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Full text of "Fables"

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in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/fablesphOOph 


^^dcP-xD 


Bayon    î 


LES 

AUTEURS    LATINS 

EXPLIQUÉS  d'après   UNE  MÉTHODE  NOUVELLE 

PAR  DEDX  TRADUCTIONS  FRANÇAISES 


^l>BIBt/o 


Ces  fables  ont  été  expliquées  littéralement,  traduites  en  français 
et  annotées  par  M.  D.  Marie,  agrégé  pour  les  classes  supérieures  des 
lettres. 


Typographie  Lahure.  ruî  de  Fie u rus,  y,  à  Paris. 


LES 


AUTEURS  LATINS 


EXPLIQUES  D  APRES  UNE  METHODE  NOUVELLE 

PAR   DEUX   TRÂDDCTIONS   FHAKAISES 

l'dne  littékale  et  juxtalinéaire  présentant  le  mot  a  mût  français 

en  regahd  des  mots  latins  correspond  \nts 

L'autre  correcte  lt  précédée  du  texte  latin 


avec  des  sommaires  et  des  notes 
PAR    UNE    SOCIÉTÉ    DE    PROFESSEURS 

ET    DE     LATINISTES 


«t^ 

*• 


PHEDRE 

FABLES 


^^x^BiBUûr^ 


PARIS 

LIBRAIRIE    HACHETTE    ET     C'« 

79,    BOULEVARD   SAINT-GERMAIN,    79 


1878^ 
BIBLIOTHECA 


f 


AVIS 

RELATIF    A    LA   TRADTCTION    JUXTALINÉAIRE. 

On  a  réuni  par  des  traits  les  mots  français  qui  traduisent  un  seul 
mot  latin. 

On  a  imprimé  en  italique  les  mots  qu'il  était  nécessaire  d'ajouter 
pour  rendre  intelligible  la  traduction  littérale,  et  qui  n'ont  pas 
leur  équivalent  dans  le  latin. 

Enfin,  les  mots  placés  entre  parenthèses,  dans  le  français,  doivent 
être  considérés  comme  une  seconde  explication,  plus  intelligible 
que  la  version  littérale. 


 


YIE   DE  PHEDRE 


La  naissance ,  la  vie  et  la  mort  de  Phèdre  sont  enveloppées 
de  ténèbres  profondes  que  nul  monument  ne  vient  dissiper. 
Pour  avoir  quelques  notions  sur  son  existence,  on  est  réduit  à 
recueillir  dans  ses  ouvrages  des  détails  qui  lui  sont  échappés 
par  hasard.  Mais  quelques  traits  épars,  quelques  confidences 
incomplètes,  quelques  allusions  obscures  ne  nous  fournissent 
sur  ce  mystère  que  de  faibles  éclaircissements. 

Phèdre  naquit  au  pied  du  monLPie.rius.fA. dans  cette  partie 
de  la  Mâceaoine  qui  regarde  la  Grèce.  On  sait  qu'il  fut  trans- 
porté  à  Rome  de  bonne  heure,  mais  on  ignore  quels  événe- 
ments l'y  conduisirent^.  Il  fut  esclaye^d^Auguste^-qui  l'at- 
franchit,  sans  doute  à  cau3ë"He  ses  heureuses  dispositions  et 
de  la  supériorité  de  son  intelligence.  Ce  fut  à  Rome  qu'il  puisa 
l'instruction  *,  et  que  son  génie  se  développa  au  milieu  des 
chefs-d'œuvre  qui  jetèrent  tant  d'éclat  sur  ce  siècle^.  Cepen- 
dant il  n'appartient  pas  à  cette  ère  brillante  dont  il  porte  l'em- 
preinte :  Phèdre  vécut  sous  le  règne  de  Tibère.  Il  fut  persécuté 
par  la  haine  de  Séjan/,  Qui  le  fit  condamner  sur  de  fausses 

'  Nous  avons  emprunté  cette  notice,  sur  Phèdre  et  ses  écrits,  à  l'excel- 
lente édition  de  M.  Quicherat ,  dont  nous  avons  suivi  le  texte. 

'  Prol.  Liv.  III,  vers  17.  —  '  Une  conjecture,  qui  d'abord  semble  asse?. 
plausible  ,  est  adoptée  par  la  plupart  des  biographes.  C.  Octavius,  père  d'Au- 
guste, étant  préleur  de  Macédoine,  mit  en  déroute  les  Besses  et  les  Thraces  ; 
et  l'on  pense  que  Phèdre  a  pu  être  un  des  captifs  envoyés  à  Rome.  Ta; 
malheur,  le  P.  Desbillons  prouve  que,  dans  cette  hypothèse  ,  Phèdre  aurai 
eu  soixante-dix  ans  lorsque,  sous  Séjan,  il  écrivait  ces  vers  : 

...     .  Olim  senîo  debilem 
Frustra  adjnrare  bonitas  nitetur  tua. 
(ÉpU.  ni,  16.) 

•On  lit  en  tète  des  M?s.  Phœdri ,  Âug.  liherti ,  etc.  —  '  Épil.  III,  33.  — 
^in,ix    8    36.  -  'Prol.  III,  41. 


Il  VIE   DE   PnÈDllE. 

allégations.  On  croit  trouver  le  motif  de  celte  vengeance  dans 
quelques  allusions  malignes  que  peuvent  présenter  certaines 
fables  des  premiers  livres'.  Il  fut  encore  en  butte  à  d'autres 
inimitiés*  ;  on  Tentend  se  plaindre  amèrement  des  attaques  de 
ses  ennemis,  qu'il  n'ose  nommer,  et  implorer  contre  eux  le 
secours  d'Eutychus,  son  protecteur,  qui  probablement  rem^ 
plissait  une  fonction  judiciaire. 

Les  richesses  ne  tentaient  point  son  cœur  '  ;  et  la  vue  des 
proscriptions  dont  elles  étaient  la  cause  contribua  encore  à 
rafifermir  dans  ce  désintéressement  *.  En  écrivant  ses  ouvra- 
ges ,  il  était  guidé  par  un  double  motif  :  il  avait  en  vue  l'amé- 
lioraticn  de  l'espèce  humaine;  il  espérait  être  utile  en  instrui- 
sant par  d'ingénieuses  leçons  \  Ensuite  il  était  jaloux  de  faire 
passer  son  nom  à  la  postérité  :  la  gloire  littéraire  de  la  Grèce 
enflammait  son  émulation ,  et  il  brûlait  du  désir  d'acquérir  de 
semblables  titres  à  sa  patrie  ^,  si  voisine  de  cette  heureuse 
contrée.  Ici ,  il  ne  se  borne  pas  à  un  simple  vœu  :  usant  du 
privilège  des  poètes, 

Usus  poetae  more  est  et  licentia  ; 

il  prévient  plus  d'une  fois  le  jugement  des  siècles  futurs,  et  se 
couronne  de  sa  propre  main  '. 

Il  parvint  à  un  âge  avancé  ",  et  il  est  probable  qu'il  mourut 
sous  le  règne  de  Claude  ®.  Outre  cet  Eutychus  dont  il  a  été 
parlé,  il  eut  pour  amis  Parliculon'"  et  Philète",  qui  parais- 
sent avoir  été  des  affranchis  de  Claude. 

Tels  sont  les  renseignements,  bien  insuffisants  sans  doute, 
que  l'on  recueille  dans  les  ouvrages  de  Phèdre  lui-même. 

Entre  autres  1 ,  vi.  On  sait  que  Séjan  prétendit  à  la  main  de  Livie ,  veuve 
de  Drusu5.  -  '  Épil.  III ,  2»  et  suiv.  —  '  Prol.  III ,  21  ;  V,  iv,  8.  —  *  V,  iv,  6, 
11,  12.  —  '  Prol.  I,  3  ;  Prol.  II,  2,  3  ;  II,  vu,  5.  -  *  Prol.  III,  54  et  suivants. 
'  Prol.  III,  32,  60,  61;  Épil.  IV,  5,6.  —  *  Épil.  III,  15  ;  V,  X.  —  *  Qui  monts 
£ur  le  trône  4i  ans  après  J.  C.  —  "  Prol.  IV,  10  ;  Épil.,  ibid.,  id.  —  "  V,  x,  lO 


VIE   DE   PHÈDRE.  [!l 

Cet  oubli  de  l'histoire  a  fait  contester  l'authenticité  des  écrits 
de  ce  fabuliste.  Pour  réfuter  un  tel  paradoxe,  on  cite  le  vers 
suivant  de  Martial  (  Épig.  III ,  xx)  : 

An  aemulatur  improbi  jocos  Phœdri  ? 

îl  est  vrai  qu'on  en  peut  nier  la  juste  application  ;  mais  com- 
ment récuser  l'autorité  d'Aviénus,  fabuliste  qui  vivait  400  ans 
après  J.  C,  lorsque,  dans  une  lettre  ad  Theodosium  (l'empereur 
Théodose,  ouMacrobe),  après  avoir  parlé  d'Ésope  et  de  Ba- 
brius,  il  ajoute  :  cr  Phœdrus  eiiam  partem  aliquam  {^sopiarum 
fahularum)  in  quînque  libros  resolmt.n  J'ajoute  que,  quand 
bien  même  ce  témoignage  nous  manquerait,  il  ne  faudrait  pas 
hésiter  à  rendre  Phèdre  à  l'antiquité,  qui  semble  avoir  voulu 
l'exclure  par  son  silence.  Cette  injustice  de  l'histoire  n'esi  pas 
sans  exemple  :  Quinte  Curce  n'a-t-il  pas  à  lui  reprocher  un 
oubU  encore  plus  complet?  et  cependant  nous  vengeons  l'his- 
torien ;  nous  trouvons  ses  titres  dans  ses  écrits.  Le  style  n'est- 
il  pas  un  cachet  éloquent  qui  indique  à  quel  siècle  un  auteur 
appartient?  Peut -on  croire  sérieusement  que  les  Fables  de 
Phèdre  soient  l'œuvre  d'un  moderne  ?  Où  un  moderne  aurait-il 
trouvé  ce  talent  d'écrire,  qui  semble  un  reflet  de  l'âge  d'or  de 
la  littérature  latine ,  cette  propriété  d'expression ,  qui  fait  que 
chaque  mot  trouve  sa  justification  dans  les  grands  modèles 
cette  élégance  exquise,  en  même  temps  que  cette  richesse  in- 
épuisable qui  décèle  l'emploi  d'une  langue  maternelle?  Où  au- 
rait-il trouvé  ces  peintures  si  fidèles  de  la  société  à  cette  épo- 
que, cette  vérité  de  costume  qui  se  produit  par  tant  de  traits? 
Je  veux  qu'on  suppose  à  Phèdre  l'impudence  de  s'être  dit  du 
siècle  d'Auguste  •  ;  comment  lui  supposer  le  talent  de  remplir 
dignement  ce  rôle  ? 

Phèdre  était  encore  inconnu  plus  d'un  siècle  après  la  décou- 
verte de  l'imprimerie.  Le  manuscrit  qui  le  fît  connaître  à  l'Eu» 

•  III,  IX.  3 


IV  VIE   DE   PHÈDRE.  1 

rope,  est  le  manuscrit  Pithœus.  François  Pithoii  le  laissa  par 
son  testament  à  son  frère  Pierre  Pithou,  qui  s'empressa  d'en 
donner  une  édition  :  elle  parut  en  1596.  Ce  manuscrit  est  rem- 
pli de  fautes;  un  autre  manuscrit,  et  quelques  fragments  éga- 
lement incorrects,  que  l'on  a  trouvés  depuis,  telles  sont  les  seules 
richesses  que  les  éditeurs  de  Phèdre  ont  eues  à  leur  disposi- 
tion. Aussi  leur  tâche  n'a-t-elle  point  été  facile,  et  leur  dissi- 
dence prouve  l'insuffisance  de  leurs  matériaux. 

En  1808  on  trouva  dans  la  bibliothèque  de  Naples  un  nou- 
veau manuscrit  de  Perotti  '  ;  MM.  Cassito  et  Janelli  s'empa- 
rèrent de  cette  découverte,  et  publièrent  trente -deux  fables 
nouvelles,  ajoutées  depuis  à  la  plupart  des  éditions.  Elles  pa- 
rurent suspectes  à  l'illustre  Heyne,  et  M.  Adry  a  écrit  une 
dissertation  oii  il  justifie  ses  doutes  sur  leur  authenticité*.  Ce- 
pendant, comme  de  l'aveu  même  de  la  critique,  quelques-unes 
ne  semblent  pas  indignes  de  Phèdre,  nous  en  avons  admis  un 
certain  nombre  :  elles  remplaceront  avec  avantage  trois  ou 
quatre  fables  que  nous  avons  retranchées  de  l'ancien  recueil , 
et  qu'on  s'étonnait  de  voir  entre  les  mains  de  la  jeunesse. 

'  Nicolas  Perotti  ou  Perotto ,  archevêque  de  Siponte,  vivait  au  XVI«  siècle , 
il  a  laissé  un  recueil  de  fables  empruntées  à  l'antiquité  :  les  unes  sont  de 
Phèdre  ,  les  autres  traduites  du  grec,  d'autres  enfin  mises  en  vers,  quand  il 
les  trouvait  en  prose. —  ' Paris ,  Égron,  1812,  in-i2.  Réimprimée  dans  la 
collection  de  M.  Lemaire,  Phèd.,  tomel,  page  197 . 


FABLES  DE  PHEDRE 


i  A2LKS     r>E    Fhe; 


PHiEDRI  FABULARUM 

LIBER  PRIMUS. 


PROLOGUS- 

^sopus  •  auctor  quam  materiam  repperit, 
Hanc  ego  polivi  versibus  senariis*. 
Duplex  libelli  dos  est  :  quod  risum  movet, 
Et  quod  prudenti  vitam  consilio  monet. 
Calumniari  si  quis  autem  voluerit 
Quod  et  arbores  loquantur,  non  tantum  ferae , 
Fictis  jocari  nos  meminerit  fabulis. 

FABULA  I. 

LUPUS   ET  AGNUS. 

Ad  rivum  eumdem  Lupus  et  Agnus  vénérant, 
Siti  compulsi  :  superior  stabat  Lupus, 
Longeque  inferior  Agnus.  Tune  fauce  improba 
Latro  incitatus,  jurgii  causam  ihtulit  : 
«  Cur,  inquit ,  turbulentam  fécisti  mihi 


PROLOGUE. 

J'ai  prêté  le  charme  du  mètre  ïambique  aux  sujets  divers  in- 
ventés par  Esope.  Ce  petit  livre  a  un  double  avantage  :  il  excite  la 
gaieté,  et,  par  de  sages  conseils  ,  apprend  aux  hommes  à  se  con- 
duire. Si  le  lecteur  malveillant  veut  me  reprocher  d'avoir  fait 
parler  nôn-seulemént  les  animaux ,  mais  même  les  arbres,  je  lui 
rappellerai  que  c'est  dans  des  fables  que  je  me  suis  permis  ces  jeux. 

FABLE  L 

LE   LOUP   ET   l'agneau. 

Un  loup  et  un  agneau ,  pressés  par  la  soif,  étaient  venus  au 
môme  ruisseau  :  le  loup  tenait  le  haut  du  courant ,  l'agneau  était 
beaucoup  plus  bas.  Cédant  à  la  faim  qui  le  tourmentait,  le  brigand 
lai  chercha  querelle  :  «  Pourquoi,  lui  dit-il,  viens-tu  troublermon 


FABLES  DE  PHÈDRE. 

LIVRE  PREMIER. 


PROLOGUS. 

Ego  polivi  versibus  sena- 
lianc  materiam  [riis] 

quam  ^sopus  auctor 
repperit. 

Dos  libelli  est  duplex  : 
quod  movet  risum, 
et  quod  monet  vitam 
consilio  prudenti. 
Si  quis  autem 
voluerit  calumniari 
quod  et  arbores  loquantur, 
non  tantum  ferse, 
memincrit  nos  jocari 
fabulis  tictis. 

FABULA  I. 

LUPUS  ET   AGNUS. 

Lupus  et  agnus 
compulsi  siti 
vénérant 

ad  euradem  rivum  : 
Lupus  stabat  superior, 
et  agnus  longe  inferior. 
Tune  latro 

incitatus  fauce  improba , 
intulit  causam  jurgii  : 
«  dur,  inquit, 


PROLOGUE. 

J'ai  poli  en  vers  de-six-pieds 
cette  matière  (les  sujets) 
qu'Esope  auteur 
a  trouvée  'a  inventés). 
Le  mérite  de  ce  petit-livre  est  double  : 
en-ce-que  il  excite  le  rire , 
et  en-ce-que  il  avertit  (dirige)  la  vie 
par  un  conseil  prudent. 
Mais  si  quelqu'un 
veut  me  chicaner 

de  ce  que  les  arbres  même  parlent  dans  ce 
et  non-seulement  les  bêtes,  [iiuro,] 

qu'il  se  souvienne  que  nous  badinons 
dans  des  récits  feints  (dans  des  fables)- 

FABLE  L 

LE   LOUP    ET   L'AG>^EAU. 

Un  loup  et  un  agneau 
poussés  par  la  soif 
étaient  venus 
au  même  ruisseau  : 
Le  loup  se  tenait  plus-haut 
etl'agneaude-loin  (de  beaucoup)  plus-bfi«. 
Alors  le  brigand, 

excité  par  son  gosier  cruel  (avide), 
apporta  (amena)  un  sujet  de  quarelle 
*  Pourquoi,  lui  dit-il, 


4  PILEDRI  FAB.    LIBER  1. 

Aquam  bibenti?  »  Laniger  conlra  limeiis  : 

«  Qui  possum,  quaeso,  facere  quod  quereris,  Li;pe? 

A  te  decurrit  ad  meos  haustus  liquor.  » 

Repulsus  ille  verilatis  viribus  : 

«  Anto  lîos  sex  inenses  maie,  ait,  dixisti  mihi.  «  10 

Respondit  Agnus  :  «  Equidem  natus  non  eram. 

—  Pater,  hercule!  tuus,  inquit,  maledixit  mihi.  » 

Atque  ita  correptum  lacerat  injusta  nece. 

Hœc  propter  illos  scripta  est  homines  fabula 
Qui  fictis  causis  innocentes  opprimunt.  4o 

FABULA   IL 

KAN^   REGE3I   PETENTES 

Athenae  quum  florerent  aequis  legibus\ 

Procax  libertas  civitatem  miscuit, 

Frenumque  solvit  pristinum  licentia. 

Hinc  conspiratis  factionum  partibus, 

Arcem  tyrannus*  occupât  Pisistratus'  5 

breuvage?  »  L'animal  porte  laine  lui  répondit  tout  tremblant  : 
«  Comment  puis-je,  je  vous  prie,  faire  ce  dont  vous  vous  plaignez, 
seigneur  loup  ?  l'eau  descend  de  vous  à  moi.  »  Repoussé  par  la  force 
de  là  vérité,  le  loup  reprit  :  «  Tu  médis  de  moi  il  y  a  plus  de  six 
mois.  —  Mais  alors  je  n'étais  pas  né ,  »  repartit  l'agneau.  «  Far 
Hercule!  c'était  donc  ton  père?  »  Et,  sans  plus  de  justice,  il  le 
saisit  et  le  met  en  pièces. 

Cette  fable  s'adresse  à  ces  hommes  qui ,  sous  de  faux  prétextes. 
accablent  les  innocents. 

FABLE  II. 

LES    GEE^OUILLES    QUI    DEMANDENT    UN    ROI. 

Alors  qu'Athènes  florissait  sous  le  régime  de  l'égalité,  les  excès 
d'une  liberté  sans  bornes  mirent  le  désordre  dans  l'Etat,  et  la  li- 
cence rompit  ses  vieilles  entraves.  A  la  faveur  des  troubles  nés  de 
la  division  des  parti?,  Pisistrato  usu-pe  l'autorité  et  s'empare  de  In 


PARLES  DE  PHÈDRE.  LIVRi  I. 


tï 


fecisti  aquam  turbulentam 

mihi  hibenti?  >• 

Contra 

laniger  timens  : 

«  Qui  possum,  quœso,  lups, 

facere  quod  quereris? 

Liquor  decurrit  a  te 

ad  meos  haustus.  » 

nie    ■ 

repulsus  viribus  veritatis  : 

«  Djxisti  maie  mihi,  ait, 

auto  bos  sex  menses.  » 

Agnas  respondit  : 

«  Equidem  non  natus  eram . 

—  Tuus  pater,  Hercule  î 

maledixit  mihi,  inquit.  » 

Atque  ita 

lacérât  nece  injusta 

correptum. 

Haec  fabula  scripta  est 
propter  illos  homines 
qui  opprimunt  innocentes 
causis  fictis. 


as-tu  fait  'rendu}  l'eau  trouble 

à  moi  buvant?  » 

De-son-côté  (à  son  tour) 

le  porte-laine  craignant  : 

«  Comment  puis- je,  je  le  prie,  ô  lo;:-, 

faire  ce-dont  tu  te  plains? 

L'e&u  descend  de  toi 

à  mes  gorgées.  » 

Celui-là  (le  loup) , 

repoussé  par  les  forces  de  la  vérité  : 

«  Tu  as  dit  mal  (médit)  pour  moi,  dit-il, 

avant  ces  six  mois  il  y  a  plus  de  six  mois" .  » 

L'agneau  répondit  : 

«  Mais  moi-à-la-vérité  je  n'étais  pas  né. 

—  C'est  ton  père,  par  Hercule  ! 

gui  a  médit  de  moi ,  dit-il.  » 

Et  ainsi  (à  ces  mots) 

il  déchire  par  une  mort  injuste 

Vagneau  saisi. 

Cette  fable  a  été  écrite 
en-vue-de  ces  hommes 
qui  oppriment  les  innocents 
pour  des  causes  feintes. 


FABULA  IL 


FABLE  IL 


RAN^a:   PETEKTES   KEGEM.     I-ES  GRENOIHLLES  DEMANDAIT  UN  ROI 


Quum  AthenîB  florerent 
legibus  œquis, 
libertas  procax 
miscuit  ci\'itatem  , 
et  licentia 

soivit  frenum  pristinum. 
Hinc  partibus  factionum 
conspiratis, 
Pisistratus  tjrannus 
occupât  arcem. 


Lorsqu' Athènes  florissait 
sous  des  lois  égales  pour  tous , 
une  liberté  effrénée 
mêla  (troubla)  la  cité, 
et  la  licence 

délia  (rompit)  son  frein  antique. 
De-là  des  partis  de  factions  (des factions) 
étant  unis  (s' étant  formés  , 
Pisistrate  tyraa  (usurpateur) 
s'empare  de  la  citadelle. 


6  PILEDRI   FAB.    LIBIiR  I. 

Quum  tristem  servitutem  fièrent  Attici , 
Non  quia  crudelis  ille  ,  sed  quoniam  grave 
Omne  insuetis  onus,  et  cœpissent  queri, 
^sopus  talem  tum  fabellam  rettulit  : 

Ranae  vagantes  liberis  paludibus  40 

Clamore  magno  regem  petiere  ab  Jove, 
Qui  dissolutos  mores  vi  compesceret. 
Pater  Deorum  risit,  atque  illis  dédit 
Parvum  tigillum ,  missum  quod  subito  vadis, 
Motu  sonoque  terruit  pavidum  genus.  45 

Hoc  mersum  limo  quum  jaceret  diutius, 
Forte  una  tacite  profert  e  slagno  caput, 
Et,  explorato  rege,  cunctas  evocat, 
Illae,  timoré  posito,  certatim  adnatant, 
Lignumque  supra  turba  petulans  insilit  :  20 

Quod  quum  inquinassent  omni  contumelia, 
Alium  rogantes  regem  misère  ad  Jovem, 
Inulilis  quoniam  esset  qui  fuerat  datus. 
Tum  misit  illis  hydrum,  qui  dente  aspero 
Corripere  coepit  singulas.  Frustra  necern  25 

citadelle.  Les  Athéniens  déploraient  leur  funeste  esclavage,  non 
que  ce  maître  fût  cruel ,  mais  parce  que  tout  fardeau  pèse  à  qui 
n'en  a  pas  l'habitude.  Ils  se  plaignaient  ;  Esope  leur  raconta  cet 
apologue  : 

Les  grenouilles  errant  en  liberté  dans  leurs  marais,  demandè- 
rent à  grands  cris  à  Jupiter  un  roi  dont  l'autorité  réprimât  le  dé- 
règlement des  mœurs.  Le  père  des  dieux  sourit  et  leur  donna  pour 
maître  un  petit  soliveau,  dont  la  chute  soudaine  au  milieu  de» 
étangs  épouvanta  par  son  bruit  la  gent  timide. 

Il  gisait  depuis  longtemps  plongé  dans  la  vase,  quand  l'une 
des  grenouilles  se  hasarde  en  silence  à  lever  la  tête  hors  de  l'eau . 
examine  le  roi,  puis  appelle  ses  compagnes.  Bannissant  leur  effroi, 
toutes  à  l'envi  arrivent  à  la  nage ,  et  leur  foule  insolente  saute 
sur  l'épaule  du  monarque.  Quand  elles  l'eurent  couvert  de  toute 
espèce  d'outragss,  elles  députèrent  auprès  de  Jupiter  pour  lui  de- 
mander un  autre  roi ,  alléguant  la  nullité  de  celui  qu'on  leur  avait 
donné.  Le  dieu  leur  envoie  alors  une  hydre  qui,  d'une  dent  cruelle, 
»e  met  à  les  croquer  les  unes  après  les  autres.  En  vain  se  dispersent- 


FABLES  DE  PHEDRE.  LIVRE  I. 


Quum  Attici 

fièrent  tristem  servitutem, 

non  quia  ille  crudelis , 

sed  quoniam  omne  onus 

grave  insuetis, 

et  cœpisscnt  queri, 

tum  ^Esopus 

rettulit  fabellam  talem  : 

Ranœ  vagantes 
paludibus  liberis , 
petiere  magno  clamore 
ab  Jove 

regem  qui  compesceret  vi 
mores  dissolûtes. 
Pater  deorum  risit, 
atqtie  dédit  illis 
parvum  tigillum  , 
qxiod  missum  subito  vadis 
terruit  genus  pavidum 
motu  sonoque. 
Quum  hoc  jaceretdiutius 
mersTun  limo, 
forte  un  a 

profert  tacite  caput 
e  stagno, 

et,  rege  explorato, 
evocat  cunctas. 
Illas  adnatant  certatim, 
timoré  posito , 
turbaque  petulans 
insilit  supra  ligniira  : 
quod  quum  inquinassent 
omni  contumelia, 
misère  ad  Jovem 
rogantes  alium  regem , 
quoniam  qui  datus  fuerat 
esset  inutilis. 
Tum  misit  illis  hydrum  , 
qui  cœpit  corripere  singulas 
dente  aspero. 
Frustra  inertes 


Comme  les  habilants-àe-V Attiqne 

pleuraient  leur  triste  servitude , 

non  parce-qu'il  était  cruel, 

mais  parce-que  tout  fardeau 

estlouràkceux-qui-n'y-sont-Tpa.Srh.a.'hituéi, 

et  qu'ils  commençaient  à  se  plaindre , 

alors  Esope 

?eur  rapporta  une  fable  telle  (cette  fable;  : 

Les  grenouilles  errant 
dans  leurs  marais  libres  (en  liberté), 
demandèrent  à  grand  cri 
à  Jupiter 

un  roi  qui  réprimât  par  la  force 
leurs  mœurs  dissolues. 
Le  père  des  dieux  rit  (se  mit  à  rire), 
et  donna  à  elles 
un  petit  soliveau, 

qui  lancé  tout-à-coup  dans  les  eaux 
effraya  cette  race  craintive 
par  sort  mouvement  et  son  bruit. 
Comme  celui-ci  gisait  assez  longtemps 
plongé  dans  la  vase, 
par  liasard  une  grenouille 
sort  en-silence  la  tête 
hors-de  l'étang, 
et,  le  roi  avant  été  examiné, 
elle  appelle  toutes  ses  compagnes. 
Celles-ci  nagent-vers  le  roi  à  l'envi, 
leur  frayeur  étant  déposée   ayant  cessé), 
et  la  foule  pétulante 
saute  sur  le  bois  (le  soliveau)  : 
lequel  après  qu'elles  eurent  souillé 
de  toute  espèce  d'affront, 
elles  envoyèrent  à  Jupiter 
demandant  un  autre  roi, 
puisque  celui-qui  leur  avait  été  donné 
était  un  roi  inutile. 

Alors  Jupiter  envoya  à  elles  une  bydro, 
qui  se-mit-à  les  saisir  une-à-une 
d'une  dent  âpre  (aiguë). 
En  vain  les  grenouilles  sans-défensa 


8  PHJEDRI   FAB.    LIBER   1. 

Fugitant  inertes;  vocem  praecludit  metus. 

Furtim  igiturdant  Mercurio  mandata  ad  Jovem  , 

Afilictis  ut  succurrat.  Tune  contra  Deus  : 

«  Quia  noluistis  vestrum  ferre,  inquit,  bonum, 

Malum  perferte.  »  Vos  quoque,  o  cives,  ait,  30 

Hoc  sustinete ,  majus  ne  veniat  malum. 

FABULA  III. 

GKACULUS  8DPERBUS  ET  PAVO. 

Ne  gloriari  libeat  alienis  bonis , 
Suoque  potius  habitu  vitam  degere, 
^opus  nobis  hoc  exemplum  prodidit  : 

Tumens  inani  Graculus  superbia, 
Pennas,  Pavoni  quae  deciderant,  sustulit ,  5 

Seque  exornavit  ;  deinde  contemnens  suos , 
Formoso  se  Pavonum  immiscuit  gregi. 
lUi  impudenti  pennas  eripiunt  avi , 
Fugantque  rostris.  Maie  mulctatus  Graculus 
Redire  mœrens  cœpit  ad  proprium  genus  ;  4  0 

elles  pour  échapper  à  la  mort;  elles  sont  sans  défense,  et  la  crainte 
étouffe  leurs  cris.  Elles  chargent  donc  secrètement  Mercure  de  prier 
Jupiter  de  les  secourir  dans  leur  détresse  ;  mais  le  dieu  :  «  Puisque 
vous  n'avez  point  voulu ,  leur  dit-il ,  vous  contenter  de  votre  bon 
roi,  sachez  maintenant  en  supporter  un  mauvais.  »  Et  vous  aussi, 
citoyens,  ajoutait  Esope,  supportez  le  mal  présent,  de  peur  qu'il 
n'en  survienne  un  pire. 

FABLE  III. 

LE  GEAI  ORGUEILLEUX  ET  LE  PAON. 

Ne  vous  glorifiez  point  des  avantages  d'autrui ,  mais  vivez  plutôt 
d'une  manière  conforme  à  votre  condition.  Voici,  à  ce  sujet,  l'exemple 
qu'Esope  nous  a  transmis  : 

Bouffi  d'un  vain  orgueil ,  un  geai  ramassa  les  plumes  qu'un 
paon  avait  laissé  tomber,  et  s'en  fit  une  parure  ;  puis ,  dédaignant 
ses  pareils,  il  va  se  mêler  à  la  troupe  brillante  des  paons.  Ceux-ci 
déplument  l'impudent  oiseau  et  le  chassent  à  coups  de  bec.  Ainsi 
maltraité,  le  ^ai  revint  tout  tr'ste  vers  les  siens  ;   mais  il   eut  lu 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  L 


fugitant  necem  ; 

metus  praecludit  vocem. 

DantigiturfurtimMercurio 

Taandata  ad  Jovem, 

ut  succurrat  aflflictis. 

Tune  deus  contra  : 

«  Quia  noluistis,  inquit, 

ferre  vestrum  bonum, 

perferte  malum.  » 

Vos  quoque,  o  cives,  ait, 

sustinete  hoc, 

ne  malum  majus  veniat. 


essaient- de-fuir  la  mort; 
la  peur  leur  ferme  (étouffe)  la  voix. 
Elles  donnent  doncen-cachette  à  Merci' re 
des  instructions  vers  Tpour)  Jupiter, 
pour  qu'il  secoure  elles  affligées. 
Alors  le  dieu  de-son-côté  'en  réponse)  : 
«  Puisque  vous  n'avez  pas  voulu,  dit-il> 
supporter  votre  bon  roi, 
supportez-jusqu'au-bout  le  mauvais.  » 
Vous  aussi,  ô  citoyens,  dit  Ésope, 
suppoi-tez  ce  mal  présent,  [arrive. 

de  peur  qu'un  mal  plus  grand  ne  tous 


FABULA  III. 

GRACULUS  SUPERBUS 
ET  PAVO. 

-Esopua 
prodidit  uobis  exemplura  , 
ne  libeat 

gloriari  bonis  alienis, 
potiusque  degere  vitara 
suo  habitu. 

Graculus , 
tumens  inani  superbia, 
sustulit  pennas 
quse  deciderant  pavoni, 
exornavitque  se  ; 
deinde,  conteranens  suos, 
immiscuit  se 
formoso  gregi  pavonum. 
Hli  eripiunt  pennas 
avi  impudenti, 
fugantque  rostris. 
Graaulus  maie  mulctatus 
ccepit  redire  mœrens 
al  proprium  genus  ; 


FABLE  III. 

LE  GEAI  SUPERBE 
ET  LE  PAON. 

Esope 
a  livré  à  nous  cet  exemple, 
afin  qu'il  ne  plaise  pas  aux  hommes 
de  se-glorifier  des  biens  d'-autrui, 
et  (mais)  plutôt  de  passer  leur  vie 
dans  leur  condition. 

Un  geai, 
gonflé  d'un  vain  orgueil, 
enleva  (ramassa)  des  plumes 
qui  étaient  tombées  à  un  paon  , 
et  en  orna  soi  (s'en  orna)  ; 
puis,  méprisant  les  siens  (ses  pareils) 
il  mêla  soi 

à  la  belle  troupe  des  paons. 
Ceux-ci  arrachent  les  plumes 
à  cet  oiseau  impudent, 
et  le  mettent-en-fuite  à-coups-do-bec. 
Le  geai  maltraité 
se-mit-à  s'en-revenir  affligé 
vers  sa  propre  race  ; 


10  PHiEDRI  FAB.    LIBER  I. 

A  quo  repulsus  tristem  sustinuit  notam. 

Tum  quidam  ex  illis  quos  prius  despexerat  : 

a  Contentus  nostris  si  fuisses  sedibus , 

Et  quod  natura  dederat  voluisses  pati , 

Nec  illam  expertus  esses  contumeliam ,  4  5 

Nec  hanc  repulsam  tua  sentiret  calamitas*.  » 

FABULA  IV. 

CANIS   FER   FLITVIUM   CARNEM  FEBEN8. 

Amittit  merito  proprium  qui  alienum  appétit. 

Ganis ,  per  flumen  carnem  dum  ferret  natans , 
Lymphamm  in  speculo  vidit  simulacrum  suum  ; 
Aliamque  praedam  ab  alio  cane  ferri  putans, 
Eripere  voluit  ;  verum  decepta  aviditas,  5 

Et  quem  tenebat  ore  dimisit  cibum , 
Nec  quem  petebat  potuit  adeo  attingere. 

FABULA  V. 

VACCA,    CAPELLA,    OTIS   ET   LEO. 

Nunquam  est  fidelis  cum  potente  societas; 
Testatur  haec  fabella  propositum  meum. 

douleur  et  la  honte  d'en  être  repoussé.  «  Si  tu  avais  su  vivre  au 
milieu  de  nous,  lui  dit  un  de  ceux  qu'il  avait  méprisés,  et  te  con- 
tenter de  ce  que  la  nature  t'avait  donné,  tu  n'aurais  point  essuyé  un 
premier  affront,  et  tu  n'aurais  pas  maintenant  le  malheur  d'être  re- 
poussé par  nous.  » 

FABLE  IV. 

I/B  CHIEN  QUI  TRAVERSE  UN  FLEUTE  AVEC  UN  MORCEAU  DE  CHAIR. 

On  perd  justement  son  proprebien,  quand  on  convoite  celui  d'autrui. 

Un  chien  traversait  un  fleuve  avec  un  morceau  de  chair  entre  les 
dents  ;  il  aperçoit  son  image  dans  le  cristal  des  eaux  ,  et  croit  voir 
un  autre  chien  portant  une  autre  proie  ;  il  voulut  la  lui  ravir  ;  mais 
son  avidité  fut  trompée  :  il  lâcha  le  morceau  de  chair  qu'il  tenait  à 
la  gueule,  et  ne  put  atteindre  celui  qu'il  convoitait. 

FABLE  V. 

LA   GÉNISSE,    LA   CHEVRE,    LA   BREBIS   ET   LE   LION. 

Une  alliance  avec  les  grands  n'est  jamais  sûre  ;  cette  fable  vient 
prouver  ce  aue  i' avance. 


FABLES  DE   PIltDRE.    LIVRE   I. 


11 


a  quo  repulsu3 
sustinuit  notam  tristem. 
Tum  qxiidam  ex  illis 
qaos  despexerat  prîus : 
«  Si  fuisses  contentas 
nostris  sedibus, 
et  voluisses  pati 
quod  natura  dederat , 
et  non  expertus  esses 
illana  contumeliam, 
et  tua  calamitas 
non  sentiret 
hanc  repulsam.  » 

FABULA  IV. 

CANIS   FEEEN8   CAENEM 
FER   ELUVIUar. 

Qui  appétit  alienura 
amittit  merito  proprium. 

Dum  canis  natans 
ferret  carnem 
per  flumen , 

vidit  suum  simulacrum 
in  spécule  IjTnpLarum  ; 
putansque  aliam  prœdam 
ferri  ab  alio  cane, 
voluit  eripere  ; 
verum  aviditas  decepta, 
et  dimisit  cibum 
qnem  tenebat  ore, 
nec  potuit  adeo 
attingere  quem  petebat. 

FABULA  V. 

VACCA ,    CAPELLA  , 
OVIS   ET   LEO. 

Societas  cum  potente 
nnnquam  est  fidelis  ; 
haec  fabella 
testaturmeum  propositum. 


par  laquelle  aussi  repoussé 

il  supporta  au  affront  humiliant 

Alors  un  de  ceux 

qu'il  avait  méprisés  auparavant  : 

«  Si  tu  avais  été  content 

de  nos  demeures, 

et«t  tu  avais  voulu  souffrir  (te  résignei  à) 

ce-que  la  nature  i' avait  donné. 

et  tu  n'aurais  pas  éprouvé 

ce  premier  affront, 

et  ton  malheur 

ne  souffrirait  pas 

ce  "^notre)  refus  de  te  recevoir.  » 

FABLE  IV. 

LE    CHIEX    PORTANT   DE    LA   YIANDB 
EN-TEAVERSAÎTT    UK   FLEUVE. 

Celui-qui  convoite  le  bien  d'-autrui 
perd  justement  le  sien  propre. 

Tandis  qu'un  chien  nageant 
portait  de  la  viande 
à-travers  (en  traversant)  un  fleuve  , 
il  vit  son  image 
dans  le  miroir  des  eaux  ; 
et  pensant  une  autre  proie 
être  portée  par  un  autre  chien, 
il  voulut  la  lui  enlever; 
mais  son  avidité  fut  trompée, 
et  il  lâcha  la  nourriture 
qu'il  tenait  dans  sa  gueule, 
et  il  ne  put  pas  pour-cela 
atteindre  celle-qu'il  convoitait. 

FABLE  V. 

LA  VACHE,  LA  CHEVRE, 
LA  BKEBIS  ET  LE  LIOX. 

La  société  avec  un  puissant 
n'est  jamais  digne-de-confiance  (sûre  ; 
cette  peLite-fable 
atteste  ma  proposition  (c3  que  j'avance). 


!2  PILEDRl    FAH.    LIREE   i. 

Vacca  et  Capella  et  paliens  Ovis  injuriée 
Socii  fuere  cum  Leone  in  saltibus. 

Ili  quum  cepissent  cervum  vasti  corporis ,  5 

Sic  est  locutus,  partibus  factis,  Léo: 
«  Ego  primam  tollo  ,  nominor  quoniam  Léo  ; 
Secundam,  quia  sum  fortis,  tiibuetis  milii  ; 
Tum,  quia  plus  valeo,  me  sequetur  terlia; 
Malo  afficietur  si  quis  quarlam  tetigerit.  »  4Ô 

Sic  totam  praedam  sola  improbitas  abstulit. 

FABULA  VL 

RA>'^    AD    SOLEM. 

Vicini  furis  célèbres  vidit  nuptias 
iEsopus,  et  continuo  narrare  incipit: 

Uxorem  quondam  Sol  quum  vellet  ducere, 
Clamorem  Ranae  sustulere  ad  sidéra. 

Convicio  permotus  quaerit  Jupiter  5 

Causam  querelae.  Qusedam  tum  stagni  incola  : 


La  génisse,  la  chèvre  et  la  patiente  brebis  firent,  dans  les  forêts, 
société  avec  le  lion.  Ils  prirent  un  cerf  d'une  haute  stature,  et  le 
lion,  ayant  fait  les  parts,  s'exprima  ainsi  :  «  Je  m'empare  de  la  pre- 
mière, parce  que  je  m'appelle  lion  ;  vous  accorderez  la  seconde  à  ma 
valeur  ;  la  troisième  me  revient  de  droit,  parce  que  je  suis  le  plus 
fort  ;  malheur  à  qui  de  vous  touche  à  la  quatrième  !  »  Ainsi,  par  son 
injustice ,  il  resta  seul  maître  de  la  proie  tout  entière. 

FABLE  VL 

LE   SOLEIL  ET   LES    GRENOUILLES. 

Esope  voyait  célébrer  avec  magnificence  les  noces  d'uu  voleur  son 
voisin  ;  il  se  mit  aussitôt  à  dire  cette  fable  : 

Le  soleil  un  jour  voulut  prendre  femme  ;  les  grenouilles  pous- 
sèrent des  cris  jusqu'au  ciel.  Assourdi  de  ce  vacarme,  Jupiter  de- 
manda la  cause  de  leurs  plaintes.  «  Maintenant    lui  répoudit  une 


FABLES    DE    PHEDRE.    Li' 


13 


Vacca  et  capella, 
et  ovis 

patiens  injurias 
fuere  socii  cum  loone 
in  saltibus. 
Quum  hi  cepissent 
cervum  vasti  corporis, 
partibus  factis , 
leo  locutus  est  sic  : 
«  Ego  tollo  primam, 
quoniam  nominor  leo  ; 
tribuetis  mihi  secundam, 
quia  siim  fortis; 
tum  tertia 
sequetur  me, 
quia  valeo  plus  : 
si  quis  tetigerit  quartam 
afficietur  malo.  » 
Sic  improbitas  sola 
abstulit  prasdam  totam. 


La  vache  et  la  chèvre, 
et  la  brebis 

qui-soufFre-patiemment  l'i/ijustice, 
furent  associés  (s'associèrent)  avec  le  lier; 
dans  les  bois. 
Comme  ils  avaient  pris 
un  cerf  d'un  grand  corps  (dehaute  taille), 
les  parts  étant  faites, 
le  lion  parla  ainsi  : 
«  Moi  j'enlève  la  première, 
parce-que  je  m'appelle  lion  ; 
vous  accorderez  à  moi  la  seconde, 
parce-que  je  suis  courageux  ; 
de-plus  la  troisième 
suivra  moi  (me  reviendra), 
parce-que  je  suis-fort  plus  que  vous  ; 
si  quelqu'un  touche  la  quatrième 
Usera  affligédemal(illuiarriverama]).  k 
Ainsi  la  mauvaise-foi  seule 
enleva  le  butin  tout  entier. 


FABULA  VI. 


FABLE  YL 


ràn<2E  ad  solem. 

^90 pus  vidit 
nuptias  célèbres 
furis  vicini , 
et  continue  incipit  narrare  : 

Quondam  quum  sol 
vellet  ducere  uxorem, 
ranse  sustulere  clamorem 
ad  sidéra. 

Jupiter,  pennotusconvicio, 
quaerit  causara  querelae. 
Tarn 

quaedam  incola  stagni  : 
«  Nunc,  inquit. 


LES    GREK0UILLE3    AU    SOLEIL 

Esope  vit 
les  noces  pompeuses 
d'un  voleur  son  voisin , 
et  aussitôt  il  commence  à  conter  : 

Un-jour  comme  le  soleil 
voulait  prendre  femme, 
les  grenouilles  élevèrent  un  cri 
jusqu'aux  astres. 
Jupiter,  ému  de  ces  clameurs, 
s'informe  du  motif  de  leur  plainte. 
Alors 

certaine  habitante  de  l'étang  : 
•ï  Maintenant,  dit-elle, 


14  PH^DRI   FAB.    LIBER  I. 

c  Nuac,  inquit,  omnes  unus  exurit  lacus, 
Cogitque  miseras  arida  sede  emori  ; 
Quidnam  futurum  est  si  crearit  liberos  ?  » 


FABULA  VIL 

VULPES    AD    PERSONAM'    TRAGICAM. 

Personam  tragicam  forte  Vulpes  viderai  : 

a  0  quanta  species!  inquit,  cerebrum  non  habet.  » 

Hoc  illis  dictum  est  quibus  honorem  et  gloriam 
Fortuna  tribuit ,  sensum  communem  abstulit. 

FABULA  VIIL 

LtrPUS   ET    GRUIS. 

Qui  pretium  meriti  ab  improbis  desideral 
Bis  peccat  :  primum ,  quoniam  indignos  adjuvat  : 
Impune  abire  deinde  quia  jam  non  potest. 
Os  devoratum  fauce  quum  haereret  Lupi , 
Magno  dolore  victus  ,  cœpit  singulos  5 

Illicere  pretio  ut  illud  extraherent  malum 

citoyenne  des  étangs,  le  soleil  à  lui  seul  tarit  tous  nos  lacs,  et  nous 
fait  périr  misérablement  au  fond  de  nos  demeures  desséchées  ;  que 
sera-ce ,  s'il  lui  vient  des  enfants  ?  » 

FABLE  VIL 

LE  RENARD   ET   LE   MASQUE  DE  THEATRE. 

Un  renard  vit  par  hasard  un  masque  de  théâtre  :  «  La  belle  têteJ 
s'écria-t-il,  mais  elle  n'a  point  de  cervelle.  » 

Ce  mot  s'applique  à  ceux  que  la  fortune  a  comblés  d'honneurs  et 
de  gloire,  mais  à  qui  elle  a  refusé  le  sens  commun. 

FABLE  VIIL 

LE  LOUP  ET  LA  GBUB. 

Attendre  des  méchants  le  prix  d'un  bienfait,  c'est  commettre  une 
double  faute  :  d'abord  on  oblige  des  gens  qui  ne  le  méritent  pas  ; 
ensuite,  on  ne  peut  plus  leur  échapper  sans  danger. 

Un  loup  avala  un  os  qui  lui  resta  dans  le  gosier.  Vaincu  par  la  souf- 
"jance,  il  promit  une  récompense  à  qui  le  délivrerait  de  son  mal.  Une 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  î. 


15 


unus  exurit  omnes  lacus, 
cogitque  miseras 
emori  sede  arida  ; 
quidnam  futurum  est 
si  crearit  liberos  ?  » 


un  seul  soleil  dessèclie  tous  nos  lacs, 
et  nous  force,  malheureuses, 
à  dépérir  dans  un  séjour  aride  ; 
quelle  chose  doit  arriver  (qu'arrivera  t-il) 
s'il  crée  des  enfants?  » 


FABULA  VII. 

^TJLPES   AD   PER80NA.M 
TKAGICAM. 

Forte  vxilpes 
viderat  per  sonam  tr  agicam  : 
«  0  quanta  species  !  inquit, 
non  habet  cerebrum  !  » 

Hoc  dictum  est  illis 
quibus  fortuna 
tribuit  honorem  et  gloriam , 
abstulit 
sensum  communem. 


FABLE  VII. 

LE   RENARD   AU   MA8QUB 
TRAGIQUE, 

Par  hasard  un  renard 
avait  vu  un  masque  tragique  : 
«  Oh  !  qaeWe-belle  figure  !  dit-il , 
mais  elle  n'a  pas  de  cervelle!  » 

Cela  a  été  dit  pour  ceux 
à  qui  la  fortune 
a  accordé  honneur  et  gloire, 
mais  a  enlevé  (refusé) 
le  sens  commun. 


FABULA  VIII. 

LUPUS   ET   GRUIS. 

Qui  desiderat  ab  improbis 
pretium  meriti 
peccat  bis  : 

primum  quoniam  adjuvat 
indignes  ; 

deinde  quia  nonpotest  jam 
abire  impune. 

Quum  os  devoratum 
heereret  fauce  lupi, 
victus  magno  dolore , 
coepit  illîcere  singulos 
pretio 

Ut  extraherent 
illud  malum. 


FABLE  VIII. 

LE   LOUP   ET   LA  GRUE. 

Celui-qui  réclame  à  des  méchants 
le  prix  d'un  service 
pèche  deux-fois  : 
d'abord  parce-qu'il  aide 
des  gens  indignes, 
ensuite  parce-qu'il  ne  peut  plus 
s' en-aller  (s'en  tirer)  impunément. 

Comme  un  os  avalé 
restait  dans  le  gosier  d'un  loup, 
vaincu  par  la  grande  douleur, 
il  se-mit-à  inviter  chacun 
par  un  prix  qu'il  promettait, 
à- ce-  qu'ils  lui  otasseut 
ce  mal. 


16  PH^DRI   FAB.    LÎRF.R   I. 

Tandem  persuasa  est  jurejurando  Gruis , 

Gulaeque  credens  coUi  longitudinem  , 

Periculosam  fecit  medicinam  Lupo. 

Pro  quo  quum  pactum  flagitaret  préemium  :  4  0 

<?■  Ingrata  es,  inquit,  ore  quae  nostro  caput 

Incolume  extuleris ,  et  mercedem  postules  !  » 

FABULA  IX. 

PASSEB  ET   LEPUS 

Sibi  non  cavere,  et  aliis  consilium  dare, 
Stultum  esse,  paucis  ostendamus  versibus. 

Oppressum  ab  aquila,  fletus  edentem  graves, 
Leporem  objurgabat  Passer  :  «  Ubi  pernicitas 
Nota  ,  inquit,  illa  est?  quid  ita  cessarunt  pedes?  »  i 

Dum  loquitur,  ipsum  accipiter  nec  opinum  rapit, 
Questuque  vano  clamitantem  interficit. 
Lepus  semianimus,  mortis  in  solatio  : 
«  Qui  modo  securus  nostra  irridebas  mala , 
Simili  querela  fata  déploras  tua.  »  i  0 


grue  se  laissa  enfin  persuader  par  ses  serments,  et,  confiant  à  la  gueule 
du  loup  toute  la  longueur  de  son  cou,  elle  fit  l'aventureuse  opération. 
Comme  elle  réclamait  son  salaire  :  «  Tu  es  une  ingrate!  lui  dit-il  : 
tu  as  retiré  ton  cou  de  ma  gueule,  et  tu  réclames  une  récompense  !  » 

FABLE  IX. 

LE   PASSEREAU   ET   LE   LiÈVEE. 

Ne  point  se  tenir  sur  ses  gardes ,  et  donner  des  conseils  aux  autres, 
c'est  sottise.  Nous  Talions  montrer  en  peu  de  vers  : 

Un  lièvre  pris  par  un  aigle  poussait  de  profonds  gémissements.  Un 
passereau  l'insultait  :  «  Où  est,  lui  disait-il ,  cette  agilité  si  vantée? 
Que  font  maintenant  tes  pieds  si  rapides  ?»I1  parlait  encore,  lorsqu'un 
épervier  le  saisit  à  l'improviste,  et  le  tue  malgré  ses  cris  et  ses 
plaintes.  Le  lièvre  eut  en  mourant  la  consolation  de  lui  dire  :  «  Toi 
qui  tout  à  l'heure  en  sûreté  te  riais  de  mes  maux ,  comme  moi  tu 
déplores  maintenant  ta  destinée.  • 


\ 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  1. 


n 


Tandem  gruis 

persuasa  est  jurejurando , 

credensque  guise 

longitudinem  colli, 

fecit  lupo 

medicinam  periculosam. 

Quum  pro  quo 

flagitr^ret 

prseinium  pactiim  : 

«  Es  ingrata,  inquit, 

quœ  extuleris  nostro  ore 

caput  incolume, 

et  postules  mercedem  !  » 


Enfin  une  grue 

fut  persuadée  par  son  serment. 

et  confiant  à  sa  gueule 

la  longueur  de  son  cou  (son  long  cou) , 

elle  fit  au  loup 

cette  opération  dangereuse- 

Comme  pour  cela 

elle  demandait-instamment 

le  salaire  convenu  : 

a  Tu  es  ingi*ate,  lui  dit-il, 

<oî"-qui  as  retiré  de  notre  '^raa)  gueule 

ta  tête  saine-et-sauve, 

et  demandes  une  récompense  !  » 


FABULA  IX. 

PASSER   ET    LEPDS. 

Ostendamus 
paucis  versibus 
non  cavere  sîbi , 
et  dare  consilium  aliis, 
esse  stultum. 

Passer 
objurgabat  leporem 
oppressum  ab  aquila , 
edentem  graves  fletus  ; 
«  Ubi  est,  inquit, 
illa  pernicitas  nota? 
Quid  pedes 
cessarunt  ita?  » 
Dum  îoquitur, 
accipiter  rapit  ipsum 
nec  opinum, 
interficitque 

clamitantem  questu  vano. 
Lepus  semianimus, 
in  solatio  mortis  : 
*  Qui  securus  modo 
irridebas  nostra  mala, 
déploras  tua  fata 
qnerela  simili.  » 

Fakles  de  PifuDnE. 


FABLE  IX. 

LE    PASSEREAU   ET    LE    LIEYRE. 

Montrons 
eu  peu  de  vers 

que  ne  pas  prendre-garde  à  soi, 
et  donner  conseil  aux  autres, 
est  sot. 

Un  passereau 
gourmandait  un  lièvre 
accab^.é  (saisi)  par  un  aigle, 
et  poussant  de  profonds  gémissement 
«  Où  est,  lui  dit-il, 
cette  vitesse  si  connue? 
Pourquoi  tes  pieds 
se  sont-ils-ralentis  ainsi?  » 
Pendant  qu'il  parle, 
un  épervier  T enlève  lui-même 
ne-s'y-attendant  pas  (à  l'improviste) 
et  le  tue 

criant  par  une  plainte  vaine. 
Le  lièvre  à-demi-mort, 
dit  en  consolation  de  sa  mort  : 
«  Toi  (]m  tranquille  tout-à-l'heure 
te-riais-de  nos  maux, 
tu  déplores  maintenant  ta  destin' < 
par  nue  plainte  semblable.  » 


48  PHJEDRI   FAB.    LIBER  I. 

FABULA  X. 

LUPUS   ET  VULPES,    JUDICE   8IMI0. 

Quicumque  turpi  fraude  semel  innotuit, 
Etiamsi  verum  dicit,  amittit  6dem. 
Hoc  altestatur  brevis  iEsopi  fabula. 

Lupus  arguebat  Vulpem  farti  crimine  ; 
Negabat  illa  se  esse  culpae  proximam.  $ 

Tune  judex  inter  illos  sedit  Simius. 
U terque  causam  quum  pérorassent  suam , 
Dixisse  fertur  Simius  sententiam  : 
«  Tu  non  videris  perdidisse  quod  petis  ; 
Te  credo  surri puisse  quod  pulchre  negas.  »  40 

FABULA  XI. 

ASINUS   ET   LEO   VENANTES. 

Virtutis  expers ,  verbis  jactans  gloriam , 
Ignotos  fallit,  notis  est  derisui. 

Venari  Asello  comité  quum  vellet  Léo, 
Contexit  illum  frutice,  et  admonuit  simul 

FABLE  X. 

LE  LOUP  ET  LB  RENAUD  JUGES  PAR  LE  SINGE. 

Quiconque  s'est  fait  connaître  par  de  honteux  mensonges  perd 
toute  créance ,  même  lorsqu'il  dit  la  vérité.  C'est  ce  que  prouve  cette 
petite  fable  d'Esope  : 

Un  loup  accusait  un  renard  de  l'avoir  volé  ;  le  renard  rejetait 
bien  loin  de  lui  cette  imputation.  Le  singe  est  choisi  pour  arbitre  de 
leur  différend.  Lorsque  chacun  eut  plaidé  sa  cause,  voici,  dit-on  ,  la 
sentence  qu'il  prononça  :  «  Toi,  tu  ne  me  semblés  pas  avoir  perdu 
ce  que  tu  réclames;  et  toi ,  je  te  crois  coupable  du  vol  que  tu  nies 
si  bien.  > 

FABLE  XL 

LE   LION   ET   l'ANE   CHASSANT. 

Le  lâche  qui  vante  son  courage  en  impose  à  ceux  qui  ne  le  con- 
naissent pas  ;  il  fait  la  risée  de  ceux  qui  le  connaissent. 
Le  lion,  voulant  chasser  avec  l'âne,  le  couvrit  de  feuillago,  et 


i 


FABLES  DE   PHÈDRE.    LITRE 


19 


FABULA  X. 

LTTPrS   ET  VIJLPES, 
SlilIO   JUDICE. 

Qaicuaqueinnotuit  seinel 
fraude  turpi, 
amittit  fîdem, 
etiamsi  dicit  verum. 
Brevis  fabula  iEsopi 
testatur  hoc. 

Lupus  arguebat  \iilpem 
crimine  furti; 
illa  negabat 

se  esse  proximam  culf  œ  : 
tune  simius 
sedit  judex  inter  illos. 
Quum  pérorassent 
uterque  suam  causam , 
simius  fertur 
dixisse  sententiam  : 
«  Tu  non  videris  perdidisse 
quod  petis  ; 
credo  te  subripuisse 
quod  negas  pulchre,  » 


FABLE  X. 

LE    LOUP    ET   LE   RENARD. 
LE    SINGE    e^an^-JTJGE. 

Quiconque  s'est  fait-connaître  une- fois 
par  une  fourberie  honteuse 
perd  toute  créance, 
quand-même  il  dit  la  vérité. 
Cette  courte  fable  d'Ésope 
atteste  cexa. 

Un  loup  poursuivait  un  renard 
par  une  accusation  de  vol  ; 
celui-là  niait 

soi  être  tout-proche  'coupable^  delà  faute: 
alors  le  singe 

s'assit  comme  juge  entre  eux. 
Après  qu'ils  eurent  plaidé-à-fond 
l'un-et-l'autre  (chacun^  sa  cause, 
le  singe  est  rapporté 
avoir  dit  (porté)  cette  sentence  : 
«  Toi  loup,  tu  ne  parais  pas  avoir  perdu 
ce-que  tu  demandes  ; 
je  crois  que  toi,  renard,  as  dérobé 
ce-que  tu  nies  si  bien  avoir  pris,  » 


FABULA  XL 

ASINUS  ET  LEO  VENANTES. 

Expers  virtutis, 
jvactans  verbis  gloriam, 
failli  ignotos , 
est  derisui 
notis. 

Quum  leo  vellet  venari, 
aaello  comité , 
contexit  illum  frutice . 


FABLE  XL 

l'aNE   et   le   lion   CHASSANT. 

CeZuj-qui-manque  de  courage, 
et  qui-vante  en  paroles  sa  gloire, 
trompe  ceux-qui-ne-Ze-connaissent-pas, 
il  est  à  dérision  (un  objet  de  risée) 
à  (pour)-ceux-qui-/e-connaissent. 

Un-jour-que  le  lion  voulait  chasser 
avec-Vàne  pour- compagnon, 
il  couvrit  lui  do  branchage, 


20  PH^DRI   FAB.    LIB£R  L 

Ut  insueta  voce  terreret  fei  as ,  5 

Fugientes  ipse  exciperet.  Hic  auritulus 

Clamorem  subito  tollit  totis  viribus  ; 

Novoque  turbat  bestias  miraculo. 

Quae  dum  paventes  exitus  notos  petunt, 

Leonis  afîliguntur  horrendo  impetu.  <0 

Qui  postquam  csede  fessus  est,  Asinum  evocat, 

îubetque  vocem  premere.  Tune  iste  insolens  : 

K  Qualis  videtur  opéra  tibi  vocis  meae? 

—  Insignis,  inquit,  sic  ut,  nisi  nossem  luum 

Animum  genusque,  simili  fugissem  metu.  »  45 

FABULA  XII. 

CERVUS    AD   FONTEM. 

Laudatis  utiliora  quae  contempseris 
Saepe  inveniri ,  haec  exserit  narratio. 

Ad  fontem  Cervus ,  quum  bibisset ,  restitit , 
El  in  liquore  vidit  effigiem  suam. 

îbi  dum  ramosa  mirans  laudat  cornua,  5 

Crurumque  nimiam  tenuitatem  vitupérât, 

lui  commanda  de  braire  pour  effrayer  les  animaux  par  le  son 
inaccoutumé  de  sa,  voix  ;  lui-même  arrêterait  les  fuyards.  Sou- 
dain le  chasseur  aux  longues  oreilles  se  met  à  ciûer  de  toutes 
ses  forces,  et,  par  ce  prodige  nouveau,  jette  l'effroi  parmi  les  ani- 
maux. Épouvantés,  ils  courent  aux  issues  qu'ils  connaissent;  mais 
le  terrible  lion  s'élance  sur  eux.  Enfin  ,  rassasié  de  carnage  ,  il  ap- 
pelle l'âne'et  lui  ordonne  de  se  taire.  «  Que  dites-vous  de  ma  voix?  » 
demanda  arrogamment  le  baudet.  «  Merveilleuse,  en  vérité,  repartit 
le  lion  ,  au  point  que  si  je  n'eusse  connu  et  ton  courage  et  ta  race , 
la  frayîur  m'eût  fait  fuir  comme  les  autres.  » 

FABLE  XIL 

LE   CEKF   PRÈS   d'UNE   FONTAINE. 

Ce  qu'on  méprise  se  trouve  souvent  plus  utile  que  ce  qu'on  vante; 
cette  fable  en  fournit  un  exemple. 

Un  cerf,  après  avoir  bu  à  une  fontaine,  s'y  arrêta,  et  aperçut  dans 
l'eau  son  image;  là,  tan  lis  qu'en  extase  il  contemple  sa  haute  ra- 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVRE   I. 


2i 


et  admonuit  simul 

Ht  terreret  feras 

voce  insueta, 

ips8  exciperet 

fugientes. 

Hic  auritulus 

tollit  subito  clamorem 

totis  viribus, 

turbatque  bestias 

miraculo  novo. 

Dura  quae  paventes 

petunt  exitus  notos, 

affliguntur 

impetu  horrendo  leonis. 

Postquam  qui 

est  fessus  caede, 

evocat  asinum, 

jubetque  premere  vocem. 

Tune  iste  iusolens  : 

«  Qualis  videtur  tibi 

opéra  meœ  vocis  ? 

—  Insignis,  inquit,  sic  ut, 

nisi  nossem  tuum  animum 

genusque, 

fugissem  simili  metu.  » 


et  il  lui  recommanda  en -même-temps 

qu'il  épouvantât  (d'épouvanter)  les  bêtea 

par  une  voix  inaccoutumée  , 

que  lui-même  prendrait-au-passage 

les  fuyants  (fuyards). 

Alors  l'anima^aux-longues-oreilles 

élève  (pousse}  soudain  un  cri 

de  toutes  ses  forces, 

et  trouble  les  animaux 

par  ce  prodige  nouveau. 

Pendant-que  ceux-ci  épouvantés 

gagnent  les  issues  qu'ih-connaissent, 

ils  sont  terrassés 

par  l'attaque  terrible  du  lion. 

Quand  celui-ci 

est  fatigué  du  carnage, 

il  rappelle  l'âne  de  son  poste^ 

et  lui  ordonne  de  contenir  (taire)  sa  voix . 

Alors  celui-ci  insolent,  dit  : 

«  Quel  paraît  à  toi 

le  service  (l'effet)  de  ma  voix? 

— Admirable,  dit  le  lion,  tellement  que, 

si  je  ne  connaissais  ton  courage 

et  ta  race, 

j'aurais  fui  par  une  semblable  crainte.  -« 


FABULA  XII. 

CERVtrS    AD   PONTE  M. 

Haec  narratio  exserit 
quaî  contempseris 
inveniri  sœpe  utiliora 
laudatis. 

Quum  cervus 
bibisset  ad  fontem, 
restitit , 

et  vidit  suam  eiEgiem 
in  liquore. 

Ibi  dum  laudat  mirans 
oornua  ramosa, 
vituperatque 


FABLE   XII. 

LE    CERF    PRÈS  D'UNE    FOXTAIKE. 

Ce  récit  fait  voir 
que  les-choses-que  tu  auras  méprisées 
sont  trouvées  souvent  plus-utiles 
que  les  choses  louées. 

Comme  un  cerf 
avait  bu  à  une  fontaine, 
il  s'arrêta, 
et  vit  son  image 
dans  le  liquide  (l'eau). 
Là  pendant  qu'il  loue,  les  admirant, 
ses  cornes  branchues, 
et  qu'il  blâme 


22  PH^DRi   FAB.    LIBER  L 

Venantunr  subito  vocibus  conterritus, 

Per  campum  fugere  cœpit,  et  cursu  levi 

Canes  elusit.  Silva  tum  excepit  ferum  : 

In  qua,  retentis  impeditus  cornibus,  10 

Lacerari  cœpit  morsibus  saevis  canum. 

Tune  moriens  vocem  hanc  edidisse  dicilur  : 

a  0  me  infelicem ,  qui  nunc  demum  intelligo 

Ut  illa  mihi  profuerint  quae  despexeram , 

Et,  quae  laudaram ,  quantum  luctus  habuerint  !»  45 

FABULA  XIII. 

VULPES    ET    CORVUS. 

Qui  se  laudari  gaudet  verbis  subdolis , 
Sera  dat  pœnas  turpes  pœnitentia. 

Quum  de  fenestra  Corvus  raptum  caseum 
Comesse  vellet ,  celsa  residens  arbore  , 
Hune  \idit  Vulpes  ,  deinde  sic  cœpit  loqui  :  5 

c(  0  qui  tuarum  ,  Corve ,  pennarum  est  nitor  ! 
Quantum  decoris  corpore  et  vulta  geris  ! 
Si  vocem  haberes ,  nulla  prier  aies  foret.  » 


mure ,  et  se  plaint  de  l'excessive  délicatesse  de  ses  jambes  ,  effrayé 
sondaln  par  les  cris  des  chasseurs,  il  fuit  à  travers  champs ,  et  sa 
course  légère  met  les  chiens  en  défaut.  Il  cherche  asile  dans  la  forêt  ; 
mais,  arrêté  par  les  branches  où  son  bois  s'embarrasse,  il  est  dé- 
chiré par  les  dents  cruelles  des  chiens.  On  dit  qu'en  expirant  il  pro- 
nonça ces  mots  :  «  Malheureux  que  je  suis!  je  comprends  mainte- 
nant l'utilité  du  bien  que  j'avais  méprisé,  et  combien  devaient  m'être 
funestes  les  avantages  dont  j'étais  si  fier  !  » 

FABLE  XIII. 

LE   RENARD   ET   LE   CORBEAU. 

Celui  qui  aime  à  s'enivrer  de  louanges  mensongères,  en  est  puni 
plus  tard  par  un  amer  repentir. 

Un  corbeau  avait  enlevé  sur  une  fenêtre  un  fromage,  et,  perché 
sur  le  haut  d'un  arbre,  se  disposait  à  le  manger,  lorsqu'un  renard 
l'aperçut  et  lui  tint  ce  langage  :  «  Que  d'éclat,  sire  corbeau, 
dans  tout  votre  plumage  !  Que  de  grâces  sur  votre  personne  et 
dans  tous  vos  traits  !  Si  vous  saviez  chanter,  nul  oiseau  ne  l'em- 


FABLES  DE   PHÈDKE.    LI\'RE  I. 


23 


tenuitatem  nimiam 
crurum, 

conterritus  subite 
vocibus  venantum, 
cœpit  fugere  per  campum, 
et  elusit  canes  cursu  levi. 
Tura  silva  excepit  feruin  : 
in  qua  impeditus 
cornibus  retentis, 
cœpit  lacerari 
morsibus  sasvis  cauum. 
Tune  moriens  dicîtur 
edidisse  hanc  vocem  : 
«  0  me  infelicem  ! 
qui  intelligo  nunc  demum 
ut  illa  quas  despexeram 
profuerint  mihi , 
et  quantum  quas  laudaram 
habuerint  luctus.  » 


la  finesse  excessive 

de  ses  jambes, 

efîrayé  soudain 

par  des  voix  de  cbasseurs , 

il  se-mit-à  fuir  par  la  campagne, 

et  trompa  les  chiens  par  sa  course  légère. 

Alors  une  forêt  reçut  l'animal  : 

dans  laquelle  embarrassé 

par  ses  cornes  retenues  (accrochées), 

il  commença  à  être  déchiré 

par  les  morsures  cruelles  des  chiens. 

Alors  en-mourant  il  est  rapporté 

avoir  émis  (dit^  cette  voix  (ces  paroles)  : 

«  0  moi  malheureux  ! 

qui  comprends  en-ce-moment  seulement 

combien  les-choses-que  j'avais  méprisées 

ont-été-utiles  à  moi , 

et  combien  les-choses-que  j'avais  louées 

ont  eu  de  deuil  (m'ont  causé  de  malheur) .  » 


FABULA  XIII. 


FABLE  XIII. 


VTJLPES    ET   COEVUS. 

Qui  gaudet  se  laudari 
verbis  subdolis 
dat  pœnas  turpes 
pœnitentia  sera. 

Quura  corvus 
residens  arbore  celsa, 
vellet  comesse  caseum 
raptum  de  fenestra, 
vulpes  vidit  hune, 
deinde  cœpit  loqui  sic  : 
«  0  corve, 
qui  est  nitor 
tuarum  pennarum  ! 
quantum  decoris  geris 
corpore  et  vultu  ! 
Si  haberes  vocem , 
nulla  aies  foret  prior.  » 


LE    RENAED   ET   LE    CORBEAU. 

Celui-qui  aime  soi  être  loue 
par  des  paroles  rusées 
donne  (subit)  des  peines  honteuses 
par  un  repentir  tardif. 

Un-jour-qu'un  corbeau 
posé  (perché)  sur  un  arbre  élevé , 
voulait  manger  un  fromage 
enlevé  (qu'il  avaH  enlevé;  d'une  fenêtre, 
un  renard  vit  lui, 
puis  il  se-mit-à  parler  ainsi  : 
«  0  corbeau, 
quel  est  l'éclat 
de  tes  plumes  ! 
que  de  grâce  tu  portes 
sur  ton  corps  et  sur  ton  visage  ! 
Si  tu  avais  la  voix, 
aucun  oiseau  ne  serait  supérieur  à  toi. 


24  PHiEDRI    FAB.    LIBER   I. 

At  ille  stultus,  dum  vult  vocem  ostendere , 

Einisit  ore  caseum ,  quem  celeriter  10 

Dolosa  Vulpes  avidis  rapuit  dentibus. 

Tunc  demum  ingemuit  Corvi  deceptus  stupor. 

FABULA  XIV. 

EX    SUTOKE    MEDICUS. 

Walusquum  Sutor,  inopia  deperditus, 

Medicinam  ignoto  facere  cœpisset  loco, 

El  venditaret  falso  antidotum  nomine , 

Verbosis  acquisivit  sibi  famam  strophis. 

liic'    quum  jaceret  morbo  confectus  gravi,  5 

Rex  urbis,  ejus  experiendi  gratia, 

Scyphum  poposcit;  fusa  dein  simulans  aqua 

Antidoto  miscere  illius  se  toxicum , 

Combibere  jussit  ipsum,  posito  prsemio. 

Tiraore  mortis  ille  tum  confessiis  est,  iO 

Non  artis  ulla  medicum^  se  prudentia , 

Verum  stupore  vulgi  factum  nobilem. 

Rex,  advocata  concione,  haec  edidit  : 

porterait  sur  vous.  »  Le  sot  veut  montrer  sa  voix  ,  mais  son  bec 
laisse  échapper  le  fromage;  le  rusé  renard  s'en  saisit  avec  avidité. 
Le  corbeau  attrapé  gémit  alors  de  sa  sottise. 

FABLE  XIV. 

LE    CORDONNIER    MEDECIN. 

Un  mauvais  cordonnier,  perdu  de  misère,  voulut  exercer  la  mé- 
decine dans  un  endroit  où  il  n'était  point  connu;  il  débitait  un  pré- 
tendu antidote,  et  bientôt  son  verbiage  lui  fit  un  certain  renom. 
Il  fut  atteint  d'une  grave  maladie;  le  roi  de  ia  ville  voulut  éprouver 
8on  savoir  :  il  demande  une  coupe,  y  verse  de  l'eau,  et,  feignant  de 
mêler  un  poison  au  remède  du  médecin ,  il  lui  ordonne  de  boire,  en 
loi  promettant  récompense.  La  crainte  de  la  mort  fit  avouer  à  notre 
homme  qu'il  devait  sa  réputation,  non  pas  à  son  habileté  en  médecine, 
mais  à  la  sotte  crédulité  du  peuple.  Le  roi  convoque  alors  les  ci- 


I 


FABLES  DE    PHEDRE.    LIVRE   I.  25 

At  dum  ille  stultus  Mais  pendant-que  celni-ci  sot 

vult  ostendere vocem,  veut  montrer  sa  voix, 

emisit  ore  caseum,  il  laissa-tomber  de  son  bec  le  froïKage, 

quem  vulpes  dolosa  lequel  le  renard  rusé 

rapuit  céleri  ter  saisit  promptement 

dentibus  avidis.  de -ses  dents  avides. 

Tum  demum  stupor  corvi    Alors  seulement  la  stupidité  du  coroeau 

deceptus  ingemuit.  trompée  (se  voyant  dupe)  gémit. 


FABULA  XIV. 


FABLE  XIV. 


MEDICUS   EX   SUTORB. 


LE    MEDECIN    EX-CORDO^■^'IER. 


Quum  malus  sutor, 
deperditus  inopia, 
cœpisset  facere  medicinani 
loco  ignoto, 

et  venditaret  antidotum 
nomine  falso, 
acquisivit  sibi  famam 
Btrophis  verbosis. 
Quum  hic  jaceret 
confectus  morbo  gravi, 
rex  urbis 
gratia 

ejus  experiendi, 
poposcit  scyphum,- 
dein  simulans  se  miscere 
toxicum  antidoto  illius, 
aqua  fusa, 

jussit  ipsum  combibere, 
prsemio  posito. 
Tune  ilie  timoré  mortis 
confessus  est 
se  faetum  nobilem 
non  ulla  prudentia 
artis  medicum , 
verum  stupore  vulgi. 
Concione  advocata, 
rex  edidit  haec  * 


Comme  un  mauvais  cordonnier, 
perdu  de  misère, 
s'était-mis-à  faire  de  la  médecine 
dans  un  endroit  où-il-n 'était-pas-connu, 
et  çu'il  vendait  du  contre-poison 
sous  (en  lui  donnante  un  nom  faux, 
il  acquit  à  soi  une  réputation 
par  ses  tours  verbeux  'par  son  verbiage). 
Un  jour  que  celui-ci  était  couché 
affligé  d'une  maladie  grave, 
le  roi  de  la  ville 
pour-le-plaisir  (dans  la  vue) 
de  lui  devant-être-éprouvé  (de l'éprouver  , 
demanda  une  coupe; 
ensuite  feignant  soi  Hr/'ler   de  mêler; 
un  poison  à  l'antidotî  de  lui, 
de  l'eau  seulement  étant  versée  dedans, 
il  ordonna  à  lui-même  de  boire-le-tOi:t, 
une  récompense  étant  proposée. 
Alors  celui-ci  par  crainte  de  la  mort 
avoua 

qu'il  était  devenu  célèbre 
non  par  aucune  connaissance 
de  l'art  des  médecins, 
mais  par  la  stupidité  du  vulgaire. 
Lkie  réunion-du-peuple  étant  convoquée 
le  roi  fit-eutendre  ces  paroles  : 


26  phjEdri  fab.  liber  l 

a  Quantae  putatis  esse  vos  dementiae, 

Qui  capita  vestra  non  dubitatis  credere  15 

Cui  calceandos  nemo  commisit  pedes  !  » 

Hoc  pertinere  vere  ad  illos  dixerim 
Quorum  stultitia  quaestus  impudentiae  est. 

FABULA  XV. 

ASINUS   AD   SENEM  PA8TOREM. 

In  principatu  commutando  civium, 

Nil,  praeter  domini  nomen ,  mutant  pauperes. 

[d  esse  verum ,  parva  haec  fabella  indicat. 

Asellum  in  prato  quidam  pascebat  Senex  : 
[s,  hostium  clamore  subito  territus ,  5 

Suadebat  Asino  fugere,  ne  possent  capi. 
Atille  lentus  :  «  Queeso,  num  binas  mihi 
Clilellas  impositurum  victorem  putas?  » 
Senex  negavit  :  «  Ergo  quid  refert  mea 
Gui  serviam,  clitellas  dum  portem  meas?  »  40 

toyens  et  leur  dit  :  «  Voyez  votre  sottise  :  vous  allez  confier  vos  têtes 
à  un  homme  à  qui  personne  n'a  voulu  donner  ses  pieds  à  chausser  !  » 
Cette  fable  s'applique,  selon  moi ,  à  ces  hommes  dont  la  sottise  se 
laisse  exploiter  par  l'impudence. 

FABLE  XV. 

l'ANE   et   le   vieux   PATRE. 

Dans  un  changement  de  gouvernement ,  rien  ne  change  pour  le 
pauvre,  que  le  nom  du  maître.  Cette  petite  fable  prouve  cette  vérité. 

Un  vieillard  faisait  paître  son  âne  dans  une  prairie  ;  soudain , 
épouvanté  par  les  cris  des  ennemis,  il  engage  l'âne  à  fuir  pour 
éviter  d'être  saisis  tous  deux.  Mais  l'âne,  sans  s'émouvoir  :  c  Le 
vainqueur,  dites-moi,  me  fera-t-il  porter  double  bât?  —  Non,  ré- 
pondit le  vieillard. — Eh  !  que  m'importe  à  qui  je  sois,  si  je  dois  tou- 
jours porter  mon  bât?  » 


I 


FABLES  DE   PHÈDRE.    LIVRE  I. 


27 


«  Quant»  dementiïe 
putatis  vos  esse, 
qui  uon  dubitatis 
credere  vestra  capita 
cui  nemo  commisit 
pedes  calceandos  !  » 

Dixerim  vere 
hoc  pertinere  ad  illos 
quorum  stultitia 
est  qusestus  impudentiae. 


«  De  quelle  folie 

pensez-vous  vous  être  atteints 

vous  qui  n'hésitez  pas 

à  confier  vos  têtes 

à  un  homme  à  qui  personne  n'a  confié 

ses  pieds  à-chausser  !  » 

Je  peux-dire  avec-raisou 
ceci  se  rapporter  à  ces  hommes 
dont  la  sottise 
est  un  profit  pour  l'impudence. 


FABULA  XV. 

A8INTIS 

AD    SENEM   PASTOEEM. 

In  principatu  civium 
commutando, 
pauperes  mutant  nil , 
praeter  nomen  domini. 
Hœc  parva  fabella 
indicat  id  esse  verum. 

Quidam  senex 
pascebat  asellum  in  prato  : 
Î3,  territus 

clamore  subito  hostium, 
suadebat  asino  fugere , 
ne  possent  capi. 
At  ille  lentus  : 
«  Num  putas,  quaeso, 
victorem  impositurum  mihi 
binas  clitellas?  » 
Senex  negavît  : 
«  Ergo  quid  refert  mea 
cui  serviam, 
dum  portera 
meas  cliteUas  ?  . 


FABLE  XV. 

l'ane 
au  tieux  patre. 

Dans  le  gouvernement  des  citoyens 
en-train-d'être-changé, 
les  pauvres  ne  changent  rien, 
excepté  le  nom  de  leur  maître. 
Cette  courte  fable 
montre  que  cela  est  vrai. 

