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ETUDE
SUR LA
REPRODUCTION SEXUÉE
DE QUELQUES
Champignons supérieurs
PAR
A. DE GRAMONT de LESPARRE
Avec 16 Jigîires et j planches.
PARIS
Librairie des Sciences Naturelles
PAUL KLINCKSIECK
Eiliteur
3, RUE CORNEILLE, 3
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REPRODUCTION SEXUEE
DE QUELQUES
Champignons supérieurs
ETUDE
SUR LA
REPRODUCTION SEXUEE
DE QUELQUES
Champignons supérieurs
PAR
A. DE GR AMONT de LESPARRE
Avec 16 figures et j pla?iches.
LÏBRART
NEW YORK
PARIS
Librairie des Sciences Naturelles
PAUL KLINCKSIECK
Éditour
3, RUIv CORNEILLE, 3
I 902
. (^ (o%
NEW YORK
BOTAMCAL
INTRODUCTION qarden
Lorsque nous publiions, il y a quatre ans, le résultat de nos
recherches sur la germination des spores de la Truffe, il
paraissait vraisemblable que le même mode de reproduction
était commun aux autres champignons, tout au moins aux
champignons supérieurs. Quelques observations faites dans
ce sens faisaient prévoir la similitude des évolutions.
Ces prévisions ont été confirmées. Des observations
postérieures, que nous résumons dans ce volume, ont montré
que la germination sexuée des spores de la Truffe pouvait être
prise comme type des germinations des autres espèces
étudiées. A vrai dire, dans l'ensemble, le type pourrait être
choisi presque au hasard, tant est grande la ressemblance
des évolutions au point de vue de la forme comme au point
de vue de la durée.
^ Notre première étude sur les spores de la Truffe était, il
p faut le reconnaître, quelque peu confuse ; des faits exception-
'^ nels ou accessoires y tenaient une place exagérée. Nous
. nous efforcerons de remédier à ce défaut qui, peut-être au
j^ début, n'était pas tout à fait sans excuse. Lorsqu'on étudie
^ un sujet nouveau, les cas particuliers et anormaux, les détails
secondaires jettent dès l'abord le trouble dans l'esprit. On ne
'^. discerne pas l'exception de la règle, l'accidentel, du perma-
^ilQ^ nent; c'est à la longue, après de nombreuses recherches, que
05 les grandes lignes s'accentuent, se précisent. C'est ainsi
O^ qu'aujourd'hui nous pouvons élaguer, simplifier, et dans cer-
cpj tains cas être plus affirmatifs. Est-ce à dire que la lumière est
'— complète ; que plus rien n'est douteux dans l'évolution exté-
VI
rieure des spores et dans les conclusions qui en découlent ?
Bien loin de là; les avis peuvent être très différents.
J'incline simplement à penser que, des faits observés, de
leur constance, de leur caractère, peut être déduite dans ces
traits principaux une loi que j'appellerai « Loi de reproduc-
tion sexuée de... quelques champignons supérieurs ».
Hàtons-nous d'ajouter que si nous pensons connaître le
cycle extérieur de l'évolution, comprenant la fécondation,
l'autre partie, le cycle souterrain, nous échappe encore.
D'après des observations variées mais trop longues à rappor-
ter ici, nous serions portés à croire, avec beaucoup d'autres,
qu'il s'exécute dans des conditions déterminées en dehors
desquelles il n'a pas lieu. Certains aliments seraient indis-
pensables et le germe avorte s'il ne les rencontre pas. Le my-
célium serait parasite de racines, de racines en général.
Il y trouverait de l'humidité dans les grandes sécheresses
sans avoir à craindre la corruption parasitaire. Peut-être cer-
taines conditions de chaleur et de temps s'imposent- elles
également. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ici la place d'insis-
ter sur ces questions qui ne pourront être résolues qu'après
de patientes et longues recherches. Constatons seulement
qu'un premier pas dans la bonne direction, s'il ne transporte
pas au but, en rapproche apparemment.
Parler de la reproduction sexuée à propos de champi-
gnons supérieurs, c'est, nous le savons, faire acte d'indisci-
pline envers les représentants de certaine science officielle et
de plus s'aventurer en terrain glissant où la chute est facile.
Bien des fois, naguère, on a cru avoir élucidé le problème ;
quelques mycologues le tiennent pour résolu. Il y a bientôt
trente ans une communication à l'/Vcadémie des sciences,
après avoir constaté des anastomoses assez ordinaires
entre filaments conidies et bâtonnets, se terminait par cette
retentissante déclaration « que le mode de fécondation des
basidyomicètes était pleinement démontré ». Quelques mois
après, dans une autre communication, le même auteur avouait
son erreur et reconnaissait la fausseté de ses conclusions. De
— VII —
pareilles mésaventures rendent prudent. Nous ne voulons
donc rien affirmer et encore moins entreprendre de polé-
mique dans le présent ou dans l'avenir. Notre ambition est
simplement de placer sous les yeux du lecteur, d'une part,
les raisons qui portent à croire que la loi de reproduction
sexuée ressort bien des faits observés, et, d'autre part, les
arguments que l'on peut invoquer en sens contraire. Chacun
établira sa conviction comme il l'entend. Seuls, les résultats
pratiques d'une culture scientifique trancheront définitivement
la question.
Voici nos raisons.
a) Différenciation caractérisée des gamètes et forme de ces
gamètes.
b) Attraction visible des gamètes l'une par l'antre, jus-
qu'aiL toucher.
c) Dépérissement et destruction rapide du germe mâle.
d) Possibilité d 'expliquer par la loi de sexualité certaines
anomalies singulières de la reproductioji des champignons.
e) Enfin, difficzilté d'expliquer autrement que par les
phases d'tme rénovation sexuelle les faits observés.
Les argfuments contraires sont les suivants :
y. ) On a obtemi certains champignons des grandes espèces
par développement asexué de spore uniqzie sans aucune copiL-
lation rappelant de près ou de loin l'acte sexttel.
fi) Les diverses phases de la copulation sexuée dans un
grand nontbre d'oopiycètes {principalement ceîùx qtci se repro-
duisent par iso garnie à la façon des péronosporacés) diffèrent
tellement de ce que voîts décrivez qu'il est difficile d'admettre
que la nattire ait atteint un but identique par des moyens si
différents. Dans les oomycètes la même spore engendre des
gamètes de sexes différents ; dans les champignons dont vous
parlez, la spore serait unisexuée.
y) Vos observations ne s'accordent pas avec les principes
de la fécondation sexuelle aujourd'hui admis, ni avec la fé-
condation sexuelle même des champignons SîLpérietirs telle
que l'auraient découverte certains botanistes contemporains .
— VIII —
5 ) Noîis avons cherché à conti'vler vos observations, nous
n'avons rien vu.
£) Enfin les résultats pratiques manquent , donc, rien de
certain.
Examinons ces arguments pour et contre avec quelques
détails clans l'ordre ci-dessus.
a) Différenciation caractérisée des gamètes et forme de ces
gamètes.
La forme des gamètes est en effet si spéciale qu'elle
éveille a première vue l'idée de fécondation. Le type mâle,
malgré ses déformations, reste pointu, en forme de flèche. La
femelle, nettement ronde en général, n'est pas à vrai dire une
gamète puisqu'elle devient souvent l'œuf même et qu'elle
paraît susceptible d'être fécondée sans contact immédiat,
mais à travers un filament ou dans la spore même. En un mot,
la forme, pour l'un et l'autre sexe, surtout dans certaines
espèces, comme le Coprin, par exemple, est tout à fait carac-
téristique.
Assurément le jet secondaire qui sort des gamètes les
déforme parfois et pourrait même faire croire a une germi-
nation qui serait un exemple de parthénogenèse dans notre
système, mais il est aisé de voir que ces jets secondaires se
terminent invariablement par une autre gamète plus petite que
la première, et cherchant à féconder. Lorsque parfois la ga-
mète femelle prend la forme tronconique, elle n'en conserve
pas moins, semble-t-il, la faculté de produire un œuf cà son
extrémité ou sur son parcours. Les jets secondaires n'ont
pas été observés dans toutes les espèces.
b) Attractioti externe et visible l'une par l'aiUrejusqu 'atc
toîicher.
Cette attraction paraît si visible, si nette, qu'il est impos-
sible de la comparer à des effets de polarisation, à des rap-
prochements végétatifs accidentels , à des anastomoses
comme on en voit entre des filaments, ampoules et conidies
voisins. Elle est franche, surmonte les obstacles, se fait sentir
à travers l'épiderme du limbe, et s'exerce à des distances rela-
— IX —
tivement considérables, par exemple de plus loin que le
champ du microscope à 1X200.
Quant au tube de déversement qui servirait au mélang-e
des protoplasmes, il faut avouer que nous ne l'avons pas
aperçu. Ce qui doit tranquilliser, c'est que, alors même qu'il
existerait, il serait impossible de le voir dans l'intérieur des
spores et des gamètes ; la couleur de celles-ci empêcherait
de le distinguer. C'est le cas, dans toutes les espèces que
nous avons étudiées ; pour un grand nombre également l'ex-
trême petitesse des spores et sporules femelles et des gamètes
mâles rend toute observ^ation de ce genre très aléatoire. Tou-
jours est-il que jamais aucune cloison n'a paru exister entre
gamètes ou spores comme il s'en voit, paraît-il, entre oo-
gone et anthéridie dans certains ascomycètes (Sphœroteca
Castagnei) qui accompliraient l'acte sexuel à la façon des Pe-
ronosporacés (i).
c) Dépérissement et desirtictïon rapide diL germe mâle.
Le dépérissement est rapide, surtout en été. Qu'il y ait
eu ou non fécondation, la gamète s'effrite bientôt et il n'en
reste plus que quelque poussière noire. Cette désorganisa-
tion de la gamète mâle, nous a laissé longtemps perplexe
dans les débuts ; elle paraissait inexplicable et confondait les
prévisions.
c) Facilité d'expliquer par la loi de sexualité , telle
qii 'elle résulterait de nos recherches , certaines anomalies au-
trement incoinpi'éhensibles de la reprodtiction des champi-
gnons supérieîirs.
On comprend mieux, en admettant la sexualisation sur
lit nuptial approprié et non ailleurs, pourquoi les champi-
gnons ne se multiplient pas indéfiniment au même endroit ou
dans un rayon rapproché, malgré le nombre véritablement
immense de spores contenues dans un seul sujet (2); pourquoi
l'on voit apparaître à l'improviste des espèces nouvelles, ou
1. Dangeard, 7" série; p. 119, Le Botaniste.
2. On évalue à plusieurs milliards le nombre des spores contenues dans un
seul T.ycoperdon, Vesce de Loup géante!
— X —
du moins absentes jusque-là dans des localités ou sous des
bois où elles n'avaient jamais été vues ; pourquoi l'on n'a
jamais pu faire g-ermer, jusqu'à présent, certaines spores,
dans les milieux nutritifs les plus appropriés en apparence et
les plus fournis des éléments chimiques nécessaires à la nu-
trition. On comprend mieux pourquoi diverses variétés nais-
sent de préférence sous tel ou tel arbre, surtout lorsque,
comme pour la Truffe, cet arbre est presque le seul à garder
des feuilles à l'époque de l'année oii, le tubercule étant mûr,
la dissémination des spores est plus facile et leur germination
plus énergique.
Enfin, et ce n'est là qu'une pure supposition probablement
sans valeur, le rôle obscur de certaines conidïes, de ces cel-
lules de formes variées, sortes de spores de seconde généra-
tion s'éclaircirait d'un jour nouveau. Les conidies que l'on
rencontre en nombre immense dans les champignons infé-
rieurs et plus rarement dans les champignons supérieurs de
grande taille naissent, comme on sait, tantôt sur le thalle,
comme pour le Coprin, l'Agaric velutipes, l'Agaric tendre,
le Cyatre ; tantôt sur les filaments de l'appareil basidifère,
comme pour la Fistuline, le Polypore sulfureux, l'Hydre hé-
risson ; tantôt enfin dans des cavités de formes variées
comme pour les Pyrenomycètes, les Discomycètes, les Ce-
nanges. Chez la plupart des g-rands champignons supérieurs,
elles sont infertiles, ne continuent pas la plante ; beaucoup
n'ont jamais germé dans les milieux nutritifs en apparence les
plus favorables.
Ne pourrait-on, dès lors, les considérer comme des sous-
spores, des états de repos de filament, attendant les circons-
tances favorables à leur développement sexué) comme
une sorte de bulbille sexuée incapable dans beaucoup d'es-
pèces de continuer agamiquement la plante, mais capable de
produire une j)lante nouvelle en se sexualisant, lorsque les
circonstances sont favorables et sur lit nuptial approprié?
Il est assez difficile de se procurer des conidies de grands
champignons et plus difficile encore de les observer sur feuille
XI
avec quelque certitude à cause de leur petitesse et de
leur transparence. Mais d'après la théorie que nous venons
d'énoncer , les spores de champignons obtenus par
agamie, pourraient être physiologiquement assimilées à
des conidies.
Nous avons ensemencé sur feuilles quelques-unes de ces
spores de psalliotes champêtres cultivés, elles ont paru
engendrer des gamètes sexués se fécondant suivant la règle
ordinaire ; quant aux conidies transparentes d'autres cham-
pignons, l'observation sur feuille est, comme je l'ai dit, d'une
telle difficulté que l'on ne peut rien conclure avec certitude.
C'est le cas pour les conidies formées par les filaments de
Morille, par agamie, dans les conditions difficiles à réaliser
développées plus loin (v. p. 55)- Ce qui est certain, c'est que
ces conidies mise en terre préparée, par conséquent dans un
milieu nutritif, n'ont rien produit après huit ans,
e) Impossibilité d'expliqtter auireinentqîie par les phases
d'une rénovation sextielle les faits observés.
Cette preuve bien que frisant la reductio ad absjtrdum,
raisonnement si mal vu des mathématiciens et à juste titre,
n'en conserve pas moins ici une certaine valeur.
A quoi serait bon, en effet, que pourrait bien signifier
cette évolution singulière et bizarre des spores sur feuille,
si elle ne résumait pas les phases de la rénovation sexuée de
l'espèce ? On se le demande en vérité !
Après le pour, voici le contre, c'est-à-dire la série des argu-
ments contraires énuraérés page VII, et sur lesquels se basent
ceux qui se refusent à reconnaître une germination sexuée
ou même, le croirait-on, une germination quelconque dans
les faits observés.
Ces arguments sont loin d'être sans valeur ; il en est
auxquels il est difficile de répondre. D'autres ne méritent pas
qu'on s'y arrête ; de ce nombre est le suivant :
a) On a obtenu certains champignons des grandes espèces
XII
par développement asexué de spore -unique sans aticune copzi-
lation rappelant de près oti de loin l'acte sexuel.
Témoins (par exemple) le champig-non de couche qui
vient de spores ou de blanc; le Polypore tuberastre produit
par amas solide de mycélium et de calcaire appelé Pietra
fungaia^ et le Tricholome nu récolté dans les conditions
suivantes (i).
« Les cultures ont été obtenues dans des pots à fleur ou
« dans des meules découvertes formées d'un mélançe de
« feuilles, fumier, etc., de consistance terreuse. Les fructifi-
« cations sont nombreuses, mais restent le plus souvent à
« l'état d'ébauche ; elles sont comme atrophiées ; seules
« les meules fournissent quelques sujets comparables comme
« aspect et comme dimension au Tricholome nu naturel. On
« n'a obtenu ni conidies ni sclérotes. »
Ainsi les champignons se reproduisent sans fécondation
nécessaire, donc, etc., etc.
Il est à peine utile de répondre.
Beaucoup de plantes se multiplient par bouture comme
les peupliers, saules et platanes ; par racines ou rhizomes
comme l'Olivier et le Nénuphar ; par feuilles comme le
Bégonia Gloxinia ; par cayeux ou bulbilles comme certaines
Liliacées, les Aulx, les Hyacinthes, la Tulipe ; d'autres sont
réfractaires à ces modes de propagation et ne se reproduisent
que de semences.
Il en va ainsi des champignons supérieurs. Les uns naissent
facilement de spores non fécondées, de blanc ou de débris de
substance, comme ceux que l'on vient de nommer auxquels il
convient d'ajouter le Mousseron, etc., etc., et paraît-il, la
Truffe même, s'il faut en croire les expériences de M. Kiefer
(v. page 39) ; expériences qui malheureusement n'ont
jamais été recommencées avec succès, mais qu'un heureux
chercheur fera peut-être aboutir un jour.
Les autres champignons, et c'est le plus grand nombre, ne
I. Comptes-rcn'lu<;, Arnilémie des sciences, 14 mars 189S.
XIII
peuvent pas être obtenus par ces procédés dans l'état actuel
de nos connaissances ; ils viendraient de semence seulement.
De toutes façons, la reproduction ou plutôt la conti-
nuation de la plante par agamie pour quelques espèces,
pour toutes mêmes, si cela était, n'aurait aucune importance
dans le point en litige.
11 est même à remarquer que souvent le champignon,
comme d'autres plantes, dégénère assez rapidement, même
dans les milieux les plus favorables, lorsqu'il est obtenu de
spores non fécondées ou de blanc. C'est le cas par exemple
des Tricholomes nus et des Tricholomes terreux (voir ci-
dessus) et des Coprins stercoraires, et autres du même
genre (i).
Ce dépérissement n'est-il pas un argument en faveur d'un
rajeunissement sexuel nécessaire de loin en loin et ne prouve-
t-il pas ou ne fait-il pas présumer que la fécondation n'a pas
lieu au sein du champignon même, dans les asques ou les
basides, comme le prétendent d'éminents botanistes contem-
porains?
p) Les diverses phases de la copiUation sexîiée dans lui
grand nombre d'oomycètes, principalemejit dans ceitx qni se
reproduisent par isogamie à la façon des péronosporace's ,
diffèrent tellement de ce qiLe vous décrivez, qtt 'il est difficile
d'admettre qiie la nature ait atteint un seul et même but par
des moyens si différents. Dans les ooinycètes, la m.êtne spore
engendre des gamètes de sexes différents ; dans les chatn-
pignons dont vous parlez, la spore serait unisexuée.
