Full text of "Fables"
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University of Toronto
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^^dcP-xD
Bayon î
LES
AUTEURS LATINS
EXPLIQUÉS d'après UNE MÉTHODE NOUVELLE
PAR DEDX TRADUCTIONS FRANÇAISES
^l>BIBt/o
Ces fables ont été expliquées littéralement, traduites en français
et annotées par M. D. Marie, agrégé pour les classes supérieures des
lettres.
Typographie Lahure. ruî de Fie u rus, y, à Paris.
LES
AUTEURS LATINS
EXPLIQUES D APRES UNE METHODE NOUVELLE
PAR DEUX TRÂDDCTIONS FHAKAISES
l'dne littékale et juxtalinéaire présentant le mot a mût français
en regahd des mots latins correspond \nts
L'autre correcte lt précédée du texte latin
avec des sommaires et des notes
PAR UNE SOCIÉTÉ DE PROFESSEURS
ET DE LATINISTES
«t^
*•
PHEDRE
FABLES
^^x^BiBUûr^
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C'«
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1878^
BIBLIOTHECA
f
AVIS
RELATIF A LA TRADTCTION JUXTALINÉAIRE.
On a réuni par des traits les mots français qui traduisent un seul
mot latin.
On a imprimé en italique les mots qu'il était nécessaire d'ajouter
pour rendre intelligible la traduction littérale, et qui n'ont pas
leur équivalent dans le latin.
Enfin, les mots placés entre parenthèses, dans le français, doivent
être considérés comme une seconde explication, plus intelligible
que la version littérale.
Â
YIE DE PHEDRE
La naissance , la vie et la mort de Phèdre sont enveloppées
de ténèbres profondes que nul monument ne vient dissiper.
Pour avoir quelques notions sur son existence, on est réduit à
recueillir dans ses ouvrages des détails qui lui sont échappés
par hasard. Mais quelques traits épars, quelques confidences
incomplètes, quelques allusions obscures ne nous fournissent
sur ce mystère que de faibles éclaircissements.
Phèdre naquit au pied du monLPie.rius.fA. dans cette partie
de la Mâceaoine qui regarde la Grèce. On sait qu'il fut trans-
porté à Rome de bonne heure, mais on ignore quels événe-
ments l'y conduisirent^. Il fut esclaye^d^Auguste^-qui l'at-
franchit, sans doute à cau3ë"He ses heureuses dispositions et
de la supériorité de son intelligence. Ce fut à Rome qu'il puisa
l'instruction *, et que son génie se développa au milieu des
chefs-d'œuvre qui jetèrent tant d'éclat sur ce siècle^. Cepen-
dant il n'appartient pas à cette ère brillante dont il porte l'em-
preinte : Phèdre vécut sous le règne de Tibère. Il fut persécuté
par la haine de Séjan/, Qui le fit condamner sur de fausses
' Nous avons emprunté cette notice, sur Phèdre et ses écrits, à l'excel-
lente édition de M. Quicherat , dont nous avons suivi le texte.
' Prol. Liv. III, vers 17. — ' Une conjecture, qui d'abord semble asse?.
plausible , est adoptée par la plupart des biographes. C. Octavius, père d'Au-
guste, étant préleur de Macédoine, mit en déroute les Besses et les Thraces ;
et l'on pense que Phèdre a pu être un des captifs envoyés à Rome. Ta;
malheur, le P. Desbillons prouve que, dans cette hypothèse , Phèdre aurai
eu soixante-dix ans lorsque, sous Séjan, il écrivait ces vers :
... . Olim senîo debilem
Frustra adjnrare bonitas nitetur tua.
(ÉpU. ni, 16.)
•On lit en tète des M?s. Phœdri , Âug. liherti , etc. — ' Épil. III, 33. —
^in,ix 8 36. - 'Prol. III, 41.
Il VIE DE PnÈDllE.
allégations. On croit trouver le motif de celte vengeance dans
quelques allusions malignes que peuvent présenter certaines
fables des premiers livres'. Il fut encore en butte à d'autres
inimitiés* ; on Tentend se plaindre amèrement des attaques de
ses ennemis, qu'il n'ose nommer, et implorer contre eux le
secours d'Eutychus, son protecteur, qui probablement rem^
plissait une fonction judiciaire.
Les richesses ne tentaient point son cœur ' ; et la vue des
proscriptions dont elles étaient la cause contribua encore à
rafifermir dans ce désintéressement *. En écrivant ses ouvra-
ges , il était guidé par un double motif : il avait en vue l'amé-
lioraticn de l'espèce humaine; il espérait être utile en instrui-
sant par d'ingénieuses leçons \ Ensuite il était jaloux de faire
passer son nom à la postérité : la gloire littéraire de la Grèce
enflammait son émulation , et il brûlait du désir d'acquérir de
semblables titres à sa patrie ^, si voisine de cette heureuse
contrée. Ici , il ne se borne pas à un simple vœu : usant du
privilège des poètes,
Usus poetae more est et licentia ;
il prévient plus d'une fois le jugement des siècles futurs, et se
couronne de sa propre main '.
Il parvint à un âge avancé ", et il est probable qu'il mourut
sous le règne de Claude ®. Outre cet Eutychus dont il a été
parlé, il eut pour amis Parliculon'" et Philète", qui parais-
sent avoir été des affranchis de Claude.
Tels sont les renseignements, bien insuffisants sans doute,
que l'on recueille dans les ouvrages de Phèdre lui-même.
Entre autres 1 , vi. On sait que Séjan prétendit à la main de Livie , veuve
de Drusu5. - ' Épil. III , 2» et suiv. — ' Prol. III , 21 ; V, iv, 8. — * V, iv, 6,
11, 12. — ' Prol. I, 3 ; Prol. II, 2, 3 ; II, vu, 5. - * Prol. III, 54 et suivants.
' Prol. III, 32, 60, 61; Épil. IV, 5,6. — * Épil. III, 15 ; V, X. — * Qui monts
£ur le trône 4i ans après J. C. — " Prol. IV, 10 ; Épil., ibid., id. — " V, x, lO
VIE DE PHÈDRE. [!l
Cet oubli de l'histoire a fait contester l'authenticité des écrits
de ce fabuliste. Pour réfuter un tel paradoxe, on cite le vers
suivant de Martial ( Épig. III , xx) :
An aemulatur improbi jocos Phœdri ?
îl est vrai qu'on en peut nier la juste application ; mais com-
ment récuser l'autorité d'Aviénus, fabuliste qui vivait 400 ans
après J. C, lorsque, dans une lettre ad Theodosium (l'empereur
Théodose, ouMacrobe), après avoir parlé d'Ésope et de Ba-
brius, il ajoute : cr Phœdrus eiiam partem aliquam {^sopiarum
fahularum) in quînque libros resolmt.n J'ajoute que, quand
bien même ce témoignage nous manquerait, il ne faudrait pas
hésiter à rendre Phèdre à l'antiquité, qui semble avoir voulu
l'exclure par son silence. Cette injustice de l'histoire n'esi pas
sans exemple : Quinte Curce n'a-t-il pas à lui reprocher un
oubU encore plus complet? et cependant nous vengeons l'his-
torien ; nous trouvons ses titres dans ses écrits. Le style n'est-
il pas un cachet éloquent qui indique à quel siècle un auteur
appartient? Peut -on croire sérieusement que les Fables de
Phèdre soient l'œuvre d'un moderne ? Où un moderne aurait-il
trouvé ce talent d'écrire, qui semble un reflet de l'âge d'or de
la littérature latine , cette propriété d'expression , qui fait que
chaque mot trouve sa justification dans les grands modèles
cette élégance exquise, en même temps que cette richesse in-
épuisable qui décèle l'emploi d'une langue maternelle? Où au-
rait-il trouvé ces peintures si fidèles de la société à cette épo-
que, cette vérité de costume qui se produit par tant de traits?
Je veux qu'on suppose à Phèdre l'impudence de s'être dit du
siècle d'Auguste • ; comment lui supposer le talent de remplir
dignement ce rôle ?
Phèdre était encore inconnu plus d'un siècle après la décou-
verte de l'imprimerie. Le manuscrit qui le fît connaître à l'Eu»
• III, IX. 3
IV VIE DE PHÈDRE. 1
rope, est le manuscrit Pithœus. François Pithoii le laissa par
son testament à son frère Pierre Pithou, qui s'empressa d'en
donner une édition : elle parut en 1596. Ce manuscrit est rem-
pli de fautes; un autre manuscrit, et quelques fragments éga-
lement incorrects, que l'on a trouvés depuis, telles sont les seules
richesses que les éditeurs de Phèdre ont eues à leur disposi-
tion. Aussi leur tâche n'a-t-elle point été facile, et leur dissi-
dence prouve l'insuffisance de leurs matériaux.
En 1808 on trouva dans la bibliothèque de Naples un nou-
veau manuscrit de Perotti ' ; MM. Cassito et Janelli s'empa-
rèrent de cette découverte, et publièrent trente -deux fables
nouvelles, ajoutées depuis à la plupart des éditions. Elles pa-
rurent suspectes à l'illustre Heyne, et M. Adry a écrit une
dissertation oii il justifie ses doutes sur leur authenticité*. Ce-
pendant, comme de l'aveu même de la critique, quelques-unes
ne semblent pas indignes de Phèdre, nous en avons admis un
certain nombre : elles remplaceront avec avantage trois ou
quatre fables que nous avons retranchées de l'ancien recueil ,
et qu'on s'étonnait de voir entre les mains de la jeunesse.
' Nicolas Perotti ou Perotto , archevêque de Siponte, vivait au XVI« siècle ,
il a laissé un recueil de fables empruntées à l'antiquité : les unes sont de
Phèdre , les autres traduites du grec, d'autres enfin mises en vers, quand il
les trouvait en prose. — ' Paris , Égron, 1812, in-i2. Réimprimée dans la
collection de M. Lemaire, Phèd., tomel, page 197 .
FABLES DE PHEDRE
i A2LKS r>E Fhe;
PHiEDRI FABULARUM
LIBER PRIMUS.
PROLOGUS-
^sopus • auctor quam materiam repperit,
Hanc ego polivi versibus senariis*.
Duplex libelli dos est : quod risum movet,
Et quod prudenti vitam consilio monet.
Calumniari si quis autem voluerit
Quod et arbores loquantur, non tantum ferae ,
Fictis jocari nos meminerit fabulis.
FABULA I.
LUPUS ET AGNUS.
Ad rivum eumdem Lupus et Agnus vénérant,
Siti compulsi : superior stabat Lupus,
Longeque inferior Agnus. Tune fauce improba
Latro incitatus, jurgii causam ihtulit :
« Cur, inquit , turbulentam fécisti mihi
PROLOGUE.
J'ai prêté le charme du mètre ïambique aux sujets divers in-
ventés par Esope. Ce petit livre a un double avantage : il excite la
gaieté, et, par de sages conseils , apprend aux hommes à se con-
duire. Si le lecteur malveillant veut me reprocher d'avoir fait
parler nôn-seulemént les animaux , mais même les arbres, je lui
rappellerai que c'est dans des fables que je me suis permis ces jeux.
FABLE L
LE LOUP ET l'agneau.
Un loup et un agneau , pressés par la soif, étaient venus au
môme ruisseau : le loup tenait le haut du courant , l'agneau était
beaucoup plus bas. Cédant à la faim qui le tourmentait, le brigand
lai chercha querelle : « Pourquoi, lui dit-il, viens-tu troublermon
FABLES DE PHÈDRE.
LIVRE PREMIER.
PROLOGUS.
Ego polivi versibus sena-
lianc materiam [riis]
quam ^sopus auctor
repperit.
Dos libelli est duplex :
quod movet risum,
et quod monet vitam
consilio prudenti.
Si quis autem
voluerit calumniari
quod et arbores loquantur,
non tantum ferse,
memincrit nos jocari
fabulis tictis.
FABULA I.
LUPUS ET AGNUS.
Lupus et agnus
compulsi siti
vénérant
ad euradem rivum :
Lupus stabat superior,
et agnus longe inferior.
Tune latro
incitatus fauce improba ,
intulit causam jurgii :
« dur, inquit,
PROLOGUE.
J'ai poli en vers de-six-pieds
cette matière (les sujets)
qu'Esope auteur
a trouvée 'a inventés).
Le mérite de ce petit-livre est double :
en-ce-que il excite le rire ,
et en-ce-que il avertit (dirige) la vie
par un conseil prudent.
Mais si quelqu'un
veut me chicaner
de ce que les arbres même parlent dans ce
et non-seulement les bêtes, [iiuro,]
qu'il se souvienne que nous badinons
dans des récits feints (dans des fables)-
FABLE L
LE LOUP ET L'AG>^EAU.
Un loup et un agneau
poussés par la soif
étaient venus
au même ruisseau :
Le loup se tenait plus-haut
etl'agneaude-loin (de beaucoup) plus-bfi«.
Alors le brigand,
excité par son gosier cruel (avide),
apporta (amena) un sujet de quarelle
* Pourquoi, lui dit-il,
4 PILEDRI FAB. LIBER 1.
Aquam bibenti? » Laniger conlra limeiis :
« Qui possum, quaeso, facere quod quereris, Li;pe?
A te decurrit ad meos haustus liquor. »
Repulsus ille verilatis viribus :
« Anto lîos sex inenses maie, ait, dixisti mihi. « 10
Respondit Agnus : « Equidem natus non eram.
— Pater, hercule! tuus, inquit, maledixit mihi. »
Atque ita correptum lacerat injusta nece.
Hœc propter illos scripta est homines fabula
Qui fictis causis innocentes opprimunt. 4o
FABULA IL
KAN^ REGE3I PETENTES
Athenae quum florerent aequis legibus\
Procax libertas civitatem miscuit,
Frenumque solvit pristinum licentia.
Hinc conspiratis factionum partibus,
Arcem tyrannus* occupât Pisistratus' 5
breuvage? » L'animal porte laine lui répondit tout tremblant :
« Comment puis-je, je vous prie, faire ce dont vous vous plaignez,
seigneur loup ? l'eau descend de vous à moi. » Repoussé par la force
de là vérité, le loup reprit : « Tu médis de moi il y a plus de six
mois. — Mais alors je n'étais pas né , » repartit l'agneau. « Far
Hercule! c'était donc ton père? » Et, sans plus de justice, il le
saisit et le met en pièces.
Cette fable s'adresse à ces hommes qui , sous de faux prétextes.
accablent les innocents.
FABLE II.
LES GEE^OUILLES QUI DEMANDENT UN ROI.
Alors qu'Athènes florissait sous le régime de l'égalité, les excès
d'une liberté sans bornes mirent le désordre dans l'Etat, et la li-
cence rompit ses vieilles entraves. A la faveur des troubles nés de
la division des parti?, Pisistrato usu-pe l'autorité et s'empare de In
PARLES DE PHÈDRE. LIVRi I.
tï
fecisti aquam turbulentam
mihi hibenti? >•
Contra
laniger timens :
« Qui possum, quœso, lups,
facere quod quereris?
Liquor decurrit a te
ad meos haustus. »
nie ■
repulsus viribus veritatis :
« Djxisti maie mihi, ait,
auto bos sex menses. »
Agnas respondit :
« Equidem non natus eram .
— Tuus pater, Hercule î
maledixit mihi, inquit. »
Atque ita
lacérât nece injusta
correptum.
Haec fabula scripta est
propter illos homines
qui opprimunt innocentes
causis fictis.
as-tu fait 'rendu} l'eau trouble
à moi buvant? »
De-son-côté (à son tour)
le porte-laine craignant :
« Comment puis- je, je le prie, ô lo;:-,
faire ce-dont tu te plains?
L'e&u descend de toi
à mes gorgées. »
Celui-là (le loup) ,
repoussé par les forces de la vérité :
« Tu as dit mal (médit) pour moi, dit-il,
avant ces six mois il y a plus de six mois" . »
L'agneau répondit :
« Mais moi-à-la-vérité je n'étais pas né.
— C'est ton père, par Hercule !
gui a médit de moi , dit-il. »
Et ainsi (à ces mots)
il déchire par une mort injuste
Vagneau saisi.
Cette fable a été écrite
en-vue-de ces hommes
qui oppriment les innocents
pour des causes feintes.
FABULA IL
FABLE IL
RAN^a: PETEKTES KEGEM. I-ES GRENOIHLLES DEMANDAIT UN ROI
Quum AthenîB florerent
legibus œquis,
libertas procax
miscuit ci\'itatem ,
et licentia
soivit frenum pristinum.
Hinc partibus factionum
conspiratis,
Pisistratus tjrannus
occupât arcem.
Lorsqu' Athènes florissait
sous des lois égales pour tous ,
une liberté effrénée
mêla (troubla) la cité,
et la licence
délia (rompit) son frein antique.
De-là des partis de factions (des factions)
étant unis (s' étant formés ,
Pisistrate tyraa (usurpateur)
s'empare de la citadelle.
6 PILEDRI FAB. LIBIiR I.
Quum tristem servitutem fièrent Attici ,
Non quia crudelis ille , sed quoniam grave
Omne insuetis onus, et cœpissent queri,
^sopus talem tum fabellam rettulit :
Ranae vagantes liberis paludibus 40
Clamore magno regem petiere ab Jove,
Qui dissolutos mores vi compesceret.
Pater Deorum risit, atque illis dédit
Parvum tigillum , missum quod subito vadis,
Motu sonoque terruit pavidum genus. 45
Hoc mersum limo quum jaceret diutius,
Forte una tacite profert e slagno caput,
Et, explorato rege, cunctas evocat,
Illae, timoré posito, certatim adnatant,
Lignumque supra turba petulans insilit : 20
Quod quum inquinassent omni contumelia,
Alium rogantes regem misère ad Jovem,
Inulilis quoniam esset qui fuerat datus.
Tum misit illis hydrum, qui dente aspero
Corripere coepit singulas. Frustra necern 25
citadelle. Les Athéniens déploraient leur funeste esclavage, non
que ce maître fût cruel , mais parce que tout fardeau pèse à qui
n'en a pas l'habitude. Ils se plaignaient ; Esope leur raconta cet
apologue :
Les grenouilles errant en liberté dans leurs marais, demandè-
rent à grands cris à Jupiter un roi dont l'autorité réprimât le dé-
règlement des mœurs. Le père des dieux sourit et leur donna pour
maître un petit soliveau, dont la chute soudaine au milieu de»
étangs épouvanta par son bruit la gent timide.
Il gisait depuis longtemps plongé dans la vase, quand l'une
des grenouilles se hasarde en silence à lever la tête hors de l'eau .
examine le roi, puis appelle ses compagnes. Bannissant leur effroi,
toutes à l'envi arrivent à la nage , et leur foule insolente saute
sur l'épaule du monarque. Quand elles l'eurent couvert de toute
espèce d'outragss, elles députèrent auprès de Jupiter pour lui de-
mander un autre roi , alléguant la nullité de celui qu'on leur avait
donné. Le dieu leur envoie alors une hydre qui, d'une dent cruelle,
»e met à les croquer les unes après les autres. En vain se dispersent-
FABLES DE PHEDRE. LIVRE I.
Quum Attici
fièrent tristem servitutem,
non quia ille crudelis ,
sed quoniam omne onus
grave insuetis,
et cœpisscnt queri,
tum ^Esopus
rettulit fabellam talem :
Ranœ vagantes
paludibus liberis ,
petiere magno clamore
ab Jove
regem qui compesceret vi
mores dissolûtes.
Pater deorum risit,
atqtie dédit illis
parvum tigillum ,
qxiod missum subito vadis
terruit genus pavidum
motu sonoque.
Quum hoc jaceretdiutius
mersTun limo,
forte un a
profert tacite caput
e stagno,
et, rege explorato,
evocat cunctas.
Illas adnatant certatim,
timoré posito ,
turbaque petulans
insilit supra ligniira :
quod quum inquinassent
omni contumelia,
misère ad Jovem
rogantes alium regem ,
quoniam qui datus fuerat
esset inutilis.
Tum misit illis hydrum ,
qui cœpit corripere singulas
dente aspero.
Frustra inertes
Comme les habilants-àe-V Attiqne
pleuraient leur triste servitude ,
non parce-qu'il était cruel,
mais parce-que tout fardeau
estlouràkceux-qui-n'y-sont-Tpa.Srh.a.'hituéi,
et qu'ils commençaient à se plaindre ,
alors Esope
?eur rapporta une fable telle (cette fable; :
Les grenouilles errant
dans leurs marais libres (en liberté),
demandèrent à grand cri
à Jupiter
un roi qui réprimât par la force
leurs mœurs dissolues.
Le père des dieux rit (se mit à rire),
et donna à elles
un petit soliveau,
qui lancé tout-à-coup dans les eaux
effraya cette race craintive
par sort mouvement et son bruit.
Comme celui-ci gisait assez longtemps
plongé dans la vase,
par liasard une grenouille
sort en-silence la tête
hors-de l'étang,
et, le roi avant été examiné,
elle appelle toutes ses compagnes.
Celles-ci nagent-vers le roi à l'envi,
leur frayeur étant déposée ayant cessé),
et la foule pétulante
saute sur le bois (le soliveau) :
lequel après qu'elles eurent souillé
de toute espèce d'affront,
elles envoyèrent à Jupiter
demandant un autre roi,
puisque celui-qui leur avait été donné
était un roi inutile.
Alors Jupiter envoya à elles une bydro,
qui se-mit-à les saisir une-à-une
d'une dent âpre (aiguë).
En vain les grenouilles sans-défensa
8 PHJEDRI FAB. LIBER 1.
Fugitant inertes; vocem praecludit metus.
Furtim igiturdant Mercurio mandata ad Jovem ,
Afilictis ut succurrat. Tune contra Deus :
« Quia noluistis vestrum ferre, inquit, bonum,
Malum perferte. » Vos quoque, o cives, ait, 30
Hoc sustinete , majus ne veniat malum.
FABULA III.
GKACULUS 8DPERBUS ET PAVO.
Ne gloriari libeat alienis bonis ,
Suoque potius habitu vitam degere,
^opus nobis hoc exemplum prodidit :
Tumens inani Graculus superbia,
Pennas, Pavoni quae deciderant, sustulit , 5
Seque exornavit ; deinde contemnens suos ,
Formoso se Pavonum immiscuit gregi.
lUi impudenti pennas eripiunt avi ,
Fugantque rostris. Maie mulctatus Graculus
Redire mœrens cœpit ad proprium genus ; 4 0
elles pour échapper à la mort; elles sont sans défense, et la crainte
étouffe leurs cris. Elles chargent donc secrètement Mercure de prier
Jupiter de les secourir dans leur détresse ; mais le dieu : « Puisque
vous n'avez point voulu , leur dit-il , vous contenter de votre bon
roi, sachez maintenant en supporter un mauvais. » Et vous aussi,
citoyens, ajoutait Esope, supportez le mal présent, de peur qu'il
n'en survienne un pire.
FABLE III.
LE GEAI ORGUEILLEUX ET LE PAON.
Ne vous glorifiez point des avantages d'autrui , mais vivez plutôt
d'une manière conforme à votre condition. Voici, à ce sujet, l'exemple
qu'Esope nous a transmis :
Bouffi d'un vain orgueil , un geai ramassa les plumes qu'un
paon avait laissé tomber, et s'en fit une parure ; puis , dédaignant
ses pareils, il va se mêler à la troupe brillante des paons. Ceux-ci
déplument l'impudent oiseau et le chassent à coups de bec. Ainsi
maltraité, le ^ai revint tout tr'ste vers les siens ; mais il eut lu
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE L
fugitant necem ;
metus praecludit vocem.
DantigiturfurtimMercurio
Taandata ad Jovem,
ut succurrat aflflictis.
Tune deus contra :
« Quia noluistis, inquit,
ferre vestrum bonum,
perferte malum. »
Vos quoque, o cives, ait,
sustinete hoc,
ne malum majus veniat.
essaient- de-fuir la mort;
la peur leur ferme (étouffe) la voix.
Elles donnent doncen-cachette à Merci' re
des instructions vers Tpour) Jupiter,
pour qu'il secoure elles affligées.
Alors le dieu de-son-côté 'en réponse) :
« Puisque vous n'avez pas voulu, dit-il>
supporter votre bon roi,
supportez-jusqu'au-bout le mauvais. »
Vous aussi, ô citoyens, dit Ésope,
suppoi-tez ce mal présent, [arrive.
de peur qu'un mal plus grand ne tous
FABULA III.
GRACULUS SUPERBUS
ET PAVO.
-Esopua
prodidit uobis exemplura ,
ne libeat
gloriari bonis alienis,
potiusque degere vitara
suo habitu.
Graculus ,
tumens inani superbia,
sustulit pennas
quse deciderant pavoni,
exornavitque se ;
deinde, conteranens suos,
immiscuit se
formoso gregi pavonum.
Hli eripiunt pennas
avi impudenti,
fugantque rostris.
Graaulus maie mulctatus
ccepit redire mœrens
al proprium genus ;
FABLE III.
LE GEAI SUPERBE
ET LE PAON.
Esope
a livré à nous cet exemple,
afin qu'il ne plaise pas aux hommes
de se-glorifier des biens d'-autrui,
et (mais) plutôt de passer leur vie
dans leur condition.
Un geai,
gonflé d'un vain orgueil,
enleva (ramassa) des plumes
qui étaient tombées à un paon ,
et en orna soi (s'en orna) ;
puis, méprisant les siens (ses pareils)
il mêla soi
à la belle troupe des paons.
Ceux-ci arrachent les plumes
à cet oiseau impudent,
et le mettent-en-fuite à-coups-do-bec.
Le geai maltraité
se-mit-à s'en-revenir affligé
vers sa propre race ;
10 PHiEDRI FAB. LIBER I.
A quo repulsus tristem sustinuit notam.
Tum quidam ex illis quos prius despexerat :
a Contentus nostris si fuisses sedibus ,
Et quod natura dederat voluisses pati ,
Nec illam expertus esses contumeliam , 4 5
Nec hanc repulsam tua sentiret calamitas*. »
FABULA IV.
CANIS FER FLITVIUM CARNEM FEBEN8.
Amittit merito proprium qui alienum appétit.
Ganis , per flumen carnem dum ferret natans ,
Lymphamm in speculo vidit simulacrum suum ;
Aliamque praedam ab alio cane ferri putans,
Eripere voluit ; verum decepta aviditas, 5
Et quem tenebat ore dimisit cibum ,
Nec quem petebat potuit adeo attingere.
FABULA V.
VACCA, CAPELLA, OTIS ET LEO.
Nunquam est fidelis cum potente societas;
Testatur haec fabella propositum meum.
douleur et la honte d'en être repoussé. « Si tu avais su vivre au
milieu de nous, lui dit un de ceux qu'il avait méprisés, et te con-
tenter de ce que la nature t'avait donné, tu n'aurais point essuyé un
premier affront, et tu n'aurais pas maintenant le malheur d'être re-
poussé par nous. »
FABLE IV.
I/B CHIEN QUI TRAVERSE UN FLEUTE AVEC UN MORCEAU DE CHAIR.
On perd justement son proprebien, quand on convoite celui d'autrui.
Un chien traversait un fleuve avec un morceau de chair entre les
dents ; il aperçoit son image dans le cristal des eaux , et croit voir
un autre chien portant une autre proie ; il voulut la lui ravir ; mais
son avidité fut trompée : il lâcha le morceau de chair qu'il tenait à
la gueule, et ne put atteindre celui qu'il convoitait.
FABLE V.
LA GÉNISSE, LA CHEVRE, LA BREBIS ET LE LION.
Une alliance avec les grands n'est jamais sûre ; cette fable vient
prouver ce aue i' avance.
FABLES DE PIltDRE. LIVRE I.
11
a quo repulsu3
sustinuit notam tristem.
Tum qxiidam ex illis
qaos despexerat prîus :
« Si fuisses contentas
nostris sedibus,
et voluisses pati
quod natura dederat ,
et non expertus esses
illana contumeliam,
et tua calamitas
non sentiret
hanc repulsam. »
FABULA IV.
CANIS FEEEN8 CAENEM
FER ELUVIUar.
Qui appétit alienura
amittit merito proprium.
Dum canis natans
ferret carnem
per flumen ,
vidit suum simulacrum
in spécule IjTnpLarum ;
putansque aliam prœdam
ferri ab alio cane,
voluit eripere ;
verum aviditas decepta,
et dimisit cibum
qnem tenebat ore,
nec potuit adeo
attingere quem petebat.
FABULA V.
VACCA , CAPELLA ,
OVIS ET LEO.
Societas cum potente
nnnquam est fidelis ;
haec fabella
testaturmeum propositum.
par laquelle aussi repoussé
il supporta au affront humiliant
Alors un de ceux
qu'il avait méprisés auparavant :
« Si tu avais été content
de nos demeures,
et«t tu avais voulu souffrir (te résignei à)
ce-que la nature i' avait donné.
et tu n'aurais pas éprouvé
ce premier affront,
et ton malheur
ne souffrirait pas
ce "^notre) refus de te recevoir. »
FABLE IV.
LE CHIEX PORTANT DE LA YIANDB
EN-TEAVERSAÎTT UK FLEUVE.
Celui-qui convoite le bien d'-autrui
perd justement le sien propre.
Tandis qu'un chien nageant
portait de la viande
à-travers (en traversant) un fleuve ,
il vit son image
dans le miroir des eaux ;
et pensant une autre proie
être portée par un autre chien,
il voulut la lui enlever;
mais son avidité fut trompée,
et il lâcha la nourriture
qu'il tenait dans sa gueule,
et il ne put pas pour-cela
atteindre celle-qu'il convoitait.
FABLE V.
LA VACHE, LA CHEVRE,
LA BKEBIS ET LE LIOX.
La société avec un puissant
n'est jamais digne-de-confiance (sûre ;
cette peLite-fable
atteste ma proposition (c3 que j'avance).
!2 PILEDRl FAH. LIREE i.
Vacca et Capella et paliens Ovis injuriée
Socii fuere cum Leone in saltibus.
Ili quum cepissent cervum vasti corporis , 5
Sic est locutus, partibus factis, Léo:
« Ego primam tollo , nominor quoniam Léo ;
Secundam, quia sum fortis, tiibuetis milii ;
Tum, quia plus valeo, me sequetur terlia;
Malo afficietur si quis quarlam tetigerit. » 4Ô
Sic totam praedam sola improbitas abstulit.
FABULA VL
RA>'^ AD SOLEM.
Vicini furis célèbres vidit nuptias
iEsopus, et continuo narrare incipit:
Uxorem quondam Sol quum vellet ducere,
Clamorem Ranae sustulere ad sidéra.
Convicio permotus quaerit Jupiter 5
Causam querelae. Qusedam tum stagni incola :
La génisse, la chèvre et la patiente brebis firent, dans les forêts,
société avec le lion. Ils prirent un cerf d'une haute stature, et le
lion, ayant fait les parts, s'exprima ainsi : « Je m'empare de la pre-
mière, parce que je m'appelle lion ; vous accorderez la seconde à ma
valeur ; la troisième me revient de droit, parce que je suis le plus
fort ; malheur à qui de vous touche à la quatrième ! » Ainsi, par son
injustice , il resta seul maître de la proie tout entière.
FABLE VL
LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.
Esope voyait célébrer avec magnificence les noces d'uu voleur son
voisin ; il se mit aussitôt à dire cette fable :
Le soleil un jour voulut prendre femme ; les grenouilles pous-
sèrent des cris jusqu'au ciel. Assourdi de ce vacarme, Jupiter de-
manda la cause de leurs plaintes. « Maintenant lui répoudit une
FABLES DE PHEDRE. Li'
13
Vacca et capella,
et ovis
patiens injurias
fuere socii cum loone
in saltibus.
Quum hi cepissent
cervum vasti corporis,
partibus factis ,
leo locutus est sic :
« Ego tollo primam,
quoniam nominor leo ;
tribuetis mihi secundam,
quia siim fortis;
tum tertia
sequetur me,
quia valeo plus :
si quis tetigerit quartam
afficietur malo. »
Sic improbitas sola
abstulit prasdam totam.
La vache et la chèvre,
et la brebis
qui-soufFre-patiemment l'i/ijustice,
furent associés (s'associèrent) avec le lier;
dans les bois.
Comme ils avaient pris
un cerf d'un grand corps (dehaute taille),
les parts étant faites,
le lion parla ainsi :
« Moi j'enlève la première,
parce-que je m'appelle lion ;
vous accorderez à moi la seconde,
parce-que je suis courageux ;
de-plus la troisième
suivra moi (me reviendra),
parce-que je suis-fort plus que vous ;
si quelqu'un touche la quatrième
Usera affligédemal(illuiarriverama]). k
Ainsi la mauvaise-foi seule
enleva le butin tout entier.
FABULA VI.
FABLE YL
ràn<2E ad solem.
^90 pus vidit
nuptias célèbres
furis vicini ,
et continue incipit narrare :
Quondam quum sol
vellet ducere uxorem,
ranse sustulere clamorem
ad sidéra.
Jupiter, pennotusconvicio,
quaerit causara querelae.
Tarn
quaedam incola stagni :
« Nunc, inquit.
LES GREK0UILLE3 AU SOLEIL
Esope vit
les noces pompeuses
d'un voleur son voisin ,
et aussitôt il commence à conter :
Un-jour comme le soleil
voulait prendre femme,
les grenouilles élevèrent un cri
jusqu'aux astres.
Jupiter, ému de ces clameurs,
s'informe du motif de leur plainte.
Alors
certaine habitante de l'étang :
•ï Maintenant, dit-elle,
14 PH^DRI FAB. LIBER I.
c Nuac, inquit, omnes unus exurit lacus,
Cogitque miseras arida sede emori ;
Quidnam futurum est si crearit liberos ? »
FABULA VIL
VULPES AD PERSONAM' TRAGICAM.
Personam tragicam forte Vulpes viderai :
a 0 quanta species! inquit, cerebrum non habet. »
Hoc illis dictum est quibus honorem et gloriam
Fortuna tribuit , sensum communem abstulit.
FABULA VIIL
LtrPUS ET GRUIS.
Qui pretium meriti ab improbis desideral
Bis peccat : primum , quoniam indignos adjuvat :
Impune abire deinde quia jam non potest.
Os devoratum fauce quum haereret Lupi ,
Magno dolore victus , cœpit singulos 5
Illicere pretio ut illud extraherent malum
citoyenne des étangs, le soleil à lui seul tarit tous nos lacs, et nous
fait périr misérablement au fond de nos demeures desséchées ; que
sera-ce , s'il lui vient des enfants ? »
FABLE VIL
LE RENARD ET LE MASQUE DE THEATRE.
Un renard vit par hasard un masque de théâtre : « La belle têteJ
s'écria-t-il, mais elle n'a point de cervelle. »
Ce mot s'applique à ceux que la fortune a comblés d'honneurs et
de gloire, mais à qui elle a refusé le sens commun.
FABLE VIIL
LE LOUP ET LA GBUB.
Attendre des méchants le prix d'un bienfait, c'est commettre une
double faute : d'abord on oblige des gens qui ne le méritent pas ;
ensuite, on ne peut plus leur échapper sans danger.
Un loup avala un os qui lui resta dans le gosier. Vaincu par la souf-
"jance, il promit une récompense à qui le délivrerait de son mal. Une
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE î.
15
unus exurit omnes lacus,
cogitque miseras
emori sede arida ;
quidnam futurum est
si crearit liberos ? »
un seul soleil dessèclie tous nos lacs,
et nous force, malheureuses,
à dépérir dans un séjour aride ;
quelle chose doit arriver (qu'arrivera t-il)
s'il crée des enfants? »
FABULA VII.
^TJLPES AD PER80NA.M
TKAGICAM.
Forte vxilpes
viderat per sonam tr agicam :
« 0 quanta species ! inquit,
non habet cerebrum ! »
Hoc dictum est illis
quibus fortuna
tribuit honorem et gloriam ,
abstulit
sensum communem.
FABLE VII.
LE RENARD AU MA8QUB
TRAGIQUE,
Par hasard un renard
avait vu un masque tragique :
« Oh ! qaeWe-belle figure ! dit-il ,
mais elle n'a pas de cervelle! »
Cela a été dit pour ceux
à qui la fortune
a accordé honneur et gloire,
mais a enlevé (refusé)
le sens commun.
FABULA VIII.
LUPUS ET GRUIS.
Qui desiderat ab improbis
pretium meriti
peccat bis :
primum quoniam adjuvat
indignes ;
deinde quia nonpotest jam
abire impune.
Quum os devoratum
heereret fauce lupi,
victus magno dolore ,
coepit illîcere singulos
pretio
Ut extraherent
illud malum.
FABLE VIII.
LE LOUP ET LA GRUE.
Celui-qui réclame à des méchants
le prix d'un service
pèche deux-fois :
d'abord parce-qu'il aide
des gens indignes,
ensuite parce-qu'il ne peut plus
s' en-aller (s'en tirer) impunément.
Comme un os avalé
restait dans le gosier d'un loup,
vaincu par la grande douleur,
il se-mit-à inviter chacun
par un prix qu'il promettait,
à- ce- qu'ils lui otasseut
ce mal.
16 PH^DRI FAB. LÎRF.R I.
Tandem persuasa est jurejurando Gruis ,
Gulaeque credens coUi longitudinem ,
Periculosam fecit medicinam Lupo.
Pro quo quum pactum flagitaret préemium : 4 0
<?■ Ingrata es, inquit, ore quae nostro caput
Incolume extuleris , et mercedem postules ! »
FABULA IX.
PASSEB ET LEPUS
Sibi non cavere, et aliis consilium dare,
Stultum esse, paucis ostendamus versibus.
Oppressum ab aquila, fletus edentem graves,
Leporem objurgabat Passer : « Ubi pernicitas
Nota , inquit, illa est? quid ita cessarunt pedes? » i
Dum loquitur, ipsum accipiter nec opinum rapit,
Questuque vano clamitantem interficit.
Lepus semianimus, mortis in solatio :
« Qui modo securus nostra irridebas mala ,
Simili querela fata déploras tua. » i 0
grue se laissa enfin persuader par ses serments, et, confiant à la gueule
du loup toute la longueur de son cou, elle fit l'aventureuse opération.
Comme elle réclamait son salaire : « Tu es une ingrate! lui dit-il :
tu as retiré ton cou de ma gueule, et tu réclames une récompense ! »
FABLE IX.
LE PASSEREAU ET LE LiÈVEE.
Ne point se tenir sur ses gardes , et donner des conseils aux autres,
c'est sottise. Nous Talions montrer en peu de vers :
Un lièvre pris par un aigle poussait de profonds gémissements. Un
passereau l'insultait : « Où est, lui disait-il , cette agilité si vantée?
Que font maintenant tes pieds si rapides ?»I1 parlait encore, lorsqu'un
épervier le saisit à l'improviste, et le tue malgré ses cris et ses
plaintes. Le lièvre eut en mourant la consolation de lui dire : « Toi
qui tout à l'heure en sûreté te riais de mes maux , comme moi tu
déplores maintenant ta destinée. •
\
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE 1.
n
Tandem gruis
persuasa est jurejurando ,
credensque guise
longitudinem colli,
fecit lupo
medicinam periculosam.
Quum pro quo
flagitr^ret
prseinium pactiim :
« Es ingrata, inquit,
quœ extuleris nostro ore
caput incolume,
et postules mercedem ! »
Enfin une grue
fut persuadée par son serment.
et confiant à sa gueule
la longueur de son cou (son long cou) ,
elle fit au loup
cette opération dangereuse-
Comme pour cela
elle demandait-instamment
le salaire convenu :
a Tu es ingi*ate, lui dit-il,
<oî"-qui as retiré de notre '^raa) gueule
ta tête saine-et-sauve,
et demandes une récompense ! »
FABULA IX.
PASSER ET LEPDS.
Ostendamus
paucis versibus
non cavere sîbi ,
et dare consilium aliis,
esse stultum.
Passer
objurgabat leporem
oppressum ab aquila ,
edentem graves fletus ;
« Ubi est, inquit,
illa pernicitas nota?
Quid pedes
cessarunt ita? »
Dum îoquitur,
accipiter rapit ipsum
nec opinum,
interficitque
clamitantem questu vano.
Lepus semianimus,
in solatio mortis :
* Qui securus modo
irridebas nostra mala,
déploras tua fata
qnerela simili. »
Fakles de PifuDnE.
FABLE IX.
LE PASSEREAU ET LE LIEYRE.
Montrons
eu peu de vers
que ne pas prendre-garde à soi,
et donner conseil aux autres,
est sot.
Un passereau
gourmandait un lièvre
accab^.é (saisi) par un aigle,
et poussant de profonds gémissement
« Où est, lui dit-il,
cette vitesse si connue?
Pourquoi tes pieds
se sont-ils-ralentis ainsi? »
Pendant qu'il parle,
un épervier T enlève lui-même
ne-s'y-attendant pas (à l'improviste)
et le tue
criant par une plainte vaine.
Le lièvre à-demi-mort,
dit en consolation de sa mort :
« Toi (]m tranquille tout-à-l'heure
te-riais-de nos maux,
tu déplores maintenant ta destin' <
par nue plainte semblable. »
48 PHJEDRI FAB. LIBER I.
FABULA X.
LUPUS ET VULPES, JUDICE 8IMI0.
Quicumque turpi fraude semel innotuit,
Etiamsi verum dicit, amittit 6dem.
Hoc altestatur brevis iEsopi fabula.
Lupus arguebat Vulpem farti crimine ;
Negabat illa se esse culpae proximam. $
Tune judex inter illos sedit Simius.
U terque causam quum pérorassent suam ,
Dixisse fertur Simius sententiam :
« Tu non videris perdidisse quod petis ;
Te credo surri puisse quod pulchre negas. » 40
FABULA XI.
ASINUS ET LEO VENANTES.
Virtutis expers , verbis jactans gloriam ,
Ignotos fallit, notis est derisui.
Venari Asello comité quum vellet Léo,
Contexit illum frutice, et admonuit simul
FABLE X.
LE LOUP ET LB RENAUD JUGES PAR LE SINGE.
Quiconque s'est fait connaître par de honteux mensonges perd
toute créance , même lorsqu'il dit la vérité. C'est ce que prouve cette
petite fable d'Esope :
Un loup accusait un renard de l'avoir volé ; le renard rejetait
bien loin de lui cette imputation. Le singe est choisi pour arbitre de
leur différend. Lorsque chacun eut plaidé sa cause, voici, dit-on , la
sentence qu'il prononça : « Toi, tu ne me semblés pas avoir perdu
ce que tu réclames; et toi , je te crois coupable du vol que tu nies
si bien. >
FABLE XL
LE LION ET l'ANE CHASSANT.
Le lâche qui vante son courage en impose à ceux qui ne le con-
naissent pas ; il fait la risée de ceux qui le connaissent.
Le lion, voulant chasser avec l'âne, le couvrit de feuillago, et
i
FABLES DE PHÈDRE. LITRE
19
FABULA X.
LTTPrS ET VIJLPES,
SlilIO JUDICE.
Qaicuaqueinnotuit seinel
fraude turpi,
amittit fîdem,
etiamsi dicit verum.
Brevis fabula iEsopi
testatur hoc.
Lupus arguebat \iilpem
crimine furti;
illa negabat
se esse proximam culf œ :
tune simius
sedit judex inter illos.
Quum pérorassent
uterque suam causam ,
simius fertur
dixisse sententiam :
« Tu non videris perdidisse
quod petis ;
credo te subripuisse
quod negas pulchre, »
FABLE X.
LE LOUP ET LE RENARD.
LE SINGE e^an^-JTJGE.
Quiconque s'est fait-connaître une- fois
par une fourberie honteuse
perd toute créance,
quand-même il dit la vérité.
Cette courte fable d'Ésope
atteste cexa.
Un loup poursuivait un renard
par une accusation de vol ;
celui-là niait
soi être tout-proche 'coupable^ delà faute:
alors le singe
s'assit comme juge entre eux.
Après qu'ils eurent plaidé-à-fond
l'un-et-l'autre (chacun^ sa cause,
le singe est rapporté
avoir dit (porté) cette sentence :
« Toi loup, tu ne parais pas avoir perdu
ce-que tu demandes ;
je crois que toi, renard, as dérobé
ce-que tu nies si bien avoir pris, »
FABULA XL
ASINUS ET LEO VENANTES.
Expers virtutis,
jvactans verbis gloriam,
failli ignotos ,
est derisui
notis.
Quum leo vellet venari,
aaello comité ,
contexit illum frutice .
FABLE XL
l'aNE et le lion CHASSANT.
CeZuj-qui-manque de courage,
et qui-vante en paroles sa gloire,
trompe ceux-qui-ne-Ze-connaissent-pas,
il est à dérision (un objet de risée)
à (pour)-ceux-qui-/e-connaissent.
Un-jour-que le lion voulait chasser
avec-Vàne pour- compagnon,
il couvrit lui do branchage,
20 PH^DRI FAB. LIB£R L
Ut insueta voce terreret fei as , 5
Fugientes ipse exciperet. Hic auritulus
Clamorem subito tollit totis viribus ;
Novoque turbat bestias miraculo.
Quae dum paventes exitus notos petunt,
Leonis afîliguntur horrendo impetu. <0
Qui postquam csede fessus est, Asinum evocat,
îubetque vocem premere. Tune iste insolens :
K Qualis videtur opéra tibi vocis meae?
— Insignis, inquit, sic ut, nisi nossem luum
Animum genusque, simili fugissem metu. » 45
FABULA XII.
CERVUS AD FONTEM.
Laudatis utiliora quae contempseris
Saepe inveniri , haec exserit narratio.
Ad fontem Cervus , quum bibisset , restitit ,
El in liquore vidit effigiem suam.
îbi dum ramosa mirans laudat cornua, 5
Crurumque nimiam tenuitatem vitupérât,
lui commanda de braire pour effrayer les animaux par le son
inaccoutumé de sa, voix ; lui-même arrêterait les fuyards. Sou-
dain le chasseur aux longues oreilles se met à ciûer de toutes
ses forces, et, par ce prodige nouveau, jette l'effroi parmi les ani-
maux. Épouvantés, ils courent aux issues qu'ils connaissent; mais
le terrible lion s'élance sur eux. Enfin , rassasié de carnage , il ap-
pelle l'âne'et lui ordonne de se taire. « Que dites-vous de ma voix? »
demanda arrogamment le baudet. « Merveilleuse, en vérité, repartit
le lion , au point que si je n'eusse connu et ton courage et ta race ,
la frayîur m'eût fait fuir comme les autres. »
FABLE XIL
LE CEKF PRÈS d'UNE FONTAINE.
Ce qu'on méprise se trouve souvent plus utile que ce qu'on vante;
cette fable en fournit un exemple.
Un cerf, après avoir bu à une fontaine, s'y arrêta, et aperçut dans
l'eau son image; là, tan lis qu'en extase il contemple sa haute ra-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
2i
et admonuit simul
Ht terreret feras
voce insueta,
ips8 exciperet
fugientes.
Hic auritulus
tollit subito clamorem
totis viribus,
turbatque bestias
miraculo novo.
Dura quae paventes
petunt exitus notos,
affliguntur
impetu horrendo leonis.
Postquam qui
est fessus caede,
evocat asinum,
jubetque premere vocem.
Tune iste iusolens :
« Qualis videtur tibi
opéra meœ vocis ?
— Insignis, inquit, sic ut,
nisi nossem tuum animum
genusque,
fugissem simili metu. »
et il lui recommanda en -même-temps
qu'il épouvantât (d'épouvanter) les bêtea
par une voix inaccoutumée ,
que lui-même prendrait-au-passage
les fuyants (fuyards).
Alors l'anima^aux-longues-oreilles
élève (pousse} soudain un cri
de toutes ses forces,
et trouble les animaux
par ce prodige nouveau.
Pendant-que ceux-ci épouvantés
gagnent les issues qu'ih-connaissent,
ils sont terrassés
par l'attaque terrible du lion.
Quand celui-ci
est fatigué du carnage,
il rappelle l'âne de son poste^
et lui ordonne de contenir (taire) sa voix .
Alors celui-ci insolent, dit :
« Quel paraît à toi
le service (l'effet) de ma voix?
— Admirable, dit le lion, tellement que,
si je ne connaissais ton courage
et ta race,
j'aurais fui par une semblable crainte. -«
FABULA XII.
CERVtrS AD PONTE M.
Haec narratio exserit
quaî contempseris
inveniri sœpe utiliora
laudatis.
Quum cervus
bibisset ad fontem,
restitit ,
et vidit suam eiEgiem
in liquore.
Ibi dum laudat mirans
oornua ramosa,
vituperatque
FABLE XII.
LE CERF PRÈS D'UNE FOXTAIKE.
Ce récit fait voir
que les-choses-que tu auras méprisées
sont trouvées souvent plus-utiles
que les choses louées.
Comme un cerf
avait bu à une fontaine,
il s'arrêta,
et vit son image
dans le liquide (l'eau).
Là pendant qu'il loue, les admirant,
ses cornes branchues,
et qu'il blâme
22 PH^DRi FAB. LIBER L
Venantunr subito vocibus conterritus,
Per campum fugere cœpit, et cursu levi
Canes elusit. Silva tum excepit ferum :
In qua, retentis impeditus cornibus, 10
Lacerari cœpit morsibus saevis canum.
Tune moriens vocem hanc edidisse dicilur :
a 0 me infelicem , qui nunc demum intelligo
Ut illa mihi profuerint quae despexeram ,
Et, quae laudaram , quantum luctus habuerint !» 45
FABULA XIII.
VULPES ET CORVUS.
Qui se laudari gaudet verbis subdolis ,
Sera dat pœnas turpes pœnitentia.
Quum de fenestra Corvus raptum caseum
Comesse vellet , celsa residens arbore ,
Hune \idit Vulpes , deinde sic cœpit loqui : 5
c( 0 qui tuarum , Corve , pennarum est nitor !
Quantum decoris corpore et vulta geris !
Si vocem haberes , nulla prier aies foret. »
mure , et se plaint de l'excessive délicatesse de ses jambes , effrayé
sondaln par les cris des chasseurs, il fuit à travers champs , et sa
course légère met les chiens en défaut. Il cherche asile dans la forêt ;
mais, arrêté par les branches où son bois s'embarrasse, il est dé-
chiré par les dents cruelles des chiens. On dit qu'en expirant il pro-
nonça ces mots : « Malheureux que je suis! je comprends mainte-
nant l'utilité du bien que j'avais méprisé, et combien devaient m'être
funestes les avantages dont j'étais si fier ! »
FABLE XIII.
LE RENARD ET LE CORBEAU.
Celui qui aime à s'enivrer de louanges mensongères, en est puni
plus tard par un amer repentir.
Un corbeau avait enlevé sur une fenêtre un fromage, et, perché
sur le haut d'un arbre, se disposait à le manger, lorsqu'un renard
l'aperçut et lui tint ce langage : « Que d'éclat, sire corbeau,
dans tout votre plumage ! Que de grâces sur votre personne et
dans tous vos traits ! Si vous saviez chanter, nul oiseau ne l'em-
FABLES DE PHÈDKE. LI\'RE I.
23
tenuitatem nimiam
crurum,
conterritus subite
vocibus venantum,
cœpit fugere per campum,
et elusit canes cursu levi.
Tura silva excepit feruin :
in qua impeditus
cornibus retentis,
cœpit lacerari
morsibus sasvis cauum.
Tune moriens dicîtur
edidisse hanc vocem :
« 0 me infelicem !
qui intelligo nunc demum
ut illa quas despexeram
profuerint mihi ,
et quantum quas laudaram
habuerint luctus. »
la finesse excessive
de ses jambes,
efîrayé soudain
par des voix de cbasseurs ,
il se-mit-à fuir par la campagne,
et trompa les chiens par sa course légère.
Alors une forêt reçut l'animal :
dans laquelle embarrassé
par ses cornes retenues (accrochées),
il commença à être déchiré
par les morsures cruelles des chiens.
Alors en-mourant il est rapporté
avoir émis (dit^ cette voix (ces paroles) :
« 0 moi malheureux !
qui comprends en-ce-moment seulement
combien les-choses-que j'avais méprisées
ont-été-utiles à moi ,
et combien les-choses-que j'avais louées
ont eu de deuil (m'ont causé de malheur) . »
FABULA XIII.
FABLE XIII.
VTJLPES ET COEVUS.
Qui gaudet se laudari
verbis subdolis
dat pœnas turpes
pœnitentia sera.
Quura corvus
residens arbore celsa,
vellet comesse caseum
raptum de fenestra,
vulpes vidit hune,
deinde cœpit loqui sic :
« 0 corve,
qui est nitor
tuarum pennarum !
quantum decoris geris
corpore et vultu !
Si haberes vocem ,
nulla aies foret prior. »
LE RENAED ET LE CORBEAU.
Celui-qui aime soi être loue
par des paroles rusées
donne (subit) des peines honteuses
par un repentir tardif.
Un-jour-qu'un corbeau
posé (perché) sur un arbre élevé ,
voulait manger un fromage
enlevé (qu'il avaH enlevé; d'une fenêtre,
un renard vit lui,
puis il se-mit-à parler ainsi :
« 0 corbeau,
quel est l'éclat
de tes plumes !
que de grâce tu portes
sur ton corps et sur ton visage !
Si tu avais la voix,
aucun oiseau ne serait supérieur à toi.
24 PHiEDRI FAB. LIBER I.
At ille stultus, dum vult vocem ostendere ,
Einisit ore caseum , quem celeriter 10
Dolosa Vulpes avidis rapuit dentibus.
Tunc demum ingemuit Corvi deceptus stupor.
FABULA XIV.
EX SUTOKE MEDICUS.
Walusquum Sutor, inopia deperditus,
Medicinam ignoto facere cœpisset loco,
El venditaret falso antidotum nomine ,
Verbosis acquisivit sibi famam strophis.
liic' quum jaceret morbo confectus gravi, 5
Rex urbis, ejus experiendi gratia,
Scyphum poposcit; fusa dein simulans aqua
Antidoto miscere illius se toxicum ,
Combibere jussit ipsum, posito prsemio.
Tiraore mortis ille tum confessiis est, iO
Non artis ulla medicum^ se prudentia ,
Verum stupore vulgi factum nobilem.
Rex, advocata concione, haec edidit :
porterait sur vous. » Le sot veut montrer sa voix , mais son bec
laisse échapper le fromage; le rusé renard s'en saisit avec avidité.
Le corbeau attrapé gémit alors de sa sottise.
FABLE XIV.
LE CORDONNIER MEDECIN.
Un mauvais cordonnier, perdu de misère, voulut exercer la mé-
decine dans un endroit où il n'était point connu; il débitait un pré-
tendu antidote, et bientôt son verbiage lui fit un certain renom.
Il fut atteint d'une grave maladie; le roi de ia ville voulut éprouver
8on savoir : il demande une coupe, y verse de l'eau, et, feignant de
mêler un poison au remède du médecin , il lui ordonne de boire, en
loi promettant récompense. La crainte de la mort fit avouer à notre
homme qu'il devait sa réputation, non pas à son habileté en médecine,
mais à la sotte crédulité du peuple. Le roi convoque alors les ci-
I
FABLES DE PHEDRE. LIVRE I. 25
At dum ille stultus Mais pendant-que celni-ci sot
vult ostendere vocem, veut montrer sa voix,
emisit ore caseum, il laissa-tomber de son bec le froïKage,
quem vulpes dolosa lequel le renard rusé
rapuit céleri ter saisit promptement
dentibus avidis. de -ses dents avides.
Tum demum stupor corvi Alors seulement la stupidité du coroeau
deceptus ingemuit. trompée (se voyant dupe) gémit.
FABULA XIV.
FABLE XIV.
MEDICUS EX SUTORB.
LE MEDECIN EX-CORDO^■^'IER.
Quum malus sutor,
deperditus inopia,
cœpisset facere medicinani
loco ignoto,
et venditaret antidotum
nomine falso,
acquisivit sibi famam
Btrophis verbosis.
Quum hic jaceret
confectus morbo gravi,
rex urbis
gratia
ejus experiendi,
poposcit scyphum,-
dein simulans se miscere
toxicum antidoto illius,
aqua fusa,
jussit ipsum combibere,
prsemio posito.
Tune ilie timoré mortis
confessus est
se faetum nobilem
non ulla prudentia
artis medicum ,
verum stupore vulgi.
Concione advocata,
rex edidit haec *
Comme un mauvais cordonnier,
perdu de misère,
s'était-mis-à faire de la médecine
dans un endroit où-il-n 'était-pas-connu,
et çu'il vendait du contre-poison
sous (en lui donnante un nom faux,
il acquit à soi une réputation
par ses tours verbeux 'par son verbiage).
Un jour que celui-ci était couché
affligé d'une maladie grave,
le roi de la ville
pour-le-plaisir (dans la vue)
de lui devant-être-éprouvé (de l'éprouver ,
demanda une coupe;
ensuite feignant soi Hr/'ler de mêler;
un poison à l'antidotî de lui,
de l'eau seulement étant versée dedans,
il ordonna à lui-même de boire-le-tOi:t,
une récompense étant proposée.
Alors celui-ci par crainte de la mort
avoua
qu'il était devenu célèbre
non par aucune connaissance
de l'art des médecins,
mais par la stupidité du vulgaire.
Lkie réunion-du-peuple étant convoquée
le roi fit-eutendre ces paroles :
26 phjEdri fab. liber l
a Quantae putatis esse vos dementiae,
Qui capita vestra non dubitatis credere 15
Cui calceandos nemo commisit pedes ! »
Hoc pertinere vere ad illos dixerim
Quorum stultitia quaestus impudentiae est.
FABULA XV.
ASINUS AD SENEM PA8TOREM.
In principatu commutando civium,
Nil, praeter domini nomen , mutant pauperes.
[d esse verum , parva haec fabella indicat.
Asellum in prato quidam pascebat Senex :
[s, hostium clamore subito territus , 5
Suadebat Asino fugere, ne possent capi.
Atille lentus : « Queeso, num binas mihi
Clilellas impositurum victorem putas? »
Senex negavit : « Ergo quid refert mea
Gui serviam, clitellas dum portem meas? » 40
toyens et leur dit : « Voyez votre sottise : vous allez confier vos têtes
à un homme à qui personne n'a voulu donner ses pieds à chausser ! »
Cette fable s'applique, selon moi , à ces hommes dont la sottise se
laisse exploiter par l'impudence.
FABLE XV.
l'ANE et le vieux PATRE.
Dans un changement de gouvernement , rien ne change pour le
pauvre, que le nom du maître. Cette petite fable prouve cette vérité.
Un vieillard faisait paître son âne dans une prairie ; soudain ,
épouvanté par les cris des ennemis, il engage l'âne à fuir pour
éviter d'être saisis tous deux. Mais l'âne, sans s'émouvoir : c Le
vainqueur, dites-moi, me fera-t-il porter double bât? — Non, ré-
pondit le vieillard. — Eh ! que m'importe à qui je sois, si je dois tou-
jours porter mon bât? »
I
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
27
« Quant» dementiïe
putatis vos esse,
qui uon dubitatis
credere vestra capita
cui nemo commisit
pedes calceandos ! »
Dixerim vere
hoc pertinere ad illos
quorum stultitia
est qusestus impudentiae.
« De quelle folie
pensez-vous vous être atteints
vous qui n'hésitez pas
à confier vos têtes
à un homme à qui personne n'a confié
ses pieds à-chausser ! »
Je peux-dire avec-raisou
ceci se rapporter à ces hommes
dont la sottise
est un profit pour l'impudence.
FABULA XV.
A8INTIS
AD SENEM PASTOEEM.
In principatu civium
commutando,
pauperes mutant nil ,
praeter nomen domini.
Hœc parva fabella
indicat id esse verum.
Quidam senex
pascebat asellum in prato :
Î3, territus
clamore subito hostium,
suadebat asino fugere ,
ne possent capi.
At ille lentus :
« Num putas, quaeso,
victorem impositurum mihi
binas clitellas? »
Senex negavît :
« Ergo quid refert mea
cui serviam,
dum portera
meas cliteUas ? .
FABLE XV.
l'ane
au tieux patre.
Dans le gouvernement des citoyens
en-train-d'être-changé,
les pauvres ne changent rien,
excepté le nom de leur maître.
Cette courte fable
montre que cela est vrai.