Certain  vieillard 
faisait-paître  son  âne  dans  un  pré  : 
celui-ci  (le  vieillard' ,  eflFrayé 
par  la  clameur  soudaine  des  ennemis 
conseillait  à  l'âne  de  fuir, 
pour  qu'ils  ne  pussent  être  pris. 
Mais  celiû-là  l'âne)  sans-bouger -de-place: 
«Pensez-vous  (croyez-vous),  je  vousprn?, 
le  vainqueur  devant-imposer  à  moi 
double  bât?  » 

Le  vieillard  nia  (dit  que  non)  : 
«  Eh-bien-donc  qu'importe  à  moi 
qui  je  serve, 
pourvu  que  je  porte 
mon  bât?  » 


28  PI],ED1U    FAR.    LIBER    I. 

FABULA  XVI. 

OVIS,    CERVD8   ET   LUPUS. 

Fraudator  homines  quum  advocat  sponsum  improbos, 
Non  remexpedire,  sedmala  videre  expedit. 

Ovem  rogabat  Cervus  modnim  tritici, 
Lupo  sponsore  ;  at  illa ,  praemetuens  dolum  : 
a  Rapere  atque  abire  semper  adsuevit  Lupus,  5 

Tu  de  conspectu  fugere  veloci  impetu  : 
Ubi  vos  requiram  quum  dies  advenerit?  » 

FABULA  XVIL 

OVIS,    CANI8   ET   LUPUS. 

Soient  mendaces  luere  pœnas  malefici'. 

Calumniator  ab  Ove  quum  peteret  Canis 
Quem  commodasse  se  panem  contenderet, 
Lupus  citatus  testis  ,  non  unum  modo 
Deberi  dixit,  verum  afifirmavit  decem.  5 

FABLE  XVL 

LA  BREBIS,  LE  CERF  ET  LE  LOUP. 

Quand  un  fourl^e  vous  propose  une  caution  suspecte ,  il  faut  son- 
ger moins  à  vous  dessaisir  qu'à  vous  tenir  sur  vos  gardes. 

Un  cerf  demandait  aune  brebis  une  mesure  de  froment;  le  loup 
était  sa  caution  ;  mais  la  brebis,  pressentant  la  fourberie  :  «  Le  Loup, 
dit-elle ,  a  coutume  de  prendre  et  de  se  sauver  ;  toi ,  ton  agilité  te 
met  bientôt  à  l'abri  des  regards  :  où  vous  chercher ai-je ,  quand  ar- 
rivera le  jour  du  paiement  V  » 

FABLE  XVIL 

LA   BREBIS,    LE    CHIEN   ET  LE   LOUP. 

Les  menteurs  reçoivent  ordinairement  le  châtiment  de  leurs 
méfaits. 

Un  chien  de  mauvaise  foi  réclamait  d'une  brebis  un  pain  qu'il 
prétendait  lui  avoir  prêté.  Le  loup ,  appelé  en  témoignage  ,  affirma 
qu'elle  en  devait,  non  pas  un  seulement ,  mais  dix.  Condamnée  sur 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  î. 


29 


FABULA  XVI. 


FABLE  XVL 


OVIS,  CERVUS  ET  LUPUS.    LA  BREBIS,  LE  CERF  ET  LE  LOUP. 


Quum  fraudator 
advocat  sponsum 
homines  improbos , 
expedit 

non  expedire  rem , 
sed  videre  mala. 

Cervus  rogabat  ovem 
modium  tritici, 
lupo  sponsore  ; 
at  illa  prsemetuens  dolum 
t  Lupus  adsuevit  semper 
rapere  atqueabire, 
tu  fugere  de  conspectu 
impetu  veloci  : 
ubi  requiram  vos 
quum  dies  advenerit  ?  » 


Quand  un  fourbe 
appelle  pour-être-ses-répondants 
des  hommes  pervers, 
il  convient, 

non  pas  de  tirer-dehors  (donner)  son  bien, 
mais  de  prévoir  des  maux  (du  dommage). 

Un  cerf  demandait  à  une  brebis 
un  boisseau  de  froment , 
le  loup  étant  sa  caution  ; 
mais  elle,  craignant-d'avance  une  rus  2 
«  Le  loup  a  eu  ^a)  coutume  toujours 
de  ravir  et  de  s' en-aller, 
et  toi  de  fuir  de  la  vue  (loin  des  yeux) 
par  un  élan  rapide  : 
où  chercherai-je  vous 
lorsque  le  jour  du  paiement  sera  venu  ?  1 


FABULA  XVn. 


FABLE  XVIL 


OVIS,    CANIS   ET   LUPUS.         LA   BREBIS,    LE    CHIEX    ET    LE    LOUP, 


Mendaces  soient 
lucre  pœnas  malefici. 

Quum  oanis  calumniator 
peteret  ab  ove  panem 
quem  contenderet 
ge  commodasse, 
lupus  citatus  testis  dixit 
non  modo  unum  deberi, 
verum  affirmavit  docem . 


Les  menteurs  ont  coutume 
de  payer  la  peine  de  leur  méchanceté. 

Comme  un  chien  de-mauvaise-foi 
demandait  à  une  brebis  un  pain 
qu'il  prétendait 
soi  lui  avoir  prêté, 
le  loup  cité  comme  témoin  dit 
non-seulement  un  pain  être  dû, 
mais  il  affirma  que  dix  éuient  dut. 


80  PH^DRI   FAB.    LIBER   I. 

Ovis ,  damnata  falso  testimonio , 
Quod  non  debebat  solvit.  Post  paucos  dies , 
Bidens  jacentem  in  fovea  prospexit  Lupum  : 
«  Haec,  inquit,  merces  fraudis  a  superis  datur.  » 

FABULA  XVIII. 

CANIS   PARTURIENS. 

Habent  insidias  hominis  blanditiae  mali , 
Quas  ut  vitemus  versus  subjecti  monent. 

Canis  parturiens  quum  rogasset  alteram 
Ut  fetum  in  ejus  tugurio  deponeret, 

Facile  impetravit  :  dein  reposcenti  locum  5 

Preces  admovit,  tempus  exorans  brève, 
Dum  firmiores  catulos  posset  ducere. 
Hoc  quoque  consumpto ,  flagitare  validius 
Cubile  cœpit.  Illa  :  «  Si  mihi  et  meae 
Par  esse  turbae  potucris,  cedam  loco.  »  iO 


ce  faux  témoignage ,  la  brebis  paya  ce  qu'elle  ne  devait  point.  Quel- 
ques jours  après,  elle  vit  le  loup  pris  dans  un  piège;  «  Voilà,  lui 
dit-elle  ,  comme  les  dieux  récompensent  la  fourberie.   » 

FABLE  XVIIL 

LA   CHIENNE   QUI   MET    BAS. 

Les  caresses  du  méchant  cachent  souvent  un  piège;  le  fait  qui  suit 
nous  avertit  d'y  prendre  garde. 

Une  chienne  près  de  mettre  bas  demanda  à  l'une  de  ses  compa- 
gnes sa  cabane  pour  y  faire  ses  petits,  et  l'obtint  sans  difficulté  ;  puis, 
quand  l'autre  vint  lui  redemander  son  gîte,  elle  la  supplia  de  lui 
accorder  encore  un  court  délai ,  jusqu'à  ce  qu'elle  pût  emmener  aveo 
elle  ses  petits  devenus  forts.  Ce  temps  écoulé,  la  compagne  ré- 
clame son  lit  avec  plus  d'instances.  «  Si  tu  peux,  lui  dit  l'autre, 
être  aussi  forte  que  moi  et  ma  bande ,  je  te  céderai  la  place.  » 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  I. 


31 


Ovis  damnata 
falso  testimonio, 
solvit  quod  non  debebat. 
Post  paucos  dies, 
bidens  prospexit  lupum 
jacentem  in  fovea  : 
«  Hœc  merces  fraudis 
datur  a  superis,  inquit.  » 


La  brebis  condamnée 

par  (sur)  ce  faux  témoignage, 

paya  ce-qu'elle  ne  devait  pas. 

Après  peu  de  jours, 

la  brebis  aperçut  le  loup 

gisant  dans  une  fosse  : 

«  Telle  est  la  récompense  de  la  fraude, 

qui  est  donnée  par  les  dieux ,  dit-elle. 


FABULA  XVIII. 

CANIS   PARTURIEN8. 

Blanditise  hominis  niali 
habent  insidias  ; 
quas  versus  subjecti 
monent  ut  vitemus. 

Quum  canis 
parturiens 
rogasset  alteram 
ut  deponeret  fetum 
in  tugurio  ejus, 
impetravit  facile  : 
dein  admovit  preces 
reposcenti  locum , 
exorans  tempus  brève, 
dum  posset  ducere 
catulos  firrciiores. 
Hoc  quoque  consumpto, 
cœpit  flagitare  cubile 
validius. 
nia  : 

«  Si  potueris  esse  par 
mihi  et  meœ  turbae, 
cedam  loco.  » 


FABLE  XVIII. 

LA   CHIENNE   PRÈS-DE-METTRE-BAS. 

Les'  caresses  d'un  homme  pervers 
ont  (renferment)  des  pièges  ; 
lesquels  pièges  les  vers  écrits-ci-dessous 
avertissent  que  nous  évitions. 

Comme  une  chienne 
près-de-mettre-bas 
avait  demandé  à  une  autre 
qu'elle-même  déposât  sa  portée 
dans  la  cabane  d'elle  (de  l'autre}, 
elle  obtint  facilement  sa  demande  : 
ensuite  elle  employa  les  prières 
près  de  Vautre  qui-réclamait  sa  place, 
demandant-avec-instance  un  temps  court, 
jusqu'à-ce-qu'elle  pût  emmener 
ses  petits  devenus  plus-forts. 
Ce  temps  aussi  étant  consumé  (écoulé' , 
Vautre  commença  à  redemander  son  lit 
plus-fortement  (plus  vivement). 
Mais  celle-ci  : 

«  Situauras-pu  (peux)  être  égale  en  fores 
à  moi  et  à  ma  troupe, 
je  me-retirerai  de  (je  te  céderai}  la  place.  » 


32  PIÎ.EDUI    FAB.    LIBER   I. 

FABULA  XIX. 

CAKES   FAMELICI. 

Stultum  consilium  non  modo  effeclu  caret, 
Sed  ad  perniciem  quoque  mortales  devocat. 

Corium  depressum  in  fluvio  viderunt  Canes  : 
Id  ut  comesse  extractuni  possent  facilius, 
Aquam  cœpere  bibere;  sed  rupti  prius  5 

Periere  quam,  quod  petierant,  contingeivnt. 

FABULA  XX. 

LEO    SENEX,    AP2R,    TAURUS   EV    \SU<Ua. 

Quicumque  amisit  dignitatem  pristinam, 
Ignavis  etiam  jocus  est  in  casu  gravi. 

Defectus  annis  et  desertus  viribus 
Léo  quum  jaceret ,  spiritum  extremum  trahcns  , 
Aper  fulmineis  ad  eum  venit  dentibus ,  5 

Et  vindicavit  ictu  veterem  injuriam. 
Infestis  Taurus  mox  confodit  cornibus 

FABLE  XIX. 

LES   CHIENS   AFFAMÉS. 

Un  projet  insensé ,  non-seulement  ne  réussit  pas  ,  mais  entraîne 
même  souvent  les  hommes  à  leur  perte. 

Des  chiens  aperçurent  un  cuir  plongé  sous  les  eaux  ;  pour  le  re- 
tirer et  s'en  rassasier  à  leur  aise ,  ils  se  résolurent  à  boii-e  toute 
l'eau  ;  mais  ils  crevèrent  avant  d'atteindre  l'objet  de  leur  convoitise. 

FABLE  XX. 

le   lion    devenu  vieux  ,   le    sanglier ,    le  taureau    et 
l'ane. 

Quiconque  a  perdu  son  ancienne  grandeur,  devient  dans  sa  mi- 
sère le  jouet  même  des  lâches. 

Accablé  par  les  ans ,  abandonné  de  ses  forces ,  un  lion  gisait  à 
terre  et  allait  rendre  le  dernier  soupir.  Le  sanglier  vient  à  lui,  et, 
d'un  coup  de  ses  terribles  défenses,  se  venge  d'une  ancienne  injure. 
Bientôt  après ,  le  taureau  perce  le  corps  de  son  ennemi  de  ses  cornes 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   I. 


sa 


FABULA  XIX. 

CANES   FAMELICI. 

Stultum  consilium 
non  modo  caret  effectu, 
sed  devocat  quoque 
mortales  ad  perniciem. 

Canes  videmnt  coriura 
depressum  in  fluvio  : 
ut  possent  facilius 
comesse  id  extractum , 
cœpere  bibere  aquam  ; 
sed  periere  rupti 
priusquam  contingerent 
quod  petierant. 


FABLE  XIX. 

LES   CHIENS   AFFAMES. 

Un  sot  projet 
non  seulement  manque  d'effet, 
mais  il  appelle  (entraîne)  même 
les  mortels  à  leur  perte. 

Des  chiens  virent  un  cuir 
plongé  dans  un  fleuve  : 
pour-qu'ils  pussent  plus-facilement 
manger  lui  retiré  de  l'eaxt, 
il  se-mirent-à  boire  l'eau  ; 
mais  ils  périrent  crevés 
avant-qu'ils  atteignissent 
Vobjet  qu'ils  avaient  désiré. 


FABULA  XX. 


FABLE  XX. 


LEO     SENF:X  ,      APER  ,        LE  LION   devenu  VIEUX,    LE   SANGLÎEB^ 
TAURUS   ET   ASINUS.  LE    TATJREAIT   ET   l'ANE. 


Quicunque  amisit 
pristinam  dignitatem, 
est  jocus  etiam  ignavis 
in  casu  gravi. 

Quum  leo 
defectus  annis, 
et  desertus  viribus, 
jaceret,  trabens 
extremum  spiritum, 
aper  venit  ad  eum 
dentibus  fulmineis, 
et  vindicavit  ictu 
veterem  injuriam. 
Mox  taurus 
confodit  corpus  hostile 
comibus  infestis. 


Quiconque  a  perdu 
307»  antique  grandeur, 
est  un  joaet  même  pour  les  lâches 
dans  une  chute  lourde  (misère  profonde). 

Comme  un  lion 
accablé  par  les  années, 
et  abandonné  de  ses  forces, 
gisait,  tirant 
son  dernier  souffle, 
un  sanglier  vint  à  lui 
avec  ses  dents  foudroyantes, 
et  il  vengea  d'un  seul  coup 
une  ancienne  injure. 
Bientôt  le  taureau 
perça  le  corps  de-«on-ennemi 
de  ses  cornes  cruelles. 


Fables  de  Phèdre. 


3fk  PILEDRI   FAB.    LIBER   I. 

Hostile  corpus.  Asinus  ,  ut  vidit  ferum 

Impune  laedi ,  calcibus  frontem  extudit. 

At  ille  exspirans  :  «  Fortes  indigne  tuli  40 

Mihi  insultare  ;  te ,  naturae  dedecus , 

Quod  ferre  cogor,  certe  bis  videormori!  » 

FABULA  XXI.    ■ 

MUSTELA   ET    HOMO. 

Mustela  ab  homine  prensa  quum  instantem  necem 

Effugere  vellet  :  «  Quaeso ,  parce  ,  inquit ,  mihi , 

Quae  tibi  molestis  muribus  purgo  domum.  » 

Respondit  ille  :  «  Faceres  si  causa  mea , 

Gratum  esset ,  et  dedissem  veniaoi  supplici  ;  5 

Nunc  quia  laboras  ut  fruaris  reliquiis 

Quas  sunt  rosuri ,  simul  etipsos  dévores, 

Noii  imputare  vanum  beneficium  mihi.  d 

Atque  ita  locutus  ,  improbam  letho  dédit. 


redoutables.  L'âne  lui-même ,  voyant  les  outrages  dont  on  accable 
impunément  le  noble  animal ,  lui  brise  le  front  à  coups  de  pied. 
Mais  le  lion  lui  dit  en  expirant  :  «  J'ai  supporté  avec  indignation  les 
insultes  des  braves  ;  mais  souffrir  tes  coups ,  opprobre  de  la  nature  ! 
il  me  semble  mourir  deux  fois  !  » 

FABLE  XXL 

l'homme  et  la  belette. 

Une  belette,  se  voyant  prise,  voulait  échapper  à  la  mort  qui  la  me- 
r.açait  :  «De  grâce  épargnez-moi,  dit-elle  à  l'homme,  épargnez 
celle  qui  détruit  les  rats  dont  votre  demeure  est  infestée.  —  Si  tu 
le  faisais  pour  moi ,  lui  répondit-il ,  je  t'en  serais  reconnaissant, 
et  je  t'accorderais  le  pardon  que  tu  implores  ;  mais ,  puisque  tu  ne  le 
fais  que  pour  jouir  des  restes  dont  ils  se  nourrissent,  et  pour  les  dévo 
rer  eux-mêmes  ,  ne  viens  plus  me  vanter  tes  prétendus  8er\'ices.  i>  Il 
dit,  et  donne  la  mort  à  la  méchante  bête 


FABLES   DE    PILÈDUE.    LIVRE 


35 


Ut  asinus  vidit  ferum 
laedi  impnne, 
extudit  frontem  caicibus. 
At  ille  exspirans  : 
«  Tull  indigne 
fortes  insultare  mihi  ; 
certe  videor  mori  bis, 
quod  cogor  ferre  te, 
dedecus  naturse  !  » 


Quand  l'âne  vit  l'antmai-sauvage 

être  (pouvoir  être)-offensé  impunément, 

il  lui  broya  le  front  à  coups-de-pied. 

Mais  celui-ci  expirant,  dit  : 

«  J'ai  souffert  avec-indignation 

des  animaux  courageux  insulter  moi  ; 

mais  certes  je  me-parais  mourir  deux  fois, 

en  ce-que  jesuis  forcé  de  souffrir  toi, 

toi,  l'opprobre  de  la  nature!  » 


FABULA  XXI. 


FABLE  XXL 


MUSTELA  ET  HOMO. 


LA  BELETTE  ET  L'HOMME. 


Quum  mnstela 
prensa  ab  homine 
vellet 

effugere  necem  instantem 
«  Parce  mihi , 
quaeso,  inquit, 
quse  purge  tibî  domum 
muribus  molestis.  » 
Ille  respondit  : 
«  Si  faceres  mea  causa 
esset  gratum, 
etdedissem  veniam 
supplici  ; 

nunc  quia  laboras 
ut  fruaris  reliquiis 
quas  sunt  rosuri 
et  simul 
dévores  ipsos, 
noli  imputare  mibi 
beneficium  vanum.  » 
Atqne  locutus  ita, 
denit  letho  improbam. 


Comme  une  belette 
prise  par  un  homme 
voulait 

échapper  à  une  mort  imminente  : 
a  Épargnez-moi , 
je  vous  prie,  dit-elle, 
moi  qui  purge  à  vous  votre  maison 
des  rats  incommodes  (qui  l'infestent).  » 
Celui-ci  (l'homme  )  lui  répondit  : 
«  Si  tu  le  faisais  dans  mon  intérêt, 
ce  me  serait  agréable, 
et  j'aurais  donné  pardon 
à  toi  suppliante  ; 

maintenant  (  mais  )  puisque  tu  travr.;:]e8 
pour  que  tu  jouisses  des  restes 
qu'ils  (les  rats)  sont  devant-ronger, 
et  pour  çu' en-même-temps 
tu  les  dévores  eux-mêmes, 
ne  veuilles  pas  imputer  à  moi 
un  bienfait  vain  (imaginaire). 
Et  ayant  parlé  ainsi , 
il  donna  à  la  mort,  la  méchante   bt^ie. 


^  PH.EDRI    FAB.    LIBER   I. 

Hoc  in  se  dictum  debent  illi  agnoscere  ]0 

Quorum  privata  servit  utilitas  sibi, 
Et  meritum  inane  jactant  impudentius. 

FABULA  XXII. 

CANIS    FIDELIS. 

Repente  liberalis  stultis  gratus  est, 
Verum  peritis  irritos  tendit  dolos. 

Xocturnus  quum  fur  panem  misisset  Cani , 
Objecto  tentans  an  cibo  posset  capi  : 

tf  Heus!  inquit,  linguam  vis  meam  praecludere,  5 

Ne  latrem  pro  re  domini  !  multum  falleris; 
Namque  ista  subita  me  jubet  benignitas 
Vigilare,  facias  ne  mea  culpa  lucrum.  » 

FABULA  XXIIL 

RANA   PvUrTA    ET   BOS. 

Inops ,  potentem  dum  vult  imitari ,  périt. 
Iq  prato  quondam  Rana  conspexit  Bovem , 

Dans  cette  fable  doivent  se  reconnaître  ceux  qui  n'agissent  qu'en 
vue  de  leur  intérêt ,  et  qui  vantent  avec  impudence  leurs  bienfaits 
imaginaires. 

FABLE  XXIL 

LE   CHIEX   FIDÈLE. 

Une  libéralité  soudaine  peut  duper  les  sots  ,  mais  elle  tend  de 
vains  pièges  à  l'homme  expérimenté. 

Un  voleur  de  nuit  jeta  du  pain  à  un  cliien  pour  essayer  de  le  sé- 
duire .  «  Oh  !  ob  !  lui  dit  le  chien ,  tu  veux  me  lier  la  langue ,  et 
m'empêcher  d'aboyer  pour  le  bien  de  mon  maître  !  tu  t'es  grande- 
ment trompé.  Cette  bienveillance  subite  m'avertit  au  contraire  de  re- 
doubler de  vigilance,  de  peur  que  tu  ne  profites  de  ma  négligence.  « 

FABLE  XXIIL 

LA    GRENOUILLE   ENVIEUSE   ET   LE   BŒUF. 

Le  faible  se  perd  à  vouloir  imiter  le  fort. 

Une  grenouille  vit  un  jour  un  bœuf  dans  une  prairie;   jalouse 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  I. 


nii 

q^orum  utilitas  privata 
servit  sibi , 

et  jactant  impudentius 
meritum  inane, 
debent  agnoscere 
hoc  dictum  in  se. 


Ceux 

dont  l'intérêt  particulier 

travaille  pour  eux  seuls , 

et  qui  vantent  trop-impudemmeaî 

un  service  imaginaire, 

doivent  reconnaître 

ceci  être  dit  contre  eux. 


FABULA  XXII. 

CANIS    FIDELIS. 

Liberaliâ  repente 
est  gratus  stultis, 
verum  tendit  peritis 
dolos  irrites. 

Quum  fur  nocturnus 
misisset  panem  cani , 
tentans  an  posset  capi 
cibo  objecte  : 
«  Heus!  inquit, 
vis  prascludere 
meam  linguam, 
ne  latrem 
pro  re  demini  ! 
Falleris  multum; 
namque 

ista  benignitas  subita 
jubet  me  vigilare 
ne  facias  lucrum 
mea  culpa.  » 


FABLE    XXII. 

LE    CHIEN   FIDÈLE. 

Un  homme  libéral  tout-à-coup 
est  agréable  aux  sots, 
mais  il  tend  aux  habiles 
des  pièges  vains. 

Comme  un  voleur  de-nuit 
avait  jeté  du  pain  à  un  chien, 
essayant  s'il  pourrait  être  pris  (amorcé 
par  cette  nourriture  jetée-devant  lui  : 
«  Holà!  dit  le  chien, 
ta  veux  fermer-pardevant  (arrêter) 
ma  langue, 
de-peur-que  je  n'aboie 
pour  la  chose  (l'intérêt)  de  mon  maître  1 
Tu  te-trompes  beaucoup  ; 
car 

cette  bienveillance  soudaine 
engage  moi  à  veiller 
de-peur-que  tu  ne  fasses  un  gain 
par  ma  faute.  » 


FABULA  XXIII. 

BANA  KUPTA    ET   BOS. 


FABLE  XXIII. 

LA   GRENOUILLE  CREVEE  ET  LB  BŒUF. 


Inops  périt ,  Le  faible  succombe, 

dum  vultimitari  potentem.  quand  il  veut  imiter  le  puissant. 

Rana  conspexit  quondam        Une  grenouille  aperçut  un-jour 

bovem  in  prato,  un  bœuf  dans  uu  pré. 


38  PHyEDRI   FAB.    LIBER   I. 

Et  tacta  invidia  tantae  magnitudinis , 

Rugosam  inflavit  pellem  ;  tum  natos  suos 

Interrogavit  an  Bove  esset  latior.  5 

nu  negarunt.  Rursus  intendit  cutem 

Majore  nisu ,  et  simili  quaesivit  modo 

Quis  major  esset.  Illi  dixerunt  Bovem, 

Novissime  indignata,  dum  vult  validius 

Inflare  sese,  rupto  jacuit  corpore.  <0 

FABULA  XXIV. 

CANIS   ET   CROCODILUS'. 

Consilia  qui  dant  prava  cautis  hominibus, 
Et  perdunt  operam ,  et  deridentur  turpiter. 

Canes  currentes  bibere  in  Nilo  flumine , 
A  Crocodilis  ne  rapiantur,  traditum  est. 
Igitur  quum  currens  bibere  cœpisset  Canis ,  S 

Sic  Crocodilus  :  «  Quam  libet  Ïambe  otio  ; 
Noli  vereri.  »  At  ille  :  «  Facerem  ,  mehercule! 
Nisi  esse  scirem  carnis  te  cupidum  mese.  » 


d'une  taille  si  belle ,  elle  gonfle  sa  peau  toute  ridée  ,  puis  demande  à 
ses  petits  si  elle  n'est  pas  plus  grosse  que  le  bœuf.  Non  pas,  lui  répon- 
dent-ils. Elle  redouble  d'efforts,  elle  s'enfle  de  plus  belle,  et  de- 
mande encore  quel  est  le  plus  grand  des  deux.  «  Le  bœuf,  »  dirent 
les  petits.  Pleine  de  dépit,  la  grenouille  veut  se  gonfler  davantage 
mais  elle  crève  et  tombe  roide  morte. 

FABLE  XXIV. 

LE   CHIEN   ET   LE   CROCODILE. 

Ceux  qui  donnent  aux  hommes  prévoyants  de  mauvais  conseils, 
perdent  leur  peine  et  sont  raillés  honteusement. 

On  dit  que  les  chiens  ne  boivent  qu'en  courant  l'eau  du  Nil,  dans 
la  crainte  d'être  enlevés  par  les  crocodiles.  Un  chien  s'étant  donc 
mis  à  boire  de  cette  manière  :  «  Bois  à  loisir ,  et  sois  sans  crainte  ,  » 
lui  dit  un  crocodile.  «  Assurément  je  le  ferais ,  lui  répondit  le  chiec^ 
si  je  ne  te  savais  si  friand  de  ma  chair.  » 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE    L 
et  tacta  invidia  et  touchée  (  atteinte  )  d'envie 

tantse  magnitndinis,  à  l'égard  d'une  aussi  grande  taille, 

inflavit  peîlem  rugosam  ;      elle  enfla  sa  peau  ridée  ; 
tuminterrogavit3uosnato3    puis  elle  demanda  à  ses  petits 


39 


an  esset  latior  bove. 
:ili  negarunt. 
Intendit  rursus  cutem 
majore  nisu, 
et  quaesivit  simili  modo 
quis  esset  major. 
Illi  dixerunt  "bovem. 
Dum  indignata  novissime, 
vult  inflare  sese  validius, 
jacuit  corpore  rupto. 


si  elle étaitpluslarge (grosse)  que lebœaf. 

Ceux-ci  nièrent  (  dirent  que  non  ) . 

Elle  tendit  de-nouveau  sa  peau 

avec  un  plus-grand  ejffort, 

et  demanda  d'une  semblable  manière 

qui  des  deux  était  le  plus-grand. 

Ceux-ci  dirent  que  c'était  le  bœuf. 

Tandis  qu'encore  plus  indignée  à-la-fin, 

elle  veut  enfler  soi  plus  fortement, 

Elle  resta-étendue  morte  ,  le  corps  crevé. 


FABULA  XXIV. 

CAXIS  ET  CROCODILUS. 

Qui  dant  prava  consilia 
hominibus  cautis, 
et  perdunt  operam, 
et  deridentur  turpiter. 

Traditum  est 
canes  bibere  currentes 
in  flumineNilo, 
ne  rapiantur 
a  crocodilis. 
Quum  io;itur  canis 
crepisset  bibere  currens, 
crocodilus  sic  : 
«  Lambe  otio  quam  libet  ; 
noli  vereri.  » 
At  ille  : 

«  Facerem ,  mebercule  ! 
nisi  scirem  te  esse  cupidum 
mese  carnis.  » 


FABLE   XXIV. 

LE  CHIEN  ET  LE  CEOCODILE. 

Ceux  qui  donnent  de  mauvais  conseils 
à  des  hommes  prudents, 
et  perdent  leur  peine, 
et  sont  moqués  honteusement. 

n  a  été  transmis  (il  est  de  tradition) 
que  les  chiens  boivent  toujours  courant 
dans  le  fleuve  du  Nil, 
de-peur- qu'ils  ne  soient  enlevés 
par  les  crocodiles. 
Comme  donc  un  chien 
s'était-mis-à  boire  en-courant, 
un  crocodile  lui  parla  ainsi  : 
Œ  Lappe  à-loisir  autant-qu'il  te  plaît  ; 
ne  veuilles  pas  craindre  (  ne  crains  rien) . 
Mais  celui-ci  (le  chien  )  répondit  : 
a  Je  le  ferais,  par-Hercule  • 
si  je  ne  savais  toi  être  avide 
de  ma  chair.  » 


ÛO  PHJÎDRI   FAB.    LIBER   L 

FABULA  XXV. 

VULPES   ET   CICOKIA. 

Nulli  nocendum  ;  si  quis  vero  laeserit , 
Mulctandum  simili  jure,  fabula  admonet. 

Vulpes  ad  cœnam  dicitur  Ciconiam 
Prior  invitasse ,  et  illi  liquidam  in  patina 
Posuisse  sorbitionem ,  quam  nuUo  modo  b 

Gustare  esuriens  potuerit  Ciconia. 
Quae  Vulpem  quum  revocasset ,  intrito  cibo 
Plenam  lagenam  posuit  :  huic  rostrum  insérons 
Satiatur  ipsa ,  et  torquet  convivam  famé. 
Quae  quum  lagenae  collum  frustra  lamberet ,  1 0 

Peregrinam  sic  locutam  volucrem  accepimus  : 
«  Suaquisque  exempla  débet  aequo  animo  pati.  » 

FABULA  XXVI. 

CANIS  ,    THESAURUS   ET   VULTUBIUS, 

Haec  res  avaris  esse  conveniens  potest , 

Et  qui ,  humiles  nati ,  dici  locupletes  student. 

FABLE  XXV. 

LE   RENARD   ET   LA   CIGOGNE. 

Il  ne  faut  nuire  à  personne  ;  mais  si  quelqu'un  vous  offense ,  il 
mérite  qu'on  lui  rende  la  pareille  ;  cette  fable  vous  en  donne  le 
conseil. 

On  dit  que  le  renard  ayant  invité  le  premier  la  cigogne  à  souper , 
lui  servit  sur  un  plat  un  brouet  liquide  dont  elle  ne  put  goûter, 
malgré  sa  faim.  A  son  tour  elle  invite  le  renard ,  et  sert  devant  lui  une 
bouteille  pleine  d'une  viande  hachée  ;  son  bec  y  entrait  à  merveille  ; 
elle  se  rassasie  à  loisir  et  torture  son  convive  affamé.  Comme  il  lé- 
chait inutilement  le  cou  de  la  bouteille ,  l'oiseau  voyageur  lui  dit , 
s'il  faut  en  croire  la  tradition  :  «  Chacun  doit  savoir  supporter  ce 
dont  lui-même  a  donné  l'exemple.  » 

FABLE  XXVI. 

LE  CHIEN,  LE  TRESOR  ET  LB  TAUTOUB. 

Cette  fable  peut  s'appliquer  aux  avares ,  et  à  ceux  qui ,  nés  dans 
la  misère ,  veulent  se  donner  pour  riches. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  I. 


U\ 


FABULA  XXV. 


FABLE  XXV. 


VULPES  ET  CICONIA. 

Nocendum  nulli; 
si  quis  vero  lasserit , 
fabula  admonet 
jnulctandum  jure  simili. 

Vulpes  dicitur  invitasse 

prior 

ciconiam  ad  cœnam, 

et  posuisse  illi 

in  patina 

sorbitionem  liquidam  , 

quam  ciconia  esuriens 

pottierit  gustare 

nullo  modo. 
Quum  quse 

revocasset  vulpem, 

posuit  lagenam 

nlenam  cibo  intrito  : 

ipsa  satiatur 

inserens  rostrum  huic, 

et  torquet  convivam  famé. 

Quum  quîe  lamberet  frus- 

coUum  lagenœ  ftra 

accepimus 

volucrem  peregrinam 

locutam  sic  : 

«  Quisque  débet 

pati  anime  œquo 

Bua  exempla.  i» 


LE  RENARD  ET  LÀ  CIGOGNE. 

Il  ne  faut  nuire  à  personne  ; 
mais  si  quelqu'un  vous  a  offensé, 
cette  fable  avertit  (  recommande  ) 
lui  devoir-être-puni  selon  un  droit  pareil. 

Un  renard  est  dit  avoir  invité 
le  premier-des-deux 
une  cigogne  à  souper; 
et  avoir  posé  [  servi  )  à  elle 
dans  un  plat 
un  brouet  liquide, 
que  la  cigogne  aff'amée 
ne  put  goûter 
en  aucune  façon. 
Comme  celle-ci 

eut  invité-à-son-tour  le  renard, 
elle  lui  posa  (  servit  )  une  bouteille 
pleine  d'un  mets  broyé  (haché): 
elle-même  se-rassasie 
insérant  son  bec  dans  elle  (  la  bouteille^ 
et  tourmente  son  convive  par  la  faim. 
Et  comme  il  (le  renard)  léchait  eu  vain 
le  cou  de  la  bouteille, 
nous  avons  reçu  (  appris  ) 
l'oiseau  voyageur 
avoir  parlé  ainsi  : 
«  Chacun  doit 

souffrir  d'une  âme  égale  (  sans  se  fâcher  ) 
ses  exemples  (l'exemple  qu'il  a  donné  ).  » 


FABULA  XXVL 


FABLE  XXVL 


CJLNI8,  THESAURUS   ET 
VULTURIUS. 


LE    CHIEN  ,   LE  TRESOR   ET 
LE  VAUTOUR. 


Hase  res  potest 
esse  conveniens  avaris, 
et  qui,  Rati  humiles, 
Btudent  dici  locupletes. 


Cette  chose  (  ce  sujet  )  peut 
être  convenant  aux  (concerner  les)  avares, 
et  à  ceux  qui,  nés  humbles  de  condition, 
désirent-avec-passion  être  dits  riches 


42  PaEDRI   FAB.    LIBER  I. 

Humana  effodiens  ossa ,  thesaurum  Canis 
Invenit  ;  et,  violarat  quia  Mânes  deos*, 
Injecta  est  illi  divitiarum  cupiditas,  5 

Pœnas  ut  sanctae  religioni  penderet. 
Itaque  aurum  dum  custodit ,  oblitus  cibi , 
Famé  est  consumptus.  Quem  stans  Vulturius  super, 
Fertur  locutus  :  «  0  Canis,  merito  jaces , 
Qui  concupisti  subito  regales  opes ,  40 

Trivio  conceptus,  et  educatus  stercore  !  » 

FABULA  XXVII. 

VULPES   ET   AQUILA. 

Quamvis  sublimes ,  debent  humiles  metuere , 
Vindicta  docili  quia  patet  solertiae. 

Vulpinos  catulos  Aquila  quondam  sustuKt , 
Nidoque  posuit  pullis ,  escam  ut  carperent. 
Hanc  persécuta  mater  orare  incipit ,  5 

Ne  tantum  miserae  luctum  importaret  sibi. 
Gontempsit  illa  ,  tuta  quippe  ipso  loco. 

Un  cMen,  en  déterrant  des  ossements  humains ,  trouva  un  trésor  ; 
il  avait  outragé  les  dieux  Mânes  :  la  soif  des  richesses  s'empara  de 
lui.  Tout  occupé  à  veiller  sur  son  or,  il  oublia  le  manger,  et  mou- 
rut de  faim.  On  dit  qu'un  vautour  vint  se  poser  sur  son  cadavre,  et 
parla  ainsi  :  «  Ta  mort  fut  méritée  ,  chien  insensé ,  qui  désiras  tout 
à  coup  des  richesses  royales  ,  toi ,  né  dans  un  carrefour,  et  nourri 
des  ordures  du  fumier.  » 

FABLE  XXVII. 

LE   KENAED    ET   l'AIGLB. 

Si  grand  que  l'on  soit ,  il  faut  craindre  les  petits  ;  la  vengeance  est 
facile  à  qui  sait  employer  la  ruse. 

Uue  aigle  ravit  un  jour  les  petits  d'un  renard ,  et  les  déposa  dana 
son  aire  pour  servir  de  nourriture  à  ses  aiglons.  La  pauvre  mère  La 
suivit,  la  conjurant  de  ne  point  lui  causer  une  aussi  amère  douleur; 
mais  l'aigle  méprisa  ses  prières ,  se  croyant  bien  en  sûreté  dans  sa 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  I. 


43 


Canis 
nvenit  thesaurum, 
ïffodiens  ossa  humana, 
itquiaviolarat  deosManes, 
îupiditas  divitiarum 
Djecta  est  illi , 
it  penderet  pœnas 
eligioni  sanctae. 
taque  dum  custodit  aurum , 
•blitns  cibi, 
ionsumptus  est  famé, 
/"ulturius 
tans  super  quem, 
értur  locutus  : 
:  0  canis,  merito  jaces, 
ui  concupisti  subito 
ipes  regales, 
onceptus  trivio 
it  educatus  stercore  !  » 


Un  chien 
trouva  un  trésor 

crt-déterrant  des  ossements  humains, 
et  parce  qu'il  avait  violé  les  dieux  Mânes, 
l'avidité  des  richesses  (la  cupidité) 
fut  jetée-dans  lui  (lui  fut  inspirée) , 
pour  qu'il  payât  des  peines 
au  culte  saint. 

Aussi  pendant  qu'il  garde  cet  or, 
ayant  oublié  toute  nourriture, 
il  fut  consumé  par  la  (mourut  de)  faim. 
Un  vautour 
se  tenant  sur  lui 
est  rapporté  avoir  parlé  ainsi  : 
€  0  chien  !  c'est  justement  que  tu  gis  mort, 
toi  qui  as  convoité  tout-à-coup 
des  richesses  royales, 
quoique  conçu  dans  un  carrefour, 
et  nourri  d'ordure.  » 


FABULA  XXVII. 

VULPES  ET   AQTJILA. 

Quamvis  sublimes 
lebent  metuere  humiles, 
[uia  vindicta  patet 
olertiae  docili. 

Aquila  sustulit  quondam 
iatulosvulpinos, 
)0suitque  nido  pullis, 
it  carperent  escam. 
^later  persécuta  hanc , 
licipit  orare 

le  importaret  sibi  miserai 
antum  luctum. 
lia  contempsit, 
[uippe  tuta  loco  ipso. 


FABLE  XXVII. 

LE    KENABD  ET  L' AIGLE. 

Quelque  élevés  (puissants)  qu'ils  soient, 
les  hommes  doivent  craindre  ies  faibles, 
parce-que  la  vengeance  est  ouverte  (pos- 
à  l'adresse  docile  (souple).  [sible) 

Une  aigle  enleva  un  jour 
les  petits  d' un-renard, 
et  les  posa  dans  son  nid  pour  ses  petits, 
pour  qu'ils  en  prissent  leur  nourriture. 
La  mère  ayant-suivi-jusque-là  elle  (l'ai- 
sc-met-à  la  supplier  [g^*^)? 

qu'elle  ne  causât  pas  à  soi  malheureuse 
un  si-grand  deuil. 
Celle-ci  la  méprisa , 
car  elle  était  en  sûreté  par  le  lieu  même. 


llU  PILEDRI   FAB.    LIBER   I. 

Vulpes  ab  ara  rapuit  ardentem  facem , 

Totamque  flammis  arborem  circumdedit , 

Hostis  dolorem  damno  miscens  sanguinis.  -si 

Aquila ,  ut  periclo  mortis  eriperet  suos  , 

Incolumes  natos  supplex  Vulpi  reddidit. 

FABULA  XXVIII. 

RANiB   ET   TAUKI. 

Humiles  laborant  ubi  potentes  dissident. 

Rana  in  palude  pugnam  Taurorum  intuens  • 
«  Heu  !  quanta  nobis  instat  pernicies  !  »  ait. 
Interrogata  ab  alla  cur  hoc  diceret , 

De  principatu  quum  decertarent  gregis ,  5 

Longeque  ab  illis  degerent  vitam  Boves  • 
r  Est  separata  statio ,  ac  diversum  genus  , 
Sed  pulsus  regno  nemoris  qui  profugerit , 
Paludis  in  sécréta  veniet  latibula  , 

Et  proculcatas  obteret  duro  pede  ;  1 0 

Caput  ita  ad  nostrum  furor  illorum  pertinet.  d 

demeure.  Le  renard  saisit  sur  un  autel  un  tison  enflammé ,  et  mît  le 
feu  tout  autour  de  l'arbre,  se  condamnant,  pour  perdre  son  enne- 
mie ,  à  voir  périr  son  propre  sang.  L'aigle  ,  pour  arracher  sa  famille 
au  danger,  vint,  en  suppliant,  rendre  au  renard  ses  petits  sains  et 
saufs. 

FABLE  XXVIII. 

LES   GRENOUILLES   ET   LES   TAUBEA.UX. 

Les  petits  ont  toujours  à  soufiFrir  des  dissensions  des  grands 
Une  grenouille ,  du  fond  de  ses  marais,  fut  témoin  d'un  combat  de 
taureaux  :  a  Hélas  !  s'écria-t-elle ,  quel  malheur  nous  menace  !  » 
Une  de  ses  compagnes  lui  demanda  de  quoi  elle  avait  à  se  plaindre: 
ces  taureaux  se  disputaient  l'empire  du  troupeau ,  et  d'ailleurs  ils 
rivaient  loin  d'elles.  «  Il  est  vrai,  répondit-elle,  nos  demeures  sont 
séparées  et  notre  race  n'est  point  la  même  ;  mais  le  vaincu  ,  chassé 
des  bois  où  il  régnait ,  viendra  se  réfugier  dans  les  retraites  les  plus 
secrètes  de  nos  marais,  et  nous  écrasera  impitoyablement  sous  ses 
pieds.  C'est  ainsi  que  leur  fureur  menace  nos  jours.  » 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVRE    I. 


1x5 


Vulpes  rapuît  ab  ara 
facem  ardentem, 
circumdeditque  flammis 
arborem  totam, 
miscens  dolorem  hostis 
iamuo  sanguinis. 
A.quila,  ut  eriperet  suos 
periculo  mortis, 
reddidit  supplex  vulpi 
natos  incolumes. 


Mais  le  renard  enleva  à  un  autel 

une  torche  enflammée, 

et  environna  de  flammes 

l'arbre  tout-entier, 

unissant  la  douleur  de  son  ennemie 

à  la  perte  de  son  propre  sang. 

L'aigle,  pour  qu'elle  arrachât  les  siens 

au  danger  de  la  mort, 

rendit  suppliante  (humblement)  au  renar'^ 

ses  petits  sains-et-saufs. 


FABULA  XXVIU. 


FABLE  XXVIIL 


RANiB  ET    TAURI.  LES   GRENOUILLES  ET   LES   TAUREAUX. 


Humiles  laborant 
nbi  potentes  dissident. 

Rana  intuens  in  palude 
pugnam  taurorum  : 
Heu!  quanta pernicies^ ait, 
instat  nobis  ! 
Interrogata  ab  alia 
cur  diceret  hoc, 
quum  boves  decertarent 
de  principatu  gregis, 
degerentque  vitam 
longe  ab  illis  : 
«  Statio  est  separata, 
ac  genus  diversum; 
sed  qui  profugerit 
pulsus  regno  nemoris, 
veniet  in  latibula  sécréta 
palurlis, 

et  obteret  pede  duro 
proculcatas  : 
ita  fur  or  illorum 
pertinetadnostrumcarut.v 


Les  faibles  (les  petits)  souff'rent 
quand  les  grands  sont-en-dissension. 

LTne  grenouille  voyant  dans  un  marais 
un  combat  de  taureaux  : 
Hélas!  quel-grand  malheur,  dit-elle, 
menace  nous  ! 

Interrogée  par  une  autre  grenouille 
pourquoi  elle  disait  cela, 
puisque  les  bœufs  combattaient 
au-sujet-de  l'empire  du  troupeau, 
et  passaient  leur  \ie 
loin  d'elles  : 

a  Notre  séjour  est  séparé,  dit-elle., 
et  notre  race  diflerente , 
mais  celui-qui  se  sera  échappé  (fuira  ; 
chassé  du  royaume  du  bois  (  des  bois), 
viendra  dans  les  retraites  cachées 
de  ce  marais, 

et  écrasera  de  son  pied  dur 
nous  foulées-aux-pieds  i 
ainsi  la  fureur  de  ces  animaux 
s'étend  à  (intéresse)  notre  tête  (vie').  > 


66  PH^bKI    FAB.    LIBER   L 

FABULA  XXIX. 

MILV1U8   ET   COLUMBJB. 

Qui  se  committit  homini  tutandum  improbo, 
Auxilium  d uni  requirit ,  exitium  invenit. 

Colambae  saepe  quum  fugissent  Milvium  , 
Et  celeritate  pennae  vitassent  necem , 

Consilium  raptor  vertit  ad  fallaciam  ,  5 

Et  genus  inerme  tali  decepit  dolo  : 
a  Quare  sollicitum  potius  sevam  ducitis, 
Quam  regem  me  creatis  icto  fœdere  , 
Qui  vos  ab  omni  tutas  praestem  injuria  ?  » 
lUae  credentes  tradunt  sese  ^lilvio  ;  40 

Qui,  regnum  adeptus,  cœpit  vesci  singulas, 
Et  exercere  imperium  saevis  unguibus. 
Tune  de  reliquis  una  :  «  Merito  plectimur.  » 

FABLE  XXIX. 

LE   MILAN    ET   LES   COLOMBES. 

Celui  qui  se  met  sous  la  sauvegarde  d'un  méchant ,  trouve  sa 
perte  là  où  il  cliercliait  assistance. 

Les  colombes,  fuyant  le  milan ,  avaient  souvent  évité  la  mort  par 
la  rapidité  de  leur  vol.  L'oiseau  de  proie  réfléchit  à  quelque  strata- 
gème, et  trompa  de  la  manière  suivante  ce  peuple  sans  défense  : 
«  Pourquoi ,  leur  dit-il ,  mener  une  vie  toujours  inquiète ,  plutôt  que 
de  faire  alliance  avec  moi,  et  de  me  créer  votre  roi?  Je  vous  garantirai» 
de  tout  dommage.  »  Les  colombes  le  croient  et  se  livrent  à  lui  ;  mais 
à  peine  devenu  roi ,  il  se  met  à  les  dévorer  les  unes  après  les  autres, 
et  ses  serres  cruelles  leur  font  sentir  son  pouvoir,  a  Nous  avons  mé- 
rité notre  malheur,  »  dit  alors  une  de  celles  qm  restaient. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  I. 


47 


FABULA  XXIX. 

MILVIUS  ET  COLUMB^ 

Qui  committit 
se  tutandum 
homini  improbo 
iavenit  exitium, 
dum  requirit  auxilium. 

Quum  columbœ 
fugissent  ssspe  milvium, 
et  vitassent  necem 
csleritate  pennae, 
raptor  vertit  consilium 
ad  fallaciam, 
et  decepit  dolo  tali 
genus  ineruie  : 
«  Quare 

'lucitis  ae\tim  sollicitum 
potius  quam  creatis  regem, 
fœdere  icto, 

me  qui  preestem  vos  tutas 
ab  omni  injuria  ?  » 
Illœ  credentes 
tradunt  sese  milvio  ; 
qui  adeptus  regnum, 
cœpit  vesci  singulas, 
et  exercere  imperium 
unguibus  ssevis. 
Tune  una  de  reliquis  : 
«  Plectimur  merito.  ■ 


FABLE  XXIX. 

LE    MILAX   ET    LES    COLOMBES. 

Celui-qui  confie 
soi  pour-être-protégé 
à  un  homme  pervers 
trouve  sa  perte, 
tandis  qu'il  cherclie  secours. 

Ck)mme  les  colombes 
avaient  échappé  souvent  au  milan, 
et  avaient  évité  la  mort 
par  la  vitesse  de  leur  aile, 
le  ravisseur  tourna  son  projet 
vers  la  fourberie, 
et  trompa  par  une  ruse  telle 
ceUe  race  sans-armes  (  faible  )  : 
«  Pourquoi,  leur  dit-il, 
menez-vous  une  vie  inquiète 
plutôt  que  vous  créiez  (de  créer^  roi, 
une  alliance  étant  conclue, 
moi  qui  (pour  que  je)  mette  vousen-sûreté 
contre  toute  injure?  » 
Celles-ci  confiantes 
livrent  soi  au  milan  ; 
celui-ci  ayant  obtenu  l'empire, 
se-mit-à  les  manger  une-à  une, 
et  à  exercer  son  empire 
avec  ses  serres  cruelles. 
Alors  une  des  restantes  dit  : 
«  Nous  sommes  frappées  justement.  ■.- 


^8  PHiEDRI   FAB.    LIBER   lî. 

LIBER  II. 


PROLOGUS. 

AUCTOK. 

Exemplis  continetur  ^Esopi  genus , 

Nec  aliud  quidquam  per  fabellas  quaeritur 

Quam  corrigatur  error  ut  mortalium , 

Acuatque  sese  diligens  industria. 

Quicumque  fuerit  ergo  narrandi  locus  * ,  3 

Dum  capiat  aurem  ,  et  servet  propositum  suuhi  , 

Re  commendatur,  non  auctoris  nomine. 

Equidem  omni  cura  morem  servabo  senis  ; 

Sed  si  libuerit  aliquid  interponere , 

Dictorum  sensus  ut  delectet  varietas,  10 

Bonas  in  partes  lector  accipiat  velim , 

Ita  ,  si  rependet  illi  brevitas  gratiam. 

Cujus  verbosa  ne  sit  commendatio  , 

Attende  cur  negare  cupidis  debeas , 

Modestis  etiam  offerre  quod  non  petierint.  i5 

PROLOGUE. 

l'auteur. 

Le  genre  traité  par  Esope  est  tout  entier  en  exemples ,  et  le  but 
unique  de  l'apologue  est  de  corriger  les  erreurs ,  et  d'riguillonner 
l'industrieuse  activité  des  hommes.  Quel  que  soit  donc  le  sujet  qu'il 
traite  ,  pourvu  qu'il  charme  l'oreille  et  atteigne  son  but,  il  se  re- 
commande de  lui-même ,  sans  avoir  besoin  du  nom  de  l'auteur.  Aussi 
mettrai-je  tous  mes  soins  à  conserver  la  manière  du  vieillard  ;  mais 
s'il  m' arrive  d'intercaler  dans  ses  fables  quelque  chose  du  mien , 
pour  charmer  par  la  variété  de  la  narration  le  goût  du  lecteur ,  je 
yeux  qu'il  m'en  sache  gré  ,  et  ma  brièveté  lui  tiendra  compte  de  sa 
bienveillance.  Mais  n'allons  pas  nous  vanter  longuement  de  ce  mé- 
rite. Apprends,  lecteur,  la  raison  qui  doit  te  faire  tout  refuser  aux 
gens  avides  ,  et  accorder  à  la  modération  ce  qu'elle  n'a  pas  même 
demandé. 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVRE   IL 


(i9 


LIVRE   II 


PROLOGUS. 


PROLOGUE. 


L'AUTEUR. 


Genus  ^sopi 
continetur  exemplis 
et  quidquam  aliad 
non  quœritur  per  fabellas, 
qnam  ut  evror  mortalium 
corrigatur, 
industriaque  diligens 
acuat  sese. 

Quicunque  fuerit  ergo 
locus  narrandi , 
dum  capiat  aurem, 
et  servet  suum  propositum, 
commendatur  re, 
non  nomine  auctoris. 
Equidem,  omni  cura 
servabo  morem  senis  ; 
sed  si  libuerit 
interponere  aliquid, 
ut  varietas  dictorum 
delectet  sensus, 
velim  lector 

accipiat  in  bonas  partes, 
ita  si  brevitas 
rependet  illi 
gratiam. 

Ne  coraraendatio  citjus 
^it  verbosa, 

ttende  cur  debeaa 

^gare  cupidis , 
-tiam  offerre  modestis 
cnod  non  petierint. 


Le  genre  d'Ésope 
estrenfermé  (consiste)  dans  des  exemples, 
et  quelque  autre-chose 
n'est  pas  cherché  au-moyen  des  fables, 
sinon  que  l'erreur  des  mortels 
soit  corrigée, 
et  que  l'activité  soigneuse 
aiguise  (  forme,  perfectionne)  soi. 
Quelle-qu'ait  été  (que  soit)  donc 
la  matière  de  raconter  (le  sujet  du  récit), 
pourvu  qu'elle  charme  l'oreille, 
et  garde  (  atteigne  )  son  but, 
elle  se-recommande  par  le  sujet  même, 
et  non  pas  par  le  nom  de  l'auteur. 
Moi-à-la- vérité,  avec  tout  le  soin  possible 
je  conserverai  la  manière  du  vieil  Ésope; 
mais  s'il  jn'aura  plu  (me  plaît) 
d'y  intercaler  quelque  chose, 
afin  que  la  variété  de  ces  paroles  (écrit«^ 
flatte  les  sens  (  les  esprits  ), 
je  voudrais  que  le  lecteur 
accueillît  ce/^e  idée  nouvelle  eu  bonne  part, 
ainsi  si  (  à  condition  que  )  la  brièveté 
paiera  à  lui 

reconnaissance  (m'acquittera  envers  I:ii ,. 
Pour  que  l'éloge  de  cette  brièveté 
ne  soit  pas  verbeux,  voici  une  momie  : 
fais-attention  pourquoi  tu  dois 
refuser  aTix  gie«s  cupides  leur  demav  k, 
et  même  offrir  aux  gens  réservés 
ce-qu'ils  n'auront  pas  demandé. 


Fables  de  Phldke. 


50  PH^DRl   FAB.    LIBER  II. 

FABULA  I. 

LEO  ,    PKiRDATOR   ET   VIATOK. 

Super  juvencum  siabat  dejectum  Léo  ; 

Praedator  intervenit  partem  postulans  : 

«  Darem,  inquit,  nisi  soleres  per  te  sumere;  » 

Et  improbum  rejecit.  Forte  innoxius 

Viator  est  deductus  in  eumdem  locum ,  5 

Feroque  viso  ,  rettulit  rétro  pedem. 

Gui  piacidus  ille  :  «  Non  est  quod  timeas,  ait  ; 

Et ,  quae  debetur  pars  tuae  modestiae , 

Audacter  toile.  »  Tune  diviso  tergore  , 

Silvas  petivit ,  homini  ut  accessum  daret.  4  0 

Exemplum  egregium  prorsus  et  laudabile  ; 
Verum  est  aviditas  dives,  et  pauper  pudor. 

FABULA  II. 

ANUS,    PUELLA   ET   TIR. 

A  feminis  utcumque  spoliari  viros , 

Ament ,  amentur ,  nempe  exemplis  discimus. 

FABLE  I. 

LE   LION,  LE   BRACONNIER  ET  LE  VOTAGECR. 

Un  lion  tenait  sous  ses  griffes  un  jeune  taureau  terrassé.  Un  bra 
connier  survient  et  en  réclame  une  part.  «  Je  te  l'accorderais  volon- 
î:ers,  lui  dit  le  lion ,  si  tu  n'avais  l'habitude  de  la  prendre  toi-même;» 
e:  il  renvoie  l'importun.  Arrive  au  même  endroit  un  voyageur  inof- 
fensif, qui  à  l'aspect  du  farouche  animal  recule  vivement  en  ar- 
rière. «  Tu  n'as  rien  à  craindre,  lui  dit  doucement  le  lion  ;  loin  de 
là,  prends  hardiment  la  part  due  à  ta  modération.  »  A  ces  mots  il 
partage  la  proie  et  regagne  les  forêts  pour  laisser  approcher  le  voya- 
g'^r. 

Exemple  admirable  et  bien  digne  de  louanges  !  cependant ,  l'avi- 
ditô  s'enrichit  et  la  modération  reste  pauvre. 

FABLE  II. 

LA  VIEILLE  FEMME,    LA   JEITKB   FILLE   ET   L'HOMME. 

Aimons,  soyons  aimés,  toujours  les  femmes  nous  rançonnent;  de 
nombreux  exemples  en  font  foi. 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVRE    II. 


51 


FABULA   I. 


FABLE   L 


LEO,    PR^DATOR  ET 
YIATOK. 

Léo  stabat 
super  juvencum  dejectum; 
prœdator  intervenit 
postulans  partem  : 
«  Darem,  inquit , 
si  non  soleres 
sumere  per  te;  » 
et  rejecit  improbnm. 
Viator  innoxius 
deductus  est  forte 
in  eumdem  locum, 
et ,  fero  viso, 
rettulit  rétro  pedem. 
Cui  ille  placidus  : 
«  Non  est  quod  timeas,  ait, 
et  toile  audacter 
quse  pars 

debetur  tuae  modestiae.  » 
Tune,  tergore  diviso, 
petivit  silvas, 
utdaret  accessum  homini. 

Exemplura 
prorsus  egregium 
et  laudabile  ; 

verum  aviditas  est  dives, 
et  pudor  pauper. 


LE  LION  ,    LE    BRIGAND    FT 
LE   VOTAGBUR. 

Un  lion  se  tenait 
sur  un  jeune-taureau  abattu  ; 
un  brigand  intervint  (survint  ) 
en  demandant  une  part  : 
«  Je  te  la  donnerais,  dit  le  lioUy 
si  tu  n'avais-coutume 
de  la  prendre  par  toi-même;  » 
et  il  rejeta  (  repoussa  )  le  méchant. 
Un  voyageur  inoffensif 
fut  conduit  (  vint  )  par  hasard 
dans  le  même  endroit , 
et,  l'animal-sauvage  (le  lion)  étant  vu 
il  reporta  en-arrière  son  pied  (  recula). 
A  lui  l'autre  (le  lion  )  tranquille  : 
«  Il  n'est  pas  pourquoi  tu  doives-crn'n- 
et  enlève  hardiment  [dre,  dit-il, 

la  partie  laquelle  partie 
est  due  à  ta  modération.  » 
Alors,  le  dos  du  taureau  étant  divisé, 
il  gagna  les  forêts, 
pour  qu'il  donnât  libre  accès  à  l'homme. 

Cet  exemple 
est  sans  doute  remarquable 
et  digne-de-louange  ; 
mais  d'ordinaire  l'avidité  est  riche, 
et  la  réserve  pauvre. 


FABULA  IL 


FABLE  IL 


ANUS ,     PUELLA 
ET  VIR. 


LA  VIEILLE-FEMME,     LA    JEUNE-FILI 
ET   l'homme. 


Discimusexemplisnempe  Nous  apprenons  par  desexemplescerte:^ 

vkos  spoliari  utcTimqne  queleshommes  sont  dépouillés  en-tout-cas 

a  feminis,  par  les  femmes , 

ament,  amentur.  qu'ils  les  aiment,  qu'ils  en  soient  aimes. 


52  PH^DRI   FAB.    LIBER   II. 

jEtatis  mediae  quemdam  mulier  non  rudis 
Tenebat,  annos  celans  elegantia  ; 

A.nimosque  ejusdem  pulchra  juvenis  ceperal.  5 

Ambae  videri  dum  volunc  illi  pares, 
Gapillos  homini  légère  cœpere  invicem. 
Quum  se  putaret  fingi  cura  mulierum, 
Calvus  repente  factus  est  :  nam  funditus 
Ganos  Puella,  nigros  Anus  evellerat.  40 

FABULA  III. 

HOMO   ET    CANIS. 

Laceratus  quidam  morsu  vehementis  Canis, 
Tinctum  cruore  panem  misit  malefico  , 
Audierat  esse  quod  remedium  vulneris. 
Tune  sic  iEsopus  :  «  Noli  coram  pluribus 
Hoc  facere  canibus  ,  ne  nos  vivos  dévorent ,  5 

Quum  scierint  esse  taie  culpae  praemium.  » 
Successus  improborum  plures  allicit. 

Une  femme,  qui  ne  manquait  pas  d'adresse,  retenait  dans  ses 
filets  un  homme  de  moyen  âge,  en  cachant  ses  années  sous  l'élégance 
de  sa  parure  ;  une  belle  jeune  fille  avait  aussi  fait  impression  sur  son 
cœur.  Toutes  deux  ,  voulant  paraître  avoir  un  amant  de  leur  âge, 
se  mettent  à  épiler  tour  à  tour  la  tête  de  notre  amoureux  ,  et ,  tan- 
dis qu'il  s'imagine  qu'elles  prennent  soin  de  sa  chevelure ,  il  se 
trouve  tout  à  coup  chauve  :  la  jeune  fille  avait  enlevé  les  cheveux 
blancs,  et  la  vieille  les  noirs. 

FABLE  III. 

l'homme  et  le  ghibk. 

Un  homme ,  mordu  par  un  chien  furieux,  jeta  au  malfaisant  ani- 
mal un  morceau  de  pain  trempé  de  sou  sang  ;  il  avait  entendu  dire 
que  c'était  un  remède  pour  ces  sortes  de  blessures.  «  N'allez  pas  , 
lui  dit  Esope ,  agir  ainsi  devant  d'autres  chiens  :  ils  nous  dévore- 
raient tout  vivants  ,  s'ils  voyaient  qu'on  récompense  ainsi  leur  rr.L  ■ 
chancelé.  » 

Le  succès  du  méchant  en  allèche  bien  d'autres. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IL 


53 


Mulier  non  radis, 
celans  anno9 
elegantia, 
tenebat  quemdam 
aeiatis  médias; 
pulchraque  juvenis 
ceperat  animos 
ejusdem. 
Dum  ambae 

volunt  videri  pares  illi , 
cœpere  invicem 
légère  capillos  homini. 
Quum  putaret 
3€  fingi 

cura  mulierum  , 
factus  est  repente  calvns; 
nam  puella 
evellerat  funditns 
canos, 
anus  nigros. 


Une  femme  non  inhabile  (adroite), 
cachant  ses  années 

sous  son  élégance  (à  l'aide  de  sa  parure), 
captivait  un  certain  homme 
d'âge  moyen  ^  mûr); 
.et-en-outre  une  belle  jeune  fille 
avait  pris  (charmé   les   esprits  (le  cœur) 
du  même    homme. 
Pendant-que  toutes-les-deux 
veulent  paraître  égales  en  âge  à  lui, 
elles  se-mirent  à-tour-de-rôle  [me. 

à  ôter-avec-choix  les  cheveux  à  cet  hora- 
Tandis-qu'il  croyait 
soi  être  façonné  (bien  peigné) 
par  le  soin  de  ces  femmes  , 
il  fut  fait  (devint)  tout-à-coup  chauve  ; 
car  la  jeune  fille 
avait  arraché  totalement 
les  cheveux  blancs, 
et  la  vieille  les  cheveux  noirs. 


FABULA  III. 


FABLE  III. 


HOMO   ET    CANIS. 


l'homme  et  le  CHIEK. 


Quidam  laceratus 
morsu  canis  vehementis 
misît  malefico 
panem  tinctura  cruore, 
quod  audierat 
esse  remcdium  vulneris. 
Tonc  iEsopus  sic  : 
«  Noli  facere  hoc 
coram  pluribus  canibus , 
ne  dévorent  nos  vivos  , 
quum  scierint 
taie  prsemium 
ease  culpse.  » 

Successus  improborum 
allîcit  plures. 


Quelqu'un  déchiré 
par  la  morsure  d'un  chien  furienx 
jeta  au  chien  malfaisant 
un  morceau  de  pain  trempé  de  son  sang, 
ce  qu'il  avait  entendu  dire 
être  un  remède  de  cette  blessure. 
Alors  Esope  parla  ainsi  : 
«  Ne-veuille-pas  faire  ^ne  fais  pas)  cela 
devant  un-plus-grand-nombre-de  chiens^ 
de-peur-qu'ils  ne  dévorent  nous  vivants, 
lorsqu'ils  auront  su  (sauront) 
une  telle  récompense 
être  accordée  à  leur  faute.  » 

Le  succès  des  méchants 
séduit  un  plus  grand-nombre- do  gmi^ 


54  Pfl^DiU   FAB.    LIBER   II. 

FABULA  IV. 

AQUILA,    FELES   ET    APKR. 

Aquila  in  sublimi  quercu  nidum  fecerat  ; 

Fêles  cavernam  nacta,  in  média  pepererat; 

Sus  nemoricultrix  fatum  ad  imam  posuerat. 

Tum  fortuitum  Fêles  contubernium 

Fraude  et  scelesta  sic  evertit  malitia.  5 

Ad  nidum  scandit  volucris  :  «  Pernicies ,  ait, 

Tibi  paratur,  forsan  et  miserae  mihi. 

Nam ,  fodere  terram  quem  vides  quotidie , 

Aper  insidiosus  quercum  vult  evertere , 

Utnostram  in  piano  facile  progeniem  opprimât.  »  iù 

Terrore  offuso  et  perturbatis  sensibus, 

Derepit  ad  cubile  saelosae  Suis  : 

a  Magno ,  inquit ,  in  periclo  sunt  nati  tui  : 

Nam  simul  exieris  pastum  cum  tenero  grege , 

Aquila  est  parata  rapere  porcellos  tibi.  »  45 

Hune  quoque  timoré  postquam  complevit  locum , 

Dolosa  tuto  condidit  sese  cavo. 

FABLE   IV. 

l'ajgle,  la  chatte  et  la  laie. 

Une  aigle  avait  établi  son  aire  sur  le  haut  d'un  chêne  ;  une  chatte, 
ayant  trouvé  un  creux  vers  le  milieu  de  l'arbre ,  y  avait  fait  ses  pe- 
tits ;  et  une  laie ,  citoyenne  des  forêts ,  avait  déposé  au  bas  sa  por- 
tée. La  fourberie  et  l'astucieuse  scélératesse  de  la  chatte  détruisit 
cette  société  qu'avait  formée  le  hasard.  Elle  grimpe  jusqu'au  nid  ds 
l'aigle  :  «  Votre  perte  se  prépare ,  lui  dit-elle  ,  et  peut-être,  hélas  I 
aussi  la  mienne.  Voyez-vous  à  nos  pieds  fouir  chaque  jour  cette  laie 
artificieuse?  elle  veut  déraciner  le  chêne,  afin  que  lorsque  l'arbre 
tombera  elle  puisse  dévorer  nos  petits  à  son  aise.  »  Ayant  jeté  la 
terreur  et  la  consternation  chez  l'aigle,  elle  descend  au  gîte  de  l:i 
laie  :  «  Vos  petits ,  lui  dit-elle  ,  courent  un  grand  danger  ;  car  à 
peine  sortirez-vous  avec  votre  jeune  famille  pour  aller  chercher 
votre  nourriture  ,  que  l'aigle  fondra  sur  vos  marcassins  pour  vous 
les  ravir.  »  Elle  sème  ainsi  l'effroi  dans  cette  autre  demeure  ,  et  la 
fourbe  se  retire  dans  son  trou ,  où  elle  est  bien  en  sûreté.  Elle  B'en 


FABLES   DE   PHEDRE.    LIVRE   IL 


55 


FABULA  IV. 


FABLE  IV. 


AQUILA,  FELES  ET  APER. 

Aquila  fecerat  nidum 
in  quercu  sublimi  ; 
fêles  pepererat  in  média  , 
nacta  cavernam  ; 
sus  nemoricultrix 
posuerat  fetum  ad  imam. 
Tum  fêles  evertit  sic 
fraude  et  malitia  scelesta 
coutubernium  fortuitum. 
Scandit  ad  nidum  volucris: 
«  Pernicies  ,  ait , 
paratur  tibi, 
forsan  et  mibi  miserse. 
Nam  aper  quem  vides 
fodere  quotidie  terram 
vult  insidiosus 
evertere  quercum , 
ut  opprimât  facile 
in  piano 

nostram  progeniem.  » 
Terrore  ofiFuso, 
et  sensibus  perturbatis  , 
derepit 

ad  cubile  suis  ssetosœ  : 
«  Tui  nati  ,  inquit , 
sunt  in  magno  periclo  : 
nam  simul  exieris 
pastum  cum  tenero  grege, 
aquila  parata  est 
rapere  tibi  porcellos.  » 
Postquam  complevit  timoré 
hune  locum  quoque , 
fl  olosa  condidit  se  cave  tuto  ; 


L  AIGLE,  LA  CHATTE  ET  LA  LAIE. 

Une  aigle  avait  fait  son  nid 
sur  un  chêne  élevé  .'au  haut  d'un  chêne)  ; 
une  chatte  avait-mis-bas  au  milieu , 
y  ayant  trouvé  un  creu^  ; 
une  laie  habitante-des-bois 
avait  mis  sa  portée  au  bas. 
Alors  la  chatte  détruisit  ainsi 
par  sa  ruse  et  sa  malice  scélérate 
cette  société  formée-par-le-hasard. 
Elle  grimpe  au  nid  de  l'oiseau  : 
«  La  perte ,  dit-elle  , 
est  préparée  à  toi , 

et  peut-être  aussi  à  moi  malheureuse. 
Car  ce  sanglier  (cette  laie)  que  tu  vois 
creuser  tous-les-jours  la  terre 
veut,  le  traître  (la  traîtresse), 
renverser  le  chêne, 
pour  qu'il  (qu'elle)  accable  facilement 
sur  le  sol  plat  (  à  terre  ; 
notre  progéniture.  » 
La  terreur  étant  répandue-autour, 
et  les  sens  de  l'aigle  totalement-troublt-, 
la  chatte  descend-cn-rampant  (  se  glisse 
au  chenil  de  la  laie  couverte-de-soies  : 
«  Tes  petits ,  dit-elle  , 
sont  en  grand  danger  : 
car  aussitôt-que  tu  seras  sortie 
pour-te-repaître  avec  f on  jeune  trouTioa:;. 
l'aigle  est-foufe-prête 
à  enlever  à  toi  tes  marcassins.  » 
Après  qu'elle  eut  rempli  de  crainte 
ce  lieu-Zà  aussi , 
la  rusée  cacha  soi  dans  son  trou  en-sûreté  ; 


50  PH^DRl   lAB.    LIBER  11. 

Inde  evagata  noctu  suspenso  pede . 
Ubi  esca  se  replevit  et  prolem  suam  , 
Pavorem  simulans ,  prospicit  toto  die. 
Ruinam  metuens  Aquila  ramis  desidet  ; 
Aper  rapinam  vitans  non  prodit  foras. 
Quid  multa  ?  inedia  sunt  consumpti  cum  suis  , 
Felique  et  catulis  largam  praebuerunt  dapem. 

Quantum  home  bilinguis  '  saepe  concinnet  mali 
Documentum  habere  stulta  credulitas  potest. 

FABULA  V. 

C^SAR   AD    ATEIENSEM-. 

Est  ardelionum  quaedam  Romae  natio 
Trépide  concursans ,  occupata  in  otio , 
Gratis  anhelans,  multa  agendo  ni!  agens, 
Et  sibi  molesta  ,  et  aliis  odiosissima. 
Honc  emendare,  si  tamen  possum,  volo 
Vera  fabella  :  pretium  est  operae  attendere. 

Caesar  Tiberius  '  quum  petens  Neapolim 
In  Misenensem  villam  venisset  suam. 


esquive  la  nuit  sans  bruit  pour  aller  se  repaître,  elle  et  sa  famille;  le 
jour  elle  fait  le  guet  et  feint  d'avoir  peur.  L'aigle ,  craignant  la 
chute  de  l'arbre,  reste  perchée  sur  les  branches  ;  la  laie  ,  pour  évi- 
ter une  attaque,  n'ose  plus  sortir.  Qa'arriva-t-il?  toutes  deux  mou- 
rurent de  faim  avec  leurs  petits  ,  et  fournirent  à  la  chatte  et  à  ses 
jeunes  chats  une  abondante  nourriture. 

La  sotte  crédulité  jugera  ,  d'après  cet  exemple,  des  maux  que  peut 
causer  une  langue  traîtresse. 

FABLE  V. 

TIBÈRE  A   UN   ATRIEN8E. 

H  existe  à  Rome  tout  un  peuple  de  ces  empressés  qui  courent  tou- 
jours ,  affairés  sans  affaires  ,  s'essoufflant  sans  raison  ,  ne  faisant 
rien  en  se  remuant  beaucoup  ,  et  aussi  importuns  à  eux-mêmes  qu'à 
charge  à  tous  les  autres.  Je  veux  ,  si  je  puis  ,  les  corriger  par  ce  ré- 
cit véridique;  prêtez-y  votre  attention,  il  en  vaut  la  peine. 

Tibère ,  se  rendant  à  Naples     s'arrêta  dans  sa  villa  de  Misène  : 


FABLES  DE  PHEDRE.  LIVRE  IL 


57 


inde  noctu  evagata 

pede  suspense , 

vlVi  replevit  esca 

se  et  suam  prolem  , 

simulans  pavorem , 

prospicit  toto  die. 

Aquila  metuens  ruinanfi , 

desidet  ramis; 

aper, 

vitans  rapinam , 

non  prodit  foras. 

Quid  multa  ? 

consumpti  sunt  inedia 

cum  suis, 

prsebueruntque 

largam  dapem 

feli  et  catulis. 

Stnlta  credulitas 
potesthabere  documentum , 
qtiantum  mali  ssepe 
homo  bilinguis  concinnet. 


puis  la-nuit  rôdant-hors  de  sa  demeure 

le  pied  suspendu  (à  pas  de  loup',, 

dès-qu'elle  a  rempli  (repu)  de  nourriture 

soi  et  sa  race  , 

feignant  la  peur , 

elle  fait-le-guet  tout  le  jour. 

L'aigle  craignant  la  chute  de  î'arhre, 

reste-perchée  sur  les  branches  ; 

le  sanglier  (la  laie), 

voulant-é\-iter  l'enlèvement  de  ses  petits, 

ne  s'avance  pas  dehors. 

Pourquoi  dirais-je  beaucoup  plus  ? 

ils  périrent  d'inanition 

avec  leurs  petits  , 

et  fournirent 

une  abondante  nourri t\ire 

au  chat  et  à  ses  petits 

La  sotte  crédulité 
peut  avoir  (trouver  ici)  une  preuve  de  a 
combien  de  mal  souvent  [/'ai^ 

un  homme  à-deux-langues  prépare  (cause) 


FABULA  V. 


FABLE  V 


CJESAR  AD  ATRIENSEM.  CÉSAK  A  UN  ESCLATE-DE-l'aTKIUM. 


Est  Romse 
quasdam  natio  ardelionum 
concursans  trépide  , 
occupata  in  otio  , 
anhelans  gratis , 
agens  nil  agendo  multa  , 
et  molesta  sibi , 
et  odiosissima  aliis. 
Volo  emendare  banc, 
si  tamen  possum  , 
fabella  vera. 

Quum  Tiberius  Csesar, 
petens  Neapolim,   . 
venisset 
in  suamvillam  Misenensem 


Il  est  à  Rome 
certain  peuple  de  faiseurs-d'embarras 
allant-et-venant  en-toute-hâte  , 
affairés  dans  l'oisiveté, 
s'essoufflant  gratuitement , 
ne  faisant  rien  en-agissant  beaucoup, 
non-seulement  importuns  à  eux-mêmss, 
mais -même  très-odieux  aux  autres. 
Je  veux  corriger  ce  ptuple^ 
si  toutefois  je  /e  puis  , 
par  une  anecdote  véritable. 

Un-jour-que  Tibère  César, 
se-rendant-à  Naples, 
était  venu 
à  sa  villa  de-Misène 


58  phj:dri  fab.  liber  il 

Ou  ce,  monte  summo  posita  LucuUi  '  manu, 

Prospectât  Siculum  et  despicit  Tuscum  *  mare,  ] 0 

Ex  aUicinctis*  unus  atriensibus, 

Cui  tunica  ab  humeris  linteo  Pelusio  * 

Erat  destricta,  cirris  dependentibus, 

Perambulante  laeta  domino  viridia , 

Aïveolo  cœpit  ligneo  conspergere  ^'5 

Humum  aestuantem  ,  jactans  officium  come  ; 

Sed  deridetur.  Inde  notis  flexibus 

Prœcurrit  alium  in  xystum,  sedans  pulverem. 

Agnoscit  hominem  Caesar,  remque  intelligit. 

«  Heus!  »  inquit  dominus.  Ille  enimvero  adsilit,  20 

Id  ut  putavit  esse  nescio  quid  boni , 

Donationis  alacer  certae  gaudio. 

Tum  sic  jocata  est  tanti  majestas  ducis  : 

a  Non  multum  egisti,  et  opéra  nequidquam  périt  ; 

Multo  majoris  alapae*  mecum  veneunt.  »  2o 

de  cette  villa  bâtie  par  LucuUus  sur  le  haut  de  la  montagne  ,  on  dé- 
couvre dans  le  lointain  la  mer  de  Sicile,  et  l'on  voit  à  ses  pieds  celle 
d'Etrurie.  Au  nombre  des  atrienses  à  la  tunique  retroussée,  en  était 
undontlarobe,  relevée  jusqu'à  la  ceinture,  se  rattachait  sous  l'épaule 
aune  écharpe  de  lin  d'Egypte,  aux  longues  franges  pendantes.  Tandis 
que  le  maître  se  promène  dans  les  jardins  riants ,  cet  esclave  prend 
un  arrosoir  de  bois  et  se  met  à  répandre  de  l'eau  sur  la  terre  brû- 
lante ,  faisant  parade  de  son  attention  délicate  ;  mais  on  se  moque 
de  lui.  De  là ,  par  des  détours  à  lui  connus ,  il  se  présente  dans  une 
autre  allée  et  abat  la  poussière.  César  reconnaît  notre  homme,  et  de- 
vine ce  qu'il  veut.  «  Holà  !  »  s'écrie  le  maître;  et  l'esclave  d'accourir 
sur-le-champ ,  s'imaginant  que  cet  appel  est  pour  lui  de  bon  augure, 
et  tout  joyeux  d'ime  récompense  qu'il  tient  pour  certaine.  Le  prince, 
déposant  sa  majesté ,  le  raille  ainsi  :  «  Tu  n'as  pas  fait  beaucoup , 
lui  dit-il ,  et  tu  as  perdu  ta  peine  :  arec  moi,  les  soufflets  ne  se  don- 
ner! pas  à  si  bon  marché.  » 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIYKE  IL 


59 


jnse,  posita  manu  Luculli 

ummo  monte, 

)rospectat  mare  Siculnm , 

;t  despicit  Tuscum , 

Linus  ex  atriensibus 

ilticinctis  , 

cm  tunica 

erat  destricta 

ab  humerià 

linteo  Pelusio 

cirrîs  dependentibus , 

domino 

perambulanteviridia  lœta, 

cœpit  conspergere 

alveolo  ligneo 

bumum  œstnantem  , 

jactana  officium  corne  ; 

sed  deridetur. 

Inde  flexibus  notis 

prjecurrit 

in  alium  xystum , 

sedans  pulverem. 

Cœsar  agnoscit  hominem , 

intelligitque  rem. 

«  Heus!  »  inquit  dominus. 

lUe  enimvero  adsilit , 

ut  putavit 

îd  esse  nescio  quid  boni , 

alacer 

gaudio  donationis  certas. 