On sait en effet que dans une catégorie entière de champi-
gnons inférieurs, Tordre des oomycètes, les modes de propa-
gation sexués et asexués coexistent simultanément ; c'est-à-
dire que tantôt la plante se continue par le thalle simple issu
d'une spore, d'une oospore ou d'une conidie, tantôt elle sort
I. La spore d'un Coprin stercoraire mesurant dix cent, de haut et cinq à
six de large, ensemencée dans une infusion de crottin sur porte-objets,
produit un autre Coprin de un ou deux cent, de haut et un demi de large; et
il en est souvent ainsi, par degrés suivant les milieux, avec tendance cons-
tante à la dégénérescence.
— XIV —
d'un œuf engendré par la rencontre, la fusion de filaments
0
OU g-amètes hétérogames et isogames (i).
Or il n'est pas douteux que si la fécondation hétéroga-
mique par anthéridie présente un certain degré de ressem-
blance avec ce qui a été observé dans les fécondations sur
feuille, par contre la production d'œufs par isogamie, fusions,
conjugaisons en diffère singulièrement. En outre, dans les
deux cas, il résulterait des recherches faites à ce sujet par
les botanistes allemands, que la même spore ou la même
conidie contient naturellement les deux sexes, puisque ceux-
ci ne se différencient qu'après la germination, sur le thalle
même issu de spore unique.
On arrive ainsi à cette double conclusion, peu conforme
à l'idée d'uniformité,que la fécondation dans les champignons
revêt, suivant les espèces, des formes très différentes, que pour
les uns, la spore n'a qu'un sexe, pour les autres, elle en a deux.
La première de ces constatations n'a rien qui doive effrayer,
puisqu'il était d'ores et déjà aisé de la faire en comparant
entre eux les modes de fécondation admis pour les oomy-
cètes mêmes, et que la théorie de fécondation sexuée admise
pour ces champignons n'en a subi aucun accroc et subsiste
quand même.
Si l'on admet en effet que les fusions nucléaires ou simple-
ment protoplasmiques constatées dans les oomycètes à
gamètes isog^ames, tels que mucorinés, chytridiacés, etc.,
représentent un acte sexuel, il faut reconnaître tjue cet acte
diffère morphologiquement de ce qui se passe chez les
oomycètes à gamètes hétérogames se copulant à la façon des
péronosporacés, tout autant que de la copulation sur feuille
des gamètes de certains basidiomycètes et ascomycètes.
Ainsi l'objection se résoud d'elle-même.
Il est plus difficile d'accorder l'unisexualité des spores
I. Nous prenons ici, comme base de discussion, l'opinion admise que les
fusions et conjugaisons nucléaires dans les oomycètes sont des copulations
sexuelles, mais sous bénéfice bien entendu, des observations et des réserves
faites à ce- sujet dans les pajj^es qui suivent (v. p. xvii).
d'un côté, avec, de l'autre, la bisexualité virtuelle telle qu'elle
apparaît dans les dessins et les descriptions qui nous repré-
sentent la fécondation des oomycètes, tout au moins des
oomycètes à gamètes isogames.
Nous savons pourtant que dans les organismes rudimen-
taires tels que les thallophytes en général, les gamètes
différenciées ou non, issues demème spore, sont parfois abso-
lument voisines dès l'origine, comme par exemple dans les
Cladophores, l'Ulotriche, les Œdogones, la Spirogire, le
Basidiobolus Ranarum, où elles sortent ensemble de la même
spore et se copulent immédiatement. C'est une propriété de
ces végétaux imparfliits que ce voisinage, cette confusion des
germes ; mais comme cette confusion originelle fréquente
chez les végétaux imparfaits devient plus rare au fur et à
mesure de leur perfectionnement, elle pourrait ne pas exister
dans les grands champignons supérieurs, sans que les règles
de probabilité ou de similitude s'en trouvent violées. Entre
l'Amanite et la Truffe par exemple et une moisissure, ou
une levure, il n'y a de ressemblance que le thalle présent et
la chlorophylle absente. Ces particularités étant prises comme
bases de classification, on a réuni dans la même classe des
végétaux différents, non seulement de forme et d'aspect,
mais aussi sans doute à beaucoup d'autres points de vue.
Cela serait donc attribuer à la nomenclature un rôle
exagéré que d'en conclure que les spores des uns doivent être
de nature identique à celle des autres, d'autant plus que nous
connaissons des végétaux moins dissemblables entre eux que
les champignons, et qui cependant, sans cause apparente
sont les uns monoïques comme les Pins, Sapins, Cyprès, les
autres dioïques comme l'If, le Saule, le Chanvre ; tantôt
mâles, tantôt femelles, tantôt hermaphrodite comme leFrêne,
et avec fleurs, les uns unisexuées, les autres bisexuées.
Ceci dit pour constater la possibilité des variations phy-
siologiques, reconnaissons que rien ne prouve l'unisexualité
de la spore dans les espèces que nous avons étudiées.
Certaines observations sur les spores de la Truffe tendraient
— XVI —
même à laisser le doute subsister(fig-. 8). Toutefois comme
on ne saurait regarder comme certain, pour la Truffe spécia-
lement, à cause des débris qui couvrent le limbe, ce qui n'a
pas été vu un grand nombre de fois, il paraît sage de ne pas
se prononcer sur cette question de bisexualité ou d'unisexua-
lité de la spore.
Y ) Vos observations ne s 'accordent pas avec les principes de
la fécondation sexnée aîijourd'hîii admis^ ni avec la fécon-
dation sexuelle même telle que l'auraient découverte des bota-
nistes contemporains.
La formule de la fécondation sexuée serait la suivante :
« Toujours et partout la rénovation sexuelle est précédée
a d'une fusion en un seul de deux noyaux accompagnés de
a leur protoplasme ; le noyau sexuel qui en résulte fournira
« en se divisant le noyau de l'embryon ou des embryons. »
C'est en ces termes que l'a établie M. Dangeard,à la suite
de ses études sur la fécondation sexuée, tant des champignons
que des autres végétaux.
L'éminent professeur, que ses savantes et originales re-
cherches ont placé dans les tout premiers rangs des bota-
nistes modernes, croit trouver l'application de cette loi dans
l'acte sexuel des champignons supérieurs qui s'accomplirait,
selon lui, à l'intérieur des asques oudesbasides. L'unetl'autre
feraient 2imsifonct\on de g-ametano^e, en ce qu'ils renferment des
noyaux sexués, des gamètes, (|ui fusionnant ensemble en-
gendrent ou plutôt deviennent l'œuf d'où sortira la spore sur
la baside ou dans l'asque.
Il est clair que cette théorie est en contradiction avec
celle que nous proposons. Les deux ne peuvent se concilier.
Comment admettre que, dans la vie d'une même plante, il y
ait deux actes sexuels consécutifs résultant, l'un d'une fusion
nucléaire, l'autre d'un accouplement sur substance appropriée
dans les formes que nous décrivons. Il est tout aussi difficile
de concevoir que l'un puisse suppléer à l'autre. Il y aurait
alors pour les champignons, même en s'en tenant aux espèces
(jui se ressemblent, trois formes de copulations différentes,
— XVII
l'une par fusion nucléaire, l'autre par anthéridie et ascogone,
le troisième par accouplement sur substance appropriée. Cela
serait beaucoup ; il semble que deux, c'est déjà trop.
Si donc, l'on reconnaît dans les accouplements sur feuille
les phases d'une évolution sexuelle, il faut alors conclure que
les fusions nucléaires ne sont que des phénomènes d'ordre
végétatif, des anastomoses fortifiantes, un rajeunissement
cytoplasmique.Etalors le plus simple n'est-il pasde se ranger
à l'avis déjà exprimé par des botanistes dissidents et dépenser
avec eux « que la fusion nucléaire est un phénomène d'impor-
tance considérable dans la vie deschampig^nons, mais non un
acte sexuel ». Bien entendu nos observations n'ayant porté
que sur certains ascomycètes et basidiomycètes proprement
dits, d'autres basidiomycètes ou ascomycètes, les ustilaginés
et urédinés, les champignons inférieurs peuvent être rangés
à part. Pour ceux-là, on peut dire que la fusion nucléaire est
le seul acte sexuel nécessaire.
Malheureusement il existe une ressemblance complète, à
tous les points de vue, entre les fusions nucléaires qui s'opè-
rent dans les « gametanges » des champignons que nous
avons étudiés (coprins, truffes, etc.) et les fusions nucléaires
que l'on observe dans les urédinés, ustilaginés, protobasidio-
mycètes, etc , si bien qu'il est difficile de reconnaître aux
unes une portée physiologique que l'on n'admet pas chez les
autres.
Je vais plus loin. En voyant la grande ressemblance qui
existe également entre les fusions nucléaires des soi-disant
a gamètes », dans les gametanges (asques et basides) des
basidiomycètes et ascomycètes et celles de certains oomy-
cètes se copulant à la façon des mucorinés, un doute vient à
l'esprit, et l'on se demande si, pour ces dernières familles
également, on n'a pas abusé des mots gamètes, œufs, fécon-
dation. Evidemment ces questions ne sont pas définitivement
résolues et de nouvelles recherches s'imposent.
û) Nous avons cherché à contrôler vos observations et
iioîis n'avons rien vu.
XVIII
Rien vu ! C'est beaucoup dire. Sans doute, robservation
n'est pas toujours facile, pour la Truffe spécialement, et il
faut patience et habitude pour se reconnaître au milieu des
spores, pseudo-spores, débris de tégument ou d'asque.
Après avoir aperçu pour la première fois une spore germant
en janvier, l'auteur est resté onze mois dans l'incertitude et
absolument dérouté, malgré des observations presque quoti-
diennes. Ce n'est qu'en décembre suivant que la lumière s'est
faite grâce à un concours exceptionnel de circonstances. Pour
le Coprin, malgré le grand nombre de manquants , l'observa-
tion est facilitée par la propreté du limbe et l'absence de débris.
La qualité du champignon et surtout de la feuille a pour
l'observation une importance capitale. On se heurte à des
insuccès complets sans savoir pourquoi. Il n'y a qu'à recom-
mencer. Les feuilles jaunies, desséchées, sont difficiles à exa-
miner; ces dernières surtout sur les arbres un peu forts. Les
nervures apparaissent trop ; la chlorophylle en se condensant
forme des contours imperméables à la lumière. La feuille
petite, verte, à limbe plat, permet seule de bien voir; on la
trouve sur les chênes pubescents jeunes jusqu'en février. La
feuille de sapin argenté est aussi assez commode, lors(]u'elle
réussit.
Quelquefois les ensemencements n'ont pas été faits avec
les garanties voulues. Un honorable correspondant se plai-
gnait de ne rien apercevoir. Un peu pressé, il finit par re-
connaître qu'il avait employé des truffes conservées en boîtes
de métal d'après un procédé secret, c'est-à-dire des truffes
passées à la vapeur et stérilisées !
D'autres fois, le sentiment domine. Un ancien forestier,
M. Grimblot, devant le Congrès international de sylviculture,
s'est vivement élevé contre nos prétendues découvertes. 11
n'a d'ailleurs jamais cherché à contrôler l'exactitude de nos
observations. Cela n'a pas lieu de surprendre. M. Grimblot a
écrit autrefois sur la Truffe, et, par l'audace de ses affirma-
tions, il montre bien (jue les révélations du microscope sont
pour lui lettre morte. Ne va t-il pas jusqu'à dire, dansîtne bro-
— XIX —
chiLve publiée en i8']8, que la Truffe est « une excrétion radi-
culaire, d'abord liquide, puis gélatineuse, sorte de latex albu-
mineux qui s'organiserait bientôt en Truffe (i) », et cela alors
que les spores de ce champignon avaient été vues et dessi-
nées, depuis cent cinquante ans, par Tournefort, Geoffroy,
Micheli; que, depuis ce même temps, la nature fungique du
tubercule ne faisait aucun doute pour les botanistes sérieux ;
alors enfin qu'un examen de trois minutes, avec un micros-
cope d'enfant, convaincrait les plus incrédules! N'insistons
pas et constatons seulement, sur un autre terrain, l'intérêt
des expériences entreprises sous la direction de l'honorable
forestier par le transport du mycélium truffier, M. Kiefer
aurait autrefois réussi de cette façon dans une certaine me-
sure (voir p. 39); il serait à désirer que l'on connût une
méthode scientifique pour user de ce procédé qui restera
peut-être en fin de compte, pour les autres champignons
comme pour la Truffe, le plus rapide et le plus sûr.
£.) Les résultats pratiques uianquent, donc rien défait.
Malheureusement, dans ces sortes d'essais, les jours et
les heures qui suffisent en chimie, physique et en bactériologie
deviennent des années. Quant à la Truffe, il semble bien
qu'avec un tour de main spécial, peut-être connu, peut-être in-
connu, le succès n'est pas improbable; pour les autres cham-
pignons, le cycle de l'évolution souterraine paraît dépendre
de conditions particulières incomplètement approfondies.
Il eût été plus sage, afin d'éviter la critique, de ne publier
ce livre qu'après avoir obtenu des résultats concluants ; je le
reconnais; d'autre part, ces résultats peuvent être longs à
venir et le meilleur moyen de les hâter n'est-il pas de mettre
les Trufficulteurs en mesure de les provoquer eux-mêmes.
Les longs et minutieux détails de l'ensemencement sur
feuilles contenus au chapitre V, ont été précisément donnes
afin de faciliter les expériences; c'est d'ailleurs le but du livre
tout entier.
I. Etudes sur les Truffières du Vaucluse ; Grimblot (1878).
XX —
Remarquons-le, en terminant, la nécessité d'une germi-
nation sexuée pour les thallophites a toujours été si bien
admise en principe, cjue la discussion entre les botanistes porte
non sur son existence, mais sur la manière dont elle se pro-
duit.
Sans parler des oomycèies qui doivent leur nom à ce fait
que l'œuf s'y formerait à la suite de ce qu'on a appelé une
copulation, on a cru successivement apercevoir les phases de
l'acte sexuel sur le thalle de certains Pezises et de quelques
Erysiphes, dans les spermaties d'espèces à spermogonies
comme les Coprins, dans les scolecistes des Ascoboles, dans
les cystides des Hymenomycètes, dans les raacrocystes à glo-
bules qui se développent sur le thalle d'Agaricinées, enfin
dans la fusion des noyaux contenus dans les basides et asques
(ou gametanges) des Basidiomycètes et Ascomycètes ; mais
presque toujours les trois caractères de la fécondation, con-
fusion de protoplasmes, permanence de l'œuf, dépérissement
du germe mâle ne se trouvaient pas réunis, ou bien l'unifor-
mité, la généralité et la constance des phénomènes faisaient
défaut. Pour ces raisons et pour d'autres, un éminent profes-
seur, après avoir plusieurs fois changé d'avis sur la matière,
écrivait en 1891 (i ) :
« Ou bien ces plantes ont toujours été incapables de pro-
duire des œufs, elles sont agames de leur nature. Ou bien,
douées autrefois de sexualité, elles ont perdu sans retour la
faculté de produire des œufs. Ou bien elles sont douées de
sexualité, mais ne forment leurs œufs qu'à de rares intervalles,
dans des conditions de milieu toutes spéciales; il en résulte
que ces œaifs ont échappé auX' observations, et leur décou-
verte est réservée aux efforts de l'avenir. » (Van TiEGHEM,
Traité de Botanique.)
Ainsi, proposer une théorie pour la fécondation sexuée
des champignons, c'est chercher à combler une lacune, ce
n'est pas introduire une nouveauté.
I. Van TiliGHEM, Traité de Botanique.
CHAPITRE PREMIER
LA TRUFFE
Origines attribuées à la Truffe dans les temps anciens et modernes.
Temps anciens, de 350 avant Jésus-Christ au milieu du xv^ siècle;
temps modernes, du milieu du xV siècle à nos jours.
A tout seigneur tout honneur. Nous commencerons donc
par la Truffe, le premier, sans contredit, dans l'espèce
fungique.
On m'excusera de consacrer au début quelques pages
aux opinions qui ont eu cours à différentes époques sur
l'origine de ce champignon ; cet aperçu historique rentre en
quelque sorte dans notre sujet, en ce qu'il permet de
mesurer la voie parcourue et les progrès accomplis.
Théophraste, disciple d'Aristote, parle pour la pre-
mière fois des truffes, 350 ans avant J.-C, et les appelle
« des végétaux privés de racines qu'engendrent les pluies
d'automne accompagnées de coups de tonnerre ».
Quatre siècles plus tard, Dioscoride les qualifie de
« racines tubéreuses que la terre produit et arrondit en soi
par une vertu secrète » .
Athénée, puis Cicéron les regardent comme des « enfants
de la terre, production spontanée du sol ». Pour Porphyre,
elles sont des « enfants des Dieux » ; pour le naturaliste Pline,
« des callosités de la terre, miracles de la nature ».
Juvénal, Plutarque, les considèrent comme a un produit
de la foudre et des orages », opinion évidemment fausse
mais basée sur une observation exacte, car il est constant
2 —
que les pluies d'orage, surtout en juillet, favorisent la
production des truffières.
Néandre écrit en 1499 « qu'elles sont faites du limon de
la terre modifié par la chaleur centrale ». Encelius, qu'elles
sont formées « de la pituite des arbres ». Ceccarelli pense
qu'elles naissent dans le sol à la suite de la chaleur putride
développée par les orages. Ce lettré, l'un des plus illustres
du XVI® siècle, s'exprime ainsi :
0 La propriété de la terre, préparée par la chaleur du
« soleil, mise en action par les tonnerres et les pluies qui
« déterminent une chaleur putride, donne naissance aux
« Truffes. Par la raison des contraires, lorsque la chaleur
« cuit la matière froide, humide et tenue, il en résulte des
« germes sans racines, c'est ce que nous appelons des
« champignons. »
Et plus loin :
« Il existe cinq éléments dans la Trufte : l'écorce, la
« pulpe, l'humidité, l'odeur et la couleur. L'écorce est formée
« par la terre puisqu'elle provient du froid et du sec ; la pulpe
« a deux parties, l'une crasse, l'autre ténue : la crasse vient
« de la terre, la ténue de l'air; l'humidité vient de l'eau;
« l'odeur et la couleur du feu. L'ensemble concourt à la
« génération des Truffes (i). »
Dans tous ces cas il s'agit, sans doute, non de la Truffe
du Périgord, ou Ttiber inelanospoi'unt, mais des variétés
diverses que l'on récolte en Italie et en Grèce.
Du XVI" siècle au commencement du XVIH'', c'est-à-dire,
pendant un intervalle d'environ cent ans, il n'est rien écrit de
nouveau sur l'origine des Truffes : et, cependant, leur succès
gastronomique va grandissant et se généralisant.