Certain vieillard
faisait-paître son âne dans un pré :
celui-ci (le vieillard' , eflFrayé
par la clameur soudaine des ennemis
conseillait à l'âne de fuir,
pour qu'ils ne pussent être pris.
Mais celiû-là l'âne) sans-bouger -de-place:
«Pensez-vous (croyez-vous), je vousprn?,
le vainqueur devant-imposer à moi
double bât? »
Le vieillard nia (dit que non) :
« Eh-bien-donc qu'importe à moi
qui je serve,
pourvu que je porte
mon bât? »
28 PI],ED1U FAR. LIBER I.
FABULA XVI.
OVIS, CERVD8 ET LUPUS.
Fraudator homines quum advocat sponsum improbos,
Non remexpedire, sedmala videre expedit.
Ovem rogabat Cervus modnim tritici,
Lupo sponsore ; at illa , praemetuens dolum :
a Rapere atque abire semper adsuevit Lupus, 5
Tu de conspectu fugere veloci impetu :
Ubi vos requiram quum dies advenerit? »
FABULA XVIL
OVIS, CANI8 ET LUPUS.
Soient mendaces luere pœnas malefici'.
Calumniator ab Ove quum peteret Canis
Quem commodasse se panem contenderet,
Lupus citatus testis , non unum modo
Deberi dixit, verum afifirmavit decem. 5
FABLE XVL
LA BREBIS, LE CERF ET LE LOUP.
Quand un fourl^e vous propose une caution suspecte , il faut son-
ger moins à vous dessaisir qu'à vous tenir sur vos gardes.
Un cerf demandait aune brebis une mesure de froment; le loup
était sa caution ; mais la brebis, pressentant la fourberie : « Le Loup,
dit-elle , a coutume de prendre et de se sauver ; toi , ton agilité te
met bientôt à l'abri des regards : où vous chercher ai-je , quand ar-
rivera le jour du paiement V »
FABLE XVIL
LA BREBIS, LE CHIEN ET LE LOUP.
Les menteurs reçoivent ordinairement le châtiment de leurs
méfaits.
Un chien de mauvaise foi réclamait d'une brebis un pain qu'il
prétendait lui avoir prêté. Le loup , appelé en témoignage , affirma
qu'elle en devait, non pas un seulement , mais dix. Condamnée sur
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE î.
29
FABULA XVI.
FABLE XVL
OVIS, CERVUS ET LUPUS. LA BREBIS, LE CERF ET LE LOUP.
Quum fraudator
advocat sponsum
homines improbos ,
expedit
non expedire rem ,
sed videre mala.
Cervus rogabat ovem
modium tritici,
lupo sponsore ;
at illa prsemetuens dolum
t Lupus adsuevit semper
rapere atqueabire,
tu fugere de conspectu
impetu veloci :
ubi requiram vos
quum dies advenerit ? »
Quand un fourbe
appelle pour-être-ses-répondants
des hommes pervers,
il convient,
non pas de tirer-dehors (donner) son bien,
mais de prévoir des maux (du dommage).
Un cerf demandait à une brebis
un boisseau de froment ,
le loup étant sa caution ;
mais elle, craignant-d'avance une rus 2
« Le loup a eu ^a) coutume toujours
de ravir et de s' en-aller,
et toi de fuir de la vue (loin des yeux)
par un élan rapide :
où chercherai-je vous
lorsque le jour du paiement sera venu ? 1
FABULA XVn.
FABLE XVIL
OVIS, CANIS ET LUPUS. LA BREBIS, LE CHIEX ET LE LOUP,
Mendaces soient
lucre pœnas malefici.
Quum oanis calumniator
peteret ab ove panem
quem contenderet
ge commodasse,
lupus citatus testis dixit
non modo unum deberi,
verum affirmavit docem .
Les menteurs ont coutume
de payer la peine de leur méchanceté.
Comme un chien de-mauvaise-foi
demandait à une brebis un pain
qu'il prétendait
soi lui avoir prêté,
le loup cité comme témoin dit
non-seulement un pain être dû,
mais il affirma que dix éuient dut.
80 PH^DRI FAB. LIBER I.
Ovis , damnata falso testimonio ,
Quod non debebat solvit. Post paucos dies ,
Bidens jacentem in fovea prospexit Lupum :
« Haec, inquit, merces fraudis a superis datur. »
FABULA XVIII.
CANIS PARTURIENS.
Habent insidias hominis blanditiae mali ,
Quas ut vitemus versus subjecti monent.
Canis parturiens quum rogasset alteram
Ut fetum in ejus tugurio deponeret,
Facile impetravit : dein reposcenti locum 5
Preces admovit, tempus exorans brève,
Dum firmiores catulos posset ducere.
Hoc quoque consumpto , flagitare validius
Cubile cœpit. Illa : « Si mihi et meae
Par esse turbae potucris, cedam loco. » iO
ce faux témoignage , la brebis paya ce qu'elle ne devait point. Quel-
ques jours après, elle vit le loup pris dans un piège; « Voilà, lui
dit-elle , comme les dieux récompensent la fourberie. »
FABLE XVIIL
LA CHIENNE QUI MET BAS.
Les caresses du méchant cachent souvent un piège; le fait qui suit
nous avertit d'y prendre garde.
Une chienne près de mettre bas demanda à l'une de ses compa-
gnes sa cabane pour y faire ses petits, et l'obtint sans difficulté ; puis,
quand l'autre vint lui redemander son gîte, elle la supplia de lui
accorder encore un court délai , jusqu'à ce qu'elle pût emmener aveo
elle ses petits devenus forts. Ce temps écoulé, la compagne ré-
clame son lit avec plus d'instances. « Si tu peux, lui dit l'autre,
être aussi forte que moi et ma bande , je te céderai la place. »
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
31
Ovis damnata
falso testimonio,
solvit quod non debebat.
Post paucos dies,
bidens prospexit lupum
jacentem in fovea :
« Hœc merces fraudis
datur a superis, inquit. »
La brebis condamnée
par (sur) ce faux témoignage,
paya ce-qu'elle ne devait pas.
Après peu de jours,
la brebis aperçut le loup
gisant dans une fosse :
« Telle est la récompense de la fraude,
qui est donnée par les dieux , dit-elle.
FABULA XVIII.
CANIS PARTURIEN8.
Blanditise hominis niali
habent insidias ;
quas versus subjecti
monent ut vitemus.
Quum canis
parturiens
rogasset alteram
ut deponeret fetum
in tugurio ejus,
impetravit facile :
dein admovit preces
reposcenti locum ,
exorans tempus brève,
dum posset ducere
catulos firrciiores.
Hoc quoque consumpto,
cœpit flagitare cubile
validius.
nia :
« Si potueris esse par
mihi et meœ turbae,
cedam loco. »
FABLE XVIII.
LA CHIENNE PRÈS-DE-METTRE-BAS.
Les' caresses d'un homme pervers
ont (renferment) des pièges ;
lesquels pièges les vers écrits-ci-dessous
avertissent que nous évitions.
Comme une chienne
près-de-mettre-bas
avait demandé à une autre
qu'elle-même déposât sa portée
dans la cabane d'elle (de l'autre},
elle obtint facilement sa demande :
ensuite elle employa les prières
près de Vautre qui-réclamait sa place,
demandant-avec-instance un temps court,
jusqu'à-ce-qu'elle pût emmener
ses petits devenus plus-forts.
Ce temps aussi étant consumé (écoulé' ,
Vautre commença à redemander son lit
plus-fortement (plus vivement).
Mais celle-ci :
« Situauras-pu (peux) être égale en fores
à moi et à ma troupe,
je me-retirerai de (je te céderai} la place. »
32 PIÎ.EDUI FAB. LIBER I.
FABULA XIX.
CAKES FAMELICI.
Stultum consilium non modo effeclu caret,
Sed ad perniciem quoque mortales devocat.
Corium depressum in fluvio viderunt Canes :
Id ut comesse extractuni possent facilius,
Aquam cœpere bibere; sed rupti prius 5
Periere quam, quod petierant, contingeivnt.
FABULA XX.
LEO SENEX, AP2R, TAURUS EV \SU<Ua.
Quicumque amisit dignitatem pristinam,
Ignavis etiam jocus est in casu gravi.
Defectus annis et desertus viribus
Léo quum jaceret , spiritum extremum trahcns ,
Aper fulmineis ad eum venit dentibus , 5
Et vindicavit ictu veterem injuriam.
Infestis Taurus mox confodit cornibus
FABLE XIX.
LES CHIENS AFFAMÉS.
Un projet insensé , non-seulement ne réussit pas , mais entraîne
même souvent les hommes à leur perte.
Des chiens aperçurent un cuir plongé sous les eaux ; pour le re-
tirer et s'en rassasier à leur aise , ils se résolurent à boii-e toute
l'eau ; mais ils crevèrent avant d'atteindre l'objet de leur convoitise.
FABLE XX.
le lion devenu vieux , le sanglier , le taureau et
l'ane.
Quiconque a perdu son ancienne grandeur, devient dans sa mi-
sère le jouet même des lâches.
Accablé par les ans , abandonné de ses forces , un lion gisait à
terre et allait rendre le dernier soupir. Le sanglier vient à lui, et,
d'un coup de ses terribles défenses, se venge d'une ancienne injure.
Bientôt après , le taureau perce le corps de son ennemi de ses cornes
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
sa
FABULA XIX.
CANES FAMELICI.
Stultum consilium
non modo caret effectu,
sed devocat quoque
mortales ad perniciem.
Canes videmnt coriura
depressum in fluvio :
ut possent facilius
comesse id extractum ,
cœpere bibere aquam ;
sed periere rupti
priusquam contingerent
quod petierant.
FABLE XIX.
LES CHIENS AFFAMES.
Un sot projet
non seulement manque d'effet,
mais il appelle (entraîne) même
les mortels à leur perte.
Des chiens virent un cuir
plongé dans un fleuve :
pour-qu'ils pussent plus-facilement
manger lui retiré de l'eaxt,
il se-mirent-à boire l'eau ;
mais ils périrent crevés
avant-qu'ils atteignissent
Vobjet qu'ils avaient désiré.
FABULA XX.
FABLE XX.
LEO SENF:X , APER , LE LION devenu VIEUX, LE SANGLÎEB^
TAURUS ET ASINUS. LE TATJREAIT ET l'ANE.
Quicunque amisit
pristinam dignitatem,
est jocus etiam ignavis
in casu gravi.
Quum leo
defectus annis,
et desertus viribus,
jaceret, trabens
extremum spiritum,
aper venit ad eum
dentibus fulmineis,
et vindicavit ictu
veterem injuriam.
Mox taurus
confodit corpus hostile
comibus infestis.
Quiconque a perdu
307» antique grandeur,
est un joaet même pour les lâches
dans une chute lourde (misère profonde).
Comme un lion
accablé par les années,
et abandonné de ses forces,
gisait, tirant
son dernier souffle,
un sanglier vint à lui
avec ses dents foudroyantes,
et il vengea d'un seul coup
une ancienne injure.
Bientôt le taureau
perça le corps de-«on-ennemi
de ses cornes cruelles.
Fables de Phèdre.
3fk PILEDRI FAB. LIBER I.
Hostile corpus. Asinus , ut vidit ferum
Impune laedi , calcibus frontem extudit.
At ille exspirans : « Fortes indigne tuli 40
Mihi insultare ; te , naturae dedecus ,
Quod ferre cogor, certe bis videormori! »
FABULA XXI. ■
MUSTELA ET HOMO.
Mustela ab homine prensa quum instantem necem
Effugere vellet : « Quaeso , parce , inquit , mihi ,
Quae tibi molestis muribus purgo domum. »
Respondit ille : « Faceres si causa mea ,
Gratum esset , et dedissem veniaoi supplici ; 5
Nunc quia laboras ut fruaris reliquiis
Quas sunt rosuri , simul etipsos dévores,
Noii imputare vanum beneficium mihi. d
Atque ita locutus , improbam letho dédit.
redoutables. L'âne lui-même , voyant les outrages dont on accable
impunément le noble animal , lui brise le front à coups de pied.
Mais le lion lui dit en expirant : « J'ai supporté avec indignation les
insultes des braves ; mais souffrir tes coups , opprobre de la nature !
il me semble mourir deux fois ! »
FABLE XXL
l'homme et la belette.
Une belette, se voyant prise, voulait échapper à la mort qui la me-
r.açait : «De grâce épargnez-moi, dit-elle à l'homme, épargnez
celle qui détruit les rats dont votre demeure est infestée. — Si tu
le faisais pour moi , lui répondit-il , je t'en serais reconnaissant,
et je t'accorderais le pardon que tu implores ; mais , puisque tu ne le
fais que pour jouir des restes dont ils se nourrissent, et pour les dévo
rer eux-mêmes , ne viens plus me vanter tes prétendus 8er\'ices. i> Il
dit, et donne la mort à la méchante bête
FABLES DE PILÈDUE. LIVRE
35
Ut asinus vidit ferum
laedi impnne,
extudit frontem caicibus.
At ille exspirans :
« Tull indigne
fortes insultare mihi ;
certe videor mori bis,
quod cogor ferre te,
dedecus naturse ! »
Quand l'âne vit l'antmai-sauvage
être (pouvoir être)-offensé impunément,
il lui broya le front à coups-de-pied.
Mais celui-ci expirant, dit :
« J'ai souffert avec-indignation
des animaux courageux insulter moi ;
mais certes je me-parais mourir deux fois,
en ce-que jesuis forcé de souffrir toi,
toi, l'opprobre de la nature! »
FABULA XXI.
FABLE XXL
MUSTELA ET HOMO.
LA BELETTE ET L'HOMME.
Quum mnstela
prensa ab homine
vellet
effugere necem instantem
« Parce mihi ,
quaeso, inquit,
quse purge tibî domum
muribus molestis. »
Ille respondit :
« Si faceres mea causa
esset gratum,
etdedissem veniam
supplici ;
nunc quia laboras
ut fruaris reliquiis
quas sunt rosuri
et simul
dévores ipsos,
noli imputare mibi
beneficium vanum. »
Atqne locutus ita,
denit letho improbam.
Comme une belette
prise par un homme
voulait
échapper à une mort imminente :
a Épargnez-moi ,
je vous prie, dit-elle,
moi qui purge à vous votre maison
des rats incommodes (qui l'infestent). »
Celui-ci (l'homme ) lui répondit :
« Si tu le faisais dans mon intérêt,
ce me serait agréable,
et j'aurais donné pardon
à toi suppliante ;
maintenant ( mais ) puisque tu travr.;:]e8
pour que tu jouisses des restes
qu'ils (les rats) sont devant-ronger,
et pour çu' en-même-temps
tu les dévores eux-mêmes,
ne veuilles pas imputer à moi
un bienfait vain (imaginaire).
Et ayant parlé ainsi ,
il donna à la mort, la méchante bt^ie.
^ PH.EDRI FAB. LIBER I.
Hoc in se dictum debent illi agnoscere ]0
Quorum privata servit utilitas sibi,
Et meritum inane jactant impudentius.
FABULA XXII.
CANIS FIDELIS.
Repente liberalis stultis gratus est,
Verum peritis irritos tendit dolos.
Xocturnus quum fur panem misisset Cani ,
Objecto tentans an cibo posset capi :
tf Heus! inquit, linguam vis meam praecludere, 5
Ne latrem pro re domini ! multum falleris;
Namque ista subita me jubet benignitas
Vigilare, facias ne mea culpa lucrum. »
FABULA XXIIL
RANA PvUrTA ET BOS.
Inops , potentem dum vult imitari , périt.
Iq prato quondam Rana conspexit Bovem ,
Dans cette fable doivent se reconnaître ceux qui n'agissent qu'en
vue de leur intérêt , et qui vantent avec impudence leurs bienfaits
imaginaires.
FABLE XXIL
LE CHIEX FIDÈLE.
Une libéralité soudaine peut duper les sots , mais elle tend de
vains pièges à l'homme expérimenté.
Un voleur de nuit jeta du pain à un cliien pour essayer de le sé-
duire . « Oh ! ob ! lui dit le chien , tu veux me lier la langue , et
m'empêcher d'aboyer pour le bien de mon maître ! tu t'es grande-
ment trompé. Cette bienveillance subite m'avertit au contraire de re-
doubler de vigilance, de peur que tu ne profites de ma négligence. «
FABLE XXIIL
LA GRENOUILLE ENVIEUSE ET LE BŒUF.
Le faible se perd à vouloir imiter le fort.
Une grenouille vit un jour un bœuf dans une prairie; jalouse
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
nii
q^orum utilitas privata
servit sibi ,
et jactant impudentius
meritum inane,
debent agnoscere
hoc dictum in se.
Ceux
dont l'intérêt particulier
travaille pour eux seuls ,
et qui vantent trop-impudemmeaî
un service imaginaire,
doivent reconnaître
ceci être dit contre eux.
FABULA XXII.
CANIS FIDELIS.
Liberaliâ repente
est gratus stultis,
verum tendit peritis
dolos irrites.
Quum fur nocturnus
misisset panem cani ,
tentans an posset capi
cibo objecte :
« Heus! inquit,
vis prascludere
meam linguam,
ne latrem
pro re demini !
Falleris multum;
namque
ista benignitas subita
jubet me vigilare
ne facias lucrum
mea culpa. »
FABLE XXII.
LE CHIEN FIDÈLE.
Un homme libéral tout-à-coup
est agréable aux sots,
mais il tend aux habiles
des pièges vains.
Comme un voleur de-nuit
avait jeté du pain à un chien,
essayant s'il pourrait être pris (amorcé
par cette nourriture jetée-devant lui :
« Holà! dit le chien,
ta veux fermer-pardevant (arrêter)
ma langue,
de-peur-que je n'aboie
pour la chose (l'intérêt) de mon maître 1
Tu te-trompes beaucoup ;
car
cette bienveillance soudaine
engage moi à veiller
de-peur-que tu ne fasses un gain
par ma faute. »
FABULA XXIII.
BANA KUPTA ET BOS.
FABLE XXIII.
LA GRENOUILLE CREVEE ET LB BŒUF.
Inops périt , Le faible succombe,
dum vultimitari potentem. quand il veut imiter le puissant.
Rana conspexit quondam Une grenouille aperçut un-jour
bovem in prato, un bœuf dans uu pré.
38 PHyEDRI FAB. LIBER I.
Et tacta invidia tantae magnitudinis ,
Rugosam inflavit pellem ; tum natos suos
Interrogavit an Bove esset latior. 5
nu negarunt. Rursus intendit cutem
Majore nisu , et simili quaesivit modo
Quis major esset. Illi dixerunt Bovem,
Novissime indignata, dum vult validius
Inflare sese, rupto jacuit corpore. <0
FABULA XXIV.
CANIS ET CROCODILUS'.
Consilia qui dant prava cautis hominibus,
Et perdunt operam , et deridentur turpiter.
Canes currentes bibere in Nilo flumine ,
A Crocodilis ne rapiantur, traditum est.
Igitur quum currens bibere cœpisset Canis , S
Sic Crocodilus : « Quam libet Ïambe otio ;
Noli vereri. » At ille : « Facerem , mehercule!
Nisi esse scirem carnis te cupidum mese. »
d'une taille si belle , elle gonfle sa peau toute ridée , puis demande à
ses petits si elle n'est pas plus grosse que le bœuf. Non pas, lui répon-
dent-ils. Elle redouble d'efforts, elle s'enfle de plus belle, et de-
mande encore quel est le plus grand des deux. « Le bœuf, » dirent
les petits. Pleine de dépit, la grenouille veut se gonfler davantage
mais elle crève et tombe roide morte.
FABLE XXIV.
LE CHIEN ET LE CROCODILE.
Ceux qui donnent aux hommes prévoyants de mauvais conseils,
perdent leur peine et sont raillés honteusement.
On dit que les chiens ne boivent qu'en courant l'eau du Nil, dans
la crainte d'être enlevés par les crocodiles. Un chien s'étant donc
mis à boire de cette manière : « Bois à loisir , et sois sans crainte , »
lui dit un crocodile. « Assurément je le ferais , lui répondit le chiec^
si je ne te savais si friand de ma chair. »
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE L
et tacta invidia et touchée ( atteinte ) d'envie
tantse magnitndinis, à l'égard d'une aussi grande taille,
inflavit peîlem rugosam ; elle enfla sa peau ridée ;
tuminterrogavit3uosnato3 puis elle demanda à ses petits
39
an esset latior bove.
:ili negarunt.
Intendit rursus cutem
majore nisu,
et quaesivit simili modo
quis esset major.
Illi dixerunt "bovem.
Dum indignata novissime,
vult inflare sese validius,
jacuit corpore rupto.
si elle étaitpluslarge (grosse) que lebœaf.
Ceux-ci nièrent ( dirent que non ) .
Elle tendit de-nouveau sa peau
avec un plus-grand ejffort,
et demanda d'une semblable manière
qui des deux était le plus-grand.
Ceux-ci dirent que c'était le bœuf.
Tandis qu'encore plus indignée à-la-fin,
elle veut enfler soi plus fortement,
Elle resta-étendue morte , le corps crevé.
FABULA XXIV.
CAXIS ET CROCODILUS.
Qui dant prava consilia
hominibus cautis,
et perdunt operam,
et deridentur turpiter.
Traditum est
canes bibere currentes
in flumineNilo,
ne rapiantur
a crocodilis.
Quum io;itur canis
crepisset bibere currens,
crocodilus sic :
« Lambe otio quam libet ;
noli vereri. »
At ille :
« Facerem , mebercule !
nisi scirem te esse cupidum
mese carnis. »
FABLE XXIV.
LE CHIEN ET LE CEOCODILE.
Ceux qui donnent de mauvais conseils
à des hommes prudents,
et perdent leur peine,
et sont moqués honteusement.
n a été transmis (il est de tradition)
que les chiens boivent toujours courant
dans le fleuve du Nil,
de-peur- qu'ils ne soient enlevés
par les crocodiles.
Comme donc un chien
s'était-mis-à boire en-courant,
un crocodile lui parla ainsi :
Œ Lappe à-loisir autant-qu'il te plaît ;
ne veuilles pas craindre ( ne crains rien) .
Mais celui-ci (le chien ) répondit :
a Je le ferais, par-Hercule •
si je ne savais toi être avide
de ma chair. »
ÛO PHJÎDRI FAB. LIBER L
FABULA XXV.
VULPES ET CICOKIA.
Nulli nocendum ; si quis vero laeserit ,
Mulctandum simili jure, fabula admonet.
Vulpes ad cœnam dicitur Ciconiam
Prior invitasse , et illi liquidam in patina
Posuisse sorbitionem , quam nuUo modo b
Gustare esuriens potuerit Ciconia.
Quae Vulpem quum revocasset , intrito cibo
Plenam lagenam posuit : huic rostrum insérons
Satiatur ipsa , et torquet convivam famé.
Quae quum lagenae collum frustra lamberet , 1 0
Peregrinam sic locutam volucrem accepimus :
« Suaquisque exempla débet aequo animo pati. »
FABULA XXVI.
CANIS , THESAURUS ET VULTUBIUS,
Haec res avaris esse conveniens potest ,
Et qui , humiles nati , dici locupletes student.
FABLE XXV.
LE RENARD ET LA CIGOGNE.
Il ne faut nuire à personne ; mais si quelqu'un vous offense , il
mérite qu'on lui rende la pareille ; cette fable vous en donne le
conseil.
On dit que le renard ayant invité le premier la cigogne à souper ,
lui servit sur un plat un brouet liquide dont elle ne put goûter,
malgré sa faim. A son tour elle invite le renard , et sert devant lui une
bouteille pleine d'une viande hachée ; son bec y entrait à merveille ;
elle se rassasie à loisir et torture son convive affamé. Comme il lé-
chait inutilement le cou de la bouteille , l'oiseau voyageur lui dit ,
s'il faut en croire la tradition : « Chacun doit savoir supporter ce
dont lui-même a donné l'exemple. »
FABLE XXVI.
LE CHIEN, LE TRESOR ET LB TAUTOUB.
Cette fable peut s'appliquer aux avares , et à ceux qui , nés dans
la misère , veulent se donner pour riches.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
U\
FABULA XXV.
FABLE XXV.
VULPES ET CICONIA.
Nocendum nulli;
si quis vero lasserit ,
fabula admonet
jnulctandum jure simili.
Vulpes dicitur invitasse
prior
ciconiam ad cœnam,
et posuisse illi
in patina
sorbitionem liquidam ,
quam ciconia esuriens
pottierit gustare
nullo modo.
Quum quse
revocasset vulpem,
posuit lagenam
nlenam cibo intrito :
ipsa satiatur
inserens rostrum huic,
et torquet convivam famé.
Quum quîe lamberet frus-
coUum lagenœ ftra
accepimus
volucrem peregrinam
locutam sic :
« Quisque débet
pati anime œquo
Bua exempla. i»
LE RENARD ET LÀ CIGOGNE.
Il ne faut nuire à personne ;
mais si quelqu'un vous a offensé,
cette fable avertit ( recommande )
lui devoir-être-puni selon un droit pareil.
Un renard est dit avoir invité
le premier-des-deux
une cigogne à souper;
et avoir posé [ servi ) à elle
dans un plat
un brouet liquide,
que la cigogne aff'amée
ne put goûter
en aucune façon.
Comme celle-ci
eut invité-à-son-tour le renard,
elle lui posa ( servit ) une bouteille
pleine d'un mets broyé (haché):
elle-même se-rassasie
insérant son bec dans elle ( la bouteille^
et tourmente son convive par la faim.
Et comme il (le renard) léchait eu vain
le cou de la bouteille,
nous avons reçu ( appris )
l'oiseau voyageur
avoir parlé ainsi :
« Chacun doit
souffrir d'une âme égale ( sans se fâcher )
ses exemples (l'exemple qu'il a donné ). »
FABULA XXVL
FABLE XXVL
CJLNI8, THESAURUS ET
VULTURIUS.
LE CHIEN , LE TRESOR ET
LE VAUTOUR.
Hase res potest
esse conveniens avaris,
et qui, Rati humiles,
Btudent dici locupletes.
Cette chose ( ce sujet ) peut
être convenant aux (concerner les) avares,
et à ceux qui, nés humbles de condition,
désirent-avec-passion être dits riches
42 PaEDRI FAB. LIBER I.
Humana effodiens ossa , thesaurum Canis
Invenit ; et, violarat quia Mânes deos*,
Injecta est illi divitiarum cupiditas, 5
Pœnas ut sanctae religioni penderet.
Itaque aurum dum custodit , oblitus cibi ,
Famé est consumptus. Quem stans Vulturius super,
Fertur locutus : « 0 Canis, merito jaces ,
Qui concupisti subito regales opes , 40
Trivio conceptus, et educatus stercore ! »
FABULA XXVII.
VULPES ET AQUILA.
Quamvis sublimes , debent humiles metuere ,
Vindicta docili quia patet solertiae.
Vulpinos catulos Aquila quondam sustuKt ,
Nidoque posuit pullis , escam ut carperent.
Hanc persécuta mater orare incipit , 5
Ne tantum miserae luctum importaret sibi.
Gontempsit illa , tuta quippe ipso loco.
Un cMen, en déterrant des ossements humains , trouva un trésor ;
il avait outragé les dieux Mânes : la soif des richesses s'empara de
lui. Tout occupé à veiller sur son or, il oublia le manger, et mou-
rut de faim. On dit qu'un vautour vint se poser sur son cadavre, et
parla ainsi : « Ta mort fut méritée , chien insensé , qui désiras tout
à coup des richesses royales , toi , né dans un carrefour, et nourri
des ordures du fumier. »
FABLE XXVII.
LE KENAED ET l'AIGLB.
Si grand que l'on soit , il faut craindre les petits ; la vengeance est
facile à qui sait employer la ruse.
Uue aigle ravit un jour les petits d'un renard , et les déposa dana
son aire pour servir de nourriture à ses aiglons. La pauvre mère La
suivit, la conjurant de ne point lui causer une aussi amère douleur;
mais l'aigle méprisa ses prières , se croyant bien en sûreté dans sa
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
43
Canis
nvenit thesaurum,
ïffodiens ossa humana,
itquiaviolarat deosManes,
îupiditas divitiarum
Djecta est illi ,
it penderet pœnas
eligioni sanctae.
taque dum custodit aurum ,
•blitns cibi,
ionsumptus est famé,
/"ulturius
tans super quem,
értur locutus :
: 0 canis, merito jaces,
ui concupisti subito
ipes regales,
onceptus trivio
it educatus stercore ! »
Un chien
trouva un trésor
crt-déterrant des ossements humains,
et parce qu'il avait violé les dieux Mânes,
l'avidité des richesses (la cupidité)
fut jetée-dans lui (lui fut inspirée) ,
pour qu'il payât des peines
au culte saint.
Aussi pendant qu'il garde cet or,
ayant oublié toute nourriture,
il fut consumé par la (mourut de) faim.
Un vautour
se tenant sur lui
est rapporté avoir parlé ainsi :
€ 0 chien ! c'est justement que tu gis mort,
toi qui as convoité tout-à-coup
des richesses royales,
quoique conçu dans un carrefour,
et nourri d'ordure. »
FABULA XXVII.
VULPES ET AQTJILA.
Quamvis sublimes
lebent metuere humiles,
[uia vindicta patet
olertiae docili.
Aquila sustulit quondam
iatulosvulpinos,
)0suitque nido pullis,
it carperent escam.
^later persécuta hanc ,
licipit orare
le importaret sibi miserai
antum luctum.
lia contempsit,
[uippe tuta loco ipso.
FABLE XXVII.
LE KENABD ET L' AIGLE.
Quelque élevés (puissants) qu'ils soient,
les hommes doivent craindre ies faibles,
parce-que la vengeance est ouverte (pos-
à l'adresse docile (souple). [sible)
Une aigle enleva un jour
les petits d' un-renard,
et les posa dans son nid pour ses petits,
pour qu'ils en prissent leur nourriture.
La mère ayant-suivi-jusque-là elle (l'ai-
sc-met-à la supplier [g^*^)?
qu'elle ne causât pas à soi malheureuse
un si-grand deuil.
Celle-ci la méprisa ,
car elle était en sûreté par le lieu même.
llU PILEDRI FAB. LIBER I.
Vulpes ab ara rapuit ardentem facem ,
Totamque flammis arborem circumdedit ,
Hostis dolorem damno miscens sanguinis. -si
Aquila , ut periclo mortis eriperet suos ,
Incolumes natos supplex Vulpi reddidit.
FABULA XXVIII.
RANiB ET TAUKI.
Humiles laborant ubi potentes dissident.
Rana in palude pugnam Taurorum intuens •
« Heu ! quanta nobis instat pernicies ! » ait.
Interrogata ab alla cur hoc diceret ,
De principatu quum decertarent gregis , 5
Longeque ab illis degerent vitam Boves •
r Est separata statio , ac diversum genus ,
Sed pulsus regno nemoris qui profugerit ,
Paludis in sécréta veniet latibula ,
Et proculcatas obteret duro pede ; 1 0
Caput ita ad nostrum furor illorum pertinet. d
demeure. Le renard saisit sur un autel un tison enflammé , et mît le
feu tout autour de l'arbre, se condamnant, pour perdre son enne-
mie , à voir périr son propre sang. L'aigle , pour arracher sa famille
au danger, vint, en suppliant, rendre au renard ses petits sains et
saufs.
FABLE XXVIII.
LES GRENOUILLES ET LES TAUBEA.UX.
Les petits ont toujours à soufiFrir des dissensions des grands
Une grenouille , du fond de ses marais, fut témoin d'un combat de
taureaux : a Hélas ! s'écria-t-elle , quel malheur nous menace ! »
Une de ses compagnes lui demanda de quoi elle avait à se plaindre:
ces taureaux se disputaient l'empire du troupeau , et d'ailleurs ils
rivaient loin d'elles. « Il est vrai, répondit-elle, nos demeures sont
séparées et notre race n'est point la même ; mais le vaincu , chassé
des bois où il régnait , viendra se réfugier dans les retraites les plus
secrètes de nos marais, et nous écrasera impitoyablement sous ses
pieds. C'est ainsi que leur fureur menace nos jours. »
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
1x5
Vulpes rapuît ab ara
facem ardentem,
circumdeditque flammis
arborem totam,
miscens dolorem hostis
iamuo sanguinis.
A.quila, ut eriperet suos
periculo mortis,
reddidit supplex vulpi
natos incolumes.
Mais le renard enleva à un autel
une torche enflammée,
et environna de flammes
l'arbre tout-entier,
unissant la douleur de son ennemie
à la perte de son propre sang.
L'aigle, pour qu'elle arrachât les siens
au danger de la mort,
rendit suppliante (humblement) au renar'^
ses petits sains-et-saufs.
FABULA XXVIU.
FABLE XXVIIL
RANiB ET TAURI. LES GRENOUILLES ET LES TAUREAUX.
Humiles laborant
nbi potentes dissident.
Rana intuens in palude
pugnam taurorum :
Heu! quanta pernicies^ ait,
instat nobis !
Interrogata ab alia
cur diceret hoc,
quum boves decertarent
de principatu gregis,
degerentque vitam
longe ab illis :
« Statio est separata,
ac genus diversum;
sed qui profugerit
pulsus regno nemoris,
veniet in latibula sécréta
palurlis,
et obteret pede duro
proculcatas :
ita fur or illorum
pertinetadnostrumcarut.v
Les faibles (les petits) souff'rent
quand les grands sont-en-dissension.
LTne grenouille voyant dans un marais
un combat de taureaux :
Hélas! quel-grand malheur, dit-elle,
menace nous !
Interrogée par une autre grenouille
pourquoi elle disait cela,
puisque les bœufs combattaient
au-sujet-de l'empire du troupeau,
et passaient leur \ie
loin d'elles :
a Notre séjour est séparé, dit-elle.,
et notre race diflerente ,
mais celui-qui se sera échappé (fuira ;
chassé du royaume du bois ( des bois),
viendra dans les retraites cachées
de ce marais,
et écrasera de son pied dur
nous foulées-aux-pieds i
ainsi la fureur de ces animaux
s'étend à (intéresse) notre tête (vie'). >
66 PH^bKI FAB. LIBER L
FABULA XXIX.
MILV1U8 ET COLUMBJB.
Qui se committit homini tutandum improbo,
Auxilium d uni requirit , exitium invenit.
Colambae saepe quum fugissent Milvium ,
Et celeritate pennae vitassent necem ,
Consilium raptor vertit ad fallaciam , 5
Et genus inerme tali decepit dolo :
a Quare sollicitum potius sevam ducitis,
Quam regem me creatis icto fœdere ,
Qui vos ab omni tutas praestem injuria ? »
lUae credentes tradunt sese ^lilvio ; 40
Qui, regnum adeptus, cœpit vesci singulas,
Et exercere imperium saevis unguibus.
Tune de reliquis una : « Merito plectimur. »
FABLE XXIX.
LE MILAN ET LES COLOMBES.
Celui qui se met sous la sauvegarde d'un méchant , trouve sa
perte là où il cliercliait assistance.
Les colombes, fuyant le milan , avaient souvent évité la mort par
la rapidité de leur vol. L'oiseau de proie réfléchit à quelque strata-
gème, et trompa de la manière suivante ce peuple sans défense :
« Pourquoi , leur dit-il , mener une vie toujours inquiète , plutôt que
de faire alliance avec moi, et de me créer votre roi? Je vous garantirai»
de tout dommage. » Les colombes le croient et se livrent à lui ; mais
à peine devenu roi , il se met à les dévorer les unes après les autres,
et ses serres cruelles leur font sentir son pouvoir, a Nous avons mé-
rité notre malheur, » dit alors une de celles qm restaient.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE I.
47
FABULA XXIX.
MILVIUS ET COLUMB^
Qui committit
se tutandum
homini improbo
iavenit exitium,
dum requirit auxilium.
Quum columbœ
fugissent ssspe milvium,
et vitassent necem
csleritate pennae,
raptor vertit consilium
ad fallaciam,
et decepit dolo tali
genus ineruie :
« Quare
'lucitis ae\tim sollicitum
potius quam creatis regem,
fœdere icto,
me qui preestem vos tutas
ab omni injuria ? »
Illœ credentes
tradunt sese milvio ;
qui adeptus regnum,
cœpit vesci singulas,
et exercere imperium
unguibus ssevis.
Tune una de reliquis :
« Plectimur merito. ■
FABLE XXIX.
LE MILAX ET LES COLOMBES.
Celui-qui confie
soi pour-être-protégé
à un homme pervers
trouve sa perte,
tandis qu'il cherclie secours.
Ck)mme les colombes
avaient échappé souvent au milan,
et avaient évité la mort
par la vitesse de leur aile,
le ravisseur tourna son projet
vers la fourberie,
et trompa par une ruse telle
ceUe race sans-armes ( faible ) :
« Pourquoi, leur dit-il,
menez-vous une vie inquiète
plutôt que vous créiez (de créer^ roi,
une alliance étant conclue,
moi qui (pour que je) mette vousen-sûreté
contre toute injure? »
Celles-ci confiantes
livrent soi au milan ;
celui-ci ayant obtenu l'empire,
se-mit-à les manger une-à une,
et à exercer son empire
avec ses serres cruelles.
Alors une des restantes dit :
« Nous sommes frappées justement. ■.-
^8 PHiEDRI FAB. LIBER lî.
LIBER II.
PROLOGUS.
AUCTOK.
Exemplis continetur ^Esopi genus ,
Nec aliud quidquam per fabellas quaeritur
Quam corrigatur error ut mortalium ,
Acuatque sese diligens industria.
Quicumque fuerit ergo narrandi locus * , 3
Dum capiat aurem , et servet propositum suuhi ,
Re commendatur, non auctoris nomine.
Equidem omni cura morem servabo senis ;
Sed si libuerit aliquid interponere ,
Dictorum sensus ut delectet varietas, 10
Bonas in partes lector accipiat velim ,
Ita , si rependet illi brevitas gratiam.
Cujus verbosa ne sit commendatio ,
Attende cur negare cupidis debeas ,
Modestis etiam offerre quod non petierint. i5
PROLOGUE.
l'auteur.
Le genre traité par Esope est tout entier en exemples , et le but
unique de l'apologue est de corriger les erreurs , et d'riguillonner
l'industrieuse activité des hommes. Quel que soit donc le sujet qu'il
traite , pourvu qu'il charme l'oreille et atteigne son but, il se re-
commande de lui-même , sans avoir besoin du nom de l'auteur. Aussi
mettrai-je tous mes soins à conserver la manière du vieillard ; mais
s'il m' arrive d'intercaler dans ses fables quelque chose du mien ,
pour charmer par la variété de la narration le goût du lecteur , je
yeux qu'il m'en sache gré , et ma brièveté lui tiendra compte de sa
bienveillance. Mais n'allons pas nous vanter longuement de ce mé-
rite. Apprends, lecteur, la raison qui doit te faire tout refuser aux
gens avides , et accorder à la modération ce qu'elle n'a pas même
demandé.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IL
(i9
LIVRE II
PROLOGUS.
PROLOGUE.
L'AUTEUR.
Genus ^sopi
continetur exemplis
et quidquam aliad
non quœritur per fabellas,
qnam ut evror mortalium
corrigatur,
industriaque diligens
acuat sese.
Quicunque fuerit ergo
locus narrandi ,
dum capiat aurem,
et servet suum propositum,
commendatur re,
non nomine auctoris.
Equidem, omni cura
servabo morem senis ;
sed si libuerit
interponere aliquid,
ut varietas dictorum
delectet sensus,
velim lector
accipiat in bonas partes,
ita si brevitas
rependet illi
gratiam.
Ne coraraendatio citjus
^it verbosa,
ttende cur debeaa
^gare cupidis ,
-tiam offerre modestis
cnod non petierint.
Le genre d'Ésope
estrenfermé (consiste) dans des exemples,
et quelque autre-chose
n'est pas cherché au-moyen des fables,
sinon que l'erreur des mortels
soit corrigée,
et que l'activité soigneuse
aiguise ( forme, perfectionne) soi.
Quelle-qu'ait été (que soit) donc
la matière de raconter (le sujet du récit),
pourvu qu'elle charme l'oreille,
et garde ( atteigne ) son but,
elle se-recommande par le sujet même,
et non pas par le nom de l'auteur.
Moi-à-la- vérité, avec tout le soin possible
je conserverai la manière du vieil Ésope;
mais s'il jn'aura plu (me plaît)
d'y intercaler quelque chose,
afin que la variété de ces paroles (écrit«^
flatte les sens ( les esprits ),
je voudrais que le lecteur
accueillît ce/^e idée nouvelle eu bonne part,
ainsi si ( à condition que ) la brièveté
paiera à lui
reconnaissance (m'acquittera envers I:ii ,.
Pour que l'éloge de cette brièveté
ne soit pas verbeux, voici une momie :
fais-attention pourquoi tu dois
refuser aTix gie«s cupides leur demav k,
et même offrir aux gens réservés
ce-qu'ils n'auront pas demandé.
Fables de Phldke.
50 PH^DRl FAB. LIBER II.
FABULA I.
LEO , PKiRDATOR ET VIATOK.
Super juvencum siabat dejectum Léo ;
Praedator intervenit partem postulans :
« Darem, inquit, nisi soleres per te sumere; »
Et improbum rejecit. Forte innoxius
Viator est deductus in eumdem locum , 5
Feroque viso , rettulit rétro pedem.
Gui piacidus ille : « Non est quod timeas, ait ;
Et , quae debetur pars tuae modestiae ,
Audacter toile. » Tune diviso tergore ,
Silvas petivit , homini ut accessum daret. 4 0
Exemplum egregium prorsus et laudabile ;
Verum est aviditas dives, et pauper pudor.
FABULA II.
ANUS, PUELLA ET TIR.
A feminis utcumque spoliari viros ,
Ament , amentur , nempe exemplis discimus.
FABLE I.
LE LION, LE BRACONNIER ET LE VOTAGECR.
Un lion tenait sous ses griffes un jeune taureau terrassé. Un bra
connier survient et en réclame une part. « Je te l'accorderais volon-
î:ers, lui dit le lion , si tu n'avais l'habitude de la prendre toi-même;»
e: il renvoie l'importun. Arrive au même endroit un voyageur inof-
fensif, qui à l'aspect du farouche animal recule vivement en ar-
rière. « Tu n'as rien à craindre, lui dit doucement le lion ; loin de
là, prends hardiment la part due à ta modération. » A ces mots il
partage la proie et regagne les forêts pour laisser approcher le voya-
g'^r.
Exemple admirable et bien digne de louanges ! cependant , l'avi-
ditô s'enrichit et la modération reste pauvre.
FABLE II.
LA VIEILLE FEMME, LA JEITKB FILLE ET L'HOMME.
Aimons, soyons aimés, toujours les femmes nous rançonnent; de
nombreux exemples en font foi.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE II.
51
FABULA I.
FABLE L
LEO, PR^DATOR ET
YIATOK.
Léo stabat
super juvencum dejectum;
prœdator intervenit
postulans partem :
« Darem, inquit ,
si non soleres
sumere per te; »
et rejecit improbnm.
Viator innoxius
deductus est forte
in eumdem locum,
et , fero viso,
rettulit rétro pedem.
Cui ille placidus :
« Non est quod timeas, ait,
et toile audacter
quse pars
debetur tuae modestiae. »
Tune, tergore diviso,
petivit silvas,
utdaret accessum homini.
Exemplura
prorsus egregium
et laudabile ;
verum aviditas est dives,
et pudor pauper.
LE LION , LE BRIGAND FT
LE VOTAGBUR.
Un lion se tenait
sur un jeune-taureau abattu ;
un brigand intervint (survint )
en demandant une part :
« Je te la donnerais, dit le lioUy
si tu n'avais-coutume
de la prendre par toi-même; »
et il rejeta ( repoussa ) le méchant.
Un voyageur inoffensif
fut conduit ( vint ) par hasard
dans le même endroit ,
et, l'animal-sauvage (le lion) étant vu
il reporta en-arrière son pied ( recula).
A lui l'autre (le lion ) tranquille :
« Il n'est pas pourquoi tu doives-crn'n-
et enlève hardiment [dre, dit-il,
la partie laquelle partie
est due à ta modération. »
Alors, le dos du taureau étant divisé,
il gagna les forêts,
pour qu'il donnât libre accès à l'homme.
Cet exemple
est sans doute remarquable
et digne-de-louange ;
mais d'ordinaire l'avidité est riche,
et la réserve pauvre.
FABULA IL
FABLE IL
ANUS , PUELLA
ET VIR.
LA VIEILLE-FEMME, LA JEUNE-FILI
ET l'homme.
Discimusexemplisnempe Nous apprenons par desexemplescerte:^
vkos spoliari utcTimqne queleshommes sont dépouillés en-tout-cas
a feminis, par les femmes ,
ament, amentur. qu'ils les aiment, qu'ils en soient aimes.
52 PH^DRI FAB. LIBER II.
jEtatis mediae quemdam mulier non rudis
Tenebat, annos celans elegantia ;
A.nimosque ejusdem pulchra juvenis ceperal. 5
Ambae videri dum volunc illi pares,
Gapillos homini légère cœpere invicem.
Quum se putaret fingi cura mulierum,
Calvus repente factus est : nam funditus
Ganos Puella, nigros Anus evellerat. 40
FABULA III.
HOMO ET CANIS.
Laceratus quidam morsu vehementis Canis,
Tinctum cruore panem misit malefico ,
Audierat esse quod remedium vulneris.
Tune sic iEsopus : « Noli coram pluribus
Hoc facere canibus , ne nos vivos dévorent , 5
Quum scierint esse taie culpae praemium. »
Successus improborum plures allicit.
Une femme, qui ne manquait pas d'adresse, retenait dans ses
filets un homme de moyen âge, en cachant ses années sous l'élégance
de sa parure ; une belle jeune fille avait aussi fait impression sur son
cœur. Toutes deux , voulant paraître avoir un amant de leur âge,
se mettent à épiler tour à tour la tête de notre amoureux , et , tan-
dis qu'il s'imagine qu'elles prennent soin de sa chevelure , il se
trouve tout à coup chauve : la jeune fille avait enlevé les cheveux
blancs, et la vieille les noirs.
FABLE III.
l'homme et le ghibk.
Un homme , mordu par un chien furieux, jeta au malfaisant ani-
mal un morceau de pain trempé de sou sang ; il avait entendu dire
que c'était un remède pour ces sortes de blessures. « N'allez pas ,
lui dit Esope , agir ainsi devant d'autres chiens : ils nous dévore-
raient tout vivants , s'ils voyaient qu'on récompense ainsi leur rr.L ■
chancelé. »
Le succès du méchant en allèche bien d'autres.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IL
53
Mulier non radis,
celans anno9
elegantia,
tenebat quemdam
aeiatis médias;
pulchraque juvenis
ceperat animos
ejusdem.
Dum ambae
volunt videri pares illi ,
cœpere invicem
légère capillos homini.
Quum putaret
3€ fingi
cura mulierum ,
factus est repente calvns;
nam puella
evellerat funditns
canos,
anus nigros.
Une femme non inhabile (adroite),
cachant ses années
sous son élégance (à l'aide de sa parure),
captivait un certain homme
d'âge moyen ^ mûr);
.et-en-outre une belle jeune fille
avait pris (charmé les esprits (le cœur)
du même homme.
Pendant-que toutes-les-deux
veulent paraître égales en âge à lui,
elles se-mirent à-tour-de-rôle [me.
à ôter-avec-choix les cheveux à cet hora-
Tandis-qu'il croyait
soi être façonné (bien peigné)
par le soin de ces femmes ,
il fut fait (devint) tout-à-coup chauve ;
car la jeune fille
avait arraché totalement
les cheveux blancs,
et la vieille les cheveux noirs.
FABULA III.
FABLE III.
HOMO ET CANIS.
l'homme et le CHIEK.
Quidam laceratus
morsu canis vehementis
misît malefico
panem tinctura cruore,
quod audierat
esse remcdium vulneris.
Tonc iEsopus sic :
« Noli facere hoc
coram pluribus canibus ,
ne dévorent nos vivos ,
quum scierint
taie prsemium
ease culpse. »
Successus improborum
allîcit plures.
Quelqu'un déchiré
par la morsure d'un chien furienx
jeta au chien malfaisant
un morceau de pain trempé de son sang,
ce qu'il avait entendu dire
être un remède de cette blessure.
Alors Esope parla ainsi :
« Ne-veuille-pas faire ^ne fais pas) cela
devant un-plus-grand-nombre-de chiens^
de-peur-qu'ils ne dévorent nous vivants,
lorsqu'ils auront su (sauront)
une telle récompense
être accordée à leur faute. »
Le succès des méchants
séduit un plus grand-nombre- do gmi^
54 Pfl^DiU FAB. LIBER II.
FABULA IV.
AQUILA, FELES ET APKR.
Aquila in sublimi quercu nidum fecerat ;
Fêles cavernam nacta, in média pepererat;
Sus nemoricultrix fatum ad imam posuerat.
Tum fortuitum Fêles contubernium
Fraude et scelesta sic evertit malitia. 5
Ad nidum scandit volucris : « Pernicies , ait,
Tibi paratur, forsan et miserae mihi.
Nam , fodere terram quem vides quotidie ,
Aper insidiosus quercum vult evertere ,
Utnostram in piano facile progeniem opprimât. » iù
Terrore offuso et perturbatis sensibus,
Derepit ad cubile saelosae Suis :
a Magno , inquit , in periclo sunt nati tui :
Nam simul exieris pastum cum tenero grege ,
Aquila est parata rapere porcellos tibi. » 45
Hune quoque timoré postquam complevit locum ,
Dolosa tuto condidit sese cavo.
FABLE IV.
l'ajgle, la chatte et la laie.
Une aigle avait établi son aire sur le haut d'un chêne ; une chatte,
ayant trouvé un creux vers le milieu de l'arbre , y avait fait ses pe-
tits ; et une laie , citoyenne des forêts , avait déposé au bas sa por-
tée. La fourberie et l'astucieuse scélératesse de la chatte détruisit
cette société qu'avait formée le hasard. Elle grimpe jusqu'au nid ds
l'aigle : « Votre perte se prépare , lui dit-elle , et peut-être, hélas I
aussi la mienne. Voyez-vous à nos pieds fouir chaque jour cette laie
artificieuse? elle veut déraciner le chêne, afin que lorsque l'arbre
tombera elle puisse dévorer nos petits à son aise. » Ayant jeté la
terreur et la consternation chez l'aigle, elle descend au gîte de l:i
laie : « Vos petits , lui dit-elle , courent un grand danger ; car à
peine sortirez-vous avec votre jeune famille pour aller chercher
votre nourriture , que l'aigle fondra sur vos marcassins pour vous
les ravir. » Elle sème ainsi l'effroi dans cette autre demeure , et la
fourbe se retire dans son trou , où elle est bien en sûreté. Elle B'en
FABLES DE PHEDRE. LIVRE IL
55
FABULA IV.
FABLE IV.
AQUILA, FELES ET APER.
Aquila fecerat nidum
in quercu sublimi ;
fêles pepererat in média ,
nacta cavernam ;
sus nemoricultrix
posuerat fetum ad imam.
Tum fêles evertit sic
fraude et malitia scelesta
coutubernium fortuitum.
Scandit ad nidum volucris:
« Pernicies , ait ,
paratur tibi,
forsan et mibi miserse.
Nam aper quem vides
fodere quotidie terram
vult insidiosus
evertere quercum ,
ut opprimât facile
in piano
nostram progeniem. »
Terrore ofiFuso,
et sensibus perturbatis ,
derepit
ad cubile suis ssetosœ :
« Tui nati , inquit ,
sunt in magno periclo :
nam simul exieris
pastum cum tenero grege,
aquila parata est
rapere tibi porcellos. »
Postquam complevit timoré
hune locum quoque ,
fl olosa condidit se cave tuto ;
L AIGLE, LA CHATTE ET LA LAIE.
Une aigle avait fait son nid
sur un chêne élevé .'au haut d'un chêne) ;
une chatte avait-mis-bas au milieu ,
y ayant trouvé un creu^ ;
une laie habitante-des-bois
avait mis sa portée au bas.
Alors la chatte détruisit ainsi
par sa ruse et sa malice scélérate
cette société formée-par-le-hasard.
Elle grimpe au nid de l'oiseau :
« La perte , dit-elle ,
est préparée à toi ,
et peut-être aussi à moi malheureuse.
Car ce sanglier (cette laie) que tu vois
creuser tous-les-jours la terre
veut, le traître (la traîtresse),
renverser le chêne,
pour qu'il (qu'elle) accable facilement
sur le sol plat ( à terre ;
notre progéniture. »
La terreur étant répandue-autour,
et les sens de l'aigle totalement-troublt-,
la chatte descend-cn-rampant ( se glisse
au chenil de la laie couverte-de-soies :
« Tes petits , dit-elle ,
sont en grand danger :
car aussitôt-que tu seras sortie
pour-te-repaître avec f on jeune trouTioa:;.
l'aigle est-foufe-prête
à enlever à toi tes marcassins. »
Après qu'elle eut rempli de crainte
ce lieu-Zà aussi ,
la rusée cacha soi dans son trou en-sûreté ;
50 PH^DRl lAB. LIBER 11.
Inde evagata noctu suspenso pede .
Ubi esca se replevit et prolem suam ,
Pavorem simulans , prospicit toto die.
Ruinam metuens Aquila ramis desidet ;
Aper rapinam vitans non prodit foras.
Quid multa ? inedia sunt consumpti cum suis ,
Felique et catulis largam praebuerunt dapem.
Quantum home bilinguis ' saepe concinnet mali
Documentum habere stulta credulitas potest.
FABULA V.
C^SAR AD ATEIENSEM-.
Est ardelionum quaedam Romae natio
Trépide concursans , occupata in otio ,
Gratis anhelans, multa agendo ni! agens,
Et sibi molesta , et aliis odiosissima.
Honc emendare, si tamen possum, volo
Vera fabella : pretium est operae attendere.
Caesar Tiberius ' quum petens Neapolim
In Misenensem villam venisset suam.
esquive la nuit sans bruit pour aller se repaître, elle et sa famille; le
jour elle fait le guet et feint d'avoir peur. L'aigle , craignant la
chute de l'arbre, reste perchée sur les branches ; la laie , pour évi-
ter une attaque, n'ose plus sortir. Qa'arriva-t-il? toutes deux mou-
rurent de faim avec leurs petits , et fournirent à la chatte et à ses
jeunes chats une abondante nourriture.
La sotte crédulité jugera , d'après cet exemple, des maux que peut
causer une langue traîtresse.
FABLE V.
TIBÈRE A UN ATRIEN8E.
H existe à Rome tout un peuple de ces empressés qui courent tou-
jours , affairés sans affaires , s'essoufflant sans raison , ne faisant
rien en se remuant beaucoup , et aussi importuns à eux-mêmes qu'à
charge à tous les autres. Je veux , si je puis , les corriger par ce ré-
cit véridique; prêtez-y votre attention, il en vaut la peine.
Tibère , se rendant à Naples s'arrêta dans sa villa de Misène :
FABLES DE PHEDRE. LIVRE IL
57
inde noctu evagata
pede suspense ,
vlVi replevit esca
se et suam prolem ,
simulans pavorem ,
prospicit toto die.
Aquila metuens ruinanfi ,
desidet ramis;
aper,
vitans rapinam ,
non prodit foras.
Quid multa ?
consumpti sunt inedia
cum suis,
prsebueruntque
largam dapem
feli et catulis.
Stnlta credulitas
potesthabere documentum ,
qtiantum mali ssepe
homo bilinguis concinnet.
puis la-nuit rôdant-hors de sa demeure
le pied suspendu (à pas de loup',,
dès-qu'elle a rempli (repu) de nourriture
soi et sa race ,
feignant la peur ,
elle fait-le-guet tout le jour.
L'aigle craignant la chute de î'arhre,
reste-perchée sur les branches ;
le sanglier (la laie),
voulant-é\-iter l'enlèvement de ses petits,
ne s'avance pas dehors.
Pourquoi dirais-je beaucoup plus ?
ils périrent d'inanition
avec leurs petits ,
et fournirent
une abondante nourri t\ire
au chat et à ses petits
La sotte crédulité
peut avoir (trouver ici) une preuve de a
combien de mal souvent [/'ai^
un homme à-deux-langues prépare (cause)
FABULA V.
FABLE V
CJESAR AD ATRIENSEM. CÉSAK A UN ESCLATE-DE-l'aTKIUM.
Est Romse
quasdam natio ardelionum
concursans trépide ,
occupata in otio ,
anhelans gratis ,
agens nil agendo multa ,
et molesta sibi ,
et odiosissima aliis.
Volo emendare banc,
si tamen possum ,
fabella vera.
Quum Tiberius Csesar,
petens Neapolim, .
venisset
in suamvillam Misenensem
Il est à Rome
certain peuple de faiseurs-d'embarras
allant-et-venant en-toute-hâte ,
affairés dans l'oisiveté,
s'essoufflant gratuitement ,
ne faisant rien en-agissant beaucoup,
non-seulement importuns à eux-mêmss,
mais -même très-odieux aux autres.
Je veux corriger ce ptuple^
si toutefois je /e puis ,
par une anecdote véritable.
Un-jour-que Tibère César,
se-rendant-à Naples,
était venu
à sa villa de-Misène
58 phj:dri fab. liber il
Ou ce, monte summo posita LucuUi ' manu,
Prospectât Siculum et despicit Tuscum * mare, ] 0
Ex aUicinctis* unus atriensibus,
Cui tunica ab humeris linteo Pelusio *
Erat destricta, cirris dependentibus,
Perambulante laeta domino viridia ,
Aïveolo cœpit ligneo conspergere ^'5
Humum aestuantem , jactans officium come ;
Sed deridetur. Inde notis flexibus
Prœcurrit alium in xystum, sedans pulverem.
Agnoscit hominem Caesar, remque intelligit.
« Heus! » inquit dominus. Ille enimvero adsilit, 20
Id ut putavit esse nescio quid boni ,
Donationis alacer certae gaudio.
Tum sic jocata est tanti majestas ducis :
a Non multum egisti, et opéra nequidquam périt ;
Multo majoris alapae* mecum veneunt. » 2o
de cette villa bâtie par LucuUus sur le haut de la montagne , on dé-
couvre dans le lointain la mer de Sicile, et l'on voit à ses pieds celle
d'Etrurie. Au nombre des atrienses à la tunique retroussée, en était
undontlarobe, relevée jusqu'à la ceinture, se rattachait sous l'épaule
aune écharpe de lin d'Egypte, aux longues franges pendantes. Tandis
que le maître se promène dans les jardins riants , cet esclave prend
un arrosoir de bois et se met à répandre de l'eau sur la terre brû-
lante , faisant parade de son attention délicate ; mais on se moque
de lui. De là , par des détours à lui connus , il se présente dans une
autre allée et abat la poussière. César reconnaît notre homme, et de-
vine ce qu'il veut. « Holà ! » s'écrie le maître; et l'esclave d'accourir
sur-le-champ , s'imaginant que cet appel est pour lui de bon augure,
et tout joyeux d'ime récompense qu'il tient pour certaine. Le prince,
déposant sa majesté , le raille ainsi : « Tu n'as pas fait beaucoup ,
lui dit-il , et tu as perdu ta peine : arec moi, les soufflets ne se don-
ner! pas à si bon marché. »
FABLES DE PHÈDRE. LIYKE IL
59
jnse, posita manu Luculli
ummo monte,
)rospectat mare Siculnm ,
;t despicit Tuscum ,
Linus ex atriensibus
ilticinctis ,
cm tunica
erat destricta
ab humerià
linteo Pelusio
cirrîs dependentibus ,
domino
perambulanteviridia lœta,
cœpit conspergere
alveolo ligneo
bumum œstnantem ,
jactana officium corne ;
sed deridetur.
Inde flexibus notis
prjecurrit
in alium xystum ,
sedans pulverem.
Cœsar agnoscit hominem ,
intelligitque rem.
« Heus! » inquit dominus.
lUe enimvero adsilit ,
ut putavit
îd esse nescio quid boni ,
alacer
gaudio donationis certas.