Tune  majestas  tanti  dticis 

jocata  est  sic  : 

«  Non  egisti  multum , 

et  opéra  périt  nequidquam; 

alapge 

veneunt  mecum 

multo  majoris.» 


qui, posée  (bâtie"  par  lamaîn  de  Lucuilua 

sur  le-sommet-de  la  montagne, 

regarde-de-loin  la  mer  de-Sicile , 

et  voit-à-ses-pieds  la  mer  d'-Etrurie, 

un  de  ces  esclaves-de-l'atrium 

à-Ia-ceinture-relevée , 

auquel  la  tunique 

était  attaebée 

à  partir  des  épaules 

au  moyen  d'une  toile  de  Péluse 

avec  des  franges  pendantes  , 

son  maître 

se-promenant-par  les  jardins  ri.^iv.ts, 

se-mit-à  arroser 

avec  un  vaisseau  de-bois 

la  terre  échauffée , 

faisant-parade-de  son  zèle  officieux.  ; 

mais  il  est  raillé. 

Ensuite  par  des  détours  connus 

il  court-en-avant  de  Tibère 

dans  une  autre  allée , 

apaisant  (  faisant  tomber  )  la  poussière. 

César  reconnaît  l'homme , 

et  comprend  la  chose  Q'intention  . 

«  Holà  !  »  dit  le  maître. 

Or-vraiment  celui-ci  accourt-d'un-saut 

comme  il  a  pensé 

cela  être  je-ne-sais  quoi  de  bon, 

rendu  actif  (  empressé  ) 

par  la  joie  d'une  gratification  certaine. 

Alors  la  majesté  d'un  si-grand  prince 

plaisanta  ainsi  : 

«  Tu  n'as  pas  fait  beaucoup  , 

et  ta  peine  a  péri  en-vain  (  est  perdue  ;j 

les  soufflets  d' affranchissems-.U 

se  vendent  avec  moi 

beaucoup  plus  cher.  » 


60  PH.EDKI   FAB.    fJBEK   II. 

FABQLA  VI. 

AQTJILA,    CORNIX   BT   TESTUDO. 

Contra  potentes  nemo  est  munitus  satis  ; 
Si  vero  accessit  consiliator  maleficus, 
Vis  et  nequitia  quidquid  oppugnant,  ruit. 
Aquila  in  sublime  sustulit  Testudinem  ; 
Quse  quum  abdidisset  cornea  corpus  domo.  5 

îs^ec  ullo  pacto  laedi  posset  condita  , 
Venit  per  auras  Cornix,  et  propler  volans  : 
«  Opimam  sane  praedam  rapuisti  unguibus  ; 
Sed  ,  niai  monstraro  quid  sit  faciendum  tibi , 
Gravi  nequidquam  te  iassabit  pondère.  »  10 

Promissa  parte,  suadet  ut  scopulum  super 
Altis  ab  astris  duram  illidat  corticem , 
Qua  comminuta ,  facili  vescatur  cibo. 
Inducta  verbis,  Aquila  monitis  paruit, 
Simul  et  magistrae  large  divisit  dapem.  ^  5 

Sic,  tuta  quae  naturœ  fuerat  munere 
Iiiipar  duabus,  occidit  tristi  nece. 

FABLE  VI. 

l'aigle  ,    LA    COKXEILLE   ET   LA   TORTUE. 

Contre  les  puissants ,  on  ne  saurait  trop  avoir  de  défense  ;  mais  s'il 
rient  se  joindre  à  eux  un  conseiller  pervers,  la  force  et  la  méchan- 
ceté n'attaquent  rien  qu'elles  ne  renversent. 

Un  aigle  enleva  dans  les  airs  une  tortue,  dont  le  corps,  caché  sous 
sa  maison  d'écaillé  ,  ne  pouvait  être  entamé.  Une  corneille  passe  en 
volant  près  de  l'aigle  :  «  Vous  tenez  là  dans  vos  serres  une  bien 
belle  proie ,  mais  si  je  ne  vous  indique  ce  qu'il  vous  faut  en  faire  , 
vous  vous  lasserez  inutilement  à  porter  ce  lourd  fardeau.  »  L'aigle 
lui  promet  une  part  ;  la  corneille  alors  lui  conseille  de  la  laisser 
tomber  du  haut  des  airs  sur  un  rocher  pour  briser  sa  dure  écaille  ; 
l'enveloppe  une  fois  mise  en  morceaux,  ils  se  rassasieront  à  leur  aise 
delà  chair  de  l'animal.  L'aigle  se  laisse  persuader  ,  obéit  à  cet  ex- 
cellent avis,  et  partage  ensuite  libéralement  avec  sa  conseillère.  Ainsi 
celle  que  protégeaient  les  dons  de  la  nature ,  trop  faible  contre  deux 
ennemis,  périt  d'une  mort  cruelle. 


FABLES   DE   PHÉORE.    LlVEJt   II. 


61 


FABULA  VI. 

AQUILÀ  ,  CORNIX 
ET  TESTDDO. 


FABLE  VL 

l'aigle  ,  LA  CORKEILLi 
ET  LA  TORTUE. 


Nemo  est  munitus  satis 
contra  potentes  ; 
<&\  vero 

jcousiliator  maleficus 
iaccessit , 
iquidquid 

vis  et  nequitia  oppugnant, 
ruit. 

I     Aquila 

|sustulit  testudinem 
lin  sublime  ; 
iquum  quse 
[abdidisset  corpus 
I  domo  coruea , 
jet  condita 
Inon  posset  Isedi 
'  uilo  pacto , 

;  oornix  venit  per  auras  , 
j  et  volans  propter  : 

«  Rapuibti  unguibus 
I  prœdam  opimam  sane  ; 
'■  sed  nisi  monstraro  tibi 

quid  sit  facienduin  , 
,  lassabit  te  nequidquam 

pondère  gravi. 

Parte  promissa , 

suadet 
1  ut  illidat 

ab  astris  altis 
;  super  scopulum 
;  corticem  duram  , 
!  qua  comminuta  , 
;  vescatur  cibo  facili. 

Aquila,  inducta  verbis  , 

paruit  monitis , 

et  simul  divisit  large 

dapem  raagistrœ. 

Sic  quse  fuerat  tu  ta 

munere  naturae , 

impar  duabus, 
I  occîdit  nece  tristi. 


Personne  n'est  fortifié  assez 
contre  les  puissants  ; 
mais  si  en  outre 
un  conseiller  malfaisant 
est-venu-se-joiudre  à  l'homme  puissant, 
tout-ce-que 

la  force  e:  la  méchanceté  attaquent, 
croule. 

Un  aigle 
enleva  une  tortue 
au  haut  des  airs  ; 
mais  comme  celle-ci 
avait  caché  son  corps 
dans  sa  maison  de  corne  (  d'écaillé  ) , 
et  que  protégée  ainsi 
elle  ne  pouvait  être  blessée 
par  aucun  moyen, 
une  corneille  vint  par  les  airs, 
et  volant  près  de  l'aigle ,  dit  : 
«  Tu  as  enlevé  avec  tes  serres 
une  proie  succulente  sans-contredit  : 
mais  si  je  n'ai  niontré  (ne  montre)  à  toi 
ce-qui  est  à-faire, 
elle  lassera  toi  en  vain 
par  son  poids  lourd. 
Une  part  lui  étant  proniise  , 
elle  lui  conseille 
de  briser 

depuis  les  astres  élevés 
sur  un  rocher 

l'écorce  (  l'enveloppe  )  dure  de  la  tortue^ 
afin-que-elle  étant-fracassée , 
elle  se-noui'risse  d'un  mets  facile. 
L'aigle,  persuadé  par  ces  paroles, 
obéit  aux  avertissements  (  à  cet  avis  "  , 
et  aussitôt  partagea  généreusement 
le  mets  avec  sa  maîtresse. 
Ainsi  celle-qui  avait  été  protégée 
par  un  don  de  la  nature, 
inégale  (  trop  faible  )  contre  deux, 
périt  d'une  mort-violente  triste. 


62  PHiEDRI   FAB.    LIBER   IL 

FABULA  VII. 

MULI   ET   LATR0NE8. 

Muli  gravati  sarcinis  ibant  duo  ; 

Unus  ferebat  fiscos  cum  pecunia , 

Alter  tumentes  multo  saccos  hordeo. 

nie  onere  dives ,  celsa  cervice  eminet , 

Clarumque  coUo  jactat  tintinnabulum  ; 

Cornes  quieto  sequitur  et  placido  gradu. 

Subito  latrones  ex  insidiis  advolant, 

Interque  caedem  ferro  Mulum  tunsitant , 

Diripiunt  nummos,  negligunt  vile  hordeum. 

Spoliatus  igitur  casus  quum  fleret  suos  : 

«  Equidem  ,  inquit  alter,  me  contemptum  gaudeo; 

Nam  nihil  amisi,  nec  sum  laesus  vulnere.  » 

Hoc  argumento  tuta  est  hominum  tenuitas ,  , 

Magnae  pericio  sunt  opes  obnoxise.  î 

FABLE  VIL  i 

LES   MULETS    ET    LES   VOLEUKS.  i 

Deux  mixlets  cheminaient  chargés  de  lourds  fardeaux  :  l'un  por-  \ 
tait  l'argent  et  les  paniers  du  fisc  ,  et  l'autre  des  sacs  gonflés  d'orge.  | 
Glorieux  de  sa  charge  ,  le  premier  marchait  la  tête  haute ,  et  faisait  f 
fièreœeut  aller  sa  sonnette  ;  son  compagnon ,  plus  tranquille  ,  le  I: 
suivait  d'un  pas  paisible.  Soudain  des  voleurs  sortent  d'une  embus-  | 
cade,  et,  dans  la  lutte,  frappent  à  coups  redoublés  le  malheureux  j 
mulet ,  enlèvent  l'argent ,  mais  laissent  là  l'orge  qu'ils  dédaignent.  •' 
Le  mulet  dépouillé  déplorait  son  malheur  :  «  Ils  m'ont  méprisé,  lui  dit 
l'autre  ,  mais  je  m'en  félicite  ,  car  je  n'ai  rien  perdu  et  je  n'ai  point 
de  blessures.  » 

On  voit  par  cette  fable  que  l'homme  obscur  n'a  rien  à  craindre, 
mais  que  les  grandes  richesses  sont  exposées  aux  dangers. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  II. 


63 


FABULA  VII. 


FABLE  VIL 


MULI  ET  LATR0NE8. 


LES  MULETS  ET  LES  TOLEUKS 


Duo  muli 
îbant 

gravatî  sarcinis  : 
unus  ferebat  fiscos 
cum  peounia  ; 
alter  saccos 
tumentes  multo  hordeo. 

nie, 

dives  onere , 

emînet  cervice  celsa , 

jactatque  collo 

tintinnabulum  clarum  ; 

cornes  sequitur 

gradu  quieto  et  placido. 

Subito 

latrones 

advolant  ex  insidiis  , 

interqae  csedem 

tunsitant  ferrb 

mulum, 

diripiunt  nummos , 

negligunt  hordenm  vile. 

Quum  igitur  spoliatus 

fleret  suos  casus  : 

«  Equidem, 

inqtdt  alter, 

gaudeo  me  contemptum  ; 

nam  amisi  niMl, 

et  non  snm  lassnsvnlnere. 

Tenuitas  hominum 
est  tuta  hoc  argnmento  , 
inagnse  opes 
feunt  obnoxiae  periclo. 


Deux  mulets 
cheminaient 
chargés  de  bagages  : 
l'un  portait  des  paniers 
avec  de  l'argent  ; 
l'autre  portait  des  sacs 
gonflés  de  beaucoup  d'orge. 
Celui-là 

riche  de  son  fardeau , 
s'élève  (  domine)  de  sa  tête  altièra  , 
et  secoue  avec  son  cou 
sa  sonnette  claire  (  retentissante  )  ; 
son  compagnon  le  suit 
d'un  pas  tranquille  et  paisible. 
Soudain 
des  voleurs 

accourent  d'une  embuscade , 
et  au-milieu  du  carnage 
ils  frappent-de-coups  avec  le  fer 
le  mulet , 
pillent  les  écus , 

mais  dédaignent  l'orge  de-peu-de-prix. 
Comme  donc  le  mulet  dépouillé 
pleurait  ses  malheurs  : 
«Moi-à-la-vérité  (quant-à-moi), 
dit  l'autre , 

je  me-réjouis  moi  avoir  e7e  méprisé  ; 
car  je  n'ai  perdu  rien , 
et  je  ne  suis  pas  atteint  de  blessure,  r 

L'humble-condition  des  hommes 
est  en-sûreté  d'après  ce  sujet  (cette  fable) , 
les  grandes  richesses 
sont  exposées  au  danger. 


t!i  PHJIDRI    FAB.    LICKR   IL 

FABULA  VIII. 

CERVUS    ET   BOVES. 

Cervus  nemorosis  excitatus  latibulis, 

Ut  venatorum  fugeret  instantem  necem, 

Caeco  timoré  proximam  villam  petit , 

Et  opportune  se  bubili  condidit. 

Hic  Bos  latenti  :  a  Quidnam  voluisti  tibi ,  o 

Infelix ,  ultro  qui  ad  necem  cucurreris , 

Hominumque  tecto  spiritum  commiseris  ?  » 

At  ille  supplex  :  «  Vos  modo,  inquit,  parcite  ; 

Occasione  rursus  erumpam  data.  » 

Spatium  diei  noctis  excipiunt  vices.  10 

Frondem  bubulcus  affert ,  nec  ideo  videt. 

Eunt  subinde  et  redeunt  omnes  rustici , 

Nemo  animadvertit  ;  transit  etiam  villicus, 

Nec  ille  quidquam  sentit.  Tum  gaudens  férus 

Bobus  quietis  agere  cœpit  gratias ,  <5 

Hospitium  adverso  quod  praestiterint  tempore. 

Respondit  unus  :  a  Salvum  te  cupimus  quidam  ; 

Sed  ille,  qui  oculos  centum  habet,  si  venerit, 

Magno  in  periclo  vita  verte tur  tua.  » 

FABLE   VIII. 

LE    CERF   ET   LES    BŒUFS. 

Chassé  des  profondes  retraites  de  la  forêt  et  aveuglé  par  la  crainte, 
un  cerf,  pour  échapper  au  trépas  dont  le  menacent  les  chasseurs  , 
gagne  une  ferme  voisine,  et  se  cache  au  fond  d'une  étable  à  bœufs 
qui  s'offre  heureusement  à  lui;  un  boeuf  le  voit  et  lui  dit  :  «  Qu'es- 
pères-tu, malheureux  ?  Tu  cours  toi-même  à  la  mort,  en  confiant  ta 
vie  aux  demeures  de  l'homme.  »  Mais  lui,  d'un  ton  suppliant  :  «  De 
grâce ,  épargnez-moi  ;  à  la  première  occasion ,  je  recommencerai  à 
fuir.  »  Cependant  la  nuit  arrive  et  remplace  le  jour.  Un  bouvier  ap- 
porte du  feuillage,  et  ne  le  voit  pas  ;  les  villageois  vont  et  viennent, 
nul  ne  le  remarque  ;  le  fermier  lui-même  passe,  et  ne  s'aperçoit  de 
rien.  L'animal ,  plein  de  joie  ,  se  met  alors  à  rendre  grâces  aux 
bœufs  de  leur  discrétion  et  de  l'hospitalité  qu'ils  lui  ont  accordée 
dans  son  malheur,  c  Nous  désirons  sincèrement  ton  salut ,  lui  ré- 
pondit l'un  d'eux  ;  mais  si  l'homme  aux  cent  yeux  vient  faire  sa 
visite ,  ta  vie  court  grand  danger.  »  Sur  ces  entrefaites  ,  le  maître 


FABLES   DE   PHiiDRE.    LIVRE   II. 


63 


FABULA  Vm. 


FABLE  VIII. 


CBRVTJ8    ET   BOVE8. 


LE    CERF  ET    LES    BŒUFS. 


Cervtis  excitatus 
latibulis  nemorosis , 
utfugeret  necem  instantem 
venatorum  , 
petit  villam  proximam 
timoré  caeco , 
et  condidit  se  bubili 
opportune. 
Hic  bos  latenti  : 
«Quidnam  voluisti  tibi, 
înfelix,  qui  cucurreris 
ultro  ad  necem  , 
commiserisque  spiritum 
tecto  homiuum?  » 
At  ille  supplex  : 
«Vos,  parcite modo,  inquit; 
erumpam  rursus 
occasione  data.  » 
Vices  noctis 
excipiunt  spatium  diei; 
bubulcus  affert  frondem , 
nec  videt  ideo. 
Omnesrustici  eunt  subinde 
et  redeunt , 
nemo  animadvertit  ; 
villicus  etiam  transit , 
et  ille  non  sentit  quidquam. 
Tum  férus  gaudens 
cœpit  agere  gratias 
bobus  quietis, 
quod  prsestiterinthospitium 
tempore  adverso. 
Uqus  respondit  : 
«  Cupimus  quidem 
te  salvum; 
sed  si  ille 

qui  habet  centum  oculos, 
venerit, 

tua  vita  vertetur 
in  magno  periclo.  » 

Fables  de  Phèdre. 


Un  cerf  lancé 
des  retraites  des-boîs  , 
pour  qu'il  échappât  à  la  mort  imminente 
des  chasseurs  (dont  ils  le  menaçaient), 
gagna  une  ferme  prochaine 
dans  sa  frayeur  aveugle , 
et  cacha  soi  dans  une  étable-à-bœufs 
qui-se-présenta-bien-à-propos . 
Là  (  alors  )  un  bœuf  dit  au  cerf  caché  : 
«  Quelle-chose  as-tu  voulue  à  toi, 
malheureux,  qui  as  couru  (  cours  ) 
de-toi-même  à  la  mort , 
et  qui  as  confié  (  confies  )  ta  vie 
au  toit  (à  la  demeure)  des  hommes?  » 
Mais  lui  suppliant  : 

«  Ovous,  épargnez-mot  seulement,  dit-il; 
je  m'échapperai-rapidement  de-nouveau 
l'occasion  m 'étant-donnée.  » 
Le  tour  de  la  nuit 

remplace  l'espace  (la  durée)  du  jour  ; 
le  bouvier  apporte  du  feuillage  , 
et  il  ne  voit  rien  pour-cela  (malgré  cela). 
Tc'us  les  paysans  vont  de-temps-à- autre, 
et  reviennent , 
personne  ne  le  remarque  ; 
le  fermier  même  passe  , 
et  il  ne  s'aperçoit  pas  de  quelque-chose. 
Alors  l'animal-sauvage  se- réjouissant 
commence  à  rendre  grâces 
aux  bœufs  paisibles  (  discrets), 
de-ce-qu'ils  lui  ont  donné  l'hospitalité 
dans  un  temps  d' -adversité. 
Un  d'eux  répondit  : 
€  Nous  désirons  bien 
qut  toi  (  tu  )  soit  sauvé; 
mais  si  celui-là 
qui  a  cent  yeux, 
sera  venu   vient), 
ta  vie  sera-tournée  (se  trouvera) 
en  grand  péril.  > 


66  PH^DRI  FAB.    LIBER   IL 

Haec  mter,  ipse  dominus  a  cœna  redit  ;  20 

Et  quia  corruptos  viderat  nuper  Boves, 

Accedit  ad  preesepe  :  a  Cur  frondis  parum  est  ? 

Stramenta  desunt  !  ToUere  haec  aranea 

Quantum  est  laboris  ?  »  Dum  scru.tatur  singuia  , 

Cervi  quoque  alla  conspicatur  cornua  ;  25 

Quem  convocata  jubet  occidi  familia, 

Praedamque  toUit.  Hœc  significat  fabula 

Dominum  videre  plurimum  in  rébus  suis. 

EPILOGUS- 

^sopi  ingenio  statuam  posuere  Attici , 

Servumque  collocarunt  aeterna  in  basi , 

Patere  honoris  scirent  ut  cunctis  viam , 

Nec  generi  tribui,  sed  virtuti  gloriam. 

Quoniam  occuparat  alter,  ne  primus  forem ,  5 

Ne  solus  esset  studui ,  quod  superfuit. 

Nec  haec  invidia ,  verum  est  aemulatio. 


sort  de  souper  et  se  rappelle  qu'il  a  vu  naguère  ses  bœufs  en  mau- 
vais état;  il  entre  dans  l'étable  :  «  Pourquoi ,  dit-il,  si  peu  de  feuil- 
lage au  râtelier?  La  litière  manque!  Est-il  donc  si  difiBcile  d'ôterce» 
araignées  ?  »  Tandis  qu'il  examine  tout,  il  aperçoit  le  bois  élevé  du 
cerf;  il  appelle  ses  valets  ,  fait  tuer  et  emporter  l'animal. 

Cette  fable  signifie  que ,  pour  ses  intérêts  ,  nul  ne  voit  plus  clair 
que  le  maître. 

ÉPILOGUE. 

Les  Athéniens  élevèrent  une  statue  au  génie  d'Ésope,  et  placèrent 
un  esclave  sur  un  immortel  piédestal ,  pour  montrer  que  la  route 
des  honneurs  est  ouverte  à  tous  les  hommes,  et  que  la  gloire  est  le 
prix  du  mérite  et  non  de  la  naissance.  Un  autre  m'avait  devancé  : 
jc  ne  pouvais  être  le  premier  dans  ce  genre ,  je  me  suis  eflforcé  de 
ne  pas  le  laisser  seul  dans  la  carrière  ;  c'est  tout  ce  qui  me  restait 
u  faire  :  il  n'y  a  pas  là  de  jalousie  mais  seulement  une  noble  ému- 
lation 


FABLES  DE  PHEDRE.  LIVRE  IL 


67 


Inter  hœc  dominus  ipse 
redit  a  cœna: 
et  quia  viderat  nuper 
boves  corruptos, 
accedit  ad  prassepe  : 
«  Cur  parum  frondis  est  ? 
Stramenta  desunt  ! 
Quantum  laboris  est 
tollere  haec  aranea?  » 
Dum  scrutatvir  singula, 
conspicatur  quoque 
cornua  alta  cervi  ; 
familia  convocata, 
jubet  quem  occidi, 
tollitque  prœdam. 

Haec  fabula  siguifîcat 
dominum  -videre  plurimiim 
in  suis  rébus. 

EPILOGUS. 

Attici  posuere  statuam 
ingenio  ^sopi 
collocaruntque  servum 
in  basi  aeterna, 
ut  scirent 
viam  honoris 
patere  cunctis , 
et  gloriam 
non  tribui  generi, 
sed  virtuti. 

Quoniam  alter  occuparat, 
ut  non  forem  primus, 
fltudui, 

quod  superfuit, 
ne  esset  solus. 
Et  haec  non  est  invidia , 
vemm  asmulatio. 


Pendant  ce  temps  le  maître  lii-même 

revient  du  souper  ; 

et  comme  il  avait  vu  récemment 

ses  bœufs  gâtés  (  maigris  ), 

il  s'avance  vers  l'étable  : 

«  Pourquoi  peu  de  feuillage  est-il  ici  ? 

La  litière  manque  ! 

Combien  de  travail  est  (  coûterait-il  ) 

d'enlever  ces  toiles-d' -araignées  ?  » 

Pendant-qu'il  examine  chaque-chose, 

il  aperçoit  aussi 

les  cornes  élevées  du  cerf; 

ses  esclaves  étant  rassemblés, 

il  ordonne  lui  être  tné, 

et  il  emporte  ce  butin. 

Cette  fable  signifie  '[montre) 
le  maître  voir  le  plus  '  le  mieux  ) 
dans  ses  propres  affaires. 

ÉPILOGUE. 

Les  Athéniens  ont  posé  (élevé;  une  statua 
au  génie  d'Esope, 
et  ont  placé  cet  esclave 
sur  un  piédestal  éternel , 
pour  que  les  hommes  sussent 
la  voie  de  l'honneur 
être  ouverte  à  tous , 
et  la  gloire 

n'être  pas  accordée  à  la  naissance, 
mais  au  mérite. 

Puisqu'un  autre  avait  pris  la  pince, 
de-sorte-que  je  ne  pouvais-être  le  premier, 
je  me  suis  appliqué, 
et  c'est  là  ce-qui  me  restait  possible, 
à-ce-qu'il  ne  fût  pas  le  seul. 
Et  ce  n'est  pas  de  ma  pari  euYie, 
mais  émulation. 


68  PH^DRI  FAB.    LIBER   II. 

Quod  si  labori  faverit  Latium  meo, 

Plures  habebit  quos  opponat  Graeciae. 

Sin  livor  obtrectare  curam  voluerit,  (0 

Non  tamen  eripiet  laudis  conscientiam. 

Si  nostrum  studium  ad  aures  pervenit  tuas , 

Et  arte  fictas  animus  sentit  fabulas, 

Omnem  querelam  summovet  félicitas  : 

Sin  autem  et  illis  doctus  occurrit  labor,  45 

Sinistra  quos  in  lucem  natura  extulit, 

Nec  quidquam  possunt  nisi  meliores  carpere, 

Fatale  exitium  corde  durato  feram, 

Donec  fortunam  criminis  pudeat  sui. 

Si  l'Italie  accueille  mon  ouvrage ,  elle  aura  un  plus  grand  nom 
bre  d'écrivains  à  opposer  à  la  Grèce  ;  si  au  contraire  l'envie  se  plaît 
à  décrier  mon  œuvre,  elle  ne  m'enlèvera  pas  du  moins  le  sentiment 
de  son  mérite.  Que  mon  travail  arrive  à  vos  oreilles ,  que  votre  esprit 
goûte  ces  fables  imaginées  avec  art ,  et  mon  bonheur  fera  taire  mes 
plaintes.  Mais  si  cet  ouvrage  plein  de  savoir  tombe  aux  mains  de  ces 
esprits  étroits  qu'enfanta  la  nature  dans  un  moment  d'humeur,  et  qui 
ne  peuvent  que  déchirer  ceux  qu'ils  ne  sauraient  atteindre ,  je  sup 
porterai  a-ec  un  cœur  de  fer  ma  fatale  destinée,  jusqu'à  ce  qu'enfin 
la  fortune  rougisse  de  son  injustice. 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   II. 


Qaod  si  Latîum 

faverit  meo  labori , 

habebit  plures 

quos  opponat  Grœciae. 

Sin  livor 

voluerit  obtrectare  ciiram, 

non  eripiet  tamen 

conscientiam  laudis. 

Si  nostmm  studium 

pervenit  ad  tuas  aures , 

et  animus  sentit 

fabulas  fictas  arte, 

félicitas  summovet 

omnem  querelam  : 

sin  autem  doctus  labor 

occurrit  et  illis 

quos  natura  sinistra 

extulit  in  lucem, 

nec  possunt  quidquam 

nisi  carpere  meliores, 

feram 

corde  durato 

exitium  fatale, 

donec  fortunam 

pudeat  sui  criminis. 


Que  si  le  Latium 

favorise  mon  travail , 

il  aura  plus  à'auteurs 

qu'il  puisse-opposer  à  la  Grèce. 

Mais-si  l'envie 

veut  critiquer  mon  travail, 

elle  ne  m'enlèvera  pas  cependant 

la  conscience  de  la  gloire  qui  m'est  due. 

Si  notre  (  mon  )  zèle  (  travail  ) 

parvient  à  tes  oreilles, 

et  si  ton  esprit  goûte 

ces  fables  imaginées  avec  art , 

mon  bonheur  écarte  (  fait  taire) 

toute  plainte  : 

mais  si  mon  docte  labeur 

tombe-aussi-dans-les-mains  de  ceux 

qu'une  nature  gauche  [  ennemie) 

a  portés  (mis)  au  jour, 

et  qui  ne  peuvent  faire  autre  chose 

que-de censurer  des^enj  meilleurs  qu'eux, 

je  supporterai 

avec  un  cœur  endurci  (  avec  patience  ) 

mon  malheur  fatal , 

jusqu'à-ce-que  la  fortune 

ait  honte  de  son  crime  (de  son  injustice). 


70  PH^DRI   FAB.    LIBER  III. 

LIBER   III. 


PROLOGUS. 

PaSiDRUS   AD   EUTYCHDM  ' . 

Phaedri  libelles  légère  si  desideras , 
Vaces  oportet,  Eulyche,  a  negotiis, 
Ut  liber  animus  sentiat  vim  carminis. 
a  Verum,  inquis,  tanti  non  est  ingenium  tuum, 
Momentum  ut  horae  pereat  ofiBciis  meis.  »  a 

Non  ergo  causa  est  manibus  id  tangi  tuis, 
Quod  occupatis  auribus  non  convenit. 
Portasse  dices  :  «  Aliquae  venient  feriae, 
Quae  me  soluto  pectore  ad  studiurn  vocent.  » 
Legesne,  quaeso,  potius  viles  naenias,  10 

împendas  curam  quam  rei  domesticae, 
Reddas  amicis  tempora,  uxori  vaces, 
Animum  relaxes ,  otium  des  corpori , 
Ut  assuetam  fortius  praestes  \icem  ? 

PROLOGUE. 

PHÈDRE  A  EUTTQUB. 

Si  VOUS  voulez  lire  le  petit  ouvrage  de  Phèdre ,  il  faut,  mou  cher 
Eutyque,  laisser  de  côté  les  affaires ,  afin  que  \otre  esprit  puisse  goû- 
ter en  liberté  le  mérite  de  mes  vers.  —  Mais  ,  direz-vous ,  ton  talent 
n'est  pas  tellement  hors  ligne,  que  je  doive  perdre  pour  lui  quelques- 
ims  des  moments  consacrés  à  mes  devoirs.  —  Il  faut  donc  alors  renon- 
cer à  prendre  en  main  mon  livre  ;  il  n'est  pas  fait  pour  plaire  à  un  es- 
pritaffairé.  Peut^tre  répondrez-vous  :  Il  peut  me  venir  quelques  jours 
derepcs  qui  me  rendront  ma  liberté  et  m'inviteront  à  l'étude,  —  Mai» 
alors,  je  vous  ie  demande ,  lirez-vous  ces  sornettes  plutôt  que  de  veil- 
ler à  vos  intérêts  domestiques ,  de  rendre  visite  à  vos  amis ,  de  son- 
ger k  votre  femme  ,  de  donner  du  relâche  à  votre  esprit ,  du  repos  à 
votre  corps ,  pour  remplir  avec  plus  de  vigueur  vos  fonctions  accou- 


FARLL3   DE   PHÈDRE.    TIVRE    III. 


LIVRE   III. 


PROLOGUS. 


PROLOGUE. 


PHJBDRUS  AD  EUTYCHni. 

Sî  desideras 
légère  libelles  Phaedri , 
oportet,  Eatyche, 
vaces  a  negotiis, 
ut  animus  liber 
Bentiat  vira  carminis. 
«  Verum,  inquis, 
tuum  icgenium 
non  est  tanti , 
ut  momentum  horae 
pereat  meis  officiis.  » 
Causa  non  est  ergo 
id,  quod  non  convenit 
auribus  occupatis, 
tangi  tuis  manibus. 
Dices  fortasse  : 
«  Aliquae  ferias  venient, 
quae  vocent  me  ad  studiuna 
pectore  soluto.  » 
Legesne,  quœso, 
usenias  viles 
potius  quam 
impendas  curam 
rei  domesticae, 
reddas  amicis 
tempora, 
vaces  uxori , 
relaxes  animum, 
des  otium  corpori, 
ut  praestes  fortiug 
▼icem  as^uotam  ? 


PHEDRE    A   EUTYQU' 

Si  tu  désires 
lire  les  petits-livres  de  Phèdre 
il  faut,  Eutyque, 
que-tu-sois-esempt  d'affaires, 
afin  que  ton  esprit  libre  (  en  liberté  ] 
sente  la  force  de  ma  poésie. 
«  Mais,  dis-tu, 
ton  esprit 

n'est  pas  d'un  assez-grand  prix 
pour  qu'un  seul  moment  d'une  heure 
soit-perdu  pour  mes  devoirs.  » 
Motif  n'est  donc  pas 
que  ceci,  qui  ne  convient  pas 
à  des  oreilles  occupées, 
soit  touché  par  tes  mains. 
Tu  diras  peut-être  : 
«  Quelques  vacances  viendront , 
qui  pourront-appeler  moi  à  l'étude, 
mon  âme  ayant  été  dégagée  étant  libre) 
Liras-tu,  je  te  le  demande , 
des  bagatelles  futiles 
plutôt  que 
tu  emploies  ton  soin 
à  tùn  intérêt  domestique, 
que  tu  rendes  à  tes  amis 
leurs  temps  (leurs visites), 
que  tu  vaques  à  ton  épouse, 
que  tu  relâches  (  récrées  )  ton  esprit , 
que  tu  donnes  du  repos  à  ton  corps, 
afin  que  tu  remplisses  plus-activement 
ton  tour  (devoir    accoutumé  ? 


72  PH^DRI   FAB.    LIBER  III. 

Mutandum  tibi  propositum  est  et  vit»  genus,  45 

Intrare  si  Musarum  limen  cogitas. 
Ego,  quem  Pierio  mater  enixa  est  jugo  ', 
In  quo  tonanti  sancta  Mnemosyne  Jovi , 
Fîcunda  novies,  Artium  peperit  chorum, 
Ouamvis  in  ipsa  paene  natus  sim  schola ,  20 

Curamque  habendipenitus  corde  eraserim, 
Et  laudeinvitalus  in  hanc  vitam  incubuerim, 
Fastidiose  tamen  in  cœtum  recipior. 
Quid  credis  illi  accidere  qui  magnas  opes 
Exaggerare  quaerit  omni  vigilia,  25 

Docto  labori  dulce  praeponens  iucrum  ? 
Sed  jam,  quodcumque  fuerit  (ut  dixit  Sinon*, 
Ad  regem  quum  Dardaniae  perductus  foret), 
Librum  exarabo  tertium  iEsopi  stylo , 

Honori  et  meritis  dedicans  illum  tuis.  30 

Quem  si  leges,  laetabor;  sin  autem  minus, 
Habebunt  certe  quo  se  oblectent  posteri. 
Nunc,  fabularum  cur  sit  inventum  genus, 

tumées  ?  Il  faut  changer  vos  desseins  et  votre  genre  de  vie ,  si  vous 
songez  à  francliir  le  seuil  des  Muses.  Pour  moi,  qui  reçus  le  jour  sur 
Im  cime  du  Piérus,  sur  ce  mont  sacré  où  la  divine  Mnemosyne,  neuf 
fois  féconde ,  donna  au  maître  de  la  foudre  le  chœur  des  Muses  pro- 
tectrices des  arts,  né  pour  ainsi  dire  au  sein  de  leur  école ,  bien  que 
}'aie  étouflFé  au  fond  de  mon  cœur  l'avide  désir  des  richesses,  et  qu'ex- 
cité par  la  gloire,  je  me  sois  consacré  tout  entier  à  cette  noble  pro- 
fession ,  c'est  cependant  encore  avec  froideur  qu'elles  m'accueillent 
dans  leurs  assemblées.  Que  pensez-vous  qu'il  arrive  à  l'homme  qui 
met  ses  soins  et  son  étude  à  amonceler  d'immenses  trésors ,  et  qui 
préfère  à  de  doctes  labeurs  les  jouissances  de  la  richesse?  Enfin , 
quoi  qu'il  en  arrive,  comme  disait  Sinon  traîné  devant  le  roi  de  Per- 
gjune,  je  vais  publier  un  troisième  livre  écrit  dans  le  style  d'Esope; 
j'en  fais  hommage  à  votre  mérite  et  à  vos  talents.  Si  vousle  lisez,  je 
m'en  réjcuirai;  sinon,  il  fera  du  moins  les  délices  de  la  postérité. 
Je  vais  dire  miîntcnant  en  quelques  mots  pourquoi  l'on  imagina 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


73 


Propositum  et  genus  vitœ 

mutandum  est  tibi 

si  cogitas  intrare 

limen  Musarum, 

Ego  quem  mater  enixa  est 

jugo  Pierio, 

in  quo  Mnemosyne  sancta 

Dovîes  fecunda, 

peperit  Jovî  tonanti 

chorum  Artium, 

quamvis  natus  sim 

paene  in  schola  ipsa, 

eraserimque  penitus  corde 

curam  habendi , 

et  încubuerim 

in  hancvitam, 

invitatus  laude, 

recipior  tamen  fastidiose 

in  ccetum. 

Qnid  credis  accidere 

illi  qui  quaerit 

omni  vigilia 

exaggerare  magnas  opes, 

praeponens  lucrum  dulce 

docto  labori? 

Sed  jam, 

quodcumque  fuerît , 

(  ut  dixit  Sinon, 

quum  perductus  foret 

ad  regem  Dardaniae), 

exarabo  tertium  librum 

stylo  ^sopi , 

dedicans  illum  honori 

et  tuis  meritis. 

Si  leges  quem,  lœtabor  ; 

sin  autem  minus, 

posteri  certe 

habebunt  quo  oblectent  se. 

Nunc  docebo  brevi 

cur  genus  fabularum 

iTiventum  si  t. 


Ton  but  et  (an  genre  de  vie 

doit  être  changé  à  toi  (par  toi) 

si  tu  penses  à  entrer 

dans  le  seuil  (la  demeure)  des  Muses. 

Moi  que  ma  mère  a  enfanté 

sur  le  sommet  du-Piérus , 

sur  lequel  Mnémosyne  sainte 

neuf-fois  féconde, 

a-mis-au-jour  pour  Jupiter  tonnant 

le  chœur  des  Arts  (  des  Muses), 

quoique  je  sois  né 

presque  dans  leur  école  même, 

et  que  j'aie  arraché  tout-à-fait  de  f/jon  cœur 

le  souci  d'avoir  (  d'acquérir  j, 

et  que  je  me  sois  appliqué  (  adonné  ) 

à  cette  vie-/à  (la  culture  des  lettres), 

invité  (excité)  par  la  gloire  seule, 

je  suis  reçu  cependant  avec-hauteur 

dans  leur  assemblée. 

Que  crois-tu  donc  c/erojV-arriver 

à  celui  qui  cherche 

par  toute  espèce  de  veille 

à  amasser  de  grandes  richesses, 

préférant  un  gain  doux 

à  un  docte  travail  ? 

Mais  enfin, 

quoi  qu'il  en  puisse-être  (doive  arrirer) 

(comme  dit  Sinon, 

lorsqu'il  eut  été  amené 

au  roi  de  Dardanie^, 

je  tracerai  un  troisième  livre 

dans  le  style  d'Esope, 

dédiant  lui  (  ce  livre)  à  ton  honneur 

et  à  tes  services. 

Si  tu  lis  lui,  j'en-serai-charmé; 

mais  si  non  (  si  tu  ne  le  lis  pas  ), 

nos  descendants  (la  postérité)  du  moins 

ûviront  de  quoi  ils  puissent  charmer  soi. 

Maintenant  je  «'apprendrai  brièvement 

pourquoi  le  genre  des  fables 

a  été  inventé. 


76  PHJiDRl   FAB.    LIBER   III. 

Brevi  docebo.  Servitus  ôbnoxia , 

Quia  quae  volebat  non  audebat  dicere ,  35 

Affectus  proprios  in  fabellas  transtulit, 

Calumniamque  fictis  elusit  jocis 

Ego  iliius  pro  semita  feci  viam , 

Et  cogitavi  plura  quam  reliquerat  ■ 

In  calamitatem  deligens  quaedam  meam.  40 

Quod  si  accusator  alius  Sejano  *  foret, 

Si  testis  alius,  judex  alius  denique, 

Dignum  faterer  esse  me  tantis  malis, 

Nec  his  dolorem  delenirem  remediis. 

Suspicione  si  quis  errabit  sua,  45 

Et  rapiet  ad  se  quod  erit  commune  omnium , 
Stulte  nudabit  animi  conscientiam. 
Huic  excusatum  me  velim  nihilominus  ; 
Neque  enim  notare  singulos  mens  est  mihi, 
Verum  ipsam  vitam  et  mores  hominum  ostendere.  50 

Rem  me  professum  dicet  fors  aliquis  gravem. 
Phrygi  si  fas  ^Esopo,  si  Anacharsi  Scythae  * 
iEternam  famam  condere  ingenio  suo , 

l'apologue.  Environnée  de  périls  ,  la  servitude ,  n'osant  exprimer 
hautement  ses  pensées ,  transporta  ses  sentimens  dans  la  fable,  et 
déjoua  la  malveillance  par  d'ingénieuses  fictions.  Pour  moi, j'ai  fait 
une  large  route  du  sentier  tracé  par  Esope ,  et ,  puisant  à  la  source 
de  mes  malheurs  ,  j'ai  imaginé  plus  de  fables  qu'il  n'en  avait  laissé. 
Si  j'avais  eu  un  autre  accusateur,  un  autre  témoin ,  un  autre  juge 
enfin  que  Séjan,  j'avouerais  avoir  mérité  tant  d'infortunes,  et  je 
ne  chercherais  pas  de  tels  remèdes  à  ma  douleur. 

Si  quelque  lecteur,  s'égarant  dans  ses  conjectures  ,  allait  prendre 
pour  lui  ce  qui  fut  dit  pour  tous,  il  mettrait  sottement  à  nu  le  fond 
de  sa  conscience.  Je  veux  néanmoins  m'excuser  d'avance  auprès  de 
lui  :  mon  intention  ne  fut  pas  de  signaler  des  vices  particuliers  , 
mais  de  mettre  en  tableau  les  mœurs  et  la  vie  des  hommes.  Peut- 
être  me  dira-t-on  que  la  tâche  est  difficile  ;  mais  si  le  Phrygien 
Esope ,  si  le  Scythe  Aiiacharsis  ont  pu  se  faire  par  leur  génie  un  im- 


FABLES   DE    PHÈDUE.    LIVRE    III. 


75 


Servitus  obnoxia, 

quia  non  audebat  dicere 

quœ  volebat , 

transtulit  aflfectus  proprios 

in  fabellas , 

elusitque  calumniam 

jocis  fictis. 

Pro  semita  illius 

ego  feci  -viam , 

et  cogitavi  plura 

quam  reliquerat , 

deligens  qusedam 

in  meam  calamitatein. 

Quod  si  alius  accusator 

si  alius  testis , 

denique  alius  judex  Sejano 

foret , 

faterer  me  esse  dignum 

tantis  malis , 

nec  delenirem  dolorem 

bis  remediis. 

Si  quis  errabit 

sua  suspicione , 

et  rapiet  ad  se 

quod  erit  commune 

omnium , 

nudabit  stulte 

conscientiam  animi. 

Velim  nihilominus 

me  excusatum  huic  ; 

neque  enim  mens  est  mibi 

notare  singulos , 

verum  ostendere 

vitam  ipsam 

et  mores  bominum. 

Fors  aliquis  dicet 

me  professum  rem  gravem . 

Si  fas  jEsopo  Pbrygi , 

si  Anacbarsi  Scytbse 

condere  sue  ingénie 

famam  seternam , 


L'esclavage  sujet  à  être  o^iprimé, 

comme  il  n'osait  dire 

ce-qu'il  voulait , 

transporta  ses  sentiments  propres 

dans  des  fables , 

et  déjoua  la  délation 

par  des  badinages  fictifs. 

A  la  place  du  sentier  de  lui  (d'Esope) 

moi  j'ai  fait  une  route  , 

et  j'ai  pensé  (imaginé)  plus-de-cboses 

qu'il  n'en  avait  laissé  , 

cboisissant  quelques  particularités 

pour  les  appliquer  à  mon  malbeur. 

Que  si  un  autre  accusateur 

si  un  autre  témoin , 

enfin  un  autre  juge  que  Séjan 

était  à  moi , 

j'avouerais  moi  être  digne 

de  si-grands  maux , 

et  je  n'adoucirais  pas  ma  douleur 

par  ces  remèdes. 

Si  quelqu'un  se  trompe 

dans  son  soupçon , 

et  prend  pour  lui 

ce-qui  sera  commun 

à  tous  (  dit  pour  tous  ) , 

il  mettra-à-nu  sottement 

la  conscience  de  son  âme. 

Je  veux  cependant 

moi  être  excusé  (justifié)  devant-celui-là, 

car  l'intention  n'est  pas  à  moi 

de  noter  (  flétrir  )  des  individus. 

mais  bien  de  montrer  (  peindre  ) 

la  vie  même 

et  les  mœurs  des  bommes. 

Peut-être  quelqu'un  dira 

moi  avoir-entrepris  une  tâcbe  lourde. 

S'j7  a  e7e  permis  à  Esope  le  Pbrygien  , 

sUl  l'a  été  à  Anacbarsis  le  Scyth.e 

de  fonder  par  leur  génie 

une  renommée  immortelle, 


76  Pfl^DRI   FAB.    LIBER   lU. 

Ego  litteratae  qui  sum  propior  Graeciae, 

Cur  somno  inerti  deseram  patriae  decus ,  35 

fhreissa  quum  gens  numeret  auctores  suos , 

Linoque  ApoUo  sit  parens ,  Musa  Orpheo  *, 

Qui  saxa  cantu  movit,  et  domuit  feras, 

Hebrique  *  tenuit  impetus  dulci  mora  ? 

Ergo  hinc  abesto ,  Livor ,  ne  frustra  gemas ,  60 

Quoniam  solennis  mihi  debetur  gloria. 

Induxi  te  ad  legendum  :  sincerum  mihi 
Candore  noto  reddas  judicium  peto. 

FABULA  I. 

ANUS   AD   AMPHOKAM'. 

Anus  jacere  vidit  epotam  Amphoram, 
Adhuc  Falerna  *  faece  et  testa  nobili 
Odorem  quae  jucundum  late  spargeret. 
Hune  postquam  totis  avida  traxit  naribus  : 


mortel  renom  ,  pourquoi  moi ,  qui  touche  de  plus  près  à  la  Grèce 
savante,  irai-je,  engourdi  dans  un  lourd  sommeil,  déserter  la  gloire 
de  ma  patrie  ?  La  Thrace  ne  compte-elle  pas  aussi  ses  écrivains  ? 
Apollon  ne  fut-il  point  le  père  de  Linus  ?  et  n'est-ce  point  une  Muse 
qui  mit  au  jour  Orphée  ,  Orphée  dont  la  voix  harmonieuse  fit  pleu- 
rer les  rochers  ,  adoucit  les  bêtes  des  forêts ,  et  arrêta ,  par  ses  doux 
accords  ,  le  cours  impétueux  de  l'Hèbre?  Loin  de  moi ,  pâle  Envie, 
si  tu  ne  veux  verser  d'inutiles  larmes  sur  la  gloire  éclatante  qui 
m'est  réservée. 

Je  vous  ai  engagé  à  me  lire ,  cher  Eutyque  :  je  réclame  de  votre 
impartialité  bien  connue  un  jugement  sincère  sur  mon  ouvrage. 

FABLE  L 

LA  VIEILLE  FEMME    ET  L* AMPHORE. 

Une  vieille  femme  vit  à  terre  une  amphore  entièrement  vidée.  La 
lie  du  Fal«rne  qu'avait  contenu  le  noble  vase  exhalait  encore  au 
loin  un«  délicieuse  odeur.  Après  l'avoir  flairée  avidement  et  long- 


i 


FABLES  DE  PHEDRE.  LIVRE  Ilf. 


77 


go  qui  sum  propior 
rraeciae  litteratœ , 
ur  deseram 
omno  inerti 
.ecus  patriae, 
uum  gens  Tlireissa 
umeret  auctores  suos , 


moi  qui  suis  plus  proche  qu'eux 
de  la  Grèce  lettrée , 
pourquoi  abandonnerai-je 
dans  un  sommeil  lâche 
l'honneur  de  ma  patrie  , 
et  cela  quand  la  nation  Thrace 
compte  des  auteurs  siens , 


Lpolloque  sît  parens  Lino,    et  quand  Apollon  est  le  père  à  Linus  , 


luaa  Orpheo , 

ui  mo^^t  saxa  cantu , 

t  domuit  feras , 

Bnuitque  dulci  mora 

mpetus  Hebri? 

irgo,  Livor,  abesto  hinc, 

le  gemas  frustra  , 

uoniam  gloria  solennis 

.ebetur  mihi. 

nduxi  te  ad  legendum  : 

eto  reddas  mihi 

udicium  sincerum 

andore  noto. 


quand  une  muse  est  la  mère  k  Orphée , 

qui  remua  les  pierres  par  son  chant  , 

et  dompta  les  animaux- féroces, 

et  arrêta  par  un  doux  retard 

le  cours-impétueux  de  l'Hèbre? 

Ainsi-donc ,  Envie ,  va-t'en  Zom-d'ici , 

de-peur-que  tu  ne  gémisses  en  vain  , 

parce  qu'une  gloire  solennelle 

est  due  à  moi. 

J'ai  engagé  toi  à  lire  mon  livre  : 

je  demande  que  tu  rendes  à  moi 

un  jugement  sincère 

avec  la  franchise  qui  est  connue  en  toi. 


FABULA  I. 


FABLE  L 


AMTJS   AD   AMPHOBAM. 

Anus  vidit  jacere 

.mphoram  epotam , 
[use  spargeret  adhuc  late 
idorem  jucundum 
«ce  Falerna 
;t  nobili  testa, 
'ostquam  traxit  hune 
ivida  totis  naribus  ; 


LA   VIEILLE    A    UNE    AMPHORE, 

Une  vieille  vit  être-étendue-à-^crr* 
une  amphore  entièrement-bue  (vide)  , 
qui  répandait  encore  au  loin 
une  odeur  agréable 
i)rovenant  de  la  lie  de-Falerne 
et  de  sa  noble  terre-cuite  (enveloppe;. 
Quand  elle  eut  humé  cette  odeur 
avidement  de  toutes  ses  narines  : 


78  PHiEDRl   FAB.    LIBER   III. 

«  0  suavis  anima  !  quale  in  te  dicam  bonum  g 

Antehac  fuisse ,  taies  quum  sint  reliquiae  ?  » 
Hoc  quo  pertineat ,  dicet  qui  me  noverit. 

FABULA  II. 

PANTHERA    ET   PA8TORES. 

Solet  a  despectis  par  referri  gratia. 

Panthera  imprudens  olim  in  foveam  decidit. 
Videra  agrestes  :  alii  fustes  congerunt, 
Alii  onerant  saxis  ;  quidam  contra  miserili 
Periturae  '  quippe,  quamvis  nemo  lœderet,  5 

Misère  panem ,  ut  sustineret  spiritum. 
Nox  insecuta  est  :  abeunt  securi  domum , 
Quasi  inventuri  mortuam  postridie. 
At  illa,  vires  ut  refecit  languidas, 

Veloci  saitu  fovea  sese  libérât,  10 

Et  in  cubile  concito  properat  gradu. 


temps  :  «  Oh  !  le  suave  parfum  !  s'écria-t-elle  ;  quel  vin  délicieux    i 
tu  devais  contenir,  si  j'en  juge  par  ce  qui  en  reste!  » 

Que  signifie  cette  fable  ?  Qui  m'aura  connu  le  dira.  j 

FABLE  IL  i 

LA  PANTHÈRE  ET  LES  PA8TEUBS . 

Qui  reçoit  une  offense  cherche  d'ordinaire  à  se  venger.  1 

Unepanthèrese  laissa  par  mégarde  tomber  un  jour  dans  une  fosse,  | 
Des  paysans  l'aperçurent  :  les  uns  l'assomment  de  coups  de  bâton  , 
d'autres  l'accablent  de  pierres;  mais  quelques-uns  en  eureut  pitié, 

et,  pensant  qu'elle  devait  périr  quand  même  personne  ne  lui  ferait  de  i  i 
mal ,  ils  lui  jetèrent  du  pain  pour  prolong-er  un  peu  sa  vie.   La  nuit 

arrive;  les  paysans  se  retirent  avec  sécurité,  et  bien  persuadés  de  k  ! 

trouver  morte  le  lendemain.  Mais  elle,  qui  avait  réparé  ses  forces  ' 

affaiblies,  s'élance  d'un  bond  l<3f?*^r  hors  de  la  fosse  ,  et  regagne  sa  i 


FABLES  DE  PBÈDRE.  LIVRE  III. 


79 


«  0  suavis  anima  !  «  0  douce  émanation! 

quale  bonum  dicam  quel  bien  (  quel  trésor  )  dirai-je 

ftiisse  antehac  in  te ,  avoir  été  auparavant  dans  toi, 

qnmn  reliquia  sint  taies?»  puisque  les  restes  en  sont  tels?  » 

Qui  noverit  me ,  Qui  aura  connu  moi  (qui  me  connaît', 

dicet  quo  hoc  pertineat.  dira  où  ceci  tend. 


FABULA  IL 


FABLE  IL 


PANTHBRA  ET  PASTORES. 


LA  PANTHERE  ET  LES  BERGERS. 


Gratia  par 
solet  referri 
a  despectis. 

Olim  panthera 
decidit  imprudens 
in  foveam. 
Agrestes  videre  : 
alii  congerunt 
fustes, 

alii  onerant  saxis , 
quidam  contra 
miseriti 

quippe  periturse 
quamvis  nemo  Isederet , 
misère  panem , 
ut  sustineret  spiritum. 
Nox  insecuta  est  : 
abeunt  securi  domum , 
quasi  inventuri  postridie 
mortuam. 
At  illa,  ut  refecit 
vires  langui  das , 
libérât  sese  fovea 
saltu  veloci , 

et  properat  gradu  concito 
in  cubile. 


Une  reconnaissance  égale  au  traitemen 
a  coutume  d'être  rapportée  (témoignée) 
par  les  gens  outragés. 

Un-jour  une  panthère 
tomba  imprudente  (  par  mégarde  ) 
dans  une  fosse. 
Des  paysans  la  virent  : 
les  uns  entassent  sut  elle 
des  bâtons  (des  coups  de  bâton), 
d'autres  la  chargent  de  coupa-de-pierres, 
quelques-uns  au  contraire 
ayant  pitié  d'elle 
comme  devant-périr 
quand  même  personne  ne  la  blesserait , 
lui  jetèrent  du  pain , 
afin-qu'elle  soutînt  son  souffle  (  sa  vie  ). 
La  nuit  suivit  : 

ils  s'en-vont  tranquilles  à  leur  demourç . 
comme  devant-trouver  le  lendemain 
elle  morte. 

Mais  celle-ci,  dès  qu'elle  eut  réparé 
ses  forces  languissantes, 
délivre  soi  de  la  fosse 
par  un  bond  rapide  (  vigoureux  ) . 
et  se-hâte  à  pas  pressé 
vers  sa  tanière. 


80  PH^DRI    FAB.    LIBER    III. 

Paucis  diebus  interpositis,  provolat, 

Pecus  trucidât,  ipsos  Pastores  necat, 

Et,  cuncla  vastans,  saevit  irato  impetu. 

Tum  sibi  timentes,  qui  ferae  pepercerant,  45 

Damnum  haud  récusant,  tantum  pro  vita  rogant. 

At  illa  :  «  Memini  quis  me  saxo  petierit, 

Quis  panem  dederit  :  vos  timere  absistite, 

mis  revertor  hostis  qui  me  laeserint.  » 

FABULA  III. 

8IMII    CAPUT. 

Pendere  ad  lanium  quidam  vidit  Simium 

Inter  reliquas  merces  atque  obsonia; 

Quaesivit  quidnam  saperet.  Tum  Lanius  jocans  : 

«  Quale,  inquit,  caput  est,  talis  praestalur  sapor.  » 

Ridicule  magis  hoc  dictum  quam  vere  aestimo ,  5 

Quando  et  formosos  saepe  inveni  pessimos , 
Et  turpi  facie  multos  cognovi  optimos. 

tanière  d'un  pas  agile.  Quelques  jours  après ,  elle  revient ,  égorge 
les  brebis ,  tue  les  pasteurs  eux-mêmes ,  et ,  dans  sa  fureur  impé- 
tueuse, porte  partout  le  ravage;  alors  ceux  qui  l'avaient  épargnée, 
craignant  pour  leurs  jours,  lui  abandonnent  volontiers  leurs  trou- 
peaux, et  la  prient  seulement  d'épargner  leur  vie.  Mais  la  panthère: 
«  Je  me  souviens ,  dit-elle  ,  et  de  ceux  qui  m'ont  jeté  des  pierres ,  et 
de  ceux  qui  m'ont  donné  du  pain  :  vous  ,  cessez  de  craindre  :  ceux- 
là  seuls  qui  m'ont  frappée  trouvent  en  moi  une  ennemie.  » 

FABLE  III. 

LA  TÊTE   DU   8INGB. 

Un  passant  aperçut  un  singe  suspendu  à  l'étal  d'un  boucher,  parmi 
les  autres  viandes  et  provisions.  Il  demanda  quel  goût  cet  animal 
pouvait  avoir.  «  Telle  tête ,  tel  goût,  »  répondit  en  plaisantant  le 
boucher. 

Ce  mot  me  semble  plus  plaisant  que  vrai  ;  car  j'ai  souvent  vu  des 
personnes  d'une  grande  beauté  être  très-méchantes  ,  tandis  que  j'en 
ai  connu  beaucoup  qui ,  avec  des  traits  désagréables,  étaient  d'une 
parfaite  bonté. 


I 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


81 


Psncis  dîebas  interposîtis, 

provolat , 

trucidât  pecus  , 

necat  pastores  ipsos  , 

et,  vastans  cuncta, 

sœvit  împetu  irato. 

Tuin  qui  pepercerant  ferse, 

timentes  sibi , 

haud  récusant  damnum  , 

rogant  tantum  pro  vit  a. 

At  illa  : 

«  Memini 

quis  petierit  me  saxo  , 

quis  dederit  panem  : 

vos ,  absistite  timere , 

revertor  hostis 

illis  qui  Iseserint  me.  » 


Après  peu  de  jours  interposés, 

elle  s'élance-en-  avant , 

massacre  le  bétail , 

met-à-mort  les  bergers  euz-mêmes  , 

et,  dévastant  tout, 

elle  sévit  avec  une  impétuosité  furieuse. 

Alors  ceux-qui  avaient  épargné  la  bête, 

craignant  pour  eux-mêmes, 

ne  refusent  pas  le  dommage , 

ils  prient  seulement  pour  leur  vie 

Mais  celle-ci  leur  dit  : 

«  Je  me  souviens 

qui  a  attaqué  moi  à  coup-dc-pierre  , 

qui  a  donné  à  moi  du  pain  : 

vous ,  abstenez-vous  de  craindre  , 

je  reviens  ennemie 

à  cetix-là  seuls  qui  ont  blessé  moi. 


FABULA  m. 


FABLE  m. 


CAPUT   SIMII. 


LA  TETE   DE  SINGE. 


Quidam  vidit  simium 
pendere  ad  lanium 
înter  reliquas  merces 
atque  obsonia  : 
quaesivit  quidnam  saperet. 
Tum  ianius  jocans  : 
«  Saper ,  inquit , 
prsBstatur  talis 
quale  est  caput.  » 

JEstimo  hoc  dictnm 
magîs  ridicule  quam  vere, 
quando  inveni  saepe 
et  formosos  pessimos 
et  cognovi  multos 
facie  turpi  optimos. 

Fables  de  PhkdfwE. 


Quelqu'vm  vit  un  singe 
être-suspendu  chez  un  boucher 
parmi  les  autres  marchandises 
et  les  autres  viandes  : 
il  demanda  quel  goût-il-avait. 
Alors  le  boucher  plaisantant  : 
«  Le  goût ,  dit-il , 
se-montre  tel 
qu'est  la  tête.  » 

J'estime  que  cela  a  été  dit 
plus  plaisamment  qu'avec-vérité , 
puisque  j 'ai  trouvé  souvent 
et  des  gens  beaux  très-méchants , 
et  que  j'ai  connu  beaucoup  dt  geru 
d'un  visage  laid  très-bons. 

G 


82  PH^DRI   FAB.    LIBER  III. 

FABULA  IV. 

^SOPUS   ET   PETULAN8. 

Successus  ad  perniciem  multos  devocat. 

-£sopo  quidam  Pelulans  lapidem  impegerat. 
a  Tanto,  inquit,  melior.  »  Assem  deinde  illi  dédit, 
Sic  prosecutus  :  «  Plus  non  habeo  mehercule  ! 
Sed  unde  accipere  possis,  monstrabo  tibi.  5 

Venit  ecce  dives  et  potens  ;  huic  similiter 
Impinge  lapidem,  et  dignum  accipies  preemium.  » 
Persuasus  ille  fecit  quod  monitus  fuit. 
Sed  spes  fefellit  impudentem  audaciam  ; 
Comprensus  namque  pœnas  persolvit  cruce.  <0 

FABULA  V. 

irUSCA   ET  MULA. 

Musca  in  temone  sedit,  et  Mulam  increpans  : 

ff  Quam  tarda  es  !  inquit  :  non  vis  citius  progredi  ? 

Vide  ne  dolone  coDum  compungam  tibi.  » 

FABLE  IV. 

ÉSOPE    ET  l'insolent. 

Le  snccès  entraîne  bien  des  gens  à  leur  perte. 

Un  insolent  avait  lancé  une  pierre  à  Ésope  :  «  Tu  es  trop  bon ,  i» 
lui  dit-il ,  et  il  lui  donna  un  as  ;  puis  il  ajouta  :  «  J'en  jure  par  Her- 
cule ,  je  n'ai  pas  plus  ;  mais  je  vais  t'indiquer  quelqu'un  qui  pourra 
te  donner  davantage.  Vois-tu  venir  cet  homme  riche  et  puissant  V 
jette-lui ,  comme  à  moi,  une  pierre,  et  tu  seras  dignement  récom- 
pensé. L'autre  se  laisse  persuader,  et  suit  le  conseil.  Mais  l'événe- 
ment trompa  son  impudente  audace  ;  on  l'arrêta,  et  il  fut  puni  du 
supplice  de  la  croix. 

FABLE  V. 

LA    MOUCHE    ET   LA    MULB. 

Une  mouche  se  posa  sur  le  timon  d'un  char,  et ,  gonrmandant  la 
mule  :  «  Que  tu  es  lente  !  lui  dit-elle  ,  ne  veux-tu  pas  marcher  plus 
TJte?  Marche,  ou  je  te  perce  le  cou  de  mon  aiguillon.  —  Je  ti« 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVRE    IIL 


83 


FABULA  IV. 

aSOPUS    ET    TETULANS. 

Successus  devocat 
multos  ad  perniciem. 

Quidam  petulans 
impegeratlapidem  iEsopo, 
«  Tanto  melior,  »  inquit. 
Deinde  dédit  illi  assem , 
prosecutus  sic  : 
«  Non  habeo  plus 
niehercule  ! 
sed  monstrabo  tibi 
rmde  possis  accîpere 
Ecce  dives  et  potens  venit; 
impinge  huic  similiter 

lapidem,  etaccipies 

prsemium  dignum.  »  ' 

Ille  persuasus 

fecit  quod  monitus  fuit , 

sed  spes  fefellit 

audaciam  impudentem  ; 

namque  comprensiis 

persolvit  pœnas 

cruce. 


FABLE  IV. 

ÉSOPE   ET    UN   INSOLENT. 

Le  succès  appelle-en -bas  (  précipite  ) 
beaucoup  de  gens  à  leur  perte. 

Un-certain  insolent 
avait  jeté  une  pierre  à  Esope. 
«  Tu  en  es  d'autant  meilleur,  »  dit-il. 
Puis  il  donna  à  lui  un  as  , 
ayant  poursuivi  (poursuivant)  ainsi  : 
«  Je  n'ai  pas  davantage 
par-Hercule  ! 

mais  je  vais-montrer  à  toi 
d'où  (de  qui)  tu  puisses  recevoir  plus. 
Voilà-qu'un/iommericheetpuissant  vient; 
jette  lui  pareillement 
une  pierre,  et  tu  recevras 
une  récompense  digne.  » 
Celui-là  persuadé 
fit  ce-à-quoi  il  avait  été  engagé, 
mais  l'espérance  trompa 
so-n  audace  impudente  ; 
car  saisi 

il  paya  des  peines  (  fut  puni  ) 
par  le  supplice  de  la  croix. 


FABULA  V. 

MUSCA  ET    MULA. 

Musca  sedit  in  temone, 
et ,  increpans  mulam  : 
«  Quam  es  tarda  !  inquit  ; 
non  vis  progredi  citius? 
Vide  ne  compungam  tibi 
collum  dolone.  » 


FABLE  V. 

LA  MOUCHE   ET   LA  MULE. 

Une  mouche  se-posa  sur  un  timon , 
et,  gourmandact  la  mule  : 
«  Que  tu  es  lente  !  dit-elle  ; 
ne  veux-tu  pas  avancer  plus-vite  ? 
Vois  (prends-garde)  que  je  ne  pique  à  loi 
le  cou  avec  mon  aiguillon.  » 


84  PH/EDRI   FAB.    LIBER   III. 

Respondit  illa  :  a  Verbis  non  moveor  tuis  ; 

Sed  istum  timeo,  sella  qui  prima  sedens  5 

.lugum  flagello  tempérât  lento  meum, 

Et  ora  frenis  continet  spumantibus. 

Quapropter  aufer  frivolam  insolentiam  : 

Nam  ubi  strigandum ,  et  ubi  currendum  sit ,  scie.  » 

Hac  derideri  fabula  merito  potest  40 

Qui  sine  virtute  vanas  exercet  minas. 

FABULA  VI. 

CANIS   ET   LUPUS. 

Quam  dulcis  sit  libertas ,  breviter  proloquar. 

Cani  perpasto  macie  confectus  Lupus 
Forte  occurrit  ;  salutantes  dein  invicem 
Ut  restiterunt  :  «  Unde  sic,  quaeso,  nites? 
Aut  quo  cibo  fecisti  tantum  corporis  ?  5 

Ego ,  qui  sum  longe  fortior,  pereo  famé.  » 
Canis  simpliciter  :  «  Eadem  est  conditio  tibi , 


m'émeus  point  de  tes  paroles ,  lui  répondit  la  mule  ;  mais  je  crains 
cet  homme  assis  sur  le  siège  de  devant,  qui,  armé  du  fouet  flexible, 
me  gouverne  sous  le  joug  ,  et  retient  ma  bouche  à  l'aide  du  frein 
que  je  couvre  d'écume.  Laisse  donc  là  cette  vaine  insolence  :  je  sais 
quand  il  faut  m'arrêter  et  quand  je  dois  courir.  » 

Cette  fable  peut  servir  à  tourner  en  ridicule  ceux  dont  l'impuis- 
sance s'emporte  en  vaines  menaces. 

FABLE   VL 

LE   CHIEN   ET   LE    LOUP. 

Je  dirai  en  peu  de  mots  combien  la  liberté  est  douce. 

Un  loup  d'une  excessive  maigreur  rencontra  par  hasard  tm  chien 
gras  et  replet.  Après  avoir  échangé  avec  lui  un  salut ,  il  l'aborde  : 
*  D'où  te  vient,  je  te  prit,  cette  santé  brillante,  lui  dit-il ,  et  quelle 
chère  t'a  donné  ce  merveilleux  embonpoint  ?  Moi  qui  suis  beau 
coup  plus  fort,  je  meurs  de  faim.  —  Tu  peux  jouir  des  mêmes  avan- 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


85 


Illa  respondit  : 

«  Non  moveor  tuis  verbis  ; 

sed  timeo  istum 

qui,  sedens  sella  prima, 

tempérât  meum  jugum 

flagelle  ieuto, 

et  continet  ora 

frcBis  spumantibus. 

Quapr  opter  au  fer 

insolentiam  frivolam; 

nam  scio  ubi  strigandum  , 

3t  ubi  currendum  sit.  » 

Qui  sine  virtute 
€xercet  vanas  minas, 
potest  merito 
derideri  bac  fabula. 


L'autre  lui  répondit  : 

«  Je  ne  suis  pas  touchée  de  tes  parole»  ; 

mais  je  crains  celui-là 

qui ,  assis  sur  le  siège  de-dovant , 

gouverne  mon  joug 

avec  son  fouet  flexible, 

et  contient  ma  boucbe 

avec  le  frein  couvert-d'écume. 

C'est  pourquoi  emporte  (va-t'en  avec) 

ton  arrogance  frivole  ; 

car  je  sais  où  il  faut  m'arrêter, 

et  où  il  faut  courir.  » 

Celui-qui  étant  sans  courage 
exerce  (se  livre  à)  de  vaines  menaces , 
peut  à-bon-droit 
être  raillé  par  cette  fable. 


FABULA  VI. 


FABLE  VL 


CANIÇ   ET   LUPUS. 


LE    CHIEN    ET    LE   LOUP. 


Proloquar  breviter 
quam  libertas  sit  dulcis. 

Lupus  confectus  macie 
occurrit  forte 
cani  perpasto  ; 
dein  salutantes  invicem 
ut  restiterunt  : 
«  Unde,  quaeso, 
nites  sic  ? 
aut  quo  cibo 
fedsti  tantum  corporis? 
Ego,  qui  sum longe  fortior, 
pereo  famé.  » 
Canis  simpliciter  : 
«  Eadem  conditio  est  tibi , 


Je  dirai  brièvement 
combien  la  liberté  est  douce 
Un  loup  accablé  de  maigreur 
vint-à-rencontre  par  hasard 
à  un  chien  bien-nourri  ; 
puis  se  saluant  mutuellement 
quand  ils-se-furent-arrêtés  : 
«  D'où  vient,  je  te  le  demande, 
que  tu  brilles  ainsi  d'embonpoint? 
ou  par  (avec)  quelle  nourriture 
as-tu  fait  (pris)  tant  de  corps? 
Moi,  qui  suis  beaucoup  plus-fort, 
je  meurs  de  faim.  » 
Le  chien  répond  naïvement  : 
«  La  même  condition  est  possible  à  toi. 


6 


FH^DRI   FAB.    LIRER    Uf. 


Praestare  domino  si  par  officium  potes. 

—  Quod?  inquit  ille.  —  Custos  ut  sis  liminis, 

A  furibus  tuearis  et  ncctu  domum.  40 

—  Ego  vero  sum  paratus  :  nunc  patior  nives 
Imbresque  ,  in  silvis  asperam  vitam  trahens  ; 
Quanto  est  facilius  mihi  sub  tecto  vivere, 

Et  otiosum  largo  satiari  cibo  ! 

—  Veni  ergo  mecum.  »  Dum  procedunt,  adspicit  lo 
Lupus  a  catena  coUum  detritum  Cani  : 

t  Unde  hoc,  amice?  —  Niliil  est.  —  Die,  quaeso ,  tamen. 

—  Quia  videor  acer,  alligant  me  interdiu, 

Luce  ut  quiescam,  et  vigilem  nox  quum  venerit  : 
Crepusculo  solutus,  qua  visum  est  vagor.  20 

Affertur  ultro  panis  ;  de  mensa  sua 
Dat  ossa  dominus,  frusta  jactat  familia, 
Et  quod  fastidit  quisque  pulmentarium. 
Sic  sine  labore  venter  impletur  meus. 

—  Age,  si  quo  abire  est  animus,  est  licentia  ?  25 

—  Non  plane  est,  inquit.  —  Fruere  quae  laudas,  Canis, 
Regnare  nolo ,  liber  ut  non  sim  mihi. 

lages ,  dit  naïvement  le  chien ,  si  tu  consens  à  rendre  à  nn  maître 
jos  mêmes  services  que  moi.  —  Quels  sont-ils?  —  Être  le  gardien 
'.e  la  porte  ,  et,  la  nuit ,  défendre  la  maison  contre  les  voleurs.  — 
Me  voilà  tout  prêt  :  maintenant  je  souflFre  la  neige  et  la  pluie,  et  je 
Ti-aîne  au  fond  des  bois  une  vie  misérable;  qu'il  me  sera  bien  plus 
^'acile  de  vivre  à  l'abri  sous  un  toit,  et  de  me  rassasier  à  loisir  d'une 
abondante  nourriture  !  —  Viens  donc  avec  moi.  »  Chemin  faisant , 
e  loup  vit  le  cou  du  chien  pelé  par  le  frottement  de  la  chaîne: 
î  Ami,  qu'est  cela? — Rien. —  Mais  encore? — Comme  on  me  trouve 
vif,  on  m'attache  pendant  la  journée,  pour  que  je  dorme  le  jour,  et 
que  je  veille  sitôt  la  nuit  venue;  le  soir,  on  me  détache,  et  je  cours 
)ù  bon  me  semble.  Alors  on  m'apporte  du  pain  ;  le  maître  me  donne 
les  os  de  sa  table  ;  les  valets  me  jettent  de  bons  morceaux,  et  m'a- 
bandonnent les  ragoûts  dont  ils  ne  veulent  plus.  C'est  ainsi  que  sans 
fatigue  je  me  remplis  le  ventre. — Mais  ne  saurais-tu  sortir,  s'il  t'en 
prend  fantaisie?  —  Pas  toujours.  —  Jouis  donc  seul  des  biens  que 
tu  me  vantes  ;  je  ne  voudrais  même  pas  d'un  royaume ,  au  prix  de 
ua  Ii'.)crî''.  » 


FABLES  DE  PHÈDRE.    LIVRE   IlL 


87 


si  potes  praestare  domino 
officium  par. 

—  Quod?  inquit  ille. 

—  Ut  sis  custos  liminis, 
et  tuearis  noctu 
domum  a  furibus. 

—  Ego  vero  sum  paratus 
Bunc  patior  nives 
imbresque, 

trahens  in  silvis 
vitam  asperam  ; 
quanto  est  facilius  mihi 
vivere  sub  tecto, 
et  satiari  otiosum 
cibo  largo! 

— Veni  ergo  mecum.  » 
Dum  procedunt, 
lupus  adspicit  collum 
detritum  cani  a  catena  : 
€  Unde  hoc,  amice? 

—  Est  nihil. 

—  Die  tamen,  quaeso. 
— Quia  videor  acer, 
alligant  me  interdiu, 
at  quiescam  luce, 

et  rigilem 
quum  nox  venerit  : 
solutus  crepusculo, 
vagor  qua  visum  est. 
Panis  aflfsrtur  ultro  ; 
dominus  dat  ossa 
de  sua  mensa, 
familia  jactat  frusta, 
et  pulmentarium 
quod  quisque  fastidit. 
Sic  sine  labore 
meus  venter  impletur. 

—  Age,  si  animus  est 
abire  quo, 

licentia  est? 

—  Non  est  plane,  inquit. 

—  Fruere 

quas  laudas,  canis; 
nolo  regnare, 
ut  non  sim 
liber  mihi.  » 


si  tu  peux  rendre  à  un  maître 

un  .«ervice  égal  à  celui  que  je  rends. 

—  Quel  service?  dit  celui-là  (le  loup). 

—  Que  tu  sois  le  gardien  du  seuil, 
et  que  tu  défendes  pendant-la-nuit 
la  maison  contre  les  voleurs. 

—  Moi  en-vérité  je  suis  prêt  ; 
maintenant  je  souflFre  les  neiges 
et  les  pluies , 

traînant  dans  les  forêts 

une  vie  rude; 

combien  est-il  plus-facile  à  moi 

de  vivre  sous  un  toit, 

et  de  me-rassasier  oisif 

d'une  nourriture  copieuse  ! 

—  Viens  donc  avec-moi.  » 
Pendant  qu'ils  avancent  (cheminent), 
le  loup  voit  le  cou 

usé  (pelé)  au  chien  par  la  chaîne  : 
«  D'où  vient  ceci,  mon  ami? 

—  Ce  n'est  rien. 

—  Dis  le-moi  cependant,  je  te  prie. 
— Comme  je  parais  vif, 

on  attache  moi  pendant  le  jour, 

afin  que  je  repose  pendant-le-jour, 

et  que  je  veille 

quand  la  nuit  sera  (est)  venue  : 

délié  au  crépuscule, 

j'erre  par-«ou^où  il-a-paru-bon  à  mot. 

Du  pain  m'est  apporté  spontanément  ; 

le  maître  me  donne  des  os 

de  sa  table,  [cearjr, 

la  troupe-des-esclaves  me  jette  des  mor- 

et  le  ragoût 

que  chacun  dédaigne. 

C'est  ainsi  que  sans  aucun  travail 

mon  ventre  s'emplit. 

—  Eh-bien!  si  l'intention  est  à-toi 
de  t'en  aller  quelque-part , 

la  liberté  de  le  faire  est-elle  à  toi? 

—  Elle  n'y  est  pas  tout-à-fait,  dit  Zec/iî'en. 

—  Jouis 

de  ce -que  tu  loues,  chien; 

je  ne  veux  pas  être-roi, 

à-condition-que  je  ne  sois  pas 

libre  pour  moi  (libre  de  ma  personne).» 


88  PILEDRI   FAB.    LIBER  III. 

FABULA  VII. 

FBATEB   ET   SOBOB. 

Praecepto  monitus,  saepe  te  considéra. 

Habebat  quidam  filiam  turpissimam  , 
Idemque  insignem  pulchra  facie  filium. 
Hi  spéculum,  in  cathedra  matris  ut  positum  fuit, 
Pueriliter  ludentes,  forte  inspexerant.  5 

Hic  se  formosum  jactat  ;  illa  irascitur, 
Nec  gloriantis  sustinet  fratris  jocos, 
Accipiens  (quid  enim  ?)  cuncta  in  contumeliam. 
Ergo  ad  patrem  decurrit,  laesura  invicem, 
Magnaque  invidia  criminatur  filium ,  10 

Vir  natus  quod  rem  feminarum  tetigerit. 
Amplexus  ille  utrumque ,  et  carpens  oscula, 
Dulcemque  in  ambos  caritatem  partiens  : 
a  Quotidie,  inquit,  speculo  vos  uti  volo  ; 
Tu ,  formam  ne  corrumpas  nequitiae  malis ,  <  5 

Tu,  faciem  ut  istam  moribus  vincas  bonis.  » 

FABLE  VIL 

LE   FBÈBE   ET   LA   SŒUE. 

Averti  par  cet  exemple  ,  examine-toi  souvent. 

Un  homme  avait  une  fille  d'une  laideur  aflreuse ,  et  un  fils  d'une 
beauté  remarquable.  Ces  enfants  en  jouant  aperçurent  par  hasard 
un  miroir  placé  sur  la  chaise  de  leur  mère.  Aussitôt  le  jeune  homme 
de  vanter  sa  beauté  ;  sa  sœur,  ne  pouvant  supporter  ce  badinage  et 
cette  vanité  ,  se  met  en  colère.  Pouvait-il  en  être  autrement  ?  toutes 
ses  paroles  lui  semblaient  autant  d'injures.  Elle  court  auprès  de  son 
père  pour  se  venger,  et ,  dans  la  violence  de  son  dépit,  elle  repro- 
che à  son  frère  d'avoir,  lui  garçon ,  touché  à  un  meuble  de  femme. 
Le  père  les  prend  l'tm  et  l'autre  dans  ses  bras  ,  les  couvre  d« 
baisers ,  et ,  leur  partageant  également  ses  douces  caresses  :  «  Je 
veux,  leur  dit-il,  que  vous  vous  regardiez  chaque  jour  dans  ce  mi 
roir  ;  toi,  mon  fils,  pour  ne  pas  laisser  souiller  ta  beauté  par  la  lai 
deur  du  vice  ;  et  toi ,  ma  fille,  pour  racheter  par  de  bonnes  qualité» 
^es  attraits  qui  te  manquent.  » 


FABLES  DE  PHÈDRE,    LIVRE   Hl. 


89 


FABULA  VIL 

FRATEE  ET   SOKOS. 

Monitus  prjEcepto, 
considéra  te  saepe. 

Quidam  habebat 
filiam  tarpissimam, 
idemque  filitun 
insignem  pulchra  facie. 
Hi  ludentes  pueriliter. 
inspexerant  forte 
spectalum , 
ut  positum  fuit 
in  cathedra  matris. 
Hic  jactat  se  formosum; 
illa  irascitur, 
nec  sustinet  jocos 
fratris  gloriantis, 
accipiens  (quidenim?) 
cuncta  in  contumeliam. 
Ergo  decurrit  ad  patrem, 
lîBsura  inricem , 
magnaque  invidia 
criminatur  filium 
quod,  natus  vir, 
tetigerit  rem  feminarum. 
nie  amplexus  utrumque , 
et  carpens  oscula, 
partiensque  in  ambos 
caritatem  dulcem  : 
«  "Volo,  inquit, 
vos  uti  speculo 
quotidie , 

tu,  ne  corrumpas  formam 
malis  nequitiœ, 
tu,  ut  vincasistam  faciem 
bonis  moribus.  » 


FABLE  VIL 

LE    FRÈRE   ET   LA  SŒTTR. 

Averti  par  ce  précepte, 
considère  toi  souvent. 