C'est en 17 11, avec le botaniste Tournefort, que recom-
mencent les recherches scientifiques sur la nature de ces tuber-
cules, recherches dès lors conduites avec méthode et préci-
sion, mais néanmoins délicates et sujettes à caution,
I. Conférence sur la Trufficulturc, i)ar A. de Bosredon.
— 3 —
puisqu'elles sont faites avec l'aide d'une simple loupe très
imparfaite et de faible grossissement.
Le microscope apparaît alors, et avec lui, nous entrons
dans ce qu'on peut appeler, pour notre sujet, la période mo-
derne.
A l'aide de cet instrument, Geoffroy, Micheli et d'autres,
reprenant les recherches antérieures, ne tardent pas à décou-
vrir, à décrire et à dessiner les vésicules ou asques, conte-
nant chacun de une à quatre spores improprement appelées
Truffmelles, dont la réunion en masse forme la presque tota-
lité de la pulpe trufhère. La semence est trouvée ; la Truffe
est un végétal, un champignon.
Temps modernes du milieu du XIX" siècle à nos
jours. — Il semble qu'à la suite de ces constatations la na-
ture fungique de la Truffe ne devrait faire doute pour per-
sonne. Il est loin d'en être ainsi cependant. Beaucoup de
trufficulteurs continuent à nier, et leurs arguments, il faut
le reconnaître, ne sont pas sans valeur.
« Si la Truffe est un champignon, disent-ils, si les points
« noirs que vous avez découverts sont des semences, mon-
« trez-nous une germination, faites-voir le mycélium, le blanc
« ou système radiculaire d'où sort le champignon. »
Or jamais, malgré d'innombrables essais, on n'avait vu
'germer une spore de truffe. Quant au mycélium, quelques
botanistes ont cru l'apercevoir, mais rien de sûr à cet égard.
Pour les uns, il serait incolore ; pour les autres, brun. Pour les
uns, il adhérerait aux racines; pour les autres, il en serait
complètement indépendant, etc., etc.
En réalité ce sont là des hypothèses. A part quelques
fibrilles longues de trois ou quatre millimètres et adhérentes
au péridium, on n'a rien vu en terre ou sur racines qui puisse
être qualifié, avec apparence de certitude, de mycélium truf-
fier (i),
I. Si l'on en juge par la germination de l'œuf, le mycélium truffier serait
d'une ténuité telle qu'il est impossible de l'apercevoir.
— 4 —
Il faudrait donc admettre que le mycélium disparaît avant
la maturité du tubercule. « La TrufFette arrivée à la grosseur
« d'un pois, c'est-à-dire trois mois avant d'être mûre, se
« dépouille de tout feutrage mycélien et grossit par ses
.' seules forces, d'après un mécanisme inconnu. » Cette opi-
nion compte de nombreux adhérents.
« Mais alors, objecte-t-on, vous supposez que la nature,
« après avoir mis en œuvre une organisation mycélienne
« étendue et compliquée, la Truffière en un mot, pour pro-
« duire un embryon gros comme un pois, l'abandonne en ce
« moment, nu et sans organes d'absorption ; alors qu'il doit
« en trois mois centupler de volume (i)! C'est bien invrai-
« semblable! »
Devant ces doutes et ces difficultés, faut-il s'étonner si,
jusque dans ces derniers temps, d'habiles trufficulteurs, vivant
en plein pays truffier, ont cherché à la formation des truffes
d'autres explications que celles de la reproduction par
spores.
Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, la question paraît résolue
et les diverses hypothèses admises depuis Tournefort et Geof-
froy n'ont plus qu'un intérêt historique. Nous les résumerons
donc brièvement par ordre chronologique.
1740-1800. — BuUiard et Walson : les truffes seraient
des végétaux vivipares; les spores sont vivantes et animées.
1833-1857. — MM. Et. Bonnet et Martin-Ravel pro-
fessent la théorie de la mouche truffière. Piquée par une de
ces mouches, au printemps, la racine excrète un suc laiteux
qui se concrète, se solidifie et devient truffe.
1867-18C)8. — Pour M. de Bressy, les truffes sont cham-
pignons parasites des racines. La lune aurait une grande
influence sur leur évolution qui serait de trente jours, comme
I. L';inatomic ne montre dans le péridium de la Truffe ni pores corti-
cales ni vaisseaux servant à la circulation.
— 5 —
la période lunaire. A la pleine lune la maturité serait à son
apogée.
1862-1871. — L'abbé Charvat, curé de Réauville, l'un
des fondateurs de la Trufficulture dans la Drôme, pense que
la Truffe est produite « par une sorte d'exsudation des
rameaux et des feuilles tombant sur le sol», conclusion fausse
assurément, mais tirée d'observations rigoureusement exactes
et précises.
Nous ne pouvons nous dispenser de citer en entier le pas-
sage dans lequel l'abbé Charvat explique et justifie son opi-
nion ; on le dirait écrit après coup et simplement à l'appui de
nos propres constatations sur l'origine des Truffières.
« J"ai observé, écrit l'abbé Charvat, j'ai interrogé beau-
<■( coup de monde, tout ce que j'ai vu et entendu m'a fait
« rejeter la théorie de la mouche, du mycélium, des sémi-
« nules et des racines, et m'a conduit forcément à conclure
« que le principe générateur de la Truffe vient des bi'anches.
« Un gros arbre truffier produit des Truffes à une distance
<i proportionnée au rayon de ses branches, loin du tronc,
« cela veut dire... Ainsi les branches sont étendues, les
« Truffes sont loin; les branches disparaissent (si on les
« coupe), les Truffes disparaissent; les branches reviennent,
« les Truffes reviennent. Donc la présence et l'absence, l'âge
« et la mesure des branches règlent, modifient la germination
« et le siège des Truffes ; donc les Truffes sont dans la dépen-
« dance des branches. Que me reste-t-il à dire, sinon que la
« semence de la Truffe est fournie par les branches ? — C'est
« un fait constant que les branches des arbres produisent les
« fruits et la semence, et que les racines nourrissent le tout:
« pourquoi l'arbre truffier ne serait-il pas soumis à cette loi
« générale? Donc le germe des Truffes vient des branches,
« non des racines, ou de toute autre cause. Mais quel est ce
« germe? J'ai observé des chênes truffiers d'assez près et en
« toute saison et je n'y ai rien vu, rien de granuliforme, ni
« gousse... rien que l'on puisse prendre pour une semence;
— 6 —
« j'ai remarqué seulement sur les branches et rameaux une
« efflorescence ou poussière cendrée, comparable à la pous-
« sière qui couvre les prunes et les raisins, mais plus adhé-
« rente à l'écorce. Les rosées, les pluies ne pourraient-elles
« délayer cette poussière ténue et l'entraîner dans le sol? Une
« fois en terre et imbibée de fraîcheur, quelle difficulté ver-
« rait-on à ce que cette matière devint le germe et le rudi-
« ment de la Truffe? Le pollen des fleurs n'est qu'une pous-
« sière, mais n'est-il pas une poussière vivante?
« Les vents ne pourraient-ils détacher ces molécules en
« temps sec et les éparpiller sur la terre, ou les emporter
« dans des gouttes d'eau, en temps de pluie, à des distances
« éloignées?... — Le germe de la Truffe, venant, selon toute
« apparence, des branches de l'arbre, tombe de lui-même
« lorsqu'il est mùr, ou bien il est entraîné par les agents de
« la nature; une fois dans ces conditions de végétation, il se
« nourrit comme tous les germes vivants, s'organise, s'en-
« toure de papilles ou suçoirs et aspire les sucs qui sont près
a de lui. Plus je vais et plus je vois que le germe de la
a Truffe vient des branches, des rameaux et des feuilles. »
L'abbé Charvat a côtoyé la vérité d'aussi près que pos-
sible, il ne lui a peut-être manqué qu'un microscope pour
réussir.
1874-1878. — J. de Valserre reprend et soutient avec
conviction la théorie de la mouche truffigène, opinion que
partagent encore nombre de trufficulteurs et que semble
préconiser le Dictiotmaire de Larousse.
1878-1892. — Pour M. Grimblot, longtemps inspecteur
des forêts dans le Vaucluse, la Truffe est produite « par une
« excrétion radiculaire d'abord liquide, puis gélatineuse,
« sorte de latex albumincux qui s'organiserait bientôt en
« truffe ». Cette opinion fut ensuite abandonnée par son
auteur devenu partisan de la nature fungique de la truffe.
Enfin, d'après M. Lasaveldat, grand négociant en truffes
du Périgord, a ces tubercules s'engendrent dans tous les
« sols favorables sous l'influence de la chaleur et de l'humi-
« dite déterminant une fermentation. La Truffe se forme
« d'abord profondément dans les entrailles de la terre, puis
« elle remonte peu à peu vers la surface ; les arbres n'en
« favorisent le développement que par leur ombre, etc. »
Rappelons, avant de clore ce chapitre, ce que nous
avons dit en commençant. Depuis la fin du XVIII" siècle,
époque à laquelle la botanique s'est constituée en science
par la distinction des plantes dans leurs caractères propres
et l'établissement des grandes divisions naturelles, la nature
fungique de la truffe n'est plus sérieusement mise en ques-
tion par le monde savant, malgré les hypothèses contraires
que nous avons rapportées.
La Truffe est donc un champignon, c'est un point acquis.
Mais lorsqu'il s'agit de savoir si le mycélium de ce champi-
gnon est ou n'est pas parasite (i), le désaccord recommence.
Il faut avouer que la question n'est pas facile à résoudre.
Les recherches faites sur différents tubéracés,tels qu'Elapho-
micès, truffes jaunes, etc., etc., tendraient bien à établir une
certaine corrélation entre l'existence en terre du mycélium
de ces champignons et l'état des racines, mais la continuité
entre le mycélium aperçu sur les racines et celui de ces
champignons et notamment de la Tiiber inelanosportun n'a
pas été observée de façon certaine.
Il est également connu que le gazon et les plantes adven-
tices dépérissent au-dessus des truffières, ce qui donne à
penser que celles-ci se nourrissent de leurs sucs ; mais,
d'autre part, il résulte de témoignages dignes de foi que des
truffes ont été récoltées, dans des cas rares mais dûment
constatés, loin de tout chêne ou arbre quelconque.
I. Un champig-non est parasite lorsqu'il vit aux dépens des tissus org-a-
niques vivants; il est non parasite on saprophite lorsqu'il se développe sur
des corps déjà malades ou en voie de décomposition. Si la Truffière est
parasite, elle se nourrit avec les racines d'arbres ou d'herbes environnantes;
si elle ne l'est pas, elle n'a aucun lien nécessaire avec ces racines et par
conséquent peut s'en passer.
— 8
Que conclure de tout cela? A notre avis, que le mycélium
truffier, tout en étant volontiers parasite des racines d'arbre
dans lesquelles il trouve une nourriture qui lui manque ail-
leurs, peut néanmoins se passer des racines s'il trouve à
s'alimenter d'autre façon ; qu'il est donc parasite, mais non
parasite nécessaire de ces racines, ou peut-être parasite et
saprbphite en même temps.
CHAPITRE II
Description de la Truffe. — Conditions de germination des spores.
Agents de transport. — La feuille est-elle nécessaire?
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¥MûW
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Description de la Truffe. — Si l'on coupe en deux
une Truffe du Périgord, on voit à l'intérieur une masse
ou glèbe compacte, d'un noir
brunâtre, sillonnée de veines
blanches. La couche extérieure
est mince, dure, verruqueuse.
Les veines blanches ne sont
autre chose que des canaux
aérifères destinés à faire circu-
ler l'air jusque dans l'intérieur
de la masse ou glèbe, qui peut
ainsi se for:::er et mûrir en
même temps que les couches
extérieures.
Prenons une section de
glèbe confinant à l'extérieur
et examinons-la avec un gros-
sissement de 150 à 200. Nous
apercevrons (fig. i) d'abord
le péridium ou enveloppe ru-
gueuse extérieure, formé de
cellules indépendantes sans vie; puis, au-dessous, un amas
de filaments transparents, cloisonnés, dont les uns sont
restés stériles et les autres, fructifères, forment de petits
sacs transparents au milieu desquels nagent de une à quatre
spores (fig. 2).
Ces spores improprement appelées Truffinelles par les
'/'l\i^î^
Fijj. I. — Coupe d'une portion de 7'uief
inelanosporinn d'après Tulasne.
lO
botanistes qui les ont décrites pour la première fois, sont
ovales, d'un brun plus ou moins foncé, hérissées de papilles
sur toute leur surface.
La Truffe qui vient d'être décrite est la Truffe du Périgord
ou Tiiber melanosporiim ; mais il en existe un grand nombre
d'autres, différentes de celle-ci par l'enve-
loppe plus ou moins verruqueuse, quel-
quefois lisse ; par la couleur qui est par-
fois grise ou blanche ; par le nombre des
spores contenues dans chaque asque ; par
la forme même de ces spores qui peuvent
être rondes, lisses, réticulées-alvéolées,
dépourvues de papilles; par l'odeur
enfin, le goût, l'époque de maturité, l'ha-
bitat.
Ainsi, la Truffe de Bourgogne, fort
inférieure, comme on sait, à la Truffe du
Périgord, en diffère au point de vue bota-
nique par les spores qui sont alvéolées
et garnies de papilles recourbées en cro-
chet à leur extrémité ainsi que par
l'époque plus hâtive de sa maturité. La
Truffe d'été, si répandue en France, que
l'on trouve dans les charmilles, sous les
hêtres, etc., se distingue par la couleur
jaunâtre de sa glèbe, le moins grand
nombre de spores, l'absence d'arôme, etc., etc.
La Truffe d'Italie, ou truffe, à l'ail, est blanche, à enve-
loppe lisse, à spores alvéolées-réticulées, blanches et trans-
parentes; son arôme est pénétrant.
Malgré ces différences de détails, l'ensemble de la consti-
tution des Truffes est naturellement partout le même et
répond d'une manière générale à ce que montre la figure (i).
Fig. 2. — Asquea de la
Truffe du Périgord,
avec leurs spores.
Conditions de g'ermination des spores. — Les
spores contenues dans les asques arrivent à maturité presque
— II
toutes en même temps; mais alors même qu'elles sont mûres,
elles ne germent ni dans leur asque ni au dehors et mises
en terre. Pour germer il faut (qu'elles aient été extraites de
leur asque et transportées sur la substance propre à leur évo-
lution, et cette substance n'est autre que le limbe des feuilles
de certains arbres, tels que chênes, noisetiers, conifères (sapins
argentés), etc. Les expériences tentées sur ces espèces ont
donné des résultats satisfaisants, mais il est probable que l'on
réussirait également sur d'autres feuilles. La nervure centrale
ou son voisinage paraissent être l'endroit le plus favorable.
Sur chênes, noisetiers, etc., les spores se fixent sans
difficultés, grâce aux papilles de leur tégument ; sur conifères,
il semble que les exsudations de la surface du limbe facilitent
l'adhérence.
Il se passe sans doute quelque chose d'analogue pour les
Terfas ou truffes d'Afrique que l'on récolte sous les Hélian-
thèmes ou près des Cistes, arbustes dont la feuille, même en
pleine chaleur, est humectée et visqueuse ; il paraît vraisem-
blable que la feuille de Ciste joue envers les spores de Terfas
un rôle pareil à celui que remplissent les feuilles de nos
arbres vis-à-vis de la truffe du Périgord.
Il n'est pas nécessaire que la feuille soit encore verte ou
attachée à l'arbre pour être un substratum propice à la ger-
mination. J'ai vu des spores germer sur feuilles de chêne
sèches vieilles d'une année et conservées tout ce temps dans
un tiroir. Remarquons, d'ailleurs, qu'il n'est pas de moment
plus favorable pour l'ensemencement sur feuille que le mois
de décembre. C'est alors que la germination est à son maxi-
mum d'énergie. Or, à cette époque, les feuilles de chêne sont
jaunies et desséchées. Le fait qu'elles demeurent attachées à
l'arbre et qu'elles peuvent y rester encore jusqu'en mars ne
change rien à leur état physiologique. Cet état est, dès lors,
en tout semblable à ce qu'il sera une année, deux années plus
tard, si la feuille est conservée à l'abri de la pourriture.
11 m'est arrivé une fois ou deux, sur un très grand nombre
d'observations, de voir la spore germer sur poil.
12 —
Pour obtenir des germinations rapides, la date de l'ense-
mencement des spores sur limbe n'est pas indifférente. Nous
reviendrons sur ce point ainsi que sur le plus ou moins de
facilité que présentent les diverses feuilles à l'évolution des
germes.
Remarquons en passant que la Truffe n'est pas le seul
champignon dont la spore ait besoin, pour reproduire l'es-
pèce, d'être transportée, dans la suite de son développement,
sur une ou plusieurs substances différentes.
Ainsi la rouille du blé ou Puccinie du granieii, moisissure
parasite bien connue des cultivateurs, ne saurait fructifier indé-
finiment sur le blé seul, ^X.V&^'wiç.-v'inç^XX.^ paraît être nécessaire
pour la phase la plus importante de son développement.
Le blé suffit bien pendant l'été à ces générations indéfi-
nies de spores rougeâtres qu'on appelle rouille commune,
mais vienne l'arrière-saison, et ces spores rouges cèdent peu
à peu la place à des spores noires et cloisonnées, la rouille
noire des cultivateurs. Ces dernières émettent à leur tour des
filaments terminés par de très petites spores claires qui se
multiplient en grand nombre. Extrêmement légères ces spo-
rules sont enlevées par le vent et dispersées aux alentours,
mais elles ne germeront que sur l'épine-vinette, sur l'épine-
vinette seulement; et là, sur ce terrain favorable, à la suite
d'une évolution compliquée et intéressante, elles engendre-
ront d'autres spores qui, ramenées par le vent sur le blé, pro-
duiront la rouille commune, la rouille noire, et ainsi de suite.
Par conséquent « supprimez l'épine-vinette dans le voisi-
« nage d'un champ de blé, vous supprimez la rouille » , de
même que l'on dit : « plus d'arbres plus de truffes », Un autre
exemple de génération alternante nous est donné par l'ergot
de seigle dont une génération se produit sur grain et l'autre
nécessairement sur la terre humide (i).