Tune majestas tanti dticis
jocata est sic :
« Non egisti multum ,
et opéra périt nequidquam;
alapge
veneunt mecum
multo majoris.»
qui, posée (bâtie" par lamaîn de Lucuilua
sur le-sommet-de la montagne,
regarde-de-loin la mer de-Sicile ,
et voit-à-ses-pieds la mer d'-Etrurie,
un de ces esclaves-de-l'atrium
à-Ia-ceinture-relevée ,
auquel la tunique
était attaebée
à partir des épaules
au moyen d'une toile de Péluse
avec des franges pendantes ,
son maître
se-promenant-par les jardins ri.^iv.ts,
se-mit-à arroser
avec un vaisseau de-bois
la terre échauffée ,
faisant-parade-de son zèle officieux. ;
mais il est raillé.
Ensuite par des détours connus
il court-en-avant de Tibère
dans une autre allée ,
apaisant ( faisant tomber ) la poussière.
César reconnaît l'homme ,
et comprend la chose Q'intention .
« Holà ! » dit le maître.
Or-vraiment celui-ci accourt-d'un-saut
comme il a pensé
cela être je-ne-sais quoi de bon,
rendu actif ( empressé )
par la joie d'une gratification certaine.
Alors la majesté d'un si-grand prince
plaisanta ainsi :
« Tu n'as pas fait beaucoup ,
et ta peine a péri en-vain ( est perdue ;j
les soufflets d' affranchissems-.U
se vendent avec moi
beaucoup plus cher. »
60 PH.EDKI FAB. fJBEK II.
FABQLA VI.
AQTJILA, CORNIX BT TESTUDO.
Contra potentes nemo est munitus satis ;
Si vero accessit consiliator maleficus,
Vis et nequitia quidquid oppugnant, ruit.
Aquila in sublime sustulit Testudinem ;
Quse quum abdidisset cornea corpus domo. 5
îs^ec ullo pacto laedi posset condita ,
Venit per auras Cornix, et propler volans :
« Opimam sane praedam rapuisti unguibus ;
Sed , niai monstraro quid sit faciendum tibi ,
Gravi nequidquam te iassabit pondère. » 10
Promissa parte, suadet ut scopulum super
Altis ab astris duram illidat corticem ,
Qua comminuta , facili vescatur cibo.
Inducta verbis, Aquila monitis paruit,
Simul et magistrae large divisit dapem. ^ 5
Sic, tuta quae naturœ fuerat munere
Iiiipar duabus, occidit tristi nece.
FABLE VI.
l'aigle , LA COKXEILLE ET LA TORTUE.
Contre les puissants , on ne saurait trop avoir de défense ; mais s'il
rient se joindre à eux un conseiller pervers, la force et la méchan-
ceté n'attaquent rien qu'elles ne renversent.
Un aigle enleva dans les airs une tortue, dont le corps, caché sous
sa maison d'écaillé , ne pouvait être entamé. Une corneille passe en
volant près de l'aigle : « Vous tenez là dans vos serres une bien
belle proie , mais si je ne vous indique ce qu'il vous faut en faire ,
vous vous lasserez inutilement à porter ce lourd fardeau. » L'aigle
lui promet une part ; la corneille alors lui conseille de la laisser
tomber du haut des airs sur un rocher pour briser sa dure écaille ;
l'enveloppe une fois mise en morceaux, ils se rassasieront à leur aise
delà chair de l'animal. L'aigle se laisse persuader , obéit à cet ex-
cellent avis, et partage ensuite libéralement avec sa conseillère. Ainsi
celle que protégeaient les dons de la nature , trop faible contre deux
ennemis, périt d'une mort cruelle.
FABLES DE PHÉORE. LlVEJt II.
61
FABULA VI.
AQUILÀ , CORNIX
ET TESTDDO.
FABLE VL
l'aigle , LA CORKEILLi
ET LA TORTUE.
Nemo est munitus satis
contra potentes ;
<&\ vero
jcousiliator maleficus
iaccessit ,
iquidquid
vis et nequitia oppugnant,
ruit.
I Aquila
|sustulit testudinem
lin sublime ;
iquum quse
[abdidisset corpus
I domo coruea ,
jet condita
Inon posset Isedi
' uilo pacto ,
; oornix venit per auras ,
j et volans propter :
« Rapuibti unguibus
I prœdam opimam sane ;
'■ sed nisi monstraro tibi
quid sit facienduin ,
, lassabit te nequidquam
pondère gravi.
Parte promissa ,
suadet
1 ut illidat
ab astris altis
; super scopulum
; corticem duram ,
! qua comminuta ,
; vescatur cibo facili.
Aquila, inducta verbis ,
paruit monitis ,
et simul divisit large
dapem raagistrœ.
Sic quse fuerat tu ta
munere naturae ,
impar duabus,
I occîdit nece tristi.
Personne n'est fortifié assez
contre les puissants ;
mais si en outre
un conseiller malfaisant
est-venu-se-joiudre à l'homme puissant,
tout-ce-que
la force e: la méchanceté attaquent,
croule.
Un aigle
enleva une tortue
au haut des airs ;
mais comme celle-ci
avait caché son corps
dans sa maison de corne ( d'écaillé ) ,
et que protégée ainsi
elle ne pouvait être blessée
par aucun moyen,
une corneille vint par les airs,
et volant près de l'aigle , dit :
« Tu as enlevé avec tes serres
une proie succulente sans-contredit :
mais si je n'ai niontré (ne montre) à toi
ce-qui est à-faire,
elle lassera toi en vain
par son poids lourd.
Une part lui étant proniise ,
elle lui conseille
de briser
depuis les astres élevés
sur un rocher
l'écorce ( l'enveloppe ) dure de la tortue^
afin-que-elle étant-fracassée ,
elle se-noui'risse d'un mets facile.
L'aigle, persuadé par ces paroles,
obéit aux avertissements ( à cet avis " ,
et aussitôt partagea généreusement
le mets avec sa maîtresse.
Ainsi celle-qui avait été protégée
par un don de la nature,
inégale ( trop faible ) contre deux,
périt d'une mort-violente triste.
62 PHiEDRI FAB. LIBER IL
FABULA VII.
MULI ET LATR0NE8.
Muli gravati sarcinis ibant duo ;
Unus ferebat fiscos cum pecunia ,
Alter tumentes multo saccos hordeo.
nie onere dives , celsa cervice eminet ,
Clarumque coUo jactat tintinnabulum ;
Cornes quieto sequitur et placido gradu.
Subito latrones ex insidiis advolant,
Interque caedem ferro Mulum tunsitant ,
Diripiunt nummos, negligunt vile hordeum.
Spoliatus igitur casus quum fleret suos :
« Equidem , inquit alter, me contemptum gaudeo;
Nam nihil amisi, nec sum laesus vulnere. »
Hoc argumento tuta est hominum tenuitas , ,
Magnae pericio sunt opes obnoxise. î
FABLE VIL i
LES MULETS ET LES VOLEUKS. i
Deux mixlets cheminaient chargés de lourds fardeaux : l'un por- \
tait l'argent et les paniers du fisc , et l'autre des sacs gonflés d'orge. |
Glorieux de sa charge , le premier marchait la tête haute , et faisait f
fièreœeut aller sa sonnette ; son compagnon , plus tranquille , le I:
suivait d'un pas paisible. Soudain des voleurs sortent d'une embus- |
cade, et, dans la lutte, frappent à coups redoublés le malheureux j
mulet , enlèvent l'argent , mais laissent là l'orge qu'ils dédaignent. •'
Le mulet dépouillé déplorait son malheur : « Ils m'ont méprisé, lui dit
l'autre , mais je m'en félicite , car je n'ai rien perdu et je n'ai point
de blessures. »
On voit par cette fable que l'homme obscur n'a rien à craindre,
mais que les grandes richesses sont exposées aux dangers.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE II.
63
FABULA VII.
FABLE VIL
MULI ET LATR0NE8.
LES MULETS ET LES TOLEUKS
Duo muli
îbant
gravatî sarcinis :
unus ferebat fiscos
cum peounia ;
alter saccos
tumentes multo hordeo.
nie,
dives onere ,
emînet cervice celsa ,
jactatque collo
tintinnabulum clarum ;
cornes sequitur
gradu quieto et placido.
Subito
latrones
advolant ex insidiis ,
interqae csedem
tunsitant ferrb
mulum,
diripiunt nummos ,
negligunt hordenm vile.
Quum igitur spoliatus
fleret suos casus :
« Equidem,
inqtdt alter,
gaudeo me contemptum ;
nam amisi niMl,
et non snm lassnsvnlnere.
Tenuitas hominum
est tuta hoc argnmento ,
inagnse opes
feunt obnoxiae periclo.
Deux mulets
cheminaient
chargés de bagages :
l'un portait des paniers
avec de l'argent ;
l'autre portait des sacs
gonflés de beaucoup d'orge.
Celui-là
riche de son fardeau ,
s'élève ( domine) de sa tête altièra ,
et secoue avec son cou
sa sonnette claire ( retentissante ) ;
son compagnon le suit
d'un pas tranquille et paisible.
Soudain
des voleurs
accourent d'une embuscade ,
et au-milieu du carnage
ils frappent-de-coups avec le fer
le mulet ,
pillent les écus ,
mais dédaignent l'orge de-peu-de-prix.
Comme donc le mulet dépouillé
pleurait ses malheurs :
«Moi-à-la-vérité (quant-à-moi),
dit l'autre ,
je me-réjouis moi avoir e7e méprisé ;
car je n'ai perdu rien ,
et je ne suis pas atteint de blessure, r
L'humble-condition des hommes
est en-sûreté d'après ce sujet (cette fable) ,
les grandes richesses
sont exposées au danger.
t!i PHJIDRI FAB. LICKR IL
FABULA VIII.
CERVUS ET BOVES.
Cervus nemorosis excitatus latibulis,
Ut venatorum fugeret instantem necem,
Caeco timoré proximam villam petit ,
Et opportune se bubili condidit.
Hic Bos latenti : a Quidnam voluisti tibi , o
Infelix , ultro qui ad necem cucurreris ,
Hominumque tecto spiritum commiseris ? »
At ille supplex : « Vos modo, inquit, parcite ;
Occasione rursus erumpam data. »
Spatium diei noctis excipiunt vices. 10
Frondem bubulcus affert , nec ideo videt.
Eunt subinde et redeunt omnes rustici ,
Nemo animadvertit ; transit etiam villicus,
Nec ille quidquam sentit. Tum gaudens férus
Bobus quietis agere cœpit gratias , <5
Hospitium adverso quod praestiterint tempore.
Respondit unus : a Salvum te cupimus quidam ;
Sed ille, qui oculos centum habet, si venerit,
Magno in periclo vita verte tur tua. »
FABLE VIII.
LE CERF ET LES BŒUFS.
Chassé des profondes retraites de la forêt et aveuglé par la crainte,
un cerf, pour échapper au trépas dont le menacent les chasseurs ,
gagne une ferme voisine, et se cache au fond d'une étable à bœufs
qui s'offre heureusement à lui; un boeuf le voit et lui dit : « Qu'es-
pères-tu, malheureux ? Tu cours toi-même à la mort, en confiant ta
vie aux demeures de l'homme. » Mais lui, d'un ton suppliant : « De
grâce , épargnez-moi ; à la première occasion , je recommencerai à
fuir. » Cependant la nuit arrive et remplace le jour. Un bouvier ap-
porte du feuillage, et ne le voit pas ; les villageois vont et viennent,
nul ne le remarque ; le fermier lui-même passe, et ne s'aperçoit de
rien. L'animal , plein de joie , se met alors à rendre grâces aux
bœufs de leur discrétion et de l'hospitalité qu'ils lui ont accordée
dans son malheur, c Nous désirons sincèrement ton salut , lui ré-
pondit l'un d'eux ; mais si l'homme aux cent yeux vient faire sa
visite , ta vie court grand danger. » Sur ces entrefaites , le maître
FABLES DE PHiiDRE. LIVRE II.
63
FABULA Vm.
FABLE VIII.
CBRVTJ8 ET BOVE8.
LE CERF ET LES BŒUFS.
Cervtis excitatus
latibulis nemorosis ,
utfugeret necem instantem
venatorum ,
petit villam proximam
timoré caeco ,
et condidit se bubili
opportune.
Hic bos latenti :
«Quidnam voluisti tibi,
înfelix, qui cucurreris
ultro ad necem ,
commiserisque spiritum
tecto homiuum? »
At ille supplex :
«Vos, parcite modo, inquit;
erumpam rursus
occasione data. »
Vices noctis
excipiunt spatium diei;
bubulcus affert frondem ,
nec videt ideo.
Omnesrustici eunt subinde
et redeunt ,
nemo animadvertit ;
villicus etiam transit ,
et ille non sentit quidquam.
Tum férus gaudens
cœpit agere gratias
bobus quietis,
quod prsestiterinthospitium
tempore adverso.
Uqus respondit :
« Cupimus quidem
te salvum;
sed si ille
qui habet centum oculos,
venerit,
tua vita vertetur
in magno periclo. »
Fables de Phèdre.
Un cerf lancé
des retraites des-boîs ,
pour qu'il échappât à la mort imminente
des chasseurs (dont ils le menaçaient),
gagna une ferme prochaine
dans sa frayeur aveugle ,
et cacha soi dans une étable-à-bœufs
qui-se-présenta-bien-à-propos .
Là ( alors ) un bœuf dit au cerf caché :
« Quelle-chose as-tu voulue à toi,
malheureux, qui as couru ( cours )
de-toi-même à la mort ,
et qui as confié ( confies ) ta vie
au toit (à la demeure) des hommes? »
Mais lui suppliant :
« Ovous, épargnez-mot seulement, dit-il;
je m'échapperai-rapidement de-nouveau
l'occasion m 'étant-donnée. »
Le tour de la nuit
remplace l'espace (la durée) du jour ;
le bouvier apporte du feuillage ,
et il ne voit rien pour-cela (malgré cela).
Tc'us les paysans vont de-temps-à- autre,
et reviennent ,
personne ne le remarque ;
le fermier même passe ,
et il ne s'aperçoit pas de quelque-chose.
Alors l'animal-sauvage se- réjouissant
commence à rendre grâces
aux bœufs paisibles ( discrets),
de-ce-qu'ils lui ont donné l'hospitalité
dans un temps d' -adversité.
Un d'eux répondit :
€ Nous désirons bien
qut toi ( tu ) soit sauvé;
mais si celui-là
qui a cent yeux,
sera venu vient),
ta vie sera-tournée (se trouvera)
en grand péril. >
66 PH^DRI FAB. LIBER IL
Haec mter, ipse dominus a cœna redit ; 20
Et quia corruptos viderat nuper Boves,
Accedit ad preesepe : a Cur frondis parum est ?
Stramenta desunt ! ToUere haec aranea
Quantum est laboris ? » Dum scru.tatur singuia ,
Cervi quoque alla conspicatur cornua ; 25
Quem convocata jubet occidi familia,
Praedamque toUit. Hœc significat fabula
Dominum videre plurimum in rébus suis.
EPILOGUS-
^sopi ingenio statuam posuere Attici ,
Servumque collocarunt aeterna in basi ,
Patere honoris scirent ut cunctis viam ,
Nec generi tribui, sed virtuti gloriam.
Quoniam occuparat alter, ne primus forem , 5
Ne solus esset studui , quod superfuit.
Nec haec invidia , verum est aemulatio.
sort de souper et se rappelle qu'il a vu naguère ses bœufs en mau-
vais état; il entre dans l'étable : « Pourquoi , dit-il, si peu de feuil-
lage au râtelier? La litière manque! Est-il donc si difiBcile d'ôterce»
araignées ? » Tandis qu'il examine tout, il aperçoit le bois élevé du
cerf; il appelle ses valets , fait tuer et emporter l'animal.
Cette fable signifie que , pour ses intérêts , nul ne voit plus clair
que le maître.
ÉPILOGUE.
Les Athéniens élevèrent une statue au génie d'Ésope, et placèrent
un esclave sur un immortel piédestal , pour montrer que la route
des honneurs est ouverte à tous les hommes, et que la gloire est le
prix du mérite et non de la naissance. Un autre m'avait devancé :
jc ne pouvais être le premier dans ce genre , je me suis eflforcé de
ne pas le laisser seul dans la carrière ; c'est tout ce qui me restait
u faire : il n'y a pas là de jalousie mais seulement une noble ému-
lation
FABLES DE PHEDRE. LIVRE IL
67
Inter hœc dominus ipse
redit a cœna:
et quia viderat nuper
boves corruptos,
accedit ad prassepe :
« Cur parum frondis est ?
Stramenta desunt !
Quantum laboris est
tollere haec aranea? »
Dum scrutatvir singula,
conspicatur quoque
cornua alta cervi ;
familia convocata,
jubet quem occidi,
tollitque prœdam.
Haec fabula siguifîcat
dominum -videre plurimiim
in suis rébus.
EPILOGUS.
Attici posuere statuam
ingenio ^sopi
collocaruntque servum
in basi aeterna,
ut scirent
viam honoris
patere cunctis ,
et gloriam
non tribui generi,
sed virtuti.
Quoniam alter occuparat,
ut non forem primus,
fltudui,
quod superfuit,
ne esset solus.
Et haec non est invidia ,
vemm asmulatio.
Pendant ce temps le maître lii-même
revient du souper ;
et comme il avait vu récemment
ses bœufs gâtés ( maigris ),
il s'avance vers l'étable :
« Pourquoi peu de feuillage est-il ici ?
La litière manque !
Combien de travail est ( coûterait-il )
d'enlever ces toiles-d' -araignées ? »
Pendant-qu'il examine chaque-chose,
il aperçoit aussi
les cornes élevées du cerf;
ses esclaves étant rassemblés,
il ordonne lui être tné,
et il emporte ce butin.
Cette fable signifie '[montre)
le maître voir le plus ' le mieux )
dans ses propres affaires.
ÉPILOGUE.
Les Athéniens ont posé (élevé; une statua
au génie d'Esope,
et ont placé cet esclave
sur un piédestal éternel ,
pour que les hommes sussent
la voie de l'honneur
être ouverte à tous ,
et la gloire
n'être pas accordée à la naissance,
mais au mérite.
Puisqu'un autre avait pris la pince,
de-sorte-que je ne pouvais-être le premier,
je me suis appliqué,
et c'est là ce-qui me restait possible,
à-ce-qu'il ne fût pas le seul.
Et ce n'est pas de ma pari euYie,
mais émulation.
68 PH^DRI FAB. LIBER II.
Quod si labori faverit Latium meo,
Plures habebit quos opponat Graeciae.
Sin livor obtrectare curam voluerit, (0
Non tamen eripiet laudis conscientiam.
Si nostrum studium ad aures pervenit tuas ,
Et arte fictas animus sentit fabulas,
Omnem querelam summovet félicitas :
Sin autem et illis doctus occurrit labor, 45
Sinistra quos in lucem natura extulit,
Nec quidquam possunt nisi meliores carpere,
Fatale exitium corde durato feram,
Donec fortunam criminis pudeat sui.
Si l'Italie accueille mon ouvrage , elle aura un plus grand nom
bre d'écrivains à opposer à la Grèce ; si au contraire l'envie se plaît
à décrier mon œuvre, elle ne m'enlèvera pas du moins le sentiment
de son mérite. Que mon travail arrive à vos oreilles , que votre esprit
goûte ces fables imaginées avec art , et mon bonheur fera taire mes
plaintes. Mais si cet ouvrage plein de savoir tombe aux mains de ces
esprits étroits qu'enfanta la nature dans un moment d'humeur, et qui
ne peuvent que déchirer ceux qu'ils ne sauraient atteindre , je sup
porterai a-ec un cœur de fer ma fatale destinée, jusqu'à ce qu'enfin
la fortune rougisse de son injustice.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE II.
Qaod si Latîum
faverit meo labori ,
habebit plures
quos opponat Grœciae.
Sin livor
voluerit obtrectare ciiram,
non eripiet tamen
conscientiam laudis.
Si nostmm studium
pervenit ad tuas aures ,
et animus sentit
fabulas fictas arte,
félicitas summovet
omnem querelam :
sin autem doctus labor
occurrit et illis
quos natura sinistra
extulit in lucem,
nec possunt quidquam
nisi carpere meliores,
feram
corde durato
exitium fatale,
donec fortunam
pudeat sui criminis.
Que si le Latium
favorise mon travail ,
il aura plus à'auteurs
qu'il puisse-opposer à la Grèce.
Mais-si l'envie
veut critiquer mon travail,
elle ne m'enlèvera pas cependant
la conscience de la gloire qui m'est due.
Si notre ( mon ) zèle ( travail )
parvient à tes oreilles,
et si ton esprit goûte
ces fables imaginées avec art ,
mon bonheur écarte ( fait taire)
toute plainte :
mais si mon docte labeur
tombe-aussi-dans-les-mains de ceux
qu'une nature gauche [ ennemie)
a portés (mis) au jour,
et qui ne peuvent faire autre chose
que-de censurer des^enj meilleurs qu'eux,
je supporterai
avec un cœur endurci ( avec patience )
mon malheur fatal ,
jusqu'à-ce-que la fortune
ait honte de son crime (de son injustice).
70 PH^DRI FAB. LIBER III.
LIBER III.
PROLOGUS.
PaSiDRUS AD EUTYCHDM ' .
Phaedri libelles légère si desideras ,
Vaces oportet, Eulyche, a negotiis,
Ut liber animus sentiat vim carminis.
a Verum, inquis, tanti non est ingenium tuum,
Momentum ut horae pereat ofiBciis meis. » a
Non ergo causa est manibus id tangi tuis,
Quod occupatis auribus non convenit.
Portasse dices : « Aliquae venient feriae,
Quae me soluto pectore ad studiurn vocent. »
Legesne, quaeso, potius viles naenias, 10
împendas curam quam rei domesticae,
Reddas amicis tempora, uxori vaces,
Animum relaxes , otium des corpori ,
Ut assuetam fortius praestes \icem ?
PROLOGUE.
PHÈDRE A EUTTQUB.
Si VOUS voulez lire le petit ouvrage de Phèdre , il faut, mou cher
Eutyque, laisser de côté les affaires , afin que \otre esprit puisse goû-
ter en liberté le mérite de mes vers. — Mais , direz-vous , ton talent
n'est pas tellement hors ligne, que je doive perdre pour lui quelques-
ims des moments consacrés à mes devoirs. — Il faut donc alors renon-
cer à prendre en main mon livre ; il n'est pas fait pour plaire à un es-
pritaffairé. Peut^tre répondrez-vous : Il peut me venir quelques jours
derepcs qui me rendront ma liberté et m'inviteront à l'étude, — Mai»
alors, je vous ie demande , lirez-vous ces sornettes plutôt que de veil-
ler à vos intérêts domestiques , de rendre visite à vos amis , de son-
ger k votre femme , de donner du relâche à votre esprit , du repos à
votre corps , pour remplir avec plus de vigueur vos fonctions accou-
FARLL3 DE PHÈDRE. TIVRE III.
LIVRE III.
PROLOGUS.
PROLOGUE.
PHJBDRUS AD EUTYCHni.
Sî desideras
légère libelles Phaedri ,
oportet, Eatyche,
vaces a negotiis,
ut animus liber
Bentiat vira carminis.
« Verum, inquis,
tuum icgenium
non est tanti ,
ut momentum horae
pereat meis officiis. »
Causa non est ergo
id, quod non convenit
auribus occupatis,
tangi tuis manibus.
Dices fortasse :
« Aliquae ferias venient,
quae vocent me ad studiuna
pectore soluto. »
Legesne, quœso,
usenias viles
potius quam
impendas curam
rei domesticae,
reddas amicis
tempora,
vaces uxori ,
relaxes animum,
des otium corpori,
ut praestes fortiug
▼icem as^uotam ?
PHEDRE A EUTYQU'
Si tu désires
lire les petits-livres de Phèdre
il faut, Eutyque,
que-tu-sois-esempt d'affaires,
afin que ton esprit libre ( en liberté ]
sente la force de ma poésie.
« Mais, dis-tu,
ton esprit
n'est pas d'un assez-grand prix
pour qu'un seul moment d'une heure
soit-perdu pour mes devoirs. »
Motif n'est donc pas
que ceci, qui ne convient pas
à des oreilles occupées,
soit touché par tes mains.
Tu diras peut-être :
« Quelques vacances viendront ,
qui pourront-appeler moi à l'étude,
mon âme ayant été dégagée étant libre)
Liras-tu, je te le demande ,
des bagatelles futiles
plutôt que
tu emploies ton soin
à tùn intérêt domestique,
que tu rendes à tes amis
leurs temps (leurs visites),
que tu vaques à ton épouse,
que tu relâches ( récrées ) ton esprit ,
que tu donnes du repos à ton corps,
afin que tu remplisses plus-activement
ton tour (devoir accoutumé ?
72 PH^DRI FAB. LIBER III.
Mutandum tibi propositum est et vit» genus, 45
Intrare si Musarum limen cogitas.
Ego, quem Pierio mater enixa est jugo ',
In quo tonanti sancta Mnemosyne Jovi ,
Fîcunda novies, Artium peperit chorum,
Ouamvis in ipsa paene natus sim schola , 20
Curamque habendipenitus corde eraserim,
Et laudeinvitalus in hanc vitam incubuerim,
Fastidiose tamen in cœtum recipior.
Quid credis illi accidere qui magnas opes
Exaggerare quaerit omni vigilia, 25
Docto labori dulce praeponens iucrum ?
Sed jam, quodcumque fuerit (ut dixit Sinon*,
Ad regem quum Dardaniae perductus foret),
Librum exarabo tertium iEsopi stylo ,
Honori et meritis dedicans illum tuis. 30
Quem si leges, laetabor; sin autem minus,
Habebunt certe quo se oblectent posteri.
Nunc, fabularum cur sit inventum genus,
tumées ? Il faut changer vos desseins et votre genre de vie , si vous
songez à francliir le seuil des Muses. Pour moi, qui reçus le jour sur
Im cime du Piérus, sur ce mont sacré où la divine Mnemosyne, neuf
fois féconde , donna au maître de la foudre le chœur des Muses pro-
tectrices des arts, né pour ainsi dire au sein de leur école , bien que
}'aie étouflFé au fond de mon cœur l'avide désir des richesses, et qu'ex-
cité par la gloire, je me sois consacré tout entier à cette noble pro-
fession , c'est cependant encore avec froideur qu'elles m'accueillent
dans leurs assemblées. Que pensez-vous qu'il arrive à l'homme qui
met ses soins et son étude à amonceler d'immenses trésors , et qui
préfère à de doctes labeurs les jouissances de la richesse? Enfin ,
quoi qu'il en arrive, comme disait Sinon traîné devant le roi de Per-
gjune, je vais publier un troisième livre écrit dans le style d'Esope;
j'en fais hommage à votre mérite et à vos talents. Si vousle lisez, je
m'en réjcuirai; sinon, il fera du moins les délices de la postérité.
Je vais dire miîntcnant en quelques mots pourquoi l'on imagina
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
73
Propositum et genus vitœ
mutandum est tibi
si cogitas intrare
limen Musarum,
Ego quem mater enixa est
jugo Pierio,
in quo Mnemosyne sancta
Dovîes fecunda,
peperit Jovî tonanti
chorum Artium,
quamvis natus sim
paene in schola ipsa,
eraserimque penitus corde
curam habendi ,
et încubuerim
in hancvitam,
invitatus laude,
recipior tamen fastidiose
in ccetum.
Qnid credis accidere
illi qui quaerit
omni vigilia
exaggerare magnas opes,
praeponens lucrum dulce
docto labori?
Sed jam,
quodcumque fuerît ,
( ut dixit Sinon,
quum perductus foret
ad regem Dardaniae),
exarabo tertium librum
stylo ^sopi ,
dedicans illum honori
et tuis meritis.
Si leges quem, lœtabor ;
sin autem minus,
posteri certe
habebunt quo oblectent se.
Nunc docebo brevi
cur genus fabularum
iTiventum si t.
Ton but et (an genre de vie
doit être changé à toi (par toi)
si tu penses à entrer
dans le seuil (la demeure) des Muses.
Moi que ma mère a enfanté
sur le sommet du-Piérus ,
sur lequel Mnémosyne sainte
neuf-fois féconde,
a-mis-au-jour pour Jupiter tonnant
le chœur des Arts ( des Muses),
quoique je sois né
presque dans leur école même,
et que j'aie arraché tout-à-fait de f/jon cœur
le souci d'avoir ( d'acquérir j,
et que je me sois appliqué ( adonné )
à cette vie-/à (la culture des lettres),
invité (excité) par la gloire seule,
je suis reçu cependant avec-hauteur
dans leur assemblée.
Que crois-tu donc c/erojV-arriver
à celui qui cherche
par toute espèce de veille
à amasser de grandes richesses,
préférant un gain doux
à un docte travail ?
Mais enfin,
quoi qu'il en puisse-être (doive arrirer)
(comme dit Sinon,
lorsqu'il eut été amené
au roi de Dardanie^,
je tracerai un troisième livre
dans le style d'Esope,
dédiant lui ( ce livre) à ton honneur
et à tes services.
Si tu lis lui, j'en-serai-charmé;
mais si non ( si tu ne le lis pas ),
nos descendants (la postérité) du moins
ûviront de quoi ils puissent charmer soi.
Maintenant je «'apprendrai brièvement
pourquoi le genre des fables
a été inventé.
76 PHJiDRl FAB. LIBER III.
Brevi docebo. Servitus ôbnoxia ,
Quia quae volebat non audebat dicere , 35
Affectus proprios in fabellas transtulit,
Calumniamque fictis elusit jocis
Ego iliius pro semita feci viam ,
Et cogitavi plura quam reliquerat ■
In calamitatem deligens quaedam meam. 40
Quod si accusator alius Sejano * foret,
Si testis alius, judex alius denique,
Dignum faterer esse me tantis malis,
Nec his dolorem delenirem remediis.
Suspicione si quis errabit sua, 45
Et rapiet ad se quod erit commune omnium ,
Stulte nudabit animi conscientiam.
Huic excusatum me velim nihilominus ;
Neque enim notare singulos mens est mihi,
Verum ipsam vitam et mores hominum ostendere. 50
Rem me professum dicet fors aliquis gravem.
Phrygi si fas ^Esopo, si Anacharsi Scythae *
iEternam famam condere ingenio suo ,
l'apologue. Environnée de périls , la servitude , n'osant exprimer
hautement ses pensées , transporta ses sentimens dans la fable, et
déjoua la malveillance par d'ingénieuses fictions. Pour moi, j'ai fait
une large route du sentier tracé par Esope , et , puisant à la source
de mes malheurs , j'ai imaginé plus de fables qu'il n'en avait laissé.
Si j'avais eu un autre accusateur, un autre témoin , un autre juge
enfin que Séjan, j'avouerais avoir mérité tant d'infortunes, et je
ne chercherais pas de tels remèdes à ma douleur.
Si quelque lecteur, s'égarant dans ses conjectures , allait prendre
pour lui ce qui fut dit pour tous, il mettrait sottement à nu le fond
de sa conscience. Je veux néanmoins m'excuser d'avance auprès de
lui : mon intention ne fut pas de signaler des vices particuliers ,
mais de mettre en tableau les mœurs et la vie des hommes. Peut-
être me dira-t-on que la tâche est difficile ; mais si le Phrygien
Esope , si le Scythe Aiiacharsis ont pu se faire par leur génie un im-
FABLES DE PHÈDUE. LIVRE III.
75
Servitus obnoxia,
quia non audebat dicere
quœ volebat ,
transtulit aflfectus proprios
in fabellas ,
elusitque calumniam
jocis fictis.
Pro semita illius
ego feci -viam ,
et cogitavi plura
quam reliquerat ,
deligens qusedam
in meam calamitatein.
Quod si alius accusator
si alius testis ,
denique alius judex Sejano
foret ,
faterer me esse dignum
tantis malis ,
nec delenirem dolorem
bis remediis.
Si quis errabit
sua suspicione ,
et rapiet ad se
quod erit commune
omnium ,
nudabit stulte
conscientiam animi.
Velim nihilominus
me excusatum huic ;
neque enim mens est mibi
notare singulos ,
verum ostendere
vitam ipsam
et mores bominum.
Fors aliquis dicet
me professum rem gravem .
Si fas jEsopo Pbrygi ,
si Anacbarsi Scytbse
condere sue ingénie
famam seternam ,
L'esclavage sujet à être o^iprimé,
comme il n'osait dire
ce-qu'il voulait ,
transporta ses sentiments propres
dans des fables ,
et déjoua la délation
par des badinages fictifs.
A la place du sentier de lui (d'Esope)
moi j'ai fait une route ,
et j'ai pensé (imaginé) plus-de-cboses
qu'il n'en avait laissé ,
cboisissant quelques particularités
pour les appliquer à mon malbeur.
Que si un autre accusateur
si un autre témoin ,
enfin un autre juge que Séjan
était à moi ,
j'avouerais moi être digne
de si-grands maux ,
et je n'adoucirais pas ma douleur
par ces remèdes.
Si quelqu'un se trompe
dans son soupçon ,
et prend pour lui
ce-qui sera commun
à tous ( dit pour tous ) ,
il mettra-à-nu sottement
la conscience de son âme.
Je veux cependant
moi être excusé (justifié) devant-celui-là,
car l'intention n'est pas à moi
de noter ( flétrir ) des individus.
mais bien de montrer ( peindre )
la vie même
et les mœurs des bommes.
Peut-être quelqu'un dira
moi avoir-entrepris une tâcbe lourde.
S'j7 a e7e permis à Esope le Pbrygien ,
sUl l'a été à Anacbarsis le Scyth.e
de fonder par leur génie
une renommée immortelle,
76 Pfl^DRI FAB. LIBER lU.
Ego litteratae qui sum propior Graeciae,
Cur somno inerti deseram patriae decus , 35
fhreissa quum gens numeret auctores suos ,
Linoque ApoUo sit parens , Musa Orpheo *,
Qui saxa cantu movit, et domuit feras,
Hebrique * tenuit impetus dulci mora ?
Ergo hinc abesto , Livor , ne frustra gemas , 60
Quoniam solennis mihi debetur gloria.
Induxi te ad legendum : sincerum mihi
Candore noto reddas judicium peto.
FABULA I.
ANUS AD AMPHOKAM'.
Anus jacere vidit epotam Amphoram,
Adhuc Falerna * faece et testa nobili
Odorem quae jucundum late spargeret.
Hune postquam totis avida traxit naribus :
mortel renom , pourquoi moi , qui touche de plus près à la Grèce
savante, irai-je, engourdi dans un lourd sommeil, déserter la gloire
de ma patrie ? La Thrace ne compte-elle pas aussi ses écrivains ?
Apollon ne fut-il point le père de Linus ? et n'est-ce point une Muse
qui mit au jour Orphée , Orphée dont la voix harmonieuse fit pleu-
rer les rochers , adoucit les bêtes des forêts , et arrêta , par ses doux
accords , le cours impétueux de l'Hèbre? Loin de moi , pâle Envie,
si tu ne veux verser d'inutiles larmes sur la gloire éclatante qui
m'est réservée.
Je vous ai engagé à me lire , cher Eutyque : je réclame de votre
impartialité bien connue un jugement sincère sur mon ouvrage.
FABLE L
LA VIEILLE FEMME ET L* AMPHORE.
Une vieille femme vit à terre une amphore entièrement vidée. La
lie du Fal«rne qu'avait contenu le noble vase exhalait encore au
loin un« délicieuse odeur. Après l'avoir flairée avidement et long-
i
FABLES DE PHEDRE. LIVRE Ilf.
77
go qui sum propior
rraeciae litteratœ ,
ur deseram
omno inerti
.ecus patriae,
uum gens Tlireissa
umeret auctores suos ,
moi qui suis plus proche qu'eux
de la Grèce lettrée ,
pourquoi abandonnerai-je
dans un sommeil lâche
l'honneur de ma patrie ,
et cela quand la nation Thrace
compte des auteurs siens ,
Lpolloque sît parens Lino, et quand Apollon est le père à Linus ,
luaa Orpheo ,
ui mo^^t saxa cantu ,
t domuit feras ,
Bnuitque dulci mora
mpetus Hebri?
irgo, Livor, abesto hinc,
le gemas frustra ,
uoniam gloria solennis
.ebetur mihi.
nduxi te ad legendum :
eto reddas mihi
udicium sincerum
andore noto.
quand une muse est la mère k Orphée ,
qui remua les pierres par son chant ,
et dompta les animaux- féroces,
et arrêta par un doux retard
le cours-impétueux de l'Hèbre?
Ainsi-donc , Envie , va-t'en Zom-d'ici ,
de-peur-que tu ne gémisses en vain ,
parce qu'une gloire solennelle
est due à moi.
J'ai engagé toi à lire mon livre :
je demande que tu rendes à moi
un jugement sincère
avec la franchise qui est connue en toi.
FABULA I.
FABLE L
AMTJS AD AMPHOBAM.
Anus vidit jacere
.mphoram epotam ,
[use spargeret adhuc late
idorem jucundum
«ce Falerna
;t nobili testa,
'ostquam traxit hune
ivida totis naribus ;
LA VIEILLE A UNE AMPHORE,
Une vieille vit être-étendue-à-^crr*
une amphore entièrement-bue (vide) ,
qui répandait encore au loin
une odeur agréable
i)rovenant de la lie de-Falerne
et de sa noble terre-cuite (enveloppe;.
Quand elle eut humé cette odeur
avidement de toutes ses narines :
78 PHiEDRl FAB. LIBER III.
« 0 suavis anima ! quale in te dicam bonum g
Antehac fuisse , taies quum sint reliquiae ? »
Hoc quo pertineat , dicet qui me noverit.
FABULA II.
PANTHERA ET PA8TORES.
Solet a despectis par referri gratia.
Panthera imprudens olim in foveam decidit.
Videra agrestes : alii fustes congerunt,
Alii onerant saxis ; quidam contra miserili
Periturae ' quippe, quamvis nemo lœderet, 5
Misère panem , ut sustineret spiritum.
Nox insecuta est : abeunt securi domum ,
Quasi inventuri mortuam postridie.
At illa, vires ut refecit languidas,
Veloci saitu fovea sese libérât, 10
Et in cubile concito properat gradu.
temps : « Oh ! le suave parfum ! s'écria-t-elle ; quel vin délicieux i
tu devais contenir, si j'en juge par ce qui en reste! »
Que signifie cette fable ? Qui m'aura connu le dira. j
FABLE IL i
LA PANTHÈRE ET LES PA8TEUBS .
Qui reçoit une offense cherche d'ordinaire à se venger. 1
Unepanthèrese laissa par mégarde tomber un jour dans une fosse, |
Des paysans l'aperçurent : les uns l'assomment de coups de bâton ,
d'autres l'accablent de pierres; mais quelques-uns en eureut pitié,
et, pensant qu'elle devait périr quand même personne ne lui ferait de i i
mal , ils lui jetèrent du pain pour prolong-er un peu sa vie. La nuit
arrive; les paysans se retirent avec sécurité, et bien persuadés de k !
trouver morte le lendemain. Mais elle, qui avait réparé ses forces '
affaiblies, s'élance d'un bond l<3f?*^r hors de la fosse , et regagne sa i
FABLES DE PBÈDRE. LIVRE III.
79
« 0 suavis anima ! « 0 douce émanation!
quale bonum dicam quel bien ( quel trésor ) dirai-je
ftiisse antehac in te , avoir été auparavant dans toi,
qnmn reliquia sint taies?» puisque les restes en sont tels? »
Qui noverit me , Qui aura connu moi (qui me connaît',
dicet quo hoc pertineat. dira où ceci tend.
FABULA IL
FABLE IL
PANTHBRA ET PASTORES.
LA PANTHERE ET LES BERGERS.
Gratia par
solet referri
a despectis.
Olim panthera
decidit imprudens
in foveam.
Agrestes videre :
alii congerunt
fustes,
alii onerant saxis ,
quidam contra
miseriti
quippe periturse
quamvis nemo Isederet ,
misère panem ,
ut sustineret spiritum.
Nox insecuta est :
abeunt securi domum ,
quasi inventuri postridie
mortuam.
At illa, ut refecit
vires langui das ,
libérât sese fovea
saltu veloci ,
et properat gradu concito
in cubile.
Une reconnaissance égale au traitemen
a coutume d'être rapportée (témoignée)
par les gens outragés.
Un-jour une panthère
tomba imprudente ( par mégarde )
dans une fosse.
Des paysans la virent :
les uns entassent sut elle
des bâtons (des coups de bâton),
d'autres la chargent de coupa-de-pierres,
quelques-uns au contraire
ayant pitié d'elle
comme devant-périr
quand même personne ne la blesserait ,
lui jetèrent du pain ,
afin-qu'elle soutînt son souffle ( sa vie ).
La nuit suivit :
ils s'en-vont tranquilles à leur demourç .
comme devant-trouver le lendemain
elle morte.
Mais celle-ci, dès qu'elle eut réparé
ses forces languissantes,
délivre soi de la fosse
par un bond rapide ( vigoureux ) .
et se-hâte à pas pressé
vers sa tanière.
80 PH^DRI FAB. LIBER III.
Paucis diebus interpositis, provolat,
Pecus trucidât, ipsos Pastores necat,
Et, cuncla vastans, saevit irato impetu.
Tum sibi timentes, qui ferae pepercerant, 45
Damnum haud récusant, tantum pro vita rogant.
At illa : « Memini quis me saxo petierit,
Quis panem dederit : vos timere absistite,
mis revertor hostis qui me laeserint. »
FABULA III.
8IMII CAPUT.
Pendere ad lanium quidam vidit Simium
Inter reliquas merces atque obsonia;
Quaesivit quidnam saperet. Tum Lanius jocans :
« Quale, inquit, caput est, talis praestalur sapor. »
Ridicule magis hoc dictum quam vere aestimo , 5
Quando et formosos saepe inveni pessimos ,
Et turpi facie multos cognovi optimos.
tanière d'un pas agile. Quelques jours après , elle revient , égorge
les brebis , tue les pasteurs eux-mêmes , et , dans sa fureur impé-
tueuse, porte partout le ravage; alors ceux qui l'avaient épargnée,
craignant pour leurs jours, lui abandonnent volontiers leurs trou-
peaux, et la prient seulement d'épargner leur vie. Mais la panthère:
« Je me souviens , dit-elle , et de ceux qui m'ont jeté des pierres , et
de ceux qui m'ont donné du pain : vous , cessez de craindre : ceux-
là seuls qui m'ont frappée trouvent en moi une ennemie. »
FABLE III.
LA TÊTE DU 8INGB.
Un passant aperçut un singe suspendu à l'étal d'un boucher, parmi
les autres viandes et provisions. Il demanda quel goût cet animal
pouvait avoir. « Telle tête , tel goût, » répondit en plaisantant le
boucher.
Ce mot me semble plus plaisant que vrai ; car j'ai souvent vu des
personnes d'une grande beauté être très-méchantes , tandis que j'en
ai connu beaucoup qui , avec des traits désagréables, étaient d'une
parfaite bonté.
I
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
81
Psncis dîebas interposîtis,
provolat ,
trucidât pecus ,
necat pastores ipsos ,
et, vastans cuncta,
sœvit împetu irato.
Tuin qui pepercerant ferse,
timentes sibi ,
haud récusant damnum ,
rogant tantum pro vit a.
At illa :
« Memini
quis petierit me saxo ,
quis dederit panem :
vos , absistite timere ,
revertor hostis
illis qui Iseserint me. »
Après peu de jours interposés,
elle s'élance-en- avant ,
massacre le bétail ,
met-à-mort les bergers euz-mêmes ,
et, dévastant tout,
elle sévit avec une impétuosité furieuse.
Alors ceux-qui avaient épargné la bête,
craignant pour eux-mêmes,
ne refusent pas le dommage ,
ils prient seulement pour leur vie
Mais celle-ci leur dit :
« Je me souviens
qui a attaqué moi à coup-dc-pierre ,
qui a donné à moi du pain :
vous , abstenez-vous de craindre ,
je reviens ennemie
à cetix-là seuls qui ont blessé moi.
FABULA m.
FABLE m.
CAPUT SIMII.
LA TETE DE SINGE.
Quidam vidit simium
pendere ad lanium
înter reliquas merces
atque obsonia :
quaesivit quidnam saperet.
Tum ianius jocans :
« Saper , inquit ,
prsBstatur talis
quale est caput. »
JEstimo hoc dictnm
magîs ridicule quam vere,
quando inveni saepe
et formosos pessimos
et cognovi multos
facie turpi optimos.
Fables de PhkdfwE.
Quelqu'vm vit un singe
être-suspendu chez un boucher
parmi les autres marchandises
et les autres viandes :
il demanda quel goût-il-avait.
Alors le boucher plaisantant :
« Le goût , dit-il ,
se-montre tel
qu'est la tête. »
J'estime que cela a été dit
plus plaisamment qu'avec-vérité ,
puisque j 'ai trouvé souvent
et des gens beaux très-méchants ,
et que j'ai connu beaucoup dt geru
d'un visage laid très-bons.
G
82 PH^DRI FAB. LIBER III.
FABULA IV.
^SOPUS ET PETULAN8.
Successus ad perniciem multos devocat.
-£sopo quidam Pelulans lapidem impegerat.
a Tanto, inquit, melior. » Assem deinde illi dédit,
Sic prosecutus : « Plus non habeo mehercule !
Sed unde accipere possis, monstrabo tibi. 5
Venit ecce dives et potens ; huic similiter
Impinge lapidem, et dignum accipies preemium. »
Persuasus ille fecit quod monitus fuit.
Sed spes fefellit impudentem audaciam ;
Comprensus namque pœnas persolvit cruce. <0
FABULA V.
irUSCA ET MULA.
Musca in temone sedit, et Mulam increpans :
ff Quam tarda es ! inquit : non vis citius progredi ?
Vide ne dolone coDum compungam tibi. »
FABLE IV.
ÉSOPE ET l'insolent.
Le snccès entraîne bien des gens à leur perte.
Un insolent avait lancé une pierre à Ésope : « Tu es trop bon , i»
lui dit-il , et il lui donna un as ; puis il ajouta : « J'en jure par Her-
cule , je n'ai pas plus ; mais je vais t'indiquer quelqu'un qui pourra
te donner davantage. Vois-tu venir cet homme riche et puissant V
jette-lui , comme à moi, une pierre, et tu seras dignement récom-
pensé. L'autre se laisse persuader, et suit le conseil. Mais l'événe-
ment trompa son impudente audace ; on l'arrêta, et il fut puni du
supplice de la croix.
FABLE V.
LA MOUCHE ET LA MULB.
Une mouche se posa sur le timon d'un char, et , gonrmandant la
mule : « Que tu es lente ! lui dit-elle , ne veux-tu pas marcher plus
TJte? Marche, ou je te perce le cou de mon aiguillon. — Je ti«
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IIL
83
FABULA IV.
aSOPUS ET TETULANS.
Successus devocat
multos ad perniciem.
Quidam petulans
impegeratlapidem iEsopo,
« Tanto melior, » inquit.
Deinde dédit illi assem ,
prosecutus sic :
« Non habeo plus
niehercule !
sed monstrabo tibi
rmde possis accîpere
Ecce dives et potens venit;
impinge huic similiter
lapidem, etaccipies
prsemium dignum. » '
Ille persuasus
fecit quod monitus fuit ,
sed spes fefellit
audaciam impudentem ;
namque comprensiis
persolvit pœnas
cruce.
FABLE IV.
ÉSOPE ET UN INSOLENT.
Le succès appelle-en -bas ( précipite )
beaucoup de gens à leur perte.
Un-certain insolent
avait jeté une pierre à Esope.
« Tu en es d'autant meilleur, » dit-il.
Puis il donna à lui un as ,
ayant poursuivi (poursuivant) ainsi :
« Je n'ai pas davantage
par-Hercule !
mais je vais-montrer à toi
d'où (de qui) tu puisses recevoir plus.
Voilà-qu'un/iommericheetpuissant vient;
jette lui pareillement
une pierre, et tu recevras
une récompense digne. »
Celui-là persuadé
fit ce-à-quoi il avait été engagé,
mais l'espérance trompa
so-n audace impudente ;
car saisi
il paya des peines ( fut puni )
par le supplice de la croix.
FABULA V.
MUSCA ET MULA.
Musca sedit in temone,
et , increpans mulam :
« Quam es tarda ! inquit ;
non vis progredi citius?
Vide ne compungam tibi
collum dolone. »
FABLE V.
LA MOUCHE ET LA MULE.
Une mouche se-posa sur un timon ,
et, gourmandact la mule :
« Que tu es lente ! dit-elle ;
ne veux-tu pas avancer plus-vite ?
Vois (prends-garde) que je ne pique à loi
le cou avec mon aiguillon. »
84 PH/EDRI FAB. LIBER III.
Respondit illa : a Verbis non moveor tuis ;
Sed istum timeo, sella qui prima sedens 5
.lugum flagello tempérât lento meum,
Et ora frenis continet spumantibus.
Quapropter aufer frivolam insolentiam :
Nam ubi strigandum , et ubi currendum sit , scie. »
Hac derideri fabula merito potest 40
Qui sine virtute vanas exercet minas.
FABULA VI.
CANIS ET LUPUS.
Quam dulcis sit libertas , breviter proloquar.
Cani perpasto macie confectus Lupus
Forte occurrit ; salutantes dein invicem
Ut restiterunt : « Unde sic, quaeso, nites?
Aut quo cibo fecisti tantum corporis ? 5
Ego , qui sum longe fortior, pereo famé. »
Canis simpliciter : « Eadem est conditio tibi ,
m'émeus point de tes paroles , lui répondit la mule ; mais je crains
cet homme assis sur le siège de devant, qui, armé du fouet flexible,
me gouverne sous le joug , et retient ma bouche à l'aide du frein
que je couvre d'écume. Laisse donc là cette vaine insolence : je sais
quand il faut m'arrêter et quand je dois courir. »
Cette fable peut servir à tourner en ridicule ceux dont l'impuis-
sance s'emporte en vaines menaces.
FABLE VL
LE CHIEN ET LE LOUP.
Je dirai en peu de mots combien la liberté est douce.
Un loup d'une excessive maigreur rencontra par hasard tm chien
gras et replet. Après avoir échangé avec lui un salut , il l'aborde :
* D'où te vient, je te prit, cette santé brillante, lui dit-il , et quelle
chère t'a donné ce merveilleux embonpoint ? Moi qui suis beau
coup plus fort, je meurs de faim. — Tu peux jouir des mêmes avan-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
85
Illa respondit :
« Non moveor tuis verbis ;
sed timeo istum
qui, sedens sella prima,
tempérât meum jugum
flagelle ieuto,
et continet ora
frcBis spumantibus.
Quapr opter au fer
insolentiam frivolam;
nam scio ubi strigandum ,
3t ubi currendum sit. »
Qui sine virtute
€xercet vanas minas,
potest merito
derideri bac fabula.
L'autre lui répondit :
« Je ne suis pas touchée de tes parole» ;
mais je crains celui-là
qui , assis sur le siège de-dovant ,
gouverne mon joug
avec son fouet flexible,
et contient ma boucbe
avec le frein couvert-d'écume.
C'est pourquoi emporte (va-t'en avec)
ton arrogance frivole ;
car je sais où il faut m'arrêter,
et où il faut courir. »
Celui-qui étant sans courage
exerce (se livre à) de vaines menaces ,
peut à-bon-droit
être raillé par cette fable.
FABULA VI.
FABLE VL
CANIÇ ET LUPUS.
LE CHIEN ET LE LOUP.
Proloquar breviter
quam libertas sit dulcis.
Lupus confectus macie
occurrit forte
cani perpasto ;
dein salutantes invicem
ut restiterunt :
« Unde, quaeso,
nites sic ?
aut quo cibo
fedsti tantum corporis?
Ego, qui sum longe fortior,
pereo famé. »
Canis simpliciter :
« Eadem conditio est tibi ,
Je dirai brièvement
combien la liberté est douce
Un loup accablé de maigreur
vint-à-rencontre par hasard
à un chien bien-nourri ;
puis se saluant mutuellement
quand ils-se-furent-arrêtés :
« D'où vient, je te le demande,
que tu brilles ainsi d'embonpoint?
ou par (avec) quelle nourriture
as-tu fait (pris) tant de corps?
Moi, qui suis beaucoup plus-fort,
je meurs de faim. »
Le chien répond naïvement :
« La même condition est possible à toi.
6
FH^DRI FAB. LIRER Uf.
Praestare domino si par officium potes.
— Quod? inquit ille. — Custos ut sis liminis,
A furibus tuearis et ncctu domum. 40
— Ego vero sum paratus : nunc patior nives
Imbresque , in silvis asperam vitam trahens ;
Quanto est facilius mihi sub tecto vivere,
Et otiosum largo satiari cibo !
— Veni ergo mecum. » Dum procedunt, adspicit lo
Lupus a catena coUum detritum Cani :
t Unde hoc, amice? — Niliil est. — Die, quaeso , tamen.
— Quia videor acer, alligant me interdiu,
Luce ut quiescam, et vigilem nox quum venerit :
Crepusculo solutus, qua visum est vagor. 20
Affertur ultro panis ; de mensa sua
Dat ossa dominus, frusta jactat familia,
Et quod fastidit quisque pulmentarium.
Sic sine labore venter impletur meus.
— Age, si quo abire est animus, est licentia ? 25
— Non plane est, inquit. — Fruere quae laudas, Canis,
Regnare nolo , liber ut non sim mihi.
lages , dit naïvement le chien , si tu consens à rendre à nn maître
jos mêmes services que moi. — Quels sont-ils? — Être le gardien
'.e la porte , et, la nuit , défendre la maison contre les voleurs. —
Me voilà tout prêt : maintenant je souflFre la neige et la pluie, et je
Ti-aîne au fond des bois une vie misérable; qu'il me sera bien plus
^'acile de vivre à l'abri sous un toit, et de me rassasier à loisir d'une
abondante nourriture ! — Viens donc avec moi. » Chemin faisant ,
e loup vit le cou du chien pelé par le frottement de la chaîne:
î Ami, qu'est cela? — Rien. — Mais encore? — Comme on me trouve
vif, on m'attache pendant la journée, pour que je dorme le jour, et
que je veille sitôt la nuit venue; le soir, on me détache, et je cours
)ù bon me semble. Alors on m'apporte du pain ; le maître me donne
les os de sa table ; les valets me jettent de bons morceaux, et m'a-
bandonnent les ragoûts dont ils ne veulent plus. C'est ainsi que sans
fatigue je me remplis le ventre. — Mais ne saurais-tu sortir, s'il t'en
prend fantaisie? — Pas toujours. — Jouis donc seul des biens que
tu me vantes ; je ne voudrais même pas d'un royaume , au prix de
ua Ii'.)crî''. »
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IlL
87
si potes praestare domino
officium par.
— Quod? inquit ille.
— Ut sis custos liminis,
et tuearis noctu
domum a furibus.
— Ego vero sum paratus
Bunc patior nives
imbresque,
trahens in silvis
vitam asperam ;
quanto est facilius mihi
vivere sub tecto,
et satiari otiosum
cibo largo!
— Veni ergo mecum. »
Dum procedunt,
lupus adspicit collum
detritum cani a catena :
€ Unde hoc, amice?
— Est nihil.
— Die tamen, quaeso.
— Quia videor acer,
alligant me interdiu,
at quiescam luce,
et rigilem
quum nox venerit :
solutus crepusculo,
vagor qua visum est.
Panis aflfsrtur ultro ;
dominus dat ossa
de sua mensa,
familia jactat frusta,
et pulmentarium
quod quisque fastidit.
Sic sine labore
meus venter impletur.
— Age, si animus est
abire quo,
licentia est?
— Non est plane, inquit.
— Fruere
quas laudas, canis;
nolo regnare,
ut non sim
liber mihi. »
si tu peux rendre à un maître
un .«ervice égal à celui que je rends.
— Quel service? dit celui-là (le loup).
— Que tu sois le gardien du seuil,
et que tu défendes pendant-la-nuit
la maison contre les voleurs.
— Moi en-vérité je suis prêt ;
maintenant je souflFre les neiges
et les pluies ,
traînant dans les forêts
une vie rude;
combien est-il plus-facile à moi
de vivre sous un toit,
et de me-rassasier oisif
d'une nourriture copieuse !
— Viens donc avec-moi. »
Pendant qu'ils avancent (cheminent),
le loup voit le cou
usé (pelé) au chien par la chaîne :
« D'où vient ceci, mon ami?
— Ce n'est rien.
— Dis le-moi cependant, je te prie.
— Comme je parais vif,
on attache moi pendant le jour,
afin que je repose pendant-le-jour,
et que je veille
quand la nuit sera (est) venue :
délié au crépuscule,
j'erre par-«ou^où il-a-paru-bon à mot.
Du pain m'est apporté spontanément ;
le maître me donne des os
de sa table, [cearjr,
la troupe-des-esclaves me jette des mor-
et le ragoût
que chacun dédaigne.
C'est ainsi que sans aucun travail
mon ventre s'emplit.
— Eh-bien! si l'intention est à-toi
de t'en aller quelque-part ,
la liberté de le faire est-elle à toi?
— Elle n'y est pas tout-à-fait, dit Zec/iî'en.
— Jouis
de ce -que tu loues, chien;
je ne veux pas être-roi,
à-condition-que je ne sois pas
libre pour moi (libre de ma personne).»
88 PILEDRI FAB. LIBER III.
FABULA VII.
FBATEB ET SOBOB.
Praecepto monitus, saepe te considéra.
Habebat quidam filiam turpissimam ,
Idemque insignem pulchra facie filium.
Hi spéculum, in cathedra matris ut positum fuit,
Pueriliter ludentes, forte inspexerant. 5
Hic se formosum jactat ; illa irascitur,
Nec gloriantis sustinet fratris jocos,
Accipiens (quid enim ?) cuncta in contumeliam.
Ergo ad patrem decurrit, laesura invicem,
Magnaque invidia criminatur filium , 10
Vir natus quod rem feminarum tetigerit.
Amplexus ille utrumque , et carpens oscula,
Dulcemque in ambos caritatem partiens :
a Quotidie, inquit, speculo vos uti volo ;
Tu , formam ne corrumpas nequitiae malis , < 5
Tu, faciem ut istam moribus vincas bonis. »
FABLE VIL
LE FBÈBE ET LA SŒUE.
Averti par cet exemple , examine-toi souvent.
Un homme avait une fille d'une laideur aflreuse , et un fils d'une
beauté remarquable. Ces enfants en jouant aperçurent par hasard
un miroir placé sur la chaise de leur mère. Aussitôt le jeune homme
de vanter sa beauté ; sa sœur, ne pouvant supporter ce badinage et
cette vanité , se met en colère. Pouvait-il en être autrement ? toutes
ses paroles lui semblaient autant d'injures. Elle court auprès de son
père pour se venger, et , dans la violence de son dépit, elle repro-
che à son frère d'avoir, lui garçon , touché à un meuble de femme.
Le père les prend l'tm et l'autre dans ses bras , les couvre d«
baisers , et , leur partageant également ses douces caresses : « Je
veux, leur dit-il, que vous vous regardiez chaque jour dans ce mi
roir ; toi, mon fils, pour ne pas laisser souiller ta beauté par la lai
deur du vice ; et toi , ma fille, pour racheter par de bonnes qualité»
^es attraits qui te manquent. »
FABLES DE PHÈDRE, LIVRE Hl.
89
FABULA VIL
FRATEE ET SOKOS.
Monitus prjEcepto,
considéra te saepe.
Quidam habebat
filiam tarpissimam,
idemque filitun
insignem pulchra facie.
Hi ludentes pueriliter.
inspexerant forte
spectalum ,
ut positum fuit
in cathedra matris.
Hic jactat se formosum;
illa irascitur,
nec sustinet jocos
fratris gloriantis,
accipiens (quidenim?)
cuncta in contumeliam.
Ergo decurrit ad patrem,
lîBsura inricem ,
magnaque invidia
criminatur filium
quod, natus vir,
tetigerit rem feminarum.
nie amplexus utrumque ,
et carpens oscula,
partiensque in ambos
caritatem dulcem :
« "Volo, inquit,
vos uti speculo
quotidie ,
tu, ne corrumpas formam
malis nequitiœ,
tu, ut vincasistam faciem
bonis moribus. »
FABLE VIL
LE FRÈRE ET LA SŒTTR.
Averti par ce précepte,
considère toi souvent.
Quelqu'un avait
une fille très-laide ,
et le même homme avait un fils
remarquable par son beau visage.
