide  que  \"s  soiez  aiiisint  enflez  comme 

'   CM  est  crlui  </i<i  livra  «i  famr  <vi  ■/>    -  I  sa  VOlmtt,  /*»iw 

<-f  pour  or. 

■iti-  eti  imii^  du  SynUpai  el  àt»  Panbohi  ii»>  scihi.il>. u    I 
la  première  partit  d volomi    | 


40  K03IAN 

vos  soliez  estre.  —  Donez  lui  avant,  .xx.  mars,  fait  li  rois, 
de  ma  rente,  que  vos  nel'aiez.  Il  vint  à  sa  famé,  et  li  dist: 
Dame,  il  vos  convient  gaaingnier  .xx.  mars.  —  Comment, 
sire?  —  Vos  gerrez  avec  le  roi,  an  nuit  solement.  —  Ha  ! 
sire,  merci.  Certes,  se  Dex  plest,  non  ferai.  —  Si  ferez  , 
fet-il,  ge  le  voscommant.  —  Ha  !  sire,  fet-ele,  je  ne  le 
feroie,  pour  terre  mengier.  —  Dame,  fet-il,  à  fere  l'estuet.  — 
Ha  !  sire,  plus  dure  honte  que  souffrestes,  pour  Dieu  merci. 

—  Dame,  dame,  qui  gaainguier  ne  veut,  perte  li  viengne. — 
Vostre  parole  ne  valt  riens,  sire ,  de  par  Dieu  !  vos  feroiz 
de  moi  vostre  plésir.  Quant  il  fu  anuitié,  li  senescax  vint  à 
son  seingneur,  en  la  chambre  où  couchoit.  Li  rois  li  de- 
mande :  Avez  vos  fait  ce  que  ge  vos  dis  ?  —  Sire,  oïl,  mes 
je  ne  veil  mie  que  l'en  la  voie,  por  ce  qu'ele  est  gentil  famé. 

—  De  par  Dieu  !  fet  li  rois.  Li  seneschaux  meismes  estaint  le 
cierge  et  fet  les  genz  départir.  Il  vient  à  sa  famé  ,  si  l'a- 
meine,  ele  se  despueille,  si  s'élance  joste  le  roi.  Il  ferme' 
la  chambre  sor  els.  Li  rois  jut  o  la  dame,  tant  qu'il  fu 
près  de  jor,  et  en  fist  sa  volante.  Li  seneschaux  vint  à  la 
chambre ,  si  la  desferme  ;  si  dist  au  roi  :  Sire,  dormez  vos  ? 

—  Seneschaux,  nennil,  dist  li  rois.  —  Sire,  i  convient  que 
celé  dame  s'en  ant,  qu'ele  ne  soit  aperceue. —  Par  mon 
chief  !  fet  li  rois,  non  fera,  qu'ele  me  plest. —  Sire,  ge  avoie 
en  convenant  à  ses  amis,  que  jà  ne  seroit  séu  quant  ele  s'en 
iroit.  — De  par  Deu  !  fet  li  rois,  ele  me  plest  encore.  Li 
seneschaux  se  départi  de  la  chambre,  et  atendi  tant  qu'il 
fustjorgrant,  et  que  prime  dejorsona;  lors  vint  à  la  chambre, 

i  Vab.  Liseneschaus  ferma  la  chambre  seareuls.  (1*1.) 


DLS  SEPT  s.vu.s.  i  I 

et  dit  :  Dame,  levez  vos,  il  est  bien  tens.  —  Par  mon  chief  ! 
dii  li  rois,  non  fera  ancore.  Li  seneschaux  fu  irriez  ;  il  eu- 
vre  une  des  fenestres,  ear  il  ne  pooit  plus  endurer,  et  la 
roic  du  soloil  luitsor  els  .ii.  —  Ha!  sire,  l'et  li  seneschaux, 
merci,  ce  est  ma  famé.  Li  emperères  se  liève  en  son  séant, 
si  regarde  le  senesehal  et  regarde  la  dame.  En  ce  qu'il  les 
ot  regardez  ensamble  ,  si  fu  iriez.  Si  appelle  le  senesehal  : 
Mal  cuivers,  mal  traites,  por  coi  la  me  baillas-tu  ?  mauves 
lierres  puant  !  —  Ha  !  sire ,  pour  Dieu  !  merci ,  por  gain- 
gnier  les  .xx.  mars.  —  Par  mon  chief!  dit  li  rois,  par  con- 
voitise vos  estes  honniz.  Hors,  hors,  tost,  de  ma  terre;  par 
celui  sire  qui  Dieux  a  non  ,  se  vos  i  estes  trovez,  quant  je 
serai  levez  je  vos  ferai  sachier  les  ieuz  et  trainer  à  queue 
de  cheval,  par  toute  ma  terre.  Li  seneschax  foui  hors  de  la 
terre ,  et  li  rois  maria  la  dame  bien  et  bel,  en  son  pais.  — 
Or,  sire,  fait  l'empcrei  iz,  dont  n'avez  vos  oï  et  entendu  ce 
que  je  vos  ai  dit:  avez  vosoï  que  li  seneschaus  list  par  con- 
voilisse  d'avoir.  Et  regardez  comment  il  en  est  avenu/.:  il 
est  deseiitez  à  toz  jors  ei  sa  laine  est  bien  mariée.  Autresi 
devez  vos  bien  et  sagement  prendre  garde  de  vos,  car  vos 
estes  ausin  couvoileux  d'escouler  et  d'oïr  les  paroles  a  ces 
sages.  -—  Mi  bien  saeliiés  que  je  le  \<>i  et  aperçois  que  con- 
voitise \<>s  vaincra  ,  et  que  eu  seroiz  essilliez  et  chaitis  et 
honleus  soi-  terre.  De  moi  ne  m'esmoi  g<"  mie,  car  mi  ami 
me  marieront  richement  et  bien.  Orsi  vos  eu  conviengne 

bien  ,  car  se  vos  ne  vus  gardez  ,  cil  qui  riens  n'i  ont  ,  m» 

qui  riens  ni  doivent  avoir,  en  seront  seigneur.  —  Par  mou 

chief]  non  seront,  dist  li  emperères.  car  ge  vos  di  que  nul 

riens  ne  le  puest  destorner,  ne  garantir  qu'il  ne  muin 


\1 


ROMAN 


demain.  —  Certes  ,  sire ,  vos  feroiz  que  sages  ,  se  vos  le 
faites  ainsi.  A  tant  lessèrent  lor  parlement  et  se  dormi- 
rent et  se  reposèrent  très  qu'à  landemein  que  li  emperères 
fu  levez.  Les  portes  furent  overtes  ,  li  paies  ampli  des 
plus  hauz  barons  de  la  terre.  Li  emperères  apele  ses  sers  : 
Alez,  et  si  prenez  mon  fill  et  si  le  destruiez.  —  Sire,  à 
vostre  commandement.  Il  s'en  avalent  en  la  jeole ,  si  l'en 
ameinent  sus.  Il  s'en  viennent  par  devant  l'emperéor,  et 
li  demandent  :  Sire  ,  de  quel  mort  morra  il  ?  Li  empe- 
rères dist:  Je  veil  que  il  soit  enfoiz  en  terre.  —  Sire,  vo- 
lanliers.  Il  s'en  passent  outre  et  s'en  entrent  en  la  rue. 
Atant  ez  vos  que  uns  de  ses  mestres  vient  qui  avoit  non 
messires  Malquidarz  li  torz  '.  Il  ot  pitié  de  son  deciple,  et 
s'en  vient  au  pie  du  degrez  de  la  sale  ;  il  descent.  Assez  fu 
qui  son  cheval  tint.  Il  s'en  vient  devant  l'emperéor  et  le 
salue.  Li  emperères  ne  li  rant  mie  son  salu,  ainz  le  maudit. 
Li  sages  rcspont  :  Por  coi  me  mal  dites  vos?  —  por  ce  que 
ge  vos  avoie  baillié  mon  fill  si  comme  à  Deu  2  ;  et  il  volt 
prendre  ma  famé  à  force;  et  por  ce ,  vueille,  que  l'en  sache 
que  je  faz  lui  destruire.  —  Ha  !  sire  ,  por  Dieu  merci  !  se 
vos,  sanz  Iejugemant  et  sans  conseil  de  vos  barons  le  des- 
truiez, si  vos  en  puise  ainsint  avenir  comme  il  fist  au  viel 
ancien  riche  home  de  sa  famé.  —  Gommant  li  en  avint- 
il ,  dist  li  emperères.  '  —  Certes  je  le  vos  dirai  volantiers, 

■  Vin.  Il  s'en  alèrenten  lajaole,  eU'cnmenèrentpar  devant  l'empcréeur, 
contrcval  les  degrez.  Et  s'en  aloient  par  mi  les  rues  de  Rome ,  et  tuit  cil  qui 
le  veoient  en  avoient  grant  pitié.  A  tant  es  vous  que  ses  mestres  vint  qui 
avoit  non  Malcuidarzli  roua.  (Id.) 

•  Et  ai  volt  prendre  ma  famé  à  force.  (Id.) 


DES  SEPT  SAGES.  13 

mes  se  vos  volez  que  ge  Le  vos  die,  si  laites  vostre  lil  res- 
piler.  —  Certes,  fait  li  emperères,  de  l'ancien  sage  orai-ge 
volantièrs;  card'estrange  manière  fu  sage  et  vielz,  et  ge  en 
voldroie  volantièrs  oïr  comment  sa  famé  le  déçut.  —  Sire  , 
ele  ne  le  déçut  mie ,  car  il  s'en  garda  bien  comme  sages. 
—  Or  dites ,  fait  li  emperères.  —  Envoie/,  dont  querre 
vostre  fill.  —  Volantièrs.  Assez  qui  fu  courut.  Il  le  ramai- 
nent  arriéres,  et  il  encline  à  Femperéour  et  à  son  mestre. 
il  le  remelent  en  la  joole.  Messires  Malcuidarz  commence 
son  conte  : 

J  Sire ,  il  ot  en  ceste  ville,  un  sages  viel  de  grant  aage  ;  il 
ot  moult  riche  terre  et  moult  bone.  Si  ami  vinrent  devant 
li  et  li  distrent  qu'il  preist  famé.  Et  à  paine  verrez  jà  si  viel 
home  qui  volantièrs  ne  praingne  joene  famé.  Il  lor  dist 
qu'il  la  queissent,  et  il  la  prangdroit  volantièrs.  Et  il  la 
quistrent  belle  et  joene  et  avenant  de  cors,  et  bloie.  Li 
sages  en  ot  eu  .ii.  des  lames.  11  fu  auques  vielz  et  ses  aages 
passez.  La  dame  fu  environ  son  seingneur  .i.  an  que  cli- 
ques folie  ne  fist,  jà  soit  ce  que  ele  en  eusi  grant  talant. 
Aueliief  de  l'an,  si  vint  au  mostier,  et  s'asist  joste  sa  mère 
et  parla  d'un  et  d'el;  et  dist  :  Dame,  je  n'ai  aulsoulazde 
mon  seingneur,  que  dire,  que  taisir.  Sachiez  que  je  \cil 
amer. — Eiu,  fille  ,  ce  ne  feras-tu  pas.  —  Certes,  dame. 
si  ferai.  — Vels  tu  fere  mon  conseil?  —  Certes,  dame*, 


•  Dites  le  moi;  car  de  l'ancien  sage  orroieje  volentien  la  de.  (Id.) 

•  Cieti  u tagti  ancien  qui  fit  tafowntteingHiitr  dt  .ii.  bras, pour  et 
1/1/  'Wc  oouloii  amer  aire  de  \ui. 

Voyez  au  sujet  de  ce  oonte^  la  première  partie  dei  e  volume,  page  I  18 


kï  roman 

«mil. —  Ge  vueil  que  tu  essaies  avant,  ton  seingneur.  — Vo- 
lontiers.—  Et  de  coi  1* essaieras-tu? — D'une  seue  hante 
qu'il  aime  plus  que  toz  les  autres  arbres  de  son  jardin;  si 
la  couperai,  si  verrai  qu'il  en  fera,  se  Dex  plest!  ne  rae 
tuera  mie. — -La  mère  respont  :  de  par  Deu,  mes  ce  poisse 
moi.  A  tant  s'en  partent.  La  dame  s'en  vient  à  son  ostel,  et 
demande  où  ses  sires  estoit,  et  l'en  li  dist  qu'il  estoit  alez 
esbatre,  n'avoit  gueres,  sor  son  palefroi ,  après  son  veneur 
au  chiens.  Ele  apelle  .i.  sien  serjant  :  Va,  si  pren  celé  co- 
gnie,  sivien  après  moi. —  Volantiers,  dame.  Il  s'en  vient 
el  vergier.  Ele  vient  à  l'ante  :  Cope  moi ,  fet  ele ,  ceste 
liante.  — Ha  !  dame,  non  ferai.  — Si  feras  ,  ge  (te)  le  com- 
mant.  —  Certes,  dame,  non  ferai,  car  c'est  la  bonne  ante 
mon  seingneur.  — Baille  moi  celle  cognie.  Ele  la  prenten 
sa  mein,  et  commença  à  ferirà  destre  et  à  senestre,  tant 
qu'elle  l'a  coupée.  Et  cil  la  tronçonna  et  ele  la  commence 
à  aporter  '.  Et  en  ce  qu'elle  l'aportoit,  ses  sires  vient;  il  la 
regarde  et  li  dist:  Gommant,  dame,  où  preistes  vos  ceste  bû- 
che 2? — Certes,  sire,  or  endroit  que  je  vingdu  moustier  ;  l'en 
me  dist  que  vos  estiez  alez  joer  au  chiens,  sor  vostre  palefroi, 
et  jesai  bien  que  vos  estes  frilleus,  et  çaienz  n'avoit  point  de 
bûche,  si  en  alai  en  cel  vergier,  si  copé  ceste  hante.  — 
—  Dame,  je  cuit  que  c'est  ma  bone  hante?  —  Certes, sire, 
je  ne  sai.  Li  sires  descent,  si  troeve  qu'ele  fu  copée  :  Ha  ! 
dame,  fait-il,  moult  malemcnt  servi  m'avez;  ce  est  ma  bone 

'  Vat».  Et  cil  la  tronçonna,  puis  li  commanda  à  aporter. 
>  Vak.  Il  regarda  les  tronçons  de  l'ente  et  les  fueilles  elles  branches; 
m  lu  tous  esperduz,  puis  dist:  où  preis  tu  ceste  branche? 


iu.s  Sl.PI   SACF.S.  i  . 

hante  que  j'avoie  si  chière  et  que  je  tant  anioie  ,  et  vos 
l'avez  oopée. — Ha!  sire,  ge  ne  m'en  pris  garde,  et  je  le  lis 
pour  ce  que  je  savoie  bien  que  vos  vendriez  toz  moilliez, 
et  touz  en  pléuz. — Dame,  je  le  lerai  à  tant  ester,  pour  ce 
que  vos  le  feisles  por  moi.  A  tant  le  lessèrent  très  qu'à  lan- 
demein.  La  dame  revint  au  moustier  et  vint  à  sa  mère. 
L'une  salua  l'autre.  La  mère  li  demanda  commant  il  li 
estoit,  et  ele  dist  :  Mult  bien;  j'ai  mon  seingnor  essaie. — 
Copas-tu  l'ante? — Ouil.  —  El  qu'en  dist-il? — Certes,  il 
n'en  fist  mie  grant  senblant  qu'il  fust  corrouciez.  Certes, 
dame,  or  veil  je  amer. — Non  feras,  belle  douce  fille,  lesse 
ester  ceste  folie. — Certes,  dame,  si  ferai,  je  ne  m'enten- 
droie  mie.  — Belle  fille,  dès  que  tu  ne  t'en  veuls  tenir,  or 
te  dirai  que  tu  feras. —  Et  coi,  dame?  —  Essaie  le  encore. 
— Certes,  dame,  volantiers. —  Et  de  coi  l'essaieras-tu?  — 
Ge  le  vos  dirai,  fet  sa  lille  :  mes  sires  a  une  levrière  que  il  a 
(•lus  chière  qne  riens  née  ;  il  ne  soulferroit  pas  que  nus  de 
ses  serjanz  la  ramuast  de  joste  le  fou,  ne  que  nus  la  pensfl 
se  il  non;  ge  l'oeirrai  aneore  annuit.  — De  par  Deu,  fait 
la  mère  '.  A  tant  s'om  partent.  La  dame  s'en  vint  en  sa  me- 
son.  11  lu  tart;  li  feus  fu  biaus  et  ardoit  eler,  et  li  lit  fu- 
rent bien  part- de  belles  contes  pointes,  de  bianx  tapi/.  ;  et 
la  dame  ffl  voslue  d'une  pelice  d'eseurous  toute  l'reselie. 
Li  sires  vint  des  elians  '  ;  ele  se  leva  contre  lui,  si  li  oste  M 

chape,  si  li  volt  oster  ses  espérons  ri  s*ob<  m  moult  à  li,  et 
aporte  .i.  mantel  d'escarlate  force,  ei  li  met  a  iei  espaolea 

■  V»n.  Jp  Iniirni  encore  nuit.        Je  l'ottoi,  *  i  i — t  li  niere     H 
\  «i     Mi'iniiMi.ini  vint  h  ^ircs  de  chtctai 


46  HOMAN 

et  apareille  une  chaière,  el  li  sires  si  asiet  ;  d'autre  part  s'a- 
siet  la  dame  sor  une  sele.  Et  li  chien  vindrent  de  toutes 
parz,  si  s'en  montèrent  sus  ses  liz  ;  et  la  levrière  vient,  si 
s'asiet  sor  le  peliçon  à  la  dame  '  ;  la  dame  esgarde  .i.  des 
boviers  qui  fu  venuz  de  la  charrue.  Si  ot  .i.  costel  à  sa 
ceinture.  La  dame  saut,  si  prant  ce  costel  et  fiert  celé  le- 
vrière, si  l'ocit,  si  que  li  peliçons  lu  ensanglantez ,  et  li 
foiers.  Li  sires  regarde  celle  merveille  :  Qu'est  ce,  dame, 
fait-il,  commant  fustes  vos  si  hardie  que  vos  osâtes  ocirre 
ma  levrière? —  Commant,  sire,  donc  ne  véez  vos,  chacun 
jor,  commant  il  atornent  voz  liz;  il  ne  passera  jà  .iii.  jorz 
qui  ne  nos  coviengne  fere  buée,  por  vos  chiens;  par  la 
mort  Dieu  !  je  les  occirroie  avant,  toz,  de  mes  meins,  que  il 
alassent  ainsint  par  ceanz.  Or  regardez  de  ma  pelice  que 
je  n'avoieonquesvestue,  qu'eleele  est  atornée  ?  cuidiez  vos 
que  ge  n'en  soie  irriez  ?  Li  vielz  sages  respondi  :  Certes , 
dame,  mal  avez  esploitie  et  mau  gré  vos  en  sai,  mes  je  le 
lerai  ore  ester,  à  ceste  foiz,  que  je  n'en  parlerai  plus.  —  Par 
foi ,  sire ,  dist  la  dame,  vous  ferez  de  moi  voslre  plesir, 
car  ge  sui  toute  vostre.  Certes,  sire,  moult  me  repant  que 
je  l'ai  fait;  que  je  sai  bien  que  vos  l'amiez  inout,  si  me 
poisse  de  ce  que  ge  vos  ai  fait  trop  irie.  Lors  commence  à 
plorer.  Si  lessa  ester  tant  que  vint  a  lendemein,  qu'elevint 
au  moustier,  à  sa  mère.  La  mère  la  vit  venir,  si  la  salue,  et 
ele  lui.  La  mère  li  demande  :  Dites  moi,  bêle  fille,  commant 
vos  estuet?—  Dame,  bien  ;  or  vos  di-ge  de  vérité  que  je 

■  Vab.  Et  la  lissclc  au  seigneur  se  coucha  sus  la  pelice  à  la  dame,  qui 
tonte  fresche  estnit.  Quant  ele  vit  ce,  ele  lu  mult  corrodée. 


l>i  s  mm   8AG1  S.  47 

Mil  rimer.  Ha!  bêle  lille,  si  ne  t'en  pourroies  tenir?  — 
(.nies,  dame,  non.  —  Belle  douce  fille,  jà  me  sui-ge  tenue 
i(i/  lesjorzde  ma  vie,  à  ton  père,  conques  folie  ne  fis,  ne 
talantn'en  oi.  —  lia!  dame,  il  n'est  mie  si  de  moieomme 
il  estoitde  vos,  car  mes  pères  cstoit  joennes,  quant  VOS  le 
préistes;  si  eustes  voz  joies  ensemble,  mes  je  n'ai  du  mien 
ne  soulaz,  ne  déport.  Si  me  convient  à  porchacier.  --  Et 
qui  ameroies  tu?—  Certes,  je  le  vos  dirai:  le  provoire  de 
ceste  vile  qui  m'en  a  requisse  et  proiée.  —  Le  provoire  de 
ceste  vile,  dist  la  mère! — Certes  voirs  est,  ge  ne  voldroie 
pas  amer  chevalier  ;  c:ir  il  se  venleroient  à  la  gent  et  gabe- 
roienl  de  moi,  et  me  demanderaient  mes  gajesàengajer. — 
Diva! car fai  ancoremon  conseil,  dist  la  mère. — Etcommant, 
damé  ?-  Essaie  le  ancore? —  Essaier  tant,  fait  la  fille  !- 
Voire,  je  le  te  lo,  par  mon  chief,  car  tu  ne  verras  jà  m  mile 
vangance,  ne  si  cruel  corne  de  viel   home.     Dame  volan- 

liersje  le  ferai  vostre  conseill.  — Ore  de  coi  L'essaiéras-tu, 

fait  la  daine. — Certes,  dame,  il  sera  joedi,  le  jor  de  Noël, 
si  tendra  messire  grant  cort ,  que  mit  li  vavassor  de  ceste 
Ville  seront.  Et  je    me  Serai  assise,  au  chief  de  la    table, 

en  une  chaière.  En  ce  que  li  premiers  mes  sera  asis,  ^,- 
mêlerai  mes  des  es  franges  del  tablier,  si  me  lèverai,  si 

livrai  tout  adouc  a  nini.  I.t  aiusiii!  aurai  essaie   mon  sein- 

gnorpar.iii.  foi/.. —  Orva,fel  la  mère,  Dex  te  doint  bien 

feic  !  Celé  s'en  paît  a  itant  ,  si  s'en    vienl  a  sou  OStel;   ,-lr 

rvi u  bien  sonseingnor  el  un  mit  bel.  a  tant  que  li  jora 

de  iNiiei  n î ii t .  la  vavasor  de  Rome  furent  venuz  et  des  da- 
mes îss,/.  Les  tables  Iiiichi  mises  el  b  tabliers,  el  les  sa- 
liers,  ci  li  coustel;  el  il  s'asistrent.  I  i  sires  sala  seoir  el  la 


48  ROMAN 

dame  se  rasist  au  chief  de  la  table,  en  une  chaière.  Li  ser- 
gent aportent  le  premier  mes  sor  la  table ,  et  la  savor.  Et  en 
ce  que  li  vallet  commancèrent  à  tranchier,  la  dame  entor- 
teilla  ses  clés  es  franges  du  doublier  ;  ele  se  liève,  si  fait 
.i.  grant  pas  arrières,  si  viennentlesescueles,  si  espandent. 
Li  sires  fu  iriez,  la  dame  oste  ses  clés  qui  estoient  entorteil- 
liesel  doublier:  Dame,  fait  li  sires,  vos  avez  malementes- 
ploitie. —  Par  ma  foi,  sire,  je  n'en  poi  mes.  J'aloie  quérir 
vostre  coutiau  et  vostre  tablier  qui  n'estoit  mie  sor  table, 
si  m'en  pesoit.  —  Ore ,  dame,  de  par  Dieu,  or  nos  aportez 
autres  doubliers.  La  dame  fait  aporter  autres;  et  l'en  aporte 
autres  mes;  il  mengèrent  antor  nuit ,  lieement.  Li  sire  ne 
fist  mie  senblant  de  s'ire.  Et  quant  il  orent  assez  men- 
gié,  et  li  sires  les  ot  moult  annorez,  il  se  départirent.  Li  si- 
res soffri  celé  nuit,  tant  que  vint  à  lendemain  ;  li  sires  vint 
à  la  dame:  Dame,  vos  m'aveznait  .iii.  entretes  mauvèses, 
se  je  puis  vos  ne  me  ferez  pas  la  quarte.  Ce  vos  fet  faire 
mauves  sanc  ;  à  seingnier  vos  estuet.  Il  mande  le  seingneur, 
si  fait  fere  le  feu  ;  en  ce  que  li  feus  fu  grans,  il  vient  à  la 
dame  :  Qu'est-ce,  sire,  fet  ele,  que  volez  vous  fere? —  Os- 
te(r)  vostre  mauves  sanc1.  Si  li  fait  eschaufer  le  destre  braz 
au  feu;  quant  il  fu  bien  chauz,  li  seignierres  i  fiert,  et  li  roic 
vole  grans ,  hors  du  braz  ,  et  une  flamme  en  oissi ,  comme 
une  bestumes,  tant  que  li  sens  vermaus  vint.  11  la  fait  es- 


i  Vxn.  Dame,  fct-il,  je  vous  vueil  faire  seignier.  —  Ha  !  sire,  fct-ele, 
je  ne  fui  onques  saigniée,  en  ma  vie.  —  A  fere,  fet  li  sires,  l'cstust,  car  les 
entretes  mauvi'ses  que  vous  m'avez  fêtes,  vous  a  fet  à  fere  mauvais  sanc 
Tantôt  la  fist  despoiller,  voulut  OU  non,  le  destre  braz.  (Id.) 


hl  S  MPI    SAGES.  '«!> 

tanchierei  li  fait  l'autre  braz  de  la  robedespoillier.  La  dame 
commence  a  crier,  riens  ne  li  valt;  il  li  refait  eschaufer  ej 

li  seingneurs  i  fiert.  Autre  tel  oissi  de  celui  braz  comme  de 
l'autre,  tant  que  li  vermeus  Banc  eu  ist.  Quant  li  vermeus 
sanc  vint,  li  sages  la  list  estangcfaier  et  la  fet  porter  es  »on 
lit,  en  sa  chambre.  Ele  commanee  à  crier  et  mande  sa  mère, 
et  ele  i  rinl  ;  et  quand  la  vit,  si  dist:  lia!  a  !  dame,  morte 
sui.  —  Gommant,  fille?  —  Daine,  il  m'a  fait  seingnier  des  .ii. 
braz. — Ore,  belle  fille,  as-tu  ore  talant d'amer?  —  Certes, 
je  non.  Jà  scroie  ge  morte  !  —  Fille,  je  le  te  disoie  bien  , 
tu  ne  verras  jà  si  cruel  home  ,  comme  le  viel.  —  Certes, 
dame,  je  n'amerai  jamès.  —  Par  foi,  belle  fille,  tu  feras 
<  Mimne  Bage.  Ore  sire,  fait  Bfaucuidarz  li  torz,  dont  ne 
lu  il  Bages?  S;i  famé  li  lisi  .iii.  antretes',  la  première  de 
Tante,  la  seconde  de  la  levrière,  la  tierce  «lu  mengier  espan- 
ilre;  la  quarte  fust  ancore  plus  laide  qu'ele  eust  anime  le 
provoire  de  la  vile.  Autresint  vos  di-ge  de  rostre  Famé 

Ele  vos  veiisL  1ère  une  mauvesse  entiete,  que  velt  que  \  06 

ociez  votre  fil/.  Esgardez  commantli  sages  lisi,  ne  se  vanga 
il  bien? — Li  emperères  respont:  Oïl.-  Sire,  l'ait  messires 
Bfalcuidarz  li  torz,  ne  crée/,  donl  mie  voslre  famé,  de  quan- 
qu'ele  vos  dira.  —  Par  mon  chief  fait  li  emperères,  non  fe- 
rai-ge;  sachiez  qu'il  ne  morra  meshui.  A  tant  lessèrem 
jusqu'à  lendemain  :  il  lu  tari;  les  portes  de  la  sale  lurent 
fermées,  Li  emperères  vint  à  l'empereriz  i  ele  lu  irée  et  cor- 
rouciée  el  matalantive.  Li  emperères  la  regarde  et  li  de- 
mande: Que  avez  vos?    -Quoi,  sire,  je  sui  moult  dotante 

\  wi    sa  fime  li  ii-i  trois  entrailes  letlw     Id 


50  ROMAN 

de  ce  que  estes  entrez  en  si  grant  convoitise  de  bêles  pa- 
roles fausses  et  tratesses  oïr.  Et  pour  ce  ne  fu  il  mie  mer- 
veille se  Crassus  H  emperères  convoita  or  et  argent,  ne  s'il 
morut  par  ceste  convoitise.  —  Comment  en  fu  il  morz?  or  le 
me  dites  et  contez.  —  Foi  que  vos  me  devez,  que  vaut  mon 
conter,  ne  mon  sens,  ne  mon  savoir?  se  ge  le  vos  ai  conté 
que  vos  n'en  retenez  riens.  —  Dame,  certes,  si  ferai,  or 
dites. — Sire,  Dieux  le  vos  doint. 

—  Sire  ',  ilôt  en  ceste  vile,  .i.  clerc  qui  otnon  Vergile,  et 
fu  bon  clers  de  touz  les  .vii.  arz.  Il  sot  mont  de  nigromance  ; 
etparnigromance  fist-il,  en  ceste  vile,  un  feu  qui  tozjorz  ar- 
doit,  que  les  povres  famés  qui  avoient  lor  petiz  anfanz  ,  no 
pooient  entrer  ciliés  ces  riches  homes,  ne  en  cesautes  torz, 
ne  en  ces  autes  sales,  qui  dormoient  très  qu'à  tierce,  de  joste 
le  feu  ,  si  i  prenoient  le  feu  a.  Au  desus,  si  avoit  .i.  home 
tregité  de  coivre  qui  tenoit  .i.  arc  de  coivre  et  une  sajete,  si 
avoit  bien  entesse;  el  col  de  cel  home,  s' avoient  lestres  qui  di- 
soient: Qui  me  ferra,  je  tresraijà.  En  ceste  ville,  siot.i.  clerc 
de  Lonbardie  à  escole;  et  estoit  genlis  hom  et  riches.  Il  vint 
vers  ce  feu,  et  regarde  vers  l'orne  tresgité ,  et  vit  les  lestres, 
si  les  conut  bien  qu'il  li  ot  escrit  :  Qui  me  ferra,  je  treraijà. 

■  Ci  est  Virgile  qui  fet  .i.  feu  par  igromance;  et  au  mileu  de  ce  feu 
À.  home  tresgeté  de  coivre  qui  tient  .[.arc  en  sa  mein,  tout  entese,  et 
fet  mult  grant  semblant  detrère;  et  est  tout  droit  emrni  le  feu. 

Au  sujet  de  cette  histoire  et  de  la  magie  prétendue  de  Virgile,  voyez  la 
première  partie  de  ce  volume,  pages  150, 151. 

•  Vak.  Et  ces  povres  famés  qui  ces  petiz  enfanz  avoient,  quant  eles 
ne  pooient  entrer  chiés  ces  riches  homes,  en  ces  hautes  mesons,  qui  dor- 
ment jusques  à  tierce,  jouste  leur  famés,  à  cel  feu  se  chaufoient,  et  pre 
uoientde  levé  chaude  à  leur  enfanz  haignier.  (Id.) 


DF.S  MN    BAG1  S  11 

H  demande  a  sescompaiujjUons  :  rYrai-ije  .1.  hiau  cop? — 
Sire,  otiil,  si  vos  plest.  Et  il  le  fiert  et  il  Iret,  et  il  fiert  el  feu 
rt  li  Inis  estafat.  —Sire  ,  dist  l'emperori/. ,  dont  ne  fist  il 
pechié  ?  — Certes,  dame.  —  Ouil,  voire,  fet  ele  ,  caries  po- 
\res  lamines  y  prenoient  feu;  voirs  est ,  sire.  Ancore  fist  il 
plus,  cm  il  fist  par  nigromance,  sus  les  pilers  de  marbre,  .i. 
miréor  par  coi  cil  de  ceste  vile  véoient  ceus  qui  votaient 
\*  niràRome,  pormal  fere.  Et  tantost  comme  il  véoientque 
aucune  terre  voloit  révéler  contre  Rome,  si  mandoient  les 
communes  des  viles,  si  s'armoient  etaloient  sor  celé  terre, 
si  la  destruisoient.  Tant  que  li  rois  de  Puile  en  lu  iriez,  et 
qu'il  asembla  ses  homes  de  su  terre,  si  lor  demanda  conseil 
que  il  l'eroit  de  Rome  < ]  1 1  ï  si  inrloil  sa  terre  a  mal,  et  qu'il 
esloient  BôtlgiCft,  et  rendoient  Uni  a  l'ouiie.  Illetiques  61  .iii. 

bachelere  qui  frère  festoient*  Li  uns  d'euls  se  leva  et  parla  : 

Par  loi  ,  sire  ,  se  vos  nos  voir/  douer  du  \nMrf,  nos  aha- 
irions  |q  tliréor.  — Par  foi  ,  fait  li  rois,  ge  vos  donre  (oui 
quanque  vos  demanderez;  se  vos  vole/  chastiaux  .  s.-  mis 
VOteZ  \iles.  se  vos  vole/,  rentes.  El    il  rCSpondenl   :  N08  nos 

mettrons £a voBtre inanoie.  —  Grenl  merci/,  dit  lirois  li 

ein/.  ne/,  parla  :  Sire,  or  nos  letes  amplir  .iii.  OOSierei  d'or. — 

Certes  vdlautieri»  11  furent  ampli ,  et  il  les  font  mettre  ea 

une  charreste  fort  à  .iii.  rhevax.  Il  arueilliient  |or  oirre 
loiil  droit  a  Home.  Kn  ce|  lent,  CrflSttfl  BStOÎI  einperéres. 
qui  BlOult  esloit  c onvoileiis  d'or  aquei  re.  Il  vinrent  si  tari 
qu'il  se  prisirent  garde  que  nus  n'issoit  hors  de  limite  V 
une  des  portes,  si  eiiloiivu!  1111  des  COterei  d'or.  e|  a  la  se- 
conde l'autre,  el  a  la  tierce  l'autre.  El  lors  se  vonl  berbei 
gier  en  1 1  vile,  et  Breni  graai  deapena,  celle  nuit. 


■  ri  ROMAN 

A  lendemein,  quant  li  empegères  lu  levez  ,  si  viennent 
à  lui  et  le  saluent,  et  li  distrent:  Sire,  nos  somes  devinéor 
et  trouvéorde  trésors;  si  somes  venuz  à  vos,  que  nos  sa- 
vons bien  qu'an  vostre  terre  en  a  assez.  — Bien  soiez  vos 
venuz,  fait  li  emperères,  vos  remeindroiz  à  moi.  — Sire, 
volantiers,  mes  nos  an  voulons  avoir  la  moitié  de  ce  que  nos 
troverrons  ,  et  vos  l'autre.  Li  emperères  respont  :  Ge  l'os- 
troi ,  car  je  n'i  puis  riens  avoir,  se  par  vos  non.  —  Sire  , 
fait  li  ainz  nez,  ge  songerai  an  nuit,  et  demain  vous  dirai 
que  j'aurai  trové.  —  Par  foi,  fait  li  emperères  ,  je  l'ostroi. 
Et  il  s'en  alèrent  as  ostiex,  et  furent  moult  à  aise,  celle 
nuit ,  tant  que  vint  à  lendemein.  Il  vinrent  à  l'emperéor  : 
Sire,  je  ai  songié  un  petit  trésor  à  la  porte  devers  Puille. — 
Cari  allons,  fait  li  emperères.  — Par  foi,  sire,  volantiers. 
Il  vient  là  ,  et  grant  compaingnie  de  gent  ovec  lui ,  que  il  i 
avoit  mené  pour  véoir.  Et  commencièrent  à  piquier  là  où 
li  devins  dist.  H  n'orent  guières  piquié,  quant  il  trovèrent 
cel  trésor.  Li  emperères  le  fait  trère  hors  d'ilueques;  et  fu 
si  partiz  que  li  emperères  en  ot  la  moitié  et  li  deus  frères 
l'autre.  Li  emperères  en  fu  moult  liez  que  moult  le  con- 
voita. Li  secons  dist  qu'il  songeroit  ausinc.  Et  il  si  (ist; 
et  trova  le  sien  costerez.  Li  emperères  se  loa  moult  d'eus  , 
et  dist:  Par  foi,  fisl-il,  or  sai-ge  bien  que  vos  estes  vé- 
ritables.— Parfoi,font-il,  ce  est  noianz;  nos  en  avons  son- 
gié .i.  si  grant  que  à  poine  le  porroient  trère  luit  li  cheval 
de  vostre  cort.  —  Et  où  est-il?  feit  li  emperères.  —  Par  foi, 
font-il,  desoz  ce  miréor.  — Ce,  fait  li  emperères,  ne  ferai-^»- 

i  Ci  sont  les  .ij.  frèrrs  qui  parlent  à  l'cmvnirr,  Orassuê. 


DES  MSM    SAGES. 

a  nul  Puer,  que  ge  le  miréourféisse  abastre  où  nos  réons  toi 
(tus  qui  mal  veulent  1ère  on  ceste  terre.  —  Si  respondi- 
rent  cil  :  de  ce  n'avez  vos  garde  ,  car  nos  L'estançonneroufl 
si  bien  qu'il  ne  porra  chaoir.  — De  par  Dieu  !  doriques  i 
lune/. ,  le  malin,  fait  li  empërères.  —  Sire ,  volantiers.  — Il 
prennent  congié  à  lui,  et  s'en  vont  à  lor  oatel. 

1  Quant  vint  à  lendemein  ,  il  s'en  viennent  au  miréor,  et 
commencent  à  piquier,  et  firent  estançon  que  qu'il  estèrent 
la  terre,  par  desouz  le  miréour  ;  il  chevèrent  loz  jorz  el 
tant  que  le  miréor  lu  desl'ouiz;  il  ne  tint  que  a  l'^tan- 
çonnement.  Et  tant  que  vint  la  nuit;  il  s'em  partirent, 
et  li  ovrier  autresint.  Quant  il  fut  mie  nuit,  il  aportè- 
rent  le  l'eu  ,  el  le  metenten  l'estançonnemant;  et  ilardi 
dedenz,  et  il  estoupèrent  fors.  Et  quant  il  virent  que 
li  feus  lu  bien  espris ,  il  se  mirent  a  la  voir,  il  a'orrent 
mit'  granmanl  erré,  que  li  miréors  chéi,  el  que  li  pilera  de 
marbre  peçoia  par  mi.  Il  le  virent  bien  chaoir;  si  sfen  par- 
tirent à  grent  joie.  Et  tant  que  vint  à  lendemain,  M  haut  ba- 
ron «le  la  terre  s'asemUèrent  au  miréor:   il   esgardèrenl 

(pie,  par  la  convoitise  l'emperéor,  estoitehaoii  le  miréor.  I  i 
empërères  i  vint;  il  fu  moull  meuli  de  celle  grent  perte; 

il  list  qnerre  les  devineors  ,   nies  il  ne  porenl  estre  tro\e. 

Il  ie  senti  engingnié.  I.i  haut  home  de  la  terre  li  deman- 
dèrent polir  ini  il  avuil  ce  lait  ;  il  ne  lor  SOI  •  |  m  •  respondtv. 
se  par  la  cunvoilisse  de  lor  non.  Il  le  praimeul  et  li  ineste 

>  ri  mi  Crauui  U  tmperèrei  que  M  baron  '/'•  Boum oui  prit    pot 

dÛOnortt   ■:    i  <mt  mis     i.  /no*  MUT  le  initie,   et  U  fondent  Vor  >  n  lu 

I  m  ,  >■  qu'il  avoit  tant  eonvoitié  Cor  par 

nui  ncr     ,\lmt  /"'i  i 


ItnMAN 

.i.  Imissus  le  ventre,  parla  grant  ire  qu'il av oient,  pour  la 
perte  qu'il  avoient  fait.  Si  prannent  or  fondu,  etli  coulent 
par  mi  la  bouche,  et  par  mi  les  eulz  et  par  mi  les  orilles, 
par  mi  le  nez;  si  H  distrent:  Or  vosis ,  or  convoitas  ,  or 
auras,  et  d'or  morras.  En  ceste  manière  l'ocistrent.  Ore  , 
sin\distrempereriz  à  l'emperéor,  ore  est  cist  morz  à  grant 
honte.  Liemperères  respont  :  Certe,  dame,  voire. —  Certes, 
sire  ;  or  poez  vos  savoir  que  .ansint  morroiz  vos.  —  Avoi  ! 
daine,  fait  liemperères,  que  est  ce  que  vos  dites?  —  Cer- 
tes, sire,  je  vos  di  voir,  dont  n'est  ce  bien  semblant  que 
vos  estes  si  convoisteus  d'oïr  et  de  retenir  les  paroles  à  ces 
sages;  car  vos  en  perdroiz  la  terre  et  la  corone  et  vostre 
vie  ,  pour  .i.  pautonnier  que  vos  apelez  filz,  que  vos  avez 
fet  norrir.  Dahaiz  ait  filz  qui  quiert  le  desheritement  son 
père.  —  Or  ne  vos  en  courociez  pas,  fait  li  emperères,  que 
par  la  foi  que  vos  doi ,  il  ne  vos  déshéritera  pas ,  car  il 
morrn  le  matin.  —  Certes,  sire,  ne  vos  en  poist  mie,  ge  ne 
vos  en  croi  pas. — Dame,  sachiez  que  si  fera.  Elle  res- 
pont :  Sire ,  Dieux  vos  en  doint  bon  talent.  A  tant  lessè- 
rent  très  qu'à  lendemain  qui  fu  grant  jor,  que  li  emperères 
se  liève  ;  les  portes  furent  overtes,  et  li  paies  ampli  des  ba- 
rons de  la  terre.  Li  emperères  apele  ses  sers  :  Alez  ,  pre- 
nez mon  fill,  si  le  destruiez.  —  Sire,  volanliers.  Cil  des- 
cendent aval,  en  la  jeole ,  et  le  iraient  à  mont,  ei  l'en 
amainm -ni.  Il  passent  par  devant  l'emperéour.  Li  sers  le 
menèrent  si  tost,  et  si  vilainemant  que  onques  ne  li  lut  à 
encliner  à  son  père.  Il  s'en  avalent  les  degrez  de  la  saie,  et 
s'en   entrent    eu    ta    rue.  Ainsi  le    mainnent  vilainement 
par  mi  les  mes  de  Home.  A  tant  es  vos  que  uns  des  ses 


ht  s   m. M    5AG1  B, 

pestrea  vient  et  01  non  Chaton  d€  Rome,  «il  qui  list  le* 
livres  par  coi  li  enfant  sont  doctrine  ancore  a  escole.  Il 

vint  monlt  boue  oirre  ;  et  quant  '1  vil  son  disciple,  si  en  ot 
grant  pitié  de  ce  qu'en  le  demenoit  ainsint;  si  t'en)  passe 
outre  mont  boue  oirre,  si  en  vient  au  pié  du  de^re  de  la 
sale,  il  descent;  assez  lu  qui  son  cheval  tint.  Il  s'en  monta 
coatpemont  lea  degrés  ,  et  en  vient  devant  L'emperéor,  si 
le  salue.  L'emperères  ne  li  rant  mie  son  salu ,  ainz  li  disl 
honte  et  folie  ,  et  le  menace  de  son  pooir  :  Je  vos  avoie 
bail  lié  mon  til  à  aprendre,  et  vos  li  avez  la  parole  tolete  ;  et 
ma  lame  qu'il  vouloit  prendre  à  force  \  —  Sire,  fait  mi  sires 
Chatons,  de  la  parole  ne  di-je  mie  qu'il  ait  perdue,  car  se 
i  festoit  qu'il  l'eust perdue,  maugré  nos  en  devriez  savoir; 
mes  dr  rostre  lame  qu'il  voloil  prendre  par  force,  si  corn 
elle  vos  l'et  entendant,  et  riens  ne  n'est,  de  ce  vosdevez  \<^ 
i  itnsi  illici'.  Et  SC  vos  ne  le  l:iil<-s  ainsi  comme  je  vos  dis,  si 

\o>  en  puiser  avenir  si  comme  il  list  as  bourjoisdesa  pie.— 
eommant  a  vint  il ,  failli  emperères,  au  bourjoisde  sa  pie? 

Par  foi,  ge  le  vos  dirai  moult  volantiers,  mes  mes  dires 

■e  vaudrait  riens,  se  voste  fils  estait  mors]  Gestes  le  res|>lter, 

et  je  le  vos  dirai. — Et  je  le  respiterai,  fait  li  emperères.  — 
Sue,  or  l'envoie/,  donques  querre.  —  Volantiers.  Il  le  com- 
mande ;i  ramener  :  Mesa^ier  eourent  <pii  raineiiereni  le 
vallet.  Il  s'en  vient  pardevanl  l'enipeieum  i  t  DM  <le\ant  le 

oestre;  li  valiez  l'encline,  et  li  serf  le  metent  en  la  jeole. 
Mes  sires  Chatons  commence  son  conte 
Suc  .  fait-il,  ilotenceste  \ile..i.  bourjois qui avoil   > 

l  i  .  si    I-  !,  WJOii  </ui    lu  fit  m  Oit  .  <i'"   '"<"»»"•'  *d  f<i' 

<pt  Me  fetoit       Cette   histoire  est  une  Imitation  Set  livrai  de  SyaHpH 


of>  ROMAN 

pie  qui  disoit  ce  que  l'en  )i  demandeit  que  il  avoit  véu, 
qu'oie  parloit  moult  bien  la  langue  romainne.  Et  la  faîne 
au  bourjois  n'esteit  mie  sages,  qu'ele  amoit  en  la  vile.  Et 
quant  li  preudons  venoit  dehors,  la  pie  li  disoit  ce  que  ele 
avoit  véu,  et  sovent  avenoit  que  la  pie  li  disoit  voir  au  pre- 
dome,  que  li  amis  sa  famé  i  avoist  esté.  Et  il  l'en  créoit 
moult  bien,  qu'ele  ne  savoit  mentir,  ains  disoit  à  son  sein- 
gneur  toz  jorz  ce  qu'ele  véoit.  Tant  que  li  sires  fu  hors  en 
sa  marchandise;  il  ne  revint  pas  celé  nuit;  la  dame  manda 
son  ami.  La  pie  estoit  enunecageenhautattachiée,enune 
perche ,  en  mi  le  porche  de  la  meson.  Et  cil  vint  très  qu'à 
l'uis,  et  n'osa  entrer  anz,  pour  la  pie.  Si  manda  la  dame,  ele 
vin  t  à  lui  :  Dame,  dist-il ,  ge  n'ose  antrer  anz,  por  la  pie,  qu'ele 
lediroit  à  vostre  seingnor.  —  Venez  avant,  fet-elle,  g'en 
panseré  bien.  — Dame ,  dist-il,  volantiers.  Il  s'en  passe  ou- 
tre et  vient  en  la  chambre.  La  pie  le  regarde,  si  le  conut 
bien,  car  froiterie  li  avoit  fait  aucune  foiz,  si  s'escria  :  Ha  ! 
sire,  qui  en  la  chambre  estes  repos,  por  coi  n'i  venez  vos 
tant  comme  mes  sires  i  est?  A  tant  se  tut;  et  la  dame  s'a- 
pansa  de  maie  guille.  Quant  il  fu  anuitié,  eleprantsacham- 
berière,  si  li  baille  .i.  grant  plomme  plein  d'eve  et  .i.  cierge 
tout  aidant,  et  .i.  maillet  de  fust.  Quant  vint  vers  la  mie- 
nuit,  oie  la  fet  monter  sur  la  meson,  ileuc  endroit  où  la  pie 
estoit  ;  si  commance  à  férir  du  maillet  sur  les  essanles  ;  et 
quant  oie  avoit  assez  féru,  si  reprenait  le  cierge,  le  boutois 
par  entre  les  essanles,  que  la  clarté  on  venoit  à  la  pie,  enmi 


<i  île  Sf  mlal)iir.  Voyez  à  ce  snjo»  la  première  partie  <!<•  ce  volume,  pages  !)S 
h  i  M. 


DES  -I  l'i    BàGl  8.  M 

l<s  cul/.  Après  si  prenoit  le  plomme  et  vendit  l'ose  sus  la 
pie.  Et  tele  vie  mena  de  si  au  jor;  et  quant  il  lu  ajornez,  si 
descent,  le  maillet  en  sa  main,  et  le  cierge  en  l'autre.  Li  amis 
à  la  dame  s'en  ala. 

1  Ne  demora  guères  que  li  sires  vint.  Il  vint  tout  droit  à  sa 
pie: Amie,  dist-il,conment  vous  est? menjastes  vous  Irai? — 
Sire,  li  amis  ma  dame  a  été  céenz,  en  nuit,  toute  nuit,  et 
géu  o  lui  ;  n'a  guères  qu'il  s'en  parti.  Je  l'en  vi  ore  droit  aler 
par  ri.  Li  sires  regarda  la  dame  de  félons  eulz.  Lors  retorna 
mis  la  pie,  et  li  dist  :  Certes,  belle  douce  amie,  ge  vos  en 
croi  moult  bien.  —  Sire,  jàa  il  à  nuit,  fetsi  maie  nuit,  et  pi  eu 
toute  nuit;  et  a  tonné,  etesparti,  et  fait  de  moult  grain  es- 
CTOÎ8  ;  et  li  espar/,  me  venoit  en  mi  les  eulz.  Pou  s'en  fault 
que  ge  n'ai  esté  morte.  Li  sires  regarda  la  dame,  et  la  dame 
lui  :  Par  la  foiqnejedoi  Dieu,  du  me,  dist  li  sires,  il  afetmoult 
belle  nuit,  annuit.  et  moût  clere. —  Certes,  sire,  ça  mon 
fet,  *e  dist  la  dame,  une  des  plus  belles  el  des  plus  elères 
de  l'an.  Li  sires  demanda  à  ses  voisins  et  il  distrent  autiv- 
sint  qu'il  avoit  fet  moult  belle  nuit.  Li  sires  fu  irés;  la  dame 
le  \ii  en  ire.  et  vit  bien  son  point  qn'ele  pot  parler,  si  dis!  : 
Seingnor,  orpoezvooirde  coi  mi  sires  m'a  tozjora  blaamée 
et  férue  et  chaciée,  qu'il  créoil  sa  pie  de  quan  qu'ele  di- 
soit.  Or  androit,  li  disi-ele  que  mes  amis  a  an  oui  jeu  avec 
moi;  certes  ele  menl  ausint  bien  comme  ele  avoit  fet  da 
tens.  l.i  sire  lu  irez  de  ce  que  la  pie  li  avoil  menti  de  la 

Id  1 1 1 . 1 1 n 1 1 1 < •  la  vignette    on  lit  Molemeol  ntte  rubrique  :  Ci  est  in 

riniwiirif ■<<■  qui  ',,  meton   m  droU  tejria,  bat  nu  M  dSm 

maillet  et  vtru  ni- ,  ,-i  boule  trmi  1rs  ftcaultt 


5N  ROMAN 

nuit;  sicuide  que  ausint  li  mantil-ele  de  sa  famé.  11  vient 
à  sa  pie  :  Par  mon  chief!  fait-il,  vos  ne  me  mentiroiz  jamès. 
Si  la  prant,  si  li  ront  le  col. 

Quant  il  ot  ce  fait,  il  fu  si  esbahiz  que  nus  plus.  Il  regarda 
la  cage  où  la  pie  estoit  ;  et  regarde  contremont  les  essanlles, 
si  les  vit  desaouées.  Il  prant  une  eschiele  ,  si  monte  sus  la 
meson,  si  vit  le  plomme  que  la  chamberière  i  ot  porté  et  vit 
la  cire  dégoûtée  desus  les  essanlles,  et  regarde  que  la  cou- 
verture fu  toute  desavoiée,  et  vit  le  grantpertuis  par  où  elle 
botoit  le  cierge  tout  ardant  ;  si  s'apensa  de  la  traïson  que  sa 
lame  li  avoit  fête  ;  si  commença  à  fere  son  duel  :  Hilas!  fait-il, 
pour  coi  l'ai-ge  tuée?  Por  coi  crui-ge  ma  famé?  Il  s'en  de- 
valle  jus,  si  chace  sa  famé  hors  de  sa  meson;  si  se  com- 
mence à  demanteretà  destordre  ses  poinz  ensemble.  Ore 
sire,  fait  mes  sire  Chatons  à  l'emperéour,  se  cist  se  fust  por- 
veuz  avant,  ne  gardez,  il  n'eust  pas  sa  pie  tuée.  Or  s'en  re- 
pent,  or  fait  son  duel  ;  ore  a  sa  famé  forz  chaciée  pour  ce 
qu'il  avoit  creue  c'ocise  avoit  sa  pie  par  son  conseil.  Et 
autresint  voi-ge  et  oi  que  l'empereriz  se  travaille  commanl 
vostre  filz  soit  destruiz  ;  et  se  vos  la  créez  de  sa  destruction, 
sanz  autre  conseil  oïr,  si  vos  em  puist  avenir  si  corne  ilfist 
au  borjois  de  sa  pie.  Li  emperères  dist  :  Par  mon  chief,  il 
ne  m'en  avandra  pas  ainsint;  car  je  ne  la  crerai  mie.  Il  ne 
niitrra  meshui.  —  Sire,  dist  mestres  Chatons,  vos  feroiz  un 
des  savoirs  que  vosonques  féissiez  :  l'en  ne  doit  pas  ocire  son 
anfant  pour  le  dist  de  sa  marrastre. 

A  tant  lessèrent  ester  tant  que  vint  le  soir,  que  les  por- 
tes du  paies  lurent  fermées;  li  emperères  vint  à  l'empe- 
reriz.  YAc  fist  mauvèse  chière  que  bien  parut  à  son  sem- 


I»LS  MPI    IAG1  B.  59 

bUal ,  qu'ele  esloit  corroucie.  Li  emperères la  regarda  qui 
moult  l'amoit  :  Dame,  fait-il,  que  avez  vos?  vos  semblez  bien 
(Jainc  irrée.  —  Certes,  sire,  ge  m'en  irai  le  matin,  à  mes  amis; 
car  je  sui  de  moult  haut  parage.  —  Dame,  pour  coi?  dites 
le  moi.  — Par  foi,  sires,  je  sai  bien  que  vos  serez  déshéri- 
tez, car  vos  ne  volez  croire  nul  conseil;  et  pour  ce  que  vos 
non  volez  nul  croire,  si  vos  en  puisse  avenir  comme  il  fist  au 
roi  llerode  qui  tant  tint  en  despit  le  conseil  de  sa  famé,  par 
le  conseil  des  sages  que  il  en  perdit  la  veue. — Commant,  dist 
li  emperères,  la  perdi  il?  ce  voroi-jeoir. — Aque  fere  le  vos 
diroie-je?  Que  vos  n'en  feriez  riens. —  Par  mon  chief,  dame, 
vos  le  diroiz.  —  Certes,  sire,  fait-elle,  volantiers.  —  Dame, 
or  dites  donc?—  Sire,  fait-elle,  il  ot  .i.  amperéeur  à  Rome, 
qui  ot  non  llerode,  et  si  avoit  .vii.  sages,  si  corne  il  a  an- 
ii>re.  Mes  ilavoient  tel  coustume  mise  en  ceste  vile,  et  en 
cest  pais,  que  quiconques  songoit  songe  ,  s'il  venoit  au  sa- 
Krrs,  si  lor  aporloit  .i.  bossant  d'or,  et  lor  disoit  son  songe; 
et  il  lor  disoient  ce  qu'en  pooit  avenir.  Si  avoient  tant  de 
l'argi'iilci  de  l'or  qu'il  sormonloienl  l'emperéorde  richesi  v 
Kl  li  emperèreg  avoit  tel  maladie  en  soi ,  que  quant  il  voloit 
ismi  hors  des  portes  de  Kome,  il  avugloit.  Eli  avoit  essaie 
par  peintes  foiz,  et  ne  pooit  issir.  Tant  que  il  apela  .i.  jor 
ses  gages  :  Seingnora,  dist*il,car  me  dites  ce  que  jr  deman- 
derai. Et  il  respoudirent  s  Wlanlirrs.  —  Pour  coi,  fait-il. 
in'avuglentlioil,  quant  je  vucil  GRSSftl  hors  de  Home?— -Siiv, 
de  ce  ne  YOS Savons  nos  pas  reapoadre  .    sans  terme.  — 

Gommant,  fait-il,  eovient-il  terme!      Sure,  onil.      Et  je 

Le  vos  doing  très  qu'a  .iiii.  jorz.—  Sire,  mis  plus  tr<s  que 

.viii.  jorz.  Et  il  lor  donne  il  se  départent.  Si  m  mêlent  pas 


60  ROMAN 

lessier  en  lonc  séjor.  Il  porohacièrent  et  enquistrent  con- 
seil à  meintes  genz ,  tant  qu'en  lor  dist  que  uns  enfès  es- 
toit  en  la  terre  qui  n'avoit  eu  point  de  père,  et  avoit  à  non 
Mellin.  Si  se  mestent  à  la  voie,  et  s'en  vont  celé  part  où  il 
lor  avoit  esté  enseingné;  et  tant  qu'il  le  trovèrent  hors  de 
Rome ,  où  il  s'estoit  niellez  o  ses  compaingnons  qui  li  re- 
prochèrent qu'il  estoit  nez  sans  père.  Et  li  sages  s'arestè- 
rent  et  li  demandèrent  commant  il  avoit  à  non?Etlianfant 
ont  dist  Mellin.  Illuecques  maintenant,  vint  .i.  preudome 
au  sages  qui  estoit  esgarez  d'un  songe  qu'il  avoit  songié,  et 
portoit  .i.  bessant  d'or  en  sa  mein.  Et  Mellin  li  vint  à  Pan- 
contre  et  si  dist  :  Je  sai  bien  que  tu  quiers  et  que  tu  deman- 
des, et  que  tu  aportes.  Et  li  sage  escoutent  :  Tu  as  songé  un 
songe  dont  tu  es  esgarez,  si  en  vas  à  Rome  au  sages,  si  lor 
diras  ce  que  tu  as  songié,  et  lor  donras  .i.  bessant  que  tu 
portes  et  il  te  diront  ton  songe.  Mes  je  te  ferai  mieulz,queje 
te  dirai  ton  songe,  et  enporteras  ton  bessant.  Tuas  son- 
gié que  en  mi  ton  foier,  avoit  une  si  grant  fontaine  que  tuit 
cil  de  ton  voisinage  en  estoient  servi  et  abuvré.  La  fontaine 
senefie  .i.  grant  trésor  qui  est  desouz  ton  foier;  et  vas,  si  le 
fué,  que  tu  et  ta  lingnie,  se  tolu  ne  t'est,  toi  et  eulz  en  seroiz 
riches.  Li  preudome  vient  en  sa  meson,  et  les  sages,  et  li 
valiez  avec.  Li  preudome  mende  des  ovrics  et  fait  fouir, 
et  fuéent  tant  qu'il  trovèrent  le  trésor.  Moult  en  i  otà  grant 
planté.  Et  li  sages  em  pristrentà  lor  volante,  tant  comme  il 
voldrent,  et  au  vallet  en  offrent ,  mes  il  n'en  vot  riens  pran- 
dre.  Li  sage  s'en  partent  et  enmennent  le  vallet  à  cls.  Et 
quant  il  furent  hors  de  la  vile,  il  demandèrent  au  vallet,  s'il 
saurait  rendre  reson  au  r<»i  Hérode  por  coi  la  veue  li  trou- 


ni  s  si.PT  SAGES.  <il 

Moit,  quanL  il  voloit  issir  hors  de  Rome,  elil  lotir  dist:  Ouir. 
Il  amenèrent  le  vallet  devant  l'emperéor.  Au  tonne  que  li 
jors  tu  pris  de  respondre  ,  li  uns  d'euls  parla. 