Quelqu'un  avait 
une  fille  très-laide  , 
et  le  même  homme  avait  un  fils 
remarquable  par  son  beau  visage. 
Ceux-ci  en-jouant  comme-des-enfants , 
avaient  mi  par-hasard 
un  miroir, 
comme  il  était  placé 
sur  le  siège  de  leur  mère. 
Celui-ci  vante  soi  d'être  beau; 
celle-là  se-fâche, 
et-ne  peut-supporter  les  railleries 
de  son  frère  se-glorifiant, 
recevant   car  quoi  de  plus  naturel  ?) 
tout  en  manière  d'affront. 
En-conséquence  elle  court  vers  le  père, 
devant-affliger  son  frère  à-ion-tour, 
et  avec  un  grand  dépit 
elle  accuse  le  fils 
de  ce  que  ,  né  garçon  , 
il  a  touché  un  meuble  de  femmes. 
Celui-là  ayant  embrassé  l'un-et-l'autre  . 
et  cueillant  des  baisers, 
et  partageant  à  eux  tous-deux 
sa  tendresas  douce  : 
«  Je  veux,  dit- il, 
vous  vous-servir  du  miroir 
tous  les  jours, 

toi,  pour  que  tu  ne  ternisses  pas  ta  beauté 
par  les  maux  de  la  méchanceté, 
et  toi,  pour  que  tu  triomphes-de  ce  visage, 
par  de  bonnes  mœurs.  » 


90  PH^DRI    FAB.    LIBER  III. 

FABULA   VIII. 

80CRATES   DE   AMICIS- 

Vulgare  ami  ci  nomen,  sed  rara  est  fides*. 

Quum  parvas  aedes  sibi  fundasset  Socrates* 
(  Cujus  non  fugio  mortem,  si  famam  assequar, 
Et  cedo  invidiae,  dummodo  absolvar  cinis), 
E  populo  sic  nescio  quis ,  ut  fieri  solet  :  5 

«  Quaeso ,  tam  angustam  talis  vir  ponis  domura  ? 
—  Utinam,  inquit,  veris  hanc  amicis  impleam!  » 

FABULA  IX. 

VITIUM   EST   ET    OMNIStJS  CBEDERE  ,    ET   NULLI 

Periculosum  est  credere ,  et  non  credere. 
Utriusque  exemplum  breviier  exponam  rei. 
Hippolytus'  obiit,  quia  novercse  creditum  est; 
Gassandrae*  quia  non  creditum,  ruit  Ilium. 

FABLE  VIII. 

MOT    DE    SOCRATE   SUR    LES    A3II8. 

Le  nom  d'ami  est  commun,  mais  l'amitié  est  rare. 

Socrate  se  faisait  bâtir  une  petite  maison.  (Je  voudrais  acheter  une 
fin  comme  la  sienne  au  prix  de  sa  renommée,  et  être  la  victime  de 
l'envie,  pourvu  que  l'on  me  juge  innocent  après  ma  mort!  )  Un 
de  ces  éternels  critiques,  dont  je  ne  sais  pas  le  nom  ,  s'écria  :  «  Se 
peut-il  qu'un  tel  liomme  se  bâtisse  une  si  petite  maison  ?  —  Plaise 
au  ciel ,  répondit  Socrate  ,  que  je  la  remplisse  de  vrais  amis  !  » 

FABLE  IX. 

c'est  un  DÉFAUT  DE  CROIRE  TOUT  LB   MOKDE,  BT  DE  NB  CBOIEE 

PERSONNE. 

La  crédulité  est  chose  dangereuse ,  mais  l'incrédulité  ne  l'est  pas 
moins.  Je  citerai  brièvement  un  exemple  de  ces  deux  défauts.  Hip- 
pol^^e  périt  parce  qu'on  crut  sa  belle-mère ,  et  Troie  succomba  parce 
qu'on  n'écouta  pas  Cassandre.  Il  faut  donc  rechercher  bien  soifimeu- 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   IIL 


91 


FABULA  Vm. 


FABLE  vm. 


«OCRATES    DE    AMICI8. 

Nomen  amici  vulgare, 
Bed  fides  est  rara. 

Quum  Socrates 
cajns  non  fugio  mortem, 
Bi  asseqnar  famam , 
et  oedo  invidise, 
dummodo  cinîs  absolvar, 
fundasset  sibi 
jpanras  aedes, 
aescio  quis  e  populo, 
(Ut  solet  fieri, 
Isic  : 

•t  Quaeso,  talis  vir, 
ponis  domum 
tam  augustam  ? 
—  Utinam,  inquit,  [cis!» 
impleam  banc  veris  ami- 


SOCPvATE    SUR   LES   AMIS. 

Le  nom  d'ami  eit  commnn, 
mais  la  réalité  est  rare. 

Comme  Socrate, 
dont  je  ne  fuis  (crains;  pas  la  mort, 
si  je  peux-atteindre  à  sa  renommée. 
et  je  cède  à  l'envie, 

pourvu-que  cendre  (mort)  je  sois  absous, 
avait  posé-les-fon dations  pour  lui-même, 
d'une  petite  maison, 
je  ne  sais  qui  du  peuple, 
comme  il  a  coutume  d'arriver, 
parla  ainsi  : 

«  Comment,  je  cotAs  prie ,  roua  un  tel  homme, 
bâtissez-vous  une  maison 
81  étroite  ? 

—  Plaise-à-Dieu,  dit-il, 
que  j'emplisse  elle  de  vrais  amis  !  « 


FABULA  IK. 


FABLE  IX. 


Et  credese  omkibus  ,        Ex  croire  tous  les  hommes, 
ET  NULLi ,  ET  N'en  croire  aucun  , 

EST  TITIUM.  EST  également  un  DÉFAUT. 


Credere  et  non  credere 
est  periculosum. 
Exponam  breviter 
exemplum  utriusque  rei  : 
Hippolytus  obiit, 


Croire  et  ne  pas  croire 

est  dangereux. 

J'exposerai  brièvement 

un  exemple  de  l'une-et-l'autre  cliose  : 

Hippolyte  mourut, 
quia creditum est novercas ;    parce  qu'il-fut-ajouté-foi  à  sa  marâtre, 
nium  mit,  Ilion  croula, 

quia  non  creditum  parce  qu'il  ne  fut  pas  ajouté-foi 

CassandrsB.  à  Cassandre. 


92  PILEDRI   FAB.    LIBER  III. 

Ergo  exploranda  est  veritas  multum  prius 
Quam  stulte  prava  judicet  sententia. 
Sed  fabulosam  ne  vetastatem  élevés , 
Narrabo  tibi  memoria  quod  factum  est  mea. 
Maritus  quidam  quum  diligeret  conjugem, 
Togamque  puram  *  jam  pararet  filio  , 
Seductus  in  secretum  a  liberto  est  suo 
Sperante  heredem  suffici  se  proximum. 
Hic  quum  de  puero  multa  mentitus  foret, 
Et  plura  de  flagitiis  castae  mulieris , 
Tncensus  ille  falso  uxoris  crimine , 
Simulavit  iter  ad  villam,  clamque  in  oppido 
Subsedit  ;  deinde  noctu  subito  januam 
Intravit ,  recta  cubiculum  uxoris  petens , 
In  que  dormire  natum  mater  jusserat, 
iEtatem  adultam  servans  diligentius. 
Dum  quaerunt  lumen ,  dum  concursant  familia  ', 
Irae  furentis  impetum  non  sustinens , 
Ad  lectum  accedit,  tentât  in  tenebris  caput. 
Ut  sentit  tonsum*,  gladio  pectus  transigit, 


sèment  la  vérité,  pour  ne  point  porter  un  jugement  injuste  et  dén 
sonnable.  Mais  ,  afin  de  ne  point  aflFaibllr  ce  conseil  en  m'appuya 
BUT  des  traditions  fabuleuses,  je  vais  rappeler  un  fait  qui  s'est  pai 
de  mon  temps. 

Un  mari  qui  chérissait  tendrement  sa  femme ,  se  disposait  à  fai 
prendre  à  son  fils  la  robe  virile.  Son  affrancbi,  dans  l'espoir  d*ê( 
porté  comme  son  plus  proche  héritier,  le  tira  secrètement  à  part 
lui  débita  force  mensonges  sur  son  fils ,  et  sur  la  conduite  scand 
leuse  de  sa  pudique  épouse.  Irrité  par  ces  fausses  imputations, 
mari  simule  un  voyage  à  sa  maison  des  champs,  et  s'arrête  secrèl 
ment  dans  la  ville.  La  nuit  venue,  il  rentre  tout  à  coup  chez  lui, 
va  droit  à  l'appartement  de  sa  femme,  où  son  fils  reposait  par  IV 
dre  de  sa  mère,  qui  voulait  veiller  de  plus  près  sur  sa  jeunesse.  Ta 
dis  qu'on  cherche  de  la  lumière ,  que  les  valets  s'empressent ,  Iil 
ne  pouvant  contenir  la  colère  qui  bouillonne  dans  son  sein,  s'appi 
che  du  lit,  et  dans  les  ténèbres  sa  main  rencontre  une  tête.  Usent  ) 
cheveux  courts  d'un  homme  ;  il  ne  songe  qu'à  venger  son  outrag' 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   III. 


93 


rgo  ventas 
':ploranda  est  multmn , 

iusquam  sententia  stulta 

.dicet  prave. 

îd  ne  élevés 
itustatem  fabulosam, 
jirrabo  tibi  quod  factum  est 

ea  memoria. 

Quum  quidam  maritus 
j:ligeret  conjugem , 
jiraretque  jam 
i)gam  puram  filio , 
lîductus  est  in  secretum 

suo  liberto 
Derante  se  suffici 
eredem  proximum. 
Juum  hic  mentitus  foret 
lulta  de  puero, 
t  plnra  de  flagitiis 
lulieris  castse, 
Lie  incensus 
rimine  falso  tixoris, 
îmulavit  iter  ad  villam , 
ubseditqueclamin  oppido: 
einde  intravit  subito 
lOCtii  januam  , 
etens  recta 
ubiculum  uxoris, 
a  quo  mater 
Qsserat  natum  dormire, 
ervans  diligentius 
îtatem  adultam. 
>um  quaerunt  lumen , 
ium  familia 
îoncursant , 

ion  sustinens  impetum 
rae  furentis, 
iccedit  ad  lectum, 
«ntat  caput  in  tenebris. 
Ut  sentit  tonsum, 
ransigit  pectus  gladio, 


Ainsi-donc  la  vérité 

doit  être  examinée  beaucoup, 

avant-qu'une  sentence  folle 

juge  de-travers. 

Mais  de-peur-que  tu  ne  déprécies 

l'antiquité  fabuleuse  de  ces  deux  fait», 

je  raconterai  à  toi  un  fait  qui  est  arrivé 

de  mon  souvenir  (de  mon  temps\ 

Comme  un  mari 
chérissait  son  épouse, 
et  préparait  déjà 

la  robe  toute-blanche  (virile)  à  son  fils, 
il  fut  tiré-à-l'écart  dans  un  iieu-secret 
par  son  afiFranchi 
espérant  soi  être-substitué 
héritier  le-plus-proche  de  son  maître. 
Après  que  celui-là  eut  dit-faussement 
beaucoup-de-choses  sur  l'enfant, 
et  plus  encore  touchant  les  désordres 
de  la  femme  chaste, 
celui-ci  l'époux)  enflammé  de  courroux 
par  le  crime  prétendu  de  son  épouse, 
feignit  un  voyage  à  sa  villa, 
et  demeura  secrètement  dans  la  ville  : 
puis  il  entra  soudain 
de- nuit  dans  sa  porte  (maison), 
gagnant  directement 
la  chambre  de  son  épouse, 
dans  laquelle  la  mère 
avait  ordonné  à  son  fils  de  dormir, 
voulant-veiller  avec-plus-de-soin 
sur  307»  âge  adulte. 

Pendant  qu'on  cherche  de  la  lumière, 
pendant  que  la  troupe-des-esclaves 
court-de-côté-et-  d' autre, 
ne  supportant  pas  l'impétuosité 
de  sa  colère  furieuse, 
il  s'approche   s'avance)  vers  le  lit, 
et  tâte  une  tête  dans  les  ténèbres. 
Dès  qu'il  la  sent  tondue, 
il  perce  la  poitrine  avec  ton  épée , 


94  PH^DRI   FAB.    LIBER  UL 

Nihil  respiciens ,  dum  dolorem  vindicet. 

Lucerna  allata,  simul  adspexit  filium, 

Sanctamque  uxorem  dormientem  cubiculo, 

Sopita  primo  quae  nil  somno  senserat; 

Repraesentavit  '  in  se  pœnam  facinoris, 

Et  ferro  incubuit,  quod  credulitas  strinxerat.  3 

Accusatores  postularunt  mulierem, 

Romamque  perlraxerunt  ad  centumviros  ". 

Maligna  insontem  deprimit  suspicio , 

Quod  bona  possideat.  Stant  patroni ,  fortiter 

Causam  tuentes  innocentis  feminae.  31 

A  divo  Augusto  tune  petiere  judices 

Ut  adjuvaret  jurisjurandi  fidem^, 

Quando  ipsos  error  implicuisset  criminis.  i 

Qui ,  postquanf  tenebras  dispulit  calumniae 

Certumque  fontem  veritatis  repperit  :  i( 

«  Luat,  inquit,  pœnas  causa  libertus  mali; 

Namque  orbam  nato  simul  et  privatam  viro, 

Miserandam  potius  quam  damnandam  existimo.  » 

Quod  si  delata  perscrutatus  crimina 

Paterfamilias  esset ,  si  mendacium  45 

Subtiliter  limasset ,  a  radicibiis 


et  plonge  son  épée  dans  le  corps  de  l'infortuné.  On  apporte  un  flam 
beau  :  il  voit  alors  couchés  dans  la  même  chambre  son  malheureux i 
fils  et  sa  chaste  épouse  qui,  plongée  dans  le  premier  sommeil,  n'a»; 
vait  rien  entendu.  Il  fait  lui-même  justice  de  son  crime ,  et  se  jettel 
sur  le  fer  que  sa  crédulité  lui  avait  mis  en  main.  Des  accusateurs  ci-' 
tèrent  cette  femme  devant  les  tribunaux,  et  la  traînèrent  à  Rome  de- 
vant les  centumvirs.  De  graves  soupçons  pèsent  sur  l'innocente , 
parce  qu'elle  doit  entrer  en  possession  des  biens.  Auprès  d'elle  sa 
tiennent  ses  défenseurs,  qui  plaident  avec  force  la  cause  de  Tinno- 
cence.  Les  juges,  que  l'obscurité  de  cette  affaire  embarrassait, 
prièrent  Auguste  d'éclairer  dans  ce  jugement  leur  conscience.  Ce 
prince,  après  avoir  dissipé  les  ténèbres  de  la  calomnie,  et  découvert 
la  source  de  la  vérité ,  rendit  cette  sentence  :  «  Que  l'affranchi,  cause 
de  tant  de  maux,  en  subisse  le  châtiment.  Quant  à  cette  femme  , 
privée  de  son  fils  et  veuve  de  son  mari,  je  la  crois  plus  digne  de  pi- 
tié que  de  punition.  »  Si  le  chef  de  cette  famille  eût  examiné  scrupu- 
leusement les  rapports  qu'on  lui  fit ,  s'il  eût  regardé  de  près  ces  sug- 


J 


FABLlsS   Di:    i'IîÈDRË.    LIVRE   III. 


95 


rcspicieus  nihil, 

dum  vindicet  dolorem. 

Lucerna  allata, 

simul  adspexit  filium  , 

aanctamque  uxorem 

donnientem  cubiculo, 

qnœ  sopita 

primo  somno 

senserat  nil, 

repraesentavit  in  se 

pœnam  facinoris, 

et  incubuit  ferro 

quod  credulitas  strinxerat. 

Accusatores 

postularunt  mulierem , 

pertraxeruntque  Romam 

ad  centumviros. 

Suspicio  maligna 

deprimit  insontem , 

quod  possideat  bona. 

Patroni  stant, 

tuentes  fortiter 

causam  feminse  innocentis. 

Tune  judices 

petiere  a  divo  Auguste 

ut  adjuvaret 

fîdem  jurisjurandi , 

quando  error 

criminis 

implicuisset  ipsos. 

Qui  postquam  dispulit 

tenebras  calumniœ, 

repperitque  fontem  certum 

veritatis  : 

«  Libertus,  inquit, 

causa  mali 

luat  pœnas  : 

namque  existimo 

orbam  nato 

et  simul  privatam  viro 

potius  miserandam 

quam  damnandam.  » 

Quod  si  patcrfamilias 

perscrutatus  esset 

crimina  delata, 

si  liraasset  subtiliter 

mendacium, 


ne  regardant  rien, 

pourvu  qu'il  venge  sa  douleur. 

Un  flambeau  ayant  été  apporté, 

aussitôt  qu'il  aperçut  son  fils  , 

et  sa  chaste  épouse 

dormant  dans  la  chambre , 

laquelle  épouse  assoupie 

dans  son  premier  sommeil 

n'avait  senti  rien, 

il  appliqua-d'avance  à  soi 

le  châtiment  de  son  crime, 

et  sc-jeta-sur  le  fer 

que  sa  crédulité  avait  saisi. 

Des  accusateurs 

citèrent  la  femme, 

et  la  traînèrent  à  Rome 

devant  les  centumvirs. 

Un  soupçon  méchant   funeste) 

accable  l'innocente, 

parce  qu'ellepossède  les  biens  de  son  man. 

Les  avocats  sont-debout  (sont  fermes;, 

défendant  chaleureusement 

la  cause  de  cette  femme  innocente. 

Alors  les  juges 

demandèrent  au  divin  Auguste 

qu'il  aidât  de  ses  lumières 
la  foi  de  leur  serment, 

puisque  l'erreur  (l'incertitude 

de  cette  accusation 

avait  embarrassé  eux-mêmes. 

Celui-ci,  après  qu'il  eut  écarté  (dissipé) 

les  ténèbres  de  la  calomnie, 

et  eut  découvert  la  source  certains 

de  la  vérité  : 

«  Que  l'affranchi,  dit-il, 

cause  de  ce  malheur 

paie  des  peines  (ooit  puni)  : 

car  je  pense 

cette  femme  privée  de  son  fils 

et  en-mème-temps  veuve  de  son  mari 

être  plutôt  à-plaindre 

qu'à-condamner.  » 

Que  si  le  père-de- famille  (chef-de-mai- c'- 
avait examiné-à-fond 

les  accusations  portées, 

s'il  avait  limé  (éclairci)  avec-adresso 

le  mensonge  ^ 


96  PHiEDRI   FAB.    LIBER  III. 

Non  evertisset  scelere  funesto  domum. 

Nil  spernat  auris ,  nec  tamen  credat  statim , 
Quandoquidem  et  illi  peccant  quos  minime  putes; 
Et  qui  non  peccant  impugnantur  fraudibus.  50 

Hoc  admonere  simplices  etiam  potest 
Opinione  alterius  ne  quid  pondèrent  : 
Àmbitio  namque  dissidens  mortalium  * 
Aîft  gratiae  subscribif,  aut  odio  suo. 
Erit  ille  notus  quem  per  te  cognoveris.  55 

Haec  exsecutus  sum  propterea  pluribus , 
Brevitate  nimia  quoniam  quosdam  offendimus. 

FABULA  X. 

FULLUS    AD   HÀBGABITAM. 

In  sterculino  Pullus  gallinaceus , 

Dum  quaerit  escam ,  Margaritam  repperit  : 

•i  Jaces  indigne  quanta  res ,  inquit ,  loco  l 

gestions  mensongères ,  il  n'aurait  pas  détruit  à  tout  jamais  sa  mai- 
son par  ce  crime  horrible. 

Que  votre  oreille  ne  méprise  aucun  bruit  ;  mais  n'y  ajoutez  pas 
sur-le-champ  foi  entière  :  car  souvent  ceux-là  faillissent,  dont  vous 
vous  défiez  le  moins,  et  les  innocents  sont  en  butte  à  d'odieuses 
imputations. 

Ce  récit  peut  encore  apprendre  aux  personnes  trop  simples ,  à 
ne  point  se  régler  sur  l'opinion  des  autres;  car  la  passion  est 
inconstante,  et  ne  laisse  écouter  aux  hommes  que  la  faveur  ou  le  res- 
sentiment. On  ne  connaît  un  homme  qu'après  l'avoir  étudié  par  soi  - 
même. 

J'ai  traité  ce  sujet  un  peu  plus  longuement ,  parce  que  ma  trop 
grande  brièveté  a  déplu  à  quelques-uns  de  mes  lecteurs. 

FABLE  X. 

LB   JEUNE   COQ   ET   LA   PEBLE. 

Un  jeane  coq  en  cherchant  sa  nourriture  sur  un  fumier  y  trouva 
une  perîe  :  «  Précieux  objet ,  lui  dit-il ,  te  voilà  dans  un  lieu  bien 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LITRE  III. 


97 


non  evertiiSet  domnm 
a  radicibus 
scelere  funesto. 

Auris  spernat  nihil, 
nec  credat  tamen  statim  ; 
quandoquidem 
et  illi  peccant 
quos  putes  minime, 
et  qui  non  peccant 
impugnantur  fraudibus. 
Hoc  potest  etiam 
admonere  simplices 
ne  pondèrent  quid 

opinione  alterius  ; 

namque  ambitio  mortalium 

dissidens 

subscribit  aut  gratiœ, 

aut  suo  odio. 

Ille  quem  cognoveris  per  te 

erit  notus. 

Exsecutus  sum  hœc 

pluribus, 

propterea,  quoniam 

offendimus  quosdam 

nimia  brevitate. 


il  n'eût  pas  détruit  sa  maison 
depuis  les  racines  (fondements) 
par  un  crime  funeste. 

Que  l'oreille  ne  méprise  rien, 
et  qu'elle  ne  croie  pas  pourtant  aussitôt; 
puisque 

et  ceux-là  pèchent 
que  vous  penseriez  le  moins  pécher, 
et  que  ceux-qui  ne  pèchent  pas 
sont  attaqués  par  des  fraudes. 
Ceci  peut  encore 

avertir  les  gens  simples 

qu'ils  ne  pèsent  pas  quelque-chose 

d'après  l'opinion  d' autrui  ; 

car  la  partialité  des  mortels 

en-àésaccord-avec-elle-méme 

souscrit  ou  à  la  faveur, 

ou  à  sa  haine. 

Celui  que  tu  auras  connu  par  toi-même 

ceîui-là-seul  sera  connu  de  toi. 

J'ai  exécuté  (traité)  ce  sujet 

en  plus  de  vers, 

pour-cela,  parceque 

nous  avons  choqué  quelques  personnei 

par  notre  trop-grande  brièveté. 


FABULA  X. 


FABLE  X. 


PDLLUS  AD  MARGABITAM. 


LE  POULET  A  LA  PEELE. 


Pullus  gallinaceus , 
dum  quœrit  escam , 
repperit  margaritam 
in  stercuUno  : 
«  Quanta  res,  inquit, 
jaces  loco  indigno  ! 

Fables  de  Phèdre. 


Un  petit  de-poule, 
pendant  qu'il  cherche  sa  nourriture, 
trouva  une  perle 
dans  un  fumier  : 

«  Quelle-grande  chose  e'iant,  dit-il, 
tu  ^s  en  lieu  indigne  de  loi  ! 


98  PHJEDRI   FAB.    LIBER  UI. 

Te  si  quis  pretii  cupidus  vidisset  tui , 

Olim  redisses  ad  splendorem  pristinum.  5 

Ego  qui  te  inveni,  potior  cui  multo  est  cibus  , 
Nec  tibi  prodesse  ,  nec  tu  mihi  quidquam  potes.  » 
Hoc  illis  narro  qui  me  non  intelligunt. 

FABULA  XI 

APES   ET   FUCI,    VE8PA   JUDICE. 

Apes  in  alta  quercu  fecerant  favos; 

Hos  Fuci  inertes  esse  dicebant  suos. 

Lis  ad  forum  deducta  est ,  Vespa  judice. 

Quae  genus  utrumque  nosset  quum  pulcherrime, 

Legem  »  duabus  hanc  proposuit  partibus  :  5 

«  Non  inconveniens  corpus  et  par  est  color  , 

In  dubium  plane  res  ut  merito  venerit  : 

Sed ,  ne  religio  peccet  imprudens  mea , 

Alveos  accipite ,  et  ceris  opus  infundite , 

Ut  ex  sapore  mellis  et  forma  favi ,  40 

De  quis  nunc  agitur ,  auctor  horum  appareat   » 

indigne  de  toi  !  Si  quelque  avide  connaisseur  t'avait  aperçu ,  tu 
aurais  eu  bientôt  recouvré  ton  ancienne  splendeur.  Peur  moi  qui  t'ai 
trouvé,  le  moindre  aliment  me  serait  bien  préférable;  je  ne  puis 
t'être  utile ,  et  tu  ne  peux  me  servir  à  rien.  » 

J'écris  cette  fable  pour  ceux  qui  ne  me  comprennent  pas. 

FABLE  XL 

LB8  ABEILLES    ET  LES   BOURDONS   AU   TBIBUNAL   DE   LA    GUÊPE. 

Des  abeilles  avaient  déposé  leurs  rayons  sur  le  haut  d'un  chêne  ; 
des  bourdons  paresseux  prétendaient  qu'ils  leur  appartenaient.  L'af- 
faire est  portée  en  justice,  et  la  guêpe  prise  pour  juge.  Comme  elle 
connaissait  parfaitement  les  deux  parties ,  elle  leur  proposa  cet  ar- 
rangement :  «  Votre  corps  n'offre  que  peu  de  différence  ,  votre  cou- 
leur est  la  même  ;  en  sorte  que  cette  affaire  ne  présente  qu'incertitude  ; 
mais  potir  éclairer  la  religion  de  votre  juge ,  prenez  des  rayons,  faites 
couler  le  miel  dans  des  alvéoles  de  cire  ;  à  la  saveur  du  miel  et  à  la 
forme  des  rayons  nous  reconnaîtrons  l'auteur  de  ceux  qui  font  l'objet 


FABLES  DE   PHÈDRE.    LIVRE   III. 


99 


■Si  quis  cupidus  tui  pretii 
vidisset  te, 
redisses  oJim 
ad  splendorem  pristinum. 
Ego  qui  inveni  te, 
eui  cibus 
est  multo  potior, 
nec  prodesse  tibi, 
nec  tu  potes 
quidquam  milii.  » 
Narro  hoc  iliis 
qui  non  intelligunt  me. 

FABULA  XI. 

APES       ET      mCI , 
VESPJL   JTJDICB. 

Apes  fecerant  favos 
in  quercu  alta  ; 
fuci  inertes 

dicebant  hos  esse  suos. 
Lis  deducta  est  ad  forum, 
vespa  judice. 
Quum  quse  nosset 
pulcberrime 
utrumque  genus, 
proposuit  banc  legem 
duabus  partibus  : 
«  Corptis 

non  est  inconveniens, 
et  color  par, 
ut  res  merito 
venerit  plane  in  dubium  : 
sed,  ne  mea  religio 
peccet  imprudens, 
accipite  alveos, 
et  infondite  opus  ceris , 
ut  ex  sapore  mellis 
et  forma  favi 
auctor  borum 
de  quis  agitur  ntmc 
appareat.  » 


Si  quelqu'un  désireux  de  ton  prix 

eût  vu  toi, 

tu  serais  revenue  depuis-longtemps 

à  ta  splendeur  ancienne. 

Moi  qui  ai  trouvé  toi, 

moi  à  qui  de  la  nourriture 

est  bien  préférable, 

et  je  ne  puis  servir  à  toi, 

et  tu  ne  peux 

servir  en  rien  à  moi.   » 

Je  raconte  ceci  pour  ceux-là 
qui  ne  comprennent  pas  moi. 

FABLE  XL 

LES   ABEILLES   ET   LES   FRELOKS, 
LA   GUÊPE  étant  JUGE. 

Des  abeilles  avaient  fait  des  rayons 
sur  un  chêne  élevé  ; 
des  frelons  paresseux 
disaient  qu'ils  étaient  leurs  (à  eux). 
Le  débat  fut  amené  (porté)  au  tribunal. 
la  guêpe  étant  juge. 
Et  comme  celle-ci  connaissait 
très-Lien 

l'une-et-l'autre  race, 
elle  proposa  cette  loi  (convention) 
aux  deux  parties  : 
«   Votre  corps 
n'est  pas  dissemblable, 
et  votre  couleur  est  pareille , 
de-sorte-que  l'affaire  à-bon-droit 
est  venue  tout-à-fait  en  doute  : 
mais,  de-peur-que  ma  religion 
ne  pèche  ignorante  (par  ignorance', 
recevez  (prenez)  ces  rayons, 
et  versez  votre  ouvrage  dans  la  cire , 
afin-que  d'après  la  saveur  du  miel 
et  la  forme  du  rayon 
l'auteur  de  ces  rayons 
desquels  il  s'agit  présentement 
apparaisse  (soit  reconnu,.  » 


VjnWersItâs 
BIBIIOTHECA 


100  PH^DRI   FAB.    LIBER  III. 

Fuci  récusant  ;  Apibus  conditio  placet. 

Tune  illa  talem  protulit  sententiam  : 

«  Apertum  est  quis  non  possit ,  aut  quis  fecerit , 

Quapropter  Apibus  fructun^  restitue  suum.  »  15 

Hanc  praeterissem  fabulam  silentio , 
Si  pactam  Fuci  non  récusassent  fidem. 

FABULA  XII. 

iESOPUS   LUDEN8. 

Puerorum  in  turba  quidam  ludentem  Atticus 

.Esopum  nucibus  quum  vidisset,  restitit, 

Et  quasi  delirum  risit.  Quod  sensit  simul 

Derisor  potius  quam  deridendus  senex , 

Arcum  retensum  *  posuit  in  média  via  :  5 

^c  Heus  !  inquit ,  sapiens  ,  expedi  ^  quid  fecerim.  » 

Goncurrit  populus  ;  ille  se  torquet  diu  , 

Nec  quaestionis  posilae  causam  intelligit  ; 

Novissime  succumbit.  Tum  victor  sophus  : 

de  ce  procès.  »  Les  bourdons  refusent;  les  abeilles  acceptent  la  pro- 
position. Alors  la  guêpe  prononce  cette  sentence  :  «  On  voit  bien 
maintenant  ceux  qui  n'ont  pu  faire  les  rayons,  et  ceux  qui  en  sont 
les  auteurs.  C'est  pourquoi  je  restitue  aux  abeilles  le  fruit  de  leur 
industrie.   » 

J'aurais  passé  cette  fable  sous  silence  ,  si  les  bourdons  n'avaient 
point  refusé  de  tenir  l'engagement  contracté. 

FABLE  XII. 

ÉSOPE  JOUANT. 

L^n  Athénien  vît  Esope  jouer  aux  noix  au  milieu  d'une  troupe 
d'enfants;  il  s'arrêta  et  se  mit  à  rire,  le  croyant  fou.  Le  vieillard 
s'en  aperçut,  et,  comme  il  était  plus  souvent  railleur  que  raillé,  il 
plaça  un  arc  débandé  au  milieu  de  la  rue  :  «  Holà  !  l'homme  sage , 
lui  cria-t-il,  devine  ce  que  j'ai  voulu  faire.  »  Le  peuple  s'amasse; 
l'Athénien  se  met  longtemps  l'esprit  à  la  torture ,  et,  ne  pouvant  pé- 
nétrer le  sens  de  la  question  qu'on  lui  pose ,  finit  par  s'avouer  inca  • 
pable  de  deviner.  Le  sage  victorieux  lui  dit  alors  >  «  Tu  rompras 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


101 


Fuci  récusant  ; 
conditio  placet  apibus. 
Ttmc  illa 

protulit  sententiam  talem  : 
«  Est  apertum 
quis  non  possit, 
aut  quis  fecerit  ; 
quapropter  restitue  apibus 
suum  fructum.  » 

Prseterissem 
hanc  fabulam  silentio 
si  fuci  non  récusassent 
fidem  pactam. 


Les  frelons  refusent; 

la  condition  plaît  aux  abeilles. 

Alors  celle-là  (la  gnêpe) 

rendit  une  sentence  telle  (ainsi  conçue) 

«  Il  est  clair  maintenant 

qui  ne  peut  faire  ces  rayons, 

ou  qui  les  a  faits  ; 

c'est-pourquoi  je  rends  aux  abeilles 

leur  fruit  le  produit  de  leur  travail).  » 

J'aurais  passé 
cette  fable  sous-silence 
si  les  frelons  n'avaient  refusé 
la  foi  convenue  la  convention). 


FABULA  XII. 

.aSSOPUS    LUDEKS. 

Quum  quidam  Atticus 
vidisset  ^sopum 
ludentem  nucibus 
in  turba  puerorum, 
restitit, 

et  risît  quasi  delirum. 
Simul  senex 
potius  derisor 
quam  deridendus 
sensit  quod, 
posuit  in  média  via 
areum  retensum  : 
«  Heus!  inquit,  sapiens, 
expedi  quid  fecerim.  » 
Populus  concurrit; 
ille  torquet  se  diu, 
nec  intelligit 

causam  qusestionis  positae  ; 
novissime  succumbit. 
Ttim  sophus  Victor  : 


FABLE    XII. 


ESOPE   JOUAKT. 


Un-j our-qu'un  kahîlant-àe -l' Attique  - 
avait  vu  Esope 
jouant  aux  noix 

au-milieu-d'une  troupe  d'enfants, 
il  s'arrêta, 

et  rit  de  lui  comme  d'un  insensé. 
Aussitôt-que  le  vieillard 
plutôt  railleur 
que  devant-être-raillé 
s'aperçut-de  cela, 
il  plaça  au  milieu-du  chemin 
un  arc  détendu  : 
«  Holà!  dit-il,  toi  l'/iommc-sage, 
explique  ce-que  j'ai  fait.  » 
Le  peuple  accourt-en-foule  ; 
celui-là  'l'autre^  tourmente  soi  longtempSf 
et  il  ne  comprend  pas 
la  cause  de  la  question  qui  lui  est  posée  j 
enfin  il  échoue. 
Alors  le  sage  victorieux  dit  : 


^''2  PHJÎDRI   FAB.    LIBER   IH. 

At  SI  laxaris ,  quum  voles ,  erit  utilis.  »  " 

bic  ludus  animo  débet  aliquando  dari 
Ad  cogitandum  melior  ut  redeat  tibi.      ' 

FABULA  XIII. 

CAïns   AD   AGNUM. 

Inter  capellas  Agno  balanti  Canis  • 

Novissimeprolapsameffunditsarcinam;  ^ 

^erum  mam  quae  me  nutrit  admoto  ubere, 

Fraudatque  natos  lacté,  ne  desitmihi. 

- lamen  illa  est  potior  quœ  te  peperit.  —Non  ita  Mt 

Onde  dla  scivit  niger  an  albus  nascerer^  "•         ,„ 

Age  porro ,  scisset  ;  quum  crearer  masculus , 

ïï;rri"i's,rirr-'--- ''"■'■■■•'•■ 

FABLE  XIH. 

LE    CHIEN   ET   l'aGNEAU 

oui  te  donna  la  vie  -  Non  1~<!    "^  f  r  '   "  '»'"»  P--^K«r  celle 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


103 


«  Rumpes  cito  arcum 

si  habueris  semper  tensum  ; 

at  si  laxaris , 

erit  utilis,  qutiin  voles.  » 

Sic  Indus  dehet  darî 
aliquando  animo, 
at  redeat  tibî 
melior  ad  cogitandum 


«  Tu  rompras  vite  (bientôt)  un  arc 
si  tu  l'as  (le  tiens)  toujours  tendu; 
mais  si  tu  le  relâches, 
il  te  sera  utile,  quand  tu  le  voudras.  » 

Ainsi  délassement  doit  être  donné 
de-temps-en-temps  à  l'âme, 
afin  qu'elle  revienne  à  toi 
meilleure  (plus  ferme)  pour  penser. 


FABULA  Xni. 

CANIS   AD  AGNUM. 

Canis  agno 
balanti  inter  capellas  : 
«  Stulte,  inquit,  erras  : 
tua  mater  non  est  hic  ;  » 
ostenditque  procul 
oves  segregatas. 
«  Non  quîero 
illam  quae  concipit 
quum  libitum  est, 
portât  dein  onus  ignotum 
mensibus  certis, 
novissime  eâundit 
sarcinam  prolapsam  ; 
verum  illam  quae  nutrit  me, 
ubere  admoto, 
fraudatque  lacté  natos, 
ne  desit  inihi. 
— Tamen  illa  quae  peperit  te 
est  potior. 
—  Non  est  ita. 
Unde  illa  scivit 
nascerer  niger  an  albus? 
Age  porro 
scisset  ; 
quum  crearer  masculus, 


FABLE  Xm. 

LE    CHIEN   A   l'agneau. 

Un  chien  à  un  agneau 
bêlant  parmi  des  chèvres  : 
«  Insensé,  dit-il,  tu  te-trompes  : 
ta  mère  n'est  pas  ici  ;  » 
et  il  lui  montre  au-loin 
les  brebis  séparées  des  chèvres. 
«  Je  ne  cherche  pas 
celle  qui  conçoit 
quand  il  lui  a  plu, 

çuî'porte  ensuite  un  fardeau  inconnu  d'elle 
pendant  des  mois  déterminés, 
et  qui  enfin  dépose  (met  bas) 
son  fardeau  tombé-à-terre; 
mais  plutôt  celle  qui  nourrit  moi, 
sa  mamelle  étant  approchée , 
et  prive  de  lait  ses  petits, 
de-peur-qu'il  ne  manque  à  moi. 

—  Cependant  celle  qui  a  enfanté  toi 
est  préférable. 

—  Il  n'en  est  pas  ainsi. 
D'où  celle-là  a-t  -elle  su 

si  je  naîtrais  noir  ou  blanc? 
Allons  en-avant  (allons  plus  loin), 
admettons  qu'elle  Teût  su  ; 
lorsque  j'étais  créé  mâle, 


104  PH^DRI  FAB.    LIBER  III. 

Beneficium  magnum  sane  natali  dédit , 
Ut  exspectarem  lanium  in  horas  singulas  ! 
Cujus  potestas  nuUa  in  gignendo  fuit , 
Cur  hac  sit  potior,  quae  jacentis  miserita  est ,  15 

Dulœmque  sponte  praestat  benevolentiam  ? 
Facit  parentes  bonitas,  non  nécessitas* .  » 
His  demonstrare  voluit  auctor  versibus 
Obsistere  homines  legibus ,  meritis  capi. 

FABULA  XIV 

CICADA   ET   NOCTUA. 

Humanitati  qui  se  non  accommodât , 
Plerumque  pœnas  oppetit  superbiae. 
Cicada  acerbum  Noctuas  convicium 
Faciebat  solitae  victum  in  tenebris  quaerere , 
Cavoque  ramo  capere  somnum  interdiu.  5 

Rogata  est  ut  taceret  :  multo  validius 
Clamare  cœpit.  Rursus  admota  prece , 
Accensa  magis  est.  Noctua ,  ut  vidit  sibi 

elle  m'a  rendu  en  me  donnant  le  jour,  à  moi  qui  suis  un  bélier, 
et  qui  à  chaque  heure  de  la  journée  attends  le  couteau  du  boucher  ! 
Elle  n'eut  aucun  pouvoir  sur  le  fait  de  ma  naissance  :  pourquoi  la 
préférerais -je  à  celle  qui  eut  pitié  de  moi  en  me  voyant  étendu  à 
terre,  et  qui  m'accorde  d'elle-même  ses  soins  bienveillants?  C'est 
l'affection  qui  fait  la  parenté,  et  non  la  loi  de  la  nature,  v 

Dans  ces  vers  l'auteur  a  voulu  montrer  que  l'homme  peut  résister 
aux  lois ,  mais  qu'il  se  laisse  gagner  par  les  bienfaits. 

FABLE  XIV. 

LA.    CIGALE   ET   LE   HIBOU. 

Celui  qui  ne  sait  point  se  plier  à  la  complaisance ,  reçoit  la  plu- 
part du  temps  le  châtiment  de  son  orgueil. 

Une  cigale,  de  sa  voix  aigre  et  discordante,  étourdissait  un  hibou  : 
le  hibou  avait  coutxmie  de  chercher  sa  nourriture  la  nuit,  et  de  dor- 
mir le  jour  dans  le  creux  d'un  arbre.  Il  la  pria  de  se  taire  :  elle  se 
mit  à  crier  beaucoup  plus  fort.  De  nouvelles  prières  ne  firent  que 
l'exciter  davantage.  Le  hibou ,  voyant  qu'il  ne  peut  la  faire  taire ,  et 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


105 


dédit  sane  natali 
magnum  beneficium  , 
ut  exspectarem  lanium 
in  singulas  horas  ! 
Cur  cujus  potestas 
fuit  nulla  in  gignendo 
sit  potior  hac 
quce  miserita  est  jacentis, 
et  prasstat  sponte 
dulcem  benevolentiam? 
Bonitas  facit  parentes, 
non  nécessitas.  » 
Auctor   voluit 
demonstrare  his  versibus, 
homines  résistera  legibus, 
capi  meritis. 


elle  m'a  donné  sans-doute  par  ]a  naissance 

un  grand  bienfait , 

de-façon-que  j'attendisse  le  boucher 

à  chaque  heure  ! 

Pourquoi  celle  dont  le  pouvoir 

fut  nul  en  m'engendrant 

serait-elle  préférable  à  celle 

qui  a  eu-pitié  de  moi  gisant-à-<erre 

et  me  montre  d'elle-même 

une  douce  bienveillance  ? 

La  bonté  fait  les  parents  véritables, 

et  non  la  nécessité  (le  hasard).  » 

L'auteur  a  voulu 
démontrer  par  ces  vers 
les  hommes  résister  aux  lois  de  la  nature} 
mais  être  gagnés  par  les  bienfaits. 


FABULA  XIV. 


FABLE  XIV. 


CICADA   ET   NOCTUA. 


LA    CIGALE    ET   LE   HIBOU. 


Qui  non  accommodât  se 
humanitati, 
oppetit  plerumque 
pœnas  superbiœ. 

Cicada  faciebat 
convicium  acerbum 
noctuœ  solitse  quserere 
victum  in  tenebris, 
capereque  somnum 
interdiu  ramo  cavo. 
Rogata  est  ut  taceret  ; 
cœpit  clamare 
multo  validius. 
Prece  admota  rursus, 
accensa  est  magis. 
Ut  noctua  vidit 


Celui-qui  n'accommode  (prête)  pas  soi 
à  la  complaisance, 
subit  la-plupart-du-temps 
les  peines  de  son  orgueil. 

Une  cigale  faisait 
un  vacarme  désagréable 
au  hibou  habitué  à  chercher 
sa  subsistance  dans  les  ténèbres, 
et  à  prendre  du  sommeil 
le-jour  dans  une  branche-d'arbre  creuse, 
Elle  fut  priée  afin -qu'elle  se  tût  (de  se  taire); 
ellese-mit-à  crier 
beaucoup  plus-fort. 

La  prière  ayant  été  employée  de-nouveau, 
elle  fut  enflammée  (excitée)  davantage. 
Quand  le  hibou  vit 


106  PH^DRI   FAB.    LIBER  III. 

Nullum  esse  auxilium  ,  et  verba  contemni  sua, 

Hac  est  aggressa  garrulam  fallacia  :  40 

«  Dormire  quia  me  non  sinunt  cantus  tui , 

Sonare  cithara  quos  putes  ApoUinis, 

Potare  est  animus  nectar  quod  Pallas  mihi 

Nuper  donavit;  si  non  fastidis ,  veni  ; 

Una  bibamus.  »  Illa ,  quae  ardebat  siti ,  *5 

Simul  cognovit  vocem  laudari  suam , 

Cupide  advolavit.  Noctua  egressa  e  cavo 

Trepidantem  consectata  est ,  et  letho  dédit. 

Sic,  viva  quod  negarat,  tribuit  mortua. 

FABULA  XV. 

ARBORES  IN  DEORUM  TUTELA. 

Olim  quas  vellent  in  tutela  sua 

Divi  legerunt  arbores.  Quercus  Jovi , 

Et  myrtus  Veneri  placuit ,  Phœbo  îaurea , 

Pinus  Cybelae,  populus  celsa  Herculi. 

Minerva  admirans ,  quare  stériles  sumerent  5 

que  ses  prières  sont  méprisées ,  se  résolut  à  tromper  notre  chanteuse 
par  un  stratagème.  «  Puisque  vos  chants,  lui  dit-il ,  ne  me  permet- 
tent pas  de  dormir,  ces  chants  que  l'on  dirait  modulés  par  la  lyre 
d'Apollon ,  je  veux  boire  d'un  nectar  dont  Pallas  me  fit  dernière- 
ment présent;  si  vous  ne  le  dédaignez  pas,  venez  ,  nous  le  boirons 
ensemble.  »  La  cigale,  mourant  de  soif,  sitôt  qu'elle  entend  faire 
l'éloge  de  sa  voix ,  prend  avidement  son  essor  ;  mais  le  hibou  quitte 
Bon  trou ,  poursuit  l'insecte  tremblant,  et  le  tue.  Ainsi ,  ce  que  vi- 
vante elle  avait  refusé ,  elle  l'accorda  après  sa  mort. 

FABLE  XV. 

LES     ARBRES    SOUS    LA   PROTECTION   DES   DIEUX. 

Les  dieux  choisirent  un  jour  les  arbres  qu'ils  voulaient  prendre 
sous  leur  protection.  Jupiter  préféra  le  chêne,  Vénus  le  myrte, 
Phébus  le  laurier  ,  Cybèle  le  pin,  et  Hercule  le  haut  peuplier.  Mi- 
nerve surprise  leur  demanda  pourquoi  ils  choisissaient  tous  des  arbres 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  III. 


107 


nuUum  auxilium  esse  sibi, 

et  sua  verba  contemni, 

aggressa  est  garrulam 

hac  fallacia  : 

€  Quia  tui  cantus, 

quos  putes 

sonare  cithara  ApoUinis, 

non  sinunt  me  dormire, 

animus  est  potare  nectar 

quod  Pallas 

donavit  mihi  nuper  : 

si  non  fastidis,  veni  ; 

bibaraus  una.  » 

Illa,  quae  ardebat  siti , 

advolavit  cupide, 

simul  cognovit 

suam  vocem  laudari. 

Noctua  egressa  e  cavo, 

consectata  est  trepidantem 

et  dédit  letbo. 

Sic  mortua  tribuit 

quod  viva  negarat. 


aucune  ressource  n'être  à  soi, 

et  ses  paroles  être  méprisées, 

il  attaqua  la  bavarde 

par  cette  tromperie  : 

«  Puisque  tes  chants, 

lesquels  tu  croirais  (on  pourrait  croire, 

résonner  sur  la  lyre  d'Apollon, 

ne  laissent  pas  moi  dormir, 

l'intention  est  à  moi  de  boire  un  nectar 

que  Pallas 

a  donné  à  moi  récemment  : 

si  tu  ne  le  dédaignes  pas,  viens  ; 

que  nous  le  buvions  ensemble.  » 

Celle-ci,  qui  brûlait  de  soif, 

accourut-en-volant  avec-avidité, 

sitôt  qu'elle  eut  connu  (entendu"^ 

sa  voix  être-louée. 

Le  hibou  étant  sorti  de  son  trou, 

la  poursuivit  tremblante, 

et  la  donna  (livra)  à  la  mort. 

Ainsi,  morte,  elle  accorda 

ce-que  vivante  elle  avait  refusé. 


FABULA  XV. 

ABBOKES   IK   TUTELA 
DEOBTJM. 

Divi  legerunt  olim 
arbores  quas  vellent 
in  sua  tutela. 
Quercus  placuit  Jovi, 
et  myrtus  Yeneri, 
laurea  Phoebo, 
pinus  Cybelae, 
populus  celsa  Herculi. 
Minerva  admirans 
interrogavit 
quare  sumerent  stériles. 


FABLE  XV. 

LES    ARBRES    SOUS    LA   PROTECTION 
DES    DIEUX. 

Les  dieux  choisirent  un  jour 
les  arbres  qu'ils  voudraient 
être  sous  leur  protection. 
Le  chêne  plut  à  Jupiter, 
et  le  myrte  à  Vénus, 
le  laurier  à  Apollon, 
le  pin  à  Cybèle, 
le  peuplier  élevé  à  Hercule. 
Minerve  admirant  (étonnée) 
leur  demanda 
pourquoi  ils  prenaient  dp<î  arbret  stériles. 


108  PHJÎDRI   FAB.    LIBER   111. 

Interrogavit.  Causam  dixit  Jupiter  : 
«  Honorem  fructu  ne  videamur  vendere. 
—  At,  mehercules!  narrabit  quod  quis  voluerit, 
Oliva  nobis  propter  fructum  est  gratior.  » 
Tum  sic  deorum  genitor  atque  hominiim  sator  :  40 

«  0  nata  ,  merito  sapiens  dicere  omnibus  ; 
Nisi  utile  est  quod  facimus ,  stulta  est  gloria.  » 
Nihil  agere  quod  non  prosit ,  fabella  admonet. 

FABULA  XVI. 

PAVO   AD   JUNONEM. 

Pave  ad  Junonem  venit ,  indigne  ferens 

Cantus  luscinii  quod  sibi  non  tribuerit  : 

Illum  esse  cunctis  auribus  admirabilem  , 

Se  derideri  simul  ac  vocem  misent. 

Tune  consolandi  gratia  dixit  dea  :  5 

«  Sed  forma  vincis ,  vincis  magnitudine  , 

Nitor  smaragdi  coUo  praefulget  tuo , 

Pictisque  plumis  gemmeam  caudam  explicas. 

stériles.  Jupiter  lui  en  expliqua  le  motif  :  «  Nous  ne  voulons  pas , 
lui  dit-il ,  paraître  vendre  pour  leurs  fruits  l'honneur  que  nous 
leur  faisons.  — Par  Hercule!  reprit  Minerve,  on  dira  ce  qu'on 
voudra;  moi,  je  préfère  l'olivier,  et  à  cause  de  son  fruit.  »  Alors  le 
père  des  dieux  et  des  hommes  :  «  0  ma  fille ,  ce  n'est  pas  sans  rai 
son  que  tout  le  monde  proclame  ta  sagesse  :  si  nos  actions  ne  sont 
utiles,  la  gloire  en  est  vaine.  » 

Cette  fable  nous  conseille  de  ne  rien  faire  qui  n'ait  son  utilité. 

FABLE  XVL 

LE    PAON    A    JUNON. 

Indigné  de  n'avoir  pas  eu  en  partage  le  chant  du  rossignol ,  le 
paon  vint  trouver  Junon  :  «Ce  chantre  harmonieux,  dit-il,  fait 
l'admiration  de  tous  ceux  qui  l'entendent  ;  mais  moi ,  si  j'élève  la 
voix,  je  ne  recueille  que  d'amères  railleries.  »  La  déesse,  pour  le 
consoler,  répondit  :  «  Tu  l'emportes  par  l'éclat  de  ta  beauté,  tu 
l'emportes  par  ton  port  majestueux;  les  feux  de  l'éraeraude  étiiicellent 
sur  ton  cou,  et  ta  queue  étale  un  riche  faisceau  de  plumes  dont  les 
couleurs  brillantes  le  disputent  à  l'éclat  des  pierreries.  —  Et  que 


FABLES    DE   PHÈDRE.    LIVRE   IIL 


109 


Jupiter  dixit  causam  : 
«  Ne  videamur 
vendere  honorem  fructu. 
—  At,  mehercules! 
quis  narrabit 
^uod  voluerit, 
oliva  est  gratior  nobis 
propter  fructum.  » 
Tum  genitor  deoruns 
et  sator  bominum  sic  : 
«  0  uata,  dicere  sapiens 
omnibus  merito  : 
nisi  quod  facimus  est  utile 
glorîa  est  stulta.  » 
Fabella  admonet 
agere  nibil  quod  non  prosit. 


Jupiter  Zut  en  dit  le  motif  : 

a  Cest  de-peur-que  nous  ne  paraissions 

vendre  cet  bonneur  pour  leur  fruit. 

— Mais,  par -Hercule  ! 

quelqu'un  (on)  racontera  (dira) 

ce-qu'il  (ce  qu'on)  voudra, 

l'olivier  est  plus-agréable  à  nous  (à  moi) 

à-cause-de  son  fruit.  » 

Alors  le  père  des  dieux 

et  le  créateur  des  bommes  parla  ainsi  : 

«  0  ma  fille,  tu  es  dite  sage 

à  tous  (par  tous)  à-juste-titre  : 

si  ce-que  nous  faisons  n'est  pas  utile, 

la  gloire  en  est  folle.  » 

Cette  petite-fable  avertit 
de  ne  faire  rien  qui  ne  soit-utile. 


FABULA  XVI. 


FABLE  XVI. 


PAVO    AD  JUNONEM. 

Pavo  venitad  Junonem, 
fer  en  s  indigné 
quod  non  tribuerit  sibi 
cantus  luscinii  : 
iUum  esse  admirabilem 
cunctis  auribus, 
se  derideri 

simul  ac  miserit  vocem. 
Tune,  gratia  consolandi, 
dea  dixit  : 
tSed  vincis  forma, 
vincis  magnitudine; 
nitor  smaragdi 
prsefulget  tuo  coUo, 
plumisque  pictis 
explicas 
caudam  gemmeam. 


LE   PAON    A    JUNON. 

Le  paon  \'int  auprès- de  Junon, 
supportant  avec-indignation 
qu'elle  n'eût  pas  donné  à  lui 
les  cbants  (le  cbant)  du  rossignol: 
il  disait  cet  oiseau  être  admirable 
pour  toutes  les  oreilles , 
au  lieu  que  lui-même  (le  paon)  être  bafoué 
dès  qu'il  aura  émis  (fait  entendre)  sa  voix. 
Alors,  pour  le  consoler, 
la  déesse  lui  dit  : 

«  Mais  tu  l'emportes  par  la  beauté, 
tu  l'emportes  par  la  grandeur  ; 
l'éclat  de  l'émeraude 
brille-en-avant- de  (brille  à)  ton  cou, 
et  avec  tes  plumes  peintes  (  variées  ) 
tu  déploies 
une  aueue  de-pierreries. 


110  PH^DRI  FAB.    LIBER   III. 

—  Quo  mi,  inquit,  mutam  speciem,  si  vincorsono? 

—  Fatorum  arbitrio  partes  sunt  vobis  datae  :  40 
Tibi  forma  ,  vires  aquilae ,  luscinio  melos , 

Augurium  corvo  ,  laeva  cornici  omina , 
Omnesque  propriis  sunt  contentae  dotibus.  » 

Noli  aîfectare  quod  tibi  non  est  datum, 
Delusa  ne  spes  ad  querelam  reccidat.  46 

FABULA  XVII. 

iESOPUS   AD    GAEEULUM. 

^sopus  domino  solus  quum  esset  familia', 
Parare  cœnam  jussus  est  maturius. 
Ignem  ergo  quaerens,  aliquot  lustravit  domos; 
Tandemque  invenit  ubi  lucernam  accenderet. 
Tum  circumeunti  fuerat  quod  iter  longius  , 
Effecit  brevius  ;  namque  recta  per  forum 
Gœpit  redire.  Quidam  e  turba  Garrulus  : 


me  sert  cette  beauté  muette  ,  si  je  ne  puis  rivaliser  pour  la  voix  ?  — 
La  volonté  des  destins  vous  assigna  à  chacun  votre  partage  :  toi, 
tu  obtins  la  beauté,  l'aigle  reçut  la  force,  et  le  rossignol  le  chant;  le 
corbeau  sert  aux  augures ,  la  corneille  aux  fimestes  présages  ;  et  tous 
sont  contents  de  leurs  lots  respectifs.  » 

Ne  convoite  pas  ce  que  l'on  ne  t'a  point  accordé;  tes  espérances 
déçues  se  changeraient  en  amers  regrets. 

FABLE  XVIL 

ÉSOPE   A   UN   BAVABD. 

Esope  était  le  seul  esclave  que  possédât  son  maître.  Un  jour  il 
avait  reçu  l'ordre  de  préparer  le  repas  plus  tôt  qu'à  l'ordinaire.  Il 
sortit  pour  chercher  du  feu,  parcourut  quelques  maisons,  et  en  trouva 
enfin  une  où  il  alluma  sa  lampe.  Les  détours  qu'il  avait  faits  avaient 
allongé  son  chemin,  et,  pour  l'abréger  en  revenant,  il  se  mit  à  tra- 
verser le  marché.  Un  bavard  lui  cria  du  milieu  de  la  foule  :  «  Esope, 


1 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LITRE  III. 


111 


—  Quo  mi,  inquit, 
epeciem  mutam, 

si  vincor  sono? 

—  Partes  datœ  sunt  vobis 
arbitrio  fatorum  : 

tibi  forma, 
vires  aquilœ, 
melos  luscinio, 
augnrium  corvo, 
cornici  omina  Iseva, 
omnesque  sunt  contentae 
dotibus  propriîs.  » 

Noli  affectare 
quod  non  datum  est  tibi , 
ne  spes  delusa 
reccidat  ad  querelam. 


— A-quoi-bon  à  moi  (que  me  sert  ,  dit-il, 

d'avoir  une  beauté  muette , 

si  je  suis  vaincu  par  le  son  (par  la  voix)  ? 

— Des  dons  ont  été  accordés  à  vous 

au  gré  des  destins  : 

à  toi  la  beauté, 

les  forces  à  l'aigle, 

le  chant  au  rossignol, 

l'augure  au  corbeau, 

à  la  corneille  les  présages  funestes, 

et  tous  sont  contents 

de  leurs  qualités  propres  (respectives  .  » 

Ne-veuille-pas  ambitionner 
ce-qui  ne  fut  pas  accordé  à  toi , 
de-peur-que  ton  espoir  trompé 
ne  retombe  vers  (n'aboutisse  à^  la  plainte. 


FABULA  XVn. 


FABLE  XVIL 


iESOPUS    AD    GARRULUM. 


ESOPE   A    UN  BAVARD. 


Quum  ^sopus 
esset  domino 
solus  familia, 
jussus  est 

parare  maturius  cœnam. 
Ergo,  quaerens  ignem, 
lustravit  aliquot  domos 
invenitque  tandem 
ubi  accenderet  lucemam. 
Timi  effecît  brevius  iter 
quod  fuerat  longius 
circumeunti; 
namque  cœpit 
redire  recta  per  forum. 
Quidam  garrulus  e  turba 


Comme  Ésope 
était  à  son  maître 
seul  foitfe-/a-troupe-d'esclaves, 
il  fut  ordonné   il  reçut  l'ordre^ 
de  préparer  de-melUeure-heure  le  repas. 
Donc ,  cherchant  du  feu . 
il  parcourut  quelques  maisons, 
et  il  trouva  enfin 
où  il  pût-allumer  son  flambeau. 
Alors  il  rendit  plus-court  le  chemin 
lequel  avait  été  plus-long 
à  lui  faisant-des-détours  ; 
car  il  commença 

à  revenir  tout-droit  à-travers  le  marché. 
Un  babillard /uic-ri'a  du-milieu  de  la  foule  : 


112  PHJIDRI   FAB.    LIBER   III. 

«  iEsope,  medio  sole  ,  quid  cum  lumine? 

—  HomiRem  ,  inquit ,  quaero.  »  Et  abiit  festinans  domum. 

Hoc  si  molestus  ille  ad  animum  rettulit ,  4(^ 

Sensit  profecto  se  liominem  non  visum  seni , 
Intempestive  qui  occupato  alluserit. 

EPILOGUS. 


Supersunt  mihi  quae  scfibam ,  sed  parco  sciens 
Primum  ,  tibi  esse  ne  videar  molestior, 
Distringit  quem  multarum  rerum  varietas  ; 
Dein ,  si  quis  eadem  forte  conari  velit, 
Habere  ut  possit  aliquid  operis  residui; 
Quamvis  materiae  tanta  abundet  copia  , 
Labori  faber  ut  desit ,  non  fabro  labor. 
Brevitati  nostrae  praemium  ut  reddas  peto , 
Quod  es  pollicitus;  exhibe  vocis  fidem  ; 


que  fais-tu  donc  avec  cette  lumière  en  plein  midi?  —  Je  cherche  un 
homme,  »  lui  répondit-il ,  et  il  se  hâta  de  regagner  le  logis. 

Si  cet  importun  réfléchit  en  lui-même  sur  cette  réponse  ,  il  dut  sen- 
tir que  le  vieillard  n'avait  point  pris  pour  un  homme  un  plaisant 
qui  arrêtait  et  raillait  ainsi  un  homme  affaire. 

ÉPILOGUE. 

LE   POETE. 

n  me  reste  encore  beaucoup  de  sujets  à  traiter ,  mais  je  sais  m'ar- 
rêter,  d'abord,  pour  ne  point  vous  paraître  importun,  cher  Eutyque, 
vous  que  harcellent  sans  cesse  tant  d'occupations  difl*érentes;  puis, 
s'il  se  trouvait  quelque  poëte  qui  voulût  courir  la  même  carrière ,  je 
veux  lui  laisser  encore  quelque  chose  à  faire  ;  quoiqu'à  vrai  dire  les 
matières  soient  ici  tellement  abondantes,  que  l'ouvrier  manque  à  l'ou- 
vrage plutôt  que  l'ouvrage  à  l'ouvrier. 

Maintenant  jb  réolfctnft  la  récompense  qu«  vous  avez  promise  à  ma 


FABLES  DE   PHÈDRE.    LHT.E   III. 


113 


«  iEsope,  quid  cumlumine, 

solemedio?» 

—  Quaero  hominem , 

inquit.  » 

Et  festinans  abiit  domum. 

Si  ille  molestus 
rettulit  hoc 
ad  animum , 
sensit  profecto  se, 
qui  alluserit  intempestive 
occupato, 
non  visum  hominem  seni 


«  Esope ,  que  fais-tu  avec  ceiielumière , 

le  soleil  eVani  à  son  milieu  (en  plein  midi)? 

—  Je  cherche  un  homme  , 

dit-il.  . 

Et ,  se  hâtant,  il  s'en-alla  à  5a  maison. 

Si  cet  importun 
rapporta  appliqua)  ce  mot 
à  son  esprit  (s'il  y  réfléchit  en  lui-même';, 
il  comprit  assurément  que  lui-même, 
qui  s'était-raillé  hors-de-saison 
d'Ésope  affaii-é  , 
n'avait  pas  paru  un  homme  au  vieillard. 


EPÎLOGUS. 


ÉPILOGUE. 


POETA. 

Quas  scribam 
supersunt  mihi , 
sed  parco  sciens, 
primum,  ne  videar  tibi, 
quem  varietas 
multarum  rerum 
distringit, 
esse  molestior  ; 
dein ,  si  qui  forte 
velit  conari  eadem^ 
ut  possit  habere 
aliquid  operis  residui  ; 
quamvis 

tanta  copia  materiae 
abundet , 

ut  faber  desit  labori , 
non  labor  fabro. 
Peto  ut  reddas 
nostrae  brevitati 
prœmium 

Fables  de  Phèdre. 


LE    POETE. 

Des  sujets  que  je-puis-écrire 
restent  à  moi , 

mais  je  m'abstiens,  le  sachant  (à  dessein; 
d'abord,  de-peur -que  je  ne  paraisse  à  toi , 
que  la  variété 
de  nombreuses  affaires 
tire-en-divers-sens  (assiège), 
être  trop-importun; 
ensuite,  si  quelqu'un  par-hasard 
veut  essayer  les  mêmes  matières, 
afîn-qu'il  puisse  avoir 
quelque  part  d'ouvrage  de-reste  ; 
quoique 

une  si-grande  quantité  de  matière 
abonde, 

que  l'ouvrier  manque  à  l'ouvrage , 
non  rou\'rage  à  l'ouvrier. 
Je  demande  eue  tu  rendes 
à  notre  (ma)  brièveté 
la  récompense 


114  PH^DRI   FAB.    LIBER   III. 

N^ain  vita  morti  propior  est  quotidie  ;  40 

Et  hoc  minus  perveniet  ad  me  muneris 

Quo  plus  consumet  temporis  dilatio. 

Si  cito  rem  perages,  usus  fiet  longior; 

Fruar  diutius ,  si  celerius  cœpero, 

Languentis  aevi  dum  sunt  aliquae  reliquias,  \b 

Auxiiio  locus  est  ;  olim  senio  debilem 

Frustra  adjuvare  bonitas  nitetur  tua , 

Quum  jam  desierit  esse  beneficio  utilis  *, 

Et  mors  vicina  flagitabit  debitum. 

Stultum  admovere  tibi  preces  existimo ,  20 

Proclivis  ultro  quum  sit  misericordia. 

Saepe  impetravit  veniam  confessus  reus , 

Quanto  innocenti  justius  débet  dari  ! 

Tuae  sunt  partes  *  ;  fuerant  aliorum  prius , 

Dein  simili  gyro  venient  aliorum  vices.  25 

Décerne  quod  religio ,  quod  patitur  fides , 

Et  gratulari  me  fac  judicio  tuo. 


brièreté  ;  soyez  fidèle  à  votre  parole.  Chacun  de  nos  jours  noua  rap 
proche  de  la  mort,  et  je  profiterai  d'autant  li^oins  du  bienfait  que 
vous  me  destines,  que  vous  tarderez  plus  longtemps  à  me  l'accorder. 
Si  vous  vous  en  occupez  promptement,  la  jouissance  en  sera  plus 
longue;  et,  plus  tôt  j'aurai  commencé,  plus  longtemps  j'en  userai. 
Tandis  que  je  jouis  encore  d'un  reste  dévie  languissante,  c'est  le  mo- 
ment de  me  porter  secours;  un  peu  plus  tard,  vos  soins  bienveil- 
lants s'efforceront  en  vain  de  ranimer  la  faiblesse  de  mes  vieux  ans  ; 
alors  vos  bienfaits  auront  cessé  de  m'être  utiles  ,  et  la  mort ,  s' ap- 
prochant à  grands  pas ,  exigera  son  tribut.  Mais  c'est  fclie ,  je  le 
pense  bien  ,  de  vous  adresser  des  prières ,  à  vous  que  la  nature  porte 
d'cile-même  à  la  bienveillance.  Souvent  un  coupable  obtint  son  par- 
don par  l'aveu  de  sa  faute  ;  combien  n'est-il  pas  plus  juste  encore  de 
raccorder  à  l'innocent  !  Voilà  votre  rôle  :  d'autres  l'cnt  rempli  avant 
vous  ;  et ,  par  une  succession  toujours  la  même  ,  d'autres  le  rempli- 
ront encore  après  vous.  Examinez  ce  que  réclament  votre  conscience, 


FABLES  DE  PHÈDRE.    LIVRE   III. 


115 


quod  pollicitus  es  ; 
exhibe  fidem  vocis , 
nam  vita  est  quotidie 
propior  morti  ; 
et  hoc  minus  muneris 
perveniet  ad  me, 
quo  dilatio 

cousumet  plus  temporis. 
Si  perages  rem  cito , 
USU8  fiet  longior  ; 
fruar  diutius, 
si  cœpero  celerius. 
Dmn  aliquse  reliquiae 
aevi  languentis  sunt, 
locus  est  auxilio; 
olim  tua  bonitas 
nitettir  frustra 
adjuvare  debilem  senio, 
quum  jam  desierit 
esse  utilis  bénéficie, 
et  mors  vicina 
flagitabit  debitum. 
Existimo  stultum 
admovere  preces  tibi , 
quum  ultro 

misericordia  sit  proclivis. 
Saepe  reus  ♦ 
impetravit  veniam , 
confessus  ; 
quanto  justius 
débet  dari  innocentî! 
Partes  sunt  tuas  ; 
fuerant  aliorum  prius  ; 
dein ,  gyro  simili , 
vices  aliorum  venient. 
Décerne  quod  religio, 
quod  patitur  fides , 


que  tu  as  promise  ; 

montre  la  fidélité  de  ta  parole; 

car  la  vie  est  chaque-jour  à  mot 

plus-proche  de  la  mort  ; 

et  d'autant  moins  de  ton  bienfait 

arrivera  à  moi, 

que  le  retard 

consumera  plus  de  temps. 

Si  tu  accomplis  la  chose  promptement, 

la  jouissance  en  deviendra  plus-longue  ^ 

j'en  userai  plus-longtemps, 

si  j'ai  commencé  plus-vite  (plus  tôt). 

Tandis-que  quelques  restes 

d'une  vie  languissante  sont  encore  à  mot, 

lieu  (possibilité)  est  pour  le  secours; 

un  jour  ta  bonté 

s'efforcera  en  vain 

de  soulager  un  homme  aff'aibli  par  l'âge, 

lorsque  déjà  il  aura  cessé 

d'être  propre-à-jouir  d'un  bienfait, 

et  que  la  mort  voisine 

réclamera  son  dû. 

Je  pense  cela  insensé  , 

d'adresser  des  prières  à  toi , 

lorsque  d'elle-même 

la  pitié  est  à  toi  en-pente  (naturelle). 

Souvent  un  coupable 

obtint  son  pardon, 

ayant  avoué  sa  faute  ; 

combien  plus-justement 

doit-il  être  accordé  à  un  innocent  ! 

Ce  rôle  de  juge  est  le  tien  ; 

il  avait  été  celui  d'autres  auparavant  ; 

ensuite,  par  une  succession  semblable. 

le  tour  d  autres  viendra. 

Décide  ce-que  permet  ta  conscience , 

ce-que  soufire  (permet)  ta  bonne-foi , 


116  PH^DRI   FAB.    LIBER  III. 

Excedit  animus  quem  proposuit  terminum , 

Sed  difiBcuIter  continetur  spiritus , 

Integritatis  qui  sincerae  conscius,  30 

A  noxiorum  premitur  insolentiis. 

Qui  sint  requires  :  apparebunt  tempo re. 

Ego ,  quondam  legi  quam  puer  sententiam  : 

Palam  mutire  plebeio  piaculum  *  est , 

Dum  sanitas  constabit,  pulchre  meminero.  35 


votre  bonne  foi,  et  faites  que  je  puisse  me  féliciter  de  votre  décision. 
J'ai  dépassé  les  bornes  que  je  m'étais  prescrites  ;  mais  on  a  peine  à 
contenir  une  âme  qui ,  convaincue  de  son  innocence ,  soufire  des 
calomnies  des  méchants.  Qui  sont-ils  ?  me  demanderez -vous.  Le 
temps  les  fera  connaître.  Pour  moi ,  tant  que  je  conserverai  quelque 
bOii  sens  ,  je  me  rappellerai  précieusement  cette  maxime  que  j'ai  lue 
jadis  dans  mon  enfance  :  Pour  un  plébéien,  murmurer  tout  haut,  c'ett 
un  sacrilig». 


\ 


FABLES  DE   PHÈDRE,    LIVRE   III.  117 

et  fac  et  fais 

me  gratulari  tuo  judicic       que  moi  je-me-félicite  de  ton  jugement. 

Animus  excedit  terminum   Mon  esprit  dépasse  le  but 


quem  proposuit , 

sed  spirittis 

qui,  conscius 

integritatis  sincerse , 

premitur 

ab  insolentiis  noxiorum , 

continetur  difficolter. 

Requires  qni  sint  : 

apparebunt  tempore. 

Ego ,  dum  sanitas 

constabit , 

meminero  pulchre 

scntentiam 

quam  puer  legi  quondam  '• 

Mutire  palam 

est  piaculum  plèbe  io. 


qu'il  «'est  proposé , 

mais  l'âme-fière 

qui ,  ayant-la-conscience 

de  son  intégrité  sincère  (sans  tache), 

est  accablée 

par  les  insolences  des  méchants, 

est  contenue  (se  contient)  difficilement. 

Tu  demanderas  quels  ils  sont  : 

ils  paraîtront  avec  le  temps. 

Moi ,  tant-que  le  bon-sens 

restera-entier  chez  moi, 

je  me  rappellerai  parfaitement 

cette  maxime 

laquelle  enfant  j'ai  lue  autrefois  : 

Murmurer  ouvertement 

est  un  crime  pour  le  plébéien. 


118  PH^DRI   FAB.    LIBER  IV. 

LIBER  IV. 

PROLOGUS. 

POETA  AD  PARTICULONEM. 

Quum  destinassem  operis  habere  terminum , 

In  hoc,  ut  aliis  esset  materiae  satis, 

Consilium  tacito  corde  damnavi  meum. 

Nam  si  quis  etiam  talis  est  tituli  aemulus, 

Quo  pacto  divinahit  quidnam  omiserim ,  6 

Ut  illud  ipsum  cupiat  famae  tradere  , 

Sua  cuique  quum  sit  animi  cogitatio , 

Colorque  proprius?  Ergo  non  levitas  mihi, 

Sed  certa  ratio  causam  scribe ndi  dédit. 

Quare,  Particulo,  quoniam  caperis  fabulis  <0 

Quas  iEsopeas ,  non  ^sopi  nomino , 

Quasi  paucas  ostenderit ,  ego  plures  dissero , 

Usus  vetusto  génère ,  sed  rébus  no  vis. 


PROLOGUE. 

LE   POETE  A  PARTICULON. 

J'avais  résolu  de  mettre  fin  à  cet  ouvrage  pour  laisser  aux  autres 
poëtes  assez  de  matières  à  traiter  ;  mais,  réfléchissant  en  moi- 
même,  j'ai  condamné  ma  résolution.  Car  s'il  se  trouve  quelque  poëte 
jaloux  du  titre  de  fabuliste ,  comment  devinera-t-il  ce  que  j'ai  omis, 
et  concevra-t-il  le  désir  de  le  transmettre  à  la  postérité  ?  Chaque 
-écrivain  a  sa  manière  de  penser  et  d'écrire.  Aussi  n'est-ce  point  in- 
constance de  ma  part  :  c'est  une  raison  bien  fondée  qui  m'a  fait  re- 
prendre r  ouvrage . 

Ainsi  donc ,  mon  cher  Particulon  ,  puisque  vous  aimez  ces  fables 
écrites  dans  le  genre  d'Esope,  mais  qui  ne  sont  point  d'Ésope,  car  il  n'en 
apublié  que  fort  peu,  tan  dis  que  moi  j'en  ai  composé  un  bien  pi  us  grand 
nombre  d'après  son  ancienne  manière,  mais  sur  des  sujets  tout  nou- 


FABLES  DE   PHÈDRE.   LIVRE  IV, 


119 


LIVRE   IV. 


PROLOGUS. 


PROLOGL^. 


POETA 
AD   PARTICULONEM. 

Quum  destinassem 
habere  terminum  operis, 
ut  in  hoc 

satis  materiae  esset  aliis , 
damnavi  corde  tacite 
metim  consilium. 
Nam  si  quis  etiam 
est  aemulus  talis  tituli , 
que  pacte  divinabit 
quidnam  omiserim, 
ut  cupiat 

tradere  famas  illud  ipsum , 
quxun  cogitatie  animi  sua 
colorque  proprius 
sit  cuique  ? 
Ergo  non  levitas, 
sed  ratio  certa 
dédit  mihi 
causam  scribendi. 
Quare ,  Particule, 
queniara  caperis  fabulis 
quasnomino  -^sopeas, 
non  ^sepi , 
quasi  ostenderit  paucas, 
ego  dissero  plures, 
usus  vetiTsto  génère , 
sed  rébus  nevis. 


LE    POETE 
A   PAKTICCLOX. 

Lorsque  j'avais  résolu       [mettre  fin), 
d'avoir  le  terme  de  mon  ouvrage  (d'y 
afin  que  en  cela  (par  là) 
assez  de  matière  fût  aux  autres  , 
j'ai  condamné  dans  mon  cœur  silencieus 
mon  projet. 

Car  si  quelqu'un  aussi  [li'te;, 

est  jaloux  d'un  tel  titre  (celui  de  fabu 
par  quel  moyen  devinera-t-il 
ce-que  j'aurai  omis  , 
pour-qu'il  désire 

transmettre  à  la  renommée  cela  même , 
lorsqu'ime  conception  d'esprit  sienne 
et  une  couleur  de  style  propre 
est  à  chacun  ? 

Donc,  non-pas  l'inconstance, 
mais  une  raison  fixe   solide) 
a  donné  à  moi 
un  motif  d'écrire  ces  fables. 
C'est-pourquoi ,  Particulon , 
puisque  tu  es  charmé  par  ces  fables 
que  j'appelle  Esopiennes, 
mais  non  d'Esope , 
comme  il  en  a  montré  (publié)  peu , 
moi  j'en  écris  un-plus-grand-nom'.jrs , 
me  servant  de  son  ancien  genre . 
mais  de  sujets  noureaux. 


120  PH^DRI   FAB.    LIBER   IV. 

Quartum  libellum  nunc  vacive  perleges. 

Hune  obtrectare  si  volet  malignitas ,  15 

Imitari  dum  non  possit ,  obtrectet  licet. 

Mihi  parla  laus  est  quod  tu ,  quod  similes  lui , 

Vestras  in  charta?  verba  transfertis  mea  , 

Dignumque  longa  judicatis  memoria; 

niitteratum  plausum  nec  desidero.  20 

FAEULA  I. 

ASINUS    ET    GALLI. 

FABULA   II. 

MtrSTELA   ET    MUEES. 

Qui  natus  est  infelix ,  non  vitam  modo 
Tristem  decurrit,  verum  post  obitum  quoque 
Persequitur  illum  dura  fati  miseria. 

Galli  Cybeles  circum  in  quaestus  ducere 
Asinum  solebant  bajulantem  sarcinas.  5 

Is  quum  labore  et  plagis  esset  mortuus , 
Detracta  pelle,  sibi  fecerunt  tympana. 

veaux ,  la  lecture  de  ce  quatrième  livre  pourra  maintenant  récréer  vos 
loisirs.  Si  la  malveillance  veut  l'attaquer  par  d'injurieuses  critiques, 
qu'elle  l'attaque  à  son  aise;  jelelui  permets,  pourvu  qu'elle  soit  impuis- 
sante à  l'imiter.  Ma  gloire  est  maintenant  assurée,  puisque  vous  et 
les  autres  hommes  éclairés,  vous  donnez  place  à  mes  ouvrages  dans 
vos  bibliothèques ,  et  me  jugez  digne  de  vivre  dans  le  souvenir  de  la 
postérité.  Je  ne  recherche  point  les  sufirages  de  l'ignorance. 

FABLE  I. 
l'ane  et  les  prêtres  de  ctbèle. 

FABLE  II. 

LA   BELETTE    ET    LES   RATS. 

Quand  on  est  né  pour  le  malheur,  non-seulement  on  mène  une 
vie  misérable ,  mais  on  est  encore ,  après  la  mort ,  poursuivi  par  son 
cruel  destin. 

Des  prêtres  de  Cybèle  emmenaient  dans  leurs  quêtes  un  âne  qui 
portait  leurs  bagages.  Le  baudet  succomba  aux  coups  et  à  la  fatigue; 
ils  le  dépouillèrent ,  et  de  sa  peau  se  firent  des  tambours.  Quelqu'un 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


121 


Nonc  perleges  vacive 

quartum  libellum. 

Si  malignitas 

voiet  obtrectare  hune , 

licet  obtrectet , 

dum  non  possit  imitari. 

Laus  parta  est  mihi , 

quod  tu  , 

quod  similes  tui, 

transfertis  mea  verba 

in  vestras  chartas, 

judicatisque  dignum 

longa  memoria  ; 

nec  desidero 

plausum  illitteratum. 


Maintenant  tu  liras  dans-tes  loisirs 

ce  quatrième  livre. 

Si  la  malveillance 

veut  critiquer  ce  livre , 

il  est  permis  qu'elle  le  critique, 

pourvu  qu'elle  ne  puisse  Timiter. 

La  gloire  est  acquise  à  moi , 

puisque  toi , 

puisque  les  semblables  de  toi , 

vous  introduisez  mes  paroles  (mes  écrits) 

dans  vos  papiers  (vos  bibliothèques), 

et  me  jugez  digne 

d'un  long  souvenir  ; 

et  je  ne  désire  pas 

un  éloge  ignorant  (l'éloge  des  ignorants). 


