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Full text of "Euvres de Louize Labé, lionnoize"

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EVYRES 


DE 


LOVÏZE  LABE. 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/euvresdelouizelaOOIab 


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EVVRES 


DE 


LOVIZE  LABÉ 


LIONNOIZE. 


A  LION 

PAR  DVRAND  ET  PERRIN, 


M.  DCCC.  XXÎIII. 


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BIBLIOTHECA 


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43S 


P  A  T  R  I  A  E 


A  M  I  C  I  T  I  A  E 


E  T 


M  V  S  I  S 


AVERTISSEMENT. 


CjETïE  édition  de  Louise  Labé  n'est  pas  îe  pro- 
duit d'une  spéculation  mercantile  :  les  frais  en 
ont  été  faits  par  une  société  de  gens  de  lettres 
de  Lyon ,  la  plupart  membres  de  l'académie  et 
du  cercle  littéraire  de  cette  ville ,  qui  ont  voulu 
rendre  un  nouvel  hommage  à  la  mémoire  d'une 
femme  justement  célèbre ,  que  leur  patrie  s'ho- 
nore d'avoir  vu  naître.  Les  exemplaires  en  seront 
partagés  entre  eux,  et  distribués  à  leurs  amis. 
On  peut  donc  être  sûr  qu'ils  n'iront  prendre  place 
que  dans  des  bibliothèques  appartenant  à  de  vrais 
littérateurs  et  à  des  hommes  d'un  goût  distin- 


viij  AVERTISSEMENT, 

gué.  Les  cinq  éditions  faites  avant  celle-ci ,  mais 
surtout  les  trois  d'entre  elles  dont  la  publication 
eut  lieu  du  vivant  de  l'auteur,  sont  aujourd'hui 
extrêmement  rares,  et  presque  introuvables.  On 
est  cependant  venu  à  bout  de  se  les  procurer 
toutes,  et  il  en  est  résulté  pour  cette  réimpression 
l'avantage  d'avoir  été  soigneusement  collation- 
née  avec  les  textes  primitifs.  On  espère  que  cet 
avantage  n'est  pas  le  seul  qu'elle  offrira ,  et  que 
les  accessoires  dont  elle  est  enrichie ,  contribue- 
ront aussi  à  lui  assurer  sur  les  éditions  précé- 
dentes une  grande  supériorité. 

Un  Dialogue,  composé  par  M.  DuMAS,  sert 
de  préface  :  sous  une  forme,  pour  ainsi  dire,  dra- 
matique ,  il  fait  connoître  le  caractère  de  Louise 
Labé  et  le  genre  de  son  talent ,  ainsi  que  les 
rapports  et  les  différences  qui  existent  entre  elle 
et  l'immortelle  Sappho;  et  il  finit  par  signaler  le 
but  qu'on  s'est  proposé  d'atteindre,  en  repro- 
duisant pour  la  sixième  fois  le  recueil  entier  de 
ses  ouvrages. 


AVERTISSEMENT.  ix 

Dans  une  Notice  historique  mise  à  la  suite  de 
ce  dialogue,  M.  COCHARD  a  rassemble  tous  les 
détails  et  tous  les  renseignements  qu'il  a  pu  dé- 
couvrir sur  la  vie ,  la  personne  et  les  écrits  de 
Louise  Labé;  il  a  consulté  nos  archives  muni- 
cipales et  un  grand  nombre  d'auteurs ,  et  s'est 
principalement  appliqué  à  justifier  l'illustre  Lyon- 
noise  des  imputations  calomnieuses  dont  elle  a 
été  l'objet.  Ce  travail  biographique  a  été  com- 
plété par  M.  Breghot  dans  des  notes  où  il  a 
consigné  ses  recherches  particulières ,  et  indi- 
qué fidèlement  les  sources  oi^i  les  faits  ont  été 
puisés. 

M.  Breghot,  chargé,  en  outre,  du  soin  de  diri- 
ger l'entreprise  et  de  surveiller  l'exécution  ty- 
pographique, a  rédigé  un  Commentaire,  impri- 
mé immédiatement  après  le  texte ,  et  destiné  à 
offrir  des  preuves  de  l'érudition  peu  commune 
de  Louise  Labé,  et  l'explication  des  passages  dif- 
ficiles et  des  allusions  fréquentes ,  soit  à  l'his- 
toire ,  soit  à  la  mythologie ,  que  l'on  rencontre 


X  AVERTISSEMENT, 

dans  ses  œuvres  ;  il  a  enfin  terminé  le  volume 
par  un  Glossaire  des  mots  dont  elle  a  fait  usage  , 
qui  ont  cessé  d'appartenir  à  notre  langue. 

Puisse  l'exemple  donné  par  cette  publication 
être  bientôt  imité  !  Louise  Labé  n'est  pas  le  seul 
écrivain  dont  Lyon  ait  droit  de  s'enorgueillir  : 
il  en  est  plusieurs  autres  dont  les  productions 
mériteroient  aussi  d'être  plus  répandues,  et  qui 
seroient  dignes  de  reparoitre  avec  les  mêmes 
honneurs. 


DIALOGUE 


ENTRE 


SAPPHO  ET  LOUISE  LÂBÈ/ 


LOUISE. 

JMoN,  non,  illustre  amie,  je  n'ai  la  prétention  de  vous 
avoir  ëgale'e,  ni  dans  les  triomphes  de  la  poésie ,  ni  dans 
les  succès  de  l'amour. 

SAPPHO. 

Il  me  semble,  ma  chère  Louise,  que  vous  ne  vous 

rendez  pas  assez  de  justice.  Si  j'ai  e'té  nommée  la  dixième 

Muse,  vous  avez  passé  vous-même  pour  une  Muse  fort 

aimable  ;  et  quoique  nous  soyons  nées  à  plus  de  deux 


*  On  a  souvent  comparé  Louise  Labé  à  Sappho.  Notre  belle 
Lyonnoisc  semble  avoir  offert  elle-même  l'idée  de  ce  rapproche- 
ment. Au  commencement  de  sa  première  ëiégie,  elle  annonce 
que  le  moment  est  venu  pour  elle  de  faire  des  vers,  et  que  Phe'- 
bus  la  remplit  d'ardeur  : 

Il  m'a  donné  la  lyre ,  qui  les  vers 
Souloit  chanter  de  l'Amour  Lesbienne. 


xij  DIALOGUE 

mille  ans  d'intervalle,  on  vous  a  justement  comparée  à 
moi.  Lyon,  sous  ce  rapport,  n'a  rien  à  envier  à  Lesbos. 

LOUISE. 

Mais  vos  concitoyens  ont  grave  sur  leur  monnoie  leur 

admiration  pour  vous,  en  y  gravant  votre  image.  Les 

poètes  et  les  écrivains  de  la  Grèce  et  de  l'Italie  vous 

ont  célébrée  à  Tenvi,  et  Silanion  vous  éleva  une  statue 

en  Sicile. 

SAPPHO. 

Si  vous  n'avez  eu  ni  des  statues,  ni  des  médailles  em- 
preintes de  votre  figure,  c'est  dans  les  coeurs  que  vous 
avez  pris  place.  Italiens ,  François ,  Espagnols ,  tous  les 
beaux  esprits  de  votre  siècle  ont,  suivant  leur  langage, 
fait  retentir  de  vos  louanges  les  éclios  du  sacré  vallon. 
Vous  ne  pouvez  pas  en  disconvenir,  car  vos  propres 
écrits  en  font  foi.  Dans  une  de  vos  élégies,  ne  dites- 
vous  pas  à  votre  amant  dont  vous  ne  recevez  aucune 
nouvelle  : 

Si  toutefois ,  pour  estre  énamouré 
En  autre  lieu,  tu  as  tant  demeuré, 
Si  sây  ie  bien  que  t'amie  nouuelle 
A  peine  aura  le  renom  d'estre  telle, 
Soit  en  vertu,  beauté,  grâce  et  faconde, 
Comme  plusieurs  gens  sauans  par  le  monde 
M'ont  fait  à  tort,  ce  croy  ie,  estre  estimée. 
Mais  qui  pourra  garder  la  renommée? 
Non  seulement  en  France  suis  flatee, 
Et  beaucoup  plus,  que  ne  veus,  exaltée. 
La  terre  aussi  que  Calpe  et  Pyrenee 
Auec  la  mer  tiennent  enuironnee, 
Du  large  Rhin  les  roulantes  areines , 
Le  beau  pais  auquel  or'  te  promeines 


ENTRE  SAPPHO  ET  LOUISE  LABÉ.         xilj 

Ont  entendu  (tu  me  l'as  fait  à  croire) 

Que  gens  d'esprit  me  donnent  quelque  gloire. 

Ce  que  les  gens  d'esprit  faisoient  sous  François  l.^'',  ils 
le  font  encore  sous  Louis  XVIII.  J'apprends  même  qu'au- 
jourd'hui, plus  de  deux  siècles  et  demi  après  votre  mort, 
quelques-uns  de  vos  concitoyens  vous  érigent  un  nou- 
veau monument,  aux  applaudissements  du  bon  goût. 

LOUISE. 
Je  viens  de  l'apprendre  aussi,  et  ma  modestie  en 
rougit.  Ce  monument  est  la  reimpression  de  mes  œu- 
vres le'gères.  Ce  sont  les  vôtres  que  la  postérité  regrette 
et  que  la  presse  réclame. 

SAPPHO. 
Il  est  vrai  que  l'on  m'admire  un  peu  sur  parole. 

LOUISE. 

Votre  gloire  n'en  a  pas  moins  acquis  le  mérite  et  la 
force  de  la  chose  jugée.  Vos  hymnes,  vos  odes,  vos  élé- 
gies, et  quantité  d'autres  pièces,  composées  par  vous, 
la  plupart  sur  des  rhythmes  que  vous  avez  introduits 
vous-même,  sont  toutes  brillantes  d'expressions  heu- 
reuses et  riches,  dont  vous  faisiez  présent  à  la  langue. 
Rien  n'égale  les  couleurs,  l'harmonie  et  la  hauteur  de 
votre  poésie  lyrique. 

SAPPHO. 

Sur  quoi  donc  porte  un  jugement  si  favorable?  sur 
deux  pièces  seules  que  vous  trouvez  dans  le  petit  re- 
cueil de  celles  d'Anacréon.  En  vérité,  c'est  être  célèbre 
à  bon  marché.  Pour  vous,  Louise,  le  bagage  de  votre 
gloire,  s'il  n'est  immense,  est  du  moins  plus  considé- 
rable, et  l'on  va  voir  éclater  de  nouveau  le  feu,  l'es- 


xiv  DIALOGUE 

prit  et  la  délicatesse  de  vos  compositions  dans  cette  édi- 
tion lyonnoise,  qui  ne  s'engloutira  pas,  j'en  suis  sure, 
dans  les  gouffres  de  notre  Le'thë. 

LOUISE. 
Si  quelque  chose  me  le  fait  espe'rer,  c'est  que  l'ëquité 
publique  pèsera  sans  doute  dans  sa  balance  les  difficul- 
tés du  temps  où  j'écrivois.  Alors  les  lettres  commen- 
çoient  à  renaître  dans  ce  beau  pays  de  France ,  qui 
restera  la  capitale  du  monde  j  les  savans  s'ensevelis- 
soientdansla  poussière  des  bibliothèques,  comme  pour 
préparer  les  succès  des  siècles  suivants;  mais  aucune 
femme  n'avoit  encore  manié  le  pinceau,  le  burin  ou 
la  lyre. 

SAPPHO. 
Elles  s'en  sont  bien  dédommagées  depuis.  * 

*Ce  n'est  sans  doute  pas  une  épigrammequeSapphoveutfaire, 
De  notre  temps,  Mesdames  de  Staël,  deGenlis,  deFJahaut,  Cot- 
tin,  Bourdic-Viot,  Dufrénoy,  Desbordes-Valmore,  d'Hautpoul, 
de  Mandelot,  Amable  Tastu,  Bernier,  Gay,  Souza,  Montolieu, 
et  tant  d'autres,  ont  prouvé  que  le  beau  sexe  a  la  main  assez  forte 
et  assez  habile  pour  cultiver  avec  succès  le  domaine  de  la  littéra- 
ture. La  peinture  peut  s'enorgueillir  justement  des  Lebrun,  des 
Fragonard,  des  Benoit;  et  parmi  les  statuaires,  il  nous  sera  per- 
mis de  citer  ici,  avec  une  certaine  fierté  nationale,  M."*^  de  Ser- 
mézy,  de  l'académie  de  Lyon,  artiste  fort  distinguée,  à  laquelle 
on  doit  le  Platon  ,  et  beaucoup  de  compositions  charmantes 
d'une  moins  grande  dimension.  Cette  dame  joint  à  son  talent 
une  instruction  immense  et  une  modestie  qui  en  augmente  le 
prix.  Elle  peut  montrer  à  Louise  Labé  que  l'érudition  n'est  pas 
perdue  dans  le  sexe  et  dans  la  patrie  de  la  Belle  Cordière. 


ENTRE  SAPPHO  ET  LOUISE  LABÉ.  xv 

LOUISE. 
Vous,  contemporaine  et  rivale  d'Alcee  dans  les  beaux 
jours  de  la  Grèce,  vous  avez  été  jugée  sans  avoir  be- 
soin d'indulgence,  et  Ton  ne  craint  pas  de  s'égarer  en 
suivant  l'opinion  unanime  d'Aristote,  de  Démétrius,  de 
])enys,  de  Cicéron,  d'Horace,  de  Plutarque  et  de  Lon- 
gin.  D'ailleurs,  le  peu  d'écrits  qui  nous  reste  de  vous 
prouve  suffisamment  avec  quelle  force  de  génie  vous 
nous  entraînez,  lorsque  vous  décrivez  les  charmes,  les 
transports  et  l'ivresse  de  l'amour, 

SAPPHO. 
Ab!  l'amour,  l'amour,  chère  Louise.  C'est  l'être  infini, 
la  lumière  pure,  la  source  de  la  vie.  L'amour  est  l'étoffe 
de  la  nature  que  l'imagination  a  brodée. 

LOUISE. 
Halte-là,  Sappho.  Ce  n'est  pas  du  grec,  c'est  du  Vol- 
taire que  vous  citez ,  et  vous  me  dérobez  une  image  qui 
appartiendroit  tout  naturellement  à  ma  ville  natale. 
N'importe,  au  nom  d'amour,  je  le  vois,  vous  retrouvez 
votre  enthousiasme  et  la  chaleur  de  vos  tableaux.  Do- 
minée, comme  la  Pythie,  par  le  dieu  qui  vous  agitoit, 
vous  jetiez  sur  le  papier  des  expressions  enflammées. 
Vos  sentiments  y  tomboient  comme  une  grêle  de  traits, 
comme  une  pluie  du  feu  qui  va  tout  consumer.  Dans 
vos  écrits,  tous  les  symptômes  de  cette  passion  s'ani- 
ment et  se  personnifient,  pour  exciter  les  plus  fortes 
émotions  de  l'âme  *.  S'il  falloit  rappeler  des  exemples 
transportés  dans  notre  langue.... 

*  Barthélemi,  Voyage  du  ieurie  Anacharsis,  chap.  in. 


xvj  DIALOGUE 

SAPPHO. 
Oui,  je  sais  que  votre  Boileau  et  votre  Delille  m'ont 
fait  riionneur  d'être  mes  interprètes. 

LOUISE. 

N'ont -ils  pas  assez  bien  rendu  votre  éloquence  du 

sentiment? 

Heureux  celui  qui  près  de  toi  soupire, 
Qui  sur  lui  sfui  attire  ces  beaux  yeux, 
Ce  doux  accent  et  ce  tendre  sourire! 
Il  est  égal  aux  dieux. 

De  veine  en  veine  une  subtile  flamme 
Court  dans  mon  sein,  sitôt  que  je  te  vois; 
Et  dans  le  trouble  où  s'e'gare  mou  âm.e, 
Je  demeure  sans  voix. 

Je  n'entends  plus;  un  voile  est  sur  ma  vue; 
Je  rêve  et  tombe  en  de  douces  langueurs; 
Et  sans  haleine,  interdite,  éperdue, 
Je  tremble,  je  me  meurs. 

SAPPHO. 
Mais  vous-même,  si  je  ne  me  trompe,  vous  paroissez 
avoir  bien  connu  les  impressions,  les  effets  et  le  délire 
de  l'amour;  et,  sur  ce  point  encore,  il  n'est  pas  certain 
que  la  Lesbienne  l'emporte  sur  la  Lyonnoise.  Sans  par- 
ler de  votre  charmante  allégorie  du  Dehat  de  Folle 
et  â^ Amour ^  que  votre  imitateur  La  Fontaine  n'a  pu 
faire  oublier,  vous  donnez,  dans  plus  d'un  passage, 
l'essor  à  la  passion  la  plus  vive  ; 

SONNET  Vfll. 

le  vis,  ie  meurs:  ie  me  brûle  et  me  noyé. 
l'ay  chaut  estreme  eu  endurant  froidure  : 


ENTRE  SAPPHO  ET  LOUISE  LABÉ.        xvij 

La  vie  m'est  et  trop  molle  et  trop  dure, 
l'ay  grans  ennuis  entremeslez  de  ioye  : 

Tout  à  un  coup  ic  ris  et  ie  larmoyé, 
Et  en  plaisir  maint  grief  tourment  i'endure; 
Mon  bien  s'en  va,  et  à  iamais  il  dure  : 
Tout  en  un  coup  ie  seiche  et  ie  verdoyé. 

Ainsi  Amour  inconstamment  me  meine: 
Et  quand  ie  pense  auoir  plus  de  douleur, 
Sans  y  penser  ie  me  treuue  hors  de  peine. 

Puis  quand  ie  croy  ma  ioye  estre  certeine. 
Et  estre  au  haut  de  mon  désire  heur, 
Il  me  remet  en  mon  premier  malheur. 

SONNET  xvin. 

Baise  m'encor,  rchaise  moy  et  baise; 
Donne  m'en  un  de  tes  plus  sauoureus,  * 
Donne  m'en  un  do  tes  plus  amoureus: 
le  t'en  rendray  quatre  plus  chaus  que  braise. 

Las,  te  pleins  tu?  ça  que  ce  mal  i'apaise. 
En  t'en  donnant  dix  autres  doucereus. 
Ainsi  meslans  nos  baisers  tant  heureus 
louissons  nous  l'un  de  l'autre  à  notre  aise, 

*  Il  faut  espérer  que  les  érudits  nous  apprendront  quels  bai- 
sers préféroit  Louise  Labé.  Il  y  a  je  ne  sais  quelle  religion  at- 
tachée à  certaines  parties  du  corps  :  le  revers  de  la  main,  par 
exemple,  se  présente  au  baiser...;  mais  si  nous  appliquons  le 
baiser  aux  yeux,  nous  semblons  pénétrer  jusqu'à  l'âme  et  la  tou- 
cher. Inest  et  aliis  partibus  qucedam  religio:  sicut  dextra  osculis 
aversa  appetitur. ..  hos  (ocutos)  cùm  osculamur,  animum  ipsum 
■videmur  attingere. 

ij 


xvilj  DIALOGUE 

Lors  double  vie  à  chacun  en  suiura. 
Chacun  en  soy  et  son  ami  viura. 

LOUISE. 
Il  est  vrai  que  ce  morceau  est  assez  anime'.  Mais  je 
n'oubliois  pas  que 

La  pudeur  fut  toujours  la  première  des  grâces.'*" 

Craignant  de  l'avoir  effarouchée  et  d'avoir  éveille  la 
médisance,  je  me  hâtois  de  me  justifier  en  invoquant 
l'amour  lui-même  : 

Permets  m' Amour  penser  quelque  folie  : 

Tousiours  suis  mal,  viuant  discrettement. 
Et  ne  me  puis  donner  contentement, 
Si  hors  de  moy  ne  fay  quelque  saillie. 

SAPPHO. 
Ainsi,  suivant  l'usage,  c'ëtoit  l'amour  qui  vous  ren- 
doit  coupable ,  et  c'etoit  lui  qui  vous  servoit  d'excuse. 

LOUISE. 
Peut-être  avons -nous  eu  tort  de  tant  nous  occuper 
de  l'amour.  Comme  on  ne  connoissoit  pas  assez  les  dé- 
tails de  notre  vie,  on  a  conformé  nos  actions  à  nos 
discours,  et,  par  nos  vers  trop  erotiques,  nous  avons 
aiguisé  contre  nous  les  armes  de  l'envie. 

SAPPHO. 
Il  est  certain  qu'elle  ne  nous  a  ménagées  ni  l'une 
ni  l'autre.  Et  l'envie  qui  s'attache  aux  noms  illustres, 
meurt,  à  la  A^érité,  mais  laisse  après  elle  la  calomnie 
qui  ne  meurt  pas. 

*  La  Chaussée, 


ENTRE  SAPPHO  ET  LOUISE  LABÉ.  xix 

LOUISE. 
Envie  ou  calomnie,  la  mort  et  le  temps  n*ont  pas 
efface  la  tache  imprimée  sur  votre  conduite  5  car  la  poé- 
sie sapphique  n'a  pas  seule  reçu  votre  nom. 

SAPPHO. 
Un  de  nos  meilleurs  écrivains  *  en  a  fait  la  remarque 
judicieuse  :  de  grandes  indiscrétions  suffisent  pour  flé- 
trir la  réputation  d'une  personne  exposée  aux  regards 
du  public  et  de  la  postérité.  La  chaleur  de  mes  expres- 
sions a  servi  la  haine  de  quelques  femmes  puissantes 
humiliées  de  ma  supériorité.  Vous  voyez  qu'ici-has  on 
parle  sans  feinte  modestie. 

LOUISE. 

Continuez,  je  vous  prie:  j'attache  beaucoup  de  prix 
à  voir  réhabiliter  votre  mémoire.  Il  est  temps  de  con- 
fondre les  odieuses  imputations  dont  elle  étoit  souillée. 

SAPPHO. 

Eh  bien!  chez  nous  autres  Grecs,  la  sensibilité  étoit 
extrême.  Les  liaisons  les  plus  innocentes  empruntoient 
souvent  le  langage  de  l'amour.  Que  n'a-t-on  pas  dit  du 
sage  Socrate  et  de  ses  élèves  ?  J'aimois  avec  excès  mes 
disciples,  parce  que  je  ne  pouvois  rien  aimer  autre- 
ment j  je  leur  exprimois  ma  tendresse  avec  la  violence 
de  la  passion,  et  voilà  tout. 

LOUISE. 

Comment!  voilà  tout!  Vous  n'auriez  pas  eu  d'amants? 
Les  sens  n'auroient  eu  sur  vous  aucun  empire 5  et  la 
chimère  de  Platon.... 

*  Barthélemî. 


XX  DIALOGUE 

SAPPHO. 

Gardez -VOUS  de  le  croire,  V  amour  platonique  chez  tes 
femmes  est  le  sophisme  de  la  pudeur.  Sans  vous  arrêter 
sur  mon  mari,  Cercale  d'Andros,  que  j'aimois  au  moins 
autant  que  vous  avez  aimé  le  bonhomme  Perrin,  ce 
cordier  dont  votre  beauté  *  immortalisa  la  profession  et 
le  domicile,  j'eus,  comme  vous,  d'assez  nombreux  ado- 
rateurs^ mais  leurs  succès  sont  notre  secret,  et  dans  leur 
docte  et  curieuse  incertitude,  nos  biographes  feroient 
bien  de  garder  sur  ce  point  un  silence  respectueux  pour 
notre  sexe  et  pour  nous. 

LOUISE. 

Sans  doute,  si  nos  actions  d'éclat  n'avoient  pas  été 
trop  indiscrètes.  Il  est  fâcheux  qu'en  montrant  ma  bra- 
voure au  siège  de  Perpignan,  j'aie  montré  aussi  mon 
attachement  pour  l'amant  que  j'y  suivis  **  5  et  le  saut 

*  La  tradition  a  consacré  la  beauté  de  Louise  Labé.  Tous  les 
auteurs  ses  contemporains  ont  vanté  ses  attraits  et  ses  charmes, 
et  bien  que  son  portrait  ne  soit  pas  arrivé  jusqu'à  nous,  on  a 
recueilli  d'agréables  détails  sur  sa  taille  et  sur  sa  figure.  Beau- 
coup de  gens  consciencieux  doutent,  au  contraire,  que  Sappho 
fût  aussi  célèbre  par  sa  beauté  que  par  son  génie.  Les  images 
qui  nous  restent  de  cette  Muse  lesbienne,  ne  nous  donnent  pas 
même  l'idée  d'une  figure  passable,  et  l'indifférence  de  Phaou, 
ses  refus  obstinés  de  répondre  à  la  passion  de  Sappho,  sont 
parfaitement  d'accord  avec  l'iconographie  :  mais  le  génie  em- 
bellit tout. 

^'^  Quelques  personnes  pensent  que  Louise  conçut  dans  les 
camps  cette  première  et  vive  passion.  Mais  il  est  bien  probable 
que,  dans  l'âge  le  plus  tendre,  une  fille  doit  sa  valeur  à  son 


ENTRE  SAPPHO  ET  LOUISE  LABÉ.  xxj 

périlleux  que  vous  avez  fait  à  Leucade,  n'a  pas  laissé 
ignorer  votre  passion  désespérée  pour  Pliaon, 

SAPPHO. 
Pouvons-nous  clianger  la  marche  de  la  nature  ?  Les 
passions  sont  chez  les  hommes,  comme  le  souffle  des 
vents,  nécessaires  pour  mettre  tout  en  mouvement,  quoi- 
qu'ils causent  des  orages  *.Si  j'en  crois  un  de  vossuhli- 
mes  orateurs**,  qui  eut  souvent  des  inspirations  lyriques, 
les  passions  ont  une  infinité  qui  se  fâche  de  ne  pouvoir 
être  assouvie.  Je  me  trouvai  dans  ce  cas  à  l'égard  de 
Phaon  qui  me  refusoit  son  hommage.  L'infinité  de  ma 
passion  se  fâcha  un  peu  des  dédains  de  ce  jeune  Leshien, 
que  les  parfums  de  Vénus  avoient  rendu  si  beau.  Mais 
les  poursuites  du  turbulent  Alcée  ne  me  firent  point  sor- 
tir des  bornes  du  devoir ,  et  lorsqu'il  m'écrivit  qu'il 
voudroit  s'expliquer,  mais  que  la  honte  le  retenoitj  vous 
savez  ce  que  je  lui  répondis. 

LOUISE. 
Non,  je  ne  m'en  souviens  plus. 

SAPPHO. 
«  Votre  front  n'auroit  pas  à  rougir,  lui  répondis- 
se je,  si  votre  cœur  n'étoit  pas  coupable.  ?? 

LOUISE. 

C'est  fier  et  beau.  Ainsi  ce  n'est  que  par  amour  pour 
la  liberté  qu' Alcée  vous  engagea  dans  la  conspiration 
contre  Pittacus,  et  que  vous  fûtes  bannie  de  Mitylène? 

amour,  plutôt  qu'elle  n'est  transportée  d'une  ardeur  guerrièire 
sans  motif  et  sans  objet. 

*  Fontenelle. 

**  Bossuet. 


m 


xxij  DIALOGUE  ENTRE  SAPPHO,  etc. 

SAPPHO. 

Ah!  cet  amour  sacre  de  la  liberté  fut  sans  doute  mon 
premier  titre  à  la  yéne'ration  de  mes  concitoyens. 

LOUISE. 

Lorsqu'on  cherclie  à  se  soumettre  des  esclaves,  est-il 
convenable  de  prêcher  la  liberté?  Pour  moi,  je  ne  me 
suis  jamais  mêlée  d'affiiires  publiques.  J'ai  toujours  cru 
que  les  hommes  aimoient  mieux  voir  une  quenouille 
dans  les  mains  d'Hercule,  que  d'entendre  des  théories 
politiques  dans  la  bouche  d'une  femme. 

SAPPHO. 

Voilà  justement  pourquoi  on  n'a  point  frappé  de  mon- 
noie  à  votre  effigie,  ni  dressé  votre  statue  sur  les  bords 
du  Rhône  et  de  la  Saône. 

LOUISE. 

Oui  ;mais  votre  monnoie  n'a  plus  de  cours,  votre  sta- 
tue de  Sicile  est  en  poudre ,  vos  écrits  même  ont  disparu , 
et,  comme  vous  l'avez  dit  vous-même,  ma  patrie  con- 
sacre en  ce  moment  a  ma  gloire  un  sixième  monument 
que  le  temps  ne  sauroit  détruire. 

SAPPHO. 

Rendez-en  grâces  à  cet  art  merveilleux,  inconnu  de 
mon  siècle,  qui  changera  progressivement  la  face  du 
globe,  en  assurant  la  liberté  des  peuples  et  l'immorta» 
lité  des  bons  rois. 


NOTICE 


SUR 


LOUISE  LABÉ. 


(Les  notes  marquées  par  des  chiffres  sont  de  M.  CocHARD ,  auteur  de  cette 
Notice  ;  celles  qui  sont  marquées  par  des  astérisques  sont  de  M.  Breghot.) 


Un  sait  combien  le  règne  de  François  I.^^'  fut  favo- 
rable aux.  lettres  :  ce  prince  éminemment  instruit  sentoit 
plus  que  tout  autre  à  quel  point  l'ignorance  est  perni- 
cieuse, et  contribue  au  malbeur  des  liommes  ;  il  en- 
couragea les  études  par  tous  les  moyens  qui  étoient  en 
son  pouvoir,  soit  en  fondant  des  collèges  dans  les  prin- 
cipales villes  du  royaume,  et  en  plaçant  à  la  tête  de 
l'enseignement  public  les  professeurs  les  plus  expéri- 
mentés, soit  en  honorant  de^a  protection  les  savants 
de  tous  les  genres,  et  en  favorisant  d'une  manière  spé- 
ciale les  établissements  utiles.  Il  acquit  par-là  une  gloire 
immortelle,  et  la  postérité  reconnoissante  a  donné  son 
nom  au  siècle  où.  il  vécut. 

Les  femmes  participèrent  à  cette  heureuse  améliora- 
tion ;  leur  éducation  fut  plus  soignée,  plus  étendue, 
plus  libérale  ^  on  ne  se  contenta  pas  de  leur  enseigner 


xxlv  NOTICE 

les  arts  d*agrement,  on  les  initia  de  bonne  heure  dans 
les  mystères  des  sciences  :  les  progrès  qu'elles  y  firent 
prouvent  que  le  penchant  à  la  frivoHtë ,  dont  on  les 
accuse,  est  plutôt  l'effet  des  institutions  que  celui  de 
leur  caractère*. 

Cette  influence  ne  se  fit  peut-être  remarquer  nulle 
part  avec  autant  d'e'clat  que  dans  la  ville  de  Lyon:  on 
y  vit  h  cette  époque  plusieurs  personnes  du.  sexe  obte- 
nir, dans  la  carrière  littéraire,  une  grande  célébrité. 
JVos  annales  ont  conservé  les  noms  de  Catherine  de 
Vauzelles,  de  Louise  Sarrasin,  de  Pernette  du  Guillet, 
de  Claudine  Péronne  ,  de  Jeanne  Creste ,  de  Jeanne 
Gaillarde  **,  qui  se  distinguoient  alors  autant  par  les 
charmes  de  leur  esprit  que  par  la  régularité  de  leur 
conduite,  et  qui  toutes  Jouirent  du  rare  avantage  d'ins- 
pirer aux  meilleures  poètes  du  temps  les  meilleurs  vers 
qu'ils  aient  mis  au  jour. 


*  «le  dis  que  les  masles  et  les  femelles  sont  iectez  en  mesme 
moule;  sauf  l'institution  et  l'usage,  la  différence  n'y  est  pas 
grande.  Platon  appelle  indifféremment  les  uns  et  les  autres  à 
la  société  de  touts  estudes,  exercices,  charges  et  vacations, 
guerrières  et  paisibles,   en  sa  Republique  ;  et  le  philosophe 
Antisthenes  ostoit  toute  distinction  entre  leur  vertu  et  la  nos- 
tre.  Il  est  bien  plus  aisé  d'accuser  l'un  sexe  que  d'excuser 
l'autre.  C'est  ce   qu'on   dict ,   le  fourgon  se  mocque  de  la 
paele.  »  MONTAIGNE,  Essais  (ni,  5). 
**  Ajoutez  à  ces  noms  celui  de  Jacqueline  de  Stuard,  et  ceux 
de  Claudine  et  Sibylle  Sceve,  célébrées,  ainsi  que  Jeanne  Gail- 
larde, par  Clément  Marot.  Voy.  Colonia,  Histoire  littéraire  de 
Lyon  (tome  n,  page  53c)). 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xxv 

Mais  celle  que  sa  réputation  éleva  au-dessus  de  toutes 
les  autres ,  est  Louise  Charly  ou  Cliarlin,  dite  Labé,  sur- 
nomme'e  la  Belle  Cordièrc.  uSupe'rieure  à  la  plupart  des 
«  écrivains  de  son  temps,  elle  l'emportoit  sur  eux  tous 
a  par  le  tour  passionné  et  la  vérité  de  sentiments  qu'elle 
«  savoit  mettre  dans  ses  poésies.  •>•>  Elle  l'emportoit  en- 
core sur  eux  par  la  variété  de  ses  connoissances,  par 
une  profonde  érudition  et  par  une  richesse  d'expres- 
sion qu'on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer  en  lisant  ses 
ouvrages.  Elle  joignit  encore  à  ces  brillants  avantages 
la  beauté  et  les  grâces  naturelles. 

Les  savants  de  son  temps ,  nous  dit  Pernetti ,  char- 
més de  ses  talents  et  de  sa  figure,  se  sont  bornés  à  la 
louer,  sans  daigner  nous  apprendre  ni  sa  naissance,  ni 
sa  famille:  ceux  qui  leur  ont  succédé,  loin  de  s'atta- 
cher à  éclaircir  des  faits  aussi  essentiels,  se  sont  permis, 
au  contraire,  de  répandre  sur  ses  mœurs  une  couleur 
fausse  ou  équivoque,  capable  d'obscurcir  l'éclat  de  ses 
belles  qualités. 

Charles-Joseph  de  Ruolz,  dans  un  discours  lu  a  l'aca- 
démie de  Lyon,  au  mois  d'avril  1746*,  a  bien  vengé 

*  Discours  sur  la  personne  et  les  ouvrages  de  Louise  Labé, 
lyonnoise,  Lyon,  Aymé  Delaroche,  lySo,  in-i3,  de  63  pages. 
Cet  ojîuscule  est  devenu  très-rare.  M.  Delaudine,  dans  son  Ca- 
talogue des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Lyon,  n."*  loSa  et 
1468,  se  trompe  iloublement;  i.**  en  attribuant  le  discours  dont 
il  s'agit  à  J.  P.  (Marie)  de  Ruolz;  2.°  en  donnant  tour  à  tour 
à  ce  même  J.  P.  Marie  et  à  Charles-Joseph  de  Ruolz,  son  fils, 
la  qualité  d'éditeur  des  œuvres  de  Louise  Labé,  qualité  qui 
n'appartient  ni  à  l'un  ni  à  l'autre.  L'édition  dont  veut  parler 


xxvj  IVOTICE 

Louise  Labé  des  traits  lancés  contre  elle  5  mais  il  ne 
nous  a  donné  aucun  détail  biographique  qui  fût  inconnu 
ayant  lui. 

Pernetti  *  est  le  seul  qui  ait  fourni  quelques  particu- 
larités sur  cette  femme  intéressante  :  M.  Besson,  com- 
missaire à  terriers,  de  qui  il  les  tenoit,  les  avoit  pui- 
sées dans  les  archives  de  l'archevêché,  u  Louise  Lahé, 
«  dit-il,  étoit  fille  d'un  nommé  Charly,  dit  Lahé;  En- 
te nemond  Perrin,  son  mari,  marchand  cordier  fort 
a  riche,  possédoit  plusieurs  maisons  à  Lyon,  une,  entre 
u  autres,  située  à  l'angle  de  la  rue  Confort  et  d'une 
a  petite  rue  tendant  à  la  porte  de  Bellecour.  Cette  der- 
u  nière  rue  fut  ouverte  alors,  et  prit  dans  la  suite  le 
«  Tîioiaàe  Belle  Cordlère^  qui  étoit  le  surnom  de  Louise 
à  Lahé.  Ennemond  Perrin  étoit  mort  en  i565,  après 
<■<:  avoir  fait  sa  femme  son  héritière  universelle  :  il  lui 
<;<  avoit  substitué  Jacques  et  Pierre  Perrin,  ses  neveux, 

M.  Delandine,  est  de  1762;  or,  J.  P.  Marie  de  Ruolz  e'toit  mort 
depuis  1726,  et  Charles-Joseph  se  noya  avec  sa  femme  et  son 
frère,  en  traversant  la  rivière  d'Ain,  le  10  juillet  1756.  On  con- 
cevra d'autant  plus  difficilement  l'erreur  du  savant  hibliothé- 
caire,  qu'il  indique  lui-même  ailleurs,  comme  nous  le  verrons 
plus  bas,  les  Lyonnois  qui  publièrent  l'édition  de  1762,  et  que, 
parmi  eux,  il  ne  mentionne  aucun  des  membres  de  la  famille 
de  Ruolz. 

*  Recherches  pour  servir  à  l'histoire  de  Lyon,  ou  les  Lyon- 
nois dignes  de  mémoire,  Lyon,  frères Duplain,  1767,  2  vol.in-12 
(tome  I,  page  348).  En  citant  le  texte  de  cet  ouvrage,  M.  Co- 
chard  y  a  fait  quelques  changements  qui  ne  touchent  point  au. 
sens. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xxvij 

<,<.  fils  de  François  Perrin ,  et ,  à  leur  défaut ,  THôtel- 
«  Dieu.  Louise  Labé  étoit  morte  au  mois  de  mars  i566. 
<6  Jacques  et  Pierre  Perrin,  héritiers  substitués,  étant 
«  aussi  morts  sans  enfants .  l'HAtel-Dieu  entra  aussitôt  en 
(.<.  possession  des  biens  d'Ennemond  Perrin.  La  maison, 
«  d'abord  vendue  à  noble  homme  *,  conseiller  au  par- 
ce lement  de  Grenoble ,  passa  ensuite  dans  les  mains  du 
(.(.  sieur  de  Courtine,  écuyer,  et,  après  lui,  dans  celles 
«  du  sieur  Dupré,  négociant.  ??  Ces  renseignements, 
inexacts  sur  quelques  points,  sont  précieux  à  recueillir 
sur  tous  les  autres. 

Le  désir  de  rendre  à  la  mémoire  d'vine  femme  qui  a 
honoré  son  siècle  et  sa  patrie,  le  tribut  d'éloge  qui  lui 
est  dû,  m*a  porté  à  faire  quelques  recherches  ;  je  suis 
parvenu  à  me  procurer  le  testament  de  Louise  Labé, 
et  plusieurs  autres  documents  qui  me  permettront  de 
donner  sur  sa  vie  des  détails  ignorés  jusqu'à  ce  jour  par 
toMS  les  auteurs  qui  ont  parlé  d'elle. 

Loyse  Charlin  ^ ,  dite  Labé  **  (ainsi  nommée  dans  son 

*  Pernetti  ou  sou  imprimeur  ont  omis  en  cet  endroit  le  nom 
du  conseiller  avi  parlement  de  Grenoble,  qui  y  est  désigne'.  Ce 
conseiller  se  nommoit  Berthier,  comme  on  le  verra  plus  bas. 

^  A  la  tête  de  l'édition  de  ses  œuvres,  publiée  en  1762,  elle 
est  nommée  Charly^  dans  son  testament  Charlin^  et  dans  divers 
actes  Charlieu, 

**  LaMonnoye,  Glossaire  bourguignon,  v."  Ein're ,  observe 
que  c'est  ainsi  que  ce  nom  doit  être  écrit,  et  non  VAhé,  VAbbé  ou 
Lahe ;  et  il  ajoute:  «  Bayle,  qui  a  écrit  Labe,  a  été  trompé  par 
«  l'orthographe  d'Antoine  du  Vcrdier,  lequel  n'accntuoit  pas  les 
«  é  fermés  lorsque  les  lettres  étoient  capitales,  écrivant  Aivdre 


xxviij  NOTICE 

testament),  naquit  à  Lyon  vers  Tan  i525  ou  iSsG  ^. 
Elle  eut  pour  père  Pierre  Gharlin  ou  Gharlieu,  dit  Labé, 
marchand  cordier.  Le  nom  de  sa  mère  est  inconnu.  Le 
genre  de  commerce  qu'avoit  embrassé  Pierre  Gharlin , 

«  et  René  pour  André  et  René  ,  Anne  d'Urfe  pour  Anne 
«  d'UrfÉ,  et  ainsi  du  reste,  ce  qu'il  est  bon  d'observer  pour 
«  éviter  les  me'prises.  »Une  chose  de'cisive,  c'est  qu'on  litLABÉ, 
avec  un  è  fermé,  à  la  tête  des  trois  éditions  des  œuvres  de  la 
Belle  Cordière,  publiées  sous  ses  yeux.  Quant  aux  deux  è,  que 
plusieurs  auteurs  mettent  à  ce  nom,  ils  doivent  être  rejetés  par 
le  même  motif.  Cependant,  comme  dans  le  système  d'ortho- 
graphe suivi  dans  les  éditions  dont  je  viens  de  parler,  on  retran- 
choit  souvent  les  lettres  doubles,  il  se  pourroit  que  la  véritable 
manière  d'écrire  ce  nom  fut  Lahhé,  A  cette  époque,  le  lyonnois 
Loys  Maigret  ou  Meigret,  et  Pellelier  ou  Peletier  du  Mans  fai- 
soient  de  grands  efforts  pour  réformer  l'orthographe  françoise, 
et  le  goût  d'innovation  qu'ils  avoient  mis  sur  ce  point  à  la  mode, 
n'épargnoit  pas  même  les  noms  propres. 

*  L'élégie  III  de  notre  savante  Lyonnoise   détermine  cette 
époque  : 

le  n'auois  vu  (dit-elle)  encore  seize  Hiuers , 
Lors  que  i'entray  en  ces  ennuis  diuers  ; 
Et  ià  voici  le  treizième  esté 
Que  mon  cœur  fut  par  Amour  arresté. 

Elle  écrivoit  en  i555,  et  avoit  alors  29  ans.  Ceci  place  donc 
naturellement  sa  naissance  à  l'année  iSaS  ou  iSsô,  et  le  com- 
Hiencement  de  ses  amours,  à  l'année  i542.  IJn  acte  de  1624 
m'apprend  que  Gharlieu  étoit  veuf  d'Étiennette  Deschamps, 
aZm,f  Compagnon,  qu'il  en  avoit  eu  trois  fils,  Barthélémy,  Fran- 
çois et  Matthieu.  Ainsi  Louise  n'est  née  que  postérieurement 
et  d'un  second  mariasse. 


SUR  LOUISE  LABE.  xxix 

etoit  alors  moins  resti^eint  qu'il  ne  l'est  aujourd'hui  : 
il  s'etentloit  à  la  fourniture  des  cables  et  des  autres  cor- 
dages nécessaires  au  service  de  la  navigation,  tant  sur 
la  Me'diterranée  que  sur  les  rivières  et  les  fleuves  qui 
j  ont  leur  embouchure.  La  proximité  où  se  trouve  cette 
ville,  de  la  Bourgogne,  de  la  Bresse  et  du  Dauphiné, 
qui  produisoient  en  abondance  du  chanvre  de  la  plus 
belle  espèce,  le  grand  nombre  de  marchands  cannebas- 
siers  qui  habitoient  Lyon,  l'industrie  de  ses  habitants 
qui  les  portoit  à  exploiter  tous  les  arts  utiles,  et  la  fa- 
cilité de  communiquer  avec  Marseille,  rendent  cette 
conjecture  extrêmement  probable^  mais  ce  qui  lèveroit 
tous  les  doutes  h  cet  égard,  s'il  en  restoit  encore,  c'est 
que  plusieurs  familles  des  plus  distinguées  exerçoient 
ce  genre  de  négoce  ^. 

Deux  actes  de  reconnoissance ,  consentis  en  i553  et 
i555  par  Pierre  Charlin  ou  Charlieu,  dit  Labé,  en  fa- 
veur de  l'abbaye  de  St.  Pierre ,  nous  apprennent  que  ce 
particulier  étoit  propriétaire  d'une  grande  maison  dans 
la  rue  de  l'Arbre-Sec  et  d'une  terre  de  huit  bicherées, 
dans  laquelle  il  avoit  fait  construire  une  maison,  située 
au  territoire  de  la  Gella,  sur  la  côte  de  la  Déserte  ou  de 
St.  Vincent  j  terre  qui  a  ensuite  fait  partie  de  l'enclos 
des  religieuses  carmélites. 

Honnête  homme ^  François  Charlieu,  dit  Labé,  mar- 

3  Estieime  et  Hugouin  de  Cuchermois,  famille  qui  a  fourni 
plusieurs  conseillers  de  ville  à  Lyon,  étoient  aussi  marchands 
cordiers  ;  ils  possedoient  dans  la  rue  de  l'Arrbe-Sec  une  maison 
et  un  jardin  joignant  la  maison  de  Pierre  Charlieu. 


XXX  NOTICE 

chantl  cordier,  fils  et  héritier  de  Pierre,  reconnut  ces 
mêmes  immeubles  le  21  juin  i555. 

Ces  titres  justifient  que  le  père  et  le  frère  de  Louise 
Labé  avoient  une  très  grande  aisance,  puisque,  indé- 
pendamment des  capitaux  employés  dans  leur  com- 
merce, ils  possédoient  dans  la  ville,  comme  nous  venons 
de  le  voir,  deux  immeubles  d'une  valeur  considérable. 

Les  heureuses  dispositions  que  Louise  manifesta  pour 
l'étude,  au  sortir  de  l'enfance,  déterminèrent  son  père 
à  lui  donner  l'éducation  la  plus  soignée  ^  il  lui  procura 
les  meilleurs  maîtres,  et  elle  fit  bientôt  dans  les  sciences 
les  progrès  les  plus  rapides.  Elle  trace  elle-même,  dans 
sa  III. ^  élégie,  le  tableau  fidèle  des  occupations  de  sa 
jeunesse  : 

Lors  qu'exercoi  mon  corps  et  mon  esprit 

En  mile  et  mile  euures  ingénieuses,  etc.,  page  82. 

Ainsi  que  la  broderie,  qu'elle  appelle  si  bien  au  même 
endroit  l'art  de  peindre  auec  Vesguille^  la  musique  étoit 
un  de  ses  plus  agréables  délassements  : 

Louise  ha  voix  que  la  musique  auoue, 
Louise  ha  main  qui  tant  bien  au  luth  joue.  * 

Mais  les  arts  d'agrément  ne  suffisoient  point  à  une  ame 
aussi  active  :  tout  ce  qui  servoit  à  orner  l'esprit,  à  éclai- 
rer la  raison,  à  rectifier  le  jugement,  étoit  de  son  res- 
sort. Histoire,  fable,  poésie,  éloquence,  rien  ne  lui 

*  Page  11 3.  Elle  dit  elle-même  dans  son  e'pitre  dédicatoire  à 
Clémence  de  Bourges  (page  1),  qu'elle  avoit  «passé  partie  de 
«  sa  jeunesse  à  l'exercice  de  la  musique.  » 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xxxj 

sembloit  étranger,  u  Elle  estoit,  dit  un  auteur  contem- 
u  porain  *,  instituée  en  langue  latine  dessus  et  outre 
u  la  capacité  de  son  sexe.  9?  Elle  écrivoiten  italien,  en 
espagnol,  avec  autant  de  facilité  que  dans  sa  propre 
langue,  et  réunissoit  ainsi  au  don  de  la  beauté  tout  ce 
qui  peut  contribuer  au  charme  de  la  vie. 

Avide  de  tous  les  genres  de  gloire,  Louise  ambitionna 
même  celle  que  donne  la  valeur.  François  l.^'^  ayant 
résolu  de  faire  la  guerre  à  Charles  -  Quint ,  envoya  le 
Dauphin,  en  i542,  à  la  tête  d'une  armée,  mettre  le 
siège  devant  Perpignan ,  capitale  du  Iloussillon.  Une 
partie  des  troupes  destinées  à  cette  expédition,  passa 
dans  notre  ville.  Notre  jeune  héroïne  ne  put  les  voir 
sans  éprouver  un  vif  désir  d'aller  partager  leurs  périls. 
Elle  avoit  alors  à  peine  seize  ans  5  mais  l'ardeur  qui 
l'animoit  lui  fit  braver  tous  les  obstacles  j  elle  partit,  et 
concourut  à  toutes  les  opérations  de  cette  entreprise 
mémorable.  Perpignan  étoit  défendu  par  Ferdinand  de 
Tolède,  duc  d'Albe.  Le  siège  ne  fut  pas  heureux:  on  le 
leva  après  trois  mois  d'efforts  inutiles.  Cependant  cet 
éA^énement  devint  pour  Louise  une  occasion  de  mon- 
trer son  courage  :  on  peut  en  juger  par  les  vers  sui- 
vants qu'un  poète  contemporain  publia  à  sa  louange; 

Louïze  ainsi  furieuse 

En  laissant  les  habiz  mois,  etc.,  page  i36. 

Le  poète  peint  ensuite ,  avec  la  même  vérité,  l'adresse 

*  Guillaume  Paradin,  me'm.  sur  l'histoire  de  Lyon,  livre  Iir, 
çhap.  29. 


xxxij  NOTICE 

de  notre  jeune  Lyonnoise  h  manier  les  armes,  à  gou- 
verner un  cheval,  et  sa  contenance  martiale  clans  ces 
divers  exercices  ^  il  va  jusqu'à  dire  : 

Eir  sembloit  parmi  l'armée 

Un  Achile  ou  un  Hector,  pages  i36  et  lùj. 

Un  courage  si  extraordinaire  dans  une  personne  de 
son  sexe  et  d'un  âge  si  tendre,  lui  fit  donner,  par  les 
gentilshommes  qui  avoient  accès  auprès  d'elle,  le  sur- 
nom de  Capitaine  Lof  s. 

Mais  quel  motif  avoit  pu  porter  Louise  Labe  à  pren- 
dre un  parti  si  aventureux?  Ce  ne  pouvoit  être  l'amour, 
puisqu'elle  -  même  nous  apprend  qu'elle  ne  le  connut 
qu'après  cette  expédition.  Ce  dieu,  dit-elle  (élégie  lll), 

ne  put  longuement  voir 
Mon  cœur  n'aymant  que  Mars  et  le  sauoir. 

Il  n'y  a  donc  que  le  seul  désir  de  s'illustrer  dans  une 
nouvelle  carrière  qui  ait  pu  l'entraîner  à  cette  démar- 
che :  elle  ne  s'y  détermina  sans  doute  qu'avec  l'appro- 
bation de  sa  famille*,  peut-être  même  son  frère  avoit-il 
suivi  l'armée  par  suite  de  quelques  spéculations  de  com- 
merce, et  l'avoit-il  engagée  à  l'accompagner*:  car, 
autrement,  comment  supposer  qu'une  jeune  fille  de 
seize  ans,  bien  élevée,  eût  pu  se  soustraire  à  la  vigi- 

*  Dans  les  Recherches  sur  la  vie  de  Louise  Labé,  placées  à 
la  tète  de  l'édition  de  ses  œuvres,  publiée  en  1762,  on  conjec- 
ture (page  viij)  que  son  père  l'accompagna  au  siège  de  Perpi- 
«^nan,  et  qu'il  posscdoit  dans  l'armée  quelque  emploi  utile. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xxxlij 

lance  paternelle,  se  procurer  des  armes,  un  clieval  et 
tout  ce  qui  lui  ëtoit  nécessaire  pour  exécuter  un  sem- 
blable dessein?  Gomment  auroit-elle  garanti  son  inno- 
cence des  pièges  qu'elle  eût  sans  cesse  rencontrés,  en 
vivant  au  milieu  des  camps,  si  elle  eût  été  sans  appui, 
sans  guide,  sans  conseil?...  Ce  qui  prouve  que  son  ac- 
tion ne  doit  pas  é!re  jugée  d'une  manière  défavorable, 
c'est  que  ses  contemporains  y  applaudirent,  que  les 
chefs  de  Tarmée  lui  marquèrent  de  la  considération, 
qu'elle  continua,  à  son  retour,  de  vivre  avec  les  siens 
comme  auparavant,  que  sa  réputation  n'en  souffrit 
point,  et  que  la  malignité  n'y  trouva  aucune  prise.  » 
Ce  fut  peu  de  temps  après  cette  expédition,  que 
Louise,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  commença  à  res- 
sentir les  premières  atteintes  de  Tamour,  et  qu'elle  en 
éprouva  quelques  rigueurs  :  l'absence  de  celui  qu'elle 
aimoit,  lui  inspira  les  vers  les  plus  touchants,  les  plus 
empreints  d'une  vive  sensibilité. 

lamais  femme  ne  t'aymera, 

Ne  plus  que  moy  d'amour  te  portera.  (Élégie  ir,  p.  79.) 

Cet  amant  faisoit  sans  doute  partie  de  l'armée  que 
la  France  avoit  en  Italie  *5  car,  dans  la  même  élégie, 
elle  s'exprime  ainsi  ; 

Or'  que  tu  es  auprès  de  ce  rîuage 

Du  Pau  cornu,  peut  estre  ton  courage 

S'est  embrasé  d'une  nouuelle  fiame.  (Pages  77  et  yS.) 

'*^  Il  paroît,  en  effet,  certain  que  l'amant  de  Louise  Labé 
étoit  un  homme  de  guerre.  Un  des  poètes  qui  ont  chanté  ses 

iij 


xxxlv  NOTICE 

Quoi  qu'il  en  soit,  Louise  fut  constante  clans  son  incli- 
nation ; 

....  là  voiry  (dit-elle)  le  treizième  Esté 

Que  mon  cœur  fut  par  Amour  arresté.  (Éle'gie  III,  p.  83.) 

Ailleurs  elle  lui  donne  la  plus  grande  preuve  de  sa  ten- 
dresse, eu  lui  disant: 

Maints  grans  Signeurs  à  mon  amour  prétendent,  etc. 

Tu  es  tout  seul,  tout  mon  mal  et  mon  bien, 

Auec  toy  tout,  et  sans  toy  ie  n'ay  rien.  (Elégie  IJ,  p.  80.) 

Il  n'est  point  étonnant  que  les  plus  grands  seigneurs 
recliercliassent  avec  empressement  une  femme  qui  rëu- 
nissoit  de  si  rares  qualités,  et  qu'ils  missent  en  usage 
tous  les  moyens  de  lui  plaire.  C'est  un  des  droits  de  la 
J)eauté  de  commander  aux  plus  superbes,  et  lorsqu'à 
ce  don  de  la  nature  se  trouvent  joints  le  savoir,  les  ta- 
lents et  la  vertu,  son  empire  ne  connoît  plus  de  bornes. 

louanges,  suppose  que  Vénus  lui  apparut  et  lui  dit  entre  autres 

choses  : 

Car  ia  desia  il  (l'Amour)  te  darde 

Son  tret  âpre  et  rigoureus  : 

Dont  il  t'abatra  par  terre. 

Rendant  d'un  homme  de  guerre 

Ton  tendre  cœur  amoureus.  (Page  i49.^ 

La  même  pièce  nous  apprend  encore  qu'elle  avoit  eu  parmi  ses 
adorateurs  un  -vieil poète  rommain,  et  qu'elle  s'étoit  montrée  in- 
sensible à  son  amour;  que  ce  -vieil poëte  rommain  n'existoit  plus 
alors,  et  qu'il  étoit  mort  en  Espagne.  Voy.  la  ii5.^  note  sur 
les  œuvres  de  Louise  Labé. 


SUR  LOUISE  LABE.  xxxv 

Les  poètes  les  plus  renommés  du  temps  s'empressèrent 
aussi  d'offrir  leurs  hommages  h  notre  aimable  Lyon- 
noise. 

L'un  vante  l'étendue  de  ses  connoissances,  un  autre 
la  compare  aux  cieux ,  un  troisième  veut  en  faire  la 
dixième  Muse,  un  quatrième  trouve  dans  son  nom  l'a- 
naejramme  de  Belle  A  S0Y%  un  autre  fait  la  description 
de  tous  les  charmes  répandus  sur  sa  personne  ^  mais 
aucun  ne  laisse  planer  le  moindre  soupçon  sur  la  ré- 
gularité de  sa  conduite,  sur  la  pureté  de  ses  mœurs, 

*0n  trouve  clans  Belle  A  SOY  toutes  les  lettres  des  mots  LOYSE 
LabÉ.  Les  anagrammes  etoient  alors  à  la  mode.  Chaque  auteur 
avoit  la  sienne  qu'il  placoit  ordinairement  au  bas  de  ses  ouvra- 
ges, et  qui  lui  servoit,  en  quelque  sorte,  de  signature.  Ce  sont 
peut-être  des  anagrammes  que  ces  devises.  Non  sï  non  la 
(page  io5  de  ce  volume),  Devojr  de  voir  (page  io8),  D'im- 
mortel ZELE  (page  no),  mises  à  la  sui(e  de  quatre  des  pièces 
faites  à  la  louange  de  Louise  Labé.  Je  n'ai  pu  découvrir  les 
noms  d'où  elles  étoient  tirées  ,  moins  heureux  dans  cette  re- 
cherche que  ne  l'a  été  M.  Pericaud  aînë  dans  une  recherche 
semblable.  Il  a  trouvé  dans  cette  devise  BONTÉ  n'y  CROJst,  qui 
accompagne  l'Avis  au  lecteur  du  Formulaire  récréatif  de  Bredin 
le  Cocu,  le  nom,  resté  inconnu  jusqu'à  ce  jour,  de  l'auteur  de 
ce  livre  curieux,  imprimé  pour  la  première  fois  à  Lyon,  chez 
Rigaud,  en  i594,  in-i6.  Ce  nom  est  celui  de  Benoist  Troncyou 
du  Troncy,  contrôleur  du  domaine  du  roi  et  secrétaire  de  la 
ville  de  Lyon,  connu  par  d'autres  ouvrages.  M.  Pericaud  a  fait 
de  cette  découverte  le  sujet  d'une  petite  dissertation  ou  Notice 
(Lyon,  Brunet,  1821,  in-8.°)  que  M.  Barbier  s'est  empressé 
d'insérer  dans  la  seconde  édition  de  son  Dictionnaire  des  Ano- 
nymes, n.°  681 3. 


xxxvj  NOTICE 

On  ne  se  contenta  pas  de  faire  Tëloge  de  ses  clieTeiiî: 
d'un  blond  doré,  de  la  rose  qui  coloroit  le  Ijs  de  son 
teint,  de  la  douce  gravite  de  son  front,  de  sa  bouche 
coralline,  de  ses  yeux,  qui  serrèrent  mainte  âme  en  pri- 
son, de  sa  grâce  à  chanter,  baller  et  sonner,  de  sa 
grand'beautë  qui  tenoit  tout  en  son  pouvoir  5  on  termi- 
noit  cette  riche  esquisse  par  les  traits  suivants  : 

Ici  le  Ciel  libéral  me  fait  voir 

En  leur  parfait,  grâce,  honneur,  et  sauoir, 

Et  de  vertu  le  rare  te'moignage.  (Page  106.) 

Paradin,  qui  publia  son  histoire  de  Lyon  six  ans  après 
la  mort  de  Louise  Labé  *,  fait  ainsi  le  portrait  de  cette 
belle  :  uCeste  auoit  la  face  plus  angelique  qu'humaine: 
(6  mais  ce  n'estoit  rien  a  la  comparaison  de  son  esprit 
u  tant  chaste,  tant  vertueux,  tant  poétique,  tant  rare 
<i  en  sçauoir,  qu'il  sembloit  qu'il  eust  esté  créé  de  Dieu 
<i  pour  estre  admiré  comme  un  grand  prodige  entre  les 
a  humains.  ??  Et  après  avoir  fait  l'énumération  de  ses 
ouvrages,  il  ajoute:  «;  Et  ne  s'est  ceste  nymphe  seule- 
ii  ment  fiùie  cognoistre  par  ses  escrits,  ainçois  par  sa 
«  grande  chasteté  **.  ?;> 

*  Les  Mémoires  de  l'histoire  de  Lyon,  en  trois  livres,  par 
Guillaume  Paradin,  parurent  à  Lyon,  chez  Antoine  Gryphius, 
eu  15/3,  in-fol. 

**^  Livre  m,  chap.  29.  «<  Cet  écrivain  ecclésiastique,  distin- 
«  gué  par  sa  place  et  par  son  mérite,  si  plein  de  mœurs  lui- 
«  même,  auroit-il  fait  cet  éloge  d'une  personne  dont  la  répu- 
«  tatiou  eût  souffert  quelque  atteinte ,  lui  qui  d'ailleurs  écrivoit 
<*  sous  les  yeux  et  par  les  conseils  d'un  magistrat,  l'un  des  plus 


SUR  LOUISE  LARÉ.  xxxvij 

Du  Verdler,  qui  a  écrit  long -temps  après  *,  est  le 
premier  qui  ait  ose  révoquer  en  doute  la  sagesse  de 
Louise  Labe,  et  nous  représenter  cette  femme  célèbre 
comme  une  courtisane  éliontée  **.  Rubys  qui,   dans 

«  i-ecommandalDles  que  nous  pussions  alors:  c'etoitM.  de  Langf, 
«  cet  homme  si  respecté  dans  cts  provinces,  et  qui  à  un  pareil 
«  égard  eût  exigé  de  l'auteur  un  judicieux  silence.  »  De  Ruolz, 
Discours  sur  Louise  Labé,  pag.  18-19. 

*  Environ  onze  ans  après  Paradin  ;  car  la  Bibliothèque 
françoisc  d'Antoine  du  Verdier  fut  publiée  à  Lyon,  en  i584# 
in  -  fol. 

**  Voici  les  propres  termes  de  du  Verdier,  Bibliothèque  fran- 
çoise  (art.  Loyse  Labé)  :  «  Loysc  Labé,  courtisane  lyonnoise 
«  (autrement  nommée  la  Belle  Cordière,  pour  estre  mariée  à  un 
«  bonhomme  de  cordier),  piquoit  fort  bien  un  cheual,  à  raison 
«  de  quoy  les  gentilshommes  qui  auoient  accez  à  elle ,  l'appel- 
«  loyent  le  Capitaine  Loys,  femme,  au  demeurant,  de  bon  et 
c<  gaillard  esprit  et  de  médiocre  beauté  ;  recevoit  gracieusement 
«  en  sa  maison  seigneurs,  gentilshommes  et  autres  personnes 
«  de  mérite ,  avec  entretien  de  deuis  et  discours  ;  musique  tant 
«  à  la  voix  qu'aux  instruments  ou  elle  estoit  fort  duicte,  lec- 
«  tare  de  bons  livres  Latins  et  vulgaires,  Italiens  et  Espagnols, 
«  dont  son  cabinet  estoit  copieusement  garni,  collation  d^ex- 
«  quises  confitures  ;  enfin  leur  communiquoit  priuement  les 
«  pièces  plus  secrettes  qu'elle  eust,  et,  pour  dire  en  un  mot^ 
«  faisoit  part  de  son  corps  à  ceux  qui  foncoyent:  non  toutes- 
«  fois  à  tous,  et  nullement  à  gens  mechaniques  et  de  vile  con- 
«  dition,  quelque  argent  que  ceux  là  lui  eussent  voulu  donner, 
«  Elle  ayma  les  sçauans  hommes  sur  tous,  les  fduorisant  de 
«  telle  sorte  que  ceux  de  sa  cognoissance  avoient  la  meilleure 
«  part  en  sa  bonne  grâce,  et  les  eust  préférés  à  quelconque  grand 
tu  seigneur,  et  fait  courtoisie  à  l'un  plustost  gratis,  qu'à  l'autr© 


xxxviij  NOTICE 

toutes  les  occasions,  s'est  plu  à  contredire  Paradin,  a 
saisi  avec  avidité  l'opinion  de  du  Verdier,  comme  un 

"  pour  grand  ndmbre  d'escus  :  qui  est  contre  la  cousturae  de 
«  celles  de  son  mestier  et  qualit'f.  Ce  n'est  pas  pour  estre  cour- 
«  tisane  que  je  luy  donne  place  en  cesle  bibliothèque  ,  mais 
e<  seulement  pour  avoir  escrit,  etc.  »  Bayle  a  adopté  sans  exa- 
men le  te'moignage  de  du  Verdicr,  et  dans  son  Dictionnaire 
art.  Labe  (Loyse) ,  il  dit  de  notre  Lyonnoise  :  «  Elle  ne  res- 
«  scmbloit  pas  en  toutes  choses  aux  courtisanes  ;  car  si  d'un 
«  côté  elle  avoit  de  leur  humeur,  en  ce  qu'elle  vouloit  être  bien 
«  payée  de  ses  faveurs,  elle  avoit  de  l'autre  certains  égards 
«  qu'elles  n'ont  pas  pour  les  hommes  doctes  ;  car  elle  leur 
«  donnoit  la  pas.sade  gratuitement.  »  Dans  ses  remarques  sur  le 
même  article,  après  avoir  cité  du  Verdier,  il  ajoute  :  «  Dé- 
«  mosthène  eut  été  bien  aise  que  la  courtisane  Laïs  eAt  res- 
«  semblé  à  cette  autre  (Louise  Labé);  il  n'auroit  pas  fait  le 
«  voyage  de  Corinthe  inutilement^  ni  éprouvé, 

Qu'à  tels  festins  un  auteui*  comme  un  sot 
A  prix  d'argent  doit  payer  son  écot. 

«  Cette  femme  faisoit  en  même  temps  déshonneur  aux  lettres, 
«  et  honn-nir  :  elle  les  déshonoroit ,  puisqu'étant  auteur,  elle 
«  mcnoit  une  vie  de  courtisane,  et  elle  les  honoroit,  puisque 
«<  les  savants  étoient  mieux  reçus  chez  elle  sans  rien  payer,  que 
«  les  ignorants  prêts  à  lui  compter  une  bonne  somme.  » 

Bayle  est  un  des  écrivains  qu'on  lit  et  qu'on  copie  le  plus  : 
aussi  le  jugement  qu'il  porte  sur  les  mœurs  de  Louise  Labé 
a-t-il  été  répété  par  une  foule  d'auteurs.  Ce  jugement  n'est  ce- 
pendant fondé  que  sur  l'assertion  de  du  Vcrdier  et  de  Rubys 
qui  en  a  aussi  imposé  au  P.  d  Co'onia,  puisqu'aprcs  avoir 
transcrit  l'ode  de  Jacques  Peletier  à  la  louange  de  Lyon  et  de 
la  Belle  Cordière,  il  continue  ainsi:  «  Mais  il  nous  faudra  bien 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xxxix 

moyen  de  satisPaire  son  humeur  satirique*.  Mais  quelle 
foi  peut-on  ajouter  à  leurs  assertions,  lorsque  rien  n'en 

«  rabattre  de  tous  ces  magnifiques  éloges,  et  surtout  de  la  pein- 
«  ture  que  Paradin  nous  a  faite  de  sa  vertu,  si  ce  qu'en  disent 
«<  du  Verdier  et  de  Rubys  se  trouve  véritable.  Ils  prétendent, 
«  et  ce  n'est  pas,  à  mon  avis,  sans  apparence  de  vérité,  que 
«  Louise  Labé  avoit  gâté  ses  heureux  talens  par  un  libertinage 
«  de  mœurs,  qui  n'étoit  pas  moins  condamnable  que  celui  des 
«  Phryués  et  des  Laïs ,  quoiqu'il  fut  beaucoup  plus  rafiné.  » 
Histoire  littéraire  de  Lyon  (tome  II,  page  545  et  546).  C'est 
d'après  ces  autorités  qu'on  représente  communément  Louise 
Labé  comme  la  Léontium  ou  la  Ninon  de  l'Enclos  de  son  siècle, 
et  qu'on  a  fait  sur  elle  un  distique  latin  et  un  quatrain  francois 
rapportés  par  La  Monnoye  (Notes  sur  la  Bibliothèque  de  La 
Croix  du  Maine).  De  ces  deux  pièces,  qui  sont  peut-être  de  ce 
savant  philologue  lui-même,  je  placerai  ici  la  première,  parce 
que  le  latin  brave  l'honnêteté  j  mais  je  ne  transcrirai  pas  la  se- 
conde :  c'est  déjà  bien  assez  d'avoir  copié  les  passages  qu'on  a 
vus  ci-dessus,  et  que  j'aurois  volontiers  supprimés,  si  je  n'avois 
pensé  que  l'exactitude  et  la  fidélité  qu'on  a  droit  d'exiger  d'un 
historien  ou  d'un  biographe,  faisoient  un  devoir  de  ne  pas  les 
omettre  : 

Môsse  animos  fertur  gallis  cantata  Labsea 
Vatibiis  :  at  movlt  doctius  illa  nates. 

Paradin,  écrivain  respectable,  contemporain  de  Louise  Labé 
et  témoin  oculaire  de  sa  conduite,  et  les  poètes  qui  l'ont  célé- 
brée de  son  vivant  et  publiquement,  doivent  l'emporter,  comme 
le  prouve  fort  bien  M.  Cochard,  sur  du  Verdier,  dont,  après 
tout,  le  témoignage  est  unique,  Rubys  et  les  autres  n'étant  que 
ses  échos. 

*  «  Et  de  fait  que  Paradin  aye  esté  de  ces  gens  qui  croyent 
«  et  escriuent  legierement,  je  le  pourrois  vérifier  par  le  récit 


xl  NOTICE 

démontre  la  Te'rité,  qu'ils  ne  citent  aucun  fait,  et  ne 
s'appuyent  d'aucune  autorité  tjui  puisse  seulement  les 

«<  de  plusieurs  discours  fabuleux,  qu'il  a  employez  et  affirmez 
«  pour  véritables  daus  ses  escrils;  ra.ais  je  me  contenteray  d'un 
«  seul  qui  est  dans  son  Histoire  de  Lyon.  C'est  là  ou  il  célèbre 
«  le  loz  de  ces  insignes  courtisanes ,  qui  furent  de  son  temps  à 
«  Lyon.  L'une  desquelles  fut  Pernette  du  Guillet;....  l'autre 
«  Loyse  Labé  ,  renommée  non- seulement  à  Lyon,  mais  par 
«  toute  la  France,  soubs  le  nom  de  la  Belle  Cordiere,  pour  l'une 
«  des  plus  insignes  courtisanes  de  son  temps  ;  et  cependant  il 
«  les  qualifie  deux  mirouers  de  chasteté  ,  et  deux  parangons  de 
«  vertu.  Que  si  le  bon  homme  s'est  laissé  ainsi  lourdement 
«  abuser  en  chose  aduenuë  de  son  temps  à  Lyon,  ou  il  estoit 
«  tous  les  jours,  à  peine  adjoustera-t-on  foi  à  ce  qu'il  escrit  des 
«  siècles  passez.  »  Histoire  véritable  de  Lyon  ,  par  Claude  de 
Rubys,  Lyon,  Nugo,  iGo4,  in-fol.',  page  2  de  l 'Avant-propos 
aux  prevost  des  marchands  et  eschevins. 

J'ai  oublié  de  compter  parmi  les  détracteurs  de  Louise  Labé  le 
trop  célèbre  Calvin,  qui,  dans  un  de  ses  pamphlets  furibonds, 
la  traite,  en  passant,  delà  manière  la  plus  outragcuse.  Ce  pam- 
phlet est  celui  qu'il  dirigea,  en  i56o,  contre  Gabriel  de  Saco- 
nay,  comte  et  précentcur  de  l'église  de  Lyon,  sous  ce  titre: 
Gratulatio  ad  venerabllem  presbyterum  Dominum  Gabrielem 
de  Saconay,  praecentorem  ecclesiœ  lugdunensis,  de  pulchra  et 
çleganti  Prœfatione  quam  libro  Régis  Angliœ  inscripsit.  Voy. 
pages  021  -33o  du  tome  viii  de  ses  œuvres,  Amsterdam,  1667, 
9  vol.  in-fol.  Après  avoir  accumulé,  en  termes  grossiers,  les 
imputations  les  plus  fausses  et  les  plus  atroces  contre  les  mœurs 
de  l'ecclésiastique  lyonnois,  après  l'avoir  dépeint  comme  un 
des  hommes  les  plus  corrompus  et  les  plus  corrupteurs  de  son 
temps,  et  représenté  sa  maison  comme  un  lieu  de  débauche, 
ouvert  à  tout  ce  que  Lyon  renfermoit  de  libertins  et  de  femmes 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xlj 

rendre  probables?  Les  auteurs  contemporains  ne  sont- 
ils  pas  plus  dignes  de  notre  confiance?  Paradin  n'est 

perdues,  il  continue  ainsi:  «  Qna  etiara  flducia  transsutstan- 
«  tiationem  ?ecure  ac  plenis  buccis  asserere  audeas,  nescio, 
«<  nisi  forte  quia  tibi  peraeque  facilis  vidctur  transmutatio  panis 
«  in  corpus,  ac  metamorphosis  mulieris  in  virum.  Hoc  enim 
«  suavitatis  geneie  convivas  tuos  oblectas,  dum  mulieres  virili 
«  habitu  ad  mensam  inducis.  Hune  ludum  quam  stepc  tibi  prœ- 
«  buit  plebeia  meretrix,  quara  partim  à  propria  Acnuslate,  par- 
«<  tim  ab  opifîcio  mariti  Bellam  Corderiam  vocabant!»  Ce  mau- 
vais latin  est  aise' à  comprendre,  et  je  crois  inutile  de  citer  la  tra- 
duction francoise  de  la  pièce  où  il  est  contenu  ,  traduction  qu'on 
trouve,  pages  i822-i85o  du  volume  mis  au  jour  par  Théodore  de 
Beze,  et  intitule',  R.cueil  des  opuscules,  c'est-à-dire  :  Petits  traic- 
tez  de  M.  Jean  Caluin  ,  les  uns  reuuz  et  corrigez  sur  le  latin  ,  les 
autres  translatez  nouuellement  de  latin  en  fi  ançois,  Genève,  Bap- 
tiste Pinereul ,  i566,  in-fol.  D'ailleurs,  dans  cette  traduction , 
plebeia  meretrix  est  rendu  par  un  mot  dont  l'indécence  pourroit 
choquer  le  lecteur.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  e'vident  que  le  pas- 
sage dont  il  s'agit,  ne  doit  laisser  aucune  impression  défavo- 
rable sur  le  compte  de  Louise  Labé;  et,  j'irai  même  plus  loin, 
il  est  facile  de  le  tourner  à  son  avantage.  Gabriel  de  Saconay  est 
regardé  comme  un  des  hommes  les  plus  recommandables  de 
l'église  de  Lyon,  qu'il  a  illustrée  par  ses  écrits  et  par  ses  vertus. 
Si  donc  il  recevoit  habituellement  dans  sa  maison  la  femme 
d'Ennemond  Perrin,  il  faut  conclure  que  la  conduite  de  cette 
femme  n'offroit  rien  de  répréhensible,  ni  même  d'équivoque. 
Quant  au  prétendu  usage  où  elle  auroit  été  de  s'habiller  en 
homme,  je  crois  que  c'est  un  mensonge,  et  que  Calvin  abuse 
d'une  des  circonstances  de  la  première  jeunesse  de  la  Belle  Cor- 
dière.  On  se  rappelle  que,  lorsqu'elle  se  rendit,  avant  l'âge  de 
iseize  ans,  au  siège  de  Perpignan,  elle  revêtit,  en  effet,  le  cos- 


xlij  NOTICE 

pas  le  seul  qui  ait  rendu  justice  au  mérite  de  la  Belle 
Cordière,  et  surtout  à  sa  vertu:  on  peut  voir,  page  i55, 
en  quels  termes  un  de  nos  anciens  poètes  fait  son  éloge 
et  célèlDre  nommément  sa  chasteté  *. 

On  ne  peut  néanmoins  se  dissimuler  que  Louise  n'ait 
aimé  et  même  avec  passion  :  c'est  à  l'énergie  de  ce  sen- 
timent qu'on  est  redevable  de  ces  expressions  si  tendres, 
si  naïves,  si  touchantes,  que,  malgré  la  vétusté  du 
langage,  elles  font  encore  les  délices  des  âmes  sensi- 
bles **.  Elle  peint  le  triomphe  de  l'amour  sur  sa  volonté, 
les  maux  que  ce  dieu  lui  cause ,  les  espérances  dont  il 
la  berce,  les  peines  de  l'absence,  avec  des  couleurs  si 
vraies ,  si   naturelles  ,  et  avec  une   sorte  d'exaltation 

tume  de  notre  sexe.  De-là  Calvin  suppose  que,  long-temps  après, 
elle  continuoit  de  le  porter;  et  c'est  ainsi  que  le  fougueux  sec- 
taire, par  un  me'Iange  de  vrai  et  de  faux,  cherche  à  donner  à 
ses  calomnies  un  air  de  sincérité  et  un  crédit  qu'elles  ne  sau- 
roient  avoir. 

*  L'éloge  qui  lui  est  adressé  en  face  dans  cet  endroit,  s'il 
eût  été  absolument  faux,  loin  de  lui  plaire,  l'auroit  choquée, 
et  même  auroit  été  pour  elle  une  grave  insulte. 

**  On  peut  appliquer  aux  poésies  de  Louise  Labé  ces  vers 
d'Horace  sur  Sappho  : 


Spu'at  adhuc  amor, 

Viviintque  commissi  calores 
j4îolise  fidibus  puellee. 

(Lib.  iVj  Od.  IX.  ) 

J.  J.  Rousseau  a  dit:  «  Une  seule  femme  a  su  faire  parler  l'a- 
«  mour,  et  cette  femme  est  Sappho.  »  Sans  doute  il  ne  con- 
noissoit  pas  les  œuvres  de  Louise  Labé. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  ^ViV] 

d'autant  plus  entraînante,  qu'elle  n'a  rien  de  feint,  ni 
d'exage'rë,  que  l'on  s'identifie  par  la  pensée  à  son  sort, 
et  que  l'on  partage  ses  soucis,  ses  angoisses  et  sa  douce 
mélancolie  sans  effort  et  sans  contrainte. 

Mais  l'amour,  quelque  vif  qu'il  soit,  ne  peut-il  donc 
exister  s^m  blesser  la  vertu,  sans  alarmer  la  pudeur? 
Et  parce  que  Louise  en  ressentit  la  flamme  ,  parce 
qu'elle^en  éprouva  les  douloureuses  anxiétés,  doit-on 
calomnier  sa  conduite?  Disons-le  hardiment,  sa  gloire 
provient  de  son  amour  5  une  âme  aussi  noble  ,  aussi 
pure,  aussi  délicate  ne  connut  que  des  sentiments  qui 
portoient  le  même  caractère;  et,  ce  qui  le  démontre, 
ce  sont  les  termes  dont  elle  se  sert  en  faisant,  dans  sa 
III. ^  élégie  et  dans  son  XXIV.®  sonnet ,  l'aveu  des  tri- 
bulations auxquelles  son  cœur  étoit  en  proie. 

Combien  la  manière  dont  elle  excuse  ses  erreurs  offre 
d'intérêt  et  inspire  d'indulgence!  Il  n'y  a  qu'un  amour 
pudique,  qu'un  cœur  vivement  épris,  mais  à  l'abri  de 
tout  reproche,  qui  puisse  tenir  un  pareil  langage  :  il 
peint  trop  bien  la  situation  d'une  âme  fortement  péné- 
trée, mais  néanmoins  pleine  de  droiture  et  d'honneur. 

Faudroit-il  d'autre  preuve  de  l'innocence  de  sa  vie 
que  l'intimité  dans  laquelle  elle  vécut  avec  la  plupart 
des  personnes  de  son  sexe  ,  distinguées  surtout  par  une 
conduite  exemplaire  ?  C'est  à  Clémence  de  Bourges  4 

4  Clémence  de  Bourges  se  rendit  célèbre  dts  l'âge  le  plus 
tendre  par  ses  talents  pour  la  poe'sie  et  la  musique.  Lors  du 
Voyage  que  firent  à  Lyon  Henri  n  et  Catherine  de  Mc'dicis,  en 
iS/jS;  elle  joua  de  l'épinette  en  présence  delà  cour,  de  manière 


xliv  NOTICE 

qu'elle  clédie  ses  œuvres;  c'est  elle  qu'elle  elioisit  pour 
patronne,  qu'elle  désigne  publiquement  comme  son 
amie,  et  Clémence  appartenoit  à  une  des  premières 
familles  de  Lyon  5  elle  étoit  aussi  recommandable  par 
ses  qualités  personnelles  que  par  le  rang  qu'elle  tenoit 
dans  la  société  ''".  Son  pèi^e,  général  des  ftnances  du 

à  ctouuer  les  organistes  du  roi.  Clémence  unissoit  aux  grâces 
de  son  sexe  la  vertu  la  plus  austère,  et  sa  mort  préraature'e  cou- 
ronna, de  la  manière  la  plus  touchante,  une  si  belle  vie.  Elle 
ëtoit  promise  et  fiance'e  à  Jean  du  Peyrat,  jeune  homme  non 
moins  distingué  par  sa  bravoure  que  par  sa  naissance.  Celui-ci, 
ayant  été  dans  le  cas  de  partir,  à  la  tète  d'une  compagnie  de 
Lyonnois,  pour  aller  en  Dauphiné  renforcer  l'armée  royale,  des- 
tinée à  combattre  les  protestants  commandés  par  le  farouche 
baron  des  Adrets,  trouva  une  mort  glorieuse  devant  Beaure- 
paire,  le  3o  septembre  i56i.  Clémence  de  Bourges,  pénétrée 
d'une  profonde  douleur,  ne  put  supporter  une  perte  aussi  cruelle  : 
elle  mourut  quelque  temps  après.  Sa  pompe  funéraire  arracha 
des  larmes  à  tous  les  assistants.  On  la  porta  le  visage  découvert 
et  la  tète  couronnée  de  fleurs,  pour  marque  de  sa  virginité. 
Cette  circonstance  suffit  pour  détruire  absolument  l'allégation 
de  la  prétendue  perfidie  exercée  à  son  égard  par  Louise  Labé, 
et  dont  j'aurai  bientôt  occasion  de  parler. 

Claude  de  Bourges,  père  de  Clémence,  habitoit  l'hôtel  de 
Milan,  près  des  Cordeliers  :  Françoise  de  Mornay,  sa  veuve, 
y  demeura  après  lui.  C'est  à  cause  d'elle  que  la  partie  de  la  rue 
Bonnevaux  où  étoit  situé  son  hôtel,  fut  appelée  rue  de  la  Gé- 
nérale ,  parce  que  son  mari  avoit  eu  le  titre  de  général  des 
finances  du  Piémont.  On  a  donné  dans  la  suite  à  cette  rue,  par 
corruption,  le  nom  de  rue  des  Générales  qu'elle  porte  encore. 

*  Du  Verdier  la  nomme ,  dans  sa  Bibliothèque,  «  la  perle  des 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xlv 

Piémont  et  seigneur  de  Myons  en  Daupliine,  jouissolt 
de  la  plus  haute  faveur,  et  son  frère  étoit  l'un  des  gen- 
tilshommes de  la  maison  du  roi.  Si  Louise  n'eût  cte'  en- 
vironnée de  l'estime  puhlique ,  si  ses  mœurs  eussent  été 
tant  soijt  peu  équivoques ,  une  demoiselle  d'un  aussi  rare 
mérite,  une  famille  aussi  respectable,  aussi  considérée, 
l'auroient-elles  reçue  dans  leur  familiarité,  et  lui  au- 
roient-elles  donné  des  preuves  si  sensibles  d'une  affec- 
tion toute  particulière? 

Les  poésies  de  la  Belle  Cordière,  il  faut  l'avouer, 
renferment,  en  quelques  endroits,  des  expressions  un 
peu  vives  et  qui  semble  ut  sortir  de  la  retenue  imposée 
à  son  sexe.  Mais  ce  défaut,  qui  appartient  au  siècle  oîi 
elle  vivoit*,  ne  sauroit  être  un  préjugé  contre  sa  vertu. 
Alors  la  réserve  étoit  dans  les  actions,  et  nullement 
dans  les  paroles  **• 

Si  Louise  fixa  sur  elle  l'admiration  de  ses  contempo- 
rains par  les  accents  de  sa  lyre  plaintive,  si,  comme 

«  damoiselles  îyonnoîses  de  son  temps;  »  et  de  Rubys,  dans 
son  Histoire  de  Lyon,  «  une  perle  vrayement  orientale.  » 

*  «  Jamais  les  poètes  ne  furent  si  favorise's  que  sous  le  règne 
«  de  Henri  il  et  de  ses  enfants,  et  jamais  la  poésie  ne  fut  si 
•t  tendre,  si  passionnée,  ni  moins  retenue  dans  ses  expressions; 
«  fâcheux,  mais  inévitable  effet  de  l'exemple  que  donne  une 
«  cour,  dont  l'esprit  et  le  goût  règle  infailliblement  celui  de 
«  tous  les  sujets.  »  De  Ruolz  ,  Discours  sur  Louise  Labé. 
page  32. 

**  On  a  souvent  remarqué  que,  plus  les  mœurs  se  cor- 
rompent, plus  la  langue  et  les  oreilles  deviennent  séyères  et 
chastes. 


x!vj  NOTICE 

elle  i'avoiie  elle-même,  l'Espagne  et  les  bords  du  Rhin 
avoient  entendu 

Que  gens  d'esprit  lui  clonnoient  quelque  gloire*, 

les  poètes  françois  surtout  s'empressèrent  de  chanter 
ses  louanges.  Marot,  du  Moulin,  Charles  Fontaine,  Mau- 
rice Sceve  consignèrent  son  nom  dans  leurs  poésies  ^ 
Olivier  de  Magny,  Peletier  du  Mans,  et  plusieurs  autres 
écrivains  non  moins  célèbres  alors,  en  parlèrent  éga- 
lement de  la  manière  la  plus  honorable.  Une  femme 
qui  étoit  la  gloire  de  son  sexe,  ne  pouvoit  manquer 
d'obtenir  une  distinction  aussi  flatteuse.  Sa  maison  j 
qu'elle  avoit  enrichie  d'une  bibliotlicque  précieuse  et 
choisie  avec  goût,  étoit  le  rendez-vous  de  la  bonne 
compagnie,  et  surtout  des  savants  et  des  étrangers  qui 
passoient  à  Lyon.  uElley  receuoit  gracieusement,  nous 
u  dit  du  Verdier,  seigneurs,  gentilshommes  et  autres 
«  personnes  de  mérite,  auec  entretien  de  deuis  et  dis- 
«  cours 5  musique  tant  à  la  voix  qu'aux  instrumens  ou 
u  elle  estoit  fort  duicte,  lecture  de  bons  livres  Latins  et 
<c  vulgaires.  Italiens  et  Espagnols  **,  dont  son  cabinet 
«  estoit  copieusement  garni,  etc.  ?? 

*  Élégie  II,  page  79. 

**  Avec  cette  indication  et  les  conjectures  que  fait  naître 
la  lecture  des  ouvrages  de  Louise  LaLé,  il  seroit  aisé  de  faire 
le  catalogue  de  sa  bibliothèque.  Il  exi.  toit  déjà  d'assez  bonnes 
éditions  des  classiques  latins,  et  il  est  probable  qu'elle  ies  avoit 
toutes.  Virgile,  Horace,  Ovide,  dont  les  ouvrages  lui  étoient  très 
familiers,  et  qu'elle  imitoit  souvent,  occupoient  sans  contredit 


SUR  LOUISE  LABÉ.  xlvij 

Nous  devons  considérer  les  re'unions  qui  avolent  lieu 

les  premiers  rayons;  ils  etoîent  près  de  Catulle,  de  Tibulle  et 
de  Properce.  On  y  voyoit  cerfaincment  aussi  les  meilleures  ver- 
sions latines  qu'on  eut  alors  des  classiques  grecs,  et  en  parti- 
culier celles  d'Homère,  d'Anacréon,  de  Sappho,  de  Lucien, 
de  Plutarque,  etc.  Peut-être  même  Louise  Labe'  possédoit-elle 
les  originaux;  car  probablemeut  elle  avoit  quelque  teinture  du 
grec,  quoique  les  biographes  ne  mettent  pas  cette  langue  au 
nombre  de  celles  qu'elle  savoit.  Les  poètes  latins  modernes 
figuroient  également  dans  sa  collection  :  Jean  Second  n'étoit  pas 
placé  au  dernier  rang.  Quant  aux  livres  vulgaires j  c'est-à-dire, 
écrits  dans  notre  langue,  on  y  tiouvoit,  parmi  les  prosateurs, 
les  mémoires  historiques  du  Sire  de  Joinville,  de  Froissard,  de 
Monstrelct,  de  Philippe  de  Comines,  Rabelais,  les  premières 
traductions  d'Amyot,  les  ouvrag'-s  de  grammaire  de  Louis  Mei- 
gret,  de  Peletier  du  Mans,  de  Guillaume  des  Autels,  les  Arrêts 
d'Amour  de  Martial  d'Auvergne,  commentés  par  Benoît  Court, 
de  St-Symphorien-le-Château,  les  Cent  nouvelles  nouvelles  de 
la  cour  (le  Bourgogne,  l'Heptaméron  de  la  reine  de  Navarre,  etc.  ; 
et,  parmi  les  poètes,  les  Marguerites  de  la  Marguerite  de  la 
même  princesse,  les  œuvres  de  Marot,  le  roman  de  la  Rose, 
retouché  par  ce  dernier,  le  même  ouvrage  tel  qu'il  fut  composé 
primitivement  par  Guillaume  de  Lorris  et  Jean  de  Meung,  tout 
ce  qui  avoit  paru  de  Ronsard,  de  Joachim  du  Bellay,  de  Mellin 
de  St- Gelais,  de  Jodelle,  de  Baïf,  de  Pontus  de  Tyard,  de 
Charles  Fontaine,  d'Olivier  de  Magny  ,  la  Délie  et  quelques 
autres  poésies  de  Maurice  Sceve,  les  Rymes  de  Pernette  du 
Guillet,  lyonnoise,  etc.,  etc.  Malheureuscmenl  Amyot  n'avoit 
pas  encore  mis  au  jour  son  Plutarque  ,  ni  Montaigne  ses  Essais. 
Le  catalogue  étoit  très  riche  en  livres  italiens  :  il  contenoit 
Pétrarque,  Boccace,  le  Dante,  l'Arioste.  Il  ne  manquoit  que 
le  Tasse,  pour  que  Louise  Labé  n'eût  rien  à  envier,  dans  la  lit- 


xlviij  NOTICE 

cliez  la  Belle  Cordière  *  comme  le  type  de  celles  qui 
illustrèrent  les  siècles  de  Louis  xiv  et  de  Louis  XV: 
les  unes  et  les  autres  furent  très  favorables  aux  pro- 
grès des  lumières  5  le  goût  s'e'pura  dans  les  discussions 
savantes,  auxquelles  présidoit  une  extrême  politesse^ 
la  critique  purgea  l'histoire  d'un  grand  nombre  d'er- 
reurs 5  la  langue  françoise  acquit  plus  de  grâce  et  d'é- 
nergie 5  l'émulation  develo])pa  les  talents  et  répandit 
dans  toutes  les  classes  de  la  société  le  désir  de  s'ins- 
truire et  l'amour  des  sciences  et  des  lettres.  Un  sem- 
blable résultat  doit  faire  sentir  combien  ce  genre  de  ré- 
création étoit  préférable  à  celui  que  nous  avons  adopté: 
nos  cercles,  nos  brillantes  soirées,  dont  le  jeu,  la  po- 

térature  de  cette  nation  ,  aux  lecteurs  qui  vécurent  quelques 
anne'es  plus  tard,  et  peut-être  même  à  ceux  qui  vivent  main- 
tenant. L'Espagne  avoit  fourrii  des  romans,  la  Diane  de  Mon- 
temayor,  les  poésies  de  Garcilasso  ;  mais  le  seul  livie,  pour 
ainsi  dire,  qu'elle  ait  aujourd'hui,  celui  qui  en  a  fait  oublier 
tant  d'autres.  Don  Quichotte,  ne  parut  que  vers  la  fin  du  XVI. " 
siècle,  et  Louise  Labf',  morte  en  i566,  ne  put  le  connoître. 

*  Suivant  Poullin  de  Lumina,  Abrégé  chronologique  de  l'his- 
toire de  Lyon,  Lyon,  Delaroche,  1767,  in-^.",  page  187, 
«  Louise  Labé  étoit  un  des  principaux  membres  de  l'académie 
«  littéraire,  dont  les  assemblées  se  tenoient  sur  la  montagne 
«  de  Fourvicre,  dans  la  maison  du  sieur  de  Lange,  d'où  elle 
«  fut  appelée  l'Angélique.  Los  autres  académiciens  étoient  les 
«  sieurs  de  Lange,  de  Villeneuve,  Fouraier,  Paterin,  Sym- 
«  phorien  Champier ,  Benoît  Court,  Jean  Voullé  ,  Etienne 
»<  Dolet ,  du  Choul,  Vauzelles  ,  le  poète  Girinet,  Clément 
«  Marot,  Maurice  Sceve,  Claudine  et  Sibylle  Sceve,  Pernette 
«  du  Guillet,  Clémence  de  Bourges,  et  les  sieurs  du  Peyrat.  » 


SUR  LOUISE  LABE.  xlix 

litique  et  la  vanité  font  tous  les  frais,  ne  laissent  pour 
l'ordinaire  que  des  regrets  ',  ce  n'est  que  dans  les  amu- 
sements qui  développent  les  grâces  du  corps ,  et  dans 
ceux  qui  exercent  l'esprit,  que  l'homme  trouve  ses  vé- 
ritables jouissances. 

Nous  n'avons  parlé  jusqu'ici  que  des  poésies  de  Louise 
Labé^  mais  il  est  un  autre  ouvrage  qui  ne  la  recom- 
mande pas  moins  à  l'estime  de  la  postérité ^  c'est  une 
petite  comédie  en  prose,  intitulée.  Débat  de  Folie  et 
d^ Amour ^  allégorie  ingénieuse,  pleine  d'esprit,  de  dé- 
licatesse et  de  bonne  morale  *.  Cette  pièce  à  six  person- 
nages, divisée  en  cinq  discours  ou  actes,  n'a  point  été 
représentée  j  mais  elle  a  eu  l'insigne  honneur  de  fournir 

*«La  plus  belle  fable  des  Grecs  est  celle  de  Psyché;  la  plus 
«  plaisante  fut  celle  de  la  Matrone  d'Éphèse.  La  plus  jolie, 
«  parmi  les  modernes,  fut  celle  de  la  Folie,  qui,  ayant  crevé 
«  les  yeux  à  l'Amour,  est  condamnée  à  lui  servir  de  guide.  » 
Voltaire,  Questions  sur  l'Encyclopédie,  art.  Fable.  «On  a  dit 
«»  avec  raison  que  cette  allégorie  étoit  la  plus  heureuse  des  fables 
«  modernes.  Elle  est  en  effet  la  seule  qu'on  puisse  mettre  à  côté 
a  de  celles  de  l'antiquité.  Elle  est  du  même  genre;  elle  en  a  la 
«  grâce,  la  vérité,  la  justesse;  elle  en  est  le  complément.  » 
GuDiN  ,  Histoire  des  Contes,  i8o5,  page  171.  L'ouvrage  de 
Louise  Labé  n'est  pas  seulement  une  allégorie  ingénieuse  ;  il 
décèle  encore  une  grande  érudition.  Aristote,  Chrysippe,  Dio- 
gèue,  Platon,  Homère,  Sappho,  etc.,  parmi  les  grecs,  et,  parmi 
les  latins,  Virgile,  Ovide  et  même  Apulée,  y  sont  cités  et 
cités  à  propos.  On  y  voit  de  fréquentes  et  heureuses  allusions 
à  des  faits  historiques  et  à  dv  s  points  de  mythologie  qui  ne  sont 
connus  que  des  personnes  les  plus  instruites. 

iv 


1  NOTICE 

à  La  Fontaine  l'idée  d'une  de  ses  plus  jolies  fables  *. 
Pour  connoître  ce  que  cette  comédie,  la  première  qui 
ait  paru  dans  le  genre  de  l'auteur  des  Grâces  **,  offre 
de  talent  et  d'imagination,  il  suffira  de  lire  l'argument 
de  cet  ouvrage,  composé  par  Louise  Labé  elle-même 
(page  6). 

On  sentira,  après  l'avoir  lu,  combien  un  sujet  conçu 
avec  tant  d'art  devoit  présenter  de  ressources  au  talent 
de  l'écrivain  qui  avoit  entrepris  de  le  traiter***.  Louise 
en  a  su  tirer  le  meilleur  parti,  et  cet  ouvrage,  imité 
dans  toutes  les  langues  ****,,  sufïîroit  seul  pour  immor- 
taliser son  nom. 

*  L'Amour  et  la  Folie,  livre  xii,  fable  i/\, 

**  Saint-Foix.  Un  critique  a  dit  de  cette  come'die  des  Grâces^ 
qu'elle  sembloit  «  avoir  été'  faite  par  elles  et  pour  elles.  » 

***  Il  n'est  pas  hors  de  propos  de  remarquer  que  ce  sujet 
si  heureux  paroit  être  de  l'invention  de  Louise  Labé.  Ou  ne 
connoît  rien  dans  les  écrivains  antérieurs  qui  ait  pu  lui  en  four- 
nir l'idée.  Il  est  certain  qu'elle  avoit  lu  l'éloge  de  la  Folie  (En- 
comiura  Moriae),  écrit  en  lalin  par  Érasme  ;  mais,  si  elle  en  a 
emprunté  quelques  détails ,  si  elle  semble  l'avoir  eu  sous  les 
yeux  lorsqu'elle  écrivoit  le  plaidoyer  de  Mercure  pour  la  Folie 
qui  n'est  qu'une  partie  de  son  ouvrage,  elle  n'a  pu  y  trouver 
ce  qui  n'y  est  pas,  le  plan  et  l'ensemble  de  la  composition,  la 
fable  sur  laquelle  elle  l'a  fondée. 

****  LeP,  Commireenatiré  une  fable  latine  qu'il  a  intitulée, 
Dementia  Amorcm  ducens  (Voy.  Joan.  Commirii  carmina,  Lu- 
tetiae  Parisiorum,  1714,  2  vol.  in-i3,  tome  i,  page  002),  et 
que  La  Fontaine  connoissoit  vraisemblablement  aussi,  lorsqu'il 
a  fait  la  sienne.  Elle  est  adressée  à  Ménage ,  et  terminée  par 
ce  jeu  de  mots: 


SUR  LOUISE  LABÉ.  \\ 

Les  Œuvres  de  notre  aimable  Compatriote  ^  *  justi- 
fient la  supériorité  de  son  talent  à  une  époque  si  voisine 

Hsec  nos  ,  Menagî ,  fabula  vcnustè  mouet 
Amantes  esse  proximos  amentibus. 

«  Il  a  paru  sur  la  scène  françoise,  en  1754,  une  petite  co- 
«  me'tlie  en  un  acte  et  en  vers  libres,  compose'e  d'après  cette 
€<  fable,  mais  elle  ne  s'y  est  pas  soutenue,  quoiqu'au  rapport 
•«.(de  l'auteur  de  l'Année  littéraire,  elle  se  trouvât  pleine  de 
«  choses  finement  pensées  et  rendues  avec  délicatesse  et  préci- 
«  sion.  M.  Desfontaines  a  fait  depuis,  sur  le  même  sujet,  un 
«  opéra-comique  en  trois  actes,  qui  fut  repré.>^enté  avec  succès 
«  aux  Italiens,  en  1782.  Cette  fable  a  fait  naître  encore  chez 
«  plusieurs  fabulistes,  tels  que  Pesselier,  Le  Brun,  Grécourt, 
c<  le  chevalier  de  Lim.oges,  l'idée  d'associer  ensemble  l'Amour 
M  et  la  Raison,  comme  pour  faire  suite;  et  ces  suites,  ainsi 
M  que  la  plupart  de  celles  qu'on  s'est  ingéré  de  donner  aux 
«  ouvrages  accueillis  avec  une  faveur  marquée,  sont  dans  le 
«  plus  profond  oubli.  »  M.  Solvet,  Études  sur  La  Fontaine, 
Paris,  i8i2,  in-8.°,  part,  il,  pages  210-211. 

Les  commentateurs  de  La  Fontaine  citent,  parmi  les  imita- 
teurs de  ce  même  apologue  en  langues  étrangères,  l'italien 
L.  Grillo  et  l'anglais  Dodsley;  mais  aucun  d'eux'ne  mentionne 
une  imitation  françoise  faite  par  un  M.  Moreau  de  Dijon,  et 
insérée  dans  le  Nouveau  Recueil  de  pièces  fugitives,  etc.,  par 
l'abbé  Archimbaud,  Paris,  1717,  in-12,  tome  II,  pages  85-89. 
C'est  une  pièce  assez  faible,  dont  les  vers  les  plus  passables 
«ont  les  deux  derniers  : 

Ainsi  dit,  ainsi  fait;   et  c'est  depuis  ce  jour 
Que  partout  la  Folie  accompagne  l'Amour. 

5  Jean  de  Tournes,  imprimeur  célèbre  de  Lyon,  et  un  des 
savants  qui  assistoient  avec  le  plus  d'exactitude  aux  assemblées 


lij  NOTICE 

de  la  Larbarîe.  Je  ne  m'attacherai  pas  à  en  faire  l'ana- 
lyse :  cette  tâche  seroit  trop  au-dessus  de  mes  forces. 

qui  se  tenoient  chez  la  Belle  Cortlière,  puMia  les  œuvres  de 
celle-ci  en  i555,  in-8.°.  Il  en  donna  une  seconde  l'année  sui- 
vante, in-i6.  Toutes  deux  e'toient  épuise'es  depuis  long-temps, 
lorsqu'une  société  de  gens  de  lettres  de  cette  ville  conçut  le 
projet  d'imprimer  de  nouveau  les  œuvres  de  Louise  Labé  :  elles 
parurent  chez  les  frères  Duplain,  en  1762,  in-12.  Elles  co^- ■ 
tiennent,  outre  le  Débat  de  Folie  et  d'Amour,  trois  élégies  et 
vingt -quatre  sonnets,  dont  l'un  est  en  italien.  On  y  a  joint 
vingt- cinq  pièces  composées  à  sa  louange,  une  en  grec,  une 
autre  en  latin,  trois  sonnets  et  un  madrigal  en  italien,  et  le 
reste  en  françois. 

*  Jean  de  Tournes  n'a  pas  donné  seulement  deux  éditions 
d"s  œuvres  de  Louise  Labé;  il  en  a  donné  trois.  Comme  je  les  ai 
en  mon  pouvoir,  je  puis  en  parler  avec  certitude,  et  ce  que  j'en 
dirai  rectifiera  ce  qu'en  ont  dit  plusieurs  bibliographes  qui  ne 
les  avoient  pas  vues.  Déjà,le  savant  M.  Beuchot,  dans  une  note 
insér-ée  dans  la  Bibliographie  de  la  France  ou  Journal  de  l'im- 
primerie et  de  la  librairie,  année  i8i5,  n.°  2827,  avoit  relevé 
quelques-unes  des  erreurs  où  ils  sont  tombés.  Je  profiterai  de 
ses  indications,  et  je  les  appuierai  de  la  vérification  que  moi- 
même  j'en  ai  faite  ;  mais  je  remercierai,  avant  tout,  M.  Beuchot, 
dont  la  complaisance  m'a  été  du  plus  grand  secours ,  et  par 
l'entremise  duquel  j'ai  obtenu  la  communication  de  deux  des 
éditions  que  j'ai  à  décrire. 

L'exemplaire  qui  est  en  ce  moment  sous  mes  yeux,  de  la 
première  édition  publiée  par  Jean  de  Tournes,  est  inscrit  dans 
le  catalogue  de  la  bibliothèque  du  roi,  sous  le  n."  Y  4^47^  et 
provient  de  la  bibliothèque  Falconnet,  n.°  ii562.  C'est  un  pe- 
tit volume  in-8.*'  de  176  pages,  portant  ce  titre:  «  EvVRES  DE 
«  LOVÏZ.E  Labé  lionivoize.   A  Lion  par  Jan  de  Toyrives. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  .      Hîj 

Cependant  je  ne  puis  ni'erapêcher  de  dire  que  sa  se- 
conde éle'gie  est  remplie  de  grandes  beautés,  que  plu- 

«  M.  D.  LV.  Auec  Priuilege  du  Roy.  »  La  prose  y  est  imprimée 
en  lettres  romaines,  et  les  poésies  en  caractère  italique.  Sur  le 
verso  du  dernier  feuillet,  on  lit,  après  un  petit  errata  où  sont 
corrigées  quatre  fautes  d'impression,  ces  mots:  «  Acheué  d'im- 
«  primer  ce  12.  Aoust,  M.  D.  lv.  » 

La  seconde  édition  ,  dont  deux  exemplaires  se  trouvent  à 
Lyon  (l'un  dans  la  bibliothèque  de  M.  Lambert,  et  l'autre  dans 
celle  de  M.  le  conseiller  Coste,  si  riche  en  auteurs  lyonnois), 
semble  n'être  qu'un  second  tirage  de  la  précédente:  sa  date  est 
de  l'année  d'après,  i556;  elle  est  du  même  format,  imprimée 
avec  les  mêmes  caractères  ,  et  contient  le  même  nombre  de 
pages.  Les  seules  différences  qu'il  y  ait  entre  elles,  consistent 
en  ce  que,  1.*^  les  fautes  indiquées  dans  l'errata  de  la  première 
sont  corrigées  à  leurs  places  dans  la  seconde;  1.°  sur  le  fron- 
tispice, à  la  suite  de  ces  mots:  EWRES  DE  LovïZE  LabÉ  lion- 
IVOIZE,  l'imprimeur  a  ajouté  ceux-ci  :  Menues  et  coirigees  par 
ladite  Dame;  3.'*  et  enfin,  \e  Priuilege  du  Roy,  qui  ne  se  trouve 
pas  dans  l'éditian  de  i555,  occupe,  dans  celle  de  i556,  le  verso 
du  dernier  feuillet  et  le  recto  d'un  feuillet  suivant. 

La  troisième  édition  due  à  Jean  de  Tournes  est  également 
de  i556,  et  porte  absolument  le  même  titre  que  celle  de  iô55; 
mais  elle  diffère  de  celle-ci,  et  pour  le  format  et  pour  le  carac- 
tère: elle  est  in-16,  et  en  lettres  romaines  d'un  bout  à  l'autre. 
Les  pages  n'en  sont  pas  chiffrées,  et  elle  ne  contient  pas  l'ode 
grecque  qui,  dans  les  deux  éditions  précédentes,  est  à  la  page  laS. 
L'exemplaire  sur  lequel  je  fais  ces  remarques,  est  celui  de  la 
bibliothèque  du  roi ,  où  il  est  inscrit  sous  le  n.°  Y  4548.  M.  Beu- 
chot  observe  qu'il  s'en  trouvoit  deux  dans  la  bibliothèque  du 
duc  de  la  Vallière  (part,  i,  u.°  3i55  et  3i56). 

La  Monnoye,  dans  ses  notes  sur  La  Croix  du  Maine,  et,  d'à- 


liv      .  NOTICE 

sieurs  de  ses  sonnets  respirent  ce  cliarme  rêveur,  cette 
mélancolie  passionnée  qui  ravit  les  âmes  tendres,  et 

près  lui,  M.  B.  D.  L.  (le  P.  Bougerel),  dans  les  Mémoires  de 
Niceron  (lome  xxiii,  page  248),  parlent  d'une  édition  de  Rouen, 
i556,  in-iG.  L'ahbé  Goujet  en  parle  aussi,  Biblioth.  franc, 
(tome  XII,  pages  82  et  4^i).  Cette  édition  existe-t-elle?  M.  Beu- 
chot  croit  que  cette  question  doit  se  décider  par  la  négative. 
M.  Cocliard  a  donc  eu  raison  de  passer  sous  silence  cette  pré- 
tendue édition  de  Rouen;  mais  il  n'eût  pas  manqué  de  men- 
tionner, s'il  en  eut  eu  connoissance,  relie  qui  a  paru  à  Brest, 
en  i8i5,  in-8.",  et  qui  n'a  été  tirée  qu'à  i4o  exemplaires,  dont 
no  sur  carré  ordinaire,  116  sur  carré  vélin  d'Annonay,  3  sur 
papier  rose  de  pâte  ,  et  1  sur  peau  de  vélin.  L'éditeur ,  feu 
M.  Michel,  imprimeur  à  Brest,  a  suivi  la  première  et  la  troi- 
sième édiûon  de  Jean  de  Tournes;  il  ne  connoissoit  pas  la  se- 
conde. Le  seul  changement  qu'il  se  soit  permis,  a  été  de  placer 
dans  un  ordre  différent  les  pièces  intitulées,  Escriz  de  diuers 
Poètes  à  la  louenge  de  Louïze  Labé ,  qu'il  a  classées  à  peu  près 
ainsi  :  odes ,  sonnets ,  madrigaux. 

Mais  long-temps  avant  cette  édition,  a  paru  celle  de  1762, 
dont  M.  Cochard  a  donjié  la  description.  J'ajouterai  aux  détails 
dans  lesquels  il  est  entré  à  son  sujet,  qu'elle  fut  imprimée  par 
Aymé  Delaroche,  et  tirée  seulement  à  SsS  exemplaires,  dont 
25  en  grand  papier  fin  de  Hollande,  savoir  12.  avec  les  figures, 
vignettes  et  culs-de -lampe  en  camayeu,  et  i3  avec  ces  figures 
en  noir,  et  que  les  gens  de  lettres  lyonnois,  aux  frais  desquels 
elle  fut  publiée,  et  dont  les  noms  doivent  être  consignés  ici 
très -honorablement,  sont  MM.  Jacques  Annibal  Claret  de  la 
Tourette  de  Fleurieu,  ancien  prévôt  des  marchands,  président 
honoraire  de  la  cour  des  monaoics,  et  secrétaire  perpétuel  de 
l'académie  de  Lyon,  dont  il  a  été  pendant  quelque  temps  le 
doyen;  Antoine  La  Croix,  obéancier  baron  de  St-Just;  le 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Iv 

dont  la  poésie  s'accommode  si  bien  ;  que  le  dix-liui- 
tième  surtout*  est  remarquable  par  cette  énergie  amou- 
reuse et  brûlante  qui  caractérise  un  cœur  vivement 
ëpris,  et  que  le  Dehat  de  Folie  et  â! Amour  porte  un 
cachet  vraiment  original.  11  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
qu'une  femme,  parvenue  à  une  telle  hauteur  par  son 
seul  génie,  ait  eu  des  détracteurs  :  il  seroit  au  contraire 
surprenant  qu'elle  n'en  eût  pas  rencontre**. 

La  Belle  Cordière  avoit  cherché  à  relever  la  dignité 
de  son  sexe ,  en  l'excitant  à  se  livrer  à  l'étude  :  <c  Estant 

P.  Dumas,  bibliothécaire  des  Cordéliers;  Joseph  Janin,  biblio- 
the'caire  des  Augustins;  Jean-Fiancois  Tolozan,  premier  avo- 
cat-général à  la  cour  des  m^onnoics  de  Lyon  ;  Biaise  Desfours, 
conseiller  à  la  même  cour  ;  Rufiier  d'Attignat ,  trésorier  de 
France,  et  enfin  Pierre  Adamoli.  Ce  dernier  fut  chargé  du  soin 
de  diriger  l'impression,  qui  fut  faite  sur  un  exemplaire  de  i555, 
fourni  par  M.  delFlcurieu;  et  celui-ci  est  sans  doute  l'auteur  des 
Recherches  sur  la  vie  de  Louise  Labé,  placées  à  la  tête  du  vo- 
lume. Voy.  M.  Delandine,  Catalogue  de  la  bibliothèque  de  Lyon, 
belles-lettres,  n."*  265o  et  6642. 

*  Ce  sonnet  seroit  digne  de  Sappho,  ou  de  Catulle  dont  il 
rappelle  les  fameux  hendécasyllabes  :  Vivamus,  raea  Lesbia, 
atque  amemus....  C'est  un  baiser  dans  le  genre  de  ceux  de  Jean 
Second,  qui  étoient  sans  doute,  comme  nous  l'avons  dit,  con- 
nus de  Louise  Labé  ;  mais  on  peut  assurer  que ,  si  elle  a  voulu 
imiter  ce  poète,  elle  l'a  bien  surpassé: 


.1......  Una  omnes  surripuit  Vénères. 

(Catull.  Carm.  88.) 

**  C'est  le  sort  de  toutes  les  femmes  qui  se  mêlent  d'écrire, 
on  leur  dispute  la  gloire  méritée  par  les  productions  littéraires 


Ivj  NOTICE 

«  le  tems  venu,  Madamoîselle,  ecrivoit-elle  à  Clémence 
«  de  Bourges,  que  les  seueres  loix  clés  hommes  n'em- 

qu'elles  mettent  au  jour,  en  insinuant  qu'elles  n'en  sont  que 
les  mères  adoptives.  Louise  Lahé  n'a  pas  été  plus  heureuse  que 
les  autres  personnes  de  son  sexe  qui,  comme  elle,  ont  publié 
des  ouvrages.  Plusieurs  années  après  sa  mort,  Pierre  de  Saint- 
Julien,  dans  ses  Gémelles  ou  Pareilles,  recueillies  de  divers 
autheurs,  tant  grecs,  latins,  que  fraucois,  Lyon,  i584,  in-S.", 
(livre  second,  lui.®  pareille),  fit  entendre  que  Maurice  Sceve 
lui  avoit  été  d'un  grand  secours  dans  la  composition  du  Débat 
de  Folie  et  d'Amour.  Voici  les  propres  paroles  de  cet  auteur, 
copiées,  à  ma  prière,  par  M.  Beuchot  dans  l'exemplaire  de  la 
bibliothèque  du  roi.  Après  avoir  dit  que  «les  femmes  se  laissent 
«  aller  à  la  volonté  de  quelques  babiUars  trompereaux  ,  »  il 
ajoute:  «  Aussi  est-il  quasi  toujours  aduenu  que  la  pénitence 
«  a  suyui  de  près  le  péché,  mais  soit  sur  ce  r'enuoyé  le  lecteur 
«  à  ce  qu'eu   a  escrit  Boccace  de  Certal  en  son  Labyrinthe 
«  d'Amour,  et  s'il  veut  voir  le  discours  de  dame  Loyse  l'Abbé, 
«  dicte  la  Belle  Cordiere  (œuure  qui  sent  trop  mieux  l'érudite 
«  gaillardise  de  Maurice  Sceue,  que  d'une  simple  courtisane, 
«  encores  que  souuent  doublée),  il  trouuera  que  les  plus  folla- 
«  très  sont  les  mieux  venus  auec  les  femmes.  »  Ainsi  Pierre  de 
Saint-Julien  ne  se  contente  pas  de  répéter,  d'une  manière  assez 
indécente,   les  calomnies  de   Rubys   et  de  du  Verdier  sur  les 
mœurs  de  Louise  Labé  ;  il  lui  enlève  encore  un  de  ses  titres  au 
souvenir  de  la  postérité  ;  mais  cette  dernière  imputation  n'est 
pas  mieux  fondée  que  les  autres:  Maurice  Sceve,  un  des  ad- 
mirateurs de  notre  belle  Lyonnoise,  fut,  il  est  vrai,  un  homme 
très-érudit,  et  qui  même  dans  ses  vers  affecta  l'érudition  au 
point  d'en  être  quelquefois  obscur  et  bizarre;  mais  ce  qui  nous 
est  resté  de  lui  est  trop  inférieur  au  Débat  de  Folie  et  d'Amour, 
et  d'un  genre  trop  différent ,  pour  qu'il  soit  permis  de  lui  attri- 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Ivij 

«  pes client  plus  lesTemniPS  de  s'aplicjuer  ans  sciences 
u  et  disciplines  :  il  me  semble  que  celles  qui  ont  la 
a  commodité,  doiuent  employer  cette  honneste  liberté 
u  que  notre  sexe  lia  autrefois  tant  désirée,  à  icelles  apren- 

buer  cet  opuscule.  Tout  ce  qu'on  pourroit  accorder  à  Pierre  de 
Saint-Julien,  c'est  que  Louise  LaLé  a  peut-être  soumis  son  ou- 
vrage à  la  revision  de  Maurice  Sceye;  ce  qui  n'erapêcheroit  pas 
qu'elle  n'en  fut  le  seul  et  véritable  auteur.  Quel  est,  en  efiet, 
l'écrivain  ,  même  parmi  les  plus  habiles  ,  qui  sur  ses  travaux 
litte'raires  ne  consulte  pas  un  ami,  et  ne  les  corrige  jias  d'après 
ses  conseils,  avant  de  les  exposer  aux  regards  du  public?  D'ail- 
leurs, le  comjilateur  des  Gémelles  se  réfute,  en  quelque  sorte,  lui- 
même,  en  ne  conlestant  à  Louise  Labéque  la/propri'té  d'un  seul 
de  ses  ouvrages  :  les  poésies  qu'elle  nous  abaissées,  prouvent  qu'il 
y  avoit  ^  elle  assez  de  taîeut  pour  qu'elle  n'eût  pas  besoin  d'em- 
prunter celfii  des  autres.  N'oublions  pas  de  remarquer  ici,  en  pas- 
sant, que  la  liaison  de  Louise  Labé  avec  Maurice  Sceve  est  une 
preuve  de  plus  de  la  fausseté  des  calomnies  répandues  sur  sa 
conduite  :  ce  poète,  ami  et  patron  de  Marot,  célébré  par  tous 
les  gens  de  lettres  de  son  temps,  appartenant  à  une  illust.'e  fa- 
mille piémontoisc  dont  une  branche  s'étoit  élablie  à  Lyon,  étoit 
un  des  personnages  les  plus  considérés  de  c(  tte  ville  ;  il  y  avoit 
exercé  la  profession  d'avocat  et  les  fonctions  d'échevin  :  doué 
d'un  talent  singulier  pour  les  inscriptions,  les  devises  et  les  dé- 
corations publiques,  c'est  lui  qui  dirigea  avec  Claude  de  Taille- 
mont,  dont  le  nom  figure  aussi  dans  nos  fastes  consulaires,  les 
fêtes  magnifiques  qui  eurent  lieu  pour  la  réception  solennelle 
du  roi  Henri  n  et  de  la  reine  Catherine  de  Médicis,  au  mois 
de  septembre  i5/|8;  et  certes  il  n'est  pas  probable  que,  ''ans  une 
telle  position,  aimé  et  vénéré  de  ses  concitoyens,  tous  les  yeux 
étant,  pour  ainsi  dire,  fixés  sur  lui,  il  eût  osé  rechercher  la  so- 
ciété d'une  infâme  prostituée. 


îviij  NOTICE 

Ci  cire,  et  moiistrer  aus  hommes  le  tort  qu'ils  nous  fai- 
ii  soient  en  nous  priuant  du  bien  et  de  l'honneur  qui 
a  nous  en  pouuoit  venir.  ??  Plus  loin  elle  ajoute  qu'elle  de'- 
sire  voir  son  sexe ,  u  non  en  beauté'  seulement,  mais  en 
u  science  et  en  vertu  passer  ou  égaler  les  hommes*,  w 
Elle  exhorte  Clémence  de  Bourges  u  à  si  louable  en- 
treprise 5  >5  et  finit  par  ces  sages  observations  :  u  S'il  y 

*  J'ai  copie  dans  une  note  pre'ce'dente  un  passage  de  Mon- 
taigne, où  il  refuse  aux  hommes  toute  prééminence  sur  les 
femmes,  et  soutient  qu'elles  ne  sont  pas  moins  aptes  à  l'étude 
des  sciences  et  à  tous  les  exercices  de  l'esprit.  Un  Lyonnois, 
contemporain  de  Louise  Labé,  Claude  de  Taillemont,  que  j'ai 
nommé  tout  à  l'heure,  a  défendu  la  même  cause  dans  son  Dis- 
cours des  champs  Faez  à  l'honneur  et  exaltation  de* Dames, 
Lyon,  Michel  du  Boys,  i553,  in-S.":  «  N'a  esté,  dit-il,  iusques 
«  auiourd'hui  le  vouloir  et  consentement  de  nos  prédécesseurs, 
«  tant  misérables  et  peruers,  que  mus  des  erreurs  d'autrui,  ou 
M  de  leur  propre  ignorance,  ils  n'ont  permis  aux  esprits  femi- 
«  nins  goûter  ce  doux  fruit  de  science  et  doctrine  :  comme  si 
«  ç'eust  esté  chose  interdite  de  Dieu,  qu'elles  eussent  su  choi- 
«  sir  la  lumière  entre  les  ténèbres ,  et  discerner  le  bien  du 
«  mal,  ains  ont  trouué  bon  que  l'ignorance,  mère  de  tous  maux, 
«  leur  empeschast  la  connoissance  de  leur  Seigneur  et  Facteur, 
«  et  bien  souvent  d'elles  mesmes.  Occasion  certes ,  par  laquelle 
«  elles  n'ont  pu,  ni  su,  ainsi  que  le  sage,  commander  aux  astres 
«  et  se  despestrer  de  la  mauvaise  inclination  d'iceux.  Vraiement 
«  les  pauvres  ignorans  n'entendoient  que  de  science  vient  vertu, 
«  et  que  les  deux  jointes  ensemble,  sont  la  vraie  sapience,  qui 
«  conduit  l'homme  au  souverain  bien  d'immortalité,  duquel  il 
«  est  aussi  bien  nécessaire  à  la  femme  qu'à  l'homme,  d'auoir 
«  connoissance,  d'autant  qu'elle  en  participe  comme  lui.  Mais 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Hi 

ft  ha  quelque  cliose  recommandahle  après  la  gloire  et 
(6  l'honneur,  le  plaisir  que  l'cstude  ha  acoutumé  donner 
u  nous  y  doit  chacune  inciter,  qui  est  autre  que  les 
a  autres  recreacions  :  desquelles  quand  on  en  ha  pris 
«  tant  que  Ion  veut ,  on  ne  se  peut  vanter  d'autre 
«  chose,  que  d'auoir  passé  le  temps.  Mais  celle  de  l'es- 
«  tude  laisse  un  contentement  de  soy,  qui  nous  de- 

«  que  signifie,  qu'il  y  a  encore  de  tels  fols  au  monde,  lesquels 
«  sans  aucune  consideraliou,  disent  et  maintiennent  la  femme 
«  ne  pouuoir,  ni  deuoir  sauoir  aucune  cliose?  Véritablement 
«  s'ils  ne  me  veulent  nier  que  Dieu  l'ait  faite  participante  d'ame 
«  raisonnable  comme  l'homme,  ie  ne  say  pourquoi  il  ne  lui 
«  seroit  possible  et  licite  de  sauoir  aussi  bien  qu'à  lui.  N'a  elle 
«  sens,  jugement,  et  raison,  l'esprit  prompt,  et  autant  sus- 
«  ceptible  que  l'homme?  Ne  voit  on  par  expérience,  le  fruit 
«  qu'aucunes  ont  rapporté,  et  rapportent  encore  à  présent,  du 
«  peu  de  doctrine  qui  leur  est  permise  :  sinon  toutesfois  tant 
«  généralement  que  les  hommes,  n'en  faut  blasmer,  et  accuser 
«  que  la  coustume,  qui  est  seulement,  et  selon  le  vulgaire,  de 
«  sauoir  filer,  et  faire  leur  me'nage  :  tant  elle  est  à  leur  prciu- 
«<  dice  obseruee ,  que  si  elles  estoient  instruites  es  lettres ,  comme 
«  les  hommes,  ie  m'ose  bien  pour  elles  promettre  l'auantage  : 
«  et,  pour  certain,  c'est  grand  dommage,  que  tant  de  beaux  es- 
«  prits  ne  sont  lime's  et  employe's  à  de  meilleurs  affaires,  que 
«  ceux  auxquels  la  tyrannie  des  hommes  les  a  seulement  asser- 
«  uies  :  car  lors  se  connoitroit  par  expérience,  ce  que  je  dis 
«  estre  vrai,  et  ne  seroit  besoin  alléguer  les  sciences  et  vertus 
«  d'une  infinie  multitude  de  femmes,  qui  sont  et  ont  esté.  » 
Voy.  du  Verdier,  Biblioth.  franc.,  art.  Claude  de  Taillemontf 
édition  de  Rigoley  de  Juyigny  (tome  i ,  page  371), 


Ix  NOTICE 

(c  meure.  Car  le  passé  nous  resioult  et  sert  plus  que  le 
Ci  présent.  ?> 

De  semblables  conseils  aussi  fortement,  et,  je  dirai 
même,  aussi  élégamment  exprimés,  étoient  de  nature 
a  produire  beaucoup  d'effet.  Déjà  le  genre  d'éducation 
que  recevoient  les  femmes,  depuis  le  règne  de  Fran- 
çois i.«^' ,  avoit  singulièrement  développé  toutes  les 
ressources  de  leur  esprit,  tous  les  trésors  de  leur  fé- 
conde imagination.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour 
eifarouclier  quelques-uns  de  ces  bommes  qui  s'imagi- 
nent que  la  carrière  des  sciences  et  des  lettres  est  ex- 
clusivement attribuée  a  leur  sexe:  ils  cberchèrent  donc 
à  ternir  la  réputation  des  femmes  dont  ils  ne  pouvoient 
déprimer  les  écrits,  afin  de  leur  enlever  ce  degré  d'es- 
time qui  forme  leur  plus  bel  apanage. 

L'abbé  Irail,  dans  ses  Querelles  littéraires*,  est  venu 
ajouter  un  nouveau  trait  de  calomnie  à  ceux  qui  avoient 
déjà  été  répandus  contre  la  Belle  Cordière  :  il  lui  im- 
pute d'avoir  trabi  la  confiance  de  Clémence  de  Bour- 
ges, sa  meilleure  amie,  en  lui  enlevant  son  amant,  et 
d'avoir  u  conservé  par  malice  une  conquête  qu'elle 
«  avoit  faite  par  amour-propre.  ?>  Cette  anecdote,  dé- 
mentie par  tous  les  documents  de  l'bistoire ,  par  la  fin 
même  de  Clémence  de  Bourges,  a  été  reproduite  dans 
les  Recherches  placées  à  la  tête  de  la  dernière  édition** 

*  Paris,  Durand,  1761,  4  vol.  in-12,  tome  i,  pages  i58-i64. 

**  C'est-à-dire,  de  l'édition  de  1762.  La  dernière  édition  est 
celle  de  Brest,  i8i5,  qui,  comme  je  l'ai  dit  dans  une  des  notes 
précédentes,  u'étoit  pas  connue  de  M.  Cochard. 


SUR  LOUISE  LABÊ.  Ixj 

des  oeuvres  de  notre  spirituelle  Lyonnolsej  avec  des 
circonstances  propres  h  séduire  des  personnes  crédu- 
les*. Cet  acliarnement  h  poursuivre  la  mémoire  d'une 
femme  digne,  par  sa  conduite  et  son  savoir,  de  toute 
l'estime  de  la  postc'rité,  est  la  plus  forte  preuve  que 
l'envie  s'attache  à  la  gloire  pour  en  ternir  l'ëclatj  que, 
semblable  à  la  rouille  qui  consume  le  fer,  elle  s'ap- 
plique à  détruire  les  réputations  les  mieux  consolidéeSj 
et  qu'elle  ne  respecte  pas  même  les  tombeaux  **.  Mais 
la  justice  rendue  à  la  Belle  Cordière  par  ses  contem- 
porains, par  son  mari,  par  les  hommes  les  plus  re- 
commandables  dans  la  littérature,  doit  naturellement 
l'emporter  sur  des  allégations  dénuées  de  preuves , 
émises  long -temps  après  son  décès,  et  qui,  sous  ce 
rapport,  ne  méritent  aucune  confiance. 

J'ai  parlé  de  son  mari.  Louise  Labé  subit,  en  effet, 
le  joug  de  l'hymen  5  mais  mes  recherches  n'ont  pu 
m'en  faire  connottre  l'époque  précise  ;  j'ai  seulement 
acquis  la  certitude  qu'elle  eut  pour  époux  Ennemond 
Perrin,  marchand  cordier  à  Lyon,  et  que  déjà  leur 
union  subsistoit  en  i555,  puisque  la  plupart  des  pièces 
faites  en  l'honneur  de  Louise,  lui  sont  adressées  avec 

*  Ce  même  conte  a  été  adopté  dans  la  Biographie  universelle, 
à  l'art.  Labé  (Louise),  par  M.  Fortis,  et  à  l'art.  Clémence  de 
Bourges,  par  M.  Beuchot.  Il  l'avoitdéjà  été,  mais  avec  quelque 
hésitation,  par  l'éditeur  des  Annales  poétiques  (Sautereau  de 
Marsy),  dans  la  notice  qu'il  a  consacrée  à  Louise  Labé  (pages 
217  et  suiv.  du  tome  iv  de  ce  recueil,  imprimé  en  1778). 

**  Que  vous  ont  fait  les  morts  pour  remuer  leur  cendre? 
Le  tombeau  contre  vous  ne  peut-il  les  défendre? 


Uij  NOTICE 

la  qualification  de  Dame,  qu'elle  y  est  de'signée  sous 
le  nom  de  Belle  Cordière,  titre  qu'elle  tenoit  de  la  pro- 
fession de  son  époux,  et  que,  dans  des  vers  h  sa  louange, 
on  fait  la  description  de  son  jardin  en  ces  termes  : 

Vn  peu  plus  haut  que  la  plaine, 

Ou  le  Roue  impetueus 

Embrasse  la  Sone  humeine 

De  ses  graiis  Lras  tortueus, 

De  la  mignonne  pucelle 

Le  plaisant  iarJiu  estoit,  elc.  (Pages  i-Zy  et  suiv.) 

Ce  jardin  faisant  l'angle  de  la  rue  Confort  et  d'une 
ruelle  tendant  à  Bellecour ,  avoit  été  abénévisé ,  en 
1484^  à  Giilet  Perrin,  marchand  cordier  ^,  sous  une 
pension  que  son  fils  Ennemond  Perrin,  aussi  marchand 
cordier,  reconnut  en  i55i.  Ainsi  cette  propriété  n'ap- 
partint à  Louise  Lahé  qu'à  cause  de  son  mari,  et  cette 

6  Noble  Léonard  de  Chamosset,  de  la  ville  de  Trévoux,  et 
Guigonne  sa  femme,  fille  de  Jean  Brunicard,  citoyen  de  Lyon, 
ahénévisèrent  ce  jardin  avec  une  maison  qui  en  dépendoit,  à 
Giilet  Perrin,  sous  une  pension  de  4  hv.  par  an.  L'acte  d'nAe- 
névis  est  du  5o  mai  1484.  Perrin  établit  sur  ce  local  son  atelier 
de  corderie  et  ses  magasins.  Ennemond  Perrin,  son  fils  et  son 
héritier,  reconnut  la  pension,  le  i.*"'"  août  i53i.  M.  Claude 
Berthier,  conseiller  au  parlement  de  Grenoble,  étoit  possesseur 
de  la  maison  et  du  jardin,  vers  la  fin  du  xvi.^  siècle,  Louis 
Dupré,  cartonnier,  racheta  la  pension  en  1699*. 

*  Cette  maison  appartenolt  naguère  à  feue  M."*^  Taverniei',  nce  Dupré: 
elle  est  maintenant  la  propriété  de  M.*"^  sa  fille,  épouse  de  M.  Ravier  du 
Magny,  Président  du  tribunal  de  première  instance  de  Lyon. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Ixîij 

circonstance  est  une  preuve  certaine  qu'à  l'époque  où 
ses  oeuvres  furent  imprimées ,  elle  étoit  engagée  dans 
les  liens  du  mariage. 

L'acte  de  reconnoissance  de  i53i,  dans  lequel  En- 
iiemond  Perriu  agit  comme  majeur,  démontre  qu'il 
étoit  iDeaucoup  plus  âgé  que  Louise.  Je  n'ai  rien  pu  dé- 
couvrir sur  la  date  précise  de  son  décès 5  mais  le  tes- 
tagaent  de  sa  femme ,  daté  de  1 565 ,  nous  apprend  qu'il 
avoit  alors  cessé  de  vivre,  puisqu'elle  y  est  qualifiée  de 
Veuve  de  sire  Ennemond  Perrin^  en  son  vlçant  hour-* 
geois  citoyen  de  Lyon, 

Cette  union  de  Louise  Labé  avec  Ennemond  Perrîn 
étoit  dans  les  convenances,  dès-lors  que  les  deux  fa- 
milles exerroient  le  même  genre  de  commerce  ,  et 
qu'elles  jouissoient  également  de  la  considération  que 
procurent  toujours  une  conduite  irréprochable  et  une 
aisance  honnête.  Perrin  avoit  sans  doute  aussi  un  es- 
prit cultivé 5  car  autrement  Louise,  douée  d'une  foule 
de  talents  agréables,  d'une  sensibilité  exquise  et  d'une 
intelligence  rare,  eût -elle  consenti  à  donner  sa  main 
et  son  coeur  à  un  homme  qui  eût  été  incapable  d'ap- 
précier tout  ce  qu'elle  valoit?  On  peut  donc  conjectu- 
rer hardiment  qu  il  existoit  entre  eux  une  véritable 
synipathie,  et  ce  doux  échange  d'amitié,  de  soins,  d'é- 
gards et  de  prévenances,  qui  constitue  la  félicité  dans 
le  mariage.  La  tendresse  de  Perrin  pour  son  épouse  ne 
sauroit  être  révoquée  en  doute,  puisque,  par  l'acte  de 
sa  dernière  volonté,  il  l'institua,  a  défaut  d'enfants, 
son  héritière  universelle.  Une  aussi  généreuse  résolu- 
tion décèle  toute  la  force  de  son  amour^  et  prouve  jus- 


Ixiv  NOTICE 

qu'à  rëviclence  que  Louise  en  etoit  cligne.  Une  foule 
de  pre'somptions  me  portent  même  h  croire  qu'il  avoit 
été  l'amant  favorisé,  auquel  notre  intéressante  Lyon- 
noise  adressoit  ses  touchantes  élégies  et  ses  sonnets  si 
brûlants  *.  La  publicité  qu'elle  donna  h  ses  œuvres  du 
vivant  de  son  mari,  semble  ne  laisser  aucun  doute  sur 
ce  point,  et  justifier,  mieux  que  tous  les  discours 5  la 
pureté  et  la  décence  de  sa  conduite.  ^ 

Il  ne  nous  reste  aucune  autre  production  littéraire 
de  la  Belle  Cordière,  que  le  petit  nombre  de  celles  qui 
sont  contenues  dans  le  recueil  de  ses  oeuvres.  Cepen- 
dant 5  depuis  l'époque  où  elles  parurent  pour  la  première 

*  Il  paroît  que  MM.  Barre,  Radet  et  Desfontaines,  auteurs 
fie  la  petite  pièce  des  Trois  Saphos  Lyonnoises ,  ou  Une  cour 
d'amour,  jouée  à  Paris,  eu  i8i5,  au  the'âtre  du  Vaudeville,  et 
imprimée  la  même  année,  in-8."  de  46  paj^es,  ont  été  préoccu- 
pés de  la  même  idée,  puisqu'ils  ont  donné  le  nom  d'Ennemond 
à  l'amant  de  Louise  Charly,  une  des  Trois  Saphos.  Mais  leur 
pièce  est  un  badinage  très  léger,  et  n'a  rien  d'historique,  si  l'on 
excepte  les  principaux  personnages  qui  y  figurent.  Une  des  sup- 
positions sur  lesquelles  la  fab'e  eu  est  fondée,  et  que  le  moindre 
examen  chronologique  défend  d'à  imettte,  est  celle  qui  consiste 
à  faire  trouver  à  Lyon ,  à  la  même  époque  ,  Marguerite  de  Valois , 
reine  de  Navarre,  Clément  Marot  et  Rabelais,  avec  la  Belle 
Cordière,  Clémence  de  Bourges  et  Pernette  du  Guillet,  trans- 
formée en  Aglaé  du  Guillet.  Il  suffira,  pour  sentir  la  fausseté 
de  cette  supposition,  d'observer  que  Marot  n'est  j  as  revenu  à 
Lyon  depuis  i538,  et  qu'à  celte  époque,  Louise  Labé  ,  née  eu 
1526,  n'avoit  que  douze  ans,  que  Clémence  de  Bourges  étoit 
peut-être  encore  moins  âgée,  et  que  Pernelte  du  Guillet,  morte 
très-jeune  en  i545,  étoit  à  peine  sortie  de  l'enfance. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Ixv 

fois  jusqu'à  sa  mort,  sa  muse  n'est  point  demeurée  oi- 
sive. Pernetti  *  nous  assure  que  le  P.  Menestrier  avoit 
eu  entre  les  mains  beaucoup  de  vers  latins  de  sa  com- 
position. Elle  ëcrivoit  d'ailleurs  dans  sa  langue  avec 
trop  de  facilité  et  de  goût  pour  qu'elle  ait  négligé  d'en 
faire  usage.  Il  est  probable  qu'on  ne  prit,  après  son 
décès,  aucun  soin  de  recueillir  ses  papiers,  et  qu'ils 
devinrent  la  proie  de  l'ignorance.  C'est  h  ce  motif  qu'il 
faut  attribuer  le  défaut  de  notions,  auquel  nous  sommes 
réduits,  sur  les  dernières  années  de  cette  femme  célèbre. 