Sire',  nos  somes  venuz  à  nostre  jour  pour  respondre  por 
coi  la  veue  vos  trouble,  quant  vos  volez  issir  hors  de  Rome. 
—  Voirs  est ,  dist  li  emperères,  or  dites  donques.  —  Sire  , 
nos  vos  avons  amené  cest  anfant  qui  respondra  pour  nos. — • 
Prenez  vos  seur  vos  quan  qu'il  dira  ?  fet  li  emperères. — 
Sire,  ouil.  —  Or  die  dont,  dit  li  emperères.  —  Sire,  fait  Mel- 
lins,  menez  moi  en  vostre  chambre;  ileuques  parlerai  à 
VOS. et  le  vosdiriaipor  coi  la  vette  vos  troble,  quant  vos  vo- 
lt/, issir  hors  de  Rome  ;  ileques  le  vos  dirai.  —  Volantiers, 
fait  li  emperères.  Li  emperères  le  mainne  en  sa  chambre, 
par  la  mein,  et  li  dit  li  emperères:  Or  dites.- — Sire,  volan- 
tiers. Ici  Melin;  lors  comanco  son  conte. 

Sire  \  Ici  SfelHns,  souz  vostre  lit  où  vos  gissez,  si  a  une 
chaudière  qui  bout  à  grantundes,  et  i  a  .vii.  deables.  Et  tant 
comme  celle  chaudière  i  sein  et  cil  .vii.  boulions  i  soient, 
ne  poez  issir  de  Rome,  que  vos  puissiez  veoir  chemin,  ne 
connoistre  voie,  ne  sentier.  Kl  se  vos  usiez  la  chaudière, 
sans  les  boulions  estaindre ,  vos  avei   perdu  la    vene  — 

>  Ci  est  le  rois  Uerodcs  qui  a  >i'tn<</t:  les  .\ij.  tagvs,  pour  dettuuulrr 
pour  coi  il  mui/loit ,  i/iiant  il  issoit  hors  de  Rome.  Il  (Icvuuutcrent  terme 
de  respondre. 

Au  sujet  d lie  histoire  el  de  l'enchanteur  Merlin  (MelHnt),  royea  la 

premttn  partie  de  ce  volu ,  page  1  i'1 

Il    M, Huis    qut    li    .\jj.   smjr   mil    mneue   nu   roi   llerode  /»•  ur 

reajxmdri  </c  leur  four,  pourquoi  II  avugUtit  quant  n  issoit  fhrt  de 
Rome, 


02  UOMA  N 

Par  foi,  fet  li  emperères,  biaax  douz  frère,  or  convientque 
vos  me  conseilliez.— Certes,  sire,  fet  Mellins,  si  feré  ge  vo- 
lantiers  ;  sire  festes  oster  le  lit ,  et  faites  fouir.  Li  emperè- 
res mande  des  genz  très  qu'à  .xx.  homes,  et  fait  fouir  de- 
soz  ce  lit  ;  et  tant  qu'il  trovèrent  celle  chaudière.  Et  li  sage 
i  furent  et  plusorz  genz  qui  virent  celle  merveille  ,  et  es- 
gardèrent  celle  chaudière  qui  bouloit.  Li  emperères  apella 
le  vallet  et  dist  :  Or  voi-ge  bien  que  tu  es  veritex;  orveil- 
ge  desore  annavant  errer  par  ton  conseil,  et  par  ton  scuz 
fere  quan  que  je  feré;  et  feré  ge  quanque  tu  me  conseil- 
leras. 

Sire  ',  fet  Mellins,  or  faites  ces  genz  fouir  de  céanz  tan- 
tost.  Et  il  si  fist  meinlenant.  Il  s'en  alèrent  tuit,  puisque 
l'emperère  l'avoit  commandé  :  Sire,  dist  Mellins,  vos  véez 
bien  ces  boulions  qui  boullent,  ce  senefie  .vii.  déables  que 
vos  avez,  chacun  jour,  o  vos  —  Ha  !  Dieux,  fait  li  emperè- 
res, qui  sont  il?  Les  pouroi-ge  oster  en  suz  de  moi?  —  Cer- 
tes, feit  Mellins,  ouil. —  Puis  les  je  véoir,  fet  li  emperères, 
ne  baillier?  —  Certes,  ouil.  -  Et  qui  sont-il?  bianx  dous 
amis,  nomez  les  moi.  — Sire,  volantiers:  par  foi,  ce  sunt  li 
.vii.  sages  que  vos  avez  ensemble,  o  vos.  Il  sont  de  vostre 
terre  plus  riche  qne  vos  n'estez.  Si  ont  misse  une  cous- 
tume  par  coi  la  terre  est  perdue  et  cuivertie  ;  qu'il  ont 
une  coustume  mise  en  vostre  terre  ,  que  se  vos  homes, 
quel  qui  soient,  chevalier  ou  bourjois,  songe  .i.  songe,  il 
convient  par  fine  force  qu'il  viengne  au  sages,  etaporte  .i. 

<  Ci  est  Mellins  qui  devise  à  l'emperère  des  .vij.  bouillons  de  la 
chaudière,  et  dit  que  rc  sont  .vij.  dcables  qui  sont  dedenz  la  chaudière 
qui  boitent. 


DKS   SEPT   SAGES.  63 

bessant  d'or  ou  d'argent  en  sa  mein  ,  et  lor  dongnent;  et 
après  li  dient  son  songe.  Et  cil  l'esponncnt.  Et  s'en  autre- 
ment le  fesoient,  il  cuideroientestre  honni  ;  einsint  lor  ont 
fet  li  sages  entendant.  Et  pour  ce  que  vos  l'avez  einsint 
soffert,  en  estes  vos  perdus  et  avez  troublée  la  veue,  à  l'ois- 
sir  hors  de  la  vile  de  Rome. 

'  Mes  or  prenez  le  plus  viel  et  li  fêtes  la  teste  couper;  et 
li  graindresdes  boulions  acoisera.  —  Par  foi,  dist  li  empe- 
rères,  et  je  le  ferai.  Il  le  fait  amener  le  plus  veil  à  la  force 
de  ces  homes,  et  li  fet  la  teste  couper;  et  li  graindres  des 
boulions  estaint,  et  apese,  et  acoise.  Et  quant  il  vit  ce,  si 
lit  les  autres  amener  et  prendre, 

2  Si  fet  li  emperères  prendre  les  .vii.  sages  et  lor  fet  les 
testes  couper,  enprès  les  espaules,  à  tresluit  ensenble.  Et 
luit  li  .vii.  boulions  acoisent,  si  queTcve  devint  toute  froide 
et  toute  série  :  Par  loi,  sire,  dist  Mellins,  orpoez  la  chau- 
dière oster  et  laver  dedenz  vos  meins,  et  tretout  vostre  cors. 
Li  emperères  Ilerode  list  ainsint  comme  Mellins  li  avoit 
dist  ;  et  la  chaudière  fu  ostée  et  la  fosse  remplie  ;  et  li  liz 
Y  emperères  fu  refez,  si  comme  il  souloit  devant:  Sire,  fait 
Mellins,  orpoez  monter  et  ehevauehier  horz  de  Rome. — 
Par  mon  chief,  fait  li  emperères,  si  ferai  geet  voschevache- 
roiz  o  moi.  Et  Mellins  dist:  Sire,  volantiers.  Les  selles  fu- 
rent mises;  li  emperères  monte,  et  Mellins  monte,  et  des 
Liions  de   la  terre  ,  et  ehaucuns  des  borjois  après,  pour 

■  <  i  fn  li  cmptTcrcs  de  Home  OOfMT  la  (este  à  À.  des  .vij.  vu 
trcKiiinuimlrnirnt  de  Mrllin. 

(  i  r\i  !,■  roi   Ilerode  qui  fet  couper  lei  tetles  à  touz  Ut    vij    ma.  < 

par  Pamofietfemi  m  Hellin 


<>i  roman 

véoir  colle  grant  merveille.  Bien  avoit  .x.  anz  que  li  empe- 
rères  n'avoit  issu  hors  de  Rome  et  volt  la  porte  passer;  et 
Mellins  fu  dejouste  lui  :  Sire,  fait-il,  vos  iroiz  avant.  Li  em- 
perères  hurte  le  cheval  et  passe  la  porte.  Onques  mes 
nus  ne  vit  si  grant  joie  comme  li  emperères  ot.  Il  prent 
Mellins,  si  l'acole  et  le  retient  o  lui.  Cil  qui  amèrent  l'em- 
peréoren  orent  joie,  quant  il  virent  que  il  ot  sa  veue  enté- 
riné ,  si  comme  il  souloit  :  Ore,  sire,  fait  li  empereriz  à 
l'emperéor,  avez-vos  oï  ceste  aventure  qui  avint  des  .vii. 
sages  qui  avoient  avuglé  l'emperéor  par  lor  lobe  ,  et  par 
lor  guille  qui  créoit  trop.  Et  vos  les  créez  les  vos,  et  del 
vos  destruire  et  de  vos  tollir  l'empire  ,  si  vos  en  puisse  ave- 
nir comme  il  fist  à  l'emperéor  Herode. — Par  la  foi  que  doi 
vos,  fait  li  emperères,  ce  ne  m'en  avendra  jà,  car  je  ne  les 
croi  pas  tant  que  ge  em  puisse  ma  terre  perdre,  pournule 
parole  que  il  dient,  ne  que  g'en  soie  avuglez.  Et  l'empe- 
reriz  respont  :  Dex  vos  en  gart  !  Et  tant  passèrent  celle 
nuit,  tant  que  ce  vint  à  landemein.Li  emperères  fu  levez  et 
l'empereriz  ;  les  portes  furent  overtes;  et  li  paies  ampli  de 
chevaliers  qui  estoient  venuz  véoir  le  jugement  l'emperéor 
de  son  61.  Et  li  emperères  apelle  ses  sers  :  Alez,  fait-il  et  si 
me  destruiez  mon  fil,  et  si  l'osiez  hors  de  la  jeole.  El  cil 
répondirent  :  Volantiers.  Il  en  alèrent  en  la  jeole,  si  l'en 
ameinent  amont:  Gardez,  fet  li  emperères,  que  vosnere- 
lornez.  Il  ont  dit  :  Sire,  volantiers.  Il  s'en  passent  par  mi  la 
sale,  et  avallent  les  degrez  de  la  sale,  et  s'en  passent  moult 
toslpar  mi  la  rue.  Et  mes  sires  lessé  vient  maintenant,  si  les 
encontre  ;  i  osle  .i.  annel  d'or  qu'il  avoit  en  son  doi,  si  le 
donne  nu  mfstrfs  des  sers,  et  li  proia  qu'il  alast  delaiant. 


DES  SKPT  SAGES.  65 

Il  s'en  part  d'eus  et  s'en  vient  au  plus  tost  qu'il  pot ,  vera 
la  sale  l'en\peréour,  et  monte  les  degrez  contremont  et 
vient  devant  l'emperéor,  si  le  salue.  Li  emperères  ne  res- 
pont  p:is  à  sa  volante,  ainz  li  dist  que  lui  ne  sauve  mie , 
que  lui  n'amoit-il  mie:  Ge  vos  baillai  mon  (il  à  aprendre 
et  à  enseingnier,  ausint  comme  à  Dieu,  et  trop  me  fioie  en 
vos.  Vos  li  avez  la  parole  tolete,  et  ma  famé  volt  il ,  la  nuit 
première,  prendre  à  force;  et  la  descira  eteschevela  laide- 
ment.—  Sire,  fait  messires  Jessé,  ne  soiez  pas  si  dure(me)nt 
courouciez,  car  sages  hom  atempre  son  courage;  commant 
le  savez-vos? — Commant,  fait  li  emperères,  gela  vis  esche- 
velée  et  descirée  laidement.  —  Vos  ne  véistes  que  ce  que 
sa  marastre  dist — Non  voir,  fet  li  emperères,  mes  je  la 
croi  bien. — Et  pour  ce  qne  vos  la  créez  ,  si  volez  vostre 
lilz  destruire,  sanz  !<•  jugement  de  vos  barons.  Et  se  vos 
einsi  le  ïetes,  si  vos  en  puise  avenir  comme  il  fist  au  cheva- 
lier de  son  lilT — Gommant aviut-il,  fetli  emperères,  au  che- 
valier de  son  iil? —  Gommant,  fet  mestre  Jessé,  ainzsoit 
seroit  vostre  iii  destruiz  que  je  l'eusse  dist,  ne  conté.  |Mès 
renvoiez  querre  vostre  fil/,  et  ge  le  vos  dirai  volantiers  . 
et  moult  nos  plera.  Li  emperères  l'otroie,  el  renvoie  querre 
son  ni/.  Et  li  sert  l<'  rameinent  el  le  mestenl .  par  le  com- 
mandement l'emperéor,  eu  la  jeole,  el  mestre  .l<-ssé  çom- 
mance  son  conte. 
Sire' ,  fait-il,  amperéor,  il  avint  que  uns  chevaliers  ricins 

i  \  partit  dteette  histoire,  le  texte  du  manuscrit  da  Km  WIÂ  dans  lequel 
nous  avons  copié  lot  variantes,  diffère  enlièremenJ  décelai  que  """s  pu- 
blions.      .Nous  donnons  cette  différence,  après  notre  texte;  en  appendice, 

5. 


(i(i  ROMAN 

de  terre  ama  une  damoiselle,  la  plus  belle  riens  qui  fust 
onqucs.  Et  il  l'ama  tant  comme  nus  pot  plus  amer  famé. 
Tant  afermèrent  lor  amors  qu'eles  furent  moût  entérinés  , 
mes  la  damoisele  estoit  moult  fière,  et  tant  qu'il  avintque 
il  fist  de  lui  son  plésir.  Et  conçut  la  damoisele  et  ot  un  en- 
tant de  lui ,  et  fu  malle.  Li  enfès  fu  nez  et  crut  moult  et 
amanda  ,  et  devint  tant  bêle  riens  que  ce  estoit  mervelle 
à  véoir.  Il  avint  que  la  mère  au  vallet  fu  morte,  et  moult 
en  fu  dolanz  li  chevaliers.  Et  demora  grant  pièce  sanz 
lame,  et  toutes  voies  li  enfès  amanda  et  crut.  Li  cheva- 
liers prist  une  autre  famé.  Ele  cueilli  moult  le  vallet  en  hé, 
pour  sa  biauté,  et  pensa ,  s'ele  avoit  enfant  du  chevalier,  que 
cil  seroit  sires  sor  touz.  Et  commance  à  blâme  mestre  sor 
cel  enfant  :  et  disoit  souvent  au  chevalier  qui  li  avoit  fet  do- 
mages  de  ses  homes  et  d'autre  choses.  Li  chevaliers  estoit 
espris  de  sa  lame  que  il  créoit  quanqu'clle  disoit,  et  cueilli 
son  fillz  en  haine,  pour  l'amor  de  sa  famé.  Li  valiez  avoir 
.ii.  cousins  moult  biaux.de  la  seror  sa  mère  qui  morte  es- 
toit, mes  moult  estoient  loing  de  la  terre.  Li  chevaliers 
avoit  une  cope  d'or  à  coi  il  buvoitqui  bien  valoit  .xl.  livres. 
Ses  filz  avoit  une  huche  à  sa  meson,  où  il  mestoit  ses  choses. 
La  niarnstre  s'apensa  de  grant  liaison:  une  nuit,  fu  cou- 
chiez li  valiez,  et  s'endormoit.  Et  la  marratre  vient  au  lit  au 
vallet  dont  elle  avoit  la  clef,  et  prent  la  clef  de  sa  huche 
et  i  met  la  coupe,  et  remet  arriéres  la  clef  à  son  chevés.  La 
nuit  ala  cl  le  jour  vint;  et  quant  ce  vint  au  disner  et  l'en 
demanda  la  coupe  au  seigneur,  l'en  n'en  pot  pout  trover. 
Li  rhcvalier.->  lit  irriez  et  dist:  Querez  partout.  — Sire,  dist 
In  daine  et  la  mesgnie,  nos  avons  par  tout  quia  ,  ne  point 


1>ES  SEPT   SAGES.  67 

ne  trovons.  —  Demandez,  dist  la  dame,  à  vostre  fill,  s'il  en 
sest  nulles  nouvelles.  Et  il  li  demande;  et  dit  que  nennil  , 
se  Dieu  li  aist  :  Sire,  dist  la  dame  ,  véez  en  sa  chambre.  — 
Ovrez,  dist  li  chevaliers,  vostre  huche.  —  Sire,  volantiers , 
l'ait  li  valiez.  Il  ovri  la  huche  et  tu  la  cope  trovée  toute 
esquachiée  :  Sire,  dist  la  dame,  or  poez  véoir  des  belles 
anfances  vostre  fil.  Vos  ne  m'en  voliez  tout  avan  croire.  — 
Par  mon  chief  !  fait  li  chevaliers,  je  aim  mielz  que  il  soit 
lost  destruitquetart.  Alez,  fait-il  à  .iii.  de  ses  valiez,  noiez 
mon  fil,  car  je  n'ai  que  fere  de  larron.  Il  le  prennent  et 
l'emmenèrent  conques  ne  lessièrent  desrenier  sa  parole , 
et  le  mainent  à  unegrant  fosse  d'une  rivière  ,  si  li  lient  .ii. 
pierres  au  col,  si  le  noient.  Il  repérèrent  moult  effraé  du 
pechié  qu'il  avoient  fet.  Il  avint  que  li  noiez  avoit  .ii.  ne- 
\<  us  de  la  serour  sa  mère  qui  le  venoient  veoir;  il  encon- 
u  rient  les  .iii.  sergenz  qui  le  mal  avoient  fet,  et  Guidèrent 
que  l'eussent  véu.  Li  uns  d'eus  saut  en  la  rivière,  de  peor 
si  fu  noiez,  et  li  autre  duittornèrenten  fui.  Cil  les  prislrent, 
et  lor  demandèrent  :  Que  avez-vos  qui  ci  estes  effraé  ?  Il 
traient  les  espées  et  dient:  Dites  voir  ?  Li  uns  d'eus  dist  : 
Je  n'en  mentirai  jà  ;  nos  avons  fait  putes  evres  ,  car  nos 
avons  noie,  parle  commandement  du  chevalier,  son  fil  por 
sa  marratre  qui  le  haoil,  et  toute  jor  l'ancusoit  vers  son 
père.  —  Il  dist  voir,  dist  li  autres.  Ne  demande/,  mie  se  cil 
furent  dolant  de  lour  cousin  qui  noie?  estoitg  il  ocisirrnt 
les  .ii.  scijans  et  li  tiers  fu  noie.  Il  s'en  vont  el   chalel  et 

iiiouiriii  les  degrexta  la  Baie;  et  trouvent  le  chevalier  ei  sa. 

lame,  si  oeislrenl  cl  l'un  et  l'autre,  ci  sYn  ivioi  lièrent  en 
lor  pais;  aintint  venchierent  le  noie.  Por  ce,  si  vos  lo  que 


68  IlOMAN 

vos  ne  créez  mie  la  marrastre  vostre  fil,  que  mal  ne  vos  en 
viengne  dont  Dieux  vos  gart.  — Par  seinte  croix!  fet  li 
emperères,  mes  filz  ne  morra  mes  hui.  Li  jorz  passa  ,  et 
la  nuit  vint,  et  li  emperères  s'ala  couchier  avec  sa  famé  ; 
ele  fist  moult  lede  chière  et  fist  semblant  déplorer;  et  tire 
ses  cheveus,  et  bat  son  piz ,  et  dist  :  Lasse  !  que  ferai  ?  — 
Qu'avez  vos,  dame,  fait  li  emperères.  — Que  ge  ai ,  fet  ele, 
ge  voudroie  estre  morte,  ge  veil  mieulz  morrir  que  ge  vos 
voie  honnir  et  desehériter.  Vos  créez  ces  vii.  deables  qui 
chauciin  jor,  vos  enchantent;  vostre  fil  est  muz,  ne  jamès 
ne  parlera.  Vos  le  devriez  mielz  amer  mort  que  vif;  quant 
plus  vivra  et  plus  grant  honte  vos  fera  ;  je  me  dout  moult 
qu'il  ne  bet  à  vostre  traïson  et  à  vostre  deseritement,  par 
le  conseil  des  .vii.  deables  que  vos  tenez  entor  vos.  — 
Dame,  fet  li  emperères  ,  ne  soiez  pas  si  corrouciée  ,  car  il 
mora  demein.  —  Sire,  fetl'empereriz,  se  vos  ainsint  ne  le 
festes ,  comme  vos  dites,  si  vos  en  puisse  ainsint  avenir 
comme  il  fist  au  preudome  de  ville  de  sa  fille.  —  Gommant 
l'en  avint  il?  fait  li  emperères.  — Ge  le  vos  dirai ,  fet  ele. 
Il  avint  que  .i.  home  de  ville,  si  avoit  une  moût  belle  fille 
et  li  lessoit  fere  à  sa  volante,  i  n'en  chatioit  point  ;  et  tant 
que  plusors  valiez  li  allèrent  entor  ;  et  lessoit  li  uns  de  lui 
son  talent.  Et  tant  qu'ele  retint  .i.  fill  et  fil  grosse.  Quant  li 
pères  sot  ce,  si  la  bat,  et  la  prant,  et  traine  souvent  et  menu. 
Ne  riens  ne  li  valoit;ele  s'apensa  d'une  grant  traïson,  coin 
mal  enguineuse  et  mal  enseingnie  ;  et  vient  à  son  ami  et  li 
dist  :Biaus  amis,  je  sui  de  vos  grosse;  se  mes  pères  estoit 
morz,  sesgranz  lenemenz  nos  reviendroit.  Ou  vos  ne  parlez 
jamès  à  moi,  ou  vos  fêtes  ma  volante.  —De  coi ,   fait  ses 


T)KS  SEPT  SAGES.  69 

amis.  —  Mes  pères  ira  demein  au  marcliiè,  et  moura  einz 
jor  ;  et  vos  soiez  appareilliez  en  cel  buisson,  si  i'ociez :  si 
aurons  tout,  moi  et  vos;  et  l'en  dira  que  ce  auront  fait  lar- 
ron. —  Il  n'est  riens,  tel  ses  amis,  que  ne  lace  pour  vos. 
Il  l'espia  au  m:ilin  .  si  l'ocisl.  Or,  sire  ,  fet  l'empereriz  ,  ot 
ci  bone  norreture  !  que  vos  en  semble  ?  —  Par  lui  !  ht  li 
emperères,  ce  fu  la  malle  norreture  et  la  norreture  au 
deable. —  Or  pensez  à  vostre  norreture  ,  et  gardez  qui  ne 
vos  aviengne  ainsint.  —  Vos  le  verroiz  bien  ,  l'et  li  empe- 
rères,  qu'il  en  sera  au  matin. 

La  nuit  passa,  et  li  jorz  vint.  Li  emperères  apella  ses 
sers  :  Alez  ,  fait-il ,  maintenant,  et  si  pendez  mon  fill.  Cil 
font  son  commandement)  <'t  le  tr;iient  de  la  jeoleei  l'em- 
mainent.  Este  vus  qu'il  ancuntrenl  mestres  Merun,  le  dar- 
rien  des  .vii.  sages.  Kl  ses  deciples  li  anelineni  :  Seingnors, 
fet  messires  .Menons,  alez-vos  .i.  puu  délaient,  tant  que 
{j'aie  parlé  a  IVmpeieour,  et  tenez,  je  vus  duing  .iii.  bes- 
sanz  d'or.  Et  cil  si  funt.  Et  mestres  Meruns  s'en  vet  au 
plus  tost  que  onques  pot,  et  moula  les  degrés  de  la  sale*  et 
salue  l'einperère.  Et  li  emperères  dis!  :  Pomi  je  ne  vos  salu 
mie;  commanl  vos  doi-ge  vos  ne  vos  eompainguos  amer? 
quant  vos  avez  toluela  parole  a  mon  fill.  Et  je  cuiduie  que 
\<>s  IrnsciiignisitiZ,  et  apieisie/  ce  que  vos  saviez.  —  Sire. 
fet  mestres  Meruns,  tout  Cfi  nVsi  pas  perdu  qui  ^i>{  em 
péril.  Donne/,  moi  .ii.  dons  que  je  vos  demander.'  sajjZ 
riens  du  vostre  et  je  vos  dirai  joeuses  uovelles. —  Joie, 
it-i  li  emperères,  ammeroie-je  moult,  car  je  sui  mouli 
troublez.  Et  je  vos  iloing  les  .ii.dons.—  (.raiii  menas,  Iii 
mestre  Mérous  :  li  premiers  dons  que  \  os  m'avez  dont-,  si 


70  ROMAN 

est  que  vos  ranvoiez  querre  vostre  (fil).  Et  li  amperères  le 
fest  tantost  envoier  querre.  Li  autres,  fet  Merrons,  si  est 
que  vos  ne  parlez  à  vostre  famé  devant  demein.  —  Et  je 
l'ostroi,  fet  li  amperères.  Li  valiez  revint  par  devant  son 
père  et  son  meslre,  si  leur  encline,  et  li  sers  le  mestent  en 
la  jeole,  et  li  amperères  apella  mestre  Merons  :  Dites  moi 
les  joieuses  nouvelles.  —  Volantiers,  sire,  or  entendez. 

•  Sachiez  que  je  estoie  er  soir  à  l'eir  des  estelles ,  que 
vostre  fils  parlera  demein.  Fêtes  moi  garder,  et  me  coupez 
la  teste,  se  je  ment.  —  Il  parlera,  fet  li  amperères,  je  n'oi 
onques  si  grant  joie  en  ma  vie,  comme  j'auroie,  se  il  par- 
loit.  —  Et  vos  l'auroiz  sanz  faille,  fet  mestres  Merons.  Ge 
vos  lo  que  vous  anvoiez  querre  voz  sages;  aucune  chosses 
vos  diront-il.  —  Volantiers,  fet  li  amperères.  Il  les  envoie 
querre,  et  il  viennent.  Li  amperères  leur  conte  ce  que  mes- 
tres Merrons  li  avoit  dist,  et  chacuns  d'euls  dit  qu'il 
avoit  veu  ,  le  soir  devant,  ce  que  Merons  avoit  veu, 
i|iic  ses  filz  parleroit  demein;  et  se  ce  n'estoit  voirs, 
que  li  amperères  leur  face  couper  la  tète  à  chacun.  Li  am- 
perères a  moût  grant  joie  de  ce  qu'il  ment.  Adont  se  leva 
mestres  Chatons ,  et  dist  à  l'empereur  :  Ouez  ,  sire  ;  vostre 
filz  est  li  plus  sages  hom  qui  onques  fust  en  Rome  de  son 
aa#e.  Nos  l'essaiamcs  ;i  la  mes. m  ou  nos  l'apréimes  :  et  li 
méinics  .iiii.  fueilles  d'ierre.  sous  les  .iiii.  qu^pouz  de  son 
lit,  oii  il  irisoit.  Et  il  nos  dit  que  la  terre  estoit  levée,'  ou 
la  rfrtivr'rlinv  nhessièe.  Kt  plus,  sire  :  quant  vos  nos  man- 

■  Ol'WiMsi  ■     n     ,..■;,//  âlai  àVm  ■■  i  soà' fîti pcèrtetv 


DES  SEPT  SAM  -.s.  71 

dastes  que  nos  vos  amenissons  vostre  611,  il  -arda  avec  nos 
el  cors  des  estoilleset  nosdisi:  Seingneurs,  mes  pères  me 
mande  et  jesai  bien  que  j'auré  assez  a  nui.  Et  se  jemelieng 
de  parler  .vii.  jors,  il  me  convanra  mourir.  Sire,  ce  mees- 
mes  véismes  nos  que  il  disoit  voir,  et  il  nos  dit ,  moult  em 
ploranî.  :  Ore  petit  porra  chaueuns  de  vos ,  s'il  ne  peut  res- 
poistier  .i.  jor.  Demandez  leur  se  s'est  voir  que  je  dis. — 
Emperères,  fet  chauscuns,  voirs  est,  et  il  set  quanque  nos 
savons.  —  Par  foi  !  fet  li  amperères ,  vos  me  testes  moult 
grant  joie;  donez-moi  conseil.  ■ —  Volantiers,  sire,  nos  vos 
conseillons  que  vos  façoiz  crier  par  Rome  que  tuit  li  haut 
home  et  li  sage  soient  demein  à  vostre  cort;  et  faites  vostre 
lilz  bellement  apareillier. — Volantiers.  IVtli  amperères 
son  ban  crier  et  son  filz  apareillicr,  à  los  des  .vii.  sages.  Et 
le  fet  servir  de  boucs  viandes  dont  il  n'avoit  guières  eu 
pieca.  Li  sage alèrent  a  leur  osiel;  li  amperères  se  tint  de 
parler  a  sa  laine  ,  si  comme  il  avoil  an  couvant  très  qu'an 
matin.  Mes  sachiez  q'onques  famé  ne  fu  plus  a  malesse 
qu'ele  lu,  celle  nuit  ;  61  l£  I  qui   ce  pnvoil 

estre.  Et  criuii.  el  uoq 

iiens,  que  il  \ 
i-slre  .Mckiii.  La  jorne;'  !  M  . 
ariz  |>eusa  <t  sonja  qu'a  lui  veiioieiil  bcsi.^  de  plu- 
seui-N  inaineres  (]iii  la  voloiet  devourer;  el  porioinl  eliau- 
cune  de  ces  besles  «mi  la  langue,  leu  peur  lui  ardoir.  i\lo 
s'es\rilla  cl  lii  inouï  espu\  rie,  el  pansa  bien  que  niai  li 
\  cudreil,  mes  nés;, N(,ii  ,[,■  »•  tit-1  pari.  Le  jour  vint,  li  enipe- 
rères  se  leva  8.1  vint  en  la  sale.  Il  ses  liuz  lu  levez,  et 
v.siu/,  il  apareillie/..  Ll  disl  au  s.is  <|in  destruirr  le  vim- 


72  ROMAN 

loient  :  Seingneurs,  Dieux  vos  doint  mielz  fere  que  fet  ne 
m'avez.  Quant  il  oïrent  parler,  si  furent  tuit  esbahis  et 
distrent  :  Sire,  pour  Dieu  merci ,  dont  ce  a  fet  vostre  maie 
marrastre;  Dieux  la  vos  ostroit  sans  guerredon.  Estes  vos 
.i/des  sers  qui  s'en  vientàl'emperéour,  etlidisl  :Sire,  vos 
ne  savez? — Et  quoi ,  fet  liamperères.  —  Sire,  vostre  fiulz 
parole. — Puel  ce  estre  voirs,  fet  li  amperères.  —  Sire, 
voirs  est.  — Par  foi!  fet-il,  je  oi  merveilles.  En  demantres 
ampli  la  sale  des  .vii.  sages  et  des  sénateurs  de  Rome,  et 
des  gentix  et  des  poissanz  homes  de  Rome.  Et  s'emerveil- 
loient  moût  pour  quoi  il  sont  mandé.  Et  mestres  Merrons 
fu  délivrés,  et  li  amperères  commande  qu'on  li  ameint  son 
611.  II  vint  avant  moult  biaux  et  mont  bien  atornez  ;  mes  la 
pavor  qu'il  avoit  .vii.  jorseue,  etlamesesseliavoilrnoutmal 
fet  et  moult  l'avoit  descoulouré.  Et  la  sale  fu  toute  pleinne: 
il  salue  son  père  et  dist  :  Sire ,  bon  jor  vos  doint  Dieux 
et  mau  jor  doint  à  ma  marastre  pour  qui  je  eu  tant  de  mal 
que  par  pou  que  je  ne  sui  morz.  Liamperères  cornt  encon- 
tre son  fill,  et  le  si!  •  ci  I  besse  am  plorant, et  dit  :  Biaux 
fill     merci»  pal  •!    ,(    iuar  j'aigrant 

-  Sire,  dist  li  ..        ,;  Dii  :>ar- 

el  je  (  i  f;iz  par  .i.  couvenant  que  vos  me  les.  ii  oit 
an  vostre  cort.  Les  gent  l'amperéour  plouroient  de  joie  < , 
de  pitié  :  Par  foi,  feit  li  amperères,  biaux  filz,  je  l'ostroi 
par  I*'  jugement  de  mes  haux  barons  qui  ci  sont,  et  des 
.vii.  sages,  selonc  ce  qu'il  esgarderont  dfe  droit. — Sire,  fet 
Je|  filz,  grant  mereiz.  Vos  dites  que  loiaux  et  que  preudon 
—  Sire,  fet  li  ànfès,  fêtes  venir  vosin:  lame  cm  pleine 
cort.— Volontiers,  fet  li  amperères.  Il  la  mande  et  ele  vient 


DES  SEPT  SAGES.  73 

en  pleine  sale.  El  li  valiez  dit,  oiant  touz  :  Sire,  l'êtes  es- 
couter,  voiant  ma  marastre. — Volantiers,  fet  li  amperères. 
11  s'asieent  luit,  et  li  enfès  cotnmance  sa  parole  et  son  dit  : 
'Biaus  père,  escoutez-moi,  et  tuit  li  autre  après.  — Vo- 
lantiers, fait  li  emperères.  —  Biaux  sire,  je  sui  vostre  fiulz 
et  sui  nez  de  la  riens  que  vos  onquesplus  amates;  vos  me 
meistes  à  escole  à  mes  mestres  les  .viî.  sajes  qui  m'ont 
bien  et  m'ont  bel  moui  apris  ;  et  sevent  bien  commani  il 
m'est  de  mon  sens.  Se  je  ne  me  fusse  tenuz  de  parler  .vii. 
jorz,  ge  eusse  esté  morz.  Et  li  uns  des  .vii.  sajes  se  liève  et 
conte  tout  ce  qui  esloit  avenu  du  fill  l'emperéour,  si  corne 
il  eat  devant  dit.  Et  li  autre  dient:Sirc,  il  est  voirs.  — 
Bien  vos  en  eroi,  fet  li  amperères,  séez  vos.  Et  li  enfès  re- 
eommanec  et  dist  :  Sire,  quant  vos  m'éustes  mandé  que  je 
venisse  à  \os,  ge  i  ving,  niés  je  ne  parlai  pas,  car  je  fusse 
morz.  Yéez-ci  vostre  famine  qui  me  prist  par  la  mein  et  me 
mena  en  sa  chambre  ;  et  ge  dis,  oiant  vos  dames  ,  vos 
feistes  toute  la  chambre  vuidier.  Et  nos  reinessimes  tout 
seul  à  seul,  moi  et  vos.  Vos  me  préisles  par  le  col,  et  me 
voulsistes  baissier.  Je  me  très  arriéres,  sanz  parler.  Vos 
me  déistes  :  Bia\  amis,  irae/.  mis  en  ça,  car  vostre  pèjçes 
est  yieulz,  et  ge  yeil  de  vos  1ère  mon  ami:  sachiez  que  je 
vos  ai  gardé  mon  pucelage.  Si  me  uès  arieres,  comme 
cil  qui  vouloit  garder  l'amor  son  père.  Vos  me  tresistes 

vers  vos  .iii.  l'oiz  ;  ge  m'en  parti  comme  saçes,  vos  leinain- 
StteS,  connue  lole,  et  descirasles  voslie  robe  cl  esgl  alinas- 

<  i  1 1  min  i  m:  jut  fdemperè/rea  fti  nntoir,  totomi  tout  .<""  borM 
/un  la  /ni/MDi  ./i/  c/c (■/  /,•*/.    dcaon  nnjnnl    p<\  im  hotmis 


74  ROMAN 

tes  vostre  vis ,  et  criastes,  et  déistes  que  ge  vos  voloie  ef- 
forcier  et  estrangler;  et  vos  clamastes  à  mon  père.  Il  me 
fist  martire  assez,  si  comme  il  apert;  et  se  ne  fustli  sens  de 
mes  mestres ,  ge  eusse  esté  destruit.  Biaus  père,  ge  me 
claim  à  vos,  et  à  touz  les  barrons  qui  ci  sont,  de  ceste  trais- 
tresse  marâtre  qui  vos  vouloit  honnir,  et  moi  destruire.  Si 
vos  demant  droit  de  son  cors  que  vos  laites  autant  de  lui,  se 
li  droiz  de  vostre  cort  les  garde ,  comme  ele  vouloit  fere 
de  moi.  Et  s' ele  le  vouloit  noier,  je  sui  prez  de  monstrer 
ou  par  juise,  ou  par  bataille,  si  corne  vostre  cort  esgar- 
dera.  Li  emperères  rougist  et  taint  de  mautalant;  et   li 
barron  sont  tuit  esbahi  :  Par  l'ame  mon  père,  par  l'ame 
men  mère,  ge  tendrai  droit.  L'cmpereriz  fu  toute  esbahie 
et  dist  :  Sire,  ne  le  créez  mie.  C'est  .i.  deables  forsenez  ;  il 
ne  set  qu'il  se  dit  ;  ce  ne  fait  pas  à  croire.  Certes  i  vos  asOs- 
tera  ancore,  ce  est  un  mauves  crestien  :  voirement  me  vo- 
sistes  vos  fere  force,  et  me  descirastes  ma  robe  et  oseheve- 
lastes,  et  me  vousistes  honnir,  et  vostre  ainsint. —  Sire,  fet 
le  filz  à  l'emperéour,  je  sui  apareillioz  de'  moustrer  par 
bataille  contre  .i. chevalier,  que  r'estvoirs  que  jedi;  et  ele 
ment  comme  traistréisse  qu'oie  est.  —  Scingnors  ,  fet  li 
amporères,  conseilliez  moi.  A  tant  se  lieve  .i.  sénateurs 
de  Rome   et  dist  :  Sire  empi'rèrrs  ,  £e  lé  voioië  ,   s'il  vos 
plesoit,  que  vos  méissiez  pés  en   ceste'  Cnôsè  ;   que  laiHe 
<lioM-    est  :i  prover  entre  vostre  lilz  et  vnsire  famé.  Li 
uns  dieht  que  e'evf  voirs.   et  li   .•iittrc  ne  si  arordont  mie. 
Commant ,    fet  li  emperères  ,  j'ai  promis  droit  à  fere  ;  se 
mes  fiuz  lu  destruit,  ge  n'eusse  jamès  joie,  ainz  lusse  honni 
i  toz  jorz.  Ancore  aime  je  mieulz  mon  fil l  qui  est  de  ma 


Di if  sir i  s.u.ks.  75 

char,  que  ma  famé.  Et  si  comme  Dieux  est  droitureus,  si  en 
soit  il  an  droit.  —  Ainsint  en  puisse  il  avenir,  fait  ses  fiulz. 
A  tant  se  liève  .i.  moût  bon  chevalier  qui  estoit  cosins  au 
iil  l'einperéour  ;  et  dist  :  Sire  emperères,  oez  et  tuit  cil  qui 
si  sont  :  Sire  emperères,  fet  li  chevalier,  vostre  fill  a  esté  en 
grant  paor  en  granl  mesese  ;  et  merveille  est  qu'il  n'est  morz. 
Je  sui  apareilliez  por  mostrer  le  pour  lui,  contre  .i.  cheva- 
lier, cors  à  cors,  qu'il  qu'il  soit,  que  ce  estvoirsque  vostre 
iilz  dist  ;  et  si  comme  vos  estes  loiaus  emperères,  tenez  li 
droit,  se  ge  faill.  — De  droit,  fait  li  emperères,  si  soie-ge 
honniz.  L'empereriz  trenibloit  de  paor  et  d'angoisse.  Estes 
vos  i.  chevalier  qui  estoit  des  parens  sa  famé  ;  et  se  leva, 
\oiaiit  touz  les  barrons  et  dist  :  Sire  emperères,  je  suiapa- 
reilliez  de  illustrer  par  bataille  ,  cors  à  cors ,  contre  .i.  che- 
valier, que  ce  est  mensonge  que  vostre  fiulz  dist  ,  et  que 
c'est  voies  que  vostre  lame  dist.  T:mtot  fu  ostroié  l:i  bataille, 
d'un  paît  et  dautre.  —  Ce  est,  fet  li  emperères,  sanz  res- 
poitier;  aie z-vos  armer,  .le  ne    mcngeré  mes  tant  que  et 

gtfra  feCi  Eu  troblée  la  cort  et  moult  lu  merveilleuse  «le 

eeste  avantiire.  Que  vos  feroie-je  loue  conte?  là  chevalier 
armé  vinreut  el  lurent  mis  ansemble.  Et  mont  lii  Itien  gardé 
li  clums  de  hauz  homes.  I.i  ainperères  list  -aider  son  (il! 
«rime  part  et  s;,  femme  d'autre.  I.i  rans  lu  bien  le/:  et  tuit 
proieni  mcire  seingneur  que  il  li  envoi.isi  vraie  denioiis- 
trance.    I.i  «lui  chevalier  s'eiiirenconirerent  par  grant  ire 

et  par  moult granl  force,  et  hurtèreni  leschevax  désespé- 
rons; et  s'antrehurtèrenl  des  lames  sor  lesesenz  par  si 
granl  vertu  que  li  mis  porte  l'autre  à  terre.  El  furent  an- 
medui  a  pi»-.  Li  chevaliers  au  Iil/  l'emperéour  remonl  soi 


76  ROMAN  DES  SEPT  SAGES. 

son  cheval,  et  tret  l'espée.  Illeuc  fisl  nostre  sires  si  grant 
demonstrance  qu'onques  Ii  chevaliers  à  l'ampereriz  ne  sot 
asever  à  son  cheval ,  einz  tu  si  esbloïz  qu'il  ne  vit  nule 
gouste,  ne  nulle  clarté.  Li  chevaliers  au  filz  l'emperéour 
hauce  l'espée  et  le  fiert  tel  cop  sor  le  hiaume,  qui  li  deront 
les  laz,  et  que  li  hiaume  chiet  àterre;  et  cil  qui  lu  esbloïz  chiet. 
Li  chevaliers  au  filz  l'emperéor  met  pié  àterre,  ethauce  l'es- 
pée, et  le  fiert  du  plat  de  l'espée,  siquil'estoune  tout  et  li  dist: 
Clamez  vos  vaincuz.  Cil  ne  sonna  mot  ;  et  li  chevaliers  au 
filz  l'emperéour  hauce  l'espée  et  le  fiert  si  qui  li  enbati  très 
qu'es  dauz;  et  cil  chiest  morz.  Et  lors  dist  li  chevaliers  au 
fils  l'emperéor  :  Sire  emperères,  fêtes  droit  :  vos  véez  bien 
commant  il  est.  Et  li  amperères  parole  et  dit ,  oiant  toz  : 
Venez  avant,  fause  ampereriz,  et  treistresse,  qui  moi  et 
mon  fil  voliez  honnir.  Il  la  fist  venir  et  garder  et  fisl  fere 
.i.  grant  feu,  dehorz  la  cité.  Et  il  lu  tost  fez.  11  monta  et 
fet  monter  ses  gens  et  ses  barrons,  et  a  fet  mener  l'ampe- 
reriz au  feu.  Et  quant  elefu  au  feu,  si  dit,  oianz  touz:  Je  voi 
bien,  fet  ele,  que  je  suialée  et  que  Dieux  est  droiturieus.  Et 
dit  :  Sire  amperères,  sachiez  et  vos  etvostre  baron,  que  je 
:ii  eu  tort  vers  voslre  filz  ,  si  comme  vostre  sires  l'a  mos- 
tré.  Tanstot  comme  ele  ot  ce  reconneu,  liunperères  la  fist 
mesure  el  feu,  et  la  fist  ardoir.  Et  furent  ansamble  tant 
conme  il  vesquirent,  entre  li  et  son  fils.  Après  l'amperéour, 
fu  son  till  :imperères,  tant  comme  il  vesqui. 


APPENDICES 
AU  ROMAN  DES  SEPT  SAGES. 


U'I'INIHŒS.  79 

l 

APPENDICE  PS    1. 

EXTRAIT  DU  MS.  Dl    ROI  N°  7974  ,  F"  31  R°  ,  COL.   I' ". 


A  tant  es  vous  l'autre  sage  venu  qui  ot  nom  Jessé,  et  des- 
cendi  au  degré  de  la  sale,  de  son  palefroi  ;  assez  fu  qui  li 
tint.  Puis  monta  contremont ,  et  puis  salua  l'emperière  et 
les  autres  barons.  Après  dist  à  l'emperéeur  :  Sire  ,  moult 
me  merveil  de  vous  qui  sages  hons  estes ,  quant  vous , 
pour  Le  dit  d'une  lame,  volez  vostre  fiïz  destruire  ,  sanz 
jugement.  Sachiez,  vos  l'êtes  la  plus  grant  merveille  que 
feist  mes  si  hauz  hons,  comme  vous  estes.  Et  sachiez  que 
vous  en  estes  moult  blâmez  de  vos  barons  et  d'autres  genz. 
quant  vous  tant  créez  l'empereriz.  Sachiez  qu'ele  ne  aime 
pas  vostre  euneur,  ne  vostre  bien,  quant  ele  ainsint  vostre 
(il/,  veult  destruire  et  ocirre.  Si  pri  à  Dieu  que  ausi  vous 
en  aviegne-il  conme  il  (ist  à  .i.  visconte  qui  jà  lu,  qui 
morut  de  duel  de  ce  que  il  avoit  .i.  pou  bléciée  sa  famé, 
el  police,  d'un  eoustel. —  Comment  lu  ce,  biau  sire?  dites 
le  mol,  par  amitié.- -  Sire,  je  le  dirai  volentiers;  mes  que 
li  enl'ès  soit  respitie/  «le  mort.  —  Amis,  dit  liemperières,  si 
sera  il  ,  car  cest.  essample  vueil  je  oïr  et  retenir.  Lors  dist 
a  ses  srrjaii/.  :  Kamenez-nioi  mon  lilz.  Et  cil  l'ont  tautosi 
ramené  ,  i  ai  il  n'avoient  pas  grant  talent  de  lui  destruire  , 
iih-s  la  volenié  li'iir  seigneur  leur  couvcnoit  l'ère.  I.i  enfès 
lu  ramené-/,,  là  sages  parla  et  devisa  ainsint  s;i  parole. 


80  APPENDICES. 

Entendez-moi ,  sire  emperières,  dit  li  sagW  :  Il  ot  jadis 
.i.  vicomte  en  Loherainne,  '  qui  avoit  une  famé  que  il  moult 
amoit  et  ele  lui,  par  samblant.  Moult  plesoit  à  la  dame 
quanque  li  sires  fesoit,  et  moult  plesoit  au  seigneur  quan- 
que  la  dame  fesoit.  Et  tant  que  .i.  jour  avint  que  li  sires 
tenoit  en  sa  main  .i.  coustel  qui  novelement  li  avoit  esté 
douez,  dont  il  voloit  doler  .i.  boudon.  La  dame  lança  sa 
main  celé  part ,  tant  que  par  meschéance  avint  que  li  cous- 
tiax  la  trencha  .i.  pou,  el  pouce.  Si  commença  à  seignier  .i. 
pou;  et  quant  li  sires  vit  ce,  si  en  ot  si  très  grant  duel  qu'il 
en  fu  landemain  morz.  Bien  sachiez  qu'il  ne  li  avint  pas 
de  grant  sapience;  trop  avoit  feble  cuer,  quant  pour  tel 
chose  morut.  Li  cors  fu  apareilliez  et  enseveliz  ,  si  conme 
il  dut.  Si  ami  l'enportèrent,  et  la  dame  en  fist  merveilleus 
duel.  Li  cors  fut  portez  au  moustier,  dehors  la  vile,  où  il 
avoit  .i.  cimetière  nouvel.  Quant  le  servise  fu  chanté,  si 
l'enterrèrent.  Le  jour  meismes  qu'il  i  fu  portez  la  dame 
soupire  etpleure  moult  forment,  sus  la  fosse,  et  dit  que  ja- 
mès  ne  partira  d'ilec  desci  à  la  mort,  car  pour  s'amour  est- 
il  mort.  Or  vcult  ele  morir  pour  lui.  Ses  lignages  vint  à  li 
qui  moult  la  blâmèrent,  et  la  prirent  à  reconforter  et  li  di- 
rent: Pour  Dieu!  dame,  ce  ne  feroiz  vous  mie,  car  l'ame 
n'iauroit  jà  preu,  ainz  en  seroit  trop  pire,  etvous  meesmes 
en  seriez  vers  Dieu  trop  corrociée.  Mes  prenez  bon  cuer, 
car  vous  estes  juene  dame  et  bêle  ,  et  de  grant  lignage  qui 
fera  du  tout  à  vostre  volenté.  Puis  que  cist  est  morz  n'i  a 

■  Voyez  nu  sujet  de  cette  histoire,  In  première  pnrtie  de  ce  volume , 
page  161. 


APPENDICES.  Si 

nul  rccovrier,  ce  sachiez.  —  Soigneurs  ,  ce  dil  la  daine  , 
vous  parlez  de  néent,  car  bien  sachiez  que  de  ci  ne  me 
mouvrai,  pour  chose  qui  aviegne  ,  dès  ci  là  que  je  soie 
morte;  car  pour  L'amour  de  moi,  fu  il  mort.  Or  vueil-je 
morir  pour  lui.  Quant  cil  virent  que  la  daine  ne  se  mou- 
vroit  pour  proière  ,  ne  pour  chose  que  il  li  déissent,  si  la 
lessièrent  ileques  toute  seule;  mes  ainçois  li  firent  une 
loge  seur  lui,  bien  couverte  et  bien  fermant;  à  tant  s'en 
partirent,  et  la  dame  remest.  L'en  li  aporla  busche  dont  ele 
lit  l'eu.  A  celui  jour  que  cil  viscuens  fu  morz,  avoit  en  cel 
pais  .iii.  chevaliers  qui  estoientrobeeur  et  larron;  et  moult 
:tvoient  la  terre  et  la  marche  gastée  et  essilliée  ,  mes  ne 
pooient  eslre  ne  pris,  ne  retenu.  Celui  jour  lurent  pris  par 
granl  effort  de  gent  ;  liez  en  furent  les  genz,  car  moult  l'e- 

ient  de  maus.  La  justise  dis!  que  jà  garde  n'en  feroit ,  ne 
cm  prison  ne  seroient  mis.  Meintenant  les  menèrent  aus 
fourches,  si  furent  penduz. 

Un  autre  chevalier  avoit  en  ceste  vile  qui  avoit  merveil- 
leuse terre,  et  moult  fesoità  redouter,  car  n'i  eust  pendu 
larron,  ne  traiteur  qu'il  ne  li  convenist,  la  première  nuit, 
garder  aus  fourches.  Moult  estuit  cil  lie/  périlleus  .  mes  il 
en  tenoit  moult  granl  terre.  Si  li  convient,  celé  nuit,  gar- 
der ces  trois  larrons  ans  fourches.  Bfeintenanl  s'apareitla 
et  arma  moult  bien  ;  après  monta  seur  SOO  «lésiner,  et  s'en 
ala  droitement  as  fourches,  touzseus.  Ilec  s'eatut  et  \i:  les 

trois  larrons  pendu/,    l'uni  lu  ilee  que  il  iert  bien  mie  nui/.. 
Il  lesoil  moiill  grant  froil  ,  Car  ce  fil  environ   la  Saint   An- 

drieu,  «pie  il  fet  moult  granl  yven  la  chevalieraqui  gardât 

les  trois  larrons,  regarda  vers  le  cimetière  ou  la  daine  es- 

(i. 


82  APPENDICES 

toit  qui  gardoit  son  seigneur;  et  vit  la  clarté  du  feu  que  ele 
avoit  alumé.  Lors  se  pourpensa  qu'il  iroit  au  feu,  et  chau- 
feroit  ses  mains  au  feu ,  avec  la  dame.  Lors  hurta  cheval 
des  espérons  et  vint  celé  part.  Quant  il  fu  à  la  loige ,  si  des- 
cend! et  atacha  son  cheval  par  dehors ,  puis  dist  à  la  dame 
qu'ele  le  lessast  entrer  léenz.  La  dame  fu  toute  esbahie; 
si  li  dist  que  il  n'i  enlerroit  pas  :  Dame ,  dist  H  chevaliers , 
n'aiez  doute  de  moi,  car  je  ne  ferai  chose  qui  vous  desplese; 
ne  ne  dirai  nule  vilenie.  Je  sui  li  chevaliers  qui  garde  les 
trois  larrons,  et  sui  vostre  voisin.  —  Sire  ,  dit  la  dame,  dont 
poez  vous  bien  entrer  céenz.  A  tant  li  ouvri  son  huis  et 
il  entra  enz.  Puis  ala  au  feu  chaufer,  car  moult  avoit  eu 
granl  froit.  Quant  il  fu  bien  eschaufez,  si  en  fu  moult  plus 
aaise.  Li  chevaliers  regarda  la  dame  ;  ele  fu  bêle  et  colorée 
comme  rose.  Si  li  dist  :  Dame,  forment  me  merveil  de  vous 
qui  estes  gentis  famé,  et  bêle,  et  de  bons  amis,  et  bien 
porriez  encore,  se  vostre  plésir  estoit,  avoir  .i.  riche  home 
et  poissant  qui  vous  tendront  à  grant  enneur.  Et  vous  gi- 
siez ci,  lez  cestc  bière  !  sachiez  que  pour  plourer,  ne  pour 
doloser,  ne  pour  chose  que  vous  en  sachiez  1ère,  ne  puet 
jamès  revivre.  Si  fêtes  que  foie  de  ci  ester  et  de  cesl  cors 
garder,  car  ce  ne  vous  puet  néent  valoir.  —  Sire  ,  fet  la 
dame  ,  pour  Dieu  merci ,  messires  fu  morz  pour  l'amour 
de  moi.  Et  sachiez  que  je  vueil  morir  por  lui  ;  ne  jamès  de 
ci  ne  partirai ,  tant  comme  je  vive.  —  Dame  ,  dit  ii  cheva- 
liers, ce  ne  tien-je  mie  à  sens;  bien  vous  em  porriez  en- 
core repentir,  faut  a  cil  chevaliers  ilecjues  demoré,  et  tant 
parlé  a  la  dame,  que  uns  des  larrons  li  fu  emblez,  car  ses 
lignages  l'en  por  ta.  Li  chevaliers  prist  a  la  dame  congié  et 


APPENDICES.  83 

s'en  revint  droit  nus  fourches  ;  et  quant  il  y  lu  ,  si  regarda 
amont  et  ne  vit  que  .ii.  des  larrons.  Lors  lu  moult  esbahiz, 
et  bien  sot  que  ses  lignages  l'en  ot  porté.  Or  ne  set-il  que 
fere  ,  ne  cornent  soi  conseilliez  Lors  se  pourpensa  qu'il 
iroit  arière,  a  la  daine,  pour  conseil  querre,  savoir  seele  li 
porroit  doner  par  coi  il  poist  garantir  sa  terre  ,  qu'il  n'en 
fust  achoisonnez,  et  qu'il  ne  la  perdist.  Li  fiez  estoit  tiex 
(jue  se  il  em  perdoitnus,  il  estoit  déshéritez  et  essilliez. 
Meintenant  brocha  le  destrier  et  s'en  revint  à  la  dame  ,  si 
li  conta  s'aventure.  Dame  :  dist-il.  pour  Dieu,  mal  bailliz 
sui  et  destruiz ,  car  .i.  des  larrons  m'a  esté  emblez,  en  de- 
mentiers  que  je  ai  esté  à  vous.  Si  sai  bien,  se  je  aten  la  jus- 
tise,  que  je  ai  tout  perdu.  Or  vieng  ci  demander  conseil , 
que  vous  le  me  doigniez  par  amours  et  par  guerredon.  La 
dame  respondi  meintenant  au  chevalier  :  Sire,  se  vous  vo- 
liez 1ère  a  mon  conseil  et  moi  amer,  et  prendre  à  lame , 
tel  chose  vous  feroie  que  ja  n'en  perdriez  vostre  lié ,  ne  la 
montante  d'un  denier.  —  Dame, ,  dist  li  chevaliers  ,  je  en 
ferai  tout  a  vostre  lus. 

—  Sire,  dist  la  dame,  or  entendez  :  véez-ci  mon  seigneur 
qui  ier  lu  enterrez.  Certes  il  ne  mua  onques  en  la  terre  , 
m  ne  blesmi.  Desterrons  le  meintenant,  et  le  portons  aus 
fourches;  et  soit  penduz  en  leu  de  celui  qui  a  esté  cmhlez. 
—  Dame,  Ici  li  chevaliers,  moult  avez  bien  disl  ;  je  eo  fe- 
rai tout  a  vostre  comnani.  Meintenant  desterrèrent  le  cors 
et  l'emportèrent  droit  à  ces  fourches.  Quant  il  y  sont  venu, 

si  dist   li  chevaliers  a  la  dam»':  Dame,  se  Dex  megarl.je 

ne  le  poudroie  pour  riens  cl  monde  ;  car  se  je  le  pendoie , 

tout  jorz  mes  eu  seroie  plus  eoiiai/..        Sire,  disi  la  dame. 


S4  APPENDICES. 

de  coi  parlez-vous?  je  ne  quier  jà  que  vous  i  metez  la 
main  ;  car  je  le  pendrai  volentiers,  pour  l'amour  de  vous.  — 
Dame ,  fet  li  chevaliers ,  moult  avez  bien  dit.  La  dame  qui 
ot  lessié  le  grant  duel ,  et  le  grant  plour  ,  prist  la  hart ,  si 
la  laça  entour  le  col  à  son  seigneur;  moult  lu  tostsescuers 
muez  et  changiez.  La  dame  monta  ans  fourches  et  pendi 
son  seigneur.  Après  dévala  jus,  et  dist  au  chevalier:  Sire, 
cist  est  penduz  ;  or  n'avez-vous  garde  soit  connéuz. — 
Non ,  voir,  fet  li  chevaliers ,  mes  il  i  a  une  autre  chose 
que  vous  ne  cuidiezpas;  car  li  autres  avoit  une  plaie  en 
la  teste  que  l'en  li  fist  au  pendre  ;  se  les  genz  s'en  aperce- 
voient  demain,  quant  il  vendront  ci,  mal  seroie  bailliz. — 
Si  le  navrez  ,  dit  ele,  n'avez-vous  bone  espée  trenchant? 
si  l'en  ferez  parmi  la  teste,  tant  qu'il  ait  grant  plaie  ;et  se 
il  vous  plest,  je  l'en  ferrai.  La  dame  prist  l'espée,  si  en  feri 
son  seigneur  par  mi  la  teste  si  merveilleus  cop  qu'ele  li 
fistune  grant  plaie  :  Sire,  dit-ele,  cist  est  navrez.  —  Dame, 
voire,  fet  li  chevaliers,  mes  encore  i  a  une  autre  chose  :  li 
autres  avoit  brisiées  .ii.  des  denz  de  la  gueule.  —  Sire  > 
dist-ele ,  si  li  brisiez  ,  ou  se  vous  volez  ,  je  li  briserai.  La 
dame  prist  une  grosse  pierre  ,  si  em  brisa  à  son  seigneur 
les  (Icnz,  en  la  gueule.  Et  quant  ele  ot  ce  fet ,  si  s'en  dé- 
vala des  fourches.  Lors  vint  au  chevalier,  si  l'aresona  : 
Sire,  fet  ele  ,  forment  pris  vostre  amour,  quant  je  ai  mon 
seigneur  pendu.  —  Voire  ,  dit  li  chevaliers,  orde  desloiaus, 
l'en  vous  devioit  ardoir  eouiine  orde  lecherresse  et  larre- 
m-w.  JoU  avez  ore  oublie  celui  qui  ier  lu  morz  et  enter- 
rez pour  l'amour  de  vous;  mauvese  fiance  y  porroie avoir, 
lloniz  soi!  qui  en  mauvè&e  lame  se  fie.  Quant  la  dame  oï 


U'I'I   Ni.,';  i   -  95 

< de  parole,  si  lii  esbahie  que  ele  ne  sot  que  dire,  ne  que 
respondre.  Or  est  ele  cliéoiste  entre  deus  selles.  Ore  sire , 
dist  li  sages  à  l'emperéeur,  autresi  vous  servira  la  vosire 
lame,  se  vous  ne  vous  en  gardez.  Vous  la  créez  miex  que 
vostre  veue;  si  vous  em  porroit  bien  mesavenir;  ne  créez 
pas  vostre  lame  par  sa  parole,  car  vous  orroiz  prochaine- 
ment vostre  (ilz  parler.  Lors  si  sauroiz  qui  aura  tort ,  ou 
lui  ou  la  dame.  — Dex,dit  li  emperières,  se  je  pooie  savoir 
qui  auroit  tort,  ou  lui  ou  ma  feme,  certes  je  en  feroie  si 
cruel  jugement  comme  mi  baron  sauroient  esgarder.  — 
Sire,  dit  li  sage,  de  ce  ne  doutez  jà,  car  bien  partans  l'or- 
rois.  —  Par  loi ,  dist  li  rois ,  donques  sera  si  respitiez  jus- 
'|ii''  demain.  —  A  tant  s'en  torna  li  sages  et  fu  moult  joianz 
de  ce  que  li  enfès  fu  respitiez.  Li  emperières  remest  moult 
peosmdl  l'cnipeicri/  d'autre  part,  qui  moult  estoit  dolente 
de  ce  que  li  emperières  n'avoit  fet  joustice  de  son  fil.  Lors 
s'alerviit  concilier  jusques  lendemain,  que  li  emperièivs 
se  leva,  et  la  dame  ausi.Lle  apela  l'emperéeur,  si  li  dist  : 
Sire,  savez-vous  por  coi  l'en  fet  la  leste  ans  fox  ?  —  Dame, 
fet  il ,  nenil.  ^)uant  ele  l'oï,  si  fist.i.  faus  ris,  et  li  dist:  Sire, 
je  le  vous  dirai  ,  car  je  le  sai  par  aueloritr  ;  im>  \<>us  ne 
VOlet  nul  bien  entendre  que  l'en  voi^die.  —  Dame  ,  J'et-il, 
m  faraf  :  mes  OT  me  dites  pour  coi  l'en  fet  la  leste  ans  fox? — 
Sire  ,  dist  ele,  volentiers. 