FABULA   L 

ASINUS   ET    GALLI. 


FABLE   L 

L'aNE  et   les  prêtres  de    CTBÈI.B. 


FABULA  IL 

MUSTELA   ET   MURES. 

Qui  natus  est  infelix , 
non  modo 

decurrit  vitara  tristem , 
verum  post  obitum  quoque 
dura  miseria  fati 
persequitur  iilum. 
Galli  Cybeles  solebant 
ducere  circum  in  quœstus 
asinum 

bajulantem  sarcinas. 
Quum  is  raortuus  esset 
labore  et  plagis, 
pelle  detracta, 
fecerunt  sibi  tympana. 


FABLE  II 

LA   BELETTE    ET    LES    RATS. 

Celui-qui  est  né  malheureux , 
non  seulement 
parcourt  une  vie  misérable , 
mais  ,  après  sa  mort  même, 
le  cruel  malhour  de  sa  destinée 
poursuit  lui. 

Des  prêtres  de  Cybèle  avaient-coutume 
de  conduire  partout  pour  leurs  recettes 
un  âne 

portant  leurs  fardeaux. 
Comme  celui-ci  était  mort 
de  fatigue  et  de  coups, 
5a  peau  ayant  été  enlevée, 
ils  en  firent  à  eux  des  tambours. 


122  PH^DRI   FAB.    LIBER   IV. 

Rogati  mox  a  quodam ,  delicio  suo 

Quidnam  fecissent ,  hoc  locuti  sunt  modo  : 

«  Putabat  se  postmortem  securum  fore;  10 

Ecce  aliae  plagas  congeruntur  mortuo.  » 

Joculare  tibi  videtur;  et  sane  levé, 
Dum  nihil  habemus  majus,  calamo  ludimus; 
Sed  diligenter  intuere  has  naenias  : 
Quantam  sub  illis  utilitatem  reperies  !  45 

Non  semper  ea  sunt  quae  videntur  ;  decipit 
Frons  prima  multos*  ;  rara  mens  intelligit 
Quod  interiore  condidit  cura  angulo. 
Hoc  ne  locutus  sine  mercede  existimer, 
Fabellam  adjiciam  de  Mustela  et  Muribus.  20 

Mustela  quum,  annis  et  senectadebilis, 
Mures  veloces  non  valeret  assequi , 
Involvit  se  farina ,  et  obscuro  loco 
Abjecit  negligenter.  Mus,  escam  putans, 
Assiluit ,  et  compressus  occubuit  neci  ;  25 

Alter  similiter;  deinde  périt  et  tertius. 
Aliquot  secutis ,  venit  et  retorridus  ', 


leur  demanda  ce  qu'ils  avaient  fait  de  leur  baudet  chéri  :  «  Il  s'ima- 
ginait ,  répondirent-ils ,  être  bien  tranquille  après  sa  mort  ;  mais  les 
coups  pleuvent  encore  sur  lui.  » 

Mon  style  vous  paraît  s'égayer ,  et,  j'en  conviens,  quand  je  n'ai 
rien  de  mieux  à  faire,  mon  esprit  se  plaît  à  ce  badinage,  mais  jeter 
sur  ces  bagatelles  un  regard  attentif  :  quelles  grandes  et  utiles  le 
çons  vous  verrez  se  cacher  sous  leur  frivolité!  Les  objets  ne  sont 
pas  toujours  ce  qu'ils  paraissent  ;  bien  des  gens  se  laissent  prendre  à 
l'apparence  :  il  faut  un  esprit  intelligent  pour  pénétrer  au  fond  des 
choses,  et  retrouver  la  pensée  du  poëte  cachée  avec  soin  sous  leur 
enveloppe.  Pour  ne  pas  vous  laisser  croire  que  mes  paroles  soient 
sans  fruit  pour  vous ,  j'ajouterai  à  cette  première  fable  celle  des 
rats  et  de  la  belette. 

Une  ^^eille  belette  affaiblie  par  les  ans ,  ne  pouvait  plus  atteindre 
les  rats  plus  agiles  qu'elle  ;  elle  s'enfarine  et  se  blottit  négligem- 
ment dans  un  coin  obscur.  Un  rat  s'imagine  trouver  un  bon  mor- 
ceau, saute  dessus;  il  est  aussitôt  saisi,  et  périt  d'une  mort  cruelle; 
un  autre  l'imite,  et  est  traité  de  même;  puis  un  troisième,  puis  quel- 
ques autres  encore.  Arrive  un  vieux  routier,  qui  plus  d'une  fois  avait 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


123 


Rogati  mox  a  quodam , 
quidnam  fecissent 
8U0  delicio, 

locuti  sunt  hoc  modo  : 
«  Putabat  se  fore  securum 
post  mortem; 
ecce  alias  plagae 
congeruntur  mortao.  » 

Videtur  tibi  joculare  ; 
et  sane  ludimus  levé 
calamo , 
dum  habemus 
nihil  majus  ; 
sed  intuere  diligenter 
has  ngenias  : 
qnantam  utilitatem 
reperies  sub  illis  ! 
Non  sunt  semper 
ea  quœ  \-identur  ; 
prima  fronsdecipit  multos; 
mens  rara  intelligît 
quod  cura 

condidit  angulo  interiore. 
Ne  existimer  locutus  hoc 
sine  mercede, 
adjiciam  fabellam 
de  Mustela  et  Muribus. 

Quum  Mustela , 
debilis  annis  et  senecta , 
non  valeret  assequi 
mures  veloces, 
învohat  se  farina, 
et  abjecit  negligenter 
loco  obscuro. 
Mus ,  putans  escam, 
assiluit , 
et  compressus 
occubuit  neci  ; 
al  ter  similiter; 
deinde  et  tertius  périt 
Aliquot  secutis, 


Interrogés  bientôt  par  quelqu'un  , 

sur  ce-qu'ils  avaient  fait 

de  ce  baudet  leurs  amours, 

ils  parlèrent  de  cette  manière  : 

«  n  pensait  soi  devoir  être  tranquille 

après  sa  mort  ; 

voilà-que  d'autres  coups 

sont  accumulés  sur  lui  mort.  » 

Cela  semble  à  toi  badin  ; 
et  en  eflFet  nous  jouons  légèrement 
avec  notre  plume  , 
tandis  que  nous  n'avons 
rien  de  plus-sérieux; 
mais  examine  attentivement 
ces  badinages: 
quelle-grande  utilité 
tu  trouveras  sous  eux  ! 
Les  choses  ne  sont  pas  toujours 
celles  (ce'^  qu'elles  paraissent  ; 
le  premier  aspect  trompe  beaucoup  degeni; 
un  esprit  peu-commun  comprend  seul 
ce-que  le  travail  du  poète 
a  caché  dans  un  recoin  intérieur. 
De  peur  que  je  ne  sois  cru  ayant  dit  cela 
sans  profit  pour  toi, 
j'ajouterai  la  fable 
sur  la  Belette  et  les  Rats. 

Comme  une  belette  , 
faible  par  les  années  et  la  vieillesse , 
ne  pouvait  plus  atteindre 
les  rats  agiles, 
elle  enveloppa  soi  de  farine , 
et  se  jeta  négligemment 
dans  un  lieu  obscur. 
Un  rat,  pensant  elle  de  la  nourriture, 
sauta-dessus, 
et  accablé 

succomba  à  la  mort; 
un  autre  de  même; 
ensuite  aussi  un  troisième  périt. 
Quelques  autres  ayant  suivi  ceux--}, 


124  PHJIDRI  FAB.    LIBER  IV. 

Qui  saepe  laqueos  et  muscipula  effugerat; 
Proculque  insidias  cernens  hostis  callidi  : 
«  Sic  valeas  ,  inquit,  ut  farina  es,  quae  jaces  1  » 

FABULA  III. 

VULPES   ET   UVA. 

Famé  coacta  Vulpes  alta  in  vinea 
Uvam  appetebat,  summis  saliens  viribus. 
Quam  tangere  ut  non  potuit,  discedens  ait  : 
«  Nondum  matura  est  ;  nolo  acerbam  sumere.  » 

Qui ,  facere  quae  non  possunt,  verbis  élevant,  5 

Adscribere  hoc  debebunt  exemplum  sibi. 

FABULA  IV. 

EQUUS   ET   APER. 

Equus  sedare  solitus  quo  fuerat  sitim  , 

Dum  sese  Aper  volutat  turbavit  vadum. 

Hinc  orta  lis  est.  Sonipes*,  iratus  fero, 

Auxilium  petiit  hominis  ;  quem  dorso  levans , 

Rediit  ad  hostem.  Jactis  hune  telis  eques  5 

évité  pièges  et  ratières ,  et ,  voyant  de  loin  le  stratagème  de  soa 
ennemie  rasée  :  «  0  toi ,  lui  cria-t-il ,  qui  te  caches  en  ce  coin , 
porte-toi  bien ,  comme  il  est  vrai  que  tu  es  farine  !  » 

FABLE  III. 

LE   REKARD   ET  LES    RAISINS. 

Un  renard,  mourant  de  faim,  cherchait  à  attraper  des  raisins  qui 
pendaient  à  une  treille;  il  sautait  de  toutes  ses  forces  ,  mais  n'y  pou- 
vant atteindre ,  il  s'éloigna  en  disant  :  «  Ils  ne  sont  pas  mûrs  ;  je  ne 
veux  pas  les  cueillir  verts.  » 

Ceux  qui  rabaissent  ce  qu'ils  ne  peuvent  atteindre  ,  devront  s'ap- 
pliquer cet  apologue. 

FABLE   IV. 

LE    CHEVAL   ET   LE   SANGLIBB. 

Un  sanglier,  en  se  vautrant,  troubla  l'eau  d'un  gué  où  un  cheval  ve- 
nait d'habitude  se  désaltérer;  de  là  une  querelle.  Le  coursier,  dans 
sa  colère ,  implore  l'assistance  de  l'homme,  le  reçoit  sur  son  dos  et 
retourne  contre  son  ennemi.   Le  cavalier  lance  ses  traits  ,  et,  aprèa 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


125 


renit  et  retorridus  il  en  vint  aussi  un  retors  (vieux  routier) 

qui  eflFugerat  ssepe  qui  avait  évité  souvent 

laqueos  et  muscipula;  pièges  et  ratières; 

2ernensque  procul  insidias  et  voyant  de  loin  les  embûches 

bostis  callidi  :  «  Quse  jaces,  de  l'ennemie  rusée  :  «  Toi  qui  es  étendue, 

valeas,  inquit,  puisses-tu-te-bien-porter,  dit-il, 

sic  ut  es  farina  !  »  de  même  que  tu  es  farine!  » 


FABULA  ni. 

VULPES   ET   UVA. 

Vulpes  coacta  famé 
appetebat  uvam 
in  vinea  alta, 
isaliens  summis  viribus. 
Ut  non  potuit 
tangere  quam, 
ait  discedens  : 
.c  Nondum  est  matura; 
nolo  sumere  acerbam.  » 

Qui  élevant  verbis 
iquœ  non  possunt  facere, 
debebunt  adscribere  sibi 
hoc  exemplum. 


FABLE  IIL 

LB   RENAED   ET  LE   EAISIN. 

Un  renard  pressé  par  la  faim 
essayait-de-prendre  du  raisin 
sur  une  vigne  élevée, 
sautant  de  toutes  ses  forces. 
Comme  il  ne  put 
atteindre  ce  raisin, 
il  dit  en-s'éloignant  : 
«  Il  n'est  pas  encore  mûr  ; 
je  ne-veux-pas  prendre  Zut  aigre  (ve^t).  » 

Ceux  qui  rabaissent  par  leurs  paroles 
ce-qu'ils  ne  peuvent  faire, 
devront  appliquer  à  soi 
cet  exemple  (cet  apologue  ). 


FABULA  IV. 

EQUUS   ET   APER. 

Aper,  dum  volutat  sese, 
turbavit  vadum  quo  equus 
solitus  fuerat  sedare  sitim. 
Hinc  lis  orta  est. 
Sonipes, 
iratus  fero, 

petiit  auxilium  hominis  ; 
quem  levans  dorso, 
rediit  ad  hostem. 
Postquam  eques 


FABLE  IV. 

LE    CHEVAL   ET    LE    SANGLIER. 

Un  sanglier,  tandis  qu'il  vautre  soi, 
troubla  le  gué  dans  lequel  un  cheval 
avait  eu  (avait)  coutume  d'apaiser  sa  soif 
De  là  une  querelle  s'éleva. 
L'ammoZ-au-pied-sonnaut  (le  cùeval), 
irrité  contre  ranimai-sauvage, 
demanda  l'assistance  de  l'homme  ; 
lequel  levant  (  portant  )  sur  son  dos , 
il  revint  vers  son  ennemi. 
Après  que  le  cavalier 


126  PttEDRI  FAB.    LIBER  IV. 

Postquam  interfecit,  sic  locutus  Iraditur  : 

«  Laetor  tulisse  auxilium  me  precibus  tuis  ; 

Nam  prasdam  cepi ,  et  didici  quam  sis  utilis.  » 

Atque  ita  coegit  frenos  invitum  pati. 

Tum  mœstus  ille  :  «  Parvae  vindictam  rei  4i 

Dum  quaero  démens,  servitutem  repperi  !  » 

Haec  iracundos  admonebit  fabula, 
Impune  potius  laedi,  quam  dedi  alteri. 

FABULA  V. 

POETA. 

Plus  esse  in  uno  saepe,  quam  in  turba ,  boni» 
Narratione  posteris  tradam  brevi.  j 

Quidam  decedens  très  reliquit  filias  :  M 

Unam  formosam ,  et  oculis  venantem  viros  ; 
At  alteram  lanificam  et  frugi  rusticam  ;  5 

Devotam  vino  tertiam ,  et  turpissimam. 
Harum  autem  matrem  fecit  tieredem  senex 


I 


avoir  tué  le  sanglier,  prononce,  dit-on,  ces  paroles  :  a  Je  m'ap- 
plaudis d'avoir  cédé  à  tes  prières,  et  de  t' avoir  rendu  ce  service  ;  car 
j'ai  fait  une  capture,  et  j'ai  appris  à  connaître  ton  utilité,  d  Et, 
en  parlant  ainsi,  il  le  força  de  recevoir  le  frein.  «  Insensé  que  je 
suis,  dit  le  cheval  tout  consterné,  candis  que  je  cherclie  à  me  venger 
d'une  insulte  légère  ,  j'ai  trouvé  la  servitude  !  » 

Cette  fable  conseille  aux  personnes  irritables ,  de  souflfrir  plutôt 
une  offense  que  de  se  livrer  à  autrui. 

FABLE  V. 

LE   FOETE. 

Souvent  un  seul  homme  a  plus  de  sens  que  toute  une  multitude  ; 
j'en  laisse  dans  cette  courte  narration  un  exemple  à  la  postérité. 

Un  homme,  en  mourant,  laissa  trois  filles  :  l'une  ,  d'une  grande 
beauté,  cherchait  à  prendre  les  hommes  par  ses  regards;  la  seconde, 
bonne  ménagère ,  se  plaisait  aux  ouvrages  de  laine  et  aux  travaux 
de  la  campagne  ;  la  troisième  enfin ,  très-laide,  était  adonnée  au  vin. 
Le  vieillard  avait  fait  leur  mère  héritière  de  toute  sa  fortune ,  à 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   IV.  127 

interfecît  hune  telis  jactis,    eut  tué  celui-ci  par  ses  traits  lancés, 


tradîtur  locutus  sic  : 

€  Lsetor  me  tulisse  auxilium 

tuis  precibus  ; 

nam  cepi  prœdam, 

et  dîdici  quam  sis  utilis.  » 

Atque  ita  coegit  invitum 

pati  frenos. 

Tum  ille  mœstus  : 

«  Démens  !  dum  quaero 

vindictam  parvse  rei , 

repperi  servitutem  !  » 

Hœc  fabula  admonebit 
îracundos, 
lasdi  impime 
potius  quam  dedi  alteri. 


il  est  rapporté  ayant  parlé  ainsi  : 

«  Je  me  réjouis  moi  avoir  porté  secours 

à  tes  prières  ; 

car  j'ai  pris  une  proie, 

et  j'ai  appris  combien  tu  es  utile.  » 

Et  ainsi  il  força  lui  malgré-lui 

à  soufîrir  les  freins  (le  frein). 

Alors  celui-ci  chagrin  : 

«  Insensé!  tandis  que  je  cherche 

la  vengeance  d'une  petite  chose  (iDJure), 

j'ai  trouvé  la  servitude  !  » 

Cette  fable  avertira 
les  personnes  irritables , 
d'être  blessées  impunément 
plutôt  que  de  se-livrer  à  autrui. 


FABULA  V. 


FABLE  V. 


Tradam  posteris 
brevi  narratione, 
ssepe  plus  boni 
esse  in  tmo,  quam  in  turba. 

Quidam  decedens 
reliquit  très  filias  : 
unam  formosam, 
et  venantem 
viros  oculis  ; 
at  alteram  lanificam 
et  frugi  rusticam; 
tertiam  devotam  vino, 
et  turpissimam. 
Senex  autem  fecit  heredem 
matrem  harum 
sub  conditioue. 


LE  POETE. 

Je  livrerai  (montrerai)  aux  descendan  ts 
par  une  courte  narration , 
que  souvent  plus  de  bien  (  d'esprit  ) 
est  dans  un  seul  homme,  que  dans  une 

Un  homme  en-décédant  [foule, 

laissa  trois  filles  : 
l'une  belle, 

et  prenant-comme-à-la-chasse 
les  hommes  par  ses  yeux  ; 
mais  une  autre  travaillant-la-lame, 
et  ménagère  aimant-les-champs , 
la  troisième  adonnée  au  vin, 
CL  très-laide. 

Or  le  vieillard  fit  héritière 
la  mère  de  celles-ci 
sous  cette  condition. 


128  PH^DRI   FAB.    LIBER  lY. 

Sub  conditione,  totam  ut  fortunam  tribus 

iEqualiter  distribuât,  sed  tali  modo  : 

Ne  data  possideant,  aut  fruantur;  tum,  simul  4f 

Habere  res  desierint  quas  acceperint, 

Centena  matri  conférant  sestertia  '. 

Athenas  rumor  implet.  Mater  sedula 

Juris  peritos  consulit  :  nemo  expedit 

Quo  pacto  non  possideant  quod  fuerit  datum ,  -i  c 

Fructumve  capiant  :  deinde,  quae  tulerint  nihil, 

Quanam  ratione  conférant  pecuniam. 

Postquam  consumpta  est  temporis  longi  mora , 

Nec  testament!  potuit  sensus  colligi , 

Fidem  advocavit-,  jure  neglecto ,  parens  :  2( 

Seponit  Mœchae  vestem ,  niundum  muliebrem , 

Lavationem  argenteam ,  eunuchos,  glabres; 

Lanificae  agellos,  pecora,  villam,  operarios, 

Eoves,  jumenta,  et  instrumentum  rusticum; 

Potrici  plenam  antiquis  apothecam  cadis  %  21 

Domum  politam,  et  delicatos  hortulos. 

Sic  destinata  dare  quum  vellet  singulis, 

Et  approbaret  populus,  qui  illas  noverat, 

-^scpus  média  subito  in  turba  constitit  : 

condition  qu'elle  la  répartirait  également  entre  ses  trois  filles , 
mais  de  telle  sorte  qu'elles  n'eussent  ni  la  possession  ni  la  jouis- 
sance des  biens  qui  leur  seraient  dévolus  ;  puis,  quand  elles  auraient 
cessé  d'avoir  entre  les  mains  ce  qu'elles  auraient  reçu,  elles  devaient, 
entre  elles  trois,  donner  à  leur  mère  cent  grands  sesterces.  Ce  testa- 
ment fait  grand  bruit  à  Athènes.  La  mère  s'empresse  de  consultei 
les  hommes  de  loi  ;  mais  nul  n'en  peut  donner  le  mot  :  Commeni 
les  trois  filles  ne  peuvent-elles  avoir  ni  la  jouissance  ni  la  posses- 
sion des  biens  qu'on  leur  donne?  et  comment  ensuite,  lorsqu'elle; 
n'auront  plus  rien,  réuniront-elles  la  somme  exigée?  Un  long 
temps  s'écoule  sans  que  le  mystère  du  testament  soit  mieux  éclairci 
La  mère  alors  passe  outre  sur  le  droit,  et  ne  consulte  que  la  bonne 
foi  :  pour  la  coquette  elle  met  de  côté  les  vêtements ,  les  parures, 
les  services  de  bain  en  argent,  les  eunuques,  les  esclaves  àt 
luxe  ;  à  l'industrieuse  ménagère,  elle  destine  les  terres  ,  les  trou- 
peaux ,  la  ferme ,  les  esclaves  des  champs ,  les  bœufs  ,  les  bêtes  de 
somme ,  et  tous  les  instruments  du  labourage  ;  enfin  à  la  buveuse 
elle  réserve  un  cellier  rempli  de  vieux  vins ,  une  maison  élégante  ei 
de  délicieux  jardins. 

Les  lots  ainsi  réglés ,  elle  allait  les  donner  à  chacune ,  et  le  peu- 
ple, qui  connaissait  les  fiHes,  approuvait  ces  dispositions,  lorsque 
Esope  se  présente  tout  à  coup  au  milieu  de  la  foule  :  «  Oh  !  si  le  dé  - 


FABLES   DE   PHÈDRE.    Li VRt   JV. 


129 


ut  distribuât  £equali:;er 
totara  fortunam  tribus, 
sed  tali  modo  : 
ne  possideant  data , 
aut  fruantur; 
tum,  simul  desieriut 
liabere  res  quas  acceperint, 
conférant 

centena  sestertia  matri. 
Rumor  implet  Athenas. 
Mater  sedula 
consulit  peritos  juris  : 
nemo  expedit  quo  pacte 
non  possideant 
quod  fuerit  datum , 
capiantve  fructam  ; 
deinde  quanam  ratione, 
quae  tnierint  nihil , 
conférant  pecuniaiD. 
Postquam  mora 
longi  temporis 
consumpta  est, 
et  sensus  testamenti 
non  potuit  colligi, 
parens,  jure  neglecto, 
advocavit  fidem  : 
seponit  moechae 
vestem, 

mundura  miiliebrem, 
lavationem  argenteam, 
eunuchos,  glabros; 
lanificae 

agellos,  pecora, 
villam,  operarios, 
boves,  jumenta, 
et  instrumentum  rusticum: 
potrici  apothecam 
plenam  cadis  antiquis, 
domum  politani 
et  hortulos  delicatos. 
Quum  vellet  dare  singulis 
destinata  sic, 
et  populus, 
qui  noverat  iUas , 
approbaret , 
Bubito  ^sopus 
constitit  in  média  turba  : 
Fables  de  Phèdre 


qu'elle  partage  également 

toute  la  fortune  à  ses  trois  filles, 

mciis  de  telle  sorte  : 

qu'elles  ne  possèdent  pas  les  biens  donnés 

ou  qu'elles  v'en  jouissent  pas  ; 

qu'alors,  dès-qu'elles  auront  cessé 

d'avoir  les  biens  qu'elles  auront  reçus, 

elles  réunissent  (fournissent) 

cent  sesterces  pour  leur  mère. 

La  ruu:ieur  (iu  teslameiU  remplit  Athènes, 

La  mère  empressée 

consulte  les  hommes  instruits  du  droit  : 

personne  n'explique  par  quel  moyen 

elles  ne  posséderont  pas 

ce-qui  leur  aura  été  donné, 

ou  n'en  retireront  pas  le  fruit; 

ensuite  de  quelle  manière 

celles-qui  n'auront  emporté  (reçu)  rien 

réuniront  la  somme  exigée. 

Après  que  le  délrù 

d'un  long  temps 

fut  consumé  'écoulé), 

et  que  le  sens  du  testament 

ne  put  être  recueilli  (  saisi  )  , 

la  mère,  le  droit  étant  négligé, 

appela-à-e/^e  la  bonne-foi  : 

elle  met-de-côté  pour  la  coquette 

vêtements, 

attirail  féminin, 

baignoire  en-argent, 

eunuques,  esclaves-pour-la-toilette, 

pour  celle-qui-travaille-la-laine, 

champs ,  troupeaux  , 

ferme,  ouvriers, 

bœufs,  bêtes-de-somme, 

et  instruments  rustiques  ; 

■pour  la  buveuse,  cellier 

plein  de  tonneaux  vieux  (de  vieux  vins), 

maison  bien-pourvnae, 

et  petits-jardins  délicieux. 

Comme  elle  voulait  donner  à  chacune 

les  lots  réglés  ainsi, 

et  que  le  peuple, 

qui  connaissait  ces  trois  filles, 

approuvait, 

tout-à-coup  Esope 

s'arrêta  (parut)  au  milieu  de  la  foule  ; 

0 


130  PHiEDRI   FAB.    LIBER  IT. 

a  0  si  maneret  condito  sensus  patri,  30 

Quam  graviter  ferret  quod  voluntatem  suam 

Interpretari  non  potuissent  Attici  !  » 

Rogatus  deinde ,  solvit  errorem  omnium  : 

«  Domum  et  ornamenta  cum  venustis  hortulis , 

Et  vina  vetera  date  Lanificae  rusticae  ;  35 

Vestem,  uniones,  pedisequos,  et  cetera 

Illi  assignate,  vitam  quse  luxu  trahit; 

Agros,  yites,  etpecora  cum  pastoribus 

Donate  Mœchae.  Nulla  poterit  perpeti 

Ut  moribus  quid  teneat  alienum  suis  :  40 

Deformis  cultum  vendet,  ut  vinum  petat; 

Agros  abjiciet  Mœcha,  ut  ornatum  paret; 

At  illa  gaudens  pécore,  et  lanaededita, 

Quaoumque  summa  tradet  luxuriae  domum. 

Sic  nulla  possidebit  quod  fuerit  datum,  45 

Et  dictam  matri  confèrent  pecuniam 

Ex  pretio  rerum  quas  vendiderint  singulae,  » 

Ita,  quod  multorum  fugit  imprudentiam, 
Unius  hominis  repperit  solertia. 

funt  vivait  encore ,  s'écria-t-il ,  comme  il  s'indignerait  de  voir  les 
Athéniens  interpréter  si  mal  sa  volonté  suprême  !  »  Aussitôt  on  l'in- 
terroge, et  il  dissipe  ainsi  l'erreur  générale  :  «  La  maison,  les  meu- 
bles ,  les  riants  jardins  ,  les  vieux  vins ,  donnez-les  à  celle  qui  n'aime 
que  les  champs  ;  les  parures  ,  les  perles ,  les  esclaves ,  et  tout  le 
reste,  gardez-le  pour  celle  qui  passe  sa  vie  dans  le  luxe  des  fes- 
tins ;  et  réservez  à  la  coquette  les  champs ,  les  vignes,  les  troupeaux 
et  leurs  bergers.  Nulle  ne  pourra  conserver  des  biens  si  peu  en  rap- 
port avec  ses  penchants  ;  la  laide  vendra  ses  atours  pour  acheter  du 
vin  ,  la  coquette  quittera  les  champs  pour  avoir  des  parures ,  et  celle 
qui  n'aime  que  les  travaux  des  champs  et  les  ouvrages  de  laine  , 
voudra  à  tout  prix  se  défaire  de  sa  maison  de  plaisance.  Ainsi , 
aucune  d'elles  ne  possédera  plus  ce  qu'elle  aura  reçu  ,  et,  du  prix  de 
la  vente  de  leurs  biens  ,  elles  réuniront  à  elles  trois  la  somme  assi- 
gnée à  leur  mère.  » 

Ainsi,    ce  qui  avait  échappé  à  une   foule   inconsidérée,    l'esprit 

îrvoyant  d'un  seul  homme  sut  le  découvrir. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


131 


f  0  si  sensus 
maneret  patri  condito, 
quam  ferret  graviter 
quod  Attici 

non  potuissent  interpretari 
Bnam  voluntatem  !  » 
Rogatus  deinde, 
Bolvit  errorem  omnium  : 
•  Lanific85 
rusticœ 

date  domxmi  et  ornamenta 
cum  hortulis  venustis, 
et  vina  vetera; 
assignate  vestem, 
tmiones  , 
pedisequos , 
et  cetera 

illi,  quœ  trahit vitamluxu; 
donate  mœchse  agros, 
vites,  et  pecora 
cum  pastoribus. 
Nulla  poterit  perpeti 
nt  teneat 

quid  alienum  suis  moribus  : 
deformis  vendet  cultum, 
ut  petat  vinum  ; 
mœcha  abjiciet  agros , 
ut  paret  ornatum  ; 
at  illa  gaudens  pécore, 
et  dedita  lanse, 
tradet  qiiacumque  summa 
domum  luxurise. 
Sic  nulla  possidebit 
quod  fuerit  datum , 
et  confèrent  matri 
pecuniam  dictam 
ex  pretio  rerum 
quassingulaevendiderint.  » 
T.ta  solertia  unius  hominis 
repperit  quod  fugit 
imprudentiam  multorum. 


«Oh!  si  le  sentiment 

restait  au  père  enseveli, 

qu'il  supporterait  avec  peine 

que  les  Athéniens 

n'eussent  (n'aient)  pu  interpréter 

sa  volonté  !  r> 

Ayant  été  interrogé  ensuite , 

il  dissipa  l'erreur  de  tous  : 

«  A  celle-qui-travaille-la-laine 

et  qui-airae-les-champs 

donnez  la  maison  et  les  meubles 

avec  les  petits-jardins  charmants, 

et  les  vins  vieux  ; 

assignez  les  vêtements, 

les  perles, 

les  valets-de-pied 

et  le  reste, 

à  celle  qui  passe  sa  vie  dans  le  luxe  ; 

donnez  à  la  coquette  les  champs, 

les  vignes,  et  les  troupeaux 

avec  leurs  pasteurs. 

Aucune  ne  pourra  supporter-longtemps 

qu'elle  retienne  (  de  conserver  ) 

quelque-chose  d'étranger  à  sespenchants: 

la  laide  vendra  ses  toilettes, 

pour  qu'elle  se-procure  du  vin  ; 

la  coquette  se-débarrassera  des  terres, 

pour  qu'elle  achète  des  parures; 

mais  celle  aimant  les  troupeaux, 

et  adonnée  à  la  'aux  ouvrages  de)  laine, 

livrera  pour  quelque  prix  qxie-ce-soit 

sa  maison  de  plaisance. 

Ainsi  aucune  ne  possédera 

ce-qui  lui  aura  été  donné, 

et  elles  rassembleront  pour  leur  mère 

la  somme  dite  (  énoncée  au  testament  ) 

du  (avec  le)  prix  des  biens 

lesquels  chacune  d'elles  aura  vendus.  » 

Ainsi  la  sagacité  d'un  seul  homme 

trouva  ce-qui  avait  échappé 

à  l'ignorance  d'un-grand-nombre. 


!32  PflEDRI   FAB.    LIBER    IV. 

FABULA  VI. 

PUGNA   MURIUM   ET   MUSTELA.^UM. 

Quum  vîcli  Mures  Mustelarum  exercitu 

(Quorum  in  tabernis  historié  depingitur) 

Fugerent,  et  arctos  circum  trepidarent  cavos, 

^gre  recepti,  tamen  evaserunt  necem. 

Duces  eorum,  qui  capilibus  cornua  '  5 

Suis  ligarant,  ut  conspicuum  in  praelio 

Haberent  signum  quod  sequerentur  milites, 

Haesere  in  portis,  suntque  capti  ab  hostibus. 

Quos  immclatos  victor  avidis  dentibus 

Capacis  aivi  mersit  tartareo  specu.  40 

Quemcumque  populum  tristis  eventus  premit, 
Periclitatur  magnitudo  principum, 
Minuta  plèbes  facili  praesidio  latet. 

FABULA  VU. 

POETA. 

Tu  qui  nasute  scripta  destringis  mea , 
FABLE  VL 

LE  COMBAT  DES  RATS  ET  DES  BELETTES. 

Dans  cette  fameuse  bataille  qu'on  voit  peinte  sur  les  murs  des  caba- 
rets, les  rats,  mis  en  déroute  par  l'armée  des  belettes  ,  fuyaient  et  se 
pressaient  en  tumulte  aux  portes  de  leurs  étroites  demeures,  où  ils  n'en- 
traient qu'avec  peine;  ils  parvinrent  toutefois  à  éviter  la  mort.  Mais 
leurs  chefs,  qui  s'étaient  attaché  sur  la  tête  des  panaches,  pour  avoir 
dans  la  mêlée  un  signe  que  pussent  suivre  leurs  soldats  ,  restèrent 
embarrassés  à  l'entrée  de  leurs  trous,  et  furent  pris  par  les  ennemis. 
Les  vainqueurs  les  immolèrent,  et  d'une  dent  avide  les  englouti- 
rent dans  l'antre  infernal  de  leur  vaste  estomac. 

Quel  que  soit  le  peuple  qu'accablent  les  coups  du  sort ,  le  haut 
rang  des  chefs  les  met  en  danger ,  tandis  que  l'obscure  multitude 
assure  sans  peine  son  salut. 

FABLE  VIL 

LE    POETE. 

Tci  qui  répands  malignement  la  raillerie  sur  mes  écrits,  et  dédai- 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE    IV. 


133 


FABULA  VI. 

PUGNJL  MURIUM 

ET  MUSTELARUM. 

Quum  mures 
(quorum  historia 
depingitur  in  tabernis) , 
victi  exercitu  mustelarum, 
fugerent,  et  trepidarent 
circum  cavos  arctos , 
recepti  œgre, 
evaserunt  tamen  necem. 
Duces  eorum , 
qui  ligarant  cornua 
suis  capitibus, 
ut  haberent  in  prselio 
signum  conspicuum 
quod  sequerentur  milites, 
hsesere  in  portis, 
captique  sunt  ab  hostibus. 
Quos  victor  mersit 
immolâtes  dentibus  avidis 
specu  tartareo 
alvi  capacis. 

Quemcumque  populum 
eventus  tristis  premit , 
magnitudo  principum 
periclitatur, 
minuta  plèbes 
latet  praîsidio  facili. 


FABLE  VL 

COMBAT    DES    RATS 
ET     DES     BELETTE» 

Comme  les  rats 
(desquels  l'histoire 
est  peinte  dans  les  cabarets)  , 
vaincus  par  l'armée  des  belettes, 
fuyaient ,  et  se  pressaient 
autour  de  leurs  trous  étroits, 
reçus  (introduits)  avec-peine, 
ils  écliappèrent  cependant  à  la  mort 
Les  chefs  de  ceux-ci, 
qui  avaient  attaché  des  aigrettes 
à  leurs  têtes, 

afin  qu'ils  eussent  dans  le  combat 
un  signe  remarquable 
que  pussent-suivre  les  soldats, 
restèrent-embarrassés  aux  portes, 
et  furent  pris  par  les  ennemis. 
Lesquels  le  vainqueur  engloutit, 
immolés  par  ses  dents  avides, 
dans  le  gouffre  infernal 
de  son  ventre  spacieux. 

Quel-que-soit  le  peuple  que 
un  événement  funeste  accable, 
l'élévation  des  grands 
court-des-risques , 
le  menu  peuple 
est  mis-à-couvert  par  une  défense  facile. 


FABULA   VIL 

POETA. 

Tu  qui  destringis 
mea  scripta  nasute. 


FABLE  VIL 

LE  POETE. 

Toi  qui  critiques 
mes  écrits  avec-un-goût-minutieux, 


1S4  PH^DRI   FAB.    LIBER   IV. 

Et  hoc  jocorum  légère  fastidis  genus, 

Parva  libellum  sustine  patientia , 

Severitatem  frontis  dum  placo  tuae: 

En  in  cothurnis  •  prodit  ^Esopus  novis.  5 

Utinam  *  nec  unquam  Pelii  '  nemoris  jugo 
Pinus  bipenni  concidisset  Thessalâ , 
Nec  ad  professas  mortis  audacem  viam 
Fabricasset  Argus  *  opère  Palladio  ratem , 
Inhospitalis  prima  quae  Ponti  sinus  40 

Patefecit ,  in  perniciem  Graium  et  Barbanim  ! 
Namque  et  superbi  luget^etae**  domus, 
Et  régna  Peliae*  scelere  Medeae  jacent  : 
Quae  saevum  ingenium  variis  involvensmodis, 
Dlic  per  artus  fratris  '  explicuit  fugam ,  45 

Hic  caede  patris  Peliadum  infecit  manus. 

Quid  tibi  videtur  ?  «  Hoc  quoque  insulsum  est ,  ais , 
Falsoque  dictum  :  longe  quia  vetustior 
Mgea  Minos'  classe  perdomuit  fréta, 

Justoque  vindicavit  exemplo  impetum.  »  20 

Quid  ergo  possum  facere  tibi ,  lector  Cato  ^, 
Si  nec  fabellae  te  juvant,  nec  fabulae? 

gnes  de  lire  ces  frivolités ,  regarde  avec  un  peu  d'indulgence  ce  pe- 
tit ouvrage ,  et  laisse-moi  dérider  la  sévérité  de  ton  front  :  Voilà 
qu'Esope  s'avance  chaussé  du  cothurne  tout  nouveau  pour  lui. 

Plût  aux  dieux  que  jamais  les  pins  qui  omhragent  les  sommets 
du  Pélion  ne  fussent  tombés  sous  le  tranchant  de  la  hache  thessa- 
lienne  1  Plût  aux  dieux  que  jamais  Argus,  pour  courir  avec  audace 
à  une  mort  certaine,  n'eût,  par  l'inspiration  de  Pallas,  construit  ce 
vaisseau  qui,  le  premier,  s'ouvrit  un  passage  sur  les  flots  du  Pont 
inhospitalier,  pour  ^causer  la  perte  des  Grecs  et  des  Barbares  !  car  le 
palais  du  superbe  Eétès  est  plongé  dans  la  douleur,  et  le  royaume  de 
Pëlias  est  renversé  par  les  crimes  de  la  cruelle  Médée,  de  Médée, 
qui,  revêtant  tour  à  tour  de  mille  formes  son  ingénieuse  scélératesse, 
sème  ici  les  membres  d'un  frère  pour  assurer  sa  fuite ,  et  là  égorge 
Pélias  par  les  mains  de  ses  filles. 

Que  t'en  semble,  ami  lecteur?  «  Ce  style  aussi  manque  de  sel,  me  ré- 
pondras-tu, et  les  faits  sont  erronés;  longtemps  auparavant,  Minos 
sur  une  flotte ,  avait  dompté  les  flots  de  la  mer  Egée ,  et  imposé  au 
crime  d'Athènes  un  juste  châtiment.  »  Que  puis-je  donc  pour  toi, 
lecteur  qui   fais  le  Caton  ,  si  tu  dédaignes  également  et  mes  fable» 


FABLES  DE   PHEDRE.    LIVRE   IV. 


135 


et  fastidis  légère 
hoc  genus  jocorum, 
Bustine  libellum 
parva  patientia, 
dum  placo 

BBveritatem  tuîe  frontis  : 
En  ^sopus  prodit 
in  cothurnis  novis. 

Utinam  nec  pinus 
concidisset  unquam 
bipenni  Thessala 
jugo  nemoris  Pelii, 
nec  Argus  opère  Palladio 
fabricasset 
ad  viam  audacem 
mortis  professse , 
ratem, 

quaî  prima  patefecît 
Binus  Ponti  inhospitalis, 
in  perniciem  Graium 
et  Barbarum  ! 
Namque 

et  domus  superbi  ^etse 
luget , 

et  régna  Pelise 
jacent 

Bcelere  Medese  : 
qnae,  involvensmodisvariis 
ingenium  sasvum, 
explicuit  illic  fugam 
per  artus  fratris, 
infecit  hic  manus  Peliadum 
csede  patris, 

Quid  videtur  tibi  ? 
«  Hoc  quoque 
est  insulsum,  ais, 
dictumque  falso  : 
quia  Minos  longe  vetustior 
perdomuit  classe 
fréta  -^gea , 
justoque  exemple 
vindicavit  impetum.  » 
Quid  ergo 
possum  facere  tibi, 
lector  Cato , 

si  nec  fabellœ  juvant  te, 
necfabulœ? 


et  dédaignes  de  lire 

ce  genre  de  badinages, 

supporte  ce  petit-ouvrage 

avec  un-peu-de  patience  , 

tandisque  j'adoucis  (cbercbeà  dérider) 

la  sévérité  de  ton  front  : 

Voilà-qu'Esope  s'avance 

sur  les  cothurnes  tout-nouveaux  pour  lui. 

Plût-aux-dieux-queni  le  pin 
ne  fût  tombé  (n'eût  été  abattu)  jamais 
par  la  hache  thessalienne 
sur  le  sommet  de  la  forêt  du-mon/-Pélion. 
ni  Argus,  par  l'assistance  de  Pallas, 
n'eût  fabriqué 
pour  la  voie  hardie 
d'une  mort  avouée  (manifeste), 
un  vaisseau 

qui  le  premier  ouvrit  (sillonna) 
les  mers  du  Pont  inhospitalier, 
pour  la  ruine  des  Grecs 
et  des  Barbares  ! 
Car 

et  le  palais  du  superbe  Eétès 
pleure  (est  plongé  dans  le  deuil), 
et  les  royaumes  de  Pélias 
sont  gisants  (détruits) 
par  le  crime  de  Médée  : 
laquelle,  enveloppant  de  formes  variées 
son  génie  cruel, 
dégagea  (assura^  là  sa  fuite 
à-l'aide  des  membres  d'un  frère, 
souilla  ici  les  mains  des  Péliades 
du  meurtre  de  leur  père. 

Que  semble  à  toi? 
«  Cela  même 
est  sans-sel,  dis-tu, 
et  dit  (avancé)  faussement  : 
puisque  Minos  beaucoup  plus-ancien 
dompta  avec  une  flotte 
les  détroits  (flots)  Egéens, 
et  par  un  juste  exemple 
punit  la  violence  des  Athéniens.  » 
Quoi  donc 

puis-je  faire  pour  toi, 
lecteur  Caton  (qui  fais  le  Caton), 
si  ni  mes  fables  ne  plaisent  à  toi , 
ni  mes  récits-mythologiques  (épiques)  ? 


136  PHiEDRI    VA?..    LIBER    IV. 

Noli  molestus  esse  omnino  litteris, 
Majorem  exhibeant  ne  tibi  molestiam. 

Hocillis  dictum  est  qui,  stulti  etiam,  nauseant,  25 

Et,  ut  putentur  sapere,  cœlum  vitupérant. 

FABULA  VIII. 

VIPERA    ET   LIMA. 

Mordaciorem  qui  improbo  dente  appétit , 
Hoc  argumento  se  describi  sentiat. 

In  ofBcinam  fabri  venit  Vipera. 
Haec  ,  quum  tentaret  si  qua  res  esset  cibi', 
Limam  momordit.  Illa  contra  conlumax  :  5 

«  Quid  me,  inquit,  stulta,  dente  captas  laedere, 
Omne  assuevi  ferrum  quae  corrodere  ?  » 

FABULA   IX. 

VULPES    ET    HIRCUS. 

Homo  in  periclum  simul  ac  venit  callidus, 
Reperire  effugium  quasdi  alterius  malo. 

et  mes  récits  épiques?  Montre  un  peu  moins  d'animosité  contre  les 
auteurs ,  si  tu  ne  veux  les  voir  t'accabler  de  leur  ressentiment. 

Ces  vers  s'adressent  aux  sots  qui  font  les  dédaigneux,  et  qui,  pour 
se  donner  des  airs  d'hommes  de  goût ,  critiqueraient  les  œuvres  des 
dieux  eux-mêmes. 

FABLE  Vin. 

LA   VIPÈRE   ET   LA  LIME. 

Celui  dont  la  dent  méchante  s'attaque  à  plus  mordant  que  lui, 
pourra  se  reconnaître  dans  cet  apologue. 

Une  vipère  entra  dans  l'atelier  d'un  serrurier,  et,  cherchant  à 
manger,  elle  se  mit  à  mordre  une  lime  ;  mais  celle-ci  ,  résistant  à 
ses  efforts,  lui  dit  :  «Insensée!  pourquoi  cherches-tu  à  m'entaraer 
avec  tes  dents,  moi  accoutumée  à  ronger  le  fer  le  plus  dur? 

FABLE  IX. 

LE    r.ENAllL)    ET    LE    BOUC. 

Un  homme  adroit  se  troiive-t-il  en  péril?  il  cherche  à  s'en  tirer 
aux  dépens  d'autrui. 


FABLES   DE   PHEDRE.    LIA^RE   IV. 


137 


Noii  esse 

omnino  molestus  litteris, 

ne  exhibeant 

majorem  molestiam  tibi. 

Hoc  dictum  est  illis 
qui,  etiam  stultî, 
nauseant, 

et,  ut  putentur  sapere, 
vitupérant  cœlum. 


Ne  veuille-pas  être 

tout-à-fait  importun  aux  lettres , 

de  peur  qu'elles  ne  montrent  (causent) 

une  plus-grande  importunité  à  toi. 

Ceci  est  dit  pour  ceux 
qui,  même  sots    quoique  sots), 
ont-des-nausées (font  les  dédaigneux), 
et,  afin  qu'ils  soient  pensés  avoir-du-goût, 
critÏQuent  le  ciel  même. 


FABULA  VIII. 

VIPERA    ET    LIMA. 

Qui  appétit 
dente  improbo 
mordaciorem , 
sentiat  se  describi 
hoc  argumente. 

Vipera  venit 
in  officinam  fabri. 
Hœc,  quum  tentaret 
si  qua  res  cibi  esset , 
momordit  limam. 
Illa  contra  contumax  : 
«  Stulta ,  inquit , 
quid  captas 
lœdere  dente 
me ,  quae  assuevi 
corrodere  omne  ferrum?  » 


FABLE  YIII. 

LA  VIPÈRE    ET   LA  LIME. 

Que  celui-qui  cherche-à-blesser 
d'une  dent  méchante 
un  plus-mordant, 
comprenne  soi  être  désigné 
par  cette  fable. 

Une  vipère  vint  'entra) 
dans  l'atelier  d'un  forgeron. 
Celle-ci,  comme  elle  tâtait 
si  quelque  chose  de  nourriture  était  là, 
mordit  une  lime. 
Celle  là  de-son-côté  résistant  : 
«  Insensée,  dit-elle, 
pourquoi  cherches-tu 
à  blesser  de  ta  dent 
moi,  qui  ai-coutume 
de  ronger  tout  (toute  sorte  de)  fer?  » 


FABULA  IX. 

VTLPES    ET    HIRCUS 


FABLE  IX. 

LE    REKARD    ET    LE    BOUC. 


Simul  ac  homo  callidus        Dès  qu'un  homme  habile 
venit  in  periclum,  est  venu  (tombé)  en  péril, 

qu«rit  reperire  effugium      il  cherche  à  trouver  un  moyen-de  faix 


malo  alterius. 


au  détriment  d'autrui 


138  PILEDRl   FAB.    LIBER  IV. 

Quum  decidisset  Vulpes  in  puteum  inscia, 
Et  altiore  clauderetur  margine, 

Devenit  Hircus  sitiens  in  eumdem  locum  ;  5 

Simul  rogavit  esset  an  dulcis  liquor 
Et  copiosus.  Illa,  fraudem  moliens  : 
«  Descende,  amice  :  tanta  boni  tas  est  aquae, 
Ut  non  voluptas  satiari  possit  mea.  » 

Immisit  se  barbatus.  Tum  Vulpecula  40 

Evasit  puteo ,  nixa  celsis  cornibus , 
Hircumque  clause  liquit  haerentem  vado. 

FABULA  X. 

DE   VITIIS   HOMIHUM. 

Paras  imposuit  Jupiter  nobis  duas  *  : 
Propriis  repletam  vitiis  post  tergum  dédit , 
Alienis  ante  pectus  suspendit  gravem. 

Hac  re  videre  nostra  mala  non  possumus  ; 
Alii  simul  delinqunt,  censores  sumus.  6 


Un  renard  s'était  laissé  tomber  par  mégarde  dans  -an  puits,  et  y 
était  retenu  par  la  hauteur  de  la  margelle.  Un  bouc  vint  au  même 
endroit  pour  apaiser  sa  soif,  et  lui  demanda  si  l'eau  était  bonne  et 
abondante  ;  et  lui ,  méditant  sa  ruse  :  «  Descends ,  ami ,  lui  dit-il , 
elle  est  si  douce  ,  j'éprouve  tant  de  plaisir  à  en  boire,  que  je  ne  puis 
m'en  rassasier.  »  Le  bouc  à  la  longue  barbe  se  précipite  ;  alors,  grim- 
pant sur  ses  cornes  élevées  ,  le  renard  sort  du  puits  ,  et  y  laisse  cap 
tif  son  malheureux  compagnon. 

FABLE  X. 

SUK  LES  DÉFAUTS  DES  HOMMES. 

Jupiter  nous  a  tous  chargés  d'une  besace  •.  il  a  fait  la  poche 
de  devant  pour  nos  défauts,  et  celle  de  derrière  pour  les  défauts 
d'autruî. 

Voilà  pourquoi  nous  ne  pouvons  voir  nos  vices  ;  mais  notre  voi- 
sin commet-il  une  faute?  soudain  nous  faisons  les  censeurs. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


135 


Quum  volpes 
decidisset  inscia 
in  puteum, 
et  clauderetur 
margine  altiore, 
hircus  sitieus 
devenit  in  eumdem  locum 
simul  rogavit  an  iiquor 
esset  dulcis  et  copiosus. 
Illa,  moliens  fraudem  : 
«  Descende ,  amice  : 
bonitas  aquse  est  tanta, 
ut  mea  voluptas 
non  posait  satiarî.  » 
Barbatus  immisit  se. 
Tum  vulpecula 
evasit  puteo, 
nixa  celsis  cornibus, 
liquitque  hircum 
haerentem  vado  clause. 


Comme  un  renard 
était  tombé  ne-sacbant-pas  (par  mégarde) 
dans  un  puits, 
et  qu'il  était  enfermé 
par  le  bord  trop-élevé, 
un  bouc  ayant-soif 
■vint  dans  le  même  endroit  ; 
en-même-temps  il  demanda  si  l'eau 
était  douce  et  copieuse. 
Celui-ci,  méditant  une  ruse  : 
«  Descends,  ami  : 
la  bonté  de  l'eau  est  si-grande , 
que  mon  plaisir 
ne  peut  s'en  rassasier.  » 
Le  barbu  précipita  soi  dans  le  puits. 
Alors  le  rusé-renard 
sortit  du  puits,  [bouc, 

s' étant  appuyé  sur  les  hautes  cornes  du 
et  laissa  le  bouc 
attaché  (enfoncé)  dans  ce  puits  fermé. 


FABULA  X. 


FABLE  X. 


DE   VITIIS   HOMINUM. 

Jupiter  imposuit  nobis 
duas  peras  : 
dédit  post  tergum 
repletam  vitiis  propriis , 
suspendit  ante  pectus 
gravem  alienis. 

Hac  re 
non  possumus 
videre  nostra  mala  ; 
simul  alii  delinquunt 
sumos  censores. 


SUR   LES   DEFAUTS    DBS    HOMMES. 

Jupiter  a  imposé  à  nous 
deux  poches-de-besace  : 
il  donna   plaça)  derrière  le  dos 
l'une  remplie  de  nos  défauts  propres, 
et  suspendit  devant  notre  poitrine 
l'autre  lourde  des  défauts  d'-autrxii. 

Par  cette  chose  (disposition) 
nous  ne  pouvons 
voir  nos  vices  ; 
dès-que  les  autres  faillissent, 
nous  sommes  leurs  censeurs. 


140  PH^DR[    FAB.    LIBER   IT. 

FABULA  XI. 

FUK    ARAM    COMPILAN8. 

Lucernam  Fur  accendit  ex  ara  Jovis  , 
Ipsumquocompilavit  ad  lumen  suum. 
Qui  sacrilegio  onustus  quum  discederet, 
Repente  vocem  sancta  misit  religio  *  : 

t  Malorum  quamvis  ista  fuerint  munera ,  5 

Mihique  invisa,  ut  non  offendar  surripi, 
Tamen,  sceleste,  spirituculpam  lues, 
Olim  quum  adscriptus  venerit  pœnae  dies*. 
Sed  ne  ignis  noster  facinori  praeluceat, 

Per  quem  verendos  excolit  pietas  deos  ,  10 

Veto  esse  taie  luminis  commercium.  » 
Ita  hodie  nec  lucernam  de  flamma  deum, 
Nec  de  lucerna  fas  est  accendi  saorum. 

Quot  res  contineat  hoc  argumentum  utiles, 
Non  explicabit  alius  quam  qui  repperit.  4  5 

Significat  primo,  saepe,  quos  ipse  alueris, 

FABLE  XL 

LE    VOLEUR    PILLANT    UN    AUTEL. 

Un  voleur  alluma  sa  lampe  à  l'autel  de  Jupiter  ,  et  pilla  le  tem- 
ple du  dieu  à  la  lueur  de  la  lumière  qu'il  y  avait  dérobée.  Il  se 
retirait  chargé  de  son  butin  sacrilège ,  quand  la  divinité  fit  soudain 
entendre  sa  voix  sainte.  «  C'étaient  des  pervers  qui  m'avaient  offert 
ces  présents:  ils  me  sont  odieux,  et  je  regrette  peu  de  me  les  voir  ra- 
vir ;  sache  toutefois,  infâme  scélérat,  que  tu  paieras  de  la  vie  ton 
forfait,  quand  viendra  le  jour  du  châtiment  marqué  par  les  destins. 
Mais ,  pour  qu'à  l'avenir  ce  feu,  que  la  piété  se  plaît  à  entretenir  par 
respect  pour  la  majesté  des  dieux,  n'éclaire  plus  d'autres  forfaits, 
j'ordonne  de  le  mettre  désormais  hors  des  atteintes  des  profanes.  » 
Aussi  de  nos  jours  n'est-il  plus  permis  de  prendre  de  la  flamme  aux 
autels,  ni  d'allumer  le  feu  sacré  avec  le  feu  des  mortels. 

Nul  autre  que  l'auteur  de  cette  fable  ne  saura  mettre  dans  leur 
joiir  les  utiles  leçons  qu'elle  renferme.  Elle  montre  d'abord  que 
•oiivent  ceux  aue  nous  avons  élevés  deviennent  nos  plus  grands  en- 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   iV. 


141 


FABULA  XI 

FUR  COMPILANS  AKAM. 

Fur  accendit  lucernam 
ex  ara  Jovis, 
compilavitque  ipsum 
ad  suum  lumen. 
Quum  qui  discederet 
onustus  sacrilegio , 
repente  sancta  religio 
misit  vocem  : 
«  Quamvis  ista  munera 
fuerint  malorum, 
invisaque  mihi, 
ut  non  offendar 
surripi,  tamen,  sceleste, 
lues  culpam  spiritu, 
quum  olim  venerit 
dies  adscriptus  pœnae. 
Sed  ne  noster  ignis, 
per  quem  pietas 
excolit  deos  verendos, 
praeluceat  facinori , 
veto  taie  commercium 
luminis  esse.  » 
Ita  ho  die  fas  est 
nec  lucernam  accendi 
de  flamma  deum, 
nec  sacrum 
de  lucerna. 

Alius  quam  qui  repperit 
non  explicabit 
quct  res  utiles 
hoc  argumentum  contineat . 
Significat  primo, 
ûuos  alueris  ipsc 


FABLE  XL 

LE    VOLEUR    PILLANT    UN    AUTEU 

Un  voleur  alluma  un  flambeau 
à  l'autel  de  Jupiter, 
et  pilla  le  dieu  lui-même 
à  sa  propre  lumière. 
Comme  il  se  retirait 
chargé  d'un  butin-sacrilége, 
tout-à-coup  la  sainte  religion  (la  divinité) 
envoya  (ht  entendre)  ces  paroles  : 
«  Quoique  ces  présents 
aient  été  ceux  de  méchants, 
et  qu'Us  soient  odieux  à  moi , 
de-telle-sorte-que  je  ne  sois  pas  offensé 
eua;m'êtro  dérobés,  cependant,  scélérat, 
tu  paieras  ton  forfait  de  la  vie  , 
quand  un  jour  viendra 
le  jour  assigné  pour  le  châtiment. 
Mais  de  peur  que  notre  feu, 
moyennant  lequel  la  piété 
honore  les  dieux  augustes, 
n'éclaire  désormais  le  crime , 
je  défends  qu'un  tel  commerce 
de  lumière  soit.  » 
Ainsi  aujourd'hui  il  n'est  permis 
ni  qu'un  flambeau  soit  allumé 
à  la  flamme  des  dieux, 
ni  ^u'un  feu  sacré 
soit  allumé  à  un  flambeau  mortel. 

Un  autre  que  celui  qui  Ta  trouvé 
n'expliquera  pas 
combien  de  choses  utiles 
cet  apologue  contient. 
Il  signifie  d'abord, 
ceux-que  tu  auras  nourris  toi-même, 


U2  PHiEDRI  FAB.    LIBER  IV. 

Tibi  inveniri  maxime  contrarios. 

Secundo  ostendit  scelera  non  ira  deum, 

Fatorum  dicto  sed  puniri  tempore. 

Novissime  interdicit  necum  maléfice  2û 

Usum  bonus  consociet  uilius  rei. 

FABULA  XII. 

HERCULES   ET   PLUTUS. 

Opes  invisae  merito  sunt  forti  viro , 
Quia  dives  arca  veram  laudem  intercipit. 

Cœlo  receptus  propter  virtutem  Hercules, 
Quum  gratulantes  persalutasset  deos, 

Veniente  Pluto ,  qui  Fortunae  est  filius ,  5 

Avertit  oculos.  Causam  quaesivit  pater  *  : 
«  Odi ,  inquit ,  illum  ,  quia  malis  amicus  est, 
Simulque  objecte  cuncta  corrumpit  lucro.  » 

FABULA  XIII. 

CAPELL^   ET   HIRCI. 

Barbam  Capellae  quum  impetrassent  ab  Jove  , 

nemîs  ;  en  second  lieu  ,  elle  fait  voir  que  le  courroux  des  dieux 
peut  ne  pas  punir  le  crime  sur-le-champ ,  mais  que  le  châtiment  ar- 
rive au  temps  fixé  par  le  destin  ;  enfin ,  elle  interdit  aux  gens  de  bien 
tout  rapport  avec  les  méchants. 

FABLE  XIL 

HERCULE   ET   PLUTUS. 

Cest  avec  raison  que  l'homme  de  cœur  méprise  les  richesses;  car 
un  cofire-fort  est  le  tombeau  du  vrai  mérite. 

Quand  Hercule  fut  admis  dans  le  céleste  séjour  en  récompense  de  son 
courage ,  il  salua  les  dieux  venus  pour  le  féliciter  ;  mais ,  à  l'ap- 
proche de  Plutus,  le  fils  de  la  Fortune,  il  détourna  les  yeux.  Son 
père  lui  en  demanda  la  raison  :  «  Je  le  hais  ,  répondit-il ,  parce  qu'il 
est  l'ami  des  méchants ,  et  qu'il  corrompt  tous  les  hommes  par  l'ap- 
pât du  gain.  » 

FABLE  XIIL 

LES  CHÈVRES  ET  LES  BOUCS. 

Les  chèvres  avaient  obtenu   de  Jupiter  la  faveur  de  porter  de  1« 


FABLES  DE   PHEDRE.    LIVRE   IV. 


U3 


invenin  saspe 

maxime  contraries  tibi. 

Secundo  ostendit 

scelera  non  puniri 

jt'ra  deum, 

sed  tempore  dicto 

fatorum. 

Novissime  interdicit 

ne  bonus 

consociet  usum  ullius  rei 

cum  malefico. 

FABULA  XII. 

HEECULES   ET   PLUTUS. 

Opes  sunt  merito 
in  visse  viro  forti, 
quia  dives  arca 
intercipit  laudem  veram. 

Quum  Hercules , 
receptus  cœlo 
propter  virtutem  , 
persalutasset 
deos  gratulantes,  Pluto, 
qui  est  filius  Fortunae , 
veniente , 
avertit  oculos. 
Pater  quaesivit  causam  : 
«  Odi  illum,  inquit, 
quia  est  amicus  malis, 
simulque  corrumpit  cuncta 
lucro  objecte.  » 

FABULA  Xni. 

CAPELL^   ET  HIKCI 

Quum  capellse 
impetrassent  ab  Jove 
barbam , 


être  trouvés  souvent 

le  plus  contraires  (nuisibles)  à  toi. 

En-second-lieu  il  montre 

les  crimes  n'être  pas  punis 

par  le  courroux  des  dieux, 

mais  au  temps  assigné 

des  destins  (par  les  destins). 

Enfin  il  empêche 

que  r/iomm«-de-bien 

n'associe  l'usage  d'aucune  chose 

avec  le  méchant. 

FABLE  Xll. 

HEECULE   ET   PLUTUS. 

Les  richesses  sont  avec-raison 
odieuses  à  l'homme  de-cœur, 
parce  qu'un  riche  coffre-fort 
intercepte  (tue)  le  mérite  véritable 

Comme  Hercule, 
reçu  dans  le  ciel 
à  cause  de  son  courage, 
saluait-jusqu'au-dernier 
les  dieux  qui-Ze-félicitaient ,  Plutus, 
qui  est  le  fils  de  la  Fortune, 
venant  auprès  de  lui, 
il  détourna  les  yeux. 
Son  père  en  demanda  la  cause  : 
«  Je  hais  celui-ci ,  dit-il, 
parce  qu'il  est  ami  aux  méchants, 
et  gu'en-même-temps  il  corrompt  tout 
par  le  gain  offert  'qu'il  offre'^.  ■ 

FABLE  Xni. 

LES  CHÈVEES  ET  LES  BOUCS. 

Comme  les  chèvres 
avaient  obtenu  de  Jupiter 
de  la  barbe , 


IhU  PHiEDRl   FAB.    LIBER   IV. 

Hirci  mœrentes  indignari  cœperunt 

Quod  dignitalem  feminas  aequassent  suam. 

«  Sinite,  inquit,  illas  gloria  vana  frui, 

Et  usurpare  vestri  ornatum  muneris,  , 

Pares  dum  non  sint  vestrae  fortitudini.  » 

Hocargumentum  monet  ut  sustineas  tibi 
Habitu  esse  similes  qui  sunt  virtute  impares. 

FABULA.  XIV. 

GUBEENATOR  ET   NATJTiB, 

Quum  de  fortunis  quidam  quererentur  suis, 
^sopus  finxit  consolandi  gratia  : 

a  Vexata  sœvis  navis  tem pesta tibus, 
Inter  vectorum  lacrymas  et  morlis  metum, 
Faciem  ad  serenam  subito  mutato  die  ,  5 

Ferri  secundis  tuta  cœpit  flatibus, 
Nimiaque  Nautas  hilaritate  exlollere. 
Factus  periclo  tum  Gubernator  sophus*  : 
«  Parce  gaudere  oportet,  et  sensim  queri , 
Totam  quia  vitam  miscet  dolor  et  gaudium.  »  10 

barbe;  les  boucs  indignés  se  plaignirent  en  voyant  leuis  femelles 
partager  les  insignes  de  leur  dignité.  «  Laissez-les,  leur  répondit  la 
dieu,  laissez-les  jouir  de  ce  vain  avantage,  et  usurper  cet  orne- 
ment de  votre  sexe,  pourvu  que  leur  force  n'égale  pas  la  vôtre.  » 

Cette  fable  nous  conseille  de  voir  sans  jalousie  des  hommes  qui 
nous  sont  inférieurs  en  mérite  nous  ressembler  à  l'extérieur 

FABLE  XIV. 

LE    PILOTE    ET    LES    MATELOTS. 

Esope  entendant  quelques  personnes  se  plaindre  de  leurs  malheurs, 
imagina,  pour  les  consoler  ,  cet  apologue  : 

Un  navire  était  battu  par  une  furieuse  tempête;  les  par.sagers  en 
larmes  n'attendaient  plus  que  la  mort,  quand  soudain  le  temps 
change,  la  sérénité  renaît,  et  le  vaisseau  hors  de  danger  est  poussé 
par  des  vents  favorables.  Les  matelots  s'abandonnent  aux  transports 
d'une  joie  si.^ns  bornes.  Mais  le  pilote,  rendu  sage  par  le  péril ,  leur 
dit  :  «  Il  faut  être  modéré  dans  la  joie  comme  dans  la  peine;  car  la 
vie  tout  entière  est  un  mélange  de  douleurs  et  de  plaisirs  » 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


U5 


hirci  mcerentes 

cœperunt  indignari 

quod  feminaj 

aequassent 

suam  dignitatem. 

«  Sinite 

illas  frui  vana  gloria, 

inquit, 

et  usurpare  ornatum 

vestri  muneris, 

dum  non  sint  pares 

vestrîe  fortitudini.  » 

IIoc  argumeatum  monet 
ut  sustineas 

qni  sunt  impares  virtute 
esse  similes  tibi  habitu. 


les  boucs  chagrins 

coinraencèreiit  à  s'indigner 

de  ce  que  leurs  femelles 

eussent  égalé 

leur  dignité. 

«  Permettez 

elles  jouir  d'une  vaine  gloire, 

dit  le  Dieu, 

et  usurper  l'ornement 

de  votre  charge  (sexe), 

pourvu  qu'elles  ne  soient  pas  égales 

à  votre  courage.  » 

Ce  sujet  Tavertit 
que  tu  supportes  (de  supporter) 
ceux-qui  le  sont  inférieurs  par  le  mérite 
être  semblables  à  toi  par  l'extérieur. 


Î'ABULA  XrV. 


FABLE  XIV. 


GUBERNATOR  ET  NA.DT2E. 


LE    PILOTE    ET    LES    MATELOTS. 


Quum  quidam 
quererentur 
de  suis  fortunis, 
^sopus,  gratiaconsolandi, 
finxit  : 

Navis  vexata 
ssevis  tcmpestatibus, 
inter  lacrymas 
et  metum  mortis 
vectorum, 
die  mutato  subito 
ad  faciern  serenam, 
cœpit  ferri  tuta 
flatibus  secundis, 
et  extollere  nautas 
hilaritate  nimia. 
Tum  gubernator 
factus  sophns  periclo  : 
«  Oportet  gaudere  parce, 
et  queri  sensim, 
quia  dolor  et  gaudium 
miâcet  vitam  totam.  » 

Fables  de  Phèdre. 


Comme  quelques  hommes 
se  plaignaient 
d^e  leur  fortune, 
Esope  ,  en  vue  de  les  consoler, 
imagina  cette  fable  : 

Un  vaisseau  tourmenté 
par  de  cruelles  tempêtes  , 
au-milieu  des  larmes 
et  de  la  crainte  de  la  mort 
des  passagers, 

le  jour  étant  changé  tout-à-coup 
vers  un  aspect  serein, 
commença  à  être  porté  (poussé)  en-sûreté 
par  des  souffles  favorables, 
et  à  exalter  les  matelots 
par  une  allégresse  excessive. 
Alors  le  pilote 
rendu  sage  par  le  péril  : 
«  Il  faut  se  réjouir  avec-modération, 
et  se  plaindre  peu-à-peu  (avec  prudence), 
parce  que  la  douleur  et  la  joie 
mélangent  (se  partagent,  la  vie  entière.» 

m 


146  phj:dri  fab.  liber  it. 

FABULA  XV. 

HOMO   ET   COLUBRA. 

Qui  fert  malis  auxilium ,  post  tempus  dolet 

Gelu  rigentem  quidam  Colubram  sustulit , 
Sinuque  fovit ,  contra  se  ipse  misericors  : 
Namque  ut  refecta  est ,  necuit  hominem  protinus. 
Hanc  alia  quum  rogaret  causam  facinoris , 
Respondit  :  «  Ne  quis  discat  prodesse  improbis.  » 

FABULA  XVI. 

VULPES   ET    DRACO  *. 

Vulpes  cubile  fodiens  dum  terram  eruit, 
Agitque  plures  altius  cuniculos , 
Pervenit  ad  Draconis  speluncam  ultimam, 
Custodiebat  qui  Ihesauros  abditos. 
Hune  simul  adspexit  :  «  Oro  ut  imprudentiae 
Des  primum  veniam  ;  deinde ,  si  pulchre  vides 
Quam  non  conveniens  aurum  sit  vitae  meae  , 
Respondeas  clementer.  Quem  fructum  capis 

*  FABLE  XV. 

l'homme  et  la  couleuvrr. 

Qui  porte  secours  aux  méchants,  finit  toujours  par  s'en  repentir. 

Un  homme  ramassa  tme  couleuvre  toute  roide  de  froid ,  et  la  ré- 
chauffa dans  son  sein  ;  mais  sa  pitié  lui  coûta  cher  ;  car  h  peine  fut- 
elle  ranimée,  qu'elle  lui  donna  la  mort.  Une  de  ses  compagnes  lui 
demandant  le  motif  de  ce  crime  :  «  C'est,  répondit-elle  ,  afin  qu'on 
sache  qu'il  ne  faut  point  obliger  les  méchants.  » 

FABLE  XVI. 

LE   RENARD    ET   LE   DRAGON. 

Un  renard ,  se  creusant  un  terrier,  rejetait  la  terre  au  dehors  et 
perçait  plusieurs  galeries  souterraines  ,  lorsqu'il  rencontra  une  ca- 
yerne  profonde  où  un  dragon  gardait  des  trésors  enfouis.  Des  qu'il 
l'aperçut  :  «  Je  t'en  conjure,  lui  dit-il,  pardonne  d'abord  à  mon 
ignorance;  puis,  comme  tu  vois  combien  l'or  serait  inutile  à  mon 
existence ,  réponds-moi  sans  courroux.  Quel  fruit  retires-tu  de  tes 


PABLES  DE   PHÈDRE.    LITRE  IV. 


147 


FABULA  XV. 

HOMO   ET   COLUBRA. 

Qui  fert  auxilium  malis, 
dolet  post  tempus. 
Quidam  sustulit  colubram 
rigentem  gelu, 
fovitque  sinu, 
misericors  îpse  contra  se  : 
namque  ut  refecta  est, 
necuit  hominem  protinus. 
Quum  alia  rogaret  hanc 
causara  facinoris , 
respondit  : 
«  Ne  quis  discat 
prodesse  improbis.  » 


FABLE  XV. 

l'homme   et   la   COULEUVRE. 

Celui-qui  porte  secours  aux  méchants, 
en  souflfre  après  un  certain  temps. 
Un  homme  releva  (ramassa)  une  couleuvre 
roide  de  froid, 

et  la  réchauffa  dans  son  sein, 
eVoM^  miséricordieux  lui-même  contrelui: 
car  dès  qu'elle  fut  ranimée, 
elle  tua  l'homme  sur-le-champ. 
Comme  une  autre  interrogeait  celle-ci 
sur  la  cause  de  ce  crime, 
elle  répondit  : 

«  C'est  de  peur  que  quelqu'un  n'apprenne 
à  être-utile  aux  méchants,  p 


FABULA  XVL 

VULPE8  ET    DRACO. 

Vulpes, 
dum  fodiens  cnbile 
eruit  terram, 
agitque  altius 
plures  cuniculos, 
pervenit 

ad  speluncam  ultimara 
draconis 
qui  custodiebat 
thesauros  abditos. 
Simul  adspexit  hune  : 
*  Oro  priraum 
ut  des  veniam 
imprudentise  ; 
deinde,  si  vides  pulchre 
quam  aurum 
non  sit  conveniens 
meae  vitse , 

respondeas  clementer. 
Quem  fructum  capis 


FABLE  XVL 

LE    RENARD    ET    LE    DRAGON. 

Un  renard, 
tandis  que  creusant  une  tanière 
il  jette-au-dehors  la  terre,  . , , 

et  pousse  plus-profondément 
plusieurs  galeries-souterraines, 
parvint 

à  la  caverne  extrême  (au  fond  de  la  ca- 
d'un  dragon  [verne) 

qui  gardait 

des  trésors  cachés  (enfouis). 
Dès-qu'il  aperçut  celui-ci  : 
<r  Je  te  prie  d'abord,  dit-il, 
que  tu  accordes  le  pardon 
à  mon  ignorance; 
ensuite,  si  tu  vois  parfaitement 
combien  l'or 

n'est  pas  convenable  (convient  peu) 
à  ma  vie, 

que  tu  me  répondes  avec-douceur. 
Quel  fruit  prends-tu  ^retires-tu) 


lf|8  PH^DRI   FAB.  LIBER   IV. 

Hoc  ex  iabore  ?  quodve  tantum  est  praemium  , 

Ut  careas  somno ,  et  aevum  in  tenebris  exigas?  10 

—  Nullum  ,  inquit  ille  ;  verum  hoc  a  summo  mihi 

Jove  attributum  est. — Ergo  nec  sumis  tibi , 

Nec  ulli  donas  quidquam  ?  —  Sic  fatis  placet. 

— Nolo  irascaris,  libère  si  dixero  : 

Ois  est  iratis  nalus  ,  qui  similis  tibi.  »  4  5 

AbiLurus  illuc  quo  priores  abierunt, 
Quid  mente  cœca  miserum  torques  spiritum? 
Tibi  dico  ,  avare  ,  gaudium  heredis  tui , 
Qui  thure  Superos,  ipse  te  fraudas  cibo; 
Qui  tristis  audis  musicum  citharae  sonum  ;  20 

Quem  tibianim  macérât  jucunditas  ; 
Obsoniorum  pretia  cui  gemitum  exprimunt  ; 
Qui ,  dum  quadrantes  '  aggeras  patrimonio , 
Cœlum  fatigas  sordido  perjurio  ; 

Qui  f  ircumcidis  omnem  impensam  funeris  ,  ^o 

Libiîina*  ne  quid  de  luo  faciat  lucri.    • 

peines  ?  ou  quelle  magnifique  récompense  reçois-tu  donc  pour  te 
priver  ainsi  de  sommeil,  et  passer  ta  vie  dans  les  ténèbres? — Aucune, 
répondit-il;  c'est  seulement  un  dépôt  que  m'a  confié  le  grand  Jupi- 
ter.—  Et  tu  n'en  prends  rien  pour  toi ,  tu  n'en  fais  part  à  per- 
sonne? —  Non ,  c'est  la  volonté  du  destin.  —  Eh  bien ,  je  t'en  prie, 
ne  t'irrite  pas  si  je  te  parle  avec  franchise  :  il  est  né  avec  la  malé- 
diction des  dieux ,  celui  qui  te  ressemble.  » 

0  toi,  qui  dois  aller  un  jour  où  sont  allés  tes  pères,  quel  esi 
ton  aveuglement,  de  tourmenter  ainsi  ta  misérable  vie?  C'est  à 
toi  que  je  parle,  avare,  toi  qui  fais  la  joie  de  ton  iiéritier  ,  toi 
qui  refuses  l'encens  aux  dieux  et  les  aliments  à  toi-même,  toi 
qu'attristent  les  accords  mélodieux  de  la  lyre,  et  dont  la  douce  har- 
monie des  flûtes  dessèche  le  cœur.  Le  prix  des  vivres  te  fait  pousser 
des  gémissements,  et,  pour  ajouter  quelques  deniers  à  tes  richesses, 
tu  fatigues  le  ciel  de  parjures  sordides;  enfin  tu  vas  jusqu'à  retran- 
cher sur  les  frais  de  tes  funérailles  ,  dans  la  crainte  que  Libitine  ne 
fasse  quelque  gain  sur  toi. 


FABLES  DE   PHÈDllE.    LIVRE   IV. 


Va9 


ex  hoc  labore? 
quodve  prsemium 
tantum  est, 
ut  careas  somno, 
et  exigas  aevum 
in  tenebris? 

—  Nullum, 
inquit  ille; 
verum  hoc 
attributura  est  mihi 
a  summo  Jove. 

—  Ergo  nec  sumis  tibi, 
nec  don  as  ulli  quidquam  ? 

—  Sic  placet  fatis 

—  Nolo  irascaris, 
si  dixero  libère  : 
qui  similis  tibi , 
natus  est  dis  iratis.  » 

Abitui-us  illuc 
que  prières  abienint, 
quid  mente  cseca 
torques  miserum  spiritum? 
Dico  tibi,  avare, 
gaudium  tui  hœredis, 
qui  fraudas  Superos  thure, 
te  ipse  cibo  ; 
qui  tristis  audis 
sonum  musicum  citharœ  ; 
quem  jucunditas  tibiarum 
macérât  ; 

cui  pretia  obsoniorum 
exprimunt  gemitura; 
qui,  dura  aggeras 
quadrantes  patrimonio, 
fatigas  cœlum 
perjurio  aordido  ; 
qui  circumcidis 
omnem  impensam  funeris 
neLibitîna 
faciat  quid  lucri 
de  tuo. 


de  ce  travail  ? 

ou  quelle  récompense 

si-grande  est  à  toi, 

pour  que  tu  te  prives  de  sommeil, 

et  que  tu  passes  ta  vie 

dans  les  ténèbres? 

—  Aucune, 
dit  celui-ci; 
mais  cela 

a  été  assigné  à  moi 
par  le  grand  Jupiter. 

—  Ainsi-donc  ni  tu  ne  prends  pour  toi , 
ni  tu  ne  donnes  à  aucun  rien  de  ce  trésor? 

—  Ainsi  il  plaît  aux  destins. 

—  Je  ne-veux-pas  que  tu  te  fâches, 
si  je  te  parle  franchement  : 
celui-qui  est  semblable  à  toi, 

est  né  avec  les  dieux  irrités.  » 

Toi  qui-dois-t'en  aller  là 
où  les  plus-anciens  que  toi  s'en  sont  allés, 
pourquoi,  par  un  esprit  aveugle, 
tourmentes-tu  ta  misérable  vie? 
Je  le  dis  à  toi,  avare , 
toi,  la  joie  de  ton  héritier, 
qui  prives  les  dieux  d'encens  , 
et  te  prives  toi-même  de  nourriture  ; 
qui  triste  entends 
le  son  harmonieux  de  la  lyre; 
loi  que  le  charme  (l'harmonie)  des  fliitea 
fait-maigrir  ; 

à  qui  les  prix  des  provisions 
arrachent  un  gémissement  ; 
qui,  tandis  que  tu  amoncelles 
des  quarts-d'as  sur  ton  patrimoine, 
fatigues  le  ciel 
par  un  parjure  sordide  ; 
qui  retranches  (rognes) 
toute  la  dépense  de  tes  funérailles, 
de  peur  que  Libitine 
ne  fasse  quelque-chose  de  'quelque)  gaia 
sur  ton  bien. 


150  PH/EDRI  FAB.    LIBER  lY. 

PHJEDRUS. 

Quid  judicare  cogitet  livor  modo , 
Licet  dissimulet ,  pulchre  tamen  intelligo. 
Quidquid  putabit  esse  dignum  memoriae , 
^sopi  dicet  :  si  quid  minus  arriserit , 

A  me  contendet  fictum  quovis  pignore.  5 

Quem  volo  refelli  jam  nunc  responso  meo  : 
Sive  hoc  ineptum ,  sive  laudandum  est  opus , 
Invenit  ille ,  nostra  perfecit  manus. 
Sed  exsequamur  cœptum  propositi  ordinem. 

FABULA  XVIL 

KAUFRAGIUM   SIMONIDIS  *. 

Homo  doctus  in  se  semper  divitias  habet. 

Simonides ,  qui  scripsit  egregium  melos, 
Quo  paupertatem  sustineret  facilius , 
Circumire  cœpit  urbes  Asiae*  nobiles, 
Mercede  accepta  laudem  victorum  canens.  5 

Hoc  génère  quaestus  postquam  locuples  factus  est, 

PHÈDRE. 

Quel  jugement  l'envie  songe-t-elle  à  porter  sur  cet  ouvrage  ? 
Bien  qu'elle  dissimule  encore ,  je  le  prévois  clairement.  Tout  ce 
qu'elle  jugera  digne  de  vivre  dans  la  postérité,  elle  l'attribuera  à 
Esope  ;  si  quelque  endroit  lui  sourit  moins,  elle  fera  telle  ga- 
geure qu'on  voudra,  que  j'en  suis  l'auteur.  Je  veux  dès  à  présent  re- 
pousser ses  calomnies  par  ma  réponse  :  Que  cet  ouvrage  soit  ridi- 
cule ou  qu'il  mérite  des  éloges ,  Esope  en  fut  l'inventeur ,  moi,  j'y  ai 
mis  la  dernière  main.  Mais  poursuivons  le  plan  que  nous  avons 
adopté. 