Ceux-ci en-jouant comme-des-enfants ,
avaient mi par-hasard
un miroir,
comme il était placé
sur le siège de leur mère.
Celui-ci vante soi d'être beau;
celle-là se-fâche,
et-ne peut-supporter les railleries
de son frère se-glorifiant,
recevant car quoi de plus naturel ?)
tout en manière d'affront.
En-conséquence elle court vers le père,
devant-affliger son frère à-ion-tour,
et avec un grand dépit
elle accuse le fils
de ce que , né garçon ,
il a touché un meuble de femmes.
Celui-là ayant embrassé l'un-et-l'autre .
et cueillant des baisers,
et partageant à eux tous-deux
sa tendresas douce :
« Je veux, dit- il,
vous vous-servir du miroir
tous les jours,
toi, pour que tu ne ternisses pas ta beauté
par les maux de la méchanceté,
et toi, pour que tu triomphes-de ce visage,
par de bonnes mœurs. »
90 PH^DRI FAB. LIBER III.
FABULA VIII.
80CRATES DE AMICIS-
Vulgare ami ci nomen, sed rara est fides*.
Quum parvas aedes sibi fundasset Socrates*
( Cujus non fugio mortem, si famam assequar,
Et cedo invidiae, dummodo absolvar cinis),
E populo sic nescio quis , ut fieri solet : 5
« Quaeso , tam angustam talis vir ponis domura ?
— Utinam, inquit, veris hanc amicis impleam! »
FABULA IX.
VITIUM EST ET OMNIStJS CBEDERE , ET NULLI
Periculosum est credere , et non credere.
Utriusque exemplum breviier exponam rei.
Hippolytus' obiit, quia novercse creditum est;
Gassandrae* quia non creditum, ruit Ilium.
FABLE VIII.
MOT DE SOCRATE SUR LES A3II8.
Le nom d'ami est commun, mais l'amitié est rare.
Socrate se faisait bâtir une petite maison. (Je voudrais acheter une
fin comme la sienne au prix de sa renommée, et être la victime de
l'envie, pourvu que l'on me juge innocent après ma mort! ) Un
de ces éternels critiques, dont je ne sais pas le nom , s'écria : « Se
peut-il qu'un tel liomme se bâtisse une si petite maison ? — Plaise
au ciel , répondit Socrate , que je la remplisse de vrais amis ! »
FABLE IX.
c'est un DÉFAUT DE CROIRE TOUT LB MOKDE, BT DE NB CBOIEE
PERSONNE.
La crédulité est chose dangereuse , mais l'incrédulité ne l'est pas
moins. Je citerai brièvement un exemple de ces deux défauts. Hip-
pol^^e périt parce qu'on crut sa belle-mère , et Troie succomba parce
qu'on n'écouta pas Cassandre. Il faut donc rechercher bien soifimeu-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IIL
91
FABULA Vm.
FABLE vm.
«OCRATES DE AMICI8.
Nomen amici vulgare,
Bed fides est rara.
Quum Socrates
cajns non fugio mortem,
Bi asseqnar famam ,
et oedo invidise,
dummodo cinîs absolvar,
fundasset sibi
jpanras aedes,
aescio quis e populo,
(Ut solet fieri,
Isic :
•t Quaeso, talis vir,
ponis domum
tam augustam ?
— Utinam, inquit, [cis!»
impleam banc veris ami-
SOCPvATE SUR LES AMIS.
Le nom d'ami eit commnn,
mais la réalité est rare.
Comme Socrate,
dont je ne fuis (crains; pas la mort,
si je peux-atteindre à sa renommée.
et je cède à l'envie,
pourvu-que cendre (mort) je sois absous,
avait posé-les-fon dations pour lui-même,
d'une petite maison,
je ne sais qui du peuple,
comme il a coutume d'arriver,
parla ainsi :
« Comment, je cotAs prie , roua un tel homme,
bâtissez-vous une maison
81 étroite ?
— Plaise-à-Dieu, dit-il,
que j'emplisse elle de vrais amis ! «
FABULA IK.
FABLE IX.
Et credese omkibus , Ex croire tous les hommes,
ET NULLi , ET N'en croire aucun ,
EST TITIUM. EST également un DÉFAUT.
Credere et non credere
est periculosum.
Exponam breviter
exemplum utriusque rei :
Hippolytus obiit,
Croire et ne pas croire
est dangereux.
J'exposerai brièvement
un exemple de l'une-et-l'autre cliose :
Hippolyte mourut,
quia creditum est novercas ; parce qu'il-fut-ajouté-foi à sa marâtre,
nium mit, Ilion croula,
quia non creditum parce qu'il ne fut pas ajouté-foi
CassandrsB. à Cassandre.
92 PILEDRI FAB. LIBER III.
Ergo exploranda est veritas multum prius
Quam stulte prava judicet sententia.
Sed fabulosam ne vetastatem élevés ,
Narrabo tibi memoria quod factum est mea.
Maritus quidam quum diligeret conjugem,
Togamque puram * jam pararet filio ,
Seductus in secretum a liberto est suo
Sperante heredem suffici se proximum.
Hic quum de puero multa mentitus foret,
Et plura de flagitiis castae mulieris ,
Tncensus ille falso uxoris crimine ,
Simulavit iter ad villam, clamque in oppido
Subsedit ; deinde noctu subito januam
Intravit , recta cubiculum uxoris petens ,
In que dormire natum mater jusserat,
iEtatem adultam servans diligentius.
Dum quaerunt lumen , dum concursant familia ',
Irae furentis impetum non sustinens ,
Ad lectum accedit, tentât in tenebris caput.
Ut sentit tonsum*, gladio pectus transigit,
sèment la vérité, pour ne point porter un jugement injuste et dén
sonnable. Mais , afin de ne point aflFaibllr ce conseil en m'appuya
BUT des traditions fabuleuses, je vais rappeler un fait qui s'est pai
de mon temps.
Un mari qui chérissait tendrement sa femme , se disposait à fai
prendre à son fils la robe virile. Son affrancbi, dans l'espoir d*ê(
porté comme son plus proche héritier, le tira secrètement à part
lui débita force mensonges sur son fils , et sur la conduite scand
leuse de sa pudique épouse. Irrité par ces fausses imputations,
mari simule un voyage à sa maison des champs, et s'arrête secrèl
ment dans la ville. La nuit venue, il rentre tout à coup chez lui,
va droit à l'appartement de sa femme, où son fils reposait par IV
dre de sa mère, qui voulait veiller de plus près sur sa jeunesse. Ta
dis qu'on cherche de la lumière , que les valets s'empressent , Iil
ne pouvant contenir la colère qui bouillonne dans son sein, s'appi
che du lit, et dans les ténèbres sa main rencontre une tête. Usent )
cheveux courts d'un homme ; il ne songe qu'à venger son outrag'
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
93
rgo ventas
':ploranda est multmn ,
iusquam sententia stulta
.dicet prave.
îd ne élevés
itustatem fabulosam,
jirrabo tibi quod factum est
ea memoria.
Quum quidam maritus
j:ligeret conjugem ,
jiraretque jam
i)gam puram filio ,
lîductus est in secretum
suo liberto
Derante se suffici
eredem proximum.
Juum hic mentitus foret
lulta de puero,
t plnra de flagitiis
lulieris castse,
Lie incensus
rimine falso tixoris,
îmulavit iter ad villam ,
ubseditqueclamin oppido:
einde intravit subito
lOCtii januam ,
etens recta
ubiculum uxoris,
a quo mater
Qsserat natum dormire,
ervans diligentius
îtatem adultam.
>um quaerunt lumen ,
ium familia
îoncursant ,
ion sustinens impetum
rae furentis,
iccedit ad lectum,
«ntat caput in tenebris.
Ut sentit tonsum,
ransigit pectus gladio,
Ainsi-donc la vérité
doit être examinée beaucoup,
avant-qu'une sentence folle
juge de-travers.
Mais de-peur-que tu ne déprécies
l'antiquité fabuleuse de ces deux fait»,
je raconterai à toi un fait qui est arrivé
de mon souvenir (de mon temps\
Comme un mari
chérissait son épouse,
et préparait déjà
la robe toute-blanche (virile) à son fils,
il fut tiré-à-l'écart dans un iieu-secret
par son afiFranchi
espérant soi être-substitué
héritier le-plus-proche de son maître.
Après que celui-là eut dit-faussement
beaucoup-de-choses sur l'enfant,
et plus encore touchant les désordres
de la femme chaste,
celui-ci l'époux) enflammé de courroux
par le crime prétendu de son épouse,
feignit un voyage à sa villa,
et demeura secrètement dans la ville :
puis il entra soudain
de- nuit dans sa porte (maison),
gagnant directement
la chambre de son épouse,
dans laquelle la mère
avait ordonné à son fils de dormir,
voulant-veiller avec-plus-de-soin
sur 307» âge adulte.
Pendant qu'on cherche de la lumière,
pendant que la troupe-des-esclaves
court-de-côté-et- d' autre,
ne supportant pas l'impétuosité
de sa colère furieuse,
il s'approche s'avance) vers le lit,
et tâte une tête dans les ténèbres.
Dès qu'il la sent tondue,
il perce la poitrine avec ton épée ,
94 PH^DRI FAB. LIBER UL
Nihil respiciens , dum dolorem vindicet.
Lucerna allata, simul adspexit filium,
Sanctamque uxorem dormientem cubiculo,
Sopita primo quae nil somno senserat;
Repraesentavit ' in se pœnam facinoris,
Et ferro incubuit, quod credulitas strinxerat. 3
Accusatores postularunt mulierem,
Romamque perlraxerunt ad centumviros ".
Maligna insontem deprimit suspicio ,
Quod bona possideat. Stant patroni , fortiter
Causam tuentes innocentis feminae. 31
A divo Augusto tune petiere judices
Ut adjuvaret jurisjurandi fidem^,
Quando ipsos error implicuisset criminis. i
Qui , postquanf tenebras dispulit calumniae
Certumque fontem veritatis repperit : i(
« Luat, inquit, pœnas causa libertus mali;
Namque orbam nato simul et privatam viro,
Miserandam potius quam damnandam existimo. »
Quod si delata perscrutatus crimina
Paterfamilias esset , si mendacium 45
Subtiliter limasset , a radicibiis
et plonge son épée dans le corps de l'infortuné. On apporte un flam
beau : il voit alors couchés dans la même chambre son malheureux i
fils et sa chaste épouse qui, plongée dans le premier sommeil, n'a»;
vait rien entendu. Il fait lui-même justice de son crime , et se jettel
sur le fer que sa crédulité lui avait mis en main. Des accusateurs ci-'
tèrent cette femme devant les tribunaux, et la traînèrent à Rome de-
vant les centumvirs. De graves soupçons pèsent sur l'innocente ,
parce qu'elle doit entrer en possession des biens. Auprès d'elle sa
tiennent ses défenseurs, qui plaident avec force la cause de Tinno-
cence. Les juges, que l'obscurité de cette affaire embarrassait,
prièrent Auguste d'éclairer dans ce jugement leur conscience. Ce
prince, après avoir dissipé les ténèbres de la calomnie, et découvert
la source de la vérité , rendit cette sentence : « Que l'affranchi, cause
de tant de maux, en subisse le châtiment. Quant à cette femme ,
privée de son fils et veuve de son mari, je la crois plus digne de pi-
tié que de punition. » Si le chef de cette famille eût examiné scrupu-
leusement les rapports qu'on lui fit , s'il eût regardé de près ces sug-
J
FABLlsS Di: i'IîÈDRË. LIVRE III.
95
rcspicieus nihil,
dum vindicet dolorem.
Lucerna allata,
simul adspexit filium ,
aanctamque uxorem
donnientem cubiculo,
qnœ sopita
primo somno
senserat nil,
repraesentavit in se
pœnam facinoris,
et incubuit ferro
quod credulitas strinxerat.
Accusatores
postularunt mulierem ,
pertraxeruntque Romam
ad centumviros.
Suspicio maligna
deprimit insontem ,
quod possideat bona.
Patroni stant,
tuentes fortiter
causam feminse innocentis.
Tune judices
petiere a divo Auguste
ut adjuvaret
fîdem jurisjurandi ,
quando error
criminis
implicuisset ipsos.
Qui postquam dispulit
tenebras calumniœ,
repperitque fontem certum
veritatis :
« Libertus, inquit,
causa mali
luat pœnas :
namque existimo
orbam nato
et simul privatam viro
potius miserandam
quam damnandam. »
Quod si patcrfamilias
perscrutatus esset
crimina delata,
si liraasset subtiliter
mendacium,
ne regardant rien,
pourvu qu'il venge sa douleur.
Un flambeau ayant été apporté,
aussitôt qu'il aperçut son fils ,
et sa chaste épouse
dormant dans la chambre ,
laquelle épouse assoupie
dans son premier sommeil
n'avait senti rien,
il appliqua-d'avance à soi
le châtiment de son crime,
et sc-jeta-sur le fer
que sa crédulité avait saisi.
Des accusateurs
citèrent la femme,
et la traînèrent à Rome
devant les centumvirs.
Un soupçon méchant funeste)
accable l'innocente,
parce qu'ellepossède les biens de son man.
Les avocats sont-debout (sont fermes;,
défendant chaleureusement
la cause de cette femme innocente.
Alors les juges
demandèrent au divin Auguste
qu'il aidât de ses lumières
la foi de leur serment,
puisque l'erreur (l'incertitude
de cette accusation
avait embarrassé eux-mêmes.
Celui-ci, après qu'il eut écarté (dissipé)
les ténèbres de la calomnie,
et eut découvert la source certains
de la vérité :
« Que l'affranchi, dit-il,
cause de ce malheur
paie des peines (ooit puni) :
car je pense
cette femme privée de son fils
et en-mème-temps veuve de son mari
être plutôt à-plaindre
qu'à-condamner. »
Que si le père-de- famille (chef-de-mai- c'-
avait examiné-à-fond
les accusations portées,
s'il avait limé (éclairci) avec-adresso
le mensonge ^
96 PHiEDRI FAB. LIBER III.
Non evertisset scelere funesto domum.
Nil spernat auris , nec tamen credat statim ,
Quandoquidem et illi peccant quos minime putes;
Et qui non peccant impugnantur fraudibus. 50
Hoc admonere simplices etiam potest
Opinione alterius ne quid pondèrent :
Àmbitio namque dissidens mortalium *
Aîft gratiae subscribif, aut odio suo.
Erit ille notus quem per te cognoveris. 55
Haec exsecutus sum propterea pluribus ,
Brevitate nimia quoniam quosdam offendimus.
FABULA X.
FULLUS AD HÀBGABITAM.
In sterculino Pullus gallinaceus ,
Dum quaerit escam , Margaritam repperit :
•i Jaces indigne quanta res , inquit , loco l
gestions mensongères , il n'aurait pas détruit à tout jamais sa mai-
son par ce crime horrible.
Que votre oreille ne méprise aucun bruit ; mais n'y ajoutez pas
sur-le-champ foi entière : car souvent ceux-là faillissent, dont vous
vous défiez le moins, et les innocents sont en butte à d'odieuses
imputations.
Ce récit peut encore apprendre aux personnes trop simples , à
ne point se régler sur l'opinion des autres; car la passion est
inconstante, et ne laisse écouter aux hommes que la faveur ou le res-
sentiment. On ne connaît un homme qu'après l'avoir étudié par soi -
même.
J'ai traité ce sujet un peu plus longuement , parce que ma trop
grande brièveté a déplu à quelques-uns de mes lecteurs.
FABLE X.
LB JEUNE COQ ET LA PEBLE.
Un jeane coq en cherchant sa nourriture sur un fumier y trouva
une perîe : « Précieux objet , lui dit-il , te voilà dans un lieu bien
FABLES DE PHÈDRE. LITRE III.
97
non evertiiSet domnm
a radicibus
scelere funesto.
Auris spernat nihil,
nec credat tamen statim ;
quandoquidem
et illi peccant
quos putes minime,
et qui non peccant
impugnantur fraudibus.
Hoc potest etiam
admonere simplices
ne pondèrent quid
opinione alterius ;
namque ambitio mortalium
dissidens
subscribit aut gratiœ,
aut suo odio.
Ille quem cognoveris per te
erit notus.
Exsecutus sum hœc
pluribus,
propterea, quoniam
offendimus quosdam
nimia brevitate.
il n'eût pas détruit sa maison
depuis les racines (fondements)
par un crime funeste.
Que l'oreille ne méprise rien,
et qu'elle ne croie pas pourtant aussitôt;
puisque
et ceux-là pèchent
que vous penseriez le moins pécher,
et que ceux-qui ne pèchent pas
sont attaqués par des fraudes.
Ceci peut encore
avertir les gens simples
qu'ils ne pèsent pas quelque-chose
d'après l'opinion d' autrui ;
car la partialité des mortels
en-àésaccord-avec-elle-méme
souscrit ou à la faveur,
ou à sa haine.
Celui que tu auras connu par toi-même
ceîui-là-seul sera connu de toi.
J'ai exécuté (traité) ce sujet
en plus de vers,
pour-cela, parceque
nous avons choqué quelques personnei
par notre trop-grande brièveté.
FABULA X.
FABLE X.
PDLLUS AD MARGABITAM.
LE POULET A LA PEELE.
Pullus gallinaceus ,
dum quœrit escam ,
repperit margaritam
in stercuUno :
« Quanta res, inquit,
jaces loco indigno !
Fables de Phèdre.
Un petit de-poule,
pendant qu'il cherche sa nourriture,
trouva une perle
dans un fumier :
« Quelle-grande chose e'iant, dit-il,
tu ^s en lieu indigne de loi !
98 PHJEDRI FAB. LIBER UI.
Te si quis pretii cupidus vidisset tui ,
Olim redisses ad splendorem pristinum. 5
Ego qui te inveni, potior cui multo est cibus ,
Nec tibi prodesse , nec tu mihi quidquam potes. »
Hoc illis narro qui me non intelligunt.
FABULA XI
APES ET FUCI, VE8PA JUDICE.
Apes in alta quercu fecerant favos;
Hos Fuci inertes esse dicebant suos.
Lis ad forum deducta est , Vespa judice.
Quae genus utrumque nosset quum pulcherrime,
Legem » duabus hanc proposuit partibus : 5
« Non inconveniens corpus et par est color ,
In dubium plane res ut merito venerit :
Sed , ne religio peccet imprudens mea ,
Alveos accipite , et ceris opus infundite ,
Ut ex sapore mellis et forma favi , 40
De quis nunc agitur , auctor horum appareat »
indigne de toi ! Si quelque avide connaisseur t'avait aperçu , tu
aurais eu bientôt recouvré ton ancienne splendeur. Peur moi qui t'ai
trouvé, le moindre aliment me serait bien préférable; je ne puis
t'être utile , et tu ne peux me servir à rien. »
J'écris cette fable pour ceux qui ne me comprennent pas.
FABLE XL
LB8 ABEILLES ET LES BOURDONS AU TBIBUNAL DE LA GUÊPE.
Des abeilles avaient déposé leurs rayons sur le haut d'un chêne ;
des bourdons paresseux prétendaient qu'ils leur appartenaient. L'af-
faire est portée en justice, et la guêpe prise pour juge. Comme elle
connaissait parfaitement les deux parties , elle leur proposa cet ar-
rangement : « Votre corps n'offre que peu de différence , votre cou-
leur est la même ; en sorte que cette affaire ne présente qu'incertitude ;
mais potir éclairer la religion de votre juge , prenez des rayons, faites
couler le miel dans des alvéoles de cire ; à la saveur du miel et à la
forme des rayons nous reconnaîtrons l'auteur de ceux qui font l'objet
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
99
■Si quis cupidus tui pretii
vidisset te,
redisses oJim
ad splendorem pristinum.
Ego qui inveni te,
eui cibus
est multo potior,
nec prodesse tibi,
nec tu potes
quidquam milii. »
Narro hoc iliis
qui non intelligunt me.
FABULA XI.
APES ET mCI ,
VESPJL JTJDICB.
Apes fecerant favos
in quercu alta ;
fuci inertes
dicebant hos esse suos.
Lis deducta est ad forum,
vespa judice.
Quum quse nosset
pulcberrime
utrumque genus,
proposuit banc legem
duabus partibus :
« Corptis
non est inconveniens,
et color par,
ut res merito
venerit plane in dubium :
sed, ne mea religio
peccet imprudens,
accipite alveos,
et infondite opus ceris ,
ut ex sapore mellis
et forma favi
auctor borum
de quis agitur ntmc
appareat. »
Si quelqu'un désireux de ton prix
eût vu toi,
tu serais revenue depuis-longtemps
à ta splendeur ancienne.
Moi qui ai trouvé toi,
moi à qui de la nourriture
est bien préférable,
et je ne puis servir à toi,
et tu ne peux
servir en rien à moi. »
Je raconte ceci pour ceux-là
qui ne comprennent pas moi.
FABLE XL
LES ABEILLES ET LES FRELOKS,
LA GUÊPE étant JUGE.
Des abeilles avaient fait des rayons
sur un chêne élevé ;
des frelons paresseux
disaient qu'ils étaient leurs (à eux).
Le débat fut amené (porté) au tribunal.
la guêpe étant juge.
Et comme celle-ci connaissait
très-Lien
l'une-et-l'autre race,
elle proposa cette loi (convention)
aux deux parties :
« Votre corps
n'est pas dissemblable,
et votre couleur est pareille ,
de-sorte-que l'affaire à-bon-droit
est venue tout-à-fait en doute :
mais, de-peur-que ma religion
ne pèche ignorante (par ignorance',
recevez (prenez) ces rayons,
et versez votre ouvrage dans la cire ,
afin-que d'après la saveur du miel
et la forme du rayon
l'auteur de ces rayons
desquels il s'agit présentement
apparaisse (soit reconnu,. »
VjnWersItâs
BIBIIOTHECA
100 PH^DRI FAB. LIBER III.
Fuci récusant ; Apibus conditio placet.
Tune illa talem protulit sententiam :
« Apertum est quis non possit , aut quis fecerit ,
Quapropter Apibus fructun^ restitue suum. » 15
Hanc praeterissem fabulam silentio ,
Si pactam Fuci non récusassent fidem.
FABULA XII.
iESOPUS LUDEN8.
Puerorum in turba quidam ludentem Atticus
.Esopum nucibus quum vidisset, restitit,
Et quasi delirum risit. Quod sensit simul
Derisor potius quam deridendus senex ,
Arcum retensum * posuit in média via : 5
^c Heus ! inquit , sapiens , expedi ^ quid fecerim. »
Goncurrit populus ; ille se torquet diu ,
Nec quaestionis posilae causam intelligit ;
Novissime succumbit. Tum victor sophus :
de ce procès. » Les bourdons refusent; les abeilles acceptent la pro-
position. Alors la guêpe prononce cette sentence : « On voit bien
maintenant ceux qui n'ont pu faire les rayons, et ceux qui en sont
les auteurs. C'est pourquoi je restitue aux abeilles le fruit de leur
industrie. »
J'aurais passé cette fable sous silence , si les bourdons n'avaient
point refusé de tenir l'engagement contracté.
FABLE XII.
ÉSOPE JOUANT.
L^n Athénien vît Esope jouer aux noix au milieu d'une troupe
d'enfants; il s'arrêta et se mit à rire, le croyant fou. Le vieillard
s'en aperçut, et, comme il était plus souvent railleur que raillé, il
plaça un arc débandé au milieu de la rue : « Holà ! l'homme sage ,
lui cria-t-il, devine ce que j'ai voulu faire. » Le peuple s'amasse;
l'Athénien se met longtemps l'esprit à la torture , et, ne pouvant pé-
nétrer le sens de la question qu'on lui pose , finit par s'avouer inca •
pable de deviner. Le sage victorieux lui dit alors > « Tu rompras
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
101
Fuci récusant ;
conditio placet apibus.
Ttmc illa
protulit sententiam talem :
« Est apertum
quis non possit,
aut quis fecerit ;
quapropter restitue apibus
suum fructum. »
Prseterissem
hanc fabulam silentio
si fuci non récusassent
fidem pactam.
Les frelons refusent;
la condition plaît aux abeilles.
Alors celle-là (la gnêpe)
rendit une sentence telle (ainsi conçue)
« Il est clair maintenant
qui ne peut faire ces rayons,
ou qui les a faits ;
c'est-pourquoi je rends aux abeilles
leur fruit le produit de leur travail). »
J'aurais passé
cette fable sous-silence
si les frelons n'avaient refusé
la foi convenue la convention).
FABULA XII.
.aSSOPUS LUDEKS.
Quum quidam Atticus
vidisset ^sopum
ludentem nucibus
in turba puerorum,
restitit,
et risît quasi delirum.
Simul senex
potius derisor
quam deridendus
sensit quod,
posuit in média via
areum retensum :
« Heus! inquit, sapiens,
expedi quid fecerim. »
Populus concurrit;
ille torquet se diu,
nec intelligit
causam qusestionis positae ;
novissime succumbit.
Ttim sophus Victor :
FABLE XII.
ESOPE JOUAKT.
Un-j our-qu'un kahîlant-àe -l' Attique -
avait vu Esope
jouant aux noix
au-milieu-d'une troupe d'enfants,
il s'arrêta,
et rit de lui comme d'un insensé.
Aussitôt-que le vieillard
plutôt railleur
que devant-être-raillé
s'aperçut-de cela,
il plaça au milieu-du chemin
un arc détendu :
« Holà! dit-il, toi l'/iommc-sage,
explique ce-que j'ai fait. »
Le peuple accourt-en-foule ;
celui-là 'l'autre^ tourmente soi longtempSf
et il ne comprend pas
la cause de la question qui lui est posée j
enfin il échoue.
Alors le sage victorieux dit :
^''2 PHJÎDRI FAB. LIBER IH.
At SI laxaris , quum voles , erit utilis. » "
bic ludus animo débet aliquando dari
Ad cogitandum melior ut redeat tibi. '
FABULA XIII.
CAïns AD AGNUM.
Inter capellas Agno balanti Canis •
Novissimeprolapsameffunditsarcinam; ^
^erum mam quae me nutrit admoto ubere,
Fraudatque natos lacté, ne desitmihi.
- lamen illa est potior quœ te peperit. —Non ita Mt
Onde dla scivit niger an albus nascerer^ "• ,„
Age porro , scisset ; quum crearer masculus ,
ïï;rri"i's,rirr-'--- ''"■'■■■•'•■
FABLE XIH.
LE CHIEN ET l'aGNEAU
oui te donna la vie - Non 1~<! "^ f r ' " '»'"» P--^K«r celle
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
103
« Rumpes cito arcum
si habueris semper tensum ;
at si laxaris ,
erit utilis, qutiin voles. »
Sic Indus dehet darî
aliquando animo,
at redeat tibî
melior ad cogitandum
« Tu rompras vite (bientôt) un arc
si tu l'as (le tiens) toujours tendu;
mais si tu le relâches,
il te sera utile, quand tu le voudras. »
Ainsi délassement doit être donné
de-temps-en-temps à l'âme,
afin qu'elle revienne à toi
meilleure (plus ferme) pour penser.
FABULA Xni.
CANIS AD AGNUM.
Canis agno
balanti inter capellas :
« Stulte, inquit, erras :
tua mater non est hic ; »
ostenditque procul
oves segregatas.
« Non quîero
illam quae concipit
quum libitum est,
portât dein onus ignotum
mensibus certis,
novissime eâundit
sarcinam prolapsam ;
verum illam quae nutrit me,
ubere admoto,
fraudatque lacté natos,
ne desit inihi.
— Tamen illa quae peperit te
est potior.
— Non est ita.
Unde illa scivit
nascerer niger an albus?
Age porro
scisset ;
quum crearer masculus,
FABLE Xm.
LE CHIEN A l'agneau.
Un chien à un agneau
bêlant parmi des chèvres :
« Insensé, dit-il, tu te-trompes :
ta mère n'est pas ici ; »
et il lui montre au-loin
les brebis séparées des chèvres.
« Je ne cherche pas
celle qui conçoit
quand il lui a plu,
çuî'porte ensuite un fardeau inconnu d'elle
pendant des mois déterminés,
et qui enfin dépose (met bas)
son fardeau tombé-à-terre;
mais plutôt celle qui nourrit moi,
sa mamelle étant approchée ,
et prive de lait ses petits,
de-peur-qu'il ne manque à moi.
— Cependant celle qui a enfanté toi
est préférable.
— Il n'en est pas ainsi.
D'où celle-là a-t -elle su
si je naîtrais noir ou blanc?
Allons en-avant (allons plus loin),
admettons qu'elle Teût su ;
lorsque j'étais créé mâle,
104 PH^DRI FAB. LIBER III.
Beneficium magnum sane natali dédit ,
Ut exspectarem lanium in horas singulas !
Cujus potestas nuUa in gignendo fuit ,
Cur hac sit potior, quae jacentis miserita est , 15
Dulœmque sponte praestat benevolentiam ?
Facit parentes bonitas, non nécessitas* . »
His demonstrare voluit auctor versibus
Obsistere homines legibus , meritis capi.
FABULA XIV
CICADA ET NOCTUA.
Humanitati qui se non accommodât ,
Plerumque pœnas oppetit superbiae.
Cicada acerbum Noctuas convicium
Faciebat solitae victum in tenebris quaerere ,
Cavoque ramo capere somnum interdiu. 5
Rogata est ut taceret : multo validius
Clamare cœpit. Rursus admota prece ,
Accensa magis est. Noctua , ut vidit sibi
elle m'a rendu en me donnant le jour, à moi qui suis un bélier,
et qui à chaque heure de la journée attends le couteau du boucher !
Elle n'eut aucun pouvoir sur le fait de ma naissance : pourquoi la
préférerais -je à celle qui eut pitié de moi en me voyant étendu à
terre, et qui m'accorde d'elle-même ses soins bienveillants? C'est
l'affection qui fait la parenté, et non la loi de la nature, v
Dans ces vers l'auteur a voulu montrer que l'homme peut résister
aux lois , mais qu'il se laisse gagner par les bienfaits.
FABLE XIV.
LA. CIGALE ET LE HIBOU.
Celui qui ne sait point se plier à la complaisance , reçoit la plu-
part du temps le châtiment de son orgueil.
Une cigale, de sa voix aigre et discordante, étourdissait un hibou :
le hibou avait coutxmie de chercher sa nourriture la nuit, et de dor-
mir le jour dans le creux d'un arbre. Il la pria de se taire : elle se
mit à crier beaucoup plus fort. De nouvelles prières ne firent que
l'exciter davantage. Le hibou , voyant qu'il ne peut la faire taire , et
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
105
dédit sane natali
magnum beneficium ,
ut exspectarem lanium
in singulas horas !
Cur cujus potestas
fuit nulla in gignendo
sit potior hac
quce miserita est jacentis,
et prasstat sponte
dulcem benevolentiam?
Bonitas facit parentes,
non nécessitas. »
Auctor voluit
demonstrare his versibus,
homines résistera legibus,
capi meritis.
elle m'a donné sans-doute par ]a naissance
un grand bienfait ,
de-façon-que j'attendisse le boucher
à chaque heure !
Pourquoi celle dont le pouvoir
fut nul en m'engendrant
serait-elle préférable à celle
qui a eu-pitié de moi gisant-à-<erre
et me montre d'elle-même
une douce bienveillance ?
La bonté fait les parents véritables,
et non la nécessité (le hasard). »
L'auteur a voulu
démontrer par ces vers
les hommes résister aux lois de la nature}
mais être gagnés par les bienfaits.
FABULA XIV.
FABLE XIV.
CICADA ET NOCTUA.
LA CIGALE ET LE HIBOU.
Qui non accommodât se
humanitati,
oppetit plerumque
pœnas superbiœ.
Cicada faciebat
convicium acerbum
noctuœ solitse quserere
victum in tenebris,
capereque somnum
interdiu ramo cavo.
Rogata est ut taceret ;
cœpit clamare
multo validius.
Prece admota rursus,
accensa est magis.
Ut noctua vidit
Celui-qui n'accommode (prête) pas soi
à la complaisance,
subit la-plupart-du-temps
les peines de son orgueil.
Une cigale faisait
un vacarme désagréable
au hibou habitué à chercher
sa subsistance dans les ténèbres,
et à prendre du sommeil
le-jour dans une branche-d'arbre creuse,
Elle fut priée afin -qu'elle se tût (de se taire);
ellese-mit-à crier
beaucoup plus-fort.
La prière ayant été employée de-nouveau,
elle fut enflammée (excitée) davantage.
Quand le hibou vit
106 PH^DRI FAB. LIBER III.
Nullum esse auxilium , et verba contemni sua,
Hac est aggressa garrulam fallacia : 40
« Dormire quia me non sinunt cantus tui ,
Sonare cithara quos putes ApoUinis,
Potare est animus nectar quod Pallas mihi
Nuper donavit; si non fastidis , veni ;
Una bibamus. » Illa , quae ardebat siti , *5
Simul cognovit vocem laudari suam ,
Cupide advolavit. Noctua egressa e cavo
Trepidantem consectata est , et letho dédit.
Sic, viva quod negarat, tribuit mortua.
FABULA XV.
ARBORES IN DEORUM TUTELA.
Olim quas vellent in tutela sua
Divi legerunt arbores. Quercus Jovi ,
Et myrtus Veneri placuit , Phœbo îaurea ,
Pinus Cybelae, populus celsa Herculi.
Minerva admirans , quare stériles sumerent 5
que ses prières sont méprisées , se résolut à tromper notre chanteuse
par un stratagème. « Puisque vos chants, lui dit-il , ne me permet-
tent pas de dormir, ces chants que l'on dirait modulés par la lyre
d'Apollon , je veux boire d'un nectar dont Pallas me fit dernière-
ment présent; si vous ne le dédaignez pas, venez , nous le boirons
ensemble. » La cigale, mourant de soif, sitôt qu'elle entend faire
l'éloge de sa voix , prend avidement son essor ; mais le hibou quitte
Bon trou , poursuit l'insecte tremblant, et le tue. Ainsi , ce que vi-
vante elle avait refusé , elle l'accorda après sa mort.
FABLE XV.
LES ARBRES SOUS LA PROTECTION DES DIEUX.
Les dieux choisirent un jour les arbres qu'ils voulaient prendre
sous leur protection. Jupiter préféra le chêne, Vénus le myrte,
Phébus le laurier , Cybèle le pin, et Hercule le haut peuplier. Mi-
nerve surprise leur demanda pourquoi ils choisissaient tous des arbres
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
107
nuUum auxilium esse sibi,
et sua verba contemni,
aggressa est garrulam
hac fallacia :
€ Quia tui cantus,
quos putes
sonare cithara ApoUinis,
non sinunt me dormire,
animus est potare nectar
quod Pallas
donavit mihi nuper :
si non fastidis, veni ;
bibaraus una. »
Illa, quae ardebat siti ,
advolavit cupide,
simul cognovit
suam vocem laudari.
Noctua egressa e cavo,
consectata est trepidantem
et dédit letbo.
Sic mortua tribuit
quod viva negarat.
aucune ressource n'être à soi,
et ses paroles être méprisées,
il attaqua la bavarde
par cette tromperie :
« Puisque tes chants,
lesquels tu croirais (on pourrait croire,
résonner sur la lyre d'Apollon,
ne laissent pas moi dormir,
l'intention est à moi de boire un nectar
que Pallas
a donné à moi récemment :
si tu ne le dédaignes pas, viens ;
que nous le buvions ensemble. »
Celle-ci, qui brûlait de soif,
accourut-en-volant avec-avidité,
sitôt qu'elle eut connu (entendu"^
sa voix être-louée.
Le hibou étant sorti de son trou,
la poursuivit tremblante,
et la donna (livra) à la mort.
Ainsi, morte, elle accorda
ce-que vivante elle avait refusé.
FABULA XV.
ABBOKES IK TUTELA
DEOBTJM.
Divi legerunt olim
arbores quas vellent
in sua tutela.
Quercus placuit Jovi,
et myrtus Yeneri,
laurea Phoebo,
pinus Cybelae,
populus celsa Herculi.
Minerva admirans
interrogavit
quare sumerent stériles.
FABLE XV.
LES ARBRES SOUS LA PROTECTION
DES DIEUX.
Les dieux choisirent un jour
les arbres qu'ils voudraient
être sous leur protection.
Le chêne plut à Jupiter,
et le myrte à Vénus,
le laurier à Apollon,
le pin à Cybèle,
le peuplier élevé à Hercule.
Minerve admirant (étonnée)
leur demanda
pourquoi ils prenaient dp<î arbret stériles.
108 PHJÎDRI FAB. LIBER 111.
Interrogavit. Causam dixit Jupiter :
« Honorem fructu ne videamur vendere.
— At, mehercules! narrabit quod quis voluerit,
Oliva nobis propter fructum est gratior. »
Tum sic deorum genitor atque hominiim sator : 40
« 0 nata , merito sapiens dicere omnibus ;
Nisi utile est quod facimus , stulta est gloria. »
Nihil agere quod non prosit , fabella admonet.
FABULA XVI.
PAVO AD JUNONEM.
Pave ad Junonem venit , indigne ferens
Cantus luscinii quod sibi non tribuerit :
Illum esse cunctis auribus admirabilem ,
Se derideri simul ac vocem misent.
Tune consolandi gratia dixit dea : 5
« Sed forma vincis , vincis magnitudine ,
Nitor smaragdi coUo praefulget tuo ,
Pictisque plumis gemmeam caudam explicas.
stériles. Jupiter lui en expliqua le motif : « Nous ne voulons pas ,
lui dit-il , paraître vendre pour leurs fruits l'honneur que nous
leur faisons. — Par Hercule! reprit Minerve, on dira ce qu'on
voudra; moi, je préfère l'olivier, et à cause de son fruit. » Alors le
père des dieux et des hommes : « 0 ma fille , ce n'est pas sans rai
son que tout le monde proclame ta sagesse : si nos actions ne sont
utiles, la gloire en est vaine. »
Cette fable nous conseille de ne rien faire qui n'ait son utilité.
FABLE XVL
LE PAON A JUNON.
Indigné de n'avoir pas eu en partage le chant du rossignol , le
paon vint trouver Junon : «Ce chantre harmonieux, dit-il, fait
l'admiration de tous ceux qui l'entendent ; mais moi , si j'élève la
voix, je ne recueille que d'amères railleries. » La déesse, pour le
consoler, répondit : « Tu l'emportes par l'éclat de ta beauté, tu
l'emportes par ton port majestueux; les feux de l'éraeraude étiiicellent
sur ton cou, et ta queue étale un riche faisceau de plumes dont les
couleurs brillantes le disputent à l'éclat des pierreries. — Et que
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IIL
109
Jupiter dixit causam :
« Ne videamur
vendere honorem fructu.
— At, mehercules!
quis narrabit
^uod voluerit,
oliva est gratior nobis
propter fructum. »
Tum genitor deoruns
et sator bominum sic :
« 0 uata, dicere sapiens
omnibus merito :
nisi quod facimus est utile
glorîa est stulta. »
Fabella admonet
agere nibil quod non prosit.
Jupiter Zut en dit le motif :
a Cest de-peur-que nous ne paraissions
vendre cet bonneur pour leur fruit.
— Mais, par -Hercule !
quelqu'un (on) racontera (dira)
ce-qu'il (ce qu'on) voudra,
l'olivier est plus-agréable à nous (à moi)
à-cause-de son fruit. »
Alors le père des dieux
et le créateur des bommes parla ainsi :
« 0 ma fille, tu es dite sage
à tous (par tous) à-juste-titre :
si ce-que nous faisons n'est pas utile,
la gloire en est folle. »
Cette petite-fable avertit
de ne faire rien qui ne soit-utile.
FABULA XVI.
FABLE XVI.
PAVO AD JUNONEM.
Pavo venitad Junonem,
fer en s indigné
quod non tribuerit sibi
cantus luscinii :
iUum esse admirabilem
cunctis auribus,
se derideri
simul ac miserit vocem.
Tune, gratia consolandi,
dea dixit :
tSed vincis forma,
vincis magnitudine;
nitor smaragdi
prsefulget tuo coUo,
plumisque pictis
explicas
caudam gemmeam.
LE PAON A JUNON.
Le paon \'int auprès- de Junon,
supportant avec-indignation
qu'elle n'eût pas donné à lui
les cbants (le cbant) du rossignol:
il disait cet oiseau être admirable
pour toutes les oreilles ,
au lieu que lui-même (le paon) être bafoué
dès qu'il aura émis (fait entendre) sa voix.
Alors, pour le consoler,
la déesse lui dit :
« Mais tu l'emportes par la beauté,
tu l'emportes par la grandeur ;
l'éclat de l'émeraude
brille-en-avant- de (brille à) ton cou,
et avec tes plumes peintes ( variées )
tu déploies
une aueue de-pierreries.
110 PH^DRI FAB. LIBER III.
— Quo mi, inquit, mutam speciem, si vincorsono?
— Fatorum arbitrio partes sunt vobis datae : 40
Tibi forma , vires aquilae , luscinio melos ,
Augurium corvo , laeva cornici omina ,
Omnesque propriis sunt contentae dotibus. »
Noli aîfectare quod tibi non est datum,
Delusa ne spes ad querelam reccidat. 46
FABULA XVII.
iESOPUS AD GAEEULUM.
^sopus domino solus quum esset familia',
Parare cœnam jussus est maturius.
Ignem ergo quaerens, aliquot lustravit domos;
Tandemque invenit ubi lucernam accenderet.
Tum circumeunti fuerat quod iter longius ,
Effecit brevius ; namque recta per forum
Gœpit redire. Quidam e turba Garrulus :
me sert cette beauté muette , si je ne puis rivaliser pour la voix ? —
La volonté des destins vous assigna à chacun votre partage : toi,
tu obtins la beauté, l'aigle reçut la force, et le rossignol le chant; le
corbeau sert aux augures , la corneille aux fimestes présages ; et tous
sont contents de leurs lots respectifs. »
Ne convoite pas ce que l'on ne t'a point accordé; tes espérances
déçues se changeraient en amers regrets.
FABLE XVIL
ÉSOPE A UN BAVABD.
Esope était le seul esclave que possédât son maître. Un jour il
avait reçu l'ordre de préparer le repas plus tôt qu'à l'ordinaire. Il
sortit pour chercher du feu, parcourut quelques maisons, et en trouva
enfin une où il alluma sa lampe. Les détours qu'il avait faits avaient
allongé son chemin, et, pour l'abréger en revenant, il se mit à tra-
verser le marché. Un bavard lui cria du milieu de la foule : « Esope,
1
FABLES DE PHÈDRE. LITRE III.
111
— Quo mi, inquit,
epeciem mutam,
si vincor sono?
— Partes datœ sunt vobis
arbitrio fatorum :
tibi forma,
vires aquilœ,
melos luscinio,
augnrium corvo,
cornici omina Iseva,
omnesque sunt contentae
dotibus propriîs. »
Noli affectare
quod non datum est tibi ,
ne spes delusa
reccidat ad querelam.
— A-quoi-bon à moi (que me sert , dit-il,
d'avoir une beauté muette ,
si je suis vaincu par le son (par la voix) ?
— Des dons ont été accordés à vous
au gré des destins :
à toi la beauté,
les forces à l'aigle,
le chant au rossignol,
l'augure au corbeau,
à la corneille les présages funestes,
et tous sont contents
de leurs qualités propres (respectives . »
Ne-veuille-pas ambitionner
ce-qui ne fut pas accordé à toi ,
de-peur-que ton espoir trompé
ne retombe vers (n'aboutisse à^ la plainte.
FABULA XVn.
FABLE XVIL
iESOPUS AD GARRULUM.
ESOPE A UN BAVARD.
Quum ^sopus
esset domino
solus familia,
jussus est
parare maturius cœnam.
Ergo, quaerens ignem,
lustravit aliquot domos
invenitque tandem
ubi accenderet lucemam.
Timi effecît brevius iter
quod fuerat longius
circumeunti;
namque cœpit
redire recta per forum.
Quidam garrulus e turba
Comme Ésope
était à son maître
seul foitfe-/a-troupe-d'esclaves,
il fut ordonné il reçut l'ordre^
de préparer de-melUeure-heure le repas.
Donc , cherchant du feu .
il parcourut quelques maisons,
et il trouva enfin
où il pût-allumer son flambeau.
Alors il rendit plus-court le chemin
lequel avait été plus-long
à lui faisant-des-détours ;
car il commença
à revenir tout-droit à-travers le marché.
Un babillard /uic-ri'a du-milieu de la foule :
112 PHJIDRI FAB. LIBER III.
« iEsope, medio sole , quid cum lumine?
— HomiRem , inquit , quaero. » Et abiit festinans domum.
Hoc si molestus ille ad animum rettulit , 4(^
Sensit profecto se liominem non visum seni ,
Intempestive qui occupato alluserit.
EPILOGUS.
Supersunt mihi quae scfibam , sed parco sciens
Primum , tibi esse ne videar molestior,
Distringit quem multarum rerum varietas ;
Dein , si quis eadem forte conari velit,
Habere ut possit aliquid operis residui;
Quamvis materiae tanta abundet copia ,
Labori faber ut desit , non fabro labor.
Brevitati nostrae praemium ut reddas peto ,
Quod es pollicitus; exhibe vocis fidem ;
que fais-tu donc avec cette lumière en plein midi? — Je cherche un
homme, » lui répondit-il , et il se hâta de regagner le logis.
Si cet importun réfléchit en lui-même sur cette réponse , il dut sen-
tir que le vieillard n'avait point pris pour un homme un plaisant
qui arrêtait et raillait ainsi un homme affaire.
ÉPILOGUE.
LE POETE.
n me reste encore beaucoup de sujets à traiter , mais je sais m'ar-
rêter, d'abord, pour ne point vous paraître importun, cher Eutyque,
vous que harcellent sans cesse tant d'occupations difl*érentes; puis,
s'il se trouvait quelque poëte qui voulût courir la même carrière , je
veux lui laisser encore quelque chose à faire ; quoiqu'à vrai dire les
matières soient ici tellement abondantes, que l'ouvrier manque à l'ou-
vrage plutôt que l'ouvrage à l'ouvrier.
Maintenant jb réolfctnft la récompense qu« vous avez promise à ma
FABLES DE PHÈDRE. LHT.E III.
113
« iEsope, quid cumlumine,
solemedio?»
— Quaero hominem ,
inquit. »
Et festinans abiit domum.
Si ille molestus
rettulit hoc
ad animum ,
sensit profecto se,
qui alluserit intempestive
occupato,
non visum hominem seni
« Esope , que fais-tu avec ceiielumière ,
le soleil eVani à son milieu (en plein midi)?
— Je cherche un homme ,
dit-il. .
Et , se hâtant, il s'en-alla à 5a maison.
Si cet importun
rapporta appliqua) ce mot
à son esprit (s'il y réfléchit en lui-même';,
il comprit assurément que lui-même,
qui s'était-raillé hors-de-saison
d'Ésope affaii-é ,
n'avait pas paru un homme au vieillard.
EPÎLOGUS.
ÉPILOGUE.
POETA.
Quas scribam
supersunt mihi ,
sed parco sciens,
primum, ne videar tibi,
quem varietas
multarum rerum
distringit,
esse molestior ;
dein , si qui forte
velit conari eadem^
ut possit habere
aliquid operis residui ;
quamvis
tanta copia materiae
abundet ,
ut faber desit labori ,
non labor fabro.
Peto ut reddas
nostrae brevitati
prœmium
Fables de Phèdre.
LE POETE.
Des sujets que je-puis-écrire
restent à moi ,
mais je m'abstiens, le sachant (à dessein;
d'abord, de-peur -que je ne paraisse à toi ,
que la variété
de nombreuses affaires
tire-en-divers-sens (assiège),
être trop-importun;
ensuite, si quelqu'un par-hasard
veut essayer les mêmes matières,
afîn-qu'il puisse avoir
quelque part d'ouvrage de-reste ;
quoique
une si-grande quantité de matière
abonde,
que l'ouvrier manque à l'ouvrage ,
non rou\'rage à l'ouvrier.
Je demande eue tu rendes
à notre (ma) brièveté
la récompense
114 PH^DRI FAB. LIBER III.
N^ain vita morti propior est quotidie ; 40
Et hoc minus perveniet ad me muneris
Quo plus consumet temporis dilatio.
Si cito rem perages, usus fiet longior;
Fruar diutius , si celerius cœpero,
Languentis aevi dum sunt aliquae reliquias, \b
Auxiiio locus est ; olim senio debilem
Frustra adjuvare bonitas nitetur tua ,
Quum jam desierit esse beneficio utilis *,
Et mors vicina flagitabit debitum.
Stultum admovere tibi preces existimo , 20
Proclivis ultro quum sit misericordia.
Saepe impetravit veniam confessus reus ,
Quanto innocenti justius débet dari !
Tuae sunt partes * ; fuerant aliorum prius ,
Dein simili gyro venient aliorum vices. 25
Décerne quod religio , quod patitur fides ,
Et gratulari me fac judicio tuo.
brièreté ; soyez fidèle à votre parole. Chacun de nos jours noua rap
proche de la mort, et je profiterai d'autant li^oins du bienfait que
vous me destines, que vous tarderez plus longtemps à me l'accorder.
Si vous vous en occupez promptement, la jouissance en sera plus
longue; et, plus tôt j'aurai commencé, plus longtemps j'en userai.
Tandis que je jouis encore d'un reste dévie languissante, c'est le mo-
ment de me porter secours; un peu plus tard, vos soins bienveil-
lants s'efforceront en vain de ranimer la faiblesse de mes vieux ans ;
alors vos bienfaits auront cessé de m'être utiles , et la mort , s' ap-
prochant à grands pas , exigera son tribut. Mais c'est fclie , je le
pense bien , de vous adresser des prières , à vous que la nature porte
d'cile-même à la bienveillance. Souvent un coupable obtint son par-
don par l'aveu de sa faute ; combien n'est-il pas plus juste encore de
raccorder à l'innocent ! Voilà votre rôle : d'autres l'cnt rempli avant
vous ; et , par une succession toujours la même , d'autres le rempli-
ront encore après vous. Examinez ce que réclament votre conscience,
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE III.
115
quod pollicitus es ;
exhibe fidem vocis ,
nam vita est quotidie
propior morti ;
et hoc minus muneris
perveniet ad me,
quo dilatio
cousumet plus temporis.
Si perages rem cito ,
USU8 fiet longior ;
fruar diutius,
si cœpero celerius.
Dmn aliquse reliquiae
aevi languentis sunt,
locus est auxilio;
olim tua bonitas
nitettir frustra
adjuvare debilem senio,
quum jam desierit
esse utilis bénéficie,
et mors vicina
flagitabit debitum.
Existimo stultum
admovere preces tibi ,
quum ultro
misericordia sit proclivis.
Saepe reus ♦
impetravit veniam ,
confessus ;
quanto justius
débet dari innocentî!
Partes sunt tuas ;
fuerant aliorum prius ;
dein , gyro simili ,
vices aliorum venient.
Décerne quod religio,
quod patitur fides ,
que tu as promise ;
montre la fidélité de ta parole;
car la vie est chaque-jour à mot
plus-proche de la mort ;
et d'autant moins de ton bienfait
arrivera à moi,
que le retard
consumera plus de temps.
Si tu accomplis la chose promptement,
la jouissance en deviendra plus-longue ^
j'en userai plus-longtemps,
si j'ai commencé plus-vite (plus tôt).
Tandis-que quelques restes
d'une vie languissante sont encore à mot,
lieu (possibilité) est pour le secours;
un jour ta bonté
s'efforcera en vain
de soulager un homme aff'aibli par l'âge,
lorsque déjà il aura cessé
d'être propre-à-jouir d'un bienfait,
et que la mort voisine
réclamera son dû.
Je pense cela insensé ,
d'adresser des prières à toi ,
lorsque d'elle-même
la pitié est à toi en-pente (naturelle).
Souvent un coupable
obtint son pardon,
ayant avoué sa faute ;
combien plus-justement
doit-il être accordé à un innocent !
Ce rôle de juge est le tien ;
il avait été celui d'autres auparavant ;
ensuite, par une succession semblable.
le tour d autres viendra.
Décide ce-que permet ta conscience ,
ce-que soufire (permet) ta bonne-foi ,
116 PH^DRI FAB. LIBER III.
Excedit animus quem proposuit terminum ,
Sed difiBcuIter continetur spiritus ,
Integritatis qui sincerae conscius, 30
A noxiorum premitur insolentiis.
Qui sint requires : apparebunt tempo re.
Ego , quondam legi quam puer sententiam :
Palam mutire plebeio piaculum * est ,
Dum sanitas constabit, pulchre meminero. 35
votre bonne foi, et faites que je puisse me féliciter de votre décision.
J'ai dépassé les bornes que je m'étais prescrites ; mais on a peine à
contenir une âme qui , convaincue de son innocence , soufire des
calomnies des méchants. Qui sont-ils ? me demanderez -vous. Le
temps les fera connaître. Pour moi , tant que je conserverai quelque
bOii sens , je me rappellerai précieusement cette maxime que j'ai lue
jadis dans mon enfance : Pour un plébéien, murmurer tout haut, c'ett
un sacrilig».
\
FABLES DE PHÈDRE, LIVRE III. 117
et fac et fais
me gratulari tuo judicic que moi je-me-félicite de ton jugement.
Animus excedit terminum Mon esprit dépasse le but
quem proposuit ,
sed spirittis
qui, conscius
integritatis sincerse ,
premitur
ab insolentiis noxiorum ,
continetur difficolter.
Requires qni sint :
apparebunt tempore.
Ego , dum sanitas
constabit ,
meminero pulchre
scntentiam
quam puer legi quondam '•
Mutire palam
est piaculum plèbe io.
qu'il «'est proposé ,
mais l'âme-fière
qui , ayant-la-conscience
de son intégrité sincère (sans tache),
est accablée
par les insolences des méchants,
est contenue (se contient) difficilement.
Tu demanderas quels ils sont :
ils paraîtront avec le temps.
Moi , tant-que le bon-sens
restera-entier chez moi,
je me rappellerai parfaitement
cette maxime
laquelle enfant j'ai lue autrefois :
Murmurer ouvertement
est un crime pour le plébéien.
118 PH^DRI FAB. LIBER IV.
LIBER IV.
PROLOGUS.
POETA AD PARTICULONEM.
Quum destinassem operis habere terminum ,
In hoc, ut aliis esset materiae satis,
Consilium tacito corde damnavi meum.
Nam si quis etiam talis est tituli aemulus,
Quo pacto divinahit quidnam omiserim , 6
Ut illud ipsum cupiat famae tradere ,
Sua cuique quum sit animi cogitatio ,
Colorque proprius? Ergo non levitas mihi,
Sed certa ratio causam scribe ndi dédit.
Quare, Particulo, quoniam caperis fabulis <0
Quas iEsopeas , non ^sopi nomino ,
Quasi paucas ostenderit , ego plures dissero ,
Usus vetusto génère , sed rébus no vis.
PROLOGUE.
LE POETE A PARTICULON.
J'avais résolu de mettre fin à cet ouvrage pour laisser aux autres
poëtes assez de matières à traiter ; mais, réfléchissant en moi-
même, j'ai condamné ma résolution. Car s'il se trouve quelque poëte
jaloux du titre de fabuliste , comment devinera-t-il ce que j'ai omis,
et concevra-t-il le désir de le transmettre à la postérité ? Chaque
-écrivain a sa manière de penser et d'écrire. Aussi n'est-ce point in-
constance de ma part : c'est une raison bien fondée qui m'a fait re-
prendre r ouvrage .
Ainsi donc , mon cher Particulon , puisque vous aimez ces fables
écrites dans le genre d'Esope, mais qui ne sont point d'Ésope, car il n'en
apublié que fort peu, tan dis que moi j'en ai composé un bien pi us grand
nombre d'après son ancienne manière, mais sur des sujets tout nou-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV,
119
LIVRE IV.
PROLOGUS.
PROLOGL^.
POETA
AD PARTICULONEM.
Quum destinassem
habere terminum operis,
ut in hoc
satis materiae esset aliis ,
damnavi corde tacite
metim consilium.
Nam si quis etiam
est aemulus talis tituli ,
que pacte divinabit
quidnam omiserim,
ut cupiat
tradere famas illud ipsum ,
quxun cogitatie animi sua
colorque proprius
sit cuique ?
Ergo non levitas,
sed ratio certa
dédit mihi
causam scribendi.
Quare , Particule,
queniara caperis fabulis
quasnomino -^sopeas,
non ^sepi ,
quasi ostenderit paucas,
ego dissero plures,
usus vetiTsto génère ,
sed rébus nevis.
LE POETE
A PAKTICCLOX.
Lorsque j'avais résolu [mettre fin),
d'avoir le terme de mon ouvrage (d'y
afin que en cela (par là)
assez de matière fût aux autres ,
j'ai condamné dans mon cœur silencieus
mon projet.
Car si quelqu'un aussi [li'te;,
est jaloux d'un tel titre (celui de fabu
par quel moyen devinera-t-il
ce-que j'aurai omis ,
pour-qu'il désire
transmettre à la renommée cela même ,
lorsqu'ime conception d'esprit sienne
et une couleur de style propre
est à chacun ?
Donc, non-pas l'inconstance,
mais une raison fixe solide)
a donné à moi
un motif d'écrire ces fables.
C'est-pourquoi , Particulon ,
puisque tu es charmé par ces fables
que j'appelle Esopiennes,
mais non d'Esope ,
comme il en a montré (publié) peu ,
moi j'en écris un-plus-grand-nom'.jrs ,
me servant de son ancien genre .
mais de sujets noureaux.
120 PH^DRI FAB. LIBER IV.
Quartum libellum nunc vacive perleges.
Hune obtrectare si volet malignitas , 15
Imitari dum non possit , obtrectet licet.
Mihi parla laus est quod tu , quod similes lui ,
Vestras in charta? verba transfertis mea ,
Dignumque longa judicatis memoria;
niitteratum plausum nec desidero. 20
FAEULA I.
ASINUS ET GALLI.
FABULA II.
MtrSTELA ET MUEES.
Qui natus est infelix , non vitam modo
Tristem decurrit, verum post obitum quoque
Persequitur illum dura fati miseria.
Galli Cybeles circum in quaestus ducere
Asinum solebant bajulantem sarcinas. 5
Is quum labore et plagis esset mortuus ,
Detracta pelle, sibi fecerunt tympana.
veaux , la lecture de ce quatrième livre pourra maintenant récréer vos
loisirs. Si la malveillance veut l'attaquer par d'injurieuses critiques,
qu'elle l'attaque à son aise; jelelui permets, pourvu qu'elle soit impuis-
sante à l'imiter. Ma gloire est maintenant assurée, puisque vous et
les autres hommes éclairés, vous donnez place à mes ouvrages dans
vos bibliothèques , et me jugez digne de vivre dans le souvenir de la
postérité. Je ne recherche point les sufirages de l'ignorance.
FABLE I.
l'ane et les prêtres de ctbèle.
FABLE II.
LA BELETTE ET LES RATS.
Quand on est né pour le malheur, non-seulement on mène une
vie misérable , mais on est encore , après la mort , poursuivi par son
cruel destin.
Des prêtres de Cybèle emmenaient dans leurs quêtes un âne qui
portait leurs bagages. Le baudet succomba aux coups et à la fatigue;
ils le dépouillèrent , et de sa peau se firent des tambours. Quelqu'un
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
121
Nonc perleges vacive
quartum libellum.
Si malignitas
voiet obtrectare hune ,
licet obtrectet ,
dum non possit imitari.
Laus parta est mihi ,
quod tu ,
quod similes tui,
transfertis mea verba
in vestras chartas,
judicatisque dignum
longa memoria ;
nec desidero
plausum illitteratum.
Maintenant tu liras dans-tes loisirs
ce quatrième livre.
Si la malveillance
veut critiquer ce livre ,
il est permis qu'elle le critique,
pourvu qu'elle ne puisse Timiter.
La gloire est acquise à moi ,
puisque toi ,
puisque les semblables de toi ,
vous introduisez mes paroles (mes écrits)
dans vos papiers (vos bibliothèques),
et me jugez digne
d'un long souvenir ;
et je ne désire pas
un éloge ignorant (l'éloge des ignorants).
FABULA L
ASINUS ET GALLI.
FABLE L
L'aNE et les prêtres de CTBÈI.B.