Sire,  Kome  fu  moult  gnerrOiée  jadis;  car  .vii.  rois  paiens 
l'avoient  Mite  en  tcle  manière  < 1 11* il  voloient  avoir  la 
diaièie  s.iini  Père,  et  l'aposlele  inetre  à  tonnent  et  a 
mort,  et  tonte  < Tesii.-iiié  ilestinire.  Li  (pieiuuns  dfl  la  vile 
em  prist  conseil  minent  il  en  porroienl  eflptoitfar  >  entre  les 


Sfi  APPENDICES. 

Sarrazins.  Lors  avoit  à  Rome  .i.  home  viel  et  ancien  qui 
parla  et  dist  :  Seigneurs,  entendez-moi  :  .vii.  rois  paiens 
nous  ont  céenz  asis,  et  vuelent  ceste  cité  destruire,  et  nous 
déshériter;  se  vous  me  voliez  croire,  je  vos  diroie  mon 
pensée.  Nous  somes  céenz  .vii.  sages  et  somes  gentilhome 
et  de  haut  parenté;  chascuns  des  sages  gart  son  jour,  que 
li  paien  ne  nous  puissent  grever,  ne  entrer  en  la  vile  ;  et 
qui  ce  refusera  si  soit  pris  et  justisiez.  Il  l'ont  volentiers 
toit  otroié  et  desfendirent  la  vile  .vii.  mois  que  onques  n'i 
porent  entrer,  ne  riens  mesfere.  Mes  vitaille  failli  à  ceuls 
de  denz,  si  leur  ala  moult  mauvèsement. 

Un  jour  en  vindrent  à  Genus  .i.  des  mestres  sages,  et 
pour  celui  Genus  dit  l'en  jenvier,  .i.  mois  qui  est  devant 
février.  Li  autre  sage  li  ont  dit  :  Sire,  il  est  hui  vostre  jour 
que  vous  devez  desfendre  Rome  contre  les  Sarrazins.  — 
Seigneurs,  ce  dit  Genus,  tout  est  en  Dieu  qui  nous  vueille 
secourre  et  aidier,  et  maintenir  crestienté  ;  et  nous  doint 
force  et  victoire  contre  nos  anemis.  Savez  que  je  vous 
vueil  conmander  que  demain  soiez  mit  armé  conme 
pour  combatre.  Et  je  ferai  .i.  engin  si  merveilleus  pour  es- 
poanterles  Sarrazins.  Il  respondirent  qu'il  feroient  sa  vo- 
lonté. Lors  fist  Genus  faire  i.  vestement,  et  le  fist  tain- 
dre  en  arrement;  puis  fist  querro  queues  d'escureus  plus 
d'iio  millier;  et  les  fist  atachier  à  eel  vestement  et  y  fist 
lire  .ii.  viaires  moult  lez,  dont  les  langues  furent  ausi  ver- 
meilles comme  charbons  qui  art.  Ice  In  tenu  à  moultgrant 
merveille,  et  desus  fist  fere  .i.  mireoir  qui  resplendissoit 
contre  I»'  jour,  [cil  Genus  se  leva  .i.  matin,  si  se  vesti 
moult  bien  de  re|  engin,  et  puis  monta  en  la  tour  du  ries- 


APPENDICES.  87 

tant  qui  moult  estoii  haute,  et  porta  avec  lui  deux  espées. 

Quant  il  se  lu  bien  apareiliiez,  si  se  mût  à  l'un  des  cre- 
niaus  <lc  la  tour,  devers  les  Sarrazins.  Lors  eonmença  à 
férir  des  .ii.  cspées  et  à  1ère  une  escremie  et  une  si  fière 
bataille  que  li  feus  et  les  estancelles  voloient  des  espées.  Li 
Sarrazin  regardèrent  celé  merveille,  par  col  engin,  si  en 
furent  forment  espoanté,  ne  ne  savoient  que  ce  pooit  estre. 
Lors  dist  uns  hauz  lions  des  Païens:  Li  DiexdesCrestiens 
est  à  unit  descenduz  jus  à  terre,  pour  sa  gent  secourre. 
Mar  a  vous  acointiée  ceste  guerre.  Tuit  serons  mort  et 
ocis  et  afolé.  A  tant  se  mirent  à  la  voie,  et  lessièrent  le 
siège  de  Rome  et  s'enfuirent,  pour  l'engin  que  il  virent. 
Moult  firent  grande  folie,  car  riens  n'i  eussent  perdu.  Quant 
cil  de  Rome  1rs  en  virent  foïr,  lors  corurent  après.  Moult 
•  •m  navrèrent  et  ocirenl  etgrant  avoir  i conquirent.  Antre 

si  fêtes  vus,  sin-,  vous  menez  une  autre  tele  note  conme 
cil  qui  joue  à  la  pelote:  qmiiit  il  la  tient,  tantost  la  giete  a 
son  compaignon.il  m'est  avis  qu'il  est  bien  musait,  quanti! 
la  lient  et  il  la  giete  et  après  la  redemande,  ce  tien- je  à  fo- 
lie. Autresi  fêtes  vous:  vous  samhlez  l'enfant  quant  il  pleine 

et  l'en  ii  baille  la  mamelle ,  tantoel  se  test.  Autresinl  fêtes 
VOUS  vous  estes  une  heure  en  .i.  corage  et  une  autre  en 
antre.  Cil  .vu.  Bage  vous  déçoivent  par  leur  art  et  par  leur 

m.  Dont  vous  morroiz  à  honte,  et  ce  sera  à  bon  droit. 
quant  vous  ne  me  volez  croire  de  chose  que  je  vous  die.  Jà 
vastes  vous  bien  la  prouvance  de  vostre  fils  qui  me  list  toute 

sanglante  el   nie  deSCÎrama  robe.  Ce  poistes  vous  bien  oïr 

et  veoir,  et  que  atendez-vous  que  vous  ne  m'en  venchiei? 
Dame, dist  li  emperières,  voiravei  dk;  lesancvi-je  bien 


88  APPENDICES. 

et  vostre  robe  descirée.  Or  n'atendrai-je  plus,  car  je  vueil 
qu'il  soit  orendroit  destruiz.  Or  oez  de  la  desioial  :  Diez  la 
confonde!  qui  tant  set  de  barat  et  d'art,  qu'ele  se  deffen  en- 
contre les  .vii.  sages,  ettouz  leur  diz  met  à  néent.  Lors 
s'aïra  H  emperières  et  dit  que  ses  filz  ne  vivra  plus.  Lors 
dit  à  ses  sers  :  Prenez  le  moi,  et  je  meismes  irai  avec  vous, 
si  le  verrai  destruire.  Il  queurent  meintenant  conme  cil 
qui  ne  l'osèrent  véer,  ne  desdire  ;  si  leur  em  pesa  il.  A  tant 
es  vous  que  li  autres  mestres  qui  estoit  apelez  Meron, 
vint  devant  la  sale  et  descendi.  IN'estoitpas  de  grant  âge; 
il  n'avoit  que  .xxviii.  ans,  et  savoit  touz  les  .vii.  ars  ;  sages 
estoit  et  courtois.  Il  salua  l'emperéeur  moult  cortoisement, 
après  l'aresona  et  li  dist  :  Rois  emperières,  moult  me  mer- 
veil  dont  vous  avez  tant  de  corage  :  une  heure  estes  en  .i. 
corage  et  autre  en  autre.  Vous  n'estes  pas  estables;  trop  es- 
tes tornanz.  Si  hauz  lions  conme  vous  estes  ne  deust  pas 
estre  si  muables.  Une  heure  volez  vostre  filz  ocirre;  autre 
heure,  le  volez  respitier  :  vous  en  créez  moult  fol  conseil. 
Si  pri  à  Dieu  qui  onques  ne  menti,  que  il  vous  en  aviegne 
ausi  conme  il  fist  à  celui  qui  mieulz  croit  sa  famé  que  ce 
qu'il  véoit.  i — Certes,  dit  li  emperières,  il  lu  musarz,  car 
ce  me  seroit  moult  fort  à  croire.  —  Cornent  fu  ce?  biaus 
douz  amis,  dites  le  moi.  —  Sire,  ce  dit  li  sages,  je  ne  le 
vous  dirai  pas,  se  vous  ne  respiliez  vostre  filz  de  mort, 
jusque  demain  prime  ,  sanz  plus.  —  Par  Dieu!  dit  li  em- 
perières, je  ne  sai  que  dire,  car  ma  famé  veult  mon  (ilz 
faire  darnpinT,  et  vous  le  volez  sauver.  Orne  sai-jequi  a 
droit,  ne  qui  toit,  ou  vous  ou  li;  ou  qui  le  fet  pour  bien, 
ou  qui  le  fet  pour  mal.  — Sii<-,  fet  li  sages,  vostre  famé  a 


u'iT.Nmu.s.  8!) 

tort  qui  vostre  filz  veult  en  tele  manière  destruire.  Mes 
vous  en  orroiz  partans  l'achoison  et  sauroiz  toute  la  vérité. 
—  Pcx,  dist  li  emperières,  se  je  pooie  savoir  qui  auroit  tort, 
<>u  lui  ou  ma  famé,  le  loial  jugement  de  Rome  en  feroie, 
ne  le  lesseroie  pour  toute  France. — Sire,  dit  li  sages,  vous 
l'orroiz  prochainement,  et  n'en  doutez  mie,  car  il  ne  puet 
plus  demorer;  mes  respitiez  l'enfant.  —  Or  le  souferrons, 
dist  li  emperièros,  por  l'amour  de  vous,  mes  je  vueil  vostre 
essample  oïr.  —  Sire,  volentiers. 

El  reaume  de  Monbergier1  lu  jadis  .i.  chevalier  moult 
proisie  d'armes  et  moult  erranz;  et  moult  estoit  riches 
lions  ei  poissanz.  Cil  chevaliers  jut  une  nuit,  en  son  lit;  il 
sonja  qu'il  ainoit  une  hele  dame  ,  niés  ne  sot  pas  dont  ele 
estoit.  te  de  quel  terre  fors  <pie  tant  que  s'amour  le  des- 
iraignoit.  Il  sot  moult  bien  que  se  il  véoit  la  dame,  il  la 
connestroit.  Meintennnt  la  dame  sonja  que  ele  amoit  le 
chevalier  ensenient,  niés  ne  solde  quel  terre  il  estoit  nez, 
ne  de  quel  contrée,  mes  que  s'amour  la  destraignoit.  là 
chevaliers  s'apareilla,  et  charcha  deus  sonmiers  d'or  et 
d'argent  ;  et  puis  se  mist  à  la  voie  pour  querre  celé  dame 
que  il  avoit  songiée,  ne  il  ne  sot  quel  part  aler,  ne  où  il  en 
pon ni  oir  novelle.  Einsint  erra  bien  trois  semaines,  que 
mile  chose  ne  trouva  de  ce  qu'il  aloit  querant  et  tout  jourz 
esperoil  qu'il  trouveroit  celé  dame,  Tant  erra  qu'il  vint  en 
Hongrie,  une  terre  moult  riche.  lotstela  mer  trova  .i. 
chaslel  qui  fu  clos  de  mur  doul  la  tour  iert  haute  et  fort 
là  sires  eni  cil  chastiaus  estoit  ,  fu  haïz  de  ceuls  du  pais. 

VweiAU  <ii|f|  (loin  coule    l.i  pn-iiiicri' |i.irlir  Ho  ro  \n|iimc    y*zr  I  *.s 


90  APPENDICES. 

Une  famé  avoit  moult  bêle  ;  el  pais  n'avoit  sa  pareille  de 
biauté.  Li  sire  l'amoit  tant  qu'il  en  estoit  jalons,  etl'avoit 
enfermée  en  la  tour  qui  estoit  si  haute  et  si  fort  conme 
l'en  pooit  deviser.  La  dame  i  fu  enclose ,  ne  n'en  issoit  ne 
jour  ne  nuit.  En  la  tour  avoit  huis  de  fer  bien  barrez.  Li 
sires  emportoit  les  clés  tôt  jourz ,  avec  lui,  car  il  ne  s'en 
fiast  en  nului.  Cil  chastelains  avoit  grant  guerre  que  uns  au- 
tres hauz  lions  li  fesoit,  qui  li  destrui(soit)  et  gastoit  sa  terre. 
Es  vous  le  chevalier  venu  dedenz  la  vile  :  si  conme  il  i  en- 
troit ,  si  regarda  seur  destre ,  devers  la  tour,  si  vit  la  dame  à 
la  fenestre.  Si  tost  comme  il  la  vit,  si  sot  bien  que  ce  estoit 
la  dame  qu'il  avoit  songiée.  Lors  conmença  à  chanter  .i. 
son  d'amour,  et  à  bien  petit  que  ele  ne  l'apela,  mes  n'osa 
pour  son  seigneur.  Li  chevaliers  entra  ei  chastel,  et  trouva 
le  seigneur  qui  se  séoit  sus  .i.  perron.  Cil  descendi ,  puis 
le  salua  moult  courtoisement  et  li  clist  :  Sire,  je  sui  .i.  che- 
valier qui  auroie  mestierde  gaaingnier;  si  ai  moult  de  vous 
oï  parler  :  recevez  moi ,  se  il  vous  plest ,  et  je  vousserviré 
moult  volenliers;  car  je  n'ose  en  mon  pais  demorer,  pour 
ce  que  je  y  ai  .i.  chevalier  ocis.  —  Bien  soiez  vous  venuz, 
dit  ii  sires,  car  je  vous  recevrai  moult  volontiers,  et  en  ferai 
grant  joie;  car  je  ai  grant  mestier  de  soudoiers;  car  ci 
après  sont  mi  anemi  qui  me  gastent  ma  terre. 

Li  sires,  lefisthebergieren  la  vile,  chiez.i.  hourjois  riche 
home.  Li  chevaliers  fu  cortois  et  hirges.  Que  vous  iroie-je 
contant?  Tant  fist  li  chevaliers  par  ses  armes,  et  par  sa 
proesce,  que  il  prist  les  anemis  à  cel  haut  home,  et  afina 
la  guerre  du  tout  ù  sa  volenté.  Moult  l'a  ma  li  sires  et  ho- 
nora; etli  abandona  son  trésor  elle  fist  seneschal  de  toute 


APPENDICES.  91 

«a  terre,  luit  cil  dou  pais  l'amèrent,  quant  il  leur  ot  leur 
guerre  aquitée.  .1.  jouraloitli  chevaliers  déduisant  par  mi 
la  vile  ,  et  tant  qu'il  vint  devant  le  chastel ,  là  où  la  dame 
estoit  :  si  tost  conme  la  dame  le  vit ,  si  le  connut.  Tantost 
prist  .i.  gros  jon  crues  dedanz;  si  le  lança,  si  que  le  gros 
chiei'  en  coula  jus  et  le  gresle  desus.  Li  chevaliers  le  prist 
et  le  trouva  crues.  Lors  se  pourpensa  que  ce  estoit  sene- 
fiance  que  il  pourohaçast  comment  il  entrast  en  la  tour  et 
parlast  à  la  dame.  Einsintlessa  bien  .viii.  jorz  li  chevaliers 
que  de  riens  n'en  avoit  parlé  ,  tant  que  vint  .i.  jour  qu'il 
apela  son  seigneur,  si  li  dist  :  Sire ,  par  amours  ,  donnez- 
moi  une  place  jouste  celé  tour,  où  je  començasse  une  me- 
sun  ,  là  où  je  me  deduiroie  plus  privéément;  et  mon  har- 
nois  y  metroic.  —  Amis  ,  dist  li  sires  ,  bien  le  vous  otroi  : 
fêtes  par  tout  vostre  plésir  et  voslre  volenté.  Quant  cil  oï 
ce,  si  fu  moult  liez.  Tantost  iist  mander  charpentiers  et 
maçons,  et  iist  fere  celé  meson  qui  moult  lu  bêle  et  riche; 
et  lu  joignant  à  celé  tour  où  celc  dame  estoit.  Chambres  et 
soliers  y  ot  assez.  Cil  chevaliers  se  porpensa  cornent ,  ne  par 
quel  manière  il  poïst  parler  à  la  dame  qui  en  la  tour  estoit. 
I  iusint  avint  que  en  la  vile  avoit  .i.  maçon  qui  n'estoit 
pas  du  pais.  Li  chevaliers  s'ac-mita  de  lui  et  li  dist  :  Amis. 
me  porroie-je  lier  en  toi  d'une  chose  que  je  te  dirai,  que 
tu  ncmViiriivisscs. —  Certes,  sire,  dist  li  maçons,  oïl:  bien 

vous  me  poei  dire  ^purement  vostre  volonté;  car  jà  par 
moi  n'en  seroiz  ençu&ez,,  ne  descouvor/.. —  Amis,  dit  li 

chevaliers,  Ul  as  moult  bien  dit  ,  et  je  te  fêté  riche  home. 
Soi  m  que  j«'  te  TUeil   dire  ?  Je  aime  eele  dame  qui  est  en 

i  ele  tour;  bj  voudroie  que  tu  la  tour  me  perçasse  si  soutil- 


î>'2  APPEMHŒS. 

meut  que  nus  ne  le  poist  apercevoir;  et  fai  tant  que  je 
puisse  à  la  dame  parler.  —  Sire,  dist  li  maçons,  ce  vous 
ferai  je  oien.  Lors  apareille  son  afère,  et  perça  celé  tour  si 
bien  et  si  soutilment  que  il  vint  tout  à  son  droit ,  là  où  la 
dame  estoit. 

Quant  il  ot  ce  fet,  si  s'en  revint  au  chevalier  et  li  dist: 
Sire,  or  poez  aler  à  votre  amie  quant  vous  plera,  car  je  ai 
la  voie  bastie  et  fête.  Quant  li  chevaliers  oï  ce  ,  si  fu  moult 
liez  ;  mes  de  ce  fist-il  trop  grant  cruauté  qu'il  ocist  le  ma- 
çon ,  car  il  doutoit  que  par  aventure  ne  le  descouvrist  et 
encusast ,  car  bien  voloit  celer  son  afere  et  couvrir.  Il 
monta  amont  toute  la  ruelle  ,  ainsint  corne  le  maçon  l'avoit 
fête.  Et  quant  il  fu  amont,  si  souzleva  l'entableure  qui  fu 
faite  par  soutilleté  ,  et  entra  enz  ,  et  vit  la  dame  qui  estoit 
si  bêle  et  si  gente  que  ce  estoit  merveilles  à  regarder. 
Quant  la  dame  vit  le  chevalier,  si  en  otgrant  joie,  car  bien 
sot  que  ce  estoit ,  ses  amis  celui  que  ele  avoit  songié,  si  li 
dist  :  Sire,  bien  soiez-vous  venuz.  Li  chevaliers  li  respondi  : 
Dame,  vous  aiez  bone  aventure,  comme  ma  dame  et  m'amie 
et  la  riens  el  monde  que  plus  aing. —  Sire,  si  faz-je  vous, 
ce  dit  la  dame,  plus  que  nul  autre.  Li  chevaliers  l'acole  et 
Im'sp,  si  conme  chevaliers  doit  fere  s'amie.  Leur  plésir  et 
tettf  volenté  firent  comme  gent  qui  moult  s'entre  amoient. 
Li  chevaliers  n'osa  plusilecdemorer;  car  il  crémoit  que  li 
sires  ne  venist,  si  prist  congié  à  la  dame  etli  dist  :  Dame,  ne 
vous  plait-il,  m'en  covient  aler;  car  je  ai  doute  de  vostre  sei- 
gneur; mes  je  revenrai  si  tost  conme  je  aurai  lesir. — Sire, 
dist  la  dame,  à  vostre  volenté.  La  dame  li  donna  au  départir, 
par  amors,  .i.  anel  d'or  dont  la  pierre  estoit  moult  riche. 


API'KMMŒS.  93 

A  tant  son  torna  li  chevaliers  par  rni  la  ruelle,  si  conme 
il  estai!  yciiiiz,  et  referma  bienTentabléure  ;  puis  ala  es- 
banoier  el  bore ,  et  trouva  le  seigneur  à  la  dame.  Si  vint 
(  (  |r  pari  el  le  salua,  et  li  sires  li  dist  que  Lien  fust  il  ve- 
nuz.  Puis  le  fist  de  lez  lui  seoir,  et  parlèrent  de  maintes 
choses.  Li  sires  regarda  el  doi  au  chevalier,  si  connut  son 
anel  qu'il  avoil  donc  à  sa  lame.  Quant  il  l'ot  aperceu,  si  se 
merveilla  moult  et  pensa  que  ce  estoil  ses  aneaus,  et  moult 
lu  esbahiz.  xMès  ne  le  vost  mie  entercier;  car  il  ne  voloit 
pas  1ère  honte  au  chevalier.  Tout  maintenant  s'en  estd'ilee 
lornez.  Quant  le  chevalier  vit  ce,  si  s'en  retorna  d'autre 
paît,  et  monta  par  mi  l'entableure,  en  la  tour  où  la  dame 
estait  et  li  jeta  l'anel.  La  dame  le  prist  et  le  mist  en  sa 
bourse,  et  cil  s'en  torna.  Li  sires  monta  en  sa  tour  qui 
rnoult  estoit  fort  et  haute;  si  y  avoit  des  huis  de  1er.  Li 
Sires  les  desferma,  puis  prist  les  des  ;  car  il  ne  s'en  hast  en 
uelui,  et  s'en  vint  à  la  dame.  Si  la  salue,  et  s'asist  jouste 
li  el  h  demande  comment  il  li  est  :  Sire,  let  la  dame,  il 
m'est  assez  mauvèsement,  car  je  sui  ci  toute  seule  et  m'a- 
vez, enfl  nuée  en  teste  tour,  comme  se  vous  n'eMSSiez  em- 
blée ;  si  eu  sui  moult  doleule  el  eorroeiee. — lia  !  (lame,  ne 
VOUS  rulirroeiez,  ne  n'en  suiez  doleule.  carce  ai-je  Ici  |m,|h 
la  graut  amor  que  je  avoie  en  vons.  —  Sire,  let  la  dame,  à 
SOVfrir  le  me  convient  ;  mes  sachiez  qu'il  ne  rfi'esl  pas  bel. 
Li  sire-,  dist  ;|  |;,  dame  ;  Ou  esl  li  aniaus  a  la  riche  pierre 
cpie  je  vous  douai?  —  Sire,  dist  la  dame,  que  en  avez-vous 
a  fore? je  le  gNréirai  OlOUlt  bien.  l'ar  fui!  dame,  dil-il. 
je  le  \ciiil  vcoir.  -  Sire,  dist-ele,  puisqu'il  vous  plesl,  si 
le  vciidiz.  Mcinlcnanl   le  très!  la  dame  de  s'auinosnière , 


94  APPENDICES. 

si  le  nionstra  à  son  seigneur.  Quant  li  sires  le  vit,  si 
se  merveilla  moult  que  ce  pooit  estre,  car  celui  que  li 
chevaliers  avoit  ensondoi,  sambloit  mieulx  celui  que  riens 
du  monde.  Lors  dist  en  son  cuer  que  assez  sont  aneausqui 
s'entre  resamblent.  Celé  nuit  jut  li  sires  avec  sa  famé,  en 
la  tour,  à  grant  déduit.  A  landemain,  se  leva  matin  et  ala 
au  moustier  oïr  messe,  et  li  chevaliers  ensement  avec  lui. 
Quant  le  servise  fu  fine ,  'e  seigneur  apela  son  soudoier 
moult  courtoisement  :  Amis,  dit-il,  venez  en  avec  moi,  el 
bois,  chacier  et  déduire.  —  Sire,  dit-il,  je  ni  puis  aler  ;  car  je 
ai  oies  noveles  de  mon  pais,  que  ma  pès  est  fête  et  que  mi 
ami  la  m'ont  pourchaciée  ;  et  une  moie  amie  m'en  a  nove- 
les aportées.  Si  vous  pri  el  requier  que  vous  mengiez  en- 
nevois  avec  moi,  et  me  teigniez  compaignie. —  Certes,  fet 
li  hauz  lions,  moult  volentiers,  quant  il  vousplest.  Lorsfist 
li  sires  apareillier  ses  genz  et  ses  chiens,  et  s'en  ala  chacier 
elbois.Li  chevaliers  se  pourchaça  de  viandes,  et  fist  appa- 
reillier  moult  biau  mengier.  Lors  s'en  monta  en  la  tour,  et 
fist  la  dame  descendre,  et  la  mena  en  sa  meson,et  la  fist  des- 
vestirde  sa  robe;  puis  li  fist  vestir  une  bêle  robe  qu'il  avoit 
de  son  pais  aportée.  Nus  ne  l'avoit  encore  veue,  car  il  ne 
l' avoit  encore  pas  montrée  ;  si  la  list  vestir  à  la  dame ,  et  une 
moult  bêle  chape  fourrée,  et  li  fist  mètre  aneaus  d'or  et  d'ar- 
gent en  ses  doiz.  Moult  fu  celé  dame  desguisiée.  A  tant  es 
vousveniile  seigneur  du  bois,  qui  avoitehacié;  le  mengier 
fu  apareillie  ne  ni  ot  que  délaver.  Li  soudoiersala  encontre 
son  seigneur,  et  l'amena  avec  lui ,  en  sa  meson.  Tout  fu 
apresté;  les  tables  furent  mises,  l'eve  fu  donée,  si  asirent 
au  mengier. 


APPENDICES.  95 

Li  soudoiers  fist  le  seigneur  mengier  avec  la  dame.  Li 
sires  la  regarda  assez,  toutadès,  et  se  merveilla  moult  que 
ce  pooit  estre  ,  car  ele  resambloit  inieulx  sa  famé  que  riens 
du  monde.  La  dame  le  semondoit  et  esforçoit  de  mengier; 
m«'s  il  ne  pooit  mengier,  tant  estoit  esbahiz;  mes  la  tour 
qui  esroit  fort  le  decevoit  ;  car  il  ne  euidast  tele  traïson  pour 
riens  née.  Moult  pensa  et  dist  en  son  cuer,  que  assez  sont 
laines  qui  s'entreresambleut  et  de  cors,  et  de  façon,  et  de 
chière,  ausi  conme  de  l'anel  qu'il  vit  el  doi  au  chevalier, 
qui  resambloit  celui  qui  sa  famé  avoit.  Li  soudoiers  fist 
moult  bêle  chière  et  moult  honora  son  seigneur.  Li  sires 
demanda  qui  estoit  celé  dame?  Li  soudoiers  respondi  :  Sire, 
»  !c  est  de  mou  p;iïs  ,  une  moie  amie  qui  m'a  aportées  no- 
veles  que  mi  ami  ont  fête  ma  pès  et  pourcliaciée  ;  si  m'en 
convient  prochainement  aler.  A  tant  ont  celé  parole  lessiée 
ester;  Quant  il  orent  mengié  a  leur  volenté  ,  les  tables  fu- 
reni  OStée.  Li  sires  prist  congié,  si  s'en  ala;  car  moult  li 
estoit  tari  qu'il  véist  sa  famé  ,  pour  celé  qu'il  avoit  veue  en 
la  meson  au  BOudoier.  Quant  li  chevaliers  vit  que  li  sires 
si  n  lu  tornez,  lois  list  la  dame  devestir  de  celé  robe  et  li 
tist  vestir  la  seuc,  puis  l'en  envoia  parmi  la  nulle.  Celé 
sou/leva  l'entableure,  si  cuira  en  la  tour,  lu  li  mi  .s  vint  aus 
huis,  m  desferma  l'un  après  l'autre,  tant  qu'il  vint  amont, 
ru  la  tour,  et  vil  sa  lame.  Si  en  Otmouit  grant  joie,  ci  moult 
forment  se  merveilla  de  celé  qu'il  avoit  lessieequi  forment 

liresambla.  Gelé  uuitjut  avec  safeme,  en  la  tour,  a  grant 
joie  ci  .1  grant  déduit;  mes  je  ne  cuit  pas  qu'il  l'ait  lon- 
guement; car  le  chevalier  pourchaça  landemain,  et  loa 
une  aefoù  il  mist  ses  ni"v\  tout  ce  que  il  voloit  mener  en 


î)0  APPENDICES. 

son  pais.  Li  sires  se  leva  bien  malin,  et  ferma  bien  sa  tour, 
et  lessa  sa  famé  gisant,  et  ala  à  l'églyse,  etlisoudoiez  ala 
en  la  tour,  et  fist  la  dame  descendre  et  la  fil  moult  bien  vestir 
et  apareillier.  Après  revint  à  son  seigneur,  si  li  proia  et  dist 
que  li  donast  s'amie  à  lame,  celé  qu'il  list  mengier  avec  lui  ; 
car  il  ne  l'avoit  pas  espousée ,  mes  or  li  venoit  à  talent 
qu'illa  préist  à  famé  :  Certes,  dit  li  sires,  ce  ferai-je  volen- 
tiers.  Dui  chevalier  alèrent  pour  la  dame  querre  et  rame- 
nèrent au  moustier.  Li  sires  prist  sa  famé  par  la  main  et  la 
dona  au  soudoeir.  .1.  chapelain  chanta  la  messe  et  espousa 
la  dame  au  chevalier.  Quant  le  servise  fu  finez  ,  il  issirent 
hors  du  moustier.  Li  soudoiers  enmena  la  dame  au  ri- 
vage, où  il  avoit  la  nef  lessiée.  Quant  il  furent  luit  venuz, 
si  prist  le  chevalier  congié  au  seigneur  et  le  conmanda  à 
Dieu ,  etli  sires  lui.  Li  soudoiers  entra  en  la  nef  et  li  sires 
prist  sa  famé,  si  li  bailla  par  le  poing;  bien  en  dut  perdre 
son  soulaz  ,  quant  en  tele  manière  li  a  livrée.  Li  marinier 
empaindrent  en  mer,  et  li  sires  s'en  retorna  à  sa  tour  et 
desferma  les  huis  et  monta  amont.  Il  regarda  avant  et  arière, 
mes  il  ne  trouva  pas  sa  famé.  Lors  fu  si  esbahiz  qu'il  ne  se 
sot  conseillier.  Moult  fu  espoantez.  Lors  se  conmença  à 
démonter  et  à  plorer  ;  mes  ce  fu  à  tart  au  repentir.  Par  la 
foi  que  je  vous  doi,  sire  emperières,  aussi  ouvrez  vous  et 
en  tel  manière.  Celé  faine  vous  argue,  si  que  vous  la  créez 
mieul/que  vostre  veue.  Et  sachiez  que  vous  orroiz  demain 
votre  filz  parler.  Lors  si  sauroiz  li  quex  aura  tort,  ou  vostre 
famé  ou  lui.  —  Dex ,  dit  li  emperières,  si  je  pooie  la  vérité 
savoir  li  quex  auroit  tort,  ou  lui,  ou  ma  famé,  le  loial  juge- 
ment de  Home  en  feroie,  ne  le  leroie  pour  riens  du  monde. 


APPENDir.KS.  97 

—  Vous  l'orroiz,  dist  li  sages,  demain  parler,  sans  l'aille, 

<  ai  il  De  puet  plus  demorer.  —  Par  saint  Denis,  dist  li  rois, 
dont  ne  ne  morra  il  luii  mes;  et  de  ce  sui-je  moult  liez  que 
je  l'orrai  demain  parler;  car  ce  est  la  riens  el  monde,  que  je 
plus  désir. 

A  tant  s'en  torna  li  sages,  et  la  dame  lu  moult  dolente  et 

<  sperdue.  Or  ne  set  ele  que  dire,  mes  bien  sel  que  ele  sera 
honnie)  puisque  li  enfès  parlera.  Li  emperières  ala  celé 
nuit  coudrier;  ausi  (istl'empereiizqui  moult  iert  dolente. 
Si  tost  conme  il  vit  le  jour,  il  se  leva  pour  oïr  messe  ;  et 
moult  li  estoil  tart  qu'il  oïst  son  filz  parler.  Tuit  li  baron 
s'atornèrent  et  apareillièrem  moult  richement ,  car  il  sa- 
v  lient  que  li  enfès  devoit  parler  celui  jour.  Dames  et  che- 
valière ei  liorjiiis  s'acesinèrent  plus  bel.  Car  moult  orent 
grant  joie  de  <cl  enfant  <pii  parler  devoit.  Li  .vii.  sage  alè- 
renl  au  inuiisiier,  ei  OOOUll  biau  s'apareillierenl.  Quant  la 
messe  lu  chantée,  il  s'asamblèrcnt  ,  si  s'arestèrenl  en  une 
bêle  place»  devant  le  moustior.  Li  duides  sagesalèrent  poul- 
ie d;iintiise|.  Lj  enfès  lu  moult  bien  veçluz  ,i  moult  estoil 
genz  et  biaus.  Lj  sage  l'amenèrent  en  la  place,  devant  son 
père.  Uec  fil  asis,  seur  .i.  perron.  La  noise  et  li  cri/  lu 
grau  que  l'en  ni  oist  pas  Dieu  louant.  Li  enfès  s'est  age- 
noilliec,  tant  que  li  puepless'acoisa.  Lors  se  leva  en  estant, 
et  parla  si  haut  que  mil  le  porenf  oïr,  ei  disi  ;i  sdii  père  : 

Sire,  p0UI  Dieu  inerei,  VOUS  OSteS  à  grant  toit  COITOCiez  vers 

moi;  cai  \>>us  poezbien  croire  et  savoir  que  mouli  estoit 
granl  l'actyoiaon  pour  coi  je  ne  parloie;  car  nousvéismes 

en  la  lune,  toute  la  some  (pie  se  je   parlasse,   ne  tant   ne 

quant;  pour  riens  je  ne  me  tenisse  que  je  déisse  tel  chose 

7- 


98  APPENDICES. 

par  aventure,  dont  je  lusse  honizetmi  mestretuit  .vii.  des- 
truit.  Et  biau  douz  père,  vous  voliez  1ère  ausi  conme  uns 
hauz  bons  fistqueje  oï  conter,  qui  jeta  son  filz  en  la  mer, 
porce  qu'il  dit  qu'il  seroit  encore  plus  hauz  lions  que  son 
père,  et  en  greigneur  ennenr  monteroit.  Lors  dist  li  empe- 
rières  :  Biax  fils ,  il  est  bien  droiz  que  nous  oiens  le  vostre 
essample,  car  chascun  des  sages  a  dit  le  sien,  pour  l'amour 
de  vous;  si  leur  devez  savoir  moult  bon  gré  de  ce  qu'il  vos 
ont  tant  sauvé  ;  et  moult  se  sont  pour  vous  pené  et  tra- 
veillié.  Lors  dit  li  enl'ès  :  Je  le  vous  dirai. 

Il  lu  jadis  .i.  riche  vavasourquiavoit  un  fil  moult  cortois, 
et  moult  sage.  Si  avoit  bien  entour  .xii.  ans.  .1.  jour  se  mi- 
rent en  .i.  batel ,  le  père  et  le  fil ,  et  nagièrent  par  mer,  por 
aler  à  .i.  reclus  qui  estoil  seur  .i.  rochier.  Tant  que  sus 
euls,  comencièrent  à  crier  .ii.  corneilles,  et  au  chief  du 
batel  s'arestèrent :  Ha  !  Diex  ,  dit  li  pères  à  son  fil,  que 
pueent  ore  dire  cil  oisel?  — Par  toi,  biau  père,  dit  li  enles, 
je  sai  bien  que  il  dient.  H  dient  que  je  monterai  encore  si 
hautement,  et  serai  em  or.  m  hauz  homs  que  vous  seriez 
forment  liez,  sejedaignoie  tant  soufrir  que  vous  me  tenis- 
siez  mes  manches,  quant  je  devroie  laver  mes  mains;  et  ma 
mère  seroit  moult  liée,  se  ele  osoit  tenir  la  touille  où  je  es- 
:  oie.  Quant  li  pères  oï  ce  ,  si  en  fu  moult  corrociez,  et 
en  ot  grantduel  au  cuer: Voire,  dit-il,  si  monteroiz  plus 
haut  de  moi.  Par  mon  chief! je  laiissferai  vostre  argument. 
Lois  prîst  son  !ilz ,  si  le  jeta  en  la  mer.  Li  pères  s'enala, 
nàjânt  en  >ou  al'ere,  et  lessa  son  enfant  eii  la  mer,  en  t<-l 
manière.  Li  nfès  sdvbît  des  ùons  nbstre  seigneur  ;;  si  re- 
;i  Dieu  de  bon  cuer,  et  L)ex  oï  sa  prière  ,  car  il  ariva  à 


WM'I  NDW  I  S.  99 

une  roche  qui  estoit  en  la  mer.  lleques  fu  trois  jourz  que 
Oiques  ne  but,  ne  ne  menja,  ne  vil,  ne  n'oï  mile  riens 
De  mes  les  oisiaua  qui  H  disoient  et  crioient  en  leur  lan- 
gage, que  mar  a'esmaieroit,  car  il  auroit  partans  secours. 
A  tant  es  vous  i.  peschéeur  qui  vint  ccle  part,  droit  a 
lui,  si  conme  Dieu  plot.  Quant  il  vit  cel  enfant,  si  en  fu 
moult  liez.  Maintenant  le  mist  en  son  batel  et  l'enmena 
(oui  droit  à  .i.  chastel  qui  est  oit  moult  fort;  .xxx.  luies  es- 
toit  loing  de  cel  port  où  son  père  le  jeta  en  mer.  Cel  pes- 
chéeur vendi  cel  enfant  au  senescbal  de  cel  chastel  ,  .x\. 
marz  d'or  en  ot.  Li  seneschaus  l'ama  moult,  et  sa  lame 
ensement,  car  li  enfèa  estoit  si  bians  ,  et  si  coui'iois ,  et  si 
riables  que  tOUZ  li  mondes  l'amoit.  Adont  avoil  en  Bel 
pais,  .i.  roi  qui  moult  estoit  pensis  el  dolcnz,  car  nuis  oi- 
siaus  crioient  sear  lui ,  chaseun  jour,  «'i  de&ênoienl  s-i  gram 
diirl  queoe  estoit  une  merveille;  ei  tout  adès  suioieni  le 
roi  partout  là  <>u  il  aloit.  là  au  mostier,  ei  quant  il  menjoit, 
tout  jourz  crioient  seur  lui.  Li  rois  se  merveilloit  moult 
que  oe  |  >ooit  estre,  uns  mis  De  li  savoil  à  dire  que  ce  pooil 
Méfier.  I.  jor,  manda  li  rois  tout  son  baroàge,  pour  ceste 
merveille  savon .  se  aucuns  !i  sauroil  a  dire  que  ce  porroii 
tenefier.  Li  baron  de  la  terre  y  aièrenl  tuit.  Li  seneschaus 

disi  ;i  la  laine  que  ,  •!■■  v  voloit  alcr  :  Sirr.  disl  l;i  daine  ,  de 

par  Dieu.  --  ll;i  !  sire  ,  dist  li  enfès,  lessiez-moi  avec  vous 
iter.  \inis ,  <iist  H  senesohaus  .  volentiers.  A.  tant  s'ed 
wnèreni  el  errèrent  tani  qu'il  vindrenl  a  la  rouit,  ou  toit 
baron  estoieni  venux  <-i  asambles.  1m  quant  li  roi-  \u 
que  t  »iu  luifiu  venu;  si  parla  en  baul  .  «i  dis!  a  ses  barons 
qui  la  furent  atambté  :  Sei(  ueur,  dit-il,  s.-  nus  de  vous  m 


100  APPENDICES. 

savoit  à  dire  pour  coi  cil  troi  oisel  crient  seur  moi ,  je  li 
donroie  la  moitié  de  mon  réaume  ,  et  ma  fille  à  famé.  Li 
baron  se  turent  tuit,  si  qu'il  n'i  ot  .i.  qui  mot  sonast  fors  le 
perillié  damoisel  qui  vint  avec  le  seneschal.  Cil  en  apela 
son  seigneur  :  Sire,  dist-il ,  se  li  rois  me  tenoit  couvent  , 
si  corne  il  a  devisé,  je  li  diroie  bien  pourcoi  cil  oisel  crient 
et  mainent  tel  martire.  —  Amis,  le  savez  vous  ?  dist  li  se- 
neschaus  ;  car  se  li  oisel  ne  s'en  aloient,  vous  n'en  seriez 
jà  creuz.  —  Sire,  dist  li  enfès,  je  li  dirai  moult  bien.  Lors 
s'est  liseneschauz  levez  em  piez,  et  dit  au  roi  :  Sire,  se  vous 
voliez  tenir  le  covenant  que  vous  avez  devisé  ,  véez  ci  .i. 
enfant  qui  vous  diroit  bien  pour  coi  cil  oisel  crient  desus 
vous.  —  xVmis,  dist  li  rois,  je  l'otroi  bien. 

Lors  s'est  li  damoisiax  levez  ,  et  touz  li  barnages  le  re- 
garda, car  moult  estoitbiaus.  Lors  parla  li  enfès  et  dist  : 
Entendez,  sire  rois,  et  tuit  vostre  baron.  Véez  vous  là  sus 
ces  oisiaus  qui  crient  et  demainent  tel  rage?  Savez-vous 
quex  oisiaus  ce  sont?  C'est  une  corbeet  .ii.  corbiaus.  Véez 
vous  cel  grant  corbel  qui  est  là  touz  seus;  il  a  bien  tenue 
celé  corbe  .xxx.  anz,  puis  la  lessa;  si  vous  dirai  cornent. 
L'autre  anleva  une  moult  grant  chierre  ;  celé  année,  si  la 
guerpi  pour  le  tans  félon.  La  corbe  remest  esguarée  et  quist 
ailleurs  sa  guarison.  La  terre  où  ele  estoit,  remest  dé- 
serte ;  ele  se  torna  par  povreté  à  cel  autre  corbel  qui  la 
jeta  du  félon  tans.  Or  est  leviel  corbel  revenu  qui  la  veult 
avoir.  Mes  cil  la  li  chalange  et  dit  qu'il  ne  l'aura,  se  droiz 
n'est;  car  il  la  doit  avoir  qui  l'a  du  félon  tant  getée  etgua- 
rantie,  qu'ele  fust  morte  s'il  ne  fust.  Or  en  sont  venuz  à 
jugement  à  vous,  que  vous  leur  laciez  bon  et  lëal  :  car  ausi 


APPENDICES.  101 

tosi  conme  vous  leur  auroiz  l'et  le  jugement,  li  qtiex  li« 
cloil  avoir,  ii  s'en  départiront. —  Certes,  dit  li  rois,  cil  qui  du 
félon  tans  l'a  {jetée  ,  la  doit  avoir.  Toit  li  baron  si  sont 
acordé  et  (lient  que  li  autres  n'i  a  nul  droit,  quant  il  l'a 
guerpi  ou  lV'lon  tans;  car  il  ne  remaint  mie  en  lui  qu'ele 
n'est  morte. 

Quant  le  viel  corbel  oï  ce  jugement,  si  jeta  .i.  si  dolereus 
cri  que  tu  il  s'en  merveillièrent;  si  s'en  ala  ;  et  li  autre  dui 
s'en  alèrent d'autre  pari,  grantjoie  fesant.  Quant  li  rois  vit 
ce  ,  si  en  lu  moult  liez  et  tuit  li  baron  tinrent  l'entant  à  sage. 
Li  rois  li  tint  bien  covenant,  car  sa  tille  li  a  donée  et  l'éri- 
tage,  si  comme  il  li  avoit  devisé  ainçois;  rois  tu  puiscoro- 
iii ■/..  Tuit  h  baron  l'ennorèrent  et  amèrent  moult.  Einsi  fu 
tant  que  .i.  jour,  se  porpensa  si  remembra  de  son  père  et 
de  sa  mère  qui  Forent  otaén  en  granl  povreté  <'t  s'enl'oï- 
rent  de  leur  terre,  et  vautrent  en  celui  païs  dont  leur  tilz 
estoil  rois,  liée  furent  au  bourc  Saint  Martin.  Li  lil/.  savoit 
bien  leur  repère.  .1.  jour  apela  .i.  sienserjanl  et  li  dist  : 
Sez-tuquejetevueil  commander?  Ilcovientquetumefaces 
.i.  mesage  secréement.  — Sire, dist  li  lerjanz,  moult  vo- 
lentiers.  Va  .  dit  li  rois  .  au  Plesséiz  ,  ai  demanderas 
.1.  home  qui  aovelemeni  y  csi  venuz,  qui  a  non  dirait  le 
fils  I  bierri.  (  «elui  me  salueras  et  li  diras  que  li  juenes  rois 
doit  venir  pur  Uec,  <'t  veult  demain  disner  avec  lui.  —  Sire, 
ce  disi  li  messages,  je  li  dirai  bien.  Loi  se  miafl  cil  à  la 
voie  fi  erra  tant  qu'il  vint  au  Plesséb  :  ei  demanda  le  preu- 
dome  que  ses  Bires  li  ol  enseignie  tant  qu'il  le  trouva.  Il  1<' 

ilu.i  iiimiiIi  lui.  Apns  dis(  :  Sire,  li  juenes  mis  vous  salue 
et  vous  mande  qu'il  se  veull  demain  disner  avec  vous. — 


102  APPENDICES. 

Amis,  dit  li  preudons,  bien  soit-il  venuz;  mes  de  ce  sui- 
je  moult  dolenz,  que  je  ne  li  ai  que  douer;  mes  ce  que 
je  porrai  avoir  sera  en  son  commandement.  A  landemain 
vint  li  rois  en  la  vile,  et  descendi  en  l'ostel  son  père,  car 
bien  Tôt  demandé  et  enquis.  Quant  li  rois  descendi,  son 
père  li  corut  à  l'estrier,  car  ne  sot  pas  que  ce  fust  son  filz. 
Mes  li  rois  ne  le  vost  soufrir  ;  mes  le  fist  tenir  a  .i.  autre. 
Quant  li  rois  fu  descenduz,  l'eve  fu  donée.  Li  serjant  la 
portèrent  pour  laver.  Li  pères  vint  au  roi,  si  vost  tenir  ses 
manches;  mes  li  rois  ne  le  vost  pas  soufrir.  La  mèreaporta 
la  toaille  ;  mes  li  rois  ne  vost  essuier  ses  mains,  ainz  la  fist 
a  .i.  autre  serjant  baillier. 

Quant  li  rois  vit  ce,  si  dist  à  son  père  :  Beau  père,  or  est 
bien  avenu  ce  que  je  vous  dis,  quant  vous  me  jetastesen  la 
mer.  Sachiez  jesui  vostre  filz.  Moult  féistes  grant  cruauté. 
Or  poez-vous  apercevoir  se  je  vous  dis  vérité.  Quant  li 
pères  Toi,  si  fu  moult  esbahiz  et  pensis.  Lors  se  tint  moult 
à  engignie,  Autre  si  voliez-vous  fere,  bi;ni  père,  de  moi  ; 
ce  m'est  avis,  qui  me  voliez  ocirre  et  destruire  sanz  juge- 
ment; ne  je  n'avoie  pas  mort  deservie,  ne  que  cil  qui  lu 
irebuchiez  en  lamer.Cuidiez-vousque  se  je  seurmontasse 
et  venisse  ,  par  aucune  aventure,  à  plus  haute  enneur  de 
vous,  que  je  pour  ce  vous  grevasse?  Certes  nenil.  Ainz  me 
lessasse  ardoir  que  je  l'éisse  vers  vous  chose  que  je  ne 
deusse.  Bien  est  voirs  que  ma  dame  me  pria  que  je  aveques 
li  me  couchasse;  mes  je  ne  le  féisse,  ainçois  me  lessasse 
desmembrer.— Fu-ce  voirs?  dame,  dit  li  emperières  :'< 
l'empereriz.  Gardez-vOUS  que  vous  ne  me  meniez  mie.  — 
Suc  oïl,  disl  la  dame,  oïl  por  ce  que  je  doutoie  et  avoir 


\l'l'EM)li  Lb.  103 

poour  qu'il   ne  vous  destruisist,  et  qu'il  ne  vous   tolist 
l'empire. 

haine,  dist  li  emperières,  bien  vous  estes  jugiée,  quant 
vous  L'avez  reconnéu;  bien  avez  mort  déservie.  Or  auroiz 
tel  martire  comme  il  atendoit  à  avoir  que  vous  li  aviez 
pourehacié,  et  si  n'i  avoit  courpes.  Lors  a  ses  barons  ape- 
lez  :  Seigneurs,  dist-il,  niez,  l'êtes  .i.  feu  delivremont,  si 
ardez  ceste  desloial  qui  si  grant  desloiauté  voloit  fere  de 
mon  enfant  destruîre, à  si  grant  tort.  —  Sire,  font  li  baron, 
volcntiers.  Lors  firent  meinlenant  fere  .i.  grant  feu  et  puis 
gelèrent  enz  la  maie  dame,  liée  reçut  déserte  de  sa  grant 
irafeon.  Li  corsfu  en  petit  d'eure  (inez.  L'ame  ait  cil  qui 
l'a  deservie!  Einsint  vont  à  maie  (in  cil  qui  traïson  quiè- 
icni  el  pourchacent.  Et  leur  en  rent  Diex  déserte,  qui  pas, 
ne  ment ,  tele  comme  il  doivent  avoir. 


APPENDICE  N-  2. 

K.XTRAIT    DU    ROMAN    DBS    SI.Pï     BAGBS    RI    ROMI  .  Dintld  A 

GBNBY]     i    \n   .m.  «  <  ci  i wwij.   i.i:    .winj.    IOUB    DE   siay. 
I  vol..  in-1",  <;0TH.  —  MBI..    m    i    bRSBNAl    N°   1309,    in-  'i 

i  ce  loi/.,  lui  ung  empereur  qu'avoil  trois  clievalicrs,  les 
queux  il  avoit  Hm<t  sus  tons.  El  <'n  celluy  temps,  en  la  cité 
de  Romme,  ayoil  ung  chevalier  ancien  el  fort  vieux  ,  le- 
quel prist  a  femme  nue  jeune  damoiselle  très  belle,  la- 
quelle il  aymoil  el  lenoit  mouli  cuièrement,  ains)  commen) 


104  APPENDICES. 

vous  aymés  l'emperière  vostre  femme.  Ceste  dame  chan- 
toit  mélodieusement  bien  et  doulcement,  et  tellement  que 
par  son  doulx  chanter,  elle  faisoit  venir  pluseurs  hommes 
en  la  maison  de  son  mary,  et  estoit  désirée  et  solicitée  de 
pluseurs.  Advint  un  jour,  qu'elle  estoit  sur  les  loges  et  ga- 
leries de  la  maison,  de  la  part  du  chemin  publique,  et  vit 
ceulx  qui  passoient ,  pour  se  monstrer  et  faire  regarder, 
elle  chanta  sy  doulcement  que  tous  prenoient  grant  plaisir 
de  la  ouyr.  D'aventure  à  l'eure,  par  là  passa  ung  chevalier 
de  la  court  de  l'empereur,  et  escoutant  celle  doulce  voix, 
il  lève  ses  yeux  sus  elle,  et  la  regarda  affectueusement, 
tellement  que  subitement  il  fut  surpris  de  son  amour,  et  en- 
tra en  la  maison.  Puis  la  commence  soliciter  d'amours,  en 
disant  :  Quoy  vous  porroye-je  donner  ?  et  vous  dormes 
une  nuyt,  avec  moy.  ■ —  Elle  respont,  sans  grant  délibéra- 
tion :  Sire,  vous  me  donrés  cent  florins.  —  Or  me  dites, 
fait  le  chevalier,  quant  je  viendray?  et  alors  je  vous  donrnx 
ces  florins.  Elle  dit  :  Sy  tost  que  j'auray  la  opportunité  du 
temps ,  je  le  vous  fairay  savoir.  Le  jour  suyvaut,  ceste 
femme,  en  celluy  lieu,  se  mist  à  chanter  comme  par  avant, 
et  à  celle  heure,  ung  chevalier  passa  par  la  rue,  qu'estoit 
de  la  court  de  l'empereur,  qui  fut  surpris  de  son  amour, 
et  lequel,  pour  dormir  avec  elle,  luy  promistcent  florins; 
auquel  elle  promist  faire  scavoir  le  temps  qui  viendrait 
ver  elle.  Le  tiers  jour  suyvant,  ung  aultre  chevalier  passa 
par  devant  la  maison;  et  fut  fait  et  promis  comme  au* 
aullresqu'avoient  tous  convenus  donner  cent  florins.  Ches- 
<un  de  ces  trois  chevaliers,  sans  si  avoir  l'un  de  l'aiiltrc 
parlèrent  à  la  daine  secrètement,  comme  dit  est.  Mais  ceste 


APPENDICES.  1  OH 

dame  pleyne  de  cautelle,  et  grant  malice,  vint  a  sou  mary 
el  luy  dit  :  Sire ,  je  tous  ay  à  dire  aucune  chose  en  se- 
crest,  et  vous  prie  que  vous  me  créez;  et  se  vous  le  faites, 
nostre  povreté  sera  fort  supportée.  —  O  ma  dame  ,  dit  le 
mary  ,  très  volentiers  ton  secrest  tiendray  celé,  et  de  mon 
pouvoir  je  Iairay  ce  que  tu  conseillieras.  —  Je  vous  dis, 
t'ait-elle,  que  trois  chevaliers  de  la  court  de  l'empereur 
sont  venus  a  moy,  l'un  après  l'aultre,  et  sans  scavoir  l'un 
de  l'aultre,  et  chescun  de  eux  m'a  présenté  cent  florins. 
Que  voussemble-t-il  que  je  doy  faire,  sans  estre  congneue, 
ne  decelée?Etne  vous  semble-t-y  pas  que  cent  florins  du 
i  lu  scun  nous  lacent  grant  secours,  tant  pour  nous  habiliter 
i  omiih  pour  nostre  vivre?—  Certes ouy,  dit  le  mary,  pour 
t : i ut  j  acompliray  tout  ce  que  tu  conseilleras.  —  Elle  res- 
|i"iit  :  Je  donne  cestuy  conseil  que  je  les  iairay  venir  l'ung 
après  l'aultre.  là  quant  l'un  sera  entre'1  en  la  maison,  a 
tout  les  cent  florins,  vous  serés  derrier  la  porte  à  tout  vos- 
tre  glayve  bien  Branchant,  et  le  mectrés  à  mon.  Et  par 
;nns\ .  Bans  estre  COgnuene  charnellement,  les  cent  florins 
seront  nostres.  - — O  ma  femme  ires  chière  et  bien  armée, 

j'ay  gmnt  paOUr  que  un  sy  grant  ma)  ne  se  puisse  pas  bien 

«eler  pourquoi aou6  en  portions estre  pugnyseï morir  hon- 
teusement? —  Ne  vous  doublés,  dii-elle,  je  coinmencerav 
le  euvre  et  vous  la  niectra\  a  exécution  seurenieni  ,  el 
ne  \  ueilles  point  avoir  de  crainte.  Quant  le  chevalier  vit  le 

grant  courage  de  sa  femme,  laquelle  vouJoft  faire  l'euvre 

toute  seule,  et  qu'elle  n'en   l'aisoil  point  de  double,  il   plisl 

edtrage  d'acomptyr  ce  qui  fut  entrepris   Incontinanl  la 

daine  lit  venu    l'un  des  chevaliers,  el  a  lelle  heure  :  lequel 


106  APPENDICES. 

ne  se  oblia  pas,  mais  vint  en  la  maison  et  frappa  à  la  porte. 
La  dame  luy  dit  :  Avés-vous  aporté  cent  florins?  —  Le 
chevalier  respont  que  ouy  et  que  sont  tout  contens.  Elle 
ouvra  la  porte;  quant  il  fut  dedens,  le  mary  frappe  desus 
et  le  occist.  Puis  semblablement  fut  fait  au  secund  che- 
valier; puis  au  tiers,  et  les  corps  de  ces  hommes  furent  re- 
traist  en  une  chambre  secrète.  Et  puis  dit  le  chevalier 
murtrier  :  O  ma  femme,  se  ces  corps  sont  trouvés  en  nostre 
maison,  nous  serons  mis  à  mort  très  honteuse;  et  il  est  im- 
possible qu'on  ne  face  poursuyte  et  inquisition  par  la 
court  de  l'empereur,  pour  scavoir  que  ces  chevaliers  sont 
devenus.  —  Sire,  dit  la  femme,  j'ay  commencé  cesluy  af- 
faire, je  le  mectray  à  bonne  fin,  ne  vous  doubtés  de  rien. 
Geste  femme  avoit  un  frère  qu'estoit  champion  et  garde  de 
la  cité,  lequel  fut  demandé  par  elle  secrètement,  quant  il 
aloit  de  nuyt,  avec  ses  compagnions.  Etainsyqui  passoit, 
elle  le  prist  à  part  et  luy  dit  :  O  mon  très  chier  frère!  je  l'ay 
à  dire  aucun  grant  secrest  lequel  tu  tiendras  soubz  confes- 
sion. Quant  il  fut  en  la  maison ,  le  mary  le  repceust  gra- 
cieusement. Et  puis  quant  il  eust  fait  ung  petit  de  colla- 
cion,  la  dame  sa  seur  luy  dit  :  O  mon  frère  très  chier!  voy 
(v  la  cause  pourquoy  je  vousay  demandé:  c'est  pour  avoir 
de  vous  conseil  et  aide.  —  Dys  moy  hardiement,  fait  le 
frère,  ton  cas,  et  je  te  ayderay  de  tout  ce  que  je  pourray;  et 
te  lie  de  moy.  Mon  frère ,  dit-elle,  hier  entra  céans  par 
bonne  amitié  ung  chevalier,  mais  après  aucunes  paroles 
injurieuses,  il  tomba  en  débast  avec  mon  mary,  lequel 
quant  plus  n'en  pouvoit  soustenir,  ilz  se  mirent  à  se  frapper 
tellement  quecelluy  chevalier  fut  occist  par  mon  mary.  et 


M'I'KMIK  I  -  107 

est  mort  en  une  chambre,  près  de  nous.  Pourqnoy,  mon 
frère,  il  n'est  vivant  au  monde  auquel  nous  ayons  si  granl 
confiance  comme  en  vous;  et  se  cestuy  corps  mors  selreuve 
en  nustre  maison,  nous  serons  mors  et  défiais,  Et  ceste 
Femme  ne  fit  mencion  se  non  de  l'un  de  ces  chevaliers 
mors.  — Je  te  diray,  fait  le  frère  :  met  le  en  un  sac,  et  je 
le  porteray  en  la  mer,  tellement  que  jamais  n'en  sera  nou- 
velle. Ceste  femme  fut  très  joyeuse  de  ces  paroles,  et  mist 
le  corps  du  premier  chevalier  dedens  le  sac,  et  son  frère 
le  chargea  et  légèrement  le  porta  jusques  à  la  mer,  et  le 
gecta  dedens.  Puis  relorne  en  la  maison  et  dit  :  Ma  seur, 
donne-moy  boire  <le  hou  vin,  car  j'ay  Lien  faite  la  besoi- 
gne.  Elle  le  remercya grandement.  Puis  entra  en  la  cham- 
bre où  estoient  les  COrps  <le  deulx  aultres  mois:  puis  par 
une  plainte  faillie  et  de  granl  admiracion,  va  dire  :  O  mon 
frère!  en  vérité  le  corps  que  vous  avésgecté  en  la  mer  est 
retorné.  Hou  son  frère  le  champion  fut  merveillieux,  et 
puis  dit  de  grant  courage  :  Remest-le  au  sac  et  j'essayerai 
si  retornera,  ou  sy  ressucitera.  Et  ainsy  il  porta  le  corps 
dn  second  chevalier,  pensant  que  ce  fut  le  premier.  Et  le 
porta  jusqnesà  la  rive  delà  mer,  et  puis  luymisi  une  pierre 
bien  peyssante  an  col  ,et  le  gecta  eus.  Puis  tome  a  sa  seor 

•  •[  ln\  dit  :  Maintenant   doiine-nio\   boire  de  bon  vin,  car 

je  l'a\  fait  tombé  s)  parfont  que  jamais  ne  retornera. — 

Dieu  en  soit  loué,  dit-elle.  Puis  tanlost  ceste  femme  entra 
GO  la  chambre,  et  se  mifil  à  ïaimliv  plus  tort  «pie  paravant. 
0l  dist,  eu  se  inerveillant  :  Je  VOye,  lh'eu  !  que  cesluv  chc- 

a'estoit  pas  mort.  O  no]  dolente!  que  doy-je  faire,  ne 
dire  '  cestuy  homme  est  retourné  ,  et  est  en  la  chambre. 