Son  testament  que  j'ai  recouvré,  et  qui  porte  la  date 
du  28  avril  i565,  vient  ajouter  de  nouveaux  traits  à 
son  éloge  :  il  sert  à  établir  que  la  bienfaisance  est  insé- 
parable de  la  beauté.  Voici  les  principales  dispositions 
de  cet  acte  précieux. 

Louise  Charlin,  dite  Labé,  veut  d'abord  que  son 
corps  soit  inhumé,  si  elle  décède  à  Lyon,  dans  l'é- 
glise de  N.  D.  de  Confort,  de  nuit,  à  la  lanterne,  sans 
pompe,  et  accompagné  seulement  de  quatre  prêtres  j 
qu'il  soit  célébré  à  son  intention,  dans  les  huit  jours 
de  sa  mort,  un  service  et  cent  messes  basses  5  que  les 
pauvres  soient  aumônes  d'une  somme  de  1000  liv. , 
et  trois  filles  indigentes,  dotées  cbacune  de  5o  liv., 
pour  contribuer  à  leur  mariage.  Elle  fonde  dans  l'é- 
glise de  Parcieu  en  Dombes,  paroisse  où  elle  avoit  des 
propriétés ,  une  messe  basse  par  semaine  à  perpétuité 
pour  elle,  ses  parents  et  ses  amis.  Elle  assigne  à  cha- 
cun de  ses  domestiques  et  aux  personnes  employées  à 


*  Les  Lyonnois  clignes  de  mémoire  ^  tome  1,  page  353. 


Ixvj  NOTICE 

la  culture  de  ses  fonds,  des  legs  proportîonne's  à  leurs 
liesoins,  ou  aux  services  qu'ils  lui  avoient  rendus.  Elle 
nomme  pour  son  exécuteur  testamentaire  le  sieur  Jac- 
ques Fourtin,  marchand  florentin,  demeurant  à  Lyon, 
auquel  elle  confie  l'administration  de  ses  biens  pendant 
vingt  ans,  sans  aucune  reddition  de  compte.  Enfin  elle 
ëlit  pour  ses  héritiers  universels  Jacques  et  Pierre  Char- 
lin,  dits  Lahé,  ses  neveux,  fils  de  François  Charlin  son 
frère  7^  et  leur  substitue,  s'ils  viennent  à  mourir  sans 
enfants,  les  pauvres  de  l'Aumône  générale  de  Lyon, 
avec  défense  d'aliéner  ses  propriétés. 

Cet  acte  nous  fait  savoir  que  Louise  Labé  avoit  une 
maison  de  campagne  à  Parciru ,  et  qu'elle  y  faisoit  cha- 
que année  quelque  séjour;  qu'elle  possédoit  aussi  des 
rentes  foncières,  et  qu'elle  avoit  encore  des  fonds  dans 
le  Grand  Parti  du  roi,  sous  le  nom  du  sieur  Fourtin, 
dont  les  revenus  étoient  assignés  sur  la  ville  de  Rouen. 
11  nous  apprend  également  que  Louise  étoit  atteinte 
d'une  maladie  grave,  qui  la  retenoit  dans  la  maison 
du  sieur  Fourtin,  et  qui  sans  doute  la  mit  au  tombeau 
bientôt  après. 

Jacques  et  Pierre  Charlin  ne  survécurent  pas  long- 
temps à  leur  tante  ;  car  les  pauvres  de  l'Aumône  gé- 
nérale se  mirent,  dès  l'année  iSfig,  en  possession  des 

7  Ainsi  le  testament  de  Louise  Labë  rectifie  le  récit  de  Per- 
netti  :  ce  ne  furent  point  les  neveux  d'Ennemond  Perrin  qui 
recueillirent  sa  succession,  ce  fut  son  e'pouse  ,  et  celle-ci  la 
légua  à  ses  propres  neveux,  et,  à  leur  défaut,  à  l'Aumône  gé- 
nérale. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Ixvij 

biens  qui  leur  avoient  été  substitues  3  ils  louèrent  la 
maison  cle  la  rue  Confort,  le  26  décembre,  abénevi- 
sèrent,  Tannée  suivante ,  la  maison  grangère  de  St.  Jean 
de  Tliurigneu,  dépendant  de  la  même  succession,  et 
vendirent  dans  la  suite  la  grange  de  Parcieu  au  sieur 
Fourtin  ^. 

La  postérité,  toujours  équitable,  a  voulu  conserver 
le  souvenir  de  Louise  Labé,  en  donnant  le  nom  de 
Belle  Cordière  à  la  rue  dans  laquelle  elle  avoit  son  do- 
micile 9,  et  qui  n'étoit  avant  1642  qu'une  simple  ruelle 

^  La  grange  de  St.  Jean  cle  Thurigneu  fut  vendue,  par  acte 
du  dernier  d 'cembre  iSyo,  à  Jean  Bruyères,  moyennant  la 
somme  de  800  liv.  une  fois  paye'e^  et  une  pension  arnuelle  de 
3o  liv. 

9  Rien  n'est  plus  sage,  plus  utile,  et  plus  patriotique  à  la 
fois,  que  de  donner  aux  rues  et  aux  places  d'une  ville,  les  noms 
des  citoyens  qui,  par  des  services  éminents  ou  des  talents  re- 
marqviables,  ont  acquis  des  droits  à  la  reconnoissance  publique. 
C'est,  pour  les  cœurs  généreux,  un  puissant  mobile  d'émulation, 
dont  nos  ancêtres  n'ont  pas  négligé  l'emploi:  les  rues  V^anclran^ 
Thomassin ,  Sala,  Boissac ,  du  Peyrat  ^  de  Gradagne  ^  Clermont  ^ 
jy^illars ,  Neyret  ^  du  Garet ,  etc.,  nous  rappellent  des  familles 
la  plupart  éteintes,  mais  toutes  honorablement  inscrites  dans 
les  annales  de  Lyon.  Depuis  quelques  années,  l'administration 
m.unicipale,  marchant  sur  les  traces  de  nos  pères,  se  plaît  aussi 
à  décorer  de  noms  vraiment  historiques  les  rues  nouvellement 
o.uvertes  :  ainsi  ceux  de  Champier  et  de  Pavie ,  médecins  célè- 
bres, se  voient  près  des  Cordeliers,  où  ils  avoient  leur  habita- 
lion;  celui  AeBellièvre,  un  des  ministres  de  Henri  IV,  à  l'endroit 
même  où  il  reçut  le  jour;  de  Menestrier,  à  côté  du  Collège,  où 
il  écrivit  l'histoire  de  Lyon  et  une  foule  d'autres  ouvrages  mar- 


Ixviij  NOTICE 

conduisant  au  portail  de  Bellecour.  Les  Jacobins  ayant 
aliène,  dans  ce  temps-lh ,  une  partie  de  l'enclos  de  \ igné 
qu'ils  possédoient  le  long  de  cette  ruelle,  les  acqué- 
reurs s'empressèr-^nt  d'y  construire  des  maisons^  on 
élargit  le  passage,  qui  fut  d'abord  appelé  rue  Neuve ^ 
ensuite  rue  Régnier,  en  iSyo^  enfin,  rue  Kegnier  ou 

ques  au  coin  de  l'ériiflition  la  plus  profonde;  de  Rosier,  habile 
agronome,  près  de  la  cure  de  Saint  Polycarpe,  où,  le  29  sep- 
tembre 1793,  il  fut  e'crasë  par  une  bombe,  et  mourut  victime 
de  son  attachement  à  ses  devoirs  et  à  sa  patrie,  etc.  Mais  tout 
n'est  pas  fait  encore:  dès  long-temps  j'ai  e'mis  le  vœu  qu'une 
de  nos  principales  rues  portât  le  nom  de  Turquet  et  IVariz,  avec 
cette  inscription  :  Ils  fondèrent ,  en  i536,  la  manufacture  des 
étoffées  de  soie.  Cet  hommage  ,  rendu  à  la  me'moire  de  deux 
hommes  industrieux,  auxquels  la  ville  doit  un  établissement 
qui  a  été  une  des  sources  de  sa  prospérité,  ne  pourroit produire 
que  de  bons  effets.  Espérons  que  ce  souhait  s'accomplira  bientôt. 
Chaque  jour,  se  forment  de  nouveaux  quartiers  :  l'administra- 
tion profitera  sans  doute  de  cette  circonstance  pour  perpétuer 
la  gloire  de  plusieurs  de  nos  concitoyens;  elle  n'oubliera  pas 
V^ulpio ,  qui,  en  i543,  vint  nous  enrichir  de  l'art  de  filer  et  de 
tisser  le  coton;  Poivre,  qui,  au  péril  de  sa  vie,  transplanta  les 
épices  fines  dans  nos  colonies;  Médicis  qui  fut,  dans  le  X!V.^ 
siècle,  propriétaire  de  l'emplacement  de  l'hôtel  du  Nord,  où. 
il  exerçoit  la  banque,  et  que  l'on  considère  comme  la  tige  de 
cette  illustre  famille  qui  régna  sur  la  Toscane;  Buyer ,  qui 
apporta  dans  nos  murs  l'art  de  l'imprimerie;  Cardon,  qui  exerça 
cet  art  avec  tant  de  distinction,  etc.,  etc.  Ce  sont  là,  en  effet, 
quelques-uns  des  noms  qu'une  ville  de  commerce,  telle  que  la 
nôtre,  peut  citer  avec  orgueil,  et  dont  elle  doit  chercher  à 
immortaliser  le  souvenir. 


SUR  LOUISE  LABÉ.  Ixlx 

Belle  Corclière,  en  1607.  Ce  dernier  nom  a  prévalu,  et 
s'est  perpétué  jusqu'à  notre  temps. 

Louise  Labé  mérita  cet  honneur  par  l'éclat  qu'elle 
répandit  sur  sa  patrie  ;  la  durée  de  sa  \ie  n'a  pas  été 
longue  5  mais  tous  ses  jours  ont  été  remplis  d'une  ma- 
nière utile,  et  c'est  par  une  bonne  action  qu'elle  les  a 
terminés.  Son  héritage  vint  augmenter  le  patrimoine 
des  pauvres,  et  contribue  encore  aujourd'hui  au  sou- 
lagement des  malheureux.  Ainsi  celle  qui  se  montra 
supérieure  en  valeur,  en  savoir  et  en  vertu,  voulut  aussi 
se  distinguer  par  sa  bienfaisance. 

L'exemple  de  la  Belle  Gordière,  la  place  éminente 
qu'elle  occupe  dans  les  fastes  de  la  littérature,  nous 
sont  de  surs  garants  de  l'influence  que  l'éducation  exerce 
sur  les  esprits,  et  prouvent  combien  les  femines  appor- 
teroient  de  pénétration  et  d'aptitude  dans  les  sciences, 
si  nous  leur  permettions  de  les  étudier.  Les  Gaulois, 
nos  ancêtres,  avoient  pour  leurs  compagnes  une  sin- 
gulière vénération^  ils  les  établissoient  juges  de  leurs 
différends,  se  soumettoient  sans  murmure  à  leurs  dé- 
cisions, et  les  regardoient  comme  les  interprètes  de  la 
divinité.  Moins  sages  qu'eux,  notre  orgueil  étouffe  leur 
génie,  et,  quoique  nous  éprouvions  à  chaque  instant 
combien  leur  tact  est  sûr  en  matière  de  goût,  combien 
leur  âme  a  de  force  et  d'énergie  dans  le  danger,  com- 
bien leur  esprit  a  d'agrément  et  de  souplesse ,  com- 
bien leur  douceur  et  leur  amabilité  leur  fournissent  de 
moyens  pour  conduire  les  affaires  les  plus  délicates  à 
un  heureux  terme,  nous  les  tenons  dans  une  sorte  d'é- 
tat continuel  d'interdiction ,  et  par  une  éducation  toute 


Ixx  NOTICE  SUR  LOUISE  LABÊ. 

artificieuse,  nous  constituons  bien  mieux  leur  foiblesse 
que  ne  le  fait  la  nature  même.  Aussi  leur  loisir  est  -  il 
un  tourment,  leur  travail  une  oisiveté.  Ali!  puisqu'elles 
partagent  nos  plaisirs,  puisqu'elles  conti'ibuent  si  effi- 
cacement à  notre  bonlieur,  pourquoi  ne  les  élèverions- 
nous  pas  jusqu'à  nous?  pourquoi  n'ajouterions- nous 
pas  à  leur  félicité,  en  occupant  davantage  leur  raison? 
pourquoi  ne  donnerions-nous  pas  le  plus  grand  essor 
au  développement  de  leurs  facultés  intellectuelles ,  et 
ne  dirigerions-nous  pas  vers  un  but  utile  leur  ardente 
imagination,  au  lieu  de  Fuser  en  l'assujettissant  à  des 
œuvres  serviles,  a  des  détails  minutieux,  à  des  études 
inconsidérées?  Il  appartient  a  notre  siècle  de  restituer 
a  ce  sexe  enchanteur  la  part  qu'il  doit  avoir  dans  toutes 
les  opérations  de  l'entendement.  C'est  par  l'instruction 
que  nous  pouvons  parvenir  à  lui  assigner  le  rang  que 
les  lettres  et  les  sciences  donnent  aux  personnes  qui 
les  cultivent,  que  nous  épurerons  ses  mœurs,  que  nous 
ennoblirons  ses  passions,  que  nous  exalterons  ses  sen- 
timents, en  lui  faisant  chérir  ses  devoirs,  en  l'attachant 
davantage  à  sa  patrie,  en  lui  rendant  facile  la  pratique 
des  vertus.  Dans  l'expression  de  ce  vœu,  je  ne  fais  que 
répéter  celui  que  forma  Louise  Labé  elle  -  même  ;  sa 
propre  expérience  lui  avoit  appris  combien  l'instruction 
est  utile,  combien  elle  ajoute  aux  attraits  de  la  beauté, 
et  elle  désiroit  d'y  voir  participer  toutes  les  personnes 
de  son  sexe.  Puisse  un  tel  souhait  se  réaliser!  Il  dou- 
bleroit  nos  jouissances,  et  sèmeroit  pour  nous  de  nou- 
velles fleurs  le  chemin  de  la  vie. 


EVVRES 


DE 


LOYIZE  LABE. 


A  MADAMOISELLE 

CLEMENCE  DE  BOVRGES, 


LIONNOIZE. 


JCjSTAnt  le  tems  venu,  Madamoiselle ,  que  les  seueres 
loix  des  hommes  n'empeschent  plus  les  femmes  de  s'a- 
pli  quer  aus  sciences  et  disciplines  :  il  me  semble  que 
celles  qui  ont  la  commodité,  doiuent  employer  cette 
honneste  liberté  que  notre  sexe  ha  autrefois  tant  dési- 
rée 5  à  icelles  aprendre  :  et  montrer  aus  hommes  le  tort 
qu'ils  nous  faisoient  en  nous  priuant  du  bien  et  de  l'hon- 
neur qui  nous  en  pouuoit  venir:  Et  si  quelcune  paruient 
en  tel  degré,  que  de  pouuoir  mettre  ses  concepcions 
par  escrit,  le  faire  songneusement  et  non  dédaigner  la 
gloire,  et  s'en  parer  plustot  que  de  chaines,  anneaus,  et 
somptueus  habits  :  lesquels  ne  pouuons  vrayement  esti- 
mer nôtres,  que  par  usage.  Mais  l'honneur  que  la  science 
nous  procurera ,  sera  entièrement  notre  :  et  ne  nous 
pourra  estre  oté,  ne  par  finesse  de  larron,  ne  force  d'en- 
nemis, ne  longueur  du  tems.  Si  i'eusse  esté  tant  fauo- 
risee  des  Cieus,  que  d'auoir  l'esprit  grand  assez  pour 
comprendre  ce  dont  il  ha  îi  enuie,  ie  seruirois  en  cet 
endroit  plus  d'exemple  que  d'amonicion.  Mais  ayant 
passé  partie  de  ma  ieunesse  à  l'exercice  de  la  Musi- 
que, et  ce  qui  m'a  resté  de  tems  l'ayant  trouué  court 
pour  la  rudesse  de  mon  entendement ,  et  ne  pou^uant 


0 


2  EPITRE 

de  moymesme  satisfaire  au  bon  vouloir  que  ie  porte  à 
notre  sexe,  de  le  voir  non  en  beauté  seulement,  mais 
en  science  et  en  vertu  passer  ou  e'galer  les  hommes  : 
ie  ne  puis  faire  autre  chose  que  prier  les  vertueuses 
Dames  d'esleuer  un  peu  leurs  esprits  par  dessus  leurs 
quenoilles  et  fuseaus,  et  s'employer  à  faire  entendre 
au  monde  que  si  nous  ne  sommes  faites  pour  comman- 
der, si  ne  deuons  nous  estre  dédaignées  pour  compa- 
gnes tant  es  afaires  domestiques  que  publiques,  de  ceus 
qui  gouuernent  et  se  font  obeïr.  Et  outre  la  reputacion 
que  notre  sexe  en  receura  nous  aurons  valu  au  publiq , 
que  les  hommes  mettront  plus  de  peine  et  d*estude  aus 
sciences  vertueuses,  de  peur  qu'ils  n'ayent  honte  de 
voir  précéder  celles,  desquelles  ils  ont  prétendu  estre 
tousiours  supérieurs  quasi  en  tout.  Pource,  nous  faut 
il  animer  l'une  l'autre  à  si  louable  entreprise  :  De  la- 
quelle ne  deuez  eslongner  ni  espargner  votre  esprit , 
ià  de  plusieurs  et  diuerses  grâces  acompagné  :  ny  vo- 
tre ieunesse ,  et  autres  faneurs  de  fortune ,  pour  aquerir 
cet  honneur  que  les  lettres  et  sciences  ont  acoutumé 
porter  aux  personnes  qui  les  suyuent.  S'il  y  ha  quelque 
chose  recommandable  après  la  gloire  et  l'honneur,  le 
plaisir  que  l'estude  des  lettres  ha  acoutumé  donner  nous 
y  doit  chacune  inciter  :  qui  est  autre  que  les  autres  re- 
creacions  :  desquelles  quand  on  en  ha  pris  tant  que 
Ion  veut,  on  ne  se  peut  vanter  d'autre  chose,  que  d'a- 
uoir  passé  le  temps.  Mais  celle  de  l'estude  laisse  un  con- 
tentement de  soy,  qui  nous  demeure  plus  longuement. 
Car  le  passé  nous  resiouit,  et  sert  plus  que  le  présent: 
mais  les  plaisirs  des  sentimens  se  perdent  incontinent, 


DEDICATOIRE.  3 

et  ne  reuiennent  ianiaisj  et  en  est  quelquefois  la  mé- 
moire autant  fâcheuse,  comme  les  actes  ont  esté  dé- 
lectables.   Dauantage  les  autres  voluptez  sont  telles, 
que  quelque  souuenir  qui  en  vienne ,  si  ne  nous  peut 
il  remettre  en  telle  disposicion  que  nous  estions  ;  et 
quelque  imaginacion  forte  que  nous  imprimions  en  la 
teste  5  si  connoissons  nous  bien  que  ce  n'est  qu'une  om- 
bre du  passé  qui  nous  abuse  et  trompe.  Mais  quand  il 
auient  que  mettons  par  escrit  nos  concepcions,  com- 
bien que  puis  après  notre  cerucau  coure  par  une  infi- 
nité d'afaires  et  incessamment  remue,  si  est  ce  que  long 
tems  après  reprenans  nos  escrits,  nous  reuenons  au 
mesme  point,  et  à  la  mesme  disposicion  ou  nous  es- 
tions. Lors  nous  redouble  notre  aise  :  car  nous  retrou- 
uons  le  plaisir  passé  qu'auons  îi  ou  en  la  matière  dont 
escrimons,  ou  en  l'intelligence  des  sciences  ou  lors  es- 
tions adonnez.  Et  outre  ce,  le  iugement  que  font  nos 
secondes  concepcions  des  premières,  nous  rend  un  sin- 
gulier contentement.  Ces  deus  biens  qui  prouiennent 
d'escrire  vous  y  doiuent  inciter,  estant  asseuree  que  le 
premier  ne  faudra  d'acompagner  vos  escrits,  comme 
il  fait  tous  vos  autres  actes  et  façons  de  viure.  Le  se- 
cond sera  en  vous  de  le  prendre,  ou  ne  l'auoir  point: 
ainsi  que  ce  dont  vous  escrirez  vous  contentera.  Quant 
à  moy  tant  en  escriuant  premièrement  ces  ieunesses 
que  en  les  reuoyant  depuis,  ie  n'y  cherchois  autre  chose 
qu'un  honneste  passetems  et  moyen  de  fuir  oisiueté: 
et  n'auois  point  intencion  que  personne  que  moy  les 
dust  iamais  voir.  Mais  depuis  que  quelcuns  de  mes  amis 
ont  trouué  moyen  de  les  lire  sans  que  l'en  susse  rien, 


i4 


4  EPITRE  DEDICATOIRE. 

et  que  (ainsi  comme  aisément  nous  croyons  ceux  qui 
nous  louent)  ils  m'ont  fait  à  croire  que  les  deuois  met- 
tre en  lumière  :  ie  ne  les  ay  ose  esconduire,  les  menas- 
sant  ce  pendant  de  leur  faire  Loire  la  moitié  de  la  honte 
qui  en  prouiendroit.  Et  pource  que  les  femmes  ne  se 
montrent  volonters  en  puLliq  seules,  ie  vous  ay  choi- 
sie pour  me  seruir  de  guide ,  vous  dédiant  ce  petit  eu- 
ure,  que  ne  vous  enuoye  à  autre  fin  que  pour  vous 
acertener  du  hon  vouloir  lequel  de  long  tems  ie  vous 
porte,  et  vous  inciter  et  faire  venir  enuie  en  voyant 
ce  mien  euure  rude  et  mal  bâti,  d*en  mettre  en  lumière 
un  autre  qui  soit  mieus  limé  et  de  meilleure  grâce. 
Dieu  vous  maintienne  en  santé. 

De  Lion  ce  24.  luillet  i555. 


Votre  humble  amie 


DEBAT 

DE  FOLIE  ET  D'AMOVR. 


ARGVMENT. 


IVPITER  faisoit  un  grand  festin ,  ou  estoit  commandé  à  tous 
les  Dieus  se  trouuer.  Amour  et  Folie  arriuent  en  mesme  ins- 
tant sur  la  porte  du  Palais  :  laquelle  estant  ià  fermée,  et  n'ayant 
que  le  guichet  ouuert,  Folie  voyant  Amour  ià  prest  à  mettre  un 
pied  dedens,  s'auance  et  passe  la  première.  Amour  se  voyant 
poussé,  entre  en  colère  :  Folie  soutient  lui  apartenir  de  passer 
deuant.  Ils  entrent  en  dispute  sur  leurs  puissances,  dinitez  et 
préséances.  Amour  ne  la  pouuant  veincre  de  paroles,  met  la 
main  à  son  arc,  et  lui  lasche  une  flesche,  mais  en  vain  :  pource 
que  Folie  soudein  se  rend  inuisible  :  et  se  voulant  venger,  ote 
les  yeus  à  Amour.  Et  pour  couurir  le  lieu  ou  ils  estoient ,  lui 
mit  un  bandeau,  fait  de  tel  artifice,  qu'impossible  est  lui  oter. 
Venus  se  pleint  de  Folie ,  lupiter  veut  entendre  leur  diferent. 
Apolon  et  Mercure  debatent  les  droits  de  l'une  et  l'autre  partie, 
lupiter  les  ayant  longuement  ouiz,  en  demande  l'opinion  aus 
Dieus  :  puis  prononce  sa  sentence. 


LES  PERSONNES. 

FOLIE.  f  AMOVR. 

VENVS.  1  IVPITER. 

APOLON.  §  MERCVRE. 


DEBAT 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR. 


DISCOYRS  I. 

FOLIE. 

A.  ce  que  ie  voy,  ie  seray  la  dernière  au  festin  de  Ju- 
piter, ou  ie  croy  que  Ion  ni*attent.  Mais  ie  voy,  ce  me 
semble,  le  fils  de  Venus,  qui  y  va  aussi  tart  que  moy. 
Il  faut  que  ie  le  passe,  à  fin  que  Ion  ne  m'apelle  tar- 
diue  et  paresseuse. 

AMOVR. 

Qui  est  cette  foie  qui  me  pousse  si  rudement  ?  Quelle 
grande  hâte  la  presse  ?  Si  ie  t'usse  aperçue,  ie  t'usse  bien 
gardé  de  passer. 

FOLIE. 

Tu  ne  m*usses  pu  empesclier,  estant  si  ieune  et  foible. 
Mais  à  Dieu  te  command*,  ie  vois  deuant  dire  que  tu 
viens  tout  à  loisir. 

AMOVR. 

Il  n*en  ira  pas  ainsi  :  car  auant  que  tu  m'escbapes, 
ie  te  donneray  à  connoitre  que  tu  ne  te  dois  atacher  à 
moy. 


8  DEBAT 

FOLIE. 

Laisse  moy  aller,  ne  m'arreste  point  :  car  ce  te  sera 
honte  de  quereler  auec  une  femme.  Et  si  tu  m'eschau- 
fes  une  fois,  tu  n'auras  du  meilleur. 

AMOVR. 
Quelles  menasses  sont  ce  cy?  ie  n'ay  trouuë  encore 
personne  qui  m'ait  menasse  que  cette  foie. 

FOLIE. 
Tu  montres  bien  ton  indiscrecion,  de  prendre  en  mal 
ce  que  ie  t'ay  fait  par  ieu  :  et  te  mesconnois  bien  toy- 
mesme,  trouuant  mauuais  que  ie  pense  auoir  du  meil- 
leur si  tu  t'adresses  à  moy.  Ne  vois  tu  pas  que  tu  n'es 
qu'un  ieune  garsonneau?  de  si  foible  taille  que  quand 
i'aurois  un  bras  lie',  si  ne  te  creiudrois  ie  gueres. 

AMOVR. 
Me  connois  tu  bien  ? 

FOLIE. 
Tu  es  Amour,  fils  de  Venus. 
AMOVR. 
Comment  donques  fais  tu  tant  la  braue  auprès  de 
moy,  qui,  quelque  petit  que  tu  me  voyes,  suis  le  plus 
creint  et  redoute  entre  les  Dieus  et  les  hommes?  et  toy 
femme  inconnue,  oses  tu  te  faire  plus  grande  que  moy? 
ta  ieunesse,  ton  sexe,  ta  façon  de  faire  te  démentent 
assez;  mais  plus  ton  ignorance,  qui  ne  te  permet  con- 
noitre  le  grand  degré  que  ie  tiens. 

FOLIE. 

Tu  trionfes  de  dire.  Ce  n'est  à  moi  à  qui  tu  dois  ven- 
dre tes  coquilles.  Mais  di  moy,  quel  est  ce  grand  pou- 
uoir  dont  tu  te  vantes. 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  9 

AMOVR. 
Le  ciel  et  la  terre  en  rendent  témoignage.  Il  n*y  ha 
lieu  ou  n*aye  laisse  quelque  trofee.  Regarde  au  ciel  tous 
les  sièges  des  Dieus ,  et  t*interrogue  si  quelcun  d'entre 
eus  s'est  pîi  eschaper  de  mes  mains.  Commence  au  vieil 
Saturne,  lupiter.  Mars,  Apolon,  et  finiz  aus  Demidieus, 
Satires,  Faunes  et  Siluaîns.  Et  n'auront  lionte  les  Dées- 
ses d'en  confesser  quelque  chose.  Et  ne  m'a  Pallas  es- 
pouuenté  de  son  houclier  ;  mais  ne  l'ay  voulu  interrom- 
pre de  ses  sutils  oviurages,  ou  iour  et  nuit  elle  s'employe. 
Baisse  toy  en  terre,  et  di  si  tu  trouueras  gens  de  marque, 
qui  ne  soient  ou  ayent  esté  des  miens.  Voy  en  la  furieuse 
mer,  Neptune  et  ses  Tritons,  me  prestans  oheïssance. 
Penses  tu  que  les  infernaus  s'en  exemptent?  ne  les  ày 
ie  fait  sortir  de  leurs  ahimes,  et  venir  espouuenter  les 
humains,  et  rauir  les  filles  à  leurs  mères:  quelques  iu- 
ges  qu'ils  soient  de  telz  forfaits  et  transgressions  faites 
contre  les  loix  ?  Et  à  fin  que  tu  ne  doutes  auec  quelles 
armes  ie  fay  tant  de  prouesses,  voila  mon  Arc  seul  et 
mes  fiesches,  qui  m'ont  fait  toutes  ces  conquestes.  le 
n'ay  besoin  de  Vulcan  qui  me  forge  de  foudres,  armet, 
escu  et  glaiue.  le  ne  suis  acompagné  de  Furies,  Har- 
pies et  tourmenteurs  de  monde ,  pour  me  faire  creindre 
auant  le  combat.  le  n'ay  que  faire  de  chariots,  soudars, 
hommes  darmes  et  grandes  troupes  de  gens  :  sans  les- 
quelles les  hommes  ne  trionferoient  la  bas,  estant  d'eus 
si  peu  de  chose ,  qu'un  seul  (quelque  fort  qu'il  soit  et 
puissant)  est  bien  empesché  alencontre  de  deus.  Mais 
ie  n'ay  autres  armes ,  conseil ,  municion ,  ayde  ,  que 
moymesme.  Quand  ie  voy  les  ennemis  en  campagne, 


10  DEBAT 

ie  me  présente  auec  mon  Arc  :  et  lascliant  une  flesclie 
les  mets  incontinent  en  route  ;  et  est  aussi  tôt  la  victoire 
gaignee,  que  la  bataille  donnée, 

FOLIE. 
Fexcuse  un  peu  ta  ieunesse ,  autrement  ie  te  pourrois 
à  bon  droit  nommer  le  plus  presomptueus  fol  du  monde. 

11  sembleroit  à  t'ouir  que  chacun  tienne  sa  yie  de  ta 
merci  ;  et  que  tu  sois  le  vray  Signeur  et  seul  souuerein 
tant  en  ciel  qu'en  terre.  Tu  t'es  mal  adressé  pour  me 
faire  croire  le  contraire  de  ce  que  ie  say. 

AMOVR. 
C'est  une  estrange  façon  de  me  nier  tout  ce  que  cha- 
cun confesse. 

FOLIE. 
le  n'ay  afaire  du  iugement  des  autres  :  mais  quant  à 
moy,  ie  ne  suis  si  aisée  à  tromper.  Me  penses  tu  de  si  peu 
d'entendement  5  que  ie  ne  connoisse  à  ton  port  et  à  tes 
contenances,  quel  sens  tu  peus  auoir?  et  me  feras  tu 
passer  deuant  les  yeus  ,  qu'un  esprit  léger  comme  le 
tien,  et  ton  corps  ieune  et  flouet,  soit  dine  de  telle  si- 
gneurie,  puissance  et  autorité,  que  tu  t'atribues  ?  et  si 
quelques  auentures  estranges,  qui  te  sont  auenues,  te 
deçoiuent,  n'estime  pas  que  ie  tombe  en  semblable  er- 
reur, sachant  tresbien  que  ce  n'est  par  ta  force  et  vertu, 
que  tant  de  miracles  soient  auenuz  au  monde  ;  mais  par 
mon  industrie,  par  mon  moyen  et  diligence  :  combien 
que  tu  ne  me  connoisses.  Mais  si  tu  veus  un  peu  tenir 
moyen  en  ton  courrons,  ie  te  feray  connoitre  en  peu 
d'heure  ton  arc  et  tes  flesches ,  ou  tant  tu  te  glorifies , 
estre  plus  molz  que  paste,  si  ie  n'ay  bandé  l'arc  et  trempé 
le  fer  de  tes  flesches. 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  n 

AMOVR. 

le  croy  que  tu  veus  me  faire  perdre  pacience.  le  ne 

sache  iamais  que  personne  ait  manié  mon  arc,  que 

moy  :  et  tu  me  veus  faire  à  croire,  que  sans  toy  le  n'en 

pourrois  faire  aucun  effort.  Mais  puis  qu'ainsi  est  que  tu 

l'estimes  si  peu,  tu  en  feras  tout  à  cette  heure  la  preuue. 

(Folie  se  fait  inuisible,  tellement^  qu'Amour  ne  la 

peut  assener.  ) 

AMOVR. 

Mais  qu'es  tu  cleuenue  ?  comment  m'es  tu  eschapee? 
Ou  ie  n'ay  sîi  t'ofenser,  pour  ne  te  voir,  ou  contre  toy 
seule  ha  reijouché  ma  flesche  ;  qui  est  Lien  le  plus  es- 
trange  cas  qui  iamais  m'auint.  le  pensois  estre  seul  d'en- 
tre les  Dieus,  qui  me  rendisse  inuisihle  à  eus  mesmes 
quand  bon  me  sembloit  :  Et  maintenant  ay  trouué  qui 
m'a  esbloui  les  yeus.  Aumoins  di  nioy,  quiconque  sois , 
si  à  l'auenture  ma  flesche  t'a  frapee,  et  si  elle  t'a  blessée. 

FOLIE. 

Ne  t'auois  ie  bien  dit,  que  ton  arc  et  tes  flesches  n'ont 
effort,  que  quand  ie  suis  de  la  partie.  Et  pourautant 
qu'il  ne  m'a  plu  d'estre  nauree,  ton  coup  ha  esté  sans 
effort.  Et  ne  t'esbahis  si  tu  m'as  perdue  de  vue,  car 
quand  bon  me  semble,  il  n'y  ha  oeil  d'Aigle,  ou  de  ser- 
pent Epidaurien ,  qui  me  sache  aperceuoir.  Et  ne  plus 
ne  moins  que  le  Caméléon,  ie  pren  quelquefois  la  sem- 
blance  de  ceus  auprès  desquelz  ie  suis. 

AMOVR. 

A  ce  que  ie  voy,  tu  dois  estre  quelque  sorcière  ou 
enchanteresse.  Es  tu  point  quelque  Circe,  ou  Medee, 
ou  quelque  Fée  ? 


12  DEBAT 

FOLIE. 
Tu  m'outi-ages  tousiours  de  paroles  :  et  n'a  tenu  à 
toj  que  ne  l'aye  esté  de  fait.  le  suis  Déesse ,  comme  tu 
es  Dieu  :  mon  nom  est  Folie.  le  suis  celle  qui  te  fay 
grand,  et  abaisse  h  mon  plaisir.  Tu  lasches  l'arc  ,  et 
gettes  les  flesches  en  l'air:  mais  ie  les  assois  aus  cœurs 
que  ie  veus.  Quand  tu  te  penses  plus  grand  qu'il  est  pos- 
sible d'estre,  lors  par  quelque  petit  despit  ie  te  renge  et 
remets  auec  le  vulgaire.  Tu  t'adresses  contre  lupiter  : 
mais  il  est  si  puissant  et  grand,  que  si  ie  ne  dressois  ta 
main,  si  ie  n'auois  bien  trempé  ta  flesche,  tu  n'aurois 
aucun  pouuoir  sur  lui.  Et  quand  toy  seul  ferois  aymer, 
quelle  seroit  ta  gloire,  si  ie  ne  faisois  paroitre  cet  amour 
par  mille  invencions?  Tu  as  fait  aymer  lupiter  :  maisie 
l'ay  fait  transmuer  en  Cigne,  en  Taureau,  en  Or,  en  Ai- 
gle :  en  danger  des  plumassiers,  des  loups,  des  larrons, 
et  chasseurs.  Qui  fit  prendre  Mars  au  piège  auec  ta  mère, 
si  non  moy,  qui  l'auois  rendu  si  mal  auisé,  que  venir 
faire  un  poure  mari  cocu  dedens  son  ïit  mesme  ?  Qu'ust 
ce  esté,  si  Paris  n'ust  fait  autre  chose ,  qu' aymer  He- 
leine  ?  Il  estoit  à  Troye ,  l'autre  à  Sparte  ;  ils  n'auoient 
garde  d'eus  assembler.  Ne  lui  fis  ie  dresser  une  armée 
de  mer,  aller  chez  Menelas ,  faire  la  court  à  sa  femme , 
l'emmener  par  force ,  et  puis  défendre  sa  querele  in- 
iuste  contre  toute  la  Grèce  ?  Qui  ust  parlé  des  Amours 
de  Dido ,  si  elle  n'ust  fait  semblant  d'aller  à  la  chasse 
pour  auoir  la  commodité  de  parler  à  Enee  seule  à  seul, 
et  lui  montrer  telle  priuauté  qu'il  ne  deuoit  auoir  honte 
de  prendre  ce  que  volontiers  elle  ust  donné ,  si  à  la  fin 
n'ust  couronné  son  amour  d'une  misérable  mort?  On 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  i5 

n'ust  non  plus  parlé  d'elle,  que  de  mile  autres  hôtesses, 
qui  font  plaisir  aus  passans.  le  croy  qu'aucune  mencion 
ne  seroit  d'Artemise,  si  ie  ne  lui  usse  fait  boire  les  cen- 
dres de  son  mari.  Car  qui  ust  sii  si  son  affeccion  ust 
passé  celle  des  autres  femmes,  qui  ont  aymé,  et  re- 
gretté leurs  maris  et  leurs  amis  ?  Les  effets  et  issues  des 
choses  les  font  louer  ou  mespriser.  Si  tu  fais  aymer,  i'en 
suis  cause  le  plus  souuent.  Mais  si  quelque  estrange  a- 
uenture,  ou  grand  effet  en  sort,  en  cela  tu  n'y  as  rien: 
mais  en  est  à  moy  seule  l'honneur.  Tu  n'as  rien  que 
le  cœur:  le  demeurant  est  gouuerné  par  moy-  Tu  ne 
scez  quel  moyen  faut  tenir.  Et  pour  te  déclarer  qu'il 
faut  faire  pour  complaire,  ie  te  meine  et  condui:  et  ne 
te  seruent  tes  yeus  non  plus  que  la  lumière  à  un  aueugle. 
Et  à  fin  que  tu  me  reconnoisses  d'orenauant,  et  que  me 
saches  gré  quand  ie  te  meneray  ou  conduiray  :  regarde 
si  tu  vois  quelque  chose  de  toymesme? 

(Folie  tire  les  yeus  à  Amour.) 

AMOVR. 
0  lupiter!  o  ma  mère  Venus!  lupiter,  lupiter,  que 
m'a  serui  d'estre  Dieu,  fils  de  Venus  tant  bien  voulu 
iusques  ici,  tant  au  ciel  qu'en  terre,  si  ie  suis  suget  a 
estre  îniurié  et  outragé,  comme  le  plus  vil  esclaue  ou 
forsaire,  qui  soit  au  monde?  et  qu'une  femme  incon- 
nue m'ait  pu  creuer  les  yeus  ?  Qu'à  la  malheure  fut  ce 
banquet  solennel  institué  pour  moy.  Me  trouveray  ie 
en  haut  auecques  les  autres  Dieus  en  tel  ordre?  Ils  se 
resiouiront ,  et  ne  feray  que  me  pleindre.  0  femme 
cruelle!  comment  m'as  tu  ainsi  acoutré. 


i4  DEBAT 

FOLIE. 

Ainsi  se  châtient  les  ieunes  et  presomptueus ,  comme 
toj.  Quelle  temeritë  ha  un  enfant  de  s'adresser  à  une 
femme,  et  l'iniurier  et  outrager  de  paroles  :  puis  de  voye 
de  fait  tacher  à  la  tuer.  Une  autre  fois  estime  cens  que 
tu  ne  connois  estre ,  possible ,  plus  grans  que  toy.  Tu 
as  ofensé  la  Royne  des  hommes,  celle  qui  leur  gouuerne 
le  cerueau,  coeur,  et  esprit:  à  l'ombre  de  laquelle  tous 
se  retirent  une  fois  en  leur  vie,  et  y  demeurent  les  uns 
plus,  les  autres  moins,  selon  leur  mérite.  Tu  as  ofensé 
celle  qui  t'a  fait  auoir  le  bruit  que  tu  as  :  et  ne  s'est 
souciée  de  faire  entendre  au  Monde ,  que  la  meilleure 
partie  du  loz  qu'il  te  donnoit,  lui  estoit  due.  Si  tu  usses 
esté  plus  modeste ,  encore  que  ie  te  fusse  inconnue  : 
cette  faute  ne  te  fust  auenue. 

AMOVR. 

Comment  est  il  possible  porter  honneur  à  une  per- 
sonne que  Ion  n'a  iamais  vue  ?  le  ne  t'ay  point  fait  tant 
d'iniure  que  tu  dis,  vu  que  ne  te  connoissois.  Car  si 
i'usse  sii  qui  tu  es,  et  combien  tu  as  de  pouuoir,  ie  t'usse 
fait  l'honneur  que  mérite  une  grand'  Dame.  Mais  est  il 
possible,  s'ainsi  est  que  tant  m'ayes  aymé,  et  aydé  en 
toutes  mes  entreprises ,  que  m' ayant  pardonné,  me  ren- 
disses mes  yeus  ? 

FOLIE. 

Que  tes  yeus  te  soient  renduz ,  ou  non ,  il  n'est  en 
mon  pouuoir.  Mais  ie  t'acoutreray  bien  le  lieu  ou  ils  es- 
toient,  en  sorte  que  Ion  n'y  verra  point  de  diformité. 
(Folie  bande  Amour,  et  lui  met  des  esles.) 

Et  ce  pendant  que  tu  chercheras  tes  yeus ,  voici  des 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  i5 

esles  que  ie  te  preste,  qui  te  conduiront  aussi  bien 
comme  moj. 

AMOVR. 

Mais  ou  auois  tu  pris  ce  bandeau  si  à  propos  pour 
me  lier  mes  plaies  ? 

FOLIE. 

En  venant  i*ay  trouué  une  des  Parques  ^  qui  me  Ta 
baillé  j  et  m*a  dit  estre  de  telle  nature  que  iamais  ne 
te  pourra  estre  oté. 

AMOVR. 

Comment  oté!  ie  suis  donq  aveugle  à  iamais.  0  mes- 
chante  et  traytresse!  il  ne  te  sufit  pas  de  m'auoir  creué 
les  yeus,  mais  tu  as  oté  ans  Dieus  la  puissance  de  me 
les  pouuoir  iamais  rendre.  0  qu'il  n*est  pas  dit  sans 
cause,  qu'il  ne  faut  point  receuoir  présent  de  la  main 
de  ses  ennemis.  La  malheureuse  m'a  blessé,  et  me  suis 
mis  entre  ses  mains  pour  estre  pensé.  0  cruelles  des- 
tinées !  0  noire  iournee  !  0  moi  trop  crédule  !  Ciel , 
Terre,  et  Mer,  n'aurez  vous  compassion  de  voir  Amour 
aueugle  ?  0  infâme  et  détestable ,  tu  te  vanteras  que  ne 
t'ay  pîi  fraper,  que  tu  m'as  oté  les  yeus ,  et  trompé  en 
me  fiant  en  toy.  Mais  que  me  sert  de  plorer  ici  ?  11  vaut 
mieus  que  me  retire  en  quelque  lieu  apart,  et  laisse 
passer  ce  festin.  Puis  s'il  est  ainsi  que  i'aye  tant  de  fa- 
neur au  Ciel  ou  en  Terre  :  ie  trouueray  moyen  de  me 
venger  de  la  fausse  Sorcière ,  qui  tant  m'a  fait  d'ou- 
trage. 


i6  DEBAT 


DISCOVRS  II. 

(Amour  sort  du  Palais  de  lupiter,  et  va  resuant  à  son  infortune.) 

AMOVK. 

Ures  suis  ie  las  de  toute  cliose.  Il  vaut  mieus  par  despit 
descharger  mon  carquois ,  et  getter  toutes  mes  fles- 
clies,  puis  rendre  arc  et  trousse  à  Venus  ma  mère.  Or 
aillent j  ou  elles  pourront,  ou  en  Ciel,  ou  en  Terre,  il 
lie  m'en  chaut  :  Aussi  bien  ne  m'est  plus  loisible  faire 
aymer  qui  bon  me  semblera.  0  que  ces  belles  Desti- 
nées ont  auiourdhui  fait  un  beau  trait,  de  m'auoir  or- 
donné estre  aueugle,  à  fin  qu'indiferemment ,  et  sans 
accepcion  de  personne ,  chacun  soit  au  hazard  de  mes 
traits  et  de  mes  flesches.  le  faisois  aymer  les  ieunes  pu- 
celles ,  les  ieunes  hommes  :  i'acompagnois  les  plus  io- 
lies  des  plus  beaus  et  plus  adroits.  le  pardonnois  aus 
laides,  aus  viles  et  basses  personnes  ;  ie  laissois  la  vieil- 
lesse en  paix  :  Maintenant ,  pensant  fraper  un  ieune , 
i'asseneray  sus  un  vieillart  :  au  lieu  de  quelque  beau 
galand ,  quelque  petit  laideron  à  la  bouche  torse  ;  et 
auiendra  qu'ils  seront  les  plus  amoureus ,  et  qui  plus 
voudront  auoir  de  faueur  en  amours  :  et  possible  par 
importunité,  presens,  ou  richesses,  ou  disgrâce  de  quel- 
ques Dames,  viendront  au  dessus  de  leus  intencion  :  et 
viendra  mon  règne  en  mespris  entre  les  hommes,  quand 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  17 

ils  y  verront  tel  désordre  et  mauuais  gouuernement. 
Baste  :  en  aille  comme  il  pourra.  Voila  toutes  mes  fles- 
clies.  Tel  en  soufrira ,  qui  n'en  pourra  mais. 

VENVS.  d 

Il  estoit  bien  tems  que  ie  te  trouuasse ,  mon  cher  fils  ^ 
tant  tu  m'as  donné  de  peine.  A  quoi  tient  il,  que  tu 
n'es  venu  au  banquet  de  lupiter?  Tu  as  mis  toute  la 
compagnie  en  peine.  Et  en  parlant  de  ton  absence,  lu- 
piter ha  ouj  dix  mile  pleintes  de  toy  d'une  infinité  d'ar- 
tisans, gens  de  labeur,  esclaues,  chambrières,  vieillars, 
vieilles  edentees,  crians  tous  à  lupiter  qu'ils  ayment: 
et  en  sont  les  plus  apparens  fâchez,  trouuant  mauuais, 
que  tu  les  ayes  en  cet  endroit  égalez  à  ce  vil  populaire  : 
et  que  la  passion  propre  aus  bons  esprits  soit  auiour- 
d'hui  familière  et  commune  aus  plus  lourds  et  grossiers. 

AMOVR. 

Ne  fust  l'infortune,  qui  m'est  auenue,  i'usse  assisté 
au  banquet ,  comme  les  autres ,  et  ne  fussent  les  plein- 
tes, qu'auez  ouyes,  esté  faites. 

VENVS. 

Es  tu  blessé,  mon  fils  ?  Qui  t'a  ainsi  bandé  les  yeus? 
AMOVK. 

Folie  m'a  tiré  les  yeus  :  et  de  peur  qu'ils  ne  me  fus- 
sent renduz,  elle  m'a  mis  ce  bandeau  qui  iamais  ne  me 
peut  estre  otc. 

VENVS. 

0  quelle  infortune  !  lie  moy  misérable  !  Donq  tu  ne 
me  verras  plus ,  cher  enfant  ?  Au  moins  si  te  pouuois 
arroser  la  plaie  de  mes  larmes. 

(Venus  tache  à  desnouer  la  bande.) 


i8  DEBAT 

AMOVE. 
Tu  pers  ton  tems  :  les  neviz  sont  indissolubles. 

•  VENVS. 

0  maudite  €||neniie  de  toute  sapience ,  ô  femme  a- 
bandonnee,  ô  à  tort  nommée  Déesse,  et  à  plus  grand 
tort  immortelle.  Qui  TÎd  onq  telle  iniure  ?  Si  lupiter,  et 
les  Dieus  me  croient.  A  tout  le  moins  que  iamais  cette 
ra^eschante  n'ait  pouuoir  sur  toy,  mon  fils. 

AMOVR. 

A  tort  se  feront  ces  défenses,  il  les  failloit  faire  auant 
que  fusse  aueugle  :  maintenant  ne  me  seruiront  gueres. 

VENVS. 

Et  donques  Folie,  la  plus  misérable  chose  du  monde, 
haie  pouuoir  d'oter  à  Venus  le  plus  grand  plaisir  qu'elle 
ust  en  ce  monde  :  qui  estoit  quand  son  fils  Amour  la 
voyoit.  En  ce  estoit  son  contentement,  son  désir,  sa 
félicite.  Helas  fils  infortuné!  0  desastre  d'Amour!  0 
mère  désolée  !  0  Venus  sans  fruit  belle  !  Tout  ce  que 
nous  aquerons,  nous  le  laissons  à  nos  enfans  :  mon  tré- 
sor n'est  que  beauté,  de  laquelle  que  chaut  il  à  un  a- 
ueugle  ?  Amour  tant  chéri  de  tout  le  monde,  comme 
as  tu  trouué  beste  si  furieuse  ,  qui  t'ait  fait  outrage  ! 
Qu'ainsi  soit  dit,  que  tous  ceus  qui  aymeront  (quelque 
faueur  qu'ils  ayent)  ne  soient  sans  mal ,  et  infortune , 
à  ce  qu'ils  ne  se  dient  plus  heureus,  que  le  cher  fils  de 
Venus. 

AMOVR. 
Cesse  tes  pleintes  douce  mère  :   et  ne  me  redouble 
mon  mal  te  voyant  ennuiee.  Laisse  moy  porter  seul  mon 
infortune  :  et  ne  désire  point  mal  à  ceus  qui  me  suiuront. 


DE  FOLIE  ET  D*AMOVR.  19 

VENVS. 
Allons  mon  fils ,  vers  lupiter,  et  lui  demandons  ven- 
geance de  cette  malheureuse. 


DISCOVRS  III. 

VENVS. 

01  onques  tu  uz  pitié  de  moy,  lupiter,  quand  le  fier 
Diomede  me  naura ,  lors  que  tu  me  voyois  trauailler 
pour  sauuer  mon  fils  Enee  de  Timpetuosité  des  vents, 
vagues,  et  autres  dangers,  esquels  il  fut  tant  au.  siège 
de  Troye ,  que  depuis  :  si  mes  pleurs  pour  la  mort  de 
mon  Adonis  te  murent  à  compassion  :  la  iuste  douleur, 
que  i'ay  pour  l'iniure  faite  à  mon  fils  Amour,  te  deura 
faire  auoir  pitié  de  moy.  le  dirois  que  c'est,  si  les  lar- 
mes ne  m'empesclioient.  Mais  regarde  mon  fils  en  quel 
estât  il  est ,  et  tu  connoitras  pourquoi  ie  me  pleins. 

IVPITER. 

Ma  cliere  fille,  que  gaignes  tu  auec  ces  pleintes  me 
prouoquer  à  larmes?  Ne  scez  tu  l'amour  que  ie  t'ay  por- 
tée de  toute  mémoire?  As  tu  défiance,  ou  que  ie  ne  te 
veuille  secourir,  ou  que  ie  ne  puisse? 

VENVS. 

Estant  la  plus  afligee  mère  du  monde ,  ie  ne  puis 
parler,  que  comme  les  afligees.  Encore  que  vous  m'ayez 
tant  montré  de  faneur  et  d'amitié,  si  est  ce  que  ie  n'ose 


20  DEBAT 

vous  suplier,  que  de  ce  que  facilement  vous  otroiriez  au 
plus  estrange  de  la  terre.  le  vous  demande  iustice ,  et 
vengeance  delà  plus  malheureuse  femme  quifustiamais, 
qui  m'a  mis  mon  fils  Cupidon  en  tel  ordre  que  voyez. 
C'est  Folie ,  la  plus  outrageuse  Furie  qui  onques  fut  es 
Enfers. 

IVPITER. 
Folie  !  lia  elle  esté  si  hardie  d'atenter  à  ce ,  qui  plus 
vous  estoit  cher?  Croyez  que  si  elle  vous  ha  fait  tort,  que 
telle  punicion  en  sera  faite ,  qu'elle  sera  exemplaire.  le 
pensois  qu'il  n'y  ust  plus  débats  et  noises  qu'entre  les 
hommes  :  mais  si  cette  outrecuidee  ha  fait  quelque  de- 
sordre si  près  de  ma  personne,  il  lui  sera  cher  vendu. 
Toutefois  il  la  faut  ouir,  à  fin  qu'elle  ne  se  puisse  plein- 
dre.  Car  encore  que  ie  pusse  sauoir  de  moymesme  la 
vérité  du  fait,  si  ne  véus  ie  point  mettre  en  auant  cette 
coutume,  qui  pourroit  tourner  à  conséquence,  de  con- 
damner une  personne  sans  l'ouir.  Pource,  que  Folie  soit 
apelee. 

FOLIE. 

Haut  et  souuerein  lupiter,  me  voici  preste  à  respon- 
dre  à  tout  ce  qu'Amour  me  voudra  demander.  Toute- 
fois i'ay  une  requeste  à  te  faire.  Pource  que  ie  say  que 
de  premier  bond  la  plus  part  de  ces  ieunes  Dieus  seront 
du  coté  d'Amour,  et  pourront  faire  trouuer  ma  cause 
mauuaise  en  m'interrompant,  et  ayder  celle  d'Amour 
acompagnant  son  parler  de  douces  acclamacions  :  ie  te 
suplie  qu'il  y  ait  quelcun  des  Dieus  qui  parle  pour  moy, 
et  quelque  autre  pour  Amour  :  à  lin  que  la  qualité  des 
personnes  ne  soit  plus  tôt  considérée ,  que  la  vérité  du 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  zt 

fait.  Et  poiirce  que  ie  crein  ne  trouuer  aucun ,  qui ,  de 
peur  d'estre  apelé  fol ,  ou  ami  de  Folie ,  veuille  parler 
pour  moy  :  ie  te  suplie  commander  à  quelcun  de  me 
prendre  en  sa  garde  et  proteccion. 

IV  PI  TER. 
Demande  qui  tu  voudras,  et  ie  le  cliargeray  de  par- 
ler pour  toj. 

FOLIE. 

le  te  suplie  donq  que  Mercure  en  ait  la  charge.  Car 
combien  qu'il  soit  des  grans  amis  de  Venus,  si  suis  ie 
seure ,  que  s'il  entreprent  parler  pour  moy ,  il  n'ou- 
Llira  rien  qui  serue  à  ma  cause. 

IVPITER. 

Mercure,  il  ne  faut  iamals  refuser  de  porter  parole 
pour  un  misérable  et  afligé  :  Car  ou  tu  le  mettras  hors 
de  peine ,  et  sera  ta  louenge  plus  grande  ,  d'autant 
qu'auras  moins  îi  de  regard  aus  faneurs  et  richesses , 
qu'à  la  iustice  et  droit  d'un  poure  homme  :  ou  ta  prière 
ne  lui  seruira  de  rien,  et  néanmoins  ta  pitië,  honte  et 
diligence ,  seront  recommandées.  A  cette  cause  tu  ne 
dois  diferer  ce  que  cette  poure  afligee  te  demande:  Et 
ainsi  ie  veus  et  commande  que  tu  le  faces. 

MERCVRE. 

C'est  chose  bien  dure  a  Mercure  moyenner  desplaisir 
à  Venus.  Toutefois,  puis  que  tu  me  contreins,  ie  feray 
mon  deuoir  tant  que  Folie  aura  raison  de  se  contenter. 

IVPITER. 

Et  toy,  Venus,  quel  des  Dieus  choisiras  tu?  l'affec- 
cion  maternelle ,  que  tu  portes  à  ton  Bis ,  et  l'enuie  de 
voir  venger  l'iniure,  qui  lui  ha  este  faite,  te  pourroit 


22  DEBAT 

transporter.  Ton  fils  estant  irrite,  et  naurérecentement, 
n*y  pourroit  pareillement  satisfaire.  A  cette  cause,  choisi 
quel  autre  tu  voudras  pour  parler  pour  vous  :  et  croy 
qu'il  ne  lui  sera  besoin  lui  conimander  :  et  que  celui, 
à  qui  tu  t'adresseras,  sera  plus  aise  de  te  faire  plaisir 
en  cet  endroit ,  que  toy  de  le  requérir.  Néanmoins  s'il 
en  est  besoin ,  ie  le  lui  commanderay. 

VENVS. 

Encor  que  Ion  ait  semé  par  le  monde,  que  la  maison 
d'Apolon  et  la  mienne  ne  s'acordoient  guères  bien  :  si 
le  croîs  ie  de  si  bonne  sorte  qu'il  ne  me  voudra  escon- 
duire  en  cette  nécessité,  lui  requérant  son  ayde  à  ces- 
tui  mien  extrême  besoin  :  et  montrera  par  l'issue  de  cette 
afaire,  combien  il  y  ha  plus  d'amitié  entre  nous  que  les 
hommes  ne  cuident. 

APOLON. 

Ne  me  prie  point,  Déesse  de  beauté  :  et  ne  fais  difi- 
culté  que  ne  te  veuille  autant  de  bien,  comme  mérite 
la  plus  belle  des  Déesses.  Et  outre  le  témoignage,  qu'en 
pourroient  rendre  tes  iardins,  qui  sont  en  Cypre  et  Ida, 
si  bien  par  moy  entretenus,  qu'il  n'y  ha  rien  plus  plai- 
sant au  monde  :  encore  connoitras  tu  par  l'issue  de  cette 
querelle  combien  ie  te  porte  d'affeccion  et  me  sens  fort 
aise  que,  te  retirant  vers  moy  en  cet  afaire,  tu  declaires 
aus  hommes  comme  faussement  ils  ont  controuué,  que 
tu  auois  coniuré  contre  toute  ma  maison. 

IVPITER. 

Retirez  vous  donq  un  chacun,  et  reuenez  demain  h 
semblable  heure ,  et  nous  mettrons  peine  d'entendre  et 
vuider  vos  querelles. 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  23 

DISGOVRS  IIII. 

(  Cupidon  vient  donner  le  bon  iour  à  lupiter.  ) 

IVPITER. 

l^VE  dis  tu  petit  mignon  ?  Tant  que  ton  diferent  soit 
termine,  nous  n'aurons  plaisir  de  toj.  Mais  ou  est  ta 
mère  ? 

AMOVR. 

Elle  est  allée  vers  Apolon,  pour  l'amener  au  consis- 
toire des  Dieus.  Ce  pendant  elle  m'a  commande  venir 
vers  toy  te  donner  le  bon  iour. 

IVPITER. 

le  la  plein  bien  pour  l'ennui  qu'elle  porte  de  ta  for- 
tune. Mais  le  m'esbalii  comme,  ayant  tant  ofensé  de 
hauts  Dieus  et  grans  Signeurs ,  tu  n'as  iamais  ù  mal  que 
par  Folie! 

A  M  O  V  R. 

C'est  poui'ce  que  les  Dieus  et  hommes ,  bien  auisez , 
creingnent  que  ne  leur  face  pis.  Mais  Folie  n'a  pas  la 
consideracion  et  iugement  si  bon. 

IVPITER. 

Pour  le  moins  te  deuroient  ils  haïr,  encore  qu'ils  ne 
t'osassent  ofonser.  Toutefois  tous  tant  qu'ils  sont  t'ay- 
■ment. 


24  DEBAT 

AMOVR. 
le  serois  bien  ridicule ,  si  ayant  le  pouuoir  de  faire 
les  hommes  estre  aymez ,  ne  me  faisois  aussi  estre  aymé. 

IVPITER. 

Si  est  il  bien  contre  nature,  que  ceus  qui  ont  reçu 
tout  mauuais  traitement  de  toy,  t'ayment  autant  comme 
ceus  qui  ont  ii  plusieurs  faneurs. 

AMOVR. 

En  ce  se  montre  la  grandeur  d'Amour,  quand  on 
ayme  celui  dont  on  est  mal  traité. 

IVPITER. 

le  say  fort  bien  par  expérience ,  qu'il  n'est  point  en 
nous  d'estre  aymez  :  car,  quelque  grand  degré  ou  ie 
sois  5  si  ay  ie  esté  bien  peu  aymé  ;  et  tout  le  bien  qu'ay 
reçu,  l'ay  plus  tôt  h.  par  force  et  finesse,  que  par  amour. 

AMOVR. 

l'ay  bien  dit  que  ie  fais  aymer  encore  ceus ,  qui  ne 
sont  point  aymez  :  mais  si  est  il  en  la  puissance  d'un 
chacun  le  plus  souvent  de  se  faire  aymer.  Mais  peu  se 
treuuent,  qui  facent  en  amour  tel  deuoir  qu'il  est  requis. 

IVPITER. 

Quel  deuoir? 

AMOVR. 

La  première  chose  dont  il  faut  s'enquérir,  c'est,  s'il 
y  ha  quelque  Amour  imprimée  :  et  s'il  n'y  en  ha ,  ou 
qu'elle  ne  soit  encor  enracinée,  ou  qu'elle  soit  desia 
toute  usée,  faut  songneusement  chercher  quel  est  le 
naturel  de  la  personne  aymee  :  et,  connoissant  le  notre, 
auec  les  commoditez,  façons,  et  qualitez  estre  sembla- 
bles, en  user  :  si  non,  le  changer.  Les  Dames  que  tu  as 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  aS 

aymees ,  vouloient  estre  louées,  entretenues  par  un  long 
tems  5  priées ,  adorées  :  queU'Aniour  penses  tu  qu'elles 
t'ayent  porté ,  te  voyant  en  fou.dre ,  en  Satire ,  en  di- 
uerses  sortes  d'Animaus,  et  conuerti  en  choses  insen- 
sibles? La  richesse  te  fera  iouir  des  Dames  qui  sont 
auares:  mais  aymer  non.  Car  cette  afFeccion  de  gaigner 
ce  qui  est  au  cœur  d'une  personne,  chasse  la  vraye  et 
entière  Amour  :  qui  ne  cherche  son  proufit,  mais  celui 
de  la  personne ,  qu'il  ayme.  Les  autres  espèces  d'Ani- 
maus ne  pouuoient  te  faire  amiable.  Il  n'y  ha  animant 
courtois  et  gracieus  que  l'homme,  lequel  puisse  se  rendre 
suget  aus  complexions  d'autrui ,  augmenter  sa  beauté 
et  bonne  grâce  par  mile  nouueaus  artifices  :  plorer,  rire, 
chanter,  et  passionner  la  personne  qui  le  voit.  La  lu- 
bricité et  ardeur  de  reins  n'a  rien  de  commun,  ou  bien 
peu,  auec  Amour.  Et  pource  les  femmes  ou  iamais  n'ay- 
meront ,  ou  iamais  ne  feront  semblant  d' aymer  pour 
ce  respect.  Ta  magesté  Royale  encores  ha  elle  moins 
de  pouuoir  en  ceci  :  car  Amour  se  plait  de  choses  égales. 
Ce  n'est  qu'un  ioug,  lequel  faut  qu'il  soit  porté  par  deus 
Taureaus  semblables  :  autrement  le  harnois  n'ira  pas 
droit.  Donq,  quand  tu  voudras  estre  aymé,  descens  en 
bas,  laisse  ici  ta  couronne  et  ton  sceptre,  et  ne  dis  qui 
tu  es.  Lors  tu  verras  en  bien  seruant  et  aymant  quelque 
Dame ,  que  sans  qu'elle  ait  égard  à  richesse  ne  puis- 
sance, de  bon  gré  t'aymera.  Lors  tu  sentiras  bien  un 
autre  contentement,  que  ceus  que  tu  as  uz  par  le  passé: 
et  au  lieu  d'un  simple  plaisir,  en  receuras  un  double. 
Car  autant  y  ha  il  de  plaisir  à  estre  baisé  et  aymé,  que 
de  baiser  et  aymer. 


2G  DEBAT 

IVPITER. 

Tu  dis  beaucoup  de  raisons  :  mais  il  y  faut  un  long 
tems,  une  sugeccion  grande,  et  beaucoup  de  passions. 

AMOVR. 

le  say  bien  qu'un  grand  Signeur  se  facile  de  faire 
longuement  la  court ,  que  ses  afaires  d'importance  ne 
permettent  pas  qu'il  s'y  assugettisse,  et  que  les  honneurs 
qu'il  reçoit  tous  les  iours ,  et  autres  passetems  sans  nom- 
bre, ne  lui  permettent  croitre  ses  passions,  de  sorte 
qu'elles  puissent  mouuoir  leurs  amies  à  pitié.  Aussi  ne 
doiuent  ils  atendre  les  grans  et  faciles  conte ntemens 
qui  sont  en  Amour,  mais  souuentefois  i'abaisse  si  bien 
les  grans,  que  ie  les  fay  à  tous,  exemple  de  mon  pouuoir. 

IVPITER. 

Il  est  tems  d'aller  au  consistoire  :  nous  deuiserons  une 
autrefois  plus  à  loisir. 


DISGOVRS  V. 

ÀPOLON. 

&I  onques  te  falut  songneusement  pouruoir  à  tes  afai- 
res, souuerein  lupiter,  ou  quand  auec  l'ayde  de  Briare 
tes  plus  proches  te  vouloient  mettre  en  leur  puissance, 
ou  quand  les  Geans ,  fils  de  la  Terre,  mettans  montaigne 
sur  montaigne ,  deliberoient  nous  venir  combatre  ius- 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  27 

ques  ici,  ou  quand  le  Ciel  et  la  Terre  Guidèrent  brûler; 
à  cette  heure ,  que  la  licence  des  fols  est  Tenue  si  grande, 
que  d'outrager  deuant  tes  yeus  l'un  des  principaus  de 
ton  Empire,  tu  n'as  moins  d'ocasion  d'auoir  creinte,  et 
ne  dois  diferer  h  donner  pront  remède  au  mal  ia  com- 
mencé. S'il  est  permis  à  chacun  atenter  sur  le  lien  qui 
entretient  et  lie  tout  ensemble  :  ie  voy  en  peu  d'heure 
le  Ciel  en  desordre,  ie  voy  les  uns  changer  leur  cours, 
les  autres  entreprendre  sur  leurs  voisins  une  consom- 
macion  uniuerselle  :  ton  sceptre,  ton  trône,  ta  magesté 
en  danger.  Le  sommaire  de  mon  oraison  sera  conseruer 
ta  grandeur  en  son  intégrité,  en  demandant  vengeance 
de  ceus  qui  outragent  Amour,  la  vraye  ame  de  tout  l'V- 
niuers ,  duquel  tu  tiens  ton  sceptre.  D'autant  donq  que 
ma  cause  est  tant  fauorable,  coniointe  auec  la  conser- 
uacion  de  ton  estât,  et  que  néanmoins  ie  ne  demande 
que  iustice  :  d'autant  plus  me  deuras  tu  atentiuement 
escouter.  L'iniure  que  ie  meintien  auoir  esté  faite  à  Cu- 
pldon,  est  telle  :  Il  venoit  au  festin  dernier  ;  et  voulant 
entrer  par  une  porte.  Folie  acourt  après  lui,  et  lui  met- 
tant la  main  sur  l'espaule  le  tire  en  arrière,  et  s'auance, 
et  passe  la  première.  Amour  voulant  sauoir  qui  c'estoit, 
s'adresse  à  elle.  Elle  lui  dit  plus  d'iniures,  qu'il  n'apar- 
tient  k  une  femme  de  bien  à  dire.  De  là  elle  commence 
se  hausser  en  paroles ,  se  magnifier ,  fait  Amour  petit. 
Lequel  se  voyant  ainsi  peu  estimé,  recourt  à  la  puis- 
sance, dont  tu  l'as  tousiours  vu,  et  permets  user  contre 
toute  personne.  Il  la  veut  faire  aymer:  elle  euile  au 
coup  :  et  feingnant  ne  prendre  en  mal ,  ce  que  Cupl- 
don  lui  auoit  dit,  recommence  à  deuiser   auec  lui  : 


28  DEBAT 

et  en  parlant  tout  d'un  coup  lui  leue  les  yeus  de  la 
teste.  Ce  fait,  elle  se  vient  à  faire  si  grande  sur  lui, 
qu'elle  lui  fait  entendre  de  ne  lui  estre  possible  le  gué- 
rir, s'il  ne  reconnoissoit  qu'il  ne  lui  auoit  porté  l'hon- 
neur qu'elle  meritoit.  Que  ne  feroit  on  pour  recouurer 
la  ioyeuse  vue  du  Soleil  ?  Il  dit,  il  fait  tout  ce  qu'elle 
veut.  Elle  le  Lande,  et  pense  ses  plaies  en  atendant  que 
meilleure  ocasion  vint  de  lui  rendre  la  vue.  Mais  la 
traytresse  lui  mit  un  tel  bandeau,  que  iamais  ne  sera 
possible  lui  oter  :  par  ce  moyen  voulant  se  moquer  de 
toute  l'ayde  que  tu  lui  pourrois  donner  :  et  encor  que 
tu  lui  rendisse  les  yeus ,  qu'ils  fussent  néanmoins  inu- 
tiles. Et  pour  le  mieux  acoutrer  lui  ha  baillé  de  ses  esles, 
à  fin  d'estre  aussi  bien  guidé  comme  elle.  Voila  deus 
iniures  grandes  et  atroces  faites  à  Cupidon.  On  l'a  blessé, 
et  lui  ha  Ion  oté  le  pouuoir  et  moyen  de  guérir.  La  plaie 
se  voit ,  le  délit  est  manifeste  :  de  l'auteur  ne  s'en  faut 
enquérir.  Celle  qui  ha  fait  le  coup,  le  dit,  le  presche, 
en  fait  ses  contes  par  tout.  Interrogue  la  :  plus  tôt  l'aura 
confessé  que  ne  l'auras  demandé.  Que  reste  il  ?  Quand 
il  est  dit  :  qui  aura  tiré  une  dent ,  lui  en  sera  tiré  une 
autre  :  qui  aura  arraché  un  œil ,  lui  en  sera  semblable- 
ment  creué  un ,  cela  s'entent  entre  personnes  égales. 
Mais  Jpb.and  on  ha  ofensé  ceus ,  desquels  dépend  la  con- 
seruacion  de  plusieurs,  les  peines  s'aigrissent,  les  loix 
s'arment  de  seuerité,  et  vengent  le  tort  fait  au.  puhllq. 
Si  tout  rVniuers  ne  tient  que  par  certeines  amoureuses 
composicions ,  si  elles  cessoient,  l'ancien  Abime  reuien- 
droit.  Otant  l'amour,  tout  est  ruiné.  C'est  donq  celui , 
qu'il  faut  conseruer  en  son  estre;  c'est  celui,  qui  fait 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  29 

multiplier  les  hommes,  viiue  ensemble,  et  perpétuer 
le  m.onde,  par  l'amour  et  solicitude  qu'ils  portent  à  leurs 
successeurs.  Iniurier  cet  Amour,  l'outrager,  qu'est  ce , 
sinon  vouloir  troubler  et  ruiner  toutes  choses  ?  Trop 
mieus  vaudroit  que  la  téméraire  se  fust  adressée  à  toy  : 
car  tu  t'en  fusses  bien  donné  garde.  Mais  s'estant  adres- 
sée à  Cupidon,  elle  t'a  fait  dommage  irréparable,  et 
auquel  n'as  ù  puissance  de  donner  ordre.  Cette  iniure 
touche  aussi  en  particulier  tous  les  autres  Dieus,  De- 
midieus ,  Faunes ,  Satires  ,  Siluains ,  Déesses ,  Nynfes , 
Hommes  et  Femmes  :  et  crois  qu'il  n'y  ha  Animant,  qui 
ne  sente  mal,  voyant  Cupidon  blessé.  Tu  as  donq  osé, 
ô  détestable ,  nous  faire  à  tous  despit,  en  outrageant  ce 
que  tu  sauois  estre  de  tous  aymé.  Tu  as  ii  le  cœur  si 
malin,  de  naurer  celui  qui  apaise  toutes  noises  et  que- 
relles. Tu  as  osé  atenter  au  fils  de  Venus  :  et  ce  en  la 
court  de  lupiter  :  et  as  fait  qu'il  n'y  ha  ù  ça  haut  moins 
de  franchise,  qu'il  n'y  ha  la  bas  entre  les  hommes,  es 
lieus  qui  nous  sont  consacrez.  Par  tes  foudres,  ô  lupi- 
ter, tu  abas  les  arbres ,  ou  quelque  poure  femmelette 
gardant  les  brebis ,  ou  quelque  meschant  garsonneau , 
qui  aura  moins  dinement  parlé  de  ton  nom  :  et  cette 
cy,  qui,  mesprisant  ta  magesté,  ha  violé  ton  palais,  vit 
encores!  et  ou?  au  ciel,  et  est  estimée  immortelle,  et 
retient  nom  de  Déesse.  Les  roues  des  Enfers  soutiennent 
elles  une  ame  plus  détestable  que  cette  cy  ?  Les  mon- 
taignes  de  Sicile  couurent  elles  de  plus  exécrables  per- 
sonnes ?  Et  encores  n'a  elle  honte  de  se  présenter  deuant 
vos  diuinitez  ;  et  lui  semble  (si  ie  l'ose  dire)  que  serez 
tous  si  fols,  que  de  l'absoudre.  le  n'ay  néanmoins  charge 


5o  DEBAT 

par  Amour  de  requérir  vengeance  et  punîcîon  de  Folie. 
Les  giliets,  potences,  roues,  couteaus,  et  foudres  ne  lui 
plaisent,  encor  que  fust  contre  ses  malueuillans,  contre 
lesquels  mesmes  il  ha  si  peu  usé  de  son  ire ,  que ,  oté 
quelque  subit  courrons  de  la  ieunesse  qui  le  suit,  il  ne 
se  trouua  iamais  un  seul  d*eus ,  qui  ait  voulu  l'outrager, 
fors  cette  furieuse.  Mais  il  laisse  le  tout  à  votre  discre- 
cion,  ô  Dieus;  et  ne  demande  autre  chose,  sinon  que 
ses  yeus  lui  soient  rendus,  et  qu'il  soit  dit,  que  Folie 
ha  ù  tort  de  l'iniurier  et  outrager.  Et  à  ce  que  par  ci 
après  n'auienne  tel  desordre ,  en  cas  que  ne  veuillez 
enseuelir  Folie  sous  quelque  montaigne,  ou  la  mettre 
à  l'abandon  de  quelque  aigle,  ce  qu'il  ne  requiert,  vous 
vueillez  ordonner,  que  Folie  ne  se  trouuera  près  du  lieu 
ou  Amour  sera,  de  cent  pas  à  la  ronde.  Ce  que  trouue- 
rez  deuoir  estre  fait,  après  qu'aurez  entendu  de  quel 
grand  bien  sera  cause  Amour,  quand  il  aura  gaigné  ce 
point  :  et  de  combien  de  maus  il  sera  cause ,  estant  si 
mal  acompagné,  mesmes  à  présent  qu'il  ha  perdu  les 
yeus.  Vous  ne  trouuerez  point  mauuais  que  ie  touche 
en  brief  en  quel  honneur  et  reputacion  est  Amour  entre 
les  hommes,  et  qu'au  demeurant  de  mon  oraison  ie  ne 
parle  guère  plus  que  d'eus.  Donques  les  homines  sont 
faits  à  l'image  et  semblance  de  nous ,  quant  aus  esprits: 
leurs  corps  sont  composez  de  plusieurs  et  diuerses  com- 
plexions  :  et  entre  eus  si  diferens  tant  en  figure,  cou- 
leur et  forme ,  que  iamais  en  tant  de  siècles ,  qui  ont 
passé ,  ne  s'en  trouua  que  deux  ou  trois  pers ,  qui  se 
ressemblassent  :  encore  leurs  seruiteurs  et  domestiques 
les  connoissoient  particulièrement  l'un  d'auec  l'autre. 


DE  FOLIE  ET  D*AMOVR.  5i 

Estans  ainsi  en  meurs,  complexions,  et  forme  dissem- 
blables, sont  néanmoins  ensemble  liez  et  assemblez  par 
une  beniuolence,  qui  les  fait  vouloir  bien  l'un  à  l'autre  : 
et  ceus  qui  en  ce  sont  les  plus  excellens,  sont  les  plus 
reuerez  entre  eus.  Delà  est  venue  la  première  gloire  en- 
tre les  hommes.  Car  ceus  qui  auoient  inuenté  quelque 
chose  à  leur  proufit,  estoient  estimez  plus  que  les  autres. 
Mais  faut  penser  que  cette  enuie  de  proufiter  en  publiq, 
n'est  procedee  de  gloire ,  comme  estant  la  gloire  posté- 
rieure en  tems.  Quelle  peine  croyez  vous ,  qu'a  îi  Or- 
phée pour  destourner  les  hommes  barbares  de  leur 
acoutumee  cruauté?  pour  les  faire  assembler  en  com- 
pagnies politiques?  pour  leur  mettre  en  horreur  le  pil- 
ler et  robber  l'autrui  ?  Estimez  vous  que  ce  fust  pour 
gain?  duquel  ne  se  parloit  encores  entre  les  hommes, 
qui  n'auoient  fouillé  es  entrailles  de  la  terre?  La  gloire, 
comme  i'ay  dit,  ne  le  pouuoit  mouuoir.  Car  n'estans 
point  encore  de  gens  politiquement  vertueus ,  il  n'y 
pouuoit  estre  gloire ,  ny  enuie  de  gloire.  L'amour  qu'il 
port  oit  en  gênerai  ans  hommes,  le  faisoit  trauailler  à 
les  conduire  à  meilleure  vie.  C'estoit  la  douceur  de  sa 
Musique,  que  Ion  dit  auoir  adouci  les  Loups,  Tigres, 
Lions  :  attiré  les  arbres ,  et  amolli  les  pierres  :  et  quelle 
pierre  ne  s'amolliroit  entendant  le  dous  preschement 
de  celui  qui  amiablement  la  veut  atendrir  pour  receuoir 
l'impression  de  bien  et  honneur?  Combien  estimez  vous 
que  Promethee  soit  loué  la  bas  pour  l'usage  du  feu,  qu'il 
inuenta  ?  11  le  vous  desroba,  et  encourut  votre  indina- 
cion.  Estoit  ce  qu'il  vous  voulust  ofenser?  ie  croy  que 
non  :  mais  l'amour,  qu'il  portoit  à  l'homme ,  que  tu  lui 


32  DEBAT 

baillas,  ô  lupiter,  commission  de  faire  de  terre,  et  l'as- 
sembler de  toutes  pièces  ramassées  des  autres  animaus. 
Cet  amour  que  Ion  porte  en  gênerai  à  son  semblable, 
est  en  telle  recommandacion  entre  les  hommes,  que  le 
plus  souuent  se  trouuent  entre  eus  qui  pour  sauner  un 
païs,  leur  parent,  et  garder  l'honneur  de  leur  Prince, 
s'enfermeront  dedens  lieus  peu  defensables ,  bourgades , 
colombiers  :  et  quelque  asseurance  qu'ils  ayent  de  la 
mort,  n'en  veulent  sortir  à  quelque  composicion  que 
ce  soit,  pour  prolonger  la  vie  a  ceus  que  Ion  ne  peut 
assaillir  que  après  leur  ruïne.  Outre  cette  afeccion  gé- 
nérale ,  les  hommes  en  ont  quelque  particulière  l'un  en- 
vers l'autre,  et  laquelle,  moyennant  qu'elle  n'ait  point 
le  but  de  gain,  ou  de  plaisir  de  soymesme,  n'ayant  res- 
pect à  celui ,  que  Ion  se  dit  aymer,  est  en  tel  estime  au 
monde,  que  Ion  ha  remarqué  songneusement  par  tous 
les  siècles  ceus,  qui  se  sont  trouuez  excellens  en  icelle, 
les  ornant  de  tous  les  plus  honorables  titres  que  les 
hommes  peuuent  inuenter.  Mesmes  ont  estimé  cette 
seule  vertu  estre  suiïisante  pour  d'un  homme  faire  un 
Dieu.  Ainsi  les  Scythes  déifièrent  Pylade  et  Oreste ,  et 
leur  dressèrent  temples  et  autels,  les  apelans  les  Dieus 
d'amitié.  Mais  auant  iceus  estoit  Amour,  qui  les  auoit 
liez  et  uniz  ensemble.  Raconter  l'opinion  qu'ont  les  hom- 
mes des  parens  d'Amour,  ne  seroit  hors  de  propos,  pour 
montrer  qu'ils  l'estiment  autant  ou  plus,  que  nul  autre 
des  Dieus.  Mais  en  ce  ne  sont  d'un  acord ,  les  uns  le 
faisant  sortir  de  Chaos  et  de  la  Terre  :  les  autres  du  Ciel 
et  de  la  Nuit  :  aucuns  de  Discorde  et  de  Zephire  :  autres 
de  Venus  la  vraye  mère ,  l'honorant  par  ces  anciens 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  35 

pères  et  mères ,  et  par  les  effets  merueilleus  que  Je  tout 
tems  il  ha  acoutume  montrer.  Mais  il  me  semble  que 
les  Grecs  d'un  seul  surnom  qu'ils  t'ont  donne,  lupiter, 
t'apelant  amiable ,  témoignent  assez  que  plus  ne  pou- 
uoient  exaucer  Amour,  qu'en  te  faisant  participant  de 
sa  nature.  Tel  est  l'honneur  que  les  plus  sauans  et  plus 
renommez  des  hommes  donnent  à  Amour.  Le  commun 
populaire  le  prise  aussi,  et  estime  pour  les  grandes  expé- 
riences qu'il  voit  des  commoditez  qui  prouiennent  de 
lui.  Celui  qui  voit  que  l'homme  (quelque  vertueus  qu'il 
soit)  languit  en  sa  maison,  sans  l'amiable  compagnie 
d'une  femme,  qui  fidèlement  lui  dispense  son  bien,  lui 
augmente  son  plaisir,  ou  le  tient  en  bride  doucement, 
de  peur  qu'il  n'en  prenne  trop  pour  sa  santé,  lui  ote 
les  fâcheries,  et  quelquefois  les  empesche  de  venir,  l'ap- 
paise ,  l'adoucit,  le  traite  sain  et  malade,  le  fait  auoir 
deus  corps,  quatre  bras,  deus  âmes,  et  plus  parfait  que 
les  premiers  hommes  du  banquet  de  Platon,  ne  confes- 
sera il  que  l'amour  coniugale  est  dine  de  recomman- 
dacion?  et  n'attribuera  cette  félicité  au  mariage,  mais 
à  l'amour  qui  l'entretient.  Lequel,  s'il  défaut  en  cet  en- 
droit, vous  verrez  l'homme  forcené,  fuir  et  abandonner 
sa  maison.  La  femme  au  contraire  ne  rit  iamais,  quand 
elle  n'est  en  amour  auec  son  mari.  Hz  ne  sont  iamais 
en  repos.  Quand  l'un  veut  reposer,  l'autre  crie.  Le  bien 
se  dissipe ,  et  vont  toutes  choses  au  rebours.  Et  est  preuue 
certeine  que  la  seule  amitié  fait  auoir  en  mariage  le 
contentement,  que  Ion  dit  s'y  trouuer.  Qui  ne  dira  bien 
de  l'amour  fraternelle,  ayant  veu  Castor  et  Pollux,  Tun 
mortel  estre  fait  immortel  à  moitié  du  don  de  sou  frère? 

5 


54  DEBAT 

Ce  n'est  pas  estre  frère ,  qui  cause  cet  lieur  (car  peu  de 
frères  sont  de  telle  sorte)  mais  l'amour  grande  qui  es- 
toit  entre  eus.  Il  seroit  long  à  discourir,  comme  lona- 
tlias  sauua  la  ^ie  à  Dauid  :  dire  l'histoire  de  Pythias  et 
Damon  :  de  celui  qui  quitta  son  espouse  à  son  ami  la 
première  nuit,  et  s'en  fuit  vagabond  par  le  monde.  Mais 
pour  montrer  quel  bien  vient  d'amitië ,  i'allegueray  le 
dire  d'un  grand  Roy,  lequel ,  ouurant  une  grenade,  in- 
terrogué  de  quelles  choses  il  voudroit  auoir  autant, 
comme  il  y  auoit  de  grains  en  la  pomme ,  respondit  : 
de  Zopires.  C'estoit  ce  Zopire ,  par  le  moyen  duquel  il 
auoit  recouurë  Babilone,  Un  Scythe  demandant  en  ma- 
riage une  fille ,  et  somme  de  bailler  son  bien  par  decla- 
racion,  dit:  qu'il  n'auoit  autre  bien  que  deus  amis, 
s'estimant  assez  riche  auec  telle  possession  pour  oser  de- 
mander la  fille  d'un  grand  Signeur  en  mariage.  Et  pour 
venir  aus  femmes ,  ne  sauua  Ariadne  la  vie  à  Thesee  ? 
Hypermnestre  à  Lyncee?  Ne  se  sont  trouvées  des  armées 
en  danger  en  pàïs  estranges,  et  sauuees  par  l' amitié  que 
quelques  Dames  portoient  aus  Gapiteines?  des  Rois  re- 
miz  en  leurs  principales  citez  par  les  intelligences,  que 
leurs  amies  leur  auoient  pratiquées  secrètement  ?  Tant 
y  ha  de  poures  soudars,  qui  ont  esté  esleuez  par  leurs 
amies  es  Contez,  Duchez,  Royaumes  qu'elles  possedoient. 
Certeinement  tant  de  commoditez  prouenans  aus  hom- 
mes par  Amour  ont  bien  aydé  à  l'estimer  grand.  Mais 
plus  que  toute  chose ,  l'afeccion  naturelle ,  que  tous 
auons  à  aymer,  nous  le  fait  esleuer  et  exalter.  Car  nous 
voulons  faire  paroitre ,  et  estre  estimé  ce  à  quoy  nous 
nous  sentons  enclins.  Et  qui  est  celui  des  hommes,  qui 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  55 

ne  prenne  plaisir,  ou  traymer,  ou  d'estre  aymé?  le  laisse 
ces  Mysanthropes,  et  Taupes  cachées  sous  terre,  et  ense- 
ueliz  de  leurs  bizarries,  lesquels  auront  de  par  moy  tout 
loisir  de  n'estre  point  aymez,  puis  qu'il  ne  leur  chaut 
d'aymcr.  S'il  ni'cstoit  licite,  ie  les  vous  depeindrois, 
comme  ie  les  voy  descrire  aus  hommes  de  bon  esprit. 
Et  néanmoins  il  vaut  micus  en  dire  un  mot,  à  fin  de 
connoitre  combien  est  mal  plaisante  et  misérable  la  vie 
de  ceus ,  qui  se  sont  exemptez  d'Amour.  Us  dient  que 
ce  sont  gens  mornes,  sans  esprit,  qui  n'ont  grâce  au- 
cune à  parler,  une  voix  rude,  un  aller  pensif,  un  visage 
de  mauuaise  rencontre,  un  œil  baissé,  creintifs,  aua- 
res,  impitoyables,  ignorans ,  et  n'estimans  personne: 
Loups  garous.  Quand  ilsentrenten  leur  maison, ils  crein- 
gnent  que  quelcun  les  regarde.  Incontinent  qu'ils  sont 
entrez,  barrent  leur  porte,  serrent  les  fenestres,  inen- 
gent  sallement  sans  compagnie,  la  maison  mal  en  ordre  ; 
se  couchent  en  chapon  le  morceau  au  bec.  Et  lors  à 
beaus  gros  bonnets  gras  de  deus  doits  d'espais ,  la  ca- 
misole atachee  auec  esplingues  enrouillees  iusques  au 
dessous  du  nombril ,  grandes  chausses  de  laine  venans 
a  mycuisse,  un  oreiller  bien  chaufë  et  sentant  sa  gresse 
fondue  :  le  dormir  acompagné  de  toux ,  et  autres  tels 
excremens  dont  ils  remplissent  les  courtines.  Un  leuer 
pesant ,  s'il  n'y  ha  quelque  argent  à  receuoir  :  vieilles 
chausses  repetassees  :  souliers  de  païsanl  :  pourpoint  de 
drap  fourré  :  long  saye  mal  ataché  deuant  :  la  robbe 
qui  pend  par  derrière  iusques  aus  espaules  :  plus  de  four- 
rures et  pelisses  :  calottes  et  larges  bonnets  couurans  les 
cheueus  mal  pignez  :  gens  plus  fades  à  voir,  qu'un  po- 


36  DEBAT 

tage  sans  sel  h  humer.  Que  vous  en  semble  il  ?  SI  tous 
les  hommes  estoîent  de  cette  sorte ,  y  auroit  il  pas  peu 
de  plaisir  de  viure  auec  eus  ?  Combien  plus  tôt  choisi- 
riez vous  un  homme  propre  ,  bien  en  point ,  et  bien 
parlant,  tel  qu'il  ne  s'est  pii  faire  sans  auoir  enuie  de 
plaire  à  quelcun?  Qui  ha  inuenté  un  dons  et  gracieus 
langage  entre  les  hommes?  et  ou  premièrement  ha  il 
esté  employé  ?  ha  ce  esté  à  persuader  de  faire  guerre  au 
païs?  eslire  un  Capiteine  ?  acuser  ou  défendre  quelcun? 
Auant  que  les  guerres  se  fissent,  paix,  alliances  et  con- 
federacions  en  publiq  :  auant  qu'il  fust  besoin  de  Ca- 
piteines ,  auant  les  premiers  iugemens  que  fîtes  faire  eu 
Athènes ,  il  y  auoit  quelque  manière  plus  douce  et  gra- 
cieuse ,  que  le  commun  :  de  laquelle  usèrent  Orphée , 
Amphion,  et  autres.  Et  ou  en  firent  prenne  les  hom- 
mes, sinon  en  Amour  ?  Par  pitié  on  baille  à  manger  à 
une  créature,  encore  qu'elle  n'en  demande.  On  pense 
à  un  malade,  encore  qu'il  ne  veuille  guérir.  Mais  qu'une 
femme  ou  homme  d'esprit,  prenne  plaisir  à  l'afeccion 
d'une  personne ,  qui  ne  la  peut  descouurir,  lui  donne 
ce  qu'il  ne  peut  demander,  escoute  un  rustique  et  bar- 
bare langage  :  et  tout  tel  qu'il  est ,  sentant  plus  son 
commandement,  qu'amoureuse  prière,  cela  ne  se  peut 
imaginer.  Celle  qui  se  sent  aymee ,  ha  quelque  autorité 
sur  celui  qui  l'ayme  ;  car  elle  voit  en  son  pouuoir,  ce 
que  l'Amant  poursuit,  comme  estant  quelque  grand  bien 
et  fort  désirable.  Cette  autorité  veut  estre  reueree  en 
gestes ,  faits ,  contenances ,  et  paroles.  Et  de  ce  vient , 
que  les  Amans  choisissent  les  façons  de  faire,  par  les- 
quelles les  personnes  aymees  auront  plus  d'ocasion  de 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  Sy 

croire  l'estime  et  reputaciion  que  l'on  ha  d'elles.  On  se 
compose  les  yeus  h  douceur  et  pitié,  on  adoucit  le  front, 
on  amollit  le  langage,  encore  que  de  son  naturel  l'Amant 
ust  le  regard  horrible,  le  front  despité,  et  langage  sot 
et  rude  :  car  il  ha  incessamment  au  cœur  l'obiect  de 
l'amour,  qui  lui  cause  un  désir  d'estre  dine  d'en  rece- 
voir faueur,  laquelle  il  scet  bien  ne  pouuoir  auoir  sans 
changer  son  naturel.  Ainsi  entre  les  hommes  Amour 
cause  une  connoissance  de  soymesme.  Celui  qui  ne 
tache  à  complaire  à  personne,  quelque  perfeccion  qu'il 
ait,  n'en  ha  non  plus  déplaisir,  que  celui  qui  porte  une 
fleur  dedens  sa  manche.  Mais  celui  qui  désire  plaire,  in- 
cessamment pense  à  son  fait  :  mire  et  remire  la  chose  ay- 
mee  :  suit  les  vertus,  qu'il  voit  lui  estre  agréables,  et  s'a- 
donne aus  complexions  contraires  à  soymesme,  comme 
celui  qui  porte  le  bouquet  en  main,  donne  certein  iu- 
gement  de  quelle  fleur  vient  l'odeur  et  senteur  qui  plus 
lui  est  agréable.  Apres  que  l'Amant  ha  composé  son  corps 
et  complexion  à  contenter  l'esprit  de  l'aymee,  il  donne 
ordre  que  tout  ce  qu'elle  verra  sur  lui ,  ou  lui  donnera 
plaisir,  ou  pour  le  moins  elle  n'y  trouuera  à  se  fâcher. 
De  là  ha  ii  source  la  plaisante  inuencion  des  habits  nou- 
ueaus.  Car  on  ne  veut  iamais  venir  à  ennui  et  lasseté, 
qui  prouientde  voir  tousiours  une  mesme  chose.  L'hom* 
me  ha  tousiours  mesme  corps,  mesme  teste ,  mesme  bras, 
ïambes,  et  piez  :  mais  il  les  diuersifie  de  tant  de  sortes, 
qu'il  semble  tous  les  iours  estre  renouuelë.  Chemises 
parfumées  de  mile  et  mile  sortes  d'ouurages  :  bonnet  à 
la  saison,  pourpoint,  chausses  iointes  et  serrées,  mon- 
trans  les  mouuemens  du  corps  bien  disposé:  mile  façons 


58  DEBAT 

de  bottines,  brodequins,  escarpins,  souliers,  sayons, 
casaquins,  robbes,  robbons,  cappes,  manteaus:  le  tout 
en  si  bon  ordre,  que  rien  ne  passe.  Et  que  dirons  nous 
des  femmes,  Tliabit  desquelles,  et  Tornement  de  corps, 
dont  elles  usent,  est  fait  pour  plaire,  si  iamais  rien  fut 
fait.  Est  il  possible  de  mieus  parer  une  teste,  que  les  Da- 
mes font  et  feront  à  iamais?  auoir  cbeueus  mieus  dorez, 
crespes ,  frizez?  acoutrement  de  teste  mieus  séant,  quand 
elles  s'acoutreront  à  l'Espagnole,  a  la  Françoise,  àl'Ale- 
mande,  à  l'Italienne,  à  la  Grecque?  Quelle  diligence 
mettent  elles  au  demeurant  de  la  face?  Laquelle,  si  elle 
est  belle,  ils  contregardent  tant  bien  contre  les  pluies, 
vents,  clialeurs,  tems  et  vieillesse,  qu'elles  demeurent 
presque  tousiours  ieunes.  Et  si  elle  ne  leur  est  du  tout 
telle,  qu'elles  la  pourroient  désirer,  par  bonneste  soin 
la  se  procurent  :  et  l'ayant  moyennement  agréable ,  sans 
plus  grande  curiosité,  seulement  auec  vertueuse  indus- 
trie la  continuent,  selon  la  mode  de  cbacune  nacion, 
contrée,  et  coutume.  Et  auec  tout  cela,  Tbabit  propre 
comme  la  feuille  autour  du  fruit.  Et  s'il  y  lia  perfeccion 
du  corps,  ou  linéament  qui  puisse,  ou  doiue  estre  vii 
et  montré ,  bien  peu  le  caclie  l'agencement  du  vête- 
ment :  ou,  s'il  est  cacbé,  il  l'est  en  sorte,  que  Ion  le 
cuide  plus  beau  et  délicat.  Le  sein  aparoit  de  tant  plus 
beau ,  qu'il  semble  qu'elles  ne  le  veuillent  estre  vîi  :  les 
mamelles  en  leur  rondeur  releuees  font  donner  un  peu 
d'air  au  large  estomac.  Au  reste,  la  robbe  bien  iointe, 
le  corps  estreci  ou  ii  le  faut  :  les  manches  serrées ,  si  le 
bras  est  massif:  si  non,  larges  et  bien  enrichies  :  la  chausse 
tirée  ;  l'escarpin  façonnant  le  petit  pié  (car  le  plus  sou- 


DE  FOLIE  ET  D'xiMOVR.  59 

uent  l'amoureuse  curiosité  des  hommes  fait  reclierclier 
la  beauté  iusques  au  bout  des  piez  :  )  tant  de  pommes 
d'or,  chaines,  bagues,  ceintures,  pendans,  gans  par- 
fumez ,  manchons:  et  en  somme  tout  ce  qui  est  de  beau  , 
soit  iiTacoutrement  des  hommes  ou  des  femmes,  Amour 
en  est  l'auteur.  Et  s'il  ha  si  bien  trauaillé  pour  conten- 
ter les  yeus ,  il  n'a  moins  fait  aus  autres  senti  mens  :  mais 
les  a  tous  emmiellez  de  nouuelle  et  propre  douceur.  Les 
fleurs  que  tu  lîz ,  ô  lupiter,  naitre  es  mois  de  l'an  les 
plus  chaus,  sont  entre  les  hommes  faites  hybernalles  ; 
les  arbres,  plantes,  herbages,  qu'auois  distribuez  en  di- 
uers  païs,  sont  par  l'estude  de  ceus  qui  veulent  plaire 
à  leurs  amies,  rassemblez  en  un  verger  :  et  quelquefois 
suis  contreint,  pour  ayder  à  leur  afeccion,  leur  dépar- 
tir plus  de  chaleur  que  le  païs  ne  le  requerroit.  Et  tout 
le  proufit  de  ce ,  n'est  que  se  ramenteuoir  par  ces  petis 
presens  en  la  bonne  grâce  de  ces  amis  et  amies.  Diray 
ie  que  la  Musique  n'a  este  inuentee  que  par  Amour?  et 
est  le  chant  et  harmonie  l'efFect  et  signe  de  l'Amour  par- 
fait. Les  hommes  en  usent  ou  pour  adoucir  leurs  désirs 
enflammez,  ou  pour  donner  plaisir:  pour  lequel  diuersi- 
fier  tous  les  iours  ils  inuentent  nouueaus  et  diuers  instru- 
mens  de  Luts,  Lyres,  Citres,  Doucines,  Violons,  Espi- 
nettes.  Flûtes ,  Cornets  :  chantent  tous  les  iours  diuerses 
chansons:  et  viendront  à  inuenter  madrigalles,  sonnets, 
pauanes,  passemeses,  gaillardes,  et  tout  en  commemo- 
racion  d'Amour:  comme  celui,  pour  lequel  les  hommes 
font  plus  que  pour  nul  autre.  C'est  pour  lui  que  Ion  fait 
des  sérénades,  aubades,  tournois,  combats  tant  à  pie 
qu'à  cheuaL  En  toutes  lesquelles  entreprises  ne  se  treu- 


4o  DEBAT 

uent  que  ieunes  gens  amoureus  :  ou  s'ils  s'en  treuuent 
autres  nieslez  parmi ,  ce  us  qui  ayment  emportent  tou- 
siours  le  pris,  et  en  remercient  les  Dames,  desquelles 
ils  ont  porte  les  faneurs.  Là  aussi  se  raporteront  les  Co- 
médies, Tragédies,  leux,  Montres,  Masques,  Mores- 
ques. Dequoy  allège  un  voyageur  son  trauail ,  que  lui 
cause  le  long  chemin,  qu'en  chantant  quelque  chanson 
d* Amour,  ou  escoutant  de  son  compagnon  quelque  conte 
et  fortune  amoureuse  ?  L'un  loue  le  hon  traitement  de 
s'amie  :  l'autre  se  pleint  de  la  cruauté  de  la  sienne.  Et 
mile  accidens,  c[ui  interuiennent  en  amours:  lettres 
descouvertes,  mauuais  raports,  quelque  voisine  ialouse, 
quelque  mari  qui  reuient  plus  tôt  que  Ion  ne  voudroit: 
quelquefois  s*aperceuant  de  ce  qui  se  fait  :  quelquefois 
n'en  croyant  rien,  se  fiant  sur  la  preudhommie  de  sa 
femme  :  et  à  fois  eschaper  un  souspir  auec  un  change- 
ment de  parler:  puis  force  excuses.  Brief,  le  plus  grand 
plaisir  qui  soit  après  amour,  c'est  d'en  parler.  Ainsi  pas- 
soit  son  chemin  Apulée,  quelque  Filozofe  qu'il  fust. 
Ainsi  prennent  les  plus  seueres  hommes  plaisir  d'ouir 
parler  de  ces  propos,  encores  qu'ils  ne  le  veuillent  con- 
fesser. Mais  qui  fait  tant  de  Poètes  au  monde  en  toutes 
langues  ?  n'est  ce  pas  Amour  ?  lequel  semble  estre  le 
suget ,  duquel  tous  Poètes  veulent  parler.  Et  qui  me  fait 
atribuer  la  poè'sîe  a  Amour:  ou  dire,  pour  le  moins, 
qu'elle  est  bien  aydee  et  entretenue  par  son  moyen  ? 
c'est  qu'incontinent  que  les  hommes  commencent  d'ay- 
m^er,  ils  escriuent  vers.  Et  cens  qui  ont  este  excellens 
Poè'tes,  ou  en  ont  rempli  leurs  liures,  ou,  quelque  au- 
tre suget  qu'ils  ayent  pris,  n'ont  ose  toutefois  acheuer 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  4i 

leur  euiire  sans  en  faire  honorable  mencion.  Orpliee, 
Musée  5  Homère ,  Line ,  Alcee ,  Saphon ,  et  autres  Poètes 
et  Filozofes  :  comme  Platon,  et  celui  qui  ha  ù  le  nom 
de  Sage,  ha  descrit  ses  plus  hautes  concepcions  en  forme 
d'amourettes.  Et  plusieurs  autres  escriueins  voulans  des- 
crire  autres  invencions,  les  ont  cachées  sous  semblables 
propos.  C'est  Cupidon  cfui  a  gaigné  ce  point,  qu'il  faut 
que  chacun  chante  ou  ses  passions,  ou  celles  d'autrui, 
ou  cQuure  ses  discours  d'Amour,  sachant  qu'il  n'y  ha 
rien,  qui  le  puisse  faire  mieus  estre  reçu.  Ouide  ha  tou- 
siours  dit  qu'il  aymoit.  Pétrarque  en  son  langage  ha  fait 
sa  seule  afeccion  aprocher  a  la  gloire  de  celui,  qui  ha 
représenté  toutes  les  passions ,  coutumes ,  façons  et  na- 
tures de  tous  les  hommes,  qui  est  Homère.  Qu'a  iamais 
mieus  chanté  Virgile  ,  que  les  amours  de  la  Dame  de 
Cartilage  ?  ce  lieu  seroit  long ,  qui  voudroit  le  traiter 
comme  il  meriteroit.  Mais  il  me  semble  qu'il  ne  se  peut 
nier,  que  l'Amour  ne  soit  cause  aus  hommes  de  gloire , 
honneur,  proufit,  plaisir  :  et  tel,  que  sans  lui  ne  se  peut 
commodément  viure.  Pource  est  il  estimé  entre  les  hu- 
mains, l'honorans  et  aymans,  comme  celui  qui  leur  ha 
procuré  tout  bien  et  plaisir.  Ce  qui  lui  ha  esté  bien  aisé, 
tant  qu'il  ha  ù  ses  yeus.  Mais  auiourd'hui,  qu'il  en  est 
priué,  si  Folie  se  mesle  de  ses  afaires,  il  est  à  creindre, 
et  quasi  ineuitable,  qu'il  ne  soit  cause  d'autant  de  vi- 
lenie, incommodité,  et  desplaisir,  comme  il  ha  esté  par 
le  passé  d'honneur,  proufit,  et  volupté.  Les  grans  qu'A- 
mour contreingnoit  aymer  les  petis  et  les  sugetz  qui  es- 
toient  sous  eus,  changeront  en  sorte  qu'ils  n'aymeront 
plus  que  ceus  dont  ils  en  penseront  tirer  seruice.  Les 


42  DEBAT 

petlsj  qui  aymoient  leurs  Princes  et  Signeurs,  les  ay- 
meroiît  seulement  pour  faire  leurs  besong^nes,  en  espé- 
rance de  se  retirer  quand  ils  seront  pleins.  Car  ou  Amour 
voudra  faire  cette  harmonie  entre  les  hautes  et  basses 
personnes,  Folie  se  trouuera  près,  qui  l'empeschera  : 
et  encore  es  lieus  ou  il  se  sera  atachë.  Quelque  bon  et 
innocent  qu'il  soit ,  Folie  lui  meslera  de  son  naturel  : 
tellement  que  ceus  qui  aymeront ,  feront  tou  si  ours  quel- 
que tour  de  fol.  Et  plus  les  amitiez  seront  estroites,  plus 
s'y  trouuera  il  de  desordre  quand  Folie  s'y  mettra.  Il 
retournera  plus  d'une  Semiramis,  plus  d'une  Biblis , 
d'une  Mirrlia,  d'une  Canace,  d  une  Pliedra.  Il  n'y  aura 
lieu  saint  au  monde.  Les  hauts  murs  et  treilliz  garde- 
ront mal  les  Vestales.  La  vieillesse  tournera  son  véné- 
rable et  paternel  amour,  en  fols  etiuueniles  désirs.  Honte 
se  perdra  du  tout.  11  n'y  aura  discrecion  entre  noble, 
païsant,  infidèle,  ou  More,  Dame,  maitresse,  seruante. 
Les  parties  seront  si  inégales,  que  les  belles  ne  rencon- 
treront les  beaus,  ains  seront  coniointes  le  plus  souuent 
aucc  leurs  dissemblables.  Grands  Dames  aymeront  quel- 
quefois ceus  dont  ne  daigneroient  estre  seruies.  Les  gens 
d'esprit  s'abuseront  autour  des  plus  laides.  Et  quand  les 
poureset  lovaiis  amans  auront  langui  de  l'amour  de  quel- 
que belle:  lors  Folie  fera  iouir  quelque  auolë  en  moins 
d'une  heure  du  bien  ou  l'autre  n'aura  pîi  ateindre.  le 
laisse  les  noises  et  querelles  ,  qu'elle  dressera  par  tout, 
dont  s'en  ensuiura  blessures,  outrages,  et  meurtres.  Et 
ay  belle  peur,  qu'au  lieu  ou  Amour  ha  inuentë  tant 
de  sciences,  et  produit  tant  de  bien,  qu'elle  n'ameine 
auec  soy  quelque  grande  oisiueté  acompagnee  d'igno- 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  45 

rance  :  qu'elle  n*empesclie  les  ieunes  gens  de  suiure  les 
armes  et  de  faire  seruice  à  leur  Prince  :  ou  de  vaquer 
a  estudes  honorables  :  qu'elle  ne  leur  mesle  leur  amour 
de  paroles  détestables,  chansons  trop  yileines,  iuron- 
gnerie  et  gourmandise  ;  qu'elle  ne  leur  suscite  mile  ma- 
ladies ,  et  mette  en  infiniz  dangers  de  leurs  personnes. 
Car  il  n'y  ha  point  de  plus  dangereuse  compagnie  que 
de  Folie.  Voila  les  maus  qui  sont  à  crelndre,  si  Folie 
se  trouue  autour  d'Amour.  Et  s'il  auenoit  que  cette  mes- 
chante  le  voulust  empescher  ça  haut,  que  Venus  ne  vou- 
lust  plus  rendre  un  dous  aspect  auec  nous  autres ,  que 
Mercure  ne  Aoulust  plus  entretenir  nos  alliances,  quelle 
confusion  y  auroit  il  ?  Mais  i'ay  promis  ne  parler  que 
de  ce  qui  se  fait  en  terre.  Or  donq,  lupiter,  qui  t'apeles 
père  des  hommes,  qui  leur  es  auteur  de  tout  bien,  leur 
donnes  la  pluie  quand  elle  est  requise,  seiches  l'humi- 
dité superabondante  :  considère  ces  maus  qui  sont  pré- 
parez aus  hommes ,  si  Folie  n'est  séparée  d'Amour.  Laisse 
Amour  se  resiouir  en  paix  entre  les  hommes  :  qu'il  soit 
loisible  à  un  cliacun  de  conuerser  priue'ment  et  domes- 
tiquement  les  personnes  Qu  il  aymera ,  sans  que  per- 
sonne en  ait  creinte'ou  sonpson  :  que  les  nuits  ne  chas- 
sent, sous  prétexte  des  mauuaises  langues,  l'ami  de  la 
maison  de  s'amie  :  que  Ion  puisse  mener  la  femme  de  son 
ami,  voisin,  parent,  ou  bon  semblera,  en  telle  seurté 
que  l'honneur  de  l'un  ou  l'autre  n'en  soii  en  rien  ofen- 
sc.  Et  à  ce  que  personne  n'ait  plus  mal  en  teste,  quand 
il  verra  telles  priuautez  ,  fais  publier  par  toute  la  Terre, 
non  à  son  de  trompe  ou  par  ataches  mises  aus  portes 
des  temples,  mais  en  metant  au  cœur  de  tous  cens  qui 


44  DEBAT 

regarderont  les  Amans ,  qu'il  n'est  possible  qu'ils  vou- 
sissent  faire  ou  penser  quelque  Folie.  Ainsi  auras  tu  mis 
tel  ordre  au  faitauenu,  que  les  hommes  auront  ocasion 
de  te  louer  et  magnifier  plus  que  iamais,  et  feras  beau- 
coup pour  toy  et  pour  nous.  Car  tu  nous  auras  deliurez 
d'une  infinité  de  pleintes,  qui  autrement  nous  seront 
faites  par  les  hommes,  des  esclandres  que  Folie  amou- 
reuse fera  au  monde.  Ou  bien  si  tu  aymes  mieus  re- 
mettre les  choses  en  Testât  qu'elles  estoient,  contreins 
les  Parques  et  Destinées  (si  tu  y  as  quelque  pouuoir)  de 
retourner  leurs  fuseaus ,  et  faire  en  sorte  qu'à  ton  com- 
mandement, et  à  ma  prière ,  et  pour  l'amour  de  Venus, 
que  tu  as  iusques  ici  tant  chérie  et  aymee,  et  pour  les 
plaisirs  et  contentemens  que  tous  tant  que  nous  som- 
mes, auons  reçuz  etreceuons  d'Amour,  elles  ordonnent, 
que  les  yeus  seront  rendus  à  Gupidon,  et  la  bande  otee  : 
à  ce  que  le  puissions  voir  encore  un  coup  en  son  bel 
et  naïf  estre,  piteus  de  tous  les  cotez  dont  on  le  sauroit 
regarder,  et  riant  d'un  seulement.  0  Parques,  ne  soyez 
à  ce  coup  inexorables  que  Ion  ne  die  que  vos  fuseaus 
ont  esté  ministres  de  la  cruelle  vengeance  de  Folie.  Ceci 
n'empescliera  point  la  suitecles  choses  a  venir.  lupiter 
composera  tous  ces  trois  iours  en  un ,  comme  il  fit  les 
trois  nuits ,  qu'il  fut  auec  Alcmene.  le  vous  apelle,  vous 
autres  Dieus,  et  vous  Déesses,  qui  tant  auez  porté  et 
portez  d'honneur  à  Venus.  Voici  l'endroit  ou  lui  pou- 
uez  rendre  les  faneurs  que  d'elle  auez  reçues.  Mais  de 
qui  plus  dois  ie  espérer,  que  de  toy,  lupiter  ?  laisseras 
tu  plorer  en  vain  la  plus  belle  des  Déesses  ?  n'auras  tu 
pitié  de  l'angoisse  qu'endure  ce  poure  enfant  dine  de 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  45 

meilleure  fortune  ?  Aurons  nous  perdu  nos  veuz  et  priè- 
res? Si  celles  des  hommes  te  peuuent  forcer,  et  t'ont 
fait  plusieursfois  tomber  des  mains,  sans  mal  faire,  la 
foudre  que  tu  auois  contre  eus  préparée  ;  quel  pouuoir 
auront  les  nôtres,  ausquels  as  communique  ta  puissance 
et  autorité  ?  Et  te  prians  pour  personnes ,  pour  lesquelles 
toymesme  (si  tu  ne  tenois  le  lieu  de  commander)  prie- 
rois  \olontiers  ;  et  en  la  faueur  desquelles  (si  ie  puis 
sauoir  quelque  secret  des  choses  futures)  feras,  possible, 
après  certeines  reuolucions,  plus  que  ne  demandons, 
assugetissant  à  perpétuité  Folie  à  Amour,  et  le  faisant 
plus  cler  voyant  que  nul  autre  des  Dieus.  Fay  dit. 

Incontinent  qu'Apolon  ut  fini  son  acusacion ,  toute  la  com- 
pagnie des  Dieus  par  un  frémissement,  se  montra  auoir 
compassion  de  la  belle  Déesse  là  présente,  et  de  Cupidon 
son  fils.  Et  ussent  volontiers  tout  sur  l'heure  condamné 
la  Déesse  Folie  :  Quand  l'equitaLle  lupiter  par  une  ma- 
gesté  Impériale  leur  commanda  silence,  pour  ouir  la  dé- 
fense de  Folie  encharge'e  à  Mercure,  lequel  commença 
à  parler  ainsi  : 

MERGVRE. 

N'atendez  point,  lupiter,  et  vous  autres  Dieus  im* 
mortels ,  que  ie  commence  mon  oraison  par  excuses 
(comme  quelquefois  font  les  Orateurs ,  qui  creingnent 
estre  blâmez ,  quand  ils  soutiennent  des  causes  aperte- 
ment  mauuaises)  de  ce  qu'ay  pris  en  main  la  défense 
de  Folie ,  et  mesmes  contre  Cupidon,  auquel  ay  en  plu- 
sieurs endrois  porte'  tant  d'obeïssance ,  qu'il  auroit  rai- 
son de  m*estimer  tout  sien  :  et  ay  tant  aymé  la  mère, 
que  n'ay  jamais  espargnë  mes  allées  et  venues,  tant 
qu'ay  pensé  lui  faire  quelque  chose  agréable.  La  cause. 


46  DEBAT 

que  ie  defens ,  est  si  iuste ,  que  ceus  niesnies  qui  ont 
parlé  au  contraire,  après  ni*auoir  ouy,  changeront  d'o- 
pinion. L'issue  du  diferent,  comme  i'espere,  sera  telle, 
que  mesme  Amour  quelque  iour  me  remercira  de  ce 
seruice,  que  contre  lui  ie  faj  à  Folie.  Cette  question  est 
entre  deus  amis,  qui  ne  sont  pas  si  outrez  l'un  enuers 
l'autre,  que  quelque  matin  ne  se  puissent  reconcilier, 
et  prendre  plaisir  l'un  de  l'autre,  comme  au  parauant. 
Si  à  l'apetit  de  l'un,  vous  cliassez  l'autre,  quand  ce  de- 
sir  de  vengeance  sera  passé  (laquelle  incontinent  qu'elle 
est  acheuee  commence  à  desplaire  :  )  si  vous  ordonnez 
quelque  cas  contre  Folie ,  Amour  en  aura  le  premier 
regret.  Et  n'estoit  cette  ancienne  amitié  et  aliance  de  ces 
deus,  meintenant  auersaires,  qui  les  faisoit  si  uniz  et 
conioins,  que  iamais  n'auez  fait  faueur  à  l'un,  que  l'autre 
ne  s'en  soit  senti:  ie  me  defierois  bien  que  pussiez  don- 
ner bon  ordre  sur  ce  diferent,  ayans  tous  suiui  Amour 
fors  Pallas  :  laquelle  estant  ennemie  capitale  de  Folie , 
ne  serait  raison  qu'elle  voulust  iuger  sa  cause.  Et  tou- 
tefois n'est  Folie  si  inconnue  céans,  qu'elle  ne  se  res- 
sente d'auoir  souuentefois  esté  la  bien  venue,  vous  apor- 
tant  tousiours  auec  sa  troupe  quelque  cas  de  nouueau 
pour  rendre  vos  banquets  et  festins  plus  plaisans.  Et 
pense  que  tous  ceus  de  vous ,  qui  ont  aymé ,  ont  aussi 
bonne  souuenance  d'elle,  que  de  Cupidon  mesme.  Da- 
uantage  elle  vous  croit  tous  si  équitables  et  raisonna- 
bles, qu'encore  que  ce  fait  fust  le  votre  propre,  si  n'en 
feriez  vous  que  la  raison.  l'ay  trois  choses  à  faire.  Dé- 
fendre la  teste  de  Folie,  contre  laquelle  Amour  ha  iuré; 
respondre  aus  acusacions  que  i'entens  estre  faites  à  Fc- 


DE  FOLIE  EV  D'AMOVR.  47 

lie  :  et  à  la  demande  qu'il  fait  de  ses  jeus.  Apolon,  qui 
ha  si  long  tems  ouy  les  causeurs  à  Romme  ,  ha  bien 
retenu  d'eus  à  conter  tousiours  à  son  auantage.  Mais 
Folie ,  comme  elle  est  tousiours  ouuerte ,  ne  veut  point 
que  l'en  dissimule  rien  :  et  ne  vous  en  veut  dire  qu'un 
mot  sans  art,  sans  fard  et  ornement  quelconque.  Et, 
à  la  pure  vérité,  Folie  se  iouant  auec  Amour,  ha  passé 
deuant  lui  pour  gaignerle  deuant,  et  pour  venir  plus 
tôt  vous  donner  plaisir.  Amour  est  entré  en  colère.  Lui 
et  elle  se  sont  pris  de  paroles.  Amour  la  taché  naurer  de 
ses  armes  qu'il  portoit.  Folle  s'est  défendue  des  siennes, 
dont  elle  ne  s'estoit  chargée  pour  blesser  personne,  mais 
pource  que  ordinairement  elle  les  porte.  Car,  comme 
vous  sauez ,  ainsi  qu'Amour  tire  au  cœur.  Folie  aussi 
se  gette  aus  yeus  et  à  la  teste,  et  n'a  autres  armes  que  ses 
doits.  Amour  ha  voulu  montrer  qu'il  auoit  puissance 
sur  le  cœur  d'elle.  Elle  lai  ha  fait  connoitre  qu'elle  auoit 
puissance  de  lui  oter  les  yeus.  Il  ne  se  pleingnoit  que 
de  la  deformité  de  son  visage.  Elle  esmue  de  pitié  la  lui 
ha  couuert  d'une  bande  à  ce  que  Ion  n'aperçust  deus 
trons  vuides  d'iceus,  enlaidlssans  sa  face.  On  dit  que 
Folie  ha  fait  double  iniure  à  Amour  :  premièrement , 
de  lui  auoir  creué  les  yeus  :  secondement,  de  lui  auoir 
mis  ce  bandeau.  On.exaggere  le  crime  fait  à  une  per- 
sonne aymee  d'une  personne,  dont  plusieurs  ont  afalre. 
Il  faut  respondre  à  ces  deus  iniures.  Quant  à  la  première, 
le  dy  :  que  les  loix  et  raisons  humaines  ont  permis  k 
tous  se  défendre  contre  ceus  qui  les  voudroient  ofen- 
ser,  tellement  que  ce,  que  chacun  fait  en  se  défendant, 
est  estimé  bien  et  justement  fait.  Amour  ha  esté  l'agres- 


48  DEBAT 

seur.  Car  combien  que  Folie  ait  premièrement  parlé  à 
Amour,  ce  n'estoit  toutefois  pour  quereler,  mais  pour 
s'esbatre ,  et  se  iouer  à  lui.  Folie  s'est  défendue.  Duquel 
coté  est  le  tort?  Quand  elle  lui  ust  pis  fait,  ie  ne  voy 
point  comment  on  lui  en  ust  pii  rien  demander.  Et 
si  ne  voulez  croire  qu* Amour  ait  esté  l'agresseur,  in- 
terroguez  le.  Vous  verrez  qu'il  reconnoitra  vérité.  Et 
n'est  chose  incroyable  en  son  endroit  de  commencer 
tels  brouilliz.  Ce  n'est  d'auiourd'liui ,  qu'il  ha  esté  si 
insuportable ,  quand  bon  lui  ha  semblé.  Ne  s'ataqua 
il  pas  à  Mars  ,  qui  regardoit  Vulcan  forgeant  des  ar- 
mes, et  tout  soudein  le  blessa?  et  n'y  ha  celui  de 
cette  compagnie ,  qui  n'ait  esté  queh|uefois  las  d'ouir 
ces  hrauades.  Folie  rit  tousiours,  ne  pense  si  auant  aus 
choses,  ne  marche  si  auant  pour  estre  la  première,  mais 
pource  qu'elle  est  plus  pronte  et  hatiue.  le  ne  say  que 
sert  d'alléguer  la  coutume  tolérée  à  Cupidon  de  tirer  de 
son  arc  ou  bon  lui  semble.  Car  quelle  loy  ha  il  plus  de 
tirer  à  Folie ,  que  Folie  n'a  de  s'adresser  à  Amour  ?  Il 
ne  lui  ha  fait  mal  :  néanmoins  il  s'en  est  mis  en  son  plein 
deuoir.  Quel  mal  ha  fait  Folie ,  rengeant  Amour,  en  sorte 
qu'il  ne  peut  plus  nuire,  si  ce  n'est  d'auenture?  Que  se 
treuue  il  en  eus  de  capital? y  ha  il  quelque  guet  à  pens, 
ports  d'armes ,  congregacions  illicites ,  ou  autres  choses 
qui  puissent  tourner  au  desordre  de  la  Republique?  Ces- 
toit  Folie  et  un  enfant,  auquel  ne  falloit  auoir  égard. 
le  ne  say  comment  te  prendre  en  cet  endroit,  Apolon. 
S'il  est  si  ancien,  il  doit  auoir  apris  à  estre  plus  mo- 
deste, qu'il  n'est  :  et  s'il  est  ieune,  aussi  est  Folie  ieune, 
et  fille  de  leunesse.  A  cette  cause,  celui  qui  est  blessé, 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  49 

en  doit  demeurer  la.  Et  dorenauant  que  personne  ne  se 
prenne  à  Folie.  Car  elle  ha,  quand  bon  lui  semblera, 
dequoy  venger  ses  iniures  :  et  n'est  de  si  petit  lieu , 
qu'elle  doiue  soufrir  les  ieunesses  de  Cupidon.  Quant  à 
la  seconde  iniure,  que  Folie  lui  ha  mis  un  bandeau,  ceci 
est  une  pure  calomnie.  Car  en  lui  bandant  le  dessous  du 
front.  Folie  iamais  ne  pensa  lui  agrandir  son  mal,  ou 
lui  oter  le  remède  de  guérir.  Et  quel  meilleur  témoi- 
gnage faut  il ,  que  de  Cupidon  mesme?  Il  ha  trouué  bon 
d'estre  bandé  :  il  ha  connu  qu'il  auoit  esté  agresseur,  et 
que  l'iniure  prouenoit  de  lui  :  il  ha  reçu  cette  faueur 
de  Fohe.  Mais  il  ne  sauoit  pas  qu'il  fust  de  tel  pouuoir. 
Et  quand  il  ust  sîi ,  que  lui  ust  nuy  de  le  prendre?  Il 
ne  lui  deuoit  iamais  estre  oté  :  par  conséquent  donq  ne 
lui  deuoient  estre  ses  yeus  rendus.  Si  ses  yeus  ne  lui  de- 
uoient  estre  rendus,  que  lui  nuit  le  bandeau?  Que  bien 
tu  te  montres  ingrat  à  ce  coup ,  fils  de  Venus ,  quand 
tu  calomnies  le  bon  vouloir  que  t'ay  porté ,  et  inter- 
prètes à  mal  ce  que  ie  t'ay  fait  pour  bien.  Pour  agrauer 
le  fait ,  on  dit  que  c'estoit  en  lieu  de  franchise.  Aussi 
estoit  ce  en  lieu  de  franchise,  qu'Amour  auoit  assailli. 
Les  autels  et  temples  ne  sont  inuentez  à  ce  qu'il  soit  loi- 
sible aus  meschans  d'y  tuer  les  bons,  mais  pour  sauner 
les  infortunez  de  la  fureur  du  peuple,  ou  du  courrons 
d'un  Prince.  Mais  celui  qui  pollue  la  franchise,  n'en 
doit  il  perdre  le  fruit?  S'il  ust  bien  succédé  à  Amour, 
comme  il  vouloit ,  et  ust  blessé  cette  Dame ,  ie  croy 
qu'il  n'ust  pas  voulu  que  Ion  lui  ust  imputé  ceci.  Le 
semblable  faut  qu'il  treuue  bon  en  autrui.  Folie  m'a  dé- 
fendu que  ne  la  fisse  misérable,  que  ne  vous  supliasse 

4 


5o  DEBAT 

pour  lui  pardonner ,  si  faute  y  auoit  :  m'a  défendu  le 
plorer,  n'embrasser  vos  genous,  vous  adiurer  par  les 
gracieus  y  eus,  que  quelquefois  auez  trouuez  agréables 
venans  d'elle,  ny  amener  sesparens,  enfans,  amis,  pour 
vous  esraouuoir  h  pitié.  Elle  vous  demande  ce  que  4ie 
lui  pouuez  refuser,  qu'il  soit  dit:  qu'Amour  par  sa  faute 
mesme  est  deuenu  aueugle.  Le  second  point  qu'Apolon 
ha  touché,  c'est  qu'il  veut  estre  faites  défenses  à  Folie 
de  n'aprocher  dorenauant  Amour  de  cent  pas  à  la  ronde. 
Et  ha  fondé  sa  raison  sur  ce ,  qu'estant  en  honneur  et 
reputacion  entre  les  hommes,  leur  causant  beaucoup 
de  bien  et  plaisirs,  si  Folie  y  estoit  meslee,  tout  tour- 
neroit  au  contraire.  Mon  intencion  sera  de  montrer 
qu'en  tout  cela  Folie  n'est  rien  inférieure  à  Amour,  et 
qu'Amour  ne  seroit  rien  sans  elle  :  et  ne  peut  estre ,  et 
régner  sans  son  ayde.  Et  pource  qu'Amour  ha  com- 
mencé à  montrer  sa  grandeur  par  son  ancienneté,  ie 
feray  le  semblable  :  et  vous  prieray  réduire  en  mémoire 
comme  incontinent  que  l'homme  fut  mis  sur  terre,  il 
commença  sa  vie  par  Folie  :  et  depuis  ses  successeurs 
ont  si  bien  continué,  que  iamais  Dame  n'ut  tant  bon 
crédit  au  monde.  Vray  est  qu'au  commencement  les 
hommes  ne  faisoient  point  de  hautes  folies,  aussi  n'a- 
uoient  ils  encores  aucuns  exemples  deuant  eus.  Mais  leur 
folie  estoit  à  courir  l'un  après  l'autre  ;  à  monter  sus  un 
arbre  pour  voir  de  plus  loin  :  rouler  en  la  vallée  :  à  men- 
ger  tout  leur  fruit  en  un  coup  :  tellement  que  l'hiuer 
n'auoient  que  menger.  Petit  à  petit  ha  cru  Folie  auec 
le  tems.  Les  plus  esuentez  d'entre  eus,  ou  pour  auoir 
rescous  des  loups  et  autres  bestes  saunages ,  les  brebis 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  5i 

de  leurs  voisins  et  compagnons,  ou  pour  auoir  défendu 
quelcun  d*estre  outrage,  ou  pource  qu'ils  se  sentoient 
ou  plus  forts ,  ou  plus  beaus ,  se  sont  fait  couronner 
Rois  de  quelque  feuillage  de  Clicsne.  Et  croissant  l'ambi- 
cion,  non  des  Rois,  qui  gardoientfort  bien  en  ce  tems  les 
Moutons,  Reufs,  Truies  et  Asnesses,  mais  de  quelques 
mauuais  garnimens  qui  les  suiuoient,  leur  yiure  lia  esté 
séparé  du  commun.  11  lia  fallu  que  les  viandes  fussent 
plus  délicates,  riiabillement  plus  magnifique.  Si  les  au- 
tres usoient  de  laiton ,  ils  ont  cherché  un  métal  plus 
precieus,  qui  est  l'or.  Ou  For  estoit  commun,  ils  l'ont 
enrichi  de  Perles,  Rubis,  Diamans,  et  de  toutes  sortes  de 
pierreries.  Et,  ou  est  la  plus  grand'Folie,  si  le  commun 
ha  ù  une  loj,  les  graiis  en  ont  pris  d'autres  pour  eus. 
Ce  qu'ils  ont  estimé  n'estre  licite  aus  autres,  se  le  sont 
pensé  estre  permis.  Folie  ha  premièrement  mis  en  teste 
à  quelcun  de  se  faire  creindre:  FoHe  ha  fait  les  autres 
obeïr.  Folie  ha  inuenté  toute  l'excellence,  magnificence 
et  grandeur,  qui  depuis  à  cette  cause  s'en  est  ensuiuie. 
Et  néanmoins,  qu'y  ha  il  plus  vénérable  entre  les  hom- 
mes, que  cens  qui  commandent  aus  autres?  Toymesme, 
lupiter,  les  apelles  pasteurs  de  Peuples  :  veus  qu'il  leur 
soit  obeï  sous  peine  de  la  vie  :  et  néanmoins  l'origine 
est  venue  par  cette  Dame.  Mais  ainsi  que  tousiours  as 
acoutumé  faire,  tu  as  conuerti  à  bien  ce  que  les  hom- 
mes auoient  inuenté  à  mal.  Mais,  pour  retourner  à  mon 
propos ,  quels  hommes  sont  plus  honorez  que  les  fols  ? 
Qui  fut  plus  fol  qu'Alexandre ,  qui  se  sentant  soufrir 
faim,  soif,  et  quelquefois  ne  pouuant  cacher  son  vin, 
suget  à  estre  malade  et  blessé,  néanmoins  se  faisoit  ado- 


52  DEBAT 

rer  comme  Dieu  ?  Et  quel  nom  est  plus  célèbre  entre 
les  Rois  :  quelles  gens  ont  esté  pour  un  tems  en  plus 
grande  reputacion,  que  les  Filozofes  ?  Si  en  trouuerez 
vous  peu  5  qui  n*ayent  esté  abruuez  de  Folie.  Combien 
pensez  vous  qu'elle  ait  de  fois  remué  le  cerueau  de  Ghry- 
sippe?  Aristote  ne  mourut  il  de  dueil ,  comme  un  fol, 
ne  pouuant  entendre  la  cause  du  flus  et  reflus  de  l'Eu- 
ripe  ?  Grate,  getant  son  trésor  en  la  mer,  ne  fit  il  un  sage 
tour?  Empedocle  qui  se  fust  fait  immortel  sans  ses  sa- 
bots d'erain,  en  auoit  il  ce  qui  lui  en  failloit?  Diogene 
auec  son  tonneau  ;  et  Aristippe  qui  se  pensoit  grand  Fi- 
lozofe,  se  sachant  bien  ouy  d'un  grand  Signeur,  estoient 
ils  sages  ?  le  croy  qui  regarderoit  bien  auant  leurs  opi- 
nions, que  Ion  les  trouueroit  aussi  crues,  comme  leurs 
cerueaus  estoient  mal  faits.  Combien  y  ha  il  d'autres 
sciences  au  monde,  lesquelles  ne  sont  que  pure  resuerie? 
encore  que  ceus  qui  en  font  professions ,  soient  estimez 
grans  personnages  entre  les  hommes  ?  Ceus  qui  font  des 
maisons  au  Ciel,  ces  getteurs  de  points,  faiseurs  de  cha- 
racteres ,  et  autres  semblables ,  ne  doiuent  ils  estre  mis 
en  ce  reng  ?  N'est  à  estimer  cette  foie  curiosité  de  me- 
surer le  Ciel,  les  Estoiles,  les  Mers,  la  Terre,  consumer 
son  tems  à  conter,  getter,  aprendre  mile  petites  ques- 
tions, qui  de  soy  sont  foies  :  mais  néanmoins  resiouissent 
l'esprit  :  le  font  aparoir  grand  et  subtil  autant  que  si 
c'estoit  en  quelque  cas  d'importance.  le  n'aurois  iamais 
fait,  si  ie  vouîoi^  raconter  combien  d'honneur  et  de 
reputacion  tous  les  iours  se  donne  à  cette  Dame ,  de 
laquelle  vous  dites  tant  de  mal.  Mais  pour  le  dire  en  un 
mot  :  Mettez  moy  au  monde  un  homme  totalement  sage 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  53 

d'un  cote,  et  un  fol  de  l'autre  :  et  prenez  garde  lequel 
sera  plus  estimé.  Monsieur  le  sage  atendra  que  Ion  le 
prie ,  et  demeurera  auee  sa  sagesse  tout  seul ,  sans  que 
Ion  l'apelle  à  gouuerner  les  Viles ,  sans  que  Ion  l'apelle 
en  conseil  :  il  voudra  escouter,  aller  posément  ou  il  sera 
mandé  ;  et  on  ha  afaire  de  gens  qui  soient  pronts  et  di- 
ligens ,  qui  faillent  plus  tôt  que  demeurer  en  chemin. 
Il  aura  tout  loisir  d'aller  planter  des  clious.  Le  fol  ira 
tant  et  viendra ,  en  donnera  tant  h  tort  et  à  trauers  5 
qu'il  rencontrera  en  fin  quelque  cerueau  pareil  au  sien 
qui  le  poussera  :  et  se  fera  estimer  grand  homme.  Le 
fol  se  mettra  entre  dix  mile  harquehuzades,  et  possihle 
en  eschapera  :  il  sera  estimé,  loué,  prisé,  suiui  d'un 
chacun.  Il  dressera  quelque  entreprise  esceruelee,  de 
laquelle  s'il  retourne ,  il  sera  mis  iusques  au  ciel.  Et 
trouuerez  vray,  en  somme,  que  pour  un  homme  sage, 
dont  on  parlera  au  monde,  j  en  aura  dix  mile  fols  qui 
seront  a  la  vogue  du  peuple.  Ne  vous  sufit  il  de  ceci  ?  as- 
semhleray  ie  les  maus  qui  seroient  au  monde  sans  Fo- 
lie, et  les  commoditez  qui  prouiennent  d'elle  ?  Que  du- 
reroit  mesme  le  monde ,  si  elle  n'empeschoit  que  Ion 
ne  preuit  les  fâcheries  et  hazars  qui  sont  en  mariage  ? 
Elle  empesche  que  Ion  ne  les  yoye  et  les  cache  :  à  fin 
que  le  monde  se  peuple  tousiours  à  la  manière  acoutu- 
mee.  Gomhien  dureroient  peu  aucuns  mariages,  si  la 
sottise  des  hommes  ou  des  femmes  laissoit  voir  les  vices 
qui  y  sont?  Qui  ust  trauersé  les  mers,  sans  auoir  Folie 
pour  guide  ?  se  commettre  à  la  miséricorde  des  vents , 
des  vagues,  des  bancs,  et  rochers,  perdre  la  terre  de 
Tuë,  aller  par  voyes  inconnues,  trafiquer  auec  gens  bar- 


54  DEBAT 

bares  et  inhumains,  dont  est  il  premièrement  venu,  que 
de  Folie?  Et  toutefois  par  là,  sont  communiquées  les 
richesses  d'un  païs  à  autre,  les  sciences,  les  façons  de 
faire,  et  ha  esté  connue  la  terre,  les  proprietez,  et  na- 
tures des  herbes,  pierres  et  animaus.  Quelle  folie  fust 
ce  d'aller  sous  terre  chercher  le  fer  et  l'or?  combien  de 
mestiers  faudroit  il  chasser  du  monde,  si  Folie  en  estoit 
bannie?  la  plus  part  des  hommes  mourroient  de  faim; 
Dequoy  viuroient  tant  d'Auocats,  Procureurs,  Greffiers, 
Sergens  ,  luges ,  Menestriers ,  Farseurs ,  Parfumeurs , 
Brodeurs,  et  dix  mile  autres  mestiers?  Etpource  qu'A- 
mour s'est  Youlu  munir,  tant  qu'il  ha  pu,  de  la  faueur 
d'un  chacun,  pour  faire  trouuer  mauuais  que  par  moy 
seule  il  ait  reçu  quelque  infortune,  c'est  bien  raison  qu'a- 
près auoir  ouy  toutes  ses  vanteries ,  ie  lui  conte  à  la  vé- 
rité de  mon  fait.  Le  plaisir,  qui  prouient  d'Amour,  con- 
siste quelquefois  ou  en  une  seule  personne,  ou  bien 
pour  le  plus,  en  deus,  qui  sont,  l'amant  et  l'amie.  Mais 
le  plaisir  que  Folie  donne,  n'a  si  petites  bornes.  D'un 
mesme  passetems  elle  fera  rire  une  grande  compagnie. 
Autrefois  elle  fera  rire  un  homme  seul  de  quelque  pen- 
sée, qui  sera  venue  donner  à  la  trauerse.  Le  plaisir  que 
donne  Amour,  est  caché  et  secret  :  celui  de  Folie  se 
communique  à  tout  le  monde.  Il  est  si  récréatif,  que 
le  seul  nom  esgaie  une  personne.  Qui  verra  un  homme 
enfariné  auec  une  bosse  derrière  entrer  en  salle,  ayant 
une  contenance  de  fol,  ne  rira  il  incontinent?  Que  Ion 
nomme  quelque  fol  insigne,  vous  verrez  qu'à  ce  nom 
quelcun  se  resiouira,  et  ne  pourra  tenir  le  rire.  Tous 
autres  actes  de  Folie  sont  tels,  que  Ion  ne  peut  en  par- 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  55 