FABULA IL
MUSTELA ET MURES.
Qui natus est infelix ,
non modo
decurrit vitara tristem ,
verum post obitum quoque
dura miseria fati
persequitur iilum.
Galli Cybeles solebant
ducere circum in quœstus
asinum
bajulantem sarcinas.
Quum is raortuus esset
labore et plagis,
pelle detracta,
fecerunt sibi tympana.
FABLE II
LA BELETTE ET LES RATS.
Celui-qui est né malheureux ,
non seulement
parcourt une vie misérable ,
mais , après sa mort même,
le cruel malhour de sa destinée
poursuit lui.
Des prêtres de Cybèle avaient-coutume
de conduire partout pour leurs recettes
un âne
portant leurs fardeaux.
Comme celui-ci était mort
de fatigue et de coups,
5a peau ayant été enlevée,
ils en firent à eux des tambours.
122 PH^DRI FAB. LIBER IV.
Rogati mox a quodam , delicio suo
Quidnam fecissent , hoc locuti sunt modo :
« Putabat se postmortem securum fore; 10
Ecce aliae plagas congeruntur mortuo. »
Joculare tibi videtur; et sane levé,
Dum nihil habemus majus, calamo ludimus;
Sed diligenter intuere has naenias :
Quantam sub illis utilitatem reperies ! 45
Non semper ea sunt quae videntur ; decipit
Frons prima multos* ; rara mens intelligit
Quod interiore condidit cura angulo.
Hoc ne locutus sine mercede existimer,
Fabellam adjiciam de Mustela et Muribus. 20
Mustela quum, annis et senectadebilis,
Mures veloces non valeret assequi ,
Involvit se farina , et obscuro loco
Abjecit negligenter. Mus, escam putans,
Assiluit , et compressus occubuit neci ; 25
Alter similiter; deinde périt et tertius.
Aliquot secutis , venit et retorridus ',
leur demanda ce qu'ils avaient fait de leur baudet chéri : « Il s'ima-
ginait , répondirent-ils , être bien tranquille après sa mort ; mais les
coups pleuvent encore sur lui. »
Mon style vous paraît s'égayer , et, j'en conviens, quand je n'ai
rien de mieux à faire, mon esprit se plaît à ce badinage, mais jeter
sur ces bagatelles un regard attentif : quelles grandes et utiles le
çons vous verrez se cacher sous leur frivolité! Les objets ne sont
pas toujours ce qu'ils paraissent ; bien des gens se laissent prendre à
l'apparence : il faut un esprit intelligent pour pénétrer au fond des
choses, et retrouver la pensée du poëte cachée avec soin sous leur
enveloppe. Pour ne pas vous laisser croire que mes paroles soient
sans fruit pour vous , j'ajouterai à cette première fable celle des
rats et de la belette.
Une ^^eille belette affaiblie par les ans , ne pouvait plus atteindre
les rats plus agiles qu'elle ; elle s'enfarine et se blottit négligem-
ment dans un coin obscur. Un rat s'imagine trouver un bon mor-
ceau, saute dessus; il est aussitôt saisi, et périt d'une mort cruelle;
un autre l'imite, et est traité de même; puis un troisième, puis quel-
ques autres encore. Arrive un vieux routier, qui plus d'une fois avait
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
123
Rogati mox a quodam ,
quidnam fecissent
8U0 delicio,
locuti sunt hoc modo :
« Putabat se fore securum
post mortem;
ecce alias plagae
congeruntur mortao. »
Videtur tibi joculare ;
et sane ludimus levé
calamo ,
dum habemus
nihil majus ;
sed intuere diligenter
has ngenias :
qnantam utilitatem
reperies sub illis !
Non sunt semper
ea quœ \-identur ;
prima fronsdecipit multos;
mens rara intelligît
quod cura
condidit angulo interiore.
Ne existimer locutus hoc
sine mercede,
adjiciam fabellam
de Mustela et Muribus.
Quum Mustela ,
debilis annis et senecta ,
non valeret assequi
mures veloces,
învohat se farina,
et abjecit negligenter
loco obscuro.
Mus , putans escam,
assiluit ,
et compressus
occubuit neci ;
al ter similiter;
deinde et tertius périt
Aliquot secutis,
Interrogés bientôt par quelqu'un ,
sur ce-qu'ils avaient fait
de ce baudet leurs amours,
ils parlèrent de cette manière :
« n pensait soi devoir être tranquille
après sa mort ;
voilà-que d'autres coups
sont accumulés sur lui mort. »
Cela semble à toi badin ;
et en eflFet nous jouons légèrement
avec notre plume ,
tandis que nous n'avons
rien de plus-sérieux;
mais examine attentivement
ces badinages:
quelle-grande utilité
tu trouveras sous eux !
Les choses ne sont pas toujours
celles (ce'^ qu'elles paraissent ;
le premier aspect trompe beaucoup degeni;
un esprit peu-commun comprend seul
ce-que le travail du poète
a caché dans un recoin intérieur.
De peur que je ne sois cru ayant dit cela
sans profit pour toi,
j'ajouterai la fable
sur la Belette et les Rats.
Comme une belette ,
faible par les années et la vieillesse ,
ne pouvait plus atteindre
les rats agiles,
elle enveloppa soi de farine ,
et se jeta négligemment
dans un lieu obscur.
Un rat, pensant elle de la nourriture,
sauta-dessus,
et accablé
succomba à la mort;
un autre de même;
ensuite aussi un troisième périt.
Quelques autres ayant suivi ceux--},
124 PHJIDRI FAB. LIBER IV.
Qui saepe laqueos et muscipula effugerat;
Proculque insidias cernens hostis callidi :
« Sic valeas , inquit, ut farina es, quae jaces 1 »
FABULA III.
VULPES ET UVA.
Famé coacta Vulpes alta in vinea
Uvam appetebat, summis saliens viribus.
Quam tangere ut non potuit, discedens ait :
« Nondum matura est ; nolo acerbam sumere. »
Qui , facere quae non possunt, verbis élevant, 5
Adscribere hoc debebunt exemplum sibi.
FABULA IV.
EQUUS ET APER.
Equus sedare solitus quo fuerat sitim ,
Dum sese Aper volutat turbavit vadum.
Hinc orta lis est. Sonipes*, iratus fero,
Auxilium petiit hominis ; quem dorso levans ,
Rediit ad hostem. Jactis hune telis eques 5
évité pièges et ratières , et , voyant de loin le stratagème de soa
ennemie rasée : « 0 toi , lui cria-t-il , qui te caches en ce coin ,
porte-toi bien , comme il est vrai que tu es farine ! »
FABLE III.
LE REKARD ET LES RAISINS.
Un renard, mourant de faim, cherchait à attraper des raisins qui
pendaient à une treille; il sautait de toutes ses forces , mais n'y pou-
vant atteindre , il s'éloigna en disant : « Ils ne sont pas mûrs ; je ne
veux pas les cueillir verts. »
Ceux qui rabaissent ce qu'ils ne peuvent atteindre , devront s'ap-
pliquer cet apologue.
FABLE IV.
LE CHEVAL ET LE SANGLIBB.
Un sanglier, en se vautrant, troubla l'eau d'un gué où un cheval ve-
nait d'habitude se désaltérer; de là une querelle. Le coursier, dans
sa colère , implore l'assistance de l'homme, le reçoit sur son dos et
retourne contre son ennemi. Le cavalier lance ses traits , et, aprèa
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
125
renit et retorridus il en vint aussi un retors (vieux routier)
qui eflFugerat ssepe qui avait évité souvent
laqueos et muscipula; pièges et ratières;
2ernensque procul insidias et voyant de loin les embûches
bostis callidi : « Quse jaces, de l'ennemie rusée : « Toi qui es étendue,
valeas, inquit, puisses-tu-te-bien-porter, dit-il,
sic ut es farina ! » de même que tu es farine! »
FABULA ni.
VULPES ET UVA.
Vulpes coacta famé
appetebat uvam
in vinea alta,
isaliens summis viribus.
Ut non potuit
tangere quam,
ait discedens :
.c Nondum est matura;
nolo sumere acerbam. »
Qui élevant verbis
iquœ non possunt facere,
debebunt adscribere sibi
hoc exemplum.
FABLE IIL
LB RENAED ET LE EAISIN.
Un renard pressé par la faim
essayait-de-prendre du raisin
sur une vigne élevée,
sautant de toutes ses forces.
Comme il ne put
atteindre ce raisin,
il dit en-s'éloignant :
« Il n'est pas encore mûr ;
je ne-veux-pas prendre Zut aigre (ve^t). »
Ceux qui rabaissent par leurs paroles
ce-qu'ils ne peuvent faire,
devront appliquer à soi
cet exemple (cet apologue ).
FABULA IV.
EQUUS ET APER.
Aper, dum volutat sese,
turbavit vadum quo equus
solitus fuerat sedare sitim.
Hinc lis orta est.
Sonipes,
iratus fero,
petiit auxilium hominis ;
quem levans dorso,
rediit ad hostem.
Postquam eques
FABLE IV.
LE CHEVAL ET LE SANGLIER.
Un sanglier, tandis qu'il vautre soi,
troubla le gué dans lequel un cheval
avait eu (avait) coutume d'apaiser sa soif
De là une querelle s'éleva.
L'ammoZ-au-pied-sonnaut (le cùeval),
irrité contre ranimai-sauvage,
demanda l'assistance de l'homme ;
lequel levant ( portant ) sur son dos ,
il revint vers son ennemi.
Après que le cavalier
126 PttEDRI FAB. LIBER IV.
Postquam interfecit, sic locutus Iraditur :
« Laetor tulisse auxilium me precibus tuis ;
Nam prasdam cepi , et didici quam sis utilis. »
Atque ita coegit frenos invitum pati.
Tum mœstus ille : « Parvae vindictam rei 4i
Dum quaero démens, servitutem repperi ! »
Haec iracundos admonebit fabula,
Impune potius laedi, quam dedi alteri.
FABULA V.
POETA.
Plus esse in uno saepe, quam in turba , boni»
Narratione posteris tradam brevi. j
Quidam decedens très reliquit filias : M
Unam formosam , et oculis venantem viros ;
At alteram lanificam et frugi rusticam ; 5
Devotam vino tertiam , et turpissimam.
Harum autem matrem fecit tieredem senex
I
avoir tué le sanglier, prononce, dit-on, ces paroles : a Je m'ap-
plaudis d'avoir cédé à tes prières, et de t' avoir rendu ce service ; car
j'ai fait une capture, et j'ai appris à connaître ton utilité, d Et,
en parlant ainsi, il le força de recevoir le frein. « Insensé que je
suis, dit le cheval tout consterné, candis que je cherclie à me venger
d'une insulte légère , j'ai trouvé la servitude ! »
Cette fable conseille aux personnes irritables , de souflfrir plutôt
une offense que de se livrer à autrui.
FABLE V.
LE FOETE.
Souvent un seul homme a plus de sens que toute une multitude ;
j'en laisse dans cette courte narration un exemple à la postérité.
Un homme, en mourant, laissa trois filles : l'une , d'une grande
beauté, cherchait à prendre les hommes par ses regards; la seconde,
bonne ménagère , se plaisait aux ouvrages de laine et aux travaux
de la campagne ; la troisième enfin , très-laide, était adonnée au vin.
Le vieillard avait fait leur mère héritière de toute sa fortune , à
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV. 127
interfecît hune telis jactis, eut tué celui-ci par ses traits lancés,
tradîtur locutus sic :
€ Lsetor me tulisse auxilium
tuis precibus ;
nam cepi prœdam,
et dîdici quam sis utilis. »
Atque ita coegit invitum
pati frenos.
Tum ille mœstus :
« Démens ! dum quaero
vindictam parvse rei ,
repperi servitutem ! »
Hœc fabula admonebit
îracundos,
lasdi impime
potius quam dedi alteri.
il est rapporté ayant parlé ainsi :
« Je me réjouis moi avoir porté secours
à tes prières ;
car j'ai pris une proie,
et j'ai appris combien tu es utile. »
Et ainsi il força lui malgré-lui
à soufîrir les freins (le frein).
Alors celui-ci chagrin :
« Insensé! tandis que je cherche
la vengeance d'une petite chose (iDJure),
j'ai trouvé la servitude ! »
Cette fable avertira
les personnes irritables ,
d'être blessées impunément
plutôt que de se-livrer à autrui.
FABULA V.
FABLE V.
Tradam posteris
brevi narratione,
ssepe plus boni
esse in tmo, quam in turba.
Quidam decedens
reliquit très filias :
unam formosam,
et venantem
viros oculis ;
at alteram lanificam
et frugi rusticam;
tertiam devotam vino,
et turpissimam.
Senex autem fecit heredem
matrem harum
sub conditioue.
LE POETE.
Je livrerai (montrerai) aux descendan ts
par une courte narration ,
que souvent plus de bien ( d'esprit )
est dans un seul homme, que dans une
Un homme en-décédant [foule,
laissa trois filles :
l'une belle,
et prenant-comme-à-la-chasse
les hommes par ses yeux ;
mais une autre travaillant-la-lame,
et ménagère aimant-les-champs ,
la troisième adonnée au vin,
CL très-laide.
Or le vieillard fit héritière
la mère de celles-ci
sous cette condition.
128 PH^DRI FAB. LIBER lY.
Sub conditione, totam ut fortunam tribus
iEqualiter distribuât, sed tali modo :
Ne data possideant, aut fruantur; tum, simul 4f
Habere res desierint quas acceperint,
Centena matri conférant sestertia '.
Athenas rumor implet. Mater sedula
Juris peritos consulit : nemo expedit
Quo pacto non possideant quod fuerit datum , -i c
Fructumve capiant : deinde, quae tulerint nihil,
Quanam ratione conférant pecuniam.
Postquam consumpta est temporis longi mora ,
Nec testament! potuit sensus colligi ,
Fidem advocavit-, jure neglecto , parens : 2(
Seponit Mœchae vestem , niundum muliebrem ,
Lavationem argenteam , eunuchos, glabres;
Lanificae agellos, pecora, villam, operarios,
Eoves, jumenta, et instrumentum rusticum;
Potrici plenam antiquis apothecam cadis % 21
Domum politam, et delicatos hortulos.
Sic destinata dare quum vellet singulis,
Et approbaret populus, qui illas noverat,
-^scpus média subito in turba constitit :
condition qu'elle la répartirait également entre ses trois filles ,
mais de telle sorte qu'elles n'eussent ni la possession ni la jouis-
sance des biens qui leur seraient dévolus ; puis, quand elles auraient
cessé d'avoir entre les mains ce qu'elles auraient reçu, elles devaient,
entre elles trois, donner à leur mère cent grands sesterces. Ce testa-
ment fait grand bruit à Athènes. La mère s'empresse de consultei
les hommes de loi ; mais nul n'en peut donner le mot : Commeni
les trois filles ne peuvent-elles avoir ni la jouissance ni la posses-
sion des biens qu'on leur donne? et comment ensuite, lorsqu'elle;
n'auront plus rien, réuniront-elles la somme exigée? Un long
temps s'écoule sans que le mystère du testament soit mieux éclairci
La mère alors passe outre sur le droit, et ne consulte que la bonne
foi : pour la coquette elle met de côté les vêtements , les parures,
les services de bain en argent, les eunuques, les esclaves àt
luxe ; à l'industrieuse ménagère, elle destine les terres , les trou-
peaux , la ferme , les esclaves des champs , les bœufs , les bêtes de
somme , et tous les instruments du labourage ; enfin à la buveuse
elle réserve un cellier rempli de vieux vins , une maison élégante ei
de délicieux jardins.
Les lots ainsi réglés , elle allait les donner à chacune , et le peu-
ple, qui connaissait les fiHes, approuvait ces dispositions, lorsque
Esope se présente tout à coup au milieu de la foule : « Oh ! si le dé -
FABLES DE PHÈDRE. Li VRt JV.
129
ut distribuât £equali:;er
totara fortunam tribus,
sed tali modo :
ne possideant data ,
aut fruantur;
tum, simul desieriut
liabere res quas acceperint,
conférant
centena sestertia matri.
Rumor implet Athenas.
Mater sedula
consulit peritos juris :
nemo expedit quo pacte
non possideant
quod fuerit datum ,
capiantve fructam ;
deinde quanam ratione,
quae tnierint nihil ,
conférant pecuniaiD.
Postquam mora
longi temporis
consumpta est,
et sensus testamenti
non potuit colligi,
parens, jure neglecto,
advocavit fidem :
seponit moechae
vestem,
mundura miiliebrem,
lavationem argenteam,
eunuchos, glabros;
lanificae
agellos, pecora,
villam, operarios,
boves, jumenta,
et instrumentum rusticum:
potrici apothecam
plenam cadis antiquis,
domum politani
et hortulos delicatos.
Quum vellet dare singulis
destinata sic,
et populus,
qui noverat iUas ,
approbaret ,
Bubito ^sopus
constitit in média turba :
Fables de Phèdre
qu'elle partage également
toute la fortune à ses trois filles,
mciis de telle sorte :
qu'elles ne possèdent pas les biens donnés
ou qu'elles v'en jouissent pas ;
qu'alors, dès-qu'elles auront cessé
d'avoir les biens qu'elles auront reçus,
elles réunissent (fournissent)
cent sesterces pour leur mère.
La ruu:ieur (iu teslameiU remplit Athènes,
La mère empressée
consulte les hommes instruits du droit :
personne n'explique par quel moyen
elles ne posséderont pas
ce-qui leur aura été donné,
ou n'en retireront pas le fruit;
ensuite de quelle manière
celles-qui n'auront emporté (reçu) rien
réuniront la somme exigée.
Après que le délrù
d'un long temps
fut consumé 'écoulé),
et que le sens du testament
ne put être recueilli ( saisi ) ,
la mère, le droit étant négligé,
appela-à-e/^e la bonne-foi :
elle met-de-côté pour la coquette
vêtements,
attirail féminin,
baignoire en-argent,
eunuques, esclaves-pour-la-toilette,
pour celle-qui-travaille-la-laine,
champs , troupeaux ,
ferme, ouvriers,
bœufs, bêtes-de-somme,
et instruments rustiques ;
■pour la buveuse, cellier
plein de tonneaux vieux (de vieux vins),
maison bien-pourvnae,
et petits-jardins délicieux.
Comme elle voulait donner à chacune
les lots réglés ainsi,
et que le peuple,
qui connaissait ces trois filles,
approuvait,
tout-à-coup Esope
s'arrêta (parut) au milieu de la foule ;
0
130 PHiEDRI FAB. LIBER IT.
a 0 si maneret condito sensus patri, 30
Quam graviter ferret quod voluntatem suam
Interpretari non potuissent Attici ! »
Rogatus deinde , solvit errorem omnium :
« Domum et ornamenta cum venustis hortulis ,
Et vina vetera date Lanificae rusticae ; 35
Vestem, uniones, pedisequos, et cetera
Illi assignate, vitam quse luxu trahit;
Agros, yites, etpecora cum pastoribus
Donate Mœchae. Nulla poterit perpeti
Ut moribus quid teneat alienum suis : 40
Deformis cultum vendet, ut vinum petat;
Agros abjiciet Mœcha, ut ornatum paret;
At illa gaudens pécore, et lanaededita,
Quaoumque summa tradet luxuriae domum.
Sic nulla possidebit quod fuerit datum, 45
Et dictam matri confèrent pecuniam
Ex pretio rerum quas vendiderint singulae, »
Ita, quod multorum fugit imprudentiam,
Unius hominis repperit solertia.
funt vivait encore , s'écria-t-il , comme il s'indignerait de voir les
Athéniens interpréter si mal sa volonté suprême ! » Aussitôt on l'in-
terroge, et il dissipe ainsi l'erreur générale : « La maison, les meu-
bles , les riants jardins , les vieux vins , donnez-les à celle qui n'aime
que les champs ; les parures , les perles , les esclaves , et tout le
reste, gardez-le pour celle qui passe sa vie dans le luxe des fes-
tins ; et réservez à la coquette les champs , les vignes, les troupeaux
et leurs bergers. Nulle ne pourra conserver des biens si peu en rap-
port avec ses penchants ; la laide vendra ses atours pour acheter du
vin , la coquette quittera les champs pour avoir des parures , et celle
qui n'aime que les travaux des champs et les ouvrages de laine ,
voudra à tout prix se défaire de sa maison de plaisance. Ainsi ,
aucune d'elles ne possédera plus ce qu'elle aura reçu , et, du prix de
la vente de leurs biens , elles réuniront à elles trois la somme assi-
gnée à leur mère. »
Ainsi, ce qui avait échappé à une foule inconsidérée, l'esprit
îrvoyant d'un seul homme sut le découvrir.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
131
f 0 si sensus
maneret patri condito,
quam ferret graviter
quod Attici
non potuissent interpretari
Bnam voluntatem ! »
Rogatus deinde,
Bolvit errorem omnium :
• Lanific85
rusticœ
date domxmi et ornamenta
cum hortulis venustis,
et vina vetera;
assignate vestem,
tmiones ,
pedisequos ,
et cetera
illi, quœ trahit vitamluxu;
donate mœchse agros,
vites, et pecora
cum pastoribus.
Nulla poterit perpeti
nt teneat
quid alienum suis moribus :
deformis vendet cultum,
ut petat vinum ;
mœcha abjiciet agros ,
ut paret ornatum ;
at illa gaudens pécore,
et dedita lanse,
tradet qiiacumque summa
domum luxurise.
Sic nulla possidebit
quod fuerit datum ,
et confèrent matri
pecuniam dictam
ex pretio rerum
quassingulaevendiderint. »
T.ta solertia unius hominis
repperit quod fugit
imprudentiam multorum.
«Oh! si le sentiment
restait au père enseveli,
qu'il supporterait avec peine
que les Athéniens
n'eussent (n'aient) pu interpréter
sa volonté ! r>
Ayant été interrogé ensuite ,
il dissipa l'erreur de tous :
« A celle-qui-travaille-la-laine
et qui-airae-les-champs
donnez la maison et les meubles
avec les petits-jardins charmants,
et les vins vieux ;
assignez les vêtements,
les perles,
les valets-de-pied
et le reste,
à celle qui passe sa vie dans le luxe ;
donnez à la coquette les champs,
les vignes, et les troupeaux
avec leurs pasteurs.
Aucune ne pourra supporter-longtemps
qu'elle retienne ( de conserver )
quelque-chose d'étranger à sespenchants:
la laide vendra ses toilettes,
pour qu'elle se-procure du vin ;
la coquette se-débarrassera des terres,
pour qu'elle achète des parures;
mais celle aimant les troupeaux,
et adonnée à la 'aux ouvrages de) laine,
livrera pour quelque prix qxie-ce-soit
sa maison de plaisance.
Ainsi aucune ne possédera
ce-qui lui aura été donné,
et elles rassembleront pour leur mère
la somme dite ( énoncée au testament )
du (avec le) prix des biens
lesquels chacune d'elles aura vendus. »
Ainsi la sagacité d'un seul homme
trouva ce-qui avait échappé
à l'ignorance d'un-grand-nombre.
!32 PflEDRI FAB. LIBER IV.
FABULA VI.
PUGNA MURIUM ET MUSTELA.^UM.
Quum vîcli Mures Mustelarum exercitu
(Quorum in tabernis historié depingitur)
Fugerent, et arctos circum trepidarent cavos,
^gre recepti, tamen evaserunt necem.
Duces eorum, qui capilibus cornua ' 5
Suis ligarant, ut conspicuum in praelio
Haberent signum quod sequerentur milites,
Haesere in portis, suntque capti ab hostibus.
Quos immclatos victor avidis dentibus
Capacis aivi mersit tartareo specu. 40
Quemcumque populum tristis eventus premit,
Periclitatur magnitudo principum,
Minuta plèbes facili praesidio latet.
FABULA VU.
POETA.
Tu qui nasute scripta destringis mea ,
FABLE VL
LE COMBAT DES RATS ET DES BELETTES.
Dans cette fameuse bataille qu'on voit peinte sur les murs des caba-
rets, les rats, mis en déroute par l'armée des belettes , fuyaient et se
pressaient en tumulte aux portes de leurs étroites demeures, où ils n'en-
traient qu'avec peine; ils parvinrent toutefois à éviter la mort. Mais
leurs chefs, qui s'étaient attaché sur la tête des panaches, pour avoir
dans la mêlée un signe que pussent suivre leurs soldats , restèrent
embarrassés à l'entrée de leurs trous, et furent pris par les ennemis.
Les vainqueurs les immolèrent, et d'une dent avide les englouti-
rent dans l'antre infernal de leur vaste estomac.
Quel que soit le peuple qu'accablent les coups du sort , le haut
rang des chefs les met en danger , tandis que l'obscure multitude
assure sans peine son salut.
FABLE VIL
LE POETE.
Tci qui répands malignement la raillerie sur mes écrits, et dédai-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
133
FABULA VI.
PUGNJL MURIUM
ET MUSTELARUM.
Quum mures
(quorum historia
depingitur in tabernis) ,
victi exercitu mustelarum,
fugerent, et trepidarent
circum cavos arctos ,
recepti œgre,
evaserunt tamen necem.
Duces eorum ,
qui ligarant cornua
suis capitibus,
ut haberent in prselio
signum conspicuum
quod sequerentur milites,
hsesere in portis,
captique sunt ab hostibus.
Quos victor mersit
immolâtes dentibus avidis
specu tartareo
alvi capacis.
Quemcumque populum
eventus tristis premit ,
magnitudo principum
periclitatur,
minuta plèbes
latet praîsidio facili.
FABLE VL
COMBAT DES RATS
ET DES BELETTE»
Comme les rats
(desquels l'histoire
est peinte dans les cabarets) ,
vaincus par l'armée des belettes,
fuyaient , et se pressaient
autour de leurs trous étroits,
reçus (introduits) avec-peine,
ils écliappèrent cependant à la mort
Les chefs de ceux-ci,
qui avaient attaché des aigrettes
à leurs têtes,
afin qu'ils eussent dans le combat
un signe remarquable
que pussent-suivre les soldats,
restèrent-embarrassés aux portes,
et furent pris par les ennemis.
Lesquels le vainqueur engloutit,
immolés par ses dents avides,
dans le gouffre infernal
de son ventre spacieux.
Quel-que-soit le peuple que
un événement funeste accable,
l'élévation des grands
court-des-risques ,
le menu peuple
est mis-à-couvert par une défense facile.
FABULA VIL
POETA.
Tu qui destringis
mea scripta nasute.
FABLE VIL
LE POETE.
Toi qui critiques
mes écrits avec-un-goût-minutieux,
1S4 PH^DRI FAB. LIBER IV.
Et hoc jocorum légère fastidis genus,
Parva libellum sustine patientia ,
Severitatem frontis dum placo tuae:
En in cothurnis • prodit ^Esopus novis. 5
Utinam * nec unquam Pelii ' nemoris jugo
Pinus bipenni concidisset Thessalâ ,
Nec ad professas mortis audacem viam
Fabricasset Argus * opère Palladio ratem ,
Inhospitalis prima quae Ponti sinus 40
Patefecit , in perniciem Graium et Barbanim !
Namque et superbi luget^etae** domus,
Et régna Peliae* scelere Medeae jacent :
Quae saevum ingenium variis involvensmodis,
Dlic per artus fratris ' explicuit fugam , 45
Hic caede patris Peliadum infecit manus.
Quid tibi videtur ? « Hoc quoque insulsum est , ais ,
Falsoque dictum : longe quia vetustior
Mgea Minos' classe perdomuit fréta,
Justoque vindicavit exemplo impetum. » 20
Quid ergo possum facere tibi , lector Cato ^,
Si nec fabellae te juvant, nec fabulae?
gnes de lire ces frivolités , regarde avec un peu d'indulgence ce pe-
tit ouvrage , et laisse-moi dérider la sévérité de ton front : Voilà
qu'Esope s'avance chaussé du cothurne tout nouveau pour lui.
Plût aux dieux que jamais les pins qui omhragent les sommets
du Pélion ne fussent tombés sous le tranchant de la hache thessa-
lienne 1 Plût aux dieux que jamais Argus, pour courir avec audace
à une mort certaine, n'eût, par l'inspiration de Pallas, construit ce
vaisseau qui, le premier, s'ouvrit un passage sur les flots du Pont
inhospitalier, pour ^causer la perte des Grecs et des Barbares ! car le
palais du superbe Eétès est plongé dans la douleur, et le royaume de
Pëlias est renversé par les crimes de la cruelle Médée, de Médée,
qui, revêtant tour à tour de mille formes son ingénieuse scélératesse,
sème ici les membres d'un frère pour assurer sa fuite , et là égorge
Pélias par les mains de ses filles.
Que t'en semble, ami lecteur? « Ce style aussi manque de sel, me ré-
pondras-tu, et les faits sont erronés; longtemps auparavant, Minos
sur une flotte , avait dompté les flots de la mer Egée , et imposé au
crime d'Athènes un juste châtiment. » Que puis-je donc pour toi,
lecteur qui fais le Caton , si tu dédaignes également et mes fable»
FABLES DE PHEDRE. LIVRE IV.
135
et fastidis légère
hoc genus jocorum,
Bustine libellum
parva patientia,
dum placo
BBveritatem tuîe frontis :
En ^sopus prodit
in cothurnis novis.
Utinam nec pinus
concidisset unquam
bipenni Thessala
jugo nemoris Pelii,
nec Argus opère Palladio
fabricasset
ad viam audacem
mortis professse ,
ratem,
quaî prima patefecît
Binus Ponti inhospitalis,
in perniciem Graium
et Barbarum !
Namque
et domus superbi ^etse
luget ,
et régna Pelise
jacent
Bcelere Medese :
qnae, involvensmodisvariis
ingenium sasvum,
explicuit illic fugam
per artus fratris,
infecit hic manus Peliadum
csede patris,
Quid videtur tibi ?
« Hoc quoque
est insulsum, ais,
dictumque falso :
quia Minos longe vetustior
perdomuit classe
fréta -^gea ,
justoque exemple
vindicavit impetum. »
Quid ergo
possum facere tibi,
lector Cato ,
si nec fabellœ juvant te,
necfabulœ?
et dédaignes de lire
ce genre de badinages,
supporte ce petit-ouvrage
avec un-peu-de patience ,
tandisque j'adoucis (cbercbeà dérider)
la sévérité de ton front :
Voilà-qu'Esope s'avance
sur les cothurnes tout-nouveaux pour lui.
Plût-aux-dieux-queni le pin
ne fût tombé (n'eût été abattu) jamais
par la hache thessalienne
sur le sommet de la forêt du-mon/-Pélion.
ni Argus, par l'assistance de Pallas,
n'eût fabriqué
pour la voie hardie
d'une mort avouée (manifeste),
un vaisseau
qui le premier ouvrit (sillonna)
les mers du Pont inhospitalier,
pour la ruine des Grecs
et des Barbares !
Car
et le palais du superbe Eétès
pleure (est plongé dans le deuil),
et les royaumes de Pélias
sont gisants (détruits)
par le crime de Médée :
laquelle, enveloppant de formes variées
son génie cruel,
dégagea (assura^ là sa fuite
à-l'aide des membres d'un frère,
souilla ici les mains des Péliades
du meurtre de leur père.
Que semble à toi?
« Cela même
est sans-sel, dis-tu,
et dit (avancé) faussement :
puisque Minos beaucoup plus-ancien
dompta avec une flotte
les détroits (flots) Egéens,
et par un juste exemple
punit la violence des Athéniens. »
Quoi donc
puis-je faire pour toi,
lecteur Caton (qui fais le Caton),
si ni mes fables ne plaisent à toi ,
ni mes récits-mythologiques (épiques) ?
136 PHiEDRI VA?.. LIBER IV.
Noli molestus esse omnino litteris,
Majorem exhibeant ne tibi molestiam.
Hocillis dictum est qui, stulti etiam, nauseant, 25
Et, ut putentur sapere, cœlum vitupérant.
FABULA VIII.
VIPERA ET LIMA.
Mordaciorem qui improbo dente appétit ,
Hoc argumento se describi sentiat.
In ofBcinam fabri venit Vipera.
Haec , quum tentaret si qua res esset cibi',
Limam momordit. Illa contra conlumax : 5
« Quid me, inquit, stulta, dente captas laedere,
Omne assuevi ferrum quae corrodere ? »
FABULA IX.
VULPES ET HIRCUS.
Homo in periclum simul ac venit callidus,
Reperire effugium quasdi alterius malo.
et mes récits épiques? Montre un peu moins d'animosité contre les
auteurs , si tu ne veux les voir t'accabler de leur ressentiment.
Ces vers s'adressent aux sots qui font les dédaigneux, et qui, pour
se donner des airs d'hommes de goût , critiqueraient les œuvres des
dieux eux-mêmes.
FABLE Vin.
LA VIPÈRE ET LA LIME.
Celui dont la dent méchante s'attaque à plus mordant que lui,
pourra se reconnaître dans cet apologue.
Une vipère entra dans l'atelier d'un serrurier, et, cherchant à
manger, elle se mit à mordre une lime ; mais celle-ci , résistant à
ses efforts, lui dit : «Insensée! pourquoi cherches-tu à m'entaraer
avec tes dents, moi accoutumée à ronger le fer le plus dur?
FABLE IX.
LE r.ENAllL) ET LE BOUC.
Un homme adroit se troiive-t-il en péril? il cherche à s'en tirer
aux dépens d'autrui.
FABLES DE PHEDRE. LIA^RE IV.
137
Noii esse
omnino molestus litteris,
ne exhibeant
majorem molestiam tibi.
Hoc dictum est illis
qui, etiam stultî,
nauseant,
et, ut putentur sapere,
vitupérant cœlum.
Ne veuille-pas être
tout-à-fait importun aux lettres ,
de peur qu'elles ne montrent (causent)
une plus-grande importunité à toi.
Ceci est dit pour ceux
qui, même sots quoique sots),
ont-des-nausées (font les dédaigneux),
et, afin qu'ils soient pensés avoir-du-goût,
critÏQuent le ciel même.
FABULA VIII.
VIPERA ET LIMA.
Qui appétit
dente improbo
mordaciorem ,
sentiat se describi
hoc argumente.
Vipera venit
in officinam fabri.
Hœc, quum tentaret
si qua res cibi esset ,
momordit limam.
Illa contra contumax :
« Stulta , inquit ,
quid captas
lœdere dente
me , quae assuevi
corrodere omne ferrum? »
FABLE YIII.
LA VIPÈRE ET LA LIME.
Que celui-qui cherche-à-blesser
d'une dent méchante
un plus-mordant,
comprenne soi être désigné
par cette fable.
Une vipère vint 'entra)
dans l'atelier d'un forgeron.
Celle-ci, comme elle tâtait
si quelque chose de nourriture était là,
mordit une lime.
Celle là de-son-côté résistant :
« Insensée, dit-elle,
pourquoi cherches-tu
à blesser de ta dent
moi, qui ai-coutume
de ronger tout (toute sorte de) fer? »
FABULA IX.
VTLPES ET HIRCUS
FABLE IX.
LE REKARD ET LE BOUC.
Simul ac homo callidus Dès qu'un homme habile
venit in periclum, est venu (tombé) en péril,
qu«rit reperire effugium il cherche à trouver un moyen-de faix
malo alterius.
au détriment d'autrui
138 PILEDRl FAB. LIBER IV.
Quum decidisset Vulpes in puteum inscia,
Et altiore clauderetur margine,
Devenit Hircus sitiens in eumdem locum ; 5
Simul rogavit esset an dulcis liquor
Et copiosus. Illa, fraudem moliens :
« Descende, amice : tanta boni tas est aquae,
Ut non voluptas satiari possit mea. »
Immisit se barbatus. Tum Vulpecula 40
Evasit puteo , nixa celsis cornibus ,
Hircumque clause liquit haerentem vado.
FABULA X.
DE VITIIS HOMIHUM.
Paras imposuit Jupiter nobis duas * :
Propriis repletam vitiis post tergum dédit ,
Alienis ante pectus suspendit gravem.
Hac re videre nostra mala non possumus ;
Alii simul delinqunt, censores sumus. 6
Un renard s'était laissé tomber par mégarde dans -an puits, et y
était retenu par la hauteur de la margelle. Un bouc vint au même
endroit pour apaiser sa soif, et lui demanda si l'eau était bonne et
abondante ; et lui , méditant sa ruse : « Descends , ami , lui dit-il ,
elle est si douce , j'éprouve tant de plaisir à en boire, que je ne puis
m'en rassasier. » Le bouc à la longue barbe se précipite ; alors, grim-
pant sur ses cornes élevées , le renard sort du puits , et y laisse cap
tif son malheureux compagnon.
FABLE X.
SUK LES DÉFAUTS DES HOMMES.
Jupiter nous a tous chargés d'une besace •. il a fait la poche
de devant pour nos défauts, et celle de derrière pour les défauts
d'autruî.
Voilà pourquoi nous ne pouvons voir nos vices ; mais notre voi-
sin commet-il une faute? soudain nous faisons les censeurs.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
135
Quum volpes
decidisset inscia
in puteum,
et clauderetur
margine altiore,
hircus sitieus
devenit in eumdem locum
simul rogavit an iiquor
esset dulcis et copiosus.
Illa, moliens fraudem :
« Descende , amice :
bonitas aquse est tanta,
ut mea voluptas
non posait satiarî. »
Barbatus immisit se.
Tum vulpecula
evasit puteo,
nixa celsis cornibus,
liquitque hircum
haerentem vado clause.
Comme un renard
était tombé ne-sacbant-pas (par mégarde)
dans un puits,
et qu'il était enfermé
par le bord trop-élevé,
un bouc ayant-soif
■vint dans le même endroit ;
en-même-temps il demanda si l'eau
était douce et copieuse.
Celui-ci, méditant une ruse :
« Descends, ami :
la bonté de l'eau est si-grande ,
que mon plaisir
ne peut s'en rassasier. »
Le barbu précipita soi dans le puits.
Alors le rusé-renard
sortit du puits, [bouc,
s' étant appuyé sur les hautes cornes du
et laissa le bouc
attaché (enfoncé) dans ce puits fermé.
FABULA X.
FABLE X.
DE VITIIS HOMINUM.
Jupiter imposuit nobis
duas peras :
dédit post tergum
repletam vitiis propriis ,
suspendit ante pectus
gravem alienis.
Hac re
non possumus
videre nostra mala ;
simul alii delinquunt
sumos censores.
SUR LES DEFAUTS DBS HOMMES.
Jupiter a imposé à nous
deux poches-de-besace :
il donna plaça) derrière le dos
l'une remplie de nos défauts propres,
et suspendit devant notre poitrine
l'autre lourde des défauts d'-autrxii.
Par cette chose (disposition)
nous ne pouvons
voir nos vices ;
dès-que les autres faillissent,
nous sommes leurs censeurs.
140 PH^DR[ FAB. LIBER IT.
FABULA XI.
FUK ARAM COMPILAN8.
Lucernam Fur accendit ex ara Jovis ,
Ipsumquocompilavit ad lumen suum.
Qui sacrilegio onustus quum discederet,
Repente vocem sancta misit religio * :
t Malorum quamvis ista fuerint munera , 5
Mihique invisa, ut non offendar surripi,
Tamen, sceleste, spirituculpam lues,
Olim quum adscriptus venerit pœnae dies*.
Sed ne ignis noster facinori praeluceat,
Per quem verendos excolit pietas deos , 10
Veto esse taie luminis commercium. »
Ita hodie nec lucernam de flamma deum,
Nec de lucerna fas est accendi saorum.
Quot res contineat hoc argumentum utiles,
Non explicabit alius quam qui repperit. 4 5
Significat primo, saepe, quos ipse alueris,
FABLE XL
LE VOLEUR PILLANT UN AUTEL.
Un voleur alluma sa lampe à l'autel de Jupiter , et pilla le tem-
ple du dieu à la lueur de la lumière qu'il y avait dérobée. Il se
retirait chargé de son butin sacrilège , quand la divinité fit soudain
entendre sa voix sainte. « C'étaient des pervers qui m'avaient offert
ces présents: ils me sont odieux, et je regrette peu de me les voir ra-
vir ; sache toutefois, infâme scélérat, que tu paieras de la vie ton
forfait, quand viendra le jour du châtiment marqué par les destins.
Mais , pour qu'à l'avenir ce feu, que la piété se plaît à entretenir par
respect pour la majesté des dieux, n'éclaire plus d'autres forfaits,
j'ordonne de le mettre désormais hors des atteintes des profanes. »
Aussi de nos jours n'est-il plus permis de prendre de la flamme aux
autels, ni d'allumer le feu sacré avec le feu des mortels.
Nul autre que l'auteur de cette fable ne saura mettre dans leur
joiir les utiles leçons qu'elle renferme. Elle montre d'abord que
•oiivent ceux aue nous avons élevés deviennent nos plus grands en-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE iV.
141
FABULA XI
FUR COMPILANS AKAM.
Fur accendit lucernam
ex ara Jovis,
compilavitque ipsum
ad suum lumen.
Quum qui discederet
onustus sacrilegio ,
repente sancta religio
misit vocem :
« Quamvis ista munera
fuerint malorum,
invisaque mihi,
ut non offendar
surripi, tamen, sceleste,
lues culpam spiritu,
quum olim venerit
dies adscriptus pœnae.
Sed ne noster ignis,
per quem pietas
excolit deos verendos,
praeluceat facinori ,
veto taie commercium
luminis esse. »
Ita ho die fas est
nec lucernam accendi
de flamma deum,
nec sacrum
de lucerna.
Alius quam qui repperit
non explicabit
quct res utiles
hoc argumentum contineat .
Significat primo,
ûuos alueris ipsc
FABLE XL
LE VOLEUR PILLANT UN AUTEU
Un voleur alluma un flambeau
à l'autel de Jupiter,
et pilla le dieu lui-même
à sa propre lumière.
Comme il se retirait
chargé d'un butin-sacrilége,
tout-à-coup la sainte religion (la divinité)
envoya (ht entendre) ces paroles :
« Quoique ces présents
aient été ceux de méchants,
et qu'Us soient odieux à moi ,
de-telle-sorte-que je ne sois pas offensé
eua;m'êtro dérobés, cependant, scélérat,
tu paieras ton forfait de la vie ,
quand un jour viendra
le jour assigné pour le châtiment.
Mais de peur que notre feu,
moyennant lequel la piété
honore les dieux augustes,
n'éclaire désormais le crime ,
je défends qu'un tel commerce
de lumière soit. »
Ainsi aujourd'hui il n'est permis
ni qu'un flambeau soit allumé
à la flamme des dieux,
ni ^u'un feu sacré
soit allumé à un flambeau mortel.
Un autre que celui qui Ta trouvé
n'expliquera pas
combien de choses utiles
cet apologue contient.
Il signifie d'abord,
ceux-que tu auras nourris toi-même,
U2 PHiEDRI FAB. LIBER IV.
Tibi inveniri maxime contrarios.
Secundo ostendit scelera non ira deum,
Fatorum dicto sed puniri tempore.
Novissime interdicit necum maléfice 2û
Usum bonus consociet uilius rei.
FABULA XII.
HERCULES ET PLUTUS.
Opes invisae merito sunt forti viro ,
Quia dives arca veram laudem intercipit.
Cœlo receptus propter virtutem Hercules,
Quum gratulantes persalutasset deos,
Veniente Pluto , qui Fortunae est filius , 5
Avertit oculos. Causam quaesivit pater * :
« Odi , inquit , illum , quia malis amicus est,
Simulque objecte cuncta corrumpit lucro. »
FABULA XIII.
CAPELL^ ET HIRCI.
Barbam Capellae quum impetrassent ab Jove ,
nemîs ; en second lieu , elle fait voir que le courroux des dieux
peut ne pas punir le crime sur-le-champ , mais que le châtiment ar-
rive au temps fixé par le destin ; enfin , elle interdit aux gens de bien
tout rapport avec les méchants.
FABLE XIL
HERCULE ET PLUTUS.
Cest avec raison que l'homme de cœur méprise les richesses; car
un cofire-fort est le tombeau du vrai mérite.
Quand Hercule fut admis dans le céleste séjour en récompense de son
courage , il salua les dieux venus pour le féliciter ; mais , à l'ap-
proche de Plutus, le fils de la Fortune, il détourna les yeux. Son
père lui en demanda la raison : « Je le hais , répondit-il , parce qu'il
est l'ami des méchants , et qu'il corrompt tous les hommes par l'ap-
pât du gain. »
FABLE XIIL
LES CHÈVRES ET LES BOUCS.
Les chèvres avaient obtenu de Jupiter la faveur de porter de 1«
FABLES DE PHEDRE. LIVRE IV.
U3
invenin saspe
maxime contraries tibi.
Secundo ostendit
scelera non puniri
jt'ra deum,
sed tempore dicto
fatorum.
Novissime interdicit
ne bonus
consociet usum ullius rei
cum malefico.
FABULA XII.
HEECULES ET PLUTUS.
Opes sunt merito
in visse viro forti,
quia dives arca
intercipit laudem veram.
Quum Hercules ,
receptus cœlo
propter virtutem ,
persalutasset
deos gratulantes, Pluto,
qui est filius Fortunae ,
veniente ,
avertit oculos.
Pater quaesivit causam :
« Odi illum, inquit,
quia est amicus malis,
simulque corrumpit cuncta
lucro objecte. »
FABULA Xni.
CAPELL^ ET HIKCI
Quum capellse
impetrassent ab Jove
barbam ,
être trouvés souvent
le plus contraires (nuisibles) à toi.
En-second-lieu il montre
les crimes n'être pas punis
par le courroux des dieux,
mais au temps assigné
des destins (par les destins).
Enfin il empêche
que r/iomm«-de-bien
n'associe l'usage d'aucune chose
avec le méchant.
FABLE Xll.
HEECULE ET PLUTUS.
Les richesses sont avec-raison
odieuses à l'homme de-cœur,
parce qu'un riche coffre-fort
intercepte (tue) le mérite véritable
Comme Hercule,
reçu dans le ciel
à cause de son courage,
saluait-jusqu'au-dernier
les dieux qui-Ze-félicitaient , Plutus,
qui est le fils de la Fortune,
venant auprès de lui,
il détourna les yeux.
Son père en demanda la cause :
« Je hais celui-ci , dit-il,
parce qu'il est ami aux méchants,
et gu'en-même-temps il corrompt tout
par le gain offert 'qu'il offre'^. ■
FABLE Xni.
LES CHÈVEES ET LES BOUCS.
Comme les chèvres
avaient obtenu de Jupiter
de la barbe ,
IhU PHiEDRl FAB. LIBER IV.
Hirci mœrentes indignari cœperunt
Quod dignitalem feminas aequassent suam.
« Sinite, inquit, illas gloria vana frui,
Et usurpare vestri ornatum muneris, ,
Pares dum non sint vestrae fortitudini. »
Hocargumentum monet ut sustineas tibi
Habitu esse similes qui sunt virtute impares.
FABULA. XIV.
GUBEENATOR ET NATJTiB,
Quum de fortunis quidam quererentur suis,
^sopus finxit consolandi gratia :
a Vexata sœvis navis tem pesta tibus,
Inter vectorum lacrymas et morlis metum,
Faciem ad serenam subito mutato die , 5
Ferri secundis tuta cœpit flatibus,
Nimiaque Nautas hilaritate exlollere.
Factus periclo tum Gubernator sophus* :
« Parce gaudere oportet, et sensim queri ,
Totam quia vitam miscet dolor et gaudium. » 10
barbe; les boucs indignés se plaignirent en voyant leuis femelles
partager les insignes de leur dignité. « Laissez-les, leur répondit la
dieu, laissez-les jouir de ce vain avantage, et usurper cet orne-
ment de votre sexe, pourvu que leur force n'égale pas la vôtre. »
Cette fable nous conseille de voir sans jalousie des hommes qui
nous sont inférieurs en mérite nous ressembler à l'extérieur
FABLE XIV.
LE PILOTE ET LES MATELOTS.
Esope entendant quelques personnes se plaindre de leurs malheurs,
imagina, pour les consoler , cet apologue :
Un navire était battu par une furieuse tempête; les par.sagers en
larmes n'attendaient plus que la mort, quand soudain le temps
change, la sérénité renaît, et le vaisseau hors de danger est poussé
par des vents favorables. Les matelots s'abandonnent aux transports
d'une joie si.^ns bornes. Mais le pilote, rendu sage par le péril , leur
dit : « Il faut être modéré dans la joie comme dans la peine; car la
vie tout entière est un mélange de douleurs et de plaisirs »
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
U5
hirci mcerentes
cœperunt indignari
quod feminaj
aequassent
suam dignitatem.
« Sinite
illas frui vana gloria,
inquit,
et usurpare ornatum
vestri muneris,
dum non sint pares
vestrîe fortitudini. »
IIoc argumeatum monet
ut sustineas
qni sunt impares virtute
esse similes tibi habitu.
les boucs chagrins
coinraencèreiit à s'indigner
de ce que leurs femelles
eussent égalé
leur dignité.
« Permettez
elles jouir d'une vaine gloire,
dit le Dieu,
et usurper l'ornement
de votre charge (sexe),
pourvu qu'elles ne soient pas égales
à votre courage. »
Ce sujet Tavertit
que tu supportes (de supporter)
ceux-qui le sont inférieurs par le mérite
être semblables à toi par l'extérieur.
Î'ABULA XrV.
FABLE XIV.
GUBERNATOR ET NA.DT2E.
LE PILOTE ET LES MATELOTS.
Quum quidam
quererentur
de suis fortunis,
^sopus, gratiaconsolandi,
finxit :
Navis vexata
ssevis tcmpestatibus,
inter lacrymas
et metum mortis
vectorum,
die mutato subito
ad faciern serenam,
cœpit ferri tuta
flatibus secundis,
et extollere nautas
hilaritate nimia.
Tum gubernator
factus sophns periclo :
« Oportet gaudere parce,
et queri sensim,
quia dolor et gaudium
miâcet vitam totam. »
Fables de Phèdre.
Comme quelques hommes
se plaignaient
d^e leur fortune,
Esope , en vue de les consoler,
imagina cette fable :
Un vaisseau tourmenté
par de cruelles tempêtes ,
au-milieu des larmes
et de la crainte de la mort
des passagers,
le jour étant changé tout-à-coup
vers un aspect serein,
commença à être porté (poussé) en-sûreté
par des souffles favorables,
et à exalter les matelots
par une allégresse excessive.
Alors le pilote
rendu sage par le péril :
« Il faut se réjouir avec-modération,
et se plaindre peu-à-peu (avec prudence),
parce que la douleur et la joie
mélangent (se partagent, la vie entière.»
m
146 phj:dri fab. liber it.
FABULA XV.
HOMO ET COLUBRA.
Qui fert malis auxilium , post tempus dolet
Gelu rigentem quidam Colubram sustulit ,
Sinuque fovit , contra se ipse misericors :
Namque ut refecta est , necuit hominem protinus.
Hanc alia quum rogaret causam facinoris ,
Respondit : « Ne quis discat prodesse improbis. »
FABULA XVI.
VULPES ET DRACO *.
Vulpes cubile fodiens dum terram eruit,
Agitque plures altius cuniculos ,
Pervenit ad Draconis speluncam ultimam,
Custodiebat qui Ihesauros abditos.
Hune simul adspexit : « Oro ut imprudentiae
Des primum veniam ; deinde , si pulchre vides
Quam non conveniens aurum sit vitae meae ,
Respondeas clementer. Quem fructum capis
* FABLE XV.
l'homme et la couleuvrr.
Qui porte secours aux méchants, finit toujours par s'en repentir.
Un homme ramassa tme couleuvre toute roide de froid , et la ré-
chauffa dans son sein ; mais sa pitié lui coûta cher ; car h peine fut-
elle ranimée, qu'elle lui donna la mort. Une de ses compagnes lui
demandant le motif de ce crime : « C'est, répondit-elle , afin qu'on
sache qu'il ne faut point obliger les méchants. »
FABLE XVI.
LE RENARD ET LE DRAGON.
Un renard , se creusant un terrier, rejetait la terre au dehors et
perçait plusieurs galeries souterraines , lorsqu'il rencontra une ca-
yerne profonde où un dragon gardait des trésors enfouis. Des qu'il
l'aperçut : « Je t'en conjure, lui dit-il, pardonne d'abord à mon
ignorance; puis, comme tu vois combien l'or serait inutile à mon
existence , réponds-moi sans courroux. Quel fruit retires-tu de tes
PABLES DE PHÈDRE. LITRE IV.
147
FABULA XV.
HOMO ET COLUBRA.
Qui fert auxilium malis,
dolet post tempus.
Quidam sustulit colubram
rigentem gelu,
fovitque sinu,
misericors îpse contra se :
namque ut refecta est,
necuit hominem protinus.
Quum alia rogaret hanc
causara facinoris ,
respondit :
« Ne quis discat
prodesse improbis. »
FABLE XV.
l'homme et la COULEUVRE.
Celui-qui porte secours aux méchants,
en souflfre après un certain temps.
Un homme releva (ramassa) une couleuvre
roide de froid,
et la réchauffa dans son sein,
eVoM^ miséricordieux lui-même contrelui:
car dès qu'elle fut ranimée,
elle tua l'homme sur-le-champ.
Comme une autre interrogeait celle-ci
sur la cause de ce crime,
elle répondit :
« C'est de peur que quelqu'un n'apprenne
à être-utile aux méchants, p
FABULA XVL
VULPE8 ET DRACO.
Vulpes,
dum fodiens cnbile
eruit terram,
agitque altius
plures cuniculos,
pervenit
ad speluncam ultimara
draconis
qui custodiebat
thesauros abditos.
Simul adspexit hune :
* Oro priraum
ut des veniam
imprudentise ;
deinde, si vides pulchre
quam aurum
non sit conveniens
meae vitse ,
respondeas clementer.
Quem fructum capis
FABLE XVL
LE RENARD ET LE DRAGON.
Un renard,
tandis que creusant une tanière
il jette-au-dehors la terre, . , ,
et pousse plus-profondément
plusieurs galeries-souterraines,
parvint
à la caverne extrême (au fond de la ca-
d'un dragon [verne)
qui gardait
des trésors cachés (enfouis).
Dès-qu'il aperçut celui-ci :
<r Je te prie d'abord, dit-il,
que tu accordes le pardon
à mon ignorance;
ensuite, si tu vois parfaitement
combien l'or
n'est pas convenable (convient peu)
à ma vie,
que tu me répondes avec-douceur.
Quel fruit prends-tu ^retires-tu)
lf|8 PH^DRI FAB. LIBER IV.
Hoc ex iabore ? quodve tantum est praemium ,
Ut careas somno , et aevum in tenebris exigas? 10
— Nullum , inquit ille ; verum hoc a summo mihi
Jove attributum est. — Ergo nec sumis tibi ,
Nec ulli donas quidquam ? — Sic fatis placet.
— Nolo irascaris, libère si dixero :
Ois est iratis nalus , qui similis tibi. » 4 5
AbiLurus illuc quo priores abierunt,
Quid mente cœca miserum torques spiritum?
Tibi dico , avare , gaudium heredis tui ,
Qui thure Superos, ipse te fraudas cibo;
Qui tristis audis musicum citharae sonum ; 20
Quem tibianim macérât jucunditas ;
Obsoniorum pretia cui gemitum exprimunt ;
Qui , dum quadrantes ' aggeras patrimonio ,
Cœlum fatigas sordido perjurio ;
Qui f ircumcidis omnem impensam funeris , ^o
Libiîina* ne quid de luo faciat lucri. •
peines ? ou quelle magnifique récompense reçois-tu donc pour te
priver ainsi de sommeil, et passer ta vie dans les ténèbres? — Aucune,
répondit-il; c'est seulement un dépôt que m'a confié le grand Jupi-
ter.— Et tu n'en prends rien pour toi , tu n'en fais part à per-
sonne? — Non , c'est la volonté du destin. — Eh bien , je t'en prie,
ne t'irrite pas si je te parle avec franchise : il est né avec la malé-
diction des dieux , celui qui te ressemble. »
0 toi, qui dois aller un jour où sont allés tes pères, quel esi
ton aveuglement, de tourmenter ainsi ta misérable vie? C'est à
toi que je parle, avare, toi qui fais la joie de ton iiéritier , toi
qui refuses l'encens aux dieux et les aliments à toi-même, toi
qu'attristent les accords mélodieux de la lyre, et dont la douce har-
monie des flûtes dessèche le cœur. Le prix des vivres te fait pousser
des gémissements, et, pour ajouter quelques deniers à tes richesses,
tu fatigues le ciel de parjures sordides; enfin tu vas jusqu'à retran-
cher sur les frais de tes funérailles , dans la crainte que Libitine ne
fasse quelque gain sur toi.
FABLES DE PHÈDllE. LIVRE IV.
Va9
ex hoc labore?
quodve prsemium
tantum est,
ut careas somno,
et exigas aevum
in tenebris?
— Nullum,
inquit ille;
verum hoc
attributura est mihi
a summo Jove.
— Ergo nec sumis tibi,
nec don as ulli quidquam ?
— Sic placet fatis
— Nolo irascaris,
si dixero libère :
qui similis tibi ,
natus est dis iratis. »
Abitui-us illuc
que prières abienint,
quid mente cseca
torques miserum spiritum?
Dico tibi, avare,
gaudium tui hœredis,
qui fraudas Superos thure,
te ipse cibo ;
qui tristis audis
sonum musicum citharœ ;
quem jucunditas tibiarum
macérât ;
cui pretia obsoniorum
exprimunt gemitura;
qui, dura aggeras
quadrantes patrimonio,
fatigas cœlum
perjurio aordido ;
qui circumcidis
omnem impensam funeris
neLibitîna
faciat quid lucri
de tuo.
de ce travail ?
ou quelle récompense
si-grande est à toi,
pour que tu te prives de sommeil,
et que tu passes ta vie
dans les ténèbres?
— Aucune,
dit celui-ci;
mais cela
a été assigné à moi
par le grand Jupiter.
— Ainsi-donc ni tu ne prends pour toi ,
ni tu ne donnes à aucun rien de ce trésor?
— Ainsi il plaît aux destins.
— Je ne-veux-pas que tu te fâches,
si je te parle franchement :
celui-qui est semblable à toi,
est né avec les dieux irrités. »
Toi qui-dois-t'en aller là
où les plus-anciens que toi s'en sont allés,
pourquoi, par un esprit aveugle,
tourmentes-tu ta misérable vie?
Je le dis à toi, avare ,
toi, la joie de ton héritier,
qui prives les dieux d'encens ,
et te prives toi-même de nourriture ;
qui triste entends
le son harmonieux de la lyre;
loi que le charme (l'harmonie) des fliitea
fait-maigrir ;
à qui les prix des provisions
arrachent un gémissement ;
qui, tandis que tu amoncelles
des quarts-d'as sur ton patrimoine,
fatigues le ciel
par un parjure sordide ;
qui retranches (rognes)
toute la dépense de tes funérailles,
de peur que Libitine
ne fasse quelque-chose de 'quelque) gaia
sur ton bien.
150 PH/EDRI FAB. LIBER lY.
PHJEDRUS.
Quid judicare cogitet livor modo ,
Licet dissimulet , pulchre tamen intelligo.
Quidquid putabit esse dignum memoriae ,
^sopi dicet : si quid minus arriserit ,
A me contendet fictum quovis pignore. 5
Quem volo refelli jam nunc responso meo :
Sive hoc ineptum , sive laudandum est opus ,
Invenit ille , nostra perfecit manus.
Sed exsequamur cœptum propositi ordinem.
FABULA XVIL
KAUFRAGIUM SIMONIDIS *.
Homo doctus in se semper divitias habet.
Simonides , qui scripsit egregium melos,
Quo paupertatem sustineret facilius ,
Circumire cœpit urbes Asiae* nobiles,
Mercede accepta laudem victorum canens. 5
Hoc génère quaestus postquam locuples factus est,
PHÈDRE.
Quel jugement l'envie songe-t-elle à porter sur cet ouvrage ?
Bien qu'elle dissimule encore , je le prévois clairement. Tout ce
qu'elle jugera digne de vivre dans la postérité, elle l'attribuera à
Esope ; si quelque endroit lui sourit moins, elle fera telle ga-
geure qu'on voudra, que j'en suis l'auteur. Je veux dès à présent re-
pousser ses calomnies par ma réponse : Que cet ouvrage soit ridi-
cule ou qu'il mérite des éloges , Esope en fut l'inventeur , moi, j'y ai
mis la dernière main. Mais poursuivons le plan que nous avons
adopté.