108  APPENDICES. 

Le  champion  fut  plus  esbays  que  jamais,  et  tout  plein  d'ad- 

miracion,  va  dire  :  Sainte  Marie!  que  veult  ce  dire?  S'il  est 

ainsy  comme  tu  dis ,  ce  n'est  pas  ung  homme ,   mais  est 

ung  dyable.  Je  l'ay  gectéen  la  mer  premièrement;  je  luy 

ay  pendu  une  pierre  au  col  secundement ,  et  maintenant 

il  est  ressucité!  Donne  le  moy  pour  la  tierce  foy,  et  le  mest 

au  sac  ,  et  j'essaieray  sy  retournera.  La  femme  luy  charga 

le  corps  du  tiers  chevalier,  cuydant  le  champion  que  fut 

le  premier  et  le  porta  hors  de  la  cité,  en  une  petite  forest, 

où  il  fit  grant  feu  et  puis  mist  dedens  celluy  corps ,  pour  le 

brûler.  Et  quant  il  estoit  quasy  reduyt  en  cendres,  il  eust 

nécessité  de  se  purgier,  et  ala  ung  petit  loing  du  feu  et  à 

.celluy  movement,  là  arriva  ung  chevalier  qui  venoit  en 

la  cite  ,  pour  jousler  le  jour  suivant.  Et  faisoit  grant  froit  : 

lequel,  pour  se  eschauifer,  s'approcha.  Et  car  encores  n'es- 

loit  pas  jour;  quant  il  vit  le  feu,  il  descendit  du  cheval  et 

s'eschauffa.  Le  champion  cuyda  que  ce  fut  toujours  celuy 

qu'il  avoit  tant  porté,  et  luy  dit  :  Quel  es-tu?  Celluy  respont: 

Je  suis  noble  et  chevalier.  L'autre  respont  :  Tu  es  ung 

dyable,  non  pas  chevalier,  car  premièrement  je  t'ay  gecté 

en  la  mer;  secundement,  la  pierre  au  col,  je  te  fys  noyer; 

liercement  je  t'ay  f;iit  brûler  en  cestuy  feu  ;  et   pensoye 

que  tu  fusses  tout  en  cendres  reduy;  et  je  voy  que  tu  es 

y  ci  vif  à  tout  ton  cheval.  Puis,  sans  dire  aultre  chose,  il 

mist  le  chevalier  au  feu  et  son  cheval.  Et  vint  en  la  mai- 

son  de  sa  seur  et  luy  dit  :  Maintenant  donne-moy  boire 

du  nieillifiii   vin,  car  fie  puis  que  j'ay  mist  au  l'eu  cesiu\ 

homme  il  se  trouva  vif,  à  tout  son  cheval,  lesqueux  j'ay  mis 

an  feu  pour  la  secuode  l'oy.  tellement  que  tu  en  seras  as 


APPENDICES.  109 

seuréc.  Et  luy  raconia  tout  ce  qu'il  avoit  fait.  Dont  la  femme 
percéut  bien  que  son  frère  avoit  occist  unganltre  chevalier. 
Alors  elle  Le  festoya  le  mieux  qu'elle  peut.  Et  après  qu'il 
eiisi  bien  beu,  il  s'en  ala.  Après  peu  de  temps,  eut  desbat 
entre  cestuy  chevalier  et  sa  femme,  tellement  que  le  mary 
luy  donna  une  bonne  bu  fie  dont  elle  fut  fort  indignée  et 
mal  contente.  Puis  après,  devant  pluseurs,  se  commence 
plendre  de  son  mary  et  le  mauldire  ,  et  ainsy  comment  la 
ire  de  la  femme  monte,  elle  ne  laisse  rien  à  dire,  tant  soil 
chose  dangereuse  ,  ceste  femme,  par  reprouche,  va  dire  : 
0  inauldit  homme  et  misérable  !  tu  me  veulx  occire  et 
mectre  ;i  mort,  comme  tu  as  occis  et  multrié  les  trois  che- 
valiers de  L'empereur.  Quant  1rs  gons  ouvrent  les  paroles 
de  ceste  femme,  incontinant  on  mistla  main  sus  tous  deux, 
et  furent  mis  en  prison.  Et  quant  la  femme  fut  devant  l'em- 
pereur, elle  recogneusl  tout  L'affaire,  comment  son  man 
occist  lesdis  trois  chevaliers,  et  comment  il  en  avoyent  eu 
trois  cent  Dorins.  Puis  après  que  leur  procès  fut  mit,  formé, 
et  conclus  par  sentence  de  juge,  ils  furent  condampnés  à 
estre  treynés  à  la  queuhe  «les  cbevaulx,  comme  traistres 
el  multriers,  par  la  cité  .  el  puis  estre  pondus  au  gibet,  où 
il/,  furent  incontinant  menez.  El  par  ainsj  le  maistre  mist 
lin  en  sa  aarracion,  el  dit  à  L'empereur  :  Sire,  avez-vous 
bien  entendu  ce  quej'ay  dit?  —  Ouy,  en  vérité,  dit  l'em- 
pereur, je  confesse  devant  Dieu  que  ceste  femme  fut  la  pire 
el  plus  cruelle  de  toutes  les  aultres,  el  laquelle  fut  bien 
digue  de  prendre  mort  à  grant  vitupère  ,  quant  elle  soli- 
cita et  que  ainsy  compellit  son  marj  a  faire  homicide,  el 
puis  le  trahit.  —  Lu  vérité,  fait  le  maistre  .  vous  di 


J10  APPENDICES. 

craindre  et  douter  qui  vous  adviendra  pis  qu'à  ceux  ,  se 
par  les  persuasions  et  paroles  de  vostre  femme,  laquelle 
conseille  la  mort  de  vostre  seul  filz,  vous  mectes  en  effait 
ce  qu'elle  désire.  Leroy  respont  :  Mon  filz  ne  mourra  point 
pour  cestuy  jour  et  de  ce  ne  te  doubte  point.  Le  maistre 
très  contens  et  joyeux,  le  remarcya  humblement;  et  après 
le  congié  pris,  s'en  ala. 


ANALYSE  DE  DOLOPATHOS. 


ANALYSE 

DE   DOLOPATHOS 

POEME  FRANÇAIS  EN  VERS  DU  XIIIe  SIÈCLE 


PiR   HKRBF.RS. 


Dans  Le  prologue  ',  Herbers  ,  auteur  du  poème 
de  Dolopalhos,  se  nomme  et  raconte  comment  dom 
Jehans,  boa  moine  de  l'abbaye  de  Haute-Selve,  tra- 
duisit en  langue  latine,  une  histoire  d'une  liante  an- 
tiquité et  composée  par  des  nations  païennes  :  et 
moi,  ajoute  Herbert,  \e  veux  la  traduire  en  romau, 
au  nom  et  en  l'honneur  de  Philippe,  i ils  du  roi  de 
France  Louis,  que  Von  doit  tant  louer  '.  À  pris  ces 
détails,  le  trouvère  ajoute  quelques  réllexions  sur  la 
science  des  anciens  clercs  et  sur  les  lions  exemples 

!■"••.  foi  Extrait*  iiui  suivant  eett    anatytt.  Extrait,  n    i 
•   I  .■     :  fa  pr<  ■  de  et  oolim  ■   t>  85  <i  M 

8 


J  I  4  ANALYSt 

que  l'on  puisait  dans  leurs  écrits  ;  il  dit  que  les 
clercs  qui  vinrent  après  ne  les  imitèrent  pas;  puis 
il  commence  le  récit  : 

Sous  le  règne  du  puissant  empereur  Auguste,  vi- 
vait un  roi  de  Sicile,  nommé  Dolopathos,  qui  était 
riche  et  puissant.  Il  n'en  fut  pas  moins  accusé  par 
ses  ennemis,  de  mal  gouverner  ses  états,  et  forcé  de 
venir  à  Rome  justifier  sa  conduite.  Le  César,  ayant 
envoyé  en  Sicile  des  ambassadeurs,  connut  bientôt 
la  vérité,  car  Dolopathos  était  chéri  de  son  peuple, 
et  l'on  regrettait  seulement  qu'il  eût  perdu  sa 
femme,  et  que  nul  roi  de  sa  race  ne  put  lui  succéder. 
Auguste,  après  avoir  puni  les  accusateurs,  voulut 
récompenser  Dolopathos  et  lui  donner  pour  femme 
une  de  ses  parentes.  Le  roi  de  Sicile  épousa  donc 
la  fille  d'une  sœur  d'Auguste,  et  s'en  revint  dans 
ses  états.  Dolopathos  déjà  vieux  se  plaignait  de  n'a- 
voir pas  d'enfans  et  consultait  les  philosophes  qui 
lui  répondaient  sagement  que  Dieu  seul  était  le 
maître  en  cette  affaire ,  quand  la  reine  conçut  et 
mit  au  monde  un  fils  très  beau,  qui  fut  appelé  Lu- 
cinien.  Après  avoir  laissé  son  enfant  entre  les  mains 
des  nourrices  jusqu'à  l'âge  de  sept  ans  ,  suivant  l'u- 
sage de  tous  les  gentilshommes  ,  Dolopathos  fit 
venir  son  fils ,  le  trouva  beau  et  ne  chercha  plus 
qu'un  homme  digne  de  l'élever.  Il  se  rappela  cette 
sentence  de  Platon  :  «  Les  peuples  seraient  plus 
heureux  si  les  rois  étaient  philosophes,  et  si  les 


DE  D0LOPATHOS.  1  15 

philosophes  étaient  rois  '.  »  Dolopallios  partageant 
cette  idée  ,  voulut  rencontrer  un  sage  instruit  dans 
les  sept  arts  libéraux.  A  cette  époque  vivait  à  Rome 
un  philosophe  très  fameux  ;  il  se  nommait  Virgile. 
Outre  la  poésie,  il  connaissait  toutes  les  sciences , 
et  même  il  se  mêlait  un  peu  de  magie.  Dolopathos 
envoya  donc  son  fils  à  Virgile,  sous  la  conduite  de 
quatre  sénateurs  ,  pour  être  instruit  dans  les  sept 
arts  libéraux.  Ceux-ci  trouvèrent  le  poète  assis  sur 
une  chaire;  il  était  vêtu  d'une  riche  chape  fourrée, 
et  il  apprenait  la  grammaire  aux  fils  des  plus  hauts 
barons-.  Virgile  prit  avec  lui  le  jeune  Lucinien  qui 
prolita  des  Leçons  de  son  maître,  et  fut  bientôt  très 
habile  dans  toutes  les  sciences  de  physique  et  de 
belles-lettres;  il  en  lit  même  un  résumé  contenu 
dans  un  petit  livre.  Lucinien  eut  encore  la  connais- 
sance de  l'astrologie,  et  put  assez  bien  lire  aux  astres 
pour  prévoir  que  ses  condisciples  ,  envieux  de  son 


/ 1  voit  Dolopathot  i  pense 
hum  h  vint  m  cueT  et  tn  pente 
i.a  çmttnee  qu'ans  '<"/<•>  tHett  itist  . 

Platon  ki  maint  bon  livre  fist. 
Oui  ilixt  </»  "   i/ranl  nise  srroient 

1 1  \  gom    m  n  roi  devinoieni 

Philosophé  ,  et  s'iront  un  roi 

Si  H  philosophe  erent  roi. 

l)..,,.r.T....N  .  i     li(..  MS.  Sort    «1. 

.    \  «,,■,■.  lr\  Wsttroits  .  m    S, 


116'  ANALYSE 

savoir,  tenteraient  de  l'empoisonner.  Invité  par  eux 
à  un  grand  repas,  au  moment  où  la  coupe  fatale  lui 
fut  offerte,  il  découvrit  la  trahison  qui  tourna  au 
détriment  de  ses  auteurs. 

Lucinien  resta  chez  son  maître  sept  années  pen- 
dant lesquelles  il  continua  de  s'instruire.  Ayant  un 
jour  consulté  un  livre  d'astrologie  judiciaire,  qu'il 
trouva  dans  le  cahinet  d'étude  de  Virgile,  Lucinien 
tomba  tout  à  coup  sans  connaissance,  après  avoir 
poussé  un  grand  cri.  Les  domestiques  et  les  voisins 
accoururent  aussitôt,  enfoncèrent  la  porte  et  trou- 
vèrent le  jeune  Lucinien  étendu  sans  connaissance 
sur  le  pavé  de  la  salle.  Ils  le  crurent  mort;  mais 
avant  tàté  son  front  et  sa  poitrine,  ils  s'aperçurent 
qu'il  respirait  encore.  Par  hasard  un  clerc  qui  sa- 
vait bien  la  médecine,  se  présenta.  Il  s'aperçut 
qu'un  violent  chagrin  était  la  cause  du  mal  :  «  Quand 
«  la  douleur  frappe  le  cœur,  le  sang  reflue  vers  lui 
«  et  quitte  les  membres.  Ce  sang  arrête  les  fonc- 
«  tions  de  la  vie ,  gonfle  le  cœur,  l'échauffé ,  em- 
«  pêche  la  respiration  et  fait  perdre  à  l'homme  toute 
«  connaissance.  Ainsi  était  Lucinien,  quand  le  mé- 
«  decin  arriva.  Ce  dernier  demanda  de  l'eau  froide  et 
«  de  l'eau  chaude  qu'on  lui  apporta  aussitôt;  faisant 
«  relever  Lucinien,  il  lui  trempa  les  pieds  et  les  mains 
«  dans  l'eau  froide,  et  fit  ainsi  redescendre  le  sang. 
«  Puis  il  prit  une  laine  blanche  et  neuve,  la  trempa 
«  dans  l'eau  chaudeetla  mit  sur  la  poitrine  de  Luci- 


DE   DOLOPATHOS.  1  17 

«  nicn,  pour  y  rappeler  la  chaleur.  Bientôt  le  sang 
«  s'éloigna  du  cœur,  et  refluant  dans  les  veines  ,  il 
«  prit  son  cours  naturel.  Ainsi  agissent  ceux  qui  sont 
«  savans  ;  le  médecin  présenta  de  bonnes  épices 
«  odoriférantes  au  nez  et  à  la  bouche  de  Lucinicn, 
■  ci  !c  rappela  ainsi  à  l'existence  l.» 

Quand  il  lut  rentré  dans  sa  maison,  Virgile  apprit 
de  son  élève,  que,  sans  les  secours  du  médecin,  il  l'au- 
rait probablement  trouvé  mort  :  Mais  qui  vous  a 
frappé  ainsi,  demanda  Virgile  ? — Maître,  reprit 
Lucinien,  ma  mère  est  morte.  —  Comment  le  sa- 
vez-vous.'  Je  l'ai  lu  dans  cet  ouvrage  d'astrologie. 
Virgile  ,  avant  confirmé  cette  triste  nouvelle  au 
jeune  prince,  lui  donna  des  consolations  et  de  bons 
préceptes  pour  sa  vie  future.  En  outre,  il  apprit  au 
jeune  homme  qu'il  allait  bientôt  retourner  près  de 
son  père  qui  s'était  remarié.  Il  lui  lit  prévoir  de 
grands  dan-ers,  et  il  exigea  la  promesse  qu'il  ne 
parlerait  pas,  jusqu'au  jour  OÙ  ils  se  retrouveraient 
ensemble.  Après  quelques  observations,  Lucinien, 
ne  pouvant  douter  de  la  sagesse  de  son  maître  , 
lui  jura  de  suivre  ponctuellement  ses  avis.  A  peine 

ils  avaient  Qui  de  parler,  que  des  messagers  du  roi 

Dolopathos  m  présentèrent  chez  \  irgile;  avec  l'or- 
die  d'emmener  le  jeune  prince.  Après:de  tendres 
adieux  entre  Virgile  et  son  «'lève,  les  envoyés  du 

1       M  ht   F.  rlimit  .  n      I 


118  ANALYSE 

roi  se  mirent  en  route  avee  Lucinien.  Pour  distraire 
le  jeune  homme,  ils  lui  parlèrent  de  la  cour,  de  la 
reine,  et  des  fêtes  qui  l'attendaient.  Mais  ne  rece- 
vant aucune  réponse,  ils  crurent  bientôt  que  Lu- 
cinien était  muet.  Saisis  d'un  violent  désespoir,  les 
envoyés  voulaient  mourir  (car  ils  craignaient  la  co- 
lère du  roi),  et  le  jeune  prince  eut  grand  peine  à 
leur  faire  comprendre  par  gestes  et  par  écrits,  qu'il 
intercéderait  pour  eux  auprès  du  roi.  Ayant  ap- 
pris l'arrivée  du  jeune  prince,  tous  les  habitans  de 
Païenne  se  préparèrent  à  le  recevoir,  et  sortirent 
de  la  ville  en  habits  de  fête,  pour  marcher  à  sa  ren- 
contre. Le  roi  lui-même,  avec  sa  cour,  alla  jusqu'à 
deux  lieues  et  demie  au  devant  de  son  fils;  et  quand 
ils  furent  réunis,  des  cris  de  joie  et  les  instrumens 
des  ménestrels  saluèrent  les  embrassemens  du  père 
et  de  son  fils.  Lucinien  parut  sensible  à  toute  l'allé- 
gresse que  manifestaient  les  Siciliens  en  le  voyant; 
mais,  fidèle  au  serment  qu'il  avait  fait  à  son  maître, 
il  ne  prononça  pas  un  seul  mot.  Si  une  dame  le  sa- 
luait, il  s'inclinait  noblement,  souriait,  mais  ne  par- 
lait pas.  Dolopathos  ne  fut  que  peu  surpris  du  si- 
lence que  garda  lejeune  prince,  pendant  les  fêtes  qui 
occupèrent  tout  le  jour  de  son  arrivée.  Le  matin  du 
second  jour,  l'empereur  se  fit  conduire  dans  la  cham- 
bre où  Lucinien  reposait  encore,  et  il  lui  parla  longue- 
ment de  sa  nouvelle  femme  ,  des  soins  du  royaume, 
de  son  âge,  el  des  devoirs  que  son  successeur  aurait 


DE  DOLOPATHOS.  119 

bientotà  remplir.  Le  jeune  prince  l'écouta  avec  émo- 
tion, mais  ne  répondit  pas  un  seul  mot.  Effrayé  d'un 
tel  silence,  Dolopathos  insista,  et  ne  tarda  pas  à  se 
convaincredumalheurqu'il  redoutait.  Il  mena  grand 
deuil,  accusant  et  sa  destinée  et  le  philosophe  Vir- 
gile ,  mais  le  jeune  prince,  écrivant  sur  un  parche- 
min, l'assura  de  son  respect  et  de  son  amour.  Do- 
lopathos pleura  et  gémit,  refusa  les  consolations 
que  les  grands  de  sa  cour  cherchaient  à  lui  donner. 
Il  avait  d'ailleurs  annoncé  au  peuple  le  couronne- 
ment de  son  fils  qui  devait  avoir  lieu  ce  jour  même. 
Cependant  on  lui  conseilla  d'avoir  plus  de  cou- 
rage, de  retarder  pendant  sept  jours  le  couron- 
nement du  jeune  prince  ,  et  d'essayer  si  les  plaisirs 
et  la  joie  pourraient  quelque  chose  sur  le  mutisme 
de  Lucinicn.  Dolopathos  écoutant  cet  avis,  se  rendit 
près  de  la  jeune  reine,  à  laquelle  il  fit  part  de  ses 
projets.  Celle-ci  approuva  la  proposition  et  promit 
au  roi,  qu'au  bout  de  sept  jours,  elle  lui  rendra 
•00  iils  bien  parlant .  Aussitôt  la  reine  Ordonna  aux 
belles  jeunes  lilles  qui  l'entouraient  d'aller  irouv<  i 
Lucinien  et  de  le  séduire  par  leurs  caresses*  Celles- 
ci,  fort  'empressées  d'obéir,  se  parèrent  de  leurs  plus 

l»eau\  vèleinens,  et  se  rendiren:  auprès  du  jeune 
prince.  Elle  dansèrent  autour  de  lui,  jetèrent  des 
llcurs  sur  sa  lue,  essayèrent  eiitin  tous  les  moyens 

connus  de  séduction.  Efforts  inutiles  !  le  jeune 
homme  sourit ,  mais  resta  indifférent.  Surprise  de 


120  ANALYSE 

tant  de  froideur,  la  reine  voulut  elle-même  tenter 
l'aventure.  Elle  était  jeune  et  belle;  elle  joignit  en- 
eore  à  ses  attraits  naturels  une  riche  parure,  et. 
alla  trouver  Lucinien.  Ayant  cherché  par  tous  les 
moyens  à  exciter  son  amour,  elle  ne  fut  pas  plus 
heureuse  que  ses  compagnes;  mais,  plus  sensible, 
elle  se  laissa  séduire  par  la  beauté  du  jeune  indif- 
férent. Après  maints  efforts  inutiles,  elle  rejoignit, 
pleine  de  dépit,  ses  compagnes  ,  et  versa  des  larmes 
abondantes  :  Pourquoi  tant  de  faiblesse  ,  dit  l'une 
de  ces  filles  ?  à  quoi  bon  regretter  l'amour  de  ce 
muet  insensible  ?  c'est  votre  ennemi  :  le  roi ,  son 
père,  doit  le  couronner  au  lieu  des  enfans  que  vous 
aurez;  faites  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  :  accusez-le 
d'avoir  voulu  attenter  à  votre  honneur.  La  reine  , 
encore  irritée,  retourna  près  de  Lucinien,  la  che- 
velure en  désordre,  le  visage  plein  de  sang,  les  vè- 
temens  déchirés,  et  elle  poussa  des  cris  affreux.  On 
accourut  au  bruit;  Dolopathos,  lui-même,  se  joignit 
aux  gens  du  palais  ;  il  fut  bien  surpris  de  voir  la 
reine  ensanglantée  et  les  vèlemens  en  désordre. 
Celle-ci  raconta  au  roi  le  prétendu  affront  qu'elle 
avait  subi,  et  le  roi,  d'après  le  conseil  des  juges, 
condamna  son  fils  à  être  brûlé  l.  Au  moment  où  le 
roi  répétait  l'ordre  de  mettre  son  fils  sur  le  bûcher, 
on  vit  paraître,  assis  sur  une  mule  toute  blanche, 

.    Voyêt  les  txtraitt,  r»°  •'#. 


bK  DOLOPATHOS.  121 

un  vieillard  dont  la  barbe  tombait  plus  bas  que  la 
poitrine.  Il  tenait  dans  sa  main  une  branche  d'oli- 
vier; il  descendit  près  du  roi,  et  le  salua  ainsi  que 
toute  sa  cour.  Ce  dernier  lui  demanda  avec  poli- 
tesse d'où  il  venait,  ce  qu'il  cherchait,  et  quelle 
était  sa  patrie  :  Je  suis  ,  répondit-il  ,  un  des  sept 
sages  de  Rome.  Il  y  a  long-temps  que  je  voyage;  je 
vais  errant  par  tous  les  pays,  et  dans  toutes  les  cours 
où  l'on  me  retient  volontiers,  caronpeut  apprendre 
avec  moi  beaucoup  de  choses,  et  je  sais  bien  faire 
un  jugement.  —  Hélas  ,  reprend  le  roi,  pourquoi 
mes  barons  ne  sont-ils  pas  aussi  sages  que  vous! 
M. lis  toute  science  est  bannie  de  ma  terre.  —  Beau 
sire  ,  reprit  le  vieillard  ,  je  voudrais  savoir  quelle 
faute  a  «  oramis  ce  bel  enfant  que  vous  avez  con- 
damné au  feu?  Quant  ou  eut  raconté  au  sage  l'his- 
toire du  jeune  Lucinien,  le  sage  répliqua  :  ('/est  là 
un  mauvais  jugement,  je  veux  vous  le  prouver  par 
un  exemple.  Alors  le  vieillard  raconta  I  histoire 
d'un  pauvre  chevalier  qui  était  sorti,  confiante  un 
chien  la  garde  de  son  enfant  encore  au  berceau.  Le 

chevalier  de  retourdaus  sa  demeure,  vovaut  le  ber- 
ceau renversé  a  terre,  et  la  gueule  du  chien  toute 
saaglante,  ne  douta  pas  que  ce  dernier  n'eût  dévoré 
sou  Gis,  et  tirant  sou  épée,  il  tua  le  chien  Bdèle 
qui   venait  d'étrangler    un  serpent   prêt  à  lancer 

son  dard  sur  le  lils  endormi  tranquillement  dans 
son  berceau.  Cette  histoire,  dont  nous  nous  cou- 


122  ANALYSE 

tentons  d'indiquer  le  sujet,  parce  qu'elle  est  ra- 
contée plusieurs  Ibis  dans  ce  volume,  est  développée 
par  le  trouvère  qui  n'a  pas  manqué  de  lui  donner 
la  couleur  de  son  époque. 

Cette  histoire  fait  suspendre  la  mort  du  jeune 
prince  jusqu'au  lendemain  ;  mais  les  hommes  sages 
n'ayant  pu  trouver  dans  leur  livre  aucune  loi  en  sa 
faveur,  le  jour  suivant,  Lucinien  est  reconduit  au 
bûcher  et  va  subir  sa  peine  ,  quand  le  deuxième 
sage  arrive  et  raconte  l'histoire  suivante  : 

«  Un  roi  ayant  un  riche  trésor  en  confia  la  garde 
à  un  chevalier  qui ,  après  avoir  accompli  sa  charge 
pendant  longues  années,  et  se  sentant  vieux,  de- 
manda au  roi  son  maître  à  se  retirer  dans  sa  famille. 
Celui-ci  le  combla  de  bienfaits  et  consentit  à  le  laisser 
partir.  Le  vieux  chevalier  avait  plusieurs  enfans  et 
beaucoup  de  serviteurs:  il  était  libéral,  et  tout  l'or 
qu'il  tenait  de  la  générosité  de  son  maître  fut  bientôt 
dépensé.  11  lut  contraint  d'engager  sa  terre,  et  il 
devint  pauvre.  Ayant  pris  à  part  son  fils  aîné,  il  lui 
demanda  s'il  aurait  le  courage  de  venir  avec  lui,  à  la 
tour,  pendant  la  nuit,  d'y  pratiquer  un  trou,  et,  par 
ce  moyen,  de  gagner  une  autre  fortune.  Le  fils  n'hé- 
sita pas  un  seul  instant,  et ,  guidé  par  son  père  qui 
connaissait  parfaitement  la  tour,  il  pratiqua  aisé- 
ment une  ouverture  par  laquelle  son  père  entra,  et 
eut  bientôt  recomposé  sa  fortune.  Le  roi  s'aperçut 
de  la  diminution  de  son  tfrésoc;  par  Le  conseil  d'un 


DE  DOLOPA TIIOS.  123 

sage  aveugle  ,  il  lit  allumer  un  feu  de  paille,  et  la 
fumée  qui  s'échappait  par  le  trou  mal  fermé,  lui  in- 
diqua la  cause  de  cette  diminution  ;  par  le  conseil 
du  même  sage,  il  lit  placer  au  bord  du  trou  une 
cuve  pleine  de  résine,  dans  laquelle  devait  rester  le 
voleur.  Cet  événement  ne  larda  pas.  Le  vieillard 
ayant  voulu  entrer  comme  d'ordinaire,  tomba  dans 
la  cuve  dont  il  ne  put  jamais  se  tirer.  Pour  sauver 
l'honneur  de  sa  famille,  il  décida  son  fils  à  lui  couper 
la  tète.  Ce  dernier  obéit,  et  il  fut  impossible  de  con- 
naît re  le  voleur.  Le  roi  retourna  vers  son  aveugle, 
qui  lui  dit  :  Prenez  le  corps,  faites-le  traîner  par  les 
i nés,  et  ceux  qui  viendront  pleurer  sur  ce  corps, 
doivent  être  1rs  pareils  du  voleur.  Le  roi  suivit  ce 
CODéeil  :  toute  la  famille  du  vieillard  accourut,  et  le 
loi  put  faire  saisir  les  coupables;  mais  le  (ils  aine, 
ayant  COUpé  sa  main,  la  montra  au  roi  et  lui  dit  : 
(Test  pour  cela  que  ma  famille  pleure  ,  et  non  pour 
ce  corps  qui  nous  est  indifférent.  Le  roi  retourna  en- 
core vers  son  aveugle  qui  lui  dit  :  Votre  larron  est 
habile  et  brave;  difficilement  vous  parviendrez  à  l< 
prendre;  cependant,  écoutes-moi  :  pendes  le  corps 
sans  tête,  faites-le  garder  par  quarante  chevaliers , 
dont  vingt  auront  des  armes  blanches,  et  v  in- 1  des 

armes  n. lires.  I  .v  roisuivil  ee  conseil.  Le  iils  ne  man- 
qua pis  de  saisir  L'occasion  de  retrouver  le  corps 
de  st. n  père,  mais  il  usa  d'adresse  :  avant  revêtu  une 
armure  moitié  Main  lie,  moitié  noire,  il  se  présenta. 


1 24  ANALYSE 

de  nuit,  au  milieu  des  gardiens,  auxquels  il  eut  grand 
soin  de  ne  jamais  montrer   qu'une  partie  de    ses 
armes,  ce  qui  fit  croire  aux  chevaliers  que  citait 
un  des  leurs.  Le  fiis  emporta  le  corps  de  son  père 
qu'il  s'empressa  d'enterrer  avec  la  tète  qu'il  avait 
conservée.  Le  roi,  encore  déçu,  retourna  auprès  du 
vieillard  qui  lui  dit  de  célébrer  un  grand  tournoi , 
et  que  le  vainqueur  sera  le  coupable  qu'il  cherche; 
en  outre  ,  il  lui  conseilla  de  promettre  sa  fille  au 
plus  brave  et.  de  faire  coucher  dans  son  palais  tous 
les  chevaliers  :  sois  convaincu ,  ajoula-t-il ,  que  le 
voleur  ira  séduire  ta  fille  ;  mais  qu'elle  ait  soin  , 
quand  il  viendra,  la  nuit,    de  le  marquer  au  front 
avec  une  couleur  que  je  vais  te  donner.  Les  conseils 
du  vieillard  furent  suivis;  et  ce  qu'il  avait  pensé  ar- 
riva. Mais  le  chevalier,  s'étant  aperçu  de  la  ruse, 
parvint  à  voler  la  boîte  à  la  jeune  fille,  et  il  marqua 
au  front  tous  les  autres  concurrens  et.  même  le  roi. 
Le  lendemain,  il  fut  impossible  de  savoir  qui  avait 
été  dans  la  chambre  de  la  princesse  ;  enfin,  l'aveugle 
avant  encore  inventé  un  autre  expédient,  dit  au  roi: 
L'homme  auquel  un  enfant  présentera  un  couteau 
est  celui  que  vous  cherchez.  Mais  le  lilsdu  vieillard, 
sedoui;mt  delà  ruse,  acheta  un  pel  it  oiseau  de  bois, 
et  quand  il  vit  l'enfant  se  diriger  vers  lui  pour  le 
désigner,  il  offrit  à  cet  enfant  d'échanger  son  petit 
oiseau  avec  le  couteau,  et  l'enfant  accepta.  Le  roi 
croyait  enfin  tenir  celui  qu'il  cherchait',  mais  lèche- 


DE  DOLOPATHOS.  l*2.:i 

valier  lui  montra  l'échange.  Surpris  de  tant  d'ha- 
bileté, l'aveugle  conseilla  au  roi  de  donner  sa  fille 
en  mariage  à  cet  homme  si  plein  d'adresse;  le  roi 
suivit  son  conseil.  » 

Ce  conte  bizarre  renferme  deux  parties,  l'histoire 
du  chevalier  qui  veut  cacher  le  crime  de  son  père 
et  celle  de  la  jeune  liile  qui  marque  au  iront  son  sé- 
ducteur. L'origine  de  la  première  partie  remonte 
à  la  plus  haute  antiquité,  puisqu'on  la  trouve  dans 
Hérodote  '.  Quant  à  l'autre  partie,  Boccace  l'a  prise 
dans  nos  vieux  romanciers.  Le  récit  du  Décaméron 
a  servi  de  modèle  a  dillérens  conteurs,  et  enfin  il  a 
été  rajeuni  de  nouveau  par  notre  La  Fontaine. 

Cependant  le  jeune  Lucinien,  conduit  pour  la 
troisième  lois  au  supplice,  allait  mourir  quand  sur- 
vint le  troisième  sage  de  Rome  qui  raconta  l'histoire 
suivante  : 

«  Il  y  avait  à  Home  un  roi  fort  âgé  qui  laissa 
bientôt  le  trône  à  son  iils,  jeune  homme  sans  expé- 
rience,  ni  sagesse,  A  peine  celui-ci  commençait-il  à 
régner,  que  des  ennemis  nombreux  lui  liront  la 
guerre  et  mirent  le  siège  devant  Rome.  Lue  grande 
famine  ne  tarda  pas  à  se  faire  sentir,  et  le  roi  as- 
sembla tous  ses  conseillers,  damoiseaux  aussi  jeunes 
et  aussi  peu  sages  (pie  lui.  L'un  deux,  le  meilleur 
ami  du  roi,  donna  le  conseil  de  ne  pas  laisser  dans 

i    \<n/r.  pluj  haut,  la  première  partie  oh  a  volume,  ;>  iit>  </  i  ta 


126  ANALYSE 

la  ville  un  seul  homme  âgé  qui  ne  fut  pas  en  état 
de  porter  les  armes.  Le  roi  approuva  cette  propo- 
sition et  donna  l'ordre  cruel  de  mettre  à  mort  tous 
les  citoyens  âgés  de  Rome,  quels  que  fussent  d'ail- 
leurs leur  sexe  et  leur  rang.  Il  fallut  obéir.  Ce  fut 
un  spectacle  digne  de  pitié ,  ajoute  le  trouvère,  que 
de  voir  les  fils  égorger  malgré  eux ,  ou  leur  père 
ou  leur  mère.  Il  y  eut  un  jeune  homme  qui  refusa 
d'obéir  à  cette  loi;  il  emmena  son  père  et  le  cacha 
dans  un  souterrain  où  il  avait  soin  de  lui  porter  sa 
nourriture.  Cependant  tout  allait  de  mal  en  pire  à 
la  cour  du  roi  des  Romains.  Tous  ces  jeunes  gens 
n'ayant  pas  un  seul  vieillard  pour  les  conseiller,  se 
livrèrent  à  tous  les  vices  et  à  toutes  les  mauvaises 
pensées.  Le  damoisel  qui  avait  sauvé  son  père,  et 
qui  était  guidé  par  lui,  se  distinguait  des  autres  et 
seul  donnait  au  roi  quelques  sages  avis.  Le  roi  l'es- 
tima beaucoup,  et  il  fut  puissant  à  la  cour.  Tous  les 
autres  jeunes  gens  devinrent  ses  ennemis  ;  et  se 
doutant  que  le  damoisel  n'avait  pas  tué  son  père , 
ils  donnèrent  au  roi  le  conseil  de  tenir  une  cour  plé- 
nière  à  laquelle  chacun  serait  forcé  d'amener  son 
ami  le  plus  cher,  son  plus  grand  ennemi,  son  meil- 
leur serviteur,  et  son  meilleur  jongleur.  Quand  le 
damoisel  eut  connu  la  volonté  du  roi,  il  alla  trou- 
ver son  père  qui  lui  dit  :  Conduis  à  la  cour  ton 
chien,  ton  âne,  ton  petit  enfant  et  ta  femme.  Le 
jouvencel  obéit,  et  quand  il  arriva  au  palais,  qui  re- 


j>k  iioi.oi'A nios.  127 

ternissait  des  inslrumens  de  musique,  là  ne,  dres- 
sant les  oreilles,  se  mit  à  braire  avec  tant  de  force 
que  tout  le  palais  en  résonna.  Cette  suite  lit  beau- 
coup rire  le  roi,  auquel  le  jeune  homme  expliqua 
que  le  chien  était  son  meilleur  ami,  Fane  son  plus 
Utile  serviteur,  et  son  fils  le  plus  adroit  jongleur  : 
quant  à  mon  plus  grand  ennemi,  ajoute  le  damoi- 
sel,  j'ai  amené  ma  femme.,  elle  que  j'ai  tant  servie 
et  tant  aimée.  Celle-ci  ayant  entendu  ces  paroles, 
lut  aussi  étonnée  que  furieuse,  et  se  souvenant  du 
vieillard  :  Oh!  combien  je  suis  malheureuse,  s'é- 
eria-t-ellc!  pourquoi  suis-je  vivante  encore,  quand 
celui  (pie  j'aime  tant,  me  regarde  comme  son  enne- 
mie. Ohl  le  voleur,  le  plus  voleur  de  tous  les  hom- 
mes, et  qui  devrait  être  pendu.  Moi  qui  depuis  si 
long-temps  garde  SOUS  la  terre  son  père  vieux,  chenu 
61  presque  pourri.  —  Bon  roi,  dit  aussitôt  le  damoi- 
sel,  n'a-t-cllo  pas  un  grand  amour  pour  moi,  cette 
femme  qui  pour  un  seul  mot  que  j'ai  dit  à  tort  ou  à 
raison,  livre  un  secret  qui  peut  causer  ma  mort?  Le 
roi  admira  la  sagesse  du  jeune  homme,  et  voulut 
que  son  père  vint  à  la  cour.  Il  combla  ce  deruiei 
«le  bienfaits  et  ne  se  gouverna  plus  que  par  ses  con- 
seils '.  .. 

Le  quatrième  sage1  vint  à  son  tour,  et  il  raconta 
l'histoire  suivante  : 

«  Un  riche  seigneur  avait  une  lilie  belle,  savante 
1  -  h  ttraiH    a    ■ 


128  ANALYSE 

et  adroite,  mais  cruelle  et  intéressée.  Elle  avait  ap- 
pris l'art  de  nécromancie  (magie) ,  et  résolut  d'en 
faire  usage  à  l'égard  des  nombreux  amans  qui  la 
poursuivaient.  Elle  laissa  donc  chacun  d'eux  par- 
tager sa  couche,  en  promettant  d'épouser  celui  qui 
parviendrait  à  l'embrasser,  mais  faisant  payer  cent 
marcs  d'or  à  tous  ceux  qui  dormaient.  Elle  plaçait 
chaque  nuit,  sous  l'oreiller  desgalans,  une  plume  en- 
chantée qui  les  plongeait  dans  le  plus  profond  som- 
meil. Un  damoisel  ayant  une  première  fois  dépensé 
inutilement  cent  marcs,  résolut  de  tenter  encore 
l'aventure  ,  et  chercha  les  moyens  de  se  procurer 
l'argent  nécessaire.  Il  avait  parmi  ses  vassaux  un 
homme  très  riche ,  qui  l'avait  insulté  et  auquel  il 
avait  fait  couper  le  pied.  L'homme  riche  n'oublia 
jamais  une  telle  offense.  Ayant  appris  que  son 
jeune  maître  avait  besoin  d'argent,  il  olfrit  de  lui 
prêter  la  somme  qu'il  désirait,  à  condition  que  si 
au  jour  de  l'échéance,  le  bachelier  manquait  à 
son  engagement,  lui ,  son  vassal,  aurait  le  droit  de 
lui  couper  une  livre  de  chair.  Le  jeune  seigneur 
accepta  cette  condition,  et  muni  de  son  argent,  il 
se  rendit  chez  la  jeune  fille  intéressée.  Il  fut  bien 
accueilli,  on  mit  la  plume  enchantée  sous  son 
oreiller.  Mais  le  bachelier  se  souvenant  de  la  pre- 
mière épreuve,  ne  se  coucha  pas  aussi  vite,  et  eut 
le  soin  de  bien  battre  son  oreiller  pour  qu'il  ne  fût 
pas  si  doux.  La  plume  enchantée  tomba  et  le  jeune 


I>K  DOLOPAÏHOS.  î  29 

homme  fit  semblant  de  dormir.  Pleine  de  confiance 
dans  son  talisman,  la  jeune  lille  vint  se  placera  côté 
du  damoisel  qui  se  réveilla  bientôt  et  contraignit 
la  rebelle  à  devenir  sa  femme.  La  jeune  fille 
aima  beaucoup  son  mari,  et  ils  vécurent  dans  les 
plaisirs  et  la  richesse.  Cependant  le  bachelier  ou- 
blia rengagement  qu'il  avait  pris  avec  son  vassal,  et 
laissa  passer  le  terme  fixé  pour  le  paiement.  Heu- 
reux  de  sa  vengeance,  l'homme  riche  demanda  la 
livre  de  chair  et  refusa  tout  l'argent  qu'on  lui  of- 
frit en  compensation.  L'affaire  ayant  été  portée 
devant  le  roi,  celui-ci  consulta  les  plus  sages  de  sa 
cour;  mais  la  convention  existait,  il  fallait  qu'elle 
soit  exécuter.  La  jeune  femme,  adroite  et  sensée, 
se  rendit  au  tribunal,  et  après  avoir  offert  dix  mille 
mares  au  terrible  créancier,  que  celui-ci  refusa, 
elle  lit  étendre  un. drap  blanc  à  terre,  y  fit  coucher 
son  mari,  et  elle  dit  :  Allons,  vassal,  prends  ta  livre 
de  chair,  mais  la  livre,  ni  plus  ni  moins;  et  si  tu  te 
trompes,  malheur  à  toi,  car  lu  seras  écorché  vif  et 
i<s  membres  seront  naines  par  la  ville.  Le  créan- 
cier-eut  peur  et  refusa;  on  le  contraignit  de  paver 
mille  livres  à  son  seigneur,  pour  lui  apprendre  à  ré- 
clamer ce  qu'il  n'osait  pas  accepter  '. 

Le  lecteur  a   facilement  reconnu  dans  celte  hi- 
stoire l'un  des  incidens  du  fameux  draine  de  Shaks- 

I    l  I  ,  illli        II  '   I). 


130  ANALYSE 

peare  intitulé,  le  Mai  chaud  dt  yeiiùe.  Sans  aucun 
doute,  l'auteur  anglais  n'a  pas  connu  le  poëme 
d'Herbers;  et  pourtant  ce  trouvère  peut  être  consi- 
déré comme  ayant  fourni  au  tragique  anglais  la 
terrible  péripétie  de  son  drame  ;  voici  comment  : 
le  récit  du  trouvère  fut  imité  par  les  compilateurs 
d'un  livre  écrit  en  latin,  probablement  dans  les 
premières  années  du  xive  siècle,  et  qui  servit  de 
modèle  aux  conteurs  des  différens  pays  de  l'Eu- 
rope, principalement  à  ceux  d'Angleterre  et  d'Ita- 
lie. Ce  recueil,  auquel  on  a  donné  le  nom  de  Gesta 
Romaîsokum  l,  contient  des  contes  empruntés  à  la 
littérature  sacrée,  aux  traditions  orientales  et  aux 
fables  romanesques  admises  par  les  peuples  de  l'Eu- 
rope, pendant  le  moyen  âge.  Ce  livre  traduit,  ou 
plutôt  imité,  dès  le  xve  siècle,  par  les  écrivains  an- 
glais, fut  très  populaire  en  Grande-Bretagne,  et  les 
contes  qui  s'y  trouvent,  ont  été  le  sujet  de  quelques 
ballades.  C'est  ainsi  que  l'bistoire  analysée   plus 

.  On  peut  consulter  au  sujet  du  Gesla  Roinanorurn  :  Warton,the 
Uistoryof  english  poelry ,  front  the  close  ofthe  eleventh  to  the  commen- 
cement of  the  eighteenth  century.  To  which  are  prefixed  three  disser- 
tations :  1.  of  the  oriyin  of  romantic  fiction  in  Europe.  2.  On  the  in- 
troduction of  learning  into  England.  3.  On  the  Gesta  Homanorum.— 
In  four  volumes.  London,  1824,  m-8. —  T.  \,  p.  clxxvii. 

Douce  (F.)  Illustrations  of  Shakspeare ,  2  vol.  in-S. 

Gesla  Domanorum ,  or  entertaining  moral  stories  etc.,  translated 
from  the  latin,  with  apreliminary  observations  and  copious  notes.  By 
therev.  Charles  Swan.  In  two  volumes.  Ijondon,  1824,  in-12. 


Dl    D0LOPATHOS.  181 

haut,  qui  fait  partie  de  la  rédaction  anglaise  du 
(iesla  Romanorum,  lut  rendue  populaire  par  une 
ballade  qui  servit  probablement  de  modèle  à  Shaks- 
peare.  Sans  aucun  doute,  le  drame  du  poète  an- 
glais est  supérieur  au  récit  que  nous  avons  analysé; 
mais  pour  le  juger  convenablement ,  il  ne  faut  pas 
oublier  la  différence  des  mœurs  et  des  époques  qui 
séparent  les  deux  poètes.  La  punition  infligée  au 
vassal  par  son  seigneur,  nous  semble  cruelle  et  di- 
minue l'horreur  que  nous  inspire  l'homme  à  la 
livre  de  chair.  Mais  cette  punition  n'était  pas  une 
vengeance,  et  les  lecteurs  du  moine  deHaute-Selve, 
habitués  au  régime  féodale,  à  ses  violences,  ne 
trouvaient  d'étrange  dans  ce  récit,  que  l'aveugle 
désir  du  riche  vassal,  voulant  à  tout  prix  se  venger 
d'une  peine  qu'il  avait  peut-être  méritée.  L'origine 
de  ce  conte  est  oriental;  dans  plusieurs  composi- 
lions  indiennes,  on  trouve  des  personnages  qui  con- 
seillent ii  des  conditions  du  même  genre.  La  pensée 
de  faire  jouer  un  pareil  rôle  à  un  juif,  est  le  résul- 
tat des  idées  (pie  Ton  avait  au  moyen  Age,  sur 
ot  peuple  maudit  des  chrétiens  el  persécuté  par 
eux. 

Voici  l'histoire  racontée  par  le  cinquième  sage  de 
Home  : 

«  Il  \  eut  jadis  à  Rome  un  mi  puissant  qui,  at- 
taqué  pai'  ses  ennemis,  assembla  tousses  vasseanv 

el  si- mit  en  marche  pour  défendre  êtes  états.  Il  «tan 


132  ANALYSE 

accompagné  de  son  jeune  (ils  qui  chevauchait,  ayant 
un  autour  sur  le  poing.   L'armée  passa  devant  la 
maison  d'une  femme  veuve  et  très  pauvre;  elle  n'a- 
vait qu'un  fils  qui  la  nourrissait  de  son  labeur.  Ce 
dernier  possédait  une  seule  poule  qu'il  aimait  beau- 
coup. Le  (ils  du  roi  ayant  aperçu  la  poule  qui  cher- 
chait sa  pâture,  lança  son  autour  sur  cette  proie 
qui  fut  bientôt  saisie  par  l'oiseau  carnassier.  Le  fils 
de  la  veuve,  craignant  pour  la  vie  de  sa  poule,  tua 
l'autour.  Le  fils  du  roi  en  fut  tellement  irrité,  qu'il 
tira  son  épée  et  fendit  la  tète  au  fils  de  la  veuve. 
Celle-ci  voyant  son  enfant  mort,  courut  près  du  roi, 
et ,  navré  de  la  plus  affreuse  douleur,  elle  demanda 
vengeance  :  Je  n'avais  que  lui,  dit-elle,  tu  dois  m'é- 
couter.  Le  roi  fut  juste  et  débonnaire,  il  répondit: 
Je  marche  contre  mes  ennemis,  et  j'ai  dans  ce  mo- 
ment beaucoup  d'affaires;  si  tu  veux  attendre  mon 
retour,  je  te  promets  une  bonne  justice.  —  Et  si  tu 
ne  reviens  pas,  répliqua  la  veuve,  qui  me  la  fera? — 
Mon  successeur,  dit  le  roi.  Mais  la  veuve  reprit  :  11 
n'aura  cure  des  malheurs  advenus  sous  ton  règne  ; 
rends-moi  justice  à  l'instant;  Dieu  t'en  saura  gré,  car 
je  suis  veuve  et  pauvre.  Le  roi  s'arrêta  donc,  et, 
quand  il  sut  que  son  fils  était  le  coupable,  il  dit  à  la 
veuve  :Ton  fils  était  ton  seul  appui,  si  tu  veux,  je 
te  donnerai  le  mien,  ou  je  le  condamnerai  à  mourir. 
La  veuve  ayant  réfléchi   qu'en  prenant  la  vie  du 
jeune  prince,  elle  ne  rendrait  pas  son  fils  à  l'exis- 


DF   DOLOPATHOS.  133 

tence,  consentit  à  rester  près  du  roi,  (jiii  la  combla 
de  bienfaits  '  ». 

Cette  histoire,  connue  celles  qui  la  précédèrent, 
retarda  la  mort  du  jeune  Lucinicn,  mais  pour  un 
jour  seulement.  Le  lendemain  il  lut  ramené  devant 
le  fatal  bûcher;  alors  parut  le  sixième  sage  de  Rome 
qui  parla  en  ces  termes  : 

«  Un  homme,  après  avoir  pendant  longues  années 
exercé  le  métier  de  voleur,  devint  très  riche.  Il  chan- 
gea de  vie  et  étonna  beaucoup  ses  voisins  qui  con- 
naissaient toute  son  histoire.  Il  avait  trois  fils  aux- 
quels il  conseilla  de  prendre  un  état;  mais  après  s'être 
consultés,  cesjeunes  gens  décidèrent  qu'ils  feraient 
comme  leur  père  et  voleraient.  Ils  résolurent  de 
s'emparer  d'un  très  beau  cheval  qui  appartenait  à  la 
reine,  et,  pour  cela,  ils  s'avisèrent  d'un  stratagème 
qui  ne  leur  réussit  pas.  L'un  d'eux  se  cacha  dans 
l'herbe  que  l'on  apportait  au  cheval,  et  ses  frères  at- 
tendirent en  dehors.  La  nuit  venue,  le  voleur  sella, 
brida  le  cheval,  et  sortit  avec,  pour  rejoindre  sesfrè- 
i ts  ;  mais,  arrêtés  par  les  gardes  de  la  reine,  les  trois 
jeunes  gens  furent  conduits  devant  elle.  Ayant  re- 
connu les  lils  du  voleur  devenu  honnête  homme,  la 
reine  lit  appeler  ce  dernier,  et  lui  dit  ce  qui  était  ar- 
rivé. Ilsn'ont  pas  voulu  suivre  mesconseftsj  répondit 
l'Ancien  voleur,  ils  doivent  être  punis.  L;i  reine  qui 

'     I  n>/i  :  Im  F  ri  ni  >l<  .  nn  7. 


I 34  ANALYSE 

l'aimait  beaucoup  lui  dit  :  Tu  peux  racheter  tes  en- 
ians  :  raconte-moi  trois  des  aventures  les  plus  ex- 
traordinaires qui  te  soient  arrivés.  — J'y  consens, 
dit  le  père,  et  il  commença:  Etant  jeune,  je  me  trou- 
vais à  la  tète  de  cent  compagnons  hardis  et  forts. 
Nous  entendîmes  parler  d'un  géant  riche  en  or  et 
en  argent,  qui  demeurait  seul  au  milieu  d'un  bois. 
Nous  allâmes  dans  sa  maison,  et  pendant  qu'il  était 
absent ,   nous  nous    emparâmes  de  toutes  ses  ri- 
chesses. Mais  en  sortant,  nous  fûmes  attaqués  par  le 
géant  et  dix  de  ses  compagnons.  Vaincus  et  attachés 
ensemble,  le  géant  nous  conduisit  dans  sa  demeure, 
et  là,  commença  à  nous  manger  les  uns  après  les 
autres.  Je  l'aurais  été  comme  les  autres;  mais  je 
parvins  à  faire    croire  au  géant  que  j'avais  une 
grande  science  médical,  et  que  je  le  guérirais  d'un 
mal  qu'il  avait  sur  les  yeux.  Il  consentit  à  se  livrer 
à  moi  et  à  s'étendre  par  terre.  Je  pris  alors  un 
grand  bassin  d'huile  bouillante,  le  versai  sur  la  tête 
du  géant  et  lui  fit  perdre  la  vue.  Mais  le  géant  se 
releva,  courut  après  moi,  et  bien  qu'il  fut  aveugle, 
il  m'aurait  infailliblement  pris,  à  force  de  chercher 
dans  sa  demeure  où  j'étais  enfermé,  si  je  n'étais  par- 
venu à  me  réfugier  au  haut  d'une  échelle.  Ayant  re- 
marqué que  le  géant  n'ouvrait  sa  porte  que  pour 
laisser  sortir  ses  brebis  qui  gagnaient  toutes  seules 
leurs  pâturages,  et  qu'un  sort  jeté  sur  elles  empê- 
chait de  se  perdre  ou  d'être  volées,  j'ouvris  le  ventre 


DE  DOLOPATIIOS.  135 

à  la  plus  grasse  de  toute  et  je  m'enveloppai  dans  sa 
peau.  Mais  avant  de  laisser  sortir  ses  brebis,  le  géant 
aveugle  les  comptait,  et  chaque  jour,  retenait  la  plus 
grasse  pour  son  repas.  Je  fus  arrêté  pour  celte  rai- 
son pendant  six  jours  de  suite;  enfin,  le  septième 
jour,  bien  enveloppé  dans  une  peau  de  brebis,  je 
parvins  à  échapper  au  géant.  Quand  je  fus  hors  de 
sa  demeure,  je  me  sentis  joyeux,  et  je  le  raillai  de 
s'être  laissé  aveugler  par  moi  et  de  n'avoir  pas  su 
me  tenir  enfermé  :  Ami ,  répondit-il,  tu  as  fait  une 
bonne  ruse  et  je  dois  t'en  récompenser. Tirant  de  son 
doigt  un  anneau  d'or,  il  me  le  jeta.  Cet  anneau  était 
lourd  et  valait  au  moins  trente  besans.  J'eus  envie 
de  le  posséder;  mais  j'en  fus  puni,  carie  géant  avait 
jeté  un  charme  sur  cet  anneau  qui  ne  pouvait  plus 
quitter  mon  doigt  et  qui  disait  sans  cesse  :  «  Je  suis 
là,  je  suis  là  ».  Le  géant  courut  vers  moi,  et  je 
m'empressai  de  fuir  :  il  était  grand  et  long,  et  se 
heurtant  aux  arbres,  il  tombait  sans  cesse,  car  il 
avait  douze  coudées  de  haut;  mais  se  relevant  bien 
vite,  le  géant  recommençait  à  courir  après  moi.  fout 
enfuyant,  je  pris  la  résolution  de  eoupcnnon  doigt; 
l'ayant  donc  placé  dans  ma  bouche,  je  le  fendis  avec 
mes  dents  et  je  le  jetai  au  géant;  par  ce  moyen 
je  lui  échappai ,  non  sans  avoir  eu  grand  peur. 
Cette  aventure,  je  crois,  mérite  bien  que  l'on  me 
rende  un  de  mes  fils;  pour  les  deux  autres,  je  vous 
dirai  ce  qui  m'advint .  avant  de  quitter  la   forêt 


136  ANALYSE 

Sorti  des  mains  du  géant,  continue  l'ancien  voleur, 
jerrai,  deux  jours,  au  milieu  d'une  grande  forêt  ha- 
bitée par  des  lions,  des  ours,  des  dragons;  et  je  ne 
trouvai  qu'une  cabane  près  de  laquelle  trois  voleurs 
avaient  été  pendus;  j'y  entrai  et  vis,  devant  un 
grand  feu, une  femme  avec  son  enfant;  elle  pleurait: 
je  lui  demandai  où  j'étais,  et  si  il  n'y  avait  pas  d'au- 
tres habitations.  Non,  reprit-elle,  à  plus  de  trente 
lieues  environ  ;  j'ai  été,  la  nuit,  enlevée  d'auprès  de 
mon  mari  et  conduite  ici  par  des  mauvais  esprits  que 
les  gens  appellent  E stries  '.  Il  m'ont  ordonné  de 
faire  cuire  mon  enfant  qu'ils  doivent  manger  cette 
nuit.  Je  promis  à  cette  femme  de  venir  à  son  aide, 
et  de  délivrer  son  enfant;  c'est  pourquoi  étant  sorti, 
je  décrochai  l'un  des  trois  pendus,  et  le  portant  à 
la  femme,  je  lui  ordonnai  de  le  faire  cuir,  au  lieu  de 
son  enfant,  et  je  conduisis  ce  dernier  dans  la  forêt, 
où  je  le  cachai  dans  le  creux  d'un  chêne.  La  nuit  ve- 
nue, les  Es  tries  ne  tardèrent  pas  à  descendre  des 
montagnes  ;  elles  ressemblaient  à  des  guenons. 
Quand  la  chair  de  pendu  fut  cuite,  elles  se  la  parta- 
gèrent avec  une  grande  voracité.  Le  plus  grand  de 
ces  génies  interrogea  la  femme  pour  savoir  si  c'é- 
tait bien  l'enfant  qu'elle  leur  avait  donné  à  manger. 
Elle  répondit,  que  c'est  bien  son  fils;  mais  le  génie, 
ayantquelqueméfiance,  envoya  trois  Estries  avec  des 

•    Speetrt ,  fantîmir  ,  vampire. 


DE   DOLOPATHOS.  I  .'V7 

couteaux  pour  rapporter  un  morceau  delacliair  des 
trois  pendus.  Alors  je  me  mis  à  la  place  de  celui  que 
j'avais  ôté,  et  l'un  des  génies  coupa  un  morceau  de 
ma  cuisse  ;  je  souffris  beaucoup  toute  la  nuit.  Ren- 
dez-moi mon  autre  fils  et  je  vous  dirai  la  fin  de  cette 
histoire.  Quand  les  Estries  m'eurent  ainsi  coupé  un 
morceau  de  la  cuisse,  je  descendis  de  l'arbre  où  je 
m'étais  pendu,  et  j'élanchai  avec  ma  chemise  le  sang 
qui  coulait  à  flots  de  ma  blessure;  je  regagnaile  lit 
que  je  m'étais  fait  près  de  la  maison,  et  j'eus  à  sup- 
porter d'horribles  souffrances.  Les  génies,  après 
avoir  fait  rôtir  les  trois  morceaux  de  chair  qu'ils 
venaient  de  couper,  se  mirent  à  les  manger  ;  dès 
que  la  maîtresse  eut  goûté  de  ma  chair  :  Oh!  dit-elle, 
(jue  celle-là  est  bonne  et  fraîche  ;  il  y  a  long-temps 
que  je  n'en  n'ai  eu  de  pareille  ;  bien  vile  allez-moi 
chercher  le  corps  de  ce  pendu  ,  nous  le  mangerons 
toutaussitôt.  Quand  j'entendis  ces  paroles,  je  quittai 
de  nouveau  mon  lit  et  j'allai  me  remettre  avec  les 
autres  pendus.  Aussitôt,  les  trois  méchans  esprits 
s'emparèrent  de  moi,  et  tirant  mon  corps  par  les 
pieds,  ils  me  déchirèrent  impitoyablement  les  bras, 
les  épaules  et  le  dos,  au  milieu  des  broussailles  et  des 
épines,  et  me  jetèrent,  ainsi  couvert  de  blessures, 
aux  pieds  de  leur  maîtresse.  Les  esprits  voulaient 
me  couper  en  morceaux,  quand  je  ne  sais  ce  qu'ils 
aperçurent,  mais  ils  prirent  la  fuite.  Resté  seul  avo 
la  mère  el  l'enfant,  nous  quittâmes  ces  lieux,  et, 


138  ANALYSE 

après  avoir  marché  quarante  jours,  soutirant  la  fa- 
tigue et  la  faim,  nous  atteignîmes  la  maison  de  la 
jeune  femme.  Je  vous  ai  dit  trois  histoires,  rendez- 
moi  mes  fils.  La  reine  acquitta  sa  promesse1. 