FABLE  XVIL 

NAUFRAGE   DE   SIMONIDB. 

L'homme  de  talent  porte  en  tout  temps  ses  richesses  avec  lui. 

Simonide,  auteur  de  beaux  chants  lyriques,  pour  supporter  plus 
facilement  les  rigueurs  de  la  pauvreté,  se  mit  à  parcourir  les 
villes  les  plus  célèbres  de  l'Asie,  chantant,  moyennant  récom- 
pense ,  les   louanges  des  athlètes  vainqueurs.   Devenu  riche  par  c« 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


IDÎ 


PH^DRUS. 

Licet  dissimulet, 
intelligo  tamen  pulchre 
quid  livor  cogitet 
judicare  modo. 
Dicet  iEsopi 
qtiidquid  putabit 
esse  dignum  memoriae  : 
si  quid  arriserit  minus, 
contendet  quovis  pignore 
fictum  a  me. 

Volo  quem  refelli  j  am  nunc 
meo  responso  : 
sive  hoc  opus  est  ineptum, 
sivolaudandum, 
ille  invenit, 
nostra  manus  perfecit. 
Sed  exsequamur 
ordiaem  cœptum  propositi. 


PHÈDRE. 

Quoiqu'elle  dissimule, 
je  comprends  cependant  parfaitement 
quelle-chose  l'envie  songe 
à  prononcer  tout-à-l' heure  $ur  ces  fables. 
Elle  dira  être  d'Esope 
tout-ce-qu'elle  pensera 
être  digne  de  mémoire  : 
si  quelque    chose  lui  a  souri  moins 
elle  soutiendra  sous  tel  gage  que-cft-soit 
cet  endroit  avoir  été  imaginé  par  moi. 
Je  veux  elle  être  réfutée  dès  à-présent 
par  ma  réponse  : 
soit  qne  cet  ouvrage  soit  absurde, 
soit-qu't7  soit  devant-être-loué, 
celui-là  (Ésope;  Va.  inventé, 
notre  (ma^  main  Va,  perfectionné. 
Mais  poursuivons 
l'ordre  entrepris  (adopté)  de  notre  plan. 


FABULA  XVU. 


FABLE  XVIL 


NAUFEAGITJM   8IMONIDIS. 

Homo  doctus 
babet  semper  in  se  divitias. 

Simonides,  qui  scripsit 
melos  egregium , 
quo  sustineret  facilius 
paupertatem, 
ccepit  circumire 
urbea  nobiles  Asiae , 
caneus  laudem  victorum 
mercede  accepta. 
Pcstquam 
factus  est  locuples 


NATJFRAGE    DE    SIMONIDE. 

L'homme  instruit 
a  toujours  en  soi  ses  richesses. 

Simonide,  qui  écrivit 
des  chants-lyriques  remarquables, 
afin  qu'il  alimentât  plus-facilement 
sa  pauvreté, 
se-mit-à  parcourir 
les  villes  célèbres  de  l'Asie , 
chantant  l'éloge  des  athlètes  vainqueurs 
moyennant  une  récompense  reçue. 
Après  que 
il  fut  devenu  riche 


162  PHiEDRI   FAB.    LIBER   IV. 

Redire  in  patriam  voluit  cursu  pelagio 

(Erat  autem,  ut  aiunt,  natus  in  Cea  insula)  : 

Ascendit  navem,  quam  tempestas  horrida, 

Simul  et  vetustas  medio  dissolvit  mari.  10 

Hi  zonas,  illi  res  pretiosas  colligunt, 

Subsidium  vitaî.   Quidam  curiosior: 

«  Simonide ,  tu  ex  opibus  nil  sumis  tuis? 

—  Mecum ,  inquit ,  mea  sunt  cuncta  *.  »  Tune  pauci  enatant , 

Quia  plures  onere  degravali  perierant.  15 

Praedones  adsunt;  rapiunl  quod  quisque  extulit  ; 

Nudos  relinquunt.  Forte  Clazomenae*  prope, 

Antiqua  fuit  urbs ,  quam  petierunt  naufragi. 

Hic  litterarum  quidam  studio  deditus, 

Simonidis  qui  saepe  versus  legerat ,  20 

Eratque  absentis  admirator  maximus  , 

Sermone  ab  ipso  cognitum  cupidissime 

Ad  se  recepit;  veste  ,  nummis,  familia 

Hominem  exornavit.  Ceteri  tabulam  suam' 

Portant ,  rogantes  viclum  :  quos  casu  obvios  25 

Simonides  ut  vidit  :  «  Dixi ,  inquit ,  mea 

Mecum  esse  cuncta;  vos  quod  rapuistis  périt.  » 


genre  d'industrie ,  il  se  résolut  à  traverser  la  mer  pour  revoir  sa  pa- 
trie :  il  était  né,  dit-on,  dans  l'île  de  Céos.  Il  s'embarqua;  mais  le 
vaisseau ,  déjà  vieux ,  fut  brisé  en  pleine  mer  par  la  fureur  de  la 
tempête.  Aussitôt  les  passagers  de  rassembler  qui  leur  argent ,  qui 
leurs  effets  les  plus  précieux,  pour  subvenir  à  leurs  besoins.  «  Et  toi, 
Simonide,  lui  dit  l'un  d'entre  eux,  plus  curieux  que  les  autresj 
n'emportes-tu  rien  de  tes  richesses?  —  J'ai  tout  avec  moi ,  répondit- 
il.  »  Un  petit  nombre  seulement  se  sauva  à  la  nage  :  la  plupart, 
accablés  sous  leur  faix,  avaient  péri  dans  les  flots.  Des  voleurs 
8e  présentent,  leur  enlèvent  tout  ce  qu'ils  ont  sauvé,  et  les  lais- 
sent après  les  avoir  dépouillés.  Dans  le  voisinage  se  trouvait  paï 
hasard  Clazomène,  ville  ancienne;  les  naufragés  s'y  rendirent.  Là, 
un  studieux  ami  des  lettres,  qui  souvent  avait  lu  les  poésies  de  Simo- 
nide, et  qui ,  bien  qu'il  ne  l'eût  jamais  vu,  était  le  plus  passionné 
de  ses  admirateurs,  le  reconnut  à  saconversation  môme,  et  s'empressa 
de  le  recueillir  chez  lui;  vêtements,  argent,  esclaves,  il  se  plut  à 
lui  tout  prodiguer.  Quant  aux  autres,  ils  allèrent  mendier  leur 
vie,  portant  le  tableau  de  leur  naufrage.  Le  hasard  les  ayant 
amenés  auprès  de  Sim^-niJe  ;  «  Ne  vous  avais-je  pas  dit,  s'écria-t-il 
en  les  voyant,  que  j'avais  avec  moi  toute  ma  fortune?  Vous,  tout 
ce  que  vous  aviez  emporté ,  yous  l'avez  perdu.  » 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVBE    IV. 


153 


hoc  génère  qnsestus, 
voluit  redire  in  patriam 
cursu  pelagio  : 
(erat  autem,  ut  aiunt, 
natus  in  insula  Cea). 
Ascendit  navem, 
quam  tempestas  horrida, 
et  simul  vetustas 
dissolvit  medio  mari. 
Hi  colligunt  zonas, 
illi  res  pretiosas, 
subsidium  vitœ. 
Quidam  curiosior  : 
«  Simonide, 

tu  sumis  nil  ex  tuis  opibus? 
—  Cuncta  mea 
sunt  mecum,  inquit.  » 
Tune  pauci  enatant. 
quia  plures 

perierant  degravati  onere. 
Praedones  adsunt; 
rapiunt 

quod  quisqne  extulit; 
relinquunt  nudos. 
Forte  urbs  antiqua, 
Clazomenœ,  fuit  prope, 
quam  naufragi  petierunt. 
Hic  quidam 

deditus  studio  litterarum, 
qui  legerat  ssepe 
versus  Simonidis, 
eratque 

maximus  admirator 
absentis, 
recepit  ad  se 
cupidissime 

cognitum  ab  sermone  ipso  ; 
exornavit  hominem 
veste,  nummis,  familia. 
Ceteri,  rogantes  victum , 
portant  suam  tabulara  : 
nt  Simonides  vidit  quos 
obvios  casu  : 
«  Dixi  cuncta  mea 
esse  mecum,  inquit; 
vos,  quod  rapuistis 
périt  1» 


par  ce  genre  de  profit, 

il  voulut  retourner  dans  sa  patrie 

par  une  course  maritime  (par  mer)  *. 

(or  il  était,  comme  l'on  dit, 

né  dans  l'ile  de  Cée  . 

Il  monta  sur  un  vaisseau, 

qu'une  tempête  horrible, 

et  en-même-temps  sa  vétusté 

mit-en-pièces  au  milieu-de  la  mer. 

Ceux-ci  rassemblent  leurs  ceintures  , 

ceux-là  leurs  effets  précieux, 

soutien  futur  de  leur  vie. 

Un  plus-curieux  que  les  autres  : 

«  Simonide,  dit-il, 

tu  ne  prends  rien  de  tes  richesses? 

—  Tous  mes  biens 

sont  avec-moi,  dit-il.  » 

Alors  peu  échappent -à-la-nage, 

parce  que  la  plupart  d'entre  eux 

avaient  péri  accablés  par  leur  fardeau. 

Des  voleurs  se-présentent  ; 

ils  ravissent 

ce-que  chacun  a  emporté; 

ils  laissent  euo;  nus    dépouillés). 

Par  hasard  une  ville  antique, 

Clazomène,  était  auprès  (voisine  de  là) , 

laquelle  les  naufragés  gagnèrent. 

Là  un  homme 

adonné  à  l'étude  des  lettres, 

qui  avait  lu  souvent 

les  vers  de  Simonide, 

et  était 

très-grand  admirateur 

de  lui  absent, 

recueillit  chez  lui 

avec-beaucoup-d'empressement 

lui  reconnu  par  sa  conversation  même; 

il  orna  (pourvut,  l'homme  (le  poëte) 

d^habits,  d'argent,  d'esclaves. 

Les  autres,  demandant  leur  nourriture, 

portent  leur  tableau  de  naufrage  : 

dès  que  Simonide  vit  eux 

venant-à-sa-rencontrc  par  aventure  : 

«  J'ai  dit  que  tous  mes  biens 

étaient  avec-moi,  dit-il  ; 

vous,  ce-que  vous  avez  enlevé  (sautée 

a  péri  est  perdu).  » 


15/l  PHiEDRI   FAB.     LIBER   IV, 

FABULA  XVIII. 

MONS   PÀBTURIEN8. 

Mons  parturibat,  gemitus  immanes  ciens  ; 
Eratque  in- terris  maxima  exspectatio  : 
At  ille  murem  peperit.  Hoc  scriptum  est  tibi, 
Qui ,  magna  quum  minaris  ,  extricas  •  niliil. 

FABULA  XIX. 

FORMICA   ET    MUSCA, 

formica  et  Musca  contendebant  acriter 
Quae  pluris  esset.  Musca  sic  cœpit  prior  ; 
«  Conferro  nostris  tu  potes  te  laudibus? 
Ubi  immolatur*,  exla  praegusto  Deum , 
Moror  iriter  aras,  templa  perlustro  omnia  ,  5 

In  capite  régis  sedeo ,  quum  visum  est  mihi; 
Et  matronarum  casta  delibo  oscula  ; 
Nihil  laboro ,  atque  optimis  rébus  fruor. 
Quid  horum  simile  tibi  contingit ,  rustica? 
—  Est  gloriosus  sane  convictus  Deum.  40 

FABLE   XVIIL 

■LA.  MONTAGNE   QUI   ACCOUCHE 

Une  montagne  en  mal  d'enfant  poussait  d'effroyables  gémisse- 
ments; le  monde  s'attendait  à  quelque  merveille  :  elle  accoucha  d'une 
souris.  Ce  mot  s'adresse  à  vous,  qui  faites  de  magnifiques  pro- 
messes, et  ne  tenez  rien. 

FABLE  XIX. 

LA   FOUR3II   ET   LA  MOUCHE. 

La  fourmi  et  la  mouche  contestaient  vivement  de  leur  mérite.  La 
mouche  se  mit  à  dire  la  première  :  «  Peux-tu  hien  te  comparer  à 
moi?  Immole-t-on  une  victime,  je  goûte  la  première  ses  entrailles  ; 
je  vis  au  milieu  des  autels  ;  je  voltige  de  temple  en  temple  ;  et , 
quand  bon  me  semble  ,  je  me  pose  sur  la  tête  des  rois.  Je  ravis  de 
doux  baisers  aux  lèvres  chastes  des  dames.  Je  ne  me  donne  aucune 
peine,  et  je  jouis  des  plus  grands  biens.  T'arrive-t-il  rien  de  compa- 
rable, misérable  habitante  des  champs?  —  Il  est  glorieux,  je  l'avoue, 
de  prendre  part  aux  festins  des  dieux  ;   mais  pour  celui  qu'ils  y 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


155 


FABULA  XVIII. 

MONS   PARTUBIENS. 

Mons  parturibat, 
nens  gemitus  immanes; 
naximaque  exspectatio 
îrat  in  terris  : 
at  ille  peperit  inurem . 

Hoc  scrîptum  est  tibi 
qui ,  quum  minaris 
magna, 
sxtricas  nihil. 

FABULA  XIX. 

FORMICA   ET  MU8CA. 

Formica  et  musca 
îontendebant  acriter 
juœ  esset  pluris. 
tfusca  cœpit  sic  prior  : 
i  Tu  potes  conferre  te 
lostris  laudibus? 
Jbi  immolatur, 
)r8egusto  exta 
leum, 

aoror  înter  aras , 
>erlustro  omnia  templa  ; 
edeo  in  capite  régis, 
[uum  visum  est  mihi, 
t  delibo 

asta  oscula  matronarum  ; 
aboro  nihil, 

.tque  frnor  optimis  rébus. 
^uid  simile  horum 
ontingit  tibi,  rustica? 
-  Sane  convictus  deum 
st  gloriosus 


FABLE  XVIIL 

LA  MONTAGNE  EN-MAL-d'eNFANT. 

Une  montagne  était-en-mal-d'enfant, 
poussant  des  gémissements  effroyables; 
et  ime  très-grande  attente 
était  sur  les  terres  (la  terre)  : 
or  celle-ci  enfanta  une  souris. 

Ceci  a  été  écrit  pour  toi 
qui ,  lorsque  tu  menaces  (promets) 
de  grandes  choses, 
ne  tires  de  ton  fonds  (ne  produis)  rien. 

FABLE  XIX. 

LA   FOURMI   ET   LA   MOUCHE. 

La  fourmi  et  la  mouche 
disputaient  vivement 
laquelle  était  d'un  plus-grand  prix. 
La  mouche  commença  ainsi  la  première  : 
«  Toi,  peux-tu  comparer  toi 
à  nos  (à  mon)  mérites  ? 
Quand  il  est-fait-un-sacriâce, 
je  goûte-la-première  les  entrailles 
des  dieux  (offertes  aux  dieux), 
je  séjourne  (je  vis)  au-milieu  des  autels, 
je  parcours  tous  les  temples  ; 
je  m'assieds  (je  me  pose)  sur  la  tête  du  roi, 
quand  il  a  paru  (il  paraît)  bon  à  moi , 
et  je  cueille 

les  chastes  baisers  des  dames  ; 
je  ne  travaille  (fais)  rien, 
et  je  jouis  des  meilleurs  biens. 
Quoi  de  semblable  à  ces  avantages 
arrive  à  toi,  habitante-des-champs? 
— Sans-doute  l'état-de-convive  des  dieux 
est  glorieux, 


\ 


156  PH^DRI    FAB.    LIBER   IV. 

Sed  illi  qui  invitatur,  non  qui  invisus  est. 

Aras  fréquentas  !  nempe  abigeris  quo  venis. 

Reges  commémoras  et  matronarum  oscula! 

Superba  jactas,  tegere  quod  débet  pudor. 

Nihil  laboras  !  ideo  ,  quum  opus  est ,  nil  tiabes.  45 

Ego  granum  in  hiemem  quum  studiose  congère, 

Te  circa  murum  video  pasci  stercore. 

iEstate  me  lacessis  :  cur  bruma  siles  ? 

Mori  contractam  quum  te  cogunt  frigora  , 

Me  copiofa  recipit  incolumem  domus.  20 

Satis  profecto  reltudi  superbiam.  » 

Fabella  talis  hominum  discernit  notas  ' , 
Eorum  qui  se  falsis  ornant  laudibus  , 
Et  quorum  virtus  exhibet  solidum  decus. 

FABULA  XX. 

SIMONIDES    A    DUS    SERVATUS. 

Quantum  valerent  inter  homines  litterae  , 

invitent,  et  non  pour  l'importun  parasite.  Tu  bantes  les  autels! 
mais  dès  qu'on  t'y  aperçoit ,  on  te  chasse.  Tu  me  parles  de  rois,  de 
baisers  ravis  aux  dames  !  insensée ,  tu  te  vantes  avec  orgueil  de  ce 
que,  par  pudeur,  tu  devrais  cacher.  Tu  ne  travailles  pas  !  et  voilà 
pourquoi,  quand  le  besoin  te  presse,  tu  n'as  rien.  Pour  moi,  tan 
dis  qu'à  force  de  fatigues  je  remplis  mes  greniers  pour  l'hiver,  je 
te  vois  le  long  des  murs  te  repaître  des  plus  vils  aliments.  L'été,  tu 
me  harcelles  de  ton  hourdonnement  :  pourquoi  donc  te  tais-tu  l'hi- 
ver? Alors  que  le  froid  resserre  tous  tes  membres  et  te  donne  la 
mort ,  moi ,  je  me  retire  saine  et  sauve  au  fond  de  ma  demeiire  abon- 
damment fournie.  Mais  assurément  en  voilà  assez  pour  confondra 
ton  orgueil.  » 

Cette  fable  fait  connaître  les  caractères  bien  différents  de  ces  hom- 
mes qui  se  parent  de  faux  avantages,  et  de  ceux  dont  le  mérite  brille 
d'un  solide  éclat. 

FABLE    XX. 

8IMONIDE    PRÉSERVÉ   PAR    LES    DIEUX. 

J'ai  parlé  •.  lus  haut  du  crédit  qu'ont  les  lettres  parmi  les  hom- 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


157 


;ed  illi  qui  invitatur, 

ion  qui  est  invisus. 

Fréquentas  aras  ! 

aetnpc  abigeris 

juo  venis. 

I!ommemoras  reges 

ît  oscula  matronarum  ! 

Superba,  jactas 

juod  pudor  débet  tegare. 

Laboras  niliil  ! 

ideo  habes  nil, 

juum  opu3  est. 

Ego,  quum  congero  studiose 

granum  in  hiemem, 

ndeo  te  circa  murum 

pasci  stercore. 

^state  lacessis  me  : 

cur  bruma  siles? 

Quum  frigora  cogunt  mori 

te  contractam, 

domus  copiosa 

recipit  me  incolumem. 

Profecto 

rettudi  satis  superbiam.  » 

Talis  fabslla  discernit 
notas  hominum, 
eorum  qui  ornant  se 
falsis  laudibus, 
et  quorum  virtus 
exhibet  decus  solidum. 


mais  pour  celui  qui  est  invité, 

non  pour  celui  qui  leur  est  odieux. 

Tu  fréquentes  les  autels  ! 

c'est-à-dii-e-que  tu  es  chassée 

de  tous  les  lieux  où  tu  vas. 

Tu  parles  des  rois 

et  des  baisers  des  (ra-vis  aux)  dames  t 

Orgueilleuse,  tu  te  vantes 

de  ce-que  la  pudeur  doit  cachar. 

Tu  n3  fais  rien! 

aussi  tu  n'as  rien, 

lorsque  besoin  est  à  toi. 

Moi,  lorsque  je  ramasse  avec  zèle 

du  grain  pour  l'hiver, 

je  vois  toi  à  l'entour  d'un  mur 

te  repaître  d'ordures. 

L'été,  tu  harcelles  moi  : 

pourquoi,  l'hiver,  te  tais  tu? 

Lorsque  les  froids  forcent  à  mourir 

toi  resserrée  (glacée), 

ma  demeure  abondamment-pourvue 

reçoit   abrite)  moi  saine-et-sauve. 

Certainement 

j'ai  rabattu  assez  ton  orgueil.  » 

Une-telle  (cette)  fable  distingue 

les  marques  (les  caractères)  des  hommes 

de  ceux  qui  parent  eux-mêmes 

de  fausses  louanges, 

et  de  ceux  dont  le  mérite 

montre  un  éclat  solide. 


FABULA  XX. 


FABLE  XX. 


SIMONIDES  8ERVATU8 
A  DUS. 


Dixi  superius 


8IM0KIDE    PRESERVE 
PAR    LES    DIEUX. 


J'ai  dit  plus-haut 


quaatir-Ji  iltterae  valerent      combien  les  lettres  avaient-de-^rix 


158  phj:dri  fab.  liber  iv. 

Dixi  superius  '  :  quantus  nunc  illis  honos 
A  Superis  sit  tributus,  tradam  mémorise. 

Simonides  idem  iile ,  de  quo  rettuli , 
Victori  laudem  cuidam  pyctae  *  ut  scriberet  ;  5 

Certo  conduxit  pretio.  Secretum  petit. 
Exigua  quum  frenaret  materia  impetum, 
Usus  poetae  more  est  et  licentia , 
Atque  interposuit  gemina  Ledae  sidéra  ' , 
Auctoritatem  similis  referens  gloriae.  <0 

Opus  approbavit  ;  sed  mercedis  tertiam 
Accepit  partem.  Quum  reliquum  posceret  : 
«  Illi ,  inquit ,  reddent  quorum  sunt  laudes  duse 
Verum  ,  ut  ne  irate  te  dimissum  sentiam, 
Ad  cœnam  mihi  promitte  ;  cognatos  vole  <5 

Hodie  invitare ,  quorum  es  in  numéro  mihi.  » 
Fraudatus  quamvis  et  dolens  injuria , 
Ne  maie  dimissam  gratiam  corrumperet , 
Promisit.  Rediit  hora  dicta,  recubuit. 
Splendebat  hilare  poculis  convivium  ;  20 

mes  :  je  vais  maintenant  apprendre  à  la  postérité  les  glorieux  hon- 
neurs que  leur  accordent  les  dieux. 

Ce  même  Simonide  dont  j'ai  déjà  parlé  ,  s'était  engagé,  moyen- 
nant un  prix  convenu ,  à  composer  l'éloge  d'un  athlète  vainqueur  au 
pugilat;  il  se  retira  dans  la  solitude.  Comme  le  sujet,  stérile  et  étroit, 
arrêtait  l'essor  de  son  génie,  il  usa  du  privilège  que  d'ordinaire 
s'arrogent  les  poètes  :  il  appela  à  son  aide  les  deux  fils  de  Léda,  astres 
jumeaux  qui  brillent  au  ciel ,  pour  rehausser  par  ce  glorieux  rappro- 
chement le  mérite  de  son  héros.  L'athlète  agréa  son  travail,  mais 
ne  lui  donna  que  le  tiers  de  la  récompense  promise  ;  et  comme  le 
poëte  réclamait  le  reste  :  «  Vous  le  demanderez,  répondit-il,  à  ceux 
dont  l'éloge  remplit  les  deux  tiers  de  l'ouvrage.  Mais ,  pour  me  prou- 
ver que  vous  ne  vous  retirez  pas  mécontent,  promettez-moi  de  venir 
souper  chez  moi;  je  veux  aujourd'hui  convier  mes  parents,  au  nom- 
bre desquels  je  vous  compte.  »  Quoique  frustré  du  prix  convenu,  et 
sensible  à  cette  injustice ,  Simonide  ne  voulut  point ,  par  un  refus 
hors  de  saison,  se  brouiller  avec  l'athlète;  il  promit  donc  ,  revint  à 
l'heure  dite ,  e*  prit  plac«  au  milieu  des  convives.  Le  festin  resplou- 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  IV. 


159 


inter  hômines  : 

nunc  tradam  memoriae 

quantus  lionos 

tnbutu3  sitillis  a  Superis. 

Ille  idem  Simonides, 
de  quo  rettuli, 
conduxit  pretio  certo 
ut  scriberet  laudem 
cuidam  pyctae  victori. 
Petit  secretum. 
Quum  materia  exigu  a 
frenaret  impetum, 
usus  est 

more  et  licentia  poetœ, 
atque  interposait 
sidéra  geœina  Ledae, 
referens  auctoritatem 
gloriae  similis. 
Avprobavit  opus  ; 
sed  accepit 

tertiam  partem  mercedis. 
Quura  poscerst  reliquum  : 
a  Illi,  inqait,  reddent 
quorum  duœ  laudes  sunt. 
Verum,  ut  ne  sentiam 
te  dimisstim  irate 
promitte  mihi  ad  cœnam  ; 
volo  hodie 
învitare  cognatos, 
in  numéro  quorum 
es  mihi.  » 
Quamvis  fraud«,tus 
et  dolens  injuria, 
promioît, 
ne  corrumperet 
gratiam 

dimissam  mpale. 
Rediit  hora  dicta, 
recubuit. 

Convivîum  hilare  poculis 
Bplen  débat  ; 


parmi  les  hommes 

maintenant  je  livre 

quel-grand  honneur 

a  été  décerné  à  elles  par  les  dieux. 

Ce  même  Simonide, 
touchant  lequel  j'ai  rapporté  un  fait, 
se  chargea  moyennant  un  prix  fixé 
qu'il  écrivît  (  d'écrire  )  un  éloge 
pour  un  athlète-au-pagi!at  vainqueur. 
Il  gagna  (alla  chercher)  la  solitude. 
Comme  le  sujet  mince  (  stérile  ) 
comprimait  l'essor  Je  son  génie, 
il  usa  (  profita  ) 

de  l'usage  et  du  privilège  de  poëte, 
et  inséra  (  fit  entrer)  dans  son  travail 
les  asti'es  jumeaux  de  Léda, 
rapportant  (citant)  l'autorité  (l'exemple) 
d'une  gloire  semblable  à  celle  de  son  héros. 
Il  fit-agréer  l'œuvre  ; 
mais  il  reçut  seulement 
la  troisième  partie  (  le  tiers)  de  son  prix. 
Comme  il  réclamait  le  reste  : 
€  Ceux-là,  dit  l'athlète,  te  le  rendront 
dont  les  deux  éloges  sont  dans  ta  pièce. 
Mais,  pour  que  je  ne  comprenne  (croie)  paa 
toi  éire renvoyé  (me  quitter)  en  colère, 
pir)mets  moi  de  venir  au  souper  ; 
je  veux  aujourd'hui 
inviter  mes  parents, 
au  nombre  desquels 
tu  es  pour  moi  (je  te  range).  > 
Quoique  frustré  de  son  dû 
et  souffrant  de  cette  injustice, 
il  promit, 

de  peur  qu'il  ne  gâtât  (perdît) 
la  faveur  (l'amitié)  de  l'athlète 
renvoyée  (en  la  rejettant)  mal-à-propos. 
Il  revint  à  l'heure  dite, 
il  se  coucha  (  prit  place  à  table). 
Le  festin  joyeux  par  les  coupes 
respk^jdissait; 


160  PH^DRI   FAB.    LIBER   IV. 

Magno  apparatu  iaeta  resonabat  cJomus  : 

Duo  quum  repente  juvenes  ,  si)arsi  pulvere  , 

Sudore  mullo  clifïluentes  corpora  , 

Humanain  supra  formam  ,  cuidam  servulo 

Mandant  ut  ad  se  provocetSimonidem  :  ib 

lllius  interesse  ;  ne  faciat  moram. 

Homo  perturbatus  excitât  Simonidem. 

Unum  pronnorat  vix  pedem  Iriclinio  , 

Ruina  camerae  subito  oppressit  ceteros  ; 

Nec  ulli  juvenes  sunt  reperti  ad  januam.  30 

Ut  est  vuigatus  ordo  patratae  rei , 

Omnes  scierunt  numinum  praesentiam 

Vati  dédisse  vitam ,  mercedis  loco. 

EPILOGUS. 

Adhuc  supersunt  multa  quae  possim  loqui, 
Et  copiosa  abundat  rerum  varietas  ; 
Sed  temperatae  suaves  sunt  argutiae; 
Immodicae  olfendunt.  Quare,  vir  sanctissime  , 
Particulo  ,  chartis  nomen  victurum  meis ,  5 

Latinis  dum  manebit  pretium  litteris, 
Si  non  ingenium  ,  cerle  brevitatem  approba  , 
Quae  commendari  tanlo  débet  justius, 
Quanto  poetae  sunt  molesti  validius. 

dissait,  égayé  par  le  vin,  et  la  salle  magnifiquement  parée  retentis- 
sait des  éclats  de  la  joie,  quand  soudain  deux  jeunes  gens,  couverts 
dépoussière  et  de  sueur,  mais  d'une  taille  plus  qu'humaine,  char 
gent  un  esclave  d'appeler  Simonide.  a  Qu'il  vienne  sans  délai,  di- 
sent-ils, la  chose  est  importante  pour  lui.  »  L'esclave,  tout  troublé, 
entraîne  Simonide;  mais  à  peine  a-t-il  mis  le  pied  hors  de  la  salle, 
que  la  voûte  s'écroule  tout  a  coup  et  écrase  tous  les  convives;  du 
reste,  on  ne  trouva  point  les  jeunes  gens  à  la  porte.  Dès  que  la  nou 
velle  de  l'événement  se  fut  répandue,  chacun  reconnut  que  les  deux 
divinités  protectrices,  pour  s'acquitter  envers  Simonide,  avnicnt 
•auvé  la  vie  au  poëte. 

ÉPILOGUE. 

Il  me  reste  encore  une  foule  de  sujets  à  traiter  ;  la  fable  est  une 
mine  féconde  en  produits  variés;  mais,  pour  être  goûtés  ,  les  jeux  de 
Tesprit  veulent  une  sage  retenue;  semés  à  profusion,  ils  fatiguent. 
Aussi,  vénérable  Particulon  ,  vous  dont  le  nom  doit  vivre  dans  laes 
écrits  tant  qu'on  cultivera  les  lettres  latines,  louez  dans  mes  ouvrno-es 
sinon  le  talent,  du  moins  la  brièveté  :  mérite  d'autant  plus  recom- 
mandabie  eue  les  poètes  sont  d'ordinaire  plus  ennuyeux. 


FABLES   DE   PHEDRE.    LIVRE   IV. 


16Î 


domus  resonabat 

laeta  raagno  apparatu  : 

quum  repente  duo  juvenes, 

sparsi  pulvere, 

diffluentes  corpora 

multo  sudore , 

supra  formam  humanam, 

mandant  euidam  servulo 

utprovocet  ad  se 

Simonidera  : 

interesse  illius  ; 

ne  faciat  moram. 

Homo  perturbatus 

excitât  Simonidem. 

Vix  promorat  unum  pedem 

triclinio, 

subito  ruina  camerae 

oppressit  ceteros  ; 

nec  ulli  juvenes 

reperti  sunt  ad  januam. 

Ut  ordo 

rei  patrafeœ  vulgatus  est, 

omnes  scierunt 

prœsentiam  numinum 

dédisse  vitam  vati, 

loco  mercedis. 


la  maison  résonnait 

joyeuse  par  le  grand  appareil  du  festin  ; 

quand  tout-à-coup  deux  jeunes  gens, 

parsemés    couverts)  de  poussière, 

ruisselant  quant-à-Zeurs-corps 

de  beaucoup-de  sueur, 

au-dessus-de  la  taille  humaine, 

enjoignent  à  un  petit-esclave 

qu'il  fasse-venir  à  eux 

Simonide  : 

cela  être-de-l' intérêt  de  lui  ; 

qu'il  ne  fasse  (mette)  pas  de  retard. 

Notre  homme  tout-troublé 

fait-sortir  Simonide. 

A  peine  avait-il  avancé  un  pied 

hors  de  la  salle-à-manger, 

soudain  la  ruine  (  la  chute)  de  la  voûte 

écrasa  les  autres  convives  ; 

et  aucuns  jeunes-gens 

ne  furent  trouvés  à  la  porte. 

Dès  que  l'ordre  (  les  circonstances  ) 

de  l'événement  accompli  fut  publié, 

tous  surent  (reconnurent) 

la  présence  (  protection    des  dieux 

avoir  donné  la  vie  au  poëte, 

eu  place  de  paiement. 


EPILOGUS. 


ÉPILOGUE. 


Multa  quae  possim  loqui 
supersunt  adhuc, 
et  varietas  copiosa  rerum 
abundat;  sed  argutise 
temperatœ  sunt  suaves  ; 
îmmodicœ  ofFendunt. 
Quare,  vir  sanctissime, 
Particulo, 
nomen  victurum 
meischartis, 
dum  pretium  manebit 
litteris  latiuis, 
si  non  ingeniura, 
certe  approba  brevitatem, 
quœ  débet  commendari 
ta^nto  justius,  quanto  poetai 
sunt  yalidius  molesti. 

Fables  de  Phèdre. 


Beaucoup  de  fables  que  je  pourrais  dire 
restent  encore  (  sont  en  réserve  )  à  moi  y 
et  une  variété  copieuse  de  sujets 
abonde;  mais  les  traits-d'esprit 
donnés-avec-mesure  sont  agréables; 
immodérés   en  profusion)  ils  blessent. 
C'est  pourquoi,  homme  très-respectabl?, 
Particulon, 
nom  devant-vivje 
dans  mes  écrits, 
tant  que  leur  prix  demeurera 
aux  lettres  latines, 
si  lu  n^approuves  le  talent, 
du  moins  approuve  la  brièveté, 
qui  doit  être  prisée 

d'autant  plus-justement ,  quelea  poètes 
sont  plus-fortement  ennuyeux. 
11 


i62  PH^DRI   FAB.    LIBER   V. 

LIBER  V. 


PROLOGUS. 

^sopi  nomen  sicubi  interposuero , 
Gui  reddidi  jam  pridem  quidquid  debui , 
Auctoritatis  esse  scito  gratia  ; 
Ut  quidam  artifices  nostro  faciunt  saeculo , 
Qui  pretium  operibus  majus  inveniunt  novis ,  5 

Si  marmori  adscripserunt  Praxitelen  '  suo , 
Myronem  argento.  Fabulae  sic  audiant 
Adeo  fucatae  '  ;  plus  vetustis  si  favet 
Invidia  mordax  quam  bonis  praesentibus. 
Sed  jam  ad  fabellam  talis  exempli  feror.  10 

FABULA  I. 

DEMETBIUS   ET  MEN ANDES. 

Demetrius  qui  dictus  est  Phalereus  ' , 
Athenas  occupavit  imperio  improbo. 

PROLOGUE. 

Si  j'ai  parfois  cité  dans  mes  fables  le  nom  d'Esope,  à  qui  j'ai  de- 
puis longtemps  rendu  l'hommage  que  je  lui  devais,  sachez  bien  que  j'ai 
voulu  m'appuyersurson  autorité,  comme  ces  artistes  de  notre  siècle, 
qui,  pour  trouver  de  leurs  ouvrages  modernes  un  prix  plus  élevé, 
inscrivent  au  bas  d'une  statue  de  marbre  le  nom  de  Praxitèle,  ou  ce- 
lui de  Myron  sur  une  statue  d'argent.  Puissent  ces  fables ,  sous  un 
nom  trompeur  ,  jouir  aussi  du  même  avantage,  puisque  les  morsu- 
res de  l'envie  respectent  plutôt  les  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  que 
ceux  de  notre  temps.  Ceci  me  conduit  à  raconter  une  fable  qui  con- 
firme ce  que  j'avance. 

FABLE  I. 

DÉMÉTRIU8   ET    MÉN ANDRE. 

Démétrius  de  Phalère  avait  usurpé  dans  Athènes  le  pouvoir  sou- 
verain, et  le  peuple,  selon  son  usage,  be  précipitait  à  l'envi  sur  sca 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


16S 


LIVRE  V- 


PROLOGUS. 

Sicubi  interposuero 
nomen  iEsopi, 
cui  jam  pridem 
reddidi  quidquid  debui, 
scito  esse 

gratia  auctoritatis  ; 
ut  faciunt  quidam  artifices 
nostro  sseculo, 
qui  inveniunt 
pretium  majus 
operibu3  novis, 
si  adscripserunt 
suo  marmori 
Praxitelen, 
M^Tonem  argento. 
Fabulse  adeo  fucatœ 
audiaut 
sic; 

si  invidîa  mordaz 
favet  vetustis 
plus  quam  bonis 
prsesentibus. 

Sed  jam  feror  ad  fabellam 
exempli  talis. 

FABULA  I. 

DEMETBIUS  ET  MENANDEB. 

Demetrius 
qui  dictus  est  Phalereus, 
occupavit  Athenas 
mperio  împrobo. 


PROLOGUE. 

Si-parfois  j'ai  intercalé  dans  mes  fables 
le  nom  d'Esope, 
à  qui  déjà  depuis-longtemps 
j'ai  rendu  tout-ce-que  j'ai  dû, 
sache  cela  être  (que  je  l'ai  fait) 
en  vue  du  crédit  dont  il  jouit  ; 
comme  font  certains  artistes 
dans  notre  siècle, 
qui  trouvent 
un  prix  plus-grand 
pour  leurs  œuvres  nouvelles, 
s'ils  ont  inscrit 
sur  leur  marbre 
le  nom  de  Praxitèle, 
celui  de  Myron  sur  l'argent. 
Que  ces  fables  ainsi  fardées 
entendent  parler  d'elles  (aient  du  renom) 
de  même  ; 

si  (  puisque  )  l'envie  mordante 
favorise  les  ouvrages  anciens 
plus  que  les  bons  ouvrages 
du-temps-présent. 

Mais  déjà  je  suis  entraîné  vers  une  fable 
d'un  exemple  tel  (qui  prouve  mon  dire). 

FABLE  L 

DEMETRIUS   ET   MÉ^- ANDRE. 

Démétrius 
qui  fut  dit  de-Phalère, 
occupa  (gouverna)  Athènes 
par  une  domination  illégitime» 


iCa  PH^DRl   FAB.    LIBER   Y. 

Ut  mos  est  vulgi,  passim  et  certatim  ruunt  : 

«  Féliciter  1  »  succlamant.  Ipsi  principes 

Illam  osculantur,  qua  sunt  oppressi ,  nianum  ,  5 

Tacite  gementes  tristem  fortunée  vicem. 

Quin  etiam  résides  et  sequeutes  otium , 

Ne  defuisse  noceat ,  reptant  ultimi. 

In  quis  Menander  ' ,  nobilis  comœdiis, 

Quas,  Ipsum  ignorons  ,  legerat  Demetrius ,  40 

Et  admiratus  fuerat  ingenium  viri  ; 

Unguento  delibutus  ,  vestitu  fluens  *, 

Veniebat  gressu  delicato  et  languido. 

Hune  ubi  tyrannus  vidit  extremo  agmine  : 

«  Quisnara  cinaedus  ille  in  conspectuni  meum  45 

Audet  venire  ?  »  Responderunt  proximi  : 

«  Hic  est  Menander  scriptor.  »  Mutatus  statim... 

{Reliqua  desiderantur). 

FABULA  II. 

VIATORES   ET    LATRO. 

Duo  quum  incidissent  in  Latronem  milites , 
Unus  profugit;  aiter  autem  restitit, 
Etvindicavit  sese  fort!  dextera. 


pas,  en  l'applaudissant.  Les  grands  eux-mêmes  baîsent  cette  main 
qui  les  opprime ,  gémissant  en  silence  de  cette  triste  vicissitude  de 
la  fortune.  Bien  plus,  ceux  qui  s'étaient  tenus  éloignés  les  affaires,  et 
vivaient  dans  le  repos ,  craignant  de  payer  cher  leur  absence ,  vin- 
rent les  derniers  ramper  à  ses  pieds.  De  ce  nombre  était  Ménandre, 
déjà  célèbre  par  ses  comédies.  Démétrius  neleconnaissa't  pas,  maia 
il  avait  lu  ses  ouvrages  et  admiré  son  génie.  Le  poëte,  1. ligné  d'es- 
sences et  la  tunique  flottante,  s'avançait  d'un  pas  plein  de  noncha- 
lance et  de  langueur.  Dès  que  le  tyran  l'aperçut  dans  les  derniers 
rangs  de  la  foule  :  «  Quel  est ,  s'écria-t-il ,  cet  efféminé  qui  ose  se 
présenter  devant  moi  ?  —  C'est  Ménandre ,  le  poëte ,  »  répondi 
rent  les  plus  proches.  Changeant  aussitôt.... 

[Le  reste  manque.) 

FABLE  II. 

LES  VOYAGEURS  EX  LE  VOLEUR. 

Deux  soldats  rencontrèrent  un  voleur.  L'un  d'eux  s'enfuit,    mai» 
l'autre  soutint  l'attaque ,  et  par  son   courage  se   tira   d'affaire.   Le 


FABLES   DE    PHÈDRE.    LIVRE    V. 


165 


Ut  raos  vulgi  est, 

ruunt  passim  et  certatim  : 

«  Féliciter!  » 

suoclamaat. 

Principes  ipsi 

Dsculantur  illam  manum 

^ua  oppressi  sunt, 

gementes  tacite 

tristem  vicem  fortunae 

Quin  résides  etiam 

et  sequentes  otium , 

reptant  ultimi, 

ne  de  fuisse 

noceat. 

In  quis  Menander, 

nobilis  comœdiis, 

quas  Demetrius, 

ignorans  ipsum, 

legerat,  etadmiratusfuerat 

ingenium  viri  ; 

delibntus  unguento , 

fluens  vestitu, 

veniebat  gressu  delicato 

et  languido. 

Ubi  tyrannus  vidit  hune 

extremo  agmine  : 

«  Quisnam  ille  cinaedus 

audet  venire 

in  meum  conspectum  ?  » 

Pro^mi  responderunt  : 

«Hif 

est  scriptor  Menander.  » 

Mutatus  statim.... 

(Reliqua  desiderantur.) 


Comme  la  coutume  du  peuple  est, 
on  se  précipite  çà-et-là  et  à  l'envi  • 
«  Très-bien   bravo,  vivat)  !  » 
s'écrie-t-on. 
Les  grands  eux-mêmes 
baisent  cette  main, 

par  laquelle  ils  ont  été  'sont)  opprimés, 
gémissant  en  silence 
sur  la.  triste  vicissitude  de  la  fortune. 
Bien  plus  les  oisifs  même 
et  ceux  suivant  le  (  se  livrant  au  )  repos, 
viennent-en-rampant  les  derniers, 
de  peur  que  d'y  avoir  manqué 
ne  leur  nuise. 

Parmi  eux  était  Ménandre, 
célèbre  par  ses  comédies, 
lesquelles  Démétrius, 
ne-connaissant-pas  le  poëte  lui-même, 
avait  lues,  et  il  avait  admiré 
le  génie  de  cet  homme  ; 
dégouttant  de  parfum  de  parfums), 
flottant  par  l'habit  fia  tunique  flottante) , 
il  venait  d'un  pas  efiîéminé 
et  languissant. 
Dès  que  le  tyran  vit  celui-ci 
aù-bout-de  la  file  : 
«  Quel  est  cet  efiëminé 
qui  ose  venir 
en  ma  présence?  » 
Les  plus  proches  répondirent  : 
«  Celui-ci 

est  l'écrivain  Ménandre.  » 
Changé  aussitôt.... 
{Le  reste  manque.] 


FABULA  n. 

VIATORES    ET   LATEO. 

Quum  duo  nailites 
incidissent 
in  latronem, 
tinus  profugit  ; 
alter  autem  restitit , 
et  dextera  forti 
nndicavit  sese 


FABLE  IL 

LES   VOTAGETJHS   ET    LE   VOLEUB 

Comme  deux  soldats 
étaient  tombés 

dans  (avaient  rencontré^  un  voleur, 
l'un  d'eux  s'enfuit  ; 
mais  l'autre  tint- bon, 
et  de  50/1  bras  courageux 
débarrassa  soi  de  cette  attaque. 


166  PH^DRI   FAB.    LIBER  V. 

Latrone  occiso ,  timidus  accurrit  cornes , 

Stringitque  gladium  ;  dein  ,  rejecta  penula  '  :  S 

«  Cedo  ,  iiiquit ,  illum  ;  jam  curabo  sentiat 

Quos  attentarit.  y>  Tune  qui  depugnaverat  : 

a  Vellem  istis  verbis  saltem  adjuvisses  modo  ; 

Constantior  fuissem ,  vera  existimans  ; 

Nunc  conde  ferrura  ,  et  linguam  pariter  futilem  ,  40 

Ut  possis  alios  ignorantes  fallere. 

Ego,  qui  sum  expertus  quantis  fugias  viribus  , 

Scio  quam  virtuti  non  sit  credendura  tuae.  » 

Illi  assignari  débet  haec  narratio, 
Qui  re  secunda  fortis  est,  dubia  fugax.  4  5 

FABULA  III. 

CA.LVU8   ET   MU8CA. 

Calvi  momordit  Musca  nudatum  caput  ; 
Quam  opprimere  captans  ,  alapam  sibi  duxit  gravem. 
Tune  illa  irridens  :  «  Punetum  volueris  parvulae 
Voluisti  morte  uleisei  ;  quid  faeies  tibi , 
Injuriae  qui  addideris  contumeliam  ?»  5 

voleur  tué,  le  pusillanime  compagnon  accourt,  tire  son  épée,  et ,  re- 
jetant son  manteau  :  «  Laisse-le  venir ,  s'écria-t-il  ;  je  veux  lui  faire 
voir  à  quels  hommes  il  s'attaquait.  »  Mais  celui  qui  avait  combattu 
répondit  :  «  J'aurais  voulu  t' entendre  tout  à  l'heure  m'aidïr  au 
moins  de  ces  belles  paroles  :  elles  eussent  soutenu  mon  courage ,  car 
je  les  aurais  crues  sincères.  Rengaine  maintenant  ton  épée  et  ta 
langue  tout  aussi  inutile  ,  tu  pourras  abuser  encore  ceux  qui  ne  te 
connaissent  pas.  Pour  moi ,  qui  ai  vu  avec  quelle  agilité  tu  fuis ,  je 
sais  à  quoi  m'en  tenir  sur  ton  courage.  » 

Ce  récit  s'applique  à  celui  qui  se  montre  brave  tant  qu'il  n'y  a 
rien  à  craindre,  et  prend  la  fuite  au  moindre  péril. 

FABLE  III. 

l'homme  chauve  et  la  mouche. 

Une  mouche  piqua  la  tête  d  un  homme  chauve;  celui-ci,  cher- 
chant à  l'écraser ,  se  donne  une  forte  tape:  «  Tu  voulais,  lui  dit 
alors  la  mouche  en  se  riant  de  lui ,  tu  voulais  pour  une  légère  pi- 
qûre punir  de  mort  un  petit  être  ailé;  quel  châtiment  t'infligeras-tu  à 
toi-même  pour  le  mal  et  l'affront  que   tu  t'es  fait?  »  L'homme  lu; 


FABLES   DE    PHEDRE.    LiYRE   Y. 


167 


Latroae  occîso, 
timidus  cornes  accurrit, 
stringitque  gladiura  ; 
^eÎB,  penula  rejecta  : 

i  Cedoillum,  inquit; 
jam  curabo  sentiat 
quos  attentant.  » 
Tune  qui  depugnaverat  : 

■  Vellem  saltem 
adjuvisses  modo 
istis  verbis  ; 
fuissem  constantior, 
existimans  vera  ; 

nunc  conde  ferrum , 

et  linguampariterfutilem, 

ut  possis  fallere  alios 

ignorantes. 

Ego,  qui  expertus  sum 

qnantis  viribus  fugias, 

scio  quam 

non  credendum  sit 

tuîe  virtuti.  » 
Haec  narratio 

débet  assignari 

illi  qui  est  fortis 

re  secunda, 

fngax  dubia. 


Le  voleur  tué, 

le  timide  compagnon  accourt , 

et  tire  son  épée  ; 

ensuite ,  son  manteau  étant  rejeté  : 

«  Donne  (montre)  le  moi,  dit-ii  ; 

bientôt  j'aurai-soin  qu'il  comprenne 

quels  hommes  il  a  attaqués.  » 

Alors  celui-qui  avait  combattu  : 

«  Je  voudrais  du  moins 

que  tu  m'eusses  aidé  naguère 

par  ces  paroles  ; 

j'aurais  été  plus-ferme, 

pensant  elles  vraies  ; 

maintenant  rengaine  ton  fer 

et  ta  langue  également  frivole, 

afin  que  tu  puisses  tromper  d'autres 

qui-ne-Zf-connaissent-pas. 

Moi,  qui  ai  éprouvé 

avec  quelles-grandes  forces  tu  fuis, 

js  sais  combien 

il  ne  faut  pas  croire 

à  ton  courage.  » 

Ce  récit 
doit  être  appliqué 
à  celui  qui  est  valeureux 
dans  la  circonstance  heureuse, 
et  porté-à-fuir  dans  la  douteuse. 


FABULA  in. 

CAI.VUS    ET   MU8CA 

Musca  momordit 
capnt  nudatum  calvi  ; 
captans  opprimere  quam , 
duxit  sibi  gravem  alapam. 
Tune  illa  irridens  : 
«  Voluisti  ulcisci  morte 
pnnctum  parvulas  volucris  ; 
quid  faciès  tibi, 
qui  injuriée 
addideris  contumeliam?  » 


FABLE  IIL 

L'/iomme-CHAUYE  et  la  mouche. 

Un  mouche  mordit  (piqua) 
la  tête  dégarnie  d'un  homme  chauve  ; 
cherchant  à  écraser  elle, 
il  mena  (appliqua)  à  soi  une  lourde  tape 
Alors  celle-ci  se  moquant  : 
«  Tu  as  voulu  venger  par  sa  mort 
la  piqûre  d'un  petit  être-ailé  ; 
que  feras-tu  à  toi, 
qui  à  la  douleur 
as  ajouté  l'affront?  » 


468  PHvEDRI    FAB.    LIBER   V. 

Respondit  :  «  Mecum  facile  redeo  in  gratiam, 

Quia  non  fuisse  mentem  laedendi  scio  ; 

Sed  te,  contempti  generis  animal  improbum, 

Quae  delectaris  bibere  humanum  sanguinem  , 

Optem  necare,  vel  majore  incommode.  »  10 

Hoc  argumente  veniam  tam  dari  decet 
Qui  casu  peccat  ' ,  quam  ,  qui  consilio  est  nocens  , 
Illum  esse  quavis  pœna  dignum  judico. 

FABULA  IV. 

HOMO   ET   A.SINU8. 

Quidam  immolasset  verrem  *  quum  sancto  Herculi , 
Cui  pro  salute  votum  debebat  sua  , 
Asello  jussit  reliquias  poni  hordei. 
Quas  aspernatus  ille ,  sic  locutus  est  : 

«  Tuum  jibenter  prorsus  appeterem  cibum,  5 

Nisi ,  qui  nutritus  illo  est ,  jugulatus  foret.  » 

Hujus  respectu  fabulae  deterritus , 
Periculosum  semper  reputavi  lucrum. 


répondit  :  «  Je  rentrerai  facilement  en  grâce  avec  moi-même ,  parce 
que  je  sais  fort  bien  n'avoir  point  eu  l'intention  de  me  blesser.  Mais 
toi ,  misérable  et  méchant  insecte  ,  toi  qui  fais  tes  délices  de  sucer 
le  sang  de  l'homme,  je  voudrais  te  tuer  ,  quand  je  devrais  me  faire 
plus  de  mal  encore.  » 

On  voit  d'après  cette  fable  qu'il  faut  pardonner  une  faute  involon- 
taire ;  quant  à  3elui  qui  fait  le  mal  de  propos  délibéré  ,  il  n'est  pas , 
à  mon  avis,  de  châtiment  qu'il  ne  mérite. 

FABLE  IV. 

l'homme  et  l'ane. 

Un  homme  immola  au  divin  Hercule  un  porc  dont  il  lui  avait 
tait  vœu  pour  le  rétablissement  de  sa  santé  ;  puis  il  fit  donner  à  son 
âne  le  reste  de  l'orge  du  porc.  Mais  l'âne,  dédaignant  cette  nourri- 
ture, répondit  :  «  Je  mangerais  cette  orge  de  grand  cœur  ,  si  l'on 
n'avait  égorgé  celui  qui  s'en  est  nourri.  » 

Effrayé  des  réflexions  que  fait  naître  cette  fable,  je  me  suis  tou- 
jours défié  d'un  accroissement  de  richesse  cachant  quelque  péril  : 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


169 


Respond^t  :  «  Redeo 
facile  in  gratiam  mecum, 
qnia  scio  mentem  Isedendi 
non  fuisse  ; 
sed  optem  necare, 
vel  incommode  majore 
te,  animal  improbum 
generis  contempti , 
quge  delectaris  bibere 
sanguinem  humanum  !  » 

Hoc  argumente 
decet  veniam  dari 
qui  peccat  casu, 
tam  quam  judico 
esse  dignum  pœna  quavis 
illum  qui  est  nocens 
consilio. 

FABULA  IV. 

HOMO   ET   ASINU8. 

Quum  quidam 
immolasset  verrem 
sancto  HercuJi , 
cui  debebat  votum 
pro  sua  sainte, 
jussit  reliquias  hordeî 
poni  asello. 
nie  aspernatus, 
locutus  est  sic  : 
«  Appeterem  tuum  cibum 
prorsus  libenter, 
bI  qui  nutritus  est  illo 
non  jugulatus  foret.  » 

Deterritus  respectu 
nnjus  fabulae , 
reputavi  semper 
lucrum  periculosum. 


Il  répondit  :  «  Je  reviens  (je~  rentre) 

facilement  en  grâce  avec-moi-méme , 

parce  que  je  sais  l'intention  de  me  blesser 

n'avoir  pas  été  à  moi  ; 

mais  je  désirerais  tuer 

même  au-prix-d' un-mal  plus  grand, 

toi,  animal  pervers 

d'une  espèce  méprisée, 

qui  te  plais  à  boire 

le  sang  humain  !  » 

D'après  cette  fable 
il  convient  que  pardon  soit  accordé 
à  celui  qui  faillit  par  accident, 
aussi-bien  que  je  juge 
être  digne  d'un  châtiment  quelconque 
celui  qui  est  nuisible 
de  dessein  prémédité. 

FABLE  ÏV. 

l'homme  et  l'ane 

Comme  un  homme 
avait  immolé  un  verrat 
au  divin  Hercule 
à  qui  il  devait  un  vœu 
pour  son  salut  (sa  guérison), 
il  ordonna  que  les  restes  de  l'orge  dn  poro 
fussent  placés  (servis)  à  l'âne. 
Celui-ci  ayant  méprisé  ces  restes 
parla  ainsi  : 

a  J'aurais-désir-de  ta  nourriture 
tout-à-fait  volontiers, 
si  celui-qui  fut  nourri  d'elle 
n'avait  pas  été  égorgé.  » 

Effrayé  par  la  vue  (l'examen) 
de  cette  fable, 
j'ai  réfléchi  toujours 
sur  un  gain  dangereux. 


170  PHiEDRI   FaB.    liber  V. 

Sed  dices  :  «  Qui  rapi'.ere  divitias ,  habent.  » 
Numeremus  agedum  qui  deprensi  perierint  :  <0 

Majorem  turbam  punitorum  reperies. 
Paucis  temeritas  est  bono ,  multis  malo. 

FABULA  V. 

SCURRA   ET   RU8TICUS. 

Pravo  favore  '  labi  mortales  soient , 
Et ,  pro  judicio  dum  stant  erroris  sui , 
Ad  pœnitendum  rebus  raanifestis  agi. 

Facturus  ludos*,  dives  quidam  et  nobilis 
Proposito  cunctos  invitavit  prœmio ,  5 

Quam  quisque  posset ,  ut  novitatem  ostenderet. 
Venere  artifices  laudis  ad  certamina. 
Quos  inter  Scurra  notus  urbano  sale , 
Habere  dixit  se  genus  spectaculi 

Quod  in  theatro  nunquam  prolatum  foret.  40 

Dispersus  rumor  civitatem  concitat; 
Paulo  ante  vacua  turbam  de&ciunt  loca. 


«  Maïs ,  direz-vous ,  ceux  qui  ont  dérobé,  ne  possèdent  pas  moins.  » 
Eh  bien  !  comptons  le  nombre  des  voleurs  saisis  et  condamnés  :  vous 
en  trouverez  bien  plus  de  frappés  que  d'impunis. 

La  témérité  réussit  à  peu  de  monde;  elle  fait  le  malheur  du  plus 
grand  nombre. 

FABLE  V. 

LE   BOUFFON    ET   LE    PAT8JLN. 

Les  hommes  se  laissent  égarer  souvent  par  une  injuste  préven- 
tion, opiniâtres  dans  leurs  faxix  jugements,  jusqu'à  ce  que  l'évidence 
les  force  à  se  rétracter. 

Un  citoyen  riche  et  de  haute  naissance  voulait  célébrer  des  jeux  ; 
il  proposa  une  récompense  à  qui  présenterait  quelque  spectacle  nou- 
veau. Des  artistes  de  tout  genre  viennent  disputer  le  prix.  L'un 
d'eux  ,  bouffon  connu  par  ses  saillies  piquantes,  se  vanta  d'offrir  un 
genre  de  spectacle  qui  n'avait  encore  paru  sur  aucun  théâtre.  La  nou- 
velle vole  débouche  en  bouche,  et  met  toute  la  ville  en  mouvement;  les 
places,  naguère  inoccupées,  manquent  maintenant  à  la  foule.  Le  bouf- 
fon s'avance  seul  sur  la  scène ,  sans  appareil,  sans  autre  acteur  pour 


FABLES   DE   PHÈDRE.    LIVRE   V.  l71 

Mais  tu  diras  : 

«  Ceux-qui  ont  enlevé  des  richesses, 

les  ont.  » 

Eh  bien  !  comptons 

ceux-qui  pris  ont-été-mis-à-mort, 
reperiesturhampunitorum    tu  trouveras  la  foule  des  coupables  pui:is 
majorem.  plus-grande  que  celle  des  autres. 

Temeritas  La  témérité 

estbono  paucis,  est  à  bien  (réussit)  à  peu  de  gens 

malo  multis.  à  mal  (est  funeste)  à  beaucoup. 


Sed  dices  : 

€  Qui  rapuere  divitias , 

habent.  » 

Agedum  numeremus 

qui  deprensi  perierint  ! 


FABULA  V. 

6CUEKA  ET  RU8TICUS. 

Mortales  soient  labi 
favore  pravo, 
et  dum  stant 
pro  judicio  sui  erroris , 
agi  ad  pœnitendum 
rébus  manifestis. 

Quidam  dives  et  nobilîs, 
facturus  ludos, 
invitavit  cunctos 
praemio  proposito 
ut  quisque  ostenderet 
novitatem  quam  posset. 
Artifices  venere 
ad  certamina  laudis. 
Inter  quos  scurra, 
notus  sale  urbano,  dixit 
86  habere  genus  spectaculi 
quod  nunquam 
prolatum  foret 
in  theatro. 
Rumor  dispersus 
concitat  civitatem  ; 
loca  paulo  ante  vacua 
deficiunt  turbam. 


FABLE  V. 

LE   BOUFFOX   ET   LE    PAYSAN. 

Les  mortels  ont-coutume  de  se  tromper 
par  une  partialité  injuste , 
et  tandis  qu'ils  se  tiennent 
en  faveur  du  jugement  de  leur  erreur, 
ils  ont  coutume  d'être  poussés  à  se  repentir 
par  les  choses  évidentes  ("par  l'évidence). 

Un  homme  riche  et  noble , 
devant-célébrer  des  jeux, 
invita  tous 
par  un  prix  proposé, 
àrce-que  chacun  montrât 
la  nouveauté  qu'il  pourrait. 
Les  artistes  (les  baladins)  vinrent 
à  ces  luttes  de  gloire. 
Parmi  eux  un  bouffon, 
connu  par  son  enjouement  aimable,  dit 
soi  avoir  un  genre  de  spectacle 
qui  jamais 

n'avait  été  porté-en-avant  (mis) 
sur  le  théâtre. 
Ce  bruit  répandu 
attire-toute  la  ville; 
les  places  peu  auparvant  vides 
manquent  à  la  foule 


172  PHiEDRI   FAB.    LIBER   V. 

In  scena  vero  postquam  solus  constitit 

Sine  apparatu ,  nullis  adjutoribus  , 

Silentium  ipsa  fecit  exspectatio.  1 5 

nie  in  sinum  repente  demisit  caput , 

Et  sic  porcelli  vocem  est  imitatus  sua , 

Venim  ut  subesse  pallio  contenderent, 

Et  excuti*  juberent.  Quo  facto,  simul 

Nihil  est  repertum  ,  multis  onerant  laudibus,  20 

Eominemque  plausu  prosequuntur  maximo. 

Hoc  vidit  6eri  Ruslicus  :  cf  Non,  mehercule  ! 

Me  vincet ,  inquit.  »  Et  statim  professus  est 

Idem  facturum  melius  se  postridie. 

Fit  turba  major;  jam  favor  mentes  tenet;  25 

Et  derisuri ,  non  spectaturi ,  sedent. 

Uterque  prodit  :  Scurra  degrunnit  prior, 

Movetque  plausus  ,  et  clamores  suscitât. 

Tune  simulans  sese  vestimentis  Rusticus 

Porcellum  obtegere  (qucd  faciebat  scilicet,  30 

Sed,  in  priore  quia  nil  compererant ,  latens), 

Pervellit  aurem  vero  quem  celaverat. 

Et  cum  dolore  vocem  naturae  exprimit. 

Acclamât  populus  Scurram  multo  similius 

Imitatum,  et  cogit  Rusticum  trudi  foras.  35 

Itu  prêter  son  secours  ;  l'attente  a  fait  régner  le  silence.  Tout  à  coup  il 
baisse  la  tête  dans  les  plis  de  sa  rote ,  et  avec  sa  voix  il  imite  le  cri 
du  cochon"  de  lait  avec  une  telle  perfection ,  que  chacun  jure  qu'il  en 
tient  un  caché  sous  son  manteau.  On  lui  ordonne  de  le  secouer  :  il 
le  fait,  et  l'on  ne  trouve  rien  ;  on  l'accable  d'éloges,  on  le  poursuit 
d'applaudissements.  Un  paysan  qui  était  présent  s'écria  :  0  Par  Her- 
cule !  il  ne  l'emportera  pas  sur  moi  ;  »  et  sur-le-champ  il  promet  de 
faire  mieux  le  lendemain.  Le  lendemain,  foule  plus  considérable  en- 
core; mais  les  esprits  étaient  prévenus,  et  l'on  prenait  place  moins 
pour  jouir  du  spectacle  ,  que  pour  se  moquer  du  paysan.  Les  deux 
rivaux  s'avancent  :  le  bouflFon  se  met  à  grogner  le  premier  ;  il  sou- 
lève un  tonnerre  d'applaudissements  et  de  bruyantes  clameurs.  Le 
paysan  alors  feint  de  cacher  sous  ses  vêtements  un  cochon  de  lait, 
ce  qu'il  faisait  réellement,  mais,  comme  on  n'avait  rien  découvert 
«ur  le  premier  ,  la  foule  était  sans  défiance  ;  puis  il  se  met  à  pincer 
l'oreille  de  l'animal,  à  qui  la  douleur  arrache  des  cris  tout  à  fait  na.- 
turels.  I^  peuple  s'écrie  aussitôt  que  le  bouffon  a  beaucoup  mieux 
imité,  et  veut  faire  jeter  )e  pavsan  à  la  porte.  Mais  lui  tire  de  de» 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


173 


Postquam  vero  solus 

constitit  in  scena, 

liae  apparatu, 

nullis  adjutoribus , 

exspectatio  ipsi 

fecit  silentium. 

nie  repente  demisit  caput 

in  sinum , 

et  sua. 

Imitatus  estvocemporcelli, 

sic  ut  contenderent 

verum  subesse  pallio, 

et  juberent  excuti. 

Quo  facto, 

simul  nihil  repertum  est , 

onerant  laadibus  multis, 

proseqnunturque  homiuem 

maximo  plausu. 

Rusticus  vidit  hoc  fieri  : 

«  Mehercule! 

non  vincet  me,  inquit.  » 

Et  statim  professus  est 

se  facturum  postridie 

idem  melius. 

Turba  fit  major; 

jam  favor  tenet  mentes  ; 

et  sedent , 

derisuri,  non  spectaturi. 

Uterque  prodit  : 

scurra  degrunnit  prior, 

movetque  plausus, 

et  suscitât  clamores. 

Tune  rusticus  simulans 

sese  obtegere  vestimentia 

porcellum , 

(quod  faciebat  scilicet, 

eed  latens, 

quia  compererant  nii 

in  priore;, 

pervellit  aurem  vero 

quem  cel avérât , 

et  exprimit  cum  dolore 

vocem  naturae. 

Populus  acclamât  scurram 

imitatum  multo  simili  us , 

et  cogit 

rusticum  trudi  foras. 


Mais  après  que  seul 

il  se  tint  sur  la  scène, 

sans  appareil, 

nuls  acteurs  ne  Z'aidant^ 

l'attente  même 

fit    produisit,  fit  régner)  le  silence. 

Celui-ci  tout-à-coup  baissa  la  tête 

dans  son  sein, 

et  avec  la  voix  sienne , 

il  imita  la  voix  du  cochon- de-lait, 

tellement  que  tous  soutenaient 

qu'un  vrai  cochon  était-sous  son  manteau, 

et  ordonnaient  le  manteau  être  secoué. 

Cela  ayant  été  fait , 

dès-que  rien  n'eut  été  trouvé, 

on  Z'accable  d'éloges  nombreux, 

et  on  poursuit  notre  homme 

de  très-grands  applaudissements 

Un  paysan  vit  cela  être  fait  (avoir  lieu)  : 

«  Par-Hercule  ! 

il  ne  vaincra  pas  moi ,  dit-il.  » 

Et  aussitôt  il  annonça 

soi  devoir-faire  (qu'il  ferait,  le  lendemain 

la  même  chose  mieux. 

La  foule  se  fait  plus-grande  ; 

déjà  la  partialité  occupe  les  esprits; 

et  on  s'assied  (on  prend  place, , 

devant-railler,  non  devant-regarder . 

L'un  et  l'autre  s'avance; 

le  bouffon  grogne  le  premier, 

et  excite  des  applaudissements, 

et  fait-pousser  des  cris. 

Alors  le  paysan  feignant 

soi  cacher  sous  ses  vêtements 

un  cochon-de-lait, 

(ce  qu'il  faisait  en  effet , 

maisétant  caché  (sans  qu'on  s'en  doutât) 

parce  qu'ils  n'avaient  trouvé  rien 

sur  le  premier  , 

tîre  l'oreille  au  véritable  cochon 

qu'il  avait  caché, 

et  /ut  arrache  avec  la  douleur 

la  voix  '  le  cri)  de  la  nature 

Le  peuple  crie  que  le  bouffon 

a  imité  beaucoup  plus-véntablement , 

et  force  (exige 

le  paysan  être  jeté  dehors. 


174  phj:dri  fab.  liber  v. 

At  ille  profert  ipsum  porcellum  e  sinu  ; 
Turpemqiie  aperto  pignore  errorem  probans  : 
«  En  hic  déclarât  quales  sitis  judices  !  » 

FABULA   VI. 

DUO   CALVI. 

Invenit  Calvus  forte  in  trivio  pectinem  : 
Accessit  alter  aeque  defectus  pilis  : 
«r  Eia,  inquit,  in  commune*,  quodcumque  est  lucri.  » 
Ostendit  ille  praedam  ,  et  adjecit  simul  : 
a  Superum  voluntas  favit  ;  sed  fato  invido 
Carbonem,  ut  aiunt,  pro  thesauro*  invenimus.  » 
Quem  spesdelusit*,  hooquerelae  convenit. 

FABULA  VIL 

PKINCEPS*    TIBICEN. 

Ubi  vanus  animus  ,  aura  captus  frivola  " , 
Arripuit  insolentem  sibi  fiduciam  , 
Facile  ad  derisum  stulta  levitas  *  ducitur. 


80U8  sa  robe  le  cochon  de  lait ,  et ,  leur  montrant  la  preuve  mani- 
feste de  leur  sotte  erreur  :  «  Voilà  qui  montre ,  dit-il ,  quels  juges 
vous  êtes!  » 

FABLE  VI. 

LES   DEUX  CHAUVES. 

Un  homme  chauve,  en  passant  dans  un  carrefour ,  trouva  par  ha- 
sard un  peigne  ;  arrive  un  autre  homme  à  la  tête  également  pelée  : 
€  Ah  çà  !  s'écria-t-il ,  part  à  deux,  quelle  que  soit  l'aubaine.  » 
Mais  le  premier,  lui  montrant  la  trouvaille  :  «  La  volonté  des  dieux 
nous  favorisait,  lui  dit-il;  le  destin  jaloux  nous  a  fait  trouver, 
comme  l'on  dit ,  un  charbon  au  lieu  d'un  trésor.  » 

Celui  dont  les  espérances  sont  trompées,  a  le  droit  de  se  plaindre. 

FABLE  VIL 

LE  JOUEUR  DE  FLUTE  LEPEINCB. 

Quand  un  esprit  superbe ,  ébloui  de  la  faveur  inconstante  de  la 
foule,  s'abandonne  à  une  folle  présomption,  son  sot  amour-propre 
an  fait  aisément  un  objet  de  ridicule. 


i 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


175 


At  ille  profert  o  sînu  Mais  celui-ci  met-hors  (tire)  de  son  sein 

porcellum  ipsum;  le  cochon-de-lait  lui-même; 

probansque  pignore  aperto  et  prouvant  par  ce  gage  manifeste 

turpem  errorem  :  leur  honteuse  erreur  : 

«  En  hic  déclarât  «  Yoilà-  que  celui-ci  déclare 

quales  judices  sitis  !  »  qnels  juges  vous  êtes  !  » 


FABULA  VI. 

DUO    CALVl 

CalvTJs  invenit  forte 
pectinem  in  trivio  : 
alter  aeque  defectus  pilia 
accessit  : 

0  Eia,  quodcomque  est 
lucri , 

in  commnne ,  in  qui  l.  » 
Ille  ostendit  praedam , 
et  adjecit  simul  : 
«Voluntas  Superum  favit  ; 
8sd  fato  invido 
invenimus ,  ut  aiunt , 
carbonem  pro  thesauro.» 

Hoc  querelœ  convenit 
quem  spes  delusit. 


ABLE  VI. 

LES    DEUX   hommes  CHAUTES. 

Un  homme  chauve  trouva  par -hasard 
un  peigne  dans  un  carrefour  : 
un  autre  également  dépourvu  de  cheveux 
s'approcha  : 

«  Ah-çà,  quoi  que  ce  soit  quoi  qu'il  y  ait) 
de  profit , 

qu'il  soit  en  commun  (part  àdeux\  dit-il.» 
Celui-ci  montra  son  butin , 
et  il  ajouta  en-même-temps  : 
«  La  volonté  des  dieux  nous  a  favorisés  ; 
mais,  par  un  destin  jaloux, 
nous  avons  trouvé,  comme  on  dit, 
un  charbon  au  lieu  d'un  trésor.  » 

Cela  de  plainte  (cette  plainte)  convient 
à  celui  que  son  espoir  a  abusé. 


FABULA  VII. 


FABLE  VII. 


PRINCEPS   TIBICEN. 

Ll)i  animus  vanus, 
captus  aura  frivola 
arripuit  sibi 
fiduciam  insolentem , 
Btuita  levitas 
ducitur  facile 
ad  derisum. 


LEPRIÎfCE   JOUEUR   DE   FLUTE. 

Quand  un  esprit  vain  (superbe), 
séduit  par  un  vent  (une  gloire)  frivola 
a  arrogé  à  soi 
une  confiance  insolente , 
sa  sotte  vanité 

est  conduite  'menée)  facilement 
veri  la  dérision. 


176  PH^DRI   FAB.    LIBER  Y. 

Princeps  tibicen  notior  paulo  fuit, 
Operam  Bathyllo  '  solitus  in  scena  dare.  g 

Is  forte  ludis  (no'i  satis  memini  quibus), 
Dum  pegma  rapitur,  concidit  casu  gravi, 
Nec  opinans,  et  sinistram  fregit  tibiam , 
Duas  quum  dextras*  maiuisset  perdere. 
Inter  manus  sublatus,  et  multum  gemens,  <0 

Domum  refertur.  Aliquot  menses  transeunt, 
Ad  sanitatem  dum  venit  curatio. 
Ut  spectatorum  mos  est,  et  lepidum  genus , 
Desiderari  cœpit  cujus  flatibus 

Solebat  axcitari  saltantis  vigor.  4  5 

Erat  facturus  ludos  quidam  nobilis , 
Et  iiicipiebat  rursum  Princeps  ingredi. 
Adducit  pretio,  precibus  ,  ut  tantummodo 
Ipso  ludorum  sese  oslenderet  die. 

Qui  simul  advenit,  rumor  de  tibicine  20 

Frémit  in  theatro  :  quidam  affirmant  mortuum  ; 
Quidam  in  conspectum  proditurum  sine  mora. 
Aulaeo  misso  ,  devolutis  tonitrubus, 
Di  sunt  locuti  more  translatitio^. 

Tune  chorus  ignotum  modo  reducto  canticum  25 

Imposait ,  cujus  haec  fuit  sententia  : 


Leprince,  joueur  de  flûte  assez  en  renom ,  prêtait  ordinai- 
rement à  Bathylle,  sur  la  scène,  le  secours  de  son  art.  Un  jour, 
je  ne  saurais  trop  dire  à  quelle  solennité  ,  dans  un  jeu  des  ma- 
chines du  théâtre ,  il  fit  tout  à  coup  une  chute  périlleuse ,  et  se 
cassa  le  tibia  gauche  ;  il  aurait  mieux  aimé  briser  deux  flûtes 
droites.  On  l'enlève  aussitôt  à  bras,  et  on  le  reporte  chez  lui,  pous- 
sanJt  de  grands  gémissements.  Quelques  mois  s'écoulent  avant  son 
entière  guérison.  Comme  il  arrive  toujours,  les  spectateurs  com- 
mençaient à  regretter  l'habile  musicien,  dont  les  accords  harmonieux 
animaient  d'ordinaire  les  mouvements  du  souple  danseur.  Un  citoyen 
de  haute  naissance  se  préparait  à  célébrer  des  jeux  au  moment  où 
I^eprince  recommençait  à  marcher.  A  force  de  prières  et  d'argent ,  il 
lui  fait  promettre  de  se  montrer  seulement  le  jour  même  des  jeux  Le 
jour  du  spectacle  arrivé,  une  vive  rumeur,  dont  le  joueur  de  flûte  est 
l'objet ,  circule  dans  tout  le  théâtre  :  quelques-uns  soutiennent  qu'il 
est  mort  ;  d'autres  affirment  qu'il  va  paraître  tout  à  l'heure  à  leurs 
yeux.  On  baisse  la  toile,  les  tonnerres  roulent  et  grondent,  et  les 
dieux  parlent,  suivant  l'usage  que  nous  ont  transmis  les  Grecs.  Alors 
le  chœur  chante  un  hymne  inconnu  au  joueur  de  flûte,  tout  nouvelle- 


fABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


177 


Pr inceps  tibicen 
paulo  notior, 
Bolitus  fuit  in  scena 
dare  operam  Bathyllo. 
Forte  ludis 
(non  memini  satis 
quibcs), 

dura  pegma  rapitur, 
is  concidit  casu  gravi , 
nec  opinans, 

et  fregit  tibiam  sinistram  , 
quum  maluisset 
perdere  duas  destras. 
Sublatus  inter  manus, 
et  gemens  multum  , 
refertur  domum. 
Aliquot  menses  transeunt , 
dum  curatio 
venit  ad  sanitatem. 
Ut  mos  spectatorum  est , 
et  genus  lepidum , 
flatibus  cujus 
vigor  saltantis 
solebat  excitari, 
cœpit  desiderari. 
Quidam  nobilis 
facturas  crat  ludos, 
et  Princeps  rursum 
incipiebat  ingredi. 
Adducit  pretio,  precibus, 
ut  ostenderet  sese 
tantummodo 
die  ipso  ludorum. 
Simul  qui  advenit , 
rumor  de  tibicine 
frémit  in  theatro  : 
quidam 

affirmant  mortuum , 
quidam  proditurum 
sine  mora  in  conspectum. 
Aulaeo  misso, 
tonitrubus  devolutis, 
di  locuti  sunt 
more  translatitio . 
Tune  chorus  imposuit 
canticum  ignotum 
reducto  modo, 

Fables  de  Phèdee 


Leprince  joueur-de-flûte 
un  peu  bien-connu  'assez  connu), 
avait  eu  (avait)  -coutume  sur  la  scène 
de  donner  prêter)  son  secours  à  Bathylle. 
Par  hasard  dans  des  jeux 
(je  ne  me  souviens  pas  assez  (pas  bien) 
dans  lesquels;, 

tandis  qu'une  macbine  est  enlevée, 
il  (Leprince,  tomba  par  une  chute  grava 
ne-s' en-doutant-pas  (tout  à  coup) 
et  brisa  son  tibia  gauche, 
tandis  qu'il  aurait-mieux-aimé 
perdre  ses  deux  flûtes  droites. 
Enlevé  entre  les  mains  (à  bras), 
et  gémissant  beaucoup , 
il  est  reporté  à  la  maison  (chez  lui). 
Quelques  mois  se  passent 
jusqu'à-ce-que  la  cure 
vienne  à  guérison. 
Comme  l'usage  des  spectateurs  est, 
et  comme  cette  espèce  est  aimable, 
celui  par  le  souffle  de  qui 
la  vigueur    l'agilité;  du  dansant 
avait  coutume  d'être  animée, 
commença  à  être  regretté. 
Un  citoyen  noble 
devait  célébrer  des  jeux , 
et  Leprince  de  nouveau 
commençait  à  marcher. 
Il  ramène  à  prix  d'argent,  par  les  prières, 
à-ce-qu'il  montrât  lui-même 
seulement 

le  jour  même  des  jeux. 
Dès-que  ce  jour  arriva, 
une  rumeur  sur  le  joueur-de-flûte 
frémit  circule ,  dans  le  théâtre  : 
quelques-uns 
affirment  lui  mort, 
quelques-uns  lui  devoir-s'avancef 
sans  retard  en  présence  du  public 
La  toile  étant  baissée , 
les  tonnerres  ayant  été  roulés . 
les  dieux  parlèrent 
suivant  l'usage  transmis  des  Grect, 
Alors  le  chœur  imposa  (chanta) 
un  hymne  inconnu 
à  Leprince  revenu  depuis-peu, 

12 


178  PH^DRl   FAB.    LIBER  V. 

«  Laetare  incolumis,  Roma,  salvo  principe'.  » 

In  plausus  consurrectum  est.  Jactat  basia 

Tibicen ,  gratulari  fautores  putat. 

Equester  ordo  stultum  errorem  intelligit,  30 

Magnoque  risu  canticum  repeti  jubet. 

Iteratur  illud.  Homo  meus  se  in  pulpito  • 

Totum  prosternit  :  plaudit  illudens  eques  * 

Rogare  populus  hune  coronam  existimat. 

Ut  vero  cuneis  notuit  res  omnibus ,  35 

Princeps  ligato  crure ,  nivea  fascia , 

Niveisque  tuuicis,  niveis  etiam  calceis , 

Superbiens  honore  divinae  domus, 

Ab  universis  capite  est  protrusus  foras. 

FABULA  VIII. 

OCCASIO  DEPICTA. 