FABLE XVIL
NAUFRAGE DE SIMONIDB.
L'homme de talent porte en tout temps ses richesses avec lui.
Simonide, auteur de beaux chants lyriques, pour supporter plus
facilement les rigueurs de la pauvreté, se mit à parcourir les
villes les plus célèbres de l'Asie, chantant, moyennant récom-
pense , les louanges des athlètes vainqueurs. Devenu riche par c«
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
IDÎ
PH^DRUS.
Licet dissimulet,
intelligo tamen pulchre
quid livor cogitet
judicare modo.
Dicet iEsopi
qtiidquid putabit
esse dignum memoriae :
si quid arriserit minus,
contendet quovis pignore
fictum a me.
Volo quem refelli j am nunc
meo responso :
sive hoc opus est ineptum,
sivolaudandum,
ille invenit,
nostra manus perfecit.
Sed exsequamur
ordiaem cœptum propositi.
PHÈDRE.
Quoiqu'elle dissimule,
je comprends cependant parfaitement
quelle-chose l'envie songe
à prononcer tout-à-l' heure $ur ces fables.
Elle dira être d'Esope
tout-ce-qu'elle pensera
être digne de mémoire :
si quelque chose lui a souri moins
elle soutiendra sous tel gage que-cft-soit
cet endroit avoir été imaginé par moi.
Je veux elle être réfutée dès à-présent
par ma réponse :
soit qne cet ouvrage soit absurde,
soit-qu't7 soit devant-être-loué,
celui-là (Ésope; Va. inventé,
notre (ma^ main Va, perfectionné.
Mais poursuivons
l'ordre entrepris (adopté) de notre plan.
FABULA XVU.
FABLE XVIL
NAUFEAGITJM 8IMONIDIS.
Homo doctus
babet semper in se divitias.
Simonides, qui scripsit
melos egregium ,
quo sustineret facilius
paupertatem,
ccepit circumire
urbea nobiles Asiae ,
caneus laudem victorum
mercede accepta.
Pcstquam
factus est locuples
NATJFRAGE DE SIMONIDE.
L'homme instruit
a toujours en soi ses richesses.
Simonide, qui écrivit
des chants-lyriques remarquables,
afin qu'il alimentât plus-facilement
sa pauvreté,
se-mit-à parcourir
les villes célèbres de l'Asie ,
chantant l'éloge des athlètes vainqueurs
moyennant une récompense reçue.
Après que
il fut devenu riche
162 PHiEDRI FAB. LIBER IV.
Redire in patriam voluit cursu pelagio
(Erat autem, ut aiunt, natus in Cea insula) :
Ascendit navem, quam tempestas horrida,
Simul et vetustas medio dissolvit mari. 10
Hi zonas, illi res pretiosas colligunt,
Subsidium vitaî. Quidam curiosior:
« Simonide , tu ex opibus nil sumis tuis?
— Mecum , inquit , mea sunt cuncta *. » Tune pauci enatant ,
Quia plures onere degravali perierant. 15
Praedones adsunt; rapiunl quod quisque extulit ;
Nudos relinquunt. Forte Clazomenae* prope,
Antiqua fuit urbs , quam petierunt naufragi.
Hic litterarum quidam studio deditus,
Simonidis qui saepe versus legerat , 20
Eratque absentis admirator maximus ,
Sermone ab ipso cognitum cupidissime
Ad se recepit; veste , nummis, familia
Hominem exornavit. Ceteri tabulam suam'
Portant , rogantes viclum : quos casu obvios 25
Simonides ut vidit : « Dixi , inquit , mea
Mecum esse cuncta; vos quod rapuistis périt. »
genre d'industrie , il se résolut à traverser la mer pour revoir sa pa-
trie : il était né, dit-on, dans l'île de Céos. Il s'embarqua; mais le
vaisseau , déjà vieux , fut brisé en pleine mer par la fureur de la
tempête. Aussitôt les passagers de rassembler qui leur argent , qui
leurs effets les plus précieux, pour subvenir à leurs besoins. « Et toi,
Simonide, lui dit l'un d'entre eux, plus curieux que les autresj
n'emportes-tu rien de tes richesses? — J'ai tout avec moi , répondit-
il. » Un petit nombre seulement se sauva à la nage : la plupart,
accablés sous leur faix, avaient péri dans les flots. Des voleurs
8e présentent, leur enlèvent tout ce qu'ils ont sauvé, et les lais-
sent après les avoir dépouillés. Dans le voisinage se trouvait paï
hasard Clazomène, ville ancienne; les naufragés s'y rendirent. Là,
un studieux ami des lettres, qui souvent avait lu les poésies de Simo-
nide, et qui , bien qu'il ne l'eût jamais vu, était le plus passionné
de ses admirateurs, le reconnut à saconversation môme, et s'empressa
de le recueillir chez lui; vêtements, argent, esclaves, il se plut à
lui tout prodiguer. Quant aux autres, ils allèrent mendier leur
vie, portant le tableau de leur naufrage. Le hasard les ayant
amenés auprès de Sim^-niJe ; « Ne vous avais-je pas dit, s'écria-t-il
en les voyant, que j'avais avec moi toute ma fortune? Vous, tout
ce que vous aviez emporté , yous l'avez perdu. »
FABLES DE PHÈDRE. LIVBE IV.
153
hoc génère qnsestus,
voluit redire in patriam
cursu pelagio :
(erat autem, ut aiunt,
natus in insula Cea).
Ascendit navem,
quam tempestas horrida,
et simul vetustas
dissolvit medio mari.
Hi colligunt zonas,
illi res pretiosas,
subsidium vitœ.
Quidam curiosior :
« Simonide,
tu sumis nil ex tuis opibus?
— Cuncta mea
sunt mecum, inquit. »
Tune pauci enatant.
quia plures
perierant degravati onere.
Praedones adsunt;
rapiunt
quod quisqne extulit;
relinquunt nudos.
Forte urbs antiqua,
Clazomenœ, fuit prope,
quam naufragi petierunt.
Hic quidam
deditus studio litterarum,
qui legerat ssepe
versus Simonidis,
eratque
maximus admirator
absentis,
recepit ad se
cupidissime
cognitum ab sermone ipso ;
exornavit hominem
veste, nummis, familia.
Ceteri, rogantes victum ,
portant suam tabulara :
nt Simonides vidit quos
obvios casu :
« Dixi cuncta mea
esse mecum, inquit;
vos, quod rapuistis
périt 1»
par ce genre de profit,
il voulut retourner dans sa patrie
par une course maritime (par mer) *.
(or il était, comme l'on dit,
né dans l'ile de Cée .
Il monta sur un vaisseau,
qu'une tempête horrible,
et en-même-temps sa vétusté
mit-en-pièces au milieu-de la mer.
Ceux-ci rassemblent leurs ceintures ,
ceux-là leurs effets précieux,
soutien futur de leur vie.
Un plus-curieux que les autres :
« Simonide, dit-il,
tu ne prends rien de tes richesses?
— Tous mes biens
sont avec-moi, dit-il. »
Alors peu échappent -à-la-nage,
parce que la plupart d'entre eux
avaient péri accablés par leur fardeau.
Des voleurs se-présentent ;
ils ravissent
ce-que chacun a emporté;
ils laissent euo; nus dépouillés).
Par hasard une ville antique,
Clazomène, était auprès (voisine de là) ,
laquelle les naufragés gagnèrent.
Là un homme
adonné à l'étude des lettres,
qui avait lu souvent
les vers de Simonide,
et était
très-grand admirateur
de lui absent,
recueillit chez lui
avec-beaucoup-d'empressement
lui reconnu par sa conversation même;
il orna (pourvut, l'homme (le poëte)
d^habits, d'argent, d'esclaves.
Les autres, demandant leur nourriture,
portent leur tableau de naufrage :
dès que Simonide vit eux
venant-à-sa-rencontrc par aventure :
« J'ai dit que tous mes biens
étaient avec-moi, dit-il ;
vous, ce-que vous avez enlevé (sautée
a péri est perdu). »
15/l PHiEDRI FAB. LIBER IV,
FABULA XVIII.
MONS PÀBTURIEN8.
Mons parturibat, gemitus immanes ciens ;
Eratque in- terris maxima exspectatio :
At ille murem peperit. Hoc scriptum est tibi,
Qui , magna quum minaris , extricas • niliil.
FABULA XIX.
FORMICA ET MUSCA,
formica et Musca contendebant acriter
Quae pluris esset. Musca sic cœpit prior ;
« Conferro nostris tu potes te laudibus?
Ubi immolatur*, exla praegusto Deum ,
Moror iriter aras, templa perlustro omnia , 5
In capite régis sedeo , quum visum est mihi;
Et matronarum casta delibo oscula ;
Nihil laboro , atque optimis rébus fruor.
Quid horum simile tibi contingit , rustica?
— Est gloriosus sane convictus Deum. 40
FABLE XVIIL
■LA. MONTAGNE QUI ACCOUCHE
Une montagne en mal d'enfant poussait d'effroyables gémisse-
ments; le monde s'attendait à quelque merveille : elle accoucha d'une
souris. Ce mot s'adresse à vous, qui faites de magnifiques pro-
messes, et ne tenez rien.
FABLE XIX.
LA FOUR3II ET LA MOUCHE.
La fourmi et la mouche contestaient vivement de leur mérite. La
mouche se mit à dire la première : « Peux-tu hien te comparer à
moi? Immole-t-on une victime, je goûte la première ses entrailles ;
je vis au milieu des autels ; je voltige de temple en temple ; et ,
quand bon me semble , je me pose sur la tête des rois. Je ravis de
doux baisers aux lèvres chastes des dames. Je ne me donne aucune
peine, et je jouis des plus grands biens. T'arrive-t-il rien de compa-
rable, misérable habitante des champs? — Il est glorieux, je l'avoue,
de prendre part aux festins des dieux ; mais pour celui qu'ils y
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
155
FABULA XVIII.
MONS PARTUBIENS.
Mons parturibat,
nens gemitus immanes;
naximaque exspectatio
îrat in terris :
at ille peperit inurem .
Hoc scrîptum est tibi
qui , quum minaris
magna,
sxtricas nihil.
FABULA XIX.
FORMICA ET MU8CA.
Formica et musca
îontendebant acriter
juœ esset pluris.
tfusca cœpit sic prior :
i Tu potes conferre te
lostris laudibus?
Jbi immolatur,
)r8egusto exta
leum,
aoror înter aras ,
>erlustro omnia templa ;
edeo in capite régis,
[uum visum est mihi,
t delibo
asta oscula matronarum ;
aboro nihil,
.tque frnor optimis rébus.
^uid simile horum
ontingit tibi, rustica?
- Sane convictus deum
st gloriosus
FABLE XVIIL
LA MONTAGNE EN-MAL-d'eNFANT.
Une montagne était-en-mal-d'enfant,
poussant des gémissements effroyables;
et ime très-grande attente
était sur les terres (la terre) :
or celle-ci enfanta une souris.
Ceci a été écrit pour toi
qui , lorsque tu menaces (promets)
de grandes choses,
ne tires de ton fonds (ne produis) rien.
FABLE XIX.
LA FOURMI ET LA MOUCHE.
La fourmi et la mouche
disputaient vivement
laquelle était d'un plus-grand prix.
La mouche commença ainsi la première :
« Toi, peux-tu comparer toi
à nos (à mon) mérites ?
Quand il est-fait-un-sacriâce,
je goûte-la-première les entrailles
des dieux (offertes aux dieux),
je séjourne (je vis) au-milieu des autels,
je parcours tous les temples ;
je m'assieds (je me pose) sur la tête du roi,
quand il a paru (il paraît) bon à moi ,
et je cueille
les chastes baisers des dames ;
je ne travaille (fais) rien,
et je jouis des meilleurs biens.
Quoi de semblable à ces avantages
arrive à toi, habitante-des-champs?
— Sans-doute l'état-de-convive des dieux
est glorieux,
\
156 PH^DRI FAB. LIBER IV.
Sed illi qui invitatur, non qui invisus est.
Aras fréquentas ! nempe abigeris quo venis.
Reges commémoras et matronarum oscula!
Superba jactas, tegere quod débet pudor.
Nihil laboras ! ideo , quum opus est , nil tiabes. 45
Ego granum in hiemem quum studiose congère,
Te circa murum video pasci stercore.
iEstate me lacessis : cur bruma siles ?
Mori contractam quum te cogunt frigora ,
Me copiofa recipit incolumem domus. 20
Satis profecto reltudi superbiam. »
Fabella talis hominum discernit notas ' ,
Eorum qui se falsis ornant laudibus ,
Et quorum virtus exhibet solidum decus.
FABULA XX.
SIMONIDES A DUS SERVATUS.
Quantum valerent inter homines litterae ,
invitent, et non pour l'importun parasite. Tu bantes les autels!
mais dès qu'on t'y aperçoit , on te chasse. Tu me parles de rois, de
baisers ravis aux dames ! insensée , tu te vantes avec orgueil de ce
que, par pudeur, tu devrais cacher. Tu ne travailles pas ! et voilà
pourquoi, quand le besoin te presse, tu n'as rien. Pour moi, tan
dis qu'à force de fatigues je remplis mes greniers pour l'hiver, je
te vois le long des murs te repaître des plus vils aliments. L'été, tu
me harcelles de ton hourdonnement : pourquoi donc te tais-tu l'hi-
ver? Alors que le froid resserre tous tes membres et te donne la
mort , moi , je me retire saine et sauve au fond de ma demeiire abon-
damment fournie. Mais assurément en voilà assez pour confondra
ton orgueil. »
Cette fable fait connaître les caractères bien différents de ces hom-
mes qui se parent de faux avantages, et de ceux dont le mérite brille
d'un solide éclat.
FABLE XX.
8IMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX.
J'ai parlé •. lus haut du crédit qu'ont les lettres parmi les hom-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
157
;ed illi qui invitatur,
ion qui est invisus.
Fréquentas aras !
aetnpc abigeris
juo venis.
I!ommemoras reges
ît oscula matronarum !
Superba, jactas
juod pudor débet tegare.
Laboras niliil !
ideo habes nil,
juum opu3 est.
Ego, quum congero studiose
granum in hiemem,
ndeo te circa murum
pasci stercore.
^state lacessis me :
cur bruma siles?
Quum frigora cogunt mori
te contractam,
domus copiosa
recipit me incolumem.
Profecto
rettudi satis superbiam. »
Talis fabslla discernit
notas hominum,
eorum qui ornant se
falsis laudibus,
et quorum virtus
exhibet decus solidum.
mais pour celui qui est invité,
non pour celui qui leur est odieux.
Tu fréquentes les autels !
c'est-à-dii-e-que tu es chassée
de tous les lieux où tu vas.
Tu parles des rois
et des baisers des (ra-vis aux) dames t
Orgueilleuse, tu te vantes
de ce-que la pudeur doit cachar.
Tu n3 fais rien!
aussi tu n'as rien,
lorsque besoin est à toi.
Moi, lorsque je ramasse avec zèle
du grain pour l'hiver,
je vois toi à l'entour d'un mur
te repaître d'ordures.
L'été, tu harcelles moi :
pourquoi, l'hiver, te tais tu?
Lorsque les froids forcent à mourir
toi resserrée (glacée),
ma demeure abondamment-pourvue
reçoit abrite) moi saine-et-sauve.
Certainement
j'ai rabattu assez ton orgueil. »
Une-telle (cette) fable distingue
les marques (les caractères) des hommes
de ceux qui parent eux-mêmes
de fausses louanges,
et de ceux dont le mérite
montre un éclat solide.
FABULA XX.
FABLE XX.
SIMONIDES 8ERVATU8
A DUS.
Dixi superius
8IM0KIDE PRESERVE
PAR LES DIEUX.
J'ai dit plus-haut
quaatir-Ji iltterae valerent combien les lettres avaient-de-^rix
158 phj:dri fab. liber iv.
Dixi superius ' : quantus nunc illis honos
A Superis sit tributus, tradam mémorise.
Simonides idem iile , de quo rettuli ,
Victori laudem cuidam pyctae * ut scriberet ; 5
Certo conduxit pretio. Secretum petit.
Exigua quum frenaret materia impetum,
Usus poetae more est et licentia ,
Atque interposuit gemina Ledae sidéra ' ,
Auctoritatem similis referens gloriae. <0
Opus approbavit ; sed mercedis tertiam
Accepit partem. Quum reliquum posceret :
« Illi , inquit , reddent quorum sunt laudes duse
Verum , ut ne irate te dimissum sentiam,
Ad cœnam mihi promitte ; cognatos vole <5
Hodie invitare , quorum es in numéro mihi. »
Fraudatus quamvis et dolens injuria ,
Ne maie dimissam gratiam corrumperet ,
Promisit. Rediit hora dicta, recubuit.
Splendebat hilare poculis convivium ; 20
mes : je vais maintenant apprendre à la postérité les glorieux hon-
neurs que leur accordent les dieux.
Ce même Simonide dont j'ai déjà parlé , s'était engagé, moyen-
nant un prix convenu , à composer l'éloge d'un athlète vainqueur au
pugilat; il se retira dans la solitude. Comme le sujet, stérile et étroit,
arrêtait l'essor de son génie, il usa du privilège que d'ordinaire
s'arrogent les poètes : il appela à son aide les deux fils de Léda, astres
jumeaux qui brillent au ciel , pour rehausser par ce glorieux rappro-
chement le mérite de son héros. L'athlète agréa son travail, mais
ne lui donna que le tiers de la récompense promise ; et comme le
poëte réclamait le reste : « Vous le demanderez, répondit-il, à ceux
dont l'éloge remplit les deux tiers de l'ouvrage. Mais , pour me prou-
ver que vous ne vous retirez pas mécontent, promettez-moi de venir
souper chez moi; je veux aujourd'hui convier mes parents, au nom-
bre desquels je vous compte. » Quoique frustré du prix convenu, et
sensible à cette injustice , Simonide ne voulut point , par un refus
hors de saison, se brouiller avec l'athlète; il promit donc , revint à
l'heure dite , e* prit plac« au milieu des convives. Le festin resplou-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE IV.
159
inter hômines :
nunc tradam memoriae
quantus lionos
tnbutu3 sitillis a Superis.
Ille idem Simonides,
de quo rettuli,
conduxit pretio certo
ut scriberet laudem
cuidam pyctae victori.
Petit secretum.
Quum materia exigu a
frenaret impetum,
usus est
more et licentia poetœ,
atque interposait
sidéra geœina Ledae,
referens auctoritatem
gloriae similis.
Avprobavit opus ;
sed accepit
tertiam partem mercedis.
Quura poscerst reliquum :
a Illi, inqait, reddent
quorum duœ laudes sunt.
Verum, ut ne sentiam
te dimisstim irate
promitte mihi ad cœnam ;
volo hodie
învitare cognatos,
in numéro quorum
es mihi. »
Quamvis fraud«,tus
et dolens injuria,
promioît,
ne corrumperet
gratiam
dimissam mpale.
Rediit hora dicta,
recubuit.
Convivîum hilare poculis
Bplen débat ;
parmi les hommes
maintenant je livre
quel-grand honneur
a été décerné à elles par les dieux.
Ce même Simonide,
touchant lequel j'ai rapporté un fait,
se chargea moyennant un prix fixé
qu'il écrivît ( d'écrire ) un éloge
pour un athlète-au-pagi!at vainqueur.
Il gagna (alla chercher) la solitude.
Comme le sujet mince ( stérile )
comprimait l'essor Je son génie,
il usa ( profita )
de l'usage et du privilège de poëte,
et inséra ( fit entrer) dans son travail
les asti'es jumeaux de Léda,
rapportant (citant) l'autorité (l'exemple)
d'une gloire semblable à celle de son héros.
Il fit-agréer l'œuvre ;
mais il reçut seulement
la troisième partie ( le tiers) de son prix.
Comme il réclamait le reste :
€ Ceux-là, dit l'athlète, te le rendront
dont les deux éloges sont dans ta pièce.
Mais, pour que je ne comprenne (croie) paa
toi éire renvoyé (me quitter) en colère,
pir)mets moi de venir au souper ;
je veux aujourd'hui
inviter mes parents,
au nombre desquels
tu es pour moi (je te range). >
Quoique frustré de son dû
et souffrant de cette injustice,
il promit,
de peur qu'il ne gâtât (perdît)
la faveur (l'amitié) de l'athlète
renvoyée (en la rejettant) mal-à-propos.
Il revint à l'heure dite,
il se coucha ( prit place à table).
Le festin joyeux par les coupes
respk^jdissait;
160 PH^DRI FAB. LIBER IV.
Magno apparatu iaeta resonabat cJomus :
Duo quum repente juvenes , si)arsi pulvere ,
Sudore mullo clifïluentes corpora ,
Humanain supra formam , cuidam servulo
Mandant ut ad se provocetSimonidem : ib
lllius interesse ; ne faciat moram.
Homo perturbatus excitât Simonidem.
Unum pronnorat vix pedem Iriclinio ,
Ruina camerae subito oppressit ceteros ;
Nec ulli juvenes sunt reperti ad januam. 30
Ut est vuigatus ordo patratae rei ,
Omnes scierunt numinum praesentiam
Vati dédisse vitam , mercedis loco.
EPILOGUS.
Adhuc supersunt multa quae possim loqui,
Et copiosa abundat rerum varietas ;
Sed temperatae suaves sunt argutiae;
Immodicae olfendunt. Quare, vir sanctissime ,
Particulo , chartis nomen victurum meis , 5
Latinis dum manebit pretium litteris,
Si non ingenium , cerle brevitatem approba ,
Quae commendari tanlo débet justius,
Quanto poetae sunt molesti validius.
dissait, égayé par le vin, et la salle magnifiquement parée retentis-
sait des éclats de la joie, quand soudain deux jeunes gens, couverts
dépoussière et de sueur, mais d'une taille plus qu'humaine, char
gent un esclave d'appeler Simonide. a Qu'il vienne sans délai, di-
sent-ils, la chose est importante pour lui. » L'esclave, tout troublé,
entraîne Simonide; mais à peine a-t-il mis le pied hors de la salle,
que la voûte s'écroule tout a coup et écrase tous les convives; du
reste, on ne trouva point les jeunes gens à la porte. Dès que la nou
velle de l'événement se fut répandue, chacun reconnut que les deux
divinités protectrices, pour s'acquitter envers Simonide, avnicnt
•auvé la vie au poëte.
ÉPILOGUE.
Il me reste encore une foule de sujets à traiter ; la fable est une
mine féconde en produits variés; mais, pour être goûtés , les jeux de
Tesprit veulent une sage retenue; semés à profusion, ils fatiguent.
Aussi, vénérable Particulon , vous dont le nom doit vivre dans laes
écrits tant qu'on cultivera les lettres latines, louez dans mes ouvrno-es
sinon le talent, du moins la brièveté : mérite d'autant plus recom-
mandabie eue les poètes sont d'ordinaire plus ennuyeux.
FABLES DE PHEDRE. LIVRE IV.
16Î
domus resonabat
laeta raagno apparatu :
quum repente duo juvenes,
sparsi pulvere,
diffluentes corpora
multo sudore ,
supra formam humanam,
mandant euidam servulo
utprovocet ad se
Simonidera :
interesse illius ;
ne faciat moram.
Homo perturbatus
excitât Simonidem.
Vix promorat unum pedem
triclinio,
subito ruina camerae
oppressit ceteros ;
nec ulli juvenes
reperti sunt ad januam.
Ut ordo
rei patrafeœ vulgatus est,
omnes scierunt
prœsentiam numinum
dédisse vitam vati,
loco mercedis.
la maison résonnait
joyeuse par le grand appareil du festin ;
quand tout-à-coup deux jeunes gens,
parsemés couverts) de poussière,
ruisselant quant-à-Zeurs-corps
de beaucoup-de sueur,
au-dessus-de la taille humaine,
enjoignent à un petit-esclave
qu'il fasse-venir à eux
Simonide :
cela être-de-l' intérêt de lui ;
qu'il ne fasse (mette) pas de retard.
Notre homme tout-troublé
fait-sortir Simonide.
A peine avait-il avancé un pied
hors de la salle-à-manger,
soudain la ruine ( la chute) de la voûte
écrasa les autres convives ;
et aucuns jeunes-gens
ne furent trouvés à la porte.
Dès que l'ordre ( les circonstances )
de l'événement accompli fut publié,
tous surent (reconnurent)
la présence ( protection des dieux
avoir donné la vie au poëte,
eu place de paiement.
EPILOGUS.
ÉPILOGUE.
Multa quae possim loqui
supersunt adhuc,
et varietas copiosa rerum
abundat; sed argutise
temperatœ sunt suaves ;
îmmodicœ ofFendunt.
Quare, vir sanctissime,
Particulo,
nomen victurum
meischartis,
dum pretium manebit
litteris latiuis,
si non ingeniura,
certe approba brevitatem,
quœ débet commendari
ta^nto justius, quanto poetai
sunt yalidius molesti.
Fables de Phèdre.
Beaucoup de fables que je pourrais dire
restent encore ( sont en réserve ) à moi y
et une variété copieuse de sujets
abonde; mais les traits-d'esprit
donnés-avec-mesure sont agréables;
immodérés en profusion) ils blessent.
C'est pourquoi, homme très-respectabl?,
Particulon,
nom devant-vivje
dans mes écrits,
tant que leur prix demeurera
aux lettres latines,
si lu n^approuves le talent,
du moins approuve la brièveté,
qui doit être prisée
d'autant plus-justement , quelea poètes
sont plus-fortement ennuyeux.
11
i62 PH^DRI FAB. LIBER V.
LIBER V.
PROLOGUS.
^sopi nomen sicubi interposuero ,
Gui reddidi jam pridem quidquid debui ,
Auctoritatis esse scito gratia ;
Ut quidam artifices nostro faciunt saeculo ,
Qui pretium operibus majus inveniunt novis , 5
Si marmori adscripserunt Praxitelen ' suo ,
Myronem argento. Fabulae sic audiant
Adeo fucatae ' ; plus vetustis si favet
Invidia mordax quam bonis praesentibus.
Sed jam ad fabellam talis exempli feror. 10
FABULA I.
DEMETBIUS ET MEN ANDES.
Demetrius qui dictus est Phalereus ' ,
Athenas occupavit imperio improbo.
PROLOGUE.
Si j'ai parfois cité dans mes fables le nom d'Esope, à qui j'ai de-
puis longtemps rendu l'hommage que je lui devais, sachez bien que j'ai
voulu m'appuyersurson autorité, comme ces artistes de notre siècle,
qui, pour trouver de leurs ouvrages modernes un prix plus élevé,
inscrivent au bas d'une statue de marbre le nom de Praxitèle, ou ce-
lui de Myron sur une statue d'argent. Puissent ces fables , sous un
nom trompeur , jouir aussi du même avantage, puisque les morsu-
res de l'envie respectent plutôt les chefs-d'œuvre de l'antiquité que
ceux de notre temps. Ceci me conduit à raconter une fable qui con-
firme ce que j'avance.
FABLE I.
DÉMÉTRIU8 ET MÉN ANDRE.
Démétrius de Phalère avait usurpé dans Athènes le pouvoir sou-
verain, et le peuple, selon son usage, be précipitait à l'envi sur sca
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
16S
LIVRE V-
PROLOGUS.
Sicubi interposuero
nomen iEsopi,
cui jam pridem
reddidi quidquid debui,
scito esse
gratia auctoritatis ;
ut faciunt quidam artifices
nostro sseculo,
qui inveniunt
pretium majus
operibu3 novis,
si adscripserunt
suo marmori
Praxitelen,
M^Tonem argento.
Fabulse adeo fucatœ
audiaut
sic;
si invidîa mordaz
favet vetustis
plus quam bonis
prsesentibus.
Sed jam feror ad fabellam
exempli talis.
FABULA I.
DEMETBIUS ET MENANDEB.
Demetrius
qui dictus est Phalereus,
occupavit Athenas
mperio împrobo.
PROLOGUE.
Si-parfois j'ai intercalé dans mes fables
le nom d'Esope,
à qui déjà depuis-longtemps
j'ai rendu tout-ce-que j'ai dû,
sache cela être (que je l'ai fait)
en vue du crédit dont il jouit ;
comme font certains artistes
dans notre siècle,
qui trouvent
un prix plus-grand
pour leurs œuvres nouvelles,
s'ils ont inscrit
sur leur marbre
le nom de Praxitèle,
celui de Myron sur l'argent.
Que ces fables ainsi fardées
entendent parler d'elles (aient du renom)
de même ;
si ( puisque ) l'envie mordante
favorise les ouvrages anciens
plus que les bons ouvrages
du-temps-présent.
Mais déjà je suis entraîné vers une fable
d'un exemple tel (qui prouve mon dire).
FABLE L
DEMETRIUS ET MÉ^- ANDRE.
Démétrius
qui fut dit de-Phalère,
occupa (gouverna) Athènes
par une domination illégitime»
iCa PH^DRl FAB. LIBER Y.
Ut mos est vulgi, passim et certatim ruunt :
« Féliciter 1 » succlamant. Ipsi principes
Illam osculantur, qua sunt oppressi , nianum , 5
Tacite gementes tristem fortunée vicem.
Quin etiam résides et sequeutes otium ,
Ne defuisse noceat , reptant ultimi.
In quis Menander ' , nobilis comœdiis,
Quas, Ipsum ignorons , legerat Demetrius , 40
Et admiratus fuerat ingenium viri ;
Unguento delibutus , vestitu fluens *,
Veniebat gressu delicato et languido.
Hune ubi tyrannus vidit extremo agmine :
« Quisnara cinaedus ille in conspectuni meum 45
Audet venire ? » Responderunt proximi :
« Hic est Menander scriptor. » Mutatus statim...
{Reliqua desiderantur).
FABULA II.
VIATORES ET LATRO.
Duo quum incidissent in Latronem milites ,
Unus profugit; aiter autem restitit,
Etvindicavit sese fort! dextera.
pas, en l'applaudissant. Les grands eux-mêmes baîsent cette main
qui les opprime , gémissant en silence de cette triste vicissitude de
la fortune. Bien plus, ceux qui s'étaient tenus éloignés les affaires, et
vivaient dans le repos , craignant de payer cher leur absence , vin-
rent les derniers ramper à ses pieds. De ce nombre était Ménandre,
déjà célèbre par ses comédies. Démétrius neleconnaissa't pas, maia
il avait lu ses ouvrages et admiré son génie. Le poëte, 1. ligné d'es-
sences et la tunique flottante, s'avançait d'un pas plein de noncha-
lance et de langueur. Dès que le tyran l'aperçut dans les derniers
rangs de la foule : « Quel est , s'écria-t-il , cet efféminé qui ose se
présenter devant moi ? — C'est Ménandre , le poëte , » répondi
rent les plus proches. Changeant aussitôt....
[Le reste manque.)
FABLE II.
LES VOYAGEURS EX LE VOLEUR.
Deux soldats rencontrèrent un voleur. L'un d'eux s'enfuit, mai»
l'autre soutint l'attaque , et par son courage se tira d'affaire. Le
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
165
Ut raos vulgi est,
ruunt passim et certatim :
« Féliciter! »
suoclamaat.
Principes ipsi
Dsculantur illam manum
^ua oppressi sunt,
gementes tacite
tristem vicem fortunae
Quin résides etiam
et sequentes otium ,
reptant ultimi,
ne de fuisse
noceat.
In quis Menander,
nobilis comœdiis,
quas Demetrius,
ignorans ipsum,
legerat, etadmiratusfuerat
ingenium viri ;
delibntus unguento ,
fluens vestitu,
veniebat gressu delicato
et languido.
Ubi tyrannus vidit hune
extremo agmine :
« Quisnam ille cinaedus
audet venire
in meum conspectum ? »
Pro^mi responderunt :
«Hif
est scriptor Menander. »
Mutatus statim....
(Reliqua desiderantur.)
Comme la coutume du peuple est,
on se précipite çà-et-là et à l'envi •
« Très-bien bravo, vivat) ! »
s'écrie-t-on.
Les grands eux-mêmes
baisent cette main,
par laquelle ils ont été 'sont) opprimés,
gémissant en silence
sur la. triste vicissitude de la fortune.
Bien plus les oisifs même
et ceux suivant le ( se livrant au ) repos,
viennent-en-rampant les derniers,
de peur que d'y avoir manqué
ne leur nuise.
Parmi eux était Ménandre,
célèbre par ses comédies,
lesquelles Démétrius,
ne-connaissant-pas le poëte lui-même,
avait lues, et il avait admiré
le génie de cet homme ;
dégouttant de parfum de parfums),
flottant par l'habit fia tunique flottante) ,
il venait d'un pas efiîéminé
et languissant.
Dès que le tyran vit celui-ci
aù-bout-de la file :
« Quel est cet efiëminé
qui ose venir
en ma présence? »
Les plus proches répondirent :
« Celui-ci
est l'écrivain Ménandre. »
Changé aussitôt....
{Le reste manque.]
FABULA n.
VIATORES ET LATEO.
Quum duo nailites
incidissent
in latronem,
tinus profugit ;
alter autem restitit ,
et dextera forti
nndicavit sese
FABLE IL
LES VOTAGETJHS ET LE VOLEUB
Comme deux soldats
étaient tombés
dans (avaient rencontré^ un voleur,
l'un d'eux s'enfuit ;
mais l'autre tint- bon,
et de 50/1 bras courageux
débarrassa soi de cette attaque.
166 PH^DRI FAB. LIBER V.
Latrone occiso , timidus accurrit cornes ,
Stringitque gladium ; dein , rejecta penula ' : S
« Cedo , iiiquit , illum ; jam curabo sentiat
Quos attentarit. y> Tune qui depugnaverat :
a Vellem istis verbis saltem adjuvisses modo ;
Constantior fuissem , vera existimans ;
Nunc conde ferrura , et linguam pariter futilem , 40
Ut possis alios ignorantes fallere.
Ego, qui sum expertus quantis fugias viribus ,
Scio quam virtuti non sit credendura tuae. »
Illi assignari débet haec narratio,
Qui re secunda fortis est, dubia fugax. 4 5
FABULA III.
CA.LVU8 ET MU8CA.
Calvi momordit Musca nudatum caput ;
Quam opprimere captans , alapam sibi duxit gravem.
Tune illa irridens : « Punetum volueris parvulae
Voluisti morte uleisei ; quid faeies tibi ,
Injuriae qui addideris contumeliam ?» 5
voleur tué, le pusillanime compagnon accourt, tire son épée, et , re-
jetant son manteau : « Laisse-le venir , s'écria-t-il ; je veux lui faire
voir à quels hommes il s'attaquait. » Mais celui qui avait combattu
répondit : « J'aurais voulu t' entendre tout à l'heure m'aidïr au
moins de ces belles paroles : elles eussent soutenu mon courage , car
je les aurais crues sincères. Rengaine maintenant ton épée et ta
langue tout aussi inutile , tu pourras abuser encore ceux qui ne te
connaissent pas. Pour moi , qui ai vu avec quelle agilité tu fuis , je
sais à quoi m'en tenir sur ton courage. »
Ce récit s'applique à celui qui se montre brave tant qu'il n'y a
rien à craindre, et prend la fuite au moindre péril.
FABLE III.
l'homme chauve et la mouche.
Une mouche piqua la tête d un homme chauve; celui-ci, cher-
chant à l'écraser , se donne une forte tape: « Tu voulais, lui dit
alors la mouche en se riant de lui , tu voulais pour une légère pi-
qûre punir de mort un petit être ailé; quel châtiment t'infligeras-tu à
toi-même pour le mal et l'affront que tu t'es fait? » L'homme lu;
FABLES DE PHEDRE. LiYRE Y.
167
Latroae occîso,
timidus cornes accurrit,
stringitque gladiura ;
^eÎB, penula rejecta :
i Cedoillum, inquit;
jam curabo sentiat
quos attentant. »
Tune qui depugnaverat :
■ Vellem saltem
adjuvisses modo
istis verbis ;
fuissem constantior,
existimans vera ;
nunc conde ferrum ,
et linguampariterfutilem,
ut possis fallere alios
ignorantes.
Ego, qui expertus sum
qnantis viribus fugias,
scio quam
non credendum sit
tuîe virtuti. »
Haec narratio
débet assignari
illi qui est fortis
re secunda,
fngax dubia.
Le voleur tué,
le timide compagnon accourt ,
et tire son épée ;
ensuite , son manteau étant rejeté :
« Donne (montre) le moi, dit-ii ;
bientôt j'aurai-soin qu'il comprenne
quels hommes il a attaqués. »
Alors celui-qui avait combattu :
« Je voudrais du moins
que tu m'eusses aidé naguère
par ces paroles ;
j'aurais été plus-ferme,
pensant elles vraies ;
maintenant rengaine ton fer
et ta langue également frivole,
afin que tu puisses tromper d'autres
qui-ne-Zf-connaissent-pas.
Moi, qui ai éprouvé
avec quelles-grandes forces tu fuis,
js sais combien
il ne faut pas croire
à ton courage. »
Ce récit
doit être appliqué
à celui qui est valeureux
dans la circonstance heureuse,
et porté-à-fuir dans la douteuse.
FABULA in.
CAI.VUS ET MU8CA
Musca momordit
capnt nudatum calvi ;
captans opprimere quam ,
duxit sibi gravem alapam.
Tune illa irridens :
« Voluisti ulcisci morte
pnnctum parvulas volucris ;
quid faciès tibi,
qui injuriée
addideris contumeliam? »
FABLE IIL
L'/iomme-CHAUYE et la mouche.
Un mouche mordit (piqua)
la tête dégarnie d'un homme chauve ;
cherchant à écraser elle,
il mena (appliqua) à soi une lourde tape
Alors celle-ci se moquant :
« Tu as voulu venger par sa mort
la piqûre d'un petit être-ailé ;
que feras-tu à toi,
qui à la douleur
as ajouté l'affront? »
468 PHvEDRI FAB. LIBER V.
Respondit : « Mecum facile redeo in gratiam,
Quia non fuisse mentem laedendi scio ;
Sed te, contempti generis animal improbum,
Quae delectaris bibere humanum sanguinem ,
Optem necare, vel majore incommode. » 10
Hoc argumente veniam tam dari decet
Qui casu peccat ' , quam , qui consilio est nocens ,
Illum esse quavis pœna dignum judico.
FABULA IV.
HOMO ET A.SINU8.
Quidam immolasset verrem * quum sancto Herculi ,
Cui pro salute votum debebat sua ,
Asello jussit reliquias poni hordei.
Quas aspernatus ille , sic locutus est :
« Tuum jibenter prorsus appeterem cibum, 5
Nisi , qui nutritus illo est , jugulatus foret. »
Hujus respectu fabulae deterritus ,
Periculosum semper reputavi lucrum.
répondit : « Je rentrerai facilement en grâce avec moi-même , parce
que je sais fort bien n'avoir point eu l'intention de me blesser. Mais
toi , misérable et méchant insecte , toi qui fais tes délices de sucer
le sang de l'homme, je voudrais te tuer , quand je devrais me faire
plus de mal encore. »
On voit d'après cette fable qu'il faut pardonner une faute involon-
taire ; quant à 3elui qui fait le mal de propos délibéré , il n'est pas ,
à mon avis, de châtiment qu'il ne mérite.
FABLE IV.
l'homme et l'ane.
Un homme immola au divin Hercule un porc dont il lui avait
tait vœu pour le rétablissement de sa santé ; puis il fit donner à son
âne le reste de l'orge du porc. Mais l'âne, dédaignant cette nourri-
ture, répondit : « Je mangerais cette orge de grand cœur , si l'on
n'avait égorgé celui qui s'en est nourri. »
Effrayé des réflexions que fait naître cette fable, je me suis tou-
jours défié d'un accroissement de richesse cachant quelque péril :
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
169
Respond^t : « Redeo
facile in gratiam mecum,
qnia scio mentem Isedendi
non fuisse ;
sed optem necare,
vel incommode majore
te, animal improbum
generis contempti ,
quge delectaris bibere
sanguinem humanum ! »
Hoc argumente
decet veniam dari
qui peccat casu,
tam quam judico
esse dignum pœna quavis
illum qui est nocens
consilio.
FABULA IV.
HOMO ET ASINU8.
Quum quidam
immolasset verrem
sancto HercuJi ,
cui debebat votum
pro sua sainte,
jussit reliquias hordeî
poni asello.
nie aspernatus,
locutus est sic :
« Appeterem tuum cibum
prorsus libenter,
bI qui nutritus est illo
non jugulatus foret. »
Deterritus respectu
nnjus fabulae ,
reputavi semper
lucrum periculosum.
Il répondit : « Je reviens (je~ rentre)
facilement en grâce avec-moi-méme ,
parce que je sais l'intention de me blesser
n'avoir pas été à moi ;
mais je désirerais tuer
même au-prix-d' un-mal plus grand,
toi, animal pervers
d'une espèce méprisée,
qui te plais à boire
le sang humain ! »
D'après cette fable
il convient que pardon soit accordé
à celui qui faillit par accident,
aussi-bien que je juge
être digne d'un châtiment quelconque
celui qui est nuisible
de dessein prémédité.
FABLE ÏV.
l'homme et l'ane
Comme un homme
avait immolé un verrat
au divin Hercule
à qui il devait un vœu
pour son salut (sa guérison),
il ordonna que les restes de l'orge dn poro
fussent placés (servis) à l'âne.
Celui-ci ayant méprisé ces restes
parla ainsi :
a J'aurais-désir-de ta nourriture
tout-à-fait volontiers,
si celui-qui fut nourri d'elle
n'avait pas été égorgé. »
Effrayé par la vue (l'examen)
de cette fable,
j'ai réfléchi toujours
sur un gain dangereux.
170 PHiEDRI FaB. liber V.
Sed dices : « Qui rapi'.ere divitias , habent. »
Numeremus agedum qui deprensi perierint : <0
Majorem turbam punitorum reperies.
Paucis temeritas est bono , multis malo.
FABULA V.
SCURRA ET RU8TICUS.
Pravo favore ' labi mortales soient ,
Et , pro judicio dum stant erroris sui ,
Ad pœnitendum rebus raanifestis agi.
Facturus ludos*, dives quidam et nobilis
Proposito cunctos invitavit prœmio , 5
Quam quisque posset , ut novitatem ostenderet.
Venere artifices laudis ad certamina.
Quos inter Scurra notus urbano sale ,
Habere dixit se genus spectaculi
Quod in theatro nunquam prolatum foret. 40
Dispersus rumor civitatem concitat;
Paulo ante vacua turbam de&ciunt loca.
« Maïs , direz-vous , ceux qui ont dérobé, ne possèdent pas moins. »
Eh bien ! comptons le nombre des voleurs saisis et condamnés : vous
en trouverez bien plus de frappés que d'impunis.
La témérité réussit à peu de monde; elle fait le malheur du plus
grand nombre.
FABLE V.
LE BOUFFON ET LE PAT8JLN.
Les hommes se laissent égarer souvent par une injuste préven-
tion, opiniâtres dans leurs faxix jugements, jusqu'à ce que l'évidence
les force à se rétracter.
Un citoyen riche et de haute naissance voulait célébrer des jeux ;
il proposa une récompense à qui présenterait quelque spectacle nou-
veau. Des artistes de tout genre viennent disputer le prix. L'un
d'eux , bouffon connu par ses saillies piquantes, se vanta d'offrir un
genre de spectacle qui n'avait encore paru sur aucun théâtre. La nou-
velle vole débouche en bouche, et met toute la ville en mouvement; les
places, naguère inoccupées, manquent maintenant à la foule. Le bouf-
fon s'avance seul sur la scène , sans appareil, sans autre acteur pour
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V. l71
Mais tu diras :
« Ceux-qui ont enlevé des richesses,
les ont. »
Eh bien ! comptons
ceux-qui pris ont-été-mis-à-mort,
reperiesturhampunitorum tu trouveras la foule des coupables pui:is
majorem. plus-grande que celle des autres.
Temeritas La témérité
estbono paucis, est à bien (réussit) à peu de gens
malo multis. à mal (est funeste) à beaucoup.
Sed dices :
€ Qui rapuere divitias ,
habent. »
Agedum numeremus
qui deprensi perierint !
FABULA V.
6CUEKA ET RU8TICUS.
Mortales soient labi
favore pravo,
et dum stant
pro judicio sui erroris ,
agi ad pœnitendum
rébus manifestis.
Quidam dives et nobilîs,
facturus ludos,
invitavit cunctos
praemio proposito
ut quisque ostenderet
novitatem quam posset.
Artifices venere
ad certamina laudis.
Inter quos scurra,
notus sale urbano, dixit
86 habere genus spectaculi
quod nunquam
prolatum foret
in theatro.
Rumor dispersus
concitat civitatem ;
loca paulo ante vacua
deficiunt turbam.
FABLE V.
LE BOUFFOX ET LE PAYSAN.
Les mortels ont-coutume de se tromper
par une partialité injuste ,
et tandis qu'ils se tiennent
en faveur du jugement de leur erreur,
ils ont coutume d'être poussés à se repentir
par les choses évidentes ("par l'évidence).
Un homme riche et noble ,
devant-célébrer des jeux,
invita tous
par un prix proposé,
àrce-que chacun montrât
la nouveauté qu'il pourrait.
Les artistes (les baladins) vinrent
à ces luttes de gloire.
Parmi eux un bouffon,
connu par son enjouement aimable, dit
soi avoir un genre de spectacle
qui jamais
n'avait été porté-en-avant (mis)
sur le théâtre.
Ce bruit répandu
attire-toute la ville;
les places peu auparvant vides
manquent à la foule
172 PHiEDRI FAB. LIBER V.
In scena vero postquam solus constitit
Sine apparatu , nullis adjutoribus ,
Silentium ipsa fecit exspectatio. 1 5
nie in sinum repente demisit caput ,
Et sic porcelli vocem est imitatus sua ,
Venim ut subesse pallio contenderent,
Et excuti* juberent. Quo facto, simul
Nihil est repertum , multis onerant laudibus, 20
Eominemque plausu prosequuntur maximo.
Hoc vidit 6eri Ruslicus : cf Non, mehercule !
Me vincet , inquit. » Et statim professus est
Idem facturum melius se postridie.
Fit turba major; jam favor mentes tenet; 25
Et derisuri , non spectaturi , sedent.
Uterque prodit : Scurra degrunnit prior,
Movetque plausus , et clamores suscitât.
Tune simulans sese vestimentis Rusticus
Porcellum obtegere (qucd faciebat scilicet, 30
Sed, in priore quia nil compererant , latens),
Pervellit aurem vero quem celaverat.
Et cum dolore vocem naturae exprimit.
Acclamât populus Scurram multo similius
Imitatum, et cogit Rusticum trudi foras. 35
Itu prêter son secours ; l'attente a fait régner le silence. Tout à coup il
baisse la tête dans les plis de sa rote , et avec sa voix il imite le cri
du cochon" de lait avec une telle perfection , que chacun jure qu'il en
tient un caché sous son manteau. On lui ordonne de le secouer : il
le fait, et l'on ne trouve rien ; on l'accable d'éloges, on le poursuit
d'applaudissements. Un paysan qui était présent s'écria : 0 Par Her-
cule ! il ne l'emportera pas sur moi ; » et sur-le-champ il promet de
faire mieux le lendemain. Le lendemain, foule plus considérable en-
core; mais les esprits étaient prévenus, et l'on prenait place moins
pour jouir du spectacle , que pour se moquer du paysan. Les deux
rivaux s'avancent : le bouflFon se met à grogner le premier ; il sou-
lève un tonnerre d'applaudissements et de bruyantes clameurs. Le
paysan alors feint de cacher sous ses vêtements un cochon de lait,
ce qu'il faisait réellement, mais, comme on n'avait rien découvert
«ur le premier , la foule était sans défiance ; puis il se met à pincer
l'oreille de l'animal, à qui la douleur arrache des cris tout à fait na.-
turels. I^ peuple s'écrie aussitôt que le bouffon a beaucoup mieux
imité, et veut faire jeter )e pavsan à la porte. Mais lui tire de de»
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
173
Postquam vero solus
constitit in scena,
liae apparatu,
nullis adjutoribus ,
exspectatio ipsi
fecit silentium.
nie repente demisit caput
in sinum ,
et sua.
Imitatus estvocemporcelli,
sic ut contenderent
verum subesse pallio,
et juberent excuti.
Quo facto,
simul nihil repertum est ,
onerant laadibus multis,
proseqnunturque homiuem
maximo plausu.
Rusticus vidit hoc fieri :
« Mehercule!
non vincet me, inquit. »
Et statim professus est
se facturum postridie
idem melius.
Turba fit major;
jam favor tenet mentes ;
et sedent ,
derisuri, non spectaturi.
Uterque prodit :
scurra degrunnit prior,
movetque plausus,
et suscitât clamores.
Tune rusticus simulans
sese obtegere vestimentia
porcellum ,
(quod faciebat scilicet,
eed latens,
quia compererant nii
in priore;,
pervellit aurem vero
quem cel avérât ,
et exprimit cum dolore
vocem naturae.
Populus acclamât scurram
imitatum multo simili us ,
et cogit
rusticum trudi foras.
Mais après que seul
il se tint sur la scène,
sans appareil,
nuls acteurs ne Z'aidant^
l'attente même
fit produisit, fit régner) le silence.
Celui-ci tout-à-coup baissa la tête
dans son sein,
et avec la voix sienne ,
il imita la voix du cochon- de-lait,
tellement que tous soutenaient
qu'un vrai cochon était-sous son manteau,
et ordonnaient le manteau être secoué.
Cela ayant été fait ,
dès-que rien n'eut été trouvé,
on Z'accable d'éloges nombreux,
et on poursuit notre homme
de très-grands applaudissements
Un paysan vit cela être fait (avoir lieu) :
« Par-Hercule !
il ne vaincra pas moi , dit-il. »
Et aussitôt il annonça
soi devoir-faire (qu'il ferait, le lendemain
la même chose mieux.
La foule se fait plus-grande ;
déjà la partialité occupe les esprits;
et on s'assied (on prend place, ,
devant-railler, non devant-regarder .
L'un et l'autre s'avance;
le bouffon grogne le premier,
et excite des applaudissements,
et fait-pousser des cris.
Alors le paysan feignant
soi cacher sous ses vêtements
un cochon-de-lait,
(ce qu'il faisait en effet ,
maisétant caché (sans qu'on s'en doutât)
parce qu'ils n'avaient trouvé rien
sur le premier ,
tîre l'oreille au véritable cochon
qu'il avait caché,
et /ut arrache avec la douleur
la voix ' le cri) de la nature
Le peuple crie que le bouffon
a imité beaucoup plus-véntablement ,
et force (exige
le paysan être jeté dehors.
174 phj:dri fab. liber v.
At ille profert ipsum porcellum e sinu ;
Turpemqiie aperto pignore errorem probans :
« En hic déclarât quales sitis judices ! »
FABULA VI.
DUO CALVI.
Invenit Calvus forte in trivio pectinem :
Accessit alter aeque defectus pilis :
«r Eia, inquit, in commune*, quodcumque est lucri. »
Ostendit ille praedam , et adjecit simul :
a Superum voluntas favit ; sed fato invido
Carbonem, ut aiunt, pro thesauro* invenimus. »
Quem spesdelusit*, hooquerelae convenit.
FABULA VIL
PKINCEPS* TIBICEN.
Ubi vanus animus , aura captus frivola " ,
Arripuit insolentem sibi fiduciam ,
Facile ad derisum stulta levitas * ducitur.
80U8 sa robe le cochon de lait , et , leur montrant la preuve mani-
feste de leur sotte erreur : « Voilà qui montre , dit-il , quels juges
vous êtes! »
FABLE VI.
LES DEUX CHAUVES.
Un homme chauve, en passant dans un carrefour , trouva par ha-
sard un peigne ; arrive un autre homme à la tête également pelée :
€ Ah çà ! s'écria-t-il , part à deux, quelle que soit l'aubaine. »
Mais le premier, lui montrant la trouvaille : « La volonté des dieux
nous favorisait, lui dit-il; le destin jaloux nous a fait trouver,
comme l'on dit , un charbon au lieu d'un trésor. »
Celui dont les espérances sont trompées, a le droit de se plaindre.
FABLE VIL
LE JOUEUR DE FLUTE LEPEINCB.
Quand un esprit superbe , ébloui de la faveur inconstante de la
foule, s'abandonne à une folle présomption, son sot amour-propre
an fait aisément un objet de ridicule.
i
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
175
At ille profert o sînu Mais celui-ci met-hors (tire) de son sein
porcellum ipsum; le cochon-de-lait lui-même;
probansque pignore aperto et prouvant par ce gage manifeste
turpem errorem : leur honteuse erreur :
« En hic déclarât « Yoilà- que celui-ci déclare
quales judices sitis ! » qnels juges vous êtes ! »
FABULA VI.
DUO CALVl
CalvTJs invenit forte
pectinem in trivio :
alter aeque defectus pilia
accessit :
0 Eia, quodcomque est
lucri ,
in commnne , in qui l. »
Ille ostendit praedam ,
et adjecit simul :
«Voluntas Superum favit ;
8sd fato invido
invenimus , ut aiunt ,
carbonem pro thesauro.»
Hoc querelœ convenit
quem spes delusit.
ABLE VI.
LES DEUX hommes CHAUTES.
Un homme chauve trouva par -hasard
un peigne dans un carrefour :
un autre également dépourvu de cheveux
s'approcha :
« Ah-çà, quoi que ce soit quoi qu'il y ait)
de profit ,
qu'il soit en commun (part àdeux\ dit-il.»
Celui-ci montra son butin ,
et il ajouta en-même-temps :
« La volonté des dieux nous a favorisés ;
mais, par un destin jaloux,
nous avons trouvé, comme on dit,
un charbon au lieu d'un trésor. »
Cela de plainte (cette plainte) convient
à celui que son espoir a abusé.
FABULA VII.
FABLE VII.
PRINCEPS TIBICEN.
Ll)i animus vanus,
captus aura frivola
arripuit sibi
fiduciam insolentem ,
Btuita levitas
ducitur facile
ad derisum.
LEPRIÎfCE JOUEUR DE FLUTE.
Quand un esprit vain (superbe),
séduit par un vent (une gloire) frivola
a arrogé à soi
une confiance insolente ,
sa sotte vanité
est conduite 'menée) facilement
veri la dérision.
176 PH^DRI FAB. LIBER Y.
Princeps tibicen notior paulo fuit,
Operam Bathyllo ' solitus in scena dare. g
Is forte ludis (no'i satis memini quibus),
Dum pegma rapitur, concidit casu gravi,
Nec opinans, et sinistram fregit tibiam ,
Duas quum dextras* maiuisset perdere.
Inter manus sublatus, et multum gemens, <0
Domum refertur. Aliquot menses transeunt,
Ad sanitatem dum venit curatio.
Ut spectatorum mos est, et lepidum genus ,
Desiderari cœpit cujus flatibus
Solebat axcitari saltantis vigor. 4 5
Erat facturus ludos quidam nobilis ,
Et iiicipiebat rursum Princeps ingredi.
Adducit pretio, precibus , ut tantummodo
Ipso ludorum sese oslenderet die.
Qui simul advenit, rumor de tibicine 20
Frémit in theatro : quidam affirmant mortuum ;
Quidam in conspectum proditurum sine mora.
Aulaeo misso , devolutis tonitrubus,
Di sunt locuti more translatitio^.
Tune chorus ignotum modo reducto canticum 25
Imposait , cujus haec fuit sententia :
Leprince, joueur de flûte assez en renom , prêtait ordinai-
rement à Bathylle, sur la scène, le secours de son art. Un jour,
je ne saurais trop dire à quelle solennité , dans un jeu des ma-
chines du théâtre , il fit tout à coup une chute périlleuse , et se
cassa le tibia gauche ; il aurait mieux aimé briser deux flûtes
droites. On l'enlève aussitôt à bras, et on le reporte chez lui, pous-
sanJt de grands gémissements. Quelques mois s'écoulent avant son
entière guérison. Comme il arrive toujours, les spectateurs com-
mençaient à regretter l'habile musicien, dont les accords harmonieux
animaient d'ordinaire les mouvements du souple danseur. Un citoyen
de haute naissance se préparait à célébrer des jeux au moment où
I^eprince recommençait à marcher. A force de prières et d'argent , il
lui fait promettre de se montrer seulement le jour même des jeux Le
jour du spectacle arrivé, une vive rumeur, dont le joueur de flûte est
l'objet , circule dans tout le théâtre : quelques-uns soutiennent qu'il
est mort ; d'autres affirment qu'il va paraître tout à l'heure à leurs
yeux. On baisse la toile, les tonnerres roulent et grondent, et les
dieux parlent, suivant l'usage que nous ont transmis les Grecs. Alors
le chœur chante un hymne inconnu au joueur de flûte, tout nouvelle-
fABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
177
Pr inceps tibicen
paulo notior,
Bolitus fuit in scena
dare operam Bathyllo.
Forte ludis
(non memini satis
quibcs),
dura pegma rapitur,
is concidit casu gravi ,
nec opinans,
et fregit tibiam sinistram ,
quum maluisset
perdere duas destras.
Sublatus inter manus,
et gemens multum ,
refertur domum.
Aliquot menses transeunt ,
dum curatio
venit ad sanitatem.
Ut mos spectatorum est ,
et genus lepidum ,
flatibus cujus
vigor saltantis
solebat excitari,
cœpit desiderari.
Quidam nobilis
facturas crat ludos,
et Princeps rursum
incipiebat ingredi.
Adducit pretio, precibus,
ut ostenderet sese
tantummodo
die ipso ludorum.
Simul qui advenit ,
rumor de tibicine
frémit in theatro :
quidam
affirmant mortuum ,
quidam proditurum
sine mora in conspectum.
Aulaeo misso,
tonitrubus devolutis,
di locuti sunt
more translatitio .
Tune chorus imposuit
canticum ignotum
reducto modo,
Fables de Phèdee
Leprince joueur-de-flûte
un peu bien-connu 'assez connu),
avait eu (avait) -coutume sur la scène
de donner prêter) son secours à Bathylle.
Par hasard dans des jeux
(je ne me souviens pas assez (pas bien)
dans lesquels;,
tandis qu'une macbine est enlevée,
il (Leprince, tomba par une chute grava
ne-s' en-doutant-pas (tout à coup)
et brisa son tibia gauche,
tandis qu'il aurait-mieux-aimé
perdre ses deux flûtes droites.
Enlevé entre les mains (à bras),
et gémissant beaucoup ,
il est reporté à la maison (chez lui).
Quelques mois se passent
jusqu'à-ce-que la cure
vienne à guérison.
Comme l'usage des spectateurs est,
et comme cette espèce est aimable,
celui par le souffle de qui
la vigueur l'agilité; du dansant
avait coutume d'être animée,
commença à être regretté.
Un citoyen noble
devait célébrer des jeux ,
et Leprince de nouveau
commençait à marcher.
Il ramène à prix d'argent, par les prières,
à-ce-qu'il montrât lui-même
seulement
le jour même des jeux.
Dès-que ce jour arriva,
une rumeur sur le joueur-de-flûte
frémit circule , dans le théâtre :
quelques-uns
affirment lui mort,
quelques-uns lui devoir-s'avancef
sans retard en présence du public
La toile étant baissée ,
les tonnerres ayant été roulés .
les dieux parlèrent
suivant l'usage transmis des Grect,
Alors le chœur imposa (chanta)
un hymne inconnu
à Leprince revenu depuis-peu,
12
178 PH^DRl FAB. LIBER V.
« Laetare incolumis, Roma, salvo principe'. »
In plausus consurrectum est. Jactat basia
Tibicen , gratulari fautores putat.
Equester ordo stultum errorem intelligit, 30
Magnoque risu canticum repeti jubet.
Iteratur illud. Homo meus se in pulpito •
Totum prosternit : plaudit illudens eques *
Rogare populus hune coronam existimat.
Ut vero cuneis notuit res omnibus , 35
Princeps ligato crure , nivea fascia ,
Niveisque tuuicis, niveis etiam calceis ,
Superbiens honore divinae domus,
Ab universis capite est protrusus foras.
FABULA VIII.
OCCASIO DEPICTA.