I. On a mis en doute les générations alternantes de la rouille et des
autres champignons similaires ou plutôt on a nié la loi de cette alternance
telle qu'elle avait été d'abord formulée. Ainsi, pour la rouille, d'autres plantes
pourraient remplacer l'épine-vinette. Ceci prouverait qu'on a trop généralisé
des observations justes. De ce que l'épine-vinette parait être en certains cas
— 13 —
Les champignons à génération alternante sur substances
différentes sont dits hétéroïques. La Truffe serait donc un
champignon hétéroïque et, j'ajouterai, parasite nécessaire de
certaines feuilles pendant la phase extérieure de son évolution
et hétérogame.
Agents de transport. — La spore de Truffe a donc
besoin, pour germer, d'entrer en contact hors de son asque
ou, tout au moins à travers l'asque, avec le limbe de certaines
feuilles. Comment la spore est-elle transportée de la terre
où elle se trouve enfouie à cinq ou dix centimètres de pro-
fondeur jusqu'à la feuille? Par les insectes dits tubérivores.
Ce rôle des insectes n'a rien de surprenant : souvent dans
la nature, mouches, abeilles, papillons, etc., servent de véhi-
cules et immense est le nombre des plantes qu'ils fécondent
en apportant au stigmate le pollen étranger.
Quels sont ces insectes; quels sont leurs mœurs, leur
habitat? Ces questions ont été maintes fois traitées avec
grande compétence par des trufficulteurs et des entomolo-
gistes, alors que les uns et les autres discutaient la théorie
de la mouche truffigène. Témoins les écrits de Valserre, de
Bonnet et de Martin-Ravel. Le docteur Laboulbène leur a
notamment consacré, dans les Annales de la Société entoino-
logtque de France, une étude très complète accompagnée de
fort belles planches.
Malgré l'intérêt du sujet, nous ne pouvons, par crainte
d'allonger indéfiniment ce chapitre, le traiter en détail. Résu-
mant donc en quelques lignes les travaux antérieurs, nous
dirons simplement que les insectes tubérivores sont de plu-
sieurs espèces : Diptères, Coléoptères, Lépidoptères ou pa-
pillons, et Myriapodes. En fait le principal rôle pour la pro-
nécessaire, il ne s'en suit pas qu'elle le soit toujours. Rien ne prouve que la
rouille, avec cette faculté d'adaptation propre aux champignons ne puisse à
défaut d'épine-vinette se contenter d'un autre végétal. L'hétœrecie en soi ne
peut être niée. Pour la truffe, tout en reconnaissant que telles ou telles feuilles
sont quant à présent nécessaires, rien ne pouvant, à notre connaissance, les
remplacer, il paraît raisonnable de ne pas érig-er en loi leur indispensabilité.
u
duction truffière paraît appartenir à un coléoptère VAm'so-
toma cinnanomea et, surtout, aux mouches tubérivores Helo-
inyza Uiberivora ou Helontiza lineaia et à quelques autres
Helomiza peu différentes de celles-ci (fig. 3).
Ces mouches, d'un brun jaunâtre, voltigent par groupes
au-dessus des truffières, principalement le soir et le matin,
et ne servent que
trop souvent à in-
diquer le bon en-
droit aux bracon-
niers du pays.
Mouches et co-
léoptères déposent
leurs œufs dans l'in-
térieur des truffes
mûres en hiver : les
larves s'y forment,
s'y développent ,
triturant et man-
geant ce qui est à
leur portée jusqu'à
leur transformation en pupe ; enfin l'insecte parfait sort trois
mois après, de mai à juin.
En septembre, apparaît une seconde génération de ces
mouches; celles-ci vivent jusqu'en hiver.
En réalité, si l'on considère l'ensemble de loiisXç.^ insectes
tubérivores, on peut dire cju'il en est de vivants pendant toute
l'année sans exception.
On trouve naturellement leS mouches truffières en plus
grand nombre dans les pays truffiers, par conséquent, dans
le midi de la France : mais il s'en rencontre un peu partout
du moins jusqu'à la latitude de Paris. J'en ai recueilli dans
la Sarthe assez facilement en 1896, très difficilement en
1897. On en voit en Seine, en Seine-et-Oise. Climat à
part, cela n'a rien d'étonnant, car ces insectes dits tubéri-
vores, à défaut de truffes, se nourrissent fort bien d'autres
Fig. 3. — Helontyza tubeyivora et sa pupe. — Anisoloma
cinnamontea et sa larve. (Les traits iniliqudit la
vraie grandeur )
— 1=; —
charapig-nons en décomposition' tels que Bolets, Agarics,
Phallus, etc., etc.
C'est en sortant de la truffe après avoir déposé ses œufs, ou
bien comme insecte parfait, ou bien encore simplement après
un repas, que la mouche emporte, adhérant à ses pattes et
à ses ailes, des spores sorties de leurs asques; absolument
comme s'attachent à nos vêtements les involucres pointues
des châtaignes lorsque nous marchons dans une châtaigneraie.
J'ai observé des mouches truffières sortant de leur pupe
conservée et mûrie dans une truffe pourrie; j'en ai observé
d'autres que l'on avait laissées quelque temps en présence de
truffes dont elles avaient mangé, toutes portaient des spores
sur leurs pattes et sur leurs ailes.
On peut se demander si les insectes tubérivores n'avalent
pas les spores pour les transporter ainsi dans l'intérieur du
corps et les déposer non digérées, avec leurs excréments,
sur la substance favorable.
Cette hypothèse n'est pas vraisemblable pour plusieurs
raisons : i° On n'a jamais vu de mouches tubérivores manger
des spores de Ttiber melanosporîim ; celles-ci avec leurs
pointes paraissent les dégoûter absolument. Quant aux
mouches à viande, même de la plus grosse espèce, elles
meurent de faim devant un morceau de truffe plutôt que d'y
goûter; 2° On n'a pas observé de spores dans les excréments
des mouches, et d'ailleurs le tube intestinal de'ces diptères
est beaucoup trop étroit pour leur livrer passage.
Il existe bien des variétés de mouches, principalement
les Syrphides, qui consomment les spores des agarics; mais,
d'après Cooke, « les spores que l'on retrouve dans les intes-
« tins de ces insectes, dans un état parfait en apparence, sont
4 en réalité tout à fait altérées et impropres à germer ».
(Cooke et Berkley) i i j.
I. Il est difficile de s'associer à cette manière de voir pour toutes les
spores sans exception. Pour les psalliotes notamment, le contraire paraît
avoir été observé. Aussi en constatant l'impossibilité naturelle pour les
mouches truffières d'avaler une spore de truffe dans son entier, ne faut-il
— i6 —
Nous venons de voir queKs sont les agents vraisemblable-
ment employés par la nature pour transporter les spores de
la terre à la feuille ; mais les asques ou sacs dans lesquels sont,
à l'origine, enfermées les spores, comment sont-ils percés,
détruits? comment le contenu est-il mis en liberté? Par les
mandibules des insectes tubérivores et de leurs larves, et
aussi, comme nous le verrons plus tard, par pourriture ou
fermentation.
Mais enfin, dira-t-on, le contact entre les spores et la feuille
ne peut-il être établi autrement que par les insectes? C'est
assurément possible.
Les limaces, les rats, les grands animaux tubérivores
peuvent jouer, dans ce cas, un certain rôle. Il peut se faire
que la feuille enfouie vienne à toucher par hasard des spores
mises en liberté ou que celles-ci soient ramenées à la surface,
jusqu'à la feuille, par les lombrics ou vers de terre. Il se pas-
serait là ce que Pasteur, Feltz et d'autres ont observé pour
les bacilles du charbon revenant à la surface après un temps,
grâce aux vers de terre qui avalent dans les profondeurs du
sol des parcelles de terre pour en retirer les substances nu-
tritives qu'elles contiennent et les rendent à la surface sous
forme de petits cylindres diversement contournés.
Ces hypothèses paraissent invraisemblables.
Les spores déposés sur le limbe s'enracinent-elles? nous
ne le croyons pas. L'observation directe est difficile, mais en
examinant de près les cas très rares de germination sur
poil qui se sont présentés, j'ai remarqué que l'adhérence
paraissait sç. faire par simple contact du tégument ou des
papilles.
Il est possible que le même mode d'attache joigne la spore
à l'épiderme, car il ne faudrait pas considérer comme racines
les filaments qui percent le parenchyme et se terminent par
des pseudo-spores; ce sont les fructifications.
pas conclure que ces mouches ne puissent avaler ce que nous appelons l'œuf,
venu sur feuille, bien que l'hypothèse de ce double transport paraisse invrai-
semblable.
— 17 —
Quelquefois, autour d'une spore ayant germé, on aper-
çoit comme une dépression ombilicale principalement sur les
feuilles de conifères, sapin argenté, etc., dont la peau est
lisse et tendue; mais de racines proprement dites, je n'en ai
point observé. Cette absence de racines expliquerait pour-
quoi, après quelques semaines, lorsque l'évolution est com-
plète, les spores tombent facilement sans laisser de trace, ce
qui, soit dit en passant, rend l'observation incertaine sur
feuilles ensemencées depuis un certain temps et exposées
aux intempéries de l'air extérieur.
La feuille est-elle nécessaire ? — On est tenté ici de
poser une question : « Sans doute la spore de Truffe germe
sur feuille, mais la feuille est-elle ne'cessaz're , n'existe-t-il pas
d'autres substances susceptibles de la remplacer ? »
Nous répondrons que s'il existe d'autres substances
propres à la germination, jusqu'ici, malgré d'innombrables
recherches justifiées par l'importance du sujet, il n'a pas été
possible de les trouver.
On a ensemencé les spores de la Truffe sur racines, sur
lichens, sur pommes de terre, sur gélatine, sur tanin, on a
essayé de les cultiver dans la liqueur de Pasteur, le liquide
de Raulin, des décoctions, des infusions de toutes sortes;
moi-même j'ai tenté l'expérience sur quantité de matières : le
jus de feuille, la feuille hachée et broyée, le raclage de la
surface du limbe, la sève de l'écorce, le suc des racines ont
été essayés ; d'éminents botanistes se sont mis de la partie,
mais les résultats ont été toujours et partout absolument
négatifs. Jusqu'à présent donc, la feuille paraît nécessaire (i).
I. S'il était permis de risquer une théorie à propos de la germination sur
feuille, je dirais que la spore trouve sur le limbe un double principe; l'un à la
surface, une sorte d'exsudation, de dépôt qui percerait l'épiderme; l'autre,
intérieur, qui entretient la g-ermination. Afm de donner à cette manière de-
voir une apparence de plausibilité, il faut citer le fait qu'à plusieurs reprises
des feuilles lavées avant ensemencement en hiver ont donné de mauvais résul-
tats ; les spores tombaient sans se fixer.
CHAPITRE III
Germination et fécondation des spores. — Délais. — Observations
sur la fécondation.
Peu de temps après avoir été déposée sur le limbe, la
spore germe. Les époques favorables sont le mois de mai et
surtout novembre-décembre -janvier.
Elle émet un filament épais transparent, terminé par une
pseudo-spore généralement lisse au début, grosse, couleur
brun-clair ou ambre. La marche de ce filament est le plus
souvent sous-épidermique ; il s'enfonce dans la feuille au
sortir de la spore et apparaît à petite distance terminé par
sa pseudo-spore. Souvent comme obéissant à une loi d'attrac-
tion, celle-ci émerge près d'une spore femelle qu'elle touche
et féconde [b, pi. I et c, pi. II). Si aucune spore femelle ne se
trouve dans le voisinage, la pseudo-spore mâle peut se
dessécher et périr, mais elle peut aussi émettre un, deux ou
plusieurs jets secondaires [c, d, e, pi. II) terminés également
par des pseudo-spores plus petites que la première qui vont,
comme la première, à la recherche d'une spore femelle ; la
subdivision peut continuer, la pseudo-spore mâle diminuant
de volume juscju'cà devenir très petite, aussi petite que la
pseudo-spore femelle que nous décrirons plus loin, mais
conservant une forme triangulaire, pointue, qui indique que
sa nature est de percer.
On a observé sur feuilles de chêne et d'épicéa, à travers
l'épiderme, des subdivisions sous-épidermiques du filament
mâle ; (jnehiues cas très rares ont été vus à la surface (^, pi. II).
]{n novembre-janvier, le filament présente quelquefois
une marclie superficielle très courte. Ces exceptions peuvent
être sans doute attribuées, soit à la dureté de l'épiderme du
19 —
2
Fig. 4 — Exemple assez rare d'évoluliou d'un
germe mâle.
limbe, soit à l'état de la spore brisée et fendue par la tritu-
ration, soit à la vigueur, à la brutalité de la germination en
cette saison : celle-ci est parfois si impétueuse que la pseudo-
spore ne se donne pas le temps, dirait-on, de percer l'épi-
derme, afin d'aller plus
vite au but. Elle se
dirige alors franche-
ment sur la spore fe-
melle voisine et y ap-
plique sa pointe [a et c,
pi. I et fig. 8). Lorsque
la spore mâle se trouve
tout à côté d'une fe-
melle, elle peut suivre
dans son développe-
ment la marche indi-
quée dans la figure 4 ;
c'est-à-dire que par
une série de transformations successives rapides, elle prend
la forme d'un petit ver dont la tête demeure parfois coiffée
d'un morceau de tégument rugueux enlevé à la spore et
dont la partie fine féconde directement ou par filament.
L'évolution peut être terminée dix
jours après l'ensemencement ; pour la
bien observer, il faut la suivre jour
par jour.
Ce mode de fécondation est fort
rare, puisque sur des centaines d'ob-
servations, je ne l'ai aperçu que trois
fois, mais de façon certaine ; deux
fois en juillet et une fois en octobre,
sur un chêne mal placé, malingre, privé d'air et de soleil,
en un mot dans des circonstances défavorables par la
qualité et la position de la feuille. Ayant voulu me rendre
compte la dernière fois si le filament intermédiaire, parfai-
tement visible, qui reliait l'extrémité du ver à la spore
i*~'g- 5-
— 20
lemellé, partait de celle-ci ou du ver, j'ai passé sur le limbe
un pinceau mouillé, la spore a fini par s'en aller et il est
resté ce qu'on voit figure 5, n° 2, la petite pointe noire
qui était cachée est devenue parfaitement visible.
On peut, à première vue, confondre avec ces sortes de
petits vers fécondateurs le croissant des fig. a et d, pi. I,
et penser qu'il y a erreur. En réalité, les deux objets sont
différents. Les croissants des figures a et d, pi. I, ne sont
autre chose qu'un reste de tégument de la spore mâle qui
s'est vidée dans sa pseudo-spore. Les germinations superfi-
cielles mâles de cette forme se voient en hiver.
Que font pendant ce temps les spores femelles ? Les unes
demeurent inertes, les autres émettent un ou plusieurs fila-
ments terminés par une sporule plus petite que les pseudo-
spores mâles d'origine, noires et généralement rondes.
Ce filament chemine sous l'épiderme ou à la surface, en
hiver ; quelquefois la sporule reste accolée à la spore
{d, pi. II). D'autres fois elle se dirige comme obéissant à une
attraction vers une spore ou pseudo-spore mâle voisine et la
touche [a et d, pi. I, b, pi. II).
Après un délai variable, selon les saisons, on voit
quelques-unes de ces sporules devenir, sans doute par suite
de fécondation, plus grosses, luisantes, dures, absolument
sphériques. Ce sont alors vraisemblablement des œufs ou
germes complets ; ils peuvent laisser apercevoir comme un
commencement de germination, sur feuilles. Tombant à terre,
ils engendreraient, lorsque les circonstances s'y prêtent, le
mycélium truffier.
Quelquefois, on voit apparaître ejt été d^s sporules, dis-
posées en chapelet, distancées et reliées par un filament
invisible qui part de la spore femelle {a, pi. Il) (i).
Les spores femelles peuvent émettre, comme je l'ai dit,
un ou plusieurs filaments à sporules (fig. 6j. On pourrait con-
1. Les sporules qui se présentent ainsi t-n chapelet à la surface du limbe,
en été seulement, donc en un moment très défavorable, ne pourraient-elles pas
être assimilées à des conidies, d'après l'idée que nous nous en faisons?
— 21 —
dure de là qu'il existe des germes multiples dans chaque
spore femelle, celle-ci étant en quelque sorte une sporange
plutôt qu'une spore^ Cette manière de voir serait confirmée
par l'aspect que présentent certaines spores fraîches vues
par transparence. On aperçoit à l'intérieur des globules iso-
lées et distinctes, sept, huit ou davantage : ces globules
seraient alors autant d'ovules femelles indépendants.
Puisque nous parlons ici de l'aspect des spores , nous devons
ajouter que, malgré d'attentives recherches, il n'a pas été pos-
sible d'apercevoir entre les spores aucun signe
extérieur de sexualité, sauf peut-être l'indice "%
dont on vient de parler. Hors de là, rien ne
paraît différencier les spores, soit entre elles ^
dans Vasque, soit au dehors.
En résumé, les modes de fécondation
seraient les suivants :
Fécondation de spore femelle par pseudo-
spore mâle ;
Fécondation de sporule femelle par spore
ou pseudo-spore mâle. ^,. ^
Enfin, quelques indices et une ou deux
observations directes laisseraient supposer qu'il peut y avoir
production d'œufs par rencontre sous-épidermique de
filaments.
La fécondation, étant donné que la pseudo-spore mâle
est constituée, peut-elle avoir lieu autre part que sur la
feuille ? Il semble que non. On a mis en contact prolongé des
germes mâles, obtenus sur feuille avec d'autres spores en
milieu humide ; aucun résultat n'a été obtenu. Les spores de
sexe différent, même germées, restent indéfiniment en con-
tact, autre part que sur feuille, sans qu'il se produise rien qui
ressemble à une fécondation.
Naturellement la spore mâle ne produit pas d'œufs, mais
elle émet, comme nous l'avons dit, des filaments terminés
par des pseudo-spores de plus en ])lus petits : celles-ci, mal-
gré leur forme triangulaire, peuvent donner l'illusion d'être
des œi;fs germant surtout lorsqu'ils sont à demi-noyés dans
le parenchyme ou en contact avec l'œuf d'une spore femelle
voisine.
A cette cause d'erreur dans l'observation s'en ajoute une
autre plus sérieuse et spéciale à la Truffe. Le limbe des
feuilles est couvert de débris de toutes sortes produits par
l'écrasement que l'on a fait subir à la pulpe, afin d'en libé-
rer les spores. Ces fragments ronds, pointus, ovoïdes, dif-
formes et de toutes couleurs, sont confondues avec les
pseudo-spores mâles que l'on croit alors voir partout ou que
l'on ne voit nulle part.