Le  dernier  récit  des  sept  Sages  de  Rome ,  ap- 
partient aux  traditions  populaires  de  notre  histoire; 
c'est  l'origine  que  les  romanciers  attribuent  à  l'il- 
lustre Godefroi  de  Bouillon.  Une  expédition  aussi  re- 
marquable que  la  première  croisade  ne  pouvait  man- 
quer de  fixer  l'attention  des  trouvères;  et  comme 
introduction  au  récit  qu'ils  devaient  composer  sur 
les  guerres  saintes,  ils  débitèrent  une  fable  dont  l'o- 
rigine est  difficile  à  connaître ,  mais  qui  paraît  em- 
pruntée au  génie  de  l'orient. 

Un  damoisel  fort  bien  élevé  ,  rempli  de  talens  el 
de  vertu ,  aimait  avec  une  telle  passion  la  chasse , 
qu'il  y  consacrait  une  grande  partie  de  sa  vie.  Un 
jour  il  s'égara,  el  après  avoir  long-temps  cherché  à 
rejoindre  ses  chasseurs ,  il  arriva  au  bord  d'une 
claire  fontaine  dans  laquelle  se  baignait  toute  seule 
une  jeune  et  belle  fée.  Epris  du  plus  violent  amour, 
le  chasseur  oublia  tout,  et  s'étant  emparé  d'une 
chaîne  d'or  qui  faisait  le  pouvoir  de  la  tée ,  il  la  re- 
tira de  l'eau  ,  la  couvrit  de  ses  vêtemens  et  lui  de- 
manda de  l'épouser.  Moitié  violence,  moitié  plaisir, 
la  jeune  fée  consentit ,  et  les  deux  amans  passèrent 

■    Voyez  Un  Extraits  .  n    S. 


DE  DOLOPATHOS.  1  3M 

toute  lanuit  au  bord  de  la  fontaine,  après  a  voir  donné 
et  reçu  les  plus  douces  caresses.  La  jeune  fée  con- 
naissait parfaitement  le  cours  des  astres  ;  jetant  ses 
regards  aux  cieux ,  elle  ne  tarda  pas  à  s'aperce- 
voir qu'elle  donnerait  le  jour  à  six  (ils  et  une  fille. 
Elle  le  dit  à  son  époux,  et  fut  tout  épouvantée. 
Le  damoisel  la  rassura,  la  couvrit  de  baisers,  et  le 
jour  venu  ,  l'ayant  placée  sur  son  coursier ,  il  la 
mena  dans  son  palais.  Ses  vassaux  le  reçurent  avec 
une  grande  joie,  lui  et  sa  nouvelle  épousée  qu'ils 
ne  connaissaient  pas.  Mais  la  mère  du  damoisel 
jeta  les  hauts  cris,  et  supplia  son  (ils  de  renvoyer 
cette  femme.  Voyant  que  toutes  ses  remontrances 
étaient  inutiles,  elle  se  résigna  et  fit  semblant  d'a- 
gréer sa  bru.  Elle  l'entoura  de  soins,  de  préve- 
nance, et  sous  prétexte  qu'elle  était  enceinte,  clic 
éloigna  d'elle  toute  autre  personne  ;  elle  seule  et 
ses  afïidés  pouvaient  approcher  la  jeune  fée,  qui  ne 
tarda  pas  à  mettre  au  monde  six  lils  et  une  lille, 
ayant  au  cou  une  chaîne  d'or.  La  mère  du  damoi- 
sel les  reçut  ,  et  comme  la  jeune  fée  ne  pouvait 
rien  voir,  à  cause  de  ses  souffrances,  cette  marâ- 
tre mit  à  leur  place  sept  petits  chiens  ;  puis  confiant 
les  fils  nouveau-nés  à  un  serviteur,  elle  lui  or- 
donna de  les  porter  dans  la  forêt  et  de  les  tuer.  Le 
serviteur  obéit  ;  mais  arrivé  dans  la  foret,  il  trouva 
ces  enfans  si  beaux  qu'il  n'eut  pas  le  courage  de 
frapper.  U  les  posa  sous  un  arbre,  pensant  bien  que 


1 40  ANALYSE 

les  bêles  sauvages  lèraient  d'eux  leur  pâture-  Un 
sage  vieillard,  qui  habitait  seul  au  milieu  des  bois , 
rencontra  les  enfans,  les  recueillit,  et  les  éleva  près 
de  lui,  pendant  sept  années.  Quant  au  chevalier, 
sa  mère  lui  ayant  montré  les  sept  petits  chiens,  lui 
fit  connaître  que  c'était  là  le  fruit  de  ses  amours 
avec  la  prétendue  fée  :  Tu  disais  qu'elle  était  fée  ; 
beau-fils ,  à  sa  progéniture  il  est  facile  de  reconnaî- 
tre sa  nature.  Le  damoisel  irrité  ,  prit  sa  femme 
dans  une  grande  haine,  et  l'ayant  fait  placer  dans 
un  trou  où  elle  restait  enfouie  jusqu'aux  mamelles, 
il  ordonna  à  ses  gens  de  laver  tous  leur  mains  sur 
sa  tète,  de  les  essuyer  avec  ses  cheveux  ;  et  il  vou- 
lut qu'elle  hit  nourrie  avec  le  pain  des  chiens  du  pa- 
lais. La  fée  endura  sept  années  de  pareilles  injures, 
ce  qui  altéra  beaucoup  sa  grande  beauté,  ajoute  le 
naïf  trouvère.  Cependant  élevés  par  Je  philosophe 
au  milieu  des  bois,  ses  enfans,  nourris  avec  le  lait 
des  bètes  sauvages  ,  s'occupaient  à  chasser  et  rap- 
portaient au  vieillard  les  oiseaux  qu'ils  avaient  pris. 
Un  jour  que  leur  père  vint  à  chasser  dans  la  forêt , 
il  aperçut  les  beaux  enfans  qui  portaient  tous  une 
chaîne  d'or  à  leur  cou.  Il  prit  plaisir  à  les  regarder, 
mais  ceux-ci  l'ayant  vu,  disparurent  aussitôt  Ren- 
tré dans  son  palais,  le  chevalier  raconta  son  aven- 
ture à  sa  mère  :  celle-ci  ayant  fait  venir  le  serviteur 
qu'elle  avait  chargé  de  tuer  les  enfans,  lui  ordonna, 
sous  peine  de  la  vie  ,  de  courir  flans  le  bois  ,  de  lui 


DE    DOLOPATHOS.  141 

apporter  les  chaînes  d'or  que  ces  enfans  portaient 
à  leur  cou.  Le  serviteur  obéit;  il  trouva  les  enfans 
dans  le  bois,  jouant  au  bord  d'une  onde  claire  et 
pure  ,  où  les  six  frères  no  lardèrent  pas  à  se  jeter  , 
après  avoir  détaché  leur  chaîne  d'or,  et  avoir  pris  la 
forme  de  beaux  cygnes  blancs.  Le  serviteur  s'appro- 
cha de  la  jeune  fille  qui  gardaient  les  chaînes  ,  s'en 
empara,  et  voulut  aussi  prendre  celle  que  la  jeune 
lille  portait  à  son  cou ,  mais  elle  parvint  à  lui  échap- 
per. Le  serviteur  rapporta  les  chaînes  d'or  à  sa  maî- 
tresse, qui  manda  aussitôt  un  orfèvre  et  lui  ordonna 
de  briser  ces  chaînes  et  d'en  faire  une  coupe.  Ce 
dernier  voulut  obéir  ,  mais  il  lui  fut  impossible  de 
rompre  un  seul  des  anneaux  :  c'est  pourquoi  il  lit 
une  coupe  avec  un  autre  or  et  la  présenta  à  la  mère 
du  chevalier.  Les  jeunes  (ils  de  la  fée  ,  ayant  perdu 
leur  chaîne  d'or,  ne  pouvaient  plus  reprendre  leur 
forme  humaine.  Ils  allaient  tout  le  jour,  poussant  des 
cris  plaintifs;  fatigués  de  vivre  sur  le  même  lac  ,  ils 
prirent  leur  vol,  et  arrivèrent  près  du  château  de 
leur  père  ,  dans  un  étang  fort  beau,  qui  se  trouvait 
à  l'entrée.  La  jeune  fille  les  avait  suivis.  Le  cheva- 
lier qui  était  à  la  fenêtre  de  son  château  ne  tarda 
pas  ii  remarquer  ces  nouveaux  hôtes,  et  voulut  qu'ils 
fussent  bien  traités  et  bien  nourris.  La  jeune  611e  re- 
prit quelquefois  sa  forme  humaine  ,  et  s'introduisit 
dans  le  château;  elle  eut  pitié  de  sa  mère,  suris  la 
connaître,  et  partagea  souvent  son  pain  avec  elle.  1  iés 


142  ANALYSE 

gens  du  château  ne  lardèrent  pas  à  remarquer  cette 
enfant,  et  son  amour  pour  la  fée  malheureuse,  et  les 
caresses  que  lui  prodiguaient  les  heaux  cygnes, 
quand  elle  leur  portait  à  manger.  Plusieurs  ajou- 
taient que  cette  enfant  resemblait  à  la  fée,  et  le 
chevalier  avait  un  grand  plaisir  à  regarder  l'enfant. 
Un  jour  il  l'appela  ;  celle-ci  s'approcha  volontiers: 
le  chevalier  remarqua  la  chaîne  d'or  attachée  à  son 
cou,  et,  se  souvenant  de  la  fée  qu'il  avait  eu  pour 
femme  :  Enfant ,  dit-il,  d'où  es-tu  née  ?  quel  est  ton 
père?  quelle  est  ta  mère  ?  pourquoi,  matin  et  soir, 
portes-tu  à  manger  aux  cygnes  qui  acceptent  volon- 
tiers de  ta  main  leur  nourriture?  La  petite  tille  pleura 
et  répondit  :  Sire,  Dieu  seul  pourrait  vous  dire  com- 
ment hommes  ou  femmes  naissent  sans  père,  ni  mère: 
et  pourtant  il  est  véritable  que  je  n'en  eus  jamais  ; 
je  sais  bien  que  ces  cygnes,  qui  viennent  près  de 
moi ,  sont  mes  frères  :  et  la  jeune  fille  continua  à  ra- 
conter, en  pleurant,  toute  son  histoire.  La  vieille 
mère  du  chevalier  et  son  fidèle  serviteur  écoutaient 
ce  récit  ;  ils  frémirent,  et  ne  doutèrent  pas  que  la 
vérité  ne  soit  bien  vite  connue,  aussi  la  vieille  donna 
Tordre  de  tuer  la  petite  fdle.  Un  jour  donc  qu'elle 
sortait  du  château,  le  sergent  courut  après  elle,  l'é* 
pée  haute  et  tout  prêt  à  la  frapper ,  quand  le  sei- 
gneur chevalier  parut  tout  à  coup.  Otant  l'épée  au 
serviteur  -.Pourquoi  vouloir  tuer  cette  enfant,  s'é- 
cria-t-il  ?  Le  vassal  épouvanté,  tomba  aux  genoux  du 


DE   DOLOPATIIOS.  143 

maître  et  lui  raconta  toute  l'histoire-  Le  chevalier, 
plein  de  fureur,  courut  chez  sa  mère  qui  lui  avoua  son 
crime.  On  manda  bien  vite  l'orfèvre,  et  ce  dernier  fut 
obligé  de  rendre  compte  des  chaînes  d'or  qui  lui 
avaient  été  confiées.  Il  avoua  sa  ruse,  et  déclara  que 
n'ayant  jamais  pu  rompre  un  seul  des  anneaux, 
il  avait  fait  la  coupe  avec  un  or  différent.  Il  rap- 
porta les  chaînes  qui  furent  remises  à  la  jeune  fille. 
Bientôt  les  cygnes  blancs  reprirent  leur  forme  hu- 
maine, excepté  un  seul,  parce  que  l'orfèvre,  en  es- 
sayant son  travail,  avait  altéré  l'un  des  anneaux.  Ce 
cygne  blanc  accompagna  toujours  l'un  de  ses  frè- 
res, qui  devint  un  grand  et  illustre  chevalier,  car  ce 
fut  lui  qui  tint  le  duché  de  Bouillon,  et  fit  la  con- 
quête de  Jérusalem  l. 

Cette  belle  légende  qui  paraît  empruntée  à  l'O- 
rient, ainsi  que  nous  l'avons  déjà  remarqué,  fut.  aux 
xne  et  xme  siècles  très  populaire  en  Europe.  Non 
seulement  les  trouvères  fiançais  en  tirent  le  sujet 
de  leurs  chants,  mais  en  Allemagne  et  en  Flan- 
dre, elle  se  reproduisit  sous  des  formes  diver- 
ses ;  et  les  frères  Grimm  dans  leur  livre  sur  les 
\ traditions  populaires  de  V Allemagne1 ,  ont  donne 


<    Voyez  les  Extraits  ,  n"  9. 

'    Traditions  allemandes  recueillies  cl  publia  >  pur  l< U  frères  (ïriinm . 
traduites  par  ftf,  Theil.  Paris.   18:is  .  "i-S,  9  vol.  T.  II,  pages  M'I  à 

■MH. 


144  ANALYSE 

plus  de  huit  récits  différons,  tous  relatifs  à  ce  sujet 
Le  fameux  poëme  allemand  du  Lohengrin,  dont  il 
existe  plusieurs  rédactions,  est  composé  avec  cette 
fable,  ainsi  que  notre  vieux  poëme  du  Chevalier  au 
Cygne,  qui  commence  les  récits  romanesques  con- 
sacrés à  Godefroy  de  Bouillon  '. 

Après  l'histoire  du  Chevalier  au  Cygne,  Virgile 
lui-même  vient  au  secours  de  son  élève,  et  dans  le 
but  de  prouver  l'innocence  de  Lucinien,  il  raconte 
l'histoire  suivante  :  J'avais  un  compagnon  d'étude, 
fils  de  sénateur  et  très  grand  clerc  en  philosophie; 
il  était  si  savant  qu'il  refusa  toujours  de  se  marier, 
malgré  les  instances  de  ses  parens  et  de  ses  amis,  à 
cet  égard.  Fatigué  des  sollicitations  nombreuses  de 
ces  derniers,  il  fit  venir  un  sculpteur,  et  lui  de- 
manda de  représenter  en  marbre  la  plus  belle 
femme  qu'il  pourrait  imaginer.  Le  sculpteur  ayant 
travaillé  avec  beaucoup  de  soin,  réussit  à  produire 
la  représentation  d'une  femme  incomparablement 
belle.  Le  fils  de  sénateur,  l'ayant  montrée  à  ses 
parens,  leur  dit  :  Quand  j'aurai  trouvé  une  femme 
pareille  à  cette  statue,  je  l'épouserai.  Un  jour  il 
arriva  que  des  voyageurs  qui  revenaient  de  la  Grèce, 
ayant  vu  la  statue,  se  mirent  à  genoux  devant  elle. 


>  Au  sujet  du  Chevalier  au  digne,  voyez  l'Introduction  du  second 
volume  de  la  CunoNinrB  nnriB  i>f.  Pbilippb  HodsrM,  publiée  par  M.  H 
baron  de  Heiflemberg.       Bruxelles,  \H~.W,  in-'t". 


DE  DOLOPATHOS.  1  45 

On  leur  demanda  pourquoi  ils  adoraient  cette  image  ? 
Nous  venons  d'un  pays,  dirent-ils,  où  une  femme 
dont  celte  statue  est  la  parfaite  ressemblance,  nous 
a  comblé  de  bienfaits.  Nous  ne  savons  si  elle  est 
dame  ou  damoiselle,  car  elle  vit  inconnue  dans  une 
tour.  Surpris  de  cette  aventure,  le  jeune  sénateur 
partit  aussitôt  pour  la  Grèce.  En  débarquant  sur  le 
rivage,  il  vit  la  tour  où  la  belle  inconnue  était  enfer- 
mée. Celle-ci,  paraissant  à  la  fenêtre,  apprit  au  jeune 
homme  qu'elle  était  mariée  au  roi  du  pays,  qui, 
jaloux  de  ses  charmes,  la  gardait  toujours  empri- 
sonnée. Le  sénateur,  ayant  fait  connaître  à  la  dame 
l'objet  de  son  voyage,  ne  tarda  pas  à  se  lier  avec  le 
roi  de  la  Grèce,  et  à  obtenir  de  lui  la  permission  de 
construire  une  tour  en  face  de  celle  où  la  jeune 
dame  était  enfermée.  Le  Romain  fil  encore  pra- 
tiquer un  souterrain  qui  lui  facilita  L'entrée  de  la 
tour  opposée  à  la  sienne,  et  il  put  aisément  obtenir 
l'objet  de  son  amour.  Le  roi  ne  soupçonna  pas  la 
ruse.  Bien  plus,  le  Romain  jouissait  de  tous  les 
meubles  qui  appartenaient  au  roi,  sans  que  ce  dernier 
pùtcomprendre  comment  cela  se  faisait.  Ainsi  étant 
allé  voir  l'étranger  son  ami  ,  il  reconnut  chez  lui 
ses  échecs  ;  il  courut  bien  vite  a  la  tour  :  mais  le 
Romain ,  passant  par  le  souterrain,  replaça  les 
échecs  avant  que  le  roi  ne  lût  arrivé*  In  autre  jour, 
invite  par  son  ami  à  un  splendide  repas,  il  reconnut 
boule  sa  vaisselle,  et   sur  les  épaules  du   Romain,  l> 


1  i()  ANALYSE 

manteau  qu'il  avait  donné  à  sa  femme  :  il  courut 
encore  à  la  tour,  mais  il  vit  les  couteaux  et  les 
bassins  à  leur  place,  et  le  manteau  qu'il  avait  donné 
était  près  de  la  dame.  Le  repas  terminé ,  sa 
femme  elle-même  entra  chez  le  Romain.  Ne  pou- 
vant en  croire  ses  yeux,  le  roi  courut  à  la  tour; 
mais  la  dame  y  était  avant  lui,  et  le  raillant  avec 
douceur,  elle  l'accusa  de  perdre  l'esprit.  Il  lui  ra- 
conta son  étrange  aventure  ;  mais  la  dame  le  dis- 
suada, et  le  conseilla  de  reconduire  le  Romain  qui 
venait  de  lui  annoncer  son  départ.  En  effet,  un 
vaisseau  à  la  voile,  attendait  le  Romain  qui  s'y  em- 
barqua avec  la  femme  du  roi.  Ce  dernier  les  ac- 
compagna trois  jours ,  et  il  revint  dans  ses  états. 
Il  fut  sur  le  point  de  mourir  de  dépit,  en  apprenant 
son  malheur.  Le  Romain  conduisit  sa  maîtresse 
dans  sa  demeure;  et  quand  le  roi  vint  réclamer 
sa  femme,  il  lui  montra  la  statue,  en  disant  que  les 
dieux  avaient  infligé  cette  punition  à  l'infidèle.  Le 
nouveau  possesseur  de  la  dame  en  fut  aussi  très 
jaloux;  il  l'enferma  dans  une  tour  dont  il  garda  lui- 
même  la  clef.  La  jeune  dame  n'en  chercha  pas  moins 
d'autres  amours,  et  un  jour  que  son  amant  dormail 
à  ses  côtés,  elle  sortit,  alla  trouver  un  galant,  et  ne 
revint  que  fort  tard  ,  au  point  du  jour.  Mais  le  Ro- 
main s'était  éveillé  et  attendait  l'infidèle  à  la  fenêtre. 
Quand  elle  revint,  il  refusa  de  la  laisser  entrer; 
celle-ci,  qui  connaissait  sa  faiblesse,  s'approcha  d'un 


DE   DOLOPATHOS.  147 

puits ,  y  jela  une  pierre,  et  se  cacha  au  bas  de  la 
tour.  Le  Romain  sortit  pour  aller  au  secours,  ne 
doutant  pas  du  désespoir  de  sa  maîtresse;  mais 
celle-ci  monta  vite  à  la  tour,  après  avoir  fermé  la 
porte,  et  refusa  l'entrée  au  jaloux,  qui  fut  obligé  de 
promettre  à  sa  maîtresse  de  ne  plus  la  tenir  enfer- 
mée, et  qui,  le  lendemain,  abattit  la  prison  qu'il 
lui  avait  faite  '. 

Herbers  finit  son  poème  en  nous  racontant  le 
triomphe  de  Lucinien,  son  couronnement,  son  rè- 
gne, pendant  lequel  il  fut  converti  au  christianisme 
par  des  apôtres  de  la  foi.  Herbers  dit  que  Virgile, 
en  mourant,  tint  si  ferme  dans  sa  main  le  livre  où  il 
avait  écrit  toutes  les  sciences,  qu'il  fallut  bien  le 
laisser  partir  avec  lui  J. 

>  Nos  lecteurs  ont  facilement  reconnu,  dans  cette  histoire,  deux  contes 
qui  se  retrouvent,  mais  séparés ,  dans  le  Roman  des  sept  Sages  et  dans 
plusieurs  autres  compositions.  Voyez  à  ce  sujet  la  première  partie  de  ce 
volume,  pages  145  et  158;  et  dans  le  Roman  des  sept  Sages,  en  prose, 
pages  35  et  W». 

*  Herbers  define  ici  son  livre  ; 

Au  bon  roi  Loeys  le  livre. 

Cui  Dex  doint  honor.  en  sa  \  ta 

S' aucuns  est  ki ,  par  envie  , 

Parolt  de  rien  k'il  est  dite  . 

f.art  raison  à  ceu  k'il  dirait. 

Vilains  iert  ki  en  nicsdiroil 

Li  li\  n M  Ml   fWl  de  savoir  ; 

Toute  listoire  est  de  voir 

Oui  la  taoroil  pot  mantcrasc, 


1 48  ANALYSE 

J'ajouterai  quelques  observations  sur  l'œuvre 
que  je  viens  d'analyser,  et  qui,  sous  plusieurs  rap- 
ports, est  digne  de  fixer  l'attention. 


Die  cornant  l'anchanteresse 
Phitomissa  ki  tant  savoit , 
Le  prophète  ki  tant  valloit, 
Samuelain  resuscitait 
De  lai  où.  il  iert  le  gittait  1 
Et  se  die  par  kel  raison 
Li  anchantéor  Pharaon 
De  lor  verges  couluevres  firent  ? 
Et  cornant  les  rainnes  issirenl 
De  la  palu  ?  commant  avinl 
Que  l'aiguë  de  Nille  devint, 
S'ansi  com  dist  Sainte  Escriture  ? 
Et  die  par  keille  aventure 
Circé  transfigurait  ausis 
Toz  les  compaignons  Ulissis? 
Sains  Augustins  le  dist ,  por  voir . 
Qui  mult  par  fut  de  grant  savoir 
Si  est  la  fins  de  ceste  ystoire  ,- 
Bien  saichiez  k'ellc  est  tote  voire. 
Qui  ne  la  vuelt  croire  sel'  laist  ; 
Je  sui  cil  ki  à  tant  s'an  taist. 
Et  à  celle  ki  l'ait  escrite , 
Daingno  Diex  faire  tel  mérite 
Que  la  joie  de  Paradis 
Que  Dex  ait  ses  amis  promis  , 
Li  doinst  en  la  fin  de  sa  vie  , 
Et  vos  toz  k'i  l'avez  oie.  Amen 

E-rpiiril  h'ir 


M     DOLOPATIIOS.  149 

Composé  dans  le  milieu  du  xme  siècle,  le  poème 
d'Herbers  résume  plusieurs  parties  de  la  littérature 
romanesque;  ainsi  l'une  des  principales  données 
appartient  aux  traditions  bibliques,  car  l'accusa- 
tion portée  contre  le  jeune  Lucinien  ressemble 
assez  à  l'histoire  de  Joseph  pour  avoir  été  copiée 
sur  elle.  Cependant  le  récit  biblique  a  pu  modifier 
celui  des  livres  orientaux,  sans  avoir  pour  cela  servi 
de  modèle.  Quant  à  l'imitation  des  aventures  d'U- 
lysse dans  l'antre  de  Polyphème,  elle  a  pu  être  di- 
rectement empruntée  par  le  trouvère  à  V Odyssée 
d'Homère,  car  elle  était  mieux  connue  en  France  , 
au  xme  siècle,  qu'on  ne  le  croit  communément.  Le 
rôle  que  Herbers  lait  jouer  au  poêle  Virgile  est  en 
rapport  avec  les  traditions  romanesques  admises  au 
xiii«  siècle  :  depuis  cent  années  environ  ,  le  chantre 
d'Ence  était  le  héros  d'une  légende  merveilleuse  et 
bizarre,  dont  les  inoidens  se  multipliaient  suivant 
le  goût  ou  les  connaissances  des  chroniqueurs  et 
des  poètes  qui  la  racontaient.  Difficilement  ou  pour- 
rait expliquer  l'origine  et  les  causes  de  cette  légende; 
mais  elle  obtint  une  célébrité  européenne,  et  le 
moine  de  llaute-Selve,  en  mêlant  le  nom  de  Virgile 
à  l'histoire  des  sept  Sages ,  ne  faisait  qu'ajouter  à 
son  œuvre  un  élément  de  succès.  De  plus,  il  ratta- 
chai! sou  poëme  à  la  littérature  nationale  et  cheva- 
leresque de  son  temps,  «-M  v  plaçant  une  légende  qui 
donnait   une  origine   merveilleuse  à  l'une  des  plus 


loO  ANALYSE 

grandes  familles  féodales  de  l'Europe,  à  la  famille 
de  Godefroy  de  Bouillon.  On  le  voit ,  toutes  les 
parties  de  la  littérature  romanesque  de  cette  époque 
se  retrouvent  dans  Dolopathos ,  car  le  trouvère  n'a 
pas  oublié  le  gai  fabliaux  qu'il  place,  peut-être  avec 
malice,  dans  la  bouche  du  cygne  de  Mantoue.  Il  faut 
dire  cependant  que  dans  l'imitation  libre,  et  peut- 
être  supérieure  au  modèle,  qu'il  a  faite  du  roman 
latin  des  sept  Sages,  il  a  eu  tort  de  supprimer  l'his- 
toire racontée  par  l'impératrice,  en  réponse  à  celle 
de  chacun  des  sept  sages,  histoire  dont  le  but  était 
de  prouver  le  contraire  de  ce  que  ces  sages  avan- 
çaient. C'était  un  ingénieux  moyen  de  piquer  la 
curiosité  du  lecteur.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  élémens 
divers  dont  le  poëme  d'Herbers  se  compose  ont  été 
mis  en  œuvre  avec  beaucoup  d'art;  et  le  trouvère  a 
toujours  fait  preuve,  sinon  d'une  haute  intelligence, 
au  moins  d'une  ingéniosité  très  remarquable.  Il 
raconte  bien,  et  c'est  une  grande  qualité  dans 
un  livre  qui  se  compose  de  douze  récits  différons. 
Certains  épisodes  ont  principalement  fixé  mon  atten- 
tion, et  je  les  regarde  comme  des  modèles  de  notre 
vieille  poésie.  Je  citerai  principalement  la  scène  où 
l<s  femmes  de  la  jeune  reine,  et  cette  princesse  elle- 
iiiriue,  font  tous  leurs  elïbrs  pour  séduire  Lucinien1. 
Il  y  a  dans  ce  récit  quelque  chose  de  voluptueux, 

\  oyez  le»  B&traiU   nu  \. 


DE  DOLOPATHOS.  loi 

d'oriental,  qui  ne  se  trouve  pas  commuiiéinentdaiis 
les  poésies  françaises  du  moyen  âge.  Herbers  était 
un  homme  qui  possédait  toute  la  scienee  de  son 
époque  ;  certains  auteurs  classiques,  grecs  et  la- 
tins, lui  étaient  familiers,  comme  le  prouvent  plu- 
sieurs passages  de  son  roman.  On  peut  croire  qu'il 
savait  l'hébreu  ou  même  l'arabe,  et  le  conte  de  la 
Livre  de  Chair  qu'il  a  imité  le  premier  en  Occident, 
les  connaissances  médicales  qu'il  se  plaît  à  montrer 
et  dont  nous  avons  cité  un  exemple  curieux,  et  les 
contes  orientaux  qu'il  aime  à  reproduire  ,  justi- 
fient suffisamment  cette  conjecture.  En  résumé,  le 
poëme  de  Dolopathos,  et  par  son  exécution,  et  par 
les  modèles  qu'il  a  fournis  à  plusieurs  grands  écri- 
vains dilïerens  d'époque  et  de  nation,  méritait  qu'on 
le  fasse  connaître  :  je  regrette  de  n'avoir  pu  entière- 
ment le  publier. 


EXTRAITS  DE  DOLOPATHOS. 


EXTRAITS 

DE   DOLOPATHOS 


1)  HEllItERS. 


ExiKAIT    N°     1,    F"    299,    COL.     1" 

A  peines  puet  perdre  sa  peinne 

Qui  sert  preudome  et  qui  s'en  peinne 

Del  lot  fere  sa  volenté  ; 

Mes  on  n'en  trueve  pas  plentè. 

Ghascun  jor  H  mondes  empire, 

Hui  est  mauves  et  demain  pire. 

Trop  pert  proesce  de  son  non  , 

Ne  trovons  mes  se  mauves  non. 

Et  neporquant,  se  je  pooie  , 

IVIult  volcntiers  me  pencroie, 

Se  je  me  savoie  entremetre , 

Q'en  .i.  romanz  péussc  metre 

Une  estoirc  auques  ancienne 

Oui  estrô  est  de  genl  paieiuir. 

Iji  ystoire  csi  ri  bone  el  I>«1«- . 


EXTRAITS 

Tozjors  devroit  estre  novele; 
Car  j.unèz  ne  doit  devenir 
Celé  dont  grans  biens  puet  venir. 
.1.  blans  moinnes  de  bone  vie, 
De  Haute-Selve  l'abaïe, 
A  ceste  estoire  novellée; 
Par  biau  latin  l'a  ordenée. 
Herberz  la  velt  en  romanz  trère, 
Et  del  romanz  .i.  livre  fere, 
El  non  et  en  la  révérence 
Del  filz  Phelippe  au  roi  de  France 
Looy,  c'om  doit  tant  loer  ! 
Car  li  filz  Deu  le  volt  doer 
De  proesse  et  de  vasselaige. 
Mult  est  vaillanz  de  son  aaigo  ; 
Ne  je  ne  puis  nului  véoir 
Où  ma  peine  puist  muez  seoir. 
Por  s'onnor  encomencerai, 
Ceste  estoire  enromancerai . 
Mult  seré  lie  et  à  grant  èse, 
Se  je  di  chose  qui  li  plèse. 
Lonc  l'estoire,  me  doint  voir  dire 
Cil  ki  de  tôt  est  mestre  et  sire  ! 
Seingnor,  au  tons  anciennour  , 
Estaient  clerc  de  grant  valour. 
Toute  lor  estude  metoieot 
En  ce  dont  ils  s'entremetoient. 
Qu'il  en  déisscnl  vérité, 
El  toute  la  prospérité 


DE  DOLOPATHOS.  I  '■'* 

De  qanq'à  barons  aveuoit. 
Cornent  chascuns  se  maintenoit 
Et  les  oevres  ke  il  fesoit; 
Cornent  li  roi  se  conbaitoient. 
De  ce  se  souloienl  pener 
Qu'essample  péussent  doner 
A  ceus  ki  après  eus  venissent, 
El  ke  il  autretel  féissent. 
Cil  bon  clerc  mult  se  travcillèrent, 

Mes  grans  honors  i  gaaignèrent; 
Q' a près  lor  mors  flrent  la  genl 

.iii.  ymaiges  d'or  et  d'argent, 

Et  corne  Dex  les  aorèrent, 

Por  le  grant  sens  q'en  aus  trovèrent  ; 

Saige  clerc  furent  et  séné. 

Maint  autre  se  sont  puis  pèné 

D'autretel  1ère  comme  il  firent  ; 

M. lis  fors  de  lor  manière  issirenl, 

Car  lor  estuides  atornèrent 

As  mençonges  k'tl  controvèrent. 

Il  lessièrent  la  vérité, 

Et  si  disiront  la  fausseté. 

Cbascun  son  vouloir  en  fesoit 

Tout  cinsi  comme  li  plcsoit. 


Mon  petit  sens  vueil  esprover, 
Se  je  puis  tant  en  moi  trovei 


1  58  KX  TRAITS 

Que  l'ystoire  ne  soit  périe, 
Qui  tant  est  de  grant  seignorie. 
Vérité  dire,  se  je  puis, 
Selonc  ce  k'en  l'estoire  truis. 
Et  se  je  n'en  faz  bien  ma  rime, 
Ou  consonant  ou  léonime, 
Nus  hom  porce  mal  n'i  entende, 
Emçoiz  li  proi  ke  il  m'amende 
Jusc'à  tant  k'il  oient  la  Gn. 
Car  se  je  bien  mueure  de  fin, 
Je  n'en  dois  pas  estre  repris  , 
Se  d'aucune  chose  mespris. 
En  la  fin  doit-on  loer  l'uevre , 
Et  ce  ke  bon  est  bien  se  prueve. 

Extrait  n°  2,  F1  318,  col.  I1 

A  icel  tans  à  Rome  avoit 
Un  philosophe  ki  tenoit 
La  renoraée  de  clergie. 
Sages  fu  et  de  bonc  vie; 
D'une  des  citez  de  Sezile 
Fu  nez  ;  on  Papeloit  Virgile  ; 
La  cité  Mantue  ot  à  non. 
Virgile  fu  de  grant  renon  : 
Nus  clers  plus  de  lui  ne  savoit  ; 
Por  ce  si  grant  renon  avoil, 
Onkes  poêles  ne  fu  lex 
S'il  cré. M  k'il  ne  fus!  r'un^  |)e\. 


1)1     DOLOPATIIOS.  1f>9 


Le  roi  de  Virgile  souvient, 
Et  dit  qu'envoier  li  covient  : 
Il  velt  q'avec  sei  le  reteingne, 
Des  ars  l'entrcdiue  et  enseigne. 
De  ce  parlèrent  seur  mengier, 
Et  souvent  font  lors  mes  changier. 
Ne  sai  porqoi  vos  devisasse 
Toz  les  mes,  ne  porqoi  musasse  : 
Cornent  il  vindrent  un  à  un  ; 
Mes  ge  vos  devis  toi  à  un, 
G'onkes  cort  plenière  ne  vi 
Où  lui  fuissent  si  bien  servi. 
Mult  ot  li  rois  longue  mesniée  , 
Preuz  et  cortoise  et  enseigniée. 
De  .iiii.  contes  fet  messaiges, 
Des  plus  vaillans  et  des  plus  saigos, 
En  cui  il  ot  greingneur  liance  ; 
Car  se  fust  folie  et  enfance, 
Se  son  seul  enfant  otroiast 
A  gent  où  il  ne  se  fiast. 
Ne  poist  plus  loiax  avoir, 
iMult  riches  dons  et  grant  avoir, 
Et  son  fil  envoie  Virgile. 
Einsoizk'il  issent  de  la  vile, 
Lear  a  dit:  Seigneur,  vos  iroiz 
A  Virgile,  si  li  diroiz 
Que  mon  seul  enfant  li  envoie  : 
Je  me  fi  mult  en  lui  et  «roi. 
Se  ne  m'i  créasse  el  Baissé, 


160  EXTRAITS 

En  nul  sens  ne  li  envoiasse. 
Or  li  dites  ke  je  li  proi, 
Por  toz  les  Dex  en  cui  je  croi, 
Que  mon  fil  me  garten  tel  guise, 
Por  guerredon  et  por  servise, 
Qu'ennui  ne  maxne  li  aveigne; 
Et  toz  les  .vij.  arz  li  apreignc, 


Tant  ont  li  mesaige  entendu 
A  leur  voie,  ke  descendu 
Sont  à  Rome,  à  l'ostel  Virgile. 
Il  ne  vivoit  mie  de  guile, 
De  barat,  ne  de  mauvestié. 
Plus  courtois,  ne  plus  afetié 
Ne  convint,  en  nule  manière. 
Assiz  estoit  en  sa  chaière  : 
Une  riche  chape  forrée, 
Sans  manche,  avoit  afublée; 
Et  s'ot  en  son  chief  un  chapel 
Qui  fu  d'une  mult  riche  pel. 
Tret  ot  arrier  son  chaperon. 
Li  enfant  de  maint  haut  baron, 
Devant  lui,  à  terre  séoient, 
Qui  ses  paroles  entendoicnl. 
Et  chascun  son  livre  tenoit, 
Einssi  comme  il  Icscnseignoil. 


DE  DOLOPA  rHOS.  101 

Exi  RAI  I     N"    3,    F"    32i,    COL.    1'   . 

Kntor  Virgile  otjà  esté, 
Et  par  yver  et  |)ar  esté, 
Luceniens  .vij.  ans  entiers. 
Et  tant  oi  apris  volentiers 
Que  trop  fu  bon  cler  à  devise, 
Si  rnm  dans  Jehuis  nos  devise 
Qui  en  latin  l'estoire  niisl  ; 
Et  Herbers  ki  le  romans  fist, 
De  latin  en  romauz  le  trest. 
Ce  fu  el  tenz  que  la  fleur  nest, 
El  mois  de  mai,  une  ve<prée: 
La  fuelle  pet  t,  et  la  rousée 
Monte  scur  l'erbe  ki  verdoie; 
Que  li  rossignox  moine  joie 
Et  fet  si  douce  mélodie. 
,Fà  n'iert  si  longuement  oie 
Qu'ele  doie  grever  ne  nuire. 
\  irgiles  lu  aie/,  iléduire, 
O  lui  meine  .ij.  COmpaigDOIlS 

Dont  ge  ne  s.ii  nuiiin   les  noas  ; 

Assez  ot  belle  compaingnie. 

Lucinicns  n'i  ala  mie. 

lùnz  est  entrez  en  nue  chambré  : 

D'astrenomie  li  remenbre. 

Sun  huis  ferme,  son  livre  pris) 

Que  ses  roestres  Virgiles  Bst. 


H>2  EXTRAITS 

Toute  sa  pensée  i  a  mise, 

Les  reugles  en  cerche  à  devise. 

Quant  il  ot  toute  l'art  léue, 

Li  sans  et  la  color  l'en  mue , 

Li  cuers  li  faut,  et  tuit  li  membre  : 

Souvins,  en  mi  leu  de  la  chambre, 

Chiet  pasmez,  sus  le  pavement. 

.1.  cri  gitasi  hautement, 

Si  orrible  et  si  dolerex 

Que  luit  cil  furent  poerex, 

Qui  la  voiz  en  ont  antendae  : 

Mult  avoit  mestier  d'ajue. 

Adonc  sailli  sus  la  mesniée 

Toute  esbaihie  et  corrouciée  : 

Et  li  voisin  i  acorrurent 

Qui  dolent  et  esbahi  furent; 

Et  demandent  ke  cenefle 

Celé  voiz  k'il  orent  oïe. 

Plus  longuement  ne  s'atargièrent 

L'uis  de  la  chambre  pécoièrcnt. 

Lucenien  i  ont  trové 

Si  malade  et  si  agrevé 

Q'envers  gist,  sus  le  pavement. 

A  lui  viennent  haslivement  : 

Corne  home  mort  gésir  le  virent  ; 

Le  Iront  et  le  |>iz  li  sentirent, 

Merveille  se  desconforlèieni 

Que  point  d'aleine  n'i  trovèrenl 

Mes  .i.  pou  de  chaleur  avoil 


ni    DOLOPATHOS.  163 


Entor  le  eue?  ki  ce  movoil 
Et  pooisoit  miilt  febleirieht; 

Tint  plurent  por  lui  tendi fiin-ui 
Là  lu  venu/.,  par  aventure, 
.i.  saiges  clers  ki  la  nature 
Ue  lisiipie  toute  savitit. 
El  conoit,  lues  ke  il  le   voit, 
Ke  par  la  dolour  de  tristesre 
Li  est  venue  tele  destresce. 
Quant  la  dolor  le  nier  argue, 
Le  sang  ki  del  cuer  se  remue, 
Et  des  menhres  à  lui  atret, 
Et  cil  sans  l'esperit  ne  lel 
ISSUZ,  n'alei   la   voie  droite, 
Por  la  voie  k'il  trueve  eStroite, 
Dont  l'et  cil  sans  le  ciier  enfler. 
Et  en  tel  manière  esch  tufer, 
Puis  ke  li  espirs  lors  n'en  vieil!, 
Que  l'orne  pasmer  en  convient  : 
lssi  estoit  Lucenienâ. 
Dont  vint  li  bons  fisicîéna  : 
Froide  eve  et  ch  unie  a  demandée, 
Ele  li  fusl  tost  aportée. 
Lucinien  list  liait  lever, 
El  les  picy.  et  les  meins  laver 

lie  celi  eve  ki  tu  Ironie  ; 

La  froideur  la  cbalor  n  froide 
Et  la  froide  eve  ravetitue 
La  chalor  ki  esl  descendue  . 


(il  EXTRAITS 

A  lui  tret  le  sanc  et  apele. 

Puis  prant  lainne  blanche  et  neveUe 

En  l'eve  chadete  l'a  mise  , 

Deseur  le  piz  li  a  assize, 

Si  comme  .i.  enplaistre  frist. 

Por  ce  la  chaleur  i  assist, 

Qui  le  sanc  de!  cuer  remuaist 

Et  par  les  veines  s'avoiaist , 

Et  ralaist  en  son  droit  estaige  ; 

Issi  le  font  cil  ki  sont  saige. 

Puis  prent  espices  glorieuses  , 

Soeffleranz,  et  précieuses  ; 

Mult  bien  et  bel  s'en  entremis!, 

A  la  bouche  et  au  nez  li  mist, 

Por  l'esperite  fors  atrère, 

Et  por  le  chief  conforter  fère. 

Tôt  maintenant  k'il  ot  ce  fet, 

Li  sanz  en  son  droit  leu  se  tret  ; 

La  color  li  est  revenue, 

Ses  mains  et  ses  manbres  remue. 

Dont  se  dresce,  si  c'est  assiz  ; 

Esbabiz  fu  et  mult  pensiz, 

Quant  il  a  tant  de  gens  véues, 

Qui  là  furent  por  lui  venues. 

El  bien  punit  sa  mesestance 

\  son  vis  et  à  sa  semblant  i 


DE  DOLOPATHOS.  1  65 

Extrait  >u  4,  f°  348,  col.  2. 

Dolopalhos  se  réconforte, 

Tote  s'espérance  estoit  morte. 

Moult  loe  le  conseil  et  prise, 

Et  dist  ke  bons  est  à  devise  ; 

Et  moult  mcrcie  la  reine, 

Moult  grand  guerredon  l'en  destine. 

Et  de  s'amor  moult  l'asséure  : 

Par  tout  ces  Dex  li  dit  et  jure 

Que  son  reigne  li  partira, 

Tote  la  moitié  l'en  dorira, 

Se  la  parole  li  puet  rendre 

Séurcment  s'i  puet  ,-itendre. 

La  reine  reniant  en  meinne, 

Moult  ce  travaille  et  moult  ce  poinne. 

I,i  rois  a  ces  barons  mandé 

Et  toz  ceuz  de  la  cort  commandé  : 

JuSC'à  .Vll.jors  envient  atemlte. 

Car  il  ne  puet  or  pas  entendre 

A  Lucenicn  coronner  ; 

D'autre  chose  l'estuel  penei . 
Une  autre  besoigne  a  &  feré 
Qne  tout  premier  li  COvienl  ti-i  «•  ; 

El  puis  ke  li  rois  le  commande, 

\'i  i  si  hardi  ki  n'atande. 

1,.i  reine  l'en  fan  I  en  meinne  : 

Grant  travail  i  mel  et  granl  pein, 
Qu'elc  puisse  covenl  tenu 


16<)  EXTRAITS 

Ses  damoiseles  fel  venir, 

A  ver  eles  l'acompaigna. 

Et  si  lor  disl  et  enseigna 

Que  tôt  son  voloir  li  féissent, 

Et  tôt  lorpooir  i  méissent. 

Par  toute  la  cité  manda 

A  li  venir,  et  comanda 

Les  plus  cortoiscs  damoiseles 

Les  muez  dancenz  et  les  plus  Jm-Ic-  : 

Toutes  celés  ki  muez  chanloienl . 

Et  ki  plus  douée  voiz  avoient. 

Biax  joax  lor  donc  et  promet  : 

0  ses  damoiselles  les  met. 

Vestir  les  fet  apertement  ; 

Prie  et  commande  douccmeiil 

Et  par  amor  et  parmenaice, 

Que  chascune  son  pooir  iai< •<■. 

Tout  adès,  par  jor  et  par  nuit. 

Onkes  ne  lor  griet  ne  ennuil 

De  déduit  et  dejoiefere, 

Tout  ce  par  c'om  puet  home  alrere  . 

Et  l'ère  plus  enlalcnte 

D'amors  et  de  sa  voleoté. 

\ule  honte  ne  les  reteigm  ; 

Chascune  entre  ces  braz  l'e$traingne, 

\  loi  s'otroil  chascune  et  doigue, 

De  toul  en  tout  s'i  abancjpignc. 

Les  damoiseles  li  olroieni  ; 

Ki  pni  ce  ke  plus  bêles  soient . 


DE    DOLOPATHOS.  I  fi~ 


Se  vcslent  moult  apertemenl 
Kt  lacent  envoisiéement. 


Moult  bien  s'al'etent  et  atirent. 
A  moult  grant  joie  le  servirent 
Si  corn  la  reine  romande  , 
N'i  a  nule  ki  i  entande. 
Vilenie  ne  lait  ne  honte, 
Tout  ce  keà  tel  oevre  monte, 
Font  nuit  et  jor,  et  soir  et  main. 
Séurcment  metent  lor  main 
Par  tout,  et  aval  el  amont. 
Chascunc  le  bese  et  semonl 
\u  geu  d'amors  et  de  desduil  ; 
Mes  De  l'ont  |i;is  truve  bien  duil 
Ne  d'acoler,  ne  de  besfer, 
Ne  de  cointe  damé  àiesier. 
Devant  loi  dancenl  el  envoisent, 
De  joie  fere  ne  se  misent  : 
Toz  les  déduit  li  l'ont  olr 
Par  corn  pas)  borne  resjolr  : 
Gigues  el  harpes  el  vicies. 
Et  les  plus  comtes  damoiselea 
Li  donenl  chapiai  el  Borates  : 
Roses  et  lis  el  viotetes 

Li  pcndcnl  environ  son  lit. 

Toute  la  joie  el  te  <lelii 

Li  fonl  trestoutei  el  li  donenl  ; 


168  EXTRAITS 

De  tout  en  tout  s'i  abandonenl. 

La  reine  nièisrnetnent 

S'en  entremet  moult  durement, 

Por  ce  q'au  roi  l'a  encovent. 

Fors  vins  li  fet  boivre  sovent, 

Por  eschaufer  et  esmovoir 

A  joie  et  à  parole  avoir; 

Car  cil  ki  ont  assez  béu 

Sont  plus  de  legier  decéu, 

Et  plus  parolent  volcntiers. 

Cil  ce  gardoit  en  dementiers. 

Mes  la  garde  i  est  moult  grevainne, 

Moult  est  grant  tonnent  et  grant  peinue 

De  vivre  entre  ces  ennemis. 

Cil  est  entre  les  serpanz  mis 

Qui  moult  le  poignent  et  travaillent. 

Et  qui  de  toutes  pars  l'asaillenl  ; 

Il  gisl  el  feu,  «'I  il  a  art  mie. 

Je  cuit  ke  je  faz  vilenie 

Qant  serpanz  apel  daraoiseles 

Qui  tant  errent  plesanz  et bdes, 

Corn  ne  pot  mieux  vaillans  trovei  ; 

Mes  ge  le  puis  per  de  prover, 

Per  ce  le  prouvera  por  voir  : 

Li  serpenz  a  plus  de  savoir 

Que  nule  besle  par  nature. 

I  le  Lesmoigne  li  escniure. 

Ausi  esl  la  famé  trop  saigi  . 

F.l  p;ir  nature  el  par  USaige, 


DE    DOLOPATHOS  1  (>9 

D'ome  décevoir  et  atrère 
For  son  bon  et  son  voloir  fere. 
Moult  set  famé  d'engin  et  d'art. 
C'est  li  fens  ki  tout  cuit  et  art. 
Entre  eles  est  Luceiniens, 
Bien  le  tienent  en  lor  liens  ; 
En  lui  ne  truevent  nul  confort. 
Ne  cuit  k'il  ait  céans  si  fort, 
Ne  si  durs  ki  ne  fust  ploiez, 
Et  contre  eles  amoloiez  ; 
Qu'eles  estaient  à  devise 
Si  très  bêles,  q'à  nulc  guise, 
Ne  porroit-on  trover  ne  querre 
Lor  parnillcs,  en  nulc  terre 
Bien  savoient  à  chief  *enir 
De  tout  ce  ki  puet  avenir 
\  ..moi ,  cl  si  s'en  penoient 

De  tout  le  muez  k'eles  pooient 
Luceinien  lu  de  graot  force  : 
Durement  se  peine  et  esforce 
Qu'il  ne  soil  en  tin  decéui. 
Il  esl  moult  bien  aparcéui 
Qu'eles  fonl  tool  ce  par  conseil  ; 
El  de  ce  le  plus  me  merveil 
Qo'eles  nel'  poeent  décevoir. 
Il  conoisl  bien  ci  set  de  voir, 
Que  lune  sel  plus  d'arl  ke  nus. 
Mes  ne  viiclt  pas  estre  conclus  ; 
Em7  se  garde  monll  saigcmenl , 


170  EXTRAITS 

Et  maint  en  son  proposcment 
Que,  por  la  graice  et  por  l'amor 
l><l  roi  son  père  et  son  seignor, 
Et  por  eus  prover  et  savoir 
S'il  puet  tant  de  vertu  avoir, 
Toute  lor  volentè  fera, 
Ne  jà  por  ce  ne  parlera  ; 
Fors  tant  k'il  ne  souferra  mie 
Le  geu  ki  torne  à  vilenie. 
Moult  sera  liez  en  son  eoraige, 
Se  il,  ki  juennes  est  d'aaige, 
Puet  restraindre  sa  volenlé 
Dont  maint  viellart  sont  assoté. 
Bien  set  s'il  est  de  ce  vencuz. 
Que  perciez  sera  ses  escuz, 
Ses  haubers  rons  et  démailliez  ; 
Et  ce  dont  tant  s'est  travailliez. 
Aura  puis  moult  put  de  durée. 
Faussez  sera,  sanz  demorée, 
Le  don  ke  son  mestre  ot  promis 
Moult  i  a  bien  son  pensé  mis, 
Et  si  ce  maintient  lieement 
Entr'eles  et  cortoisemeot, 
Et  rit,  et  fet  moult  bêle  ehière, 
Et  Bueffre  toute  lor  manière, 
Leur  dit,  et  leur  geu,  et  lor  fet. 
Fors  ce  ki  à  dire  ne  Tel. 
\  dénie  ne   vuelt   il  1ère, 
Ne  parole  n'en  pijel-mi  lui. 


M       ItOI.Ol'AÏ  HO  IT1 


En  nul  M'ns,  n'en  nule  devise. 

.Ij.  jnl's  i   onl   lui    peiline  H1IM\ 

Gastée  li  ont  et  perdue  ; 
hsi  est  la  chose  avenue. 


La  roïne  est  formeni  dolente 
Kant  ele  pert  einssi  s'en  tente, 
Et  la  grant  peine  kYle  i  met. 
Dedenz  son  cuer  dit  el  promet 
Que  de  son  cuis  li  Fera  don, 
Toute  s'i  metra  à  bandoh, 
Einz  k'ele  n'ait  sa  volenté. 
Bien  a  le  cuer  optalenté 
Que  Luceinien  parler  faice  . 
Et  por  le  roi,  et  poi  sa  praire  ; 

<  >u  ele  parler  le  fera, 

<  Mi  jajnès  liée  ne  sera. 

Puis  ke  famé  enprenl  nne  chose, 
Moult  à  envi/,  dort,  ne  repose, 
Tant  k'ele  en  puist  à  çhief  venir, 
Que  q'après  en  doie  avenir. 
La  reine  ki  moull  ce  prise, 
\  ceste  chose  eissi  emprise  : 
\<T  lera  pas  à  tant  alei . 
i  >n  iinit  moult  bien  de  li  pai  lei 
Trop  eri  bêle  outre  mesure  : 
Blonde  es  toit  sa  chevelénrc  ; 
Front  f)t  pi  un,  ri  sorril/  h 


\~? 


EXTRAITS 

Ses  vis  ne  fu  mie  retis  ; 
Que  flors  de  lis,  ne  fleur  de  rose 
A  son  vis  semblast  nule  chose. 
Eulz  riant,  nés  tel  par  devise  ; 
Petite  bouche  bien  assize. 
Ele  estoit  moult  plesanz  de  vis, 
Et  de  son  cors.  Tant  vos  devis 
Q'ainz  nule  famé  ne  fut  née 
Qui  de  cors  fust  si  bien  formée. 
ÏVe  fu  trop  grans,  ne  trop  petite  ; 
De  si  boin  point  fu  à  eslitc, 
Coin  nus  hons  vos  sauroit  retraite, 
Nus  ne  la  sauroit  muez  portraire. 
Trop  fu  apertement  vestue 
D'une  chemise  estroit  cousue, 
En  braz,  et  par  les  pans  fu  léc, 
Déliée,  blanche  et  ridée. 
Pelice  ot  lègièn  et  sanz  manche  ; 
La  char  k'ele  ot  bcle  et  blanche 
Par  mi  la  manche  li  paroit. 
D'un  vermeil  samis  cote  avoit, 
Et  mantel  et  d'un  drap  défrise 
Donl  la  pane  ne  fu  pas  grise, 
Mes  toute  de  dus  d'erminetes 
Déliées,  blanches  el  netes. 
En  alaiches  et  en  lassiax 
<  )i  Hors  entre  tes  à  oisiax. 
Li  mantiax  fu  de  granl  valor  : 
\  esluz  estoil  d'une  color, 


DE    DOLOPATMos  17:'» 


De  tantes  colors  i  a  voit 
Que  nus  bons  dire  nel'  savoit. 
Et  sj  erent  si  entrelaciées, 
Et  par  tel  meslrie  afetiées, 
Que  cil  fust  perduz  ou  deffez 
.lamés  tic\  ne  fust  cootrefez. 
Li  mantiax  moult  bien  li  avint 
Et  tiex  f'u  com  à  li  covint. 
Trop  fu  vestue  a  portement 
Trop  li  sist  bien  avenanment. 
Et  ele  iert  toute  desliéo, 
Ets'estoit  d'un  fil  d'or  tresciée, 
Mes  si  bel  crin  plus  reluisoient 
Que  li  ors  dont  trecié  estoient. 
Car  il  estoient  crespé  et  tor. 
I-- f i  son  chief  ol  .i.  cercle  d'or, 
Pierres  précieuses  et  chièrres, 
A  flors  de  diverses  manières. 
Moult  tu  cortoise  et  afetiée 
Et  de  parler  bien  enseigniée. 
Et  si  vair  eul  ce  rerno  Voient 
Qui  si  doucement  regardoienl  ; 
C'estoitavis  k'il  Iresperçaisseol 
Quel  ke  chose  k'il  esgardaissenl 
Saichiez,  se  vos  le  véissiez, 
l'or  voir  à  certes  cuidissiez 

Qu'ele  fust  bêle  ke  llcleimn- 

Por  (in  Paria  sonfri  tel  peinae. 

l-insi  vestue  et  ascemée, 


lïi  EXTRAITS 

S'en  estdedenz  lu  chambre  entrée 
Les  damoiseles  s'en  issirent 
Tôt  maintenant  k'eles  la  virent. 


La  reine  la  chambre  ferme, 
Qui  moult  estoit  ccrteine  et  ferme 
Des  engins  et  des  (Jars  d'amors. 
Se  bien  ne  se  garde  à  ces  tors 
Luceiniens,  jà  iert  mal  mise 
La  promesse  k'il  ot  promise. 
Car  ele  le  tient  à  s'escole. 
Doucement  le  bese  et  acolc, 
Entre  ces  braz  soef  l'eslraint, 
Durement  l'engoisse  et  destrainl. 
Ele  ne  tient  pas  la  main  cote., 
Met  par  tout  la  met  et  envoie 
Lai  où  plus  eschaufer  le  cuide  ; 
Grant  peinne  i  met  et  grant  estuide, 
Nu  à  nu  le  bese  et  àtouche. 
Sachiez  ke  la  mains  et  la  bouche 
Ont  moult  de  pooir  à  leile  oevre. 
Toute  s'abandone  el  dèscàevre, 
Mes  Luceinien  la  refuse. 
Ele  n'esl  pas  por  ce  confuse 
Einçoiz  a  pressé  plus  l'cnfan-t, 
De  tant  comme  il  plus  ce  deffant. 
Einssi  l'a  pressé  sanz  séjor, 
El  destrainl  per  nuit  et  per  jor. 


DE    DQliOPATHOS  17') 


Mes  ne  s'esl  pas  apercéue 
Jusq'à  tant  qu'ele  est  deçéue  ; 

Ele  le  cuiduii  décevoir, 

Par  son  senz  el  par  sun  savoir, 

Par  sa  joie  et  par  son  soulaz  : 

Mes  ore  est  chêne  en  ces  la/., 

Amors  fera  de  li  juslise, 

Qui  moult  durement  la  juslise 

Ele  li  est  el  cuer  entrée, 

Or  li  fera  paier  entrée. 

Elle  tient  el  cil  n'en  a  cure, 

Tant  li  est  plus  aspre  et  plus  dur< 

I,  i  dolors  ki  d'aniors  II  \irnl  : 

Maugrè  li  amer  li  envient 

Por  la  biaute  k'eu  lui  vèoit, 

.sa  .^r.iiit  bianté  le  decevoit  ; 

Car  ge  ne  cuit  c'onkes  nature 

Féist  plus  bêle  créature. 

Ne  sai  por  quoi  jel'  vus  devis 

!><■  menbres,  «le  cors  et  de  \  is, 

Et  d'eux  el  de  cheveleure, 

Fu  il  trop  biax,  outre  mesure. 

Qanl  la  reine  voil  5a  1 1 

Dont  ne  sel   ele  k'clc  I  lice. 

Car  tant  per  est  cleie  el    \erineille 

Qu'ele  ineisine  s'en  merveille; 
Tant  la  perdestraint  durement 

(  !e  k'ele  sent   lot   nuellielli  . 

Sa  'lui  ki  tant  est  lemlic  ■  i  lilanclie. 


176  EXTRAITS 

Son  col,  et  son  piz,  et  sa  hanche. 

Et  plus  l'estraint  et  plus  le  bese, 

Tant  est  ele  plus  à  uialese  ! 

Qant  ele  plus  n'en  puet  avoir  ; 

Et  tant  vos  di  ge  bien  de  voir, 

Q'amors  la  destraint  si  et  donte 

Que  point  ne  li  souvient  de  honte. 

Bien  vousist  fere  apertement 

Ce  ke  cil  deffent  durement 

Et  bien  le  soufrist,  ;  anz  mentir, 

Se  cil  lé  vousist  consentir. 

Ore  est  la  reine  sorprise 

D'amors  qui  trop  l'art  et  atise. 

Li  rois  de  son  fil  li  demande, 

Et  ele  H  dit  k'il  amende  ; 

Bien  cuide  q'cncor  parler  doie 

Moult  en  perra  li  rois  grant  joie, 

Ne  fust  si  liez  por  nul  avoir. 