Cursu volucri pendens in novacula
Calvus , comosa fronte , nudo corpore ,
ment de retour, et dont tel était à peu près le sens : «Réjouis-toi, Rome,
tu es sauvée, le prince est rendu à la santé. » On se lève pour applau-
dir. Le joueur s'imagine que ce sont ses admirateurs qui le félicitent,
et envoie des baisers à la foule. Les chevaliers comprennent sa sotte
erreur, et demandent, en riant à gorge déployée, la reprise *.e
l'hjinne : le chœur recommence. Notre homme se prosterne de son
long sur l'avant-scène , et les chevaliers d'applaudir en se moquant
de lui , et le peuple de croire qu'il demande une couronne. Mais
quand l'histoire fut comprise sur tous les gradins, Leprince , malgré
sa jambe entourée de ligatures , malgré ses blanches bandelettes , sa
tunique blanche et ses blanches chaussures , Leprince , qui s'enor-
gaeillissait des honneurs rendus à la famille du divin Auguste , fat
jeté à la porte , la tête la première , par tous les spectateurs.
FABLE Vin.
DESCRIPTION DE l'OCCASIOW.
Ce vieillard que vous voyez , dans sa course rapide, suspendu sur
le tranchant d'uu rasoir, la tête chauve par derrière, le front om-
FABLES DE PHEDRE. LIVRE V-
179
cujus sententia fuit hœc :
« Lsetare , Roma ,
iiiicolumis principe salvo.»
Consurrectum est
m plausus.
Tibicen jactat basia ,
putat fautores gratulari.
Ordo equester
intelligit stultum errorem,
asâgnoque risu
jtibet canticum repeti.
Illud iteratur.
Meus homo prosternit se
iotum in pulpito ;
eques
illudens plaudit :
populus exiôtimat
hune rogare coronam.
Ut vero res
notuit omnibus cuneis,
Princeps,
crure ligato,
fascia nivea ,
tunicisque niveis,
calceis etiam niveis,
superbiens honore
domus divinse ,
protrusus est foras
capite
ab universis
FABULA VIII.
0CCA810 DEPICTÀ.
Calvus
pendens in novacula
cursu volucri,
fronte comosa,
et dont le sens était celui-ci :
a Réjouis-toi, jiome,
saine-et-sauve, le prince étant sauvé. »
On se leva
pour les applaudissements
Le joueurrde-fiûte lance des baisers .
il pense que «es partisans le félicitent.
L'ordre équestre
comprend sa sotte erreur,
et avec un grand rire (de grands rirea)
il ordonne l'hymne être recommencé.
Celui-là (il) est recommencé.
Mon homme prosterne soi
tout-de-son-long sur l'avant-scène;
le chevalier (les chevaliers) ,
se raillant de lui, applaudit;
le peuple pense
qu'il demande une couronne.
Mais dès-que la chose
devint-notoire pour tous les gradins,
Leprince ,
sa jambe étant entourée-de-ligatures,
sa bandelette blanche-comme-neige,
et sa tunique blanche ,
et ses chaussures aussi blanches,
s'enorgueillissant de l'honneur
de la maison divine (impériale),
fut poussé-en-avant dehors
par la tête (la tête la première} ,
par tout le monde.
FABLE VIIL
l'occasion dépeinte.
Un homme chauve
suspendu sur un rasoir
dans sa course ailée,
le front garni-de-cheveus,
180 PH^DRI FAB. LIBER V.
Quem si occuparis, leneas; elapsum semel
Non ipse possit Jupiter reprendere ,
Occasionem rerum significat brevem. 5
Effectus impediret ne segnis mora ,
Finxere antiqui talem effigiem Temporis.
FABULA IX.
TAURUS ET VITULU8.
Angusto in aditu Taurus luctans cornibus,
Quum vix intrare posset ad praesepia,
Monstrabat Vitulus quo se pacte plecteret :
« Tace, inquit; ante hoc novi quam tu natus es. »
Qui doctiorem emendat , sibi dici putet. 5
FABULA X.
VENATOR ET CANIS.
Adversus omnes fortis et velox feras ,
Canis quum domino semper fecisset satis,
Languere cœpit , annis ingravantibus.
bragé de cheveux , le corps nu , si vous parvenez à l'arrêter , rete-
nez-le fortement ; une fois échappé, Jupiter lui-même ne saurait plus
le ressaisir : c'est l'emblème de l'occasion fugitive. Telle est l'allé-
gorie sous laquelle l'antiquité représente le Temps, pour qu'une
lâche indolence ne vienne pas entraver nos entreprises.
FABLE IX.
LE TAUREAU ET LE VEAU.
Un taureau , se démenant avec ses cornes à l'entrée d'une porte
étroite , ne pouvait qu'avec peine entrer dans son étable ; un veau
essaya de lui montrer la manière dont il devait s'y prendre :
« Laisse-moi , lui répondit-il , je savais cela avant que tu fusses né. »
Qui veut instruire un plus habile, peut prendre ceci pour lui.
FABLE X.
LE CHASSEUR ET LE CHIEN.
Un chien , plein de force et d'agilité contre tous les animaux sau-
après avoir toujours satisfait son maître , commençait à s'af-
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
181
nocpore nudo^
quem teneas ,
si occuparis ;
elapsum semel
Jupiter ipse
non possit reprendere ,
BÎgnificat
occasionem brevem rerum.
Ne segnis mora
impediret effectus,
autiqui finxere
talem effigiem temporis.
le corps nu,
lequel tu pourrais retenir,
si tu Tas saisi (le saisis) vivement ;
mais lequel échappé une fois
Jupiter lui-même
ne pourrait ressaisir,
signifie (est l'image de)
l'occasion courte (fugitive) des choses.
De peur qu'un lâche retard
n'arrêtât les effets de nos projets,
les anciens ont imaginé
une telle eâSgie (allégorie) du temps.
FABULA IX.
TAURU8 ET VITULTJ8.
Quum taurus,
luctans cornibus
in aditu angusto,
posset vix intrare
ad praesepia,
vitulus monstrabat
qiio pacto plecteret se :
« Tace, inquit;
novi hoc
ante quam tu natus es . »
Qui emendat doctiorem
putet dici sibi.
FABLE IX.
LE TAUREAU ET LE VEAU.
Comme un taureau ,
luttant avec ses cornes
dans une entrée étroite,
pouvait à peine pénétrer
vers (dans) les étables (l'étable),
un veau lui montrait
de quelle manière il derait-ployer lui :
« Tais-toi, dit-il;
je connais cela
avant que tu ne fusses né. »
Que celui-qui redresse un plus-savanfc
pense cela être dit pour-lui.
FABULA X.
VENATOR ET CANIS.
Quum canis fortis etvelox
adversus omnes feras,
satis fecisset semper
domino,
cœpit 1 an guère,
anuis ingravantibus.
FABLE X.
LE CHASSEUR ET LE CHIEN.
Comme un chien courageux et agile
contre toutes les bêtes-fauves,
avait satisfait toujours
son maître,
il commença à languir,
les années le surchargeant.
j82 PH2EDRI FAB. LIBEK Y.
Aliquando objectus hispidi pugnae suis,
Arripuit aurem : sed cariosis dentibus 5
Praedam dimisit. Hic tum Venator dolens
Ganem objurgabat; cui latrans contra senex :
« Non me destituit animus, sed vires meae.
Quod fuimus laudasti ; jam damnas quod «umus. >»
Hoc cur, Philete *, scripserim, pulchre vides. 10
faiblir bous le poids des années. Un jour qu'il tenait tête à un san-
glier, il le saisit par l'oreille ; mais ses dents gâtées l'obligèrent à
lâcher l'animal. Furieux , le chasseur grondait son chien j le vieux
serviteur lui répondit : « Ce n'est point le courage , ce sont mes
forces qui m'ont fait faute. Vous vantiez autrefois ce que j'étais ; au-
jourd'hui vous blâmez ce que je suis. »
Tu vois clairement , Philète pourquoi j'ai écrit cette fable.
FABLES DE PHÈDRE. LIVRE V.
183
Aliquando objectus pugnaa
suis hispidî , ar ripuit aurem ;
eed dimisit praedam
dentibus cariosis.
Tum hic venator dolens
objurgabat canem;
contra senex latrans oui :
«Animas non destituitme,
sed mese vires.
Laudasti quodfuimus;
jam damnas
quod sumus. »
Vides pulchre, Pbilete,
cor scripserim hoc.
Un-jour étant exposé au combat
d'un sanglier hérissé, il lui saisit l'oreille
mais il laissa-échapper la proie
de ses dents cariées.
Alors là le chasseur fâché
gourmandait (grondait) le chien ;
de-son-côté le vieux aboyeur dit à lui •
« Le courage n'a point abandonné moi
mais mes forces m'ont abandonné.
Tu as loué ce-que nous fûmes ;
maintenant tu condamnes (tu blâmes)
ce-que nous sommes. »
Tu vois parfaitement, Philète,
pourquoi j'ai écrit cela.
APPENDIX FABULARCJM
A MARQUARDO GUIDIO
MANUSCEIPTO CODICE DIVIOKENSI I ESCRIPTÀBUM.
FABULA I.
MILVIUS -EGROTANS.
Multos quum menses aegrotasset Milvius,
Nec jam videret esse vitae spem suae,
Matrem rogabat sancta circumiret loca;
Et pro salute vota faceret maxima.
« Faciam, inquit, fili ; sed opem ne non impetrem 6
Vehementer vereor; nam qui, delubra omnia
Vastando, cuncta polluisti altaria ,
Sacrificiis nullis parcens, nunc quid vis rogem*?
FABULA H.
LEPORE8 YIT^ PERT^SI.
Qui sustinere non potest suura malum ,
Alios inspiciat, et discat tolerantiam.
F4BLE l,
LE MILAN MALADE.
Malade depuis plusieurs mois, un milan ne voyait plus d'espoir
de guérir ; il pria sa mère de visiter les lieux saints d'alentour, et
de promettre aux dieux , pour son rétablissement , les plus magni-
fiques oflPrandes. « Je le veux bien , dit-elle, mon fils ; mais je crains
fort que mes vœux ne soient inutiles. Tu as dévasté tous les temples,
souillé tous les autels , fait ta proie de tous les sacrifices : après
cela , que veux-tu que je demande aux dieux? »
FABLE IL
LES LIÈVRES DÉGOTJTe's DE LA VIE.
A celui qnî ne peut supporter son malheur, je conseille de re-
rder les autres pour apprendre la résianation.
APPENDICE AUX FABLES DE PHEDRE,
EXTRAIT PAR iMARQUARD GUIDIUS
DU MANUSCRIT DE DIJON.
FABULA I.
MILVIUS iEGROTANS.
Quum inilvius
esgrotasset multos menses,
etvideretspemnon essejam
suae vitœ,
rogabat matrem
circumiret loca sancta ,
et faceret vota maxima
pro salute.
« Faciam , fili , inquit ;
sed vereor vehementer
no non impetrem opem ;
nam qui ,
vastando omnia delubra ,
poUuisti cuncta altaria ,
parcens nullis sacrificiis,
quid vis rogem nuno ? »
FABLE L
LB MILAN MA.LADE.
Comme un milan
avait été-malade pendant plusieurs mois,
et qu'il voyait espoir n'être plus
pour sa vie ,
il demandait à sa mère
qu'elle parcourût les lieux saints ,
et qu'elle fit les vœux les plus grands
pour sa santé.
« Je le ferai , mon fils , dit-elle ;
mais je crains fortement
que je n'obtienne pas de secours;
car pour toi qui ,
en-dévastant tous les temples ,
as souillé (profané) tous les autels ,
n'épargnant nuls sacrifices ,
que veux-tu que je demande maintenant ?»
FABULA II. FABLE II.
LEPORES PERT^SI VIT^. LES LIEVRES DEGOUTES DE LA VIE.
Qui non potest
Bustinere suum malum
inspiciat alios ,
etdiscat tolerantiam.
Que celui-qui ne peut
supporter son mal
regarde les autres ,
et apprenne la patience.
186 PHiEDRl FAB. APPENDIX.
Aliquando in silvis strepitu magno conciti ,
Se velle vitam , propter assiduos metus,
Finire clamant Lepores. Sic' quemdam ad lacum 5
Venere , miseri quo se praecipites darent
Adventu quorum postquam ranae territae
Virides in algas misère fugientes ruunt :
« Heu , inquit unus, sunt et alii quos timor
Vexât malorum. Ferte vitam ut ceteri. » 40
FABULA III.
VULPE8 ET JUPITER.
Fortuna turpem nulla naturam obtegit.
Humanam in speciem quum vertisset Jupiter
Vulpem , regali pellex ut sedit throno,
Scarabaeum ' vidit prorepentem ex angulo,
Notamque céleri ad praedam prosiluit gradu. 5
Superi risere, magnus erubuit Pater,
Turpemque repudiatam pellicem expulit ,
His prosecutus : «Vive quo digna es modo,
Quae nostris uti meritis digne non potes. »
Effrayés un jour au sein de leurs forêts par les cris bruyants des
chasseurs, les lièvres s'écrient qu'ils veulent se débarrasser d'une
rie assiégée de craintes continuelles. Dans ces dispositions, ils se
rendent aux^bords d'un lac, pour s'y précipiter et en finir avec leurs
malheurs. Epouvantées à leur approche , les grenouilles se réfu-
gient tremblantes sous les verts roseaux. « Oh ! s'écrie l'un d'eux,
il en est d'autres encore que tourmente la crainte du danger; sa-
chez , comme eux , supporter l'existence. »
FABLE IIL
JUPITEB ET LE BENABD.
La plus brillante fortune ne saurait couvrir la bassesse du naturel.
Jupiter, ayant donné à un renard les traits d'une femme, la fit
asseoir, comme sa maîtresse, sur son trône royal; mais elle, voyant
un escarbot sortir en rampant du coin de la salle , sauta d'un pas
agile sur cette proie bien connue. Les immortels se mirent à rire , et
le rouge monta au visage du père des dieux , qui , répudiant sur-le-
champ cette indigne compagne , lui dit en la chassant : « Va vivre
comme tu le mérites, toi qui ne peux user dignement de mes bien-
faits. >
FABLES DE PHÈDRE. APPENDICE.
187
Conciti aliquandoinsilvis
magno strepitu,
iopores clamant se vello
finire vitam,
propter metus assiduos.
Venere sic
ad quemdam lacum ,
quo miseri darent se
prsecipites.
Postquam ranse
territœ adventu quorum,
fugientes misère
ruunt in algas virides :
« Heu, inquit unus,
et alii sunt
quos timor malorum vexât.
Ferte vitam ut ceteri.
FABULA m.
VTII-PES ET JUPITER.
Nulla fortuna
obtegit naturam turpera.
Quum Jupiter
vertisset vulpem
in speciem humanam ,
ut pellex
sedit
throno regali ,
vidit scarabseum
prorepentem ex angulo ,
prosiluitque
gradu céleri
ad praedam notam.
Superi risere,
magnus Pater erubuit ,
expulitque turpem pellicem
repudiatara ,
prosecutus bis :
« Vive modo quo es digna ,
quse non potes uti digne
nostrvs meritis.»
Troublés un jour dans les forêts
par un grand bruit,
les lièvres crient eux vouloir
mettre-fin-à leur vie ,
à oause de leurs craintes continuelles.
Es vinrent ainsi (dans ce projet)
près d'un lac,
où malheureux ils lanceraient soi
se-précipitant.
Après que les grenouilles
effrayées de l'arrivée de ceux-ci ,
fuyant vivement
se précipitent dans les roseaux verts :
«Holà, dit l'un,
et d'autres (d'autres encore) sont,
que la crainte des maux tourmente.
Supportez la vie comme les autres. »
FABLE IIL
LE RENARD ET JUPITER.
Aucune fortune
ne cache un naturel honteux.
Comme Jupiter
avait changé un renard
en la forme humaine ,
dès que cette nouvelle maîtresse
se fut assise
sur le trône royal ,
elle vit un escarbot
sortant-en-rarnpant d'un coin ,
et sauta-en-avant (s'élança)
d'un pas agile
vers cette proie connue.
Les dieux se-mirent-à-rire
le puissant Père des dieux rougit ,
et chassa cette indigne épouse
étant-répudiée ,
la poursuivant de ces mots :
« Vis de la manière dont tu es digne
toi qui ne peux user dignement
de nos bienfaits. »
188 PH^DRT FAB. APPENDIX.
FABULA IV.
LEO ET MUS.
Ne quis minores laedat, fabula haec monet.
Leone in silva dorraiente, ruslici
Ut luxuriabant mures, unus ex iis
Super cubantem casu quodam transiit.
Expergefactus miserum Léo céleri irapetu 5
Arripuit. lUe veniam sibi dari rogat;
Supplex fatetur peccatum imprudentiae.
Hoc rex ulcisci gloriosum non putans,
Ignovit et dimisit. Post paucos dies,
Léo dum vagatur noctu, in foveam decidit. 10
Captum ut se agnovit laqueis, voce maxima
Rugirecœpit; cujusimmanem ad sonum
Mus subito accurrens : « Non est quod timeas, ait,
Beneficio magno gratiam reddam parem. »
Dixerat, et omnes artus % et ligamina 15
Lustrare cœpit : rodenda ut novi loca,
Laboremque sui sumpsit oris, dentibus
FABLE IV.
LE LION ET LE KAT.
N'offensez point plus petit que vous : cette fable vous en donne le
conseil.
Un lion dormait dans une forêt où folâtraient à plaisir des mu-
lots, habitants des champs; l'un d'eux vint à passer sur le fier ani-
mal, étendu par terre. Le lion se réveille en sursaut, et, d'un bond
impétueux , saisit l'infortuné , qui , d'un ton suppliant , lui de-
mande grâce pour une faute dont son étourderie, dit-il, est seule
la cause. Le roi des animaux, regardant cette vengeance comme in-
digne de lui, lui pardonne et le laisse aller, Quelqui s jours après,
le lion errait de nuit; il tjmbe dans une fosse. Dès qu'il se sent
pris, il fait retentir les bois de ses rugissements. A ce bruit formi-
dable, le mulot accourt aussitôt. « Vous n'avez rien à craindre, lui
dit-il ; je saurai, par un service égal, payer la grandeur de votre
bienfait. » Ce disant, il se met à examiner les mailleà et les nœuds
du âlet; puis, ayant reconnu les endroits qu'il peut ronger, il se
FABLES DE PHÈDRE. APPENDICE.
FABULA IV. FABLE IV.
Ii9
LEO ET MUS.
Haec fabula monet ,
ne quis loedat
minores.
Leone dormiento in silva,
ut mures rustici
luxuriabant ,
unus ex iis quodam casu
transiit super cubanteni.
Expergefactus
leo arripuit miserum
impetu céleri.
Ille rogat
veniam dari sibi ;
supplex fatetur
peccatum imprudentiœ.
Rex non putans gloriosum
ulcisci hoc ,
iguovil et dimisit.
Post paucos dies ,
dum leo vagatur noctu ,
decidit in foveam.
Ut agnovit se
captum laqueis ,
cœpit rugire voce maxima ;
ad sonum immanem cujas
mus accurrens subito :
« Non est quod timeas ,
ait ; reddam gratiam parem
magno beneficio.»
Dixerat, et cœpit lustrare
omnes artus et ligamina :
ut novit loca rodenda,
sumpsitque laborem
L ^ cris.
liK L10>' ET LE EAT.
Cette fable nous avertit
que quelqu'un n'offense pas
de plus-petits que soi.
Un lion donnant dans une forêt,
comme des rats des-champs
folâtraient,
l'un d'entre eux par un hasard
passa sur l'animal couché par terre.
Réveillé en sursaut.
le lion saisit le malheureux
d'un bond agile.
Celui-ci demande
le pardon être accordé à lui ;
suppliant il avoue
la faute de son imprudence.
Le roi desanimaux ne pensant pas glorieux
de venger cela,
Lardonna et le lâcha.
Après peu-de jours,
lauiiis que le lion erre pendant-la-nuit,
il tombe dans une fosse.
Dès qu'il reconnut soi
pris par des rets,
il se-mit-à rugir de sa voix tres-forte;
au son redoutable de laquelle
Itî rat accourant auss'tôt :
« 11 n'est pas pourquoi tu doives-cramdre,
dit-il; je te rendrai un service égal
à ton grand bienfait. »
Il avait dit, et il se-mit-à parcourir
toutes les jointures et les ligaments :
dès qu'il eut connu les endroits à ronger,
tt qu'il eut pris (choisi) ie travail
de sa gueule,
190 PHjEDRI fab. appendix.
Nervos' secando, laxat ingénia arluum^.
Sic captum Mus Leonem silvis reddidit.
FABULA V.
HOMO ET ARBORES.
Pereunt auxilium qui suis dant hostibus.
Facta bipenni', quidam ab arboribus petit
Manubrium ut darent e ligno quod foret
Firmum : jusserunt omnes oleastrum dari.
Accepit munus, aptans et manubrium, 5
Cœpit securi magna excidere robora;
Dumque eligebat quae vellet, sic fraxino
Dixisse fertur quercus : « Merito caedimur. »
met à l'œuvre, coupe , à l'aide de ses dents , le solide tissu et défait
les nœuds les plus habiles.
Ainsi un mulot rendit à la forêt le lion captif.
FABLE V.
l'homme et les arbres.
On se perd en secourant ses ennemis.
Un homme venait de se faire une hache: il demandait aux arbres
de lui donner un manche dont le bois fût solide; d'un consente-
ment unanime, ils l'engagèrent à prendre une branche d'olivier sau-
vage. L'homme accepte leur présent, emmanche sa hache, et se met
à abattre des chênes énormes. Tandis qu'il faisait choix des arbres
qu'il voulait couper, on rapporte que le chêne dit au frêne : « Noua
avons mérité notre sort. »
TABLES DE PHÈDRE. APPENDICE.
191
secanilo nerros dentibus,
laxat ingénia artnum.
Sic mus reddidit silvis
leoneracaptum.
en coupant les cordes avec ses denta ,
il relâche 'coupe) l'adresse des nœuds
Ainsi un rat rendit aux forêts
le lion pris 'captif).
FABULA V.
HOMO ET ARBORES.
Qui dant auxilium
suis hostibus, pereunt.
Quidam, bipenni facta ,
petit ab arboribus
ut darent e ligno
manubrium
quod foret firmum :
omnes jusserunt
oleastrmn dari.
Accepit munus,
et aptans manubrium,
cœpit excidere securi
magna robora ;
dumque eligebat
qasd velîet ,
quercus fertur
dixiuse sic fraxino :
< Cwdimur nierito. »
FABLE V.
l'homme et les arbres.
Ceux qui donnent (prêtent) secours
à leurs ennemis , périssent.
Un homme , une hache ayant été fait«,
demanda aux arbres
qu'ils lui donnassent de leur bois
un manche
qui fût solide :
tous ordonnèrent
l'olivier lui être donné.
Il reçut leur présent,
et adaptant le manche ,
il commença à couper à <y}uiu de hache
de grands chênes ;
et tandis qu'il choisissaii:
ceux-qu'il voulait,
le chêne est rapporte
avoir dit ainsi au frêne :
« Nous sommes meurtris à-bon-droît. «
SELECT.E
E NOVIS FABELLIS
PH^DRO ATTRIBUTIS,
E CODICE PEROTTIKO DESUMPTI8.
FABULA I
Non esse plus aequo petendum.
Arbitrio si Natura finxisset meo
Genus mortale , longe foret instructius :
Nam cuncta nobis attribuisset commoda
Quaecumque indulgens Fortuna animali dédit :
Elephantis ' vires, et leonis impetum, 5
Cornicis sevum , gloriam tauri trucis,
Equi velocis placidam mansuetudinem,
Et adesset homini sua tamen solertia.
Nimirum in cœlo secum ridet Jupiter,
Haec qui negavit magno consilio hominibus, <0
Ne sceptrum mundi raperet nostra audacia.
FABLE I.
L'AUTEUR,
Ne rien demander au delà de ce qui est juste.
Si la Nature avait pris mes avis pour former l'espèce humaine,
elle l'eût douée de plus nombreux avantages ; elle nous eût départi
tous les biens que la Fortune indulgente a donnés aux animaux , la
force de l'éléphant , l'impétuosité du lion , la longue vie de la cor-
neille , la majesté du taureau superbe , la paisible docilité du cour-
sier rapide , et avec tout cela l'homme aurait gardé encore l'habîleté
qui fut son partage. Vœux insensés ! dont sans doute, au haut des
cieux, rit en lui-même Jupiter. Dans sa divine prudence, il re-
fusa ces avantages à l'homme, craignant sans doute que notre
audace ne lui ravit le sceptre du monde. Sachons donc nous con-
CHOIX
DE FABLES NOUVELLES
ATTRIBUÉES A PHÈDRE ,
EXTRAITES DU MANUSCRIT DE PEROTn.
FABULA I.
AUCTOR.
Non petendum esse plus aequo.
Si n.itura
finxisset genus mortale
meo arbitrio,
foret longe instructius :
nam attribuisset nobis
cuncia commoda
quaecumque
indulgens Fortuna
dédit animali :
vires elephantis ,
et impetum leonis ,
œvum cornicis ,
gloriam tauri trucis ,
placidam mansuetudiuem
equi velocis ,
et tamen sua solertia
adesset homini.
Nimirum Jupiter
ridet secum in cœlo,
qui magno consilio
negavit hœc hominibns ,
ne nostra audacia
raperet sceptrum raundi.
Fables de Phèdrb.
FABLE I.
Qu'il ne faut pas demander plus que le juste.
Si la nature
avait façonné le genre liuraain
à mon gré,
il serait bien mieux-pourvu :
car elle aurait accordé à nous
tous les avantages
•quelconques-lesquels
l'indulgente Fortune
a donnés à l'animal :
les forces de l'éléphant,
et l'impétuosité du lion .
l'âge (la longue vie) de la corneille ,
la majesté du taureau farouche,
la paisible douceur
du cheval rapide ,
et cependant son habileté
serait-présente jeàterait) à l'homiue.
Sans-doute Jupiter
rit en-lui-méme dars le ciel,
lui qui par une grande prudence
refusa ces hiens aux hommes ,
de peur que notre audace
ne lux ravît le sceptre du inonde.
13
19^ FAB. ISOym PHvEDRO ATTRIBUTiE.
Ergo contenu munere invicti Jovis,
Fatalis annos decurramus temporis,
Nec plus conemur quam sinit mortalitas.
FABULA 11.
PEOMETHEUS ET DOLUB.
De Yeritate et Mendacio,
Olim Prometheus, saeculi figulus novi ,
Creta subtili Veritatem fecerat,
Ut jura posset intpr homines reddere.
Subito accersitus nuntio magni Jovis,
Commendat officinam fallaci Dolo, 5
In disciplinam nuper quem receperat.
Hic , studio accensus, facie simulacrum pari ,
Una statura, simile et membris omnibus,
Dum tempus habuit, callida finxit manu.
Quod prope jam totum mire quum positum ' foret , 4 0
Lutum ad faciendos illi defecit pedes.
Redit magister : festinante quo, Dolus
Metu turbatus in suo sedit loco.
tenter des présents de l'invincible Jupiter, et parcourons les an-
nées que nous accordent les destins, sans viser au delà du but que
peut atteindre l'humanité.
FABLE II.
THOVÉTUÉE £T LA RUSB.
De la Vérité et du Mensonge.
Prométhée , cet ingénieux artisan des premiers hommes , forma
an jour, de l'argile la plus pure , la Vérité, qu'il destinait à servir
de juge dans les différends des mortels. Appelé soudain au ciel par
le messager du grand Jupiter, il confie le soin de son atelier à la
Ruse artificieuse, qu'il avait tout récemment reçue en apprentissage.
Enflammé d'émulation , l'élève emploie son temps à façonner d'une
main habile une statue de même visage, de même stature, en tout enfin
semblable à la première. Il avait presque fini ce travail admirable,
quand l'argile vint à lui manquer pour les pieds. Le maître revient :
la Ruse , épourantée de ce prompt retour, se retire tremblante à sa
FABLES NOUV. ATTPJDLÉES A PHÈDRE.
95
Ergo content!
munere invicti Jovis ,
decurramus annos
temporis fatalis,
nec conemur
plus quam sinit
mortalitas .
Ainsi-donc con'-ents
da présent de l'invincible Jupiter,
parcourons les années
du temps fatal ,
et n'essayons pas (n'ambitionnons pas)
plus que ne le permet
la condition-humaine.
FABULA II.
FABLE II.
PBOMETHEUS ET DOLUS.
De Veritate et Mendacio.
Olim Prometheus ,
figulus
sœculi novi,
fecerat creta siibtîlî
Veritatem , ut posset
reddere jura inter homines.
Accersitus subito
nuntio magni Jovis ,
commendat officinam
Dolo fallaci ,
quem receperat nuper
in disciplinam.
Hic, accensus studio,
dum habuît tempus,
finxit manu callida
simulacrum facie pari ,
una statura ,
simile et omnibus membris.
Qutmi quod
positum foret mire
prope totum jam ,
lutum defecit illi
ad pedes faciendos,
Magister redit :
Dolus , turbatus metu
quo festinante,
sedit in suo loco.
PEOIIETHEE ET LA RUSE.
Sur la Vérité et le Mensonge.
Un-jour Prométhée,
potier fabricateur)
du siècle nouveau (despremîersliommes),
avait fait d'une argile fine
la Vérité, afin qu'elle pût
rendre la justice parmi les hommes.
Mandé soudain
par un message du grand Jupiter,
il confie son atelier
à la Ruse artificieuse,
laquelle il avait reçue récemment
en apprentissage.
Celle-ci, enflammée d'émulation,
tandis qu'elle eut le temps,
façonna d'une main habile
une statue de visage semblable,
de même stature ,
semblable aussi par tous les membres.
Comme celle-ci
était modelée admirablement
presque tout-entière déjà,
l'argile manqua à elle (la Rus'î)
pour les pieds devant-être-faité.
Le maître revient :
la Ruse, troublée par la crainte
à cause de lui se hâtant,
s'assit à sa place.
196 FAB. NOV^ PHjEDHO ATTRIBUTJ2.
Mirans Prometheus tantam similitudinem,
PropriaB videri voluit artis gloriam. 45
Igitur foniaci pariter duo signa intulit;
Quibus percoctis, atque infuso spiritu,
jiodesto gressu sancta incessit Veritas;
At trunca species heesit in vestigio.
Tune falsa imago atque operis furtivi labor 20
Mendacium appellatum est , quod nequiverit
Pedes habere, facile ut ipsa incederet.
FABULA III.
DE 8IGNIFICAT10NE PŒXARUM TARTAM.
Sensum seslimandura esse, non Ycrba.
Ixion ', qui versanti jactatur rota,
Yolubilem Fortuna jactari docet.
Adversus altos Sisyphus* montes agens
Saxum iabore summo, quod de vertice,
Sudore semper irrito, revolvitur, 5
Ostendit ambitus sine fine miserias.
place. Frappé d'une si grande ressemblance, Prométhée voulut faire
ressortir la supériorité de son œuvre : il porte les deux statues à sa
fournaise, les soumet toutes deux à l'action du feu , leur donne à
chacune le souffle de vie , et bientôt la Vérité divine s'avance avec
une démarche modeste ; mais la statue inachevée demeure attachée
au même endroit. Alors cette fausse image de la Vérité , produit
d'un travail clandestin , reçut le nom de Mensonge , parce qu'elle
n'avait pu obtenir de pieds pour marcher.
FABLE III.
SIGNIFICATION DES PEINES DU TABTARE.
n faut pénétrer au foiKi des choses, et ne point s'attacher aux mots.
Ixion , qui tourne sans cesse emporté par une roue rapide , nout
apprend que l'homme inconstant est le jouet de la Fortune. Sisyphe,
poussant, à force de sueurs, au sommet d'une montagne, un énorme
rocher qui , sans cesse déjouant ses eflForts , roule et retombe , nous
montre les tourments sans bornes de l'ambition. Dans cette peinture
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PIlÈDPxE.
197
Prometheus miraus
tantam similitudinem,
voluit gloriam
propriae artis videri.
Igitur intulit pariter
duo signa fornaci ;
quibus percoctis ,
atque spiritu infuso ,
sancta Veritas
incessit gressu modesto ;
at species trunca
lisesit in vestigio.
Tune falsa imago
atque labor operis furtivi
appell atum est Men dacium ,
quod uequiverit
habere pedes ,
ut ipsa incederet facile.
Prométhée admirant
une si-grande ressemblance,
voulut que la gloire
de son art fût vue.
En conséquence il porta également
les deux statues dans la fournaise;
celles-ci étant tout-à-fait-cuites ,
et le souffle de vie étant répandu-dans ella^
la sainte Vérité
s'avança d'un pas modeste;
mais la statue inachevée
demeura sur sa trace (au même endroit)»
Alors cette fausse image
et ce travail d'une œuvre furtive
fut appelé Mensonge ,
parce qu'il n'avait pu
avoir des pieds,
afin que lui-même marchât facilement^
FABULA III.
DE SIGNIFICATIONE
PŒNARUM TARTAEI.
Sensurn aestimandum esse ,
non verba.
Ixion , qui jactatur
rota versanti ,
docet volubilem
jactari Fortuna.
Sisyphus agens
Bummo labore
adveraus montes altos
saxum
quod revolvitur de vertice ,
sudore semper irrito ,
ostendit miserias sine fine
ambitus.
FABLE III.
DE LA SIGNIFICATION
DES PEINES DC TARTAKE.
Le sens devoir être jugé,
non les paroles.
Ixion, qui est ballotté
par la roue qui-/e-tourne ,
enseigne que l'inconstant
est ballotté par la Fortune.
Sisyphe poussant
avec un très-grand travail
vers des monts élevés
un rocher
qui retorabe-en-roulant de leur sommet^.
sa sueur étant toujours vaine,
montre les tourments sans fin
de l'ambition.
19S FAB. NOV^ PH^DRO ATTRIBUT j:.
Quod stans in amne Tantalus ' medio sitit,
Avari describuntur, quos circumfluit
Usus bonorum, sed nil possunt tangere.
Urnis scelestas Danaides portant aquas*, 40
Perlusa nec œmplere possunt dolia :
Imo, luxuriœ quidquid dederis, perfluet.
Novem porrectus Tityos* est per jugera,
Tristi renatum suggerens pœnae jecur :
Quo quis majorem possidet terrae locum, 15
Hoc demonstratur cura graviore affici.
Consulto involvit veritatem antiquitas,
Ut sapiens intelligeret, erraret rudis.
FAB CL A IV.
AUCTOR.
De oraculo Apollinis.
Dtilius nobis quid sit, die, Phœbe, obsecro,
Qui Delphos, et formosum Parnasum incolis...
Quid? En sacra tae vatis horrescunt comœ,
Tripodes moventur, mugit adytis religio,
de Tantale debout au milieu d'un fleuve et mourant de soif, nous voyons
représentés ces avares qu'environnent tous les biens sans qu'ils puis-
sent y toucher. Les infâmes Danaïdes puisent sans cesse de l'eau
dans leurs urnes, et ne peuvent remplir leurs tonneaux percés. Ainsi
Terrez-vous s'écouler tout ce que vous accorderez à vos passions. Le
corps de Tityus couvre neuf arpents , et renferme un foie sans cesse
renaissant pour un cruel supplice. Cet exemple vous prouve que plus
grandes sont vos posseàsions sur la terre, plus cuisants sont les
soucis qui vous rongent. Ainsi l'antiquité enveloppa à dessein la vé-
rité de fictions, pour exercer l'intelligence du safje et déconcerter
l'ignorance.
FABLE IV.
L'AUTEim.
Sur roracle d'Apollon.
Quelle est la chose la plus utile pour nous ? Parlez , je vous en
conjure , ô Phébus ! vous qui habitez la superbe Delphes et les belles
cimes du Parnasse. Mais quoi! je vois se dresser les cheveux de la
prêtresse inspirée, je vois s'agiter le trépied sacré; la voix divine
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHËDBE.
199
Quod Tantalus sitit
stans in medio amno ,
avari describuntur,
quos usus bonorum
circumiiuit ,
sed possunt tangere uil.
Danaides portant urnis
aquas scelestas,
nec possunt complere
dolia pertusa :
quidquid dederis
luxurias
perfluet imo.
Tityos porrectus est
per novem jugera,
suggerens pœnœ tristi
jecur renatum :
quis demonstriitur affici
cura hoc graviore
quo possidet
locum terrœrnajorem
Aûtiquitas
involvit veritatem
consulto ,
ut sapiens intelljgeret ,
rudis erraret.
En-ce-que Tantale a-soif
se tenant au milieu-d'un fieuvo,
les avares sont dépeints ,
lesquels la jouissance des biens
environne ,
mais ils ne peuvent toucher rien.
Les Danaïdes portent dans leurs urnes
des eaux scélérates ,
et ne peuvent remplir
leurs tonneaux percés :
tout-ce-que vous aurez lonné
à la sensualité
s'écoulera comme par le innà dece tor.ueau.
Tityus est étendu
à travers neuf arpents ,
fournissant pour un supplice cruel
son foie qui-renaît :
quelqu'un est prouvé par là être affecté
d'un souci d'autant plus-grave
que il possède
un fonds de terre plus-grand.
L'antiquité
enveloppa la vérité
à dessein,
afin que le sage comprît,
et que l'ignorant errât (se trompât).
FABULA IV.
AUCTOR.
De oraculo Apollinis.
Die , Phœbe , obsecro ,
qui incolis Delphos
et formosum Parnasum,
quid sit utilius nobis ....
Quid? En comas
vatis sacrata
horrescunt ,
tripodes moventur,
religio
mugit adytis,
FABLE lY.
l'auteus.
Sur l'oracle d'Apollon.
Dis, Phébus, je t'en conjure ,
toi qui habites Delphes
et le beau Parnasse,
quel est le bien le plus-utile à nous-
Quoi? Voilà-que les cheveux
de la prêtresse sacrée
se hérissent
les trépieds sont agités,
la religion (le Dieu)
muffit dans le sanctuaire.
200 FAB. NOVJ: PHiEDRO ATTRIBUTJE.
Tremuntque lauri , et ipse pallescit dies 1 5
Voces resolvit acta Pythia numine,
Discuntque gentes Delii monitus dei :
^ Pietatera colite; vota Superis reddite;
?atriam, parentes, natos, castas conjuges
Defendite armis; hostem ferro pellite; <0
Amicossublevale; miseris pareils;
Bonis favete; subdolis ite obviam;
Delicta vindicate ; cohibete impios;
Malos cavete; nulli nimium crédite, »
Haec elocuta, concidit virgo furens * : 45
Furens profecto : nam quae dixit , perdidit.
FABULA V.
JESOPUS ET SCRIPTOR.
De nialo Scriptore se laudante.
iEsopo quidam scripta recitarat mala,
In quis inepte multum se jactaverat :
Scire ergo cupiens quidnam sentiret senex :
« Numquid tibi, inquit, sum visus superbior?
muptau fond du sanctuaire, les lauriers frémissent, et l'éclat du
jour pâlit! La Pythie, domptée par la divinité puissante, ouvre la
bouche , et les peuples recueillent les conseils du dieu de Délos :
« Honorez la piété; accomplissez les vœux que vous faites aux
dieux ; défendez , les armes à la main , votre patrie , vos parents ,
vos enfants , vos chastes épouses ; repoussez l'ennemi avec le fer ;
aidez vos amis ; épargnez les malheureux ; favorisez les gens de
bien ; résistez aux méchants; punissez le crime, vengez l'impiété;
soyez en garde contre les pervers ; ne vous confiez trop à personne. »
A. ces mots, on voit tomber d'épuisement la vierge égarée.... Oh î
oui, bien égarée, puisqu'elle parle aux mortels qui ne l' écoutent pas.
FABLE V.
ESOPE ET LE MAUVAIS POETE.
Sur un mauvais poète qui se comblait d'éloges.
Unpoëto récitait à Esope de mauvais vers dans lesquels il se louait
rtifcre mesure avec fort peu de goût; puis, désirant connaître le senti-
ratai du vieillard : « Il vous semble peut-être, lui dit-il, que je montre
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
201
laurique tremt.Qt
et dies ipse pallescit!
Pythia acta numine
resolvit voces ,
gentesque discunt
monitus dei Delii :
« Colite pietatem ;
reddite vota Superis ;
defendite arrais
patriam , parentes ,
natos , castas conjuges ;
pellite ferro hostem ;
sublevate amicos;
parciîe miseris;
favete bonis ;
ite obviam subdolis ;
vindicate delicta ;
cohibete impios ;
cavetemalos;
crédite nimiura nulli. »
Elocuta haec , virgo furens
concidit; furens profecto :
nam perdidit quœ dixit.
et les lauriers tremblent,
et le jour lui-même pâlit !
La Pythie, pressée par le dieu,
laisse-sortir ces paroles ,
et les nations apprennent
les avertissements du dieu do-Délos :
« Honorez la piété ;
accomplissez les vœux [ails aux dieux;
défendez par les armes
votre patrie, roi parents ,
vos enfants , vos chastes épouses;
chassez par le fer l'ennemi ;
soulagez vos amis ;
épargnez les malheureux ;
favorisez les bons ;
marchez contre les fourbes ;
punissez les délits fie crime) ;
réprimez les impies ;
prenez garde aux méchants ,
ne vous confiez trop à personne. »
Ayant dit ces paroles , la vierge furieuse
tomba-épuisée ; furieuse assurément :
car elle a perdu les-choses-qu'elle a dites.
FABULA V.
FABLE V
-ŒSOPUS ET SCRIPTOB.
ESOPE ET LAUTEUE.
De malo scriptore laudante se. Sur un mauvais écrivain qui-louait soi.
Quidam recitarat iEsopo
malascripta,
in quis inepte
jactaverat se multum :
cupiens ergo sciro
quidnam senex sentiret :
« Numquid , inquit ,
visus 8um tibi superbior?
Un-homme avait lu à Esope
de mauvais écrits,
dans lesquels sottement
il avait vanté soi grandement :
désirant donc savoir
ce-que le vieillard en pensait :
« Est-ce que , dit-il ,
j'ai paru à toi trop-orgueilleux?
202 FAB. NOV^ PHiEDRO ATTRlBUTiE.
Haud vana nobis ingenii fiducia est. »
Confectus ' ille pessimo volumine :
«( Ego, inquit, quod te laudas, vehementer probo,
Namque hoc* ab alio nunquam continget tibi. »
FABULA VI.
PATERFÂMILIAS ET 2ESOPDS.
Quomodo demanda sit ferox juventus.
Paterfamilias saevum habebat filium :
Hic, e conspectu quum patris recesserat,
Verberibus serves afficiebat plurimis,
Et exercebat fervidam adolescentiam.
^sopus ergo narrât hoc breviter seni : 5
Quidam Juvenco vetulum adjungebat Bovem.
Is quum , refugiens impari colle jugum,
^tatis excusaret vires languidas :
«Non est quod timeas, inquit illi Rusticus;
Non ut labores facio, sed ut istum dômes \0
Qui calce et cornu multos reddit débiles. »
un peu trop d'orgueil? Mais c'est une confiance bien fondée dans
mon génie. » Le sage , assommé de cette ennuyeuse lecture , lui ré-
pondit : « Pour moi , j'approuve vivement les éloges que vou8 vous
donnez vous-même ; car jamais personne ne songera à vous les
adresser. »
FABLE VL
ÉSOPE ET LE PÈRE DE FAMILLE.
Sur les moyens de dompter la fougue de la jeunesse.
Un père avait un fils d'un caractère indomptable. Le jeune homme
perdait-il son père de vue , aussitôt il accablait de coups tous les
serviteurs, et s'abandonnait à la fougue de sa jeunesse. Esope raconta
au vieillard cette courte fable :
Un laboureur avait réuni à l'attelage un jeune taureau et un bœuf
déjà vieux. Ce dernier, repoussant un joug trop lourd pour sa fai-
blesse, alléguait pour excuse l'épuisement de ses forces, a Tu n'as
rien à craindre , lui répondit le laboureur : je ne veux point que tu
travailles, mais que ta lenteur modère ce fougueux animal, dont les
ruades et les cornes ont mis hors de service nombre de mes gens. »
FABLES NOUV. ATTRIBUEES A PHÈDRE.
203
Fiducia baud vana ingenii
est nobis. »
nie confectus
volumine pessimo :
a Ego , inquit ,
probo vebementer
quod laudas te ;
namque nunquam
hoc continget tibi
ab alio. »
Une confiance non vaine en notre génie
est à nous (à moi". »
Celui-ci accablé 'assommé)
parle volume très-mauvais de cet homme :
« Moi , dit-il ,
je t'approuve vivement
de-ce-que tu loues toi ,
car jamais
cela n'arrivera à toi
de-la-part-d'un autre. »
FABULA VI.
PATERFAMILIAS
ET JESOPUS.
Quomodo ferox juventus
demanda sit.
Paterfamilias
habebat tilium ssevum :
hic, quum recesserat
e conspectu patris ,
afficiebat serves
verberibus plurimis,
et exercebat
fervidam adole=contiam.
^Esopus ergo
narrât hoc breviter seni :
Quidam adjungebat
bovem vetulum juvenco.
Quum is,
refugiens jugura
collo impari ,
excusaret
vires languidas «tatis :
« Non est quod timeas ,
inquit illi rusticus ;
uon facio ut labores ,
Bed ut dômes istum
qui calce et cornu
reddit multos débiles. »
FABLE VL
LE rÈRE-DE-FAMILLE
ET ESOPE
Comment une fougueuse jeunesse
doit être domptée.
Un père-de-famille
avait un fils emporté :
celui-ci , lorsqu'il il s'était éloigné
de la vue de son père ,
maltraitait les esclaves
de coups très-nombreus,
et exerçait (s'abandonnait à)
sa bouillante jeunesse.
Esope donc
raconte cela en-peu-de-mots au vieillard :
Un-homme attelait
un bœuf vieux avec un jeune-taureau.
Comme celui-là,
refusant le joug
pour son cou impuissant,
donnait-pour-excuse
les forces languissantes de son à^e :
»11 n'estpasaera! son pourquoi tu craignes,
dit à lui le paysan ;
je ne le fais point pour que tu travailles,
mais pour que tu domptes celui-ci
qui par son pied et ses cornes
rend beaucoup de gens estropiés. »
20Zl FAB. NOV^ PHiEDRO ATTRIBUTS.
Sic tu nisi natum tecum assidue detines,
Sifcvumque ingenium comprimis clementia ',
Vide ne querela major accrescat domus.
Atrocitati mansuétude est remedium *. 15
FABULA VII.
PniLOSOPIIUS ET VICTOK GTMN1CD8.
Quomodo comprimatur aliquando jactantia.
Victorem forte gymnici certaminis
.îactantiorem quum vidisset Philosophus,
Interrogavit an plus adversarius
Suus vaiuisset. Ille : « Ne istud dixeris ;
Multo fuere vires majores meae. 5
— Quod, inquit, ergo, stulte, meruisti decus,
!Minu5valentem si vicisti fortior?
Ferendus esses forte, si te diceres
Superasse qui ^ fuisset melior viribus. »
Ainsi , poursuivit-il , si tu ne retiens continuellement ton fils près
de toi , si tu ne modères par ta douceur l'emportement de son carac-
t^-re, prends garde de voir chez toi de plus grands désordres encore.
La douceur est le plus sûr remède à la violence.
FABLE VII.
LE PHILOSOPHE ET l'aTHLÈTE TAINQUEUK.
Cuniment on peut parfois confondre l'orgueil.
Un athlète , vainqueur dans les exercices de la lutte, se vantait
un jour avec emphase de ton succès; un philosophe, qui l'entendait,
lui demanda si la vigueur de son adversaire était plus grande que la
sienne : « Ne dis pas cela , répondit l'athlète ; mes forces étaient bien
supérieures. — Insensé ! reprit alors le philosophe, quelles louanges
mérites-tu donc pour avoir vaincu un ennemi plus faible que toi?
Dis-nous que sa vigueur surpassait la tienne , et que tu l'as cepen-
dant terrassé , et peut-être alors supporterons-nous les éloges que tu
te donnes. »
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
205
Sic tu nisi detines assidue
natum tecum ,
comprimisque
clementia
ingenium saevum,
vide ne querela domus
accrescat major.
Mansuétude
est remedium atrocitati.
Ainsi toi si tu ne retiens ass: lûmeni
ton fils avec-toi
et si tu ne comprimes
par la douceur
Bon caractère fougueux ,
prends garde que la plainte de ta maison
ne s'accroisse plus-grande (ne redouble).
La douceur
est le remède à la violence.
FABULA VIL
FABLE V
PHILOSOPnUS ET VICTOR
GTMNICtrS.
LB PHILOSOPHE ET LE VAINQCECR
GYMXIQUE.
Quomodo jaclantia
comprimatur aliquando.
Comment l'orgueil
est comprimé (abaissé) parfois.
Quum forte
philosophus
vidisset victorem
certaminis gymnici
jactantiorem ,
interrogavit
an suus adversarius
valuisset plus.
Ille : « Ne dixeris istud;
mese vires fuere
multo majores.
— Stulte, inquit,
quod decus ergo meruisti ,
si fortior
vicisti valentem minus?
Forte ferendus esses ,
si diceres te superasse
qui fuissetmeliorviribus. >
Comme par hasard
un philosophe
avait vu un vainqueur
du (au) combat gymniqae
trop-orgueilleux ,
il lui demanda
si son adversaire
avait-été- était,-fort plus que lui.
Celui-ci : « Ne dis point celt-e-chose ;
mes forces étaient
beaucoup plus-grandes.
— Insensé, dit-il,
quel honneur donc as-tu mérité ,
si étant plus-fort
tu as vaincu quelqu'un valant moins?
Peut-être tu serais supportable
si tu disais toi avoir vaincu quelqu'un
qui aurait été meilleur par les forces.
206 FAB. NOY^ PH^.DRO ATTRIBUTS.
FABULA VIII.
A8INU8 AD LYRAM.
Quomodo ingénia saepe calamitate intercidant.
Asinusjacentem vidit in prato Lyram.
Accessit , et tentavit chordas ungula ;
Sonuere tactae. « Bella res, mehercules!
Maie cessit', inquit, artis quia sum nescius.
Si repperisset aliquis hanc prudentior, 5
Divinis aures oblectasset cantibus. »
Sic sœpe ingénia * calamitate intercidunt.
FABULA IX.
GALLUS LKCTICA A FELIBU8 VECTU8.
Nimiara securitatem saepe in periculum bomines ducere.
Fêles habebat Gallus lecticarios.
Hune gloriose Vulpes ut vidit vehi ,
Sic est locuta : « Moneo praecaveas dolum :
Istorum vultus namque si considéras,
FABLE VIIL
l'aîte et la lyre.
Comment le génie s'éteint souvent sous le poids du malheur.
Un âne aperçut une lyre abandonnée dans une prairie. Il s'en ap-
procha et essaya les cordes avec son s.ibot; eUes résonnèrent sous la
pression. « 0 l'admirable trouvaille ! s'écria-t-il ; mais , par Her-
cule ! elle est tombée en mauvaises mains , car je suis complètement
étranger aux arts. Si cependant quelqu'un de plus habile eût ren-
contré ce bel instrument , il eût charmé nos oreilles par ses divins
aooords. »
Ainsi parfois le malheur des circonstances arrête l'essor du génie.
FABLE ÎX.
LB COQ traîné par DES CIIATS DANS UNE LITIERE.
Une trop grande confiance entraîne souvent les hommes à leur perte.
Un coq avait pris des chats pour porter sa litière. Un renard, le,
▼oyant tout fier de cette marche triomphale, lui adressa ces paroles
« Je te préviens : tiens-toi sur tes gardes , redoute quelque fourberie,
fcien qu'à Yoir la mine de tes gens , on peut juger qu'ils portent '
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
207
FABULA VIII.
ASIXUS AD LTRAM.
Quomodo ingénia
intercidant saepe calaraitate.
Asinus vîdit lyram
jacentem in prato.
Accessit ,
et ungula tentavit chordas;
tactîe sonuere.
< Bella res , mehercules !
cessit maie , inquit ,
quia sum nescius artis.
Si aliquis prudentior
repperisset hanc,
oblectasset aures
cantibus divinis. »
Sic ingénia
intercidunt sœpe
calamitate.
FABLE VIII.
l'ANE a XrS-E LYRE.
Comment les génies (le génie)
périssent (périt) souvent par le malheur.
Un âne vit une lyre
étendue dans un pré.
Il s'approcha,
et de son sabot il essaya les cordes ;
étant touchées elles résonnèrent.
« Belle chose , par-Hercule !
cela a réussi (tombé) mal, dit-il,
parce que je suis ignorant de l'art.
Si quelqu'un plus-habile
eût trouvé celle-ci ,
il eût charmé les oreilles
par des accords divins. »
Ainsi les génies
périssent souvent
par le malheur.
FABULA IX.
OALLUS VECTUS LECTICA
A FELIBUS.
Nimiam secnritatem ssepe
ducere homines in penculum.
Gallus habebat fêles
lecticarios.
Ut vulpes yidit hlnc
vehi gloriose,locuta est sic :
€ Moneo
prsecaveas dolum :
namque si considéras
Tultns istorum , judices
portare praedam ,
FABLE IX.
LE COQ TOUTE tX LITIERE
PAR DES CHATS.
Qu'une trop-grande sécurité souvent
conduit les liommes dans le péril.
Un coq avait des chats
pour porteurs-de-litière.
Comme le renard vit celui-ci
être porté glorieusement, il parla ainsi t
« Je t'avertis
que tu prennes-garde à la ruse :
car si tu considères
les visages de ceux-ci, tu pourrais- juger
eux porter une proie,
208 FAB. NOViE PH^DRO ATTRIRUTjï.
Praedam portare judices, non sarcinam. )^ 5
Postquam esurire cœpit societas fera,
Discerpsit dominum, et fecit partes facinoris '. »
FABULA X.
SCROFA rARTDRlEXS KT LUPUS.
Faciendum prius de Lomine periculum quara ejus te coramiltas fidei.
Premente partii Scrofa quum gemeret jacens,
Accurrit Lupus, et obsteiricis partibus
Se posse fungi dixit, promittens opem.
Qua3 vero nosset pecoris quum fraudem improbi ,
Suspectum ofïicium repudiavit malefici , 5
Et : M Satis est, inquit, si recédas longius. »
Quae si perfidias se comnùsisset Lupi,
Pari dolore fata deflesset sua*.
FABULA XL
SEBVUS PROFUGUS ET iESOPUS
Non esse malo addendum raalum.
Servus, profugiens dominum naturae asperae,
plutôt une proie qu'un fardeau. » Quand le farouche attelage res-
sentit les premières atteintes de la faim , ils mirent en pièces leur
maître, et, le crime accompli , se partagèrent la victime.
FABLE X.
LA LAIE QUI MET BAS ET LE LOUP.
Avant de se confier à la bonne foi de quelqu'un , il faut l'éprouver.
Une laie sur son terme gémissait étendue à terre. Un loup ac-
court , s'offre à remplir le rôle d'accoucheur, et lui promet son se-
cours; mais elle, connaissant la perversité du cruel animal , repoussa
^ses services suspects. « Il me suffit , lui dit-elle , que vous vous éloi-
gniez. » Si , trop confiante, elle se fût livrée à la pA-fidie du loup ,
elle n'aurait pas eu moins à gémir sur son malheur.
FABLE XL
ÉSOPE ET l'esclave FUGITIF.
Aux maux éprouvés déjà, il n'en faut point ajouter d'autres.
Un esclave, fuyant les emportements d'un maître intraitable , vins
FABLES NOUT. ATTRIBLÉES A PHÈDRE.
209:
lion sarcinam v
Postquam fera societas
cœpit esurire ,
discerpsit dominum,
et fecit partes
facinoris.
non un fardeau. »
Après que le farouche attelage
commença à avoir faim ,
il déchira son maître ,
et se fit les parts
de son crime ^de sa victime).
FABULA X.
SCROFA PARTURIEXS
ET LUPUS.
Periculum faciendura
de homine
priusquam committas le
fidei ejus.
Quum scrofa jacens
gemeret partu premente ,
lupus accurrit
et dixit se posse fungi
partibus obstetricis ,
promittens opem.
Quum vero quae nosset
fraudem improbi pecoris,
repudiavit
officium suspectum
malefici , et :
« Est satis, inquit,
si recédas longius. »
Si qusB commisisset se
perfidiae lupi ,
deflesset sua fata
dolore pari.
FABLE X.
LA LAIE PRÈS-DE-METTRE-BA»
ET LE LOUP.
Épreuve doit-être-faite
d'un homme
avant que tu 71e confies toi
à la bonne-foi de lui.
Comme une laie étendue-à-terre
gémissait , l'accouchement la pressant
un loup accourut
et dit soi pouvoir s'acquitter
de la fonction d'accoucheuse,
promettant son secours.
Mais comme celle-ci connaissait
la fourberie du méchant animal ,
elle refusa
le service suspect
du pervers, et :
€ Il est assez (il suffit) , dit-elle^
si tu te retires plus-loin. »
Si elle eût confié soi
à la perfidie du loup,
elle aurait pleuré sa destinée
avec une douleur égale à son mal.
FABULA XL
8ERVUS PBOFUGUS
ET .fiSOPUS.
Malum non addendum esse
malo.
Servus,
profugiens dominum
naturœ asperje,
Fables de Phèdre.
FABLE XL
l'esclave FUGITIP
ET ESOPE.
Que le malheur ne doit pas être ajout
au malheur.
Un esclave,
fuyant un maître
d'un naturel dur,
14
210 FAB. NOV^ PHiEDRO ATTRIBUTiE.
^sopo occurrit notus e vicinia.
0 Quid tu confusus? — Dicam tibi clare , pater;
Hoc namque es dignus appellari nomine,
Tuto querela quia apud te deponitur : 5
Plagae supersunt ', désuni nunquam verbera,
Subinde ad villam* jussa me mittunt heri;
Domi si cœnat, totis persto noctibus ;
Sive est vocatus', vigilo ad lucem in semita.
Emerui libertatem, canus servie ! -10
UUius esseiç culpse mihi si conscius,
-^quo animo ferrem ; uunquam sum factus satur,
Et super, infelix! saevum patior dominium.
Has propter causas, et quas longum est promere,
Abire destinavi quo lulerint pedes. <5
— Ergo, inquit , audi : quum mali nil feceris,
Haec experiris, ut refers, incommoda :
Quid si peccaris? quas te passurum putas? »
Tali consilio est a fuga deterritus.
trouver Esope, qu'il connaissait en voisin. « Pourquoi ce trouble
sur ton visage? — Je vais vous en instruire, mon père; car je puis,
à juste titre, vous donner ce nom, ô vous dans le sein de qui l'on peut
en toute sûreté déposer sa plainte ! Toujours des coups, souvent les
étrivières. Quelquefois les ordres de mon maître m'envoient à sa
maison des champs. Soupe-t-il chez lui , je veille toute la nuit ;
est-il invité dehors , j'attends jusqu'au jour dans la rue. J'ai mérité
la liberté, et j'ai blanchi dans l'esclavage I Si je me sentais coupable
de quelque faute, je supporterais avec résignation mon malheur;
jamais je n'ai pu rassasier ma faim, et, ce qui est le comble, j«
aouSre une effroyable tyrannie. Voilà les motifs , et d'autres encore
qu'il serait trop long d'énumérer, qui m'ont déterminé à m'enfuir où
me porteraient mes pas. — Ecoute-moi donc , répondit Esope : si,
lorsque tu n'as point fait le mal , tu as éprouvé les mauvais traite-
ments dont tu te plains , que sera-ce quand tu seras coupable ? quel
châtiment terrible penses-tu devoir t'être infligé? > Ce sage conseille
fit trembler, et arrêta son désir de prendre la fuite.
FABLES ÎNOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
!ll
occurrit ^Esopo,
notus e vicinia.
« Quid tu confusus ?
— Dicam tibi clare, pater;
namque es dignus
appellari hoc nomine ,
quia querela
deponitur tuto apud te :
plagse supersunt,
nunquam verbera desunt,
subinde jussa heri
mittunt me ad villam ;
si cœnat domi,
persto totis noctibus :
sîve est vocatus,
vigilo in semita ad lucem.
Emerui libertatera ,
canus servie !
si essem conscius mihi
ulliu3 culpse ,
ferrem animo aequo ;
nunquam factus sum satur,
et super, infelix !
patior ssevum dominium.