1er  sans  sentir  au  cœur  quelque  allégresse ,  qui  cles- 
faclie  un  homme  et  le  prouoque  à  rire.  Au  contraire, 
les  choses  sages  et  hien  composées,  nous  tiennent  pre- 
mièrement en  admiracion  :  puis  nous  soûlent  et  en- 
nuient. Et  ne  nous  feront  tant  de  hien ,  quelques  grandes 
que  soient  et  cerimonieuses ,  les  assemhlees  des  grans 
Signeurs  et  sages,  que  fera  quelque  folâtre  compagnie 
de  ieunes  gens  délibérez,  et  qui  n'auront  ensemble  nul 
respect  et  consideracion.  Seulement  icelle  yoir,  resueille 
les  esprits  de  Tame,  et  les  rend  plus  dispos  à  faire  leurs 
naturelles  operacions  :  Ou,  quand  on  sort  de  ces  sages 
assemblées ,  la  teste  fait  mal  :  on  est  las  tant  d'esprit  que 
de  corps,  encore  que  Ion  ne  soit  bougé  de  sus  une  sel- 
lette. Toutefois,  ne  faut  estimer  que  les  actes  de  Folie 
soient  tousiours  ainsi  legei-s  comme  le  saut  des  Bergers, 
qu'ils  font  pour  l'amour  de  leurs  amies  :  ny  aussi  déli- 
bérez comme  les  petites  gayetez  des  Satires  :  ou  comme 
les  petites  ruses  que  font  les  Pastourelles,  quand  elles 
font  tomber  cens  qui  passent  deuant  elles,  leui'  donnant 
par  derrière  la  iambette,  ou  leur  chatouillant  leur  som- 
meil auec  quelque  branche  de  chesne.  Elle  en  ha,  qui 
sont  plus  seueres,  faits  auec  grande  premeditacion,  auec 
grand  artifice,  et  par  les  esprits  plus  ingenieus.  Telles 
sont  les  Tragédies  que  les  garçons  des  vilages  premiè- 
rement inuenterent:  puis  furent  auec  plus  heureus  soin 
aportees  es  viles.  Les  Comédies  ont  de  là  pris  leur  source. 
La  saltacion  n'a  îi  autre  origine  :  qui  est  une  represen- 
tacion  faite  si  au  vif  de  plusieurs  et  diuerses  histoires, 
que  celui,  qui  n'oit  la  voix  des  cliantres,  qui  acompa- 
gncnt  les  mines  du  ioueur,  entent  toutefois  non  seule- 


56  DEBAT 

ment  riiistoire,  mais  les  passions  et  mounemens  :  et 
pense  entendre  les  paroles  qui  sont  conuenables  et  pro- 
pres en  tels  actes  :  et,  comme  disoit  quelcun,  leurs  piez 
et  mains  parlans.  Les  Bouffons  qui  courent  le  monde , 
en  tiennent  quelque  chose.  Qui  me  pourra  dire,  s'il  y 
ha  chose  plus  foie,  que  les  anciennes  fables  contenues 
es  Tragédies,  Comédies,  et  Saltacions  ?  Et  comment  se 
peuuent  exempter  d'estre  nommez  fols ,  ceux  qui  les  re- 
présentent, ayans  pris  et  prenans  tant  de  peines  à  se 
faire  sembler  autres  qu'ils  ne  sont?  Est  il  besoin  re- 
citer les  autres  passetems ,  qu'a  inuentez  Folie  pour  gar- 
der les  hommes  de  languir  en  oisiuetë  ?  N'a  elle  fait  faire 
les  somptueus  Palais ,  Théâtres ,  et  Amphithéâtres  de 
magnificence  incroyable  ,  pour  laisser  témoignage  de 
quelle  sorte  de  folie  chacun  en  son  tems  s'esbatoit?  N'a 
elle  este'  inuentrice  des  Gladiateurs,  Luiteurs,  et  Athlè- 
tes? N'a  elle  donné  la  hardiesse  et  dextérité  telle  à  l'hom- 
me ,  que  d'oser,  et  pouuoir  combatre  sans  armes  un 
Lion ,  sans  autre  nécessité  ou  atente ,  que  pour  estre 
en  la  grâce  et  faueur  du  peuple  ?  Tant  y  en  ha  qui  as- 
saillent les  Taureaus,  Sangliers,  et  autres  bestes,  pour 
auoir  l'honneur  de  passer  les  autres  en  folie  :  qui  est  un 
combat,  qui  dure  non  seulement  entre  cens  qui  \iuent 
de  mesme  tems,  mais  des  successeurs  auec  leurs  prédé- 
cesseurs. N'estoit  ce  un  plaisant  combat  d'Antoine  auec 
Cleopatra ,  a  qui  dépendroit  le  plus  en  un  festin  ?  Et 
tout  cela  seroit  peu,  si  les  hommes  ne  trouuans  en  ce 
monde  plus  fols  qu'eus,  ne  dressoient  querelle  contre 
les  morts.   César  se  fachoit  qu'il  n'auoit  encore  com- 
mencé  à  tix)ubler  le  monde  en  l'aage ,  qu'Alexandre  le 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  57 

grand  en  auoit  vaincu  une  grande  partie.  Combien  Lu- 
culle  et  autres,  ont  ils  laissé  d'imitateurs,  qui  ont  taclié  à 
les  passer,  soit  à  traiter  les  hommes  en  grand  apareil,  à 
amonceler  les  plaines,  aplanir  les  montaignes,  seicher 
les  lacs,  mettre  ponts  sur  les  mers  (comme  Claude  Em- 
pereur) faire  Colosses  de  bronze  et  pierre ,  arcs  trion- 
fans,  Pyramides?  Et  de  cette  magnifique  folie  en  de- 
meure un  long  tems  grand  plaisir  entre  les  hommes, 
qui  se  destournent  de  leur  chemin,  font  voyages  ex- 
près, pour  auoir  le  contentement  de  ces  vieilles  folies. 
En  somme,  sans  cette  bonne  Dame  l'homme  seicheroit 
et  seroit  lourd ,  malplaisant  et  songeart.  Mais  Folie  lui 
esueille  l'esprit,  fait  chanter,  danser,  sauter,  habiller 
en  mile  façons  nouuelles ,  lesquelles  changent  de  demi 
an  en  demi  an ,  auec  tousiours  quelque  aparence  de  rai- 
son ,  et  pour  quelque  commodité.  Si  Ion  inuente  un  ha- 
bit ioint  et  rond ,  on  dit  qu'il  est  plus  séant  et  propre  ; 
quand  il  est  ample  et  large  ,  plus  honneste.  Et  pour  ces 
petites  folies ,  et  inuencions ,  qui  sont  tant  en  habille- 
mens  qu'en  contenances  et  façons  de  faire ,  l'homme  en 
est  mieus  venu,  et  pkis  agréable  aus  Dames.  Et  comme 
i'ay  dit  des  hommes,  il  j  aura  grand'  diference  entre  le 
recueil  que  trouuera  un  fol ,  et  un  sage.  Le  sage  sera 
laissé  sur  les  liures ,  ou  auec  quelques  anciennes  ma- 
trones cl  deviser  de  la  dissolucion  des  habits,  des  ma- 
ladies qui  courent,  ou  à  demesler  quelque  longue  gé- 
néalogie. Lesieunes  Dames  ne  cesseront  qu'elles  n'ayent 
en  leur  compagnie  ce  gay  et  ioly  cerueau.  Et  combien 
qu'il  en  pousse  l'une ,  pinse  l'autre ,  descoiffe ,  leue  la 
cotte  5  et  leur  face  mile  maus  :  si  le  chercheront  elles 


58  DEBAT 

tousiours.  Et  quand  ce  Yiendra  h.  faire  comparaison  des 
deiis,  le  sage  sera  loué  d'elles,  mais  le  fol  iouîra  du  fruit 
de  leurs  priuautez.  Vous  verrez  les  Sages  mesmes,  en- 
core qu'il  soit  dit  que  Ion  cherclie  son  semblable ,  tom- 
ber de  ce  coté.  Quand  ils  feront  quelque  assemblée  , 
tousiours  donneront  cliarge  que  les  plus  fols  y  soient, 
n'estimant  pouuoir  estre  bonne  compagnie,  s'il  n'y  lia 
quelque  fol  pour  resueillerles  autres.  Et  combien  qu'ils 
s'excusent  sur  les  femmes  et  ieunes  gens ,  si  ne  peuuent 
ils  dissimuler  le  plaisir  qu'ils  y  prennent ,  s'adressans 
tousiours  à  eus,  et  leur  faisant  visage  plus  riant,  qu'ans 
autres.  Que  te  semble  de  Folie,  lupiter?  Est  elle  telle, 
qu'il  la  faille  enseuelir  sous  le  mont  Gibel ,  ou  exposer 
au  lieu  de  Prometbee ,  sur  le  mont  de  Caucase  ?  Est  il 
raisonnable  la  priuer  de  toutes  bonnes  compagnies,  ou 
Amour  sacbant  qu'elle  sera ,  pour  la  facber  y  viendra , 
et  conuiendra  que  Folie  ,  qui  n'est  rien  moins  qu'A- 
mour, lui  quitte  sa  place?  S'il  ne  veut  estime  auec  Folie, 
qu'il  se  garde  de  s'y  trouuer.  Mais  que  cette  peine,  de 
ne  s'assembler  point,  tombe  sur  elle,  ce  n'est  raison. 
Quel  propos  y  auroit  il,  qu'elle  ust  rendu  une  compa- 
gnie gaie  et  délibérée,  et  que  sur  ce  bon  point  la  fal- 
lust  desloger?  Encore  s'il  demandoit  que  le  premier  qui 
auroit  pris  la  place  ,  ne  fust  empesclié  par  l'autre,  et 
que  ce  fust  au  premier  venu,  il  y  auroit  quelque  raison. 
Mais  ie  lui  montreray  que  iamais  Amour  ne  fut  sans  la 
fille  de  leunesse,  et  ne  peut  estre  autrement  :  et  le  grand 
dommage  d'Amour,  s'il  auoit  ce  qu'il  demande.  Mais 
c'est  une  petite  colère ,  qui  lui  ronge  le  cerneau ,  qui 
lui  fait  auoir  ces  estranges  afeccions  :  lesquelles  cesse- 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  59 

ront  quand  il  sera  un  peu  refroidi.  Et  pour  commencer 
h  la  belle  première  naissance  d'Amour,  qu'y  ha  il  plus 
despouruu  de  sens,  que  la  personne  à  la  moindre  ocasion 
du  monde  vienne  en  Amour,  en  receuant  une  pomme 
comme  Cydipee?  en  lisant  un  liure,  comme  la  Dame 
Francisque  de  Rimini  ?  en  voyant,  en  passant,  se  rende 
si  tôt  serue  et  esclaue ,  et  conçoiue  espérance  de  quel- 
que grand  bien  sans  sauoir  s'il  en  y  ha?  Dire  que  c'est  la 
force  de  l'œil  de  la  chose  aymee ,  et  que  de  là  sort  une 
sutile  euaporacion,  ou  sang,  que  nos  yeus  reçoiuent, 
et  entre  iusques  au  cœur  :  ou ,  comme  pour  loger  un 
nouuel  hoste ,  faut  pour  lui  trouuer  sa  place ,  mettre 
tout  en  desordre.  le  say  que  chacun  le  dit  :  mais  s'il 
est  vray,  l'en  doute.  Car  plusieurs  ont  aymé  sans  auoir 
ù  cette  ocasion ,  comme  le  ieune  Gnidien ,  qui  ayma 
l'euure  fait  par  Praxitelle.  Quelle  influxion  pouuoit  il 
receuoir  d'un  œil  marbrin  ?  Quelle  sympathie  y  auoit  il 
de  son  naturel  chaud  et  ardent  par  trop,  auec  une  froide 
et  morte  pierre?  Qu'est  ce  donq  qui  l'enflammoit?  Fo- 
lie, qui  estoit  logée  en  son  esprit.  Tel  feu  estoit  celui 
de  Narcisse.  Son  œil  ne  receuoit  pas  le  pur  sang  et  sutil 
de  son  cœur  mesme  :  mais  la  foie  imaginacion  du  beau 
pourtrait ,  qu'il  voyoit  en  la  fonteine ,  le  tourmentoit. 
Exprimez  tant  que  voudrez  la  force  d'un  œil  :  faites  le 
tirer  mile  traits  par  iour  :  n'oubliez  qu'une  ligne  qui 
passe  par  le  milieu  ,  iointe  auec  le  sourcil ,  est  un  vray 
arc  :  que  ce  petit  humide ,  que  Ion  voit  luire  au  milieu, 
est  le  trait  prest  à  partir  :  si  est  ce  que  toutes  ces  fles- 
ches  n'iront  en  autres  cœurs ,  que  cens  que  Folie  aura 
préparez.  Que  tant  de  grans  personnages,  qui  ont  esté 


6o  DEBAT 

et  sont  de  présent,  ne  s'estiment  estre  iniuriez ,  si  pour 
auoir  aymé  ie  les  nomme  fols.  Qu'ils  se  prennent  à  leurs 
Filozofes,  qui  ont  estimé  Folie  estre  priuacion  de  sa- 
gesse ,  et  sagesse  estre  sans  passions  :  desquelles  Amour 
ne  sera  non  plus  tôt  destitué,  que  la  Mer  d'ondes  et 
vagues  :  vray  est  qu'aucuns  dissimulent  mieus  leur  pas- 
sion :  et  s'ils  s'en  trouuent  mal ,  c'est  une  autre  espèce 
de  Folie.  Mais  ceus  qui  montrent  leurs  afeccions  estans 
plus  grandes  que  les  secrets  de  leurs  poitrines,  vous  ren- 
dront et  exprimeront  une  si  viue  image  de  Folie ,  qu'A- 
pelle  ne  la  sauroit  mieus  tirer  au  vif.  le  vous  prie  imagi- 
ner un  ieune  homme,  n'ayant  grand  afaire,  qu'à  se  faire 
aymer  :  pigné,  miré,  tiré,  parfumé  ;  se  pensant  valoir 
quelque  chose,  sortir  de  sa  maison  le  cerueau  emhrouillé 
de  mile  consideracions  amoureuses:  ayant  discouru  mile 
bons  heurs,  qui  passeront  bien  loin  des  cotes:  suiui  de 
pages  et  laquais  habillez  de  quelque  liuree  représentant 
quelque  trauail,  fermeté,  et  espérance  :  et  en  cette  sorte 
viendra  trouuer  sa  Dame  à  l'Eglise  :  autre  plaisir  n'aura 
qu'a  geter  force  oeillades,  et  faire  quelque  reuerence 
en  passant.  Et  que  sert  ce  seul  regard?  Que  ne  va  il  en 
masque  pour  plus  librement  parler?  La  se  fait  quelque 
habitude,  mais  auec  si  peu  de  demontrance  du  coté  de 
la  Dame ,  que  rien  moins.  A  la  longue  il  vient  quelque 
priuauté  :  mais  il  ne  faut  encore  rien  entreprendre , 
qu'il  n'y  ait  plus  de  familiarité.  Car  lors  on  n'ose  refu- 
ser d'ouir  tous  les  propos  des  hommes ,  soient  bons  ou 
mauuais.  On  ne  creint  ce  que  Ion  ha  acoutumé  voir. 
On  prent  plaisir  à  disputer  les  demandes  des  poursui- 
uans.  Il  leur  semble  que  la  place  qui  parlemente,  est 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  6i 

demi  gaignee.  Mais  s'il  auient,  que,  comme  les  femmes 
prennent  volontiers  plaisir  à  voir  clebatre  les  hommes, 
elles  leur  ferment  quelquefois  rudement  la  porte,  et  ne 
les  apellent  à  leurs  petites  priuautez,  comme  elles  sou- 
loient,  voilà  mon  homme  aussi  loin  de  son  but  comme 
n'a  gueres  s'en  pensoit  près.  Ce  sera  à  recommencer.  Il 
faudra  trouuer  le  moyen  de  se  faire  prier  d'acompa- 
gner  sa  Dame  en  quelque  Eglise  ,  aus  ieus,  et  autres 
assemblées  publiques.  Et  ce  pendant  expliquer  ses  pas- 
sions par  soupirs  et  paroles  tremblantes  ;  redire  cent  fois 
une  mesme  chose  :  protester,  iurer,  promettre  a  celle 
qui  possible  ne  s'en  soucie  ,  et  est  tournée  ailleurs  et 
promise.  Il  me  semble  que  seroit  folie  parler  des  sottes 
et  plaisantes  amours  vilageoises  :  marcher  sur  le  bout 
du  pie,  serrer  le  petit  doit  :  après  que  Ion  ha  bien  bu, 
escrire  sur  le  bout  de  la  table  auec  du  vin,  et  entrelas- 
ser son  nom  et  celui  de  s'amie  :  la  mener  première  à  la 
danse,  et  la  tourmenter  tout  un  iour  au  Soleil.  Et  en- 
core cens,  qui  par  longues  alliances,  ou  par  entrées 
ont  pratiqué  le  moyen  de  voir  leur  amie  en  leur  maison, 
ou  de  leur  voisin,  ne  viennent  en  si  estrange  folie, 
que  cens  qui  n'ont  faueur  d'elles  qu'ans  lieus  publiques 
et  festins  :  qui  de  cent  soupirs  n'en  peuuent  faire  con- 
noitre  plus  d'un  ou  deus  le  mois  :  et  néanmoins  pen- 
sent que  leurs  amies  les  doiuent  tous  conter.  Il  faut 
auoir  tousiours  pages  aus  escoutes ,  sauoir  qui  va,  qui 
vient,  corrompre  des  chambrières  à  beaus  deniers,  per- 
dre tout  un  iour  pour  voir  passer  Madame  par  la  rue , 
et  pour  toute  remuneracion ,  auoir  un  petit  adieu  auec 
quelque  souzris ,  qui  le  ferji  retourner  chez  soy  plus 


62  DEBAT 

content,  que  quand  Vljsse  vld  la  fumée  de  son  Itaque. 
Il  vole  de  joye  :  il  embrasse  l'un ,  puis  l'autre  :  chante 
vers  :  compose  ,  fait  s'amie  la  plus  belle  qui  soit  au 
monde,  combien  que  possible  soit  laide.  Et  si  de  fortune 
suruient  quelque  ialousie,  comme  il  auient  le  plus  sou- 
uent,  on  ne  rit,  on  ne  chante  plus  :  on  dénient  pensif 
et  morne  :  on  connoit  ses  vices  et  fautes  :  on  admire 
celui  que  Ion  pense  estre  aymé  :  on  parangonne  sa  beau- 
té, grâce,  richesse,  auec  celui  duquel  on  est  ialous  : 
puis  soudein  on  le  vient  à  despriser  ;  qu'il  n'est  possi- 
ble, estant  de  si  mauuaise  grâce ,  qu'il  soit  ayme  :  qu'il 
est  impossible  qu'il  face  tant  son  deuoir  que  nous,  qui 
languissons,  mourons,  brûlons  d'Amour.  On  se  pleint, 
on  apelle  s'amie  cruelle ,  variable  :  Ion  se  lamente  de 
son  malheur  et  destinée.  Elle  n'en  fait  que  rire  ,  ou 
lui  fait  acroire  qu'à  tort  il  se  pleint  :  on  trouue  mau- 
uaises  ses  querelles,  qui  ne  viennent  que  d'un  cœur 
soupsonneus  et  ialous  :  et  qu'il  est  bien  loin  de  son 
conte  :  et  qu'autant  lui  est  de  l'un  que  de  l'autre.  Et 
lors  ie  vous  laisse  penser  qui  ha  du  meilleur.  Lors  il 
faut  connoitre  que  Ion  ha  failli  par  bien  seruir,  par  mas- 
ques magnifiques,  par  deuises  bien  inuentees,  festins, 
banquets.  Si  la  commodité  se  trouue,  faut  se  faire  pa- 
roitre  par  dessus  celui  dont  on  est  ialous.  Il  faut  se  mon- 
trer libéral  :  faire  présent  quelquefois  de  plus  que  Ion 
n'a  :  incontinent  qu'on  s'aperçoit  que  Ion  souhaite  quel- 
que chose  ,  l'enuoyer  tout  soudein ,  encores  qu'on  n'en 
soit  requis  :  et  iamais  ne  confesser  que  Ion  soit  poure. 
Car  c'est  une  tresmauuaise  compagne  d'Amour,  que 
Poureté:  laquelle  estant  suruenue,  on  connoit  sa  folie. 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  65 

et  Ion  s'en  retire  à  tard.  le  croy  que  ne  voudriez  point 
ressembler  encore  à  cet  Amoureus,  qui  n'en  lia  que  le 
nom.  Mais  prenons  le  cas  que  Ion  lui  rie,  qu'il  y  ait 
quelque  réciproque  amitié  ,  qu'il  soit  prie  se  trouuer  en 
quelque  lieu:  il  pense  incontinent  qu'il  soit  fait,  qu'il 
receura  quelque  bien,  dont  il  est  bien  loin  :  une  heure 
en  dure  cent  :  on  demande  plus  de  fois  quelle  heure  il 
est;  on  fait  semblant  d'estre  demandé  :  et  quelque  mine 
que  Ion  face,  on  lit  au  visage  qu'il  y  ha  quelque  pas- 
sion véhémente.  Et  quand  on  aura  bien  couru,  on  trou- 
uera  que  ce  n'est  rien ,  et  que  c'estoit  pour  aller  en 
compagnie  se  proinener  sur  l'eau,  ou  en  quelque  iardin  : 
ou  aussi  tôt  un  autre  aura  faueur  de  parler  à  elle  que 
lui,  qui  ha  esté  conuié.  Encore  ha  11  ocasion  de  se  con- 
tenter, à  son  auis.  Car  si  elle  n'ust  plaisir  de  le  voir,  elle 
ne  l'ust  demande'  en  sa  compagnie.  Les  plus  grandes  et 
hazardeuses  folies  suiuent  tousiours  l'acroissement  d'A- 
mour. Celle  qui  ne  pensoit  qu'à  se  iouer  au  commen- 
cement, se  trouue  prise.  Elle  se  laisse  visiter  à  heure 
suspecte.  En  quels  dangers  ?  D'y  aller  accompagné,  se- 
roit  déclarer  tout.  Y  aller  seul ,  est  hazardeus.  le  laisse 
les  ordures  et  infeccions ,  dont  quelquefois  on  est  par- 
fumé. Quelquefois  se  faut  dcsguiser  en  portefaix ,  en 
Cordelier,  en  femme  :  se  faire  porter  dens  un  coffre  à 
la  merci  d'un  gros  vilain,  que  s'il  sauoit  ce  qu'il  porte, 
le  lairroit  tomber  pour  auoir  sondé  son  fol  faix.  Quel- 
quefois ont  esté  surpris ,  batuz  ,  outragez ,  et  ne  s'en 
ose  Ion  vanter.  Il  se  faut  guinder  par  fenestres ,  par  sus 
murailles,  et  tousiours  en  danger,  si  Folie  n'y  tenoit  la 
main.  Encore  cens  cy  ne  sont  que  des  mieus  pavez.  Il 


64  DEBAT 

y  en  lia  qui  rencontrent  Dames  cruelles ,  desquelles  ia- 
niais  on  n'obtient  merci.  Autres  sont  si  rusées,  qu'après 
les  auoir  menez  iusques  auprès  du  but,  les  laissent  là. 
Que  font  ils?  après  auoir  longuement  soupire,  plorë  et 
crie,  les  uns  se  rendent  Moynes  :  les  autres  abandonnent 
le  païs  :  les  autres  se  laissent  mourir.  Et  penseriez  vous, 
que  les  amours  des  femmes  soient  de  beaucoup  plus  sa- 
ges? les  plus  froides  se  laissent  brûler  dedens  le  corps 
auant  que  de  rien  auouer.  Et  combien  qu'elles  vousis- 
sent  prier,  si  elles  osoient,  elles  se  laissent  adorer:  et 
tousiours  refusent  ce  qu'elles  voudroient  bien  que  Ion 
leur  otast  par  force.  Les  autres  n'atendent  que  l'oca- 
sion  :  et  lieureus  qui  la  peut  rencontrer.  Il  ne  faut  auoir 
creinte  d'estre  esconduit.  Les  mieus  nées  ne  se  laissent 
veincre,  que  par  le  tems.  Et  se  connoissant  estre  ay- 
niees,  et  endurant  en  fin  le  semblable  mal  qu'elles  ont 
fait  endurer  a  autrui ,  ayant  fiance  de  celui  auquel  elles 
se  descouurent,  auouent  leur  foiblesse,  confessent  le 
feu  qui  les  brûle  :  toutefois  encore  un  peu  de  honte  les 
retient,  et  ne  se  laissent  aller,  que  vaincues,  et  consu- 
mées à  demi.  Et  aussi  quand  elles  sont  entrées  une  fois 
auant,  elles  font  de  beaus  tours.  Plus  elles  ont  résisté  a 
Amour,  et  plus  s'en  treuuent  prises.  Elles  ferment  la 
porte  à  raison.  Tout  ce  qu'elles  creingnoient,  ne  le  dou- 
tent plus.  Elles  laissent  leurs  ocupacions  muliebres.  Au 
lieu  de  filer,  coudre,  besongner  au  point,  leur  estude  est 
se  bien  parer,  promener  es  Eglises,  festes,  et  banquets 
pour  auoir  tousiours  quelque  rencontre  de  ce  qu'elles 
ayment.  Elles  prennent  la  plume  et  le  lut  en  main  :  es- 
criuent  et  chantent  leurs  passions  :  et  en  fin  croit  tant 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  65 

cette  rage,  qu'elles  abandonnent  quelquefois  perejUiere, 
maris,  enfans,  et  se  retirent  ou  est  leur  cœur.  Il  n'j  ha 
rien  qui  plus  se  fâche  d'estre  contreint ,  qu'une  femme  : 
et  qui  plus  se  contreingae,  ou  elle  ha  enuie  montrer 
son  afeccion.  le  voy  souuentefois  une  femme ,  laquelle 
n'a  trouué  la  solitude  et  prison  d'enuiron  sept  ans  lon- 
gue, estant  auec  la  personne  qu'elle  ajmoit.  Et  com- 
bien que  nature  ne  lui  ust  nié  plusieurs  grâces,  qui 
ne  la  faisoient  indine  de  toute  bonne  compagnie ,  si  est 
ce  qu'elle  ne  vouloit  plaire  à  autre  qu'à  celui  qui  la 
tenoit  prisonnière.  l'en  ay  connu  une  autre ,  laquelle 
absente  de  son  ami ,  n'alloit  iamais  dehors  qu'acompa- 
gnee  de  quelcun  des  amis  et  domestiques  de  son  bien 
aymé  :  voulant  tousiours  rendre  témoignage  de  la  foy 
qu'elle  lui  portoit.  En  somme,  quand  cette  afeccion  est 
imprimée  en  un  cœur  genereus  d'une  Dame ,  elle  y  est 
si  forte,  qu'à  peine  se  peut  elle  efacer.  Mais  le  mal  est, 
que  le  plus  souuent  elles  rencontrent  si  mal  ;  que  plus 
ayment,  et  moins  sont  aymees.  Il  y  aura  quelcun,  qui 
sera  bien  aise  leur  donner  martel  en  teste ,  et  fera  sem- 
blant d'aymer  ailleurs,  et  n'en  tiendra  conte.  Alors  les 
pourettes  entrent  en  estranges  fantasies  :  ne  peuuent  si 
aisément  se  défaire  des  hommes,  comme  les  hommes  des 
femmes,  n'ayans  la  commodité  de  s'eslongner  et  com- 
mencer autre  parti,  chassans  Amour  auec  autre  Amour. 
Elles  blâment  tous  les  hommes  pour  un.  Elles  apellent 
foies  celles  qui  ayment.  Maudissent  le  iour  que  premiè- 
rement elles  aymerent.  Protestent  de  iamais  n'aymer: 
mais  cela  ne  leur  dure  gueres.  Elles  remettent  incon- 
tinent deuant  les  yeus  ce  qu'elles  ont  tant  aymé.  Si  elles 

5 


66  DEBAT 

ont  quelque  enseigne  de  lui ,  elles  la  baisent,  rebalsent, 
sèment  de  larmes,  s'en  font  un  clieuet  et  oreiller,  et 
s'escoutent  elles  mesmes  pleingnantes  leurs  misérables 
détresses.  Combien  en  voy  ie,  qui  se  retirent  iusques 
ans  Enfers ,  pour  essaier  si  elles  pourront ,  comme  iadis 
Orphée,  reuoquer  leurs  amours  perdues  ?  Et  en  tous 
ces  actes,  quels  traits  trouuez  vous  que  de  Folie?  Auoir 
le  cœur  sépare  de  soymesme,  estre  meintenant  en  paix, 
ores  en  guerre,  ores  en  treues  ;  couurir  et  caclier  sa 
douleur:  changer  yisage  mile  fois  le  iour  :  sentir  le  sang 
qui  lui  rougit  la  face,  y  montant  :  puis  soudein  s'enfuit, 
la  laissant  palle ,  ainsi  que  honte,  espérance,  ou  peur, 
nous  gouuernent  :  chercher  ce  qui  nous  tourmente , 
feingnant  le  fuir.  Et  néanmoins  auoir  creinte  de  le  trou- 
uer  :  n'auoir  qu'un  petit  ris  entre  mile  soupirs  :  se  trom- 
per soymesme  :  brûler  de  loin ,  geler  de  près  :  un  parler 
interrompu  ;  un  silence  venant  tout  à  coup  :  ne  sont 
ce  tous  signes  d'un  homme  aliéné  de  son  bon  enten- 
dement? Qui  excusera  Hercule  deuidant  les  pelotons 
d'Omphale  ?  Le  sage  Roi  Hebrieu  auec  cette  grande 
multitude  de  femmes  ?  Annibal  s'abatardissant  autour 
d'une  Dame?  et  maints  autres,  que  iournellement  voyons 
s'abuser  tellement,  qu'ils  ne  se  connoissent  eus  mes- 
mes. Qui  en  est  cause,  sinon  Folie  ?  Car  c'est  celle  en 
somme,  qui  fait  Amour  grand  et  redouté  :  et  le  fait  ex- 
cuser, s'il  fait  quelque  chose  autre  que  de  raison.  Re- 
connois  donq,  ingrat  Amour,  quel  tues,  et  de  combien 
de  biens  ie  te  suis  cause  ?  le  te  fay  grand  :  ie  te  fay  esle- 
uer  ton  nom  :  voire  et  ne  t'ussent  les  hommes  réputé 
Dieu  sans  moy.  Et  après  que  t'ay  tousiours  acompagné, 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  67 

tu  ne  me  veus  seulement  abandonner,  mais  me  veus 
renger  à  cette  sugeccion  de  fuir  tous  les  lieus  ou  tu  se-» 
ras.  le  crois  auoir  satisfait  à  ce  qu'auois  promis  montrer  : 
que  iusques  ici  Amour  n'auoit  esté  sans  Folie.  Il  faut 
passer  outre,  et  montrer  qu'impossible  est  d'estre  au- 
trement. Et  pour  y  entrer:  Apolon,  tu  me  confesseras, 
qu'Amour  n*est  autre  chose  qu'un  désir  de  iouir,  auec 
une  conionccion ,  et  assemblement  de  la  chose  aymee. 
Estant  Amour  désir,  ou,  quoy  que  ce  soit,  ne  pouuant 
estre  sans  désir  :  il  faut  coiifesser  qu'incontinent  que 
cette  passion  vient  saisir  l'homme,  elle  l'altère  et  immue. 
Car  le  désir  incessamment  se  demeine  dedens  l'ame,  la 
poingnant  tousiours  et  resueillant.  Cette  agitacion  d'es- 
prit, si  elle  estoit  naturelle  ,  elle  ne  l'afligeroit  de  la 
sorte  qu'elle  fait  :  mais,  estant  contie  son  naturel ,  elle 
le  malmeine ,  en  sorte  qu'il  se  fait  tout  autre  qu'il  n'es- 
toit.  Et  ainsi  en  soy  n'estant  l'esprit  à  son  aise,  mais 
trouble  et  agité  ,  ne  peut  estre  dit  sage  et  posé.  Mais 
encore  fait  il  pis  :  car  il  est  contreint  se  descouurir  :  ce 
qu'il  ne  fait  que  par  le  ministère  et  organe  du  corps  et 
membres  d'icelui.  Et  estant  une  fois  acheminé,  il  faut 
que  le  poursuiuant  en  amours  face  deus  choses  ;  qu'il 
donne  à  connoitre  qu'il  ayme  :  et  qu'il  se  face  ayiner. 
Pour  le  premier,  le  bien  parler  y  est  bien  requis:  mais 
seul  ne  suffira  il.  Car  le  grand  artifice,  et  douceur  inu- 
sitée,  fait  soupsonner  pour  le  premier  coup,  celle  qui 
l'oit  :  et  la  fait  tenir  sur  ses  gardes.  Quel  autre  témoi- 
gnage faut-il?  Tousiours  l'ocasion  ne  se  présente  à  com- 
batre  pour  sa  Dame ,  et  défendre  sa  querelle.  Du  pre- 
mier abord  vous  ne  vous  ofrirez  à  lui  ayder  en  ses  afaires 


68  DEBAT 

domestiques.  Si  faut  il  faire  à  croire  que  Ion  est  pas- 
sionné. Il  faut  long  tems,  et  long  seruice,  ardentes  priè- 
res, et  conformité  de  complexions.  L'autre  point,  que 
l'Amant  doit  gaigner,  c'est  se  faire  aymer  :  lequel  pro- 
uient  en  partie  de  l'autre.  Car  le  plus  grand  enchante- 
ment, qui  soit  pour  estre  aymé,  c'est  aymer.  Ayez  tant 
de  sufumigacions,  tant  de  characteres  ,  adiuracions , 
poudres,  et  pierres,  que  voudrez  :  mais  si  sauez  bien 
vous  ayder,  montrant  et  déclarant  votre  amour  :  il  n'y 
aura  besoin  de  ces  estranges  receptes.  Donq  pour  se  faire 
aymer,  il  faut  estre  aymable.  Et  non  simplement  ayma- 
ble,  mais  au  gré  de  celui  qui  est  aymé  :  auquel  se  faut 
renger,  et  mesurer  tout  ce  que  voudrez  faire  ou  dire. 
Soyez  paisible  et  discret.  Si  votre  Amie  ne  vous  veut 
estre  telle,  il  faut  changer  voile,  et  nauiguer  d'un  autre 
vent  ;  ou  ne  se  mesler  point  d'aymer.  Zethe  et  Amphion 
ne  se  pouuoieiit  acorder,  pource  que  la  vacacion  de  l'un 
ne  plaisoit  à  l'autre.  Amphion  ayma  mieus  changer,  et 
retourner  en  grâce  auec  son  frère.  Si  la  femme  que  vous 
aymez  est  auare,  il  faut  se  transmuer  en  or,  et  tomber 
ainsi  en  son  sein.  Tous  les  seruiteurs  et  amis  d'Atalanla 
estoient  chasseurs,  pource  qu'elle  y  prenoit  plaisir.  Plu- 
sieurs femmes,  pour  plaire  à  leurs  Poètes  amis,  ont 
changé  leurs  paniers  et  coutures,  en  plumes  et  liures. 
Et  certes  il  est  impossible  plaire,  sans  suiure  les  afec- 
cions  de  celui  que  nous  cherchons.  Les  tristes  se  fâchent 
d'ouir  chanter.  Ceus  qui  ne  veulent  aller  que  le  pas, 
ne  vont  volontiers  auec  ceus  qui  tousiours  voudroient 
courir.  Or  me  dites,  si  ces  mutacions  contre  notre  na- 
turel ne  sont  vrayes  folies ,  ou  non  exemptes  d'icelle  ? 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  69 

On  dira  qu'il  se  peut  trouuer  des  complexions  si  sem- 
blables, que  TAmant  n*aura  point  de  peine  de  se  trans- 
former es  meurs  de  Taymee.  Mais  si  cette  amitié  est  tant 
douce  et  aisée,  la  folie  sera  de  s'y  plaire  trop  :  en  quoy 
est  bien  dificile  de  mettre  ordre.  Car  si  c'est  vray  amour, 
il  est  grand  et  veliement,  et  plus  fort  que  toute  raison. 
Et,  comme  le  chenal  ayant  la  bride  sur  le  col,  se  plonge 
si  auant  dedens  cette  douce  amertume,  qu'il  ne  pense 
aus  autres  parties  de  l'ame,  qui  demeurent  oisiues  :  et 
par  une  repentance  tardiue ,  après  un  long  tems ,  té- 
moigne a  cens  qui  l'oyent,  qu'il  ha  esté  fol  comme  les 
autres.  Or  si  vous  ne  trouuez  folie  en  Amour  de  ce  coté 
là,  dites  moy  entre  vous  autres  Signeurs,  qui  faites  tant 
profession  d'Amour,  ne  confessez  vous,  que  Amour  cher- 
che union  de  soy  auec  la  chose  ayinee  ?  qui  est  bien  le 
plus  fol  désir  du  monde  :  tant  par  ce,  que  le  cas  aue- 
nant.  Amour  faudroit  par  soymesme ,  estant  l'Amant  et 
FAymé  confonduz  ensemble,  que  aussi  il  est  impossible 
qu'il  puisse  auenir,  estant  les  espèces  et  choses  indiui- 
dues  tellement  séparées  l'une  de  l'autre ,  qu'elles  ne  se 
peuuent  plus  conioindre,  si  elles  ne  changent  de  forme. 
Alléguez  moy  des  branches  d'arbres  qui  s'unissent  en- 
semble. Contez  moy  toutes  sortes  d'Antes,  que  iamais 
le  Dieu  des  iardins  inuenta.  Si  ne  trouuerez  vous  point 
que  deus  hommes  soient  iamais  deuenuz  en  un  :  et  y 
soit  le  Gerion  à. trois  corps  tant  que  voudrez.  Amour 
donq  ne  fut  iamais  sans  la  compagnie  de  Folie  et  ne  le 
sauroit  estre.  Et  quand  il  pourroit  ce  faire  ,  si  ne  le 
deuroit  il  pas  souhaiter  ;  pource  que  Ion  ne  tiendroit 
conte  de  lui  à  la  fin.  Car  quel  pouuoir  auroit  il,  ou^quel 


yo  DEBAT 

lustre ,  s'il  estoit  près  de  sagesse  ?  Elle  lui  diroit,  qu'il 
ne  faudroit  aymer  l'un  plus  que  l'autre  :  ou  pour  le 
moins  n'en  faire  semblant  de  peur  de  scandaliser  quel- 
cun.  Il  ne  faudroit  rien  faire  plus  pour  l'un  que  pour 
l'autre  :  et  seroit  à  la  fin  Amour  ou  anéanti,  ou  deuisé 
en  tant  de  pars ,  qu'il  seroit  bien  foible.  Tant  s'en  faut 
que  tu  doiues  estre  sans  Folie ,  Amour,  que  si  tu  es  bien 
conseille',  tu  ne  demanderas  plus  tes  yeus.  Car  il  ne  t'en 
est  besoin,  et  te  peuuent  nuire  beaucoup  :  desquels  si 
tu  t'estois  bien  regardé  quelquefois,  toymesme  te  vou- 
drois  mal.  Pensez  vous  qu'un  soudart,  qui  va  à  l'assaut, 
pense  au  fossé  ,  aus  ennemis  ,  et  mile  harquebuzades 
qui  l'atendent?  non.  Il  n'a  autre  but,  que  paruenir  au 
haut  de  la  biesclie  :  et  n'imagine  point  le  reste.  Le  pre- 
mier qui  se  mit  en  mer ,  n'imaginoit  pas  les  dangers 
qui  y  sont.  Pensez  vous  que  le  ioueur  pense  iamais  per- 
dre? Si  sont  ils  tous  trois  au  liazard  d'estre  tuez,  noyez , 
et  destruiz.  Mais  quoy,  ils  ne  voyent ,  et  ne  veulent  voir 
ce  qui  leur  est  dommageable.  Le  semblable  estimez  des 
Amans  :  que  si  iamais  ils  voyent,  et  entendent  clere- 
ment  le  péril  ou  ils  sont,  combien  ils  sont  trompez  et 
abusez ,  et  quelle  est  l'espérance  qui  les  fait  tousiours 
aller  auant,  iamais  n'y  demeureront  une  seule  heure. 
Ainsi  se  perdroit  ton  règne ,  Amour  :  lequel  dure  par 
ignorance,  nonchaillance,  espérance,  et  cécité,  qui  sont 
toutes  damoiselles  de  Folie,  lui  faisans  ordinaire  com- 
pagnie. Demeure  donq  en  paix  ,  Amour  :  et  ne  vien 
rompre  l'ancienne  ligue  qui  est  entre  toy  et  moy  :  com- 
bien que  tu  n'en  susses  rien  iusqu'à  présent.  Et  n'estime 
que  ie  t'aye  creué  les  yeus ,  mais  que  ie  t'ay  montré , 


DE  FOLIE  ET  D'AMOVR.  71 

que  tu  n'en  auois  aucun  usage  auparauant,  encore  qu'ils 
te  fussent  à  la  teste  que  tu  as  de  présent.  Keste  de  te 
prier,  lupiter  et  vous  autres  Dieus ,  de  n'auoir  point 
respect  aus  noms  (comme  ie  say  que  n'aurez)  mais  re- 
garder à  la  vérité  et  dinite  des  choses.  Et  pourtant,  s'il 
est  plus  honorable  entre  les  hommes  dire  un  tel  ayme , 
que,  il  est  fol  :  que  cela  leur  soit  impute  à  ignorance.  Et 
pour  n'auoir  en  commun  la  vraye  intelligence  des  cho- 
ses, ny  pu  donner  noms  selon  leur  vray  naturel,  mais 
au  contraire  auoir  baillé  beaus  noms  à  laides  choses , 
et  laids  aus  belles,  ne  délaissez,  pour  ce,  à  me  conser- 
uer  Folie  en  sa  dinite  et  grandeur.  Ne  laissez  perdre 
cette  belle  Dame,  qui  vous  ha  donné  tant  de  conten- 
tement auec  Génie,  Jeunesse,  Bacchus,  Silène,  et  ce 
gentil  Gardien  des  iardins.  Ne  permetez  fâcher  celle, 
que  vous  auez  conseruee  iusques  ici  sans  rides,  et  sans 
pas  un  poil  blanc.  Et  n'otez,  à  l'apetit  de  quelque  co- 
lère, le  plaisir  d'entre  les  hommes.  Vous  les  auez  otez 
du  Royaume  de  Saturne  ;  ne  les  y  faites  plus  entrer  : 
et,  soit  en  Amour,  soit  en  autres  afaires,  ne  les  enuiez, 
si  pour  apaiser  leurs  fâcheries ,  Folie  les  fait  esbatre  et 
s'esiouir.  Fay  dit. 

Quand  Mercure  ut  fini  la  défense  de  Falie,  lupiter  voyant 
les  Dieus  estre  cliuersement  afeccionnez  et  en  contrarie- 
tez  d'opinions ,  les  uns  se  teuans  du  coté  de  Cupidon ,  les 
autres  se  tournans  à  aprouue.  la  cause  de  Folie  :  pour 
apointer  le  diferent,  va  prononcer  un  arrest  interlocu- 
toire en  cette  manière  : 

IVPITER. 
Pour  la  dificultc  et  importance  de  vos  diferens,  et  dî- 


72  DEBAT  DE  FOLIE  ET  D*AMOVR. 

uersité  d'opinions,  nous  auons  remis  votre  afaire  d'ici 
à  trois  fois,  sept  fois,  neuf  siècles.  Et  ce  pendant  vous 
commandons  viure  amiablement  ensemble,  sans  vous 
outrager  l'un  l'autre.  Et  guidera  Folie  l'aueugle  Amour, 
et  le  conduira  par  tout  ou  bon  lui  semblera.  Et  sur  la 
restitucion  de  ces  yeus ,  après  en  auoir  parlé  ans  Par- 
ques, en  sera  ordonné. 


Tm  DV  DEBAT  DE  FOLIE  ET  D'AMOVB. 


ELEGIES. 


I.  * 

Ô 

Av  tems  qu'Amour,  d'hommes  et  Dieus  vainqueur, 

Faisoit  brûler  de  sa  flamme  mon  cœur. 

En  embrassant  de  sa  cruelle  rage 

Mon  sang,  mes  os,  mon  esprit  et  courage  : 

Encore  lors  ie  n'auois  la  puissance 

De  lamenter  ma  peine  et  ma  souffrance. 

Encor  Phebus,  ami  des  Lauriers  vers, 

N'auoit  permis  que  ie  fisse  des  vers  ; 

Mais  meintenant  que  sa  fureur  diuine 

Remplit  d'ardeur  ma  hardie  poitrine, 

Chanter  me  fait,  non  les  bruians  tonnerres 

De  lupiter,  ou  les  cruelles  guerres. 

Dont  trouble  Mars,  quand  il  veut,  l'Vniuers. 

Il  m'a  donné  la  lyre,  qui  les  vers 

Souloit  chanter  de  l'Amour  Lesbienne  : 

Et  à  ce  coup  pleurera  de  la  mienne. 

0  dous  archet,  adouci  moy  la  voix. 

Qui  pourroit  fendre  et  aigrir  quelquefois, 

En  recitant  tant  d'ennuis  et  douleurs, 

Tant  de  despits,  fortunes  et  malheurs. 

Trempe  l'ardeur,  dont  iadis  mon  cœur  tendre 


74  ELEGIES. 

Fut  en  Lrulant  demi  réduit  en  cendre, 
le  sen  desia  un  piteus  souuenir, 
Qui  me  contreint  la  larme  à  l'œil  venir. 
Il  m*est  auis  que  ie  sen  les  alarmes, 
Que  premiers  i'u  d'Amour,  ie  voy  les  armes, 
Dont  il  s*arma  en  venant  m'assaillir. 
'^  C'estoit  mes  yeus ,  dont  ta^it  faisois  saillir 

^  De  traits ,  à  ceus  qui  trop  me  regardoient , 

Et  de  mon  arc  assez  ne  se  gardoient. 
Mais  ces  miens  traits  ces  miens  yeus  me  défirent, 
Et  de  vengeance  estre  exemple  me  firent. 
Et  me  moquant,  et  voyant  l'un  aymer, 
L'autre  brûler  et  d'Amour  consommer  : 
En  voyant  tant  de  larmes  espandues, 
Tant  de  soupirs  et  prières  perdues, 
le  n'aperçu  que  soudein  me  vint  prendre 
Le  mesme  mal  que  ie  soulois  reprendre  : 
Qui  me  persa  d'une  telle  furie, 
Qu'encor  n'en  suis  après  long  tems  guérie  : 
Et  meintenant  me  suis  encor  contreinte 
De  rafrescliir  d'une  nouuelle  pleinte 
Mes  maus  passez.  Dames,  qui  les  lirez. 
De  mes  regrets  auec  moy  soupirez. 
Possible,  un  iour  ie  feray  le  semblable. 
Et  ayderay  votre  voix  pitoyable 
A  vos  trauaux  et  peines  raconter. 
Au  tems  perdu  vainement  lamenter. 
Quelque  rigueur  qui  loge  en  votre  coeur^ 
Amour  s'en  peut  un  iour  rendre  vainqueur. 
Et  plus  aurez  lui  esté  ennemies , 


ELEGIES.  7^ 

Pis  vous  fera,  vous  sentant  asseruies. 

N'estimez  point  que  Ion  doiue  blâmer 

Celles  qu'a  fait  Cupidon  enflamer. 

Autres  que  nous,  nonobstant  leur  liautesse, 

Ont  enduré  l'amoureuse  rudesse  : 

Leur  cœur  liautein,  leur  beauté,  leur  lignage ^ 

Ne  les  ont  su  preseruer  du  seruage 

De  dur  Amour  :  les  plus  nobles  esprits 

En  sont  plus  fort  et  plus  soudein  espris. 

Semiramis,  Royne  tant  renommée, 

Qui  mit  en  route  auecques  son  armée 

Les  noirs  squadrons  des  Ethiopiens, 

Et  en  montrant  louable  exemple  aus  siens 

Faisait  couler  de  son  furieus  branc 

Des  emiemis  les  plus  braues  le  sang. 

Ayant  encor  enuie  de  conquerre 

Tous  ses  voisins,  ou  leur  mener  la  guerre, 

Trouua  Amour,  qui  si  fort  la  pressa. 

Qu'armes  et  loix  vaincue  elle  laissa. 

Ne  meritoit  sa  Royalle  grandeur 

Au  moins  auoir  un  moins  fascbeus  malheur 

Qu'aymer  son  fils?  Royne  de  Babylonne, 

Ou  est  ton  cœur  qui  es  combaz  resonne  ? 

Qu'est  deuenu  ce  fer  et  cet  escu. 

Dont  tu  rendois  le  plus  braue  veincu? 

Ou  as  tu  mis  la  Marciale  creste. 

Qui  obombroit  le  blond  or  de  ta  teste? 

Ou  est  l'espee ,  ou  est  cette  cuirasse , 

Dont  tu  rompois  des  ennemis  l'audace  ? 

Ou  sont  fuiz  tes  coursiers  furieus. 


^6  ELEGIES. 

Lesquels  trainoient  ton  char  victorieus  ? 
T'a  pu  si  tôt  un  foible  ennemi  rompre? 
Ha  pîi  si  tôt  ton  cœur  viril  corrompre, 
Que  le  plaisir  d*armes  plus  ne  te  touche  : 
Mais  seulement  languis  en  une  couche  ? 
Tu  as  laissé  les  aigreurs  Marciales, 
Pour  recouurer  les  douceurs  géniales. 
Ainsi  Amour  de  toy  t'a  estrangee , 
Qu'on  te  diroit  en  une  autre  changée , 
Donques  celui  lequel  d'amour  esprise 
Pleindre  me  voit,  que  point  il  ne  mesprise 
Mon  triste  deuil  ;  Amour,  peut  estre,  en  brief 
En  son  endroit  n'aparoitra  moins  grief. 
Telle  i'ay  vîi  qui  auoit  en  ieunesse 
Blâmé  Amour  :  après  en  sa  vieillesse 
Brûler  d'ardeur,  et  pleindre  tendrement 
L'àpre  rigueur  de  son  tardif  tourment. 
Alors  de  fard  et  eau  continuelle 
Elle  essayoit  se  faire  venir  belle, 
Voulant  chasser  le  ridé  labourage, 
Que  l'aage  auoit  graué  sur  son  visage. 
Sur  son  chef  gris  elle  auoit  empruntée 
Quelque  perruque,  et  assez  mal  antee  : 
Et  plus  estoit  à  son  gré  bien  fardée, 
De  son  Ami  moins  estoit  regardée  : 
Lequel  ailleurs  fuiant  n'en  tenoit  conte. 
Tant  lui  sembloit  laide,  et  auoit  grand'  honte 
D'estre  aymé  d'elle.  Ainsi  la  poure  vieille 
Receuoit  bien  pareille  pour  pareille. 
De  maints  en  vain  un  tems  fut  réclamée, 


ELEGIES.  77 

Ores  qu'elle  ayme,  elle  n'est  point  aymee. 
Ainsi  Amour  prend  son  plaisir,  à  faire 
Que  le  yeuil  d'un  soit  à  l'autre  contraire. 
Tel  n'ayme  point,  qu'une  Dame  aymera: 
Tel  ayme  aussi ,  qui  aynié  ne  sera  : 
Et  entretient,  néanmoins,  sa  puissance 
Et  sa  rigueur  d'une  vaine  espérance. 


IL 


JJ'VN  tel  vouloir  le  serf  point  ne  désire 
La  liberté,  ou  son  port  le  nauire, 
Comme  i'atens,  lielas,  de  iour  en  iour 
De  toy,  Ami ,  le  gracieus  retour. 
Là,  i'auois  mis  le  but  de  ma  douleur, 
Qui  fineroit,  quand  i'aurois  ce  bon  heur 
De  te  reuoir  :  mais  de  la  longue  atente , 
Helas,  en  vain  mon  désir  se  lamente. 
Cruel,  Cruel,  qui  te  faisoit  promettre 
Ton  brief  retour  en  ta  première  lettre? 
As  tu  si  peu  de  mémoire  de  moy. 
Que  de  m'auoir  si  tôt  rompu  la  foy  ? 
Comme  ose  tu  ainsi  abuser  celle    l^fp 
Qui  de  tout  tems  t'a  esté  si  fidelle  ?   ^ 
Or'  que  tu  es  auprès  de  ce  riuage 
Du  Pau  cornu ,  peut  estre  ton  courage 


78  ELEGIES. 

S'est  embrasé  d'une  nouuelle  flame, 

En  me  changeant  pour  prendre  une  autre  Dame 

là  en  oubli  inconstamment  est  mise 

La  loyauté  que  tu  m'auois  promise. 

S'il  est  ainsi,  et  que  desia  la  foy 

Et  la  bonté  se  retirent  de  toy  : 

Il  ne  me  faut  emerueiller  si  ores 

Toute  pitié  tu  as  perdu  encores. 

0  combien  ha  de  pensée  et  de  creinte. 

Tout  aparsoy,  l'anie  d'Amour  ateinte  ! 

Ores  ie  croy,  \h.  notre  amour  passée, 

Qu'impossible  est,  que  tu  m'aies  laissée; 

Et  de  nouuel  ta  foy  ie  me  fiance. 

Et  plus  qu'liumeine  estime  ta  constance. 

Tu  es,  peut  estre,  en  cliemin  inconnu 

Outre  ton  gré  malade  retenu. 

le  croy  que  non  ;  car  tant  suis  coutumiere 

De  faire  aus  Dieus  pour  ta  santé  prière, 

Que  plus  cruels  que  tigres  ils  seroient, 

Quand  maladie  ils  te  procliasseroient  : 

Bien  que  ta  foie  et  volage  inconstance 

Meriteroit  auoir  quelque  soufrance. 

Telle  est  ma  foy,  qu'elle  pourra  sufire 

A  te  garder  d'auoir  mal  et  martire. 

Celui  qui  tient  au  haut  Ciel  son  Empire 

Ne  me  sauroit,  ce  me  semble,  desdire  : 

Mais  quan^pÉies  pleurs  et  larmes  entendroit 

Pour  toy  ï^ians ,  son  ire  il  retiendroit. 

l'ay  de  tout  tems  vescu  en  son  seruice. 

Sans  me  sentir  coulpable  d'autre  vice 


ELEGIES.  79 

Que  de  t*auoîr  bien  souuent  en  son  Heu 

D'amour  forcé,  adoré  comme  Dieu. 

Desia  deus  fois  depuis  le  promis  terme 

De  ton  retour,  Pliebe  ses  cornes  ferme  ^ 

Sans  que  de  bonne  ou  mauuaise  fortune 

De  toy,  Ami,  i*aye  nouuelle  aucune» 

Si  toutefois,  pour  estre  énamouré 

En  autre  lieu,  tu  as  tant  demeuré ^ 

Si  sây  ie  bien  que  t'amie  nouuelle 

A  peine  aura  le  renom  d*estre  telle, 

Soit  en  beauté,  vertu,  grâce  et  faconde, 

Comme  plusieurs  gens  sauans  par  le  monde 

M'ont  fait  à  tort,  ce  crôy  ie,  estre  estimée. 

Mais  qui  pourra  garder  la  renommée? 

Non  seulement  en  France  suis  flatee. 

Et  beaucoup  plus,  que  ne  veus,  exaltée. 

La  terre  aussi  que  Calpe  et  Pyrenee 

Auec  la  mer  tiennent  enuironnee. 

Du  large  Rhin  les  roulantes  areines, 

Le  beau  païs  auquel  or'  te  promeines 

Ont  entendu  (tu  me  l'as  fait  à  croire) 

Que  gens  d'esprit  me  donnent  quelque  gloire. 

Goûte  le  bien  que  tant  d'hommes  désirent: 

Demeure  au  but  ou  tant  d'autres  aspirent  : 

Et  croy  qu'ailleurs  n'en  auras  une  telle. 

le  ne  dy  pas  qu'elle  ne  soit  plus  bell'^  : 

Mais  que  iamais  femme  ne  t'aymera, 

Ne  plus  que  moy  d'honneur  te  portera. 

Maints  grans  Signeurs  à  mon  amour  prétendent. 

Et  à  me  plaire  et  seruir  prêts  se  rendent, 


8o  ELEGIES. 

loutes  et  ieus,  maintes  belles  deuises 

En  ma  faneur  sont  par  eus  entreprises  : 

Et  néanmoins  tant  peu  ie  m'en  soucie. 

Que  seulement  ne  les  en  remercie  : 

Tu  es  tout  seul  j  tout  mon  mal  et  mon  bien  : 

Auec  toy  tout,  et  sans  toy  ie  n*ay  rien  : 

Et  n'ayant  rien  qui  plaise  à  ma  pensée , 

De  tout  plaisir  me  treuue  délaissée, 

Et  pour  plaisir,  ennui  saisir  me  vient. 

Le  regretter  et  plorer  me  conuient, 

Et  sur  ce  point  entre  en  tel  desconfort , 

Que  mile  fois  ie  souhaite  la  mort. 

Ainsi ,  Ami ,  ton  absence  lointeine 

Depuis  deus  mois  me  tient  .en  cette  peine. 

Ne  viuant  pas,  mais  mourant  d*un  Amour 

Lequel  m'occit  dix  mile  fois  le  iour. 

Reuien  donq  tôt ,  si  tu  as  quelque  enuie 

De  me  reuoir  encor*  un  coup  en  vie. 

Et  si  la  mort  auant  ton  arriuee 

Ha  de  mon  coi^s  Taymante  ame  priuee, 

Au  moins  un  iour  vien,  habillé  de  dueil, 

Enuironner  le  tour  de  mon  cercueil. 

Que  plust  à  Dieu  que  lors  fussent  trouuez 

Ces  quatre  uers  en  blanc  marbre  engrauez. 

Par  toy,  Amy,  tant  vesqvi  enflammée, 

Qv'en  langvissant  par  fev  svis  consvmee  , 

Qvi  cowE  encor  sovs  ma  cendre  embrazee. 

Si  ne  la  rends  de  tes  plevrs  apaizee. 


ELEGIES.  8i 


III. 

OvAND  VOUS  lirez,  o  Dames  Lionnoises, 

Ces  miens  escrits  pleins  d'amoureuses  noises, 

Quand  mes  regrets,  ennuis,  despits  et  larmes 

M*orrez  chanter  en  pitoyables  carmes. 

Ne  veuillez  point  condamner  ma  simplesse. 

Et  ieune  erreur  de  ma  foie  ieunesse , 

Si  c*est  erreur  ;  mais  qui  dessous  les  Cieus 

Se  peut  vanter  de  n'estre  vicieus  ? 

L'un  n'est  content  de  sa  sorte  de  vie. 

Et  tousiours  porte  à  ses  voisins  enuie  : 

L'un  forcenant  de  voir  la  paix  en  terre, 

Par  tous  moyens  tache  y  mettre  la  guerre  : 

L'autre  croyant  pouretë  estre  vice , 

A  autre  Dieu  qu'Or,  ne  fait  sacrifice  : 

L'autre  sa  foy  pariure  il  emploira 

A  deceuoir  quelcun  qui  le  croira  : 

L'un  en  mentant  de  sa  langue  lézarde. 

Mile  brocars  sur  l'un  et  l'auti'e  darde  : 

le  ne  suis  point  sous  ces  planettes  née, 

Qui  m'ussent  pîi  tant  faire  infortunée. 

Onques  ne  fut  mon  œil  marri,  de  voir 

Chez  mon  voisin  mieux  que  chez  moy  pleuuoir 

Onq  ne  mis  noise  ou  discord  entre  amis  ; 

A  faire  gain  iamais  ne  me  soumis. 

6 


8a  ELEGIES. 

Mentir,  tromper,  et  abuser  autrui, 

Tant  m'a  desplu,  que  mesdire  de  lui. 

Mais  si  en  nioj  rien  y  ha  d'imparfait, 

Qu'on  blâme  Amour  :  c'est  lui  seul  qui  l'a  fait. 

Sur  mon  verd  aage  en  ses  laqs  il  me  prit, 

Lors  qu'exerçoi  mon  corps  et  mon  esprit 

En  mile  et  mile  euures  ingénieuses, 

Qu'en  peu  de  tems  me  rendit  ennuieuses. 

Pour  bien  sauoir  auec  l'esguille  peindre 

l'usse  entrepris  la  renommée  esteindre 

De  celle  là,  qui  plus  docte  que  sage, 

Auec  Pallas  comparoit  son  ouurage. 

Qui  m'ust  vu  lors  en  armes  fi  ère  aller, 

Porter  la  lance  et  bois  faire  voler, 

Le  deuoir  faire  en  l'estour  furieus, 

Piquer,  volter  le  clieual  glorieus. 

Pour  Bradamante ,  ou  la  haute  Marphise , 

Seur  de  Roger,  il  m'ust,  possible,  prise. 

Mais  quoy  ?  Amour  ne  put  longuement  voir 

Mon  cœur  n'aymant  que  Mars  et  le  sauoir; 

Et  me  voulant  donner  autre  souci. 

En  souriant ,  il  me  disoit  ainsi  : 

Tu  penses  donq,  ô  Lionnoise  Dame, 

Pouuoir  fuir  par  ce  moyen  ma  flame  : 

Mais  non  feras,  i*ai  subiugué  les  Dieus 

Es  bas  Enfers,  en  la  mer  et  es  Cieus. 

Et  penses  tu  que  n'aye  tel  pouuoir 

Sur  les  humeins,  de  leur  faire  sauoir 

Qu'il  n'y  a  rien  qui  de  ma  main  eschape  ? 

Plus  fort  se  pense  et  plus  tôt  ie  le  frape. 


ELEGIES.  83 

De  me  blâmer  quelquefois  tu  n*as  honte  ^ 
En  te  fiant  en  Mars  dont  tu  fais  conte  : 
Mais  meintenant,  voy  si  pour  persister 
En  le  suiuant  me  pourras  résister. 
Ainsi  parloit,  et  tout  ëcliaufë  d'ire 
Hors  de  sa  trousse  une  sagette  il  tire  5 
Et  décochant  de  son  extrême  force. 
Droit  la  tira  contre  ma  tendre  escorce  : 
Foible  harnois,  pour  bien  couurir  le  coeur, 
Contre  TArcher  qui  tousiours  est  vainqueur. 
La  bresche  faite,  entre  Amour  en  la  place, 
Dont  le  repos  prem/ierement  il  chasse  : 
Et  de  trauail  qui  me  donne  sans  cesse, 
Boire,  menger,  et  dormir  ne  me  laisse. 
Il  ne  me  cbaut  de  soleil  ne  d'ombrage  ; 
le  n'ay  qu'Amour  et  feu  en  mon  courage, 
Qui  me  desguise,  et  fait  autre  paroitre. 
Tant  que  ne  peu  moymesme  me  connoitre. 
le  n'auois  vii  encore  seize  Hiuers, 
Lors  que  i'entray  en  ces  ennuis  diuers: 
Et  ià  voici  le  treizième  Esté 
Que  mon  coeur  fut  par  Amour  arresté. 
Le  tems  met  fin  ans  hautes  Pyramides, 
Le  tems  met  fin  aus  fonteines  humides  : 
Il  ne  pardonne  aus  braues  Colisees , 
Il  met  afin  les  viles  plus  prisées  : 
Finir  aussi  il  ha  acoutumé 
Le  feu  d'Amour  tant  soit  il  allumé: 
Mais,  las!  en  moy  il  semble  qu'il  augmente 
Auec  le  tems,  et  que  plus  me  tourmente. 


84  ELEGIES. 

Paris  ayma  OEnone  ardemment  9 

Mais  son  amour  ne  dura  longuement  : 

Medee  fut  aymee  de  lason. 

Qui  tôt  après  la  mit  hors  sa  maison» 

Si  meritoient  elles  estre  estimées. 

Et  pour  aymer  leurs  Amis,  estre  aymees. 

S*estant  aymë  on  peut  Amour  laisser, 

N'est  il  raison,  ne  Testant,  se  lasser? 

N'est  il  raison  te  prier  de  permettre , 

Amour,  que  puisse  à  mes  tourmens  fin  mettre? 

Ne  permets  point  que  de  Mort  face  espreuue , 

Et  plus  que  toy  pitoyable  la  treuue  : 

Mais  si  tu  veus  que  i'ayme  iusqu'au  bout , 

Fay  que  celui  que  i'estime  mon  tout, 

Qui  seul  me  peut  faire  plorer  et  rire, 

Et  pour  lequel  si  souuent  ie  soupire , 

Sente  en  ses  os,  en  son  sang,  en  son  amcj 

Ou  plus  ardente,  ou  bien  égale  flame. 

Alors  ton  faix  plus  aisé  me  sera. 

Quand  auec  moy  quelcun  le  portera. 


FIN  DES  ELEGIES. 


SONNETS. 


iMoN  hauria  Vlysse  o  qualunqu'altro  mai 
Piu  accorto  fù,  da  quel  diuino  aspetto 
Pien  di  gratie,  d'honor  et  di  rispetto 
Sperato  quai  i  sento  affanni  e  guaî. 

Pur,  Amor,  co  i  begli  occhl  tu  fatt'  hai 
Tal  piaga  dentro  al  mio  innocente  petto , 
Di  cibo  et  di  calor  gia  tuo  ricetto , 
Clie  rimedio  non  v'e  si  tu  nel*  dai» 

0  sorte  dura ,  che  mi  fa  esser  quale 
Punta  d'un  Scorpio,  et  domandar  riparo 
Contr'  el  velen'  dall'  istesso  animale. 

Ghieggio  li  sol*  ancida  questa  noia, 
Non  estingua  el  désir  a  me  si  caro, 
Che  mancar  non  potra  ch'  i  non  mi  muoia. 


86  SONNETS. 


II. 


(J  beaiis  yeus  bruns ,  ô  regars  destournez , 
0  chaus  soupirs,  ô  larmes  espandues, 
0  noires  nuits  vainement  atendues, 
0  jours  luisans  vainement  retournez  : 

0  tristes  pleins,  ô  désirs  obstinez, 
0  tems  perdu,  ô  peines  despendues, 
0  mile  morts  en  mile  rets  tendues, 
0  pires  maus  contre  moi  destinez. 

0  ris,  ô  front,  clieueus,  bras,  mains  et  doits; 

0  lut  pleintif,  viole,  arcbet  et  vois; 

Tant  de  flambeaus  pour  ardre  une  femmelle! 

De  toy  me  plein,  que  tant  de  feus  portant, 
En  tant  d'endrois  d'iceus  mon  cœur  tatant, 
N'en  est  sur  toy  volé  quelque  estincelle. 


III. 

(J  longs  désirs,  ô  espérances  vaines. 
Tristes  soupirs  et  larmes  coutumieres 
A  engendrer  de  moy  maintes  riuieres. 
Dont  mes  deu^  yeus  sont  sources  et  fontaines 


SONNETS.  87 

0  cruautez,  ô  duriez  inhumaines j 
Piteus  regars  des  célestes  lumières  ; 
Du  cœur  transi  ô  passions  premières, 
Estimez  vous  croître  encore  mes  peines? 

Qu*encor  Amour  sur  moy  son  arc  essaie, 

Que  nouueaus  feus  me  gette  et  nouueaus  dars  : 

Qu'il  se  despite ,  et  pis  qu'il  pourra  face  : 

Car  ie  suis  tant  nauree  en  toutes  pars, 
Que  plus  en  moy  une  nouuelle  plaie, 
Pour  m'emplrer  ne  pourroit  trouuer  place. 


IIII. 

JJepvis  qu'Amour  cruel  empoisonna 
Premièrement  de  son  feu  ma  poitrine , 
Tousiours  brulay  de  sa  fureur  diuine, 
Qui  un  seul  iour  mon  cœur  n'abandonna.. 

Quelque  trauail,  dont  assez  me  donna, 
Quelque  menasse  et  procheine  ruïne  ; 
Quelque  penser  de  mort  qui  tout  termine, 
De  rien  mon  cœur  ardent  ne  s'estonna. 

Tant  plus  qu'Amour  nous  vient  fort  assaillir. 

Plus  il  nous  fait  nos  forces  recueillir. 

Et  tousiours  frais  en  ses  combats  fait  estre  : 

Mais  ce  n'est  pas  qu'en  rieii  nous  fauorise , 


88  SONNETS. 

Cil  qui  les  Dieus  et  les  hommes  mesprise  ; 
Mais  pour  plus  fort  contre  les  fors  paroitre. 


V. 


(jLERE  Venus,  qui  erres  par  les  Cieus, 
Entens  ma  voix  qui  en  pleins  chantera , 
Tant  que  ta  face  au  haut  du  Ciel  luira , 
Son  long  trauail  et  souci  ennuieus. 

Mon  œil  veillant  s'atendrira  bien  mieus. 
Et  plus  de  pleurs  te  Aoyant  getera. 
Mieus  mon  lit  mol  de  larmes  haignera, 
De  ses  trauaus  voyant  témoins  tes  yeus. 

Donq  des  humains  sont  les  lassez  esprit? 
De  dous  repos  et  de  sommeil  espris. 
l'endure  mal  tant  que  le  Soleil  luit  : 

Et  quand  ie  suis  quasi  toute  cassée. 
Et  que  me  suis  mise  en  mon  lit  lassée. 
Crier  me  faut  mon  mal  toute  la  nuit. 


VI. 

JJevs  ou  trois  fois  bienheureus  le  retour 
De  ce  cler  Astre ,  et  plus  heureus  encore 


SONNETS.  89 

Ce  que  son  œil  de  regarder  honore. 
Que  celle  là  receuroit  un  bon  iour. 

Qu'elle  pourioit  se  vanter  d'un  bon  tour 
Qui  baiseroit  le  plus  beau  don  de  Flore , 
Le  mieus  sentant  que  iamais  vid  Aurore  5 
Et  y  feroit  sur  ses  leures  seiour  ! 

C'est  à  moy  seule  à  qui  ce  bien  est  du , 
Pour  tant  de  pleurs  et  tant  de  tems  perdu .' 
Mais  le  voyant,  tant  lui  feray  de  feste. 

Tant  emploiray  de  mes  yeus  le  pouuoir. 
Pour  dessus  lui  plus  de  crédit  auoir. 
Qu'en  peu  de  tems  feray  grande  conqueste. 


VII, 

(Jn  voit  mourir  toute  chose  animée  5 
Lors  que  du  corps  l'ame  sutile  part  : 
le  suis  le  corps,  toy  la  meilleure  part  : 
Ou  es  tu  donq,  o  ame  bien  aymee  ? 

Ne  me  laissez  par  si  long  tems  pamee , 
Pour  me  sauuer  après  viendrois  trop  tard. 
Las ,  ne  mets  point  ton  corps  en  ce  hazart 
Rens  lui  sa  part  et  moitié  estimée. 

Mais  fais ,  Ami ,  que  ne  soit  dangereuse 


90  SONNETS. 

Cette  rencontre  et  reuuë  amoureuse , 
L'acompagnant  5  non  de  seuerlté, 

Non  de  rigueur  :  mais  de  grâce  amiable. 
Qui  doucement  me  rende  ta  beauté  j 
ladis  cruelle,  à  présent  fauorable» 


VIII. 

lE  vis,  ie  meurs  :  ie  me  brûle  et  me  noyé. 
Tay  chaut  estreme  en  endurant  froidure  : 
La  vie  m'est  et  trop  molle  et  trop  dure. 
Tay  grans  ennuis  entremeslez  de  ioye  : 

Tout  à  un  coup  ie  ris  et  ie  larmoyé. 
Et  en  plaisir  maint  grief  tourment  i'endure  ; 
Mon  bien  s'en  va,  et  à  iamais  il  dure  : 
Tout  en  un  coup  ie  seiche  et  ie  verdoyé. 

Ainsi  Amour  inconstamment  me  meine  : 
Et  quand  ie  pense  auoir  plus  de  douleur. 
Sans  y  penser  ie  me  treuue  hors  de  peine. 

Puis  quand  ie  croy  ma  ioye  estre  certeine, 
Et  estre  au  haut  de  mon  désiré  heur, 
Il  me  remet  en  mon  premier  malheur. 


SONNETS.       '  91 


IX. 

1  OVT  aussi  tôt  que  ie  commence  à  prendre 
Dens  le  mol  lit  le  repos  désire, 
Mon  triste  esprit  hors  de  moy  retiré 
S'en  va  vers  toy  incontinent  se  rendre. 

Lors  m'est  auis  que  dedens  mon  sein  tendre 
le  tiens  le  Lien,  ou  i*ay  tant  aspiré. 
Et  pour  lequel  i'ay  si  haut  souspiré. 
Que  de  sanglots  ay  souuent  cuidé  fendre. 

0  dous  sommeil,  o  nuit  à  moy  heureuse! 
Plaisant  repos,  plein  de  tranquilite. 
Continuez  toutes  les  nuiz  mon  songe  : 

Et  si  iamais  ma  poure  aine  amoureuse 

Ne  doit  auoir  de  bien  en  vérité, 

Faites  au  moins  qu'elle  en  ait  en  mensonge. 


X. 


VjvAND  i'aperçoy  ton  Llond  chef  couronné 
D'un  laurier  verd,  faire  un  Lut  si  bien  pleindre, 
Que  tu  pourrois  h  te  suiure  contreindre 
Arbres  et  rocs  :  quand  ie  te  vois  orné^ 


92  SONNETS. 

Et  de  vertus  dix  mile  enuironné. 
Au  chef  d'honneur  plus  haut  que  nul  ateîndre 
Et  des  plus  hauts  les  louenges  esteindre  : 
Lors  dit  mon  cœur  en  soy  passionné  : 

Tant  de  vertu  qui  te  font  estre  ajmé. 

Qui  de  chacun  te  font  estre  estimé. 

Ne  te  pourroient  aussi  bien  faire  aymer? 

Et  aioutant  à  ta  vertu  louable 

Ce  nom  encor  de  m'estre  pitoyable. 

De  mon  amour  doucement  t'enflamer? 


XL 

\)  dous  regars,  o  yeus  pleins  de  beauté, 
Petits  iardins,  pleins  de  fleurs  amoureuses 
Ou  sont  d'Amour  les  flesches  dangereuses, 
Tant  à  vous  voir  mon  œil  s'est  arresté! 

0  cœur  félon,  o  rude  cruauté ,t 
Tant  tu  me  tiens  de  façons  rigoureuses, 
Tant  i'ay  coulé  de  larmes  langoureuses, 
Sentant  l'ardeur  de  mon  cœur  tourmenté! 

Donques,  mes  yeus,  tant  de  plaisir  auez, 
Tant  de  bons  tours  par  ses  yeus  receuez  : 
Mais  toy,  mon  cœur,  plus  les  vois  s'y  complaire , 

Plus  tu  languiz ,  plus  en  as  de  souci , 


SONNETS.  95 

Or  deuinez  si  ie  suis  aise  aussi. 

Sentant  mon  œil  estre  à  mon  ceeur  contraire. 


XII. 

XjVT,  compagnon  de  ma  calamité. 
De  mes  soupirs  témoin  irréprochable , 
Dé  mes  ennuis  controlleur  véritable. 
Tu  as  souuent  auec  moy  lamenté: 

Et  tant  le  pleur  piteus  t*a  molesté. 
Que  commençant  quelque  son  délectable, 
Tu  le  rendois  tout  soudein  lamentable, 
Feingnant  le  ton  que  plein  auoit  chanté. 

Et  si  te  veus  efforcer  au  contraire. 
Tu  te  destens  et  si  me  contreins  taire  : 
Mais  me  voyant  tendrement  soupirer. 

Donnant  faueur  à  ma  tant  triste  pleinte  : 
En  mes  ennuis  me  plaire  suis  contreinte. 
Et  d*un  dous  mal  douce  fin  espérer. 


XIII. 

(Jh  si  i*estois  en  ce  beau  sein  rauie 
De  celui  là  pour  lequel  vois  mourant 


94  SONNETS. 

Si  auec  lui  viure  le  demeurant 
De  mes  cours  iours  ne  m'empesclioit  enuicj 

Si  m'acollant  me  disoit ,  chère  Amie , 
Contentons  nous  l'un  Tautre ,  s'asseurant 
Que  ia  tempeste,  Euripe,  ne  Courant 
Ne  nous  pourra  desioindre  en  notre  vie  : 

Si  de  mes  bras  le  tenant  acollë, 
Comme  du  Lierre  est  l'arbre  encercelëj 
La  mort  reuoit,  de  mon  aise  euuieuse: 

Lors  que  souef  plus  il  me  baiseroit, 
Et  mon  esprit  sur  ses  leures  fuiroit, 
Bien  ie  mourrois,  plus  que  viuante,  heureuse. 


XIIII. 

1  ANT  que  mes  yeus  pourront  larmes  espandre . 
A  l'heur  passé  auec  toy  regretter  : 
Et  qu'aus  sanglots  et  soupirs  résister 
Pourra  ma  voix ,  et  un  peu  faire  entendre  : 

Tant  que  ma  main  pourra  les  cordes  tendre 
Du  mignart  Lut,  pour  tes  grâces  chanter: 
Tant  que  l'esprit  se  voudra  contenter 
De  ne  vouloir  rien  fors  que  toy  comprendre  : 

le  ne  souhaitte  encore  point  mourir. 
Mais  quand  mes  yeus  ie  sentiray  tarir, 
Ma  voix,  cassée,  et  ma  main  impuissante. 


SONNETS-  95 

Et  mon  esprit  en  ce  mortel  seiour 

Ne  pouuant  plus  montrer  signe  d'amante  : 

Priray  la  Mort  noircir  mon  plus  cler  iour. 


XV. 

Jl  OVR  le  retour  du  Soleil  honorer. 
Le  Zephir,  l'air  serein  lui  apareille  : 
Et  du  sommeil  l'eau  et  la  terre  esueille^ 
Qui  les  gardoit  l'une  de  murmurer. 

En  dous  coulant,  l'autre  de  se  parer 
De  mainte  fleur  de  couleur  nompareille, 
la  les  oiseaus  es  arbres  font  merueille. 
Et  aus  passans  font  l'ennui  modérer  ; 

Les  Nynfes  ia  en  mile  ieus  s'esbatent 

Au  cler  de  Lune ,  et  dansans  l'herbe  abatent 

Veus  tu  Zephir  de  ton  heur  me  donner. 

Et  que  par  toy  toute  me  renouuelle? 
Fay  mon  Soleil  deuers  moy  retourner. 
Et  tu  verras  s'il  ne  me  rend  plus  belle. 


Apres  qu'un  tems  la  gresle  et  le  tonneiTe 
Ont  le  haut  mont  de  Caucase  batu, 


gS  SONNETS. 

Le  beau  iour  vient,  de  lueur  reuëtu. 
Quand  Phehus  lia  son  cerne  fait  en  terre, 

Et  rOcean  il  regaigne  à  grand  erre  : 
Sa  seur  se  montre  auec  son  chef  pointu. 
Quand  quelque  tems  le  Partlie  lia  conibatu. 
Il  prent  la  fuite  et  son  arc  il  desserre. 

Vn  tems  t'ay  vii  et  consolé  pleintif. 

Et  défiant  de  mon  feu  peu  hatif  : 

Mais  maintenant  que  tu  m'as  embrasée  5 

Et  suis  au  point  auquel  tu  me  voulois , 
Tu  as  ta  flame  en  quelque  eau  arrosée. 
Et  es  plus  froit  qu'estre  ie  ne  soulois. 


XVII. 

1e  fuis  la  vile,  et  temples,  et  tous  lieus, 
Esquels  prenant  plaisir  à  t'ouir  pleindre, 
Tu  peus,  et  non  sans  force,  me  contreindre 
De  te  donner  ce  qu'estimois  le  mieus. 

Masques,  tournois,  ieus  me  sont  ennuieus. 
Et  rien  sans  toy  de  beau  ne  me  puis  peindre 
Tant  que  tachant  à  ce  désir  esteindre, 
Et  un  nouuel  obget  faire  à  mes  yeus, 

Et  des  pensers  amoureus  me  distraire, 
Des  bois  espais  sui  le  plus  solitaire  : 
Mais  i'aperçoy,  ayant  erré  maint  tour, 


SONNETS.  97 

Que  si  ie  veus  de  toy  estre  deliure. 

Il  me  conuient  hors  de  moymesme  viure. 

Ou  fais  encor  que  loin  sois  en  seiour. 


XYIII. 

JJATSE  m'encor,  reLaise  moy  et  baise  .* 
Donae  m'en  un  de  tes  plus  sauoureus. 
Donne  m'en  un  de  tes  plus  amoureus  : 
le  t'en  rendray  quatre  plus  chaus  que  braise. 

Las,  te  pleins  tu?  ça  que  ce  mal  i'apaise. 
En  t'en  donnant  dix  autres  doucereus. 
Ainsi  meslans  nos  baisers  tant  lieureus 
Jouissons  nous  l'un  de  l'autre  à  notre  aise. 

Lors  double  vie  à  chacun  en  suiura. 
Chacun  en  soy  et  son  ami  viura. 
Permets  m' Amour  penser  quelque  folie  : 

Tousiours  suis  mal,  viuant  discrettement. 
Et  ne  me  puis  donner  contentement. 
Si  hors  de  moy  ne  fay  quelque  saillie. 


XIX. 


UiANE  estant  en  l'espesseur  d'un  bois 5 
Apres  auoir  mainte  beste  assenée. 


98  SONNETS. 

Prenoit  le  frais,  de  Nynfes  couronnée; 
Tallois  resuant  comme  fay  maintefois , 

Sans  y  penser:  quand  i*ouy  une  vois. 
Qui  m*apela,  disant,  Nynfe  estonnee, 
Que  ne  t'es  tu  vers  Diane  tournée? 
Et  me  voyant  sans  arc  et  sans  carquois, 

Qu*as  tu  trouué,  o  compagne,  en  ta  voye , 
Qui  de  ton  arc  et  flesches  ait  fait  proye  ? 
le  m'animay,  respons  ie,  à  un  passant, 

Et  lui  getay  en  vain  toutes  mes  flesches 
Et  Tare  après  :  mais  lui  les  ramassant 
Et  les  tirant  me  fit  cent  et  cent  bresclies. 


XX. 

Jl  REDIT  me  fut,  que  deuoit  fermement 
Vn  iour  aymer  celui  dont  la  figure 
Me  fut  descrite  :  et  sans  autre  peinture 
Le  reconnu  quand  vy  premièrement: 

Puis  le  voyant  aymer  fatalement. 
Pitié  ie  pris  de  sa  triste  auenture  : 
Et  tellement  ie  forçay  ma  nature, 
Qu'autant  que  lui  aymay  ardentement. 

Qui  n'ust  pensé  qu'en  faueur  deuoit  croitre 
Ce  que  le  Ciel  et  destins  firent  naitre? 
Mais  quand  ie  voy  si  nubileus  aprets, 


SONNETS.  99 

Vents  si  cruels  et  tant  horrible  orage  : 
le  croy  qu*estoient  les  infernaus  arrêts , 
Qui  de  si  loin  m'ourdissoient  ce  naufrage. 


XXI. 

i^VELLE  grandeur  rend  l'homme  vénérable  ? 
Quelle  grosseur?  quel  poil?  quelle  couleur? 
Qui  est  des  yeus  le  plus  emmieleur? 
Qui  fait  plus  tôt  une  playe  incurable? 

Quel  chant  est  plus  à  Thomme  conuenable  ? 
Qui  plus  pénètre  en  chantant  sa  douleur? 
Qui  un  dous  lut  fait  encore  meilleur? 
Quel  naturel  est  le  plus  amiable? 

le  ne  voudrois  le  dire  assurément, 
Ayant  Amour  forcé  mon  ingénient  : 
Mais  ie  say  bien  et  de  tant  ie  m'assure, 

Que  tout  le  beau  que  Ion  pourroit  choisir, 
Et  que  tout  l'art  qui  ayde  la  Nature, 
Ne  me  sauroient  acroitre  mon  désir. 


XXII. 

1j VISANT  Soleil ,  que  tu  es  bien  heureus, 
De  voir  tousiours  de  t'Amie  la  face  : 


Univers  îtij 


loo  SONNETS. 

Et  toy,  sa  seur,  qu'Endimion  embrasse. 
Tant  te  repais  de  miel  am.oureus. 

Mars  voit  Venus  :  Mercure  auentureus 
De  Ciel  en  Ciel,  de  lieu  en  lieu  se  glasse  : 
Et  lupiter  remarque  en  mainte  place 
Ses  premiers  ans  plus  gays  et  clialeureus. 

Voilà  du  Ciel  la  puissante  harmonie. 

Qui  les  esprits  diuins  ensemble  lie  : 

Mais  s'ils  auoient  ce  qu'ils  ayment  lointein. 

Leur  harmonie  et  ordre  irreuocable 

Se  tourneroit  en  erreur  variable , 

Et  comme  moy  trauailleroieut  en  vain. 


XXÏIÏ. 

IjAs!  que  me  sert,  que  si  parfaitement 
Louas  iadis  et  ma  tresse  dorée, 
Et  de  mes  yeus  la  beauté  comparée 
A  deus  Soleils,  dont  Amour  finement 

Tira  les  trets  causes  de  ton  tourment? 
Ou  estes  vous,  pleurs  de  peu  de  durée? 
Et  mort  par  qui  deuoit  estre  honorée 
Ta  ferme  amour  et  itéré  serment? 

Donques  c'estoit  le  but  de  ta  malice 
De  m'asseruir  sous  ombre  de  seruice? 
Pardonne  moy,  Amy,  à  cette  fois. 


SONNETS.  101 

Estant  outrée  et  de  clespit  et  dMre: 

Mais  ie  m'assure,  quelque  part  que  tu  sois. 

Qu'autant  que  nioy  tu  soufres  de  martire. 


XXIIIÏ. 

aSe  reprenez,  Dames,  si  i'ay  aymé: 
Si  i'ay  senti  mile  torches  ardentes, 
Mile  trauaus,  mile  douleurs  mordantes: 
Si  eu.  pleurant  i'ay  mon  tems  consume, 

Las  que  mon  nom  n'en  soit  par  vous  blâmé». 
Si  i'ai  failli,  les  peines  sont  présentes, 
N'aigrissez  point  leurs  pointes  -violentes:. 
Mais  estimez  qu'Amour,  à  point  nommé. 

Sans  votre  ardeur  d'un  Vulcan  excuser. 

Sans  la  beauté  d'Adonis  acuser^. 

Pourra,  s'il  veut,  plus,  vous  rendre  amoureuses; 

En  ayant  moins  que  moi  d'ocasion, 

Et  plus  d'estrange  et  forte  passion. 

Et  gardez  vous  d'estre  plus  malheureuses^ 


FIN  DES  EVVRES  DE  LOVÏZE  LABE  LIONNOIZE. 


AVS  POETES  DE  LOVIZE  LABÉ. 


SONNET. 

Vovs  qui  le  los  de  Lonïze  escrivez, 
Et  qui  auez,  par  gaye  fantasie 
Cette  beauté,  votre  suget,  choisie, 
Voyez  quel  bien  pour  vous,  vous  poursuiuez. 

Elle  des  dons  des  Muses  cultivez, 
S*est  pour  soymesnie  et  pour  autrui  saisie  : 
Tant  qu'en  louant  sa  dine  Poésie, 
Mieus  que  par  vous  par  elle  vous  viuez. 

Laure  ut  besoin  de  faneur  empruntée, 
Pour  de  renom  ses  grâces  animer: 
Louïze  autant  en  beauté  réputée, 

Trop  plus  se  fait  par  sa  plume  estimer. 
Et  de  soymesme  elle  se  faisant  croire, 
A  ses  loueurs  est  cause  de  leur  gloire. 


ESCRIZ 

DE  DIVERS  POETES, 

A  LA  LOVENGE 

DE  LOVIZE  LABÉ 


tlONNOIZE. 


EIS  nAAS  AOISHS  AABAIAS. 

±  àç  SaKcpSs  ôffàs  yXvxvtpôva  c'is  d«63L£(J(i£V 

MsiÀixi»  ITacpiT)?  xal  E'prârov  wv  l's  Aa^âiî) 

KôA-TCra  Tpa(p£î(j'  àvT)yccyE. 
El  cTk  Tiç  éi  xaivèv  6ctv^tt^£i ,  Xfti  KoGev  içi  j 

E''x€i  <ï>àcav'  sprâjiEVOV  : 
TS  «A.T)x9£ïcia  (pv^'fi ,  ^iyvp6v  héA.os  fîp'^s  ruXaiVcc 

Xop(faiis  svapjiô^Eiv  A,vpT)S. 
2c{30(fpà  (fè  TCpès  rauras  Koitkïeis  oîçp*  évintfi 

ITai(f6v  £pâv  TLTKEpTKpdvcDV. 


io4  ESCRIZ 


DE   ALOYS^  LABiEiE  OSCULIS. 

lAM  non  canoras  Pegasidas  tuis 
Assuesce  votis  ;  nil  tibi  Cynthius 
Fontlsue  Dircaei  recessus 
Profuerint,  vel  inanis  Euan. 

Sed  tu  Labaeœ  basia  candidse 
Imbuta  poscas  nectare,  quae  rosas^ 

Spirant  amaracosque  molles, 
Et  violas,  Arabumque  succos. 

Non  illa  summis  dispereunt  labris, 
Sed  quh  reclusis  obicibus  patet 
Inerme  pectus,  suaueolentis 
Oris  aculeolo  calescit. 

Illo  medullae  protinus  œstuant. 
Et  dissolutis  spiritus  omnibus 
Nodis  in  ore  suauiantis 
Lenius  emoritur  Labaeae. 

Hoc  plenus  œstro  (dicere  seu  lubet 
Sectis  puellas  unguibus  acriter 
Depr «liantes,  aut  inustam 
Dente  notam  labiis  querenteis  : 

Cœliue  motus  et  redeuntia 
Anni  vicissim  tempora  :  nec  suo 


DE  DIVERS  POETES.  io5 

Fulgore  lucentem  Dianani, 
Sideribusue  polos  micanteis, 

Dignuiîi  Labaeae  basiolls  melos 
Quod  voce  mistis  cum  fidibus  canat) 

Dices  coronatus  quod  aureis 
Cecropias  Latiasque  pungat. 


EN  GRACE  DV  DIALOGVE  d'AMOVR  ET  DE  FOLIE,  EVYRE 
DE  D.  LOVÏZE  LABÉ  LIONNOIZE. 

Amovr  est  donq  pure  incliiiacion 
Du  Ciel  en  nous,  mais  non  nécessitante: 
Ou  bien  vertu,  qui  nos  coeurs  impuissante 
A  résister  contre  son  accion? 

C'est  donq  de  l'ame  une  alteracion 
De  vain  désir  légèrement  naissante, 
A  tout  obiet  de  l'espoir  périssante. 
Comme  muable  à  toute  passion? 

la  ne  soit  crii ,  que  la  douce  folie 

D'un  libre  Amant  d'ardeur  libre  amollie 

Perde  son  miel  en  si  amer  Absynte, 

Puis  que  Ion  voit  un  esprit  si  gentil 
Se  recouurer  de  ce  Chaos  sutil, 
Ou  de  Raison  la  Loy  se  laberynte. 

IVON  SI  NON  LA, 


loô  ESCRIZ 


EN  CONTEMPLAGION  DE  D.  LOVÏZE  LABÉ. 

i^VEL  Dieu  graua  cette  magesté  douce 
En  ce  gay  port  d'une  pronte  alegresse? 
De  quel  Hz  est,  mais  de  quelle  Déesse 
Cette  beauté,  qui  les  autres  destrousse? 

Quelle  Sjrene  hors  du  sein  ce  chant  pousse. 
Qui  deceuroit  le  caut  Prince  de  Grèce? 
Quels  sont  ces  yeus,  mais  bien  quel  trofee  est  ce, 
Qui  tient  d* Amour  Tare ,  les  trets  et  la  trousse  ? 

Ici  le  Ciel  libéral  me  fait  voir 

En  leur  parfait,  grâce,  honneur,  et  sauoir, 

Et  de  vertu  le  rare  témoignage  ; 

Ici  le  traytre  Amour  me  veut  surprendre  : 
Ah!  de  quel  feu  brûle  un  cœur  ia  en  cendre? 
Comme  en  deus  pars  ce  peut  il  mettre  en  gage  ? 

P.  D.  T. 


A  D.  LOVÏZE  LABÉ,  SVR  SON  PORTRAIT. 

Iadis  un  Grec  sus  une  froide  image. 
Que  consacra  Praxitèle  à  Cyprine, 
Kafreschissant  son  ardente  poitrine 
Rendit  du  maître  admirable  l'ouurage. 


DE  DIVERS  POETES.  107 

Las!  peu  s'en  faut  qu'à  ce  petit  ombrage, 
Reconnoissant  ta  bouche  coralline. 
Et  tous  les  trais  de  ta  beauté  diuine, 
le  n'aye  autant  porté  témoignage. 

Qu'ust  fait  ce  Grec  si  cette  image  nue 

Entre  ses  bras  fust  Venus  deuenue  ? 

Que  suis  ie  lors  quand  Louïze  me  touche, 

Et  l'accollant  d'un  long  baiser  me  baise? 
L'ame  me  part,  et  mourant  en  cet  aise, 
le  la  reprens  ia  fuiant  en  sa  bouche. 


SONNET. 

Xe  laisse  apart  Méduse,  et  sa  beauté, 
Qui  transmuoit  en  pierre  froide  et  dure, 
C^s  qui  prenoient  à  la  voir  trop  de  cure, 
Pour  admirer  plus  grande  nouueauté. 

Et  reciter  la  douce  cruauté 
De  Belle  a  soy,  qui  fait  bien  plus  grand'chose. 
Lors  qu'en  son  tout  grâce  naïue  enclose. 
Veut  eslargir  sa  douce  priuauté. 

Car  d'un  corps  fait  au  comble  de  son  mieus, 
Du  vif  mourant  contournement  des  veus, 
A  demi  clos  tournant  le  blanc  en  vue  : 

Puis  d'un  soupir  mignardement  issant, 


io8  ESCRIZ 

Auant  Tapas  d*un  souzris  blandissant. 
Les  regardans  en  soymesme  transmue. 

DEVOIR  DE  VOIR, 


A  CELLE  QVI  n'eST  SEVLEMENT  A  SOY  BELLE, 

ôl  le  Soleil  ne  peut  touslours  reluire. 
Fuir  ne  faut  pourtant  tout  ce  qui  luit, 
Car  si  au  Ciel  quelqu*autre  flamme  duit, 
Sans  le  Soleil  peut  bien  la  clarté  luire. 

Mais  quoy?  sans  lui,  las!  on  la  veut  réduire 
Au  seul  plaisir  d*un  Astre  radieus, 
Qui  autre  part  d'esclairer  enuieus. 
Par  ce  moyen  peut  à  la  clarté  nuire. 

Las!  quel  Climat  lui  sera  donq  heureus. 

N'ayant  faueur  que  par  l'Astre  amoureus,. 

Ou  viue  meurt  cette  lueur  première?  i 

Si  d'autre  espoir  de  sa  propre  vertu 
N'est  par  effet  son  lustre  reuétu, 
Sous  tel  Pliebus  s'esteindra  sa  lumière. 

DEVOIR  DE  VOIR. 


AVTRE  A  ELLE  MESME. 

Voyez,  Amans,  voyez  si  la  pitié 
A  mon  secours  or*  à  tort  ie  reclame 


DE  DIVERS  POETES.  109 

Du  haut,  ou  bas,  rien  n'est,  fors  ma  poure  ame. 
Qui  n'ait  goûté  quelque  fruit  d'amitié. 

Par  quel  destin,  las!  toute  autre  moitié 
La  mienne  fuit?  suiuant  l'ingrate  trace 
De  celle  là,  dont  espérant  la  grâce. 
Acquis  ie  n'ay  que  toute  inimitié? 

0  douce  Mort  (à  tous  plus  qu'à  soy  belle) 

A  ta  clarté  ne  sois  ainsi  rebelle, 

Ains  doucement  la  fais  en  toy  mourir  : 

Si  tu  ne  veus  par  façon  rigoureuse 
Sans  aliment  la  rendre  ténébreuse  : 
Car  ia  Testeint,  qui  la  peut  secourir. 


A  D.  LOViZE,  DES  MVSES  OV  PREMIERE  OV  DIZIÉME 
COVRONNANTE  LA  TROVPE. 

INatvre  ayant  en  ses  Idées  pris 
Vn  tel  suget,  qu'il  surpassoit  son  mieus  : 
De  grâce  ell'  ut  pour  l'illustrer  des  Dieus 
Otroy  entier  du  plus  supernel  pris: 

Dont  elle  put  l'Vniuers  rendre  espris, 
Ouurant  l'amas  des  influs  bienheureus, 
Duquel  le  rare  épuré  par  les  Cieus 
Atire  encor  le  bien  né  des  esprits. 

Dieus  qui  soufrez  flamboyer  tel  Soleil 


iio  ESCRIZ 

A  vous  égal,  à  vous  le  plus  pareil. 
Témoin  le  front  de  sa  beauté  première. 

Permettrez  vous  chose  si  excellente 
Patir  l'horreur  d'Atrope  palissante, 
Ne  la  laissant  immortelle  lumière? 

d'immortel  ZELE, 


SONETTO. 

yvi  doue  in  braccio  al  Rodano  si  vede 
Girne  le  Sona  quêta ,  si  ch'  a  pena 
Scorger  si  puo  là  doue  l'onde  mena, 
Si  lenta  muoue  entr'  al  suo  letto  il  piede: 

Giunsi  punto  d'Amor,  cinto  di  Fede, 
Di  speme  priuo,  e  colmo  de  la  pena, 
Ch'  air  Aima  (pria  d'ogni  dolcezza  piena) 
Fa  di  tutto  il  piacere  aperte  predej 

E  mouendo  i  sospiri  a  chiamar  voi 
(Lungi  dal  vostro  puro  aer'  sereno) 
Sperai  vinto  dal  sonno  alta  quiète  : 

Ma  tosto  udij  dirmi  da  voi  :  Se  i  tuoi 
Occhi  son  tristi  e  molli,  i  miei  non  meno, 
Cosi  sempre  per  noi  pianto  si  miete. 


DE  DIVERS  POETES.  m 


SONETTO. 

Ardo  d'un  dolce  fuoco,  e  quest'  ardore 
Smorzar  non  cerco^  anzi  m'è  caro  tanto, 
Che  lieto  in  mezo  de  le  fiamme  io  canto 
Le  Vostre  lodi  e'I  sopran  vostro  honore  5 

E  chieggio  in  guiderdone  al  mio  Signore 
Che  non  nii  dia  cagion  d'eterno  pianto^ 
Ma  d'un*  istesso  fuoco  hoggi  altrettanto 
Vi  porga  si  ch*  ogn'hor  n'auuampi  il  cuore. 

Amor  seco  ogni  hen  mai  sempre  apporta, 
Quando  d'un  par  desio  due  Pelti  inuoglia; 
Ma  s' un  ne  lascia,  è  morte  atroce  e  ria: 

Siatemi  dunque  voi  sicura  scorta: 
Suegliate  homai  questa  grauosa  spoglia^ 
Ch'  a  voi  consacrero  la  penna  mia. 


AvVENTVROSI  fiori, 

Che  cosi  dolce  seno, 

Che  cosi  care  cliiome  in  guardia  haueste: 

Benedetto  il  sereno 

Aer'  doue  nasceste; 


112  ESCRIZ 

E*  que'  mille  colori 
Di  cui  natura  in  voi  vaga  si  piacque  : 
Ben'  fù.  dolce  destino 
Il  vostro,  e'  quel'  mattino 
Clie  si  felice  al  morir'  vostro  nacque  : 
Vinchino  lior*  vostri  odori 
Gli  odorosi  Sabei,  gli  Arabi  honori. 

Dolce  Luisa  mia 

Che  tanto  bella  sete, 

Quanto  esser'  vi  voleté  ;  E'  corne  il  core 

Hauete  sculto  amore ,  e  cortesia  : 

Tal'  ne  gli  occbi  di  lor'  si  scorge  traccia  : 

Da  queste  dolci  braccia, 

Da  questi  ardenti  baci,  anima  bella, 

Morte  sola  mi  suella 

Ne  unqua  mai  fra  noi  maggior*  si  si  a 

Paura  e'  gelosia. 

Altra  luce  non  veggio  : 
Altro  sole,  aima  bella, 
Fuor*  cbe  i  vostri  occlii  santi 
Non  ho  :  e'  questi  hor'  cliieggio 
Sol'  per  mia  guida  e'  Stella 
Sempre  corne  hor'  sereni. 
A  voi  beati  amanti 
Altra  inuidia,  altro  zelo 
Non  hauro  mai  :  se  il  cielo 
Vuol'  che  io  mia  vita  meni 
In  cosi  fatta  guisa 
A  i  dolci  raggi  lor'  dolce  Luisa. 


DE  DIVERS  POETES.  ii3 


ESTREINESj  A  DAME  LOVÏZE  LABÉ. 

JLovïzE  est  tant  gracieuse  et  tant  belle, 
Louïze  à  tout  est  tant  bien  auenante, 
Louïze  ha  Tceil  de  si  viue  estincellej 
Louïze  lia  face  au  corps  tant  conuenante. 
De  si  beau  port,  si  belle  et  si  luisante, 
Louïze  ha  voix  que  la  Musique  auoue, 
Louïze  ha  main  qui  tant  bien  au  lut  ioue, 
Louïze  ha  tant  ce  qu*en  toutes  on  prise. 
Que  ie  ne  puis  que  Louïze  ne  loue. 
Et  si  ne  puis  assez  louer  Louïze. 


A  D.  L.  L. 

1  ON  lut  hersoir  encor  se  resentoit 
De  ta  main  douce,  et  gozier  gracieus, 
Et  sous  mes  doits  sans  leur  ayde  chantoit  ; 
Quand  un  Démon,  ou  sur  moy  enuieus, 
Ou  de  mon  bien  se  feingnant  soucieus. 
Me  dit  :  c'est  trop  sus  un  lut  pris  plaisir. 
N'aperçois  tu  un  furieus  désir 
Cherchant  autour  de  toy  une  cordelle, 
Pour  de  ton  coeur  la  Dame  au  lut  saisir? 
Et,  ce  disant,  rompit  ma  chanterelle. 

*  8 


lU  ESCRIZ 


EPITRE  A  SES  AMIS 5  DES  GRACIEVSETEZ  DE  D.  L.  L. 

v)vE  faites  vous,  mes  compagnons 5 
Des  chères  Muses  chers  mignons? 
Au'ous  encore  en  notre  absence 
De  votre  Magny  souuenance  ? 
Magny  votre  compagnon  dons. 
Qui  ha  souuenance  de  \ous 
Plus  qu*assez,  s' une  Damoiselle 
Sa  douce  maîtresse  nouuelle 
Qui  restreint  d'une  estroite  Foy 
Le  laisse  souuenir  de  soy. 
Mais  le  Pouret  qu'Amour  tourmente 
D'une  chaleur  trop  véhémente. 
En  oubli  le  Pouret  ha  mis 
Soymesnie  et  ses  meilleurs  amis  : 
Et  le  Pouret  à  rien  ne  pense. 
Et  si  n'a  de  rien  souuenance, 
Mais  seulement  il  lui  souuient 
De  la  maitresse  qui  le  tient, 
Et  rien  sinon  d'elle  il  ne  pense 
N'ayant  que  d'elle  souuenance. 
Et  tout  brûlé  du  feu  d'amours 
Passe  ainsi  les  nuits  et  les  jours, 
Sous  le  ioug  d'une  Damoiselle 
Sa  douce  maitresse  nouuelle, 
Qui  le  fait  ore  esclaue  sien, 


DE  DIVERS  POETES.  ii5 

Ataclië  trun  noiiueau  lien  : 

Qui  le  cœur  de  ce  misérable 

Brûle  d'un  feu  non  secourable. 

Si  le  secours  soulacieus 

Ne  lui  vient  de  ses  niesmes  yeus. 

Qui  premiers  sa  flamme  alumerent, 

Qui  premier  son  cœur  enflammèrent. 

Et  par  qui  peut  estre  adouci 

L'amoureus  feu  de  son  souci. 

Mais  ny  le  vin  ny  la  viande. 

Tant  soit  elle  douce  et  friande. 

Ne  lui  peuuent  plus  agréer. 

Rien  ne  pourroit  le  recréer, 

Non  pas  les  gentilesses  belles 

De  ces  gentiles  Damoiselles, 

De  qui  la  demeure  Ion  met 

Sur  l'Heliconien  sommet, 

Qu'il  auoit  tousiours  honorées, 

Qu'il  auoit  tousiours  adorées 

Des  son  ieune  aage  nouuelet, 

Encores  enfant  tendrelet. 

Adieu  donq  Nynfes,  adieu  belles, 

Adieu  gentiles  Damoiselles, 

Adieu  le  Chœur  Pegasien, 

Adieu  l'honneur  Parnasien. 

Venus  la  mignarde  Déesse, 

De  Paphe  la  belle  Princesse, 

Et  son  petit  fils  Gupidon 

Me  maîtrisent  de  leur  brandon. 

Vos  chansons  n'ont  point  de  puissance 


ii6  ESCRIZ 

De  lïiie  donner  quelque  allégeance 

Aus  tourmens  qui  tiennent  mon  cœur, 

Genné  d'une  douce  langueur 

le  n'ay  que  faire  de  vous,  belles  : 

Adieu,  gentiles  Damoiselles : 

Car  ny  pour  voir  des  monceaus  d'or 

Assemblez  dedens  un  trésor, 

Ny  pour  voir  flofloter  le  Rone, 

Ny  pour  voir  escouler  la  .Sone^ 

Ny  le  gargouillant  ruisselet, 

Qui  coulant  d'un  bruit  doucelet, 

A  dormir,  d'une  douce  enuie, 

Sur  la  fresche  riue  conuie  : 

Ny  par  les  ombreus  arbrisseaus 

Le  dons  ramage  des  oiseaus, 

Ny  violons,  ny  espinettes, 

Ny  les  gaillardes  chansonnettes, 

Ny  au  chant  des  gaies  chansons 

Voir  les  garces  et  les  garçons 

Fraper  en  rond,  sans  qu'aucun  erre. 

D'un  branle  mesuré,  la  terre. 

Ny  tout  cela  qu'a  de  ioyeus 

Le  renouueau  delicieus, 

Ny  de  mon  cher  Giués  (qui  m'ayme 

Comme  ses  yeus)  le  confort  mesme. 

Mon  cher  Giués,  qui  comme  moy 

Languit  en  amoureus  émoy. 

Ne  peuvent  flater  la  langueur 

Qui  tient  genné  mon  poure  cœur  : 

Bien  que  la  mignarde  maitresse, 


DE  DIVERS  POETES.  117 

Pour  qui  ie  languis  en  détresse, 

Contre  mon  amoureus  tourment 

Ne  s'endurcisse  fièrement  : 

Et  bien  qu'ingrate  ne  soit  celîe^ 

Celle  gentile  Damoiselle 

Qui  fait  d'un  regard  bien  humain, 

Ardre  cent  feus  dedens  mon  sein. 

Mais  que  sert  toute  la  caresse 
Que  ie  reçoy  de  ma  maitresse? 
Et  que  me  vaut  passer  les  iours 
En  telle  espérance  d'amours. 
Si  les  nuiz  de  mile  ennuiz  pleines 
Rendent  mes  espérances  veines? 
Et  les  iours  encor  pleins  d'ennuis, 
Qu'absent  de  la  belle  ie  suis? 
Quand  ie  meurs,  absent  de  la  belle, 
Ou  quand  ie  meurs  présent  près  d'elle 
N'osant  montrer  (o  dur  tourment!) 
Comment  ie  l'ayme  ardantement? 

Celui  vraiment  est  misérable 
Qu'Amour,  voire  estant  fauorablcj 
Rend  de  sa  flame  langoureus. 
Clietif  quiconque  est  amoureus. 
Par  qui  si  cher  est  estimée 
Vue  si  légère  fumée 
D'un  plaisir  suiui  de  si  près 
De  tant  d'ennuiz  qui  sont  après. 
Si  ay  ie  aussi  cher  estimée 
Vne  si  légère  fumée.. 


ii8  ESCRIZ 


DES  BEAVTEZ  DE  D.  L.  L. 

(Jv  print  Tenfant  Amour  le  fin  or  qui  dora 
En  mile  crespillons  ta  teste  blondissante? 
En  quel  iardin  print  il  la  roze  rougissante 
Qui  le  liz  argenté  de  ton  teint  colora  ? 

La  douce  granité  qui  ton  front  honora, 
Les  deus  rubis  balais  de  ta  bouche  alléchante. 
Et  les  rais  de  cet  œil  qui  doucement  m'enchante, 
En  quel  lieu  les  print  il  quand  il  t'en  décora  ? 

D'où  print  Amour  encor  ces  filets  et  ces  lesses, 
Ces  haims  et  ces  apasts  que  sans  fin  tu  me  dresses, 
Soit  parlant  ou  riant  ou  guignant  de  tes  yeus  ? 

Il  print  d'Herme,  de  Cypre,  et  du  sein  de  l'Aurore, 

Des  rayons  du  Soleil,  et  des  Grâces  encore, 

Ces  atraits  et  ces  dons,  pour  prendre  hommes  et  Dieus. 


A  ELLE  MESME. 

O  ma  belle  rebelle, 
Las  que  tu  m'es  cruelle! 
Ou  quand  d'un  dous  souzris 
Larron  de  mes  esprits. 
Ou  quand  d'une  parole 


DE  DIVERS  POETES.  119 

Si  mignardement  mole, 

Ou  quand  d'un  regard  dVeus 

Traytrement  gracîeus, 

Ou  quand  d'un  petit  geste 

Non  autre  que  céleste. 

En  amoureuse  ardeur 

Tu  m'enflammes  le  cœur. 

0  ma  lielle  rebelle, 
Las  que  tu  m'es  cruelle! 
Quand  la  cuisante  ardeur 
Qui  me  brûle  le  cœur, 
Veut  que  ie  te  demande 
A  sa  brûlure  grande 
Vn  rafreschissement 
D'un  baiser  seulement. 

0  ma  belle  rebelle, 
Que  tu  serois  cruelle! 
Si  d'un  petit  baiser 
Ne  voulois  l'apaiser. 
Au  lieu  d'alegement 
Acroissant  mon  tourment. 
Me  puisse  ie  un  iour,  dure. 
Venger  de  cette  iniure: 
Mon  petit  maître  Amour 
Te  puisse  outrer  un  iour, 
Et  pour  moi  langoureuse, 
Il  te  face  amoureuse, 
Comme  il  m'a  langoureus 
Pour  toy  fait  amoureus. 
Alors  par  ma  vengeance 


I20  ESCRIZ 

Tu  auras  connoissance 
Que  vaut  d'un  clous  baiser 
Vn  Amant  refuser. 
Et  si  ie  te  le  donne. 
Ma  gentile  mignonne. 
Quand  plus  fort  le  désir 
En  viendroit  te  saisir  : 
Lors  après  ma  vengeance, 
Tu  auras  connoissance 
Quel  bien  fait,  d'un  baiser 
L'Amant  ne  refuser. 


DOVBLE  RONDE AV,  A  ELLE. 

JliSTANT  naurë  d'un  dard  secrettement, 
Par  Cupidon,  et  blessé  à  outrance, 
le  n'osois  pas  declairer  mon  tourment 
Saisi  de  peur,  délaissé  d'espérance. 
Mais  celui  seul,  qui  m'auoit  fait  l'ofense. 
M'a  asseuré,  disant,  que  sans  ofense 
le  pouuois  bien  mon  ardeur  déceler. 
Ce  que  i'ay  fait  sans  plus  le  receler. 
Estant  nauré. 

A  une  donq  pourement  assuré, 
Creingnant  bien  fort  d'elle  estre  refusé, 
Ay  declairé  du  tout  ma  doleance  : 
Et  sur  mon  mal  hardiment  excusé 


DE  DIVERS  POETES.  121 

Lui  supliant  me  donner  allégeance. 
Ou  autrement  ie  perdrois  pacience 
Estant  naurë. 

Au  mien  propos  ha  si  bien  respondu 
Celle  que  i'ay  plus  chère,  que  mon  ame. 
Et  mon  vouloir  sagement  entendu, 
Que  ie  consens  qu'il  me  soit  donné  hlame 
Si  ie  Toublie  :  car  elle  m'a  rendu 
Le  sens,  l'esprit,  l'honneur,  le  cœur  et  l'ame 
Estant  nauré» 


ODE  EN  FAVEVR  DE  D.  LOVÏZE  LABÉ,  A  SON  BON  SIGNEVR. 

D.  M. 

J\lvsES,  filles  de  lupiter. 

Il  nous  faut  ores  aquiter 

Vers  ce  docte  et  gentil  Fumée, 

Qui  contre  le  tems  inhumain 

Tient  vos  meilleurs  trets  en  sa  main. 

Pour  paranner  sa  renommée. 

le  lui  dois,  il  me  doit  aussi: 

Et  si  i'ay  ores  du  souci 

Pour  faire  mon  payment  plus  dine.  ' 

le  le  voy  ores  deuant  moy 

En  un  aussi  plaisant  émoy 

Pour  faire  son  Ode  Latine. 

Mais  par  ou  commencerons  nous? 


122  ESCRIZ 

Dîtes  le,  Muses  :  car  sans  vous 
le  ne  fuis  l'ignorante  tourbe. 
Et  sans  vous  ie  ne  peu  chanter 
Chose,  qui  puisse  contenter 
Le  père  de  la  lyre  courbe. 

Quand  celui  qui  iadis  naquit 
Dans  la  tour  d'erein,  que  conquit 
lupiter  d'une  caute  ruse, 
Vt  trenchë  le  chef  qui  muoit 
En  rocher  celui  qu'il  voyoit, 
Le  chef  hideus  de  la  Méduse  : 

Adonques  par  l'air  s'en  allant, 
Monte  sur  un  cheual  volant. 
Il  portoit  cette  horrible  teste  : 
Et  ia  desia  voisin  des  Gieus 
Il  faisoit  voir  en  mile  lieus 
La  grandeur  de  cette  conqueste. 

Tandis  du  chef  ainsi  trenché 
Estant  freschement  arraché, 
Distiloit  du  sang  goûte  à  goûte  : 
Qui  soudein  qu'en  terre  il  estoit, 
Des  fleurs  vermeilles  enfantoit, 
Qui  changeoient  la  campagne  toute. 

Non  en  serpent,  non  en  ruisseau. 
Non  en  loup,  et  non  en  oiseau. 
En  pucelle,  wSatire  ou  Cyne  : 
Mais  bien  en  pierre  :  faisant  voir 
Par  un  admirable  pouuoir 


DE  DIVERS  POETES.  i25 

La  vertu  de  leur  origine. 

Et  c'est  aussi  pourquoy  ie  crois, 
Que  fendant  l'air  en  mile  endrois 
Sur  mile  estrangeres  campagnes, 
A  la  fin  en  France  il  vola, 
Ou  du  chef  liideus  s'escoula 
Quelque  sang  entre  ces  montagnes  : 

Mesmement  auprès  de  ce  pont 
Oppose  viz  à  viz  du  mont. 
Du  mont  orguilleus  de  Foruiere  ; 
En  cet  endroit  ou  ie  te  vois 
Egaier  meinte  et  meintefois 
Entre  l'une  et  l'autre  rivière. 

Car  deslors  que  fatalement 
l'en  aprochaj  premièrement,, 
le  vis  des  la  première  aproche 
le  ne  say  quelle  belle  fleur: 
Qui  soudein  m'esclauant  le  cœur 
Le  fit  changer  en  une  roche. 

le  viz  encor  tout  à  l'entour 

Mile  petis  frères  d'Amour, 

Qui  menoient  mile  douces  guerres  : 

Et  mile  creintifs  amoureus 

Qui  tous  comme  moj  langoureus 

Auoient  leurs  cœurs  changez  en  pierres. 

Depuis  estant  ainsi  rocher, 
le  viz  près  de  moy  aprocher 


124  ESCRIZ 

Vne  Méduse  plus  acorte 
Que  celle  dont  s*arme  Pallas, 
Qui  changea  iadis  cet  Atlas 
Qui  le  Ciel  sur  l'eschine  porte. 

Car  elle  ayant  moins  de  beautez, 
De  ces  clieueus  enserpentez 
Faisoit  ces  changemens  estranges  : 
Mais  cetteci,  d'un  seul  regard 
De  son  oeil  doucement  hagard 
Fait  mile  plus  heureus  eschanges. 

Celui  qui  voit  son  front  si  beau^ 
Voit  un  Ciel,  ainçois  un  tableau 
De  cristal,  de  glace,  ou  de  verre: 
Et  qui  voit  son  sourcil  bénin, 
Voit  le  petit  arc  hebenin. 
Dont  Amour  ses  traits  nous  desserre. 

Celui  qui  voit  son  teint  vermeil. 
Voit  les  roses  qu'à  son  rëueiL 
Phebus  épanit  et  colore  : 
Et  qui  voit  ses  cheueus  encor. 
Voit  dens  Pactole  le  trésor 
Dequoy  ses  sablons  il  redore. 

Celui  qui  voit  ses  yeus  iumeaus. 
Voit  au  ciel  deus  heureus  flambeaus, 
Qui  rendent  la  nuit  plus  serene  : 
Et  celui  qui  peut  quelquefois 
Escouter  sa  diuine  voix 
Entend  celle  d'un€  Sirène. 


DE  DIVERS  POETES.  i25 

Celui  qui  fleure  en  la  baisant 
Son  vent  si  clous  et  si  plaisant ^ 
Fleure  l'odeur  de  la  Sabee  : 
Et  qui  voit  ses  dens  en  riant 
Voit  des  terres  de  l'Orient 
Meinte  perlette  desrobee. 

Celui  qui  contemple  son  sein 
Large,  poli,  profond  et  plein, 
De  l'Amour  contemple  la  gloire, 
Et  voit  son  teton  rondelet, 
Voit  deus  petis  gazons  de  lait, 
Ou  bien  deus  boulettes  d'iuoire. 

Celui  qui  voit  sa  belle  main, 
•Se  peut  asseurer  tout  soudein 
D'auoir  vu  celle  de  l'Aurore; 
Et  qui  voit  ses  piez  si  petis, 
S'asseure  que  cens  de  Thetis 
Heureus  il  ha  pu  voir  encore. 

Quant  à  ce  que  l'acoutrement 
Cache,  ce  semble,  expressément 
Pour  mirer  sur  ce  beau  chef  d'euure. 
Nul  que  l'Ami  ne  le  voit  point  : 
Mais  le  grasselet  embonpoint 
Du  visage  le  nous  descœuure. 

Et  voilà  comment  ie  fuz  pris 
Aus  rets  de  l'enfant  de  Cypris, 
Esprouuant  sa  douce  pointure  ; 
Et  comme  une  Méduse  fit, 


126  ESCRIZ 

Par  un  dommagealile  proufit, 
Changer  mon  cœur  en  pierre  dure. 

Mais  c'est  au  vray  la  raritë 
De  sa  grâce  et  de  sa  beauté, 
Qui  rauit  ainsi  les  p'^rsonnes  : 
Et  qui  leur  ote  cautement 
La  franchise  et  le  sentiment, 
Ainsi  que  faisoient  les  Gorgonnes. 

Le  Tems  cette  grand'  fauls  tenant 

Se  vét  de  couleur  azurée, 

Pour  nous  montrer  qu'en  moissonnant 

Les  choses  de  plus  de  durée, 

Il  se  gouuerne  par  les  Cieus  : 

Et  porte  ainsi  la  barbe  grise. 

Pour  faire  voir  qu'Hommes  et  Dieus 

Ont  de  lui  leur  naissance  prise. 

Il  assemble  meinte  couleur 

Sur  son  azur,  pource  qu'il  treine 

Le  plaisir  après  la  douleur 

Et  le  repos  après  la  peine  : 

Montrant  qu'il  nous  faut  endurer 

Le  mal,  pensant  qu'il  doit  fin  prendre, 

Comme  l'Amant  doit  espérer. 

Et  merci  de  sa  Dame  atendrci 

Il  porte  sur  son  vêtement, 
Vu  milier  d'esles  empennées, 
Pour  montrer  comme  vitement 
Il  s'en  vole  auec  nos  années  : 


DE  DIVERS  POETES.  12; 

Et  s'acompagne  en  tous  ses  faits 
De  cette  gcnte  Damoiselle, 
Confessant  que  tous  ses  efets 
N'ont  grâce  ne  vertu  sans  elle. 

Elle  s*apelle  Ocasion 

Qui  chauue  par  derrière  porte. 

Sous  une  docte  allusion. 

Ses  longs  clieueus  en  cette  sorte  : 

A  fin  d'enseigner  à  tous  cens 

Qui  la  rencontrent  d'auenture,. 

De  ne  se  montrer  paresseus 

A  la  prendre  à  la  clieuelure, 

Car'^s'elle  se  tourne  et  s'en  fuit. 
En  vain  après  on  se  trauaille  : 
Sans  espoir  de  fruit  on  la  suit. 
Le  tems  ce  dous  loisir  nous  baille 
De  pouuoir  gayement  ici 
Dire  et  ouir  maintes  sornettes, 
Et  adoucir  notre  souci, 
En  contant  de  nos  amourettes. 

Le  Tems  encore  quelquefois 
Admirant  ta  grâce  éternelle 
Chantera  d'une  belle  voix 
D'Auanson  ta  gloire  éternelle  : 
Mais  or'  l'ocasion  n'entend 
Que  plus  long  tems  ie  l'entretienne, 
Creingnant  perdre  l'heur  qui  m'atend 
Ou  qu'autre  masque  ne  suruienne. 


28  ESCRIZ 


MADRIGALE. 

Arse  cosI  per  voi.  Donna,  il  mio  core 

Il  primo  di  ch'intento  vi  mirai, 

Clie  certo  mi  pensai 

Che  no  potesse  in  me  crescere  pin  ardore  : 

Ma  in  voi  belta  crescendo  d*hor'  in  liora, 

Cresc*  in  me  il  fuoco  ancora, 

Il  quai  no  potra  mai  crescer*  si  poco, 

Cil*  altro  no  saro  piu  che  flamme  e  fuoco. 


ODE. 

J.  OVTE  bonté  abondante 
Aus  gouuerneurs  des  saints  Cieus, 
Vn,  qui  de  main  foudroyante 
Estonne  mortels  et  Dieus, 
Ensemença  ces  bas  lieus 
De  diuersité  d'atomes 
Formez  de  ce  vertueus 
Surpassant  celui  des  hommes; 

Lesquels  d'une  destinée 
Sous  quelque  fatal  heureus^ 
Pour  former  une  bien  née 


DE  DIVERS  POETES.  129 

Furent  ensemble  amoureus: 
Et  goûtant  le  sauoureus. 
Lequel  ou  l'Amour  termine 5 
Ou  le  rend  plus  doucereus, 
La  font  voir  chose  diuine. 

Mesmement  si  familière  ^ 

A  la  troupe  des  neuf  Seurs^ 

Qu'elle  l'ont  pour  leur  lumière 

Fait  lampeger  en  leurs  chœurs  : 

Là  receuant  les  honneurs 

De  ceus,  qu'on  n'a  laisse  boire 

Aus  sourses  et  cours  donneurs 

De  perpétuelle  gloire. 

Elle  le  fait  aparoitre 
Au  docte  de  ses  escriz, 
Qu'on  voit  iournellement  naître^ 
Et  deuancer  les  esprits, 
Qui  auoient  gaigné  le  pris 
D'estre  mieus  luz  en  notre  aage. 
0  féminin  entrepris 
De  l'immortalité  gage! 

Qui  une  flame  amoureuse. 
Qui  mieus  les  passionnez. 
Et  de  veine  plus  heureuse 
Discerne  les  aptes  nez, 
Et  à  l'Amour  fortunez, 
De  ceus,  lesquels  à  outrance 
Seront  tousiours  mal  menez. 
Et  repuz  d'une  espérance  ? 


i3o  ESCRIZ 

Qui  de  langue  plus  diserte 
Fait  le  Musagete  orer 
Contre  Feloquence  experte 
Du  Dieu,  qui  peut  atlrer 
Par  le  caut  de  son  parler 
L'erreur  à  la  vraye  trace? 
Qui  près  d'eus  peut  sommeiller. 
Comme  elle,  sur  le  Parnasse? 

Donq  que  sur  ses  temples  vole 
Ce  A  ert  entortillonné 
Pris  de  la  ramure  mole 
De  la  fuyarde  Dapliné, 
Et  doctement  façonné 
Pour  orner  la  seur  de  celle. 
Qui  sortit,  le  coup  donné, 
En  armes,  de  la  ceruelle. 


SONNET  A  D.   L.  L.  PAR  A.  F.  R. 

OI  de  cens  qui  ne  t'ont  connue,  qu'en  lisant 
Tes  Odes  et  Sonnets,  Louïze,  es  honorée: 
Si  ta  voix  de  ton  lut  argentin  tempérée, 
D'arrester  les  passans  est  moyen  sufisant  : 

Et  si  souuent  tes  yeus  d'un  seul  rayon  luisant 
Ont  meinte  ame  en  prison  pour  t' adorer  serrée: 
Tu  te  peus  bien  de  nioy  tenir  toute  asseuree. 
Car  si  ianiais  ton  œil  sus  un  cœur  fut  puissant. 


DE  DIVERS  POETES.  i5i 

Il  ha  esté  sur  moy,  et  fait  meinte  grand*  playe  : 
Telle  grâce  à  chanter,  baller,  sonner  te  sult^ 
Qu'à  rompre  ton  lien  ou  fuir  ie  n'essaye. 

Tant  tes  yers  amoureus  t'ont  donné  los  et  hruit, 
Qu'heureus  me  sens  t'auoir  non  le  premier  aymee. 
Mais  prisé  ton  sauoir  auant  la  renommée. 


A  DAME  LOVÏZE  LABÉ,  LIONNOIZE,  LA  COMPARANT  AYS 

CIEVS. 

Oept  feus  on  voit  au  Ciel,  lesquels  ainsi 
Sont  tous  en  toy  meslez  ensemblement. 
Phebé  est  blanche  :  et  tu  es  blanche  aussi. 
Mercure  est  docte  ;  et  toy  pareillement. 

Venus  tousiours  belle  :  semblablement 
Belle  tousiours  à  mes  yeus  tu  te  montre. 
Tout  de  fin  or  est  le  chef  du  Soleil  : 
Le  tien  au  sien  ie  voy  du  tout  pareil. 
Mars  est  puissant  :  mais  il  creint  ta  rencontre. 

lupiter  tient  les  Cieus  en  sa  puissance  : 

Ta  grand'  beauté  tient  tout  en  son  pouuoir. 

Saturne  au  Ciel  ha  la  plus  haute  esscEce  : 

Tu  as  aussi  la  douce  iouissance 

Du  plus  liant  heur  qu'autre  pourroit  auoir. 

Donq  qui  veut  voir  les  grans  dons,  que  les  Dieu  s 
Ont  mis  en  toy,  qu'il  contemple  les  Cieus. 


ï5a  ESCRIZ 


DES  LOVENGES  DE  DAME  LOVÏZE  LABÉ,  LIONNOIZE, 

Il  ne  faut  point  que  i'apelle 
Les  hauts  Dieus  à  mon  secours. 
Ou  bien  la  bande  pucelle 
Pour  ni'ayder  en  mon  discours. 
Puis  que  les  Dieus,  de  leur  grâce. 
Les  saintes  Muses,  les  Gieus 
Ont  tant  illustré  la  face, 
Le  corps,  l'esprit  curieus 
De  celle,  dont  i'apareille 
La  louenge  nompareille, 
le  congnoj  bien  clerement 
Que  toute  essence  diuine 
Me  fauorise,  et  s'encline 
A  ce  beau  commencement. 

Sus  sus  donq,  blanche  senestre, 
Fiiy  tes  resonans  effors  : 
Et  toy,  ô  mignarde  destre , 
Chatouille  ses  dous  acors  : 
Chantons  la  face  angelique, 
Chantons  le  beau  chef  doré, 
Si  beau,  que  le  Dieu  Delphiquc 
D'un  plus  beau  n'est  décoré. 
N'oublions  en  notre  mètre 
Comme  elle  osa  s'entremettre 
D'armer  ses  membres  mignars  ; 


DE  DIVERS  POETES.  i55 

Montrant  au  haut  de  sa  teste 
Vne  espouuentable  creste 
Sur  tous  les  auîres  soudars. 

0  noble,  ô  diu«n  chef  d'euure 

Des  Dieus  hautcins  tous  puissans, 

Au  moins  niclntenant  dcscœuure 

Tes  yeus  tous  resiouissans. 

Pour  voir  ma  Muse  animée^ 

Qui  de  sa  robuste  main- 

Haussera  ta  renommée 

Trop  mieus  que  ce  vieil  Rommain^ 

Qui  sa  demeure  ancienne , 

La  terre  Saturnienne 

Délaissa  pour  ta  beauté, 

A  fin  qu'à  toy  rigoureuse 

Il  fut  hostie  piteuse 

En  sa  ferme  loyauté. 

La  Muse  docte  diuine 

Du  vieillard  audacieus. 

Par  le  vague  s'achemine 

Pour  t'enleuer  iusqu'aus  Cieus  : 

Mais  la  Parque  naturelle 

Dens  les  Iberiens  chams^ 

Courut  desemplumer  l'aile- 

De  ses  pleurs,  et  de  ses  chants: 

Enuoyant  en  sa  vieillesse, 

Mal  séant  en  ta  ieunesse, 

Son  corps,  au  tombeau  ombreus: 

lit  son  ame  énamourée 


i54  ESGRIZ 

En  l'oLscure  deniouree 
Des  Royaumes  tenebreus. 

Dieus  des  voûtes  estoilees. 
Qui  en  perdurable  tour 
Retiennent  emmantelees 
Les  terres,  tout  à  Tentour: 
Fermeté  z  moy  que  ie  vlue 
Des  ans  le  cours  naturel, 
A  fin  qu'a  mon  gre  i'escriue 
En  un  ouurage  éternel, 
De  cette  noble  Déesse 
La  beauté  enchanteresse, 
Ce  qu'elle  lia  bien  mérité: 
Et  qu'en  sa  gloire  immortelle  ^ 
On  voye  esbahie  en  elle 
Toute  la  postérité. 

Ainsi  que  Semiramide, 
Qui  feingnant  estre  l'enfant 
De  son  mari,  print  la  guidS 
Du  Royaume  trionfant, 
Puis  démantant  la  Nature, 
Et  le  sexe  féminin 
Hazarda  a  l'auenture 
Son  corps  iadis  tant  bénin, 
Courant  furieuse  en  armes 
Parmi  les  Mores  gendarmes, 
Et  es  Indiques  dangers 
De  sa  rude  simeterre 
Renuersant  dessus  la  terre 


DE  DIVERS  POETES.  t55 


Les  escadrons  estrangers. 


Ainsi  qu*es  Alpes  cornues 
(Qui ,  soit  Hiuer  soit  Este, 
Ont  tousiours  couuert  de  nues 
Le  front  au  Ciel  arresté) 
On  voit  la  superbe  teste 
D'un  roc  de  *  pins  emplumë, 
Rauie  par  la  tenipeste 
De  son  corps  acoutunié, 
En  roullant  par  son  orage 
Froisser  tout  le  labourage , 
Des  Beufs  les  après  trauaus, 
"Ne  laissant  rien  en  sa  voye 
Qu'en  pièces  elle  n'ennoye. 
Cherchant  les  profondes  yaux  : 

Ou  comme  Penthasilee, 
Qui  pour  son  ami  Hector 
Combatoit  entremeslee 
Par  les  Grecs,  ans  cheueus  d'or 
Ores  de  sa  roide  lance 
Enferrant  l'un  au  trauers, 
Or'  du  branc  en  violance 
Trébuchant  l'autre  à  l'enuers  : 
Et  ainsi  que  ces  pucelles 
Qui  l'une  de  leurs  mammelles 
Se  bruloient  pour  s'adestrer 
Aus  combas  et  entreprises 

'*'  Aphcresc  pour  sapins. 


2  36  ESCRIZ 

Aus  bons  guerroyeurs  requises. 
Pour  l'ennenii  rencontrer: 

LouVze  ainsi  furieuse 

En  laissant  les  habiz  mois 

Des  femmes,  et  enuieuse 

De  bruit,  par  les  Espagnols 

Souuent  courut,  en  grand'  noise, 

Et  meint  assaut  leur  donna , 

Quand  la  ieunesse  Françoise 

Parpignan  enuironna. 

Là  sa  force  elle  desploye. 

Là  de  sa  lance  elle  ployé 

Le  plus  hardi  assaillant  : 

Et  braue  dessus  la  celle 

Ne  demontroit  rien  en  elle 

Que  d'un  clieualier  vaillant. 

Ores  la  forte  guerrière 
Tournoit  son  destrier  en  rond: 
Ores  en  une  carrière 
Essavoit  s'il  estoit  pront: 
Branlant  en  flots  son  panache. 
Soit  quand  elle  se  iouoit 
D'une  pique,  ou  d'une  hache. 
Chacun  Prince  la  Iouoit  : 
Puis  ayant  à  la  senestre 
L'espee  ceinte,  à  la  destre 
La  dague,  enrichies  d'or, 
En  s'en  allant  toute  armée 
3E11*  sembloit  parmi  l'armée 


DE  DIVERS  POETES.  iSy 

Vn  Achile,  ou  un  Hector. 

L'orguilleus  fils  de  Clymene 
Nous  peut  bien  auoir  apris 
Qu'il  ne  faut  par  gloire  vaine 
Qu'un  grand  trein  soit  entrepris. 
L'entreprise  qui  est  faite 
Sans  le  bon  conseil  des  Dieus 
IV'a  point,  ainsi  qu'on  souhaite j 
Son  dernier  efet  ioyeus  : 
Ainsi  cette  belliqueuse 
Ne  fut  iamais  orguilleuse  ; 
Telle  au  camp  elle  n'alla  : 
Ains  ce  fut  à  la  prière 
De  Venus,  sa  douce  mère. 
Qui  un  soir  lui  en  parla. 

Vn  peu  plu5  haut  que  la  plaine. 
Ou  le  Rone  impetueus 
Embrasse  la  Sone  humeine 
De  ses  grans  bras  tortueus, 
De  la  mignonne  pucelle 
Le  plaisant  iardin  estoit. 
D'une  grâce  et  façon  telle 
Que  tout  autre  il  surmontoit: 
En  regardant  la  merueille 
De  la  beauté  nompareille 
Dont  tout  il  estoit  armé. 
Celui  bien  on  l'ust  pîi  dire 
Du  iuste  Roy  de  Corcyre 
En  pommes  tant  renomme. 


i58  ESCRIZ 

A  rentrée  on  voyoit  d'herbes. 
Et  de  tliin  verflorissant. 
Les  lis  et  croissans  superbes 
De  notre  Prince  puissant  : 
Et  tout  autour  de  la  plante 
De  petis  ranielets  vers 
De  mari  oléine  flairante 
Estoient  plantez  ces  six  vers  : 
dv  tresnoble  roy  de  france 
Le  croissant  nevve  acroissance 
De  iovr  en  iovr  reprendra, 
Ivsqves  a  tant  qve  ses  cornes 
lointes  sans  avcvnes  bornes 
En  vn  plein  rond  il  rendra. 

Tout  autour  estoient  des  treilles 

Faites  auec  un  tel  art. 

Qu'aucun  n'ust  sîi  sans  nierueilles 

Là  espandre  son  regard  : 

La  voûte  en  estoit  sacrée 

Au  Dieu  en  Inde  inuoqué. 

Car  elle  estoit  ac outrée 

Du  sep  au  raisin  musqué  : 

Les  coulomnes  bien  polies 

Estoient  autour  enrichies 

De  romarins  et  rosiers, 

Lesquels  faciles  a  tordre 

S'entrelassoient  en  bel  ordre 

En  mile  neus  fais  d'osiers. 

Au  milieu  pour  faire  ombrage 


DE  DIVERS  POETES.  i39 

Estolent  meiiits  arceavis  couucrs 

De  Coudriers  et  d'un  bocage 

Fait  de  cent  arbres  diuers  : 

Là  rOliue  palissante 

Qu*Atliene  tant  reclama  j 

Et  la  branche  verdissante 

Qu'Apolon  iadis  ayma  : 

Là  l'Arbre  droit  de  Cibelle^ 

Et  le  cerner  in  rebelle 

Au  plaisir  vénérien  : 

Auec  l'obscure  raniee 

Par  Phebe  iadis  formée 

Du  corps  Cyparissien. 