La  reine  ne  puel  avoir 

Kepos,  car  amors  la  destraint. 

A  l'enfant  revient  et  l'estraint  ; 

Entre  ces  braz  soef  le  prent , 

Com  plusl'enbraiceel  plus  l'esprent  ; 

Son  douzami  le  nomme  et  clame' 

N'est  pas  en  son  senz  ki  trop  ainniic. 

Cil  croit  k'ele  soit  forsenée, 

(,);int  il  la  voit  si  eschaufée 

\  maleseen  est,  et  senz  donte 

A  .ii.  mains  loing  de  lui  la  boute 


m     DOLOPATHOS.  177 


Coin  plus  la  boute  et  plus  revient, 
Car  de  line  amor  li  souvient, 
Oui  si  la  destraint  et  enguisse 
Qu'ele  ne  set  ke  1ère  puisse. 
Grant  duel  en  a  et  grant  contrère, 
Qanl  il  ne  well  son  voloir  fere. 
Dolanteen  esl  el  trespansée. 
D'autre  Those  s'esl  porpansée: 
Par  berbeel  par  proposement, 
Velt  fere  son  enchantement. 
Sessorz  et  ces  charmes  atrempre 
Et  ces  herbes  trible  et  destrempre  ; 
O  le  vin  li  velt  1ère  boire, 
r,c  ilii  el  conte  li  estoire, 
Qu'il  set  tout,  par  astronomie, 
Qant  k'ele  fet,  si  n'en  boil  mie. 
Ne  li  charmes  ne  li  puct  fere 
Chose  ki  li  viegne  à  contrère. 
Quant  la  rolne  a  ce  vèn 
(tue  par  ce  oe  l'a  decéu, 
Mont  par  esl  «'le  trop  dolente. 
Ele  plore  el  si  se  dément*  : 
Ha  !  fet  ele,  lasse,  chétive, 
Dolente,  por  coi  ^  1 1  î  -  j  <  ■  vive  ? 
Trop  soi  decéue  el  sorprise  ; 
Trop  m'a  cil  mai  d'amors  esprise. 

.l'aini,  celui  ki  de  moi   n'a  cure  ; 

Mil  !  i  isse  !  quele  aventure. 

le  l'uni  el  il  ne  m'aime  une  ; 


178  EXTRAITS 

Bien  m'a  amors  morte  et  traie, 
S'einsi  me  dure  longuement. 
Mes  ge  ne  puis  véoir  cornent 
Ce  me  puist  longuement  durer, 
Car  ge  neP  porroie  endurer. 
Volentiers  l'entroublieroie, 
Mes  entroublier  nel'  porroie; 
Car  ki  bien  ai  mine  antièrement 
N'oublie  pas  legièrement. 
Et  ge  l'aim  de  tôt  mon  pooir  ; 
Et  si  ne  puis  chose  véoir 
Par  qoi  ma  volentei  en  aie, 
C'est  la  chose  ki  plus  m'esmaic 
Herbes,  ne  poisons,  ne  racines, 
Ne  charoies,  ne  médecines 
Ne  m'i  pueent  néant  valoir, 
C'est  ce  ki  plus  m'i  fet  doloir. 
Ne  force  ne  m'i  puet  aidier  : 
Je  ne  puis  contre  lui  tencier, 
En  nul  senz,  n'en  nule  manière, 
Se  ge  n'esploit  par  tnà  proîèrè 
Dont  ne  puis  ge  pas  csploiiicr, 
Amors  le  me  fetcovoilier. 
Nuit  et  jor,  or  esprovcrai 
Se  par  proière  exploiterai. 
\  tant  est  en  la  chambre  entrée, 
Tote  dotante  et  esploree. 
I  rop  lort  le  destrainl  et  alise 

Pine  amor  Ki  l'art  el  justise. 


Di.    bOLOPAÎHOS  179 

Ele  oe  lesse  ne  réponse  ; 
Plus  lu  vermeille  .'une  rousë. 
Après  li  clost  Fuis  et  ferma  ; 
A  celui  vint  qu'elo  ;ira;i, 
En  plorant,  dist  :  Amis,  merci  ! 
C'est  vostre  amie  ki  est  ci, 
C'est  celé  ki  vos  sert  et  aimnie. 
A  vos  ce  plaint,  à  vos  ce  clame, 
Or  li  fêtes  de  vos  droiture. 
Ele  a  si  mise  en  vos  sa  cure, 
Sensetpooir,  pensée  et  cuer, 
Que  sanz  mort,  ne  puet  à  nul  l'uer, 
Eschaper  de  vostre  prison, 
Se  par  vos  n'en  ai  guerison. 
Vos  estes  sa  mort  et  sa  rie, 
Aiez  merci  de  vostre  amie! 
Car  se  vos  merci  n'en  aVez, 
Outréemenl  morte  m'avez. 

Et  nel'  tenez  à   vilenie 

Ce  qu'ele  vos  requiert  ei  prie. 

Ce  tet  fere  amors  el  commande, 
Vos  savez  bien  k'ele  demande: 

Douez  li  cornent  k'il  iviegnc, 
Ou  mis  soufrez  k'ele  le  preigue. 
Moullz  II  dis)  plus  ke  je  ne  «Il  : 
i>les  onkes  cil  ne  respomli, 

Einz  (ei  niés  la  sorée  oreille*. 

La  roïne  trop  se  merveille 
<Mn  si   le  voit  hcl  el    ipei  l 


ISO  EXTRAITS 

Tote  s'esbaihist  et  espei  t  ; 
Et  li  sans  del  vis  li  remue, 
D'angoisse  tremble,  et  si  tressuo. 
Ele  le  prent  et  si  Pembraice, 
Vers  soi  l'estraint,  et  si  l'enlaice. 
Jà  en  féist  tôt  son  voloir 
Qui  q'après  s'en  déust  douloir. 
Se  trop  bien  ne  se  desl'endist 
Cil  ki,  por  ce,  nul  mot  ne  dist. 
Ne  li  vaut  on  nule  manière, 
Enging,  ne  force,  neproière. 
Tant  est  ele  plus  desconfite 
El  plus  dolente  et  plus  afflite. 


La  reine  granl  duel  demeinne  ; 
En  la  seuc  chambre  demeinne, 
A  ces  daimoiseles  menées 
Qui  plus  turent  de  li  privées, 
Et  ki  toz  ces  conseuz  savoinii 
Bien  seivenl,  kant  eles  la  voient, 
Qu'ele  iert  dolente  et  ennuieuse 
Toute  pensive  et  engoissotue  ; 
Lor  dist:  Por  Deu  !  consilliez  moi, 
Por  Deu  !  le  vos  requier  eUproi  ; 
Il  n'est  riens  ke  je  vos  celaisse, 
Je  BUi  toute  dolante  et  lasse. 
A  mon  seignor  covent  avoie 
Que  son  (ilz  parlant  li  rendroie  : 


DE    DOLOPATHOS.  181 


Assez  i  ai  grant  peine  mise, 

(le  ne  puel  es  Ire  en  Mlle  guise, 

Toute  j'ai  m;i  peinne  perdue: 

En  mon  laz  soi  prise  etchéuo. 

>l;iiivescment  m'i  soi  gardée  ; 

Sa  biauté  m'a  teile  atornée, 

Que  je  ne  sai  ke  fere  doie , 

S'il  ne  volt,  jamais  n'aurai  joie. 

Il  est  ma  vie,  et  c'est  m'amors  : 

C'est  mes  deduiz,  c'est  mes  confors; 

Sa  grant  biauté  m'a  decéue, 

Kl  la  douseur  de  sa  char  nue 

Que  ge  sentoie  nucmcnt. 

<  a-  me  gemble  reraiemenl 

Q'el  monde  n'a  si  bêle  chose 

Mes  CUerS  ne  dort.  De  repose  : 
.l'en  pert  le  boivre  et  le  mengicr, 
Je  cuit  por  lui  le  sen  chaingier. 
Je  ne  voi  riens  ki  ne  m'auuit. 
Je  pens  à  lui  et  soir  et  nuit. 
Je  li  ai  dit  et  tel  savoir. 

Ne  \eit  de  moi  merci  avoir. 
!Ve  m'i  valt  rienz  esforcemenz, 
IN'erbe,  ne  jus,  n'cncli.inteineii/.. 
Ne  |iroère  ne  m'i  valt  rien. 
I  inçoii  me  despit  ausi  bien 
Que  s.-  j'estoie  une  trouée. 
Ou  en  Cour,  ou  en  molin  née. 
Ni'  prise  m. mi  m.i  hautesec, 


182  EXTRAITS 

Ne  ma  biaulé,  ne  ma  proesce, 
Ne  m'ennor,  ne  ma  gentillise. 
Et  s'amor  m'a  einsi  sorprise; 
Et  plus  fuit,  et  ge  plus  le  chaz, 
Ne  m'i  vaut  néant  mes  porehaz. 
Sa  biauté  m'a  si  prise  à  Paim 
Com  plus  me  het  et  ge  plus  l'aim. 
Vos  ki  d'amors  oï  avez, 
Conseilliez  moi,  se  vos  savez. 
Ma  grant  dolor  dite  vos  ai, 
Car  ge  conseiller  ne  me  sai  ; 
Et  ce  sai  ge  moult  bien  de  voir., 
Nuns  nel'  porroit  de  ce  movoir. 
.là  n'en  auré  ma  volente, 
Tant  ai-ge  plus  grant  dolente 
Que  jai  de  moi  merci  n'aura, 
Ensi  morir  me  eovendra. 
Je  inorrai  pot  lui  sanz  doutance. 
De  vivre  n'ai  nule  espérance. 
Se  je  ma  volenté  avoie, 
Ne  me  chaudroit  sege  moroie 


La  reine  a  fet  sa  clamoi 

^i  com  celé  ki  pur  anioi 
\iiiune  desmesureeuienl . 
Mmiit  parole  à  li  folémenl . 
El  responl  une  damoisele  : 
Vvoi  !  foie  chose,  fel  ele. 


Dl     DOLOPATHOS.  I  S.! 


Desloiax,  dolente  et  chetive, 
La  plus  chctive  riens  ki  vive! 
Vils  créature  et  forsenée 
Et  honteuse  et  maléurée. 
Moult  as  or  bien  ton  laz  tendu 
Qui  à  tel  home  as  entendu  ; 
A  .i.  tronc  ki  parler  ne  puet, 
Qui  pot  parler  ne  se  remucl 
Ne  ke  se  il  estoit  de  fust. 
.\c  cuit  c'onkes  mes  dame  fust, 
Par  .i.  tel  home,  decéue, 
Il  ne  se  crolle  ne  remue  ! 
Ha!  chétive,  es-tu  oubliée*:' 
.là  es-tu  plus  bêle  ke  fée 
Gentis  dame  de  haut  paraige, 
l'or  qui  pensez  si  graatoutraige? 
Moult  nie  merveil  dont  ce  te  vient  : 
S'il  fust  tex  comme  à  toi  envient. 
■là  certes  ne  m'en  merveillasse  : 
Mes  ainçois  le  te  ronseillaisM  . 
Oestui  ne  doit  lu  pas  amer  : 
.là  ton  ami  nel'  dois  rlamer, 
Car  il  n'est  mie  tes  amin». 
Einz  est  tel  limitez  ennemis. 
Il  te  tondra  totfl  la  terre  ; 
Li  rois  |ior  ce  l'envoi,!  qoerre  : 
!*•»!  ce  l'a-il  têt  amenai 
Que  son  reigne  li  vetl  doner. 
i.i  ci  reigne  ne  pat  tiras, 


(84  EXTRAITS 

Ne  li  enfant  ke  lu  auras  ; 
Il  le  fera  encor  grant  honte. 
Et  de  s'amor  à  toi  ke  monte, 
Puis  ke  il  n'a  cure  de  toi. 
Se  il  n'avoit  cure  de  moi, 
Auroie-ge  donc  de  lui  cure  ? 
N'aie  par  sa  maie  aventure. 
Il  t'a  sorprise  et  decéue, 
Torne  ton  coreige  et  remue  : 
Geste  amor  atome  à  haine, 
Je  n'i  voi  autre  médecine. 
Se  tu  me  croiz,  dame  seras, 
Et  ton  voloir  partout  feras. 
Bêle  dame,  mon  consoil  croi  : 
Li  prince,  et  li  conte,  et  li  roi 
Seront  en  ton  paies  demain  : 
El  tu  te  lèveras  bien  main  , 
Si  coin  tu  seus,  te  vestiras  ; 
Devant  Luceinien  iras 
Toute  seule,  sanz  compagnie. 
Garde  bien  kc  ne  lessier  nue. 
Devant  li  ront  ta  vesiéure, 
Kl  ta  blonde  eheveléure. 
Descire  ta  faice  et  ton  vis. 
Tout  einsi  corn  ge  i<'  des  vis; 
Forment  à  liante  voi/  Pescrie 
Et  nos  le  vendrons  en  aie. 
Nos  vestéures  ramperons, 
Vos  faices  i  ^gratinerons. 


DE    DOLOPATHOS.  185 

Si  haut  crierons  à  ,i.  l'es, 

Que  tout  en  mouvrons  le  paies. 

Si  dirons  kc  il  te  tenait, 

El  à  force  te  demenoit 

Por  fere  de  toi  son  délit  ; 

Et  vouloit  corrompre  le  lit 

Son  père,  maleoit  gré  rien. 

Soies  hardie,  el  bien  le  tien; 

.Muiax  est,  jà  ne  parlera. 

Tes  pères  li  rois  i  sera, 

Ti  frère  et  ti  autre  parant; 

Qui  bien  sont  en  la  cort  parant. 

Et  li  nostre  amin  i  seront 

oui  volentiers  nus  aideront. 


Ne  puis  tut  dire,  ne  fe traire 

Les  grans  max  ke  h  loe  à  faire 

Celé  ki  assez  en  sa  Voit. 

La  reine  ki  ore  avbil 

Kn  l'enfanl  9a  pensée  mise. 

Tant  ke  trop  l'amoil  à  dc\  ise 

Eu  .1  son  coraige  lornè, 

Kl  à  Ce  sou  ruer  atoi  ne 

Que  sa  mort  voudrait  et  sa  honti 
si  l'uni  li  escrrture  conte, 
En  pou  d'oure  esl  famé  muée; 
S'amor  a  moull  pou  de  durée, 
Pâme  se  chainge  en  pelil  d'eure  : 


186  hXTKViïS 

Orendroit  rit,  orendroit  plore, 

Or  chace,  or  fuit,  or  het,  or  aimme, 

Famé  est  li  oisiax  seur  la  ramme, 

Qui  or  descent,  et  or  remonte. 

.\e  vuel  fere  plus  lonc  aconte: 

La  roïne  malin  selieve, 

Mauves  conseil  mainte  foiz  grieve  ; 

Ce  croit,  ke  celé  li  consoille. 

Moult  bien  se  vest  et  apareille  : 

Devant  Luceinien  en  vient, 

.Fà  fera  plus  k'il  ne  convient  : 

N'a  pas  l'enfant  aresonné, 

Onkes  .i.  mol  n'i  ot  sonné. 

De  ces  cheveuz  trère  ne  fine, 

As  ongles  son  vis  esgratine 

Tant  ke  li  sans  cuevre  sa  faice, 

Et  ne  li  chaut  ke  de  li  faice. 

Sa  riche  roube  a  dérompue, 

Tant  ke  sa  char  pert  toute  nue. 

A  haute  voiz  requiert  aie. 

Toute  la  sale  est  estormie  ; 

Ses  damoiseles  à  li  corrent, 

"i  comme  celés  la  se  dirent 

Oui  h''. ni  pas  h  nuise  abessiée, 
Mes  i-slevee  et  essauciée. 
<   »  f  1 1  fors  de!  senz,  crienl  et  braieol . 
Lui  cbevez  rompent  e4  detraient; 
Granl  noise  el  granl  temolte  fonts 
l/i-ui  vis  el  leui  robes  desfonb 


DE    DOLOPATHOS.  I  K~ 


La  dame,  comment  pol  ce  fere  ? 
Qui  i<T  rsiuit  si  deboaere. 

Q'est  la  grans  aniors  devenue':' 
Teil  haine  dont  est  venue? 
Si  grant  hontaige  pur  qui  fel  P 
Que  li  a  li  enfès  forfet  ? 
Jer  l'amoîl  el  or  le  het  tant  ' 
Nule  faim-  rcsuii  n'entent. 
Fors  (Ici  senz  l'estuct  devenir, 
S'ele  ne  puet  à  ehicl  venir 
l><-  fere  ce  k'ele  a  en  pensse. 
Fox  est  que  dit  q;ui U<>  il  pense  ! 


FI  pales  sont  tuit  amassé 
Li  roi,  li  prince  et  li  chasé, 
Et  li  baron  de  la  contrée. 
Une  besoigne  onl  afinée 

Dont  li  nus  ol  li-  jili-l  tenu  , 
l'or  ce  i  t nient  luit  venu. 

Mien  oivnt  tint  l.i  noise  oie. 

Mes  ne  se\ent  ke  M-iielic 

Il  le  sauront   |iioiiieinenieiil  : 

i-.i  reine  vial  fièrement 
Qui  toute  lu  ensanglantée 

De  salit,   et  toute  esrhe\elee. 

Que  deci  as  piei  h  dégoule, 
Rompue  lu  sa  roube  toute, 
\usi  i  mu  s'olc  lusi  balue. 


188  EXTRAITS 

As  piez  le  roi  s'est  estendue, 
Voiant  toz  ceuz  ki  la  estoient. 
Qant  li  baron  eiosi  la  veoient, 
Dolent  en  sont  et  à  malese, 
N'i  a  nul  ke  il  ne  desplese. 
Tantost  l'a  li  rois  sus  drescié 
Et  dist  :  Ke  vos  a  corrouciée? 
Gardez  ke  nel'  me  celez  mie 
Qui  vos  a  fet  tel  vileine, 
Ma  douce  suer,  ma  mie  chière. 
La  roïne  fet  mate  chiere  ; 
En  plorant  sangloute  et  soupire 
Semblant  fet  k'ele  nel'  puct  dire. 
Famé  a  moult  tost  lerme  trovée, 
Et  grant  mensonge  controvée. 
Moult  seit  bien  sa  parole  faindre 
Famé,  kant  ele  se  volt  plaindre. 


La  reine  respont  au  roi  : 
Biaus  sire,  por  amor  de  toi, 
Et  por  l'enncur,  et  pur  ta  grâce, 
Et  drois  est  ke  ton  vouloir  faice. 
Ton  fil  en  ma  chambre  en  menai, 
Mi-  lui  honorer  me  penai  : 
Mes  damoiselles,  sans  sejor, 
Menoienl  feste  nuit  et  jor  ; 
Car  volentiers  l<-  le  rendissenl 
Lie  et  parlant,  s'eles  poissent. 


DE    DOLOPATHOS.  1K!) 

Munit  grant  Icesce  et  mouli  grant  joie, 

Por  l'amor  fie  vos,  en  avoie. 

Qant  gel'  pooie  esbanoier. 

Je  le  fesoie  dosnoier 

A  mes  cortoises  damoiseles, 

As  plus  vaillans,  et  as  plus  bêles 

Tant  ke  ge  sai  eerteinnement 

Qu'il  ce  faint  tout  veraiemi-m 

N'a  pas  la  parole  perdue 

Por  chose  ki  soit  avenue  ; 

Onkes  voir  ne  se  desconforte, 

Ne  por  sa  mère  ki  est  morte 

Ne  por  mestre  k'il  ait  eu, 

Hui  l'ai-ge  bien  apercèu. 

Sire,  «  n  ma  chambre  le  gardoie  ; 

Toute  seule  entrée  i  estoie, 

Por  lui  déduire  et  esjoîr, 

Vos  me  polstes  bien  oïr, 

Qant  il  me  list  crier  et  hrére 
Son  voloir  ciiiila  de  moi  1ère. 
Onkes  nus  bons  ne  vit  maufe. 
Si  tirant,  ne  m  eschanfé  ! 
sire,  ge  oel1  vos  consentit . 

Mes  il  me  iist  ses  cox  sentir. 
Morte  m'éUSt  cl  eSSÏlliée, 

Car  il  m'a  toute  combrisièe, 

Se  nies  pneeles  ne  veiiissenl. 

Ki  s'eies  ne  me  rescoossissent. 
N'eschapaisse  por  nul  pooii  : 


190  EXTRAITS 

Ce  poez  vos  moult  bien  savoir. 

Trop  m'a  vileinnement  batue, 

Ma  char  et  ma  robe  rompue, 

Mes  braz,  et  mon  piz,  et  mon  cors, 

Tout  ke  li  sans  pert  par  defors. 

Et  mes  puceles  ensement 

A  tretiées  vileinnement. 

Qant  vit  k'il  à  moi  ot  failli, 

Tôt  maintenant  les  asailli  ; 

Vos  poez  bien  apertemenl 

Véoiren  nos  Pesprovement. 

Et  puis  ke  la  chose  est  provée, 

Ne  querez  autre  demorée, 

Mes  fête  nos  droite  venjain  <•. 

Ce  ne  fist  il  pas  par  enfance, 

Qu'il  a  assez  cors  et  aaige, 

Si  la  fct  par  son  grant  oulraigc 

Je  di  por  voir  et  bien  le  sai, 

Car  ge  l'ai  prové  à  l'essai. 

Vileinnement  nos  a  treciées, 

Et  bien  nos  en  fussons  vengiées. 

Nul  mal  ferc  ne  li  volsimes 

Fors  q'à  vos  clamer  nos  venimes, 

Et  as  barons  ki  céans  sont. 

Oui  le  forfet  entendu  nul. 

Dire  en  doivent  le  jugement , 

Et  vos  feroiz  le  veWgeriient. 


DK    POLOPATHOS.  191 


Kxikah  in"  5,  f°  387,  col.  2. 

Quant  il  esgardent  vers  le  plain, 
El  virent  .i.  hbmé  venant, 
(ii.inl  et  bien  (et  et  avenant. 
Vicuz  lu  et  blans  com  nois  negiée  ; 
Sa  blanche  barbe  avoit  treciée, 
\  une  tresec  f'u  tresciez. 
Devant  le  roi  s'est  adresciez, 
Seur  .i.  cheval  noir  comme  meure; 
11  ne  s'arreste,  ne  demeure, 
Einz  chevache,  grant  aléure, 
Par  mi  la  presse  ki  inoutl  dure 
Tant  ke  devant  le  mi  descent; 
\  oie  li  firent  plu^  de  .C. 
Langue  ot  legière  et  esmolue: 
Certoisemenl  le  roi  salue, 
Et  les  barons,  et  la  rdlne, 
Et  des  q'en  terre  les  encline. 
Li  rois  son  salu  li  rendi  ; 
Et  cil  dist  :  Biaus  sire,  OT  me  ili 
Ceste  gent  por  qu'es!  assemblée 

A  cil  hons  mile  chose  emblée  ? 

Por  quel  tort,  on  pôr  quel  droiture 
Morra  si  bêle  créature 
Com  gc  voi  lai,  devant  cel  feu? 
Li  rois  responl  :  Sire,  par  Detl  ' 


1^2  EXTRA J  PS 

C'est  mes  filz  ;  puis  li  a  conte 

Cornent  à  l'escole  ot  esté. 

Et  si  li  conta  le  couvine 

Et  la  clamor  de  la  reine  ; 

Et  cornent  les  genz  l'ont  jugie, 

Puis  dist  li  rois  :  Sire,  or  vuel  gie 

Que  vos  me  dites  vérité, 

Quex  hons  et  de  quel  naïté 

Vos  estes,  et  ke  vos  querez  ? 

Dont  venez  vos  et  où  irez? 

Et  cil  respont  :  Sire,  por  voir, 

Je  sui  uns  hons  de  grant  savoir, 

De  la  cité  de  Rome  nez. 

Traveilliez  me  soi  et  pcnez 

Tant  kejesui  .i.  des.  VII.  saiges. 

.Ma  costume  est  et  mes  usaiges 

Que  ge  vois  à  rois  et  as  contes 

Qui  volentiers  oient  mes  contes. 

Je  sai  dire  maintes  noveles 

Et  aventures  vielz  et  novelles. 

Et  si  lor  ai  conté  et  dit 

Meint  bon  essample  et  maint  bel  dit. 

Et  s'il  vos  plesl  à  escouter, 

.1.  essample  vos  vuel  mostrei 

Viel  et  de  grant  subtilité. 

Li  rois  en  ot  grant  volenté, 

Et  chascun  por  oïr  ce  cpise, 

Vi  ot  .i.  seul  ki  féist  noise. 

Moult  volentiers  fti  escoule/  : 


DE  DOLOBATHOS.  ^  93 


.1.  petit  fu  en  hait  nionleiz, 
Et  dist  :  Seigneur,  ça  en  arrière, 
Estoitli  tens  d'autre  manière. 
Et  Rome  la  noble  cité 
N'iere  pas  de  tel  dignité, 
De  tel  non,  ne  de  telc  honor. 
Neporqanl  si  avoit  scignor, 
.1.  roi  ki  moult  iere  preudons, 
Ne  me  souvient  or  de  son  non; 
Mors  fu,  kant  il  ne  pot  plus  vivre. 
Son  roiaume  quitc  et  délivre 
Lessa  .i.  suen  fil  k'il  avoit, 
Enfant  ki  moult  petit  savoit. 
Terre  ki  pe*l  son  bon  leigBâl 
Ne  conquiert  ne  pris,  ne  honnor, 
Ne  bon  prévos,  ne  bon  major  ; 
Après  mauves  a  l'on  piaf. 
Icil  enfès  fu  rois  de  Rome, 
Et  li  Romain  furent  si  home. 
Mes  après  la  mort  de  son  père, 
Li  sordi  guerre  mouli  ambre': 
D'une  trop  forte  genl  à  devise 
De  toutes  pars  fu  Ronn    assise 
N'osoienl  i^sir  li  Romain, 
Nejor,  ne  nuit,  ne  soir,  ne  main 
Et  tant  i  0(  Il  o|y.  w(é  . 
El  par  yver,  e|  pu  «  -sic. 
Que  cil  dedens  orenl,  MM  l.iille, 
Petil  de  blé  h  il<>  rstailte. 


i3. 


194  EXTRAITS 

Durement  à  malese  estoietit, 
Por  la  poor  ke  il  avoient. 


Tant  corn  plus  giele  et  plus  estraint: 
La  poors  tant  fort  les  destraint 
Qu'il  mistrent  le  roi  à  reson, 
Qui  moult  par  estoit  jeunes  bons. 
Li  rois  ses  barons  apela  ; 
Cil  à  cui  il  se  conseilla 
Ierent  près  tuit  de  son  aaige, 
.Vestoient  mie  granment  saige. 
Qant  .i.  avugle  l'autre  meinne 
/Moult  se  conduent  à  grant  peinne  ; 
Bien  pueent  andui  tresbuchier. 
Cil  ke  li  rois  avoit  plus  chier 
Li  conseilla  ke,  dedenz  Rome, 
Ne  lessaist  nés  .i.  seul  viel  home, 
Se  son  cors  ne  pooit  desfendre. 
Li  vicz  hons  welt  ausi  despendre, 
Et  ausi  bien  boit  et  menjue 
Com  li  juenes  ki  bien  s'ajue. 
Cil  rois  ûst  son  comandemenl, 
Par  sa  terre  comunémenl, 
Que  tuit  li  viellart  ocis  fussent 
Qui  de  lor  cors  pooir  n'eussent  ; 
Les  vielles  dames  ensement. 
Et  fu  en  son  commandement, 
Se  lor  enfans  nè's  ocioient, 


hl    DOLOPA  l  nos.  195 


Qu'il  méismcs  ocis  seroient. 
Là  ot  dolor  trop  dolerouse, 
Qant  li  enfès  refuser  n'ose 
Qu'à  ses  mains  n'ocie  son  père. 
Tel  i  ot  ki  ocit  sa  meire 
D'espée  ou  de  miséricorde  ; 
Car  pitié  ne  miséricorde 
N'en  avoicntà  nul  endroit. 
Ou  fust  à  tort,  ou  fust  à  fl  roi  t. 
Ocis  furent  tuit  cil  d'aaige 
Qui  de  Home  icrent  li  plus  saige. 
Mes  k'il  i  ot  .i.  jovencel, 
Gentil  et  cortois  damoisel, 
Qui  son  père  ocirre  ne  pot, 
l'or  la  pitié  qu'au  cuer  en  oi  ; 
Einz  le  garda  en  une  fosse, 
Mes  nus  lions  ne  sot  ceste  chose, 
Fors  sa  famé  ki  li  jura 
Que  j'àjor,  ne  l'encusera. 


Einsi  le  (ist  vivre  soi  terre. 
Après  fu  pès  de  celé  guerre. 
•Ne  ilemora  pas  longuement 
Li  rois  se  maintint  folement  ; 
Q'en  tote  la  terre  de  Rome, 
N'avoit  remeis  ke  ce  vie]  borne 
Et  li  juene  li  cooseilloienl 
Quel  que  chose  ke  il  routaient  ; 


19G  EXTRAITS 

Les  folies  et  les  luxures, 

Les  max  et  les  envoisèures. 

Sa  terre  estoit  mal  atornée 

Et  sa  gent  à  dolor  menée. 

Nus  n'i  tenoitloi  ne  droiture, 

Ne  fesoit  reson  ne  mesure. 

Li  plus  fors  les  foibles  batoient, 

Et  lor  avoir  à  tort  prenoient. 

Nuns  n'i  fesoit  droit,  ne  justise  ; 

Com  plus  estoit  preuz  en  malice, 

Plus  estoit  prisiez  et  amez, 

Et  plus  estoit  sires  clamez. 

N'a  Dieu  n'i  portoiton  honor  ; 

Car  genz  ki  n'ont  point  de  seignor, 

Ont  tost  Dieu  arrière  gité, 

Que  tote  font  lor  volenté, 

N'i  metent  mie  grant  pensée. 

Mal  estoit  la  gent  ordenée, 

Et  luit  cil  qui  à  cort  estoienl  ; 

Car  entr'euz  trestoz  ne  savoient 

Une  cause  déterminer, 

Ne  .i.  plet,  ne  .i.  jugement  finer, 

Li  jovenciax  ki  par  pitié 

Avoit  son  père  respitié, 

Estoit  à  cort,  com  gentis  hons, 

Mes  n'estoit  pas  de  grant  rehon  : 

Cortois  estoit  et  debonere. 

Qant  k'il  véoit  à  la  cort  ton- 

Disoit  son  père  coïement, 


DE   I>OI.Ol'\  I  Nos.  197 


I- 1  cil  li  dissoit  jugement. 
Droit  et  reson  li  enseignoit 
De  tout  ce  q'à  cort  avenoit  : 
Et  cil  aprenoit  volentiers 
Qui  moult  estoit  preuz  et  entiers. 
Sanz  vilenie  et  sanz  desroi. 
Tout  redisoit  devant  le  roi, 
Qant  il  véoit  ke  mestiers  eire. 
Tant  se  pena  en  tel  manière, 
Que  moult  mist  le  roi  à  mesure 
Tant  k'il  fist  reson  et  droiture  ; 
Lessa  le  mal  et  la  folio  , 
Et  amenda  auques  sa  vie. 
Li  rois  l'ama,  et  chier  le  tint, 
Volentiers  o  soi  le  retint . 
N'i  ot  nul  ke  il  amast  tant, 
Tant  fust  hauz,  ne  de  noble  geçt, 
Por  ces  genz  et  lui  conseiller, 
En  fist  son  mestre  conseillin 
Deseur  toz  ot  la  sciguoric, 
Mes  moult  en  orenl  granl  eo?ie 
Cil  qui  à  cort  esté  avoieut; 
Moult  sont  dolant  kanl  il  le  v..imi 
Si  bien  estrc  de  sonseignoi . 
Et  k'il  venoil  à  teile  honor, 
Et  il  estoiènl  nus  arriéra. 
Dont  pensèrent  bu  quel  manière 
Le  porroient  arrière  mètre? 
N''  pai  donei .  ne  pai  promette 


198  EXTRAITS 

N'en  pooient  venir  à  chief  ; 
Dolent  sont  et  moult  lor  est  grief 
De  ce  k'il  est  si  très  avant  ; 
Entr'euz  en  parolent  sovant. 


Ce  ne  sai-je  cornent  avint, 
Mes  de  son  père  lor  souvint. 
Et  pensèrent  q'encor  vivoit. 
Par  son  père  tout  ce  savoit  : 
Bien  pensent  s'encor  ne  l'éust, 
Jà  par  son  sens  tant  ne  séust  ; 
Et  bien  saichiez  se  il  osassent 
Volentiers  au  roi  le  niellassent. 
Bien  savoient  certcinement 
Que  li  rois  l'amoit  Bnement, 
Et  moult  avoit  grant  seignorie: 
Por  ce  si  n'en  parlèrent  mie, 
Et  por  ce  ke  il  nel'  savoient 
De  voir,  mes  il  lemescréoient. 
Cil  est  fox  ki  pledoie  et  tance 
De  ce  dont  il  est  an  doutance. 
Li  anviousplus  ne  parlèrent, 
Mes  autre  chose  porpansèrent 
Par  coi  il  cuidièrent  de  voir 
Lui  et  son  père  décevoir. 
Bien  cuident  trover  ocoison. 
Ils  ont  mis  le  roi  à  raison; 
A  lui  parlèrent  doacemanl . 


DE   DOLOI'ATHOS.  199 


Et  dient  moult  très  liautemanl 

Que,  par  cortoisie  et  par  grâce, 

Une  feste  à  ces  barons  faice, 

Et  tiegne  cort  large  et  plenière, 

Lieeraent  et  à  bêle  chière. 

Et  nuns,  ke  de  lui  terre  tiengne, 

Ne  soit  si  hardis  k'il  n'i  viegne, 

Et  s'amaint  son  plus  chier  ami 

Et  son  plus  félon  ennemi, 

Et  de  ces  serjans  lo  meillor, 

Et  son  miax  vaillant  jugléor. 

I,i  rois  le  vuelt  et  otroia  ; 

Por  ces  bans  barons  anvoia. 

Qant  la  novele  orent  oie 

Li  uns  i  amena  s'amie, 

Ou  sa  famé,  ou  son  ami. 

Ou  sou  plus  félon  ancmi 

Mcnoit  celui  cui  plus  haoit  ; 

Aucun  sert  ki  bien  lo  servoit 

Menoit  por  son  meillor  serjant. 

Des  jugleurs  i  ot  il  tant, 

Et  des  mcnestrez,  ce  nie  semble, 

C'onkes  nuns  n'an  vit  tant  ansamfcle. 

I.i  damoiïiax  ki  saiges  fut. 

\iiiiiis  kc  cil  fiissi'iil  vt'ii ii , 

A  son  père  parler  ala. 
I>c  celé  cort  conté  li  a; 
ComanI  ele  ierl  devise. 
I  i  vérité  li  a  contée, 


200  EXTRAITS 

Et  kant  li  pères  l'ot  oïe, 
Bien  aperçut  la  tricherie. 


Filz,  dist-il,  di  me  vérité: 
Tu  as  à  celé  cort  esté  , 
Est  il  nus  hons  ki  ait  anvie 
De  tes  oevres,  ne  de  ta  vie? 
Cil  respont  :  Biax  père,  oil,  luit. 
Pou  an  i  ait,  si  com  je  cuit, 
Que  grant  anvie  ne  me  port, 
Bien  ameroient  tuit  ma  mort. 
Filz,  dist  li  pères,  bien  lou  croi  ; 
Mes  anfès,  por  vos  et  por  moi 
Est  ceste  chose  devisée, 
Grant  félonnie  ont  porpansée. 
Par  ce  nos  cuident  décevoir  ; 
Binz  tiz,  il  cuident,  tut  de  voir, 
Que  tu  doies  faire  de  mi, 
A  la  cort,  ton  millor  ami  ; 
Et  cuident  ke  mener  m'i  doies, 
A  lors  cuers  grant  joie  feroies. 
Biax  filz  il  cuident  lot  de  voir. 
Par  ce  te  cuident  décevoir, 
Por  ce  ke  tu  ne  me  tuas. 
Nier  mie  selonc  lor  pansée, 
.l'ai  autre  chose  porpansée  : 
Mus  autremanl  t'atbtneraj, 
\c  loi  vaudra  rien  lor  an*  ie 


DE  ftOLOPATHOS. 

Q'à  celé  curt  n'irai-je  mie. 
N'iert  pas  selonc  lor  volenté  : 
Tant  com  Dex  me  donra  santé. 
Te  dourai-ge  conseil  par  m'arme. 
Ton  chien  et  ton  asne  et  ta  famé 
Et  ton  petit  anfant  manras  ; 
Tôt  deerrain  à  cort  vcnras, 
Si  te  maintien  moult  saigement. 
Bien  li  enseigne  et  belemant 
Lequel  il  manroit  por  ami, 
Et  lequel  por  son  anemi  ; 
Lequel  por  son  sergent  ailler 
Et  lequel  por  son  jugléor. 
Et  cornant  il  le  provera, 
Qant  à  la  cort  venuz  sera  ; 
Si  ke  jà  n'an  sera  repris, 
Mostrè  li  ot  et  bien  api  is. 
Li  pères  ansi  li  conseille, 
Et  li  damoiaiax  s'apareille, 
Qui  moult  ot  bien  lot  retenu. 
Tuit  estoient  à  cort  \euu  : 
Ces  violes  retenlissoient, 
Cil  tymbre  et  cil  tabor  sonoient, 


Quant  li  ,isnus  la  nuis  «il. 
A  merveilles  s'an  esbaihi  ; 

Cil   asiles  est   moult  Colle   liesle 

l  a  i  oe  tant,  liève  la  teste, 


->oi 


202  EXTRAITS 

Les  oreilles  contremont  dresce, 
Et  rechaingne,  par  tel  destresce, 
Que  toz  li  pallais  an  resonne, 
Par  pou  ke  toz  ne  les  estonne. 
Por  esgarder  i  acorrurent 
Tuit  cil  ki  an  la  sale  furent, 
Et  tuit  li  baron  de  la  cort  ; 
Li  rois  méismes  i  acort. 
Ne  se  pot  de  rire  tenir, 
Qant  il  le  vit  ansi  venir. 
Et  quant  sui  anemi  lou  voient, 
Qui  tel  anvie  li  portoient, 
Qu'il  vient  à  cort  si  faitemant, 
Dolant  an  furent  duremant. 
Bien  sevent  k'il  sont  decéu 
Maintenant  k'il  l'orent  vcu. 
An  gab  ont  la  chose  atornèe 
Et  dient  :  Bien  est  atornée 
La  cors  et  bien  adrecie  ; 
Moult  par  sera  bien  consillic 
Par  celui  ki  son  asne  amoinne, 
Moult  i  fait  li  rois  bone  poinne. 


Ce  ke  li  aimons  ont  dit 
Prisa  li  rois  moult  très  |ictit. 
Bien  pansa  k'il  o'amenoit  mie 
Le  chien  el  l'asne  par  folie  ; 
Vucune  raison  i  antant. 


DE  DOLOPATHOft  203 


Li  damoisiax  esploita  tant 

Qu'il  vient  tôt  droit  devant  le  roi. 

Li  rois  li  demande  por  eoi 

Il  avoit  amené  son  chien  ? 

Sire,  fait-il,  jeP  dirai  bien  : 

Gis  chiens  est  mes  loiax  amis, 

A  moi  amer  a  son  cuer  mis  ; 

Il  vient  par  tôt  lai  où  je  vois, 

Soit  an  rivière,  soit  an  boix. 

.Ta  péril  ne  refusera, 

Ne  por  péor  nel'  laissera. 

Toz  jors  est  avec  moi  son  wel  : 

Bien  prent  .i.  lièvre,  ou  .i.  ehcvreul, 

Parrain  ou  serf,  on  atre  beste  ; 

Ne  jà  sanz  moi  n'an  fera  feste 

N'avuee  moi  dolant  ne  sera. 

Se  jel'  bat  il  le  souferra  ; 

Et  se  par  aucune  ocoison, 

Le  chasoie  fors  de  maison, 

Jai  si  fort  bâta  ne  l'aoroie. 

Se  doucement  l<-  rapeloie, 

Que  volen  tiers  ne  revenist, 

Et  ke  il  ne  me  detenist 

Larron  ou  lof,  s'il  le  réoit, 

s'il  avoil  force  el  il  pooit. 

Je  ili  bien  c'onkes  ne  trovai 

Plus  fin  iirnin,  ne  plus  ferai, 

[fe  auns  si  com  jecuide  el  i  roi 

Biai  doui  sur,  lui  il  au  roi, 


204  KXIIUITS 

Mes  asnes  est  mes  bons  serjans  : 
Bien  os  dire  devant  ces  genz, 
Serjans  ai  aut  plus  de  cent, 
Plus  loial  ne  plus  mal  soffrant, 
De  cestui  n'oi-je  onkes  nul  jor. 
Travillier  le  fas  sanz  séjor  ; 
Au  matinet  au  bois  l'anvoi, 
Dous  fois  ou  trois  venir  l'an  voi  ; 
.là  n'iert  lassez  si  duremant 
Qu'à  molin  ne  port  le  fromanl, 
Ets'an  raporte  la  farine. 
C'est  uns  serjans  c'onkes  ne  tine  ; 
Merveille  puet  soufrir  grant  peinne. 
Les  barrons  porte  à  la  fontainne, 
Toz  plains  les  raporte  an  maison  , 
Ansi  fait  chascune  saison. 
.là  por  ce,  de  vin  ne  beura, 
Ne  plus  chaut  chaperon  n'aura. 
S'il  a  del  foinc  ou  de  l'avoine, 
Moult  li  sera  poc  de  se  poinne  ; 
Ou  de  l'cstrain,  ou  de  l'espaille, 
Il  ne  li  chalt,  mais  k'il  no  faille  ; 
Ne  ne  li  chaut  c'on  sor  lui  mêle, 
Soit  bêle  chose,  ou  orde,  ou  ne  te. 
Et  por  ce  ne  pue  je  snvnir 
Qui  fiui^t  meillor  sergent  avoir? 


\  ni'ii  semble  ke  jugléor 


|>K     HOIOI'ATIIOS. 

Ne  puisse  amener  nueillor 
Que  cest  mien  enfant  ke  j'amain  ; 
Tout  ce  e'on  li  met  en  sa  main 
Vuelt-il  dedanz  sa  bouche  mètre, 
El  de  tout  ce  vuet  entremetre 
De  qant  k'il  ot  et  il  voit  faire. 
Tôt  vuelt  reconter  et  retraire  : 
Et  s'il  nel'  set,  ne  nel'  puet  dire, 
Je  ne  m'an  puis  tenir  de  rire, 
Qant  j'oi  les  merveilles  k'il  dist. 
Or  chante,  or  plore,  or  jue,  or  rist, 
Or  vuelt  la  chose,  or  n'eu  vuet  mie, 
Nel'  fait  par  nule  tricherie, 
Ne  mal,  ne  barat,  n'i  autant, 
N'il  ne  demanda  nr  ne  argent. 
Ne  je  n'aim  tant  nul  jugléor  ! 
Et  por  mon  eanemio  pior 
S'ai  ci  ma  feme  amenée. 
Gui  j'ai  tant  servie  et  amée. 
Qant  celé  ot  la  parole  oie, 
Moult  lu  dolante  et  eabtikie, 
Por  pou  n'est  de  duel  fonenée  ; 

El  kant  ele  c'est  porpaoséa 
Del'  veillait  k'elc  bien  savuil. 
Et  k'elc  tant  gardé  avoil. 

Donc  se  lança  devant  Uni  roi, 
\  poinnes  ot,  si  com  je  croi, 

Li  sires  s.i  raison  |née, 

Qanl  la  dame  s'est  escriée: 


-20! fi 


20G  EXTRAITS 

Hai  !  fet  ele,  com  sui  chaitive  I 

Dolante  !  por  qoi  sui-je  vive? 

Qant  cil  me  fait  tel  deshonor 

Cui  j'ai  portée  tele  honor. 

Il  rae  tient  ci  por  anémie, 

Et  je  cuidoie  estre  sa  mie. 

Li  lerres  plain  de  traison  ! 

Ainz  si  lerres  ne  fut  nus  bons, 

On  le  déust  avoir  pandu  , 

Lou  viel  porrit  !  lou  viel  chanu  ! 

De  son  père  lou  viel  puant, 

Lou  desloial  viellarl  truant, 

Oui  on  déust  avoir  lardé, 

Que  j'ai  si  longuemant  gardé 

An  une  fosse,  desoz  terre. 

—  Bons  rois,  fait-il,  ci  devez  querre 

Loial  amor  et  bone  foi  : 

Ceste  a  moult  grant  amors  vers  moi  ; 

Moult  me  par  ainme  loialmant, 

Qant  por  .i.  mot  tôt  soulemant 

Que  j'ai  dit,  à  droit  ou  à  tort, 

Voldroit  ke  vos  m'eussiez  mort  ! 

Ne  par  li  ne  remanra  mie 

Et  disoit  k'ele  estoit  m'àmie 

Bien  est  famé  mal  aureie, 

S'nmors  a  trop  poc  de  durée. 

Famé  samble  couchet  à  vaut 

Qui  se  chainge  el  mue  vivant. 

Li  rois  ilit  k'il  <•<•  dit  vnii . 


DE    DOI.OPATHOS.  '2D7 


De  son  sans  et  de  son  savoir 
Se  niervcilla  moult  durement  ; 
Et  bien  parut  (ot  erranmanl 
Que  de  lui  avoient  anvic 
li  millor  de  sa  conpaignio. 
N'an  volt  plus  parole  tenir  : 
Amis,  fait  il,  fai  moi  venir 
Ton  père,  se  tu  l'as  ancor  ; 
Ne  pues  avoir  millor  trésor. 
Fai  Ion  venir  segurémant, 
Amoinne  le,  jel*  te  cornant, 
Je  voil  k'il  soit  àceste  eorl. 
Et  li  fllz  por  le  père  cort, 
Devant  le  roi  le  l'ait  venir. 
Et  li  rois  le  fist  retenir 
A  grant  feslc,  et  à  grant  honôT. 
De  sa  terre  le  fist  seignor  ; 
Tôt  fist  selonc  son  jugemant 
Et  selonc  son  comandemant. 
Les  gcnz  revinrent  à  mesure, 
Et  firent  raison  et  droiture. 
La  terre  fist  an  pais  tenir 
El  fist  la  cort  à  droit  venir  ; 
An  poc  de  tans  ot  ratornée 
La  gent  ki  m, il  ion-  .iloinéc 


•208  EXTRAITS 


Extrait  n°  6,  f°  394,  col.  2. 

Quant  un  home  de  grant  aaige 
Ki  bien  sambloit  cortoiset  saige, 
Virent  venir,  par  avanture, 
Sor  .i.  mulet,  grant  ambléure. 
Riche  hernois  ot  à  devise  ; 
Bien  fu  vestuz  selon  sa  guise. 
A  mulet  le  fraint  abandone, 
Tôt  par  mi  la  presse  randone  ; 
Onkes  n'i  ot  règne  tenue. 
Lou  roi  Dolepatho  salue, 
Premiers,  et  puis  sa  conpaignie. 
Li  rois,  k'il  n'a  tallant  k'il  rie, 
Li  rant  son  salu  doucemant. 
Cil  li  demande  saigemant 
Cui  est  cil  biax  anfèsk'il  voit , 
Et  por  coi  ardoir  le  devoit  ; 
Et  por  coi  toutes  ces  gens  viennent, 
Et  por  coi  si  vilment  le  tiennent? 
Li  rois,  ki  de  parfont  sospire, 
Rcspont  :  Il  est  mes  fdz,  biaz  sire 
.Va  pas  plus  de  .x.  jors  k'il  vint 
D'escole,  trop  li  mesavint. 
\  mais  est,  ne  sai  cornant, 
S*an  suis  dolans  trop  duremant, 
Por  ce  kc  (ilus  d>anfans  n'avoie; 
Mon  règne  douer  li  volloie. 


1)1.    DOLOl'ATIIOx  20(J 


La  roine  me  vit  duel  faire, 
Si  me  promis!,  coin  debonaire, 
Que  bien  parlant  le  me  randroit 
Nesaise  elle  a  tort  ou  droit. 
Dedans  sa  chambre  le  mena 
Et  moult  dist  k'elle  ce  pena  ; 
Or  s'en  plaint  dolereusemant, 
Et  dit  ke  veraiemant 
Qu'à  force  volt  à  li  gésir, 
.Mais  il  n'an  pot  avoir  loisir. 
Et  je  doi  faire  grant  jostiee 
l>c  tel  oimaige  et  de  tel  vice. 
Mi  baron  ont  fait  jijgein.mi 
Qu'il  doit  morir,  à  tel  tonnant. 
Sel'  me  convient  ausi  soulïir. 
(  >r  revoit  je  de  vos  oïc 
Qui  vos  estes  el  de  kel  terre, 
Et  kel  chose  vos  venez  (pierre? 


Cil  respont  :  Suc,  an  venir, 
Nei  sui  de  Rome  la  elle, 
A  ma  robe  le  poei  savoir, 

.lann  plus  mon  s.iii/.  ke  mon  avOil 

Uni  des  .vii.  saigea  suis  de  von  : 
El  si  vos  di-je  bien,  por  voir, 
.l'ai  donne  conseil  à  maint  home. 
Or  endroit  revien  ci  '!<•  Homme  . 

M  lllilc.    lois    il  esté   lisse/  ■ 


210  EXTRAITS 

Plus  a  de  quarante  ans  passer 
Que  par  le  païs  vois  errant, 
Et  vois  aventures  querant. 
Et  les  barons  ki  me  retienent, 
Des  aventures  ki  avienent 
Voil  je  la  vérité  savoir. 
Et  ce  vos  di-je  bien,  por  voir, 
Onkes  puis  ke  de  Rome  issi, 
Ne  vi-ge  père  ki  ansi 
Delivrast  son  fil  à  tormant, 
Ci  ait  trop  félon  jugemant. 
Selonc  decrez  et  loi  cui-je 
Que  tei  baron  ont  tortjugie: 
Bien  i  puéent  avoir  mespris, 
Je  cuit  k'il  aient  antrepris. 
Un  example  te  conterai, 
Par  coi  bien  le  te  mosterrai  ; 
Et  par  foi  conter  le  te  doi, 
Car  an  cort  de  duc  ne  de  roi, 
Ne  me  sovient  ke  onkes  fuisse 
Que  tel  rante  ne  li  déusse  ; 
Volantiers  la  te  voil  paier. 
Ceste  gent  me  fai  apaier 
Tant  ke  je  puisse  estre  escoutez. 
Dont  est  .i.  poc  en  hait  montez  ; 
Volentiers  l'escouta  li  rois 
Et  li  baron  et  li  borjois. 


DE    D0L0PATH08.  211 


Il  comansa  apertemaiit 

Et  parla  moult  très  saigemant, 

Et  dist  :  Jadis  estoit  uns  hons, 

Uns  chastelains  de  grant  renon. 

Moult  fu  riches  de  grant  avoir, 

De  quanke  preudons  doit  avoir. 

i\'ot  d'anfans,  an  mon  sovenant, 

C'une  fille  moult  avenant, 

De  lame  loial  espousée. 

Fou  après  ce  k'ele  fu  née, 

Avint  ke  morte  fu  sa  mère. 

Par  le  comandemant  dou  père 

Alait  la  pucele  à  escolle  ; 

Ne  se  maintint  mie  corn  folle, 

\riMnz  aprisl  Bani  et  savoir 

Que  muez  valt  de  nul  autre  avnn 
D'armes  ne  se  savuit  dcsfandre; 
Sanz  et  savoir  voloit  apramlr<> 
Par  coi  desfandre  ce  Sëtisl, 
S'an  aucun  tans  besoin:;  aust. 
D'apanrc  s'est  moult  travilliéc, 
La  |ioinne  i  fut  bien  emploie  ; 
Car  ele  sot  tant  de  clergie, 

l>is    us  et  de  philosophie, 
Ou'ele  sot  l'art  d'anrhantemant . 
Sanz  maistre  et  sanz  ansignemant, 
C'onkeS  nus  hons  ne  Peft    iprist. 
Puis  avint  kr  s, m  |l(.n.  prisl 
I  Us  ni, i\  dont  inoiir  le  rnvinl  ; 


±\t  EXTRAITS 

La  pucelle  devant  lui  vint. 

Qui  moult  lu  prouz  ,  cortoise  et  saige: 

Tôt  son  mueble  et  son  eritaige 

Li  ait  li  pères  créanteit, 

Tôt  li  mist  à  sa  volanteit. 

Mors  fu,  celle  la  terre  tint , 

Qui  moult  saigemant  se  contint  • 

Et  mist  an  son  proposemant 

Q'ausi  seroit  moult  longemant 

Que  jai  ne  se  marierait  ; 

An  nul  sanz  mari  n'averoit 

S'il  moult  grant  richesse  n'avoit, 

Et  si  riches  com  elle  n'estoit, 

Ansi  li  vint  an  son  coraige, 

Et  s'il  n'estoit  de  grant  paraig<\ 

Moult  tu  riche  la  damoisele, 

Saige  et  plaisans,  cortoise  et  bêle, 

Et  moult  fut  de  giant  renoraée. 

Li  haut  baron  de  la  contrée 

Por  sa  biauté  la  requerroicnt. 

Et  por  l'avoir  k'an  li  savoient 

La  proièrent  de  mariaige. 

Et  celc  ki  moult  estoit  saige 

Prenoit  tôt  cecfom  li  dnnoit 

Et  sanz  r  nuire  le  rcccvoit  ; 

N'estoit  uns  lions  ki  la  pri.isl 

Une  s'amor  ne  li  olroiasl, 

Et  son  cors  par  tej  corenant 

Que  ,c.  mars  li  fjpnast  avant 


m     DOLOPATHOS.  2t3 

Puis  l'éust  one  nuit  antière  ; 
l  i  s'an  icele  nuit  première 
An  tesist  cil  sa  volanteil, 
La  dame  a  voit  acréanteil 
Que  landemain  l'espouseroit, 

Et  sa  l'aine  loia\  seroil. 

De  loi  son  poor  au  féisl , 

Et  se  faire  ne  li  poist, 

Perd  ut  a  voit  .c.  mars  d'argent. 

A  li  venaient  mainte  gent 

Que  par  tel  covanl  li  donoienl  ; 

!\ut  à  nul  avee  li  gesoient, 

Vlais  plus  n'. m  pooienl  .ivoir, 

\nsi  perdoienl  lor  avoir. 

Elle  savoit  enchantemant, 

Si  enchantoit  si  dnremant, 

l'ai  .1.  charme  k'ellc  savoit, 

l'ne  plumme  kc  elle  avoit . 

Donc c'estoit moult  très grant  merveille: 

Mûris  ne  l'avoit  desoz  s'oreille 

Quejai  ce  croliaist,  ne  méust, 

Tint  COm  sur  la  plumme  géusl  : 
Ainz  dort  jusr'à  la  matinée, 
(  >u  tant  qu'elle  en  estoil  ratée. 

Maint  home  an  lurent   déeéul 

<.tui  de  li/  h  orenl  géut. 

Mniili  bien  dormoienl  en  loi  lit . 

N'en  ivoicnl   unie  délil  : 

\mm  ronquisl  mnull  jranl   ivoii 


ï2H  EXTRAITS 

Uns  damoisiax  de  grant  savoir, 
Jantis  et  de  haut  paranteit, 
Mais  n'avoit  pas  grant  richeteit, 
Com  nobles  hons  d'armes  vivoit  ; 
Ne  por  quant  sor  quant  qu'il  avoit 
Prist  ai  enprunt  .c.  mars  d'argent; 
Par  tel  point  et  par  tel  covent 
Le  présentait  à  la  pucele. 
Celle  ki  moult  fut  saige  et  bêle  , 
Fist  grant  joie  del  damoisel. 
En  .i.  vergier  moult  riche  et  bel 
Fist  la  pucele  apareillier 
.1.  bel  lit  souef  d'oreillier  ; 
Molz  de  coûtes  et  de  blans  dras 
Qui  ne  n'iere  petis,  n'eschars, 
Fu  toute  an  mi  la  chambre  pointe. 
La  pucele  ki  fut  moult  cointe, 
Et  li  vallés  ki  moult  biaxfut, 
Se  couchèrent  tôt  nul  à  nut. 


Celle  ki  fut  bien  an  pansée, 
La  plume  n'ot  pas  oubliée, 
Ainz  l'a  misse  soz  l'oreillier. 
Li  damoisiax  cuidait  veillicr 
Et  de  li  faire  son  délit. 
A  pninnes  fut  antrcz  el  lit, 
Q.int  il  s'an  dormit  fermement  ; 
Kt  si  dormit  ajnLieremenl , 


IH.  DOLOPA TIIOS.  -1\:> 


La  nuil,  jusqu'à  demain  à  prime, 
Que  la  damoisele  méisme 
Li  dist  :  Biax  sire,  or  vos  levez, 
Vos  avez  moult  esté  grevez  ; 
Mes  lier  avez  de  bien  mangier. 
Cil  cuidait  de  duel  enragier  ; 
Sus  ce  levait  moult  angoissoz, 
Pansiz,  dolanz  et  corresos. 
San  part  c'onkes  n'i  prist  congiè  ; 
Ne  sai  s'il  ot  la  nuit  songiet, 
Mais  à  son  hostel  vint  toi  droit, 
Kl  jurait  c'ancor  i  perdrait 
.C.  mars,  ansi  l'ait  créanteil, 
On  il  fcroit  sa  volonteit 

De  celi  ki  tant  par  est  belle. 

Elle  perdroil  non  de  pucele, 

Se  jamais  le  pooit  tenir, 

Quoi  k'il  an  soit  à  avenir. 

Mais  ne  set  où  il  puisse  prandre 

.C.  mars  d'argent,  sans  terre  vaiidn- 

.1.  moult  riche  home  ot  cl  |m^ 

Et  cil  estoit  ces  serf  naïs. 

Au  damoisel  avoit  tainut. 

Ne  sai  de  coi  l'ot  correciet; 

Mais  li  damoisiax  s'en  vcnjail 

Si  bien  c'uns  des  piez  h  tranoha.il 

Or  aloil  cil  à  une  eacbaee. 

<  A  damoisel  besoigne  fih  • 

Poi  --.i  vola n toi I  potchasciei  : 


-2!(>  extraits; 

Venus  est  à  cel  eschacier 
Por  amprunter  .c.  mars  d'argeut. 
11  li  prestait  par  tel  covent 
Que  dedans  .i.  an  li  randroit, 
Ou  se  ce  non,  il  le  prandroit, 
Jai  n'en  farroit  vaillant  .i.  pois, 
A  tel  mesure  et  à  tel  pois, 
Del  sanc  et  de  la  char  celui  ; 
Ansi  créantent  ambedui. 


Li  eschaciers  n'oublia  mie 
Le  mal,  ne  la  grant  félonie  ; 
Il  n'amoit  point;  del  damoisel 
Kones  letres  et  bon  sècl 
bit  tesmoignaigc  an  ot  avant  : 
Bien  ont  deviseit  lor  covant, 
Et  moult  le  Grenl  bien  escrire 
Li  eschaciers  .c.  mars  li  livre; 
Li  damoisiax  en  ot  grint  joie, 
.Maintenant  se  mist  à  la  voie. 
Venuz  est  à  la  damoisele 
Qui  tant  estoit  plaisanz  et  bêle, 
Saige,  cortoise,  bêle  et  gente. 
Les  .c.  mars  d'argent  li  présante 
Elle  les  pranl  moult  lieinaiil. 
Kl  list  riche  apain-illeinaiil. 
Firent  l«  jor  jusq'â  la  nuit, 
Ne  rtiidiez  p  is  >\i\c  lor  .muii 


i»l     DOLOPATHOS.  21 


Bien  fut  li  lis  fais  à  devise  : 
La  plume  ;il  SOI  l'oreillier  mise 
La  damoisefle  cointemanl, 
Qui  faite  est  par  anchanlemant ; 
l'uis  li  dist  :  Sire,  alez  Concilier. 
A  damoîsel  fu  bel  et  chier, 
Car  moult  desiroit  les  soulaz 
Del'  ci  tenir  antre  ses  braz. 
Venuz  est  au  lit  liéemant  : 
Ne  se  couchait  pas  plainnemanl , 
De  la  nuit  devant  li  sovint, 
Ains  pansait  ke  ceu  li  avint, 
Par  le  lit  ke  trop  molz  estoit, 
Que  toute  nuit  dormît  avoit. 
Conques  ne  se  pni  esveilliei 
Dont  remuait  il  l'oreillier  ; 

si  COm  il  li'  tome  et  réunie. 
Par  avanture  est  lois  chêne 
La  plume,  mis  ne  s', in  perçu) . 
Puis  ce  couchait  el  lit  cl  jul 
A  aisse  el  .1  granl  seignorie  ; 
\'a  pansait  ne  dormiroil  mie 
Celle  nuit,  Milnil  il  veillier, 
Moult  lort  ce  vouloil  travillier 
Dont  s'atoroàil  et  recovrtl , 

\   ses  d0UI  in. nus  ses  cul/  OUI  ni 

"i  s'andorl  moult  M  sera  grief, 
Son  oreillier  misl  soi  son  i  hi<  i 
El  list  semblant  ke  il  dormis! 