Propterhas causas.
et quas est longum
promere ,
destinavi abire
quo tulerint pedes.
— Audi ergo , inquit :
quum feceris nil mali ,
experiris haec incommoda,
ut refers :
quid si peccaris?
quae putas te passurum ? »
Deterritus est a fuga
tali consilio.
vint-à-rencontre à Esope ,
lui étant-connu à cause du voisinage.
« Pourquoi toi es-tu confus (troublé)?
— Je le dirai à toi clairement, mon père;
car tu es digne
d'être appelé de ce nom ,
parce que la plainte [sein) :
est déposée en sûreté chez toi (dans ton
les coups me sont-en-abondance,
jamais les coups-de-fouet ne me manquent,
de-temps-en-temps les ordres du maître
envoient moi à sa maison-des-champs ;
s'il soupe chez-lui ,
je reste-debout toutes les nuits ;
ou-s'il est appelé (invité) dehors ,
je veille dans la rue jusqu'au jour.
J'ai mérité la liberté,
blanchi je sers (je suis esclave) I
si j'étais confident à moi (si j'avais la
de quelque faute, [conscience)
je le supporterais avec un esprit calme ;
jamais je n'ai été rassasié,
et en outre , malheureux ,
je supporte une cruelle tyrannie.
Pour ces causes
et d'autres qu'il est long
d'exprimer,
j'ai résolu de m'en aller
où me porteront mes pieds.
— Ecoute donc , dit Ésope,
quoique tu n'aies fait rien de mal ,
tu éprouves ces mauvais-traitements
comme tu le rapportes (à ce que tu dis) :
qu'eprouuera«-/u si tu deviens-coupable?
quel supplice crois tu toi devoir-souffrir ? »
Il fut détourné de la fuite
par un tel conseil.
212 FAB. iNOV^ PHiEDEO ATTRTBUTiE.
FABULA XII.
BQUUS QUADRIGALI8 IN PISTRINUM VENUMDATU8.
Ferendum esse asquo aninio quidquid accident.
Bquum e quadriga multis palmis nobilem
Abegit • quidam , et in pistrinum vendidit.
Productus ad bibendum quum foret a molis,
In circum aequales ire conspexit suos,
Ut grata ludis rerJderent certamina. S
Lacrymis obortis : «Ite, felices, ait,
Celebrate sine me cursu solemnem diem :
E^o, quo scelesta furis attraxit manus,
Ibi sorte tristi fata deflebo mea. »
FABULA XIII.
URSUS E8URIBN8.
Famem acuere animantibus ingenium.
Si quando in sylvis Urso desunt copiae,
Scopulosum ad littus currit , et pendens petra
Pilosa crura sensim demittit vado * :
Quorum inter viilos simul haeserunt canceres,
FABLE XII.
LE CHEVAL DE COURSE VENDU A UN MEUNIER.
n faut supporter avec résignation ce qui nous arrive.
Un cheval ennobli par les palmes de nombreuses victoires fut dé-
telé de son char par un larron et vendu à un meunier. Comme on le
menait boire loin du moulin , il vit ses rivaux de gloire se rendre
dans la lice pour charmer par leur vitesse dans la lutte les specta-
teurs des jeux; des larmes vinrent soudain mouiller ses paupières.
« Allez , heureux compagnons , s'écria-t-il , célébrez sans moi la so-
lennité de ce jour; pour moi, dans ce moulin où m'a conduit la main
d'tm infâme voleur, victime d'un sort funeste , je gémirai sur la
rigueur de ma destinée. »
FABLE XIII.
l'ours affamé.
La faim aiguillonne l'instinct des animaux.
Si parfois , au sein des forêts, l'ours vient à manquer de nourri-
ture, il court aux rochers du rivage, se suspend du haut d'une
roche , et laisse peu à peu plonger dans l'eau ses pattes velues ; le»
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
213
F4BULA XII.
FABLE XII.
EQUCS QUADEIGALI8
VENUMDATUS
IN PISTRINUM.
Quidquid accident
ferendum esse
aequo animo.
Quidam abegit e quadrige
equum nobilem
ïnultis palmis ,
et \endidit in pistrmum.
Quuin productus foret
a molis
ad bibendum ,
conspexit suos œquales
ire in circum,
ut redderent
certamiua gxata ludis.
Lacrymis obortis :
« Ite, felices, ait ;
celebrate sine me
diein solemnem cursu :
Ego, tristi sorte,
deflebo mea fata ibi
quo manus scelesta turis
attraxit. »
LE CHEVAL DE-QCADRIGE
VEXDU
POUR LE MOULIN.
Tout-ce-qui nom arrive
devoir être supporté
avec un esprit tranquille (résigné).
Quelqu'un entraîna loin de son quadrige
un cbeval fameux
par de nombreuses palmes,
et le vendit pour le moulin.
Comme il avait été emmené
loin des meules
pour boire,
il vit ses égaux (rivaux)
aller à la lice ,
afin qu'ils rendissent (exécutassent)
des luttes agréables dans les jeux.
Des larmes s'étant élevées dans ses yeux :
« Allez, heureux , dit-il ;
célébrez sans moi
ce jour solennel par vos courses :
moi , dans mon triste sort ,
je déplorerai mes destinées là
où la main scélérate d'un voleur
m'a entraîné. »
FABULA XIII.
FABLE XIII.
URSU8 ESTJBIEN6.
Famem acuere ingenium
animautibus.
Si quando in sylvis
copias desunt urso,
currit ad littus
scopulosum ,
et pendons petra,
demittit sensim vado
crura pilosa :
simul canceres
liaeserunt
int^r viJlos quorum,
L OUE8 QUI-A-FAIM.
Que la faim stimule l'esprit
aux animaux.
Si parfois dans les forêts
les ressources (vivres) manquent à l'ours
il court au rivage
rocailleux ,
et se-pendant du haut d'une roche,
il laisse-tomber peu-à-peu dans l'eau
«e* jambes (pattes) velues :
sitôt-que les cancres
se-sont-embarrassés
entre les poils d'elles (de ses pattes),
214 FAB. NOViE PHiEDRO ATTRIBUT^E.
In terram arripiens excutit praedam maris, 5
Escaque fruitur passim collecta vafer.
Ergo etiam stultis acuit ingenium famés.
FABULA XIV.
VIATOR ET CORVUS.
Verbis sœ;.enumero homines decipi solere.
Quidam per agros, devium carpens iter,
Ave exaudivit : et, moratus paululum,
Adesse ut vidit neminem, cœpit gradi.
Iterum salutat idem ex occulto sonus :
Voce hospitali* confirmatus restitit, 5
Ut, quisquis esset, par officium reciperet.
Quum circumspectans errore hassisset diu,
Et perdidisset tempus aliquot millium,
Ostendit sese Gorvus, et supervolans,
Ave usque ingessit. Tum se lusum intelligens : 10
c At maie tibi sit, inquil, aies pessime,
Qui festinantis sic detinuisti psdes ! »
cancres s'embarrassent bientôt (]:ins cette épaisse fourrure; alors
l'animal enlève celle proie recollée dans la mer, la secoue sur le sol,
el se gorge à plaisir de ce hutn «ju'a recueilli son adresse.
Ainsi, chez les sols même, l'aiguillon de la faim stimule l'intel-
ligence.
FABLE XIV.
LE VOYAGEUR ET LE CORBEAU.
Les hommes se laissent souvent prendre à de vaines paroles.
Un homme, suivant à travers la campagne un sentier détourné,
s'entendit adresser le mot bonjour! Il s'arrêta un instant; mais,
n'ayant vu personne, il reprit sa marche. Une seconde fois, le même
mot, sorti il ne sait d'où, vient frapper son creilie. Rassuré par
celte voix hospitalière, notre homme s'arrête pour rendre à l'étran-
ger, quel qu'il soil, politesse pour politesse. Mais lorsque, ayant
porté les yeux de tous côiés, il se lut longtemps bercé de son erreur,
et qu'il eut perdu en vains retards le temps de faire quelques milles,
un corbeau s'offrit à ses regards, et, passant au-dessus de sa tète,
lui jeta une troisième fois son éternel bonjour. Alors, comprenant
qu'il avait été joué : œ iMalbeur à toi, s'éciia-t-il, oiseau maudit,
pour m'avoir arrêté ainsi quand je suis pressé i »
I
FABLES NOUV. ATTRIBUEES A PHEDRE.
21b
arripiens,
excutit in terram
lam maris,
yaferque fruitur esca
collecta passim.
Ergo famés
acuit ingenium
etiam etultis.
les enlevant ,
il secoue à terre
la proie de la mer,
et adroit il jouit de la nourriture
recueillie çà-et-là.
Donc la faim
aiguillonne l'esprit,
même aux sots.
FABULA XIV.
FABLE XIV.
VIATOR ET CORVUS.
LE TOTAGEUR ET LE COF.BEAU.
Hommes solere saepenumero
decipi verbis.
Quidam ,
carpens iter devium
per agros,
exaudivit ave ;
et , moratus paululum ,
ut vidit neminem adesse,
cœpit gradi.
Iterum idem sonus
salutat ex occulto :
confirmatus voce hospitali
restitit,
•Qt, quisquis esset,
reciperet officium par.
Quum circumspectans
hœsisset diu errore ,
et perdidisset
tempus aliquot millium ,
corvus ostendit sese,
et supervolans,
ingessit usque ate.
Tum intelligens se lusum :
« At sit raale tibi, inquit,
aies pessime,
qui detinnisti sic pedes
festinantis! »
Que les hommes ont coutume souvent
d'être trompés par des paroles.
Quelqu'un,
parcourant un chemin écarté
à travers les champs ,
entendit le mot bonjour;
et , s'étant arrêté un peu ,
comme il ne vit personne être-présent,
il se-mit-à marcher.
De nouveau le même son
le salue d'un endroit caché :
rassuré par la voix hospitalière
il s'arrêta ,
afin que , quel que fût cet inconnu ,
il reçût une politesse égale.
Lorsque, regardant-à-l'entour,
il eut demeuré longtemps dans son erreur,
et qu'il eut perdu
le temps de quelques milles,
un corbeau montra soi ,
et volant-au-dessus de lui,
il répéta sans-cesse son bonjour.
Alors comprenant soi joué :
«Mais qu'il soit mal (malheur) àtoi, dit-il
oiseau très-mauvais ,
qui as arrêté ainsi les pieds la marche',
de mot qui-me-pressais ! »
216 FAB. NOVJE PHjEDRO ATTRlBUTiE.
FABULA XV.
PASTOR ET CAPELLiE.
NU occultum esse quod non reveletur,
Pastor Capellae cornu baculo fregerat :
Hogare cœpit ne se domino proderet :
< Quamvis indigne laesa , reticebo tamen ;
Sed res clamabit ipsa * quid deliqueris. »
FABULA XVL
SERFENS ET LACERTA.
tJbi leonis pellis deflcit , vulpinam insecandam ' esse : hoc est ; ubi dcttciunl
vires , astu utendum.
Serpens Lacertam forte adversam ' prenderat;
«Quam devorare patula quum vellet gula,
Arripuit illa prope jacentem surculum ;
Et pertinaci morsu transversum tenens
Avidum solerti rictum frenavit mora. 5
Praedam demisit ore Serpens irritam.
FABLE XV.
LE PATRE ET LES CHEVRES.
Il n'est rien de si secret qui ne paraisse au grand jour.
Un pâtre , d'un coup de son bâton, avait brisé la corne d'une chè-
"vre. Il se mit à la prier de ne point le trahir auprès de son maître.
•« Quoique indignement outragée , je me tairai cependant, dit-elle ;
mais la chose criera d'elle-même le mal que vous avez fait. »
FABLE XVL
LE SERPENT ET LE LEZARD.
Xîuand la peau du lion vous manque, revêtez celle du renard , c'est-à-dire :
si b force vous fait défaut, ayez recours à l'astuce.
Un serpent avait pris un jour un lézard par la queue , et se disposait
à l'engloutir dans sa vaste gueule ; mais celui-ci , saisissant en tra-
Ters ime branche d'arbre qni se trouvait à terre près de lui , la tient
«errée entre ses dents, et, au moyen de cet obstacle habilement pré-
senté, trompe l'avidité de son ennemi. Le serpent laissa échapper
«ette proie inutile.
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
217
FABULA XV
FABLE XV.
pastor et capell^.
LE PATRE ET LES CHEVRES.
Nil esse occultum,
quod uon reveletur.
Pastor fregerat baculo
cornu capellae :
cœpit rogare
ne proderet se domino :
«Quamvis laesa indigne,
reticebo tamen ;
»ed res ipsa
clamabit quid deliqueris. »
Que rien n'est si secret,
qui ne soit révélé.
Un pâtre avait brisé avec .-.on bâton
la corne d'une chèvre :
il commença à la prier
qu'elle ne découvrît point lui au maître
« Quoique blessée indignement,
je me tairai cependant;
mais la chose elle-même
criera quelle faute tu as commise. »
FABULA XVL
FABLE XVL
8ERPENS ET LACERTA.
LE SERPEKT ET LE LEZARD.
Ubi pellis leonis déficit,
vulpinam insecandam esse :
hoc est, ubi vires deficiunt,
uieudum aslu.
Que quand la peau du lion manque,
celle du-renard doit être taillée :
c'est à dire que , quand les forces manquent ,
il-faut-se-servir de la ruse.
Serpens prenderat forte
lacertam adversam :
quum vellet devorare quam
gula patula ,
illa arripuit surculum
jacentem prope;
et tenens
morsu pertinaci
transversum,
frenavit mora solerti
rictum avidum.
Serpens demisit ore
praedam irritam.
Un serpent avait surpris, par-hasard,
un lézard par-derrière :
comme il voulait dévorer lui
avec 5a gueule ouverte ,
celui-ci saisit une branche
étendue près de lui ;
et tenant
par une morsure tenace
cette branche en-travers,
il arrêta par un retard adroit
la gueule avide de son ennemi.
Le serpent laissa échapper de sa gueule
cette proie vaine
218 FAB. NOViE PHtEDRO ATTRIBUTJE.
FABULA XVII.
CORNIX ET OTI8.
Multos lacessere débiles , et cedere fortibua.
Odiosa Cornix super Ovem consederat;
Quam dorso quum tulisset invita et diu :
« Id, inquit, si dentato fecisses cani,
Pœnas dédisses. » Illa contra pessima :
« Despicio inermes, eadem cedo fortibus;
Scio quem lacessam , cui dolosa blandiar :
Ideo senectam par tôt annos proroge. »
FABULA XVIII.
LEPUS ET BUBULCUS.
Multos blandos esse , et pectore infidèles.
Quum venatorem céleri pede fugeret Lepus,
Et a Bubulco visus veprem irreperet :
ï Per Superos oro, perque spes * omnes tuas,
Ne me indices, Bubulce ; nihil unquam mali
FABLE XVIL
LA CORNEILLE ET LA BREBIS.
La plupart des hommes maltraitent les faibles, mais cèdent devant la force
Une corneille importune s'était abattue sur une brebis; fatigué de
la porter depuis longtemps sur son dos , le paisible animal lui dit :
« Oh! que si tu traitais ainsi le chien aux dents redoutables , tu
paierais cher ta témérité! — Je méprise les faibles , répondit l'oiseau
pervers , mais je sais aussi céder devant les forts. Je sais qui je mal-
traite, et qui je dois flatter avec adresse.Voilà par quel secret je pro-
longe depuis tant d'années ma paisible vieillesse. »
FABLE XVIIL
LE LIÈVRE ET LE BOUVIER.
Beaucoup d'hommes vous cajolent de bouche , mais vous trahissent au fona
du cœur.
Jn lièvre, fuyant d'une course agile la poursuite d'un chasseur.
vint, sous les yeux d'un bouvier, se réfugier sous un buisson. * A
nom des dieux, au nom de toutes vos espérances, je vous en ce;;
jure, bouvier, ne me trahissez pas ! jamais je n'ai commis sur cei
i
FABLES NOUV. AÏTRIBUÉES A PJiÉDRE.
21&
FABULA XVII.
CORNIX ET OVIS.
Multos lacessere débiles,
et cedere fortibus.
Cornix odiosa
consederat super ovem ;
qnnm tulisset quam
dorso
invita et diu :
« Si fecisses id, inquit,
cani dentato,
dédisses pœnas. »
Ilîa, pessima, contra :
« Despicio inermes,
eadem cedo fortibus :
scie quem lacessam,
cui dolosa blandiar :
ideo proroc;o
per tût annos
senectam. »
FABLE XVIL
LA CORNEILLE ET LA BREBIS.
Que beaucoup maltraitent les faibles,
et cèdent aux forts.
Une corneille odieuse
s'était assise (abattue) sur une brebis,
après qu'elle (la brebis) eut porté elle
sur son dos
malgré-elle et longtemps :
« Si tu eusses fait cela , dit- elle ,
au chien armé-de-dents,
tu en aurais douné (subi) le châtiment. »
Celle-là, très-mauvaise, dit de-son-côté:
« Je méprise les faibles ,
et la même (de même) je cède aux fortâ ;
je sais qui je dois-attaquer,
qui rusée je dois-flatter :
voilà-pourquoi je prolonge
pendant tant d'années
ma vieillesse. »
FABULA XVIII.
LEPDS ET BUBOLCUS.
Multos esse blandos,
et inSdeles pectore.
Qnum lepus
fugeret pede céleri
veuatorem,
et visus a bubulco
irreneret veprem :
« Oro per Superos,
perque omnes tuas spes,
ne indices me, bubulce ;
unquam feci huic agro
nihil mali. »
FABLE XVm.
I.E LIÈVRE ET LE BOUVIER.
Que beaucoup sont flatteurs de louche ,
et perfides de cœur.
Comme un lièvre
fuyait d'un pied agile
un chasseur,
et que vu par un bouvier
il se-gliasait-sous un buisson .
« Je l'en conjure par les dieux
et par toutes tes espérances,
ne découvre pas moi , bouvier ;
jamais je n'ai fait à ce champ
rien de mal. »
220 FAB. NOV^ PH^DRO ATTRIBUTS.
Huic agro feci. » Et rusticus : « Ne limueris, S
Late securus. » Jamque venator sequens :
« Quaeso, Bubuice, numquid hue venit Lepus?
— Venit, sed abiit hac ad laevam. » Et dexteram
Demonstrat nutu partem. Venator citus
Non intellexit, seque e conspectu abstulit. 10
Tune sie Bubulcus : « Ecquid est gratum tibi,
Quod te eelavi? — Linguse prorsus non nego
Habere atque agere maximas me gratias,
Verum oculis ut priveris opto perfidis. »
FABULA XIX.
TERRANEOLA ' ET VULPE8.
Pravis non esse fidem adhibendam.
Avis, quam dicunt terraneolam rustiei,
In terra nidum quia eomponit scilieet ,
champs aucun dommage. — Ne crains rien, répondit le pâtre,
cache-toi et demeure tranquille. » Arrive le chasseur à la poursuite
de son gibier. « Je vous en prie , bouvier, n'est -il pas venu ici un
lièvre? — Il est venu; mais il s'est dirigé par là, vers la gauche. »
Et d'un signe d'yeux il lui montrait la droite. Le chasseur, se remet-
tant à courir, ne le comprit point, et se déroba bientôt à ses regards.
Alors le bouvier : « Eh bien ! es-tu content? j'ai caché ta retraite. —
J'en conviens , je dois et je rends à ta langue de sincères remercie-
ments ; mais combien je souhaiterais que tu perdisses tes yeux per-
fides! »
F.ABLE XIX.
LA TERRAKÉOLE ET LE RENARD.
Il ne faut poiut ajouter foi aux méchants.
L'oiseau que dans nos campagnes on appelle terranéole , sans
doute parce qu'elle fait sou nid à terre , tomba presque un jour
FABLES rsOUV. ATTRIDUÉES A PHÈDRE.
^21
Et rusticus :
« Ne timueris,
late securus. »
Jamque venator
sequens :
« Quaeso, bubulce,
nnmquid lepns
venit hue ?
— Venit, sed abiit hac
ad laevam. »
Et nutu
demonstrat
partem dexteram.
Veuator citus
non intellexit ,
abstulitque se
e conspectu.
Tune bubulcus sie :
< Ecquid est tibi
gratum,
quodeelavi te?
— Non nego prorsus
me habere atque agere,
maximas gratias
linguie ,
verum opto
ut priverisoculis perfidis.
Et le paysan :
« N'aie pas craint 'ne erains pas) ,
sois caebé (cacbe-toi là) en sûreté. »
Et bientôt le chasseur
suivant son gibier:
« Je t'en prie, bouvier,
est-ce que un lièvre
n'est pas venu iei?
— Il est venu, mais il s'en est allé par
vers la gauche. »
Et d'un signe-de-tète
il montre
le côté droit.
Le chasseur prompt (pressé)
ne comprit pas,
et ôta 'emporta; soi
loin- de la \'ue.
Alors le bouvier parla ainsi :
« Est-ce qu'il n'est pas pour toi
digne-de-reconnaissance ,
que j'ai caché toi?
— Je ne nie pas tout-à-fait 'du tout)
que j'ai et que je rends
de très-grandes actions-de-grâces
à ta langue ,
mais je souhaite
que tu sois privé de tes yeux perfides. »
FABULA XtX.
TEREAXEOLA ET VTJLPES.
FABLE XIX.
LA TERRAKÉOLE ET LE KEXARD.
Que créance ne doii pas être donnée
aux méchants.
Fidera non adhibendam esse
pravis.
Avis quam rustici L'oiseau que les paysans
dieunt terraneolam , appellent terranéole,
scilicet quia sans doute parce-que
componit nidum in terra, il bâtit (fait) son nid à terre ,
222 FAB. NOV^ PHvEDRO ATTRIBUTjE.
Forte occucurrit* improbae Vulpeculœ;
Qua visa, pennis altius se sustulit.
« Salve, inquit illa : cur me fugisti , obsecro, 5
Quasi non abunde sit mihi in prato cibus,
Grilli, scarabaei , locustarum copia?
Quid est quod metuas, rogo? te multum diligo.
Et propter sanctos mores, et vitam probam. «
Respondit contra : « Tu quidem bene praedicas ; \ 0
Non tamen âges ut propior tibi sim subdito :
Ouin sequeris*, et cœnam tibi committo meara. »
entre les pattes avides d'uu renard. A sa vue , elle aussitôt de bat-
tre de i'aiîe et de s'élever dans les airs, et le fourbe de s'écrier :
« Eh , bonjour ! Pourquoi me fuir ainsi , je te prie , comme si je
n'avais pas dans ces prairies de quoi t'ofiFrir en abondance des
grillons, des scarabées, des sauterelles? Que crains-tu? je te le
demande; je t'aime de toute mon âme , tant à cause de tes mœurs
si pures que de ta probité. — Oh ! oh ! tu prêches à merveille, répon-
dit l'oiseau , mais tu ne saurais me persuader de descendre jusqu'à
toi. Viens plutôt près de moi , et je te confie le soin de mon souper. »
FABLES NOUV. ATTRIBUÉES A PHÈDRE.
223
occucurrit forte
vulpeculas improbse ;
qua visa ,
sustulit se altius pennis.
€ Salve , inquit illa :
obsecro , cur fugisti me ,
quasi cibus
non sit abunde
mihi in prato,
grilli, scarabsei,
copia locustrfrum ?
Rogo, quid est
quod metuas ?
diligo te multum ,
et propter mores sanctos,
et vitam probam. »
Respondit contra :
« Tu quidem
prœdicas bene ;
non tamen âges
ut sim propior
tibi subdito :
quin sequeris,
et committo tibi
saeam cœnam. »
vint-à-rencontre par hasard
à un renard méchant ;
celui-ci étant aperçu ,
l'oiseau éleva soi plus-haut par se5 ailes.
« Salut , dit celui-là .
je t'en prie, pourquoi as-tu fui moi,
comme-si la nourriture
n'était pas abondamment ,
à moi dans ce pré ,
des grillons , des escarbots,
une multitude de sauterelles ?
Je te le demande, qu'y a-t-il
que tu craignes?
j'aime toi beaucoup ,
et à cause de tes mœurs saintes (pures),
et de ta vie probe. »
L'oiseau répondit de-son-côté :
« Toi , il-est-vrai ,
tu prêches bien ;
cependant tu ne feras pas
que je sois (que je vienne) plus proche
de toi placé-au-dessous de moi :
que-ne me suis- tu,
et je confie à toi
le soin de mon souper. »
NOTES.
Page 2:1. A^sopus. Esope, esclave de Phrygie, fut appelé à
Sardes à la cour du roi Crésus. Envoyé par lui à Delphes pour
consulter i'oracle d'Apollon , il fut accusé faussement de sacrilège,
condamné, et précipité du haut d'un rocher, vers l'an 560 avant J. C.
On peut lire en tête de la plupart des éditions des fables de La Fon-
taine une Vie d'Esope pleine de détails tellement merveilleux ou
bizarres dans leur naïveté, qu'un homme sensé, loin d'y ajouter
foi, ne peut s'empêcher de regarder cette composition comme un
produit des siècles d'ignorance. A vrai dire , la vie d'Esope est in-
connue. Il passe pour le père de l'apologue, et sa réputation comme
fabuliste se trouve incontestablement établie dans les temps qui
suivirent le siècle où il yécut; mais quant aux fables qui portent
son nom , rien de moins prouvé que leur authenticité.
— 2. Versibus senariit . en vers de six pieds. Phèdre désigne ici
le grand vers tambique. Ce vers s'appelle aussi lombiçue trimètre,
parce que deux ïambes réunis formaient un mètre ou mesure.
Page 4:1. JEquis legibus. jEquce leges , lois égales pour tous les
citoyens : vivere œquis legibus, \i\xQ sous le régime de l'égalité.
— 2. Tyrannus. Les mots tyran, tyrannie, réveillent nécessaire-
ment chez nous les idées de cruauté, d'oppression. Tyrannus chez
les Latins , et surtout z'jpy.wo^ chez les Grecs , désigne le plus
souvent celui qui usurpe le pouvoir absolu dans une république,
quel que soit son caractère personnel, et abstraction faite de la dou-
ceur ou de la sévérité de son gouvernement. Souvent aussi ce mot
reut dire, sans aucune idée de blâme, rot, chef ou prince, maître,
dominateur. Enfin, mais rarement, surtout en grec, Q répond à l'idée
de notre mot tyran, despote. C'est dans le premier sens , celui d'usur-
pateur, que Phèdre emploie ici tyrannus.
— 3. Pisistratus. Athènes fut gouvernée d'abord par des rois,
puis, sous une forme républicaine, par des magistrats nommés
Archontes. En l'absence de Solon, qui avait donné des lois aux
Athéniens, l'Etat se partagea en différentes factions. Pisistrate, à
la faveur de ces dissensions, s'empara par adresse du pouvoir,
qu'il conserva trente-trois ans. Il mourut l'an 527 avant J. C.
Page 10 : 1. Tua lalanntas pour tu calamitosus , comme fable iv,
V. 5, aviditas pour canes avidi, et fable xill , v. 12, corvi stupor
pour corvus ttupidus. Cet emploi du substantif abstrait au lieu de
ladjectif est familier à Phèdre. Nous en voyons un bel exemple
NOTES. 225
fable VIII, V. 8 , où l' auteur représente la grue plongeant son long
cou dans la gueule du loup : gulœ credens coîli longitudinem. L'au-
teur eût pu, se servant du langage ordinaire , dire collum longum:
mais, outre que l'emploi du substantif est plus poétique, plus
hardi, qui ne voit que ce long mot longitudinem fait image, et nous
représente, par son harmonie même, le déploiement de cet énorme cou?
Pp.ge 14 : 1. Personam, un masque. Les acteurs, dans l'antiquité,
paraissaient sur la scène avec un masque dont la figure était appro-
priée au sexe, à l'âge, aux passions du personnage qu'ils avaient
à représenter. Si ce personnage devait se montrer tantôt joyeux ,
tantôt triste ou colère, le masque, sur ses deux profils diversement
peints, présentait au spectateur l'expression de ces difierentes pas-
sions. On compiend tout de suite combien était pauvre ce moyen
dramatique, qui privait l'acteur du plus puissant moyen d'émouvoir,
l'expression naturelle de la physionomie et la mobilité des traits.
L'invention du masque de théâtre eut sans doute pour cause l'im-
mense étendue des théâtres antiques, et la nécessité de se faire en-
tendre de la foule innombrable qui s'y réunissait. Or, le masque
était pourvu d'une bouche en entonnoir qui faisait l'effet de notre
porte-voix; il rendait plus forte la voix de l'acteur , comme le co-
thurne ajoutait à sa taille.
Page 24 i 1. Eic, pronom, lui, se rapportant au cordonnier, et non
pas hiCf adverbe, /à, dans ce heu, comme l'ont voulu quelques édi-
teurs.
— 2. Medicwn, syncope pour rnedjcorum. Se factum nobilem non
ulla prudent iaartismedicum. Autrefois on lisait medîc«m, accusatif sin-
gulier, et l'on construisait : Se factum medicum nobilem non ulla pTuden-
lia artis. Le sens, en définitive, différait peu, mais la construction
présentait quelque embarras ; le lecteur, au reste , peut choisir.
Page 28 : 1. Malepci, syncope pour maleficii.
Page 38 : 1. Crocodilus , le crocodile, animal amphibie de
l'espèce des lézards. On le trouve sur les bords du Nil et de quel-
ques autres grandes rivières, le Gange, l'Orénoque, par exemple.
Les Américains lui donnent le nom de caïman La nature amphibie
de cet animal , sa taille énorme, qui dépasse quelquefois la longueur
de vingt pieds, sa large gueule armée de dents, et la vitesse de su
course 'mais en droite ligne seulement', en font un ennemi redou-
table aux habitants des contrées où il fait son séjour.
Page 42 : 1. Mânes deos, les Mânes, divinités infernales, auxquelles
étaient consacrés les tombeaux et les trésors qu'ils pouvaient ren-
fermer.
Page 48 : 1 . Narrandi locus ne veut pas dire ici lieu ou occasion
■ie raconter, mais la matière, le sujet même delà narration. Ainsi
les Latins appelaient loci communes, « lieux communs , » certaine»
sortes d'arguments propres à toute sorte de causes.
Fables de Phèdre. •. t
226 NOTES.
Page 56 : 1. Bilinguis, mot à mot , à âeux langues, qui tient tantôl
un langage, tantôt un autre, selon les circonstances et son intérêt.
Virgile appelle les Tyriens Tyrii bilingues, « les Tyrieus sans foi. »
Nous disons en français non pas un homme à deux langues , mais ur.
homme à deux faces.
— 2. Atriensem. Atriensis (servus) , esclave chargé du soin de
Vatrium, pièce principale de l'habitation chez les Romains , espèce
de salle de réception où étaient exposées , avec les meubles les plu.?
précieux, les images des ancêtres du chef de la famille.
— 3. Cœsar Tiberius. Tibère, second empereur romain, adopti
par Auguste. Ce prince, célèbre par sa cruauté, ses vices et sa dis-
Bimulation, était ce qu'on appelle un homme de beaucoup d'esprit.
Il aimait à plaisanter. Le mot que rapporte de lui Phèdre dans cette
fable est d'un assez bon goût. L'histoire nous en a conservé d'autres
d'un caractère atroce. Par exemple, un jour qu'il visitait une prison,
un malheureux nommé Carvilius, ennuyé d'une captivité rigou-
reuse , lui demanda : « Quand donc ordonnerez-vous mon supplice r
— Nous ne sommes pas encore réconciliés, » répondit Tibère.
Page 58:1. Lucuîli. Lucullus, général romain, remporta sur Mi-
thridate plusieurs victoires. Ses richesses étaient immenses , et son
luxe prodigieux.
— 2. Prospectât Siculum et despicit Tuscum mare. Du promontoire
de Iklisène on voit en effet dans le lointain ( pro ) la mer de Sicile ,
et au pied de la montagne (de) la mer de Toscane.
— 3. Alticinctis. Alticinctus , dont la ceinture est attachée très-
haut, et par conséquent dont la toge est retroussée fort haut
aussi , comme il convient à des gens qui travaillent, et dont les mou-
vements ne doivent pas être gênés.
■^- 4. Pelusio, de Péluse. Péluse, aujourd'hui Damiette, ville
d'Egypte , à l'une des embouchures du Nil.
— 5. Alapœ. les soufflets. Lorsqu'à Rome un maître voulait affran-
chir un esclave, il le conduisait devant le préteur, et là il lui donnait
un léger soufflet, symbole de son affranchissement.
Page 70 : 1. Eutychum, Eutyqiie , ami de Phèdre. Son nom in-
dique une origine grecque. On a avancé, mais sans preuves, qu'il
était affranchi d'Auguste.
Page72: 1. Pieric jugo. Le mont Piérus, sur les frontières de la Ma-
cédoine.
— 2. Sinon, Sinon, Grec perfide, qui, par ses artifices, engagea
les Troyens à introduire dans leur ville le fameux cheval de bois , et
causa ainsi la ruine de cette ville. — Quodcumque fuerit. Ces deux
mots ,se trouvent en effet dans le discours de Sinon au ii' livre
de l'Enéide. Le texte de Phèdre a servi à rectifier celui de Virgile,
qui présentait dans les anciennes éditions fuerint quœcumque.
.NOTES. 227
Vage 74 : 1. Sejano-Séjan, clievalier romain, favori de Tibère ,
qui lui laissait exercer la suprême puissance en son nom. Après avoir
gouverné l'empire avec une autorité absolue , et sacrifié à sa haine
Jusqu'aux membres de la famille impériale , il périt lui-même , vic-
time des soupçons de l'artificieux Tibère II paraît que notre auteur
fut en butte à ses persécutions.
— 2. Anacharsi Scylhce. AnacLarsis , philosophe scythe, vivait au
siècle d'Esope; il vint à Athènes du temps de Solon. Quelques-uns le
comprennent dans la liste des sept sages.
Page76:l.imo... Orp/ieo. Lin us et Orphée, tous deux fils d'Apollon,
nés en Thrace , célèbres poètes et musiciens. Les prodiges d'harmonie
qu'ils accomplirent , le dernier surtout, dépassent toute croyance.
— 2. Hebrique. Hebrus, l'Hèbre, fl.euve de Thrace, aujourd'hui la
Maritza.
— .3. Amphoram. L'amphore, mesure de capacité pour les li
qui des chez les Romains , équivalant à dix-neuf litres quarante- quatre
centilitres-
Page 78: 1. Perj/urœ.Nous construisons miseriti periturœ ; d'autres
missent mi"seri7j sans régime exprimé, et font dépendre perifurcp (alors
au datif), de misère qui est au vers suivant.
Page 90 : 1. Fides. Beaucoup de traducteurs prennent ce mot
dans son sens ordinaire de fidélité. M. Quicherat, l'opposant à no-
men, le traduit avec raison par réalité; il cite ce passage d'Ovide :
Vola fides sequitur.
— 2. Socrates. Socrate, célèbre philosophe athém'en , ne 469 ans
avant J. G. , dirigea ses études principalement vers la morale. Injus-
tement accusé d'impiété, il fut condamné à boire la ciguë. Après sa
mort, les Athéniens lui élevèrent une statue. Il eut un grand nombre
de disciples , dont les plus célèbres sont Platon et Xénophon.
— 3. Hippolylus. Hippolyte, fils de Thésée, roi d'Athènes,
aimé par Phèdre , sa belle-mère , dédaigna son amour. Celle-ci l'ac-
cusa auprès de son père de lui avoir exprimé l'amour incestueux
qu'elle-même ressentait pour lui Le père invoqua la vengeance de
Neptune. Celui-ci envoya un monstre marin qui épouvanta les che-
vraux attelés au char d'Hippolyte , et le fit traîner en lambeaux à
travers les rochers qui bordaient le rivage.
— 4. Cassandrœ. Cassandre, fille de Priam, roi de Troie, et d'Hé-
cube, fut aimée d'Apollon, qui lui accorda le don de prophétie, mais
à condition qu'elle ne rencontrerait que l'incrédulité. De là la ruine
de sa patrie, prévue par elle et non crue par ses concitoyens.
Page 92 : 1. Togam puram, une toge unie. C'est la toge virile, que les
jeunes Romains prenaient à dix-sept ans, quittant alors la robe pré
texte, c'est-à-dire bordée de pourpre, que portaient I33 adolescente
depuis l'âge de treize ans.
228 NOTES.
— 2. Concursant famîlia. Familia, nom collectif, s'allie très bien avov
un verbe au pluriel. Ainsi le rudiment nous présente comme égale-
ment réguliers turba mit ou turba ruunt.
— 3. Ut sentit lonsum. Les Romains portaient les cheveux ras.
Page 94 : 1. Reprœsentavit , hâta , se fit subir d'avance
— 2. Centumviros , les centumvirs , juges au nombre de cent
chargés de prononcer sur les causes capitales.
— Z. Ut adjuvaret jurisjurandi fidem , qu'il les aidât à accomplir le
serment (qu'ils avaient fait de rendre bonne et stricte justice).
Page 96 : 1. Ambitio.... dissidens La partialité.... variable.... en
désaccord avec elle-même.
Page 98 ; 1. Legem. Leœ, convention.
Page 100 : 1. Retensum. Souvent la particule re, en composition,
donne une signification négative au mot auquel elle s'unit.
— 2'Expedi, débrouille, explique.
Page 104 : 1. Nécessitas , la loi de nature. Deux vers plus bas le
mot legibus a le même sens.
Page 110 ; 1. Familia, troupe d'esclaves. Esope composait à lui
tout seul le domestique de son maître.
Page 114 : 1. Quum jam desierit esse heneficio utilis. Nous donnons
pour sujet à cette proposition , non pas , avec quelques inter-
prètes , bonitas tua du vers précédent , mais le senio debilem , le
malheureux vieillard , du vers d'auparavant. S'il y avait sim
plement quum jam desierit esse utilis , nous ne verrions aucun in
convénient à l'explication que nous combattons; mais l'expression
bonitas utilis bénéficia nous présente quelque chose de si gauche , de
si peu latin , que nous la repoussons absolument. Mais comment
expliquerons-nous cet utilis beneficio appliqué au malheureux qui sol-
licite le bienfait? De deux manières ; 1° Si l'on veut que beneficio
soit au datif, utilis signifiera à peu près idoneus, apttis, accommo-
datus, et le sens sera : C'est en vain que votre bonté voudra secourir
un pauvre vieillard, quand il aura cessé d'être propre-à-recevoir vos
bienfaits , utilis {idoneus) benep,cio [accipiendo). 2° Mais nous serions
tentés de prendre utilis activement, comme le veut un commenta-
teur de la collection Lemaire; il signifierait alors pouvant -jouir, et
gouvernerait l'ablatif, comme le verbe d'où il dérive; c'est à ce ca:
qu'il régirait beneficio. On trouve dans Plante l'expression bien plus
forte utditas oculis pour facultas utendi oculis. Il est infiniment pro-
bable qu'ufi7t5 a eu dans la langue ancienne cet emploi , que l'on
aura abandonné pour éviter la confusion qui pouvait en résulter,
dans certains cas, à cause de la similitude des ablatifs et des datifs.
Phèdre, en sa qualité d'étranger, aura fait aux vieux comiques l'em-
prunt de cette forme surannée. — Quant à l'emploi avec un sens actif
d'adjectifs en ilis dérivés de verbes , qui n'a lu dans Virgile : Pene-
irabile telum, penetrabile frigus^ etc. ?
NOTES. 229
— 2. Tuœ sunt partes. Il s'agit du rôle de juge, qu'Eutvque rem-
plissait , à ce qu'il paraît , dans un procès où Phèdre était intéressé •
Page 116 : 1. Piaculum. crime abominable, action qui ne peut s'ex-
pier qu'au prix des plus grands supplices. — Saniias, bon sens.
Page 122 : 1. Frons prima, premier aspect, apparence extérieure
— 2. Retorridus, ratatiné, ridé, vieux et madré.
Page 124 : 1. Sonipes (de pes et sonus ou plutôt sono, as, etc.),
l'animal aux pieds sonnants; ainsi Phèdre appelle l'agneau Laniger ,
le porte-laine. La Fontaine est plus riche et plus original encore dans
les dénominations dont il afiFuble les personnages qu'il met en scène
Page 128 : 1. Centena sestertia. Cent grands sesterces ou cent mille
petits, environ vingt mille francs. Phèdre, en parlant ^de sesterces
dans une affaire toute grecque, et surtout au temps d'Esope, pèche
ici contre la vérité historique et locale.
— 2. Fidem , la bonne foi , abstraction faite du droit positif.
— 3. Cadis. Le cadus , double de l'amphore, contenait trente huit
litres quatre-vingt-huit centilitres.
Page 132 : 1. Cornua. On traduit ordinairement cornu par aigrette ;
dans le principe c'étaient de véritables cornes d'animaux que les
guerriers demi-sauvages portaient à leur tête. On voit encore , chez
Plutarque , Pyrrhus portant à son casque des cornes de bouc. Tite
Live représente Philippe coiffé d'un casque surmonté de deux cornes.
L'aigrette ou panache appartient évidemment à une époque posté-
rieure, et n'est qu'une imitation de l'ornement naturel emprunté aux
animaux.
Page 134 : l.In cothurnis. Le cothurne était une chaussure élevée, ;i
l'usage des acteurs tragiques.
— 2. Utinam, etc. Phèdre donne à son stj'le, dans ce morceau, une
pompe inaccoutumée , dans l'intention de se moquer du ton solennel
des auteurs dramatiques de son temps.
— 3. Pelii. Le mont Pélion 'en Thessalie).
— 4:. Argus, constructeur du navire Argo, sur lequel s'embar-
quèrent Jason et les Argonautes pour aller en Colchide , à la con-
quête de la toison d'or.
— 5. ^eiœ domus. Ééta ou Éétès, roi de Colchide. Outre la perte de
la toison d'or, enlevée par les Argonautes, il eut à déplorer la perte
de Médée sa fille , qui suivit Jason , et la mort de son fils Absyrte ,
assassiné par cette dernière.
— 6. Régna Peliœ. Pélias , roi de Thessalie. Ses filles, voulant le
rajeunir, s'adressèrent à Médée, qui leur conseilla de le plonger dans
une chaudière bouillante, où il trouva la mort.
— 1. Per artus fratris. Médée, fille d'Éétès, prit la fuite avec Jason
qu'elle avait rendu maître de la toison d'or. Poursxuvis par son p'^re,
230 NOTES.
elle égorgea son frère Absyrte, et sema ses membres sur la route
qu'il parcourait en la poursuivant.
— 8. Minos. Minos, roi de Crète, triompha des Carîens et autres
pirates, vers 1400 avant J C, 120 ans avant l'expédition des Argo-
nautes, 160 ans avant la guerre de Troie. Les Athéniens ayant mis à
mort son fils Androgée, il les vainquît et leur imposa le tribut annuel
de sept jeunes gens, destinés àêtre dévorés pa: le Minotaure, monstre
moitié homme, moitié taureau. Thésée aflPranchit les Athéniens de ce
cruel tribut, en tuant le Minotaure.
— 9. Lector Cato , lecteur sévère comme un Caton.
Page 136 : 1. Qua res cibi, pour quœ res cihi, pour qui cibus.
Page 138 : 1. Feras duas , les deux poches d'un bissac.
Page 140 : 1. Religio , la divinité.
— 2. Construisez : dies adscriptus pœnœ.
Page 142 : 1. Pater, Jupiter, père d'Hercule.
Page 144 : 1. Sophus est pris ici en bonne part; il signifie sage,
prudent, comme dans la fable xii du livre III, v. 9.
Page 146 : 1. Draco, dragon, espèce de serpent fabuleux.
Page 148 : 1 . Quadrantes. Le quadrans était le quart de l'as romain ;
il valait environ deux de nos centimes.
— 2. Libitina, Libitine, déesse qui présidait aux funérailles.
^ Page 150 ; 1. Si77ionidis, Simonide, poëte lyrique grec, né dans
l'île de Cée, florissait vers 520 avant J. C.
— 2. Asiœ. Il s'agit ici de l'Asie Mineure.
Page 152 : 1. Mecum mea sunt cuncta, «je porte avec moi tous me>
biens. » Ce m.ot est généralement attribué à Bias, l'un des sept sage-,
qui vivait cent ans environ avant Simonide.
— 2 . Clazomenœ , arum, Clazomènes, ville d'Ionie, sur le bord di
la mer Egée, entre Chio et Smyrne, célèbre pour avoir donné nais-
sance au philosophe Anaxagore. Elle avait été fondée, dit-on, en-
viron 1300 ans avant J. C. De là l'épithète à'antiqua que lui donne
notre auteur.
— 3. Tabnlam suam. Les naufragés, pour exciter la pitié, por-
taient suspendu au cou un tableau représentant leur infortune.
Page 154 : 1. Extricas. Extricare, débarrasser, émettre, produire.
— 2. Ubi immolatur, unipersonnellement : quand on immole des
victimes.
Page 156 : 1. Notas. Nota, marque, espèce, caractère.
Page 158: 1. Dixi superius. Allusion à l'aventure de Simonide,
rapportée fable xvii de ce livre.
— 2. Cuidampyctœ, à un certain athlète; son nom était Scopas.
— Conducere, prendre à tâche un ouvrage quelconque, s'en char-
ger moyennant un prix convenu.
NOTES. 231
— 3. Gemina Ledœ sidéra. Castor et Pollux, fils jumeaux de Ju-
piter et de Léda , épouse de Tyndare , athlètes célèbres , métamor-
phosés en astres formant la constellation des Gémeaux. Ils sont en-
core appelés les Dioscures.
Page 162 : 1. Praœitelen. Praxiteles , Praxitèle, célèbre statuaire
grec, vivait 360 ans avant J. C. — Myronem, Myron, statuaire et
ciseleur habile, vivait 440 ans avant J. C.
— 2. Fucatœ, ornées de même d'un nom emprunté (celui d'Ésope).
— 3. Démétrius de Phalère fut donné pour gouverneur aux
Athéniens par Cassandre, qui commandait en Macédoine après le rè-
gne d'Alexandre, vers 310 avant J. C. — Démétrius fut appelé tyran,
c'est-à-dire usurpateur (voy. liv. I, fable ii, v. 5) ; mais l'exercice
de son pouvoir fut modéré : il aima les lettres , qu'il cultivait lui-
même, et protégea les savants.
Page 164 : 1. Menander, ^lénandre, chef de la nouvelle comédie,
composa cent huit pièces dont nous n'avons que des fragments mal-
heureusement très-peu nombreux.
— 2. Vestitu fluens, ayant un vêtement large et tombant, à la
manière des efféminés.
Page 166 : 1. Penula. La pénule était une espèce de manteau de
voyage, propre à garantir du froid et de la pluie, mais assez em
barrassant pour l'action. — Cedo, espèce d'impératif , signifie don-
nez, et quelquefois dites.
Page 168 : 1. Qui cas» peccat. Il faut sous-entendre illi avant ce qui.
— 2. Verrem. On immolait un verrat à Hercule, en souvenir de
sa victoire sur le sanglier d'Érymanthe.
Page 170 : 1. Favore. Favor a ici le sens de pre'vention , partialité.
— 2. Facturus ludos. Facere ludos, comme ludos edere, donner un
spectacle au peuple.
Page 172 : 1. Excuti, sous-entendez pallium: on pourrait à la ri-
gueur sous-entendre hominem.
Page 174 : 1. /n commune, expression proverbiale, répondant à peu
près à notre part à deux !
— 2. Carbonem pro thesauro, proverbe d'origine grecque, pour
désigner un objet de mince valeur, au lieu d'vme chose précieuse
que l'on attendait.
— 3. Quem spes delusit, sous-entendu illi : Hoc querelœ convenit illi
quem , etc.
— 4. Princeps. Leprince, nom propre.
— 5. Aura frivoîa. La faveur mobile du vulgaire.
— 6. Stulta levitas, le sot orgueil de l'homme présomptueux,
232 NOTES.
et non pas comme le veut M. Qnicherat, l'aveugle légèreté du vul«
gaire.
Page 17 6 : 1. Bathyllo. Bathylle, d'Alexandrie, auteur de la pan-
tomime chez les Romains, particulièrement chéri de Mécène.
— 2. Duas dextras sous-entendu tibias. Tihiam du vers précédent
veut dire tibia, os de la jambe, tandis que le tibias sous-entendu ici
veut dire des flûtes : Phèdre les appelle droites , parce qu'au théâtre
les anciens se servaient de deux sortes de flûtes, l'une qu'ils te-
naient du côté droit et l'autre du côté gauche. Celle de droite ren-
dait des sons graves, celle de gauche des sons plus aigus. On se
servait souvent de deux flûtes droites dans la tragédie, et de deux
gauches dans la comédie.
— 3. More translatitio. A la manière imitée des Grecs, à qui les
Romains avaient tout emprunté.
Page 178 : 1. Salvo principe. Ce vers faisait sans doute partie d'une
strophe composée à propos d'une convalescence d'Auguste. Or Le
prince, joueur de flûte , s'applique , par une méprise assez plaisante,
l'hommage adressé à l'empereur.
— 2 . Pulpitum , l'avant- scène. — Cunei, trois vers plus bas, désigne
les gradins où étaient assis les spectateurs, et qui, dans une salle
en amphithéâtre, allaient s' élargissant en forme de coinpar en haut.
Page 182 : 1. Philete. Philète, personnage inconnu, que l'on pré-
sume avoir été un afl"ranchi de Claude.
Page 184 : 1. Nam qui nunc quid vis rogem? La construction
doit être : Nam quid vis rogem tibi qui, etc.
Page 186 : 1. Sic, c'est-à-dire eo consilio, dans ces dispositions.
— 2. Scarabœum , un escarbot , insecte qui naît dans la fange ,
et dont les renards sont très-avides.
Page 188 : 1. Artus, les articulations , les noeuds du filet.
Page 190 : 1. Nervos, les cordes du filet, faites de nerfs ou boyai
d'animaux , substances très-solides.
— 2. Ingénia artuum , jolie expression qui peut se résoudre pi
artus ingeniose contextos , les nœuds tissus avec art , comme l'inter-
prète M. Quicherat.
— 3. Bipenni. Bipennis est une hache à deux tranchants, chaci
d'eux ayant la forme d'une aile d'oiseau, penna. — Petit, dans 1^
même vers, est contracté de peliit.
Page 192 : 1. Elephantis, génitif de forme grecque {hUfaç, avroç]
Les Latins ont à eux la forme elephantus, i.
Page 194 : 1. Positum. Le verbe ponere est en latin d'un usage
cpécial pour dire exécuter un ouvrage d'art, soit comme peintre, soit
comme statuaire. Il signifie établir, représenter avec la po«e conve-
NOTES. 233
nable. Horace, Od., lY, vil , 7, parlant du peintre Parrhasius et du
sculpteur Scopas , dit :
Hic saxo, liquidis ille coloribus
Solers nunc hominem ponere, nunc deum.
« Sachant tous deux , l'un avec le marbre , l'autre avec les cou
leurs, représenter tantôt un homme , tantôt un dieu. »
Le même Horace, à propos d'un statuaire heureux dans les détails,
mais malhabile dans l'ensemble , emploie le même terme :
Ponere totum
Nesciet.
« Il sera incapable à* établir un ensemble. »
Page 196 ; 1. Ixion. Ixion, roi de Thessalie, voulut faire violence à
Junon. Il est , aux enfers, attaché à ime roue qui tourne sans ce^se.
— 2. Sisyphus. Sisyphe, roi de Corinthe , brigand fameux, con-
damné à rouler, au haut d'une montagne, une roche énorme qui
retombait sans cesse.
Page 198:1. Jan/a/us. Tantale, roi de Phrygie, servit aux dieux les
membres de son propre fils Pélops. Précipité aux enfers, il est au
milieu d'un lac dont l'eau fuit sans cesse ses lèvres altérées. Sur sa
tête, un arbre chargé de fruits relève continuellement ses branches
et lui fait éprouver les tourments d'une faim perpétuelle.
— 2. Scelestas aquas. Le poëte a donné aux eaux que portent les
Danaïdes l'épithète de scélérates, applicable aux Danaïdes elles-
mêmes. Ainsi l'on dit, en poésie, gémissant sur sa couche solitaire,
pour gémissant solitaire sur sa couche. Les Danaïdes étaient cin-
quante sœurs qui , la nuit même de leurs noces , avaient , à l'insti-
gation de leur père, égorgé leurs époux. Une seule d'entre elles ,
nommée Hypermnestre , épargna le sien.
— 3. Tityos, forme grecque. Titj-us avait voulu attenter à la pu-
deur deLatone. D'une taille gigantesque, il était étendu aux enfers
sur neuf arpents de terrain qu'il couvrait de son corps, et où un vau-
tour lui rongeait le foie, qui renaissait sans cesse pour suffire à de nou-
veaux tourments. Virgile Enéide, VI, 595) décrit son supplice à peu prés
comme notre auteur, mais avec une bien plus effrayante énergie ;
Nec non et Tityon, Terrœ omniparentis alumnum ,
Cernere erat, per tota novem oui jugera corpus
Porrigitur; rostroque immanis vultur obunco
Immortale jecur tondens , fecundaque pœnis
Viscera, rimaturque epulis, habitatque sub alto
Pectore; me fibris requies datur ulla renatis.
234 NOTES.
Page 200 : 1. Furens veut dire ici enthousiaste , inspirée. Le même
mot, au vers suivant, veut dire folle , qui ne sait ce qu'elle dit, ou
plutôt , qui perd ses paroles en donnant des conseils à des gens qui
i:e l'écoutent pas.
Page 202: 1. Confectus, assommé, assassiné.
— 2. Hoc, c'est-à-dire iaudari.
Page 204 : 1. Comprimis clementia, dompter par la douceur, adoucir
par l'exemple.
— 2. Atrocitali, etc. Ce vers sentence est assez froid dans la bouche
d'Esope. Il nous a semblé plus naturel rie le donner à part comme
morale de la fable. Tel paraît avoir été l'avis de M. Quicherat dans
ses notes.
— 3. Superasse qui sous-entendez eum ou adversarium.
Page 206 : 1. Maie cessit, uuipersonnellement : cela a mal réussi,
c'est-à-dire : cela tombe mal, plutôt que : maie cessit {hœc bella res),
cette belle trouvaille est échue mal, c'est-à-dire à un maître qui ne lui
convenait pas.
— 2. Ingénia, etc. Cette comparaison du génie étoufiFé par la
misère avec une lyre , un instrument matériel , tombé aux pattes
d'un lourdaud , n'a rien de bien gracieux ni de bien touchant. Cette
idée est rendue d'une manière bien plus intéressante dans le Cimetière
de campagne de Grey, magnifiquement traduit par M. J. Chénier.
Page 208 : 1. Fecit partes facinoris, se partagèrent leur maître,
scélératement égorgé.
— 2. Fata sua, son malheur, c'est-à-dire la perte de ses petits,
que le loup aurait dévorés. — Pari dolore , une douleur égaie à la
douleur matérielle que lui causait son accouchement prochain.
Page 210 : l. Supersunt , sont en abondance, et mêmedetrop, satis
superque.
— 2. Ad villam. Le service à la campagne était très-dur pour les
esclaves; on les y envoyait souvent par punition.
— 3. Vocatus; sous-entendez ad ccenam.
Page 212 : 1. Âhegit , détourna , vola.
— 2. Demitlit vado, pour in vadum, in mare; comme dans Virgile:
;/ cœlo clamer, pour It in cœlum clamoi.
Page 214 : 1. Voce hospitali, voix amie. — Ofpcium, du vers sui-
vant , se traduira par politesse. — Ingereu^ du vers 10 , veut dire
répéter à satiété.
Page 216 : 1. Res ipsa, l'objet lui-même , ce qu'en terme de droit
on appellerait le corps du délit.
— 2. Insecandam. Nous ne nous rendons pas parfaitement compte
«le ce mot insecare. Le simple secare voulant dii'O couper, le com-
NOTES. 235
posé doit signifier ici couper on tailler dans, pour se vêtir, sans
doute par allusion à l'âne revêtu de la peau du lion. Au reste, c'est
'a première fois que nous rencontrons ce verbe. M. Quicherat ne le
donne pas dans son Thésaurus poeticus, postérieur cependant à son
édition de Phèdre où il se trouve. Peut-être , dans le manuscrit de
Perotti, insecandam sera-t-il, par une faute d'écriture, mis à la place
de quelque mot plus facile, comme induendam , etc. L'édition de
Leipsick , publiée par Weise , ne donne pas la première moitié du
êitre où il est employé.
— 3. Adversam prenderat. Le commentateur de la collection Le-
maire explique adversam par ex parte adversa : ex cauda, non ex ca-
pite. Cette interprétation, adoptée par M. Quicherat, est ici la véri-
table, quoique manifestement contraire au sens d^adversus, qui signifie
opposé, face à face, en regard. Ainsi : adversi dentés. ClC, les dents
de devant; adcersa ruinera. Liv., blessures reçues par devant; ex
adverso. Liv. , vis-à-vis. C'est l'adjectif aversus qui signifie qui
tourne le dos ou la tête , pris ou vxi par derrière : aiersi tenuere faces.
ViRG., ils tiennent les torches à la main en se détournant du bûcher;
aversos hostes aggredi. ClC, charger l'ennemi à dos ou en queue. Tous
les auteurs emploient constamment dans le sens de ces exemples les
deux termes adcersus et aversus. L'emploi tout à fait insolite que
nous rencontrons ici du premier, s'il n'y a pas erreur de copiste,
serait un argument en faveur de ceux qui contestent l'authenticité
de cet Appendice, ou bieu il pourrait être considéré chez Phèdre
comme une de ces rares incorrections qui auraient trahi auprès des
Romains son origine étrangère. Ne songeant d'abord qu'à la signifi-
cation habituelle d'adcersus, nous avions cru voir dans ce passage un
lézard surpris par un serpent, face à face avec le reptile, tenant à sa
gueule une branche en travers , et ne pouvant être non-seulement
dévoré, mais pas même entamé par son redoutable ennemi. Mais les
mots prenderat, avait saisi, et à la fin demisit ex ore, laissa échapper de
sa gueule, s'opposent à cette interprétation. Il s'agit bien d'un lé-
zard qu'un serpent a pris par la queue. Le serpent, qui presse de ses
lèvres cette partie seulement, ouvre la gueule pour avaler le lézard
tout entier ; celui-ci saisit en travers une branche qui se trouve à
terre, la tient fortement serrée entre ses dents, et empêche ainsi le
serpent de l'engloutir complètement. — Le mot devorare veut dire ici
avaler, engloutir, et non pas mordre , déchirer' ainsi, chez notre au-
teur, livre I, fable VIII, os detora^um signifie, non pas un os rongé, mais
an os avalé gloutonnement par le loup , et enfoncé dans son gosier
Ou sait que les reptiles et les poissons avalent plus qu'ils ne déchi-
rent les animaux qui leur servent de pâture, bien que Virgile ait dit
du serpent : miseros morsu depascitur artus. (Enéide , II, 215.)
Page 218 : 1. Spes tuas, vos espérances, votre avenir. Virgile :
Per spes surgentis Tuli. Tacite fait dire à Germanicus : spes meœ, mou
avenir comme prince.
136 NOTES.
Page 220 : 1 . Terraneola , la terranéole , espèce d'alouette.
Page 222 : 1. Forte occucwrit. On lisait : Occurrit forte, etc. Nous
avons , après "Weise , adopté la conjecture de Cassito , préféraiit une
forme de verbe inusitée à un vers faux.
— 2. Quin sequeris, et cœnam tibi commîtto meam. Mais suis-moi
dans les airs, et je te confie mon repat , c'est-à-dire le soin d'y pour-
voir f ce à quoi le renard s'était offert ). — Ce sens, fort ingénieux ,
est dû à M. Quicherat, qui l'a obtenu en forçant un peu le sens du
vers 6 , et en changeant quelques syllabes du manuscrit , tellement
mutilé, tellement obaour en cet endroit , qu'on en peut tirer telle
leçon et tel sens qu'on Youdra.
1704] Typographie Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.
BlBilOTHECA
La BlbLiothQ.quQ.
Université d'Ottawa
Echéance
Tfie Llb^a/j.i
Uni vers ity of C
Date Due
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PA bSbl -Ab 15)75
539003 003996^92b