Sous  cette  douce  verdure , 

Soit  en  sa  gaye  saison. 

Ou  quand  la  triste  froidure 

Nous  renferme  en  la  maison^ 

Tarins,  Rossignols,  Linotes 

Et  autres  oiseaus  des  bois 

Exercent  en  gayes  notes 

Les  doLis  iargons  de  leurs  voix  : 

Et  la  vefue  tourterelle 

Y  pleint  et  pleure  à  par  elle 

Son  amoureus  tout  le  iour  : 

De  sa  parole  enrouée 

A  pleints  et  à  pleurs  vouée 

Efroyant  l'air  tout  autour. 

Et  à  fin  qu'à  beauté  telle 
Rien  manquer  on  ne  pust  voir. 


i4o  ESCRIZ 

De  la  beauté  naturelle 

Qu'un  beau  iardin  peut  auoir. 

Il  y  ut  une  fonteine, 

Dont  l'eau  coulant  contre  val 

En  sautant  hors  de  sa  veine 

Sembloit  au  plus  cler  cristal  : 

Elle  ne  fut  point  ornée, 

Ny  autour  enuironnee 

De  beaus  niirtes  Cipriens, 

Ny  de  buis,  ny  d'aucun  arbre, 

Ny  de  ce  precieus  marbre 

Qu'on  taille  es  monts  Pmnens  : 

Mais  elle  estoit  tapissée 
Tout  l'enuiron  de  ses  bors. 
Ou  son  onde  courroucée 
Murmuroit  ses  dous  acors, 
D'herbe  tousiours  verdoyante, 
Peinte  de  diuerses  fleurs, 
Qui  en  l'eau  dousondoyante 
Mesloient  leurs  belles  couleurs. 
Qui  ust  regardé  la  teste 
D'un  Narcisse  qui  s'arreste 
Tout  panchant  le  col  sur  l'eau , 
On  ust  dit  que  son  courage 
Gontemploit  encor  l'image 
Qui  trop  et  trop  lui  fut  beau. 

Aussi  par  cette  verdure 
Estoit  le  iaune  souci, 
Qui  encor  la  peine  dure 


DE  DIVERS  POETES.  i4i 

De  ses  feus  n'a  adouci  : 

Ains  touiours  se  yire  et  tourne 

Vers  son  Ami  qu'il  veut  voir, 

Soit  au  matin,  qu'il  aiourne. 

Ou  quand  il  est  près  du  soir. 

Là  aussi  estoient  Brunettes, 

Mastis,  damas,  violettes 

Ça  et  là  sans  nul  compas  : 

Auee  la  fleur,  en  laquelle 

Hiacinte  renouuelle 

Son  nom  après  son  trespas. 

Le  ruisseau  de  cette  sourse 
A  par  soy  s'ebanoyant, 
D'une  foible  et  lente  course 
Deçà  delà  tournoyant 
Faisoit  une  protraiture 
Du  lieu  ou  fut  renfermé 
Le  monstre  contre  nature 
En  Pasipliaë  forme: 
Puis  son  onde  entrelassee^ 
De  longues  erreurs  lassée 
Par  un  beau  pré  s'espandoit  : 
Ou  maugré  toute  froidure 
Vne  plaisante  verdure 
Eternelle  elle  rendoit. 

Titan  laissant  sa  campagne 
Peu  à  peu  sous  nous  couloit, 
Et  dens  la  tiède  eaU  d'Espagne 
Son  char  il  desateloit: 


i42  ESCRIZ 

Quand  en  ce  lieu  de  plaisance 

Louïze  estoit  pour  un  soir, 

Qui  cliercliant  resiouissance 

Près  la  font  se  vint  assoir  : 

Elle  avant  assez  du  pouce 

Taté  riiarnionie  douce 

De  son  lut,  sentant  le  son 

Bien  d'acord,  d'une  voix  fi^anclie 

Jointe  au  bruit  de  sa  main  blanche. 

Elle  dit  cette  chanson  : 

La  forte  Tritonienne, 
Fille  du  Dieu  Candien, 
Et  la  viercje  Ortvgienne, 
Seur  du  beau  Dieu  Cynthien. 
Sont  les  deus  seules  Déesses 
Ou  i'av  mis  tout  mou  désir. 
Et  que  ie  sii  ponr  maitresses 
Des  mon  enfance  choisir. 
Si  Venus  m'a  rendu  belle, 
Et  toute  semblable  qu'elle^ 
Auec  sa  diuinité, 
Que  pourtant  elle  ne  pense, 
Qu'en  un  seul  endi'oit  i'ofense 
Ma  chaste  virginité. 

La  pucelle  Lionnoize 
Fredonnant  meints  tons  diuers. 
Au  son  plein  de  douce  noise, 
N'ut  deus  fois  chante  ces  vers. 
Qu'un  sommeil  de  course  lente 


DE  DIVERS  POETES.  145 

Descenrlant  parmi  les  Cieus, 
Finit  sa  voix  excellente 
Et  son  ieu  melodieus. 
Sur  la  verdure  espanduc 
Tous  dous  il  Ta  estendue, 
Flatant  ses  membres  dispos  : 
Dessus  ses  yeus  il  se  pose. 
Et  tout  son  coi^s  il  arrose 
D'un  tresgracieus  repos. 

En  dormant  tout  deuant  elle 
Sa  mère  se  présenta, 
En  son  beau  visasse  telle 
Qu'alors  qu'elle  s'acointa 
D'Ancliise,  près  du  riuage 
Du  Simoent  Phrygien  : 
Dont  naquit  le  preus  courage 
Qui  au  camp  Hesperien 
Renouuella  la  mémoire. 
Et  la  trionfante  gloire 
Du  sang  Troyen  abatu, 
Qui  deuoit  en  rude  guerre 
Tout  le  grand  rond  de  la  Terre 
Conquérir  par  sa  vertu. 

Eir  regarde  par  merueille 
Son  visage  nompareil, 
Son  haut  front,  sa  ronde  oreille, 
Son  teint  freschement  vermeil, 
Le  vif  coral  de  sa  bouche, 
Ses  sourcis  tant  ffracieus. 


î44  Escmz 

Que  doucement  elle  touche 
Pour  voir  les  rais  de  ses  yeus  : 
Non  sans  contempler  encore 
Celle  beauté  qui  décore 
La  rondeur  de  ton  tetin,   ' 
Qui  ni  plus  ni  moins  soupire 
Qu*au  printems  le  dous  Zephire 
Alenant  Tair  du  matin. 

Apres  que  la  Cyprienne 
Vt  son  regard  contenté. 
Voyant  de  la  fille  sienne 
La  plus  qu'humeine  beauté, 
Esbahie  en  son  courage 
De  sa  grand'  perfeccion, 
Elle  augmenta  dauantage 
Vers  eir  son  afeccion  : 
Puis  toute  gaye  et  ioyeuse. 
D'une  voix  tresgracieuse. 
Pour  descouurir  son  souci, 
Tenant  les  vermeilles  roses 
De  sa  bouche  un  peu  descloscs 
Elle  parola  ainsi  : 

Les  Dieus  n'ont  voulu  permettre 
Aus  vains  pensers  des  mortels. 
Que  d'eus  ils  se  pussent  mettre 
A  fin  :  bien  que  leurs  autels 
Soient  tous  couuers  de  fumée, 
Ou  pour  gaigner  leur  faueur 
Ou  pour  leur  ire  animée 


# 


DE  DIVERS  POETES.  i45 

Faire  tourner  en  douceur, 

Tous  les  veus  pas  ils  n'entendent 

Qui  deuant  leurs  yeus  se  rendent: 

Ains  les  ont  a  nonclialoir, 

Veu  ni  prière  qu'on  face 

N'y  font  rien,  si  de  leur  grâce 

Ils  n'ont  un  niesme  vouloir. 

Que  penses  tu  fille  cliere. 
Penses  tu  bien  résister 
Contre  les  dars  de  ton  frère 
S'il  lui  plait  t'en  molester? 
Il  se  et  domter  tout  le  monde 
De  son  arc  audacieus  : 
L'Océan,  la  Terre  ronde, 
L'Air,  les  Enfers,  et  les  Cieus. 
Onq  fille  n'ut  la  puissance 
De  lui  faire  résistance, 
Et  ses  fiers  coups  soutenir; 
Mais  ie  te  veus  faire  entendre 
Pourquoy  i'ay  voulu  descendre 
Du  Ciel,  pour  à  toy  venir. 

Les  hommes,  pleins  d'ignorance, 
Citoyens  de  ces  bas  lieus, 
Te  pensent  de  leur  semence, 
Et  non  de  celle  des  Dieus  ; 
Mais  par  trop  ils  se  deçoiuent 
(Bien  qu'ils  le  tiennent  pour  seur) 
Et  assez  ils  n'apcrçoiuent 
De  ta  beauté  la  grandeur. 

lO 


i4S  ESCRIZ 

Qui  diroit,  voyant  ta  face. 
Que  tu  fusses  de  la  race 
D'un  homme  simple  et  mortel? 
La  Terre  sale  et  immunde, 
Ne  sauroit  aus  ycus  du  monde 
De  soy  produire  riens  tel. 

Tout  ainsi  la  beauté  rare 
D'Heleine,  chacun  pensoit 
Engendrée  de  Tyndare: 
Car  on  ne  la  connoissoit. 
Toutefois  si  estoit  elle 
Fille  du  Dieu  haut  tonnant ^ 
Qui  sa  maison  supernelle. 
Le  haut  Ciel  5  abandonnant ^ 
Atourné  d'un  blanc  plumage. 
Semblant  l'Oiseau  qui  présage  j 
En  chantant,  sa  proche  mort. 
En  Lede  fille  de  Theste 
De  sa  semence  céleste, 
La  conçut  par  son  effort, 

Avecques  deus  vaillans  frères, 
Dont  l'un  alaigre  escrimeur 
Domta  les  menasses  fieres, 
Et  la  trop  âpre  rigueur 
Du  cruel  Roy  de  Bebrice, 
Acoutumé  d'outrager. 
Et  meurtrir  par  sa  malice 
Chacun  soudart  estranger: 
L'autre  de  hardi  courage, 


• 


DE  DIVERS  POETES.  147 

Inuenta  premier  l'usage 

De  ioiïidre  au  char  le  coursier: 

Ou  il  se  roula  grand*  erre, 

EfFroyant  toute  la  terre 

Des  deus  ronds  bornez  d* acier. 

Ainsi,  Lien  qu*on  ne  te  donne 
L'honneur  d'estre  de  mon  sang. 
Et  du  Her  Dieu  qui  ordonne 
Les  puissans  soudars  en  rraig, 
Si  m'est  ce  chose  asseuree. 
Que  de  Gradiue  le  fort 
En  moy  tu  fus  engendrée, 
loingnant  le  gracieus  bord. 
Ou  la  Sone  toute  quoye 
Fait  une  paisible  voye 
S'en  allant  fendre  Lion  : 
Dens  lequel  on  voit  encore 
Vn  mont  *,  ou  Ion  me  décore. 
Qui  retient  de  moy  son  nom. 

Le  lieu  ou  tu  fus  conçue 

Ne  fut  vile  ny  château, 

Ains  une  forest  tissue 

De  ineint  plaisant  arbrisseau. 

Dont  ie  veux  (en  témoignage 

De  ta  race)  te  pouruoir. 

Ainsi  que  d'un  héritage 

Que  ie  tiens  en  mon  pouuoir. 

Là  autour  sont  meintes  plaines, 

*  Le  mont  de  Fouruiere,  anciennement  apelé  Forum  Veneris. 


i48  ESCRIZ 

Esquelles  les  Mondes  graines 
De  Ceres  pourras  cueillir. 
Et  la  liqueur  qui  agrée 
A  Baclius,  et  nieinte  pree 
Ou  l'herbe  ne  peut  faillir. 

Là  aussi  sont  nieints  bocages 
Deçà  delà  espandus, 
Ou  en  tout  tenis  les  raniasçes 
Des  Oiseaus  sont  entendus. 
Par  fois  tu  y  pourras  tendre 
Le  ret  rare,  à  ton  désir, 
Et  quelque  gibier  y  prendre 
Pour  acroitre  ton  plaisir  : 
Ou  t'exerçant  à  la  chasse 
Tu  poursuiuras  a  la  trace 
Les  Lieures  fuians  de  peur, 
De  chiens  autour  toute  armée, 
Vagans  dessous  la  raniee, 
Se  guidans  à  la  senteur. 

Et  si  par  trop  tu  te  peines 
En  trop  violent  effort, 
De  nieintes  cleres  fonteines 
Tu  pourras  auoir  confort  : 
L'eau  sortante  de  leur  sourse 
Tes  membres  refreschira, 
Et  la  murmurante  course 
A  son  bruit  t'endormira: 
Apres  chargée  de  proye, 
Tu  te  pourras  mettre  en  voye 


DE  DIVERS  POETES.  149 

Pour  h  ton  château  tourner, 
Qu'en  brief  bâtir  ie  veus  faire  j. 
Siifisant  pour  te  complaire 
S'il  te  pi  ait  y  sciourner. 

Sur  tout  (fille)  ie  t'auise. 
Que  d'un  cœur  tant  oclieus 
Ton  frère  tu  ne  mesprise. 
C'est  le  plus  puissant  des  Dieus-, 
En  ta  beauté  excellente 
Meint  homme  il  rendra  transi. 
Mais  sa  main  ne  sera  lente 
A  te  tourmenter  aussi. 
Prens  bien  à  ce  propos  garde. 
Car  ia  desia  il  te  darde 
Son  tret  âpre  et  rigoureus  : 
Dont  il  t'abatra  par  terre. 
Rendant  d'un  homme  de  guerre 
Ton  tendre  cœur  amoureus.. 

En  ce  il  prendra  bien  vengeance 
Du  bon  Poète  Rommain, 
Auquel  sans  nulle  allégeance 
Ton  cœur  est  trop  inliumein. 
Bien  prendra  à  ta  ieunesse 
Auoir  apris  à  soufrir 
Des  durs  harnois  la  rudess®, 
Et  à  meint  trauail  s'ofrir  :. 
Souuent  seras  rencontrée 
Depuis  la  tarde  yespree 
lusqu'au  point  du  proche! n  ioui^,. 


i5o  ESCRIZ 

Parmi  les  bois  languissante, 
Et  tendrement  ge'missante 
La  grand'  cruauté  d'Amour. 

Alors  pour  estre  asseuree 

Point  en  femme  tu  n'iras, 

Ains  d'une  lance  parée 

Cbeualier  tu  te  diras. 

la  en  ton  harnois  brauante 

le  te  regarde  assaillir 

Meint  clieualier,  qui  se  vante 

Hors  de  l'arçon  te  saillir  : 

Puis  dextrement  aprestee, 

A3^ant  ta  lance  arrestee. 

Le  désarçonner  en  bas. 

Lui  tout  froissé,  à  grand'  peine 

Leuer  son  ame  incerteine, 

Chancelant  à  chacun  pas. 

A  si  grans  trauaus  ton  frère 
Durement  te  contreindra, 
lusqu'à  ce  qu'à  la  première 
Liberté  il  te  rendra: 
Alors  laissant  les  alarmes, 
Et  les  hazars  perilleus. 
Tu  rueras  ius  les  armes, 
Et  le  courage  orguilleus. 
Dont  tu  soulois  mettre  en  terre 
Meint  vaillant  homme  de  guerre 
Renuersé  sous  son  escu, 
Qui  repentant  en  sa  face. 


DE  DIVERS  POETES.  i5i 

De  sa  première  menasse 
Tout  haut  se  crioit  vaincu. 

Donq  laissant  dague  et  espee 
Ton  habit  tu  reprendras, 
A  plus  dous  ieus  occupée 
Ton  dous  lut  tu  retendras  : 
Et  lors  meints  nohles  Poètes, 
Pleins  de  célestes  esprits. 
Diront  tes  grâces  parfaites 
En  leurs  tresdoctes  escriz  : 
Marot,  Moulin,  la  Fonteine, 
Auec  la  Muse  hauteine 
De  ce  Sceue  audacieus, 
Dont  la  tonnante  parole, 
Qui  dens  les  Astres  carole, 
Semble  un  contrefoudre  es  Cieus. 

Toutefois  leur  fantasie 
Ton  loz  point  tant  ne  dira, 
Comme  d'un  la  Poésie, 
Qui  de  l'onde  sortira 
Du  petit  Clan,  dont  la  riue 
Priuee  de  flots  irez , 
Ha  en  tout  tems  l'herbe  viue 
Autour  des  hors  retirez. 
De  cil  la  Muse  nouuelle 
Rendra  ta  grâce  immortelle  : 
Du  Ciel  il  est  ordonné 
Qu'à  lui  le  bruit  de  la  gloire 
De  t'auoir  mise  en  mémoire, 


i52  ESCRIZ 

Entièrement  soit  donné. 

Qu'à  ton  cœur  tousiours  agrée 
Du  Poëte  le  labeur: 
Son  escriture  est  sacrée 
A  tout  immortel  bonlieur. 
Ayant  qui  ton  loz  escriue. 
Mourir  ne  peus  nullement: 
Ainsi  Laure,  ainsi  Oliue 
Viuent  éternellement. 
Vn  Bouchet  en  façon  telle, 
Met  en  mémoire  immortelle 
De  son  Ange  le  beau  nom: 
Sacrant  TAngelique  face. 
Sa  beauté,  sa  bonne  grâce, 
Au  temple  du  saint  renom. 

A  tant  la  Déesse  belle 
Mit  fin  à  son  dous  parler  : 
Son  chariot  elle  atelle 
Toute  preste  à  s'en  voler: 
Les  mignonnes  colombclles 
Par  le  vague  doucement 
Esbranlent  leurs  blanclies  esles 
D'un  paisible  mouuement. 
Louïze  estant  esueillee 
Resta  toute  esmerueillee 
De  la  sainte  vision  : 
Ignorante  si  son  songe 
Est  vérité  ou  mensonge. 
Ou  quelque  autre  illusion. 


DE  DIVERS  POETES.  i55 

Son  corps  droit,  sa  bonne  grâce, 
Son  dur  teton,  ses  beaus  yeiis, 
Les  diuins  traits  de  sa  face, 
Son  port,  son  ris  gracieus. 
Le  front  serein,  la  main  belle, 
Le  sein  comme  albastre  blanc 
Montrent  euidemment  qu'elle 
Sortit  du  Ciprien  flanc. 
Puis  sa  vaillance  et  prouesse, 
Son  courage,  son  adresse, 
Et  la  force  du  bras  sien 
De  grand  heur  acompagnee, 
La  montrent  de  la  lignée 
Du  Gradiue  Tliracien. 

Mais  d'autre  part,  sa  doctrine, 
Sa  sagesse,  son  sauoir, 
La  pensée  ans  arts  encline 
Autant  qu'autre  onq  put  auoir. 
Les  vers  doctes  qu'elle  acorde. 
En  les  chantant  de  sa  voix, 
A  l'harmonieuse  corde, 
Frétillante  sous  ses  doits  : 
Et  la  chasteté  fidelle, 
Qui  tousiours  est  auec  elle, 
JVous  rendent  quasi  tous  seurs 
Qu'elle  ut  la  naissance  sienne 
De  la  couple  Cjnthienne, 
Ou  de  l'une  des  neuf  Seurs. 

Toutefois  il  nous  faut  croire 


i54  ESCRÏZ  DE  DIVERS  POETES. 

Ce  que  nous  disent  les  DIeus, 

Qui  par  la  nuitée  noire 

Se  montrent  ans  dornians  yeus. 

Ainsi  Hector  à  Enee 

En  un  songe  s'aparut. 

Et  la  sienne  destinée 

En  songe  il  lui  discourut. 

Souuent  la  future  cliose 

Du  sain  esprit  qui  repose 

Est  preuuë  de  bien  loin  : 

Ce  songe  presque  incroyable, 

Qui  après  fut  véritable. 

En  pourra  estre  témoin. 

Mais  il  est  tems  douce  Lire, 
Que  tu  cesses  tes  acors. 
Si  assez  tu  n'as  pu  dire, 
Si  as  tu  fait  tes  effors. 
Celle  harpe  Methimnoise, 
Qui  peut  la  mer  esmouvoir, 
N'ut  la  Ninfe  Lionnoize 
Chanté  selon  son  devoir: 
Non  pas  toute  la  Musique 
De  celle  bende  Lirique 
Qui  (longtems  ha)  florissoit 
En  la  Grèce  :  qui  meint  Prince, 
Meint  païs,  meinte  province, 
De  son  chant  resiouissoit. 

FEV  DES  ESCRIÎS  DE  DIVERS  POETES. 


I 


NOTES. 


EPÏTRE  DEDICATOIRE. 
1.  —  A  Madamoiselle  Clémence  de  Bovrges,  lion- 

NOIZE,  page  I.  —  Les  trois  anciennes  e'ditions  ne  portent  que  ces 
lettres  initiales  :  A  M.  C.  D.  B.  L.  Nous  n'avons  pas  cru  de- 
voir les  suivre,  et  commencer  l'ouvrage,  en  quelque  sorte,  par 
une  énigme.  Les  éditeurs  de  1762,  et  celui  de  Brest,  181 5,  ont 
fait  comme  nous.  Je  n'ajouterai  rien  à  ce  qui  a  été  dit  de  Clé- 
mence de  Bourges  et  de  ses  liaisons  avec  Louise  Labé,  dans  la 
Notice  de  M.  Cochard  et  dans  les  notes  dont  elle  est  accom- 
pagnée :  on  peut  y  recourir.  On  y  trouvera  aussi  des  remarques 
et  des  citations  applicables  au  sujet  de  cette  épître  dédicatoire, 
et  à  la  manière  dont  Louise  Labé  y  défend  la  cause  des  dames 
contre  le  préjugé  qui  veut  leur  interdire  la  culture  des  sciences 
et  des  lettres. 

2.  —  Mais  Vhonneur  que  la  science  nous  procurera ,  sera  entiè- 
rement notre  :  et  ne  nous  pourra  estre  oté ,  ne  par  finesse  de  lar- 
ron, ne  force  d'ennemis ,  ne  longueur  du  tems ,  même  page.  — 
On  reconnoît  là  la  pensée  d'Ovide  (Metam.  xv,  872 -3)  : 

Jamque  opus  exegi,  quod  nec  Jovis  ira>  nec  ignés  > 
Nec  poterit  ferrum,  nec  edax  abolere  vetustas. 

et  celle  d'Horace  (Od.  m,  00): 

Exegi  monumentum  aère  perennius,  etc. 

Mais  le  passage  suivant  de  Pline  le  jeune  (Epist.  i,  5),  a  un 
rapport  encore  plus  frappant  avec  la  phrase  de  Louise  Labé, 
qui  semble  en  être  la  traduction:  «  Efiinge  aliquid  et  excude, 
'1  quod  sit  perpétua  tuum.  Nam  reliqua  rerura  tuarum  alium 


iJ^  NOTES. 

«  atque  alium  tlominum  sortientur.  Hoc  nuuquam  tuum  desinet 
«  esse,  si  semel  cœperit.  »  —  «  Travaillez  à  vous  assurer  une 
«  sorte  de  bien  que  le  temps  ne  puisse  vous  ôter.  Tous  les  au- 
«<  très,  dans  la  suite  des  siècles,  changeront  mille  et  mille  fois 
«<  de  maître  ;  mais  les  ouvrages  de  votre  esprit  ne  cesseront 
«  jamais  d'être  à  vous.  »   (Trad.  de  Sacy.) 

^•^ — Le  plaisir  que  f  estude  des  lettres  ha  acoutumé  donner. ..:qui 
est  autre  que  les  autres  recreacions,  page  2.  —  Ici  Louise  Labé  se 
rappeloit  l'éloge  que  Cice'ron  a  fait  des  lettres  dans  son  immor- 
tel Discours  pour  le  poète  Archias  (n.  6)  ;  éloge  magnifique  et 
vrai  que  tous  les  littc'rateurs  et  tous  les  hommes  de  goût  savent 
par  cœur.  Voy.  Cice'roniana,  ou  Recueil  des  bons  mots  et  apaph- 
thegmes  de  Cicéron,  suivi  d'anecdotes  et  de  pensées  tirées  de 
ses  ouvrages,  etc.  (par  M.  Péricaud  aîné,  de  Lyon,  etparl'Au- 
teur  de  ces  notes),  Lyon,  1812,  in-8.",  page  222. 

4*  —  JJepuis  que  quelcuns  de  mes  amis  ont  trouué  moyen,  àe  les 
lire  sans  que  Ven  susse  riett^  page  3. — 'Le  privilège  du, roi,  daté 
du  i3  mars  i554,  qui  se  trouve  à  la  fin  de  l'édition  de  i556, 
in-S.**,  est  précédé  de  l'exposé  suivant:  «Reçue  avons  l'humble 
«  suplication  de  notre  chère  Louïze  Labé,  Lionnoize,  conte- 
«  nant  qu'elle  auroit  des  long  tems  compose  quelque  Dialogue 
«  de  Folie  et  d'Amour  :  ensemble  plusieurs  Sonnets,  Odes 
«  et  Epitres,  qu'aucuns  ses  Amis  auroicnt  saustrait&  et  iceux 
«  encores  non  parfaits,  publiez  en  diuers  endroits»  Et  doutant 
«  qu'aucuns  ne  les  vousissent  faire  imprimer  en  cette  sorte, 
«  elles  les  ayant  reuuz  et  corrigez  à  loisir  les  mettroit  volon- 
«  tiers  en  lumière,  à  fin  de  suppremer  les  premiers  exemplai- 
«  res,  etc.  »  Ces  termes  annoncent  que  les  amis  de  Louise  Labé 
avoient  mis  au  jour,  à  son  insu,  soit  séparément,  soit  dans  des 
recueils  de  poésie,  une  partie  de  ses  productions;  on  ne  trouve 
cependant  aucune  trace  de  ces  publications  anticipées.  Il,  est 
aussi  à  remarquer  qu'elle  mentionne,  parmi  les  ouvrages  qu'elle 
veut  faire  imprimer,  des  Odes  et  des  Épîtres,  et  qu'il  n'existe 
aucune  pièce  de  ce  genre  dans  ce  qui  nous  reste  d'elle.  Il  es.t 


NOTES.  i57 

vrai  que ,  par  compensation ,  le  volume  qu'elle  nous  a  laissé 
contient  trois  Élégies  dont  le  privilège  ne  dit  mot, 

DEBAT  DE  FOLIE  ET  D'AMOVR. 

5.  —  Voyez  sur  le  mérite  et  le  sujet  de  cette  composition 
ingénieuse,  et  sur  les  imitations  qui  en  ont  été  faites,  la  No- 
tice sur  Louise  Labé,  et  les  notes  que  j'y  ai  ajoutées. 

DISCOVRS  I. 

6.  —Et  rauir  les  filles  h  leurs  mères,  page  9.  —  Allusion  à 
l'enlèvement  de  Proserpine,  fille  de  Cérès,  par  Pluton,  dieu 
des  enfers. 

7. — //  n^y  ha  œil  d^ Aigle  ^  ou  de  serpent  Epidaurien ,  qui  me 
sache  apevceuoir,  page  II.  —  On  sait  que  l'aigle  a  la  vue  très  per- 
çante. Il  en  est  de  même  du  serpent.  Celui  d'Épidaure  étoit  con- 
sacré à  Esculape,  comme  le  symbole  de  la  vigilance  nécessaire 
aux  médecins.  Louise  Labé  a  emprunté  l'expression  dont  elle 
s'est  servie  à  Horace  (liv.  I,  Sat.  5,  v.  26  et  27): 

Cur  in  amicorum  vitiis  tam  cernis  acutum, 
Quam  aut  aqiiila  aut  serpens  Epidaui'ius 

OU  plutôt  à  Érasme,  qui  a  mis  en  prose  ces  deux  vers  d'Horace 
dans  sonEncomium  Mori»  (Éloge  de  la  Folie).  Voyez  page  28 
de  l'édition  d'Amsterdam,  Henri  Wetsten ,  i685,  in-12,  où  on 
lit  :  «  Ut  qui  in  amicorum  vitiis  tam  ccrnunt  acutum,  quam  aut 
«  aquila  aut  serpens  Epidaurius.»  D'autres  rapprochements  que  je 
ferai  plus  bas,  prouveront  que  notre  aimable  Lyonnoise  avoit 
lu  avec  fruit  l'ouvrage  du  savant  Hollandois. 

8. — Et  ne  plus  ne  moins  que  le  Caméléon ,  ie  pren  quelquefois 
lasemblance  de  ccus  auprès desquelz  ie  suis,  mèmepage.  —  C'étoit 
autrefois  une  opinion  très  accréditée  que  le  caméléon  prenoit  la 
couleur  des  objets  dont  il  s'approchoit;  et  de  là  est  venu  l'usage 
de  comparer  à  ce   reptile  les  hypocrites  et  les  flatteurs.  «  Le 


itiS  NOTES. 

«  flatteur,  dit  Plutarque,  pareil  au  caméléon,  qui  peut  revêtir 
«  toutes  les  couleurs,  excepté  la  blanche.»  (Traité  de  la  ma- 
nière de  discerner  un  flatteur,  page  29,  trad.  de  DîJTllEiL.)  On 
connoît  ce  vers  de  La  Fontaine  sur  les  courtisans: 

Peuple  Caméléon ,  peuple  singe  du  maître. 

(Livre  VIII,  fable  l4  ) 

Mais,  d'après  les  observations  de  nos  naturalistes  modernes,  qui 
préfèrent  la  vérité  aux  fictions  même  les  plus  ingénieuses,  les  an- 
ciens se  trompoient  :  le  Caméléon  n'a  point  la  propriété  qu'on 
lui  supposoit,  et  ce  fait  doit  être  mis  au  nombre  des  erreurs 
de  la  fabuleuse  antiquité  avec  le  prétendu  chant  du  cygne  mou- 
rant, et  la  prudente  prévoyance  de  la  fourmi  qui,  disoit-on, 
faisoit  des  provisions  en  été  pour  se  nourrir  pendant  l'hiver. 

9.  —  Tu  as  fait  aymer  lupiter  :  mais  ie  Vay  fait  transmuer 
en  Cîgne  j  en  Taureau  ^  en  Or  ^  en  Aigle  :  en  danger  des  plu- 
massierSj  des  loups,  des  larrons^  et  chasseurs,  page  12. — La  Folie 
se  dit  l'auteur  des  métamorphoses  de  Jupiter  :  Jupiter,  dans 
Lucien  (11.^  Dialogue  des  dieux),  impute  ces  métamorphoses 
à  l'Amour  :  «Examine,  petit  scélérat,  si  c'est  peu  de  chose  que 
«  les  outrages  que  tu  me  fais,  car  il  n'est  rien  en  quoi  tu  ne 
«  m'aies  transformé,  satyre,  taureau,  or,  cygne,  aigle.»  (Trad, 
de  Belin  de  Ballu.) 

La  phrase  entière  de  Louise  Labé  peut  s'appeler  une  phrase 
rapportée:  les  plumassiers  se  réfèrent  au  oigne,  les  loups  au 
taureau,  les  larrons  à  l'or,  et  les  chasseurs  à  Vaigle.  Ln  in- 
connu, dans  l'Anthologie  de  Planude  (1.  i,  c.  38,  ép.  2),  a 
employé  le  même  genre  de  figure  pour  indiquer  les  maîtresses 
de  Jupiter  et  les  métamorphoses  qu'il  avoit  subies  pour  cha- 
cune d'elles.  C'est  un  distique  qui  a  été  ainsi  rendu  en  latin  : 
Fit  cycnus  ,  taurus,  satyrus,  fit  Jiippiter  aurum, 
Ob  Ledam,  Europen,  Antiopeii,  Danaën. 

(  Hier.  Angerianus.  ) 
Le  cygne  répond  à  Léda,  le  taureau  à  Europe ^  le  satyre  à  An-- 
tiope ,  etl'o?-  à  Donné.  M.  Peignot,  dans  ses  Amusements  philo- 


NOTES.  i59 

logiques,  sans  conti^edit  le  meilleur  des  Ana  (page  i32  de  la 
seconde  édition,  Dijon,  1824?  in-S."),  cite  plusieurs  exem- 
ples de  vers  rapporte's  ;  il  auroit  pu  ajouter  le  distique  qu'on  vient 
d-e  lire. 

10. —  Qui  fit  prendre  Mars  au  piège  auec  ta  mère,  si  non 
moy^  (fui  Vauois  rendu  si  mal  auisé ,  fjue  ■venir  faire  un  poure 
mari  cocu  dedens  son  lit  mesme  y  page  12.  —  Rien  de  si  connu 
que  cette  fable,  racontée  d'une  manière  très  piquante  par  Ovide, 
de  Arte  amatoriâ  (il,  56i  et  seq.),  et  par  Lucien  (xviri.*  Dia- 
logue des  dieux),  et  sur  laquelle  roule  l'épigramme  suivante, 
due  à  un  poète  du  t«mps  de  Marot,  ou  peut-être  à  Marot  lui- 
même  : 

Mars  et  Venus  furent  tous  deux  surpris 
Par  Vulcanus  couchez  dedans  un  lict. 
Qui  de  liens  qu'il  forgea,  les  a  pris. 
Puis  aux  hauts  Dieux  va  conter  leur  delict. 
Là  viennent  tous  :  lors  un  d'eux  riant  dit: 
Mon  compaignon,  si  tu  te  sens  fasché 
De  CCS  liens ,  dont  tu  es  attaché , 
Je  suis  content  de  les  porter  pour  toy  : 
Que  pleust  aux  Dieux  que  sans  estre  caché , 
J'eusse  m'amie  ainsi  auprès  de  raoy. 

Quant  à  l'emploi  du  mot  cocu,  qu'un  auteur,  et  surtout  une 
femme,  ne  se  permettroit  pas  aujourd'hui,  nous  renverrons  à 
ce  que  nous  avons  dit  sur  l'ancienne  liberté  du  langage  dans 
une  des  notes  qui  accompagnent  la  Notice  de  M.  Cochard;  nous 
ajouterons  seulement  une  citation  qui  complétera  notre  pensée, 
et  qui  pourra  servir  aussi  à  justifier  Louise  Labé  et  son  siècle: 
•«  Le  mot  de  cocu  si  souvent  employé  par  ces  deux  auteurs  (  Mont- 
«  fleury  et  Molière),  mais  surtout  par  le  premier,  est  depuis 
«  long-temps  proscrit  au  théâtre,  et  même  dans  la  société.  Ce 
«  n'est  pas  qu'il  y  en  ait  moins  :  c'est  au  contraire  parce  qu'il 
«  y  en  a  davantage;  car  plus  la  société  est  corrompue,  plus  on 
«  est  attentif  à  proscrire  tous  les  termes  qui  en  rappellent  les 
«  dérèglements.»  (L'abbé  Sabatier,  les  Trois  Siècles,  article 
Montfleury.) 


iGo  NOTES. 

11.  —  Défendre  sa  querele  iniuste  contre  toute  la  Grèce  ^  P'^ge 
12.  —  C'est  le  sujet  de  l'Iliade. 

12.  —  Qui  ust  parlé  des  Amours  de  Dido ,  même  page. —  C'est 
le  sujet  du  IV.^  livre  de  l'Éne'ide. 

13.  —  Mile  autres  hôtesses  qui  font  plaisir  aus  passans,  pagei5. 
—  Brantôme  parle  quelque  part  d'une  Romaine  complaisante 
(Lucia  Hostilia,  femme  de  Caligula),  qui  faisoit  à  un  amant 
«  quelque  plaisir  et  gracieuseté  de  son  gentil  corps.  » 

i4.  —le  crois  qu^ aucune  mencion  ne  serait  d^Artemise ^  si  ie 
ne  lui  usse  fait  boire  les  cendres  de  son  mari ,  même  page.  — Ar- 
témise,  sœur  et  femme  de  Mausole,  roi  de  Carie,  ayant  perdu 
son  époux,  lui  fit  élever  un  superbe  monument  qu'on  appela  le 
Mausolée  ^  et  que  l'on  comptoit  au  nombre  des  sept  merveilles 
du  monde.  Parmi  les  marques  qu'elle  donna  de  son  désespoir, 
on  raconte  qu'elle  parfuma  d'essences  les  cendres  de  Mausole, 
les  mit  dans  de  l'eau,  et  les  .avala.  Voy.  Hérodote,  Histoire 
(liv.  vu),  et  Aulugelle,  Nuits  Attiques  (liv.  X,  c.  i8).  Jacques 
Yver  ,  dans  son  Printemps  d'Yver,  Paris,  lôys,  in-i6,  fol. 
109  v.**,  dit  en  parlant  d'une  uefue  nommée  Carite,  «  qu'elle 
«  portoit  son  époux  mieux  au  cueur  que  ceste  Royne  Artemise, 
«  qui  beuuant  les  cendres  de  son  mary,  luy  bastit  en  sa  poi- 
«  trine  un  si  précieux  tombeau.» 

l5.—  Tu  as  ofensé  la  Royne  des  hommes ,  page  14. — I^a  jolie 
édition  de  l'Éloge  de  la  Folie,  traduit  du  latin  d'Érasme,  par 
M.  Gueudeville  (  traduction  revue  et  presque  entièrement  re- 
faite par  de  Querlon),  1762,  petit  in-12,  est  terminée  par  un 
cul  de  lampe  représenlant  la  Folie  appuyée  sur  le  globe  du 
monde,  et  assise  sur  un  trophée  composé  de  sceptres,  de  cou- 
ronnes et  de  plusieurs  autres  attributs,  et  au  bas  duquel  on  lit 
ces  mots  dans  un  cartouche  :  «  La  Pazzia  regina  del  moudo.  >» 
Le  peintre  n'a  point  oublié  la  marotte  qu'on  fait  tenir  ordinai- 
rement à  cette  reine  du  monde ^  en  guise  de  sceptre,  non  plus 
que  les  grelots  dont  on  garnit  ses  vêtements.  J'ajouterai,  puis- 
que l'occasion  se  présente,  que  César  Ripa,  dans  son  Iconolo- 


NOTES.  i6i 

•le,  dt^peint  autrement  la  Folie  :  il  lui  donne  la  figure  d'une 
femme  jetée  à  terre,  riant  aux  éclats,  et  ayant  à  la  main  une 
lune,  parce  que  les  changements  de  ce.t  astre  exercent,  dit-il, 
une  grande  influence  sur  les  fous, 

16.  —  O  ciu^ll  n'est  pas  dit  sans  cause ,  qii'il  ne  faut  point  re- 
ccuoir  présent  de   la  main  de  ses  ennemis ^  page  x5.  —  Louise 
Labé  vouloit  rappeler  le  fameux  vers  de  Virgile  (Enéide ,  II,  49)  • 
.......  Timeo  Danaos  et  doua  ferentes, 

et  ce  proverbe  des  Grecs  :  Echthrôn  adora  dora ,  qui  perd  toute 
la  grâce  de  son  expression  dans  la  traduction  latine  :  Hostium 

munera  non  muucra. 

w 

^  DISCOVES  ni. 

xj,  — Quand  le  fier  Diomcde  me  naura  ^  P^g^  i9» — ^oj*  Ho- 
mère (Iliade);  Virgile  (Enéide,  xr,  276  et  277). 

18.  —  Pour  sauuer  mon  fils  Enee  ^  même  page.  —  Voy.  Vir- 
gile (Enéide,  passim). 

19.  —  Si  mes  pleurs  pour  la  mort  de  mon  yldonis  te  murent  a 
compassion,  même  page. — Adonis,  né  du  commerce  incestueux  de 
Myrrlia  avec  son  père  Cynire,  fut  passionnément  aimé  de  Vé- 
nus. Grand  amateur  de  la  chasse,  il  fut  déchiré  par  un  sanglier. 
Descendu  aux  enfers,  il  s'y  fit  aimer  de  Proserpine;  et  lorsque 
Vénus  eut  obtenu  son  retour  à  la  vie,  l'épouse  de  Pluton  refusa 
de  le  rendre  au  jour.  Le  père  des  dieux  ne  voulant  mécontenter 
aucune  des  deux  déesses,  les  renvoya  au  jugement  de  la  muse 
Calliope,  qui  partagea  le  différend,  en  ordonnant  qu'Adonis  se- 
roit  alternativement  avec  l'une  et  l'autre  déesse.  Les  Heures 
furent  aussitôt  députées  aux  enfers  ,  pour  ramener  Adonis  à 
Vénus.  Celle-ci  manqua  bientôt  à  la  convention  ;  ce  qui  causa 
entre  ces  déesses  une  grande  querelle.  Enfin  Jupiter  la  termina, 
en  ordonnant  qu'Adonis  seroit  libre  quatre  mois  de  l'année, 
qu'il  en  passeroit  quatre  avec  Vénus  et  le  reste  avec  Proserpine. 
Théocrite  et  Moschus  ont  composé  chacun  une  idylle  sur  la 
mort  d'Adonis,  dont  M.  Servan  de  Sugny,  de  Lyon,  a  donné 


i62  NOTES. 

d'élégantes  traductions,  pages  148  et  23i  de  ses  Idylles  de  The'o- 
crite  ,  traduites  en  vers  François,  Paris,  1822,  in-18. 

(La  plupart  des  détails  sur  Adonis,  contenus  dans  cette  note, 
sont  tirés  du  Dictionnaire  de  la  Fable  de  M.  Noël.  Nous  con- 
tinuerons à  puiser  dans  cet  excellent  livre,  quelquefois  même 
sans  en  prévenir,  les  explications  mythologiques  dont  le  texte 
de  Louise  Labé  nous  paroîtra  avoir  besoin.) 

20.  —  Croyez  que  si  elle  'vous  ha  fait  tort,  que  telle  punicion 
en  sera  faite ,  etc.,  page  20.  —  Cette  phrase  seroit  irrégulière 
aujourd'hui,  et  devoit  l'être  aussi  du  temps  de  Louise  Labé  : 
le  second  que  y  est  de  trop. 

o 
DISCOVRS  IIII.  ^ 

21.  —  Tout  le  bien  qu^ay  reçu,  Vay  plus  tôt  à  par  force  et 
Jinesse,  que  par  amour,  page  il\.  —  Jupiter  adresse  à  l'Amour 

la  même  plainte  dans  le  ii.^  Dialogue  des  dieux  de  Lucien. 
Louise  Labé  avoit  certainement  ce  dialogue  sous  les  yeux,  lors- 
qu'elle écrivoit  son  Discours  IV ,  car  on  y  retrouve  le  même 
sujet  et  les  mêmes  pensées.  La  ressemblance  est  frappante.  Il 
est  donc  à  présumer  que  la  Belle  Cordière  avoit  dans  sa  librairie 
un  Lucien,  sinon  tout  grec,  du  moins  avec  une  traduction  latine  : 
il  n'en existoit point  encore,  que  je  sache,  de  traduction  complète 
en  langue  vulgaire.  Quelques-uns  des  ouvrages  du  philosophe 
de  Samosate  avoient  été  translatés  en  françois  par  Simon  Bour- 
goin,  Gilles  d'Aurigny,  Loys  Mcigret,  Estienne  Forcadel,  An- 
toine Crappier,  etc.;  mais  les  Dialogues  des  dieux  ne  faisoient 
pas  partie  de  ces  translations ,  Il  seroit  néanmoins  possible  que 
le  second  de  ces  dialogues  fût  du  nombre  des  trente  Dialogues 
moraux  de  Lucien,  dont  Geoffroy  Tory,  au  rapport  de  du  Ver- 
dier,  avoit  publié  la  traduction  à  la  suite  de  celle  de  la  Table 
de  l'ancien  philosophe  Cebcs,  Paris,  Jean  Petit,  1629,  in-12. 

22,  —  yimour  se  plait  de  choses  égales ,  page  25.  —  Ceci  rap- 
pelle la  jolie  pensée  de  Minucius  Félix  sur  l'amitié  :  «  Ami- 
«  citia  pares  semper  aut  accipit,  aut  facit.  »  —  «Toujours  l'a- 


NOTES.  i63 

«  mitie  nous  trouve  ou  nous  rend  égaux.  »  Le  nouveau  traduc- 
teur de  rOctavius,  M.  Pericaud  aîné,  nous  apprend  dans  une 
note,  que  cette  même  pensée  est  une  des  sentences  de  Publius 
Syrus  ;  et  il  cite  le  mot  de  Pythagore  :  «  Entre  amis  tous  les 
«  biens  sont  communs,  et  Tamilié  est  un  commerce  d'égalité.» 
(Cicéron,  de  Leg.  i,   12.) 

23.  —  Ce  nest  quhm  ioiig ,  lequel  faut  qu^il  soit  porté  par  deus 
Taureaus  semblables  :  autrement  le  harnols  n'ira  pas  droit ,  page 
25.  —  Ce  que  Louise  Labé  dit  d'une  liaison  amoureuse,  Oyide 
(Héroïd.  IX,  29-32)  le  dit  du  mariage: 

Quam  maie  inaequalcs  veniant  ad  aratra  juvencî, 

Tam  premltur  magno  conjuge  nupta  minor. 
Non  honor  est,  sed  onus  :  species  lœsura  ferenteni. 

Si  qua  voles  apte  nubere  ,  nube  pari; 

passage  qu'avoit  en  vue  Jacques  Yver,  dans  son  Printemps  d'Yver 
(1672,  fol.  IL2  rect. ),  où  on  lit  :  «  Car  encor  qu'on  die  que  ce 
«  u'estpas  vice  d'aimer  en  bon  lieu,  si  est-ce  qu'il  me  semble  (sui- 
«  uant  l'auis  de  Deianire  en  Ouide)  que  comme  pour  tirer  bien 
«  une  charrue,  faut  apparier  des  bœufs  les  plus  esgaux  en  gran- 
«  deur  de  corps  et  en  force  qu'on  puisse  trouver,  afin  qu'ils 
«  aillent  d'un  mesme  front  au  labeur  :  ainsi  en  mariage  doit 
«  auoir  une  égalité  la  plus  parfaite,  et  unanimité  la  plus  en- 
«  tiere  qu'on  puisse  trouuer  :  autrement  l'un  ne  sert  à  l'autre 
«  que  d'espine  au  pied,  pour  l'empescber  de  s'aduancer.  » 

24.  —  Quand  tu  'voud  as  estre  aymè^  descens  en  bas^  laisse  ici 
ta  couronne  et  ton  sceptre ,  et  ne  dis  qui  tu  es  y  même  page.  —  C'est 
le  conseil  que  donne  aussi  l'Amour  à  Jupiter  dans  le  n.*  Dia- 
logue des  dieux  de  Lucien  :  «  Si  tu  veux  devenir  aimable,  cesse 
«  d'agiter  ton  égide  et  de  porter  ta  foudre,  etc.» 

25.  —  Tu  dis  beaucoup  de  raisons  :  mais  il  y  faut  un  long 
temps  y  une  sugeccion  grande  ^  et  beaucoup  de  passions ,  page  26. 
—  Jupiter  répond  aux  mêmes  raisons  dans  le  Dialogue  de  Lu- 
cien ci-dessus  cité  :  «  Je  veux  aimer,  mais  je  veux  jouir  plus 
«  commodément  de  mes  amours.  >» 


i64  NOTES, 

DISCOVRS  V. 

a6.  —  Amour,  la  vrnye  ame  de  tout  VJ^nwers ,  page  27.  — > 
«  Amour,  désir  inné!  âme  de  la  nature!  principe  inépuisable 
«  d'existence!  puissance  souveraine,  qui  peux  tout,  et  contre 
«  laquelle  rien  ne  peut;  par  qui  tout  agit,  tout  respire,  et  tout 
«  se  renouvelle!  divine  flamme!  germe  de  perpétuité  répandu 
«  dans  tout  avec  le  souffle  de  la  vie!  précieux  sentiment,  qui 
«  peux  seul  adoucir  les  cœurs  féroces  et  glacés,  en  les  péné- 
«  trant  d'une  douce  chaleur!  cause  première  de  tout  bien,  de 
«  toute  société,  qui  réunis  sans  contrainte  et  par  tes  seuls  at- 
«  traits  les  natures  sauvages  et  dispersées  !  source  unique  et  fé- 
«  conde  de  tout  plaisir,  de  toute  volupté!  Amour!  comment 
«  ne  t'auroit-on  pas  divinisé?»  (Buffon.) 

27.  — De  tous  aymé  j  page  29.  —  Nous  avons  préféré  cette 
leçon  de  l'édition  de  i556,  in-8.°,  à  celle  de  toutes  les  autres 
éditions  :  De  tout  aymé. 

28.  —  Les  roues  des  enfers  soutiennent  elles  une  ame  plus  dé- 
testable que  cette  cy!  même  page. — Allusion  au  supplice  d'fxion 
attaché  dans  les  enfers  à  une  roue  environnée  de  serpens,  qu'il 
devoit  rouler  sans  relâche. 

2Q,  —  Les  montaignes  de  Sicile  couurent  elles  de  plus  exé- 
crables personnes  !  même  page.  —  Allusion  au  châtiment  infligé 
au  «^éantBriarée,  que  Jupiter  accabla  du  poids  de  l'Etna,  mon- 
tagne de  Sicile. 

5o.  —  Les  Scythes  deïjierent  Pylade  et  Oreste ,  et  leur  dres- 
sèrent temples  et  autels,  les  apelans  les  Dieus  d'afnitié ,  page  Sa, 
—  Ceci  est  tiré  du  dialogue  de  Lucien,  intitulé,  Toxaris ,  ou 
de  l'Amitié.  Voy.  pages  ii3-i74  du  tom.  m  de  la  traduction 
de  Lucien,  par  Belin  de  Ballu. 

3i.  —  Les  uns  le  faisant  sortir  (l'Amour)  de  Chaos  et  de  la 
Terre,  même  page.  —Voy.  Hésiode  (Théogonie,  vers  le  com_ 
mencement), 

32.  —  Les  autres  du  Ciel  et  de  la  JYuit ,  même  page.  —  Selon 


NOTES.  i65 

Aristophane  (les  Oiseaux,  acte  ii),  la  Nuit  pondit  un  œuf, 
qu'elle  couva  sous  ses  ailes  noires,  et  d*où  sortit  l'Amour  avec 
des  ailes  d'or;  mais,  suivant  le  même  auteur,  ce  ne  fut  pas  le 
Ciel  qui  féconda  la  Nuit,  ce  fut  l'Erèbe. 

33.  —  aucuns  de  Discorde  et  de  Zephyre ,  page  32.  — C'est  la 
naissance  que  lui  donnoit  Alcée. 

34.  —  yiutres  de  p^enus  la  fraye  mère ,  même  page.  —  Cette 
opinion  sur  la  filiation  de  l'Amour  étoit  la  plus  répandue  ;  mais 
on  varioit  sur  le  père  qui  l'avoit  engendré  de  Vénus.  Suivant 
Sappho,  c'étoit  Coelus  ;  suivant  Sénèque,  Vulcain;  suivant  Si- 
monide  et  le  plus  grand  nombre  des  poètes,  Mars.  Il  existoit 
encore  sur  ce  point  d'autres  versions,  sur  lesquelles  nous  ren- 
voyons à  la  Mythologie  de  Noël  le  Comte  (1.  JV,  c  i4),  ou  au 
Dictionnaire  de  la  Fable,  de  M.  Noël,  au  mot  Cupidon. 

35.  —  Les  Grecs  d'un  seul  surnom  cju'its  t'ont  donné ,  lupiter^ 
Vapelant  amiable ,  P^gG  33.  — Les  Grecs  donnoient  à  Jupiter  le 
surnom  dePkilius^  et  l'adoroient  sous  cette  dénomination  comme 
présidantà  l'amitié.  Voy.  le  Toxaris  de  Lucien,  et  Suidas  (Lexic. , 
V.**  Philios), 

36.  —  Plus  parfait  que  les  premiers  hommes  du  banquet  de 
Platon^  même  page.  «  Les  dieux,  dit  Platon  dans  son  dialogue 
«  du  Banquet,  avoient  d'abord  formé  l'homme  d'aune  figure 
«  ronde,  avec  deux  corps  et  les  deux  sexes.  Ces  deux  hommes 
«  étoient  d'une  forme  si  extraordinaire,  qu'ils  résolurent  de  faire 
«  la  guerre  aux  dieux.  Jupiter  irrité  fut  sur  le  point  de  les  faire 
«  périr;  mais,  fâché  de  détruire  le  genre  humain,  il  se  contenta 
«  de  les  partager  en  deux  pour  les  affaiblir,  afin  qu'ils  n'eussent 
«  plus  désormais  ni  tant  de  force,  ni  tant  d'audace.  Apollon 
«  fut  chargé  d'ajuster  ces  deux  demi-corps,  et  le  nombril  est 
«  l'endroit  où  ce  Dieu  en  arrêta  et  noua  les  peaux.  »  Voy. 
M.  Noël,  Dictionnaire  de  la  Fable,  au  mot  Androgynes, 

37.  —  Qui  ne  dira  bien  de  V amour  fraternelle ,  ayant  -veu  Cas- 
tor et  Pollux ,  Vun  mortel  estre  fait  immortel  à  moitié  du  don 
de  son  frère!  même  page.  — De  ces  deux  frères  éclos  de  l'œuf  do 


iC6  NOTES. 

Lé;la,  avec  Hélène  et  Clytemnestre,  l'un  (Castor)  étoit  fils  de 
Tyndare,  et  par  conséquent  mortel  i  l'autre  (Pollux)  étoit  fils 
de  Jupiter,  et  immortel  comme  son  père.  Castor  ayant  été  tué 
par  Lyncée,  Pollux  demanda  pour  lui  l'immortalité  à  Jupiter; 
mais  cette  prière  ne  pouvant  être  exaucée,  l'immortalité  fut 
partagée  entre  eux,  de  sorte  qu'ils  vivoient  et  mouroient  alter- 
nativement. 

38.  —  Car  peu  de  frères  sont  de  telle  sorte,  page  34» 

Fratrum  quoque  gratia  rara  est. 

(  OviD.  IMetam.  i ,  i45.) 

Cependant,  suivant  un  poète  moderne  (  LegouvÉ,  Étéocle  et 
Polynice), 

Un  frère  est  un  ami  donné  par  la  nature. 

3g.  — -  Comme  lonathas  sauna  la  -vie  de  David ,  même  page. 
—  Il  est  un  peu  choquant  de  voir  citer  des  noms  de  l'histoire 
sainte  dans  un  sujet  mythologique;  mais  ce  qui  peut  servir  à 
excuser  Louise  Lahé,  c'est  que  des  écrivains  justement  célèbres 
ont  poussé  beaucoup  plus  loin  cette  faute  de  goût,  puisqu'ils 
ont  mis  eu  action,  dans  les  mêmes  poèmes,  des  dieux  de  la 
fable  et  des  personnages  de  la  Bible.  Ce  mélange  monstrueux 
est  l'objet  des  reproches  que  la  critique  adresse  en  particulier  au 
poème  De  Partu  Virginis  de  Sannazar,  et  à  la  Lusiade  du  Ca- 
moëns.  «  On  se  rebute,  dit  L.  Racine  en  parlant  du  premier  de 
«  ces  ouvrages  (préface  du  poème  de  la  Religion),  d'entendre 
«  les  merveilles  saintes  dans  la  bouche  de  Protée,  le  catalogue 
«  des  Néréides  qui  environnent  J.  C,  lorsqu'il  marche  sur  les 
«  eaux;  et  l'on  méprise  les  hommages  que  lui  rend  Neptune, 
«  lorsqu'à  son  aspect  il  baisse  son  trident.  »  On  éprouve  le 
même  sentiment  en  lisant  la  Lusiade,  lorsqu'on  y  voit  «Vénus, 
«  secondée  des  conseils  du  Père  éternel  et  aidée  des  flèches 
«  de  Cupidon,  rendre  les  Néréides  amoureuses  des  Portugais; 
«  lorsque  ceux-ci,  après  la  conquête,  travaillent  à  la  propaga- 
«  tion  de  la  foi,  la  même  déesse  se  charger  du  succès  de  l'en- 
«  treprise,  et  ailleurs  Bacchus  voulant  leur  faire  accroire  qu'ils 


NOTES.  167 

«  abordent  dans  une  île  amie  et  chrétienne,  y  dresser  un  autel 
«  pour  les  mieux  tromper,  leur  présenter  des  images  du  S.  Es- 
«  prit,  de  la  Vierge  et  des  Apôtres,  et,  prosterné  lui-même, 
M  brûler  dévotement  de  l'encens  en  l'honneur  du  vrai  Dieu.  » 

4o. — Dire  Vhistoire  de  Pythias  et  Damoriy  page  34- —  L'his- 
toire de  Pylhias  {al.  Phintias)  et  de  Damon  se  trouve  partout, 
notamment  dans  le  recueil  de  Valère-Maxime  (1.  iv,  c.  7). 

4i.  —  De  celui  qui  quitta  son  espouse  a  son  ami  la  première 
nuit  y  et  s' et7  fuit  vagabond  par  le  monde,  même  page. — J'ignore 
où  Louise  Labé  avoitlu  cette  histoire  :  du  moins  je  ne  me  sou- 
yiens  pas  de  l'avoir  vue  dans  aucun  écrivain  antérieur.  Le  joli 
roman  d'Eliezer  et  Nephtaly,  ouvrage  posthume  de  Florian,  et 
que  cet  aimable  auteur  intitule,  Poème  traduit  de  l'hébreu,  roule 
sur  un  trait  semblable  de  dévouement  et  de  générosité.  Éliezer 
vcnoit  d'épouser  Rachel,  dont  il  étoit  vivement  épris,  lorsqu'il 
découvrit  par  hasard  qu'elle  étoit  aimée  de  son  frère  Nephtaly, 
Il  laissa  sur  le  bord  des  eaux  ses  vêtements  souillés  de  limon, 
pour  que  l'on  ne  doutât  point  de  sa  mort,  et  pour  que  la  loi 
prescrivît  à  Nephtaly  de  devenir  l'époux  de  sa  veuve,  et  il  s'é- 
loigna et  disparut  pendant  neuf  ans. 

42.  —  raliegueray  le  dire  d'un  grand  Roy ,  même  page.  ^ 
Ce  grand  roi  est  Darius,  roi  de  Perse.  Le  mot  que  Louise  Labé 
rapporte  de  ce  prince,  est  tiré  des  Apophthegmes  de  Plutarque. 
Voy.  ses  Œuvres  morales,  traduites  en  frauçois,  par  l'abbc 
Ricard  (tome  II,  pag.  36i). 

43.  —  T^n  Scythe  demandant  en  mariage  une  fille  ^,,,.  dit  qu'il 
n*a\>oit  autre  bien  que  deus  amtV,  même  page. — Ce  Scythe  se  nom- 
moit  Arsacomas,  et  ce  fut  àLeucanor,  roi  du  Bosphore,  dont  il 
demandoit  la  (ille,  qu'il  fit  cette  belle  réponse.  Voy.  le  Toxaris 
lie  Lucien  (page  167  du  tome  m  de  la  traduction  des  (Euvres 
de  Lucien,  par  Belin  de  Ballu). 

44' — ^^  sauua  Ariadne  la  r>ie  à  Thesee,  même  page. — Ariane 
(c'est  ainsi  que  nous  avons  francisé  ce  nom),  fille  de  Minos, 
roi  de  Crète,  charmé  de  la  bonne  mine  de  Thésée,   venu  pour. 


i63  NOTES. 

combattre  le  Minotaure,  lui  donna  un  peloton  de  fil,  à  la  fa- 
veur duquel  il  sortit  du  labyrinthe.  (Dictionnaire  de  la  Fable, 
art.  Ariane). 

45.  —  Hypermnestre  à  Lyncee  ,  page  34»  —  Hypermuestre , 
une  des  cinquante  Danaïdes ,  fut  la  seule  qui  eut  horreur  d'exé- 
cuter l'ordre  de  son  père.  Celui-ci  leur  avoit  fait  jurer  d'égorger 
leurs  maris  la  première  nuit  de  leurs  noces.  Au  lieu  de  tenir  son 
serment,  Hypermnestre  procura  à  Lyncée  son  époux  les  moyens 
de  s'évader.  (Dictionnaire  delà  Fable,  art.  Hypermnestre). 

46.  —  Se  couchent  en  chapon  le  morceau  au  bec ,  page  35.  — - 
C'est-à-dire,  se  couchent  ayant  encore  le  morceau  à  la  bouche, 
après  avoir  soupe  d'aussi  bonne  heure  que  les  chapons  prennent 
leur  repas  du  soir.  On  retrouve  cette  expression  proverbiale 
dans  Rabelais  (Pantagruel,  1.  11,  c.  9):  «  Ce  que  feut  faict,  et 
«  mangea  tresbien  à  ce  soir,  et  s'en  alla  coucher  en  chappon 
«  et  dormir  iusques  au  lendemain  heure  du  disner,  en  sorte 
«  qu'il,  ne  feit  que  trois  pas  et  un  sault  du  lict  à  table;  »  et  dans 
le  Lii.*^  des  Arrêts  d'Amour,  ajouté  aux  précédents  par  Gilles 
d'Aurigni ,  dit  le  Pamphile  :  «Sur  ce  que  ledict  demandeur  disoit, 
«  que  combien  que  de  toute  disposition  de  droit  commun  d'a- 
«  mour  maritale,  lesdictz  maryz  soient  en  bonne  possession  de 
«  iouyr  plainement  et  paisiblement  de  leurs  femmes,  et  qu'ilz 
«  en  doiuent  auoir  l'entretien  et  dénis,  tant  après  souper  que 
«  deuant ,  et  se  puissent  tenir  sur  leurs  gardes  pour  le  péril 
«  éminent  de  leurs  dictes  femmes.  Et  se  aller  coucher  et  depar- 
«  tir  d'une  compaignie  à  telle  heure  que  bon  leur  semble,  voire 
«  en  chappon  si  mestier  est  :  à  faire  fermer  leur  porte  quand  la 
«  fantasie  et  umbraige  les  prend.  » 

47. —  On  ne  veut  iamais  'venir  a  ennui  et  lasseté ,  qui  prouient 
de  'Voir  tousiours  une  mesme  chose ,  P«*gG  ^7.  —  C'est  la  pensée 
de  ce  vers  devenu  proverbe  : 

L'ennui  naquit  un  jour  de  l'uniformité. 

(La  Motte  ) 


NOTES.  169 

48.  —  S'il  est  caché,  il  l'est  en  sorte,  que  Ion  le  cinde plus  beau 
et  délicat ,  page  38. 

Si  gua  lafx:nt,  meliora  putat 

(OviD.  Metam.  I,  5oa.) 

49.  —  TJ amoureuse  curiosité  des  hommes  fait  rechercher  la 
beauté  iusques  au  bout  des  pie z,  page  39. 

Pes  erat  exiguus,  pedis  est  aptIssimM  forma. 

(OviD.  Am.  m,  3j  7.) 

Bien  est-il  vrai  que  je  vois  à  Rosire 

Un  pied  mignon,  et  pied  mignon  veut  dire; 

Il  est  joli. 

(PlCARDET,  de  Dijon.) 

50.  —  Les  fleurs  que  tu  Jlz,  6  Tupiter ,  nailre  es  mois  de  Van 
les  plus  chaus ,  sont  entre  les  hommes  faites  hybernalles ,  même 
page.  —  Déjà  du  temps  de  Domitien,  on  avoit  trouvé  le  secret 
de  faire  fleurir  à  Rome  les  roses  pendant  l'hiver;  et  Martial 
donne  aux  roses  obtenues  par  ce  moyen  l'épithète  dont  se  sert 

"Louise  Labé  ;  il  les  appelle  aussi  hybernalles  :  Hybemas  rasas 
(Vf,  80). 

5i.  —  Leur  départir  plus  de  chaleur  que  le  pais  ne  le  requer" 
roit y  même  page. — Louise  Labé  veut  parler  des  serres  chaudes 
dont  l'invention  est  fort  ancienne.  Voy.  Martial  (viir,  68). 

52.  —  Pauanes,  passemeses,  gaillardes,  même  page.  —  Ces  dif- 
férents mots  seront  expliqués  dans  le  Glossaire.  Il  existe  un  ou- 
vrage fort  rare,  que  je  n'ai  pu  me  procurer,  intitulé  :  Recueil 
de  chansons,  bransles,  gaillardes,  voltes,  courantes,  pauancs, 
romanesques  et  autres  espèces  de  poésie,  propre  pour  la  récréa- 
tion des  cœurs  melandlloliques,  par  les  bien  disants  Poètes  de 
notre  temps,  Paris,  Montreuil,  1679,  2  vol.  in-12. 

53.  —  Dequoy  allège  un  iwyageur  son  trauail ,  que  lui  cause 
le  long  chemin ,  qu'en  chantant  quelque  chanson  d' amour ,  page  /\0, 

Gantantes  licet  usquc  (minus  via  laedet)  camus. 

(VlRGIL.  EclOg.  IX,  64.) 

5^,-^  Ainsi  passait  son  chemin  Apulée ,  quelque  Filozofe  qu'il 


170  INOTES. 

Just,  page  4o'  —  Apulée,  philosophe  platonicien,  ne'  à  Ma- 
(laure  en  Afrique,  et  qui  florissoit  sous  les  Antonins,  a  com- 
posé en  latin  l'Ane  d'or,  espèce  de  roman  plein  d'aventures 
amoureuses,  et  des  poésies  erotiques  qui  ne  sont  pas  parvenues 
jusqu'à  nous.  Il  fut  accusé  de  sortilège  pour  avoir  inspiré  une 
vive  passion  à  une  femme  nommée  Pudentilla,  plus  âgée  que 
lui,  et  qu'il  épousa.  Voyi  ses  Œuvres,  et  particulièrement  son 
Apologie. 

55.  —  N'est  ce  pas  Amour  l  lequel  semble  estre  le  su  g  et ,  du- 
quel tous  Poètes  -veulent  parler ,  même  page.  «  Qui  estera  aux 
«  Muses  les  imaginations  amoureuses,  leur  desrobbera  le  plus  bel 
«  entretien  qu'elles  ayent  et  la  plus  noble  matière  de  leur  ou- 
«  uragc  :  et  qui  fera  perdre  à  l'Amour  la  communication  et  ser- 
ti uice  de  la  poésie,  l'afToiblira  de  ses  meilleures  armes.»  (Moiv- 
TAiGNE,  Essais,  III,  5.)«L'Amour  est  celui  de  tous  les  Dieux  qui 
«  sait  le  mieux  le  chemin  du  Parnasse.  »  (Raciive,  Lettre  V  £^ 
M.  Vitart.  ) 

De  cette  passion  la  sensible  peinture 

Est  pour  aller  au  cœur  la  route  la  plus  sure. 

(BoiLEAU,  Art  poét.,  ch.  m.) 

56. —  Celui  qui  ha  à  le  nom  de  Sage ,  ha  descrit  ses  plus  hautes 
concepcions  en  forïiie  d'amourettes^  P^ge  I\\,  —  Socrate  fut  dé- 
claré par  l'oracle  le  plus  sage  des  hommes.  Il  a,  en  effet,  descrit 
ses  plus  hautes  concepcions  sous  la  forme  qu'indique  Louise  Labé 
(Voy.  Platon  et  Xénophon),  et  il  se  donnoit  lui-même  la  qua- 
lification de  sage  (savant,  expert,  conuoisseur)  en  matière  d'a- 
mour, Sophos  ta  erotica. 

5y,  —  Qu'a  iamais  mieus  chanté  f^ir^le ,  que  les  amours  de 
la  Dame  de  Carthage  !  même  page.  —  Il  paroît  que  Louise  Labé 
préféroit  à  tous  les  autres  ouvrages  de  Virgile  le  livre  IV  de  son 
Enéide,  où  il  chante  les  amours  de  Didon  et  d'Énée.  Ce  livre 
est,  en  effet,  sinon  le  plus  beau  titre  de  son  auteur  à  l'admira- 
tion de  la  postérité,  du  moins  une  partie  très  remarquable  d'un 
poème  qu'on  place  avec  raison  à  côté  des  plus  hauts  chefs-d'œu- 
vre de  l'esprit  humain,  l'Iliade  et  l'Odyssée  d'Homère. 


NOTES.  .  171 

58.  —  //  retournera  plus  d'une  S emiramis  f  d'une  Biblis ,  d'une 
Myrrha,  d'une  Canace ,  d'une  Phedra,  page  42.  —  Se'miramis 
conçut  un  amour  criminel  pour  son  fils  Ninias;  liiblis,  pour 
son  frère  Caunus;  Myrrha,  pour  Cynire  son  père;  Canacé,  pour 
son  frère  Macarc'e;  et  Phèdre,  pour  Hippolyte,  le  fils  de  Thésée 
son  mari.  L'histoire  ancienne  et  la  mythologie  sont  pleines  de 
ces  passions  incestueuses.  Louise  Labé  en  a  cité  les  exemples 
les  plus  célèbres. 

69.  —  lupiter  composera  tous  ces  trois  iours  en  un,  cotmne  il  fit 
les  trois  nuits,  qu'il  fut  auec  Alcmene ,  page  44«  —  Jupiter,  amou- 
reux d'Alcmène,  profita,  pour  la  tromper,  de  l'absence  d'Am- 
phitryon, roi  de  Thèbes,  son  mari,  parti  pour  une  expédition 
militaire.  Il  prit  les  traits  et  la  figure  de  ce  dernier,  et,  à  l'aide 
de  cette  métamorphose,  il  obtint  les  faveurs  de  la  reine,  qu'il 
rendit  mère  d'Hercule.  On  ajoute  que  ce  dieu  rendit  la  nuit 
plus  longue  que  les  autres,  et  que,  pour  ne  rien  changer  à 
l'ordre  de  la  nature,  il  raccourcit  le  jour  qui  suivit,  enmémoire 
de  quoi  Alcmène  porta  depuis  un  ornement  de  tête  composé  de 
trois  lunes  (Dictionnaire  de  la  Fable).  On  peut  remarquer  eu 
passant  que,  si  cette  fable  avoit  été  inventée  par  les  modernes, 
ce  n'est  pas  sur  la  tête  d' Alcmène  qu'ils  auroient  placé  l'orne- 
ment dont  il  s'agit. 

60.  —  JY'atendez  point,  lupiter....,  page  45.  —  Le  plaidoyer 
de  Mercure  qui  commence  ici,  est  plus  long  que  celui  d'Apol- 
lon; il  est  peut-être  aussi  plus  piquant;  l'un  et  l'autre  sont  une 
parodie  ingénieuse  des  usages  du  barreau.  Louise  Labé  a  fondu 
dans  le  discours  de  Mercure  la  quintessence  de  l'Éloge  de  la 
Folie  d'Érasme,  que  bien  certainement,  comme  nous  l'avons  dit 
plus  haut,  elle  avoit  dans  sa  librairie;  mais  elle  a  sagement 
exclu  tout  ce  qui  sentoit  trop  la  satire,  les  observations  causti- 
ques sur  les  mœurs  du  temps,  sur  les  moines,  le  clergé  et  la  cour 
de  Rome.  Elle  a  ajouté  beaucoup  de  choses  tirées  de  son  propre 
fond,  et  assaisonné  le  tout  d'érudition,  de  grâce  et  de  naïveté. 

61,  —  .^/  tant  aymé  la  mère,  que  n'ay  iamais  espargné  mes 


173  NOTES. 

allées  et  venues,  page  45.  —  On  sait  que  Mercure  étoit  le  mes- 
sager des  dieux,  et  que  c'est  à  lui  qu'ils  confwieut  leurs  mes- 
sages d'amour.  C'est  même  de  sou  nom  que  quelques  savaus 
dérivent  le  mot  graveleux  par  lequel  nous  désignons  cette  classe 
d'hommes  que  les  auciens  appeloient  Lenones.  L'amitié  de  Vé- 
nus et  de  Mercure  étoit  célèbre  dans  l'antiquité.  On  les  repré- 
sentoit  ensemble,  et  on  leur  bâtissoit  des  temples  communs. Voy. 
Larcher,  Me'm.  sur  Vénus,  p.  29S-9. 

6l.'^jiyans  tous  suiui  jimour  fors  Pallas ^  pa^e  4^. — Voy.  le 
Xix.^  Dialogue  des  dieux  de  Lucien. 

63.  —  Apolon,  qui  ha  si  long  tems  ou  y  les  causeurs  h  Romme  ^ 
page  47.  — Une  statue  d'ivoire  d'Apollon  décoroit  à  Rome  le 
Forum  d'Auguste,  où  l'on  rendoit  quelquefois  la  justice.  Louise 
Labé  fait  allusion  à  cette  circonstance,  de  même  que  Juvénal 
lorsqu'il  donne  à  Apollon  l'épithète  de  jurisconsulte  ; 

...Deijide  forum  jiu'isque  peritus  Apollo. 

CSat.  I  ,  128.) 

vers  que  Dusaulx  a  plutôt  paraphrasé  que  traduit ,  en  le  ren- 
dant de  cette  manière  :  «Le  forum  où  l'on  voit  la  statue  d'Apol- 
«  Ion,  si  connue  des  plaideurs.» 

64.  —  ^'^  s^ataqua  il  pas  à  H'Iars ,  qui  regardait  f^ulcan  for- 
geant des  armes,  et  tout  soudein  le  blessa,  page  48.  — Louise 
Labé  a  puisé  ce  fait  dans  une  des  plus  jolies  odes  d'Anacréon  , 
la  45'^ j  qui  a  aussi  fourni  à  J.  B.  Rousseau  le  sujet  de  sa  can- 
tate des  Forges  de  Lemnos. 

65.  —  Il  s^en  est  mis  en  son  plein  deuoir,  même  page.  —  Ou 
lit  dans  l'édition  de  i556,  in-16  :  //  ne  s'en  est  mis ,  etc.  C'est 
une  leçon  contraire  au  sens  évident  de  la  phrase. 

66.  —  jiussi  est  Folie  ieune  et  file  de  Jeunesse ,  même  page. 
—  Avant  Louise  Labé,  Érasme,  dans  son  Encomium  Moriae, 
supposoit  que  la  Folie  étoit  la  fille  de  la  Jeunesse  {yeotetes). 
Il  lui  donnoit  pour  père  Plutus,  le  dieu  des  richesses.  Suivant 
lui,  elle  ne  deyoit  pas  le  jour  au  mariage  de  ses  parents,  mais 


NOTES.  170 

elle  étoit  l'enfant  du  plaisir;  elle  étoit  venue  au  monde  dans  les 
Iles  Fortunées,  où  elle  avoit  sucé  le  lait  de  Méthé  (l'Ivresse), 
fille  de  Bacchus,  et  celui  d'Apœdia  (l'Ignorance),  fille  de  Pau: 
ftctions  alle'goriques  dont  le  sens  s'explique  de  lui-même. 

67.  —  Toymesme  ^  lupiter ,  les  apelles  pasteurs  de  Peuples ^ 
page  5i. — C'est  le  nom  que  Jupiter  donne  aux  rois  dans  Homère. 

O  vous  ,  pasteurs  d'humains  ,  et  non  pas  de  bx-ebis. 

Rois 

(La  Fontaine,  i.  x,f.  11.) 

(î%.  —  Aristole  ne  mourut  il  de  dueil,  comme  un  fol,  ne  pou- 
vant entendre  la  cause  du  Jlus  et  rejlus  de  VEuripe ,  page  Si.  — 
Ce  fait  est  rapporté  par  Strabon  (Géographie ,  1.  ix)  ;  mais  d'au- 
tres auteurs  donnent  à  la  mort  d'Aristote  une  cause  moins  ex- 
traordinaire :  ils  le  font  mourir  d'une  colique. 

69.  —  Crate ,  jetant  son  trésor  en  la  mer,  même  page. — J'a- 
vois  pensé  d'abord  que  Crate  étoit  une  faute  d'impression,  et 
qu'il  falloit  lire  Polycrate.  On  se  rappelle,  en  effet,  que  ce  tyran 
de  Samos,  inquiet  d'un  bonheur  trop  constant,  jeta  dans  la 
mer  un  anneau  du  plus  grand  prix,   qui  fut  retrouué  dans  le 
corps  d'un  poisson  destiné  à  sa  table  :  mais  je  me  trompois,  et 
au  moment  où  je  oroyois  prendre  en  défaut  l'érudition  de  Louise 
Labé,  j'ai  trouvé  dans  Diogène  Laërce  (1.  Vf,  Vie  de  Cratès), 
qu'au  rapport  de  Dioclès ,  Diogène  le  cynique  persuada  à  Cratès , 
son  disciple,  de  jeter  dans  la  mer  tout  l'argent  qu'il  pouvoit 
avoir.  Louise  Labé  ne  cite  d'ailleurs,  en  cet  endroit,  que  des 
philosophes,  Aristote,  Empédocle,  Diogène,  Aristippe;  et  Po- 
lycrate, qui  n'étoit  que  prince,  flgureroit  mal  au  milieu  d'eux, 
yo.  —  Empédocle  qui  se  fust  fait  immortel  sans  ses  sabots  d'e- 
rain,  même  page.  —  Empédocle,  philosophe,  poète  et  histo- 
rien, pour  cacher  sa  mort  et  se  faire  croire   un  dieu,  se  pré- 
cipita, dit-on,  dans  le  volcan  du  mont  Etna;  mais  le  volcan 
rejeta  une  des  sandales  d'airain  qu'il  avoit  coutume  de  porter  ; 
ce  qui  décela  sa  fraude,  et  prouva  qu'il  étoit  un  simple  mortel. 
Voy.  Diogène  Laërce,  liv.  vu,  vie  d'Empédocle,  où  sont  cités 


174  NOTES. 

des  auteurs  qui  ont  conlreilit  ce  récit,  et  assigné  à  la  mort  de 
ce  philosophe  des  causes  diverses,  mais  toutes  plus  vraisem- 
blables. 

yi.  —  Diogene  aiiec  son  tonneau:  et  Aristippe  qui  se  pensait 
grand  Filozofe,  se  sachant  bien  ouy  d\in  grand  Signeur,  page  Sa. 
—  Diogène  et  son  tonneau  sont  connus  de  tout  le  monde.  Quant 
à  Aristippe,  on  sait  aussi  que  ce  philosophe  mercenaire,  habile 
à  s'accommoder  aux  temps,  aux  lieux  et  aux  personnes,  souffrit 
de  la  part  de  Denys  le  tyran ,  dont  il  étoit  le  flatteur,  des  avanies 
qui  lui  attirèrent  les  railleries  de  Diogène  (  Voy.  Diogène  Laërce , 
1.  II).  Horace  a  loué  le  caractère  souple  et  facile  d' Aristippe, 
qui  le  rendoit  heureux  dans  tous  les  états  et  dans  toutes  les 
positions  de  la  vie  : 

Omnis  Aristippum  decuit  color  et   status  et  res. 

(  Epist.  I,   T7,  22.) 

y2. —  Ceus  qui  font  des  maisons  au  Ciel,  même  page.  —  Les 
astrologues  qui  prétendent  connoître  l'avenir  d'après  la  position 
des  astres.  On  appelle  maisons  les  douze  signes  du  zodiaque 
que  le  soleil  parcourt  successivement  chaque  année. 

yS.  — Ces  getteurs  de  points ,  faiseurs  de  characteres ,  même 
page.  —  Les  devins,  les  magiciens,  qui  se  livrent  à  des  calculs 
divinatoires,  ou  qtii  tracent  des  caractères  magiques. 

<j^,  —  Combien  dureraient  peu  aucuns  mariages ,  si  la  sottise 
des  hommes  ou  des  femmes  laissait  'voir  les  'vices  qui  y  sont , 
page  53.  —  Cette  phrase  est  l'abrégé  d'un  passage  beaucoup  plus 
étendu  de  l'Éloge  de  la  Folie  d'Erasme  :  «  Grands  Dieux!  com- 
«  bien  arriveroit-il  de  séparations,  et  bien  pis  encore,  si  l'union 
«  de  l'homme  et  de  la  femme  n'étoit  soutenue,  n'étoit  fomentée 
«  par  la  flatterie,  parles  divertissements,  par  la  complaisance, 
«  par  les  détours,  par  la  dissimulation,  tous  gens  de  mon  es- 
«  corte  et  de  ma  suite?  Ah!  qu'il  se  feroit  peu  de  mariages,  si 
«  l'amant  avoit  la  prudence  de  bien  s'informer  du  jeu  que  sa 
«  petite  maîtresse,  qui  paroît  si  délicate,  si  honteuse,  si  neuve, 
«  a  joué  longtemps  avant  les  noces  !   Pour  les  mariages  déjà 


NOTES.  175 

«  conlractcs,  ce  seroit  bien  un  autre  train.  Que  de  séparations, 
«  si  la  négligence  ou  la  bêtise  des  maris  ne  les  avcugloit  sur  la 
«  vie  secrète  de  leurs  épouses!  On  traite  cela  de  folie,  et  on  a 
«  raison  ;  mais  c'est  pourtant  cette  même  folie  qui  fait  que  la 
«  femme  plaît  au  mari,  et  que  le  mari  plaît  à  la  femme,  que 
«  la  maison  est  tranquille,  et  que  les  alliances  se  maintiennent. 
«  On  fait  les  cornes  à  un  mari,  on  le  nomme  cocu,  commode, 
«  et  je  ne  sais  quel  sobriquet  on  ne  lui  donne  pas  hors  de  chez 
«  lui;  pendant  que  le  bonhomme  console  sa  chère  moitié,  et 
«  boit,  par  ses  tendres  baisers,  les  larmes  hypocrites  de  l'adul- 
«  tère.  Cela  ne  vaut-il  pas  beaucoup  mieux,  que  de  se  consumer 
«  en  chagrin,  que  de  faire  du  vacarme  et  du  tintamarre,  en  s'a- 
«  bandonnant  à  la  jalousie?»  (Trad.  de  QuERLOiv.) 

75. — Dequoy  uiuroient  tant  d* Auocats ,  Procureurs,  Greffiers, 
Sergens,  luges,  page  54.  —  Owen  a  dit  après  Louise  Lahé  (1.  i, 
ép.  i5) : 

Ulceiibus,  Galène,  vales  tantummodo  nostris  : 
Stultitla  nostra  j  Justiniane  ,  sapis. 

Ta  sagesse  ,  ô  Barthole  ,  est  l'humaine  folie  ; 
Galien,  ta  santé,  c'est  notre  maladie. 

(  De  Kérivalant.)  *" 

Voy.pag.  46et47  durecueil  piquant  et  varié,  imprimé  à  Lyon  en 
i8i9eti82i,  in- 18,  sous  ce  titre:  Épigrammes  choisies  d'Owen, 
traduites  en  françois  par  M.  de  Rérivalant ,  publiées  par  M.  de 
Labouïsse.  Boileau  a  dit  aussi  : 

Des  sottises  d'autrui  nous  ^ii'ons  au  palais. 

(Epit.  II.) 

76.  —  Qui  verra  un  homme  enfariné  auec  une  bosse  derrière 
entrer  en  salle ,  ayant  une  contenance  de  fol ,  même  page.  —  Ce 
portrait  rappelle  celui  de  Triboulet,  fol  de  Louis  xrr ,  et  en- 
suite de  François  I.^*",  par  Jean  Marot,  père  de  Clément,  dans 
sa  description  du  voyage  de  Venise  de  Louis  xii,  en  iSog  : 

Triboulet  fut  un  fol ,  de  la  teste  escorné , 

Aussi  saigc  à  trente  ans  ,  que  le  iour  qu'il  fat  né  : 


lyS  NOTES. 

Petit  front  et  gros  yeulx  ,  nez  gi-ant ,  taillé  a  vote  (voûte)  , 
Estomac  plat  et  long,  haut  dos  à  porter  hôte, 
Chascun  contrefaisoit ,  chanta,  dança  ,  prescha  , 
Et  de  tout  si  plaisant,  qu'onc  homme  ne  fascha. 

7y.  —  Comme  le  saut  des  bergers^  qu' ils  font  pour  V amour  de 
leurs  amies ,  page  55.  —  L'édition  de  i556;  in-8.°;  porte  amis: 
c'est  peut-être  la  véritable  leçon. 

y8.  —  Telles  sont  les  Tragédies  que  les  garçons  des  vilages 
premièrement  inuenterent ,  même  page.  — Voy.  Horace  (de  Arte 
poet.  V.  275-7);  et  Boileau  (Art  poétique,  ch.  m), 

7g. —  Comme  disait  quelcun ,  leurs  piez  et  mains parlans ^  P^S^ 
56.  —  Ce  quelcun  est  bien  certainement  un  ancien.  «  On  feroit, 
«  dit  Bayle  (art.  Pilade,  Rem.  E  ),  un  gros  recueil,  si  l'on  en- 
«  treprenoit  de  rassembler  tous  les  passages  où  les  anciens  ont 
«  heureusement  exprimé  le  langage  manuel  des  pantomimes  ; 
«  contentons-nous  de  mettre  ici  ce  latin  de  Cassiodore  :  His 
«  sunt  additœ  orchestarum  loquacissimce  manus,  linguosi  digiti, 
«  silentium  cîatnosum,  expositio  tacita,  etc.»  Il  paroit  que  la 
pantomime  fut  portée  dans  l'antiquité  au  plus  haut  degré  de  per- 
fection. La  danse  en  étoit  un  accessoire,  comme  aujourd'hui; 
mais  lachironomie,  ou  l'art  des  gestes,  qui  peut  seule  exprimer 
tous  les  mouvements  de  l'àme,  en  étoit  la  partie  principale. 

80.  —  jy  estait  ce  pas  un  plaisant  combat  d'ydntoine  auec  Cleo- 
patra .  a  qui  dépendrait  le  plus  en  un  festin!  même  page.  —  L'a- 
necdote  à  laquelle  il  est  fait  allusion  en  cet  endroit  est  lapportée 
par  Pline  l'ancien  (Hist.  nat. ,  ix,  58). 

gi.  —  César  se  fachoit  qu'il  nauait  encore  commencé  à  trou- 
bler le  monde  en  Vaage,  qu'  Alexandre  le  grand  en  auoit  vaincu 
une  grande  partie  j  même  page.  —  Voy.  Suétone  (in  Jul.  Cœs. 

c.  7). 

S2. Combien  Luculle  et  autres  ^  ont  ils  laissé  d'imitateurs ^ 

paoe  57.  —  Le  mot  laissé  a  été  omis  dans  l'édition  ôe  1762. 

35. Mettre  ponts  sur  les  mers  {comme  Claude  Empereur')  ^ 

même  page. — Je  crois  que  notre  aimable  savante  se  trompe  ici, 


NOTES.  177 

et  qu'elle  confond  Claude  avec  Caligula.  L'histoire  ne  parle 
d'aucun  pont  mis  sur  la  mer  par  Claude,  tandis  qu'elle  nous 
apprend  que  Caligula  en  éleva  un  de  36oo  pas,  pour  aller  de 
Bayes  à  Pouzzoles.  Ce  pont  étoit  formé  d'un  double  rang  de 
vaisseaux  attachés  avec  des  ancres,  et  recouvert  d'une  chaussée 
qui  imitoit  la  voie  Appienne.  Voy.  les  détails  que  donne  à  ce 
sujet  Suétone  (in  Caligul.  c.  19  et  Sa). 

S/f.  —  En  receuant  une  pomme  comme  Cydipee ^  pacte  Sq.  — 
Il  falloit  écrire  Cydippe.  Aconce  (ou  Acontius),  jeune  homme 
de  l'île  de  Cée,  d'une  rare  beauté,  mais  peu  favorisé  de  la  for- 
tune, étant  allé  à  Délos  pour  sacrifier  à  Diane,  vit,  dans  le 
temple  de  la  déesse,  une  jeune  personne  d'une  beauté  ravis- 
sante, nommée  Cydippe.  Mais  jugeant  que  sa  fortune  et  sa  nais- 
sance mettroient  un  obstacle  à  son  bonheur,  il  grava  sur  une 
pomme  ces  mots:  Aconce,  je  jure  par  Diane  de  n'être  jamais 
qu'à  vous.  Cydippe,  aux  pieds  de  laquelle  il  avoit  fait  rouler  la 
boule,  la  ramassa,  lut  cet  écrit  sans  y  penser,  et  s'engagea  de 
même  :  car  une  loi  obligeoit  d'exéCuter  tout  ce  qu'on  promet- 
toit  dans  le  temple  de  Diane.  Cependant  Cydippe  étoit  proiuise 
en  mariage  à  un  autre  ;  mais ,  toutes  les  fois  qu'on  vouloit  la 
marier,  elle  étoit  attaquée  d'une  fièvre  violente,  en  sorte  que 
ses  parens  furent  obligés  de  la  donner  à  Aconce.  (M.  Noël ,  Dict. 
de  la  Fable.)  La  x.^  épître  du  liv.  i  d'Aristenète  roule  sur  cette 
histoire,  et  la  xx.^héroïde  d'Ovide  est  censée  écrite  par  Aconce 
à  Cydippe. 

85. — En  Usant  un  liure ,  comme  la  Dame  Francisque  de  Ri- 
mini ,  même  page.  —  Voy.  le  Dante  (la  Divina  Coramedia, 
ch.  V). 

86.  —  Comme'  le  ieune  Gnidien^  qui  ayma  l'euure  fait  par 
Praxitelle ,  même  page.  —  L'histoire  de  ce  jeune  Cnidien  (et 
non  pas  Qnidien) ,  et  du  moyen  dont  il  se  servit  pour  assouvir 
la  passion  que  lui  inspira  la  statue  de  Vénus  faite  par  Praxitèle, 
est  racontée  avec  beaucoup  de  détails  dans  le  traité  des  Amours 
de  Lucien.  Voy.  la  traduction  de  ses  œuvres  ,  par  Belin  de  Ballu 
'•^  12 


LjS  NOTES. 

(tome  irr,  pages  558  et  siiiv.).  Voy.  aussi  les  autres  auteurs  cite's 
par  Larcher  (  Me'moire  sur  Ve'nus,  page  116). 

87. — Tel  Jeu  estait  celui  de  JYarcisse ,  page  69. — Voy.  Ovide 
(  Metam.  m,  4^7  ^t  seq.) 

88.  —  Qu^ils  se  prennent  à  leurs  Filozofes,  qui  ont  estimé  Folie 
estre  priuacion  de  sagesse ,  et  sagesse  estre  sans  passion ,  page  60, 
—  Cette  de'finition  appartient  aux  stoïciens,  et  Érasme  le  dit 
formellement  dans  le  passage  suivant  de  l'Encomiuni  Moriœ, 
que  Louise  Labé  paroît  avoir  copié  :  «  Etenim  cum  stoïcis  defi- 
«  uitoribus  nihil  aliud  sit  sapientia,  quam  duci  ratione:  contra 
«  stultitia,  affectaum  arbitrio  moveri,  ne  plane  tristis  ac  tetrica 
«  esset  hominum  vita.  »  (Page  22.  ) 

89. — Ayant  discouru  mile  bons  heurs ^  qui  passeront  bien  loin 
des  cotes j  même  page. — Expression  proverbiale  que  je  n'ai  vue 
nulle  autre  part. 

90.  —  Escrire  sur  le  bout  de  la  table  auec  du  ■vin^  entrelasscr 
son  nom  et  celui  de  s' amie ,  V'^s^  ^** 

Blanditiasque  levés  tenui  perscribere  vîno  , 
Ut  domiiiam  in  mensa  se  légat  illa  tuam. 

(OviD.  de  Arte  am,  i,  5ji — 3.) 

91. —  Tousiours  refusent  ce  qu'elles  -voicdroient  bien  que  Ion 
leur  otast  par  force  ^  P^g^  64. 

Faemina  saepe  negat  id  quod  liabere  cupit. 

(Ant.  de  Arena.) 

Presque  tous  les  poètes,  comme  à  l'envi,  se  sont  exerce's  sur 
cette  pense'e,  et  l'ont  prt'sentëe  sous  diverses  faces. 

g2.  —  Qui  excusera  Hercule  deuidant  les  pelotons  d^ Omphale ^ 
page  QÇ»,  — Hercule  voyageant  s'arrêta  chez  Omphale,  reine  de 
Lydie,  et  fut  si  épris  de  sa  beauté,  qu'il  oublia  sa  valeur  et  ses 
exploits  pour  se  livrer  aux  plaisirs  de  l'amour.  «  Tandis  qu'Om- 
«  phale,  couverte  de  la  peau  du  lion  de  Némée,  tenoit  la  massue, 
«  comme  si  elle  étoit  Hercule,  celui-ci,  habillé  en  femme, 
«  vêtu  d'une  robe  de  pourpre,  travailloità  des  ouvrages  de  laine, 


NOTES.  .  179 

a  et  souffroit  qu'Omphale  lui  donnât  quelquefois  de  petits  souf« 
«  flets  avec  sa  pantoufïle.»  (Lucien,  De  quelle  manière  on  doit 
écrire  l'histoire.)  On  trouve  Hercule  ainsi  représenté  sur  d'an- 
ciens monuments  (Dictionnaire  de  la  Fable).  11  est  aisé  de 
percer  le  sens  de  cette  allégorie,  par  laquelle  les  anciens  ex- 
primoient  le  pouvoir  et  la  tyrannie  de  l'amour.  Balthazar  Gra- 
cien,  auteur  d'un  livre  intitulé,  Il  discreto,  traduit  en  françois 
parle  P.  de  Courbcville,  jésuite,  sous  le  titre  de  L'homme  uni- 
versel, Paris,  1723,  in-8."*,  a,  sur  ce  trait  de  la  vie  d'Hercule, 
une  pensée  bien  espagnole  :  «  Combien  ont  fini ,  dit  -  il ,  par 
«  d'indignes  actions  qui  ont  flétri  leur  mémoire?  Hercule  s'avise 
«  à  la  fin  de  filer  comme  une  femme,  et  il  devient  ainsi  lui- 
M  même  la  Parque  de  son  immortalité.  » 

93.  —  Le  sage  Roi  Hebrieu  auec  cette  grande  muUitude  de 
femmes,  P^ige  C6. 

C'est  Salomon ,  ce  sage  fortuné. 

Roi  philosophe,  et  Platon  couronné, 

Çui  connut  tout  du  cèdre  jusqu'à  l'herbe. 

Vit-on  jamais  un  luxe  plus  superbe! 

11  faisait  nai'  re  au  gré  de  ses  désirs 

L'argent  et  l'or  ,  et  surtout  les  plaisirs. 

Mille  beautés  servaient  à  son  usage.— 

Mille!  —On  le  dit:   c'est  beaucoup  pour  un  sage. 

Qu'on  m'en  donne  une,  et  c'est  assez  pour  moi 

Qui  n'ai  l'honneur  d'être  sage  ni  roi. 

(Voltaire,  le  Mondain,  satire. > 

^^.-—  j4.nnih al  s^ abâtardissant  autour  d^me  Dame  .  même  page. 
-—  Ce  trait  n'est,  je  crois,  connu  que  par  une  phrase  de  Pline 
l'ancien  qui,  faisant  une  description  géographique  de  l'Italie 
dans  le  livre  ru  de  son  Histoire  naturelle,  ajoute  à  la  mention 
de  la  ville  de  Salapia,  dans  la  Pouille  Daunienne,  que  cette  ville 
est  célèbre  par  une  aventure  amoureuse  d'Annibal:  «Oppidum, 
«  Salapia  Annibalis  meretricio  amore  inclytum.  >> 

95.  — Le  plus  grand  enchantement ^  tjui  soit  pour  estre  aymé . 
c^est  aymer.  Ayez  tant  de  sujumigacions ^  tant  de  characteres, 


iSo  NOTES. 

adiuraclons ,  poudres,  et  pierres,  que  -voudrez  :  mais  si  savez  bien 
'VOUS  ayder,  montrant  et  déclarant  -votre  amour  :  il  n'y  aura  be- 
soin de  ces  estranges  receptes,  Donq  pour  se  faire  aymer^  il  faut 
estre  aymable ,  page  6^.  — Louise  Labé  n'a  fait  que  copier  cet 
apophlbegme  d'Hécaton  dans  Sénèque  (Epist.  ix)  :  «  Ego  tibi 
«  nîonstrabo  amatorium  sine  medicameuto  ,  sine  herba,  sine 
«  ullius  venefîcae  carminé  :  si  vis  amari,  ama.  »  Oyide  avoit  dit 
auparavant  (de  Arte  am. ,  ii,  108): 

XJt  ameris  >  amabilis  esto. 

Enfin,  on  lit  dans  Martial  (vi,  ai)  : 

Hoc  non  fit  verbis  :  3Iarcc,  ut  ameris,  ama. 

Pibrac  a  puisé  aux  mêmes  sources  la  pensée  de  ce  quatrain: 

Je  t'apprendray ,  si  tu  veux,  en  peu  d'heure > 
Le  beau  secret  du  breuvage  amoureux  : 
Aymé  les  tiens  ,  tu  seras  aj'mé  d'eux  ; 
•Il  n'y  a  point  de  recepte  meilleure. 

96.  —  Zethe  et  Amphion  ne  se  pouuoient  accorder,  pourcc  que 
la  -vacacion  de  Vun  ne  plaisait  à  Vautre ,  même  page.  —  Zetbe 
et  Ampbion,  fils  jumeaux  de  Jupiter  et  d'Antiope.  La  vacacion 
du  premier  étoit  le  soin  des  troupeaux,  et  celle  du  second  la 
musique.  Ce  fut  au  son  de  la  lyre  de  celui-ci  que  s'élevèrent 
d'eux-mêmes  les  murs  de  ïbèbes.  Voy.  les  dictionnaires  de  my- 
thologie. Horace  se  sert  aussi  de  l'exemple  de  ces  deux  frères, 
et  Louise  Labé  connoissoit  sans  doute  le  passage  suivant  de  ce 
poète  (Epist.  r,  18,  4o"44)  * 

Nec,  cum  veuari  volet  ille ,  poemata  panges. 
Gratia  sic  ftatrum  geminorum  Ampliionis  atque 
Zethi  dissiluit,  donec  suspecta  severo 
Conticuit  lyra  ;  fraternis  ccssisse  putatur 
Moribus  Amphion c 

97.  —  Si  la  femme  que  -vous  aymez  est  avare ,  il  faut  se  trans- 
muer en  or,  et  tomber  ainsi  en  son  sein,  même  page. — Allusion 
à  la  métamorphose  eu  pluie  d'or,  dont  Jupiter  fit  usage  pour 


NOTES.  i8i 

pénétrer  dans  la  tour  d'airain,  où  ctoit  renrerméc  Danaé  par 
ordre  d'Acrisius  son  père,  roi  d'Argos. 

98.  —  Tous  les  seruiteurs  et  amis  d* Atalanta  estoient  chasseur.!-^ 
pour  ce  qu'elle  y  prenait  plaisir,  page  68.  —  Atalante,  fille  de 
Schént'e,  roi  de  Scyros,  étoit  passionnée  pour  la  chasse.  Elle 
promit  sa  main  à  celui  de  ses  amants  qui  la  vaincroit  à  îa  course. 
Hippomènc  en  vint  à  bout  par  un  stratagème.  Il  laissa  tomber 
trois  pommes  d'or,  cueillies  au  jardin  des  Hespérides,  et  dont 
Vénus  lui  avoit  fait  présent.  Atalante  se  baissa  pour  les  ramas- 
ser, et  Hippomèue  toucha  le  but  avant  elle. 

99»  — 'Les  tristes  se  fâchent  cVouir  chanter,  même  page. 

Oderunt  hilarem  tristes  tristemque  jocosi. 

(Horace,  Epist.  i,  iS,  89.) 

100.  —Le  Gerion  a  trois  corps,  page  69.  —  Géryon  fut  un  géani 
à  trois  corps,  qui  avoit  pour  garder  ses  troupeaux  un  chien  à 
deux  têtes,  et  un  dragon  à  sept.  Hercule  le  tua  avec  ses  défen- 
seurs, et  emmena  ses  bœufs.  Voy.  l'explication  de  cette  allé- 
gorie dans  le  Dictionnaire  de  la  Fable  de  M.  Noël. 

101.  — Ignorance,  nonchaillance^  espérance  et  cécité,  qui  sont 
toutes  damoiselles de  Folie ,  page  70.  — Érasme,  Encom.  Moriae 
(pages  9  et  10),  ne  donne  pas  tout-à-fait  le  même  cortège  à  la 
Folie:  il  suppose  qu'elle  est  toujours  accompagnée  de  l'Amour- 
propre  (^Philautia) ,  de  la  Flatterie  (Colacia),  de  l'Oubli  {Le- 
the),  de  la  Paresse  {Misoponia),  de  la  Volupté  (Isldone) ,  de 
l'Irréflexion  {Anoia),  de  la  Débauche  {Truphe) ,  de  Comus,  et 
du  Sommeil.  Il  ajoute  que,  secondée  et  servie  fidèlement  par 
ces  esclaves,  elle  règne  sur  l'univers,  et  que  les  monarques  eux- 
mêmes  sont  soumis  à  ses  lois. 

102.  —  Génie,  page  71.  —  Le  dieu  Genius,  qui  pr''sidoit 
à  la  nature  et  donnoit  le  mouvement  et  la  vie  à  tous  les  êtres. 
Il  étoit  surtout  regardé  comme  l'auteur  des  sensations  agréables 
et  voluptueuses  :  de  là  cette  expression  qu'on  trouve  dans  Perse 
(Sat.  V,  i55)^  Genio  indulge,  pour  signifier,  divertissez-vous^ 


i82  NOTES. 

donnez-vous  du  bon  temps.  Chaque  homme  avoit  son  Génie. 
Les  villes  et  les  empires  avoient  aussi  le  leur. 

io3.  —  leitfiesse  j  page  71.  —  Nous  avons  vu  qu'Érasme  et 
Louise  Labé  en  fout  la  mère  de  la  Folie.  Cette  déesse  étoit 
adorée  par  les  anciens  sous  les  noms  de  Juventa,  de  Juventus 
et  d'Hébé. 

ioZ|.  —  Ce  gentil  Gardien  des  iardins ,  même  page.  —  Priape  , 
fils  de  Bacchus  et  de  Vénus.  Il  étoit  l'emblème  de  la  fécondité, 
et  sa  statue,  véritable  épouvantail,  étoit  placée  dans  les  jardins 
pour  les  défendre  contre  les  voleurs  et  les  oiseaux.  On  ne  voit 
pas  ce  qui  a  pu  lui  valoir,  de  la  part  de  Louise  Labé  ou  de  Mer- 
cure i^u'elle  fait  parler,  l'épithète  de  gentil^  à  moins  qu'on  ne 
dise  que  Mercure,  en  habile  orateur,  devoit  flatter  les  juges 
devant  qui  il  plaidoit,  et  au  nombre  desquels  étoit  Priape  :  ex- 
cuse qui,  je  crois,  n'auroit  pas  satisfait  Ménage  ;  car  dans  ses 
observations  sur  l'Aminte  (act.  IV,  se.  2,  v.  62),  il  blâme  le 
Tasse,  seulement  pour  avoir  nommé  Priape  :  «Par  non  dovesse 
«  il  poeta,  dit-il,  metter  in  bocca  d'un  uomo,  che  parlava  a 
«  vergine  cosi  onesta,  cosl  schiva,  cosl  ritrosa,  come  era  Sil- 
«  yia,  una  cosi  oscena,  cosi  brutta,  cosi  sfacciata  parola,  come 
«  è  quella  di  Priapo.  Ne  puô  essere  scusato  con  dire,  che  ne  i 
«  tempi  antichi  non  era  disonesta,  e  significava  sol  ameute  il  dio 
«  de'  giardini;  dovendo  il  poeta  giudizioso  aver  riguardo  ezian- 
«  dio  a'  tempi  suoi.  »  Il  est  vrai  que  Louise  Labé  a  évité  de 
désigner  par  son  propre  nom  le  dieu  dont  il  s'agit  ;  mais  n'a- 
t-elle  pas  détruit  l'effet  de  cette  sage  réserve  par  la  qualification 
de  gentil  qu'elle  lui  a  donnée?  L'innocence,  ou  plutôt  la  sim- 
plicité du  temps  où  elle  écrivoit,  est  la  meilleure  excuse  qu'on 
puisse  invoquer  en  sa  faveur. 

lo5. — Pour  apointer  le  diferent,  ria  prononcer  un  arrest  inter- 
locutoire^ même  page.  — Louise  Labé  a  sans  doute  consulté  quel- 
que avocat  de  son  temps  sur  ces  termes  de  pratique  qui  sont  ici 
fort  heureusement  appliqués.  ^î" arrest  ^  placé  à  la  suite  ^  est  aussi 
dans  la  forme  usitée  au  barreau. 


JNOTES.  i83 

lo6.—-'IVoiis  auons  remis  votre  afaire  d'ici  à  trois  fois  y  sept 
fois,  neuf  siècles,  page  72.  — A  dix- huit  mille  neuf  cents  ans. 
Les  nombres  impairs  étoient  dans  l'antiquité  des  nombres  mys- 
térieux. J'ignore  s'il  y  a  quelque  autre  finesse  cachée  dans  cette 
multiplication  de  siècles  par  trois,  sept  et  neuf. 

ELEGIES. 

107. — Les  Elégies  de  Louise  Labé  n'ont  d'autre  défaut  que 
d'être  trop  courtes  et  trop  peu  nombreuses;  elles  ont  tout  ce 
qui  donne  du  prix  et  du  cliarme  à  ce  genre,  dans  lequel  peu  de 
nos  auteurs  ont  réussi;  elles  sont  tendies,  touchantes,  passion- 
nées. Le  cœur  seul  y  parle,  suivant  le  précepte  de  Boileau.  Nulle 
afTectation,  nulle  recherche  dans  le  style;  mais  une  exquise  naï- 
veté de  sentiment  et  de  langage,  qui  n'exclut  point  l'énergie. 
Louise  Labé  y  gémit  sur  les  chaînes  qu'elle  porte;  elle  déplore 
l'absence  de  son  amant  ;  elle  exhale  de  douces  plaintes  ;  elle 
peint  l'excès  de  ses  tourments  et  de  ses  peines.  La  troisième  de 
ces  pièces,  adressée  aux  dames  lyonnoises,  et  où  leur  belle  com- 
patriote se  justifie  en  rejetant  sur  l'Amour  tous  les  reproches 
qu'on  pourroit  lui  faire,  me  paroît  remporter  la  palme  sur  les 
deux  autres.  Les  rapprochements  que  j'indiquerai,  et  que  j'au- 
rois  pu  multiplier  bien  davantage,  seront  destinés  à  montrer 
que  la  nouvelle  Sappho  n'avoit  pas  lu  en  vain  les  meilleurs  au- 
teurs qui  existoient  avant  elle  ,  et  que  son  âme  étoit ,  pour 
me  servir  des  expressions  de  Pétrone,  «  ingenti  flumine  litte-» 

rarum  inundata,  » 

I, 

108.  —  //  fn'a  donné  la  lyre,  qui  les  vers 

Soiiloit  chanter  de  l'amour  Lesbienne ,  page'73. 
La  lyre  de  Sappho,  née  à  Érèse  ou  à  Mitylènc,  dans  l'île  de 
Lesbos. 

109.  — L'autre  brûler  et  d'amour  consommer,  page  74. 
Consommer  est  la  leçon  de  tojutes  les  éditions  :  ou  verra  dans 


i84  NOTES. 

le  Glossaire,  que  ce  n'est  point  une  faute  d'impression,  comme 
on  pourroit  aisément  le  croire.  On  diroit  aujourd'hui  : 
L'autre  }»rûler,  d'amour  se  consumer. 

110.  —  V^oidant  chasser  le  ridé  labourage 

Que  Vaage  auoît  graué  sur  son  -visage,  page  76. 
Cette  comparaison  des  rides  que  le  temps  grave  sur  le  visage, 
avec  les  sillons  du  laboureur,  est  autorise'e  par  l'exemple  d'Ho- 
race, qui  a  dit  (Epod    8): 

Et  rugis  vêtus 
Frontcm  senectus  exaret. 

m.  —  Sur  son  chef  gris  elle  auoit  empruntée 

Quelque  perruque ,  et  assez  mal  antee ,  même  page. 
L'usage  des  perruques  remonte  à  la  plus  haute  antiquité.  On  les 
portoit  blondes  du  temps  de  Louise  Labé.  Du  moins  Tur- 
nèbe,  son  contemporain,  qui^écrivoit  aussi  vers  le  milieu  du 
seizième  siècle,  assure-t-il  dans  ses  Adversaria  (1.  IV,  c.  19), 
qu'à  cette  époque  les  dames,  et  surtout  celles  de  la  cour,  afFu- 
bloient  leurs  têtes  de  faux  cheveux  blonds.  «Comœ  sunt  adpo- 
«  sititiœ,  quales  flavas  plerumque  mulieres  mentito  décore  for- 
«  mam  quserentes,  praesertim in  aulis,  sibi  adj iciunt. »  Voy,  Eloge 
des  perruques  (par  M.  Deguerle),  Paris,  an  vu,  in- 12. 
112.  —  l^el  nayme  point ,  qu^une  Dame  aymera: 

Tel  ayme  aussi,  qui  aymé  ne  sera,  P&g6  77. 
Horace  (1.  i,  od.  33): 

Insîgnem  tenui  fronte  Lycorida 
Cyrl  torret  amor;  Cyrus  in  asperam 

Déclinât  Pholoen 

Sic  visum  Veneri ,  cui  placet  impares 
Formas  atque  animos  sub  juga  ahenea 
Sgevo  mittere  cum  joco. 

Mosohus  a  fait  sur  ce  sujet  une  très  jolie  idylle,  ainsi  traduite 
par  Urbain  Chevreau: 

Pour  Echo  le  dieu  Pan  soupire. 
Echo  brûle  pour  un  satyre 


NOTES.  i85 

Que  les  yeux  de  Lidas  consument  jour  et  nuit} 

Et  dans  le  feu  qui  les  dévore. 

Chacun  hait  l'objet  qui  le  suit. 
Autant  qu'il  est  haï  de  l'objet  qu'il  adore. 
Toi  qui  des  feux  d'amour  sens  ton  cœur  enflammé, 

Pour  éviter  ce  mal  extrême  , 

Aime  toujours  l'objet  qui  t'aime , 
Et  n'aime  point  celui  dont  tu  n'es  point  aimé. 

ir. 

ll5.  —  O  combien  ha  de  pensée  et  de  creinte ^ 
Tout  aparsoy^  Vante  d^yimour  ateinte! 

Tu  es,  peut  estre ,  en  chemin  inconnu 
Outre  ton  gré  malade  retenu,  page  78. 

Quld  tlmeam  ignoro  ;  timeo  tamen  omnia  démens  ; 

Et  patet  in  curas  area  lata  meas. 
Quaecumque  aequor  habet,   quaecumque  pericula  tellus, 

Tam  longœ  causas  suspicor  esse  morae. 

(Ovide,  Heroid.  x,  74—770 

114.  -—le  crois  que  non:  car  tant  suis  coutumiere 

De  faire  aus  Dieus  pour  ta  santé  prière ,  même  page, 

Ssepe  deos  supplex,  pro  te,  scélérate,  rogavi , 
Cum  prece  turicremis  devenerata  focis. 

(Ovide  ,  Heroïd.  11 ,  17.) 

115.  —  Desia  deux  fois  depuis  le  promis  terme 

De  ton  retour,  Phebe  ses  cornes  ferme,  page  79. 
Expression  poe'tique ,  empruntée  à  l'astronomie ,  pour  signifier 
deux  mois.  Ovide  a  dit  de  même  (Metam.  vu,  53o  et  53i)  : 

Dumque  quater  junctis  implevit  coi'nibus  orbem 
Luna,  quater  plénum  tenuata  retexuit  orbem.,.. 

et  (Heroïd.  11,  3)  : 

Coruua  cum  luuse  pleno  quater  orbe  coïsseut, 

Littoribus  nostris  auchora  pacta  tua  est. 
Luna  quater  latuit  ;  pleno  quater  orbe  recrevit; 

Nec  vehit  Actseas  Sithonis  unda  rates. 


i86  NOTES. 

116.  —  St  toutefois,  pour  estre  énamouré 

JEn  autre  lieu,  tu  as  tant  demeuré,  page  79» 

Haec  ego  dum  stultè  meditor  (quœ  vestra  libido  est!) 
Esse  peregrino  captus  amore  potes. 

(  Ovide  ,  Heroid.  i  ,  78  et  79.) 

117.  —  La  terre  aussi  que  Calpe  et  Pyrenee 

Auec  la  mer  tiennent  enuironnee,  même  paçe. 
L'Espagne  qui  forme  une  péninsule,  et  à  laquelle  on  donne 
souvent  cette  dernière  dénomination.  Calpe  est  l'ancien  nom 
de  Gibraltar,  où  Hercule,  croyant  être  au  bout  du  monde,  éleva 
deux  colonnes,  pour  apprendre  à  la  postérité  qu'il  avoit  poussé 
jusques-là  ses  conquêtes.  Pyrenee  désigne  les  montagnes  ainsi 
nommées,  qui  séparent  l'Espagne  de  la  France.  Les  anciens  sup- 
posoient  qu'une  princesse  appelée  Pyrène,  fille  de  Bébrycius, 
roi  d'Espagne,  ayant  été  violée  par  Hercule,  mit  au  monde  un 
serpent,  qu'elle  fut  tellement  effrayée  de  cette  apparition  qu'elle 
prit  la  fuite,  et  se  réfugia  dans  une  forêt,  où  elle  devint  la 
proie  des  bêtes  féroces,  et  qu*elle  donna  son  nom  aux  monts 
Pyrénées. 

118.  —  Le  beau  païs  auquel  or'  te  promeines,  même  page. 

L'Italie,  puisque  Louise  Labé  dit  plus  haut  dans  cette  même 

élégie  : 

Or'  que  tu  es  auprès  de  ce  riuage 
Du  Pau  cornu 

Voy.  le  Glossaire,  au  mot  Pau, 

11g. —  Que  gens  d'esprit  me  donnent  quelque  gloire,  même  page» 

At  mihl  Pegasides  blandissima  carmina  dictant. 
Jam  canitur  toto  nomen  in  orbe  meum 

(Ovide,  Heroid.  XV,  37  et  28.) 

120.  —  Maints  grans  Signeurs  à  mon  amour  prétendent, 

Et  il  me  plaire  et  seruir  prêts  se  rendent,  même  page. 

Pénélope  dit  à  Ulysse  dans  Ovide  (Heroïd.  I,  97  et  98)  : 

Dulichii  Samiique ,  et  quos  tulit  alta  Zacynthos . 
Turba  ruuiit  in  me  luxuriosa  proci. 


NOTES.  187 

lai.  —  ÏLt  néanmoins  tant  peu  ie  m'' en  soucie , 

Que  seulement  ne  les  en  remercie^  page  80. 

Cui  colar  infelix ,  aut  cui  placuisse  laborem  î 
Ille  mei  cultûs  unicus   auctor  abest. 

(  Ovide,  Hcroïd.  xv,  77  et  78.) 

122.  —  Tu  es  tout  seul  y  tout  mon  mal  et  mon  bien: 

yiuec  toy  toutj  et  sans  toy  ie  n'ay  rien,  même  page. 
Langage  d'une  âme  éperdue,  qui  s'oublie  elle-même  et  se  con- 
fond dans  celle  de  sou  amant,  voit  tout  en  lui,  et  hors  de  lui 
ne  voit  rien. 

lao.  —  ]Ve  Tjiuant  pas,  mais  mourant  d'un  jimour 

Lequel  m^occit  dix  mile  Jais  le  iour,  même  page. 
Toutes  les  éditions  portent:  d'une  Amour  Lequel Il  est  évi- 
dent qu'on  doit  lire  comme  nous  avons  imprimé,  ou  changer 
lequel  en  laquelV.  Il  y  a,  dans  les  poètes  du  seizième  siècle, 
de  nombreux  exemples  d'un  retranchement  semblable  de  l'e 
muet,  à  la  fin  de  certains  mots,  pour  le  besoin  de  la  mesure. 
Voy.  les  mots  EIV  et  QuelT  dans  le  Glossaire. 

iri. 

124»  —  •  •  •  •  Mais  qui  dessous  les  Cieus 

Se  peut  vanter  de  n'estre  vicieuSy  page  81. 


Vitiis  nemo  sine  nascitur. 

(Horace  ,  Serm.  i,  3,'  68.) 

125.  —  L'un  n'est  content  de  sa  sorte  de  -vie, 

Kt  tousiours  porte  h  ses  voisins  enuie,  même  page. 

Qui  fit,  Mœccnas  ,  ut  nemo,  quam  sibi  sortcm 
Seii  ratio  dederit,  seu  fors  objecerit  ,  illâ 
Conteutus  vivat,  laudet  diveisa  sequentes! 

(  HonACE  ,  Serm.   I,  i,  i — 3.) 

126.  —  L'autre  croyant  poureté  cstre  vice,  même  page. 
Allusion  à  ce  proverbe  :  Pauvreté  n'est  pas  vice.  On  sait  la  ré- 
ponse de  du  Fresny,  à  qui  on  le  ciloit:  C'est  bien  pis,  dit-il. 


iS8  NOTES. 

127.  — . .  Celle  la  j  qui  plus  docte  que  sage^ 

jluec  Pallas  comparait  son  ouurage^  P^g^  82. 
Arachné,  qui  osa  défier  Pallas  dans  l'art  de  peindre  auec  Vcs- 
guille,  c'est-à-dire,  de  broder  sur  toile  et  sur  tapisserie,  et  que 
la  déesse,  pour  la  punir  de  son  outrecuidance ,  changea  en  arai- 
gnée. Voy.  Ovide  (Metam.  vi,  1  et  seq. ) 

128.  —  Piquer,  volter  le  cheual  glorieus,  même  page. 

On  a  vu  dans  la  Notice  sur  Louise  Labé,  que  du  Verdier  dit  à 
peu  près  dans  les  mêmes  termes,  «  qu'elle  piquoit  fort  bien  un 
«  cheval,  à  raison  de  quoy,  ajoute-t-il,  les  gentilshommes  qui 
«  auoient  accez  à  elle,  l'appelloient  le  capitaine  Loys.  » 
12g.  —  Pour  Bradamante,  ou  la  haute  Mnrphise, 

Seur  de  Roger ,  même  page, 

Voy.  l'Arioste  (Orlando  {arioso,  passim). 

i3o.  —  Et  de  trauail  qui  me  donne  sans  cesse, 

Boire,  manger,  et  dormir  ne  me  laisse,  page  83. 
Le  premier  de  ces  deux  vers  est  imprimé  ainsi  dans  toutes  les 
e'ditions  ;  il  semble  qu'il  faudroit  lire  : 
Et  du  travail  qu'il  me  donne  sans  cesse. 

101. — Le  tems  met  fin  aus  hautes  Pyramides,  etc. ,  même  page. 
Louise  Labé  a  pu  emprunter  cette  comparaison  de  la  puissance 
de  l'amour  avec  celle  du  temps,  à  Jérôme  Angerianus  : 

Tempore  tecta  ruunt  praetoria,  tcmpoie  vires, 
Tempore  quaesitœ  debilitantur  opes. 


Tempore  fit  eœlum  variablle ,  tempore  Pliœbus 
Luce  caret;  scriptum  tempore  marmor  obit, 

Tempore  durities,  decedit  tempore  livor: 

At  meus  ,  heu  !  uullo  tempore  cessât  amor. 


Voy.  Michaçl  Tarch.  Marullus,  Hieron.  Angerianus  et  Joannes 
Secundus,  Poetœ  elegantissimi  i  Spirœ  Nemetum,  1695,  in-12 
(page  227). 

iSa.  —  Paris  ayma  (Enone  ardemment ,  page  84« 
Pour  que  ce  vers  ait  la  mesure,  il  faut  de  ces  trois  choses  l'une  î 


NOTES.  189 

ou  lire  (Enoné  au  lieu  A'CEnone,  ou  aspirer  l'a  à^ ardemment ^ 
ou  substituer  à  ce  dernier  mot  ardentement.  Ardentement  étoit 
alors  françois  :  on  le  trouve  plus  bas  (sonnet  xx,  page  98).  Da 
reste,  toutes  les  éditions  ont  (Enone  et  ardemment ,  sauf  celle 
de  i556,  ln-8.°,  où  on  lit  ardamment :  ce  qui  ne  change  rien  à 
ma  remarque. 

i33.  — Mais  son  amour  ne  dura  longuement ,  page  84. 
L'amour  de  Paris  pour  (Enone,  nymplie  du  mont  Ida,  fut,  eu 
effet,  de  peu  de  dure'e.  Dès  qu'il  eut  juge'  les  déesses,  Paris  s'é- 
loigna, et  bientôt  Hélène  le  rendit  infidèle.  L'histoire  de  cette 
passion  et  des  effets  qu'elle  pioduisit ,  est  connue.  Quant  à 
(Enone,  elle  fut  constante  jusqu'à  la  mort  ;  car,  après  la  ruine 
de  Troye,  le  cadavre  de  son  amant  lui  ayant  été  apporté,  elle 
ne  put  le  voir  sans  mourir  de  douleur,  et  tous  deux  furent  en- 
sevelis dans  le  même  tombeaue 

134.  —  JMedee  fut  aymee  de  lason^ 

Qui  tôt  après  la  mit  hors  sa  maison,  même  page. 
L'amour  de  Médée  et  l'infidélité  de  Jason  sont  aussi  au  nombre 
des  fables  les  plus  connues.  Plusieurs  poètes  célèbres  y  ont  trouvé 
un  sujet  de  tragédie. 

D'après  les  règles  actuelles  de  la  versification,  ce  vers  seroit 
défectueux;  le  mot  Medee ^  placé  comme  il  l'est,  offriroit  lui 
seul  deux  fautes,  dont  la  dernière  est  répétée  au  mot  ajmee, 
La  première  consiste  en  ce  que  la  césure  tombe  sur  un  e  muet; 
la  seconde,  en  ce  que  l'e  muet  étant  précédé  d'une  voyelle, 
n'est  pas  mangé  ou  élidé  par  le  mot  suivant.  On  trouve ,  de  l'une 
et  de  l'autre  de  ces  fautes,  des  exemples  nombreux  dans  Louise 
Labé  et  dans  les  poètes  qui  sont  venus  avant  elle,  de  même 
que  dans  ceux  qui  l'ont  suivie  jusque  vers  le  milieu  du  dix- 
septième  siècle;  mais  on  ne  peut  leur  adresser  sur  ce  point  aucun 
reproche,  attendu  que  les  lois  qu'on  leur  appliqueroit  n'exis- 
tolent  pas  encore,  et  qu'elles  ne  sauroient  ayoir,  comme  on  le 
dit  au  barreau,  un  effet  rétroactif. 


190  NOTES. 

SONNETS. 

i55.  —  Il  y  avoit  fort  peu  de  temps  que  la  mode  des  sonnets 
s'e'toit  introduite  en  France,  lorsque  Louise  Labé  composa  les 
siens.  Ce  fut,  à  ce  qu'il  paroît,  Mellin  de  Saint -Gelais  qui 
fît  goûter  à  la  cour  ce  nouveau  genre  de  poème,  emprunte'  aux 
Italiens,  ou  repris  sur  eux;  car  Guillaume  Colletet  (Traité  du 
Sonnet,  Paris,  i658,  in-12)  clierche  à  prouver  que  l'invention 
en  est  due  aux  François,  et  fuit  remonter  l'époque  de  cette  in- 
vention au-delà  du  onzième  ou  du  douzième  siècle.  Ce  qu'il  y 
a  de  certain,  c'est  que  nos  poètes  ne  faisoient  plus  de  sonnets. 
On  en  renouvela  l'usage,  et  ils  eurent  bientôt  une  grande  vogue. 
Joachim  du  Bellay  contribua  surtout  à  l'augmenter,  en  i549, 
par  la  publication  de  ses  cinquante  sonnets  à  la  louange  d'Olive. 
Dès  ce  moment,  le  Parnasse  francois  fut  inoudé  de  pièces  de 
ce  genre.  Boileau  en  a  tracé  la  poétique  dans  des  vers  que  tout 
le  monde  sait  par  cœur.  Les  sonnets  de  Louise  Labé,  qui  sont 
tous  en  vers  de  dix  syllabes,  sont  réguliers,  quant  au  nombre 
des  vers,  à  la  division  des  stances  eu  deux  quatrains  et  deux 
tercets,  et  au  placement  des  rimes;  mais  le  mélange  alternatif 
des  rimes  masculines  et  féminines  n'est  point  observé  dans  la 
plupart  d'entre  eux,  de  même  qu'il  ne  l'est  pas  dans  les  Élé- 
gies. H  est  à  remarquer  que  ce  mélange,  quoique  mis  en  pratique 
par  quelques-uns  de  nos  poètes,  et  en  particulier  par  Ronsard, 
u'étoit  pas  encore  érigé  en  loi.  Voy.  ce  que  dit  à  ce  sujet  Pas- 
quier  (Recherches  de  la  France,  l.  Vii ,  c.  7).  On  rencontre 
aussi  dans  les  poésies  de  Louise  Labé  des  enjambements,  et  sur- 
tout de  fréquents  hiatus.  Ce  n'étoient  pas  non  plus  des  fautes, 
ou  du  moins  c'étoient  celles  du  temps.  La  grande  révolution 
opérée  par  Malherbe  dans  notre  versification,  u'avoit  pas  en- 
core eu  lieu  :  ce  poète  ne  vint  au  monde  qu'en  i555,  l'année 
même  oh  parurent,  pour  la  première  fois,  les  œuvres  de  la  Belle 
Cordière. 


NOTES.  191 

I. 

i36.  —  Ce  sonnet  italien,  ainsi  que  quelques  pièces  compo- 
sées dans  le  même  idiome,  qu'on  trouvera  parmi  les  Escriz  a 
la  louenge  de  Louise  Labé ,  est  imprimé  avec  l'orthographe  des 
anciennes  éditions:  hauria  (avrebbe)  pour  avria^  gratte  pour 
grnzie ^  et  pour  e,  etc.  Les  Italiens,  dont  la  langue  a  été  fixée 
beaucoup  plus  tôt  que  la  nôtre,  et  qui  l'est  depuis  le  commen- 
cement du  seizième  siècle,  ont  cependant  admis  quelques  chan- 
gements dans  leur  orthographe. 

On  a  essayé  la  traduction  suivante  en  faveur  de  ceux  qui  ne 
savent  pas  la  lan;iue  italienne: 

«  Non,  le  prudent  Ulysse,  ou  tout  autre  mortel  encore  plus 
«  fin,  s'il  en  fut  jamais,  n'auroit  pu  prévoir  les  ennuis  et  les 
«<  tourments  que  me  fait  éprouver  ce  visage  divin,  plein  de  grâ- 
«  ces,  de  majesté  et  de  grandeur.  Amour,  c'est  toi  qui,  à  l'aide 
«  de  ces  beaux  yeux,  as  fait  dans  mou  cœur  innocent,  où  tu 
«  puises  l'aliment  et  la  chaleur,  une  blessure  si  grave  qu'elle  est 
«  sans  remède,  si  tu  ne  le  donnes  toi-même.  O  cruauté  du  sort 
«  qui  me  rend  semblable  à  une  personne  piquée  par  un  scorpion , 
«  et  qui  me  contraint  à  demander  du  soulagement  contre  le  ve- 
M  nin  qui  me  dévore ,  à  celui-là  même  par  qui  il  fut  lancé  !  Je  le 
«  supplie  de  mettre  un  terme  à  ma  peine;  mais  je  le  prie  en 
«  même  temps  de  ne  pas  éteindre  en  moi  le  désir  dont  je  suis 
«  consumée,  et  qui  m'est  si  cher,  qu'il  ne  peut  cesser  d'être  sans 
«  que  je  meure.  » 

iSy.  —  Punta  d'un  Scorpio ^  et  domanclar  riparo 

Contrel  'velen'  dalV  istesso  animale ^  P^lge  85. 
Allusion  à  la  croyance  vulgaire,  que  l'huile  qu'on  tire  du  scor- 
pion est  le  meilleur  remède  contre  la  piqûre  de  cet  animal. 

III. 

i38.  —  On  remarquera  le  bizarre  entrelacement  des  rimes 
dans  les  deux  tercets. 


193  NOTES. 

V. 

i5g.  —  Parmi  les  fragments  peu  nombreux  qui  nous  restent 
de  Sappho,  il  en  existe  un  qui  pour  la  pense'e  diffère  peu  de  ce 
sonnet.  Ce  fragment  que  nous  a  conserve  le  grammairien  Hé- 
phestion,  a  été  ainsi  traduit  en  vers  latins  par  Henri  Estienne: 

Jam  pulchra  quidem  Diana  > 
Jam  Pléiades  occîderunt, 
Jam  nox  média  est ,  et  hora 
Jam  prœterit  :  ipsa  vero 
Ah  !  sola  cubo  miisella. 

vr. 
i4o.  —  Louise  Labé  paroit  s'être  rappelé  le  commencement 
de  l'ode  célèbre  de  Sappho,  imitée  par  Catulle  (carm.  li)  :  Ille 

mî  par  esse  deo  videtur ,  et  peut-être  la  i56.^  ^pigr.  du 

liv.  VII  de  l'Anthologie  de  Planude,  dont  je  citerai  l'imitation 
suivante  : 

Heureux  l'amant  que  ta  vue  intéresse , 
Qui  s'attendrit  aux  accents  de  ta  voix, 
Et  même  au  sein  d'une  trompeuse  ivresse  j 
Aime  à  gémir  sous  tes  sévères  loix! 
Mais  plus  heureux  l'amant  qui  se  réveille 
Flatté  par  toi  du  plus  tendre  souris, 
Et  peut  cueillir  sur  ta  bouche  vermeille 
Un  doux  baiser  dont  ton   cœur  est  le  prix! 

Les  deux  quatrains  du  sonnet  de  Louise  Labé  roulent  sur  les 
mêmes  pensées  ;  mais  la  fin  lui  en  appartient. 

Vili. 
i4i.  —  Ce  sonnet  a  un  grand  rapport  avec  celui  de  Pétrarque  : 

Pace  non  trovo>  e  non  ho  da  far  guerra,  etc.  ' 

(Part.  I,  Sonn.  io5.) 

IX. 

142. —  Sauvigny,  Parnasse  des  dames  (tome  II,  page  i44)j 
remarque  que  «  la  pensée  qui  termine  ce  sonnet,  a  été  répétée 


NOTES.  193 

«  depuis,  même  par  nos  meilleurs  poètes;  »  et  rien  n'est  plus 
vi*ai  :  cette  pense'e  est  partout.  Mais  il  est  plus  curieux  de  re- 
chercher où  Louise  Lahéapuisé  le  sujet  de  la  pièce  entière;  et, 
si  je  ne  me  trompe,  je  l'ai  trouvé  dans  ce  passage  d'Ovide  (He- 
roïd,  XV,  i23-i34)  :  c'est  Sappho  qui  parle  à  Phaon,  Sappho  que 
Louise  Labé  a  imitée  plusieurs  fois,  et  qu'elle  semble,  comme 
je  l'ai  déjà  dit,  avoir  voulu  prendre  pour  modèle: 

Tu  mihl  cura ,  Phaon  :  te  somnia  nostra  reducunt  ; 

Somnia  formoso  candidioi'a  die. 
Illic  te  invcnio,  quamquam  regionibus  absïs  ; 

Sed  uon  longa  satis  gaudia  somnus  habet. 
Saepe  tiios  nostra  cervice  onerare  laccrtos , 

Saepe  tuae  videor  supposuisse  meos. 
Blandior  interdum  ,  verisque  simillima  verba 

Eloquor  ;  et  vigilant  sensibus  ora  meis. 
Oscula  cognosco,  quae  tu  committere  linguaej 

Aptaque  consueras  accipere,  apta  dare. 
Ulteriora  pudet  nai'rare  :  sed  omnia  fiunt: 

Et  juvat  et  sine  te  non  libet  esse  mihi...... 

XTir. 

143.  —  C'est  là  un  des  plus  beaux  sonnets  de  Louise  Labé} 
on  peut  le  comparer  au  ir/  baiser  de  Jean  Second  :  Vicina  quan- 
tum vitis  lascivit  in  ulmo,  etc.,  qui  offre  absolument  le  même 
sujet. 

144.  —  Que  ia  tempe ste ^  Euripe^  ne  Courant^  P^gG  94. 
L'Euripe  est  un  bras  de  mer  qui  séparoit  l'île  d'Eubée  (aujour- 
d'hui Négrepont)  d'avec  la  Béotie  (la  Livadie).  L'inconstance 
et  l'irrégularité  de  son  flux  et  reflux  a  souvent  fourni  aux  poètes 
un  objet  de  comparaison  avec  les  mouvements  d'une  âme  incer- 
taine et  flottante. 

145.  —  Comme  du  Lierre  est  Varhre  encercelé  ^  même  page. 
Ce  vers  n'est  presque  que  la  traduction  du  commencement  du 
II.*  baiser  de  Jean  Second,  que  nous  venons  de  citer. 

146.  —  Et  mon  esprit    ur  ses  leures  fui>  oit ,  même  page. 

La  même  pensée  se  retrouve  dans  un  distique  attribué  à  Platon, 
*  i3 


194  NOTES. 

par  divers  auteurs,  et  que  Fontenelle  a  rendu  avec  beaucoup  de 

délicatesse  dans  le  dialogue  entre  Platon  et  Marguerite  d'Ecosse  : 

Lorsqu'Agathis  ,  par  un  baiser  de  flamme. 
Consent  à  me  payer  des  maux  que  j'ai  sentis. 
Sur  mies  lèvres  soudain  je  sens  venir  mon  ame 

Qui  veut  passer  dans   celle  d'Agathis. 

Aulugelle  (Nuits  Attiques,  XIX,  ii),  et  Macrobe  (Saturnales, 
If,  2)  nous  ont  conservé  une  imitation  ou  paraphrase  latine  du 
même  distique,  terminée  par  ces  vers  qui  ont  aussi  le  plus  grand 
rapport  avec  le  passage  de  Louise  Labé  : 

Tum  si  mox*ae  quid  plusculae 
Fuisset  in  cœtu  osculi , 
Amoris  igni  percita  (animula) 
Transisset,  et  me  linqueret, 
Et  mira  prorsum  res   foret , 
Ut  ad  me  fierem  mortuus. 
Ad  puerum  ut  iutus  viverem. 

Je  placerai  ici  une  petite  piccc  gracieuse  et  naïve ,  qui  n'est  guère 
connue,  et  qui  roule  pareillement  sur  le  baiser  :  elle  est  citée, 
fol.  32  recto  de  l'Art  poétique  françois  (par  Thomas  Sibilet), 
Paris,  1548,  in-8.°,  comme  étant  de  Saingelais  (sic)  ;  c'est  une 
heureuse  et  libre  imitation  du  choeur  du  ii.^  acte  du  Pastor  fido, 
imité  depuis  par  Voltaire,  Questions  sur  l'Encyclopédie  (art. 
Baiser^  : 

Ou  mettra  Ion  un  baiser  fauorable  , 
Qu'on  m'a  donné,  pour  seurement  tenir! 
Le  mettre  en  l'œil,  il  n'en  est  pas  capable: 
La  main  n'y  peut  toucher  ny  auenir: 
La  bouche  en  prend  ce  qu'en  peut  retenir. 
Et  n'en  retient  qu'autant  que  le  bien  dure: 
C'est  donc  au  cœur  l'effet  et  garde  seure 
De  ce  présent,  à  luy  seul  appartient. 

O  dous  baiser,  estrange  est  ta  nature. 
Bouche  te  prend,  et  le  cœur  te  retient. 


NOTES.  195 

xv. 

147. — Il  y  a  quelque  ressemblance  entre  ce  sonnet  et  celui 
de  Pétrarque: 

Zefiro  torna  ,  e'I  bel  tempo  rlmciia  ,  etc. 

(  Part.  II ,  son.  4*-  ) 

La  conclusion  seule  est  dificrente  ;  et  je  ne  sais  si  elle  n'est  pas 
préférable  dans  la  pièce  de  l'auteur  françois. 

xvir. 

i48.  —  C'est  encore  Pétrarque  que  la  belle  amoureuse  prend 
ici  pour  modèle.  Qu'on  lise  le  sonnet  de  l'amant  de  Laure  : 

Solo  e  pensoso  i  più    desei-ti  campi,  etc. 

(  Part.  I,  son.  28.  ) 

et  l'on  en  sera  convaincu.  Mais  quand  Louise  Labé  imite, 

Son  imitation  n'est  point  un  esclavage, 

elle  conserve  toujours  une  allure  libre  et  franche. 

xvnr. 

149. —  «  11  n'y  avoit  qu'une  rivale  de  Sappho  qui  pût  faire  de 
«  pareils  vers.  Ce  sonnet  est  beaucoup  trop  libre,  je  l'avoue. 
«  Falloit-il  le  supprimer?  Il  nous  reste  encore  dts  statues  anti- 
«  ques  devant  lesquelles  la  pudeur  est  peut-être  obligée  de  bais- 
«  ser  les  yeux;  mais  quel  homme  avec  un  peu  de  goût  auroit 
«  le  courage  de  les  mutiler?  »  (Sauvigny,  Parnasse  des  dames, 
tome  II,  page  i470 

Voyez  une  note  sur  ce  sonnet,  parmi  celles  dont  j'ai  accom- 
pagné la  Notice  sur  Louise  Labé, 

l5o.  — Lors  double  uie  a  chacun  en  suiura. 