Cette difficulté d'observation existe à un bien moindre
degré lorsqu'on étudie les spores de basidiomycètes.
Délais. — Les délais entre l'ensemencement et l'accou-
plement sont, en mai et pendant l'hiver, de neuf à dix jours
au moins ; ils se prolongent parfois beaucoup et l'on peut
voir de nouvelles pseudo-spores paraître et des fécondations
se produire à plusieurs semaines de distance.
De juin à septembre les délais sont plus longs. Il y a alors
enonnéinent de manquants ; toutefois, sur feuille abritée et
humectée, on aperçoit quelques germinations. Le dévelop-
pement est long : on dirait que la nature cherche à gagner
du temps. Ainsi, contrairement à ce qui se passe pour d'autres
champignons, tels que Morilles, Psalliotes, etc., les spores
de Truffe peuvent commencer leur évolution pendant les mois
chauds, quitte à la prolonger sans hâte jusqu'aux gelées.
Après un temps, court en été, la pseudo-spore mâle se
flétrit et tombe.
A partir de février, la saison est peu favorable.
En résumé donc, de ce qui précède, on peut conclure que
les spores de Truffe se comportent comme des gamètes dis-
semblables et que, par conséquent, la Truffe est wne. plajite
hétérogame.
Terminons ce chapitre par quelques observations de
technique microscopique.
— 23 -
%
r-t^
^
Fig. 7. — Filament sous-cpider-
mique aperçu au printemps.
Les filaments sous-épidermiques sont invisibles ; ils peu-
vent être très exceptionnellement aperçus à travers l'épi-
derrae sur feuilles jaunes transpa-
rentes, ensemencées au printemps
{6, pi. I et fig. 7).
On arrive à distinguer de temps
en temps, sans le secours des colo-
rants, certains gros filaments mâles
extérieurs des germinations d'hiver,
malgré leur transparence, lorsqu'ils
ne sont pas trop longs. La figure 8
montre une forme de germination
assez fréquente.
Les colorants, avec ou sans l'em-
ploi préalable de décolorants (eau
de javelle diluée, etc.), n'ont aucune
action directe sur ces filaments, mais
ils peuvent les faire apparaître par
la teinte qu'ils donnent à ce qui les en-
toure ou en déposant sur leurs parois.
L'hématoxiline, le brun de Bis-
mark, le bleu de quinoléine, l'iode, le nitrate d'argent, la
fuchsine ont donné à ce point de vue des résultats équiva-
lents et généralement médiocres. Le violet de méthylène
réussit mieux. On teinte légèrement de violet quelques gouttes
de glycérine étendue d'eau; le morceau de feuille, très
petit, est laissé plusieurs heures dans cette préparation, puis
observé.
Fig. 8. — Différentes étapes de
quelques germinations exté-
rieures d'hiver.
CHAPITRE IV
Formation et jTerminaiion de Tœuf sur feuilles. — Développement
ultérieur. — Pouvoir nutritif des feuilles et influence des saisons.
Formation et g-ermination de l'œuf sur feuilles.
— Les ensemencements faits au commencement de mai et en
décembre-janvier, c'est-à-dire à l'époqtie la plus favorable,
peuvent donner des sporules au bout de quinze à vingt jours
au plus tôt. Ces œufs ne paraissent bien formés qu'après un
délai clc huit à douze semaines depuis rensemencement.
Les ensemencements datant de juin-août, moment peu
favorable, ne montrent des sporules, lorsq7c'ils réussissent,
que huit à douze semaines après, au plus tôt. Celles-ci ne
semblent arriver à maturité qu'en hiver.
De toutes façons la sporule semble avoir besoin de huit à
douze semaines pour mûrir : donc en résumé, les ensemence-
ments d'été ou d'automne produisent en janvier, février, mars,
des œufs formés et mûrs ; les ensemencements de mai donnent
fin juin des œufs formés et quelquefois germant en appa-
rence.
La maturité des œufs parait se manifester par un certain
grossissement aussi bien que par émission de filaments ; car
ceux-ci peuvent manquer alors que l'œuf est mûr et facilement
détachable, si le limbe reste absolument privé d'eau.
Le manque d'air, de jour, l'excès d'eau ont paru nuire à
la germination ; le froid, même intense, ne semble pas avoir
d'eftet. Jai ensemencé des feuilles sur arbre, en décembre,
alors que le thermomètre marquait, la nuit, douze et quinze
degrés au-dessous de zéro, température extrême pour les
climats à vigne, la germination ne s'est pas arrêtée ; c'est
tout au plus s'il y a eu du retard. Les premières gelées pa-
— 25 —
raissent avoir un effet favorable, soit qu'elles agissent sur la
spore, soit qu'elles modifient avantageusement le tissu de la
feuille (i i.
Une feuille ensemencée le 20 août montre en décembre
des œufs bien formés ; une feuille ensemencée en mai
montre fin de juin des œufs mûrs ; une feuille ensemencée en
décembre montre en janvier des œufs prêts à germer ou
germant, etc., etc. On pourrait citer une infinité de cas sem-
blables.
Reste à savoir si ces germinations très ténues sont bien un
début du mycélium ou l'extension d'un système radiculaire,
d'un thalle destiné à nourrir et à grossir l'œuf. Considérant
la déformation de l'œuf, nous serions portés à croire qu'il
s'agit plutôt d'un mycélium naissant.
Développement ultérieur de l'œuf. — Que deviennent
les œufs mûrs, prêts à germer ou germant ?
Nous admettons que, tombant en terre avec ou sans la
feuille, ils forment, lorsque les circonstances s'y prêtent, le
début du mycélium truffier.
Il aurait été intéressant de suivre sur la feuille même le
développement de ce mycélium, de le voir s'étendre, gagner
en force et en épaisseur ; sur ce point, des expériences réité-
rées n'ont donné qu'un résultat négatif.
Des feuilles portant des œufs mûrs ont été mises en tube
fermé ou en boite, en atmosphère humide. Elles peuvent
I. Il arrive quelquefois pour des raisons inconnues, que l'ensemencement
sur feuilles échoue complètement. Des feuilles iiréparées en décembre 1900,
avec les précautions voulues^ ne laissaient rien paraître après quinze
jours. A peine quelques filaments avortés, ni pseudo-spores, ni sporules,
ni accouplements ! La truffe employée avait donné, dans de précédents
essais, de bons résultats. A quoi attribuer cet insuccès et d'autres du même
genre? On serait tenté de penser cju'ils tiennent à l'absence de froid et à la
température chaude et humide de novembre et décembre igoo. Pas une fois il
n'a gfelé pendant ces deux mois. Le froid serait donc nécessaire? Ajoutons
que pendant ces périodes de tiède humidité, le limbe des feuilles se couvre
de véjjétations parasites, visibles au microscope seulement, et que la gelée
détruit. Ces mycélium parasites gèneraient-ils le développement des spores?
C'est encore possible.
— 26 —
ainsi, se conserver des années sans pourrir, intactes, et même
vertes. Observées après un an, dix-huit mois, deux ans, elles
ne montrent que l'œuf d'origine, un peu grossi, et c'est tout.
11 faut ajouter que, dans ces conditions d'air raréfié, les mycé-
lium de champignons, quels qu'ils soient, ne tardent pas à
s'atrophier ou à périr. On se heurte à une insurmontable dif-
ficulté. Si la feuille reste exposée à l'air, elle pourrit, et l'ob-
servation devient impossible. Si on la protège de l'air, elle ne
se trouve plus dans les conditions naturelles de son existence
et l'observation est trompeuse.
A la vérité, dans la plupart des cas, le limbe de la feuille
est couvert d'un inextricable réseau de filaments dont l'exis-
tence ne peut être soupçonnée à l'œil nu. Le microscope,
même avec de forts grossissements, ne révèle rien ; à l'aide
de colorants tels que le violet de méthylène, on les fait cepen-
dant apparaître.
La feuille non pourrie et suffisamment transparente est
trempée deux ou trois minutes dans un bain préparé comme
suit, au moment de s'en servir :
Alcool absolu saturé de violet de méthylène, deux ou
trois gouttes ;
Eau, quinze à vingt cent, cubes.
On passe quelques secondes à l'eau et l'on observe.
Ce réseau de filaments que les colorants font apparaître,
est-il pour tout ou partie issu du germe truffier ? Comment
le savoir ? Sans doute on aperçoit, en certains cas, croyons-
nous, l'œuf germant, et pour cela il n'est besoin d'aucune
préparation. Le simple examen de la feuille par transparence
suffit. On voit les filaments partir; mais quant à les suivre
dans l'inextricable réseau, cela nous paraît impossible.
Les filaments sortent peut-être en partie du germe truf-
fier, peut-être n'en viennent-ils pas ; beaucoup sont des mucé-
dinées simples, des parasites cjuelconques.
Des œufs qu'on a essayé de déposer par frottement sur
racines n'ont pas paru se développer mieux que sur feuilles.
On observe bien, courant sur radicelles ainsi préparées, des
— 27 —
filaments ténus, brun clair, qui pourraient venir de l'œuf,
mais rien n'est certain.
Quant au mycélium brun-rouge , armé de griffes et de
suçoirs, décrit par le docteur Ferry de la Bellone comme étant
celui de la Truffe, je crois l'avoir observé sur des radicelles
qui n'avaient jamais produit de truffe ; il se rencontre même
occasionnellement sur les feuilles et paraît tenir à une mucé-
dinée du genre altenarta.
En résumé, des observations faites, on serait tenté de con-
clure :
Que la feuille peut servir de soutien et d'aliment momen-
tané au mycélium truffier ;
Que Tœuf n'augmente pas, ne devient pas truffe, mais
qu'il est simplement le point de départ de la truffière ;
Que le mycélium est très ténu et de développement assez
lent sur feuille ;
Enfin, il a semblé que la spore de Truffe était exigeante
quant à la propreté du substratum. Elle s'accommode mal des
concurrents parasites ousaprophites, et leur cède la place. De
là peut-être sa germination plus énergique et plus forte quand
la feuille sèclie reste à l'arbre. Celle-ci, en effet, dans cet
état, n'est humide qu'accidentellement et garde plus long-
temps son limbe intact.
Pouvoir niitritif des feuilles et influence des sai-
sons. — Il est à remarquer que si de juin à novembre on
cueille des feuilles sur lesquelles les spores sont en train de
germer et si on les place en atmosphère humide, dans les
conditions les plus favorables, tout s'arrête ; autant du moins
que l'on peut en juger, jusqu'au moment où la pourriture de
la feuille rend l'observation impossible.
Sur feuilles sèches de l'année précédente et ensemencées
en cette saison, l'évolution paraît également s'arrêter après
quelques jours.
Le contraire a lieu sur feuilles sèches ensemencées de
décembre à janvier, la germination se continue.
— 28 —
On pourrait conclure de là que l'état de la feuille, pourvu
qu'elle ne soit ni anémiée ni malade, n'a pas grande impor-
tance ; la saison est tout ; bonne en mai et de décembre à
janvier, elle est défavorable le reste du temps.
Si le pouvoir nutritif des feuilles constituées paraît être
sensiblement toujours le même, leur état physique influence
la germination. Celle-ci est lente, pénible, et ne s'achève pas
sur feuilles affaiblies, diaphanes, comme on en voit sur les
petits chênes qui végètent au pied des arbres verts. De même,
lorsque la feuille a été cueillie trop jeune, l'évolution se fait
difficilement.
Il me reste à dire que le développement des spores fraîches
n'est pas différent de celui des spores de l'année précédente.
Il y a moins de manquants, et c'est tout. Les différences
constatées dans les délais et le mode d'évolution ne viennent
donc pas du degré d'ancienneté des pores, au moins dans une
mesure raisonnable.
CHAPITRE V
Aptitude des spores à germer d'après leur état. — Utilité de l'arôme.
— Aptitude par rapport à la nature et à rexposition de la feuille. —
Époque et procédés d'ensemencement. — Délais. — Utilité des
arbres. — Pourquoi les truffières sont-elles si rares dans les bois de
chênes truffiers?
L'aptitude des spores à germer dépend de leur état de
Figure 9.
Pulpe de Truffe fraîche ou vieille «l'un an Pulpe de Truffe ayant subi un comraence-
n'ayant pas fermenté. ment de fermentation.
conservation et, en second lieu, de la nature et de l'exposition
de la feuille.
J'examinerai d'abord le premier point, ce qui m'amènera
à parler de l'arôme.
Aptitude des spores à g-ermer d'après leur état.
— Si une truffe mûre séjourne en terre ou demeure dans une
chambre, elle subit l'une des deux transformations suivantes;
ou bien elle se dessèche et durcit ; ou bien elle entre en pour-
riture, pour mieux dire, en une sorte de fermentation, puisque
souvent, en plein air, cette décomposition est produite tant
— 30 —
par des bacilles que par un ferment genre saccharoimces , et
accorripagnée de dégagement ammoniacal.
La Truffe, simplement desséchée, devient aussi dure que
le bois; mais cet état de dessiccation, complet en apparence,
n'est qu'un trompe-l'œil : en réalité, les asques et les spores
sont en grande partie intacts. Mis en eau ils reprennent vite
leur forme et leur bonne mine (fig. 9).
Extraites de leurs asques et ensemencées un an après la
maturité, les spores germent très bien quoiqu'en moins grand
Figure lo.
Pulpe ayant fermenté à rorigine!(spores Pulpe ayant fermenté à l'origine (spores
j)rivées de leur asque et à demi desséchées.) complètement desséchées.)
nombre que si elles étaient fraîches; elles germent même
après deux ans, plus tard encore, mais les manquants sont
plus nombreux. D'où il suit que si, en cet état de conserva-
tion sèche, la Truffe vient à être humectée, à se désagréger
en terre, le rôle des insectes continue de façon utile, car les
spores sont aptes à reproduire.
Lorsque, au contraire, la fermentation ou la pourriture ont
attaqué la Truffe avant son dessèchement, les asques sont
détruits en grand nombre au bout de quinze à vingt jours ;
tous sans exception si la fermentation se prolonge.
Les spores mises en liberté par la décomposition de
l'asque ne sont nullement impropres à germer, à moins que la
pourriture n'ait continué pendant des mois sans interruption;
elles peuvent être ensemencées; c'est peut-être même par la
— 31 —
pourriture de l'asque que la nature les dégage pour les ense-
mencements de printemps. Si la Truffe n'était alors ramollie
et désagrégée par l'eau, les insectes ne pourraient y péné-
trer. Seulement ces spores ne restent fécondes que pendant
un temps, et à la condition de demeurer à l'ombre ou protégées
contre une trop forte chaleur. Même avec ces précautions, il
en restera peu d'aptes à germer après une année, et à la
longue plus du tout.
Exposées au soleil ou conservées en terre surchauffée,
elles seront bientôt desséchées à fond et deviendront sté-
riles (fig. lo).
La Truffe qui a fermenté est donc relativement impropre
à conserver l'espèce puisqu'elle n'est apte à reproduire, en
principe, que l'hiver de sa maturité et le printemps suivant :
pour l'année d'après, elle peut n'être d'aucune utilité.
Il convient d'ajouter que la pulpe desséchée après fermen-
tation a perdu tout arôme et n'exhale aucune odeur, même
humectée. On peut la distinguer de la pulpe non fermentée
à ce caractère, ainsi qu'à sa couleur beaucoup plus foncée,
presque noire.
Ainsi, dans un sol où toute la production truffière aurait
été atteinte par la pourriture, à la suite de pluies incessantes
par exemple, ou faute de drainage, les chances de germina-
tion sur feuilles seraient diminuées, et les réserves pour
l'avenir manqueraient absolument. Au contraire, la Truffe
desséchée avant fermentation assure la conservation de l'es-
pèce pendant un an, deux ans et davantage.
Utilité de rarome. — C'est ici qu'apparaît l'utilité pro-
bable de l'arôme, car de tous les végétaux il n'en est peut-
être pas de plus fermentescible que la Truffe, avec sa pulpe
compacte et profonde contenant 75 '"j^ d'eau et près de 22 °/o
de matières organiques azotées. (Le reste, soit 2 °/,j, est formé
de potasse, acide phosphorique, chaux, fer, silice, etc., etc.)
Aussi fermenterait-elle toujours avant de sécher, si
l'arôme n'agissait comme un antiseptique, un retardateur.
- 32 —
Le rôle de l'arôme a été vérifié par de nombreuses expé-
riences; j'en citerai quelques-unes.
Des morceaux de Truffe fraîche ont été enfermées dans un
tube qu'ils remplissaient aux trois quarts; on a hermétique-
ment bouché. Trois mois après, le tube fut ouvert ; la Truffe
répandait encore un fort parfum, une sorte d'arôme modifié,
durci, mais point du tout une odeur de pourriture. En fait, il
n'y avait ni décomposition, ni dégagement gazeux; les
asques étaient presque tous intacts.
Dans ces mêmes conditions, si l'on avait laissé l'odeur
s'évaporer, tous les asques auraient été détruits.
On a placé dans un autre tube un morceau de Truffe
fraîche avec un peu d'eau mêlée de ferments. Plusieurs mois
après, il n'y avait ni mauvaise odeur, ni dégagement gazeux ;
les asques étaient conservés.
De la pulpe préalablement éventée, enfermée dans les
mêmes conditions, était complètement pourrie; les asques
n'existaient plus.
Enfin, dans un tube stérilisé on a enfermé avec des pré-
cautions antiseptiques une tranche intérieure de Truffe avec
de l'eau stérilisée. Après une année, l'odeur de la Truffe per-
siste, mais forte et rude. Il y a une demi-pourriture, beau-
coup de microbes vivants, mais les asques sont en grande
partie intacts. Ils s'étaient défendus, ce qui donne à penser
que l'odeur est dans l'asque même et non dans la pulpe exté-
rieure.
Les mêmes expériences tentées avec laTruffe du Piémont,
dont l'odeur est plus forte et plus pénétrante, ont donné des
résultats identiques.
De ces expériences et de beaucoup d'autres tentées dans
le même sens, il résulterait donc (|ue l'arôme a pour l)ut la
conservation de l'espèce par la protection des asques (i),
I. Il suit de là que lorsque la terre demeure trop long-temps humide en
hiver, les Truffes de l'année, à la longue, pourrissent toutes. Peut-être faut-il
attriijuer à cette cause, le fait observé que l'humidité constante da sol sup-
prime les truffières ou les empêche de se former. 11 est à remarquer que
l'arôme des Truffes est d'une intensité proportionnelle à l'humidité du sol où
— 33 —
Indirectement il révèle la Truffe aux animaux tubérivores,
mais il ne serait nul besoin pour cela qu'il fût aussi intense,
puisque l'odeur beaucoup plus faible que dégage la Truffe
desséchée, humectée ou non en terre, suftit à les attirer. Ceci
n'a rien d'étonnant si Ion considère le développement ex-
traordinaire des facultés olfactives reconnu chez les insectes
carnivores ou mycophages.