Cursu  volucri  pendens  in  novacula 
Calvus ,  comosa  fronte ,  nudo  corpore  , 


ment  de  retour,  et  dont  tel  était  à  peu  près  le  sens  :  «Réjouis-toi,  Rome, 
tu  es  sauvée,  le  prince  est  rendu  à  la  santé.  »  On  se  lève  pour  applau- 
dir. Le  joueur  s'imagine  que  ce  sont  ses  admirateurs  qui  le  félicitent, 
et  envoie  des  baisers  à  la  foule.  Les  chevaliers  comprennent  sa  sotte 
erreur,  et  demandent,  en  riant  à  gorge  déployée,  la  reprise  *.e 
l'hjinne  :  le  chœur  recommence.  Notre  homme  se  prosterne  de  son 
long  sur  l'avant-scène ,  et  les  chevaliers  d'applaudir  en  se  moquant 
de  lui ,  et  le  peuple  de  croire  qu'il  demande  une  couronne.  Mais 
quand  l'histoire  fut  comprise  sur  tous  les  gradins,  Leprince ,  malgré 
sa  jambe  entourée  de  ligatures ,  malgré  ses  blanches  bandelettes ,  sa 
tunique  blanche  et  ses  blanches  chaussures ,  Leprince ,  qui  s'enor- 
gaeillissait  des  honneurs  rendus  à  la  famille  du  divin  Auguste ,  fat 
jeté  à  la  porte ,  la  tête  la  première ,  par  tous  les  spectateurs. 

FABLE  Vin. 

DESCRIPTION    DE    l'OCCASIOW. 

Ce  vieillard  que  vous  voyez  ,  dans  sa  course  rapide,  suspendu  sur 
le  tranchant  d'uu  rasoir,  la  tête  chauve  par  derrière,  le  front  om- 


FABLES  DE  PHEDRE.  LIVRE  V- 


179 


cujus  sententia  fuit  hœc  : 

«  Lsetare  ,  Roma , 

iiiicolumis  principe  salvo.» 

Consurrectum  est 

m  plausus. 

Tibicen  jactat  basia , 

putat  fautores  gratulari. 

Ordo  equester 

intelligit  stultum  errorem, 

asâgnoque  risu 

jtibet  canticum  repeti. 

Illud  iteratur. 

Meus  homo  prosternit  se 

iotum  in  pulpito  ; 

eques 

illudens  plaudit  : 

populus  exiôtimat 

hune  rogare  coronam. 

Ut  vero  res 

notuit  omnibus  cuneis, 

Princeps, 

crure  ligato, 

fascia  nivea , 

tunicisque  niveis, 

calceis  etiam  niveis, 

superbiens  honore 

domus  divinse  , 

protrusus  est  foras 

capite 

ab  universis 

FABULA  VIII. 

0CCA810   DEPICTÀ. 

Calvus 
pendens  in  novacula 
cursu  volucri, 
fronte  comosa, 


et  dont  le  sens  était  celui-ci  : 

a  Réjouis-toi,  jiome, 

saine-et-sauve,  le  prince  étant  sauvé.  » 

On  se  leva 

pour  les  applaudissements 

Le  joueurrde-fiûte  lance  des  baisers . 

il  pense  que  «es  partisans  le  félicitent. 

L'ordre  équestre 

comprend  sa  sotte  erreur, 

et  avec  un  grand  rire  (de  grands  rirea) 

il  ordonne  l'hymne  être  recommencé. 

Celui-là  (il)  est  recommencé. 

Mon  homme  prosterne  soi 

tout-de-son-long  sur  l'avant-scène; 

le  chevalier  (les  chevaliers)  , 

se  raillant  de  lui,  applaudit; 

le  peuple  pense 

qu'il  demande  une  couronne. 

Mais  dès-que  la  chose 

devint-notoire  pour  tous  les  gradins, 

Leprince , 

sa  jambe  étant  entourée-de-ligatures, 

sa  bandelette  blanche-comme-neige, 

et  sa  tunique  blanche  , 

et  ses  chaussures  aussi  blanches, 

s'enorgueillissant  de  l'honneur 

de  la  maison  divine  (impériale), 

fut  poussé-en-avant  dehors 

par  la  tête  (la  tête  la  première} , 

par  tout  le  monde. 

FABLE  VIIL 
l'occasion  dépeinte. 

Un  homme  chauve 
suspendu  sur  un  rasoir 
dans  sa  course  ailée, 
le  front  garni-de-cheveus, 


180  PH^DRI   FAB.    LIBER  V. 

Quem  si  occuparis,  leneas;  elapsum  semel 

Non  ipse  possit  Jupiter  reprendere , 

Occasionem  rerum  significat  brevem.  5 

Effectus  impediret  ne  segnis  mora , 
Finxere  antiqui  talem  effigiem  Temporis. 

FABULA  IX. 

TAURUS   ET   VITULU8. 

Angusto  in  aditu  Taurus  luctans  cornibus, 
Quum  vix  intrare  posset  ad  praesepia, 
Monstrabat  Vitulus  quo  se  pacte  plecteret  : 
«  Tace, inquit;  ante  hoc  novi  quam  tu  natus es.  » 

Qui  doctiorem  emendat ,  sibi  dici  putet.  5 

FABULA  X. 

VENATOR   ET   CANIS. 

Adversus  omnes  fortis  et  velox  feras , 
Canis  quum  domino  semper  fecisset  satis, 
Languere  cœpit ,  annis  ingravantibus. 

bragé  de  cheveux ,  le  corps  nu  ,  si  vous  parvenez  à  l'arrêter ,  rete- 
nez-le fortement  ;  une  fois  échappé,  Jupiter  lui-même  ne  saurait  plus 
le  ressaisir  :  c'est  l'emblème  de  l'occasion  fugitive.  Telle  est  l'allé- 
gorie sous  laquelle  l'antiquité  représente  le  Temps,  pour  qu'une 
lâche  indolence  ne  vienne  pas  entraver  nos  entreprises. 

FABLE  IX. 

LE   TAUREAU   ET   LE    VEAU. 

Un  taureau ,  se  démenant  avec  ses  cornes  à  l'entrée  d'une  porte 
étroite ,  ne  pouvait  qu'avec  peine  entrer  dans  son  étable  ;  un  veau 
essaya  de  lui  montrer  la  manière  dont  il  devait  s'y  prendre  : 
«  Laisse-moi ,  lui  répondit-il ,  je  savais  cela  avant  que  tu  fusses  né.  » 

Qui  veut  instruire  un  plus  habile,  peut  prendre  ceci  pour  lui. 

FABLE  X. 

LE    CHASSEUR   ET   LE   CHIEN. 

Un  chien  ,  plein  de  force  et  d'agilité  contre  tous  les  animaux  sau- 
après  avoir  toujours  satisfait  son  maître ,  commençait  à  s'af- 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


181 


nocpore  nudo^ 

quem  teneas , 

si  occuparis  ; 

elapsum  semel 

Jupiter  ipse 

non  possit  reprendere , 

BÎgnificat 

occasionem  brevem  rerum. 

Ne  segnis  mora 
impediret  effectus, 
autiqui  finxere 
talem  effigiem  temporis. 


le  corps  nu, 

lequel  tu  pourrais  retenir, 

si  tu  Tas  saisi  (le  saisis)  vivement  ; 

mais  lequel  échappé  une  fois 

Jupiter  lui-même 

ne  pourrait  ressaisir, 

signifie  (est  l'image  de) 

l'occasion  courte  (fugitive)  des  choses. 

De  peur  qu'un  lâche  retard 
n'arrêtât  les  effets  de  nos  projets, 
les  anciens  ont  imaginé 
une  telle  eâSgie  (allégorie)  du  temps. 


FABULA  IX. 

TAURU8  ET   VITULTJ8. 

Quum  taurus, 
luctans  cornibus 
in  aditu  angusto, 
posset  vix  intrare 
ad  praesepia, 
vitulus  monstrabat 
qiio  pacto  plecteret  se  : 
«  Tace,  inquit; 
novi  hoc 
ante  quam  tu  natus  es .  » 

Qui  emendat  doctiorem 
putet  dici  sibi. 


FABLE  IX. 

LE    TAUREAU    ET    LE    VEAU. 

Comme  un  taureau , 
luttant  avec  ses  cornes 
dans  une  entrée  étroite, 
pouvait  à  peine  pénétrer 
vers  (dans)  les  étables  (l'étable), 
un  veau  lui  montrait 
de  quelle  manière  il  derait-ployer  lui  : 
«  Tais-toi,  dit-il; 
je  connais  cela 
avant  que  tu  ne  fusses  né.  » 

Que  celui-qui  redresse  un  plus-savanfc 
pense  cela  être  dit  pour-lui. 


FABULA  X. 

VENATOR   ET    CANIS. 

Quum  canis  fortis  etvelox 
adversus  omnes  feras, 
satis  fecisset  semper 
domino, 
cœpit  1  an  guère, 
anuis  ingravantibus. 


FABLE  X. 

LE    CHASSEUR   ET    LE    CHIEN. 

Comme  un  chien  courageux  et  agile 
contre  toutes  les  bêtes-fauves, 
avait  satisfait  toujours 
son  maître, 

il  commença  à  languir, 
les  années  le  surchargeant. 


j82  PH2EDRI    FAB.    LIBEK   Y. 

Aliquando  objectus  hispidi  pugnae  suis, 
Arripuit  aurem  :  sed  cariosis  dentibus  5 

Praedam  dimisit.  Hic  tum  Venator  dolens 
Ganem  objurgabat;  cui  latrans  contra  senex  : 
«  Non  me  destituit  animus,  sed  vires  meae. 
Quod  fuimus  laudasti  ;  jam  damnas  quod  «umus.  >» 
Hoc  cur,  Philete  *,  scripserim,  pulchre  vides.  10 

faiblir  bous  le  poids  des  années.  Un  jour  qu'il  tenait  tête  à  un  san- 
glier, il  le  saisit  par  l'oreille  ;  mais  ses  dents  gâtées  l'obligèrent  à 
lâcher  l'animal.  Furieux ,  le  chasseur  grondait  son  chien  j  le  vieux 
serviteur  lui  répondit  :  «  Ce  n'est  point  le  courage ,  ce  sont  mes 
forces  qui  m'ont  fait  faute.  Vous  vantiez  autrefois  ce  que  j'étais  ;  au- 
jourd'hui vous  blâmez  ce  que  je  suis.  » 

Tu  vois  clairement ,  Philète    pourquoi  j'ai  écrit  cette  fable. 


FABLES  DE  PHÈDRE.  LIVRE  V. 


183 


Aliquando  objectus  pugnaa 
suis  hispidî ,  ar  ripuit  aurem  ; 
eed  dimisit  praedam 
dentibus  cariosis. 
Tum  hic  venator  dolens 
objurgabat  canem; 
contra  senex  latrans  oui  : 
«Animas  non  destituitme, 
sed  mese  vires. 
Laudasti  quodfuimus; 
jam  damnas 
quod  sumus.  » 

Vides  pulchre,  Pbilete, 
cor  scripserim  hoc. 


Un-jour  étant  exposé  au  combat 
d'un  sanglier  hérissé,  il  lui  saisit  l'oreille 
mais  il  laissa-échapper  la  proie 
de  ses  dents  cariées. 
Alors  là  le  chasseur  fâché 
gourmandait  (grondait)  le  chien  ; 
de-son-côté  le  vieux  aboyeur  dit  à  lui  • 
«  Le  courage  n'a  point  abandonné  moi 
mais  mes  forces  m'ont  abandonné. 
Tu  as  loué  ce-que  nous  fûmes  ; 
maintenant  tu  condamnes  (tu  blâmes) 
ce-que  nous  sommes.  » 

Tu  vois  parfaitement,  Philète, 
pourquoi  j'ai  écrit  cela. 


APPENDIX   FABULARCJM 

A  MARQUARDO  GUIDIO 

MANUSCEIPTO    CODICE   DIVIOKENSI    I ESCRIPTÀBUM. 


FABULA  I. 

MILVIUS  -EGROTANS. 

Multos  quum  menses  aegrotasset  Milvius, 
Nec  jam  videret  esse  vitae  spem  suae, 
Matrem  rogabat  sancta  circumiret  loca; 
Et  pro  salute  vota  faceret  maxima. 

«  Faciam,  inquit,  fili  ;  sed  opem  ne  non  impetrem  6 

Vehementer  vereor;  nam  qui,  delubra  omnia 
Vastando,  cuncta  polluisti  altaria , 
Sacrificiis  nullis  parcens,  nunc  quid  vis  rogem*? 

FABULA  H. 

LEPORE8   YIT^   PERT^SI. 

Qui  sustinere  non  potest  suura  malum , 
Alios  inspiciat,  et  discat  tolerantiam. 

F4BLE  l, 

LE    MILAN   MALADE. 

Malade  depuis  plusieurs  mois,  un  milan  ne  voyait  plus  d'espoir 
de  guérir  ;  il  pria  sa  mère  de  visiter  les  lieux  saints  d'alentour,  et 
de  promettre  aux  dieux  ,  pour  son  rétablissement ,  les  plus  magni- 
fiques oflPrandes.  «  Je  le  veux  bien ,  dit-elle,  mon  fils  ;  mais  je  crains 
fort  que  mes  vœux  ne  soient  inutiles.  Tu  as  dévasté  tous  les  temples, 
souillé  tous  les  autels ,  fait  ta  proie  de  tous  les  sacrifices  :  après 
cela ,  que  veux-tu  que  je  demande  aux  dieux?  » 

FABLE  IL 

LES   LIÈVRES    DÉGOTJTe's    DE   LA  VIE. 

A  celui  qnî  ne  peut  supporter  son  malheur,  je  conseille  de  re- 
rder  les  autres  pour  apprendre  la  résianation. 


APPENDICE  AUX  FABLES  DE  PHEDRE, 

EXTRAIT  PAR  iMARQUARD  GUIDIUS 


DU    MANUSCRIT    DE    DIJON. 


FABULA  I. 

MILVIUS   iEGROTANS. 

Quum  inilvius 
esgrotasset  multos  menses, 
etvideretspemnon  essejam 
suae  vitœ, 
rogabat  matrem 
circumiret  loca  sancta , 
et  faceret  vota  maxima 
pro  salute. 

«  Faciam ,  fili ,  inquit  ; 
sed  vereor  vehementer 
no  non  impetrem  opem  ; 
nam  qui , 

vastando  omnia  delubra , 
poUuisti  cuncta  altaria , 
parcens  nullis  sacrificiis, 
quid  vis  rogem  nuno  ?  » 


FABLE  L 

LB    MILAN    MA.LADE. 

Comme  un  milan 
avait  été-malade  pendant  plusieurs  mois, 
et  qu'il  voyait  espoir  n'être  plus 
pour  sa  vie , 
il  demandait  à  sa  mère 
qu'elle  parcourût  les  lieux  saints  , 
et  qu'elle  fit  les  vœux  les  plus  grands 
pour  sa  santé. 

«  Je  le  ferai ,  mon  fils ,  dit-elle  ; 
mais  je  crains  fortement 
que  je  n'obtienne  pas  de  secours; 
car  pour  toi  qui , 
en-dévastant  tous  les  temples  , 
as  souillé  (profané)  tous  les  autels , 
n'épargnant  nuls  sacrifices , 
que  veux-tu  que  je  demande  maintenant  ?» 


FABULA  II.  FABLE  II. 

LEPORES   PERT^SI   VIT^.       LES   LIEVRES   DEGOUTES    DE    LA  VIE. 


Qui  non  potest 
Bustinere  suum  malum 
inspiciat  alios , 
etdiscat  tolerantiam. 


Que  celui-qui  ne  peut 
supporter  son  mal 
regarde  les  autres  , 
et  apprenne  la  patience. 


186  PHiEDRl  FAB.    APPENDIX. 

Aliquando  in  silvis  strepitu  magno  conciti , 
Se  velle  vitam ,  propter  assiduos  metus, 
Finire  clamant  Lepores.  Sic'  quemdam  ad  lacum  5 

Venere ,  miseri  quo  se  praecipites  darent 
Adventu  quorum  postquam  ranae  territae 
Virides  in  algas  misère  fugientes  ruunt  : 
«  Heu ,  inquit  unus,  sunt  et  alii  quos  timor 
Vexât  malorum.  Ferte  vitam  ut  ceteri.  »  40 

FABULA  III. 

VULPE8   ET  JUPITER. 

Fortuna  turpem  nulla  naturam  obtegit. 

Humanam  in  speciem  quum  vertisset  Jupiter 
Vulpem ,  regali  pellex  ut  sedit  throno, 
Scarabaeum  '  vidit  prorepentem  ex  angulo, 
Notamque  céleri  ad  praedam  prosiluit  gradu.  5 

Superi  risere,  magnus  erubuit  Pater, 
Turpemque  repudiatam  pellicem  expulit , 
His  prosecutus  :  «Vive  quo  digna  es  modo, 
Quae  nostris  uti  meritis  digne  non  potes.  » 

Effrayés  un  jour  au  sein  de  leurs  forêts  par  les  cris  bruyants  des 
chasseurs,  les  lièvres  s'écrient  qu'ils  veulent  se  débarrasser  d'une 
rie  assiégée  de  craintes  continuelles.  Dans  ces  dispositions,  ils  se 
rendent  aux^bords  d'un  lac,  pour  s'y  précipiter  et  en  finir  avec  leurs 
malheurs.  Epouvantées  à  leur  approche ,  les  grenouilles  se  réfu- 
gient tremblantes  sous  les  verts  roseaux.  «  Oh  !  s'écrie  l'un  d'eux, 
il  en  est  d'autres  encore  que  tourmente  la  crainte  du  danger;  sa- 
chez ,  comme  eux  ,  supporter  l'existence.  » 

FABLE  IIL 

JUPITEB   ET    LE   BENABD. 

La  plus  brillante  fortune  ne  saurait  couvrir  la  bassesse  du  naturel. 

Jupiter,  ayant  donné  à  un  renard  les  traits  d'une  femme,  la  fit 
asseoir,  comme  sa  maîtresse,  sur  son  trône  royal;  mais  elle,  voyant 
un  escarbot  sortir  en  rampant  du  coin  de  la  salle ,  sauta  d'un  pas 
agile  sur  cette  proie  bien  connue.  Les  immortels  se  mirent  à  rire ,  et 
le  rouge  monta  au  visage  du  père  des  dieux  ,  qui ,  répudiant  sur-le- 
champ  cette  indigne  compagne ,  lui  dit  en  la  chassant  :  «  Va  vivre 
comme  tu  le  mérites,  toi  qui  ne  peux  user  dignement  de  mes  bien- 
faits. > 


FABLES   DE   PHÈDRE.    APPENDICE. 


187 


Conciti  aliquandoinsilvis 
magno  strepitu, 
iopores  clamant  se  vello 
finire  vitam, 
propter  metus  assiduos. 
Venere  sic 

ad  quemdam  lacum , 
quo  miseri  darent  se 
prsecipites. 
Postquam  ranse 
territœ  adventu  quorum, 
fugientes  misère 
ruunt  in  algas  virides  : 
«  Heu,  inquit  unus, 
et  alii  sunt 

quos  timor  malorum  vexât. 
Ferte  vitam  ut  ceteri. 

FABULA  m. 

VTII-PES  ET  JUPITER. 

Nulla  fortuna 
obtegit  naturam  turpera. 

Quum  Jupiter 
vertisset  vulpem 
in  speciem  humanam , 
ut  pellex 
sedit 

throno  regali , 
vidit  scarabseum 
prorepentem  ex  angulo , 
prosiluitque 
gradu  céleri 
ad  praedam  notam. 
Superi  risere, 
magnus  Pater  erubuit , 
expulitque  turpem  pellicem 
repudiatara , 
prosecutus  bis  : 
«  Vive  modo  quo  es  digna , 
quse  non  potes  uti  digne 
nostrvs  meritis.» 


Troublés  un  jour  dans  les  forêts 
par  un  grand  bruit, 
les  lièvres  crient  eux  vouloir 
mettre-fin-à  leur  vie  , 
à  oause  de  leurs  craintes  continuelles. 
Es  vinrent  ainsi  (dans  ce  projet) 
près  d'un  lac, 

où  malheureux  ils  lanceraient  soi 
se-précipitant. 
Après  que  les  grenouilles 
effrayées  de  l'arrivée  de  ceux-ci , 
fuyant  vivement 

se  précipitent  dans  les  roseaux  verts  : 
«Holà,  dit  l'un, 

et  d'autres  (d'autres  encore)  sont, 
que  la  crainte  des  maux  tourmente. 
Supportez  la  vie  comme  les  autres.  » 

FABLE  IIL 

LE    RENARD    ET  JUPITER. 

Aucune  fortune 
ne  cache  un  naturel  honteux. 

Comme  Jupiter 
avait  changé  un  renard 
en  la  forme  humaine , 
dès  que  cette  nouvelle  maîtresse 
se  fut  assise 
sur  le  trône  royal , 
elle  vit  un  escarbot 
sortant-en-rarnpant  d'un  coin , 
et  sauta-en-avant  (s'élança) 
d'un  pas  agile 
vers  cette  proie  connue. 
Les  dieux  se-mirent-à-rire 
le  puissant  Père  des  dieux  rougit , 
et  chassa  cette  indigne  épouse 
étant-répudiée , 
la  poursuivant  de  ces  mots  : 
«  Vis  de  la  manière  dont  tu  es  digne 
toi  qui  ne  peux  user  dignement 
de  nos  bienfaits.  » 


188  PH^DRT   FAB.    APPENDIX. 

FABULA  IV. 

LEO  ET   MUS. 

Ne  quis  minores  laedat,  fabula  haec  monet. 

Leone  in  silva  dorraiente,  ruslici 
Ut  luxuriabant  mures,  unus  ex  iis 
Super  cubantem  casu  quodam  transiit. 
Expergefactus  miserum  Léo  céleri  irapetu  5 

Arripuit.  lUe  veniam  sibi  dari  rogat; 
Supplex  fatetur  peccatum  imprudentiae. 
Hoc  rex  ulcisci  gloriosum  non  putans, 
Ignovit  et  dimisit.  Post  paucos  dies, 

Léo  dum  vagatur  noctu,  in  foveam  decidit.  10 

Captum  ut  se  agnovit  laqueis,  voce  maxima 
Rugirecœpit;  cujusimmanem  ad  sonum 
Mus  subito  accurrens  :  «  Non  est  quod  timeas,  ait, 
Beneficio  magno  gratiam  reddam  parem.  » 
Dixerat,  et  omnes  artus  %  et  ligamina  15 

Lustrare  cœpit  :  rodenda  ut  novi  loca, 
Laboremque  sui  sumpsit  oris,  dentibus 


FABLE  IV. 

LE    LION   ET   LE   KAT. 

N'offensez  point  plus  petit  que  vous  :  cette  fable  vous  en  donne  le 
conseil. 

Un  lion  dormait  dans  une  forêt  où  folâtraient  à  plaisir  des  mu- 
lots, habitants  des  champs;  l'un  d'eux  vint  à  passer  sur  le  fier  ani- 
mal, étendu  par  terre.  Le  lion  se  réveille  en  sursaut,  et,  d'un  bond 
impétueux  ,  saisit  l'infortuné ,  qui  ,  d'un  ton  suppliant ,  lui  de- 
mande grâce  pour  une  faute  dont  son  étourderie,  dit-il,  est  seule 
la  cause.  Le  roi  des  animaux,  regardant  cette  vengeance  comme  in- 
digne de  lui,  lui  pardonne  et  le  laisse  aller,  Quelqui  s  jours  après, 
le  lion  errait  de  nuit;  il  tjmbe  dans  une  fosse.  Dès  qu'il  se  sent 
pris,  il  fait  retentir  les  bois  de  ses  rugissements.  A  ce  bruit  formi- 
dable, le  mulot  accourt  aussitôt.  «  Vous  n'avez  rien  à  craindre,  lui 
dit-il  ;  je  saurai,  par  un  service  égal,  payer  la  grandeur  de  votre 
bienfait.  »  Ce  disant,  il  se  met  à  examiner  les  mailleà  et  les  nœuds 
du  âlet;  puis,  ayant  reconnu  les  endroits  qu'il  peut  ronger,  il  se 


FABLES    DE   PHÈDRE.     APPENDICE. 

FABULA  IV.  FABLE  IV. 


Ii9 


LEO    ET    MUS. 

Haec  fabula  monet , 

ne  quis  loedat 

minores. 
Leone  dormiento  in  silva, 

ut  mures  rustici 

luxuriabant , 

unus  ex  iis  quodam  casu 

transiit  super  cubanteni. 

Expergefactus 

leo  arripuit  miserum 

impetu  céleri. 

Ille  rogat 

veniam  dari  sibi  ; 

supplex  fatetur 

peccatum  imprudentiœ. 

Rex  non  putans  gloriosum 

ulcisci  hoc , 

iguovil  et  dimisit. 

Post  paucos  dies , 
dum  leo  vagatur  noctu , 
decidit  in  foveam. 
Ut  agnovit  se 
captum  laqueis , 
cœpit  rugire  voce  maxima  ; 
ad  sonum  immanem  cujas 
mus  accurrens  subito  : 
«  Non  est  quod  timeas , 
ait  ;  reddam  gratiam  parem 
magno  beneficio.» 
Dixerat,  et  cœpit  lustrare 
omnes  artus  et  ligamina  : 
ut  novit  loca  rodenda, 
sumpsitque  laborem 
L  ^  cris. 


liK    L10>'    ET    LE    EAT. 

Cette  fable  nous  avertit 

que  quelqu'un  n'offense  pas 

de  plus-petits  que  soi. 

Un  lion  donnant  dans  une  forêt, 

comme  des  rats  des-champs 

folâtraient, 

l'un  d'entre  eux  par  un  hasard 

passa  sur  l'animal  couché  par  terre. 

Réveillé  en  sursaut. 

le  lion  saisit  le  malheureux 

d'un  bond  agile. 

Celui-ci  demande 

le  pardon  être  accordé  à  lui  ; 

suppliant  il  avoue 

la  faute  de  son  imprudence. 

Le  roi  desanimaux  ne  pensant  pas  glorieux 

de  venger  cela, 

Lardonna  et  le  lâcha. 

Après  peu-de  jours, 

lauiiis  que  le  lion  erre  pendant-la-nuit, 

il  tombe  dans  une  fosse. 

Dès  qu'il  reconnut  soi 

pris  par  des  rets, 

il  se-mit-à  rugir  de  sa  voix  tres-forte; 

au  son  redoutable  de  laquelle 

Itî  rat  accourant  auss'tôt  : 

«  11  n'est  pas  pourquoi  tu  doives-cramdre, 

dit-il;  je  te  rendrai  un  service  égal 

à  ton  grand  bienfait.  » 

Il  avait  dit,  et  il  se-mit-à  parcourir 

toutes  les  jointures  et  les  ligaments  : 

dès  qu'il  eut  connu  les  endroits  à  ronger, 

tt  qu'il  eut  pris  (choisi)  ie  travail 

de  sa  gueule, 


190  PHjEDRI  fab.   appendix. 

Nervos'  secando,  laxat  ingénia  arluum^. 
Sic  captum  Mus  Leonem  silvis  reddidit. 

FABULA  V. 

HOMO   ET   ARBORES. 

Pereunt  auxilium  qui  suis  dant  hostibus. 

Facta  bipenni',  quidam  ab  arboribus  petit 
Manubrium  ut  darent  e  ligno  quod  foret 
Firmum  :  jusserunt  omnes  oleastrum  dari. 
Accepit  munus,  aptans  et  manubrium,  5 

Cœpit  securi  magna  excidere  robora; 
Dumque  eligebat  quae  vellet,  sic  fraxino 
Dixisse  fertur  quercus  :  «  Merito  caedimur.  » 

met  à  l'œuvre,  coupe  ,  à  l'aide  de  ses  dents  ,  le  solide  tissu  et  défait 
les  nœuds  les  plus  habiles. 

Ainsi  un  mulot  rendit  à  la  forêt  le  lion  captif. 

FABLE  V. 
l'homme  et  les  arbres. 

On  se  perd  en  secourant  ses  ennemis. 

Un  homme  venait  de  se  faire  une  hache:  il  demandait  aux  arbres 
de  lui  donner  un  manche  dont  le  bois  fût  solide;  d'un  consente- 
ment unanime,  ils  l'engagèrent  à  prendre  une  branche  d'olivier  sau- 
vage. L'homme  accepte  leur  présent,  emmanche  sa  hache,  et  se  met 
à  abattre  des  chênes  énormes.  Tandis  qu'il  faisait  choix  des  arbres 
qu'il  voulait  couper,  on  rapporte  que  le  chêne  dit  au  frêne  :  «  Noua 
avons  mérité  notre  sort.  » 


TABLES   DE   PHÈDRE.    APPENDICE. 


191 


secanilo  nerros  dentibus, 
laxat  ingénia  artnum. 
Sic  mus  reddidit  silvis 
leoneracaptum. 


en  coupant  les  cordes  avec  ses  denta , 
il  relâche  'coupe)  l'adresse  des  nœuds 
Ainsi  un  rat  rendit  aux  forêts 
le  lion  pris  'captif). 


FABULA  V. 

HOMO   ET   ARBORES. 

Qui  dant  auxilium 
suis  hostibus,  pereunt. 

Quidam,  bipenni  facta , 
petit  ab  arboribus 
ut  darent  e  ligno 
manubrium 
quod  foret  firmum  : 
omnes  jusserunt 
oleastrmn  dari. 
Accepit  munus, 
et  aptans  manubrium, 
cœpit  excidere  securi 
magna  robora  ; 
dumque  eligebat 
qasd  velîet , 
quercus  fertur 
dixiuse  sic  fraxino  : 
<  Cwdimur  nierito.  » 


FABLE  V. 

l'homme  et  les  arbres. 

Ceux  qui  donnent  (prêtent)  secours 
à  leurs  ennemis  ,  périssent. 

Un  homme ,  une  hache  ayant  été  fait«, 
demanda  aux  arbres 
qu'ils  lui  donnassent  de  leur  bois 
un  manche 
qui  fût  solide  : 
tous  ordonnèrent 
l'olivier  lui  être  donné. 
Il  reçut  leur  présent, 
et  adaptant  le  manche , 
il  commença  à  couper  à  <y}uiu  de  hache 
de  grands  chênes  ; 
et  tandis  qu'il  choisissaii: 
ceux-qu'il  voulait, 
le  chêne  est  rapporte 
avoir  dit  ainsi  au  frêne  : 
«  Nous  sommes  meurtris  à-bon-droît.  « 


SELECT.E 
E   NOVIS   FABELLIS 

PH^DRO  ATTRIBUTIS, 

E   CODICE     PEROTTIKO    DESUMPTI8. 


FABULA  I 


Non  esse  plus  aequo  petendum. 

Arbitrio  si  Natura  finxisset  meo 
Genus  mortale ,  longe  foret  instructius  : 
Nam  cuncta  nobis  attribuisset  commoda 
Quaecumque  indulgens  Fortuna  animali  dédit  : 
Elephantis  '  vires,  et  leonis  impetum,  5 

Cornicis  sevum ,  gloriam  tauri  trucis, 
Equi  velocis  placidam  mansuetudinem, 
Et  adesset  homini  sua  tamen  solertia. 
Nimirum  in  cœlo  secum  ridet  Jupiter, 

Haec  qui  negavit  magno  consilio  hominibus,  <0 

Ne  sceptrum  mundi  raperet  nostra  audacia. 


FABLE  I. 


L'AUTEUR, 

Ne  rien  demander  au  delà  de  ce  qui  est  juste. 


Si  la  Nature  avait  pris  mes  avis  pour  former  l'espèce  humaine, 
elle  l'eût  douée  de  plus  nombreux  avantages  ;  elle  nous  eût  départi 
tous  les  biens  que  la  Fortune  indulgente  a  donnés  aux  animaux ,  la 
force  de  l'éléphant ,  l'impétuosité  du  lion ,  la  longue  vie  de  la  cor- 
neille ,  la  majesté  du  taureau  superbe ,  la  paisible  docilité  du  cour- 
sier rapide ,  et  avec  tout  cela  l'homme  aurait  gardé  encore  l'habîleté 
qui  fut  son  partage.  Vœux  insensés  !  dont  sans  doute,  au  haut  des 
cieux,  rit  en  lui-même  Jupiter.  Dans  sa  divine  prudence,  il  re- 
fusa ces  avantages  à  l'homme,  craignant  sans  doute  que  notre 
audace  ne  lui  ravit  le  sceptre  du  monde.  Sachons  donc  nous  con- 


CHOIX 
DE   FABLES   NOUVELLES 

ATTRIBUÉES  A  PHÈDRE  , 

EXTRAITES    DU    MANUSCRIT    DE    PEROTn. 


FABULA  I. 

AUCTOR. 

Non  petendum  esse  plus  aequo. 

Si  n.itura 
finxisset  genus  mortale 
meo  arbitrio, 
foret  longe  instructius  : 
nam  attribuisset  nobis 
cuncia  commoda 
quaecumque 
indulgens  Fortuna 
dédit  animali  : 
vires  elephantis , 
et  impetum  leonis , 
œvum  cornicis , 
gloriam  tauri  trucis , 
placidam  mansuetudiuem 
equi  velocis , 
et  tamen  sua  solertia 
adesset  homini. 
Nimirum  Jupiter 
ridet  secum  in  cœlo, 
qui  magno  consilio 
negavit  hœc  hominibns , 
ne  nostra  audacia 
raperet  sceptrum  raundi. 
Fables  de  Phèdrb. 


FABLE    I. 


Qu'il  ne  faut  pas  demander  plus  que  le  juste. 

Si  la  nature 
avait  façonné  le  genre  liuraain 
à  mon  gré, 

il  serait  bien  mieux-pourvu  : 
car  elle  aurait  accordé  à  nous 
tous  les  avantages 
•quelconques-lesquels 
l'indulgente  Fortune 
a  donnés  à  l'animal  : 
les  forces  de  l'éléphant, 
et  l'impétuosité  du  lion  . 
l'âge  (la  longue  vie)  de  la  corneille , 
la  majesté  du  taureau  farouche, 
la  paisible  douceur 
du  cheval  rapide , 
et  cependant  son  habileté 
serait-présente  jeàterait)  à  l'homiue. 
Sans-doute  Jupiter 
rit  en-lui-méme  dars  le  ciel, 
lui  qui  par  une  grande  prudence 
refusa  ces  hiens  aux  hommes , 
de  peur  que  notre  audace 
ne  lux  ravît  le  sceptre  du  inonde. 
13 


19^  FAB.    ISOym  PHvEDRO  ATTRIBUTiE. 

Ergo  contenu  munere  invicti  Jovis, 
Fatalis  annos  decurramus  temporis, 
Nec  plus  conemur  quam  sinit  mortalitas. 

FABULA  11. 

PEOMETHEUS    ET    DOLUB. 

De  Yeritate  et  Mendacio, 

Olim  Prometheus,  saeculi  figulus  novi , 
Creta  subtili  Veritatem  fecerat, 
Ut  jura  posset  intpr  homines  reddere. 
Subito  accersitus  nuntio  magni  Jovis, 

Commendat  officinam  fallaci  Dolo,  5 

In  disciplinam  nuper  quem  receperat. 
Hic ,  studio  accensus,  facie  simulacrum  pari , 
Una  statura,  simile  et  membris  omnibus, 
Dum  tempus  habuit,  callida  finxit  manu. 
Quod  prope  jam  totum  mire  quum  positum  '  foret ,  4  0 

Lutum  ad  faciendos  illi  defecit  pedes. 
Redit  magister  :  festinante  quo,  Dolus 
Metu  turbatus  in  suo  sedit  loco. 

tenter  des  présents  de  l'invincible  Jupiter,  et  parcourons  les  an- 
nées que  nous  accordent  les  destins,  sans  viser  au  delà  du  but  que 
peut  atteindre  l'humanité. 

FABLE  II. 

THOVÉTUÉE   £T   LA  RUSB. 

De  la  Vérité  et  du  Mensonge. 

Prométhée  ,  cet  ingénieux  artisan  des  premiers  hommes  ,  forma 
an  jour,  de  l'argile  la  plus  pure  ,  la  Vérité,  qu'il  destinait  à  servir 
de  juge  dans  les  différends  des  mortels.  Appelé  soudain  au  ciel  par 
le  messager  du  grand  Jupiter,  il  confie  le  soin  de  son  atelier  à  la 
Ruse  artificieuse,  qu'il  avait  tout  récemment  reçue  en  apprentissage. 
Enflammé  d'émulation  ,  l'élève  emploie  son  temps  à  façonner  d'une 
main  habile  une  statue  de  même  visage,  de  même  stature,  en  tout  enfin 
semblable  à  la  première.  Il  avait  presque  fini  ce  travail  admirable, 
quand  l'argile  vint  à  lui  manquer  pour  les  pieds.  Le  maître  revient  : 
la  Ruse ,  épourantée  de  ce  prompt  retour,  se  retire  tremblante  à  sa 


FABLES   NOUV.    ATTPJDLÉES    A   PHÈDRE. 


95 


Ergo  content! 
munere  invicti  Jovis , 
decurramus  annos 
temporis  fatalis, 
nec  conemur 
plus  quam  sinit 
mortalitas . 


Ainsi-donc  con'-ents 

da  présent  de  l'invincible  Jupiter, 

parcourons  les  années 

du  temps  fatal , 

et  n'essayons  pas  (n'ambitionnons  pas) 

plus  que  ne  le  permet 

la  condition-humaine. 


FABULA  II. 


FABLE   II. 


PBOMETHEUS    ET   DOLUS. 

De  Veritate  et  Mendacio. 

Olim  Prometheus , 
figulus 
sœculi  novi, 
fecerat  creta  siibtîlî 
Veritatem ,  ut  posset 
reddere  jura  inter  homines. 
Accersitus  subito 
nuntio  magni  Jovis , 
commendat  officinam 
Dolo  fallaci , 
quem  receperat  nuper 
in  disciplinam. 
Hic,  accensus  studio, 
dum  habuît  tempus, 
finxit  manu  callida 
simulacrum  facie  pari , 
una  statura , 

simile  et  omnibus  membris. 
Qutmi  quod 
positum  foret  mire 
prope  totum  jam , 
lutum  defecit  illi 
ad  pedes  faciendos, 
Magister  redit  : 
Dolus ,  turbatus  metu 
quo  festinante, 
sedit  in  suo  loco. 


PEOIIETHEE    ET   LA   RUSE. 

Sur  la  Vérité  et  le  Mensonge. 

Un-jour  Prométhée, 
potier  fabricateur) 

du  siècle  nouveau  (despremîersliommes), 
avait  fait  d'une  argile  fine 
la  Vérité,  afin  qu'elle  pût 
rendre  la  justice  parmi  les  hommes. 
Mandé  soudain 

par  un  message  du  grand  Jupiter, 
il  confie  son  atelier 
à  la  Ruse  artificieuse, 
laquelle  il  avait  reçue  récemment 
en  apprentissage. 
Celle-ci,  enflammée  d'émulation, 
tandis  qu'elle  eut  le  temps, 
façonna  d'une  main  habile 
une  statue  de  visage  semblable, 
de  même  stature , 

semblable  aussi  par  tous  les  membres. 
Comme  celle-ci 
était  modelée  admirablement 
presque  tout-entière  déjà, 
l'argile  manqua  à  elle  (la  Rus'î) 
pour  les  pieds  devant-être-faité. 
Le  maître  revient  : 
la  Ruse,  troublée  par  la  crainte 
à  cause  de  lui  se  hâtant, 
s'assit  à  sa  place. 


196  FAB.    NOV^    PHjEDHO    ATTRIBUTJ2. 

Mirans  Prometheus  tantam  similitudinem, 

PropriaB  videri  voluit  artis  gloriam.  45 

Igitur  foniaci  pariter  duo  signa  intulit; 

Quibus  percoctis,  atque  infuso  spiritu, 

jiodesto  gressu  sancta  incessit  Veritas; 

At  trunca  species  heesit  in  vestigio. 

Tune  falsa  imago  atque  operis  furtivi  labor  20 

Mendacium  appellatum  est ,  quod  nequiverit 

Pedes  habere,  facile  ut  ipsa  incederet. 

FABULA  III. 

DE   8IGNIFICAT10NE  PŒXARUM  TARTAM. 

Sensum  seslimandura  esse,  non  Ycrba. 

Ixion  ',  qui  versanti  jactatur  rota, 
Yolubilem  Fortuna  jactari  docet. 
Adversus  altos  Sisyphus*  montes  agens 
Saxum  iabore  summo,  quod  de  vertice, 
Sudore  semper  irrito,  revolvitur,  5 

Ostendit  ambitus  sine  fine  miserias. 

place.  Frappé  d'une  si  grande  ressemblance,  Prométhée  voulut  faire 
ressortir  la  supériorité  de  son  œuvre  :  il  porte  les  deux  statues  à  sa 
fournaise,  les  soumet  toutes  deux  à  l'action  du  feu  ,  leur  donne  à 
chacune  le  souffle  de  vie  ,  et  bientôt  la  Vérité  divine  s'avance  avec 
une  démarche  modeste  ;  mais  la  statue  inachevée  demeure  attachée 
au  même  endroit.  Alors  cette  fausse  image  de  la  Vérité ,  produit 
d'un  travail  clandestin  ,  reçut  le  nom  de  Mensonge  ,  parce  qu'elle 
n'avait  pu  obtenir  de  pieds  pour  marcher. 

FABLE  III. 

SIGNIFICATION   DES   PEINES  DU   TABTARE. 

n  faut  pénétrer  au  foiKi  des  choses,  et  ne  point  s'attacher  aux  mots. 

Ixion  ,  qui  tourne  sans  cesse  emporté  par  une  roue  rapide ,  nout 
apprend  que  l'homme  inconstant  est  le  jouet  de  la  Fortune.  Sisyphe, 
poussant,  à  force  de  sueurs,  au  sommet  d'une  montagne,  un  énorme 
rocher  qui ,  sans  cesse  déjouant  ses  eflForts  ,  roule  et  retombe  ,  nous 
montre  les  tourments  sans  bornes  de  l'ambition.  Dans  cette  peinture 


FABLES  NOUV.    ATTRIBUÉES   A   PIlÈDPxE. 


197 


Prometheus  miraus 
tantam  similitudinem, 
voluit  gloriam 
propriae  artis  videri. 
Igitur  intulit  pariter 
duo  signa  fornaci  ; 
quibus  percoctis , 
atque  spiritu  infuso , 
sancta  Veritas 
incessit  gressu  modesto  ; 
at  species  trunca 
lisesit  in  vestigio. 
Tune  falsa  imago 
atque  labor  operis  furtivi 
appell  atum  est  Men  dacium , 
quod  uequiverit 
habere  pedes , 
ut  ipsa  incederet  facile. 


Prométhée  admirant 

une  si-grande  ressemblance, 

voulut  que  la  gloire 

de  son  art  fût  vue. 

En  conséquence  il  porta  également 

les  deux  statues  dans  la  fournaise; 

celles-ci  étant  tout-à-fait-cuites , 

et  le  souffle  de  vie  étant  répandu-dans  ella^ 

la  sainte  Vérité 

s'avança  d'un  pas  modeste; 

mais  la  statue  inachevée 

demeura  sur  sa  trace  (au  même  endroit)» 

Alors  cette  fausse  image 

et  ce  travail  d'une  œuvre  furtive 

fut  appelé  Mensonge , 

parce  qu'il  n'avait  pu 

avoir  des  pieds, 

afin  que  lui-même  marchât  facilement^ 


FABULA  III. 

DE    SIGNIFICATIONE 
PŒNARUM    TARTAEI. 

Sensurn  aestimandum  esse , 
non  verba. 

Ixion ,  qui  jactatur 
rota  versanti , 
docet  volubilem 
jactari  Fortuna. 
Sisyphus  agens 
Bummo  labore 
adveraus  montes  altos 
saxum 

quod  revolvitur  de  vertice , 
sudore  semper  irrito , 
ostendit  miserias  sine  fine 
ambitus. 


FABLE  III. 

DE  LA    SIGNIFICATION 
DES  PEINES   DC   TARTAKE. 

Le  sens  devoir  être  jugé, 
non  les  paroles. 

Ixion,  qui  est  ballotté 
par  la  roue  qui-/e-tourne  , 
enseigne  que  l'inconstant 
est  ballotté  par  la  Fortune. 
Sisyphe  poussant 
avec  un  très-grand  travail 
vers  des  monts  élevés 
un  rocher 

qui  retorabe-en-roulant  de  leur  sommet^. 
sa  sueur  étant  toujours  vaine, 
montre  les  tourments  sans  fin 
de  l'ambition. 


19S  FAB.    NOV^   PH^DRO   ATTRIBUT j:. 

Quod  stans  in  amne  Tantalus  '  medio  sitit, 

Avari  describuntur,  quos  circumfluit 

Usus  bonorum,  sed  nil  possunt  tangere. 

Urnis  scelestas  Danaides  portant  aquas*,  40 

Perlusa  nec  œmplere  possunt  dolia  : 

Imo,  luxuriœ  quidquid  dederis,  perfluet. 

Novem  porrectus  Tityos*  est  per  jugera, 

Tristi  renatum  suggerens  pœnae  jecur  : 

Quo  quis  majorem  possidet  terrae  locum,  15 

Hoc  demonstratur  cura  graviore  affici. 

Consulto  involvit  veritatem  antiquitas, 

Ut  sapiens  intelligeret,  erraret  rudis. 

FAB  CL  A  IV. 

AUCTOR. 

De  oraculo  Apollinis. 

Dtilius  nobis  quid  sit,  die,  Phœbe,  obsecro, 
Qui  Delphos,  et  formosum  Parnasum  incolis... 
Quid?  En  sacra tae  vatis  horrescunt  comœ, 
Tripodes  moventur,  mugit  adytis  religio, 

de  Tantale  debout  au  milieu  d'un  fleuve  et  mourant  de  soif,  nous  voyons 
représentés  ces  avares  qu'environnent  tous  les  biens  sans  qu'ils  puis- 
sent y  toucher.  Les  infâmes  Danaïdes  puisent  sans  cesse  de  l'eau 
dans  leurs  urnes,  et  ne  peuvent  remplir  leurs  tonneaux  percés.  Ainsi 
Terrez-vous  s'écouler  tout  ce  que  vous  accorderez  à  vos  passions.  Le 
corps  de  Tityus  couvre  neuf  arpents ,  et  renferme  un  foie  sans  cesse 
renaissant  pour  un  cruel  supplice.  Cet  exemple  vous  prouve  que  plus 
grandes  sont  vos  posseàsions  sur  la  terre,  plus  cuisants  sont  les 
soucis  qui  vous  rongent.  Ainsi  l'antiquité  enveloppa  à  dessein  la  vé- 
rité de  fictions,  pour  exercer  l'intelligence  du  safje  et  déconcerter 
l'ignorance. 

FABLE  IV. 

L'AUTEim. 

Sur  roracle  d'Apollon. 

Quelle  est  la  chose  la  plus  utile  pour  nous  ?  Parlez ,  je  vous  en 
conjure ,  ô  Phébus  !  vous  qui  habitez  la  superbe  Delphes  et  les  belles 
cimes  du  Parnasse.  Mais  quoi!  je  vois  se  dresser  les  cheveux  de  la 
prêtresse  inspirée,  je  vois  s'agiter  le  trépied  sacré;  la  voix  divine 


FABLES   NOUV.    ATTRIBUÉES    A   PHËDBE. 


199 


Quod  Tantalus  sitit 

stans  in  medio  amno , 

avari  describuntur, 

quos  usus  bonorum 

circumiiuit , 

sed  possunt  tangere  uil. 

Danaides  portant  urnis 

aquas  scelestas, 

nec  possunt  complere 

dolia  pertusa  : 

quidquid  dederis 

luxurias 

perfluet  imo. 

Tityos  porrectus  est 

per  novem  jugera, 

suggerens  pœnœ  tristi 

jecur  renatum  : 

quis  demonstriitur  affici 

cura  hoc  graviore 

quo  possidet 

locum  terrœrnajorem 

Aûtiquitas 

involvit  veritatem 

consulto , 

ut  sapiens  intelljgeret , 

rudis  erraret. 


En-ce-que  Tantale  a-soif 

se  tenant  au  milieu-d'un  fieuvo, 

les  avares  sont  dépeints , 

lesquels  la  jouissance  des  biens 

environne , 

mais  ils  ne  peuvent  toucher  rien. 

Les  Danaïdes  portent  dans  leurs  urnes 

des  eaux  scélérates , 

et  ne  peuvent  remplir 

leurs  tonneaux  percés  : 

tout-ce-que  vous  aurez  lonné 

à  la  sensualité 

s'écoulera  comme  par  le  innà  dece  tor.ueau. 

Tityus  est  étendu 

à  travers  neuf  arpents  , 

fournissant  pour  un  supplice  cruel 

son  foie  qui-renaît  : 

quelqu'un  est  prouvé  par  là  être  affecté 

d'un  souci  d'autant  plus-grave 

que  il  possède 

un  fonds  de  terre  plus-grand. 

L'antiquité 

enveloppa  la  vérité 

à  dessein, 

afin  que  le  sage  comprît, 

et  que  l'ignorant  errât  (se  trompât). 


FABULA  IV. 

AUCTOR. 

De  oraculo  Apollinis. 

Die ,  Phœbe ,  obsecro , 
qui  incolis  Delphos 
et  formosum  Parnasum, 
quid  sit  utilius  nobis .... 
Quid?  En  comas 
vatis  sacrata 
horrescunt , 
tripodes  moventur, 
religio 
mugit  adytis, 


FABLE    lY. 

l'auteus. 

Sur  l'oracle  d'Apollon. 

Dis,  Phébus,  je  t'en  conjure  , 
toi  qui  habites  Delphes 
et  le  beau  Parnasse, 
quel  est  le  bien  le  plus-utile  à  nous- 
Quoi?  Voilà-que  les  cheveux 
de  la  prêtresse  sacrée 
se  hérissent 

les  trépieds  sont  agités, 
la  religion  (le  Dieu) 
muffit  dans  le  sanctuaire. 


200  FAB.    NOVJ:   PHiEDRO   ATTRIBUTJE. 

Tremuntque  lauri ,  et  ipse  pallescit  dies  1  5 

Voces  resolvit  acta  Pythia  numine, 

Discuntque  gentes  Delii  monitus  dei  : 

^  Pietatera  colite;  vota  Superis  reddite; 

?atriam,  parentes,  natos,  castas  conjuges 

Defendite  armis;  hostem  ferro  pellite;  <0 

Amicossublevale;  miseris  pareils; 

Bonis  favete;  subdolis  ite  obviam; 

Delicta  vindicate  ;  cohibete  impios; 

Malos  cavete;  nulli  nimium  crédite,  » 

Haec  elocuta,  concidit  virgo  furens  *  :  45 

Furens  profecto  :  nam  quae  dixit ,  perdidit. 

FABULA  V. 

JESOPUS    ET    SCRIPTOR. 

De  nialo  Scriptore  se  laudante. 

iEsopo  quidam  scripta  recitarat  mala, 
In  quis  inepte  multum  se  jactaverat  : 
Scire  ergo  cupiens  quidnam  sentiret  senex  : 
«  Numquid  tibi,  inquit,  sum  visus  superbior? 

muptau  fond  du  sanctuaire,  les  lauriers  frémissent,  et  l'éclat  du 
jour  pâlit!  La  Pythie,  domptée  par  la  divinité  puissante,  ouvre  la 
bouche ,  et  les  peuples  recueillent  les  conseils  du  dieu  de  Délos  : 
«  Honorez  la  piété;  accomplissez  les  vœux  que  vous  faites  aux 
dieux  ;  défendez ,  les  armes  à  la  main  ,  votre  patrie  ,  vos  parents , 
vos  enfants ,  vos  chastes  épouses  ;  repoussez  l'ennemi  avec  le  fer  ; 
aidez  vos  amis  ;  épargnez  les  malheureux  ;  favorisez  les  gens  de 
bien  ;  résistez  aux  méchants;  punissez  le  crime,  vengez  l'impiété; 
soyez  en  garde  contre  les  pervers  ;  ne  vous  confiez  trop  à  personne.  » 
A.  ces  mots,  on  voit  tomber  d'épuisement  la  vierge  égarée....  Oh  î 
oui,  bien  égarée,  puisqu'elle  parle  aux  mortels  qui  ne  l' écoutent  pas. 

FABLE  V. 

ESOPE    ET    LE    MAUVAIS    POETE. 

Sur  un  mauvais  poète  qui  se  comblait  d'éloges. 

Unpoëto  récitait  à  Esope  de  mauvais  vers  dans  lesquels  il  se  louait 
rtifcre  mesure  avec  fort  peu  de  goût;  puis,  désirant  connaître  le  senti- 
ratai  du  vieillard  :  «  Il  vous  semble  peut-être,  lui  dit-il,  que  je  montre 


FABLES  NOUV.  ATTRIBUÉES  A  PHÈDRE. 


201 


laurique  tremt.Qt 
et  dies  ipse  pallescit! 
Pythia  acta  numine 
resolvit  voces , 
gentesque  discunt 
monitus  dei  Delii  : 
«  Colite  pietatem  ; 
reddite  vota  Superis  ; 
defendite  arrais 
patriam  ,  parentes , 
natos ,  castas  conjuges  ; 
pellite  ferro  hostem  ; 
sublevate  amicos; 
parciîe  miseris; 
favete  bonis  ; 
ite  obviam  subdolis  ; 
vindicate  delicta  ; 
cohibete  impios  ; 
cavetemalos; 
crédite  nimiura  nulli.  » 
Elocuta  haec ,  virgo  furens 
concidit;  furens  profecto  : 
nam  perdidit  quœ  dixit. 


et  les  lauriers  tremblent, 

et  le  jour  lui-même  pâlit  ! 

La  Pythie,  pressée  par  le  dieu, 

laisse-sortir  ces  paroles , 

et  les  nations  apprennent 

les  avertissements  du  dieu  do-Délos  : 

«  Honorez  la  piété  ; 

accomplissez  les  vœux  [ails  aux  dieux; 

défendez  par  les  armes 

votre  patrie,  roi  parents  , 

vos  enfants  ,  vos  chastes  épouses; 

chassez  par  le  fer  l'ennemi  ; 

soulagez  vos  amis  ; 

épargnez  les  malheureux  ; 

favorisez  les  bons  ; 

marchez  contre  les  fourbes  ; 

punissez  les  délits  fie  crime)  ; 

réprimez  les  impies  ; 

prenez  garde  aux  méchants , 

ne  vous  confiez  trop  à  personne.  » 

Ayant  dit  ces  paroles ,  la  vierge  furieuse 

tomba-épuisée  ;  furieuse  assurément  : 

car  elle  a  perdu  les-choses-qu'elle  a  dites. 


FABULA  V. 


FABLE  V 


-ŒSOPUS    ET    SCRIPTOB. 


ESOPE    ET    LAUTEUE. 


De  malo  scriptore  laudante  se.         Sur  un  mauvais  écrivain  qui-louait  soi. 


Quidam  recitarat  iEsopo 
malascripta, 
in  quis  inepte 
jactaverat  se  multum  : 
cupiens  ergo  sciro 
quidnam  senex  sentiret  : 
«  Numquid ,  inquit , 
visus  8um  tibi  superbior? 


Un-homme  avait  lu  à  Esope 
de  mauvais  écrits, 
dans  lesquels  sottement 
il  avait  vanté  soi  grandement  : 
désirant  donc  savoir 
ce-que  le  vieillard  en  pensait  : 
«  Est-ce  que ,  dit-il , 
j'ai  paru  à  toi  trop-orgueilleux? 


202  FAB.    NOV^   PHiEDRO   ATTRlBUTiE. 

Haud  vana  nobis  ingenii  fiducia  est.  » 
Confectus  '  ille  pessimo  volumine  : 
«(  Ego,  inquit,  quod  te  laudas,  vehementer  probo, 
Namque  hoc*  ab  alio  nunquam  continget  tibi.  » 


FABULA  VI. 

PATERFÂMILIAS   ET  2ESOPDS. 

Quomodo  demanda  sit  ferox  juventus. 

Paterfamilias  saevum  habebat  filium  : 
Hic,  e  conspectu  quum  patris  recesserat, 
Verberibus  serves  afficiebat  plurimis, 
Et  exercebat  fervidam  adolescentiam. 
^sopus  ergo  narrât  hoc  breviter  seni  :  5 

Quidam  Juvenco  vetulum  adjungebat  Bovem. 
Is  quum ,  refugiens  impari  colle  jugum, 
^tatis  excusaret  vires  languidas  : 
«Non  est  quod  timeas,  inquit  illi  Rusticus; 
Non  ut  labores  facio,  sed  ut  istum  dômes  \0 

Qui  calce  et  cornu  multos  reddit  débiles.  » 

un  peu  trop  d'orgueil?  Mais  c'est  une  confiance  bien  fondée  dans 
mon  génie.  »  Le  sage ,  assommé  de  cette  ennuyeuse  lecture ,  lui  ré- 
pondit :  «  Pour  moi ,  j'approuve  vivement  les  éloges  que  vou8  vous 
donnez  vous-même  ;  car  jamais  personne  ne  songera  à  vous  les 
adresser.  » 

FABLE  VL 

ÉSOPE   ET   LE   PÈRE  DE   FAMILLE. 

Sur  les  moyens  de  dompter  la  fougue  de  la  jeunesse. 

Un  père  avait  un  fils  d'un  caractère  indomptable.  Le  jeune  homme 
perdait-il  son  père  de  vue ,  aussitôt  il  accablait  de  coups  tous  les 
serviteurs,  et  s'abandonnait  à  la  fougue  de  sa  jeunesse.  Esope  raconta 
au  vieillard  cette  courte  fable  : 

Un  laboureur  avait  réuni  à  l'attelage  un  jeune  taureau  et  un  bœuf 
déjà  vieux.  Ce  dernier,  repoussant  un  joug  trop  lourd  pour  sa  fai- 
blesse, alléguait  pour  excuse  l'épuisement  de  ses  forces,  a  Tu  n'as 
rien  à  craindre  ,  lui  répondit  le  laboureur  :  je  ne  veux  point  que  tu 
travailles,  mais  que  ta  lenteur  modère  ce  fougueux  animal,  dont  les 
ruades  et  les  cornes  ont  mis  hors  de  service  nombre  de  mes  gens.  » 


FABLES  NOUV.  ATTRIBUEES    A    PHÈDRE. 


203 


Fiducia  baud  vana  ingenii 
est  nobis.  » 
nie  confectus 
volumine  pessimo  : 
a  Ego ,  inquit , 
probo  vebementer 
quod  laudas  te  ; 
namque  nunquam 
hoc  continget  tibi 
ab  alio.  » 


Une  confiance  non  vaine  en  notre  génie 

est  à  nous  (à  moi".  » 

Celui-ci  accablé  'assommé) 

parle  volume  très-mauvais  de  cet  homme  : 

«  Moi ,  dit-il , 

je  t'approuve  vivement 

de-ce-que  tu  loues  toi , 

car  jamais 

cela  n'arrivera  à  toi 

de-la-part-d'un  autre.  » 


FABULA  VI. 

PATERFAMILIAS 
ET  JESOPUS. 

Quomodo  ferox  juventus 

demanda  sit. 

Paterfamilias 
habebat  tilium  ssevum  : 
hic,  quum  recesserat 
e  conspectu  patris , 
afficiebat  serves 
verberibus  plurimis, 
et  exercebat 

fervidam  adole=contiam. 
^Esopus  ergo 
narrât  hoc  breviter  seni  : 

Quidam  adjungebat 
bovem  vetulum  juvenco. 
Quum  is, 
refugiens  jugura 
collo  impari , 
excusaret 

vires  languidas  «tatis  : 
«  Non  est  quod  timeas , 
inquit  illi  rusticus  ; 
uon  facio  ut  labores , 
Bed  ut  dômes  istum 
qui  calce  et  cornu 
reddit  multos  débiles.  » 


FABLE  VL 

LE   rÈRE-DE-FAMILLE 
ET  ESOPE 

Comment  une  fougueuse  jeunesse 
doit  être  domptée. 

Un  père-de-famille 
avait  un  fils  emporté  : 
celui-ci ,  lorsqu'il  il  s'était  éloigné 
de  la  vue  de  son  père , 
maltraitait  les  esclaves 
de  coups  très-nombreus, 
et  exerçait  (s'abandonnait  à) 
sa  bouillante  jeunesse. 
Esope  donc 
raconte  cela  en-peu-de-mots  au  vieillard  : 

Un-homme  attelait 
un  bœuf  vieux  avec  un  jeune-taureau. 
Comme  celui-là, 
refusant  le  joug 
pour  son  cou  impuissant, 
donnait-pour-excuse 
les  forces  languissantes  de  son  à^e  : 
»11  n'estpasaera!  son  pourquoi  tu  craignes, 
dit  à  lui  le  paysan  ; 

je  ne  le  fais  point  pour  que  tu  travailles, 
mais  pour  que  tu  domptes  celui-ci 
qui  par  son  pied  et  ses  cornes 
rend  beaucoup  de  gens  estropiés.  » 


20Zl  FAB.    NOV^   PHiEDRO  ATTRIBUTS. 

Sic  tu  nisi  natum  tecum  assidue  detines, 
Sifcvumque  ingenium  comprimis  clementia  ', 
Vide  ne  querela  major  accrescat  domus. 

Atrocitati  mansuétude  est  remedium  *.  15 

FABULA  VII. 

PniLOSOPIIUS   ET   VICTOK  GTMN1CD8. 

Quomodo  comprimatur  aliquando  jactantia. 

Victorem  forte  gymnici  certaminis 
.îactantiorem  quum  vidisset  Philosophus, 
Interrogavit  an  plus  adversarius 
Suus  vaiuisset.  Ille  :  «  Ne  istud  dixeris  ; 
Multo  fuere  vires  majores  meae.  5 

—  Quod,  inquit,  ergo,  stulte,  meruisti  decus, 
!Minu5valentem  si  vicisti  fortior? 
Ferendus  esses  forte,  si  te  diceres 
Superasse  qui  ^  fuisset  melior  viribus.  » 

Ainsi ,  poursuivit-il ,  si  tu  ne  retiens  continuellement  ton  fils  près 
de  toi ,  si  tu  ne  modères  par  ta  douceur  l'emportement  de  son  carac- 
t^-re,  prends  garde  de  voir  chez  toi  de  plus  grands  désordres  encore. 

La  douceur  est  le  plus  sûr  remède  à  la  violence. 

FABLE  VII. 

LE    PHILOSOPHE    ET    l'aTHLÈTE    TAINQUEUK. 

Cuniment  on  peut  parfois  confondre  l'orgueil. 

Un  athlète  ,  vainqueur  dans  les  exercices  de  la  lutte,  se  vantait 
un  jour  avec  emphase  de  ton  succès;  un  philosophe,  qui  l'entendait, 
lui  demanda  si  la  vigueur  de  son  adversaire  était  plus  grande  que  la 
sienne  :  «  Ne  dis  pas  cela ,  répondit  l'athlète  ;  mes  forces  étaient  bien 
supérieures.  —  Insensé  !  reprit  alors  le  philosophe,  quelles  louanges 
mérites-tu  donc  pour  avoir  vaincu  un  ennemi  plus  faible  que  toi? 
Dis-nous  que  sa  vigueur  surpassait  la  tienne ,  et  que  tu  l'as  cepen- 
dant terrassé ,  et  peut-être  alors  supporterons-nous  les  éloges  que  tu 
te  donnes.  » 


FABLES  NOUV.    ATTRIBUÉES   A    PHÈDRE. 


205 


Sic  tu  nisi  detines  assidue 
natum  tecum , 
comprimisque 
clementia 
ingenium  saevum, 
vide  ne  querela  domus 
accrescat  major. 

Mansuétude 
est  remedium  atrocitati. 


Ainsi  toi  si  tu  ne  retiens  ass:  lûmeni 
ton  fils  avec-toi 
et  si  tu  ne  comprimes 
par  la  douceur 
Bon  caractère  fougueux , 
prends  garde  que  la  plainte  de  ta  maison 
ne  s'accroisse  plus-grande  (ne  redouble). 

La  douceur 
est  le  remède  à  la  violence. 


FABULA  VIL 


FABLE  V 


PHILOSOPnUS  ET    VICTOR 
GTMNICtrS. 


LB    PHILOSOPHE   ET    LE  VAINQCECR 
GYMXIQUE. 


Quomodo  jaclantia 
comprimatur  aliquando. 


Comment  l'orgueil 
est  comprimé  (abaissé)  parfois. 


Quum  forte 
philosophus 
vidisset  victorem 
certaminis  gymnici 
jactantiorem , 
interrogavit 
an  suus  adversarius 
valuisset  plus. 
Ille  :  «  Ne  dixeris  istud; 
mese  vires  fuere 
multo  majores. 
—  Stulte,  inquit, 
quod  decus  ergo  meruisti , 
si  fortior 

vicisti  valentem  minus? 
Forte  ferendus  esses , 
si  diceres  te  superasse 
qui  fuissetmeliorviribus.  > 


Comme  par  hasard 
un  philosophe 
avait  vu  un  vainqueur 
du  (au)  combat  gymniqae 
trop-orgueilleux , 
il  lui  demanda 
si  son  adversaire 
avait-été-  était,-fort  plus  que  lui. 
Celui-ci  :  «  Ne  dis  point  celt-e-chose  ; 
mes  forces  étaient 
beaucoup  plus-grandes. 
—  Insensé,  dit-il, 
quel  honneur  donc  as-tu  mérité , 
si  étant  plus-fort 

tu  as  vaincu  quelqu'un  valant  moins? 
Peut-être  tu  serais  supportable 
si  tu  disais  toi  avoir  vaincu  quelqu'un 
qui  aurait  été  meilleur  par  les  forces. 


206  FAB.    NOY^   PH^.DRO   ATTRIBUTS. 

FABULA  VIII. 

A8INU8    AD    LYRAM. 

Quomodo  ingénia  saepe  calamitate  intercidant. 

Asinusjacentem  vidit  in  prato  Lyram. 
Accessit ,  et  tentavit  chordas  ungula  ; 
Sonuere  tactae.  «  Bella  res,  mehercules! 
Maie  cessit',  inquit,  artis  quia  sum  nescius. 
Si  repperisset  aliquis  hanc  prudentior,  5 

Divinis  aures  oblectasset  cantibus.  » 

Sic  sœpe  ingénia  *  calamitate  intercidunt. 

FABULA  IX. 

GALLUS    LKCTICA    A    FELIBU8    VECTU8. 

Nimiara  securitatem  saepe  in  periculum  bomines  ducere. 

Fêles  habebat  Gallus  lecticarios. 
Hune  gloriose  Vulpes  ut  vidit  vehi , 
Sic  est  locuta  :  «  Moneo  praecaveas  dolum  : 
Istorum  vultus  namque  si  considéras, 

FABLE  VIIL 

l'aîte  et  la  lyre. 

Comment  le  génie  s'éteint  souvent  sous  le  poids  du  malheur. 

Un  âne  aperçut  une  lyre  abandonnée  dans  une  prairie.  Il  s'en  ap- 
procha et  essaya  les  cordes  avec  son  s.ibot;  eUes  résonnèrent  sous  la 
pression.  «  0  l'admirable  trouvaille  !  s'écria-t-il  ;  mais ,  par  Her- 
cule !  elle  est  tombée  en  mauvaises  mains  ,  car  je  suis  complètement 
étranger  aux  arts.  Si  cependant  quelqu'un  de  plus  habile  eût  ren- 
contré ce  bel  instrument ,  il  eût  charmé  nos  oreilles  par  ses  divins 
aooords.  » 

Ainsi  parfois  le  malheur  des  circonstances  arrête  l'essor  du  génie. 

FABLE  ÎX. 

LB   COQ   traîné   par  DES  CIIATS    DANS    UNE   LITIERE. 

Une  trop  grande  confiance  entraîne  souvent  les  hommes  à  leur  perte. 

Un  coq  avait  pris  des  chats  pour  porter  sa  litière.  Un  renard,  le, 
▼oyant  tout  fier  de  cette  marche  triomphale,  lui  adressa  ces  paroles 
«  Je  te  préviens  :  tiens-toi  sur  tes  gardes ,  redoute  quelque  fourberie, 
fcien  qu'à  Yoir  la  mine  de  tes  gens ,  on  peut  juger  qu'ils  portent  ' 


FABLES  NOUV.    ATTRIBUÉES   A   PHÈDRE. 


207 


FABULA  VIII. 

ASIXUS    AD    LTRAM. 

Quomodo  ingénia 
intercidant  saepe  calaraitate. 

Asinus  vîdit  lyram 
jacentem  in  prato. 
Accessit , 

et  ungula  tentavit  chordas; 
tactîe  sonuere. 
<  Bella  res ,  mehercules  ! 
cessit  maie ,  inquit , 
quia  sum  nescius  artis. 
Si  aliquis  prudentior 
repperisset  hanc, 
oblectasset  aures 
cantibus  divinis.  » 

Sic  ingénia 
intercidunt  sœpe 
calamitate. 


FABLE  VIII. 

l'ANE    a   XrS-E   LYRE. 

Comment  les  génies  (le  génie) 
périssent  (périt)  souvent  par  le  malheur. 

Un  âne  vit  une  lyre 
étendue  dans  un  pré. 
Il  s'approcha, 

et  de  son  sabot  il  essaya  les  cordes  ; 
étant  touchées  elles  résonnèrent. 
«  Belle  chose  ,  par-Hercule  ! 
cela  a  réussi  (tombé)  mal,  dit-il, 
parce  que  je  suis  ignorant  de  l'art. 
Si  quelqu'un  plus-habile 
eût  trouvé  celle-ci , 
il  eût  charmé  les  oreilles 
par  des  accords  divins.  » 

Ainsi  les  génies 
périssent  souvent 
par  le  malheur. 


FABULA  IX. 

OALLUS  VECTUS  LECTICA 
A  FELIBUS. 

Nimiam  secnritatem  ssepe 
ducere  homines  in  penculum. 

Gallus  habebat  fêles 
lecticarios. 
Ut  vulpes  yidit  hlnc 
vehi  gloriose,locuta  est  sic  : 
€  Moneo 

prsecaveas  dolum  : 
namque  si  considéras 
Tultns  istorum ,  judices 
portare  praedam , 


FABLE  IX. 

LE    COQ    TOUTE    tX    LITIERE 
PAR   DES   CHATS. 

Qu'une  trop-grande  sécurité  souvent 
conduit  les  liommes  dans  le  péril. 

Un  coq  avait  des  chats 
pour  porteurs-de-litière. 
Comme  le  renard  vit  celui-ci 
être  porté  glorieusement,  il  parla  ainsi  t 
«  Je  t'avertis 

que  tu  prennes-garde  à  la  ruse  : 
car  si  tu  considères 

les  visages  de  ceux-ci,  tu  pourrais- juger 
eux  porter  une  proie, 


208  FAB.    NOViE   PH^DRO   ATTRIRUTjï. 

Praedam  portare  judices,  non  sarcinam.  )^  5 

Postquam  esurire  cœpit  societas  fera, 
Discerpsit  dominum,  et  fecit  partes  facinoris  '.  » 

FABULA   X. 

SCROFA    rARTDRlEXS    KT   LUPUS. 

Faciendum  prius  de  Lomine  periculum  quara  ejus  te  coramiltas  fidei. 

Premente  partii  Scrofa  quum  gemeret  jacens, 
Accurrit  Lupus,  et  obsteiricis  partibus 
Se  posse  fungi  dixit,  promittens  opem. 
Qua3  vero  nosset  pecoris  quum  fraudem  improbi , 
Suspectum  ofïicium  repudiavit  malefici ,  5 

Et  :  M  Satis  est,  inquit,  si  recédas  longius.  » 
Quae  si  perfidias  se  comnùsisset  Lupi, 
Pari  dolore  fata  deflesset  sua*. 

FABULA  XL 

SEBVUS    PROFUGUS    ET   iESOPUS 

Non  esse  malo  addendum  raalum. 

Servus,  profugiens  dominum  naturae  asperae, 

plutôt  une  proie  qu'un  fardeau.  »  Quand  le  farouche  attelage  res- 
sentit les  premières  atteintes  de  la  faim ,  ils  mirent  en  pièces  leur 
maître,  et,  le  crime  accompli  ,  se  partagèrent  la  victime. 

FABLE  X. 

LA    LAIE    QUI    MET    BAS    ET    LE   LOUP. 

Avant  de  se  confier  à  la  bonne  foi  de  quelqu'un ,  il  faut  l'éprouver. 

Une  laie  sur  son  terme  gémissait  étendue  à  terre.  Un  loup  ac- 
court ,  s'offre  à  remplir  le  rôle  d'accoucheur,  et  lui  promet  son  se- 
cours; mais  elle,  connaissant  la  perversité  du  cruel  animal ,  repoussa 
^ses  services  suspects.  «  Il  me  suffit ,  lui  dit-elle  ,  que  vous  vous  éloi- 
gniez. »  Si ,  trop  confiante,  elle  se  fût  livrée  à  la  pA-fidie  du  loup , 
elle  n'aurait  pas  eu  moins  à  gémir  sur  son  malheur. 

FABLE  XL 

ÉSOPE    ET    l'esclave   FUGITIF. 

Aux  maux  éprouvés  déjà,  il  n'en  faut  point  ajouter  d'autres. 
Un  esclave,  fuyant  les  emportements  d'un  maître  intraitable ,  vins 


FABLES  NOUT.    ATTRIBLÉES   A   PHÈDRE. 


209: 


lion  sarcinam  v 
Postquam  fera  societas 
cœpit  esurire , 
discerpsit  dominum, 
et  fecit  partes 
facinoris. 


non  un  fardeau.  » 

Après  que  le  farouche  attelage 

commença  à  avoir  faim , 

il  déchira  son  maître  , 

et  se  fit  les  parts 

de  son  crime  ^de  sa  victime). 


FABULA  X. 

SCROFA  PARTURIEXS 
ET  LUPUS. 

Periculum  faciendura 

de  homine 

priusquam  committas  le 

fidei  ejus. 

Quum  scrofa  jacens 
gemeret  partu  premente , 
lupus  accurrit 
et  dixit  se  posse  fungi 
partibus  obstetricis , 
promittens  opem. 
Quum  vero  quae  nosset 
fraudem  improbi  pecoris, 
repudiavit 
officium  suspectum 
malefici ,  et  : 
«  Est  satis,  inquit, 
si  recédas  longius.  » 
Si  qusB  commisisset  se 
perfidiae  lupi , 
deflesset  sua  fata 
dolore  pari. 


FABLE  X. 

LA    LAIE   PRÈS-DE-METTRE-BA» 
ET    LE  LOUP. 

Épreuve  doit-être-faite 

d'un  homme 

avant  que  tu  71e  confies  toi 

à  la  bonne-foi  de  lui. 

Comme  une  laie  étendue-à-terre 
gémissait ,  l'accouchement  la  pressant 
un  loup  accourut 
et  dit  soi  pouvoir  s'acquitter 
de  la  fonction  d'accoucheuse, 
promettant  son  secours. 
Mais  comme  celle-ci  connaissait 
la  fourberie  du  méchant  animal , 
elle  refusa 
le  service  suspect 
du  pervers,  et  : 

€  Il  est  assez  (il  suffit) ,  dit-elle^ 
si  tu  te  retires  plus-loin.  » 
Si  elle  eût  confié  soi 
à  la  perfidie  du  loup, 
elle  aurait  pleuré  sa  destinée 
avec  une  douleur  égale  à  son  mal. 


FABULA  XL 

8ERVUS   PBOFUGUS 
ET  .fiSOPUS. 

Malum  non  addendum  esse 
malo. 

Servus, 
profugiens  dominum 
naturœ  asperje, 

Fables  de  Phèdre. 


FABLE  XL 

l'esclave    FUGITIP 
ET   ESOPE. 

Que  le  malheur  ne  doit  pas  être  ajout 
au  malheur. 

Un  esclave, 
fuyant  un  maître 
d'un  naturel  dur, 

14 


210  FAB.    NOV^   PHiEDRO   ATTRIBUTiE. 

^sopo  occurrit  notus  e  vicinia. 

0  Quid  tu  confusus?  —  Dicam  tibi  clare ,  pater; 

Hoc  namque  es  dignus  appellari  nomine, 

Tuto  querela  quia  apud  te  deponitur  :  5 

Plagae  supersunt  ',  désuni  nunquam  verbera, 

Subinde  ad  villam*  jussa  me  mittunt  heri; 

Domi  si  cœnat,  totis  persto  noctibus  ; 

Sive  est  vocatus',  vigilo  ad  lucem  in  semita. 

Emerui  libertatem,  canus  servie  !  -10 

UUius  esseiç  culpse  mihi  si  conscius, 

-^quo  animo  ferrem  ;  uunquam  sum  factus  satur, 

Et  super,  infelix!  saevum  patior  dominium. 

Has  propter  causas,  et  quas  longum  est  promere, 

Abire  destinavi  quo  lulerint  pedes.  <5 

—  Ergo,  inquit ,  audi  :  quum  mali  nil  feceris, 

Haec  experiris,  ut  refers,  incommoda  : 

Quid  si  peccaris?  quas  te  passurum  putas?  » 

Tali  consilio  est  a  fuga  deterritus. 

trouver  Esope,  qu'il  connaissait  en  voisin.  «  Pourquoi  ce  trouble 
sur  ton  visage?  —  Je  vais  vous  en  instruire,  mon  père;  car  je  puis, 
à  juste  titre,  vous  donner  ce  nom,  ô  vous  dans  le  sein  de  qui  l'on  peut 
en  toute  sûreté  déposer  sa  plainte  !  Toujours  des  coups,  souvent  les 
étrivières.  Quelquefois  les  ordres  de  mon  maître  m'envoient  à  sa 
maison  des  champs.  Soupe-t-il  chez  lui ,  je  veille  toute  la  nuit  ; 
est-il  invité  dehors  ,  j'attends  jusqu'au  jour  dans  la  rue.  J'ai  mérité 
la  liberté,  et  j'ai  blanchi  dans  l'esclavage  I  Si  je  me  sentais  coupable 
de  quelque  faute,  je  supporterais  avec  résignation  mon  malheur; 
jamais  je  n'ai  pu  rassasier  ma  faim,  et,  ce  qui  est  le  comble,  j« 
aouSre  une  effroyable  tyrannie.  Voilà  les  motifs ,  et  d'autres  encore 
qu'il  serait  trop  long  d'énumérer,  qui  m'ont  déterminé  à  m'enfuir  où 
me  porteraient  mes  pas.  —  Ecoute-moi  donc ,  répondit  Esope  :  si, 
lorsque  tu  n'as  point  fait  le  mal ,  tu  as  éprouvé  les  mauvais  traite- 
ments dont  tu  te  plains  ,  que  sera-ce  quand  tu  seras  coupable  ?  quel 
châtiment  terrible  penses-tu  devoir  t'être  infligé?  >  Ce  sage  conseille 
fit  trembler,  et  arrêta  son  désir  de  prendre  la  fuite. 


FABLES   ÎNOUV.    ATTRIBUÉES   A   PHÈDRE. 


!ll 


occurrit  ^Esopo, 
notus  e  vicinia. 
«  Quid  tu  confusus  ? 

—  Dicam  tibi  clare,  pater; 
namque  es  dignus 
appellari  hoc  nomine , 
quia  querela 
deponitur  tuto  apud  te  : 
plagse  supersunt, 
nunquam  verbera  desunt, 
subinde  jussa  heri 
mittunt  me  ad  villam  ; 

si  cœnat  domi, 

persto  totis  noctibus  : 

sîve  est  vocatus, 

vigilo  in  semita  ad  lucem. 

Emerui  libertatera , 

canus  servie  ! 

si  essem  conscius  mihi 

ulliu3  culpse , 

ferrem  animo  aequo  ; 

nunquam  factus  sum  satur, 

et  super,  infelix  ! 

patior  ssevum  dominium. 

Propterhas  causas. 

et  quas  est  longum 

promere , 

destinavi  abire 

quo  tulerint  pedes. 

—  Audi  ergo ,  inquit  : 
quum  feceris  nil  mali , 
experiris  haec  incommoda, 
ut  refers  : 

quid  si  peccaris? 
quae  putas  te  passurum  ?  » 
Deterritus  est  a  fuga 
tali  consilio. 


vint-à-rencontre  à  Esope , 

lui  étant-connu  à  cause  du  voisinage. 