Chacun  en  soy  et  son  ami  viura  ^  page  97. 
Les  remarques  que  j'ai  faites  sur  ce  vers  du  sonnet  xiil: 

Et  mon  esprit  sur  ses  lèvres  fuiroit, 

peuvent  s'appliquer  ici.  Je  citerai  de  plus  le  xxxT.*  baiser  de 


lOG  NOTES. 

lîonncfons  :  Panchari,  virgiueos.,. ,  et  le  xrii,^  de  Jean  Second: 
Lauguidus  è  dulci  certamine...,  où  J.  B.  Rousseau  a  puisé,  sans 
eu  avertir,  le  fond  et  les  pensées  du  dixain  suivant: 

Prêt  à  dcscenclre  au  manoir  ténébreux, 
Jà  de  Caron  i'entrevoyois  la  braque. 
Quand  de  Caliste  un  Jtaiser  amoureux 
Me  rendit  l'amc  ,  et  vint  frauder  la  Parque. 
Lors  de  son  livre  Eacus  me  démarques 
Et  le  nocher  tout  seul  l'onde  passa. 
Tout  seul!  je  faux,  mon  ame  traversa 
Le  fleuve  noir  ;  mais  Caliste  .,  Caliste 
En  ce  baiser  dans  mes  veines  glissa 
Part  de  la  sienne,  avec  quoi  je  subsiste. 

iSl.  ' —  Tousiours  suis  mal ^  r>iuant  discretlement ^ 
Et  ne  me  puis  donner  contentement , 
Si  hoT's  de  moy  ne  fay  quelque  saillie^  P^gC  97, 
Un  poète,  Quinault,  si  je  no  me  trompe,  a  dit: 

Il  faut  souvent,  pour  être  Iieureux  , 
Qu'il  en  coûte  un  peu  d'innocence. 

X\X. 

i52.  —  Un  goût  exquis  règne  dans  cette  chgrmante  petite 
pièce;  elle  exhale,  s'il  est  permis  de  le  dire,  un  tel  parfum  d'an- 
tiquité, qu'on  la  croiroit  traduite  d'Anacréon,  ou  du  moins  de 
Bion,  ou  de  Moschus.  Elle  ne  perdroit  rien  à  être  mise  à  côté 
de  l'Amour  Oiseau  du  second  de  ces  poètes,  et  peut-être  même 
y  gagneroit-eîle. 

xxif. 

i^Zt—Et  toy,  sa  seur,  qu'Endimion  embrasse,  P^ge  100. 
Endymion,  fils  d'Ethlius ,  eut,  selon  Pausanias,  cinquante  filles 
de  la  chaste  Diane.  C'étoit  dans  les  bras  du  sommeil  où  le  bel 
Endymion  étoit  enseveli,  qu'elle  jouissoit  tous  les  soirs  des  fa- 
veurs de  son  jeune  amant.  Le  mont  Latmus,  dans  la  Carie, 
fut  le  théâtre  de  leurs  voluptueuses  caresses. 


NOTES.  197 

154.  —  T^oila  clur'Ciel  la  puissante  harmonie 

Qui  les  esprits  diuins  ensemble  lie,  P^gc  loo,^ 
Le  meilleur  commentaire  d'un  auteur  se  trouve  souvent  dans 
ses  ouvrages.  Louise  Labé  dit  ici  en  vers  à  peu  près  ce  qu'elle 
a  dit  en  prose  par  l'organe  d'Apollon,  Débat  de  Folie  et  d'A- 
mour (Discours  V,  page  27):  «S'il  est  permis  à  chacun  atenter 
«  sur  le  lien  qui  entretient  et  lie  tout  ensemble  :  ie  voy  en  peu 
«  d'heure  le  Ciel  en  désordre^  ie  voy  les  uns  changer  leur  cours, 
«  les  autres  entreprendre  sur  leurs  voisins  une  consommacion 
«  uniuerselle  :  ton  sceptre,  ton  trône,  ta  magesté  en  danger;» 
et  un  peu  plus  bas  (page  28)  :  «  Si  tout  l'Vniuers  ne  tient  que 
«  par  certeines  amoureuses  composicions,  si  elles  cessoient, 
«  l'ancien  Abime  reuiendroit.  Otaat  l'amour,  tout  est  ruiné.» 

XXIII. 

l55. — Louas  iadis  et  ma  tresse  dorée, 

Et  de  mes  yeics  la  beauté  comparée 

A  deus  Soleils,  . . .  ^ ,  niêm.e  page. 

L'éloge  de  la  tresse  dorée  de  Louise  Labc,  et  la  comparaison 
de  ses  yeux  a  deus  Soleils ,  se  retrouvent  plusieurs  fois  dans 
les  Escriz  de  diuers  poètes  a  sa  louenge, 

156.  —  Tira  les  trets  causes  de  ton  tourment ,  même  page. 
On  lit  causez  dans  les  éditions  antérieures  à  celle-ci  :  j'ai  pensé 
que  c'étoit  une  faute  d'impression  qui,  s'élant  glissée  dans  l'é- 
dition primitive,  s'étoit  perpétuée  dans  toutes  les  autres. 

157.  — Mais  ie  m^assure,  quelque  part  que  tu  sois,  page  101^ 
Ce  vers  a  une  syllabe  de  trop. 

XXIII. 
i58.  — Sans  'votre  ardeur  d'un  V^ulcan  excuser. 

Sans  la  beauté  d'Adonis  acuser,  même  page. 
G'est-à-dire,  sans  que  votre  ardeur  soit  rendue  excusable  par 
la  circonstance  que  vous  auriez  un  Vulcain  pour  mari,  sans 
que  vous  ayez  à  alléguer,  pour  vous  justifier,  la  beauté  extraor- 
dinaire de  votre  amant. 


198  NOTES. 

iSg. — La  fin  de  ce  sonnet  rappelle  celle  de  l'He'roïde  d'He'- 
loïse  à  Abailard,  par  Colardeau  : 

Et  que  le  voyageur,  pleurant  uotre  mémoire. 
Dise  :  Ils  s'aimèrent  trop,  ils  furent  malheureux  ; 
Gémissons  sur  leur  tombe,  et  n'aimons  pas  comme  eu». 

ESCRIZ  DE  DIVERS  POETES 

A  LA  LOVETVGE   DE   LOVÏZE   LABÉ  LIONNOIZE. 

160.  — Il  existe  un  grand  nombre  de  poètes  qui ,  comme  Louise 
Labé ,  ont  fait  imprimer  avec  leurs  vers  ceux  qu'on  leur  avoit 
adressés  :  c'étoit  même  de  son  temps  une  coutume  assez  ge'né- 
ralement  suivie.  Les  amis  de  l'auteur  célébroient  à  qui  mieux 
mieux  ses  talents  et  ses  ouvrages,  et  on  décoroit  de  leurs  pom- 
peux compliments  les  premières  pages  du  recueil.  Il  n'est  pres- 
que aucun  des  livres  publie's  dans  le  seizième  siècle,  qui  ne 
soit  précédi-'  de  pareils  éloges  ;  mais  on  ne  les  plaçoit  pas 
toujours  au  commencement  du  volume  :  on  les  re'unissoit  quel- 
quefois à  la  fin.  C'est  ainsi,  pour  citer  un  exemple  analogue  à 
celui  de  Louise  Labé,  qu'à  la  suite  des  Rymes  de  gentile  et 
vertueuse  dame  Pernette  du  Guillet,  lyonnoise,  Lyon,  Jean 
de  Tournes,  i54^,  in -8.°,  l'éditeur,  Antoine  du  Moulin,  mâ- 
connois  ,  rassembla  les  épitaphes  qui  avoient  été  faites  pour 
cette  dame,  morte  peu  do  mois  auparavant,  par  Maurice  Sceve 
et  quelques  poètes  anonymes.  Louise  Labé,  plus  heureuse,  a 
été  chantée  d  sou  vivant;  et  ce  ne  fut  sans  doute  qu'en  faisant 
violence  à  sa  modestie,  pour  satisfaire  le  désir  de  ses  amis  et 
se  conformer  à  l'usage  ,  qu'elle  se  décida  à  publier  avec  ses 
œuvres  les  pièces  <  omposées  à  sa  louange.  Nous  devons  lui  en 
savoir  gré  :  plusieurs  de  ces  pièces  renferment  des  détails  pré- 
cieux, et  quelques-unes  ont  un  mérite  réel  sous  le  rapport  de 
la  poésie,  telles  que  l'ode  grecque  tt  l'ode  latine,  la  pièce  ,  O 
ma  belle  rebelle  (page  118),  l'ode  d'Olivier  de  Magny  (page  121), 
et  enfin  celle  qui  termine  la  collection  (pages  102  et  suiv.). 


NOTES.  199 

Les  éditeurs  de  1762,  et  celui  de  Brest,  i8i5,  ont  bouleversé 
l'ordre  que  ces  différents  morceaux  ont  dans  les  éditions  pri- 
mitives :  nous  l'avons ,  au  contraire,  religieusement  conservé. 
C'est  un  monument  antique  dont  nous  avons  voulu  reproduire 
une  copie  fidèle. 

EIS  £ÎAAS  A0ISH2  AABAIAS.  (Page  io3.) 

161.  — Le  mètre  de  cette  ode,  dont  l'auteur  ne  s'est  pas  nom- 
mé, consiste  dans  le  mélange  alternatif  du  grand  vers  héroïque 
et  du  vers  iambique  do  quatre  pieds.  M.  Scrvan  de  Sugny,  jeune 
poète  lyonnois,  connu  par  une  élégante  traduction  de  Tliéo- 
crite,  que  j'ai  déjà  eu  occasion  de  citer,  en  a  fait,  à  ma  prière, 
l'imitation  suivante  : 

SUR   LES   POÉSIES  DE    LOUISE   LABÉ. 

Le  temps  ,  belle  Sappho ,  nous  a  ravi  tes  vers  ; 
Mais  la  jeune  Labé  que  sa  tendresse  inspire  ^ 
Que  Paphos  a  nourrie  en  ses    bocages  verts  , 
Fait  revivre  tes  chants  et  ton  brûlant  délire. 

Son  cœur  s'est  enflammé  pour  un  autre  Phaon  j 
Hélas  !  et  comme  toi  chérit  un  infidèle  : 
Louise  pleure  en  vain  sa  noire  trahison , 
Ses  dédains,  ses  refus,  sa  fuite  criminelle. 

Mais  lorsque  de  son  cœur  elle  peint  les  tourments. 
Lorsqu'elle  rend  la  vie  à  ta  lyre  sonore  , 
Ses  lecteurs  enchantés  deviennent  ses  amants , 
Et  voudroient  remplacer  un  ingrat  qu'elle  adore. 

DE   ALOYSiE   LADITE   OSCVLIS.    (Page   lo4.) 

162. —  L'original  de  cette  pièce  latine  est  peut-être  préférable 
à  celui  de  la  pièce  grecque.  Le  mètre  en  est  le  même  que  celui 
de  la  lo.*'  ode  du  livre  i  d'Horace  :  Vides  ut  al  ta  stet  uive  candi- 
dum...  ;  et,  comme  on  le  verra,  ce  n'est  pas  le  seul  rapport  qu'elle 
ait  avec  les  odes  de  ce  grand  poète.  Antoine  Fumée  paroît  être- 
le  nom  de  son  auteur,  ainsi  que  nous  le  dirons  plus  bas. 


200  NOTES. 

l65.--'Fontisue  Dircœi  recessus,  page  lo4. 
La  maison  de  Pindare,  à  Thèbes  en  Béotie,  ëtoit,  suivant  Pau- 
sanias,  près  du  ruisseau  ou  de  la  fontaine  de  Dircé.  De  là  vient 
le  nom  de  cygne  de  Dircé ,  donné  au  chantre  des  jeux  olym- 
piques. 

164. — Profuerint  vel  inanis  Evan,  même  page. 
Au  lieu  d' inanis^  on  lit  munis  dans  toutes  les  éditions  ;  mais  c'est 
évidemment  une  faute  :  manis  n'offre  aucun  sens,  et  la  mesure 
réclame  inanis.  J'ai  cru  pouvoir  me  permettre  cette  légère  cor- 
rection. 

i65.  —  Sed  tu  Lahœœ  hasia  candidce 

Imbuta  poscas  nectare ,  même  page. 

Expression  empruntée  d'Horace  (1.  I,  od.  i3,  v.  i5  et  16)  ; 

Oscula ,  quae  Venus 

Quinta  parte  sui  nectaris  imbuit. 

166.  — ^maracosque  molles ,  même  page. 

Virgile  a  dit  de  même:  Mollis  amaracus  (AEneid.  l,  693). 

167.  — ÇDicere  seu  luhet 

Sectis  puellas  unguibus  acriter 
Deprœliantes  ^  aut  inustam 
Dente  notam  labiis  cjuerenteis,  même  page. 
On  reconnoît  encore  là  deux  emprunts  faits  à  Horace,  ou  du 
moins  deux  allusions  aux  passages  suivants  : 

.  .j, Nos  pi-aelia  virginum 

Si  ctis  in  iuvenes  unguibus  acrium 
Cantamus 

(L.  I,  od.  6 y  V.  17--19O 

Sive  puer  furens 

Impressit  memorem  dente  labris  notam, 

(  L.  eod.  od.  i3,  v.  ir  et  la,) 

J.68 IVec  sua 

Fulgore  lucentem  Dianam ,  pages  io4  et  io5« 

Tu  potens  Trivia ,  et  notho  es 
I)icta  lumine  Luna. 

(Catull.  Carm.  ad  Dianam,  v.  i3.) 


NOTES.  201 

169. — J'aurois  voulu  pouvoir  enrichir  cps  notes  d'une  tra- 
duction en  vers  françois  de  la  pièce  d'Antoine  Fumée  :  je  suis 
forcé  d'y  suppléer  par  la  traduction  en  prose  qu'on  va  lire,  et 
qui  n'a  d'autre  mérite,  si  c'en  est  un,  que  d'être  littéiale. 

«  Cesse  d'adresser  aux  Muses  tes  vœux  accoutumés  ;  n'invo- 
«  que  point  Apollon,    ni  le  vain  fils  de  Sémèle  ;  ne  va  point 
«  chercher  inutilement  des  inspirations  sur  les  bords  de  la  fon- 
«  taine  de  Dircé  ;  mais  dema.ide  à  la  blanche  Labc  ces  baisers 
«  empreints  de  nectar,  qui  exhalent  les  parfums  des  ros<  s,  des 
«  tendres  marjolaines,  des  violettes  et  des  sucs  de  l'Arabie. 
«  Ces  baisers  ne  périssent  point  sur  le  bout  des  lèvres  :  lancé 
«  par  une  suave  haleine,  leur  aiguillon  va  jusqu'au  cœur,  le 
«  pénètre,  l'agite  et  l'enflamme.  Le  feu  se  répand  de  là  dans 
«  tous  les  sens;  et,  dégagée  de  ses  liens,  l'âme  vient  doucement 
«  expirer  sur  la  bouche  de  Louise.  C'est  là  que  tu  dois  puiser 
«  l'enthousiasme,  soit  que  tu  veuilles  dire  les  jeunes  filles  qui 
«  ont  coupé  leurs  ongles  pour  ne  pas  égratigner  leurs  amants, 
a  en  résistant  à  leurs  caresses,  ou  qui  se  plaignent  d  s  traces 
«  qu'ont  imprimées  sur  elles  ces  caresses  trop  vives,  soit  que, 
«  d'un  ton  plus  hardi,  tu  veuilles  célébrer  les  mouvements  du 
«<  ciel  et  le  retour  des  saisons,  ou  Diane  brillant  d'un  éclat  em- 
«  prunté,  ou  la  splendeur  des  astres  qui  éclairent  les  pôles  du 
«  monde  :  chants  dignes  des  baisers  de  Louise ,  et  faits  pour  être 
«  répétés  par  les  purs  accents  de  sa  voix  mariée  aux  doux  accorrls 
«  de  sa  lyre.  Alors,  poète  couronné,  ta  poésie  harmonieuse  char- 
«  mera  les  oreilles  les  plus  délicates  de  la  Grèce  et  de  Rome.  » 

EN  GRACE  DV  DIALOGVE   D'AMOVR  ET  DE  FOLIE.   (Page  lo5.) 

170.  — Le  style  de  ce  sonnet  est  vraiment  ténébreux,  et  res- 
semble à  celui  de  la  Délie  de  Maurice  Sceve.  Si  la  signature, 
NON  SI  NON  LA,  est  une  anagramme,  c'est  une  énigme  dont  je 
ne  sais  pas  le  mot;  si  c'est  une  devise,  elle  est  mauvaise,  puis- 
qu'elle ne  présente  point  de  sens» 


202  NOTES. 

EN  CONTEMPLACION  DE   D.  LOVÏZE   LABÉ. 

171.— jDe  quel  Hz  est ,  mais  de  quelle  Déesse 

Cette  beauté ,  qui  les  autres  destrousse!  page  106. 
Je  ne  comprends  pas  ces  mots,  de  quel  Hz  est ,  sur  lesquels  il 
n'y  a  aucune  variante  dans  les  éditions.  Peut-être  faut-il  lire  : 
de  quels  liz ,  ou  de  quel  lit, 

172.  —  Quelle  S  frêne  hors  du  sein  ce  chant  pousse , 

Qui  deceuroit  le  caut  Prince  de  Grèce!  même  page. 
Le  caut  Prince  de  Grèce ,  c'est  Ulysse  qui,  comme  on  le  sait, 
re'sista  au  chant  et  aux  attraits  des  Sirènes. 

173.  —  P.  D.  T.  Ces  lettres  initiales  de'signent  peut-être  Pon- 
tus  de  Tyard.  Ce  poète  faisoit  partie  de  la  fameuse  Pléiade  for- 
mée sous  le  règne  d'Henri  ir ,  et  dont  les  six  autres  étoiles 
étoient  Dorât,  Ronsard,  Joachim  du  Bellay,  Belleau,  Jean 
Antoine  de  Baïf,  et  Jodelle.  Né  vers  iSai,  près  de  Mâcon,  dans 
le  château  de  Bissy,  appartenant  à  son  père,  il  publia  en  i549, 
à  Lyon,  chez  Jean  de  Tournes,  in-8.°,  un  recueil  de  vers  in- 
titulé, Erreurs  amoureuses,  qui  eut  à  son  apparition  assez  de 
succès  pour  être  réimprimé  deux  fois  en  i552  et  i556,  et  qui 
fut  inséré  ensuite  dans  la  collection  de  ses  (Euvres  poétiques 
en  1570.  Pontus  de  Tyard  renonça  dans  l'âge  mur  à  la  poésie 
pour  se  livrer  à  l'étude  de  la  philosophie,  des  mathématiques  et 
de  la  théologie;  il  embrassa  l'état  ecclésiastique,  et,  après  avoir 
été  aumônier  d'Henri  Iii,  fut  élevé  au  siège  épiscopal  de  Châ- 
lons-sur-Saône.  Les  ouvrages  qu'il  a  donnés  dans  la  seconde 
moitié  de  sa  carrière,  terminée  à  84  ans,  roulent  sur  les  sciences; 
quelques-uns  sont  ascétiques;  tous  sont  tombés  dans  le  plus 
profond  oubli. 

A  D.   LOVÏZE  LABÉ,   SVK  SON  PORTRAIT.  (Page  I06.) 

174.  —  Je  n'ai  pu  trouver  aucun  portrait  ancien  de  Louise 
Labé.  Cette  pièce  prouve  qu'il  en  existoit  un  de  son  vivant. 
Louise  Labé  ne  figure  point  dans  le  Promptuaire  des  médailles 


NOTES.  2o3 

imprimé  plusieurs  fois  vers  la  fin  du  16.®  siècle  (notamment  en 
iSyyetiSyS,  par  Guillaume  Rovillc,  tantôt  enfraiiçois,  tantôt 
en  italien,  et  même  en  latin),  quoiqu'on  y  voie  un  médaillon  re- 
présentant Maurice  Scfve,  contemporain  de  laBelleCordière,  et, 
à  ce  qu'il  paroît,  un  de  ses  amis.  Los  portraits  qui  sont  gravés 
dans  le  Parnasse  des  dames  (t.  il,  p.  66),  et  dans  l'estampe  placée 
à  la  tête  de  l'édition  de  1762,  de  même  que  dans  une  vignette 
(page  V  de  la  même  édition),  sont,  je  crois,  des  ouvrages  de 
fantaisie,  et  n'ont  dès-lors  aucune  authenticité, 
lyS.  —  Jadis  lin  Grec  sus  une  froide  image 

Que  consacra  Praxitèle  à  Cyprine^  page  106. 
Voy.  note  86. 

176.  —  L'ame  me  part ^  et  mourant  en  cet  aise  ^ 

le  la  reprens  ia  fuiant  en  sa  bouche^  P^gC  107. 
Voy.  notes  i/jô  et  i5o. 

SONNET.  (Page  107.) 

A  CELLE  QVI  N'EST    SEVLEMENT  A  SOY  BELLE.   (Page  lo8.) 

177.  —  Ces  deux  pièces  assez  médiocres,  et  même  un  peu 
obscures,  portent,  au  lieu  de  signature,  les  mots,  devor  de 
VOER.  C'est  la  devise  de  l'auteur,  et  peut-être  l'anagramme  de 
son  nom.  Antoine  du  Verdier  avoit  mis  celle-ci,  en  i584,  ^^ 
bas  de  la  préface  de  sa  Bibliothèque  :  Tard  ENNVIÉ  DE  VOIR. 

178.  —  Et  reciter  la  douce  cruauté 

De  Belle  a  soy ,  page  1 07. 

On  a  déjà  vu  dans  la  Notice  sur  Louise  Labé,  que  BELLE  A  SOY 
étoit  l'anagramme  de  Loyse  Labé.  L'abbé  Goujet,  Bibîioth. 
franc,  (tome  x  i,  page  77),  a  cru  que  soy  é\.Q\\,^o\\x  souhait ,  belle 
a  souhait ,  sans  doute  à  cause  de  la  ressemblance  de  prononcia- 
tion de  ces  deux  mots;  mais  il  s'est  trompé  :  la  seconde  des 
pièces  sur  lesquelles  roule  cette  note,  est  intitulée:  A  celle  cjui 
n'est  seulement  a  soy  belle,  et  la  pièce  suivante  contient  ce  vers: 

O  douce  mort  (  à  tous  plus  qu'à  soy  belle)  : 


2o4  NOTES. 

ce  qui  montre  évidemment  que  Belle  a  soy  ëtoit  entendu  dans 
le  sens  de  Pulchra  sibi. 

A  DAME  LOVÏZE,   DES  MVSES  OV  PREMIERE  OT  DIZIEME   COT- 

ro>>a:vte  la  trovpe.  (Page  109.) 

179.  —  Le  surnom  de  dixième  ]Muse  fut  aussi  donné  à  Sap- 
pho,  témoin  une  épigramme  de  l'Anthologie  de  Planude  (i,  67, 
9),  faite  par  Antipater  de  Sidon,  et  ainsi  imitée  par  un  poète 
peut-être  lyonnois  : 

En  écoutant  Sappho ,  Mnémosyne  confuse 
Fut  sui'piise  d'entendre  une  dixième  Muse. 

(Ce  distique  se  trouve  manuscrit  avec  25*2  autres  imitations  de 
l'Anthologie^  sur  les  marges  d'un  exemplaire  de  l'édition  de- 
ce  recueil,  donnée  en  1600,  à  Francfort,  par  les  héritiers  de 
Wechel,  in-fol.  A  côté  de  l'ép.  i,  c.  77,  liv.  i,  on  lit  l'imita- 
tion et  la  note  suivantes  : 

Quand  on  verra  la  cigale  en  son  trou 

S'enfuii'  de  honte  à  la  voix  du  coucou. 

Quand  dans  les  champs  la  petite  alouette 

Charmera  plus  que  le  cygne  au  trépas, 
Quand  mieux  qu'un  rossignol  chantera  la  chouette, 
£n  esprit,  en  vertus,  j'égalerai  Du  Gas.* 

*  «  Prévôt  des  marchands  de  la  ville  de  Lyon  en  cette  année 
«  1728.  Le  traducteur  ne  connoissoit  point  Palladius;  mais  il 
«  ose  assurer  que  le  grec  n'a  jamais  dit  plus  vrai  que  le  fran- 
«  cois.)» 

180. —  JVature  ayant  en  ses  idées  pris 

f^n  tel  siiget,  qu  il  surpassait  son  miens,  page  lOQ. 
Ceci  est  imité  de  Pétrarque  (sonnet  126,^,  part,  i)  : 

In  quai  parte  del  Ciclo,  in  quai  Idea 
Era  l'esempio,  onde  Natiu'a  toise 
Quel  bel  N-iso  leggiadro,  in  ch'ella  volse 
Mostrar  quaggiù,  quanto  lassù  poteaî... 

On  se  rappelle  que  Platon  supposoit  qu'il  existoit  dans  l'esprit 


NOTES.  2o5 

de  Dieu  certains  moules  ou  patrons  de  tous  les  êtres ,  qu'il 
nommoit  idées. 

181.  —  La  signature  de  ce  sonnet,  d'immortel  zèle,  est 
encore  la  devise  ou  l'anagramme  de  quelque  poète  du  temps, 
dont  j'ignore  le  nom.  Un  Jean  de  Vauzelles,  prieur  de  Mon- 
trotier,  chevalier  de  l'église  métropolitaine  de  Lyon,  et  curé 
ou  recteur  de  l'ancienne  église  de  S.  Romain,  auteur  de  quel- 
ques livres  de  piété,  qui  vivoit  dans  le  même  siècle,  et  étoit 
parent  de  Maurice  Sceve,  faisant  aussi  une  mauvaise  allusion 
à  son  nom,  avoit  choisi  pour  devise  ces  paroles  :  CrAiNTE  DE 
Dieu  vaut  zelle  ,  ou  celles-ci  :  D'uk  VBAY  zelle,  qu'il  met- 
toit  à  la  tête  de  ses  ouvrages. 

SONETTO.  (Page  110.) 

182. 

IMITATION. 

Vers  CCS  lieax  où  la  Saône  à  pas  lents  se  promène , 
N'arrivant  qu'à  regret  au  Rhône  qui  l'entraîne  * , 
L'Amour  avoit  conduit  et  ma  barque  et  mon  cœur  : 
Je  respirois  l'air  pur  que  Louise  respire  ; 
Sans  espoir  d'être  aimé  ,  ma  voix  faisoit  redire 
Son  nom  cher  aux  échos  d'un  rivage  enchanteur; 
Assis  sur  le  gazon ,  appuyé  sur  ma  lyre , 
J'attendois  du  sommeil  un  remède  à  mes  maux; 
J'étois  près  de  goûter  les  douceurs  du  repos. 
Tout-à-coup  à  mes  yeux  s'est  offerte  Louise, 
Et  ces  mots  ont  frappé  mon  oreille  surprise  : 
«  J'endure  ainsi  que  toi  les  plus  cruels  tourments  ; 
«  Les  soupirs  et  les  pleurs  sont  le  lot  des  amants.  » 

(  M.  Pericaud  aîné.  ) 


SONETTO.    (Page  111.) 


180. 


imitation. 


Le  feu  qui  brûle  nnon  cœur, 
A  pour  moi  tant  de  douceur 

*  L.  Racine,  Poèmt  âc  la  Religion. 


2o6  NOTES. 

Que,  même  au  milieu  des  flammes , 
Je  vais  chantant  les  beaux  yeux 
De  la  plus  belle  des  femmes. 
Je  demande  au  roi  des  cieux 
Que,  pour  le  prix  de  mion  zèle. 
L'embrasant  de  tous  mes  feux 
Il  me  fasse  aimer  de  celle 
Dont  je  suis  tant  amoureux. 
Quand  d'une  ardeur  mutuelle 
L'Amour  consume  deux  cœurs , 
Il  les  comble  de  faveurs  ; 
Mais  si  de  brûler  l'un  cesse. 
L'autre  meurt  dans  la  tristesse. 
Ah  '■  dépouillez  vos  rigueurs  : 
Si  vous  daignez  me  sourire  , 
Le  plus  heureux  des  amants , 
Voyant  finir  ses  tourments  , 
Vous  consacrera  sa  lyre. 

(Le   même.) 


184. 


AWENTVROSI  FIORI  (Page  111.) 


IMITATION. 

Fleurs  dont  Labé  fait  sa  parure. 
Vous  qu'elle  place  sur  son  sein. 
Ou  sur  sa  blonde  chevelure, 
Ti-ois  fois  heureux  votre  destin'. 
Vous  que  la  prodigue  nature 
Décora  de  mille  couleurs. 
Vous  l'emportez  par  vos  odeurs 
Sur  les  parfums  de  l'Arabie  ! 
Plus  brillante  encor  que  ces  fleurs  j 
O  Louise,  6  ma  douce  amie. 
Autant  que  vous  l'avez  voulu. 
Le  ciel  vous  fit  aimable  et  belle  : 
A  vous  former  l'Amour  s'est  plu; 
Vous  n'êtes  point  une  mortelle. 
Quand  je  vois  vos  divins  appas, 
La  crainte  de  ne  pas  vous  plaire 
Dans  mon  cœur  porte  le  tré^Jas; 
Mais  cette  céleste  lumière 


NOTES.  ^07 

Qu'on  volt  briller  en  vos  beaux  yeux. 

Pareille  à  l'astre  radieux 

Qui  nous  fait  vivre  et  nous  éclaire , 

Devient  mon  guide  tutélaire  , 

Et  me  ramène  près  des  Heur 

Que  votre  beauté  vivifie. 

Dans  ce  séjour  délicieux 

Si  je  pouvois  couler  ma  vie, 

A  vous,  amants  les  plus  heureux. 

Loin  de  jamais  porter  envie. 

Je  me  crolrois  égal  aux  dieux. 

(Le  même.) 

EPITRE  A  SES   AMIS,   etc.   (Page  ll4.) 

i85.  —  Cotte  épitre  est  d'Olivier  de  Magny,  qui  s'y  nomme 
lui-même.  Né,  comme  Clément  Marot,  à  Cahors  en  Quercy, 
Olivier  de  Magny  fît  partie  de  «  cette  grande  flotte  de  poètes 
«  que  produisit  le  règne  du   roi   Henri  il,  »  suivant  l'expres- 
sion de  Pasquier,  Recherch.  de  la  France,  vu,  6.  Il  vint  au 
monde  en  i52o,  et  fut  attaché  en  qualité  de  secrétaire  à  Jean 
d'Avanson,  seigneur  de  St-Marcel,  conseiller  du  roi,  et  depuis 
surintendant  des  finances,  à  l'époque  où  ce  magistrat  fut  en- 
voyé en  ambassade  à  Rome  sous  le  pontificat  de  Jules  m,  dans 
l'intervalle  de  i55o  à  i555.  Il  paroît  que ,  dans  une  course  qu'il 
fit  dans  le  midi  de  la  France,  par  ordre  de  son  patron,  il  s'ar- 
rêla  à  Lyon  où  il  vit  Louise  Labé,  qu'il  célébra  dans  cette  pièce 
et  dans  l'ode  :  Muses,  filles  de  lupiter,   etc.   (page  121).   Ces 
deux  morceaux  donneront  une  idée  suffisante  du  talent  poé- 
tique d'Olivier  de  Magny  :  dans  le  premier,  on  trouvera  un  peu 
d'aifeclation  et  de  mignardise;  dans  le  second,  une  imagination 
trop  vagabonde,  de  l'emphase  et  de  l'exagération,  mais  aussi 
une  certaine  chaleur,  et  parfois  de  la  grâce.  Il  avoit  déjà  publié 
deux  de  ses  principaux  ouvrages:  ses  Amours,   Paris,    i55.'5 
in-8.**  (réimpr.  depuis  à  Lyon,  iSyS,  in-16),  et  ses  Gayetez, 
Paris,  i554,  in-S.".  Il  fit  paroître  ensuite  des  Soupirs,  en  i557, 
et  des  Odes,  en  iSSp. 


2o8  NOTES* 

186.  — iVV  de  mon  cher  Giues  Çqui  m^ayme 

Comme  ses  yeux') ,  P^gs  1 16. 

Il  existoit  sur  la  fin  du  xvii.^  siècle  iin  M.  de  Gyvez,  avocat 
du  roi  au  présidial  d'Orléans,  descendant  sans  doute  de  cet 
ami  d'Olivier  de  Magny.  C'e'toit,  suivant  le  témoignage  de  La 
Monnoye  qui  fut  en  coi'respondance  avec  lui,  «un  homme  dis- 
«  tinguë  par  une  littérature  exquise.  » 

A  ELLE   MESME    (Page   I18.) 

18-,.  —  Cette  pièce  est  de  Jean-Antoine  de  Baïf.  M.  Brès  l'a 
insérée,  mais  abrégée  et  tronquée,  dans  sa  Bibliothèque  du 
promeneur,  Paris,  1825,  in-18  (pag.  29).  Né  à  Venise  vers  i532, 
fils  naturel  de  Lazare  de  Baïf,  Jean-Antoine  de  Baïf  n'avoit  que 
2,3  ans  en  i555,  et  néanmoins  il  avoit  déjà  fait  beaucoup  de 
vers.  Il  rima  dès  sa  plus  tendre  enfance,  et  fut  un  de  nos  poètes 
les  plus  féconds  :  sa  versification  est  un  peu  rude,  et  on  y  re- 
«onnoît  l'école  de  Ronsard. 

DOVBLE   RONDEAV,  A  ELLE.    (Page  120.) 

188.  —  Ce  double  rondeau  est  très  médiocre.  Le  poète  y  fait 
rimer  le  mot  ojense  avec  lui-même:  ce  qui  est  une  faute  assez 
grossière. 

ODE  EJV  FAVEVR  DE  D.  LOVÏZE  LABE,  A  SON  BON  SIGNEVR.  D.  M. 

189.  —  D.  M.  désigne  Olivier  de  Magny,  auteur  de  cette  ode. 
Voy.  note  i85. 

190.  —  V^ers  ce  docte  et  gentil  Fumée,  page  121. 

Antoine  Fumée,  qu'Olivier  de  Magny  qualifie  dans  ses  odes, 
publi('es  en  i55;),  de  Grand  Rapporteur  de  France.  C'est  sans 
doute  le  naème  auquel  du  Verdier  a  consacré  un  article  où  il  le 
fait  auteur  d'un  Panégyrique  au  très  chrétien  roi  de  France  et 
de  Pologne  (Charles  ix),  Paris,  iS']/\,  in-8.°,  etd'une  Histoire 
générale  en  IV  livres  ,  non  achevée.  La  famille  des  Fumée  oc- 
cupa de  grandes  places,  et  plusieurs  de  ses  membres  se  dislin- 


NOTES.  209 

guèrent  dans  les  lettres.  Adam,  premier  du  nom,  fut  garde  des 
sceaux  sous  Charles  Vin,  en  i/jQ^.  Un  de  ses  arrière-petits-fils» 
Nicolas,  abbt-  coramenilalaire  de  l'abbaye  de  la  Cousture  au 
Maine,  parvint  à  la  pairie  et  au  siège  e'piscopal  de  Beauvais. 
On  cite  aussi  deux  frères  de  ce  dernier:  Adam  iir,  sieur  des 
Roches  en  Touraine,  mathématicien,  jurisconsulte,  hislorien  , 
poète,  qui  fut  maître  des  requêtes  de  l'hôtel  du  roi,  et  Martin, 
seigneur  de  Genillé,  auteur  de  la  traduction  du  roman  grec  at- 
tribue' à  Athénagoras.  La  préface  que  Muret  a  mise  à  la  tête  de 
ses  Commentaires  sur  les  Amours  de  Ronsard,  i553,  in-8.°, 
est  adressée  «  à  monseigneur  Adam.  Fumée,  conseiller  du  roi 
«  en  son  parlement  à  Paris.  » 

iQi.  —  le  le  r>oy  ores  deuant  moy 

En  lin  aussi  plaisant  émoy 

Pour  faire  son  Ode  Latine,  P^'g^  l2i. 
C'est  d'après  ce  passage  que  je  crois  pouvoir  attribuer  à  An- 
toine Fumée  l'ode  latine,  qui  est  la  seconde  pièce  des  Escriz 
a  la  louenge  de Louïze  Labé  (page  io4).  Voy.  notes  162  et  suiv. 

192.  — Le  père  de  la  lyre  courbe  ^  page  122. 

Mercure,  qui  passe  pour  avoir  inventé  la  lyre.  Le  poète  le  dé- 
signe ainsi  d'après  Horace  (od.  i,  10,  6)  : 

Curvseque  lyrse  parentem. 

193.  —  Quand  celui  qui  iadis  naquit 

Dans  la  tour  d^  ère  in. . . ,  même  page. 
Persée ,  fils  de  Jupiter  et  de  Danaé. 

194.  —  Monté  sur  un  cheual  volant  ^  même  page. 
Pégase. 

195.  —  Mcsmement  auprès  de  ce  pont 

Opposé  viz  à  viz  du  mont , 
Du  mont  orguilleus  de  Foruiere  ,  page  123. 
Ce  pont  est  celui  de  la  Guillotière,  sur  le  Rhône,  construit, 
ou  du  moins  fondé  par  les  soins  du  pape  Innocent  IV,  pendant 
le  séjour  de  sept  années  qu'il  fît  à  Lyon  vers  le  milieu  du  xiii.^ 

•4 


210  NOTES. 

siècle.  La  maison  et  le  jardin  de  Louise  Labe'  en  étoient  fort 
peu  éloignés.  Le  mont  orguilleus  de  Foruiere  est  nommé  Four- 
uiere  (page  147)  dans  une  note  qui  appartient  aux  anciennes 
éditions.  Nous  aurons  occasion  d'en  reparler. 

196.  —  le  ne  say  quelle  belle  jleur^  P^gc  1*23. 
Louise  Labé. 

197.  — Et  qui  uoit  son  sourcil  bénin ^ 

V^oit  le  petit  arc  hebenin, 

Dont  jimour  ses  traits  nous  desserre  ^  P^^g^  124. 
Dorât  a  dit; 

Sur  l'albâtre  d'un  front  serein 
Trace  deux  jolis  arcs  d'ébène. 

198.  — -  Celui  qui  jleure  en  la  baisant 

Son  vent  si  dous  et  si  plaisant ^ 
Fleure  V odeur  de  la  Sabee ,  page  125. 
Ces  expressions  présentent  aujourd'hui  un  double  sens  désa- 
gréable, et    rappellent  presque  l'énigme  de  l'abbé  Beaugénie. 
Au  fond,  cependant,  les  idées  sont  gracieuses  et  délicates. 

199.  —  Et  qui  voit  ses  dens  en  riant 

V^oit  des  terres  de  l'Orient 
Meinte  perlette  desrobee ,  même  page. 
La  Fontaine,  dans  le  Différend  de  Beaux  Yeux  et  de  Belle  Bouche  : 

Belle  Bouche  à  toute  heure  étale  des  trésors: 
Le  nacre  est  en  dedans  >  le  corail  en  dehors. 
Quand  je  daigne  m'ouvrir,  il  n'est  richesse  égale. 
Les  présents  que  nous  fait  la  rive  orientale , 
N'approchent  pas  des  dons  que  ]&  prétends  avoir  : 

Trente-deux  perles  se  font  voir. 

Dont  la  moins  belle  et  la  moins  claire 
Passe  celles  que  l'Inde  a  dans  ses  régions  : 

Pour  plus  de  trente-deux  millions 

Je  ne  m'en  voudrois  pas  défaire. 

Belle  Bouche  ainsi  harangua 

200.  — -  Celui  qui  contemple  son  sein 

Large  ,  poli,  profond  et  plein, 


NOTES.  211 

Et  voit  son  teton  rondelet  ^ 
J^oit  deus  petis  gazons  de  lait,  page  laS. 
Ronsard,  au  i.^''  livre  de  ses  Amours  (sonnet  ^o); 

Que  de  beautez ,  que  de  grâces  écloses 
Voy  ie  au  iardin  de  ce  sein  verdelet 
Enfler  son  rond  de  deux  gazons  de  lait 
Ou  des  Amours  les  flèches  sont  encloses!... 

et  au  11.®  livre  (sonnet  2)  : 

Vous  avez  les  tetins  comme  deux  monts  de  lait 
Qui  pommelent  ainsi  qu'au  printemps  nouuelet 
Pommelent  deux  boutons  que  leur  chasse  enuironne... 

201.  —  Ou  bien  deus  boulettes  d'iuoire,  même  page. 
Marot  (Épigr.  67,  du  beau  tetiii)  : 

Tetin  qui  fait  honte  à  la  rose, 
Tetin  plus  beau  que  toute  chose  , 
Tetin  dur,  non  pas  tetin,  voire. 
Mais  petite  boule  d'ii^oire ,  etc. 

202. —  Celui  qui  voit  sa  belle  main , 
Se  peut  asseurer  tout  soudein 
D'auoir  vu  celle  de  V Aurore ,  même  page. 
Ronsard  dit  à  Marie  (liv.  il  de  ses  Amours,  sonnet  2)  : 

Vous  auez  de  l'Aurofe  et  le  front  et  la  main. 

et  (sonnet  6): 

De  toy  l'Aurore  emprunte  et  sa  iouë  et  sa  main. 

Les  poètes  grecs  surnommoient  l'Aurore  rhododactulos ,  qui  a 

les  doigts  de  rose. 

2o3.  —  Et  cjui  voit  ses  piez  si  petis , 
S^asseure  que  ceus  de  Thetis 
Heureas  il  ha  pii  voir  encore,  même  page. 

La  beauté  et  la  blancheur  des  pieds  de  Tht'tis  étoient  célèbres. 

Homère  appelle  cette  déesse  la  Déesse  aux  pieds  d'argent,  Thea 


312  NOTES. 

Thetis  argurope za,  Aconce ,  détaillant  les  charmes  de  Cydippe, 
dans  Ovide  (Heroïd.  xx,  60),  dit: 

Et,  Thetldl  quales  vis  rear  esse,  pedcs. 

204. — y4  la  prendre  à  la  cheueluve ^  page  127. 
Cette  allégorie  ingénieuse  est  due,  comme  tant  d'autres,  aux 
anciens.  Le  statuaire  Lysippe  avoit  ainsi  représenté  l'Occasion. 
Voy.  le  cxxi.^  Emblème  d'Alciat,  imité  d'une  épigramme  de 
Posidippe  dans  l'Anthologie.  Tout  le  monde  sait  par  cœur  ce 
vers  devenu  proverbe,  qui  exprime  la  même  idée  : 
Fi'onte  capillata  est,  sed  post  Occasio  calva. 

205.  —  Le  Tems  encore  quelquefois 

j4.dmirant  ta  grâce  éternelle 

Chantera  d'une  belle  z>oijc 

D' yluanson  ta  gloire  éternelle  ^  même  page. 
Au  lieu  à.' éternelle ,  il  faut  évidemment  lire  immortelle  au  se- 
cond ou  au  quatrième  vers.  Nous  avons  parlé  de  Jean  d'Avan- 
son,  note  i85.  Olivier  de  Magny,  son  secrétaire,  n'est  pas  le 
seul  qui  l'ait  célébré.  Presque  tous  les  écrivains  de  ce  temps-là 
le  représentent  comme  le  soutien  et  le  protecteur  de  tous  ceux 
qui  cultivoient  les  lettres  en  France.  Ronsard,  en  particulier, 
en  donne  cette  idée  en  deux  ou  trois  endroits  de  ses  poésies. 

MADRIGALE.  (Pagei28.) 

206.  —  Ce  madrigal  italien  n'est  pas  d'un  amoureux  transi: 
du  moins  il  n'y  manque  pas  à' ardeur,  Ae  flammes  et  àe  feux. 
M.  Pericaud  aîné,  qui  nous  a  fourni  la  traduction  suivante,  a 
dû  y  conserver  la  chaleur  de  l'original  : 

Le  premier  jour  que  j'aperçus  Louise;, 

De  tant  de  feu  mon  âme  fut  éprise 

Que  je  pensai  ,  quelle  était  mon  ei-reur  ! 

Voir  à  son  comble  une  si  vive  ardeur; 

Mais  sa  Leauté  qui  d'heure  en  heure  augmente , 

Redouble  encor  l'amour  qui  me  tourmente  : 

Las  !  nnaintenant  peut-il  croître  si  peu 

Que  je  ne  sois  tout  de  flamme  et  de  feuf 


NOTES.  2i3 

ODE,  (Page  128.) 

207.  —  Qui  de  langue  plus  diserte 

Fait  le  Dfusagete  orer,  page  i3o. 
Allusion  au  Débat  de  Folie  et  d' Amour ,  daixs  lequel  Apollon 
(désigné  ici  par  le  .surnom  de  Musagete ^   conducteur  des  Mu- 
ses) défend  la  cause  de  l'Amour  contre  Mercure,  chargé  de  celle 
de  la  Folie. 

208.  —  Qui  près  d'eus  peut  sommeiller^ 

Comme  elle,  sur  le  Parnasse!  même  page. 
Expression  empruntée  du  Prologue  des  Satires  de  Perse  : 

Nec  in  biclpiti  somniasse  Parnasso 
Memini ,  ut  repente  sic  poeta  prodirem. 

L'ancien  sclioliaste  de  Perse  voit  là  une  allusion  à  un  prétendu 
songe  d'Eunius.  Ce  poète  assuroit  dans  ses  Annales,  que  l'âme 
d'Homère  avoit  passé  en  lui ,  et  sa  preuve  étoit  qu'il  l'avoit  rêvé 
sur  le  Parnasse. 

209.  —  Qui  sortit ,  le  coup  donné , 

En  armes  j  de  la  ceruelle ,  même  page. 
Minerve  qui  sortit  tout  armée  du  cerveau  de  Jupiter. 

SONNET  A  D.  L.  L.   PAR  A.  F.   R.   (  Même  page.  ) 

210.  —  Les  lettres  initiales  A.  F.  R.  seroient  -  elles  celles 
à' Antoine  Fumée  Rapporteur!  Voy.  note  190. 

211.  —  Si  de  ceus  qui  ne  font  connue,  qu'e?t  lisant 

Tes  Odes  et  Sonnets,  Louise,  es  honorée,  même  page. 
Toutes  les  éditions  antérieures  à  la  nôtre  portent:  et  honorée, 
ce  qui  rend  la  phrase  inachevée.  J'ai  cru  devoir,  pour  la  rendre 
régulière  et  complète,  introduire  dans  le  texte  le  léger  change- 
ment â!et  en  es,  qui  ïne  paroît  être  la  leçon  originale. 

A,  DAME  LOYÏZE  LABE,   LA   COMPARANT  AVS   CIEVS.   (Page  l3l.) 

212.  —  L'auteur  de  cette  pièce  n'a  pas  eu  à  faire  de  grands 
efforts  d'imagination  :  car  il  s'est  contenté  de  traduire  une  pièce 
latine  de  Jérôme  Angerianus  • 


2i4  NOTES. 

Septem  errant  igues  per  cœli  mobilis  axes  ,  etc . 

Voy.  page   221  du  recueil  intitulé  :  Michael  Tarcli.  MaruUus, 
Hieron.  Angerianus  et  Joan.  Secunclus,  déjà  cité  note  i3i. 

DES  LOVENGES  DE  DAME  LOVÏZE  LABE.  (Page  l32.) 

21 5.  —  Cette  ode,  la  dernière  et  la  plus  longue  des  pièces 
faites  à  la  louange  de  Louise  Lahé ,  est  peut-être  aussi  la  plus 
remarquaLl e ,  soit  sous  le  rapport  des  détails  historiques  qu'elle 
contient,  soit  même  sous  le  rapport  de  la  poésie. 

2i4  — Ls  Dieu  Delphique ,  même  page. 

Apollon  qui  avoit  à  Delphes  un  temple  où  il  rendoit  des  oracles. 

21 5.  —  Trop  mieus  que  ce  vieil  Rommain 

Ç)ui  sa  demeure  ancienne^ 

La  terre  Saturnienne 

Délaissa  pour  ta  beauté,  P^?^  l3o. 
Ce  vieil  Rommain  qui  avoit  quitté  l'Italie  pour  venir  adorer 
Louise  Labé,  mais  dont  l'amour  ne  fut  payé  que  de  rigueurs, 
et  qui  mourut  en  Espagne,  comme  on  le  voit  dans  la  strophe 
suivante,  est  probablement  l'auteur  des  quatre  pièces  en  vers 
italiens  (pages  110,  111  et  128). 

216.  — Ainsi  que  Semiramide^  page  i54. 
Voy.  note  58. 

217. — D'un  roc  de  pins  em,plumé,  page  l55. 
La  note  sur  le  mot  pins ,  placée  au  bas  de  cette  page  :  Aphérèse 
pour  sapins,  appartient  aux  anciennes  éditions. 

218.  —  Ou  comme  Penthasilee,  même  page. 
Penthésilée,  reine  des  Amazones,  que  Virgile  (Enéide,  I,  49^) 
met  au  nombre  des  guerriers  venus  au  secours  de  Troye. 

219.  —  2Ye  demontroit  rien  en  elle 

Que  d'ufi  cheualier  vaillant,  page  l36. 
La  syntaxe  exigeroit:  JVe  démontre  rien  en  elle,  les  autres  verbes 
qui  précèdent  étant  au  présent. 

220. — L^orguilleus  Jlls  de  Clymene,  page  iZj. 
Prométhée,  fils  de  Japet  et  de  Clymène. 


NOTES.  îii5 

5.21.  —  V^n  peu  plus  haut  que  la  plaine,  page  iZj. 
La  description  du  jardin  de  Louise  Labe',  qui  commence  à  ce 
vers,  mérite  de  fixer  l'attention  des  lecteurs.  C'est,  à  mon  gré, 
un  morceau  plein  de  grâce  et  do  poésie. 

222.  —  Du  îuste  Roy  de  Corcyre,  même  page. 
Alcinoiis  :  ses  jardins  ou  vergers  étoieut  célèbres  dans  l'anti- 
quité, et  tout  le  monde  connoît  la  description  qu'Homère  nous 
en  a  laissée  (Odyss.  Vil).  Martial  coraparoit  à  ces  mêmes  jar- 
dins celui  que  Marcelia  lui  avoit  donné  ou  conservé  en  Espagne  : 
Hoc  nemus,  hi  fantes,  etc.  (liv.  xrr,  Ep.  3i).  J'en  ai  essayé  au- 
trefois l'imitation,  ou  plutôt  la  traduction  suivante  : 

Ces  fontaines,  ce  bois,  cette  épaisse  verdure. 

Ce  ruisseau  qui  promène  une  eau  limpide  et  pure. 

Ces  rosiers  qui  deux  fois  se  couronnent  de  fleurs 

Dont  celles  de  Pœstum  envîroient  les  couleurs  , 

Ces  légumes  exquis  qu'épargne  la  froidure  , 

L'anguille  qui  serpente  en  ces  bassins  riants. 

Et  cette  blanche  tour  que,  non  moins  blanche  qu'elle, 

Habite  de  pigeons  une  troupe  fidclle. 

Je  les  revois  enfin  après  trente  printemps  ! 

D'une  femme  chérie  agréables  présents! 

Aux  plus  riches  trésors  Martial  vous  préfère; 

Vous  êtes  son  empire,  et  si  Nausicaa 

Offroit  de  lui  céder  le  jardin  de  son  père  : 

J'aime  mieux,  diroit-il,  celui  de  Marcelia. 

Ailleurs  (liv.  Viii,  Ep.  Q'à) ^  le  même  poète  a  encore  recours  à 
cette  comparaison  en  faveur  de  la  serre  chaude  d'Entellus  (  Voy. 
note  5i)  : 

Qu'on  vante  les  jardins  du  sage  Alcinoùs  ! 
Les  tiens  offrent  encor  de  plus  rares  merveilles. 
La  pierre  diaphane  y  protégeant  les  treilles 
Défend,  sans  les  cacher,  les  présents  de  Bacchus. 
Ainsi  brille  un  caillou  dans  l'onde  transparente  3 
Tels,  à  travers  les  fils  d'un  tissu  précieux. 
Se  tracent  les  contours  d'une  taille  élégante. 
L'hiver  même,  ô  combien  l'art  est  ingénieux  1 
De  Pomone  remplit  la  corbeille  odorante. 


2i6  NOTES. 

Cette  dernière  imitation  est  de  feu  M.  de  Kérivalaîit,  et  m'a  été 
communiquée  par  M.  de  Labouïsse,  son  ami  et  le  légataire  de 
ses  ouvrages.  La  pierre  diaphane  dont  il  y  est  question,  est  celle 
quelles  anciens  appeloient  specularis ,  ou  pierre  de  miroir,  et 
dont  ils  faisoient  leurs  vitres. 

225. —  DV  TRESNOBLE  Ro  Y  DE  FRANCE 

Le  croissant  NEVVE  ^C«OJ.f.y^iVC£',  etc.,pag.l38. 
M.  de  Ruolz,  Discours  sur  la  personne  et  les  ouvrages  de  Louise 
Labé  (page  16),  dit  que  ces  six  vers  (formant  inscription) 
«  étoient  sans  doute  l'ouvrage  de  la  maîtresse  du  logis.» Henri  II 
qui  régnoit  alors,  avoit  pour  devise  un  double  croissant.  On 
trouve  dans  l'ode  De  l'Antiqviitc  et  excellence  de  la  Ville  de 
Lyon,  par  Charles  Fontaine,  parisien,  Lyon,  Jean  Citoys, 
i557,  in- 12  (page  18),  une  strophe  que  l'auteur  adresse  aux 
Lyonnois,  et  qui  a  beaucoup  de  rapport  avec  le  passage,  objet 
de  cette  note  : 

Ce  beau  croissant,  tousiours   croissant, 
Par  sa  vertu  et  influence 
Vous  ira  tousiours  accroissant; 
Tous  biens  aurez  eu  affluence. 

224.  —  -Au  jyieii  en  Inde  inuoqué,  même  page, 
ABacchus,  qui  fît  la  conquête  des  Indes  avec  une  armée  d'hom- 
mes et  de  femmes  portant,  au  lieu  d'armes,  des  thyrses  et  des 
tambours. 

225.  —  Là  V  Oliue  palissante 

Qu^ jitJiene  tant  reclama,  P^ge  iSg. 
L'olivier,  arbre  consacré  à  Minerve,  et  que  l'on  disoit  même 
avoir  été  produit  par  cette  déesse,  patrone  de  la  ville  d'Athènes. 
Le  territoire  de  l'Attique  étoit  propre  à  la  culture  de  l'olivier, 
et  cet  arbre  y  étoit  très  abondant. 

226.  —  Et  la  branche  verdissante 

Ç)il' jipolon  iadls  ayma,  même  page. 
Le  laurier  :  on  connoît  la  fable  de  Daphné  changée  en  laurier 
par  Apollon.  Voy.  Ovide  (Metam.  i,  4^1  et  scq.). 


NOTES.  217 

227.  —  La  l'Arbre  droit  de  Cibelle^  V^Z^  1^9* 

Le  pin,  consacré  à  CybMe.  Voy.  dans  Phèdre  la  17.®  fable  du 
livre  III,  intitulée  :  Arbores  in  deorum  tulelâ. 

228.  —  Et  le  ceruerin  rebelle 

Au  plaisir  vénérien  ,  même  page. 
N'ayant  trouvé  le  mot  ceruerin  dans  aucun  de  nos  dictionnaires, 
et  ne  voulant  néanmoins  rien  laisser  d'inexpliqué,  j'ai  recouru 
aux  savants,  soit  par  la  voie  épistolaire,  soit  par  celle  des  jour- 
naux (voyez,  entre  autres,  le  Journal  anecdotique  de  Castelnau- 
dary,  3.^  année,  i.^*"  semestre,  n.°  2«  ,  et  le  Journal  de  Dijon 
et  de  la  Côte-d'Or  du  27  décembre  i8?.3).  Je  n'ai  reçu  aucune 
réponse  positive;  mais  diverses  conjectures  m'ont  été  commu- 
niquées. Parmi  les  personnes  auxquelles  je  les  dois,  je  citerai 
M.  Charles  Pougens,  de  l'institut,  si  profondément  versé  dans 
les  antiquités  de  la  langue  françoise;  M.  le  marquis  de  Chesnel, 
de  la  société  d'agriculture  de  Montpellier,  qui  cultive  d'une  ma- 
nière très  distinguée  les  sciences  naturelles;  M.  de  Labouïsse, 
si  célèbre  comme  littérateur  et  comme  poète,  et  que  le  culte 
des  Muses  n'empêche  point  de  se  livrer  à  des  études  plus  sé- 
rieuses ;  M.  le  docteur  Vallot,  un  des  membres  les  plus  instruits 
de  l'académie  de  Dijon,  etc.  La  plupart  de  ces  savants  ont  pensé 
que  le  cerverin  étoit  le  gatilier  commun,  le  vitex  agtius  castus 
de  Linné.  M.  de  Labouïsse  croit  même  avoir  lu  quelque  part  le 
nom  de  cerverin,  donné  à  un  sirop  qu'on  préparoit  dans  les 
couvents  avec  les  baies  de  cet  arbuste.  M.  Vallot  va  encore  plus 
loin:  il  indique  l'étymologie  de  ce  nom.  Suivant  lui,  cerverin 
vient  de  cerberin  (petit  cerbère),  en  remplaçant  le  b  par  (^,  sub- 
stitution très  commune  dans  les  langues  du  Midi.  «  Cette  allu- 
«  sion,  ajoute-t-il ,  sera  facilement  sentie  en  s:;  rappelant  ver- 
«  tugadin  »  (Petites  Aifiches  de  Dijon  du  16  janvier  1824). 
C'étoit,  eu  eifet,  une  opinion  généralement  a.loptée  par  les  an- 
ciens, que  Vagnus  caUus  étoit  doué  d'une  vertu  réfrigérante  qui 
le  faisoit  compter  au  nombre  des  anti-aphrodisiaques  les  plus 
puissants.  Quelques  auteurs  racontent  que  les  Athéniennes  se 


2i8  NOTES. 

disposant  à  sacrifier  à  Cérès  dans  les'Thesmophories,  compo- 
soient  pendant  quelques  jours  leurs  lits  avec  les  feuilles  de  cet 
arbrisseau,  pour  se  maintenir  dans  l'état  le  plus  favorable  à  la 
cbasteté.  Bayle  (art.  Thesmophories ,  rjm.  B.  ),  doute  que  cet 
usage  ait  jamais  existé,  et  fait  voir  que  les  dames  d'Athènes  ne 
pouvoient  y  avoir  recours,  sans  avouer  la  foiblesse  de  leur  vertu 
et  leur  incontinence  habituelle;  mais,  que  le  fait  soit  vrai  ou 
non,  il  n'est  pas"^ moins  certain  que  ceux  qui  l'ont  rapporté, 
regardoient  Vagnus  castus  comme  rebelle  au  plaisir  'venerien . 
pour  employer  les  expressions  de  notre  vieux  poète.  Ce  préjugé, 
car  on  prétend  que  c'en  est  un,  a  subsisté  long-temps,  et  s'est 
même  perpétué  presque  jusqu'à  nos  jours.  Voici  ce  qu'on  lit  dans 
les  Lyonnois  dignes  de  mémoire,  de  l'abbé  Pernrtti  (tome  II, 
page  179)  :  «  M.  Chomel  (de  Lyon,  auteur  du  Dictionnaire  éco- 
«  nomique,  mort  en  1712)  étoit  un  homme  vertueux:  il  aimoit 
«  les  pauvres  ;  et,  pour  soulager  ceux  de  sa  paroisse,  il  établit 
«  une  communauté  de  filles,  sous  le  nom  de  l'Enfant  Jésus,  de 
«  St.  Vincent  et  de  Ste.  Blandine  :  il  leur  avoit  donné  le  secret 
«  de  la  préparation  de  Vagnus  castus,  dont  il  vantoit  souvent 
«  les  vertus.  M.  Villemot,  curé  de  la  Guillotière,  impatienté 
«  des  éloges  continuels  que  M.  Chomel  en  faisoit,  lui  dit  un 
«  jour  avec  une  brusque  franchise  qui  lui  étoit  naturelle  :  Il 
«  semble  que  vous  vouliez  rendre  inutile  la  grâce  du  Sauveur.  » 
D'après  ces  autorités  ,  il  est  sinon  prouvé  ,  du  moins  très 
vraisemblable,  que,  comme  le  croient  les  personnes  recomman- 
dables  que  j'ai  citées,  notre  auteur  désigne  par  le  mot  de  cer- 
uerin,  inusité  aujourd'hui,  le  vitex  agnus  castus  de  Linné, 
229.  —  Auec  Vobscure  ramee 

Par  Phebe  iadis  formée 

Du  corps  Cyparissien ,  P^g^  i59. 
Cyparisse,  ami  d'Apollon,  ayant  tué  par  mégarde  un  cerf  au- 
quel il  étoit  très  attaché,  en  eut  tant  de  regret,  qu'il  pria  les 
dieux  de  lui  ôter  la  vie,  ou  de  rendre  sa  douleur  perpétuelle. 
Apollon  le  changea  eu  cyprès,  qui  dès  ce  moment  devint  le 


NOTES.  219 

symbole  du  deuil  et  le  compagnon  des  affligés.  On  le  portoit 
dans  les  pompes  funèbres,  et  on  le  plantoit  autour  des  tom- 
beaux. 

200.  —  D\in  Warcisse  qui  s^arreste 

Tout  panchant  le  col  sur  l'eau,  page  l4o. 

Narcisse,  en  s'admirant,  mourut  au  bord  des  flots. 
Et,  fleur,  il  semble  encor  se  chercher  dans  les  eaux. 

(  DoRAT,  le  Mois  de  mai ,  poème.) 

Voy.  Ovide  (Metam.  ni,  407  et  seq.). 

23 1.  —  Estoit  le  iaune  souci ,  même  page. 

Le  nom  de  cette  fleur  vient  de  solsequium ,  parce  qu'en  effet, 
comme  le  fait  entendre  le  poète  dans  les  vers  suivants  ,  elle 
semble  suivre  le  soleil:  elle  se  ferme  quand  il  se  coucbe,  et 
s'ouvre  lorsqu'il  se  lève. 

232.  — La  aussi  estaient  Brunettes ,  page  x/{l. 

Les  fleurs  appelées  Brunettes  ne  sont  pas  plus  connues  aujour- 
d'hui que  l'arbuste  qu'on  uommoit  cerverin.  J'ai  consulté  les 
mêmes  personnes,  auxquelles  j'avois  demandé  l'explication  de 
ce  dernier  mot:  suivant  les  unes,  la  brunette  est  la  scabieuse 
pourprée  oxi  fleur  de  veuve,  scahiosa  atropurpurea ,  Linn.  ;  sui- 
vant les  autres,  c'est  la  petite  consoude,  brunella  ou  prunella 
vulgaris  ;  suivant  d'autres  enfin,  c'est  le  cyclame  d'Europe, 
cyclamen  europœum ,  Linn.  «  Pour  avoir  la  preuve  que  c'est  le 
«  cyclame,  dit  M.  Vallot,  il  suffit  de  recourir  à  l'ouvrage,  fort 
«  ancien,  il  est  vrai ,  de  Mathieu  Sauvage,  Matthœi  Sylvatici 
«  opus  pandectarum;onlit(fol.XLlil):j8rKmarta,  hrumeria ,  vl. 
«  hrunete ,  et  (fol,  XLIIII,  cap.  CXV)  :  Buthomarien,  panis  por- 
«  cinus,  d'où  l'on  conclut  facilement  cyclame  (Petites  Affiches 
«  de  Dijon,  déjà  citées  ).  »  «  Ce  qui  a  pu  faire  donner  le  nom 
«  de  brunette  au  cyclame,  dont  les  variétés  sont  si  nombreuses, 
«  ajoute  encore  M.  Vallot,  c'est  la  couleur  de  l'écorce  des  ra- 
«  cines,  et  surtout  le  vert  brun  de  la  surface  des  feuilles  de 
«  cette  plante.  » 


220  NOTES. 

ti.ZZ,  "—  Mastis,  damas ,  P^ge   i/^i. 

Ces  deux  noms  de  fleurs  sont  e'galenient  ignorés  de  nos  botanis- 
tes modernes.  Le  premier  est-il,  ainsi  queleconjecturentMlVl.de 
Labouïsse  et  de  Chesnel,  le  nom  défiguré  du  pied  d'alouette, 
en  latin  delphinium  Ajacis!  Mais  nous  verrons  que  le  pied  d'a- 
louette semble  être  désigné  dans  la  stropbe  suivante.  N'est-ce 
pas  plutôt,  d'après  l'avis  de  MM.  Pougens  etVallot,  \q  thymus 
mastichina^  Linn. ,  recherché  pour  son  odeur  aromatique,  péné- 
trante et  suave?  «  On  s'assurera  de  cette  détermination,  observe 
«  M.  Vallot ,   en  recourant  à  l'Histoire  des  plantes  de  Dale- 
«  champ  (tome  ï,  liv.  Viii,  chap.  IV,  pag.   769  et  770),  où  on 
«  lit:  V^rai  maron  appelle  en  françois  mastic,  v>  Le  thymus  mas~ 
tichina  a,  en  effet,  des  propriétés  analogues  à  celles  du  mastic: 
ce  qui  a  pu  lui  valoir  la  même  dénomination.  Le  retranchement 
du  c,  suivant  M.  Pougens,  ne  doit  point  arrêter,  vu  l'incertitude 
et  le  peu  de  fixité  de  l'orthographe  chez  les  anciens  poètes  fran- 
çois. Il  se  pourroit,  d'ailleurs,  qu'au  temps  de  Louise  Labé,  lee 
de  mastic  ne  se  prononçât  pas,  motif  suffisant  pour  que,  d'après 
le  système  d'orthographe  suivi  dans  ses  œuvres,  on  n'eût  pas 
craint  de  faire  disparoître  cette  lettre  comme  inutile.  Quant 
aux  damas ,  je  me  contenterai  de  rapporter  l'opinion  du  savant 
médecin  dijonnois,  et  parce  qu'elle  est  très  plausible,  et  parce 
qu'il  indique  et  combat  les  autres  conjectures  qui  ont  été  faites 
sur  le  même  mot:  «Datnas,  c'est  l'oreille  d'ours ,  primula  aiiri- 
«  cula  j  Linn.  :  elle  a  reçu  la  dénomination  de  damas  d'après 
«  Fabius  Columna  qui,  sous  le  nom  d'alisma  ou  damasonium 
«  Dioscoridis,  avoit  indiqué  une  espèce  désignée  aujourd'hui  sous 
«  le   nom  de  primula  palinuri.   Quelques  personnes  voudront 
«  peut-être  que  damas  désigne  la  nielle,  nigella  damascena  , 
«  Linn.  ;  d'autres  prétendront  que  damas  désigne  la  rose  musquée 
M  de  Damas,  indiquée  parDalechamp  (Hist.  gén.  des  Plantes, 
«  tom.  r,  liv.  II,  chap.  2,  pag.  lo^),  et  rapportée  par  Lamark 
«  au  rosa  alba  ,  Linn.  Mais,   si  elles  veulent  réfléchir  sur  la 
«  strophe  où  cette  plante  est  citée,  elles  verront  que  Poreille 


NOTES.  221 

«  d'ours  s'accorde  mieux  avec  les  fleurs  qui  y  soïit  mention- 
«  nées.»  M.  Vallot  trouve  enfin  la  confirmation  de  sa  conjecture 
dans  le  nom  de  damas ,  donné  à  une  sorte  d'étoffe  do  soie,  sur 
laquelle  la  lumière  joue  comme  sur  les  corolles  bigarrées  de 
l'oreille  d'ours,  qui  est,  d'ailleurs,  si  connue  et  si  recherchée 
des  amateurs. 

234.  —  jiuec  la  Jleur  f  en  laquelle 
Hiacinte  renouuelle 
Son  nom  après  son  trespas,  page  l4l. 
Ces  vers  s'appliquent,  suivant  toute  apparence,  au  pied  d'alouette, 
delphinium  Ajacis ,  Linn.  Du  moins,  tous  les  botanistes  s'ac- 
cordent à  croire  que  le  pied  d'alouette  est  Vhyacinthus  des  an- 
ciens, ainsi  nommé  par  les  poètes  qui  supposoient  cette  fleur  née 
du  sang  d'Hyacinthe,  et  suivant  lesquels  elle  portoit  la  marque 
des  gémissements  d'Apollon,  c'est-à-dire  les  lettres  AI  AT,  ex- 
clamation douloureuse  répondant  à  notre  hélas.  Il  y  avoit,  à  ce 
qu'il  paroît,  une  autre  espèce  dihyacinthus  née  du  sang  d'Ajax, 
et  portant  aussi  les  mêmes  lettres  écrites  (initiales  du  nom  de 
ce  héros).  Suivant  un  savant  dû  premier  ordre,  cette  dernière 
espèce  seroit  notre  lis-martagon,    et  c'est  mal-à-propos  que 
Linné  auroit  donné  au  pied  d'alouelte  la  dénomination,  de  del- 
phinium Ajacis.  Voy.  dans  le  Journal  des  Débats  du  17  mai 
1812,  un  article  très  curieux  de  M.  Boissonade,  sur  les  Prin- 
cipes de  botanique,  par  Ventenat.  En  tout  cas,  le  chantre  de 
Louise  Labé  a  eu  tort  de  dire  qu'Hyacinthe  renouuelle  son  nom. 
dans  la  fleur  née  de  son  sang,  s'il  a  entendu  faire  allusion  aux 
lettres  AI  AI  dont  elle  semble  offrir  l'image  :  ces  lettres  ne 
pourroient  renouueller  que  le  nom  d'Ajax  ;  mais  peut-être  ses 
paroles  ne  signifient-elles  autre  chose,  sinon  que  la  fleur  dont 
il  s'agit  étant  appelée  Hyacinthe,  comme  l'ami  d'Apollon,  per- 
pétue par  là  le  souvenir  de  ce  personnage  fabuleux, 
■235.  — Du  lieu  ou  fut  renfermé 
Le  monstre  contre  nature 
En  Pasiphae  formé  y   même  page. 


222  NOTES. 

Du  labyrinthe  de  l'île  de  Crète,  dans  lequel  fut  renfermé  le 
Minotaure,  monstre  moitié  homme  et  moitié  taureau,  né  des 
embrassements  d'un  taureau  et  de  Pasiphaé,  femme  de  Minos. 

236.  —  Titan ,  page  i4i. 

Le  soleil,  auquel  les  anciens  poètes  donnoient  ce  nom,  soit 
parce  qu'ils  le  croyoient  fils  d'Hypérion,  un  des  Titans,  soit 
parce  qu'ils  le  prenoient  pour  Hypérion  lui-même. 

237.  —  La  forte  Tritonienne 

Fille  du  Dieu  Candien,  page  142. 
Minerve,  fille  de  Jupiter,  né  et  adoré  dans  l'île  de  Crète  (au- 
jourd'hui Candie).  Elle  portoit  le  surnom  de  Tritonia,  Tritonis^ 
Tritogenia,  du  nom  d'un  fleuve  ou  d'un  lac  d'Afrique  appelé 
Triton,  sur  les  bords  duquel  ou  disoit  qu'elle  étoit  néeouavoit 
été  aperçue  pour  la  première  fois,  ou  bien  du  nom  de  la  nymphe 
Tritonis  ou  Tritonia,  que  quelques-uns  lui  donnoient  pour  mère. 

238.  —  Et  la  vierge  Ortygienne 

Seur  du  beau  Dieu  Cynthien ,  même  page. 
Diane,  sœur  d'Apollon  né  en  même  temps  qu'elle  sur  la  mon- 
tagne de  Cynthie,  dans  l'île  de  Délos.  L'île  d'Ortygie,  située 
près  de  Syracuse,  à  l'embouchure  de  l'Alphée,  lui  avoit  été 
donnée  par  Minerve  et  Proserpine. 

239.  —  Et  tout  son  corps  il  arrose 

D\in  tresgracieus  repos ,  page  1/^5, 
Cette  expression  hardie  est  empruntée  de  Virgile  : 

At  Venus  Ascaa'io  placidum  per  membra  quietem 

Inrigat 

(-^neld.  I,  igr — 2.) 

et  de  Silius  Italicus  : 

Oculisque  quietem 

Irrorat. , , 

(De  Bello  Punico,  x,  355 — 6.) 

C'est  par  la  même  figure  que  Valérius  Flaccus  (Argonaut.  IV,  10) 
donne  au  sommeil  l'épithète  de  liquidus  : 

. . .  , Liquidiquc  potentia  somni. 


NOTES.  223 

240.  — Près  du  riiiage 

Du  Simoent  Phrygien,  page  l43. 
Du  Simoïs,  fleuve  de  Phrygie. 

341.  — Dont  naquit  le  preux  courage ,  même  page. 
Éne'e,  fils  d'Anchise  et  de  Venus.  Venus  le  conçut  et  lui  donna 
le  jour  sur  les  bords  du  Simoïs. 

242.  — La  Cyprienne ,  P&g6  i44' 

Vénus,  surnommée  Cyprienne,  Cyprine  ouC'ypris,  parce  qu'elle 
avoit  pris  naissance  de  l'écume  de  la  mer,  près  de  l'île  de  Cb}'- 
pre,  et  que  cette  île  lui  étoit  consacrée, 

243.  —  Tenant  les  •vermeilles  roses 

De  sa  bouche  un  peu  descloses ,  même  page. 
Je  ne  sais  si  le  mot  déclos  a  jamais  été  employé  d'une  manière 
aussi  beureuse  que  dans  ce  passage  et  dans  le  commencement 
de  l'ode  suivante,  qu'on  me  permettra  de  transcrire  ici  tout 
entière  : 

Mignonne  ,  allons  voir  si  la  rose 
Qui  ce  matin  auoit  desclose 
Sa  robe  de  poux-pre  au  soleil , 
A  point  perdu  ceste  vespree 
Les  plis  de  sa  robe  pourprée , 
Et  son  teint  au  vostre  pareil. 

Las!  voyez  comme  en  peu  d'espace. 
Mignonne,  elle  a  dessus  la  place 
Las,  las,  ses  beautez  laissé  cheoir  1 
O  vrayment  naarastre  Nature , 
Puisqu'une  telle  fleur  ne  dure 
Que  du  matin  iusques  au  soir  1 

Donc  ,  si  vous  me  croyez ,  mignonne , 
Tandis  que  vostre  âge  fleuronne 
En  sa  plus  verte  nouveauté. 
Cueillez  ,  cueillez  votre  ieunesse  : 
Comme  à  ceste  fleur  la  vieillesse 
Fera  ternir  vostre  beauté. 

Anacrconse  seroit-il  exprimé  autrement?  Étoit-il  plus  gracieux? 


224  NOTES. 

EtMarmontel  n'a-t-il  pas  raison  d'appeler  cette  pièce,  une  jolie 
ode  anacréontique  ?  Elle  est  cependant  de  Ronsard  (  livre  i 
ode  17). 

244*  —  Contre  les  dars  de  ton  frère  ^  P^gG  li\S, 
Le  poète  supposant,  comme  on  le  verra  plus  bas,  que  Louise 
Labe'  est  née  de  Mars  et  de  Ve'nus,  en  fait  par  là  une  sœur  de 
l'Amour. 

245.  '— Z«'  Oiseau  qiù  présage  , 

En  chantant ^  sa  proche  mort ,  page  146. 
Le  cygne  qui,  d'après  la  croyance  des  anciens,  chantoit  mélo- 
dieusement à  l'approche  de  sa  mort.  Voy.  note  8. 

246.  —  Auecques  deus  vaillans  frères ,  même  page. 

Castor  et  Pollux,  éclos  avec  Hélène  de  l'œuf  dont  accoucha 
Léda,  épouse  de  Tyndare ,  après  avoir  eu  commerce  avec  Jupi- 
ter cliangé  en  cygne.  Castor  étoit  né  de  la  semence  de  Tyndare, 
et  par  conséquent  mortel  ;  Pollux,  né  de  c;lle  de  Jupiter,  étoit 
demi -dieu.  Celui-ci  partagea  son  immortalilé  avec  son  frère 
Voy.  note  Sy.  Le  poète  les  caractérise  l'un  et  l'autre  d'après  les 
idées  des  anciens. 

Castor  gaudet  equis  ,  ovo  prognatus  eodem 
Pugnis 

(  Horace  ,  Sat.  11,  i ,  36.) 

Tyndaridae  fratres  hic  eques ,  ille  pugil. 

(Ovide,  Fast.  v,  700,) 

247.  —  Du  cruel  Roy  de  Bebrice ,  même  page. 

Les  Bébrycieus  étoient  un  peuple  qui  sortit  de  la  Thrace  pour 
s'établir  dans  la  Bithynie.  Sous  prétexte  de  donner  des  jeux, 
ils  attiroient  les  voyageurs  dans  une  forêt,  et  les  massacroient 
sans  pitié.  Amycus,  leur  roi,  fut  tué  par  Pollux  et  les  Argo- 
nautes, auxquels  ils  avoient  tendu  les  mêmes  pièges. 

248.  — Gradiue  le  fort ,  page  147. 

Mars,  appelé  aussi  Gradivus ,  du  latin  gradi ,  marcher,  ou  du 
grec  cradainein ,  agiter  une  lance. 


t 


NOTES.  225 

^49*  ~~  ^'^  niont  ou  Ion  me  décore , 

Qui  retient  de  moy  son  nom ,  page  l47« 
Le  mont  ou  la  colline  de  Fourvière,  qui  domine  Lyon,  et  où 
l'on  voit  une  église  célèbre  dédiée  à  la  Vierge.  Le  poète  devoit 
adopter  l'étymologie  qui  fait  venir  Fourvière  de  Forum  p^eneris, 
et  qui  suppose  que  Vénus  y  avoit  un  temple  :  cela  convenoit  à 
son  sujet.  Mais  cette  étymologie  ne  paroît  pas  être  la  véritable, 
et  on  croit  généralement  aujourd'hui  que  Fourvière  est  une  al- 
tération de  Forum  vêtus  ,  parce  qu'il  y  avoit,  sur  le  haut  de 
cette  montagne,  une  place  publique  ou  marché  construit  par 
Trajan.  C'est  du  moins  ce  que  cherche  à  prouver  le  P.  de  Co- 
lonia  (tome  r,  pages  1C9  et  suiv.).  Il  fait  voir  qu'on  ne  Irouve 
ni  sur  les  lieux,  ni  dans  l'histoire,  aucun  indice  de  l'exislence 
de  ce  prétendu  temple  de  Vénus.  Quoi  qu'il  en  soit,  Maurice 
Sceve  donuoit  au  nom  de  Fourvière  la  même  origine  que  notre 
poète:  le  XCV.^  dixain  de  sa  Délie  est  ainsi  conçu: 

Ton  haiilt  sommet,  ô  Aloiit  à  Venus  sainte,  , 

De  tant  d'esclairs  tant  de  fois  coronné , 

Monstre  ma  teste  estre  de  sanglotz  ceincte» 

Qui  mon  plus  hault  tieiu^nt  enuirouné. 

Et  ce  Brouas  te  couurant  estonné 

De  mes  souspirs  descouure  la  bruyne. 

Tes  aqueductz  ,  déplorable  ruyne  , 

Te  font  priser  par  l'iuiure  du  temps. 

Et  mes  yeulx  secz  de  l'eau,   qui  me  ruyne. 

Me  font  du  peuple,  et  d'elle  passe-temps. 

Jean-Isaac  Pontanus,  auteur  d'un  voyage  dans  la  Gaule  Nar- 
bonnoise,  inséré  parmi  ses  autres  poésies  latines,  Amsterdam, 
1654,  in-12,  décrivant  en  beaux  vers  la  ville  de  Lyon,  a  adopté 
aussi  la  même  tradition  : 

Singula  miramur  pontes  et  amœna  fluenta, 
Vicinamque  astris  cingentia  mœnia  rupem, 
Qua  Veneri  îdalia; ,  sic.  fert  longaeva  vetustas, 
Fundata  est,  veluti  olim  Eryclno  in  vertice,  sedes. 
Fallorî  an  hanc  quondam  molitus  Claudius  ingens 

i5 


226  NOTES. 

Indigena  ,  atque  Ulo  quoque  sese  fassus  AcMvîs 
Et  magna  ^neadum  de  slirpe  et  gente  profectumî 

«  Nous  admirons  tour-à-tour  ces  beaux  fleuves,  les  ponts  qui 
«  les  traversent,  et  ces  murailles  construites  sur  un  rocher 
«  voisin  des  astres,  où,  s'il  faut  en  croire  d'antiques  récits,  un 
«  temple  fut  élevé  à  Vénus,  comme  autrefois  sur  le  mont  Éryx. 
«  Peut-être  n'est-ce  qu'une  illusion;  mais  je  crois  que  ce  temple 
«  fut  l'ouvrage  de  Claude  qui,  dans  sa  patrie,  voulut  rappeler 
«  aux  Grecs  qu'il  sortoit  de  la  noble  race  d'Énée.  » 

sSo.  —Le  lieu  ou  tu  fus  conçue 

]Se  fut  vile  ny  château^  P^gG  l47« 
Ce  passage  sembleroit  annoncer  que  Louise  Labé  n'étoit  pas 
née  à  Lyon  même,  mais  dans  les  environs  de  cette  ville. 

25i.  — Lih  autour  sont  ineintes  plaines ,  etc.,  pages  i47  et  i/\S. 
Est-ce  de  la  maison  de  campagne  et  des  fonds  que  Louise  Labé 
possédoit  à  Parcieu,  que  le  poète  veut  parler? 
aSa.  —  Marot  y  Moulin  ^  la  Fonte ine  ^ 

Auec  la  Muse  hauteine-  4|^k 

De  ce  Sceue  audacieus  ^  4|||^  ^^T 

Dont  la  tonnante  parole , 
Qui  dens  les  astres  carole  ^ 
Semble  un  contrefoudre  es  Cieus,  page  i5l. 
Clément  Marot,  qui  vint  et  séjourna  à  Lyon  en  i53o,  i536, 
i537  et  i538,  ne  put  y  connoître  Louise  Labé,  qui  n'étoit  alors 
qu'un  enfant,  puisqu'elle  étoit  née  en  i5i6.  Il  étoit  mort  depuis 
onze  ans,  lorsqu'elle  publia  ses  ouvrages.  On  ne  trouve  rien 
dans  les  oeuvres  de  Marot  qui  soit  relatif  à  la  Belle  Cordière, 
quoique,  d'après  les  vers  qu'on  vient  de  lire^  il  paroisse  l'avoir 
célébrée. 

Les  poésies  et  la  personne  de  Moulin  me  sont  inconnues,  à 
moins  qu'il  ne  s'agisse  d'Antoine  du  Moulin,  mâconnois,  édi- 
teur des  œuvres  de  Marot,  de  celles  de  Pernette  du  Guillet,  de 
celles  de  Bonayenture  des  Périers,  et  auteur  lui-même  d'un 


NOTES.  227 

grand  nomLre  d'ouvrages  en  vers  et  en  prose,  dont  la  Croix  du 
Maine  et  du  Verdier  indiquent  les  principaux. 

Quant  k  la  Fonte ine  f  c'est,  je  crois,  Charles  Fontaine,  auteur  de 
poe'sies  dont  plusieurs  sont  adressées  à  des  Lyonnois,  et  dont  il 
existe  trois  éditions,  ou  plutôt  trois  recueils,  imprimés,  le  pre- 
mier à  Paris,  en  i546,  sous  le  titre  de  la  Fontaine  d'Amour, 
le  second,  en  i555,  sous  celui  des  Ruisseaux  de  Fontaine,  et 
le  troisième,  en  i588,  à  Lyon,  chez  Benoît  Rigaud,  sous  celui 
du  Jardin  d'Amour  avec  la  Fontaine  d'Amour.  Le  Magasin  En- 
cyclopédique ,  année  1812  (tome  vr,  pages  35i-366),  contient 
une  notice  intéressante  dont  ce  poète  est  le  sujet,- et  qui  est  inti- 
tulée, Lettre  à  M.  de  B*'^*  sur  un  poète  du  XVI.'^  siècle,  qui  a 
habité  Lyon,  et  dont  plusieurs  ouvrages  ont  rapport  à  cette  ville. 
J'ai  lieu  de  croire  que  cette  lettre  est  de  M.  Dugas-Montbel ,  de 
l'académie  de  Lyon,  auquel  nous  devons  la  dernière  et  la  meil- 
leure traduction  d'Homère.  Charles  Fontaine,  né  à  Paris  le 
i3  juillet  i5i5,  fut  l'ami,  le  disciple,  et  le  défenseur  de  Marot. 
Il  eut  pour  femmes  deux  lyonnoises,  qu'il  désigne  sous  les  noms 
de  Marguerite  et  de  Flora.  Il  épousa  la  première  en  i54o,  et  eut 
d'elle  deux  fils.  Il  la  regretta  vivement,  et  néanmoins  il  se  re- 
maria avec  la  seconde  au  mois  de  février  i544«  Celle-ci  étoit 
du  village  de  Chaponost.  Lui-même  nous  apprend  ces  circons- 
tances dans  ses  vers.  Ilparoît  que,  par  suite  de  ces  deux  établis- 
sements ,  il  se  fixa  à  Lyon,  et  qu'il  y  mourut,  on  ne  sait  pas 
au  juste  en  quelle  année  ;  il  sembleroit  cependant  que  ce  fut 
postérieurement  à  i588,  époque,  comme  nous  l'avons  dit,  de 
la  publication  de  son  Jardin  d'Amour. 

Nous  avons  déjà  parlé  plusieurs  fois  de  M-xurice  Sève  ou 
Scc\e,  et  de  ses  rapports  avec  Louise  Labé  (Voy.  notamment 
pages  Ivj  etlvij).  On  trouvera  d'amples  détails  sur  ce  poète  lyon- 
nois, qui  eut  une  grande  réputation  de  son  vivant,  dans  le  P.  de 
Colonia,. Histoire  littéraire  de  Lyon  (tome  ir,  pages  Sio-Siy),  et 
dans  l'abbé  Goujet,  Bibliothèque  françoise  (tome  XI,  pages  44^- 
452).  Ses  deux  principaux  ouvrages  sont  sa  Délie ,  obiect  de  plus 


328  NOTES. 

haulte  vertu  ,  Lyon,  Sulpice  Sabon  ,  i544)  in-S.",  et  Paiis,  Ni- 
colas du  Chemin,  i564,  in -16,  et  son  Microcosme  ou  Petit 
Monde,  Lyon,  Jean  de  Tournes,  i562,  in -4.°  Joachim  du 
Bellay  célèbre  Maurice  Sceve  dans  deux  de  ses  sonnets  :  dans 
le  premier  il  lui  donne  l'e'pithète  de  Cygne  nouveau;  je  trans- 
crirai ici  le  second,  un  des  meilleurs  du  temps  où  il  parut; 

Gentil  esprit,  oi-nement  de  la  France, 
Qui  d'Apollon  sainctement  inspiré 
T'es  le  premier  du  peuple  retiré, 
Loing  du  chemin  tracé  par  l'ignorance, 

Sceue  diuin,  dont  l'heureuse  naissance 

N'a  moins  encor  son  Rosne  décoré , 

Que  du  Thuscan  le  fleiiue  est  honoré 

Du  tronc  qui  prent  à  son  bord  accroissancc^ 

Reçoy  le  vœu,  qu'un  deuot  Angeuin , 
Enamouré  de  ton  esprit  diuin. 
Laissant  la  France  ,  à  ta  grandeur  dédie  : 

Ainsi  touslours  le  Rosne  impétueux. 
Ainsi  la  Sône  au  sein  non  fluctueux , 
Sonne  tousiours  et  Sccue  et  sa  Délie. 

Beaucoup  d'autres  contemporains  de  Maurice  Sceve  l'ont  pa- 
reillement vanté;  mais  Estienne  Pasquier,  Recherches  de  la 
France  (vn,  6),  tout  en  le  plaçant  à  la  tête  des  grands  poètes 
qui  parurent  sous  le  règne  de  Henri  11,  et  qui  «  du  commeuce- 
«<  ment  firent  profession  de  plus  contenter  leurs  esprits  que  l'o- 
«  pinion  du  commun  peuple,  »  le  blâme  d'avoir  affecté  trop 
d'érudition:  «  Le  premier  qui  franchit  le  pas,  dit-il,  fut  Mau- 
«  rice  Sceve,  Lionnois,  lequel  ores  qu'en  sa  jeunesse  eust  suiuy 
«  la  piste  des  autres,  si  est-ce  qu'arriuant  sur  l'aage,  il  voulut 
«  prendre  autre  train:  se  mettant  en  butte,  à  l'imitation  des 
«  Italiens,  une  maistresse  qu'il  célébra  sous  le  nom  de  Délie, 
«  non  en  sonnets  (car  l'usage  n'en  estoit  encore  introduit),  ains 
«  par  dixains  continuels,  mais  avecques  un  sens  si  ténébreux  et 


NOTES.  29.9 

«  obscur,  que  le  lisant  ie  clisois  cstre  très  content  de  ne  l'en- 
«  te;)clre,  puisqu'il  ne  vouloit  estre  entendu.  »  La  plupart  des 
449  dixains  dont  se  compose  la  Délie  de  Maurice  Sceve,  sont, 
en  effet,  difficiles  à  comprendre,  quoique  du.  Bellay,  dont  j'ai 
de'jà  cite  deux  pièces  à  la  louange  de  ce  poète,  l'appelle  ailleurs, 

Docte  aux  doctes  esclercy. 

Rien. n'est  plus  métaphysique  que  sa  poésie,  et  plus  hérissé  de 
mots  nouveaux  bizarrement  composés,  de  termes  durs  et  de 
brusques  transitions.  L'épithète  d'audacieus  que  lui  donne  l'au- 
teur de  l'ode  que  je  commente,  lui  convient  donc  à  merveille  ; 
mais  le  reste  de  l'éloge  est  exagéré.  L'expression  de  contre- 
foudre  qui  y  est  employée,  est  très  remarquable, 
253.  -—  Comme  d'un  la  Poésie ^ 

(^iii  de  l'onde  sortira 

Du  petit  Clan  y  dont  la  riue 

Priuee  de  flots  irez..,.,  page  i5i. 
Quel  est  le  poète  désigné  dans  cette  strophe,  et  dont  les  vers 
ont  sans  doute  été  placés  parmi  les  Kseriz  à  la  louenge  de  Louïze 
Labé !  d'après  le  pompeux  éloge  qu'on  lui  accorde,  ce  ne  pou- 
voit  pas  être  un  poète  vulgaire,  mais  un  de  ceux  qui  avoicnt 
alors  le  plus  de  réputation.  Il  habitoit  les  bords  dn  petit  Clan, 
Cette  indication  peut -elle  nous  mettre  sur  la  voie?  Qu'est-ce 
que  le  petit  Clan!  très  probablement  la  rivière  appelée  aussi 
le  Clain  y  et  dont  les  noms  latins  sont  Clanus ,  Clanius ,  Cle- 
nis,  Clitis  ou  Clenus.  Les  dictionnaires  géographiques  nous 
apprennent  qu'elle  arrose  le  Poitou;  qu'elle  a  deux  sources  à 
la  Yesse  et  à  Pleuville  ;  que  de  là  serpentant  vers  le  Nord  oc- 
cidental, elle  passe  à  Anche  et  y  reçoit  la  Boulaye  et  la  Dive, 
puis  à  Vivonne,  où  elle  reçoit  la  Vonne  et  plus  bas  la  Miosson  ; 
qu'enfin  elle  est  jointe  par  une  autre  rivière  à  Poitiers,  où 
on  l'a  rendue  navigable  jusqu'à  sa  jonction  avec  la  Vienne 
au-dessous  de  Senon  et  au-dessus  de  Chàtellerault.  Ainsi  , 
de  toutes  les  villes  qu'elle  parcourt,  Poitiers  est  la  plus  re- 


23o  NOTES. 

marquable.  Du  vivant  de  Louise  Labé,    les  lettres  y  étoicnt 
en  grand  cre'dit,  et  plusieurs  littérateurs  renommés  existoient 
dans  ses  murs  :  deux,  entre  autres,  qui  n'y  étoient  pas  ne's,  y 
demeurèrent  quelque  temps.  Le  premier  est  Jacques  Peletier 
duMans.  On  lit,  en  effet,  dans  l'abbé  Goujet,  Biblioth.  franc, 
(tome  Ti,  page  3o9)  :  «  Vers  i55o,  il  quitta  Paris,  et  séjourna 
«  successivement  à  Bourdeaux,  à  Poitiers  et  à  Lyon  ;  »  et  dans 
le  P.  Niceron,  Mémoires  (tome  XII,  page  867:  «  Il  alla,  vers 
«  l'an  i55o,  à  Bourdeaux,  d'où  il  passa  à  Poitiers;  mais  n'ayant 
«  pas  trouvé  dans  ces  deux  villes  cq  qu'il  souliaitoit,  il  se  trans- 
it porta  à  Lyon ,  on  il  demeura  quelques  années  et  composa 
«  plusieurs  ouvrages.  »   Ne  pourroit-on  pas  dès-lors  supposer 
que  l'ode  dont  il  s'agit  a  été  faite  au  moment  où  Jacques  Pele- 
tier étoit  encore  à  Poitiers ,  et  que  c'est  lui  qui  y  est  indiqué 
comme  le  poète  dont  les  chants  doivent  faire  le  plus  d'honneur 
à  la  Belle  Cordière?  Ce  qui  viendroit  à  l'appui  de  cette  conjec- 
ture, c'est  que  nous  avons  de  ce  poète  une  ode  à  la  louange  de 
la  ville  de  Lyon,  terminée  par  un  bel  hommage  à  la  beauté  et 
au  savoir  de  Louise  Labé  (Voy.  note  260).  Mais  il  existe  des 
raisons  à  peu  près  semblables  en  faveur  du  second  des  littéra- 
teurs célèbres  que   nous  avons  désignés  comme  séjournant  à 
Poitiers  à  la  même  époque.  Je  veux  parler  de  Jean-Antoine  de 
Baïf  (  Voy.  note  187).  Jean- Antoine  de  Baïf  passa  une  partie  de 
sa  jeunesse  dans  la  capitale  du  Poitou.  Il  y  étoit  notamment 
lorsqu'il  chanta  sa  Francine,  à  l'âge  de  22  ans,  c'est-à-dire, 
vers  1554 ;  car  il  étoit  né  à  Venise,  en  i532.  La  scène  de  son 
églogue  xiir,  intitulée  les  Pastoureaux,  faite,  suivant  toute  ap- 
parence, vers  le  même  temps,  et  dont  il  est  lui-même  un  des 
deux  interlocuteurs  sous  le  nom  de  Toinet,  est  placée  sur  les 
rives  du  Clain;  et  Ronsard,  vers  le  commencement  de  son  églo- 
gue du  Voyage  à  Tours,  insérée  dans  le  second  livre  de  ses 
Amours ,  et  où  il  donne  également  à  Baïf  le  nom  de  Thoinet, 
comme  il  se  donne  à  lui-même  celui  de  Perrot,  s'exprime 
ainsi  : 


NOTES.  iZx 

Et  ce  Tholnet  aussi  alloît  voir  sa  Francine  > 
Qu'Amour  en  se  ioiiant  d'un  trait  plein  de  rigueur 
Luy  auoit  prés  le  Clairi  escrite  dans  le  cœur. 

Enfin  Baïf  a,  aussi  bien  que  Peletier,  chanté  Louise  Lahé, 
puisque, parmi  \esEscriz  à  lalouange  de  cette  dame,  on  trouve, 
comme  nous  l'avons  vu,  une  pièce  de  lui,  celle  qui  commence 
par  ces  mots,  O  ma  belle  rebelle ^  etc.  (page  118).  C'est  donc 
bien  vraisemblablement  ou  Jean-Antoine  de  Baïf,  ou  Jacques 
Peletier,  que  notre  poète  avoit  en  vue;  mais  lequel  des  deux?  c'est 
ce  que  nous  ne  pouvons  décider.  J'ajouterai,  puisqu'il  s'agit 
du  Clan  ou  Clain ,  une  remarque  relative  à  un  poète  lyonnois, 
et  qui  me  fournira  l'occasion  d'un  petit  rapprochement  :  Guil- 
laume du  Peyrat,  de  Lyon,  nous  a  laissé  un  assez  mince  vo- 
lume, intitulé  Spicilegia  poética  et  Amorum  libri  lir,  Paris, 
JérémiePérier,  1601,  in-12.  Il  y  célèbre  (liv.  I  de  ses  Amours), 
sous  le  nom  de  Pyrrha  (cacliant  peut-être  celui  de  Pierrette), 
une  maîtresse  née,  comme  la  Francine  de  Baïf,  sur  les  bords 
du  Clain:  c'est  ce  qu'on  voit  par  la  VL*  pièce  de  ce  livre  (fol. 
37  rect. ),  où  on  lit: 

Félix  Pictonis  ora  ter  quatcrque , 
Félix  Clane  ter  et  quater,  quieto 
Labens  murmure,  pervagansque  rura, 
Rura  Nereidum  choi'is  arnica  , 
Queis  primos  tenera  edidit  puella 
Vagitus 

liC  quieto  labens  murmure  de  Guillaume  du  Peyrat  présente  la* 
même  pensée  que  la  riiie  priuee  de  flots  irez  que  notre  poète 
applique  aussi  au  Clain,  ou,  comme  il  l'appelle  ,  au. petit  Clan. 
354.  "— ^insi  Laure ,  ainsi  Oliue 

V^iuent  éternellement ,  page  l52. 
Laure  de  Noves,  immortalisée  par  Pétrarque.  Olive,  nom  sous 
lequel  Joachim  du  Bellay  célébra  sa  maîtresse.  C'étoit  l'ana- 
gramme de  son  véritable  nom:  elle   s'appeloit  Viole,   et  étoit 
d'Angers.  Les  sonnets  que  du  Bellay  fit  pour  elle,  eurent  une 


202  IXOTES. 

grande  réputation,  et  leur  succès  contribua  beaucoup  à  mettre 
à  la  mode  ce  genre  de  po^'sie  nouvellement  importé  d'Italie 
en  France  (Voy.  note  i35). 

255.  —  P^n  Bouchet  en  façon  telle 

Met  en  mémoire  immortelle 
De  son  ^nge  le  beau  nom,  page  iSa. 
Jean  Bouchet,  auteur  des  Annales  d'Aquitaine  et  d'un  très  grand 
nombre  d'ouvrages  poétiques  devenus  rares,  né  à  Poitiers  en 
1476,  et  mort  en  i55o  (si  c'est  le  même  qui  est  nommé  en  cet 
endroit),  avoit  sans  doute  chanté  une  belle  appelée  Angélique. 

256.  —  De  la  couple  Cynthienne ,  page  l53. 
De  Diane  et  d'Apollon  (Voy.  note  238). 

257.  —  Ainsi  Hector  à  Enee 

En  un  songe  s' apparut  y 
J^t  la  sienne  destinée 
En  songe  il  lui  discourut ,  page  l54. 
Voy.  Virgile  (Enéide,  il,  270-297). 

258.  —  Celle  harpe  Mfthimrioise ,  même  page. 

La  harpe  H'Arion,  de  Methymne,  ville  de  l'île  de  Lesbos. 

25t).  —  De  celle  bende  lirique ,  même  page. 
L'auteur  entend  sans  doute  par  ce»  mots  les  poètes  que  les  an- 
ciens appeloient  les  neuf  lyriques:  Alcman,  Alcée,  Sappho,  Sté- 
sirhore,  5bycus,Anacréoïï ,  Simonide,  Pindare  et  Bacchylide. 
260.  —  JNos  devanciers,  les  éditeurs  de  1762  et  l'éditeur  de 
ABrest,  ont  placé  parmi  les  Escriz  a  la  louenge  de  Louïze  Labé 
l'ode  de  Jacques  Peletier,que  nous  avons  indiquée  (note  253). 
jVous  ne  les  avons  poi'it  imités  en  cela,  d'après  la  loi  que  nous 
nous  sommes  imposée  de  reproduire  exactement  les  éditions  ori- 
ginales ,  où  cette  ode  ne  se  trouve  pas  ;  mais  nous  la  donnerons  ici  : 
el'e  est  extraite  des  Opuscules  en  vers  de  Peletier,  à  la  suite  de 
son  Art  poëlique  francois,  Lyon,  Jean  de  Tournes,,  i555,  in-S." 
L'ortliOi'rapht;  bizarre  qui  y  est  suivie,  est  celle  que  l'auteur 
avcit  a  "o^^t;'e  ;  car  on  sait  qu'à  l'exemple  du  lyonnois  Loys 
Meigiet,  il  voulut  introduire  dans  l'orthographe  une  réforme 


NOTES.  233 

complette,  et  la  faire  quad>er,  comme  on  le  disoit  alors,  avec 
la  prolation  (prononciation)  francoise. 

  tOUÏZE   LABÉ  ,  LIONNOESE. 

Mon  eiir  voulût  qu'un  iour  Lion  ie  visse , 
A  fin  qu'a  plein  mon  désir  i'assouuisse  , 

Altère  du  renom  : 
l'ê  vu  le  lieu  ou  l'impetueus  Rône  , 
Dedans  son  sein  prenant  la  calme  Sone, 

Lui  fôt  perdre  son  nom. 

l'è  vil  le  siège  ou  le  marchant  étals 
Sa  soee  fine  e  perle  oriantale, 

E  laborieus  or  : 
l'è  vu  l'ecrin,  dont  les  Roes  qui  conduîset 
Leur  grand'Armee,  a  leur  besoin  epuiset 

Vn  infini  trésor. 

l'è  contamplè  le  total  édifice , 
Que  la  nature  aueques  l'artifice 

A  clos  e  ammuré  : 
l'è  vu  le  plomi  imprimant  meint  volume 
D'un  brief  labeur,  qui  souz  les  irez  de  plume 

Vt  si  long  tans  duré. 

l'è  vu  an  fin  Damoeseles  e  Dames  , 
Plesir  des  yeus  e  passion  des  âmes  > 

Aus  visages  tant  beaus  : 
Mes  i'an  è  vu  sus  toutes  autres  l'une  > 
Resplandissant  comme  de  nuit  la  Lune 

Sus  les  moindi'es  flambeaus. 

E  bien  qu'el'  soèt  an  tel  nombre  si  bele> 
La  beauté  et  le  moins  qui  soèt  au  ele  ; 

Car  le  sauoer  qu'ele  à  , 
E  le  parler  qui  soeueniant  distile. 
Si  viuemant  anime   d'un  dous  stile. 

Sont  trop  plus  que  cela. 

Sus  donq,  mes  vers ,  louez  cete  Louise  r 
Soièz,  ma  plume,  a  la  louci  soumise. 
Puis  qu'ele  à  mérité, 


?34  NOTES. 

Maugré  le  tems  fuîtif,  d'être  menee- 
Bessus  le  vol  de  la  Famé  ampannee 
A  l'immortalité. 

Cette  pièce,  comme  on  le  voit,  a  besoin  d'un  commentaire. 
Le  P.  de  Colonia,  qui  la  cite  dans  son  Histoire  littéraire  de 
Lyon  (tome  li,  pages  544-5),  l'accompagne  de  quelques  notes 
que  nous  lui  emprunterons,  et  que  nous  tâcherons  de  compléter. 

l'è  vu  le  siège  ou  le  marchant  étale ,  etc. ,  v.  7. 
La  rue  Mercière.   Les  m^archands  de  soie  ,  les   orfèvres  ,   les 
joailliers  ,   les  passementiers  habitoient  alors  de  préférence 
cette  rue. 

l'è  vil  l'ecrin  ,  ou  les  Roes  qui  conduîset ,  etc ,  v.  10. 
Le  change,  ou  plutôt  le  commerce  de  Lyon,  qui,  dans  des  cir- 
constances difficiles ,  est  venu  au  secours  de  nos  rois  et  leur  a 
fourni  des  sommes  immenses, 

l'è  contemplé  le  total  édifice  y  etc. ,  v-  i3. 

La  ville. 

l'è  vil  le  plom  imprimant  rneint  volume  ,  etc. ,  v.  16. 
L'imprimerie.  Celle  de  Lyon  etoit  célèbre.  Le  premier  qui  ait 
exercé  cet  art  dans  nos  murs,  est  Guillaume  Régis  ou  le  Roy, 
que  Barthélémy  Buyer,  conseiller  de  ville,  y  fît  venir  en  1476) 
et  qu'il  établit  dans  sa  propre  maison,  située  sur  le  quai  de  la 
Saône,  près  des  Augustins.  Dès  ce  moment,  jusque  vers  le  mi- 
lieu du  XVIII.*  siècle,  et  même  plus  tard,  on  vit  une  longue 
suite  d'illustres  typographes  briller  dans  cette  ville.  On  peut  ci- 
ter, entre  autres,  Jean  Treschel,  Sébastien  et  Antoine  Gryphe, 
Estienne  Dolet,  Henry  Estienne,  Guillaume  Roville,  Jean  de 
Tournes,  Thibaud  Payen,  Antoine  de  Harsy,  les  ArnouUet, 
Jean  Temporal ,  les  deux  Frellons,  Horace  Cardon,  les  Anis- 
sons,  Benoît  Rigaud,  Jean  Huguetan,  Jean  et  Hugues  Barbou, 
Barthélémy  Vincent,  Bourgeat,  Jullieron  ,  Aimé  Delaroche, 
Jean-Marie  Bruyset,  etc.,  etc.  A  l'époque  où  vivoit  Peletier, 
et  long-temps  après,  les  gens  de  lettres  se  renJoient  en  foule  à 
Lyon  pour  y  faire  imprimer  leurs  ouvrages.  C'étoit  une  des 


NOTES.  235 

branches  les  plus  importantes  du  commerce  lyonnois.  Pcletier 
a  donc  trouvé  là  un  très  juste  motif  de  louange,  et  il  a  d'ail- 
leurs fort  bien  exprimé  l'avantage  d'une  des  plus  belles  inven- 
tions de  l'esprit  humain,  en  opposant,  à  la  promptitude  avec 
laquelle  elle  agit,  la  lenteur  de  l'écriture  manuelle.  Un  poète 
du  même  temps,  Charles  Fontaine,  que  j'ai  fait  connoître  plus 
haut  (note  sSa),  a  traité  le  même  sujet  d'une  manière  assez 
bizarre  dans  ces  strophes  de  son  Ode  de  l'antiquité  et  excel- 
lence de  la  ville  de  Lyon: 

En  mille  maisons  au  dedans, 
Vn  grand  million  de  dents  noires, 
Vn  million  de  noires  dents 
Trauaille  en  foires  et  hors  foires , 

Sur  estampe  blanche  mordans 
D'une  mcrueilleuse  morsure. 
Qui  sans  entrer  auant  dedans 
Dure  sans  fin  et  sans  mesure  : 

Et  se  fait  connoitre  partout 
Ou  le  soleil  se  levé  et  couche  , 
Auec  honneur  sans  fin  ne  bout. 
Tant  bien  sa  morsure  elle  touche. 

Et  les  grans  villes  on  y  volt 
Au  vif  pour  un  grand  tems  empreintes  : 
Là  y  revit  (pour  mort  qu'il  soit) 
Le  Poëte  et  ses  Muses  saintes. 

Aus  visages  tant  heaus  ,  y.  ai. 

Les  dames  de  Lyon  ont  été  autrefois  renommées  pour  leur 
beauté,  comme  elles  le  sont  encore  aujourd'hui.  Déjà  au  XV.^ 
siècle,  Jean  le  Maire  de  Belges,  dont  la  maîtresse  étoit  lyon- 
noise,  placoit  le  temple  de  Vénus  au  conjluent  d'^rar  et  Rho- 
danus  (du  Rhône  et  de  la  Saône),  et-vantoit  les  visages  ange~ 
liques  des  nymphes  qui  habitoient  ce  lieu.  Érasme  dit  de  la 
même  ville  :  «  Est  illic  mira  formarum  félicitas.  »  —  «  Là,  le 
««  beau  sexe  est  remarquable  par  les  formes  les  plus  heureuses.» 


«36  NOTES. 

Marot,  qui  regretta  si  vivement  le  se'jour  de  Lyon,  le  célèbre 
également  sous  ce  rapport;  et  parmi  les  nombreuses  visites  qui 
nous  ont  été  faites  par  nos  princes,  il  en  est  plus  d'une  à  qui 
l'histoire  n'assigne  pas  une  autre  cause. 

Resplandissant  comme  de  nuit  la  Lunct  etCj  y.  a3, 

.........  Micat  înter  omnes 

Julium  sidus ,  velut  inter  igucs 
Luna  minores. 

(  Horace  ,  Od.  i  ,  12 ,  46—48.  ) 

Pasquier  (Recherch.  de  la  France,  vn,  6)  se  sert  de  la  même 
comparaison ,  en  parlant  de  M.^le  Desroches  de  Poitiers  ;  il 
dit  qu'elle  «  reluisoit  à  bien  escrire  entre  les  Dames ,  comme 
«  la  lune  entre  les  estoilles.  » 

Et  bien  qu'eV  soèt  an  tel  nombre  si  bêle ,  v.  aS. 
Expression  purement  latine,  et  qui  rappelle  le  mimer is  omnibus 
absolutus  des  anciens  classiques. 


HN  DES  NOTES. 


GLOSSAIRE 


DE  LOUISE  LABE 


ET 


DES  POETES 

QUI  ONT  ÉCRIT  A  SA  LOUANGE. 


INTRODUCTION- 


U  N  Glossaire  des  vieux  mots  employés  par  Louise  Labé 
a  été  jugé  indispensable  pour  la  parfaite  intelligence 
de  ses  œuvres.  Peu  de  personnes  connoissent  l'ancien 
langage,  et,  parmi  celles  qui  le  connoissent,  la  plupart 
n'en  ont  qu'une  teinture  légère,  qui  ne  les  empêche- 
roit  pas  d'être  plus  d'une  fois  embarrassées  en  lisant 
notre  nouvelle  édition,  image  fidèle,  quant  au  texte, 
de  celles  qui  ont  paru  du  vivant  de  l'auteur,  en  i555 
et  i556.  J'aurois  pu  me  contenter  de  donner  dans  les 
notes  l'explication  des  mots  qui  sont  tombés  en  désué- 


258  INTRODUCTION 

tude  5  mais  cette  méthode  n*eût  pas  eu  la  commoclité 
qu'offre  un  dictionnaire ,  oîi ,  grâce  à  l'ordre  alphabé- 
tique ,  on  trouve  en  un  instant  la  solution  des  difficul- 
tés de  ce  genre,  dont  on  désire  l'éclaircissement.  J'ai 
cherché  à  sauver  la  sécheresse  presque  inséparable  de 
ces  sortes  d'ouvrages,  au  moyen  de  quelques  citations 
choisies  avec  soin  et  discrétion  dans  les  auteurs  con- 
temporains, et  de  quelques  remarques  littéraires  que 
j'ai  glissées  çà  et  là.  Je  n'ai  pas  regardé  le  travail  qui 
m'étoit  imposé,  comme  tellement  sérieux,  que  toute 
espèce  de  digression  me  fût  interdite  :  j'ai  pensé,  au  con- 
traire ,  que  de  légères  excursions  dans  le  vaste  domaine 
de  la  philologie  m'étoient  permises ,  ou  du  moins  qu'elles 
me  seroient  pardonnées ,  pourvu  qu'elles  ne  fussent  pas 
trop  fréquentes.  J'ai  ajouté  presque  a  chaque  mot  l'in- 
dication des  origines  qu'on  lui  assigne,  sans  remonter 
toutefois  trop  haut,  et  sans  me  livrer  à  une  discussion 
approfondie.  L'étymologie  est  une  partie  importante 
de  la  lexicographie  :  elle  détermine  souvent,  d'une  ma- 
nière plus  précise  que  toute  autre  explication,  le  vé- 
ritable sens ,  la  véritable  acception  d'un  mot  *.  J'ai 
indiqué  enfin  les  anciennes  expressions  que  notre  lan- 
gue doit  regretter,  et  celles  que  quelques-uns  de  nos 
auteurs  modernes  ont  essayé  de  rajeunir. 

On  a  sans  doute  remarqué  que  l'orthographe  suivie 
par  Louise  Labé,  ou  plutôt  par  Jean  de  Tournes,  mais 

*  C'est  ce  que  fait  sentir  l'origine  du  mot  même  à'étymolo- 
gie  :  il  est,  en  effet,  tire  de  deux  autres  qui  appartiennent  à  la 
langue  grecque,  etumos ^  vrai^  et  logos,  mot,  diction. 


AU  GLOSSAIRE.  a59 

adoptée  par  elle,  diffère  essentiellement  de  Tortliogra- 
phe  usite'e  aujourd'hui  :  elle  diffère  même  5  en  beau- 
coup de  points ,  de  celle  qui  e'toit  alors  le  plus  ge'ne'ra- 
lement  observée.  A  cette  époque ,  les  Meygret  et  les 
Peletier  *  s'efforçoient  de  mettre  en  harmonie  l'ortho- 
graphe et  la  prononciation  **  3  et  on  trouve  des  traces 

*  Louis  Meygret  avoit  publie'  les  ouvrages  suivants:  1."  Traité 
touchant  le  commun  usage  de  l'écriture  Françoise,  Paris,  i545, 
in-S."  ;  2.**  le  Menteur  ou  l'Incrédule  de  Lucian ,  traduit  du 
grec  :  auec  une  escriture  quadrant  à  la  prolation  Françoise,  et  les 
raisons,  Paris,  i548,  in -4.°;  3.°  Défenses  touchant  son  liure 
contre  les  censures  et  calomnies  de  Glaumalis  (de  Vezelet, 
c'est-à-dire,  de  Guillaume  des  Autels),  Lyon,  i55o,  in-8.°; 
4.**  Trettë  de  la  Grammere  Françoese  ,  Paris,  même  année, 
in-4."  ;  5."  Réponse  à  l'Apolojie  de  Jaqes  Peletier,  Paris, 
Chrestien  Wechel,  même  année  et  même  format;  6,°  et  enfin, 
Réponse  à  la  dézesperee  Réplique  de  Glaomalis  de  Vezelet, 
transformé  en  Gyllaome  des  Aotels,  Lyon,  i55i,  in-S.".  Jac- 
ques Peletier  du  Mans  avoit  pareillement  publié  ses  Dialogues 
de  l'ortografe  è  prononciacion  françoese ,  auec  une  Apologie  à 
LoysMeigret,  Poitiers,  Enguilbert  de  Marnef,  i55o,  et  Lyon, 
Jean  de  Tournes,  i555,  in-S." 

**  Peletier  et  Meygret  n'étoient  pas  d'accord  sur  tous  les 
points,  et  cela  devoit  être:  le  premier  prononçoit  le  françois 
à  la  normande,  et  le  second,  à  la  lyonnoise.  Avant  eux,  Geof- 
froy Tory  de  Bourges,  en  1629,  et  Jacques  du  Bois,  dit  Syl- 
vius,  en  i53i,  avoient  déjà  voulu  réformer  l'orthographe  :  ils 
alloient  même  jusqu'à  proposer  de  nouveaux  caractères.  Voy. 
l'abbé  Goujet,  Biblioth.  franc,  (tome  l,  pages  80  et  suiv.).  On 
a  fait  dans  le  siècle  dernier  de  senibhibles  tentatives  qui  n'ont 
pas  non  plus  fait  fortune. 


24o  INTRODUCTION 

de  leurs  innovations  dans  la  manière  dont  Louise  Labé 
écrit  un  grand  nombre  de  mots.  Je  n'ai  pas  cru  devoir 
les  indiquer  toutes  dans  le  Glossaire,  de  peur  de  le 
grossir  outre  mesure^  mais,  pour  y  suppléer,  je  vais 
faire  connoître  sommairement,  avec  autant  d'ordre 
qu'il  me  sera  possible ,  les  différences  générales  qui 
existent  entre  l'ortliograplie  de  Louise  Labé  et  l'ortlio- 
graplie  actuelle.  C'est  l'objet  principal  de  cette  intro- 
duction. Je  dirai  même  quelques  mots  sur  les  accents 
et  sur  la  ponctuation  *. 

I.  Louise  Labé  retranche  souvent  les  lettres  doubles  : 
ainsi  elle  écrit,  par  exemple,  avec  un  seul  h^  abatre; 
avec  un  c,  acointer^  acompagner^  acord  ^  acuser ;  avec 
jxne  f^  afaire  ^  afliger^  dificile  ^  efet^  efrojant^  soufrir^ 
sujire  i  avec  un  ^,  agrauer ;  avf^c  une  /,  AcJdle  **, 
aliance ^  alumer^  Apolon^  il  falut^fole  (féminin  de 
fol^nf  gentllesse  ^  gentile  (féminin  de  gentil)^  mile 
(mille,  nom  de  nombre),  mole  (féininin  de  mol)^  que- 
reler^  renouuelé ^  çilage ^  vile;  avec  une  m,  flame^  en- 
fiamer ;  avec  un/?,  apas^  apeler^  laperçoy^  aprendre^ 
aproche  ^  f râper  ;  avec  une  s^  Parnasien  ***;  avec  un  t^ 

*  Ces  observations  empêcheront  qu'on  ne  prenne  pour  des 
fautes  d'inij^ression  certaines  manières  d'écrire,  d'accentuer  et 
de  paiictuer,  contraires  à  l'usage  actuel. 

**  Voy.  ce  mot  dans  le  Glossaire. 

***  Les  grecs  écrivoicnt  de  même  Parnasos  avec  une  seule  s; 
mais  cette  lettre ,  dans  leur  langue ,  ne  prenoit  pas  le  son  du  z, 
lorsqu'elle  etoit  placée  entre  deux  voyelles,  et,  pour  parler 
comme  les  grammairiens ,  elle  sijfluit  toujours. 


AU  GLOSSAIRE.  241 

atacher^  ataquer^  atendre^  atendrir^  atentet  ^  atlrer  ^ 
hatu^  permetez^  etc.,  etc.  * 

IL  Elle  retranche  aussi  comme  inutiles,  c'est-à-dire 
comme  ne  se  prononçant  pas  de  son  temps,  certaines 
lettres,  telles  que«  dans  saouler  et  Saune ^  qu'elle  écrit 
soûler  et  Sorte  ;  h  dans  subtil^  qu'elle  écrit  sutil  **; 
c  dans  acquitter ^  acquérir^  sçauoir ^  sçu^  qu'elle  écrit 
aquiter^  aquerir^  sauolr^sh ;  d  duns  piedy  à  pie;  le  6?qui 
précède  1'^  dans  certains  pluriels,  comme  grans  pour 
grands  y  vers  pour  verds  ^  borsj  brocars^  cliaus  ^  piez^ 
regars  y  au  lieu  de  bords  ^  brocards^  chauds  ^  etc.  5  l'e 
muet  dans  les  mots  suivants  et  autres  semblables  qu'elle 
orthographie  quelquefois  ainsi,  soit  dans  ses  vers,  soit 
même  dans  sa  prose  :  i  emploiraj  ^  il  emploira  ^  il  ou- 
hlira^  vous  otroiriez^  ie  priraj-^  il  remercira^paj-ment^*'* ^ 
durté  y  seurté  (sûreté),  assoir  ^  i  assois  ;  g  dans  cjne  ^ 
dine  ""^^^^  dinité  ^  dinement  ^  indine  ^  indinacion  ^  doits  ^ 

*  Le  h,  au  contraire,  est  doublé  clans  robbe,  robbon  (petite 
robe),  robber  (dérober);  VI  dans  controlleur,  palle  (pale),  Pra- 
xitelle ^  roullant  ^  salLement ;  Vn  dans  Babilonne ,  Gorgonne;  le 
p  dans  cappe ,  etc. 

**  Voy.  ce  mot  dans  le  Glossaire. 

***Ce  retranchement  de  l'e  muet,  encore  usité  de  nos  jours 
dans  quelques  mots  par  les  poètes,  appartient  à  la  figure  que 
les  grammairiens  appellent  syncope.  Thomas  Sibilet  (Art  poé- 
tique François,  i548,  in-8.",  chap.  Vi)  vouloit  qu'on  lui  donnât 
le  nom  à' apostrophe ,  parce  qu'il  metloit  une  apostrophe  à  la 
place  de  l'e  retranché;  il  citoit  les  deux  exemples  suivants: 
pay'ras  ^^onr  payeras  ^  loueras  pour  loueras, 

^■A-A-k  „  Peletier,  en  sou  dernier  liure  de  l'Orthographe  et  Pro- 
*  16 


242  INTRODUCTION 

pour  cj-gne^  dignité^  dignement ^  indigne^  indignation ^ 
doigts;  h  dans  ahit  *,  Itaque ^  Hiacinte ^  lut ^  Roue ^ 
au  lieu  à^  habit  ^  Ithaque^  Hjacinthe  ^  luth^  Rhône  ;  p 
dans  tems^  passetems ,  printems^  au  lieu  de  temps^  etc. , 
pront^  te^  domter ;  elle  ne  met  point  d*^  finale  (et  en 
ceci  elle  se  conforme  à  un  usage  qui  existait  avant  elle 
et  qui  a  subsisté  encore  long-temps  après  )  à  la  pre- 
mière personne  singulière  du  présent  de  l'indicatif  des 
verbes  non  terminés  en  e  muet  :  ie  conduis  ie  crein^  ie 
croj ^  ie  choisi,^  iefaj^  ie  meshahi^ie  desten^  ie  ten^  ie 
di^  ie  me  plein  ^  ie  sen^  ie  sui^  ie  voj  ^  non  plus  qu*à 
l'imparfait  des  mêmes  verbes  ,  condui ,  crein ,  croy , 
choisi^  fay^  etc.  5  elle  retranche  quelquefois  la  même 
lettre  à  la  première  personne  de  l'imparfait:  lalloy 
lauoj"^  'lestoj-  **5  elle  omet  le  /final  dans  les  pluriels, 

«  nonciation  françoise,  commande  d'oster  la  lettre  g  des  pa- 
«  rôles  esquelles  elle  ne  se  prononce,  comme  en  ces  mots  (dit-il) 
«  signifier,  régner,  digne  :  quant  à  moy,  ie  ne  les  prononçay 
«  iamais  qu'auec  le  g.»  (Estienne  PasQUIER,  Lettres,  livre  ni, 
leltre  4?  à  M.  Ramus). 

*  Remarquons,  une  fois  pour  toutes,  que  Louise  Labe'  n'est 
pas  toujours  constante  dans  sa  manière  d'écrire  tel  ou  tel  mot: 
par  exemple,  ce  mot  abit  est  écrit  sans  A  dans  un  endroit  de  ses 
œuvres,  et  ailleurs  il  s'y  trouve  avec  cette  lettre  :  hahiz  ou  ha- 
bits (au  pluriel). 

**  Louise  Labé  ne  faisoit  en  cela  que  suivre  la  règle  alors 
reçue.  Ce  n'est  que  par  licence  que  Marot  et  quelques  autres 
poètes  mettoient  une  j  à  la  fin  des  premières  personnes  des  ver- 
bes: licence  à  laqielle  Ronsard  (Abrégé  de  l'Art  poétique)  don- 
nait son  approbation,  lorsque  le  verbe  finissoit  par  une  voyelle 


AU  GLOSSAIRE.  245 

et  écrit  ainsi  cours  (courts),  pars  (parts),  endrols 
(endroits),  destruiz  pour  destruits^  escriz  pour  escrits, 
petis  pour  petits^  combaz  pour  combats^  etc. 

III.  Elle  substitue  certaines  lettres  à  d'autres  :  a  rem- 
place e  dans  ante  ^  anté  ^  panchant  ^  çanger  ;  c  est  pour 
cju  dans  quelcun^  quelcune ^  quelcuns  (quelques-uns)^ 
il  est  pour  jdans  celle  (selle  à  monter  à  cheval), pour 
ss  dans  le  subjonctif  que  ie  face  et  dans  l'infinitif  e^aw- 
cer  (exhausser),  poxir  t  dans  marcial^  pacience^  et  gé- 
néralement dans  tous  les  mots  dont  la  terminaison  était 
avant  Louise  Labé  et  est  restée  depuis  en  ^io/z  (  confor- 
mément à  leur  étymologie  latine),  accion^  accepcion^ 
acusacion^  afeccion^  composlcion^  consommacion ^concep- 
cion  5  euaporacion  ,  mencion  ,  ocupaclon ,  perfeccion  , 
recreacion^  sugeccion^  etc.  *  •,  d  est  pour  t  dans  il  çid^ 
prétérit  défini  du  verbe  çoir  **  ^  e  pour  a  dans  capiteine^ 

ou  une  diphthongue  ,  et  que  le  mot  suivant  commençoit  de 
même,  comme  lallois  a  Tours  pour  i'alloy  à  Tours;  ie  parlais 
à  madame  ,  pour  ie  parloj-  à  madame  ;  mais  que  Thomas  Sibilet 
(Art  poétique  françois ,  cliap.  ix)  avoit,  quelques  annres  au- 
paravant, condamnce  d'une  manière  expresse.  Ou  disoit  aussi 
lestoye  ou  i'estoie  ^  i^aimeroye  ^  ie  diroye  ^  ie  i'oudroye  ^  impar- 
faits que  Ronsard,  à  l'endroit  cité,  appelle  de  vieux  verbes  pi~ 
cards ^  et  qu'il  défend  aux  poètes  de  rejeter:  «  Car,  dit-il, 
«  plus  nous  aurons  de  mots  eu  noire  langue,  plus  elle  sera 
«  parfaicte,  et  donnera  moins  de  peine  à  celuy  qui  voudra  pour 
«  passetemps  s'y  employer.  »  On  lit  quelque  part  dans  Louise 
Labé  ,  ie  pensoye, 

*  Dans  un  grand  nombre  délivres  publiés  dans  le  XVI.^  siècle, 
les  mots  terminés  en  tion  sont  écrits  de  cette  manière. 

**  Voy.  le  Glossaire,  au  mot  Vid. 


244  INTRODUCTION 

certein^  ne  ^  contreindre  ^  creindre  ^  dedens^  dens  ^  es 
criuein^  espouuenter^  fonteine  ^  hautein^  ne  ^  liumein 
ne  ^  louenge  ^  meint  ^te  ^melntenant  ^  menger  ^  pleindre 
reng^  renger  ^  Rommein^   souuereln^  treine  ^  trenclié 
veiner e ,  vilein ,  etc.  ^  pour  ai  clans  tu  scez ,  il  scet^cler 
ère ^  clerement ^  lesse  (laisse,  corde),  per  (une  paire) 
espesseur^  gresse  ^  tret  ^  et  pour  œ  dans  euure  ^  meurs 
seur  ;  ei  pour   e  dans  seicher ,  lameine ,  meine ,  pro 
meine  ;  eu  pour  â  dans  asseurance ,  seur  (  sûr  ) ,  as  seur  er 
s^asseurant  ;  jf  ])Oiir  ph  dixns  Jilozofe  ^  N/nJe  ^  trionfe 
trionfer  ^  trofee  ;  g  pour  i  consonne   dans  assugettir 
getter  ^  magesté ^   oè^ci^  (ailleurs  obiect)^  sugeccion 
suget ;  i  pour  j^  dans  abime^  bruiant  ^  Ciprien^  egaier 
essaier^  ennuieus^  Hiacinte  ^  la  ville  de  Lion  ^  Lionnois. 
lire  ,    lirique  ,  martire  ,  mirte  ,  pais  ,  païsant  ^  Satire 
(demi-dieu),   tliin  (thym),  Zephire  ^  Zopire  ^  etc.^  o 
pour  au  dans  poure  ^  poureté  ^  pourement  ;  oi  pour  oe 
dans  descoifer ;  q  pour  a  dans  /a^^( lacets),  donq ^  onq^ 
publiq  ^  quoy^ye  (ailleurs  cof^ye^  tranquille);  s  pour  c 
dans  garse  (ailleurs  garce  ^  jeune  fille),  gar  sonne  au  ^ 
farse^  persa  (il  perça),  pinse  (il  pince),  sep ^  simeterre^ 
soupson^  soupsonner ^  etc.*,  ss  pour  c  dans  entrelasser ^ 
menasse^  menas ser ;  s  pour  x  dans  les  mots  termines 
en  eux ^  aux^  oux ^  soit  singuliers,  soit  pluriels  :  aus^ 
animaus ^  cens ^cieus ^  cJious ^courrous ^  couteaus ^  deus ^ 
dous ^eus^ialous ^merueilleus^mieus ^  tupeus^  taureaus^ 
trauaus  ^  etc.*,  et  dans  les   mots  suivants:  estreme  ^ 

*  Voy.  le  chapitre  CIV  des  Observations  de  Ménage  sur  la 
langue  françoise,  Paris,  Claude  Barbin,  1672,  in-i2.  Ce  eu- 


AU  GLOSSAIRE.  245 

fauls  ^  flus  et  reflus  ^  pris  ^  fitc,  t  pour  d  dans  Von  nCar 
tent  (Ton  m'attend),  chaut ^  dlferent  (différend  ),  il  en- 
tent ^  il  entreprent  ^  froit  ^  hazart  ^  mignart ^  il  prent  ^ 
tart^  vieillart ;  u  pour  eu  dans  ahruuer ^  lu^  tu  uz ^  il 
ut  ^  lajr  11^  tu  as  il  ^  il  ha  h^  que  lusse^  que  tu  usses 
quil  ust  ;  f  pour  i  dans  lay  ^  ayder  ^  ajmer  ^  ie  feray 
louj  (j'entendis),  ie  rendraj  ^  ^'eyîïj' (ailleurs  ie  fais) 
ie  crojr  (ailleurs  ie  crois  )  ^  ie  say  ^  ie  voy  ^  et  autres 
semblables ,  et  dans  amy^  g^J'iJ'^-)  ^^^Kv  ^'^f:»  ^^7  -^^5 
mojne ^mysanthrope ^nj {\yéQ^^\^\.o\\) ^  proje^  roj^  rojne^ 
sjrrene^  trajtre ^  traj-trement ^  voye^  t^r<2^,j^e  *  ^  .spour 
^  dans  filozofe^  Lionnoize^  Louïze^  tufuz^  tu  languiz, 
ie  suizj  ie  çiz  (ailleurs  ie  suj ^  ie  vy)^  et  à  la  fin  des 
pluriels,  par  exemple,  dinitez^  ennuiz ^  enseueliz ^  Hz 
(on  trouve  plus  souvent  i/j-),  influz^  liez  et  uniz  en- 
semble^ molz^  nuiz  (nuïis)  y  parfumez  y  qualitez^  etc.**'^ 
z  pour  X  dans  dizième. 


rieux  chapitre  est  intitulé  :  «  D'où  vient  qu'on  e'crit  par  un  x 
«  deux,  dieux,  mieux,  travaux,  animaux,  et  autres  mots  sem- 
«  blables.  » 

*  K  En  beaucoup  de  dictions  Vy  grec  est  escrit  plus  par 
«  coustume  ou  ignorance,  que  pour  raison  qu'en  scust  rendre 
«  l'escriuain  ou  l'imprimeur.»  (Thomas  SiBiLET,  Art  poétique 
françois,  chap.  vut). 

^^  Le  z  étoit,  aussi  bien  que  Vs ,  la  marque  du  pluriel;  mais 
on  n'employoit  pas  indilTc'reniment  l'une  ou  l'autre  de  ces  let- 
tres. Voici  une  règle  que  donnoit  à  cet  égard  Bonaventure  des 
Periers  ,  règle  qui  néanmoins  n'est  pas  toujours  très  scrupu- 
leusement suivie  dans  l'édition  de  ses  œuvres,  publiée  après  sa 
mort  par  Antoine  du  Moulin,  mâconnois  : 


246  INTRODUCTION 

IV.  Avant  Louise  Labé  et  de  son  temps ,  on  ne  dis- 
tinguoit  que  par  la  prononciation  \  i  consonne  de  l'i 
Toyelle;  il  en  etoit  de  même  de  !'«,  du  moins  dans  le 
milieu  des  mots;  car,  lorsqu* étant  consonne ,  il  setrou- 
Toit  au  commencement,  on  se  servoit  communément 
du  f.  Uu  étoit  encore  moins  distingué  du  ç  dans  les 
lettres  capitales ,  ou  plutôt  il  ne  l'étoit  pas  du  tout  :  pour 
l'un  et  pour  l'autre,  on  ne  faisoit  usage  que  du  V  capital. 
Ainsi ,  on  trouve ,  pour  citer  quelques  exemples ,  dans 
les  écrivains  de  cette  époque  :  auare^  auec^desià  (déjà), 
ialoux^  iamais  ^  ieunesse^  iusques^  inlure  ^  lespouuante  y 
îe  conuien  ^  preuue  ^  reuûe  ^  ie  treuue  ^  suruenir^  tou- 
siours ^  etc. ,  et  non  avare ^  avec ^  jaloux^  jamais^  etc.  ; 
IVPÏTER,  VENVS,  AMOVR,  LOVÏZE  ,  etc. ,  et  non  JUPITER, 
VÉNUS,  AMOUR ,  LOUISE.  On  fait  honneur  h  Pierre  Ramus , 
ou  de  la  Ramée  ,  de  l'invention  du  ç  et  du  y ,  qu'on  ren- 
contre, en  effet,  pour  la  première  fois,  dans  sa  Gram- 
maire latine,  imprimée  dès  i557.  u  Mais,  comme  le 
a  remarque  l'abbé  Goujet  (Blbliotli.  franc.,  tome  i, 
u  pag.  44)5  i^  f"^"^*  convenir  que  le  même  Ramus  n'a 

DE  z  ET  s. 

A   SES   DISCIPLES, 

Vous  auez  toiisiours  S  à  mettre 
A  la  fin  de  chesque  (sic)  plurier. 
Sinon  qu'il  y  ait  une  lettre 
Crestee  au  bout  du  singulier  : 
Et  quant  E  y  ha  son  entier. 
Bonté  vous  guide  à  ses  bontez: 
Si  vous  suyuez  autre  sentier, 
Voz  bonnes  notes  mal  notez. 

(  Recueil  des  œuures  de  feu  Bonaventure  des  Periers,  Lyon, 
Jean  de  Tournes,  i544)  in-S.",  page  182.) 


AU  GLOSSAIRE.  247 

«  pas  été  constant  à  distinguer  ces  lettres  consonnes 
«  des  mêmes  lettres  voyelles ,  et  que  Gilles  Beys  ,  li- 
«  biaire  à  Paris ,  est  proprement  le  premier  qui ,  ayant 
u  connu  l'utilité  de  ces  consonnes  Ramistes,  les  em- 
«  ploya  dans  l'édition  du  Commentaire  de  Claude  Mi- 
ii  gnault  sur  lesépîtres  d'Horace  j  qu'il  fit  imprimer  en 
<6  i584,  chez  Denys  Duval.  ?> 

V.  Le  t  euphonique  que  nous  plaçons  dans  les  in- 
terrogations entre  le  \erbe ,  lorsqu'il  est  terminé  par 
une  voyelle,  et  les  pronoms  personnels  il ,  elle^  on  , 
étoit  inconnu.  On  disait  et  on  écrivoit  ;  ayme  il  pour 
aime-t-il^  ha  il^  ha  elle  pour  a-t-il^  a-t-elle  ^  ayme  on 
pour  aime- 1- on  ^  fera  il  ^  fera  elle  ^  suffira  il^  etc.  Dans 
tous  ces  cas,  et  dans  tous  les  cas  semblables,  on  ne  se 
servoit  pas  non  plus  du  trait  d'union  qu'on  n'a  imaginé 
que  postérieurement  i  ay  ie  ^  ha  ce  esté  ^  ha  lon^  dit  on^ 
donnent  elles  ^  trouueront  ils ^  etc. 

VL  Quelques  adverbes  composés  conservoient  dis- 
tincts dans  l'écriture  les  éléments  dont  ils  sont  formés , 
et  que  nous  confondons  aujourd'hui.  Ainsi,  on  écrivoit 
à  fin  pour  afin ,  en  fin  pour  enfin ,  ce  pendant  pour  ce- 
pendant ^  au  parafant  pour  auparavant ^  d^orenaçant 
pour  dorénavant  ^  par  tout  pour  partout^  puis  que  pour 
puisque^  sinon  pour  sinon;  et  il  en  étoit  d'autres,  au 
contraire,  où  on  confondoit  ce  que  nous  distinguons 
maintenant  :  alencontre  pour  «  V encontre  ^  apart  pour 
Il  part^  aparsoj  pour  à  part  soi  *.  La  particule  amplia- 

*  On  trouve  aussi  dans  Louise  Labé ,  à  par,  à  par  soy^  a  par 
elle. 