•1 1  S  EXTRAITS 

La  pucele  ces  dras  fors  mist, 
Qui  ne  s'est  pas  apercéue, 
Lez  lui  se  coucha  toute  nue, 
Et  la  chandoile  fu  estainte. 
Saichiez  ke  de  saint  ne  de  sainte 
Ne  fut  li  damoisiax  si  liez  : 
Moult  fut  joians  et  esveilliez. 
Vers  li  se  torne,  et  il  l'anbraice. 
La  pucele  ne  set  ke  faice, 
Quant  ele  sent  k'il  ne  dort  mie  ; 
Moult  fut  dolante  et  esbaihie, 
N'ait  pooir  k'ele  ce  desfande. 
Cil  li  quiert  son  dete  et  demande 
Qu'il  n'ait  voloir  de  plus  atandre. 
Celle  ki  ne  se  pot  desfandre 
Et  jureit  l'ot  et  créanteit, 
Son  plaisir  et  sa  volonteit 
Li  soffrit  tôt  anlieremant. 
Dont  fisent  debonairemant, 
Celé  nuit,  ke  moult  s'antramèrent, 
Et  landemain  si  s'espousèrent, 
Au  los  de  lor  meillors  amis. 
Bien  r'ot  cil  son  k'il  i  ot  mis 
Riches  fut  de  grant  seignorie. 
Mais  moult  an  orenl  grant  anvic 
Trestuit  icil  fie  la  contrée, 
Qanl  il  la  virent  espousée, 


I>E    DOLOPATIIOS.  1  \\) 


Or  lui  riches  li  damoisiax, 
Or  ot  assez  chiens  et  oisiax, 
Et  desduit,  selonc  son  voloir. 
An  oublil  et  an  nonchaloir 
Mist  les  .c.  mars  à  l'eschacier  ; 
Mais  muez  li  venist  porchascier, 
Car  li  eschaciers  point  n'en  ainum- . 
Après  le  terme,  au  roi  se  clame 
Li  eschaciers  del  damoisel  ; 
Les  letres  mostre  et  le  séel 
Et  le  tcsmoing  k'il  en  avoit, 
Et  prie  au  roi  ke  il  envoit 
Au  damoisel,  save  sa  graicc, 
Qu'il  vingne  à  curt,  et  droit  li  face 
De  ce  k'il  li  doit  par  raison. 
Li  rois  estoit  moult  saiges  hoin 
Et  moult  estoît  bons  justiciers. 
Bien  persul  kr  li  eschaciers 
llaioii  le  damoisel  de  mort. 
ÎVe  porquant  ne  volt  faire  tort, 
Ainz  li  mandait  qu'à  cort  venist 
De  l'eschacier  li  souvenist. 
Et  del  covant  k'à  lui  avoit. 
Tantost  com  li  damoiseii  voit 
Le  mcsagier  le  roi  ki  vient. 

De  l'eschacier  li  resouvient. 

Quant  il  ot  oïl  le  mes  tige, 
Moult  lu  dolans  an  son  coratga  ; 

<  .1  ml  poor  Ol  cl  mu 'vcdloiisc. 


-:-°  EXTRAITS 

La  chose  fut  moult  peritlouse. 

Li  rois  moult  grant  poor  li  fait, 
Et  bien  savoit  k'il  ot  mesfait, 
Et  mal  son  covenant  tenut, 
Qant  il  n'avoit  l'avoir  rendut. 
Dont  prist  assez  or  et  argent. 
Et  chevaliers  et  autre  gent  ; 
Et  grant  torbe  de  ces  amis, 
A  la  droite  voie  s'est  mis, 
Richement  et  à  bel  conroi. 
Et  vint  à  cort  devant  lo  roi. 
Li  eschaciers  tint  le  saiel 
Et  les  letres  au  damoisel  ; 
Li  cyrografes  fut  léus 
Et  li  covans  reconéus. 
Li  damoisiax  n'en  menti  onkes, 
El  li  rois  comandait  adonkes 
As  barons,  et  kc  il  dèissent 
Jugemant  et  raison  féissent. 
Li  baron  firentjugemant, 
Et  dissent  tuit  outréemanl 
Q'ansi  com  li  escris  enseigne, 
Li  eschaciers  dcl  vallet  praigne, 
Se  tant  ne  vuek  d'avoir  donnei 
Que  cil  li  voille  pardoner. 
Munit  ol  li  escbactei  •  gi  anl  joiê^ 

Trop  li  est  tart  ke  celui  voie 
•Moiii  Li  le  piei  li  tranchait. 
I  i  rois  près  de  lui  approchait 


DE    DOLOI'VIIIOS.  -221 

El  dist  :  Eschaciers,  biax  unis, 
Il  c'est  toz  an  ton  voloir  mis, 
Car  en  pranl  .iic.  mars  d'argent. 
Cil  dist  :  Foi  kejedoi  totegent, 
Biax  sire  rois,  nel'  fera  m  , 
Je  n'an  pan  rai  argent  ne  or. 
Tuit  lui  prièrent  doucemanl  ; 
Mais  il  jura  Irop  duremanl 
Que  por  hom  rien  ne  feroit, 
Son  droit  covant  bien  li  tanroit. 
Li  damoisiax  dolanz  estoil, 
Car  de  la  mort  se  redoutoil  : 
El  sui  ami  dolant  estoienl 
l>rl  jugemant  c'oït  avoienl, 

Que  cruiers  iert  outre  mesure. 
Ks  vos  à  tant,  par  aventure, 
Sa  famé  ki  d'anchantemanl 
Sa  voit  trop  merveillousemant; 
<  loin  chevaliers  estoit  restue. 
(  lOrtoisemant  le  r. >i  salue  ; 
En  fais,  en  diz  et  en  raison 
Cuidièrenl  ke  ce  fust  .1.  hom. 
.le  ne  cuit  k'en  l.i  corl  éusl 

\ul  home  ki  le  conéust  ; 
Ne  ses  m. uis  ne  1.1  conut, 
Dnkes  nuns  hom  ne  s'aperçul 
l.i  rois,  ki  bien  lui  enseignies . 
Li  «lisi  :  Biax  sire,  bien  i  eignieii 

Demanda  li  dont  il  CStoil . 


*222  EXTRAITS 

Et  de  quoi  il  s'antremetoit? 

Et  quel  chose  il  aloit  quérant  ? 

Elle  li  respoiiciit  errant, 

Et  dist  k'elle  iere  uns  chevaliers 

Saiges  hons  et  bons  consilliers. 

Nez  estoit  de  lontaigne  terre  ; 

Plus  lontaigne  ne  covient  querre, 

Car  çou  est  en  la  fin  dou  monde. 

N'est  nule  art  dont  bien  ne  responde 

S'il  trueve  ke  riens  li  demansl, 

Et  de  plait  et  dejugemant. 

A  merveilles  s'an  esjoït 

Li  rois,  kant  tel  parole  oït. 

Dejoste  lui  tantost  l'assist, 

Et  la  parole  oïr  li  fist 

Del  vallet  et  de  l'eschascier. 

Droit  jugéor  etjustisier 

Fist  li  rois  de  lui  erranmant  ; 

Tôt  lu  mis  an  son  jugemant. 

Li  damoisiax  fut  moult  dolans, 

Li  eschaciers  liez  et  joians. 

La  dame  ot  oï  la  novele, 

Diiucemant  l'eschacier  apcle, 

Et  dist  :  Amis,  antant  à  moi  : 

Selonc  le  jugemant  le  roi, 

Et  des  barons  et  de  la  coil, 

Pue-  tu  pi  nuire  à  quoi  k'iltoil. 

El  selonc  l'eseril  kc  joli  loi, 

Des  oï  el  de  la  char  <lr  Im 


DE    DOLOPATHOS.  ±1'.\ 

Le  poiz  de  .c.  mars,  loi  à  droil  , 

Bien  lou  pues  panre  or  endroit. 

Or  me  di  ke  i  gaaingneras? 

Bien  puel  tstre  tu  ocieras 

Cel  damoisel,  et  je  si  croi, 

Certes  aulre  gaaing  n'i  voi. 

Mais  ce  seroit  moult  grant  damaiges, 

Mais,  dous  amis,  or  soiez  saiges  : 

Muez  te  vient  panre  grant  avoir  , 

Prant  .m.  mars,  si  feras  savoir. 

Li  eschaciers  dist  non  feroit, 

.X.  m.  mars  pas  n'an  panroit  ; 

Qu'il  se  vouloilde  lui  vangier. 

Celle  dist  dont  :  Voil  je  jugier 

Cornant  tu  dois  ta  dete  panre. 

An  mi  la  sale  fist  cstarnlre 

.1.  blanc  drap,  sor  lou  pavemant. 

Le  damoisel  toi  nuemant 

Fist  de  sa  robe  despoil) ier, 

Kl  les  mains  et  les  piezlier. 

Sur  le  blanc  drap  conebiei  le  tist, 

\  P.  m  Marier  dist  k'il  préisl 

Coatel  ou  autre  ferremanl . 

Et  alast  tôt  deliv  remaol 

Prandre  de  lui  toi  MB  droil  pois  : 

Mais  n'. m  presisl  raillant  .i.  pois, 

Ne  pins  ne  mains,  s(.  s, m  drcfl  non 

Toi   son  droit  praigfle  par  raison  ; 

F.t  bien  praigne  garde  à  ces  mains 


2*24  EXTRAITS 

Qu'il  n'en  praigoe  ne  plus  ne  mjtins 
Que  tant  eom  li  vailles  li  doit, 
Car  se  li  sans  cl  drap  paroit, 
Ne  tnnt  com  une  goûte  monte, 
Li  malx  et  li  duelz  et  la  bonté 
Sor  l'eschacier  repaireroit. 
Par  la  cité  detrais  seroil, 
Et  si  seroit  ars  ou  pnndus, 
Et  ses  paraiges  confondus  ; 
Et  perdroit  tôt  quant  k'il  avoil. 
Li  eschaciers  entant  et  voit 
Que  tel  sen lance  est  trop  grevainne  , 
Trop  doute  la  honte  et  la  poinne, 
Et  dist  :  Sire,  por  Deu  merci  ! 
C'est  voirs,  li  damoisiax  gist  ci  ; 
Mais  ci  ait  trop  grief  jugemant, 
Cnr  nuns  n'est,  fors  Deu  souleniaul. 
Que  si  justcmnnt  lou  presisl 
Qu'acune  riens  ni  mcspresist. 
Or  faites  bien  et  cortoisie, 
Et  moi  et  lui  salvez  la  vie. 
Antre  moi  et  lui  pas  metez, 
Por  Deu  vos  an  antremetez. 
Com  mon  signor  lou  servirai, 
Volantiers  don  mien  li  don  rai  i 
Tant  dist  la  dame  et  tan!  fist, 
Que  ces  maris    in.  m;irs  an  |irisl. 
Et  si  lu  bien  de  l'eschacier 
Moult  sut  bien  son  proul  porchacierj 


DE    DOLOPATHOS.  225 


(Qu'elle  en  droit  li  en  ol  ...  livres  : 
Ensi  fut  ces  maris  délivres 
Par  tel  sanz  et  par  tel  manière. 
An  son  ostel  revint  arrière. 

ExTKA.IT  N°  7,  F°  403,  COL.  2. 

Signor,  fait-il,  cnlandez  moi  : 
Lonc  tans  ait  k'an  Home  ol  .i.  roi 
Preudome,  ki  moult  sot  de  guerre. 
Anemis  ot,  dedans  sa  terre, 
Qui  grant  damaige  li  faisoienl, 
Par  force  sa  terre  prandoient. 
Cil  riches  rois  ce  porpansail  : 
Son  ksi  seniont  et  assamblait 
Ses  chevaliers  et  ses  amis, 
Por  aler  sor  ces  anemis. 
Grant  assamblée  fait  dejans, 
De  chevaliers  et  de  serjans, 
Et  armes  bones  et  eslites. 
Par  mi  .n.  villetes  petites, 
Convint  passer  l'osl  à  droiture. 
Qui  s'an  aloit  grant  aléure. 
Une  povre  famé  manoil 
En  la  ville,  ki  raaintënoil 
Une  poure  maisoncenete, 
Estroite  et  baisse  et  petitete. 
.1.  (il  avoit  tant  soulemant, 


i5. 


226  EXTRAITS 

Qui  moult  la  gardoit  doucemant 
De  ceu  ke  gaaignier  savoit. 
Une  soûle  géline  avoit, 
De  toutes  bestes  n'avoit  plus, 
N'ot  vaillant  .v.  s.  an  tous  hus. 
Par  devant  son  huis  trespassèrent 
Li  oz  et  cil  ki  la  menèrent  ; 
Et  si  passoit  li  (ilz  le  roi 
Qui  menoit  moult  riche  conroi. 
Sor  son  poing  .i.  ostor  de  mue, 
Devant  l'uis  la  famé,  a  véue 
La  géline  par  avanture  , 
Qui  aloit  querant  sa  pasture. 
Li  ostors  se  débat  et  sache, 
Li  fiz  le  roi  la  ligne  saiche, 
El  si  gete  vers  li  l'ostor 
Qui,  de  plain  vol,  sanz  autre  tor, 
S'i  encharnait  dedans  les  paus. 
Mais  de  ceu  ne  fut  mie  baus, 
Li  filzà  la  dame  veuete  ; 
Qant  morir  vit  sa  gclinete, 
Ce  fut  sa  grant  mésaventure, 
Celé  part  vient  grant  aléure  , 
Le  bon  ostor  fiert,  si  le  tue. 
Li  fiz  le  roi  trestoz  tressue, 
Del  fuerre  ait  l'espée  saichie, 
El  la  teste  li  ait  tranchié  ; 
Onkes  raison  n'i  antaodit , 
Jusc'à  braier  le  porfamlit. 


DE    DOLOPATHOS.  227 

Quant  la  mère  vit  son  fil  mort, 

S'elle  ot  grant  duel  n'ot  mies  tort. 

Or  ait  perdut  kant  k'ele  avoit, 

Trop  a  grant  duel ,  kant  mort  lo  voit. 

Après  le  roi  s'est  escorcie, 

Toute  dolante  et  esmarrie  ; 

Et  si  sanglout  et  si  sospire, 

A  painnes  puet  .i.  sol  mot  dire. 

Vielle  estoit  et  de  povre  force, 

Et  toutes  oures  tant  s'enforce, 

Et  tant  ait  lou  harnais  séut 

Qu'ele  ait  lou  roi  a  conséut. 

Com  famé  dolante  s'esorie, 

Et  an  plorant  merci  li  crie, 

Et  dist  :  Par  ta  bone  avanture, 

Rois,  de  celui  me  fai  droiture 

Qui  m'a  tolue  toute  ma  joie, 

.1.  soûl  anfant  ke  jou  avoîé  ; 

Rois,  tu  m'an  dois  justise  faire. 

Li  rois  fut  douz  et  débonaire, 

Moult  très  doucemant  ta  regarde, 

Et  dist  :  .1.  petilet  le  t,m)<-, 

Je  sui  or  moult  anbesoingrn'oz, 

Moult  sui  nneor  p0r  esloigniez, 

Et  si  vois  sor  mes  anemis  ; 

Mais  foi  kc  doi  toi  nus  ,imis, 

Droite  v.injance  t';ui  ferai. 

Tantôt  ke  revenus  serai. 

Gui  fait  ele:  Si  t'.m  ïrks, 


228  EXTRAITS 

Que  venjance  ne  in'an  ferais  ; 
Légièrement  puet  avenir 
Que  tu  ne  porras  revenir. 
Qui  me  feroit  donkes  venjance?  — 
Bone  famé,  tu  dis  anfanee, 
Fait  li  rois,  cil  te  vangerait 
Qui  de  mon  reigne  rois  serait  ; 
Car  jel'  voil  et  si  le  cornant. 
Celle  respont  :  Sire,  cornant 
Vangerait  la  desconvenue 
Qui  à  ton  tans  est  avenue  ! 
Voir,  je  ne  cuit  k'il  en  ait  cure,. 
Et  se  s'avient  par  avanture, 
Dites  moi  kel  grei  ne  qel  graice 
Vos  saurai-je  de  tel  menaice? 
Que  par  vos  ne  la  puis  avoir, 
Jà  ne  vos  quier  nul  grei  savoir  ; 
Et  si  me  dites  or  en  droit 
Me  poez  moult  bien  faire  droit. 
Li  rois  dist  :  Greit  ne  m'an  sauraiz 
Quant  par  autrui  justise  aurais. 
Celle  dist  :  Dont  me  fai  venjance 
Nel'  mètre  pas  en  antcndancc. 
Se  faice  ke  vuelz  q'autres  faice, 
Grant  loz  en  auras  et  grant  graice, 
Et  Dex  t'an  saura  grei  par  m'arme  T 
Caï  povre  sui  et  veve  famé. 
Por  ton  honor  et  ton  loange, 
Et  por  Deu  propremant  me  vange  ; 


DE    DOLOPATHOS.  229 


Jelou  teproi  poramistiez. 
Li  rois  en  ait  moult  grant  piliez, 
Et  bien  vit  k'ele  avoit  raison, 
Àinz  puis  n'i  quist  autre  ocoison. 
Son  ost  toraande  à  herbergier 
Et  fist  ses  haus  barons  logier, 
Et  enquist  ki  fist  le  mesfail 
Tant  k'il  sout  ke  ces  (ilz  l'ot  fait. 
Moult  fut  cil  rois  bons  chevaliers, 
Et  trop  par  fut  bons  justiciers, 
Et  moult  fut  plains  de  grant  savoir. 

Quant  il  ot  bien  anquis  lo  voir, 
Dont  apella  la  veve  faîne  : 

Je  te  ferai  droit,  bone  dame, 

Fait-il,  n'an  mantiroie  mie, 

Qui  c'an  ait  duel  ne  qui  c'an  rié. 

<  >r  autant  bien  à  ma  parole, 

Garde  kc  tu  ne  soies  folle, 

Et  tu  sez  bien  lot  le  covine. 

Li  ostors  tuait  la  gélinc, 

Et  tes  anfès  l'os tor  tuait, 

Onkes  puis  m  se  remuait. 

Or  soit  li  uns  por  l'autre  mis  ? 

Tes  filz  estoit  moult  tes  amis, 

Pur  lui  une  chose  te  part 

Bien  pue/  panre  la  meillor  part. 

Bien  sai  el  à  droil  et  à  torl 

Que  li  miens  filz  a  le  tien  mort  ; 
El  se  tu  vuez  |e  I  Virai . 


230  EXTRAITS 

Ou  por  ton  fil  le  te  donrai  ; 
Toz  sera  tiens  oulréemant , 
Tôt  fera  ton  comnndemant  : 
Corne  rneire  te  servirait 
Que  jà  à  sa  vie  ne  te  faudrait. 
Del  tôt  à  ton  voloir  l'auras 
Si  longuemant  com  tu  vivras  : 
La  veve  famé  se  porpanse, 
Bien  li  vient  en  cuer  et  en  panse 
Que  se  li  fiz  le  roi  moroit 
Jai  por  ce  li  siens  ne  vivroit  ; 
Et  par  lui  n'éust  elle  mie 
Tel  lionor  ne  tel  signorie  ; 
Dont  li  ait  la  mort  pardoneit. 
Li  rois  li  ait  lou  sien  floneit, 
Et  saichiez  k'elle  fist  savoir, 
Or  fut  dame  de  grant  avoir  ; 
Car  li  fiz  le  roi  l'enmenait 
De  li  honrer  se  penait. 
De  tôt  fut  fait  à  sa  devise, 
Hiclie  robe  ut  et  vaire  et  grise  ; 
Bien  ot  mueit  son  duel  à  joie. 
Por  ses  sinces  ot  dras  de  soie, 
Kt  por  <.;i  bordele  i.  pallais. 


lit:    D01.0PATH0S.  231 

Extrait  n°  8,  f°  407,  col.  2. 

Un  essample  te  conterai, 
De  ceu  vers  vos  m'aquitcrai 
Que  par  dete  lo  vos  dirai. 
Antandre  me  faites,  biax  sire  , 
Car  bien  est  gastée  et  perdue 
Parolle  ki  n'est  antandue. 
Li  rois  li  fist  faire  silance; 
Et  li  saiges  lions  ancomance, 
Et  bien  sot  dire  sa  raison, 
Et  dist  :  Jadis  estoit  uns  hons 
Apers  et  biax  ki  par  lai  nie 
Atornait  son  cors  et  sa  vie. 
Omecides  estoit  et  lerres; 
Assez  avilit  de  tez  confrères 
Qui  compaignie  li  faisoient, 
El  par  nui!  et  par  jors  ambloient. 
En  la  contrée  e!l  i\  provinces 
Conistables  estoit  et  princes, 
Et  mais  très  de  la  conpaignië, 
De  toz  avoit  la  sei'gbbrie. 
Moult  très  grani  avoïï  àma'àsoië'nt  ; 
En  citei  pas  ne  deth'orôienj . 

M'a  bore,  n'a  ville,  n'a  cha^tel  : 

bien  esloienl  ah    i.  trope) 

Lx,  ou  .iiii.  xx,  on  cenl. 
Par  ces  bois  alojent  mussant, 


232  EXTRAITS 

Par  ces  roches  et  par  ces  valx  ; 
Armes  avoient  et  chevax, 
Si  vivoient  an  tei  manière. 
Cil  ki  lor  conistables  iere 
Sa  voit  assez  de  lor  langaiges. 
Bien  savoit  gaitier  les  passaiges, 
Et  les  chemins,  et  nuit  et  jor, 
Sanz  repouser,  et  main  et  soir, 
Mûmes  et  famés  ocioit, 
Et  nuit  et  jor  les  espioit. 
Ansi  ot  sa  jovente  useie  ; 
Toute  i  ot  mise  sa  pansée, 
Et  sa  poissance  et  son  savoir, 
Et  conquis  i  ot  grant  avoir. 
Trop  fut  riches  outre  mesure 
De  terres  et  de  tenéures, 
De  deniers  et  d'argent  et  d'or  ; 
Moult  amassait  riche  trésor. 
N'est  pas  merveille  s'on  mesfail, 
Mais  qui  ne  laisse  son  mesf;iit 
Dont  est  la  chose  trop  grevainne. 
Une  pansée  nette  et  sainne, 
Si  com  Deu  plot,  au  cucr  li  vint. 
De  soi  mèismes  li  soviol  : 
Bien  sut  uinrir  lu  ÇOVenQJt, 
Et  selonc  ce  jugiez  seroil 
Q'an  cest  siècle  avoit  laboureil. 
N'ai  plus  targiel  ne  demoreit, 
Ne  lut  plus  an  loi  <  onpaigmc 


DE    DOLOPATHOS. 

Et  ne  maintint  plus  celle  vie; 
Ains  les  laissait  et  si  s'an  vint, 
Trop  preudons  et  loiaux  devint, 
Et  moult  fist  por  Deu  volentiers  : 
Bien  tint  la  voie  et  les  gantiers 
De  justice  et  de  loiauteit. 
Qant  en  lui  virent  tel  bonteil 
Si  voisin  ki  le  conissoient, 
Et  ses  maies  oevres  savoient, 
Moult  ce  merveillent  duremant. 
Li  uns  dist  à  l'autre  :  Cornant 
Est  cis  hons  si  tost  convertis'.'' 
Ansi  par  estoit  panrertis, 
M. mit  preudome  ait  à  tort  tueit  ; 
An  pouc  d'oure  ait  son  cuer  mueit? 
Cil  hons  amandail  tant  sa  vie 

Qne  de  mil  mal  11'avinl  ,m\  ie. 
Longement  s'an  estoit  tenus 
Tant  ke  moult  l'ut  viel/  devenu!  ; 
Riches  hons  ierl  et  moull  sa  voit. 

De  sa  lame  .iii.  lis  avoit, 
Kt  ilist,  se  croire  le  voluient  , 

(Mie  preudome  et  loial  seroient. 

Dont  lor  pria  k'M  apresissenl 

V 1 1 i-i 1 1 istier,  kel  k'il  vosstssenl  : 

Kt  tel  ait   pat  coi  il  séuss.nt 

Ain  no  bien  el  preudome  fassent 

\pifi ssciil  sam  et  savoir; 
Kl  préissenl  de  son  ai  oit 


233 


234  EXTRAITS 

Chascuns  d'alx  la  tierce  partie, 
Et  s'an  inenaissent  nette  vie. 
Cil  anfant  ansamble  parlèrent  : 
En  la  fin  à  ceu  s'acordèrenl 
Que  chascuns  tel  mestier  volloit 
Que  lors  pères  avoir  souloit. 
Autre  oevre  faire  ne  vouloient , 
A  cestui  tuit  troi  s'acordoient. 
Li  pères  ki  moult  les  amait, 
Selonc  son  pooir,  les  blasmait  ; 
Dist  k'il  faisoient  grant  folie, 
Que  si  très  perillouse  vie 
Et  si  dolerouse  enlisoient  ; 
Bone  et  séure  le  laissoient, 
Ne  jà  bien  ne  lor  avenrait. 
Et  bien  seit  k'il  lor  covenrait 
Soffrir  maint  mal  et  mainte  painne, 
Car  c'est  une  oevre  trop  viiainne. 
Ne  jamais  séur  ne  seront, 
Tant  corn  si  faite  oevre  tanront. 
Cil  respondent  k'il  ne  voloient 
Autre  labor,  cesti  feroient; 
Bien  en  cuident  venir  à  chief. 
Li  pères  jurait  par  son  chief, 
Puis  ko  croire  ne  le  voloient, 
Jà  point  de  son  avoir  n'auroient. 

Mais  fors  de  son  ostel  alaissenl, 

Tôt  fust  lor  quant  ke  il  gaJgnuflSBDj  : 

V menassent  novel  ivoil 


DE    DOLOPATHOS».  235 


Que  jai  part  n'i  vouloit  avoir. 
Cil  furent  sot  et  anvoisiet , 
Ansi  ont  lor  père  laissict, 
De  sa  parolle  n'orent  cure; 
Ains  pansent  ke  par  nuit  oscure 
Ambleront  .i.  bon  pallefroi 
Qui  estoit  à  la  eort  d'un  roi. 
La  roïne  norrit  l'avoit; 
Kl  monde  si  très  bon  n'a  voit, 
Ne  nul  ne  si  bel,  ne  si  gent, 
Ne  presist  pas  or  ne  argent. 
Qui  ambler  vuelt  autrui  avoir, 
De  barat  !i  covient  savoir. 
Saigement  s'an  doit  antrenn  1 1  <• 
Et  grantestude  i  covient  untic; 
Et  quant  il  muez  gaitier  se  cuide 
Si  puet  il  bien  perdre  s'e.slmle. 
Bien  enqaierenl  toi  lu  co\  ine 
Del  bon  pallefroi!  la  roïne  ; 
Bien  seivent  qui  lo  garde  cl  niainnc 
Et  k'il  mangoil  herbe  et  avoine; 
Carc'esloil  as  herbes  noveUes* 
Bien  en  anquiseut  laa  novelles  : 
El  quele  garde  i  estoil, 
El  il»-  quele  herbe  plus  osanjoit, 
De  merveille  Se  porpansèrenl 
El  par  trop  bel  bacal  l'amblèvant 
<.>.ini  bien  orenl  la  chose  anqoise, 
l'ne  torse  de  l'orbe  «.ni  prise 


236  EXTRAITS 

Dont  li  chevax  mnngier  souloit 
Que  d'autre  goûter  ne  volloit; 
l-or  mains  net  frère  i  ont  amlox, 
La  torse  lievent  à  lor  cols  : 
Moult  duremant  furent  chargiet 
Vandre  la  portent  à  marchiet. 
A  marchiet  fut  venuz  la  garde, 
Cil  ki  le  bon  pallefroit  garde, 
Ansi  com  venir  i  souloit. 
Vit  l'erbe  qu'acheter  volloit, 
Que  cil  a  voient  aporteie, 
Delivremant  l'ait  acheteie; 
En  l'cstable  porter  la  fist, 
Devant  le  pallefroit  la  mist. 
!Ve  la  garde  ne  s'apcrsut 
De  celui  ki  en  l'erbe  jut. 
Qant  ses  chevax  ot  abevrez, 
Etdoufuerre  l'en  ot  donnez. 
Si  com  cil  ki  moult  l'amait, 
De  son  estable  l'uis  fermait. 
S'alait  dormir,  kant  il  fut  tans, 
\'i  alait  mie  trop  partans. 
Et  kant  la  gent  fut  andormie, 
Li  lerres  ne  se  tarjait  mie, 
Oui  dedans  l'erbe  avoit  géut. 
Bien  ot  son  oirre  porvéut, 
Et  frain  et  esperoo  et  selle. 
A  pallefroit,  vienl  si  Ifantelie  : 
Le  poiii.il  laice  et  met  le  frain, 


DE    BOLOPÀTHOS. 

El  la  sambue  et  le  lorain 
Qui  valloit  .i.  riche  trésor, 
Car  toz  es toi  1  d'argent  et  d'or; 
Nés  les  clochetes  ki  pandoient. 
Qui  cleremanl  retantissoient, 
Ait  toutes  de  cire  estoupeics, 
Et  bien  les  ait  aiivollcpécs. 
Ne  volloit  pas  k'elles  sonaissent, 
Que  par  lou  son  ne  l'ancusaissent. 
Rois,  or  autant  ce  n'est  pas  fable  : 
Dont  desfcrmait  l'uis  de  Pestablc, 
Maintenant  se  mist  à  la  voie, 
Ne  cuidet  pas  ke  nuns  les  voie. 
As  autres  vint  ki  l'atandoient, 
Qui  fors  des  murs  reniez  estoient  ; 
De  ceu  li  fut  trop  méchéut 
Que  les  gardes  l'orenl  veut , 
Qui  par  nuit  la  citeit  gardoient; 
Tant  le  chacièrent  que  le  voient 
Les  autres  frères  qui  ratandeiit. 
Cil  asaillenl,  cil  ee  desfandenl  ; 
Les  gardes  tant  se  nmhailirent, 
Et  tant  alèrent  et  laril  firent, 
Que  tuil  .iii.  furent  pris  li  frère 
Qui  ne  vorrent  croire  Im  pète; 
Trop  lor  nieschail  duicin.itil  , 
Ci  ot  mal  ancoinaiiremaiit  : 

Telz  cuide  autrui  ftamaige  faire 

Que  li  mil/  sur  lui  an  repaire. 


■rxi 


238  EXTRAITS 

Cil  .iii.  frère  furent  sorpris, 

Tuit  .iii.  furent  loiet  et  pris 

Et  raeneit  devant  la  roïne. 

Qant  ele  ot  anquis  lor  covine, 

Et  elle  sot  k'il  furent  frère  ; 

Moult  par  esloit  bien  de  lor  père, 

Par  maintes  fois  l'avoit  servie; 

Por  ceu  ne  soffrit-elle  mie 

Qu'il  fussent  maintenant  pandut, 

Ains  ait  soffert  et  atandut, 

Tant  k'elle  ot  le  père  mandeit. 

A  ces  cergenz  ait  comandeit, 

Sor  lor  eulz,  k'il  bien  les  gardaissent , 

An  une  chartre  les  gitaissent; 

Assez  orent quant  c'aus  covient. 

Li  pères  à  celle  cort  vient; 

La  roïne  li  ait  conteit 

C'an  prison  sont  si  iii  giteit. 

A  larrecin  repris  estoient, 

Son  palefroit  ambleit  avoient; 

Or  les  vuet  toz  .iii.  faire  pandre, 

Mais  por  t'amor  ai  fait  atandre, 

Doner  te  covient  grant  avoir, 

Ou  autrement  ne's  puet  avoir. 

Cil  dist:  Dame,  ne  vos  poist  mie: 

Mon  consoil,  ne  ma  compaignie 

Ne  vorrent  il  tenir,  ne  faire; 

Car  je  vos  di  bien  tôt  sans  faille, 

Le  valissant  d'une  maaillr 


I>E    DOLOPATHOS.  239 


Ne  vos  endonroie  je  mies. 

Por  vet  kil  menaissent  telz  vies 

Sor  les  deviez  desaichirr. 

La  roïne  ot  celui  moult  chier, 

Car  doneit  li  ot  main  bel  don  , 

Or  L'an  vuelt  randrc  guerredon  : 

Je's  volloie,  fait  elle,  pandre 

Tes  .iii.  Olz ,  or  les  te  voil  randre. 

Mais  de  tant  les  rachèterais  : 

Trois  aventures  me  diras 

Les  plus  grans  c'onkes  t'avenissent , 

Que  plus  grant  paor  te  fèissent. 

Li  pères  respondit  à  tant  : 

Bien  les  puis  racheter  de  tant; 

Trop  grant  cruautcit  feroie 

Se  de  tant  ne  les  rachetoie» 

Teil  perde  n'est  pas  trop  grevainne 

Se  je's  r'ai  por  si  poc  de  painne  ; 

Et  si  se  gardent  de  folie  , 

Bien  iert  ma  poinne  amplole. 

Vielz  sui,  n'ai  incstier  ke  je  mente, 

Car  j'ai  usccic  ma  jovente  : 

Veritei  fine  vos  dirai , 

Jà  d'un  sol  mot  n'an  m.iiitir.ii. 


A  tans  ke  haichclers  Qgtoie  . 
.C.  rompaignons  1, nions  avoie  , 

Fors  h  hardis  el  combattant* 


'MO  EXTRAITS 

Dire  oïmes  c'uns  joians  * 

Biches  de  merveiliox  trésor, 
De  deniers  et  d'argent  et  d'or, 
Manoit  dedans  une  fourest. 
Et  bien  saichiez,  si  eom  Dex  est, 
Qu'à  .xx.  lues  de  sa  maison 
Ne  demoroit  famine  ne  hons. 
Plus  sont  de  villes  ke  lors  n'iere  ; 
Ne  sont  mais  genz  de  tel  manière , 
Et  se  il  sont  petit  an  est. 
Tuit  armeit,  par  mi  la  forest, 
Et  par  mi  les  landes  alames 
Tant  ke  la  fort  maison  trovames, 
Mais  lui  ne  trovames  nos  pas  ; 
Saichiez  ke  ce  n'est  mie  gas. 
Moult  an  fumes  liet  et  joiânt  ; 
Trestot  l'ivoir  à  cel  joianl 
Presimes  et  tôt  l'anpoi  lames  ; 
A  moult  grant  joie  retornaimes. 
Séurcmant  an  reveniens, 
Et  grant  avoir  en  raportiens  ; 
De  lui  ne  nos  prenienz  garde, 
Qant,  en  l'antrèc  d'une  angarde, 
Lui  dissime  nos  corrul  soure, 
Tuit  fusmcs  pris  en  petit  d'oure. 
Onkes  contre  alz  ne  nos  tenismes, 
Ne  'U'slandre  ne  nos  poïsmes. 
Grant  esloient  comme  malfez, 
Fors  et  irons  cl  escliaiifez. 


DE    DOLOPATHOS. 

Ansi  fusmes  par  ans  surpris, 
Que  tuit  fusmes  loiet  et  pris. 
Nés  fiel  dire  fas  je  grant  honle, 
Nos  estiens  .c  par  droit  coule, 
Cil  n'iere  ke  .x.  soulemant, 
Que  ci  nos  menèrent  vilmant. 
Moult  fumes  ilolant  et  il  liet, 
Qant  fumes  tuit  pris  et  loiet; 
Si  nos  partirent,  par  esgart, 
Chascuns  en  ot  .x.  en  sa  part. 
Et  je  fui  en  la  part  celui 
Cui  nos  aviens  fait  anui. 
Ce  fut  por  ma  mésaventure. 
Car  tôt  bâtant,  grant  alèurc, 
Nos  an  menait,  les  mains  liées, 
Trop  par  soffrimes  grant  bachiées 
Et  qant  en  sa  maison  venimes, 
Moult  grant  avoir  li  promesimes 
Por  nos  venir  à  réansnii  ; 
Il  disi  kejai  n'an  parlas!  lion. 
\nlc  rèanson  n'an  paoroil, 
Ainz  disl  ko  toz  nos  maingeroit. 
Voir  vos  (h  à  mon  sovenanl  : 
Toz  les  plus  granz  m-isi  devant, 
Et  (lepesait  tôt  menhreà  inanbre. 
VèsdeçOU  moult  bien  nie  remanlu. 

Qu'il  les  cuistan  une  chaudière; 
roi  les  manjait  au  tel  manière, 

El  m  me  I'm  île  tutu  mangiei , 


24 


iG 


242  EXTRAITS 

Par  poc  ke  ne  duisse  enragier. 

Moi  méismes  mangier  volloit, 

Mais  des  raalz  des  eulz  ce  douloit. 

Je  li  dis  ne  m'océist  raie, 

Car  ce  seroit  trop  grant  folie  ; 

Ansi  corn  Dex  volt  m'avisai, 

Moult  bien  li  dis  et  devisai 

Que  je  trop  bons  mires  estoie  ; 

Del  mal  des  eulz  le  gariroie, 

Que  mal  ne  dolor  n'i  auroit, 

Jamais  nul  jor  tant  com  vivroit  ; 

Jà  por  ce  riens  ne  m'an  donast, 

Mais  ke  la  mort  me  pardonast. 

De  joie  comansaità  rire, 

Qant  tel  parole  m'oit  dire  ; 

Et  cuidait  ke  je  voir  déissc. 

Si  me  priait  ke  tost  fesisse  ; 

Es  euz  trop  grant  dolor  avoit, 

Et  dist  qu'à  moult  grant  poinne  voit. 

Je  diz  c'aus  euz  li  geteroie 

.1.  couliceke  je  feroie, 

Où  grant  poine  covenoit  mètre. 

Il  me  priait  de  I'antremetre 

Et  del  faire  haslivemant  ; 

Et  préisseséuremant, 

A  plaotéis  et  à  grant  foison, 

De  qant  ke  fust  en  sa  maison, 

Trcstol  ceu  ke  m'eust  niéstier. 

El  je  pris  fl'oile  .i.  grant  scslicr, 


DE  DOLOPA  i  nos  2  t'A 


Soffrc  et  aluin,  et  chalz  et  sel  ; 
Et  si  pris  suie  et  une  et  cil, 
Et  tôt  çou  ke  jou  savoir 
Que  plus  mal  faire  li  pooie. 
Et  bien  saichiez,  se  j'onkes  pou, 
Je  n'en  i  mis  mies  trop  pou; 
Ainz  en  i  mis  moult  largement, 
Et  fis  boillir  moult  longemant. 
lions  cui  malz  griève  et  ampire 
Ainme  moult  santeit  et  desirre, 
Et  croit  qant  ke  li  mires  dist  ; 
Se  n'i  mist  onkes  contredit 
An  chose  ke  je  li  desisse, 
Ainz  me  priait  ke  je  feâisàe 
Ma  mesdecine  isncllement  ; 
Tôt  souferrait  moult  bonement. 
Tantost  com  je  l'ot  antandut, 
Couchicr  le  fis,  tôt  estandut, 
Si  ke  ses  dos  fut  devers  terre. 
Dont  alai  ma  paelle  qnn  rr 
Où  j'ou  deslampré  ma  colin1. 
La  veriteil  vos  ;in  voil  dire  : 
l^a  paelle  fut  toute  plainne, 
Si  com  je  la  portai  à  painne, 
Et  cil  à  sa  dolor  pansoit. 
Qui  anveu  sor  terre  gisoil  ; 
Poi  vi  dolor  ne  s'.i|ior^ul. 

Je  ring  loi  droîl  lai  où  il  jut, 
\n  granl  aventure  me  mis, 


244  EXTRAITS 

Hardiemant  m'an  nntremis. 


La  paelle  li  ait  versée, 
Sor  eulz  et  sor  teste  adentée, 
Qui  tote  estoit  d'oille  boillant. 
Qui  donkes  lou  véist  dolant? 
Et  degiter  et  duel  grant  faire 
Et  ki  l'oïst  crier  et  braire? 
Il  cuidast  ke  ce  fussent  tor. 
Ne  vossisse  por  .i.  mui  d'or, 
Q'adonc  me  tenist  à  ces  mains  ; 
Et  saichiez  bien  ke  c'est  del  mains 
Ne  sai  por  coi  jel'  vos  devis  : 
Q'antor  son  col,  n'antor  son  vis, 
Ne  remest  an  nule  manière 
Ne  char  sainne,  ne  pel  antiere, 
Qu'ele  fut  eschaudée  toute. 
N'onkes  puis  des  eulz  ne  vit  gote: 
Or  furent  pior  ke  devant, 
Car  par  derrière  et  par  devant 
Li  furent  luit  li  nerf  retrait, 
Trop  li  donai  fellon  entrait  ; 
Et  saichiez  se  paor  n'eusse 
De  lui  venir  à  aise  fusse. 
Mais  moult  très  grant  paor  avoie, 
Quant  crier  et  braire  l'ooie, 
Et  jel'  véoie  vutrillier, 
])o%\[or  el  destandillier, 


DE   DOLOPÀTHOS.  2-1; 


Et  démener  trop  grant  dolor. 

Lors  par  oi  ge  si  grant  poor, 

Quant  je  le  vis  lever  de  terre, 

Et  quant  je  soi  k'il  venoit  querre 

Une  trop  desloial  masue 

Qui  à  un  fust  estoit  pandue. 

Par  sa  maison  m'aloil  querant, 

Et  sus  et  jus  aloit  ferant. 

Bien  saichiez  k'à  malaisse  estoie  : 

De  laians  issir  ne  pooie  , 

N'i  avoit  c'une  soûle  entrée. 

Et  celle  estoit  moult  bien  fermée. 

N'an  issise  por  nule  chose  ; 

De  haus  murs  fut  sa  maison  close. 

Mussant  aloie  d'angle  en  angle, 

Je  n'avoie  pas  trop  la  jangle; 

Qant  vers  moi  venir  le  véoie, 

A  paione  soupirer  osoie, 

N'aliéner,  se  moult  petit  non. 

Ansi  fui  par  sa  maison, 

Et  il  me  cercha  longemant, 

Tant  que  je  vis  outréemanl 

Que  vers  lui  garir  ne  pooie, 

Ne  por  foïr  n'cschaperoie. 

Par  une  eschiele  au  toit  montai  ; 

A  un  des  chevrons  me  getai, 

Par  andouz  les  braz  ni'i  pandi  : 

Lai  demorai  et  atandi, 

lui  pandiant,  an  ici  manière, 


246  EXTRAITS 

.1.  jor  et  une  nuit  anlièrc 
Tant  ke  je  dui  estre  estancliiez  ; 
Par  pot  ke  n'oi  les  braz  tranchiez, 
Trop  i  soffri  de  mal  assez. 
Et  quant  je  par  fui  si  lassez 
Que  plus  ne  me  pou  soustenir, 
A  terre  me  covint  venir. 
Par  delez  lui  mussant  aloie  ; 
Antre  ces  brebis  me  couchoienl . 
Dont  il  avoitbien  .m.  et  plus. 
Ansi  aloie  et  sus  et  jus  ; 
Je  sai  de  voir  ke  bien  savoit 
Q'ancor  en  sa  maison  m'avoit, 
tët  ke  pas  eschapez  n'estoie, 
Et  se  par  mi  l'uis  n'enchapoic, 
N'en  eschaperoieautremant. 
Por  ce  se  gardoit  duremant, 
Car  moult  estoit  felz  et  entiers. 
Petit  estoit  ses  huis  ouvers, 
S'il  ne  l'ovroit  por  ces  berbis 
Qui,  par  mi  les  leus  enherbis, 
Aloient  paislrc  chascun  jor, 
Et  revenoient  sanz  pastor  ; 
Il  lesavoitsi  bien  charmées 
Conkes  n'estoient  destorbées 
Ne  par  besle,  ne  par  larron, 
Bien  revenoient  en  maison  ; 
Il  n'en  perdoit  onkes  ffès  une: 
Kl  se  ne  sai  par  quel  fortune  , 


1)1     DOLOPATHOS.  247 


Par  art,  ou  par  anehantement. 
Chascun  jor,  en  rantéemant, 
A  Pissir  del  huis  les  contoit, 
Une  et  une  si  les  santoit  ; 
La  plus  grase  et  la  plus  pesant 
Retenoit  à  son  esciant. 
N'estoit  nuns  jors,  tant  fust  géune, 
C'a  tôt  le  mains  n'en  mangast  une; 
Mais  si  bien  charmer  les  savoit 
C'onkes  por  ceu  mains  n'en  avoit. 
Qui  contre  mort  se  vuelt  tanser , 
Maintes  chose  li  stuet  panser; 
Et  je  qui  la  mort  redoutoie, 
De  maintes  choses  m'an  pansoie. 
Bien  oi  oit  kant  k'il  dissoit 
Et  véoie  qant  k'il  faisoit. 
Je  me  pansai  que  je  querroie 
.1.  mouton  et  si  m'ancloroie 
Dedans  la  pel,  et  je  si  Gs. 
.1.  grant  mouton  cornutocis, 
Et  si  m'anclos  dedans  la  pel , 
Moult  m'atornai  et  bien  et  bel  ; 
Par  grant  paor  m'an  antrcmi-i  . 
O  les  autres  berbis  me  mis , 
Por  issir  à  la  matinée. 
Moult  ot  bien  sa  portr  fermée  . 
Mais  li  guiches  tut  antrovers 
Et  je  lui  de  la  pel  covers  ; 
Trestoutes  les  berbis  contail . 


EXTRAITS 

Une  à  une  les  atestail, 
Si  com  il  faisoit  chascim  main. 
Et  qant  je  ving  desoz  sa  main, 
Par  la  lainne  me  sozlevait; 
Qant  grais  et  pesant  me  trovait, 
Si  dist  je  n'en  iroie  mie, 
Ains  li  feroie  compaignie. 
De  moi  son  vantre  farsiroit, 
Por  son  mengier  me  retenroit  : 
Ansi  fui,  le  jor,  retenus, 
Mais  ne  sot  ke  fui  devenuz. 
Par  1'estable  me  quist  assez, 
Tant  ke  de  querre  fut  lassez. 
Maugreit  mien  li  fis  compaignie. 
Mais  as  mains  ne  me  tint  il  mie  : 
Lendemain  m'atornai  ensi, 
Mais  onkes  por  çou  n'en  issi  ; 
Ains  me  retint  an  tel  manière. 
El  si  me  regitait  arrière, 
Si  k'il  me  dut  faire  crever. 
Mais  il  ne  me  pot  pas  trover, 
Qant  il  me  rccuidait  tenir; 
Je  le  vi  bien  vers  moi  venir, 
Car  .vii.  fois  me  retint  ensi, 
De  jor  en  jor  c'ains  n'en  issi 
El  je  par  .vii.  loi*  le  gabai 
<  l  n  loi  adès  li  eschapai. 
\  oirs  esloil  el  bien  le  savoir 
(  l'autrem  ml  issii  n\m  popie 


DE   DOLOPA.THOS.  249 


i 


A  derrains  ma  pel  vesti, 
Muez  ke  je  pou  m'i  en  coisi  ; 
Si  me  remis  droit  à  la  voie 
Mais  moult  très  grant  péor  avoie. 
Il  me  santit  et  atestait, 
An  mi  la  voie  me  gitait, 
Et  dist  ke  mal  l'euf  me  manjassenl, 
Ne  revenir  ne  me  laissaient  ; 

Tantes  fois  m'avoit  retcnul 

Ne  nuns  biens  ne  l'en  iert  vcmil  ; 

Ne  savoit  ke  je  devenoie 

Trop  deloiaux  moutons  estoie. 

Ne  s'estoit  ancor  apersus 

Que  par  moi  fust  si  decéus. 

Gant  je  fui  de  ses  mains  délivre".. 

Qui  me  donast  .x.  .m.  livres 

Ne  me  foisl-il  si  joiant. 

Et  qanl  je  fui  loins  del  joiant 

Le  git  d'une  pierre  menue, 

Si  lou  gabai  de  sa  véue 

Que  je  tollue  li  avoie  ; 

El  de  qu'eschapez  estoie, 

finies  foiees,  île  ces  mains. 

Il  me  dist  :  Amis,  eYsl  .ici  m.iuis. 

Fait  ais  trop  befe  ticherie. 
M. mis  seroil  el  gms  »  ilonie 
S'aucun  bel  don  de  moi  n'avoic  . 
.lai  de  moi  nul  bien  ne  di rotes  ; 
Riches  lions  sm/  de  granl  Ircsoi 


2S0  EXTRAITS 

De  son  doit  traist  .i.  anel  d'or, 

Devant  moi  le  gittait  à  terre  ; 

.là  vers  lui  ne  la  laisse  querre, 

Car  duremant  le  redoutoie, 

Ne  tant  ne  qant  ne  le  créoie. 

Gros  fut  li  anels  et  pésans 

Muelz  valloit  de  .iiii.  besans. 

Qant  jel'  vi,  s'an  oi  grant  anvie, 

De  trop  covoitier  est  folie  ; 

Jel'  covoitai  et  si  lou  pris, 

Et  en  .i.  de  mes  dois  le  mis  ; 

Puis  m'an  ting  je  moult  por  musart, 

Car  li  joians  savoit  une  art, 

Cui  Dex  doignetmale  santeit! 

S'avoit  l'anel  si  anchanteit, 

De  mon  doit  traire  non  pooie, 

Et  tôt  adès  huchant  aloie  : 

.le  sui  sai,  sire,  je  sui  sai. 

Li  joians  vers  moi  s'adrescai , 

Qui  des  eulz  goûte  ne  véoit, 

Lai  venoit  où  ma  vois  ooit, 

Et  je  à  mon  pooir  le  i'uoie, 

Qui  an  fuant  adès  huchoie. 

\  ces  grans  chaignes  se  hurtoit, 

Par  mi  ces  boissons  s'abaitoit 

lit  chèoit  ansi  corn  uns  trons  , 

Cal  moult  par  estoit  grans  et  Ions; 

XV.  bons  [liezavoit  de  haut, 

Moull  avoit  lost  saillit  .i.  saut  ; 


DE  BOL0PATHOS.  "2'il 


Bien  sai,  se  il  m'éust  véul, 
Moult  tost  m'éust  aconsént. 
Je  vis  ke  pas  n'cschaperoie, 
Que  ma  vois  tenir  ne  pooie, 
Ne  l'anel  traire  de  mon  (loi  ; 
Et  il  estoit  si  près  de  moi. 
Tôt  an  fuiant  me  porpansai, 
De  mon  doit  tranchier  m'avisai  ; 
Moult  fait  cui  poors  de  mort  loche. 
Je  boutai  mon  doit  en  ma  boche 
Si  ke  li  anels  fut  dedans, 
Tôt  par  mi  lou  tranchai  as  dans. 
L'anel  et  le  doit  li  gctai, 
En  tel  manière  en  esch.ipai; 
Si  m'an  reving  plus  tost  ko  pni. 
Certes  maintes  poors  i  <>i 
ESn  l'aventure  ke  j'ai  dite. 
.1.  de  mes  hlz  me  clamés  quite  ; 
El  por  les  autres  .ii.  r'avoir. 
Vos  dirai  k'il  m'avint,  de  voir. 
Aiiruis  c'an  mon  manoir  renisse 
Ne  fors  de  la  fores!  ississe. 


I)<vl  joianl  délivrez  estoie  ; 
I  ihemin,  ne  santier  ne  tenoie 
\ mis  fuoie  par  mi  ces  Iw.iv, 
\iim  coin  cil  me  fnsl  au  dos. 
Se  savoie  k<l  i»  ni  j'alaisse, 


252  EXTRAITS 

.Ne  kel  partie  je  tornaisse. 

Sor  les  plus  haus  arbres  montoie, 

Et  sor  ces  montaignes  rarapoie, 

Por  esgarder  se  je  véisse 

Voie  par  où  del  bois  issise, 

Ou  recet  lai  où  habitast 

Qui  de  cel  bois  fors  me  gitast. 

Puis  dessandoie  en  ces  valées 

Qui  par  nature  ièrent  chavées 

Et  parfondes  jusq'an  abisme. 

Moult  doutoie  de  moi  meïsme; 

Grant  duel  et  grant  pooravoie, 

Et  à  trop  grant  dolor  montoie 

Les  hautes  montaignes  agues 

Qui  paroient  desor  les  nues. 

Lai  n'aloie-je  pas  lou  cors  : 

Lou  et  lyeon,  leopart  et  ors, 

Seinglier,  bugle,  asne  salvaige, 

Tors  dragons  et  serpant  volaige, 

Souterel  et  mouton  et  monstre 

Me  venoient  trop  à  l'ancontre; 

Saichiez  ke  grans  paors  m'an  vient, 

Toutes  les  fois  k'il  m'an  sovient. 

Por  la  grant  paor  ke  j'avoie, 

Me  samble  ancor  ke  je  les  voie. 

Ansi  alai  .ii.  jors  antiers, 

Tant  k'il  m'avint  ke  uns  gantiers 

Me  menait  an  une  fontaigne  ; 

Jamais  n'ierl  jors  nf  m'an  soveingne 


M     D0L6PATB0S.  253 

Des  mais  ke  solfrir  me  covinl, 
Et  des  merveilles  k'il  m'avinl. 
.11.  jars  et  .iiii.  nuis  geunai, 
Conkes  de  fuir  ne  finai. 
Et  kant  en  la  montaigne  ving, 
A  moult  grant  poigne  me  sosting; 
Jà  estoit  près  de  la  vesprée. 
Dont  regardai  en  la  vallée 
Qui  parfonde  estoit  et  oscure; 
Loingde  moi  vi,  par  aventure, 
Fumée  ki  estoit  de  feu. 
Moult  bien  me  pris  garde  del  leu, 
Je  ne  vois  pas  perdre  ma  voie. 
Ansi  com  del  mont  avalloie, 
A  piet  del  mont  an  .i.  pandant 
Lai  trovai  .iii.  larrons  pandant. 
De  novel  estoient  pandut  ; 
Cliaoir  m'estot  tôt  cstandut, 
Car  je  les  vi  soudainemant 
Et  je  caidai  vcraiemant, 
Ouït  je  les  vi  pandanl  à  l'ust, 
Cancana  joians  près  de  moi  fasl 
Qui  toz  .iii.  pandus  les  éusi. 
Et  ausi  pandre  mcdéust. 
N'est  merveille  se  paor  oi  ; 
Je  m'estors  au  plus  ke  je  poi, 
El  besoigne  Ion  me  tist  faire. 
Je  m'.iti  aini  vers  im  repaire 

Où  j'o  la  fumée  v.n, 


"2.Î4  EXTRAITS 

Bien  oi  droite  voie  tenue. 
Lai  trovai  une  maisonnete, 
Et  vi  dedans  une  famete 
Qui  .i.  anfant  au  feu  tenoit. 
Dolantemant  se  maintenoit; 
N'i  avoit  c'ous  .ii.  soulemant, 
J'antrai  léans  tôt  erranmant. 
Premieremant  la  saluai, 
Et  doucement  li  demandai 
S'elle  avoit  autre  conpaignie, 
Et  por  Deu  ne  m'an  mantist  mie  ; 
Combien  de  ville  Ions  estoie, 
Elle  dist ,  se  Dex  li  donst  joie. 
De  fine  veriteit  sa  voit 
Que  ville,  ne  chastel  n'avoit 
A  .xxx.  luees  en  tôt  sans. 
Por  poc  k'elle  n'issoit  dou  sans; 
Elle  ploroit  moult  tanremant. 
Je  li  respondi  bellemant 
Qui  l'avoit  laians  amenée? 
Elle  respont  toute  esplorée, 
Et  si  sospiroit  moult  sovant  ; 
Si  me  dist  ke,  la  nuit  devant, 
Se  dormoit  delez  son  marit  : 
Lai  vinrent  malvais  esperit 
Que  ces  gens  apclent  B stries. 
Moult  li  fissent  de  fclonnies; 
El  li  et  son  anfant  amblèrent, 
En  relie  maison  l'enporièrenl. 


DE  DOLOPATHOS.  288 

Celle  nuit  venir  ce  dévoient, 

Et  bien  comandeit  li  avoient 

Qu'ele  mesist  son  anfant  cuire, 

Cui  k'il  déust  grever,  ne  nuire; 

La  nuit  le  dévoient  maingier. 

Je  cuidai  bien  le  sans  chaingier, 

Qant  tel  chose  li  oï  dire. 

Lors  n'avait  tallantde  rire, 

Et  elle  an  plorant  le  me  dist. 

Moult  grant  pitiez  au  cuer  m'en  pris!  : 

Je  dis  ke  tant  li  aideroic, 

Li  et  l'enfant  delivreroie. 

Certes  moult  estoic  lassez, 

Maintenant  me  fui  porpansez  : 

Je  n'avoie  cure  de  moi, 

Tant  par  estoic  en  grant  effroi. 

Si  com  je  poux  muez  m'atornai  : 

Grant  aléure  retornai, 

Tôt  corrant  et  toz  cslaissicz, 

Lai  où  j'ai  les  larrons  laissiez. 

Qui  estoient  pandul  à  l'arbre; 

Je  les  trovai  plus  frois  ke  marbre. 

Li  plus  grans  iert  en  mi  pandus, 

Dont  ne  fui  pas  trop  espenlus  : 

Jel'  dépandi,  si  l'anportai, 

La  dame  dis  et  anortai 

Que  maintenant  le  mesisl  cure 
El  por  ceu  k<-  ses  Hz  ne  mare, 
Le  me  donast  el  jel'  manrote 


250  EXTRAITS 

Tel  leu  ke  bien  le  saveroie. 
Elle  l'otroinit  volentiers; 
Je  pris  l'enfant  en  dcmentiers, 
En  .i.  chaigne  chaveit  le  mis, 
Por  faire  ceu  ke  je  promis, 
(v)ue  chavez  iere  par  nature  ; 
Puis  m'an  reving  grant  aléure, 
Por  lafammeteconsillier. 
Le  larron  li  fis  detaillier, 
Et  mètre  cuire  maintenant. 
Et  ele,  grant  duel  démenant, 
Le  fist  et  toute  espoerie, 
Lai  ne  fis  plus  de  démorée. 
Je  doutai  k'elles  ne  venissent, 
Ne  vos  pas  k'clle  me  véissent. 
Près  de  l'oslel  m'alai  seoir, 
Car  je  les  voloie  véoir. 
Ceu  saichiez  k'an  tel  leu  séoie, 
Que  de  fors  et  dedans  véoie; 
Moult  par  estoic  bien  assis. 
Adès  estoic  à  ceu  pansis 
Que  les  merveilles  esgardaisse, 
Et  la  bone  fammelle  aidaisse 
Oui  dotante  iert  etesbaibje, 
S'elle  éust  mestier  de  m'aie. 
Moult  bien  m'an  estoic  BÛchiez  ; 
.Lu  estoil  li  soûlas  couchiez  , 
Près  ière  de  uui^  asseï  ie. 
Les  gènes  ru-  tardèrent  mie, 


DE   DOLOPATHOS.  257 

Ne  me  covinl  gaires  atandre; 
Des  montaignes  les  vi  dessandre 
Anviron,  drues  et  espesses; 
Je  cuidai  ce  fussent  singesses. 
Trop  grant  temulle  demenoient, 
Ne  sai  quel  chose  trainoient, 
Après  elles,  tôle  sanglante. 
K\  regarder  mis  grant  entente, 
Mais  ceu  kc  fui  ne  poi  savoir. 
Et  tant  vos  di-je  bien,  por  voir  : 
An  la  maison  tôles  antrèrent, 
Grans  feu  de  laignes  alumèrent  : 
Moult  ardoit  li  feux  durèmant. 
Elles  prisent  lot  erranmant 
Ceu  q'ellcs  trainct  avoient, 
Toi  .lu-un  mi  le  devoroient 
Gom  féissent  chien  enragiel  ; 
A.n  poc  d'oure  l'orenl  mangiel, 
N'i  missent  mie  longemanl. 
Après  ne  larjait  pas  granmanl 
Que  la  char  del  larron  fui  cuite. 
Lai  poissiez  véoir  grant  luite  : 
De  tosl  mangier  secombaitoicnt, 
Si  corne  louf  se  rechiognoteot. 
Plus  tost  l'ont  maingié  k'eles  poKDl 
Et  nequcdant  toales  en  oreot. 
La  plus  grani  d'eles  estoil  dame; 
Celle  apellail  la  bone  laiinin- 
El  ilisl  kc  vt-rileit  li  die, 


258  EXTRAITS 

Bien  gart  k'ele  ne  mante  mie  : 

Se  c'est  ces  filz  k'eles  ont  maingié, 

Ou  c'elle  lor  avoit  changiet? 