Ainsi l'odeur du phalle attire les mouches, à travers bois,
à de très grandes distances; et les Bousiers! une bouse
fraîche vient-elle à paraître, la bonne nouvelle se répand au
loin avec une rapidité étonnante et on les voit accourir en un
instant de tous les points de l'horizon!
De ces précautions minutieuses que la nature a prises
pour assurer la conservation des spores truffières, il ne s'en
suit pas que celles-ci perdent facilement la faculté de germer.
Le contraire est plutôt vrai.
J'en ai vu germer qui étaient dans un état de dessiccation
voisin de la fig. lo. Brisées, coupées en deux, elles germent
encore, avant leurs voisines intactes. J'en ai mis, après
les avoir sorties de leurs asques, dans de l'eau phéniquée
à plus de 4 pour loo où elles sont restées huit mois ; je les
ai ensemencées ensuite, plusieurs ont germé, faiblement,
mais elles ont germé.
En résumé, les Truffes fraîches mais bien mtcres donnent
les meilleurs résultats; puis viennent les Truffes vieilles d'un
an, mais desséchées avant fermentation. Les Truffes ayant
fermenté et utilisées longtemps après donnent des résultats
incertains.
Aptitude des spores à germer d'après la nature
et l'exposition de la feuille. — J'ai ensemencé des spores
elles se forment. Ainsi la Truffe d'Italie, qui vient au pied des peupliers et
des saules, a une odeur d'ail d'une force et d'une persistance incroyables.
Pour en obtenir la pourriture, il faut la maintenir très longtemps, à l'air, en
milieu humide. A la fin, l'arôme ayant disparu, la décomposition arrive com-
plète et repoussante. D'autre part, les Truffes d'Afrique qui naissent en lieux
secs, ont l'odeur douce et agréable.
— 34 -
sur chênes pubescents, chênes-liège, sapins argentés, yeuses,
chênes divers, noisetiers, épicéas, pins à cinq feuilles, gené-
vriers, tous ces essais ont plus ou moins réussi. Il est pro-
bable que d'autres arbres donneraient également de bons
résultats.
Les feuilles de noisetier apparaissent et se forment au
printemps bien avant celles de chêne, il semble donc que,
toutes choses égales d'ailleurs, elles devraient avoir un peu
plus de chance en leur faveur pour les générations de mai.
D'autre part, pour la production d'hiver, elles n'existent pas;
elles ne sont donc assurément pas supérieures aux feuilles de
chêne.
Les conifères (le sapin argenté) sur lesquels l'observation
est relativement facile, donnent en hiver de mauvais résultats.
On dirait que, dans cette famille, le sclérenchyme sous-
épidermique de la feuille durcit outre-mesure lorsque la sève
se retire. Il semble opposer alors un obstacle insurmontable
au cheminement sous-épidermique de la pseudo-spore qui
profite alors, quelquefois, pour entrer ou sortir, des spores
storaatiques.
En fin de compte, pour observer, rien ne vaut la feuille de
jeune chêne pubescent, moyenne, transparente, plate, vert-
clair, par conséquent ni gelée, ni desséchée. On en trouve des
quantités dans ces conditions jusqu'à la fin de février et plus
tard sur les arbres où elles sont tant soit peu abritées, lors-
que le froid n'a pas été excessif.
Au soleil, en été, tous les ensemencements sont restés
stériles. A partir de novembre, le soleil ne nuit pas. Ce qui
est indispensable en tout temps, c'est une feuille saine et
vigoureuse. Sur feuilles anémiées, flasques, diaphanes faute
de jour ou d'air, les sporules se forment difficilement ou
point du tout.
Il va de soi que la pluie, les grands vents sont contraires,
mais ils ont moins d'effet qu'on ne pense : les spores adhèrent
au limbe avec une persistance étonnante.
<i Les orages de vent, écrit le D'' Ferry de la Bellone, ont
— 35 —
une action toujours mauvaise; on craint, non sans raison,
ceux qui soufflent aux mois de mai et de juin {^La Truffe,
p. 177). Ce fait serait-il en corrélation avec ce que nous avons
dit des ensemencements de mai qui produisent l'œuf en
juin (?).
Faut-il de préférence ensemencer sur feuilles situées au
nord, nous n'en savons rien. A première vue il semble que
oui. De ce côté elles sont plus abritées du vent et du soleil ;
puis il est d'expérience que les truffières ont tendance à
se former « dans l'ombre de midi ».
Les feuilles en plein air, ensemencées pour l'observation,
apportent souvent des déceptions à celui qui les cueille après
plusieurs semaines, croyant y trouver du premier coup des
exemples de germination complète. C'est qu'en effet au
dehors les spores ou pseudo-spores qui ont fructifié, les
œufs même finissent par tomber. Beaucoup de spores, sans
tomber, blanchissent, deviennent transparentes, se noient
dans l'épiderme et sont alors difficiles à apercevoir. Impos-
sible de tracer avec certitude l'origine d'une pseudo-
spore ou d'une sporule et de tirer conclusion des faits
observés.
L'humidité sur la feuille, pluie ou rosée, est-elle indispen-
sable? Aussi longtemps que la feuille garde un vestige de
sève, la germination se poursuit sans le secours de l'eau;
lorsque la feuille est desséchée comme le plus souvent en
novembre-janvier, l'humidité de la saison suffit en principe
pour l'arbre en plein air. Cependant, sur feuilles en plein air,
pendant une période de sécheresse exceptionnelle, la germi-
nation s'est arrêtée. Même observation sur des feuilles mortes,
l'arbre qui les porte étant en serre : dans ce cas des pulvé-
risations d'eau étaient nécessaires.
Époque et procédés d'ensemencement. — De ce
qui précède il résulterait que le meilleur moment pour ense-
mencer est la première quinzaine de mai et surtout l'inter-
valle de fin novembre à fin janvier.
-35-
Les seules feuilles utiles seront donc en hiver, c'est-à-dire
pendant la bonne saison, celles qui restent longtemps à
l'arbre; or le propre des chênes dits truffiers, le pubescent et
l'yeuse, est précisément de conserver les feuilles jusqu'au
printemps, sinon l'année entière : c'est peut-être pour cela
qu'ils ont mérité le qualificatif de truffiers.
Pour l'observation, novembre, décembre et janvier sont
les meilleurs mois.
Les procédés d'ensemencement suivants, adoptés après
quelques tâtonnements, ont donné des résultats satisfaisants.
Je prends un petit morceau gros comme un pois de Truffe
fraîche ou desséchée avant fermentation et je le fais tremper
quelques heures dans de l'eau.
Je l'écrase ensuite avec un peu d'eau entre deux verres
dépolis, sans trop appuyer, de manière à obtenir une pâte
homogèjie sans gruaiL, adhérente ; ]q frotte quelques instants
encore. L'usage d'une lame ou d'un métal n'est pas à recom-
mander.
La pâte obtenue est mêlée à de l'eau de façon à former un
liquide brunâtre, nullement co\\s\s\.2in\. ^ presqice aiLS si fluide
que l'eau, même; dix ou douze centimètres cubes d'eau suf-
fisent pour gros comme un pois de pulpe. Ce liquide contient
un très grand nombre de spores libres.
Avec un pinceau, un bout de papier, j'en étale une très
petite quantité, comme une tête d'épingle sur la nervure
médiane de la feuille. On peut faire l'opération très vite et
sans aucun soin, un simple coup de pinceau et c'est assez.
L'expérience a prouvé qu'il n'était pas aisé d'écraser la
pulpe dans les justes limites. Tantôt on écrase trop, et les
spores sont endommagées; tantôt, souvent, on n'écrase pas
assez ; les spores restent dans leur asque. Ces asques, dans les
truffes fraîches, sont difïiciles à rompre.
Le procédé suivant peut alors être employé.
Douze à quinze jours avant l'ensemencement, on met à dé-
tremper dans l'eau, pendant vingt-quatre heures, quelques
morceaux de truffe gros comme des pois. Ils sont, après ce
— 37 —
délai, retirés, enveloppés de papier mouillé et placés dans un
verre avec un peu d'eau au fond; le verre est couvert et Ton
attend.
Le papier ne pouvant sécher, la pourriture commence dès
que l'arôme s'en est allé. Au moment d'ensemencer on trouve
la pulpe tendre, noire, sans odeur ; les asques sont détruits ou
endommagés. Par un frottement léger et peu' prolongé, avec
de l'eau, on obtient une pâte homogène dans laquelle les
spores sont en liberté. Cette pâte est mêlée à de l'eau et
employée comme il a été dit précédemment.
Les alentours de la nervure médiane forment le meilleur
champ de culture. Sur feuilles anémiées on remarque que le
limbe loin du centre ne fournit pas d'aliment suffisant aux
spores ; j'ai cru observer également que sur ces mêmes
feuilles, la germination est plus active du côté du pétiole que
près du sommet, ce qui serait d'accord avec le basipetisme
jies essences employées.
// est essentiel d'employer des truffes bie^t mûres et non
ayant pris odeur avant la maturité comme il arrive après de
grands froids précoces (i). Une truffe mûre de l'année précé-
dente vaut uiïeux qu'une truffe fraîche incomplètement mûrie.
On n'a pas observé qu'il y eût le moindre avantage à mé-
langer les pulpes de plusieurs truffes de la même année ou
d'années différentes.
On a essayé de déposer sur le limbe, en même temps
que les spores, des matières nutritives diverses, liqueur de
Raulin, sucre, jus de viande, sérum, produits organiques, etc.,
le résultat a été nul ou plutôt mauvais, ces détritus favo-
risant le développement des parasites qui arrêtent la germi-
nation de la Truffe et empêchent l'observation.
En suivant les indications que nous venons de donner, on
obtiendra toujours beaucoup de germinations.
I. T. es froids vifs et précoces, quand ils ne gèlent pas la Truffe, lui
donnent l'odeur avant la maturité. Celles-ci dont l'arôme n'est alors ni pro-
fond, ni durable, se vendent moins cher. Cet accident cause aux rabaissiers
des perte» sérieuses.
- 3« -
Une question se pose. Vaut-il mieux ensemencer à l'arbre
ou sur feuilles détachées?
Dans une précédente étude j'avais cru pouvoir mettre sur
le même pied, pour l'hiver, l'ensemencement sur feuilles à
l'arbre et celui sur feuilles sèches conservées en boîtes Pétri,
ce dernier mode ayant l'avantage de protéger la feuille
contré tout danger extérieur (i). Depuis il a semblé que la
feuille en boîte, à moins de précautions minutieuses et diffi-
ciles, était trop exposée à se couvrir de moisissures qui
arrêtaient ou gênaient la germination. De plus l'observation
peut devenir rapidement impossible.
Il serait donc préférable, tant pour l'observation que sans
doute pour la germination même, d'ensemencer à l'arbre en
toute saison. Après deux mois je donne un coup de bêche en
terre, sous l'extrémité des branches, dans le rayon des radi-
celles, et j'enfouis une ou deux feuilles ainsi ensemencées
marquées d'avance par une ficelle ou de toute autre manière.
Quelques essais pratiques ont été ainsi tentés, malheureu-
sement dans un pays où les circonstances ne sont pas favo-
rables puisqu'il faut amender la terre pour l'amener aux 2", ^de
calcaire qui seraient indispensables.
Les conditions essentielles pour l'existence d'une truffière
sont en effet, comme on sait, sol calcaire à 2 "/„ au moins,
bien drainé et non exclusivement siliceux; climat de la vigne.
Et encore pour le climat existe-t-il une grande latitude puis-
que la Truffe du Périgord a été recueillie en Seine-et-Oise et
jusqu'en Saône-et-Loire,et qu'on en récolte des Truffes moins
bonnes, il est vrai, mais encore très mangeables en Asie, en
Afrique, partout enfin.
De jeunes chênes pubescents de quatre ans traités en 1899
I. Les boîtes Pétri ont environ flouze centimètres de diamètre. On y dispose
quelques morceaux de verre de façon que- les feuilles préalablement mouillées
puissent èlre placées limbe en haut, en plan incliné, et portant sur une ou
deux arêtes de verre. I.'eau ne doit être en contact ni avec le dessus ni avec
le dessous des feuilles, sans quoi la ])ourriture arrive promptement. La boîte
fermée est conservée à l'ombre et à la fraîcheur; on surveille de temps en
temps. Après quelques jours la germination commence.
39 —
n'ont encore rien donné en 1902. J'en suis à me demander si
la semence si délicate de ce champignon n'a pas besoin de
rencontrer au début, pour se développer en terre, une nourri-
ture plus spéciale, plus choisie que le sol ordinaire ; peut-être
un aliment approprié, de nature végétale, comme des racines
avec lesquelles elle serait en contact immédiat, ou même de
nature animale. Cependant l'hypothèse d'un second transport
dans le corps ou sur les pattes de la mouche paraît à pre-
mière vue improbable.
De toutes façons, lorsqu'une expérience est tentée, quand
pent-on être fixé sur les résultats?
Ceci m'amène à répondre, en terminant, à deux questions
qui ont été souvent posées.
Délais. — i" En supposant que tout réussisse; que l'œuf
déposé ou tombant en terre, avec ou sans la feuille, germe
dans des conditions favorables, combien de temps faut-il pour
que la truffière apparaisse, pour qu'elle produise des fruits?
2° En supposant également que l'œuf soit déposé en terre
sur feuille, prêt à germer, et dans de bonnes conditions, l'ar-
bre, ses racines, sont-ils nécessaires à la formation et à la
production des truffières, ou bien peut-on s'en passer.
Sur le premier point, la réponse est douteuse. Les uns,
parmi lesquels d'éminents botanistes, disent qu'il faut cinq
à dix ans avant l'apparition des premières Truffes, basant
cette opinion sur le temps moyen reconnu nécessaire à une
plantation déjeunes chênes pour devenir truffiers. Les autres
croient ces délais exagérés. D'après les expériences très
sérieuses de M. C. Kiefer (i), inspecteur des forêts à Uzès,
deux années, une année même suffirait pour que la truffière
I. M. C. Kiefer, après avoir creusé, en pays truffier, des fosses d'environ
30 cm. de profondeur sur les bords des bois, en sol fraîchement défriché, y
transporte de la terre prise aux truffières les plus voisines (1882-1889) : dès la
première ou seconde année il a récolté des truffes. I.es çermes auraient donc
été apportés avec la terre (?) ou seraient venus des feuilles et auraient germé
plus facilement en terre arable et fraîchahnent remuée. Ces expériences
reprises par d'autres, en pays truffiers et non truffiers, n'ont pas réussi.
— 40 —
se constituât qt produisît ses premiers fruits ; il y a peut-être,
là aussi, exag-ération.
Quant à la Truffe même, il lui faut six mois pour passer
de l'état d'embryon, de la grosseur d'un grain de mil, à son
développement complet. C'est un fait connu.
Nécessité des arbres. — Sur le second point, l'arbre
est-il indispensable en tout état de cause} On n'est pas davan-
tage fixé.
Pour que l'arbre soit indispensable, il faut admettre en effet
que le mycélium truffier est parasite nécessaire des racines ou
que, tout aumoins, sans être positivement parasite nécessaire,
il les touche, les enveloppe et se nourrit de leurs excrétions.
Or, nous avons vu (page 7) que la question du parasi-
tisme est débattue. Les uns, MM. Condamy, Grimblot,
de Ferry en sont partisans; les autres, MM. H. Bonnet,
Grognot, Tulasne, Boudier la nient énergiquement ; ce der-
nier avis prévaut en général.
Quant à la nécessité des excrétions radiculaires pour
nourrir le mycélium, nécessité que semblent admettre
Tulasne, le professeur Clos, et d'autres éminents botanistes,
nous ferons observer que la réalité de cette excrétion est
aujourd'hui mise en doute. M. Van Tieghem [IVaité de
Botajiique, 1892) est amené « à regarder comme probable
a qu'elle ne s'opère pas du tout ». En tous cas elle serait
extrêmement faible, puisque « les travaux les plus précis
« accomplis dans cette voie n'ont donné qu'un résultat
« négatif ».
On cite des faits certains et en apparence concluants pour
démontrer que les racines ne sont pas indispensables; par
exemple des truffes ramassées en plein champ, loin de tout
arbre; des truffettes transplantées et achevant ensuite de se
former ; une truffe « venue dans un trou de pierre sans
« absolument aucune fissure en communication avec les
(f racines ou radicelles des alentours » (C. Kiefer, 1889),
etc., etc.
— 41 —
D'autre part, les trufficulteurs nous disent et Texpérience
prouve que lorsqu'on coupe un arbre ou seulement parfois
une branche de l'arbre, la truffière meurt. Pourquoi ? Est-ce
à cause de la suppression de l'ombre ou parce que, étant
donnée la préexistence de la truffière, il est nécessaire à sa
production que chaque année des germes nouveaux tombent
en terre ; germes dont les filaments s'anastomosant en
quelque sorte avec les filaments anciens de la truffière,
profiteraient du mycélium formé et des réserves acquises,
pour nourrir leur fruit? Il semble que la raison est plus
simple.
Sans préjuger en rien la question du parasitisme néces-
saire, on peut admettre comme vraisemblance, d'après les
observations faites, que le mycélium truffier, pareil en cela
à celui d'autres champignons, enlace les racines qu'il ren-
contre, s'y attache, et puise en elles les aliments et surtout
l'humidité nécessaire dans les périodes de sécheresse. Cette
source de subsistances vient-elle brusquement à se tarir par
le dépérissement des racines, la truffière constituée le plus
souvent en terrain pauvre, sevrée brutalement de ses moyens
d'existence, dépérit et meurt.
Il ne suit pas de là que la racine de l'arbre soit i)idispen-
sable. D'autres aliments peuvent la remplacer. Je serais d'avis
que cette indispensabilité n'existe pas ; mais on voit que la
question est loin d'être résolue.
Pourquoi les truffières sont-elles si rares dans
les bois de chênes truffiers. — De ce qui précède, il
paraît résulter que le mode actuel d'exploitation des truf-
fières amènerait logiquement leur disparition, si le nombre
d'arbres truffiers existant n'était pas tellement immense, ou
du moins qu'il les empêche de se multiplier proportionnelle-
ment à l'énorme étendue des plantations truffières dans le
centre et le midi de la France.