248  INTRODUCTION 

tive  très  etoit  toujours  unie  à  Tadjectif  auquel  elle  se  rap- 
portoit,  de  manière  à  ne  faire  avec  lui  qu'un  mot:  très- 
gracieux ^  treshelle^  treshon^  tresmauvais ^  etc.  Mesme 
s'unissoit  aussi  à  moy^  /o/,  soj ^  luj  :  mof  mesme  ^  toj- 
mesme ,  sojmesme ,  lujmesme. 

Vil.  L'emploi  des  lettres  initiales  majuscules  etoit 
beaucoup  plus  fre'quent  que  de  nos  jours  5  il  n'y  a 
presque  aucun  passage  de  Louise  Labé  ofi  il  ne  se  trouve 
plusieurs  de  ces  lettres  que  nous  n'y  mettrions  pas  ac- 
tuellement. Il  n'existait  aucune  règle  précise  sur  ce 
point ,  si  ce  n'est  à  l'égard  des  noms  propres ,  des  noms 
abstraits  personnifiés,  et  des  mots  commençant  une 
pbrase  ou  un  vers,  dont  l'initiale  étoit  toujours  une 
majuscule.  Le  même  signe  se  voit  quelquefois  aux  prin- 
cipaux mots  d'une  période,  à  ceux  sur  lesquels  l'au- 
teur veut  fixer  l'attention  du  lecteur,  à  ceux  qui  sont 
pris  dans  un  sens  absolu,  aux  adjectifs  qui  indiquent 
le  pays  ou  la  nation  ^  mais  le  plus  souvent  il  est  placé 
sans  autre  motif  que  le  caprice  de  l'écrivain  ou  de 
l'imprimeur. 

VIII.  Les  seuls  accents  employés  dans  les  trois  an- 
ciennes éditions  de  Louise  Labé,  sont  l'accent  aigu  et 
l'accent  grave  :  du  moins  l'accent  circonflexe  ne  s'y 
montre-t-il  que  sur  l'exclamation  d,  signe  du  vocatif. 
Mais  l'usage  de  ces  accents  n'est  pas  toujours  le  même 
que  celui  qu'ils  ont  aujourd'hui.  L'accent  aigu  rem- 
place souvent  l'accent  circonflexe,  comme  dans  ces 
mots  :  hâté  ^  ôtê  ^  r  eue  tu  ,  vêtement  ^  il  se  çe't  ;  il  a  aussi 
un  emploi  particulier  dans  les  interrogations  ;  il  y  est 
placé  sur  la  dernière  syllabe  du  verbe,  lorsque  ce  verbe 


AU  GLOSSAIRE.  ^49 

est  suivi  du  pronom  personnel  le  :  assemblerây  îe  ^  ây 
ie^  crois  le  ^  çéus  ie.  L'accent  grave  figure  sur  les  pre'- 
terits  en  u:  laj-pu^  lay  sh^  laj  çh.  Beaucoup  de  mots 
sur  lesquels  nous  mettons  aujourd'hui  des  accents,  n'en 
ont  aucun  •,  tels  sont  les  mots  en  ée  :  par  exemple  , 
ajmee  ^  entrée  ^formée  ^  fumée  ^  ramee  ^  Enee  ^  Orphée^ 
Promethce ,  trofee ,  Thesee  ;  les  mots  en  ère ,  Homère , 
manière,,  chère ^  mère ^  père ^  frère ^  première ^  seuere ; 
les  adverbes  et  prépositions  près ^  auprès^  après ^  ex- 
près^ tres^  ou  (adverbe  de  lieu),  etc.*,  tels  sont  aussi 
les  mots  suivants:  aliéné^  désir ^  désirer^  déclarer  ou 
declairer ^  défendre^  caméléon^  égaler^  débat ^  edenté ^ 
Diomede^  libéral ,  misérable ,  présent^  priuilege ,  seiour^ 
véhément^  etc.,  etc.,  etc.  Souvent  1'^  placée  après  un 
a  ou  un  e tient  lieu  d'accent  :  creste  (crête),  desplaisir, 
empescher  ^  escJiaper  ^  eschaufer  ^  escrire  ,  espandre, 
espee^  espinette^  espouser ,  estre,  estant,^  esté ^  lestoy 
ou  i  estais^  estrange^  esueiller  ^  flesche^fresche  (fraîche), 
gresle  y  Jionneste^  laschcr  ^  lescher  ^  mastin  ^  mesler  , 
mesme,  mespriser,  yoa^^e  (pâte),  resiouir ^  respondre ^ 
teste  (tête)  j  trespas ^  etc.  *.  Mais  es  et  as  pour  «,  e  ou 

*  LV  suppléoit  également  l'accent  circonflexe  que  nous  pla- 
çons sur  la  dernière  syllabe  des  verbes  à  la  troisième  personne 
singulière  de  l'imparfait  du  subjonctif:  Qu'il  aymast ,  qu'il 
dust ,  qu'il  fust ,  qu'il  sust^  qu'il  vinst ,  qu'il  ^>oulust ,  qu'il  ust 
(eût),  etc.  La  même  lettre  figuroit  encore  dans  coustumcj  acous- 
tumer,  coste,  costeau^  costé ^  hoste ,  hostesse  ,  adiouster^  cleu.vies- 
me,  ti'oisiesme ,  etc.,  oster^  hientost ,  plustost ,  etc.  On  trouve 
pourtant  dans  Louise  Labé  cote,  coté,  hôtesse,  diziéme ,  oter, 
bientôt ,  plus  tot^ 


25o  INTRODUCTION  AU  GLOSSAIRE. 

é  ne  sont  pas  constamment  mis  en  usage  par  Louise 
Labë^  elle  écrivoit  presque  toujours  comme  nous  (et 
c'ëtoit  alors,  je  crois,  une  nouveauté')  :  dédaigner^ 
détresse^  émoy ^  témoignage^  témoin^  etc.,  au  lieu 
de  desdaigner^  destresse  ^  esmoy  ^  tesmoignage^  tesmoin 
ou  tesmoing^  qui,  de  même  que  les  mots  cite's  plus 
haut  et  tous  les  autres  mots  semblables ,  n'ont  cessé 
tout-à-fait  de  s'écrire  de  la  sorte  que  dans  le  XVIII.® 
siècle. 

IX.  La  ponctuation  n'avoit  pas  atteint  non  plus  le 
degré  de  perfection  qu'elle  a  maintenant,  quoiqu'il 
y  reste  encore  beaucoup  d'arbitraire;  un  de  ses  signes 
principaux  éloit  même  absolument  inconnu  :  je  veux 
parler  du  point-virgule ,  qui  n'a  été  inventé  que  long- 
temps après,  et  qui  sert  à  marquer  une  pause  plus  forte 
que  la  virgule,  mais  moins  forte  que  le  point.  La  vir- 
gule, et  plus  souvent  encore  les  deux  points,  en  te- 
noient  lieu. 

Telles  sont  les  observations  qui  m'ont  paru  néces- 
saires pour  compléter  le  Glossaire  de  Louise  Labé.  Les 
exemples  que  j'y  citerai ,  achèveront  de  faire  connoître 
l'orthographe  qu'elle  a  suivie ,  en  même  temps  que  les 
règles  de  syntaxe  auxquelles  elle  s'est  soumise,  et  le 
sens  des  mots  dont  elle  s'est  servie,  dans  tous  les  cas 
où  cette  orthographe,  ces  règles  et  ces  mots  n'ont  pas 
été  conservés  par  l'usage ,  roi  ou  tyran  des  langues. 


GLOSSAIRE  DE  LOUISE  LABÉ. 


A. 


iAAGE ,  âge.  Ce  mot  est  du  très  petit  nombre  de  ceux  où  se 
trouvoit  la  diphthongue  aa ,  tels  que  les  noms  propres,  Aaron, 
JYausicaa  ,    etc.;    Chantons    (aujourd'hui    Châlons  ^  ville),   et 
baailler  (bâiller),  que  l'on  écrivoit  ainsi ,  soit  pour  marquer  que 
l'a  y  étoit  long,  soit  pour  le  distinguer  de  bailler,  donner,  l'ac- 
cent circonflexe  étant  encore  peu  usité'.  Thomas  Sibilet  (Art 
poétique  François,  chap.  Vin)  vouloit  qu'on  écrivît  cage.  Le 
neveu  du   célèbre    traducteur  d'Ablancourt ,    dans   l'ingénieux 
badinage  intitulé,  Dialogue  des  lettres  de  l'alphabet,  fait  ainsi 
parler  l'a  devant  1'  Usage  et    la  Grammaire  qui  sont  ses  prin- 
cipaux interlocuteurs  :  «Quoique  i'aye  beaucoup  d'autres  plain- 
«  tes  à  faire,  tant  contre  les  autres  que  contre  luy  (l'e),  je 
«  me  contenteray  de  vous  dire,  pour  ne  point  abuser  de  vostre 
«  audience,  qu'encore  que  je  sois  presque  le  seul  qui  ne  cache 
«  rien  de  mou  aage  ,  on  m'en  retranche  maintenant  une  partie. 
«  Je  vous  prie,  est-il  raisonnable  que  les  e  se  trouvent  quel- 
«  quefois  trois  ensemble  (comme  dans  créée'),  et  que  les  a  ne 
«  puissent  marcher  deux  de  compagnie?» 
ACERTENER,  acertainer,  assurer,  du  latin  certus ,  certain, 
AcHiLE  ,  Achille.  Ronsard  (liv.  i,  od.   i^),  et  Desportes, 
Diverses  Amours  (pag.  io5),  ont  dit  Achil.  Jacques  Yvcr,  dans 
son  Printemps  d'Yver,  iSya,  a  écrit  de  même  ce  nom  (fol.  4 
recto,  et  fol.  48  verso). 

ACOIWTER  (s'),  fréquenter,  rechercher  l'amitié,  la  familia- 
rité de  quelqu'un,  s'en  approcher  familièrement,  et  même  trop 


252  GLOSSAIRE 

familièrement,  comme  le  dit  Nicod,  «  quotl  modestis  verbis 
«  ajoute-t-il,  de  lasciviâ  effertur.  » 

Qu'alors  qu'elle  s'acointa 

D'Aiichise  ,  pies  du  riuuage  ,  page  i43  , 

c'est-à-dire,  que  lorsqu'elle  se  livra  à  Anchise,  près  du  rivage. 
Voy.  M.  Pougens,  Archéologie  Françoise  (tome  i,  page  4). 

ACORT,  TE,  adroit,  habile,  complaisant,  doux,  d'une  hu- 
meur facile  et  agréable,  de  l'italien  accorto.  Nos  poètes  maro- 
tiques  ont  accueilli  ce  mot  avec  empressement  : 

Uue  fillette  accorte  et  bien  apprise. 

(J.  B.  Rousseau  ,  Épigr.) 

ACOVTRER,  acoustrer,  habiller,  orner,  ajuster,  arranger,  du 
latin  ad,  augmentatif,  et  cultuia ,  culture. 

Adestrer  (s'),  s'adextrer,  se  dresser,  se  rendre  adroit,  ha- 
bile à,  du  latin  dextra,  main  droite.  Voy.  Destrier. 

AdONQ  ,  adonques ,  alors,  du  latin  ad  tune. 

Adresser  contre  (s')  ,  s'adresser  à.  Tu  t^ adresses  contre 
lupiter,  tu  attaques  Jupiter. 

AfAIRE,  affaire.  Ce  substantif  est  tantôt  masculin,  tantôt  fé- 
minin, dans  Louise  Labé  et  dans  les  autres  écrivains  du  même 
temps.  V^ne  personne  dont  plusieurs  ont  afaire  ,  P^gc  4?)  une 
personne  qui  se  livre,  qui  se  prostitue  à  plusieurs.  Auoir  afaire 
de ,  avoir  besoin  de. 

AiNÇOis,  mais,  même,  plutôt,  au  contraire,  de  l'italien  anzi. 

AiNS,  mais.  «  Qui  pourroit  rendre  raison  de  la  fortune  de 
«  certains  mots  et  de  la  proscription  de  quelques  autres?  A.ins 
«  a  péi'i  :  la  voyelle  qui  le  commence,  si  propre  pour  l'élision, 
«  n'a  pu  le  sauver;  il  a  cédé  à  un  autre  monosyllabe  (mais), 
«  qui  n'est  au  plus  que  son  anagramme.  »  (La  BruyIsre,  Carac- 
tères, chap.  i4,  J-fs  quelques  usages). 

Ainsi  QVE,  selon  que. 

AiOVRNER,  adiourner,  faire  jour.  Il  aiourne ,  il  fait  jour,  le 
jour  commence.  Ce  mot,  pris  dans  cette  acception,  avoit  déjà 


DE  LOUISE  LABÉ.  253 

vieilli  tlu  temps  de  Pasquicr,  puisqu'il  dit  (Reclicrch.  de  la 
France,  1.  Vin,  c.  3)  :  «  Nous  usons  du  mot  adioumer^  quand 
«  nous  faisons  appeller  un  homme  en  iustice  par  la  semonce 
«<  d'un  sergent,  le  Roman  de  Pépin  en  a  usé  pour  dire  que  le 
«  iour  estoit  venu  :  qui  n'e'toit  pas  trop  malpropre  :  nous  eu 
«<  auons  perdu  la  naïfveté,  pour  la  tourner  en  chicanerie.»  Joa- 
chini  du  Bellay  (Illustration  de  la  langue  Françoise,  1.  rr,  c.  6), 
fait  la  même  observation;  il  regrette  également,  au  même  cha- 
pitre, le  mot  anuiter,  dont  on  s'étoit  servi  autrefois  pour  signi- 
ficv/aire  nuit.  Nous  avons  conservé  un  dérivé  d'ajourner,  dans 
le  sens  de  citer  en  justice,'  notre  Code  de  procédure  civile  ap- 
pelle ajournement  l'assignation  donnée  pardevaut  un  tribunal 
de  première  instance. 

Alaigre,  alègre,  dispos,  agile,  vif,  du  latin  alacer,  d'où 
vient  aussi  allégresse.  On  en  avoit  fait  également  le  verbe 
alaigrir.  Du  Verdier,  art.  Jean  le  Bon,  cite  un  ouvrage  de  ce 
médecin,  intitulé,  Opuscule  de  Galien,  à'alaigrir  le  corps, 
interprété  enfrançois,  Paris,  Estienne  Groulleau,  i556,  in-iG. 
Un  auteur  moderne  a  hasardé  le  substantif  a/acriVe^  qui  n'a  pas 
encore  reçu  la  sanction  de  l'Académie  françoisc. 

Alencontre,  à  rencontre,  contre. 

Aleiver,  haleiner,  respirer,  souffler,  exhaler. 

Aliewé,  privé  de,  du  latin  alienus ,  étranger,  la  chose  dont 
vous  êtes  privé,  vous  devenant  étrangère.  J^n  homme  aliéné  de 
son  bon  entendement.  On  dit  encore  aliéné  d'esprit ,  esprit  aliéné. 

Aller.  V^n  aller  pensif ,  une  démarche  triste.  On  rencontre 
fréquemment  dans  nos  vieux  auteurs  des  infinitifs  de  verbes  pris 
substantivement,  à  l'imitation  des  Grecs  et  des  Italiens  :  Le 
dormir  acompngné  de  toux;  un  leuer  pesant;  le  viure  (la  vie); 
le  plorer.  Louise  Labé.  C'est  le  iouir  et  non  le  posséder  qui  rend 
heureux.  (MONTAIGNE.)  Ce  n'est  pas  la  mort  que  ie  crain,  c'est 
le  mourir.  (Le  même.) 

Amiable,  aimable,  doux,  gracieux. 

Amiablement  ,  d'une  manière  aimable,  etc. 


'^54  GLOSSAIRE 

Amie  (s'),  sa  mie,   son  amie.   T'amie,  ta  mie,  ton  amie. 

«  Ces  termes  abrégés,  s' amie,  m'' amie,  pour  son  amie,  mon  amie 

«  ont  été  par  ignorance  écrits  eu  deux  mots  sa  mie,  ma  mie 

«  ce  qui  fait  qu'on  appelle  mie  la  gouvernante  d'un  enfant  : 

«   Où  est  votre  mie,  7>oici  votre  mie,   et  qu'on  nomme  aussi 

«  mies  les  maîtresses  des  anciens  paladins.  Orianc  étoit  la  mie 

«  d'Amadis;  Magueloune,  celle  de  Pierre  de  Provence,  »  (La 

«  MONNOYE,   Glossaire  bourguignon,  v.°  Caidémie.)  Marot  a 

dit  par  une  contraction  semblable:  M'' amour,  f  amour ^  s'' amour, 

pour  mon  amour,  ton  amour,  son  amour  ;  ce  dont  il  a  été  repris 

par  Thomas  Sibilet  (Art  poétique  françois,  cliap.  Vl).  Louise 

Labé  a  dit  aussi  m' amour  (sonnet  xvill). 

AmoNICION,  admonition,  SiCXxon à' admonester,  avertissement. 
«  Il  (M.  de  Vaugelas)  a  fort  bien  décidé  qu'on  prononçoit  «c?- 
«  monester  et  admonition  ,  et  Bèze  ,  qui  veut  qu'on  dise  amo- 
«  nester  et  amonition ,  se  trompe  assurément.  »  (MÉNAGE,  Ob- 
serv.  sur  la  langue  franc. ,  chap.  cxLiir.)  La  manière  dont  Louise 
Labé  écrit  ce  mot,  fait  voir  qu'elle  le  prononçoit  comme  Bèze. 
Voy.  SVTIL. 

Amovrs,  Amour.  L'i-  n'empêche  point  que  ce  mot  ne  soit  au 
singulier.  La  Monnoye  a  blâmé  Benoît  Court,  auteur  d'un  com- 
mentaire sur  l'ancien  ouvrage  des  Arrests  d'Amours,  d'en  avoir 
traduit  en  latin  le  titre  par  ces  mots  Arresia  Amorum ,  tandis 
qu'il  falloit  Arresta  Amoris  ;  Amours  ,  à  l'antique,  étant  là 
un  singulier  pour  Amour.  Notes  sur  du  Verdier  (  art.  Benoit 
Court). 

Animant,  animal,  du  latin  animantes ,  animaux. 
ApAREIller,  pré|iarer,  accommoder,  approprier,  fournir. 
ApAROIR  ,  paroître.  S'aparoir,  s^aparoitre ,  se  faire  voir,  se 
montrer.  Apparoir,  infinitif,  qui  n'est  plus  usité  qu'au  palais, 
où  on  a  conservé  aussi  la  troisième  personne  du  singulier  du 
présent  de  l'indicatif  employée  impersonnellement,  //  appert , 
se  disoit  encore  du  temps  de  la  Bruyère  :  «  Ne  faire  qu'apparoir 
«  dans  sa  maison.  »  Caractères  (chap.  vu ,  De  la  ville).  Corn- 


DE  LOUISE  LABÉ.  255 

paroir,  vorbc  de  la  même  famille,  se  maintient  également  au 
barreau. 

ApARSOY,  à  part  soi,  en  particulier.  On  trouve  aussi  à  par 
soy,  à  par  elle.  Voy.  Introduction,  page  247* 

ApAET  ,  à  pai  t.  Voy.  ibid. 

ApETJT,  d,  sir,  volonté,  yî  Vapetit  de  quelque  colère ,  page  yi, 
au  gré  d'un  mouvement  de  colère. 

Ardentement,  ardemment.  Voy.  note  i32. 

Ardre,  brûler.  Villon  dit  dans  une  ballade  sur  la  mort  de 
M.*^  Jean  Cotard  : 

Prince  ,  il  n'eiist  sceu  iusqu'à  terre  crache?, 
TousJours   crioit,  haro  la  gorge  m'arâ. 

La  Fontaine  a  copié  le  second  de  ces  vers  dans  son  conte  du 
Paysan  qui  avoit  ofifensé  son  seigneur: 

Bref  il  n'en   fut  à  grand'peine  au  douzième 
Que  s'écriant,  haro  la  gorge  m'ard., .  > 

Ce  verbe  faisoit  au  participe  passé,  ars ,  arse.  Maurice  Sceve, 
dans  sa  Délie  (dixain  CCCXi  ,  dont  le  sujet  est  l'incendie  de 
Lyon,  sous  le  règne  de  Néron): 

Non  (comme  on  dit)  par  feu  fatal  fut  arse 
Ceste  cité  sur  le  moût  de  Venus  : 
Mais  la  Déesse  y  mit  la  flambe  esparse , 
Pour  ce  que  malntz  par  elle  estoient  venuz 
A  leur  entente,  et  ingratz  deuenuz. 
Dont  elle  ardit  auecques  eulx  leur  ville. 

Enuers  les  siens  ne  sois  donc  inciuile 
Pour  n'irriter  et  le  filz,  et  la  mère. 
Les  Dieux  hayantz  ingratitude  vile , 
Nous  font  sentir  double  vengeance  amere. 

«  Ardr^ ,  au  moral,  n'a  point  d'équivalent  (dans  le  langage 
«  m-^di;rue);  et  il  seroit  si  néce.ssaire  !  »  (  MarmOntel,  Élém. 
de  littér. ,  art.  Usage).  On  peut  dire  à^ardre  et  de  beaucoup 
d'autres  mots  que  nous  avons  perdus,  ce  que  La  Fontaine  a  dit 
d'enseigner  : 


256  GLOSSAIRE 

J'ai  l'egret  que  ce  mot  soit  trop  vieux  aujourd'Iiui: 
Il  m'a  toujours  semblé  d'une  énergie  extrême. 

(Livre  iv,  fable  ii.) 

Areine,  arène,  sable. 

Du  large  Rliin  les  roulantes  areines, 

(  Élégie  II.) 

«  Jules  César,  dans  ses  livres  de  l'Analogie,  vouloit  que  le 
«  mot  arena  ne  fût  pas  usité'  au  plurier.  Aulugelle  (  liv.  XV, 
«  chap.  8)  :  C.  Caesar  in  libris  quos  ad  M.  Ciccronem  de  Ana- 
«  logia  scripsit,  arenas  vitiosè  dici  existimabat.  Nous  disons 
c<  arènes  en  vers  fort  éle'gamment.  J'ay  dit  dans  mon  Pescheur  : 

«  Et  qui  pourroit  conter  le  nombre  de  mes  peines» 
«  Pourroit  conter  aussi  le  nombre  des  arènes. 

«  Les  Italiens  disent  de  mesme  arène  en  poésie.  Le  Casa; 

«  Ma  lasso  me  1  per  le  déserte  arène,  etc.  » 

MÉNAGE  (  Observ.  sur  la  lang.  fianc.  ,  chap.  CXLiv).  Arène , 
avec  le  sens  de  sable ^  ne  s'emploie  plus  qu'en  poe'sie  et  au  sin- 
gulier. 

AriAdne  ,  Ariane.  Voy.  note  44* 

ASSEMBLEMEWT,  unioii,  assemblage,  conjonction. 

AsSEVRANCE ,  assurance. 

Assez.  Plus  qu'assez ,  beaucoup.  C'est  un  latinisme  :  les  la- 
tins disoient  de  même,  plus  quant  satis, 

AsSVRER  (s'),  s'asseurer,  être  certain,  assuré.  M'asseurant ^ 
étant  assuré.  Asseuré ,  assuré. 

Mais  ie  say  bien  et  de   tant  ie  m'assure. 

(  Sonnet  XXI  )  , 

c'est-à-dire,  mais  je  sais  bien  et  je  suis  si  certaine. 
Atache,  affiche.  y 

Atalaivta,  Atalante.  Voy.  note  98. 
AtOVRNÉ,  orné,  du  latin  adomatus. 
AtropE,  Atropos,  une  des  trois  Parques,  celle  qui  coupe  le 


DE  LOUISE  LABÉ.  sSy 

fil  de   noire  vie,  comme  l'exprime  le  fameux  vers  d'Eberhard 
de  Béthune  : 

Clotho   colum  bajulat,  Lachesis  trahit,  Atropos  occat. 

AvcvivEMENT,  parfois,  en  quelque  manière. 
AVCVNS,  quelques,  quelques-uns. 

Phèdre  étoit  si  succinct  qvi'aucuns  l'en  ont  blâmé. 

(La  Fontaine,  liv.  VI,  f.  i.) 

AVECQVES  ,  avec.  Pcletier  écrivoit  aueques.  En  prose  on 
disoit  plus  ordinairement  auec  ;  on  allongeoit  ce  mot  d'une 
syllabe ,  par  une  licence  poétique  ,  lorsqu'on  en  avoit  besoin 
pour  la  mesure  :  usage  qui  a  subsisté  long-temps  après  Louise 
Labé  : 

Autant  vaudi'olt  n'être  auecque  personne 
Que  d'être  avec  Madame  que  voilà. 

C La  Fontaine,  le  Magnifique,  conte.) 

Ne  nous  associons  qu'ai^ecque  nos  égaux. 

(Le  même  ,  liv.  V,  f.  a.  ) 

Qu'on  est  digne  d'envie 

Quand  avecque  la  force  on  perd  aussi  la  vie. 

(P.  Corneille,  le  Cid,  act.  n,  se.  7.) 

Avenir,  aduenir,  arriver.  On  connoît  l'ancienne  et  belle 
devise  :  Fais  ce  cjue  dois ^  aduienne  que  pourra, 

AVENTVREVS,  EVSE,  heureux.  Avventuroso  a  le  même  sens 
en  italien.  —  Hasardeux  ,  sujet  aux  aventures.  «  Aventureux 
«  n'auroit-il  pas  du  se  soutenir  à  côté  d'aventure!»  (MarmoIV- 
TEL,  Élém.  de  littér. ,  art.  Usage.) 

AVERSAIRE,  adversaire.  Balzac  écrivoit  aussi  auersaire. 

Avis.  M'est  auis,  il  me  semble,  je  pense,  je  crois.  Expres- 
sion conservée  par  le  peuple. 

Aviser,  donner  avis,  avertir. 

AVOLÉ,  étourdi,  qui  ne  prend  conseil  que  de  lui-même,  du 
grec  aboulés ,  qui  est  sans  conseil,  ou  du  latin  advolare. 

Av'ovs,  avez-vous,  par  syncope.  «Comme  les  Latins  disent 

«7 


258  GLOSSAIRE 

«  sis  pour  si  vis ,  ainsi  les  François  au'ous  pour  aués  vous.  » 
(Muret,  Commentaire  sur  les  Amours  de  Ronsard.) 
AVTREFOIS,  une  autre  fois,  autrefois  elle  fera  rire, 

B ALLER,  danser,  du  grec  bal  16 ,  d'où  les  mots  bal,  ballet, 
baladin,  ballade.  On  appelle  dans  plusieurs  provinces yV^ej  ba- 
ladoires ,  les  fêtes  patronales  des  villages,  dans  lesquelles  il  est 
d'usage  de  danser. 

Il  fut  dansé ,  sauté  ,  ^a/e. 

(  La  Fontaine  ,  Joconde  ,  conte.  ) 

....  Il  sait  danser  ,  haler. 

(  Le  même  ,  liv.  IX,  f.  5.  ) 

Baste,  il  suffit,  n'importe,  de  l'italien  basta ,  ou  du  latin 
bene  stat. 

Bende,  bande,  troupe.  On  trouve  aussi  dans  Louise  Labe 
bande  comme  nous  l'écrivons  actuellement.  On  jieut  voir  Pas- 
quier  (Recherches  de  la  France,  liv.  vni,  ciiap.  5i,  intitulé: 
«  Du  mot  de  bande ,  dont  les  François  usent  pour  assemblée,-»^ 

Benivolence,  bienveillance,  bonté'  affectueuse. 

BesONGNE  ,  affaire,  occupation,  travail.  Faire  leurs  beson- 
gnes,  faire  leurs  affaires,  leur  fortune,  gagner  de  l'argent,  s'en- 
richir. Il  se  prenoit  quelquefois  dans  le  sens  vague  que  nous 
donnons  en  langage  familier  au  mot  chose  ou  à  celui  à' araire. 

Vous  chercherez  vos  besognes  demain. 

(  La  Fontaine  ,  la  Gageure  des  trois  Commères.) 

BesONGNER,  qu'on  a  écrit  aussi  besoingner,  besoigner,  et  en- 
fin besogner ,  s'occuper,  travailler,  faire  de  la  besogne,  de  l'ila- 
lien  bisognare.  Besongner  au  point,  page  Q/\ ,  travailler  au  point. 

Si  cet  enfant  avoit  plusieurs  oreilles , 
Ce  ne  seroit  à  vous  bien  besogné. 

(  La  Fontaine  ,  le  Faiseur  d'oreilles  ,  conte.  ) 

Voy.  M.  Pou  gens  (Archéologie  françoise,  tom.  i,  pag.  6i  et  62). 


DE  LOUISE  LABÉ.  aSg 

BiZARRiE,  bizarrerie. 

BlAndissAtvt ,  flattant,  caressant,  du  latin  hlandiri.  Voy. 
M.  Pougens  (Archéologie  Françoise,  tome  i,  page  63  et  64). 

Blondissant,  qui  devient  blond,  qui  tire  sur  le  blond.  C'est 
le  participe  présent  du  verbe  blondir  dontMarmontel  (Éléments 
de  littér. ,  art.  Usage)  a  dit:  «Quel  goût  assez  bizarre  auroit  pu 
«  rebuter  blondir!  »  et  qu'il  a  placé  dans  le  vers  suivant  pour 
montrer  l'heureux  emploi  qu'on  en  pourroit  faire  : 

Les  épis  ondoyans  commençoient  à  blondir. 

L'auteur  du  Roman  de  la  Rose,  v.  22055,  a  fait  usage  de  bien- 
doyer  dans  le  même  sens,  ainsi  que  Ronsard  (liv.  I  des  Amours, 
sonnet  Lxvr): 

Vallons  bossus  et  plages  hlondoyanles. 

Bois,  le  bois  de  la  lance. 

Porter  la  lance  et  bois  faire  voler. 

(Elégie  III.) 

«  Les  anciens  clievaliers  appeloient  bois,  leurs  lances.  C'est  en 
«  poésie  un  terme  de  guene  et  de  tournois...  Leurs  bois  volè- 
«<  rent  en  éclats.  Et  on  disoit  qu'ils  portoient  bien  leur  bois^ 
«  lorsqu'ils  couroient  en  lice  de  bonne  giâce »  (Diction- 
naire de  Trévoux,  au  mot i?o/j-,  Voy.  aussi  Matinées  Sénonoises, 
pag.  373,  n."  347.) 

Bond  (de  premier),  d'abord,  de  prime  abord,  au  premier 
moment. 

BOVLETTE,  petite  boule.  Deiis  boulettes  d'iuoire,  page  laS. 
Boule,  suivant  Ménage,  vient  de  bulla,  bulle  d'eau,  à  cause  de 
sa  forme  sphérique  et  de  la  rondeur  de  la  boule.  Ce  mot  auroit 
produit  à  son  tour  celui  de  boulanger,  s'il  falloit  en  croire  Sir 
Walter  Scott,  qu'on  sera  peut-être  étonné  de  voir  cité  ici.  Le 
célèbre  romancier  dit,  en  effet,  dans  son  roman  intitulé,  Quen- 
tin Durward  (voy.  la  traduction  françoise  qui  en  a  été  publiée 
à  Paris,  chez  Ladvocat,  1823,  4  vol.  in-12,  tome  i,  page  71): 


26o  GLOSSAIRE 

«  Le  pain  étoit  aussi  blanc  que  délicieux,  et  avoit  la  forme  de 
«  petites  boules,  ce  qui  a  fait  donner  le  nom  de  boulangers  à 
*  ceux  qui  le  préparoient.  »  Mais,  d'après  des  autorite's  plus 
respectables  en  matière  d'étymologie,  telles  que  celle  du  sa- 
vant président  de  Brosses  (Traité  de  la  formation  méchanique 
du  langage,  èdit.  de  l'an  ix,  tome  il,  page  i3o),  le  mot  boulan- 
ger seroit  de'rive'  de  polentiarius  (qu'on  a  écrit  polentj'arius^ y 
dont  la  racine  est  polenta ,  gâteau  de  farine,  farine  cuite. 

BraNC,  sorte  de  sabre  ou  d'e'pée,  du  mot  françois  blanc,  à 
cause  du  brillant  de  son  acier,  suivant  Le  Duchat  (notes  sur 
Rabelais,  Panlagruel,  liv.  IV,  cliap.  34,  not.  i);  ou,  suivant 
d'autres,  du  \alin  frangere ,  fractum ;  la  lettre  /  change'e  en  b. 
Ces  etymologies  me  paroissent  au  moins  douteuses. 

Bravante  ,  partie,  présent  fém.  du  verbe  braver.  Dans  le 
xvr.^  siècle,  le  participe  présent  pouvoit  se  décliner,  et  no- 
tamment prendre  la  terminaison  féminine  ,  lors  même  qu'il 
étoit  suivi  d'un  régime  direct.  C'est  ainsi  qu'on  lit,  page  i5o  : 

Et  tendrement  gémissante 
La  grand'cruauté  d'Amour, 

page  109  :  yt  D.  Louise  ,  des  3fuses  ou  première  ou  diziéme 
couronnante  la  troupe  ,  et  page  58  :  S'adressnns  tousiours  à  eus , 
et  leur  faisant  -visage  plus  riant...  Dans  ce  dernier  exemple,  le 
premier  participe  est  décliné,  et,  par  une  bizarrerie  remarqua- 
ble, le  second  ne  l'est  pas.  Du  reste,  les  exemples  qu'on  pour- 
roit  citer  de  passages  où  le  participe  est  resté  invai'iable,  se- 
roient  plus  nombreux  que  les  exemples  contraires.  Souvent 
Louise  Labé,  de  même  que  les  autres  écrivains  de  son  temps, 
donne  la  marque  du  pluriel  aux  participes  se  rapportant  à  des 
sujets  féminins  pluriels,  sans  leur  donner  la  terminaison  fémi- 
nine ,  comme  :  Tant  de  commoditez  prouenans  aus  hommes  , 
page  32;  grandes  chausses  de  laine  venans  a  mycuisse ,  P^gc  35; 

leurs  afeccions   estans  plus  grandes ,   page  60;  les  pour  et  tes 

71  ayons  la  commodité  de  s'eslongner, ....  chassans  ^mour  auec 
autre  jimour,  page  6S* 


DE  LOUISE  LABÉ.  2G1 

Brave,  beau,  bien  paré.  Nos  paysans  emploient  encore  le 

mot  hrave  dans  ces  deux  acceptions. 

En  étoit-il  quelqu'une  de  plus  bra^'e! 

C  La  Fontaine  ,  le  Calendrier  des  vieillards  ,  conte  ) 

Briare,  Briarée,  géant  fabuleux.  Malherbe  a  dit  aussi  Briare 

pour  Briarée  dans  ses  fragments  : 

Briare  avoit  cent  mains.  Typhon  avoit  cent  testes. 

Brief  (d'où  brièveté,  qu'on  écrivoit  d'abord  èr/e/ue^e) ,  bref, 
court.  En  brief,  en  abrégé,  en  peu  de  mots. 
Brovilliz  ,  brouilleries,  troubles,  divisions. 
Brvnettes,  sorte  de  fleurs.  Voy.  note  a32. 

C. 

CanACE,  Canacé.  Voy.  note  58. 

Carme,  vers,  du  latin  carme/i ,  tiré  lui-niémedu  grec  chairo, 
je  me  réjouis. 

Caroler,  danser,  du  latin  chorus.  Carole ,  danse.  Videtur 
dici  quasi  choreola,  NiCOD.  Voy.  M.  Pougens  (  Archéol.  franc., 
tom.  I,  pag.  io3, )  Caracoler  vient  peut-être  de  caroler. 

Cas,  condamnation,  disposition  d'un  jugement.  Si  -vous  or- 
donnez (f'.ielque  cas  contre  Folie  ^  page  4^,  si  vous  prononcez 
quelque  condamnation  contre  la  Folie.  —  Hasard,  accident, 
événement,  circonstance,  p^ous  aportant  tousiours  quelque  cas  de 
nouueau  pour  rendre  'vos  banquets  plus  plaisans^  même  page,  fai- 
sant toujours  naître  quelque  circonstance  nouvelle  pour  rendre 
vos  banquets  plus  agréables.  Quelque  cas  d'importance ,  quelque 
affaire  importante,  quelque  chose  d'important. 

Cavt,  CAVTE,  prudent,  fin,  rusé,  subtil,  du  latin  caw^M^f, 
d'où  le  vieux  substantif  cautele  ,  et  l'adjectir  cauteleux  dont 
nous  nous  servons  encore  dans  le  style  comique  ou  familier. 
Le  caut  de  son  parler,  page  i3o,  l'adresse,  la  finesse  de  soji 
langage. 

Cavtement,  prudemment,  etc. 


262  GLOSSAIRE 

Ce.  Ce  pendant ,  cependant.  On  trouve  souvent  dans  les  an- 
ciens auteurs,  ce  temps  pendant ,  dont  ce  pendant  paroit  être 
l'abrégé.  Outre  ce,  outre  cela.  Pour  ce,  pour  cela.  ^  ce  que , 
afin  que.  De  ce  vient ,  de  là  vient. 

CelVY,  celle,  ce,  cette.  Celle  gentile Damoiselle,  ■pa.^eil'jf 
cette  gentille  demoiselle.  Celle  harpe  Methimnoise ,  page  i54, 
cette  harpe  Méthymnoise.  Voy.  note  258. 

CerimONIEVS  ,  EVSE,  cérémonieux.  On  disoit  aussi  cerimonie^ 
conformément  au  latin  et  à  l'italien  cerimonia.  (Ménage,  Observ. 
sur  la  langue  franc.,  chap.  liv. ) 

Cerne,  rond,  cercle,  tour,  du  latin  circinus ,  d'où  cer/zer  et 
cerneau, 

Cerverin,  sorte  d'arbuste.  Voy.  note  228. 

Cesser.  Les  ieunes  Dames  ne  cesseront  (jumelles  nayent,  etc., 
page  57,  les  jeunes  dames  s'impatienteront,  n'y  tiendront  pas , 
jusqu'à  ce  qu'elles  aient,  etc. 

Cestvy  cy,  geste  cy,  ou  CETTE  CY ,  cclui-ci,  celle-ci. 
Chacvn,  chaque.  Chacun  soudart  estraoger,  page  i46.  Cha- 
cun Prince  la  louoit,  page  i36.  La  Fontaine  (liv.  il,  fabl.  30) 
a  dit  de  même  chacune  sœur  pour  chaque  sœur.' 

Chaloir,  se  mettre  en  peine,  s'inquiéter,  se  soucier.  Il  ne 
me  chaut,  je  ne  me  soucie  pas,  je  ne  m'embarrasse  pas,  il  ne 
m'importe.  «  Ce  nieujc  mot  vient  du  latin  calere ;  et  il  est  sur- 
«  prenant  que  Ménage  qui  veut  bien  que  non-chalant  vienne  de 
«  non  calens ,  ne  veuille  pas  que  chaland  vienne  de  calens;  quoi- 
«  que  le  forum  aleatorium  calefacere  d'Auguste  dans  Suétone, 
«  soit  proprement  achalander  un  breland.  »  (La  MoiNA'OYE.} 
Voy.   NONCHALOIR. 

Chapon.  Se  coucher  en  chapon  le  morceau  au  bec,  proverbe 
dont  j'ai  donné  l'explication,  note  /[6. 

CharACTERE,  caractère.  Faiseurs  de  characteres ,  charlatans, 
qui  font  des  caractères  magiques. 

Chef,  tête,  da  grec  képhnlé ,  suivant  Henri  Estienne,  ou 
de  l'italien  capo ,  dérivé  du  latin  caput ,  suivant  Ménage. 


DE  LOUISE  LABÉ.  aGS 

CiGNE.  Voy.  Cyne. 

Cil,  celui.  «  Cil  a  été  dans  ses  beaux  jours  le  plus  joli  mot 
«  de  la  langue  Françoise  :  il  est  douloureux  pour  les  poètes  qu'il 
«  ait  vieilli.  »  (La  BbuyèRE,  Caractères,  chap.  XIV,  De  quel- 
ques usages.  ) 

CiRCE,  Circé,  habile  magicienne,  personnage  fabuleux.  «Ron- 
«  sard,  dans  le  Recueil  de  ses  sonnets  (sonnet  76),  a  dit  Circe 
(comme  Louise  Labé)  : 

«  Qu'on  ne  me  vante  plus  d'Vlysse  le  voyage, 
«  Qui  ne  vit  en  dix  ans   que  Circe  et  Calypson; 

«  Et  M.  Gombaud,  dans  son  Ode  à  M.  Séguier,  chancelier  de 
«  France  : 

«  Arrière  Circes  et  Méduses. 

«  Mais  M.  de  Voiture  a  dit  Circé: 

«  Quelle  docte  Circé,  quelle  nouvelle  Armide  ,  etc. 

«  On  peut  dire  Circe  en  vers,  comme  nous  l'avons  déjà  ob- 
«  serve;  mais  en  prose  il  faut  dire  Circé.  »  (MÉNAGE,  Observ. 
sur  la  langue  franc.,  chap.  CLV.  )  Aujourd'hui  Circé  a  prévalu, 
et  aucun  de  nos  écrivains  n'oserait  dire  Circe. 

CiTRE,  guitarre,  du  latin  cythara. 

Clan,  rivière.  Voy.  note  253. 

CleOpATRA,  Cléopatre.  Voy.  note  80. 

COLOMBELLE,  diminutif  de  colombe ,  petite  colombe.  Marot 
a  employé  ce  mot. 

Combien  QVE,  bien  que,  quoique.  Et  combien  quUl  en  pousse 
l'une ,  page  Sy,  et  bien  qu'il  pousse  l'une. 

COMMAND  (a  Diev  te),  je  te  recommande  à  Dieu.  C'étoit 
l'ancienne  manière  de  dire  adieu,  répondant  au  Tjale  des  Latins. 
Les  gens  du  peuple  et  les  paysans  s'en  servent  encore  dans 
quelques  provinces.  Le  salut,  Vave  ou.  salve  des  Latins,  s'ex- 
primoit  par  Dieu  te  garcl ,  Dieu  -vous  gard.  Gard  est  un  ancien 
mot,  ou  l'abrégé  de  garde,  comme  command'  est  pour  com- 
mande ,  commendo.  Je  transcrirai  ici  une  note  assez  curieuse 


264  GLOSSAIRE 

de  M.  Courier  au  sujet  de  la  seconde  de  ces  expressions:  «  Dieu 
«  te  gard.  —  Ancien  souhait  ou  salut.  Molière  :  Dieu  te  gard , 
c<  Cléanthis.  Cette  locution  a  été  souvent  méconnue  par  les 
«  éditeurs  de  nos  poètes.  Dans  un  quatrain  à  la  louange  du 
«  prince  de  Condé,  chef  des  Huguenots,  sous  Henri  iii: 

«  Ce  petit  homme  tant  joli  , 
«  Qui  toujours  cause  et  toujours  rit, 
«  Et  toujours  baise  sa  mignonne. 
«  Dieu  gard  de  mal  le  petit  homme. 

«  Voltaire  lui-même  a  cité  Dieu  garde  mal  le  petit  homme, 
«  croyant  que  c'étoit  une  allusion  à  la  mort  de  ce  prince ,  qui 
«  fut  tué  à  Montcontour.  Mais  c'est  une  faute  d'imprimeur.  La 
«  Fontaine,  à  la  fin  du  conte  des  Troqueurs: 

«  Or  n'est  l'affaire  allée  en  cour  de  Rome» 
«  Trop  bien  est-elle  au  sénat  de  Rouen. 
«  Là  le  notaire  aura  du  moins  sa  gamme 
«  En  plein  bureau.  Dieu  garde  sire  Oudinet 
«  D'un  conseiller  barbon  et  bien  en  femme  , 
«  Qui  fasse  aller  la  chose  du  bonnet. 

«  Ces  vers  sont  ainsi  rapportés  dans  la  nouvelle  Vie  de  LaFon- 
«  taine.  Lisez,  pour  le  sens  et  la  mesure,  Dieu  gard  sire  Ou- 
«  dinet ,  comme  La  Fontaine  lui-même  a  dit:  Dieu  nous  gard 
«  de  plus  grand'] ortune.  Faut-il  s'étonner  que  les  textes  grecs 
«  et  latins  soient  altérés,  quand  nous  voyons  nos  auteurs  même 
«  estropiés  de  cette  façon  ?»  (Pastorales  de  Longus,  ouDaphnis 
et  Chloé  ,  traduction  de  Messirc  Jacques  Amyot ,  ^.^  édit. , 
Paris,  in-8.°,  notes,  pag.  275.) 

Comme,  que.  Aussi  bien  comme  moy ,  aussi  bien  que  moi, 
jiussi  loin  comme ,  aussi  loin  que.  Autant  de  bien,  comme  mé- 
rite,  etc. ,  autant  de  bien  qu'en  mérite  ,  etc.  Ainsi  comme  ,  ainsi 
que.  Voy.  le  chap.  CCXXXV  des  Observ.  de  Ménage,  sur  la  lang. 
franc. ,  intitulé  :  «  Si  et  aussi  comparatifs,  suivis  de  comme ,  » 
où  sont  cités  des  auteurs  qui  se  sont  servis  de  la  même  locution 
beaucoup  plus  récemment  que  Louise  Labé. 


DE  LOUISE  LABÉ.  265 

COMMVN,  peuple,  vulgaire,  public.  Le  commun  populaire , 
le  vulgaire^  le  peuple,  la  populace.  Nous  disons  encore  le  com- 
mun des  hommes  y  et  un  homme  du  commun. 

Confort,  aide,  encouragement,  consolation,  soulagement. 
Il  existoit  à  Lyon  une  chapelle  de'diée  à  Notre  Dame  de  Confort 
(^JYostra  Domina  Confortatrix)  ,  qui  ctoit  à  l'cntre'e  de  la  rue 
St- Dominique,  et  qui  fut  de'molie  à  l'époque  de  l'ouverture 
de  cette  rue,  en  i562.  C'est  de  là  que  la  place  des  Jacobins 
s'appeloit  place  Confort  ,  et  qu'une  rue  aboutissant  sur  cette 
place  conserve  le  nom  de  rue  Confort.  On  trouve  ce  mot  dans 
le  Dictionnaire  de  l'Académie,  ainsi  que  les  verbes  conforter, 
déconforter  et  réconforter ,  et  les  substantifs  déconfort  et  ré- 
confort. 

CONGNOY  (ie),  du  verbe  congnoitre ,  je  connois. 
CoNGBEGACioiv,  rassemblement,  attroupement.  Il  ne  se  dit 
plus  que  dans  le  sens  d'assemblée  ecclésiastique  ou  religieuse. 
CONQVERRE,  conquérir. 

Consistoire,  assemblée.  Le  consistoire  des  Dieus ,  l'assem- 
blée des  Dieux  ,  devant  laquelle  a  lieu  le  Débat  de  Folie  et 
d^ Amour.  La  Fontaine  (Belphégor,  conte)  appelle  consistoire 
l'assemblée  des  démons.  Ce  nom  ne  se  donne  plus  qu'à  cer- 
taines réunions  ecclésiastiques,  c'est-à-dire,  à  celles  du  pape 
et  des  cardinaux  pour  les  affaires  de  l'église,  et  à  celles  des  mi- 
nistres protestants  pour  les  affaires  de  leur  religion. 

Consommer,  consumer,  anéantir,  détruire.  Il  ne  signifie 
plus  aujourd'hui  que  perfectionner ^  achever,  terminer,  excepté 
lorsqu'on  l'applique  aux  denrées  qui  se  détruisent  par  l'usage. 
Long-temps  après  Louise  Labé,  on  s'en  servoit  encore  dans  le 
sens  de  consumer,  au  physique  comme  au  moral.  Ménage  en 
cite  plusieurs  exemples  (Observ.  sur  la  lang.  franc. ,  chap.  GCx). 
J'y  ajouterai  le  suivant  :  «  Excepté  la  sagesse  qui  seule  leur  ou- 
«  uriroit  les  yeux  pour  s'empescher  de  nourrir  ce  qui  les  con- 
«  somme  (comme  le  bois  fait  le  feu).  »  (Printemps  d'Yver, 
fol.  330  recto.) 


liGÔ  GLOSSAIRE 

Conte  j  s.  tn.^  compte.  Faire  conte  de  quelcun,  compter  sur 
quelqu'un. 

Conté,  comte,  terre  dont  le  seigneur  porte  le  titre  de  Comte, 

Contenances  ,  plur. ,  gestes ,  postures,  dispositions  du  corps. 
II  n'est  plus  usité'  qu'au  singulier. 

Conter,  z>.  a.,  compter.  Le/?  que  nous  mettons  actuelle- 
ment dans  ce  mot  et  dans  ses  dérivés ,  ne  se  prononce  pas  ; 
mais  il  sert  à  faire  distinguer  compter,  nombrer,  de  conter,  ra- 
conter. Ces  deux  verbes,  dont  le  sens  est  si  différent,  ayant 
une  origine  commune,  on  ne  doit  pas  s'étonner  qu'on  les  ait 
confondus  :  ils  viennent  l'un,  et  l'autre  du  latin  computare ,  dont 
nous  avons  tiié  aussi,  mais  plus  directement,  computer, 

CoNTOVRNEMENT ,  contour,  action  de  contourner. 
Du  vif  mourant  contour nement  des  yeus  ,  page  107. 

CoNTREFOVDRE ,  seconde  foudre,  second  tonnerre  émule  ou 
rival  du  premier.  Contresenteur  se  lit  dans  un  écrivain  du  même 
temps  pour  signifier  une  odeur  destinée  à  neutraliser  l'effet 
d'une  autre. 

CONTEGARDER,  défendre,  garder. 

CONTREINDRE,  contraindre.  le  contrein,  ie  contrcingnoy,  con~ 
treingnant. 

Converser,  tj.  a. ,  fréquenter,  vivre  avec,  du  \^^\nconversarî. 
Conuerser  priuément  et  domesticjuement  les  personnes  qu  il  ay- 
mera,  page  4^. 

COQVILLES.  Ce  n^est  à  moi  à  qui  tu  dois  ^vendre  tes  coquilles, 
page  8,  ce  n'est  pas  moi  que  tu  tromperas.  On  ne  trouve  l'ori- 
gine de  cette  expression  proverbiale  encore  usitée,  ni  dans  les 
excellentes  Matinées  Sénonoises  de  l'abbé  Tuet,  ni  dans  le 
Dictionnaire  des  Proverbes,  publié  en  1821. 

CORAL,  corail.  Ronsard  dans  une  de  ses  chansons  : 

Douce  Maistressc  ,  touche  , 
Pour  soulager  mon  mal , 
Ma  bouche  de  ta  bouche  , 
Plus  rouge  que  coral. 


DE  LOUISE  LABÉ.  267 

CORALLlN,  de  corail.    Ta  bouche  coralline ,  ta  bouche  ver- 
meille comme  le  corail, 

CoBDELLE  ,  diminutif  de  corde. 

Cornet,  cor,  cor  de  chasse,  du  latin  cornu. 

CovLOMNE,  colonne,  du  latin  cohimna. 

COVLPABLE ,  coupable ,  de  coulpe ,  du  latin  culpa. 

Covp.  A  ce  coup  y  cette  fois.  Tout  à  un  coup ,  tout-à-coup, 
tout  à  la  fois. 

CovPLE,  s.  f.  Ce  mot  est  actuellement  masculin.  Voy.  Mé- 
nage (Obscrv.  sur  la  lang.  franc.,  chap.  Lxxiv). 

CovRAGE  ,  courage,  cœur,   du   latin  cor,  auquel  on  ajouta 

dans  la  basse  latinité  la  terminaison  agium ,  ou  de  cordis  actio , 

ou  de  l'italien  coraggio.  M.  de  Maistre  (Soirées  de  St-Péters- 

bourg,  1821,  in -8.°,  tom.  i,    pag.   120  et   189)  paroît  avoir 

trouvé  ces  étymologies  trop  vulgaires,  et  en  donne  une  autre 

que  je  crois  plus  ingénieuse  que  solide  :  «  Etes-vous  curieux, 

«  dit-il,  de  savoir  comment  nos  ancêtres  unissoient  les  mots  à 

«t  la  manière  des  Grecs?  je  vous  citerai  celui  de  courage,  form.é 

«  de  cor  et  de  l'^ige ,  c'est-à-dire,  rage  du  cœur,  ou,  pour  mieux 

«  dire,  exaltation ,  enthousiasme  du  cœur  (dans  le  sens  anglais 

«  de  rage).  Ce  mot  fut,  dans  son  principe,  une  traduction  très 

«  heureuse  du  thymos  grec  qui  n'a  plus  aujourd'hui  de  syno- 

«  nyme  en  francois.  —  Je  disois  en  mon  courage  :  Si  le  Roy  s'' en 

«  allait,  etc.  (Joinville,  dans  la  collection  des  Mémoires,  etc., 

«  tom.  I.)  Cette  phrase  est  tout-à-fait  grecque.  Ego  de  en  to 

«  thymo  mou  elegon,  etc.  — Au  milieu  du  XVI. ^  siècle,  ce  mot 

«  décourage  retenoit  encore  sa  signification  primitive.  Ze^/ozt/o/r 

«  du  Dieu  tout-puissant  lui  changea  le  courage  (voy.  le  Sauf- 

«  conduit  donné  par  le  Souldan  au  sujet  du  Roi  tres-chrestien, 

«  à  la  fin  du  livre  intitulé  :  Promptuaire  des  conciles,  etc.  , 

«  Lyon,  de  Tournes,  \^/\Q ,  in-16,  pag.  208).  Cor,  au  reste,  a 

«  fait  cœur,  en  vertu  de  la  même  analogie  qui  de  bos  a  fait  bœuf; 

«<  de  Jlos ,  fleur;  de  cos,  queux;  de  votum ,  vœu;  de  uvum,  œuf; 

«  de  nodus ,  nœud,  etc.  »  Toutes  ces  remarques  sont  justes, 


268  GLOSSAIRE 

excepte  la  première  ;  car  je  ne  pense  pas  qu'on  accorde  facile- 
ment à  leur  auteur  que  le  mot  de  rage  soit  pour  quelque  chose 
dans  la  composition  de  celui  de  courage.  Courage  se  trouve 
dans  les  œuvres  de  Louise  Labé  avec  le  sens  qu'il  a  dans  les 
passages  des  Mémoires  de  Joiuville  et  du  Promptuaire  des  con- 
ciles, cités  par  M.  de  Maistre. 

COVRT,  cour.  Faire  la  court,   faire  la  cour. 

CovRTiNE ,  rideau  de  lit,  du  latin  cortina. 

COVSTVMIER,  ERE,  habitué,  qui  a  l'habitude,  la  coutume. 

COY,  COYE,  quoy ,  (juoye ,  adj.^  tranquille,  paisible,  en  re- 
pos ,  du  latin  quietus. 

CreINDRE,  craindre.  le  crein,  ie  creingnoy,  creingnant, 

Crespes,  bouclés,  crêpés,  du  latin  crispus, 

Crespillon,  boucle  de  cheveux,  frison. 

Croire  (faire  a),  faire  accroire.  Ailleurs  on  trouve /«/re 
acroirc. 

Croître  (avec  le  sens  actif),  augmenter,  faire  croître,  accroî- 
tre. On  en  trouve  des  exemples  dans  des  auteurs  beaucoup  plus 
récents  que  Louise  Labé  : 

Qu'à  des  cœurs  bien  touchez  tardei*  la  iouîssance. 
C'est  infailliblement  leur  croistre  le  désir. 

(Malherbe.) 

Mais  la  plus  belle  mort  souille  notre  mémoire. 
Quand  nous  avons  pu  vivre  et  croître  notre  gloire. 

(  P.  Corneille.  ) 

CVIDER,  penser,  croire.  Il  cuida  tomber,  il  faillit  tomber.  Le 
ciel  et  la  terre  cuiderent  brûler,  le  ciel  et  la  terre  faillirent 
brûler. 

Cydipee,  Cydippe.  Voy.  note  84. 

Cyne,  cigne ,  cygne.  Voy.  Introduction,  page  24 *• 

CypARISSIEN,  do  Cyparissus.  Voy.  note  229. 


DE  LOUISE  LABÉ.  aôg 

D. 

Damas  ,  sorte  de  fleurs.  Voy.  note  233. 

Damofselle,  demoiselle.  Ma  damoiselle  ^  mademoiselle. 

Davantage  (au  commencement  d'une  période),  de  plus, 
en  outre.  On  disoit  aussi  dans  le  même  sens,  d^ abondant.  (Voy. 
du  Verdier,  Kbl.  franc.,  art.  Philippe  des  Portes  et  passini.) 

Declairer,  de'clarer. 

DEFArLLiR,  manquer.  S'il  défaut,  s'il  manque;  il  defaudra, 
il  manquera. 

Defensable,  qui  peut  être  défendu,  facile  à  de'fendre.  On 
trouve  aussi  dans  nos  vieux  auteurs  défendable  et  defensible , 
indefensible ,  indéfendable  et  indef ensable,  M.  Pougens  (Ar- 
che'ol.  franc.,  tom.  i,  pag.  119  et  280-1)  regrette  le  premier 
de  ces  mots. 

Defobmité,  difformité'. 

Délivre,   de'barrassé,  affranchi,  libre,  délivi'é,  dégagé. 

DemevrANT,  reste.  Au  demeurant  de  la  face ,  au  reste  du 
visage.  Le  demeurant  de  mes  cours  iours,  le  reste  du  peu  de  jours 
que  j'ai  à  vivre. 

Mainte  veuve  pourtant  fait  la  déchevelée. 

Qui  n'abandonne  pas  le  soin  du  demeurant. 

Et  du  Lien  qu'elle  aura  fait  le   compte  en  pleurant. 

(  La  Fontaine  ,  la  Matrone  d'Èphèse.  ) 

Au  demeurant ,  adi>. ,  au  reste.  J.  J.  Rousseau  a  réhabilité  cette 
ancienne  expression,  ainsi  que  quelques  autres  qu'il  avoit  lues 
dans  Amyot  et  dans  Montaigne,  auteurs  favoris  de  sa  jeunesse. 
Avant  lui,  on  retrouveroit  ]^eut-êlre  ditixciletneiit. au  de/neurant 
dans  un  auteur  moins  ancien  que  Costar,  qui  s'en  est  servi  dans 
sa  Défense  de  Voiture,  imprimée  en  1664. 

Demonstrance,  démonstration. 

Demovree,  demeure. 

Desarcjonîver  en  bas,  désarçonner,  mettre  hors  des  arçons, 
jeter  un  cavalier  par  terre. 


372  GLOSSAIRE 

Nous  n'employons  plus  ce  mot  qu'au  singulier,  et  nous  lui  don- 
nons d'autres  significations. 

DlS<JORD,  s.  m.,  brouillerie,  desaccord,  discorde, 

Onq  ne  mis  noise  ou  discord  entre  amis. 

(Elégie  m.  ) 

«  Discord,  dans  ses  trois  sens,  ne  devoit-il  pas  être  inse'pa- 
«  rable  de  discorde;  et  ne  devroit-ou  pas  dire  encore  un  ca~ 
«  ractère  inégal  et  discord ,  des  esprits  di\>ers  et  discords  ,  les 
«  discords  qui  troublent  le  monde!  »  (MarmOIVTEL,  Élcm.  de 
littér. ,  art.  Usage.)  «  Si  l'on  disoit  : 

«  Ils  ont  de  leurs  discords  fatigué  l'univei's  , 

«  parleroit-on  une  langue  étrangère?  »  (Le  même,  ibid.) 
DiSCOVRiR,  'V.  a.,  raconter,  narrer,  exprimer  par  le  discours. 

Et  la  sienne  destinée 

En  songe  il  lui  discourut ,  page  i5l[. 

DiSCOVRS,  narré,  récit,  scène.  Le  Débat  de  Folie  et  d'amour 
est  divisé  en  cinq  discours. 

DiSCRECiON,  distinction,  différence,  du  latin  discretio. 

DONQ,  donques f  doncques ,  donc. 

DoiNT,  d'où.  Dont  est-il  venu,  que  de  Folie!  page  54,  d'où 
cela  est-il  venu,  sinon  de  la  Folie? 

DOVCELET ,  diminutif  de  doux. 

DovCEREVS,  doux.  Cet  adjectif  ne  désignoit  point,  comme 
à  présent,  une  douceur  fade. 

DovciNE,  flûte  douce,  du  latin  dulcisonus, 

Dovs,  doucement.  Tout  dous ,  tout  doucement.  En  dous  cou- 
lant, en  coulant  doucement.  On  avoit  fait  de  ces  deux  mots  l'ad- 
jectif verbal  doux-coulant:  «  La  Poésie  de  Philippe  des  Portes 
«  est  doux-coulante.  »  (PasQUIER,  Recli.  de  la  France,  liv.  Vil, 
chap.  6)  ;  et  le  verbe  doux-couler  :  «  IJ  me  semble  que  quand 
«  Ronsard  a  voulu  doux-couler ,  comme  vous  voyez  dans  ses 
«  Elégies,  vous  n'y  trouuerez  rien  de  tel  en  l'autre.  »  (Le 
MÊME,  ibid.) 


DE  LOUISE  LABÉ.  ayS 

DOVSONDOYANT ,  douxondoyant ,  mot  composé  de  dous  (doux) 
et  ondoyant.  Notre  langue  se  ploie  difficilement  à  ces  composi- 
tions de  mots,  si  communes  dans  la  langue  grecque,  dont  elles 
augmentoient  la  richesse;  elle  n'en  admet  qu'un  très  petit  nom- 
bre. Ronsard,  contemporain  de  Louise  Labé,  puisqu'il  naquit 
un  an  plus  tôt  ou  la  même  année  qu'elle,  a  créé  beaucoup  d'ex- 
pressions semblables  qui  n'ont  pas  fait  fortune,  etqui  même  nous 
paroissent  barbares.  Je  citerai,  pour  ne  pas  sortir  des  mots  aux- 
quels l'adjectif  f?o?fx  sert  d'élément,  c/o«xame;(voy.  ses  Amours, 
liv.  I,  sonn.  LXVn),  et  douxinhumain,  dont  il  s'est  servi  plu- 
sieurs fois.  Estienne  Pasquier  a  créé  douxâpre,  dans  le  second 
livre  de  son  Monophile.  Lazare  de  Baïf  a  été  plus  heureux  en 
formant  le  composé  aigreuoux,  qui  lui  survit  encore,  et  que 
l'usage  a  définitivement  sanctionné. 

DovTER,  craindre,  redouter. 

DVEIL,  deuil. 

DviRE  ,  convenir,  être  au  gré,  plaire,  instruire,  conduire. 
Duit,  dressé,  instruit,  du  latin  f/Mcere ,  venu  lui-même  du  grec 
dokein.  M.  de  Maistre  (Soirées  de  St-Pétersbourg  ,  tom.  i, 
pag.  123  et  188)  découvre  plus  de  finesse  dans  la  création  de 
ce  mot  :  «Voyez,  s'écrie-t-il,  comment  nos  ancêtres  opérèrent 
«  jadis  sur  les  deux  mots  latins  duo  et  «re,  dont  ils  firent  £?«tre, 
«  aller  deux  ensemble,  et,  par  une  extension  très  naturelle, 
«  mener,  conduire...  Charron  a  dit...  :  «  Celui  que  je  veux  duire 
«  et  instruire  à  la  sagesse  (De  la  Sagesse,  1.  il,  c.  V,  n.  i3).» 
«  Ce  mot  naquit  à  une  époque  de  notre  langue  où  le  sens  de 
«  ces  deux  mots  duo  et  ire  étoit  généralement  connu.  Lorsque 
«  l'idée  de  la  simultanéité  s'effaça  des  esprits,  l'action  onoma- 
«  turge  y  joignit  la  particule  destinée  en  françois  à  exprimer 
«  cette  idée,  c'est-à-dire,  le  cum  des  Latins,  et  l'on  dit  con- 
«  duire.  Quand  nous  disons  aujourd'hui  en  style  familier:  Cela 
«  ne  me  duit  pas,  le  sens  primitif  subsiste  toujours  ;  car  c'est 
«  comme  si  nous  disions  :  Cela  ne  peut  aller  avec  moi,  m^ac- 
c<  compagner  j  subsister  à  côté  de  moi;  et  c'est  encore  dans  un 
*  18 


274  GLOSSAIRE 

««  sens  tout  semblable  que  nous  disons  :  Cela  ne  me  va  pas,  » 

Se  non  è  vero,  è  ben  trovato, 

E. 

EbANOYER  (s'),  s^eshanoyer,  s'égayer,  se  divertir.  Voy.  La 

Monnoye  (Glossaire  bourguignon,  x.'*  Ehanée').  On  lit  dans  un 

yieux  roman  cité  par  Pasquier  (Recherch.  de  la  France,  liv  Vir, 

chap  3)  : 

Quand  li  Roy  ot  mangié,  s'appella  Helinand, 
Pour  ly  eshanoyer  commanda  que  il  chant. . . , 

c'est-à-dire:  Quand  le  Roi  eut  mange,  il  fît  appeler  Helinand, 
et  pour  se  divertir  lui  commanda  de  chanter. 

Ell',  elle.  Cette  apocope  n'e'toit  permise  que  pour  le  besoin 
de  la  mesure. 

Ti.IV  sembloit  parmi  l'armée 

Vn  Achile,  ou  un  Hector,  pages   i56  et  IJ7. 

On  trouvera  cependant  elV  ut  ^  page  109,  où  Ve  muet  s'élidant 
de  lui-même,  la  suppression  en  devenoit  inutile.  Voy.  la  xxxiil.* 
et  la  LXV.^  remarques  sur  le  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu. 

EmmANTElÉ,  couvert,  enveloppé  d'un  manteau,  ou  comme 
d'un  manteau.  Voy.  M.  Pougens  (Archc'olog.  franc.,  tom  i, 
pag.  192).  L'opposé  de  ce  mot  est  démanteler,  que  nous  avons 
conservé,  et  qui  signifie  abattre  les  murailles  d'une  ville  ou 
d'' une  forteresse.  L'un  et  l'autre  viennent  de  manteau^  autrefois 
mantel ,  les  murs  d'une  ville  lui  servant  comme  de  manteau, 

Emmielevb,  qui  emmielle,  qui  amadoue,  doux,  doucereux, 
flatteur. 

EmmvrÉ,  entouré  de  murs.  Peletier  écrivoit  ammuré. 
Empenné,  garni  de  plumes,  du  Xdàin penna,  Peletier  écrivoit 
ampanné  :  ce  qui  fait  connoître  la  manière  dont  il  prononçoit 
ce  mot.  Empenné  se  trouve  dans  Rabelais  (Pantagruel,  liv.  ir, 
chap.  16),  et  dans  ce  vers  de  Garnier  (tragédie  d'Hippolyte , 
1573) ,  où  il  parle  de  l'Amour  : 


DE  LOUISE  LABÉ.  ayS 

Il  porte  comme  oiseau  le  dos  empenné  d'aisles. 

C'est  d'après  ces  auteurs  que  La  Fontaine  a  dit  : 

Mortellement  atteint  d'une  flèche  empennée. 

(Liv.  H,  fabl.  6.) 

Empesché,  embarrassé,  ne  sachant  quel  parti  prendre.  J^n 

seul...  est  bien  empesché  alencontre  de  deus,  P^g^  9. 

Employer  (s'),  faire  son  emploi,  son  occupation,  s'occuper. 

En.  S^il  en  y  ha,  s'il  y  en  a.  —  A.  Paruient  en  tel  degré,  par- 
vient à  tel  degré.  Se  fiant  en  toy,  se  fiant  à  toi.  Peletier  et  Mei- 
gret  écrivoient  an. 

EnamOVRÉ,  rendu  amoureux.  Voy.  M.  Pougens  (Archéol. 
franc.,  v.°  Enamourer  et  s'énamourer,  tom.  I,  pag.  164  et  i65), 
Ronsard  (liv.  il,  od.  16)  a  dit  amourée  pour  amante: 

Comme  un  taureau  par  la  prée 
Court  après  son  amourée . 

S"" amouracher,  usité  aujourd'hui,  n'a  ni  la  même  nohlesse,  ni 
la  même  harmonie,  ni  tout-à-fait  le  même  sens  que  s'enamou~ 
rer.  Molière  a  créé  le  composé  désenamouré. 

Mais  est-ce  un  coup  bien  sûr  que  voti*e  seigneurie 
Soit  désejiamourée,  ou  si  c'est  raillerie? 

(Le  Dépit  amoureux,  act.  i,  se.  4) 

EncerCELÉ,  entouré  d'un  cercle,  ou  comme  d'un  cercle. 

EncharCtÉ,  confié,  mis  à  la  charge  de  quelqu'un. 

Enclîner  (s'),  s'incliner. 

EnCORES,  encore.  «  Comme  les  poètes  ont  souvent  besoin 
«  d'accourcir  ou  d'allonger  les  mots ,  il  ont  dit  encor  et  encores; 
«  les  prosateurs,  à  leur  imitation,  se  sont  seivis  des  mesmcs 
«  mots.  Encores  n'est  plus  en  usage  ny  en  prose  ny  en  vers  : 
«  pour  encor,  il  est  toujours  usité  en  vers.  »  (MÉNAGE,  Observ. 
sur  la  langue  franc.,  chap.  xxxvii.) 

Endroit,  égard,  point.  En  cet  endroit,  à  cet  égard,  sur  ce 
point,  yd  Vendrait  de ,  à  l'égard  de. 


276  GLOSSAIRE 

Je  suis  ton  Quinzica, 
Toujours  le  même  à  l'endroit  de  sa  femme. 

(  La  FoTiTAiNE,  le  Calendrier  des  vieillards.) 

Et  le  peuple  inégal  à  l'endroit  des  tyrans. 
S'il  les  déteste  morts,  les  adore  vivants. 

(P.  Corneille,  Cinna,  act.  i,  se.  3.) 

Cette  expression  se  trouve  aussi  plusieurs  fois  dans  Molière. 

EngeavÉ,  inscrit,  grave'. 

EnrovillÉ,  rouillé,  dévoré  par  la  rouille. 

Enseigne,  signe,  souvenir.  —  Marque  d'amitié,  chose  qui 
rappelle  l'objet  aimé,  du  latin  insignis, 

Ensemblement,  ensemble. 

Enserpewté,  garni  de  serpents. 

Ensvivre  (s'en),  s'ensuivre. 

EntortilloNNÉ  ,  tressé  ,  entortillé.  Le  vert  entortillonnè , 
page  100,  la  couronne  de  verdure. 

Entrepris,  entreprise. 

O  féminin  entrepris 

De  l'immortalité  gage,  page  129. 

EpANIR,  espanir,  épanouir,  sans  doute  du  latin  expandere. 
Erein,  airain. 

Erre  ,  route ,  chemin  ,  hâte  ,  promptitude.  Grand' erre  ,  à 
grand' erre  ,  à  grande  hâte. 

Aucuns  à  coups  de  pierre 

Poursuivirent  le  Dieu  qui  s'enfuit  à  grand'erre, 

(La  Fontaine  ,  le  Fleuve  Scamandre,  conte.) 

Es,  dans,  en.  JEs  viles ,  dans  les  villes.  Esquels ^  dans  les- 
quels. Il  est  encore  usité  au  palais.  On  l'a  conservé  aussi  dans 
quelques  locutions,  comme  dans  maître  es  arts,  jë'.t  s'est  dit  par 
syncope,  au  lieu  A' en  les,  comme  des  pour  c^e  les. 

EsCHANGE,  changement,  métamorphose. 

EsCLAVER,  rendre  esclave.  Ronsard  a  dit  :  Esclauer  ma  li- 
berté. Esclauer  se  trouve  aussi  dans  Montaigne  (Essais,  i,  29)^ 
et  dans  les  poésies  de  Desportes. 


DE  LOUISE  LABÉ.  277 

EsCRTZ  ,  écrits.  Escriz  de  diuers poètes  à  la  touenge de  Louise 
Lnhé.  On  trouve  ailleurs  le  même  mot  ainsi  orthographié,  es- 
crits.  Voy.  notamment  page  3,  ligne  21,   et  page  81,  ligne  3. 

ESLE  ,  aile.  On  a  écrit  aesle ,  aele  y  aisle. 

ESLONGNER,  éloigner. 

EsMOY,  chagrin,  peine,  affliction.  «Ne  falloit-il  pas  laisser 
«  à  émouvoir  y  émoi!  »  (  MarmOISTEL,  Élémens  de  littér. ,  art. 
Usnge.^ 

EsPANDRE ,  répandre.  Espandre  larmes,  verser  des  larmes. 
Larmes  espandues,  larmes  versées.  Espandre  son  regard  ^  regar- 
der, regarder  au  loin,  autour  de  soi. 

Je  ne  sais  d'homme  nécessaiie 
Que  celui  dont  le  luxe  épand  beaucoup  de  bien. 

(La  Fontaine,  liv.  vin,  fabl  19.) 

Voy.  la  note  4  ^^  M.  N.  S.  Guillon  sur  cette  fable  dans  son 
La  Fontaine  et  tous  les  fabulistes,  Paris,  i8o3,  2  vol.,  in-8.", 
tom.  Il,  pag.  i^j. 

EsPESSEVR,  épaisseur.  On  trouve  espoisseur  à-Ans  d'autres  au- 
teurs du  xvi.^  siècle. 

ESPLINGVE,  espingle,  épingle,  du  \a.ixn  spinula '.  «Il  faut  dire 
«<  épingle.  C'est  comme  on  parle  à  Paris.  Eplingue  est  de  pro- 
«  vince.  »  (Ménage,  Observ.  sur  la  langue  franc.,  chap.  cxl.) 

ESPOVEISTÉ,  espouuenté ,  épouvanté. 

EspovVENTAble  ,  épouvantable. 

Estime,  j. m.,  estime.  En  tel  estime ,  page 32,  en  telle  estime. 

EsTOVR,  ehoc,  mêlée,  combat,  assaut,  du  latin,  exturhatio; 
d'où  vient,  dit  Borel,  le  mot  estourdir,  étourdir. 

EstrANGE  ,  adj.  des  deux  g. ,  étranger  ,  d'où  le  substantif 
estrangeté ,  qui  a  grande  envie  d'être  réhabilité,  et  sur  lequel 
on  peut  consulter  M.  Pougens  (Archéolog.  françoise,  tom.  f, 
pag.  i84). 

Estranger,  rendre  étranger,  aliéner,  changer. 

Estreindre,  saisir,  serrer  fortement  en  liant.  Nous  disons 
encore  étreindre ,  étreinte  ;  mais  ces  mots  ne  sont  pas  des  plus 


276  GLOSSAIRE 

Je  suis  ton  Quinzica, 
Toujours  le  même  à  l'endroit  de  sa  femme. 

(  La  FoiVTAlNE,  le  Calendrier  des  vieillards.) 

Et  le  peuple  inégal  à  l'endroit  des  tyrans , 
S'il  les  déteste  morts,  les  adore  vivants. 

(  P.  Corneille  ,  Cinna,  act.  i,  se.  3.) 

Celte  expression  se  trouve  aussi  plusieurs  fois  dans  Molière. 

EngeavÉ,  inscrit,  grave'. 

EnrovillÉ,  rouillé,  dévoré  par  la  rouille. 

Enseigne,  signe,  souvenir.  —  Marque  d'amitié,  chose  qui 
rappelle  l'objet  aimé,  du  latin  insignis, 

EnsemblemEnt  ,  ensemble. 

EnserpejvtÉ,  garni  de  serpents. 

Ensvivre  (s'en),  s'ensuivre. 

EntortîLLONNÉ  ,  tressé,  entortillé.  Le  vert  entortillonné , 
page  100,  la  couronne  de  verdure. 

Entrepris,  entreprise. 

O  féminin  entrepris 

De  l'immortalité  gage,  page  lag. 

EpANIR,  espanir,  épanouir,  sans  doute  du  latin  expandere. 
Erein,  airain. 

Erre  ,  route ,  chemin  ,  hâte  ,  promptitude.  Grand' erre  ,  à 
grand'erre ,  à  grande  hâte. 

Aucuns  à  coups  de  pierre 

Poursuivirent  le  Dieu  qui  s'enfuit  à  grand'erre. 

(La  Fontaine  ,  le  Fleuve  Scamandre,  conte.) 

Es,  dans,  en.  Es -viles ,  dans  les  villes.  Esquels ,  dans  les- 
quels. Il  est  encore  usité  au  palais.  On  l'a  conservé  aussi  dans 
quelques  locutions,  comme  dans  maître  es  arts.  £".$•  s'est  dit  par 
syncope,  au  lieu  A' en  les,  comme  des  pour</e  les. 

EsCHANGE,  changement,  métamorphose. 

EsCLAVER,  rendre  esclave.  Ronsard  a  ait'.  Es clauer  ma  li- 
berté. Esclauer  se  trouve  aussi  dans  Montaigne  (Essais,  i,  29), 
et  dans  les  poésies  de  Desportes. 


DE  LOUISE  LABÉ.  277 

EsCRIZ  ,  écrits.  Escriz  de  diuers poêles  à  la  îouenge  de  Louïze 
Lnbé.  On  trouve  ailleurs  le  inême  mot  ainsi  orthographié,  es- 
crits.  Voy.  notamment  page  3,  ligne  21,   et  page  81,  ligne  3. 

ESLE  ,  aile.  On  a  écrit  aesle ,  aele ,  aisle. 

EsLONGNER,  éloigner. 

EsMOY,  chagrin,  peine,  affliction.  «Ne  falloit-il  pas  laisser 
«  à  émouvoir  j  émoi!  »  (MarmOIVTEL,  Élémens  de  littér. ,  art. 
Usage.  ) 

EsPANDRE  ,  répandre.  Espandre  larmes,  verser  des  larmes. 
Larmes  espandues,  larmes  versées.  Espandre  son  regard ,  regar- 
der, regarder  au  loin,  autour  de  soi. 

Je  ne  sais  d'homme  nécessaire 
Que  celui  dont  le  luxe  épand  beaucoup  de  bien. 

(La  Fontaine,  liv.  vni,  fabl  19.) 

Voy.  la  note  4  de  M.  N.  S.  Guillon  sur  cette  fable  dans  son 
La  Fontaine  et  tous  les  fabulistes,  Paris,  i8o3,  2  vol.,  in-8.", 
tom.  Il,  pag.  147. 

EsPESSEVR,  épaisseur.  On  trouve  espoisseiir  Aaïis  d'autres  au- 
teurs du  xvr.*  siècle. 

ESPLINGVE,  espingUj  épingle,  du  latin  spinula  i  «Il  faut  dire 
«  épingle.  C'est  comme  on  parle  à  Paris.  Eplingue  est  de  pro- 
«  vince.  »  (MÉNAGE,  Observ.  sur  la  langue  franc. ,  chap.  CXL.) 

EsPOVENTÉ,  espouuenté ,  épouvanté. 

EsPOVVENTABLE ,  épouvantable. 

Estime  ,  s.  m. ,  estime.  En  tel  estime ,  page  32,  en  telle  estime. 

EsTOVR,  ehoc,  mêlée,  combat,  assaut,  du  latin  exturhatio; 
d'où  vient,  dit  Borel,  le  mot  estourdir,  étourdir, 

EsTRANGE  ,  adj.  des  deux  g. ,  étranger  ,  d'où  le  substantif 
estrangeté ,  qui  a  grande  envie  d'être  réhabilité,  et  sur  lequel 
on  peut  consulter  M.  Pougens  (Archéolog.  françoise,  tom.  i, 
pag.  i84). 

EsTRANGER,  rendre  étranger,  aliéner,  changer. 

EsTREiNDRE,  saisir,  serrer  fortement  en  liant.  Nous  disons 
encore  étreindre ^  étreinte;  mais  ces  mots  ne  sont  pas  des  plus 


278  GLOSSAIRE 

usités,  quoique  nous  ayons  conservé  l'ancien  pioverLe  :   Qui 
trop  embrasse ,  mal  estreint. 

EsTVDE,  soin,  application,  dans  le  même  sens  que  le  stu- 
dium  des  latins. 

EWRE,  œuvre.  Ce  substantif  est  tantôt  masculin,  tantôt  fé- 
minin ,  dans  Louise  Labé.  Il  paroît  qu'il  avoit  le  premier  de  ces 
genres  au  singulier,  et  le  second  au  pluriel.  L'édition  de  i556, 
in-8.°,  est  intitulée  :  Euures  de  Loaïze  Labé  Lionnoize,  reuues 
çt  corrigées  par  ladite  Dame  ;  et  on  lit  dans  l'épître  dédica- 
toire  à  Madamoiselle  Clémence  de  Bourges  ;  Ce  mien  euure  rude 
et  mal  bâti;  et  dans  le  Débat  de  Folie  et  d'jdmour  :  L" euure  fait 
par  Praxitelle.  Quant  à  la  manière  d'écrire  ce  mot,  La  Mon- 
noye  (Glossaire  bourguignon,  v.°  Euvre)  remarque  que  «  tous 
«  nos  livres  ,  excepté  ceux  de  quelques  anciens  et  modernes  ré- 
«  formateurs  de  notre  orthographe,  ont  toujours  œuvre.  Je  ne 
«<  sache,  ajoute-t-il,  qu'un  petit  in-8.*',  imprimé  à  Lyon  chez 
«  Jean  de  Tournes,  i555,  où  il  y  ait  euvre,  tout  le  reste  de 
«  l'impression  y  ét^nt  presque  conforme  à  l'orthographe  com' 
«  mune.  Le  livre  a  pour  titre  :  Euvres  de  Louise  Labé.  » 

F. 

Faillir  et  Falloir.  Ces  deux  verbes  dont  le  sens  est  bien 
différent,  ont,  dans  Louise  Labé,  quelques  temps  qui  leur  sont 
communs.  Il  f aillait  s'y  trouve  pour  il  f ail  oit.  Il  faudrait  signi- 
fie également  il  manquerait ,  et  dans  ce  sens  appartient  au  verbe 
faillir,  et  il  seroit  nécessaire ,  et  alors  il  virent  de  falloir.  — 
Qu'ils  f  aillent ,  qu'ils  manquent,  ou  qu'ils  tombent  en  défail- 
lance. On  ha  failli,  on  a  fait  une  faute.  Ilfalut,  il  fallut.  Qu'il 
fallust ,  qu'il  fallût. 

Famé,  renommée,  réputation,  du  \aiin  fama.  Il  existe  en- 
core des  enseignes  de  marchands  ou  d'hôteliers,  où  on  lit  :  A 
la  bonne  famé.  Nous  avons  plusieurs  dérivés  de  ce  mot,  diffa- 
mer ^  diffamation,  infâme,  infamie ^  fameux^  Ce  sont,  comme 


DE  LOUISE  LABÉ.  279 

Voltaire  le  dit  quelque  part ,  des  enfants  qui  ont  perdu  leur 
père. 

FantASIE,  fantaisie,  imagination,  du  grec  phantasia,  dont 
la  racine  estphaino,  je  parois. 

Farsevr,  farceur,  come'dien  qui  jouoit  des  pièces  bouffonnes 
appelées /arcej,  telles  qu'étoit,  par  exemple,  l'ancienne  Farce 
de  Maistre  Pierre  Patelin,  faite,  à  ce  qu'il  paroît,  du  temps 
de  Louis  xr. 

FeingnANT,  partie,  présent  du  \erhe  feindre. 

Félon,  traître,  rebelle,  cruel,  inhumain.  «  Pourquoi /e'/ore 
«  et  félonie  ne  se  trouvent-ils  plus  que  dans  le  Code  crimi- 
«  nel?  »  (Marmontel,  Éle'm.  de  litle'r. ,  v."  Usage,) 

Femmelle  ,  femelle ,  petite  femme.  Il  paroît  que  ce  mot 
n'avoit  rien  d'ignoble,  etpouvoit  se  placer  même  dans  la  haute 
poésie. 

Tant  de  flambeaiis  pour  ordre  une  femmelle . 

(  Sonnet  ii ,  v.  ii.) 

Fiance,  foi,  confiance. 

Fiancer,  confier,  promettre,  donner  sa  foi.  Se  fiancer ^ 
croire,  s'assurer,  se  confirmer,  se  fier. 

F1LOZOFE,  philosophe.  Voy.  Introduction,  page  244* 

FiNER,  finir.  Fineroit,  finiroit. 

Flevrer,  flairer,  sentir.  Il  signifioit  aussi  ex^a/er  une  odeur, 
témoin  ce  vers  de  Régnier  (Sat.  x)  : 

Qix'W  fieuroit  bien  plus  fort,  mais  non  pas  mieux  que  roses. 

Flofloter,  flotter  tumultueusement,  agiter  ses  flots.  Pas- 
quier  (Recherch.  de  la  France,  liv.  Viii,  c,  Vi)  n'oublie  pas  de 
citer  au  nombre  «  des  mots  qui  par  leur  pronoTiciation  represen- 
«  tent  le  sonde  la  chose  signifiée,  que  les  Grecs  appellent  ono- 
«  matopeies  (onomatopées),  »  lefloflotter,  «  mis,  dit-il,  en  usage 
«  par  les  Poètes  de  nostre  temps,  pour  représenter  le  heurt  tu- 
«  multuaire  des  flots  d'une  m.er,  ou  grande  rivière  courroucée.» 

Flovet,  fluet,  mince,  grêle,  délicat,  diminutif  du  vieux  mot 


280 


GLOSSAIRE 


flou,  encore  usité  en  peinture,  peindre  flou  ^  peindre  d'une  ma- 
nière légère,  délicate,  tendre,  mot  qui  peut  avoir  été  formé 
du  latin ^aere,  couler,  s'amollir,  se  liquéfier. 

Fois  (a),  parfois,  quelquefois.  Plus  de  fois ,  plus  souvent. 

Fol,  fou.  Le  plus presomptueus  fol  du  monde,  page  lo.  Fol  ne 
se  dit  plus  que  lorsque  le  substantif  qui  le  suitcommence  par  une 
voyelle,  un  fol  amour,  un  fol  espoir:  il  en  est  de  ce  mot  comme 
il  en  a  été  de  celui  de  vieil.  Voy.  Vieil.  Il  paroît,  d'après  un 
passage  du  livre  de  Théodore  de  Beze,  De  Francicae  linguae  recta 
pronuntiatione  (i584),  rapporté  par  Ménage  (Observ.  sur  la 
lang.  franc.,  chap.  CXi),  que,  quoiqu'on  écrivît /o^  et  col,  on 
prononçoit/oM  et  coït,  comme  nous  le  faisons  maintenant,  sauf 
quelques  cas  exceptés.  Cependant  Henri  Etienne,  dans  ses  Hy- 
pomneses  de  Gall.  lingua  (iSSa),  citées  au  même  endroit,  re- 
gardoit  cette  prononciation  comme  vicieuse. 

Font,  fontaine. 

Près  la  font  se  vint  assoir ,  page  il^i, 
c'est-à-dire,  se  vint  asseoir  près  de  la  fontaine. 

FoRCENER,  devenir  furieux,  forcené,  perdre  la  raison,  de 
for,  hors,  dehors,  et  de  sens.  Ce  mot  a  été  employé  par  P.  Cor- 
neille : 

Je  forcené  de  voir  que  sur  votre  retour 

Ce  traître  assure  ainsi  ma  perte  et  son  amour. 

(  La  Veuve  ,  comédie,  act,  V,  se.  9); 

et,  avec  plus  de  bonheur,  par  Fénélon  :  «  L'autorité  du  peuple 
«  est  une  puissance  foible  et  aveugle  qui  se  forcené  contre  elle- 
«  même,  qui  ne  se  rend  absolue  et  ne  se  met  au-dessus  des 
«  loix  ,  que  pour  achever  de  se  détruire.  »  Voy.  M.  Pougens 
(Archéol.  franc.,  t.  !,  p.  207  et  208).  Ce  savant  paroît  n'avoir 
pas  connu  le  beau  passage  de  Fénélon  que  je  viens  de  citer. 

Fors,  hors,  hormis,  excepté,  si  ce  n'est.  Le  fameux  mot  de 
François  l.^'':  Tout  est  perdu ,  fors  l'honneur,  sera  cause  que  de 
long-temps  on  n'oubliera  le  sens  de  cet  adverbe.  Tout  le  monde 


DE  LOUISE  LABÉ.  281 

sait  que  François  i/*",  après  la  bataille  de  Pavie,  envoya  à  la 
duchesse  d'Angoulême  sa  mère,  régente,  une  lettre  qui  ne  con- 
tenoit  que  ces  paroles  si  e'minemment  francoises.  La  princesse 
e'toit  alors  à  Lyon,  dans  le  cloître  de  St-Just.  (Voy.  Colonia, 
Hist.  littér.  de  Lyon,  t.  ir,  p.  5o6. ) 

FoRSAiRE,  forçat. 

Fort,  fortement. 

FORVIERE,  Fourrière.  On  trouve  leinlotForuiere,  tanlotFotu- 
uiere ,  dans  Louise  Labé  et  dans  les  auteurs  de  son  temps. 
C'est  une  corruption  de  For  vieil^  Forum  vêtus.  Voy.  notes 
195  et  249. 

Franchise,  liberté.  Oter  la  franchise ,  enlever  la  liberté.  — 
Droit  d'asyle,  asyle.  Polluer  la  franchise ,  violer  un  asyle,  un 
lieu  de  franchise. 

FresCHE,  fraîche,  féminin  de  frais. 

Freschement,  fraîchement. 

Froisser.  Un  des  poètes  qui  ont  e'crità  la  louange  de  Louise 
Labë,  donne  à  ce  mot  plus  d'énergie  que  nous  ne  lui  en  don- 
nons maintenant,  puisqu'il  dit: 

Froisser  tout  le  labourage,  page  i35. 
Froisser  a  été  créé  par  onomatopée,  à  moins  qu'il  ne  soit  dé- 
rivé defessus  ou  fresus  ^  participe  passé  du  verbe  Isitin  f rende o. 
Il  est  très  ancien  dans  la  langue.  Il  paroît  que  c'est  récemment 
que  sa  signification  primitive  s'est  un  peu  affoiblie.  On  lit  dans 
le  traité  de  la  Critique,  par  l'abbé  de  St-Réal  (tom.  iv  de  ses 
Œuvres,  pag.  235)  :  «  Je  ne  crois  pas  non  plus  que  la  faute 
«  que  font  les  Lyonnois  en  disant  froisser ,  pour  chijff'onner  un 
«  rabat ,  mérite  qu'on  y  prenne  garde,  » 

FviR.  Louise  Labé  fait  ce  mot  de  deux  syllabes  : 
Ou  sont  fuiz  tes  coursiers  furieus ,  page  75, 
e'est-à-dire,  on  se  sont  enfuis  tes  coursiers,  etc. 
Pouuoir  fuir  par  ce  moyen  ma  flame ,  page  8a. 

Cependant  Sibilet  (Art  poétique  franc.,  chap,  vni)  youloit  que 


282  GLOSSAIRE 

dans  ce  mot  ui  fût  une  diphtonge  (diphtongue).  Malherbe  a  fait 
comme  Louise  Labé  : 

Ou  fuir  ou  mourir. 

Mais  les  grands    poètes   modernes  ,    nos   maîtres  actuels ,   ne 
comptent  dans/i«V  qu'une  syllabe: 

Et  mes  derniers  regards  ont  vu  fuir  les  Romains. 

(Racine,  Mithridate,  act.  V,  se.  5.) 
Je  trouve  au  coin  d'un  bois  le  mot  qui  m'avoit/at. 

(  BOILBAU  ,  Epit.  VI.  ) 


G. 

GAIGNER,  gagner.  La  place  qui  parlemenle  ^  est  demi  gai gnee^ 
pages  60  et  61.  Comme  on  le  voit,  ce  proverbe  est  ancien.  (  Voy. 
l'abbe'Tuet,  dans  son  curieux  ouvrage  des  Matinées  Sénonoises, 
pag.  277.)  L'/  que  nous  avons  retranché  de  galgner  est  resté 
dans  gain,  qui  en  est  la  racine.  Dès  le  temps  où  Théodore  de 
Beze  publia  son  traité  De  Gallicœ  linguae  recta  pronuntiatione 
(i584),  oiï  prononçoit  gagner  ;  il  n'y  avoit  que  les  Picards  qui 
continuassent  de  dire  gaigner. 

Gaillarde,  s.  /. ,  terme  de  musique  et  de  danse.  Espèce  de 
danse  ancienne  qu'on  dansoit  tantôt  à  terre,  et  tantôt  en  ca- 
briolant, tantôt  allant  le  long  de  la  salle,  et  tantôt  à  travers. 
Onl'appeloit  aussi  Romanesque,  à  cause  qu'elle  venoit  de  Rome. 
Thoinot  Arbeau,  dans  sou  Orchésographie  (Langres,  1696, 
in-4.°),  dit  que  c'étoit  une  danse  composée  de  cinq  pas  et  de 
cinq  assiettes  de  pieds  que  faisoient  les  danseurs  l'un  devant 
l'autre,  avec  plusieurs  passages  dont  il  donne  la  tablature,  qui 
est  de  six  minimes  blanches  et  de  deux  mesures  ternaires.  (Dic- 
tionnaire de  Trévoux,  art.  Gaillarde.)  Voy.  Pavane. 

Garce,  jeune  fille.  Du  temps  de  Louise  Labé,  ce  mot  (ana- 
gramme de  grâce)  ne  signifioit  pas  une  femme  de  mauvaise  vie^ 
çt  n'ayoit  rien  de  déshonnête.  Quantum  mutatus  ah  illo  ! 


DE  LOUISE  LABÊ.  283 

GargOVILLANT,  murmurant.  Le  gargouillant  ruisselet,  page 
116,  le  petit  ruisseau  murmurant.  Gargouiller  est  actuelle- 
ment un  des  mots  les  plus  ignobles  de  la  langue. 

Garniment,  garnement.  Ce  mot  ne  s'emploie  que  précédé 
du  mot  mauvais.  Du  temps  de  Ménage  (voy.  ses  Observ.  sur 
la  langue  franc.,  chap.  CCCLlIl),  on  disoit  encore  garniment 
dans  les  provinces. 

GarsOIVNF.AV,  diminutif  de  garçon ,  qui  lui-même  est  un  di- 
minutif de  gars ,  petit  garçon.  On  a  dit  aussi  garsonnet  ou  gar~ 
çonnet.  (Voy.  M.  Pougens,  Archéol.  franc.,  tom.  1,  pag.  224.) 

Génial,  ALE,  agréable,  joyeux,  divertissant,  fait  pour  le 
plaisir,  du  latin  genialis ^  dont  la  racine  est  Genius,  divinité 
tutélaire,  génie  qui  présidoit  à  la  naissance.  Chacun  avoit  le 
sien  qu'il  fétoit  le  jour  anniversaire  de  sa  naissance.  Ce  jour- 
là  on  recevoitdes  cadeaux,  et  on  régaloit  ses  amis.  Ou  lit  dans 
Perse  (Sat.  V,  v.  i5i)  :  Imhdge  Genio,  donnez-vous  du  bon 
temps,  divertissez -vous.  Voy.  note  102.  M.  Pougens  a  trouvé 
génial  digne  d'être  réintégré  dans  le  langage  moderne,  et  l'a 
employé  dans  cette  phrase  de  ses  Contes  du  vieil  hermite  de 
la  vallée  de  Vauxbuin,  Paris,  1821,  3  vol.  in -12,  tom.  ii , 
pag.  110,  lign.  i3:  «  Que  d'esprit!  que  d'idées  pures  et  génia- 
«  les!  s'écria  Alfred.  » 

Génie,  le  dieu  Genius.  Voy.  le  mot  précédent. 

Genné,  tourmenté,  mis  à  la  gêne,  à  la  torture.  On  disoit 
primitivement  géhenne ^  du  mot  gehenna,  la  gêne,  l'enfer,  em- 
ployé dans  la  Bible,  et  venu  de  Gehennon  (vallée  A'Enna), 
vallée  près  de  Jérusalem,  où  l'on  avoit  brûlé  des  victimes  hu- 
taaines,  et  qui  devint  ensuite  une  voirie.  (Voy.  Pasquier,  Re- 
cherch.  de  la  France,  liv.  Vm,  chap.  3i.) 

Gent  ,  TE,  aimable,  agréable,  joli,  mignon,  gentil.  Les 
poètes  marotiques  en  font  souvent  usag  -. 

Gentile,  féminin  de  gentil,  gentille.  Le  mot  gentil,  em- 
ployé dans  le  sens  de  laborieux  ^  actif  ^  diligent ,  est  un  lugdu- 
nisme. 


284  GLOSSAIRE 

Gentilesse  ,  gentillesse. 

Gerion,  Géryon,  gc'ant  fabuleux.  Voy.  note  loo. 

Getter,  ietter,  iecter,  jeter.  —  Calculer,  compter,  d'où  le 
moi  gecton ,  ieclon,  jeton.  «Les  anciens  se  servoient  pour  comp- 
«  ter  de  petites  pierres  qu'on  appeloit  calculi  (de  là  nos  mots 
«  calcul,  calculer)  ;  elles  furent  rcmplace'es  à  Rome  par  des 
«  jetons  d'ivoire.  Le  mot  jeton  vient,  à  ce  que  dit  Ménage,  du 
«  m.ot  j'actus ,  action  de  les  jeter,  ce  qui  avoitlieu  en  faisant  les 
«  comptes  *.  Saumaise  les  appeWe  Jactones.  —  Sous  Louis  xir, 
«  les  jetons  servoient  eucore  à  compter,  ce  que  prouve  un  jeton 
«  de  Louis  XII,  dont  la  devise  est:  Qui  bien  iettera,  son  conte 
«  trouuera.  — Les  rois,  les  princes,  les  seigneurs,  les  difFé- 
«  rentes  corporations  firent  frapper  des  jetons  pour  cet  usage; 
«  mais  l'art  de  compter  s'e'tant  perfectionné,  les  jetons  n'ont 
«  plus  servi  qu'à  payer  honorablement  le  droit  de  présence  dans 
«  les  réunions  de  diverses  sociétés.  Les  académies  ont  eu  aussi 
«  leurs  jetons,  et  les  tables  de  jeu  ont  réuni  tous  ces  jetons  de 
«  différentes  dénominations.  »  Cette  note  est  extraite  du  jour- 
nal de  Dijon  et  de  la  Côte-d'Or  (n.°  du  23  octobre  1822),  jour- 
nal rédigé  avec  soin,  dans  lequel  M.  C.  N.  Amanton  insère  de 
temps  en  temps  d'excellentes  recherches  philologiques  et  bio- 
graphiques, sous  le  titre  de  Lettres  bourguigonnes. 

Gettevrs  de  points,  faiseurs  de  calculs  magiques  et  as- 
trologiques. 

GlASSER,  glisser;  se  glasser,  se  glisser. 

Mercure  aucntureus 

De  ciel  en  ciel,  de  lieu  en  lieu  se  glasse. 

(Sonnet  XXII.) 

«  Tout  ainsi  que  Sannazar  Italien  en  son  Arcadie ,  fait  parler 

*  a  Jet,  suivant  le  Dictionnaire  de  l'Académie ,  se  dit  du  calcul  qui  se  fait 
«  par  les  jetons  (  Calculer  au  jet...) 

«  Jeter»  calculer  avec  des  jetons.  (Jetez  ces  sommes-là,,..  Je  les  ai  je- 
«  tées ,  et  j'ai  trouvé  qu'elles  montent  à...  Appi'endre  à  jeter.  )  » 

(Note  de  M.  C.  N  Amanton.) 


DE  LOUISE  LABÉ.  285 

«  des  pasteurs  en  prose,  dedans  laquelle  il  a  gîassé  toute  sa 
«  Poésie  Toscane  :  Aussi  a  fait  le  semblable  nostre  Belleau  dans 
«  sa  Bergerie.  >>  (Pasquier,  Rechcrch.  delaFrance,  1.  Vir,c.  6.) 
Classer  y  dans  ce  sens,  vient  de  glace,  parce  qu'on  glisse  sur 
la  glace,  ou  bien  ce  verbe,  de  même  que  celui  de  glisser,  qui 
le  remplace  aujourd'hui,  n'est  qu'une  simple  onomatopée, 

Gnidien,  Cniditn,  de  Cnide.  Voy.  note  86. 

Gradive,  Gradivus,  surnom  de  Mars.  Voy.  note  a48. 

GrASSELET,  diminutif  de  gras ,  grasset,  un  peu  gras. 

Grief,  grave,  sévère,  rigoureux,  du  latin  gravis. 

Gverroyevr,  guerrier. 

GviDE ,  s.  f.,  ce  qui  sert  à  guider,  à  conduire,  bride,  gou- 
vernement. Selon  quelques  étymologistes,  guider  viendroit  du 
latin  videre ,  voir. 

Print  la  guide 

Du  Royaume  trioufant,  page  i34> 

c'est-à-dire ,  prit  le  gouvernement  du  royaume ,  etc. 

Il  existe  un  ancien  ouvrage  ascétique,  intitulé ^  la  Guide  des 
pécheurs. 

La  Guide  des  pécheurs  est  encore  un  bon  livre. 

(Molière.) 

GviNDER,  exhausser.  On  trouve  reguinder  dans  La  Fontaine: 

Il  descend,  et  son  poids  emportant  l'autre  part, 
Reguinde  en  haut  maître  Renard. 

(Liv.  XI,  fabl.  6.) 

H. 

Ha  (il),  il  a.  Quelques  auteurs  du  temps  ds  Louise  Lahé, 
et  Louise  Labé  elle-même,  écrivoient  ainsi  la  troisième  per- 
sonne du  présent  de  l'indicatif  du  verbe  avoir,  pour  la  distin- 
guer de  l'article  à.  Long  tems  ha,  il  y  a  long-temps. 

Haim,  hameçon,  du  latin  hamus, 

Haleiner.  Voy.  Alener. 


286  GLOSSAIRE 

HarqvebvsIde  ,  arquebusade  ,  coup  d'arquebuse ,  blessure 
faite  par  une  arquebuse,  combat  à  l'arquebuse. 

Havt  tonnant  (le  Diev),  Jupiter,  surnomme  par  les  poètes 
latins  Altitonans. 

Havtein,  haut,  eleve'. 

Des  Dieus  hauteins  tous  puissans ,  page  ijS, 

Hautain  ne  se  dit  plus  maintenant  que  pour  exprimer  une  hau- 
teur, une  fierté  insolente. 

Havtesse,  hauteur,  fierté,  grandeur.  Il  n'est  plus  usité  que 
comme  un  titre  d'honneur  qu'on  donne  à  l'empereur  turc. 

He,  hélas.  He  moy  misérable  !  hélas!  malheureux  que  je  suis. 

Hebenin,  d'ébène,  de  couleur  d'ébène. 

Hebriev,  hébreu. 

HelïCONIEN,  du  mohtHélicon.  VHeliconien  sommet,  le  som- 
met de  l'Hélicon.  M.  de  Gérando,  de  Lyon  (Hist.  comparée 
des  systèmes  de  philosophie,  1822,4  vol.  in-8.°,tom.  r,  pag.  221, 
lign.  14 )j  a  pris  cette  montagne  pour  un  fleuve:  «C'est,  dit-il, 
«  des  montagnes  de  la  Thessalie  que  les  arts  descendirent  dans 
«  la  Grèce.  Là  étoit  le  vallon  de  Tempe  ;  là  coulait  VHéli- 
«  con ,  etc.  :  »  ce  qui  rappelle  la  bévue  du  poète  moderne  qui  a 
parlé  des  sentiers  du  Permesse,  et  ce  qui  n'empêche  pas  que  le 
livre  de  M.  de  Gérando  ne  soit  un  ouvrage  du  plus  haut  mérite. 

Herme,  Hermès,  Mercure. 

lÏERSOfR,  hier  au  soir.  Ronsard  a  dit  dans  le  même  sens  har- 
soir  (Amours,  liv.  il,  chanson  qui  suit  le  Sonnet  LXii),  et  Cl. 
Marot,  arsoir  (Élégie  Xli). 

Hevr,  bonheur,  félicité,  du  latin  hora,  d'où  sont  venus  heu- 
reux, bonheur,  malheur,  malheureux,  bienheureux,  ^  Heur  se 
«  placoit  où  bonheur  ne  sauroit  rentrer;  il  a  fait  heureux  qui 
«  est  si  françois,  et  il  a  cessé  de  l'être  :  si  quelques  poètes  s'en 
et  sont  servis,  c'est  moins  par  choix  que  par  la  contrainte  de  la 
«  mesure.  >>  (La  BruyÈFE  ,  Caractères,  chap.  xiv,  De  queUjues 
usages.)  Du  temps  de  Louise  Labé,  on  écrivoit  bon  heur  en  deux 


DE  LOUISE  LABÉ.  287 

Inots,  et  au  pluriel  bons  heurs:  mile  bons  heurs ^  P^g^  60.  Nous 
nous  servons  encore  du  mot  heur  clans  ce  vieux  proverbe  :  «  Il 
«  n'y  a  qxi'heur  et  malheur  en  ce  monde.  » 

Hevbe  (en  pev  d'),  en  peu  de  temps.  Pibrac  s'est  servi  de 
cette  expression  dans  un  quatrain  que  nous  avons  cité ,  note  gS. 

HiACiNTE,  Hyacinthe,  Souvent,  dans  le  recueil  de  Louise 
Labé,  les  mots  de'rivés  du  grec  qui  ont  un  y,  sont  écrits  par 
un  i:  c'est  ainsi  qu'on  y  trouve  cigne,  Ciprien ^  martire^  mirte^ 
Satire,  Zopire ,  etc.  (Voy.  Introduction,  page  244)*  C'est  au- 
jourd'hui une  faute,  de  même  que  d'écrire  par  un  j^  les  mots 
qui  eu  grec  s'écrivoient  par  un  i.  On  y  tombe  le  plus  communé- 
ment dans  les  mots  qui  commencent  par  hip  ou  hyp.  M.  Bois- 
sonade  donne  sur  ce  point  la  règle  suivante  à  ceux  qui  ne 
savent  pas  le  grec  :  employez  un  i  toutes  les  fois  que  Vi  est  suivi 
de  deux  /?,  et  un  j,  quand  il  n'y  a  qu'un  p;  dès-lors  écrivez 
Hippolyte ,  et  non  Hyppolyte  ;  hippodrome,  Hippocratc ,  Hip- 
parque ,  Hippias ,  etc.;  et  hypothèse ,  hyperbole,  hypothénuse , 
hypothèque  ^  hypocrite ,  hypocondre  ^  etc.  Pour  revenir  au  mot 
Hyacinthe ,  «Du  Bellay,  dans  sa  description  de  la  Corne  d'a- 
«  bondance,  a  dit  Hyacinth  ;  mais  c'a  esté  par  une  licence  poe- 
«  tique,  qui  ne  nous  seroit  pas  aujourd'hui  permise.» (MÉNAGE, 
Observ.  sur  la  langue  franc.,  chap,  CLV. ) 

Hostie,  victime.  Ce  mot,  qui  a  conservé  long -temps  son 
ancienne  acception  que  les  poètes  doivent  regretter,  ne  signifie 
plus  aujourd'hui  que  la  victime  par  excellence,  le  pain  consa- 
cré dans  le  saint  sacrifice  de  la  messe. 

Hybernal,  ALLE,  d'hiver.  M.  Guéroult  (Morceaux  extr.  de 
Pline)  a  rajeuni  le  vieux  mot  estival  (d'été) ,  qui  se  trouve  dans 
nos  anciens  auteurs,  et  par  exemple  dans  la  Porcie  de  Robert 
Garnier  (i582).  Automnal ,  qui  est  dans  nos  dictionnaires,  est 
pareillement  ancien.  Estienne  Pasquier  s'en  est  servi  en  i583, 
liv.  VIII,  lett.  3,  oii  il  compare  ses  productions  aux  Jleurs  au- 
tomnales fennées  (fanées). 


288  GLOSSAIRE 

I. 

IA,  ia  desiuy  déjà. 

Iambette,  croc  en  jambe, 

Ian,  Jean.  lan  de  Tournes.  On  écrivoit  plus  anciennement 
lekan,  comme  en  latin  on  a  souvent  écrit  lohannes^our  loannes. 

ICELLE  ,  féminin  d'icehiy,  elle,  la.  ICEVX,  eux,  ils. 

Ieynesses,  ouvrages  de  jeunesse,  ce  qu'on  appelle  en  latin 
jin'enilia.  —  Actes  de  jeunesse,  actions  qui  conviennent  à  la 
jeunesse.  «  Pourquoi  a-t-on  perdu  le  pluriel  de  jeunesse ,  qui 
«  exprimoit  si  bien  d'un  seul  mot  les  illusions,  les  erreurs,  les 
«  folies  de  ce  bel  âge?  »  (Marmoistel,  Élém.  de  litte'r.,  art. 
Usage.) 

Image,  s.  m.,  image,  s.  f. 

Conteirplolt  encor  l'image 

Qui  troi-  et  trop  lui  fut  beau ,  page  il\o. 

Ailleurs  on  trouve  image  au  féminin.  Ce  mot  avoit  quelques 
dérivés  auxquels  il  a  survécu  :  Imager,  peindre  ;  imageur,  pein- 
tre ;  imagerie ,  peinture. 

Immver,  changer,  du  latin  immutare. 

Immvivde,  immonde. 

ImpvissAIVTER,  rendre  impuissant. 

Indinacion,  indignation.  Indine,  indigne.  Voy.  Dîne. 

Individv,  VE,  qui  ne  peut  se  diviser. 

Inflamer,  enflammer. 

Inflvxioiv,  influence,  du  latin  injluxio,  racine  injluo,  je  coule 
dans. 

Inflvz,  influences. 

Interrogver,  interroger.  Voltaire  (l'Ingénu,  chap.  i)  a  dit 
interrogant  pour  interrogeant ,  qui  a  la  manie  d'interroger  :  Vin' 
terrogant  bailli.  On  appelle  aussi  point  interrogant  (mais  plus 
sonveni  point  interrogatif  ou  d' interrogation) ^  le  point  gramma- 
tical qui  sert  à  marquer  l'interrogation. 


DE  LOUISE  LABÉ.  289 

loilVGNAlVT,  ]oignant,  partie,  prés,  du  y exhe  joindre.  Te  ioin ^ 
ie  ioingnoy.  Les  conjugaisons  t'toicnt  en  général  plus  régulières 
qu'elles  ne  le  sont  aujouril'hui.  Voy.  Creindrf  ,  Plt:indre  ,  etc. 

Ire,  colère.  «  Barbazan  et  La  Mounoye  s'étonnent  beaucoup 
«  de  ce  qu'on  a  banni  le  mot  ire  de  notre  langue,  pour  y  sub- 
«  stitucr  celui  de  colère ,  qui  à  peine  y  est  analogue;  choiera 
«  signifie  bile^  débordem''nt  de  bile ,  colique  bilieuse;  quel  rap- 
«  port  a-t-il  avec  /re,  mouvement  violent  de  l'esprit,  passion 
«  violente?»  (J.  B.  B.  Roquefort,  Glossaire  de  la  langue  ro- 
mane, v.°  Ire.)  Le  même  auteur  reronnoit  ailleurs  que  le  mot 
ire f  que  Malherbe  s'est  efforce'  de  conserver  à  notre  langue, 
est  lui-même  trop  court  et  trop  foible  pour  exprimer  ce  mou- 
vement énergique  de  l'àme,  qui  se  livre  à  une  indignation  voi- 
sine de  la  fureur. 

IrÉ,  ee,  irrité,  en  colère,  irntus.  On  disoitàussi  ireux ^  sujet 
à  s'emporter,  furieux. 

IssANT,  sortant,  du  vieux  verbe  issir ^  dont  nous  avons  con- 
servé le  participe  passé  issu. 

Itéré,  répété,  réitéré. 

IVRONGNERfE,  ivrognerie. 

IVS,  à  bas,  à  terre,  du  X^XÀXi  jusum. 

Tu  l'ueras  ius  les  armes,  page  i5o, 

c'est-à-dire,  tu  mettras  bas  les  armes,  tu  les  jeteras  par  terre. 
IVVENIL,  ILE,  de  jeunesse,  qui  appartient  à  la  jeunesse. 

L. 

Laberynter  (se),  s'égarer,  se  perdre  dans  un  labyrinthe. 
On  trouve  dans  le  Grand  dictionnaire  des  précieuses,  de  So- 
maize,  Délabyrinther  des  ches'eux^  pour  démêler  des  cheveux, 

La[DEROIV,  s.  m.  Quelque  petit  laideron  à  la  bouche  torse ^  P«ib^ 
16.  Ce  mot  est  actuellement  féminin,  en  dépit  de  sa  terminai- 
son :  d'où  vient  qu'il  n'est  plus  masculin,  lorsque  nous  avons 
conservé  ce  genre  au  mot  tendron ^  qui  ne  s'applique  aussi  qu'à 
*  19 


290  GLOSSAIRE     / 

une  femme?  Du  reste,  il  étoit  déjà  féminin  peu  de  temps  après 
Louise  Labé:  «La  bonne  laideron  ressemble  à  la  poulie  de  qui 
«  la  plume  est  mespriseo,  et  la  cbair  estimée  ;  mais  la  belle 
«  f.-mme  ressemble  à  l'hermine,  de  qui  on  estime  tant  la  peau, 
«  et  le  corps  n'en  vaut  rien.»  (Printemps  d'Yver,  1672,  fol.  94 
verso.) 

LaiRROIT,  laisseroit. 

Lamenter,  ^.  act,^  déplorer. 

De  lamenter  ma  peine  et  ma  soufrance,  page  yS. 

Lampeger,  briller,  du  grec  lampo,  auquel  nous  devons  lampe 
et  lampion. 

Lasseté,  lassitude. 

Lede,  Léda.  Lede  fille  de  Theste  ^  P^gc  i4^;  Léda,  fille  de 
Thesiius.  Thestius  (ou  Thespius)  étoit  aussi  le  nom  du  père  des 
cinquante  filles  qu'Hercule  en  une  seule  nuit  changea  en  femmes 
(ce  fut,  selon  quelques  auteurs,  le  treizième  de  ses  travaux). 

Lever,  enlever,  arvacher.  Luileue  les  jeus de  la  teste ^  page  28, 
lui  arrache  les  yeux  de  la  tête,  lui  tire  les  yeux. 

Lézard,  qui  blesse,  du  latin  lœdo,  lœsum.  Ta  langue  lézarde. 

Satyriques  trop  enuieux, 
Escriuaius  de  plume  lézarde,  etc. 

(  Cl.  Marot,  Épît.  Xîl.) 

Lézard  (animal)  vient-il  de  ce  mot  ou  de  lacerta!  Jean  Marot, 
père  de  Clément,  a  dit: 

Faux  détracteurs  à  langues  de  lezars. 
Qui  de  mesdire  sçavez  trop  bien  les  ars... 

Ltne,  Linus. 

Lion,  Lyon,  la  ville  de  Lyon.  On  lit  ce  qui  suit  dans  les 
Observ.  de  Ménage  sur  la  langue  franc,  (chap.  CCCXi):  «Lion^ 
«  dans  la  signification  de  Lugdunum ,  se  doit  écrire  av.  c  nxi  y, 
«  comme  nos  anciens  l'ont  toujours  écrit.  Cujas(liv.  27,  chap.  33 
«  de  ses  Observations)  :  In  archetypo  Pandectarum  Florentina- 
«  rum  scriptum  cstLyndonensesXihro  ultimodeCensibus.Utnon 
«  abs  re  majores  nostri  scripserint  Lyon  et  Lyonnais .  »  Il  est  vrai 


DE  LOUISE  LABÊ.  291 

qu'on  a  toujours  écrit  Lyon  avec  un  y,  et  que  ce  n'est  que  par 
uue  innovation  des  réformateurs  de  l'orthographe,  que,  du  temps 
de  Louise  Labé,  on  remplaça  dans  ce  nom  l'y  par  un  /;  mais 
c'est  mal  à  propos  que  Cujas  s't  st  appuyé  sur  la  leçon  Lyndo- 
nenses  qu'il  avoit  trouvée  dans  le  manuscrit  des  Paiidecfes  de 
Florence  :  cette  leçon  est  évidemment  une  faute  de  copiste,  et 
on  doit  lire  à  l'endroit  cité  (c'est-à-dire,  lib.  l,  tit.  XV,  leg.  8, 
§  1),  Lug.lunenses ,  comme  portent  toutes  les  éditions.  La  vé- 
ritable étymologie  de  Lyon  est  inconnue,  ou  du  moins  très 
incertaine.  Les  savants,  qixi  veulent  y  voir  une  contraction  du 
nom  latin  Lugdunnm  (Luun) ,  ne  sont  pas  d'accord  entre  eux 
sur  le  sens  de  ce  nom  lui-même,  tiré,  à  ce  qu'il  paroît,  de  la 
langue  celtique.  M.  Cochard  (Description  historique  de  Lyon, 
1817,  in-i2,  pag.  2  et  3)  indique  rapidement  plusieurs  des  nom- 
breuses conjectures  qui  ont  été  faites  sur  ce  sujet;  mais  il  ne 
pense  pas  que  le  mot  francois  Lyon  dérive  du  latin  Lugdunum, 
«  On  croit  généralement,  dit-il,  que  ce  changement  s'est  moins 
«  opéré  par  l'efFel  de  la  corruption  des  langues,  qu'à  cause  du 
«  lion  que  cette  ville  a  constamment  porté  dans  ses  monnoies, 
«  dans  ses  enseignes,  et  qu'elle  adopta  enfin,  au  temps  des 
«  Croisades,  dans  ses  armoiries,  comme  une  marque  de  sa  re- 
«  connoissance  envers  Marc -Antoine  qui  l'avoit  comblée  de 
«  bienfaits,  et  dont  le  lion  étoit  le  symbole.  Colonia  assure 
«  que  cet'e  ville  s'appeloit  déjà  Léona  ^  au  XII.^  siècle.  C'est 
«  sans  doute  de  c-  nom  que  les  Vaudois  ou  Pauvres  de  Lyon 
«  retinrent  celui  de  Léonistes  qu'ils  ont  porté.  » 

LON  (sans  apostrophe  après  1'/),  l'on,  on.  Et  lai  ha  Ion  oté 
le  pouuoir  et  moyen  de  guérir,  page  28,  et  on  Iri  a  ôté  le  pou- 
voir, etc.  M.  de  Maistre  (Soirées  de  St-Pétersbourg,  tom.  /, 
pag.  12  ^  et  191)  dérive  on  de  un,  uuus  ;  mais  l'upinion  la  plus 
généralement  reçue  et  la  plus  vraisemblable  est  celle  qui  le  fait 
venir  du  vieux  mot  hom ,  homme,  homo. 

Lovp  -  GABOV.  Il  est  employé  au  figuré  par  Louise  Labé, 
page  34.  La  phrase  qui  le  précède,  ejiplique  le  SQas  dans  lequel 


29a  GLOSSAIRE 

il  est  pris.  «  On  dispute  sur  l'origine  du  mot  loup-garou.  On  l'a 
«  tiré  de  lupus  varius  (loup  bigarre',  marqueté);  de  varosus 
«  (tarare,  Jugere  y  d'où  nous  avons  fait  gare,  garouage,  égaré, 
«  evaî'atus)  ;  de  l'oriental  harahoth  (noctii-agus)  ;  du  celtique 
«  gur  ou  ur  (Tjir).  Il  est  fort  aise  de  voir  que  cette  dernière 
«  interprétation,  fondée  sur  le  préjugé  du  petit  peuple,  que  les 
«  méchants  sorciers  se  transforment  en  loups,  pour  dévorer  les 
«  passants,  est  la  véritable,  et  que  le  mot  signifie  loup-homme. 
«  Il  n'y  a  qu'à  comparer  la  langue  grecque,  en  laquelle  loup- 
«  garou  se  dit  lucanthrôpos  [lupus  homo) ,  ou  l'allemaride  en  la 
M  quelle  il  se  dit  werwolf  {vir  lupus'),  La  crédulité,  à  cet  égard, 
«  que  Pline,  dès  son  temps,  appeloit /aZ'itZo.fa  tôt  sœculls ,  est 
«<  très  ancienne  chez  les  peuples  Scythes,  Celtes,  Grecs,  etc. 
«  Wachter  rapporte  là-dessus  des  choses  fort  curieuses.  »  Le 
président  de  Brosses  (Traité  de  la  formation  des  langues,  édit. 
de  l'an  IX,  tom.  il,  pag.  /\l\i-'5),  Voy.  aussi  l'abbé  Tuet  (Mati- 
nées Sénonoises,  pag.  201). 

Loz,  los j  éloge,  louange,  du  latin  laus. 

Tous  renonçoient  au  los  des  belles  actions. 

(La  Fontaine,  liv.  xii,  fabl.  i.) 

Et  s'avez  los  Je  bon  poëtiqueur , 
Aussi  l'avez  de  bon  harmomiqueur. 

(  J.  B.  Rousseau  ,  Epitre  à  M.  le  comte  D.*  O  ) 

LVCVLLE,  Lucullus. 

LviTTEVR,  luicteur ,  lutteur.  Luicte ,  luile ,  lutte,  du  latin 
lucta,  ]N'est-ce  point  de  ce  mot  que  viendroit  celui  de  lutin, 
esprit  follet,  qui  tourmente  les  hommes  et  lutte,  pour  ainsi 
dire,  avec  eux?  On  disoit  anciennement  luiton  et  luicton.  Voy, 
Rabelais,  passim,  etLaFontaine  (la  Chose  impossible,  conte). 
Cette  opinion  ne  seroit  pas  conforme  à  celle  du  savant  évêque 
d'Avranches  ,  Huet ,  suivant  lequel  luiton  se  seroit  formé  par 
corruption  de  nuiton ,  parce  que  ceux  qui  croient  aux  lutins  les 
font  apparoître  ordinairement  la  nuit. 


DE  LOUISE  LABÉ.  293 

M. 

BlADRiGALLE,  madrigal. 

Maint,  te.  Voy.  Meint. 

Malhevre  (a  la),  malheureusement,  par  malheur,  de  mala 
hora. 

MalplAtsAnt,  d('plaisant,  désagréable. 

Malvevillant  ,  malueuillant ,  malveillant,  ennemi. 

Marbrin,  de  marbre. 

Martel  ,  marteau.  Donner  martel  en  teste ^  P^g6  65,  expression 
proverbiale  que  nous  avons  conserve'e,  et  qui  signifie,  donner 
de  l'inquiétude,  du  souci,  de  la  jalousie. 

Mastis,  sorte  de  fleurs.  Voy.  note  233. 

MavgrÉ,  malgré.  Ce  mot  «  s'est  conservé  dans  maugrébieu , 
«  jurement  que  le  timoré  Pcllisson  déguise  en  magrehi  dans 
«  l'impromptu  qu'il  rapporte  fait  par  Blot  contre  Voiture.  On 
«  dit  encore  maicgré'^r^  pour  jurer,  blasphémer.»  (LiA  MONIVOYE , 
Glossaire  bourguignon,  v.°  Maugrai.) 

MejlleVR.  Tu  n'auras  du  meilleur,  page  8,  tu  seras  mal  traité, 
tu  auras  lieu  de  te  repentir,  tu  ne  triompheras  pas.  «Amour, 
«  après  maintes  reprises,  sonna  la  retraite,  sans  sçauoir  qui 
«  auoit  du  meilleur,  et  donnant  à  chascun  sa  moitié  du  triom- 
«  phe.  »  (Printemps  d'Yver,  iSys,  fol.  266  et  267.) 

Meint,  te,  adject.  collectif,  maint,  te,  plusieurs.  On  s'en 
sert  dans  le  langage  familier  et  dans  la  poésie  fugitive.  «  Maint 
«  est  un  mot  qu'on  ne  devoit  jamais  abandonner,  et  par  la  fa- 
rt cilité  qu'il  y  avoit  de  le  couler  dans  le  style,  et  par  son  ori- 
«  gine  qui  est  françoise.  >>  (La  BruyÎiRE,  Caract. ,  chap.  xiv, 
«  De  quelques  usages,)  «Ménage  fait  venir  maint  de  bien  loin  , 
c<  de  multîim.  Je  ne  lui  sais  actuellement  point  d'autre  origine.» 
(BarbAZAN,  Glossaire,  page  228.) 

M'encor,  moi  encore.  Baise  m'encor  (sonnet  xyiii),  baise- 
moi  encore. 

Menestrier,   ménétrier,   joueur  d'instrument.  «  Quelques 


594  GLOSSAIRE 

«  élymologistes  dérivent  le  mot  menestrîer  de  mnéstéres,  parce 
»  qu'ils  alloient  aux  nocf^s;  mais  le  mot  grec  mnêstêr  signifie 
«  celui  qui  recherche  une  fille  en  mariage,  et  non  pas  celui  qui 
c<  joue  à  sa  noce.  Bourdelot  donne  une  autre  étymologie  ;  il 
«  pre'tend  que  re  mot  vient  d'un  célèbre  pantomime,  appelé 
«  Mnester.  Charles  Bouvelle  dit  que  ce  mot  a  été  composé  de 
«  mimus  et  à'hist  io.  L'opinion  la  pliis  accréditée  et  la  plus  re- 
«  cevable  (c'est  celle  de  Ménage)  est  que  ce  mot  vient  de  mi- 
«  nisterialis,  artisan,  de  ministerium,  métier.  On  trouve  souvent 
K  dans  les  anciens  écrits  menestrier  pour  artisan;  ce  mot  a  été 
«  ensuite  appliqué  exclusivement  aux  artisans  en  musique,  aux 
«  joueurs  de  flûte  et  de  violon  ;  menestrier  fut  composé  de  mi- 
M  nisteriarius ,  et  ménestrel  de  ministerialis ;  les  Anglois  disent 
&  minstre.  Il  n'est  pas  étonnant  que  le  mot  qui  signifioit  un 
«  artisan  ait  été  appliqué  aux  joueurs  d'instruments;  les  Grecs 
«  les  appeloient  de  même  technitas,  et  les  latins  artifices: qualis 
«  artifex  pereo ,  dit  Néron  en  mourant,  c'est-à-dire,  quelle 
«  mort  pour  un  si  grand  musicien]  »  (A.  L.  Millin. ) 

Merci,  s.f.,  miséricorde,  pitié,  grâce,  discrétion.  Il  sem- 
hleroit.,.  que  chacun  tienne  sa  vie  de  ta  merci ^  P^ge  lo,  c'est-à- 
dire,  de  ta  grâce,  de  ta  compassion. 
Mesmement,  mesmes,  adw,  même. 

Mien,  mienne.  Cestuy  mien  estreme  besoin ,  cet  extrême  be- 
soin que  j'ai.  La  naissance  sienne ,  sa  naissance.  «  De  ces  mots 
«  moy,  toy,  soy,  nos  anciens  firent  uns  moyen,  toyen,  soyen  , 
M  moye ,  toye  et  soye  (comme  nous  voyons  dans  le  Roman  de 
«  la  Rose  et  autres  vieux  livres),  que  nous  avons  depuis  eschan- 
«  gez  en  mien,  tien,  sien,  mienne,  tienne,  sienne.  Ne  nous  es- 
«  tant  resté  de  cette  antiquité  que  le  mot  de  moitoyen  que  nous 
«<  approprions  aux  mœurs  (lisez:  au  mur)  ,  comme  si  nous 
«  voulions  dire  qu'il  fust  mien  et  tien.  »  (Œuvres  d'Estienne 
PasQUIER,  Amsterdam,  1723,  in-fol.,  tom.  Jl^  pag.  Sg,  Lettre 
h  Ramus.  ) 

Montre,  pompe,  représentation  théâtrale. 


DE  LOUISE  LABÉ.  295 

MORESQVE,  danse  à  la  manière  des  Maures^  avec  des  casta- 
gnettes, ou  des  tambours  de  basque. 

Moyen  (tenir),  mode'rer,  se  modérer,  tenir  un  milieu,  Voy. 
Pratiqver  le  moyen. 

Moyennement,  me'diocrement,  d'une  façon  moyenne. 

MOYENNER  DESPLAisfR,  faire  de  la  peine,  affliger. 

MvER,  v.  a.,  changer.  Ce  verbe  est  encor  ■  dans  nos  diction- 
naires; mais  il  n'y  est  que  comme  verbe  neutre,  et  avec  des 
significations  moins  générales. 

MvLfEBRE,  de  femme,  qui  appartient  aux  femmes,  du  latin 
muliehris. 

N. 

Navrer,  blesser,  faire  une  plaie.  Ce  mot  ne  s'emploie  plus 
qu'au  figuré:  Un  cœur  navré ,  navré  de  douleur. 

Ne,  ni.  JYe  plus  ne  moins ^  ni  plus  ni  moins.  JY' embrasser,  ni 
embrasser. 

Nécessitante, /è/m.  de  nécessitant,  qui  nécessite. 

Ne  VF,  NEVVE,  nouveau. 

Le  croissant  neuue  acroissance 

De  iour  en  iour  repi'endra,   page  r38. 

Nînfe  ,  nymphe.  Voy.  Introduction,  pages  244  ^^  245. 
Noise,  querelle,  dispute. 

Onq  me  mis  noise  ou  dîscorcl  entre  amîs. 

(Elégie  m.  ) 

Parmi  de  certains  coqs  incivils,  peu  galants. 
Toujours  en  noise  et  turbulents. 

(La  Fontaine,  Hv.  x,  fabl.  8. ) 

Les  si,  les  car,  les  contrats  sont  la  porte 
Par  où  la  noise  entra  dans  l'univers. 

(  Le  même  ,  Belphégor,  conte.) 

On  s'en  sert  encore  aujourd'hui  dans  le  style  familier. 
N0NCHAILLANCE ,  négligence. 


396  GLOSSAIRE 

NONCHALOiR,  avoir  peu  de  soin  d'une  chose,  la  ne'gliger,  ne 
la  croire  pas  importante,  la  mépriser. 

Ains  les   ont  à  nonchaloir,  page   i45  , 

c'est-à-dire,  mais  les  négligent,  en  font  peu  de  cas.  «  Il  n'y  a 
«<  point  de  plus  certain  signe  d'un  atheiste,  que  de  mettre  à 
«  nonchaloir,  ou  commettre  quelque  faute  à  l'encoutre  de  son 
«  père  ou  de  sa  mère.  »  (Amyot,  trad.  de  Plutarque,  traité  de 
l'Amitié  fraternelle.  )  «  Encore  que  le  style  de  Ronsard  soit 
«  beaucoup  plus  relevé  que  celui  de  Marot,  si  trouvera  il  (le 
«  lecteur)  subiect,  loiiant  l'un,  de  ne  mettre  en  nonchaloir 
«  l'autre.»  (PasQUIER,  Recherch.  de  la  France,  1.  Yiu ,  c.  7, 
ad  fin.)  Le  participe  présent  de  ce  verbe,  nonchalant ,  nous  est 
resté,  et  nous  en  avons  fait  un  adjectif  qui  si^nille pai-esseux, 
négligent.  Voltaire  regrette  quelque  part  que,  d'une  infinité  de 
mots  composés  que  nous  possédons  encore,  les  simples  ne  sub- 
sistent plus.  «  Ce  sont,  dit-il,  des  enfans  qui  ont  perdu  leurs 
«  pères.  Nous  avons  des  nonchalands  (paresseux),  et  nous  n'a- 
«  vons  point  de  chalands  autres  que  ceux  qui  achètent.  » 

NOVVEL  (de),  de  nouveau.  La  plupart  des  mots  terminés 
actuellement  en  eau  l'ont  été  primitivement  en  el  :  chappel  ^ 
chastelj  mantel ,  martel,  damoisel ,  bel,  etc.  De  là  vient  la  ter- 
minaison elle  au  féminin  des  adjectifs  en  eau.  On  dit  encore 
au  barreau  titre  nouvel. 

NOVVELET,  diminutif  de  nouveau. 

NVBiLEVS,  EVSE,  nébuleux,  couvert  de  nuages,  du  latin  «jf- 
bilus. 

Nvitee,  nuictee ,  nuit,  l'espace  d'une  nuit. 

NyNFE.  Voy.    NlNFE. 

0. 

Obombrer,  cacher,  couvrir  de  son  ombre,  du  latin  obum- 
hrare ,  racine  umbra.  Braulôme  s'est  servi  à'adombrer,  en  par- 
lant d'Elisabeth  de  France,  reine  d'Espagne  (tom.  1,  pag.  iQù): 


DE  LOUISE  LABÉ.  297 

«  Son  visage  estoit  beau,  et  ses  cheueux  noirs  qui  adomhr oient 
«  son  teint  et  le  rendolent  si  attirant  que  j'ay  ouy  dire  en  Es- 
«  pagne,  que  les  seigneurs  ne  la  pouuoient  regarder  de  peur 
«  d'en  estre  cspris...  » 

Occire,  tuer,  du  latin  occidere.  On  employé  encore  le  par- 
ticipe occis  dans  le  style  marotique  et  dans  le  langage  familier. 

Ombrevs,  EVSE,  ombragé,  couvert  d'ombre.  M.  Delille  a 
clierché  à  restituer  ce  mot  au  langage  moderne  : 

Dans  la  nuit  ténébreuse 

Dont  un  bois  vaste  entoure  une  vallée  ombreuse  y 
D'un  rameau  précieux  se  cache  le  trésor. 

(  L'Enéide  ,  trad.  en  vers.,  liv.  VI.  ") 

M.  Firmin  Didot  s'en  est  aussi  servi  dans  sa  traduction  de  la 
seconde  Églogue  de  Virgile  : 

Le  berger  Corydon  ,  dès  l'aube  jusqu'au  soir, 
Cherchoit  des  bois  ombreux  la  vaste  solitude. 

«  Ombreujc  n'avoit-il  pas  sa  nuance  à  côté  de  sombre!  >y  (Mar- 
MONTEL,  Élém.  de  littér. ,  art.  Usage.)  «  Si  l'on  disoit, 

«  Respirer  la  fraîcheur  des  ombreuses  vallées , 

«  parleroit-on  une  langue  étrangère?»  (Le  MÊME,  ibiâ.) 

OnQ,  onc ,  oncques,  oncjnes ,  jamais,  du  latin  unquam. 
Oraison,  discours.  Voy.  Orer. 
Ordonner,  arranger,  mettre  en  ordre. 

Et  du  fier  Dieu  qui  ordonne 

Les  puissans  soudars  en  rang ,  page  147. 

Ordre,  état.  Me  trouuerày  ie en  tel  ordre!  page  10,  me 

trouverai-j<"  en  tel  état? 

Orenavant  (d'),  dorénavant,  adverbe  composé  d'ore,  en  et 
avant.  Voy.  Introduction,  page  247. 

Orer,  faire  un  discours,  une  barangue,  du  latin  orare.  Nous 
avons  conservé  les  substantifs  orateur  et  oraison  (même  dans 
le  sens  de  harangue ,  puisque  nous  disons  les  oraisons  de  Cicé- 


298  GLOSSAIRE 

roii);  et,  ce  qui  est  plus  étrange,  le  verbe  composé  yoerorer  sur- 
vit aussi  à  orev ,  son  principal  élément. 

Ores  ,  o/v?,  o/-',  maintenant.  Répété,  il  signifie  tantôt  :  ores  en 
guerre ,  ores  en  treues ,  tantôt  en  guerre ,  tantôt  en  trêve. 

Faisant  ore  un  tendron , 

Ore  un  repli,  puis   quelque  cartilage. 

(La  Fontaine,  le  Faiseur  d'oreilles,  conte.) 

OrgvILLEVS,  EVSE  ,  orgueilleux. 

Otf.OY,  octrny^  don,  présent,  concession.  Octroi  désigne  au- 
jourd'hui une  sorte  d'impôt  mis  sur  certaines  marchandises  à 
l'entrée  des  villes,  et  qui  appartient  à  ces  villes  en  vertu  d'une 
concession  du  prince  ou  du  gouvernement. 

Otroyer,  octroyer,  donner,  concéder,  accorder.  V^ous  otroi~ 
riez ,  vous  donneriez.  Voy.  Introduction,  page  24'^' 

Ov,  tandis  que.  Ou ,  quand  on  sort  de  ces  sages  assemblées,  la 
teste  fait  mal,  page55,  c'est-à-dire,  tandisque,  quand  on  sort,  etc. 

OviR,  plus  anciennement  OïR,  ouïr,  entendre.  Fois  ou  i'oy, 
il  oit,  ils  oyent ,  i^oyoy  ou  Voyois ,  Vorray.  C'est  aujourd'hui  un 
verbe  défectueux  :  il  n'a  ni  présent,  ni  imparfait,  ni  futur.  On 
ne  s'en  sert  qu'au  prétérit  défini  de  l'indicatif /'owiV,  tu  ouïs , 
il  ouït,  à  l'imparfait  du  subjonctif  </;<e  fouisse,  qu^il  ouït,  à 
l'infinitif  o?a>,  et  dans  les  temps  composés,  on  se  sert  du  par- 
ticipe oui,  ouie ,  et  de  l'auxiliaire  avoir.  Théophile  a  dit  : 

Il  ne  voit  que  la  nuit ,  il  n'otf  que  le  silence. 