«  Pourquoi  toi  es-tu  confus  (troublé)? 

—  Je  le  dirai  à  toi  clairement,  mon  père; 
car  tu  es  digne 

d'être  appelé  de  ce  nom , 

parce  que  la  plainte  [sein)  : 

est  déposée  en  sûreté  chez  toi  (dans  ton 

les  coups  me  sont-en-abondance, 

jamais  les  coups-de-fouet  ne  me  manquent, 

de-temps-en-temps  les  ordres  du  maître 

envoient  moi  à  sa  maison-des-champs  ; 

s'il  soupe  chez-lui , 

je  reste-debout  toutes  les  nuits  ; 

ou-s'il  est  appelé  (invité)  dehors  , 

je  veille  dans  la  rue  jusqu'au  jour. 

J'ai  mérité  la  liberté, 

blanchi  je  sers  (je  suis  esclave)  I 

si  j'étais  confident  à  moi  (si  j'avais  la 

de  quelque  faute,  [conscience) 

je  le  supporterais  avec  un  esprit  calme  ; 

jamais  je  n'ai  été  rassasié, 

et  en  outre ,  malheureux , 

je  supporte  une  cruelle  tyrannie. 

Pour  ces  causes 

et  d'autres  qu'il  est  long 

d'exprimer, 

j'ai  résolu  de  m'en  aller 

où  me  porteront  mes  pieds. 

—  Ecoute  donc ,  dit  Ésope, 
quoique  tu  n'aies  fait  rien  de  mal , 
tu  éprouves  ces  mauvais-traitements 
comme  tu  le  rapportes  (à  ce  que  tu  dis)  : 
qu'eprouuera«-/u  si  tu  deviens-coupable? 
quel  supplice  crois  tu  toi  devoir-souffrir  ?  » 
Il  fut  détourné  de  la  fuite 

par  un  tel  conseil. 


212  FAB.    iNOV^   PHiEDEO  ATTRTBUTiE. 

FABULA  XII. 

BQUUS    QUADRIGALI8    IN    PISTRINUM    VENUMDATU8. 

Ferendum  esse  asquo  aninio  quidquid  accident. 

Bquum  e  quadriga  multis  palmis  nobilem 
Abegit  •  quidam  ,  et  in  pistrinum  vendidit. 
Productus  ad  bibendum  quum  foret  a  molis, 
In  circum  aequales  ire  conspexit  suos, 

Ut  grata  ludis  rerJderent  certamina.  S 

Lacrymis  obortis  :  «Ite,  felices,  ait, 
Celebrate  sine  me  cursu  solemnem  diem  : 
E^o,  quo  scelesta  furis  attraxit  manus, 
Ibi  sorte  tristi  fata  deflebo  mea.  » 

FABULA   XIII. 

URSUS   E8URIBN8. 

Famem  acuere  animantibus  ingenium. 

Si  quando  in  sylvis  Urso  desunt  copiae, 
Scopulosum  ad  littus  currit ,  et  pendens  petra 
Pilosa  crura  sensim  demittit  vado  *  : 
Quorum  inter  viilos  simul  haeserunt  canceres, 

FABLE   XII. 

LE  CHEVAL  DE  COURSE  VENDU  A  UN  MEUNIER. 

n  faut  supporter  avec  résignation  ce  qui  nous  arrive. 

Un  cheval  ennobli  par  les  palmes  de  nombreuses  victoires  fut  dé- 
telé de  son  char  par  un  larron  et  vendu  à  un  meunier.  Comme  on  le 
menait  boire  loin  du  moulin  ,  il  vit  ses  rivaux  de  gloire  se  rendre 
dans  la  lice  pour  charmer  par  leur  vitesse  dans  la  lutte  les  specta- 
teurs des  jeux;  des  larmes  vinrent  soudain  mouiller  ses  paupières. 
«  Allez  ,  heureux  compagnons ,  s'écria-t-il ,  célébrez  sans  moi  la  so- 
lennité de  ce  jour;  pour  moi,  dans  ce  moulin  où  m'a  conduit  la  main 
d'tm  infâme  voleur,  victime  d'un  sort  funeste ,  je  gémirai  sur  la 
rigueur  de  ma  destinée.  » 

FABLE  XIII. 

l'ours  affamé. 
La  faim  aiguillonne  l'instinct  des  animaux. 

Si  parfois  ,  au  sein  des  forêts,  l'ours  vient  à  manquer  de  nourri- 
ture, il  court  aux  rochers  du  rivage,  se  suspend  du  haut  d'une 
roche ,  et  laisse  peu  à  peu  plonger  dans  l'eau  ses  pattes  velues  ;  le» 


FABLES  NOUV.    ATTRIBUÉES   A   PHÈDRE. 


213 


F4BULA  XII. 


FABLE   XII. 


EQUCS    QUADEIGALI8 
VENUMDATUS 
IN    PISTRINUM. 

Quidquid  accident 

ferendum  esse 

aequo  animo. 

Quidam  abegit  e  quadrige 
equum  nobilem 
ïnultis  palmis , 
et  \endidit  in  pistrmum. 
Quuin  productus  foret 
a  molis 
ad  bibendum , 
conspexit  suos  œquales 
ire  in  circum, 
ut  redderent 
certamiua  gxata  ludis. 
Lacrymis  obortis  : 
«  Ite,  felices,  ait  ; 
celebrate  sine  me 
diein  solemnem  cursu  : 
Ego,  tristi  sorte, 
deflebo  mea  fata  ibi 
quo  manus  scelesta  turis 
attraxit.  » 


LE    CHEVAL    DE-QCADRIGE 

VEXDU 

POUR  LE  MOULIN. 

Tout-ce-qui  nom  arrive 

devoir  être  supporté 

avec  un  esprit  tranquille  (résigné). 

Quelqu'un  entraîna  loin  de  son  quadrige 
un  cbeval  fameux 
par  de  nombreuses  palmes, 
et  le  vendit  pour  le  moulin. 
Comme  il  avait  été  emmené 
loin  des  meules 
pour  boire, 

il  vit  ses  égaux  (rivaux) 
aller  à  la  lice  , 

afin  qu'ils  rendissent  (exécutassent) 
des  luttes  agréables  dans  les  jeux. 
Des  larmes  s'étant  élevées  dans  ses  yeux  : 
«  Allez,  heureux  ,  dit-il  ; 
célébrez  sans  moi 
ce  jour  solennel  par  vos  courses  : 
moi ,  dans  mon  triste  sort , 
je  déplorerai  mes  destinées  là 
où  la  main  scélérate  d'un  voleur 
m'a  entraîné.  » 


FABULA  XIII. 


FABLE  XIII. 


URSU8   ESTJBIEN6. 

Famem  acuere  ingenium 
animautibus. 

Si  quando  in  sylvis 
copias  desunt  urso, 
currit  ad  littus 
scopulosum , 
et  pendons  petra, 
demittit  sensim  vado 
crura  pilosa  : 
simul  canceres 
liaeserunt 
int^r  viJlos  quorum, 


L  OUE8   QUI-A-FAIM. 

Que  la  faim  stimule  l'esprit 
aux  animaux. 

Si  parfois  dans  les  forêts 
les  ressources  (vivres)  manquent  à  l'ours 
il  court  au  rivage 
rocailleux , 

et  se-pendant  du  haut  d'une  roche, 
il  laisse-tomber  peu-à-peu  dans  l'eau 
«e*  jambes  (pattes)  velues  : 
sitôt-que  les  cancres 
se-sont-embarrassés 
entre  les  poils  d'elles  (de  ses  pattes), 


214  FAB.    NOViE  PHiEDRO   ATTRIBUT^E. 

In  terram  arripiens  excutit  praedam  maris,  5 

Escaque  fruitur  passim  collecta  vafer. 
Ergo  etiam  stultis  acuit  ingenium  famés. 

FABULA  XIV. 

VIATOR    ET    CORVUS. 

Verbis  sœ;.enumero  homines  decipi  solere. 

Quidam  per  agros,  devium  carpens  iter, 
Ave  exaudivit  :  et,  moratus  paululum, 
Adesse  ut  vidit  neminem,  cœpit  gradi. 
Iterum  salutat  idem  ex  occulto  sonus  : 
Voce  hospitali*  confirmatus  restitit,  5 

Ut,  quisquis  esset,  par  officium  reciperet. 
Quum  circumspectans  errore  hassisset  diu, 
Et  perdidisset  tempus  aliquot  millium, 
Ostendit  sese  Gorvus,  et  supervolans, 

Ave  usque  ingessit.  Tum  se  lusum  intelligens  :  10 

c  At  maie  tibi  sit,  inquil,  aies  pessime, 
Qui  festinantis  sic  detinuisti  psdes  !  » 

cancres  s'embarrassent  bientôt  (]:ins  cette  épaisse  fourrure;  alors 
l'animal  enlève  celle  proie  recollée  dans  la  mer,  la  secoue  sur  le  sol, 
el  se  gorge  à  plaisir  de  ce  hutn  «ju'a  recueilli  son  adresse. 

Ainsi,  chez  les  sols  même,  l'aiguillon  de  la  faim  stimule  l'intel- 
ligence. 

FABLE  XIV. 

LE  VOYAGEUR  ET  LE  CORBEAU. 

Les  hommes  se  laissent  souvent  prendre  à  de  vaines  paroles. 

Un  homme,  suivant  à  travers  la  campagne  un  sentier  détourné, 
s'entendit  adresser  le  mot  bonjour!  Il  s'arrêta  un  instant;  mais, 
n'ayant  vu  personne,  il  reprit  sa  marche.  Une  seconde  fois,  le  même 
mot,  sorti  il  ne  sait  d'où,  vient  frapper  son  creilie.  Rassuré  par 
celte  voix  hospitalière,  notre  homme  s'arrête  pour  rendre  à  l'étran- 
ger, quel  qu'il  soil,  politesse  pour  politesse.  Mais  lorsque,  ayant 
porté  les  yeux  de  tous  côiés,  il  se  lut  longtemps  bercé  de  son  erreur, 
et  qu'il  eut  perdu  en  vains  retards  le  temps  de  faire  quelques  milles, 
un  corbeau  s'offrit  à  ses  regards,  et,  passant  au-dessus  de  sa  tète, 
lui  jeta  une  troisième  fois  son  éternel  bonjour.  Alors,  comprenant 
qu'il  avait  été  joué  :  œ  iMalbeur  à  toi,  s'éciia-t-il,  oiseau  maudit, 
pour  m'avoir  arrêté  ainsi  quand  je  suis  pressé  i  » 


I 


FABLES  NOUV.  ATTRIBUEES  A  PHEDRE. 


21b 


arripiens, 
excutit  in  terram 


lam  maris, 
yaferque  fruitur  esca 
collecta  passim. 

Ergo  famés 
acuit  ingenium 
etiam  etultis. 


les  enlevant , 

il  secoue  à  terre 

la  proie  de  la  mer, 

et  adroit  il  jouit  de  la  nourriture 

recueillie  çà-et-là. 

Donc  la  faim 
aiguillonne  l'esprit, 
même  aux  sots. 


FABULA  XIV. 


FABLE  XIV. 


VIATOR   ET   CORVUS. 


LE    TOTAGEUR  ET   LE    COF.BEAU. 


Hommes  solere  saepenumero 
decipi  verbis. 

Quidam , 
carpens  iter  devium 
per  agros, 
exaudivit  ave  ; 
et ,  moratus  paululum  , 
ut  vidit  neminem  adesse, 
cœpit  gradi. 
Iterum  idem  sonus 
salutat  ex  occulto  : 
confirmatus  voce  hospitali 
restitit, 

•Qt,  quisquis  esset, 
reciperet  officium  par. 
Quum  circumspectans 
hœsisset  diu  errore , 
et  perdidisset 
tempus  aliquot  millium  , 
corvus  ostendit  sese, 
et  supervolans, 
ingessit  usque  ate. 
Tum  intelligens  se  lusum  : 
«  At  sit  raale  tibi,  inquit, 
aies  pessime, 
qui  detinnisti  sic  pedes 
festinantis!  » 


Que  les  hommes  ont  coutume  souvent 
d'être  trompés  par  des  paroles. 

Quelqu'un, 
parcourant  un  chemin  écarté 
à  travers  les  champs  , 
entendit  le  mot  bonjour; 
et ,  s'étant  arrêté  un  peu , 
comme  il  ne  vit  personne  être-présent, 
il  se-mit-à  marcher. 
De  nouveau  le  même  son 
le  salue  d'un  endroit  caché  : 
rassuré  par  la  voix  hospitalière 
il  s'arrêta , 

afin  que ,  quel  que  fût  cet  inconnu , 
il  reçût  une  politesse  égale. 
Lorsque,  regardant-à-l'entour, 
il  eut  demeuré  longtemps  dans  son  erreur, 
et  qu'il  eut  perdu 
le  temps  de  quelques  milles, 
un  corbeau  montra  soi , 
et  volant-au-dessus  de  lui, 
il  répéta  sans-cesse  son  bonjour. 
Alors  comprenant  soi  joué  : 
«Mais  qu'il  soit  mal  (malheur)  àtoi, dit-il 
oiseau  très-mauvais , 
qui  as  arrêté  ainsi  les  pieds  la  marche', 
de  mot  qui-me-pressais  !  » 


216  FAB.    NOVJE   PHjEDRO   ATTRlBUTiE. 

FABULA  XV. 

PASTOR   ET   CAPELLiE. 
NU  occultum  esse  quod  non  reveletur, 

Pastor  Capellae  cornu  baculo  fregerat  : 
Hogare  cœpit  ne  se  domino  proderet  : 
<  Quamvis  indigne  laesa  ,  reticebo  tamen  ; 
Sed  res  clamabit  ipsa  *  quid  deliqueris.  » 

FABULA  XVL 

SERFENS   ET   LACERTA. 

tJbi  leonis  pellis  deflcit ,  vulpinam  insecandam  '  esse  :  hoc  est  ;  ubi  dcttciunl 
vires ,  astu  utendum. 

Serpens  Lacertam  forte  adversam  '  prenderat; 
«Quam  devorare  patula  quum  vellet  gula, 
Arripuit  illa  prope  jacentem  surculum  ; 
Et  pertinaci  morsu  transversum  tenens 
Avidum  solerti  rictum  frenavit  mora.  5 

Praedam  demisit  ore  Serpens  irritam. 

FABLE  XV. 

LE    PATRE    ET    LES    CHEVRES. 

Il  n'est  rien  de  si  secret  qui  ne  paraisse  au  grand  jour. 

Un  pâtre ,  d'un  coup  de  son  bâton,  avait  brisé  la  corne  d'une  chè- 
"vre.  Il  se  mit  à  la  prier  de  ne  point  le  trahir  auprès  de  son  maître. 
•«  Quoique  indignement  outragée ,  je  me  tairai  cependant,  dit-elle  ; 
mais  la  chose  criera  d'elle-même  le  mal  que  vous  avez  fait.  » 

FABLE  XVL 

LE    SERPENT   ET   LE   LEZARD. 

Xîuand  la  peau  du  lion  vous  manque,  revêtez  celle  du  renard ,  c'est-à-dire  : 
si  b  force  vous  fait  défaut,  ayez  recours  à  l'astuce. 

Un  serpent  avait  pris  un  jour  un  lézard  par  la  queue ,  et  se  disposait 
à  l'engloutir  dans  sa  vaste  gueule  ;  mais  celui-ci ,  saisissant  en  tra- 
Ters  ime  branche  d'arbre  qni  se  trouvait  à  terre  près  de  lui ,  la  tient 
«errée  entre  ses  dents,  et,  au  moyen  de  cet  obstacle  habilement  pré- 
senté, trompe  l'avidité  de  son  ennemi.  Le  serpent  laissa  échapper 
«ette  proie  inutile. 


FABLES   NOUV.    ATTRIBUÉES   A   PHÈDRE. 


217 


FABULA  XV 


FABLE  XV. 


pastor  et  capell^. 


LE    PATRE    ET    LES    CHEVRES. 


Nil  esse  occultum, 
quod  uon  reveletur. 

Pastor  fregerat  baculo 
cornu  capellae  : 
cœpit  rogare 
ne  proderet  se  domino  : 
«Quamvis  laesa  indigne, 
reticebo  tamen  ; 
»ed  res  ipsa 
clamabit  quid  deliqueris.  » 


Que  rien  n'est  si  secret, 
qui  ne  soit  révélé. 

Un  pâtre  avait  brisé  avec  .-.on  bâton 
la  corne  d'une  chèvre  : 
il  commença  à  la  prier 
qu'elle  ne  découvrît  point  lui  au  maître 
«  Quoique  blessée  indignement, 
je  me  tairai  cependant; 
mais  la  chose  elle-même 
criera  quelle  faute  tu  as  commise.  » 


FABULA  XVL 


FABLE  XVL 


8ERPENS  ET  LACERTA. 


LE  SERPEKT  ET  LE  LEZARD. 


Ubi  pellis  leonis  déficit, 

vulpinam  insecandam  esse  : 

hoc  est,  ubi  vires  deficiunt, 

uieudum  aslu. 


Que  quand  la  peau  du  lion  manque, 

celle  du-renard  doit  être  taillée  : 

c'est  à  dire  que ,  quand  les  forces  manquent , 

il-faut-se-servir  de  la  ruse. 


Serpens  prenderat  forte 
lacertam  adversam  : 
quum  vellet  devorare  quam 
gula  patula , 
illa  arripuit  surculum 
jacentem  prope; 
et  tenens 
morsu  pertinaci 
transversum, 
frenavit  mora  solerti 
rictum  avidum. 
Serpens  demisit  ore 
praedam  irritam. 


Un  serpent  avait  surpris,  par-hasard, 
un  lézard  par-derrière  : 
comme  il  voulait  dévorer  lui 
avec  5a  gueule  ouverte , 
celui-ci  saisit  une  branche 
étendue  près  de  lui  ; 
et  tenant 

par  une  morsure  tenace 
cette  branche  en-travers, 
il  arrêta  par  un  retard  adroit 
la  gueule  avide  de  son  ennemi. 
Le  serpent  laissa  échapper  de  sa  gueule 
cette  proie  vaine 


218  FAB.    NOViE   PHtEDRO   ATTRIBUTJE. 

FABULA  XVII. 

CORNIX  ET  OTI8. 
Multos  lacessere  débiles ,  et  cedere  fortibua. 

Odiosa  Cornix  super  Ovem  consederat; 
Quam  dorso  quum  tulisset  invita  et  diu  : 
«  Id,  inquit,  si  dentato  fecisses  cani, 
Pœnas  dédisses.  »  Illa  contra  pessima  : 
«  Despicio  inermes,  eadem  cedo  fortibus; 
Scio  quem  lacessam ,  cui  dolosa  blandiar  : 
Ideo  senectam  par  tôt  annos  proroge.  » 

FABULA  XVIII. 

LEPUS    ET    BUBULCUS. 

Multos  blandos  esse ,  et  pectore  infidèles. 

Quum  venatorem  céleri  pede  fugeret  Lepus, 
Et  a  Bubulco  visus  veprem  irreperet  : 
ï  Per  Superos  oro,  perque  spes  *  omnes  tuas, 
Ne  me  indices,  Bubulce  ;  nihil  unquam  mali 

FABLE  XVIL 

LA    CORNEILLE    ET   LA    BREBIS. 

La  plupart  des  hommes  maltraitent  les  faibles,  mais  cèdent  devant  la  force 

Une  corneille  importune  s'était  abattue  sur  une  brebis;  fatigué  de 
la  porter  depuis  longtemps  sur  son  dos  ,  le  paisible  animal  lui  dit  : 
«  Oh!  que  si  tu  traitais  ainsi  le  chien  aux  dents  redoutables  ,  tu 
paierais  cher  ta  témérité!  —  Je  méprise  les  faibles ,  répondit  l'oiseau 
pervers ,  mais  je  sais  aussi  céder  devant  les  forts.  Je  sais  qui  je  mal- 
traite, et  qui  je  dois  flatter  avec  adresse.Voilà  par  quel  secret  je  pro- 
longe depuis  tant  d'années  ma  paisible  vieillesse.  » 

FABLE  XVIIL 

LE    LIÈVRE    ET    LE    BOUVIER. 

Beaucoup  d'hommes  vous  cajolent  de  bouche ,  mais  vous  trahissent  au  fona 
du  cœur. 

Jn  lièvre,  fuyant  d'une  course  agile  la  poursuite  d'un  chasseur. 
vint,  sous  les  yeux  d'un  bouvier,  se  réfugier  sous  un  buisson.  *  A 
nom  des  dieux,  au  nom  de  toutes  vos  espérances,  je  vous  en  ce;; 
jure,  bouvier,  ne  me  trahissez  pas  !  jamais  je  n'ai  commis  sur  cei 


i 


FABLES   NOUV.    AÏTRIBUÉES   A    PJiÉDRE. 


21& 


FABULA  XVII. 

CORNIX   ET  OVIS. 

Multos  lacessere  débiles, 

et  cedere  fortibus. 

Cornix  odiosa 
consederat  super  ovem  ; 
qnnm  tulisset  quam 
dorso 

invita  et  diu  : 
«  Si  fecisses  id,  inquit, 
cani  dentato, 
dédisses  pœnas.  » 
Ilîa,  pessima,  contra  : 
«  Despicio  inermes, 
eadem  cedo  fortibus  : 
scie  quem  lacessam, 
cui  dolosa  blandiar  : 
ideo  proroc;o 
per  tût  annos 
senectam.  » 


FABLE  XVIL 

LA    CORNEILLE   ET   LA    BREBIS. 

Que  beaucoup  maltraitent  les  faibles, 
et  cèdent  aux  forts. 

Une  corneille  odieuse 
s'était  assise  (abattue)  sur  une  brebis, 
après  qu'elle  (la  brebis)  eut  porté  elle 
sur  son  dos 

malgré-elle  et  longtemps  : 
«  Si  tu  eusses  fait  cela ,  dit-  elle , 
au  chien  armé-de-dents, 
tu  en  aurais  douné  (subi)  le  châtiment.  » 
Celle-là,  très-mauvaise,  dit  de-son-côté: 
«  Je  méprise  les  faibles , 
et  la  même  (de  même)  je  cède  aux  fortâ  ; 
je  sais  qui  je  dois-attaquer, 
qui  rusée  je  dois-flatter  : 
voilà-pourquoi  je  prolonge 
pendant  tant  d'années 
ma  vieillesse.  » 


FABULA  XVIII. 

LEPDS  ET  BUBOLCUS. 
Multos  esse  blandos, 
et  inSdeles  pectore. 

Qnum  lepus 
fugeret  pede  céleri 
veuatorem, 
et  visus  a  bubulco 
irreneret  veprem  : 
«  Oro  per  Superos, 
perque  omnes  tuas  spes, 
ne  indices  me,  bubulce  ; 
unquam  feci  huic  agro 
nihil  mali.  » 


FABLE  XVm. 

I.E    LIÈVRE    ET  LE    BOUVIER. 

Que  beaucoup  sont  flatteurs  de  louche , 
et  perfides  de  cœur. 

Comme  un  lièvre 
fuyait  d'un  pied  agile 
un  chasseur, 
et  que  vu  par  un  bouvier 
il  se-gliasait-sous  un  buisson  . 
«  Je  l'en  conjure  par  les  dieux 
et  par  toutes  tes  espérances, 
ne  découvre  pas  moi ,  bouvier  ; 
jamais  je  n'ai  fait  à  ce  champ 
rien  de  mal.  » 


220  FAB.    NOV^   PH^DRO   ATTRIBUTS. 

Huic  agro  feci.  »  Et  rusticus  :  «  Ne  limueris,  S 

Late  securus.  »  Jamque  venator  sequens  : 

«  Quaeso,  Bubuice,  numquid  hue  venit  Lepus? 

—  Venit,  sed  abiit  hac  ad  laevam.  »  Et  dexteram 

Demonstrat  nutu  partem.  Venator  citus 

Non  intellexit,  seque  e  conspectu  abstulit.  10 

Tune  sie  Bubulcus  :  «  Ecquid  est  gratum  tibi, 

Quod  te  eelavi?  —  Linguse  prorsus  non  nego 

Habere  atque  agere  maximas  me  gratias, 

Verum  oculis  ut  priveris  opto  perfidis.  » 

FABULA  XIX. 

TERRANEOLA '    ET    VULPE8. 

Pravis  non  esse  fidem  adhibendam. 

Avis,  quam  dicunt  terraneolam  rustiei, 
In  terra  nidum  quia  eomponit  scilieet , 

champs  aucun  dommage.  —  Ne  crains  rien,  répondit  le  pâtre, 
cache-toi  et  demeure  tranquille.  »  Arrive  le  chasseur  à  la  poursuite 
de  son  gibier.  «  Je  vous  en  prie  ,  bouvier,  n'est -il  pas  venu  ici  un 
lièvre?  —  Il  est  venu;  mais  il  s'est  dirigé  par  là,  vers  la  gauche.  » 
Et  d'un  signe  d'yeux  il  lui  montrait  la  droite.  Le  chasseur,  se  remet- 
tant à  courir,  ne  le  comprit  point,  et  se  déroba  bientôt  à  ses  regards. 
Alors  le  bouvier  :  «  Eh  bien  !  es-tu  content?  j'ai  caché  ta  retraite. — 
J'en  conviens  ,  je  dois  et  je  rends  à  ta  langue  de  sincères  remercie- 
ments ;  mais  combien  je  souhaiterais  que  tu  perdisses  tes  yeux  per- 
fides! » 

F.ABLE  XIX. 

LA   TERRAKÉOLE  ET   LE     RENARD. 

Il  ne  faut  poiut  ajouter  foi  aux  méchants. 

L'oiseau   que  dans  nos  campagnes  on  appelle  terranéole ,  sans 
doute  parce  qu'elle  fait   sou  nid  à    terre ,  tomba  presque  un  jour 


FABLES   rsOUV.    ATTRIDUÉES   A    PHÈDRE. 


^21 


Et  rusticus  : 

«  Ne  timueris, 

late  securus.  » 

Jamque  venator 

sequens : 

«  Quaeso,  bubulce, 

nnmquid  lepns 

venit  hue  ? 

— Venit,  sed  abiit  hac 

ad  laevam.  » 

Et  nutu 

demonstrat 

partem  dexteram. 

Veuator  citus 

non  intellexit , 

abstulitque  se 

e  conspectu. 

Tune  bubulcus  sie  : 

<  Ecquid  est  tibi 

gratum, 

quodeelavi  te? 

—  Non  nego  prorsus 

me  habere  atque  agere, 

maximas  gratias 

linguie , 

verum  opto 

ut  priverisoculis  perfidis. 


Et  le  paysan  : 

«  N'aie  pas  craint  'ne  erains  pas) , 

sois  caebé  (cacbe-toi  là)  en  sûreté.  » 

Et  bientôt  le  chasseur 

suivant  son  gibier: 

«  Je  t'en  prie,  bouvier, 

est-ce  que  un  lièvre 

n'est  pas  venu  iei? 

—  Il  est  venu,  mais  il  s'en  est  allé  par 
vers  la  gauche.  » 

Et  d'un  signe-de-tète 

il  montre 

le  côté  droit. 

Le  chasseur  prompt  (pressé) 

ne  comprit  pas, 

et  ôta  'emporta;  soi 

loin- de  la  \'ue. 

Alors  le  bouvier  parla  ainsi  : 

«  Est-ce  qu'il  n'est  pas  pour  toi 

digne-de-reconnaissance , 

que  j'ai  caché  toi? 

—  Je  ne  nie  pas  tout-à-fait  'du  tout) 
que  j'ai  et  que  je  rends 

de  très-grandes  actions-de-grâces 

à  ta  langue , 

mais  je  souhaite 

que  tu  sois  privé  de  tes  yeux  perfides.  » 


FABULA  XtX. 

TEREAXEOLA  ET  VTJLPES. 


FABLE  XIX. 

LA    TERRAKÉOLE   ET  LE    KEXARD. 


Que  créance  ne  doii  pas  être  donnée 
aux  méchants. 


Fidera  non  adhibendam  esse 
pravis. 

Avis  quam  rustici  L'oiseau  que  les  paysans 

dieunt  terraneolam  ,  appellent  terranéole, 

scilicet  quia  sans  doute  parce-que 

componit  nidum  in  terra,  il  bâtit  (fait)  son  nid  à  terre , 


222  FAB.    NOV^   PHvEDRO  ATTRIBUTjE. 

Forte  occucurrit*  improbae  Vulpeculœ; 

Qua  visa,  pennis  altius  se  sustulit. 

«  Salve,  inquit  illa  :  cur  me  fugisti ,  obsecro,  5 

Quasi  non  abunde  sit  mihi  in  prato  cibus, 

Grilli,  scarabaei ,  locustarum  copia? 

Quid  est  quod  metuas,  rogo?  te  multum  diligo. 

Et  propter  sanctos  mores,  et  vitam  probam.  « 

Respondit  contra  :  «  Tu  quidem  bene  praedicas  ;  \  0 

Non  tamen  âges  ut  propior  tibi  sim  subdito  : 

Ouin  sequeris*,  et  cœnam  tibi  committo  meara.  » 


entre  les  pattes  avides  d'uu  renard.  A  sa  vue ,  elle  aussitôt  de  bat- 
tre de  i'aiîe  et  de  s'élever  dans  les  airs,  et  le  fourbe  de  s'écrier  : 
«  Eh  ,  bonjour  !  Pourquoi  me  fuir  ainsi ,  je  te  prie ,  comme  si  je 
n'avais  pas  dans  ces  prairies  de  quoi  t'ofiFrir  en  abondance  des 
grillons,  des  scarabées,  des  sauterelles?  Que  crains-tu?  je  te  le 
demande;  je  t'aime  de  toute  mon  âme  ,  tant  à  cause  de  tes  mœurs 
si  pures  que  de  ta  probité. —  Oh  !  oh  !  tu  prêches  à  merveille,  répon- 
dit l'oiseau  ,  mais  tu  ne  saurais  me  persuader  de  descendre  jusqu'à 
toi.  Viens  plutôt  près  de  moi ,  et  je  te  confie  le  soin  de  mon  souper.  » 


FABLES   NOUV.    ATTRIBUÉES   A   PHÈDRE. 


223 


occucurrit  forte 

vulpeculas  improbse  ; 

qua  visa , 

sustulit  se  altius  pennis. 

€  Salve ,  inquit  illa  : 

obsecro  ,  cur  fugisti  me , 

quasi  cibus 

non  sit  abunde 

mihi  in  prato, 

grilli,  scarabsei, 

copia  locustrfrum  ? 

Rogo,  quid  est 

quod  metuas  ? 

diligo  te  multum , 

et  propter  mores  sanctos, 

et  vitam  probam.  » 

Respondit  contra  : 

«  Tu  quidem 

prœdicas  bene  ; 

non  tamen  âges 

ut  sim  propior 

tibi  subdito  : 

quin  sequeris, 

et  committo  tibi 

saeam  cœnam.  » 


vint-à-rencontre  par  hasard 

à  un  renard  méchant  ; 

celui-ci  étant  aperçu , 

l'oiseau  éleva  soi  plus-haut  par  se5  ailes. 

«  Salut ,  dit  celui-là  . 

je  t'en  prie,  pourquoi  as-tu  fui  moi, 

comme-si  la  nourriture 

n'était  pas  abondamment , 

à  moi  dans  ce  pré , 

des  grillons ,  des  escarbots, 

une  multitude  de  sauterelles  ? 

Je  te  le  demande,  qu'y  a-t-il 

que  tu  craignes? 

j'aime  toi  beaucoup , 

et  à  cause  de  tes  mœurs  saintes  (pures), 

et  de  ta  vie  probe.  » 

L'oiseau  répondit  de-son-côté  : 

«  Toi ,  il-est-vrai , 

tu  prêches  bien  ; 

cependant  tu  ne  feras  pas 

que  je  sois  (que  je  vienne)  plus  proche 

de  toi  placé-au-dessous  de  moi  : 

que-ne  me  suis- tu, 

et  je  confie  à  toi 

le  soin  de  mon  souper.  » 


NOTES. 


Page  2:1.  A^sopus.  Esope,  esclave  de  Phrygie,  fut  appelé  à 
Sardes  à  la  cour  du  roi  Crésus.  Envoyé  par  lui  à  Delphes  pour 
consulter  i'oracle  d'Apollon ,  il  fut  accusé  faussement  de  sacrilège, 
condamné,  et  précipité  du  haut  d'un  rocher,  vers  l'an  560  avant  J.  C. 
On  peut  lire  en  tête  de  la  plupart  des  éditions  des  fables  de  La  Fon- 
taine une  Vie  d'Esope  pleine  de  détails  tellement  merveilleux  ou 
bizarres  dans  leur  naïveté,  qu'un  homme  sensé,  loin  d'y  ajouter 
foi,  ne  peut  s'empêcher  de  regarder  cette  composition  comme  un 
produit  des  siècles  d'ignorance.  A  vrai  dire  ,  la  vie  d'Esope  est  in- 
connue. Il  passe  pour  le  père  de  l'apologue,  et  sa  réputation  comme 
fabuliste  se  trouve  incontestablement  établie  dans  les  temps  qui 
suivirent  le  siècle  où  il  yécut;  mais  quant  aux  fables  qui  portent 
son  nom ,  rien  de  moins  prouvé  que  leur  authenticité. 

—  2.  Versibus  senariit .  en  vers  de  six  pieds.  Phèdre  désigne  ici 
le  grand  vers  tambique.  Ce  vers  s'appelle  aussi  lombiçue  trimètre, 
parce  que  deux  ïambes  réunis  formaient  un  mètre  ou  mesure. 

Page  4:1.  JEquis  legibus.  jEquce  leges ,  lois  égales  pour  tous  les 
citoyens  :  vivere  œquis  legibus,  \i\xQ  sous  le  régime  de  l'égalité. 

—  2.  Tyrannus.  Les  mots  tyran,  tyrannie,  réveillent  nécessaire- 
ment chez  nous  les  idées  de  cruauté,  d'oppression.  Tyrannus  chez 
les  Latins ,  et  surtout  z'jpy.wo^  chez  les  Grecs ,  désigne  le  plus 
souvent  celui  qui  usurpe  le  pouvoir  absolu  dans  une  république, 
quel  que  soit  son  caractère  personnel,  et  abstraction  faite  de  la  dou- 
ceur ou  de  la  sévérité  de  son  gouvernement.  Souvent  aussi  ce  mot 
reut  dire,  sans  aucune  idée  de  blâme,  rot,  chef  ou  prince,  maître, 
dominateur.  Enfin,  mais  rarement,  surtout  en  grec,  Q  répond  à  l'idée 
de  notre  mot  tyran,  despote.  C'est  dans  le  premier  sens  ,  celui  d'usur- 
pateur, que  Phèdre  emploie  ici  tyrannus. 

—  3.  Pisistratus.  Athènes  fut  gouvernée  d'abord  par  des  rois, 
puis,  sous  une  forme  républicaine,  par  des  magistrats  nommés 
Archontes.  En  l'absence  de  Solon,  qui  avait  donné  des  lois  aux 
Athéniens,  l'Etat  se  partagea  en  différentes  factions.  Pisistrate,  à 
la  faveur  de  ces  dissensions,  s'empara  par  adresse  du  pouvoir, 
qu'il  conserva  trente-trois  ans.  Il  mourut  l'an  527  avant  J.  C. 

Page  10  :  1.  Tua  lalanntas  pour  tu  calamitosus  ,  comme  fable  iv, 
V.  5,  aviditas  pour  canes  avidi,  et  fable  xill ,  v.  12,  corvi  stupor 
pour  corvus  ttupidus.  Cet  emploi  du  substantif  abstrait  au  lieu  de 
ladjectif  est  familier  à  Phèdre.  Nous  en  voyons  un  bel  exemple 


NOTES.  225 

fable  VIII,  V.  8 ,  où  l' auteur  représente  la  grue  plongeant  son  long 
cou  dans  la  gueule  du  loup  :  gulœ  credens  coîli  longitudinem.  L'au- 
teur eût  pu,  se  servant  du  langage  ordinaire ,  dire  collum  longum: 
mais,  outre  que  l'emploi  du  substantif  est  plus  poétique,  plus 
hardi,  qui  ne  voit  que  ce  long  mot  longitudinem  fait  image,  et  nous 
représente,  par  son  harmonie  même,  le  déploiement  de  cet  énorme  cou? 

Pp.ge  14  :  1.  Personam,  un  masque.  Les  acteurs,  dans  l'antiquité, 
paraissaient  sur  la  scène  avec  un  masque  dont  la  figure  était  appro- 
priée au  sexe,  à  l'âge,  aux  passions  du  personnage  qu'ils  avaient 
à  représenter.  Si  ce  personnage  devait  se  montrer  tantôt  joyeux , 
tantôt  triste  ou  colère,  le  masque,  sur  ses  deux  profils  diversement 
peints,  présentait  au  spectateur  l'expression  de  ces  difierentes  pas- 
sions. On  compiend  tout  de  suite  combien  était  pauvre  ce  moyen 
dramatique,  qui  privait  l'acteur  du  plus  puissant  moyen  d'émouvoir, 
l'expression  naturelle  de  la  physionomie  et  la  mobilité  des  traits. 
L'invention  du  masque  de  théâtre  eut  sans  doute  pour  cause  l'im- 
mense étendue  des  théâtres  antiques,  et  la  nécessité  de  se  faire  en- 
tendre de  la  foule  innombrable  qui  s'y  réunissait.  Or,  le  masque 
était  pourvu  d'une  bouche  en  entonnoir  qui  faisait  l'effet  de  notre 
porte-voix;  il  rendait  plus  forte  la  voix  de  l'acteur  ,  comme  le  co- 
thurne ajoutait  à  sa  taille. 

Page  24  i  1.  Eic,  pronom,  lui,  se  rapportant  au  cordonnier,  et  non 
pas  hiCf  adverbe,  /à,  dans  ce  heu,  comme  l'ont  voulu  quelques  édi- 
teurs. 

—  2.  Medicwn,  syncope  pour  rnedjcorum.  Se  factum  nobilem  non 
ulla  prudent  iaartismedicum.  Autrefois  on  lisait  medîc«m,  accusatif  sin- 
gulier, et  l'on  construisait  :  Se  factum  medicum  nobilem  non  ulla  pTuden- 
lia  artis.  Le  sens,  en  définitive,  différait  peu,  mais  la  construction 
présentait  quelque  embarras  ;  le  lecteur,  au  reste  ,  peut  choisir. 

Page  28  :  1.  Malepci,  syncope  pour  maleficii. 

Page  38  :  1.  Crocodilus ,  le  crocodile,  animal  amphibie  de 
l'espèce  des  lézards.  On  le  trouve  sur  les  bords  du  Nil  et  de  quel- 
ques autres  grandes  rivières,  le  Gange,  l'Orénoque,  par  exemple. 
Les  Américains  lui  donnent  le  nom  de  caïman  La  nature  amphibie 
de  cet  animal ,  sa  taille  énorme,  qui  dépasse  quelquefois  la  longueur 
de  vingt  pieds,  sa  large  gueule  armée  de  dents,  et  la  vitesse  de  su 
course  'mais  en  droite  ligne  seulement',  en  font  un  ennemi  redou- 
table aux  habitants  des  contrées  où  il  fait  son  séjour. 

Page  42  :  1.  Mânes  deos,  les  Mânes,  divinités  infernales,  auxquelles 
étaient  consacrés  les  tombeaux  et  les  trésors  qu'ils  pouvaient  ren- 
fermer. 

Page  48  :  1 .  Narrandi  locus  ne  veut  pas  dire  ici  lieu  ou  occasion 
■ie  raconter,  mais  la  matière,  le  sujet  même  delà  narration.  Ainsi 
les  Latins  appelaient  loci  communes,  «  lieux  communs ,  »  certaine» 
sortes  d'arguments  propres  à  toute  sorte  de  causes. 

Fables  de  Phèdre.  •.  t 


226  NOTES. 

Page  56  :  1.  Bilinguis,  mot  à  mot ,  à  âeux  langues,  qui  tient  tantôl 
un  langage,  tantôt  un  autre,  selon  les  circonstances  et  son  intérêt. 
Virgile  appelle  les  Tyriens  Tyrii  bilingues,  «  les  Tyrieus  sans  foi.  » 
Nous  disons  en  français  non  pas  un  homme  à  deux  langues  ,  mais  ur. 
homme  à  deux  faces. 

—  2.  Atriensem.  Atriensis  (servus) ,  esclave  chargé  du  soin  de 
Vatrium,  pièce  principale  de  l'habitation  chez  les  Romains ,  espèce 
de  salle  de  réception  où  étaient  exposées ,  avec  les  meubles  les  plu.? 
précieux,  les  images  des  ancêtres  du  chef  de  la  famille. 

—  3.  Cœsar  Tiberius.  Tibère,  second  empereur  romain,  adopti 
par  Auguste.  Ce  prince,  célèbre  par  sa  cruauté,  ses  vices  et  sa  dis- 
Bimulation,  était  ce  qu'on  appelle  un  homme  de  beaucoup  d'esprit. 
Il  aimait  à  plaisanter.  Le  mot  que  rapporte  de  lui  Phèdre  dans  cette 
fable  est  d'un  assez  bon  goût.  L'histoire  nous  en  a  conservé  d'autres 
d'un  caractère  atroce.  Par  exemple,  un  jour  qu'il  visitait  une  prison, 
un  malheureux  nommé  Carvilius,  ennuyé  d'une  captivité  rigou- 
reuse ,  lui  demanda  :  «  Quand  donc  ordonnerez-vous  mon  supplice  r 
—  Nous  ne  sommes  pas  encore  réconciliés,  »  répondit  Tibère. 

Page  58:1.  Lucuîli.  Lucullus,  général  romain,  remporta  sur  Mi- 
thridate  plusieurs  victoires.  Ses  richesses  étaient  immenses ,  et  son 
luxe  prodigieux. 

—  2.  Prospectât  Siculum  et  despicit  Tuscum  mare.  Du  promontoire 
de  Iklisène  on  voit  en  effet  dans  le  lointain  (  pro )  la  mer  de  Sicile , 
et  au  pied  de  la  montagne  (de)  la  mer  de  Toscane. 

—  3.  Alticinctis.  Alticinctus ,  dont  la  ceinture  est  attachée  très- 
haut,  et  par  conséquent  dont  la  toge  est  retroussée  fort  haut 
aussi ,  comme  il  convient  à  des  gens  qui  travaillent,  et  dont  les  mou- 
vements ne  doivent  pas  être  gênés. 

■^-  4.  Pelusio,  de  Péluse.  Péluse,  aujourd'hui  Damiette,  ville 
d'Egypte ,  à  l'une  des  embouchures  du  Nil. 

—  5.  Alapœ.  les  soufflets.  Lorsqu'à  Rome  un  maître  voulait  affran- 
chir un  esclave,  il  le  conduisait  devant  le  préteur,  et  là  il  lui  donnait 
un  léger  soufflet,  symbole  de  son  affranchissement. 

Page  70  :  1.  Eutychum,  Eutyqiie ,  ami  de  Phèdre.  Son  nom  in- 
dique une  origine  grecque.  On  a  avancé,  mais  sans  preuves,  qu'il 
était  affranchi  d'Auguste. 

Page72: 1.  Pieric  jugo.  Le  mont  Piérus,  sur  les  frontières  de  la  Ma- 
cédoine. 

—  2.  Sinon,  Sinon,  Grec  perfide,  qui,  par  ses  artifices,  engagea 
les  Troyens  à  introduire  dans  leur  ville  le  fameux  cheval  de  bois  ,  et 
causa  ainsi  la  ruine  de  cette  ville.  —  Quodcumque  fuerit.  Ces  deux 
mots  ,se  trouvent  en  effet  dans  le  discours  de  Sinon  au  ii'  livre 
de  l'Enéide.  Le  texte  de  Phèdre  a  servi  à  rectifier  celui  de  Virgile, 
qui  présentait  dans  les  anciennes  éditions  fuerint  quœcumque. 


.NOTES.  227 

Vage  74  :  1.  Sejano-Séjan,  clievalier  romain,  favori  de  Tibère , 
qui  lui  laissait  exercer  la  suprême  puissance  en  son  nom.  Après  avoir 
gouverné  l'empire  avec  une  autorité  absolue  ,  et  sacrifié  à  sa  haine 
Jusqu'aux  membres  de  la  famille  impériale ,  il  périt  lui-même  ,  vic- 
time des  soupçons  de  l'artificieux  Tibère  II  paraît  que  notre  auteur 
fut  en  butte  à  ses  persécutions. 

—  2.  Anacharsi  Scylhce.  AnacLarsis ,  philosophe  scythe,  vivait  au 
siècle  d'Esope;  il  vint  à  Athènes  du  temps  de  Solon.  Quelques-uns  le 
comprennent  dans  la  liste  des  sept  sages. 

Page76:l.imo...  Orp/ieo.  Lin  us  et  Orphée,  tous  deux  fils  d'Apollon, 
nés  en  Thrace ,  célèbres  poètes  et  musiciens.  Les  prodiges  d'harmonie 
qu'ils  accomplirent ,  le  dernier  surtout,  dépassent  toute  croyance. 

—  2.  Hebrique.  Hebrus,  l'Hèbre,  fl.euve  de  Thrace,  aujourd'hui  la 
Maritza. 

—  .3.    Amphoram.  L'amphore,  mesure  de  capacité  pour  les  li 
qui  des  chez  les  Romains ,  équivalant  à  dix-neuf  litres  quarante- quatre 
centilitres- 
Page  78:  1.  Perj/urœ.Nous  construisons  miseriti  periturœ ;  d'autres 

missent  mi"seri7j  sans  régime  exprimé,  et  font  dépendre  perifurcp  (alors 
au  datif),  de  misère  qui  est  au  vers  suivant. 

Page  90  :  1.  Fides.  Beaucoup  de  traducteurs  prennent  ce  mot 
dans  son  sens  ordinaire  de  fidélité.  M.  Quicherat,  l'opposant  à  no- 
men,  le  traduit  avec  raison  par  réalité;  il  cite  ce  passage  d'Ovide  : 
Vola  fides   sequitur. 

—  2.  Socrates.  Socrate,  célèbre  philosophe  athém'en  ,  ne  469  ans 
avant  J.  G. ,  dirigea  ses  études  principalement  vers  la  morale.  Injus- 
tement accusé  d'impiété,  il  fut  condamné  à  boire  la  ciguë.  Après  sa 
mort,  les  Athéniens  lui  élevèrent  une  statue.  Il  eut  un  grand  nombre 
de  disciples ,  dont  les  plus  célèbres  sont  Platon  et  Xénophon. 

—  3.  Hippolylus.  Hippolyte,  fils  de  Thésée,  roi  d'Athènes, 
aimé  par  Phèdre  ,  sa  belle-mère  ,  dédaigna  son  amour.  Celle-ci  l'ac- 
cusa auprès  de  son  père  de  lui  avoir  exprimé  l'amour  incestueux 
qu'elle-même  ressentait  pour  lui  Le  père  invoqua  la  vengeance  de 
Neptune.  Celui-ci  envoya  un  monstre  marin  qui  épouvanta  les  che- 
vraux  attelés  au  char  d'Hippolyte ,  et  le  fit  traîner  en  lambeaux  à 
travers  les  rochers  qui  bordaient  le  rivage. 

—  4.  Cassandrœ.  Cassandre,  fille  de  Priam,  roi  de  Troie,  et  d'Hé- 
cube,  fut  aimée  d'Apollon,  qui  lui  accorda  le  don  de  prophétie,  mais 
à  condition  qu'elle  ne  rencontrerait  que  l'incrédulité.  De  là  la  ruine 
de  sa  patrie,  prévue  par  elle  et  non  crue  par  ses  concitoyens. 

Page  92  : 1.  Togam  puram,  une  toge  unie.  C'est  la  toge  virile,  que  les 
jeunes  Romains  prenaient  à  dix-sept  ans,  quittant  alors  la  robe  pré 
texte,  c'est-à-dire  bordée  de  pourpre,  que  portaient  I33  adolescente 
depuis  l'âge  de  treize  ans. 


228  NOTES. 

—  2.  Concursant  famîlia.  Familia,  nom  collectif,  s'allie  très  bien  avov 
un  verbe  au  pluriel.  Ainsi  le  rudiment  nous  présente  comme  égale- 
ment réguliers  turba  mit  ou  turba  ruunt. 

—  3.   Ut  sentit  lonsum.  Les  Romains  portaient  les  cheveux  ras. 
Page  94  : 1.  Reprœsentavit ,  hâta ,  se  fit  subir  d'avance 

—  2.  Centumviros ,  les  centumvirs ,  juges  au  nombre  de  cent 
chargés  de  prononcer  sur  les  causes  capitales. 

—  Z.  Ut  adjuvaret  jurisjurandi  fidem ,  qu'il  les  aidât  à  accomplir  le 
serment  (qu'ils  avaient  fait  de  rendre  bonne  et  stricte  justice). 

Page  96  :  1.  Ambitio....  dissidens  La  partialité....  variable....  en 
désaccord  avec  elle-même. 

Page  98  ;  1.  Legem.  Leœ,  convention. 

Page  100  :  1.  Retensum.  Souvent  la  particule  re,  en  composition, 
donne  une  signification  négative  au  mot  auquel  elle  s'unit. 

—  2'Expedi,  débrouille,  explique. 

Page  104  :  1.  Nécessitas ,  la  loi  de  nature.  Deux  vers  plus  bas  le 
mot  legibus  a  le  même  sens. 

Page  110  ;  1.  Familia,  troupe  d'esclaves.  Esope  composait  à  lui 
tout  seul  le  domestique  de  son  maître. 

Page  114  :  1.  Quum  jam  desierit  esse  heneficio  utilis.  Nous  donnons 
pour  sujet  à  cette  proposition ,  non  pas  ,  avec  quelques  inter- 
prètes ,  bonitas  tua  du  vers  précédent ,  mais  le  senio  debilem ,  le 
malheureux  vieillard ,  du  vers  d'auparavant.  S'il  y  avait  sim 
plement  quum  jam  desierit  esse  utilis ,  nous  ne  verrions  aucun  in 
convénient  à  l'explication  que  nous  combattons;  mais  l'expression 
bonitas  utilis  bénéficia  nous  présente  quelque  chose  de  si  gauche ,  de 
si  peu  latin  ,  que  nous  la  repoussons  absolument.  Mais  comment 
expliquerons-nous  cet  utilis  beneficio  appliqué  au  malheureux  qui  sol- 
licite le  bienfait?  De  deux  manières  ;  1°  Si  l'on  veut  que  beneficio 
soit  au  datif,  utilis  signifiera  à  peu  près  idoneus,  apttis,  accommo- 
datus,  et  le  sens  sera  :  C'est  en  vain  que  votre  bonté  voudra  secourir 
un  pauvre  vieillard,  quand  il  aura  cessé  d'être  propre-à-recevoir  vos 
bienfaits  ,  utilis  {idoneus)  benep,cio  [accipiendo).  2°  Mais  nous  serions 
tentés  de  prendre  utilis  activement,  comme  le  veut  un  commenta- 
teur de  la  collection  Lemaire;  il  signifierait  alors  pouvant -jouir,  et 
gouvernerait  l'ablatif,  comme  le  verbe  d'où  il  dérive;  c'est  à  ce  ca: 
qu'il  régirait  beneficio.  On  trouve  dans  Plante  l'expression  bien  plus 
forte  utditas  oculis  pour  facultas  utendi  oculis.  Il  est  infiniment  pro- 
bable qu'ufi7t5  a  eu  dans  la  langue  ancienne  cet  emploi ,  que  l'on 
aura  abandonné  pour  éviter  la  confusion  qui  pouvait  en  résulter, 
dans  certains  cas,  à  cause  de  la  similitude  des  ablatifs  et  des  datifs. 
Phèdre,  en  sa  qualité  d'étranger,  aura  fait  aux  vieux  comiques  l'em- 
prunt de  cette  forme  surannée. —  Quant  à  l'emploi  avec  un  sens  actif 
d'adjectifs  en  ilis  dérivés  de  verbes ,  qui  n'a  lu  dans  Virgile  :  Pene- 
irabile  telum,  penetrabile  frigus^  etc.  ? 


NOTES.  229 

—  2.  Tuœ  sunt  partes.  Il  s'agit  du  rôle  de  juge,  qu'Eutvque  rem- 
plissait ,  à  ce  qu'il  paraît ,  dans  un  procès  où  Phèdre  était  intéressé  • 

Page  116  : 1.  Piaculum.  crime  abominable,  action  qui  ne  peut  s'ex- 
pier qu'au  prix  des  plus  grands  supplices.  —  Saniias,  bon  sens. 
Page  122  :  1.  Frons  prima,  premier  aspect,  apparence  extérieure 

—  2.  Retorridus,  ratatiné,  ridé,  vieux  et  madré. 

Page  124  :  1.  Sonipes  (de  pes  et  sonus  ou  plutôt  sono,  as,  etc.), 
l'animal  aux  pieds  sonnants;  ainsi  Phèdre  appelle  l'agneau  Laniger , 
le  porte-laine.  La  Fontaine  est  plus  riche  et  plus  original  encore  dans 
les  dénominations  dont  il  afiFuble  les  personnages  qu'il  met  en  scène 

Page  128  :  1.  Centena  sestertia.  Cent  grands  sesterces  ou  cent  mille 
petits,  environ  vingt  mille  francs.  Phèdre,  en  parlant ^de  sesterces 
dans  une  affaire  toute  grecque,  et  surtout  au  temps  d'Esope,  pèche 
ici  contre  la  vérité  historique  et  locale. 

—  2.  Fidem ,  la  bonne  foi ,  abstraction  faite  du  droit  positif. 

—  3.  Cadis.  Le  cadus ,  double  de  l'amphore,  contenait  trente  huit 
litres  quatre-vingt-huit  centilitres. 

Page  132  :  1.  Cornua.  On  traduit  ordinairement  cornu  par  aigrette  ; 
dans  le  principe  c'étaient  de  véritables  cornes  d'animaux  que  les 
guerriers  demi-sauvages  portaient  à  leur  tête.  On  voit  encore  ,  chez 
Plutarque ,  Pyrrhus  portant  à  son  casque  des  cornes  de  bouc.  Tite 
Live  représente  Philippe  coiffé  d'un  casque  surmonté  de  deux  cornes. 
L'aigrette  ou  panache  appartient  évidemment  à  une  époque  posté- 
rieure, et  n'est  qu'une  imitation  de  l'ornement  naturel  emprunté  aux 
animaux. 

Page  134  :  l.In  cothurnis.  Le  cothurne  était  une  chaussure  élevée,  ;i 
l'usage  des  acteurs  tragiques. 

—  2.  Utinam,  etc.  Phèdre  donne  à  son  stj'le,  dans  ce  morceau,  une 
pompe  inaccoutumée ,  dans  l'intention  de  se  moquer  du  ton  solennel 
des  auteurs  dramatiques  de  son  temps. 

—  3.  Pelii.  Le  mont  Pélion  'en  Thessalie). 

—  4:.  Argus,  constructeur  du  navire  Argo,  sur  lequel  s'embar- 
quèrent Jason  et  les  Argonautes  pour  aller  en  Colchide  ,  à  la  con- 
quête de  la  toison  d'or. 

—  5.  ^eiœ  domus.  Ééta  ou  Éétès,  roi  de  Colchide.  Outre  la  perte  de 
la  toison  d'or,  enlevée  par  les  Argonautes,  il  eut  à  déplorer  la  perte 
de  Médée  sa  fille ,  qui  suivit  Jason ,  et  la  mort  de  son  fils  Absyrte , 
assassiné  par  cette  dernière. 

—  6.  Régna  Peliœ.  Pélias ,  roi  de  Thessalie.  Ses  filles,  voulant  le 
rajeunir,  s'adressèrent  à  Médée,  qui  leur  conseilla  de  le  plonger  dans 
une  chaudière  bouillante,  où  il  trouva  la  mort. 

—  1.  Per  artus  fratris.  Médée,  fille  d'Éétès,  prit  la  fuite  avec  Jason 
qu'elle  avait  rendu  maître  de  la  toison  d'or.  Poursxuvis  par  son  p'^re, 


230  NOTES. 

elle  égorgea  son  frère  Absyrte,  et  sema  ses  membres  sur  la  route 
qu'il  parcourait  en  la  poursuivant. 

—  8.  Minos.  Minos,  roi  de  Crète,  triompha  des  Carîens  et  autres 
pirates,  vers  1400  avant  J  C,  120  ans  avant  l'expédition  des  Argo- 
nautes, 160  ans  avant  la  guerre  de  Troie.  Les  Athéniens  ayant  mis  à 
mort  son  fils  Androgée,  il  les  vainquît  et  leur  imposa  le  tribut  annuel 
de  sept  jeunes  gens,  destinés  àêtre  dévorés  pa:  le  Minotaure,  monstre 
moitié  homme,  moitié  taureau.  Thésée  aflPranchit  les  Athéniens  de  ce 
cruel  tribut,  en  tuant  le  Minotaure. 

—  9.  Lector  Cato ,  lecteur  sévère  comme  un  Caton. 

Page  136  :  1.  Qua  res  cibi,  pour  quœ  res  cihi,  pour  qui  cibus. 
Page  138  :  1.  Feras  duas ,  les  deux  poches  d'un  bissac. 
Page  140  :  1.  Religio ,  la  divinité. 

—  2.  Construisez  :  dies  adscriptus  pœnœ. 
Page  142  :  1.  Pater,  Jupiter,  père  d'Hercule. 

Page  144  :  1.  Sophus  est  pris  ici  en  bonne  part;  il  signifie  sage, 
prudent,  comme  dans  la  fable  xii  du  livre  III,  v.  9. 

Page  146  :  1.  Draco,  dragon,  espèce  de  serpent  fabuleux. 

Page  148  :  1 .  Quadrantes.  Le  quadrans  était  le  quart  de  l'as  romain  ; 
il  valait  environ  deux  de  nos  centimes. 

—  2.  Libitina,  Libitine,  déesse  qui  présidait  aux  funérailles. 

^  Page  150  ;  1.  Si77ionidis,   Simonide,   poëte  lyrique  grec,   né    dans 
l'île  de  Cée,  florissait  vers  520  avant  J.  C. 

—  2.  Asiœ.  Il  s'agit  ici  de  l'Asie  Mineure. 

Page  152  :  1.  Mecum  mea  sunt  cuncta,  «je  porte  avec  moi  tous  me> 
biens.  »  Ce  m.ot  est  généralement  attribué  à  Bias,  l'un  des  sept  sage-, 
qui  vivait  cent  ans  environ  avant  Simonide. 

—  2 .  Clazomenœ ,  arum,  Clazomènes,  ville  d'Ionie,  sur  le  bord  di 
la  mer  Egée,  entre  Chio  et  Smyrne,  célèbre  pour  avoir  donné  nais- 
sance au  philosophe  Anaxagore.  Elle  avait  été  fondée,  dit-on,  en- 
viron 1300  ans  avant  J.  C.  De  là  l'épithète  à'antiqua  que  lui  donne 
notre  auteur. 

—  3.  Tabnlam  suam.  Les  naufragés,  pour  exciter  la  pitié,  por- 
taient suspendu  au  cou  un  tableau  représentant  leur  infortune. 

Page  154  :  1.  Extricas.  Extricare,  débarrasser,  émettre,  produire. 

—  2.  Ubi  immolatur,  unipersonnellement  :  quand  on  immole  des 
victimes. 

Page  156  :  1.  Notas.  Nota,  marque,  espèce,  caractère. 
Page  158:  1.  Dixi  superius.  Allusion  à  l'aventure  de  Simonide, 
rapportée  fable  xvii  de  ce  livre. 

—  2.  Cuidampyctœ,  à  un  certain  athlète;  son  nom  était  Scopas. 
—  Conducere,  prendre  à  tâche  un  ouvrage  quelconque,  s'en  char- 
ger moyennant  un  prix  convenu. 


NOTES.  231 

—  3.  Gemina  Ledœ  sidéra.  Castor  et  Pollux,  fils  jumeaux  de  Ju- 
piter et  de  Léda ,  épouse  de  Tyndare ,  athlètes  célèbres ,  métamor- 
phosés en  astres  formant  la  constellation  des  Gémeaux.  Ils  sont  en- 
core appelés  les  Dioscures. 

Page  162  :  1.  Praœitelen.  Praxiteles ,  Praxitèle,  célèbre  statuaire 
grec,  vivait  360  ans  avant  J.  C.  — Myronem,  Myron,  statuaire  et 
ciseleur  habile,  vivait  440  ans  avant  J.  C. 

—  2.  Fucatœ,  ornées  de  même  d'un  nom  emprunté  (celui  d'Ésope). 

—  3.  Démétrius  de  Phalère  fut  donné  pour  gouverneur  aux 
Athéniens  par  Cassandre,  qui  commandait  en  Macédoine  après  le  rè- 
gne d'Alexandre,  vers  310  avant  J.  C. — Démétrius  fut  appelé  tyran, 
c'est-à-dire  usurpateur  (voy.  liv.  I,  fable  ii,  v.  5)  ;  mais  l'exercice 
de  son  pouvoir  fut  modéré  :  il  aima  les  lettres ,  qu'il  cultivait  lui- 
même,   et  protégea  les  savants. 

Page  164  :  1.  Menander,  ^lénandre,  chef  de  la  nouvelle  comédie, 
composa  cent  huit  pièces  dont  nous  n'avons  que  des  fragments  mal- 
heureusement très-peu  nombreux. 

—  2.  Vestitu  fluens,  ayant  un  vêtement  large  et  tombant,  à  la 
manière  des  efféminés. 

Page  166  :  1.  Penula.  La  pénule  était  une  espèce  de  manteau  de 
voyage,  propre  à  garantir  du  froid  et  de  la  pluie,  mais  assez  em 
barrassant  pour  l'action.  —  Cedo,  espèce  d'impératif ,  signifie  don- 
nez, et  quelquefois  dites. 

Page  168  : 1.  Qui  cas»  peccat.  Il  faut  sous-entendre  illi  avant  ce  qui. 

—  2.  Verrem.  On  immolait  un  verrat  à  Hercule,  en  souvenir  de 
sa  victoire  sur  le  sanglier  d'Érymanthe. 

Page  170  :  1.  Favore.  Favor  a  ici  le  sens  de  pre'vention ,  partialité. 

—  2.  Facturus  ludos.  Facere  ludos,  comme  ludos  edere,  donner  un 
spectacle  au  peuple. 

Page  172  :  1.  Excuti,  sous-entendez  pallium:  on  pourrait  à  la  ri- 
gueur sous-entendre  hominem. 

Page  174  : 1.  /n  commune,  expression  proverbiale,  répondant  à  peu 
près  à  notre  part  à  deux  ! 

—  2.  Carbonem  pro  thesauro,  proverbe  d'origine  grecque,  pour 
désigner  un  objet  de  mince  valeur,  au  lieu  d'vme  chose  précieuse 
que  l'on  attendait. 

—  3.  Quem  spes  delusit,  sous-entendu  illi  :  Hoc  querelœ  convenit  illi 
quem  ,  etc. 

—  4.  Princeps.  Leprince,  nom  propre. 

—  5.  Aura  frivoîa.  La  faveur  mobile  du  vulgaire. 

—  6.  Stulta  levitas,  le  sot  orgueil  de  l'homme  présomptueux, 


232  NOTES. 

et  non  pas  comme  le  veut  M.  Qnicherat,  l'aveugle  légèreté  du  vul« 
gaire. 

Page  17  6  :  1.  Bathyllo.  Bathylle,  d'Alexandrie,  auteur  de  la  pan- 
tomime chez  les  Romains,  particulièrement  chéri  de  Mécène. 

—  2.  Duas  dextras  sous-entendu  tibias.  Tihiam  du  vers  précédent 
veut  dire  tibia,  os  de  la  jambe,  tandis  que  le  tibias  sous-entendu  ici 
veut  dire  des  flûtes  :  Phèdre  les  appelle  droites  ,  parce  qu'au  théâtre 
les  anciens  se  servaient  de  deux  sortes  de  flûtes,  l'une  qu'ils  te- 
naient du  côté  droit  et  l'autre  du  côté  gauche.  Celle  de  droite  ren- 
dait des  sons  graves,  celle  de  gauche  des  sons  plus  aigus.  On  se 
servait  souvent  de  deux  flûtes  droites  dans  la  tragédie,  et  de  deux 
gauches  dans  la  comédie. 

—  3.  More  translatitio.  A  la  manière  imitée  des  Grecs,  à  qui  les 
Romains  avaient  tout  emprunté. 

Page  178  : 1.  Salvo  principe.  Ce  vers  faisait  sans  doute  partie  d'une 
strophe  composée  à  propos  d'une  convalescence  d'Auguste.  Or  Le 
prince,  joueur  de  flûte ,  s'applique ,  par  une  méprise  assez  plaisante, 
l'hommage  adressé  à  l'empereur. 

—  2 .  Pulpitum ,  l'avant- scène. —  Cunei,  trois  vers  plus  bas,  désigne 
les  gradins  où  étaient  assis  les  spectateurs,  et  qui,  dans  une  salle 
en  amphithéâtre,  allaient  s' élargissant  en  forme  de  coinpar  en  haut. 

Page  182  :  1.  Philete.  Philète,  personnage  inconnu,  que  l'on  pré- 
sume avoir  été  un  afl"ranchi  de  Claude. 

Page  184  :  1.  Nam  qui nunc  quid  vis  rogem?  La  construction 

doit  être  :  Nam  quid  vis  rogem  tibi  qui,  etc. 

Page  186  :  1.  Sic,  c'est-à-dire  eo  consilio,  dans  ces  dispositions. 

—  2.  Scarabœum ,  un  escarbot ,  insecte  qui  naît  dans  la  fange , 
et  dont  les  renards  sont  très-avides. 

Page  188  :  1.  Artus,  les  articulations ,  les  noeuds  du  filet. 

Page  190  : 1.  Nervos,  les  cordes  du  filet,  faites  de  nerfs  ou  boyai 
d'animaux  ,  substances  très-solides. 

—  2.  Ingénia  artuum ,  jolie  expression  qui  peut  se  résoudre  pi 
artus  ingeniose  contextos ,  les  nœuds  tissus  avec  art ,  comme  l'inter- 
prète M.  Quicherat. 

—  3.  Bipenni.  Bipennis  est  une  hache  à  deux  tranchants,  chaci 
d'eux  ayant  la  forme  d'une  aile  d'oiseau,  penna.  —  Petit,  dans  1^ 
même  vers,  est  contracté  de  peliit. 

Page  192  : 1.  Elephantis,  génitif  de  forme  grecque  {hUfaç,  avroç] 
Les  Latins  ont  à  eux  la  forme  elephantus,  i. 

Page  194  :  1.  Positum.  Le  verbe  ponere  est  en  latin  d'un  usage 
cpécial  pour  dire  exécuter  un  ouvrage  d'art,  soit  comme  peintre,  soit 
comme  statuaire.  Il  signifie  établir,  représenter  avec  la  po«e  conve- 


NOTES.  233 

nable.  Horace,  Od.,  lY,  vil ,  7,  parlant  du  peintre  Parrhasius  et  du 
sculpteur  Scopas  ,  dit  : 

Hic  saxo,  liquidis  ille  coloribus 

Solers  nunc  hominem  ponere,  nunc  deum. 

«  Sachant  tous  deux ,  l'un  avec  le  marbre  ,  l'autre  avec  les  cou 
leurs,  représenter  tantôt  un  homme ,  tantôt  un  dieu.  » 

Le  même  Horace,  à  propos  d'un  statuaire  heureux  dans  les  détails, 
mais  malhabile  dans  l'ensemble ,  emploie  le  même  terme  : 

Ponere  totum 

Nesciet. 

«  Il  sera  incapable  à* établir  un  ensemble.  » 

Page  196  ;  1.  Ixion.  Ixion,  roi  de  Thessalie,  voulut  faire  violence  à 
Junon.  Il  est ,  aux  enfers,  attaché  à  ime  roue  qui  tourne  sans  ce^se. 

—  2.  Sisyphus.  Sisyphe,  roi  de  Corinthe ,  brigand  fameux,  con- 
damné à  rouler,  au  haut  d'une  montagne,  une  roche  énorme  qui 
retombait  sans  cesse. 

Page  198:1.  Jan/a/us.  Tantale,  roi  de  Phrygie,  servit  aux  dieux  les 
membres  de  son  propre  fils  Pélops.  Précipité  aux  enfers,  il  est  au 
milieu  d'un  lac  dont  l'eau  fuit  sans  cesse  ses  lèvres  altérées.  Sur  sa 
tête,  un  arbre  chargé  de  fruits  relève  continuellement  ses  branches 
et  lui  fait  éprouver  les  tourments  d'une  faim  perpétuelle. 

—  2.  Scelestas  aquas.  Le  poëte  a  donné  aux  eaux  que  portent  les 
Danaïdes  l'épithète  de  scélérates,  applicable  aux  Danaïdes  elles- 
mêmes.  Ainsi  l'on  dit,  en  poésie,  gémissant  sur  sa  couche  solitaire, 
pour  gémissant  solitaire  sur  sa  couche.  Les  Danaïdes  étaient  cin- 
quante sœurs  qui ,  la  nuit  même  de  leurs  noces  ,  avaient ,  à  l'insti- 
gation de  leur  père,  égorgé  leurs  époux.  Une  seule  d'entre  elles  , 
nommée  Hypermnestre ,  épargna  le  sien. 

—  3.  Tityos,  forme  grecque.  Titj-us  avait  voulu  attenter  à  la  pu- 
deur deLatone.  D'une  taille  gigantesque,  il  était  étendu  aux  enfers 
sur  neuf  arpents  de  terrain  qu'il  couvrait  de  son  corps,  et  où  un  vau- 
tour lui  rongeait  le  foie,  qui  renaissait  sans  cesse  pour  suffire  à  de  nou- 
veaux tourments.  Virgile  Enéide,  VI,  595)  décrit  son  supplice  à  peu  prés 
comme  notre  auteur,  mais  avec  une  bien  plus  effrayante  énergie  ; 

Nec  non  et  Tityon,  Terrœ  omniparentis  alumnum  , 
Cernere  erat,  per  tota  novem  oui  jugera  corpus 
Porrigitur;  rostroque  immanis  vultur  obunco 
Immortale  jecur  tondens ,  fecundaque  pœnis 
Viscera,  rimaturque  epulis,  habitatque  sub  alto 
Pectore;  me  fibris  requies  datur  ulla  renatis. 


234  NOTES. 

Page  200  :  1.  Furens  veut  dire  ici  enthousiaste ,  inspirée.  Le  même 
mot,  au  vers  suivant,  veut  dire  folle ,  qui  ne  sait  ce  qu'elle  dit,  ou 
plutôt ,  qui  perd  ses  paroles  en  donnant  des  conseils  à  des  gens  qui 
i:e  l'écoutent  pas. 

Page 202:  1.  Confectus,  assommé,  assassiné. 

—  2.  Hoc,  c'est-à-dire  iaudari. 

Page  204  :  1.  Comprimis  clementia,  dompter  par  la  douceur,  adoucir 
par  l'exemple. 

—  2.  Atrocitali,  etc.  Ce  vers  sentence  est  assez  froid  dans  la  bouche 
d'Esope.  Il  nous  a  semblé  plus  naturel  rie  le  donner  à  part  comme 
morale  de  la  fable.  Tel  paraît  avoir  été  l'avis  de  M.  Quicherat  dans 
ses  notes. 

—  3.  Superasse  qui sous-entendez  eum  ou  adversarium. 

Page  206  :  1.  Maie  cessit,  uuipersonnellement  :  cela  a  mal  réussi, 

c'est-à-dire  :  cela  tombe  mal,  plutôt  que  :  maie  cessit  {hœc  bella  res), 
cette  belle  trouvaille  est  échue  mal,  c'est-à-dire  à  un  maître  qui  ne  lui 
convenait  pas. 

—  2.  Ingénia,  etc.  Cette  comparaison  du  génie  étoufiFé  par  la 
misère  avec  une  lyre ,  un  instrument  matériel ,  tombé  aux  pattes 
d'un  lourdaud  ,  n'a  rien  de  bien  gracieux  ni  de  bien  touchant.  Cette 
idée  est  rendue  d'une  manière  bien  plus  intéressante  dans  le  Cimetière 
de  campagne  de  Grey,  magnifiquement  traduit  par  M.  J.  Chénier. 

Page  208  :  1.  Fecit  partes  facinoris,  se  partagèrent  leur  maître, 
scélératement  égorgé. 

—  2.  Fata  sua,  son  malheur,  c'est-à-dire  la  perte  de  ses  petits, 
que  le  loup  aurait  dévorés.  —  Pari  dolore ,  une  douleur  égaie  à  la 
douleur  matérielle  que  lui  causait  son  accouchement  prochain. 

Page  210  :  l.  Supersunt ,  sont  en  abondance,  et  mêmedetrop,  satis 
superque. 

—  2.  Ad  villam.  Le  service  à  la  campagne  était  très-dur  pour  les 
esclaves;  on  les  y  envoyait  souvent  par  punition. 

—  3.  Vocatus;  sous-entendez  ad  ccenam. 
Page  212  :  1.  Âhegit ,  détourna ,  vola. 

—  2.  Demitlit  vado,  pour  in  vadum,  in  mare;  comme  dans  Virgile: 
;/  cœlo  clamer,  pour  It  in  cœlum  clamoi. 

Page  214  :  1.  Voce  hospitali,  voix  amie.  —  Ofpcium,  du  vers  sui- 
vant ,  se  traduira  par  politesse.  —  Ingereu^  du  vers  10  ,  veut  dire 
répéter  à  satiété. 

Page  216  : 1.  Res  ipsa,  l'objet  lui-même  ,  ce  qu'en  terme  de  droit 
on  appellerait  le  corps  du  délit. 

—  2.  Insecandam.  Nous  ne  nous  rendons  pas  parfaitement  compte 
«le  ce  mot  insecare.  Le  simple  secare  voulant  dii'O  couper,  le  com- 


NOTES.  235 

posé  doit  signifier  ici  couper  on  tailler  dans,  pour  se  vêtir,  sans 
doute  par  allusion  à  l'âne  revêtu  de  la  peau  du  lion.  Au  reste,  c'est 
'a  première  fois  que  nous  rencontrons  ce  verbe.  M.  Quicherat  ne  le 
donne  pas  dans  son  Thésaurus  poeticus,  postérieur  cependant  à  son 
édition  de  Phèdre  où  il  se  trouve.  Peut-être ,  dans  le  manuscrit  de 
Perotti,  insecandam  sera-t-il,  par  une  faute  d'écriture,  mis  à  la  place 
de  quelque  mot  plus  facile,  comme  induendam ,  etc.  L'édition  de 
Leipsick ,  publiée  par  Weise ,  ne  donne  pas  la  première  moitié  du 
êitre  où  il  est  employé. 

—  3.  Adversam  prenderat.  Le  commentateur  de  la  collection  Le- 
maire  explique  adversam  par  ex  parte  adversa  :  ex  cauda,  non  ex  ca- 
pite.  Cette  interprétation,  adoptée  par  M.  Quicherat,  est  ici  la  véri- 
table, quoique  manifestement  contraire  au  sens  d^adversus,  qui  signifie 
opposé,  face  à  face,  en  regard.  Ainsi  :  adversi  dentés.  ClC,  les  dents 
de  devant;  adcersa  ruinera.  Liv.,  blessures  reçues  par  devant;  ex 
adverso.  Liv. ,  vis-à-vis.  C'est  l'adjectif  aversus  qui  signifie  qui 
tourne  le  dos  ou  la  tête ,  pris  ou  vxi  par  derrière  :  aiersi  tenuere  faces. 
ViRG.,  ils  tiennent  les  torches  à  la  main  en  se  détournant  du  bûcher; 
aversos  hostes  aggredi.  ClC,  charger  l'ennemi  à  dos  ou  en  queue.  Tous 
les  auteurs  emploient  constamment  dans  le  sens  de  ces  exemples  les 
deux  termes  adcersus  et  aversus.  L'emploi  tout  à  fait  insolite  que 
nous  rencontrons  ici  du  premier,  s'il  n'y  a  pas  erreur  de  copiste, 
serait  un  argument  en  faveur  de  ceux  qui  contestent  l'authenticité 
de  cet  Appendice,  ou  bieu  il  pourrait  être  considéré  chez  Phèdre 
comme  une  de  ces  rares  incorrections  qui  auraient  trahi  auprès  des 
Romains  son  origine  étrangère.  Ne  songeant  d'abord  qu'à  la  signifi- 
cation habituelle  d'adcersus,  nous  avions  cru  voir  dans  ce  passage  un 
lézard  surpris  par  un  serpent,  face  à  face  avec  le  reptile,  tenant  à  sa 
gueule  une  branche  en  travers  ,  et  ne  pouvant  être  non-seulement 
dévoré,  mais  pas  même  entamé  par  son  redoutable  ennemi.  Mais  les 
mots  prenderat,  avait  saisi,  et  à  la  fin  demisit  ex  ore,  laissa  échapper  de 
sa  gueule,  s'opposent  à  cette  interprétation.  Il  s'agit  bien  d'un  lé- 
zard qu'un  serpent  a  pris  par  la  queue.  Le  serpent,  qui  presse  de  ses 
lèvres  cette  partie  seulement,  ouvre  la  gueule  pour  avaler  le  lézard 
tout  entier  ;  celui-ci  saisit  en  travers  une  branche  qui  se  trouve  à 
terre,  la  tient  fortement  serrée  entre  ses  dents,  et  empêche  ainsi  le 
serpent  de  l'engloutir  complètement.  —  Le  mot  devorare  veut  dire  ici 
avaler,  engloutir,  et  non  pas  mordre ,  déchirer'  ainsi,  chez  notre  au- 
teur, livre  I,  fable  VIII,  os  detora^um  signifie,  non  pas  un  os  rongé,  mais 
an  os  avalé  gloutonnement  par  le  loup  ,  et  enfoncé  dans  son  gosier 
Ou  sait  que  les  reptiles  et  les  poissons  avalent  plus  qu'ils  ne  déchi- 
rent les  animaux  qui  leur  servent  de  pâture,  bien  que  Virgile  ait  dit 
du  serpent  :  miseros  morsu  depascitur  artus.  (Enéide  ,  II,  215.) 

Page  218  :  1.  Spes  tuas,  vos  espérances,  votre  avenir.  Virgile  : 
Per  spes surgentis  Tuli.  Tacite  fait  dire  à  Germanicus  :  spes  meœ,  mou 
avenir  comme  prince. 


136  NOTES. 

Page  220  :  1 .  Terraneola ,  la  terranéole ,  espèce  d'alouette. 

Page  222  :  1.  Forte  occucwrit.  On  lisait  :  Occurrit  forte,  etc.  Nous 
avons ,  après  "Weise  ,  adopté  la  conjecture  de  Cassito  ,  préféraiit  une 
forme  de  verbe  inusitée  à  un  vers  faux. 

—  2.  Quin  sequeris,  et  cœnam  tibi  commîtto  meam.  Mais  suis-moi 
dans  les  airs,  et  je  te  confie  mon  repat ,  c'est-à-dire  le  soin  d'y  pour- 
voir f  ce  à  quoi  le  renard  s'était  offert  ).  —  Ce  sens,  fort  ingénieux  , 
est  dû  à  M.  Quicherat,  qui  l'a  obtenu  en  forçant  un  peu  le  sens  du 
vers  6  ,  et  en  changeant  quelques  syllabes  du  manuscrit ,  tellement 
mutilé,  tellement  obaour  en  cet  endroit ,  qu'on  en  peut  tirer  telle 
leçon  et  tel  sens  qu'on  Youdra. 


1704]  Typographie  Lahure,  rue  de  Fleurus,  9,  à  Paris. 


BlBilOTHECA 


La  BlbLiothQ.quQ. 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


Tfie  Llb^a/j.i 
Uni  vers ity  of  C 
Date  Due 


15  HÂio^i^ 


I 


PA    bSbl    -Ab    15)75 


539003    003996^92b