Le trufficulteur s'en remet à la nature pour la dissémina-
tion des germes, et d'autre part, il s'efforce de rendre cette
- \2 ~
dissémination impossible en enlevant des truffières tout ce
qu'elles produisent, en les épuisant à fond et supprimant les
réserves de semences dont la nature a besoin.
Les partisans de la truffe maladie ou de la mouche truffi-
gène approuveront cette exploitation intensive, mais les
botanistes penseront autrement : de fait, cette dévastation
produit de fâcheux résultats.
Si l'on tient compte des surfaces considérables, des
centaines de mille hectares, consacrées dans notre pays à
la trufficulture, on peut s'étonner du petit nombre de truffes
récoltées et de leur prix conséquemment élevé. A peine un
chêne est-il truffier sur cent, deux cents ou davantage.
La conclusion serait, il semble, que même en n'usant pas
de procédés artificiels d'ensemencement, même en continuant
de laisser agir la nature, il conviendrait d'oublier chaque
année, au pied des chênes, quelques bonnes truffes placées
en terre, dans un pot qui les protégerait des rats, des mulots
et autres destructeurs nuisibles.
On faciliterait sans doute ainsi le travail des insectes
utiles, mouches ou coléoptères, et par suite la dissémination
de l'espèce.
1
CHAPITRE VI
LA TRUFFE DU PIÉMONT
Les observations faites sur les spores de ce champignon
portent à croire que leur g-ermination suit des règles iden-
tiques à celles qui ont été exposées relativement à la Tttber
melanosportiin .
Les œufs sont quelquefois, quoique rarement, très gros,-
et paraissent germer plus tôt ; les pseudo-spores sont aussi,
parfois, exceptionnellement grosses, presque aussi volu-
mineuses que la spore même [a, pi. III).
Tout ce qui a été dit, en général, de la Truffe du Péri-
gord, dans les différentes circonstances naturelles ou artifi-
cielles qui peuvent se présenter, s'applique également ici.
L'observation est plus difficile, les spores étant transpa-
rentes et les filaments mâles, quand extérieurs, très courts
et très peu visibles. Les colorants n'ont pas d'action sur ces
filaments, mais ils en facilitent l'observation en agissant sur
ce qui les entoure.
CHAPITRE VII
LE COPRIN
Spores de Coprin. — Feuilles sur lesquelles elles ont g-crmé. — Mode
de g-ermination. — Ensemencement. — Observations sur le rôle
des feuilles et le développement asexué de la spore.
La spore du Coprin est généralement lisse ; noire, assez
grosse, ovale, quelquefois discoïde, le tiers ou le quart de
celle de la Truffe. La plupart des Coprins ont donc une spore
semblable; la grosseur seule varie. Le môme Coprin, à
sa seconde génération issue de spore unique, devient, comme
on sait, une plante à chapeau généralement diminué et à
spores plus petites.
Feuilles sur lesquelles elles ont g-ermé. — Les
spores de Coprin stercoraire ont germé sur chêne pubes-
cent, et chêne ordinaire; sur sapin argenté difficilement; quel-
quefois et exceptionnellement sur d'autres essences, telles
que conifères variés, tilleul, etc. On n'a rien observé sur les
graminées.
Sur feuilles coupées trop tôt après l'ensemencement et
mises en boîte, sur arbre en serre ou appartement non
arrosé, sur feuilles trop jeunes, insuffisamment formées, en un
mot dans la plupart des circonstances défavorables énumé-
rées à propos de la Trufïe, le Coprin n'a pas germé ou la
germination a avorté.
L'apport de substances étrangères sur la feuille en même
temps que la spore, a été, comme pour la Truffe, plutôt nui-
sible qu'utile.
En indiquant les feuilles sur lesquelles des essais ont été
— 4;
faits et en spécifiant celles qui ont donné, pour l'observ'a-
tion, les meilleurs résultats, on ne prétend pas connaître
assurément le seul ou le meilleur substratum pour la ger-
mination sexuée du Co-
prin. D'autres substra-
tum sont probable-
ment aussi bons ; il en
est même vraisembla-
blement de meilleurs
que la feuille de chêne,
si l'on en juge par le
nombre des man-
quants, de même que
cette feuille paraît su-
périeure à celle des
conifères.
Les grands avan-
tages de la feuille de
chêne, surtout du pu-
bescent jeune, sont,
comme je Tai dit à
propos de la Truffe, la
planerie et la propreté
relative du limbe, l'ab-
sence de poil à la par-
tiesupérieure, la durée
à l'état vert, la solidité,
la transparence, et la
résistance relative à la
pourriture, provenant
sans doute du tanin, toutes qualités précieuses pour l'obser-
vation.
A ces points de vue, la feuille de sapin argenté serait
aussi excellente; mais elle donne par trop de manquants
surtout à l'arrière-saison et ne convient plus après les
froids.
Fij
II. — Gt-rriiiiialion sur feuilles de spores
de Coprin (nov.-déc.).
-46-
Mode de g-ermination. — ^ Il est le même que pour la
Truffe (figure ii). Toutefois nous n'avons pas aperc^u de
jets secondaires émanant de pseudo-spores mâles. La marche
extérieure du filament mâle est rare même en hiver : elle
peut être partiellement superficielle (fig. 12).
On a ensemencé dans de la bouse de vache, au printemps
et en été, des spores isolées de Coprins stercoraires. Quel-
ques jours après il se développait naturellement des Coprins
de deuxième génération, continuant la plante primitive; une
troisième génération a été produite.
Les spores de ces deuxième et troisième génération, pla-
cées sur feuilles en automne, ont
laissé voir comme les autres des g-er-
minations, des gamètes mâles et fe-
melles, et des accouplements.
Fi}j. 12. — Exemple assez rare
Époques et délais. — Le mois
de mai est assez favorable ; les spo-
de geirnination en partie rulcs peuveut apparaître après sept
superficielle {nov.-dec). *■ '• ■"■ *• ■*■
ou huit semaines, ou moins.
En juin, juillet, août, même septembre, nulle germination.
D'octobre à janvier, l'époque est de nouveau favorable. Les
délais pour l'apparition des sporules paraissent plus courts
qu'au printemps. L'œuf nous a semblé germer dans certains
cas, sept à huit semaines après ensemencement.
Par exemple une spore de Coprin de 1898 est ensemencée
le 19 octobre 1899, sur chêne pubescent, à l'arbre. La feuille
est détachée le 8 janvier et mise en boîte, elle montre le
15 janvier des œufs dont quelques-uns paraissent germer.
Des spores placées le 20 septembre sur sapin argenté
donnent par exception, le 15 octobre, des accouplements et
des œufs ; etc., etc.
Ensemencement. — L'ensemencement se fait avec
les spores tombées ou prises sur lamelles d'un Coprin
mûr et en déliquescence. Le danger est de mettre trop
- 47 —
de spores. Les résultats ne chang-ent pas lorsqu'on mélange
les spores de plusieurs champignons.
De tous les champignons étudiés au point de vue de la
germination, le Coprin est celui qui avec la Truffe présente le
plus de facilité à l'observation. Il est même supérieur à
cette dernière, en ce sens que la pulpe ou plutôt les lamelles
n'ayant pas besoin d'être préalablement écrasées pour la
mise en liberté des spores, celles-ci ne se trouvent pas mêlées
sur le limbe à des fragments et débris de toutes sortes.
Les spores de tous les Coprins, quelle qu'en soit l'espèce,
germeraient sans doute de la même façon et conduiraient
à des constatations identiques. Pour l'observation il vaut
mieux, cela va de soi, prendre des spores aussi grosses que
possible, et à ce point de vue la grandeur relative des espèces
ne donne aucune indication.
Ainsi les Coprins tète de notaire ou chevelu, le Coprin
noir d'encre, le Coprin micacé, dont les chapeaux sont fort
larges, portent des spores sensiblement moins grosses que
le petit Coprin stercoraire. C'est sur la bouse de vache ou le
crottin de cheval que l'on a ramassé les Coprins observés ;
il n'y a pas à tenir compte des dimensions du chapeau (i).
Comme les espèces à grosses spores, tels que le sterco-
raire, le niveus, etc., peuvent à la deuxième ou troisième
génération par agamie, même en milieu convenable, avoir des
spores plus petites, le mieux est encore, après avoir récolté
dans les conditions voulues, de consulter le microscope.
Les colorants n'ont donné aucun bon résultat. L'oeuf est
toujours difficile à observer. Pour le voir germer, de même
que lorsqu'il s'agit d'autres champignons, l'objectif à immer-
sion n'est pas de trop ; et encore, souvent n'est-on sûr de rien.
I. Les Coprins classés d'après le volume de leur spore, en commençant
par les plus grosses, se présenteraient dans l'ordre suivant : C. Oblectus,
23,aXi3f* — Niveus, 16X12,''- — Lag-opus, 15X12 'J- — Tomentosus, 18x9.^- —
Aphtosus, 15X10 [J- — Stercorarius, 15X10;^ — Tomentosus, Comatus, etc..
Cette classilication n'a rien d'absolu puisque les spores du même Coprin
diminuent de g-énération en génération, suivant les milieux, lorsque la plante
est issue de spore unique.
-48-
Observations sur le développement asexué des
spores et le rôle delà feuille. — Les spores de Coprin
stercoraire ou blanc de neige (en faisant allusion à ce Coprin
on ne veut pas dire, je le répète, que les autres se compor-
teraient différemment, mais simplement que c'est sur cette
espèce que les observations ont porté) ont donc ceci de
particulier que semblables en cela aux spores du Psalliote
champêtre, de la Morille, etc., elles ont deux formes de
germination, l'une sexuée, l'autre asexuée. Elles l'emportent
sur la Morille en ce sens que la forme asexuée reproduit
facilement, comme on sait, un nouvel échantillon de la
plante.
Cette facihté de germination ou plus exactement de déve-
loppement àç. la spore en mycélium fertile, a, nous semble-t-il,
dérouté quelques observateurs de grand mérite cependant,
qui ont alors voulu trouver la sexualisation là ou elle n'était
pas (v. p. Vl) ; ils ont cru reconnaître des différenciations et des
actes sexuels dans les formes et rencontres fortuites des
filaments et des conidies, et les recherches ont été ainsi
maintenues dans une voie oià elles ne pouvaient aboutir. En
dehors du thalle apogamique, de ses évolutions ou fusions
fortuites on végétatives, tels qu'anastomoses de filaments et
conidies, etc., etc., point de sexualité possible ; c'était
comme un mot d'ordre, une défense de passer. En réalité, il
n'y a aucune ressemblance entre la germination sexuée et le
développement asexué des spores ; ce sont des choses
différentes.
Dans ces derniers temps le développement et la fructifi-
cation organiques des spores de certains Agarics ont été
l'objet de consciencieuses recherches, surtout en Allemagne.
On y a soigneusement étudié, à ce point de vue, le cham-
pignon de couche et le Coprin si faciles cà obtenir de spores
uniques.
M. ^^ln Tieghem fait connaître dans son Traité de Boia-
nique, comment les choses se passent pour le Coprin ster-
coraire d'après Brefeld.
— 49
La spore déposée en saison favorable dans un milieu
nutritif approprié comme par exemple une décoction de
crottin de cheval, en supposant que l'expérience réussisse
« germe aussitôt (fig-. 13, A); à travers une pore située à
a l'opposite de son
« point d'insertion, X /\
« elle pousse une
« ampoule bientôt
« allongée en un
« tube qui ne tarde
« pas à se cloison-
« ner et à se rami-
« fier en un thalle
« circulaire dont la
« spore occupe le
« centreetquicon-
« tinue de croître
a à sa périphérie
a (C) , En même
« temps les bran-
(' ches s'anastomo- f
« sent entre elles
« (B), et le long
«d'une même
« branche, les cel-
« Iules s'unissent à la hauteur de chaque cloison par un bec
« latéral (D) ; de la sorte, les corps protoplasmiques des
« cellules primitivement distinctes se trouvent de nouveau
« confondus en une masse unique. Après dix à douze jours les
« fructifications apparaissent sur le thalle et s'y développent
« du centre à la périphérie (fig-. 14).
« En un point d'un filament naît une branche qui se
« ramifie abondamment, enchevêtre, pelotonne et serre de
« plus en plus ses rameaux qui sont tous semblables ; il se
« produit de la sorte un tubercule dont la partie interne plus
a dense est le début du pied et la zone externe, plus lâche, est
4
•'-<i!t_«âi
'^. 13. — Copriii stercoraire {Coprinus stercorarius).
A, germination des spores. B, Anastomose entre deux
branches du jeune thalle. Jeune thalle issu de la spore.
D, Anastomose de cellule à cellule le long du même fila-
ment. E, Appareil conidifère du C. Lagope (C Lagopus).
F, Conidées libres en forme de bâtonnets D'après Brefeld
(V,\N TiEGHEM, Traité de Botanique).
— :;o —
(c la volve. Aid sommet du noyau, la croissance et la ramifi-
« cation des filaments continue très activement et forme le
« début du chapeau qui s'étend ensuite vers le bas le long du
« pied par une croissance marginale. Sur la face interne du
« chapeau, contre le pied, se dessinent ensuite des côtes
« longitudinales de
« plus en plus sail-
« lantes , qui sont
ft les lamelles ; à
« leur surface les
« filaments vie n-
« nent se terminer
« en palissade pour
« formerl'assisequi
« renferme, comme
« on sait, les ba-
« sides, les para-
« phises et çà et là
« des poils. Ces
« derniers ont pour
FijT. 14. — Coprin stercoraire. Thalle adulte produit « fÔle d'écartCr IcS
par la spore ccntrali: et portant neuf jeunes appareils
sporifères dont une allonge déjà son pied. D'après « lamellcS IcS UUCS
Brefeld. (Van ÏIEGHEM, Traité de Botanique.^
« des autres et du
« pied, de manière à permettre aux basides de s'allonger
« ensuite dans l'intervalle et d'y produire au sommet chacune
« quatre spores. Celles-ci cutinisent et colorent en brun la
« couche externe de leur membrane, excepté au sommet où
« est le pore germinatif.
« Jusque-là le pied est resté court, se bornant à pousser à
« sa base des filaments qui s'enfoncent tout autour dans le
« milieu nutritif pour contribuer à le fixer et à l'alimenter. Il
« s'allonge alors tout à coup (fig. 14) et très rapidement
« dans sa région supérieure en disloquant la volve et sou-
te levant le chapeau; celui-ci tout couvert de cellules rondes,
« débris de l'enveloppe, se déploie en dédoublant ses lamelles
« comme un parapluie cj[u'on ouvre, et dissémine ses spores.
a Sa substance se liquéfie ensuite et ce liquide entraînant les
« ?pores non encore détachées tombe goutte à goutte sur le
« sol ; il est assez fortement noirci par les spores pour
« pouvoir servir d'encre indélébile...»
« Si au cours de cet allongement (du pied) on vient à
« couper ou à piquer le pied ou le chapeau, on voit sur la
« section ou sur la plaie un des filaments bourgeonner en
« quelque point et reformer un tubercule adventif qui devient
« bientôt un nouveau fruit, plus petit que le précédent. On
« remarquera que, dans ces fruits adventifs, comme par les
« fructifications ordinaires, une seule cellule suffit à produire
a l'appareil sporifère tout entier. D'autre part si l'on place
« un fragment détaché du pied ou du chapeau dans un
« liquide nutritif, il pousse un thalle sur lequel se forment
« plus tard de nombreux fruits. Seules les cellules rondes,
« débris de la volve, qui recouvrent le chapeau, sont inca-
« pables de se développer en un thalle nouveau. »
a Dans d'autres conditions et en particulier lorsque le
« milieu est abondamment pourvu de matières nutritives et
« surtout plus compact, moins aéré, dans la bouse de vache
« par exemple, le développement suit une marche un peu
c( différente chez certaines espèces et notamment chez le
« Coprin stercoraire. Il se fait bien encore parla ramification
« enchevêtrée et de plus en plus condensée d'une branche
« de thalle, un tubercule, mais ce tubercule ne se différencie
« pas à l'intérieur : ses cellules grandissent, se pressenties
« unes contre les autres en un pseudo-parenchyme, se rem-
« plissent de substance de réserve et passent à l'état dévie
« latente. En même temps les assises externes cutinisent
« leurs membranes et les colorent en noir de manière à pro-
« téeer la réofion interne incolore ; elles demeurent vivantes
« cependant. En un mot le tubercule devient un sclérote, »
« Plus tard, dans l'air humide, ces sclérotes germent.
« Une des cellules périphériques pousse une branche qui se
« ramifie aussitôt, enchevêtre, pelotonne ses rameaux et
« forme un petit tubercule blanc : celui-ci grandit et se
— 5^ -
« différencie ensuite en un appareil sporifère comme il a été
« dit plus haut pour le tubercule né sur le thalle. De la base
« du pied partent également tout autour des filaments rameux
a qui fixent le fruit et lui apportent l'eau nécessaire à sa
« croissance. Plus tard le pied s'allonge rapidement, puis
« déploie son chapeau et dissémine ses spores. Un même
« sclérote peut produire ainsi, aux différents points de sa
« surface, un grand nombre de petits tubercules, mais un
« seull'emporte d'ordinaire et se développe en fruit. Le fruit
« issu du sclérote peut être coupé, décapité à plusieurs
« reprises ; chaque fois il se forme sur la section un nouveau
« fruit adv'^entif. Si l'on coupe un sclérote en segments, chaque
« morceau germe séparément et donne un fruit plus petit, de
« dimension proportionnée à la réserve nutritive qu'il a à sa
« disposition. Les expériences les plus diverses montrent
« que chaque cellule du sclérote, tant de l'intérieur que delà
« zone externe, est capable de produire en bourgeonnant un
« appareil sporifère. » (Van TiEGHEM, Traité de Botanique.^
En résumé, les spores comme les sclérotes (comme sans
doute certaines conidies) continuent la plante à la façon d'une
bouture, d'un bulbille, d'un rhizome, et peuventleur êtrephy-
siologiquement assimilées.
En lisant les détails ci-dessus et comparant les figures 1 1 ,
12, 13, 14, comment ne pas être frappé de la différence qui
existe entre ce mode de développement apogamique et la
germination sexuée sur feuille. 11 n'y a rien de commun ni
physiologiquement, ni morphologiquement. D'un côté nous
assistons à une sorte d'extension de la spore agissant comme
bulbille, bouture, etc. ; de l'autre à ce qui parait être une
sexualisation suivie de fécondation.