(  Pyrame  et  Thisbé  ,  tragédie.  ) 

M.  Delille  s'est  emparé  de  ce  vers  dans  son  poème  de  l'Imagi- 
nation, en  remplaçant  seulement  le  vieux  mot  oit  ;  il  parle  du 
jeune  Robert  égaré  dans  les  catacombes  de  Rome  : 

Il  ne  voit  que  la  nuit ,  n'entend  que  le  silence. 

La  Fontaine  a  fait  usage  de  l'impératif  oyez  z 

Il  ne  faut  jamais  dire  aux  gens  : 
Ecoutez  un  bon  mot,  oyez  une  merveille. 

(  Liv.  IV,  fab.  g.  ) 


DE  LOUISE  LABÊ.  299 

A  l'exemple  de  La  Fontaine,  M.  Viennet  a  dit  tout  rrcemment 
dans  son  ÉpUrc  à  mes  amis  sur  le  premier  jour  de  l'an  (1824): 

Oyez  ce  jacobin  ,  fraîchement  convcitî, 
V^ui,  pour  garder  sa  place,  écrase  son  parti. 

OVTRECVIDER,  ouUreciiider,  avoir  de  l'insolouce,  de  la  pré- 
somption ,  de  la  témérité,  verbe  composé  des  mots  outre  et 
cuîder ,  croire.  Si  celle  oulrecuidee  ha  fait  quelcjne  désordre , 
pag'^20,  c'est-à-diro,  si  cette  téméraire ,  si  cette  insolente,  etc. 

OvTRER,  oulirer,  outrager,  maltraiter. 

P. 

Paphe,  Paphos. 

Par  (a).  Voy.  Aparsoy. 

Par,  parmi,  au  milieu  de.  Par  tout ^  partout.  Par  ci  après ^ 
dorénavant,  à  l'avenir. 

ParAIVGOIVNER,  égaler,  comparer,  du  grec  para gkônizomai^ 
j'égale,  je  compare.  Parangon,  modèle,  patron,  comparaison. 

Paranner,  perpétuer,  rendre  éternel,  du  Isiiuiperennis.  Ron- 
sard a  dit  paranniser.  On  trouve  louange  perennelle  dans  la 
Bibliothèque  Françoise  de  du  Verdier  (art.  Gabriel  Chapuis , 
ad  fin,  ) 

Pareille.  Receuoir  pareille  pour  pareille  ,  proverbe.  Nous 
disons  encore  :  Rendre  la  pareille ,  à  l'exemple  des  latins  :  Par 
pari  referre.  Le  chapitre  XIX  du  livre  V  des  Méditations  histo- 
riques de  M.  Philippe  Camerarius,  trad.  en  François  par  S.  G.  S. 
(Simon  Goulard,  Senlisien) ,  Lyon,  1610,  in-4.°,  est  intitulé; 
De  la  pareille  ou  peine  du  talion. 

Parmi,  au  milieu  de. 

EU'  sembloit  parmi  l'armée,  etc.,  page  i">6, 
c'est-à-dire,  elle  ressembloit,  au  milieu  de  l'armée,  etc. 

ParOLER,  parler,  du  \Ai\n  parabolari. 

Parpigjnan,  Perpignan,  ville  de  France,  anciennement  capi- 


3oo  GLOSSAIRE 

taie  du  Pioussillon,  aujourd'hui  chef-lieu  du  département  des 
Pyrénées  orientales.  Quelques  écrivains  espagnols  l'ont  appelée 
Parpinano.  On  a  supposé  qu'elle  avoit  été  fondée  par  Perpenna^ 
et  que  ce  capitaine  lui  avoit  transmis  son  nom.  Une  autre  tra- 
dition veut  qu'elle  l'ait  reçu  d'un  nommé  Pierre  Pigna  (  en 
catalan  Père  Pinya  )  qui  en  auroit  bâti  la  première  maison. 
M.  A.  J.  Carbonell,  auteur  d'un  poème  inédit  sur  les  Pyrénées, 
homme  de  lettres  distingué,  qui  m'a  communiqué  des  rensei- 
gnements extrêmement  curieux  sur  celte  ville,  au  collège  de 
laquelle  il  exerce  les  fonctions  de  professeur,  regarde  la  der- 
nière des  étymologies  que  je  viens  d'indiquer,  comme  celle  qui 
offre  le  plus  de  vraisemblance. 

Passemese  ,  chant  à  l'italienne ,  propre  à  une  danse  du  même 
nom.  Jj^  passemcse  servoit  autrefois  d'entrée  aux  basses  danses, 
et  consistoit  à  faire  quelques  tours  par  la  salle,  et  à  la  traverser 
par  le  milieu;  c'est  de  là  qu'est  venu  son  nom,  (Dictionnaire 
de  Trévoux.  ) 

Passtoiviveb,  2f,  act.  Passionner  une  personne,  lui  inspirer 
de  la  passion. 

Pav  (le),  le  Pô,  fleuve  d'Italie.  Pau  se  rapproche  davan- 
tage de  son  nom  latin,  Padus.  Louise  Labé  lui  donne  l'épithète 
de  cornu,  parce  qu'arrivé  dans  l'état  de  l'église,  il  s'y  divise 
en  deux  branches. 

Pavane,  s.f.  Danse  grave  venue  d'Espagne,  oii  les  danseurs 
font  la  roue  l'un  devant  l'autre,  comme  les  paons  font  avec 
leur  queue,  d'oia  lui  est  venu  ce  nom...  C'étoit  autrefois  une 
danse  sérieuse  que  les  gentilshommes  dansoient  avec  la  cape  et 
l'épée,  les  gens  de  justice  avec  leurs  longues  robes,  les  princes 
avec  leurs  grands  nianteaux,  et  les  dames  avec  les  queues  de 
leurs  robes  abaissées  et  traînantes.  On  l'appeloit  le  grand  bal, 
parce  que  c'étoit  une  danse  majestueuse  et  modeste.  Il  s'y  fai- 
soit  plusieurs  assiettes  de  pieds,  passades  et  fleurets,  et  des 
découpements  de  pieds,  pour  en  modérer  la  gravité,  dont  la 
tablature  est  décrite  dans  Thoinot  Arbeau ,  en  son  Orchéso- 


DE  LOUISE  LABÉ.  3oi 

grapliie.  Elle  est  suivie  ordinairement  de  la  gaillarde.  Ce  mot 
est  rommun  aux  langues  italienne,  espagnole  et  Françoise.  La 
pcwanc ,  en  musique,  est  une  pièce  grave  et  sérieuse,  qu'on  bat 
ordinairement  en  deux  temps.  Elle  est  du  genre  des  sonates, 
et  comprise  dans  la  seconde  espèce  de  sonates  que  les  Italiens 
appellent  sonate  da  caméra  (Dictionnaire  de  Trévoux).  Quel- 
ques auteurs  font  Ai^rïyev  pavane  de  padovana,  et  prétendent  que 
ce  nom  lui  a  été  donné  parce  qu'elle  étoit  originaire  de  la  ville 
de  Padoue ,  en  Italie.  Voy.  Gafllarde. 

Pegasien,  de  Pégase,  qui  appartient  à  Pégase. 

Penser,  panser.  On  pense  à  un  malade ,  page  36,  on  panse 
un  malade. 

Peivthasilee,  Penthésilée,  reine  des  Amazones.  Voy.  note 
218. 

Per  ,  s.  m.,  paire,  s.  f.  Deus  ou  trois  pers  ^  deux  ou  trois 
paires. 

PerlettE,  diminutif  àe  perle ,  petite  perle. 

PllEBE,  Phéhus.  Phehc ,  Phébé. 

Phedra,  Phèdre.  Voy.  note  58. 

PiGivÉ,  peigné,  du  latin  pecten,  qu'on  traduisoit  pigne  du 
temps  de  Louise  Labé.  «  Le  petit  peuple  de  Paris  dit  pigne  ; 
«  et  Villon  qui  étoit  parisien  ,  a  rimé  ce  mot  avec  celui  de 
«  ligne.,.  Ce  qui  fait  voir  que  c'étoit  l'ancienne  prononciation 
«  de  Paris.  Aujourd'hui  tous  les  honnestes  gens  de  la  ville  et 
«  de  la  cour  prononcent  peigne  ;  et  c'est  comme  il  faut  pro- 
«  noncer.»  (MÉIVAGE,  Observations  sur  la  langue  franc.,  chap. 
ccxviii.) 

PiTEVS,  EVSE,  triste,  cligne  de  pitié,  de  compassion.  On  se 
servoit  aussi  du  négatif //wyo/7e«x,  dans  le  sers  à.' impitoyable. 

Plaisant,  agréable,  qui  plaît.  Il  ne  siguifioit  pas  encore, 
qui  excite  le  rire,  Vhilarité ;  seule  acception  qu'il  ait  aujour- 
d'hui. Mol  plaisant ,  <îésagréabîe,  déplaisant. 

Plein DRE,  plaindre.  le  plein,  pleingnant, 

Pleint,  s,  m.,  plainte,  du  latin  planctus.  On  a  dit  d'abord 


3o2  GLOSSAIRE 

plainct.  Louise  Labé  au  pluriel  retranche  le  t:  O  tristes  pleins 
(sounet  II). 

Plevr,  larme.  Il  est  masculin  dans  Louise  Labé: 

Et  tant  le  pleur  piteus  t'a  molesté. 

(Sonnet  Xll.  ) 

Il  l'est  aussi  dans  ce  titre  d'une  traduction  Françoise  d'un  poème 
italien  d'Antonio  Fileremo  Fregoso ,  par  Michel  d'Amboise: 
le  Ris  de  Democrite  et  le  Pieur  d'Heraclite,  etc.,  Paris,  i547, 
in-S.**,  et  Rouen,  i55o,  et  dans  d'autres  exemples  rapportés  par 
Ménage  (Observ.  sur  la  laiig.  franc,  chap.  Lxxrv  et  CXLiv);  de 
même  que  dans  la  Bruyère  (Caractères,  chap.  JV,  Du  cœur,  ad 
fin.):  De  si  chers  pleurs ,  et  dans  presque  tous  les  classiques. 
J.  J.  Rousseau  (Emile)  lui  a  cependant  donné  le  genre  féminin. 
Nous  ne  nous  servons  actuellement  que  du  pluriel  pleurs,  mal- 
gré ce  bel  exemple  de  Bossuet,  parlant  de  l'enfer  :  «  C'est  là 
«  que  règne  un  pleur  éternel,  »  et  quoique  La  Fontaine  ait  dit 
(liv.  xii,  fabl.  23): 

Pleur  enlaidit,  douleur  est  folle. 

Nous  disons  une  larme:  pourquoi  ne  disons -nous  pas  une  ou 
un  pleur!  Du  reste,  les  deux  mots,  larmes  et  pleurs,  ne  sont 
pas  synonymes,  et  on  voit  aisément  les  nuances  qui  les  dis- 
tinguent. 

Plorer,  pleurer,  du  \a.\\ïi  plorare. 

Ployer,  v.  «.,  faire  [dier,  vaincre. 

Là  de  sa  lance  elle  ployé 

Le  plus  hardi  assaillant  ,  page  i3S. 

PoiNGNAlVT  ,  piquant,  partie,  présent  de  poindre.  Yoy.  PoiN- 
TVRE. 

PoizvT  (  BIEN  en)  ,  en  bon  état,  bien  portant,  bien  tenu. 
]\Ial  en  point ,  en  mauvais  état.  Notre  mot  embonpoint  est  formé 
de  ces  trois  mots,  en  bon  point;  et  c'est  ainsi  qu'on  écrivit 
d'abord. 

PoijVTVRE  ,  poincture ,  piquure,  douleur,  blessure.  Sa  racine 


DE  LOUISE  LABÉ.  3o3 

est  le  vevhc  poindre ,  piquor.  Sur  les  jetons  de  la  chambre  du 
commerce  de  Lyon,  est  gravée  cette  légende: 

Suis  le  lion  qui  ne  mords  point. 
Sinon  quand  l'enuemy  me  poind, 

extraite  du  comiiienc  inent  de  l'Adieu  de  Cle'ment  Marot  à  la 
ville  de  Lyon  (i556),  ainsi  conçu: 

Adieu  Lyon  qui  nP  mords  point, 
Lyon  plus  doux  que  cent  pucelles. 
Sinon  quand  Vennemy  te  poind  : 
Alors  ta  fureur  point  ne  celos,.. 

Voy.  l'abbé  Tuet,  sur  ce  proverbe  :  Oignez  vilain^  il  vous  poin- 
dra; poigne  z  vilain,  il  vous  oindra  (Matinées  Sénonoises,p.  327). 

POLLVER,  souiller,  violer.  Voy.  FRANCHISE. 

POPVLAIRE,  s.  TH.,  peuple. 

Possible,  adi\ ,  peut-être.  La  Fontaine,  ami  du  style  marc- 
tique,  a  souvent  employé  possible  dans  ce  sens. 

POVRCE  QVE  ,  parce  que,  attendu  que.  Pour  ce,  pour  cela, 
par  cette  raison. 

PovRTRAiT,  PROTRAITVRE  ,  POVRTRAlTVRE ,  portrait,  image. 
On  disoit  aussi  pourtraire ,  faire  un  portrait ,  représenter  les 
traits  et  la  figure  d'une  personne.  «  Comme  il  est  escrit  par 
«  blasme  que  tous  les  bons  Roys  seroient  aisément pourtraicts 
«  ea  un  anneau,  les  mauuais  Roys  de  France  y  pourroient  mieux: 
«  tant  le  nombre  en  est  petit.  »  (Du  Tillet,  Recueil  des  Roys 
de  France.) 

PovRE ,  pauvre.  «  Meigret,  en  sa  Grammaire  Françoise,  es- 
«  crit  poui're  et  sarions  ;  d'autant  que  vray-semblablement,  sa 
«  prononciation  estoit  telle,  et  je  croy  que  celjy  qui  a  la  langue 
«  Françoise  naïfve  en  main,  prononcera,  et  par  conséquent  es- 
«  crira  ,  pauvre  et  sçaurions.  »  (  Estienne  PasQYIER,  Lettres, 
liv.  m,  lett.  4>  "  monsieur  Ramus.)  On  a  écrit  aussi,  avant  et 
depuis  Louise  Labé ,  paoure.  — Pourement ,  pauvrement.  Pouret, 
ctte ,  pauvret.  Pour e té ,  pauvreté. 


5o4  GLOSSAIRE 

PrATIQVER  le  moyen,  faire  en  sorte,  se  procurer  le  moyen. 
Pree,  s.  /. ,  pré.  «  Ce  mot  estoit  autrefois  fort  en  usage. 
«  Marot,  dans  la  i/^  églogue  de  Virgile  : 

'<  Heureux  vieillai'd ,  désormais  en  ces  prées, 
a  Entre  ruisseaux  et  fontaines  sacrées, 
«  A  ton  plaisir  tu  te  rafraischiras. 

«  Ronsard  (liv.  H,  od.  16): 

«  Comme  un  taureau  par  la  préc 
«  Court  après  son  amourée. 

«  Nous  le  disons  encore  en  Anjou  où  nous  mettons  différence 
«  entre  pré ,  prée  et  prairie.  Nous  appelions  un  pré ,  un  petit 
«  prë;  une  prée,  un  grand  pré;  et  une  p  airie ,  une  grande  com- 
«  mune  sans  clôture,  et  le  long  d'une  rivière.  Mais  on  ne  dit 
«  plusyOA-e'e  ni  à  la  cour,  ni  à  Paris.  Il  ne  faut  donc  plus  le  dire.» 
(MÉNAGE,  Observ.  sur  la  langue  franc.,  c.  CCxxvin. ) 

Preschement,  prédication,  exhortation. 

Présent  (de),  à  présent. 

Prevdhommie,  honnêteté,  sagesse,  probité,  vertu,  du  latin 
prudens  homo ,  dont  on  fit  d'sLhord  preudhojnme.  Se  fiant  sur  la 
preudhommie  de  sa  femme  ^  P^igc  /\o ,  se  fiant  à  la  vertu  de  sa 
femme. 

Prevve,  épreuve. 

Print,  prit,  troisième  pers,  sing.  du  prétérit  du.  \erhe  prendre. 
Prinrent  ovL  prindrent ,  au  pluriel,  prirent. 

Privement,  en  particulier. 

Prochasser,  pourchasser ,  procurer.  Ce  verbe  signifioit  en- 
core poursuivre  ^  solliciter,  s'' efforcer  d^ obtenir. 

Protraitvre.  Voy.  Povrtraît. 

PeOVFIT,  profit.  Proufiter,  profiter.  Proujiter  en  publicj ,  pro- 
fiter au  public. 

Pvcelle,  pris  adjectivement.  La  bande  pucelle ,  les  Muses, 
les  neuf  sœurs.  La  Fontaine  a  dit  puceau  au  masculin,  dans 
Joconde: 


DE  LOUISE  LABÉ.  3o5 

le  la  tiens  pucelle  sans  faute. 
Et  si  pucelle  qu'il  n'est  rien 
De  plus  puceau  que  cette  belle. 

Le  chap.  11  du  liv.  Viil  des  Recherches  de  la  France,  d'Es- 
tienne  Pasquier,  porte  ce  titre  :  «  De  ce  que  par  manière  de 
«  gausserie,  on  appelle  puceaux  ceux  qui  au  soufle  de  leur  ha- 
«  leine,  rallument  une  chandelle  estainte.  »  C'est  à  cette  plai- 
santerie, pour  le  dire  en  passant,  que  Scarron  fait  allusion  dans 
ces  vers  de  son  ode  burlesque  sur  Leandre  et  Héro  : 

Trois  fois  en  vain  elle  souffla 
Pour  rendre  vie  à  sa  chandelle  ; 
Mais  Héro  n'étoit  plus  pucelle  : 
Il  le  faut  être  pour  cela. 

Q- 

QVE,  ce  que.  le  dirois  que  c'est,  page  19,  je  dirois  ce  que 
c'est.  Pour  te  déclarer  qu' il  faut  faire  ^  page  i3,  pour  te  décla- 
rer ce  qu'il  faut  faire. 

QvEL,  lequel.  Et  toy,  quel  des  Dieus  choisiras  tu!  page  21. 

QVELCVN,  VNE  ,  quelqu'un,  une.  Quelcuns ,  qiielques-uns. 

Qvell',  quelle.  QucW  amour,  page  aS.  L'apostrophe  marque 
assez  inutilement  l'élision  de  l'e  muet,  qui  s'opère  d'elle-même. 
Voy.  Ell'. 

QVENOILLE,  quenouille. 

QVESTION,  cause,  procès.  Cette  question  est  entre  deus  amis, 
page  61.  On  donnoit  le  même  sens  au  mot  latin  quœstio,  dans 
le  temps  que  les  procédures  se  rédigeoient  en  latin.  «  On  écri- 
«  voit  sur  le  sac,  est  hic  quœstio  inter  JY.  et  JY. ;  et  souvent, 
«  au  lieu  d'écrire  quœstio  tout  au  long,  on  mettoit  seulement 
«  quœst.:  ce  qui  faisoit,  est  hic  quœst.;  d'où  les  praticiens  ont 
«  fait  par  corruption  étiquette.  »  (Voy.  l'Encyclop. ,  art.  Eti- 
quette,  ou  les  Matinées  Sénonoises,  pag.  386,  n.°  364.) 

QviCONQVE  SOIS,  qui  que  tu  sois. 

•à. 
■  20 


oo6  GLOSSAIRE 

QVITTER.  Celui  qui  quitta  son  espousc  à  son  ami,  page  34  ,  celui 
qui  abandonna,  qui  laissa  son  épouse  à  son  ami. 

QvOY,  YE,  tranquille,  en  repos,  du  latin  quietus.Voj.  CoY. 

R. 

Rafreschir,  refreschir,  rafraîchir. 

Rafreschissement,  REFRESCHissEMEiVT,  rafraîchissement. 

Rais,  rayons.  Marmontel  (Éléments  dclittér. ,  art.  Usage) 
regrette  ce  mot,  auquel  il  trouve  une  nuance  propre  qui  le  dis- 
tingue de  rayons.  «  Si  l'on  disoit,  remarque-t-il  au  même  en- 
«  droit, 

«  De  ses  rais  argentés  Diane  se  couronne  » 
«  parleroit-ou  une  langue  étrangère?» 

RamELET,  diminutif  de  rameau^  petit  rameau. 

Ramentevoir,  faire  ressouvenir,  rappeler  à  la  mémoire;  se 
l'amenteuoir,  se  ressouvenir,  du  latin  rursus  -vocare  ou  revocare 
ad  mentem. 

lamais  ne  te  vueilles  vanter 
D'auancement  qu'Amours  te  face  : 
Amours  de  son  papier  efface 
Ceulx  qui  de  ]eurs  dames  se  vantent, 
Ramenteuans  l'heure  et  la  place  , 
Quand,  comment,  et  ou  ils  les  hantent. 

(  Le  Champion  des  Dames  ,  par  MARTIN  FrAjVC  ,  f.  aâS.) 

On  a  dit  aussi  remémorer  et  se  remémorer,  vieux  mot  que  Vol- 
taire a  employé  dans  son  conte  intitulé,  Ce  qui  plaît  aux  Dames  : 
Berthc  au  conseil  alors  remémora. 

RaritÉ,  rareté. 

Rebovcher,  émousser,  s'émousscr. 
Recentemeistt  ,  récemment. 
Regepte,  recette. 

Recveil  ,  accueil.  Le  recueil  que  trouuera  un  fol,  page  5j, 
l'accueil  que  l'on  fera  à  un  fou. 


DE  LOUISE  LABÊ.  Z07 

Redvire  en  MEMOIRE,  rappeler  à  la  mémoire,  se  ressouvenir. 
RefRESCIIIR  ,    REFRESCHISSEMENT.    Voy.    RafRESCIIIR  ,    RA- 
FRESCHISSEMENT. 

Regaigner,  regagner. 

Regard,  égard. 

Remirer,  itératif  de  mirer,  regarder  de  nouveau  avec  admi- 
ration. 

RemvneraCïON,  récompense,  action  de  récompenser.  Nous 
avons  conservé  le  mot  rémunérateur,  qui  a  également  pour  ra- 
cine le  latin  munus. 

Renovveav,  printemps,  parce  qu'au  printemps  la  nature  se 
renouuelle.  On  l'apprloit  aussi  primevère ,  du  latin  primus  et 
r>er,  nom  qui  est  resté  à  une  Heur  qui  fleurit  au  commencement 
de  cette  saison.  «  Guillaume  de  Lorry  présuppose  que  ce  fut  en 
«  la  primevère ,  saison  expressément  dédiée  à  cest  exercice.  » 
(Pasqvier,  B.echerch.  de  la  France,  liv.  Vii,  chap.  3.)  Toute- 
fois le  mot  printemps  dont  nous  usons  actuellement,  et  qui  est 
dérivé  de  primum  tempus ,  premier  temps ,  première  saison  de 
l'aunéc,  est  déjà  ancien.  Dès  iSya,  Jacques  Yver,  jouant  sur 
son  propre  nom,  suivant  le  goût  d'alors,  publia  un  recueil  de 
nouvelles,  sous  ce  titre  :  Le  Printemps  d'Yver  ;  et,  62  ans  au- 
paravant (en  i52o),  Pierre  Sergent,  imprimeur  de  Paris,  avoit 
publié  un  volume  in-16,  intitulé:  Le  livre  de  Sagesse,  dont  le 
prologue,  qui  est  en  rime ,  commence  ainsi  : 

Ce  fut  d'auril  le  dix  septième  jour. 

En  ce  printemps  que  la  rose  entre  en  âour, 

Gaye  saison,  que  tout  se  renouuelle. 

Le  pré  verdoyé,   et  toute  fleur  est  belle, 

L'iiyuer  se  passe,  et  la  morte  saison. 

Et  les  oiseaux  commencent  leur  chanson. .- 

Du  Verdier  (Biblioth.  franc.,  lett.iS".,  éd.  de  Juvigny,  tom.  Ill^ 
pag.  612). 

Répétasse,  rapetassé,  raccommodé  grossièrement  avec  des 
pièces  mal  cousues,  suivant  quelques  étymologistes,  du  grec 


3o8  GLOSSAIRE 

raptein,  coudre.  Rapetassé  est  un  ternie  bas  et  ignoble  qu'on 
est  e'tonné  de  rencontrer  dans  la  satire  x  de  Boileau  : 

Ses  souliers  grimaçans  vingt  fois  rapetassés. 

3.  B.  Rousseau  l'a  employé  au  figure  dans  son  Épîtrç  à  Cle'- 

ment  Marot  : 

Contre  tous  ceux  qui  sont  assez  sensés 
Pour  mépriser  leurs  vers  rapetassés. 

ResCOVS,  partie,  passé  de  rescourre ^  recouvré,  délivré,  dé- 
gagé, du  latin  recuperatus.  Il  signifioit  aussi  exempté: 

Par  vous  ,  par  votre  lescherie, 
Suis  ie  mis  en  la  confrairie 
Saint  Arnoul,  le  Seigneur  des  coux. 
Dont  nul  ne  peut  estre  rescoux. 

(  Le  Roman  de  la  Rose.) 

On  a  dit  depuis  recoiirre  et  recous.  Voy.  Ménage  (Observ.  sur 
la  langue  franc. ,  chap.  ccxxii). 

Reseintir  (se),  se  ressentir,  sentir  de  nouveau. 

Respect,  rapport,  relation,  du  latin  respectas .  Pour  ce  res- 
pect,  sous  ce  rapport.  lY'auoir  point  respect  ans  noms,  page  71, 
n'avoir  aucun  égard  aux  noms. 

Retendre,  tendre  de  nouveau. 

Ton   dous  lut  tu  retendras,  page  i5i, 

c'est-à-dire,  tu  tendras  de  nouveau  les  cordes  de  ton  luth.  Le 
vers  est  duriuscule. 

Revoqver,  redemander,  aller  chercher.  Comme  iadis  Orphée, 
reiioquer  leurs  amours  perdues ,  page  Ç>G. 

Riens,  rien,  du  latin  rem,  accusatif  de  res ,  chose.  Voy.  Pas- 
quier  (Recherches  de  la  France,  liv.  Viil,  c.  53,  intitulé  :  De 
cette  diction.  Riens).  Riens  avoit  le  même  sens  que  chose,  et 
étoit  primitivement  féminin. 

Sur  toutes  riens  gardez  ces  poincts  : 
A  donner  ayez  clos  les  poings. 
Et  à  prendre  les  mains  ouuertes. 

(  Le  Roman  de  la  Rose.  ) 


DE  LOUISE  LABÉ.  3o9 

ROBBER,  dérober.  Robber  l'autruy,  page  Si,  dérober  le  bien 
d'autrui. 

RocBON,  petite  robe. 

RoMMAiN,  Romain. 

ROMME,  l^omc.  Homme  est  plus  conforme  à  la  prononciation 
que  Rome:  car  le  nom  de  cette  ville,  tel  que  nous  le  pronon- 
çons, rime  parfaitement  avec  homme ,  et  ne  rime  point  du  tout 
avec  tome,  par  excinple.  Il  est  cependant  quelques  mots,  où 
orne  simple  se  prononce  omme. 

RONE,  Rhône,  le  Rhône,  fleuve.  On  écrivoit  aussi,  et  plus 
communément,  Rosne  et  Rhosne.  Ce  fleuve  s'appeloit  en  latin 
Rhodanus ,  d'où  est  dérivé  sa  dénomination  actuelle.  Suivant 
Pline  (Hist.  nat.  Ifl,  4)  f  Rhodanus  viendroit  à  Rhodiis ,  des 
Rhodiens  qui  lui  auroient  donné  leur  nom  :  ce  qui  s'accorde 
avec  l'opinion  de  ceux  qui  veulent,  d'après  un  passage  du  Traité 
des  fleuves,  attribué  à  Plutarque,  que  deux  princes  grecs,  ori- 
ginaires de  Rhodes,  nommés  Momorus  et  Atépomarus,  qui  a- 
voient  été  chassés  du  Languedoc  où  ils  s'étoient  d'abord  établis, 
aient  fondé  la  ville  de  Lyon  (Lugdunum) ,  environ  trois  siècles 
et  demi  avant  que  Plancus  y  amenât  une  colonie  romaine.  Bo- 
chart  (Phaleg,  iif ,  6)  donne  à  ce  nom  une  autre  origine  tirée  de 
l'ancienne  langue  celtique  ou  de  la  langue  phénicienne  dont  elle 
étoit  la  fille.  Munster,  dans  sa  Cosmographie,  le  fait  venir  du 
latin  rodo ,  parce  que  ce  fleuve  ronge  ses  bords.  Pétrarque  avoit 
déjà  adopté  cette  étymologie: 

Rapido  fiume  ,  che  d'alpestra  vena 

Rodendo  intorno,  onde  ^1  tuo  nome  prcudi ,  etc. 

(Part.  I,  son.  173  )  ; 

de  même  que  Maurice  Sceve,  dans  le  CCCCX\ii.^  dixain  de  sa 
Délie,  ainsi  conçu: 

Fleuve  rongeant  pour  t'attiltrer  le  nom 
De  la  roydeur  en  ton  cours  dangereuse, 
Mainte  riuiere  augmentant  ton  renom, 
Te  fait  couiir  mainte  riue  amoureuse, 


3io  GLOSSAIRE 

Baingnant  le  plecl  de  celle  terre  heureuse 

Ou  ce  Thuscan  Apollo  sa  ieunesse 

Si  bien  forma,  qu'à  iamais  sa  vieillesse 

Verdoyera  à  toute  éternité , 

Et  ou  Amour  ma  première  lyesse 

A  desrobee  à  l'immortalité. 

ROVTE.  Mettre  en  route ,  mettre  en  déroute. 

ROYNE,  reine.  Voy.  SVTIL. 

RvER,  7).  act.,  jeter.  Voy.  Ivs. 

RviSSELET,  diminutif  de  ruisseau ,  petit  ruisseau. 

S. 

Sacrer,  consacrer. 

Sagette,  flèche,  du  latin  sagitta.  La  Fontaine  employé  ce 
vieux  mot  (liv.  Viii,  fabl.  27).  Voy.  la  note  12  de  M.  N.  S. 
Guillon  sur  cette  fable. 

Saillir,  sauter,  faire  sauter.  Te  saillir  hors  de  Varcon,  page 
i5o,  te  de'sarçonner.  Saillir  a  perdu  cette  signification  active' 
il  n'est  plus  que  verbe  neutre. 

S'AINSI  EST  ,  s'il  est  ainsi.  Aujourd'hui  1'/'  ne  s'e'lide  plus 
dans  la  conjonction  si,  qu'avant  le  pronom  masculin  il ,  tant 
au  singulier  qu'au  pluriel.  Autrefois  il  s'élidoit  devant  plusieurs 
autres  noms  commençant  par  une  voyelle;  on  à'isoit  scelle  pour 
si  elle,  s^on  pour  si  on,  s'un ,  s'une ,  pour  si  un,  si  une,  etc. 

SaltatiON,  danse,  pantomime.  Ce  mot  a  été  employé  par 
plusieurs  écrivains  de  nos  jours,  et  notamment  par  M.  de  l'Aul- 
naye  qui  a  publié  un  ouvrage  intitulé  :  De  la  Saltation  théâtrale. 

Saphon,  Sappho,  Ronsard  et  Desportes  ont  également  dit 
Saphon,  manière  de  franciser  ce  nom  qui  pèche  contre  l'ana- 
logie, les  anciens  noms  en  o  ne  devant  être  terminés  en  on 
que  lorsqu'ils  prennent  en  latin  une  n  au  génitif,  comme  Cicero, 
Ciceronis ,  Apollo ,  Apollinis ,  Plato ,  Platon; s ,  Dido ,  Didonis  , 
Varro ,  Varronis ,  Juno ,  Junonis ,  dont  nous  faisons  Cicéron  , 
Apollon,  Platon,  Didon ,  Varron ,  Junon.  Y oy.  Ménage  (Observ. 
sur  la  langue  franc. ,  chap,  CLV).  Le  génitif  de  Sappho  est  Sap- 


DE  LOUISE  LABÉ.  3ii 

phits.  Cependant  il  y  a  quelques  auteurs  chez  qui  ce  ge'nitif  est 
SappJionis ,  et  qui  au  pluriel  disent  Sapphones.  Érasme  (Encom. 
Morise,  page  i3)  :  «Ego  sum  Venus  illa  cujus  favore  Phaon  ille 
«  repubuit,  ita  ut  à  Sapphone  tantopere  deamaretur.»( L'ablatif 
Sapphone  suppose  le  ge'nilif  Sapphonis.  )  Vossius  (  De  Poëtis 
grœcis,  page  17)  :  «  Distingue  vero  duas  Sapphones ^  unam  Ere- 
«  triam  (lisez  Eresiam),  alterain  à  Phaone  adamatara,  ut  est 
«  apud  Athenœum  (lib.  XTir).  >>  Il  est  plus  conforme  à  la  ma- 
nière dont  les  Grecs  ecrivoient  ce  nom,  de  l'e'crire  avec  deux/? 
(Sappho)  qu'avec  un  seul,  comme  ou  le  fait  aujourd'hui  com- 
munément. Ne'anmoins,  comme  Pontanus  vouloit  qu'en  latin 
on  écriyitSaphOj  attendu  que  cette  langue  n'admettoit  pas  qu'un 
p  ordinaire  pût  être  suivi  d'un  p  aspiré ,  on  pourroit  dire  que 
la  même  règle  est  applicable  à  la  langue  françoise  :  du  moins 
ne  trouveroit-on,  je  crois,  dans  nos  dictionnaires  aucun  mot 
qui  offrît  ces  trois  consonnes /7/?Z}  placées  ainsi  à  la  suite  les  unes 
des  autres. 

Saye,  s.  m.,  Sayon,  id. ,  habit  court,  justaucorps,  robe  de 
dessus,  capote,  du  latin  sagum,  habit  de  guerre  que  les  Romains 
avoient  einprunté  des  Gaulois.  Le  Paysan  du  Danube,  dans  La 
Fontaine  (liv.  Xi,  fabl.  7),  porte  un  sayon  de  poil  de  chèvre, 
Voy.  la  note  5  de  M.  N.  S.  Guillon  sur  cette  fable. 

SCET  (il-),  il  sait,  tu  scez,  tu  sais,  du  yevhe  savoir.  Voy.  Sv. 
C'est  par  erreur  qu'on  s'est  obstiné  long-temps  à  écrire  scavoir 
par  un  c :  on  supposoit  que  ce  mot  venoit  de  scire^  et  on  con- 
servoit  le  c  pour  marquer  cette  étymologie,  tandis  que,  dans 
la  vérité,  savoir  dérive  de  sapere, 

SeiovR,  repos. 

S'ELLE,  si  elle.  Voy.  S'AiNSi  est. 

Sellette,  petite  chaise,  petit  banc,  petit  siège,  du  latin 
sella  ^  dont  la  racine  est  sedeo. 

Semblable.  Semblable  (jumelle,  page  142,  semblable  à  elle. 
Faire  le  semblable ,  faire  la  même  chose,  faire  quelque  chose 
de  semblable. 


3i2  GLOSSAIRE 

Semblance,  ressemblance. 
Sembler,  ressembler. 

EU'  semblait  pai'mi  l'armée 

Vn  Achile,  ou  un  Hector,  page  i36  , 

c'est-à-dire,  elle  ressembloit,  au  milieu  de  Tarme'e,  à  un  Achille 
ou  à  un  Hector. 

Semhloit  au  plus  cler  cristal ,  page  i4o. 

c'est-à-dire,  ressembloit  au  plus  clair  crystal. 

Semiramfde  (ailleurs  lyem/ramtj^)  ,  Se'miramis,  reine  de  Ba- 
bylone.  Voy.  notes  58  et  216. 

Senestbe,  main  gauche,  du  latin  sinistra.  M.  de  Roquefort,  de 

Lyon  (Glossaire  de  la  langue  romane ,  1 808 ,  t.  H ,  p.  538),  trouve 

ce  mot  bien  expressif,  et  regrette  qu'on  l'ait  retranché  de  notre 

langue  pour  y  substituer  celui  de  gauche ,  qui,  dit-il,  n'a  pas 

plus  de  cent  vingt  ans,  et  dont  on  ignore  l'origine.  La  remarque 

est  juste,  sauf  que  le  mot  gauche  est  plus  ancien  que  ne  le  fait 

le  savant  lexicographe,  puisque,  dans  le  Tre'sor  des  recherches 

et  antiquite's  gauloises  et  françoises,  imprimé  en  i655,  et  par 

conséquent  i53  ans  avant  i8o3,  Borel  recherche  déjà  l'étymo- 

logie  de  ce  mot,  et  le  fait  dériver  du  vieux  veibe  françois  guen- 

cher,  se  détourner,  éviter,  tourner;  ce  qui  arrive,  dit-il,  quand 

on  gauchit,  quand  on  tourne  à  gauche.  Ce  mot  remonte  même 

plus  haut  :  car  on  le  trouve  aussi  dans  le  Grand  dictionnaire 

françois -latin  de  Nicod,  dont  j'  i  sous  les  yeux  une  édition 

de  i6o3;  et  je  lis,  page  210  du  second  volume  des  Méditations 

historiques  de  M.  Philippe  Caraerarius,  traduites  en  françois 

par  S.  G.  S.  (Simon  Goulard  de  Senlis),  Lyon,  1610,  in-4.°: 

«  La  main  gauche  est  moins  habile  à  l'œuure  que  la  droite;  » 

et  dans  la  Continuation  des  Amours  de  P.  de  Ronsard,  Paris, 

Jean  Dallier,  155/,  in-8.°  (page  95)  : 

Agitoit  les  rougnons  gaillards 
De   Catin  à  gauche  et  à  dextre. 

Montaigne  (Essais,  liv.   i,  chap.  25,   et  ailleurs)   se  sert   de 
gauchir  dans  le  même  sens  que  Borel  donne  à  guenchei-,  et  enfin 


DE  LOUISE  LABÉ.  3i3 

il  emploie  souvent  le  mot  gauche ,  notamment  liv.  il,  ch.  12: 
«  La  raison  est  un  pot  à  deux  anses  qu'on  pcult  saisir  à.  gauche 
«  et  à  dextre.  » 

SETVXrMFNS,  sens,  les  cinq  sens.  Les  plaisirs  des  sentimens  , 
page  2,  les  plaisirs  des  sens. 

Sep,  cep,  du  grec  caphos ,  tortu,  courbé,  ou  du  latin  caput, 
tête,  chef,  ou  du  latin  cippus ,  tronc.  Quelle  que  soit  celle  de 
ces  e'tymologies  qu'on  adopte,  cep  y  est  plus  conforme  que  sep. 

Serf,  serve,  esclave,  du  latin  servus. 

Serrer.  Serrer  1er  fenestres,  page  35,  fermer  les  fenêtres. 

Servage,  esclavage. 

S'ESTANT,  si  étant. 

Sevr,  sûr,  certain.  Un  des  poètes  qui  ont  écrit  à  la  louange 
de  Louise  Labé,  fait  rimer  ce  mot  avec  grandeur  et  avec  seur 
(sœur).  Il  y  en  a  des  exemples  dans  beaucoup  d'autres  poètes  du 
temps,  et  Thomas  Sibilet  (Art  poétique  francois,  chap.  vm) 
approuve  cette  rime,  quoiqu'il  paroisse  que  seur  (sûr)  se  pro- 
nonçât comme  nous  prononçons  aujourd'hui  sûr:  ce  qu'il  y  a 
du  moins  de  certain,  c'est  qu'on  faisoit  rimer  le  féminin  seure 
(sûre)  avec  les  mots  en  ure ^  tels  que  nature  et  dure,  Voy.  la 
pièce  de  St-Gelais,  citée  note  i/\Q. 

SevrtÉ,  sûreté . 

Sf,  avec  cela,  néanmoins,  au  moins,  du  moins.  Voy.  S'AiNsr 
EST,    S'VNE  et  S'ESTANT. 

SiGNEVR,  seigneur.  C'est  le  signer  des  Italiens  francisé.  Sei- 
gneur se  trouve  aussi  dans  Louise  Labé.  Ce  dernier  nxot  se  rap- 
proche davantage  du  latin  senior,  d'où  il  est  dérivé ,  aussi  bien 
que  l'italien  signor.  Sieur,  monsieur,  ont  la  même  étymologie. 
Voy.  Pasquier  (Recherches  de  la  France,  liv.  Viii,  chap.  5). 

SiGNEVRiE,  seigneurie. 

SiMOEiVT,  Simoïs,  fleuve  de  l'Asie  mineure,  dans  la  petite 
Phrygie.  Il  faisoit  en  grec  Simoentos,   au  génitif. 

SiMPLESSE,  simplicité. 

SONE,  Saône,  la  Saône,  rivière  qui  traverse  Lyon  et  se  jette 


^14  GLOSSAIRE 

dans  le  Rhône  à  rextiemitë  méridionale  de  cette  ville.  Onl'ap- 
peloit  Arar^  et  plus  anciennement  Brigulus.  Voy.  le  traité  des 
Fleuves,  attribue'  à  Plutarque.  Son  nom  actuel,  Saône,  dans 
lequel  l'a  ne  se  prononce  pas,  paroît  dérivé  de  celui  de  Sau- 
conna,  qu'elle  a  porté  sous  le  Bas-Empire.  Feu  M.  Claude-Xavier 
Girault,  membre  de  l'académie  de  Dijon,  et  correspondant  de 
celle  de  Lyon,  a  laissé  un  curieux  Mémoire  sur  les  noms  et  la 
source  de  la  Saône,  Paris,  J.  B.  Sajou,  i8i2,in-8.°  de  26  pages: 
j'y  renvoie  le  lecteur. 

SoNGEART,  sombre,  rêveur,  songe-creux. 

SONGNEVSEMENT,  soingneusement ,  soigneusement.  On  écri- 
voit  antreïoissoing  pour  soin,  et  soingner  onsongner  pour  soigner. 

Sonner,  jouer  de  quelque  instrument  de  musique. 

SOVCIEVS,  qui  prend  souci  à  quelque  chose.  Soucieus  de  mon 
hien,  s'intéressant  à  mon  bonheur. 

SOVDART,  soudard,  souldard ,  soldard ,  soldat;  au  pluriel, 
soudars  ou  soudarz, 

SovEF,  soefj  doux,  agréable,  du  latin  siiavis,  Souefuement , 
soefuement ,  d'une  manière  douce.  Une  souejflairante  haleine 
(Muret,  Commentaire  sur  le  sonnet  xxiii  du  i.^**  livre  des 
Amours  de  Ronsard). 

SOVLACIEVS,  recréatif,   agréable,  propre  à  consoler,  à  ré- 
jouir, du  latin  solatium  ,  d'où  l'on  avoit  d'abord  tiré  soûlas, 
récréation,  plaisir,  dont  La  Fontaine  s'est  servi  plusieurs  fois. 
En  grand  soûlas  cette  nuit  se  passa. 

(La  Gageui'e  des  trois  Commères,  conte.) 

SOVLOIR,  avoir  coutume,  avoir  habitude,  du  latin  soleo. 
Deux  parts  en  fit  dont  il  souloit  passer 
L'une  à  dormir,  et  J'autre  à  ne  rien  faire. 

(  Epitaphe  de  La  Fontaine ,  par  lui-même.  ) 

SovvENTEFOis,  souvent. 
SovzRJS,  souris,  sourire. 

SqvADRON  ,  escadron.  Les  noirs  squadrons  des  Ethiopiens , 
page  75.  On  trouve  ailleurs  (page  i35)  escadron,  comme  nous 


DE  LOUISE  LABÉ.  3i5 

l'écrivous  et  le  prononçons  actuellement.  Ce  mot  ('toit  alors 
nouveau:  on  disoit  auparavant èaZatï/o/î. Voy.  Lettres  d'Estienne 
Pasquier  (liv.  Il,  lett.  12.) 

Sv  (i'ay,  ayant),  j'ai  su,  ayant  su.  le  su,  je  sus.  On  écri- 
voit  alors  plus  communément  sceit  ou  seu,  ie  sceu  ou  ie  sceus , 
et  on  a  écrit  ainsi  encore  long-temps  après.  Voy.  Introduction , 
page  249. 

SVCCEDER,  avoir  du  succès,  réussir. 

SVFVMiGACiON ,  fumigation  ,  suffumigation  produite  au  moyen 
de  la  combustion  de  matières  odorautes,  employée  principale- 
ment dans  les  opérations  magiques. 

S'VNE,  si  une. 

SVPERABONDANT,  très-abondant. 

SVPERNEL,  ELLE,  supérieur,  céleste,  du  latin  supernus. 

Svs,  prép.,  sur.  De  sus ,  de  dessus.  Par  sus,  pardessus. 

SvTiL^  ILE,  subtil.  On  trouve  ailleurs  subtil,  comme  nous 
l'écrivons.  Apparemment  qu'à  Lyon  le  b  ne  se  prononçoit  pas 
dans  ce  mot:  Estienne  Pasquier,  dans  sa  lettre  à  Ramus  (liv.  fii, 
lett.  4);  blâme  cette  orthographe  et  cette  prononciation.  «  Le 
«  courtisan  aux  mots  douillets,  dit-il,  nous  couchera  de  ces 
«  paroles ,  reyne  ,  allét  ,  tenét ,  ■venét ,  menét  :  comme  nous 
«  vismes  un  des  Essars,  qui  pour  s'estre  acquis  quelque  repu- 
«  tation  par  les  huit  premiers  livres  du  Roman  d'Amadis  de 
«  Gaule,  en  ses  dernières  traductions  de  Josephe  et  de  dom 
«  Flores  de  Gaule,  nous  servit  de  ces  mots,  amonncster ,  con- 
«  tenner ,  sutil ,  calonnier ,  aministration.  Ni  vous  ni  moy  (je 
«  m'asseure)  ne  prononcerons,  et  moins  encore  escrirons  ces 
«  mots  de  reyne ,  allét ,  tenét ,  -venét  et  menét ,  ains  demeurerons 
«  en  nos  anciens  qui  sont  forts,  royne ,  allait,  venait ,  tenait, 
«  menait.  Et  quant  à  mon  particulier  ,  dès  à  présent,  je  proteste 
«  d'estre  résolu  et  ferme  en  mon  ancienne  prononciation  à'ad- 
«  monnester,  cantemner,  subtil ,  calamnier,  administrer.  En  quoy 
«  mon  orthographe  sera  autre  que  celle  de  des  Essars^  puisque 
«  ma  prononciation  ne  se  conforme  à  la  sienne.  » 


3i6  GLOSSAIRE 

T. 

Tandis,  tandis  que. 

Tandis  du  chef  aiusi  treiiché... 

Distiloit  du  sang  goûte  à  goûte,  page  laa. 

Tandis  rostir  la  perdrix  on  faisoit. 

(Cl.  Marot.  ) 

Tandis  la  nuit  s'en  va,  ses  lumières  s'éteignent. 

(Malherbe.) 

Tant,  autant.  Tant  bien,  si  bien.  Tant  plus ,  plus.  De  tant 
plus  ^  d'autant  plus.  lusques  a  tant  que,  jusqu'à  ce  que.  Tant 
que,  jusqu'à  ce  que,  au  point  que,  de  manière  que.  A  tant , 
alors. 

Tart,  ARDE,  adj.  La  tarde  'vespree ,  page  i49;  1g  soir  avance', 
La  tarde  seree  (RonsARd). 

Le  repentir  est  une  chose  tarde. 

(Le  même.) 

Tart  (a),  tard,  tardivement,  adi^. 

Temples,  s./.,  tempes,  les  deux  parties  de  la  tète  qui  sont 
depuis  chaque  oreille  jusqu'au  front,  du  latin  tempora.  Temple 
se  disoit  encore  du  temps  de  Me'nage  (voy.  ses  Observ.  sur  la 
langue  franc.,  chap.  LXXiv),  et  on  le  trouve  avec  ce  sens  dans 
les  anciens  dictionnaires. 

TendrELET,  diminutif  de  tendre ,  adj. 

ThraCIEN,  de  Thrace.  Le  Gradive  Thracien ,  page  i53,  le 
Mars  de  Thrace. 

TovRBE,  foule,  du  latin  turha,  J.  J.  Rousseau  (Disc,  sur 
l'ine'galité  des  conditions)  a  dit:  La  tourbe  philosophe sque. 

TOVRMENTEVR ,  qui  tourmente.  Tourmenteurs  de  monde  , 
page  9,  qui  tourmentent  les  gens. 

TovRNER,  retourner. 

Pour  à  ton  château  tourner,  page  149  , 

c'est-à-dire,  pour  retourner  à  ton  château. 


DE  LOUISE  LABÉ.  Z17 

TOVT  (dv),  entièrement,  omninb. 

TbAnsmver,  transformer,  changer,  âi\x\3il\ia.transmutare. 
TbayTREMENT,  traistrement ,  traitreusement. 
Trebvcher,  ^'.  a.,  renverser,  faire  tomber.  Aujourd'hui  ce 
verbe  est  toujours  neutre,  et  signifie  tomber. 

Où  la  droite  raison  trébuche  à  chaque  page. 

(BOILEAU.) 

Tremper,  tempe'rer,  modérer,  du  latin  temperare.  On  trouve 
souvent  dans  Montaigne  attrempance  pour  modération  ,  tem- 
pérance j  continence.  Attremper  {^adtemperare^  avoit  le  même 
sens  que  tremper.  «  Abelard  se  joiioit  de  son  esprit  comme  il 
«  vouloit,  et  pour  attremper  ses  plus  sérieuses  estudes  faisoit 
«  des  vers  d'amour  en  rime  françoise,  que  l'on  mettoit  en  mu- 
«  sique  ,  et  se  chantoient  par  uns  et  autres.  »  (Pasquier, 
Recherch.  de  la  France,  liv.  \"ii,  chap.  3).  On  disoit  aussi  Je- 
tremper  :  «  Acliile  ...  revenant  du  combat  ancore  tout  couuert 
«  de  sueur,  d'armes  et  de  poussière,  prenoit  sa  lyre  pour  ra- 
«  molir  et  deiramper  les  fureurs  et  colères  de  son  ame.  »  (Plai- 
doyez  de  M.*  Claude  Expilly,  Lyon,  Laurant  Durand,  i636, 
in-4.**,  page  80.) 

Trevver,  trouver.  Ce  mot  e'toit  encore  en  usage  du  temps 
de  Molière,  puisqu'on  lit  dans  le  Misanthrope,  représenté  pour 
la  première  fois  en  1666  (act.  i,  se.  1): 

Non,  l'amour  que  je  sens  pour  cette  jeune  veuve, 

Ne  ferme  point  mes  yeux  aux  défauts  qu'on  lui  treme. 

La  Fontaine  en  a  fait  pareillement  usage  (liv.  iv,  fabl.  4): 

Dieu  fait  bien  ce  qu'il  fait.  Sans  en  chercher  la  preuve 
En  tout  cet  univers  ,   et  l'aller  parcourant. 
Dans  les  citrouilles  je  la  treut'e. 

Il  s'en  est  encore  servi  ailleurs  (liv.  il,  fabl.  20;  liv.  lir,  fubl.  '-; 
et  liv.  V,  fabl.  2).  On  voit  dans  les  Observ.  de  Mi'nage  sur  la 
langue  franc,  (chap.  CLXXI  ) ,  que  c'étoit,  de  son  lemjs,  une 
question  sujette  à  controverse,  de  savoir  s'il  falloit  dire  trcin'er 


5i8  GLOSSAIRE 

ou  trouver:  il  pensoit  qu'en  vei's  ou  pouvoit  se  servir  da  premier 
de  ces  mots.  Suivant  Poiiisinet  de  Sivry,  traduction  de  Pline 
l'ancien  (note  \/\  du  chap.  i ,  et  note  i  du  chap.  3  du  liv.  xix), 
le  vieux  verbe  gaulois  truver,  treuver,  seroit  la  racine  du  mot 
truffe:  conjecture  que  cet  auteur  appuie  sur  ce  qu'en  ancienne 
langue  Thracienne,  la  dénomination  de  la  truffe  exprimoit  aussi 
une  trouvaille,  un  fruit  fortuit  et  de  rencontre. 

TrioNFE,  triomphe.  Trionfer,  triompher.  Arcs  trionfans,  arcs 
de  triomphe.  Voy.  Introduction,  page  244. 

Trop.  Trop  plus ,  beaucoup  plus.  Trop  et  trop ,  beaucoup  trop. 

Tbovsse,  carquois.  Ce  mot  ne  s'emploie  guères  plus  aujour- 
d'hui que  pour  signifier  l'espèce  d'e'tui  où  les  barbiers  mettent 
leurs  rasoirs,  leurs  peignes  et  leurs  ciseaux.  Cependant  D.  Le 
Brun  lui  a  conservé  son  ancienne  acception  dans  ce  dixain  sur 
Catulle  et  Martial  : 

Le  dieu  Momus  eut  toujours  deux  carquois 
De  traits  naïfs  à  pointe  vive  et  douce  ; 
Le  premier  seul  arme  ce  dieu  narquois. 
Plus  brillantes  dans  la  dernière  trousse. 
Tant  sont  aigus,  las  !  qu'un  rien  les  émousse. 
A  deux  mortels  son  secret  il  apprit  ; 
Par  ses  mots  fins  Martial  nous  surprit  ; 
Mais  la  finesse  a  sa  monotonie  : 
De  l'épigramme  il  n'avoit  que  l'esprit; 
Catulle  seul  en  avoit  le  génie 

Trousse  vient  de  l'allemand  tross,  Voy.  Destrovsser. 

V. 

VacACION,  occupation,  emploi. 

Vacant,  qui  dévague,  qui  erre,  qui  marche  au  hasard. 

Val,  s.f. ,  vallée,  vallon.  Des  vaux ^  des  vallées,  des  vallons. 
Cherchant  les  profondes  ^'flMJ:,  page  i35. 
Ce  mot  est  masculin  dans  Ronsard  (liv.  i  des  Amours,  sonnet 
CLXXVll)  : 


DE  LOUISE  LABÉ.  019 

Au  fond  d'un  i^a/ 

«  T^al,..  n'eût-il  pas  dû  garder  sa  place  dans  de  beaux  vers, 
«  comme  i^aZ/on/ »>(Marmo]\tel,  Éle'ments  de  litt. ,  art.  C/!yag-e.) 
Le  mot  ual  entre  comme  élément  dans  plusieurs  noms  de  lieux: 
la  p^albonne  j  la  f^altcline ,  Laval ^  etc.  Nous  avons  conservé  le 
pluriel  ^>aux  dans  cette  locution:  Aller  par  monts  et  par  Xfaux. 
Uaval  des  bateliers  et  des  ingénieurs,  opposé  d'amen?,  vient 
d'à  et  de  r)al  ^  du  côté  de  la  Tjallée ,  en  descendant  ;  d'où  les 
verhes  avaler;  dévaler,  descendre;  ravaler,  rabaisser.  On  dit 
aussi  contre  val ,  en  bas,  par  opposition  à  contre  mont ,  en  haut. 
Quant  à  Vaval  des  banquiers,  il  n'a  de  commun  que  le  son  et 
l'orthographe  avec  celui  dont  nous  venons  de  parler:  c'est  un 
abrégé  des  mots  à  'valoir,  bon  pour. 

Vefve,  veuve. 

Venir,  devenir.  Se  faire  'venir  belle ,  page  76,  se  faire  deve- 
nir belle.  La  licence  des  fols  est  'venue  si  grande  que,  etc., 
page  27,  la  licence  des  fous  est  devenue  si  grande  que,  etc. 

Verdissant,  qui  verdit,  partie,  présent  du  verbe  'verdir. 

VerflORISSANT,  composé  des  mots  'vetxl  ei  florissant.  Floris- 
sant est  le  part,  présent  duverbe^or/r,  qui  n'est  plus  en  usage  au 
présent  de  l'infinitif,  et  qui  n'a  conservé  que  quelques-uns  de  ses 
temps,  dont  encore  on  ne  se  sert  qu'au  figuré  :  car,  au  propre, 
on  dit  fleurir,  «  Esgayé  de  belles  et  'verflorissantes  prairies.  » 
(Cl.  BiNET,  Vie  de  Ronsard,  i586.)  Voy.  DoysONDOïANT. 

Vers,  prép, ,  envers. 

Il  nous  faut  ores  atfuîter 

Vers  ce  docte  et  gentil  Fumée  ,  page  lar, 

c'est  -  à  -  dire  ,  il  faut  maintenant  nous  acquitter  envers  ce 
docte,  etc. 

VespREE,  s,f,,  soir,  soirée,  du  latin  -vespera. 

VesQVI  (ie)>  j^  vécus, prêt,  défini  du  verbe  'vivre.  On  trouve 
aussi  dans  les  auteurs  du  temps,  ie  'vescu,  Mascaron,  Fléchier, 
Bossuet  ont  dit:  Je  'vécjiiis ,  je  survétjuis.  Vaugclas  admettoit 


520  GLOSSAIRE 

l'un  et  l'autre.  L'Acade'mie  s'est  décidée  en  faveur  de  je  vécus 
je  survécus ,  et  sa  décision  a  été  sanclionnée  par  l'usage. 

Vev  (i'ay,  ayaint),  j'ai,  ayant  vu.  Le  plus  souvent,  Louise 
Labé  écrit  vu, 

Vevil,  vouloir,  volonté,  vœu. 

ViD  (tl),  troisième  personne  du  prétérit  déjini  du  verbe  voir, 
il  vit.  Quand  J^lysse  vid  la  fumée  de  son  Itaque ,  page  62. 

Le  mieus  sentant  que  iamais  ^id  Aurore. 

C  Sonnet  VI.  ) 

La  première  personne  du  même  temps  étoit  ie  vy. 

Le  reconnu  quand  l'j  premièrement, 

(  Sonnet  xx) , 

c'est-à-dire,  je  le  reconnus  quand  je  le  vis  pour  la  première 
fois.  On  a  écrit  long-temps,  il  vid,  et  à  la  troisième  personne 
du  présent  de  l'indicatif,  il  void.  Les  premières  éditions  de 
La  Fontaine  offrent  de  nombreux  exemples  de  l'un  et  de  l'autre. 
Le  d  étoit  là,  en  quelque  sorte,  un  signe  étymologique,  voir 
dérivant  du  latin  videre  ,  video ,  vidi. 

Vieil,  vieux.  Au  vieil  Saturne,  page  9,  au  vieux  Saturne.  De- 
puis on  a  dit  vieux  devant  une  consonne,  et  vieil  devant  une 
voyelle;  mais  cette  règle  ne  subsiste  plus;  nous  ne  disons  plus 
que  vieux  y  excepté  dans  celte  locution  :  Dépouiller  le  vieil 
homme  ,  le  vieil  Adam.  P^ieil  est  plus  analogue  au  féminin 
vieille;  mais  il  est  un  peu  dur,  surtout  devant  une  consonne.  Il 
existe  à  Lyon  une  rue  qui  a  conservé  son  ancien  nom  de  rue  du 
vieil  renversé.  On  appeloit  encore,  du  temps  de  La  Fontaine, 
le  fameux  Prince  des  Assassins,  le  Vieil  de  la  Montagne  : 

Vers  le  levant  le  Vieil  de  la  AIoTitagne 
Se  rendit  craint  par  un  moyen  nouveau. 

(  Féronde  ou  le  Purgatoire,  conte.) 

Voy.  Ménage  (Observ.  sur  la  langue  franc.,  chap.  xx). 

YoGYE.JEsireà  la  vogue  dupeuple,  page  53,  être  en  vogue,  être 
aimé,  estimé  par  le  peuple,  être  en  grande  estime  auprès  de  lui. 


DE  LOUISE  LABÉ.  3-2i 

Voire,  même,  du  latiu  verum. 

Vois  (ie),  je  vais,  du  verbe  aller.  le  voy,  je  vois,  du  verbe 

'Voir.  Les  tem.ps  irréguliers  du  verbe  aller ,  je  vais  ou  je  'vas ^ 

^'a,  dérivent  du  latin  vado ,  'vade.  On  a  dit  autrefois  'voise  pour 

aille. 

Ne  voise  au  bal  qui  n'aymera  la  danse. 

(  PiBRAC  ,  Quatrains.) 

VOLTER,  terme  d'e'qui talion,  tourner,  faire  tourner,  du  latin 

'volutare. 

Piquer,  i^olter  le  cheual  glorieus. 

(Élégie  III.) 

VOVSISSEINT  (qu'ils)  ,  qu'ils  x>oulsissent ,  qu'ils  voulussent, 
troisième  pers.  plur.  de  V imparfait  du  subj.  du  verbe  'vouloir. 

VeAYEMENT,  vraiment. 

Vs  (r)  ou  Vu,  tu  us  ou  uz ,  il  ut,  prétérit  de'fini.  Que  Vusse^ 
que  tu  ussesj  qu^il  ut  ou  ust ,  imparfait  du  subjonctif,  f^,  parti- 
cipe passé.  Fayù,  tu  as  ù,  il  ha  ii ,  prétérit  indéfini.  Ainsi  se 
conjuguait  le  verbe  as'oir.  Voy.  Ha, 

Vveille  (QVE  ie),  que  je  veuille,  première  pers.  du  présent 
du  subj,  du  verbe  'vouloir. 

VvLCAN,  Vulcain.  «  Pour  J^ulcan  et  Kulcain,  on  dit  l'un  et 

«  l'autre.  La  question  de  savoir  lequel  des  deux  est  le  meilleur, 

«  a  esté  agitée  dans  l'Académie,  sans  y  avoir  esté  décidée.  L*o- 

«  pinion  de  M.  Chapelain  estoit  qu'il  faloit  dire   V^ulcan  en 

«  vers,  et  J^ulcain  en  prose.  Cette  opinion  fut  réfutée  par  M.  de 

«<  Racan,  qui  dit  plaisamment  que,  selon  cette  distinction,  il 

«  faudroit  l'appeller  Racan  en  vers,  et  Racain  en  prose.  Mais 

«  pour  en  parler  sérieusement,  je  suis  assez  de  l'avis  de  M.  Cha- 

«  pelain.  Je  dirois  Vulcan  envers,  et  dans  des  discours  relevez; 

«  mais  dans  le  discours  familier,  je  dirois  Kulcain.  M.  d'Ablan- 

«  court  dans  les  premières  éditions  de  son  Lucien  avoit  dit 

«  Vulcan;  mais  dans  la  dernière  il  a  dit  Vulcain.  »  (MÉNAGE, 

Observ.  sur  la  langue  franc. ,  chap.  Clv.)  La  Fontaine  a  dit  aussi 

Vulcan  .""^ 

*  ai 


322  GLOSSAIRE  DE  LOUISE  LABÉ. 

La  sottise  du  prince  étoit  d'un  tel  mérite 
Qu'il  fut  fait  in  petto  confrère  de  Vulcan. 

(Le  roi  Candaule  et  le  maître  eu  droit,  conte.  ) 

Celui  du  preux  Achille  auroit  été  plus  beau. 
Si  Vulcan  eût  dessus  gravé  notre  tableau. 

(  Le  Tableau ,  conte.  ) 

L'usage  actuel  n'admet  plus  que  V^ulcain,  en  vers  comme  en 
prose. 

Vy  (lE).  Voy.  ViD. 

Y. 

YeVS.  Faire  passer  deuant  les  y  eus ,  page  lo,  expression  pro- 
verbiale qui  signifie,  faire  accroire. 


FIN   DU  GLOSSAIRE. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 


Jr  AGE  xxij ,  lignes  6  et  7 ,  sur  ces  mots  :  Pour  moi ,  je  ne  me  suis 
jamais  mêlée  d'affaires  publiques,  mettez  cette  note  :  Rien  n'an- 
nonce, en  effet,  que  Louise  Labé  se  soit  occupée  de  politique, 
si  ce  n'est  peut-être  la  manière  injurieuse  dont  Calvin  l'a  traitée 
dans  un  de  ses  pamphlets.  Voy.  Notice,  pag.  xl.  Il  se  pourroit 
qu'elle  eut  montré  un  grand  éloigncment  pour  la  réforme  , 
qu'elle  se  fût  déclarée  ouvertement  contre  les  Huguenots,  et 
que  sa  qualité  de  bonne  catholique  lui  eut  valu  la  haine  de 
Calvin.  La  France  étoit  alors  eu  proie  à  des  troubles  et  à  des 
déchirements,  auxquels  la  religion  servoit  de  prétexte,  et  qui 
finirent  par  amener  l'horrible  catastrophe  de  la  St-Barthélemy, 
environ  six  ans  après  la  mort  de  Louise  Labé.  Lyon  fut  une 
des  villes  où  il  se  commit  le  plus  d'excès.  Les  protestants  avoient 
à  cœur  de  s'en  emparer,  pour  en  faire  le  point  central  de  leurs 
opérations,  et,  en  quelque  sorte,  leur  capitale.  En  i56o,  sous  la 
régence  de  Catherine  de  Médicis ,  gouvernant  le  royaume  pour 
Charles  ix,  Bèze,  Calvin,  et  Spifatne,  évêque  de  Nevers,  our- 
dirent à  Genève  une  conspiration  dont  le  premier  acte  devoit 
être  la  prise  de  Lyon.  Ce  projet  échoua  par  la  vigoureuse  résis- 
tance qu'opposèrent  les  bourgeois  catholiques,  les  magistrats 
et  le  clergé;  mais,  deux  ans  plus  tard,  il  se  réalisa;  Lyon 
tomba  au  pouvoir  du  baron  des  Adrets,  et  les  protestants  en 
restèrent  maîtres  pendant  treize  mois.  Louise  Labé,  à  ce  qu'il 
paroit,  ne  partagea  pas  les  idées  d'innovation  et  d'indépendance 
qui  fermentoient  alors  dans  beaucoup  de  têtes ,  et  qui  ont  changé 
la  face  du  monde.  11  faudroit  cependant  tirer  peut-être  une  con- 
clusion contraire ,  et  effacer  ce  que  l'auteur  du  Dialogue  entre 


324  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

SapphoetLouiseLahé  fait  dire  à  celle-ci,  s'il  e'toit  vrai  qu'elle  eût 
composé  un  ouvrage  en  faveur  de  la  liberté  :  or,  c'est  ce  qu'on 
a  supposé  en  1790,  à  l'époque  de  la  confédération  de  Lyon.  Le 
drapeau  du  iç).^  bafaillon  de  la  garde  nationale  lyonnoise,  ap- 
pelé bataillon  de  rue  Belle-Cordicre,  est  ainsi  décrit  dans  l'Al- 
manach  de  Lyon,  de  cette  année-là,  page  36  :  «  Louise  Charly, 
«  femme  d'un  cordier,  fit,  en  i55o,  un  poëme  s^ur  la  liberté.  Sa 
«  beauté  et  sa  science  ont  formé  l'emblème  suivant  :  La  Belle 
«  Cordière  est  vêtue  simplement,  assise  sur  un  lion;  une  guir- 
«  lande  de  fleurs  lui  descend  de  l'épaule  gauche  au  côté  droit; 
«  d;^  la  main  droite  elle  tient  une  pique  entrelacée  de  lis,  et 
«  surmontée  du  chapeau  de  Guillaume  Tell,  restaurateur  de  la 
«  liberté  helvétique;  est  encore  adapté  à  ladite  pique  un  ruban 
«  sur  lequel  est  cette  légende  ; 

«  Tu  prédis  nos  destins,  Charly,  Belle  Cordière, 
f<  Car  pour  briser  nos  fers  tu  volas  la  première  ; 

«  de  l'autre  côté  du  ruban  est  :  Belle  Cordière ,  ton  espoir  71' é- 
«  toit  pas  'vain  ;  audit  chapeau  est  le  panache  aux  trois  couleurs. 
«  De  la  main  gauche,  elle  tient  son  poëme  sur  la  liberté  fran- 
«  coise,  qui  est  appuyé  sur  un  globe  terrestre.  Le  lion  tient 
«  sous  une  de  ses  pattes  le  livre  de  la  Constitution  :  à  côté  est 
«  l'autel  de  la  patrie,  où  brûle  le  feu  du  patriotisme;  d'un  côté 
«  est  une  plante  d'olivier,  signe  de  la  paix,  et  de  l'autre,  une 
«  dr  laurier,  signe  de  la  gloire;  des  livres  en  désordre  à  ses 
«  pieds,  qui  désignent  sa  science.  »  Ainsi  voilà  Louise  Labé 
transformée  en  ardente  patriote  et  en  écrivain  libéral.  Malheu- 
reusement pour  ceux  qui  aimeroient  à  trouver  en  elle  ce  double 
caractère,  il  n'y  a  d'autre  fondement  à  cette  opinion  que  le  poè- 
me qu'elle  auroit  écrit  sur  la  liberté,  et  ce  poème  n'a  jamais 
existé  :  il  n'en  est  question  nulle  part.  C'est  un  fait  évidemment 
controuvé ,  et  qui  n'a  pu  passer  qu'à  la  faveur  de  cet  aveugle 
enthousiasme  et  de  cette  exaltation  furibonde  dont  la  France 
commençoit  à  être  tourmentée,  et  dont  les  résultats,  que  peu 
de  personnes  prévoyoient  alors,  ont  été  si  terribles. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  025 

Page  xxxiv,  ligne  27,  11  S.*',  lisez:  2i5.*. 

Page  xlviij,  ajoutez  à  la  note  qui  est  au  bas  de  cette  page: 
Poullin  de  Lumina  donne  pour  un  fait  certain  ce  qui  n'est 
qu'une  conjecture.  Il  est  probable  que  Louise  Labé  e'toit  mem- 
bre de  l'académie  de  Fourvière ,  mais  aucun  écrivain  du  temps 
ne  nous  l'apprend  d'une  manière  positive.  Quoi  qu'il  en  soit, 
dans  des  vers  adressés  en  1782  à  l'académie  de  Lyon  (qui  a 
succédé  à  l'académie  de  Fourvière,  comme  celle-ci  avoit,  s'il 
est  permis  d'employer  cette  expression,  continué  l'ancien  Athé- 
née), M.  le  chevalier  de  Cubières,  célébrant  l'admission  de 
M.'^^deBeauharnois  dans  cetle  société,  dit  entre  autres  choses  : 

Sur  le  tombeau  de  Louise 
Vous  versez  encor  des  pleurs  ; 
De  ses  talents  enchanteurs 
Votre  âme  est  toujours  éprise  : 
Cessez  de  la  regretter  -, 
L'auteur  de  Stéphanie  >  au  sommet  du  Parnasse 
Jalouse  d'avoir  sa  place  , 
A  grands  pas  vient  d'y  monter. 

Page  Ij ,  ajoutez  à  la  note  qui  se  termine  à  l'antépénultième 
ligne:  M.  D,..S  a  donné,  en  l'an  X,  comme  une  traduction  de 
l'anglois,  cette  petite  pièce,  où  le  sujet  du  Débat  de  Folie  et 
€l' Amour  est  traité  avec  une  grande  précision  : 

AMOUR   ET   FOLIE. 
L'Amour  et  la  Folie,  un  jour. 
Loin  des  regards  de  la  Sagesse, 
Disputoient....  La  vive  déesse 
De  dépit  aveugla  l'Amour. 
Soudain  la  faute  fut  punie 
Par  loi  de  la  céleste  coui  ; 
Et,  depuis  ce  temps,  la  Folie 
Est  réduite  à  mener  l'Amour. 

(  Journal  de  Lyon,  du  i5  ventôse  an  x,  nP  38.) 

Page  Iv,  ligne  17,  et  il,  lisez:  et  celui-ci.  Cette  faute  a  été 
corrigée  dans  quelques  exemplaires,  ainsi  que  deux  ou  trois  de 
celles  qui  seront  indiquées  plus  bas. 


326  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

Page  Ix,  lignes  22  et  23,  sur  ces  mots:  Cette  anecdote  dé- 
mentie par  tous  les  documents  de  l'histoire...  ^  mettez  cette  note: 
On  a  remarqué  que  la  Belle  Cordière,  qui  «commença  dès  l'âge 
«  de  seize  ans  par  se  distinguer  sous  les  drapeaux  de  Mars,  et 
M  prit,  pour  ainsi  dire,  sa  retraite  auprès  d'Apollon,  »  seroit 
une  excellente  he'roïne  de  roman.  Le  romancier  ne  manqueroit 
pas  de  mettre  eu  œuvre  l'anecdote  dont  il  s'agit;  mais  il  n'auroit 
pas  le  droit  de  placer  au  bas  de  la  page  le  mot  :  Historique. 
Au  reste  ,  le  roman  est  sans  doute  déjà  fait;  car  on  assure  que 
M.  F.  V.  Vignon,  petit-fils  du  célèbre  Rétif  de  la  Bretonne, 
a  en  portefeuille  un  ouvrage  qui  formeroit  deux  volumes  au 
moins,  et  qui  a  pour  titre:  Louise  Labé. 

Page  i65,  ajoutez  à  la  note  34:  Mirabeau,  dans  ses  Lettres 
écrites  du  donjon  de  Vincennes  (Paris,  1792,  4  vol.  in-S.**, 
pag.  263-4),  passe  ainsi  en  revue  les  différentes  versions  des 
anciens  sur  la  filiation  de  l'Amour  :  «  L'Amour  étoit  fils  de 
«  Mars  et  de  Vénus,  disoit  Simonide  :  tu  vois  bien  que  ce  n'est 
«  pas  le  nôtre;  c'est  celui  des  garnisons.  Selon  Alcméon ,  il 
«  naquit  de  Flore  et  de  Zéphir  :  c'est  bien  joli;  mais  Flore  se 
«  fane  trop  vite,  et  Zéphir  a  des  ailes.  Platon  l'a  dit  fils  de 
«  la  Pauvreté  :  c'est  le  dieu  des  filles  de  l'opéra.  Hésiode,  du 
«  Chaos:  que  les  ambitieux  l'adorent.  Mais  Sapho,  la  tendre 
«  Sapho,  faisoit  l'Amour  fils  du  Ciel  et  de  la  Terre.  Ah!  Sophie, 
«  voilà  le  nôtre  :  l'union  des  âmes,  les  délices  des  sens,  c'est 
«  là  la  volupté:  double  jouissance  vraiment  céleste,  gage  éter- 
«  nel  de  notre  fidr^lité.  » 

Page  171,  ligne  33,  fond,  lisez:  fonds. 

Page  i83,  ligne  23,  sa  mémoire,  lisez:  son  âme. 

Page  222,  ligne  25,  placidum,  lisez:  placidam. 

Page  255,  ligne  dernière,  enseigner,  lisez  :  enseigner. 

Page  3o4,  après  l'art.  Provfit,  ajoutez:  Pvbliq,  s.  m.,  le 
public.  PVCLIQVE,  adj.  des  deux  genres,  public,  ique.  Aus  Ueus 
publiques  et  festins ,  page  61. 

FIN. 


onr  eâeÂa/r^âaa.eJ. 


(  L'astérisque  indique  ceux  de   MM  les  Editeurs  qui  sont  membres 
de   rAcadémie  de  Lyon.  ) 


*  ^  Goutte  3e  llbî/OAiû» ,  ^tefcl  ()a  CDep.*  ()u/  Si&ciie^. 

-Pu)  OTLeniBt^  De  îœ  Gêa/iM6t.e  De  Qûinmetce  De  •C'y^''P  / 
vept^ewtée  pai>  ^op  ^téiJiDeut,  3TL.  fe  Gêevccfieo 
OTLobtcb  De  CétawDo. 

OIX^ClDo-l'Ue  *   e)^.   De   §&CAVl6Z<it. 

STLOTl'*  *  JUcéûc/tD-5a*ita). 

c.  ji^eecwD. 

^.-X.  Cap. 

5.-4^x.  CoAt<L^. 


5.  De  l^a  Qï^oiea-J^cwaJi. 

5.-flilo.  -Po/uiGeïu^. 

*  4^  Goiute  De  4^u4^nci^p. 
4^  (DocteiM)  ^^u^tet^ScLW^ . 

*  4^  (Docteuo  OTLa/t'tin  jeiaïc^. 

C*.  De  OTLoiutut, 

*  oila.  ^ei:a^xtuD  omic^. 

*  eilo.   cR.egMy. 

^,  «^evoif. 
ôuAUwi'en  M.i0Ui6ec. 

/e  CDocte'iM)  Seï^tuo'. 


Acheué  d'imprimer  le  XX  de  luillet  de  Tan  m.dccc.  xxiiii. 


TESTAMENT 

DE 

LOUISE  LABÉ. 


AVERTISSEMENT. 


Quelques  personnes  ont  regretté  de  n'avoir  pas 
trouvé  dans  la  dernière  réimpression  de  Louise  Labé, 
à  la  suite  de  la  notice  consacrée  à  la  vie  et  aux  ou- 
vrages de  la  Sappho  lyonnaise ,  le  tex^e  de  son  testa- 
ment resté  inconnu  jusqu'à  ce  jour  :  elles  ont  pensé 
que  c'était  un  document  historique  trop  curieux  et 
trop  intéressant  ,  pour  qu'on  dût  se  contenter  &ea 
offrir  aux  lecteurs  une  simple  analyse.  Ce  repro- 
che,  ou  ,  si  l'on  veut  5  cette  plainte  a  même  été 
exprimée  publiquement  ,  mais  dans  les  termes  les 
plus  flatteurs  ,  par  l'auteur  d'un  article  inséré  dans 
un  des  journaux  littéraires  de  la  capitale  (i).  Nous 
avons  donc  cherché  à  réparer  ,  autant  que  possible  9 
notre  omission ,  et  il  nous  a  paru  que  le   meilleur 


(1)  Dans  le  journal  intitule  ,  la  Semaine  ,  gazette  littéraire  , 
par  un  comité  secret  de  rédaction  ,  V.e  livraison,  septembre  1824, 
tom.  I  ,  pag.  2o3  —  210.  L'article  ,  qui  annonce  une  grande  érudi- 
tion ,  est  signé  E.  K.  E.  ,  voile  sous  lequel  nous  croyons  recon- 
naître un  de  nos  confrères  à  l'Académie  de  Lyon  ,  résidant  à  Paris, 
homme  de  lettres  distingué  ,  et  possédant  à  juste  titre  la  ré- 
putation d'un  des  meilleurs  hellénistes  de  France.  Nous  le  remer- 
cions de  ses  éloges  et  de  ses  critiques  :  nous  profiterons  bientôt 
de  celles-ci  ,    en    publiant    de    nouvelles  Additions  aux  notes   sur 

Louise  Lahé  ,   qui  formeront  aussi   un   supplément   à  la   dernière 

tidition  de  ses  œuvres. 


(4) 

moyen,  pour  y  parvenir,  était  de  prier  M.  Cochard 
de  nous  confier  la  copie  qu'il  a  faite  de  l'acte  dont  il 
s'agit ,  sur  l'original  qui  en  est  conserve  dans  les  ar- 
chives de  la  chambre  des  notaires  de  Lyon  ,  et  de 
faire  imprimer  cette  copie  dans  un  format  et  sur  un 
papier  qui  permissent  de  la  joindre ,  comme  une  ap, 
pendice ,  au  volume  des  œuvres  de  Louise  I^abé. 
Notre  collègue  ayant  accueilli  cette  demande  avec  em- 
pressement ,  l'espèce  de  lacune  qu'on  remarquait  dans 
notre  édition,  ne  subsistera  plus, ou  du  moins  pourra 
être  facilement  remplie. 

C.  B. 


TESTAMENT 

DE  LOUISE  LABÈ. 


Au  nom  de  Dieu  ,  amen.  A  tous  ceux  qui  ces 
présentes  lettres  verront,  Nous  garde  du  scel  com- 
mun royal  establi  aux  contracts  du  baiJlage  de  Mascon 
et  sénéchaussée  de  Lyon  ,  sçavoir  faisons  que  par 
devant  Pierre  de  la  Forest ,  notaire  et  tabellion  royal 
à  Lyon  dessoubs  signé ,  et  en  présence  des  tesmoins 
aprez  nommez  ,  a  esté  présente  dame  Loyse  Charlin 
dite  Labbé  veuve  de  feu  sire  Ennemond  Perrin  ,  en 
son  viuant  bourgeois  citoyen  habitant  à  Lyon  , 
laquelle  faisant  de  son  bon  gré  et  ame  pieuse  et 
pure  volonté  ,  sans  force  ni  contrainte  ,  mais  de  sa 
libérale  volonté  ,  considérant  qu'il  n'est  rien  si  cer- 
tain  que  la  mort  ni  moins  incertain  que  Pheure 
d'iceîle  ,  ne  voulant  de  ce  monde  décéder  sans  tester 
et  ordonner  des  biens  qu'il  a  plu  à  Dieu  lui  donner 
en  ce  mortel  monde  ,  afin  que  ,  aprez  son  decez  et 
trespas  ,  différend  n'en  aduienne  entre  ses  succes- 
seurs :  à  ces  causes  et  aultres  considérations  à  ce 
la  mouvant ,  ladite  testatrice  ,  aprez  auoir  reuoqué 
comme  elle  reuoque  ,  casse  et  adnulle  tous  et  chacuns 


(6) 

ses  aultres  testaments  qu'elle  pourroit  auoir  fait  de 
bouche  ou  par  escript ,  et  aprez  auoir  déclaré  comme 
elle  déclare  que  ce  présent  son  testament  soit  valable 
par  forme  de  testament  nuncupatif ,  testament  solemp- 
nel  5   par  forme  de  codicille  ,    donation   à  cause  de 
mort  et  aultrement  comme  mieulx  il  pourra  et  debura 
valoir  selon  les  droits  ,  loix  canoniques  et  aultres  us 
et  coustumes  introduictes  en  faueur  des  testateurs, 
a  fait  son  testament  et  ordonnance  de  dernière  vo- 
lonté de  tous  et  chacuns  ses  biens  meubles  et  im- 
meubles   présents     et    advenir    quelconques  ,  en  la 
forme  et  manière  qui    s'en  suit  :   et   premièrement 
ladite  testatrice  ,  comme  bonne  et  loyale  chrestienne  , 
a  recommandé  son  ame  à  Dieu  le  créateur ,  le  priant, 
par  la  mort  et  passion  de  son  seul  fils  lesus  Christ , 
recepuoir  son  ame  ,  et  la  colloquer  en  son  royaume 
de  Paradis,  par  Tintercession  de  sa  tressacree  mère, 
saints  et  saintes  ,  et  pour  à  ce  parvenir  s'est  munie  du 
seing  de   la  croix  |  ,  disant  :  Au  nom  du  Père ,  du 
Fils  et  du  Saint  Esprit.  Item ,   ladite  testatrice  ,  en 
cas   qu'elle  decede   en   cette  ville  de    Lyon  ,  esiit  la 
sépulture  de  son  corps  en  l'église  de  N.  D.  de  Con- 
fort ,   et  ou  décédera   ailleurs  ,   veult  estre  enterrée 
en  la  paroisse  du  lieu  ou  elle  décédera ,  et  veult  estre 
enterrée  sans  pompe  ni  superstitions ,  à  sçauoir  de 
nuict ,  à  la  lanterne  ,  accompagnée  de  quatre  pres- 
tres  ,  outre  les  porteurs  de  son  corps  ,   et  ordonne 
estre  dites  en  l'église  du  lieu  ou  elle  décédera ,  une 
grande  messe  à  diacre  et  soubsdiacre  ,  et  cent  petites 
messes  continuellement  iusques  à  huit  jours  aprez  son 


(  7  ) 

decez  ,   et  veult  que  semblable  seruice  soit  fait  l'an 

révolu  de  son  decez  ,  et  donne  à  l'église  ou  elle  sera 
enterrée  la  somme  de  loo  liures  pour  une  fois  ,  à 
sçauoir  20  liures  pour  faire  lesdits  seruices ,  et  îe 
reste  pour  employer  en  réparations  ,  laquelle  somme 
elle  veult  eslre  payée  auxdits  desseruiteurs  ,  à  sçauoir 
12  liures  10  sols  aprez  son  decez,  aultres  12  liures  10 
sols  pour  ledit  seruice,  avec  la  surplus  desdites  loo 
liures  pour  lesdites  réparations,  dans  l'an  aprez  son 
decez  que  ledit  seruice  sera  fait.  I/em  ,  ladite  testa- 
trice ,  esmeue  de  dévotion  ,  a  doté  ,  fondé  et  légué 
à  ladite  église  de  Parcieu  en  Dombes  une  pension 
annuelle  et  perpétuelle  d'une  asnee  vin  et  une  me- 
sure bled  froment  bon  ,  pur  et  marchand  ,  mesure 
dudit  lieu ,  laquelle  pension  elle  impose  sur  sa 
grange  et  tenement  qu'elle  a  audit  lieu  de  Parcieu  en 
Dombes,  et  veult  estre  payée  aux  S.^^  desseruiteurs 
par  chacun  an  ,  à  chacune  feste  de  S.  Martin  d'hiuer  , 
à  commencer  à  la  prochaine  feste  de  S.  Martin  aprez  le 
decez  de  ladite  testatrice  ,  à  la  charge  que  lesdits 
desseruiteurs  et  leurs  successeurs  seront  tenus  dire 
et  célébrer  perpétuellement ,  ou  par  chacune  semaine, 
une  messe  basse  en  ladite  église  ,  à  son  intention,  et 
de  ses  parents  et  amys  ,  à  commencer  dans  la  semaine 
aprez  son  decez.  hem^  ladite  testatrice,  pour  charité 
pitié  ,  aumosne  ,  a  donné  et  légué  aux  pauures  la 
somme  de  1000  liures  de  fonds,  avec  les  dons  au  prou- 
fit  de  cinq  pour  cent  ou  aultre  proufit  qu'il  plaira  au 
roy  donner  à  cause  de  ladite  somme,  et  icelle  pren- 
dra sur  le  crédit  de  plus  grand  somme  qu'elle  a  au 


(  B  ) 

grand  parby  du  roy  soubs  le  nom  du  S/  Thomas 
Fortin  (  ou  Fourtin  )  ,  et  duquel  elle  a  cedulle,  le- 
quel crédit  doibt  estre  assigné  sur  la  ville  de  Rouan 
à  raison  de  cinq  pour  cent  ,  laquelle  somme  de  fonds 
ou  dons  et  revenus  ladite  testatrice  veult  estre  dis- 
tribuée aux  pauures  par  ledit  Fortin  ,  lequel  elle  prie 
d'en  prendre  la  charge  ,  et  aprez  le  decez  d'iceluy 
Fortin  ,  et  ou  ladite  somme  par  lui  n'auroit  pas  esté 
distribuée  ,  en  laisse  la  charge  aux  recteurs  de  l'au- 
mosne  générale  de  cette  ville  de  Lyon  ,  ainsy  que 
lesdits  Fortin  et  recteurs  verront  estre  plus  charitable. 
llem  ,  ladite  testatrice  a  donné  et  légué  ,  pour  aider  à 
marier  trois  pauures  filles  ,  à  chacune  la  somme 
de  5o  liures  tournois  à  prendre  sur  les  premiers 
deniers  de  la  rente  du  reste  de  sondit  crédit  du  roy , 
en  laissant  la  nomination  eteslection,  distribution  et 
deliurance  desdits  deniers  ,  ladite  testatrice  en  laisse  la 
charge  aux  sieurs  recteurs  de  l'aumosne  générale  de 
Lyon.  llem ,  ladite  testatrice  a  donné  et  prelegué  en 
preciput  et  aduantage  à  Pierre  Charly  dit  Labbé  son 
nepueu  et  l'un  de  ses  héritiers  aprez  nommez,  le  reste 
des  deniers  que  icelle  testatrice  a  audit  grand  party 
sous  le  nom  dudi-t  S/  Thomas  Fortin  ,  qui  est  tout 
ce  qui  reste  desduit  les  looo  livres  léguées  auxdits 
pauures  et  les  i5o  liures  tournois  pour  les  dons  léguez 
pour  marier  pauures  filles ,  pour  dudit  reste  d'iceluy 
crédit,  tant  de  principal  que  de  dons,  faire  et  disposer 
par  ledit  Pierre  Charly  comme  de  sa  chose  propre, 
et  sans  qu'il  soit  tenu  le  rapporter  ou  conférer  à  la 
masse  d'hoyrie  de  ladite  testatrice  auec  ses  héritiers  ou 


(9) 

cohéritiers  ^  le  faisant  en  ce  son  héritier  particulier. 

llem  y  ladite  testatrice  donne  et  lègue  à  quatre  filles 
d'un  nommé  Villard  de  Parcieu  son  voisin,  à  chacune 
d'elles  une  robbe  iusques  à  5  Hures  tournois,  lesquelles 
leur  veult  estre  deliurees  ou  elles  suruiuront  à  ladite 
testatrice  ,  incontinent  aprez  son  decez  et  trespas  , 
pour  une  fois  ,  et  non  aultrement.  Item  ,  ladite 
testatrice  donne  et  lègue  à  Antoinette ,  femme  de 
Pierre  Valliand  tissotier  ,  iadis  semante  de  ladite 
testatrice  ,  la  somme  de  loo  liures  tournois ,  laquelle 
luy  veult  estre  payée  pour  une  fois  aprez  le  decez 
de  ladite  testatrice.  Ifem  ,  donne  et  lègue  icelle  testa- 
trice à  une  sienne  chambrière  qu'elle  a  dit  estre 
nommée  Pernette,  jeune  fille,  la  somme  de  5o  liures  , 
laquelle  luy  veult  estre  payée  pour  une  fois  lorsqu'elle 
sera  mariée  ,  et  cas  demeurant  que  ladite  Pernette 
decedast  sans  estre  mariée  ,  donne  et  lègue  ladite 
somme  aux  pauures  à  la  nomination  dudit  Fortin  , 
et  aprez  luy  ,  desdits  recteurs.  I/em  ,  donne  et  lègue 
icelle  testatrice  à  aultre  Pernette  sa  vieille  chambrière 
qu'elle  tient  à  la  grange  de  Parcieu  ,  une  pension  via- 
gère de  lo  liures,  d'un  poinçon  de  trois  asnees  de 
vin  et  d'une  asnee  bled  froment  ,  le  tout  bon  ,  pur , 
net  et  marchand  ,  mesure  dudit  lieu  ,  laquelle  veult 
estre  payée  à  ladite  Pernette,  et  tant  qu'elle  viura, 
par  sesdits  héritiers  et  substituez  aprez  nommez  ,  par 
chacun  an  ,  à  commencer  aprez  le  decez  d'icelle  testa- 
trice :  déclarant  icelle  testatrice  auoir  i8  liures  tour- 
nois appartenant  à  ladite  Pernette  ,  tant  pour  reste  de 
ses  gages  que  deniers  qu'elle  luy  a  baillez  en  garde  , 


(    10    ) 

laquelle  somme  luy  veuît  estre  restituée  aprez  le  decez 
de  ladite  testatrice.  Ifem  ,  ladite  testatrice  a  donné  et 
légué  à  lacquesme  Ballasson  ,  iadis  son  iardinier  ,  le- 
quel demeure  en  la  paroisse  de  Parcieu  ,  une  pension 
annuelle  et  viagère  de  deux  asnees  bled  froment , 
bon,  pur  et  marchand ,  mesure  du  lieu  ,  laquelle  elle 
veult  estre  payée  audit  lacquesme  et  à  ses  enfants  , 
tant  qu'ils  viuront,  et  non  plus  aultrement  ,  aprez 
le  decez  de  ladite  testatrice  ,  et  veult  et  entend  icelle 
testatrice  que  ladite  pension  puisse  estre  rachetée  par 
ses  héritiers  et  substituez,  en  payant  audit  Ballasson 
ou  à  sesdits  enfants  ,  la  somme  de  loo  Hures  tour- 
nois ,  quand  bon  semblera  à  ses  héritiers.  liem  ,  la- 
dite testatrice  donne  et  lègue  à  Claude  Chomel  son 
seruiteur,  pour  une  fois,  la  somme  de  lo  liures 
tournois  ,  laquelle  veuît  luy  estre  payée  aprez  son 
decez  :  déclarant  estre  débitrice  audit  Chomel  de  3o 
liures  tournois  ,  tant  pour  reste  de  ses  gages  que 
pour  deniers  qu'il  luy  a  baillez  en  garde  ,  lesquelles 
3o  liures  tournois  luy  veult  estre  restituées  aprez  son 
decez.  Item  ,  la  mesme  testatrice  donne  et  lègue  à 
Benoist  Frotté ,  son  grangier  dudit  lieu  de  Parcieu  , 
la  somme  de  lo  liures  ,  à  la  femme  dudit  grangier 
et  à  la  niepce  de  la  grangiere ,  à  chacune  une  cotte 
iusques  à  5  liures  tournois  ,  lesquelles  leur  veult  estre 
payées  respectiuement  et  aprez  son  decez.  Item  ,  ladite 
testatrice  ,  pour  bonnes  considérations  à  ce  la  mou- 
vant ,  a  donné  et  légué  ,  donne  et  lègue  par  ces  pré- 
sentes ,  audit  S.*"  Thomas  Fortin  ,  marchand  floren- 
tin 5  demeurant  audit  Lyon  ,  les  usufruicts  ,  proufits , 


(  Il  ) 

revenus  et  iouYssance  de  la  grange  et  tenement  qu'elle 
a  audit  lieu  de  Parcieu  ,  en  quoy  que  ladite  grange 
consiste  ,  soit  en  mesonnaiges  (  i  )  ,  bastiments  ,  iar- 
dins  ,  fonds  ,  héritages  et  immeubles  quelconques,  et 
tant  celle  ou  ladite  testatrice  a  coustume  habiter  que 
celle  ou  elle  tient  son  grangier ,  auec  toutes  les  pensions 
qui  sont  deues  à  ladite  testatrice  tant  audit  lieu  de 
Parcieu  que  lieux  circonuoisins ,  qui  peuuent  monter 
à  la  quantité  de  vingt  asnees  bled  par  chacun  an  ,  ou 
enuiron  ,  pour  en  iouïr  et  user  par  ledit  Fortin  et 
les  siens  ,  et  autres  qu'il  plaira  audit  Fortin  légataire 
ordonner  aprez  son  decez,  pendant  et  durant  le  temps 
de  vingt  ans  continuels  et  consécutifs  à  compter  du 
iour  du  decez  de  ladite  testatrice  :  tant  seulement  et 
outre  ce  ,  donne  et  lègue  audit  Fortin  et  aux  siens 
susdits  ,  pendant  ledit  temps  de  vingt  ans  ,  l'usage  et 
iouïssance  des  biens  meubles  d'icelle  testatrice  ,  de 
quelque  qualité  ,  nature  et  condition  qu'ils  soyent  et 
qu'ils  seront,  tant  en  sadite  grange  que  celle  ou  habite 
son  grangier  audit  lieu  de  Parcieu  ,  et  veult  et  entend 
icelle  testatrice  que  ledit  Fortin  légataire  et  les  siens 
susdits  puissent  incontinent  aprez  le  decez  de  ladite 
testatHce  prendre  et  appréhender  la  possession  et 
iouïssance  réelle  et  actuelle  des  choses  ci-dessus  lé- 
guées ,  sans  recognoissance  et  cause  de  bénéfice  d'in- 
uentaire  ,  ne  aultre  réquisition  :  mais  prohibe  et  def- 
fend  expressément  à  sesdits  héritiers  et  successeurs 


(i)   Ce    mot   qui   devait  s'e'crire    maisonnaigcs  ,    signifiait   sans 
doute  maisuns. 


(12) 

aprez  nommez  et  à  tous  aultres  n'empescher  ledit 
Fortin  et  les  siens  susdits  en  ladite  possession  et 
iouïssance  réelle  et  actuelle  desdites  maison  et  grange, 
en  Testât  qu'elle  sera  lors  dudit  decez  ,  et  tout  ainsy 
qu'elle  se  trouuera  meublée  et  garnie  ,  et  sans  que 
iceîuy  Fortin  ,  comme  usufruictier  ou  aultrement , 
soit  tenu  de  prester  aucune  caution  ,  ne  prester  et 
rendre  aucun  compte  et  reliquat  desdits  biens  meubles , 
et  à  ces  fins  venant  le  decez  de  ladite  testatrice,  icelle 
testatrice ,  pour  le  faict  dudit  usufruict ,  a  transféré 
et  transporte  en  la  personne  dudit  Fortin  et  des  siens 
susdits  ,  tous  droicts  et  propriété  de  possession  pour 
le  temps  susdit ,  et  au  cas  que  lesdits  héritiers  soubs- 
nommez  vinssent  à  troubler  ou  à  empescher  ledit 
Fortin  et  les  siens  susdits  ,  en  la  iouïssance  actuelle 
desdits  biens  léguez,  ou  qu'ils  le  voulsissent  con- 
traindre à  faire  inuentaire  ,  bailler  caution  ,  ou  de  les 
prendre  par  les  mains  desdits  héritiers ,  en  ce  cas 
ladite  testatrice  a  reuoqué  et  reuoque  l'institution 
d'héritier  faite  au  proufit  de  sesdits  héritiers  aprez 
nommez  :  en  ce  cas  ,  a  institué  et  institue  et  nomme 
de  sa  propre  bouche  ses  héritiers  uniuersels  en  tous 
ses  biens,  les  pauures  de  Paumosne  générale  de  cette 
ville  de  Lyon  :  car  telle  est  la  volonté  d'icelle  testa- 
trice. Ifem ,  donne  et  lègue  à  Germain  Borgne  de 
Cahors ,  cordonnier  ,  habitant  à  Lyon  ,  quatre  asnees 
bled  froment  bon  ,  pur  et  marchand  ,  lesquelles  luy 
veult  estre  délivrées  aprez  son  decez.  I/em  ,  ladite  tes- 
tatrice a  donné  et  légué  et  par  droit  d'institution  à 
tous  autres  prétendants  auoir  droit  sur  sesdits  biens , 


(  i3  ) 
la  somme  de  5  sols  tournois,  laquelle  leur  veult  estre 
payée  ,  et  à  chacun  d'eulx  pour  une  fois ,  aprez  le 
decez  d'icelle  testatrice  ,  et  à  ce  les  a  faits  et  instituez 
par  chacun  d'eulx  ses  héritiers  particuliers ,  sans 
pouvoir  aultre  chose  quereller  ne  demander  sur  ses- 
dits  biens.  Item ,  ladite  testatrice  a  déclaré  et  dé- 
clare estre  débitrice  des  sommes  suiuantes ,  àsçauoir, 

à  M.  lacques ,   apothicaire  à  la  Grenette  ,  de  8 

liures  ou  enuiron  ,  à  Benoist  Bertrand  ,  en  rue  Salne- 
rie  (  I  )  ,  d'autres  8  liures  pour  vente  de  carrons  (5/^), 

et  prest  de ,  de  60  liures   i    sol  pour  reste 

d'une  terre  que  modernement  elle  a  acquise  de  luj, 
et  finalement  ladite  testatrice  au  résidu  de  tous  et 
chacuns  sesdits  biens  meubles  et  immeubles,  présents 
et  aduenir  quelconques  ,  desquels  elle  n'a  cy  dessus 
disposé  ny  ordonné  ,  a  fait  ,  constitué ,  créé  et 
nommé,  et  par  ces  présentes  fait,  constitue,  crée 
et  nomme  de  sa  propre  bouche  ses  héritiers  uni- 
uersels ,  à  sçauoir  ,  ses  bien-aimez  lacques  Charlin 
dit  Labbé  et  ledit  Pierre  Charlin  son  frère ,  nepueux 
de  ladite  testatrice  et  enfants  de  feu  François  Charlin 
dit  Labbé  son  frère ,  demeurans  à  Lyon  ,  et  chacun 
d'eulx  ,  par  moitié  et  égale  portion  ,  et  leurs  enfants 
masles  naturels  et  légitimes  ,  et  de  chacun  d'eulx  ,  et 
cas  aduenant  que  sesdits  nepueux  héritiers  susdits  ou 
leurs  enfants  masles  vinssent  à  décéder  sans  enfants 
masles  et  légitimes,  audit  cas  et   iceluy   aduenant, 


(1)  Probablement  la  rue  de  la  Saonerie  qui  occupait  une  parti* 
de  l'einplacenient  du  quai  de  Flandre^ 


(  14  ) 
ladite  testatrice  a  substitué  et  substitue  en  tous  sesdits 
biens  ^  les  filles  descendans  du  degré  de  sesdits  héri- 
tiers ,  pour  iouïr  par  elles  des  biens  de  ladite  testatrice , 
leur  vie  et  de  chacune  d'elles  durant ,  et  aprez  le  decez 
de  sesdits  nepueux  et  héritiers,  ou  de  leurs  enfants 
masles  et  de  leursdites  filles ,  au  cas  que  sesdits  nep- 
ueux ou  leurs  enfants  masles  décédassent  sans  enfants 
masles  ,  audit  cas  et  iceluy  aduenant ,  ladite  testatrice 
a  substitué  et  substitue  en  sesdits  biens  les  panures 
de  l'aumosne    générale  de  cette  ville  de  Lyon  ,  à  la 
charge  de   payer  et   acquitter    ses  dettes  ,  légats   et 
frais  funéraires ,  de  les  accomplir  sans   aucune  exce- 
ption ne  figure  de  procez,  déclarant  par  exprez  ladite 
testatrice  qu'elle  n'a  voulu  ne  entendu,  mais  a  expres- 
sément prohibé  et  defFendu  ,  et  deffend  par  ces  pré- 
sentes, tant  à  sesdits  héritiers  que  substituez  ,  l'aliéna- 
tion de  ses  biens  ou  partie  d'iceulx,  et  toute  distraction 
de  quarte  trebellianique ,  parce  qu'elle  veult  sesdits 
biens  estre  conseruez  en  sa  maison  et  famille ,  pour 
en  défaut  d'icelle  parvenir  auxdits  pauvres  ,   en  faueur 
desquels  ladite  prohibition  a  esté  par  elle  faite.  Ladite 
testatrice  a   fait   par   ces    présentes    exécuteur  de  ce 
présent    son    testament    ledit    S.*^   Thomas  Fortin  , 
auquel  elle  donne  pouuoir  et  puissance  de  prendre  de 
sesdits  biens  pour  l'entier   accomplissement  de  cedit 
présent    son   testament  :   priant  et    requérant   ladite 
testatrice  les  tesmoins  aprez  nommez  d'estre  records 
de  cette  présente  ordonnance  de  dernière  volonté ,  la 
tenir  secrette  iusques  à  ce  qu'il  plaira  à  Dieu  l'avoir 
^ppellee,  et  aprez  en  porter  bon  tesmoignage  en  temps 


(  i5) 
et  liea  :  priant  aussy  et  requérant  ledit  notaire  et 
tabellion  royal  dessoubs  signé  de  la  rédiger  par  escript, 
la  minuter  et  estendre  au  long  la  substance  de  fait 
nous  mesme ,  et  aprezen  faire  expédition  à  qui  appar- 
tiendra, moyennant  salaire  competant.  Fait  et  passé 
à  Lyon  en  la  maison  d'habitation  dudit  S/  Thomas 
Fortin,  ladite  testatrice  estant  au  lit  malade  le  samedi 
28.^  iour  d'apuril  i565  :  présents  Bernardo  Rappoty  , 
Antoine Panfy,  florentin,  Martin  Prévost, apothicaire, 
M.^  Claude  Alamani  ,  maistre  ez  arts  ,  Germain 
Vacque  ,  cordonnier  ,  Pierre  Maliquet  ,  cousturier , 
Claude  Panissera  ,  piedmontois  ,  tous  demeurans  à 
Lyon,  tesmoins  appeliez  et  requis,  laquelle  testatrice, 
ensemble  lesdits  Rappoty  ,  Panfy  ,  Alamani  ,  Pa- 
nissera et  Prévost  ont  signé  ,  et  non  lesdits  Ma- 
liquet et  Vacque  ,  ne  sçachant  signer ,  deuement 
requis  ,  suiuant  l'ordonnance. 


A  LYON  ,  de  l'Imprimerie  J.  M.  Barret  ,  place  des  Terreaux. 


N.^  109.  —  Lyon,  20  Août  1824.  (T.  IF.) 

(ll.me  Annëe). 


TABLETTES 


i4totiaue4  et  ivitietaite^. 


AVIS. 

A  cause  de  la  fêle  de  St.  Louis  ,  le  prochain  N.**  des 
Tablettes  ne  paraîtra  que  vendredi  matin  ,  27  du  présent 
mois. 

Esquisses  historiques  et  statistiques  sur  la  Ville  de 

Lyon» 

(  XVIII.e  Article.  ) 

BoNNEVEAU  (^rue)  ,  tendant  de  la  rue  des  Gënërales 
à  la  rue  du  Port-Charlet ,  d  ^pendant  de  la  paroisse  de  St- 
JBonaventure  et  du  2."'^  arrondissement  de  justice  de  paix  ^ 
et  comprise  au  recensement  de  1825  pour  3r  maisons  » 
2o5  ménages,  817  individus,  5i  ateliers  et  120  métiers 
pour  la   fabrication  des   étoffes   de  soie. 

M.  Cochard  paraît  être  le  seul  des  auteurs  qui  ont  écrit 
sur  Lyon  ,  aux  recherches  duquel  on  doive  quelques  no- 
tions sur  cette  rue  ,  elle  n'en  faisait  autrefois  qu'une  seule 
avec  celle  des  Générales  ,  qu'on  trouve  figurée  au  plan 
de  i54o ,  mais  sans  nom.  Plus  tard,  les  moines  de  Tabbaye 
de  Bonneveau  ,  prés  de  Vienne  ,  en  Dauphiné  ,  ayant  acquis 
nne  maison  à  l'angle  de  la  rue  Grenette  et  de  la  rue  unique, 
rappelée  ci-dessus  |  celle-ci  prit  le  nom  des  uoiiYeau^ii  ac" 


(  238  ) 
quéreurs  ,  et  fut  par  conséquent  appelée  Eonneveau 
Mais  ensuite  la  première  partie  de  cette  même  rue  reçut 
la  dénomination  des  Générales  sur  laquelle  nous  revien- 
drons ultérieurement ,  et  le  surplus  ,  c'est-à-dire  la  partie 
conduisant  de  la  rue  de  la  Lune  à  celle  du  Port-Char Ict^ 
conserva  seule  la  dénomination  primitivement  donnée. 

11  n'y  a  rien  de  remarquable  dans  la  rue  Bonneveau , 
dont  les  rez-de-chaussées  sont  presque  tous  occupés  par 
des  ateliers  de  mégissiers  et  de  corroyeurs  ,  les  étages 
supérieurs  par  des  ateliers  de  fabrication  d'étoffes  de 
soie,  et  quelques  bas  sur  les  derrières,  par  des  fabriques 
de  chapeaux. 

Bov  RENCONTRE  {rue)  ,  de  la  paroisse  de  St  -  Bona- 
yenture  et  du  2."^^  arrondissement  de  justice  de  paix.  Elle 
aboutit ,  du  point  d  intersection  des  rues  Grôlée  et  du  Port- 
Charlet ,  à  la  place  des  Cordeliers  ,  et  renfermait  ,  au  re- 
censement de  1823,  5  maisons,  Sa  ménages,  194  indi- 
vidus ,  i5  ateliers  et  45  métiers  pour  la  fabrication  des 
étoffes  de  soie. 

Avant  la  révolution  on  voyait  dans  cette  rue  la  cha- 
pelle de  Notre-Dame  de  Bonrenconlre ,  qui  était  attenante 
au  chevet  de  celle  des  Pénitens  du  Confalou.  Elle  avait 
çté  bâtie  par  les  habilaus  du  quartier  qui  porte  son  nom , 
sur  le  terrain  des  Pères  Cordeliers  de  St-Bonaventure, 
dont  elle  dépendait.  Jean  Coutelle  ,  bourgeois  de  Lyon  , 
Pavait  ensuite  dotée  d'une  prébende  qui  ,  dans  les  der- 
niers temps  de  son  existence,  était  venue  à  la  nomination 
de  la  famille  Kibier  ,  descendant  dudit  Jean  Coutelle. 
Cette  chapelle  était  desservie  par  les  Pères  Cordeliers  , 
auxquels  s'était  adjoint  une  Confrérie  composée  de  bour- 
geois et  d'artisans  pieux.  Ceux-ci  ,  inspirés  par  cet  esprit 
4e  chaiité  et  de  religion  qui  régnait  alors  ,  y  avaient 
établi  un  catéchisme  en  faveur  des  pauvres  enfans  de  la 
paroisse  de  St-Nizier  qui  n'avaient  encore  fait  que  leur 
première  confession. 


(  3^9  ) 

Cette  chapelle  a  été  démolie ,  et  remplacement  qu'elle 
occupait  se  trouve  compris  aujourd'hui  dans  celui  sur 
lequel  a   été   élevé   lu  Halle  au  blé. 

BoNRENCONTRE  (  (juai  )  ,  dc  la  paroisse  de  St-IJoua- 
venture  et  du  i."'®  arrondissement  de  justice  de  paix.  Il 
a  été  construit  en  lySS  ,  et  comprend  ta  partie  du  quai 
du  Rhône  qui  s'étend  de  la  rue  du  Port-Charlet  à  la  rue 
Maurico.  On  y  comptait  ,  à  Tépoque  du  recensement  de 
1825,  12  maisons,  85  ménages,  556  habitans  ,  12  ate- 
liers et  27  métiers  de  la  fabrique  des  étoffes  de  soie. 
Son  nom  lui  vient  de  la  chapelle  de  Notre-Dame  du 
lionrencontre ,  dont  nous  nous  sommes  occupés  plus  haut. 
Aucune    particularité    remarquable  ne   s'y    rattache. 

Boucherie-des-Terreaux  {place  de  la),  de  la  pa- 
roisse de  St  Pierre  et  du  4''^®  arrondissement  de  justice 
de  paix.  C'est  moins  une  place  qu'un  carrefour  situé  au 
débouché  occidental  de  la  place  des  Carmes  ,  aux  extré- 
mités orientales  du  clos  et  de  la  rue  de  la  Boucherie  ,  et 
à  l'entrée,  au  nord,  de  la  rue  Lanterne.  Le  recensement 
de  1825  y  a  reconnu  lo  maisons  ,  68  ménages  et  208 
habitans.  On  y  trouve  la  principale  entrée  du  clos  de  la 
Boucherie-des-Terreaux  ,  édifice  primitivement  bâti  sur 
les  anciens  fossés  de  la  Lanterne ,  qui  faisaient  la  clôture 
de  la  ville,  de  ce  côté,  ainsi  qu'on  le  voit  sur  le  plan 
du  Père  Menestrier  ,  de  l'année  i54o.  Ces  fossés  rece- 
vaient alors  les  eaux  du  Rhône  et  de  la  Saône ,  au  moyea 
du  canal  dont  nous  avons  eu  plusieurs  fois  occasion  de 
parler  ,  et  qui  formait  la  communication  de  l'une  à  l'autre 
de  ces  rivières  ,  en  passant  par  l'emplacement  de  la  place 
des  Terreaux   et  de  1  Hôtel-de-ville. 

Dans  la  nuit  du  i5  au  14  octobre  1734.  ce  bâtiment 
fut  entièrement  consumé  par  un  incendie  ,  et  l'année  sui- 
vante la  ville  en  vendit  le  sol  aux  administrateurs  de 
l'Hospice  de  la  Charité  par  les  soins  desquels  il  fut  re- 
construit dans  sa  forme  actuelle  ,  qui  n'a  de  remarquable 
que  son  étendue.  Le  Consulat  eu  posa  la  première  pierre 
le  vendredi  16  décembre   175$. 


(  3/,o  ) 

Usant  aujourd'hui  de  cette  liberté  de  Tiurluslrie  ,  dont 
on  n'a  peut-être  jamais  tant  abusé  qne  depuis  qu'on  a  essayé 
de  faire  croire  qu'elle  était  menacée ,  les  bouchers  ont 
abandonné  une  grande  partie  des  étaux  de  la  Boucherie 
des  Terreaux  pour  se  répandre  dans  la  ville  ,  où  leurs 
chevilles  hérissées  de  viandes  sanglantes  ,  l'odeur  désa- 
gréable qui  s'en  exhale  pendant  les  grosses  chaleurs  et 
les  cris  des  animaux  qu'on  égorge ,  offrent  de  toutes  parts 
Taspect  le  plus  dégoûtant.  Une  grande  partie  de  ces  in- 
convéuiens  cessera  sans  doute  quand  la  ville  aura  cons- 
truit les  tueries  communes  ,  dont  le  conseil  municipal  a 
voté  l'établissement  j  mais  alors  les  clos  seront  plus  que 
jamais  abandonnés  ;  et  le  montent  viendra  où  ils  devront 
nécessairement  changer  de  destination.  On  assure  que  celui 
des  Terreaux  a  déjà  la  sienne  fixée ,  et  que  l'administra- 
tion des  Hôpitaux  ,  qui  en  est  encore  propriétaire  ,  se 
propose  d'en  faire  un  passage  en  arcades,  dans  le  genre 
des    galeries  du   Palais  Royal  ,   à   Paris. 

Ce  projet  ne  saurait  manquer  de  réussir  ,  en  raison  de 
la  situation  favorable  et  de  l'étendue  de  l'emplacement 
qui  s'y  trouverait  consacré. 

Il  a  aussi  beaucoup  été  question  ,  dans  ces  derniers 
temps  ,  d'employer  ce  même  emplacement  à  la  construc- 
tion d'une  salle  de  spectacle,  en  acquérant ,  pour  l'agran- 
dir et  le  régulariser ,  les  maisons  qui  forment  le  côté  nord 
de  la  rue  du  Bessard.  Ce  projet ,  qu  une  compagnie  d'ac- 
tionnaires pourrait  exécuter  avec  succès  ,  doit  néanmoins 
demeurer  subordonné  aux  arrangemens  que  la  ville  avait, 
dit-on  ,  Tinteution  de  prendre  pour  l'acquisition  de  la 
salle  actuelle  du  Grand  Théâtre.  S'il  arrivait  cependant 
que  les  propriétaires  de  cette  salle  portassent  leurs  pré- 
tentions trop  haut  ,  il  serait  certainement  de  l'intérêt  de 
la  ville  d'accueillir  les  propositions  qui  lui  seraient  faites 
relativement  au  projet  dont  nous  parlons.  Son  accom- 
plissement offrirait  ,  de  plus  ,  l'avantage  de  pouvoir 
substituer  à  des  maisons  informes  et  délabrées  ,  un  édi- 
tice  d'autant  mieux  approprié  à  soû  objet ,  qu'il  s'amélio- 


(  34t  ) 

Ferait  et  s'embellirait  de  tous  les  perfectionneraens  mo- 
dernes que  le  goût  et  Teipérience  ont  introduits  ,  et  dont  le 
système  de  construclion  de  l'ancienne  salle  ne  permettrait 
peut-être  pas  de  profiter  ,  même  en  consacrant  des  sommes 
considérables  à  sa  restauration.  Un  échange  entre  la  ville 
et  les  hôpitaux  y  fondé  sur  le  droit  d'établir  les  tueries, 
/  rendrait  la  réalisation  de  ces  vues  plus  facile  qu'elle  ne 
le  semble  au  premier  abord. 

LITTÉRATURE,    jf 

JErrJiJîS  de  LêOVLze  Labe  lionnoize.  A  Lion  par  Durand 
et  Perrin  ,  m.  d.  ccc.  xxiiii  ,  in  8.°  de  ls.x  et  de  32G 
pages  ,  avec  cette  dédicace  derrière  le  frontispice  :  Pa- 
trice,   Amicitiœ  et  Muais,    (i) 

La  seconde  ville  de  France  qui  a  produit  tant  de  savans, 
tant  d'artistes  et  d'hommes  distingués  dans  différens  genres, 
a  toujours  été  peu  féconde  eu  poètes  :  le  nombre  de  ceux 
dont  elle  peut  vraiment  s'honorer  est  bientôt  compté.  Je 
mets  à  part  ce  Sidoine  Apollinaire  qui  a  jeté  tant  d'éclat 
sur  le  siècle  obscur  et  barbare  où  il  vécut ,  et  je  ne  trouve 
que  trois  véritables  favoris  des  Muses  nés  à  Lyon  depuis* 
qu'il  existe  une  littérature  française  :  ce  sont  Louise  Labé , 
dite  la  belle  Gordière ,  Jacques  Vergier  et  Charles  Borde. 
Le   reste   iic  vaut  pas  l'honneur  d'être   nommé. 

Vergier  ,  célèbre  par  ses  liaisons  avec  Lafonlaine ,  nous 
a  laissé  quelques  contes  où  l'on  retrouve  l'abandon  ,  lu 
grâce  et  la  naïveté  du  Bonhomme  ;  Borde  s'est  fait  un  nom 
par  une  ode  sur  la  guerre  et  des  pièces  fugitives  dont 
quelques-unes  furent  attribuées  à  Voltaire.  Quant  à  Louise 
Labé  ,  bien  supérieure  en  génie  à  ces  deux  littérateurs , 
quoiqu'elle  soit  venue  dans  un  temps  où  la  langue  et  la 
\ersiiication  n'étaient   pas  encore  perfectionnées ,  elle   est 

(1)  Ou  ea  trouve  quelquei  exemplaires  chez  Chami.et  fils. 


(  343  ) 
notre  poète  par  excellence  :  ses  élégies  et  ses  sonnets , 
malgré  leur  vieux  style  ,  ont  eucore  des  grâces  nouvelles  , 
et  lui  out  mérité  le  surnom  de  la  Sappho  de  Ljon  ;  sou 
Débat  de  Folie  et  d'Amour  ,  espèce  de  composition  dra- 
matique ,  est  une  allégoi:ie  charmante.  Il  est  vrai  qu'elle 
l'a  écrit  en  prose ,  mais  l'invention  du  sujet  qui  lui  ap- 
partient en  propre  et  la  manière  dont  elle  l'a  traité ,  peu- 
vent servir  également  à  prouver  qu'elle  possédait  du  moins 
wne  qualité  essentielle  dans  les  poètes  ,  une  imagination 
heureuse  et  féconde.  Il  n'est  donc  poiut  étonnant  qu'on 
la  place  |wmi  les  personnes  illustres  auxquelles  notre 
ville  a  donné  le  jour,  et  qu'elle  figure  avec  honneur  sur 
îe  Parnasse  français.  Ses  œuvres  publiées  pour  la  première 
fois  eu  i555  et  i556  ,  étaient  devenues  ,  malgré  leur  répu- 
tation ,  extrêmement  rares  ,  lorsqu'en  1762,  quelques  Lyon- 
nais ,  non  moins  distingués  par  leur  goût  et  leur  instruction 
que  par  le  rang  qu'ils  occupaient  dans  la  cité  ,  en  don- 
nèrent une  nouvelle  édition  qui  ,  à  son  tour  ,  est  aujourd'hui 
presque  aussi  difficile  à  trouver  que  les  éditions  originales. 
Une  réimpression  faite  à  Brest  eu  181 5  n'a  pas  mis  les  admi- 
rateurs de  Louise  dans  le  cas  de  pouvoir  satisfaire  beau- 
coup plus  aisément  leur  curiosité  (  i)  ;  car  on  ne  sait  par 
quel  caprice  elle  n'a  été  tirée  qu'à  t^o  exemplaires.  La 
gloire  de  reproduire  et  de  multiplier  les  ouvrages  de  cette 
femme  célèbre  dans  une  édition  digne  d'elle,  était  réservée 
à  deux  académiciens  de  Lyon  ,  MM.  Bréghot  du  Lut  et 
Cochard.  Tous  deux  se  sont  chargés  du  soin  de  diriger 
cette  entrepjise  ,  et  d'élever  un  véritable  monument  à  la 
mémoire  de  la  belle  Cordière,  Dès  qu'ils  en  eurent  conçu 
le  plan  ,   ils  le  soumirent  aux  amis  des  lettres  et  des  arts 


(i)  Malgré  la  rareté  de  ses  éditions  ,  Louise  Labé  est  générale- 
ineiit  connue  :  il  n'est  pi  esque  aucune  de  nos  poétiques ,  aucun  de  nos 
recueils  de  vers  ,  où  plusieurs  de  ses  pièces  ne  soient  citées  comme 
des  modèles  dans  leur  genre  ;  mais  cela  >ert  à  faire  mieux  sentir  le 
Jiesoin  et  le  prix  d'une  coileçtioQ  complète  de  tout  ce  qu'elle  « 
composé, 


(  343  ) 
que  Lyon  renferme  dans  son  sein;  une  souscription  fut 
ouverte  et  remplie  au  même  instant  ;  nos  principaux  ma- 
gistrats se  firent  gloire  d'y  placer  leurs  noms.  L'édition 
vient  de  paraître  :  les  exemplaires  dont  le  nombre  ,  sans 
être  excessif  est  assez  considérable,  ont  été  partagés  entre 
les  souscripteurs  pouc-être  distribués  à  leurs  amis,  et  ces 
riches  présens,  accueillis  avec  reconnaîi^sauce ,  commen- 
cent déjà  à  décorer  les  bibliothèques  des  littérateurs  et  des 
hommes  de  goût. 

Ce  n'est  pas  seulement  par  le  luxe  typographique  que 
cette  édition  est  remarquable,  quoique,  à  cet  égard,  elle 
ne  laisse  rieu  à  désirer  :  MJVl.  Durand  et  Perrin ,  qui  dé- 
butent avec  succès  dans  l'art  des  Didot  et  des  Baskerville , 
y  ont  apporté  un  soin  qui  leur  fait  le  plus  grand  honneur; 
mais  elle  a  droit  encore,  sous  d'autres  points  de  vue,  de 
fixer  l'attention  des  savans  et  des  hommes  de  lettres. 

Un  dialogue  écrit  avec  esprit  et  échappé  à  la  plurhe 
élégante  et  facile  de  M.  Dumas  ,  ouvre  le  volume  :  Sappho 
et  Louise,  dans  un  entretien  agréable  et  piquant  ,  appren- 
nent aux  lecteurs  tout  ce  qu'on  aurait  pu  leur  dire  dans 
un  avant-propos.  Cette  préface  ingénieuse  intéresse  éga- 
iement  et  par  le  fond  et  par  la  forme. 

La  vie  de  l'illustre  Lyonnaise  ,  composée  par  M.  Cochard, 
rappelle  la  manière  siniple  et  naturelle  du  bon  Plutarquo: 
Louise  y  est  vengée  des  imputations  Calomnieuses  que  des 
écrivains  fanatiques  ou  iguorans  avaient  débitées  contre 
elle. 

De  savantes  et  nombreuses  remarques  accompagnent  cette 
curieuse  notice;  elles  indiquent  avec  exactitude  les  sources 
où  les  faits  ont  été  puisés  ,  et  contiennent  une  foule  de 
notions  sur  l'histoire  de  Lyon ,  et  sur  l'histoire  littéral  :e 
en  général.  Ces  remarques  ,  ainsi  que  celles  qui  sont  pU- 
cées  à  la  suite  des  œuvres  ,  sont  dues  à  M.  Bréghot,  dont 
la  saine  critique  a  répandu  un  nouveau  jour  sur  la  vie  et 
les  écrits  de  Louise ,  et  qui  a  déployé  dans  ses  recherches 
les  trésors  de  la  plus  vaste  érudition. 


(344) 

Le  glossaire  qui  termine  le  volume  et  donne  l'explica- 
tion  de  tous  les  mots  employés  par  la  belle  Cordière,  qui 
ont  cessé  d'appartenir  à  notre  langue,  a  aussi  été  rédigé 
par  le  même  académicien.  Les  anecdotes  qu'il  y  a  insérées , 
les  rapprochemens  qu'il  y  a  faits  ,  les  notes  philologiques 
dont  il  l'a  semé  ,  rendent  la  lecture  de  ce  dictionnaire 
nou  moins  agréable  qu'utile.  La  sécheresse  presque  insépa- 
rable de  ces  sortes  de  nomenclatures  ne  s'y  fait  sentir  nulle 
part. 

Nous  pouvons  assurer  que  les  dames  même  liront  avec 
plaisir  toutes  ces  différentes  pièces  accessoires.  Les  éditeurs 
n'ont  jamais  perdu  de  vue  qu'il  se  trouvait  une  dame  (  i  ) 
parmi  les   souscripteurs. 

En  un    mot ,  rien  n'a  été  oublié  pour  faire  de  la  nou- 
velle  édition   uu   ouvrage    accompli.   M.   Bréghot ,    chargé 
spécialement  de  surveiller  l'impression ,  a  eu  sous  les  yeux 
et  a  collationné  toutes  les  éditions  antérieures  ;  il  a  même 
emprunté  à  la  bibliothèque  du  Roi   l'une  d'entr'elles   dont 
la  rareté  est  si   grande   qu'il   n'en  existe  peut-être  pas  ua 
seul   autre   exemplaire  :  ainsi,  on  sera   certain  d'avoir   le 
texte    le  plus    pur    et  le  plus   authentique.  Les  pièces  de 
vers  composées  en  l'honneur  de  Louise  par  des  poètes  de 
son  temps,  paraissent  pour  la  première  fois  dans  leur  in- 
tégrité :   l'çde  grecque  qui  les  précède  a   été  traduite  en 
vers  français  par  le  jeune  et  élégant  interprète  de  Théo- 
crite  ,   M.   Servan  de  Sugny  j  les  quatre  pièces   italiennes 
ont  été  rendues  de  la  même  manière  par  M.  Péricaud  ,  de 
l'académie  de  Lyon.  Il  eût  été  surprenant  que  M.  Péricaud , 
compagnon  assidu  des  travaux  littéraires  de  M.  Bréghot  , 
son  digne  ami ,  n'eût  pas   contribué  en  quelque   chose  h 
cette  louable  entreprise.  (2) 

(il  Dire  que  cette  dame,  malgré  son  savoir,  aime  l'éruditiou 
Baus  pédauterie  ,  et  cullive  les  lettres  avec  autant  de  succès  que 
les    arts  ,  c'est  la  de'signer    suffisamment. 

(aj  Dès    J1812  ,   ces   deux  amis  publièrent   ensemble  ,    cUçz  M. 


(  345  ) 
Nous  lerminerons  cet  article,  dans  lequel  nous  eussions 
justifié  nos  éloges  par  des  citalions  si  l<^s  borties  de  cette 
feuille  nous  l'eussent  permis  ,  eu  exprimant  le  vœu  que 
MM.  Bréghot  et  Cochard  ne  s'en  tiennent  point  à  ce  pre- 
mier essai.  Ils  Tout  dit  eux-mêmes  :  «  Louise  Labé  n'est 
»  pas  le  seul  écrivain  dont  Lyon  ait  droit  de  s'enorgueillir  , 
»  il  en  est  plusieurs  autres  dont  les  productions  mërite- 
»  raient  aussi  d'être  plus  répandues  ,  et  qui  seraient  dignes 
»  de  reparaître  avec  les  mêmes  honneurs.  »» 

Article  communiqué. 


CORRESPONDANCE. 

Lundi  dernier ,  l'affiche  du  Grand-Théâtre  annonçait 
l'opéra  dOtello ,  lorsqu'au  grand  désappointement  des  di- 
lettanti ,  une  bande  fatale  ,  apposée  sur  l'affiche  presqu'à 
l'heure  même  du  spectacle  ,  est  venue  révéler  un  relâche 
par  refus  de  M.  Damoreau.  Grande  rumeur  parmi  les 
abonnés  ,  force  reproches  contre  l'acteur  ;  en  un  mot  , 
scandale  complet  et  mécontentement  général.  Les  appa- 
rences,  en  effet,  s'élevaient  toutes  contre  Damoreau,  et 
quelque  prétexte  qu'il  alléguât  ,  rien  ne  pouvait  l'excuser 
d'avoir  manqué  d'une  manière  si  grave  à  un  public  qui 
l'a  si  souvent  traité  en  enfant  gâté,  quoiqu'il  se  soit  con- 
duit plus  d'une   fois  eu    enfant  prodigue  ,   et    à  la  direc- 


Ballanche  ,  un  voiume  intitulé  Cicèroniana  ,  ou  Ri^cueil  des  hons 
niotn  dtt  Cicéron  ,  dont  on  désire  depuis  long-temps  une  seconde 
édition.  Ils  ont  fourni  l'un  et  l'autre  des  articles  à  la  Bw^^^'ciphie 
uni\/iir selle.  Tout  récemment  M.  Péricaud  a  donné  une  belle  tra- 
duction de  Minucius  Félix  ,  à  laquelle  M.  Bréghol  a  ajouté  les 
notes  les  plus  intéressantes  et  les  plus  instructives.  C'est  aussi 
ce  dernier  qui  a  été  l'éditeur  de  l'Apologétique  et  des  Prescriptions 
de  ïertullien  ,  imprimés  dans  le  même  volume  que  l'ouvrage  de 
]M.iaucius  Félix.  (  Se  vend  ,  à  Lyon  ,   chez  Cliambet  fils.  ) 


(  346  ) 

lion  qui  a  ,  dit-on  ,  toujours  eu  pour  lui  les  meilleurs 
procédés.  L'autorité  ne  pouvait  manquer  d'intervenir  dans 
ce  débat  ;  et  ,  suivant  ce  qu'on  rapporte  ,  après  avoir 
écouté  les  parties  ,  elle  a  considéré  Damoreau  comme  un 
soldat  qui  abandonne  son  poste  au  moment  du  combat  , 
plutôt  par  dépit  que  par  faiblesse  ,  et  qu'on  peut  ra- 
mener à  son  devoir  par  une  correction  paternelle.  La 
décision  qui  sera  prise  à  ce  sujet  conciliera  sans  doute 
ce  qu'exige  la  satisfaction  réclamée  par  la  vindicte  pu- 
blique ,  et  les  égards  auxquels  un  acteur  agréable  et  jus- 
tement aimé  peut  encore  prétendre. 

Le  Journal  du  commerce  ayant  publié  ,  au  sujet  de  cet 
événement  ,  un  article  dont  M.  Damoreau  croit  avoir  à 
se  plaindre  ,  ce  dernier  nous  adresse  en  réponse  la  lettre 
suivante ,  dont  il  paraît  que  notre  confrère  a  refusé  l'in- 
sertion. 

>)  Vous  avez  inséré  dans  votre  Journal  du  18  un  article 
renfermant  un  acte  d'accusation  contre  moi.  Je  compte 
assez  sur  votre  impartialité  pour  croire  que  vous  ne  re- 
fuserez pas  dy  insérer  aussi  ma   réponse. 

»  Il  est  Jdu.v  que  j'aie  attendu  le  jour  même  de  la  re- 
présentation d'Otello  pour  signifier  que  je  ne  pouvais  jouer 
cet  opéra  ,  et  pour  offrir  en  remplacement  la  JNeige  ou 
le  Barbier  d^  Séville,  C'est  la  veille  que  j'ai  déclaré  que 
mes  facultés  ne  me  permettaient  pas  d'attaquer  pour  le 
lendemain  un  rôle  de  la  force  à'Otello  ,  et  que  j'ai  offert 
lialclgh  ou  Almaviviii  ,  difficiles  à  remplir  il  est  vrai  , 
mais  exigeant  moins  de  moyens  (  quoique  vous  ayez  pu 
dire  à  ce  sujet  )  que  le  rôle  dont  je  sentais  ne  pouvoir 
m'acquitter  convenablement    ce  jour-là. 

»  Il  est  faux  que  je  doive  douze  mille  francs  à  M. 
Singier  ,  et  je  ne  sais  à  quel  propos  le  rédacteur  de  l'ar- 
ticle s'ingère  dans  une  affaire  sur  laquelle  l'autorité  ad- 
ministrative, seule  compétente,  n'a  pas  encore  fait  con- 
naître sn  décision. 

j)  J'ai  l'honneur  d'être  ,   etc.  Damoreau, 


(  347  ) 
GRAND-THÉATRE. 

Concert  de  M,  Lafont.  —  M.  et  M.mc  Pécrus. 

M.  Lafont,  dans  ses  deux  premiers  concerts,  a  lutté  avec 
succès  contre  l'ardeur  de  la  saison,  et  vainqueur  des  élé- 
mens  comme  des  difficultés  de  son  art ,  il  a  charmé  ,  par 
le  moelleux  ,   la   grdce  ,   le  fini   et  la  légèreté  de  sou  jeu 
6ur  le  violon  ,  les  nombreux  auditeurs  que   sa  réputation  , 
si  justement  méritée,  avait  réunis   au  Grand-théatre.   Un 
nocturne,  fort  agréable,    a  été  chanté  par  Mad.  Lafont  et 
son  mari  ,  de  manière  à  donner  l'idée  la  plus  avantageuse 
de  la  supériorité  du  goût  et  de  la  méthode  de  cette  can- 
tatrice,  qui  a  partagé  les  témoignages  d'enthousiasme  que 
Je  f>ublic  s'est  plu  à  prodiguer  au  digue  émule   des  Rode 
et    des    Viotti.    Dans   un   prochain    article   nous    rendrons 
compte  avec  plus  d'étendue  de  ces  intéressans  concerts. 

—  Pécrus  ,  qui  jouait,  il  y  a  quelques  années,  les  jeunes 
premiers  au  Grand-theatre ,  s'est  essayé  avant-hier,  sur 
la  même  scène  ,  dans  les  premiers  rôles.  Il  a  rempli  avec 
beaucoup  de  chaleur  et  d'intelligence  le  rôle  de  Dorsan , 
de  la  Femme  jalouse  f  et  plusieurs  salves  d'applaudisseraens 
l'ont  encouragé  à  suivre  une  carrière  dans  laquelle  il  dé- 
bute avec  tout  le  succès  d'un  comédien  exercé.  Nous  lui 
devons  cependant  quelques  conseils  sur  l'attention  qu'il  doit 
mettre  à  faire  sentir,  soit  dans  sa  tenue,  soit  dans  sa 
diction  ,  soit  aussi  dans  ses  gestes ,  la  distance  qui  sépare 
son  nouvel  emploi  de  celui  qu'il  vient  de  quitter.  Cette  dis- 
tance est  plus  difficile  à  franchir  qu'on  ne  le  pense  géué- 
ralement  ;  et  tel  acttur  fut  excellent  dans  St-Alme  de 
VAbbë  de  tepée  ,  ou  daus  les  marquis  de  Reguard  ,  qui 
échoue  complètement  dans  le  Misanthrope  ou  dans  le  Joueur, 
Tout  annonce  que  Pécrus  n'aura  point  à  craindre  d'échec 
semblable  ,  et  qu'il  ne  fera  pas  dire  de  lui  : 

Tel  brille  au  second  rang  qui  s'éclipse  au  premier. 


(  348  ) 
Mad.  Pecrns  a  débuté  ,  dans  la  même  reprëseutation , 
par  le  rôle  d'Angélique,  delà  Fausse  Agnès.  Cette  actrice 
a  su  rendre  avec  esprit  les  intentions  fines  et  variées  de 
ce  rôle  ;  son  débit  ne  manque  ni  de  grâce  ni  de  naturel  ; 
son  jeu  a  de  la  vérité  ,  et  telle  actrice  qui  occupe  or- 
gueilleusement l  emploi  des  jeunes  premières  ,  pourrait 
prendre  d'elle  de  bonnes  et  d'utiles  leçons. 

M.  O. 


THEATRE    DES    CÉLESTINS. 

Odry ,  qui  poursuit  le  cours  de  ses  représentations  à  la 
satisfaction  du  public  et  à  la  sienne  propre  ,  car  aux  Ce- 
lestins  la  caisse  n'est  jamais  vide  lorsque  la  salle  est  pleine; 
Odry  a  fait  à  Mad.  Adam  la  galanterie  de  jouer  dans  une 
pièce  ,  le  jour  du  bénéfice  de  cette  charmante  comédienne, 
si  justement  aimée  des  Lyonnais  qui  ont  vu  naître  soa 
talent  et  qui  le  voient  se  développer  chaque  jour  avec 
une  nouvelle  grdce  et  un    nouveau   charme. 

Ce  ne  peut  être  qu*à  l'intérêt  qu'on  lui  porte  ,  comme 
agréable  actrice  et  comme  femme  estimable  ,  qu'elle  doit 
attribuer  l'empressement  avec  lequel  les  spectateurs  se  sont 
rendus  mardi  dernier  à  sa  représentation  ;  car  il  faut  ea 
convenir,  elle  avait  fait  un  choix  assez  malheureux,  et, 
à  part  Odry  que  l'on  avait  même  déjà  vu  dans  les  Ouvriers  , 
la  curiosité  ne  pouvait  guères  être  excitée  par  deux  petites 
nouveautés  sans  conséquence  ,  suivies  d'un  lourd  mélo- 
drame dont  les  sentences  prétentieuses  ,  dont  les  tirades 
ronflantes  ont  maintes  fois  retenti  aux  oreilles  du  bon 
parterre   des   Célestins. 

^*^  C'est  un  des  progrès  les  plus  récens  de  la  civilisation 
moderne  que  la  nouvelle  branche  d'industrie  imaginée 
par  les  usuriers ,  auxquels  recourent  trop  souvent  les  fils 
de  famille.  On  ne  leur  prête  plus  ,  comme  autrefois  ,  de 
Targent   à  gros  intérêts  ^  mais  on  leur  remet,  en  échange 


(  349  ) 

cîe  bons  effets  au  porteur  ,  toutes  sortes  de  marchandises 
qu'on  leur  passe  à  un  prix  trois  fois  au-dessus  de  leur 
valeur  ,  et  qu'ils  sont  obligés  ,  pour  se  procurer  des  espèces  , 
de  revendre  à  soixante  ou  quatre-vingts  pour  cent  de  perte. 
Cette  lèpre  morale  n'a  fait  encore  de  ravages  qu'à  Paris  : 
mais  elle  ne  se  communiquera  que  trop  tôt  à  la  province 
où,  Dieu  merci,  elle  est  restée  jusqu'à  présent  étrangère. 