Elle  respont  ces  filz  estoit. 

L'estrie  dist  k'elle  mantoil 

Com  orde  vielle  pautonière, 

Et  dist  c'uns  des  trois  larrons  iere, 

Si  com  elle  cuide  de  voir. 

Et  por  ceu  k'ele  en  vuelt  savon 

Veriteit  et  droite  novelle, 

Les  .iii.  plus  hardies  apele 

Et  dist  :  Or  tost  isnellemant 

As  forches,  et  si  vos  cornant 

Que  m'aporteiz,  sans  demorée, 

De  chascun  une  charbonée  ; 

Je  voil  savoir  s'elle  dist  voir.  . 

Maintenant  me  covint  movoir  : 

La  bone  famé  aidier  dévoie, 

Li  et  Pant'ant  salver  voloie, 

Et  je  volanticrs  m'en  penai. 

Onkes  de  corre  ne  linai 

Tant  kc  je  ving  as  .ii.  pandus,. 

Tôt  an  mi  me  fui  estandus 

Ausiment  com  li  lerres  fust. 

Bien  me  ting,  as  .ii.  mains,  à  lïisl 

Tantost  les  .iii.  estnes  vinrent 

Qui  an  lor  mains  les  coutiax  tindrenl: 

Des  naiges  as  larrons  copèrent, 

De  ma  cuisse  une  pièce  ostèrent  ; 


in    iioLoiwïiios.  "259 


Jamais  n'ierl  jon  ke  il  n'i  paice 
Tantosl  se  metent  au  repaire, 
Les  .iii.  pièces  en  ont  portées 

Et  à  lor  maislre  prcsantécs  ; 
Muni  .min  goffrir  me  ootint. 
Geste  aventure  ansi  avint  : 
Mon  autre  iil  an  voil  avoir, 
Et  por  l'autre  vos  dirai  voir. 


Moult  fui  navrez  dcstroitemant, 

Et  moult  me  dolui  duremant. 

De  cel  arbre  où  je  pandi 

Jus  à  la  terre  dessnndi: 

Por  eslanchier  faire  ma  plaie, 

Copai  lou  tiwel  de  ma  braic. 

Et  ma  chemise  an  dctranchai  ; 

N'onkcs  point  (Ici  aanc  n'enstanchai, 

Oui  sordail  coin  d'une  fonlainne. 

Trop  soufri  de  mal  el  de  painnd; 

Et  bien  saichiez  keje  pansoie 

A  ceus  ke  délivrer  voloie, 

Tant  ke  de  moi  DM  nie  cliaioit. 

Li  sans  ki  de  moi  avalloit  , 

Li  gcuners  et  li  teiUiere, 

Li  pansers  el  li  travcillieis 

Megrevoient  tr<»|»  amremadfc; 

Neporqant  plus  îsneUemsIql 

Que  je  pou,  et  en  tel  manièri 


260  EXTRAITS 

Keving  à  la  maison,  arrière  ; 
En  mon  leu  me  r'alai  seoir 
K'ancor  les  voloie  véoir. 
Qant  je  fui  en  mon  leu  assiz 
Moult  à  malaisse  et  moult  pansiz, 
Bien  m'an  doit  ancor  sovenir; 
Dont  vi  la  maistresse  tenir 
La  pièce  ke  de  moi  tranchièrenl 
Celles  ki  si  fort  me  blescièrent, 
Et  les  .ii.  pièces  des  larrons, 
Jetait  par  desor  les  charbons  , 
Toutes  crues  les  asaiail  : 
lie,  fait-elle,  quel  char  ci  ait! 
Qant  elle  tint  la  moie  pièce  ; 
Et  dist  ke  moult  avoit  grant  pièce 
Que  n'avoit  mangiet  de  si  bone , 
A  une  autre  essaier  la  done. 
Les  .iii.  compaignes  rapellait, 
Et  dist  :  Or  tost  retornez  lai, 
Je  vos  pri  ke  moult  vos  basiez; 
Le  larron  an  mi  m'aportez. 
La  chars  an  est  et  bone  et  belle, 
Toute  est  ancor  fresche  et  novele, 
Si  la  mangerons  or  androit. 
As  forches  m'an  r'alai  tôt  droii, 
Qant  j'oi  celle  parolle  oïe, 
Bien  eusse  mestier  d'aic! 
N'estoit  pas  ma  plaie  eslanchie. 
Moult  oi  de  mal  et  de  haschie  ; 


DE    DOLOPATIIOS.  261 


Mais  onkes  por  ceu  n'antandi, 
Awec  les  autres  me  pantli. 
Estes  vos  les  .iii.  pautonnières 
Qui  moult  ierent  cruelx  et  fières, 
Oui,  tôt  corrant,  me  vinrent  qucrre; 
Par  les  piez  me  traïssent  à  terre, 
Onkes  de  riens  nem'esparnièrent. 
.lusc'à  la  maison  m'ansacln'èrent 
Par  chavox,  par  piez,  et  par  mains; 
Bras,  espaules,  et  dos,  et  rains 
Covint  hurter  à  mainte  espine , 
Por  poc  n'ou  rompue  l'eschine. 
Et  moult  vilmant  me  traînèrent, 
As  piez  la  maistre  me  gitèrent. 
Bien  m'an  puet  ancor  remambrer, 
Jai  me  vouloient  desmanhrer  ; 
Tantost  m'eussent  devoreit, 
Jai  tant  pou  n'éust  demoreit, 

Qant  je  ne  sai  kel  chose  virent, 

Ne  sai  s'elles  les  colx  oïrent, 

Ou  ce  ke  fut  rertainnemant. 

Mais  je  vos  di  bien  vrairmanl 

Que  maintenant  s'esvanolrenl  ; 

De  la  maison  toutes  issirent, 

Assez  anportèrentdel  toit. 

Car  li  maniez  les  anportoit  ; 

Et  lirrnl,  par  nu  li  forest, 

rropgrant  noise  et  tropgrani  tampest, 
Eu  tel  manière  m»'  laissièrent, 


•262  EXTRAITS 

Onkes  arrière  ne  repaireirent. 
N'onkes  la  mère  n'adesèrent, 
Ne  de  son  anfant  ne  gostèrent. 
Moult  cstoit  de  la  nuit  alée, 
Ne  tarsait  gaires  la  jornée  ; 
Maintenant  ke  je  vi  le  jor, 
.le  n'oi  cure  de  lonc  sejor  ; 
La  mère  et  l'enfant  anmenai, 
Trop  oi  mal,  et  trop  me  penai. 
Petites  jornées  faisoie, 
Car  duremant  navrez  estoie  ; 
Et  si  moroie  trop  de  fain, 
Ne  mangoie  ne  char,  ne  pain  ; 
Ne  trovoie  ville  ne  gent. 
Par  le  bois  aloie  mangant 
Herbes  et  foilleset  racines. 
Et  colloie  sor  les  espines  ; 
Les  prunelles  kant  les  trovoie. 
De  celles  grant  teste  faisoie. 
.XL.  jors  <ilai  ensi, 
C'onkes  de  la  forest  n'issi. 
Et  tant  alames,  toutes  voies. 
Que  travers  bois,  ke  travers  bue-. 
Que  nos  venimcs  au  repaire. 
Moult  oi  de  mal  e|  de  contraire, 
Poi  la  rame  tanl  me  penaj 
Q'à  s, ,n  ostel  la  ramenai) 

El  -on  .inl.iiit   s. iin  et   hailn  I 

Dame,  di;  l-il,  pai  apusiiei . 


de  hoi.oi'A  iii<>>  263 

Trois  aventures  vos  ai  dites, 

Or  me  clameiez  mes  .iii.  (iz  qui  tés. 

La  mine  ki  moult  l'amait, 

Ses  anfans  quites  li  clamait, 

El  se  li  donait  grant  avoir. 

Et  li  anfant  firent  savoir 

K'avec  lor  père  s'en  r'alèrent, 

.N'onkes  puis  nule  fois  n'amblèrent. 

Extrait  n°  9,  f°  424,  col.  lrc. 

Rois,  fait-il,  .i.  damoisiax  fut 
Ki  par  noblesrc  et  par  vertut 
Doit  bien  estre  apellez  geottz. 
Moult  s  u  v  ;  1 1 1 1  estoil  antaulis 
D'alcr  en  bois  et  en  rivière  : 
Moult  estoit  de  bone  manière. 
Moult  amoit  braeliès  et  lévriers. 
Et  venéors  et  braconniers. 
Brahons  et  loirniers  avoil  ; 
Des  chiens  et  des  oisiax  savoil, 
El   si  estoit  adès  premiers 
Ses  brachès  et  ses  loimters 
\cmi[)l,iit,  por  aler  chacier, 
Les  iiiillors  maistres  por  tressiei 
Descoaplèrent  li  Irenéor. 

Il  sist  sor  .i.  grant  cliacèoi  . 
Le  COI  à  COl,  l'espée  s, unie 

Dont  m. unie  heste  "i  atainli . 


264  EXTRAITS 

A  par  issir  d'une  tranchie, 
D'un  cerf  plus  blanc  ke  nois  negie 
Ont  sui  chien  trovée  la  trasche, 
Moult  fut  bone  et  bêle  la  chasce; 
Car  li  cerf  se  mist  à  la  fue, 
Li  uns  corne  li  autres  hue. 
Cil  chien  si  doucemant  glatissent, 
Que  les  forés  en  retentissent. 
Li  damoisiax  chevalche  après, 
C'est  cil  ki  plus  le  suit  de  près. 
Li  blans  cers  ses  tertres  savoit 
Es  corne  .x.  broches  a  voit; 
Moult  estoit  vielz,  et  grans  et  gros. 
Ses  cornes  gete  sor  son  dos, 
Et  si  s'anfuit,  teste  levée, 
Par  la  plus  espesse  ramée. 
Li  damoisiax  plus  tost  k'il  puet, 
Le  suit  tant  q'à  force  l'estucl 
Demorer,  et  li  cerf  s'anfuit; 
La  trasce  en  suient  li  chien  tuit. 
La  forés  fu  espesse  et  drue, 
Tote  ait  sa  maisnie  perdue, 
Et  si  ne  seit  où  si  chien  sont. 
Kcmeiz  fut  en  .i.  val  parfont, 
Le  cheval  des  espérons  broclii', 
A^sez  sovant  mist  cor  an  bouchi 
Ses  i  hiens  et  sa  maisnie  apcle, 
Doal  il  ne  seit  nule  novele; 
Mais  il  n<-  <.nt  tant  haut  corner 


L>E  BOLOPA THOS.  265 


Que  nul  au  puist  à  lui  torner. 
Auiont  et  aval  esperone, 
Li  valx  et  la  forez  resonne, 
A  la  vois  del  cor,  moult  sovant. 
Tant  chivauche  arrier  et  ayant, 
Par  la  forest,  à  quel  ke  painne, 
Qu'il  s'an  bat  sor  une  fontainne 
Dont  l'aiguë  cort  et  sainne  et  bêle, 
Blanche  et  nete  sor  la  gravelle. 
Lai  trovait  baignant  une  fée 
De  ces  dras  toute  desnuée, 
Toute  soûle,  sanz  conpaignie. 
Avenans  fut  et  eschevie, 
De  bras  et  de  cors  et  de  vis  : 
Tôt  à  .i.  mot  le  vos  devis  , 
Ains  plus  belle  rien  ne  fu  neie, 
Li  damoisiax  l'ait  esgardëe; 
Qant  il  l'ait  si  belle  vcue, 
Li  sans  et  la  color  li  mue. 
Ses  chiens  oublie  et  sa  mai  nie, 
De  li  avoir  ail  grant  aime. 
Car  sa  grant  biantéil  le  sorprisl. 
Celle  ki  garde  ne  s'an  prist, 
El  ke  nule  rien  ne  SaTOit, 
Une  cheaigne  k'elle  ayait, 
De  lin  or,  laissait  sor  la  i  îye 
Ht  cil  i  m  Qne  amors  en  rive, 

Saut  avant,  la  chaaigne   i  |iriM 

ii  damoiselle  rai  s.hjj, 


266  EXTRAITS 

La  chaaigne  estoit  sanz  doute 
Sa  vertu  et  sa  force  toute: 
N'ot  pas  pooir  de  soi  desfandre. 
Li  damoisiax,  sans  plus  atandre, 
La  traist  de  l'aiguë  tote  nue 
Et  de  ces  dras  l'ait  reveslue. 
Les  chiens  et  le  cerf  oubliait, 
D'amors  la  requist  et  proiait, 
Et  dist  ki  la  prendroit  à  famé 
Riche  seroit  et  haute  dame. 
La  pucele  an  prist  la  fiance, 
La  séurteit  et  faliance, 
A  icel  tans  plus  n'en  faisoient  : 
.Mais  puis  ke  ûanceit  estoienl, 
Se  portoit  li  uns  l'autre  honor, 
Loiauteitet  foi  et  amor. 
La  nuit  sor  la  fontainne  jurent, 
Onkes  d'iluec  ne  se  reruurent  ; 
Si  fut  elle  despucelée, 
Que  prox  fut  et  saige  et  senée. 
Sor  l'erbe  fresche  ki  verdoie 
Li  damoisiax  rnoinne  sa  joie. 
\  mie  nuit,  la  damoiselle 
Oue  perdut  ot  non  de  pucellc, 
Au  cors  des  estoiles  esgarde  ; 
\c  lut  pas  folle  ne  musarde, 
Par  nature  assez  .m  savoil  ; 
Kl  \ii  ke  consèul  avoîl 
\  I.  li/.  il  une  damoiselle 


DE    DOLOPATIIOS  2<>7 


Son  signor  on  dist  l;i  novclle. 
Mais  moull  an  l'ut  cspoanlèe. 
Li  sires  l'ait  reconfortée, 
Doucemant  l'acolle  et  aribrase; 
Les  eulz  et  la  bouche  et  la  faice 
Li  baisse  savorousemanl. 
[celle  nuit  prcmieremant 
Ensi  sor  la  t'ontainne  jurent  ; 
Au  milinet  moult  matin  murent, 
Sor  son  chacéor  l'ait  levée, 
A  son  chastel  l'en  ait  portée. 
Ancontre  lui  c.ort  sa  maisnie 
Qui  moull  an  futjoieuse  ci  lie; 
Moult  l'ont  grant  (este  de  la  dame  , 
Qant  il  sevenl  k'elle  est  sa  famé; 
Grant  leste  et  grant  joie  dèmaineni, 
De  li  honorer  moult  se  p;iinnonl. 
Li  damoisiax  ol  arieor  mère  . 
Mais  il  n'.ivoit  triais  point  de  père. 
El  kant  sa  mère  sol  el  vôil 
Que  ees  ti/  celle  dame  avoit 
A  rame  prise  el  espousée, 
Por  pou  n'est  ti,-  duel  fotsenèe. 

De    on  lil  estoit  dame  loiite  ; 

Moult  durement  crient  ei  redoute 
Que  sa  tarda  se  soii  dél  toi  dame. 
Tins  ke  ces  li/  l'ail  prise  à  famé. 
l'el  duel  en  ail  el  lèl  .un  ic 
Por  pou  k'ele  n  .ut  pprl  la  rie 


268  EXTRAIT  S 

Grant  mal  pause  et  grant  traison  : 
Ele  ait  rais  son  fil  à  raison  , 
Moult  li  blasrae  le  mariaige 
Et  moult  li  messist  el  coraige  ; 
Volantiers  feroit  c'ele  onques  poisl 
Tel  chose  par  coi  l'an  liais  t. 
Onkes  n'en  pot  à  chief  venir 
Cil  n'en  vuet  parole  tenir, 
Ains  dist  :  Dame  ,  n'en  parlez  plus 
Car  elle  est  ma  dame  et  ma  drus; 
Ne  puis  pas  autre  famé  avoir. 
La  mère  vit  et  sot  de  voir 
Que  n'i  porroit  descorde  mètre, 
Ne  pordoner,  ne  por  prometre; 
Et  ses  fiz  mal  greit  l'en  savoit , 
Por  ceu  ke  parleit  en  avoit. 
Dolante  en  fut  en  son  coraige  : 
Grant  fcllonie  et  grant  outraige 
Pansait,  mais  elle  nel'  dist  mie. 
Trop  est  plainne  de  grant  anvie 
Et  farsie  de  traïsson; 
Atandre  vuelt  leu  et  saison  , 
A  celé  fois  n'en  puet  plus  faire  , 
Traitre  fut  el  deputaire. 
A  sa  brus  mostrait  belle  chière  : 
Samblant  list  kc  moult  l 'avoit  chiere, 
Moult  doucemant  la  doctrinoit , 
1    ime  si  fille  l'anseignoil , 
El  moult  li  (lorloit  grant  honoi  , 


l)ï.    DOLOl'ATHOS.  209 


Ne  li  pooit  porter  greignor  , 
Car  autrement  faire  ne  l'ose. 
Fa  use  amors  est  trop  maie  chose; 
Telz  lieil  ki  fait  sanblanl  d'amer. 
Moult  ot  fellori  cuer  et  amer 
La  vielle,  mais  la  damoiselle 
Fut  moult  simple,  cortoise  et  belle  : 
Et  por  ceu  k'cle  esloit  eusainte 
Li  fut  .i.  pou  la  collor  tainte. 
Chascun  jor  plus  grosse  devint, 
Jusc'à  jor  ke  li  termes  vint 
D'afanter  ceu  dont  grosse  estoil. 
Sa  Mine  ki  s'anlremetoil 
De  li  servir  par  liaison, 
Ne  volt  k'elc  aust  se  li  non 
De  bailles  à  l'anfanlemanl. 
Tôt  sol  à  sol  privéenianl 
Forent  andoi,  en  une  chambre. 
Li  cuers  et  li  cors  et  li  manlu. 
Figent  moult  mal  à  la  meschine  . 
Qant  vint  à  point  de  la  gesine. 
Grant  dolor  soffrir  li  covinl, 
Car  si  com  deu  en  ti I Lm t  vint , 
Se  délivrait  la  damoiselle 
De  .vi.  fdz  et  d'une  puccllc; 
Fi  en  l'escors  sa  malle  seure 
Que  plus  lui  doloîax  kc  maere. 

Cil  .vij.  anl.int  trop  bel  cstoienl; 

Une  chaaigne  d'or  avoienl 


270  EXTRAITS 

Chascuns,  autor  son  col  fermée 
Que  nature  li  ot  donée. 
Qant  la  vielle  les  anfans  voit, 
Qui  tant  de  mal  en  li  avoit , 
Et  de  sa  brus  avoit  anvie, 
Bien  fist  ke  niortez  anémie. 
Celle  estoit  malaide  et  grevainne, 
Por  la  dolor  et  por  la  painne 
Qu'ele  avoit  soffert  et  aue, 
Ne  s'an  a  pas  aparcéue. 
Toz  les  .vii.  anfans  li  anblait, 
Por  les  .vii.  anfans  assamblail 
.VII.  chaaillons  k'elle  savoit, 
D'une  braichete  k'elle  avoit, 
Qui  furent  ncil  celé  semainne; 
Geu  ne  fut  mie  trop  grant  painne, 
Faire  le  pot  legierement. 
.1.  sergent  prist  privcemcnt, 
En  cui  elle  fiance  avoit, 
Que  son  covine  tôt  savoit. 
Les  anfans  comandeit  li  ail, 
Moult  très  doucemant  le  priait, 
Sans  noise  faire,  et  sans  lancier, 
Jurer  li  fist  et  (lancier 
Quejai  ne  lai  rancuseroit; 
Et  les  .vii.  anfans  porterai I 
An  tel  leu  où  jai  nc's  verront, 
Estranglcituu  nOret  sfn.nl. 
Li  sergans  les  anfans  an  porte, 


DE    DOLOPATHOS.  271 


Muuii  coïemant  passe  la  porte  ; 
En  la  forest  parfonde  vient. 
De  la  dame  bien  li  sovient 
Et  de  ce  ke  jureit  avoit; 
Les  .vii.  anl'ans  si  très  biax  voit 
Qu'il  ne  seit  cornant  les  ossie  ; 
Moult  li  samble  grant  fellonie 
S'il  les  ocist  en  tel  manière. 
Tant  pansait  avant  et  arrière 
Que  soz  .i.  arbre  les  laissait, 
Onkes  .i.  soûl  n'en  adeasail  ; 
El  pansait  ke  bestes  venroienl, 
Ou  oisel  ki  les  mangeroient. 
Vers  sa  dame  seroit  délivres 
Ne  lor  l'esist  mal  poi  .m.  Inrcs. 
Ansi  desoz  l'arbre  les  laisse 
Toz  .vii.  laissiez  an  une  EÉÎSSeJ 
Kolx  est  qui  de  Deu  se  deacorde, 
Moull  est  plains  de  miséricorde. 
Cil  qui  lisl  tôle  criatui.- 
El  ki  lisl.  boma  à  Sa  limire, 
Toi  tist  ci  di'  lui  se  prant  gavdr< 
Mais  ce  tist  il  i  ir  gtanl  esgardej 
Et  dclivreii  de  mesestance 
L'orne  k'il  lisi  en  si  samblancb, 
A  sa  Bgure  el  à  sa  fai 
('.'ai if  créature  ne  feic  ■ 
Toi  puet,  el  toi  seit,  el  i<>i  voit. 
Les  anfans  ke  li  sers  ,w  oii 


H.1'1  EXTRAITS 

Laissiez  soz  l'arbre,  regardait. 
Par  sa  grant  pitiet  esgardait, 
Ne  volt  son  oevre  fust  périe 
Qu'il  avoit  faite  et  estaublie. 
An  cel  bois  .i.  viel  home  avoit, 
Philosophe  ki  moult  savoit; 
Moult  fut  de  grant  subtiliteit. 
Autre  ville  ne  autre  citeit 
Por  estudier  ne  volloit, 
De  clergie  se  traveilloit. 
D'une  fosse  ot  faite  maison, 
Lai  gissoit  chascune  saison. 
Par  les  bois  s'aloit  desduisant 
Et  ou  desduit  estudiant. 
Si  com  Dex  volt  ansi  avint 
Cil  vielz  hom  à  cel  arbre  vint; 
Desoz  l'arbre  les  anfans  trueve, 
Liez  fut  et  joiaus  de  tel  oevre. 
En  la  fosse  avec  lui  les  mist, 
Moult  doucemant  s'an  anlremist, 
Moult  les  .iiinii ,  moult  les  chérit. 
.Vil.  ans  les  gardait  et  norrit, 
Com  ces  anfans  les  norrissoit, 
De  lait  de  serve  les  passoil  ; 
La  cervc  avoit  teile  alornce 
Que  de  la  fosse  cstoit  privée. 
Des  anfans  à  tant  me  tairai, 
De  la  vielle  vos  parlerai, 
Qui  aspre  fut  et  felloii rnss. 


i»i     DQLOPATHOS.  37$ 

Plus  ke  tygre  ne  lèounessc. 

Les  anfans  charjait  .i.  sergent, 

Onkes  nel'  surent  autre  gent. 

Maintenant  son  fil  apcllait, 

La  veriteitbieu  li  cellait  , 

La  mensonge  li  fist  entandre  : 

()  lilz,  fait  elle,  bouche  tandre, 

Onkes  croire  ne  me  vossis  , 

Mal  greit  mien  ta  lame  presis, 

Moult  as  l'ait  bêle  engenréure; 

Or  vien  véoir  sa  portéure, 

Acouchiée  est  et  délivrée 

De  ce  dont  elle  iert  encombrée. 

Au  lit  à  la  fée  le  mainne 

Qui  trop  iert  malaide  et  grevainne 

Et  de  ceu  ne  se  prenoit  garde; 

Les  chaaillons  voit  et  esgarde, 

La  vielle  desloiax  li  monstre 

Et  dist  :  Biax  fiz,  ce  sont  ti  monstre 

Dont  ta  famé  c'est  délivrée. 

Tu  dissoies  k'elle  estoit  fée  ; 

Biax  lilz  doux,  à  sa  portéure 

Puet  on  couoistre  sa  nature. 

Ce  dist  la  vielle  desloiax  ; 

Trop  fut  dolans  li  damoisiax, 

Bien  euidoit  ke  voir  li  déisl, 

Dont  li  [triait  qu'elle  préist, 

Privéement  s<-\  anroiast 

An  tel  leu  où  cl  les  noiasl. 


18. 


274  EXTRAITS 

En  tel  leu  furent  envoieit 

Que  maintenant  furent  noiet. 

Moult  set  famme,  et  moult  est  hardie 

D'outraige  faire  et  de  follie  ; 

Puis  c'a  certes  s'an  antremet, 

Plus  volontiers  aimme  et  si  fet 

D'une  mensonge  ke  d'un  voir 

Et  la  follie  c'un  savoir. 

N'est  hons  vivans  ki  tant  séust 

Que  famé  ne  le  decéust, 

S'a  certes  pener  s'an  volloit. 

Li  damoisclz  ki  tant  souloit 

Servir  et  honorer  la  feie, 

Plus  kc  riens  nule  ki  fust  neie, 

Et  de  si  grant  amor  l'amoit 

Q'amie  et  dame  la  clamoit, 

Par  la  traïson  de  sa  meire 

Qui  fut  fellonnessc  et  amère, 

L'acoillit  en  trop  grant  haine. 

Ne  laissait  pas  por  la  gesine, 

N'onkes  ne  s'an  volt  escondire  ; 

Sans  plus  targier  et  sanz  plus  dire,. 

G'onkes  ne  volt  parole  oïr, 

Maintenant  la  fist  cnfoïr 

An  son  pallais,  jnsq'as  matnéfes 

Que  elle  avoit  blanches  et  bêles. 

Bien  fut  sa  grant  amor  chaingie, 

Qu'il  comandait  à  sa  raaisnie, 

Que  grant,  ne  petit,  ne  menor 


DE    DOLOPATIIOS.  275 

Ne  li  portassent  point  d'onnor. 

Et  comandnil  tote  sa  gcnt, 

Qu'escuier,  garson  et  sergent, 

Tuil  sor  son  chief  lor  mains  lavassent, 

A  ces  chevox  les  essuaissent 

Qui  tant  estoient  cler  et  sor 

C'esloit  avis  k'il  lussent  d'or. 

A  grant  honte  la  fist  traitier, 

Qu'il  comandait  au  panetier 

Que  del  pain  as  chiens  fust  péue, 

Trop  fut  en  grant  vilteit  tenue. 

Moult  duremant  s'an  mervilloient 

Totes  les  gens  ki  la  véoicnt, 

Mais  il  n'an  pooient  plus  faire. 

Celle  qui  tant  fut  debonairc 

Soffrit  tel  painne  et  tel  tormant 

.VII.  ans  toz  plains  anticreraant  ; 

Si  ot  delerouse  gésinc. 

En  .vii.  ans  a  moult  grant  termine 

A  tel  famé  ki  mal  andure. 

Useie  fut  de  vestéure, 

Porrie  fut  et  deschiriéc, 

Et  moult  lu  la  dame  muée: 

Sa  color  lu  tainte  et  pâlie, 

Sa  blanche  ebars  tote  nerefe. 

Del  grant  mal  k'ele  ot  sostcntil 

durent  si  crin  noir  devenu!. 

Perdue  ot  toute  sa  color , 
l'or  1.1  painne  et  por  la  dolor. 


276  EXTRAITS 

Le  vis  ot  paile  et  anosseit; 

Si  vair  oil  furent  anfosseit; 

Sa  gorge  fu  et  maigre  et  tainte, 

Sa  grant  biautez  fut  tote  estainte. 

En  tôt  son  cors  k'elle  ot  si  bel, 

N'ot  mais  ke  les  os  et  la  pel, 

N'en  bras,  n'en  mains,  n'en  autres  membres. 

Elle  n'ot  pas  géut  en  chambres, 

Trop  fut  sa  granz  bialtez  périe, 

Grant  merveille  estoit  de  sa  vie. 

Si  enfant  en  la  forest  furent  ; 

Par  .vii.  ans  mangièrent  et  burent 

Le  lait  de  la  cerve  savaige. 

Jai  aloient  par  le  boscaige, 

Etbestes  et  oisiax  prenoient, 

Au  philosophe  repairoient 

Qui  d'aus  norrir  ne  se  fîngnoit  ; 

Moult  doucement  les  ensignoit. 

Si  corn  Dex  volt,  .i.  jor  avinl 

Li  pères  en  la  forest  vint, 

0  ses  chiens  si  com  il  souloit  ; 

Ferrain  ou  cerf  chacier  voloit. 

Querant  aloit  par  la  forest, 

Si  com  drois  de  chacéor  est. 

A  trespasser  d'une  viez  voie, 

Vit  les  anfans  démener  joie. 

Entor  son  col  chascuns  avoit 

Chaaigne  d'or  ;  kantil  les  voit, 

.Moult  très  volentiers  les  esgarde. 


DE    DOLOPATIIOS.  277 

Tantost  corn  il  s'an  prannent  garde, 

Si  s'an  fuient,  et  cil  les  chace. 

Qui  moult  l'ut  liez  de  telle  trasce, 

S'aucun  en  poïst  retenir  ; 

Mais  ne  volrentà  lui  venir, 

N'il  n'en  pot  .i.  sol  aconsure 

Onques  ne's  linaitde  porsure, 

Tant  k'il  ne  sot  k'il  dcvenisscnt, 

Ne  quel  part  lor  voie  tenissent. 

Li  sires  en  maison  revint  ; 

L'aventure  ki  li  avint 

Dist  à  sa  meire  et  à  sa  gent. 

La  vielle  apelait  le  sergent, 

Tote  dolante  et  esbaihie 

Por  l'aventure  c'ot  oie. 

An  une  chambre,  an  receleie, 

Veriteit  li  ait  demandée 

S'il  les  aufans  ocis  avoit. 

Cil  respondit  ke  bien  savoit 

C'ossis  ne  les  avoit  il  pas  ; 

Mais  bien  cuidoit  c'a  nés  lo  pas 

Qu'il  les  laissait,  morir  déussent, 

Et  kejai  ne  se  reméussenl 

De  l'arbre  où  il  les  Ot  laissiez. 

An  une  faisse  toz  laissiez  : 

liai  !  dist  la  dame,  mal  fessis, 

Qant  maintenant  ne's  océis, 

Tu  nos  as  mors  et  décru». 
Car  lu/  .vii.  1rs  .ni  Inn   véil7 


278  EXTRAITS 

Mes  Gz  ki  fut  en  la  forest  ; 
Certes,  certes  mallemantest. 
Maintenant  te  covientniovoir. 
Les  chainnes  te  covient  avoir. 
Tant  te  covient  les  anfans  querre 
Par  bois,  par  haies,  et  par  terre, 
Q'an  aucun  leu  les  troveras, 
Les  chaaignes  m'aporteras, 
Ou  soit  à  droit,  ou  soit  à  tort  ; 
Se  tu  ne's  as  nos  somes  mort. 
Paor  de  mort  est  moult  grevainnc  ; 
Li  serjans  se  mist  an  la  poinne 
De  querre  par  nuit  et  par  jor  ; 
Tant  alait  et  quist,  sanz  sejor, 
Par  espès  boix,  et  par  santiers  ; 
Ains  ne  finait  .iii.  jors  antiers,  v 
Jor  et  nuit,  an  nule  manière. 
Au  qart  jor,  truève  une  rivière 
Dont  l'aiguë  fut  parfonde  et  clère, 
Lai  ce  baignoient  li  .vi.  frère  ; 
An  sanblance  de  cignes  cstoienl, 
Par  celé  aiguë  ce  deduisoient. 
Et  lor  suer  sèoit  sor  la  rive, 
La  plus  aperte  riens  ki  vive; 
Les  chaaignetcs  d'or  gardoit, 
Sor  la  rive  les  alandoit. 
Li  serj.ms  vit  la  pucelete, 
Au  tor  son  col  sa  chaanelc  ; 
Le*  autres  chaeneleg  vnil 


DE    DOLOI'A  I  NOS. 

Que  sa  dame  porter  devoit, 
Qui  joste  la  pucele  estoient. 
A  geu  dont  si  frère  juoient 
Esloit  la  pucèle  antandue, 
Ne  s'en  est  pas  aparçèue, 
Tant  kc  cil  les  chaaincs  prist  ; 
En  tel  manière  la  sorprist 
Que  il  les  .vi.  chaainetes  ot  ; 
Mais  celi  tollir  ne  li  pot , 
Entor  son  col  estoit  fernoeie. 
Elle  est  an  la  forest  antrée 
Si  k'il  ne  sot  k'ellc  devint  ; 
Moult  liez  et  moult  joians  revint. 
Les  .vi.  chaaigncs  aportail  , 

A  sa  dame  les  présentait 

Si  ke  n'uns  hons  nel'  vit  ne  ^ol. 

La  vielle,  plus  tost  k'ele  pot, 

Ait  .i.  sien  orfèvre  mandeit , 

Proiel  li  ait  et  comandeil 

Que,  pur  s'amor  el  por  sa  graiee  , 

Que  des  chaaigncs  d'or  li  laisse 

.1.  hanap  moult  isnelcmcnt. 

Loez  an  iert  moult  richement  : 

Mais  gart  ke  nel'  saielic  QUI  hom, 

Ne  faine  nule,  se  je  non. 

Et  cil  li  créante  et  atroie  ; 

Maintenant  ce  met  à  la  roie. 

An  sa  forge  Ion  feu  alume  . 

De  son  martel  flerl  sor  l'anclnrae  : 


279 


280  EXTRAITS 

Une  chaaigne  ait  et  feu  mise, 
Mais  ne  la  pot,  an  nule  guise  , 
Par  feu  ne  par  martel  brisier. 
Por  ceu  ce  li  covint  brisier, 
Totcs  .vi.  les  i  asaiait, 
Ains  nés  une  n'an  pessoiait, 
Fors  ke  de  l'une  .i.  sol  anel 
Esgruraait  .i.  poc  dou  martel. 
Qant  il  vit  c'a  chief  n'en  vanroit, 
IVe  ke  nule  oevre  n'an  feroit, 
Dolans  fut  et  si  l'an  pesait. 
Donc  prist  autre  (or),  si  le  pesait, 
.1.  hanap  an  fist  maintenant; 
Moult  très  bel  et  moult  avenant. 
A  pois  ke  les  chaînes  furent 
Qui  par  le  feu  ne  se  remurent, 
Tant  k'il  les  poist  dessolder. 
Les  chaaincs  fist  bien  garder, 
Et  le  hanap  porta  sa  dame. 
La  desloiax  la  maie  famé 
Bien  l'enfermait  an  son  escrio, 
Ains  n'en  but  d'aiguë  ne  de  vin; 
Onkcs  par  li  vins  n'i  antrait, 
N'orne  ne  famme  nel'  mostrait. 
Ansi  fut  fait  et  avenut 
Que  oigne  furent  deveuul 
Li  .vi.  frère,  par  tel  minière, 
Ne  porent  repairicr  arrière, 
Poi  les  chàaignës  k'il  n'a  voient 


I)K    DOLOPATIIOS.  281 


Qui  de  si  grant  vertut  cstoienl  ; 
Ne  porent  home  devenir, 
Ansi  lor  covint  sostenir. 
El  moult  grant  dolor  dcmenoient, 
Comc  cigne  criant  aloient, 
Lor  aventure  complaignant. 
Tant  s'alèrent  ensi  plaignant, 
Une  hore  avant  et  l'autre  arrière; 
Que  il  en  haïrent  la  rivière. 
Ne  lor  plot  plus  à  sejorner, 
D'ilueqes  se  volrent  lomer. 
Ensamble  ont  lor  voie  atornée  , 
En  cigne  fut  lor  suerz  muée  : 
Cigne  et  famme  estre  pooit, 
Por  ce  ke  la  chaaigne  avoil; 
Si  frère  n'en  avoient  point. 
Tuit  ensamble  ce  sont  enpoint  ; 
Les  piez  estandent  et  le  ool, 
Haut  sont  en  l'air  monté  à  vol. 
Tant  volèrent  tuit  .vij.  ansambh- 
C'un  estanc  virent,  ce  me  samhlr, 
Grant  et  parfont  ri  délitablc, 
Et  bel  et  clor,  et  covenahlr 
A  lor  nature  et  à  lor  hués, 
En  l'eslanc  s'abaissicrent  Inès. 
Li  leus  lor  délitait  et  sist  ; 
Et  li  chastim  lot  père  Bis) 

Si  près,  ko  par  desoz  la  toi 
\n  cor  roi  I  l'aiguë  tôt  antoi 


282  EXTRAITS 

Li  chastiax  sist  an  une  roche  ; 
Li  aiguë  jusc'à  mur  s'aproche, 
La  roche  fut  dure  et  naïve, 
Haute  et  large  jusc'à  la  rive, 
Et  sist  sor  une  grant  montaigne 
Qui  samble  qu'as  nues  se  teigne. 
El  chastel  n'avoit  c'une  entrée; 
Trop  riche  porte  i  ot  fermée 
Qui  sist  sor  la  roche  entaillie. 
De  celle  part  fut  la  chaucie  , 
Li  fossez  et  li  rolléis, 
Et  si  fut  li  pons  levéiz. 
Si  estoit  assiz  li  chastiax 
Que  parrière  ne  mangoniax 
Ne  li  grevast  de  nulle  part; 
Par  nul  anging,  ne  par  nul  art 
Nel'  poist-on  adamaigier, 
Tant  k'il  eussent  à  maingier 
Cil  ki  del  chastel  fussent  garde, 
N'eussent  de  lot  le  monde  garde. 
.Moult  fut  estroi le  li  antreie, 
Qu'ansi  fut  faite  et  compasseie, 
Par  devant  la  haute  montaigne  ; 
I  covient  c'uns  solx  hom  i  veigne, 
.l.ii  dui  n'i  vauroient  ansamble. 
D'autre  part  devers  l'aiguë  samble, 
Por  ccu  k'il  siet  en  si  haut  mont, 
Qu'il  doie  chéoir  en  .i.  muni. 
Df  tant  mm  uni  trait  d'un  quarrel 


]>E    DOLOPATHOS.  2H3 


N'aprochait  nuns  hons  lochastel. 
Il  i  ot  portes  colléisces, 
Bailles,  fossez  et  murs  et  lices, 
Trestot  fut  an  roche  antailliet. 
Moult  i  ot  ferut  et  taillict 
Ançoiz  ke  li  chastels  fust  fais  ; 
Onkes  lelz  ne  fut  contrefaiz 
Trop  par  fut  fors  et  bien  assiz. 
De  cel  chastel  trop  vos  devis 
C'onkes  nuns  chastels  muez  ne  sist, 
Moult  fut  bons  maislrcs  ki  le  fist. 
Sor  la  roche  ki  fut  pandans, 
Grant  fut  et  large  par  dedans. 
Trop  i  ot  riche  herberjaige; 
En  la  tor  ot  moult  riche  estaige, 
Bien  fut  herbergiez  tôt  entor. 
Li  pallais  sis!  presl  de  la  toi 
Qui  moult  fut  bans  ot  bons  el  leia 
Li  estaoble  forent  deleis, 
Greniers  et  chambra  et  cuisines  ; 
Moult  i  ot  riches  ollieincs. 
Moult  fut  la  sali*  grans  et  larg 

Maint  fort  escul  il  mainte  large 
Et  mainte  lance;  et  maint  espiel  . 
El  bon  cheval  et  bon  apid 
Dont  li  fer  sonl  bon  et  traneli.ini. 
Et  m.ïint  bon  col  Iviiideit  d'argent 
Avoit  pandul  par  lu  pallaie. 
Le  devise]  k  tant  ras  loia, 


284  EXTRAITS 

Trop  fut  biax  li  leus  et  li  estres. 
Vers  l'estanc  furent  les  fenestres , 
Lai  fut  li  sires  apoieis; 
Ne  sai  c'il  estoit  annuiés, 
Mais,  an  pansant,  l'aiguë  esgardoit, 
An  esgardant,  les  cignes  voit 
Qui  estoient  et  bel  et  gent. 
Dont  comandait  tote  sa  gent 
Que  moult  doucemant  les  véissenl  ; 
Annui,  ne  mal  ne  lor  féissent 
Par  coi  riens  les  espoantaissent. 
Del  pain  et  del  bief  lor  gilaissent 
Tant  ke  del  leu  fussent  priveit. 
Bien  furent  li  cigne  arriveit, 
Li  sires  les  vit  volentiers. 
Ses  demeis  pains  et  ces  antiers, 
Et  char  et  poissons  lor  gittoicnt 
La  maisnie,  kant  il  mangoienl. 
Bien  sorent  Tore  del  mangier; 
Sans  apeller,  et  sanz  huchier , 
Moult  furent  priveit  devenut. 
.1.  et  autre,  grant  et  menut 
Aucune  chose  lor  gittoient; 
Moult  volentiers  les  esgardoient , 
Après  le  pain,  corre  et  noer  ,     . 
Et  l'un  d'ausà  l'autre  jouer. 
La  suer  ki  la  chaaigne  avoit, 
Quant  le  chastel  près  de  li  voit  , 
A  *<m  roloir  faine  devint. 


DE    DOLOPATHOS.  288 

Toute  soûle,  el  chastel  s'an  vint  ; 
Et  alait  del  pain  demandant 
Et  l'amosne  à  l'uis  atandant. 
Del  relief  son  père  vivoit, 
Del  pain  cl  de  ceu  k'il  avoit. 
Toute  riens  tant  à  sa  nature  : 
An  nul  scnz,  n'an  nulle  aventure, 
Ne  connissoit  elle  son  père, 
Ne  ne  savoit  ki  fust  sa  meire  ; 
Ne  porqant  qant  c'on  li  donoit, 
Et  tôt  ceu  q'à  ces  mains  tenoit 
Portoit  sa  mère  maintenant; 
Ceu  k'elc  avoit  de  remenant 
A  ces  .vi.  frères  le  portoit. 
Grant  chose  et  grant  merveille  estoit 
Qu'ele  ploroit  moult  tanremant, 
Por  la  poinne  et  por  le  tonnant 
Qu'ele  li  véoit  soustenir. 
N'onkcs  ne  s'an  pooit  tenir; 
Por  li  deincnoil  moult  grant  duel, 
Ne  ja  ne  s'an  méust  snn  vuel 
Se  por  ses  frères  n'en  méust, 
N'cstoit  nunsjors  qu'elle  n'éust 
Del  pain  assez  et  del  rilliet. 
Moult  estoient  joiant  et  liet 
Li  cigne,  kant  il  les  vcoient, 
Encontre  lui  luit  esvoloient, 
Grant  reste  et  granl  joie  menant; 
Si  manjoient  son  remenant 


286 


EXTRAITS 

En  son  giron  et  en  sa  main. 
Chascunjor,  à  soir  et  à  main, 
De  li  grant  joie  demenoient, 
Et  de  lor  elles  l'acolloient. 
Elle  les  baissoit  doucement 
Et  acolloit  estroitemant. 
Bien  sot  k'il  estoient  si  frère, 
Encor  ne  eonissoit  sa  mère. 
Ghascune  nuit,  lez  lui  dormoit; 
Par  nature  si  fort  l'amoit 
Por  nul  rien  ne  s'en  tenist 
Que,  chascuue  nuit,  n'i  venist 
Dormir;  grant  piliet  en  avoit, 
Et  nule  raison  n'i  savoit 
Par  coi  i  metoit  si  sa  cure  ; 
Mais  chascuns  trait  à  sa  nature. 
Les  gens  ki  el  chastel  estoient, 
Chascun  jor,  ensi  le  véoient 
Del  chastel  à  l'estanc  dessandre. 
Bien  véoient  les  cignes  prandre 
Ceu  ke  de  sa  main  lor  donoil; 
Et  le  duel  k'elle  demenoit, 
De  lez  sa  mère,  nuit  et  jor, 
Qui  vivoit  an  si  grant  dolor. 
(irant  et  petit  se  mervilloient, 
•  Et  li  plusors  antr'auz  disoient 
K'à  merveille  sambloit  la  fêe, 
\  jor  k'elle  fut  amenée; 
Rstoil  ele  de  tel  Faitare, 


DE    DOLOPATHOS.  287 


De  vis,  de  neis  et  de  figure. 
Qant  li  chastelains  la  véoit, 
Moult  très  volentiers  Pesgardoit; 
De  li  regarder  et  véoir 
Ne  se  tenist,  por  nul  avoir, 
Onkes  ne  s'en  poïst  tenir. 
.1.  jor  laflst  à  lui  venir; 
Li  anfès  volentiers  i  vint, 
Ansi  com  aventure  avint. 
La  chaaigne  d'or  ait  véue 
K'antor  lo  col  avoit  pandue. 
Adonc  li  inanbrait  de  la  feie 
K'à  famé  ot  prise  et  espousée, 
Cui  il  trovait  à  la  fontaine, 
Cor  li  faissoit  soffrir  tel  poinne; 
Ne  se  provoit  pas  com  amis. 
Puis  ait  l'enfant  à  raison  mis 
Et  dist  :  Fille,  dont  iès  tu  née? 
De  quel  terre  et  de  quel  contrée? 
Ais  tu  mais  ne  peirc,  ne  meire, 
Ne  parant,  ne  seror,  ne  frère? 
Et  cornant  puct  cou  avenir 
Que  tu  fais  les  cignes  venir 
A  toi,  et  maingier,  en  ta  main, 
Qant  tu  vuelz,  au  soir  et  à  main? 
l.i  anfès  plore  et  si  soupire 
C'a  painnes  puct  .i.  sol  mot  dire; 
Qant  cleait  son  père  entandat, 
Km  sospirant,  ait  resporuliii. 


"188  EXTRAITS 

Et  dist  :  Sire,  se  Dex  me  voie, 
Tôt  séurement  vos  diroie. 
Se  par  nature  pooit  estre 
Que  hons  ne  famme  déust  nestre 
Et  sanz  père  et  sans  mère  avoir  ; 
Que  je  n'oi  onkes  tôt,  por  voir, 
A  nul  jor,  ne  père,  ne  mère. 
Mais  ce  sai  ge  bien,  ke  mi  frère 
Sont  H  cigne  tuit  .vi.  germain, 
Que  si  bien  vienent  à  ma  main. 
Onkes  ne  vi,  ke  je  séusse, 
Père,  ne  mère  ke  j'eusse. 
Puis  li  ait  dit  et  raconteit 
Cornant  norrit  orent  esteit 
Del  lait  de  la  cerve  salvaige  ; 
Et  cornant  furent  el  boscaige, 
.VII.  ans,  où  gardez  les  avoit 
Li  vielz  maistres  ki  tant  savoit. 
Et  cornant  cil  les  mal  baillit 
Qui  les  chaainnes  lor  tollit , 
Qu'elle  gardoit  sor  le  rivaige; 
Et  la  painne  et  le  grant  damaige 
Que  si  frère  por  çou  soffroient , 
Por  les  cbaaignes  k'il  n'avoient, 
Soslenoient  si  dures  painnes 
Que  perdut  orent  forme  humainne, 
Et  cigne  estoicnt  deveniit. 
Et  cornant  il  ierent  venut 
Demorer  <lcsnz  le  cliastel , 


DK  ftOïiOPÀTHOS.  289 

Por  l'estanc  k'il  virent  si  bel. 
La  vielle  ki  tant  ot  d'anvie, 
Ki  plainne  fut  de  féllonnie, 
Celle  ki  lot  le  mal  savoit, 
Qui  tôt  le  mal  bastitavoit, 
Estoit  en  la  salle  parrine 
Où  celle  contoit  son  covine 
A  son  père,  devant  les  gens. 
Les  parolles  ot  li  sergens 
Qui  bien  sot  la  veriteit  toute; 
An  demantiers  ke  il  escoute 
L'anfant,  vers  la  dame  regarde  ; 
La  dame  ki  bien  s'an  prist  garde, 
Kegarde  vers  lui  ansimant, 
A  malaise  sont  duremanl  ; 
Car  il  s'an  santoirnt  côrpabfè. 
Bien  sevent  ke  ce  n'est  pas  fable 
Que  la  pucelete  raconté; 
l'or  la  poor  et  pbr  la  houle 
Qui  de  lor  conscience  estoîerit, 
Eu  esgardant  coïor  muoient. 
Et  s'il  en  fussent  mescrèot, 
Moult  fussent  lost  aperséal  ; 
Mais  ouns  bons  ne's  en  mescréoil 
l'or  ceu  ne  s'en  apcrcevoh. 
.lu  biens  ne  mail  n'iert  si  COTCI  - 
C'an  aucun  tans  ne  si.il  oUTéfs; 
Dex  seil  lot,  et  voil  <-t  entanl  . 
Moull  doucement  soffre  el  ataui  ; 

*9- 


290  EXTRAITS 

Et  jai  soit  ceu  ke  il  atande  , 
Nuns  ne  fait  bien  ke  il  ncl'  rande 
Le  loierdçbonairement  ; 
Et  se  il  atant  longuemant 
A  panre  del  mal  la  venjance, 
Geu  fait-il  par  sa  grant  soufrance 
S'il  ne  ce  vange  anès  le  pas, 
Por  ceu  ne  lor  pardone  il  pas. 
Bien  en  set  panre  vangement 
A  son  voloir  séuremant. 
Por  celui  ki  lou  pechié  fait  , 
Se  vange  Dex  de  son  mesfait  ; 
Jai  n'iertsi  longuement  celiez 
Li  malx  k'il  ne  soit  révéliez. 
Par  lui  méisme  se  descnevre 
Li  peschiez  et  la  malvaise  oevre  ; 
Dex  volt  ke  ceu  fust  reveleie 
Qui  .vii.  ans  ot  esteit  celeie. 
La  vielle  fut  moult  esperdue, 
Quant  sa  parolle  ot  entendue. 
Adont  li  vint  an  son  coraigc 
Trop  grant  dolor  et  trop  grant  raige  ; 
Et  pansait  c'oscirre  fcroit 
L'anfant,  s'elle  onkes  pooit. 
Maintenant  le  sergent  apele, 
Qui  bien  ot  oït  la  novelle  ; 
Tant  li  dist  ke  il  otriait 
Que,  se  leu  et  pooir  an  ait, 
Il  l'ocirrait  sanz  plus  atandre. 


DE  DOLOPATMOS.  291 


l,i  puceletejone  et  tandre, 

Un  jor,  del  chastel  dcssandoil, 
Qui  de  tôt  ceu  ne  se  gardoil  ; 
A  ses  frères  aler  vuuloit, 
Tôt  ansi  com  elle  souloit. 
Li  sergens  après  li  alait, 
Si  com  li  enfès  avalisât, 
Lait  li  cergens  a  conséue, 
Dont  sachait  lors  l'espée  nue  ; 
Qantele  vit  traite  l'espée, 
Duremant  fut  espovantèe. 
En  fut  torne  et  cil  après 
Qui  la  suoit  tost  et  de  près. 
Ez  vos  à  tant  granl  alèure 
Le  chastelain,  par  avarilure. 
Qui  toz  souz  paranqui  venoit. 
Li  sergens  l'espée  tenoit  : 
Li  chastclainz  lez  lui  s'acoste 
Qui  des  mains  l'espée  lui  OSte; 
Del  plat  li  done  grant  colleie, 
Ansi  ait  de  mort  délivrait 
Celi  ki  grant  paor  avoit. 
Qaol  li  sergeni son sigoor  writ, 
Moult  parail  de  mort  grant  dotaoce  . 
Car  li  sires  vers  lui  s'avance 
Et  disi  ke  veriteit  li  die  : 
l'or  coi  volloil  tollir  la  vu- 
\  cel  anfant,  an  tel  maniera? 
Li  scrjans  fis!  dotante  chien 


IVl  EXTRAITS 

La  veriteit  li  ait  conteie, 
Si  com  la  chose  fut  aleie; 
La  fin  et  l'ancomancement 
Tôt  li  ait  dit  outréemant  : 
Cornent  li  enfant  furent  neit, 
Cornent  el  bois  furent  porteit, 
Et  cornent  lor  chaainetes  ol , 
Cornant  l'anfant ocjrre  volt; 
Et  dist,  sor  le  péril  de  s'arme, 
Que  ceu  li  fist  faire  sa  dame. 
Moult  parfut  corresiezli  sires, 
Qant  de  sa  mère  oit  ceu  dire  ; 
Arrière  enmainne  le  sergent. 
En  la  salle,  devant  sa  gent, 
Trovait  la  vielle  desloial 
Qui  si  fut  farsie  de  mal. 
Il  ne  l'ait  mie  saluée, 
Ains  sacliait  del  fuère  l'espée, 
Et  dist  ke  veriteit  li  die. 
.Moult  ot  grant  poor  île  sa  vie, 
Qant  ele  vit  l'espée  nue  ; 
Veriteit  li  ait  conéue. 
Li  chastelains  li  dist,  por  voir, 
Que  les  chaainnes  vuelt  avoir  ; 
Celle  dist:  Biaz  douz  fiz,  merci  ! 
Poi  Dell,  •><■  tu  vuelz,  si  m'oci. 
Pechict  feras  si  tu  me  tues, 
M.iis  les chaaignes 90O(  perdues 
Car  j'en  lis  une  cope  faifè; 


DE    DOLOPÀTHOS. 

Ocirre  me  |>uez  et  desfaire. 
La  cope  puez-tu  bien  avoir; 
Se  li  orfèvres  me  < I i s t  voir. 
Les  chaiaignes  as-tu  perdues, 
Ne  puecnt  maisestre  randues. 
Li  sires  l'orfèvre  mandait, 
Moult  doucemant  li  comandait 
Que  des  chaaignes  voirli  die. 

Li  orfèvres  n'en  mentit  mie, 
Bien  rceonut  c'ancor  les  ot; 

Et  se  li  dist  c'onques  n'en  pot, 
Par  feu,  ne  par  martel  desfaire, 
N'ouïtes  nulle  rien  n'en  pot  faire. 
Dont  les  randital  chastelain 
Qui  ne  fut  pis  lis  à  vilain  , 
Car  moult  bien  li  guerredonait. 

Il  les  priai  <'t  si  les  douait 
V  celui  qui  grant  joie  en  ot. 
Maintenant  plus  losJ  kvile  pot, 

Droit  à  l'estaUC,  s'en  est  cuiruc  ; 
Et  quant  li  signe;  Ton!  Tèue, 
Contre  lui  se  sont  avallel. 
Lai  ot  baissiel  et  accollet. 
Sa  chaaigne  rant  à  chascuo, 
Tuit  devinrenl  home  fors  .i. 
Celui  nu  la  chaaione  esloty, 

Donl  li  orfèvres  lu  isiel  aVQil 

.1.  anelel  lanl  soulemanL 

l'or  ieu  ne  |i<ii  outréemanl 


•1<X\ 


2!M  EX TRAl'l  S 

En  forme  d'oine  revenir 
Por  rien  ki  poï'st  avenir, 
Ains  puis  à  nul  jor  de  sa  vie  ; 
Mais  tôt  adès  fist  conpaignie 
A  l'un  de  ses  frères  par  toi, 
N'est  pas  raison  kc  nus  en  dout. 
Cil  ne  ne  fut  puis  ce  signes  non, 
Riais  cil  fut  moult  de  grant  renon 
A  cui  il  fut  acompagnies  ; 
Chevaliers  fui  bien  enseiguies, 
Toz  jors  mais  serait  an  mémoire, 
Car  il  est  escrit  en  l'istoire; 
L'istoire  est  et  veraie  et  digne. 
Ce  fut  li  chevaliers  ou  cigne 
Que  proz  fut  et  de  grant  savoir. 
Et  cil  fut  li  cignes,  por  voir, 
Qui  les  chaainnes  d'or  avoit 
A  col  de  coi  la  nef  traioit 
(  >ù  li  chevaliers  armez  fert, 
Qui  tant  fut  de  bone  manière; 
Puis  tint  de  Boillon  la  duchiel. 
Moult  furent  cil  del  chastel  liel, 
.loic  firent  tel  coin  il  durent. 
Li  enfant  lor  père  conurenl, 
El  lor  père  ous  ausimant. 
Nuis  plus  largier,  loi  ci  laimiciit 
Alèrent  defolr  la  fée 
Qui  lel  doloroi  endurée. 
Sains  li  firenl  ei  oignemani 


1)1    DOLOPATHOS.  29S 


Et  riches  apaireiltananl  ; 

Tant  fut  servie  et  honorée 

Que  sa  color  fut  recovrée. 

Moult  ot  gent  cors  et  simple  chière  ; 

Et  li  sires  la  tint  plus  chière 

C'onkes  mais  jor  ne  l'ot  ternie 

La  dcsloi.il  vielle  chanue, 

La  fause  paulonnière  hérite 

Fut  moult  dotante  et  descontile. 

A  son  fil  quiert  merci  et  prie, 

N'est  pas  drois  ke  sa  mère  ocie. 

Et  cil  respont  k'il  ne  savoit 

S'elle  sa  mère  esteit  avoil  ; 

.Ne  croit  pas  ke  sa  mère  fusl 

Que  tel  outraige  fait  éust. 

Et  dist  bien  puel  eslre  sa  mère. 

Mais  foit  ke  doit  l'arme  son  père 

.lai  por  cen  quîte  ae  seroil  : 

Tonte  nue  l'anfueroil 

Si  COm  elle  fut  enfoïe; 

Et  si  seroit  toute  sa  vie, 

Que  jamais  n'an  seroit  délivre. 

Tant  jor  coin  elle  éust  à  vivre; 

S'or  devoit  devenir  enntraite. 

Taotosl  coin  la  feie  an  fut  traite, 
La  malle  vielle  i  anfolrenl  ; 
La  dolor  sostenir  li  Brenl 
Que  la  feie  avoil  sostenne. 

Or  fut  an  Li  fosse  cliéue 


29<)  EXTRAITS    DE    DOLOPATHOS. 

Qu'elc  avoil  por  autrui  t'oïe; 
En  la  fosse  l'ut  anfoïe 
Et  bien  li  dut  on  anfoïr. 


fin. 


TABLE 

DE    LA  SECONDE  PARTIE. 


wiv  mit  ie>  différens  manuscrits  du  Roman  des  sept  Sages  ei  du  poème 

de  Dolopathos page  iij 

riptiou  des  manuscrits  du  Roman  des  -  ♦  •  ^  »t  Sages  qui  sonl  ;i  la 

Bibliothèque  du  Roi mj 

Description  îles  manuscrits  du  Roman  des  sept  Sages  qui  ><>ni  à  la 

Bibliothèque  de  l'Arsenal ixxh 

autres  manuscrits  du  Romandes  sept. Sages  et  de  Dolopathos      .  \liij 

Roman  des  sept  Sages,  en  prose t 

appendices  au  Roman  des  sept  Sages         77 

appendice  n°  1 7!» 

appendice  u°  2.      toa 

analyse  de  Dolopathos,  p  ëme  français  en  vers  du  khi1  siècle,  pai 

Herbers 113 

:  xtraits  <le  Dolopathos i;,:t 

:  vli.nl  ir  I I 

1  tirait  11   ■- 1 -,s 

Extrait  n  :< >  |,,| 

Extrait  d°  i i,  . 


298 

Extrait  n     > 191 

Extrait  n°  6 t208 

Extrait  ir    7 325 

Extrait  n°  8 -j:h 

Extrait  n°  'J 265 


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