D'un côté, la même plante se perpétue; de l'autre, naît
la semence d'une plante nouvelle.
Ce double mode de conservation si fréquent dans la nature
appartient non seulement au Coprin et au Psalliote, mais
encore, comme on sait, à d'autres champignons, comme par
exemple le Tricholome nu, etc., etc. Certaines espèces, au
- 53 -
contraire, ne peuvent être reproduites de cette façon; telles
la Morille, la Truffe, etc. Ni par spore unique ni par mycélium
ou blanc, ni par une portion de la substance, on n'a pu obte-
nir de fructifications (i).
Les plantes qui se continuent ainsi par apogamie, par
blanc, bouture, bulbilles, etc., se maintiennent vigoureuses
lorsqu'elles sont fortifiées par une culture artificielle, une
nourriture choisie, des soins particuliers ; d'autres fois elles
dégénèrent plus ovi moins vite. En ce qui concerne le Coprin
stercoraire, le dépérissement de la plante continuée par apo-
gamie s'accentue parfois rapidement et d'une façon remar-
quable (v. p. Xlll).
La spore du tricholome, ensemencée en milieu favorable,
a produit également des sujets diminués et affaiblis (v. p. XIl).
Il serait facile de citer d'autres exemples.
On peut donc admettre, sans prétendre évidemment que
le dépérissement soit général et constant pour tous les cham-
pignons, on peut admettre qu'il existe, à la longue surtout,
pour les sujets livrés à eux-mêmes et non artificiellement
cultivés. La nécessité d'une rénovation éventuelle de l'espèce
par production d'une plante nouvelle paraît évidente. Or la
sexualisation et l'interfécondation des spores, indispensables
pour arriver à ce résultat, ne peuvent être obtenues, croyons-
nous, que lorsque celles-ci sont déposées sur ce que j'appel-
lerai le lit nuptial approprié ; sinon le mariage n'a pas lieu.
Dans l'état actuel de nos connaissances, ce lit nuptial se-
rait le limbe de certaines feuilles. Il suit de là que la feuille
paraît être moins un aliment que le substratum nécessaire à
la sexualité et par conséquent à la rénovation de l'espèce :
elle devient également ainsi, par sa nature même, un agent
de dissémination.
I. Il convient d'ajouter « jusqu'à présent •. Il n'est point dit que la repro-
duction par spore unique ou par blanc des champijfnons aujourd'hui rebelles
à la culture ne dépende d'un tour de main que le hasard fera découvrir. Et ce
procédé une fois trouvé restera sans doute le plus rapide et le plus sûr, ce qui
n'enlève rien, d'ailleurs, à l'intérêt biolog-ique des faits observés.
CHAPITRE VIII
LA MORILLE
La spore. — Feuilles sur lescjuelles elle a germé. — Mode de germina-
tion. — Époques et délais. — Observations sur le rôle de la feuille
et le développement asexué de la spore.
La spore de Morille est ovale, lisse, blanche, transpa-
rente. Parfois l'on aperçoit un noyau intérieur, composé
d'huile réfringente, et séparé de l'epispore par un liseret de
protoplasme hyalin ; d'autres fois la spore parait renfermer
une foule de noyaux ronds formés de ce même protoplasme
condensée.
Feuilles sur lesquelles elles germent. — Les
essais tentés avec la spore de Morille ont porté sur le chêne
pubescent, le chêne ordinaire, le bouleau, l'orme, le poirier,
le sapin argenté, le gazon, etc. Le chêne pubescent et le
sapin argenté nous ont donné les meilleurs résultats; les gra-
minées ne réussissent pas; sur le bouleau, l'orme, l'observa-
tion est incertaine.
On a essayé de trouver une différence, quant à la germi-
nation sur chênes ou conifères, entre les Morilles delïciosa,
esailenta, conïca, semi-libera, àovA. les unes se rencontrent
de préférence sous l'arbre vert, les autres sous le chêne,
mais rien de concluant n'a été observé.
Mode de g-ermination. — Il est le même sur feuille
que celui de la truffe et des autres champignons. Même
sexualisation, même accouplement, mêmes œufs (^, d^ e^ pi. III),
La spore de Morille, comme celle du Coprin, a ceci de
— 55 —
particulier qu'elle germe assez facilement dans Teau, lorsque
celle-ci n'est pas acide. Cette germination ou plutôt cette
extension se produit au printemps et en automne-hiver. Elle
est d'ailleurs irrégulière en ce sens que toutes les spores ne
germent pas facilement, que celles de certains sujets ne ger-
ment pas du tout (i).
Malgré la similitude, quant à l'époque favorable qui paraît
exister entre la germination des spores sur feuille et celle qui
a lieu dans l'eau ou sur une substance appropriée (telle que,
par exemple, pomme de terre sucrée et préparée), il existe
entre ces deux modes de dévelop-
pement, comme pour le Coprin, des
différences fondamentales.
La germination sur feuille pro-
duit des gamètes de sexes différents,
des copulations et des œufs ; le
développement en milieu nutritif
ordinaire paraît être une simple
extension apogamique de la spore
se comportant comme un bulbille,
rhizome. Impossible de découvrir
dans cette dernière évolution la
moindre trace de sexualité, de fécondation, d'accouplement.
Nulle différence, nulle attraction entre les filaments (v. fig. 15).
Ce mycélium, comme on sait, ne reproduit pas la plante quant
à présent. Sur substance appropriée, stérilisée et en tube,
il peut se développer, rarement il est vrai, en longs fdaments
jaunes, qui se replient sur eux-mêmes et se terminent à la
longue par des conidies jaunes, opaques, en chapelet. Mises en
terre dans des conditions favorables, en milieu nutritif, ces
conidies, après huit ans, n'ont rien produit. Même sur feuille,
s'il y a excès d'eau, dépôt de matière nutritive comme du
sucre, la spore peut se développer dans la forme apogamique.
F'g- 'S- — Germination Je la
spore de Morille dans l'eau.
I. Il arrive même de rencontrer des Morilles très mûres dont les asques ne
renferment pas de spore et ne contiennent qu'un liquide protoplasmique jau-
nâtre.
-56-
II n'y a donc aucune ressemblance, à première vue, entre
la forme du développement apogamique de la spore et sa
germination sexuée : pour s'en convaincre il suffit de comparer
les fîg. c, d, e, pi. III, et la fig. 15 ; et si ce n'était par crainte
de nous répéter nous pourrions présenter ici de nouveau
toutes les observations faites plus haut sur la double germi-
nation des spores, ou plutôt sur la germination sexuée, d'une
part, et le simple développement asexué de l'autre.
Epoques favorables et délais. — Avril-mai ; puis
novembre-décembre, comme la Truffe et le Coprin. De juin à
septembre, rien.
Les délais sont tant pour la germination que pour la fécon-
dation ceux de la Truffe et du Coprin.
Des delicïosa ensemencés le 28 octobre sur feuilles de chêne
pubescent montrent le 20 novembre des sporules formées.
Des delïciosa et des conïca, ensemencés le 4 novembre,
sur sapin argenté, montrent le 20 novembre des œufs nom-
breux, etc., etc.
Les sporules paraissent germer quelquefois huit à dix se-
maines après ensemencement, mais l'observation est difficile
et l'on ne peut avoir de certitude.
La réussite des expériences est aléatoire ; il y a beaucoup
de manquants : ce qui ferait croire que les feuilles, du moins
celles que nous avons essayées, ne sont pas un substratum
des plus propices à la germination.
Ensemencement. — Un morceau de Morille est mis à
détremper dans l'eau pendant quatre ou cinq jours ; il subit
un commencement de pourriture et les asques se désagrègent.
On promène alors un pinceau dans les cavités, puis on le
lave dans quelques gouttes d'eau ; cette eau contient un grand
nombre de spores libres.
L'observation est aussi difficile que fatigante ; elle exige
de forts grossissements, 400 diamètres et plus; et encore,
— 57 -
dans beaucoup de cas, on ne voit que très peu et très mal ;
sur sapin arg-enté, il est littéralement impossible de rien
distinguer. Les colorants s'imposent ; les meilleurs sont l'hema-
toxyline et le violet de méthylène; les autres ne donnent que
des résultats insuffisants. L'hematoxyline est préparée selon
la formule un peu modifiée du D' Bellanger.
iHematoxyline en poudre. . . i gr.
Alcool absolu 50 gf.
Ammoniaque j gr.
et l'on fait évaporer jusqu'à ce que toute odeur d'ammoniaque
ait disparu. Le liquide est alors additionné de 250 gr. de so-
lution concentrée d'alun, et de 250 gr. d'eau, et de quelques
gouttes d'acide acétique, et l'on filtre deux fois à quelques
jours d'intervalle. En laissant le flacon ouvert, la puissance
tinctoriale s'augmente considérablement.
Les feuilles sont laissées de 30 à 60 minutes dans le colo-
rant, puis un quart d'heure dans l'eau. Les spores apparaissent
alors ; quelques-unes teintées, la plupart se détachant sur le
fond coloré.
Le violet de méthylène colore presque trop fortement la
spore et ses alentours. Tout est violet, les poils, les débris,
les mucosités, les filaments parasites, les moindres aspérités;
on ne s'y reconnaît plus. En outre, il déferme les spores plus
que l'hematoxyline.
Le mode d'emploi est classique. On prépare, au moment
de s'en servir, le bain composé d'eau et de quelques gouttes
de solution alcoolique concentrée de violet. La feuille est
immerg-ée pendant deux ou trois minutes, passée à l'eau, puis
observée encore humide.
CHAPITRE IX
PSALLIOTES, etc.
Psalliotes, Bolets, Sclerodermes, etc. — Observations générales.
Il serait fastidieux de répéter ici pour le Bolet, le Sclero-
derme, le Psalliote et d'autres Agarics, ce que nous avons
dit des champignons déjà étudiés.
Les modes de germination sont presque identiques ; les
époques et délais paraissent les mêmes (c. pi. III, et fig. i6).
Nous ferons remarquer en passant que pour le Psalliota
cainpestris (champignon de couche),
notamment, la différence entre le dé-
veloppement apogamique de la spore
et la germination sexuée, est peut-
être encore plus frappante que pour
la Morille ou le Coprin. Il suffit pour
s'en convaincre de comparer la germi-
nation sexuée sur feuille des spores de psalliote exactement
représentée par nos figures sur la Truffe ou le Coprin, avec
les étapes du développement asexué de ces mêmes spores
depuis l'origine jusqu'à la reconstitution de la plante même.
Tâche d'autant plus aisée que les différentes phases de ce
dévelopi)ement asexué ont été étudiées avec le plus grand
soin par les botanistes allemands et que des gravures très
bien faites nous donnent l'exacte perception des transfor-
mations successives.
On aurait pu reproduire et commenter ces gravures pour
les besoins de la cause, mais c'eût été, il semble, allonger
inutilement cet ouvrage par des redites insipides à la longue
et fatigantes pour le lecteur.
Fig. l6. — Spores de Bol't
grrniant.
— 59 -
Pour quelques-unes des espèces énumérées ci- dessus,
l'observation est particulièrement difficile, sinon impossible.
La petitesse des spores, comme dans certains Psalliotes, le
Lycoperdon, etc., est telle que l'on ne peut rien affirmer.
Lorsque la spore est à la fois petite et transparente comme
celle de plusieurs Agarics, la difficulté d'observation se change
en impossibilité.
Souvent on ne voit qu'une phase de la germination, la
première par exemple, mais comme celle-ci s'accorde avec
ce que nous savons d'autre part, il semble permis, dans une
certaine mesure, d'e'n tirer conclusion pour la similitude de
l'évolution totale.
Les sporules ou œufs, beaucoup plus petits que les
spores, sont à plus forte raison, quoique noirs, à peine per-
ceptibles dans certaines espèces, malgré l'emploi de forts
grossissements. Quant à la germination de ces sporules,
l'objectif à immersion pourrait seul la révéler et encore il
nous semble que toute certitude ferait défaut, Pour le Bolet,
par exemple, dont la sporule est relativement grosse, l'appa-
rence existe parfois, mais une apparence qui laisse le doute
subsister.
Il est à remarquer que, sans cause visible, certaines spores
aboutissent à des insuccès complets (i). D'autres fois le
nombre des manquants dépasse toute proportion ; d'autres
fois la feuille ne conserve pas une des spores déposées sur le
limbe. Certaines feuilles, que l'on pourrait croire particuliè-
rement convenir aux spores de telle ou telle espèce, comme
par exemple les feuilles de châtaignier pour les Bolets
ramassés au pied de ces mêmes arbres, n'ont donné aucun
résultat.
Cela tendrait à prouver que les feuilles, celles du moins
I. Ces insuccès ne paraissent pas tenir à l'âge ou à la fraîcheur des
spores, au moins dans des limites raisonnables. Les spores conservées à l'abri
d'une trop grande chaleur ou de la pourriture n'ont pas toutes perdu la
faculté de germer après un ou deux ans. Il y a seulement des manquants en
nombre de plus en plus considérable. La fraîcheur de la spore importerait
donc moins que sa maturité ou surtout que la saison.
6o
que nous avons employées, loin de fournir à la germination
sexuée le substratum idéal, ne sont, pour certaines espèces,
qu'un pis-aller. Peut-être aussi la cause de l'échec réside-
t-elle ailleurs, dans la spore ou dans la stérilité de la plante
même ; il est difficile de répondre.
CONCLUSION
Dans les chapitres qui précèdent, on s'est étendu outre
mesure et au point d'en être insipide, sur les méthodes d'en-
semencement et les procédés d'observation. Ces développe-
ments, dont l'intérêt intrinsèque est minime, avaient un
double but ; d'une part, simplifier la tâche à ceux qui vou-
draient contrôler les faits exposés et compléter des observa-
tions qui n'en sont encore qu'à l'état rudimentaire ; d'autre
part, provoquer et faciliter des expériences pratiques.
Outre l'intérêt matériel qu'il y aurait à multiplier artifi-
ciellement certains champignons impossibles à cultiver en ce
moment et récoltés au hasard, une théorie, si vraisemblable
qu'elle paraisse, sur la production sexuée des thallophites ne
pourra être déclarée exacte, il faut bien le dire, que lorsque
son application aura donné des résultats tangibles et certains.
C'est pourquoi nous dirons simplement, en terminant cet
ouvrage :
Lorsqu'on voit des spores de champignons très différents
les uns des autres se comporter dans des circonstances déter-
minées de façon constamment identique, suivant un mode
très particulier, il semble permis de conclure que l'évolution
constatée est l'effet d'une loi obligatoire dans les circons-
tances en question. Et lorsque l'on remarque que les diverses
phases de l'évolution observée possèdent à un haut degré les
caractères d'un acte sexuel, ne sauraient que difficilement
s'expliquer autrement et ne se rencontrent nulle part ailleurs
avec la même précision dans la vie de ces plantes, il est per-
mis de supposer, sans rien affirmer cependant, que l'on se
trouve en face de la loi de reproduction sexuée des cham-
pignons supérieurs ou d'une partie de cette loi. C'est tout ;
n'allons pas plus loin.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Introduction v
Chapitre I. La Truffe. — Orig-ines attribuées à la Truffe dans
les temps anciens et modernes. Temps anciens, de
350 avant Jésus-Christ au milieu du xv*' siècle ; temps
modernes, du milieu du xv^ siècle à nos jours. . . i
— II. Description de la Truffe. — Conditions de g-ermi-
nation des spores. — Ag-ents de transport. — La
feuille est-elle nécessaire? 9
— III. Germination et fécondation des spores. — Délais. —
Observations sur la fécondation 18
— IV. Formation et g-ermination de l'œuf sur feuilles. —
Développement ultérieur. — Pouvoir nutritif des
feuilles et influence des saisons 24
— V. Aptitude des spores à germer d'après leur état. —
Utilité de Parome. — Aptitude par rapport à la
nature et à l'exposition de la feuille. — Époque et
procédés d'ensemencement. — Délais. — Utilité des
arbres. — Pourquoi les truffières sont-elles si rares
dans les bois de chênes truffiers? 29
— VI. La Truffe du Piémont ou Tuber magnatnm. ... 43
— VII. Spores de Coprin. — Feuilles sur lesquelles elles
ont germé. — Mode de germination, — Epoques et
délais. — Observations sur le rôle des feuilles et
le développement ase.vué de la spore 44
— VIII. Morille. — La spore. — Feuilles sur lesquelles elle a
germé. — Mode de germination. — Époques et
délais. — Observations sur le rôle de la feuille et le
développement asexué de la spore 54
— IX. Psalliotes, Bolets, Sclerodermes, etc. — Obser-
vations générales 58
Conclusion 61
Pari». — J, Mertchf \mp.,4 t>it. Av. d* CUâtiUon*
PLANCHE I.
Fig-. a. — Spores de la Truffe. Germination sexuée extérieure (dé-
cembre).
Fig-. b. — Id. Germination mâle, visible à travers l'épiderme (juillet)
rare.
Fig-. c. — Id. Autre exemple de germination sexuée (décembre).
Fig. d. — Id. Germination mâle; près de la pseudo-spore apparaît la
sporule femelle d'une autre spore (décembre).
Fig-. e. — Id. Germination partiellement extérieure et colorée (juillet)
rare.
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PLANCHE II.
Fig. a. — Spores de la Truffe. Germination avec sporules en chapelet
(printemps, septembre) rare.
F'ig-. b. — Id. Germination femelle extérieure (décembre).
Fig. c. — Id. Germination mâle avec fécondation apparente par jet
secondaire (décembre).
Fig. d. — Id. Pseudo-spores émettant un jet secondaire extérieur et
fécondant une sporule femelle (décembre).
Fig. e. — Id. Germination mâle avec subdivision du filament principal
(décembre).
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PLANCHE III.
Fig. a. — Spore (le truffe du Piémont {tuber magnatum) produisant un
œuf très gros qui paraît germer (novembre).
Fig. b. — Spore de Morille germant.
Fig. d. — Autre aspect d'une germination de spore de Morille.
Fig. e. — Spore de Morille mâle fécondant une spore femelle
(novembre).
Fig. c. — Fécondation d'une spore de Bolet comestible.
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PI. m
&essin. De
L.MarcliiZBt. Imp.
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New York Botanical Garden Library
QK601 .G68 gen
Gramont, Armand/Etude sur la reproductio
3 5185 00124 4514
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