Cette  bienheureuse  ignorance  a  détruit  tout  l'à-propos 
du  vaudeville  intitulé  :  les  emprunts  à  la  mode,  de  MM. 
De  Courcy  et  Langlé  ;  et  comme  l'à-propos  est  à  peu- près  le 
seul  mérite  de  cette  pièce  ,  on  conçoit  qu'elle  a  du  pro- 
duire très-peu  de  sensation  sur  le  public.  Elle  en  aurait  pro- 
duit bien  moins  encore  sans  Mad.  Adam  qui  a  joué  avec  beau- 
coup de  légèreté ,  de  finesse  et  de  naturel,  le  rôle  du  jeune 
étourdi  auquel  l'usurier  Michel  remet ,  contre  une  lettre 
de  change  de  5,ooo  francs  ,  une  charrette  de  pavés  ,  une 
caisse  de  polichinelles  et  de  jouets  d'enfans  ,  des  violons  , 
des  guitares  et  des  flûtes  ;  ce  qui  est  beaucoup  plus  plai- 
sant à  raconter  qu'à  voir  au  théâtre. 

^*j^  Le  Biner  sur  l'herbe ,  de  MM.  Scribe  et  Mélesville^ 
n'est  pas  indigne  de  ces  ingénieux  auteurs;  mais  ce  vau- 
deville est  au-dessous  de  qu'ils  nous  ont  donné  le  droit 
d'attendre  d'eux.  Il  n'y  a  pas  l'ombre  de  pièce  ;  ce  n'est 
qu'un  tableau  dont  l'idée  n'est  pas  saillante ,  ou  du  moins , 
dont  la  combinaison  est  mal  faite.  Les  auteurs  n'étaient 
pas  à  leur  aise  en  écrivant  j  et  le  spectateur  ,  qui  le 
sent  ,  se  trouve  lui  -  même  dans  une  situation  contrainte 
qui  n'est  ni  du  plaisir  ni  de  la  peine,  quoiqu'elle  tienne 
de  tous  deux.  Il  y  a  dans  l'ouvrage  une  très-jolie  scène  , 
bien  jouée  par  Leppel  ,  et  où  M. Ile  Huguet  se  montre  un 
peu  moins  roide  que  de  coutume.  On  dit  que  cette  jeune 
actrice  n'aime  point  les  observations.  Tant  pis  :  elle  ne 
fera  aucun  progrès.  La  critique ,  les  conseils  et  les  encoura- 
gemens  ont  fait  de  grands  comédiens.  La  louange  et  l'adu- 
lation n'en  ont   pas  fait  un  seul. 

jf^*j^  Il  y  a  plusieurs  années  que  M.  Pixérécourt ,  Tua 


(  35o  ) 
des  coryphées  du  genre,  a  donné  le  jour  k  Charles  le  te^ 
nierait e ,  mélodrame  dit  histoi  iqtie.  Cette  pièce  est  dans 
Tancien  genre  ;  elle  vise  à  l'effet  par  les  coups  de  théâtre. 
Les  invraisemblances  y  sont  accumulées  ;  mais  il  en  résulte 
quelques  situations  qui  ne  sont  pas  sans  intérêt.  Le  rôle  de 
Charlts  est  bien  tracé,  ainsi  que  celui  de  Philippe  de  Corn- 
mines  ,  qui  contraste  avec  le  premier  d'une  manière  très- 
dramatique.  Le  s  .'cond  acte  est  le  meilleur  ,  ou  pour  mieux 
dire  c'est  le  seul  qui  décèle  quelque  talent  de  composition; 
il  n'y  a  dans  les  deux  autres  que  de  la  pantomime  , 
et  des  jeux  de  scène.  Cela  n'a  pas  empêché  d'applaudir 
à  toute  outrance,  il  suffit  pour  enchanter  le  parterre  qu'un 
mélodrame  soit  rempli  d'allées  et  de  venues  que  l'on  regarde 
comme  du  mouvement,  qu'il  y  ait  des  combats  ,  des  in- 
cendies,  qu'on  voie  briller  les  armes  blanches,  qu'on  sente 
l'odeur  de  la  poudre  et  qu'on  soit  enveloppé  d'un  tourbilloa 
de  fumée. 

Jules  a  bien  saisi  la  démarche  ,  la  fierté,  le  ton  audacieux 
et  féroce  de  Charles  le  tcméraire.  S'il  eût  moins  crié  ,  il 
eut  peut  être  été  moins  applaudi;  mais  à  coup  sûr  il  n'au- 
rait pas  été  si  fatigué  qu'il  a  dû  l'être,  et  le  véritable  pu- 
blic lui  en  aurait  su  gré.  Constant  ne  mérite  que  des  éloges 
pour  la  manière  dont  il  a  représenté  Commines.  Noblesse, 
dignité ,  chaleur ,  diction  exacte  et  sage  ;  il  n'a  rien  omis 
dans  ce  rôle  qui  lui  fait  honneur  et  où  il  n'a  recueilli  que 
des  suffrages  mérités. 

^*^  On  annonce  pour  la  fin  de  cette  semaine  la  clôture 
des  représentations  d'Odry  qui  n'en  a  donné  encore  que 
huit  en  cette  ville.  Il  y  a  lieu  de  penser  qu'il  n'est  pas 
tout-à-fait  à  la  dernière  ,  et  qu'il  ne  voudra  pas  être  in- 
grat envers  les  Lyonnais  qui  se  sont  montrés  fort  empressés 
d'accueillir  un  acteur  dont  le  genre  est  fort  original  et 
qui  réussit  avec  un  rare  bonheur  à  contrefaire  tous  les 
comédiens  qu  il  a  eus  sous  les  yeux.  Créer  est  le  comble 
de  l'art  ;  mais  l'imitation  exige  du  talent  ;  et  tous  les  pein- 
tres ne  savent  pas  ,  comme  Odry  ,  saisir  la  ressemblance. 

T.  X. 


(35i  ) 


NOUVELLES    DIVERSES. 

Il  est  question  d'une  surprise  que  la  Mairie  ménage  au 
public  à  l'occasion  de  la  Fête  de  St.  Louis ,  et  qui  ajou- 
teiait  aux  divertissemens  promis  par  le  programme  de  ceite 
journée  ,  un  spectacle  dont  aucun  des  anniversaires  pré- 
cédens  n'a  encore  offert  l'exemple.  Le  funambule  Cossard 
ferait,  sur  la  place  de  Louis-le- Grand  ,  deux  ascensions  acro- 
batiques ;  l'une  de  jour  ,  à  trois  heures  après-midi ,  et 
l'autre  de  nuit ,  une  heure  après  le  feu  d'artifice  ,  et  à 
la  lueur  d'une  traînée  de  flammes  du  Bengale.  Son  point 
de  dépait  serait  pris  au  pied  de  l'une  des  deux  façades, 
et  son  point  d'arrivée  au  sommet  d'un  nidt  de  90  pieds 
de  hauteur  ,  qui  serait  placé  dans  l'intérieur  du  chantier 
des  travaux  de  la  statue  équestre  de  Louis  XIV.  Certes, 
le  sieur  Cossard  sera  ,  ce  jour-là ,  l'homme  de  France  qui 
saura  le  mieux  prouver  qu'il  possède  l'art  de  s'élever  très- 
haut. 

—  M.  le  comte  de  la  Tour-du-Pin ,  maréchal-de  camp, 
inspecteur  d'infanterie  ,  est  arriyé  à  Lyon  depuis  quelques 
jours.  Les  régi  mens  de  la  garnison  ont  déjà  passé  plu- 
sieurs fois   sa  revue.  ^ 

—  Les  séances  de  la  Cour  d'assises  du  Rhône,  pour  le 
3.- trimestre  1824  1  s'ouvriront  lundi  prochain  23  du  cou- 
rant. Nous  rendrons  compte  ,  suivant  notre  usage  ,  des 
affaires   qui   seront   jugées  durant  cette  session. 

—  Nous  faisons  ajourd'hui  nos  adieux  à  la  liberté  de  la 
presse,  et  notre  prochain  N.^  ne  pourra  probablement  pa- 
raître qu'après  avoir  passé  par  les  ciseaux  de  la  censure. 
Grâce  ,  à  la  résurrection  de  la  défunte  dame ,  tel  journal 
qui  ne  savait  souvent  la  veille  de  quoi  remplir  sa  feuille, 
du  lendemain,  pourra  se  donner  les  airs  d'une  opposition 
courageuse ,    eu  paraissant  avec  quelques  pages  de  blancs. 

—  Nous  avioas  aononcé  ,  sur  la  foi  d'un  journal  de  Paris, 


(  352  ) 
que  Mad.  D'Engremont  avait  échoué  au  théâtre  de   Lille; 
DOIS  sommes  iDvités  à  anuoacer  ,   au  contraire,  que  cette 
cantatrice  y  a  obtenu  un  succès  ti  ès-brillant. 

—  M.  Lafont,  premier  violon  du  Roi  ,  et  Mad.  Lafont  , 
de  hi  musique  particulière  de  S.  M. ,  donneront  lundi  pro- 
chain un  troisième  et  dernier  ccncert  dans  lequel  M.  La- 
font exécutera  plusieurs  morceaux  de  sa  composition  et 
chantera  avec  Mad.  Lafont  un  duo  nocturne  et  une  ro- 
mance à  deux  voix. 

A  Vendre.  —  Pour  entrer  en  jouissance  de  suite ,  jolie 
maison  bourgeoise,  composée  de  lopièces,  toutes  meublées, 
avec  jardin  et  plusieurs  bicherées  au  gré  de  Tacquéreur. 

Cette  propriété  est  située  en  Gorge-de-lpup,  commune 
de  Vaise. 

S'adresser  chez  M.  Bonnetain ,  notaire ,  qui  est  chargé 
d'accorder  les  plus  grandes   facilités  pour  le   payement. 

Mouvement  de   la  population  du  lo  au  20  août  exclu- 
sivement  ^d'après  les  registres  de  l  Etat-civil , 

Naissances. 

Enf.  légitimes.  Garçons ,  64-  Filles ,  34.  Total.    98  \ 

"Enf.  naturels.  \  ^  ^   w^.,,  ^  t^^.x       /^  >  l58 

^  >  Garçons,  19.  tilles,  21.    Iotal.    40  ( 

ou  exposes.   )  *  ) 

Mariages 44" 

Décès, 
Dans  la  ville,  67  ;  —  Hospices  ,  55  ;  —  Total.  .  .  ,     120 


THEaMOMÈTRE.  —  BAROMETRE. 

T)e  hAVERGNE  ,  opticien  ,  quai  des  Célestins, 

27  p.    7  lig.  —  t.  incertain, 
27  p.     6  lig.  —  t.  couvert. 
27  p.     8  lig.  —  beau  soleil. 


j/  18  deg.  »       au-dess.  de  o. 

j5  21  deg.  »       au-dess.  de  o. 

16  —  22  deg.  »       au-dess.  de  o. 

j«  26   deg.  »        au-dess.  de  o. 

18  —  24  deg,  »       au-dess,  de  o. 

I^ota.  Le  maximum  du  thermomètre  a  été  de  25  dégre's  ,  son  mi- 
nimum de  i5  degrés. 

ALYON  ,  De  rimprinaerie  de  J.  M.  Barbet  ,  place  des  Terreaux. 


27  p.    6  lig.  —  beau  soleil. 
27  p.    5  lig.  —    t.  uuageux. 


EVVRES 


DE 


LOVÏZE  LABÉ. 

EXTRAIT 

DU  JOURNAL  DU  COMMERCE 

«£    LA    VIJLLE    D£    LYON    ET    DU    DÉPARTEMENT    DU    RHÔNE,    KUM^aO   lia  9 
SU    5    SEPTEUERE    l824« 


(  Nota.  Cette  édition  n'est  point  le  produit  d'une  spe'culatioa 
mercantile  ;  les  frais  en  ont  e'të  faits  par  une  socie'té  de  gens  d'© 
lettres  de  Ljon.  ) 

De  toutes  les  femmes  qui  ont  joui  de  quelque  céle'brité,  au^ 
«une,  peut-être,  n'a  e'te'  l'objet  d'autant  d'éloges  et  de  calom- 
nies que  Louise  Labé ,  surnommée  la   belle  Cordière.  Mais ,  si 
nous  avons  le  bonheur  de  juger  que  les  louanges  sont  justifiées 
par  les  ouvrages  qu'elle  nous  a  laissés  ,  nous  avons  encore  ce-, 
lui  de  voir  s  écrouler,  après  un    léger  examen,  tout  l'odieux 
édifice  de  mensonges  ,  dans  lequel  du  Verdier  et  Rubva  avaient 
espéré  nous  cacher  leur  victime.  Une  sorte  de  fatalité  semble 
néanmoiDS  poursuivre  Louise   Labé  :  les  abominables  inculpa, 
tions  des  deux  auteurs,    ses  ennemis,  se  trouvent,   en  effet, 
répétées  dans  un  grand  nombre  d'ouvrages  ,  et  pour  se  jus»^iiier, 
«lie  n'en  peut  opposer  que  quelques-uns.    Dans  ses  œuvres  ,  il 
€St  vrai ,  ses  éditeurs  ont  prouvé  jusqu'à  l'évidence  que  sa  vertu 
ne  s'était  jamais  démentie  ;  mais  leur  rareté  est  encore  une  nou- 
'^elle  difficulté  qu'elle  peut  à  peine  surmonter Belle  Louis®, 


«onsole-toî!  tous  les  obstacles  vont  s'appTanir,  tous  les  nuaf;es 
vont  se  dissiper  .  ta  re'putation  morale  et  ta  réputation  poétique 
vont  briller  de  tout  leur  e'clat  :  c'est  dans  le  sein  de  l'acadëmi© 
de  ta  patrie  que  tu  as  trouve'  des  amis  et  des  vengeurs. 

Indignes  en  effet  du  jugement  qu'on  portait  sur  les  mœups  de 
notre  illustre  compatriote,  et  ge'missant  sur  la  rareté  de  ses 
productions,  MM.  Brëghot  ,  Cochard  et  Dumas,  tous  trois  aca- 
démiciens distin£;ués  ,  se  sont  réunis  pour  élever  à  Louise  Labd 
Un  monument  durable  auquel  chacun  a  concouru  par  son  tra- 
vail. Celui  de  M.  Cochard  consistait  à  rassembler  sous  la  forme 
d'un.e  notice  biographique  tout  ce  qu'on  sait  de  sa  vie  :  il  a  fait 
plus  ,  et  à  la  suite  de  longues  et  minutieuses  recherches  ,  il  est 
parvenu  à  pouvoir  nous  donner  un  grand  nombre  de  détails  in- 
connus jusqu'à  ce  jour,  et  même  l'analyse  du  testainent  de  cette 
femme  célèbre.  Dans  sa  notice,  dont  le  style  est  simple  comme 
celui  d'un  historien  qui  doit  dire  ce  qui  est  vrai  et  rien  que  ce 
qui  est  vrai ,  M.  Cochard  a  promené  le  flanibeau  de  la  vérité 
sur  toutes  les  actions  de  son  héroïne,  et  s'appuyant  sur  des 
faits,  il  a  réfuté  victorieusement  les  calomnies  débitées  contre 
sa  vertu  ,  et  nous  a  toujours  montré  la  puçeté  de  son  ame  égale 
9  la  beauté  de  son  géuie. 

Dans  un  dialogue  écrit  avec  beaucoup  d'esprit .  M.  Dumas 
fait  rencontrer  Louise  Labé  par  Sappho  :  le  lecteur  malin  voyant 
deux  femmes  converser  ensemble  ,  et  surtout  deux  femmes 
jbeaux  -  esprits  ,  croit  peut-être  qu'elles  vont  se  rabaisser  l'une 
l'autre  ,  médire  chacune  à  leur  tour  ,  se  critiquer  ,  faire  peut- 
être  pis  encore;  point  du  tout  (  eî  c'est  ici  qu'on  les  reconnaîjs 
•pour  extraordinaires  ) ,  Louise  s'avoue  vaincue  par  Sappho  , 
Sappho  veut  placer  la  couronne  sur  la  tête  de  Louise  ,  et  de  ce 
débat  de  modestie  et  de  géne'rosité  naissent  une  foule  de  traits 
qui  nous  montrent  les  rapports  singuliers  qui  existent  entr'el- 
les  ,  et  nous  peignent  avec  art  le  genre  de  talent  de  chacune  de 
ces  deux  ainiables  rivales. 

Si  jusqu'à  présent  M.  Bréghot  ne  s'était  montré  que  digne  in- 
terprète des  auteurs  latins  ,  on  peut  maintenant  le  citer  comme 
habile  commentateur  des  auteurs  français.  Dans  cette  nouvelle 
publication  des  œuvres  de  la  belle  lyonnaise  ,  imprimées  avec 
l'orthographe  de  soo  époque ,  il  a  fait  preuve  de  connaissancej 


(3) 

vte»  communes  en  philologie  ,  et  a  bien  jus^îG^  les  espérance» 
qu'avaient  conçues  les  littérateurs,  en  lui  voyant  entreprendre 
cet  ouvrage.  Non  content  d'enrichir  le  texte  d'un  grand  nombre 
de  notes  qui  toutes  annoncent  son  érudition  ,  il  en  a  mis  encore 
beaucoup  dans  la  notice  de  M.  Cochard  ,  pour  ajouter  ce  qui 
avait  pu  échapper  à  ce  dernier  ,.  ou  donner  de  nouvelles  preu-. 
fes  à  l'appui  de  ce  qu'il  disait.  Dans  le  glossaire  placé  à  la  fia 
de  cette  édition,  M.  Bréghot  avait  eu  pour  but  de  donner  la  si- 
gnification des  mots  emplove'a  par  Louise  et  qui  ne  sont  plus 
dans  notre  langue  ;  mais  heureusement  il  ne  s'est  pas  borné  à 
une  simple  explication.  Ce  travail  n'est  donc  point  un  diction- 
naire où  on  ne  trouve  que  de  la  sécheresse  :  ce  sont  des  notes 
jnte'ressantes  qui  viennent  se  placer  naturellement  dans  chaque 
article,  qui  instruisent  et  plaisent  par  leur  varie'te',  et  qui, 
écrites  avec  tous  les  charmes  du  style,  ne  font  plus  apercevoir 
de  vocabulaire  que  le  titre. 

Pour  compléter  cet  ouvrage,  M.  Pe'ricand  aine,  de  l'aoade- 
mie,  l'ami  constant  et  le  collaborateur  assidu  de  M.  Bréghot,  a 
fait  en  vers  e'ie'gans  une  imitation  aussi  fideile  que  pre'cise  de 
plusieurs  pièces  italiennes  en  l'honneur  de  Louise.  Cette  nou- 
velle production  de  M.  Péricaud  est  un  ornement  de  bien  bot» 
goût  ajoute  au  beau  monument  que  viennent  d'e'lever  ses  trois 
autres  collègues. 

Nous  ne  dirons  rien  des  œuvres  de  notre  Sappho  moderne  , 
a  ssez  connues  des  hommes  de  lettres ,  et  parmi  lesquelles  on  re- 
marque surtout /e  débat  de  folie  et  d'amour  qui  a  fourni  à  La- 
fontaine  le  sujet  d'une  de  ses  fables  ,  et  dont  Voltaire  ,  le  grand 
juge  litte'raire,  a  dit  dans  ses  questions  sur  l'Encyclopédie  s 
«  La  plus  belle  fable  des  Grecs  est  celle  de  Psyché  ;  la  plus 
»  plaisante  fut  celle  de  la  matrone  d'Ephèse.  La  plus  jolie,  par- 
y>  mi  les  modernes  ,  fut  celle  de  la  folie  qui ,  ayant  crevé  les 
»  yeux  à  l'amour ,  est  condamnée  à  lui  servir  de  guide.  » 

En  terminant  cet  article  nood  féliciterons  M.  Bréghot  de  son 
brillant  début  dans  la  carrière  philologique,  et  surtout  du  bon- 
heur de  son  choix.  Accorder  à  Louise  Labé  l'honneur  de  la 
préférence  sur  les  autres  auteurs  nos  compatriotes  ,  était  ua 
agréable  hommage  fait  à  Lyon  ,  patrie  de  cette  femme  célèbre, 
et  une  galanterie  vis-à-vis  des  dames  qui  en  trouveront  beau^ 


(4) 

èônp  d'autres  dans  les  notes  de  M.  Bre'ghot,  qui  paraît  n'avoîf 
jamais  oublie'  que  Mad.  de  S e'tait  au  nombre  des  souscrip- 
teurs. Pour  preuve  ,  nous  nous  contenterons  de  citer  la  note 
Buîvante ,  dans  laquelle  ce  litte'rateur  (  page  235  )  parle  ainsi 
du  beau  sexe  de  notre  rille  :  «  Les  dames  de  Lyon  ont  e'te'  au- 
»  trefois  renomme'es  par  leur  beauté,  comme  elles  le  sont  en- 
»  core  aujourd'hui.  Déjà,  au  XV. e  siècle,  Jean  le  Maire  de 
»  Belges,  dont  la  maîtresse  était  lyonnaise,  plaçait  le  temple 
»  de  Vénus  au  confluent  d'/îrar  et  Rhodanus  (  du  Rhône  et  de 
>>  la  Saône  ),  et  vantait  les  visages  angéliques  des  Nymphes 
^  qui  habitaient  ce  lieu.  Erasme  dit  de  la  même  ville  :  est 
y  illic  mira  fonnarum  félicitas  (  là  ,  le  beau  sexe  est  remar- 
V  quable  par  les  formes  les  plus  heureuses  ).  EnCn  ,  Marot, 
î»  qui  regretta  si  vivement  le  séjour  de  Lyon,  le  Célèbre  éga- 
y  lement  sous  ce  rapport.  » 

]Nous  ne  nous  permettrons  plus  qu'un  seul  mot  sur  cette  édi- 
tion. M.  Bréghot  dit  à  la  fin  de  l'avertissement  :  «  Louise  Labé 
j>  n'est  pas  le  seul  écrivain  dont  Lyon  ait  droit  de  s'énorgueil- 
3»  lir  ;  il  en  est  plusieurs  autres  dont  les  productions  mérite- 
j*  raient  aussi  d'être  plus  répandues,  et  qui  seraient  dignes  de 
»  reparaître  avec  les  mêmes  honneurs.  »  Nous  pensons  avec 
plaisir  que  M.  Bréghot  accomplira  lui-même  ce  noble  vœu,  eî 
que  bientôt  il  réalisera  toutes  les  espérances  qu'il  nous  a  don- 
nées par  cette  première  entreprise  qu'a  couronnée  le  plus  bril- 
lant succèsj 

CHEVALIER-VICXOR, 


LETTRE 


A  M.  C.-N.  A*****S 

Sur  un  oui^rage  intitulé  :  Les  Poètes  Français 
depuis  le  XII^  siècle  jusqu'à  Malherbe ,  avec 
une  Notice  historique  et  littéraire  sur  chaque 
Poète. 


ET 


Notice  sur  la  nouvelle  édition  des  Evvres  de  LovTse 
Labé  LionnoizQ.  Par  M.  C.-N.  A******* 


A  PARIS, 

Chez  ANT.-AUG.  RENOUARDj, 

Rue  de  Tournon,  u»  5. 

Octobre    X824» 


LETTRE 

A  M^  C.-N.   A******, 

A  DIJON, 

SuRun  ouvrage  intitulé:  Les  Poètes  françoiSj  depuis 
le  Xlle  siècle  jusqu'à  Malherbe ,  avec  une  Notice 
historique  et  littéraire  sur  chaque  Poète.  Paris  ,  de 
l'imprimerie  de  Crapelet.  1824.  6  vol.  inS^. 
Vesoul  (Haute-Saône),       octobre  1824. 


J 


e  suis  parfaitement  de  votre  avis,  Monsieur  et  ami, 
c'est  une  heureuse  idée  d'avoir  donné  textuellement  en 
un  seul  corps  d'ouvrage  un  Recueil  choisi  (etpar  ordre 
chronologique)  de  nos  plus  anciennes  poésies,  accom- 
pagnées d'un  Glossaire  et  d'une  Biographie  littéraire 
de  chaque  poëte  ,  depuis  le  xij.e  siècle  jusqu'à  la  renais- 
sance des  lettres.  Je  dis  heureuse  idée,  parce  que  toute 
entreprise  qui  réunit  l'utile  et  l'agréable  ,  prouve  que 
son  auteur  a  été  bien  inspiré  5  et  je  ne  crois  pas  que  y 
parmi  les  nombreux  ouvrages  dont  l'activité  de  la  presse 
enrichit  chaque  jour  nos  bibliothèques ,  il  y  en  ait  beau- 
coup qui  aient  plus  de  droit  à  l'estime  et  à  la  recon- 
noissance  des  amateurs  de  la  poésie  et  de  la  langue  fran- 
çaise ,  que  celui  dont  j'ai  rapporté  le  titre  plus  haut. 

Ce  beau  monument,  péristile  nécessaire  de  toutes 
ces  riches  collections  de  nos  poètes  modernes  que  l'oa 
publie  depuis  quelque  temps ,  m'a.  tellement  frappé 


(    2    ) 

par  son  importance  et  son  à-propos ,  qu'il  m'a  suggéré 
quelques  réflexions  que  je  crois  pouvoir  vous  commu- 
niquer. 

Lorsque  la  langue  d'un  peuple  se  fixe  et  que  des 
chefs-d'œuvre  littéraires,  éclos  à  cette  époque,  éta- 
blissent définitivement  son  empire  et  l'étendent  au 
loin ,  il  arrive  assez  ordinairement  que  l'on  ne  s'occupe 
plus  guère  de  ce  qui  a  préparé  cette  heureuse  révolu- 
tion. On  jouit  des  richesses  présentes  sans  songer  à  la 
mine  qui  les  a  produites ,  quoiqu'elle  renferme  encore 
des  filons  d'or  très  précieux.  C'est  ce  qui  est  arrivé  en 
France,  et  ce  que  nous  voyons  tous  les  jours.  On  re- 
jette ,  on  dédaigne ,  on  oublie  ces  hommes  qui ,  avec 
plus  d'instinct  littéraire  que  de  talent ,  ont  péniblement 
défriché  une  terre  long- temps  aride  et  couverte  d'épi- 
nes 5  et  l'on  ne  fait  pas  attention  que  sous  l'écorce  rude 
de  leur  style  barbare ,  qui  tenoit  à  l'imperfection  de  la 
langue  ,  il  se  rencontre  souvent  plus  de  force ,  d'éner- 
gie ,  de  franchise ,  de  finesse,  de  naïveté ,  etc.,  que  dans 
nos  ouvrages  modernes  si  polis,  si  bien  travaillés. 

Ils  ne  l'ignoroientpas  nos  grands  maîtres  du  siècle  de 
Louis  XIY  et  quelques  écrivains  du  siècle  de  Louis  XV. 
Combien  de  vieilles  chroniques,  de  traités  surannés, 
de  fabliaux  de  Sirventes  ,  de  Yirelais  ont  été  mis  à 
contribution  par  des  auteurs  modernes,  qui,  favorisés 
d'un  goût  sûr ,  n'ont  eu  d'autre  mérite  que  celui  de  re- 
vêtir la  dépouille  de  leurs  prédécesseurs  d'un  vernis 
brillant  composé  de  tout  ce  que  notre  langue  a  acquis 
de  délicatesse,  de  pureté  et  d'exactitude  !  La  Fontaine 
n'a-t-il  pas  eu  les  plus  grandes  obligations  à  Marot ,  à 


(3) 

Kabelais  et  à  tant  d'autres ,  comme  il  en  convient  lui- 
même?  Bossuet  avoit  beaucoup  lu  le  P.  Lejeune  et  d'au- 
tres vieux  sermonnairesj  Boileau  savoit  son  Régnier  par 
cœur 5  J.-B.  Rousseau,   son  Malherbe,  qui  lui-même 
flvoit  puisé  dans  des  poètes  antérieurs  5  J.-J.  Rousseau 
eût-il  écrit  avec  une  telle  force  d'expression  ,  s'il  ne  se 
fût  nourri  du  substantiel  Montaigne  et  de  l'excellent 
Amyot?  Oui ,  mon  ami,  c'est  dans  nos  vieux  écrivains 
que  se  trouve  la  sève  que  nous  admirons  dans  la  plupart 
des  modernes  ;  et  si  nous  pouvons  nous  vanter  de  quel- 
que chose ,  c'est  d'avoir  le  talent  d'habiller  avec  la  soie 
que  nous  fournit  le  siècle  de  Louis  XIV,  les  Muses  que 
nos  anciens  n'avoient  pu  revêtir  que  d'une  bure  grossière 
dans  des  siècles  de  barbarie.  De  là  je  tire  la  conséquence 
que  ressusciter  ces  vieux  écrivains,  les  mettre  en  éviden- 
ce, et  nous  offrir  en  corps  d'ouvrage  ce  qu'ils  ont  fait  de 
meilleur ,  c'est  rendre  un  service  important  à  la  litté- 
rature moderne  :  c'est  lui  ouvrir  un  trésor  dont  l'hom- 
me de  goût  saura  profiter,  et  d'où  il  résultera  plus 
d'avantages  qu'on  ne  pense  (1). 

Mais  à  supposer  que  cette  utilité  pût  être  contestée  ^ 
ne  trouveroit-on  pas  toujours  dans  la  lecture  de  ces 
vieux  auteurs  un  ample  dédommagement  du  temps  em- 
ployé à  les  parcourir ,  celui  de  satisfaire  sa  curiosité  sur 
un  sujet  assez  important?  Je  veux  parler  du  tableau 
historique  de  la  langue  française.  Quoi  de  plus  intéres- 
sant que  de  suivre  dès  son  origine  les  pas  de  cette  lan- 


(1)  La  NOTICE  cjui  répond  à  ce  renvoi  étant  trop  longue  pour 
trouver  place  ici ,  nous  prenons  le  parfi  de  la  rejeter  à  la  &a 
de  la  Lettre  de  notre  correspondant  ("•).  C.-W,  A. 


(  4  ) 

giife  qui  s'avance  à  travers  les  siècles ,  d'abord  informa  j 
foible  ,  gênée,  âpre ,  rude  ,  mais  peu  à  peu  se  formant, 
se  fortifiant ,  s'adoucissant ,  se  polissant,  se  rappro- 
chant enfin  pour  les  principes  grammaticaux  et  pour 
l'expression  ,  des  deux  plus  belles  langues  de  l'antiqui- 
té. L'une  d'elles  ,  la  latine  ,  avoit  bien  assisté  à  son  ber- 
ceau 5  mais  éclipsée  depuis  long-temps  ,  elle  étoit  elle- 
même  entièrement  dénaturée  et  étouffée  par  la  langue 
romane  même  et  par  les  autres  jargons  barbares  dont  la 
cliute  du  colosse  romain  avoit  inondé  TEurope.  A  me- 
sure que  l'horizon  littéraire  s'est  éclairci ,  ces  deux  lan- 
gues ,  ou  plutôt  les  débris  de  leurs  chefs-d'œuvre ,  en- 
fouis dans  les  moutiers  ,  ont  reparu  5  et  insensiblement 
on  a  vu  renaître  le  goût  parmi  ceux  qui  s'adonnoient  à 
la  littérature.  C'est  par  leur  contact  dans  le  travail  du 
cabinet ,  et  leur  frottement  dans  les  progrès  de  la  civi- 
lisation, que  le  métal  s'est  épuré  ,  et  que  toutes  les  sco- 
ries des  siècles  de  barbarie  se  sont  peu  à  peu  détachées 
du  noyau.  Aussi  jamais  langue  n'a  jeté  plus  d'éclat  que 
la  langue  française,  lorsqu'elle  est  parvenue  à  ce  degré 
de  pureté  que  lui  ont  donné  les  grands  écrivains  du  siè- 
cle de  Louis  XIV  et  de  Louis  XY.  Mais  comment  y  est- 
elle  parvenue?  C'est,  comme  je  vous  l'ai  dit,  mon  cher 
ami ,  en  s'avançant  lentement  à  travers  les  rochers , 
les  déserts  et  les  landes  de  la  barbarie  5  mais  j'ajouterai 
un  fait  essentiel  et  très  vrai  :  c'est  que  la  poésie ,  tout 
informe  qu'elle  étoit,  l'a  beaucoup  aidée  à  se  débarrasser 
des  ronces  et  des  épines  qui  obstruoient  son  chemin 
sur  ce  sol  affreux.  Je  le  répéterai  encore  :  rien  n'est 
plus  curieux  que  de  compter  j  de  mesurer  et  d'appr4« 


(5) 

cier  les  pas  qu'elle  a  faits  dans  ce  long  et  pénible  trajet, 
de  comparer  les  premiers  avec  ceux  qui  les  ont  suivis, 
et  de  voir  comment  elle  est  parvenue  par  des  efforts 
successifs  à  surmonter  tous  les  obstacles  et  à  se  pré- 
senter enfin  avec  une  démarclie  noble,  franche,  facile 
et  digne  de  l'admiration  de  tous  les  peuples  modernes. 

C'est  ce  tableau  intéressant  que  présentent  les  six 
volumes  qui  font  l'objet  de  cette  lettre.  Ils  ont  donc  le 
double  mérite  de  l'utilité  et  de  l'agrément  5  de  l'utilité  , 
en  ce  que  les  pièces  qu'ils  renferment  offrent  souvent 
des  pensées  précieuses  dont  l'éclat  perce  à  travers  leur 
enveloppe  grossière  :  c'est  le  grain  d'or  natif  tel  qu'il 
étoit  dans  la  mine  5  de  l'agrément ,  en  ce  qu'ils  tracent 
les  progrès  de  la  langue  poétique  française  depuis  son 
origine  au  xi^  siècle  jusques  à  Louis  XIII. 

Je  pourrois  ajouter  un  troisième  avantage  qui  peut- 
être  aux  yeux  de  bien  des  lecteurs  ira  de  pair  avec  les 
deux  premiers  5  c'est  celui  que  l'on  doit  retirer  des 
Notices  historiques  et  littéraires ,  consacrées  à  chaque 
troubadour ,  trouvère  et  autres  auteurs  dont  on  a  rap- 
porté différentes  pièces.  Un  tel  travail  sort  du  genre 
des  biographies  ordinaires ,  parce  que  les  écrivains  dont 
on  a  à  parler  sont  pour  la  plupart  très  obscurs  5  et  ce 
n'est  que  dans  la  poussière  des  vieilles  chroniques ,  des 
anciens  recueils  ,  que  l'on  a  pu  trouver  quelques  ren- 
seignemens  sur  la  plupart  de  ces  hommes  qui,  allant 
de  châtel  en  châtel ,  chanter,  conter,  fabloyer  ,faisoient 
bien  sensation  pour  le  moment ,  mais  ne  laissoient  pas 
de  longs  souvenirs  de  leur  vie  errante. 

Le  Discours  préliminaire  de  l'ouvrage  en  questioii 


(6  ) 

est  marqué  au  coin  d'une  profonde  érudition.  L'au- 
teur (i)  y  a  fort  bien  traité  tout  ce  qui  regarde  l'ori- 
gine ,  la  théorie  et  les  progrès  de  la  langue  poétique 
française.  Comme  il  est  remonté  dans  le  choix  des 
pièces  qui  composent  son  Recueil,  aux  plus  anciens 
monumens  de  la  langue  romane ,  qu'on  peut  appeler  le 
français  primitif,  et  qui  se  divisoit  en  langue  d'oc  et 
en  langue  d'oiL  (2)  ,  il  a  commencé  par  les  monumens 
de  la  langue  d'oc,  c'est-à-dire,  par  les  pièces  qui  ap- 
partiennent aux  troubadours.  La  première  est  une 
chanson  de  Guillaume  IX,  comte  de  Poitou ,  duc  d'A- 
quitaine, né  en  1071  et  mort  en  1121  ;  et  la  dernière 
est  une  chanson  erotique  du  chevalier  Richaut,  qui 
florissoit  vers  1210.  Cette  première  partie  de  l'ouvrage 
va,  dans  le  premier  volume,  jusqu'à  la  page  291.  La 
seconde  partie  ,  qui  regarde  la  langue  d'oiL  ,  et  qui  oc- 

(1)  M.*"  P.  R.  Auguis.  C'est  à  lui  que  l'on  doit  aussi  les 
notices  sur  chacun  des  poètes  compris  dans  la  collection  dont 
il  s'agit,  et  dont  jouit  aujourd'hui  le  monde  littéraire,  grâces 
aux  soins  de  M.  Crapelet  qui  en  est  Téditeur.      C.-N.  A. 

(2)  Quand  la  poésie  a  commencé  en  France  ,  il  exîstoit  deux 
langages  différens.  Les  habitans  du  midi  de  la  Loire  ,  qui  se 
iiommoient  Romans  provençaux ,  par'.oient  la  langue  d'oc  : 
c'est  celle  des  troubadours  -,  et  ceux  qui  habitoient  le  nord  de 
la  même  rivière  ,  étoient  appelés  par  leurs  voisins  Romans 
ivaelches  ou  Wallons  ,  et  parloient  la  langue  d'oiL  :  c'est  celle 
des  trouvères.  Après  trois  siècles  d'existence  ,  la  langue  des 
troubadours  s'éteignit  par  une  nouvelle  corruption,  et  se  con- 
fondit par  la  suite  avec  celle  des  trouvères  ou  le  roman  wal- 
lon ,  qui  se  conserva,  se  perfectionna  peu  à  peu  ,  comme 
nous  l'avons  dit  ;  et  c'est  de  ce  dialecte  qu'a  été  formée  la 
langue  française. 


(  7  ) 
ciipele  reste  du  Recueil,  est  consacrée  aux  poésies  des 
trouvères  et  des  poètes  français  leurs  successeurs.  Elle 
commence  par  un  fabliau  ou  conte  d'un  nommé  Gué" 
rin  y  qui  devoit  vivre  au  commencement  du  xiiie  siè- 
cle ,  et  finit  par  Malherbe  et  quelques-uns  de  ses  con- 
temporains. Cette  partie  embrasse  la  fin  du  premier 
volume  ,  les  ne  ,  nie  ^  lye ,  ve  et  le  vi^,  qui  est  terminé 
par  des  tables  très  commodes  (3). 

Toutes  les  pièces  publiées  dans  ce  Recueil  sont  bien 
choisies  et  font  parfaitement  connoître  l'état  de  la  lan- 
gue et  de  la  poésie  à  toutes  les  époques ,  depuis  la  fin 
du  xie  siècle  jusqu'au  xvii^. 

On  auroit  peut-être  à  désirer  que  l'on  eût  donné  une 
traduction  littérale  des  premières  pièces  des  trouba- 


Les  mots  oc  et  cil  expriment  le  signe  affirmatif  oui ,  et 
servoient  à  distinguer  les  deux  dialectes  ,  le  provençal  et  le 
wallon.  Ce  même  signe  servoit  également  à  désigner  l'ita- 
lien et  l'allemand.  On  appeloit  l'italien  la  langue  de  si  y 
et  l'allemand  la  langue  de  ya.  Ainsi  le  mot  oui  prononcé  en 
oc  )  en  CIL ,  en  si  et  en  ya.  ,  désignoit  la  différence  des  quatre 
langues  ou  dialectes  alors  en  usage.  G.  P. 

(3)  Table  générale  des  poètes  qui  sont  compris  dans  les  six 
volumes  ;  tahle  générale  des  poètes  français  avant  Malherbe  , 
qui  ne  font  pas  partie  du  llecueil  :  avec  l'indication  de  leurs 
principaux  ouvrages  ;  des  trouvères  et  poètes  français  des  ii^, 
x!i^  et  xiii^  siècles;  i\es  poètes  français  desxiv^,  xv^  et  xvi® 
siècles  ;  cette  nomenclature  générale  des  poètes  français 
a  ce  mérite  particulier  ,  qu'elle  est  la  plus  complète  de  celles 
qui  existent,  et  incomparablement  plus  ample:  avantage 
que  l'auteur  n'a  pu  obtenir  que  par  des  recherches  extrême- 
ment laborieuses.  C.-JS".  A. 


(8) 

dours,  qui  doivent  être  à-peu-près  inintelligibles  pour 
la  plupart  des  lecteurs.  Il  est  vrai  que  le  premier  volume 
est  terminé  par  un  Glossaire  qui  donne  l'interprétation 
d'un  très  grand  nombre  de  mots  5  mais  interrompre 
sa  lecture  pour  traduire  soi-même ,  c'est  un  travail  5  et 
dans  le  siècle  où  nous  vivons  ,  on  réunit  assez  ordinai- 
rement deux  choses  peu  compatibles  ,  la  paresse  et  le 
vif  désir  de  s'instruire  ou  plutôt  de  paroître  instruit  y 
c^est-à-dire  qu'on  aime  la  besogne  toute  faite. 

Ne  vous  semblera-t-il  pas  aiissi,  mon  ami ,  que  l'au- 
teur auroit  pu  terminer  sa  collection  à  Anne  d'Urfé , 
qui  précède  immédiatement  Malherbe ,  et  mettre  à  la 
suite  de  l'article  ^Vrfé ,  en  caractères  saillans  ,  cet  hé- 
misticlie  si  connu ,  du  législateur  de  notre  Parnasse? 

ENFIN  MALHERBE  VINT Il  est  certain  que  tout 

le  monde  a  Malherbe  dans  sa  bibliothèque  5  et  quoique 
ce  poète  ait  encore  un  peu  de  la  rouille  du  vieux  temps  , 
îî  pouvoit  être  dispensé  de  figurer  dans  cette  galerie.  Au 
reste ,  comme  vous  me  l'avez  fait  observer  en  cette  oc- 
casion :  Abojidance  de  bien  ne  nuit  pas. 

11  me  reste  à  vous  dire  un  mot  de  l'impression  de 
l'ouvrage  :  elle  est  telle  qu'on  pouvoit  l'attendre  des 
soins  bien  connus  de  M.  Crapelet  ,  si  scrupuleux 
dans  tout  ce  qui  tient  à  la  perfection  de  son  art.  Quoi- 
que ce  Recueil  ait  été  d'une  composition  très  difficile, 
sur-tout  pour  les  deux  premiers  volumes,  en  raison  de 
l'orthographe  bizarre ,  d'une  langue  plus  bizarre  en- 
core, il  nous  a  paru  d'une  grande  correction.  Le  carac- 
tère est  très  beau ,  le  tirage  uniforme ,  le  papier  fort 
Manc  5  et  sous  le  rapport  du  goût  typographique ,  l'é- 


C  9  ) 

ditlon  ne  laisse  rîen  à  désirer.  C'est  donc  un  excellent 
et  très  bel  ouvrage  ,  qui  prend  naturellement  sa  place 
en  tête  des  superbes  éditions  que  Ton  vient  de  donner 
àes  Malherbe ,  àes  Corneille  y  des  Racine,  àesBoileaUp 
des  Molière ,  des  La  Fontaine  y  des  J,-B,  Rousseau  ^ 
etc. 5  etc. ,  etc. 

J'ajouterai,  mon  cber  ami,  que  M.  Crapelet  s'oc- 
cupe en  ce  moment  à  remplir  une  lacune  importante 
parmi  les  poètes  que  je  viens  de  citer.  Vous  savez  que 
Quinault,  victime  d'une  boutade  que  Boileau  s'est  re- 
penti d'avoir  insérée  dans  ses  premières  poésies,  n'a 
pas  eu  jusqu'à  ce  moment  les  honneurs  d'une  réimpreS" 
sion  de  luxe  comme  ses  confrères  du  siècle  de  Louis  XIVj 
Cependant ,  créateur  et  modèle  de  la  poésie  lyrique ,  il 
est  le  seul ,  dans  ce  genre ,  qui  ait  montré  un  talent 
digne  de  ce  beau  siècle  5  et  c'est  par  une  injustice  très 
grande ,  ou  plutôt  parce  qu'on  est  habitué  à  jurer  zit 
'verha  magistri,  que  jusqu'à  ce  moment  on  l'a  relégué 
parmi  les  poètes  d'un  ordre  inférieur.  Rendons  grâces 
à  M.  Crapelet,  qui  va  restituer  à  cet  auteur  la  place 
qu'il  mérite  dans  la  brillante  galerie  moderne  où  la  ty- 
pographie place  en  ce  moment  ses  illustres  confrères. 
Il  paroîtra  incessamment  une  très  belle  édition  des 
Œuvres  choisies  de  Quinault,  avec  les  remarques  litté- 
raires de  La  Harpe  ^  2  vol.  in-Z^ ,  ornés  d'un  beau  por- 
trait en  taille-douce. 

Telles  sont ,  mon  cher  amî ,  les  réflexions  jetées  à  la 
hâte  sur  le  papier  j  que  je  voulois  vous  soumettre  sur 


(    10   > 

les  deux  ouvrages  dont  vons  m'avez  parlé  avec  éloge, 
et  qui  en  effet  me  paroissent  importans  et  bien  dij^nes 
de  fixer  l'attention  des  amateurs,  puisqu'ils  sont  de 
nature  à  servir  parfaitement ,  l'un  d'introduction ,  et 
Tautre  de  complément  à  tout  ce  que  nous  avons  de  plus 
admirable  en  fait  de  poésie  française. 

Recevez ,  je  vous  prie  j  l'assurance  j  etc.  g.  p. 


(*)   NOTICE      >^ 

Sur  la  nouvelle  édition  des  Evvres  de  Lovize  Labé 
LioNNoizE.  A  Lion  par  Dvrand  et  Perrin,  1824» 
Vol.  i/î-8o  de  Ixx  — 3a8  pages. 

La  lettre  que  l'on  vient  de  lire  nous  amène  naturellement 
à  parler  du  monument  remarquable  que  la  ville  de  Lyon  vient 
de  voir  s'élever  dans  son  sein  à  la  gloire  d'une  f^mme  que 
ses  contemporains  honorèrent  du  surnom  de  nouvelle  Sapho, 
et  qui  florissoit  vers  le  milieu  du  xvi»  siècle  ;  nous  voulons 
parler  de  la  nouvelle  et  excellente  édition  des  œuvres  de 
Louise  Labé  ,  qui  vient  de  paroître, 

Louise  Charlin  ou  Charlieu ,  dite  Lahê ,  fille  d'un  riche 
marchand  cordier  et  qui  avoit  épousé  Ennemond  Perrin  , 
riche  marchand  cordier  lui-même,  étoit  pour  cela  parti- 
culièrement connue  sous  le  nom  de  Belle  Cordière.  Née  à 
Lyon  vers  l'an  i525  ou  i526  ,  elle  y  est  morte  en  i566. 

Nous  ne  saurions  mieux  caractériser  le  talent  de  cette 
femme  célèbre  ,  qu'en  empruntant  ce  qu'en  dit  le  principal 
éditeur  de  ses  œuvres  ,  notre  savant  confrère  à  l'Académie  de 
Lyon,  M.  Breghot  du  Lut  y  dans  sa   107^  note,   p-^ge  i83  : 

«  Les  Elégies  de  Louise  Labé ont  tout  ce  qui  donne 

du  prix  et  du  charme  à  ce  genre ,  dans  lequel  peu  de  nos  au- 
teurs ont  réussi;  elles  sont  tendres  ,  touchantes,  passionnées. 
Le  cœur  seul  y  parle ,  suivant  le  précepte  de  Boileau.  Nulle 


(  11  ) 

afiectation,  nulle  recherche  dans  le  style;  mais  une  exquise 
naïveté  de  sentiment  et  de  langage  ,  qui  n'exclut  point  l'éner- 
gie. Louise  Labé  y  gémit  sur  les  chaînes  qu'elle  porte  ;  elle 
déplore  l'absence  de  son  amant  ;  elle  exhale  de  douces  plain- 
tes; elle  peint  l'excès  de  ses  tourmens  et  de  ses  peines.  La 
troisième  de  ces  pièces,  adressée  aux  dames  lyonnaises, et  oii 
leur  belle  compatriote  se  justifie  en  rejetant  sur  l'amour  tous 
les  reproches  qu'on  pourroit  lui  faire  ,  me  paroît  remporter  la 
palme  sur  les  deux  autres.  (  Tout  le  monde  pensera  à  cet 
égB.rd  comme  M.  Breghot  du  Lut.)  Les  rapprochemens  que 
j'indiquerai  et  que  j'aurois  pu  multiplier  bien  davantage,  se- 
ront destinés  à  montrer  que  la  nouvelle  Sapho  n'avoit  pas  lu 
en  vain  les  meilleurs  auteurs  qui  existoient  avant  elle  ,  et  que 
sa  mémoire  étoit ,  pour  me  servir  des  expressions  de  Pétrone, 
ingenti  Jlumine  litterarum  inundata.  « 

M.  Cochard  j  autre  académicien  de  Lyon ,  et  auteur  de  la 
J^otice  sur  Louise  Labé ,  l'une  des  pièces  imprimées  en  tête 
de  l'édition  dont  il  s'agit  des  œuvres  de  cette  nouvelle  Sapho, 
parle  d'un  autre  ouvrage  qui  ne  la  recommande  pas  moins 
que  ses  poésies  à  l'estime  de  la  postérité  ;  w  C'est  (  dit  M.  Co» 
chard ,  page  xlix)  une  petite  comédie  en  prose  ,  intitulée  : 
Débat  de  Folie  et  d' Amour ,  allégorie  ingénieuse,  pleine 
d'esprit ,  de  délicatesse  et  de  bonne  morale.  Cette  pièce  à  six 
personnages  ,  divisée  en  cinq  discours  ou  actes  ,  n'a  point  été 
représentée  ;  mais  elle  a  eu  l'insigne  honneur  de  fournir  à  La 
Fontainele  sujet  d'une  de  ses  plus  jolies  Fables.  »  C'est  celle 
ayant  pour  titre  :  L'Amour  et  la  Folie,  liv.  xii,  fab.  xiv. 

«  La  plus  belle  fable  des  Grecs  (  dit  Voltaire  ,  Quest.  sur 
VEncyclop.  )  est  celle  de  Psyché  ;  la  plus  plaisante  fut  celle 
lie  la  Matrone  d'Éphèse.  La  plus  jolie,  parmi  les  modex'nes, 
fut  celle  de  La  Folie  ,  qui ,  ayant  crevé  les  yeux  à  l'Amour , 
est  condamnée  à  lui  servir  de  guide  **.  » 

**  «  Jupiter  faisoit  un  grand  festin  ,  ou  estoit  commandé  à  tous  les 
Dieus  se  tronuer.  Amour  et  Folie  arriuent  en  mesme  instant  sur  la  porte 
du  palais  :  laquelle  estant  ià  fermée  ,  et  n'ayant  que  le  guichet  ouuert, 
folie  voyant  Amour  ià  prest   h.  mettre  nn  pied  dedens ,  s'auance  et^passo 


(    12   ) 

Louise  Labé  met  cet  arrêt  ainsi ,  dans  la  bouche  de  Jupiter  : 

«  Vous  commandons  de  viure  amiablement  ensemble, 

«  sans  vous  outrager  l'un  l'autre.  Et  guidera  Folie  l'aueugle 
«  Amour  ,  et  le  conduira  par-tout  où  bon  lui  semblera » 

Quand  on  eut  bien  considéré 
L'intérêt  du  public  ,  celui  de  la  partie. 
Le  résultat  enfin  de  la  suprême  Cour 

Fut  de  condamner  la  Folie 

A  servir  de  guide  à  l'Amour. 

La   Fontaine. 

Le  P.  Commire  (  dit  M.  Breghot  du  Lut  )  a  tii'é  de  l'ouvrage 
cle  Louise  Labé  une  fable  latine  qu'il  a  intitulée  :  Dementia 
amorem  ducens.  Elle  est  adressée  à  Ménage  et  terminée  par  ce 
jeu  de  mots  : 

Haec  nos,  Menagi ,  fabula  venuste  monet 
Amantes  esse  proximos  amentibus. 

«  Les  commentateurs  de  La  Fontaine  (dit  encore  M.  Bre^ 
ghot  du  Lut)  citent,  parmi  les  imitateurs  de  ce  même  apolo- 
gue en  langues  étrangères  ,  l'italien  L.  Grillo  et  l'anglais 
Dodsley  ;  mais  aucun  d'eux  ne  mentionne  une  imitation 
française  faîte  par  un  M.  Moreau  de  Dijon  ,  et  insérée  dans 
le  Nouveau  Recueil  de  Pièces  fugitives ,  etc. ,  par  l'abbé  Ar- 
chimbaud,  Paris,  1717,  m- 12,  tome  11  ,  pages  85-89.  C'est 
une  pièce  assez  foible  ,  dont  les  vers  les  plus  passables  sont 
les  deux  derniers  : 

«  Ainsi  dit ,  ainsi  fait  ;  et  c'est  depuis  ce  jour 
Que  par-tout  la  Folie  accompagne  l'Amour.  » 

Le  M.  Moreau  dont  parle  M.  Breghot  du  Lut ,  est  Etienne 


la  première.  Amour  se  voyant  poussé ,  entre  en  colère  :  Folie  Soutient 
lui  apartenir  de  passer  deuant.  Ils  entrent  en  dispute  sur  leurs  puissances, 
dinitez  et  préséances.  Amour  ne  la  pouuant  veiucre  de  paroles  ,  met  la 
main  à  son  arc  ,  et  lui  lasche  une  flesche ,  mais  en  vain  :  pource  que 
Folie  soudein  se  rend  inuisible  :  et  se  voulant  venger ,  ôte  les  yeus  à 
Amour.  Et  pour  couurir  le  lieu  ou  Us  étoient,  lui  mit  un  bandeau  fait. 


(  i3  ) 

MoREAV  ,  conseiller  du  Roi  en  ses  conseils  ,  avocat  général 
en  la  Chambre  des  Comptes  de  Bourgogne  y  né  à  Dijon  le  i*' 
septembre  1639,  et  mort  le  27  avril  1699.  "  C'étoit,  dit  l'abbé 
Papillon  {Bibliothèque  des  Auteurs  de   Bourgogne) j   un. 

homme  de  beaucoup  d'esprit  ,  bon  orateur,  bon  poëte ; 

il  avoit  de  fort  belles  qualités ,  mais  elles  étoient  obscurcies 
par  son  penchant  pour  la  raillerie ,  qui  étoit  tel  que  souvent 
îl  n'épargnoit  pas  même  ses  meilleurs  amis.  On  croit  que,  no- 
nobstant ce  défaut,  il  n'auroil  pas  laissé  d'être  maire  de  Dijony 
s'il  ne  fut  mort  quelques  mois  avant  l'élection.  Ce  qui  donna 
occasion  à  M.  de  La  Monnoye  de  lui  faire  cette  épitaphe  : 

«  Ci-gît  des  bons  mots  le  grand  maître 
En  vers,  en  prose  connoisseur; 
MOREAU  ,  qui  croyant  un  jour  être 
Le  tribun  de  Dijon  ,  en  est  mort  le  censeur.  » 
Etienne  Moreau  étoit  le  frère  du  savant  et  fécond  Phili-i 
bert  Bernard  Moreau  de  Mautour,  auditeur  des  comptes  à 
Paris,  et  qui  fut  membre  de  l'Académie  royale  des  inscriptions 
et  belles-lettres  depuis  1701  jusqu'à  1787,  année  de  sa  mort. 
L'abbé  Papillon  classe  parmi  les  ouvrages  iV Etienne  Mû- 
seau  ,  «  L'Amour  et  la  Folie ,  V^r>'  ^^  ^^^  Pièces  fugitives  de 
«  l'abbé  Arcliimbaud.  u  Le  renseignement  de  M.  Breghot  du 
Lut  est  bien  plus  exact. 

M.  Breghot  du  Lut  remarque  que  le  sujet  si  heureux  de  l'a- 
pologue dont  il  s'agit,  paroît  être  de  l'invention  de  Louise 
Labé  ,  et  qu'on  ne  connoît  rien  dans  les  écrivains  antérieurs 
qui  ait  pu  lui  en  fournir  l'idée.  Ainsi  lui  reste  l'honneur  d'a- 
voir fourni  au  fabuliste  jusqu'à  présent  inimité  ,  le  sujet  d'une 
de  ses  plus  jolies  fables  :  sujet  que  d'autres  ont  aussi  mis  en 
œuvre  avec  moins  de  bonheur, 

de  tel  artifice  ,  qu'impossible  est  lui  ôter.  Venus  se  pleint  de  Folie  ,  lu- 
piter  veut  entendre  leur  diferent.  Apolon  et  Mercure  debatent  les  droits 
de  l'une  et  l'autre  partie.  lupiter  les  ayant  longuement  ouiz  ,  en  demande 
l'opinion  aus  Dieus  :  puis  prononce  sa  sentence.  » 

(  Argo  MENT  en  tête  de  la  pièce  iatitulée  :  DÉBAT  DE  FOUB 
HT  ©'Amour.) 


/ 


(  i4  ) 

Parmi  ces  derniers ,  toutefois  ,  il  faut  rendre  justice  à  M. 
D...S  ,  auteur  de  la  pièce  suivante,  publiée  dans  le  Journal  de 
Lyon ,  du.  i5  ventôse  an  x  (6  mars  1802),  n^  38  ,  et  reproduit© 
par  M.  Breghot  du  Lut,  page  325  : 

AMOUR  ET  FOLIE. 

L'Amour  et  la  Folie  un  jour  , 
Loiu  des  regards  de  la  sagesse  j 
Disputoienf...,.  La  vive  déesse 
De  dépit  avejgla  l'Amour» 
Soudain  la  faute  fut  punie 
Par  loi  de  la  céleste  Cour; 
Et,  depuis  ce  temp:j  ,  la  Folie 
Est  réduite  à  mener  l'Amour. 

M.  Breghot  du  Lut ,  que  nous  ne  saurions  nous  lasser  de 
citer,  fait  remarquer  «  que  l'ouvrage  de  Louise  Labé  n'est  pas 
seulement  une  allégorie  ingénieuse  ;  il  décèle  encore  une 
grande  érudition.  Aristote  ,  Chrysippe  ,  Diogène  ,  Platon  , 
Homère  ,  Sapho  ,  etc. ,  parmi  les  Grecs;  et  parmi  les  Latins  ^ 
Virgile,  Ovide  et  même  Apulée  y  sont  cités  et  cités  à  propos. 
On  y  voit  de  fréquentes  et  heureuses  allusions  à  des  faits  his- 
toriques ,  à  des  points  de  mythologie ,  qui  ne  sont  connus 
que  des  personnes  les  plus  instruites.  » 

Trois  Élégies  et  un  Sonnet  de  Louise  Labé  ont  été  re- 
cueillis dans  la  Bibliothèque  des  Poètes  français  jusqw'à 
Malherbe,  publiée  par  M.  Crapelet,  tomeiv,  pag.  196-206» 
Ces  pièces  sont  d'un  bon  choix  ;  elles  méritent  bien  de  figu- 
rer dans  cette  intéressante  ,  précieuse  et  utile  collection. 

Cette  NOTICE,  qui  s'est  étendue  sous  notre  plume  bien  au- 
delà  de  notre  première  intention ,  sans  que  nous  nous  en 
soyons  aperçu  ,  pourra  peut-être  paroître   un  hors-d'œuvre 

comme  étrangère  au  sujet  de  la  Lettre  de  M.  P ;  mais 

nous  prions  les  personnes  qui  penseroient  ainsi ,  de  vou- 
loir bien  faire  attention  qu'elle  s'y  rattache,  au  contraire,  di- 
rectement, en  ce  qu'elle  vient  à  l'appui  de  la  thèse  de  notre 
correspondant  :  que  les  modernes  ont  profité  des  pensées 


(  i5  ) 

i!es  écrivains  français  qui  ont  jeté  quelque  éclat  avant  la  re- 
naissance  des  lettres ,  en  leur  prêtant  les  couleurs  et  les  grâces 
de  la  langue  perfectionnée  ,  comme  ceux-ci  s'étoient  appro- 
prié les  pensées  des  anciens  auxquelles  ils  avoient  adapté 
l'expression  d'un  langage  d'abord  barbare ,  mais  qui  s'est 
épuré  et  poli  successivement  jusqu'au  temps  où 
Enfin  Malherbe  vint 

Puisque  nous  avons  tant  fait  que  de  saisir  l'occasion  de 
parler  de  la  dernière  édition  des  œuvres  de  Louise  Lobé , 
sous  le  rapport  du  mérite  du  fond ,  qu'il  nous  soit  pex'mis  de 
dire  un  mot  sur  son  exécution. 

Quoique  les  éditeurs  ne  l'aient  donnée  que  comme  étant  la 
âixième ,  attendu  que  l'existence  d*une  édition  de  Rouen, 
a556  j  iU'\6  ,  dont  parlent  La  JVIonnoye  et  l'abbé  Gouget  » 
étoit  révoquée  en  doute,  même  par  le  savant  bibliographe  M. 
Beuchotj  il  paroît  aujourd'hui  certain  qu'elle  est  la  septième. 

Nous  nous  en  rapportons  là-dessus  à  M.  Beuchot,  mieux: 
informé.  Voici  comment  il  s'exprime  en  tête  du  n^  3/  du. 
Journal  général  de  l" Imprimerie  et  de  la  Librairie  ,  du  samedi 
11  septembre  1824;  nous  copions  son  article  en  entier,  parce 
qu'il  remplit  parfaitement  notre  objet  : 

«  Voici  (  dit  M.  Beuchot)  la  liste  des  éditions  qui  ont  pré- 
cédé celle  de  1824  :  I.  Lyon,  J.  de  Tournes,  i555,  petit 
2»-8°.  II.  Lyon,  J,  de  Tournes,  petit  in-S^.  III.  Lyon, 
3  556 ,  in- 16.  (  La  suppression  de  l'Ode  grecque  donne  à  peu- 
ser  que  c'est  une  contre-façon.  )  IV.  Epures  de  Loyse  Labé, 
Rouen  ,  .Jean  Garov  ,  i556  ,  m-i6  ,  contenant  l'Ode  grecque. 
(  Edition  citée  par  La  Monnoye  ,  et  dont  l'existence  étoit  ré- 
voquée en  doute.  J'en  ai  vu  ces  jours-ci,  dans  la  bibliothèque 
de  M.  de  Soleine ,  un  exemplaire  provenant  de  la  bibliothèque 
de  Pont-de-Veyle ,  où  il  étoit  inscrit  sous  le  n"  168.)  V.Lyon  , 
1760  ,  petit  m-8o.  VI.  Brest ,  i8i5,  petit  m  8^ 

«  La  septième  édition  est  faite  aux  frais  d'une  Société  de 
quarante-deux  personnes  ,  la  plupart  membres  de  l'Académie; 
de  Lyon,  parmi  lesquelles  est  une  dame.  Un  Dialogue  ^ntfs 


(  16]^ 

Saplïo  et  Louise  Lobé  est  de  M.  Dumas  ;  la  Notice  sur  Louiss 
Labé  est  de  M.Cochard.  M.Breghot ,  auteur  de  la  plupart  des 
notes  ajoutées  à  cette  Notice  ^  s'est  chargé  de  diriger  l'entre- 
prise, et  a  rédigé  le  Commentaire  qui  vient  de  la  page  i55  à 
la  page  236 ,  et  le  Glossaire  de  Louise  Labé ,  qui  remplit  les 
pages  237-323.  Le  volume  est  terminé  par  les  Additions  et 
Corrections ,  suivies  de  la  Liste  des  personnes  qui  ont  fait  les 
frais  de  cette  édition. 

«  Le  principal  éditeur  m'a  signalé  lui-même  un  lapsus  ca^ 
lami.  Page  208 ,  ligne  29 ,  il  a  mis  Charles  IX  au  lieu  de 
Henri  I[l ,  et  me  recommande  d'en  donner  l'indication. 

«  Il  existe  neuf  sortes  d'exemplaires  ,  savoir  :  carré  vélia 
superfin  ,  116;  grand  raisin  vélin  superflu,  27;  coquille  nan- 
kin, 9  ;  coquille  rose  ,  4;  coquille  verte  ,  1  ;  coquille  variée  à 
chaque  feuille ,  1  ;  papier  de  Chine  ,  i  :  le  reste  de  l'édition 
est  en  carré  Yélin  et  papier  ordinaire.  »  C.-N.  A, 


DIJON}   FRAJNXXN^  IMF21XM£VA   23U    HOI.    lÔ24< 


EXTRAIT  DES  ANNALES 

DE  Lk  LITTÉRATURE  ET  DES  ARTS  (i), 

354°  Livraison  y  1  avril  1825. 


Evvres  de  Loinze  Lahé  ^  Lionnoize  (2)  ;  Lion  ,  Dvrand 
et  Perrin  y  1824,  in-8°  de  Ixx  et  826  pages. 

Cette  septième  édition  des  œuvres  d'une  femme 
illustre ,  qui  se  fit  distinguer  par  sa  beauté  et  son  gé- 
nie dans  le  siècle  brillant  de  François  i^'^,  a  été  pu- 
bliée, non  par  un  libraire,  mais  par  une  société  de 
Lyonnais,  la  plupart  membres  de  l'Académie  de  leur 
ville,  et  tous  jaloux  de  propager  la  gloire  de  leur 
pays.  Sous  ce  rapport,  ils  ne  pouvoient  mieux  choi- 
sir. Louise  Labé ,  ainsi  que  Clémence  de  Bourges  et 
Pernette  de  Guillet ,  toutes  trois  de  Lyon  ,  posséda , 
mais  avec  une  grande  supériorité ,  les  langues  sa- 
vantes, cultiva  la  musique  et  la  poésie,  et  mourut , 
comme  ses  deux  compagnes, à  la  fleur  de  son  âge.  On 
n'a  malheureusement  qu'un  trop  petit  nombre  de  ses 

(i)  On  s'abonne  à  Paris ,  au  bureau  des  Annales  de  la  Litté- 
rature et  des  Arts^  rue  des  Filles-Sain t-Thomas ,  n»  12,  près  le 
passage  Feydeau.  Le  prix  de  l'abonnement  est,  pour  trois  mois 
ou  i3  livraisons,  formant  i  volume,  11  fr.  5o  c.  ;  pour  6  mois 
ou  26  livraisons ,  11  fr.  ;  et  43  fr.  pour  Tannée. 

(2)  Telle  est  l'orthographe  avec  laquelle  ce  titre  est  imprimé  : 
c'est  celle  du  temps  où  vivoit  Louise  Labé  ,  ou  du  moins  c'est 
celle  qu'elle  avoit  adoptée  dans  les  deux  éditions  de  ses  œuvres 
faites  sous  ses  yeux.  Derrière  le  frontispice  de  la  nouvelle  édi- 
tion ,  on  trouve  la  dédicace  suivante  :  Pçiiriœ ,  Amicitiœ  et 
M\fsis* 


(O 

productions  :  trois  élégies ,  les  meilleures  qui  eussent 
paru  avant  celles  de  Parny  et  de  Bertin  ,  qui  créèrent, 
en    quelque   sorte,  parmi   nous  le  genre  erotique; 
vingt- quatre  sonnets  et  une  délicieuse  comédie  inti- 
tulée :  Débat  de  Folie  et  d^ Amour  ^  composent  tout 
son  bagage  ;  mais  il  suffit  pour  lui  assurer  l'immor» 
talité.  Je  ne  sais  comment  Sauvigny  a  pu  écrire  qu'elle 
avoit  composé  cette  pièce  dans  le  genre  de  l'auteur 
de  V Oracle  et  des  Grâces,  C'est  Saint-Foix  qui  a  tra- 
vaillé dans  le  genre  de  Louise  Labé.  Cette  petite  co- 
médie ,  si   ingénieuse  et  si  piquante ,  a  fait  dire  à 
Voltaire  ,  dans  ses  Questions  sur  VEncyclopèdie  :  «  La 
»  plus  belle  fable  des  Grecs  est  celle  de  Psyché  ;  la 
»  plus  plaisante  fut  celle  de  la  Matrone  d*Ephese  ;  la 
»  plus  jolie  parmi  les  modernes  fut  celle  de  la  Folie 
»  qui,  ayant  crevé  lés  yeux  de  l'Amour,  est  condamnée 
5)  à  lui  servir  de  guide.  »  Louise  Labé  a  le  mérite  d'a- 
voir inventé  cette  fable,  et  d'avoir  été  ensuite  imitée 
par  une  foule  de  poètes ,  entre  autres  par  notre  divin 
La  Fontaine  (i).  Je  n'en  citerai  qu'un  trait  qui  m'a 
rappelé  un  passage  de  J.  J.  Rousseau.  Quand  cet  élo- 
quent   écrivain,  dans  son    discours  sur  \  Origine  de 
V inégalité  des  conditions^  qui  renferme  tant  de   pa- 
radoxes, s'écrie  :  «  Le  premier  qui ,  ayant   enclos  un 
«  terrain ,  s'avisa  de  dire  :  Ceci  est  a  moi  y  et  trouva 
»  <)es  gens   assez  simples  pour  le  croire,  fut  le  vrai 
»  fondateur  de  la  société  civile.  »  Cela  est  un  peu  fou, 
f^  j'aime  encore  mieux  ces  paroles  de  l'avocat  de  la 
Folie  (2)  :  «  Petit  à  petit  ha  cru  Folie  avec  le  tems. 
»  Les  plus  esventez  d'entre  eux ,  ou  pour  avoir  res- 

(i)  Livre  XII,  fable  14. 
(2)  Pages  5o  et  5i» 


(3) 
»  COUS  (  délivré ,  dégagé  )  des  loups  et  autres  bestes 
V  sauvages ,  les  brebis  de  leurs  voisins  et  compagnons, 
»»  ou  pour  avoir  défendu  quelcun  d'estre  outragé,  ou 
»  pour  ce  qu'ils  se  sentoient  ou  plus  forts   ou   plus 
»  beaux ,  se  sont  fait  couronner  rois  de  quelque  feuil- 
»  lage  de  chesne.  Et  croissant  l'ambition ,  etc.  »  Ce 
champ   est  a  moi  ne  ressemble-t-il  pas  au    roi   de 
quelque  feuillage  ?  avec  cette  différence    que  Jean- 
Jacques    Rousseau  nous  parlolt  très -sérieusement, 
tandis  que  Louise  Labé  ne  faisoit  qu'un  badinage  de 
son  panégyrique  de  la  Folie.  Celte  femme  charmante 
naquit  en  i525  ou  i526 ,  et  mourut  probablement  en 
i565  ou  i566  (i)  :  elle  n'avoit   donc  que  quarante 
ans  (2).  Ses  poésies  parurent  en  i555.  On  n'a  rien  pu 
recouvrer  de  tout  ce  qu'elle  dut  écrire  dans  l'espace 
de  dix  années ,  et  pendant  qu'elle  étoit  dans  la  force 
de  l'âge  et  du  talent ,  et  à  une  époque  de  sa  vie  où  le 
goût  et  l'expérience  dévoient  avoir  mûri  son  génie  : 
c'est  une  grande  perte.  «  Les  élégies  de  Louise  Labé, 
»  dit  le  principal  éditeur,  M.  Breghot  du  Lut  (3) ,  ont 
»  tout  ce  qui  donne  du  prix  et  du  charme  à  ce  genre...  ; 
»  elles  sont  tendres,  touchantes,  passionnées.  Le  cœur 
»  seul  y  parle,  suivant  le  précepte  de  Boileau.  Nidle 
»  affectation ,  nulle  recherche  dans  le  style  ,  mais  une 
»  exquise  naïveté  de  sentiment  et  de  langage ,   qui 
»  n'exclut  point  l'énergie....  » 

La  Notice  que  M.  Gochard  lui  a  consacrée,  et  que 
M.  Breghot  a  enrichie  d'excellentes  notes,  se  fait  lire 

(i)  Son  Testament ,  que  M.  Breghot  vient  de  faire  imprimer, 
est  du  28  avril  i565. 

(2)  Par  une  singulière  distraction ,  Sauvigny  la  fait  mourir 
en  i562  ,  et  il  lui  donne  ce  même  âge  de  quarante  ans. 

(3)  Page  i83. 


(4) 

avec  un  vif  intérêt.  Ces  deux  littérateurs  la  défendent 
avec  chaleur  et  avec  raison,  des  calomnies  que  Du  Ver- 
dier  fit  peser  sur  sa  mémoire  ,  et  de  celles  qu'y  ajouta 
capricieusement  un  écrivain  moderne.  Personne  n'i- 
gnore qu'on  ne  doit  jamais  s'étayer  du  témoignage 
de  l'abbé  Irail ,  qui ,  en  général ,  mérite  peu  de  con- 
fiance. 11  y  a  dans  son  curieux  et  singulier  ouvrage 
des  QuereJes  littéraires^  auquel  il  est  probable  que 
Voltaire  a  mis  les  mains,  presque  autant  de  supposi- 
tions que  de  réalités.  Que  peuvent  donc  ces  crimi- 
nelles suppositions  contre  tant  d'éloges  contempo- 
rains ,  qui  tous  la  représentent ,  non-seulement  ravis- 
sante de  beauté,  mais  chaste,  mais  vertueuse,  mais 
fidèle  à  celui  qu'elle  aima  ,  et  constante  à  repousser 
l'hommage  intéressé  d'un  certain  poète  romain?  Que 
voudroit-on  de  plus  pour  croire  à  l'innocence  de  sa 
conduite ,  qui  fit  l'honneur  et  le  bonheur  de  son 
mari,  et  que  celui-ci  proclama  lui-même  ,  puisqu'en 
mourant  il  lui  légua  ses  biens  par  reconnoissance  ?  Et 
pourquoi  un  critique  fort  instruit  et  très-spirituel  (i) 
s'est-il  permis  d'avancer  à  ce  sujet  cette  étrange 
maxime  ;  «  Dans  ces  matières  délicates,  quand  la  vé- 
»  rite  n'est  ni  ne  peut  devenir  évidente,  l'apologie  peut 
»  paroître  téméraire  et  passer  pour  un  faïix  zèle.  »  Cet 
arrêt  est  sévère  ;  mais  pourquoi  la  disculpation  ne 
pourroit-elle  pas  devenir  éi^iaente  P  En  lisant  les  poé- 
sies de  Louise  Labé  et  les  moyens  de  justification  ras- 
semblés par  ses  éditeurs,  elle  me  semble  devoir  être 

(i)  M.  Diigas-Monbel  (  car  il  est  facile  de  le  reconnoître  , 
quoiqu'il  se  soit  caché  sous  la  signature  E.  K.  E.  j,  le  dernier 
et  le  plus  élégant  interprète  d'Homère ,  a  consacré  aux  œuvres 
de  Louise  Labé  un  fort  bon,  article  dans  la  Semaine  ,  V*  livrai*» 
son,  septembre  1824. 


(5) 
incontestable.  D'ailleurs,  a-t-on  fait  un  crime  à  l'abbé 
Barthélémy    d'avoii    entrepris    de   justifier    Sapho  ? 
«  Quand  je  lis  quelques-uns  de  ses  ouvrages,  »  a-t-il 
dit  avec  un  peu  trop  de  timidité,  «  je  n'ose  pas  l'ab- 
»  soudre;  mais  elle  eut  du  mérite  et  des  ennemis,  je 
•n  n'ose  pas  la  condamner.  »  Il  y  avait  à  cela  de  la  pru- 
dence et  de  la  justice  ;  aussi  ajoute-t-il  :  «  L'envie  qui 
»  s'attache  aux  noms  illustres  meurt,  à  la  vérité,  mais 
»  laisse  après  elle  la  calomnie,  qui  ne  meurt  jamais.  « 
Cette  calomnie  atteignit  Socrate,  et  elle  voulut  flétrir 
du  même  reproche  les  mœurs  d'Anacréon.  M.  Anson , 
traducteur  en  vers  de  ses  odes ,  le  justifia  d'une  ma- 
nière ingénieuse  et  forte  des  torts  affreux  qu'on  lui 
imputoit.  Après  avoir  lu  ce  discours ,  il  est  impossible 
de  ne  pas  chérir  la  personne  d'Anacréon  autant  qu'on 
aime  ses  productions  ,  les  plus  gracieuses  que  l'anti- 
quité nous  ait  laissées.  «  Si  je  gagne  ma  cause,  »  dit-il 
sensément ,  «  c'est  un  grand  homme  de  plus  sous  les 
»  lois  de  la  décence  et  de  la  vertu.  »  Compterait-on 
pour  rien  un  pareil  triomphe  ?  Mais ,  s'il  est  beau  de 
démontrer  qu'un  grand  écrivain  ne  s'égara  pas  si  tris- 
tement dans  ses  mœurs ,  combien  il  est  plus  impor- 
tant de  rétablir  la  réputation  d'une  femme  injuste- 
ment noircie!   une  femme  privée  de  toute  réserve, 
de  toute  décence ,  de  toute  pudeur  !  Ne  semble-t-il 
pas  voir  un  rosier  dépouillé  de  toutes  ses  roses?  Oui, 
je  croirai  avec  Socrate,  avec  Platon  ,  avec  Elien  ,  avec 
Strabon  ,   qu'aucune  autre  personne  de  son  sexe  ne 
pouvait  être  comparée  a  Sapho ^   non-seulement  par 
l'esprit  et  par  les  grâces ,  mais  encore  par  la  sagesse  et 
par  la  modestie.  Quand  Alcée  soupira  pour  elle ,  quand 
il  chantoit  sa  beauté  et  son  génie  ,  quand  il  prétendoit 
obtenir  sa  tendresse ,  ii  lui  disoit  ;  «  Je  voudrois  vous 


(6) 
expliquer  toute  ma  pensée ,  mais  la  honte  me  retient;  » 
Sapho   lui  répondit  noblement:  «  Votre  front  n'au- 
roir  pas  à  rougir,  si  votre  cœur  n'ctoit  pas  coupable.  » 
Elle  disoit  encore  :  «  J'ai  reçu  en  partage  l'amour  des 
î)  plaisirs  et  de  la  vertu  :  le  bonheur  consiste  dans  leur 
»  union.  »  D'ailleurs,  outre  que  la  vengeance  d'Alcée, 
qui  osa  lâchement  déprimer  celle  qu'il  n'avoit  pu  sé- 
duire ,  outre  que  la  haine  de  quelques  rivales  puis- 
santes que  sa   supériorité  humilioit,    auroient   suffi 
seules  pour  faire  flétrir  l'éclatante  réputation  de  la 
muse  de  M itylèn e ,  n'est-il  pas  prouvé  aujourd'hui, 
par  les  découvertes  de  plusieurs  savans ,  qu'il  y  eut  à 
Lesbos  deux  Sapho  ,  l'une ,  courtisane  célèbre  ,  née  à 
Erèse  ;  l'autre,  celle  que  Platon  appeloit  la  belle  et  sage 
Sapho P  Om^sage^  car  son  penchant  pourl'ingratPhaon 
ne  fut  point  un  crime  ;  elle  était  veuve,  elle  étoii  libre, 
elle  pouvoit 

De  Tamour  par  riiymea  épurer  les  plaisirs. 

On  n'a  donc  à  l'accuser  que  d'une  foiblesse  pour  un 
jeune  homme  qui  fut  trop  insensible  au  bonheur  d'a- 
voir fait  une  glorieuse  conquête  ,  et  non  pas  d'un 
vice  odieux  qui  blesse  à  la  fois  le  sentiment,  la  déli- 
catesse et  la  nature.  Il  n'est  pas  même  certain  qu'elle 
se  soit   précipitée   du  haut  du  rocher  de  Leucade. 

Qu'on  ne  pense  pas  que  le  plaisir  de  justifier  Sapho 
m'ait  entraîné  loin  de  mon  sujet.  J'ai  prouvé  qu'au- 
jourd'hui les  meilleurs  critiques  étaient  forcés  de 
l'absoudre  des  horribles  imputations  qu'on  lui  faisoit. 
Mais  si,  lorsque  ces  judicieuses  discussions  commen- 
cèrent ,  on  avoit  écrit  :  «  La  question  restera  toujours 
«indécise;  quand  la  vérité  n'est  ni  ne  peut  devenir 
»  évidente ,  l'apologie  peut  paroître  téméraire  ,  »  iiu- 


(7) 
roit-on  eu  raison  de  s'opposer  d'avance  à  un  aussi 
heureux  résultat?  Eh  bien  !  j'appUque  à  Louise  Labé 
l'exemple  d'Anacréon  et  celui  de  Sapho.  Comme 
Sapho,  elle  rejeta  les  soupirs  d'un  Alcée  italien; 
comme  elle,  elle  éprouva  du  penchant  pour  un  Phaon , 
pour  un  seul ,  et  avant  son  mariage;  ainsi,  elle  ne  fut 
point  une  effrontée  courtisane.  Les  éloges  qu'on  lui 
donna,  les  amis  honorables  qui  lui  restèrent  fidèles, 
l'attachement  de  son  époux  :  tout  manifeste  que  la  ja- 
lousie et  la  méchanceté  s'acharnèrent  après  elle,  et  la 
calomnièrent  indignement.  Félicitons  MM.  Cochard 
et  Breghot ,  surtout  ce  dernier,  de  l'avoir  si  bien  dé- 
montré. 

Il  ne  me  reste  plus  qu'un  mot  à  dire  sur  ce  volume 
dont  l'exécution  ,  extrêmement  soignée  sous  le  rap- 
port typographique,  fait  honneur  aux  presses  de  Lyon. 
Outre  les  œuvres  de  Louise  Labé,  il  renferme  de  sa- 
vantes noies  et  un  glossaire  très-bien  fait,  qui  montre 
que  M.  Breghot  du  Lut  a  autant  de  patience  que  d'é- 
rudition. On  y  trouve  d'ingénieuses  recherches  sur 
les  étymologies  et  de  nombreuses  citations  de  nos 
vieux  auteurs  ,  qui  en  rendent  la  lecture  très-agréable. 
Il  est  à  regretter  que  cet  ouvrage  n'ait  pas  été  livré 
au  public  :  aussi  je  pense  qu'un  libraire  feroit  une  af- 
faire lucrative  s'il  obtenoit  de  l'éditeur  la  permission 
de  le  reproduire.  Cela  ne  blesseroit  les  intérêts  de  per- 
sonne ,  puisque  cette  honorable  entreprise  n'a  point 
été  une  spéculation.  Les  exemplaires  qui  existent  (i) 

(i)  Il  y  en  a  cent  seize  carré  vélin  superfin,  vingt-sept 
grand-raisin  vélin  superfin ,  neuf  coquille  nankin  ,  quatre 
coquille  rose  ,  un  coquille  verte  ,  un  coquille  variée  à  chaque 
feuille,  un  papier  de  Chine.  Le  reste  de  l'édition  ,  pour  at- 
teindre l«i  «ombre  de  six  cents ,  est  en  carré  vélin  ordinaire. 


(8) 
ont  été  partagés  entre  quarante-deux  sociétaires ,  tous 
Lyonnais,  parmi  lesquels  on  remarque  une  dame.  Ces 
sociétaires  les  ont  distj  ibués  à  leurs  amis.  L'un  d'entre 
eux  ayant  bien  voulu  me  gratifier  de  l'un  de  ses  vo- 
lumes ,  m'a  mis  à  même  de  rendre  compte  de  celte 
belle  édition ,  véritable  monument  consacré  à  la  mé- 
moire de  Louise  Labé  par  la  ville  qui  Ta  vue  naître,  et 
qui  se  glorifie  avec  raison  d'avoir  produit  une  aussi 
aimable  muse  (i). 

A.  DE  Labouïsse. 


(i)  Le  souvenir  de  Louise  Labé  est ,  pour  ainsi  dire ,  popu- 
laire à  Lyon.  Tout  le  monde  sait  dans  cette  ville  qu'il  a 
existé  au  seizième  siècle  une  femme  ainsi  nommée,  cé- 
lèbre par  son  esprit  autant  que  par  son  extrême  beauté.  La 
rue  où  elle  demeuroit  s'appelle  encore  la  rue  de  la  Belle  Cor^ 
dière  f  car  Louise  Labé  portoit  ce  surnom  ,  à  cause  de  son 
mari ,  Ennemond  Perrin  ,  riche  marchand  de  cordages  et  de 
câbles  pour  les  navires. 

Ses  éditeurs  semblent  annoncer  qu'ils  publieront  de  la  même 
manière  les  autres  poètes  dont  Lyon  s'honore  d'avoir  été  le 
berceau.  Je  fais  des  vœux  pour  que  ce  projet  reçoive  son 
exécution.  L'entreprise  seroit  à  la  fois  utile  ,  agréable  et  pa- 
triotique. Pernelte  de  Guillet ,  contemporaine  de  Louise  Labé, 
réclame,  la  première,  les  honneurs  de  la  réimpression.  Ses 
oeuvres  ,  quoiqu'elles  aient  eu  une  grande  réputation  ,  et  qu'il 
en  existe  trois  éditions  au  moins  ,  sont  devenues  encore  plus 
rares  que  celles  de  la  belle  Cordière.  J'engage  donc  forte- 
ment M.  Breghot  à  nous  les  redonner  avec  le  même  luxe 
typographique  ,  et  à  les  accompagner  pareillement  de  note* 
et  d  un  glossaire  ,  et  surtout  à  en  multiplier  un  peu  plus  les 
exemplaires  qu'il  ne  l'a  fait  pour  Louise  Labé. 


IMPRIMERIE   DE  C.    J.   TROUVA 

rue  des  Filles-Saint-ThoaiM,  n"  i*. 


NOTICE 


SUR  LA 


RUE  BELLE -CORDIÈRE 

A  LYON , 

CONTENANT   QUELQUES  RENSEIGNEMENS 
BIOGRAPHIQUES 

SUR  LOUISE  LABÉ  ET  CHARLES  BORDES. 


LYON, 

IMPRIMERIE  DE  J.  M.  BARRET  ,  PLACE  DES  TERREAUX, 

1828. 


NOTICE 


SUB  LA 


RUE  BELLE -CORBIÈRE 


■uagu  ia>  Lgu» 


Jua  rue  Belle  Cordiere  ,  qui  prend  son  entre'e  , 
du  côté  du  midi  ,  par  la  place  Lévisle  ,  et  qui  va  aboutir  à 
la  rue  Confort  ,  contient,  d'après  le  dernier  recensement, 
26  maisons  ,  269  ménages  ,  i436  individus,  93  ateliers 
et  2  35  métiers  d'étoffes  de  soie.  Ce  ne  fut  pendant 
long-temps  qu'un  chemin  étroit  qui  servait  à  la  desserte 
de  quelques  maisons  isolées  et  de  quelques  fonds  en  vignes 
et  jardins  ,  qui  étaient  situés  dans  ce  canton.  Les  Jacobins 
y  avaient  un  enclos  de  vigne.  Le  passage  n'a  été  élargi  , 
à  ce  qu'il  paraît ,  que  durant  l'occupation  de  Lyon  par 
les  protestans  ,  en  1662  :  on  fit  alors  ,  de  toutes  parts  , 
des  ouvertures  au  clos  de  Bellecour  ,  propriété  particu- 
lière ,  qu'on  transformait  en  place  publique.  On  donna 
d'abord  à  la  nouvelle  rue  ,  le  nom  de  rue  neuve  de 
Confort ,  puis  celui  de  rue  ou  ruelle  Régnier  ,  et  seule- 
ment vers  la  fui  du  seizième  siècle ,  le  nom  qu'elle  porte 
actuellement. 

Le  sol  des  rues  Belle  Cordiere  et  Bourgchanin  ,  qui 
sont  parallèles  ,  est  un  des  plus  bas  de  la  ville  et  des 
plus  exposés  aux  inondations  par  les  infdtrations  sou- 
terraines   du  Rhône.   La    longue    stagnation    des    eaux 


4 

dans  les  caves  de  ces  deux  rues  ,  aux  mois  de  janvier  et 
de  février  i823  ,  époque  d'un  débordement  simultané  du 
Rhône  et  de  la  Saune  ,  produisit  dans  le  quartier  une 
espèce  d'épidémie  qui  fut  des  plus  meurtrières. 

C'est  dans  la  maison  de  cette  rue ,  qui  porte  le  n.<^  14  , 
que  les  Israélites  de  Lyon  ont  leur  synagogue. 

Les  bureaux  de  l'académie  provinciale  se   trouvaient 
aussi  dans  cette  rue.  On  sait  que  cette  association ,  formée 
en  1826  par  les  rédacteurs  du  journal  de  \ Indépendant ^ 
MM.  Morin,  Charles  Durand,  De  Loy  ,   etc.,  était  un 
projet  de  ligue  des  départemens  pour  s'opposer  au  mono- 
pole de  l'esprit  et  des  lumières  que  s'arroge  la  capitale.  La 
société  devait  se  cornposer  de  cinquante  membres  ayant  le 
titre  d'académiciens ,  de  dix  membres  ayant  celui  de  mem- 
bres du  comité  des  beaux-arts,  de  cent  correspondans  ré- 
sidant dans  les  départemens  de  la  France  ou  à  l'étranger, 
et  de  mille  souscripteurs  qui  auraient  eu  le  titre  d'associés. 
Ce  n'est  que  par  des  publications  que  l'académie  provin- 
ciale devait  agir,  et  elle  correspondait  avec  tous  ses  mem- 
bres par  son  journal  et  par  ceux  des  départemens.  Elle 
comptait  publier  douze  volumes  par  an ,  choisis  parmi  les 
manuscrits  qui  lui  auraient  été  soumis  par  les  sociétaires. 
M.  de  Chateaubriand  avait  été  nommé  président  honoraire 
et   perpétuel  ;   M.    Charles   Nodier ,   président   annuel  ; 
M.  Charles  Durand,  secrétaire.  L'idée  était  bonne;  mais 
l'exécution  n'y  a  pas  répondu ,  et  à  peine  une  année  s'é- 
tait-elle écoulée  depuis  sa  création,  que  la  société  provin- 
ciale a  cessé  d'exister  avec  le  journal  qui  lui  servait  d'or- 
gane. M.  Morin  semble  avoir  voulu   essayer  de  la  faire 
revivre,  en  publiant,  tous  les  mois,  un  recueil  pério- 
dique, in- 8.°,   sous  le  titre  de   la  France  provinciale  ; 
mais  il  n'a  donné  que  deux  numéros,  ceux  de  juin  et  de 
juillet  1827. 


5 

La  dénomînalion  de  la  rue  Belle  Cordlère  lui  a  été 
imposée  par  l'usage  ,  et  non  par  l'autorité  municipale  ; 
elle  rappelle  la  mémoire  de  la  célèbre  Louise  Labé ,  dont 
le  mari ,  Ennemond  Perrin  ,  riche  marchamd  de  cor- 
dages ,  possédait  sur  cet  emplacement ,  vers  le  milieu  du 
seizième  siècle,  un  jardin  (i)  et  une  maison.  Cette  maison 
forme  aujourd'hui  l'angle  oriental  de  la  rue  Belle  Cor- 
dière  et  de  la  rue  Confort.  Ennemond  Perrin  ,  mort  en 
i565  ,  la  laissa  à  sa  veuve ,  qu'il  institua  son  héritière  , 
et  celle-ci  la  légua  ,  à  son  tour  ,  à  deux  neveux  de  son 
mari  ,  Jacques  et  Pierre  Perrin  ,  en  leur  substituant 
l'aumône  générale  dans  le  cas  où  ils  mourraient  sans 
enfans.  Par  l'effet  de  cette  substitution  ,  l'immeuble 
entra  dans  le  domaine  des  pauvres.  Vendu  à  un  sieur 
Berthier ,  conseiller  au  parlement  de  Grenoble  ,  il  passa 
ensuite  à  un  sieur  de  Courtine  ,  puis  à  Louis  Dupré , 
marchand  cartonnier.  Il   est  resté   long-temps  dans  la 


(i)  Un  peu  plus  haut  que  la  plaine 
Ou  le  lione  impetueus 
Embrasse   la  Sone  humaine 
De  ses  grans  bras  tortueus  , 
De  la  mignonne  pucelle 
Le  plaisant  jardin  estoit ,  etc. 

Ainsi  commence  la  description  du  jardin  de  la  Belle 
Cordière  dans  une  pièce  anonyme  à  sa  louange,  imprimée 
à  la  suite  de  ses  oeuvres.  Il  faut  lire  en  entier  cette  des- 
cription ,  morceau  plein  de  fraîcheur  ,  de  grâce  et  de 
poésie.  C'est  là  que  sont  désignées  trois  fleurs  sous  des 
dénominations  inconnues  des  botanistes  modernes  ,  les 
inastis  ,  les  bruntttes  et  les  damas  ,  et  un  arbuste  que  le 
poète  appelle  le  cerverin ,  qui  ont  fourni  dernièrement  le 
sujet  d'une  discussion  intéressante. 


6 

famille  de  celui-cî  :  car  ce  n'est  que  depuis  deux  ou  trois 
ans  que  Taliënation  en  a  été  faite  par  Madame  R.avier  du 
Magny  ,  épouse  de  M.  le  président  du  tribunal  civil  de 
Lyon  ,  et  fdle  de  feue  Madame  Tavernier ,  née  Dupré. 
Les  propriétaires  actuels  l'ont  fait  presque  entièrement 
reconstruire.  Il  y  a  grande  apparence  que  ce  n'est  pas  la 
première  fois  que  cette  maison  a  été  rebâtie  depuis 
l'époque  où  elle  appartenait  à  Louise  Labé. 

Louise  Charly ,  dite  Labé ,  qui  dut  le  surnom  de 
Belle  Cordîère  aux  charmes  de  sa  personne  ,  a  laissé  un 
nom  distingué  dans  les  lettres.  Elle  était  fdle  d'un  cordier 
qui  possédait  une  fortune  considérable  et  qui  lui  fit 
donner  une  brillante  éducation.  Elle  naquit  en  i525 
ou  1 526.  Douée  d'une  imagination  ardente ,  avide  de 
tous  les  genres  de  gloire,  elle  suivit,  en  i542  ,  âgée 
d'environ  seize  ans ,  l'armée  de  François  L^^  (i)  au  siège 
de   Perpignan  ,  où   la  firent  remarquer    sa  bravoure  et 


(i)    Quelques    auteurs  ,    tels   que    PouUin    de    Lumina  , 
Abr.  chronol.  de  Vhist.  de   Lyon,  pag.  186,   M.  Fortis  , 
Voyage    pilloresque  à   Lyon,   tom.   I,   pag.   210  et  2  12  , 
M.  Jal  ,  Résume  de  Vhist.  du  Lyonnais,   pag.  24^,    etc.  , 
(lisent  que  Louise  Labé  fut  présentée  à  François  L^%  pas- 
sant par    Lyon    pour    se    rendre   à  Perpignan  ,    et  qu'elle 
charma  tellement  ce  prince  ,  ami    des  lettres  et  du  beau 
sexe  ,  par  son  esprit  et  par  sa  beauté,  qu'il  lui  permit  de 
suivre  la  cour  ;  mais  ce  sont  là  des  particularités  qui  ne 
se  trouvent  confirmées   par  aucun  document   historique  , 
et  qui  paraissent  avoir  été  inventées  à  plaisir.  Il  en  est  de 
même   de    quelques   autres    circonstances   rapportées    par 
M.  Fortis  dans   l'endroit  que   nous  venons   de  citer,  où, 
suivant  son  usage  ,  il   use  largement  du  privilège  accorde' 
par  Horace  aux  peintres   et  aux  poètes. 


son  intre'pidilé ,  ainsi  que  son  habileté  et  sa  grâce 
à  monter  à  cheval.  Elle  s'était  déguisée  en  homme  ,  et 
on  l'appelait  au  camp  le  Capitaine  Loys,  De  retour  à 
Lyon  ,  elle  y  épousa  Ennemond  Perrin.  Sa  maison  de- 
vint bientôt  le  rendez-vous  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
personnes  recommandables  dans  la  cité  par  le  rang 
qu'elles  y  occupaient  ,  ou  par  leurs  goûts  littéraires. 
Maurice  Sève  ,  alors  célèbre  comme  poète  et  comme  chef 
d'une  école  poétique  ,  ami  et  patron  de  Marot ,  avocat 
et  échevin  ,  appartenant  à  une  illustre  famille  piémon- 
taise  dont  une  branche  s'était  établie  à  Lyon  ,  un  des 
hommes  les  plus  considérés  de  cette  ville  ;  Claude  de 
Taillemont ,  qui  fut  aussi  échevin  ,  et  qui  pareillement 
cultivait  les  lettres  avec  beaucoup  de  distinction  ;  Gabriel 
de  Saconay  ,  comte  et  précenteur  de  l'église  de  Lyon  , 
auteur  de  plusieurs  ouvrages  estimés  ;  Clémence  de 
Bourges  ,  la  perle  des  damoiselles  lyonnaises  ,  suivant 
l'expression  de  du  Verdier ,  etc.  etc.  ,  étaient  les  prin- 
cipaux ornemens  de  ces  réunions ,  où  l'on  admettait 
encore  les  savans  et  les  littérateurs  étrangers  qui  se 
rendaient  en  foule  dans  nos  murs  pour  y  surveiller 
l'impression  de  leurs  écrits.  L'imprimerie  de  Lyon  était 
en  ce  temps-là  très-renommée  ',  les  Sébastien  Gryphe 
et  les  Jean  de  Tournes  l'avaient  élevée  à  un  haut  degré 
de  splendeur,  et  c'est  vraiment  alors  plus  qu'à  toute  autre 
époque,  qu'on  voyait  couler,  dans  les  remparts  de  cette  ville. 

Les  ondes  du  Pactole  et  les  eaux  du  Permesse. 

Une  bibliothèque  nombreuse  décorait  le  cabinet  de 
Louise  Labé.  La  musique  où  elle  était  fort  habile  ,  et 
d'agréables  banquets  auxquels  elle  présidait  avec  beau- 
coup de  grâce  ,  faisaient  chez  elle  une  aimable  diversion 


8 

aux  dei>îs  littéraires.  En  un  mot ,  comme  l'a  dit  un  de 
nos  collègues  ,  on    peut  regarder  les  assemblées  que  la 
Belle  Cordière  tenait   dans  sa  maison  ,   comme  le  type 
de  celles  qui  depuis  ont  illustré  le  siècle  de  Louis  XIV. 
Louise  Labé  savait  le  grec,  le  latin,  l'italien,  l'espagnol. 
On  se  fait  aisément  l'idée  du  charme  que  devait  répandre 
autour  d'elle  une  femme  qui  réunissait  à  une  éclatante 
beauté  la  vivacité  et  les  grâces  de  l'esprit  le  plus  heu- 
reux et  le  mieux  cultivé.  Ses  mœurs  respectées ,  célébrées 
même  comme   pures  et    irréprochables  par  les  auteurs 
qui  ont  vécu  en  même  temps  qu'elle ,  et  qui  l'ont  habi- 
tuellement fréquentée  ,   n'ont  été   attaquées  que  sur   la 
foi  de  du  Verdier  et  de  Rubys  qui  ne  l'ont  pas  connue. 
Ces  deux  écrivains  et  ceux  qui  se  sont  faits  leurs  échos  , 
nous   la   représentent    comme  une   courtisane  raffinée  , 
comme  une   nouvelle  Léontium ,   comme   la  Ninon    de 
son  siècle  ;  mais  elle  a  trouvé  d'ardens  défenseurs  dans 
les  derniers  éditeurs  de  ses  œuvres  :  car  elle  a  composé 
des  œuvres  qui  furent  publiées  de  son  vivant  et  l'ont  été 
plusieurs  fois  depuis  :  elle  y  chante ,  il  est  vrai ,  l'amour 
avec  des  expressions  enflammées  ;  mais  qui  peut  assurer 
que  l'objet  de  sa  passion  ne  fût  pas  ce  même  Ennemond 
Perrin   qui  était  alors  ou   qui  devait  être  un  jour  son 
époux  ?  ou  pourquoi  n'aurait-elle  pas  eu  un  amant  ima- 
ginaire ,  comme  les  poètes  célèbrent  des  Iris  en  ïaïr  ^  des 
Phyllis  ,  des  Syhie  qui  n'ont  jamais  existé  (i)  ?  Ce  qu'il 
y  a  de   certain  ,   c'est    qu'à  moins    d'adopter  l'une  ou 
l'autre  de  ces  hypothèses ,  on  est  réduit  à  l'impossibilité 

(i)  Cette  conjecture  se  trouve  déjà  dans  les  Recherches 
sur  les  théâtres  de  France ,  par  de  Beauchamps  ,  Paris  , 
1755,  3  Yoi,  in-i2  ,  tom.  1 ,  pag.  554' 


9 

absolue  d'expliquer  les  éloges  que  lui  donnent  plusieurs 
poètes  de  son  temps  ,  qui  vantent  à  l'envi  sa  vertu  ,  sa 
pudeur  ,  sa  chasteté  :  éloges  qu'ils  n'eussent  jamais  osé 
proférer,  et  qui  se  fussent  convertis  dans  leur  bouche 
en  reproches  ironiques  ,  en  outrages  sanglans  ,  si  la 
personne  à  laquelle  ils  s'adressaient ,  eût  été  une  femme 
notoirement  perdue  de  débauche  ,  ou  seulement  une 
femme  dont  la  réputation  aurait  été  tant  soit  peu  équi- 
voque. 

Le  recueil  de  ses  ouvrages,  dédié  à  Clémence  de 
Bourges  ,  consiste  en  une  petite  comédie  en  prose  ,  in- 
titulée le  Débat  de  Folie  et  d* Amour  ,  ingénieuse  fic- 
tion ,  fable  charmante  ,  admirée  par  Voltaire  et  imitée 
par  La  Fontaine  ;  en  trois  Elégies  ,  tendres ,  touchantes , 
passionnées  ,  pleines  d*heureuses  réminiscences  d'Ovide  , 
de  Tibulle  et  de  Properce  ;  et  en  vingt-quatre  Sonnets  , 
dont  le  premier  est  en  italien  ,  et  dans  lesquels ,  comme 
l'a  observé  tout  récemment  un  critique  ,  on  reconnaît 
sans  peine  ,  à  la  douceur  et  à  la  pureté  des  sentimens 
et  de  l'expression  ,  que  la  Belle  Cordière  soupirait  non 
loin  de  la  patrie  de  Laure. 

Nous  ne  nous  étendrons  pas  davantage  sur  la  biogra- 
phie de  Louise  Labé  ,  que  nous  ne  pouvons  traiter  ici 
qu'accessoirement  ;  mais  ,  en  considération  de  la  place 
remarquable  que  cette  femme  occupe  dans  nos  fastes 
littéraires  et  de  l'honneur  que  sa  naissance  fait  à  la  ville 
de  Lyon  ,  à  laquelle  notre  ouvrage  est  consacré  ,  on 
nous  permettra  d'indiquer  ,  dans  une  note ,  à  ceux  de 
nos  lecteurs  qui  voudraient  approfondir  un  sujet  aussi 
intéressant ,  différentes  sources  où  ils  pourront  puiser 
des  notions  plus  étendues  et  plus  complètes  ,  et  d'entrer 
en  même   temps  dans  quelques   détails  bibliographiques 


10 

sur  les  éditions  des  cÊUvres   de   Louise  Labé  ,  qui  ont 
paru  jusqu'à  ce  jour  (i). 

(i)  Le  premier  ouvrage  à  consulter  pour  la  biographie 
de  la  Belle  Cordière  ,  est  le  Discours  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  Louise  Labe\  hyonnoise  (  par  M.  Charles-Joseph 
de  Ruolz  (*) ,  de  racadémie  de  Lyou  ),  Lyon  ,  Aimé  Dela- 
roche  ,  i  ySo  ,  in-12  de  63  pages  •,  le  second  est  la  Notice 
sur  Louise  Labé ,  par  M.  Cochard ,  à  la  tête  de  l'édition  de 
ses  œuvres,  donnée  en  1824,  et  dont  nous  parlerons  bien- 
tôt*, le  troisième  et  dernier  est  le  recueil  des  Archives  his- 
toriques et  statistiques  du  département  du  Rhône  ,  dont  il 
est  peu  de  n.*'^  qui  ne  contiennent  quelques  renseignemens 
sur  Louise  Labé.  C'est  ainsi  qu'on  trouve  dans  ce  recueil  , 
tom.  I ,  pag.  55-4^5  ^^^^  copie  de  son  testament ,  daté  du 
28  avril  i565,  pièce  importante  et  qui  était  restée  inconnue 
à  nos  historiens  dont  elle  peut  servir  à  rectifier  les  asser- 
tions sur  plusieurs  points  (**);  tom.  Il,  pag.  125-1289 
une  lettre  sur  deux  anciennes  éditions  de  ses  oeuvres  ; 
tom.  III,  pag.  160,  son  épitaphe  ,  par  M.  Pericaud  aîné; 
ibid.  pag.  47^9  un  article  sur  son  portrait  lithographie  ,  à 
Lyon,  par  M.  Ileverchon  ,  et  à  Paris,  par  M.  Serrur,  et 
pag.  47^~48o,  des  notes  sur  cinq  plantes  cultivées  dans 
son  jardin  ,   par   MM.   Vallot   et  Thiébaut  de    Berneaud  -, 

(*)  Né  à  Lyon  le  i4  novembre  1708  ,  mort  le  10  juillet  1756  ,  en 
traversant  la  rivière  d'Ain  qui  avait  grossi  subitement,  et  en  se  jetant 
k  la  nage  pour  sauver  sa  femme  et  son  frère  qui  périrent  avec  lui.  11 
était  conseiller  à  la  cour  des  monnaies.  Il  a  composé  pour  l'académie 
un  assez  grand  nombre  de  mémoires  et  de  dissertations.  L'abbé 
Pernctti  ,  Lyonn»  dignes  de  jnéni.  ,  tom.  II,  pag.  /|Oi  ,  se  trompe  en 
disant  que  nous  n'avons  de  lui  d'autre  ouvrage  imprimé  que  sa  disser- 
tation anonyme  sur  Louise  Labé  :  le  Journal  de  Trc</oux  ,  septembre 
1748  ,  nous  a  conservé  des  Recherches  historiques  et  topo  graphique  s 
sur  les  villes  d'Herculaîie  et  de  Pompéie  ,  qu'il  avait  lues  dans  les 
séances  académiques  des  22  novembre   174?  et  25  avril  suivant. 

(**)  Ce  testament  a  été  réimprimé  à  part. 


il 

La  ville  de  Lyon  est  fièie  ,  avec  raison  ,  d'avoir  été 
le  berceau  de  Louise  Labé  ,  comme  autrefois  Mytilène 


tom.  IV,  pag.  217-220,  une  lettre  sur  un  passage  de  l'an- 
cien poète  français,  Guillaume  Crétin,  que  l'on  avait  cru 
relatif  a  Louise  Labë,  et  pag.  522-626  5  une  seconde  lettre 
sur  des  vers  de  Clément  Marot ,  qui  paraissent  la  concer- 
ner ;  tom.  V,  pag.  ii-i4et29,  une  comparaison  de  son 
Débat  de  Folie  et  cV Amour  avec  un  poème  de  Wiéland  , 
par  feu  M.  le  comte  François  de  Neufchâteau  5  tom.  VI  , 
pag.  4^7-458  9  un  jugement  porté  sur  elle  dans  le  Fort 
inexpugnable  de  V honneur  féminin  ,  par  François  de  Billon, 
imprimé  en  i555  *,  tom.  VU,  pag.  266-267,  une  note  sur 
trois  sonnets  encore  inédits  qu'elle  aurait  composés  en 
l'honneur  d'Amélie  de  Mon  tendre  ,  suivant  les  éditeurs  de 
Clotilde  de  Surville,  et  pag.  465-466,  un  article  commu- 
niqué par  un  anonyme  et  destiné  à  réfuter  un  passage  de 
la  Gazette  unii^erselle  de  Lyon  ,  où  l'on  blâmait  l'autorité 
municipale  de  ce  qu'elle  avait  commandé  à  M.  Foyatier  , 
pour  la  galerie  des  Lyonnais  célèbres  fondée  par  feu 
M.  Grognard  ,  un  buste  en  marbre  de  Louise  Labé,  qui  a 
figuré  à  la  dernière  exposition  du  Louvre  ,  etc.  ,  etc.  ,  etc. 
La  plupart  de  ces  morceaux  ont  été  réimprimés  dans  les 
Lettres  Lyonnaises ^  Lyon  ,  1826  ,  in-8.°  et  dans  les  Mé- 
langes sur  Lyon  ,  extraits  des  Archii^es  du  lihdne.  Ce  sont 
autant  de  supplémens  aux  notes  qui  accompagnent  l'édi- 
tion des  œuvres  de  Louise  Labé  de  1824. 

Les  éditions  qui  ont  été  faites  de  ces  œuvres  ,  suivies 
des  vers  à  sa  louange  par  divers  poètes  de  son  temps  , 
sont  au  nombre  de  sept.  Les  trois  premières  sortirent  des 
presses  de  Jean  de  Tournes ,  en  i555  et  i556,  pet.  in-8.°; 
la  quatrième  est  celle  de  Rouen,  Jean  Garou,  i556,  in-i6j 
la  cinquième  a  paru  a  Lyon  ,  chez  les  frères  Duplain  ,  en 
1762,  in-12  ,  et  fut  ^imprimée  par  Aimé  Delaroche  ;  la 
sixième  a  été  publiée  à  Brest,  chez  Michel  (imprimeur  et 


12 
se  vantait  de  ce  qu'elle  avait  été  la  patrie  de  Sappho  ,  et 

comme  aujourd'hui  Toulouse  se  rappelle  avec   orgueil 

éditeur)  ,  en  i8i5  ,  in-8.°j  et  la  septième  ,  à  Lyon,  chez 
Durand  et  Perrin,  en  1824»   même  format. 

Cette  dernière  édition  et  celle  de  1762  sont  des  monii- 
mens  élevés  à  la  gloire  de  Louise  Labé  par  quelques-uns 
de  ses  compatriotes. 

L'édition  de  1762  fut  donnée  par  MM.  Jacques-Annibal 
Claret  de  la  Tourrette  de  Fleorieu  ,  ancien  prévôt  des 
marchands  ,  président  honoraire  à  la  cour  des  monnaies 
et  secrétaire -perpétuel  de  l'académie  de  Lyon  5  l'abbé 
Antoine  Lacroix,  grand  obéancier  de  St-Just;  le  P.  Dumas, 
bibliothécaire  des  Gordéliers  ;  le  P.  Janin  ,  bibliothécaire 
des  Augustins  •,  Jean-François  Tolozan  ,  premier  avocat- 
général  à  la  cour  des  monnaies  ;  Biaise  Desfours  ,  conseiller 
à  la  même  cour*,  Ruffier  d'Attignat,  trésorier  de  France  j 
Bollioud-Mermet,  de  l'académie  de  Lyon ,  et  Pierre  Adamoli, 
maître  des  ports  ,  ponts  et  passages  de  la  ville  et  du  gou- 
vernement du  Lyonnais ,  Forez  et  Beaujolais.  Ce  dernier 
fut  chargé  du  soin  de  diriger  l'impression  qui  fut  faite  sur 
un  exemplaire  de  i555  ,  fourni  par  M.  de  Fleurieu.  Les 
dessins  des  gravures  qui  ornent  cette  édition  ,  tirée  au. 
nombre  de  5^5  exemplaires  ,  avaient  été  la  plupart,  quel- 
ques années  auparavant,  esquissés  par  M.  de  Lamonce  ^ 
M.  Nonnotte,  peintre  de  Lyon,  membre  de  l'académie  et 
frère  du  fameux  abbé  Nonnotte  ^  l'antagoniste  de  Voltaire  , 
les  retoucha ,  mais  ils  furent  mal  exécutés  par  le  graveur 
de  Paris  ,  nommé  Daullé ,  dont  le  burin  manquait  de  force. 

L'édition  de  i8?4  ^^t  due  également  à  une  société  d'ama- 
teurs et  de  gens  de  lettres  lyonnais ,  appartenant  presque 
tous  à  la  magistrature ,  au  barreau  ,  a  l'académie  et  au 
cercle  littéraire.  On  voit  figurer  h  la  tête  de  la  liste  hono- 
rable des  personnes  qui  ont  fait  les  frais  de  l'impression 
et  qui  ont  partagé  les  exemplaires,  MM.  le  vicomte  Paultre 


13 

qu'elle  a  vu  naître  Clémence  Isaure.  Ce  sont  là  des 
gloires  ,  pour  ainsi  dire  ,  populaires  ,  et  qui  ne  sont  que 
plus  flatteuses.  Le  nom  que  le  peuple  lyonnais  a  donné 
à  la  rue  qui  est  le  sujet  de  cet  article  ,  est  une  de  ces 
marques  de  souvenir  qui  recommandent  encore  plus  les 
individus  qui  les  obtiennent  que  ne  le  font  les  éloges  des 


de  la  Motte  ,  lleutenant-g'^néral  ,  commandant  la  ij}.^  di- 
vision militaire  ;  le  comte  de  Bastard  d'Estang ,  premier 
président  de  la  cour  royale  de  Lyon  ,  pair  de  France  ;  le 
comte  de  Brosses  ,  préfet  du  département  du  Rhône  5  le 
baron  Rambaud,  maire  de  Lyon^  les  membres  de  la  chambre 
de  commerce,  représentée  par  son  président  M.  le  che- 
Talier  Mottet  de  Gérando,  etc.  Des  ecclésiastiques,  des  con- 
seillers à  la  cour,  des  membres  des  tribunaux,  des  avocats  , 
des  médecins,  des  négoclans,  une  dame  (  M.^^  de  Ser- 
mézy),  etc.,  complètent  cette  liste  qui  se  compose  de  4^ 
souscripteurs  dont  les  uns  ont  eu  10,  et  les  autres  ,  20  exem- 
plaires chacun  .'On  trouvera  dans  les  Arch,  du  ï\h.^  t.  I,p.  77, 
rindication  des  divers  papiers  sur  lesquels  l'édition  a  été 
tirée.  Les  éditeurs  ont  placé  à  la  tête  du  volume  un  Dia- 
logue entre  Sappho  et  houise  Labe\  par  M.  Dumas,  et  «ne 
Notice  sur  Louise  Labé  ^  par  M.  Cochard,  accompagnée  de 
notes  par  M.  Breghot  du  Lut  ,  lequel  a  dirigé  l'entreprise, 
collationné  le  texte  avec  celui  des  éditions  précédentes  , 
et  rédigé  le  commentaire  qui  va  de  la  page  1 55  à  la  page 
256,  et  le  Glossaire  de  Louise  Labë  qui  remplit  les  pages 
237-522.  Le  volume  est  terminé  par  des  Additions  et  cor- 
rections  et  par  la  Liste  des   souscripteurs. 

Nous  avons  cru  devoir  ,  par  les  motifs  indiqués  plus 
haut ,  consigner  ici  ces  détails  historiques  et  bibliogra- 
phiques dont  nous  garantissons  l'exactilude,  et  que  l'on 
ne  pourrait  trouver  aussi  complets  nulle  autre  part. 


14 
savans  et  les  honneurs  décernés  par  les  princes.  Il  est  vra^ 
que  c'est  à  sa  rare  beauté  que  Louise  Labé  semble ,  au 
premier  coup  d'oeil ,  devoir  la  place  distinguée  qu'elle 
conserve  dans  la  mémoire  de  ses  compatriotes  ;  mais  si 
elle  n'eût  été  que  belle  ,  on  ne  connaîtrait  aujourd'hui 
que  son  surnom  ,  et  l'on  se  demanderait  avec  une  sorte 
d'indifférence  ou  de  vaine  curiosité  quelle  était  cette 
Cordière  dont  les  charmes  avaient  fixé  un  instant  les 
regards  de  ses  contemporains.  Ce  sont  ses  talens ,  ce  sont 
les  œuvres  qu'elle  a  laissées ,  où  elle  s'est  montrée  supé- 
rieure à  son  siècle,  et  où  brillent  le  naturel,  la  délicatesse, 
la  grâce  ,  une  sensibilité  vraie  et  profonde ,  une  riante  et 
fertile  imagination  ,  qui  l'ont  garantie  de  l'oubli  et  qui 
lui  assurent  des  titres  solides  à  l'estime  de  la  postérité. 

La  rue  Belle  Coi'dière  peut  aussi  s'honorer  d'avoir  vu 
naître  un  homme  qui  s'est  acquis  de  la  célébrité  par  ses 
talens.  Charles  Bordes  (i)  y  vint  au  monde,  le  6  septembre 
171 1.  On  sait  qu'il  fut  l'ami  de  Voltaire  ,  et  on  connaît 
ses  relations  intimes  avec  J.-J.  Rousseau  dont  il  devint 
ensuite  l'antagoniste  dans  la  fameuse  dispute  sur  la  ques^ 
tion  proposée  par  l'académie  de  Dijon  sur  l'influence  des 
lettres  et  des  arts.  Il  écrivit  en  prose  et  en  vers  ,  et  il 
fut  ,  suivant  l'expression  de  M.  Barou  du  Soleil  (2)  , 
l'un  de  ces  littérateurs  distingués  que  les  provinces 
opposent  avec  orgueil  aux  prétentions  exclusives  de  la 
capitale.  Plusieurs  de  ses  ouvrages  parurent  de  son  vi- 

(i)  Il  signait  ainsi,  et  cependant  l'acte  de  son  baptême 
et  celui  de  son  décès  portent,  l'un  et  l'autre,  Borde  sans 
s.  Voy.  Archives  du  Rhône,  tom.  I  ,  pag.  52  ,  not.  i. 

(2)  Eloge  de  M.  Prost  de  Royer,  (Lyon  )  ,  1785,  in-8.**, 
png.   ig. 


vant  ;  mais  ie  recueil  n'en  a  étë  publié  qu'en  1785  , 
deux  ans  après  sa  mort  (i)  ,  par  un  de  ses  confrères  à 
l'académie  de  Lyon  ,  l'abbé  de  Caslillon  ,  vicaire-général 
de  M.  de  Monlazet.  M.  l'abbé  Guillon  de  Monlléon  fit 
paraître  en  1785,  sous  le  titre  de  Tribut  de  l amitié  à 
la  mémoire  de  M.  Borde  ,  un  éloge  intéressant  de  son 
ami  ;  et  M.  Pericaud  aîné  lui  a  consacré  une  notice 
biographique  qui  a  été  insérée  dans  le  tom.  I  des  Ar- 
chives du  Rhône  ,  pag.  52  et  suiv. ,  et  réimprimée 
séparément.  Le  recueil  périodique  que  nous  venons  de 
citer  ,  contient  en  outre  ,  tom.  III  ,  pag.  40"47  5  le  dis- 
cours de  Bordes  à  sa  réception  à  l'académie  de  Lyon  , 
prononcé  le  27  avril  174^  ,  et  qui  ,  au  moment  de  (.ette 
insertion  ,  était  encore  inédit.  Ce  fut  Bordes  qui  ,  en  sa 
qualité  de  directeur  de  la  même  compagnie,  complimenta 
Voltaire  ,  dans  la  séance  publique  du  26  novembre  1754. 
Ce  discours  ,  pareillement  inédit  ,  se  trouvera  à  la  page 
61  des  Méhinges  sur  Lyon  ^  actuellement  sous  presse, 
et  figurera  sans  doute  dans  \ Histoire  de  l  Académie  de 
Lyon ,  que  M.  Dumas  est  sur  le  point  de  faire  paraître. 


2Vb/a.  Cette  notice  ,  re'dige'e  par  M.  C.  B.  D.  L.  et  des- 
tinée à  faire  partie  d'une  description  par  ordre  alphabétique 
des  rues  ,  places  et  quartiers  de  la  ville  de  Lyon  ,  est 
extraite  des  Archives  fils  torique  s  et  statistiques  du  dépar- 
tement du  Rhône  ^  tome  VIII  5  pag.  4'i9* 


(i)  Arrivée  le  i5  février  1781. 


SUR 


LOUISE   LABÉ. 


"^'^^  A  CINquaivtê 


^"^^^PLAI^ES. 


'"''''^'^•^^i^n^r.^Soo, 


\Mm    VK  /.] 


POUR  SERVIR  DE  SUPPLÉMENT 


AU    COMMENTAIRE 


SUR  LES  OEUVRES  DE  LOUISE  LABÉ. 


.^^..>i^..^. 


Parmi  les  pièces  de  vers  qui ,  sous  le  titre  à^Escriz  de 
diuers  poètes  ,  ont  été  placées  à  la  suite  des  œuvres  de 
Louise  Labé  ,  comme  ayant  été  composées  h  sa  louange  , 
il  en  est  deux  qui  sont  dues  à  Olivier  de  Magny ,  de 
Caliors  en  Quercy,  ami  et  compatriote  de  Hugues  Salel 
et  de  Clément  Marot.  La  première  est  celle  qui  commence 
à  la  page  ii4  de  notre  édition  ",  et  qui  est  intitulée: 
Epître  à  ses  amis  ,  des  gracieuseiez  de  D.  L.  L,  ^  et  la 
seconde  est  celle  qu'on  lit,  pag.  121  et  suiv. ,  et  qui 
porte  le  titre  d'Ode  en  faveur  de  D.  Loiiïze  Labé  à  son 
bon  Signeur.  D.  M.  L'une  et  l'artre  ,  mais  surtout  la 
dernière  ,  sont  remarquables  :  elles  nous  font  voir  dans 
Olivier  de  Magny  un  des  plus  grands  admirateurs  de  la 
Sappho  lyonnaise  ,  et  un  de  ceux  qui  l'ont  célébrée  avec 
le  plus  de  talent  5  elles  fournissent  aussi  quelques  détails 

1  Euiires  de  Louïze   La^é  lyonnoize»   Liou ,  Durand  et  Perrin  , 
182/j ,  in-8.° 


pour  sa  biographie ,  qui  ont  cte  relevés  dans  la  notice 
place'e  à  la  tête  de  notre  édition.  Le  recueil  des  Odes 
{V Olivier  de  Magny^  imprimé  à  Paris,  ciiez  André  Wechel, 
en  1559,  in-8.0  ,  que  nous  n'avions  pu  nous  procurer, 
étant  par  hasard  tombé  dernièrement  sous  notre  main  ', 
nous  nous  sommes  hâté  de  vérifier  s'il  contenait  ces 
deux  pièces.  Le  résultat  de  notre  recherche  a  été  que 
la  première  ne  s'y  trouve  pas,  mais  que  la  seconde  ,  com- 
posée de  28  strophes ,  y  figure  divisée  en  deux  odes  ; 
c'est-à-dire  que  les  22  premières  strophes  y  forment  une 
ode  adressée  à  Anthoine  Fumée  ,  grand  Rapporteur  de 
France ,  et  que  les  six  strophes  suivantes  en  forment 
une  autre  intitulée  :  Ode  au  Tti/ips  et  à  VOccasion  ^  pré- 
sentée en  vne  monimerie  ci  Monsieur  d^Auanson.  On  ne 
conçoit  pas  comment  les  anciens  éditeurs  de  Louise  Labé , 
ou  Louise  Labé  elle-tkiême  ,  si  c^est  elle  qui  a  présidé 
à  l'impression  de  ses  ouvrages  ,  ont  pu  joindre  ensemble 
ces  deux  compositions  ,  qui  sont  absolument  différentes  , 
sans  nul  rapport  entre  elles  ,  et  dont  la  seconde  lui  est  même 
tout-à-fait  étrangère.  Leur  texte  diffère  ,  d'ailleurs  ,  en 
quelques  endroits  ,  de  celui  du  recueil  publié  par  l'auteur  9 
et  nous  avons  pris  note  de  ces  variantes  dont  on  pourrait 
faire  usage,  si  l'on  donnait  une  nouvelle  édition  de  Louise 
Labé. 

Mais  ce  n'est  pas  là  tout  ce  qu'on  trouve  de  relatif  à 
cette  femme  célèbre  dans  le  rare  volume  qui  contient 
les  Odes  d'Olivier  de  Magny  :  il  s'y  rencontre  d'autres 
pièces  qui  paraissent  se  référer  aussi  à  la  Belle  Cordière  , 
que  le  poète  avait  connue  à  Lyon  pendant  le  séjour  qu'il 
y  fit  de  i55o  à  i555;  car  c'est  elle  probablement  qu'il 
chante  comme  une  de  ses  maîtresses  sous  le  nom  de  hoyse. 
Nous  citerons  d'abord  l'ode  suivante  ,  qui  occupe  le  recto 
et  le  verso  du  feuillet  i5i  : 

i  L'exemplaire  que  nous  ayons  vu  ,  appartient  à  la  bibliollièquâr 
pubUc[ue  de  Lyon. 


s 


DE  SA   INOVVELLE   AMOVR  5 
A   lEAN   d'iLLIERS  , 


0» 


l'auoy  conclud  en  mes  espiitz 
Que  iamais  l'enfant  de  Cypris 
IN'auroit  plus  sur  moy  de  puissance, 
Et  ia  desia  ie  cognoissoy  , 
En  mille  lieux  où  ie  passoy, 
Combien  valoil  ma  résistance. 

Mais  ce  Dieu  deuenu  moqueur 
De  la  liberté  de  mon  cueur , 
Vint  raillant  me  dire  naguiere 
Qu'il  me  feroit  bien  tost  sentit* 
Si  ie  me  pouuoy  garcntir 
Du  coup  de  sa  flecbe  guerrière. 

Et  deslors  ce  petit  Archer 
Va  secrètement  se  cacher 
Dedans  vn  des  yeux  de  LoYSE  ^ 
D'où  traistre  il  descocha  sur  moy 
Le  fier  traict  plein  d'aise  et  d'esmoy 
Qui  rompt  si  bien  mon  entreprise. 

Adieu  doncq*  pauure  liberté  : 
Cest  aueugle  enfant  irrité 
De  quoy  ie  dedaignoy  ses  armes  , 
Comblant  ma  poytrine  d'amour  , 
Me  liure  de  nuict  et  de  iour 
Sans  repos  raille  autres  alarmes. 


6 

Dans  le  commencement  trune  autre  otie  ,  intîtule'e  • 
Tfaymer  en  plusieurs  lieux  ,  à  Guillaume  Aubert ,  fol.  i45 
recto  5  Olivier  de  Magny  compte  encore  cette  même  hoyse 
au  nombre  de  ses  malstresses  ,  et  en  nomme  avec  elle 
trois  autres  qu'il  célèbre  en  divers  endroits  de  son  recueil  : 

Pour  ce  qu'en  ceste  amour  diuersement  escripte 
le  parle  ore  auec  Anne ,  ore  auec  Marguerite , 
Magdaleine  et  LoYSE  ,  on  me  pourroit  blasmer 
D'aymer  en  trop  de  lieux  pour  me  bien  faire  aymer.... 

C*est  peut-être  aussi  de  Louise  Labé  qu'il  est  question 
dans  l'ode  intitulée  :  De  V absence  de  s* aniyc  ,  à  Maurice 
Sceue  ^  lyonnois  ^  fol.  148  recto-149  ^^'  Olivier  de  Magny 
y  annonce  qu'il  a  quitté  les  bords  du  Rhône  et  de  la 
Saône  pour  venir  auu:  rivages  d'Isère  lamenter  sa  misère, 
espérant ,  mais  en  vain ,  d'amoindrir  son  mal  par  l'' absence. 
Il  termine  ses  plaintes  amoureuses  par  ces  deux  strophes  : 

0  beaux  yeux  bruns  de  ma  maistresse, 
0  bouche  5  ô  front ,  sourcil  et  tresse , 
0  riz,  ô  port,  ô  chant  et  voix, 
Et  vous  ô  grâces  que  i'adore  , 
Pourray-ie  bien  quelque  autre  fois 
A'^ous  veoir  et  vous  ouyr  encore , 
Comme  ie  feiz  en  l'autre  mois  ! 

Riuages ,  monts  ,  arbres  et  pleines  , 
Riuieres  ,  rochers  et  fonteines  , 
Antres  ,  forestz ,  gerbes  et  prez  , 
Voisins  du  seiour  de  la  belle , 
Et  vous  petitz  iardins  secretz , 
le  me  meurs  pour  l'absence  d'elle,, 
Et  vous  vous  égayez  auprès. 


Mais  le  morceau  le  plus  pre'cieux  du  recueil  et  qui  a 
ete  pour  nous  une  découverte  des  plus  intéressantes  , 
est  celui  que  nous  allons  transcrire  ,  et  qui  se  trouve 
fol.  i8i  verso- 1 85  id.  On  n'aura  pas  de  peine  h  recon- 
naître ,  au  moyen  des  allusions  qui  y  sont  contenues  ,  que 
le  mari  complaisant  et  commode  auquel  le  poète  s'adresse, 
n'est  autre  que  Sire  Erincmond  Perrin  ,  époux  de  Louise 
Labé ,  dont  le  nom  est  légèrement  altéré  et  changé  en 
celui  de  Sire  Aymon.  Les  notes  dont  nous  accompagne- 
rons ce  curieux  monument  des  mœurs  du  seizième  siècle  j 
ne  laisseront,  d*aillears ,  aucun  doute  à  cet  égard. 

À    SIRE     AYMON. 

Si  ie  vouloy  par  quelque  effort 
Pourchasser  la  perte  ou  la  mort 
Du  sire  Aymon  ,  et  i'eusse  enuye 
Que  sa  femme  luy  fut  rauie  , 
Ou  qu'il  entrast  en  quelque  ennuy  , 
le  serois  ingrat  enuers  luy. 

Car  alors  que  ie  m'en  vois  veoîr 
La  beaulté  qui  d'vn  doux  pouuoir 
Le  cueur  si  doucement  me  brulle  , 
Le  bon  sire  Aymon  se  reculle  , 
Trop  plus  ententif  au  long  tour 
De  ses  cordes  *  5  qu'à  mon  amour. 


1    Allusion    H    la    profession    de   cordier    qu'exerçait    Ennemond 
Perrin. 


8 

Ores  donq'il  fault  que  son  heur 
Et  sa  constance  et  son  honneur 
Sur  mon  luth  viuement  l'accorde  , 
Pinsetant  l'argentine  corde 
Du  lue  de  madame  parfaict  , 
Non  celle  que  son  mari  falct  '. 


Cet  Aymon  de  qui  quatre  filz 
Eurent  tant  de  gloire  iadis  , 
IN'eust  en  sa  fortune  ancienne 
Fortune  qui  semble  à  la  tienne. 
Sire  Aymon  ,   car  sans  ses  enfans 
Il  n'eust  poinct  surmonte  les  ans» 


Mais  toy  sans  en  auoir  onq'eu  *  , 
As  en  viuant  si  bien  vaincu 
L'efïort  de  ce  Faucheur  auare  ^  $ 
Que  quand  ta  mémoire  si  rare 
Entre  les  hommes  périra  , 
Le  Soleil  plus  ne  reluira. 

O  combien  ie  t'estime  heureux  , 
Qui  vois  les  trésors  plantureux 
De  ton  espouze  ma  maistresse  ^ 


1  Même  allusion.  —  Remarquez  dans  la  même  strophe  lue  et  luth 
employés  pour  désigner  le  même  instrument  de  musique.  Nouvelle 
preuve  du  peu  de  fixité  de  l'orthographe  à  cette  époque. 

2  Ennemond  Perrin  n'eut  point,  en  effet,  d'enfant. 

5  Le  temps.  —  Comment  Ennemond  Perrin  a-t-il  pu  le  vaincre  ? 
Sans  doute  le  poète  a  voulu  dire  que  la  célébrité  de  sa  femme  le 
rendait  immortel» 


9 

Qui  vois  l'or  tie  sa  blonde  tresse  '  , 
Et  les  attraictz  délicieux 
Qu'Amour  descoche  de  ses  yeux  f 


Qui  vois  quand  tu  veulx  ces  sourciz  , 
Sourciz  en  hebeine  noircis  , 
Qui  vois  les  beaultez  de  sa  face  , 
Qui  vois  et  contemples  sa  grâce  , 
Qui  la  vois  si  souuent  baler , 
Et  qui  l'ois  si  souuent  parler  ! 


Et  qui  vois  si  souuent  encor 
Entre  ces  perles  et  cet  or , 
Vn  rubys  qui  luyt  en  sa  boucbe  , 
Pour  adoucir  le  plus  faroucbe  , 
Mais  vn  rubis  qui  sçait  trop  bien 
La  rendre  à  soy  sans  estre  sien  ! 


Ce  n'est  des  rubis  qu'vn  marchant 
Auare  aux  Indes  va  cerchant , 
Mais  vn  rubiz  qu'elle  décore 
Plus  que  le  rubiz  ne  l'honnore  , 
Fuyant  ingrat  à  sa  beaulté 
Les  apastz  de  sa  priuaulte. 


Heureux  encor  qui  sans  nul  soin 
Luy  vois  les  armes  dans  le  poing  , 


1  Louise  Labé  était  blonde.  Plusieurs  des  poètes  qui  ont  cscriî  à 
sa  loueuse  ,  le  disent  expressément. 


Et  brandir  dWne  force  adextre  , 
Ores  à  gauche  ,   ores  à  dextre  , 
Les  piques  et  les  braquemars 
En  faisant  honte  au  mesme  Mars  '  ! 


Mais  pour  bien  ta  gloire  chanter 
le  ne  sçay  que  le  doy  vanter 
Ou  ton  heur  en  telle  abondance  , 
Ou  la  grandeur  de  ta  constance  , 
Qui  franc  de  ses  beaultez  iouyr 
3S*as  que  l'heur  de  t'en  resiouyr. 

Tu  peulx  bien  cent  fois  en  vn  iour 

Veoir  cette  bouche  où  niche  Amour  , 

Mais  de  fleurer  iaraais  Taleine 

Et  l'ambre  gris  dont  elle  est  pleine  , 

Alléché  de  sa  douce  voix  , 

En  vn  an  ce  n'est  qu'vne  fois. 


Tu  peulx  bien  cent  fois  en  vn  iour 
Veoir  ceste  cuysse  faicte  au  tour  , 
Tu  peux  bien  veoir  encor  ce  ventre  y 
Et  ce  petit  amoureux  antre 
Ou  Venus  cache  son  brandon  , 
Mais  tu  n'as  point  d'autre  guerdon  ''. 

1  A  Mars  lui-même.  Corneille  ,  dans  le  Cid  ,  a  dit  la  même  vertu 
pour  la  vertu  même»  —  Cette  strophe  ne  permet  pas  de  douter  qu'il 
ue  s'agisse  ici  de  Louise  Labé  ,  qui  était  alle'e  au  siège  de  Perpignan  , 
qui  s'était  rendue  habile  dans  l'escrime  et  Téquitation  ,  et  qui  dut  à 
son  humeur  guerrière  le  surnom  de  capitaine  Loys. 

2  Singulières    moeurs    que    celles    d'un   siècle    où    un   poêle  osait 
exprimer  de  pareilles  pensées  I 


n 

Puisses  tu  veoir  souueiit  ainsi 

Les  beaultez  et  grâces  aussi  , 

Soit  de  son  corps  ,   soit  de  sa  face  , 

Et  puisse  le  prendre  en  ta  place 

Les  doux  plaisirs  et  les  es])alz 

Qu'on  prend  aux  amoureux  conibntz! 


Et  touslours  en  toute  saison  , 
Puisses  tu   veoir  en  ta  maison 
Maint  et  inalnt  braue  capitaine  y 
Que  sa  beauté  cbez  toy  amelne  , 
Et  touslours  ,  sire  Ajnion  ,  y  veoir 
Maint  et  maint  homme  de  scauoîr  '  ! 


Et  lors  qu'auec  ton  tablier  gras  , 
Et  ta  quenouille  entre  les  bras  , 
Au  bruict  de  ton  tour  tu  t'esgayes  "*  , 
Puisse  elle  touslours  de  mes  playes , 
Que  i'ay  pour  elle  dans  le  cueur  , 
Apaiser  la  douce  langueur  ! 


1  On  sait  que  ,  comme  le  dit  du  Verdier ,  Louise  Labé  recciioit 
gracieusement  en  sa  maison  seigneurs  ,  gcniilshoimnes  et  antres 
personnes  de  mérite ,   et  qu'elle  ayma  les  sçauans  hommes  sur  fous. 

2  Ce  passage  tendrait  à  faire  considérer  Ennemond  Pcrrin  comme 
un  simple  ouvrier  cordier  ,  et  non  comme  un  négociant ,  comme  uu 
riche  marchand  de  cordages  ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est 
un  poète  qui  parie,  et  qu'on  ne  doit  peut-être  pas  prendre  à  la 
lettre  ses  expressions  ,  quoiqu'elles  rentrent  tout-à-fait  dans  celle  de 
hon  homrnc  de  cordior  ,  dont  du  Verdier  s'est  servi  pour  qualifier 
le  mari  de  Louise  Labé. 


FIN. 


PHHHHHJI^I^H^IJBh! 

Lo  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéonce 

The  Library          '       h 

University  of  Ottawa         1 

Dote  due                        | 

^^    8,97, 

i 

m  2  5  '82  lU9j 

;  M.  JUN22'8 

2 

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